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La Photographie
en France
Textes & Controverses:
une Anthologie
1816-1871
MACULA
André Rouillé
La Photographie
en France
Textes & Controverses:
une Anthologie
1816 1871
ISBN 2-86589-021-X
© 1989 ÉDITIONS MACULA
6, rue Coëtlogon - 75006 Paris
Remerciements
L’auteur remercie vivement pour leurs conseils, leur aide, leur soutien :
Maurice Agulhon, Hubert Damisch, Claude Duchet, Jacques Foucart, Michel Melot,
Madeleine Rebérioux ;
Bernard Marbot, Jean-Jacques Hautefeuille et Danièle Resch,
de la Bibliothèque nationale ;
Christiane Roger, Sylvain Pelly et Norbert Le Roy,
de la Société française de photographie ;
Françoise Reynaud, du musée Carnavalet ;
Marie de Thézy et Catherine Floc’hlay, de la Bibliothèque
historique de la Ville de Paris ;
Jean-Jacques Poulet-Allamagny et Hélène Dussauchoy,
des Archives photographiques des Monuments historiques ;
Josiane Sartre, de la bibliothèque du musée des Arts décoratifs ;
André et Jean Fage, du Musée français de la photographie à Bièvre ;
Brigitte et Alexandre Labat, des Archives nationales ;
Véronique Champot, du Service photographique de la Réunion
des musées nationaux ;
Patricia Gairaud, Daniel Le Conte de Floris, Marc Sliwka, Béatrice Soyer et Jacques
Willaume, de l’Université de Paris VIII ;
Anne McCauley, de l’Université du Texas à Austin ;
Molly Nesbit, de l’Université Columbia à New York ;
ainsi que Cécile Berthelot, Christine Lapostolle, Gérard Lévy, Jean-Pierre
Mouilleseaux,
Joseph Nègre, François Robichon.
1. Louis-Jacques-Mandé Daguerre, Personnages visitant une
ruine médiévale, 1826. Huile sur toile (154 x 102 cm|. - Daguerre
avant Daguerre,., Décorateur de théâtre, peintre de panoramas,
créateur, en 1822, du Diorama qui connaîtra un immense succès,
sa peinture - souvent exposée au Salon - est nourrie de son
expérience de la scène. Personnages visitant une ruine médiévale
représente une architecture romane de fantaisie. On y trouve
des qualités qu'on attribuera bientôt au daguerréotype l'extrême
netteté de détail et la précision de l'échelonnement perspectif.
Introduction
PHOTOGRAPHIE,
ART ET INDUSTRIE
1. La Lumière sort à Paris le 9 février 1851. Hebdomadaire, c’est la première publication européenne
consacrée à la photographie. Elle paraîtra jusqu’en 1867. D’autres revues apparaissent plus tard avec des
durées variables d’existence : en 1852 le Cosmos qui, sans être spécifiquement consacré à la photographie,
lui accorde une large place ; en 1853 Le Propagateur ; en 1855 Le Bulletin de la Société française de photographie,
Le Photographe (dirigé par A. Herling) et La Revue photographique ; en 1856 Le Spectateurs dont un seul numéro
paraît ; en 1857 Le Photographe d ’Édouard de Latreille ; et en 1861 Le Moniteur de la photographie dont Ernest
Lacan est le rédacteur en chef, après avoir été celui de La Lumière. Voir en bibliographie les titres des
ouvrages pour la période 1839-1871.
8 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
Le r è g n e sans pa r t a g e d u d a g u e r r é o t y p e
2. Camille Dolard. ia Seance de daguerréotype, 1843. Huile sur toile 1100 x 68 cm). -
Peintre et ami de Nadar, Lyonnais comme lui, Dolard s'est consacré très tôt au daguerreotype.
Il depose un brevet en 1843. Cette toile - sans doute un autoportrait exprime son intérêt simultané
pour les deux pratiques Dans les années I860 il s'installera « peintre et photographe » à Paris.
2. Le baron Gros, Edmond Becquerel, Eugène Durieu, de Montfort, Léon de Laborde, J. Ziégler, Eugène
Delacroix, Victor Régnault, Champfleury, Francis Wey, Olympe Aguado, etc.
3. La Lumière, « revue de la photographie, Beaux-Arts, héliographie, sciences — journal non politique
paraissant le samedi ».
H) I.A PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
4. Gustave Le Gray, Photographie. Traité nouveau, théorique et pratique, des procédés et manipulations sur papier
[...] et verre [...], Paris, 1852.
5. La Lumière, 28 avril 1855 (n°17), pp 68-69 ; 12 mai 1855 (n° 19), pp. 73-74 ; 14 juillet 1855 (n° 28),
p. 113.
6. Bulletin de la Société française de photographie, janvier 1855, pp. 2-3.
7. Sous le Second Empire, les autres expositions de la Société française de photographie auront lieu en
1857, 1859, 1861, 1863, 1864, 1865, 1869 et 1870.
INTRODUCTION 11
1855, le second de ces courants gagne en importance avec l’essor des studios
de portrait pour lesquels « la photographie est devenue une importante
industrie » (pp. 192-193) et, surtout, avec le succès de l’Exposition universelle
qui amplifie des idées déjà défendues depuis 1853 dans La Lumière. Il s’agit
de promouvoir le procédé photographique en tant qu’instrument dont les
qualités spécifiques, « exactitude » et reproductibilité, devraient, pense-t-on :
1° répondre aux besoins techniques de la science, de l’art et de l’industrie ;
2° « vulgariser, au profit de tous, [ce] qui était le monopole du petit nombre » 8
et devenir ainsi « un^ftlxifiaipe démocratique par excellence » (cf. p. 182) ;
3° instruire et édut^èi\jiit^félna^jj<tnt les lumières dans les masses pour les
élever et le^J[efldre=Tneilleures >» 9 fa/oriser dans l’intérêt du progrès une
« acthan mpraîhprî'ice » sur la « claSse^jouvrière » : il y aurait là « pour le
patron5spmm>e pour l’ouvrier, utilité morale, utilité matérielle» (cf. p. 186) ;
5° Vifin, garantir des « bénéfices » substantiels à condition de vendre beaucoup
et bên marché (cf.^p. 185). n
Ce sont plus lps [ca&dcifêàbsufQposées_du procédé à servir des objectifs
sociaux, d’ailleurt^jjraéfties de'oeu'x-d'és saiipt-sjmoniens, que les images elles-
mêmes qui retiennent ici. Le jury de l’Expos/tion universelle et Lacan sont
du reste prêts à substituer à la photographie (« procédé transitoire », disent-
ils) la gravure héliographique à qui, selon Lacan, « appartient l’avenir » car
elle permet — à l’aide d’une matrice en métal ou en pierre obtenue d’après
une photographie sans intervention de la main, par les seuls moyens chimiques
— de tirer des images à l’encre grasse d’imprimerie et de passer ainsi du
stade de la reproductibilité à celui de la multiplicité des images photographiques
(cf. pp. 467-478). Au demeurant, ces deux courants — « esthétique » et
« utilitariste » - sont loin d’être homogènes, il existe souvent plus que des
nuances entre leurs protagonistes car l’acuité de la question art/industrie en
photographie est telle qu’elle oppose des institutions, traverse chacune d’elles
et interpelle les individus eux-mêmes.
L es d e r n ie r s a f f r o n te m e n ts d e s a n n é e s 1850
Dès 1856 la photographie doit payer son récent succès de virulentes attaques
livrées par ses opposants qui se sentent menacés. L’article de Henri Delaborde
dans la Revue des deux-mondes (cf. pp. 228-237) est sur ce point exemplaire : il
avertit les graveurs qu’« aujourd’hui la succession est ouverte » et leur propose
une stratégie de résistance susceptible de préserver leurs intérêts face à la
concurrence de l’image photographique. Dans cette lutte pour l’hégémonie,
Henri Delaborde tente de redéfinir les tâches figuratives dévolues à la gravure
dans une sphère de la représentation en plein bouleversement ; en appuyant
ses propositions sur une longue (et rituelle) dénégation des prétentions de la
Le t r io m p h e d e l ’i n d u s t r i e
Il est vrai qu’en cette fin des années 1850, après dix ans d’activité, la
photographie a atteint un certain niveau industriel et commercial, comme
-l’indiquent par exemple les « Statistiques de l’industrie française » (cf. pp. 345-
349). Elle va cependant connaître un nouvel essor par le biais des studios de
^portraits avec la grande vogue de la « carte de visite » (cf. pp. 352-367). Cette
phase d’expansion est symboliquement inaugurée en 1860 par la transformation
des ateliers de Disdéri qui, depuis 1854, fait figure de précurseur ; elle l’est
aussi par la création du Moniteur de la photographie en mars 1861, avec pour
rédacteur en chef Ernest Lacan qui abandonne La Lumière. Le mouvement
industriel (ce mot indique, à l’échelle de la photographie, un niveau d’activité
mais aussi un ordre de préoccupation) donne également naissance en 1862
à deux organisations — le Comptoir international de photographie (cf. pp. 370-
371) et la Chambre syndicale de la photographie — qui, pour n’être pas très
influentes au cours de cette période, n’en témoignent pas moins d’une
évolution. En fait, la décennie 1860 est celle de la mise en œuvre de pratiques
qui s’enracinent dans la période précédente : le brevet de la « carte de visite »
a été déposé dès 1854, tandis que le tirage des épreuves au charbon et surtout
la grande question des procédés photomécaniques découlent largement du
concours lancé en 1856 à l’initiative du duc de Luynes.
Il n’est pas surprenant que, dans un tel contexte, le débat sur le statut
artistique de la photographie soit lui-même modifié. Pour la première fois, il
est pris en charge au début des années 1860 par les photographes « industriels »
qui, auparavant, l’avaient largement négligé. Alors qu’ils avaient accordé une
attention prioritaire aux questions commerciales ils développent une nouvelle
stratégie : défendre les mérites artistiques de la photographie pour les besoins
de l’« industrie » photographique. Dans son épais ouvrage de 1862 — L ’Art
de la photographie , Disdéri s’applique longuement à démontrer que la
—
DU MODÈLE PICTURAL...
Au-delà des circonstances particulières, il existe entre 1850 et 1870 deux types
de discours relativement stables : celui des partisans et celui des adversaires
du statut artistique de la photographie. Le jeu des premiers consiste à
multiplier les nuances, les différenciations et les médiations. Pour eux, le rapport
n’est ni direct, ni automatique entre l’objet et son image photographique ; loin
d’être liés par la chaîne rigide de la mécanique et de la chimie, l’objet et
l’image sont au contraire séparés par la série des choix subjectifs de l’opérateur
doté de qualités personnelles et artistiques : son « goût », son « sentiment de
l’art ». L’image photographique n’est donc pas le produit d’un procédé
coercitif mais celui d’un intervenant actif dans un système flexible, elle porte
l’empreinte de sa personnalité et de son « intelligence » et, à ce titre, peut
légitimement revendiquer le statut d’œuvre d’art. Encore faut-il, comme il est
...souvent précisé, que le « photographe soit artiste ».
Cette nouvelle distinction entre « photographe purement industriel » et
<tphotographe artiste » valorise le rôle de l’artiste au point de le créditer du
pouvoir démiurgique d’actualiser, dans la moindre de ses actions, l’essence
même de l’art ; l’attention est déplacée des qualités propres de l’image vers
celles de l’opérateur qui devient le critère unique d’appréciation de ses
productions. C’est sans aucun doute une telle conception qui conduit certains
photographes en quête de légitimité à faire suivre leur nom des mentions
>.« peintre-photographe » ou « sculpteur-photographe »... Les beaux-arts servent
désormais de référence non seulement aux ennemis de l’« art photographique »
mais aussi à tous ceux (dont certains praticiens) pour qui cet art ne peut
résulter que d’une assimilation par les photographes des « lois éternelles » de
INTRODUCTION 15
12. Paul Périer, « Exposition universelle-III : photographes français », Bulletin de la Société française de
photographie, juillet 1855, p. 190.
16 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
Selon lui, le « réalisme » n’offre que des « reproductions matérielles » sans vie
ni émotion et ne saurait prétendre à l’art qui, paradoxalement, accède au
« plus vrai que vérité » par l’entremise d’une « innocente tricherie » c’est-à-
dire par une « idéalisation des objets » et la construction sur la toile d ’une
« vie factice ». La peinture « réaliste » et la photographie se heurtent à des
arguments analogues sans que la similitude des discours hostiles n’induise
pour autant une solidarité entre elles...
J ’ai tenté de rassembler dans cet ouvrage quelques-uns des textes antérieurs
à 1871, marqués par la question, centrale à cette époque, du statut de la
photographie. Loin de se réduire au type binaire art/non-art, les réponses
multiples à cette question oscillent entre les deux pôles extrêmes de l’art et
de l’industrie et invitent à dépasser celle, traditionnelle, de savoir si « la
photographie est un art ». L’étude concrète d’un champ photographique précis
interdit en effet de parler de LA photographie mais oblige à reconnaître une
diversité de pratiques et d’objets qui, sauf à sacrifier leurs traits distinctifs
et ceux du champ lui-même, sont irréductibles au terme générique et abstrait
de «photographie». Quant à l’art, dès 1851, à l’occasion de la Grande
Exposition de Londres (cf. pp. 218-225), Léon de Laborde signale l’écueil que
l’on rencontre à vouloir en attribuer le label à une pratique particulière,
comme l’on s’attache — encore aujourd’hui —- quelquefois à le faire. Selon
Laborde, il n’existe pas de pratique (peinture, littérature, sculpture...)
artistique en soi, dont les produits relèveraient d’emblée du domaine de l’art,
ni bien sûr de pratiques et de produits qui en seraient par nature
automatiquement exclus. Dans cette perspective, la frontière de l’art ne sépare
pas des pratiques mais regroupe des produits d ’origine différente avec pour seul
critère leur qualité : « Au-dessous d’une certaine limite de supériorité, dit-il
(sans d’ailleurs questionner cette limite), art, science et littérature, tout est
de l’industrie» (cf. p. 221).
En fait, vouloir assimiler une pratique et ses produits (« LA photographie »)
ou une partie de ceux-ci (« LE calotype ») à un « art » revient à oublier que
leur statut n’est ni absolu, ni définitif mais résulte à chaque instant d’un
rapport de forces entre images concurrentes et, plus particulièrement, de la
situation spécifique et mouvante du champ photographique à l’intérieur de
la sphère de la représentation, et même de la totalité sociale. C’est également
prendre le risque de rapporter les produits et les pratiques photographiques
à une série de critères eux aussi mouvants mais pensés comme normes, comme
conditions naturelles et obligées de l’Art.
Au lieu d’essayer d’apporter une impossible réponse à une question
aporétique, il m’est apparu plus fructueux d’en montrer l’historicité en
étudiant avec précision, pendant une période donnée, les fluctuations du débat
sur le statut de la photographie : ses circonstances, ses modalités et ses
acteurs.
AVER TISSEM ENT
Les textes cités dans cet ouvrage le sont rarement dans leur totalité. Ceci
résulte d’un choix difficile entre deux options : respecter l’économie générale,
donc l’intégralité des documents ; confronter des textes multiples que leur
nombre et leur longueur interdisent précisément de reproduire de manière
exhaustive (certains s’étendent sur 30, 50, voire, dans le cas du rapport du
comte de Laborde, sur plus de 1 000 pages). Du moins s’est-on efforcé de
restituer chaque fois les lignes de force en supprimant de préférence ce qui
relevait de la digression — si fréquente dans la presse périodique du X IX e siècle
— et en élaguant dans l’accumulation redondante des exemples. Seules ont
été mentionnées les coupes opérées à l’intérieur des textes (ni au début ni à
la fin).
Reste que le chercheur pourra se reporter au texte complet dont la référence
précise est chaque fois donnée avec le titre (la ville d’édition et l’éditeur ne
sont pas mentionnés : on les trouvera dans la bibliographie).
Quand les textes sont extraits d’articles, les pages indiquées en référence
sont celles du début et de la fin de l’article ; quand ils sont extraits de livres,
les pages correspondent au début et à la fin de l’extrait.
Sauf indication contraire, les notes de bas de page sont du présentateur.
On trouvera en fin de volume une bibliographie des publications antérieures
à 1871, une chronologie, un index thématique, un index des noms et une
description sommaire des procédés techniques employés au cours de la période
examinée.
I
PRÉDOMINANCE
DU DAGUERRÉOTYPE
3- Honoré Daumier,
_e Charivari,
2 juil. 1840.
orthographie.
L’INVENTION (1816-1839)
1. Paul Jay, Nicéphore Niépce, Lettres et documents, coil. Phoro poche n° 8, Paris, Centre national de la
photographie, 1983.
2. Le vocabulaire de Niépce flotte entre l’optique et les arts du dessin ; « points de vue d ’après nature »,
« planches », « gravures ». Il parle de « peindre convenablement les objets éloignés ». C ’est finalement le
terme d'« héliographie » qui s’imposera. « J ’ai cru pouvoir donner ce nom à l’objet de mes recherches,
en attendant une dénomination plus exacte» (8 déc. 1827).
PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE
Alors Daguerre, qui fait dériver de son seul nom celui de son procédé
(daguerréotype), est-il un usurpateur? A-t-il exploité à son propre compte les
travaux de Niépce, l ’a-t-il privé des fruits d’une gloire posthume ? Il s ’agit là
de la plus célèbre des nombreuses questions de priorité qui émaillent toute l ’histoire
de la photographie du X IX e siècle. Sans s y’ attarder démesurément, il importe de
préciser que Daguerre a raison d’affirmer, lettres à l ’appui, que son procédé,
reposant sur la sensibilité à la lumière de l ’iodure d ’argent et sur la révélation
de l ’image latente aux vapeurs de mercure, est différent de celui de Niépce. Mais
n'est-il pas excessif d’affirmer, comme il le fait, que celui-ci « n ’a été pour rien
dans la découverte du daguerréotype » ? Plus fondamentalement, si Daguerre, chez
qui les images sont uniques, aura connu un succès brillant mais éphémère (une
dizaine d ’années), Niépce aura été l ’artisan d ’une véritable rupture épistémique et
celui qui aura défini la condition de l ’avenir de la nouvelle image : son infinie
reproductibilité.
24 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE I81G-I871
Monsieur, D’après les offres on ne peut pas plus obligeantes que vous voulez
bien me faire dans votre réponse du 22 janvier, je m'empresse de vous adresser
la quantité de cinq planches d’étain que j ’ai fait enregistrer et affranchir au
bureau des diligences et qui vous parviendront en même temps que ma lettre.
4. Il faut placer la gravure sur un corps opaque et se mettre contre le jour. Cette espèce de gravure
s’altérerait je crois à la longue quoique garantie du contact de la lumière, par la réaction de I acide
nitrique qui n’est pas neutralisé. Je crains aussi qu’elle ne soit endommagée par les secousses des voitures.
[Note de Niépce]
5. Abbé Nollet, Leçons de physique expérimentale, Paris, 1743-1748.
26 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE IÜI6-IH7I
PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE 27
4. (Page de gauche en hautl Première chambre noire de Nicéphore Niépce, vers 1816.
5. (Page de gauche en bas) Nicéphore Niépce, Point de vue
d'après nature pris d une fenêtre de la maison du Gras à Saint-Loup
de Varennes (vers 1826). - Cette héliographie sur plaque d’étain est considérée
comme la première « photographie » aujourd'hui connue.
6. (Ci-dessus) Nicéphore Niépce, La Table servie (après 1826 ?).
Héliographie sur plaque de verre. - Image publiée et attribuée
à Niépce par Davanne en 1893
La plus grande de ces cinq planches, est la copie d’une gravure représentant
la Vierge, l’Enfant Jésus et saint Joseph. Les quatre autres, plus petites, sont
une double copie d’un portrait et d’un paysage. Ces planches, comme vous
le verrez, Monsieur, ne sont pas sur vernis, mais gravées toutes faiblement,
à l'acide acétique assez allongé de vinaigre de bois, surtout celles qui représentent
le paysage. Je crois avoir moins mal réussi dans la copie du portrait. Je vous
prie donc de les examiner, et de vouloir bien me dire franchement ce que
vous en pensez. Je suis ici totalement dépourvu de ressource de ce côté-là ;
n’avant même pu me procurer un mauvais morceau de planche gravée à
l’eau-forte, pour me servir au moins de terme de comparaison ; ce qui, à
défaut de conseils, et surtout de connaissance pratique de ma part, m’eût été
28 I.A PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
d’un grand secours, car j ’agis en quelque sorte au hasard. Depuis les deux
derniers mois de l’automne, j ’ai suspendu mon travail que je ne pourrai
reprendre qu’au retour de la belle saison. Je m’occuperai alors principalement,
Monsieur, à graver des points de vues d’après nature à l’aide de la chambre noire
perfectionnée : cette application de mes procédés, vous paraîtra peut-être d’un
plus grand intérêt. Ce qu’il y a de certain, c’est que les expériences de ce
genre, faites précédemment, me font augurer un heureux résultat pour celles
qui auront lieu par la suite. Votre obligeante intervention, Monsieur, ne
pourra qu’y contribuer très puissamment ; et j ’en éprouverai une double
satisfaction, puisque cette circonstance me permettrait de vous offrir d’y
concourir d’une manière encore plus efficace, en vous associant aux avantages
qui pourront résulter de ma découverte. La réputation méritée dont vous
jouissez, Monsieur, m’est un sûr garant que ma confiance ne saurait être
mieux placée qu’en vous, sous tous les rapports.
Recevez, je vous prie, les assurances de ma considération.
recherches sur Viode, je suis empressé de vous faire part des résultats que j ’ai
obtenus. Je m’étais déjà livré à ces mêmes recherches antérieurement à nos
relations, mais sans espoir de succès, vu la presque impossibilité, selon moi,
de fixer, d’une manière durable, les images reçues, quand bien même on
parviendrait à replacer les jours et les ombres dans leur ordre naturel. Mes
résultats, à cet égard, avaient été totalement conformes à ceux que m’avait
fournis l’emploi de l’oxyde d’argent ; et la promptitude était le seul avantage
réel que ces deux substances parussent offrir. Cependant, Monsieur, l’an
passé, après votre départ d’ici, je soumis l’iode à de nouveaux essais, mais
d’après un autre mode d ’application ; je vous en fis connaître les résultats,
et votre réponse, peu satisfaisante, me décida à ne pas pousser plus loin mes
recherches. Il paraît que depuis vous avez envisagé la question sous un point
de vue moins désespérant, et je n’ai pas dû hésiter de répondre à Fappel que
vous m’avez fait, etc.
Signé : J.-N. Niépce.
Pour copie conforme. Arago ; Daguerre.
7. Buron, Description de nouveaux daguerréotypes perfectionnés e t portatifs. Paris, 1841. Gravure sur bois.
Monsieur et cher associé, [...] Aux substances qui, d’après votre lettre, agissent
sur l’argent comme l’iode, vous pouvez, Monsieur, ajouter le thlaspi en
décoction, les émanations du phosphore et surtout les sulfures ; car c’est
principalement à leur présence dans ces corps qu’est due la similitude des
résultats obtenus. J ’ai aussi remarqué que le calorique produisait le même
effet par l’oxydation du métal d’où provenait, dans tous les cas, cette grande
sensibilité à la lumière ; mais ceci, malheureusement, n’avance en rien la
solution de la question qui vous occupe. Quant à moi, je ne me sers plus de
Yiode dans mes expériences, que comme terme de comparaison de la
promptitude relative de leurs résultats. Il est vrai que depuis deux mois le
temps a été si défavorable, que je n’ai pu faire grand’chose. Au sujet de Yiode,
je vous prierai, Monsieur, dt me dhe d’abord : Comment vous l’employez 7 ; si c’est sous
7. Cette phrase de M. Niépce montrera, j ’espère, aux plus prévenus que c’est bien moi qui avais indiqué
l'iode, non comme moyen de noicir certaines parties d ’un dessin déjà fait, mais comme la couche sensible
sur laquelle l’image devait naître photogéniquement. [Note de Daguerre]
34 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
forme concrète ou en état de solution dans un liquide ; parce que, dans ces deux cas,
l’évaporation pourrait bien ne pas agir de la même manière sous le rapport
de la promptitude, etc., etc.
Signé : J.-N. Niépce.
Pour copie conforme, Arago ; Daguerre.
Mon cher associé, [...] Depuis ma dernière lettre, je me suis, à peu de chose
près, borné à de nouvelles recherches sur l’iode, qui ne n’ont rien procuré
de satisfaisant, et que je n’avais reprises que parce que vous paraissiez y
attacher une certaine importance, et que, d’un autre côté, j ’étais bien aise de
me rendre mieux raison de l’application de l’iode sur la planche d ’étain.
Mais, je le répète, Monsieur, je ne vois pas que l’on puisse se flatter de tirer parti
de ce procédé, pas plus que de tous ceux qui tiennent à l’emploi des oxydes
métalliques, etc., etc.
Signé : J.-N. Niépce.
Pour copie conforme, Arago ; Daguerre.
Extrait d’une lettre de M. Isidore Niépce fils, qui cherchait à faire des épreuves avec le
procédé de son père, perfectionné par M. Daguerre, Lux, le 1er nov. 1837.
Mon cher Daguerre, [...] Vous aurez sans doute, mon cher ami, été plus
heureux que moi, et très probablement votre portefeuille est garni des plus
belles épreuves ! Quelle différence aussi entre le procédé que vous employez,
et celui sur lequel j ’ai travaillé !... Tandis qu’il me fallait presque une journée
pour faire une épreuve, vous, il vous faut 4 minutes. Quel avantage énorme !...
Il est si grand, que bien certainement personne, en connaissant les deux
procédés, ne voudrait employer l’ancien.
Ce motif fait aussi que j ’éprouve moins de peine du peu de succès que j ’ai
obtenu, parce que, bien que ce procédé puisse être décrit comme étant le
résultat du travail de mon père, auquel vous avez également concouru, il est
certain qu’il ne peut devenir l’objet exclusif de la souscription 8. Ainsi, je
pense qu’on peut se borner à le mentionner, pour faire connaître les deux
procédés, dont le vôtre seul doit obtenir la préférence, etc., etc.
Pour copie conforme, Arago ; Daguerre.
8. A cette époque on pensait publier le procédé au moyen d’une souscription. [Note de Daguerre]
L’ANNONCE (1839)
1. L ’« exposé des motifs et [le] projet de loi tendant à accorder: 1“ au sieur Daguerre une pension
annuelle et viagère de 6 000 F ; 2° au sieur Niépce fds une pension annuelle et viagère de 4 000 F, pour
la cession faite par eux du procédé servant à fixer les images de la chambre obscure [ont été] présentés
par M. le Ministre de l’Intérieur [Duchâtel], [à la] séance du 15 juin 1839 » de la Chambre des députés.
PRÉDOMINANCE DC DAGUERRÉOTYPE 37
2. On l'a vu p. 24, les premiers résultats obtenus par Niépce (deux négatifs sur papier) ne datent pas
d'avant mai 1816.
38 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-187]
S.
PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE 39
la nature offre de plus subtil, de plus délié : par des rayons lumineux ? M.
Paul Delaroche va nous répondre. — ^
Dans une note rédigée à notre prière, ce peintre célèbre déclare que les
procédés de M. Daguerre « portent si loin la perfection de certaines conditions
essentielles de l’art, qu’ils deviendront pour les peintres, même les plus habiles,
un sujet d’observations et d’études ». Ce qui frappe dans les dessins
photographiques, c’est que le fini d ’un « précieux inimaginable ne trouble en
rien la tranquillité des masses, ne nuit en aucune manière à l’effet général ».
« La correction des lignes, dit ailleurs M. Delaroche, la précision des formes
est aussi complète que possible dans les dessins de M. Daguerre, et l’on y
reconnaît en même temps un modèle large, énergique, et un ensemble aussi
riche de ton que d’effet... Le peintre trouvera dans ce procédé un moyen' ■
prompt de faire des collections d’études qu’il ne pourrait obtenir autrement
qu’avec beaucoup de temps, de peine et d’une manière bien moins parfaite,
et quel que fût d’ailleurs son talent. » Après avoir combattu par d’excellents
arguments les opinions de ceux qui se sont imaginé que la photographie
nuirait à nos artistes et surtout à nos habiles graveurs, M. Delaroche termine;
sa note par cette réflexion : « En résumé, l’admirable découverte de M.l
Daguerre est un immense service rendu aux arts. » ^
Nous ne commettrons pas la faute de rien ajouter à un pareil témoignage.
On se rappelle, sans doute, que parmi les questions que nous nous sommes
posées en commençant ce rapport, figure celle de savoir si les méthodes
photographiques pourront devenir usuelles.
Sans divulguer ce qui est, ce qui doit rester secret jusqu’à l’adoption,
jusqu’à la promulgation de la loi, nous pouvons dire que les tableaux sur
lesquels la lumière engendre les admirables dessins de M. Daguerre, sont des
tables de plaqué, c’est-à-dire des planches de cuivre recouvertes d’une mince
feuille d’argent. Il eût été sans doute préférable pour la commodité des
voyageurs et, aussi, sous le point de vue économique, qu’on pût se servir de
papier. Le papier imprégné de chlorure ou de nitrate d ’argent fut, en effet,
la première substance dont M. Daguerre fit choix ; mais le manque de
sensibilité, la confusion des images, le peu de certitude des résultats, les
accidents qui résultent souvent de l’opération destinée à transformer les clairs
en noirs et les noirs en clairs, ne pouvaient manquer de décourager un si
habile artiste3. S’il eût persisté dans cette première voie, ses dessins
photographiques figureraient peut-être dans les collections, à titre de produits
d ’une expérience de physique curieuse ; mais, assurément, la Chambre n’aurait
pas à s’en occuper. Au reste, si trois ou quatre francs, prix de chacune des
3. D’après un rapport du 2 novembre 1839 de Raoul-Rochette à l’Académie des beaux-arts (voir infra,
pp. 65-70), Arago connaissait les positifs directs de Bayard depuis le 20 mai 1839 au moins. Bayard
organise d’ailleurs une exposition de trente de ses épreuves en juillet 1839. Arago choisit de l’ignorer.
40 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
plaques dont M. Daguerre fait usage, paraissent un prix élevé, il est juste de
dire que la même plaque peut recevoir successivement cent dessins différents.
Le succès inouï de la méthode actuelle de M. Daguerre tient en partie à
ce qu’il opère sur une couche de matière d’une minceur extrême, sur une
véritable pellicule. Nous n’avons donc pas à nous occuper du prix des
ingrédients qui la composent. Ce prix, par sa petitesse, ne serait vraiment
pas assignable. [...]
Le Daguerréotype ne comporte pas une seule manipulation qui ne soit à
la portée de tout le monde. Il ne suppose aucune connaissance du dessin, il
n’exige aucune dextérité manuelle. En se conformant, de point en point, à
certaines prescriptions très simples et très peu nombreuses, il n’est personne
qui ne doive réussir certainement et aussi bien que M. Daguerre lui-même.
La promptitude de la méthode est peut-être ce qui a le plus étonné le
public. En effet, dix à douze minutes sont à peine nécessaires, dans les temps
sombres de l’hiver, pour prendre la vue d’un monument, d’un quartier de
ville, d ’un site.
En été, par un beau soleil, ce temps peut être réduit de moitié. Dans les
climats du Midi, deux à trois minutes suffiront certainement. Mais, il importe
de le remarquer, ces dix à douze minutes d’hiver, ces cinq à six minutes
d’été, ces deux à trois minutes des régions méridionales, expriment seulement
le temps pendant lequel la lame de plaqué a besoin de recevoir l’image
lenticulaire. A cela, il faut ajouter le temps du déballage et de l’arrangement
de la chambre noire, le temps de la préparation de la plaque, le temps que
dure la petite opération destinée à rendre le tableau, une fois créé, insensible
à l’action lumineuse. Toutes ces opérations réunies pourront s’élever à trente
minutes ou à trois quarts d’heure. Ils se faisaient donc illusion, ceux qui,
naguère, au moment d’entreprendre un voyage, déclaraient vouloir profiter
de tous les moments où la diligence gravirait lentement des montées, pour
prendre des vues du pays. [...]
La préparation sur laquelle M. Daguerre opère est un réactif beaucoup
plus sensible à l’action de la lumière que tous ceux dont on s’était servi
jusqu’ici. Jamais les rayons de la lune, nous ne disons pas à l’état naturel,
mais condensés au foyer de la plus grande lentille, au foyer du plus large
miroir réfléchissant, n’avaient produit d’effet physique perceptible. Les lames
de plaqué préparées par M. Daguerre blanchissent au contraire à tel point,
sous l’action de ces mêmes rayons et des opérations qui lui succèdent, qu’il
est permis d’espérer qu’on pourra faire des cartes photographiques de notre
satellite. C’est dire qu’en quelques minutes on exécutera un des travaux les
plus longs, les plus minutieux, les plus délicats de l’astronomie.
Une branche importante des sciences d’observation et de calcul, celle qui
traite de l’intensité de la lumière, la photométrie, a fait jusqu’ici peu de progrès.
[...] N’hésitons pas à le dire, les réactifs découverts par M. Daguerre hâteront
les progrès d’une des sciences qui honorent le plus l’esprit humain. Avec leur
PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE 41
4. « En général, on se montre peu disposé à admettre que le même instrument servira jamais à faire des
portraits. Le problème renferme, en effet, deux conditions, en apparence inconciliables. Pour que l’image
naisse rapidement, c’est-à-dire pendant les quatre ou cinq minutes d ’immobilité qu’on peut exiger et
attendre d’une personne vivante, il faut que la figure soit en plein soleil ; mais en plein soleil, une vive
lumière forcerait la personne la plus impassible à un clignotement continuel ; elle grimacerait ; toute
Ihabitude faciale se trouverait changée.
Heureusement, M. Daguerre a reconnu, quant à l’iodure d ’argent dont les plaques sont recouvertes,
que les rayons qui traversent certains verres bleus produisent la presque totalité des effets photogéniques.
En plaçant un de ces verres entre la personne qui pose et le soleil, on aura donc une image photogénique
presque tout aussi vite que si le verre n ’existait pas, et cependant, la lumière éclairante étant alors très
douce, il n’y aura plus eu lieu à grimace ou à clignotements trop répétés. » [Note ajoutée par Arago lors
de la publication de son rapport dans les Comptes rendus hebdomadaires de l 3Académie des sciences.]
42 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
5. Allusion à l’Anglais Fox Talbot qui, après l’annonce de la découverte de Daguerre en janvier 1839,
écrit à Biot en février 1839 qu’il a pour sa part réalisé dès 1834 des images sur papier aux sels d’argent.
6. « Cette commission est composée de MM. Arago, Etienne, Cari, Vatout, de Beaumont, Tournouër,
Delessert (François), Combarel de Leyval, Vitet. » [Note d’Arago]
PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE 43
l’unanimité des voix, n’a donc plus qu’à vous proposer d’adopter purement
et simplement le projet de loi du Gouvernement.
7. Gay-Lussac présente le 30 juillet 1839 devant la Chambre des pairs le rapport d ’une commission
« composée de MM. le baron Athalin, Besson, Gay-Lüssac, le marquis de Laplace, le vicomte Siméon,
le baron Thénard, le comte de Noé ».
+4 I.A PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
8. Théodore Maurisset, La Daguerréotypomanie, 1839. Lithographie. - Sur le mode comique sont ici évoqués
et prophétisés la photographie en ballon, les expéditions lointaines,
les travaux de Donné, la concurrence avec les graveurs (« Potences à louer pour
MM. les graveurs »). les positifs directs sur papier de Bayard, et surtout là droite)
l'engouement pour le portrai* (qui exige à l'époque 13 minutes d’immobilisation).
L’art n’a plus rien à débattre avec ce nouveau rival : il ne s’agit pas ici,
notez-le bien, d’une grossière invention mécanique qui reproduit tout au plus
des masses sans ombre, sans détail, sans autre résultat qu’un bénéfice de
1. Jules Janin écrit dans tout son article daguerotype et non «daguerréotype».
2. Le daguerréotype s’obtient à l’aide d ’une plaque de cuivre préalablement polie et nettoyée avec soin
(cf. en annexe «Les procédés techniques»).
PREDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE 47
quelques heures d’un travail manuel. Non, il s’agit ici de la plus délicate, de
l.i plus fine, de la plus complète reproduction à laquelle puissent aspirer les
œuvres de Dieu et les ouvrages des hommes. Et notez bien encore ceci, que
Lette reproduction est bien loin d’être une et uniforme, comme on pourrait
le croire encore. Au contraire, pas un de ces tableaux, exécutés d’après le
même procédé, ne ressemble au tableau précédent : l’heure du jour, la couleur
du ciel, la limpidité de l’air, la douce chaleur du printemps, la rude austérité
de l’hiver, les teintes chaudes de l’automne, le reflet de l’eau transparente,
tous les accidents de l’atmosphère se reproduisent merveilleusement dans ces
tableaux merveilleux qu’on dirait enfantés sous le souffle des génies aériens.
..] Cette manière de reproduire le monde extérieur ajoutera au grand mérite
d une fidélité de détail impossible à dire, le grand mérite d’une incroyable
fidélité de la lumière. Il arrivera donc qu’au premier coup d’œil, vous
reconnaîtrez le dessin reproduit par le pâle soleil parisien, et le dessin exécuté
par l’ardent soleil d’Italie. Vous direz à coup sûr : voici un paysage rapporté
48 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
Ce qui n’est pas un de nos moindres sujets d’admiration, c’est qu’une fois
l’œuvre accomplie par le soleil ou la lumière, le soleil ou la lumière n’y
peuvent plus rien. Ce frêle vernis, sur lequel le moindre rayon avait tant
d’empire tout à l’heure, maintenant vous l’exposez en vain au grand jour ;
il est durable, impérissable comme une gravure sur acier. Il est impossible
de commander d’une façon plus impérieuse ; c’est dire vraiment à la lumière :
Tu n’iras pas plus loin.
Vous avez vu l’effet de la chambre obscure. Dans la chambre obscure se
reflètent les objets extérieurs avec une vérité sans égale ; mais la chambre
obscure ne produit rien par elle-même ; ce n’est pas un tableau, c’est un
miroir dans lequel rien ne reste. Figurez-vous, maintenant, que le miroir a
gardé l’empreinte de tous les objets qui s’y sont reflétés, vous aurez une idée
à peu près complète du Daguerotype.
Mais bien plus, la lune elle-même, cette incertaine et mouvante clarté, ce
pâle reflet du soleil, dont il est éloigné de quarante millions de lieues, la lune
mord aussi sur cette couleur, qu’on peut dire inspirée. Nous avons vu le
portrait de l’astre changeant se refléter dans le miroir de Daguerre, au grand
étonnement de cet illustre Arago, qui ne savait pas tant de puissance à son
astre favori.
Soumettez au microscope solaire l’aile d’une mouche, et le Daguerotype, aussi
puissant que le microscope, va reproduire l’aile de cette mouche dans ces
3. Peut-être une allusion au peintre anglais John Martin (1799-1854), très apprécié des romantiques
français, et surtout connu pour ses grandes machines apocalyptiques souvent noyées dans les brumes ou
les nuées : Chutes de Ninive, Jugement dernier, etc.
PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE 49
10. Lory,
Femmes aux lunettes,
vers 1850. Daguerréotype. -
Le puissant effet de réel dû
à la précision des détails
explique la fascination
que le daguerréotype a
exercée d'emblée dans le
domaine du portrait.
50 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
4. S agit-il du portraii de M. Bertin par Ingres (1832) ? Le modèle était surtout connu comme fondateur
et directeur du Journal des débats.
"■ II s agit de l’appui-tête, accessoire nécessaire dans tous les studios de portraits jusqu’aux années 1870.
Voir ici même p. 288 la lithographie de Daumier parue dans le Charivari, 5 juin 1856.
PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE 51
Dès novembre 1839, moins de trois mois après l ’annonce d’Arago, Frédéric Goupil-
Fesquet débarque avec le peintre Horace Vernet à Alexandrie muni d’une chambre
et de produits daguerriens que lui a confiés Lerebours, le célèbre opticien parisien.
Le vice-roi Méhémet Ali qui les reçoit le 6 novembre s’enquiert auprès d’eux
« des phénomènes merveilleux obtenus par la nouvelle découverte de Daguerre »,
curiosité qui témoigne du retentissement international de l ’événement. Bien que
Méhémet Ali semble au fa it du mouvement industriel et scientifique en Occident,
son « étonnement et [son] admiration » devant son portrait au daguerréotype
(« C’est l ’ouvrage du diable ! s ’écrie-t-il ») donnent la mesure de la nouveauté du
procédé, de l ’ampleur de l ’innovation.
Au Caire, quelques jours plus tard, le 16 novembre 1839, Goupil-Fesquet
rencontre un autre « daguerréotypeur passionné », Pierre-Gustave Joly de Lotbinière,
comme lui peintre et comme lui équipé par Nicolas-Marie Paymal Lerebours.
Celui-ci publiera en livraisons à partir de 1842 un recueil en deux volumes de
planches gravées : Excursions daguerriennes : villes et m onum ents les plus
rem arquables du globe. Sauf trois exceptions1, il ne s’agira pas d’une
publication de daguerréotypes, mais de gravures réalisées à partir de daguerréotypes :
les siens, ceux d ’Edmond Jomard et ceux que Joly de Lotbinière et Goupil-Fesquet
rapporteront d ’Egypte.
Il est remarquable que le daguerréotype ait d ’emblée cristallisé autour de lui
les rêves les plus insensés, au regard de ses capacités techniques réelles. C’est tout
l ’imaginaire d ’une époque qui s ’exprime dans le prospectus de Lerebours :
l ’exactitude de la représentation, la diffusion de l ’art, la découverte du monde,
l ’accroissement du potentiel des « arts graphiques » — le daguerréotype est pour
Lerebours une « incontestable extension de la gravure ». Si, n ’étant pas reproductible,
il ne peut servir que de modèle aux graveurs, il présente toutejois un avantage
appréciable car, désormais, « quelques minutes suffisent pour saisir les images ».
Reste à les graver à la main pour les diffuser, mais la première phase de
l'opération (la «saisie») aura, grâce à la lumière, été considérablement réduite.
Lerebours connaît les goûts de sa clientèle (« les gens du monde ») et, pour y
répondre, demande aux images « exactitude » et « expression ». Du côté de
l'« exactitude », il place le daguerréotype et le travail des graveurs « dont le talent
f in et original se distingue par une qualité primante, la netteté ». Et quant à
l'« expression », elle sera assurée par des « figures », des groupes dessinés « d’après
nature » qui animeront.
Ainsi commence cette période transitoire de plusieurs décennies pendant laquelle
la multiplication des images ne pourra être confiée à la seule lumière mais devra
s’allier le travail de la main, quitte à sacrifier un peud ’« exactitude » à
l ’« expression » — dernier recours de l ’« artiste » à l ’aube de l ’industrie de
l ’image.
Outre les précieux renseignements qu’il donne sur les tout débuts du daguerréotype
le temps de pose, les difficultés inhérentes à une pratique encore balbutiante,
l'accueil reçu par la nouvelle image, etc.), le texte de Goupil-Fesquet est intéressant
par sa manière de rendre compte des capacités exceptionnelles de l ’artiste Horace
Vemet. C’est avant tout une « mémoire prodigieuse » dans laquelle « tout se grave
pour l ’éternité, avec la fidélité du miroir [...], avec ordre et netteté». Il y a,
renchérit Goupil-Fesquet, « du daguerréotype dans cette mystérieuse et extraordinaire
faculté ». Assimiler ainsi les talents d’un grand artiste aux propriétés du
daguerréotype ne manque pas de surprendre, surtout à la lumière des polémiques
qui s ’engageront bientôt au sujet du statut artistique de la photographie.
Dans la logique de son propos, Goupil-Fesquet s ’essaie à définir le rôle
artistique du daguerréotype : inutile aux grands maîtres, il serait au contraire un
instrument précieux pour les peintres de modeste talent en leur tenant lieu de cette
- mémoire prodigieuse » indispensable à la création artistique.
Cette comparaison entre les facultés d ’un peintre célèbre et les propriétés du
daguerréotype révèle en outre que, dès son origine, celui-ci est beaucoup plus qu’un
procédé technique : un modèle théorique et un schéma mental. C’est dire que la
découverte de Daguerre s ’ancre dans un imaginaire profond, qu’elle objective une
manière de voir et de penser qui lui préexiste, comme l ’attestent certaines fictions
littéraires largement antérieures aux premiers essais de Niépce lui-même 2.
2 Voir notamment Giphantie, récit visionnaire publié en 1760 par Thiphaine de La Roche. L’auteur y
décrit un procédé imaginaire qui sera bientôt concrétisé par la photographie.
54 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
Chine, Jules hier s ’embarque en novembre 1843 : il emporte avec lui un matériel
daguerrien. Son journal de voyage atteste qu’il prend (et rapporte en France) un
nombre important de daguerréotypes, sans doute les premiers réalisés en Chine. Le
14 octobre 1844, à Wampoa, après la première guerre de l ’opium, il réalise à
l ’occasion de la signature du traité franco-chinois l ’un des premiers clichés
d’actualité de l ’histoire de la photographie3. Charles Hubert Lavollée, alors
secrétaire d’Itier, raconte : « Il y avait à bord [du vapeur Archimède] un
daguerréotype dont le propriétaire ne pouvait laisser échapper l ’occasion de
reproduire une scène aussi étrange. Les mandarins se prêtèrent volontiers à la pose
qu’il fallut exiger d’eux. Le soleil était très favorable ; mais le tangage opposait
à la netteté du dessin un obstacle presque insurmontable. On essaya pourtant ; la
seconde épreuve donna un résultat très convenable et les Chinois demeurèrent
stupéfaits devant cette reproduction fidèle et rapide, dont ils ne pouvaient s’expliquer
le secret. » [Charles Lavollée, Voyage en Chine, Paris, 1852, p.303'].
3. Je dois ces précisions à Jacques Willaume qui mène actuellement à l’Université de Paris-VIII une
recherche sur les débuts de la photographie en Chine.
PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE 55
çait à animer son altesse fait place au plus vif sentiment d’étonnement et
d’admiration ; c’est l’ouvrage du diable ! s’écrie-t-il, puis il tourne les talons,
tenant toujours la poignée de son sabre qu’il n’a pas quitté un seul instant,
comme s’il eût craint quelque secrète conspiration ou l’influence de quelque
sort mystérieux, et se dirigeant rapidement vers son salon, il nous dispense
ainsi de l’accompagner. [...]
[17 nov. 1839]. Toutes ces choses variées et nombreuses s’écoulent bien
rapidement, trop rapidement, pour moi surtout, qui ne suis pas doué de cette
mémoire prodigieuse que possède à un degré si éminent M. H. Vernet. Il
semble que tout s’y grave pour l’éternité, avec la fidélité du miroir. L’artiste
qui la possède y sait retrouver jusqu’aux moindres détails d’un costume, d’un
type humain, saisi pour ainsi dire au vol et en passant. La nature s’y fixe
par les yeux, s’y classe dans le cerveau avec ordre et netteté ; chaque objet
a sa case conservatrice, particulière. Aussi M. H. Vernet ne fait-il que très
PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE 57
peu de croquis en voyage ; sa mémoire est un don magique, fait pour lui
épargner toutes peines ; quand il compose un tableau, il invoque ses souvenirs,
comme nos peintres ordinaires feuillettent un album pour y faire choix d’un
sujet ; puis, prenant une toile blanche, il fait naître sous son pinceau un
épisode, une scène dramatique, aussi vite qu’on écrit une lettre ; il voit son
sujet comme un rêve qu’il fait durer à volonté ; on serait tenté de croire qu’il
v a du daguerréotype dans cette mystérieuse et extraordinaire faculté.
L’exercice a contribué à son développement sans doute, mais Dieu a fait le
principal. Que de plaisirs divers et intarissables un si complet artiste ne doit-
il pas éprouver dans des pays nouveaux, en présence de tous les genres de
natures, qu’il peut comparer si facilement ! Rien pour lui n’est travail. Les
matériaux s’accumulent sans fatigue, sous l’impression des réalités extérieures,
pour prendre corps dans son atelier, quand le caprice lui en viendra.
En l’absence de tout ce qui me manque pour approcher du grand maître,
je me rejette sur les croquis et sur le daguerréotype, comme un naufragé sur
la chaloupe de sauvetage [...].
[19jam. 1840]. On rencontre à Damas, qui est l’entrepôt central d ’un grand
nombre de caravanes d’Asie, de l’Inde et de l’Egypte, une diversité
étourdissante de types et de costumes ; l’habit de M. de Ratimenton et celui
du consul d’Angleterre, sont les seules représentations des modes européennes,
qui semblent faire horreur aux habitants de ce pays. Comme je ne veux point
partir sans rapporter quelques souvenirs daguerriens, je me fais conduire par
Méhémet chez un juif qui possède la plus haute maison de la ville du côté
du Liban. Ce brave homme met tout son mobilier et ses échelles à notre
disposition ; je fais monter la chambre obscure sur la dernière terrasse ; et
là, je m’oriente vers les sites qui me paraissent le plus dignes d ’intérêt. Le
maître de la maison ne sait ce que je fais, et braque à son tour, sur moi,
des yeux ébahis presque aussi grands que mon objectif. Dès que j ’ai trouvé
le point convenable à la netteté de l’image, je le tire de son extase magnétique
en lui faisant admirer de près l’œuvre du miroir ; ce spectacle l’enchante, il
appelle ses filles et sa femme, et, bientôt transformé en magicien, je me vois
entouré des plus délicieux visages de jeunes filles. D’abord, honteuses de se
montrer, elles se cachent mystérieusement sous des voiles au tissu de vent ;
puis, s’apprivoisant peu à peu, elles rient et chuchotent ; les figures se
penchent sur l’appareil dont elles se disputent les abords. C ’est un bruit et
un tumulte babillard des plus comiques ; les voisins même en sont troublés
et montent sur le faîte de leurs habitations ; bientôt le désert des terrasses
d’alentour se couvre de femmes envieuses, comme si je les eusse évoquées
par quelque sortilège cabalistique. Un rayon de soleil tombé sur cette scène
vraiment orientale, me fait regretter la palette ; il m’aide néanmoins à tirer
quelques épreuves à la chambre obscure.
Jules Itier : J o u r n a l d ’u n v o y a g e en C h in e e n 1 8 4 3 , 1 8 4 4 , 1 8 4 5 , 1 8 4 6 , 1 8 4 8 ,
i. I, p. 331 ; t. II, pp. 74-115.
14nov. [1844], Je n’ai pas dit que j ’avais eu, il y a environ huit jours, la
visite du peintre Lamqua. Conduit par le désir de voir cet instrument
admirable qui dessine tout seul et dont les peintres de Canton sont fort
préoccupés, il avait examiné avec beaucoup d ’attention mon daguerréotype ;
et, sur sa demande, j ’avais fait son portrait, que je m’étais empressé de lui
offrir. Il avait paru fort enchanté de cette politesse ; mais je n’avais plus
entendu parler de lui, lorsqu’aujourd’hui il s’est fait annoncer et, me remettant
une boîte en maroquin vert, semblable à celle dans laquelle j ’avais renfermé
son portrait au daguerréotype, il m’a prié d’accepter ce témoignage de sa
reconnaissance. J ’ai été agréablement surpris en ouvrant cette boîte, d ’y
trouver le portrait en miniature de Lamqua, peint par lui-même sur ivoire,
avec une perfection et un fini qui feraient l’admiration de nos meilleurs
artistes ; et, chose curieuse, Lamqua avait pris pour modèle son portrait au
daguerréotype ; aussi cette peinture est-elle remarquable par la vigueur de
son relief. U est impossible, on l’avouera, de pousser plus loin la courtoisie
et le savoir-vivre ; assurément le peuple chez lequel de pareils traits se
produisent peut à bon droit passer pour civilisé.
de l’artiste. Après avoir obtenu le report sur acier d ’un calque à la pointe
sèche, par lequel la marche du travail se précise, la part spéciale de l’artiste,
dans l’exécution, est de compléter par la couleur l’expression des sites, des
monuments ou des objets représentés.
Les vues que nous annonçons formeront un recueil in-4°. Ces vues, prises
dans diverses parties du monde, sont gravées par des artistes du premier
rang : MM. Himely, Salathé, Martens, dont le talent fin et original se distingue
par une qualité primante, la netteté.
C’est parce que l’aqua-tinte est le genre qui ressemble le plus à la nature,
qu’on s’y est arrêté. On a choisi l’acier pour base du travail, parce qu’il
permet d ’unir la finesse à la solidité.
Les gens du monde rechercheront cette belle collection de vues, ils la
rechercheront pour son exactitude et son expression. M. Lerebours a choisi
les épreuves qu’il fait graver dans sa galerie, composée de plus de 1 200 planches,
exécutées en partie par ses voyageurs et parmi les épreuves les plus
remarquables rapportées d’Orient par MM. Horace Vernet et Goupil.
Les vues domineront dans ce recueil. Ce seront, ainsi qu’il a été dit plus
haut, des vues de Paris, de France, d’Italie, d’Allemagne, de Suisse, d’Angleterre,
de Constantinople, Jérusalem, Damas, le Caire, les Pyramides, etc. On y
joindra encore, comme preuves des ressources et de la flexibilité du procédé,
quelques calques de vases très rares, de meubles précieux, d’armures fameuses,
ornements, etc. Le nombre de ces dernières planches sera toutefois très limité.
Ces essais brillants ne peuvent manquer d ’intéresser les amis des arts, car
ils sont une incontestable extension de la gravure. Que de services ne rendrait
pas déjà le Daguerréotype, alors même qu’il ne ferait que propager la
connaissance des monuments, des objets d ’art uniques ou presque inconnus,
enfouis dans les cabinets des collecteurs et des savants.
Les vues gravées seront animées par des figures. Lorsque les épreuves faites
sur les lieux n’en auront pas, on y suppléera par quelques groupes pris dans
des croquis tracés d’après nature dans les mêmes localités.
Ce nouveau recueil sera publié par livraisons de quatre planches, accompa
gnées d’un texte explicatif dû à des écrivains distingués.
M. Jules Janin a rédigé plusieurs notices des premières livraisons.
M. Emmanuel de Lascases, qui fait voile en ce moment pour Sainte-Hélène,
prendra dans l’île quelques-unes des vues que les traditions sur l’empereur
rendent le plus intéressantes. M. de Lascases a bien voulu nous les promettre
en partant.
M. Edmond Jomard, qui parcourt en ce moment l’Espagne, nous fournira
de magnifiques vues des parties les mieux conservées de l’Allhambra. On dit
que l’effet de ces planches est magique.
BAYARD LE PIONNIER :
EFFET DE RÉEL ET SIMULACRE
(1840)
11. Hippolyte Bayard, Le Noyé, oct. 1B40 Positif direct sur papier - Par cet autoportrait en noyé,
Bayard veut signifier, non sans une pointe d'humour, son amertume devant l'indifférence
dont sôn'procédé apt la victime au profit de celui de Daguerre. Par cette mise en scène,
il innove en retournant à son profit l'effet de vérité de la photographie.
' sant, « sous le rapport de l ’art », aux images sur métal de Daguerre : ce
. expliquait-il, « de véritables dessins », d ’un « effet véritablement enchanteur »
. « comme des dessins à l ’aquarelle, peuvent se porter en voyage, se classer
un album, se passer de main en main ».
L 'antagonisme qui, autour du négatif en papier, mettra aux prises à partir de
'in des années 1840 les tenants du net et les adeptes du vague dans les contours,
partisans du négatif en verre et les catolypistes, les « artistes » et les « gens
64 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
de métier », cet antagonisme est d ’emblée présent dans l ’opposition entre métal et
papier, entre le daguerréotype et le positif direct de Bayard ~.
Derrière cette alternative, d’autres se dessinent : entre la science et l ’art, le
métier et la création, l ’« utilité » et la « curiosité » ; entre les institutions (Daguerre
est soutenu par Arago, de l ’Académie des sciences, et Bayard, par Raoul-Rochette,
de l ’Académie des beaux-arts) —■mais surtout entre des conceptions esthétiques.
Il apparaîtra bientôt, en effet, que la précision, la netteté du détail ne sont pas
la seule finalité de la photographie, et que, pour les partisans du calotype (négatif
papier), le « flou » — tel que l ’induit la texture du papier — sollicite le
spectateur d’une manière toute différente, augmentant sa marge d ’interprétation et
de rêverie.
C’est ce que met en évidence, dès 1840, l ’analyse de Hubert, l ’assistant technique
de Daguerre, quand il décrit (pour les critiquer) les accidents du support papier
qui, vu au microscope, ressemble « à des petits cheveux courts et fins, crêpés, collés
et emmêlés les uns dans les autres ». On constate que, dès les débuts de la
photographie, les procédés existants autorisent déjà des choix esthétiques très variés.
PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE 65
Ces dates et ces communications diverses nous ont paru dignes d’être
recueillies, moins encore à cause de l’antériorité de plus de trois mois qui en
résulte, par rapport à la révélation du procédé de M. Daguerre, faite à la
séance du 19 août à l’Académie des sciences, que par une circonstance que
tout nous fait un devoir de recommander à l’intérêt de l’Académie. Jusqu’alors,
M. Bayard, modeste employé dans une administration de l’Etat, n’ayant que
peu de temps à donner dans le jour à ses expériences, et encore moins
d’argent à mettre à ses instruments, n’avait eu à sa disposition qu’un verre
d’une faible portée et d’une petite dimension. C’est avec un instrument si
imparfait, qu’opérant dans une chambre obscure, il obtenait des dessins déjà
faits pour exciter à un assez haut degré l’intérêt du public. Grâce à cette
exposition publique et à des communications partielles, qui, toutes, justifièrent
et accrurent cette impression favorable, M. Bayard reçut de M. le ministre
de l’Intérieur un secours de 600 F, qui lui permit d’acheter un excellent
objectif et de mieux établir sa chambre obscure. C’est ainsi que, pourvu de
meilleurs instruments, il a déjà obtenu des épreuves infiniment supérieures
aux premières, pour l’effet comme pour la dimension ; et c’est à ce titre qu’il
est permis d ’espérer encore de nouveaux progrès et des résultats plus complets
d’une invention qui s’est déjà signalée entre les mains de son auteur par des
améliorations si sensibles et si rapides [...].
L’Académie sait déjà que les épreuves dues au procédé de M. Bayard sont
produites sur du papier, au moyen d ’une préparation qui constitue en grande
partie le secret de ce procédé. La qualité de papier que M. Bayard juge la
plus propre à assurer le succès de son opération est celle du papier fin à la
mécanique. Il préfère le papier blanc au papier de couleur, dont la coloration
se perd inégalement par suite de la préparation qu’il lui donne ; d’où il résulte
des taches qui nuisent au dessin, tandis que le papier blanc acquiert, par le
fait même de cette préparation, une coloration qui, partant de la teinte
rougeâtre, et passant par les teintes bistres pour arriver à la teinte neutre,
tirant au bleu, produit un effet aussi harmonieux qu’agréable. Cette préparation 1
du papier, si importante dans le procédé de M. Bayard, puisque c’est ce qui
confère au papier la sensibilité qui le rend propre à recevoir les dessins
produits par la lumière, s’exécute d’ailleurs avec une grande facilité, sans
qu’il soit besoin de se mettre à l’ombre ou de s’entourer de précautions
incommodes ; c’est du moins ce qu’il nous a déclaré, et ce que nous ne
pouvons nous empêcher de signaler comme un des avantages de cette
préparation. Un autre mérite qu’elle possède, c’est de conserver toute sa i
valeur durant un mois, pour peu que les feuilles de papier qui l’ont reçue
se gardent avec quelque soin dans un album ou un portefeuille ; passé ce
temps, il suffit de tremper le papier dans un liquide préparé à cet effet, pour
que ce papier reprenne toute sa sensibilité ; et l’on conçoit, sans qu’il soit
nécessaire d’insister sur ce point, de quel avantage il peut être, dans un cours
P R É D O M IN A N C E D U D A G U E R R É O T Y P E 67
12. nippcyte Bayard, Nature m orte , 1839' 1840. Positif direct sur papier. -
Au cours des années 1839-1840, Bayard réalise une série de clichés de statuettes :
pour des raisons techniques (leur luminosité et leur immobilité), mais aussi en fonction
d'un projet esthétique (leur composition recherchée en témoigne).
à M. Bayard, et qui serait d’une grande utilité pour l’art et pour ceux qui
le cultivent, ce serait la reproduction des estampes, que notre auteur a déjà
pratiquée avec succès. On sait que M. Talbot, qui s’est particulièrement
P R É D O M IN A N C E D U D A G U E R R É O T Y P E 69
de reconnaître que ce procédé doit être, pour les arts, d’une utilité pratique
et usuelle véritablement inappréciable.
D’après tous ces motifs, la Commission dont j ’ai l’honneur d’être l’organe
a décidé, d ’une voix unanime, que l’Académie serait priée de témoigner toute
sa satisfaction du procédé de M. Bayard et de le recommander, par tous les
moyens qui sont en son pouvoir, à l’intérêt et à la générosité du gouvernement.
Signé à la minute : Picot, Schnetz, Ramey, Petitot, Debret, Guénepin,
Desnoyers, Richomme, Raoul Rochette rapporteur, Nanteuil président, et
Huyot, vice-président de l’Académie.
L’Académie adopte ce rapport.
Certifié conforme.
La découverte des moyens de reproduire les images sur papier réunit les
immenses avantages d’éviter les mirages et d’offrir des dessins portatifs et
ineffaçables aux frottages, sans laisser d’incertitude sur la durée de leur
exposition à la lumière, puisqu’on les voit se créer, il est même probable que
déjà elle aurait atteint sa devancière, qui opère sur plaqué, sans la barrière
insurmontable que lui opposent la nature et la contexture du papier, qui
paralyse la puissance des meilleurs agents chimiques qu’elle emploie.
En opérant sur plaqué, le poli de l’argent et le peu d’épaisseur de la couche
impressionnable produisent des images très nettes, qu’on peut rendre
inaltérables à l’action de la lumière, par la facilité d’enlever par un lavage
parfait, cette couche très mince de matière impressionnable qui ne repose que
superficiellement sur l’argent.
En opérant au contraire sur le papier, dont la surface est moins unie, les
images ne peuvent être aussi nettes, et l’avantage que l’on pourrait lui donner
par un lissage, lorsqu’il est empreint de matières impressionnables à la
lumière, devient sans but, puisque la surface unie qui en résulterait serait
détruite par les lavages. Un autre obstacle se présente lorsqu’il faut fixer
l’image, il devient difficile, même avec des agents puissants, d ’attaquer toute
la matière impressionnable qui a pénétré profondément le papier, et de la
déloger des fortes positions qu’elle a su prendre dans un tissu, qui, au
microscope, ressemble à des petits cheveux courts et fins, crêpés, collés et
emmêlés les uns dans les autres.
Espérons donc que la persévérance de M. Bayard, ainsi que celle de nos
autres chefs de file, qui ont déjà obtenu des succès pleins d’avenir, sauront
bientôt détruire la dernière barrière devant laquelle on a été jusqu’ici forcé
de s’arrêter.
L’EUPHORIE DES SCIENTIFIQUES
(1844-1853)
I. La photographie qui. elle, sera bientôt reproductible en quantité théoriquement illimitée grâce à l’usage
du négatif, ne conviendra pas mieux aux publications à cause de la lenteur et de la difficulté du tirage
des épreuves aux sels d’argent (voir en fin de volume notre glossaire des procédés techniques).
r
Alfred Donné ne dispose alors plus que d ’un seul moyen pour publier ses
daguerréotypes : les faire copier à la main par un graveur. Il s ’y résout, non sans
regrets, attendant de l ’avenir « la solution complète » du problème de la
multiplication des images scientifiques.
Nous ajoutons un texte un peu plus tardif (1853), émanant de zoologistes qui
s ’émerveillent eux aussi des avantages de la photographie : ils vantent cette
« objectivité » dans la reproduction qui corrige les observations des individus et
permet la transmission de l ’expérience. Selon Henri Milne-Edwards, rapporteur
de l ’Académie des sciences, la photographie saisit « une multitude de détails qui
échappent à l ’œil » du zoologiste et à la main du dessinateur : « Lorsqu’on vient
à examiner ces planches [photographiques de Louis Rousseau] à l ’aide d’une loupe,
on y voit tous les détails que cet instrument ferait voir dans l ’objet lui-même ».
A l ’en croire, l ’image photographique pourrait remplacer l ’objet dans l ’observation
zoologique.
De telles remarques renvoient à celles d’Erwin Panofsky à propos des expériences
anatomiques de Léonard, et des relevés qu’en faisait le célèbre peintre grâce à la
maîtrise de la perspective : « Cette exigence de “perspective ”, écrit Panofsky, si
elle peut surprendre au premier abord le lecteur moderne, nous fa it voir comme
en un éclair que l ’anatomie en tant que science (et la remarque vaut pour toutes
les autres sciences d ’observation ou description) était tout simplement impraticable
sans une méthode qui permît d ’enregistrer les détails observés, sans un dessin
complet et précis à trois dimensions. Faute de tels relevés, la meilleure des
observations était perdue, puisqu’il n ’était pas possible de la recouper avec d’autres,
et d ’en mettre ainsi à l ’épreuve la validité générale.
Il n ’est pas exagéré d ’affirmer que dans l ’histoire de la science moderne,
l ’introduction de la perspective marqua le début d’une première période ; l ’invention
du télescope et du microscope, le début d ’une deuxième période ; et la découverte
de la photographie, celui d’une troisième : dans les sciences d’observation ou de
description, l ’image n’est pas tant l ’illustration de l ’exposé que l ’exposé même. » 2
2. Erwin Panofsky, « Artiste, savant, génie. Notes sur la Renaissance-Dàmmerung », L ’Œuvre d’art et ses
significations, trad, fr., Paris, Gallimard, 1969, pp. 118-119.
P R É D O M IN A N C E D U D A G U E R R É O T Y P E 73
3. Donné et Foucault arrivent à obtenir sur daguerréotype des images agrandies de 20 à 400 fois. Le
temps de pose varie de 4 à 20 secondes.
74 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
daguerréoty pées ; celles-ci reproduisent la nature avec une telle vérité, avec
tant de nuances, sous des aspects tellement multipliés, qu’elles nous semblent
répondre à tous les besoins ; le mélange des images systématiques et des
images naturelles n’eût servi qu'a embrouiller l’esprit du lecteur, qu’à donner
des notions fausses aux commençants, qu’à substituer des idées théoriques
aux impressions de la nature.
On remarquera, en effet, que nous ne nous sommes pas bornés à donner,
comme on le fait dans les ouvrages modernes de microscopie, des fragments,
des portions du champ microscopique ; que pour représenter, par exemple,
les globules du sang, nous n’avons pas pris quelques globules sanguins isolés,
dans des positions plus ou moins favorables à nos descriptions ; nous avons
reproduit, ainsi que nous le disions tout à l’heure, le champ microscopique
tout entier, tel qu’il est venu au daguerréotype, avec ses variétés et ses
accidents ; nous n’avons retranché que les parties confuses, déformées par
l’aberration de sphéricité sur les contours de l’image, ou par les mouvements
qui se sont quelquefois produits dans la matière pendant l’opération ; dans
quelques cas nous avons extrait de l’image daguerrienne, pour en composer
une figure, les objets particuliers que nous voulions indiquer, sur lesquels
nous désirions appeler l’attention, et qui se trouvaient décrits dans notre
ouvrage, en ayant soin de les multiplier autant que possible sous tous leurs
aspects, mais en les copiant toujours fidèlement ; c’est le seul point qu’il y
ait de factice, si l’on peut dire ainsi, dans notre Atlas, c’est la seule licence
que nous nous soyons permise, et elle était nécessaire pour éviter toute
confusion. [...]
C’est, suivant nous, un grand avantage que de reproduire les objets tels
qu’ils se trouvent disséminés dans le champ microscopique, au lieu de se
borner au choix de quelques échantillons, comme on le fait généralement
aujourd’hui. Non seulement il résulte une grande confusion de la réunion
d’une foule d’objets différents et disparates rangés, les uns à côté des autres,
dans une même planche, mais les objets disposés de cette manière perdent
absolument leur physionomie microscopique ; il est impossible que des
personnes inexpérimentées se fassent une idée juste de l’aspect microscopique
d’une substance telle que le sang, en voyant quelques globules sanguins plus
ou moins exactement dessinés de face, de champ, ou en chapelets, comme on
les donne dans les planches actuelles ; il en est de même de beaucoup d’autres
objets ; les commençants ne les reconnaissent pas, après les avoir vus figures,
la première fois qu’ils les contemplent au microscope.
Nous ne craignons pas de dire, au contraire, que nos planches rendent
exactement la physionomie microscopique, en même temps que la vérité des
détails ; c’est le champ microscopique mis à la main, et, sous ce rapport, les
images daguerriennes nous seront d’un grand secours pour les démonstrations
dans nos cours de microscopie ; ayant, en effet, conservé les figures
P R É D O M IN A N C E D U D A G U E R R É O T Y P E 75
daguerréotypées originales, les élèves auront sous les yeux les objets tels qu’ils
apparaissent au microscope, pendant la description que nous en ferons ; ils
les connaîtront bien avant de les considérer dans l’instrument, ils auront une
notion et une impression nettes de leur aspect, et n’éprouveront aucune difficulté
à les retrouver quand ils mettront l’œil au microscope. Indépendamment de
la confiance que ne peut manquer d ’établir la vue de ces images matérielles,
imprimées par la nature elle-même, avec une vérité que la main de l’homme
ne peut jamais atteindre, ces planches faciliteront singulièrement l’enseignement
de la microscopie ; c’est, pour ainsi dire, l’objet même que l’on mettra sous
les yeux et à la main des auditeurs, comme fait un professeur de botanique
qui passe dans l’amphithéâtre la feuille dont il indique les caractères et la
disposition. [...]
4. Peintre et lithographe de l’époque romantique, Achille Devéria (1800-1857) était depuis 1849 conservateur
adjoint au Cabinet des dessins de la Bibliothèque impériale.
78 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
A nonym e
; Aubrée, Traité opératoire de photographie sur papier, sur verre et sur plaques métalliques,
Pans. 1851, pp. 55-56.
80 I.A PHOTOGRAPH IK KN I RANC 1. 18I(>-I071
13. Louis-Jacques-Mandé Daguerre. Vue du boulevard du Temple à Paris, vers 1838. Daguerréotype.
On pourrait parler de la « vocation urbaine » du daguerréotype son apparition coïncide avec
un essor de la ville. Ses images privilégient les constructions statiques au détriment
du mouvement des habitants qui, à cause des longs temps de pose, sont effacés
(seul subsiste le personnage immobile du premier plan).
Ouvriers
Sombre : la population ouvrière s’élève à 48 individus, savoir :
28 ouvriers travaillant à l’atelier,
6 ouvriers travaillant au dehors ;
8 ouvrières travaillant à l’atelier ;
3 jeunes garçons de 6 à 12 ans ;
3 jeunes garçons de 12 à 16 ans.
Professions diverses : chez beaucoup de portraitistes, c’est le patron lui-même
qui prépare et polit la plaque ; chez d’autres, des ouvriers sont employés à
ce travail préparatoire.
Salaires
Hommes : le nombre des ouvriers est de 34 :
31 sont payés à la journée ;
2 sont payés à la pièce ;
1 est engagé au mois.
33 ouvriers sont payés à la journée ou à la pièce ; la somme de leurs salaires
journaliers s’élève à 130 F 25 c : moyenne par jour et par tête, 3 F 95 c.
2 reçoivent moins de 3 F par jour ;
31 reçoivent de 3 à 5 F par jour.
Ceux qui ont un salaire inférieur à 3 F ont 2 F 50 c par jour.
1 ouvrier engagé au mois gagne 100 F ; il est logé.
Femmes : le nombre des ouvrières est de 8 :
6 sont femmes de patron ;
1 est payée à la journée et gagne 2 F par jour ;
1 est engagée au mois ; elle est nourrie et logée, et gagne 25 F.
il
Apprentissage
6 jeunes gens sont considérés comme apprentis. Voici comment les font classer
la nature et la durée de leurs contrats :
2 sont engagés pour 4 ans 6 mois :
2 par contrat verbal, ils sont nourris et logés.
4 sont engagés pour 4 ans :
4 par contrat écrit, 3 sont nourris et logés, 1 n’est ni nourri, ni logé ; il
touche une gratification de 0 F 50 c par jour.
En résumé :
4 sont engagés par contrat écrit ;
2 sont engagés par contrat verbal.
2 sont nourris et logés sans gratification ;
3 sont nourris et logés sans gratification ;
1 n’est ni nourri ni logé, avec gratification.
86 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
Mœurs et habitudes
Les renseignements relatifs aux mœurs et aux habitudes des ouvriers sont
applicables :
Pour l’instruction, à 30 hommes sur 34 ;
Pour le domicile, à 32 hommes pour 34 ;
Pour la position, à 9 hommes sur 34 ;
Pour la conduite, à 7 hommes sur 34 ;
Pour le travail, à 6 hommes sur 34.
Résumes et classés, ces renseignements conduisent aux résultats suivants :
Tous les ouvriers savent lire et écrire.
Sur 32 ouvriers, 30 sont dans leurs meubles ; 1 habite chez ses parents ; 1 loge
en garni.
Le nombre des femmes est trop peu considérable pour que leurs mœurs et
habitudes soient l’objet d’une appréciation qui puisse être généralisée.
au contact des rayons lumineux avec une rapidité merveilleuse » et, ajoutent-ils,
« porte presque le dernier coup à la photographie sur plaque » ’ (le daguerréotype).
A cette même époque, est créée la Société héliographique qui publie à partir
du 9 février 1851 le premier journal (hebdomadaire) photographique français -
La Lum ière. Dès mars la nouvelle société inaugure de fa it le cycle du positif
en nommant une commission d’étude pour la création d ’une « imprimerie
photographique » destinée au tirage des épreuves positives. Blanquart-Evrard joue
ici encore un rôle décisif, comme en témoigne sa lettre publiée dans La Lum ière
du 13 avril 1851, où il exprime sa volonté d’engager la photographie dans une
voie résolument industrielle. Il fonde une « imprimerie photographique » à Loos-
les-Lille au cours de l ’été, et publie en septembre 1851 son premier recueil de
photographies collées sur carton : L ’Album photographique de l’artiste et
de l’am ateur. Blanquart-Èvrard compte beaucoup sur l ’édition d’art pour assurer
un «débouché pour ses produits» et s ’emploie à adapter sa production (prix,
régularité et rapidité de livraison, sujets) aux exigences des éditeurs.
Lettre, publiée dans La Lumière, 13 avr. 1851 (n° 10), pp. 37-38.
La Société héliographique a mis à l’étude la question d’une imprimerie
héliographique. Dans son numéro du 30 mars, le journal La Lumière rend
compte de la délibération de la commission. La véritable question industrielle
ne me paraît pas avoir été touchée dans cette discussion. Pour qu’une industrie
puisse prospérer, il lui faut deux conditions indispensables :
1) un travail suivi ;
2) un débouché pour ses produits.
Dans l’état actuel de la photographie, ces deux conditions ne peuvent être
remplies. En effet, comment tirer des épreuves positives dans les jours
d’averses ? Il est tel cliché qui ne permet pas l’épreuve positive sans soleil
et le plus grand nombre exigent des heures entières à l’ombre pour dégager
une épreuve. Que fera le personnel de la fabrique pendant ces jours sans
lumière ? Et combien ce chômage forcé ne viendra-t-il pas augmenter le prix
de revient !
que personne ne croyait à un succès : depuis huit jours ce succès est devenu certain, et les résultats
obtenus ont été présentés à l’Académie des sciences [brevet : 7 déc. 1843, présentation de la méthode
complète à l’Académie le 8 juill. 1844], Nous avons pensé que les souscripteurs des Excursions daguerriennes
nous sauraient gré d ’être les premiers à connaître cet admirable résultat, et nous avons fait faire un tirage
à part d’une épreuve de l’un des bas-reliefs de Notre-Dame de Paris. Nous prions nos souscripteurs de
vouloir bien accepter ce premier spécimen, en dédommagement du retard que nous avons apporté dans
notre publication.
3. Mayer et Pierson, La photographie considérée comme art et comme industrie, 1862, p. 83.
P R É D O M IN A N C E D U D A G U E R R É O T Y P E 89
Mais cette cause n’est pas la plus grave ; une industrie a des obligations
à remplir, des exigences à satisfaire. Un éditeur qui livre tous les huit jours,
tous les mois, sa livraison à ses souscripteurs, ne pourra admettre des retards
qu’exceptionnellement. Or, l’exception, dans certaines saisons ce sera l’état
normal ; en outre, limitée dans sa production, l’imprimerie photographique
sera paralysée, en admettant que le prix de ses produits puisse se trouver en
rapport avec les exigences de l’industrie. Or, c’est là, évidemment une
impossibilité ; les membres de la commission, qui ont fixé à 1 F ou 1 F 50 c
une bonne épreuve positive, font bien certainement erreur. Il y. a autre chose
que le prix des matières employées en fait d’industrie, il y a la valeur du
temps, le travail des employés, etc., etc. ; et en impression photographique,
Farticle rebut, qui, si on veut ne livrer à la consommation que des bons
produits, sera plus considérable que l’article de choix.
Il faut donc sortir de la voie actuelle. Pour fonder une industrie
photographique, en d’autres termes une imprimerie, il faut :
11 Des moyens de production en dehors des caprices du soleil.
2j II faut que cette production soit possible dans des limites illimitées, pour
ainsi dire et, dans un temps donné, [qu’elle offre] la possibilité de pouvoir
fournir les commandes.
3) Que le prix de revient soit tel, enfin, que les applications en soient possibles
à la librairie. [...]
Dans le traité de la photographie que j ’ai sous presse 4, j’ai consacré un
article à ce genre de recherches, et j ’ai proposé un moyen qui réunit ces
conditions, puisqu’il faut moins d ’une minute pour imprimer une épreuve
positive 5, laquelle peut être livrée le même jour à l’amateur. En admettant
une usine bien montée, un type [cliché négatif] peut fournir 2 à 300 épreuves
par jour, et on pourrait, en faisant marcher trente types par jour, dégager
5 à 6 000 épreuves très facilement.
Le prix de revient de l’épreuve obtenue ainsi industriellement serait de 5
à 15 centimes, suivant sa dimension. 6
1850-1855
UNE « IMPRIMERIE PHOTOGRAPHIQUE »
(1851-1855)
Ce n'est pas Blanquart-Évrard mais son collaborateur puis associé Thomas Sutton
qui nous a décrit le fonctionnement de T« imprimerie photographique » de Loos-
les-Lïlle. Celle-ci, de 1851 jusqu'à sa fermeture en 1855, produira environ 100 000
épreuves tirées d'après 550 clichés et publiées en 24 albums 1.
L'image est le résultat d'une suite d'opérations : la sensibilisation du papier
et son exposition, le développement chim ique de l’épreuve (c’est une innovation
capitale) 12, son virage-fixage, son lavage-séchage, sa soumission à l ’action du soleil
et son montage.
Pour obtenir l'épreuve « industriellement », Blanquart-Evrard affecte à chacune
de ces étapes de la production une pièce et une main-d’œuvre (essentiellement
féminine) spéciales : la division du travail règne dans son « usine ». De 1851 à
1855, grâce à son action cumulée sur la technique et l ’organisation du tirage,
Blanquart-Évrard divise le prix moyen d'une épreuve globalement par deux, mais
ne peut comme il l ’espérait (cf. pp. 88-89) l ’abaisser à 5 ou 15 centimes : le jury
de l ’Exposition universelle de 1855 note cet effort et ses limites (cf. p. 190).
Il est difficile d’estimer le nombre des employés de l ’« imprimerie », mais les
sept opérations successives — certaines comme le développement, le virage-fixage
ou le lavage-séchage « occupant autour de chaque table plusieurs jeunes filles »
— permettent d ’estimer ce nombre à 30 ou 40.
Un calcul rapide des temps nécessaires pour produire une épreuve indique que
— même sans compter son exposition « pendant plusieurs semaines à l ’action
directe du soleil » — nous sommes loin d ’atteindre le but que s ’était fix é Blanquart-
Evrard : «Livrer [les épreuves] le même jour à l ’amateur» (cf. p. 89).
1. Isabelle Jammes, Blanquart-Évrard et les origines de l’édition photographique française, Genève, 1981. Si certains
albums ne comptent qu’une dizaine de planches, d’autres en comptent de 36 à 67, voire 125 pour Égypte,
Nubie, Palestine et Syrie de Maxime Du Camp et même 174 pour Jérusalem d ’Auguste Salzmann.
2. Sur cette innovation, voir p. 89, note 5.
LE S D É B U T S D E LA P H O T O G R A P H IE 93
Le papier était d’abord plongé pendant quelques heures dans une solution
contenant :
Eau ........................................................................................................... 31,09 g
Gélatine ....................... 0,256 g
Iodure de potassium .............................................................................. 0,256 g
Bromure depotassium ........................................................................... 0,064 g
1. Dans VAnnuaire général du commerce (Didot) de 1856, Gustave Le Gray se présente ainsi : « Le Gray,
peintre d’histoire et photographiste, portraits sur papier, reproduction de tableaux, vues de France et
objets d’art, imprimerie photographique et leçons de photographie, Chemin de ronde de la barrière de
Clichy, 7. »
2. L’emploi délibéré du mot « tableau » participe de la même logique. Cette dépendance à l’égard du
discours de l’art ne se relâchera guère au cours des décennies suivantes. Le terme «photographiste» reste
en revanche une exception qui ne survivra pas après 1852.
96 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
3. Entre 1852 et 1855, c’est-à-dire après la disparition de la Société héliographique et avant la création
de la Société française de photographie, Ernest Lacan, collaborateur puis rédacteur en chef de La Lumière,
organise des soirées qui rassemblent à son domicile photographes, artistes, critiques d ’art et personnalités
scientifiques. Il contribue ainsi à créer autour de lui un milieu parisien de praticiens et d ’amateurs.
LE S D É B U T S D E LA P H O T O G R A P H IE 97
4. Définition du « sacrifice » selon Littré : « Terme de peinture. Artifice qui consiste à négliger certains
accessoires d’un tableau, pour mieux faire ressortir les parties principales. » Voir aussi la phrase de
Delacroix {Journal, 13 janvier 1857) : « Sacrifices. Ce qu’il faut sacrifier, grand art que ne connaissent pas
les novices. Ils veulent tout montrer. »
5. Francis Wey, « De l’influence de l’héliographie sur les beaux-arts », La Lumière, 9 fevr. 1851 (n° 1), p. 2.
Cf. infra, pp. 108-114.
6. Henri de Lacretelle, «Revue photographique», La Lumière, 20 mars 1852 (n° 13), p. 49.
98 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-187]
17. Henri Le Secq, Nature m orte au compotier, vers 1860. Tirage moderne/négatif papier.
Épreuve extraite d'une série d'une soixantaine de natures mortes intitulée « Fantaisies ». -
Peintre et photographe adepte du calotype. Le Secq joue sur la texture du papier et sur
le classicisme de la composition pour donner a l'image certaines qualités d'un dessin.
Gustave Le Gray : P h o to g r a p h ie , t r a i t é n o u v e a u , th é o r iq u e e t p r a t i q u e ,
1 8 5 2 , p p . 1 - 3 .
Parmi les inventions de notre époque, la photographie est une de celles qui
sont appelées à rendre le plus de services à l’art.
Son influence sur la peinture sera d’une portée immense ; car en même
temps qu’elle éclaire le peintre sur les difficultés de son art, elle épure le goût
LE S D É B U T S D E LA P H O T O G R A P H IE 99
on espère aussi généralement qu’il n’en sera pas de même à l’avenir, et que
la direction des musées, mieux éclairée sur la portée et les services de la
photographie, lui accordera l’année prochaine son droit de cité.
Gustave Le Gray : P h o to g r a p h ie , t r a i t é n o u v e a u , th é o r iq u e e t p r a t i q u e ,
1 8 5 2 , p p . 7 0 - 7 1 .
Si une épreuve est belle, complète et durable, elle devient d’une valeur
intrinsèque devant laquelle le prix de revient disparaît entièrement.
Pour moi, j ’émets le vœu que la photographie, au lieu de tomber dans le
domaine de l’industrie, du commerce, rentre dans celui de l’art. C’est là sa
seule, sa véritable place, et c’est dans cette voie que je chercherai toujours
à la faire progresser. C’est aux hommes qui s’attachent à son progrès de se
pénétrer de ce principe. Chercher à diminuer le prix des épreuves, avant de
trouver les moyens de faire des œuvres complètes, serait s’exposer à perdre
à tout jamais l’avenir de notre art si intéressant.
J ’ai mis en pratique ces procédés dans mes ateliers du chemin de ronde
de la barrière de Clichy, où une organisation entendue me permet de fournir
au commerce cent épreuves positives par jour, dont la solidité est à l’épreuve
de l’action du temps.
Aucun soin, aucune dépense n’ont été négligés par moi pour arriver à la
perfection des produits ; aussi engagerai-je les éditeurs, désireux de produire
de beaux et durables ouvrages, à venir visiter mon établissement.
20 et 21. Henri Le Secq, A u champ des cosaques, forêt de Montmirail. Terre, racines e t ronces (en haut),
et Forêt de Montmirail, broussailles (en bas), vers 1856. Tirage papier salé/négatif papier ciré sec. -
"uption du détail, fascination pour les accidents de la matière : la notion de paysage disparaît
et te cadrage - serré - autorise une nouvelle appropriation de la nature.
.e « tableau » fait place à l'« étude », l’œuvre au document.
104 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
p . 9 0 . t
3. Le terme d’héliographie désigne ici de façon générique les nouveaux procédés, physiques et chimiques,
de réalisation des images : le daguerréotype (unique, sur plaque de métal) aussi bien que la photographie
(reproductible sur papier selon le principe négatif/positif).
LES DEBUTS DE LA PHOTOGRAPHIE 109
23. Gustave Le Gray, La Grande Vague à Sèie, vers 1856-1859 Tirage papier albuminé/collodion. -
Avec sa série de marines, Le Gay se situe une nouvelle fois du côté de la peinture - Courbet s'en inspirera.
Quant à la qualité des détails, aussi nombreux dans le ciel que dans l'eau, à une époque où l'on devait dessiner
les nuages sur le négatif, elle est due à la superposition de deux clichés : l’un du ciel, l'autre de la mer.
Il est arrivé plus d’une fois que certains genres, investis d’une vogue
aassagère, ont disparu avec la mode qui les avait recommandés. Sans parler
des traits à la Silhouette, et pour se borner à des productions plus relevées,
1 in I \ PHOTOGRAPHIE FA FRANCK ]»]6-IH71
24. Victor Régnault. Les Bords de la Seine près du Bas-Meudon, vers 1853. Tirage papier salé/négatif papier -
Au daguerréotype. Wey préférait le calotype qui. selon lui, « parfois, procède par masses, dédaignant le détail
comme un maître habile, justifiant la théorie des sacrifices ».
rappelons les lavis à l’encre de Chine, puis à la sépia, si fort appréciés sous
Louis XVI ; plus tard, les gouaches, compromis harmonieux et ternes entre
le dessin et la peinture ; puis les petits crayonnages tels que les exécutait
Lantara, si souvent imité... La passion de l’effet, l’amour de la couleur ont
fait pâlir ces pratiques mal défendues par l’artifice du métier. L’aquarelle a
remplacé ces procédés ; puis la peinture à l’huile est devenue si populaire
que l’aquarelle à son tour se voit supplantée.
f Au fond, ce qui tend à s’effacer d’une manière constante, c’est la marque
sensible de la manutention, c’est l’artifice du procédé et la complication du
travail. A moins de se rapprocher du dessin, ou de paraître empreinte d’une
forte émanation de la couleur, la gravure devient froide à nos yeux ; la
LES DEBUTS DE LA PHOTOGRAPHIE 111
Le résultat le plus complet, le plus destructif, portera sur les dessins, les
gravures ou les lithographies représentant des villes, des monuments, des
églises, des ruines, des bas-reliefs, et en général des sujets d ’architecuire. Sur
ce terrain, la lutte serait chimérique : une médiocre épreuve héliographique
du portail de Chartres ou de Bourges sera toujours préférable, et comme fini,
et comme réalité, et comme relief, et comme précision, à la gravure la plus
accomplie. Dans ces sortes de sujets, la reproduction plastique est tout, et la
photographie en est la perfection idéale.
Telle est même la puissance presque fantastique du procédé, qu’il permet
à l’examinateur d’un dessin d’architecture de l’explorer comme la nature
même, et d’y faire des découvertes inaperçues sur le terrain. Cette assertion
sera éclaircie et appuyée par une récente anecdote.
Il y a quinze mois, M. le baron Gros, alors ministre plénipotentiaire en
Grèce, fixa, par le moyen du daguerréotype, un point de vue pris à l’Acropole
d’Athènes. Là se trouvaient disséminés des ruines, des pierres sculptées, des
fragments de toute espèce. De retour à Paris, à la suite d’une mission délicate
et honorablement remplie, M. le baron Gros revit ses souvenirs de voyage,
et considéra, à l’aide d’une loupe, les débris amoncelés au premier plan de
sa vue de l’Acropole. Tout à coup, à l’aide du verre grossissant, il découvrit
sur une pierre une figure antique et fort curieuse, qui lui avait jusqu’alors
échappé. C’était un lion qui dévore un serpent, esquissé en creux et d’un âge
si reculé, que ce monument unique fut attribué à un art voisin de l’époque
égyptienne. Le microscope a permis de relever ce document précieux, révélé
par le daguerréotype, à sept cents lieues d’Athènes, et de lui restituer des
proportions aisément accessibles à l’étude.
Ainsi, ce prodigieux mécanisme rend ce que l’on voit et ce que l’œil ne
peut distinguer ; si bien que, comme dans la nature, le spectateur en se
rapprochant plus ou moins, à l’aide de lentilles graduées, perçoit des détails
infinis, quand l’ensemble des objets ne suffit plus à sa curiosité.
Ceci est un fait déjà avéré ; mais il en est un autre qui, je le crois bien,
,ne sera pas plus contesté d’ici à quelque temps : c’est la faculté d’obtenir des
i portraits tout à fait satisfaisants sur papier, par le procédé de la photographie
'substitué au daguerréotype. Et si, comme on s’en flatte déjà, on parvient à
joindre à l’exactitude des formes et à la juste distribution des lumières et des
ombres la couleur des objets, tous les ouvrages où l’on se propose pour but
l'imitation exacte de la nature, comme le portrait et les scènes dites de genre
qui ont fait la gloire de Van Ostade, de Steen et de Gérard Dow, rentreront
nécessairement dans le domaine des instruments de physique.
On trouvera peut-être ma prédiction quelque peu aventurée ; mais dans
un moment où la peinture de pure imitation est l’objet de l’engouement
général, et où tout semble concourir fatalement à multiplier le nombre des
artistes, il est bon, je crois, de faire savoir qu’il y a quelques branches de
l'art, comme la gravure, la lithographie, le genre et le portrait dont l’existence
est déjà très menacée.
Ce goût pour le naturalisme qui pousse les uns à produire des œuvres si
matérielles et si repoussantes, en entraîne d’autres à faire disparaître aussi la
véritable vie intellectuelle sous la brillante superficie des formes. Là on
s'inspire de Caravage et de Zurbaran ; ici on procède de Watteau ; mais dans
l'un et l’autre cas, le moral est injurieusement sacrifié au physique. Le
naturalisme et la manière, voilà les deux écueils entre lesquels il faut passer
aujourd’hui.
représentation des objets extérieurs. Entrez dans une échoppe éclairée par un
jet de lumière blanche, vous serez médiocrement saisi : livrez cc motif à la
photographie, il ne vous saisira guère plus que la nature même ; abandonnez
un tel sujet au pinceau d’un Van Ostade, et vous aurez un tableau exquis
dont on ne pourra détacher ses regards. Un pot à eau, un verre à demi-plein
posés sur une table de chêne contre un mur gris... voilà certes une donnée
fort commune : qu’un artiste éminent l’exploite, l’œil est réjoui ; le modèle
ne l’avait pas même distrait une seconde.
Il n’y a pas, il n’existera jamais de peinture naturaliste ou réaliste, ou
matérialiste, dans l’acception absolue de ces mots.
A notre sens, l’héliographie aura pour but définitif de faire ressortir plus
./éclatant et plus senti le côté idéal de l’art, en s’emparant de tout ce qui est
du ressort de la réalité sèche et crue. La photographie contraindra l’artiste
à s’élever au-dessus de la copie mécanique des objets, elle déclassera ce qui
ne va pas plus haut, elle anéantira ce qui ne possède qu’un semblant d’idéal,
ou ce qui se limite aux bornes étroites de la géométrie, de la perspective et de
l’épure mathématique. [...] Cependant, l’inquiétude, fruit de toute nouveauté,
s’attache à ses progrès ; nous avons entrevu de vagues frayeurs, et tout
récemment, j ’ai reçu, d’un esprit très éminent, une lettre qui dépeint ces
dispositions, et où un découragement réel se devine sous les traits d’une
mélancolique ironie.
Vraiment, il faut douter de son âme et de la puissance du génie de l’homme,
pour s’imaginer qu’une invention scientifique puisse faire passer dans une
machine, si parfaite qu’elle soit, le souffle de l’inspiration et le feu de la
pensée, de même que certain personnage d ’Hoffmann avait fait boire à un
violon l’âme de sa grand-mère.
Pour supposer sérieusement que le mécanisme héliographique soit appelé
à supprimer un seul des genres nombreux de la peinture, il faut avoir été
préalablement convaincu que la peinture, que ‘ le dessin sont des arts
mécaniques et ne sont rien de plus.
Non, ce qui fait l’artiste, ce n’est ni le dessin seul, ni la couleur, ni la
fidélité d’une copie : c’est le mens divinior, c’est la divine inspiration dont
l’origine est immatérielle. Ce n’est point la main, c’est le cerveau qui constitue
le peintre ; l’instrument ne fait qu’obéir.
En réduisant au néant ce qui lui est inférieur, l’héliographie prédestine l’art
à de nouveaux progrès ; en rappelant l’artiste à la nature, elle le rapproche
d’une source d’inspiration dont la fécondité est infinie.
LA RESSEMBLANCE N’EST PAS LE REEL
(1851)
Francis W EY (1812-1882)
1. Cf. Hegel aux premières pages de son Esthétique : « Il y a des portraits dont on dit assez spirituellement
qu'ils sont ressemblants jusqu’à la nausée» (t. I, p. 32, Aubier, Paris, 1944).
2. Cf. supra, p. 111.
3. Cf. note3, p. 108.
118 I,A PHOTOGRAPHIE EN FRANCE IHKi-1871
26 et 27 A gauche Pierre Amboise Richebourg, Marietta Champfleury e t sa sœ ur Anna Roux, vers 1840.
Daguerréotype (reproduit sur papier par Nadar). - A droite : Victor Régnault, Portrait de femme.
vers 1853. Tirage papier salé/négatif papier. -
Le daguerréotype (à gauche) était opposé au calotype (à droite) comme une « copie » (matériellement
fidèle) à une « interprétation » (plus imprécise). Pour les tenants du calotype,
la ressemblance n'était pas subordonnée à la précision.
traces des maîtres les plus incontestés des divers siècles et des divers pays. [...]
La ressemblance est, non la reproduction mécanique, mais une interprétation
qui traduit pour les yeux l’image d’un objet, tel que l’esprit se le figure à
l'aide de la mémoire.
Ainsi, la ressemblance difïère d’un fait matériel. C’est une idée abstraite :
résultat d’une interprétation, elle n’est pas essentiellement subordonnée à une
précision absolue ; loin de là, elle est susceptible d’emprunter une vraisemblance
plus forte, à des infidélités voulues. Vous ne reconnaîtrez pas souvent à son
portrait un homme vaguement entrevu, et vous le reconnaîtriez plus
probablement si l’on vous offrait sa caricature, qui frappe votre souvenir
d’une commotion plus énergique.
De même que le travail mental qui nous fait apprécier la ressemblance est
instinctif et indépendant de notre volonté, de même aussi l’artiste qui l’a
produit a subi une impulsion involontaire. En s’efforçant de copier, il a
interprété à son insu. Ce qu’il a vu s’est retracé d’une certaine façon dans
sa pensée, et c’est cette pensée qu’il a rendue sensible. [...]
aux yeux prévenus, moins fidèle que des tableaux plus éloignés de la pure
réalité.
Ces théories, dont les éléments sont épars dans la tradition des grands
maîtres, les photographes auront à les interpréter, par un second travail de
l’esprit ; ils devront se les assimiler et leur trouver des applications nouvelles.
C’est vers cet ordre d’idées qui sera la base de l’esthétique héliographique,
que nous essayerons d’appeler l’attention des praticiens, en appliquant
l’expérience des écoles au genre du portrait.
La théorie des sacrifices 4, si largement pratiquée par Van Dyck, par Rubens
et par le Titien, doit être encore plus rigoureusement entendue par l’artiste
héliographe. D’ordinaire, ces grands peintres ont fait briller les têtes, au
milieu d’une atmosphère sombre et vaporeuse ; puis leurs fonds, plus ténébreux
à mesure qu’ils s’abaissent, viennent se confondre, le long des épaules, avec^
les plis des vêtements largement indiqués dans une pâte solide et foncée. Ils
ont évité de silhouetter sèchement, de la tête aux pieds, un corps humain et
leurs portraits ne ressemblent point, comme certaines épreuves daguerriennes,
à des merlans frits collés sur un plat d’argent.
Quel est le but de ces sacrifices portant sur la distribution de la lumière
et sur la suppression de certains détails ? C’est de concentrer l’attention sur
les figures ; d’en rehausser la clarté et d’appeler sur elles les rayonnements
de la vie. Ce que l’on cherche dans un portrait, c’est le personnage même :
les artistes veulent que l’on arrive à lui sans obstacles, et qu’il nous arrête
au passage. Leur interprétation, plus vraie que la réalité absolue, satisfait à"
la tendance de notre esprit, en ne nous contraignant pas de subir ce que
nous n’irions point chercher dans la nature.
Cette loi primordiale de la théorie du portrait, à laquelle les peintres
dérogent d’autant plus que leur talent est moindre, a été transgressée par la
majeure partie des héliographes, et c’est pourquoi leurs portraits ont déplu
par je ne sais quelle vulgarité, par l’absence d'impression, et ont excité la
curiosité, sans procurer la satisfaction que l’on attend des œuvres d ’art.^^-
L’UNIVERS DANS UN ALBUM
(1852)
I. Flaubert est sévère avec la photographie. La nomination de Maxime Du Camp comme officier de la
Légion d’honneur lui inspire ce commentaire, dans une lettre à Louise Colet, du 15 janvier 1853 :
« Admirable époque [...] que celle où l’on décore les photographes et où l’on exile les poètes » (allusion
à Victor Hugo qui avait quitté la France après le coup d ’Etat).
Quelques mois plus tard, toujours à Louise Colet, sa maîtresse : « [...] ne m’envoie pas ton portrait
photographié. Je déteste les photographies à proportion que j ’aime les originaux. Jamais je ne trouve cela
vrai [...]. Ce procédé mécanique, appliqué à toi surtout, m’irriterait plus qu’il ne me ferait plaisir.
Comprends-tu ? Je porte cette délicatesse loin, car moi je ne consentirais jamais à ce que l’on fît mon
portrait en photographie.» (14 août 1853)
LES DEBUTS DE LA PHOTOGRAPHIE 123
28. Maxime Du Camp, « Ibsamboul, colosse occidental du Spéos de Phré », Égypte, Nubie,
Palestine e t Syrie, 1852. Tirage papier salé/négatif papier (1850).
124 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
2 30. (En haut) Deux épreuves de la cathédrale de Reims par Dès 1851, la photographie renouvelle le regard porté sur l'architec
-- - te Secq Le C o u ro n n e m e n t d e le Vierge et Le Gelerie d e s ture en modifiant la situation de l'observateur, en lui faisant décou
- i *351. Tirages papier saléfnégatlf papier ciré sec. vrir détails et points de vue inédits, en multipliant les gros plans :
: Enbas a gauchel Henri Le Secq. Cathédrale N otre-D am e d e « Que de beautés, que de merveilles inaperçues jusque-là ont
• arcs-boutants d e l'abside. 1851. Tirage papier salê'négatif révélé les splendides reproductions des cathédrales » (E Lacan en
1856).
reoer ciré sec
32 tn bas à droite) Clémence Jacob Delmaet et Louis Émile
; _ a-de'le. Toit d e l’O péra d e Paris e n construction, vers 1870.
~rage papier albuminé.
128 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1818-1871
1. Des adversaires de la photographie aussi résolus que Henri Delaborde en conviennent (cf. p. 229).
2. Viollet-le-Duc saluera plus tard, dans son Dictionnaire... l’extrême utilité de la photographie pour le
restaurateur : « La photographie, qui chaque jour prend un rôle plus sérieux dans les études scientifiques,
semble être venue à point pour aider à ce grand travail de restauration des anciens édifices, dont l’Europe
entière se préoccupe aujourd’hui. En effet, lorsque les architectes n’avaient à leur disposition que les
moyens ordinaires du dessin, même les plus exacts, comme la chambre claire, par exemple, il leur était
bien difficile de ne pas faire quelques oublis, de ne pas négliger certaines traces à peine apparentes. De
plus, le travail de restauration achevé, on pouvait toujours leur contester l’exactitude des procès-verbaux
graphiques, de ce qu’on appelle les états actuels. Mais la photographie présente cet avantage de dresser
des procès-verbaux irrécusables et des documents que l’on peut sans cesse consulter, même lorsque les
restaurations masquent des traces laissées par la ruine. La photographie a conduit naturellement les
architectes à être plus scrupuleux encore dans leur respect pour les moindres débris d’une disposition
ancienne, à se rendre mieux compte de la structure, et leur fournit un moyen permanent de justifier de
leurs opérations. Dans les restaurations, on ne saurait donc trop user de la photographie, car bien souvent
on découvre sur une épreuve ce que l’on n ’avait pas aperçu sur le monument lui-même. » (Article
« Restauration », Dictionnaire raisonné de l’architecture française du Kf au XVf siècle, Paris, A. Morel, t. V III,
1866, p. 33.)
3. Société française de photographie.
LES DÉBUTS DE LA PHOTOGRAPHIE 129
■%- Daguerréotype» est ici employé comme un synonyme de photographie. Henri Le Secq (1818-1882)
1 1 pas pratiqué le daguerréotype, ses vues des cathédrales de Reims et Strasbourg sont réalisées au
aacvfn de négatifs sur papier ciré et tirées sur papier'salé. Son nom, souvent écrit en un seul mot, est
m réalité Jean-Louis-Henry Le Secq Destournelles.
130 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
Quel archéologue n’a désiré voir le château de Polignac, si célèbre par ses
légendes et par l’histoire de la famille illustre qui l’a bâti ? Le voici sur son
piédestal de granit. Frappez à cette maisonnette posée comme une sentinelle
à l’entrée de ce sentier qui grimpe par mille détours jusqu’au pied des vieilles
murailles ; interrogez le paysan qui l’habite, il vous dira les naïves traditions
du passé ; il vous racontera comment, à une époque qui se perd dans la nuit
des temps, un dieu parlait, du fond de cette roche massive, aux pèlerins
accourus pour le consulter ; il vous montrera la place où l’on murmurait sa
question en déposant une offrande, et la tête colossale du dieu, dont les lèvres
de pierre s’entr’ouvraient pour formuler la réponse.
Ce précieux monument, comme tant d’autres, tombe pierre à pierre ; bientôt
il disparaîtra comme les générations qui l’ont habité ; mais, grâce à la
photographie, il restera tel qu’il est encore, dans ce dessin tracé par la lumière.
Tous ces vieux débris d’un autre âge, si précieux pour l’archéologue, pour
l’historien, pour le peintre, pour le poète, la photographie les réunit et les
rend immortels. Le temps, les révolutions, les convulsions terrestres peuvent
en détruire jusqu’à la dernière pierre : ils vivent désormais dans l’album de
nos photographes.
qui vous accueille à l’entrée du portail, drapé dans son manteau de pierre.
Que de beautés, que de merveilles inaperçues jusque-là ont révélé les
splendides reproductions des cathédrales de Strasbourg, de Reims, de Beauvais,
de Chartres, de Poitiers, par MM. Le Secq, Marville et Le Gray ; de l’église
et du cloître de Saint-Trophime, à Arles ; du Palais des Papes, à Avignon ;
de la tour Magne, de la Maison carrée, des Arènes de Nîmes, par MM. Baldus
et Nègre ; du château de Blois, par MM. Bisson, Fortier et Ferrier ! Quel
intérêt ! quelle puissance ! quelle vérité ! quelle étude ! Réunissez ces épreuves,
classez ces monuments par époques, et avec quelle facilité vous pourrez suivre
dans le mouvement des grandes lignes, dans les modifications des proportions,
dans le caractère des sculptures et dans le choix des motifs, les diverses
transformations de l’art !
La Commission des monuments historiques avait compris les services que
la photographie pouvait lui rendre, et elle avait confié, il y a déjà trois ans,
des missions à plusieurs photographes distingués. Les vues qu’ils ont rapportées
ont justifié son attente. Depuis cetite époque, que de progrès ces artistes ont
&its et que d’œuvres merveilleuses ils ont produites ! J ’âi sous les yeux une
épreuve faite il y a quelques jours à peine et représentant le nouveau pavillon
de Rohan, par M. Baldus. Rien n’est plus beau que cette épreuve. Elle rend
avec une étonnante perfection toutes les finesses de cette architecture coquette
qui fait tant d’honneur au talent et au bon goût de M. Lefuel, digne successeur
de Y isconti. Les gracieuses figures du fronton, la belle statue de la France,
dues aux ciseau poétique de M. Diébolt ; les frises délicates qui courent sous
les corniches, les chapiteaux, les guirlandes, la rosace si purement découpée
qu'on la prendrait pour une dentelle de fer ; tous les détails de cette riche
ornementation ont été reproduits avec une précision qui montre la puissance
de la photographie dans son application à l’art monumental. Il serait à désirer
que. à mesure que chacune des parties du nouveau Louvre sera terminée,
elle fût reproduite ainsi, afin que les habitants de la province et des pays
étrangers pussent connaître et admirer comme nous, les merveilleuses beautés
de ce gigantesque monument, qui sera le chef-d’œuvre collectif des premiers
artistes de notre temps, inspirés par la patriotique et grande pensée qui
préside à ces travaux.
LA QUESTION DU PITTORESQUE
(1853)
A la suite d’un voyage effectué dans le Midi de la France entre août 1852 et
février 1853, Charles Nègre rapporte environ 80 clichés. Dix d ’entre eux tirés par
l ’imprimerie photographique de Fonteny sont publiés en 1854 sous forme de deux
livraisons (juin et octobre) chez Goupil et Vibert. Dans un texte de présentation 1,
Nègre explicite sa conception des rapports entre la photographie et l ’art et, surtout,
sa manière de travailler.
La photographie est, dit-il, un « moyen d’exécution uniforme, rapide et sûr,
mis au service de l ’artiste ». Mais, contrairement à nombre de ses contemporains
et amis peintres, il soutient qu’une telle pratique n’interdit pas l ’expression de la
sensibilité et de l ’individualité qui sont pleinement sollicitées dans les choix
multiples (d’objet, de point de vue et d’effet) que le photographe-artiste est appelé
à faire.
Selon Nègre, au moins deux attitudes esthétiques sont possibles devant un
monument : la précision ou le pittoresque. Mais qu’est-ce qui décide de l ’une ou
l ’autre ? La destination des images, nous dit Nègre. Il adapte ses choix esthétiques
(le cadrage, le point de vue, le degré de précision, etc.) aux attentes particulières
de sa clientèle potentielle — architectes, archéologues, sculpteurs ou peintres.
Auguste Salzmann a pour sa part moins à décider qu’à respecter les consignes
formelles qui lui sont données par l ’Académie des inscriptions et belles lettres afin
que ses images des monuments du Bassin méditerranéen « produisent pour la science
[archéologique] les résultats qu’on en attendait ».
1. R e p r o d u i t p a r J a m e s B o r c o m a n d a n s C h a r le s N è g r e , 1 8 2 0 -1 8 8 0 ( G a l e r i e n a t i o n a l e d u C a n a d a , O t t a w a ,
1 9 7 6 ) p u is p a r F r a n ç o is e H e i l b r u n , c e t e x te ( A r c h . n a t. F 21 1 6 6 , n ° 2 7 ) a c c o m p a g n a i t u n e p r o p o s i t i o n d e
s o u s c r ip ti o n p o u r s o n o u v r a g e q u e C h a r l e s N è g r e a d r e s s a d è s a v r il 1 8 5 3 a u m i n i s t è r e d ’E t a t . F r a n ç o is e
H e i l b r u n p r é c i s e q u e le m i n i s t r e « a c h e t a v in g t- c i n q e x e m p l a i r e s d e c h a c u n e d e s d e u x liv r a is o n s ( a u p rix
d e 8 F la p la n c h e ) , r é g lé e s e n 1 8 5 5 » ( C h a r le s N è g r e p h o to g r a p h e , 1 8 2 0 -1 8 8 0 [ R é u n i o n d e s m u s é e s n a t i o n a u x ,
P a r i s ] , p . 1 3 3 ).
L E S D É B U T S D E LA P H O T O G R A P H IE 133
33 et 34. Deux épreuves tirées de M idi de la France, Charles Nègre. Ci-dessus : « Arles, les Alyscamps ». vers 1852.
Page de droite : «Arles, église métropolitaine de Saint-Trophime, côté droit du portail »,
vers 1853. Tirages papier salé/négatif papier. -
En traitant le même site de deux manières différentes : pittoresque (ci-dessus) et précision documentaire (page de droite).
Charles Nègre entend montrer les possibilités très diverses d'une pratique que trop de contemporains réduisent
à la reproduction mécanique de la réalité.
1 « Confiant en votre bienveillante sollicitude, je viens, Monsieur le Ministre, vous demander mission
gratuite afin que, muni de ce titre officiel, je puisse trouver chez nos représentants en Orient un accueil
plus sérieux que celui que l’on fait à un simple touriste. » Lettre de Salzmann datée du 4 sept. 1853
(Archives nationales F17, 3005A).
L E S D É B U T S D E LA P H O T O G R A P H IE 137
35 Auguste Salzmann, «Jérusalem enceinte du temple, détails de l'appareil de la piscine pmbatique » Jerusalem, 1856.
Tirage papier salé/négatif papier 11854). -
-eue comme un document destiné à démontrer le bien-fondé d’une thèse d'archéologie, cette image nous retient aujourd'hui
par ses partis esthétiques la non-composition la planéité, le jeu du grain et de la matière etc.
E c rit e n 1 8 6 1 e t d e m e u r é i n é d i t : le m é m o i r e e n v o y é à la R e v u e a r c h éo lo g iq u e n e fu t p a s p u b lié . » [ N o t e
■ G . M a s p e r o ] P u b l ié d a n s G . M a s p e r o , T h é o d u le D e v é r ia , M é m o ir e s e t f r a g m e n ts , P a r i s , E r n e s t L e r o u x , 1 8 9 6 ,
î 1. p p . 2 0 3 -2 0 4 .
142
1 P H O T O G R A P H IE EX FR A N C E 1816-1871
38 et 40. Deux épreuves de Théodule Devéria, 1859. Tirage papier salé albuminisé'négatif papier :
Memphis, sérapeum grec (en haut à gauche) et Quai d'Éléphantine (ci-dessus).
39. (En haut à droite) Une épreuve de Louis de Clercq. Esnéh, tes chapiteaux et le som m et
des colonnes du temple, 1859. Tirage papier albuminisé/négatif papier. -
Dès ses débuts la photographie se met au service de l'archéologie : pour copier les hiéroglyphes
et pour renouveler les points de vues sur les bâtiments et les objets
par le gros plan, la plongée, la contre-plongée, etc.
L E S D E B U T S D E LA P H O T O G R A P H IE 143
. 53 à 67, 72, 68, 69, 77, 78, 113, 79 à 84, 70, 71, 73 à 76, 85 à 89, 92,
. 91, 93, 94, 112, 95 à 111.
_ Toutes les transcriptions de M. de Rougé, au contraire, sont certaines à
s peu d’exceptions près, et les noms y sont placés dans le même ordre que
■jr le monument.
Mes reproductions photographiques ne me fournissent que les rectifications
■vivantes : n° 2 Atar, n° 3 Atarmaiu, n° 5 Au...kâ, n° 8 Barbartâ, n° 35 Anmuââ,
16 Pamau (la première syllabe est incertaine), n° 83 Uiïsa (?), n° 115 Avtesa,
dernier en transcrivant l’hiéroglyphe de la jambe par un V comme le fait
rdinairement M. de Roueé, qui cependant le transcrit deux fois par un B
ans le n° 8.
Suit une longue série de mises au point épigraphiques étayées tant par les
biographies que par les copies manuelles de l ’auteur.]
['ai passé en revue, je crois, tous les points de transcription qui prêtaient
. quelque hésitation, et comme les heureuses recherches de notre savant
'ofesseur, M. le vicomte de Rougé, donneront certainement naissance à
autres travaux sur une matière aussi intéressante que l’est la géographie
que restituée par les monuments, je n’ai pas cru inutile de vous offrir,
nsieur, pour les lecteurs de la Revue, les quelques indications qui précèdent
dont je puis garantir l’exactitude.
Veuillez agréer, etc.
PHOTOGRAPHIE ETHNOGRAPHIQUE
ET COLONIALE
(1856-1863)
Ministre de la Guerre ». A son retour, il publie trois cents épreuves sous la forme
:'un recueil en six volumes : L ’Algérie photographiée. Nombre de ses clichés
m'iront de modèles aux graveurs de la presse illustrée, moins pour diffuser des
renseignements sur ce pays si peu connu » que pour soutenir la politique coloniale
:e Napoléon I I I après la répression de la révolte kabyle. Cet usage des épreuves
■;t d’ailleurs conforme aux choix formels de Moulin dont, par exemple, les portraits
it militaires français et d’Algériens favorables à la France se distinguent des
oortraits des adversaires de la politique impériale — souvent photographiés
.longés, sans verticales, en plongées, nimbés de zones floues, etc.
.4 la même époque, en 1857, Désiré Charnay part explorer le Mexique —
tre terre d'élection de la politique coloniale française — avec l ’aide du ministère
’. ’Instruction publique. De retour à Paris, il publie en 1863 sous le titre Cités
et ruines américaines 2 un ouvrage accompagné d’un texte de Viollet-le-Duc et
: 'un atlas de quarante-sept grandes planches photographiques sur les monuments
rciens du Mexique. Le récit de Charnay montre comment la photographie de
age est alors une véritable aventure. Si Moulin déclare à La Lum ière débarquer
Algérie avec 1 100 kilos de bagages, Charnay raconte les péripéties auxquelles
a eu à faire face : la chute d ’une des mules chargées de son matériel, la
truction de sa chambre noire, ses laboratoires de fortune, ses difficultés à manier
grandes plaques de verre au collodion dans la chaleur et la poussière, et la
■. issité parfois, comme à Uxmal, de recourir à plus de quarante hommes pendant
■iis jours pour dégager les monuments ensevelis sous la végétation avant de pouvoir
bhotographier. Comme le voyage de Moulin, celui de Charnay s ’inscrit dans
■ perspective coloniale, comme en témoignent ses écrits et certaines de ses
üographies 3.
Dans un long texte d’introduction, Viollet-le-Duc cherche à déceler des
semblances entre les monuments du Mexique et ceux de Grèce, Inde, Assyrie et
Ane. Son propos, qui est d’établir des filiations ethniques et culturelles, se situe
carrefour de l ’histoire des religions et de l ’anthropologie. Il est intéressant de
:ater que sa démonstration repose essentiellement sur les photographies : il les*
* iré C h a r n a y , C ité s e t r u in e s a m é r ic a in e s , M i l i a , P a le n q u é , I z a m a l , C h ic h e n - I tz a , U x m a l, P a r is , G i d e e t
M o r e l, 1 8 6 3 ( a v e c u n te x te p a r M . V io lle t- le - D u c ) .
] De r e t o u r d u M e x i q u e e n 1 8 6 1 , D é s ir é C h a r n a y e s t e n 1 8 6 3 le p h o t o g r a p h e d ’u n e e x p é d it io n o ffic ie lle
n e ée à M a d a g a s c a r e t d e s t in é e à r é t a b li r l’i n f l u e n c e f r a n ç a is e r é c e m m e n t c o n te s té e p a r le n o u v e a u
rDte p a s le t r a v a i l » ( D é s i r é C h a r n a y , « M a d a g a s c a r à v o l d ’o i s e a u » , Le T o u r du m onde, j u i l h - d é c .
* * . p. 2 07 ). C h a r n a y r e p a r t p o u r le M e x i q u e e n 1 8 6 4 a v e c d e s t r o u p e s f r a n ç a is e s q u i, e n s o u t e n a n t le
— d e M a x im il ie n , g a r a n t i r o n t , s e lo n lu i, d e s d é b o u c h é s a u x p r o d u i t s in d u s tr i e ls f r a n ç a i s e t
analyse, les rapproche d ’autres éléments (vases, tradition orale) et en extrait des
croquis « copiés à la loupe ».
Mais si Viollet-le-Duc rend hommage à Charnay après avoir beaucoup utilisé
ses photographies pour étayer son propos, il n’en signale pas moins la nécessité
de rationaliser la photographie archéologique pour en faire un instrument plus sûr.
Alger, 14 mars 1856. J ’ai mis le pied le 7 mars sur le sol africain, après une
traversée délicieuse ; mais j ’ai eu quelque peine à m’installer avec 1 100 kilog.
de bagages. Enfin j’y suis ! Nous avons essayé nos substances hier, et
aujourd’hui nous avons fait une douzaine de stéréoscopes à l’albumine qui
ont très bien réussi. Demain nous aborderons les grandes plaques, et la
semaine prochaine nous ferons une petite excursion à Blidah, au col de la
Chiffa, à Médéah, Milianah, Cherchell, au tombeau de la Chrétienne, etc.
Nous nous occuperons d’Alger et de ses environs en reprenant haleine. J ’ai
été très bien accueilli par \1. le gouverneur.
Le pays est magnifique : toutes ces maisons, ces mosquées, ces marabouts
blanchis, se détachent agréablement sur une végétation vigoureuse et toujours
verte. Alger a beaucoup perdu de son ancien aspect. Il m’est difficile de
braquer mon instrument sans rencontrer un toit en tuile, des persiennes, des
numéros de maisons, des enseignes et des réverbères ; tout cela vient faire
tache... J ’ai déjà beaucoup étudié le terrain... J ’ai visité les mosquées, toutes
sont ornées d’une fontaine pour les ablutions. J ’ai vu un cadi rendant la
justice. J ’ai assisté à une soirée des Aïssa-voi, secte de fanatiques qui se
réunissent le samedi soir dans une maison mauresque éclairée par quelques
bougies ; une douzaine de chanteurs tapent de la manière la plus monotone
sur de grands tambours, tandis que les sectaires dansent et s’enivrent d’encens
jusqu’à ce qu’ils tombent comme atteints de catalepsie ; alors ils se percent
la joue, la langue ; ou bien ils prennent des fers rouges avec leurs dents et
se les passent sur la langue ; ils mangent des vipères, des scorpions et autres
comestibles de ce genre. C’est hideux à voir ! ! La semaine prochaine nous
aurons le pendant de ce triste spectacle ; c’est la fête des nègres. Ceux-ci
opèrent en plein jour, sur le bord de la mer ; on sacrifie un boeuf, des
moutons, des volailles, que l’on dépèce ; puis des danses désordonnées
commencent et se prolongent jusqu’à ce que la folie s’ensuive ; alors il y en
a qui se jettent dans la mer ; ils ne savent pas nager, et cependant ils ne s’y
noient pas, ce qui est le plus curieux.
Les photographes de profession, qui sont ici en petit nombre, font des
portraits sur plaques et vendent quelques photographies achetées à Paris.
L E S D E B U T S D E L A P H O T O G R A P H IE 147
J ’ai éprouvé des difficultés pour l’emploi de l’eau, même dans le cas où
l’on doit se servir de l’eau commune ; celle d’Alger ne peut être utilisée parce
qu’elle est trop chargée de sels calcaires, et comme il m’en faut beaucoup,
je me suis vu sur le point d’en faire préparer à la pharmacie centrale... J ’ai
trouvé le moyen de m’en procurer en ville ; mais quand je yais me mettre
en route, comment faire ? Faudra-t-il que je prenne à ma charge une caravane
de mulets et de dromadaires ?
Ici le sol est un vrai terreau ; le cactus, l’aloës, toutes les plantes grasses
qui poussent à peine dans les serres, remplacent le chardon et les mauvaises
herbes ; l’oranger, chargé de fleurs et de fruits, embaume l’air de ses douces
émanations. On se procure pour 5 centimes deux oranges dont le jus savoureux
rafraîchit la bouche. Les figues et les dates abondent.
Les rues habitées par les Maures sont hideusement curieuses. Les toitures,
qui se joignent, empêchent le soleil d’y pénétrer, et pas de soleil, pas de
photographie. J ’ai cependant réussi à en reproduire quelques lambeaux.
Percées presque à pic, ces rues mal pavées, en marches d’escaliers, sont
d’un accès si difficile que les ânes même ont de la peine à les gravir. Tous
ces quartiers sont habités par une population pauvre qui leur donne un aspect
aussi étrange qu’animé. A côté des juives, mal vêtues, circulent des Kabyles
couverts, en guise de burnous, d’un vieux sac de toile ; des Maures d’Alger
aux jambes nues, mais la tête couverte d’une calotte ; et enfin les Biskri,
espèces d’Auvergnats originaires de Biskara, qui, en portant de l’eau, en
faisant des commissions, en chargeant et déchargeant les marchandises,
gagnent un peu d’argent et retournent dans leur pays pour y vivre du fruit
de leurs économies.
Juives, Kabyles, Maures, Biskri vont et viennent, se croisent avec les
femmes des Maures toujours voilées, population déchue ; avec les négresses,
vieux restes de l’esclavage, dont le nombre diminue tous les jours ; avec les
habitants français, espagnols, italiens ; parsemez cette mêlée pittoresque des
costumes sévères de nos soldats français et indigènes ; ajoutez à l’aspect
bizarre de cette population hétérogène les embarras incessants occasionnés
par des dromadaires, des arabas, chariots de transports traînés par des bœufs ;
par des omnibus à trois chevaux maigres, mais vifs ; par des diligences, vieux
type presque perdu en France, attelées de cinq ou six petits chevaux arabes
qui brûlent le pavé ; passez toutes ces scènes grotesques au kaléidoscope, et
vous aurez sous les yeux la plus complète julienne que jamais le bal Musard
ait pu vous servir.
Remarquez encore que la température, qui est d’une chaleur intolérable au
soleil, est très fraîche à l’ombre et le soir, ce qui tend à donner à ces scènes
une variété continuelle et presque imprévue...
Qu’Allah vous conserve !...
L E S D E B IT S D E LA P H O T O G R A P H IE 149
P U B L IC A T IO N N A T IO N A L E
t crois, par tous ces motifs, avoir droit à l’indulgence des amateurs, et
■spère qu’ils me sauront gré d’avoir consacré dix-huit mois à recueillir tout
150 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
ce que l’Algérie peut offrir d’intéressant pour ceux qui l’ont habitée et pour
ceux qui sont avides de renseignements sur ce pays si peu connu et qui mérite
tant de l’être.
Des notes, des observations, des légendes arabes, des relations de faits
militaires, etc., destinées à donner encore plus d’intérêt aux sujets auxquels
elles se rattachent, sont mises, à défaut de texte, au bas de chaque épreuve.
J ’attendais mes bagages depuis deux mois, ils n’arrivaient pas ; je craignis
que l’état des routes ne permit pas à l’expéditeur de me les envoyer, il fallut
donc me mettre à l’œuvre avec les ressources que m’offrait la ville. Je fabriquai
du nitrate et du fulmicoton, j ’avais des glaces et l’un de mes instruments ;
je trouvai de l’éther et de l’alcool. Pour développer l’image il me fallut
employer le sulfate de fer qu’on trouve partout.
Mes premiers essais ne furent pas heureux, les clichés des monuments de
la ville étaient mauvais. Quelques jours après j ’en fis d’autres meilleurs,
presque satisfaisants. Je préparai donc mon expédition de Mitla, car je devais
retourner au Yucatan, remonter à Palenqué, traverser la sierra et faire le tour
de la province de Chiapas, en passant par Tehuantepec pour revenir à
Oaxaca. J ’aurais voulu faire ce long voyage avant la saison des pluies s’il
était possible, et le temps pressait.
Mais quand je voulus partir, je m’aperçus que mes produits ne marchaient
plus.
Pendant huit jours, je fis les essais les plus variés, je me servis de bains
vieux et nouveaux, j ’avais une douzaine de collodions différents, j ’employai
tous les développants et tous les fixateurs ; peine inutile. Le collodion arriva
même jusqu’à perdre toute sensibilité. Avec une exposition de cinq minutes
au soleil, et un instrument double, je n’obtenais qu’une tache blanche à
l’endroit du col.
Désespérant de réussir, je mélangeai tous les collodions et j ’attendis.
Quelques jours après, je voulus tenter un nouvel essai, je fis un cliché le
matin à sept heures, il était bon : à sept heures et demie, insensibilité. Le
lendemain, j ’en fis deux, sans pouvoir en réussir un troisième ; le surlendemain
trois et, par progression, chaque jour en faisant un de plus, mais pas
davantage. Tout à coup le collodion ne m’apportait que des positifs sur verre ;
un autre jour des négatifs, et cela sans qu’il me fût possible de faire l’un ou
l’autre à mon choix. J ’ai vainement cherché la clef de phénomènes aussi
curieux et je laisse aux photographes érudits le soin d’en trouver les causes.
Ma position était des plus embarrassantes, je craignis un moment de ne
pouvoir réussir. J ’aurai donc fait, me disais-je, trois mille lieues dans le but
I.E S D E B U T S D E L A P H O T O G R A P H I E 151
[Pour échapper aux émeutes de la région de Mitla («Les rues étaient coupées
de barricades, le feu commençait », p. 267), Charnay rallie Vera Cruz et, par
crainte d ’emprunter avec ses mules les ponts de lianes — « ces passerelles
vacillantes » — construits par les Indiens, il traverse les cours d ’eaux à gué.]
43. Désiré Charnay, « Palais des nonnes à Uxmal, détail du côté sud, pl. 43 », Cités e t ruines
américaines, 1863. Tirage papier albuminé/négatif verre (vers 1858). -
L'une des 47 épreuves publiées par Charnay après son voyage ethnographique au Mexique.
Certaines ont nécessité la participation de 40 hommes pendant 3 jours.
Une des salles intérieures du Cirque nous fournit un ample sujet d’observations.
Cette salle, pi. X X X III 4, donne en coupe transversale la section fig. 2. Les
parements (mal appareillés, comme ceux de l’extérieur) sont entièrement
revêtus d ’une série de sculptures plates, représentant des hommes armés
combattant des serpents et des tigres. Si la signification de ce bas-relief est
obscure, les types des têtes, les costumes, les armes des personnages, donnent
de précieux renseignements. On remarque tout d’abord que les traits de la
plupart de ces personnages ne rappellent nullement les profils des figures de
Palenqué, ou ceux que l’on prête aux races indigènes du Mexique si souvent
reproduits par des terres cuites recueillies en grand nombre dans ces contrées.
Ainsi, fig. 3, nous donnons une copie fidèle de ces terres cuites que M. Charnay
a bien voulu déposer entre nos mains, et fig. 3 bis, une tête d’un indigène,
copiée par une photographie. Il est clair que ces deux types appartiennent
à une même race ou à un même mélange de sang. La terre cuite, qui est
d’une époque fort ancienne, et le sujet nouveau présentent les mêmes
caractères ; front étroit, naissance du nez mince et déprimée, sourcils
rapprochés, paupières supérieures recouvrant fortement l’angle externe de
l’œil, os du nez saillant, narines maigres, anguleuses, ouvertes ; pommettes
plutôt anguleuses que saillantes, joues plates, bouche large, abaissée vers ses
extrémités, lèvres grosses et coupées nettement, os maxillaire se relevant sous
la bouche. Or, ce type de Mexicain, donné fig. 3 bis, est fréquent, et parmi
nos photographies, nous en possédons plusieurs qui conservent ce même
caractère bien tranché. Nous ne pouvons donc mettre en doute l’exactitude
des traits reproduits par cette terre cuite, puisque, encore de nos jours, ce
type s’est conservé. A côté de ces types, nous donnons, fig. 4, le fac-similé
d’une photographie faite à Mexico : c’est un jeune sujet femelle. Ici le caractère
de la race finnique est des plus prononcés ; front bas, angle externe de l’œil
relevé, nez court, pommettes hautes, bouche large, lèvre supérieure épaisse
et coupée nettement, éloignée du nez, menton fuyant, base du visage large ;
et ce sujet n’est pas le seul, nous en possédons un certain nombre qui
présentent les mêmes caractères et qui tous appartiennent à la plus basse
classe de Mexico. Le sujet fig. 3 bis se rapproche du type des figures de
Palenqué, quoique, dans celles-ci, les angles externes des yeux soient relevés
et le menton fuyant. Mais voici, fig. 5, une copie faite à la loupe, aussi
exactement que possible, d’une des têtes les mieux conservées du bas-relief
de Chichen-Itza. Le profil du guerrier représenté ici se rapproche sensiblement
4. L e s c h iffre s r o m a i n s r e n v o i e n t a u x 4 7 g r a n d e s p la n c h e s d u e s à D é s i r é C h a r n a y ( n o n r e p r o d u it e s ic i).
C ’e s t e n le s d é c h i f f r a n t « à la l o u p e » q u e V io l le t - le - D u c p r é lè v e s e s i n f o r m a t io n s — le s q u e lle s s o n t
t r a n s p o s é e s d a n s le s g r a v u r e s q u i illu s tr e n t s o n te x te .
L E S D É B U T S D E LA P H O T O G R A P H IE 157
44 Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc,
« Introduction » a Désire Ctiarrtay.
Cités e t ruines américaines, 1863,
Dans son » Introduction ». Viollel-le-Duc
inséré des croquis « copiés a la loupe
a partir de photographies de Charnay
158 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
Nous rangerions ainsi les édifices de Palenqué dans la série des monuments
construits par les indigènes, avant la soumission de Xibalba, ceux de PYucatan
LE S D É B U T S D E LA P H O T O G R A P H IE 159
Ernest Lacan est depuis un peu plus d ’un an rédacteur en chef de La Lumière
quand il rédige, en janvier et février 1853, trois « esquisses physiologiques » qui
sont autant de portraits de photographes. Leur intérêt est de nous renseigner sur
les différentes pratiques en vigueur à l ’époque — telles que Lacan les percevait.
Il oppose les tenants du commerce et de l ’industrie (première esquisse) aux
photographes artistes et amateurs (deuxième et troisième esquisses).
La clientèle, les prix, les produits, le métier dominent chez le professionnel
portraitiste pour qui la valeur des productions et l ’aménagement des locaux
n ’obéissent qu’aux impératifs du profit.
De façon significative, l ’« artiste photographe » vu par Lacan n’est pas
redevable de son statut d ’artiste à la photographie, mais à une pratique légitime
(peinture, sculpture...). Avec le peintre comme modèle, Lacan trace ici le profil
mythique d’un praticien « inspiré » dont « la seule qualité d ’artiste peut donner
un caractère particulier à sa personne, à ses œuvres et ses habitudes ».
Quant à l ’amateur, il est, en 1853, riche, mondain, membre de l ’« élite de la
société », expérimentateur et cultivé. Il n ’annonce en rien l ’amateur que vont tenter
de promouvoir Jules Bourdin et Léon Vidal quand, au milieu des années 1860,
ils voudront faire d’une pratique élitaire « le domaine de tous » (cf. p. 437). A
quoi contribuera de façon décisive le Kodak dans les années 1880.
L E S D E B U T S D E LA P H O T O G R A P H IE 161
Quel est celui d’entre vous, ô lecteurs, qui pour éviter une averse, ou un
créancier, ou un importun, ou pour attendre l’omnibus, ou enfin pour jouir
■lu î bonnement de quelques instants de douce flânerie, ne s’est arrêté devant
un de ces cadres qui miroitent à droite et à gauche d’une porte bâtarde, et
dans lesquels sont réunies les images fidèles d’un gendarme, d’une première
communiante, d’un monsieur de qualité douteuse et de deux ou trois familles
groupées tendrement, le sourire aux lèvres, dans des attitudes plus ou moins
gracieuses et engageantes, et n’a lu, au milieu des susdits cadres, cette
inscription écrite en lettres gothiques :
P o r t r a it s a u d a g u e r r é o t y p e
DEPUIS 2 FR.
RESSEMBLANCE GARANTIE
DANS CETTE MAISON
Qui de vous encore ne s’est pris à regarder du coin de l’ceil l’allée au bout
de laquelle s’avancent les premières marches d’un escalier plein d’ombre et
de mystère, et à désirer de pénétrer jusque dans le sanctuaire du photographe ?
Ce sanctuaire est toujours situé au dernier étage de la maison. Il est tout
naturel que le collaborateur du soleil se loge le plus près possible du ciel.
Une odeur assez pénétrante de produits chimiques annonce le terme de
ascension. La chambre dans laquelle on entre communique avec une terrasse
^ui sert de théâtre à l’une des phases les plus essentielles de l’opération : la
pose. Cette pièce, qu’on appelle salon, est meublée plus ou moins élégamment.
>ur la table sont entassés pêle-mêle des portraits de toute grandeur, de tout
prix. Les murs en sont tapissés. Des cadres vides, des passe-partout, des
médaillons remplissent les intervalles. Quant au cabinet noir, c’est le sacro
:nctum, personne que les initiés n’y pénètre.
On comprendra que la propreté de l’escalier, l’élégance du salon, la richesse
ie l'ameublement du photographe, varient selon le quartier qu’il habite et la
leur de ses œuvres. Ainsi, on pourrait établir cette proportion mathématique :
un photographe de telle rue est à un photographe de tel boulevard comme
1 irancs sont à 55 francs. Mettez des tapis dans l’escalier, un bouton de cristal
la porte, des meubles garnis de velours dans le salon, du papier satiné sur
murs, et vous aurez une idée de ce que l’on voit rue Vivienne, ou boulevard
s Italiens ; mais c’est toujours la même disposition, le même plan, le même
ombre d’étages.
Maintenant que nous avons esquissé la demeure, étudions celui qui l’habite.
[...] Au physique, le photographe ressemble à tout le monde. Il n’a pas
- airs particuliers, cette mise, cette tournure, cette physionomie originale
162 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
qui distinguent le peintre, par exemple. Ses mains seules révèlent aux yeux
indiscrets les secrets de son incognito. Le nitrate d’argent les marque d’un
signe qui se renouvelle chaque jour.
En général, le photographe proprement dit est philosophe. Avant de
pratiquer, il a fait autre chose, souvent un peu de tout ; aussi connaît-il
ordinairement assez bien la vie. [...] Si vous vous étonnez en voyant sa toilette
négligée; si vous regardez avec dédain son pantalon couvert de taches
multicolores, il aura le bon esprit de ne s’en point fâcher et se contentera de
vous répondre : C’est un pantalon qui vaut deux cents francs par jour. Et
il dira vrai. Il y a tels photographes chez lesquels il faut prendre son numéro
quand on veut obtenir son portrait, et qui achètent une maison tous les six
mois.
Qu’on dise encore qu’on ne s’enrichit plus de nos jours !
Le photographe artiste est celui qui, ayant consacré sa vie à l’étude d’un art,
comme la peinture, l’architecture, la gravure, etc., a vu dans la photographie
un moyen nouveau de traduire ses impressions, d’imiter la nature dans sa
poésie, sa richesse et sa beauté, et de reproduire les chefs-d’œuvre que le
génie humain a semés sur la terre. C’est ordinairement un peintre : c’est
toujours un homme d’intelligence et de talent.
La seule qualité d’artiste suffit pour donner un caractère particulier à sa
personne, à ses œuvres, à ses habitudes.
Si vous entrez dans son atelier, vous y remarquerez de suite cet aimable
désordre, inévitable conséquence de la mobilité d’esprit de celui qui l’habite.
Les papiers préparés ou non, les objectifs, les bassines, les flacons, les cartons
à dessin, les pinceaux, les palettes, les poupées d’atelier, les chevalets, tout
cela concourt à cet aspect étrange, qui fait éprouver aux yeux ce que l’oreille
ressent lorsqu’elle écoute une symphonie, où les instruments de toute nature,
de toute puissance, mêlent leurs voix si dissemblables dans un ensemble où
tout se fond et s’harmonise.
Aux murs élevés sont suspendus des tableaux, des ébauches, des croquis,
et puis des épreuves sur plaques, sur papier, des portraits, des vues, des
académies, des fragments. L’œil étonné de l’intrus s’arrête parfois sur une
épreuve à moitié perdue à laquelle il cherche en vain quelque mérite. Il ne
s’aperçoit pas qu’il y a un détail admirablement rendu, ou une expression
frappante, ou un effet de lumière, ou des masses largement saisies, quelque
chose enfin qui a du caractère, et que l’artiste conserve précieusement, sans
s’occuper d’une tache ou d’une déchirure, ou d’un tirage défectueux.
LES DEBUTS DE LA PHOTOGRAPHIE 163
Le photographe amateur, pour nous, c’est l’homme qui, par amour de l’art,
î'est passionné pour la photographie, comme il se serait passionné pour la
peinture, la sculpture ou la musique, qui en a fait une étude sérieuse,
raisonnée, intelligente, avec la ferme volonté de ne pas lui sacrifier inutilement
une partie de son temps et de sa fortune, et qui est arrivé à égaler, sinon
à dépasser, ceux qui lui ont servi de maîtres.
Il appartient généralement à l’élite de la société. C’est dans les brillantes
réunions du grand monde, sous les lambris dorés des plus somptueux hôtels,
sous l’ombrage parfumé des plus riches parcs, qu’il vit et qu’il s’inspire. Le
jour, on le rencontre aux Champs-Elysées, aux bois, conduisant un magnifique
attelage ou montant un cheval de race. Le soir, accoudé sur la balustrade
dorée de sa loge à l’Opéra ou aux Italiens, il écoute avec ravissement les
chefs-d’œuvre de Meyerbeer ou de Rossini. On compte parmi les photographes
amateurs un duc, plusieurs comtes, vicomtes et barons ; des diplomates, de
.auts fonctionnaires, des magistrats. Celui-ci a une immense fortune, il porte
un grand nom, que les artistes de tous les pays et de tous les genres de talent
jnt appris à connaître et à vénérer. [...]
Il ne néglige aucun moyen de bien faire. Aux plus célèbres opticiens, il
achète leurs meilleurs objectifs ; à ceux qui cherchent et qui découvrent, il
achète leurs procédés, quelque prix qu’ils y mettent, ce qui ne l’empêche pas,
quand il veut en prendre la peine, de faire lui-même des innovations, des
perfectionnements dont il donne le secret à qui veut le lui demander. [...]
Cet autre possède aussi une grande fortune et un nom que la reconnaissance
publique a ennobli. Il a un culte pour tout ce qui touche aux arts, et une
bienveillance inépuisable pour les artistes. Sa demeure est un musée. Partout,
,'œil s’y arrête sur une œuvre de génie, sur le nom d’un grand maître. Il a
vu dans la photographie l’auxiliaire, le complément des autres arts dont elle
reproduit les admirables chefs-d’œuvre, pouvant ainsi les multiplier à l’infini,
sans leur rien prendre, et il s’est fait photographe. Sachant mieux que personne
tout ce qu’il y a d’enseignements dans les œuvres que les artistes d’un autre
temps nous ont laissées, il s’est donné la tâche difficile de les reproduire pour
les répandre, se faisant ainsi le collaborateur des plus grands noms et des
plus beaux génies.
Un troisième ', appelé par la nature de ses hautes fonctions à passer
plusieurs années de sa vie sous le ciel poétique et lumineux de l’Orient, au
bord des mers que les poètes ont chantées dans toutes les langues, parmi les
ruines antiques qui ont inspiré tant de générations d’artistes, a ajouté aux1
1. Les trois «photographes amateurs» qui inspirent Ernest Lacan sont sans doute le comte Olvmpe
Aguado. Benjamin Delessert et, enfin, le baron Gros.
166 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
missions politiques dont il était chargé une mission d’un tout autre genre,
qui avait bien aussi son utilité : rapporter dans son pays, au moyen de la
photographie, tout ce qu’il venait admirer pendant les heures de loisir que
la diplomatie lui laissait [...].
Dans son atelier, le photographe amateur s’entoure de tout ce qui peut
rendre les opérations moins pénibles, et il a raison. Il a ordinairement un
préparateur dont il dirige le travail, qui, en son lieu et place, se tache les
doigts de nitrate, respire de l’éther ou s’enduit les mains de cire fondue 2. Du
reste, ces fonctions sont très recherchées, et le subalterne dont il s’agit ne se
plaint jamais de sa condition, ce qui prouve surabondamment qu’elle est
bonne. Il dit : nous avons fait telle chose, nous avons acheté tel instrument ;
il est bien payé, bien chauffé, pas trop surchargé de besogne : en faut-il
davantage pour être heureux ?
2. L’amateur est ici un calotypiste qui utilise le procédé négatif du papier ciré préconisé par
Gustave Le Gray.
DISDERI, UN GRAND ENTREPRENEUR
(1854-1856)
Les premiers photographes n ’étaient pas certes tous des artistes ratés — des
« fruits secs de l ’art », disait-on à l ’époque. Ce qui était vrai pour certains
calotypistes (plusieurs sortaient de l ’atelier du peintre Delaroche) l ’était beaucoup
moins pour les nombreux portraitistes qui, au milieu des années 1850, s ’installent
à Paris.
André-Adolphe Disdéri est de ces derniers. Ses liens avec l ’art sont des plus
tenus. Contrairement à beaucoup de ses confrères, il ne s ’intitule pas « peintre-
photographe » ni « artiste-photographe », mais « Photographe des Palais de
"ndustrie et des Beaux-Arts, membre de la Société d ’encouragement ». Ses intérêts
sont avant tout commerciaux comme l ’indique son itinéraire personnel.
Il comprend rapidement que pour gagner de l ’argent il lui faut utiliser au
maximum les atouts de l ’économie de marché en plein essor : l ’emprunt,
'actionnariat, la création de sociétés multiples et importantes (sa Société du Palais
de l ’industrie compte près de 80 personnes 1, la publicité (dès son installation en
1854, il invite le Tout-Paris à venir dans son établissement admirer une importante
exposition de ses travaux), la recherche de contrats commercialement prometteurs
il obtient la concession de photographier tous les objets de l ’Exposition universelle
de 1855), l ’innovation technique (il dépose son brevet sur la « carte de visite » 2
en novembre 1854), le souci de cultiver et de faire connaître son originalité (en
1855, il publie un livre, Renseignements photographiques indispensables
à tous).
En dépit de ses talents commerciaux, Disdéri ne peut éviter la faillite. Mais
reprend rapidement son activité — son établissement du boulevard des Italiens
■•ra pendant tout le Second Empire l ’une des plus grandes maisons de photographie
U Paris. Il mourra en 1889, ruiné.
Elizabeth Anne McCauley, A.A.E. Disdéri and the Carte de Visite, Portrait Photograph, New Haven and
London. Yale University Press, 1985.
_ S u r la « c a r te d e v is ite » , v o ir in fr a , p p . 3 5 2 - 3 6 7 .
168 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
absorbé par l’installation, et que le capital nouveau serait fourni par voie de
prêt à la société, ce qui fut en effet réalisé, et la société fut constituée sur
ces bases par actes des 2 décembre 1854 et 15 janvier 1855 avec le sieur
Disdéri pour gérant sous la raison sociale Disdéri et Cie, qui déjà avait été
employée pour le commerce de lingerie et qui depuis a été encore prise pour
la société de photographie dite du Palais de l’industrie qui a fonctionné
parallèlement à la société du boulevard.
Cette société après quelques mois d’existence seulement a amené les débats
qui vous ont été déjà signalés. Des plaintes graves formulées par quelques-
uns des actionnaires créanciers avaient motivé l’arrestation du sieur Disdéri
et la déclaration des deux faillites personnelle et sociale.
Nous devons constater ici que le sieur Disdéri n’a rien prouvé du tout, et
que le travail fait par lui ou pour lui ne fait que confirmer le désordre des
affaires sociales, qu’au lieu de bénéfices il y a perte incontestable et même
déficit dont la cause est encore ignorée.
LES PREMIERES ARMES
DES PHOTOGRAPHES DE GUERRE
(1855)
'est en Crimée, entre 1854 et 1856, avec Roger Fenton et Marcus Sparling,
an-Charles Langlois et Léon-Eugène Méhédin, Jean-Baptiste Durand-Brager et
simone, James Robertson et Felice Beato, que prend naissance la photographie
■ guerre.
Le colonel Charles Langlois, peintre spécialisé dans les sujets militaires 1,
■mbarque pour la Crimée en compagnie de Léon Méhédin afin de préparer un
■ morarna sur le siège de Sébastopol. Méhédin, qui dispose d’une formation
'architecte, est chargé de la photographie.
La soixantaine de lettres envoyées par Langlois à sa femme 2 entre octobre 1855
mai 1856 révèlent les difficultés quotidiennes auxquelles les photographes
ageurs doivent faire face à l ’époque, l ’inadaptation du procédé à répondre à
ur situation et leur opiniâtreté à trouver une solution. Les demandes de Langlois
a femme, ainsi que les espoirs qu’il met en un article du B u lle tin d e la
S o ciété f ra n ç a is e d e p h o to g r a p h ie sont à cet égard édifiants.
Voici comment Maxime Du Camp présente Langlois dans ses Souvenirs littéraires (1882-1883): «L e
nel Langlois était et doit rester célèbre, car c’est à lui, plus q u ’à nul autre, que l’on doit en France,
n la création, du moins le perfectionnement des panoramas. C’est lui qui le premier transporta le
tateur au centre même de l’action représentée, modela la peinture avec soin, distribua abondamment
nmière sur la toile et produisit un effet qui touche de près à l’illusion. Je me rappelle encore l’émotion
ni je fus saisi, lorsque, étant petit enfant, on me conduisit, aux environs du boulevard du Temple, dans
vaste rotonde où je vis pour la première fois un panorama de Langlois, qui était celui de la bataille
Navarin. C ’était extraordinaire d ’animation, de fougue et d’emportement. Quel tumulte ! mais quel
ce ! J ’en fus effrayé. Quoi ! la colonne d’eau soulevée par les boulets ne s’affaisse jamais, la lueur
~nême canon brille toujours, le capitaine de vaisseau Milius n’abaisse pas son bras dressé par un geste
immandement; cette immobilité me glaçait, car je la trouvais surnaturelle.»
m e correspondance, introduite et annotée par François Robichon et André Rouillé, sera publiée dans
a rxalité.
176 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
47. Charles Langlois, Dixième Vue du panorama de Sébastopol pris de la tour de M alakoff
pendant la guerre de Crimée, 1855. Tirage papier salé albuminisé négatif papier
Pour préparer son grand Panorama de la bataille de Sébastopol, Langlois, peintre de bataille,
se rend en Crimée en compagnie de Méhédin, récemment initié à la photographie.
L'épreuve ci-dessus et celle de la page suivante font partie d'un ensemble de 14 calotypes gui,
mis bout a bout, forment un panorama photographique circulaire de 360°.
Quartier général, le 6 décembre 1855. Ma chère Zoé, nous voilà obligés de rentrer
chez nous ; depuis onze jours le temps a été constamment mauvais ; aujourd’hui
il est à la tempête... Elle est violente et beaucoup de tentes et de baraques
ont été enlevées et les débris portés au loin et dispersés dans des champs de
boue. Nous espérions mieux hier, le soleil s’était levé brillamment, le baromètre
avait haussé d’une manière assez vive ; on prépara quatre châssis comme
l’autre jour espérant quelques heures de soleil, et nous arrivâmes en toute
lu s d é b u t s de la p h o t o g r a p h ie i 77
48. Charles Langlois. Treizième Vue du panorama de Sébastopol pris de la tour de M alakoff
pendant la guerre de Crimée. 1855. Tirage papier salé albuminisé/négatif papier.
Sacs de sable, tranchées, canons, obus ; autant d'objets qui renvoient - sans qu'apparaisse
aucun cadavre - à l'immobilité de la mort. Par quoi Langlois signale la connivence secrète
qui lie la photographie, la mort et la guerre. Les nuages,
seuls éléments mobiles, sont gouachés après coup.
178 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
hâte à Malakoff par des chemins affreux. Ce fut vainement cette fois : la pluie
commença presque aussitôt et n’a pas décessé jusqu’au moment où je t’écris.
Le caoutchouc a rempli ses fonctions d’une manière distinguée et malgré des
lacs de boue qui ont maculé mes pieds et les pantalons, je n’ai pas été
mouillé. Mais les quatre feuilles ont été perdues, ce qui nous fait ressembler
aux Russes qui tirent leur poudre aux moineaux 3, et Dieu sait ce qu’ils en
consomment journellement et à des distances ridicules. Toutes ces tentatives
avortées nous font comprendre l’importance d’un procédé qui pour réussir
n’aurait besoin que de quelques minutes de pose et l’on revient ainsi et
toujours au procédé Taupenot 45. Mais j ’avais pensé que ce professeur était
à l’Ecole militaire de Saint-Cyr et au contraire c’est à La Flèche qu’il donne
ses leçons. Il n’y a donc pas à l’aller voir ; cependant chère amie, il y a
quelque chose à faire.
M. Méhédin remet de jour en jour et ne sait pas prendre un parti à ce
sujet, en attendant il faut toujours faire faire la boîte des vingt-quatre glaces
telles que je les ai indiquées, demander à Schiertz une cuvette en caoutchouc
dont le fond intérieur soit de 0,28 sur 0,34. Au lieu de voir M. Taupenot il
faudrait aller chez MM. Veron et Fontaine, marchands de produits chimiques,
et leur demander s’ils pourraient nous faire deux litres d’’albumine fermentée
selon la formule de M. Taupenot indiquée au dernier alinéa de la page 239
du numéro de septembre (en mettant 1,5 % d’iodure de potassium) et qui
finit à moitié de la page 240 D. Nous ne pouvons point faire cette albumine
ici parce que nous n’avons ni œufs ni levain de bière. En y mettant de
l’insistance cela ne doit pas offrir de difficulté de leur part ; leur demander
s’ils seront sûrs de nous faire parvenir ces objets promptement. Dans ce cas
on ajouterait au paquet une rondelle pour le grand objectif que l’on
demanderait à M. Maugey avec les vis qui seraient nécessaires pour la fixer
à la chambre que nous avons faite et qui fonctionne passablement. Une
modification que je fais faire nous la complétera, je l’espère. A propos de
cette chambre il m’est arrivé une singulière chose. T ’ai-je dit qu’à notre
arrivée M. Méhédin n’espérait rien de bon du voyage : il pensait que
Sébastopol n’était guère plus pittoresque que Kamiesch. Il voyait donc son
affaire à lui fort compromise tout en s’occupant activement de notre installation.
Aussi grand fut son étonnement quand je le conduisis à Malakoff. Ces ravins
profonds qu’il avait fallu traverser, la terre couverte de boulets et d’éclats de
bombes et d’obus, nos tranchées, mais surtout les travaux de Malakoff
bouleversés comme par un tremblement de terre, lui donnaient le vertige et
il n’y voyait que du feu comme disent les soldats et surtout il n’y comprenait
rien. Mais lorsque de là il put découvrir la ville avec les monuments, les forts
en ruine, il la trouva superbe et remplie de vues charmantes et très variées.
Cependant je lui faisais comprendre ce chaos apparent, comment on pourrait
le rendre en Panorama, ce qui serait nature et là où elle se réunirait à la
peinture. [...]
î L* colonel Langlois témoigne des difficultés à surmonter en 1856 pour réaliser des images photographiques,
^niculier dans les conditions exceptionnelles d ’un laboratoire de campagne. Mais les circonstances
râbles n’expliquent pas tout. Méhédin qui ne maîtrise pas le procédé au collodion humide, ni le
-dé Taupenot, s’en tient aux négatifs en papier ciré sec préconisés par Gustave Le Gray ; mais ils
insuffisamment sensibles puisque leur temps de développement est de plus de trois jours après un
B - de pose de plusieurs heures dans la chambre noire. Nous sommes bien loin du mythe de
rantanéité qui s’attache à la photographie dès ses premières années et pendant tout le XIXe siècle.
' agit de feuilles de papier qui, placées dans un châssis, exposées à la chambre noire puis développées
: de gallique, donneront des négatifs en papier (calotypes).
Ill
L’IMPULSION
DE L’EXPOSITION
UNIVERSELLE
1855
AU SERVICE DE LA MORALE,
AU SERVICE DE LA MARCHANDISE
(1854-1855)
Walter Benjamin, à propos de cette même Exposition universelle de 1855 : « Depuis le milieu du
e. la photographie étend considérablement l’économie de marchandises en jetant sur le marché une
immense de figures, de paysages, d ’événements, ou démunis de toute valeur informative, ou n ’ayant
~.tre rôle que d’illustrer l’information. Pour augmenter le changement, elle renouvelle ses objets en
- édifiant ses techniques de prise de vue selon les modes successives, ce qui va déterminer toute son
xs ire à venir. » Walter Benjamin, « Paris, capitale du XIXe siècle » [mai 1935], Poésie et Révolution, p. 128.
î 'est aussi le point de vue de Paul Mantz (cf. pp. 207-208).
184 l ,\ PHOTOGRAPH 11 IN FRANCE 1816-1871
André-Adolphe Disdéri : R e n s e ig n e m e n ts p h o to g r a p h iq u e s in d is p e n s a b le s
à to u s , 1855, pp. 3-6 et pp. 30-33.
sur les fleuves aujourd’hui ; de ces plafonds historiés, de ces parquets mosaïqués
si charmants, si pleins de fantaisie ; de ces riches lambris, de ces colonnades
tordues, creusées, fouillées, sculptées ; de ces meubles sculptés plutôt que
travaillés par l’artiste ; de ces fontes, de ces bronzes qui valent leur pesant
d’or ; de ces modèles si variés, si gracieux qu’offrent la bijouterie, l’orfèvrerie,
la joaillerie de nos Cellini actuels ; des chefs-d’œuvre de l’ébénisterie ; de ces
productions céramiques aux mille formes ; de ces tapisseries chatoyantes ; de
ces papiers peints qui valent des tableaux ; de ces dessins d’éventails vaporeux ;
de ces somptueux châles ; de ces broderies patientes ; de ces dentelles aux
prix fabuleux ; de ces camées, de ces médailles dont les collections sont si
rares qu’on ose à peine les montrer, et des décors de nos scènes principales,
et de toutes les merveilles enfantées par l’industrie de luxe.
A cette popularisation, intelligemment faite, que ne gagnerait donc pas
chacune des professions que nous venons de mentionner ?
Et la mécanique ! Si les planches photographiques vulgarisent les dessins
de ces machines si multiples, et si simples parfois, richesses enfouies dans nos
conservatoires, les machines-outils, les machines à broyer, à cambrer, à élever
les fardeaux, à guillocher, à graver, à filer, à gauffrer, à lainer, ou les machines
électriques, hydrauliques ou à vapeur ; que de main-d’œuvre épargnée, que
d’économie apportée, que d’améliorations introduites !
Et pour la construction des navires ! les formes, les plans et les coupes des
coques, du gréement, des voitures !
Et pour l’histoire naturelle !
Et pour l’horticulture ! l’arboriculture ! l’agriculture ! l’agriculture surtout !
combien serait-il utile de faire passer sous les yeux de l’agriculteur capable
des dessins de charrues, de machines à vanner, à battre le blé !
Il n’est peut-être pas d’industries ou de sciences où la photographie n’ait
sa case qui l’attende. Nos fils, à défaut de nous-mêmes, la verront appliquée
à la géométrie, à la géologie, à la métallurgie, à la météorologie, à l’arpentage,
à l’astronomie, à la physique, à la botanique, à la chimie, à la minéralogie,
à la zoologie, aux mines, et nous irons plus loin : à la science militaire ! Car,
lorsqu’à un général le temps manquera pour faire relever exactement une
position, l’instantanéité et la fidélité de la reproduction photographique
pourront le tirer d’embarras.
L’ETAT DE LA PHOTOGRAPHIE
EN 1855
1. Alors que les photographies sont aux sels d ’argent, la gravure héliographique est un procédé qui, à
partir d’un cliché photographique, permet d’obtenir des épreuves inaltérables à l’encre grasse d’imprimerie.
A l’aide d’un négatif (ou d’un positif selon le procédé) est produite, par les seuls moyens de la lumière
et de la chimie, une matrice sur pierre (c’est la litho-photographie) ou sur métal (c’est l’héliogravure,
procédé en taille douce) ; puis sont tirées des estampes à l’encre d ’imprimerie.
I. IMPULSION DE L’EXPOSITION UNIVERSELLE 189
_ Tandis que chez Francis VVey (cf. p. 108 et 117) «héliographie» est un terme générique synonyme
procédé photo-chimique de réalisation des images, il désigne ici les seuls procédés de fabrication photo-
imiques d’épreuves positives à l’encre grasse d’imprimerie : la litho-photographie ou la gravure
igraphique (voir en annexe : « Les procédés techniques »).
190 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANGE 1816-1871
Généralement, le prix des photographies est encore trop élevé ; les fabricants
ne comprennent pas assez qu’en réduisant leurs prix ils augmenteraient
considérablement la vente de leurs produits, et, tout en popularisant la
photographie, accroîtraient la somme totale de leurs bénéfices. C’est une voie
que le Jury sait être praticable et où il aimerait à les voir entrer. Sous ce
rapport, l’établissement de MM. Blanquart-Evrard et Fockedey, à Lille, a
rendu de véritables services que le Jury reconnaît avec plaisir ; plus que tout
autre il a contribué à faire baisser la valeur vénale des épreuves, et à rendre
accessibles à un public plus nombreux les produits de la photographie. A ce
point de vue important, l’héliographie est encore destinée à jouer un grand
rôle.
Lorsque nous détaillerons les titres des exposants aux récompenses que le
Jury leur accorde, on jugera du grand nombre des applications nouvelles de
la photographie aux sciences, à l’industrie et aux beaux-arts. Nous n’en
parlerons donc pas ici, nous bornant à constater ce fait, qui est le trait saillant
de l’exposition de photographie, la tendance de plus en plus prononcée de
cet art à entrer dans le domaine pratique. [...]
centaines de mille francs par an, et on cite une maison qui, en un seul mois,
a fabriqué pour 50 000 F. Malheureusement le bon goût ne préside pas
toujours à cette industrie. A côté de portraits disposés avec art, éclairés avec
intelligence, le Jury a remarqué un plus grand nombre de productions
médiocres. Généralement les fabricants de portraits, dans un but purement
mercantile, flattent le goût du public, trop souvent mal inspiré, tandis qu’ils
devraient le guider et l’éclairer. Telle est l’origine de cette quantité de portraits
retouchés dans les négatifs ou dans les positifs, de ces portraits couverts de
couleurs à l’aquarelle ou à l’huile, où, sous prétexte d’embellir la ressemblance,
on l’altère infailliblement, de sorte qu’au lieu d’une fidèle reproduction de la
nature on livre au public une œuvre de fantaisie. Le Jury condamne ce genre
bâtard qui n’est ni de la photographie, ni de l’art, et qui ne peut avoir pour
résultat que de corrompre le goût.
Les négatifs des portraits sont toujours faits sur collodion, à cause de la
grande rapidité de ce procédé ; une pose très courte est une condition
indispensable pour la réussite d’un portrait.
VERS LE MUSEE IMAGINAIRE
(1856)
Tirant parti de ses longs comptes rendus de l ’Exposition universelle de 1855 parus
dans Le M oniteur universel et La Lum ière, Ernest Lacan publie un livre
de plus de deux cents pages dans lequel il ne consacre guère que deux pages à
la défense de la photographie en tant qu’art ; encore conclut-il: «Nous ne
prétendons pas que la photographie doive être placée au rang des arts d ’inspiration
mais nous voudrions que ses œuvres ne fussent point considérées comme les
résultats d ’opérations purement mécaniques. » 12
En fait, son propos est ailleurs. Tout comme Disdéri et le jury de l ’Exposition
universelle, Lacan cherche à sortir la photographie de ses usages purement privés.
Il propose de mettre la photographie au service de l ’histoire de l ’art et, prenant
l ’exemple des campagnes commandées à Baldus (1 200 clichés du nouveau Louvre
affirme Lacan3), il annonce quelque chose comme l ’édition d ’art de l ’avenir où
des « monographies » et des « livres » devraient diffuser à bon compte les œuvres
de l ’architecture, la sculpture, la peinture et la gravure.
Beaucoup plus réticent envers le portrait photographique, Lacan y voit néanmoins
l ’« intermédiaire indispensable entre les grandes figures qui appartiennent à
l ’histoire, et la postérité ». Ou’un éditeur rassemble en volume les effigies des
grands hommes, et il aura construit lui aussi « un monument pour l ’avenir » 4...
A noter les observations de Lacan sur « le grand besoin de notre siècle, la
vulgarisation » ', qui le conduisent à qualifier la photographie de « procédé
transitoire » et à lui préférer la gravure héliographique.
E s q u is s e s p h o to g r a p h iq u e s à p r o p o s d e l ’E x p o s itio n u n iv e r s e lle e t d e la
g u e r r e d ’O r ie n t, 1856, pp. 205-219.
53. Adolphe Braun, Fleurs, v ers 1855. Tirage papier album iné. -
En 1855, Braun reçoit le s félicitations du jury d e l'Exposition universelle p our avoir
« im aginé d 'em p lo y er la p h o tographie à reproduire d e s b o u q u ets et d e s co u ro n n es
d e fle u rs qui p u is s e n t servir d e su je ts aux fabriques d 'é to ffe s ».
Un autre exemple qui ne peut manquer non plus d’être suivi, et qui mérite
de l’être, est celui qu’a donné, dans un genre différent, M. Braun, de Dornach.
M. Braun est un de ces artistes qui, sous le titre modeste de dessinateurs,
ont concouru si puissamment, en France, au développement et aux succès de
L ’I M P U L S I O N D E L 'E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 199
Ibid., p . 20.
C'était déjà l’avis de la Société industrielle de Mulhouse, qui expliquait dans un rapport lu en séance
■ 31 janv. 1855 : « Les bons matériaux manquent généralement aux dessinateurs de fleurs : ceux qui ont
publiés par la gravure et la lithographie, à quelques exceptions près, comme les modèles d ’après Van
Spandouck et bien peu d’autres, laissent généralement beaucoup à désirer. Les formes, dites d ’après
-‘rure. en sont souvent tronquées, maniérées et quelques-unes même de pure convention. Les dessinateurs,
-alement très occupés, ont rarement le temps de faire eux-mêmes des études soignées d ’après nature,
omme ils ne trouvent pas assez de bons modèles à consulter, ils en sont réduits à se répéter trop
vent. La collection de M. Braun nous semble destinée à combler ce vide regrettable ; elle va procurer
jeunes gens d’excellents modèles et aux artistes faits des matériaux précieux.
L application que M. Braun a su faire de la photographie est une idée heureuse, qu’il a exécutée avec
wj plein succès. Il a entrepris ce long et difficile travail en vue d ’être utile aux dessinateurs qu’employe
. jstrie. ainsi qu’aux artistes décorateurs [...].
Les photographies de M. Braun surpassent en pureté, en netteté et en ensemble harmonieux, tout ce
.- nous avons vu jusqu’à présent de cette admirable et précieuse invention, incontestablement appelée
’ grand avenir et qui sera pour les arts, comme pour l’industrie, d ’une immense utilité. Ce n’est plus
- .-ment du blanc et du noir, comme on faisait au commencement et naguère encore les photographies.
■ de M. Braun sont graduées depuis le ton le plus vigoureux jusqu’aux nuances les plus légères ; les
les plus délicats, les plus fins y sont rendus avep une netteté, une pureté et une précision
Tz --.ématique, inconnue jusqu’à présent dans les arts ; et, à l’inverse de ce que les arts peuvent produire
js délicat, qui perd toujours vu à la loupe, ces photographies gagnent : plus c’est grandi, plus c’est
' rc une chambre noire se développant sur une longueur de deux mètres et demi et avec un objectif
at - centimètres, M. Braun est parvenu à produire des fleurs de grandeur naturelle [...] ; une de ces
es et la plus belle est même plus grande que nature, et vous remarquerez qu’elles sont aussi pures
a .elle de la collection, dont les plus petites sont d ’environ moitié grandeur. A l’œil nu on peut découvrir
f ictère du tissu de chaque Heur, leur velouté, leurs parties visqueuses et jusqu’au transparent des
n d et minces ; et sur les feuillages on remarque toutçs les petites membranes dentelées, toutes les veines,
- happent souvent à l’œil sur la feuille même. »
200 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
7. Un peu plus haut (p. 204), Ernest Lacan écrit : « Pour nous la photographie, si complète qu’elle soit
dans ses résultats, n ’est qu’un procédé transitoire, et c’est à la gravure héliographique ou à la
photolithographie qu’appartient l’avenir. »
LE CONCOURS
DU DUC DE LUYNES
(1856)
espaces où les épreuves séjourneront. D’un autre côté, les quantités pondérales
des métaux qui forment les noirs et les demi-teintes de nos épreuves sont
extraordinairement petites, elles sont fixées sur le papier par des affinités très
faibles. Aucun métal n’est absolument fixe aux hautes températures de nos
foyers : et, quelque faible que l’on veuille supposer leur tension de vapeur
aux températures ordinaires, ne peut-on pas craindre que la vaporisation
seule finira par les dissiper ? Les conditions dans lesquelles on conservera les
épreuves dans les bibliothèques, c’est-à-dire reliées en livre ou superposées
dans des cartons, ne faciliteront-elles pas cette altération, ainsi que plusieurs
photographes ont cru le reconnaître sur les épreuves fixées par les anciennes
méthodes, en présentant à chacune des molécules métalliques un grand
nombre de particules de papier, semblables à celle sur laquelle elle se trouve
fixée, et qui peuvent en faciliter la diffusion.
Le carbone est, de toutes les matières que la chimie nous a fait connaître,
la plus fixe et la plus inaltérable à tous les agents chimiques aux températures
ordinaires de notre atmosphère. Ce n’est qu’à des températures élevées, celle
de la combustion vive, que le carbone disparaît en se combinant avec
.'oxygène. La conservation des anciens manuscrits nous prouve que le charbon,
fixé sur le papier à l’état de noir de fumée, se conserve sans altération pendant
bien des siècles. Il est donc évident que si l’on parvenait à produire les noirs
du dessin photographique par le charbon, on aurait pour la conservation des
épreuves la même garantie que pour nos livres imprimés, et c’est la plus forte
que l’on puisse espérer et désirer.
Depuis quelques années, bien des tentatives ont été faites pour transformer
les épreuves photogéniques en planches pouvant servir au tirage d’un grand
nombre d’épreuves par les procédés de la gravure ou de la lithographie. Si
ces tentatives n’ont pas donné jusqu’ici un succès complet, si les épreuves
qu'elles ont fournies sont inférieures, au point de vue artistique, à celles qui
sont produites par les procédés photographiques ordinaires, on peut dire
néanmoins que les résultats sont de nature à faire concevoir de grandes
-spérances, et l’on ne peut pas douter qu’ils ne se perfectionnent rapidement
entre les mains des artistes habiles qui ne manqueront pas de se livrer à ce
«îenre d’étude. La haute importance du but qu’il faut atteindre, et les bénéfices
ndustriels qui peuvent en être la conséquence, stimuleront l’ardeur dans les
di\ erses spécialités qui peuvent y concourir.
C’est pour hâter ce moment tant désiré où les procédés de l’imprimerie ou
de la lithographie permettront de reproduire les merveilles de la photographie,
-ans l’intervention dans le dessin de la main humaine, que M. le duc de
Luynes, dont le monde scientifique a pu apprécier depuis longtemps le
:évouement éclairé aux sciences et aux arts, vient de fonder un prix de
")0 francs pour l’auteur qui, dans le délai de trois années, aura résolu ce
roblème d’une manière qui sera jugée satisfaisante par une commission
ommée à cet effet par la Société française de photographie. [...]
204 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
M. GAZEBON, cafetier.
Je le désire tiré en couleur et s’il est possible assis à l’une des tables de
ma grande salle de billards.
J ’ai l’honneur de vous saluer. Gazebon.
Propriétaire du café du Grand Théâtre,
Grande-Place.
EXEMPLES DE
PHOTOGRAPHIE APPLIQUÉE
(1855)
On a voulu — et le but était digne en effet des plus ardents efforts, des
curiosités les plus intelligentes — appliquer la photographie aux arts industriels,
à ceux du moins dont les produits circulent dans toutes les mains, frappent
tous les yeux et se trouvent étroitement mêlés à notre vie quotidienne, je
veux dire à la céramique, à la joaillerie, à la fabrication des vitraux ou de
'émail, et par suite à bien d ’autres industries de luxe. Le but entrevu méritait
d’être poursuivi activement. Les journaux scientifiques nous ont appris l’autre
jour qu’il était atteint.
Dans un mémoire présenté à l’Académie des sciences et récemment imprimé,
'inventeur du nouveau procédé, M. Lafon de Camarsac, explique comment,
après avoir transporté l’image photographique sur de la porcelaine, sur du
verre, ou sur différents métaux, il parvient à l’incruster, pour ainsi dire, dans
la substance du subjectile qui l’a reçue, de manière à ce qu’elle s’y incorpore
à jamais. Il montre ensuite comment, à l’aide d’une opération aussi simple
que rapide, il vitrifie cette image en lui donnant une coloration bleue, rose,
pourpre, bistrée, etc. [...J
208 I.A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
- Exposition universelle de 1855 s’organisait autour de deux sites distincts. Le Palais de l'industrie,
lue des Champs-Elysées, abritait tous les produits industriels et la photographie (épreuves et appareils) ;
einture, la sculpture, la gravure étaient pour leur part présentées dans un bâtiment indépendant,
- rtiue Montaigne.
210 I.A PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
Par malheur, tout divin qu’il soit, ce beau soleil n’en sait pas encore aussi
long. Il noircit, ou du moins il impressionne intimement un papier blanc
qu’on lui présente. Il nous rend ce service en passant par le corps de tous
les objets qu’il éclaire et dont la lentille de nos chambres noires amène l’image
sur ce papier.
Mais il n’est, après tout, ici, Dieu nous pardonne ce blasphème ! qu’un
agent aveugle, indifférent et servile.
Selon qu’il aura fonctionné plus ou moins longtemps, selon la nature et la
durée des opérations ultérieures, les lumières et les ombres de nos images
seront plus ou moins intenses. Non seulement leur valeur absolue, mais aussi
leurs relations seront différentes et donneront à l’épreuve définitive toutes les
qualités ou tous les défauts. Avec le talent, déjà rare, de comprendre, de
composer, limiter, encadrer un portrait ou un paysage, c’est là, et là surtout,
que l’action et la responsabilité de l’artiste commencent. Jusqu’ici nous
n'avions eu qu’un opérateur. [...]
Il s’agit donc de conduire le travail dans toutes ses phases, de telle sorte
que les lumières, les ombres et les demi-teintes du négatif donnent sur le
positif des résultats inverses propres à faire un dessin à la fois puissant et
doux, large et fin, harmonieux dans ses contrastes.
Quelque excès dans une solution, la moindre différence dans les procédés,
:uelques minutes, voire quelques secondes de négligence ou d’erreur, ou
même (question controversée toutefois) trop ou trop peu de pose à la chambre
aire, et le résultat sera médiocre, sinon détestable.
On conçoit dès lors que, pour l’artiste même du goût le plus sûr, ces détails
.finis, ces reports d’effets inverses aux directs, et tout le côté technique des
opérations exigent une assez longue expérience, avant qu’il se soit bien pénétré
: es relations du négatif avec le positif et qu’il sache obtenir le premier parfait
vue du second, lequel, après tout, est le but suprême. Mais, à coup sûr,
artiste ou l’amateur éclairé, s’ils veulent s’en donner la peine, y arriveront
: ou tard.
Quant à celui qui sera resté étranger à toute notion d’art et que la nature
. ura privé des facultés nécessaires pour les acquérir, fût-il un chimiste hors
üîne, adroit, patient, minutieux autant qu’homme au monde, comment
»rmera-t-il son jugement sur ses propres œuvres ? Où sera sa boussole ? Pour
difier les qualités ou les défauts de ses premiers essais, encore faut-il qu’il
i en état de contrôler avec certitude ces qualités et ces défauts. Enfin quel
- l'objet de l’examen ? Un dessin. C’est là matière d’art, ou la langue n’a
tus de sens. Or qui peut et veut juger sainement ses propres travaux, sans
aveuglé par les illusions de la paternité, doit, à bien plus forte raison,
é : en état de juger ceux d’autrui. Nous voilà donc amenés, par une logique
incible, à constater, bon gré mal gré, que le photographe, pour produire
bonnes épreuves autrement que par hasard, doit être capable d’apprécier
■ s les œuvres analogues aux siennes, en d’autres termes, toutes les œuvres
212 I.A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
d’art ; que son œil exercé doit discerner, d’un regard prompt et sûr le meilleur
tableau parmi les tableaux, la plus belle gravure parmi les gravures diverses
ou de divers états, la plus puissante eau-forte, en un mot qu’il doit être un
juré compétent (chose rare) pour tous les concours artistiques. Maintenant,
qui pourrait contester que les facultés, innées ou conquises par l’étude, qui
font l’artiste, créateur, expert, collecteur ou critique, peu nous importe, soient
précisément celles qu’exige une pareille tâche ? D’où nous sommes en droit
de conclure comme nous nous l’étions proposé, c’est-à-dire que le succès en
photographie dépend étroitement des conditions qui font le succès, l’orgueil
et les jouissances de tous ceux qui se livrent au culte des beaux-arts.
N’est-il pas superflu d’ajouter que ces facultés ne courent pas les rues, et
que dès lors, en voyant une photographie parfaite, il est absurde d’imaginer
que, pour en faire autant, il suffise d’acheter des drogues et des fioles et de
consentir à se noircir les doigts ?
Est-il plus juste, plus rationnel, d’exclure des salles consacrées aux œuvres
d’art des productions secondaires, sans doute, mais qui, pour justifier de leur
parenté, montrent des parchemins en si bonne forme ?
Secondaires, avons-nous dit, et nous le répétons avec tout l’empressement
du respect. Si nous nous parions, en effet, des plumes du peintre ou du
sculpteur, nous serions bons à traiter comme des geais effrontés. Loin de là.
Nous soutenons seulement avoir droit de bourgeoisie dans la cité, mais nous
y saluerons toujours bien bas la noblesse ; dans ce festin des grands seigneurs
de l’art, les miettes peuvent nous rassasier. Mais ces miettes sont à nous, et
nous les réclamons.
D’autres sont admis dans l’enceinte sacrée qui n’y ont guère plus de droits,
à bien prendre. En effet, tombant d’accord avec nous de nos mérites
revendiqués, on objectera sans doute que nous ne sommes cependant pas
créateurs.
Mais, sans vouloir ici rabaisser personne, la gravure proprement dite est-
elle créatrice ? taille-douce, eau-forte, aquatinte font-elles autre chose que
reproduire et multiplier une œuvre préexistante ? Et si nous nous plaisons à
proclamer les éminentes qualités nécessaires pour y exceller, ces qualités sont-
elles autres qu’un sentiment profond du modèle et de l’art en général, un
goût exercé, de la patience, une longue pratique de procédés spéciaux, c’est-
à-dire identiquement tout ce qui met un photographe hors de pair ? Ouel
rire accueillerait pourtant celui qui prétendrait assimiler le graveur à
l’industriel ! [...]
Nous portons, il est temps de le dire, la peine des péchés de nos faux frères
[les photographes purement industriels]. A voir les choses sans nom qui
tapissent nos rues et nos boulevards, aux places mêmes les plus chères et les
plus admirées de la foule des badauds ; en présence du nombre effrayant, de
la médiocrité désolante et souvent du plus impudent charlatanisme, Rome a
craint une invasion des barbares et nous a fermé ses portes.
POLEMIQUES
À PROPOS DE LA * VULGARISATION »
(1855)
Contre l ’opinion généralement partagée à l ’époque (si l ’on excepte Henri Delaborde,
cf. pp. 228-237), Paul Périer, dans son dernier article sur l ’Exposition universelle
de 1855, prend parti contre la vulgarisation des œuvres d’art par le moyen de la
photographie. Pour lui, le quantitatif ne peut opérer qu’aux dépens du qualitatif.
Diffuser, c’est affadir. Multiplier les reproductions, c’est perdre contact avec
'original, c’est sombrer dans « une infaillible décadence ».
La position de Paul Périer qui constitue en fa it une réponse à Ernest Lacan, -
Disdéri, Léon de Laborde et au jury de l ’Exposition universelle, résulte de trois
refus : 1° celui de la civilisation du « bon marché », 2° celui des thèses de Léon
de Laborde en faveur de la « vulgarisation de l ’art » 1 qui, pour Périer, ne produit
ullement l ’élévation escomptée du goût des « masses » ; 3° refus, enfin, de
’« utilité » et de l ’instrumentalisation de la photographie chères au jury de
'Exposition.
Seule la question d’un art photographique retient Périer qui se désintéresse des
entuelles utilisations sociales du procédé.
I) v a quelque cent ans que par tous pays, et même les plus réchauffés au
- xtffle de l’art, un portrait de famille était un grand luxe, une fantaisie
rincière que la noblesse de robe ou d’épée, la haute bourgeoisie trafiquante
avaient seules se passer. [...] A Venise, c’étaient Giorgione et le Titien ;
Florence, Léonard et le Bronzino ; Raphaël et Jules Romain à Rome, dont
pinceau daignait retracer les traits des doges ou de leurs inquiétants*
Leon de Laborde, Travaux de la Commission française sur l'industrie des nations, 1856, p. 445. Voir infra,
z7 219-225.
214 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
conseillers, des Médicis et des Salviati, et prenait pour modèles ordinaires les
apes et les cardinaux. A peine quelques princes tout court, comme il en
isonne en ces endroits, ou quelques traitants dorés sur tranche par le
commerce oriental obtenaient-ils que ces grandes palettes dérogeassent au
point de se charger pour eux. Quel chemin a parcouru l’art, et comme il
- est fait peuple depuis cet âge d’or de son existence !
\ujourd’hui, c’est tout au plus si l’on peut regarder comme une prétention
xceptionnelle la manie des galeries de portraits, tant il en fourmille aux pans
.es plus chétives murailles. Prendrons-nous le fait pour une marche en avant
u pour un mouvement rétrograde ? Si chacun maintenant peut se procurer
es ancêtres ou poser comme ancêtre lui-même à si bon marché ; si tout
portier veut et peut avoir autour de lui son intéressante race en peinture, ou
lisser à ses neveux l’image de ses propres vertus avec celle du cordon de
son ordre, faut-il en rire ou s’en affliger comme artiste ? Est-ce un bien ? est-
e un mal ? Petite question suivie d’une plus grande.
Le goût du public, en matière de beaux-arts, a-t-il fait des progrès, ou
- est-il, au contraire, affaibli depuis les temps héroïques de la peinture ? La
faculté de juger sainement, en un mot la science du bon et du mauvais, cette
r récieuse clef du paradis artistique, a-t-elle pénétré plus avant dans les masses,
u n’est-elle pas demeurée le sceau de plus en plus caractéristique des
216 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
l’Italie n’avait pas de trop mauvais peintres ; l’état social de ce temps les
forçait d’avorter.
Parmi nous, au contraire, victimes ou complices, quel est le peinturlureur
assez maladroit pour ne pas trouver un débouché ? [...]
Ainsi donc, plus de limites, plus de visas, plus d’obstacles à l’entrée des
carrières de l’art proprement ou malproprement dit ; partant plus de bornes
à l’envahissement des médiocrités, et pour dernier terme de cet échange
d’influences délétères entre l’acheteur et l’acheté, corruption du goût public
générale et profonde.
Il faut bien reconnaître cependant que les grands et vrais intérêts de l’art
ne peuvent tout dominer ; qu’on ne les fera jamais comprendre de tout le
monde ; que l’art comporte d’ailleurs, dans ses relations matérielles avec les
sociétés, certaines conditions de superflu, inaccessibles aux masses, et que
ceux-là mêmes dont les jouissances et les admirations sont des contresens ou
des pis-aller, pour égarés et malheureux qu’ils nous paraissent, n’en ont pas
moins droit à la satisfaction de leurs goûts.
« LA VULGARISATION DE L’ART
EST-ELLE LA RUINE DE L’ART ? »
(1856)
1. Léon de Laborde fait partie du jury des deux prix fondés par le duc de Luynes (B.S.F.P., I860, p, 114),
cf. p. 473.
L ’I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N IV E R S E L L E 219
que les arts s ’abaissent, parce qu’ils s’étendent »). L ’auteur semble répondre par
avance à la remarque de Walter Benjamin : « On s ’était dépensé en vaines
subtilités pour décider si la photographie était ou non un art, mais on ne s ’était
pas demandé d’abord si cette invention même ne transformait pas le caractère
général de l ’art [...]. » 2
Loin donc de croire à la ruine des arts et des lettres, je compte sur eux pour
maintenir les traits dominants du caractère et de l’originalité des nations,
cour guérir, ou au moins pour rendre moins douloureuse, la triste plaie de
notre matérialisme. [...]
Faites-en l’épreuve : quand la vapeur vous aura promené à travers les
spaces sans laisser une trace de quoi que ce soit dans votre mémoire
-urchargée ; quand l’électricité, en roulant son fil autour de la terre, vous
pportera les révolutions du globe de chaque jour et de chaque heure ; quand
mille autres inventions prodigieuses, accablant votre intelligence, vous auront
:onné le vertige, les arts deviendront le plus doux, le plus calme, le plus
ssuré des refuges au milieu de cette tourmente. [...] Il se dégagera ainsi de
vaste public, préparé par une éducation mieux appropriée aux progrès,
.ne élite d’âmes qui se mettront en communication sympathique avec les
inistes de tous les pays, comme le sont déjà les musiciens avec leur auditoire
oiquiste, les poètes avec leurs lecteurs partout répandus ; comme eux,
architectes, peintres, statuaires, aidés par la photographie, qui répand
stantanément leurs créations dans toutes les mains, rencontreront partout,
dans les réduits les plus éloignés, des âmes amies qui seront l’écho de leur
me, des amateurs éclairés qui apprécieront leurs inventions. [...J
Loin donc de tuer les arts en les répandant partout, cette large diffusion
ra comme la cloche qui appelle à l’église le monde croyant ; les sons du
mbre béni frappent les oreilles de chacun : entendus de tous, ils réveillent
r z tous un même sentiment de piété, mais ils ne persuadent qu’un petit
>:>mbre de cœurs portés naturellement à la prière et qui répondent à son
oel. Tel sera aussi le résultat de cette grande communauté des artistes du
nde entier, quand la culture des arts sera étendue à tous.
Je passe à côté d’une objection déjà débattue. La routine dit : n’inspirez
is la passion des arts à des gens qui ne sont destinés ni à avoir du talent.
de la carrière des études réfléchies et des travaux sérieux. Devant une toile,
îs feraient de la peinture lâchée, dans un bloc de marbre de la sculpture
boursouflée ; vous leur donnez de la faïence à peindre ou du carton-pâte à
modeler et ils feront merveille, parce que ce sont des talents naturellement
spéculatifs et instinctivement industriels, mais à la condition d’être dirigés,
maintenus par un chef habile, dont le sentiment vif des arts et le talent acquis
prennent sur eux assez d ’autorité pour imposer à leur imagination, à leur
facilité, les règles du bon sens, qui sont les obligations et les lois industrielles.
\|_-r Afire a été tué sur les barricades en 1848, alors qu’il tentait d ’arrêter les fusillades.
DEFENSE DES GRAVEURS MENACES
(1856)
« La photographie et la gravure », Revue des deux-mondes, 1er avr. 1856, pp. 617-638.
Quel que soit [...] le mode d’exécution adopté dans les travaux photographi
ques, que l’on ait recours à la glace, au papier ou au métal, ces opérations,
matériellement differentes, ne s’en accomplissent pas moins toutes d’elles-
mêmes et indépendamment, pour ainsi dire, de la volonté de l’opérateur. Il
y a place pour l’habileté scientifique de celui-ci, pour la sagacité avec laquelle
il usera de tel agent chimique ; il n’y a pas place pour son sentiment en tant
qu’artiste, puisqu’il ne lui appartient pas d’interpréter ni de modifier en quoi
que ce soit l’aspect des modèles donnés. Tout se passe à côté de lui et en
dehors de lui, dans une sphère d’action purement mécanique, avec une
exactitude certaine, mais inintelligente. [...]
3. « II ne sera pas inutile d’ajouter que les recherches n’ont pas eu pour objet unique, ni même pour
objet principal, la découverte d ’un ton plus souple que les tons obtenus jusqu’ici. La durée des épreuves
au point où se trouve encore la science, est un fait pour le moins douteux. Nombre d ’images photographiques
habituellement exposées à la lumière se sont détruites au bout de quelques années. D’autres enfin, tirées
sur les fragments d ’une même feuille de papier, produites en vertu des mêmes préparations et placées
ensuite dans les mêmes conditions atmosphériques, ont eu chacune un sort différent. A côté d ’une épreuve
qui se détériorait rapidement, une épreuve ne subissait que de lentes altérations ou même demeurait dans
un état d’intégrité complète. [...] Rien de très péremptoire n’est venu calmer les inquiétudes que l’on
avait pu concevoir sur ce point, et quant à présent du moins, la durée incertaine des épreuves
photographiques est un inconvénient de plus à signaler en regard des avantages de la gravure. » [Note
de Henri Delaborde]
L ’I M P U L S I O N D E L 'E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 231
s’explique : la photographie, quelle que soit la couleur qu’on lui livre, n’a
qu’une seule manière de la mettre en œuvre. Un seul mode d’exécution lui
sert à rendre les travaux de tous genres, les variétés infinies et les caractères
multiples d’un original. Là où le pinceau, le crayon, le burin exprimeraient
par la diversité du faire l’espèce particulière de chaque objet, elle promène
une touche toujours égale 4. Q u’elle ait à représenter un corps transparent ou
un corps opaque, qu’il lui faille modeler une draperie légère ou une pierre,
elle opérera de la même façon, et ce procédé immuable, cette uniformité de
moyens en face des types les plus opposés, répandront sur toutes les parties
de 1’œuvre la froideur et la monotonie. [...]
Aux yeux de qui n’y regarde pas dé, fort près, l’art nouveau paraît en
mesure de remplacer un art désormais suranné. A quoi bon pâlir de longues
années sur une besogne qui peut maintenant s’accomplir en quelques secondes ?
Pourquoi s’obstiner à transporter péniblement sur le cuivre des modèles qui
viennent d’eux-mêmes se décalquer sur le papier ? Quelle copie préférable à
cette empreinte, quelle main plus sûre que cette infaillible pratique ? L’erreur
semble assez générale pour qu’il importe de préciser en quelques mots le rôle
de la photographie. Non, la gravure n’a trouvé là ni un mode d’exécution
supérieur, ni même un équivalent ; non, les graveurs n’en seront pas réduits
à la condition des maîtres de poste, dont les chemins de fer ont ruiné
l’industrie. [...]
L’art a quelque chose de plus beau et de meilleur à nous enseigner. Il ne
nous montre pas seulement l’extérieur des objets, il donne à la forme une
signification particulière, il nous initie à certains secrets que nous n’aurions
pas su démêler sans lui, et — pour ne parler que de la gravure — il
s’approprie, il achève de préciser le fond de la pensée d’autrui, au lieu d’en
copier platement les surfaces.
La photographie [...] compte aujourd’hui assez de partisans, et de partisans
enthousiastes, pour qu’il ne semble pas superflu ni hors de propos de défendre
la cause contraire. On ne considérait, il y a quelques années, la photographie
que comme l’héritière présomptive de la gravure ; aujourd’hui la succession
est ouverte, et tandis que le burin reste trop souvent oisif, les appareils
fonctionnent avec une force de production croissante, avec un redoublement
d’activité que la mode encourage, et qui n’a plus seulement pour témoins les
murs des laboratoires. Dans beaucoup de salons, les prodiges de la photographie
ne sont guère moins en honneur que ne l’étaient hier les miracles accomplis
par les tables tournantes. Chacun veut mettre la main à l’opération, chacun
veut, tant bien que mal, obtenir son négatif et tirer son épreuve — le tout,
non sans arrière-pensée un peu ambitieuse quelquefois, mais le plus souvent
en vue de se procurer un amusement. [...J Ailleurs cependant le danger est
plus grave et le succès plus incertain, puisque les artistes eux-mêmes se font
les apôtres de la foi nouvelle et n’hésitent pas à réclamer pour elle un respect
qui ne lui est pas dû. « La photographie, écrivait récemment M. Ziégler dans
une brochure sur laquelle le nom de l’auteur appelle une certaine attention 6,
la photographie étant essentiellement un art d’imitation, elle pourrait à ce
titre réclamer une place parmi les arts d’imitation, aussi bien que la
6. Jules Ziégler, un des artistes les plus célèbres de la monarchie de Juillet, était un adepte de la manière
sombre, proche de l’Ecole espagnole (Ribera, Zurbaran). Il décora à fresque l’église de la Madeleine à
Paris.
L 'I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N IV E R S E L L E 235
lithographie et les divers genres de gravure. Ceci n’a pas été admis ; il faut
toujours, même en fait d’art, un peu de temps pour la naturalisation d’un
étranger ; il faut aussi réserver quelque chose au progrès : plus tard cela se
fera. » A Dieu ne plaise que cela se fasse ! Sous prétexte de progrès, on
n’arriverait ainsi qu’à une confusion organisée. La photographie n’étant, quoi
qu’on en dise, ni un art d ’imitation, ni un art d’aucune sorte, puisqu’elle ne
peut rien par elle-même, puisqu’elle ne formule rien en dehors du fait, qu’a-
t-elle à démêler avec l’expression volontaire et personnelle ? A quel titre
entrerait-elle en rivalité avec le talent ? Quelle sorte d’idéal est-elle en mesure
de nous révéler ? Un poète, si poète descriptif qu’il fût, ne saurait comment
-’y prendre pour chanter les produits photographiques, tant la signification
en est bornée, tant ils matérialisent la réalité même. Et l’on voudrait assimiler
es images inertes, ces œuvres sans accent et sans portée, aux œuvres qui
236 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
Il ne faut donc pas, tout en constatant les progrès actuels et les fâcheux
succès de la photographie, s’inquiéter outre mesure des conséquences, ni s’v
résigner d’avance comme à un mal irrémédiable. Ces succès peuvent grandir
encore, ces envahissements s’étendre et se généraliser : la défaite de la gravure
n’en sera pas plus assurée pour cela. Pendant quelque temps peut-être, on
continuera de s’abuser sur les prétendus avantages d’un procédé sans valeur
sérieuse, sans mérite au point de vue de l’art ; mais la gravure ne deviendra
pas pour toujours un luxe d’érudits, une sorte de rareté dont les esprits
gourmets pour ainsi dire seront seuls à goûter le mérite. Tôt ou tard elle
aura raison de nos dédains, parce qu’elle seule est en mesure de satisfaire à
des aspirations plus sérieuses, à des besoins d’intelligence plus durables que
la vaine curiosité ou les empressements irréfléchis auxquels nous nous
abandonnons aujourd’hui.
Suit-il de là qu’elle doive sortir sans aucun préjudice de cette épreuve plus
ou moins longue, et se retrouver, les mauvais moments une fois passés, en
possession de tous ses anciens privilèges ? Telle n’est pas notre pensée. Il est
très probable au contraire que la photographie ne cédera pas tout le terrain
qu’elle a conquis, et d’ailleurs ses conquêtes, si injustes qu’elles soient pour
la plupart, n’ont pas toujours, nous l’avons dit, le caractère d’usurpations.
Rien que de fort légitime dans l’application du moyen photographique à la
représentation des monuments et en général des objets qui intéressent
l’archéologie ou l’histoire. Pour l’étude des sciences naturelles, les avantages
sont tout aussi incontestables. L’entomologie, la botanique trouveront là des
documents plus sûrs, plus détaillés, plus scrupuleusement exacts que le burin
ne pourrait les fournir. Partout donc où l’authenticité absolue est la condition
principale, l’unique mérite à rechercher, la gravure pourra être considérée
avec raison comme insuffisante, et dans un temps donné se trouver hors
d’usage.
Ne craignons pas de faire à la photographie une part plus large encore et
de pressentir l’extension que, selon toute apparence, elle prendra ailleurs au
détriment de la gravure. Que l’imagerie, les illustrations de livres à bas prix,
tout ce qu’on pourrait appeler la gravure industrielle finisse par disparaître
à peu près complètement, cela est vraisemblable ; mais il n’y aura pas là
d’atteinte grave portée à l’art. A vrai dire, ce ne sera qu’un genre d’industrie
substitué à un autre, une modification purement matérielle, et peut-être même,
I. I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 23 7
Nadar — Félix Tournachon — est un caricaturiste déjà célèbre quand, fin 1853,
il exhorte son frère Adrien Tournachon à délaisser la peinture pour la photographie,
plus lucrative, et à s ’installer. Félix qui envisage avec son cadet une association
prochaine, lui paie quelques leçons chez Gustave Le Gray et l ’autorise à adopter
le pseudonyme de « Nadar jeune ».
A peine établi dans un atelier du boulevard des Capucines, Adrien nourrit des
velléités d’indépendance vis-à-vis de son frère Félix qui, de son côté, au début de
l ’année 1854, prend ses premiers clichés photographiques au 113, rue Saint-Lazare.
En dépit de leurs différends, Félix vient encore, à la fin septembre 1854, travailler
avec Adrien à l ’atelier du boulevard des Capucines.
Finalement, la rupture entre les deux frères intervient en janvier 1855. Félix
réclame l ’argent investi et déplore qu’Adrien affiche le nom de « Nadar » à la
façade de son nouvel atelier du boulevard des Italiens. La brouille se cristallise
autour de la revendication par Félix de la propriété exclusive du pseudonyme
« Nadar ». La justice est saisie. En février 1856, Adrien est condamné par
défaut ; un second jugement, le 22 avril, renvoie les parties dos à dos. AT Dillais,
qui plaide pour Adrien, parvient à convaincre le tribunal que Félix Tournachon,
qui a porté le pseudonyme « Nadar » comme artiste et écrivain, n’est « pas
photographe » ! Voici un extrait de la communication que Félix adresse, en appel,
au tribunal, le 12 décembre 1857. Belle distinction établie entre l ’opérateur et
l ’artiste de la chambre noire.
60. Étienne Carjat, « Nadar »,
Diogène, 30 nov. 1856.
Gravure sur bois.
La Photographie est une découverte merveilleuse, une science qui occupe les
intelligences les plus élevées, un art qui aiguise les esprits les plus sagaces
- et dont l’application est à la portée du dernier des imbéciles. Cet art
prodigieux qui de rien fait quelque chose, cette invention miraculeuse après
laquelle on peut tout croire, ce problème impossible dont les savants qui le
résolvent depuis quelque vingt années en sont encore à chercher le mot, cette
Photographie qui, avec l’électricité appliquée et le chloroforme, fait de notre
.IX e siècle le plus grand de tous les siècles — cette surnaturelle Photographie
exercée chaque jour, dans chaque maison, par le premier venu et le
zernier aussi, car elle a ouvert un rendez-vous général à tous les fruits secs
de toutes les carrières. Vous voyez à chaque pas opérer photographiquement
n peintre qui n’avait jamais peint, un ténor sans engagement, et de votre
cher comme de votre concierge je me charge — c’est sérieusement que je
arle — de faire en une leçon deux opérateurs photographiques de plus. La
'léorie photographique s’apprend en une heure ; les premières notions de
■ratique, en une journée.
240 [.A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
Voilà ce qui s’apprend, Maître Dillais, aussi facilement que j ’ai l’honneur
de vous l’exposer — et ce qui fait que tout le monde, sans aucune espèce
d’exception, peut aspirer du jour au lendemain à se dire photographe, sans
témérité.
Ce qui ne s’apprend pas, je vais vous le dire : c’est le sentiment de la
lumière, c’est l’application artistique des effets produits par les jours divers
et combinés, c’est l’application de tels ou tels de ces effets selon la nature
des physionomies qu’artiste vous avez à reproduire.
Ce qui s’apprend beaucoup moins, c’est l’intelligence morale de votre sujet,
c’est ce tact rapide qui vous met en communion avec le modèle, vous le fait
juger et diriger vers ses habitudes, dans ses idées, selon son caractère, et vous
permet de donner, non pas banalement et au hasard, une indifférente
reproduction plastique à la portée du dernier servant de laboratoire, mais la
ressemblance la plus familière et la plus favorable, la ressemblance intime
— C’est le côté psychologique de la photographie, le mot ne me semble pas
trop ambitieux [...J.
Voilà les qualités qui peuvent seules faire attacher quelque amour-propre
aux résultats d’opérations que leur simplicité élémentaire met à la portée de
tout le monde : voilà ce qui donne la valeur véritable aux œuvres photographi
ques, ce qui les différencie — et ce qui consacre pour chacun le droit de se
réclamer de ses œuvres et de ne permettre à personne d’usurper le nom qui
les signe.
L’APPAREIL PHOTOGRAPHIQUE
EST UN ARTISTE
(1858)
Quelque exacte que soit une gravure, elle ne donne pas d’une manière
irrécusable et mathématique l’œuvre du maître. On ne peut s’y fier absolument.
Dans la reproduction la plus fidèle se glisse toujours quelque chose de
individualité du copiste, aussi M. Goupil, religieux jusqu’au bout pour son
maître de prédilection, a-t-il eu recours à la photographie afin d’obtenir un
:.ic-similé définitif des toiles et des dessins qu’il admire ; entreprise immense
Wiertz, l ’un des plus célèbres peintres d ’histoire de Belgique, fa it partie des rares
artistes qui, en 1855, considèrent la photographie comme « l ’honneur de [leur]
époque ». A l ’inverse de l ’intérêt prudent d ’un Francis Wey, l ’adhésion de Wiertz
est immédiate, sans réserve et enthousiaste comme en témoigne cet article publié
dans Le N ational 1.
Wiertz reprend certaines idées répandues à l ’époque chez les partisans de la
photographie : 1° « l ’art se divise en deux parties, la partie matérielle et la partie
intelligente » ; 2° la photographie ne tue pas l ’art mais seulement « l ’œuvre de la
patience ». En revanche, ses propos sont véritablement d ’un visionnaire quand il
évoque la juture collaboration entre l ’art et la photographie. Walter Benjamin
dira que Wiertz « attribue à la photographie la mission d ’éclairer philosophiquement
la peinture » 12.
1. Publié en juin 1855, repris en 1870 dans les Œuvres littéraires qui rassemblent
les differents écrits de Wiertz sur Part.
2. Walter Benjamin. «Paris, capitale du X IXe siècle » [mai 1935], Poésie et révolution, p. 128.
L ’I M P U L S I O N D E L 'E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 24 5
Il nous est né, depuis peu d’années, une machine, l’honneur de notre
époque, qui, chaque jour, étonne notre pensée et effraie nos yeux.
Cette machine, avant un siècle, sera le pinceau, la palette, les couleurs,
l’adresse, l’habitude, la patience, le coup d’œil, la touche, la pâte, le glacis,
la ficelle, le modelé, le fini, le rendu.
Avant un siècle, il n’y aura plus de maçons en peinture : il n’y aura plus
que des architectes, des peintres dans toute l’acception du mot.
Qu’on ne pense pas que le daguerréotype tue l’art. Non, il tue l’œuvre de
la patience, il rend hommage à l’œuvre de la pensée.
Quand le daguerréotype, cet enfant géant, aura atteint l’âge de maturité ;
quand toute sa force, toute sa puissance se seront développées, alors le génie
de l’art lui mettra tout à coup la main sur le collet et s’écriera : « A moi !
tu es à moi maintenant ! Nous allons travailler ensemble. »
Ce que je viens dire, je le disais déjà il y a dix ans.
Je me souviens qu’à ce propos quelqu’un fit cette réflexion : les productions
daguerriennes ne pourront jamais atteindre les dimensions de la nature. A
:uoi je répondis qu’elles arriveraient certainement à ce résultat.
Ce que je prédis alors vient d’arriver. M. Plumier, notre habile photographe,
un de ces hommes de la race des esprits chercheurs qui honorent quelquefois
leur pays par quelque découverte, M. Plumier vient d ’inventer le moyen de
roduire des dessins photographiques représentant des objets grands comme
nature ! De plus, le moyen nouveau est tel qu’il peut à volonté reproduire
:ans toutes les dimensions imaginables...
Intelligence humaine, marche toujours ! va, marche !
INCERTITUDES ET VOLTE-FACE :
L’EMBARRAS DES INTELLECTUELS
(1855-1858)
Chacun des arts a un domaine qui lui est propre, une sorte de caractère
exclusif qui fait son essence. Ainsi, la peinture sur verre a surtout pour objet
le plus vif éclat auquel puisse atteindre le brillant des couleurs. Peu importe
la pensée ou le sujet d’une verrière ; il s’agit d’abord de la puissance et du
triomphe de la couleur transparente aux rayons du soleil. La peinture murale
de nos monuments religieux est essentiellement destinée à la propagation des
idées chrétiennes ; ici, le sujet, la pensée, dominent toute autre considération :
l’ampleur des formes et des draperies, la sobriété des détails, la simplicité
dans l’exécution, subordonnent la peinture à la pensée. Au contraire, pour
les ouvrages exposés dans nos musées, la belle exécution est la question
principale. Il en est ainsi de chacun des autres arts : quoique solidaires en
certains points, chacun a un caractère qui lui est plus exclusivement réservé.
Appliquant ce principe à la photographie, nous dirons avec conviction et
même avec certitude que son caractère essentiel est l’extrême finesse. Le
champ de la photographie commence où finit celui du crayon et du burin.
De ceci l’on peut tirer une règle pour la dimension des épreuves, qui ne
doivent pas excéder certaines limites, sous peine d ’entrer dans un domaine
qui ne leur appartient pas et où elles rencontreraient la main rivale des
maîtres. Un photographe qui, sous prétexte de se rapprocher des œuvres d ’un
autre art, néglige la finesse, n’est pas dans le vrai : il sort du principe et
s’égare.
En photographie, la perfection est, on ne saurait assez le répéter, dans
’’extrême netteté, jointe bien entendu à la rectitude des lignes et à la juste
valeur des lumières ; mais il ne faudrait pas inférer de ceci que le sentiment
de l’artiste est étranger à la réussite d’une œuvre photographique. Le choix
d’un point de vue, de l’heure précise où ce point de vue est le mieux éclairé,
la pose d’un modèle vivant, la détermination des ombres d’une statue, exigent
le coup d’œil et le sentiment de l’artiste, et l’on peut reconnaître aisément
une épreuve faite par un homme qui a pratiqué les beaux-arts ou qui est
doué de dispositions naturelles.
Le baron Gros s’est acquis, dans le daguerréotype, une réputation qu’il
pourrait ne devoir qu’à la peinture, s’il eût consenti à exposer ses belles et
nombreuses études peintes, rapportées des Cordillères, du Mexique et
d’Athènes, où l’avaient appelé ses fonctions dans la diplomatie.
248 I.A PHOTOGRAPHIE EN F R W C E 1816-1871
62 et 63. Charles Nègre, Paris, scène de marché au port de l'H ôtel de Ville, vers 1850.
En haut tirage sur papier salé (d'après un négatif papier) ayant servi de modèle
pour l’esquisse à l'huile sur toile (en bas).
I . 'I M P L 'I . S I O N D E L 'E X P O S I T I O N U N IV E R S E L L E 24 9
d’un verre sur un papier ? Non, c’est un coup de soleil pris sur le fait par
un manœuvre. Mais où est la conception de l’homme ? où est le choix ? où
est l’âme ? où est l’enthousiasme créateur du beau ? où est le beau ? Dans
le cristal peut-être, mais à coup sûr pas dans l’homme. La preuve, c’est que
Titien, ou Raphaël, ou Van Dyck, ou Rubens n’obtiendront pas de l’instrument
du photographe une plus belle épreuve que le manipulateur de la rue. Laissons
donc la photographie, qui ne vaudra jamais dans le domaine de l’art le coup
de crayon inspiré et magistral que Michel-Ange, en visitant Raphaël absent,
laissa de sa main sur le carton des noces de Psyché, contre la porte de l’atelier
de la Fornarina ! Le photographe ne destituera jamais le peintre : l’un est un
homme, l’autre est une machine. Ne comparons plus.
A. BONNARDOT (1808-1884)
« La photographie et l’art » , Revue universelle des arts, oct. 1855-mars 1856, t. II, pp. 37-
47.
2. La photographie en couleur qu’évoque ici Bonnardot est, en 1855, encore du domaine de l’utopie. Les
tentatives de Becquerel (1848), de Niépce de Saint-Victor (1851) et de Testud de Beauregard (1855) sont
très embryonnaires. Un pas important sera toutefois réalisé par Charles Cros et Louis Ducos du Hauron
qui présenteront en 1869 à la Société française de photographie leur méthode de sélection trichrome, mais
il faudra attendre 1907 pour que la photographie en couleur connaisse une première application pratique
avec les autochromes commercialisés par Louis et Auguste Lumière.
Cette situation hypothétique de la photographie en couleur est, en 1855, confirmée par les propos de
Bonnardot qui, quelques lignes avant le passage cité ici (pp. 40-41), note : « Le coloris naturel, ajouté par
le soleil aux lavis photographiques, ne les rendrait certainement pas plus artistiques. On entretient depuis
longtemps le public de tentatives faites pour réaliser ce nouveau progrès [...]. Jusqu’ici, je n’ai jamais vu,
en fait de coloris dû à l’action de la lumière, que quelques ciels d ’un bleu terne ou plutôt verdâtre ; mais
j ’accorde volontiers qu’au moyen du collodion on fixera sur verre des portraits et des vues qui retiendront
toutes les teintes vives de la nature, telles qu’elles apparaissent sur la glace dépolie d ’une chambre noire ».
L ’I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 25 3
ne sais quoi que la vie réelle ne possède pas. Une âme seule, par une influence
magique, peut rendre palpitants un tableau, une scène de Molière, un air de
Rossini. Cette sorte de migration de l’âme d’un artiste dans son instrument
s’opère par l’entremise d’un agent immatériel dont l’essence nous est inconnue,
comme tout ce qui touche au sentiment. L’art peut donc outrepasser les effets
de la nature physique, sans pourtant violer ses lois, accumuler dans un
paysage des effets de lumières, d’ombres et d’harmonie, que le monde réel
n’offre que par voie de succession, ou même ne possède jamais pour nos sens
matériels ; il crée, en un mot, c’est-à-dire que de la réunion de mille beautés,
qui ne sont qu’alternatives dans la réalité, il en produit une qui surpasse
l’oeuvre de la nature. C’est cette beauté, résumé de toutes les beautés éparses
dans le monde réel, qu’en littérature, en musique et en peinture, on nomme
la poésie.
Les produits industriels de la photographie ne peuvent donc être des objets
d’art, et même quand un de nos premiers artistes dirigerait le travail de la
lumière, il ne saurait les rendre tels ; il choisirait les plus heureux points de
perspective, indiquerait les attitudes les plus nobles, les plus gracieuses, mais,
'quoi qu’il fit dans cette tâche mécanique, il ne lui serait pas permis plus qu’à
tout autre d’être artiste là où il ne peut rien ajouter de son âme, rien
créer3. Il interrogera volontiers, avant de faire un portrait, une épreuve
photographique, mais pour en faire l’usage qu’il ferait d ’un mannequin inerte ;
il s’en aidera pour fixer plus rapidement les traits qui constituent la
ressemblance, mais son pinceau seul en saura faire une création, une œuvre
d’art, qui charme assez pour que l’âme de la personne reproduite prédomine
sur la forme matérielle du visage.
; > j ’admets volontiers que la photographie peut ou pourra bientôt obtenir des
portraits vivants, si elle parvient à les fabriquer instantanément, et (ce qui me
semble le point essentiel) à l’insu des personnes dont il s’agit de reproduire
les traits. Assurément j ’accorde qu’un tel portrait sera exact et animé ; mais
il lui manquera toujours cette poésie dont l’âme artiste peut seule le revêtir,
et qui n’existe en réalité sur aucun visage humain. Le daguerréotype reflète
la lumière qui colore les objets terrestres, mais non cette clarté et ces célestes
visions que perçoit une âme inspirée. Son objectif est un œil sensible à la
seule matière, mais l’âme de Raphaël était en rapport avec de sublimes
perceptions, qu’il avait le secret de fixer sur la toile. Cette puissante faculté
de traduire, au moyen d’un agent matériel, des inspirations ultra-mondaines,
est ce qui constitue le génie des grands poètes, peintres, auteurs et musiciens.
Ce qui, dans leurs œuvres, allume une si vive admiration, c’est ce reflet d’un
3. Cette idée de l’impuissance de l’artiste lui-même à faire œuvre d ’art avec la photographie s’oppose au
sentiment de nombreux auteurs — Le Gray, Wey, etc. qui professent une véritable mystique de
l'artiste ; elle contredit également à l’opinion de Lamartine pour qui, finalement, « photographie, c’est le
photographe » (cf. p. 250).
Be L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
monde que l’âme sent, mais que les yeux du corps n’ont jamais contemplé.
[...] Il est interdit au daguerréotype de produire, avec n’importe quel modèle,
une vierge raphaëlesque, parce que les modèles des vierges de Raphaël, ces
visages empreints d’un rayon de la beauté céleste, posaient surtout, non dans
son atelier, mais dans le sanctuaire de son immense et sublime conception.
4. Les peintres ont largement profité de cet aspect « documentaire » de la photographie — Courbet.
Degas, Bouguereau, mais aussi Jean-François Millet, comme en témoigne la demande qu’il adresse en
avril 1865 à son ami Félix Feuardent avant son départ pour l’Italie (lettre citée par Alfred Sensier, La
Vie et FŒuvre de J.-F. Millet, Paris, 1881, pp. 283-284). Au début des années 1850, Feuardent avait réalisé
un daguerréotype de Millet et sa famille. « Barbizon, 7 avril 1865. Mon cher Feuardent, voilà qu’enfin
vous partez pour l’Italie ! ... S’il arrivait que vous trouviez des photographies, soit d ’après des antiques,
surtout d’après les moins connus ici, soit d’après des peintures à partir de Cimabue jusqu’à Michel-Ange
et y compris, et que ces choses ne se vendent pas des prix exorbitants, prenez-les donc ; nous nous
* UNE CALAMITE PUBLIQUE,
UN FLÉAU SOCIAL,
UNE ÉPOUVANTABLE INVENTION... »
(1856)
M a r c e l in (1825-1887)
--rangerons ici pour vous en débarrasser. Chaque endroit où vous passerez a ses choses particulières:
mr. cz cela à mesure. Pour ce qui est des vieux maîtres, vous ne prendriez que des oeuvres faites directement
. les originaux et non des choses faites sur des gravures. Ne prenez rien d ’après Raphaël : on le trouve
- Paris... Informez-vous soigneusement à Naples si on a reproduit des peintures d ’Herculanum et de
I*1 mpéi. En somme, ce qui vous paraîtra bon d ’après des œuvres d ’art, ou d ’après nature, si cela vous
mnble bien : figures humaines et animaux. Le fils de Diaz, qui est mort, en avait rapporté de très bien,
moutons entre autres. Dans les figures humaines, prendre naturellement celles qui sentent le moins
« adëmie et le modèle. Enfin ce qui est bien, ancien et moderne, licite ou illicite. Suffit. »
256 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
P r i x d o n u m é r o : 1*5 o f l n t i m e i . fi S e p t e m b r e .
IB E ,
JOURNAL AMUSANT
o n sa b o h sm
JOURNAL ILLUSTRE,
Journal fc'tmagfs, journal fornique, critique, satirique, rtc.,
I l H E B T e t C'*, f t l I B K I T » l CA
f f / I I P O V , r o n d a l t i a r d e l a u o l H n l a f a e r t e t C ", d u C A n r i r a H , d e t a C a r i c a t u r e i t n l i t l q u r ,
d a f l N i r 'e C h i l i p u a . d e a / n o d e * C a r i t i c n m r * . «■<-.
A BAS LA PHOTHOGRAPHÏE ü!
tn conspedu rçpc «laljltd.
TEXTE ET BESStXS PAH J I ARCEEMTV. |/'n pStlogropht.)
La pbolo*rapLi6 Ml un cat pendibla.
[UtU jalà fe œ ni )
supérieur*, on voit nn tableau datant de li dem itre g u ita re, assis au m ilic u jd 'tn groupe de musiciens aex
I. moiiié do dix-huitième r ié d e , représentant une réunion énorme* basses. Plus loin, abritées par un paravent
OOVMEHT SB FAISAIT IX WSTtAlT t f o S JOUI m i l de personnages eéltb rc i do tem ps, ehez le prinoe de form ant un pe tit talon dans le grand , la maréchale de
AL'TUFOB. C o n ti, au Tem ple. Luxem bourg e t la prlneetie de Chimny déjeunent en
Dana un grand salon i panneaux de boiserin seulp- compagnie d'un abhé.
...... Le doux portrait do ma Lmrçère. U « , a u x fenêtres hautes donnant sur un ja rd in , se Entin dans un coin du tableau , p ris d'une fenêtre dra
An m atée d e "Versai!!?*, d ans une galerie des étages preste une foule nombreuse. Ici M ozart enfant prélude pée d'nn de ces grands rideaux de velours à loraades
bot le clavecin ; le prince de L atour-T axis et madame de d'or qui servent de londi aux portraits da R igaod, un
(I] Quand elto n’aal p u laite p jr notre ami Nidar, rus Saisi- G uébriant l'éco u ten t accoudés au dossier de son lanteui!. p e in tre . qui ne peut ê tre que L atour, fait le portrait <fc
Lazars, M3. U J é ly o tte , le chanteur à bonnes fortunes , accorde une madame d'E gm ont. A demi couchée sur un sofa, Il
« À bas la photographie ! ! ! » , Journal amusant, 6 sept. 1856 (n° 36), pp. 1-5.
Et voilà l’origine de tous ces ravissants portraits en saillie sur un toit, où le vent siffle et la pluie
de nymphes mignardes, de Grâces musquées, de ruisselle en hiver, où le soleil darde en été ; au
déesses poudrées, olympe de tabatière, mythologie milieu se dresse un fauteuil d ’opérateur surmonté
rococote, dont on rit d ’abord, mais qu’on trouve d ’une, tige de fer avec un tampon ; en entrant
naturelle et charmante ensuite. Une beauté un là vous éprouvez cette répugnance instinctive
peu forte devenait une Junon majestueuse ; un analogue à celle que cause le salon d ’un dentiste.
peu mince, c’était une Diane chasseresse ; froide Un monsieur que vous ne connaissez pas
et insensible, une vraie Minerve ; tendre et enjouée, s’empare de vous comme d ’une proie, vous fait
Vénus en personne. Ajoutez à cela que le costume asseoir, vous palpe, vous manie à son gré, vous
mythologique permettait, sans blesser les conve faisant pencher le tête, plier un bras, étendre
nances, de montrer un beau bras, une épaule l’autre, rentrer vos jambes, sous prétexte d ’éviter
ronde, voire même une jolie jambe. Honni soit les raccourcis.
qui mal y pense !
ISMfi 1 3097
II
COMMENT SE FAIT
On étend derrière vous une enseigne de cabaret
LE PORTRAIT D’UNE JOLIE FEMME
représentant un jardin riche, on vous accoude sur
AUJOURD’HUI
une table portant un pot de fleurs fanées, on vous
met dans la main un roman de Paul de Kock
... A cin q fr a n c s et a u -d e s s u s. pour vous donner un air sérieux, l’on vous visse
le tampon derrière la tête, l’on vous prie de ne
Aujourd’hui vous êtes femme, jolie, cela va sans plus bouger.
dire, et vous voulez faire faire votre portrait ; tout Cependant la lumière de la cage vous éblouit ;
naturellement vous songez à la photographie, dont mais, ne pouvant baisser les paupières, vous
tout le monde vous parle. clignez les yeux, vous grincez de la bouche, tous
Vous vous faites donc conduire chez un photo les muscles de la face se contractent ; la roideur
graphe ; vous montez cinq étages, et vous arrivez de la pose vous donne une crampe aux bras ou
tout essoufflée dans une sorte de cage vitrée, prise dans les jambes...
[ / I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 259
Mais vous tenez bon. dont il est question ici ? On la nie formellement
On ôte la plaque, on la passe au bain, on tire par les raisons suivantes :
l’épreuve et l’on vous apporte votre portrait. 1° Parce que l’objectif grossit et déforme toutes
Horreur ! horreur ! horreur !
IV
LA PHOTOGRAPHIE ARTISTIQUE
13100
r.ri IV. un bateau de charbon, trois bateaux que des génies ailés déroulaient dans le ciel des
blanchisseuses, voilà les trois quarts du tableau anciens tableaux, une immense affiche peinte sur
premier plan ; derrière, quelques toits de le mur d ’une maison de la place Dauphine jette
ns et quelques aiguilles de clocher, et, pour à l’œil ces mots : A la belle Jardinière.
entrer l'elTet, pareille à ces inscriptions latines Jaquettes à 6francs. C ’est là Paris !
262 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
La photographie a abordé aussi les copies des allure nonchalante et solide comme celle des
tableaux, et cette machine intelligente a fait un buffles de leur patrie absente ; on aimait leur
chef-d’œuvre d’effet concentré et d ’harmonie de charivari grotesque, mélancolique comme la cam
tons du Retour des blessés de Muller, cette grisaille pagne de Rome, avec les mugissements de la
rachitique ; et du chef-d’œuvre de Delacroix, le grande outre et le petit fausset aigu comme le
Massacre de Scio, elle a fait je ne sais quel plat de chant de la cigale au soleil. Mais, depuis qu’ils
gratin mal réussi, brûlé partout, semé de taches se sont ainsi vendus aux photographes, depuis
blanches ! qu’on les retrouve à tous les étalages de tous les
Elle a copié de vieilles gravures, et des planches coins de rues, ils n’excitent plus que ce sentiment
noires, éraillées, confuses, trop cuites, nous ont de satiété nauséabonde qu’on éprouve en enten
montré l’œuvre de Marc-Antoine, puis celle de dant la jolie romance des Hirondelles sur l’orgue
Rembrandt, revues et considérablement obs de Barbarie.
curcies 6. Et les études de femmes sans voile !... mais il
De succès en succès, la photographie n ’a plus ne nous est pas permis d ’aborder ce sujet :
douté de rien : elle a abordé les compositions
originales, en dépit des raccourcis : de là ce déluge
de joueurs d’échecs en profil, de combattants
s’arrachant les cheveux en espalier, de brigands
dévalisateurs sur une seule ligne. Pends-toi,
Curtius ! 7
Le chef-d’œuvre de ce genre, qui pullule aux
étalages, ce sont les trois Pifferari 8 en rang
d’oignons.
Jusqu’alors on avait un faible pour ces pauvres
gens ; on aimait leurs guenilles rissolées, leur
clinquant aventureux, leurs chausses primitives,
leurs bardocules de chiffons et de ficelles, leur
V
QUELQUES CÉLÉBRITÉS
DAPRÈS NATURE ET EN PHOTOGRAPHIE
MADAME RISTORI
D'après nature :
Le plus beau visage auquel il ait été donné de
réunir la majesté antique et la passion moderne.
En photographie (chez Meyer) 9 :
D’après nature ;
Le plus frais visage qui se puisse voir ; des yeux
clairs sous des sourcils bien arqués ; un petit
nez mutin ; une bouche souriante, vraie grenade
264 LA P H O T O G R A P H IE E N F R A N C E 1816-1871
Croyez donc à la beauté, au mérite, après cela ! d'affaires, de débiteurs aux abois, de créatures
Mais de quel mauvais lieu sortent donc tous ces avachies, ne donneront-ils pas l’idée, ces fantômes
spectres ? Vraiment, c’est à faire craindre de photographiques, ridés, contractés, grinçants, aux
rencontrer un grand homme au coin d ’un bois ! regards faux, ayant à la fois l’immobilité de la
Et supposez la postérité jugeant les célébrités mort et l’inquiétude de la vie : des cadavres
de notre temps d’après ces photographies réputées préoccupés !
documents authentiques, et les comparant aux
célébrités des temps passés dont les portraits sont Et maintenant conviendra-t-on que la photo
venus jusqu’à nous ! En face des saints du graphie soit une calamité publique, un fléau social,
Giotto et du Cimabue, des savants d'Holbein, des une épouvantable invention qui nous déshonorera
guerriers d’Albert Durer, des princes du Titien, dans l’avenir, comme elle nous dessèche l’esprit
des gentilshommes de Van Dyck. des magistrats et le cœur dans le présent, le dernier mot de
de Rigaud et de I.arguilhere, des jolies femmes la science et du scepticisme, d ’accord, comme
de Latour, en face des héros de Gros et de Gérard, toujours, pour nous enlever le peu qui nous reste
de quelle génération d'huissiers, de recors, d ’agents1 d ’illusions poétiques et généreuses !
1. Allusion probable aux épreuves réalisées par les frères Bisson à Venise,
2. Il est sans doute ici question du plus célèbre des albums de photographies d ’Orient, celui de Maxime
Du Camp : Egypte, Nubie, Palestine et Syrie, Paris, 1852.
3. Entre 1855 et 1868, les frères Bisson ^surtout Auguste-Rosalie) réalisent de nombreuses épreuves dans
266 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
les Alpes. Les ascensions du mont Blanc par Napoléon III et Eugénie en 1859 et 1860 donneront lieu
à un album : H a u te S a v o ie , le m o n t B la n c e t ses g la c ie r s , s o u v e n irs d u vo ya g e d e L L . M M . l ’E m p e r e u r e t l ’I m p é r a tr ic e .
4. Mentionnons : Paul Berthier, Louis-Alphonse de Brébisson, A. Briquet, E. Colliau, Eugène Cuvelier.
J. J. Heilmann, André Giroux, Gustave Le Gray, et la plupart des calotypistes.
5. Cette « Vue de Paris » est chère aux photographes des années 1850 qui, comme Baldus ou Bisson, la
traitent sous la forme de panorama.
6. La N o tic e s u r la v ie d e M a r c - A n t o in e R a i m o n d i de Benjamin Delessert (cf. p. 190) avait reçu un accueil
favorable à l’Exposition universelle et auprès d ’Ernest Lacan, tout comme L ’Œ u v r e de R e m b r a n d t photographiée
par les frères Bisson (cf. p. 191) (voir in f r a notre Bibliographie).
7. Célèbre cabinet de cire, prédécesseur du musée Grévin.
8. Les p i f f e r a r i étaient des musiciens ambulants — originaires des Abruzzes — chers aux peintres spécialisés
dans le pittoresque italien (Léopold Robert, Hébert, etc.) avant de figurer dans les scènes de genre des
premiers « artistes-photographes ». Pour répondre à la demande des peintres autant que pour faire eux-
mêmes oeuvre artistique, Jules Malacrida. Louis-Camille d’Olivier, Adrien Tournachon, Furne et Henry
Tournier, etc., ont amplement traité le thème des p if fe r a r i. Disdéri photographie pour sa part en 1853
deux musiciens calabrais. Il semble toutefois que Marcelin évoque ici une épreuve de Charles Nègre
datant de l’été 1853.
9. Sans doute les frères Mayer (Léopold-Ernest et Louis) qui s’associent en janvier 1855 avec Pierre-Louis
Pierson pour former la société Mayer frères et Pierson.
10. Voir in fr a (p. 313) la photographie parodiée ici par Marcelin.
11. En 1856, V A n n u a ir e g é n é r a l d u com m erce (Didot) mentionne au boulevard Montmartre les photographes
A. Saugrin (n° II), Auguste Vaute (n°5). A ces deux noms Y A lm a n a c h B o t tin ajoute Charles Reutlinger
sont l’atelier se situe « 112, rue Richelieu, au coin du boulevard Montmartre».
TRANSCRIRE SANS CHOISIR
N’EST QUE RUINE DE L’ART
(1857-1859)
\
G ustave PLANCHE (1808-1857) ;
E ugène DELACROIX (1798-1863)
1. Meyer Schapiro fait observer que tableaux et sculptures sont les derniers objets faits à la main dans
les sociétés modernes. « Presque tout le reste est produit industriellement, en masse, et grâce à une large
division du travail» («Abstract A rt», Modem Art, selected papers, Brazilles, New York, 1978, p. 218). Ce
goût et ce plaisir de la performance corporelle — goût de la tache, du geste, du coup de pinceau
s’opposent à l’instantanéité photographique telle que la décrit Walter Benjamin dans ses « Thèmes
baudelairiens » : « Avec l’invention des allumettes vers le milieu du dernier siècle, a commencé toute une
série de découvertes qui ont pour caractère commun de déclencher un mécanisme complexe à partir d ’un
seul mouvement rapide de la main [...]. Parmi les innombrables gestes, tels que mise en place, introduction,
pression, etc., le déclic instantané du photographe est un de ceux qui ont eu le plus de conséquences.
Une pression du doigt suffit à conserver l’événement pour un temps illimité. L’appareil confère à l’instant
une sorte de choc posthume», ([1939] Poésie et Révolution, p. 251).
268 ! A P H O T O G R A P H IE E \ F R A N C E 1816-1871
(faconvient et répudier ce qui ne lui convient pas ». Planche, aussi bien que Delacroix,
it de la « théorie des sacrifices » 2 l ’un des critères fondamentaux de l ’art.
Quant à Delacroix, dans son Jo u rn al, il reprend l ’un des thèmes favoris des
adversaires de la photographie ou de ceux qui, comme lui, la considèrent du point
■de vue de la peinture. L ’« infirmité » de la photographie, explique-t-il, est
paradoxalement sa trop grande « perfection ». A force de précision et de «justesse »,
elle « offusque et fausse la vue », elle menace l ’« heureuse impuissance [de l ’œil]
d ’apercevoir [les] infinis détails » 3.
Mais de ces remarques somme toute assez traditionnelles, Delacroix tire une
intéressante distinction entre la peinture et la photographie. Alors que la première
est selon lui de l ’ordre de la construction, que le peintre sélectionne et organise
les éléments de son tableau en fonction d ’un dispositif préalable, la photographie
ressortit à la saisie, au prélèvement, à la coupe : « Quand un photographe prend
une vue, vous ne voyez jamais qu’une partie découpée d ’un tout. » Le photographe
«prend», le peintre compose.• la toile est une totalité, la photographie n ’est
qu’un fragment. Ce qui en définitive éloigne radicalement la photographie de l ’art
c’est qu’à tous les niveaux « l ’accessoire [y] est aussi capital que le principal »,
c’est que le procédé n’établit aucune hiérarchie : ni entre les objets enregistrés, ni
entre les détails reproduits, ni entre les bords et le centre de l ’image.
Si l ’art irrigue parfois la photographie, ce ne peut être que dans les brèches
du procédé : dans ses « imperfections » et « lacunes ». C’est bien l ’avis des
peintres-photographes qui, comme Gustave Le Gray (cf. pp. 98-100), sont de
fervents adeptes du calotype (voir, en fin de volume, dans notre appendice technique,
les effets particuliers du calotype).
soleil dessine la forme des objets plus exactement que les plus habiles pinceaux,
et comme l’imitation est plus facile à comprendre que l’interprétation, on ne
doit pas s’étonner que la photographie ait excité une admiration si vive.
L’œuvre du soleil, envisagée comme document, est une chose excellente, dont
il ne faut pas médire ; si l’on veut y voir l’équivalent de l’art le plus parfait,
on se trompe d’une manière absolue. [...] L’art ne doit pas transcrire ce qu’il
voit, mais choisir ce qui lui convient et répudier ce qui ne lui convient pas ;
en d ’autres termes, il doit retenir pour son usage ce qui est conforme à son
but et négliger tout ce qui lui est inutile. Le soleil procède autrement : il
touche à tout ce qu’il éclaire et transcrit tout ce qu’il a touché ; il n’omet
rien, ne sacrifie rien, car il agit sans volonté, sans dessein préconçu, et ceux
qui voient dans la photographie quelque chose de supérieur à la peinture,
confessent à leur insu qu’ils ne comprennent rien à la peinture. [...] L’œuvre
du soleil a cela de singulier qu’elle exprime sans pitié les détails que nos
yeux n’aperçoivent pas.
1er septembre [1859], Strasbourg. Le réaliste le plus obstiné est bien forcé
d’employer, pour rendre la nature, certaines conventions de composition ou
d’exécution. S’il est question de la composition, il ne peut prendre un morceau
isolé ou même une collection de morceaux pour en faire un tableau. Il faut
bien circonscrire l’idée, pour que l’esprit du spectateur ne flotte pas sur un
tout nécessairement découpé ; sans cela, il n’y aurait pas d’art. Quand un
i photographe prend une vue, vous ne voyez jamais qu’une partie découpée
d’un tout : le bord du tableau est aussi intéressant que le centre ; vous ne
pouvez que supposer un ensemble dont vous ne voyez qu’une portion qui
semble choisie au hasard. L’accessoire est aussi capital que le principal ; le
plus souvent, il se présente le premier et offusque la vue. Il faut faire plus
de concessions à l’infirmité de la reproduction dans un ouvrage photographié
que dans un ouvrage d’imagination. Les photographies qui saisissent davantage
sont celles où l’imperfection même du procédé pour rendre d’une manière
absolue, laisse certaines lacunes, certains repos pour l’œil qui lui permettent
de ne se fixer que sur un petit nombre d’objets. Si l’œil avait la perfection
d ’un verre grossissant, la photographie serait insupportable : on verrait toutes
les feuilles d’un arbre, toutes les tuiles d’un toit et sur ces tuiles les mousses,
les insectes, etc. Et que dire des aspects choquants que donne la perspective
réelle, défauts moins choquants peut-être dans le paysage, où les parties qui
se présentent en avant peuvent être grossies, même démesurément, sans que
le spectateur en soit aussi blessé que quand il s’agit de figures humaines ?
Le réaliste obstiné corrigera donc dans un tableau cette inflexible perspective
qui fausse la vue des objets à force de justesse.
Devant la nature elle-même, c’est notre imagination qui fait le tableau :
nous ne voyons ni les brins d’herbe dans un paysage, ni les accidents de la
peau dans un joli visage. Notre œil, dans l’heureuse impuissance d’apercevoir
ces infinis détails, ne fait parvenir à notre esprit que ce qu’il faut qu’il
perçoive ; ce dernier fait encore, à notre insu, un travail particulier ; il ne
tient pas compte de tout ce que l’œil lui présente ; il rattache à d’autres
impressions antérieures celles qu’il éprouve et sa jouissance dépend de sa
disposition présente. Cela est si vrai que la même vue ne produit pas le même
effet, saisie sous des aspects différents. Ce qui fait l’infériorité de la littérature
moderne c’est la prétention de tout rendre ; l’ensemble disparaît, noyé dans
les détails, et l’ennui en est la conséquence. Dans certains romans comme
ceux de Cooper, par exemple, il faut lire un volume de conversation et de
description pour trouver un passage intéressant ; ce défaut dépare singulière
ment les ouvrages de Walter Scott, et rend bien difficile de les lire ; aussi
l’esprit se promène languissant au milieu de cette monotonie et de ce vide
où l’auteur semble se complaire à se parler à lui-même. Heureuse la peinture
de ne demander qu’un coup d ’œil pour attirer et pour fixer.
L 'I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N LTN I V E R S E L L E 271
fantaisie d’un grand artiste avait arrangé ce pastiche. Mais on peut affirmer
d’avance qu’aucun n’aura cette envie ; et, en tout cas^il ne soutiendrait pas
théoriquement l’utilité d’une telle pratique, car il saurait bien qu’en
transformant le travail primitif il n’a pu y mettre de l’art qu’à la condition
d’en faire une œuvre nouvelle et personnelle.
Cette observation s’applique à la retouche des épreuves photographiques.
Sans doute un artiste de talent pourra, s’il lui plaît, prenant pour point de
départ le dessin fourni par la lumière et le modifiant à sa guise, produire en
définitive une œuvre d’art ; mais cette œuvre vaudra ce que l’aura faite
l'artiste : l’intérêt photographique n’existera plus à aucun degré ; et mieux
aurait certes valu que le dessinateur s’inspirant simplement du travail de la
photographie, et laissant en paix l’épreuve, eût composé sur la donnée offerte
par elle un tableau qui lui fût entièrement propre. [...] Si les observations
qui précèdent ont quelque justesse, n’en faudrait-il pas conclure que
généralement chaque art doit trouver sa véritable puissance en soi-même,
c’est-à-dire dans l’emploi habile des procédés qui lui sont propres ; et, pour
rentrer dans le sujet spécial qui nous occupe, appeler le pinceau au secours
de la photographie sous prétexte d’y introduire de l’art, c’est précisément
exclure Yart photographique. [...]
Appliquons-nous par l’étude des théories, par les observations approfondies,
par une pratique soigneuse et persévérante, à introduire dans nos procédés
des perfectionnements qui permettent à notre art d’atteindre son dernier
degré. Tel doit être le but des photographes ; c’est l’objet de notre Société.
Or rien ne serait si contraire à ce programme, si funeste aux progrès de
la photographie, que votre théorie sur les retouches, si elle pouvait prévaloir.
Et ne parlez pas de bonne retouche : au point de vue de l’intérêt
photographique, mieux vaut la mauvaise. Plus la retouche dont vous parlez
serait parfaite, plus elle serait dangereuse. Car, si elle pouvait réellement
remplir le rôle que vous lui assignez, elle dispenserait de bien faire. On finirait
par ne plus demander à la photographie, comme le font déjà certains fabricants
de portraits, que les principales dispositions des traits et l’indication des
contours. C’est alors que, réduite à l’office le plus secondaire, devenue pour
le dessinateur quelque chose d’analogue à ce qu’est le praticien pour le
sculpteur, la photographie n’aurait plus de place que dans la liste des
découvertes scientifiques utilisées par l’industrie. Elle descendrait du haut
rang qu’elle a acquis dans l’art aussi bien que dans la science, et verrait
réduire ce glorieux domaine qu’elle agrandit chaque jour de conquêtes
nouvelles.
Que si, en dehors de la question d’art, on voulait s’arrêter à certaines
applications de la photographie, que devient, avec le système de retouche,
cette exactitude, cette sincérité des reproductions qui donnent aux épreuves
photographiques un prix et un intérêt si particuliers ? Où sera la garantie de
276 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
Tout comme lé rapport du jury de l ’Exposition universelle de 1855 (cf pp. 188-
193), Paul Périer dénonce la domination du commerce sur la pratique du portrait.
Mais, contrairement au jury qui se limite à déplorer des abus, Périer refuse toute
relation entre l ’art et l ’« industrie » et s ’oppose à ce qui, en ce milieu des années
1850, en est l ’expression : les grands studios, de plus en plus nombreux à Paris,
et ces sortes de guides pratiques du portrait qui accompagnent presque chaque
traité sur la photographie.
Comme pour Gustave Planche (cf. pp. 268-269) qui, se plaçant du point de
vue de la peinture, dénonce l ’empreinte de la photographie sur l ’art du paysage,
l ’ennemi, pour Périer, est le net, la « dissection microscopique » et l ’« inquisition
dans le détail ». Les valeurs nobles sont à chercher dans un certain brouillage :
« Ce vague dans la forme [qui] est la mélodie de la peinture ».
1. J.-J. Jacotot (1770-1840) a connu une grande célébrité pour sa Méthode d1'enseignement universel dite Méthode
Jacotot.
ÉLOGE DU * TRAVAIL »
PHOTOGRAPHIQUE
(1856)
Comme elle reproduit les tableaux de la nature avec une exactitude extrême,
et souvent avec une perfection et un fini que le crayon le plus habile ne
saurait atteindre, les personnes qui ne voient dans l’art qu’une imitation de
la nature ont dû accueillir la photographie comme la dernière et la plus
280 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
expression. Ce n’est pas trop ici que la science vienne au secours du sentiment
artistique. L’objectif a pour la mise au point des différents plans des règles
géométriques qui, selon l’application qu’on en fait, peuvent dénaturer
complètement les effets des différents plans ou leur conserver toute leur valeur
relative. On pourrait en dire autant de la loi chimique : ne sait-on pas que
tous les tons ne sont pas produits sur la substance sensible avec des intensités
ou des dégradations de teintes proportionnelles à celles que nous montre la
nature ?
L’art du photographe, comme sa science, consistent donc ici à ramener,
par l’habileté de sa mise au point, modifiée suivant les circonstances, de son
éclairage, de ses manipulations, l’effet rendu aussi près que possible de l’effet
naturel, de manière à ce que l’épreuve nous montre le tableau que notre œil
avait vu, que votre sentiment avait adopté, avec les effets artistiques qui vous
charmaient. [...]
En résumé, Messieurs (et c’est par là que la photographie prendra une
place de plus en plus élevée), l’objectif n’est pas une simple combinaison
d’optique, qui, mécaniquement, répond au premier venu à qui il plaît de
l’interroger, mais un instrument que le photographe peut diriger et conduire
suivant son sentiment. Sans doute l’objectif ne peut rendre que ce qu’il voit ;
mais il appartient au photographe de lui faire voir ce qu’il veut ; il peut
choisir ses points de vue, les limiter, pour leur donner l’intérêt d’une
composition, distribuer la lumière de façon à produire des effets voulus, régler
la mise au point, de telle sorte que les divers plans du tableau présentent
l’importance relative qui leur convient.
C’est là ce qui constitue l’art en photographie.
STYLES NATIONAUX ET POUVOIRS
MÉDIUMNIQUES DE LA PHOTOGRAPHIE
(1857)
1. « Balzac se sentit mal à l’aise devant le nouveau prodige : il ne se pouvait défendre d ’une appréhension
vague de l’opération daguerrienne.
Il en avait trouvé son explication à lui [...] Selon Balzac, chaque corps dans la nature se trouve composé
de séries de spectres, en couches superposées à l’infini, foliacées en pellicules infinitésimales, dans tous
les sens où l’optique perçoit ce corps.
L'homme à jamais ne pouvant créer, — c’est-à-dire d ’une apparition, de l’impalpable, constituer une
chose solide, ou de rien faire une chose —, chaque opération daguerrienne venait donc surprendre, détachait
et retenait en se l’appliquant une des couches du corps objecté.
De là pour ledit corps, et à chaque opération renouvelée, perte évidente d ’un de ses spectres, c’est-à-dire
d’une part de son essence constitutive.» Nadar, «Balzac et le daguerréotype», Quand j'étais photographe,
1900, pp. 5-6.
L 'I M P U L S I O N D E L E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 283
L’individualité règne chez les Lrançais ; chacun agit d’après son idée
particulière : la même diversité de genre se retrouve à l’Exposition photographi
que qu’au Salon. Chose qui semble étrange, et qui est vraie pourtant, il y
a parmi les photographes français les dessinateurs et les coloristes : ceux-là
arrêtent leurs contours, découpent nettement leurs silhouettes, n’admettent
que des teintes blanches ou grises ; ceux-ci noient le bord des objets,
concentrent leurs lumières, épaississent leurs ombres, réchauffent leurs tons,
veloutent leurs noirs et savent culotter le travail du soleil comme une vieille
eau-forte de Rembrandt, estompée sur papier jaune. Chaque photographe en
renom a son cachet, et ses épreuves n’auraient pas besoin de sa griffe pour
être démêlées d’entre les autres. Cela tient aux objectifs, aux agents chimiques,
à l’albumine ou au collodion, au lavage, au papier ciré, ou à la plaque de
verre, au temps qu’il faisait ce jour-là, au nombre de minutes ou de secondes
de l’exposition, à la couleur, à la nature, au plus ou moins d’immobilité du
modèle ; un peu, sans doute, à toutes ces circonstances, mais principalement
au goût de l’artiste, à sa façon d’envisager et de comprendre les choses, de
les choisir, de les arranger, de les disposer, et surtout — pourquoi ne le
dirions-nous pas ? — à une certaine transmission fluidique, que la science
n’est pas en état de déterminer aujourd’hui, mais qui n’en existe pas moins.
Pensez-vous que ces plaques imprégnées de préparations assez sensibles pour
s’impressionner à l’action de la lumière, ne soient pas modifiées par l’influx
humain ? Nous touchons là à une question délicate : l’âme peut-elle agir sur
la matière ? Le magnétisme semble répondre : oui. [...]
lW iJi
l \ m s t i DITE 8&SOSTIIIS.
— De celle manière nous évitons les racuiurcis, e t r.ous obtenons une balle pose qui
rappelle lea bae-reliefs deN inive...
— El les Innst o nmes de pain d'épieg.
LE FAUTEUIL MÉCANIQUE,
— D onnez-vo us d o n c 5a p e in e d e v o u s a sseo ir.
Mes] réflexions roulaient sur l’une des plus déplorables parmi les nombreuses
épidémies qui, dans ces derniers temps, ont fait leur proie du Parisien ; c’est
la portraituromanie, s’il m’est permis de faire mon petit néologisme après
tous les autres, et de créer un mot nouveau pour une chose nouvelle.
On a remarqué qu’il ne s’était jamais tant coulé de statues en bronze,
taillé tant de statues en marbre, que depuis quelques années. La moindre
sous-préfecture s’empresse, avec un zèle louable, d ’élever devant la mairie,
au son des trompettes et des discours, un piédestal à quelque petit grand
homme exhumé de l’oubli pour la circonstance, et qui s’est illustré jadis par
un sonnet ou un vaudeville.
Quant au bourgeois parisien, à moins d’être décoré ou membre d’une
académie, il n’ose encore se faire dresser une statue en pied, de son vivant,
et il s’en tient au buste ou au médaillon. Il s’en tient surtout au portrait.
Entrez à une exposition quelconque ; vous êtes sûr d’y voir une foule de
messieurs fort laids, et de dames dont, par courtoisie, je ne veux rien dire
de désagréable, qui se sont fait représenter sur la toile dans des attitudes
superbes et avec des expressions héroïques.
Ce n’est pas que je blâme en aucune manière cette belle passion de se faire
peindre, qui possède la plupart des citoyens de Paris : loin de là ! Le mal est
que, n’entendant rien à la peinture pour la plupart, ils n’en viennent pas
moins dans les ateliers, avec leurs goûts, leurs idées, leurs préférences, leurs
vues à eux sur la matière, qu’ils cherchent, naturellement encore, à faire
prédominer, avec la majestueuse obstination du bourgeois convaincu.
Il y a une classe d ’artistes méconnus, dont on dit beaucoup trop de mal :
ce sont ces braves gens qui font de si jolis portraits, doux, léchés, mignons*
luisants, aussi propres que la prunelle de l’œil, où l’on peut se mirer comme
dans un parquet bien verni. Leurs œuvres sont toujours exposées dans les
rues populeuses, au coin des passages, sur les boulevards, avec l’adresse du
peintre et le prix de la chose, qui varie de 20 francs à 100 francs, les mains
comprises. Ces utiles artistes semblent faits tout exprès pour initier les
bourgeois à la connaissance de l’art et pour les réconcilier avec les peintres.
C’est pourquoi, disciples de saint Luc lorsque vous verrez s’avancer près
de votre chevalet quelqu’une de ces bonnes têtes de Joseph Prudhomme,
immortalisées par les crayons de Cham et de Daumier, quelqu’un de ces
glorieux personnages chargés de bagues d’or, de breloques et d’épingles de
cravate, qui débuteront par vous recommander de leur donner sur la toile
du linge bien blanc et de les faire sourire, hâtez-vous de leur tendre l’adresse
de ces Van Dycks à prix modéré, à moins que vous n’ayez grand besoin de
quelques billets de cent francs, ou que vous ne vous sentiez doués de beaucoup
de philosophie, de résignation et de condescendance.
Le martyre commence dès la première séance, quand il s’agit de leur faire
prendre une pose raisonnable. Tous voudraient être peints de face, avec la
lumière tombant en plein visage. Pas de profil, c’est trop mesquin et trop
anguleux ; pas de trois-quarts, c’est une position qu’ils ne comprennent point.
Si vous adoptez le trois-quarts, gare au désenchantement et aux réclamations !
Ce côté de la figure dont on n’aperçoit que la moitié, leur paraît une duperie
et un non-sens. Ils voudront qu’on distingue leurs deux joues bien en face,
et se montreront choqués au dernier point de cet œil qui, sur la toile, est
plus petit que l’autre, et qui risque, dans leur opinion, de les faire passer
pour borgnes.
Ces messieurs tiennent essentiellement — et qui aurait la cruauté de leur
en vouloir ? — à ne laisser perdre aucun détail de leur physionomie, à la
montrer dans toute son ampleur et sa majesté. Ils ont droit à une vue
d’ensemble, puisqu’ils payent ce qu’il faut : pourquoi supprimerait-on d’un
coup la moitié de la tâche ? N’est-ce pas tricher l’acheteur que de simplifier
ainsi la besogne ? Ils ne sont pas venus pour faire peindre leur joue droite
ou leur joue gauche, mais leur figure, qui se compose de deux joues aussi
bien que de deux yeux et de deux oreilles. Encore est-ce bien peu des deux
joues ! Ils n’osent pas trop le dire, mais ils voudraient qu’on les vît de tous
les côtés à la fois, et il leur semble qu’en cherchant, on pourrait trouver un
moyen, en ce siècle où l’on a inventé tant de choses ! [...]Il
Il est rare qu’un bourgeois se fasse peindre sans les mains, ou ce sera
malgré lui. Un portrait sans mains n’existe pas pour le bourgeois : c’est
quelque chose d’incomplet comme un cul-de-jatte. La posture et l’expression
des mains le préoccupent au plus haut degré. Les uns se font représenter la
dextre sur la poitrine ; les autres, négligemment repliée sur la ceinture, ou
tombant le long de la cuisse ; d’autres encore, assis et le coude rejeté en
arrière sur le dossier d’une chaise, comme le portrait de Schubert, dans les
Mélodies de leur fille. Pour leur femme, il lui faut une rose à la main, ou, à
tout le moins, au corsage. Jadis, c’était un oiseau sur le doigt ; mais l’oiseau
a fait son temps et cédé sa place à la fleur.
La plupart des dames ont la manie de poser la poitrine en avant, la tête
penchée, la bouche en cœur, avec un sourire stéréotypé qu’il faut rendre,
sous peine de s’entendre dire qu’on les a vieillies et renfrognées. Mais voici
le problème : c’est qu’elles veulent absolument sourire sans qu’on leur allonge
la bouche ; vous serez bien heureux, au contraire, si elles n’exigent pas encore
que vous la rétrécissiez, et si ces lèvres de poupée minaudière qui seraient
trop courtes pour une petite fille faisant la moue, ne leur semblent pas trop
longues, même pour le sourire. [...]
C’est qu’avant tout duchesses et financières tiennent à ce qu’on voie, au
premier coup d’œil jeté sur leur portrait, qu’elles appartiennent au monde
L ’I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 291
comme il faut. Elles se préoccupent encore moins d’être belles, que de l’être
à la façon du jour, et il semblerait à les voir et à les entendre, qu’elles posent
pour des gravures de mode. Soignez la ressemblance de la robe au moins
autant que celle de la figure ; rendez-en avec scrupule, avec respect, la couleur,
le dessin, la coupe, les fleurs, la richesse ; surpassez-vous dans les dentelles,
la gaze et les bijoux, et vous serez un grand peintre. [...]
Ce qui effraye surtout les bourgeois, ce sont les ombres du modelé ; ils ne
voient là que du noir, qui rembrunit et attriste la figure. Cette nuit sur leur
face les désole et les navre. La moindre tache dans la physionomie du tableau
les alarme ; chaque pli leur semble une ride. Pas de demi-teintes, mais une
carnation uniformément blanche comme une buffleterie, et délicatement
nuancée de rose aux pommettes ! Pas d’empâtements : cela est raboteux et
grossier ! Les dessins des journaux de dames et de tailleurs, voilà leur secret
idéal ! C’est propre, c’est soigné, c’est léché, c’est fini ; les cheveux sont
artistement arrangés (peintres, n’oubliez jamais ce grand point dans le portrait
d’un bourgeois, et faites-vous coiffeurs pour lui plaire) ; les cils, les ongles,
les yeux sont nettement dessinés et coloriés avec amour ; la pose est gracieuse,
la gorge saillante et la taille fine. [...]
Ces braves bourgeois s’imaginent volontiers qu’il est de leur intérêt de faire
beaucoup d’observations à l’artiste, et que plus on le surveille, plus on y
gagne, comme chez le fournisseur. Ils ont toujours remarqué, dans leur partie,
que les pratiques les plus difficiles sont les mieux servies et qu’on ne donne
aux autres que de la camelote : ils agissent en conséquence. Et puis ils sont
bien aises de faire voir que l’on s’y connaît, tout bourgeois que l’on soit.
Mais le résultat est tout autre qu’ils ne l’avaient espéré : à force de tracasser
l’artiste, ils l’ennuient et le dégoûtent de son œuvre, et le seul fruit qu’ils en
retirent c’est de lui faire gâcher le portrait.
Il y a des peintres que cette ignorance des bourgeois dans tout ce qui
touche aux beaux-arts, cette inintelligence profonde, incurable, des conditions
les plus élémentaires, cette obtuse et complète inaptitude à rien comprendre
de ce que le dernier rapin du dernier atelier de Prance saisit du premier
coup, irritent et exaspèrent jusqu’à la fureur. C’est un tort. Pourquoi en
vouloir aux bourgeois d’être bourgeois, et d’avoir les goûts, les opinions, les
idées de leur état social ? C’est le contraire qui serait étrange et inconcevable.
[...] Du reste, il paye Yarticle ; et vous voudriez qu’il abdiquât le droit, acheté
en entrant, de critiquer celui qu’il honore de sa clientèle, et de se faire servir
à son gré pour son argent ? Cette abnégation surhumaine ne s’est jamais vue.
Ainsi, d’une part, les bourgeois ont le droit, en leur qualité de bourgeois,
de ne rien entendre du tout à la peinture ; de l’autre, ils ont le droit, en leur
qualité d’acheteurs, de chercher à faire prévaloir leur goût et de tourmenter
l’artiste par leurs observations ineptes. Mais celui-ci a le droit de ne pas
entreprendre leur portrait ; ou bien, s’il l’a entrepris, de se satisfaire soi-
294 TA P H O T O G R A P H IE E N T R A N C E 1816-1871
2. Ici le mot « daguerréotype » signifie « photographie » ; en 1858 le portrait au daguerréotype est devenu
une pratique marginale qui ne saurait proposer aux regards des « myriades » d ’effigies.
L 'I M P U I . S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N IV E R S E L L E 2 95
dossier supporte leurs bras croisés, et riant d’un rire cyniquement dédaigneux ;
les seconds ont mis, pour cette grande occasion, gilet blanc, cravate blanche
avec l’épingle du jour de leur noce, gants Jouvin premier choix, jabot énorme
qu’ils ont pris soin de faire bouffer avec complaisance, et ils tiennent entre
leurs genoux un beau jonc à pomme d’or. En voici un, le plus ingénieux de
tous, qui se présente au public dans l’attitude intéressante d’un homme qui
hume une prise : ce gaillard doit assurément passer pour un homme de
beaucoup d’esprit parmi ses connaissances.
Dans les poses même les plus simples et les plus naturelles en apparence,
on sent percer un gonflement intérieur, une importance naïve et comique : il
n’est pas jusqu’à la manière dont ces braves bourgeois portent leurs lunettes,
qui n’ait son emphase et sa dignité. Comme tout ce pauvre monde se torture,
se fend la tête et se bat les flancs pour avoir l’air de quelque chose ! Mais
où vont-ils chercher ces physionomies et ces postures ?
Tout cela est fort amusant, sans doute, mais aussi tout cela finit par
fatiguer. On se lasse d’être poursuivi partout par ces visions grimaçantes, par
ces fantômes de bourgeois en grande tenue, qui ont l’air de songer à la
postérité, et de bourgeoises coquettes qui sourient éternellement au public du
bout de leurs dents jaunes et du coin de leurs petits yeux clignotants. Ce
spectacle m’agace. C’est peut-être là ce qui me rend injuste pour le
daguerréotype. Je trouve qu’il n’a rien de commun avec l’art, qu’il en est et
qu’il en sera toujours l’antipode, la négation complète, quelque progrès qu’on
se flatte de lui faire accomplir. Q u’est-ce, je vous prie, que cette machine,
sans âme ni intelligence, qui met une ride au lieu d’un pli, une grimace en
place d’un sourire, qui jette bêtement dans le même moule la beauté et la
laideur, la jeunesse et la caducité, le terre-à-terre et l’idéal ? Les Philistins
adorent parce qu’elle les reproduit à peu près tels qu’ils sont. C’est justement
pour cela que je lui en veux, ô Philistins ! et c’est bien tant pis si elle vous
représente tels que vous êtes ; il vaudrait mieux qu’elle vous représentât tels
que vous n’êtes pas. Regardez-vous dans la glace, si vous tenez tant à vous
contempler : c’est le moyen de vous admirer à votre aise, sans que personne
un souffre.
Axiome. Le daguerréotype est fait pour les souvenirs de famille. Voilà son
unique domaine ; qu’il n’en sorte pas, et personne ne songera à l’attaquer
sur ce terrain.
IV
LES DERNIERES
CONTROVERSES
DES
ANNÉES 1850
OFFENSIVE DES GRAVEURS
CONTRE LES PHOTOGRAPHES
(1859)
•Combien d’artistes sont réduits aux secours que peuvent encore leur offrir
quelques amis, menacés d’être demain aussi pauvres qu’eux. L’éclat qui
semble rejaillir de la vitrine de quelques éditeurs émérites sur la fortune de
nos graveurs est un pur mirage. Editeurs et graveurs sont menacés du même
naufrage, tant que la contrefaçon par la photographie aura sa pleine liberté
dans plusieurs parties de l’Europe et de l’Amérique. [...]
Nous voudrions modérer nos impressions, mais le pouvons-nous, en présence
de cette guerre fatale que livre à outrance à l’art sérieux de la gravure la
contrefaçon par la photographie !
Je le répète, à quelle triste condition peut n’être pas réduite la vie d’un
artiste ? Ne pouvant suffire aux besoins de la famille, femme et enfants
poussent au brocantage un père désespéré de se voir entre les mains des
exploiteurs. Il reçoit, il est vrai, quelques billets de mille francs pour traiter
une planche importante qui lui demandera huit ou dix ans de travail ; heureux
s’il peut joindre à ces travaux de longue haleine quelques essais d’une
exécution plus rapide, mais peu rémunérés.
Telle était autrefois la position la plus brillante du graveur au burin, avant
de se trouver en présence de la photographie. Que peut-elle être aujourd’hui ?
Combien d’éditeurs consacrent dix, vingt, quarante mille francs et plus,
pour doter le monde des arts d’une nouvelle production du burin. Dès que
le public se trouve en possession d’une gravure remarquable, la presse est
unanime dans ses éloges, et c’est alors que les éditeurs intelligents pourraient
sercroire récompensés de leurs sacrifices ; car, il faut bien le dire, ce sont eux
qui soutiennent tant d’artistes graveurs qui ne pourraient exister autrement.
Mais, après le succès, après les sacrifices les plus généreux, ils se voient,
au lendemain de la victoire, saisis au collet par l’artisan photographe qui dit
à l’éditeur : « Pose ici devant moi, ou du moins fais poser ton œuvre. » Alors,
comme par un coup de baguette, mais sans être plus magicien que Macaluso,
en vertu d’une découverte de la science, il fait agir un petit appareil, et le
tour est fait. Ne craignez rien de plus de l’honnête homme ; il ne vous
demandera pas d’ouvrir vos tiroirs et de photographier vos billets de banque,
un fantaisiste ne prend pas cette peine pour passer la corde au bon endroit...
Prop heureux quand l’éditeur, à la suite de ces déconvenues, peut encore
marcher et faire travailler les artistes !
Ainsi fait la photographie ; après avoir tué l’art, elle trafique du travail
d’autrui.
Dans cette circulaire, il n’est rien moins question, de par la volonté sans
doute de M. Goupil, l’éditeur d’estampes, de solliciter l’agrément de l’Etat...
pour supprimer la photographie. Pourquoi pas aussi le soleil, qui est l’agent
suprême de la photographie ?
Il paraît, toujours selon la circulaire, que la photographie est une drôlesse
dont les désirs n’ont plus de bornes, et qui ne laisse rien à croquer sous les
dents de Messieurs les éditeurs d’estampes.
Et c’est au nom des graveurs, qui n’ont jamais vécu bien largement avec
Messieurs les éditeurs, que la pétition insulte, horripile, vilipende la traîtresse
de photographie !
Au dire de ses signataires, la photographie est l’auteur de tous nos maux !
Si nos artistes sont sans pain, c’est la faute de la photographie.
Si les graveurs, si les peintres voient leur burin, leur pinceau inactifs, c’est
la faute de la photographie. [...]
Voyons, monsieur Goupil, laissons un peu de côté votre circulaire signée
par vos amis les artistes, parlons sérieusement. Est-ce que vos plaintes, à la
façon de M.Josse, espèrent jamais attendrir le soleil, qui est devenu le
concurrent de votre boutique ? Pensez-vous que l’autorité pourra jamais
étendre, comme Josué, ses bras augustes pour arrêter l’astre divin sur la
gravure, au moment où le soleil la traduira instantanément de son reflet
éternel ?
Allons donc... vous êtes marchand d ’estampes, monsieur Goupil !
Et la photographie, après tout, ne fait pas autant de mal que vous pouvez
le laisser croire à cette pauvre gravure, objet de votre sollicitude ou de vos
doléances non grammaticales 4.
Est-ce que la photographie ne pénètre pas aujourd’hui dans des pays où
la gravure n’avait jamais eu accès ? Est-ce que cette même gravure reproduite
en photographie n’est pas l’avant-coureur de la gravure reproduite ? Est-ce
qu’une copie n’est point déjà un désir éveillé et tendu vers un objet original ?
Et si la photographie, par exemple, n’annonce pas au monde qu’il existe un
Henriquel-Dupont, un Blanchard, un Mercury, un Girardet, comment voulez-
vous, monsieur Goupil, que l’on désire, de Pékin à Paris, les œuvres des
graveurs que vous défendez si mal contre la photographie, que vous défendez
même, sans vous en apercevoir, contre vos propres intérêts ?
Non, votre circulaire, signée par vos amis, n’a pas de raison d’être ; elle
est dans le faux, comme cette opinion vulgaire qui refuse au photographe le
titre d’artiste ; pour vous en convaincre, monsieur Goupil, nous n’avons qu’à
vous prier de vous échapper un moment de votre boutique, et de venir
respirer plus sainement, plus librement, l’air du progrès, à la face du soleil
et au nom de la liberté de Part.
« Tous doivent se réunir pour demander aux chefs des Etats civilisés de faire
reconnaître les droits sacrés de la propriété intellectuelle. »
Voilà de bonnes et sages paroles auxquelles les photographes les premiers
donneront une pleine adhésion. La contrefaçon, par quelque méthode qu’elle
soit produite, photographie ou autre, est une plaie véritable, un vol d’autant
plus audacieux qu’il se sait plus difficile à atteindre, et contre lequel tout le
monde sans exception doit prêcher une croisade nécessaire.
Nous sommes d’accord sur ce point avec les rédacteurs de la pétition
Goupil, mais nous y rencontrons des expressions qui nous semblent sortir des
bornes d ’une courtoisie passée en usage dans la langue française. Non, la
photographie n’est pas seulement une industrie sans travail sérieux, et qui ne
demande à ceux qui s’y adonnent ni risques de capitaux ni efforts de
l’intelligence ; jetons les regards autour de nous, et nous y verrons à chaque
pas une réfutation victorieuse de ces imputations au moins calomnieuses. Que
son abus lèse des droits sacrés, c’est un malheur auquel il faut porter remede,
et nous sommes les premiers à le désirer ; mais laisser entendre qu’un artiste
qui vient demander au travail de la lumière la reproduction de ses œuvres
compromet ses intérêts matériels et le succès de sa renommée, nous ne
saurions y croire. Hélas ! bon nombre d’artistes actuels ont, s’il en est ainsi,
leur renommée bien malade : bon marché, célérité d’exécution, la photographie
réunit ces deux avantages. Est-ce la faute des graveurs ou de leurs éditeurs
si la gravure ne peut lutter sous ces rapports ? Nous n’en sommes pas juges.
Au surplus, elle a tant d’autres avantages, que, pour certains cas, elle est et
doit être seule abordée.
La réunion que demande la pétition aux graveurs contre la reproduction
photographique des œuvres contemporaines n’est qu’une répétition des efforts
faits contre la lithographie lors de-son apparition. Qu’est-il arrivé? La
lithographie a fait sa place à côté de la gravure, et aujourd’hui nous la voyons
se liguer avec son ancienne ennemie pour faire la guerre au nouvel art qui
surgit et dont les empiètements les inquiètent. Laissez faire, il fera, il a déjà
fait, malgré vous, à côté de vous, sa place. Comme toute chose qui a sa
raison d’être, il restera et croîtra parce qu’il est venu en son temps et répond
aux besoins de notre civilisation. [...J Allons donc, Messieurs, moins de mots
acerbes, place aux derniers venus ; demandcz-leur appui contre la contrefaçon,
Indre sans cesse renaissante, ils seront avec vous ; mais ne leur prodiguez
pas les injures, car je vous l’ai dit et je le répète, la photographie fera, elle
s’est fait, à côté de vous et malgré vous, sa place légitime.
MM. H. de La Blanchère ; Ad. Tournachon Jeune ; Graves ; Ad. Doriaux ;
Legros ; Morin ; Renard.
I .E S D E R N I È R E S C O N T R O V E R S E S I)) S VN N E E S 1850 :)n j
Il s’agit des sept cartons de Raphaël jadis exposés au palais d ’Hampton Court et offerts en 1865 par
.a reine Victoria au nouveau musée de South Kensington (l’actuel Victoria and Albert Museum).
Les recherches sur la gravure héliographique visaient précisément à conjuguer les avantages de la
‘ographie pour l’obtention de la matrice et ceux de la gravure pour le tirage à l’encre grasse des
c veuves fcf. p. 188 (n. 1)].
308 L À P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1810-1871
L E S D E R N I È R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S 1850 30 9
autre chose que des artistes tendant constamment à substituer leur génie à
celui du peintre ? Les traductions sont d’autant plus belles qu’elles sont plus
personnelles, et par cela même moins fidèles. Feuilletez au Cabinet des
estampes l’œuvre des innombrables graveurs de Raphaël, vous verrez que les
plus illustres ne se sont passionnés que pour une seule des faces de ce génie
multiple. Les uns ont été pénétrés de sa grâce ; les autres frappés de sa force ;
tous, à leur insu et souvent avec le plus grand talent, n’ont fait que mettre
au jour leur personnalité intime.
La photographie est impersonnelle ; elle n’interprète pas, elle copie ; là est
sa faiblesse comme sa force, car elle rend avec la même indifférence le détail
oiseux et ce rien à peine visible, à peine sensible, qui donne l’âme et fait la
ressemblance. Nul doute que, dans un temps très court, elle ne tue cette
gravure et cette lithographie de pacotille, éditées sans conscience pour les
besoins des âmes peu délicates, en fournissant à meilleur compte des modèles
relativement supérieurs ; mais elle s’arrête à l’idéalisation, et c’est là justement
que commence le rôle du graveur et du lithographe de talent. Que les éditeurs
se rassurent, la photographie ne s’adresse guère à la foule, au moins dans
l’état actuel de ses procédés ; elle offre aux artistes des matériaux dans lesquels
il faut une grande habitude pour discerner le bon de ce qui n’est qu’un à
peu près ; elle donne aux curieux qui n’ont point de fortune, le moyen de
faire à peu de frais des voyages dans les deux mondes, les pieds sur les
chenets et le nez dans un carton ; à l’antiquaire des reproductions de
monuments ; au physiologiste des pages anatomiques contre lesquelles aucun
art ne saurait lutter ; mais jamais elle ne traduira Prud’hon comme l’ont fait
Roger et Aubry-Lecomte. Elle rendra comme un trompe-l’œil la façade de
l’Ecole des beaux-arts ; mais elle n’ébranlera jamais la gloire de M. Henriquel-
Dupont, qui, dans sa gravure de l’Hémicycle *7, nous a donné quelque chose
de plus complet que l’original, en rendant à cette composition la puissante
unité que sa coloration peu épique lui enlève par places.
La photographie porte avec elle les traces indélébiles de son action
mécanique.
Henriquel-Dupont avait mis dix ans pour graver l'Hémicycle de l ’Ecole des beaux-arts d ’après Paul
Delaroche.
Les graveurs qui, en 1859, se reconnaissent dans la pétition de Goupil (cf. p. 303),
craignent sans doute moins la photographie elle-même que ce qui se met lentement
en place autour d’elle : la gravure héliographique. Quand, en 1856, Ernest Lacan
diagnostique que la photographie est, du point de vue de la vulgarisation, un
« procédé transitoire » [cf. p. 200 (n. 7)], cela sonne pour eux comme une menace.
Il n ’est donc pas étonnant que leurs réactions d ’hostilité (par la voix d ’Henri
Delaborde en 1856 et par la pétition Goupil en 1859) suivent l ’Exposition
universelle, le lancement du concours du duc de Luynes et les premières réalisations
pratiques, celles de Louis-Alphonse Poitevin notamment.
En janvier 1857, la lithophotographie de Poitevin en est certes à « ses premiers
pas » — le tirage des épreuves est encore délicat, les images manquent de demi-
teintes et les résultats ne sont pas uniformes — , mais le procédé n ’est plus une
curiosité de laboratoire, et c’est en cela qu’il est dangereux pour les graveurs et
les lithographes. Poitevin a ouvert en 1856 une imprimerie lithophotographique,
rue Saint-Jacques à Paris, « pour prouver que son procédé pouvait devenir
pratique » : il atteint déjà, avec des tirages de 1500 exemplaires, un niveau
« industriel » et ses premiers clients sont le vicomte de Janzé, Mallet-Bachelier,
le comte Olympe Aguado et, pour essai, la maison d ’édition Gide et Baudry.
Mais ces résultats encourageants — il faudrait mentionner les essais de Charles
Nègre, de Garnier et Salmon, de Pretsch — ne signifient pas que la reproduction
des images par les procédés photomécaniques soit acquise : les manipulations sont
encore longues et délicates, et l ’intervention de la main souvent nécessaire. Poitevin
doit fermer son imprimerie dès 1857 et vendre à Lemercier les droits d ’utilisation
de son procédé.
Son sort et celui de Blanquart-Evrard, dont l ’« imprimerie photographique »
de Lille ferma en 1855, résument bien la situation de la multiplication des images
photochimiques dans la seconde moitié des années 1850, et dans l ’ensemble du
Second Empire. La photographie proprement dite, altérable et finalement coûteuse,
a démontré son incapacité à répondre aux besoins de « vulgarisation » des images,
tandis que les procédés photomécaniques qui associent les vertus de la photographie
à ceux de la gravure, ne sont pas encore en mesure de répondre aux espoirs qu’ils
suscitent.
L E S D E R N I È R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N E E S I8 3 t
75 et 76. Pierre Trémaux, « Jeune Femme Nouba », Voyage au Soudan oriental, pl. 36, 1854.
A gauche : tirage papier albuminé/négatif papier.
A droite : lithographie réalisée d'après la photographie. -
C'est à cause de l'incertitude qui régnait sur la pérennité des tirages photographiques insérés
dans sa publication que Trémaux les remplaça, « sans frais pour le souscripteur »,
par des lithographies.
L’art de reproduire les dessins obtenus par la lumière avec l’encre et par les
procédés ordinaires de l’impression, a été l’objet de tentatives nombreuses
que justifie suffisamment l’importance du résultat cherché. Substituer en effet
aux pratiques difficiles, longues et coûteuses employées pour le tirage des
positifs, les procédés mécaniques dont une longue pratique a rendu l’exécution
prompte, sûre et économique, remplacer ces particules de métaux dont la
longue conservation à la surface de nos plaques et de nos papiers est encore
si problématique, par le charbon qui, employé par les anciens pour écrire sur
leur papyrus, a montré qu’il pouvait résister à l’épreuve du temps et de l’air
plus encore que la lame ligneuse sur laquelle il avait été déposé, sont des
1. Voir Bernard Marbot. Regards sur la photographie en France au XL\ siècle. Introduction de Weston J. Naef.
Paris. Berger-Levrault. 1980.
I .ES D E R N IÈ R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S'
notables. Quand des épreuves suffisantes auront permis d’en faire une
appréciation exacte, nous essayerons de caractériser ce progrès. Nous n’avons
à vous entretenir ici que des essais faits pour obtenir des images sur verre
et tirer des épreuves par les procédés ordinaires de la lithographie.
Le bitume de Judée, sur lequel s’exercèrent d’abord les recherches de
Nicéphore Niépce, et dont M. Niépcc de Saint-Victor et M. Lemaître, notre
collègue et le collaborateur de l’oncle et du neveu, ont fait un emploi si
heureux dans ces dernières années, présente une propriété singulière. Soluble
dans certains menstrues, il voit, sous l’influence combinée de l’oxygène de
l’air et de la lumière, qui l’un et l’autre n’auraient pas agi séparément, ainsi
que l’a montré M. Chevreul, cette solubilité s’amoindrir et presque disparaître.
Ce fut cette propriété qu’essayèrent aussi d’utiliser d’abord MM. Lerebours.
Lemercier, Barreswill et Davanne pour l’exécution du procédé qui leur est
commun, et au moyen duquel nous avons vu reproduire plusieurs belles
épreuves. Si ce procédé n’a pas encore atteint dans son exécution une parfaite
régularité, on eût pu espérer qu’une pratique constante, une expérience plus
prolongée la lui feraient acquérir. Mais cette pratique même était rendue
difficile à étendre par la nécessité d’employer au lavage de pierres volumineuses
des dissolvants coûteux, dont l’action trop prolongée pouvait même faire
disparaître les parties impressionnées par la lumière. On conçoit aussi toute
l’importance qu’il y avait à substituer à ce vernis d’une matière insoluble
dans l’eau, et qui exigeait le lavage de la pierre par des dissolvants spéciaux,
une matière d’un autre ordre qui permît d’opérer sans leur concours et sans
les inconvénients qu’il amène. Tel a été le but des recherches de M. Poitevin,
et c’est dans l’action combinée de la lumière et du bichromate de potasse sur
plusieurs corps solubles d’origine végétale et animale, tels que la gomme, la
dextrine, la gélatine, la gélatine que M. Talbot avait employée pour la gravure
héliographique, et mieux encore dans l’albumine, qu’il a trouvé le moyen de
l’atteindre.
Si on recouvre une pierre lithographique ordinaire d’une solution albumi
neuse mêlée de bichromate de potasse, et si on laisse ce liquide s’évaporer
spontanément, l’albumine, si tant qu’elle soit altérée dans sa nature, ne l’est
pas dans sa solubilité, et un lavage à l’eau froide suffit pour enlever à la
pierre la plus grande partie de la matière restée inaltérée et qui n’a pu la
pénétrer. Mais expose-t-on cette surface ainsi conditionnée à l’action de la
lumière traversant les parties inégalement transparentes d’un cliché négatif,
une altération, qui n’est pas certainement une coagulation ordinaire, et à
laquelle l’action oxygénante de l’acide chromique contribue sans doute, rend
cette albumine insoluble et fait qu’elle reste ainsi sur la pierre en quantités
d’autant plus grandes que l’action de la lumière a été plus intense. Ainsi
modifiée, cette albumine repousse l’eau comme s’il s’était foimé un corps gras
dont la production dans cette circonstance pourrait devenir l’objet de
recherches intéressantes. Dans cet état, elle se charge aisément d’encre grasse
L E S D E R N I E R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S 1850 315
dinaire, qui reste sans adhérence aux parties de la pierre où la lumière n’a
> agi. Si l’on passe alors sur cette surface un rouleau recouvert de cette
. ,ialité d’encre dans laquelle entre du savon et que les lithographes appellent
crf de report, celle-ci adhère aux points recouverts d’albumine impressionnés
ir la lumière et non aux autres, et la pierre se trouve ainsi recouverte
encre grasse disséminée en proportions variables comme elle l’aurait été par
crayon du dessinateur. En acidulant ensuite, en mouillant avec l’éponge,
ncre en excès disparaît. Le dessin s’égalise en lui faisant subir les opérations
316 L A P H O T O G R A P H I E F N F R A N C E 1816-1871
Le tirage de ces épreuves est du reste un peu plus délicat que celui des
produits de la lithographie ordinaire ; il exige quelques soins spéciaux qui le
rendent aussi un peu plus coûteux. Mais cette augmentation de prix légère
et qui n’est guère que d’un quart en sus des épreuves de la lithographie, est
ioin de compenser la différence notable de prix qui existe entre le dessin et
la production du cliché et du report sur pierre quand il s’agit surtout de
dessins compliqués. Abstraction faite de l’avantage qu’il y a dans la
reproduction de l’image réelle des objets eux-mêmes, on voit donc que le
nouveau procédé de photolithographic, même dès ses premiers pas, présente
sur la reproduction par la lithographie ordinaire une notable économie. Elle
-e maintiendrait aussi lors même que, pour obtenir de meilleurs reports, il
fallût faire plusieurs dessins positifs sur pierre, afin de choisir pour le tirage
elle où l’épreuve serait le mieux venue. On conçoit en effet que, selon les
hangements d’intensité de la lumière, cette production d’image par celle qui
traverse le cliché présentera dans son exécution toutes les incertitudes et les
ariations qui accompagnent l’exécution des épreuves positives. Celles qui
-ont exposées en ce moment dans le local de la Société ont été cependant
btenues sans tâtonnements. Fallût-il en faire d’ailleurs, le prix de la
eproduction ne se trouverait augmenté que de la somme minime qu’exigent
- manipulations nécessaires pour rendre une pierre lithographique, qui a
•é couverte d’un premier dessin, propre à servir une seconde fois.
Les quelques détails dans lesquels nous venons d’entrer montrent que la
mse en pratique de la photolithographic a amélioré, d’une manière non
uteuse, l’industrie qui consiste à reproduire et à multiplier les images des
>bjets. Voyons maintenant ce que méritent d’éloges ou de critiques les
preuves obtenues par la méthode nouvelle au point de vue de l’art.
Ce serait une déception que d’attendre dans l’exécution de ce procédé ce
'ni dans la dégradation des teintes, et cette perfection du modelé que
résentent les épreuves positives bien faites. Cependant M. Poitevin a exécuté
uelques portraits et notamment un portrait de femme qui permet d’espérer
.ue son procédé permettra de réaliser tout ce qu’on peut attendre de la
lographie proprement dite. Il serait à désirer que, pour donner la meilleure
sure de la valeur de son procédé sous ce rapport, M. Poitevin voulût bien
appliquer à la reproduction de quelques plâtres ou de quelques marbres
polis.
En résumé, nous pensons que la mise en œuvre, d’une manière industrielle,
- procédés imaginés par M. Poitevin est un fait d’une importance sérieuse
our la photographie. Nous croyons que la Société, en remerciant M. Poitevin
ses intéressantes communications, doit aussi l’engager à persévérer dans
voie qui lui a déjà permis d’apporter à la reproduction et à la multiplication
s dessins photographiques des améliorations qui ne sauraient d ’ailleurs que
accroître par une pratique plus longue et plus étendue, que la Société
nographique appelle de tous ses vœux.
ENFIN ADMISE
AU SALON DES BEAUX-ARTS, MAIS
(1856-1859)
Alors qu’en 1855 la photographie n’avait pas été admise au Salon des beaux-arts,
avenue Montaigne, mais au Palais de l ’industrie, parmi les produits manufacturés
(cf. pp. 209-210), quatre ans plus tard, en 1859, les photographes sont finalement
.autorisés à côtoyer, sous le même toit, les peintres, les graveurs et les lithographes.
La décision semble avoir été précédée de discussions nombreuses au sein même de
la Société française de photographie et de difficiles négociations avec la direction
des Beaux-Arts 1.
En cohabitant avec les peintres, les photographes espéraient bénéficier d ’une
légitimité nouvelle. Cet objectif n ’est que partiellement atteint car la photographie
n’est pas vraiment intégrée au Salon : elle doit se satisfaire « d ’un espace distinct
il est vrai des Beaux-Arts, mais qui, par sa contiguïté avec ceux-ci [...] lui fait
une sorte de réhabilitation ». Pour Figuier, ce compromis « établit avec vérité la
situation mutuelle des deux parties en litige ».
13 JO *
1350F
L a p h o to g ra p h ie s o llic ita n t u n e to n te p e tite p! à l'e x I n g r a t i t u d e de la peinture, q"i refuse la pl, is.
p o sitio n d es b e a u x - a r ts . p l a c e d - r t o n exposi t i on à la pho t o g r a p h i e i “ ^ ul cl
doit ta n t.
L a P e i n t u r e o ffra n t â l a P h o to g r a p h ie u n e to u te p e t i t e
p la c e à l’e x p o s itio n d e s b e a u x - a r t s . E n fin 1.,,
L E S D E R N I È R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S 1850 321
artistes eux-mêmes, qui pensent qu’il ne faudrait comprendre parmi les objets
exposés aux Beaux-Arts que ceux où la main de l’homme intervient d'une
façon plus directe, tels que la peinture, l’architecture, la sculpture, la gravure,
etc.
Dans tous les cas, la question mérite d’être examinée ; mais M. Durieu ne
pense pas que la Société puisse la discuter séance tenante. Peut-être voudra-
t-elle la renvoyer à l’examen préalable d’une commission.
M. le président pense que si la question était discutée, il faudrait se
préoccuper non seulement des avantages qu’il y aurait pour la photographie
à être admise aux Beaux-Arts, mais tenir compte aussi des inconvénients que
cette admission pourrait entraîner. Il faudrait examiner si les premiers sont
supérieurs aux seconds. Au surplus, la commission ferait un rapport, et on
pourrait ensuite discuter les questions sur lesquelles son attention se serait
portée.
\1. le président propose de composer ainsi la commission : MM. le comte
Léon de Laborde, Eugène Delacroix, Philippe Rousseau, Paul Périer, le comte
Aguado, Cousin, Théophile Gautier.
M. Durieu pense qu’il serait bien d’inviter la commission à présenter son
rapport sans retard, parce que c’est une de ces questions qui peuvent soulever
des avis assez opposés. [...J
M. Bayle-Mouillard craint que l’adrrtission de la photographie à l’exposition
des Beaux-Arts ne lui soit pas avantageuse. En effet, à celle de l’Industrie,
la photographie joue un rôle assez distingué, tandis qu’il est fort à redouter
qu’à l’exposition des Beaux-Arts elle ne soit reléguée au dernier rang. La
lithographie et la gravure n’y sont déjà pas bien traitées, il craint que la
photographie ne l’y soit bien moins encore. D’un autre côté, la photographie
étant admise aux Beaux-Arts n’y serait que comme produit artistique, et dès
lors les chercheurs, les inventeurs se trouveraient négligés.
M. le président ajoute que rien n’empêcherait que les objets qui, ne
présentant pas un intérêt suffisamment artistique, ne seraient pas admis à
l’exposition des Beaux-Arts, ne fussent présentés à un autre titre aux
expositions de l’Industrie.
Si nous n’avons pas eu dans notre siècle la querelle des anciens et des modernes,
nous avons eu la querelle des graveurs et des photographistes 2. La photographie
apparaissait à peine à l’horizon de la science, que la gravure et la lithographie,
et non sans raison, hélas ! concevaient les plus vives alarmes de l’apparition
inopinée de cette rivale, ardente comme tout ce qui est jeune et fort. Il y a
vingt ans que la photographie a pris naissance, il y a vingt ans aussi que
lithographes et graveurs s’efforcent de la combattre. Efforts impuissants ! Rien
n’a pu parvenir à faire discréditer dans l’opinion publique les merveilles de
cet art nouveau. A l’époque de l’Exposition universelle de 1855, la photographie,
malgré ses vives réclamations, ne put pénétrer dans le sanctuaire du palais
de l’avenue Montaigne ; elle fut condamnée à chercher son asile dans
l’immense bazar des produits de toutes sortes qui remplissaient le Palais de
l’industrie. En 1859, pressée plus vivement, la commission des musées a
adopté un moyen terme : elle a accordé, dans le Palais de l’industrie, une
place à l’exposition de photographie, tout à côté de l’exposition de peinture
et de gravure, mais avec une entrée distincte, et, pour ainsi dire, sous une
autre clef. On ne peut qu’applaudir à cette solution du différend, car elle
établit avec vérité la situation mutuelle des deux parties en litige, et fait
entrevoir pour un jour prochain l’accès complet et définitif de la photographie
dans le sanctuaire des Beaux-Arts.
Si l’interdiction qui avait été portée jusqu’ici a été en partie levée, on peut
croire qu’il existe des motifs suffisants pour légitimer l’accueil fraternel que
les beaux-arts ont fait non à une rivale, mais à une compagne et à un
2. Le terme de « photographiste » est, depuis le début des années 1850, assez rarement usité ; ici, en
1859, il fait déjà figure d ’archaïsme.
L E S D E R N I È R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S 1850 3 23
Louis Figuier reprend ici le thème de la photographie « nationale » développé naguère par Théophile
Gautier (cf. pp. 283-285).
324 L A P H O T O G R A P H I E E N I R A N C E 1816-1871
Les propos de Charles Baudelaire contre la photographie sont, dans son Salon
de 1859, brillants mais sévères. S ’il Jlétrit les engouements successifs de la
« société immonde » pour te portrait au daguerréotype puis pour le stéréoscope, il
ne parle pas de l ’exposition de photographies qui, pourtant, côtoie pour la première
fois le Salon et sert sans doute de prétexte à sa diatribe.
Par-delà la photographie, c’est en fait un double rejet qu’il formule : contre
l ’industrie, « la plus mortelle ennemie de l ’art » ; contre le réalisme, qui croit à
la possible « reproduction exacte de la nature ». Baudelaire identifie l ’expansion
de la photographie avec l ’essor économique de la bourgeoisie, accusée de vouloir
contempler « sa triviale image sur le métal ».
Comme l ’a noté Walter Benjamin, le poète ne pouvait trouver dans la
photographie ce qu’il demandait à la peinture : une beauté inépuisable. « Ce qui
rend insatiable le plaisir qu’on prend aux belles choses, c’est l ’image du monde
antérieur, celui que Baudelaire présente comme voilé par les larmes de la
nostalgie » 1. Aussi ce dernier récuse-t-il une pratique qui vise, croit-il, à
« frapper » le public, à « le surprendre », à le « stupéfier » sans laisser opérer
le lent travail de la mémoire, ni laisser affleurer « le domaine de l ’impalpable
et de l ’imaginaire... » Pour Baudelaire, dépourvues d ’aura, les photographies
n’ont pas d ’âme.
On notera, sur le même ton, une condamnation sans équivoque des images
licencieuses que proposaient, dans les années 1850, des officines spécialisées.
Finalement, comme Bonnardot, Planche et parfois même Gautier, Baudelaire réduit
la photographie à la portion congrue ; elle sera « la servante des sciences et des
arts, mais la très humble servante », sa tâche se limitera à « sauver de l ’oubli
[...] les choses précieuses dont la forme va disparaître » .12
1. Walter Benjamin, Charles Baudelaire, un poète lyrique à l'apogée du capitalisme, Paris, Payot, 1982, p. 198.
2. Cf. cette lettre à Nadar, du 14 mai 1854: «Si tu étais un ange, tu irais faire ta cour à un nommé
Moreau, marchand de tableaux, rue Laffitte, hôtel Laffitte [...] et tu obtiendrais de cet homme la
permission de faire une double belle épreuve photographique d ’après La Duchesse d’Albe de Goya (archi-
Goya, archi-authentiquc). [...] la beauté des Goya étant généralement peu comprise, tu ferais bien de ne
faire que deux reproductions, l’une pour toi, l’autre pour moi. Si tu t’y résous, prends garde de les faire
trop petites. Cela enlèverait une partie du caractère. »
326 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
Pourtant, en 1865, après avoir lui-même posé — chez Carjat3 et chez Nadar
notamment — , Baudelaire avoue à sa mère son désir de posséder son portrait
photographique : « C’est une idée qui s’est em parée de moi. » Le cliché devra
avoir « le flou d’un dessin », précise-t-il. Cette condition d’ordre esthétique et la
volonté de Baudelaire d’être présent chez le photographe trahissent en fa it le rôle
particulier de la photographie dans une relation fortement œdipienne — Baudelaire
attendant de la photographie une image de sa mère non pas telle qu’elle est (avec
rides et défauts), mais telle qu’il la désire.
Si l’artiste abêtit le public, celui-ci le lui rend bien. Ils sont deux termes
corrélatifs qui agissent l’un sur l’autre avec une égale puissance. Aussi
admirons avec quelle rapidité nous nous enfonçons dans la voie du progrès
(j’entends par progrès la domination progressive de la matière), et quelle
diffusion merveilleuse se fait tous les jours de l’habileté commune, de celle
qui peut s’acquérir par la patience.
Chez nous le peintre naturel, comme le poète naturel, est presque un
monstre. Le goût exclusif du Vrai (si noble quand il est limité à ses véritables
applications) opprime ici et étouffe le goût du Beau. Où il faudrait ne voir
que le Beau (je suppose une belle peinture, et l’on peut aisément deviner
celle que je me figure), notre public ne cherche que le Vrai. Il n’est pas
artiste, naturellement artiste ; philosophe peut-être, moraliste, ingénieur,
amateur d’anecdotes instructives, tout ce qu’on voudra, mais jamais spontané
ment artiste. Il sent ou plutôt il juge successivement, analytiquement. D’autres
peuples, plus favorisés, sentent tout de suite, tout à la fois, synthétiquement.
Je parlais tout à l’heure des artistes qui cherchent à étonner le public. Le
désir d’étonner et d’être étonné est très légitime. It is a happiness to wonder,
« c’est un bonheur d ’être étonné » ; mais aussi, it is a happiness to dream, « c’est
un bonheur de rêver » 4. Toute la question, si vous exigez que je vous confère
le titre d’artiste ou d’amateur des beaux-arts, est donc de savoir par quels
procédés vous voulez créer ou sentir l’étonnement. Parce que le Beau est
3. Lettre à Carjat, datée du 6 octobre 1863, à propos du portrait de Baudelaire assis, dit « aux gravures » :
« Manet vient de me montrer la photographie qu’il porte chez (le graveur) Bracquemond ; je vous félicite
et je vous remercie. Cela n’est pas parfait, parce que cette perfection est impossible, mais j ’ai rarement vu
quelque chose d ’aussi bien [...] si vous n’avez pas détruit le cliché, faites m’en quelques épreuves. Quelques,
cela veut dire ce que vous pourrez [...] »
4. Citation d’Edgar Poe.
L E S D E R N IÈ R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S
toujours étonnant, il serait absurde de supposer que ce qui est étonnant r~t
toujours beau. Or notre public, qui est singulièrement impuissant à sentir
bonheur de la rêverie ou de l’admiration (signe des petites âmes), veut être
étonné par des moyens étrangers à l’art, et ses artistes obéissants se conforment
à son goût ; ils veulent le frapper, le surprendre, le stupéfier par des
stratagèmes indignes, parce qu’ils le savent incapable de s’extasier devant la
tactique naturelle de l’art véritable.
Dans ces jours déplorables, une industrie nouvelle se produisit, qui ne
contribua pas peu à confirmer la sottise dans sa foi et à ruiner ce qui pouvait
rester de divin dans l’esprit français. Cette foule idolâtre postulait un idéal
digne d’elle et approprié à sa nature, cela est bien entendu. En matière de
peinture et de statuaire, le Credo actuel des gens du monde, surtout en France
(et je ne crois pas que qui que ce soit ose affirmer le contraire), est celui-
ci : «Je crois à la nature et je ne crois qu’à la nature (il y a de bonnes
raisons pour cela). Je crois que l’art est et ne peut être que la reproduction
exacte de la nature (une secte timide et dissidente veut que les objets de
nature répugnante soient écartés, ainsi un pot de chambre ou un squelette).
Ainsi l’industrie qui nous donnerait un résultat identique à la nature serait
l’art absolu ». Un Dieu vengeur a exaucé les vœux de cette multitude.
Daguerre fut son Messie. Et alors elle se dit : « Puisque la photographie nous
donne toutes les garanties désirables d’exactitude (ils croient cela, les
insensés !), l’art, c’est la photographie. » A partir de ce moment, la société
immonde se rua, comme un seul Narcisse, pour contempler sa triviale image
sur le métal. Une folie, un fanatisme extraordinaire s’empara de tous ces
nouveaux adorateurs du soleil. D’étranges abominations se produisirent. En
associant et en groupant des drôles et des drôlesses, attifés comme les bouchers
et les blanchisseuses dans le carnaval, en priant ces héros de vouloir bien
continuer, pour le temps nécessaire à l’opération, leur grimace de circonstance,
on se flatta de rendre les scènes, tragiques ou gracieuses, de l’histoire ancienne.
Quelque écrivain démocrate a dû voir là le moyen, à bon marché, de répandre
dans le peuple le goût de l’histoire et de la peinture, commettant ainsi un
double sacrilège et insultant à la fois la divine peinture et l’art sublime du
comédien. Peu de temps après, des milliers d’yeux avides se penchaient sur
les trous du stéréoscope 5 comme sur les lucarnes de l’infini. L’amour de
l'obscénité, qui est aussi vivace dans le cœur naturel de l’homme que l’amour
de soi-même, ne laissa pas échapper une si belle occasion de se satisfaire. Et
qu’on ne dise pas que les enfants qui reviennent de l’école prenaient seuls
plaisir à ces sottises ; elles furent l’engouement du monde. J ’ai entendu une
belle dame, une dame du beau monde, non pas du mien, répondre à ceux
qui lui cachaient discrètement pareilles images, se chargeant ainsi d’avoir de
5. Les photographies stéréoscopiques rencontrent un important succès sous le Second Empire. Constituées
par la juxtaposition de deux vues prises simultanément mais sous des angles légèrement différents, elles
permettent, dans une visionneuse binoculaire — un stéréoscope —, de simuler le relief.
328 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
la pudeur pour elle : « Donnez toujours ; il n’y a rien de trop fort pour moi. »
Je jure que j ’ai entendu cela ; mais qui me croira ? [...]
Comme l’industrie photographique était le refuge de tous les peintres
manqués, trop mal doués ou trop paresseux pour achever leurs études, cet
universel engouement portait non seulement le caractère de l’aveuglement et
de l’imbécillité, mais avait aussi la couleur d’une vengeance. Q u’une si stupide
conspiration, dans laquelle on trouve, comme dans toutes les autres, les
méchants et les dupes, puisse réussir d’une manière absolue, je ne le crois
pas, ou du moins je ne veux pas le croire ; mais je suis convaincu que les
progrès mal appliqués de la photographie ont beaucoup contribué, comme
d’ailleurs tous les progrès purement matériels, à l’appauvrissement du génie
artistique français, déjà si rare. La Fatuité moderne aura beau rugir, éructer
tous les borborygmes de sa ronde personnalité, vomir tous les sophismes
indigestes dont une philosophie récente l’a bourrée à gueule-que-veux-tu, cela
tombe sous le sens que l’industrie, faisant irruption dans l’art, en devient la
plus mortelle ennemie, et que la confusion des fonctions empêche qu’aucune
soit bien remplie. La poésie et le progrès sont deux ambitieux qui se haïssent
d’une haine instinctive, et, quand ils se rencontrent dans le même chemin,
il faut que l’un des deux serve l’autre. S’il est permis à la photographie de
suppléer l’art dans quelques-unes de ses fonctions, elle l’aura bientôt supplanté
ou corrompu tout à fait, grâce à l’alliance naturelle qu’elle trouvera dans la
sottise de la multitude. Il faut donc qu’elle rentre dans son véritable devoir,
qui est d’être la servante des sciences et des arts, mais la très humble servante,
comme l’imprimerie et la sténographie, qui n’ont ni créé ni suppléé la
littérature. Q u’elle enrichisse rapidement l’album du voyageur et rende à ses
yeux la précision qui manquerait à sa mémoire, qu’elle orne la bibliothèque
du naturaliste, exagère les animaux microscopiques, fortifie même de quelques
renseignements les hypothèses de l’astronome ; qu’elle soit enfin le secrétaire
et le garde-note de quiconque a besoin dans sa profession d ’une absolue
exactitude matérielle, jusque-là rien de mieux. Q u’elle sauve de l’oubli les
ruines pendantes, les livres, les estampes et les manuscrits que le temps
dévore, les choses précieuses dont la forme va disparaître et qui demandent
une place dans les archives de notre mémoire, elle sera remerciée et applaudie.
Mais s’il lui est permis d’empiéter sur le domaine de l’impalpable et de
l’imaginaire, sur tout ce qui ne vaut que parce que l’homme y ajoute de son
âme, alors malheur à nous !
Je sais bien que plusieurs me diront : « La maladie que vous venez
d’expliquer est celle des imbéciles. Quel homme, digne du nom d ’artiste, et
quel amateur véritable a jamais confondu l’art avec l’industrie ? » Je le sais,
et cependant je leur demanderai à mon tour s’ils croient à la contagion du
bien et du mal, à l’action des foules sur les individus et à l’obéissance
involontaire, forcée, de l’individu à la foule. Que l’artiste agisse sur le public,
et que le public réagisse sur l’artiste, c’est une loi incontestable et irrésistible ;
d’ailleurs les faits, terribles témoins, sont faciles à étudier ; on peut constater
L E S D E R N I È R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S 1850 32 9
Je voudrais bien avoir ton portrait. C’est une idée qui s’est emparée de moi. Il
y a un excellent photographe au Havre. Mais je crains bien que cela ne soit
pas possible maintenant. Il faudrait que je fusse présent. Tu ne t’y connais pas,
et tous les photographes, même excellents, ont des manies ridicules ; ils
prennent pour une bonne image une image où toutes les verrues, toutes les
rides, tous les défauts, toutes les trivialités du visage sont rendus très visibles,
très exagérés ; plus l’image est DURE, plus ils sont contents. De plus, je
voudrais que le visage eût au moins la dimension d’un ou deux pouces. Il
n’y a guère qu’à Paris qu’on sache faire ce que je désire, c’est-à-dire un
portrait exact, mais ayant le flou d’un dessin. Enfin, nous y penserons, n’est-
ce pas ?
PHOTOGRAPHIE ET UTOPIE
(1855-1862)
L. Cyrus MACAIRE ;
NADAR [Félix T ournachon, dit] (1820-1910) ;
E. Lamé -Fleury
On peut citer ici cet exemple. Les chantiers de M. Lenormand, constructeur de navires au Havre, ont
été incendiés en 1852 ; MM. Macaire et Warnod ont reproduit les divers aspects du sinistre. Les chantiers
étaient assurés. Un rapport d ’expert fut fait sur l’état des choses. La société d’assurances se refusait à
exécution de sa garantie. Procès. Devant le tribunal la compagnie d ’assurances soutenait (rapport en
main) que le désastre n’était point aussi complet que le prétendait l’assuré. Hésitation du tribunal en
ésence d’aflirmations de fait contraires. C ’est alors que la pensée vint à M. Lenormand de mettre sous
les yeux du tribunal, les vues exécutées par MM. Macaire et Warnod. Et la question fut immédiatement
çée en faveur de M. Lenormand. Voir La Patrie du 30janv. 1853, p. 3, col. 2. [Note de Cyrus Macaire]
332 I.A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1371
Elle peut, dans les pays les plus lointains, recueillir avec facilité les
monuments de tous les âges, les inscriptions de toutes les langues, et rapporter
aux savants des textes réels et d ’une indiscutable exactitude.
Elle peut, dans les bibliothèques, dans les musées, dans les collections de
toute nature, faire des catalogues certains, à l’abri de l’erreur, et qui
deviendraient d’autant plus précieux, qu’ils conserveraient pour toujours
l’image des objets que le temps atteint et détruit souvent.
Elle peut dans les sièges faire à distance le dessin de la brèche, souvent mortel,
et presque toujours très dangereux, pour l’officier chargé de l’exécuter.
Elle peut relever les côtes, avec leurs anfractuosités les plus insignifiantes,
et venir en aide aux géologues qui étudient le mouvement et la formation des
terrains.
Les travaux déjà accomplis, malgré l’insuffisance des anciens procédés,
prouvent à quels résultats magnifiques on pourrait arriver.
Aujourd’hui, quand le gouvernement veut envoyer des photographes en
expédition, il est forcé de supporter des dépenses considérables, et encore,
n’est-il pas certain des résultats qui en seront rapportés. Et si l’on supposait
qu’il voulût systématiser et généraliser l’envoi d’artistes spéciaux, et acceptât-
il la charge des frais énormes auxquels il serait nécessairement condamné,
qu’il serait obligé d’y renoncer dans la situation actuelle des choses, faute
d’agents capables et pourvus de procédés suffisants.
Cet état de choses ne doit pas durer ; il appartient à la France d’utiliser la
photographie et d’en retirer tous les avantages qu’elle peut offrir dès
aujourd’hui.
'foutes les impossibilités, toutes les difficultés dont elle est entourée
maintenant, disparaîtraient devant la création d’une section de photographie à
la division des Beaux-Arts. Elle aurait pour objet :
1. De réunir et publier tous les procédés qui, dans l’état actuel des choses,
restent cachés.
2. D’encourager les travaux photographiques, par tous les moyens ordinaires
des concours, expositions, mentions, récompenses, etc.
3. De rassembler tout ce que la photographie a pu ou pourra produire d’utile
ou de remarquable, et notamment tous les faits d’actualité dont, au moyen
des procédés d’instantanéité, elle aura pu fixer l’irrécusable souvenir. On peut
certainement considérer qu’une telle collection, qui servirait à l’histoire de la
découverte de Niépce et Daguerre, ne serait ni moins importante, ni moins
intéressante que toutes celles qui ont pour objet la mécanique, la céramique,
la numismatique, le dessin, etc.
Comme application particulière, on peut, dès à présent, signaler la création
d’une sorte de Musée d’honneur, où seraient rassemblés avec légendes, les
portraits historiques de tous ceux qui se seraient distingués, d’une façon
quelconque, dans les armes, les arts, les sciences, dans l’ordre moral, par des
traits de dévouement, etc., etc.
L E S D E R N I È R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S 1850 33 3
. Ce propos sur le travail des photographes de Crimée sera bientôt périmé. Quand Cyrus Macaire écrit,
. i ' vrier 1 8 5 5 , i l n’a encore pu voir d ’épreuves photographiques de la guerre : l’Anglais Roger Fenton
irque à Balaklava en mars 1 8 5 5 , le colonel français Jean-Charles Langlois accompagné de Léon-
-gene Méhédin séjournera sur le théâtre des hostilités à partir de novembre 1 8 5 5 (voir supra, pp. 1 7 5 -
II faut y ajouter Durand-Brager et Lissimone, l’Anglais James Robertson et Felice Beato.
334 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
Quant aux moyens d’exécution, ils sont des plus simples. Comme indication,
il suffira de dire, par exemple, que le bagage photographique peut être
contenu dans une boîte de 25 centimètres carrés, et que les pharmacies
particulières à chaque corps sont naturellement pourvues des éléments
nécessaires à la photographie.
Il convient d’ajouter que la dépense à supporter par le Trésor, pour réaliser
de pareils résultats, sera presque nulle, dans les conditions indiquées. Il ne
faut pas perdre de vue que le personnel sera presque gratuit dans ces
conditions.
Pour ne pas étendre cette note au-delà des termes nécessaires pour en faire
connaître l’objet, il est fait observer que si l’ordre d’idées qu’elle comporte
est accueilli, une nouvelle note, plus explicite alors fera connaître un plan
complet d’exécution.
On croit devoir ajouter pourtant que la photographie est l’une des
découvertes les plus merveilleuses de ce siècle ; que la perfection de ses moyens
d’exécution, et par conséquent la généralisation plus ou moins grande de ses
usages, peut être avancée ou reculée, selon qu’elle sera abandonnée aux efforts
individuels, ou encouragée et dirigée par le gouvernement.
Si le gouvernement comprend bien la question, comme il ne peut manquer
de le faire, il aidera au plus rapide développement possible de cet art-science.
Et l’avoir énergiquement fait appliquer ne sera pas, dans l’avenir, la moindre
des gloires pacifiques qu’il aura pu s’y ménager.
Monsieur, Mon chef d’atelier m’a remis hier la collection de vos premières
épreuves photographiques [des catacombes de Paris] et je vous en remercie.
J ’étais fort curieux d’avoir un spécimen de l’opération. Il y a des parties tout
à fait réussies et l’ensemble est en somme satisfaisant, mais il y a un diable
d’écueil sur lequel j ’appelle toute votre attention : c’est la question importante
des ciels (nous appelons ciel de la galerie, le plafond), qui ne se perspectivent
dans aucune des épreuves. Il résulte de là que nos ossements semblent plaqués
sur un mur très élevé, sans que le spectateur puisse deviner qu’ils forment
la paroi d’une galerie de 2,50 mètres au plus de hauteur. N’y aurait-il pas
moyen de prendre le point de vue de telle sorte qu’on voie le plafond et le
plancher ou, comme nous disons, le ciel et le sol de nos galeries — ce qui est
indispensable pour en représenter l’aspect général et ne pas donner créance
à une idée de nef cathédrale. Il ne manque absolument que cela à des
épreuves très bonnes, dont la meilleure me paraît être celle du puits. Le
fouillis d ’os est parfaitement rendu et je ne crains pas de dire qu’il est plus
beau que nature.
Je suis trop habitué, en ce qui concerne ma modeste partie, aux réflexions
saugrenues des philistins, pour avoir l’intention de vous donner le moindre
conseil. Je me borne à vous rendre tant bien que mal l’impulsion d’un
membre attentif du profanum vulgus. Vous seriez, du reste, bien aimable si
vous pouviez vous arranger pour venir aux catacombes mardi 18 ou mercredi
19 courant, à trois heures et demie ; je m’y trouverais et nous causerions,
épreuves en main. Sinon, dites-moi l’heure de l’après-midi où l’on peut vous
voir un moment ?
Il est bien entendu qu’on ne touchera au puits que lorsque vous retirerez
votre veto, mais je crains bien que les mannequins ne rendent pas l’effet de
la nature vivante au milieu de cette nature morte. On pourrait du moins placer
un chariot, quelques outils : un peu de jour au puits servirait-il à profder le
trou ?
Vous voyez, du reste, que notre ossuaire est mis intégralement à votre
disposition. Savez-vous que vous êtes le premier Parisien qu’on laisse errer
ainsi librement dans le sombre empire ? N’en jasez même point, pour ne pas
effaroucher l’autorité.
Avez-vous admis mon idée stéréoscopique ? J ’ai lu, dans Le Moniteur de
samedi, notre note, sur le sort de laquelle je ne laissais pas que d’être inquiet.
Il paraît que vous aviez changé d’idée en ce qui concernait le moment de
l’insertion. Ce doit être Le Moniteur... des grandeurs qui a supprimé ma
87. Nadar, Autoportrait dans les catacombes, versl861. Tirage papier albuminé. -
En 1861 Nadar réalisa à la lumière électrique - technique pour laquelle il déposa un brevet -
une centaine de vues dans les catacombes et les égouts de Paris. Les lampes
étaient au magnésium, les plaques au collodion, et les temps de pose d’environ 18 minutes.
340 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
4. Le terme de « tartine » désigne familièrement un texte ou un article, une introduction, une présentation,
à un album de photographies.
5. Cette lettre paraîtra dans le premier tome de Correspondance de Nadar, établie par André Rouillé et
Béatrice Soyer, aux éditions Macula.
L’INDUSTRIE PHOTOGRAPHIQUE
À PARIS EN 1860
(1859-1865)
Pour répondre aux critiques, Paul Périer tente alors d ’imputer les négligences
des ateliers à des modes de travail en voie de disparition, et surtout de travestir
les causes profondes des imperfections (la photographie est une « industrie »
soumise aux effets de la concurrence) en carences individuelles de quelques praticiens.
Pour la première fois dans son argumentation en faveur d’un art photographique,
Périer intègre la composante commerciale, moins pour la condamner comme en
1855 (c f pp. 213-217) que pour essayer de l ’infléchir.
Mais il est un point de vue sous lequel la photographie a été très imparfaitement
considérée jusqu’à présent : celui du développement industriel, qui a pourtant
bien aussi son importance. En voyant la quantité considérable d’épreuves,
stéréoscopiques ou autres, qui sont chaque jour mises en vente, on ne songe
pas à la somme énorme de travail qu’elles représentent, au nombre de mains
par lesquelles elles passent avant d ’être livrées aux acheteurs, ni à la place
que les ateliers où elles se produisent occupent dans le Paris moderne. C’est
là pourtant une question intéressante et qui vaudrait bien la peine d’être
étudiée. [...]
Il y a quelques jours, nous avons visité les nouveaux ateliers que MM. Ferrier
père et fils, associés depuis peu avec M. Soulier, ont établis boulevard de
Sébastopol, et cette visite nous a fait entrevoir l’importance de ce côté
industriel dont nous parlons. Depuis longtemps nous connaissions et nous
aimions ces artistes si habiles et si laborieux, nous savions qu’ils produisaient
beaucoup, mais nous étions loin de nous douter de l’activité qui règne autour
d’eux. A côté du vaste magasin où les épreuves, rangées symétriquement dans
des casiers numérotés, s’offrent aux acheteurs, s’étend une enfilade de pièces
où l’on travaille activement. Ici, c’est le laboratoire, puis la chambre aux
préparations, puis celle où se fait le tirage des épreuves ; opération importante
que M. Ferrier lui-même surveille continuellement. A la fin de la journée,
toutes les épreuves positives obtenues pendant le jour — le nombre en est
considérable — sont livrées à d’autres mains et développées pendant toute
la soirée, dans une pièce spéciale. Un homme procède au fixage et au lavage
dans une chambre voisine. Une fois terminées, les épreuves positives sur verre
sont remises à des ouvriers qui les coupent, d’autres y appliquent un verre
dépoli ; puis, on les examine une à une pour en corriger, à l’aide d ’un pinceau,
les légères imperfections ; des femmes les prennent alors et les nettoient,
d’autres les encadrent, et, enfin on y colle, s’il y a lieu, les légendes explicatives.
LES DERNIÈRES CONTROVERSES DES ANNÉES lf : i
Nous venons de visiter avec le plus vif intérêt des ateliers photographiques 1
qui peuvent à bon droit passer pour les plus importants dans ce genre ; nous
voulons parler de ceux que M. Marion a établis dans sa fabrique à Courbevoie.
...] Il y avait longtemps que nous désirions visiter cet important établissement,
d’où sortent, à notre connaissance, une si grande quantité de papiers
photographiques, tout préparés, et nous rendre compte par nos yeux de la
manière dont cette préparation se fait sur une aussi grande échelle. L’occasion
était trop belle pour la laisser échapper, et nous entrâmes.
Au milieu d ’une tribu tout entière d’ouvriers des deux sexes et de tous les
âges, nous reconnûmes M. Marion, qui, tout en travaillant de ses mains
comme un simple compagnon, promène autour de lui l’œil intelligent du
maître. Guidé par lui, nous avons pu suivre une à une les opérations que le
papier subit entre les mains nombreuses par lesquelles il passe.
L’albumineuse (car ici comme chez la plupart de nos principaux photo
graphes, ce sont des femmes que l’on charge de ce travail délicat), l’albumineuse
est placée entre deux apprentis ; l’un lui passe les feuilles de papier que le
contremaître lui donne et qui sont prêtes à recevoir le premier bain. Après
avoir séjourné dans trois ou quatre bassines suivant la préparation qu’on veut
leur faire subir, ces feuilles sont enlevées par le second apprenti, qui les fixe
immédiatement sur de petites tringles en bois supportées par une plus grande
qui traverse l’atelier dans toute sa largeur. D’autres ouvriers prennent ensuite
:es feuilles quand elles sont bien sèches, pour les terminer avant de les mettre
en rames.
Tout cela se fait avec une précision mécanique, avec un ordre extrême et
sans qu’une seconde soit perdue.
On peut se faire une idée du développement que la photographie a pris
en France et à l’étranger, par l’énorme quantité de papiers préparés qui
sortent de ces ateliers ; c’est à croire qu’il y a autant de photographes que
t'habitants en Europe. Nous avons vu fermer devant nous une caisse
volumineuse adressée à l’un des artistes qui suivent en Italie la marche de
notre armée, et nous considérions d’un œil respectueux ces feuilles blanches
tui vont devenir là-bas les pages irréfutables d’une glorieuse histoire.
Habituellement l’expression « atelier photographique » désigne un lieu de réalisation des images. Chez
- portraitistes, l’atelier photographique combine un salon de pose et un laboratoire (pour la préparation
plaques et le tirage des épreuves). Ici l’expression est appliquée à une fabrique de papiers
"ographiques, celle de Marion.
344 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
Le scrupule des soins et des précautions, c’est bien là ce qui, jusqu’à ce jour,
a fait défaut chez tant d ’opérateurs ; et nous abordons ici l’explication des
défiances et des griefs déplorablement fondés du public. Il n’est pas sans
intérêt de s’y arrêter un moment, ce sera pour mieux prouver qu’il n’y a pas
chez nous vice de race, mais imperfection accidentelle de l’individu. La
question vaut quelque peine, car le mal est aussi réel en fait que son
explication en principe est facile et rassurante.
Si la photographie n’était qu’un passe-temps pour les gens de loisir, ou
même un art restreint à des produits de petit nombre et de grand prix ; si
la rapidité de ses progrès n’en avait pas fait en peu de temps l’aliment d’une
industrie des plus expansives, et la source d’une vaste exploitation commerciale,
on comprendrait moins que les œuvres créées par elle ne l’eussent pas toujours
été dans les meilleures conditions. Mais quelle est au contraire, pour la
presque totalité, la source des épreuves que le public voit au-dehors, aux
montres des éditeurs ou dans leurs cartons, et de celles qu’il achète ? C’est
à coup sûr l’atelier d’un photographe qui, souvent artiste, est en même temps
le chef d’une industrie, et que les conditions de toute industrie poussent
d’autant plus à beaucoup produire que c’est là le sine qua non d’un bon marché
nécessité par la concurrence.
Or nous croyons ne blesser personne, et nous savons faire la part des
honorables exceptions en disant que, dans nos premières années surtout, dans
l’ère des doutes et du tâtonnement, soit erreur, soit insouciance, il est sorti
de la plupart de ces ateliers une énorme quantité d’épreuves négligées et
défectueuses. Il ne servirait à rien de le taire, puisque c’est un fait avéré,
connu de tous. Au contraire, il importe hautement de rappeler à tous nos
confrères que c’est là le vrai péril, et qu’il dépend d’eux de perdre bientôt
sans retour le public dont ils ont besoin, ou de le reconquérir et de le garder
en appliquant le remède qui se trouve ici toujours à côté du mal. Sans doute
on ne peut exiger que le chef d’un atelier photographique suive personnellement
le tirage de chaque épreuve positive. Il ne peut, comme l’amateur qui ne
calcule ni son temps ni ses débours, caresser paternellement toutes ses œuvres
l’une après l’autre. On s’explique donc assez que, à l’époque où des procédés
mal conçus et pleins d’écueils nécessitent pour la réussite une série de correctifs
minutieux et prolongés, l’œil du maître faisant souvent défaut, la maison en
souffrît. Mais les difficultés, qui tendaient chaque jour à s’amoindrir, étant
aujourd’hui vaincues presque totalement, avec elles disparaît le danger le plus
gros et s’évanouit toute excuse. Espérons qu’on écoutera désormais plus
volontiers la voix qui parle au nom de l’honneur et de l’intérêt, au-dedans
comme au-dehors de nos frontières ; car la plaie dont nous saignons encore
était bien autrement grave à l’étranger. Dans les pays et les cités célèbres où
LES DERNIÈRES CONTROVERSES DES ANNÉES 1850 345
le touriste est de continuel passage, il est arrivé trop souvent que le sans-
gêne industriel a dépassé toutes mesures et mérité les plus sévères qualifications.
[...] Le meilleur moyen, toutefois, de réparer le mal après l’avoir signalé,
n’est pas de souffrir qu’on en exagère la portée, qu’on en dénature les causes,
et d’accorder à ceux qui nous critiquent ce que nous leur devons refuser.
L’art le plus élevé ne saurait se porter garant de tous les artistes ; on ne peut
guère se flatter que, dans le nôtre, tous ceux dont ce serait le devoir avisent
au salut commun. Il y aura probablement toujours des photographies
éphémères et trompeuses; est-ce,une raison pour condamner les épreuves
durables ? Et ne suffit-il pas que l’amateur éclairé soit toujours sûr de trouver
un producteur habile, et l’acquéreur prudent un vendeur consciencieux ? Il
y a des gravures détestables et des lithographies impossibles qu’il vaudrait
mieux voir s’effacer en un instant que durer toujours ; la peinture même, et
la sculpture, comptent cent médiocrités pour un chef-d’œuvre ; on n’en admire
pas moins, on honore tous ces arts sans aucun souci de leur fécondité malsaine.
La photographie, dans son humble sphère, se défendra par des vertus et
des forces du même genre.
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LES DERNIÈRES CONTROVERSES DES ANNÉES 1850 347
Ouvriers
Sombre. On a recensé en 1860 :
Hommes ....................................................................................... 461
Femmes ......................................................................................... 92
Garçons âgés de 16 ans (apprentis) ....................................... 13
Durée du travail
La journée de travail est en moyenne de dix heures (de 8 à 6), dont une
heure est prise pour le déjeuner.
Morte-saison
122 photographes ont déclaré ne pas avoir de morte-saison ; pour les autres,
elle est en moyenne de quatre mois : janvier, février, mars et novembre.
Mœurs et habitudes
Hommes. Sur 461 ouvriers :
8 logent chez le patron ; 375 dans leurs meubles ; 78 en garni.
450 ont une conduite bonne; 11, douteuse.
Tous savent liie et écrire.
Femmes. Des 92 ouvrières :
2 logent chez le patron ; 85 dans leurs meubles ; 5 en garni.
Ces ouvrières ont généralement une bonne conduite.
87 savent lire et écrire ; 5 ne savent ni lire ni écrire.
Apprentis. Sur 13 apprentis, 6 logent chez le patron ; 7 chez leurs parents.
Tous savent lire et écrire et sont enfants d’ouvriers.
LES DERNIÈRES CONTROVERSES DES ANNÉES 1850 3+9
2 sont engagés par contrat ; 11 sans contrat. 2 sont engagés pour deux ans ;
5 pour trois ans ; 6 pour quatre ans.
6 547 410 F
Voici maintenant tout ce que nous trouvons dans la statistique officielle,
relativement aux fabricants :
Il y a 38 fabricants d’appareils pour la photographie ; ces 38 fabricants
font : 1 834 800 F d’affaires avec 262 ouvriers ; moyenne par ouvrier : 7 003 F.
Ces 38 fabricants ont pour 46 370 F de loyer ; moyenne par établissement :
1 220 F.
Telle était, en 1860, la situation de l’industrie photographique en France.
LES IIITISÏKS CONTEMPORAINS
DISDÉRI.
V
LE
TRIOMPHE DE
L’INDUSTRIE
En novembre 1857, La Gavinie note dans La Lum ière qu’« au lieu de cartes
de visite traditionnelles [...], quelques progressistes ont déjà inauguré les cartes-
portraits ; il paraît, ajoute-t-il, que l ’année 1858 est destinée à voir cette mode
se propager ; ainsi, plus de carton ordinaire, mais, dans le même format, une
reproduction du personnage des pieds à la tête » 1■ En fa it c’est dès 1854 que
Disdéri a déposé un brevet pour la « carte de visite ». Comme il l ’expliquera plus
tard, « le format choisi [pour les portraits], par son prix trop élevé, n’était pas
accessible à la masse du public ; c’est cet obstacle apporté à l ’essor de la
photographie par les frais inhérents à la production des grandes épreuves qui nous
a conduits à réduire le portrait au format de la carte de visite ; personne n’ignore
[en 1861] le succès de cette application, qui est devenue si populaire qu’on rencontre
ces portraits dans toutes les mains » 12. Disdéri a donc parfaitement assimilé le
principe rappelé par le jury de l ’Exposition de 1855 : vendre beaucoup et à bon
marché pour accroître les bénéfices.
Les « cartes de visite » sont généralement réalisées à l ’aide d’un appareil à
4 objectifs ; dans un châssis fixe une même plaque recueille 4 clichés identiques
et, dans un châssis mobile, 4, 6 ou 8 clichés qui peuvent être différents. L ’économie
porte moins sur la quantité des produits utilisés pour chaque épreuve que sur la
réduction des longues et coûteuses manipulations nécessaires au tirage. Les « cartes
de visite » ont l ’inconvénient d’être de format réduit (6 X 9 cm), mais sont moins
chères et plus nombreuses.
La vogue de la « carte de visite », qui débute en 1858, n’acquiert sa véritable
ampleur qu’à partir de 1860. La photographie devient alors un instrument du
paraître social. Pour les couches bourgeoises les plus modestes elle sert à signifier
une réussite — comme l ’attestent à la fois les premiers succès de la photographie
équestre (cf p. 361) et, surtout, le rituel de l ’album dans lequel on dispose des
portraits d ’hommes célèbres pour donner l ’illusion qu’ils sont amis de la famille.
Henri d’Audigier met l ’accent sur ce phénomène nouveau : « Les portraits ne sont
plus seulement achetés par les originaux et ceux qui les connaissent. » Par-delà
leur usage privé, ils assument une fonction de médiation entre la « foule » et
« tout ce qui a un nom », comme le souhaitait déjà Ernest Lacan en 1855.
Audigier soulève en outre un problème qui gagne précisément en acuité avec l ’essor
de la photographie : le droit de propriété de chacun sur sa propre image.
Le « tarif général » de Pierre Petit (cf. p. 364) révèle les conditions financières
de cette vogue : alors qu’en 1862 le prix d ’un seul portrait non colorié varie de
25 à 150 F selon son format, celui des cartes de visite est de 15 F les douze ou
de 70 F les cent. La comparaison de ces derniers prix avec le salaire journalier
moyen des ouvriers (3,85 F dans le bâtiment à Paris ; 2,50 F dans les mines du
Nord ou encore 1,82 F dans l ’agriculture) conduit cependant à circonscrire les
effets « démocratiques » de la « carte de visite » aux seules catégories bourgeoises.
Mémoire descriptif déposé à l’appui d’une demande d’un brevet d’invention de quinze
ans, — formé par le Sieur Disdéri (André-Adolphe), photographe demeurant à Paris,
boulevard des Italiens, n" 8.
Pour le perfectionnement en photographie, notamment appliquée aux cartes de visite
portrait, monuments, etc.
Mémoire déposé au « Bureau spécial pour la prise des brevets d ’invention en France et à l’étranger »,
Dnservé aux archives de la Société française de photographie.
354 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
substances d’un grain aussi fin, aussi parfait et en somme aussi beau qu’on
peut le désirer, mais l’emploi de ce moyen nécessite des manipulations et une
façon qui, jusqu’à maintenant, élève forcément chaque épreuve à un prix
notable.
Pour rendre les épreuves photographiques abordables aux besoins du
commerce, il fallait diminuer beaucoup les frais de fabrication, résultat que
j ’ai obtenu par mon perfectionnement.
Je n’ai pas la prétention de revendiquer ici une invention importante sous
le rapport de l’art, mais tout simplement, je viens me garantir mon droit
privatif, en le mettant sous la protection des lois, en m’appuyant sur le dernier
paragraphe de l’article deux de la loi du 5 juillet 1844, comme «application
nouvelle de moyens communs pour l’obtention d’un résultat et d’un produit
industriels ».
En substance, mon nouveau procédé consiste à préparer des clichés
photographiques contenant chacun un certain nombre d’images qui me
donnent ensuite à chaque opération un nombre d’épreuves suffisant pour
couvrir largement les frais entraînés par les différentes manipulations pour
avoir le résultat, c’est-à-dire des épreuves semblables ou différentes par le
même cliché.
En d’autres termes, mon procédé consiste d’abord à préparer un cliché qui
ensuite permet d’opérer à la fois sur un nombre d’épreuves assez grand pour
que les frais se trouvent très minimisés, étant répartis sur chaque épreuve.
Par exemple, je prends une plaque de verre pouvant contenir dix épreuves,
et je fais mon cliché, soit tout d’un coup, soit épreuve par épreuve ; ensuite
LE TRIOMPHE DE L'INDU
je me sers de ce cliché pour obtenir dix épreuves à la fois de sorte que tout
le temps et les frais nécessités pour obtenir une épreuve du cliché se trouven-
divisés par dix. Ce qui réduit à très peu le prix de chacune de ces dix
épreuves.
Ces nouveaux perfectionnements de la photographie permettent donc
d’obtenir de très belles épreuves à un prix si modique qu’on peut les appliquer
à une foule de cas où cela aurait été impossible jusqu’à présent, en ayant
égard au prix bien entendu.
Un des premiers usages que j ’ai fait de ces perfectionnements a été de les
appliquer aux cartes de visite portrait. Dans ce but, j ’ai fait poser la personne
une ou plusieurs fois, car, comme [il] suffit avec le collodion d’une ou deux
secondes, la même personne peut poser dans plusieurs positions sans être
fatiguée. Enfin, je forme mon cliché avec dix sujets semblables ou différents
puis je tire mes épreuves sur papier ; lorsqu’elles sont terminées je les sépare
en coupant le papier et je les colle derrière les cartes de visite.
Pour la reproduction des monuments remarquables, ces perfectionnements
offrent aussi des avantages d’économie qu’on ne peut comparer ni avec la
gravure ni avec la lithographie, sans parler de l’exactitude des formes, des
effets, etc. qui seront toujours infiniment plus exacts avec l’emploi de
mes perfectionnements qui constituent réellement un nouveau procédé très
important pour le Commerce, les Arts et l’Industrie.
Mes amis, voulez-vous faire fortune ? Exploitez les vices ou les travers de vos
semblables ; parmi ces divers fonds de commerce, un des plus riches, des plus
sûrs, un de ceux qui manquent le moins, comme dit le fabuliste, c’est la vanité
humaine.
Les photographes l’ont compris et s’en trouvent bien.
L’un d’eux, un jour, inventa les portraits-cartes ; il avait découvert une mine
d’or. [...]
Tous les gens qui ont l’esprit vide et la bourse pleine, tous les jolis jeunes
gens et les belles coquettes qui, après leur figure même, n’aiment rien tant
que la représentation de leur figure, les étrangers qui devancent les modes
et patronnent les ridicules de Paris, Anglais ennuyés, Russes aimables,
charmantes Polonaises, lionnes indigènes, lorettes et gandins se plurent a
multiplier les exemplaires de leur gracieuse personne, et, dans le monde-
élégant, on fit voyager son portrait pour rendre commodément ses visites par
procuration.
Bientôt l’idée vint d’assembler ces portraits, d’en former une galerie et de
tenir exposition permanente de ses amis et connaissances : naturellement on
y mit du choix et les figures vieilles, laides ou communes, soigneusement
91. Pierre Petit, Autoportrait « carte de visite », vers 1970.
358 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
LE T R IO M P H E D E L T N D I S T R I E ,1
ces gens-là. Pour 1 F 50 c, le premier gandin qui passe sur le boulevard peut
acquérir en photographie, la plus jolie, la plus noble, la plus vertueuse femme
de Paris.
N’y a-t-il pas là quelque chose de choquant ? Passe pour ces demoiselles
qui se font croquer sous les costumes les plus incomplets et dans les attitudes
les plus... pittoresques. Ce qu’un fat peut dire de celles-là, sans être vrai,
peut toujours être vraisemblable. D’ailleurs, elles n’ont rien à perdre, et tout
à gagner aux galants propos des oisifs. Mais si j ’avais l’honneur d’être le
mari de telle femme estimable et charmante, dont le portrait est en vente,
il me répugnerait de penser que ce portrait peut tomber dans certaines mains
et être affiché dans certaines collections.
Tout le monde n’a point ces scrupules, et je reconnais à chacun le droit
d’agir, en pareil cas, suivant sa fantaisie. Le nombre est grand, sans compter
les acteurs et les musiciens, des gens qui aiment à populariser leur image ;
c’est leur affaire. Mais je me demande si, parmi les hommes ou les femmes
dont les photographes débitent la pourtraicture, tous et toutes ont pleinement
consenti à être ainsi vendus, colportés et exportés. [...]
Quoi qu’il en soit, je conseille à tous les hommes illustres ou simplement
connus, à toutes les femmes belles ou célèbres, de se défier grandement des
photographes embusqués à tous les coins de rue. [...] Le méchant photographe
est à l’affût, n’en doutez pas ; le photographe vous regarde, le photographe vous
attend, et son objectif est sur vous braqué. Doublez, doublez le pas, ou c’est
fait de vous ; vous allez être happés au passage par ces chasseurs de figures
et vendus à vil prix. Rappelez-vous l’homme qui avait perdu son ombre. Sans
nul doute, quelque photographe du temps lui avait joué ce vilain tour ! Ne
vous laissez plus voler votre ombre, surtout quand vous savez l’usage qu’on
en fait.
Il est certain que la photographie équestre se fera une place parmi les applications
les plus productives du nouvel art. Elle ne s’adresse pas seulement aux gens
qui ont, mais encore à ceux qui veulent paraître avoir. A ce titre elle peut
compter sur un nombre infini d ’amateurs. Tout le monde ne peut se faire
photographier sur son cheval ou dans sa voiture ; donc tout le monde voudra
pouvoir montrer son portrait à cheval ou en voiture, pour paraître appartenir
à la classe privilégiée. Il y aura foule dans les champs de pose.
M. Pierre Petit se propose d’appliquer la même idée par un autre moyen :
il offre aux heureux propriétaires d’équipages, de meutes et de châteaux,
d’aller les photographier chez eux. Il économise le champ de pose, mais il
perd toute cette partie de la clientèle qui ne monte que sur des chevaux de
louage et ne se promène qu’en voiture de remise. A-t-il tort ? a-t-il raison ?
362 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
94. Louis-Jean Delton, Photographie hippique, 1862. Tirage 95. Louis-Jean Delton, Portrait équestre d'Émile de Girardin,
papier albuminé. - 1867, Tirage papier albuminé. -
Delton a réalisé plusieurs affichettes-réclames pour son atelier. Comme la « carte de visite » mais différemment, la
Sur l'une d'elles il fait imprimer en 1863 : « Ce vaste photographie équestre répond bien au besoin de paraître des
établissement de photographie réunit toutes les conditions bourgeois du second Empire : « Elle ne s'adresse pas
désirables à l'exécution de toutes reproductions en général, seulement aux gens qui ont, mais encore à ceux qui veulent
choses mortes ou vivantes [...], il offre donc au commerce son paraître avoir. A ce titre elle peut compter sur un nombre infini
concours pour la photographie appliquée à la publicité ; à d'amateurs » (Ernest Lacan, voir supra, p. 361}.
cet effet, il vient de prendre un brevet (S.G.D.G.). »
L E T R I O M P H E D E L ’I N D L S i
364 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
Pierre Petit : « Tarifs », publiés en annexe de Simples conseils, manuel indispensable aux
gens du monde, 1862.
D I S D Ë R I P H O T O G R A P H I E PAR C H A M .
I" avr. 1868, n° 2, p 14), la Société photographique de Marseille note : « Il est à désirer qu’on parvienne
iroduire dans le tirage des épreuves au charbon plus de simplicité et de facilité. Un double transport,
t ploi de fortes pressions enfin, le coût actuel des papiers employés [...] sont des obstacles à la
earisation du procédé au charbon ». A la fin des années 1860, Braun de Dornach, semble l’un des
trois à avoir utilisé sur une grande échelle le tirage au charbon, notamment pour ses reproductions de
d e s s i n s de maîtres.
- Toutefois les prix de tous nos articles sont abaissés encore cette année et n’ont à redouter aucune
urrence. » [Note d’A. Belloc]
3 70 I.A P H O T O G R A P H I E E X F R A N C E 1816-1871
« La photographie est fille adoptive des sciences et des beaux-arts : aux unes
elle emprunte ses procédés ; aux autres elle offre ses applications. » Mais il
ne faut pas craindre de le dire, la photographie est liée intimement avec
l’industrie et le commerce. Elle a créé pour eux des éléments nouveaux de
développement, et elle attend de leurs ressources de légitimes profits. Nous
sommes de ceux qui pensent que l’on doit encourager sans cesse les études
scientifiques qui amènent les perfectionnements et les découvertes, et chercher
à élever toujours davantage le mérite artistique des productions ; mais nous
croyons aussi que le côté industriel du nouvel art ne saurait être négligé, et
que tout ce qui peut tendre efficacement au progrès dans ce sens mérite
également une sérieuse attention. C’est à ce titre que nous allons signaler à
nos lecteurs une entreprise. [...] Nous voulons parler du Comptoir international
des photographes [sic], fondé sous la direction de M. Edmond Potonié.
L E T R I O M P H E D E L ’I N D U S T R I E
Pour faire connaître l’idée qui a présidé à cette fondation, il nous suffira
de citer quelques lignes de la circulaire qui a été adressée par M. Potonié
aux sociétés photographiques et aux publications spéciales :
« Le but du Comptoir est essentiellement commercial.
Prendre l’initiative de toutes les mesures qui peuvent conduire à la sécurité
et à la prospérité des affaires photographiques ; fonder successivement dans
les principales villes des dépôts des meilleures productions photographiques,
former des expositions permanentes et locales ; faciliter les relations ; arriver
à un accroissement considérable des débouchés ; offrir à chaque nouveau
produit un placement rapide, sûr et important : tels sont les services que le
Comptoir est appelé à rendre.
La photographie a pris partout, comme art, comme science et comme
industrie, un tel développement, le champ qu’elle ouvre au commerce est si
vaste, que l’exécution de ce projet (comme toute autre entreprise de ce genre)
est devenue un besoin. [...J
Il ne suffit pas de créer, il faut répandre ; la richesse est fille de l’échange. »
Dès l’abord nous avions approuvé ce projet ; mais, avant de nous y associer
complètement, nous avons voulu nous procurer tous les renseignements qui
pourraient intéresser nos lecteurs. [...]
Dans la pensée du fondateur, les opérations du Comptoir comprendraient
tout ce qui sert à la photographie et tout ce qu’elle produit et peut produire ;
ainsi, pour la fabrication à l’usage des photographes : appareils, ustensiles,
produits chimiques, papiers, etc., — articles terminés pour le public : cadres,
albums, étuis, stéréoscopes, photographies de tous genres, — librairie
photographique : journaux, livres spéciaux, livres illustrés par la photographie.
Le Comptoir serait l’intermédiaire universel entre les fabricants et les
photographes, entre les photographes et le public. Le comptoir central de
Paris réunirait à la fois l’importation et l’exportation. Il répandrait, au moyen
de ses succursales, les produits photographiques français à l’étranger, et il
aurait à Paris les dépôts des produits étrangers.
M. Potonié s’est déjà assuré des agents ou des correspondants dans les
villes suivantes : Berlin, Copenhague, Varsovie, Pétersbourg, Moscou, Odessa,
Breslau, Vienne, Madrid, Lisbonne, New-York, Adélaïde (Australie), Calcutta.
L’incertitude, en effet, qui plane sur la durée des images arrête et suspend
■>us les travaux qui concernent les arts, l’industrie et la science ; on n’ose
ras se lancer dans des publications sérieuses, on ne veut point entreprendre
e collection importante avec la pensée que l’œuvre exécutée à grands frais
3 72 L A P H O T O G R A P H I E E N E R VN( E IH 1G-1871
prestige (« l ’effet, voilà le but »). Évolution qu’on pourrait résumer (et simplifier)
ainsi : il ne s ’agit plus de faire plus vrai que la peinture, mais de mentir aussi
bien qu’elle. La peinture ment, explique La Blanchère, et c’est par quoi elle nous
intéresse. Il n ’est pas loin d’ajouter pour les photographes : arrangez, interprétez,
mentez donc un peu, vous aussi. Vous n’en serez que plus artistes...
Si le rôle de l’art est d’exprimer l’homme, son but suprême est de l’exprimer
dans sa plus haute beauté, et c’est là en effet son éternelle recherche. Ce but,
que poursuivent ardemment le sculpteur et le peintre, est-il interdit au
378 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
98. Hippo;yte Auguste Collard, « Perspective du passage des c:étcns sur le viaduc »,
Pont-viaduc sur la Seine au Point-du-Jour. pi. 15, 1868. Tirage papier albuminé. - Collard a, entre 1857 et 1868,
consacré plusieurs albums à des ponts ou viaducs en construction ou en réparation.
99. Bisson frères, Ponts routier e t ferroviaire, s.d. Tirage papier albuminé. - Le sujet est en harmonie
avec la rigueur formelle de l'image : la précision, la géométrie des lignes, la mise en valeur de la structure et de la matière des objets.
Une image qui illustre la connivence entre la photographie et le modernisme technologique du second Empire.
Notons que dans cet Album photographique des uniformes de l'armée française de Louise Laffon, les
photographies sont peintes à la main, ce qui lève l’hypothèque de leur altérabilité.
382 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
2. «Compte rendu de l’exposition de Vienne en 1873 », Bulletin de la Société française de photographie, 1875.
p. 264. Les grandes administrations « faisaient un fréquent emploi de la photographie [...] pour se rendre
un compte exact de l’état des travaux, les relever date par date, les soumettre aux conseils d ’administration
et cela de manière bien autrement authentique que par des rapports ».
LE T R IO M P H E DE L T N D l 15 -
101. Hippolyte Auguste Collard, Rotonde sur le Chemin de fer du Bourbonnais, Nevers, 1860-1863. Tirage papier albuminé
384 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
— Baldus, Bisson, Biaise, Duclos, Se'e, etc. — auront travaillé pour les travaux
publics et les compagnies de chemins de fer.
Souvent de très grande qualité, leurs images ne sont considérées que pour leur
valeur illustrative et descriptive. En témoigne l ’indifférence à leur égard des
archives et des publications techniques, voire de la presse en général. Assez
curieusement Davanne lui-même ne mentionne que de façon très allusive — sans
même citer un seul photographe — la présence à l ’Exposition universelle de 1867
de cette production photographique « industrielle ».
Après avoir réalisé en 1858 un bel album de 60 photographies sur le Bois de
Boulogne, Charles Marville se présentera bientôt comme « photographe de la Ville
de Paris » et collaborera à la vaste entreprise commanditée par Haussmann et
l ’Empereur : une « Histoire générale de Paris ». Marville fixera avec méthode
chaque rue appelée à disparaître, les phases successives des travaux et le nouveau
tracé. Il laissera à la Ville de Paris plus de 900 plaques et trois collections
d ’épreuves 3.
Ses liens avec les autorités municipales expliquent certainement sa contribution
au « diorama botanique » 45*installé à l ’Exposition universelle de 1867 dont Pierre
Petit est pourtant le photographe exclusif. Avec le soutien de Barillet — le
jardinier en chef de la Ville de Paris et de l ’Exposition — , Marville essaie
toutefois de remporter ce marché qu’il situe entre 1 500 et 3 000 épreuves .
A côté de Bisson, Baldus, Marville, Biaise, etc. (voir bibliographie), il faudrait
citer Delmaet et Durandelle qui enregistrent entre 1865 et 1872 les étapes de la
construction par Charles Garnier de l ’Opéra de Paris. Mais toutes ces séries
destinées aux ingénieurs des Ponts et Chaussées ou aux architectes des grands
projets urbains laissent encore la photographie à la périphérie de l ’industrie
proprement dite, à la porte des usines et des fabriques ; le caractère plus
architectural qu’industriel de ces images trahit la fragilité des liens qui unissent
la photographie au monde de l ’industrie avant 1871.
3. Marie de l'hézy, Charles Marville, photographe de Paris de 1851 à 1879, Paris, Bibliothèque historique de
la Ville de Paris, 1980, pp. 19-20.
4. Ce diorama est composé d’appareils munis d’une lentille dans lesquels sont disposées 8 à 12 photographies
de la faune et de la flore que les visiteurs peuvent faire défiler en actionnant un bouton. Le 16 décembre
1866 Sallière écrit à Barillet : «C e mot de Diorama n’a pas été compris [...], à tort ou à raison on pense
au Diorama qui est aux Champs-Elysées [...], on a cru que c’était quelque chose d ’analogue, dans lequel
la forme et la couleur auraient également part et où il y aurait quelque chose d ’artistique» (Arch. nat.
F12 11870).
5. Fournier, un des administrateurs de l’Exposition universelle, écrit à Barillet le 19 février 1867: «Je
crois qu’il est nécessaire de limiter à mille le nombre des vues photographiées à commander à M. Marville
Je fais une proposition dans ce sens dans ma note à l’appui de sa soumission. Je vous prie de soumettre
la question à M. Alphand si ce nombre vous paraît insuffisant» (Archives nationales F12 11869).
L E T R I O M P H E D E L ’I N D U S T R I E 385
M. Dagron. Photographie microscopique montée et non montée sur bijoux ; breveté s.g.d.g.
pour la France, l ’Angleterre et tous autres pays. Paris, rue Neuve-des-Petits-Champs.
Le 25 novembre 1860, on lisait dans le Constitutionnel : « Une curieuse trouvaille
vient d’être faite dans les Champs-Elysées et a été déposée aussitôt à la
préfecture de police. C’est une bague d’une grande richesse, entièrement
neuve, dont nous croyons pouvoir donner une description assez détaillée, car
elle ne sera certainement remise qu’à bon escient à la personne qui la
réclamera.
Le chaton est orné d’une couronne royale en diamants, sur rubis, avec le
chiffre V.A. également en diamants. Sous le chaton se trouve un stéréoscope,
pour ainsi dire, imperceptible : les oculaires ne sont guère plus grands qu’une
tête d’épingle, et les deux conduits ont à peine le diamètre d’une très fine
plume de corbeau. En tenant l’œil fixé sur les trous oculaires, on distingue
sur l’objectif les portraits du prince Albert et du prince de Galles en
photographie, et par suite du grossissement les portraits, invisibles certainement
à l’œil nu, puisqu’ils n’ont pas le diamètre d’une petite lentille, arrivent à
la grandeur d’une carte de visite, et l’on peut même lire le nom du prince
de Galles sous le portrait de S.A.R.
Une circonstance qui pourra donner une direction aux recherches, c’est
qu’il y a peu de jours une plainte a été portée sur le vol d’un coffret de
bijoux expédié de Paris à la cour d’Angleterre. »
103 et 104. Mayer et Pierson, deux portraits-cartes, 1861. A gauche : Lord Palmertson. A droite . Comte de Cavour. -
C'est à propos de ces dëu>lfl|caries de visite », plutôt médiocres, que Mayer et Pierson saisissent la justice pour contrefaçon
et que leur avocat revendique un droit de propriété artistique élargi a la photographe
2. I b id . , p. 217
392 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
3. Ibid., p. 232.
4. Sassère, «Code des photographes», Le Moniteur de la photographie, 15 déc. 1862 (n° 19), p. 150.
5. Allusion aux expositions de la Société française de photographie qui, en 1859 et 1861, se tiennent au
Palais de l’industrie en même temps que le Salon des beaux-arts, mais dans un espace séparé (cf. pp. 318-
324).
LE TRIOM PHE DE L T N D l SI S::
sentiment, le goût, le cœur, l’âme de l’artiste ne soient pour rien, et qu’il n’y
ait qu’un procédé mécanique qui aura donné les effets produits ?
Voilà la question grave, importante, vitale pour la photographie, et le
tribunal l’a résolue dans un sens tel qu’il faut déclarer que la photographie
n’est vraiment plus une propriété ayant ses garanties et ses protections, mais
que le domaine public peut s’en emparer quand et comme il le veut. [...]
L’instrument photographique, voilà ce qui a frappé d’abord, et l’homme
s’est effacé, abaissé : il a disparu, il n’a plus été rien. C’est une injustice
d’une part ; c’est un mensonge d’autre part : on déshérite l’homme d’une
propriété à laquelle il a donné un éclat immense. [...] Il n’y a pas
d’assimilation, dit le tribunal, entre la peinture et la photographie, car la
photographie ne crée pas, n’invente pas. Le peintre observe, imagine, conçoit
et crée. La peinture et la sculpture ont, devant elles, le domaine de l’idéal
comme le domaine de la réalité. Le domaine de l’idéal est fermé à la
photographie.
Pourquoi ces comparaisons ? Le peintre n’invente pas toujours. Souvent il
reproduit la nature et les personnages. Pour reproduire la nature, il faut qu’il
copie.
S’il pouvait l’imiter exactement, il ne désirerait rien de mieux, et il serait
bien convaincu d’avoir fait une œuvre d ’art en se rapprochant le plus possible
de cette nature qui le charme et qu’il admire.
Est-ce que le peintre est moins peintre quand il reproduit exactement ? Le
peintre a un domaine plus large, le photographe n’a devant lui que la réalité ;
mais il en saisira le beau, le vrai ; et le beau est le même pour le photographe
que pour le peintre et le sculpteur. [...]
Sans doute, le photographe ne crée pas, n’invente pas comme le peintre,
et au même degré. Mais lorsqu’il voudra prendre une vue, un paysage, agira-
t-il sans discernement comme le fait un manœuvre ? Non, il fera ce que fait
le peintre, si c’est un homme de génie, si c’est un homme de sentiment, si
c’est un homme de goût ; il combinera heureusement l’ombre et la lumière ;
comme le peintre, il fera son tableau dans sa pensée, et quand il l’aura
composé dans son imagination, il prendra son appareil pour lui faire rendre
ce que son intelligence a conçu et ce qu’il veut faire passer dans son œuvre.
Voilà l’artiste photographe, voilà son œuvre.
La confirmation du jugement, c’est la destruction de la photographie.
Croyez-vous que ces hommes qui, en sacrifiant leur fortune et leur vie, excitent
notre enthousiasme et notre admiration, croyez-vous qu’ils consentiront à de
pareils sacrifices pour chercher dans des pays lointains les curiosités qu’ils
nous recèlent ; croyez-vous qu’ils graviront les plus hautes montagnes, au
péril de leur existence, pour étaler à nos yeux leurs sauvages grandeurs, si,
rentrés chez eux après tant de fatigues et de sacrifices de tout genre, il suffit
qu’un copiste arrive pour prendre leur œuvre ?
Il leur faut une récompense, et, j ’y insiste, c’est le droit de reproduction
exclusive que je réclame pour eux ; il n’a pas appartenu à la propriété
I.E TRIOM PHE DE L'INDUSTRIE 397
matérielle, il n’est pas protégé par le droit commun, il ne l’est que par la
loi de 1793. Effacez cette loi, il disparaît, il ne reste plus rien, et toutes les
belles photographies appartiendront ainsi au premier copiste venu qui vivra
du bien d’autrui, sans que jamais il soit permis d’empêcher une semblable
reproduction.
Après leur échec en appel face à Mayer et Pierson (cf. p. 390), Betbeder et
Schwabbé se pourvoient en cassation, mais sont déboutés le 28 novembre 1862. La
Cour refuse toutefois de rendre un « arrêt de principe », laissant aux juges le soin
de décider cas par cas « si le produit déféré à leur appréciation rentre par sa
nature dans les œuvres d’art protégées par la loi du 19 juillet 1793 » 1. D ’autres
procès pour contrefaçon ont donc lieu : au tribunal de décider si les épreuves
incriminées relèvent ou non de la création artistique.
En mars 1863, à l ’occasion d ’un autre procès contre plusieurs de leurs
contrefacteurs, Mayer et Pierson font à nouveau l ’expérience de la précarité du
statut de la photographie, la juridiction du premier degré refusant encore à la
photographie « sa place au rang des Beaux-Arts et le droit d’invoquer la protection
de la loi spéciale de 1793 » 12. Leur victoire en appel donne au M oniteur de
la photographie l ’occasion de réclamer, mais en vain, « un arrêt de principe
qui fasse cesser le conflit entre les deux juridictions du premier et du second
degré » 3.
Ces procès sont aussi l ’occasion pour les adversaires de l ’art photographique de
passer à l ’offensive : l ’avocat de Betbeder et Schwabbé lit à l ’audience de la Cour
suprême, en novembre 1862, une protestation signée d ’Ingres 4, Flandrin, Trayon,
etc., contre toute assimilation de la photographie à l ’art.
Ernest Lacan a raison de noter que certains peintres sollicités, comme Léon
Cogniet et Eugène Delacroix, ont refusé de signer. Mais à la même époque,
« Considérant que, dans de récentes circonstances, les tribunaux ont été saisis
de la question de savoir si la photographie devait être assimilée aux beaux-
arts, et ses produits protégés à l’égal des œuvres des artistes ;
Considérant que la photographie se résume en une série d’opérations toutes
manuelles, qui nécessite sans doute quelque habitude des manipulations
qu’elle comporte, mais que les épreuves qui en résultent ne peuvent, en aucune
circonstance, être assimilées aux œuvres fruit de l’intelligence et de l’étude de
l’art. Par ces motifs,
Les artistes soussignés protestent contre toute assimilation qui pourrait être
faite de la photographie à l’art. »
5. Voir l’intéressante étude de Janine Bailly-Herzberg, L ’Eau-forte de peintre au X I X ' siècle ; la Société des
aquafortistes (1862-1867). Paris. L. Laguet. 1972.
6. Prospectus cité par Janine Baillv-Herzberg. op. cit., p. 18.
7. Théophile Gautier. « Publications photographiques de MM. Faucheur et Danelle », Le Moniteur universel.
25 avr. 1862.
400 LA PHOTOGRAPHIE EX FRANCE 1816-1871
Depuis quelques années un groupe de jeunes artistes s’était tourné vers l’eau-
lorte, comme offrant le moyen le plus vif et le plus spontané de rendre la
pensée. Il en résulta des planches intéressantes, quelques illustrations pour
les livres de la nouvelle génération ; mais le public n’avait pas été en relation
directe avec ce groupe, composé d’artistes qui, produisant pour eux et sans
souci de répandre leurs œuvres, ne pouvaient entrer en lutte avec la
photographie.
Car des éditeurs considérables en sont arrivés à regarder la photographie
comme le meilleur moyen de vulgariser les œuvres d’art. Tout par la
photographie, tout pour la photographie, semble être le mot d’ordre de ces
marchands qui, ayant jadis répandu dans le public le goût de la bourgeoise
gravure à la manière noire, devaient en arriver à cette autre manière noire
mécanique : la photographie.
Frappés de cette déplorable tendance, les artistes se réunirent, et comme
leurs essais avaient déjà marqué, ils voulurent protester par une publication
qui montrât que l’interprétation de l’artiste par l’artiste devait se perpétuer,
et non l’interprétation de l’artiste par la machine.
Ainsi fut constitué tout d’abord un groupe de jeunes aquafortistes, auxquels
s’adjoignirent bientôt la plupart des maîtres glorieux qui, depuis 1830, ont
essayé à diverses reprises, en s’interprétant eux-mêmes par la pointe, de
montrer aux ouvriers en gravure et en lithographie les qualités qu’ils laissaient
dans l’ombre pour leur substituer une sorte de métier dans lequel disparaissaient
les angles de toute personnalité puissante. [...] Les plus grands maîtres
d’aujourd’hui se sont fait recevoir de la Société des aquafortistes. Des artistes,
indifférents jusqu’ici à la vulgarisation de leur œuvre, ont demandé des
cuivres, et la publication contiendra la fleur de leurs essais à la pointe.
Ainsi, c’est donc une réunion de peintres consacrés par la réputation, et
de jeunes peintres qui la cherchent par l’étude et la pensée, que cette Société
des aquafortistes, dont le succès a été si grand en Angleterre.
8. « Nous sommes heureux de pouvoir affirmer que MM. Léon Cogniet et Eugène Delacroix ont refusé
formellement de signer cette protestation qui leur était présentée. Il est permis de croire que beaucoup
d'artistes dont les noms ne figurent pas dans la liste ci-dessus ont répondu également par un refus à la
démarche que l'on a faite près d ’eux. » [Note du Moniteur de la photographie]
LE TRIOM PHE 1)E I.T XDI » - i
qui peut « apprendre à avoir l ’œil juste », et qui peut aussi, par la reproduction
des tableaux de maîtres, aider à l ’analyse des constituants picturaux *4.
manière, le peu de naturel, malgré la qualité de style, la seule qu’on puisse admirer, mais que nous
n’admirions plus dans ce moment. En vérité, qu’un homme de génie se serve du daguerréotype comme
il faut s’en servir, et il s’élèvera à une hauteur que nous ne connaissons pas. »
4. Cf. le Journal, 24 nov. 1853 : « Promenade le soir dans la galerie Vivienne, où j ’ai vu des photographies
chez un libraire. Ce qui m’a attiré, c’est l'Elévation en croix de Rubens (de la cathédrale d ’Anvers), qui
m’a beaucoup intéressé : les incorrections, n’étant plus sauvées par le faire et la couleur, paraissent
davantage. »
5. Archives nationales (F''6902), ministère de l’Instruction publique, sans date.
6. Charles Aubry, Etudes de feuilles. l re série, 31 mai 1864, Paris, Bibliothèque nationale, Eo 69a Fol. Voir
l’article d’Anne McCauley, « Photographs for industry : the Career of Charles Aubry », The J. Paul Getty
Museum Journal, Los Angeles, vol. XIV, 1986. La lettre ci-dessus sera publiée dans le premier tome de
Correspondance de Nadar, établie par André Rouillé et Béatrice Soyer, à paraître aux éditions Macula.
L E T R I O M P H E D E L ’I N D U S T R I E
pp. 1139-1146.
dit devant un portrait : C’est ressemblant, mais le nez est trop court. Puis
on regarde l’original, et on ajoute : Je n’avais pas remarqué que vous eussiez
le nez si court !... mais vous avez le nez très court !... » Ces réflexions montrent
assez quelle doit être la tâche du peintre de portrait, et cette tâche exige
peut-être, contre l’opinion reçue qui classe le portrait dans les genres inférieurs,
des facultés supérieures et tout à fait distinctes. On comprend que l’habileté
du peintre de portrait consistera à amoindrir les imperfections de son modèle,
tout en conservant la ressemblance, et les moyens que donne Mme Cavé de
résoudre cette difficulté sont à la fois simples et ingénieux. Certains traits
peuvent être modifiés, embellis, tranchons le mot, sans nuire aux traits
caractéristiques. « Étudiez le caractère d’une tête, tâchez de reconnaître ce
qu’elle a de frappant au premier abord. Il y a des personnes qui naissent
avec ce tact ; aussi font-elles le portrait ressemblant même avant de savoir
dessiner. J ’appelle ressemblant le portrait qui plaît à nos amis, sans que nos
ennemis puissent dire : C’est flatté ! Et ne croyez pas que ce soit facile :
combien y a-t-il de bons peintres de portrait, c’est-à-dire de peintres qui
joignent à un grand talent le mérite de la ressemblance ? Fort peu. Souvent
un simple croquis est plus ressemblant qu’un portrait : c’est qu’on a eu le
temps d’y mettre ce que tout le monde a remarqué. Savez-vous quelle est la
couleur des yeux de tous vos amis ? Non certainement... Il résulte de là que
nous nous regardons entre nous très légèrement. De là cette question : Faut-
il qu’un peintre de portraits nous en montre plus que nous n’avons l’habitude
d’en voir ? Examinez les portraits faits au daguerréotype : sur cent, il n’y en
a pas un de supportable. Pourquoi cela ? C’est que ce n’est pas la régularité
des traits qui nous frappe et nous charme, mais la physionomie, l’expression
du visage, parce que tout le monde a une physionomie qui nous saisit au
premier aspect, et qu’une machine ne rendra jamais. De la personne ou de
l’objet qu’on dessine, c’est donc surtout l’esprit qu’il faut comprendre et
rendre. Or, cet esprit a mille faces différentes ; il y a autant de physionomies
que~dë sentiments. C’est une grande merveille de Dieu d’avoir fait tant de
figures diverses avec un nez, une bouche et deux yeux ; car qui de nous n’a
pas cent visages ? Mon portrait de ce matin sera-t-il celui de ce soir, de
demain ? Rien ne se répète : à chaque instant, une expression nouvelle ! »
Monsieur, Je voudrais (vous allez voir comme je suis malin en affaires) tirer
parti de deux cents clichés de fleurs et de fruits du genre des épreuves que
je joins à la présente.
Déjà (vous allez voir comme je sais faire mousser une affaire) le Préfet de
la Seine, ou plutôt la commission nommée par lui, a fait choix de seize de
408 L A P H O T O G R A P H IE E N FRANCE 1 8 1 6 -1 8 7 1
D i s s e r t a t i o n s h is to r iq u e s , a r t i s t i q u e s e t s c ie n tif iq u e s s u r la p h o to g r a p h i e ,
1864. pp. 205-224.
B o u rg e o is e s t u n p h o to g r a p h e p ro f e s s io n n e l d e p ro v in c e , A g u a d o un a r is to c r a te p a ris ie n a m a te u r d e p h o to g ra p h ie .
C h e z A g u a d o , l'a te lie r a p p a ra ît c o m m e un v é r ita b le e s p a c e s c é n iq u e a v e c f o n d s p e in ts ,
c o u l i s s e s , s y s t è m e d e ré g la g e d e la lu m iè re , e t c ., t a n d i s q u e B o u rg e o is s e p r é s e n t e e n s a b o t s a v e c le s
in s tr u m e n t s o rd in a ir e s d u p h o to g ra p h e (p ied , c h a m b r e n o ire , a p p u ie - tê te , c o lo n n e , c u v e t te s , e tc .).
de l’artiste suffisent ensuite pour lui faire prendre. Tout doit être mis en
œuvre pour distraire le visiteur et donner à son visage une expression de
calme et de bonheur, pour faire naître dans son âme des idées agréables,
riantes, qui, éclairant ses traits d’un doux sourire, en fassent disparaître cette
expression sérieuse que le plus grand nombre a une tendance à prendre, et
qui, étant celle qui s’exagère le plus, donne ordinairement à sa physionomie
un air de souffrance, de contraction ou d’ennui.
Le salon de pose est ordinairement établi sur une terrasse couverte et
disposée de manière que les rayons lumineux puissent parfaitement l’éclairer
dans toutes ses parties et à toute heure du jour. Des écrans mobiles, des rideaux
de différentes nuances, des réflecteurs habilement manœuvrés composent la
lumière suivant les besoins de l’opération, règlent son intensité et éclairent
le modèle, de façon que toutes les surfaces, tous les contours soient apparents,
et que tout en mettant un des côtés beaucoup plus franchement en lumière
que l’autre, aucune partie ne reste enveloppée dans une ombre absolue. 1
1. Alexandre Ken érige en principe d'une esthétique du portrait ce que Fourncl dénonçait quelques années
auparavant comme les caprices d’une clientèle bourgeoise en mal de paraître (cf. pp. 289-295).
LE T R I O M P H E H E L ’I N D L S T R I E
Les accessoires qui meublent le salon de pose doivent être assez nombreux,
variés et de bon goût. Des toiles peintes en trompe-l’œil, glissant dans des
rainures, forment des fonds divers représentant des berceaux, des jardins, des
paysages, des galeries, etc. Il faut assez bien choisir et disposer ses accessoires
pour qu’ils ne puissent pas acquérir trop d’importance et écraser même dans
l’épreuve le modèle qu’ils doivent simplement accompagner et faire valoir.
Ceux qui prétendent qu’il ne peut pas y avoir de l’art dans un portrait
photographique, et qui, toujours préoccupés de l’instrument, ne voient pas la
personne qui le manœuvre, devraient passer quelques journées dans un salon
de pose et voir l’artiste aux prises avec le modèle. [...] Que d’efforts pénibles
il dépense à corriger l’ineptie souvent revêche du modèle ou la vérité trop
fidèle de l’instrument ! [...] Si, ce qui n’arrive que trop souvent, le goût de
la personne qui pose est en désaccord avec le sien, il faut qu’à la minute
même il la persuade, la drape, la pose. Il faut d’un coup d’œil qu’il ait vu
la beauté caractéristique de sa physionomie, et trouvé le jour, l’aspect, la
pose qui la fera le mieux valoir ; qu’il l’amène à donner à son visage
l’expression qui lui sied, la souplesse, l’élégance, le naturel ; qu’elle retranche
de sa toilette tel détail nuisible, tel ornement qui, charmant sur la personne,
414 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
ne produirait pas le même effet dans le portrait ; qu’il lui persuade qu’il est
inutile de charger ses doigts et ses bras de bijoux, d’encadrer son image dans
un fond prétentieux, de l’entourer de vases, de berceaux, de statuettes, de
guirlandes, de changer telle robe dont la couleur qu’elle aime donnerait à
l’épreuve une teinte désastreuse. Lutte pénible, difficile, dans laquelle l’artiste
dépense en vain tout le tact, toutes les resssources d’un esprit ingénieux et
patient, lorsqu’un amour-propre déplacé s’en mêle ; alors, de guerre lasse, il
laisse le client poser comme il veut, et l’instrument croquer le modèle tel
qu’il est. L’artiste n’est pour rien dans cette affaire ; il n’a d'autre ressource
que de diriger la lumière et plus tard le tirage, de manière à produire de
bonnes épreuves photographiques qui laissent toute la responsabilité de la
vulgarité, de la laideur ou du ridicule du portrait à qui elle revient.
Pour la photographie, dit-on, c’est le modèle qui fait son portrait lui-même.
Ceci est vrai dans le sens absolu du mot, si l’on veut dire qu’une fois éclairé
et posé, le modèle et l’instrument agissent seuls. Mais à qui est due la pose,
à qui est due la disposition du jour ? Les traits les plus réguliers, les plus
délicats seront mal rendus, enlaidis par l’épreuve, si une pose et un jour
habilement disposés ne font leur image harmonieuse, si l’artiste ne sait sentir
ni faire valoir leur beauté ; la figure la plus ingrate, étudiée et rendue par
l’artiste, peut donner un portrait remarquable. [...] Lorsqu’on entre dans un
salon de pose, on ne saurait trop se pénétrer de cette idée que c’est l’expérience,
le savoir, le goût épuré, le sens artistique du photographe qui doivent guider
le modèle et suppléer à ce qui lui manque.
On a voulu formuler des règles certaines pour la pose du modèle ; d’après
nous, il ne peut y en avoir. C’est à l’artiste de bien étudier d’abord le
caractère de la physionomie, le genre de beauté de la personne qui vient lui
demander son portrait, et de la poser ensuite suivant son inspiration, de
manière à faire valoir le mieux et le plus harmonieusement possible les
avantages et à masquer les défauts qui le frappent. En posant le modèle un
peu de côté et le visage un peu plus de face que le corps, en mettant les
mains autant que possible sur le même plan que le visage, sans que les pieds
soient trop projetés en avant, on peut obtenir des portraits harmonieux,
accentués, des épreuves qui ont une véritable tournure artistique. Posé trop
en face, il est plus difficile de ne pas laisser tomber le portrait dans le
vulgarisme qu’on reproche aux reproductions photographiques ordinaires.
Mais ce sont là des données générales ; c’est au photographe, nous le répétons,
de voir la pose qui convient au modèle, de mesurer et de disposer la lumière ;
c’est en cela qu’il doit faire réellement preuve de sens artistique et de sa
personnalité. Il doit éviter tout parti pris dans la pose et dans l’effet produit,
sans cela il arrivera à ce résultat que tous ses portraits se ressembleront plus
ou moins, qu’ils auront un aspect général uniforme qui détruira l’individualité
de chacun d’eux. C’est ce qu’on remarque dans les épreuves, d’ailleurs fort
belles, qui sortent des ateliers de quelques photographes habiles qui, se
LE T R IO M P H E DE E 1 \ D '. '~T1I
Lorsque le peintre ou le sculpteur exposent leur œuvre, ils ont le public pour
juge — le sentiment artistique si répandu en France dans les masses, le goût
exercé des gens du monde, et par dessus tout cela le savoir de critiques
éminents qui éclairent et guident ; le photographe a d’abord pour juge unique
et sans appel le client, qui retrouve pour apprécier ses épreuves toutes ses
exigences, toutes ses prétentions, et qui s’étonne qu’on n’ait pas fait un chef-
d’œuvre en le reproduisant à son goût. Aussi doit-on tenir pour artiste d’un
mérite réel celui qui arrive à la réputation et à la fortune uniquement par
la production de ses œuvres.
Monsieur le Ministre, Nous n’avons pas vu figurer parmi les arts appelés à
l’exposition artistique de 1863, les œuvres exécutées par les moyens photogéni
ques. Nous prenons la liberté de vous adresser quelques observations à ce
sujet, au nom de la Société photographique de Marseille.
Il y a confusion dans l’expression qui a cours aujourd’hui pour désigner
tout ce qui est du ressort de cette admirable découverte, et nous n’hésitons
pas à attribuer à ce fait l’oubli que nous prenons la liberté de vous signaler.
On dit, en effet, la photographie indifféremment pour la science photographique
ou pour l’art photographique. Il y a cependant une distinction à établir et
un mot à créer. Le nom de science photographique nous paraît une
dénomination juste, mais l’art photographique est un mot aussi peu applicable
« Photographies obscènes », Gazette des tribunaux, cité par Revue photographique, 1860,
p. 191.
112. Anonyme, Femme nue sur un divan, 1854. Tirage papier salé. -
Cette image se situe à mi-chemin entre les photographies obscènes que la censure interdisait
et celles qu'elle autorisait « sans exposition à l'étalage ».
113. Louis-Camille d'Olivier, Nu allongé, étude n ° 538. 1855. Tirage papier légèrement albuminé. -
Olivier, qui est peintre et photographe, fonde en 1853 avec l'appui de Léon Cogniet, la Société photographique
spécialisée dans la production de nus pour artistes.
en avoir vendu sept, et ne font pas connaître ce que sont devenus les neul
dessins qui manquent ;
Que le fait d’avoir tenu en vente, dans un magasin ouvert à tous et
fréquenté par un grand nombre de personnes, des photographies licencieuses,
constitue le délit d’outrage public aux mœurs ; qu’en effet ces objets, qui
avaient été achetés pour être vendus, ont été placés dans des magasins
communs aux autres articles du commerce des époux Lamarre, ont été
présentés par eux aux acheteurs et ont été répandus dans le public par l’effet
des ventes qui ont été faites : que les deux circonstances d’outrage à la morale
et de publicité constitutives du délit imputé aux prévenus se rencontrent dans
l’espèce, et qu’il y a lieu de leur faire l’application de l’article 8 de la loi
précitée du 17 mai 1819 ;
Considérant que, vainement, la dame Lamarre maintient qu’elle a été
étrangère à la vente ou à la mise en vente des photographies [...]. Q u’on
peut même dire que cette dame a reconnu elle-même qu’elle encourait une
responsabilité personnelle, puisque, lors de la seconde visite, elle a enlevé
avec l’ongle la figure d’une photographie pour la rendre méconnaissable ;
Que la dame Lamarre, pas plus que son mari, n’a pu ignorer l’obligation
du dépôt des photographies et de l’autorisation nécessaire pour en opérer
légitimement la vente ; qu’en faisant cette vente sans autorisation, ou en y
L E T R I O M P H E D E L IN T " .
« Préambule » , P h o to g ra p h ie , c a lc u l d es te m p s de p o se, 1 8 6 5 , p p . 1 - 3 .
« Revue photographique », Le Moniteur de la photographie. 1er déc. 1865 (n° 18), pp. 137-
138.
Parmi les portraitistes parisiens qui se sont occupés avec le plus d’ardeur et
de persévérance de la question des agrandissements, M. Numa Blanc, l’habile
photographe miniaturiste, peut être cité comme un des plus zélés. Il n’a cessé
d’étudier le côté pratique de cette importante application, et les résultats qu’il
a obtenus prouvent largement que ses travaux ont été fructueux.
Après avoir expérimenté les divers appareils et procédés qui se sont produits
successivement, M. Numa Blanc en est arrivé à combiner ensemble plusieurs
systèmes et à se servir exclusivement de la lumière électrique. L’avantage
qu’il y trouve est notable, car au lieu d’attendre qu’il plaise au soleil de se
montrer, ce qui est souvent une vaine attente, il peut opérer un tirage régulier
depuis l’heure la plus matinale, jusqu’à la dernière heure de la soirée. Aussi
peut-il aujourd’hui offrir à ses confrères de Paris, de la province et de
l’étranger, d’opérer pour eux le tirage des clichés qu’ils désirent amplifier.
C’est une véritable imprimerie à agrandissements qu’il vient d’organiser.
Nous venons de visiter son établissement, et nous en avons trouvé
l’installation parfaite.
Une vaste chambre a été disposée de façon à ce qu’aucune lumière extérieure
n’y puisse pénétrer. Elle renferme, avec l’appareil amplifiant et le chariot sur
lequel voyage l’écran destiné au papier sensible, les bassines, les produits
chimiques, etc. Plusieurs opérateurs peuvent y circuler aisément.
L’appareil employé, et que M. Numa Blanc nomme électro-mégascope, est,
comme nous l’avons dit, une heureuse combinaison de plusieurs systèmes. La
lampe est de Serrin, le mécanisme qui la règle est celui de Duboscq, le
système optique est celui de Woodward modifié. Les pointes de charbon ont
été perfectionnées de telle sorte que la lumière est fixe et continue. Son
intensité est telle que deux minutes suffisent pour obtenir une image complète
sur papier ioduré. Quelles que soient les objections qu’on a élevées contre le
tirage par développement, il est certain que les résultats en sont aussi excellents
que possible ; sous le double rapport de la netteté et de la vigueur, ils ne
laissent rien à désirer, et dans cette application, ce mode d’impression a
l’immense avantage de la rapidité.
VERS UNE PRODUCTION MÉCANIQUE
D’ <EFFETS ARTISTIQUES »
(1865)
1. Delacroix cite dans son Journal (28 févr. 1851), à propos de Chopin, mort quelques mois plus tôt (oct.
1849), un article de Liszt paru dans une publication parisienne. Liszt vante chez Chopin « ce contour
flottant et indéterminé qui fait le charme de sa pensée » et « cette indécision nuageuse et estompée, qui,
en détruisant toutes les arêtes de la forme, la drape de longs plis comme de flocons brumeux ».
I.E T R I O M P H E D E I. I M ) l s .
Mme Cameron, qui, bien que comme photographies, n’étant pas au-dessus de
la médiocrité (peut-être à cause du manque d’appareils assez parfaits et d’une
expérience suffisante dans la manipulation), sont néanmoins le résultat du
travail d ’un véritable artiste. Quel est en effet le juge compétent en matière
d’art qui ne préférât ces productions, avec toutes leurs imperfections manifestes,
à plusieurs des plus parfaites photographies qu’on voit dans les expositions ?
Plus on examine les spécimens de Mme Cameron et plus on les apprécie. A
la première vue, on peut les négliger et ne pas les comprendre, mais à une
seconde et à une troisième visite, ses cadres sont ceux qui attirent le plus
l’attention. Cependant beaucoup des portraits et des groupes exposés sont
une preuve qu’une bonne manipulation peut s’allier aux qualités de l’art et
de la composition. Il n’est donc pas à dire que l’habileté mécanique et le
goût artistique ne puissent pas se prêter la main dans ce genre de production.
1. Cette liaison s’exprime de façon éloquente dans les colonnes de L ’Illustration du 27 mai 1865 (p. 335)
où la réclame pour l’appareil Dubroni est immédiatement précédée par un article intitulé « Les bains
d’Ems », qui commence ainsi : « Voici un soleil de mai qui va faire déserter Paris. Déjà l’on n’entend
plus parler que de départs, qui pour les châteaux, qui pour les voyages, qui pour les bains de mer ou
pour les eaux. Le Paris aristocratique, financier, intelligent, s’éloigne toujours alors que nous reviennent
les hirondelles, la province et l’étranger : c’est le chassé-croisé habituel. Si les eaux sont en vogue, toutes
du moins n’ont pas la même destinée », etc.
L E T R I O M P H E D E L 'I N D U S T R I E
Tel est le rêve. Évidemment il ne suffit pas de former un vœu pour qu’il
soit exaucé, mais cependant nous ne croyons pas prétendre à l’impossible en
formulant le désir de voir se vulgariser à ce point la belle science de la
photographie. [...] A l’industrie maintenant le soin de s’emparer de toutes les
applications susceptibles de passer dans une pratique facile, des procédés secs,
des appareils portatifs, par exemple.
Nous ne croyons pas essentiel que tout le monde connaisse à fond la théorie
de l’art photographique, cette science approfondie n’est pas plus indispensable
à quiconque voudrait photographier, que la connaissance des règles de
grammaire ne l’est à un Français quelconque pour exprimer sa pensée dans
sa langue, à quelques incorrections près.
Il faudrait que l’industrie parvînt à rendre mécanique autant que possible
l’application d’un procédé photographique à la portée de tous ; et, pour en
donner une idée, voici comment : un tout petit appareil d ’un quart de plaque
au maximum serait l’instrument usuel ; des glaces ou papiers sensibles secs
fabriqués industriellement, toujours de la même manière, seraient à la
438 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
Le moment est venu, selon nous, où l’industrie peut débuter dans cette
voie de vulgarisation, et il mériterait bien d’être considéré comme un
bienfaiteur public l’industriel intelligent et initiateur qui s’appliquerait à
réaliser la voie nouvelle, à mettre la photographie à la portée de tous, l’industriel
qui préparerait les plumes, l’encre et le papier de l’art photographique. [...]
Nous trouverons bientôt fastidieux au possible ce travail mécanique qui
consiste à nettoyer des glaces, à répandre sur leur surface une couche de
collodion, à sensibiliser, passer au tannin, laver, vernir, puis à recommencer
sans cesse cette série d’opérations de plus en plus décourageantes et ennuyeuses,
et dont le résultat final est d’enlever à M. A. 2 un temps précieux dont il
pourrait tirer un parti plus utile en se consacrant à ses relations, à ses travaux
professionnels. Il s’occuperait de photographie avec le même succès s’il
trouvait, toutes préparées, les glaces qu’il est obligé de fabriquer lui-même,
au sein d’une solitude absolue, d’une clarté des plus douteuses, environné
d’une atmosphère de vapeurs dont l’inhalation est des moins favorables à sa
santé.
2. Un peu plus haut dans son article, Léon Vidal a pris un exemple pour illustrer son argument : « M A.,
homme du monde, avocat distingué, occupe ses loisirs à faire de la photographie, à reproduire avec son
aide les sites qui le frappent dans ses excursions ; il emporte toujours (supposons que ce toujours soit
possible) un tout petit appareil bien léger et un certain nombre de glaces sèches et rapporte après chaque
sortie des vues ravissantes. »
L E T R IO M P H E DE L T N D L S T fc li * 2 *
Les clichés obtenus, tout n’est pas fini : des papiers positifs doivent êtr-
préparés jusqu’au moment du tirage des épreuves ; nouvelle fabrication a
laquelle un temps quelquefois assez long doit être consacré. Ne vaudraii-û
pas mieux que des papiers sensibles, inaltérables dans l’obscurité, fussent mis
par l’industrie à la disposition de notre amateur pour lequel la photographie
deviendrait alors un véritable délassement au lieu d’être pour lui un travail
fatigant, une cause de perte de temps, de négligence de ses affaires, et tout
cela pour en venir souvent à un complet abandon. [...]
N’avons-nous pas raison de plaider la cause des amateurs en nous efforçant
d’amener l’industrie à leur aide pour les dégager des travaux de pure
fabrication auxquels ils sont obligés de se livrer aujourd’hui au prix de tant
de temps et de dégoût ?
Ce que nous demandons, c’est qu’il se crée en France une industrie ayant
pour objet la fabrication des glaces sèches pa- un procédé normal, constant,
ayant fait ses preuves. Ce procédé existe, mais il ne manque plus que
l’industriel. [...]
Nous n’exigeons pas que cette usine de glaces sensibles se mette d’abord
sur le pied de préparer des glaces de toutes les dimensions, il suffirait d’une
seule, du quart de plaque pourvu que simultanément on mît en fabrication
l’appareil portatif aussi léger que possible, destiné à impressionner ces glaces.
L’appareil Dubroni jouit d’une certaine vogue, mais cet appareil, basé sur
l’emploi de réactifs liquides au moment de l’opération, ne peut avoir sa place
marquée dans les horizons de la photographie nouvelle. Combien grande au
contraire serait la vogue d’un petit appareil du genre de celui que nous
indiquons, accompagné d’un petit manuel explicatif en quatre pages, contenant
la manière de s’en servir et pour lequel on trouverait chez tous les depositaires
d’objets photographiques des glaces sensibles toutes préparées !
— La photographie alors passerait dans toutes les mains ; les dames que
rebutent aujourd’hui tant de manipulations salissantes, ne redouteraient plus
d’emporter dans leurs nécessaires de voyage l’instrument pratique dont
l’emploi leur serait si facile, et de cette généralisation du dessin par la lumière,
il ne pourrait que résulter une marche plus rapide vers les perfectionnements
de la science photographique. En effet, plus il y aura de gens usant de
l’objectif et plus grand sera le nombre des chercheurs.
Parmi nos savants illustres, nos artistes de premier ordre, il n’en est pas
encore qui aient pu s’occuper de photographie, tant cette science leur a été
présentée jusqu’à ce jour sous un aspect défavorable ; mais certainement il
n’en serait plus ainsi dès que tout se résumerait dans une simple opération
mécanique et il y a lieu de croire que ceux des hommes de génie qui
s’engageraient d’abord dans cette voie, parce qu’elle leur paraîtrait commode
et prompte, ne tarderaient pas à s’en occuper à un point de vue, soit plus
pratique encore, soit plus abstrait, et à signaler de nouveaux perfectionnements
dont l’industrie aurait à tirer parti aussitôt au profit de ses vues de
vulgarisation.
440 I.A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
PH O TO G R A PH IE DE POCHE
APPAREIL DUBRONI.
d ’un projecteur électrique 12. D ’autre part, la photographie est largement mêlée aux
recherches astronomiques. Le 13 octobre 1856, Auguste Bertsch et Camille d’Arnaud
photographient l ’éclipse de la lune à l ’aide d’une lunette de Porro. «Après avoir
appliqué la photographie d ’une manière que je crois utile à l ’étude des infiniment
petits, déclare Bertsch à la S.F.P., [j’ai voulu] montrer, par des expériences
sérieuses, que notre science peut aussi rendre de vrais services dans l ’étude des
infiniment grands » 3. Chacune des éclipses du soleil ou de la lune sera donc
l ’occasion d ’une expérimentation nouvelle en vue de « substituer à l ’œil de l ’observateur
une plaque photographique », de promouvoir « l ’observation automatique / contre]
l ’ancienne méthode basée sur nos sens ».
Les sens, les sentiments et l ’individualité si chers aux « photographes artistes »,
sont précisément ce que rejettent les hommes de science. A moins que la frontière
entre l ’art et la science ne soit pas si radicale, comme tendrait à le prouver
Duchenne de Boulogne qui s ’adresse à la communauté scientifique et aux artistes,
qui invoque la physiologie en même temps que Rembrandt et Ribera, et qui divise
son ouvrage en une partie scientifique et une partie esthétique, l ’une et l ’autre
« réunissant, autant que possible, l ’ensemble des conditions qui constituent le beau,
au point de vue plastique ».
1. Il présente le 10 août 1857 à l'Académie des sciences des épreuves au collodion de cristaux de salicine
en lumière polarisée, une « diatomée du guano obtenue avec un grossissement de 500 diamètres »> et une
navicuie [algue brune] « grossie de 800 diamètres ».
2. «Assemblée générale de la Société». Bulletin de la Société française de photographie, mars 1857. pp. 63-64.
3. «Assemblée générale de la Société». Bulletin de la Société française de photographie, nov. 1856. p. 304.
4 44 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
4 Étienne-Jules Marey, Physiologie médicale de la circulation du sang, basée sur Vétude des mouvements du cœur et
du pouls artériel, avec application aux maladies de Vappareil circulatoire, Paris, 1863, 568 pp., 235 fig.
446 L A P H O T O G R A P H I L EN1 F R A N C E 1816-1871
5. « M. Adrien Tournachon, photographe dont tout le monde connaît l’habileté, a bien voulu me prêter
le concours de son talent dans l’exécution de quelques clichés. » [Note de Duchenne]
L E T R I O M P H E D E L IN
6. « J ’opère avec un objectif de M. Dérosier, à court foyer, extrêmement rapide et d ’une grande
profondeur. » [Note de Duchenne]
7. « De 1856 à 1857, j ’ai obtenu par transparence ces clichés négatifs, d ’après des positifs intermédiaires
grossis, qui eux-mêmes avaient été faits sur mes négatifs primitifs d ’un quart de nature. Je ne sache pas
que ce genre de photographie ait été fait avant moi. » [Note de Duchenne]
+50 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
Explication de la légende
L’individu que j ’ai choisi comme sujet principal des expériences représentées
par la photographie dans cet album, est un vieillard édenté, à la face maigre,
dont les traits, sans être absolument laids, approchent de la trivialité, dont
la physionomie est en parfaite concordance avec son caractère inoffensif et
son intelligence assez bornée.
Voici les raisons qui ont déterminé ce choix :
1° Dans la vieillesse, on voit, sous l’influence des contractions musculaires,
se dessiner toutes les lignes expressives de la face (les lignes fondamentales
et secondaires).
2° La maigreur de mon sujet favorise le développement de ces lignes
expressives, et facilite en même temps l’électrisation partielle des muscles de
la face.
3° A cette figure triviale je n’ai pas préféré des traits nobles et beaux. Ce
n’est pas que l’on doive représenter la nature dans ses imperfections, pour
la représenter exactement ; j ’ai voulu seulement démontrer qu’en l’absence de
beauté plastique, malgré les défauts de la forme, toute figure humaine peut
devenir moralement belle, par la peinture fidèle des émotions de l’âme. On
verra que l’on arrive à ce résultat en excitant partiellement les organes
moteurs de la face dont la principale fonction est de peindre nos passions.
4° Enfin, cet homme présentait une condition très favorable que je n’ai pas
rencontrée chez d’autres sujets. Il est peu de personnes qui consentent à se
soumettre à ce genre d’expériences, parce que, sans être très douloureuse,
l’électrisation des muscles de la face provoque souvent des mouvements
involontaires, la contorsion des traits du visage. Ce sujet, lui, était peu
sensible. Il était atteint d’une affection compliquée d’anesthésie de la face 8.
Je pouvais expérimenter sur cette région sans qu’il en éprouvât de la douleur,
au point que je faisais contracter partiellement ses muscles avec autant de
précision et de sûreté que sur le cadavre encore irritable. [...]
Malgré ces conditions désavantageuses, et quoique la présence des rhéopho-
res 9 et des mains qui les tiennent, nuise à l’effet de mes figures, les expressions
artificielles que j ’ai photographiées n’en sont pas moins saisissantes de vérité.
[...] Les moteurs du sourcil sont, de tous les muscles expressifs, ceux qui
8. « II était affecté d ’un spasme des muscles rotateurs droits de la tête, spasme qui se montrait seulement
alors qu’il voulait travailler de son état de cordonnier (j’ai décrit cette maladie sous le nom de spasme
musculaire fonctionnel). Je Ten ai guéri par l’électrisation des muscles antagonistes. » [Note de Duchenne]
9. « Rhéophore. Vieux. Se disait du fil conducteur d ’un courant électrique», Diet. Le Robert, t. VI.
LE TRIOMPHE DE L'INDI ÎTI l
qu’il a fallu payer du même prix chaque accroissement de précision dans les
mesures célestes, en sorte qu’un observatoire du X IX e siècle diffère encore plus
des premiers observatoires que l’outillage de nos filatures ne diffère de l’ancien
rouet. On fera moins d ’observations, mais elles seront plus dignes de foi. Un
exemple récent a montré aux astronomes combien il est dangereux de se fier
à l’apparence de l’exactitude : il est bien établi aujourd’hui que la distance
de la Terre au Soleil, acceptée hier par tous les astronomes comme une
donnée définitive, était en erreur de plus d’un trentième de sa valeur. On
devra s’attendre à de nouveaux mécomptes de ce genre tant qu’on laissera
subsister dans le domaine de l’observation des causes d’erreurs qui échappent
à toute analyse, comme la cause physiologique dont je viens d’entretenir
l’Académie.
Les trois procédés généraux qui servent à représenter les positions relatives
des points géographiques (les projections sur un plan horizontal ou les cartes ;
les profils ou vues qui ne sont que des projections sur un plan vertical ; enfin
les reliefs, où l’on tient compte à la fois des trois dimensions) ont successivement
obéi aux progrès réclamés par ce besoin de plus en plus pressant d’exactitude.
C’est ainsi que les cartographes ont été amenés à substituer aux traits
informes et tracés à peu près sans méthode, qui servaient autrefois à exprimer
les reliefs du sol, la seule projection réellement irréprochable, les courbes de
niveau équidistantes.
Pour les plans en relief, c’est de nos jours seulement en France que nous
avons obtenu des images dans lesquelles le rapport des bases aux altitudes
fût respecté ; et l’on sait quelle reconnaissance la géographie et la géologie
doivent à la persévérance et au talent dont M. Bardin a fait preuve en ce
genre si intéressant de travaux.
On peut dire que l’art de figurer les profils ou les vues a été le dernier
à refléter ce besoin impérieux de précision. Quelque soin que mette un
dessinateur à retracer fidèlement les lignes d’une montagne ou d’une contrée,
à n’en rien exagérer, il ne sera jamais sûr de s’être affranchi de certaines
illusions d’optique ou de perspective. Bien plus, les géologues, dans le plus
grand nombre des coupes, faussent sans nécessité les rapports entre les bases
et les hauteurs ; et il ne faudrait pas remonter bien loin dans la science pour
retrouver des arguments qui ne semblaient avoir quelque portée que parce
qu’ils s’appliquaient à des profils ou à des reliefs, dans lesquels non seulement
les pentes étaient grossièrement altérées, mais qui, par suite du même défaut
de construction, ne présentaient que des rapports inexacts entre les vides et
les pleins d’une contrée, entre les espaces effectivement occupés par les massifs
montagneux et les espaces laissés à découvert par les cols, les vallées, les
échancrures.
M. Aimé Civiale a compris que cette lacune ne pouvait être remplie d’une
manière irréprochable que par la photographie. Convaincu que le géographe,
le géologue, le météorologiste doivent trouver dans cette admirable découverte
de notre siècle un moyen au-dessus de toute controverse et indépendant de
toute idée préconçue ou de toute erreur personnelle, de connaître la forme
et le relief réel des massifs montagneux, il a mis au service de cette pensée
aussi juste que féconde les ressources de la forte éducation scientifique qu’il
avait puisée à l’École polytechnique, et depuis neuf ans rien n’a été négligé
par lui pour arriver à des résultats utiles à la science.
La chaîne des Alpes, à la fois la plus élevée, la plus étendue et la plus
complexe de toutes les chaînes européennes, s’offrait naturellement comme le
plus beau sujet d’études en ce genre, mais, avant d’engager en quelque sorte
la lutte avec un aussi rude jouteur, M. Civiale avait voulu mettre de son côté
toutes les chances de succès.
LE TRIOMPHE DE L Iv
122. Aimé Civiale, Bloc erratique de serpentine au lac M attm ark lavant 1868).
Tirage papier albuminé/négatif papier ciré sec avec paraffine. -
La démarche scientifique de Civiale se distingue de celle, esthétique, d'un paysagiste. Le but ne consiste pas à produire
des images artistiques, mais des instruments fiables à l'usage des géologues et des géographes.
Deux voyages faits aux Pyrénées pendant les étés de 1857 et de 1858 lui
avaient servi d’apprentissage. Mais déjà, dans ces campagnes d’essai, et bien
qu’il ne disposât, une première fois, que d’appareils photographiques de
faibles dimensions, M. Civiale, des trois stations principales qu’il avait choisies
(Bagnères-de-Luchon, Luz près Saint-Sauveur et Saint-Jean-de-Luz), avait
rapporté des épreuves très remarquables et dont l’Académie a pu apprécier
le mérite : en particulier, un panorama donnant l’ensemble du massif de la
Maladetta, différentes vues du chaos de Cèdre et du cirque de Gavarnie,
enfin, de nombreuses reproductions des falaises des environs de Biarritz, si
instructives pour le géologue.
De retour à Paris, et décidé à entreprendre la description photographique
des Alpes, M. Civiale voulut d’abord introduire dans les procédés et les
instruments spéciaux les perfectionnements que son expérience lui suggérait,
comme devant faciliter le transport et la manœuvre de ces appareils délicats
dans les lieux le plus difficilement accessibles.
Il s’est servi, pour l’obtention de ces négatifs, du procédé sur papier sec :
456 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
123 Auguste-Rosalie Bisson (dit Bisson jeune), Savoie n ° 18. L'Aiguille du Midi, 1859-1862. Tirage papier albuminé. -
Bisson jeune escalade le mont Blanc en 1861 et 1862, aux débuts de la vogue du tourisme et du sport alpins. Il rapporte (et vend
de nombreuses vues de montagne : sans prétentions scientifiques, ce sont moins des paysages -
un genre artistique - que des photographies de tourisme - un genre à venir.
Pour ces dernières, on recherchait naturellement les points les mieux pL*cn
pour faire ressortir la structure des roches, la disposition régulière ou anormsjr
des couches, les brisements ou plissements qu’elles présentent ; les formes
générales et les pentes des glaciers, les allures de leurs moraines latérales
frontales ; les accumulations de roches moutonnées, polies et striées : enfin,
toutes les circonstances qui rendent aussi fructueux au géologue qu’intéressant
pour le touriste le parcours des Alpes.
Les stations de ce genre sont habituellement d’un choix et d’un accès plus
faciles que celles qui sont destinées à la reproduction d’un ensemble de
montagnes ou d’un panorama. Le plus souvent, d’ailleurs, pour la représenta
tion d’un accident partiel et limité, l’emploi d’une ou de deux planches suffit.
Aussi les Membres de l’Académie ont pu se convaincre, en examinant le bel
album qui, chaque année, est offert à l’Académie par M. Civiale, que ces
épreuves de détail sont traitées avec une perfection égale à celle qu’on peut
rencontrer dans les épreuves obtenues par les photographes de profession.
Les panoramas, qui constituent la partie la plus originale et la plus
importante du travail, présentent de grandes difficultés, tant à cause de
l’éclairage nécessairement discordant des diverses parties qui les composent,
qu’en raison du choix même de la station. Outre que la combinaison de ces
stations exige, pour que leur réunion représente bien l’ensemble des divers
massifs, une connaissance parfaite de la topographie, il y a des conditions
d’altitude auxquelles elles doivent satisfaire. Ainsi les pics ou les cols d’une
hauteur au-dessus de la mer comprise entre 2 200 et 3 200 m offrent
généralement, dans les Alpes, les meilleures stations pour les vues panorami
ques. Quand l’altitude atteint 3 500 m, les vallées cessent de se dessiner
nettement ; quand elle s’abaisse à 2 000 m, on n’aperçoit plus un assez grand
nombre de sommets.
On conçoit aisément qu’une opération qui se poursuit pendant un assez
grand nombre d’heures dans la journée exige des précautions particulières
pour que le déplacement régulier du soleil n’éclaire pas d ’une manière trop
inégale et trop disparate les différentes parties du tableau. M. Civiale a
reconnu, par expérience, qu’en commençant vers 7 h du matin, il faut se
tourner d’abord vers le nord, puis aller successivement du nord à l’ouest, de
l’ouest au sud, etc. En procédant ainsi, l’opérateur se trouve généralement,
vers 11 h ou midi, en face de l’est, qui est alors éclairé de la maniéré la
moins défavorable.
Afin que ces panoramas donnent avec précision l’ensemble des chaînes de
montagnes, la position relative des points culminants, la direction des vallées
qui les séparent, etc., il est indispensable, pour raccorder exactement les
épreuves, de placer l’axe optique de l’instrument dans une position parfaitement
horizontale. L’instrument tourne autour de son axe, de manière que chaque
feuille recouvre la suivante d ’un centimètre environ, et le tour complet
d’horizon exige, dans l’appareil de M. Civiale, 14 manœuvres de ce genre.
+58 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
11. Ingénieur. Inventeur, en 1835, d ’une méthode de relevé topographique à double point de vue.
460 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
levés très exacts et de beaucoup supérieurs à ceux que fournissent les méthodes
usitées dans les reconnaissances militaires ou hydrographiques. Cette méthode
a déjà fait ses preuves ; il y a quatre ans environ, nous en avons suivi avec
intérêt les premières applications. Des vues photographiques prises les unes
au sommet de l’observatoire de l’École polytechnique, les autres sur la plate
forme de la tour nord de l’église Saint-Sulpice, ont été transformées par
M. Laussedat en un plan partiel de Paris d ’une exactitude telle, que ce plan
a pu être superposé, sans qu’aucune différence apparût, au plan exécuté en
1839 sous la direction de M. Emmery, ingénieur en chef des Ponts et
Chaussées. Frappé des mérites de ce premier essai qui avait valu à son auteur
l'approbation de l’Académie des sciences, M. le ministre de la Guerre, à la
demande du Comité des fortifications, décida que des expériences régulières
seraient entreprises à l’effet de constater l’utilité de la nouvelle méthode. Ces
expériences ont été exécutées en 1861 et 1862 par les officiers de la division
du génie de la garde impériale, et elles ont donné, principalement entre les
mains de MM. Blondeau, Ducrot, Mansier et Sabouraud, les résultats les
plus satisfaisants.
Encouragé par leur réussite, M. le ministre de la Guerre ordonna qu’un
essai décisif aurait lieu, et, dans ce but, M. le capitaine Javary, auquel toutes
les manipulations photographiques sont familières, fut mis à la disposition de
M. Laussedat, et chargé de tenter, dans les conditions ordinaires d ’une
reconnaissance militaire, l’application de la méthode des perspectives photo
graphiques. Le succès a été complet, et, il y a quelques semaines, M. le
général Morin mettait sous les yeux de l’Académie des sciences le résultat de
la dernière et de la plus importante des expériences faites par M. Javary.
C’est un plan détaillé de la ville de Grenoble et de ses environs, d’une
exactitude parfaite, embrassant une étendue totale de plus de 20 km2, et
exécuté entièrement au moyen de vingt-neuf vues photographiques prises de
dix-huit stations différentes. Les opérations exécutées sur le terrain par
M. Javary n’ont pas exigé plus de 60 h, et le travail de cabinet a été terminé
à Paris en moins de deux mois. Pour obtenir un résultat équivalent par les
méthodes topographiques ordinaires, il n’eût pas fallu moins de deux ans.
La question est donc jugée, et l’emploi des perspectives photographiques
comptera dorénavant au nombre des méthodes géodésiques régulières. Les
militaires, les ingénieurs, les géographes, les marins, les voyageurs, etc.,
trouveront dans son emploi le moyen d’exécuter rapidement et sans grande
peine des travaux utiles. Les procédés photographiques sont aujourd’hui aussi
répandus, plus répandus peut-être que l’art du dessin ; l’armée et la marine
comptent dans leurs rangs un grand nombre d’opérateurs habiles, et il n’est
guère de voyageur qui, partant pour des contrées lointaines, n’emporte avec
lui une chambre noire et un objectif. D’ailleurs, nous savons avec quelle
reconnaissance les photographes accueillent, toute occasion qui leur est offerte
de prendre part à d’intéressantes applications. Aussi demeurons-nous persuadé
LE TRIOMPHE DE LTHDU3 RH
prix de dépenses considérables, qui les rendent peu abordables pour la majeure
partie des élèves et des médecins. Pour obvier à ces inconvénients, nous avons
eu la pensée de reproduire par la photographie coloriée les types les plus
communs des maladies de la peau, et le succès ayant paru couronner nos
premiers essais, nous avons entrepris une collection à peu près complète de
ces affections que nous venons aujourd’hui offrir au public médical.
La partie artistique de cette oeuvre, et sans contredit la plus importante,
a été confiée à un de mes élèves, M. de Montméja, qui joint à une connaissance
approfondie des maladies de la peau un talent incontestable de photographe
et de coloriste ; nous pouvons dire que ses planches représentent la nature
prise sur le fait. Elles constituent un recueil des principales maladies qu’on
rencontre à l’hôpital Saint-Louis, pendant l’espace de plusieurs mois ; et la
réunion de ces exemples divers nous paraît justifier le titre que nous avons
donné à cet ouvrage en l’intitulant : Clinique photographique de l ’hôpital Saint-
Louis.
A chaque planche nous avons joint un texte contenant une description
sommaire de la maladie représentée, mais nous n’avons pas eu la prétention
de faire un traité de pathologie cutanée ; nous avons voulu, au contraire,
présenter un atlas exact pouvant former le complément de tout ouvrage de
dermatologie, quelle que soit la doctrine de l’auteur.
C’est un recueil clinique destiné à faciliter l’étude des maladies de la peau,
aussi bien pour les étudiants qui veulent les apprendre que pour les médecins
qui éprouvent le besoin de les revoir et de se familiariser avec certains détails
de ces affections.
Notre but est donc de mettre à la portée de tout le monde un moyen
nouveau d’étudier et de connaître les maladies de la peau ; nous osons espérer
l’atteindre par l’exactitude de nos planches et par les sacrifices que nous
avons dû faire pour livrer cet ouvrage à un prix bien inférieur à celui de tout
atlas gravé et colorié.
de cet atelier pour diriger et prendre part aux divers travaux qui s’y font
sous mes yeux.
C’est en faisant abstraction de tout intermédiaire que je suis parvenu à
livrer à bas prix ces épreuves, réunissant toutes les garanties de durée et
d’inaltérabilité que réclame l’importance de notre ouvrage.
Le coloris, confié à des mains habiles, s’exécute entièrement sous mes yeux,
avec la sanction de M. Hardy, qui juge en dernier ressort.
Ce travail, on le voit, est fait en dehors de toute pensée commerciale.
M. Hardy a libéralement donné le texte qui accompagne mes planches, et
j ’espère que cet ensemble pourra être considéré comme l’expression graphique
de cette richesse de coloris dont M. Hardy sait animer ses descriptions
cliniques.
125. Dr Charles Ozanam et Fdcuard Baldus. Pouls d'une demoiselle de 18 ans. 74 pulsations par minute. 1869.
Tirage papier albuminé. -
La photographie n'est pas utilisée ici pour montrer un objet (représenter), mais pour traduire visuellement (figurer'
un phénomène tachie - les battements du cœur et du pous
Elle est intégrée à un dispositif qui transforme les signaux mécaniques
en signes optiques pouvant être enregistrés par la plaque photoqraphique. Cet usage non mimétique de la photographie
- ramenée à l’état de pur enregistrement - connaîtra, toupurs dans le domaine scientifique, un grand essor
avec les premiers travaux de Étienne-Jules Marey dans les années 1880.
12. « J ’ai pu observer à l’Exposition universelle, sous les arcades de la cour centrale, des photographies
d’objets microscopiques grossies ainsi à 2 degrés, représentant des navicules grossies à 3 600 diamètres ;
une pulsation du cœur, soumise à un pareil foyer, occuperait 30 mètres de longueur, c’estijidire 36 fois
plus que ne l’indique le calcul que nous faisons ici, et le microscope pourrait permettre d’en analyser la
36 000 000e partie. » [Note du Dr Ozanam]
466 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
complète. Il montre, en effet, que le pouls naturel est non seulement dicrote,
mais triple et même quadruple parfois dans son évolution ; en effet, après être
monté d’un seul bond au sommet de l’échelle, il redescend par trois ou quatre
chutes successives au niveau inférieur. En second lieu, ce dicrotisme naturel
varie infiniment de force et de degré, en sorte que la chute se fait tantôt par
lignes horizontales successives, tantôt par lignes ascendantes où le pouls remonte par deux
et trois fois avant de s’abaisser entièrement.
Il faut donc désormais distinguer le dicrotisme horizontal du dicrotisme ascendant,
le dicrotisme simple de celui qui est multiple.
Les planches, jointes à ce Mémoire, représentent le pouls physiologique
aux différents âges, en commençant à l’âge de 5 ans pour remonter à 12, 18,
25, 28, 30, 42,^43, 48, 65 ans.
Ces images nous permettent déjà de reconnaître une foule de détails
intéressants. On voit, en effet, combien la force de contraction du cœur
grandit avec l’âge, du moins jusqu’à 50 ans, pour redescendre ensuite.
Les dicrotismes sont d’une évidence parfaite dans le plus grand nombre
des images, et l’on voit encore que leurs caractères se dessinent de plus en
plus avec l’âge croissant du sujet.
En examinant la huitième pulsation de la première image, on y reconnaît
une diminution notable dans la hauteur de la pulsation. Cet abaissement est
dû à l’influence du mouvement respiratoire. Au moment où l’on inspire l’air
atmosphérique, le cœur, gêné dans sa contraction, chasse plus difficilement
le sang, et l’ascension de la colonne sanguine est moins accentuée. L’exagération
de cette oppression du cœur conduit à l’intermittence du pouls, phénomène
que j ’ai souvent observé chez les enfants à demi asphyxiés par le croup ; à
chaque mouvement inspiratoire, une pulsation manquait complètement. Nous
avons donc aujourd’hui, par la photographie du pouls, l’explication de ce fait
pathologique, qui se trouve n’être que l’exagération grande d’un fait
physiologique.
C’est par une analyse aussi délicate que l’on parviendra à caractériser
chaque affection du cœur et des vaisseaux, non seulement des gros vaisseaux,
mais même des petites artères, car la délicatesse de l’instrument est telle
qu’on peut obtenir le battement des vaisseaux capillaires de la pulpe des
doigts échauffés, ou d’un phlegmon en voie de formation rapide.
Ainsi, désormais il appartiendra à la lumière d’inscrire elle-même les
battements du cœur de l’homme et de diagnostiquer ses maladies ; l’ensemble
de ces signes, réunis en dictionnaire, constituera une sorte de langue que le
médecin devra apprendre ; elle lui donnera, en quelques pages, la clef de
l’organisme dont il est appelé à prendre soin, au lieu d’en abandonner la
connaissance à l’appréciation de chaque praticien, appréciation variable pour
chacun, et trop souvent trompeuse, comme l’imperfection des sens que nous
recevons de la nature.
VERS UNE CIVILISATION
DE L’IMAGE...
(1866-1869)
1. En combinant les avantages de la photographie pour la réalisation photochimique des planches et ceux
de la gravure pour leur tirage à l’encre grasse d ’imprimerie, la gravure héliographique devra produire à
faible coût et en grande quantité des épreuves stables et pénétrer un vaste marché — celui de l’édition,
de la presse et de l’imprimerie en général — jusqu’alors quasiment inaccessible pour des raisons techniques
et économiques (voir en fin de volume dans notre appendice la section sur les procédés photomécaniques .
468 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
126. Charles Nègre, M o s a ïq u e d 'é to ffe s , d e p lu m e s e t d e 127. Nicéphore Niépce, L e C a rd in a l d 'A m b o is e Ire p ro d u c tio n
p a s s e m e n te rie s , vers 1857. Épreuve sur papier d'une gravure d 'u n e g ra v u re I. Épreuve sur papier d'une héliographie sur plaque
héliographique sur acier. d'étain réalisée par Niépce en mai ou juin 1826.
Mais pour l'heure, en 1869, Léon Vidal regrette que les procédés de tirage au
charbon — destinés à assurer la stabilité des épreuves — ne soient guère en faveur
dans le « monde photographique ». Après les réserves déjà émises par Disdéri en
1862 (cf. pp. 371-372), cela semble confirmer que l ’industrie photographique
paraît moins concernée par l ’altérabilité des épreuves que par la question de leur
multiplicité.
La raison en est que la multiplicité obtenue par la généralisation des procédés
photomécaniques devrait, selon Léon Vidal, donner lieu à un « mouvement
commercial » important, à une rupture (comparable au passage de la miniature
à la photographie) permettant à l ’« art héliographique [...] de conquérir un rang
définitif parmi les industries sérieuses ».
A noter que Léon Vidal ne revendique plus, comme le faisaient ses collègues
dix ou quinze ans auparavant, la reconnaissance de la photographie par les
instances artistiques mais, c’est un signe, par le monde industriel. Enfin, bien que
ses informations chiffrées restent vagues, l ’activité photographique semble moin
rentable à Marseille qu’à Paris.
Joly-Grangedor, de son côté, perçoit avec lucidité la mutation qui s ’amorce en
1869 dans l ’activité photographique : du cliché au tirage, des sels d ’argent à
LE TRIOMPHE DE L'INDUSTRIE 469
128. Louis Fizeau, Planche de monnaies, 1849. Éoreuve sur 129. Alphonse Poitevin et Louise Laffon. M usee Napoléon III.
papier d'une gravure en creux obtenue à partir d'un daguerréotype. Nymphe aux rinceaux, pi. XVI, s.d. Lithophotographie.
Les résultats connus à cette époque, l’altération facile des épreuves positives
ordinaires ne justifiaient que trop les craintes de M. le duc de Luynes.
Ajoutons que les prix relativement élevés d’images faites avec des métaux
précieux s’opposaient à ce qu’elles pussent être facilement à la portée de tous
ceux qui auraient intérêt à les consulter. L’expérience du passé prouvait au
contraire que les impressions obtenues au moyen de l’encre mélangée de
carbone résistaient facilement à l’action du temps, l’inaltérabilité du carbone
étant un des gages les plus certains de la solidité de ces impressions ; d’autre
part, la facilité du tirage permettait de répandre ces épreuves à un très grand
nombre d’exemplaires ; aussi M. le duc de Luynes, voulant réunir les avantages
spéciaux de l’un et de l’autre procédé, institua le prix de 8 000 francs pour
stimuler le zèle des inventeurs, et il choisit la Société française de photographie
pour décerner ce prix à celui qui aurait résolu le problème de reproduire les
images photographiques par les procédés de l’impression à l’encre grasse.
Le programme de ce prix, rédigé par M. Régnault, président de la Société,
a été publié dans la séance du 18juillet 1856.
Il résulte des termes de ce programme, qui reproduit les intentions mêmes
de M. le duc de Luynes, qu’une des premières conditions est de joindre à
l’inaltérabilité du tirage à l’encre grasse la fidélité, l’authenticité de la
reproduction photographique, si précieuse pour tous les documents historiques,
et que. par conséquent, on doit exclure tout travail manuel de retouche.
Il résulte également que le prix ne peut être partagé entre plusieurs
concurrents, que dans le cas où aucun de ces concurrents n’aurait satisfait aux
conditions du programme pour obtenir le grand prix.
Dans votre séance de juillet 1859, vous avez nommé, comme jury du
concours, une commission composée de : M M . RE G N A U L T , BALARD, P.
PÉR IE R , M A IL A N D , C le A G U A D O , BAYARD, E . B E C Q U E R E L , C O U S IN , Léon
F o u c a u l t , C ,c Léon de L a b o r d e , P e l i g o t , R o b e r t .
M. Davanne fait partie de la commission comme vice-président de votre
comité d’administration.
La première préoccupation de la commission a été de bien se pénétrer de
l’esprit du programme et des intentions du fondateur du prix. Or, cette
intention était évidemment de récompenser non pas la plus belle épreuve,
mais bien l’inventeur qui, en présentant un procédé à la fois bon et pratique,
ferait faire le plus grand progrès à l’impression photographique par l’encre
grasse, et en rendrait l’application facile et générale.
Il ne suffisait donc pas d’examiner les spécimens présentés par les
concurrents, mais on devait remonter plus haut et apprécier le principe de
l’invention, la valeur du procédé [...J. Si nous nous reportons à la pensée de
M. le duc de Luynes, qui était certainement de voir vulgariser par des procédés
facilement pratiques les documents utiles aux savants, aux archéologues et
aux artistes, nous devons reconnaître que M. Nègre n’a pas complètement
atteint le but, car son procédé délicat est resté entre ses mains : aucun élève-
474 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
aucun opérateur ne peut nous assurer qu’à son défaut quelque autre personne
pourrait le remplacer ; aussi ce mode d’opérer n’a-t-il reçu ni l’extension ni
la vulgarisation des procédés de M. Poitevin.
M. Poitevin, au contraire, a complètement réalisé les conditions posées par
M. le duc de Luynes. En effet, par son procédé d’impression à l’encre grasse,
qui est la lithographie, il produit facilement, sans retouches, de manière à
laisser toute garantie d’authenticité, une épreuve photographique quelconque,
et à tel nombre d’exemplaires qu’il peut être nécessaire pour mettre à la
portée de chacun les documents utiles aux arts et aux sciences.
Il a donc rempli les intentions du fondateur du prix, et, à ce titre, la
commission instituée par vous comme juge du concours a décidé, par un vote
unanime, que le prix de 8 000 F fondé par M. le duc de Luynes serait décerné
à M. Poitevin.
Léon Vidal : D e l ’a r t p h o to g r a p h iq u e c o n s id é r é a u p o i n t d e v u e in d u s tr ie l,
1868, pp. 10-17.
2. Paul Fassy, Le Moniteur de la photographie, 1C1juin 1866, p. 46 : «C onsidérée au seul point de vue
commercial, elle [la photographie] a une action extrême. Ainsi, l’an passé, elle a livré au commerce pour
deux millions de produits par mois, soit vingt-quatre millions par an, pour Paris seulement ! »
476 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
3. En fait, sur les 10 000 F offerts par le duc de Luynes, 8 000 sont véritablement destinés à « récompenser
les meilleurs procédés d'impression photographique à l’encre grasse ».
LE TRIOMPHE DE L'INDUSTRIE
Que l’artiste photographe, nous retenons le mot, puisse livrer son cliché
à l’imprimeur et en obtenir un nombre illimité de reproductions fidèles
économiquement, solidement et rapidement exécutées, telle est la formule
d’un progrès depuis longtemps désiré, et qui nous paraît aujourd’hui être sur
le point de s’accomplir.
Sans les épreuves utiles qu’on en peut tirer, le plus beau des clichés
photographiques reste lettre morte ; comme la locomotive privée de son
combustible et isolée des wagons qu’elle doit entraîner, il n’est plus qu’une
chose admirable et curieuse qui contient et promet le mouvement, mais ne
le donne pas. La question du tirage et de la multiplication des bonnes
épreuves est donc capitale ; bien résolue, elle doit rendre à la photographie
sa véritable importance.
PHOTOGRAPHIE,
CONTRÔLE ET RÉPRESSION
(1863-1872)
La photographie est très tôt perçue comme un moyen possible de contrôle des
déviants : des « fous », des prisonniers, des errants. Ernest Lacan propose dès
1855 que l ’on photographie les détenus pour prévenir évasions et récidives 1, mais
il semble qu’avant 1870 les intentions soient rarement suivies d ’effets. La transition
décisive sera l ’usage par la préfecture de Police de photographies dans ses actions
répressives contre les communards.
Les documents d’archives révèlent comment s ’impose progressivement l ’usage
répressif de la photographie. En 1863 le directeur de la Maison centrale de
Clairvaux souhaite acquérir un appareil photographique, mais le Conseil de
l ’Inspection générale des prisons refuse d ’accéder à sa demande car ce « serait
pour les détenus une aggravation de peine non prévue par la loi et un moyen de
plus d’empêcher tout retour au bien ».
Le 11 août 1871, à peine trois mois après la défaite de la Commune, le ministre
de la Marine et des Colonies décide, pour « rendre plus certaine et plus rapide »
l ’action des juges maritimes, de faire photographier « tout individu [...] condamné
par une des juridictions permanentes des ports à une peine supérieure à six mois
d’emprisonnement ». Il est rapidement imité par son collègue ministre de la Guerre
qui, en février 1872, étend cette décision à l ’armée de terre et, pour Paris, aux
« militaires condamnés pour participation à l ’insurrection ».
C’est que la Commune est proche, et les craintes pour la « sûreté publique »
encore vives. Le 30 mars 1872 les choses se précisent. Le Directeur de
l ’Administration pénitentiaire profite de la situation pour renouveler la proposition,
déjà émise en 1863, d ’utiliser la photographie à l ’encontre des prisonniers civils
et, en particulier, des « individus condamnés pour faits insurrectionnels » 12.
1. Ernest Lacan, Esquisses photographiques à propos de l ’Exposition universelle de la guerre d’Orient. 1856. p 39.
2. Ce sera chose faite en 1874, avec l’entrée officielle de la photographie à la préfecture de Paris et.
surtout, en 1882, avec le premier fichier anthropométrique et photographique mis au point par Alphonse
Bertillon. Cf. Christian Phéline, «L’image accusatrice», Les Cahiers de la photographie, nQ17. 1985 numéro
spécial).
480 I .A PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
Avec le concours d’un photographe comme Eugène Appert qui va recueillir dans
les prisons de Versailles les portraits des communards, la photographie devient un
moyen de contrôle destiné à juguler les risques d ’agitation. Mais par une sorte
d ’ironie, diffusés, vendus ou exposés, ces mêmes « portraits des individus poursuivis
ou condamnés pour leur participation aux derniers faits insurrectionnels »
transforment les victimes en héros : leur fonction initiale est inversée, au point que
le Général gouverneur de Paris en interdit la diffusion.
131. Eugène Appert, M o n se ig n e u r Darboy, a r ch evê q u e d e Paris, d a n s la cellule n° 23, 4 e se c tio n qu'il a o c c u p é e le 24 m ai 1871
d e d e u x à q uatre h eures, 1871. Photomontage, tirage papier albuminé. -
Cette épreuve fat* partie d'une séné de photomontages et de mises en scène : Crim es d e la C o m m u n e. Appert reconstitue,
et transforme pour mieux les dénoncer, certains actes des communards.
Les images de sa série sont donc fictives, mais aux yeux de spectateurs incapables
de déceler la supercherie, elles sont créditées de l'exactitude photographique.
1802 1831
Expériences de Wedgwood sur la Daguerre signale à Niépce les effets
2 1 m a i.
« Sensibilité à la lumière du nitrate d’argent » de la lumière sur l’iodure d’argent.
■— rapportées par Humphry Davy dans
J o u r n a ls o f th e R o y a l I n s titu tio n . 1833
1816 5 ju ille t. Mort de Nicéphor^ JJépce.
M a i . Niépce réalise sur papier à l’aide
d'une chambre noire ses premiers « points de 1835
vues » : ce sont des images négatives. L’Anglais William Henry Fox Talbot
A o û t.
obtient à la chambre noire une image
1819 (négative) sur papier qui représente une
L’anglais John Herschel reconnaît à fenêtre de la bibliothèque de Lacock Abbey.
l’hyposulfife de soude la propriété de
dissoudre les sels d’argent. L’hyposulfite 1837
servira à « fixer » les images photographiques Isidore Niépce, le fils de Nicéphore,
12ju in .
— depuis Talbot et Daguerre jusqu’à accepte par contrat avec Daguerre que le
aujourd’hui. procédé photochimique porte « le nom seul
de M. Daguerre ».
1822
Ouverture par Daguerre et Bouton du
1839
« Diorama » à Paris, près de la place du
François Arago présente pour la
7 ja n v ie r .
Château d’eau.
première fois à l’Académie des sciences de
1825 Paris des épreuves photochimiques
Début de la collaboration de
J u in . réalisées par Daguerre : des daguerréotypes.
Nicéphore Niépce avec le graveur parisien Le procédé pour les obtenir est encore tenu
François Lemaître. secret.
1826 Après la communication
3 1 ja n v ie r .
2 5 ja n v ie r . Première lettre de Daguerre à d’Arago, l’Anglais Fox Talbot, qui a eu
Niépce. connaissance des travaux de Daguerre,
revendique devant la Royal Society of
M a i- n o v e m b r e . Premières héliographies de London la priorité de l’invention.
Niépce sur plaque d’étain d’après nature. Le
P a y s a g e à S a i n t- L o u p - d e - V a r e n n e s date sans Fox Talbot affirme dans une lettre
2 1 fé v r ie r .
doute de cette époque (ill. p. 26). à Jean-Baptiste Biot, de l’Académie des
sciences, qu’il a, « depuis près de 5 ans »,
1827 « fixé avec une certaine rapidité des images
Niépce rédige à Kiew (en
8 d éce m b re.
données par la c a m é r a o b scu ra ».
Angleterre) sa « Notice sur quelques résultats
obtenus spontanément par l’action de la 1 5 j u i n . Le ministre de l’Intérieur Duchâtel
lumière », destinée à la Royal Society of présente à la Chambre des députés un projet
London. de loi engageant l’Etat à acquérir le
procédé de Daguerre.
1829
Traité provisoire d’association
1 4 d écem b re. Daguerre et Isidore Niépce
2 2 ju in .
Niépce-Daguerre. Niépce joint au traité sa accordent au papetier Alphonse Giroux
« Notice sur l’héliographie ». l’exclusivité pour la fabrication et la vente
ANNEXES
Prudent Dagron applique la photographie pour les négatifs un collodion sec au tannin.
microscopique à la fabrication de bijoux Comme le collodion albuminé sec de
photographiques (de petites vues de Taupenot (1855), il est destiné à remplacer
dimensions réduites sont incrustées dans des le collodion humide dans la photographie
bijoux). Il emploie 150 ouvriers. de paysage et de voyage.
35, boulevard des Capucines : Alophe Ferrier et Soulier affirment devant la
A v r il.
succède à Gustave Le Gray qui quitte Paris ; Société française de photographie prendre des
Nadar ouvre dans le même immeuble son « vues stéréoscopiques d ’une instantanéité
nouvel atelier. absolue, et représentant différentes vues de
Paris, avec des personnages, des chevaux,
Plusieurs grands studios engagés dans la des voitures en mouvement ».
production de « cartes de visite » publient ou
préparent des ouvrages largement 1 " m a i. Quatrième exposition de la Société'
consacrés à des questions esthétiques : La française de photographie, contiguë au Salon
Blanchère (1860) ; Alophe (1861) ; Petit, des beaux-arts (jusqu’au 31 août).
Mayer et Pierson, Disdéri (1862) ; Liébert,
Ken (1864) [voir bibliographie]. Auguste-Rosalie Bisson réalise
2 4 ju ille t.
trois clichés depuis le sommet du mont Blanc.
Il était parti de Chamonix avec
1861 « 25 porteurs qui, en se relayant, devaient
Le concours du duc de Luynes
1 8 ja n v i e r . monter l à - h a u t les chambres noires, la tente,
(8 000 F destinés à récompenser le meilleur les glaces, les collodions, etc. » (nouvelle
procédé photomécanique) organisé par la expédition en 1862, et vues stéréoscopiques
Société française de photographie est prorogé en 1868).
au 1er avril 1864, les résultats de Alphonse
Poitevin, Charles Nègre et Pretsch n’étant pas Première exposition de la Société
S e p te m b r e .
jugés suffisants. photographique de Marseille.
Louis-Jean Delton crée une société
F é v r ie r . O c to b re . Poitrineau fabrique une voiture-
de « photographie pour cavaliers, amazones, laboratoire destinée à la photographie en
chevaux, voitures, meutes » à Paris, 8, rue extérieur ou en voyage.
de la Faisanderie.
Disdéri organise une grande
N ovem bre.
4 Nadar prend un brevet de
f é v r ie r . exposition de ses travaux dans les anciens
photographie à la lumière électrique. Ses locaux du Jockey Club.
premiers essais datent de 1858 dans les
Étienne Carjat s’installe photographe à
bureaux de L a P r e s s e s c ie n tifiq u e , avec l’aide de
Paris, 56, rue Laffitte (jusqu’en 1865), puis,
Charles Praetorius. Le temps de pose pour
de 1866 à 1869, 62, rue Pigalle.
un portrait varie alors de 60 à 85 secondes.
Nadar réalise une centaine de vues à la
Jules Duboscq présente à la
15 fé v r ie r . lumière électrique dans les catacombes et les
Société française de photographie deux égouts de Paris qu’il « anime » de
agrandisseurs : l’un fonctionne à la lumière mannequins de bois déguisés. L’opération
solaire, l’autre à la lumière électrique. dure 3 mois.
496 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
Ces procédés donnent directement une image positive, sans image intermédiaire.
Le Polaroid est aujourd’hui un exemple de procédé direct.
Papier positif direct. Comme les daguerréotypes, les épreuves réalisées par
Hippolyte Bayard en 1839 sont positives et uniques, mais sur papier. Le miroite
ment est ainsi supprimé, au prix d ’une moindre finesse de l’image.
L’épreuve définitive, positive, est obtenue par tirage d’une image négative, c’est-
à-dire aux valeurs inversées. Le système négatif-positif assure la reproductibilité
des épreuves.
LES NÉGATIFS
Calotype. Les premières images négatives obtenues par l’Anglais Fox Talbot
le sont sur feuilles de papier sensibilisé placées encore humides dans le châssis
d’une chambre noire ; il les nomme « calotypes ».
Par extension, le terme « calotype » ne désignera pas seulement les négatifs
en papier, mais aussi les épreuves positives obtenues par tirage à partir de ceux-
ci.
La texture du papier des négatifs tend à estomper les contours, à donner à
l’image un aspect vaporeux, à restreindre la précision du procédé. Autant
d ’effets recherchés dès les années 1840 par les calotypistes qui espèrent ainsi
concilier la photographie et la fameuse « théorie des sacrifices » héritée de la
peinture.
Collodion sec. Le collodion humide étant difficile à utiliser loin d’un labora
toire, particulièrement en voyage, de nombreuses tentatives ont donc visé à
mettre au point une formule de collodion sec qui ne réduirait pas la sensibilité
des plaques. Les formules les plus importantes sont le collodion albuminé de
Taupenot (1855) et le collodion au tanin du major Russel (18bl).
ANNEXES
502 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
Les épreuves négatives étaient tirées sur papier, d’abord par exposition, et,
après 1851, par développement — selon la méthode de Blanquart-Evrard. Dans
le premier cas une feuille de papier sensibilisé était exposée plusieurs heures à
la lumière dans un châssis sous le négatif à tirer, jusqu’à apparition de l’image.
Dans le tirage par développement, le papier est exposé dans les mêmes condi
tions, mais quelques minutes seulement. L’image latente, invisible, qui s’est
formée, est alors développée dans un bain acide.
Papier salé. Dès avant les années 1840, Talbot utilisait le papier salé pour ses
tirages. Il enduisait le papier d’une solution de sel marin avant de le tremper
dans une solution de nitrate d’argent pour le sensibiliser, puis le faire sécher.
Papier albuminé. Le papier albuminé, plus brillant et plus satiné que le papier
salé, a l’avantage de mieux faire vibrer les valeurs de l’image que le papier salé.
Papier au charbon. Mis au point par Alphonse Poitevin (de 1855 à 1862), le
papier au charbon est composé d’une couche de gélatine bichromatée addition
née de charbon pulvérisé — gélatine qui devient insoluble dans l’eau sous
l’action de la lumière. Après exposition du papier au charbon sous un négatif,
le papier est lavé à l’eau, la gélatine se dissout, à l’exception des parties insolées
(parties claires du négatif, parties foncées des objets reproduits) qui retiennent
le charbon et apparaissent en noir.
Difficile à manipuler, le papier au charbon a cependant l’avantage de n’être
pas composé de sels d’argent comme les papiers salés ou albuminés, et d’être
ainsi inaltérable. C’est pour les perfectionnements qu’il lui a apportés que
Poitevin a remporté le « petit concours » du duc de Luynes en 1862.
ANNEXES 50 3
SOMMAIRE DE LA BIBLIOGRAPHIE
506 DICTIONNAIRES
5 1 3 HISTOIRE
5 1 3 ESTHÉTIQUE
5 1 6 PÉRIODIQUES
Journaux photographiques
Journaux accordant une attention à la photographie
Brébisson, Raillieu d’Avrincourt, de Nostitz, BERTSCH (A.), Photographie sur verre. Notice sur
E. Bacot, Adolphe Martin, Niépce de Saint- l’emploi du collodion rapide, Paris, A. Gaudin,
Victor, etc., Paris, l’auteur, 1859. 11-192 p. 1852. In-8°, 32 p.
* G eOFFRAY (Stéphane), Traité pratique pour B r é b isso n (A lp h on se de)
l’emploi des papiers du commerce en photographie, 1855. * Traité complet de photographie sur
nouveaux procédés améliorateurs, P a n s, collodion, répertoire de la plupart des procédés
Cosmos, 1855. 104 p. connus, Paris, C. Chevalier. In-8°, 134 p.
1852. Nouvelle Méthode photographique sur
G u ILLOT-SaGUEZ (Dr A.), Méthode théorique et collodion donnant des épreuves instantanées, traité
pratique de photographie sur papier, Paris, complet des divers procédés, Paris, Chevalier.
V. Masson, 1847. In-8°, 23 p. ln-8°, 87 p.
H amard , Nouveaux procédés photographiques, 1863. Photographie. Collodion sec instantané,
Découverte d’une nouvelle substance accélératrice, détails complets sur ce procédé, Paris, Leiber.
Paris, Proux, 1847. In-8°, 11 p. In-8°, 89 p.
L e G ray (G u sta v e) COUPPIER (Jules), Traité pratique de photographie
1850. * Traité pratique de photographie sur sur verre, d’après les derniers perfectionnements,
papier et sur verre, Paris, G. Baillière. In-8°, Paris, C. Chevalier, 1852. In-8°, 61 p.
43 p., [2e éd. (79 p.) : 1842]. * D is d ÉRI (André-Adolphe-Eugène), Manuel
1851. * Nouveau traité théorique et pratique de opératoire de photographie sur collodion instantané,
photographie sur papier et sur verre contenant des Paris, A. Gaudin, 1853. In-8°, 64 p.
publications antérieures et une nouvelle méthode
pour opérer sur un papier sec restant sensible huit D upont (A.- T . ) e t D e s h a y e s ( A . ) , Traité
à dix jours, Paris, Lerebours et Secrétan. populaire de photographie sur collodion, Paris,
In-8°, 184 p. Leiber, 1862. In-18, 212 p.
* LEGROS (Adolphe), Photographie perfectionnée sur DUSSAUCE (H.), Emploi du collodion en
papier, pour opérer avec la plus grande facilité, photographie, Paris, Roret, 1854. In-8°, 18 p.
photographie sur verre..., Paris, l’auteur, 1852.
In-8°, 127 p. G a u d in (Marc-Antoine-Augustin), Notice
explicative sur l ’usage du daguerréotype Gaudin,
M a r io n (Auguste) pour obtenir des épreuves positives directes sur
1858. Procédé négatif sur papier térébentkino-ciré- collodion, Paris, 1852. In-8°, 19 p.
albuminé-ioduré pour vues, groupes, portraits,
Paris, l’auteur. In-8°, 12 p. G odard (Emile), ABC de la photographie sur
I860. * Pratique de la photographie sur papier collodion, méthode pratique, simple et facile, Paris,
simplifiée par l’emploi de l’appareil conservateur bureau de La Lumière, 1854. In-8°, 39 p.
des papiers sensibilisés et des préservateurs H erl ing (A .), Traité de photographie sur collodion
Marion, à l ’usage de tout le monde, Paris, l’auteur. sec, Paris, l’auteur, 1855. In-8°, 15 p,
In-8°, 74 p.
(Henri de), Du collodion sec, Paris,
L a B l a n c h ÈRE
VALICOLRT DE SÉRANVILLERS (Edmond de), Boisseau et Augros, 1857. In-8°, 15 p.
Nouveaux renseignements pratiques sur le procédé de
photographie sur papier de M. Blanquart- LEGROS (Adolphe), Photographie sur collodion,
Êvrard, Paris, Roret, 1847. Gr. in-8°, 19 p. nouveau perfectionnement, Paris, l’auteur, 1852.
In-8°. 64 p.
Perrot d e C h a u m e u x (L.), Collodion sec, exposé
albumine, Paris, Labé, 1859. In-12, X- permettant d’obtenir avec un même cliché des
303 p., fig. images de toutes les dimensions, Paris, J. Best.
1856. In-8°, 16 p.
R om an (G.), Photographie. Lettre à M. Arthur
Chevalier... concernant un procédé sur collodion sec MOOCK (L .), Traité pratique complet d’impression
aussi rapide que le collodion humide, préface photographique aux encres grasses, Paris,
d’Arthur Chevalier, Paris, A. Chevalier, G. Audouin, 1874. In-12, 141 p.
1861. In-8°, 16 p.
* NÈGRE (Charles), De la gravure héliographique,
ROM IEU, Nouveaux procédés de photographie sur son utilité, son origine, son application à l’étude de
papier et sur verre, Paris, Moquet, 1851. In-8°, l ’histoire, des arts et des sciences, Nice,
43 p. V. E. Gauthier, 1866. In-8°, 19 p.
N ié pc e d e S a in t - V ic t o r (C la u d e-M a rie-
François)
1854. Mémoire sur la gravure héliographique sur
acier et sur verre, Batignolles, Hennuyer. In-8°,
PROCÉDÉS Up.
PHOTOMÉCANIQUES 1856. * Traité pratique de gravure
TIRAGES héliographique sur acier et sur verre, Paris,
(charbon, agrandissement, etc.) V. Masson. In-4°, XIII-61 p., portrait.
* Po it e v in (Louis-Alphonse), Traité de
l ’impression photographique sans sels d’argent,
* DAVANNE (Alphonse) et G irard (Aimé), contenant l’histoire, la théorie et la pratique des
Recherches théoriques et pratiques sur la formation méthodes et procédés de l’impression au charbon, de
des épreuves photographiques positives, Paris, l’hélioplasüe, Introduction d'Ernest Lacan,
Gauthier-Villars, 1864. In-8°, VI-152p. Paris, Leiber, 1862. In-8°, IV-182 p., fig., pi-,
portrait.
* B arreswil (Charles-Louis), DAVANNE
(Alphonse), L e r e b û URS (Nicolas-Marie * V an M onckhoven (Désiré-Charles-
Paymal) et L e m e r c ie r (Joseph), Emmanuel), Méthodes simplifiées de photographie
Lithophotographie ou impressions obtenues sur sur papier, Paris, Marion ; A. Gaudin et
pierre, à Laide de la photographie, Premier frère, 1857. In-8°, 132 p., pi.
cahier, Paris, [1854].
* V idal (Léon), Photographie au charbon, recueil
D e SPAQUIS, Photographie au charbon (gélatine et pratique..., procédés Swan, Marion, Jeanrenaud et
bichromates alcalins), Paris, Leiber, 1866. autres, Paris, Leiber, 1869. In-18, 163 p.
In-18, 72 p.
* W il l e m in (A d .), Traité de l ’agrandissement des
* GEYMET (Théophile), Photolithographie, traits et épreuves photographiques, Paris, V. Masson et
demi-teintes, traité pratique, Paris, Seringe frères, fils, 1865. In-8°, 122 p., fig.
1873. In-8°, 176 p.
LALLEMAND, Nouveaux procédés d’impression
autographique et de photolitographie, Paris,
Leiber, 1867. In-18, 68 p. PROCÉDÉS PARTICULIERS
M a RGUERY (E .), Photographie, procédé infaillible et (ferrotype, stéréoscopie, etc.)
simple et économique pour le tirage des portraits à
fonds dégradés dits vignettes anglaises, Paris,
A. Briois, 1863. In-8°, 15 p. B er t sc h (A u g u ste),Nouveaux appareils
photographiques de M. Bertsch pour
M a r io n (Auguste) l ’agrandissement et le stéréoscope, Paris,
1868. Instruction provisoire pour le tirage des E. Giraud, 1864. In-8°, 12 p.
épreuves positives au charbon, par le procédé
Marion, Paris, A. Chaix. In-8°, 8 p. B o u e t et M a n t e ,Méthode de photographie sur ivoire
[1868]. Notes photographiques de 1868. Procédés factice, précédée d’un nouveau procédé pour obtenir
opératoires les plus récents avec les papiers positifs les clichés, Paris, les auteu rs, 1852. In-8°,
et négatifs aux sels d’argent et sans sels d’argent, 31 p.
Paris, l’auteur. In-8°, 38 p.
BREWSTER(David), Mémoire sur les modifications et
M o it e ssie r (A lb ert),Nouvelle méthode pour le perfectionnements apportés au stéréoscope, Paris,
tirage des épreuves photographiques positives, N. Chaix, 1858. In-4°, 20 p., pl.
512 LA P H O T O G R A P H IE E N FRANCE 1 8 1 6 -1 8 7 1
Paris,
L e P h o to g r a p h e , p a r a is s a n t to u s le s q u in z e jo u r s , L e s M o n d e s , revue h e b d o m a d a ir e d es scie n ces e t d e le u rs
8 phot. Paris,
p h o to g r a p h iq u e de l ’h ô p ita l S a in t - L o u i s ,
[1864]. P o n t d e B e rc y . Vues p h o to g r a p h iq u e s
Chamerot et Lauwereyns, 1868. In-4°,
p r is e s p e n d a n t P e x é c u tio n des tr a v a u x en 1 8 6 3 et
49 phot.
1864, Paris, H. Plon. 7 phot. LAFFON (Louise), A l b u m p h o to g r a p h iq u e des
[1864]. M in is tè r e de P A g r ic u ltu r e , d u C o m m e rc e Paris, A. Godillot,
u n ifo rm e s d e P a rm é e fr a n ç a is e ,
et des T r a v a u x p u b lic s . C h e m in de f e r de c e in tu re impr. Laprunière, 1866. In-fol., 66 phot,
de P a r is (r iv e g a u c h e ). A l b u m p h o to g r a p h iq u e coloriées.
du p o n t- v ia d u c su r la S e in e au P o in t- d u - J o u r , Paris.
14 phot. MARIETTE (A uguste), L e S é r a p é u m de M e m p h is
[1867]. M in i s t è r e d e P A g r ic u ltu r e , d u C o m m e rc e d éco u vert e t d é c rit p a r A u g . M a r ie t te . O u v r a g e d é d ié
et des T r a v a u x p u b lic s . E x p o s itio n u n iv e rse lle de à S . A . l . M g r le P r in c e N a p o lé o n et p u b l i é so u s
1867. A lb u m des p o n ts de P a r is , Paris. le s a u s p ic e s d e S . E . M . A c h ill e F o u ld , m in is tr e
389 phot. d ’É t a i , Paris, Gide, 1857. 36 pl. (dont
certaines lithophotographies de Lemercier
C ollard (Hippolyte-Auguste), Baldus d ’après des photographies de Marville).
(Edouard-Denis) et F ro is s a rd , S e rv ic e
m u n ic ip a l des T r a v a u x p u b lic s de P a r i s ..., POITEVIN (L ouis-A lphonse), C h o ix d e terres c u ite s
C h e m in de f e r de G en ève. D é r iv a tio n s d e la D h u is a n tiq u e s du c a b in e t de M . le v ic o m te de J a n z é ,
et de la V a n n e , [1869-1873]. 56 phot. p h o to g r a p h ié e s p a r M . L a v e r d e t e t rep o rtées su r
p ie rr e lith o g r a p h iq u e p a r M . P o ite v in , te x te
D elmaet et D urandelle e x p l i c a t i f p a r M . J . W it te , P aris, F. D idot,
1865-1872. « Le Nouvel Opéra de Paris ». 1857. G r. in-fol., 44 pl.
Env. 100 phot.
1868. C h a n tie r de c o n stru c tio n d u n o u v e l H ô te l- P otteau (Philippe), Bocourt (T.), E ichthal
D ie u . 16 phot. (Louis d’), MONTBLANC (Ctc de), « Collection
anthropologique du Muséum de Paris »,
DUCLOS (J.), V u e s p h o to g r a p h iq u e s . T r a v a u x des Paris, 1861-1867. Env. 280 n°.
lig n e s de B r e ta g n e et de Vendée. C o m p a g n ie du
C h e m in d e f e r d ’O rlé a n s , v. 1865. 49 phot. R ousseau (Louis) et D evéria (Achille),
P h o to g r a p h ie z o o lo g iq u e o u r e p ré se n ta tio n des
GEOFFROY (O.), A l b u m p h o to g r a p h iq u e e t d e s c r i p t i f a n im a u x ra res des co llectio n s d u M u s é u m
du m a té r ie l d u c h e m in de f e r du N o r d , 2 e p a r tie , d ’h is to ire n a tu r e lle p u b lié e p a r L . R o u s s e a u et
v o itu res et w a g o n s , 1858. 41 phot. A . D e v é r ia . P ro c é d é des p l u s h a b ile s
imprimerie photographique de
p h o to g r a p h e s ,
LANDOYER (D.), M in is tè r e d e P A g r ic u ltu r e , du
C o m m e rc e e t d es T r a v a u x p u b lic s . E x p o s itio n
Lemercier, Paris, Masson ; Londres,
E. Gambart and Co, [1853]. —
u n iv erse lle d e 1 8 6 7 . P o n t d e T i l s i t t s u r la S a ô n e
[Photographies de Bisson à partir
à L yon, [1867]. 11 phot.
desquelles Mante, Riffaut et Pernel réalisent
SÉE (Gerson), N a v i g a tio n de la S e in e . B a r r a g e s à et tirent des héliogravures selon le procédé
h a u sse s m o b ile s, [1863]. 16 phot. Niépce de Saint-Victor].
Orient4
Science, industrie
BARTHOLDI (Frédéric-Auguste), « Égypte et
AUBRY (Charles), E tu d e s de fe u i l l e s , 1 " s é r ie , Paris, Nubie» et «Arabie heureuse», 1855-1856,
1864. 15 phot. 2 séries, 100 phot.
D onné (Alfred) et FOUCAULT (Léon), C o u r s de CAMMAS (Henry), S o u v e n ir s d ’E g y p te , o ffe r t à son
m icro sco p ie c o m p lé m e n ta ir e des étu d es m é d ic a le s et A . R . le C o m te de P a r is , [1864]. In-fol., 58 phot.
p h y s io lo g iq u e s des f l u i d e s de l ’économ ie. A t l a s ,
Paris, J.-B. Baillière, 1845. [Gravures d ’après De C l e r c q (Louis), V o ya g e en O r i e n t... 1 8 5 9 -1 8 6 0 .
des daguerréotypes de Foucault]. In-Gr. fol.j 5 alb., 230 phot.
ANNEXES 521
1859. Vues d’Alsace, Album dédié à S.M. DELTON (Louis-Jean), Album Delton, Paris,
l ’Empereur par Ad. Braun. Gr. fol., 50 phot. Photographie hippique, 1870. 2 vol.,
204 phot.
C iviale (Aimé), Voyages photographiques dans les
Alpes, 1860-1870. 14 vol., 927 phot, et 41 D is d ÉR I(André-Adolphe-Eugène), Galerie de
panoramas. contemporains, texte biographique par Dollingen,
portraits en pied photographiés par Disdéri,
HEILMANN (J.-J.), «Vues des Pyrénées», Pau,
Paris, 1862. 3 vol., in-4° de 25 phot.
Marx, 1854-1860. 19 phot.
D urât (Pierre), Photo-biographie des contemporains,
L iesville (A.-R. de). Vues de Cherbourg..., Paris,
[1867]. 29 phot, de Durât et dessins de Carlo
l’auteur, 1861. 12 phot. Gripp.
L yte (Farnham Maxwell), « Pyrénées », Pau,
F lan ( A .) et B l u m ( E .) , Les Photographies
Marx, 1855-1860. 142 phot. comiques, Paris, 1861.
M arville (Charles), Album du bois de Boulogne,
H ugo (Charles) et VACQUERIE (Auguste),
Paris, 1858. 60 phot. « Portraits de Victor Hugo et de ses
ROUSSET (Ildefonse-François-Louis) familiers... à Jersey », [1853-1856].
1865. Le Tour de Marne, décrit et photographié 58 phot.
par Emile de La Bédollière et Ildefonse Rousset, L aiSNÉ (Victor), Histoire des artistes vivants par
Paris, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie. Théophile Silvestre, Paris, 1853-1856. 21 phot.
ln-4°, 64 p., plan, phot.
1865. Le Bois de Vincennes, décrit et photographié M artin (Adolphe), Portraits parlementaires
par Emile de La Bédollière et Ildefonse Rousset, daguerréotypés, Paris, 1849.
Paris, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie.
In-fol., 74 p., phot., pl., plan. M ayer et P ierson
1866. Etudes photographiques, introduction et 1856. Portraits des plénipotentaires, Congrès de
notes de Louis Jourdan, Paris, A. Giroux. 10 Paris, 30 mars 1856. 16 phot.
fasc. en 1 vol. in-4°, phot. 1862. Album des députés du Corps législatif,
Paris. 196 phot.
Soulier (Charles)
1864- 1867. «Suisse», Paris, Photographie N auar (Félix), «Galerie des contemporains».
Antonin. N° 101-149. [En mars 1861, Nadar annonce dans Journal
1865- 1867. «Savoie», Paris, Photographie amusant une liste de 78 noms].
Antonin. N° 149-184. PETIT (Pierre) et T rinquar T, Galerie des hommes
STEWART (John), « Paysages et monuments des du jour, biographies par Théodore Pelloquet,
Pyrénées», Pau, Marx, v. 1864. N° 102-203, Paris, 1861.
24 phot.
TERPEREAU (Alphonse), «B ord eau x » , 1866-
1867. 30 phot.
Études de nu
D lrieu (Jean-Louis-Marie-Eugène), « Etudes
de nus», Paris, 1853-1854. 32 phot., (cahier
Portraits de contemporains ayant appartenu à Eugène Delacroix).
B érot (J.) MALACRIDA, « Etudes d ’après nature », Paris,
[1865]. La Presse photographiée par J. Bérot, Lemercier, v. 1853. 36 phot.
peintre, Paris, Photographie de la presse
artistique. 24 phot. M arconi (Gaudenzio), «Académies pour
[1865]. Le Siècle photographié par J. Bérot, l’Ecole des beaux-arts », Paris, 1869-1873.
peintre, Paris, Photographie de la presse 87 phot.
artistique. 25 phot.
MOULIN (Félix-Jacques-Antoine), « Etudes
CHEVALIER, Cartes-programmes pour les théâtres de photographiques», Paris, 1852-1854. Env.
Paris, v. 1867-1869. 40 phot. 60 phot.
D ALLEMAGNE (Adolphe-Jean-François-Marin), O livier (Louis d’), « Etudes d ’après nature »,
Galerie des artistes contemporains, v. 1866. l re Paris, Société photographique, 1854-1855.
série, 50 phot. N° 1 à 583.
ANNEXES 52 3
1. Les dates de parution sont mentionnées jusqu’en cation contraire, éditées par Blanquart-Évrard. La
1871. même pour les périodiques qui paraissent au- liste des publications de Blanquart-Evrard a été
delà de cette année 1871. établie par Isabelle J ammes : B la n q u a rt-E v ra rd et les
2. Les titres d ’albuin viennent en italiques, ceux origines de l ’édition photographique fra n ça ise. C atalogue
des séries entre guillemets. Le nombre des photo raisonné des album s photographiques édités, 1851-1855,
graphies indiqué pour chacun des recueils ou séries Droz, Genève, 1981.
l’est à titre indicatif. Il ne rend pas compte des 4. Voir également ci-dessus les publications de
clichés effectivement réalisés par Fauteur, mais seu Blanquart-Évrard.
lement des épreuves actuellement disponibles 5. La liste ci-dessous de quelques grandes séries de
(essentiellement dans les institutions françaises). Il vues stéréoscopiques ne rend pas compte d’une
ne préjuge donc pas des découvertes à venir. production nombreuse et variée (voir notamment
3. Les photographies ont été tirées à l’« Imprime su p ra les catalogues de Ferrier et Soulier et de
rie photographique » de Loos-les-Lille et, sauf indi A. Gaudin).
INDEX DES NOMS PROPRES
HIMELY Sigismond (né 1801) : 61. LACAN Ernest (1828-1879) : 7 (et n. 1), 10-12,
HOU DOIT : 215. 96 (et n. 3), 106, 126, 128, 130-131, 160, 161-
HUBERT Eugène : 62, 64, 70. 166, 167, 169, 194 (et n. 1), 195, 197-200,
HUET Paul (1803-1869) : 267. 209, 213, 251, 266 (n. 6), 310, 352-353, 361,
HUGO Victor (1802-1885) : 122 (n. 1). 363, 368, 370-371, 373, 374, 417 (n. 1), 428-
HUMBERT DE MOLARD Louis-Adolphe 429, 430, 479 (et n. 1).
(1800-1874) : 312. LACRETELLE Henri de (1815-1899) : 95, 97
(et n. 6), 104, 126-128, 129-130.
LADMIRAULT Louis-René-Paul de, général,
(1808-1898): 485.
I LAFFON Louise : 380-381, 385, 469 (ill ).
LAFON DE CAMARSAC Pierre-Michel (1821-
INGRES Jean-Auguste-Dominique (1780- 1905) : 16 (n. 13), 207, 373, 377-378, 380.
1867) : 50 (et n. 4), 106, 220, 259, 264, 292, LA GAVINIE : 298-299, 305, 352 (et n. 1).
313, 398, 399-400. LAISNÉ Victor (né 1807) : 313 (ill.).
ISABEY Jean-Baptiste (1767-1855) : 400. LAMARRE M. et M™ : 419 (n. 1), 421, 424-
ITIER Jules (1802-1877) : 54, 58-60, 126.
425.
LAMARTINE Alphonse-Marie-Louis de (1790-
1869) : 124, 246, 249-250, 253.
LAMÉ-FLEURY Ernest-Jules-Frédéric (né
J 1823) : 330, 338, 340.
JALABERT Charles-François (1819-1901) : LANDSEER sir Edwin Henry (1802-1873) :
400. 283.
JANIN Jules (1804-1874) : 8, 45, 46-51, 61. LANGLOIS Jean-Charles, colonel (1789-
JANZÉ Hippolyte, vicomte de : 310, 316. 1870) : 175 (et n. 1), 176-179 (et ill.), 333
JAVARY, capitaine : 460. (n.2).
JEANRON Philippe-Auguste (1808-1877) : 400. LANTARA, Simon-Mathurin Lantarat, dit
JOLY-GRANGEDOR Jules (1818-1871): 14, (1729-1778): 110.
404, 467-469, 477-478. LARGUILLIÈRE Nicolas de (1656-1746) : 265.
JOLY d e LOTBINIÈRE Pierre-Gustave (1798- LA ROCHE Tiphaine de : 53 (n. 2).
1865) : 52, 56, 61. LASCASES Emmanuel, comte de (1766-1842) :
JOMARD Edmond : 52, 61. 61.
LATOUR Georges de (1593-1652) : 257, 265.
LATREILLE Édouard de : 298-299, 306.
LAULERIE Martin : 323.
K LAUSSEDAT Aimé, colonel (1819-1907) : 444,
459-461.
KEN Alexandre (mort v. 1874) : 373 (n. 2), 410- LAVOLLÉE Charles-Hubert (né 1823) : 54.
417. LAWRENCE sir Thomas (1769-1830) : 283.
KILBURN William Edward (actif 1846-1862) : LEFEBVRE : 305.
169. LEFUEL Hector (1810-1881) : 131.
KNAUS Louis (1829-1910) : 249. LE GRAY Jean-Baptiste-Gustave (1820-1882) :
10 (et n. 4), 15, 87, 95 (et n. 1), 97, 98-100,
101, 103, 108-109 (et ill.), 124, 126, 131,
L 166 (n. 2), 179 (n. 6), 238, 253 (n. 3), 266
(n. 4), 268, 322, 430.
LA BLANCHÈRE Pierre-René-Marie-Henri de LEGROS Adolphe : 304.
(1821-1880) : 304, 373-374, 375-377, 410, LEMAÎTRE Augustin-François (1797-1870) :
430. 22-23, 25, 30, 314.
LABORDE Léon-Emmanuel-Simon-Joseph, LEMERCIER Rose-Joseph (1803-1887) : 190-
comte de (1807-1869) : 9 (n. 2), 12, 18-19, 191, 233 (n. 5), 310-311, 316, 404, 467.
182 (et n. 2), 213, 218 (et n. 1), 219-225, LE NEVE FOSTER (actif 1856-1871) : 430,
321-322, 473. 431-433.
530 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871 \
LÉONARD de VINCI (1452-1519) : 72, 213, MARION A. (av. 1835-1917) : 341, 343 (et
229, 285. n. 1).
LÉON-NOËL André : 301, 303. MARTENS Frédéric (v. 1809-1875) : 61, 197.
LEREBOURS Nicolas-Marie Paymal (1807- MARTIN John (1799-1854) : 48 (et n. 3), 284.
1873) : 43, 52-53, 60-61, 80-81, 87 (et n. 2), MARTINET Achille-Louis (1806-1877) : 301,
191, 214-215 (et ill.), 313. 303, 400.
LE SECQ, Jean-Louis-Henry Le Secq MARVILLE Charles (1816-v. 1879) : 15, 100-
Destournelles, dit Henri (1818-1882) : 96-98 101 (et ill.), 126, 129, 131, 384 (et n. 3, 5).
(et ill.), 101-102 (et ill.), 106, 126-131 (et MAURISSET Théodore : 44 (ill.).
ill.), 197, 249. MAYER frères, Léopold-Ernest (1817-1870) et
LE SUEUR Eustache (1617-1655) : 106. Louis-Frédéric (mort 1881) : 200, 266 (n. 9).
L'HOTE Édouard : 107 (n. 2). MAYER et PIERSON : 10, 13, 16, 87-88, 194
LIÉBERT Alphonse-J. (1827-1914) : 373 (n. 2). (n. 4), 200, 266, 373 (n. 2), 390-391 (et ill.),
LIÉNARD Justin : 298, 303. 392-395, 398, 417.
LISSIMONE : 175, 333 (n. 2). MÉHÉDIN Léon-Eugène (1828-1905) : 175,
LORENT August Jakob : 197. 178, 333 (n. 2).
LORRAIN, Claude Gellée, dit Le (1600-1682) : MÉHÉMET-ALI (1769-1849) : 52, 55, 58.
267, 269. MERCURY ou MERCURI Paul (1804-1884) :
LORY (actif 1862-1878) : 49 (ill.). 243, 302, 305.
LUMIÈRE Auguste (1862-1954) et Louis (1864- MESTRAL O. : 126.
1948) : 252 (n. 2). METZU ou METSU Gabriel (1629-1667) : 115.
LUYNES Honoré-Théodoric-Paul-Joseph MICHEL-ANGE (1475-1564) : 106, 115, 250.
d’Albert, duc de (1802-1867) : 201, 203-204, MIGNARD Nicolas (1608-1668) : 112.
218 (n. 1), 313, 472-474, 476. MILLAIS sir John Everett (1829-1896) : 284.
LYTE Farnham Maxwell (1828-1906) : 432. MILLET Jean-François (1814-1875) : 254
(n. 4).
MILNE-EDWARDS Henri (1800-1885) : 72,
78.
M MONET Claude (1840-1926) : 128.
MONTECHI : 307.
MAC AI RE Louis-Cyrus (1807-1871) : 330, 331- MONTFORT Benito de, colonel : 9 (n. 2).
334. MONTMÉJA A. de : 444-445, 461 (ill.), 463 ;
MAILAND : 473. et voir HARDY et MONTMÉJA.
MALACRIDA Jules : 266 (n. 8). MORGHEN Raphaël (1761-1833) : 112, 229.
MALLET-BACHELIER : 310, 316. MORIN Jean : 229, 237, 304.
MANET Édouard (1832-1883) : 227 (ill.), 231, MOUTLLERON Adolphe (1820-1887) : 111,
326 (n. 3). 301, 303.
MANSIER : 460. MOULIN Félix-Jacques-Antoine (v. 1800 - ap.
MANTE : 311. 1868) : 144-145, 146-150 (et ill.).
MANTZ Paul (1821-1895) : 183 (n. 5), 207- MUDD James (actif 1854-1895) : 432.
208. MULREADY William (1786-1863) : 283.
MARC de RAVENNE : 233. MURILLO Bartolomé Esteban (1618-1682) :
MARC-ANTOINE : voir RAIMONDI. 50.
MARCELIN, Émile Planat, dit (1825-1887) :
255, 256-265 (et ill.), 266 (n. 8), 288 (ill.).
MARCONI Gaudenzio (1842 - ap. 1885) : 423 N
(ill.).
MARÉCHAL Charles-Raphaël : 207, 380. NADAR jeune, Adrien Tournachon, dit (1825-
MAREY Étienne-Jules (1830-1904) : 445 (et 1903) : 44 (ill.), 200, 238, 249, 266 (n. 8),
n. 4), 465-466. 304, 381, 388-389 (et ill.), 446 (n. 5).
MARIE Alexandre-Thomas (1795-1870) : 390, NADAR, Gaspard-Félix Tournachon, dit Félix
395-397. (1820-1910) : 9, 194 (n. 4), 205, 227 (ill.),
MARIETTE Auguste (1821-1881) : 137, 141. 238, 239-240, 242, 255, 282-283 (et ill.),
ANNEXES 531
292 (ill.), 318-321 (et ill.), 325 (n. 2), 330- PIERSON Pierre-Louis (1822-1913) : 266
331, 334-337 (et ill.), 339 (ill.), 407-408. (n. 9) ; et voir MAYER et PIERSON.
NANTEUIL Célestin (1813-1873) : 70, 112, PIOT Eugène (1812-1890) : 144, 192, 197, 241.
237, 400. PIRANESI Giambattista (1720-1778) : 231.
NAPOLÉON III (1808-1873) : 145, 188, 265 PLANCHE Gustave (1808-1857) : 267, 268-
(n. 3), 303, 319, 365, 384, 404. 269, 277, 325.
NÈGRE Charles (1820-1880) : 106, 126, 131- PLUMIER Victor : 106, 200, 245.
132, 133-134 (et ill.), 135 (ill.), 191, 197, POE Edgar Allan (1809-1849) : 326 (n. 4).
200, 248-249 (et ill.), 266 (n. 8), 310, 467- POITEVIN Louis-Alphonse (1819-1882) : 201,
468 (ill.), 470-472. 310, 314-317 (et ill.), 368, 443 (ill.), 467, 469
NIÉPCE Claude (1763-1828) : 22. (ill.), 471 (ill.), 474.
NIÉPCE fils Isidore (1795-1868) : 24, 31, 35-36, PORRO Ignace (né 1795) : 443, 451-452.
42. POTHUAU Louis-Pierre-Alexis (1815-1882) :
NIÉPCE Joseph-Nicéphore (1765-1833) : 22-23, 483.
24-34 (et ill.), 35-37, 42-43, 53, 87, 189, 202, POTONIÉ Edmond: 370-371.
305, 313-314, 332, 367, 468 (ill.). POUSSIN Nicolas (1594-1665) : 267, 269.
NIÉPCE DE SAINT-VICTOR Claude-Félix- PRÉAULT, Antoine-Augustin Préault, dit
Abel (1805-1870) : 87, 189, 252 (n. 2), 311, Auguste (né v. 1810-1871) : 264.
314. PRETSCH Paul (1808-1873) : 310.
NOLLET Jean-Antoine, abbé (1700-1770) : 25 PRÉVOST Victor (1820-1881) : 305.
(et n. 5). PRUD’HON, Pierre, dit Pierre-Paul (1758-
1823) : 309.
PU VIS DE CHAVANNES Pierre-Cécil (1824-
1898) : 400.
O
OLIVIER Louis-Camille d ’ (1827 - ap. 1870) :
266 (n. 8), 422 (ill.). Q
OZANAM Charles, Dr. (né 1824) : 442, 444-
QUATREMÈRE d e QUINCY, Antoine-
445, 463-466 (et ill ).
Chrysostome, dit (1755-1849) : 220.
QUINET fils, M.-Achille (mort en 1909) : 149,
452.
P
PALMERSTON Henry Temple, lord (1784- R
1869) : 391, 397.
PANOFSKY Erwin (1892-1968) : 72 (et n. 2), RAIMONDI, Marcantonio Raimondi, dit
251 (n. 1). Marc-Antoine (1480-1534) : 190, 192, 216,
PEIRCE Charles Sanders (1839-1914) : 17 233, 262, 266 (n. 6), 402 (n. 3).
(n. 20, 21), 445. RAOUL-ROCHETTE, Désiré-Raoul Rochette,
PÉRIER Charles-Fortunat-Paul (1812 - v. dit Désiré (1790-1854) : 39 (n. 3), 62, 64, 65-
1874): 10, 12, 15-16, 194 (n. 2), 209-217, 70.
249, 272-273, 277-278, 321, 341-342, RAPHAËL (1483-1520) : 106, 112, 213, 229,
344-345, 473. 250, 253-254, 307 (n. 5), 309, 376, 398 (n. 4),
PÉRINI : 197. 404 (n. 4).
PERNEL : 311. RAVAISSON, Jean-Gaspard-Félix Lâcher
PERRIER Charles (1835-1860) : 17 (et n. 21), Ravaisson-Mollien, dit Félix (1813 1900)
107 (et n. 2), 226 (et n. 1). 404.
PERROT DE CHAUMEUX A. : 398 (n. 2). REGNAULT Henri-Victor (1810-1878) : 9
PETIT Pierre (1832-1909) : 352-353, 357 (ill.), (n. 2), 78, 101, 110 (ill.), 118 (ill.), 201, 321,
361, 373 (n. 2), 384. 458, 467, 473.
PHILIPPOTEAUX HenriTEmmanuel-Félix REMBRANDT (1606-1669): 109, 115, 191,
(né 1815) : 400. 234, 242, 262, 284, 444, 449.
532 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
L’ÉCONOMIE Lieux
• Entreprise/établissement/société : 167, 169,
172-173, 191, 278, 342, 353, 367, 372, 409.
• Fabrique, magasin, succursale : 342-343, 365,
369-371, 424.
• Commerce, la photographie est un • «Fabrique» de tirage («imprimerie
commerce : 9, 13, 103, 160, 167, 304, 323, 341-342, photographique »,...) : 9, 84, 92, 95, 185, 192, 428-
344, 370, 387-388, 394, 419, 430. 429, 435, 438, 470.
• Voie industrielle, la photographie est une
industrie: 10-11, 84, 87-89, 92, 95, 103, 160, 183,
249, 310, 316-317, 321-322, 341-342, 344, 368, Produits
370-371, 380, 387, 428, 439, 474, 476.
• Épreuves (vente et production) : 316, 341-
342, 354.
• Fournitures (produits, matériel) : 341, 343,
Agents 347, 368-369, 435-437, 439.
• Fabricant, industriel, photographe
industriel : 84, 189-190, 371, 438.
• Clientèle, débouchés : 9, 88-89, 95, 103, 132,
160, 305, 309-310, 319, 342, 368-369. LES EMPLOYÉS
• Généralités: 153-154, 163, 429.
Concurrence : 95, 342, 344, 368-369 (et • Conditions matérielles : 85-86, 345, 348.
n.3), 394, 417. • Nombre : 83, 85, 92, 145, 153, 341, 346-347,
387, 475.
• Conséquences (baisse de qualité des épreuves, • Salaires : 82, 85, 89, 348, 420, 475.
négligences) : 13, 189, 341, 345, 374, 430.
• Contrefaçon : 13, 304, 387, 390-394, 398.
• Propriété industrielle, littéraire et artistique : Catégories
298, 301, 304, 306, 354, 390, 393-396.
• Colleur : 347.
• Laboratoire (de) : 93-94.
Les affaires • Margeur : 347.
• Miniaturiste : 347.
• Importance et essor du marché, activité, • Modèles (photos obscènes) : 420.
production (nombre des ateliers, niveau des • Opérateur : 238, 335, 345, 416.
affaires) : 8, 13, 84, 86, 341, 354, 368, 371, 374- • Peintre : 347.
375, 439, 468, 474-477. • Préparateur : 166, 347.
• Organisation (travail, production, vente) : • Retoucheur, coloriste : 345, 347, 415, 475.
88-89, 92, 95, 103, 185, 415. • Tireur : 374.
• Bénéfices, profits, chiffres d ’affaires : 11, 160,
162, 173, 188, 190, 198-199, 201, 203, 352, 409,
467, 474-475.
• Capitaux, investissements : 82, 170, 172-173, LA DIFFUSION
307, 368, 394, 415.
• Coût et rentabilisation de la production • Généralités: 186-188, 194, 200-201, 213, 222,
(épreuves, produits, matériel), prix de revient : 9, 310, 312, 316-317, 477.
38, 88-89, 100, 184, 186, 190, 307, 310, 312, 316,
343, 354, 356, 371, 385, 394, 440-441, 462-463, 470,
472. Objets
• Créanciers, faillites, actionnaires, emprunts :
167, 170, 172-174, 278. • Images de productions industrielles : 183,
• Exportation, distribution en province, service 185.
(tirage, conseil, leçon) : 10, 188, 190, 298, 345, 359, • Œuvres d ’art, beaux-arts : 12, 50, 61, 67, 165,
361, 369-371, 393, 409, 424, 428-429, 476. 182, 184, 186, 190, 194-195, 197-198, 216, 218-219,
• Prix et baisse des prix (épreuves, produits, 223, 241-243, 254, 303-307, 400.
matériel), prix de vente : 39-40, 87-89, 92, 95, 100, • Portraits : 19, 361, 367.
132 (n.l), 160, 185, 188-190, 192, 224, 304-305, • Procédé photographique: 188-189, 368 (n.2),
327, 344, 352, 354, 356, 368-370 (et n.2, 3), 409, 435, 437-441, 474.
440-441, 473. • Savoir, science : 462, 466.
536 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
Invention LE PUBLIC
• Généralités : 22-23, 29, 36, 64, 66, 313. Généralités: 190, 220, 338, 371, 378.
• Brevets ; 353. • Perception, vision du- : 269-270, 373, 376-377,
• Française : 42, 46, 51, 331. 406-407.
• Héliographie de Niépce (« couleur », « point
de vue », « rétine ») : 22-25, 28.
• Inventeurs : 22, 64-65, 321, 335, 367, 473. Catégories
• Principes : 22, 65, 69, 473. • Bourgeois : 286, 289, 293.
• Gens de goût : 280.
• Masse du-, « tout le monde » : 216-217, 222,
Perfectionnements 352.
Instruments
Les épreuves
• Généralités : 162, 178, 396, 416.
• Agrandisseur, megascope : 428-429, 465. a) N é g a tiv e s :
• Cadre : 176.
• Chambre noire, appareil : 30-31, 66-67, 178, • Généralités : 22, 24-25, 32, 87, 190, 314.
323, 369, 387, 389, 435, 439-441, 446, 449, 452, • Papier (calotype) : 63-64, 87, 164, 166 (n.2),
455-456, 458-460, 463-465. 178, 190, 456, 465.
• Châssis (chambre noire ou tirage) : 93, 155, • Système négatif/positif : 22.
352. • Verre albumine: 87, 151, 164, 178, 190, 314-
• Laboratoire (-de) : 93. 315 353.
• Objectif: 24, 43, 80, 165, 178, 259, 323-324, • Verre collodion : 87, 150-152, 154-155, 165.
352, 430, 446, 449, 456, 460. 169, 179 (n.5), 190, 193, 353, 356, 389, 435-436,
• Obturateur : 335. 438, 443, 456.
• Optique (loupe, microscope, lentille...) : 24-
25, 71-77, 112, 158, 442-444, 452, 459, 465. b) P o sitiv e s
• Planche : 312-313.
• Stéréoscope : 325, 327 (et n.5), 338, 341-342, • Généralités : 32, 87-88, 316, 342, 452.
386. • Daguerréotype (directes sur metal) : 8, 23, 31,
35, 60-63, 67, 70-74, 76, 82, 87-88, 104, 107, 111-
112, 115, 117-118, 120, 129 (n.4), 136, 144, 189,
Opérations 252, 254, 313, 341, 442.
• Directes sur papier : 35, 39 (n.3), 62-63, 65-
• Généralités : 40, 93, 154, 335, 344, 415, 435, 67, 70.
438-439. • Papier (sur) : 341, 343, 439.
ANNEXES 54 3
7 IN T R O D U C T IO N
I. PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE.
LES ANNÉES 1840.
22 L ’invention. J . - N . N ié p c e , L . - J . - M . D a g u e r r e .
35 L ’annonce. F . A r a g o , M . - A . G a u d in .
45 « C ’est un m iroir qui garde toutes les em preintes. » J . J a n in .
52 En Égypte, en C hine : les prem iers « daguerréotypeurs ».
F . G o u p il- F e s q u e t, J . I tie r , N . - M . P a y m a l L e r e b o u r s .
62 Bayard le pionnier : effet de réel et sim ulacre. H . B a ya rd ,
R . R o c h e tte , E . H u b e r t.
71 L ’euphorie des scientifiques. A . D o n n é , L . F o u c a u lt, A c a d é m ie
d es sc ien ces.
79 Prem iers rêves d ’instantanéité. A n o n y m e .
82 Dix années de daguerréotype : prem ier bilan commercial.
C h a m b r e d e co m m erce d e P a r is .
87 T entative d ’une production industrielle. L . - D . B l a n q u a r l-
E vra rd .
ANNEXES
488 Chronologie.
499 Les procédés techniques.
504 Bibliographie.
525 Index des nom s propres.
534 Index thém atique.
COM POSITION :
| TARDY QUERCY
46001 CAHORS
Achevé d’imprimer
sur les presses
de MAME IMPRIMEURS, à Tours
N° d’impression : 23435
Dépôt légal : novembre 1989
a photographie est l’une des grandes inventions du
L X I X e siècle. Elle a suscité une multitude d’écrits, dès les
premiers tâtonnements de Niépce en 1816. Ces documents
écrits sont de toute première importance pour connaître la
photographie dans ses dimensions esthétiques, techniques,
sociales, économiques et idéologiques ; pour aborder d’un
point de vue original la science, l’industrie, la
communication, et l’art lui-même qui a été profondément
ébranlé par cette « intruse ».
L’ouvrage d’André Rouillé n’est pas une simple
juxtaposition de textes, mais une mise en sens des écrits, des
propos et des positions. Il rend compte de façon claire et
précise des controverses dont la photographie a été l’objet au
cours de ses cinquante premières années. Jamais un tel
ensemble de textes fondamentaux, inédits ou inaccessibles,
n’avait été établi.
Cet ouvrage de 548 pages illustré de 160 photographies
est conçu comme un instrument de travail. Il est précédé
d’une introduction générale. Les 200 textes, accompagnés
de leurs références précises, sont présentés et replacés dans
leur contexte.
L’importance des annexes facilite l’étude, la recherche, la
découverte :
1. Un glossaire des principaux procédés techniques et un
tableau chronologique de leur période d’utilisation.
2. Une chronologie détaillée des événements
photographiques.
3. Une bibliographie d’ouvrages et d’albums d’époque de
près de 400 titres.
4. Un index des noms.
5. Un index analytique des notions.
Un ouvrage pour connaître, comprendre, étudier,
approfondir, découvrir la photographie française du
X I X e siècle. LTn ouvrage de référence.
Prix : 2 8 0 F.