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André Rouillé

La Photographie
en France
Textes & Controverses:
une Anthologie
1816-1871

MACULA
André Rouillé

La Photographie
en France
Textes & Controverses:
une Anthologie
1816 1871
ISBN 2-86589-021-X
© 1989 ÉDITIONS MACULA
6, rue Coëtlogon - 75006 Paris
Remerciements

L’auteur remercie vivement pour leurs conseils, leur aide, leur soutien :
Maurice Agulhon, Hubert Damisch, Claude Duchet, Jacques Foucart, Michel Melot,
Madeleine Rebérioux ;
Bernard Marbot, Jean-Jacques Hautefeuille et Danièle Resch,
de la Bibliothèque nationale ;
Christiane Roger, Sylvain Pelly et Norbert Le Roy,
de la Société française de photographie ;
Françoise Reynaud, du musée Carnavalet ;
Marie de Thézy et Catherine Floc’hlay, de la Bibliothèque
historique de la Ville de Paris ;
Jean-Jacques Poulet-Allamagny et Hélène Dussauchoy,
des Archives photographiques des Monuments historiques ;
Josiane Sartre, de la bibliothèque du musée des Arts décoratifs ;
André et Jean Fage, du Musée français de la photographie à Bièvre ;
Brigitte et Alexandre Labat, des Archives nationales ;
Véronique Champot, du Service photographique de la Réunion
des musées nationaux ;
Patricia Gairaud, Daniel Le Conte de Floris, Marc Sliwka, Béatrice Soyer et Jacques
Willaume, de l’Université de Paris VIII ;
Anne McCauley, de l’Université du Texas à Austin ;
Molly Nesbit, de l’Université Columbia à New York ;
ainsi que Cécile Berthelot, Christine Lapostolle, Gérard Lévy, Jean-Pierre
Mouilleseaux,
Joseph Nègre, François Robichon.
1. Louis-Jacques-Mandé Daguerre, Personnages visitant une
ruine médiévale, 1826. Huile sur toile (154 x 102 cm|. - Daguerre
avant Daguerre,., Décorateur de théâtre, peintre de panoramas,
créateur, en 1822, du Diorama qui connaîtra un immense succès,
sa peinture - souvent exposée au Salon - est nourrie de son
expérience de la scène. Personnages visitant une ruine médiévale
représente une architecture romane de fantaisie. On y trouve
des qualités qu'on attribuera bientôt au daguerréotype l'extrême
netteté de détail et la précision de l'échelonnement perspectif.
Introduction

PHOTOGRAPHIE,
ART ET INDUSTRIE

« Il n’y avait aucun peintre dans tout le pays : mais quand on


vouloit avoir le portrait d’un ami, un beau paysage ou un
tableau qui représentât quelque autre objet, on mettait de l’eau
dans de grands bassins d’or ou d’argent ; puis on opposoit cette eau à
l’objet qu’on vouloit peindre. Bientôt l’eau se congelant, devenoit
comme une glace de miroir, où l’image de cet objet demeurait
ineffaçable. On l’emportait où l’on vouloit, et c’était un tableau
aussi fidèle que les plus belles glaces de miroir. »

Fénelon, De l ’éducation des filles..., 1690.

La photographie est de l’ordre du regard mais, pour ne pas être simplement


de surface, celui-ci requiert un savoir sur les images.
Cette condition d’un contact fructueux s’impose particulièrement avec la
photographie ancienne qui, pour se révéler, demande un travail de mise en
situation des épreuves : à un savoir iconographique doit s’ajouter une
connaissance sur les circonstances de leur réalisation. Pour cela, un corpus
important de textes s’offre à l’étude : dès les tout débuts, en 1839 mais surtout
à partir des années 1850, une littérature photographique se constitue. Aux
revues et aux nombreux ouvrages spécialisés 1 s’ajoutent les. coniptes rendus
d’exposition, les brevets d’invention, les procès-verbaux des réunions de la
Société française de photographie, les requêtes adressées au ministère des
Beaux-Arts, les comptes rendus de procès, les articles de presse en faveur de1

1. La Lumière sort à Paris le 9 février 1851. Hebdomadaire, c’est la première publication européenne
consacrée à la photographie. Elle paraîtra jusqu’en 1867. D’autres revues apparaissent plus tard avec des
durées variables d’existence : en 1852 le Cosmos qui, sans être spécifiquement consacré à la photographie,
lui accorde une large place ; en 1853 Le Propagateur ; en 1855 Le Bulletin de la Société française de photographie,
Le Photographe (dirigé par A. Herling) et La Revue photographique ; en 1856 Le Spectateurs dont un seul numéro
paraît ; en 1857 Le Photographe d ’Édouard de Latreille ; et en 1861 Le Moniteur de la photographie dont Ernest
Lacan est le rédacteur en chef, après avoir été celui de La Lumière. Voir en bibliographie les titres des
ouvrages pour la période 1839-1871.
8 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

la photographie ou contre elle, les pétitions d’artistes à son encontre, les


enquêtes statistiques, les tarifs de studios, les chroniques, les publicités, etc.
Autant de matériaux par lesquels une pratique nouvelle se donne à
découvrir. Pour aborder cette multitude imprimée de la façon la plus
pertinente, j ’ai choisi de mettre en évidence le débat, tel qu’il s’est noué à
l’époque, sur le statut des images photographiques. Quels rapports allaient-
elles entretenir d’un côté avec l’art, de l’autre avec l’industrie ? La question
est bien sûr toujours d’actualité mais elle se pose sous le Second Empire avec
la force de la nouveauté : c’est le moment où, dès ses premiers pas, la
photographie doit simultanément se forger des instruments techniques,
s’assurer un marché, se doter d’institutions, élaborer un discours théorique
et agir en vue d’acquérir une légitimité.
Par ces actes multiples, le champ photographique tout à la fois se constitue
et résiste aux offensives des milieux concurrents (en premier lieu, celui des
graveurs). Le débat évolue en même temps que cette lutte au sein de la
sphère de la représentation.

Le r è g n e sans pa r t a g e d u d a g u e r r é o t y p e

Dans les années 1840, dominées par le daguerréotype, la discussion ne fait


encore que s’esquisser. Le 3 juillet 1839, devant la Chambre des députés,
Arago défend avec ferveur le daguerréotype en tant que « moyen de
reproduction » utile aux sciences, aux beaux-arts et à l’archéologie, mais il
n’évoque pas la possibilité de s’en servir pour réaliser des œuvres d’art (cf.
pp. 36-43). Seul Jules Janin, dans un article antérieur au discours d’Arago
(cf. pp. 46-51), présente le daguerréotype comme un «nouveau rival» de
l’art. Mais ce point de vue ne semble pas avoir retenu l’attention : il ne
touchait encore ni les artistes, que le daguerréotype ne concurrençait pas, ni
les daguerréotypistes, dont les préoccupations étaient avant tout techniques.
Il est à cet égard révélateur que la plupart des ouvrages publiés entre 1839
et 1849 sur le procédé aient un caractère essentiellement technique. Malgré
son développement pendant les années 1840, le daguerréotype reste une
pratique assez marginale : même en 1848 aucune revue ni aucune société
savante ne s’en réclame et le nombre des opérateurs ne dépasse pas 56 à
Paris (cf. pp.82-86).
L es d é b u t s d e la p h o t o g r a p h ie

Cette, situation change de façon radicale à partir de 1851 : -la photographie


proprement cJIteri(reprQd.uctible.-Sur papier grâce_au .système négatif positif)
commence à concurrencer le daguerréotype (qui n’assure que des épreuves
umqùe^'sur métal). Simultanément, la Société héliographique, fondée depuis
peu, publie Phebdomadaire La Lumière. L’essor de la photographie est dès
lors favorisé par ces deux facteurs nouveaux : une organisation qui dispose
de la caution de personnalités prestigieuses du monde des arts, de la littérature,
INTRODUCTION 9

2. Camille Dolard. ia Seance de daguerréotype, 1843. Huile sur toile 1100 x 68 cm). -
Peintre et ami de Nadar, Lyonnais comme lui, Dolard s'est consacré très tôt au daguerreotype.
Il depose un brevet en 1843. Cette toile - sans doute un autoportrait exprime son intérêt simultané
pour les deux pratiques Dans les années I860 il s'installera « peintre et photographe » à Paris.

des sciences, du journalisme, de la haute administration 2, et un organe, La


Lumière, qui assure une communication (d’ordre technique, idéologique,
esthétique, commercial) entre ses lecteurs et qui pose, dans son sous-titre
même 3, la question des rapports entre photographie et beaux-arts.
Dans la première moitié des années 1850, recherches techniques, soucis
artistiques et nécessités commerciales se conjuguent dans toutes les initiatives.
Ainsi, Blanquart-Evrard met au point un nouveau procédé de tirage et crée,
en 1851, la première « imprimerie photographique » en vue d’industrialiser
et de rentabiliser la production des épreuves (cf. pp. 87-89). Mais il s’adresse
surtout à une clientèle d’artistes et d’amateurs auxquels il propose de

2. Le baron Gros, Edmond Becquerel, Eugène Durieu, de Montfort, Léon de Laborde, J. Ziégler, Eugène
Delacroix, Victor Régnault, Champfleury, Francis Wey, Olympe Aguado, etc.
3. La Lumière, « revue de la photographie, Beaux-Arts, héliographie, sciences — journal non politique
paraissant le samedi ».
H) I.A PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

nombreuses reproductions d’œuvres d’art : ses déclarations en faveur d’une


voie résolument industrielle pour la photographie vont de pair avec l’affirmation
de son statut artistitique (cf. pp. 103-104). La même dualité dans le discours
et dans la pratique se retrouve, mais de façon inversée, chez Gustave Le
Gray qui tout à la fois publie l’un des plus importants traités de technique
photographique4567, refuse de considérer la photographie d’un point de vue
commercial et rationalise l’organisation de ses « ateliers » dans l’espoir de
satisfaire une clientèle d ’« éditeurs » (cf. pp. 100-103).

L’im p u lsio n de 1855


1855 est, pour la photographie, une année de mutation marquée par trois
événements majeurs : la fondation de la Société française de photographie,
l’ouverture des premiers grands studios (Disdéri, Mayer et Pierson) et
l’Exposition universelle.
Ces initiatives concrétisent et accélèrent le renouvellement qui, depuis 1851,
est engagé dans le milieu photographique avec le soutien de La Lumière et,
en particulier, d’Ernest Lacan, son rédacteur en chef. Avant même d’accéder
à cette responsabilité en janvier 1853, Ernest Lacan donne l’impression de
vouloir regrouper autour de lui les acteurs les plus importants de la scène
photographique. Son souci, qui est « avant tout de servir les intérêts des
photographes en facilitant la vente de leurs œuvres » °, l’oppose d’emblée à
la Société française de photographie (S.F.P.) qui se crée en novembre 1854
avec l’objectif proclamé de défendre, contre « la spéculation privée, le pur
amour de l’art et de la science photographiques » b.
En juin 1855 deux expositions d’épreuves et d’appareils photographiques
ont simultanément lieu à Paris : celle de la Société française de photographie
et celle du Palais de l’industrie de l’Exposition universelle. Ces deux
manifestations, qui donnent une audience et une impulsion sans précédent à
la photographie, révèlent aussi des attitudes différentes à son égard : alors
que la S.F.P. privilégie les potentialités artistiques du procédé, l’Exposition
universelle opte nettement pour l’« utilité » contre la « curiosité », pour l’usage
social de la photographie contre son strict usage privé. Cette opposition
apparaît clairement au travers des textes de Périer (pp. 209-212) et de Durieu
(pp. 279-281) d’une p art; de Lacan (pp. 195-200), de Disdéri (pp. 184-187)
; et du jury de l’Exposition universelle (pp. 188-193) d’autre part. À partir de

4. Gustave Le Gray, Photographie. Traité nouveau, théorique et pratique, des procédés et manipulations sur papier
[...] et verre [...], Paris, 1852.
5. La Lumière, 28 avril 1855 (n°17), pp 68-69 ; 12 mai 1855 (n° 19), pp. 73-74 ; 14 juillet 1855 (n° 28),
p. 113.
6. Bulletin de la Société française de photographie, janvier 1855, pp. 2-3.
7. Sous le Second Empire, les autres expositions de la Société française de photographie auront lieu en
1857, 1859, 1861, 1863, 1864, 1865, 1869 et 1870.
INTRODUCTION 11

1855, le second de ces courants gagne en importance avec l’essor des studios
de portrait pour lesquels « la photographie est devenue une importante
industrie » (pp. 192-193) et, surtout, avec le succès de l’Exposition universelle
qui amplifie des idées déjà défendues depuis 1853 dans La Lumière. Il s’agit
de promouvoir le procédé photographique en tant qu’instrument dont les
qualités spécifiques, « exactitude » et reproductibilité, devraient, pense-t-on :
1° répondre aux besoins techniques de la science, de l’art et de l’industrie ;
2° « vulgariser, au profit de tous, [ce] qui était le monopole du petit nombre » 8
et devenir ainsi « un^ftlxifiaipe démocratique par excellence » (cf. p. 182) ;
3° instruire et édut^èi\jiit^félna^jj<tnt les lumières dans les masses pour les
élever et le^J[efldre=Tneilleures >» 9 fa/oriser dans l’intérêt du progrès une
« acthan mpraîhprî'ice » sur la « claSse^jouvrière » : il y aurait là « pour le
patron5spmm>e pour l’ouvrier, utilité morale, utilité matérielle» (cf. p. 186) ;
5° Vifin, garantir des « bénéfices » substantiels à condition de vendre beaucoup
et bên marché (cf.^p. 185). n
Ce sont plus lps [ca&dcifêàbsufQposées_du procédé à servir des objectifs
sociaux, d’ailleurt^jjraéfties de'oeu'x-d'és saiipt-sjmoniens, que les images elles-
mêmes qui retiennent ici. Le jury de l’Expos/tion universelle et Lacan sont
du reste prêts à substituer à la photographie (« procédé transitoire », disent-
ils) la gravure héliographique à qui, selon Lacan, « appartient l’avenir » car
elle permet — à l’aide d’une matrice en métal ou en pierre obtenue d’après
une photographie sans intervention de la main, par les seuls moyens chimiques
— de tirer des images à l’encre grasse d’imprimerie et de passer ainsi du
stade de la reproductibilité à celui de la multiplicité des images photographiques
(cf. pp. 467-478). Au demeurant, ces deux courants — « esthétique » et
« utilitariste » - sont loin d’être homogènes, il existe souvent plus que des
nuances entre leurs protagonistes car l’acuité de la question art/industrie en
photographie est telle qu’elle oppose des institutions, traverse chacune d’elles
et interpelle les individus eux-mêmes.

L es d e r n ie r s a f f r o n te m e n ts d e s a n n é e s 1850
Dès 1856 la photographie doit payer son récent succès de virulentes attaques
livrées par ses opposants qui se sentent menacés. L’article de Henri Delaborde
dans la Revue des deux-mondes (cf. pp. 228-237) est sur ce point exemplaire : il
avertit les graveurs qu’« aujourd’hui la succession est ouverte » et leur propose
une stratégie de résistance susceptible de préserver leurs intérêts face à la
concurrence de l’image photographique. Dans cette lutte pour l’hégémonie,
Henri Delaborde tente de redéfinir les tâches figuratives dévolues à la gravure
dans une sphère de la représentation en plein bouleversement ; en appuyant
ses propositions sur une longue (et rituelle) dénégation des prétentions de la

8. Ernest Lacan, Esquisses photographiques, p. 119.


9. Revue photographique, 1862, p. 151.
12 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

photographie à faire œuvre d’art, il se place sur le terrain esthétique, cachant


ainsi les vrais mobiles, corporatifs, de ses propos.
Pour répondre à cette attaque, la photographie ne dispose que de plumes
bien timides ; Lacan, Disdéri et le jury de l’Exposition universelle n’abordent
pas (ou guère) le problème du statut artistique de la photographie ; Paul
Périer qui, lui, le place au centre de ses préoccupations adopte une attitude
conciliatrice vis-à-vis de la peinture au point de lui sacrifier l’identité de la
photographie. Seul, à cette époque, Eugène Durieu, alors président de la
S.F.P. (cf. pp. 279-281), s’attache à démontrer la spécificité de l’« art en
photographie », en opposition avec son vice-président Paul Périer.
Les membres de la S.F.P. ne sont donc pas unanimes, comme le montre
encore la polémique entre Paul Périer et Léon de Laborde à propos de la
« vulgarisation » des œuvres d’art par la photographie (cf. p. 213-225). En
fait, diverses orientations cohabitent au sein de la S.F.P. qui exprime elle-
même son ambivalence en se définissant dans ses statuts comme une
« association purement artistique et scientifique [...], étrangère pour elle-même
à toute spéculation commerciale [mais qui] encourage, cependant, protège
et patronne [ ...] les industries qui se rattachent à la pratique de l’art
..photographique » 101. Il s’agit donc d’une société savante plus déterminée à
promouvoir son objet — LA photographie — qu’à défendre une ligne unique.
Aussi peut-elle à la fois organiser en 1856 le concours du duc de Luynes (cf.
pp. 201-204) destiné à favoriser la découverte d’un procédé vraiment industriel
de tirage des épreuves à l’encre grasse d’imprimerie et, dès 1857, mener des
négociations pour faire accepter la photographie au Salon des beaux-arts.

Cette dernière volonté est partiellement exaucée en 1859 quand, après de


longues tractations entre la S.F.P. et le ministère, l’exposition de photographies
est enfin accueillie dans le même bâtiment que le Salon, mais dans un espace
séparé (cf. pp. 318-324). Ce difficile compromis confère à la photographie une
semi-reconnaissance de son statut artistique ; Philippe Burty parle de
'« réhabilitation » (cf. p. 322). Mais surtout, selon Louis Figuier, cette proximité
«établit avec vérité la situation mutuelle des deux parties en litig e » " :
la photographie et les beaux-arts. Autrement dit, le statut des images
photographiques, qui lui-même conditionne leurs modalités d’exposition, n’est
pas immanent mais résulte d’un rapport de forces à l’intérieur de la sphère
de la représentation. Bien que partielle, l’autorisation obtenue par la S.F.P.
témoigne du poids grandissant de la photographie et n’est sans doute pas
étrangère à la campagne que certains marchands d’estampes, comme Goupil,
engagent contre la photographie avec l’appui d’une part non négligeable de
la presse (cf. pp. 218-309).
10. «Statuts de la Société française de photographie», articles 2 et 4, Bulletin de la Société française de
photographie, janvier 1855, pp. 3 et 4.
11. Louis Figuier, La Photographie au Salon de 1859, Paris, 1860, p. 2.
INTRODUCTION 13

Le t r io m p h e d e l ’i n d u s t r i e

Il est vrai qu’en cette fin des années 1850, après dix ans d’activité, la
photographie a atteint un certain niveau industriel et commercial, comme
-l’indiquent par exemple les « Statistiques de l’industrie française » (cf. pp. 345-
349). Elle va cependant connaître un nouvel essor par le biais des studios de
^portraits avec la grande vogue de la « carte de visite » (cf. pp. 352-367). Cette
phase d’expansion est symboliquement inaugurée en 1860 par la transformation
des ateliers de Disdéri qui, depuis 1854, fait figure de précurseur ; elle l’est
aussi par la création du Moniteur de la photographie en mars 1861, avec pour
rédacteur en chef Ernest Lacan qui abandonne La Lumière. Le mouvement
industriel (ce mot indique, à l’échelle de la photographie, un niveau d’activité
mais aussi un ordre de préoccupation) donne également naissance en 1862
à deux organisations — le Comptoir international de photographie (cf. pp. 370-
371) et la Chambre syndicale de la photographie — qui, pour n’être pas très
influentes au cours de cette période, n’en témoignent pas moins d’une
évolution. En fait, la décennie 1860 est celle de la mise en œuvre de pratiques
qui s’enracinent dans la période précédente : le brevet de la « carte de visite »
a été déposé dès 1854, tandis que le tirage des épreuves au charbon et surtout
la grande question des procédés photomécaniques découlent largement du
concours lancé en 1856 à l’initiative du duc de Luynes.
Il n’est pas surprenant que, dans un tel contexte, le débat sur le statut
artistique de la photographie soit lui-même modifié. Pour la première fois, il
est pris en charge au début des années 1860 par les photographes « industriels »
qui, auparavant, l’avaient largement négligé. Alors qu’ils avaient accordé une
attention prioritaire aux questions commerciales ils développent une nouvelle
stratégie : défendre les mérites artistiques de la photographie pour les besoins
de l’« industrie » photographique. Dans son épais ouvrage de 1862 — L ’Art
de la photographie , Disdéri s’applique longuement à démontrer que la

photographie est un art et le photographe un artiste ; le but est de reconquérir


une clientèle lassée par « le sans-gêne industriel », par la négligence des
praticiens pressés par les lois du marché (cf. pp. 374-375). A la même époque,
Mayer et Pierson assignent en justice pour « concurrence déloyale » les
contrefacteurs de plusieurs de leurs portraits d’hommes célèbres. Leur défense,
qui vise à faire bénéficier la photographie de la loi de 1793 sur la propriété
exclusive des œuvres de l’art, repose donc sur l’affirmation de son statut
artistique. Après leur victoire en appel, Mayer et Pierson publient eux aussi
un livre — La Photographie considérée comme art et comme industrie — dans lequel
ils reproduisent de larges extraits de l’argumentation de leur avocat en faveur
de l’art photographique (cf. pp. 392-395).
Les opposants à la photographie changent également d’attitude. Désormais,
leur hostilité s’exprime moins par des articles que par des actions concrètes :
par la création de la Société des aquafortistes en 1862 et par la pétition signée
par Ingres et d’autres artistes pour réfuter toute assimilation des épreuves
14 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

photographiques avec les « œuvres fruits de l’intelligence et de l’étude de


l’art» (cf. pp. 399-400). Dans l’un et l’autre cas, il s’agit, sous couvert de
positions esthétiques, de soutenir les intérêts matériels de graveurs ou de
peintres menacés par le développement de la photographie.
Au travers des revues spécialisées, la fin des années 1860 apparaît un peu
comme une période d’attente et d’espoirs déçus. La confiance dans les progrès
du procédé, les prophéties sur les utilisations possibles de la photographie,
les débats sur le statut des images ont presque disparu. Les discours ont
perdu de leur emphase et de leur tonalité idéologique pour devenir plus
pragmatiques car, après les espérances et les illusions des années 1850, il faut
maintenant résoudre les difficultés techniques. Des auteurs comme Léon Vidal
se rendent compte qu’ils ont surestimé les capacités réelles de procédés tels
que les plaques sèches, le tirage au charbon et, bien sûr, la gravure
héliographique : la lenteur de ces procédés à entrer dans la pratique diffère
la réalisation des projets dont ils sont porteurs. Joly-Grangedor perçoit
parfaitement (cf. pp. 477-478) que 1869 prélude à de futurs bouleversements
qui feront franchir à la photographie une nouvelle étape...

DU MODÈLE PICTURAL...
Au-delà des circonstances particulières, il existe entre 1850 et 1870 deux types
de discours relativement stables : celui des partisans et celui des adversaires
du statut artistique de la photographie. Le jeu des premiers consiste à
multiplier les nuances, les différenciations et les médiations. Pour eux, le rapport
n’est ni direct, ni automatique entre l’objet et son image photographique ; loin
d’être liés par la chaîne rigide de la mécanique et de la chimie, l’objet et
l’image sont au contraire séparés par la série des choix subjectifs de l’opérateur
doté de qualités personnelles et artistiques : son « goût », son « sentiment de
l’art ». L’image photographique n’est donc pas le produit d’un procédé
coercitif mais celui d’un intervenant actif dans un système flexible, elle porte
l’empreinte de sa personnalité et de son « intelligence » et, à ce titre, peut
légitimement revendiquer le statut d’œuvre d’art. Encore faut-il, comme il est
...souvent précisé, que le « photographe soit artiste ».
Cette nouvelle distinction entre « photographe purement industriel » et
<tphotographe artiste » valorise le rôle de l’artiste au point de le créditer du
pouvoir démiurgique d’actualiser, dans la moindre de ses actions, l’essence
même de l’art ; l’attention est déplacée des qualités propres de l’image vers
celles de l’opérateur qui devient le critère unique d’appréciation de ses
productions. C’est sans aucun doute une telle conception qui conduit certains
photographes en quête de légitimité à faire suivre leur nom des mentions
>.« peintre-photographe » ou « sculpteur-photographe »... Les beaux-arts servent
désormais de référence non seulement aux ennemis de l’« art photographique »
mais aussi à tous ceux (dont certains praticiens) pour qui cet art ne peut
résulter que d’une assimilation par les photographes des « lois éternelles » de
INTRODUCTION 15

l’esthétique et de la tradition picturale. Se révèle ainsi le manque de maturité


et d’autonomie d’un discours comme d’une pratique photographiques qui,
paradoxalement, opèrent à partir des mêmes bases que ceux qui les réfutent.
Cette allégeance aux beaux-arts en tant que norme et instance légitimante
traverse toute l’histoire de la photographie du Second Empire. Elle est
exacerbée chez Paul Périer qui va jusqu’à nier le procédé pour mieux
rapprocher la photographie de la peinture (cf. pp. 277-278) ; elle sous-tencL
les démarches de la Société française de photographie en vue de faire accepter
la photographie au Salon ; elle infléchit la pratique même de photographes
comme Marville, Le Gray, Baldus... Francis Wey, par exemple, appréhende
la photographie à partir de « la théorie des sacrifices si largement pratiquée
par Van Dyck, par Rubens et par le Titien » : il dénonce le daguerréotype
pour son « indiscrète prolixité de détail » et accorde sa préférence au calotvpe
qui, par le moelleux de son rendu, « confine de plus près à l’art » (cf. p. 120).
Charles Bauchal (cf. p. 106) et même Théophile Gautier (cf. pp. 241-243yi
appliquent à la photographie des distinctions directement empruntées à la !
critique picturale (les « coloristes » et les « dessinateurs »...), tandis que Paul
Périer classe les épreuves en catégories héritées des beaux-arts et, de ce point
de vue, proclame ses « prédilections [...] en faveur du paysage » 12. Tous ces _
auteurs adoptent une démarche analogue pour justifier le statut artistique de
la photographie : ils valorisent le rôle de l’individu-photographe et ne
retiennent des pratiques et productions photographiques que les éléments
compatibles avec une acception archétypale de l’art calquée sur celle de la_
peinture. Il s’agit d’une attitude conciliatrice qui, pour prix d’une légitimité
artistique, accepte de sacrifier la spécificité de la photographie.

... À LA SPÉCIFICITÉ DE LA PHOTOGRAPHIE


Eugène Durieu est au contraire l’un des premiers (en 1855) à refuser cette
attitude et à défendre « les conditions toutes particulières » de « l’art
photographique ». Il prend d’abord nettement position contre la retouche qui
transforme les épreuves en produits hybrides et qui, surtout, freine le ~
dynamisme de la photographie car, dit-il, « chaque art doit trouver sa véritable
puissance en soi-même, c’est-à-dire dans l’emploi habile des procédés qui lui
sont propres» (cf. p. 275). Il définit ensuite les «conditions spéciales à la
photographie » qui obligent l’opérateur à évaluer « par avance quelle
transformation l’image, vue à la chambre noire, subira dans le travail
photographique et quel sera le rendu définitif » (cf. p. 280). Non seulement
Durieu n’occulte pas « le travail photographique », mais il reconnaît en celui-
ci la base distinctive de la pratique photographique : il se démarque par là-

12. Paul Périer, « Exposition universelle-III : photographes français », Bulletin de la Société française de
photographie, juillet 1855, p. 190.
16 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

même aussi bien du discours favorable, mais conciliant vis-à-vis de la peinture,


que du discours hostile.
Quelques années plus tard, en 1862, dans son livre L ’Art de la photographie 13,
Disdéri entreprend à son tour, non sans intentions commerciales, de montrer
d’abord que la photographie relève de l’art et ensuite qu’elle est un art
spécifique. Pour faire accepter la photographie dans le domaine de l’art,
QDisdéri la compare, sous l’angle de la mimésis, à la peinture : « Au point de
vue de l’imitation exacte de la nature, dit-il, les deux arts présentent [...] la
^plus grande sim ilitude»14. Autrement dit, les images photographiques ne
sont pas des reproductions automatiques et mécaniques de la réalité, elles
exigent une intervention directe de l’opérateur qui, pour « approprier le
procédé de production de l’image à la nature du modèle et aux circonstances
dans lesquelles il se trouve placé » 15, doit procéder à toute une série
d’évaluations en direction de ses instruments, de la scène à reproduire et des
lois de la représentation. L’activité de photographe suppose donc certaines
aptitudes et, en particulier, la capacité de «joindre aux connaissances spéciales
du laboratoire des connaissances d’un ordre très différent qui ont déjà
beaucoup d’analogies avec celles qui servent de bases à l’art du peintre » 1".
Déjà proches comme producteurs d’images, le photographe et le peintre le
sont encore plus par leur rapport à la « beauté », qu’il leur faut étudier,
reconnaître et, chacun selon ses moyens particuliers, exprimer. Pour Disdéri,
l’activité artistique suppose la (re)connaissance et le respect de « lois »
transcendantes dont l’ensemble constitue l’absolu esthétique. L’œuvre d’art
est l’image qui, avec une subtile ostentation, combine l’imitation et des
marques codifiées d ’allégeance aux « lois de la beauté » ; celle par qui la
ressemblance, dépassant la simple copie automatique, devient plus parfaite.
La « beauté », sans laquelle on ne saurait parler d’art, apparaît comme
consubstantielle à la mimésis et comme un trait d’union entre le peintre et
le photographe.
A ce stade, la problématique de Disdéri est encore analogue à celle des
nombreux auteurs qui, avec Paul Périer en 1855 ou avec l’avocat de Mayer
et Pierson en 1862, cherchent à rapprocher photographie et peinture. Il fait
cependant preuve d’originalité quand, dans un deuxième temps, passant de
l’étude des images à celle de leur mode de production, il souligne l’écart entre
les deux pratiques. Loin de le nier, Disdéri explicite au contraire cet écart
pour en faire non pas un motif d’exclusion de la photographie du domaine
de l’art mais un trait fondateur de ce qu’il nomme la « spécificité de l’art
photographique ».
La singularité et la nouveauté de la photographie résident dans les liens
particuliers de ses images avec leurs référents. Contrairement au peintre qui

13. Disdéri, L ’A rt de la photographie (introduction de Lafon de Camarsac), Paris, 1862.


14. Ibid., p. 254. — 15. Ibid., p. 247. — 16. Ibid., p. 248.
INTRODUCTION 17

peut travailler à partir des seules impressions du réel accumulées dans s~


mémoire, « le photographe, écrit Disdéri, ne saurait se passer de la présence
des objets qu’il veut reproduire»1'. Le peintre, qui « n ’a pas besoin de
peindre la réalité [et] la dédaigne au contraire » *8, s’oppose donc aü
photographe qui, lui, « est lié à la réalité, ne peut s’en débarrasser, et, dans
l’exécution est condamné à l’exacte imitation » 17*l9. Disdéri inscrit la spécificité
de la photographie dans la genèse de ses images (de leurs liens physiques
nécessaires avec les objets figurés), comme le soulignera un demi-siècle plus
tard Charles S. Peirce dans sa définition de Yindex 2021.
La question de l’index est le ressort inconscient de la polémique qui, au
milieu du XIXe siècle, s’engage à propos de la photographie. Il s’agit au fond
de décider si ce type, nouveau, d ’image-index (au sens de Peirce) peut
légitimement accéder au statut d’oeuvre d’art. Alors que, pour Disdéri, le lien
physique entre l’image photographique et son objet est constitutif de la
spécificité de l’« art photographique », il est au contraire, pour les adversaires
de la photographie, incompatible avec l’art. Ceux-ci vont donc, sans toujours ,
l’expliciter, s’appuyer sur cette nécessaire contiguïté image-objet pour nier lié]
rôle de l’individu-photographe, ignorer (ne pas voir) la réalité du « travail
photographique », dénoncer la suprématie du procédé et conclure à l’automati­
cité du résultat. Il est, aux yeux de ces critiques, rédhibitoire pour l’image^
photographique de n’être pas entièrement médiatisée par l’artiste (sa main,
son esprit, son imagination...) mais d’être le résultat d’une imprégnation
lumineuse des objets eux-mêmes. En d’autres termes, la valeur iconique
(l’analogie, l’imitation) de la photographie est négligée par ceux qui — même
s’ils érigent la mimésis en essence de l’art — cherchent avant tout à faire
respecter une sorte d’interdit de l’index comme condition de pérennité de
l’institution artistique. —-
Ces adversaires les plus résolus sont en fait, pour la plupart, des adeptes
de l’« idéalisme » qui réitèrent à l’encontre de la photographie l’essentiel de
leurs invectives contre les peintres « réalistes » (au sens de ces deux mots
dans le milieu artistique des années 1850-1860). Charles Perrier, par exemple,
définit en 1855 dans L ’Artiste'n la représentation picturale comme une
transposition de la nature (de la « vie réelle », de l’« émotion ») sur la toile.

17. Ibid., p. 255. — 18. Ibid., p. 259. — 19. Ibid., p. 260. _


20. Charles S. Peirce, Ecrits sur le signe (traduction Gérard Deledalle), Paris, Seuil, 1978, p. 158. «U n
indice est un signe ou une représentation qui renvoie à son objet non pas tant parce qu’il a quelque
similarité ou analogie avec lui [cela, c’est l’icône], ni parce qu’il est associé avec les caractères généraux
que cet objet se trouve posséder [c’est le symbole], que parce qu’il est en connexion dynamique (y compris
spatiale) et avec l’objet individuel d ’une part et avec les sens ou la mémoire de la personne pour laquelle
il sert de signe, d’autre part. » Gérard Deledalle traduit « index » par « indice ». Je préfère pour ma part
conserver le terme de Peirce. —
21. Charles Perrier, «D u réalisme, lettre à M. le directeur de L'Artiste », L'Artiste, 14oct. 1855, pp. 85-
18 LA PHOTOGRAPHIE EN I RANCE I8l(i-I87l

Selon lui, le « réalisme » n’offre que des « reproductions matérielles » sans vie
ni émotion et ne saurait prétendre à l’art qui, paradoxalement, accède au
« plus vrai que vérité » par l’entremise d’une « innocente tricherie » c’est-à-
dire par une « idéalisation des objets » et la construction sur la toile d ’une
« vie factice ». La peinture « réaliste » et la photographie se heurtent à des
arguments analogues sans que la similitude des discours hostiles n’induise
pour autant une solidarité entre elles...

J ’ai tenté de rassembler dans cet ouvrage quelques-uns des textes antérieurs
à 1871, marqués par la question, centrale à cette époque, du statut de la
photographie. Loin de se réduire au type binaire art/non-art, les réponses
multiples à cette question oscillent entre les deux pôles extrêmes de l’art et
de l’industrie et invitent à dépasser celle, traditionnelle, de savoir si « la
photographie est un art ». L’étude concrète d’un champ photographique précis
interdit en effet de parler de LA photographie mais oblige à reconnaître une
diversité de pratiques et d’objets qui, sauf à sacrifier leurs traits distinctifs
et ceux du champ lui-même, sont irréductibles au terme générique et abstrait
de «photographie». Quant à l’art, dès 1851, à l’occasion de la Grande
Exposition de Londres (cf. pp. 218-225), Léon de Laborde signale l’écueil que
l’on rencontre à vouloir en attribuer le label à une pratique particulière,
comme l’on s’attache — encore aujourd’hui —- quelquefois à le faire. Selon
Laborde, il n’existe pas de pratique (peinture, littérature, sculpture...)
artistique en soi, dont les produits relèveraient d’emblée du domaine de l’art,
ni bien sûr de pratiques et de produits qui en seraient par nature
automatiquement exclus. Dans cette perspective, la frontière de l’art ne sépare
pas des pratiques mais regroupe des produits d ’origine différente avec pour seul
critère leur qualité : « Au-dessous d’une certaine limite de supériorité, dit-il
(sans d’ailleurs questionner cette limite), art, science et littérature, tout est
de l’industrie» (cf. p. 221).
En fait, vouloir assimiler une pratique et ses produits (« LA photographie »)
ou une partie de ceux-ci (« LE calotype ») à un « art » revient à oublier que
leur statut n’est ni absolu, ni définitif mais résulte à chaque instant d’un
rapport de forces entre images concurrentes et, plus particulièrement, de la
situation spécifique et mouvante du champ photographique à l’intérieur de
la sphère de la représentation, et même de la totalité sociale. C’est également
prendre le risque de rapporter les produits et les pratiques photographiques
à une série de critères eux aussi mouvants mais pensés comme normes, comme
conditions naturelles et obligées de l’Art.
Au lieu d’essayer d’apporter une impossible réponse à une question
aporétique, il m’est apparu plus fructueux d’en montrer l’historicité en
étudiant avec précision, pendant une période donnée, les fluctuations du débat
sur le statut de la photographie : ses circonstances, ses modalités et ses
acteurs.
AVER TISSEM ENT

Les textes cités dans cet ouvrage le sont rarement dans leur totalité. Ceci
résulte d’un choix difficile entre deux options : respecter l’économie générale,
donc l’intégralité des documents ; confronter des textes multiples que leur
nombre et leur longueur interdisent précisément de reproduire de manière
exhaustive (certains s’étendent sur 30, 50, voire, dans le cas du rapport du
comte de Laborde, sur plus de 1 000 pages). Du moins s’est-on efforcé de
restituer chaque fois les lignes de force en supprimant de préférence ce qui
relevait de la digression — si fréquente dans la presse périodique du X IX e siècle
— et en élaguant dans l’accumulation redondante des exemples. Seules ont
été mentionnées les coupes opérées à l’intérieur des textes (ni au début ni à
la fin).
Reste que le chercheur pourra se reporter au texte complet dont la référence
précise est chaque fois donnée avec le titre (la ville d’édition et l’éditeur ne
sont pas mentionnés : on les trouvera dans la bibliographie).
Quand les textes sont extraits d’articles, les pages indiquées en référence
sont celles du début et de la fin de l’article ; quand ils sont extraits de livres,
les pages correspondent au début et à la fin de l’extrait.
Sauf indication contraire, les notes de bas de page sont du présentateur.
On trouvera en fin de volume une bibliographie des publications antérieures
à 1871, une chronologie, un index thématique, un index des noms et une
description sommaire des procédés techniques employés au cours de la période
examinée.
I
PRÉDOMINANCE
DU DAGUERRÉOTYPE

LES ANNÉES 1840

3- Honoré Daumier,
_e Charivari,
2 juil. 1840.
orthographie.
L’INVENTION (1816-1839)

Josep h -N icép h ore NlÉPCE (1765-1833) ;


Louis-Jacques-M andé DAGUERRE (1787-1851)

Si l ’invention de la photographie est loin d ’être fortuite, si elle est inséparable


de la dynamique sociale et technique d’une époque, elle est aussi intimement liée
à la persévérance et aux intuitions d’un homme : Nicéphore Niépce, comme l ’atteste
sa correspondance 1 tant avec son frère Claude qu’avec le graveur Augustin-François
Lemaître et le peintre-décorateur de théâtre Louis-Jacques-Mandé Daguerre.
L ’invention de cette image radicalement nouvelle, située u la lisière de l'art et
de la science, n’est pas le fa it d’un artiste ni d’un savant, mais d’un homme
curieux, isolé en province et aux connaissances parfois approximatives, d’un
« inventeur » passionné qui, à force de tâtonnements et d’obstination, arrive à
marier l ’optique et la chimie pour donner naissance à ce qu’il appelle alors
l ’« héliographie ».
)Ses réalisations sont certes assez différentes de la photographie proprement dite,
mais elles en établissent clairement le principe : celui d’une image mécanique/chimi­
que qui devra — point essentiel être reproductible : la chambre noire, la

lumière et les substances chimiques remplacent désormais la main. Et la lithographie


récemment mise au point (1796) par Senefelder incite l ’inventeur à faire porter
ses efforts sur la multiplication des épreuves.
En mai 1816, Niépce réalise depuis sa fenêtre, sur papier, et à l’aide d ’une
chambre noire, des « points de vue » 12 dont « l ’ordre des teintes est interverti » :
des négatifs. Les résultats sont certes encore très imparfaits, mais une nouvelle
image est née.
Niépce sait qu’il lui faut désormais « tâcher de fixer l ’image d ’une manière
solide et de placer les ombres et les clairs dans leur ordre naturel » (lettre du
16juin 1816). Pour cela il essaie sans succès, et à vrai dire sans s’y attarder
beaucoup, d ’obtenir un positif à partir d’un négatif, c’est-à-dire de mettre en œuvre
le système négatif/positif qui est à la base de la photographie proprement dite.

1. Paul Jay, Nicéphore Niépce, Lettres et documents, coil. Phoro poche n° 8, Paris, Centre national de la
photographie, 1983.
2. Le vocabulaire de Niépce flotte entre l’optique et les arts du dessin ; « points de vue d ’après nature »,
« planches », « gravures ». Il parle de « peindre convenablement les objets éloignés ». C ’est finalement le
terme d'« héliographie » qui s’imposera. « J ’ai cru pouvoir donner ce nom à l’objet de mes recherches,
en attendant une dénomination plus exacte» (8 déc. 1827).
PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE

Si Niépce ne se consacre pas davantage à cette question, c’est qu’il nourrit


l ’espoir de réaliser directement des images positives et, surtout, qu’il a en tête le
modèle de la gravure et de la lithographie. Dès l ’été 1816 il multiplie les tentatives
pour obtenir à la chambre noire (sur pierre, étain, cuivre, zinc, etc.) des planches
nécessaires à l ’impression et à la multiplication des gravures. C’est encore dans
cette perspective qu’à partir de juin 1825 il collabore avec le graveur parisien
Lemaître. Le 7 août 1825 il écrit à son frère : « S ’il ne survient pas de difficulté
imprévue, j ’ai, grâce à Dieu, le plus grand espoir d’atteindre entièrement le but
pour la gravure sur cuivre des points de vue, application la plus importante, sans
contredit, de la découverte qui m ’occupe. »
Et Daguerre ? Il aurait écrit en janvier 1826 une première lettre à Niépce —

d’une complète « incohérence » affirme celui-ci — et une seconde un an plus tard.


Dès ce premier échange apparaît ce qui les oppose : la priorité accordée à la
jnultiplicité (Niépce) ou à la perfection (Daguerre) de l ’image. En 1839 — six
ans après la mort de Niépce — le daguerréotype, solennellement révélé au monde
par Arago, sera à la fois unique et d ’une extrême précision, alors que Niépce
aura posé dès avant les années 1820 les prémisses de la photogravure qui, après
d ’intenses recherches, n ’aboutiront à une utilisation pratique qu’à l ’extrême fin du
siècle.
C’est peut-être parce qu’il croit Daguerre capable de contribuer à l ’amélioration
de la précision de ses « héliographies » que Niépce s ’associe avec lui le 14 décembre
1829 en lui demandant d ’« apporter une nouvelle combinaison de chambre noire ».
Mais leur « Traité provisoire » définit nettement les mérites de chacun : « La
reproduction spontanée des images reçues dans la chambre noire [est une] découverte
inventée par M . Niépce et perfectionnée par M . Daguerre ».

Alors Daguerre, qui fait dériver de son seul nom celui de son procédé
(daguerréotype), est-il un usurpateur? A-t-il exploité à son propre compte les
travaux de Niépce, l ’a-t-il privé des fruits d’une gloire posthume ? Il s ’agit là
de la plus célèbre des nombreuses questions de priorité qui émaillent toute l ’histoire
de la photographie du X IX e siècle. Sans s y’ attarder démesurément, il importe de
préciser que Daguerre a raison d’affirmer, lettres à l ’appui, que son procédé,
reposant sur la sensibilité à la lumière de l ’iodure d ’argent et sur la révélation
de l ’image latente aux vapeurs de mercure, est différent de celui de Niépce. Mais
n'est-il pas excessif d’affirmer, comme il le fait, que celui-ci « n ’a été pour rien
dans la découverte du daguerréotype » ? Plus fondamentalement, si Daguerre, chez
qui les images sont uniques, aura connu un succès brillant mais éphémère (une
dizaine d ’années), Niépce aura été l ’artisan d ’une véritable rupture épistémique et
celui qui aura défini la condition de l ’avenir de la nouvelle image : son infinie
reproductibilité.
24 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE I81G-I871

Nicéphore Niépce : Lettre à son frère Claude, Saint-Loup, 5 mai 1816.

Tu as vu par ma dernière lettre, que j ’avais cassé l’objectif de ma chambre


obscure ; mais il m’en restait un autre dont j ’espérais pouvoir tirer parti.
Mon attente a été trompée : ce verre avait le foyer plus court que le diamètre
de la boîte ; ainsi je n’ai pu m’en servir. Nous sommes allés à la ville lundi
dernier ; je n’ai pu trouver chez Scotti qu’une lentille d’un foyer plus long
que la première, et il m’a fallu allonger le tuyau qui la porte, au moyen
duquel on détermine la vraie distance du foyer. Nous sommes revenus ici
mercredi soir ; mais depuis ce jour-là le temps a toujours été couvert ce qui
ne m’a pas permis de donner suite à mes expériences, et j ’en suis d’autant
plus fâché qu’elles m’intéressent beaucoup. Il faut se déplacer de temps en
temps, faire des visites ou en recevoir : c’est fatigant : je préférerais, je te
l’avoue, être dans un désert. Lorsque mon objectif fut cassé, ne pouvant plus
me servir de ma chambre obscure, je fis un œil artificiel avec le baguier
d ’Isidore [fils de Nicéphore], qui est une petite boîte de 16 ou 18 lignes en
carré. J ’avais heureusement les lentilles du microscope solaire, qui comme tu
le sais, vient de notre grand-père Barrault. Une de ces petites lentilles se
trouva précisément du foyer convenable, et l’image des objets se peignait
d’une manière très nette et très vive sur un champ de treize lignes de diamètre.
Je plaçai l’appareil dans la chambre où je travaille en face de la volière, et
les croisées bien ouvertes, je fis l’expérience d’après le procédé que tu connais,
mon cher ami, et je vis sur le papier blanc toute la partie de la volière qui
pouvait être aperçue de la fenêtre, et une légère image des croisées qui se
trouvaient moins éclairées que les objets extérieurs. On distinguait les effets
de la lumière dans la représentation de la volière, et jusqu’au châssis de la
fenêtre. Ceci n’est qu’un essai encore bien imparfait ; mais l’image des objets
était extrêmement petite. La possibilité de peindre de cette manière, me paraît
à peu près démontrée ; et si je parviens à perfectionner mon procédé, je
m’empresserai en t’en faisant part, de répondre au tendre intérêt que tu veux
bien me témoigner. Je ne me dissimule point qu’il y a de grandes difficultés.
Surtout pour fixer les couleurs 3 mais avec du travail et beaucoup de patience
on peut faire bien des choses. Ce que tu avais prévu est arrivé : le fond du
tableau est noir, et les objets sont blancs, c’est-à-dire plus clairs que le fond.
Je crois que cette manière de peindre n’est pas inusitée, et que j ’ai vu des
gravures de ce genre : au reste il ne serait peut-être pas impossible de changer
cette disposition des couleurs ; j ’ai même là-dessus quelques données que je
suis curieux de vérifier.

3. Couleur signifie ici « valeur ».


PRÉDOMINANCE DU DAGUERREOTYPE 25

Nicéphore Niépce : Lettre à son frère Claude, Saint-Loup, 19 mai 1816.

Mon cher ami. Je m’empresse de répondre à ta lettre du 14 que nous avons


reçue avant-hier, et qui nous a fait un bien grand plaisir. Je t’écris sur une
simple demi-feuille, parce que la messe ce matin, et ce soir une visite à rendre
à Mme de Morteuil ne me laisseront guère de temps ; et en second lieu pour
ne pas trop augmenter le port de ma lettre à laquelle je joins deux gravures
faites d’après le procédé que tu connais. La plus petite provient du baguier,
et l’autre de la boîte dont je t’ai parlé qui tient le milieu entre le baguier
et la grande boîte. Pour mieux juger de l’efTet, il faut se placer un peu dans
l’ombre 45.
Ceci n’est encore qu’un essai ; mais si les effets étaient un peu mieux sentis
(ce que j ’espère obtenir) et surtout si l’ordre des teintes était interverti, je
crois que l’illusion serait complète. Ces deux gravures ont été faites dans la
chambre où je travaille, et le champ n’a de grandeur que la largeur de la
croisée. J ’ai lu dans l’Abbé Nollet ^ que pour pouvoir représenter un plus
grand nombre d’objets éloignés, il faut des lentilles d’un plus grand foyer, et
mettre un verre de plus au tuyau qui porte l’objectif. Si tu veux conserver
ces deux rétines, quoiqu’elles n’en valent guère la peine, tu n’as qu’à les
laisser dans le papier gris et placer le tout dans un livre. Je vais m’occuper
de trois choses : 1° de donner plus de netteté à la représentation des objets ;
2° de transposer les couleurs ; 3° et enfin de les fixer, ce qui ne sera pas
le plus aisé ; mais comme tu le dis fort bien, mon cher ami, nous ne manquons
pas de patience, et avec la patience on vient à bout de tout. Si je suis assez
heureux pour perfectionner le procédé en question je ne manquerai pas de
t’adresser de nouveaux échantillons pour répondre au vif intérêt que tu veux
bien prendre à une chose qui pourrait être utile aux arts, et dont nous
pourrions tirer bon parti.

Nicéphore Niépce : Lettre à Augustin-François Lemaître, Chalon-sur-Saône,


2 fèvr. 1827.

Monsieur, D’après les offres on ne peut pas plus obligeantes que vous voulez
bien me faire dans votre réponse du 22 janvier, je m'empresse de vous adresser
la quantité de cinq planches d’étain que j ’ai fait enregistrer et affranchir au
bureau des diligences et qui vous parviendront en même temps que ma lettre.

4. Il faut placer la gravure sur un corps opaque et se mettre contre le jour. Cette espèce de gravure
s’altérerait je crois à la longue quoique garantie du contact de la lumière, par la réaction de I acide
nitrique qui n’est pas neutralisé. Je crains aussi qu’elle ne soit endommagée par les secousses des voitures.
[Note de Niépce]
5. Abbé Nollet, Leçons de physique expérimentale, Paris, 1743-1748.
26 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE IÜI6-IH7I
PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE 27

4. (Page de gauche en hautl Première chambre noire de Nicéphore Niépce, vers 1816.
5. (Page de gauche en bas) Nicéphore Niépce, Point de vue
d'après nature pris d une fenêtre de la maison du Gras à Saint-Loup
de Varennes (vers 1826). - Cette héliographie sur plaque d’étain est considérée
comme la première « photographie » aujourd'hui connue.
6. (Ci-dessus) Nicéphore Niépce, La Table servie (après 1826 ?).
Héliographie sur plaque de verre. - Image publiée et attribuée
à Niépce par Davanne en 1893

La plus grande de ces cinq planches, est la copie d’une gravure représentant
la Vierge, l’Enfant Jésus et saint Joseph. Les quatre autres, plus petites, sont
une double copie d’un portrait et d’un paysage. Ces planches, comme vous
le verrez, Monsieur, ne sont pas sur vernis, mais gravées toutes faiblement,
à l'acide acétique assez allongé de vinaigre de bois, surtout celles qui représentent
le paysage. Je crois avoir moins mal réussi dans la copie du portrait. Je vous
prie donc de les examiner, et de vouloir bien me dire franchement ce que
vous en pensez. Je suis ici totalement dépourvu de ressource de ce côté-là ;
n’avant même pu me procurer un mauvais morceau de planche gravée à
l’eau-forte, pour me servir au moins de terme de comparaison ; ce qui, à
défaut de conseils, et surtout de connaissance pratique de ma part, m’eût été
28 I.A PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

d’un grand secours, car j ’agis en quelque sorte au hasard. Depuis les deux
derniers mois de l’automne, j ’ai suspendu mon travail que je ne pourrai
reprendre qu’au retour de la belle saison. Je m’occuperai alors principalement,
Monsieur, à graver des points de vues d’après nature à l’aide de la chambre noire
perfectionnée : cette application de mes procédés, vous paraîtra peut-être d’un
plus grand intérêt. Ce qu’il y a de certain, c’est que les expériences de ce
genre, faites précédemment, me font augurer un heureux résultat pour celles
qui auront lieu par la suite. Votre obligeante intervention, Monsieur, ne
pourra qu’y contribuer très puissamment ; et j ’en éprouverai une double
satisfaction, puisque cette circonstance me permettrait de vous offrir d’y
concourir d’une manière encore plus efficace, en vous associant aux avantages
qui pourront résulter de ma découverte. La réputation méritée dont vous
jouissez, Monsieur, m’est un sûr garant que ma confiance ne saurait être
mieux placée qu’en vous, sous tous les rapports.
Recevez, je vous prie, les assurances de ma considération.

P.S. Connaissez-vous, Monsieur, un des inventeurs du Diorama M.


Daguerre ? Voici pourquoi je vous fais cette question. Ce Monsieur, ayant
été informé, je ne sais trop comment de l’objet de mes recherches, m’écrivit
l’an passé dans le courant de janvier, pour me faire savoir que depuis fort
longtemps, il s’occupait du même objet, et pour me demander si j ’avais été
plus heureux que lui, dans mes résultats. Cependant à l’en croire, il en avait
déjà obtenu de très étonnants ; et malgré cela, il me priait de lui dire, d’abord,
si je croyais la chose possible. Je ne vous dissimulerai pas, Monsieur, qu’une
pareille incohérence d ’idées eut lieu de me surprendre, pour ne rien dire de
plus. J ’en fus d’autant plus discret et réservé dans mes expressions, et toutefois,
je lui écrivis d’une manière assez honnête, assez obligeante, pour provoquer
de sa part, une nouvelle réponse. Je ne la reçois qu’aujourd’hui, c’est-à-dire
après un intervalle de plus d’un an ; et il me l’adresse uniquement pour
savoir où j ’en suis et pour me prier de lui faire passer une épreuve, bien qu’il
doute qu’il soit possible d’être entièrement satisfait des ombres par ce procédé de gravure ;
ce qui lui fait tenter des recherches dans une autre application, tenant plutôt à la perfection
qu’à la multiplicité. Je vais le laisser dans la voie de la perfection, et par une
réponse laconique, couper court à des relations dont la multiplicité, comme
vous pouvez bien le penser, Monsieur, pourrait me devenir également
désagréable et fatigante. Veuillez me mander, si vous connaissez personnelle­
ment M. Daguerre et quelle opinion vous avez de lui.
PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE

Nicéphore Niépce, Louis-Jacques-Mandé Daguerre :


Bases du «Traité provisoire», Chalon-sur-Saône, 14 déc. 1829.

« Entre les soussignés, Monsieur Joseph-Nicéphore Niépce, propriétaire,


demeurant à Chalon-sur-Saône, département de Saône-et-Loire, d’une part ;
Monsieur Louis-Jacques-Mandé Daguerre, artiste peintre, Membre de la
Légion d’honneur ; et administrateur du Diorama, demeurant à Paris au
Diorama, d’autre part ;
Lesquels pour parvenir à l’Etablissement de la Société qu’ils se proposent
de former entre eux, ont préalablement exposé ce qui suit.
Monsieur Niépce désirant fixer par un moyen nouveau sans avoir recours
à un dessinateur, les vues qu’offre la Nature, a fait des recherches à ce sujet ;
de nombreux essais, constatant cette découverte, en ont été le résultat. Cette
découverte consiste dans la reproduction spontanée des images reçues dans
^la Chambre noire.
Monsieur Daguerre auquel il a fait part de sa découverte, en ayant
apprécié tout l’intérêt, d’autant mieux qu’elle est susceptible d’un grand
perfectionnement, offre à Monsieur Niépce, de s’adjoindre à lui, pour parvenir
jl)à ce perfectionnement, et de s’associer pour retirer tous les avantages possibles,
de ce nouveau genre d’industrie.
Cet exposé fait, les Sieurs Comparants ont arrêté entre eux de la manière
suivante les Statuts provisoires et fondamentaux de leur association.
1 Art. 1. Il y aura entre Messieurs Niépce et Daguerre, société, sous la raison
de commerce Niépce-Daguerre, pour coopérer au perfectionnement de ladite
! découverte, inventée par Monsieur Niépce, et perfectionnée par Monsieur
Daguerre.
Art. 2. La durée de cette Société sera de dix années à partir du quatorze
décembre courant ; et elle ne pourra être dissoute avant ce terme, sans le
cpnsentement mutuel des parties intéressées. En cas de décès de l’un des
associés, celui-ci sera remplacé dans ladite Société, pendant le reste des dix
années qui ne seraient pas expirées, par celui qui le remplace naturellement.
Et encore en cas de décès de l’un des deux associés, ladite découverte ne/
pourra jamais être publiée, que sous les deux noms désignés dans l’article
premier. J
Art. 3. Aussitôt après la signature du présent traité, Monsieur Niépce devra
confier à Monsieur Daguerre, sous le sceau du secret qui devra être conservé
à peine de tous dépens, dommages et intérêts, le principe sur lequel repose
sa découverte, et lui fournir les documents les plus exacts et les plus
circonstanciés, sur la nature, l’emploi, et les différents modes d’application
des procédés qui s’y rattachent, afin de mettre par là plus d’ensemble et de
célérité dans les recherches et les expériences dirigées vers le but du
perfectionnement et de l’utilisation de la découverte.
30 I.A PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

Art. 4. Monsieur Daguerre s’engage sous les susdites peines, à garder le


plus grand secret, tant sur le principe fondamental de la découverte, que sur
la nature, l’emploi et les applications des procédés qui lui seront communiqués,
et à coopérer autant qu’il lui sera possible aux améliorations jugées nécessaires,
par l’utile intervention de ses lumières et de ses talents.
Art. 5. Monsieur Niépce met et abandonne à la Société, à titre de mise,
son invention, représentant la valeur de la moitié des produits dont elle sera
susceptible : et Monsieur Daguerre, y apporte une nouvelle Combinaison de
Chambre noire : ses talents et son industrie équivalent à l’autre moitié des
susdits produits.
Art. 6. Aussitôt après la signature du présent traité, Monsieur Daguerre,
devra confier à Monsieur Niépce, sous le sceau du secret, qui devra être
conservé à peine de tous dépens, dommages et intérêts, le principe sur lequel
repose le perfectionnement qu’il a apporté à la Chambre noire, et lui fournir
les documents les plus précis, sur la nature dudit perfectionnement.
Art. 7. Les Sieurs Niépce et Daguerre, fourniront par moitié à la Caisse
commune, les fonds nécessaires à l’établissement de cette Société.
Art. 8. Lorsque les associés jugeront convenable de faire l’application de
ladite découverte, au procédé de la gravure, c’est-à-dire de constater les
avantages qui résulteraient pour un graveur de l’application desdits procédés,
qui lui procureraient par là, une ébauche avancée ; Messieurs Niépce et
Daguerre, s’engagent à ne choisir aucune autre personne que Monsieur
Lemaître, pour faire ladite application.
Art. 9. Lors du traité définitif, les associés nommeront entre eux le directeur
et le caissier de la Société, dont le siège sera à Paris. Le directeur dirigera
les opérations arrêtées par les associés ; et le caissier recevra et payera les
bons et mandats délivrés par le directeur, dans l’intérêt de la Société. [...]
Le tout a été ainsi réglé provisoirement entre les parties, qui pour l’exécution
du présent, font élection de domicile en leurs demeures respectives ci-devant
désignées.
Fait double et signé à Chalon-sur-Saône le quatorze décembre mil huit
cent vingt-neuf.
J ’approuve quoique J ’approuve quoique
non écrit de ma main. non écrit de ma main.
J.-N. Niépce Daguerre
Enregistré à Chalon-sur-Saône le treize mars 1830.
Ducordeaux
PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE :!l

Louis-Jacques-Mandé Daguerre : « Note historique sur le procédé du


daguerréotype », Historique et description des procédés du daguerréotype et du diorama, 1839,
pp. 51-54.

On a vu, dans l’avertissement qui précède la description du procédé de M.


Niépce, qu’un acte d’association provisoire a été passé entre lui et M. Daguerre
dans le mois de décembre 1829. Dans cet acte, M. Daguerre s’engageait à
perfectionner le procédé de M. Niépce et à lui donner tous les renseignements
sur les modifications qu’il avait apportées à la chambre noire. M. Daguerre
' a jugé nécessaire de donner ici un extrait de la correspondance de M. Niépce,
pour prouver que ce dernier n’a été pour rien dans la découverte du
daguerréotype.
En effet, on voit, par la correspondance de M. Niépce, que M. Daguerre
lui a indiqué les effets de la lumière sur l’iode mis en contact avec l’argent
dans une lettre datée du 21 mai 1831, dont M. Niépce a accusé réception le
24 juin suivant. Dans cette lettre, M. Daguerre engageait M. Niépce à
s’occuper de ce nouveau moyen : M. Niépce s’en occupa effectivement à
plusieurs reprises, et toujours d’après les instances de M. Daguerre. Mais le
travail de M. Niépce avait toujours été sans succès ; il regrettait même le
temps que M. Daguerre lui faisait passer sur ce procédé qu’il regardait comme
impossible. Il est vrai qu’à cette époque il restait à résoudre les deux problèmes
les plus importants : le premier était d’obtenir les clairs dans leur état naturel ;
le second consistait à trouver le moyen de fixer les images. Ces deux problèmes,
M. Daguerre les a complètement résolus depuis par l’emploi du mercure.
M. Niépce est mort le 5 juillet 1833.
Le 13 juin 1837 il a été passé un acte définitif entre M. Daguerre et M.
Isidore Niépce fils, comme héritier de M. Joseph-Nicéphore Niépce, par lequel
acte M. Isidore Niépce reconnaît que M. Daguerre lui a démontré son
nouveau procédé. Il est aussi spécifié dans cet acte, que le procédé portera
le nom seul de M. Daguerre, comme en étant effectivement le seul inventeur.

Extraits des lettres de M. Niépce père à M. Daguerre 6.

Saint-Loup-de-Varennes, le 24juin 1831.

Monsieur et cher associé, J ’attendais depuis longtemps de vos nouvelles avec


trop d’impatience pour ne pas recevoir et lire avec le plus grand plaisir vos
lettres des 10 et 21 mai dernier. Je me bornerai, pour le moment, à répondre
à celle du 21, parce que m’étant occupé, dès qu’elle me fut parvenue, de vos

6. Les coupes et les italiques sont de Daguerre.


32 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCK 181(3-1871

recherches sur Viode, je suis empressé de vous faire part des résultats que j ’ai
obtenus. Je m’étais déjà livré à ces mêmes recherches antérieurement à nos
relations, mais sans espoir de succès, vu la presque impossibilité, selon moi,
de fixer, d’une manière durable, les images reçues, quand bien même on
parviendrait à replacer les jours et les ombres dans leur ordre naturel. Mes
résultats, à cet égard, avaient été totalement conformes à ceux que m’avait
fournis l’emploi de l’oxyde d’argent ; et la promptitude était le seul avantage
réel que ces deux substances parussent offrir. Cependant, Monsieur, l’an
passé, après votre départ d’ici, je soumis l’iode à de nouveaux essais, mais
d’après un autre mode d ’application ; je vous en fis connaître les résultats,
et votre réponse, peu satisfaisante, me décida à ne pas pousser plus loin mes
recherches. Il paraît que depuis vous avez envisagé la question sous un point
de vue moins désespérant, et je n’ai pas dû hésiter de répondre à Fappel que
vous m’avez fait, etc.
Signé : J.-N. Niépce.
Pour copie conforme. Arago ; Daguerre.

Saint-Loup-de-Varennes, le 8 nov. 1831.

Monsieur et cher associé, [...] Conformément à ma lettre du 24 juin dernier,


en réponse à la vôtre du 21 mai, j ’ai fait une longue suite de recherches sur
Viode mis en contact avec l’argent poli, sans toutefois parvenir au résultat que
me faisait espérer le désoxydant. J ’ai eu beau varier mes procédés et les
combiner d’une foule de manières, je n’en ai pas été plus heureux pour cela.
J ’ai reconnu, en définitive, l’impossibilité, selon moi du moins, de ramener
à son état naturel l’ordre interverti des teintes, et surtout d ’obtenir autre
chose qu’une image fugace des objets. Au reste, Monsieur, ce non-succès est
absolument conforme à ce que mes recherches sur les oxydes métalliques
m’avaient fourni bien antérieurement, ce qui m’avait décidé à les abandonner.
Enfin, j ’ai voulu mettre l’iode en contact avec la planche d’étain ; ce procédé,
d’abord, m’avait semblé de bon augure. J ’avais remarqué avec surprise, mais
une seule fois, en opérant dans la chambre noire, que la lumière agissait en
sens inverse sur l’iode, de sorte que les teintes, ou, pour mieux dire, les jours
et les ombres se trouvaient dans leur ordre naturel. Je ne sais comment et
pourquoi cet effet a eu lieu sans que j ’aie pu parvenir à le reproduire, en
procédant de la même manière. Mais ce mode d’application, quant à la fixité
de l’image obtenue, n’en aurait pas été moins défectueux. Aussi, après
quelques autres tentatives, en suis-je resté là, regrettant bien vivement, je
l’avoue, d’avoir fait fausse route pendant si longtemps, et, qui pis est, si
inutilement, etc., etc.
Signé : J.-N. Niépce.
Pour copie conforme, Arago ; Daguerre.
PRÉDOMINANCE D l’ DAGUERRÉOTYPE 33

BAiBtinEBlKÉdD'T’îfPIE.FieiiBciisiiiii i t Pabtatit, c û n j t r u i t p a s Ui liO.N, ingénieur opticien, "a IRAilüllS. .-----

7. Buron, Description de nouveaux daguerréotypes perfectionnés e t portatifs. Paris, 1841. Gravure sur bois.

Saint-Loup-de-Varennes, le 29 janv. 1832.

Monsieur et cher associé, [...] Aux substances qui, d’après votre lettre, agissent
sur l’argent comme l’iode, vous pouvez, Monsieur, ajouter le thlaspi en
décoction, les émanations du phosphore et surtout les sulfures ; car c’est
principalement à leur présence dans ces corps qu’est due la similitude des
résultats obtenus. J ’ai aussi remarqué que le calorique produisait le même
effet par l’oxydation du métal d’où provenait, dans tous les cas, cette grande
sensibilité à la lumière ; mais ceci, malheureusement, n’avance en rien la
solution de la question qui vous occupe. Quant à moi, je ne me sers plus de
Yiode dans mes expériences, que comme terme de comparaison de la
promptitude relative de leurs résultats. Il est vrai que depuis deux mois le
temps a été si défavorable, que je n’ai pu faire grand’chose. Au sujet de Yiode,
je vous prierai, Monsieur, dt me dhe d’abord : Comment vous l’employez 7 ; si c’est sous

7. Cette phrase de M. Niépce montrera, j ’espère, aux plus prévenus que c’est bien moi qui avais indiqué
l'iode, non comme moyen de noicir certaines parties d ’un dessin déjà fait, mais comme la couche sensible
sur laquelle l’image devait naître photogéniquement. [Note de Daguerre]
34 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

forme concrète ou en état de solution dans un liquide ; parce que, dans ces deux cas,
l’évaporation pourrait bien ne pas agir de la même manière sous le rapport
de la promptitude, etc., etc.
Signé : J.-N. Niépce.
Pour copie conforme, Arago ; Daguerre.

Saint-Loup-de-Varennes, le 3 mars 1832.

Mon cher associé, [...] Depuis ma dernière lettre, je me suis, à peu de chose
près, borné à de nouvelles recherches sur l’iode, qui ne n’ont rien procuré
de satisfaisant, et que je n’avais reprises que parce que vous paraissiez y
attacher une certaine importance, et que, d’un autre côté, j ’étais bien aise de
me rendre mieux raison de l’application de l’iode sur la planche d ’étain.
Mais, je le répète, Monsieur, je ne vois pas que l’on puisse se flatter de tirer parti
de ce procédé, pas plus que de tous ceux qui tiennent à l’emploi des oxydes
métalliques, etc., etc.
Signé : J.-N. Niépce.
Pour copie conforme, Arago ; Daguerre.

Extrait d’une lettre de M. Isidore Niépce fils, qui cherchait à faire des épreuves avec le
procédé de son père, perfectionné par M. Daguerre, Lux, le 1er nov. 1837.

Mon cher Daguerre, [...] Vous aurez sans doute, mon cher ami, été plus
heureux que moi, et très probablement votre portefeuille est garni des plus
belles épreuves ! Quelle différence aussi entre le procédé que vous employez,
et celui sur lequel j ’ai travaillé !... Tandis qu’il me fallait presque une journée
pour faire une épreuve, vous, il vous faut 4 minutes. Quel avantage énorme !...
Il est si grand, que bien certainement personne, en connaissant les deux
procédés, ne voudrait employer l’ancien.
Ce motif fait aussi que j ’éprouve moins de peine du peu de succès que j ’ai
obtenu, parce que, bien que ce procédé puisse être décrit comme étant le
résultat du travail de mon père, auquel vous avez également concouru, il est
certain qu’il ne peut devenir l’objet exclusif de la souscription 8. Ainsi, je
pense qu’on peut se borner à le mentionner, pour faire connaître les deux
procédés, dont le vôtre seul doit obtenir la préférence, etc., etc.
Pour copie conforme, Arago ; Daguerre.

8. A cette époque on pensait publier le procédé au moyen d’une souscription. [Note de Daguerre]
L’ANNONCE (1839)

François ARAGO (1786-1853) ;


M arc-A ntoine GAUDIN (né 1804)

Le 7janvier 1839, le physicien François Arago présente, pour la première fois


dans l ’histoire, des daguerréotypes à l ’Académie des sciences de Paris. Il ne révèle
toutefois pas le procédé de Daguerre qui, avant de verser sa découverte dans le
domaine public, souhaite bénéficier d’un engagement financier de l ’Etat.
Egalement député démocrate des Pyrénées orientales, Arago intervient donc le
3juillet 1839 devant la Chambre pour défendre un projet de loi qui, voté à
l'unanimité moins trois voix, accordera une rente viagère de 6 000francs à Daguerre
et de 4 000 francs au fils de Niépce. Le secret du procédé est levé le 19 août
1839, devant les Académies des sciences et des beaux-arts réunies. L ’événement <
connaît un v if retentissement. Selon Marc-Antoine Gaudin, futur rédacteur en chef
de La Lum ière, le jour de l ’annonce une « nuée de curieux » enthousiastes se
presse aux portes de l ’Académie. La nouvelle se répand rapidement dans toute la
France, en Europe et bientôt dans le monde entier.
En évoquant les recherches séculaires sur les sels d ’argent et l ’évolution de la
chambre noire depuis la Renaissance, Arago vise à établir la filiation du
daguerréotype avec la science et l ’art, suggérant du même coup que le nouveau
procédé a vocation à devenir leur auxiliaire privilégié. Son énumération des
multiples utilisations possibles du daguerréotype (au service de l ’archéologie, de la
peinture, de l ’astronomie, de la photométrie, de la topographie...) sera souvent
reprise, tout comme sa façon de qualifier les images photochimiques : « exactes »,
« fidèles » voire « réelles » (« De vastes hiéroglyphes réels, iront remplacer les
hiéroglyphes fictifs ou de pure convention »). Il presse aussi les avantages
économiques de l ’invention.
En fait, les prophéties d’Arago ne se réaliseront que beaucoup plus tard, et
nullement avec le daguerréotype (image unique sur métal). Il faudra attendre plus
d ’une décennie pour que la photographie (image reproductible sur papier) connaisse
des applications significatives dans les domaines de l ’art puis de la science. En
réalité le daguerréotype servira essentiellement au portrait qu’Arago n’évoque que
très indirectement dans une note, sans lui accorder beaucoup plus de place qu’a
la question de la reproduction des couleurs.
Enfin, Arago procède à une apologie presque exclusive des travaux de Daguerre,
ce qui le conduit : 1) à minimiser le rôle de Niépce ; 2) à négliger les avantages
des positifs directs sur papier de Bayard dont il connaissait pourtant les
36 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

réalisations ; 3) à rejeter le procédé négatif/positif de Talbot, c’est-à-dire à sous-


estimer l ’intérêt de la reproductibilité des épreuves photochimiques.

François Arago : Rapport à la Chambre des députés, 3 juin. 1839.

Messieurs, L’intérêt qu’on a manifesté, dans cette enceinte et ailleurs, pour


les travaux dont M. Daguerre a mis dernièrement les produits sous les yeux
du public, a été vif, éclatant, unanime. Aussi la Chambre, suivant toute
probabilité, n’attend-elle de sa Commission qu’une approbation pure et simple
du projet de loi que M. le Ministre de l’intérieur a présenté Cependant,
après y avoir réfléchi mûrement, il nous a semblé que la mission dont vous
nous aviez investis nous imposait d’autres devoirs. Nous avons cru que, tout
en applaudissant à l’heureuse idée d’instituer des récompenses nationales en
faveur d’inventeurs dont la législation ordinaire des brevets n’aurait pas
garanti les intérêts, il fallait, dès les premiers pas dans cette nouvelle voie,
montrer avec quelle réserve, avec quel scrupule la Chambre procéderait.
Soumettre à un examen minutieux et sévère l’œuvre de génie sur laquelle
nous devons aujourd’hui statuer, ce sera décourager les médiocrités ambitieuses
qui, elles aussi, aspireraient à jeter dans cette enceinte leurs productions
vulgaires et sans avenir ; ce sera prouver que vous entendez placer dans une
région très élevée les récompenses qui pourront vous être demandées au nom
de la gloire nationale ; que vous ne consentirez jamais à les en faire descendre,
à ternir leur éclat en les prodiguant.
Ce peu de mots fera comprendre à la Chambre comment nous avons été
conduits à examiner :
—- Si le procédé de M. Daguerre est incontestablement une invention ;
— Si cette invention rendra à l’archéologie et aux beaux-arts des services
de quelque valeur ;
— Si elle pourra devenir usuelle ;
— Enfin si l’on doit espérer que les sciences en tireront parti. [...]
Feu M. Niépce était un propriétaire retiré dans les environs de Chalon-sur-
j Saône. Il consacrait ses loisirs à des recherches scientifiques. Une d’elles,
! concernant certaine machine où la force élastique de l’air, brusquement
^chauffé, devait remplacer l’action de la vapeur, subit, avec assez de succès,
une épreuve fort délicate : l’examen de l’Académie des sciences. Les recherches1

1. L ’« exposé des motifs et [le] projet de loi tendant à accorder: 1“ au sieur Daguerre une pension
annuelle et viagère de 6 000 F ; 2° au sieur Niépce fds une pension annuelle et viagère de 4 000 F, pour
la cession faite par eux du procédé servant à fixer les images de la chambre obscure [ont été] présentés
par M. le Ministre de l’Intérieur [Duchâtel], [à la] séance du 15 juin 1839 » de la Chambre des députés.
PRÉDOMINANCE DC DAGUERRÉOTYPE 37

photographiques de M. Niépce paraissent remonter jusqu’à l’année 1814 2.


Ses premières relations avec M. Daguerre sont du mois de janvier 1826.
L’indiscrétion d ’un opticien de Paris lui apprit alors que M. Daguerre était
occupé d’expériences ayant aussi pour but de fixer les images de la chambre
obscure. Ces faits sont consignés dans des lettres que nous avons eues sous
les yeux. En cas de contestation, la date certaine des premiers travaux
photographiques de M. Daguerre serait donc de l’année 1826.
M. Niépce se rendit en Angleterre en 1827. Dans le mois de décembre de
cette même année, il présenta un mémoire sur ses travaux photographiques
à la Société royale de Londres. Le mémoire était accompagné de plusieurs
échantillons sur métal, produit des méthodes déjà découvertes alors par notre
compatriote. A l’occasion d ’une réclamation de priorité, ces échantillons,
encore en bon état, sont loyalement sortis naguère des collections de divers
savants anglais. Ils prouvent, sans réplique, que pour la copie photographique des
gravures, que pour la formation, à l’usage des graveurs, de planches à l’état
d’ébauches avancées, M. Niépce connaissait, en 1827, le moyen de faire
correspondre les ombres aux ombres, les demi-teintes aux demi-teintes, les
clairs aux clairs ; qu’il savait de plus, ses copies une fois engendrées, les
rendre insensibles à l’action ultérieure et noircissante des rayons solaires. [...]

Dans ce que nous disions tout à l’heure des travaux de M. Niépce, on


aura sans doute remarqué ces mots restrictifs : pour la copie photographique des
gravures. C’est qu’en effet, après une multitude d ’essais infructueux, M. Niépce
avait, lui aussi, à peu près renoncé à reproduire les images de la chambre
obscure ; c’est que les préparations dont il faisait usage ne noircissaient pas
assez vite sous l’action lumineuse ; c’est qu’il lui fallait dix à douze heures
pour engendrer un dessin ; c’est que, pendant de si longs intervalles de temps,
les ombres portées se déplaçaient beaucoup ; c’est qu’elles passaient de la
gauche à la droite des objets ; c’est que ce mouvement, partout où il s’opérait,
donnait naissance à des teintes plates, uniformes ; c’est que dans les produits
d’une méthode aussi défectueuse, tous les effets résultant des contrastes
d’ombre et de lumière étaient perdus ; c’est que, malgré ces immenses
inconvénients, on n’était pas même toujours sûr de réussir ; c’est qu’après
des précautions infinies, des causes insaisissables, fortuites, faisaient qu’on
avait tantôt un résultat passable, tantôt une image incomplète, ou qui laissait
çà et là de larges lacunes ; c’est, enfin, qu’exposés aux rayons solaires, les
enduits sur lesquels les images se dessinaient, s’ils ne noircissaient pas, se
divisaient, se séparaient par petites écailles.
En prenant la contrepartie de toutes ces imperfections, on aurait une J
énumération, à peu près complète, des mérites de la méthode que M. Daguerre j

2. On l'a vu p. 24, les premiers résultats obtenus par Niépce (deux négatifs sur papier) ne datent pas
d'avant mai 1816.
38 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-187]

a découverte à la suite d’un nombre immense d’essais minutieux, pénibles,


dispendieux.
Les plus faibles rayons modifient la substance du Daguerréotype. L’effet se
produit avant que les ombres solaires aient eu le temps de se déplacer d’une
manière appréciable. Les résultats sont certains, si on se conforme à des
prescriptions très simples. Enfin, les images une fois produites, l’action des
rayons du soleil, continuée pendant des années, n’en altère ni la pureté, ni
l’éclat, ni l’harmonie.
Votre Commission a pris des dispositions nécessaires pour que le jour de
la discussion de la loi tous les membres de la Chambre, s’ils le jugent
convenable, puissent apprécier les fruits du Daguerréotype, et se faire eux-
mêmes une idée de l’utilité de cet appareil. A l’inspection de plusieurs des
tableaux qui passeront sous vos yeux, chacun songera à l’immense parti qu’on
aurait tiré, pendant l’expédition d’Egypte, d’un moyen de reproduction si
exact et si prompt ; chacun sera frappé de cette réflexion, que si la photographie
avait été connue en 1798, nous aurions aujourd’hui des images fidèles d’un
bon nombre de tableaux emblématiques, dont la cupidité des Arabes et le
vandalisme de certains voyageurs a privé à jamais le monde savant.
Pour copier les millions et millions d’hiéroglyphes qui couvrent, même à
l’extérieur, les grands monuments de Thèbes, de Memphis, de Karnak, etc.,
il faudrait des vingtaines d ’années et des légions de dessinateurs. Avec le
Daguerréotype, un seul homme pourrait mener à bonne fin cet immense
travail. Munissez l’institut d’Egypte de deux ou trois appareils de M.
Daguerre, et sur plusieurs des grandes planches de l’ouvrage célèbre, fruit de
notre immortelle expédition, de vastes étendues de hiéroglyphes réels iront
remplacer des hiéroglyphes fictifs ou de pure convention ; et les dessins
surpasseront partout en fidélité, en couleur locale, les œuvres des plus habiles
peintres ; et les images photographiques, étant soumises dans leur formation
aux règles de la géométrie, permettront, à l’aide d’un petit nombre de données,
de remonter aux dimensions exactes des parties les plus élevées, les plus
inaccessibles des édifices.
Ces souvenirs où les savants, où les artistes, si zélés et si célèbres attachés
à l’armée d’Orient, ne pourraient, sans se méprendre étrangement, trouver
l’ombre d ’un blâme, reporteront sans doute les pensées vers les travaux qui
s’exécutent aujourd’hui dans notre propre pays sous le contrôle de la
Commission des monuments historiques. D’un coup d ’œil, chacun apercevra
alors l’immense rôle que les procédés photographiques sont destinés à jouer
dans cette grande entreprise nationale : chacun comprendra aussi que les
nouveaux procédés se distingueront par l’économie, genre de mérite qui, pour
le dire en passant, marche rarement dans les arts avec la perfection des
produits.
Se demande-t-on, enfin, si l’art, envisagé en lui-même, doit attendre
quelques progrès de l’examen, de l’étude de ces images dessinées par ce que

S.
PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE 39

la nature offre de plus subtil, de plus délié : par des rayons lumineux ? M.
Paul Delaroche va nous répondre. — ^
Dans une note rédigée à notre prière, ce peintre célèbre déclare que les
procédés de M. Daguerre « portent si loin la perfection de certaines conditions
essentielles de l’art, qu’ils deviendront pour les peintres, même les plus habiles,
un sujet d’observations et d’études ». Ce qui frappe dans les dessins
photographiques, c’est que le fini d ’un « précieux inimaginable ne trouble en
rien la tranquillité des masses, ne nuit en aucune manière à l’effet général ».
« La correction des lignes, dit ailleurs M. Delaroche, la précision des formes
est aussi complète que possible dans les dessins de M. Daguerre, et l’on y
reconnaît en même temps un modèle large, énergique, et un ensemble aussi
riche de ton que d’effet... Le peintre trouvera dans ce procédé un moyen' ■
prompt de faire des collections d’études qu’il ne pourrait obtenir autrement
qu’avec beaucoup de temps, de peine et d’une manière bien moins parfaite,
et quel que fût d’ailleurs son talent. » Après avoir combattu par d’excellents
arguments les opinions de ceux qui se sont imaginé que la photographie
nuirait à nos artistes et surtout à nos habiles graveurs, M. Delaroche termine;
sa note par cette réflexion : « En résumé, l’admirable découverte de M.l
Daguerre est un immense service rendu aux arts. » ^
Nous ne commettrons pas la faute de rien ajouter à un pareil témoignage.

On se rappelle, sans doute, que parmi les questions que nous nous sommes
posées en commençant ce rapport, figure celle de savoir si les méthodes
photographiques pourront devenir usuelles.
Sans divulguer ce qui est, ce qui doit rester secret jusqu’à l’adoption,
jusqu’à la promulgation de la loi, nous pouvons dire que les tableaux sur
lesquels la lumière engendre les admirables dessins de M. Daguerre, sont des
tables de plaqué, c’est-à-dire des planches de cuivre recouvertes d’une mince
feuille d’argent. Il eût été sans doute préférable pour la commodité des
voyageurs et, aussi, sous le point de vue économique, qu’on pût se servir de
papier. Le papier imprégné de chlorure ou de nitrate d ’argent fut, en effet,
la première substance dont M. Daguerre fit choix ; mais le manque de
sensibilité, la confusion des images, le peu de certitude des résultats, les
accidents qui résultent souvent de l’opération destinée à transformer les clairs
en noirs et les noirs en clairs, ne pouvaient manquer de décourager un si
habile artiste3. S’il eût persisté dans cette première voie, ses dessins
photographiques figureraient peut-être dans les collections, à titre de produits
d ’une expérience de physique curieuse ; mais, assurément, la Chambre n’aurait
pas à s’en occuper. Au reste, si trois ou quatre francs, prix de chacune des

3. D’après un rapport du 2 novembre 1839 de Raoul-Rochette à l’Académie des beaux-arts (voir infra,
pp. 65-70), Arago connaissait les positifs directs de Bayard depuis le 20 mai 1839 au moins. Bayard
organise d’ailleurs une exposition de trente de ses épreuves en juillet 1839. Arago choisit de l’ignorer.
40 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

plaques dont M. Daguerre fait usage, paraissent un prix élevé, il est juste de
dire que la même plaque peut recevoir successivement cent dessins différents.
Le succès inouï de la méthode actuelle de M. Daguerre tient en partie à
ce qu’il opère sur une couche de matière d’une minceur extrême, sur une
véritable pellicule. Nous n’avons donc pas à nous occuper du prix des
ingrédients qui la composent. Ce prix, par sa petitesse, ne serait vraiment
pas assignable. [...]
Le Daguerréotype ne comporte pas une seule manipulation qui ne soit à
la portée de tout le monde. Il ne suppose aucune connaissance du dessin, il
n’exige aucune dextérité manuelle. En se conformant, de point en point, à
certaines prescriptions très simples et très peu nombreuses, il n’est personne
qui ne doive réussir certainement et aussi bien que M. Daguerre lui-même.
La promptitude de la méthode est peut-être ce qui a le plus étonné le
public. En effet, dix à douze minutes sont à peine nécessaires, dans les temps
sombres de l’hiver, pour prendre la vue d’un monument, d’un quartier de
ville, d ’un site.
En été, par un beau soleil, ce temps peut être réduit de moitié. Dans les
climats du Midi, deux à trois minutes suffiront certainement. Mais, il importe
de le remarquer, ces dix à douze minutes d’hiver, ces cinq à six minutes
d’été, ces deux à trois minutes des régions méridionales, expriment seulement
le temps pendant lequel la lame de plaqué a besoin de recevoir l’image
lenticulaire. A cela, il faut ajouter le temps du déballage et de l’arrangement
de la chambre noire, le temps de la préparation de la plaque, le temps que
dure la petite opération destinée à rendre le tableau, une fois créé, insensible
à l’action lumineuse. Toutes ces opérations réunies pourront s’élever à trente
minutes ou à trois quarts d’heure. Ils se faisaient donc illusion, ceux qui,
naguère, au moment d’entreprendre un voyage, déclaraient vouloir profiter
de tous les moments où la diligence gravirait lentement des montées, pour
prendre des vues du pays. [...]
La préparation sur laquelle M. Daguerre opère est un réactif beaucoup
plus sensible à l’action de la lumière que tous ceux dont on s’était servi
jusqu’ici. Jamais les rayons de la lune, nous ne disons pas à l’état naturel,
mais condensés au foyer de la plus grande lentille, au foyer du plus large
miroir réfléchissant, n’avaient produit d’effet physique perceptible. Les lames
de plaqué préparées par M. Daguerre blanchissent au contraire à tel point,
sous l’action de ces mêmes rayons et des opérations qui lui succèdent, qu’il
est permis d’espérer qu’on pourra faire des cartes photographiques de notre
satellite. C’est dire qu’en quelques minutes on exécutera un des travaux les
plus longs, les plus minutieux, les plus délicats de l’astronomie.
Une branche importante des sciences d’observation et de calcul, celle qui
traite de l’intensité de la lumière, la photométrie, a fait jusqu’ici peu de progrès.
[...] N’hésitons pas à le dire, les réactifs découverts par M. Daguerre hâteront
les progrès d’une des sciences qui honorent le plus l’esprit humain. Avec leur
PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE 41

secours, le physicien pourra procéder désormais par voie d ’intensités absolues :


il comparera les lumières par leurs effets. S’il y trouve de l’utilité, le même
tableau lui donnera des empreintes des rayons éblouissants du soleil, des
rayons trois cent mille fois plus faibles de la lune, des rayons des étoiles. Ces
empreintes, il les égalisera, soit en affaiblissant les plus fortes lumières, à
l'aide de moyens excellents, résultat des découvertes récentes, mais dont
l'indication serait ici déplacée, soit en ne laissant agir les rayons les plus
brillants que pendant une seconde, par exemple, et en continuant au besoin
l'action des autres jusqu’à une demi-heure. Au reste, quand les observateurs
appliquent un nouvel instrument à l’étude de la nature, ce qu’ils en ont
espéré est toujours peu de chose relativement à la succession de découvertes
dont l’instrument devient l’origine. En ce genre, c’est sur Yimprévu qu’on doit
particulièrement compter. Cette pensée semble-t-elle paradoxale ? Quelques
citations en montrent la justesse. [...]
Nous pourrions, par exemple, parler de quelques idées qu’on a eues sur
les moyens rapides d’investigation que le topographe pourra emprunter à la
photographie ; mais nous irons plus droit à notre but, en consignant ici une
observation singulière dont M. Daguerre nous entretenait hier : suivant lui,
les heures du matin et les heures du soir également éloignées de midi et
correspondant, dès lors, à de semblables hauteurs du soleil au-dessus de
l'horizon, ne sont pas, cependant, également favorables à la production des
images photographiques. Ainsi, dans toutes les saisons de l’année, et par des
circonstances atmosphériques, en apparence exactement semblables, l’image
se forme un peu plus promptement à sept heures du matin, par exemple,
qu’à cinq heures de l’après-midi ; à huit heures qu’à quatre heures ; à neuf
heures qu’à trois heures. Supposons ce résultat vérifié et le météorologiste
aura un élément de plus à consigner dans ses tableaux ; et aux observations
anciennes de l’état du thermomètre, du baromètre, de l’hygromètre et de la
diaphanéité de l’air, il devra ajouter un élément que les premiers instruments
n’accusent pas, et il faudra tenir compte d’une absorption particulière, qui
ne peut pas être sans influence sur beaucoup d’autres phénomènes, sur ceux
mêmes qui sont du ressort de la physiologie et de la médecine 4.

4. « En général, on se montre peu disposé à admettre que le même instrument servira jamais à faire des
portraits. Le problème renferme, en effet, deux conditions, en apparence inconciliables. Pour que l’image
naisse rapidement, c’est-à-dire pendant les quatre ou cinq minutes d ’immobilité qu’on peut exiger et
attendre d’une personne vivante, il faut que la figure soit en plein soleil ; mais en plein soleil, une vive
lumière forcerait la personne la plus impassible à un clignotement continuel ; elle grimacerait ; toute
Ihabitude faciale se trouverait changée.
Heureusement, M. Daguerre a reconnu, quant à l’iodure d ’argent dont les plaques sont recouvertes,
que les rayons qui traversent certains verres bleus produisent la presque totalité des effets photogéniques.
En plaçant un de ces verres entre la personne qui pose et le soleil, on aura donc une image photogénique
presque tout aussi vite que si le verre n ’existait pas, et cependant, la lumière éclairante étant alors très
douce, il n’y aura plus eu lieu à grimace ou à clignotements trop répétés. » [Note ajoutée par Arago lors
de la publication de son rapport dans les Comptes rendus hebdomadaires de l 3Académie des sciences.]
42 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

Nous venons d’essayer, Messieurs, de faire ressortir tout ce que la découverte


de M. Daguerre offre d’intérêt, sous le quadruple rapport de la nouveauté,
de l’utilité artistique, de la rapidité d’exécution et des ressources précieuses
que la science lui empruntera. Nous nous sommes efforcés de vous faire
partager nos convictions, parce qu’elles sont vives et sincères, parce que nous
avons tout examiné, tout étudié avec le scrupule religieux qui nous était
imposé par vos suffrages ; parce que s’il eût été possible de méconnaître
l’importance du Daguerréotype et la place qu’il occupera dans l’estime des
hommes, tous nos doutes auraient cessé en voyant l’empressement que les
nations étrangères mettaient à se saisir d’une date erronée, d’un fait douteux,
du plus léger prétexte, pour soulever des questions de priorité, pour
essayer d’ajouter le brillant fleuron que formeront toujours les procédés
photographiques, à la couronne de découvertes dont chacune d’elles se pare \
N’oublions pas de le proclamer, toute discussion sur ce point a cessé, moins
encore en présence de titres d’antériorité authentiques, incontestables, sur
lesquels MM. Niépce et Daguerre se sont appuyés, qu’à raison de l’incroyable
perfection que M. Daguerre a obtenue. S’il le fallait, nous ne serions pas
embarrassés de produire ici des témoignages des hommes les plus éminents
de l’Angleterre, de l’Allemagne, et devant lesquels pâlirait complètement ce
qui a été dit chez nous de plus flatteur, touchant la découverte de notre
compatriote. Cette découverte, la France l’a adoptée dès le premier moment,
elle s’est montrée fière de pouvoir en doter libéralement le monde entier [...]
C’est par une pension que vous récompensez le guerrier qui a été mutilé sur
les champs de bataille, le magistrat qui a blanchi sur son siège ; que vous
honorez les familles de Cuvier, de Jussieu, de Champollion. De pareils
souvenirs ne pouvaient manquer d’agir sur le caractère élevé de M. Daguerre :
il se décida à demander une pension. Ce fut, au reste, d’après les intentions
de M. le Ministre de l’intérieur, M. Daguerre lui-même qui en fixa le montant
à 8 000 fr., partageables par moitié entre lui et son associé, M. Niépce fils ;
la part de M. Daguerre a depuis été portée à 6 000 fr., soit à cause de la
condition qu’on a imposée spécialement à cet artiste, de faire connaître les
procédés de peintures et d’éclairage des tableaux du Diorama actuellement
réduits en cendres ; soit, surtout, à raison de l’engagement qu’il a pris de
livrer au public tous les perfectionnements dont il pourrait enrichir encore
ses méthodes photographiques. L’importance de cet engagement ne paraîtra
certainement douteuse à personne, lorsque nous aurons dit, par exemple, qu’il
suffira d’un tout petit progrès pour que M. Daguerre arrive à faire le portrait
des personnes vivantes à l’aide de ses procédés. [...] La commission56, à

5. Allusion à l’Anglais Fox Talbot qui, après l’annonce de la découverte de Daguerre en janvier 1839,
écrit à Biot en février 1839 qu’il a pour sa part réalisé dès 1834 des images sur papier aux sels d’argent.
6. « Cette commission est composée de MM. Arago, Etienne, Cari, Vatout, de Beaumont, Tournouër,
Delessert (François), Combarel de Leyval, Vitet. » [Note d’Arago]
PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE 43

l’unanimité des voix, n’a donc plus qu’à vous proposer d’adopter purement
et simplement le projet de loi du Gouvernement.

Marc-Antoine Gaudin : T r a i t é p r a t i q u e d e p h o to g r a p h i e , 1844, pp. 5-7.

A aucune époque peut-être les amis des sciences et du merveilleux n’éprouvèrent


une curiosité si impatiente qu’à l’occasion de ces étonnantes découvertes de
MM. Niépce et Daguerre, qui permettaient de reproduire tout ce qui s’offre
à nos yeux, dans les moindres détails. Les brillants rapports qu’en firent,
devant les deux chambres, MM. Arago et Gay-Lussac 7, n’étaient pas de
nature à refroidir l’enthousiasme ; aussi le palais de l’Institut fut-il assailli
d’une nuée de curieux, lors de la mémorable séance du 19 août 1839, où ces
procédés furent enfin divulgués. Exclu de l’enceinte comme bien d’autres, j
pour n’être venu que deux heures à l’avance, je guettais avec la foule to u t(
ce qui transpirait au-dehors de la communication académique. A ce moment, ■
un assistant sort tout effaré ; on se presse autour de lui, on le questionne,
et lui, qui croit tout savoir, nous dit que c’est du bitume de Judée et de
l’essence de lavande. On varie les questions ; mais il n’en sait pas davantage :
de sorte que nous fûmes pour l’instant réduits à discourir sur le bitume de
Judée et l’essence de lavande. Mais bientôt la foule entoure de nouveau un
nouvel initié plus effaré que le premier. Et celui-là, pour le coup, nous dit
que c’est l’iode et le mercure, sans autre commentaire. Enfin, la séance se
termine, et le secret est divulgué. Pour ma part, je cours aussitôt acheter de
l’iode, regrettant déjà de voir baisser le soleil, et d ’être obligé de remettre
l’expérience au lendemain. Enfin, dès que le jour paraît, mon appareil est
prêt : il est composé d’une lentille ordinaire de trois pouces de foyer, adaptée"
à un étui en carton. Après avoir iodé ma plaque à la main, je l’adapte à
mon étui, que je dirige vers ma fenêtre, et attends bravement un quart d’heure
que l’impression se produise ; puis j ’administre du mercure à ma plaque,
inclinée sous l’angle normal de 45°, en chauffant avec une bougie la cassolette
en carton qui le contient. Le mystère s’accomplit aussitôt : j ’ai un ciel bleu
de Prusse, des maisons noires comme de l’encre ; mais la balustrade de ma
fenêtre est superbe !... Je mets aussitôt mon épreuve en poche, et cours chez
M. Lerebours, où je montre avec complaisance mon médaillon ; mais on n’y
comprenait rien, parce que l’image était inverse ; d’ailleurs ses dimensions
exiguës la rendaient méprisable, par rapport à celles qu’on s’attendait à
produire avec un appareil normal qu’on avait établi tant bien que mal,
d’après les préceptes de M. Daguerre. Ils croyaient avoir déjà vu quelque chose,
quoique je ne visse, pour ma part, que des miroirs en plaqué. Mon épreuve

7. Gay-Lussac présente le 30 juillet 1839 devant la Chambre des pairs le rapport d ’une commission
« composée de MM. le baron Athalin, Besson, Gay-Lüssac, le marquis de Laplace, le vicomte Siméon,
le baron Thénard, le comte de Noé ».
+4 I.A PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

8. Théodore Maurisset, La Daguerréotypomanie, 1839. Lithographie. - Sur le mode comique sont ici évoqués
et prophétisés la photographie en ballon, les expéditions lointaines,
les travaux de Donné, la concurrence avec les graveurs (« Potences à louer pour
MM. les graveurs »). les positifs directs sur papier de Bayard, et surtout là droite)
l'engouement pour le portrai* (qui exige à l'époque 13 minutes d’immobilisation).

en main, je demande à opérer, à mon tour, avec le grand appareil : je rêve


déjà une épreuve superbe ; mais au bout du compte je n’obtiens que la
silhouette du Louvre, et encore fallait-il bien s’y prendre pour l’apercevoir.
Mais alors nous éprouvions une émotion extraordinaire et des sensations
inconnues qui nous causaient une gaieté folle. Ce jour-là on fit de mieux en
mieux, sans approcher cependant de la moindre épreuve de M. Daguerre !
Peu de jours après, les boutiques des opticiens étaient encombrées d’amateurs
soupirant après un daguerréotype ; on en voyait partout de braqués sur les
monuments.
Chacun voulut copier la vue qui s’offrait de sa fenêtre, et bienheureux celui
qui du premier coup obtenait la silhouette des toits sur le ciel : il s’extasiait
devant des tuyaux de poêle ; il ne cessait de compter les tuiles des toits et
les briques des cheminées ; il s’étonnait de voir ménagée entre chaque brique
la place du ciment ; en un mot, la plus pauvre épreuve lui causait une joie
indicible, tant ce procédé était nouveau alors, et paraissait à juste titre
merveilleux.
« C’EST UN MIROIR
QUI GARDE TOUTES LES EMPREINTES »
(1839)

Ju les JANIN (1804-1874)

L ’article de Jules Janin se situe entre la communication d ’Arago à l ’Académie des


sciences en janvier et son discours à la Chambre des députés en juillet. Plein
d ’admiration pour ce « miroir qui garde toutes les empreintes », l ’auteur célèbre
de l’Ane m ort et le critique à succès en décrit, sur le mode prophétique, les
possibilités.
Alors qu’au même moment Arago considère le daguerréotype avant tout comme
un instrum ent, Janin, émerveillé devant le «prodige» d’un procédé où « c’est
le soleil lui-même » qui opère, évoque déjà le statu t artistique des images sur
plaqué d ’argent.
Mais surtout, emporté par son enthousiasme, Janin énonce dès 1839 toutes les
utopies qui vont accompagner les premières décennies de la photographie :
l ’instantanéité, l ’absolue identité entre l ’image et son objet, la dimension démocratique
d ’un procédé « à la portée de tous et de chacun », capable d’assurer l ’échange et
le partage des richesses culturelles de l ’humanité. Il rêve d ’un relevé universel des
choses — une image à laquelle rien au monde ne pourra échapper. Il la situe
enfin dans une dynamique plus générale : celle d’une « singulière époque » où la.
vapeur, la machine, la chimie, etc., sont sollicitées par l ’homme qui « ne songe
plus de nos jours à rien produire par [lui]-même ».
46 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

« Le Daguerotype » L ’Artiste, nov. 1838-avr. 1839, pp. 145-148.

Par quelle suite incroyable d’essais, de tentatives, de recherches, de péripéties


de tous genres, l’auteur du Daguerotype est arrivé au résultat que nous allons
vous dire, c’est encore son secret. Plus tard, il l’expliquera lui-même à toute
l’Europe, quand la France, libérale et désintéressée entre toutes les nations
du monde, lui aura fait, à l’Europe, ce noble présent. Toujours est-il qu’à
force de persévérance et de génie, et par une suite infinie d’essais, M. Daguerre
est arrivé au résultat que voici : il a composé un certain vernis noir ; ce vernis
s’étend sur une planche quelconque 12, la planche est exposée au grand jour,
et aussitôt, et quelle que soit l’ombre qui se projette sur cette planche, la
terre ou le ciel, ou l’eau courante, la cathédrale qui se perd dans le nuage,
ou bien la pierre, le pavé, le grain de sable imperceptible qui flotte à la
surface ; toutes ces choses, grandes ou petites, qui sont égales devant le soleil,
se gravent à l’instant même dans cette espèce de chambre obscure qui conserve
toutes les empreintes. Jamais le dessin des plus grands maîtres n’a produit
de dessin pareil. Si la masse est admirable, les détails sont infinis. Songez
donc que c’est le soleil lui-même, introduit cette fois comme l’agent tout-
puissant d’un art tout nouveau, qui produit ces travaux incroyables. Cette
fois, ce n’est plus le regard incertain de l’homme qui découvre au loin l’ombre
ou la lumière, ce n’est plus sa main tremblante qui reproduit sur un papier
mobile la scène changeante de ce monde, que le vide emporte.
Cette fois, il n’est plus besoin de passer trois jours sous le même point du
ciel ou de là terre pour en avoir à peine une ombre défigurée. Le prodige
s’opère à l’instant même, aussi prompt que la pensée, aussi rapide que le
rayon du soleil qui va frapper là-bas l’aride montagne ou la fleur à peine
éclose. [...]
Nulle main humaine ne pourrait dessiner comme dessine le soleil : nul
regard humain ne pourrait plonger aussi avant dans ces flots de lumière,
dans ces ténèbres profondes. Nous avons vu ainsi reproduits les plus grands
monuments de Paris, qui, cette fois, va devenir véritablement la ville éternelle.
Nous avons vu le Louvre, l’Institut, les Tuileries, le Pont-Neuf, Notre-Dame
de Paris ; nous avons vu le pavé de la Grève, l’eau de la Seine, le ciel qui
couvre Sainte-Geneviève, et dans chacun de ces chefs-d’œuvre, c’était la même
perfection divine. [...]

L’art n’a plus rien à débattre avec ce nouveau rival : il ne s’agit pas ici,
notez-le bien, d’une grossière invention mécanique qui reproduit tout au plus
des masses sans ombre, sans détail, sans autre résultat qu’un bénéfice de

1. Jules Janin écrit dans tout son article daguerotype et non «daguerréotype».
2. Le daguerréotype s’obtient à l’aide d ’une plaque de cuivre préalablement polie et nettoyée avec soin
(cf. en annexe «Les procédés techniques»).
PREDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE 47

9. Louis-Jacques-Mandé Daguerre, Collection de coquillages, 1839. Daguerréotype. -


Une des premières images de ce qui est encore, en 1839, une utopie : constituer, grâce au
daguerréotype, des inventaires et collections d'objets. Le même thème
sera traité en 1844 par Fox Talbot dans son Pencil o f Nature.

quelques heures d’un travail manuel. Non, il s’agit ici de la plus délicate, de
l.i plus fine, de la plus complète reproduction à laquelle puissent aspirer les
œuvres de Dieu et les ouvrages des hommes. Et notez bien encore ceci, que
Lette reproduction est bien loin d’être une et uniforme, comme on pourrait
le croire encore. Au contraire, pas un de ces tableaux, exécutés d’après le
même procédé, ne ressemble au tableau précédent : l’heure du jour, la couleur
du ciel, la limpidité de l’air, la douce chaleur du printemps, la rude austérité
de l’hiver, les teintes chaudes de l’automne, le reflet de l’eau transparente,
tous les accidents de l’atmosphère se reproduisent merveilleusement dans ces
tableaux merveilleux qu’on dirait enfantés sous le souffle des génies aériens.
..] Cette manière de reproduire le monde extérieur ajoutera au grand mérite
d une fidélité de détail impossible à dire, le grand mérite d’une incroyable
fidélité de la lumière. Il arrivera donc qu’au premier coup d’œil, vous
reconnaîtrez le dessin reproduit par le pâle soleil parisien, et le dessin exécuté
par l’ardent soleil d’Italie. Vous direz à coup sûr : voici un paysage rapporté
48 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

des froids vallons de la Suisse ; voici un aspect emprunté aux déserts de


Sahara ; vous distinguerez le campanile de Florence des tours de Notre-Dame,
par la seule inspection du ciel dans lequel elles s’élèvent l’une et l’autre, les
deux tours élégantes ou terribles. Merveilleuse découverte en effet, qui conserve
non seulement l’identité des lieux, mais encore l’identité du soleil.
Et notez bien encore que l’homme reste toujours le maître, même de la
lumière qu’il fait agir. Une seconde de plus ou de moins, consacrée à cette
œuvre, compte pour beaucoup. Tenez-vous aux détails plus qu’à la masse ?
En deux minutes, vous avez un dessin comme les fait Martin 3 ; confusion
poétique et tant soit peu voilée, dans laquelle l’œil devine plus de choses
qu’il n’en voit en effet. Voulez-vous, au contraire, comme l’architecte, que le
monument vienne en relief et se montre à vous tel qu’il a été construit, et
dégagé de tout entourage qui pourrait en diminuer l’effet ? Cette fois encore,
le soleil obéira, il dévorera tous les accessoires, et votre monument restera
isolé, comme la colonne au milieu de la place Vendôme. Vous obtiendrez par
le même procédé tous les effets que vous voudrez obtenir, depuis l’aube
naissante jusqu’aux derniers crépuscules du soir.

Ce qui n’est pas un de nos moindres sujets d’admiration, c’est qu’une fois
l’œuvre accomplie par le soleil ou la lumière, le soleil ou la lumière n’y
peuvent plus rien. Ce frêle vernis, sur lequel le moindre rayon avait tant
d’empire tout à l’heure, maintenant vous l’exposez en vain au grand jour ;
il est durable, impérissable comme une gravure sur acier. Il est impossible
de commander d’une façon plus impérieuse ; c’est dire vraiment à la lumière :
Tu n’iras pas plus loin.
Vous avez vu l’effet de la chambre obscure. Dans la chambre obscure se
reflètent les objets extérieurs avec une vérité sans égale ; mais la chambre
obscure ne produit rien par elle-même ; ce n’est pas un tableau, c’est un
miroir dans lequel rien ne reste. Figurez-vous, maintenant, que le miroir a
gardé l’empreinte de tous les objets qui s’y sont reflétés, vous aurez une idée
à peu près complète du Daguerotype.
Mais bien plus, la lune elle-même, cette incertaine et mouvante clarté, ce
pâle reflet du soleil, dont il est éloigné de quarante millions de lieues, la lune
mord aussi sur cette couleur, qu’on peut dire inspirée. Nous avons vu le
portrait de l’astre changeant se refléter dans le miroir de Daguerre, au grand
étonnement de cet illustre Arago, qui ne savait pas tant de puissance à son
astre favori.
Soumettez au microscope solaire l’aile d’une mouche, et le Daguerotype, aussi
puissant que le microscope, va reproduire l’aile de cette mouche dans ces

3. Peut-être une allusion au peintre anglais John Martin (1799-1854), très apprécié des romantiques
français, et surtout connu pour ses grandes machines apocalyptiques souvent noyées dans les brumes ou
les nuées : Chutes de Ninive, Jugement dernier, etc.
PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE 49

10. Lory,
Femmes aux lunettes,
vers 1850. Daguerréotype. -
Le puissant effet de réel dû
à la précision des détails
explique la fascination
que le daguerréotype a
exercée d'emblée dans le
domaine du portrait.
50 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

dimensions incommensurables qu’on dirait empruntées aux contes des fées.


Maintenant, est-il besoin de vous dire toutes les applications sans fin de cette
immense découverte, qui sera peut-être l’honneur de ce siècle ? Le Daguerotype
est destiné à reproduire les beaux aspects de la nature et de l’art, à peu près
comme l’imprimerie reproduit les chefs-d’œuvre de l’esprit humain. C’est une
gravure à la portée de tous et de chacun ; c’est un crayon obéissant comme
la pensée ; c’est un miroir qui garde toutes les empreintes ; c’est la mémoire
fidèle de tous les monuments, de tous les paysages de l’univers ; c’est la
reproduction incessante, spontanée, infatigable, des cent mille chefs-d’œuvre
que le temps a renversés ou construits sur la surface du globe. Le Daguerotype
sera le compagnon indispensable du voyageur qui ne sait pas dessiner, et de
l’artiste qui n’a pas le temps de dessiner. Il est destiné à populariser chez
nous, et à peu de frais, les plus belles œuvres des arts dont nous n’avons que
des copies coûteuses et infidèles ; avant peu, et quand on ne voudra pas être
soi-même son propre graveur, on enverra son enfant au musée, et on lui dira :
« Il faut que dans trois heures tu me rapportes un tableau de Murillo ou de
Raphaël. » On écrira à Rome : « Envoyez-moi par le prochain courrier la
coupole de Saint-Pierre », et la coupole de Saint-Pierre vous arrivera courrier
par courrier. [...] Désormais, le Daguerotype suffira à tous les besoins des arts,
à tous les caprices de la vie. Vous emporterez avec vous, et sans qu’elle le
sache, la blanche maison sous laquelle se cache votre maîtresse. Vous ferez
vous-même la copie de ce beau portrait de M. Ingres, dans lequel M. Ingres
a reproduit la belle tête de ce noble écrivain, l’honneur de la presse en
Europe, et vous direz : « Que m’importe à présent que ce portrait 1 n’ait
point été livré à la gravure ? J ’ai beaucoup mieux qu’une gravure, j ’ai aussi
bien qu’un dessin de M. Ingres. » [...] Dans les plus simples et les plus douces
passions de la vie, le Daguerotype aura son utilité et son charme ; il reproduira
à l’instant toutes les choses aimées : le fauteuil de l’aïeul, le berceau de
l’enfant, la tombe du vieillard.
M. Daguerre espère bien qu’avant peu il parviendra aussi à obtenir le
portrait, sans qu’il soit besoin du portrait préalable de M. Ingres. Il est déjà
en train d’inventer une machine à l’aide de laquelle le sujet restera parfaitement
immobile45 ; car, telle est la puissance de ce reproducteur acharné, le
Daguerotype, qu’il reproduit à l’instant même le coup d’œil, le froncement du
sourcil, la moindre ride du front, la moindre boucle de cheveux qui s’agite.
Prenez la loupe ; voyez-vous, sur ce sable uni, ce quelque chose d ’un peu
plus obscur que le reste? C’est un oiseau qui aura passé dans le ciel.
=.g-Nous vivons dans une singulière époque; nous ne songeons plus de nos

4. S agit-il du portraii de M. Bertin par Ingres (1832) ? Le modèle était surtout connu comme fondateur
et directeur du Journal des débats.
"■ II s agit de l’appui-tête, accessoire nécessaire dans tous les studios de portraits jusqu’aux années 1870.
Voir ici même p. 288 la lithographie de Daumier parue dans le Charivari, 5 juin 1856.
PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE 51

jours à rien produire par nous-mêmes : mais, en revanche, nous recherchons


avec une persévérance sans égale les moyens de faire reproduire pour nous
et à notre place. La vapeur a quintuplé le nombre des travailleurs ; avant
peu. les chemins de fer doubleront ce capital fugitif qu’on appelle la vie ; le
eaz a remplacé le soleil ; on tente à cette heure des essais sans fin pour
trouver un chemin dans les airs. Cette rage de moyens surnaturels a passé
bientôt du monde des faits dans le monde des idées, du commerce dans les
arts. Il n’y a pas déjà si longtemps qu’a été inventé le Diagraphe-Gavard,
au moyen duquel les plafonds obéissants du palais de Versailles viennent
d'eux-mêmes se poser sur le papier, reproduits par la main d’un enfant sans
expérience. L’autre jour encore, un autre homme de génie, le même qui a
trouvé le moyen de reproduire en relief toutes les médailles antiques ou
modernes, M. Colas, inventait une roue à l’aide de laquelle il a reproduit,
avec une admirable et incroyable vérité, la Vénus de Milo. Voici maintenant
qu’avec cet enduit étendu sur une planche de cuivre, M. Daguerre remplace
le dessin et la gravure. Laissez-le faire, avant peu vous aurez des machines
qui vous dicteront des comédies de Molière et feront des vers comme le grand
Corneille : ainsi soit-il.
Une loi va être présentée aux chambres par M. Arago lui-même, pour
donner à M. Daguerre, non pas un brevet d’invention, il est tout disposé à
démontrer publiquement son procédé, mais une récompense nationale qui lui
donne le moyen de se ruiner encore une fois pour une nouvelle découverte.
Certes, malgré toute sa mesquinerie de nation constitutionnelle, représentée
par des bourgeois très peu éclairés et disposés à mépriser tout ce qui n’est
pas une charrue, une forge, ou une truelle à bâtir, la France ne saurait trop
récompenser ce génie et cette persévérance, arrivés à un pareil résultat. Elle
accordera, sans nul doute, à l’auteur de la gravure universelle, non pas la
récompense qu’il mérite, mais seulement la récompense qu’il demande. Puis,
quand elle aura fait de Daguerre un homme riche autant qu’il est célèbre ;
quand elle lui aura ouvert les portes de cet Institut qui le réclame, la France
dira à l’Europe : «Je vous ai déjà donné la vapeur : maintenant baissez-vous,
et ramassez à mes pieds le nouveau présent que je vous fais. »
EN EGYPTE, EN CHINE :
LES PREMIERS « DAGUERRÉOTYPEURS »
(1839-1844)

Frédéric GOUPIL-FESQUET ; J u les ITIER (1802-1877) ;


N icolas-M arie Paym al LEREBOURS (1807-1873)

Dès novembre 1839, moins de trois mois après l ’annonce d’Arago, Frédéric Goupil-
Fesquet débarque avec le peintre Horace Vernet à Alexandrie muni d’une chambre
et de produits daguerriens que lui a confiés Lerebours, le célèbre opticien parisien.
Le vice-roi Méhémet Ali qui les reçoit le 6 novembre s’enquiert auprès d’eux
« des phénomènes merveilleux obtenus par la nouvelle découverte de Daguerre »,
curiosité qui témoigne du retentissement international de l ’événement. Bien que
Méhémet Ali semble au fa it du mouvement industriel et scientifique en Occident,
son « étonnement et [son] admiration » devant son portrait au daguerréotype
(« C’est l ’ouvrage du diable ! s ’écrie-t-il ») donnent la mesure de la nouveauté du
procédé, de l ’ampleur de l ’innovation.
Au Caire, quelques jours plus tard, le 16 novembre 1839, Goupil-Fesquet
rencontre un autre « daguerréotypeur passionné », Pierre-Gustave Joly de Lotbinière,
comme lui peintre et comme lui équipé par Nicolas-Marie Paymal Lerebours.
Celui-ci publiera en livraisons à partir de 1842 un recueil en deux volumes de
planches gravées : Excursions daguerriennes : villes et m onum ents les plus
rem arquables du globe. Sauf trois exceptions1, il ne s’agira pas d’une
publication de daguerréotypes, mais de gravures réalisées à partir de daguerréotypes :
les siens, ceux d ’Edmond Jomard et ceux que Joly de Lotbinière et Goupil-Fesquet
rapporteront d ’Egypte.
Il est remarquable que le daguerréotype ait d ’emblée cristallisé autour de lui
les rêves les plus insensés, au regard de ses capacités techniques réelles. C’est tout
l ’imaginaire d ’une époque qui s ’exprime dans le prospectus de Lerebours :
l ’exactitude de la représentation, la diffusion de l ’art, la découverte du monde,
l ’accroissement du potentiel des « arts graphiques » — le daguerréotype est pour
Lerebours une « incontestable extension de la gravure ». Si, n ’étant pas reproductible,
il ne peut servir que de modèle aux graveurs, il présente toutejois un avantage

1. Voir note 2, p. 87.


PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE 53

appréciable car, désormais, « quelques minutes suffisent pour saisir les images ».
Reste à les graver à la main pour les diffuser, mais la première phase de
l'opération (la «saisie») aura, grâce à la lumière, été considérablement réduite.
Lerebours connaît les goûts de sa clientèle (« les gens du monde ») et, pour y
répondre, demande aux images « exactitude » et « expression ». Du côté de
l'« exactitude », il place le daguerréotype et le travail des graveurs « dont le talent
f in et original se distingue par une qualité primante, la netteté ». Et quant à
l'« expression », elle sera assurée par des « figures », des groupes dessinés « d’après
nature » qui animeront.
Ainsi commence cette période transitoire de plusieurs décennies pendant laquelle
la multiplication des images ne pourra être confiée à la seule lumière mais devra
s’allier le travail de la main, quitte à sacrifier un peud ’« exactitude » à
l ’« expression » — dernier recours de l ’« artiste » à l ’aube de l ’industrie de
l ’image.
Outre les précieux renseignements qu’il donne sur les tout débuts du daguerréotype
le temps de pose, les difficultés inhérentes à une pratique encore balbutiante,
l'accueil reçu par la nouvelle image, etc.), le texte de Goupil-Fesquet est intéressant
par sa manière de rendre compte des capacités exceptionnelles de l ’artiste Horace
Vemet. C’est avant tout une « mémoire prodigieuse » dans laquelle « tout se grave
pour l ’éternité, avec la fidélité du miroir [...], avec ordre et netteté». Il y a,
renchérit Goupil-Fesquet, « du daguerréotype dans cette mystérieuse et extraordinaire
faculté ». Assimiler ainsi les talents d’un grand artiste aux propriétés du
daguerréotype ne manque pas de surprendre, surtout à la lumière des polémiques
qui s ’engageront bientôt au sujet du statut artistique de la photographie.
Dans la logique de son propos, Goupil-Fesquet s ’essaie à définir le rôle
artistique du daguerréotype : inutile aux grands maîtres, il serait au contraire un
instrument précieux pour les peintres de modeste talent en leur tenant lieu de cette
- mémoire prodigieuse » indispensable à la création artistique.
Cette comparaison entre les facultés d ’un peintre célèbre et les propriétés du
daguerréotype révèle en outre que, dès son origine, celui-ci est beaucoup plus qu’un
procédé technique : un modèle théorique et un schéma mental. C’est dire que la
découverte de Daguerre s ’ancre dans un imaginaire profond, qu’elle objective une
manière de voir et de penser qui lui préexiste, comme l ’attestent certaines fictions
littéraires largement antérieures aux premiers essais de Niépce lui-même 2.

Enfin, le daguerréotype va très tôt dépasser les berges de la Méditerranée pour


faire son entrée en Extrême-Orient. Nommé chef de la Mission commerciàle en

2 Voir notamment Giphantie, récit visionnaire publié en 1760 par Thiphaine de La Roche. L’auteur y
décrit un procédé imaginaire qui sera bientôt concrétisé par la photographie.
54 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

Chine, Jules hier s ’embarque en novembre 1843 : il emporte avec lui un matériel
daguerrien. Son journal de voyage atteste qu’il prend (et rapporte en France) un
nombre important de daguerréotypes, sans doute les premiers réalisés en Chine. Le
14 octobre 1844, à Wampoa, après la première guerre de l ’opium, il réalise à
l ’occasion de la signature du traité franco-chinois l ’un des premiers clichés
d’actualité de l ’histoire de la photographie3. Charles Hubert Lavollée, alors
secrétaire d’Itier, raconte : « Il y avait à bord [du vapeur Archimède] un
daguerréotype dont le propriétaire ne pouvait laisser échapper l ’occasion de
reproduire une scène aussi étrange. Les mandarins se prêtèrent volontiers à la pose
qu’il fallut exiger d’eux. Le soleil était très favorable ; mais le tangage opposait
à la netteté du dessin un obstacle presque insurmontable. On essaya pourtant ; la
seconde épreuve donna un résultat très convenable et les Chinois demeurèrent
stupéfaits devant cette reproduction fidèle et rapide, dont ils ne pouvaient s’expliquer
le secret. » [Charles Lavollée, Voyage en Chine, Paris, 1852, p.303'].

Frédéric Goupil-Fesquet : V o y a g e d ’H o r a c e V e m e t en O r ie n t, 1843, pp. 32-


215.

Le 6 novembre [1839 à Alexandrie], à dix heures du matin, le kavasse du


consulat vient nous avertir que le consul nous attend avec ses chevaux pour
la visite au vice-roi. M. Vernet, en uniforme d’officier d’état-major de la garde
nationale ; son neveu [Charles Burton], en tenue d’officier du génie, et moi
affublé d’un uniforme de chasseur d’Afrique, dans lequel mes membres
dansent à leur aise ; nous montons à cheval. Nos jeunes officiers d’état-major
(les Abyssiniens) en grande tenue montent d’humbles ânes locati, et leurs
jambes traînent à terre, ainsi que leurs sabres de cavalerie. M. Cochelet
[consul de France] marche le premier devant, précédé de son sais. Les postes
militaires battent aux champs sur son passage, bientôt on arrive au palais,
où l’on monte par un grand escalier de marbre blanc.
La salle où le pacha reçoit d’habitude ses visiteurs, est carrée, vaste,
entourée de divans très bas, et éclairée de tous côtés par un grand vitrage
qui règne entre des arcades supportées par de minces colonnettes. Artim Bey,
son premier interprète qui parle parfaitement français, vient au-devant de
nous ainsi que plusieurs officiers de service. Nous trouvons Son Altesse,
étendue sur son divan à l’angle du salon, parqueté et ciré à l’européenne.
[...]

3. Je dois ces précisions à Jacques Willaume qui mène actuellement à l’Université de Paris-VIII une
recherche sur les débuts de la photographie en Chine.
PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE 55

La conversation s’engage par l’intermédiaire du drogman Artim Bey, qui


se tient continuellement debout près du vice-roi, agitant une moustiquaire de
palmier contre les insectes, sans respect même pour l’épiderme des pachas.
Après avoir témoigné au consul l’intérêt qu’il prend à ses visiteurs et s’être
informé de leurs différents projets, Méhémet Ali s’entretient longuement de
la France (dont il espérait alors l’alliance), il fait ensuite de nombreuses
questions sur l’état actuel des sciences, des arts, de l’industrie et sur les
inventions mécaniques, paraissant parfaitement au courant des découvertes
nouvelles et s’y intéresser vivement. Il insiste beaucoup sur la lumière sidérale,
dont notre ami Gaudin a fait dernièrement encore de si curieuses et utiles
applications à l’éclairage des paquebots en mer, et s’enquiert aussi des
phénomènes merveilleux obtenus par la nouvelle découverte de Daguerre :
comme il témoigne le désir de voir fonctionner l’instrument, M. H. Vernet
annonce qu’il s’empressera de satisfaire Son Altesse, et d’exécuter une épreuve
dès qu’elle le voudra. On convient donc de revenir le lendemain avec tous
les appareils nécessaires.
En effet, nous nous rendons au palais, le 7 au matin, en cavalcade de
baudets. Tout a été préparé d’avance pour n’avoir plus qu’à soumettre
l'épreuve à la chambre obscure, et à faire paraître l’image dans le mercure.
Le vice-roi qui nous attend avec impatience, se promène les mains derrière
le dos à la Napoléon, tenant son sabre dont il fait parfois tourner la dragone
pour se distraire ; des généraux et des colonels qu’il a invités à ce nouveau
genre de spectacle sont debout autour de lui, muets comme les murailles. Un
cabinet ayant vue sur le harem (dont la fréquentation est aujourd’hui interdite
au vice-roi, par ses médecins) nous est ouvert. La chambre obscure est
braquée devant la nature, et l’image qui se reflète dans le miroir est soumise
à l'inspection des assistants ébahis, personne ne comprend comment le
factionnaire qui se promène devant la porte, peut agir et remuer la tête en
bas sans tomber. La plaque iodée remplace le verre dépoli, et l’opération ne
dure que deux minutes. Dans ce moment, la physionomie de Méhémet est
pleine d’intérêt ; l’expression de ses yeux, où se peint malgré lui une sorte
d'inquiétude, paraît encore augmenter au moment de faire l’obscurité pour
le passage de la plaque au mercure ; ses prunelles brillantes roulent dans leur
orbite avec une étonnante rapidité. Un silence de stupeur et d ’anxiété règne
parmi les spectateurs, le cou tendu, et n’osant faire un seul mouvement ; mais
il est rompu par le bruit soudain d’une allumette chimique, et le reflet de
son éclair argenté rejaillit pittoresquement sur tous ces visages de bronze.
Méhémet Ali, qui se tient tout près de l’appareil, bondit sur place, fronce
ses gros sourcils blancs, et fait retentir le salon d’une toux éclatante qui lui
revient, dit-on, quand il éprouve une émotion imprévue (elle date d’une
révolte où il reçut un coup de sabre si violent dans la ceinture, que ses
pistolets en furent coupés).
Malgré l’aspect de l’épreuve parfaitement réussie, l’impatience qui commen-
56 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

çait à animer son altesse fait place au plus vif sentiment d’étonnement et
d’admiration ; c’est l’ouvrage du diable ! s’écrie-t-il, puis il tourne les talons,
tenant toujours la poignée de son sabre qu’il n’a pas quitté un seul instant,
comme s’il eût craint quelque secrète conspiration ou l’influence de quelque
sort mystérieux, et se dirigeant rapidement vers son salon, il nous dispense
ainsi de l’accompagner. [...]

[16nov. 1839, au Caire]. Après un repos de deux heures environ à notre


pied-à-terre [l’hôtel Whaghorn], où le décapage de plaques daguerriennes
nous sert de passe-temps, je me dirige avec armes et bagages photogéniques
vers la citadelle, sous la conduite d’un valet de place. La pierre dont elle est
bâtie, objet d’un rapport du citoyen Monge, est calcaire et composée de la
coquille qu’on appelle numismate, à cause de sa ressemblance avec de petites
pièces de monnaie. Elle est extraite du rocher même sur lequel le château
est bâti, et dont la composition est exactement la mêrhe que celle qu’on
trouve aux environs de Laon. M .Joly de Lotbinière, qui partage pour son
compte particulier les mêmes fatigues que moi, dirige ses excursions
daguerriennes vers différents points. Grâce au soin que j ’ai apporté au
polissage et à la préparation de mes plaques, j ’espère obtenir une très belle
épreuve de l’aspect extérieur de la citadelle du Caire, et pendant que mon
artiste mécanique travaille, je me promène sous quelques ruines, où je cherche
encore l’ombre amie, et je fais des vœux photogéniques tandis que mon âne
errant cherche en vain, dans les arides cailloux et non loin de la vallée des
tombeaux, une nourriture quelconque. Rentrés chez Whaghorn, nous trouvons
nos compagnons attablés ; mais la curiosité de savoir si nous avons réussi
nous ôte l’appétit, et M .Joly et moi, chacun de notre côté, nous procédons
à la mercurisation des épreuves. Tout daguerréotypeur passionné connaît
l’angoisse d’une opération aussi palpitante d’intérêt, surtout quand l’image
désirée est conquise au prix de longues fatigues, après une course de deux
lieues, pendant laquelle un âne indomptable vous cahote avec votre chambre
obscure sur les genoux, sans que vous puissiez modérer son allure, ni faire
comprendre vos désirs à l’ânier. Bref, mon épreuve est manquée ou à peu
près, et, pour me consoler et me rendre les forces et le courage, il m’est enfin
permis de m’asseoir auprès de MM. Vernet et Burton [...].

[17 nov. 1839]. Toutes ces choses variées et nombreuses s’écoulent bien
rapidement, trop rapidement, pour moi surtout, qui ne suis pas doué de cette
mémoire prodigieuse que possède à un degré si éminent M. H. Vernet. Il
semble que tout s’y grave pour l’éternité, avec la fidélité du miroir. L’artiste
qui la possède y sait retrouver jusqu’aux moindres détails d’un costume, d’un
type humain, saisi pour ainsi dire au vol et en passant. La nature s’y fixe
par les yeux, s’y classe dans le cerveau avec ordre et netteté ; chaque objet
a sa case conservatrice, particulière. Aussi M. H. Vernet ne fait-il que très
PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE 57

peu de croquis en voyage ; sa mémoire est un don magique, fait pour lui
épargner toutes peines ; quand il compose un tableau, il invoque ses souvenirs,
comme nos peintres ordinaires feuillettent un album pour y faire choix d’un
sujet ; puis, prenant une toile blanche, il fait naître sous son pinceau un
épisode, une scène dramatique, aussi vite qu’on écrit une lettre ; il voit son
sujet comme un rêve qu’il fait durer à volonté ; on serait tenté de croire qu’il
v a du daguerréotype dans cette mystérieuse et extraordinaire faculté.
L’exercice a contribué à son développement sans doute, mais Dieu a fait le
principal. Que de plaisirs divers et intarissables un si complet artiste ne doit-
il pas éprouver dans des pays nouveaux, en présence de tous les genres de
natures, qu’il peut comparer si facilement ! Rien pour lui n’est travail. Les
matériaux s’accumulent sans fatigue, sous l’impression des réalités extérieures,
pour prendre corps dans son atelier, quand le caprice lui en viendra.
En l’absence de tout ce qui me manque pour approcher du grand maître,
je me rejette sur les croquis et sur le daguerréotype, comme un naufragé sur
la chaloupe de sauvetage [...].

Le 21 [nov. 1839]. Tentatives infructueuses du daguerréotype ; quatre ou


cinq épreuves manquées en suivant le procédé de l’inventeur nous jettent
dans le plus profond découragement. Les discussions s’élèvent de part et
d’autre ; bref, on conclut de terminer là tous les essais, et pour varier nos
occupations et satisfaire aux exigences d’une pareille excursion, nous entrons
dans la pyramide de Cheops, la seule qui soit ouverte aux curieux. [...]

Le 22 [nov. 1839], Il me paraissait bien humiliant de rentrer au Caire sans


rapporter aucun souvenir des monuments les plus célèbres du monde, en
dépit des dénigrements de mes compagnons qui menaçaient de jeter le
daguerréotype au Nil, comme un bagage de surcroît ; j ’ai la patience, et à
moi seul, il est vrai, de préparer encore une dizaine de planches que je polis
tant bien que mal et avec toute la rapidité possible ; je m’avise de faire le
contraire des prescriptions de M. Daguerre, et, grâce à cet expédient j ’obtiens
successivement quatre et cinq épreuves tant du sphinx que des pyramides,
en laissant les images exposées pendant 15 minutes au soleil. (Remarque. Les
épreuves faites au bord de la mer sont toujours plus belles et demandent
moins de temps que dans l’intérieur des terres. A Alexandrie j ’ai obtenu des
résultats complets en 2 minutes et même moins, au soleil, tandis qu’aux
pvramides il m’en a fallu 15 et 20.) Ces épreuves, sans être parfaitement
réussies, à cause de la précipitation avec laquelle le polissage en a été fait,
donnent, néanmoins, une idée très juste et vraie de la construction et de la
dimension des monuments ; le sphynx, particulièrement, au pied duquel une
figure humaine sert d’échelle de proportion, donne un démenti formel aux
récits qu’en font certains auteurs peu consciencieux ou trop pressés. Mais il
taut partir pour le Caire, et je n’ai pas le temps d’emballer mon appareil ;
58 LA PHOTOGRAPHIE EX FRANCE 1816-1871

il faut donc pour toute récompense me résoudre à le rapporter par fragments,


et à en confier une partie au domestique, me réservant le plus précieux ;
telles sont les petites misères d ’un voyage rapide [...].

[19jam. 1840]. On rencontre à Damas, qui est l’entrepôt central d ’un grand
nombre de caravanes d’Asie, de l’Inde et de l’Egypte, une diversité
étourdissante de types et de costumes ; l’habit de M. de Ratimenton et celui
du consul d’Angleterre, sont les seules représentations des modes européennes,
qui semblent faire horreur aux habitants de ce pays. Comme je ne veux point
partir sans rapporter quelques souvenirs daguerriens, je me fais conduire par
Méhémet chez un juif qui possède la plus haute maison de la ville du côté
du Liban. Ce brave homme met tout son mobilier et ses échelles à notre
disposition ; je fais monter la chambre obscure sur la dernière terrasse ; et
là, je m’oriente vers les sites qui me paraissent le plus dignes d ’intérêt. Le
maître de la maison ne sait ce que je fais, et braque à son tour, sur moi,
des yeux ébahis presque aussi grands que mon objectif. Dès que j ’ai trouvé
le point convenable à la netteté de l’image, je le tire de son extase magnétique
en lui faisant admirer de près l’œuvre du miroir ; ce spectacle l’enchante, il
appelle ses filles et sa femme, et, bientôt transformé en magicien, je me vois
entouré des plus délicieux visages de jeunes filles. D’abord, honteuses de se
montrer, elles se cachent mystérieusement sous des voiles au tissu de vent ;
puis, s’apprivoisant peu à peu, elles rient et chuchotent ; les figures se
penchent sur l’appareil dont elles se disputent les abords. C ’est un bruit et
un tumulte babillard des plus comiques ; les voisins même en sont troublés
et montent sur le faîte de leurs habitations ; bientôt le désert des terrasses
d’alentour se couvre de femmes envieuses, comme si je les eusse évoquées
par quelque sortilège cabalistique. Un rayon de soleil tombé sur cette scène
vraiment orientale, me fait regretter la palette ; il m’aide néanmoins à tirer
quelques épreuves à la chambre obscure.

Jules Itier : J o u r n a l d ’u n v o y a g e en C h in e e n 1 8 4 3 , 1 8 4 4 , 1 8 4 5 , 1 8 4 6 , 1 8 4 8 ,
i. I, p. 331 ; t. II, pp. 74-115.

28 oct. [1844]. J ’ai employé ma journée à prendre au daguerréotype les divers


points de vue qu’offrent Macao et ses environs ; les quais de Praja-Grande,
la grande pagode, le port intérieur, les rues du Bazar m’ont offert d’intéressants
sujets. Aujourd’hui encore j ’ai trouvé des Chinois complaisants qui consentaient
à former des groupes immobiles, à la condition de voir d ’abord l’image reflétée
sur le verre dépoli ; leur étonnement n’avait, d’ailleurs, rien de bien profond,
c’était plutôt cette vague curiosité qu’éprouvent les enfants à la vue d’un
objet nouveau ; c’est qu’il est bien des sujets qui n’étonnent que les savants,
que les esprits méditatifs, et les phénomènes du daguerréotype sont dans cette
catégorie.
PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE 59

14nov. [1844], Je n’ai pas dit que j ’avais eu, il y a environ huit jours, la
visite du peintre Lamqua. Conduit par le désir de voir cet instrument
admirable qui dessine tout seul et dont les peintres de Canton sont fort
préoccupés, il avait examiné avec beaucoup d ’attention mon daguerréotype ;
et, sur sa demande, j ’avais fait son portrait, que je m’étais empressé de lui
offrir. Il avait paru fort enchanté de cette politesse ; mais je n’avais plus
entendu parler de lui, lorsqu’aujourd’hui il s’est fait annoncer et, me remettant
une boîte en maroquin vert, semblable à celle dans laquelle j ’avais renfermé
son portrait au daguerréotype, il m’a prié d’accepter ce témoignage de sa
reconnaissance. J ’ai été agréablement surpris en ouvrant cette boîte, d ’y
trouver le portrait en miniature de Lamqua, peint par lui-même sur ivoire,
avec une perfection et un fini qui feraient l’admiration de nos meilleurs
artistes ; et, chose curieuse, Lamqua avait pris pour modèle son portrait au
daguerréotype ; aussi cette peinture est-elle remarquable par la vigueur de
son relief. U est impossible, on l’avouera, de pousser plus loin la courtoisie
et le savoir-vivre ; assurément le peuple chez lequel de pareils traits se
produisent peut à bon droit passer pour civilisé.

21 nov. [1844], Je viens de passer la journée au milieu de la famille de Paw-


ssé-tchen. La vue de mon daguerréotype que j ’ai fait apporter, met en
mouvement toute la maison. C’est à qui obtiendra son portrait le premier.
La mère de Paw-ssé-tchen a le pas sur tous ; puis, au refus de sa femme,
Mme Li, je fais le portrait de la sœur du maître de la maison, assez laide fille
malgré le blanc, le rouge, le bleu et le noir dont sa figure est bariolée ; les
deux fils aînés, les nourrices et jusqu’aux enfants au maillot, tous posent
devant moi, tous sont reproduits avec plus ou moins de succès par mon
daguerréotype.
Il y avait bien trois heures que durait ce rude exercice, lorsque le son du
gong se fit entendre dans la rue ; il nous annonçait l’arrivée de cinq hauts
fonctionnaires de Canton, escortés d’une foule nombreuse de serviteurs et
conduits par l’ami Tchao-tchun-lin, le lettré, pour contempler la merveilleuse
invention dont toute la ville s’entretenait.
J ’aurais pu juger, aux formes cérémonieuses de Paw-ssé-tchen vis-à-vis
d'eux et à la série de ses respectueuses salutations avec les bras, la tête et
le corps, qu’il avait affaire à de grands seigneurs, si la richesse de leurs
costumes de soie brodés de fleurs de mille couleurs, de dragons et de phénix
en or et soie, n’avait suffi pour m’indiquer le haut rang de ces personnages.
Le plus considérable était le fao-yuen, ou sous-gouverneur de la province de
Canton ; venaient ensuite le tseang-keun, ou général tartare, commandant le
corps de troupes mantchoux, en garnison dans la ville fermée ; le grand
hoppo, ou directeur général des douanes, le heo-yuen, ou grand maître des
études, chargé des examens et de la distribution des grades littéraires
indispensables pour obtenir des fonctions publiques ; enfin, le tuh-leang-taou,
60 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

ou administrateur des greniers d’abondance. J ’échangeai avec chacun d’eux


des saluts fort gracieux, pendant que Tchao-tchun-lin leur expliquait qui
j ’étais.
Les portraits de Paw-ssé-tchen et de ses enfants furent apportés, sur ces
entrefaites. L’on s’extasia sur leur ressemblance, et je compris, aux gestes du
maître de la maison, qu’il cherchait à décrire le procédé. Son explication
n’était pas achevée, que les nouveaux arrivés m’avaient déjà entouré ; c’était
à qui me témoignerait le plus d’empressement et de politesse, à qui me
donnerait le plus de poignées de mains, tout en me suppliant d’opérer sur-
le-champ, en leur présence. Je me rendis de bonne grâce à leur désir, en
faisant le portrait du fao-yuen, qui réussit assez bien et que je lui offris. Ce
furent alors des transports de joie impossibles à rendre ; chacun voulut avoir
son portrait, et je consentis à aller préparer de nouvelles plaques.
A peine étais-je dans mon petit laboratoire, que le grand hoppo vint m’y
trouver pour me prier en particulier de lui donner la préférence ; son absence
ayant été remarquée, le général tartare, qui en avait sans doute deviné la
cause, vint à son tour pour se recommander à moi ; puis, survint pour le
même motif, mon ami Tchao-tchun-lin. Je promis à tous et, pour les satisfaire,
je me décidai à les prendre ensemble dans un groupe, dont je fis deux
épreuves afin d’en conserver une à leur insu ; ce groupe parut leur faire un
grand plaisir. Toutefois, le général tartare et le heo-yuen m’ayant prié avec
instance de faire à chacun séparément son portrait, je dus me résigner à les
daguerréotyper l’un et l’autre, bien que le jour commençât à devenir peu
favorable aux opérations photographiques.
J ’étais, au surplus, exténué de fatigue par les dix à douze plaques que
j ’avais faites dans la journée.

Nicolas-Marie Paymal Lerebours : « Avis de l’éditeur », Excursions daguerriennes,


1842-1844.

Grâce à la précision soudaine du Daguerréotype, les lieux ne seront plus


reproduits d ’après un dessin toujours plus ou moins modifié par le goût et
l’imagination du peintre. Comme les ressources de l’art graphique vont
s’étendre et se varier avec lui ! que ne fera-t-on pas avec un tel auxiliaire !
Il se passe peu de jours qu’on ne signale de nouvelles applications ; déjà avec
les microscopes on reproduit les corps amplifiés ; c’est ainsi que la galerie de
M. Lerebours réunit à des vues pittoresques d’une grande beauté quelques
charmantes académies, des objets d’histoire naturelle, d’archéologie. Quelques
minutes suffisent pour saisir les images, mais il faut un temps considérable
pour les reproduire sur l’acier [de la gravure] avec tous leurs détails.
La préparation première, toute mathématique, la justesse rigoureuse des
lignes principales ne refroidissent pas l’œuvre et ne gênent en rien l’inspiration
PRÉDOMINANCE DC DAGUERRÉOTYPE 61

de l’artiste. Après avoir obtenu le report sur acier d ’un calque à la pointe
sèche, par lequel la marche du travail se précise, la part spéciale de l’artiste,
dans l’exécution, est de compléter par la couleur l’expression des sites, des
monuments ou des objets représentés.
Les vues que nous annonçons formeront un recueil in-4°. Ces vues, prises
dans diverses parties du monde, sont gravées par des artistes du premier
rang : MM. Himely, Salathé, Martens, dont le talent fin et original se distingue
par une qualité primante, la netteté.
C’est parce que l’aqua-tinte est le genre qui ressemble le plus à la nature,
qu’on s’y est arrêté. On a choisi l’acier pour base du travail, parce qu’il
permet d ’unir la finesse à la solidité.
Les gens du monde rechercheront cette belle collection de vues, ils la
rechercheront pour son exactitude et son expression. M. Lerebours a choisi
les épreuves qu’il fait graver dans sa galerie, composée de plus de 1 200 planches,
exécutées en partie par ses voyageurs et parmi les épreuves les plus
remarquables rapportées d’Orient par MM. Horace Vernet et Goupil.
Les vues domineront dans ce recueil. Ce seront, ainsi qu’il a été dit plus
haut, des vues de Paris, de France, d’Italie, d’Allemagne, de Suisse, d’Angleterre,
de Constantinople, Jérusalem, Damas, le Caire, les Pyramides, etc. On y
joindra encore, comme preuves des ressources et de la flexibilité du procédé,
quelques calques de vases très rares, de meubles précieux, d’armures fameuses,
ornements, etc. Le nombre de ces dernières planches sera toutefois très limité.
Ces essais brillants ne peuvent manquer d ’intéresser les amis des arts, car
ils sont une incontestable extension de la gravure. Que de services ne rendrait
pas déjà le Daguerréotype, alors même qu’il ne ferait que propager la
connaissance des monuments, des objets d ’art uniques ou presque inconnus,
enfouis dans les cabinets des collecteurs et des savants.
Les vues gravées seront animées par des figures. Lorsque les épreuves faites
sur les lieux n’en auront pas, on y suppléera par quelques groupes pris dans
des croquis tracés d’après nature dans les mêmes localités.
Ce nouveau recueil sera publié par livraisons de quatre planches, accompa­
gnées d’un texte explicatif dû à des écrivains distingués.
M. Jules Janin a rédigé plusieurs notices des premières livraisons.
M. Emmanuel de Lascases, qui fait voile en ce moment pour Sainte-Hélène,
prendra dans l’île quelques-unes des vues que les traditions sur l’empereur
rendent le plus intéressantes. M. de Lascases a bien voulu nous les promettre
en partant.
M. Edmond Jomard, qui parcourt en ce moment l’Espagne, nous fournira
de magnifiques vues des parties les mieux conservées de l’Allhambra. On dit
que l’effet de ces planches est magique.
BAYARD LE PIONNIER :
EFFET DE RÉEL ET SIMULACRE
(1840)

H ip p olyte BAYARD (1801-1887) ;


D ésiré RAOUL-ROCHETTE (1789-1854) ;
un am ateur [E ugène HUBERT]

Profitant du soutien du gouvernement de Louis-Philippe qui acquiert d’emblée son


procédé, Daguerre bénéficie d’une immense popularité auprès d ’un public fasciné
par les sortilèges de la nouvelle image. Ses succès se font au détriment de Bayard
dont le procédé sur papier demeure alors à peu près inconnu. Bayard est certes
honoré des faveurs de l ’Académie des beaux-arts, mais le soutien de la prestigieuse
institution reste trop confidentiel pour inverser le courant favorable à Daguerre.
C’est alors que, après plus d’un an de vains efforts pour promouvoir son
invention, Bayard exécute le 18 octobre 1840 son autoportrait en suicidé. Expression
d ’une amertume, cet autoportrait est aussi — son commentaire en témoigne -— un
regard ironique porté par Bayard sur ses propres difficultés et sur les mœurs du
romantisme.
Brouillage du sens, jeu du vrai et du faux, du réel et du simulacre : Bayard
dépasse ici de beaucoup les préoccupations par trop techniques de nombre de ses
collègues photographes pour interroger la nouvelle image — exploiter et pervertir
ses effets de réel alors au-dessus de tout soupçon.
Après l ’exécution de ce portrait, les efforts de Bayard lui valurent quelques
succès : une médaille d’argent à la Société libre des beavk-arts en avril 1841 et,
en mars 1842, un prix de 3 000 F au concours organisé par la Société
d’encouragement pour l ’industrie nationale en vue d’accélérer les perfectionnements
de la photographie sur papier. Autant de signes de l ’existence d ’un intérêt porté
à la photographie sur papier en cette période de gloire du daguerréotype.
Dès novembre 1839, Raoul-Rochette 1, devant l ’Académie royale des beaux-arts,
avait du reste pris la défense des positifs directs sur papier de Bayard, les

1. Archéologue, spécialiste de la Grèce et de la Rome antique, secrétaire perpétuel de l'Académie royale


des beaux-arts.
PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE 63

11. Hippolyte Bayard, Le Noyé, oct. 1B40 Positif direct sur papier - Par cet autoportrait en noyé,
Bayard veut signifier, non sans une pointe d'humour, son amertume devant l'indifférence
dont sôn'procédé apt la victime au profit de celui de Daguerre. Par cette mise en scène,
il innove en retournant à son profit l'effet de vérité de la photographie.

' sant, « sous le rapport de l ’art », aux images sur métal de Daguerre : ce
. expliquait-il, « de véritables dessins », d ’un « effet véritablement enchanteur »
. « comme des dessins à l ’aquarelle, peuvent se porter en voyage, se classer
un album, se passer de main en main ».
L 'antagonisme qui, autour du négatif en papier, mettra aux prises à partir de
'in des années 1840 les tenants du net et les adeptes du vague dans les contours,
partisans du négatif en verre et les catolypistes, les « artistes » et les « gens
64 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

de métier », cet antagonisme est d ’emblée présent dans l ’opposition entre métal et
papier, entre le daguerréotype et le positif direct de Bayard ~.
Derrière cette alternative, d’autres se dessinent : entre la science et l ’art, le
métier et la création, l ’« utilité » et la « curiosité » ; entre les institutions (Daguerre
est soutenu par Arago, de l ’Académie des sciences, et Bayard, par Raoul-Rochette,
de l ’Académie des beaux-arts) —■mais surtout entre des conceptions esthétiques.
Il apparaîtra bientôt, en effet, que la précision, la netteté du détail ne sont pas
la seule finalité de la photographie, et que, pour les partisans du calotype (négatif
papier), le « flou » — tel que l ’induit la texture du papier — sollicite le
spectateur d’une manière toute différente, augmentant sa marge d ’interprétation et
de rêverie.
C’est ce que met en évidence, dès 1840, l ’analyse de Hubert, l ’assistant technique
de Daguerre, quand il décrit (pour les critiquer) les accidents du support papier
qui, vu au microscope, ressemble « à des petits cheveux courts et fins, crêpés, collés
et emmêlés les uns dans les autres ». On constate que, dès les débuts de la
photographie, les procédés existants autorisent déjà des choix esthétiques très variés.

Autoportrait en suicide 18 oct. 1840, Société française de photographie.

Le cadavre du Monsieur que vous voyez ci-derrière est celui de M. Bayard,


inventeur du procédé dont vous venez de voir, ou dont vous allez voir les
merveilleux résultats. A ma connaissance, il y a à peu près trois ans que cét
ingénieux et infatigable chercheur s’occupe de perfectionner son invention. 4
L’Académie, le Roi, et tous ceux qui ont vu ses dessins, que lui trouvait
imparfaits, les ont admirés comme vous les admirez en ce moment. Cela lui
a fait beaucoup d’honneur et ne lui a pas valu un hard. Le Gouvernement,
qui avait beaucoup trop donné à M. Daguerre, a dit ne pouvoir rien faire
pour M. Bayard et le malheureux s’est noyé. Oh ! Instabilité des choses
humaines ! Les artistes, les savants, les journaux se sont occupés de lui
pendant longtemps et aujourd’hui qu’il y a plusieurs jours qu’il est exposé
à la morgue, personne ne l’a encore reconnu ni réclamé. Messieurs et Dames,
passons à d’autres, de crainte que votre odorat ne soit affecté, car la figure
du Monsieur et ses mains commencent à pourrir, comme vous pouvez le
remarquer.

2. Voir notre appendice : « Les procédés techniques ».


3. Texte manuscrit au dos de l’une des trois épreuves d’Hippolyte Bayard en « noyé ».
4 . Les expériences de Bayard sont en réalité plus récentes qu’il ne le dit. Les notes manuscrites qui
figurent sur son Album d'essais, actuellement conservé à la Société française de photographie, semblent
indiquer que ses recherches sur la photographie datent au plus tôt du 20 janvier 1839, soit deux semaines
après qu’Arago eut annoncé, mais non décrit, l’invention de Daguerre.
V

PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE 65

Béâré Raoul-Rochette : « Académie royale des beaux-arts, Rapport sur


les dessins produits par le procédé de M. Bayard » (séance du samedi
ÎBovembre 1839), Le Moniteur universel, 13 nov. 1839, pp. 2009-2010.

L'Académie a pu juger, dans la communication qui lui a été faite, à sa


dernière séance, des dessins produits par le procédé de M. Bayard, de quel
mtérèt pouvait être pour les arts une découverte qui se recommande déjà par
d r pareils résultats. Il n’y eut, dans toute l’Académie, qu’une voix sur le
w rite de ces dessins, sur leur exactitude positive, sur leur aspect agréable
à l'œil : et l’avantage inappréciable et unique jusqu’ici qu’ils présentaient,
d'etre fixés sur le papier, ce qui en rend l’usage si commode et le transport
s facile, ajoutait encore à tous les motifs d’intérêt et de satisfaction que la
m e de ces dessins inspirait à l’Académie. [...]
M. Bayard semble avoir été, dans presque tout le cours de sa vie, préoccupé
par une idée fixe, celle de produire des dessins à l’aide de la lumière, qui
açit sur les corps d’une manière plus ou moins forte, suivant que ces corps
sont doués d’une sensibilité plus ou moins vive. Mais, sans parler ici de
quelques expériences qui n’auraient pas assez d’importance pour l’Académie,
quelque intérêt qu’elles puissent avoir pour l’auteur, c’est seulement le 5 février
1839 que nous daterons, avec lui, les premiers essais qui offrirent à ses yeux
assez de mérite pour constituer une sorte de progrès dans l’application d’un
procédé déjà connu, à la vérité, celui de M. Talbot. En opérant avec du
■itrate d’argent étendu sur le papier, et en y produisant ainsi du chlorure
d'argent, M. Bayard obtenait des épreuves qui lui paraissaient plus satisfaisan­
t s que ce qu’il en connaissait. Mais, ses idées se développant rapidement
dans une voie nouvelle, sous l’influence du bruit qui circulait alors de la
découverte de M. Daguerre, et de l’intérêt qui s’y attachait, ce fut le 20 mars
suivant qu’il obtint, par le procédé qui lui est propre, la première image en
st*s direct, qui lui révèle toute la propriété de ce procédé. Moins de deux mois
s’étaient écoulés, et déjà, le 13 mai, M. Bayard put communiquer à l’un de
nos confrères de l’Académie des sciences, M. Biot, des images qu’il jugeait
propres à exciter l’intérêt de ce physicien illustre. Sept jours plus tard, le
20 mai, de nouvelles épreuves, d’un effet encore plus satisfaisant, furent
montrées à M. Arago. Dès ce moment, M. Bayard jugea le développement de
sa découverte assez avancé pour en soumettre les résultats à l’appréciation
publique. Il réunit trente dessins, de toute espèce et de diverses grandeurs,
dans un cadre qu’il plaça à une exposition publique qui se fit, au
commencement de juillet, au profit des victimes de la Martinique, dans la
salle des commissaires-priseurs ; et ce cadre, ainsi exposé, sans autre
recommandation qu’une simple note indiquant la nature des dessins qu’il
renfermait, fixa l’attention du public, au point qu’il en fut rendu compte dans
le Moniteur et dans plusieurs journaux.
66 I.A PHOTOGRAPHfE EN FRANCE 1816-1871

Ces dates et ces communications diverses nous ont paru dignes d’être
recueillies, moins encore à cause de l’antériorité de plus de trois mois qui en
résulte, par rapport à la révélation du procédé de M. Daguerre, faite à la
séance du 19 août à l’Académie des sciences, que par une circonstance que
tout nous fait un devoir de recommander à l’intérêt de l’Académie. Jusqu’alors,
M. Bayard, modeste employé dans une administration de l’Etat, n’ayant que
peu de temps à donner dans le jour à ses expériences, et encore moins
d’argent à mettre à ses instruments, n’avait eu à sa disposition qu’un verre
d’une faible portée et d’une petite dimension. C’est avec un instrument si
imparfait, qu’opérant dans une chambre obscure, il obtenait des dessins déjà
faits pour exciter à un assez haut degré l’intérêt du public. Grâce à cette
exposition publique et à des communications partielles, qui, toutes, justifièrent
et accrurent cette impression favorable, M. Bayard reçut de M. le ministre
de l’Intérieur un secours de 600 F, qui lui permit d’acheter un excellent
objectif et de mieux établir sa chambre obscure. C’est ainsi que, pourvu de
meilleurs instruments, il a déjà obtenu des épreuves infiniment supérieures
aux premières, pour l’effet comme pour la dimension ; et c’est à ce titre qu’il
est permis d ’espérer encore de nouveaux progrès et des résultats plus complets
d’une invention qui s’est déjà signalée entre les mains de son auteur par des
améliorations si sensibles et si rapides [...].

L’Académie sait déjà que les épreuves dues au procédé de M. Bayard sont
produites sur du papier, au moyen d ’une préparation qui constitue en grande
partie le secret de ce procédé. La qualité de papier que M. Bayard juge la
plus propre à assurer le succès de son opération est celle du papier fin à la
mécanique. Il préfère le papier blanc au papier de couleur, dont la coloration
se perd inégalement par suite de la préparation qu’il lui donne ; d’où il résulte
des taches qui nuisent au dessin, tandis que le papier blanc acquiert, par le
fait même de cette préparation, une coloration qui, partant de la teinte
rougeâtre, et passant par les teintes bistres pour arriver à la teinte neutre,
tirant au bleu, produit un effet aussi harmonieux qu’agréable. Cette préparation 1
du papier, si importante dans le procédé de M. Bayard, puisque c’est ce qui
confère au papier la sensibilité qui le rend propre à recevoir les dessins
produits par la lumière, s’exécute d’ailleurs avec une grande facilité, sans
qu’il soit besoin de se mettre à l’ombre ou de s’entourer de précautions
incommodes ; c’est du moins ce qu’il nous a déclaré, et ce que nous ne
pouvons nous empêcher de signaler comme un des avantages de cette
préparation. Un autre mérite qu’elle possède, c’est de conserver toute sa i
valeur durant un mois, pour peu que les feuilles de papier qui l’ont reçue
se gardent avec quelque soin dans un album ou un portefeuille ; passé ce
temps, il suffit de tremper le papier dans un liquide préparé à cet effet, pour
que ce papier reprenne toute sa sensibilité ; et l’on conçoit, sans qu’il soit
nécessaire d’insister sur ce point, de quel avantage il peut être, dans un cours
P R É D O M IN A N C E D U D A G U E R R É O T Y P E 67

de voyages plus ou moins long, d ’avoir sans cesse à sa disposition, sous sa


main, dans un album, une quantité plus ou moins considérable de feuilles de
papier ainsi préparées, et toujours propres à l’usage qu’on en veut faire.
L’épreuve que M. Bayard obtient sur son papier, dans des circonstances
de temps ordinaires, met à peu près une demi-heure à se produire ; c’est plus
de temps que ne dure l’épreuve exécutée par M. Daguerre. Mais cet
inconvénient se trouve bien compensé par l’avantage de pouvoir fixer au point
où l’on veut, sur le papier même où elle doit s’imprimer, l’image produite
par l’objectif. [...]
A côté de ces propriétés, déjà remarquables, et qui reçoivent encore un
nouveau prix de l’emploi d’une feuille de papier au lieu de celui d’une plaque
de métal, se placent d’autres avantages non moins sensibles. L’image, qui se
produit dans la chambre obscure, par le procédé de M. Bayard, sur le papier
préparé à cet effet, peut toujours être observée, pour ainsi dire, à chaque
degré de sa formation ; on la suit dans le développement progressif de son
intensité ; on l’arrête, au point où l’on veut la saisir ; si l’on ne désire qu’un
dessin à peine indiqué, qu’une image aussi faible que possible, on la fixe en
cet état, au moyen d’un lavage ; et ce dessin peut ensuite être repris par la
main d ’un artiste, pour être lavé ou colorié. Si l’on veut, au contraire, que
le dessin obtienne plus de vigueur, on n’a qu’à laisser agir la lumière, tout
le temps qu’on juge nécessaire. La nature a toujours un témoin de son
opération, qui l’abrège, la prolonge ou l’arrête, suivant le besoin qu’il en a ;
et c’est là, à notre avis, un des principaux avantages du procédé de M. Bayard.
Ajoutez à cela que les dessins produits par ce procédé jouissent, du moment
qu’ils ont été fixés sur le papier par un lavage, de la propriété de se conserver,
comme des dessins à l’aquarelle ; ils peuvent se porter en voyage, se classer dans
un album, se passer de main en main, sans s’altérer par le temps, sans
s'effacer par le frottement ; et nous en avons eu la preuve par l’état même
dans lequel se trouvent la plupart des dessins de M. Bayard, qui circulent
déjà depuis deux ou trois mois, sans avoir éprouvé d’altération sensible ; il
suffit, pour qu’ils gardent toute leur vigueur, qu’ils ne soient point exposés
à l’effet direct d’une lumière trop vive. Ce sont donc de véritables dessins, quant
aux moyens de conservation qu’ils possèdent, et quant à l’usage qui s’en peut
faire ; et ils ne se détruisent que par ce qui détruit toute espèce de dessins
dus à la main de l’homme, et par ce qui les produit eux-mêmes, par le temps
et par la lumière.
Jusqu’ici, les applications du procédé de M. Bayard ont principalement
porté sur des masses d’édifices, sur des détails d’intérieur, et des ouvrages
d'art, statues, bustes, figurines, qu’il reproduit avec autant de fidélité que de
charme. Parmi d’autres applications, dont son auteur le croit susceptible, et
qu’il a essayées avec plus ou moins de bonheur, nous nous bornerons à
mentionner celle qui consiste à reproduire l’objet imperceptible vu et agrandi
au microscope solaire. Mais une de ces applications que nous croyons propre
68 LA PHOTOGRAPHIE EN PRANCE 1816-1871

12. nippcyte Bayard, Nature m orte , 1839' 1840. Positif direct sur papier. -
Au cours des années 1839-1840, Bayard réalise une série de clichés de statuettes :
pour des raisons techniques (leur luminosité et leur immobilité), mais aussi en fonction
d'un projet esthétique (leur composition recherchée en témoigne).

à M. Bayard, et qui serait d’une grande utilité pour l’art et pour ceux qui
le cultivent, ce serait la reproduction des estampes, que notre auteur a déjà
pratiquée avec succès. On sait que M. Talbot, qui s’est particulièrement
P R É D O M IN A N C E D U D A G U E R R É O T Y P E 69

distingué par des essais de ce genre, n’a pu arriver encore à la reproduction


d'une estampe que par un contre-calque, où le noir prend la place du blanc,
et réciproquement le blanc celle du noir ; mais les copies obtenues par le
procédé de M. Bayard, bien qu’encore faibles de ton et imparfaites d ’exécution,
offrent l’effet positif de la gravure, qu’elles reproduisent seulement en sens
contraire, avec tous les détails de son travail ; et il y a lieu d’espérer que de
nouveaux essais dans cette voie, où il a fait à peine quelques expériences,
aboutiront à quelque chose de plus satisfaisant encore.
Tels sont les principaux résultats que nous avons pu recueillir des
déclarations de M. Bayard, et qui, rapprochés des dessins que nous avions
sous les yeux, et qui en fournissaient la preuve palpable et matérielle, nous
ont paru dignes au plus haut degré de l’intérêt de l’Académie. Quant au
mérite essentiel du procédé de M. Bayard, l’Académie, nous l’avons déjà dit,
et nous ne pouvons que le répéter, a déjà été à même de se prononcer à cet
égard. En présence de dessins tels que ceux que M. Bayard a exposés devant
nous, il suffit d’avoir des yeux pour juger de ce qu’ils sont et de ce qu’ils
valent. C’est la première fois que l’on a vu la nature se peindre pour ainsi
dire elle-même sur le papier, dans la chambre obscure, où jusqu’ici l’on avait
toujours eu besoin d’ajouter, par le travail de l’homme, à l’œuvre de la
nature ; et ces dessins, produits par un tel maître, ne pouvaient manquer
d'être d’une fidélité parfaite. Aussi, dans les épreuves obtenues par M. Bayard,
la forme générale est-elle de la plus grande exactitude ; le modelé des figures,
dans tout ce que l’auteur nous a montré, exécuté d’après l’antique, ne laisse
que bien peu de choses à désirer ; on y voudrait seulement un peu plus de
netteté dans les détails, moins d’indécision ou de mollesse dans le contour.
Mais, du reste, on ne saurait souhaiter un effet plus satisfaisant, et plus de
charme joint à plus de fidélité dans le rendu de l’image. Les dessins de
M. Bayard ont un agrément qui tient essentiellement à la présence de la
lumière, aux dégradations de teintes qu’elle y produit, et qui sont d ’un effet
véritablement enchanteur. Ils offrent, à des yeux d’artistes, l’aspect de ces
dessins de vieux maîtres, un peu fatigués par le temps ; ils en offrent tout
à fait l’apparence, et ils en ont le mérite.
En ne jugeant donc que sous le rapport de l’art, et abstraction faite de
toute autre considération, les dessins produits par M. Bayard ; en ne tenant
compte que de leur mérite pittoresque, que de l’exactitude imitative et de la
magie perspective qui s’y trouvent réunies à un si haut degré, il nous semble
que l’Académie, dont la compétence et l’autorité en matière d ’arts ne sauraient
être contestées, ne peut se refuser à donner à ce procédé et à ses résultats
acquis son entière approbation ; et, quand on réfléchit à la simplicité de ce
procédé, à la commodité qu’il paraît comporter dans toutes ses applications,
aux avantages comme aux facilités de toute espèce qui résultent, pour le
transport, pour le voyage, et pour d’autres circonstances, de ce qu’une feuille
de papier y remplace une plaque de métal, on ne peut s’empêcher non plus
70 LA P H O T O G R A P H IE EN FR A N C E 1816-1871

de reconnaître que ce procédé doit être, pour les arts, d’une utilité pratique
et usuelle véritablement inappréciable.
D’après tous ces motifs, la Commission dont j ’ai l’honneur d’être l’organe
a décidé, d ’une voix unanime, que l’Académie serait priée de témoigner toute
sa satisfaction du procédé de M. Bayard et de le recommander, par tous les
moyens qui sont en son pouvoir, à l’intérêt et à la générosité du gouvernement.
Signé à la minute : Picot, Schnetz, Ramey, Petitot, Debret, Guénepin,
Desnoyers, Richomme, Raoul Rochette rapporteur, Nanteuil président, et
Huyot, vice-président de l’Académie.
L’Académie adopte ce rapport.
Certifié conforme.

[Eugène Hubert] : « État de situation de la photographie sur papier »,


Le Daguerréotype considéré sous un point de vue artistique, mécanique et pittoresque par un amateur, 1840,
pp. 35-36.

La découverte des moyens de reproduire les images sur papier réunit les
immenses avantages d’éviter les mirages et d’offrir des dessins portatifs et
ineffaçables aux frottages, sans laisser d’incertitude sur la durée de leur
exposition à la lumière, puisqu’on les voit se créer, il est même probable que
déjà elle aurait atteint sa devancière, qui opère sur plaqué, sans la barrière
insurmontable que lui opposent la nature et la contexture du papier, qui
paralyse la puissance des meilleurs agents chimiques qu’elle emploie.
En opérant sur plaqué, le poli de l’argent et le peu d’épaisseur de la couche
impressionnable produisent des images très nettes, qu’on peut rendre
inaltérables à l’action de la lumière, par la facilité d’enlever par un lavage
parfait, cette couche très mince de matière impressionnable qui ne repose que
superficiellement sur l’argent.
En opérant au contraire sur le papier, dont la surface est moins unie, les
images ne peuvent être aussi nettes, et l’avantage que l’on pourrait lui donner
par un lissage, lorsqu’il est empreint de matières impressionnables à la
lumière, devient sans but, puisque la surface unie qui en résulterait serait
détruite par les lavages. Un autre obstacle se présente lorsqu’il faut fixer
l’image, il devient difficile, même avec des agents puissants, d ’attaquer toute
la matière impressionnable qui a pénétré profondément le papier, et de la
déloger des fortes positions qu’elle a su prendre dans un tissu, qui, au
microscope, ressemble à des petits cheveux courts et fins, crêpés, collés et
emmêlés les uns dans les autres.
Espérons donc que la persévérance de M. Bayard, ainsi que celle de nos
autres chefs de file, qui ont déjà obtenu des succès pleins d’avenir, sauront
bientôt détruire la dernière barrière devant laquelle on a été jusqu’ici forcé
de s’arrêter.
L’EUPHORIE DES SCIENTIFIQUES
(1844-1853)

A lfred DONNÉ (1801-1878) ;


Jean-B ernard-L éon FOUCAULT (1819-1868) ;
A cadém ie d es scien ces (1853)

Médecin, professeur de micrographie, Alfred Donné est un adepte enthousiaste du


daguerreotype. A peine Arago a-t-il prononcé son fameux plaidoyer en faveur des
usages scientifiques du nouveau procédé que Donné soumet en 1840 à l ’Académie
des sciences les premiers daguerréotypes pris au microscope.
En 1844, quand paraît son Cours de micrographie, Donné compte l ’illustrer
en utilisant à la fois des daguerréotypes et des dessins, mais son atlas d ’images
publié en 1845 ne sera finalement réalisé qu’à partir de daguerréotypes, ceux de
son préparateur Léon Foucault.
L ’introduction qu’Alfred Donné rédige pour cet atlas est une vraie profession
de foi : alors que les tracés de la main sont, selon lui, plus fidèles à l ’idée que
l'on a des choses qu’aux choses elles-mêmes, le daguerréotype est « à l ’abri de
toute illusion ou idées préconçues » et renouvelle l ’imagerie scientifique qui, avant
lui, était incapable d’assurer la ressemblance des objets microscopiques. Synonyme
de « confiance » et de « vérité », il « est, pour ainsi dire, l ’objet même que l ’on
met sous les yeux ». Toutes ces qualités ne manqueront pas de rejaillir sur la
pratique scientifique qui, grâce à la perfection de cet instrument, « s ’établira sur
une base solide et incontestable ».
Un seul problème : la reproduction de ces images merveilleuses. Le daguerréotype
est unique 1. Certes, à l ’époque où Donné prépare son atlas, le physicien Louis
Fizeau, membre de l ’Académie des sciences, a déjà élaboré une méthode pour graver
à partir d ’un daguerréotype, et sans intervention de la main, une planche destinée
à imprimer l ’image à l ’encre. Mais celle-ci ne connaîtra pas vraiment d ’application
pratique à cause des difficultés de sa mise en œuvre. Donné la juge incapable de
« fonder une publication sérieuse », d ’autant qu’elle détruit le daguerréotype pour
le transformer en planche gravée.

I. La photographie qui. elle, sera bientôt reproductible en quantité théoriquement illimitée grâce à l’usage
du négatif, ne conviendra pas mieux aux publications à cause de la lenteur et de la difficulté du tirage
des épreuves aux sels d’argent (voir en fin de volume notre glossaire des procédés techniques).
r

72 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

Alfred Donné ne dispose alors plus que d ’un seul moyen pour publier ses
daguerréotypes : les faire copier à la main par un graveur. Il s ’y résout, non sans
regrets, attendant de l ’avenir « la solution complète » du problème de la
multiplication des images scientifiques.

Nous ajoutons un texte un peu plus tardif (1853), émanant de zoologistes qui
s ’émerveillent eux aussi des avantages de la photographie : ils vantent cette
« objectivité » dans la reproduction qui corrige les observations des individus et
permet la transmission de l ’expérience. Selon Henri Milne-Edwards, rapporteur
de l ’Académie des sciences, la photographie saisit « une multitude de détails qui
échappent à l ’œil » du zoologiste et à la main du dessinateur : « Lorsqu’on vient
à examiner ces planches [photographiques de Louis Rousseau] à l ’aide d’une loupe,
on y voit tous les détails que cet instrument ferait voir dans l ’objet lui-même ».
A l ’en croire, l ’image photographique pourrait remplacer l ’objet dans l ’observation
zoologique.
De telles remarques renvoient à celles d’Erwin Panofsky à propos des expériences
anatomiques de Léonard, et des relevés qu’en faisait le célèbre peintre grâce à la
maîtrise de la perspective : « Cette exigence de “perspective ”, écrit Panofsky, si
elle peut surprendre au premier abord le lecteur moderne, nous fa it voir comme
en un éclair que l ’anatomie en tant que science (et la remarque vaut pour toutes
les autres sciences d ’observation ou description) était tout simplement impraticable
sans une méthode qui permît d ’enregistrer les détails observés, sans un dessin
complet et précis à trois dimensions. Faute de tels relevés, la meilleure des
observations était perdue, puisqu’il n ’était pas possible de la recouper avec d’autres,
et d ’en mettre ainsi à l ’épreuve la validité générale.
Il n ’est pas exagéré d ’affirmer que dans l ’histoire de la science moderne,
l ’introduction de la perspective marqua le début d’une première période ; l ’invention
du télescope et du microscope, le début d ’une deuxième période ; et la découverte
de la photographie, celui d’une troisième : dans les sciences d’observation ou de
description, l ’image n’est pas tant l ’illustration de l ’exposé que l ’exposé même. » 2

2. Erwin Panofsky, « Artiste, savant, génie. Notes sur la Renaissance-Dàmmerung », L ’Œuvre d’art et ses
significations, trad, fr., Paris, Gallimard, 1969, pp. 118-119.
P R É D O M IN A N C E D U D A G U E R R É O T Y P E 73

Alfred Donné, Léon Foucault : « Atlas. Introduction », Cours de microscopie


complémentaire des études médicales, 1845, pp. 5-14.

Dans l’introduction de mon Cours de microscopie, j ’annonce (page 35) qu’un


Atlas doit être joint à l’ouvrage, et que cet Atlas offrira une innovation. « Il
comprendra, disais-je, des figures de deux ordres ; les unes seront exécutées
d’après les idées que je me fais de la structure intime des objets microscopiques
dont il sera question ; ces figures systématiques sont destinées à faire bien
comprendre les descriptions du texte et à les compléter. A côté de ces figures
on en placera d’autres représentant exactement les objets, indépendamment
de toute interprétation ; pour arriver à ce résultat, je n’ai voulu me fier ni
à ma propre main ni même à celle d ’un dessinateur, toujours plus ou moins
influencé par les idées théoriques de l’auteur. Profitant de la merveilleuse
invention du daguerréotype, les objets seront reproduits avec une fidélité
rigoureuse, inconnue jusqu’ici, au moyen des procédés photographiques. »
J ’ajoutais ensuite : « On se souvient des premiers essais que j ’ai faits
pour appliquer la méthode daguerrienne à la reproduction des objets
microscopiques ; il y a quatre ans j ’ai eu l’honneur de présenter à l’Académie
des sciences un microscope-daguerréotype au moyen duquel j ’avais obtenu
l’image de plusieurs objets d’histoire naturelle et de quelques tissus, tels que
le tissu osseux et le tissu dentaire ; depuis lors ces essais ont été repris avec
le plus grand succès par un jeune savant, amateur distingué de photographie.
Les résultats obtenus par M. Léon Foucault avec le microscope-daguerréotype,
non seulement sur les objets solides, mais sur les particules intimes des fluides,
telles que les globules sanguins des diverses classes d’animaux, les globules
du lait, du mucus, du pus, les zoospermes, etc., sont véritablement des plus
remarquables, et donneront une valeur particulière à notre Atlas ; notre
collection de dessins n’est pas encore complète, mais ce que nous possédons
déjà nous permet d’annoncer aux micrographes des résultats tout à fait dignes
de leur attention et de leur intérêt... »
L’Atlas que nous offrons est l’accomplissement de cette promesse ; on verra
comment nous avons réalisé notre projet ; mais, avant de donner l’explication
des planches, il est nécessaire d’entrer dans quelques détails sur nos procédés 3,
pour mettre les observateurs à même de les apprécier et de les appliquer.
[...]
En tenant compte de ces difficultés et des défauts inhérents à une première
application de procédés nouveaux, que nous croyons destinés à beaucoup
d’amélioration et d’avenir, les résultats néanmoins nous ont paru assez
satisfaisants et assez complets pour que nous ayons cru tout à fait inutile de
donner suite à notre projet de joindre des figures systématiques aux figures

3. Donné et Foucault arrivent à obtenir sur daguerréotype des images agrandies de 20 à 400 fois. Le
temps de pose varie de 4 à 20 secondes.
74 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

daguerréoty pées ; celles-ci reproduisent la nature avec une telle vérité, avec
tant de nuances, sous des aspects tellement multipliés, qu’elles nous semblent
répondre à tous les besoins ; le mélange des images systématiques et des
images naturelles n’eût servi qu'a embrouiller l’esprit du lecteur, qu’à donner
des notions fausses aux commençants, qu’à substituer des idées théoriques
aux impressions de la nature.
On remarquera, en effet, que nous ne nous sommes pas bornés à donner,
comme on le fait dans les ouvrages modernes de microscopie, des fragments,
des portions du champ microscopique ; que pour représenter, par exemple,
les globules du sang, nous n’avons pas pris quelques globules sanguins isolés,
dans des positions plus ou moins favorables à nos descriptions ; nous avons
reproduit, ainsi que nous le disions tout à l’heure, le champ microscopique
tout entier, tel qu’il est venu au daguerréotype, avec ses variétés et ses
accidents ; nous n’avons retranché que les parties confuses, déformées par
l’aberration de sphéricité sur les contours de l’image, ou par les mouvements
qui se sont quelquefois produits dans la matière pendant l’opération ; dans
quelques cas nous avons extrait de l’image daguerrienne, pour en composer
une figure, les objets particuliers que nous voulions indiquer, sur lesquels
nous désirions appeler l’attention, et qui se trouvaient décrits dans notre
ouvrage, en ayant soin de les multiplier autant que possible sous tous leurs
aspects, mais en les copiant toujours fidèlement ; c’est le seul point qu’il y
ait de factice, si l’on peut dire ainsi, dans notre Atlas, c’est la seule licence
que nous nous soyons permise, et elle était nécessaire pour éviter toute
confusion. [...]

C’est, suivant nous, un grand avantage que de reproduire les objets tels
qu’ils se trouvent disséminés dans le champ microscopique, au lieu de se
borner au choix de quelques échantillons, comme on le fait généralement
aujourd’hui. Non seulement il résulte une grande confusion de la réunion
d’une foule d’objets différents et disparates rangés, les uns à côté des autres,
dans une même planche, mais les objets disposés de cette manière perdent
absolument leur physionomie microscopique ; il est impossible que des
personnes inexpérimentées se fassent une idée juste de l’aspect microscopique
d’une substance telle que le sang, en voyant quelques globules sanguins plus
ou moins exactement dessinés de face, de champ, ou en chapelets, comme on
les donne dans les planches actuelles ; il en est de même de beaucoup d’autres
objets ; les commençants ne les reconnaissent pas, après les avoir vus figures,
la première fois qu’ils les contemplent au microscope.
Nous ne craignons pas de dire, au contraire, que nos planches rendent
exactement la physionomie microscopique, en même temps que la vérité des
détails ; c’est le champ microscopique mis à la main, et, sous ce rapport, les
images daguerriennes nous seront d’un grand secours pour les démonstrations
dans nos cours de microscopie ; ayant, en effet, conservé les figures
P R É D O M IN A N C E D U D A G U E R R É O T Y P E 75

daguerréotypées originales, les élèves auront sous les yeux les objets tels qu’ils
apparaissent au microscope, pendant la description que nous en ferons ; ils
les connaîtront bien avant de les considérer dans l’instrument, ils auront une
notion et une impression nettes de leur aspect, et n’éprouveront aucune difficulté
à les retrouver quand ils mettront l’œil au microscope. Indépendamment de
la confiance que ne peut manquer d ’établir la vue de ces images matérielles,
imprimées par la nature elle-même, avec une vérité que la main de l’homme
ne peut jamais atteindre, ces planches faciliteront singulièrement l’enseignement
de la microscopie ; c’est, pour ainsi dire, l’objet même que l’on mettra sous
les yeux et à la main des auditeurs, comme fait un professeur de botanique
qui passe dans l’amphithéâtre la feuille dont il indique les caractères et la
disposition. [...]

Lorsque nous annoncions le projet d’avoir recours aux procédés daguerriens


pour reproduire les objets microscopiques dont nous traitons dans notre
ouvrage, nous n’avions exécuté que quelques planches, suffisantes pour
expérimenter la méthode et pour prévoir ses résultats ; mais l’ensemble des
figures était loin d’être achevé. De là un double inconvénient pour notre
ouvrage et pour notre Atlas : en effet, des figures prises sur la nature même,
par un procédé rigoureux tel que celui-ci, indépendant des vues de notre
esprit et de la fidélité de notre main, nous eussent été d’un grand secours
pour la rédaction du texte, pour l’exactitude de nos descriptions ; il est évident
que dorénavant, dans un travail analogue, les figures devront être exécutées
axant l'œuvre théorique, pour lui servir de base et de guide. Quant à nous,
nous n’ÿ* manquerons pas à l’avenir ; connaissant les ressources d’un art par
lequel la nature se peint elle-même, dans les objets infiniment petits aussi
bien que dans les plus grands, nous ne négligerons pas un si précieux
avantage : avant de décrire, de tirer des conséquences de nos observations,
nous laisserons la nature se reproduire elle-même ; nous la fixerons sur une
planche daguerrienne, avec tous ses détails et ses nuances infinies, afin de la
suivre pas à pas en l’ayant, pour ainsi dire, à la main. Nous nous ferons une
loi d’appuyer chaque fait d’observation nouvelle sur une représentation
rigoureuse à l’abri de toute illusion ou d’idées préconçues ; c’est ainsi que la
science microscopique (toutes les fois du moins que la chose sera possible,
car nous ne prétendons pas que le procédé photographique soit applicable à
tous les objets) s’établira sur une base solide et incontestable.
D’après la marche que nous avons suivie et que nous venons d’exposer, à
laquelle nous avons été contraints par le progrès même d’un art naissant, on
ne s’étonnera pas que nous ayons reçu quelques démentis de la part de la
nature, et que nos descriptions ne soient pas toujours et en tous points
conformes à ce qui est sorti, pour ainsi dire, de ses mains au moyen du
daguerréotype ; nous nous y attendions, et loin de nous en plaindre, nous
nous en applaudissons comme d’un résultat éminemment favorable au nouveau
76 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

procédé de reproduction des objets d’histoire naturelle que nous cherchons à


introduire dans la science ; nous signalerons avec empressement ces contradic­
tions, en faisant toutefois remarquer qu’elles sont peu nombreuses, et que
nous pouvons nous féliciter de ne pas nous être trop éloignés de la vérité
dans nos observations. [...]

Quant au moyen de transporter sur le papier les figures exécutées à l’aide


du microscope-daguerréotype, nous avons hésité un moment ; deux procédés
s’offraient à nous : l’un consistait à transformer en gravures les planches
daguerriennes elles-mêmes, par la méthode dont nous avons donné la première
idée, et qui a été perfectionnée depuis d ’une manière si remarquable par
M. Fizeau ; ce procédé, dans lequel la plaque d’argent est attaquée directement
par un acide, et livrée à l’imprimeur en taille-douce pour en tirer des épreuves,
eût été plus conforme que tout autre au but que nous nous proposions ;
voulant rendre l’image des objets telle qu’elle se produit d’elle-même, sans
y mettre rien de systématique, aucun procédé n’eût été plus convenable que
celui-ci ; c’eût été véritablement le complément de notre système et de notre
plan.
Nous avons dû, néanmoins, renoncer à cette voie, dans laquelle il n’est pas
encore possible de s’engager avec confiance, quelque satisfaisants que paraissent
les résultats obtenus par M. Fizeau ; les produits ne sont encore ni assez
précis ni assez certains pour fonder une publication sérieuse sur l’emploi d’un
semblable moyen ; il faut attendre de l’avenir la solution complète de cet
intéressant problème.
Un autre motif nous eût encore arrêté, en supposant que les essais que
M. Fizeau a bien voulu faire lui-même, à notre intention, eussent été plus
heureux ; nous tenions beaucoup à conserver intactes les figures originales
exécutées au microscope-daguerréotype ; ce sont des titres précieux que nous
serons toujours heureux de présenter à l’appui de notre travail, et qui nous
seront, en outre, ainsi que nous l’avons dit, d’un grand secours pour les
démonstrations dans nos cours de microscopie. Par ces différents motifs, nous
avons donc préféré faire copier nos planches daguerriennes par un graveur
habile. [...] Si le résultat définitif de ce travail, si les épreuves qui composent
notre Atlas n’atteignent pas toujours au degré de vérité des images
daguerriennes, on peut dire qu’elles en approchent de très près et que plusieurs
sont irréprochables, [...]
P R É D O M IN A N C E D U D A G U E R R É O T Y P E 77

« Rapport sur un ouvrage inédit intitulé : P h o t o g r a p h i e z o o lo g iq u e , par


MM. Rousseau et Devena », Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des
sciences, t. XXXVI, 1853 (1er sem.), pp. 991-993.

L’Académie nous a chargés de lui rendre compte des essais de photographie


appliquée à la représentation des objets d’Histoire naturelle que MM.
L. Rousseau, aide-naturaliste au Muséum, et Devéria 4, artiste attaché à la
Bibliothèque impériale, ont soumis à son jugement dans la séance du 25 avril
dernier.
Les procédés photographiques mis en usage par les auteurs ne présentent
rien de particulier : ce sont ceux employés dans les ateliers de M. Lemercier,
par MM. Bisson, pour diverses publications artistiques dont il a été déjà
question ici, et, par conséquent, il ne nous semble pas nécessaire de nous y
arrêter ; mais les résultats obtenus par les auteurs sont de nature à intéresser
si vivement les zoologistes, que nous croyons devoir y appeler l’attention de
l'Académie. En effet, ces essais, bien qu’incomplets encore, réalisent en partie
les avantages que nous espérions obtenir de l’application de la photographie
aux études zoologiques, et suffisent pour montrer que, dans certains cas, cet
art nouveau est susceptible de rendre aux sciences naturelles des services plus
grands que ne sauraient le faire ni le dessin ni la gravure.
Ainsi, les corps que le zoologiste a besoin de représenter offrent souvent
une multitude de détails qui échappent à l’œil nu et qui sont cependant
nécessaires à montrer. Pour les mettre en évidence, le dessinateur est obligé
de les grossir comme si c’était à travers une loupe qu’il les voyait, et les
figures amplifiées ainsi obtenues ont rarement l’aspect de ces objets tels qu’ils
se présentent d’ordinaire dans la nature. Pour en donner une idée exacte et
suffisante, le zoologiste a donc presque toujours besoin de deux sortes
d'images : de figures d’ensemble non grossies et de figures de certaines parties
caractéristiques plus ou moins amplifiées.
Dans les planches photographiques bien faites, telles que les planches de
l’Euryale, de l’Agaricie et des Fongies, présentées à l’Académie par MM. Rous­
seau et Devéria, on n’aperçoit, pas plus que dans la nature, les détails de
structure lorsqu’on les regarde à la vue simple, et les objets représentés
conservent alors leur aspect ordinaire ; mais lorsqu’on vient à examiner ces
planches à l’aide d’une loupe, on y voit tous les détails que cet instrument
ferait voir dans l’objet lui-même, et, par conséquent, ici une seule et même
image peut tenir lieu des deux sortes de figures dont nous venons de parler
comme étant généralement nécessaires dans les ouvrages exécutés au pinceau
ou au burin. Par exemple, dans les figures de Fongies données par
MM. Rousseau et Devéria, ces Polypiers sont moins grands que dans la

4. Peintre et lithographe de l’époque romantique, Achille Devéria (1800-1857) était depuis 1849 conservateur
adjoint au Cabinet des dessins de la Bibliothèque impériale.
78 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

nature, et cependant en les examinant à la loupe, on peut non seulement


compter toutes les lames dont chacun de ces corps se compose, mais distinguer
les denticulations et les autres caractères de structure que chacune des lames
elle-même présente. Le dessinateur le plus habile n’aurait ni la patience ni
la légèreté de main nécessaires pour reproduire fidèlement tous ces détails ;
or, non seulement la photographie nous les donne, mais elle nous les donne
à bas prix.
Ces avantages de la photographie sur la gravure ne laissent pas que d’être
considérables, lorsqu’il s’agit de la représentation de corps d’une structure
très complexe, comme les Polypiers et les Echinodermes ; dans beaucoup de
cas, il faut tenir compte aussi d’un autre fait qui, à mon avis, est plus
important, et qui est une conséquence de la nature même de l’opération
photographique.
Quand le zoologiste fait un dessin, il ne représente que ce qu’il remarque
dans son modèle, et, par conséquent, l’image tracée par son crayon ne traduit
que l’idée plus ou moins complète qu’il s’est formée de la chose à reproduire,
et il est bien rare que la figure ainsi obtenue montre nettement des caractères
dont l’auteur n’aura pas tenu compte. Aussi, lorsque, par les progrès de la
science, un de ses successeurs fait intervenir, dans la solution des questions
zoologiques, des caractères dont le premier iconographe n’aurait pas fait
usage, il est bien rare qu’il les trouve fidèlement représentés dans les dessins
de celui-ci ; pour constater la présence ou l’absence de ces particularités de
structure, il ne peut donc se contenter de l’examen des figures déjà publiées,
et il est obligé; d’observer à nouveau les objets en nature.
Mais avec la photographie il pourrait en être autrement, car une image
photographique bien faite donne, non seulement ce que l’auteur a lui-même
vu et voulu représenter, mais tout ce qui est réellement visible dans l’objet
ainsi reproduit. Un autre naturaliste pourra donc y saisir des faits que le
premier n’aura pas aperçus, et faire réellement des découvertes à l’aide de
l’image, comme il en aurait fait en observant l’objet en nature.
Ces considérations, et quelques autres raisons qu’il serait trop long d’exposer
ici, nous ont fait vivement désirer que la photographie pût devenir d’un
emploi usuel pour les zoologistes, et c’est avec satisfaction que nous avons
vu un naturaliste zélé et un artiste distingué réunir leurs efforts pour arriver
à ce résultat. MM. Rousseau et Devéria sont loin d’avoir surmonté toutes les
difficultés que présente l’application de cet art nouveau à l’iconographie
zoologique, et peut-être reste-t-il encore quelque chose à faire pour donner
à leurs épreuves toute la stabilité désirable. Mais ils nous paraissent en bonne
voie, et s’ils avaient à leur disposition les instruments convenables et
les moyens d’expérimentation nécessaires, nous pensons qu’ils arriveraient
promptement à des résultats très utiles pour la science.
Commissaires, MM. Is. Geoffroy-Saint-Hilaire, Régnault, Valenciennes et
Milne-Edwards rapporteur.
PREMIERS RÊVES D’INSTANTANÉITÉ
(1841)

A nonym e

Dès 1841, / ’instantanéité apparaît comme un des principaux objectifs assignés


à l ’invention nouvelle. Saisir « des groupes de personnages en action », tel est, dès
l ’origine, le rêve. Et de nombreuses recherches, dans les années 1840 (prolongées
jusqu’aux années 1880), tenteront d ’améliorer la vitesse d’« impressionnement » —
laquelle est d ’emblée perçue comme une condition de l ’exactitude dans un monde
en pleine mutation, en constante accélération.
En réalité, le texte de L ’A rtiste surestime singulièrement les possibilités
techniques du daguerréotype. Dix ans plus tard, en 1851, Aubrée aura encore
besoin d’exposer ses plaques « trois à quatre secondes » par beau temps, « huit
à douze » par temps couvert, et c’est le double qu’il lui faudra pour opérer dans
un appartement bien éclairé et bien disposé1.
A noter que le rédacteur de L ’Artiste ne qualifie pas les portraits au
daguerréotype d ’œuvres d’art mais énonce quelques recettes suffisantes (« il suffit »)
t>our leur donner « un aspect d ’œuvre d ’art ».

- Des nouveaux procédés de la photographie », L ’Artiste, juill.-déc. 1841,


D p. 244-245.

On se souvient que la presse épuisa les formules de l’admiration pour des


résultats si nouveaux et si inattendus [du daguerréotype]. Dans cette première
ardeur, on ne songea pas un instant a s’arrêter sur ce qu’ils pouvaient avoir
d'incomplet ; les plus rares merveilles allaient, à coup sûr, se réaliser par ce
procédé si simple au premier examen ; les poètes de la science avaient donné
libre carrière à leur enthousiasme ; mais quelle que fût la portée de leurs
prévisions hardies, on ne pouvait encore apprécier d’un coup d’œil juste le
chemin qu’aurait à faire cette découverte, avant de produire les résultats*

; Aubrée, Traité opératoire de photographie sur papier, sur verre et sur plaques métalliques,
Pans. 1851, pp. 55-56.
80 I.A PHOTOGRAPH IK KN I RANC 1. 18I(>-I071

13. Louis-Jacques-Mandé Daguerre. Vue du boulevard du Temple à Paris, vers 1838. Daguerréotype.
On pourrait parler de la « vocation urbaine » du daguerréotype son apparition coïncide avec
un essor de la ville. Ses images privilégient les constructions statiques au détriment
du mouvement des habitants qui, à cause des longs temps de pose, sont effacés
(seul subsiste le personnage immobile du premier plan).

magnifiques auxquels on arrive aujourd’hui. La réalité a remplacé le rêve,


mais au prix de bien des recherches, tantôt avortées, tantôt incomplètes, les
unes satisfaisantes, sous quelques rapports, d’autres enfin qui ont dépassé
l’attente des esprits les plus audacieux. [...]

Aux perfectionnements essentiels dans la préparation des plaques s’en


joignirent bientôt d’autres, peut-être plus importants encore, en ce qu’ils
avaient pour résultat de rendre plus rapide l ’impressionnement de la couche
sensible. Les premiers pas dans cette direction furent faits par MM. Lerebours
et Gaudin, qui, après avoir analysé les conditions optiques de M. Daguerre,
les abandonnèrent comme insuffisantes, et se servirent d ’objectifs d’un très
court foyer, au moyen desquels ils purent réduire à deux ou trois minutes
l’action de la lumière qui en exigeait, avec les anciennes ressources du procédé,
quinze ou vingt, sans donner des résultats à beaucoup près aussi beaux et
aussi purs.
P R É D O M IN A N C E D U D A G U E R R É O T Y P E 81

Dès ce moment le portrait, ou plutôt la tentative de reproduire la nature


vivante, fut possible ; on trouva d’intrépides amateurs qui eurent assez de
courage pour s’exposer, les yeux ouverts, à la lumière solaire, tout en gardant
une indispensable immobilité, pendant la durée de l’insolation de la plaque.
Mais si de temps à autre on obtenait une image assez satisfaisante, dans la
plupart des cas, au lieu de portraits, on retrouvait sur le miroir métallique
des figures grimaçantes avec les muscles de la face contractés, des yeux sans
paupières ou indiqués par une touche incertaine, forcés qu’étaient les patients
de les fermer à de fréquents intervalles, pour les soustraire à la douleur que
leur causait le soleil.

Enfin, un Français, notons-le bien, M. Claudet, cessionnaire en Angleterre


d'une partie du brevet qu’y avait pris M. Daguerre, parvint, au moyen du
chlorure d’iode, à augmenter prodigieusement la sensibilité de la couche
impressionnable. Confident de cette découverte, M. Lerebours s’empressa de
la rendre publique par la voie de l’Académie des sciences ; et, dès lors, on
put sérieusement songer à reproduire, avec son expression du moment, un
visage humain. Le travail lui-même, le fini des détails, l’harmonie de
l'ensemble, la beauté des tons, ne laissent rien à désirer dans ces nouvelles
images. Ce sont en tous points des chefs-d’œuvre d’une inimitable perfection,
d'une incroyable variété. Pour que ces portraits aient un aspect d’œuvre d’art,
il suffit de choisir une pose harmonieuse, de donner une expression juste à
la physionomie, de porter des vêtements de couleurs qui se prêtent le mieux
à la reproduction instantanée et se fassent le mieux valoir les unes par les
autres ; et enfin, de se placer à une certaine distance pour atténuer quelques
effets de perspective. De la même manière on obtient des groupes charmants,
des scènes à plusieurs personnages, des vues où l’on retrouve la vie, le
mouvement, la lumière, toutes les beautés de la nature. Partis du même point
de départ que M. Claudet, MM. Gaudin et Lerebours l’ont aujourd’hui
dépassé par un nouveau perfectionnement. Après de nombreuses expériences,
ces derniers chimistes étaient parvenus à opérer en trois ou quatre secondes,
souvent même en moins de durée, selon l’état de l’atmosphère. Ils obtenaient,
à l'ombre, des portraits très bien venus et reproduisant une expression ; mais
depuis quinze jours, M. Gaudin, en se servant de bromure d’iode, qui est
encore plus sensible que le chlorure d’iode, a conduit à son dernier
perfectionnement l’invention de M. Daguerre. M. Gaudin obtient des épreuves
instantanées, c’est-à-dire des groupes de personnages en action, des vues du
Pont-Neuf avec les voitures et les piétons en marche ; des portraits d ’un
délicieux aspect, où l’on ne retrouve plus la raideur, la sécheresse des premiers
portraits au daguerréotype.
DIX ANNEES DE DAGUERREOTYPE :
PREMIER BILAN COMMERCIAL
(1848)

Chambre de com m erce de Paris (1847-1848)

Les statistiques de la Chambre de commerce de Paris couvrent les années 1847-


1848, c’est-à-dire la pleine période du daguerréotype, avant la généralisation de
la photographie qui ne s’imposera qu’au cours de la première moitié des années
1850).
La comparaison avec les statistiques sur la photographie à Paris en 1860 (cf.
pp. 341-349) et avec les données chiffrées concernant Marseille en 1868 (cf
pp. 474-477) permet de mieux comprendre les propos d ’Alophe en 1861 : « Tant
que le daguerréotype ne produisit que des épreuves sur plaques, il trouva le public
froidement disposé. La photographie proprement dite, c’est-à-dire la reproduction
et la fixation de l ’image sur papier, se produisit enfin. [Elle] prit place au
nombre des arts et des industries qui occupent une multitude d’intelligences et de
bras et mettent en mouvement des capitaux considérables. » 1
L ’analyse statistique par arrondissement est précieuse, elle permet de mieux
connaître l ’activité daguerrienne à Paris — à condition de ne pas oublier que ces
arrondissements correspondent au découpage pré-haussmannien de la capitale 12.
Les salaires mentionnés peuvent être comparés aux estimations de François
Simiand (Le Salaire, l’évolution sociale et la monnaie, Paris, 1932) selon
lesquelles en 1860 à Paris 12,3 % des hommes gagnent moins de 3 francs par
jour, 71,8 % entre 3 et 5 francs et 15,7 % plus de 5 francs.

1. Alophe, Le Passé, le présent et l ’avenir de la photographie, Paris, 1861, p. 10.


2. En 1860, par suite de l’annexion des communes situées à l’intérieur des fortifications. Pans s’agrandit
d ’une partie correspondant environ à celle qui s’étend du X IIe au XXe arrondissement d ’aujourd’hui Le
IIe arrondissement de l’époque se situait sur une partie des IX e, IIe et Ier actuels ; le Ve, sur une partie
des Xe, IIe et IIP ; le V Ie sur une partie des X Ie et II Ie ; le X Ie correspondait approximativement au
V Ie actuel, prolongé jusqu’à la rue Saint-Jacques.
P R E D O M IN A N C E D U D A G U E R R E O T Y P E 83
DAUlIKKRfeQTVPK (fabricant! da poiiralla au;
84 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

S ta t i s t i q u e s d e l ’i n d u s t r i e à P a r i s , Chambre de commerce de Paris, édition de 1851,


pp. 515-516.

Faits et observations concernant les fabricants de portraits au daguerréotype


et leurs ouvriers.
Nature de l’industrie.
La découverte du daguerréotype a rapidement développé une industrie
nouvelle. A mesure que des perfectionnements nouveaux ont permis de
reproduire les objets avec plus de rapidité, la fabrication des portraits au
daguerréotype a pris un développement qui s’accroît tous les jours.
Ce tableau comprend les portraitistes au daguerréotype et quelques
fabricants de passe-partout travaillant uniquement pour eux.
Les fabricants de plaques sont restés avec les fabricants de plaqué et les
planeurs.
Nombre des industriels : 56 ont été recensés, parmi lesquels 2 figurent en
même temps sur d’autres tableaux :
1 occupe plus de 10 ouvriers;
4 occupent de 2 à 10 ouvriers ;
13 occupent 1 ouvrier ;
38 travaillent seuls.
Importance des affaires.
En 1847, les affaires des 56 recensés se sont élevées à 346 500 F. Moyenne
par industriel : 6 187 F.
2 font pour 25 000 F d ’affaires et plus ;
10 font de 10 000 F à 25 000 F ;
8 font de 5 000 F à 10 000 F d’affaires ;
34 font de 1 000 F à 5 000 F ;
2 font moins de 1 000 F.
La moyenne par ouvrier employé est de 7 219 F. Si l’on considère comme
ouvriers les petits patrons occupant moins de 2 ouvriers, la moyenne descend
à 3 500 F.
En 1848, les affaires sont tombées à 135 145 F : la réduction a donc été de
61 p. 100. Par suite, 27 ouvriers sur 48, ou 56 sur 100, ont été congédiés
pendant les quatre mois qui ont suivi février.
Siège de l’industrie
Le 2e arrondissement contient 14 recensés ;
Le 5e en contient 9 ;
Le 6e en contient 9 ;
Le 11e en contient 8.
Les affaires s’élèvent à 95 500 F pour le 2e arrondissement ; et à 73 200 F
pour le 11e.
P R É D O M IN A N C E D U D A G U E R R É O T Y P E 85

Ouvriers
Sombre : la population ouvrière s’élève à 48 individus, savoir :
28 ouvriers travaillant à l’atelier,
6 ouvriers travaillant au dehors ;
8 ouvrières travaillant à l’atelier ;
3 jeunes garçons de 6 à 12 ans ;
3 jeunes garçons de 12 à 16 ans.
Professions diverses : chez beaucoup de portraitistes, c’est le patron lui-même
qui prépare et polit la plaque ; chez d’autres, des ouvriers sont employés à
ce travail préparatoire.

Salaires
Hommes : le nombre des ouvriers est de 34 :
31 sont payés à la journée ;
2 sont payés à la pièce ;
1 est engagé au mois.
33 ouvriers sont payés à la journée ou à la pièce ; la somme de leurs salaires
journaliers s’élève à 130 F 25 c : moyenne par jour et par tête, 3 F 95 c.
2 reçoivent moins de 3 F par jour ;
31 reçoivent de 3 à 5 F par jour.
Ceux qui ont un salaire inférieur à 3 F ont 2 F 50 c par jour.
1 ouvrier engagé au mois gagne 100 F ; il est logé.
Femmes : le nombre des ouvrières est de 8 :
6 sont femmes de patron ;
1 est payée à la journée et gagne 2 F par jour ;
1 est engagée au mois ; elle est nourrie et logée, et gagne 25 F.
il

Apprentissage
6 jeunes gens sont considérés comme apprentis. Voici comment les font classer
la nature et la durée de leurs contrats :
2 sont engagés pour 4 ans 6 mois :
2 par contrat verbal, ils sont nourris et logés.
4 sont engagés pour 4 ans :
4 par contrat écrit, 3 sont nourris et logés, 1 n’est ni nourri, ni logé ; il
touche une gratification de 0 F 50 c par jour.
En résumé :
4 sont engagés par contrat écrit ;
2 sont engagés par contrat verbal.
2 sont nourris et logés sans gratification ;
3 sont nourris et logés sans gratification ;
1 n’est ni nourri ni logé, avec gratification.
86 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

Mœurs et habitudes
Les renseignements relatifs aux mœurs et aux habitudes des ouvriers sont
applicables :
Pour l’instruction, à 30 hommes sur 34 ;
Pour le domicile, à 32 hommes pour 34 ;
Pour la position, à 9 hommes sur 34 ;
Pour la conduite, à 7 hommes sur 34 ;
Pour le travail, à 6 hommes sur 34.
Résumes et classés, ces renseignements conduisent aux résultats suivants :
Tous les ouvriers savent lire et écrire.
Sur 32 ouvriers, 30 sont dans leurs meubles ; 1 habite chez ses parents ; 1 loge
en garni.
Le nombre des femmes est trop peu considérable pour que leurs mœurs et
habitudes soient l’objet d’une appréciation qui puisse être généralisée.

Chez 39 d’entre eux, en janvier,


Chez 38 en février,
Chez 30 en mars,
Chez 24 en décembre
Chez 19 en novembre,
Chez 14 en octobre.
TENTATIVE D’UNE PRODUCTION
INDUSTRIELLE
(1851)

L ouis-D ésiré BLANQUART-ÉVRARD (1802-1872)

U succès du daguerréotype face aux images manuelles (miniature, dessin) reposait


sur son « exactitude », sa rapidité et son faible coût (relatif) d’exécution. Restait
un handicap : sa non-reproductibilité, qui le cantonnait presque exclusivement dans
le portrait. Dès 1841 Fizeau (cf. p. 76) a certes obtenu, sans intervention de la
main, des gravures à l ’encre grasse d’imprimerie à partir d’un daguerréotype. Il
s'agissait là d’un exploit salué par Nicolas-Marie Paymal Lerebours 1 qui publie
dans ses Excursions daguerriennes (1842-1844) trois gravures tirées à l ’encre
d'imprimerie à l’aide de planches gravées d’après des daguerréotypes selon la
méthode Fizeau 12. Mais son procédé n’était ni fiable, ni rentable. Il faudra
attendre 1847 pour que se conjuguent pratiquement l ’« exactitude » et la
reproductibilité grâce à la réactivation du système négatif/positif découvert par
l ’Anglais Fox Talbot dès 1834. La mise en œuvre de ce système se fera en deux
cycles successifs : celui du négatif à partir de 1847, celui du positif après 1851.
Le cycle du négatif débute en janvier 1847 quand Blanquart-Evrard, négociant
en drap à Lille, présente à l ’Académie des sciences une rationalisation de la
méthode de fabrication des négatifs sur papier (calotypes) élaborée par Talbot en
1841. D ’octobre 1847 à juin 1848, Niépce de Saint-Victor (neveu de Nicéphore
Niépce) remplace pour le négatif le papier (dont le grain altère la finesse de
l'image) par du verre enduit d ’abord d ’amidon puis, en 1848, d’albumine. Mais
celle-ci réduit la sensibilité des sels d ’argent à la lumière : en 1851, Le Gray et
Archer lui substituent donc le collodion qui, selon Mayer et Pierson, « s’impressionne

1. Fabricant d’instruments d’optique, occasionnellement éditeur. Voir supra, pp. 60-61.


2. Lerebours note dans l’introduction du second volume de ses Excursions daguerriennes (1842-1844) intitulée
- Avis aux souscripteurs (épreuves de daguerréotype transformées en planches gravées— procédé Fizeau) » :
- Depuis le mois de janvier nous n’avons pas fait paraître une seule feuille des Excursions daguerriennes ;
un grand nombre de souscripteurs nous ayant adressé des plaintes à ce sujet, nous leur devons une
explication [...].
Depuis longtemps, les personnes qui s’occupent d ’art, celles qui se tiennent un peu au courant des
nouvelles scientifiques, savaient que l’on s’occupait de transformer les épreuves de daguerréotype en
planches gravées ; mais, quoique l’on connût toute la sagacité de l’habile chimiste auquel nous devons
déjà le chlorure d’or et l’eau bromée, tant de difficultés semblaient insurmontables dans cette entreprise,
88 I.A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1R 16-I871

au contact des rayons lumineux avec une rapidité merveilleuse » et, ajoutent-ils,
« porte presque le dernier coup à la photographie sur plaque » ’ (le daguerréotype).
A cette même époque, est créée la Société héliographique qui publie à partir
du 9 février 1851 le premier journal (hebdomadaire) photographique français -
La Lum ière. Dès mars la nouvelle société inaugure de fa it le cycle du positif
en nommant une commission d’étude pour la création d ’une « imprimerie
photographique » destinée au tirage des épreuves positives. Blanquart-Evrard joue
ici encore un rôle décisif, comme en témoigne sa lettre publiée dans La Lum ière
du 13 avril 1851, où il exprime sa volonté d’engager la photographie dans une
voie résolument industrielle. Il fonde une « imprimerie photographique » à Loos-
les-Lille au cours de l ’été, et publie en septembre 1851 son premier recueil de
photographies collées sur carton : L ’Album photographique de l’artiste et
de l’am ateur. Blanquart-Èvrard compte beaucoup sur l ’édition d’art pour assurer
un «débouché pour ses produits» et s ’emploie à adapter sa production (prix,
régularité et rapidité de livraison, sujets) aux exigences des éditeurs.

Lettre, publiée dans La Lumière, 13 avr. 1851 (n° 10), pp. 37-38.
La Société héliographique a mis à l’étude la question d’une imprimerie
héliographique. Dans son numéro du 30 mars, le journal La Lumière rend
compte de la délibération de la commission. La véritable question industrielle
ne me paraît pas avoir été touchée dans cette discussion. Pour qu’une industrie
puisse prospérer, il lui faut deux conditions indispensables :
1) un travail suivi ;
2) un débouché pour ses produits.
Dans l’état actuel de la photographie, ces deux conditions ne peuvent être
remplies. En effet, comment tirer des épreuves positives dans les jours
d’averses ? Il est tel cliché qui ne permet pas l’épreuve positive sans soleil
et le plus grand nombre exigent des heures entières à l’ombre pour dégager
une épreuve. Que fera le personnel de la fabrique pendant ces jours sans
lumière ? Et combien ce chômage forcé ne viendra-t-il pas augmenter le prix
de revient !

que personne ne croyait à un succès : depuis huit jours ce succès est devenu certain, et les résultats
obtenus ont été présentés à l’Académie des sciences [brevet : 7 déc. 1843, présentation de la méthode
complète à l’Académie le 8 juill. 1844], Nous avons pensé que les souscripteurs des Excursions daguerriennes
nous sauraient gré d ’être les premiers à connaître cet admirable résultat, et nous avons fait faire un tirage
à part d’une épreuve de l’un des bas-reliefs de Notre-Dame de Paris. Nous prions nos souscripteurs de
vouloir bien accepter ce premier spécimen, en dédommagement du retard que nous avons apporté dans
notre publication.
3. Mayer et Pierson, La photographie considérée comme art et comme industrie, 1862, p. 83.
P R É D O M IN A N C E D U D A G U E R R É O T Y P E 89

Mais cette cause n’est pas la plus grave ; une industrie a des obligations
à remplir, des exigences à satisfaire. Un éditeur qui livre tous les huit jours,
tous les mois, sa livraison à ses souscripteurs, ne pourra admettre des retards
qu’exceptionnellement. Or, l’exception, dans certaines saisons ce sera l’état
normal ; en outre, limitée dans sa production, l’imprimerie photographique
sera paralysée, en admettant que le prix de ses produits puisse se trouver en
rapport avec les exigences de l’industrie. Or, c’est là, évidemment une
impossibilité ; les membres de la commission, qui ont fixé à 1 F ou 1 F 50 c
une bonne épreuve positive, font bien certainement erreur. Il y. a autre chose
que le prix des matières employées en fait d’industrie, il y a la valeur du
temps, le travail des employés, etc., etc. ; et en impression photographique,
Farticle rebut, qui, si on veut ne livrer à la consommation que des bons
produits, sera plus considérable que l’article de choix.
Il faut donc sortir de la voie actuelle. Pour fonder une industrie
photographique, en d’autres termes une imprimerie, il faut :
11 Des moyens de production en dehors des caprices du soleil.
2j II faut que cette production soit possible dans des limites illimitées, pour
ainsi dire et, dans un temps donné, [qu’elle offre] la possibilité de pouvoir
fournir les commandes.
3) Que le prix de revient soit tel, enfin, que les applications en soient possibles
à la librairie. [...]
Dans le traité de la photographie que j ’ai sous presse 4, j’ai consacré un
article à ce genre de recherches, et j ’ai proposé un moyen qui réunit ces
conditions, puisqu’il faut moins d ’une minute pour imprimer une épreuve
positive 5, laquelle peut être livrée le même jour à l’amateur. En admettant
une usine bien montée, un type [cliché négatif] peut fournir 2 à 300 épreuves
par jour, et on pourrait, en faisant marcher trente types par jour, dégager
5 à 6 000 épreuves très facilement.
Le prix de revient de l’épreuve obtenue ainsi industriellement serait de 5
à 15 centimes, suivant sa dimension. 6

4 . Blanquart-Évrard, Traité de photographie sur papier (introduction de Georges Ville), 1851.


5. Avant Blanquart-Evrard le noircissement des épreuves positives s’effectuait par simple exposition du
papier sensible placé sous un négatif dans un châssis exposé souvent pendant plusieurs heures à la lumière
du jour. Blanquart-Evrard propose d ’insoler de cette manière le papier sensible quelques minutes seulement,
l'image latente alors obtenue ne devenant visible qu’après développement dans un bain révélateur à l’acide
eallique. Le gain de temps est par cette méthode considérable.
♦j. Dans un mémoire adressé à l’Académie des sciences (1851, t. X X X II, p. 555), Blanquart-Évrard note ;
* Jusqu’à présent, la photographie a été bannie du domaine de l’industrie, ses produits sont trop chers
et les procédés qui servent à les obtenir trop longs et trop compliqués pour qu’on ait pu établir des
fabriques d’épreuves, comme on établit des imprimeries en taille-douce ou des ateliers de lithographie.
Dans les circonstances présentes, on ne peut pas obtenir plus de trois à quatre épreuves positives par jour
avec le même cliché, et encore chacune d ’elles exige-t-elle un traitement de plusieurs jours ; aussi se
vendent-elles de cinq à six francs. »
II
LES DÉBUTS
DE LA
PHOTOGRAPHIE

1850-1855
UNE « IMPRIMERIE PHOTOGRAPHIQUE »
(1851-1855)

T hom as SUTTON (1819-1875)

Ce n'est pas Blanquart-Évrard mais son collaborateur puis associé Thomas Sutton
qui nous a décrit le fonctionnement de T« imprimerie photographique » de Loos-
les-Lïlle. Celle-ci, de 1851 jusqu'à sa fermeture en 1855, produira environ 100 000
épreuves tirées d'après 550 clichés et publiées en 24 albums 1.
L'image est le résultat d'une suite d'opérations : la sensibilisation du papier
et son exposition, le développement chim ique de l’épreuve (c’est une innovation
capitale) 12, son virage-fixage, son lavage-séchage, sa soumission à l ’action du soleil
et son montage.
Pour obtenir l'épreuve « industriellement », Blanquart-Evrard affecte à chacune
de ces étapes de la production une pièce et une main-d’œuvre (essentiellement
féminine) spéciales : la division du travail règne dans son « usine ». De 1851 à
1855, grâce à son action cumulée sur la technique et l ’organisation du tirage,
Blanquart-Évrard divise le prix moyen d'une épreuve globalement par deux, mais
ne peut comme il l ’espérait (cf. pp. 88-89) l ’abaisser à 5 ou 15 centimes : le jury
de l ’Exposition universelle de 1855 note cet effort et ses limites (cf. p. 190).
Il est difficile d’estimer le nombre des employés de l ’« imprimerie », mais les
sept opérations successives — certaines comme le développement, le virage-fixage
ou le lavage-séchage « occupant autour de chaque table plusieurs jeunes filles »
— permettent d ’estimer ce nombre à 30 ou 40.
Un calcul rapide des temps nécessaires pour produire une épreuve indique que
— même sans compter son exposition « pendant plusieurs semaines à l ’action
directe du soleil » — nous sommes loin d ’atteindre le but que s ’était fix é Blanquart-
Evrard : «Livrer [les épreuves] le même jour à l ’amateur» (cf. p. 89).

1. Isabelle Jammes, Blanquart-Évrard et les origines de l’édition photographique française, Genève, 1981. Si certains
albums ne comptent qu’une dizaine de planches, d’autres en comptent de 36 à 67, voire 125 pour Égypte,
Nubie, Palestine et Syrie de Maxime Du Camp et même 174 pour Jérusalem d ’Auguste Salzmann.
2. Sur cette innovation, voir p. 89, note 5.
LE S D É B U T S D E LA P H O T O G R A P H IE 93

« Tirage des positifs par M. Blanquart-Évrard », Bulletin de la Société française de


photographie, août 1862, pp. 203-208 (traduit d’après Photographie News, févr. 1862).

Le papier était d’abord plongé pendant quelques heures dans une solution
contenant :
Eau ........................................................................................................... 31,09 g
Gélatine ....................... 0,256 g
Iodure de potassium .............................................................................. 0,256 g
Bromure depotassium ........................................................................... 0,064 g

On le suspendait ensuite pour sécher. C’était du papier Canson, et l’iodure


lui communiquait une couleur rouge pâle. L’opération suivante consistait à
le soumettre à la vapeur de l’acide chlorhydrique. Dans une grande cuvette
en plomb [...] l’exposition de la feuille au contact du gaz chlorhydrique durait
[...] un quart d’heure ; après ce temps, le papier était enlevé et étendu
immédiatement sur le bain de nitrate, où il restait un autre quart d’heure.
Il y avait plusieurs bains de nitrate en travail à la fois, et la pièce dans
laquelle avait lieu la sensibilisation était munie au centre d’une étuve ronde
qui la maintenait à une température aussi chaude que celle des serres à
palmiers du jardin de Kew. Après avoir enlevé la feuille du bain de nitrate,
on épongeait l’excès de solution avec du papier buvard, puis on la suspendait
devant l’étuve jusqu’à dessiccation. Les feuilles de papier buvard étaient
ensuite séchées, puis employées de nouveau au même usage, enfin brûlées,
et l’argent retiré des cendres.
Aussitôt que le papier sensible était sec, il était exposé sous le cliché ; cette
exposition avait lieu par une fenêtre ouverte au sud. Le châssis positif était
muni de galets et pouvait avancer et reculer sur un chemin de fer horizontal ;
la fenêtre était munie d’un obturateur susceptible de se lever et de s’abaisser
comme une guillotine. Un tuyau en plomb communiquait entre la chambre
de développement, et celle où se faisait l’exposition, et les jeunes filles
employées au développement s’en servaient pour prévenir celle qui suivait
l’exposition, et lui indiquer s’il fallait augmenter ou diminuer le temps de
pose. Celui-ci variait de trois à vingt secondes, suivant l’intensité de la
lumière. Le papier était placé simplement sur un verre, recouvert du cliché
d’abord, puis d’un autre verre. Sous le papier sensible, on ne plaçait pas de
flanelle, et c’était là un usage qui diminuait la netteté. L’habitude d’enlever
le nitrate d’argent libre au moyen du papier buvard produisait le même effet.
Au sortir du châssis, on apercevait sur le papier une trace, aussi faible qu’on
peut se l’imaginer, de l’épreuve produite. [...]
Les cuvettes à développement mesuraient environ 30 pouces de long sur 20
de large ; le fond était en verre et enchâssé dans des côtés en bois de 2 pouces
de hauteur. Les côtés et les coins étaient rendus étanches au moyen de cire
94 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

et de résine. Dans chacune de ces cuvettes on développait à la fois un grand


nombre d’épreuves, en les tournant et retournant continuellement au sein de
l’acide gallique. Les cuvettes n’étaient lavées que chaque soir, lorsqu’on
arrêtait le travail, et toutes les épreuves, celles entre autres qui composent
L ’Album photographique de l’artiste et de l’amateur, étaient, au premier moment,
couvertes de taches marbrées qu’il était facile d’enlever ensuite...
Le développement avait lieu dans une pièce très chaude, dont la température
était de 80 °Fah. (26 °C) environ ; le temps exigé par chaque épreuve était
à peu près de vingt minutes, et autour de chaque table se trouvaient
plusieurs jeunes filles, chacune surveillant les épreuves, à différents états de
développement, que renfermait sa cuvette.
Aussitôt que l’épreuve était complètement développée, on l’enlevait et on
la portait dans une autre pièce, où, après l’avoir laissée égoutter quelques
secondes, on la plongeait dans une solution d’hyposulfïte neuf, à 5 pour 100.
On la laissait vingt minutes dans ce bain, puis on l’immergeait dans une
deuxième solution d ’hyposulfite de la même force, où on la laissait vingt
minutes encore. De ces deux solutions, la première était nommée l’hyposulfite
de virage, la seconde l’hyposulfite de fixage. Si l’épreuve eût été lavée, et si
le premier bain eût été trop concentré, l’épreuve aurait trop perdu et aurait
pris un ton rouge désagréable. Mais comme l’épreuve n’avait pas été lavée,
elle donnait au premier bain la propriété de produire un léger virage et de
donner aux épreuves la belle coloration qui rend remarquables les photo­
graphies de M. Blanquart-Evrard. [...]

Après le virage et le fixage, venait le lavage. Au rez-de-chaussée de


l’établissement était une grande pièce renfermant de vastes cuves munies
chacune d’un faux fond facile à enlever. Dans ces cuves, on plaçait les
épreuves que l’on agitait fréquemment, en changeant l’eau toutes les demi-
heures. Au bout de quelques heures de ce traitement, le lavage était suffisant.
Lorsque l’épreuve était ainsi débarrassée de l’hyposulfite, on la plaçait dans
un bain d’eau acidulée par l’acide chlorhydrique ; ce lavage enlevait un dépôt
jaunâtre qui s’était produit dans les pores du papier. L’épreuve était alors
lavée de nouveau, puis abandonnée à la dessiccation. Une fois sèches, les
feuilles étaient suspendues sur une corde dans une pièce vitrée, et là soumises
pendant plusieurs semaines à l’action directe du soleil ; sous cette influence,
elles s’amélioraient et se fonçaient, leur coloration rouge tournant au pourpre
noir.
Ainsi terminées, les épreuves étaient ajustées, collées avec de l’empois, puis
passées à la presse entre des plaques de fer chauffées.
COMME LA PEINTURE...
(1851-1852)

G ustave L e GRAY (1820-1882) ;


L ouis-D ésiré BLANQUART-ÉVRARD (1802-1872) ;
H enri de LACRETELLE (1815-1899) ; C harles BAUCHAL

Ancien élève de Delaroche, se qualifiant lui-même de « peintre-photographe » (et


non l ’inverse) 1, Gustave Le Gray aime à cultiver sa réputation de créateur tout
entier voué aux seuls intérêts supérieurs de l ’art. Mais s ’il s’affirme pour « la
qualité » contre le « bon marché » des épreuves, pour l ’art contre « l ’industrie et
le commerce », il n’en lance pas moins un appel aux « éditeurs », les engageant
à visiter ses ateliers où « une organisation entendue permet de fournir au commerce
cent épreuves par jour ».
Publiés en septembre 1852, soit plus d’un an après l ’ouverture de l ’« imprimerie
photographique » de Loos-les-Lille, les propos de Le Gray peuvent apparaître
comme une réponse différée aux choix de Blanquart-Evrard, et peut-être même,
sous couvert de divergences à propos du tirage, comme l’expression d’une concurrence
commerciale entre Le Gray à Paris et Blanquart-Evrard à Lille.
Chaleureux partisan d’une «industrie» de l ’image, ce dernier n ’en est pas
moins fort attentif aux rapports de la photographie et de l ’art. En assimilant,
comme il le fa it ici, la photographie à la peinture, il cherche à conférer à la
première la légitimité qui lui fa it cruellement défaut — au point de freiner son
essor, même industriel \
Poète et écrivain de convictions républicaines, Henri de Lacretelle est, en matière
de peinture, un partisan des doctrines idéalistes. En février 1852, nouvellement
converti à la photographie, il décline, dans une sorte d’autocritique de son attitude
passée, les dualismes qui charpentent la plupart des discours de l ’époque : la
photographie et la peinture s ’y opposent comme métier!art, matériel/spirituel.12

1. Dans VAnnuaire général du commerce (Didot) de 1856, Gustave Le Gray se présente ainsi : « Le Gray,
peintre d’histoire et photographiste, portraits sur papier, reproduction de tableaux, vues de France et
objets d’art, imprimerie photographique et leçons de photographie, Chemin de ronde de la barrière de
Clichy, 7. »
2. L’emploi délibéré du mot « tableau » participe de la même logique. Cette dépendance à l’égard du
discours de l’art ne se relâchera guère au cours des décennies suivantes. Le terme «photographiste» reste
en revanche une exception qui ne survivra pas après 1852.
96 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

16 Adolphe Braun, Nature m orte avec cerf e t canard


sauvage, vers 1865. Tirage au charbon'négatif verre -
Ces deux épreuves témoignent d'une véritable
fascination pour la peinture. Mais si Le Secq joue sur
15. Henri Le Secq, Deux Harengs saurs, vers 1855. l’effet de texture autorisé par le négatif en papier
Tirage de couleur bleue sur papier (calotype). Braun met la finesse du négatif en verre
(cyanotypeFnégatif papier. au service d'une composition fidèle à la tradition
des natures mortes du xvne siècle.

« miroir »/« vision », « modèle copié »! « sujet composé », « précision »! « vague


de la pensée», imitation/« inspiration », machine/individualité du peintre, etc.
« Le photographe n ’est pas la roue motrice d’une machine » lance pour sa part
le chroniqueur de La Lumière, Charles Bauchal, dans un compte rendu de l ’une
des « soirées photographiques » organisées par son collègue Ernest Lacan 153. Il voit
la preuve de ses affirmations dans le fa it que de nombreux peintres pratiquent
la photographie et que celle-ci dispose selon lui, « comme les autres branches de
l ’art », d ’écoles esthétiques : « l ’école des fantaisistes et l ’école des réalistes, celle
des coloristes et des dessinateurs ».

3. Entre 1852 et 1855, c’est-à-dire après la disparition de la Société héliographique et avant la création
de la Société française de photographie, Ernest Lacan, collaborateur puis rédacteur en chef de La Lumière,
organise des soirées qui rassemblent à son domicile photographes, artistes, critiques d ’art et personnalités
scientifiques. Il contribue ainsi à créer autour de lui un milieu parisien de praticiens et d ’amateurs.
LE S D É B U T S D E LA P H O T O G R A P H IE 97

Au-delà de leurs particularités, les propos de Le Gray, Blanquart-Evrard,


Lacretelle et Bauchal sont marqués, en ce début des années 1850, par une même
mystique de l ’artiste. Selon eux, l ’artiste détient le pouvoir exclusif de transcender
en œuvre d’art les produits triviaux de la physique et de la chimie, d’éclairer de
son esprit la chambre obscure, et de transformer en vision ce qui, sans lui, ne
serait que miroir.
Entre les mains d’un artiste, la photographie peut produire des œuvres d’art
car, dit Le Gray, le procédé, loin d’être purement mécanique, est flexible et autorise
une * variété d ’interprétation infinie », comme en peinture. Variété suggérée par
le modèle à reproduire et l ’effet souhaité, ajoute Blanquart-Evrard, — ou bien,
précise Bauchal, déterminée par l ’appartenance à tel ou tel courant esthétique
(«romantiques », «classiques », etc.).
Blanquart-Evrard note toutefois qu’une moindre liberté vis-à-vis du monde
extérieur fa it de la photographie « un art dont l ’horizon est plus borné que celui
de la peinture ». Quant à Le Gray, il pose comme condition essentielle de l ’art
photographique la fameuse « théorie des sacrifices » 4 héritée de la peinture et déjà
invoquée par Francis Wey quelques mois plus tôt (cf. pp. 120-121).
Ce qui frappe une nouvelle fois ici, c’est l ’extraordinaire dépendance de la
photographie à l ’égard de la peinture ; elle lui emprunte son discours et même
parfois la forme de ses images (que l ’on songe aux choix esthétiques de nombre
de calotypistes du début des années 1850 : Gustave Le Gray, Henri Le Secq,
Louis-Rémy Robert, Louis-Alphonse Davanne, Paul Delondre, Frédéric Flachéron,
etc.) .
Cette dépendance (voire cette soumission) est également perceptible dans les
stratégies de légitimation du nouveau procédé. Convaincu (ou feignant de croire)
qu’une photographie peut être reconnue comme une œuvre d’art, Le Gray envoie
neuf épreuves au Salon de 1850 : d’abord admises à figurer parmi les lithographies,
elles seront finalement refusées 5.
Lacretelle, qui note en mars 1852 dans La Lum ière qu’une « administration
intelligente devrait prendre l ’initiative d ’une exposition photographique », ne peut
manquer d’approuver l ’initiative de Le Gray ; il ajoute qu’ouvrir à la photographie
« une des salles du Louvre serait faire acte de justice, de courtoisie et de vigilance »,
avant de conclure : « Elle a droit à avoir un musée en France » 6.

4. Définition du « sacrifice » selon Littré : « Terme de peinture. Artifice qui consiste à négliger certains
accessoires d’un tableau, pour mieux faire ressortir les parties principales. » Voir aussi la phrase de
Delacroix {Journal, 13 janvier 1857) : « Sacrifices. Ce qu’il faut sacrifier, grand art que ne connaissent pas
les novices. Ils veulent tout montrer. »
5. Francis Wey, « De l’influence de l’héliographie sur les beaux-arts », La Lumière, 9 fevr. 1851 (n° 1), p. 2.
Cf. infra, pp. 108-114.
6. Henri de Lacretelle, «Revue photographique», La Lumière, 20 mars 1852 (n° 13), p. 49.
98 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-187]

17. Henri Le Secq, Nature m orte au compotier, vers 1860. Tirage moderne/négatif papier.
Épreuve extraite d'une série d'une soixantaine de natures mortes intitulée « Fantaisies ». -
Peintre et photographe adepte du calotype. Le Secq joue sur la texture du papier et sur
le classicisme de la composition pour donner a l'image certaines qualités d'un dessin.

Il faudra attendre 1855 pour que la Sociétéfrançaise de photographie nouvellement


créée organise dans ses locaux la première exposition de photographies. Exposer
aux côtés des peintres : cette revendication n’aboutira partiellement qu’en 1859.
La photographie sera alors montrée au Salon, mais dans un espace séparé de celui
réservé aux Beaux-Arts (cf. pp. 318-324).

Gustave Le Gray : P h o to g r a p h ie , t r a i t é n o u v e a u , th é o r iq u e e t p r a t i q u e ,
1 8 5 2 , p p . 1 - 3 .

Parmi les inventions de notre époque, la photographie est une de celles qui
sont appelées à rendre le plus de services à l’art.
Son influence sur la peinture sera d’une portée immense ; car en même
temps qu’elle éclaire le peintre sur les difficultés de son art, elle épure le goût
LE S D É B U T S D E LA P H O T O G R A P H IE 99

du public, en l’habituant à voir la nature reproduite dans toute sa fidélité,


et souvent avec des effets d’un goût et d ’un sentiment exquis.
Déjà on a pu se convaincre de cette influence par les dernières expositions
des tableaux. Les mauvais portraits y étaient plus rares et l’effet dans les
compositions généralement mieux entendu.
Les toiles qui attiraient le plus l’attention du public étaient justement celles
qui approchaient le plus du rendu de sentiment d’une belle épreuve
photographique.
Certes, je suis loin d’entendre par là qu’une bonne peinture doit avoir
l’exécution minutieuse, microscopique d’une plaque daguerrienne.
A mon point de vue, la beauté artistique d’une épreuve photographique
consiste au contraire presque toujours dans le sacrifice de certains détails, de
manière à produire une mise à l’effet qui va quelquefois jusqu’au sublime de
l’art.
Aussi est-ce surtout entre les mains des artistes que l’instrument de Daguerre
peut arriver à donner des résultats complets. En variant la mise au point,
le temps de la pose, l’artiste peut faire valoir ou sacrifier telle ou telle partie,
produire un effet puissant d’ombres et de clairs, ou bien un effet d’une
douceur et d’une suavité extrêmes, et cela en copiant le même site, le même
modèle.
Il n’y a donc vraiment que l’artiste ou l’homme de goût qui puisse obtenir
sûrement une œuvre parfaite à l’aide d’un instrument capable de rendre le
même objet avec une variété d’interprétation infinie, puisque lui seul a
l'intuition de l’effet qui convient le mieux au sujet qu’il reproduit.
Depuis son origine, la photographie a fait des progrès rapides, immenses
sous le rapport des procédés mécaniques. Ceux qu’il lui reste à faire seront
produits lorsque le goût de ceux qui s’en occupent sera épuré.
Cette tâche à remplir appartient, à mon avis, à l’administration des musées
seule.
C’est en admettant au salon, au milieu des productions des artistes, les
bonnes épreuves photographiques qu’elle encouragera ceux qui s’occupent de
cet art nouveau à persévérer dans leurs efforts.
Ne pas prendre cette mesure, c’est enlever aux photographistes sérieux
l’occasion et le moyen d’être justement appréciés ; c’est les abandonner à un
public dont le goût n’est pas encore formé, et qui préfère les enluminures
aux œuvres vraiment artistiques ; c’est jeter le dégoût dans leur esprit, c’est
tuer la photographie dans son berceau.
L’administration des beaux-arts doit des encouragements à la photographie
comme à toutes les autres branches de l’art. La meilleure manière d’atteindre
le but serait à coup sûr d’exciter l’émulation de ceux qui s’en occupent, en
détruisant le préjugé si faux qu’il n’y a pas d’art à faire une belle épreuve,
et que tout le mérite en appartient à la machine. Chacun s’étonne et regrette
que l’administration ait refusé jusqu’à ce jour d’entrer dans cette voie ; mais
100 LA PHOTOGRAPHIE EN -RANCE 1816-1871

18. Charles Marville. Barrière ouverte, « Études photographiques ». 1853.


Tirage papier salé/négatif papier. - Les séries « Études photographiques » et « Études et paysages »
tirées et publiées par Blanquart-Évrard rassemblent des épreuves de
feuillages et de forêts conçues comme une documentation pour les peintres.

on espère aussi généralement qu’il n’en sera pas de même à l’avenir, et que
la direction des musées, mieux éclairée sur la portée et les services de la
photographie, lui accordera l’année prochaine son droit de cité.

Gustave Le Gray : P h o to g r a p h ie , t r a i t é n o u v e a u , th é o r iq u e e t p r a t i q u e ,
1 8 5 2 , p p . 7 0 - 7 1 .

Peut-être trouvera-t-on que ces manipulations élèvent le prix de revient d’une


épreuve, et par les soins à y donner, et par la dépense de produits chimiques
coûteux.
Je ferai observer que ce sont là des considérations auxquelles on ne doit
pas s’attacher.
Le progrès de la photographie n’est pas dans le bon marché, mais bien
dans la qualité d’une épreuve.
LES DÉBUTS DE LA PHOTOGRAPHIE 101

19. A. Briquet, Fontainebleau, vers 1850. Tirage papier salé/négatif papier, -


Autour de 1850, la forêt de Fontainebleau est le lieu de prédilection
de photographes comme Marville, Le Secq, Régnault, Le Gray, Briquet, Cuvelier, etc.
Souvent peintres et adeptes du calotype, ils sont proches de la nouvelle école
du paysage, celle de Barbizon.
102 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871
LES DEBUTS DE LA PHOTOGRAPHIE 103

Si une épreuve est belle, complète et durable, elle devient d’une valeur
intrinsèque devant laquelle le prix de revient disparaît entièrement.
Pour moi, j ’émets le vœu que la photographie, au lieu de tomber dans le
domaine de l’industrie, du commerce, rentre dans celui de l’art. C’est là sa
seule, sa véritable place, et c’est dans cette voie que je chercherai toujours
à la faire progresser. C’est aux hommes qui s’attachent à son progrès de se
pénétrer de ce principe. Chercher à diminuer le prix des épreuves, avant de
trouver les moyens de faire des œuvres complètes, serait s’exposer à perdre
à tout jamais l’avenir de notre art si intéressant.
J ’ai mis en pratique ces procédés dans mes ateliers du chemin de ronde
de la barrière de Clichy, où une organisation entendue me permet de fournir
au commerce cent épreuves positives par jour, dont la solidité est à l’épreuve
de l’action du temps.
Aucun soin, aucune dépense n’ont été négligés par moi pour arriver à la
perfection des produits ; aussi engagerai-je les éditeurs, désireux de produire
de beaux et durables ouvrages, à venir visiter mon établissement.

Louis-Désiré Blanquart-Evrard : « Des portraits », Traité de photographie sur


papier, 1851, pp. 23-25.

Pour faire un portrait, le photographiste doit procéder comme le peintre. Il


doit se pénétrer de son modèle, et varier, suivant le caractère de celui-ci, la
pose, la nature et la couleur des vêtements, et après avoir arrêté dans son
esprit la composition du tableau, disposer ses moyens d ’exécution en
conséquence. Tous les procédés du photographiste ne sont pas également
propres à produire les mêmes effets. Comme le peintre, le photographiste doit
donc varier ses moyens. Un fond éclairé, obscur, ou demi-teinté, des oppositions
de couleurs vives, ou ménagées, sont des artifices que le peintre emploie
journellement et que le photographiste ne doit pas négliger. Le photographiste
peut varier ainsi le caractère de ses productions et sinon interpréter et idéaliser
la nature, du moins la rendre sous ses aspects les plus favorables, et c’est en
quoi il fait de l’art. Suivant nous, en effet, la photographie est un art dont
l'horizon est plus borné que celui de la peinture et de la sculpture ; mais qui
n’en reste pas moins un art pour cela.
La différence qui sépare le peintre du photographiste, c’est que le peintre
peut allier les inspirations de son esprit aux modèles de la nature, et que le
photographiste ne peut que modifier le caractère et l’aspect général d ’un

20 et 21. Henri Le Secq, A u champ des cosaques, forêt de Montmirail. Terre, racines e t ronces (en haut),
et Forêt de Montmirail, broussailles (en bas), vers 1856. Tirage papier salé/négatif papier ciré sec. -
"uption du détail, fascination pour les accidents de la matière : la notion de paysage disparaît
et te cadrage - serré - autorise une nouvelle appropriation de la nature.
.e « tableau » fait place à l'« étude », l’œuvre au document.
104 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

ensemble invariable. Les rapports de dimensions et de positions lui sont


imposés, mais les oppositions de lumière, mais la vigueur des tons qu’il fortifie
ou affaiblit à son gré, lui permettent d’imprimer à ses productions un caractère
déterminé d’avance. Ces effets divers dont il dispose et qu’il emploie à sa
volonté, sont des effets d’art, d’un art spécial, j ’en conviens, mais enfin d’un
art qui peut défier, pour l’exactitude et la délicatesse, le pinceau le plus
exercé !
Dans le public, on ne voit malheureusement dans la photographie qu’une
expérience de physique qu’on peut exécuter avec plus ou moins d’habileté,
mais dont le résultat est indépendant de la volonté de l’opérateur : cette
opinion a produit les résultats les plus déplorables.
Au lieu de varier les procédés selon la nature des épreuves, on s’est astreint
à un procédé unique, et de cette invariabilité dans le mode opératoire, il est
résulté un défaut général d’harmonie dans les résultats.
Il faut absolument sortir de cette voie si l’on veut obtenir de belles épreuves.
C’est la perte du daguerréotype, d’avoir, par sa facilité même et sa fidélité
apparente, contribué à répandre une croyance si contraire à tous les préceptes
de l’art.

Henri de Lacretelle : «R evue photographique», La Lumière, 28 févr. 1852


(n° 10), p. 37.

Quand une intervention bienveillante nous demanda d’écrire dans ce journal,


nous fûmes d ’abord effrayé de notre incompétence, et cette crainte nous reste
plus que jamais ! Et, ensuite, nous eûmes à combattre en nous-même un
préjugé contre la photographie. Nous pouvons l’avouer aujourd’hui que cette
prévention n’existe plus dans notre esprit : nous pensions que ce qui fait
l’âme d’un tableau, ce n’est point le modèle que l’on copie, ou la couleur
qu’on donne ; mais cette parcelle de son propre sentiment que le peintre
détache pour ainsi dire de sa propre individualité, le sujet qu’il compose,
l’inspiration qui lui arrive de ce beau pays des rêves, où le regard des plus
illustres a seul pénétré ! Nous ne pardonnions pas à ce miroir de se substituer
à cette vision, et cette précision géométrique nous paraissait odieuse, opposée
au vague et à l’infini de la pensée. Mais lorsque nous avons vu que la
photographie était pratiquée par des peintres éminents, qui choisissent entre
les lignes de paysage que Dieu a tracées, comme ils auraient choisi entre les
lignes idéales de leur rêverie, et qui parviennent à composer et à harmoniser
des sujets dans la réalité même ; quand il nous fut démontré que, loin de
diminuer le domaine de l’art, la photographie avait pour but essentiel d’en
reproduire les merveilles, dans des épreuves aussi douces, aussi accentuées et
plus précises que la gravure, et que l’esprit de l’artiste éclairait aussi la
chambre obscure ; nous avons applaudi à cette admirable science.
LES DEBUTS DE LA PHOTOGRAPHIE

22 J E. Fr. Boitouzet, Nu au miroir. 185bfjirage paper salé. -


Au-delà d'un certain néglige des accessoires (chaussons, etc.), trois types de figuration sont,
comme souvent chez Boitouzet. ici confrontés : la photographie, le miroir et l’art (la sculpture).
106 LA PHO TOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

Charles Bauchal : « Soirée photographique », La Lumière, 2 9 mai 1 8 5 2 ( n ° 2 3 ) ,

p . 9 0 . t

Mardi dernier, 18 mai, une nombreuse réunion, composée de photographes,


d’amateurs distingués, d’hommes de lettres et de membres de la rédaction de
La Lumière, remplissait les salons de M. Lacan, son habile rédacteur.
Cette soirée, ainsi que celles qui l’ont précédée, avait pour but d’offrir à
tous un terrain convenable, un centre commun, où chacun vînt, avec ce
désintéressement qui distingue les artistes, et les photographes en particulier,
fait part de ses travaux, de ses progrès et de ses découvertes, dans l’intérêt
de l’art et de la science ; c’est aussi un moyen de donner une plus large
publicité à des travaux dignes d ’intérêt à tous égards et malheureusement
trop peu connus.
Admis à jouir de la vue des chefs-d’œuvre que les photographes les plus
distingués s’empressent à l’envi d’apporter à ces réunions intimes, nous y
avons trouvé, comme toujours, une ample moisson d’épreuves dues au talent
de MM. Ziégler, Le Secq, Nègre, Fortier, Baldus, Plumier, Vaillat, etc. Si un
doute avait pu exister dans notre esprit sur la valeur artistique des productions
photographiques, il eût complètement disparu devant tout ce qui a passé sous
nos yeux dans cette soirée, non seulement à cause du mérite réel et
incontestable des œuvres, mais plus encore à cause de leur diversité.
Non, le photographe n’est pas la roue motrice d’une machine, et lorsque,
au premier rang des hommes qui produisent ces chefs-d’œuvre que nous
admirons, nous voyons figurer des peintres distingués, dont le nom fait partie
de nos gloires, des artistes dont, cette année encore, les toiles rassemblaient
la foule autour d’elles à l’Exposition, nous ne pouvons croire qu’ils se soient
décidés, de gaieté de cœur, à n’être que les tireurs d’une imprimerie d’un
nouveau genre.
A nos yeux, ce qui constitue l’art, c’est surtout la liberté de prendre à son
gré telle ou telle route, selon l’inspiration ou le sentiment ; eh bien ! la
photographie possède déjà, comme les autres branches de l’art, deux écoles
bien distinctes : celle qui se préoccupe surtout de l’ensemble, et celle qui
s’attache à la reproduction minutieuse des détails ; l’école des fantaisistes et
l’école des réalistes, celle des coloristes et celle des dessinateurs ; c’est-à-dire
que l’éternel sujet de controverse dans les arts, sur la prépondérance de la
ligne ou de l’effet, du dessin ou de la couleur, de Michel-Ange ou de Raphaël,
de Rubens ou de Le Sueur, de Girodet ou de Proudhon, d’Ingres ou de
Delacroix, de Rousseau ou d’Aligny, existe déjà dans la photographie et
commence à passionner ceux qui s’en occupent.
La lutte du romantisme et du classique existe maintenant dans la
photographie, comme elle a existé dans la peinture, dans la musique et dans
la littérature.
«LA PHOTOGRAPHIE
CONTRAINDRA LE PEINTRE
A S’ÉLEVER JUSQU’À L’IDÉAL »
(1851)

Francis WEY (1812-1882) ;


Étienne-Jean DELÉCLUZE (1781-1863)

Collaborateur de L ’A rtiste, du Globe, de La Presse ou du Siècle, futur


président de la Société des gens de lettres, Francis Wey entame en février 1851
dans le premier numéro de La Lum ière une série d ’articles consacrés à la
photographie. Certains de ses arguments émailleront nombre de propos au cours
des deux décennies suivantes.
Contrairement à beaucoup de ses amis écrivains et artistes, Wey accueille avec
sympathie la photographie qui marque un progrès considérable par rapport au
daguerréotype : « Il semble qu’en passant sur le papier, le mécanisme se soit
animé. »
Mais s ’il vante son « incomparable fidélité », sa « souplesse », sa soumission
au «goût particulier du photographe », son aptitude aux «sacrifices» (comme
ferait « un maître habile » !) il n’en précise pas moins ce qui, pour l ’instant,
contient la photographie aux frontières de l ’art : « C’est un fidèle agent, ce n ’est
pas une intelligence. »
Etrangère au « souffle de l ’inspiration et au feu de la pensée », la photographie
est séparée de l ’art par une césure : celle qui oppose matière et « divine
inspiration », imitation et idéalisation, tout comme en peinture s ’opposent à l ’époque
réalisme et idéalisme 12.
Alors que Delécluze, le célèbre critique du Jo u rn al des débats, exprime dans
son feuilleton du 21 mars 1851 ses craintes de voir les miniaturistes et les graveurs
« menacés dans leur profession [...] par la photographie, rivale déjà victorieuse
du dessin », Francis Wey l ’investit au contraire de la « mission » selon lui salutaire
de réaliser une « révolution lente » parmi les beaux-arts, de les épurer en éliminant

1. Sur la «théorie des sacrifices», voir supra, p. 97 (n. 4).


2. Édouard L’Hote,.« De l’idéalisme et du réalisme », L ’Artiste, 15 juill. 1854, pp. 184-185 ; Charles Perrier,
«D u réalisme», L ’Artiste, 14oct. 1855, pp. 85-89.
108 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

les «gens de métier» au profit des seuls «artistes vraiment originaux ». Il


souhaite voir la photographie supplanter la gravure de reproduction et libérer ainsi
les beaux-arts d’un genre qui, faute de « traduire et d ’interpréter », s ’en tient à
la simple imitation, là où, précisément, la photographie est « invincible ». La
question sera plus tard reprise par de farouches adversaires de la photographie :
Henri Delaborde en 1856 (cf. pp. 228-237) et la Société des aquafortistes en 1862
(cf. pp.400-401).

Francis Wey : « De l’influence de l’héliographie 3 sur les Beaux-Arts »,


La Lumière, 9 févr. 1851 (n° 1), pp. 2-3.

Il y a deux mois, l’un des plus habiles praticiens du procédé nouveau de la


photographie, M. Le Gray, envoyait au jury de l’Exposition de 1850 neuf
dessins sur papier, représentant des paysages, des portraits d’après nature, et
d’après des tableaux. Quand on eut admiré la perfection surprenante des
résultats obtenus, l’on se trouva embarrassé pour classer des ouvrages dignes
de rivaliser avec les œuvres d’art les plus achevées, et qui toutefois, accomplis
par un procédé purement théorique, ne se rattachent point d’une manière
i directe à la pratique du dessin. Rangées parmi les lithographies, les œuvres
de l’habile héliographe furent annoncées sous cette rubrique au Livret de
l’exposition actuelle.
Mais il survint une sous-commission qui, envisageant la question à un
autre point de vue, fit retirer les dessins de M. Le Gray.
Les premiers juges les avaient considérés comme œuvres d’art ; les seconds
v les ont classés parmi les produits de la science. Nous serions fort empêché
de savoir à qui donner raison.
Évidemment l’héliographie procède de la chimie et de la physique ; mais,
de toute évidence aussi, cette découverte, perfectionnée de jour en jour, est
appelée à exercer dans le domaine de l’art une influence immédiate et
profonde.
Appelé naguère à examiner les derniers résultats obtenus par des hommes
studieux, zélés et pleins d’expérience, nous avons été frappé d’un étonnement
très vif. La photographie est en quelque sorte un trait d’union entre le
j daguerréotype et l’art proprement dit. Il semble qu’en passant sur le papier,
le mécanisme se soit animé ; que l’appareil se soit élevé à l’intelligence qui
combine les effets, simplifie l’exécution, interprète la nature et ajoute à la

3. Le terme d’héliographie désigne ici de façon générique les nouveaux procédés, physiques et chimiques,
de réalisation des images : le daguerréotype (unique, sur plaque de métal) aussi bien que la photographie
(reproductible sur papier selon le principe négatif/positif).
LES DEBUTS DE LA PHOTOGRAPHIE 109

23. Gustave Le Gray, La Grande Vague à Sèie, vers 1856-1859 Tirage papier albuminé/collodion. -
Avec sa série de marines, Le Gay se situe une nouvelle fois du côté de la peinture - Courbet s'en inspirera.
Quant à la qualité des détails, aussi nombreux dans le ciel que dans l'eau, à une époque où l'on devait dessiner
les nuages sur le négatif, elle est due à la superposition de deux clichés : l’un du ciel, l'autre de la mer.

reproduction des plans et des lignes, l’expression du sentiment ou des


physionomies.
En effet, la photographie s’exerce sur une gamme de tons excessivement
étendue ; depuis l’indication fugitive et vaporeuse, mais précise encore, telle
jue M. Vidal parvient à la fixer d ’un souffle, jusqu’au relief violent et
contrasté de Rembrandt, jusqu’à une intensité de ton qui défie les ressources
de la gravure. Telle est la souplesse de cet instrument, qu’il justifie
successivement les genres les plus opposés, les qualités les plus diverses, et
même les manières les plus individuelles. [...]Il

Il est arrivé plus d’une fois que certains genres, investis d’une vogue
aassagère, ont disparu avec la mode qui les avait recommandés. Sans parler
des traits à la Silhouette, et pour se borner à des productions plus relevées,
1 in I \ PHOTOGRAPHIE FA FRANCK ]»]6-IH71

24. Victor Régnault. Les Bords de la Seine près du Bas-Meudon, vers 1853. Tirage papier salé/négatif papier -
Au daguerréotype. Wey préférait le calotype qui. selon lui, « parfois, procède par masses, dédaignant le détail
comme un maître habile, justifiant la théorie des sacrifices ».

rappelons les lavis à l’encre de Chine, puis à la sépia, si fort appréciés sous
Louis XVI ; plus tard, les gouaches, compromis harmonieux et ternes entre
le dessin et la peinture ; puis les petits crayonnages tels que les exécutait
Lantara, si souvent imité... La passion de l’effet, l’amour de la couleur ont
fait pâlir ces pratiques mal défendues par l’artifice du métier. L’aquarelle a
remplacé ces procédés ; puis la peinture à l’huile est devenue si populaire
que l’aquarelle à son tour se voit supplantée.
f Au fond, ce qui tend à s’effacer d’une manière constante, c’est la marque
sensible de la manutention, c’est l’artifice du procédé et la complication du
travail. A moins de se rapprocher du dessin, ou de paraître empreinte d’une
forte émanation de la couleur, la gravure devient froide à nos yeux ; la
LES DEBUTS DE LA PHOTOGRAPHIE 111

classique vigueur des tailles est de moins en moins appréciée ; la lithographie,


plus immédiatement assimilable au dessin naïf, fait des progrès incessants.
C’est dans ces circonstances que se présente l’héliographie : que produira-
t-elle ? Sans contredit, d’anciens genres vont disparaître ; une révolution
s’effectuera, lente, profonde, et salutaire comme toutes les révolutions vraiment
dignes de ce titre. Mais ce qui doit advenir, est-il possible déjà de le
pressentir ? Assurément.
Précisons en quatre mots le résultat définitif : les artistes vraiment originaux,
loin d’être atteints, devront à l’invention nouvelle des ressources imprévues,
et prendront un plus large essor. Les gens de métier, les mécaniques, ainsi que
l'on disait jadis, seront abattus.
La photographie traduit à merveille : pour la surpasser ; il faudra traduire
et interpréter. Elle est donc propre à faire ressortir les qualités personnelles de
dessinateurs tels que M. Desmaisons qui copie Vidal avec tant de finesse ;
que M. Soulange-Tessier qui a, cette année, retracé Decamps avec souplesse ;
que M. Mouilleron, l’aigle de la lithographie, qui s’assimile par des qualités
particulières les compositions dont il s’inspire ; que M. Aubry-Lecomte, qui
séduit par la dextérité charmante, par la finesse et la précision de son crayon,
ou que M. Français, le plus subtil commentateur de nos paysagistes.
Ce dernier nous fournirait des exemples faciles à saisir. Pour en choisir un
seul, il est certain que la photographie reproduirait avec une incomparable
fidélité la Matinée de M. Corot ; mais elle ne compléterait pas le tableau, elle
n'en interpréterait pas l’esprit, elle n’en éclaircirait pas l’intention poétique!
en y ajoutant, comme l’a fait M. Français dans sa lithographie, l’impression 1
d'une pensée personnelle et délicate.
Cependant, la photographie est très souple, surtout dans la reproduction
.de la nature ; parfois, elle procède par masses, dédaignant le détail comme
[un maître habile, justifiant la théorie des sacrifices 4, et donnant ici l’avantage
à la forme, et là aux oppositions de tons. Cette intelligente fantaisie est
beaucoup moins libre dans les daguerréotypes sur plaques de métal. Il y a
plus : le goût particulier du photographe perce dans son œuvre, pour matérielle
qu’elle semble ; les épreuves obtenues par des artistes sont supérieures à celles
des érudits. Les premiers choisissent mieux leurs sujets, recherchent avec
succès des effets dont ils ont le sentiment inné, et l’influence de l ’individu est
assez perceptible pour que les amateurs-experts, à la vue d’une planche sur
papier, devinent d’ordinaire le praticien qui l’a obtenue.
Ces explications fournies, abordons succinctement une étude curieuse, celle
des diverses branches de l’art que la photographie met en péril ; puis signalons,
parmi les travaux des artistes, ceux qui sont destinés à fructifier de cette
invention. Nous n’aurons pas à nous préoccuper de ce qui échappe à cette
atteinte ou se soustrait à cette influence, car elle ne laissera rien d’intact et
se fera sentir partout.
4. Cf. supra p. 97 (n. 4).
112 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE I81h-1871

Le résultat le plus complet, le plus destructif, portera sur les dessins, les
gravures ou les lithographies représentant des villes, des monuments, des
églises, des ruines, des bas-reliefs, et en général des sujets d ’architecuire. Sur
ce terrain, la lutte serait chimérique : une médiocre épreuve héliographique
du portail de Chartres ou de Bourges sera toujours préférable, et comme fini,
et comme réalité, et comme relief, et comme précision, à la gravure la plus
accomplie. Dans ces sortes de sujets, la reproduction plastique est tout, et la
photographie en est la perfection idéale.
Telle est même la puissance presque fantastique du procédé, qu’il permet
à l’examinateur d’un dessin d’architecture de l’explorer comme la nature
même, et d’y faire des découvertes inaperçues sur le terrain. Cette assertion
sera éclaircie et appuyée par une récente anecdote.
Il y a quinze mois, M. le baron Gros, alors ministre plénipotentiaire en
Grèce, fixa, par le moyen du daguerréotype, un point de vue pris à l’Acropole
d’Athènes. Là se trouvaient disséminés des ruines, des pierres sculptées, des
fragments de toute espèce. De retour à Paris, à la suite d’une mission délicate
et honorablement remplie, M. le baron Gros revit ses souvenirs de voyage,
et considéra, à l’aide d’une loupe, les débris amoncelés au premier plan de
sa vue de l’Acropole. Tout à coup, à l’aide du verre grossissant, il découvrit
sur une pierre une figure antique et fort curieuse, qui lui avait jusqu’alors
échappé. C’était un lion qui dévore un serpent, esquissé en creux et d’un âge
si reculé, que ce monument unique fut attribué à un art voisin de l’époque
égyptienne. Le microscope a permis de relever ce document précieux, révélé
par le daguerréotype, à sept cents lieues d’Athènes, et de lui restituer des
proportions aisément accessibles à l’étude.
Ainsi, ce prodigieux mécanisme rend ce que l’on voit et ce que l’œil ne
peut distinguer ; si bien que, comme dans la nature, le spectateur en se
rapprochant plus ou moins, à l’aide de lentilles graduées, perçoit des détails
infinis, quand l’ensemble des objets ne suffit plus à sa curiosité.

On conçoit que l’héliographie, s’exerçant sur une surface plane comme la


toile d’un tableau, en reproduit l’image et l’effet avec une exactitude
mathématique. Il y a là une précieuse ressource pour obtenir, à l’usage du
graveur, des réductions excellentes ; mais la supériorité même du résultat
condamne à périr comme insuffisante toute autre copie bornée à la seule
imitation, sans coopération de la pensée qui rehausse d’un esprit particulier
la traduction du modèle. Morghen, Nicolas Chapron, graveur des Loges de
Raphaël d’Urbin, donnent assurément du maître une idée plus haute et plus
complète que ne le ferait le daguerréotype. Un portrait rendu par Nanteuil
ou par Drevet, d’après Mignard ou R igault5, vit deux fois, respire d ’un
double souffle, et c’est ainsi que le portrait gravé de Bossuet est supérieur

5. Il s’agit du peintre Hyacinthe Rigaud (1659-1743).


LES DÉBUTS DE I..\ PHOTOGRAPHIE 113

25. Jean-Baptiste-Louis Gros, Athènes, le propylée vu de l'intérieur de l'Acropole, 1850. Daguerréotype


Wey affirmait que la précision du daguerréotype lui permettait de se substituer à la réalité,
que ; on pouvait « l'explorer comme la nature même, et y faire des
découvertes inaperçues sur le terrain ».

à l’original. L’héliographie ne peut aller au-delà de son modèle : c’est un


fidèle agent, ce n’est pas une intelligence. Mais, on le pressent avec nous, ce
procédé matériel, invincible dans les limites de son domaine, abolit virtuelle­
ment toute autre imitation réduite à n’être rien de plus.
Tout dessinateur, tout lithographe, ou tout graveur dépourvu des inspirations
de l’artiste, risquera donc de se voir supplanté, et entre deux machines, la
plus parfaite, la plus rapide, la moins coûteuse, sera nécessairement préfé­
rée. [...] Cette découverte, il faut se hâter de le dire pour intimider les
ambitions vulgaires, amènera la destruction des couches inférieures de l’art.

La comparaison des œuvres débiles avec la reproduction pure et véridique


de la nature, régénérera le goût public et le rendra difficile. Une estampe
photographiée sera préférée à une peinture vicieuse, car elle satisfera davantage.
La classe aisée, qui ne s’élevait que jusqu’au portrait à bas prix, d’une fidélité
douteuse, adoptera forcément la photographie si limpide, si précise, si animée
114 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

dans ses produits ; et quand on pourra, pour un prix modique, se procurer


l’image exquise du paysage que l’on aime, du site où l’on a rêvé, du coteau
où s’élève le toit natal, du tableau que l’on a goûté, l’on délaissera les mauvais
tableaux, les méchants dessins et les gravures médiocres.
Combien d ’honnêtes gens se verront contraints de renoncer à un métier
sans profit et sans gloire, de chercher fortune ailleurs, de rendre libre, comme
on eût dit autrefois, le chemin qui conduit au temple des arts ; de se faire
justice enfin, en quittant la peinture, qui n’est pour eux qu’une séduction
perfide, et n’aurait jamais dû devenir le gagne-pain de la médiocrité !

Étienne-Jean Delécluze : « Feuilleton sur l’Exposition de 1850 » (7e article),


Journal des débats, 21 mars 1851.

Le goût du naturalisme, si pernicieux pour l’art élevé, nuit beaucoup moins,


comme on peut s’en rendre compte, aux peintres de portraits qui ne se
proposent que de rendre la figure humaine avec naïveté. Jusqu’à un certain
point même, le naturalisme favorise leurs efforts, parce que, travaillant pour
des personnes qu’ils ont un grand intérêt à satisfaire, les portraitistes sont,
par cela même, garantis des inconvénients d’une imitation trop vulgaire et
des excès de la facilité. Le genre du portrait se trouve donc soumis à des
convenances, à des lois qui font sans doute produire des ouvrages ridicules
aux gens médiocres, mais que les hommes de mérite font tourner au profit
de leur talent.
Il y a certainement une grande quantité de mauvais portraits à l’Exposition ;
cependant, en concentrant son attention sur le nombre assez grand des bons
ouvrages en ce genre, on peut alors hardiment avancer que si le jury eût été
raisonnablement sévère, on trouverait dans les galeries de cinquante à soixante
portraits dont le mérite est tout à fait remarquable ; tellement même que je
ne suis pas éloigné de penser que ce mode de l’art est aujourd’hui celui dont
la culture est la plus régulière et la plus avancée.
Mais cette régularité et ce progrès sont dus en grande partie, il faut le
(dire, à la pression toujours plus forte qu’exercent depuis dix ans environ, sur
'l ’imitation dans les arts, deux puissances scientifiques qui agissent fatalement,
je veux dire le daguerréotype et la photographie, avec lesquels les artistes sont
déjà obligés de compter. Ainsi ils doivent tous savoir que désormais ce serait
perdre follement du temps et de l’argent que d’employer la main de l’homme
le plus habile à reproduire par le dessin les vues et la représentation de pays,
de villes, d’édifices, de statues, etc., et même des personnes et des animaux
dont on a besoin d ’avoir la configuration, soit pour satisfaire la simple
curiosité, soit dans le but de favoriser les études scientifiques de tout genre.
LES DEBUTS DE LA PHOTOGRAPHIE 115

Ceci est un fait déjà avéré ; mais il en est un autre qui, je le crois bien,
,ne sera pas plus contesté d’ici à quelque temps : c’est la faculté d’obtenir des
i portraits tout à fait satisfaisants sur papier, par le procédé de la photographie
'substitué au daguerréotype. Et si, comme on s’en flatte déjà, on parvient à
joindre à l’exactitude des formes et à la juste distribution des lumières et des
ombres la couleur des objets, tous les ouvrages où l’on se propose pour but
l'imitation exacte de la nature, comme le portrait et les scènes dites de genre
qui ont fait la gloire de Van Ostade, de Steen et de Gérard Dow, rentreront
nécessairement dans le domaine des instruments de physique.
On trouvera peut-être ma prédiction quelque peu aventurée ; mais dans
un moment où la peinture de pure imitation est l’objet de l’engouement
général, et où tout semble concourir fatalement à multiplier le nombre des
artistes, il est bon, je crois, de faire savoir qu’il y a quelques branches de
l'art, comme la gravure, la lithographie, le genre et le portrait dont l’existence
est déjà très menacée.
Ce goût pour le naturalisme qui pousse les uns à produire des œuvres si
matérielles et si repoussantes, en entraîne d’autres à faire disparaître aussi la
véritable vie intellectuelle sous la brillante superficie des formes. Là on
s'inspire de Caravage et de Zurbaran ; ici on procède de Watteau ; mais dans
l'un et l’autre cas, le moral est injurieusement sacrifié au physique. Le
naturalisme et la manière, voilà les deux écueils entre lesquels il faut passer
aujourd’hui.

Francis Wey : « Du naturalisme dans l’art, de son principe et de ses


conséquences » (à propos d ’un article de M . Delécluze), La Lumière, 6 avr. 1851 (n°9),
pp. 34-35.

C’est en vain, objecterons-nous, que la peinture de pure imitation est l’objet


de l’engouement général : si réaliste qu’elle soit, elle ne ressemblera jamais à
une œuvre héliographique, et le produit de la science aura beau rapprocher
de la vérité l’interprétation de l’art, celle-ci restera intacte ; elle sera, comparée
à la photographie, ce qu’elle fut de tout temps, comparée à la nature.
L'invention, la fantaisie, le sentiment, le style, le rêve de la pensée, le travail
de l’exécution matérielle, où se glisse l’originalité de l’esprit, sont des qualités
hors d’atteinte et des éléments d’intérêt imprescriptibles.
De même que le dessin de Michel-Ange n’est pas celui de la nature vulgaire,
de même l’harmonie d’un coloriste possède une puissance supérieure à celle
de la nature. Van Ostade, Rembrandt, Metzu, Jan Steen nous présentent la
couleur telle qu’on l’a rêvée : ils sont vrais pour l’imagination ; l’intérêt qu’ils
excitent, le charme qu’ils procurent ont leur source au fond de l’âme ; un
intérêt, un charme qui ne procèdent pas immédiatement de la fidèle
116 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANGE 1816-1871

représentation des objets extérieurs. Entrez dans une échoppe éclairée par un
jet de lumière blanche, vous serez médiocrement saisi : livrez cc motif à la
photographie, il ne vous saisira guère plus que la nature même ; abandonnez
un tel sujet au pinceau d’un Van Ostade, et vous aurez un tableau exquis
dont on ne pourra détacher ses regards. Un pot à eau, un verre à demi-plein
posés sur une table de chêne contre un mur gris... voilà certes une donnée
fort commune : qu’un artiste éminent l’exploite, l’œil est réjoui ; le modèle
ne l’avait pas même distrait une seconde.
Il n’y a pas, il n’existera jamais de peinture naturaliste ou réaliste, ou
matérialiste, dans l’acception absolue de ces mots.
A notre sens, l’héliographie aura pour but définitif de faire ressortir plus
./éclatant et plus senti le côté idéal de l’art, en s’emparant de tout ce qui est
du ressort de la réalité sèche et crue. La photographie contraindra l’artiste
à s’élever au-dessus de la copie mécanique des objets, elle déclassera ce qui
ne va pas plus haut, elle anéantira ce qui ne possède qu’un semblant d’idéal,
ou ce qui se limite aux bornes étroites de la géométrie, de la perspective et de
l’épure mathématique. [...] Cependant, l’inquiétude, fruit de toute nouveauté,
s’attache à ses progrès ; nous avons entrevu de vagues frayeurs, et tout
récemment, j ’ai reçu, d’un esprit très éminent, une lettre qui dépeint ces
dispositions, et où un découragement réel se devine sous les traits d’une
mélancolique ironie.
Vraiment, il faut douter de son âme et de la puissance du génie de l’homme,
pour s’imaginer qu’une invention scientifique puisse faire passer dans une
machine, si parfaite qu’elle soit, le souffle de l’inspiration et le feu de la
pensée, de même que certain personnage d ’Hoffmann avait fait boire à un
violon l’âme de sa grand-mère.
Pour supposer sérieusement que le mécanisme héliographique soit appelé
à supprimer un seul des genres nombreux de la peinture, il faut avoir été
préalablement convaincu que la peinture, que ‘ le dessin sont des arts
mécaniques et ne sont rien de plus.
Non, ce qui fait l’artiste, ce n’est ni le dessin seul, ni la couleur, ni la
fidélité d’une copie : c’est le mens divinior, c’est la divine inspiration dont
l’origine est immatérielle. Ce n’est point la main, c’est le cerveau qui constitue
le peintre ; l’instrument ne fait qu’obéir.
En réduisant au néant ce qui lui est inférieur, l’héliographie prédestine l’art
à de nouveaux progrès ; en rappelant l’artiste à la nature, elle le rapproche
d’une source d’inspiration dont la fécondité est infinie.
LA RESSEMBLANCE N’EST PAS LE REEL
(1851)

Francis W EY (1812-1882)

Francis Wey se refuse à confondre « reproduction mécanique » et « vérité dans


l'art ». Celle-ci suppose une « interprétation », une « infidélité voulue ». S ’il
critique la copie littérale 1, c’est au nom de la vraie ressemblance qui repose plus
sur le respect de codes perceptifs et de valeurs esthétiques que sur une fidélité
stricte à l ’apparence du modèle. La vraie ressemblance d’un portrait (sa vérité)
suppose un dépassement des limites de la photographie (« reproduction mécanique »)
au moyen d’une « théorie esthétique » fondée sur la tradition picturale et mise en
œuvre par un artiste. Autrement dit, pour « rendre le beau », le photographe doit
accepter un compromis en se conformant à la « théorie des peintres sans laquelle
son œuvre froidement mécanique n’impressionne pas ».
Wey n’exclut toutefois pas radicalement la photographie du panthéon des arts.
Certains de ses jugements s ’accompagnent d’une valorisation du rôle du photographe
qui, « comme le peintre », interprète (« faire un choix, pour le photographe, c’est
interpréter ») et imprime sa marque (son «goût personnel ») à ses productions.
.4 la différence du daguerréotype, la photographie n ’implique pas d ’incompatibilité
avec la « théorie des sacrifices » 12 — « loi primordiale » de l ’art tel que Wey le
conçoit.

« Théorie du portrait-I », La Lumière, 27 avr. 1851 (n° 12), pp. 46-47.

Il est notoire que l’héliographie 3 reproduit avec une exactitude mathématique


les traits et les plans d ’un visage. C’est la figure même qui se retrace et revit
telle qu’elle est. Or, chacun a vu des portraits héliographiques très ressemblants
et des portraits héliographiques qui ne ressemblent pas.

1. Cf. Hegel aux premières pages de son Esthétique : « Il y a des portraits dont on dit assez spirituellement
qu'ils sont ressemblants jusqu’à la nausée» (t. I, p. 32, Aubier, Paris, 1944).
2. Cf. supra, p. 111.
3. Cf. note3, p. 108.
118 I,A PHOTOGRAPHIE EN FRANCE IHKi-1871

26 et 27 A gauche Pierre Amboise Richebourg, Marietta Champfleury e t sa sœ ur Anna Roux, vers 1840.
Daguerréotype (reproduit sur papier par Nadar). - A droite : Victor Régnault, Portrait de femme.
vers 1853. Tirage papier salé/négatif papier. -
Le daguerréotype (à gauche) était opposé au calotype (à droite) comme une « copie » (matériellement
fidèle) à une « interprétation » (plus imprécise). Pour les tenants du calotype,
la ressemblance n'était pas subordonnée à la précision.

De ce fait, anormal en apparence, il résulte que le daguerréotype, instrument


scientifique, exige en dépit de sa précision, de la part de ceux qui le mettent
en oeuvre, une faculté d’interprétation, une entente des effets, des lumières,
des physionomies, qualités inhérentes à l’art. Aussi, pour rivaliser avec l’art,
l’héliographie fait appel au sentiment, au savoir de l’artiste, condition qui
ennoblit et rehausse la portée morale de cette merveilleuse découverte.
Muni d ’un instrument parfait, un héliographe sans goût, étranger aux
procédés des grands maîtres, fera de méchants portraits, d’une ressemblance
malheureuse, d’un aspect antipathique, d’un effet vulgaire, et d’une trivialité
à la fois mesquine et brutale. [...]
( Que l’héliographie soit apte à rendre beau ou laid, c’est un point
incontestable ; mais l’option est entre les mains de l’artiste ; seulement, la
théorie de l’esthétique daguerrienne est à faire.
Pour en rechercher les bases, il est indispensable, en prenant la peinture
pour point de départ, de se rendre compte de ce qu’est la ressemblance ; de
nos idées, de nos instincts à ce sujet, des différences essentielles qui séparent
le ressemblant du réel ; puis, de remonter aux traditions du beau, sur les
LES D ÉBU TS DE LA PHOTOGRAPHIE 119

traces des maîtres les plus incontestés des divers siècles et des divers pays. [...]
La ressemblance est, non la reproduction mécanique, mais une interprétation
qui traduit pour les yeux l’image d’un objet, tel que l’esprit se le figure à
l'aide de la mémoire.
Ainsi, la ressemblance difïère d’un fait matériel. C’est une idée abstraite :
résultat d’une interprétation, elle n’est pas essentiellement subordonnée à une
précision absolue ; loin de là, elle est susceptible d’emprunter une vraisemblance
plus forte, à des infidélités voulues. Vous ne reconnaîtrez pas souvent à son
portrait un homme vaguement entrevu, et vous le reconnaîtriez plus
probablement si l’on vous offrait sa caricature, qui frappe votre souvenir
d’une commotion plus énergique.
De même que le travail mental qui nous fait apprécier la ressemblance est
instinctif et indépendant de notre volonté, de même aussi l’artiste qui l’a
produit a subi une impulsion involontaire. En s’efforçant de copier, il a
interprété à son insu. Ce qu’il a vu s’est retracé d’une certaine façon dans
sa pensée, et c’est cette pensée qu’il a rendue sensible. [...]

Ces considérations permettent de penser :


1) Que la réalité absolue, si elle était possible, serait loin d'être une des
conditions essentielles de ce que l’on appelle la vérité dans l’art ;
2) Que la ressemblance n’est qu’une interprétation subordonnée au goût,
à la mode, aux préjugés d’une époque, et aux idées préconçues des
appréciateurs de l’œuvre de l’artiste ;
3) Qu’une copie matériellement fidèle, si elle choquait ces idées, risquerait
de le paraître bien moins qu’une interprétation plus inexacte, mais entendue
de manière à donner satisfaction à l’esprit.
Si ces prémisses ont été favorablement accueillies, l’on aura compris que
fart et l’héliographie sont appelés à un mutuel échange de services et
d'enseignements précieux.
Le procédé daguerrien limitera, par sa portée réaliste, les abus de la
convention ; il empêchera que la mode, le caprice, ou les manies de quelques
artistes ne fassent prévaloir, comme au temps jadis, un type banal de la figure
humaine ; il habituera les yeux à la diversité des galbes, à l’originalité des
caractères ; il étendra les ressources de l’art en l’accoutumant à rechercher
plutôt les dissemblances, que les conformités des visages entre eux.
D’autre part, les héliographes, contraints de demander a l’art le secret
d'interpréter, pour ajouter la ressemblance idéale à l’exactitude mathématique,
devront ne présenter à la chambre obscure que des modèles disposés avec
intelligence, et en ayant égard à des conditions de lumière, d’effet, de goût,
de style et d’attitude propres à rendre l’image, sympathique et frappante.
L'héliographe, en effet, à peine de produire de disgracieuses merveilles, ne
saurait se passer de la théorie des peintres, sans laquelle son œuvre froidement
mécanique n’impressionne point, manque de vie, d’intérêt, et apparaît souvent,
120 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

aux yeux prévenus, moins fidèle que des tableaux plus éloignés de la pure
réalité.
Ces théories, dont les éléments sont épars dans la tradition des grands
maîtres, les photographes auront à les interpréter, par un second travail de
l’esprit ; ils devront se les assimiler et leur trouver des applications nouvelles.
C’est vers cet ordre d’idées qui sera la base de l’esthétique héliographique,
que nous essayerons d’appeler l’attention des praticiens, en appliquant
l’expérience des écoles au genre du portrait.

« Théorie du portrait-II », La Lumière, 4 mai 1851 (n° 13), pp. 50-51.

Pour l’héliographe comme pour le peintre, il existe un double problème :


réunir la ressemblance et le charme à la réalité. Faire son choix dans les
divers aspects du réel, pour le photographe, c’est interpréter. [...] Du reste,
la part du goût personnel est si évidente, que nos principaux confrères
discernent, à la vue d’une épreuve, quel est celui d’entre eux qui l’a obtenue.
Du jour où cette distinction a été possible, l’héliographie a pu revendiquer
l’honneur d’avoir créé des artistes.
Une condition d’art dont il est important de se préoccuper, c’est celle qui
constitue le style.
Rien n’y est plus contraire que l’indiscrète prolixité du détail. Les boutiques
des quais, du Palais national et des boulevards, fournissent de ces chinoiseries
bourgeoises, où une tête sacrifiée à une profusion puérile d’accessoires
papillotants, se réduit à un rôle secondaire. Une tenture à ramages, un gilet
à fleurs, des chaînes de montre, des breloques, une cravate à carreaux écossais,
une table chargée de papiers, d ’écritoires, de statuettes, de vases du Japon,
etc., ce sont autant de distractions que la plupart du temps il convient
d’épargner au public. Lorsque les peintres affrontent ces difficultés, il leur est
loisible d’éteindre par le ton local ce que ces objets peuvent avoir de cru, de
criard ou de trop voyant. Encore les plus experts se montrent-ils sobres à cet
^endroit.
/ Mais le daguerréotype ne se prête point à ces transactions salutaires. Les
I détails risqués, plus ils sont scintillants et minutieux, plus il les accuse, plus
! il les reproduit avec vivacité. Si bien que la tête, sujet principal, s’efface, se
ternit, perd son intérêt, son unité, et tout miroite, sans que l’attention soit
concentrée nulle part.

La théorie des sacrifices 4, si largement pratiquée par Van Dyck, par Rubens
et par le Titien, doit être encore plus rigoureusement entendue par l’artiste

4. Sur la « théorie des sacrifices », voir définition p. 97 (n. 4).


LES DEBUTS DE LA PHOTOGRAPHIE 121

héliographe. D’ordinaire, ces grands peintres ont fait briller les têtes, au
milieu d’une atmosphère sombre et vaporeuse ; puis leurs fonds, plus ténébreux
à mesure qu’ils s’abaissent, viennent se confondre, le long des épaules, avec^
les plis des vêtements largement indiqués dans une pâte solide et foncée. Ils
ont évité de silhouetter sèchement, de la tête aux pieds, un corps humain et
leurs portraits ne ressemblent point, comme certaines épreuves daguerriennes,
à des merlans frits collés sur un plat d’argent.
Quel est le but de ces sacrifices portant sur la distribution de la lumière
et sur la suppression de certains détails ? C’est de concentrer l’attention sur
les figures ; d’en rehausser la clarté et d’appeler sur elles les rayonnements
de la vie. Ce que l’on cherche dans un portrait, c’est le personnage même :
les artistes veulent que l’on arrive à lui sans obstacles, et qu’il nous arrête
au passage. Leur interprétation, plus vraie que la réalité absolue, satisfait à"
la tendance de notre esprit, en ne nous contraignant pas de subir ce que
nous n’irions point chercher dans la nature.
Cette loi primordiale de la théorie du portrait, à laquelle les peintres
dérogent d’autant plus que leur talent est moindre, a été transgressée par la
majeure partie des héliographes, et c’est pourquoi leurs portraits ont déplu
par je ne sais quelle vulgarité, par l’absence d'impression, et ont excité la
curiosité, sans procurer la satisfaction que l’on attend des œuvres d ’art.^^-
L’UNIVERS DANS UN ALBUM
(1852)

L ouis de CORMENIN (1788-1868)

De 1849 à 1851, Maxime Du Camp est chargé par le ministère de l'Instruction


publique d’une mission archéologique en Orient qu’il effectue en compagnie de
Gustave Flaubert1 ; il publie en 1852 chez Gide et Baudry un livre, Egypte,
Nubie, Palestine et Syrie, dessins photographiques..., illustré de 125
planches tirées chez Blanquart-Evrard. Journaliste à La Presse, à L ’Evénement
et au M oniteur universel, Louis de Cormenin, le dédicataire de l ’ouvrage,
examine dans La Lum ière le rôle de la photographie dans la découverte moderne
du monde, ainsi que ses modalités figuratives spécifiques.
Il situe la photographie dans une dynamique d’ensemble : celle du développement
industriel qui, comme le croient les saint-simoniens, doit assurer à « tous » le bien-
être matériel, intellectuel et moral.
Comme beaucoup de ses contemporains, Louis de Cormenin croit à la
transparence de la représentation photographique qui, en obligeant le « voyageur
[à] s ’effacer », déjoue « fantaisie » et « supercherie » et offre au spectateur la
« vérité nue ». Mais il croit aussi à la consistance de cette représentation par
laquelle le voyage en images devient « oculaire et palpable », au point de faire
« voyager le lecteur lui-même ».
Consistance et transparence de l ’image vont ici de pair : c’est par elles que la
photographie peut « abréger pour l ’homme la distance et le temps » en assurant
une médiation entre « l ’univers » et le bourgeois dans son fauteuil.

I. Flaubert est sévère avec la photographie. La nomination de Maxime Du Camp comme officier de la
Légion d’honneur lui inspire ce commentaire, dans une lettre à Louise Colet, du 15 janvier 1853 :
« Admirable époque [...] que celle où l’on décore les photographes et où l’on exile les poètes » (allusion
à Victor Hugo qui avait quitté la France après le coup d ’Etat).
Quelques mois plus tard, toujours à Louise Colet, sa maîtresse : « [...] ne m’envoie pas ton portrait
photographié. Je déteste les photographies à proportion que j ’aime les originaux. Jamais je ne trouve cela
vrai [...]. Ce procédé mécanique, appliqué à toi surtout, m’irriterait plus qu’il ne me ferait plaisir.
Comprends-tu ? Je porte cette délicatesse loin, car moi je ne consentirais jamais à ce que l’on fît mon
portrait en photographie.» (14 août 1853)
LES DEBUTS DE LA PHOTOGRAPHIE 123

28. Maxime Du Camp, « Ibsamboul, colosse occidental du Spéos de Phré », Égypte, Nubie,
Palestine e t Syrie, 1852. Tirage papier salé/négatif papier (1850).
124 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

« A propos de É g y p te , N u b ie , P a l e s t i n e e t S y r ie , de Maxime Du Camp »


( lre partie), La Lumière, 12 juin 1852 (n° 25), p. 98.

Ce sera la gloire et aussi la récompense de. ce siècle si fécond en découvertes


de toute sorte, d’avoir abrégé pour l’homme la distance et le temps. Une
heureuse coïncidence a permis que la photographie fût trouvée au moment
même de la plus grande extension des chemins de fer. Grâce aux plus
énergiques agents de vitalité, l’électricité et la vapeur, l’homme, jusque-là
confiné immobile dans un petit espace, pourra sans fatigue connaître la
configuration de sa planète. Les éléments, soumis à son intelligente domination,
viennent d’eux-mêmes se mettre à son service et s’approprier à ses besoins,
comme des esclaves infatigables et fidèles, avec une obéissance muette et
passive. La vie plus dégagée, plus libre, plus spirituelle, laisse aux travaux
et jusqu’aux loisirs de l’intelligence une plus large part et un plus long champ
à parcourir. L’érudition même, qui jadis demandait tant de soins, de voyages,
de fatigues, de persévérance, d’argent et de volonté, est dès aujourd’hui mise
à la portée de tous les esprits et de toutes les bourses.
Q u’on se figure les illustres voyageurs d’autrefois, Christophe Colomb,
Mungo-Park, Levaillant, etc., armés de nos ressources ; que de difficultés
aplanies, que de problèmes vite résolus !
Nous n’avons plus besoin de monter sur le vaisseau des Cook et des
Lapeyrouse pour tenter de périlleux voyages ; l’héliographie, confiée à quelques
intrépides, fera pour nous le tour du monde, et nous rapportera l’univers en
portefeuille, sans que nous quittions notre fauteuil. [...]
En 1849, M. Maxime Du Camp, qui déjà avait fait un précédent séjour
en Orient, après quelques travaux d ’essais dirigés par M. Gustave Le Gray,
emporta des appareils, pensant qu’il était oiseux et presque impie pour un
artiste de visiter l’Egypte et la Palestine sans en rapporter un témoignage
exact. Où la plume est impuissante à saisir, dans la vérité et la variété de
leurs aspects, les monuments et les paysages, où le crayon est capricieux et
s’égare, altérant la pureté des textes, la photographie est inflexible. Son
ambition s’est bornée à dresser un procès-verbal et à transcrire un pays.
C’était en même temps donner le cadre et la signification au Coran et à la
Bible, et replacer l’histoire dans son décor naturel. Histoire ou voyage,
archéologie religieuse ou romane, Josèphe ou Chateaubriand, Lamartine ou
Bonaparte y acquerraient la précision de la réalité, du mouvement et de la
vie, décalqués en quelque sorte au pur et vrai reflet du soleil. Là ni fantaisie
ni supercherie, la vérité nue.
L E S D E B U T S D E LA P H O T O G R A P H IE 125

« A propos de É g y p te , N u b ie , P a l e s t i n e e t S y r ie , de Maxime Du Camp »


2e partie), La Lumière, 26juin 1852 (n° 27), p. 104.

Le meilleur moyen de traduire un voyage, c’est de faire voyager le lecteur


lui-même, c’est de le lui rendre oculaire et palpable. Les idées philosophiques
qu’il suscite ne sont qu’un agrément particulier, et nous préférons, pour notre
part, qu’un voyageur s’efface. Un voyage perd toujours à la substitution d’un
récit, si fidèle qu’il puisse être ; plus il est direct, plus il est placé sous l’œil
même sans intermédiaire et sans truchement, plus il gagne en clarté, en vérité
et en variété ; car la nature porte en elle un intraduisible cachet, et je ne sais
quel port et quelle allure que ne pourrait rendre le style le plus exact, le plus
pressant et le plus réaliste.
C’est donc une bonne fortune au double point de vue de l’art éternel et
du voyage cursif, qu’une excursion daguerrienne, surtout quand cette excursion
est entreprise dans des pays peu connus, singuliers, curieux, sur lesquels la
science ne possède que d’insuffisantes données. Aussi n’est-il pas téméraire
de dire que la publication de M. Maxime Du Camp complète, sous une
forme brève et compréhensible, l’ouvrage des Denon et des Champollion-
Figeac, et ouvre une voie nouvelle à l’investigation des orientalistes, comme
un horizon particulier aux études des artistes. L’art, à l’égal de la science,
y pourra puiser de précieux renseignements. Le mouvement intellectuel dirigé
vers l’Orient peut désormais le prendre comme le vade-mecum de ses
recherches et le manuel le plus certain et le plus intelligent. [...] La
photographie a déterré le pays des nécropoles et nous l’expose en une
encyclopédie complète : monuments, paysages, animaux, plantes, vus à vol
d'oiseau, s’y trouvent, saisis dans leur aspect, dans leur attitude, avec l’énergie
de la vérité et la puissance du relief. Représentation à la fois crue et naïve,
qui ne dissimule ni les exfoliations du temps ni les éraflures de la pierre, et
transmet tout sans supercherie. [...] De telles tentatives sont bonnes à
encourager, et le gouvernement, voyant ce qu’à pu faire un voyageur isolé,
livré à ses seules ressources, devrait en prendre exemple pour envoyer en
pacifique expédition d’art des photographes qui rapporteraient ainsi le monde
entier et enrichiraient nos musées par une collection inappréciable.
UN NOUVEAU REGARD
SUR L’ARCHITECTURE
(1851-1856)

H enri de LACRETELLE (1815-1899) ; Ernest LACAN (1828-1879)

Dès le tournant des années 1840, des daguerréotypistes comme Hippolyte-Louis


Fizeau, Joseph-Philibert Girault de Prangey, Frédéric Goupil-Fesquet, Jules Itier
ou le baron Jean-Baptiste-Louis Gros rapportent de France et du monde (Amérique
latine, Bassin méditerranéen, Chine), une multitude de paysages et de clichés
d’architecture.
Quelques années plus tard, les photographes Charles M anille, Charles Nègre,
Edouard-Denis Baldus ou les frères Bisson (Louis-Auguste Bisson est architecte
de formation), profitent de la vogue pour l ’art gothique et d’un souhait diffus de
voir s ’établir un inventaire du patrimoine national pour réaliser de nombreux
clichés de monuments. Mais leur intérêt pour l ’architecture doit beaucoup à une
initiative de la Commission des monuments historiques : la Mission héliographique.
En 1851, Edouard-Denis Baldus, Henri Le Secq, Gustave Le Gray, mais aussi
O. Mestral et Hippolyte Bayard, sont invités à photographier les richesses
architecturales de la France selon un itinéraire et un programme fixés par la
Commission. Plus de cent vingt sites et quarante-sept départements sont visités ;
trois cents négatifs réalisés à cette occasion subsistent aujourd’hui. S ’ils n’ont pas
été publiés à l ’époque, la Mission héliographique n ’en est pas moins l ’expression
d ’une attente et d’une confiance dans les capacités figuratives de la photographie.
D ’autant qu’elle inaugure toute la série des publications archéologiques (Du Camp,
Salzmann, Greene) et architecturales (Tes Bords du Rhin, Bruxelles
photographique, Les M onum ents de Paris) de Blanquart-Evrard, ainsi que
de nombreux travaux — Réunion des Tuileries au Louvre (1852-1857) de
Baldus, Le Midi de la France (1854) de Nègre, Le Nouvel O péra de
Paris (1868-1872) de Durandelle, etc. — qui jalonneront le Second Empire.
Sans bénéficier d’une diffusion comparable à celle d ’aujourd’hui, ces images
sont connues des principaux acteurs de la vie culturelle : peintres, journalistes,
architectes, photographes. « Que de beautés, que de merveilles inaperçues jusque-
là ont révélé les splendides reproductions des cathédrales », note Ernest Lacan qui
LES DÉBUTS DE LA PHOTOGRAPHIE 127

2 30. (En haut) Deux épreuves de la cathédrale de Reims par Dès 1851, la photographie renouvelle le regard porté sur l'architec­
-- - te Secq Le C o u ro n n e m e n t d e le Vierge et Le Gelerie d e s ture en modifiant la situation de l'observateur, en lui faisant décou­
- i *351. Tirages papier saléfnégatlf papier ciré sec. vrir détails et points de vue inédits, en multipliant les gros plans :
: Enbas a gauchel Henri Le Secq. Cathédrale N otre-D am e d e « Que de beautés, que de merveilles inaperçues jusque-là ont
• arcs-boutants d e l'abside. 1851. Tirage papier salê'négatif révélé les splendides reproductions des cathédrales » (E Lacan en
1856).
reoer ciré sec
32 tn bas à droite) Clémence Jacob Delmaet et Louis Émile
; _ a-de'le. Toit d e l’O péra d e Paris e n construction, vers 1870.
~rage papier albuminé.
128 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1818-1871

insiste sur « la puissance de la photographie dans son application à l ’art


monumental ».
Les photographies de monuments ne sont pas strictement équivalentes aux
habituelles gravures et lithographies 1. Elles modifient radicalement la situation de
l ’observateur qui bénéficie désormais d ’une mobilité et d’une liberté jusque-là
réservées aux seuls oiseaux, remarque Lacretelle à propos des vues de cathédrales
d ’Henri Le Secq. En renouvelant les angles de vue et en multipliant les gros
plans, elles invitent à une véritable redécouverte des édifices — à leur déconstruction
« pierre à pierre » et à leur « reconstruction » photographique « avec des effets
merveilleux ». En un mot, les photographies proposent une nouvelle manière,
moderne, de percevoir l ’architecture, elles favorisent un bouleversement du regard
qui ne sera pas sans effet sur la peinture elle-même — que l ’on songe aux toiles
de Monet sur la cathédrale de Rouen.

Les photographies d’architecture répondent à d ’autres besoins — techniques et


symboliques. Grâce à leur rapidité d’exécution elles permettent d ’enregistrer l ’état
d’un édifice avant restauration pour en conserver la mémoire et préparer les
travaux Au dos d’un daguerréotype de l ’escalier François-I" du château de Blois,
Bayard note dès août 1843 : « Vingt vues diverses ont été prises pour servir au
projet de restauration sur la demande de M. Duban. » 123 C’était aussi l ’un des
buts de la Mission héliographique. La photographie sera l ’auxiliaire obligé de
tous les grands projets architecturaux et urbains du Second Empire : dès 1849
Henri Le Secq enregistre les transformations de Paris ordonnées par le préfet
Berger, avant celles d ’Haussmann assidûment photographiées par Charles Marville.

1. Des adversaires de la photographie aussi résolus que Henri Delaborde en conviennent (cf. p. 229).
2. Viollet-le-Duc saluera plus tard, dans son Dictionnaire... l’extrême utilité de la photographie pour le
restaurateur : « La photographie, qui chaque jour prend un rôle plus sérieux dans les études scientifiques,
semble être venue à point pour aider à ce grand travail de restauration des anciens édifices, dont l’Europe
entière se préoccupe aujourd’hui. En effet, lorsque les architectes n’avaient à leur disposition que les
moyens ordinaires du dessin, même les plus exacts, comme la chambre claire, par exemple, il leur était
bien difficile de ne pas faire quelques oublis, de ne pas négliger certaines traces à peine apparentes. De
plus, le travail de restauration achevé, on pouvait toujours leur contester l’exactitude des procès-verbaux
graphiques, de ce qu’on appelle les états actuels. Mais la photographie présente cet avantage de dresser
des procès-verbaux irrécusables et des documents que l’on peut sans cesse consulter, même lorsque les
restaurations masquent des traces laissées par la ruine. La photographie a conduit naturellement les
architectes à être plus scrupuleux encore dans leur respect pour les moindres débris d’une disposition
ancienne, à se rendre mieux compte de la structure, et leur fournit un moyen permanent de justifier de
leurs opérations. Dans les restaurations, on ne saurait donc trop user de la photographie, car bien souvent
on découvre sur une épreuve ce que l’on n ’avait pas aperçu sur le monument lui-même. » (Article
« Restauration », Dictionnaire raisonné de l’architecture française du Kf au XVf siècle, Paris, A. Morel, t. V III,
1866, p. 33.)
3. Société française de photographie.
LES DÉBUTS DE LA PHOTOGRAPHIE 129

Quant à Collard pour les Ponts et Chaussées et Delmaet-Durandelle pour le


nouvel Opéra, ils photographient moins des édifices que les phases de leur
construction. Leurs séries d’épreuves rendent compte d’un processus temporel. Sur
le plan symbolique, la photographie a encore partie liée avec l ’éphémère puisqu’elle
est pensée comme un moyen d’en conjurer les effets, de protéger les monuments
contre « le temps, les révolutions, les convulsions terrestres [qui] peuvent en détruire
jusqu’à la dernière pierre », écrit Ernest Lacan en 1856.

Henri de Lacretelle : « Revue photographique », La Lumière, 20 mars 1852,


n° 13), pp. 49-50.

Nous avons feuilleté longtemps l’inépuisable album photographique de M. Le


Secq. Le jeune artiste, noblement dévoué à la double mission qu’il s’est
donnée, ne quitte les tableaux de son chevalet que pour ceux de sa chambre
obscure. La Commission des monuments historiques a trouvé en lui
l’enthousiasme et la vive intelligence. Il a rapporté pierre à pierre les
cathédrales de Strasbourg et de Reims, dans plus de cent épreuves différentes.
Nous sommes montés, grâce à lui, sur tous les clochers ; nous nous sommes
suspendus à toutes les frises et à toutes les corniches. Ce que nous n’aurions
jamais découvert à nos yeux, il l’a vu pour nous, en posant son appareil à
toutes les hauteurs d’où la cathédrale était visible. Il a fait ainsi un des
travaux archéologiques les plus curieux et les plus complets qui se puissent
imaginer. On dirait que les saints artistes du Moyen Age avaient prévu le
daguerréotype 4, en plaçant leurs statuettes et leurs découpures de pierre,
merveilleuses de fini et de détail, à des sommets où les oiseaux qui tournent
au-dessus des tours pouvaient seuls les voir. Voici les morts qui sortent de
leurs tombes, Dieu qui reçoit les âmes, tout un enfer ! tout un ciel ! Voici
l'échelle de Jacob, déroulant sa spirale de statues, de la base au sommet de
la cathédrale. A Reims, voici le portail du sacro-sanctum dans lequel on
gardait l’ampoule pour sacrer les rois ! A Strasbourg, voici l’eau du Jourdain
qui sacrait, en les baptisant, des chrétiens pour la liberté ! Rien n’est oublié :
des inscriptions ignorées ont reparu dans les épreuves photographiques. La
cathédrale entière est reconstruite, assise par assise, avec des effets merveilleux
de soleil, d’ombre, et de pluie. M. Le Secq a fait aussi son monument.
Beaucoup d’autres vues : des paysages qui rêvent dans le silence ; d’autres
animés par des groupes surpris par hasard : une variété de teintes, une sûreté*1

■%- Daguerréotype» est ici employé comme un synonyme de photographie. Henri Le Secq (1818-1882)
1 1 pas pratiqué le daguerréotype, ses vues des cathédrales de Reims et Strasbourg sont réalisées au
aacvfn de négatifs sur papier ciré et tirées sur papier'salé. Son nom, souvent écrit en un seul mot, est
m réalité Jean-Louis-Henry Le Secq Destournelles.
130 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

nette dans des procédés nouveaux, font de M. Le Secq un des maîtres de la


photographie.
Honneur et courage à tous ces fervents disciples de cette science nouvelle,
qui comptent chacun de leurs jours de travail par les progrès qu’ils lui font
faire, parce qu’ils rendent hommage, par leurs mains et leurs adorations, à
l’art ancien et éternel !

Ernest Lacan : E s q u is s e s p h o to g r a p h iq u e s à p r o p o s d e l ’E x p o s itio n u n iv e r s e lle


e t d e la g u e r r e d ’O r ie n t, 1 8 5 6 , p p . 2 8 - 3 1 .

Quel archéologue n’a désiré voir le château de Polignac, si célèbre par ses
légendes et par l’histoire de la famille illustre qui l’a bâti ? Le voici sur son
piédestal de granit. Frappez à cette maisonnette posée comme une sentinelle
à l’entrée de ce sentier qui grimpe par mille détours jusqu’au pied des vieilles
murailles ; interrogez le paysan qui l’habite, il vous dira les naïves traditions
du passé ; il vous racontera comment, à une époque qui se perd dans la nuit
des temps, un dieu parlait, du fond de cette roche massive, aux pèlerins
accourus pour le consulter ; il vous montrera la place où l’on murmurait sa
question en déposant une offrande, et la tête colossale du dieu, dont les lèvres
de pierre s’entr’ouvraient pour formuler la réponse.
Ce précieux monument, comme tant d’autres, tombe pierre à pierre ; bientôt
il disparaîtra comme les générations qui l’ont habité ; mais, grâce à la
photographie, il restera tel qu’il est encore, dans ce dessin tracé par la lumière.
Tous ces vieux débris d’un autre âge, si précieux pour l’archéologue, pour
l’historien, pour le peintre, pour le poète, la photographie les réunit et les
rend immortels. Le temps, les révolutions, les convulsions terrestres peuvent
en détruire jusqu’à la dernière pierre : ils vivent désormais dans l’album de
nos photographes.

Mais, en considérant ce que la photographie a produit dans son application


aux voyages, je ne me suis encore occupé que d’un de ses aspects, celui qui
fixe plus particulièrement l’attention du fantaisiste ; j ’arrive à son application
aux choses de l’art proprement dit.
Les siècles de foi, les grandes époques de l’art nous ont laissé des cathédrales,
des palais, des monuments qui servent de types à l’étude sérieuse du beau
dans sa forme la plus complète, qui est l’architecture. Il fallait naguère aller
étudier sur place ces monuments célèbres, ou bien s’en rapporter à des dessins
imparfaits, insuffisants, quel que soit le talent de leur auteur. Aujourd’hui la
photographie vous les donne tout entiers dans ses admirables reproductions.
Aucun détail ne lui échappe. Elle dessine aussi facilement l’ange qui symbolise
la prière en déployant ses ailes au faîte du clocher le plus élevé, que le saint
L E S D E B U T S D E I.A P H O T O G R A P H I E 131

qui vous accueille à l’entrée du portail, drapé dans son manteau de pierre.
Que de beautés, que de merveilles inaperçues jusque-là ont révélé les
splendides reproductions des cathédrales de Strasbourg, de Reims, de Beauvais,
de Chartres, de Poitiers, par MM. Le Secq, Marville et Le Gray ; de l’église
et du cloître de Saint-Trophime, à Arles ; du Palais des Papes, à Avignon ;
de la tour Magne, de la Maison carrée, des Arènes de Nîmes, par MM. Baldus
et Nègre ; du château de Blois, par MM. Bisson, Fortier et Ferrier ! Quel
intérêt ! quelle puissance ! quelle vérité ! quelle étude ! Réunissez ces épreuves,
classez ces monuments par époques, et avec quelle facilité vous pourrez suivre
dans le mouvement des grandes lignes, dans les modifications des proportions,
dans le caractère des sculptures et dans le choix des motifs, les diverses
transformations de l’art !
La Commission des monuments historiques avait compris les services que
la photographie pouvait lui rendre, et elle avait confié, il y a déjà trois ans,
des missions à plusieurs photographes distingués. Les vues qu’ils ont rapportées
ont justifié son attente. Depuis cetite époque, que de progrès ces artistes ont
&its et que d’œuvres merveilleuses ils ont produites ! J ’âi sous les yeux une
épreuve faite il y a quelques jours à peine et représentant le nouveau pavillon
de Rohan, par M. Baldus. Rien n’est plus beau que cette épreuve. Elle rend
avec une étonnante perfection toutes les finesses de cette architecture coquette
qui fait tant d’honneur au talent et au bon goût de M. Lefuel, digne successeur
de Y isconti. Les gracieuses figures du fronton, la belle statue de la France,
dues aux ciseau poétique de M. Diébolt ; les frises délicates qui courent sous
les corniches, les chapiteaux, les guirlandes, la rosace si purement découpée
qu'on la prendrait pour une dentelle de fer ; tous les détails de cette riche
ornementation ont été reproduits avec une précision qui montre la puissance
de la photographie dans son application à l’art monumental. Il serait à désirer
que. à mesure que chacune des parties du nouveau Louvre sera terminée,
elle fût reproduite ainsi, afin que les habitants de la province et des pays
étrangers pussent connaître et admirer comme nous, les merveilleuses beautés
de ce gigantesque monument, qui sera le chef-d’œuvre collectif des premiers
artistes de notre temps, inspirés par la patriotique et grande pensée qui
préside à ces travaux.
LA QUESTION DU PITTORESQUE
(1853)

Charles NÈGRE (1820-1880)

A la suite d’un voyage effectué dans le Midi de la France entre août 1852 et
février 1853, Charles Nègre rapporte environ 80 clichés. Dix d ’entre eux tirés par
l ’imprimerie photographique de Fonteny sont publiés en 1854 sous forme de deux
livraisons (juin et octobre) chez Goupil et Vibert. Dans un texte de présentation 1,
Nègre explicite sa conception des rapports entre la photographie et l ’art et, surtout,
sa manière de travailler.
La photographie est, dit-il, un « moyen d’exécution uniforme, rapide et sûr,
mis au service de l ’artiste ». Mais, contrairement à nombre de ses contemporains
et amis peintres, il soutient qu’une telle pratique n’interdit pas l ’expression de la
sensibilité et de l ’individualité qui sont pleinement sollicitées dans les choix
multiples (d’objet, de point de vue et d’effet) que le photographe-artiste est appelé
à faire.
Selon Nègre, au moins deux attitudes esthétiques sont possibles devant un
monument : la précision ou le pittoresque. Mais qu’est-ce qui décide de l ’une ou
l ’autre ? La destination des images, nous dit Nègre. Il adapte ses choix esthétiques
(le cadrage, le point de vue, le degré de précision, etc.) aux attentes particulières
de sa clientèle potentielle — architectes, archéologues, sculpteurs ou peintres.
Auguste Salzmann a pour sa part moins à décider qu’à respecter les consignes
formelles qui lui sont données par l ’Académie des inscriptions et belles lettres afin
que ses images des monuments du Bassin méditerranéen « produisent pour la science
[archéologique] les résultats qu’on en attendait ».

1. R e p r o d u i t p a r J a m e s B o r c o m a n d a n s C h a r le s N è g r e , 1 8 2 0 -1 8 8 0 ( G a l e r i e n a t i o n a l e d u C a n a d a , O t t a w a ,

1 9 7 6 ) p u is p a r F r a n ç o is e H e i l b r u n , c e t e x te ( A r c h . n a t. F 21 1 6 6 , n ° 2 7 ) a c c o m p a g n a i t u n e p r o p o s i t i o n d e

s o u s c r ip ti o n p o u r s o n o u v r a g e q u e C h a r l e s N è g r e a d r e s s a d è s a v r il 1 8 5 3 a u m i n i s t è r e d ’E t a t . F r a n ç o is e

H e i l b r u n p r é c i s e q u e le m i n i s t r e « a c h e t a v in g t- c i n q e x e m p l a i r e s d e c h a c u n e d e s d e u x liv r a is o n s ( a u p rix

d e 8 F la p la n c h e ) , r é g lé e s e n 1 8 5 5 » ( C h a r le s N è g r e p h o to g r a p h e , 1 8 2 0 -1 8 8 0 [ R é u n i o n d e s m u s é e s n a t i o n a u x ,

P a r i s ] , p . 1 3 3 ).
L E S D É B U T S D E LA P H O T O G R A P H IE 133

Charles Nègre : « Note » à propos du Midi de la France, sites et monuments photographiés,


1853 (Archives nationales, F21166, n° 27).

La photographie remplacera désormais les dessins qui demandent une


exactitude rigoureuse.
Si l’art est l’interprétation poétique de la nature, la photographie en est la
traduction exacte ; elle est l’exactitude dans l’art ou le complément de l’art.J
En nous donnant la précision perspective et géométrique, la photographie
ne détruit pourtant pas le sentiment individuel de l’artiste : c’est toujours
l'objet à reproduire qu’il faut savoir choisir ; c’est le point de vue le plus
avantageux qu’il faut trouver* c’est l’effet le plus en harmonie avec l’objet
à reproduire qu’il faut saisir.
La photographie ne forme donc pas un art à part et aride ; elle n’est qu’un
moyen d’exécution uniforme, rapide et sûr, mis au service de l’artiste et
reproduisant avec une précision mathématique la forme, l’effet des objets
et même cette poésie qui résulte immédiatement de toute combinaison
harmonieuse.
Ce n’est pas seulement la nature pittoresque et variée des sites, l’éclat du
soleil, la pureté de l’atmosphère que j ’ai voulu reproduire dans mes vues
photographiées ; à côté de ces beautés dont le Créateur a doté nos contrées
méridionales et qui tiennent à des causes toutes physiques, j ’ai cherché des
beautés d’un autre ordre qui doivent nous intéresser aussi parce qu’elles se
rapportent à l’étude de l’art et de l’histoire. Chaque génération a laissé sur
le sol des traces visibles de son passage, telles que : monuments religieux,
publics ou privés et c’est par l’étude de ces monuments qu’on peut aujourd’hui
se former une idée exacte de ces générations diverses.
Dans la reproduction des monuments anciens et du Moyen Age que j ’offre
au public, j ’ai tâché de joindre l’aspect pittoresque à l’étude sérieuse des
détails si recherchés par les archéologues et par les artistes architectes,
sculpteurs et peintres ; chacune de ces catégories d’artistes trouvera dans cette
collection des motifs qui entreront dans leurs cadres spéciaux sans perdre
leurs conditions d’art.
Ainsi, j ’ai fait pour l’architecte une vue générale de chaque monument en
plaçant la ligne d’horizon au milieu de la hauteur de l’édifice et le point de
vue au centre. J ’ai cherché à éviter les déformations perspectives et à donner
aux dessins l’aspect et la précision d’une élévation géométrale : le Palais des
Papes à Avignon, côté du Levant; l’église métropolitaine de Saint-Trophime
à Arles ; l’église Saint-Gilles à Saint-Gilles, sont reproduits dans ces conditions.
Après avoir fait la part de l’architecte, j ’ai cru devoir faire la part du
statuaire en reproduisant sur la plus grande échelle possible les détails de
sculpture les plus intéressants.
Peintre moi-même, j ’ai travaillé pour les peintres en suivant mes goûts
personnels. Partout où j ’ai pu me dispenser de faire de la précision
134 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

33 et 34. Deux épreuves tirées de M idi de la France, Charles Nègre. Ci-dessus : « Arles, les Alyscamps ». vers 1852.
Page de droite : «Arles, église métropolitaine de Saint-Trophime, côté droit du portail »,
vers 1853. Tirages papier salé/négatif papier. -
En traitant le même site de deux manières différentes : pittoresque (ci-dessus) et précision documentaire (page de droite).
Charles Nègre entend montrer les possibilités très diverses d'une pratique que trop de contemporains réduisent
à la reproduction mécanique de la réalité.

architecturale, j ’ai fait du pittoresque ; je sacrifiais alors s’il le fallait quelques


détails en faveur d’un effet imposant propre à donner au monument son vrai
caractère et à lui conserver le charme poétique qui l’entoure.
J ’ai exploré Avignon, Arles, Saint-Gilles, les Baux, Tarascon, Beaucaire,
Aix, Fréjus, Marseille, Toulon, etc. Indépendamment des antiquités romaines
répandues dans certains endroits, presque toutes ces villes m’ont fourni des
richesses d’archéologie peu connues : ce sont des restes précieux de l’art
chrétien aux X I e, X I I e et X I I I e siècles ; c’est à la reproduction des œuvres de
cet art national que je me suis plus particulièrement attaché.
J ’ai voulu par le travail entrepiis dans un but tout spécial livrer à ceux
qui se consacreront aux diverses études de nos antiquités nationales un résultat
qu’ils ne sauraient obtenir le plus souvent qu’au prix de voyages quelquefois
dispendieux et parfois pénibles.
CONTROVERSES ARCHÉOLOGIQUES :
LA PREUVE PAR LA PHOTOGRAPHIE
(1855-1861)

L ouis-F élicien-Joseph Caignart d e Saulcy (1807-1880) ;


A cadém ie d es in scrip tion s et b elles lettres (1853) ;
T h éod u le D evéria (1831-1871)

Médiévale, grecque ou moyen-orientale, l ’archéologie est à l ’époque des débuts de


la photographie une science en plein essor. Les missions en Egypte, en Palestine
et tout autour de la Méditerranée se multiplient — cependant qu’une attention
nouvelle s ’attache aux richesses de l ’architecture nationale. La photographie est
d ’emblée associée à ce vaste mouvement, comme le prouvent les séries de
daguerréotypes puis les nombreux albums de photographies archéologiques, ainsi
que des initiatives comme la Mission héliographique.
Mais, si la vogue de l ’esthétique orientaliste aidant, certaines démarches se
situent dans une perspective résolument pittoresque, d ’autres comme celles d’Auguste
Salzmann et de Théodule Devéria obéissent à une tout autre logique : celle de la
science archéologique.
En septembre 1853, Auguste Salzmann sollicite du ministre de l ’Instruction
publique une « mission gratuite » 1pour aller dans les îles de l ’Archipel « reproduire
par la photographie » les monuments laissés par les Chevaliers hospitaliers de
Saint-Jean. Après l ’avis favorable de l ’Académie des inscriptions et belles lettres,
le Ministre accède à la demande de Salzmann. Mais au lieu des îles de Rhodes,
de Chypre, de Cos ou de Crète, c’est Jérusalem qu’il rallie, avec son aide Durheim.
Féru d’archéologie, Salzmann a en effet eu connaissance des vives polémiques
que suscite la thèse de Félicien Caignart de Saulcy sur Jérusalem. Comme on
dénie toute validité à ses dessins et cartes, Salzmann se propose de leur substituer
des photographies, de remplacer le dessinateur soupçonné de supercherie par un
autre, le soleil, dont « il serait dijjicile de suspecter la bonne foi ».
Après quatre mois de travail, Salzmann rapporte en France 150 clichés —

1 « Confiant en votre bienveillante sollicitude, je viens, Monsieur le Ministre, vous demander mission
gratuite afin que, muni de ce titre officiel, je puisse trouver chez nos représentants en Orient un accueil
plus sérieux que celui que l’on fait à un simple touriste. » Lettre de Salzmann datée du 4 sept. 1853
(Archives nationales F17, 3005A).
L E S D É B U T S D E LA P H O T O G R A P H IE 137

Durheim lui en enverra 50 supplémentaires — qui confirment les théories de


Saulcy. Tirées chez Blanquart-Evrard, les photographies de Salzmann seront
publiées en 1856 par Gide et Baudry sous le titre : Jérusalem , Etude et
reproduction photographique des m onum ents de la Ville sainte depuis
l'époque judaïque ju s q u ’à nos jours par Auguste Salzm ann, chargé p ar
le ministère de l’Instruction publique d ’une mission scientifique en
O rient.
Saulcy, à qui Touvrage est dédié, note à juste titre que les images de Salzmann
allient le « pittoresque » et « l ’érudition pure », l ’art et la rigueur scientifique.
Contrairement à Du Camp qui réalise un album de voyage pittoresque, Salzmann
produit des documents destinés à soutenir une thèse, à intervenir dans un débat
à caractère scientifique.
L ’histoire de cet album témoigne de la perte de crédibilité scientifique des images
manuelles (le dessin, les croquis) face à la photographie qui, elle, est présentée
comme au-dessus de tout soupçon.
Telle est bien la manière dont Théodule Devéria — fils du peintre et dessinateur
Achille Devéria, conservateur du musée égyptien du Louvre et très proche
collaborateur d’Auguste Mariette — considère la photographie dans l ’article qu’il
soumet en 1861 à la Revue archéologique. Sa correspondance atteste qu’une
part importante de ses activités d’égyptologue consiste à copier des inscriptions.
Si. comme l ’avait conseillé Arago en 1839, il utilise la photographie, celle-ci ne
saurait remplacer les relevés manuels : elle lui sert à « contrôler » ses copies et
à « lever ainsi presque tous les doutes ».

Académie des inscriptions et belles lettres: procès-verbal, 2 déc. 1853


Archives nationales, F 17 3005A).

M. le Ministre de l’Instruction publique a demandé à l’Académie des


inscriptions et belles lettres son opinion sur la mission dont M. Salzmann
sollicite l’obtention. L’Académie ne peut qu’encourager de la manière la plus
précise les entreprises du genre de celle à laquelle M. Salzmann est prêt à
donner son temps et ses soins.
L’île de Rhodes, outre les monuments de l’ordre de Saint-Jean, présente
une foule de restes de l’époque grecque, qu’il serait important de recueillir,
en s’efforçant de ne plus laisser après soi que de rares épis à glaner.
L’île de Cos doit encore fournir une ample matière aux investigations de
M. Salzmann. Il en est de même de l’île de Chypre et de l’île de Crète, qu’il
serait très important d’étudier à fond.
Il est une portion du littoral de l’Asie mineure, dont la géographie antique
est à peu près inconnue encore, c’est précisément celle qui fait face à Rhodes.
138 LA P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

Si M. Salzmann pouvait consacrer quelques semaines à explorer avec soin la


portion des côtes comprise entre Bargylie et Makri, nul doute qu’il n’attachât
son nom à de très importantes découvertes.
Si l’intention de M. Salzmann est d’étendre ses recherches à la Syrie, il
devrait, à partir d’AntiocheAvisiter toutes les places occupées pendant les
Croisades, et il récolterait infailliblement une ample moisson de monuments
appartenant à la période dont il s’occupe spécialement. Ainsi Antioche,
Tripoli, Byblos, Beyrout, Saida, Sour, Akka et dans leurs terres, Hebillyn,
Nazareth, Thabarich, Naplouse, Sebastieh, Beityn, El Birch, Jérusalem,
Ascalon, Jaffa, Hébron et Kourmoul lui fourniraient une foule de ruines
chrétiennes extrêmement intéressantes à étudier.
En général, l’emploi fait jusqu’à présent de l’admirable procédé de la
photographie, par différents voyageurs, n’a pas produit pour la science les
résultats qu’on en attendait. S’attachant uniquement à des vues générales, ils
ont fait ce qu’un dessinateur a toujours le temps d’exécuter, et ils ont omis
les détails si précieux que l’artiste n’a pas le loisir de prendre.
M. Salzmann s’attachera donc aux points de vue rapprochés et aux détails,
soit d’armoiries, soit de sculpture d’ornementation, soit enfin d’appareil et de
façon de construire, que la photographie seule peut rendre.
Les ustensiles de la vie privée chez les Orientaux d’aujourd’hui ont un
rapport intime avec les mêmes ustensiles en usage au Moyen Age parmi nous
et abandonnés de nos jours, il y aurait donc un grand intérêt à les reproduire
exactement.
L’ameublement des églises chez les Grecs est resté plus fidèle aux anciens
et primitifs usages que le nôtre, figurer exactement tous ces détails, c’est nous
donner le moyen de retrouver l’origine de nos propres usages.
En résumé, l’Académie se borne à prier M. Salzmann de ne rien négliger
de ce qui se rencontrera sur sa route, et de recueillir tous les documents
archéologiques possibles, qu’ils appartiennent ou non à l’époque dont il fait
son étude de prédilection.
[...] Certifié conforme. Le Secrétaire perpétuel.

Félicien-Joseph Caignart de Saulcy : « Exploration photographique de


Jérusalem par M. Auguste Salzmann», Le Constitutionnel, 24 mars 1855.
pp. 2-3.

Je voudrais, à propos d’une publication remarquable, essayer de montrer


quels secours la science peut recevoir de la Photographie maniée par un
artiste qui, au goût du pittoresque, sait joindre le goût des études d’érudition
pure.
M. Auguste Salzmann est, à mon avis, le prototype du photographe
intelligent dont le travail doit infailliblement faire faire des progrès très
LES D EBU TS DE LA P H O T O G R A PH IE 139

35 Auguste Salzmann, «Jérusalem enceinte du temple, détails de l'appareil de la piscine pmbatique » Jerusalem, 1856.
Tirage papier salé/négatif papier 11854). -
-eue comme un document destiné à démontrer le bien-fondé d’une thèse d'archéologie, cette image nous retient aujourd'hui
par ses partis esthétiques la non-composition la planéité, le jeu du grain et de la matière etc.

sibles aux sciences historiques. D’abord il est peintre et peintre distingué,


• qui ne gâte rien à l’affaire, vu qu’il y a dès lors beaucoup de chances pour
j :e d’un site donné il tire tout le pittoresque possible, en choisissant, avec
- . tact d’artiste, l’effet le plus heureux des lignes et de la lumière. C’est là
mérite d’autant plus à priser, qu’il ne se rencontre pas toujours chez les
îtographes de profession [...].
Tout ce que l’on était en droit d’espérer du travail de M. Salzmann se
i>uve aujourd’hui réalisé de la manière la plus heureuse.
Il y a aujourd’hui quatre ans que je rentrais en France, après un long et
*nible voyage en Syrie et en Palestine, rapportant une moisson de faits
iveaux que j ’avais la bonhomie de regarder comme devant m’attirer quelque
u la reconnaissance du monde officiel des savants. Quelle illusion, bon
A*eu ! Je venais résolument déranger des théories toutes faites, lourdement
jorées au fond d’un bon fauteuil, à coup de bouquins et à grand renfort
imagination, bonnes enfin à rester au fond du cabinet qui les avait vues
être. Avec un peu plus d’expérience j ’aurais deviné que j ’allais infailliblement
tirer sur ma tête plus d’anathèmes que de remerciements. Aussi n’est-ce
140 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E IH 16-187I

36 et 37. Deux épreuves tirées de Jérusalem (1856) d'Auguste


Salzmann : s Jérusalem, Saint-Sépulcre, porte ouest » ; et « Jéru­
salem, Saint-Sépulcre, détails des chapiteaux ». Tirages papier
salé/négatif papier (1854).
Gros plans, densite des noirs, vigueur géométrique de la construc­
tion : autant d'effets qui, par delà la visée documentaire, coïnci­
dent avec la recherche picturale du xixe, voire du xxe siècle. Peintre
de formation, Salzmann traverse brièvement l'histoire de la photo­
graphie. Sa série sur Jérusalem sera son unique publication.

plus aujourd’hui que je commettrais de pareils actes de simplicité. Donc, au


retour, je fus rudement assailli de sarcasmes et de démentis, et les brevets
d’ignorance me furent décernés avec enthousiasme. J ’avais rapporté des dessins
et des cartes sur lesquels je fondais de grandes espérances de prosélytisme ;
peu s’en fallut que l’on n’imprimât que cartes et dessins étaient sortis de
toutes pièces de mon imagination. J ’avoue en toute humilité que jamais de
ma vie je n’ai enragé d’aussi bon cœur. Mais je devais tôt ou tard avoir mon
tour, et, la Photographie aidant, ceux qui se montraient les plus ardents
contre mes assertions devaient quelque jour se heurter contre des faits d’une
brutalité telle, qu’une fois ces faits constatés, il ne leur resterait plus qu’à
faire le plongeon, ou à fermer les yeux afin de se dispenser de voir.
Aujourd’hui, ce moment est arrivé ; M. Auguste Salzmann, frappé de mon
opiniâtreté à soutenir que j ’avais bien vu les faits que l’on me contestait, s’est
chargé d’aller vérifier sur place toutes mes assertions, à l’aide d’un dessinateur
fort habile, en vérité, et dont il serait difficile de suspecter la bonne foi, c’est-
à-dire du soleil, qui n’a d’autre parti pris que celui de reproduire ce qui est.
Six mois durant, le courageux artiste a péniblement poursuivi son œuvre, et,
au bout de ce temps, il rapportait un portefeuille riche de plus de deux cents
magnifiques planches, réunissant tous les éléments de la question que j ’avais
LES D EBU TS DE LA PH O T O G R A PH IE 141

soulevée, en soutenant que Jérusalem contenait en très grand nombre des


fragments antiques datant de l’époque du royaume de Juda, et remontant
jusqu’à Salomon, sinon jusqu’à David lui-même.
Et qu’on me passe une petite satisfaction d’amour-propre : tout ce que
avais apporté de dessins est regardé aujourd’hui comme étant d’une exactitude
respectable ; c’est bien quelque chose ; mais ce qui vaut mieux encore, c’est
qu'un grand nombre d’hommes compétents sont maintenant de mon avis, et
regardent comme désormais démontrées les vérités que j ’avais entrevues dans
histoire de l’art judaïque.

Théodule Devéria : « Notes sur les listes hiéroglyphiques des conquêtes


de Toutmès III » (à M . le Directeur de la Revue archéologique)'2, 1861.

Monsieur, En lisant, dans l’avant-dernier numéro de la Reçue archéologique,


intéressant article de M. le vicomte E. de Rougé, intitulé : « Etude sur divers
monuments du règne de Toutmès III, découverts à Thèbes par M. Mariette
suite et fin) », j ’ai remarqué que l’auteur conservait des doutes sur l’exactitude
de certaines parties de la copie des listes hiéroglyphiques des nations vaincues
qu’il avait eues entre les mains, en affirmant qu’on ne pourrait acquérir une
ertitude absolue sur ces passages difficiles ou à demi effacés qu’à l’aide
d'empreintes ou de reproductions photographiques.
Je suis, heureusement, à même de faire disparaître la plupart de ces
incertitudes, par deux raisons : la première, c’est qu’ayant assisté, en février
.859, à la découverte que fit mon savant collègue et ami, M. Mariette, de
la partie des palais de Karnak qui contient ces listes, j ’en fis plusieurs
photographies aussitôt que les déblais furent terminés ; la seconde, c’est que
!a copie que M. le vicomte de Rougé a eue à sa disposition, est une
reproduction de ma main d’une première copie que j ’exécutai moi-même
i'après le monument original, avec toute l’attention possible, et en appelant
souvent à mon aide l’expérience de M. Mariette. Si, malgré cela, cette copie
undent des fautes, ce qui n’est pas impossible, je puis les contrôler au moyen
de mes photographies et lever ainsi presque tous les doutes.
Voici donc ce que je puis affirmer :
Pour la liste des peuples d’Afrique, la seule qui ait été publiée par
M. Samuel Birch, cet égyptologue n’a certainement eu à sa disposition qu’une
opie fort inexacte dans laquelle l’ordre même des noms a été interverti ;
voici comment il faut les placer pour qu’ils se trouvent disposés comme sur
le monument: 1 à 13, 115(52), 14 à 21, 31, 22 à 30, 32 à 44, 114, 45 à

E c rit e n 1 8 6 1 e t d e m e u r é i n é d i t : le m é m o i r e e n v o y é à la R e v u e a r c h éo lo g iq u e n e fu t p a s p u b lié . » [ N o t e

■ G . M a s p e r o ] P u b l ié d a n s G . M a s p e r o , T h é o d u le D e v é r ia , M é m o ir e s e t f r a g m e n ts , P a r i s , E r n e s t L e r o u x , 1 8 9 6 ,

î 1. p p . 2 0 3 -2 0 4 .
142
1 P H O T O G R A P H IE EX FR A N C E 1816-1871

38 et 40. Deux épreuves de Théodule Devéria, 1859. Tirage papier salé albuminisé'négatif papier :
Memphis, sérapeum grec (en haut à gauche) et Quai d'Éléphantine (ci-dessus).

39. (En haut à droite) Une épreuve de Louis de Clercq. Esnéh, tes chapiteaux et le som m et
des colonnes du temple, 1859. Tirage papier albuminisé/négatif papier. -
Dès ses débuts la photographie se met au service de l'archéologie : pour copier les hiéroglyphes
et pour renouveler les points de vues sur les bâtiments et les objets
par le gros plan, la plongée, la contre-plongée, etc.
L E S D E B U T S D E LA P H O T O G R A P H IE 143

. 53 à 67, 72, 68, 69, 77, 78, 113, 79 à 84, 70, 71, 73 à 76, 85 à 89, 92,
. 91, 93, 94, 112, 95 à 111.
_ Toutes les transcriptions de M. de Rougé, au contraire, sont certaines à
s peu d’exceptions près, et les noms y sont placés dans le même ordre que
■jr le monument.
Mes reproductions photographiques ne me fournissent que les rectifications
■vivantes : n° 2 Atar, n° 3 Atarmaiu, n° 5 Au...kâ, n° 8 Barbartâ, n° 35 Anmuââ,
16 Pamau (la première syllabe est incertaine), n° 83 Uiïsa (?), n° 115 Avtesa,
dernier en transcrivant l’hiéroglyphe de la jambe par un V comme le fait
rdinairement M. de Roueé, qui cependant le transcrit deux fois par un B
ans le n° 8.
Suit une longue série de mises au point épigraphiques étayées tant par les
biographies que par les copies manuelles de l ’auteur.]

['ai passé en revue, je crois, tous les points de transcription qui prêtaient
. quelque hésitation, et comme les heureuses recherches de notre savant
'ofesseur, M. le vicomte de Rougé, donneront certainement naissance à
autres travaux sur une matière aussi intéressante que l’est la géographie
que restituée par les monuments, je n’ai pas cru inutile de vous offrir,
nsieur, pour les lecteurs de la Revue, les quelques indications qui précèdent
dont je puis garantir l’exactitude.
Veuillez agréer, etc.
PHOTOGRAPHIE ETHNOGRAPHIQUE
ET COLONIALE
(1856-1863)

F élix-Jacques-A ntoine MOULIN (y. 1800-après 1868) ;


D ésiré CHARNAY (1828-1915) ;
E ugène-E m m anuel VlOLLET-le-DUC (1814-1879)

I. a photographie fa it son apparition en pleine vogue de l ’orientalisme, à un moment


où les artistes étendent leur traditionnel voyage en Italie à toute la Méditerranée
(Grèce, Egypte, Palestine, Nubie, etc.) et où l ’archéologie connaît au Moyen-
Orient un succès croissant. L ’attention que lui réserve en 1839 François Arago
dans son annonce de la découverte de Daguerre en témoigne (cf. pp. 36-44).
Dès 1839, avec Frédéric Goupil-Fesquet et Horace Vernet, le daguerréotype est
présent en Egypte (cf. pp. 54-58), puis, dix ans plus tard, en 1849, la photographie
y pénètre à son tour avec Maxime Du Camp et Gustave Flaubert (cf. pp. 124-
125). Elle fa it désormais partie des voyages sur les rives de la Méditerranée.
Les premières grandes publications sont essentiellement archéologiques : celles
de Du Camp (1852), Greene (1854) et Salzmann (1856) chez Blanquart-Evrard,
celle d’Eugène Piot dont la première livraison de son Italie m onum entale paraît
en juin 1851, celle de Félix Teynard, Égypte et Nubie, sites et m onum ents
les plus intéressants pour l’étude de l’art et de l’histoire, composée de
160 épreuves tirées à l ’imprimerie photographique H. de Fonteny et publiées sous
forme de livraisons entre 1853 et 1858, etc. L ’une des dernières grandes publications
de photographies archéologiques de cette époque est celle, en cinq albums, de Louis
de Clercq : Voyage en O rient, 1859-1860 ’.
Dès la seconde moitié des années 1850, les voyages photographiques ont souvent
d’autres mobiles que l ’amour de l ’art et des vieilles pierres. C ’est le cas de
« l ’excursion photographique en Algérie », d ’une durée de dix-huit mois, que F.-
J. Moulin entreprend à partir de mars 1856 « sous les auspices de S. Exc. le1

1. Louis de Clercq, V o y a g e en O r ie n t [...J 1859-1860. Vol. I : V ille s, m o n u m e n ts e t vu e s p itto r e s q u e s d e S y r ie


(84 pl.) ; vol. I I : C h â te a u x d u te m p s des cro isa d es en S y r ie (37 pl.) ; vol. I I I : Vues d e J é r u s a le m e t d es L ie u x s a in ts
en P a le s tin e (29 pl.) ; vol. IV : L e s S ta tio n s de la Voie d o u lo u reu se à J é r u s a le m (16 pl.) ; vol. V : M o n u m e n ts et site s
p itto r e s q u e s de P E g y p te (41 pl.) 5 vol. V I (supplémentaire) : V o y a g e en E s p a g n e , v ille s , m o n u m e n ts e t vu es p itto r e s q u e s
1859-1860 (53 pl.).
L E S D E B U T S D E LA P H O T O G R A P H IE 145

Ministre de la Guerre ». A son retour, il publie trois cents épreuves sous la forme
:'un recueil en six volumes : L ’Algérie photographiée. Nombre de ses clichés
m'iront de modèles aux graveurs de la presse illustrée, moins pour diffuser des
renseignements sur ce pays si peu connu » que pour soutenir la politique coloniale
:e Napoléon I I I après la répression de la révolte kabyle. Cet usage des épreuves
■;t d’ailleurs conforme aux choix formels de Moulin dont, par exemple, les portraits
it militaires français et d’Algériens favorables à la France se distinguent des
oortraits des adversaires de la politique impériale — souvent photographiés
.longés, sans verticales, en plongées, nimbés de zones floues, etc.
.4 la même époque, en 1857, Désiré Charnay part explorer le Mexique —
tre terre d'élection de la politique coloniale française — avec l ’aide du ministère
’. ’Instruction publique. De retour à Paris, il publie en 1863 sous le titre Cités
et ruines américaines 2 un ouvrage accompagné d’un texte de Viollet-le-Duc et
: 'un atlas de quarante-sept grandes planches photographiques sur les monuments
rciens du Mexique. Le récit de Charnay montre comment la photographie de
age est alors une véritable aventure. Si Moulin déclare à La Lum ière débarquer
Algérie avec 1 100 kilos de bagages, Charnay raconte les péripéties auxquelles
a eu à faire face : la chute d ’une des mules chargées de son matériel, la
truction de sa chambre noire, ses laboratoires de fortune, ses difficultés à manier
grandes plaques de verre au collodion dans la chaleur et la poussière, et la
■. issité parfois, comme à Uxmal, de recourir à plus de quarante hommes pendant
■iis jours pour dégager les monuments ensevelis sous la végétation avant de pouvoir
bhotographier. Comme le voyage de Moulin, celui de Charnay s ’inscrit dans
■ perspective coloniale, comme en témoignent ses écrits et certaines de ses
üographies 3.
Dans un long texte d’introduction, Viollet-le-Duc cherche à déceler des
semblances entre les monuments du Mexique et ceux de Grèce, Inde, Assyrie et
Ane. Son propos, qui est d’établir des filiations ethniques et culturelles, se situe
carrefour de l ’histoire des religions et de l ’anthropologie. Il est intéressant de
:ater que sa démonstration repose essentiellement sur les photographies : il les*

* iré C h a r n a y , C ité s e t r u in e s a m é r ic a in e s , M i l i a , P a le n q u é , I z a m a l , C h ic h e n - I tz a , U x m a l, P a r is , G i d e e t

M o r e l, 1 8 6 3 ( a v e c u n te x te p a r M . V io lle t- le - D u c ) .

] De r e t o u r d u M e x i q u e e n 1 8 6 1 , D é s ir é C h a r n a y e s t e n 1 8 6 3 le p h o t o g r a p h e d ’u n e e x p é d it io n o ffic ie lle

n e ée à M a d a g a s c a r e t d e s t in é e à r é t a b li r l’i n f l u e n c e f r a n ç a is e r é c e m m e n t c o n te s té e p a r le n o u v e a u

-,e d e l ’î l e ; s e lo n lu i. « le» M a l g a c h e r e c o n n a î t « l a s u p é r io r it é d u B la n c , a c c e p t e le j o u g , T m a is]

rDte p a s le t r a v a i l » ( D é s i r é C h a r n a y , « M a d a g a s c a r à v o l d ’o i s e a u » , Le T o u r du m onde, j u i l h - d é c .
* * . p. 2 07 ). C h a r n a y r e p a r t p o u r le M e x i q u e e n 1 8 6 4 a v e c d e s t r o u p e s f r a n ç a is e s q u i, e n s o u t e n a n t le

— d e M a x im il ie n , g a r a n t i r o n t , s e lo n lu i, d e s d é b o u c h é s a u x p r o d u i t s in d u s tr i e ls f r a n ç a i s e t

- m i n e m e n t v e r s la m é t r o p o l e d e s m é t a u x p r é c i e u x m e x i c a in s ( D é s i r é C h a r n a y , C ité s e t ruines a m é ric a in e s,


x 2 0 2 - 2 0 3 ) .
146 LA P H O T O G R A PH IE EN FRANCE 1816-1871

analyse, les rapproche d ’autres éléments (vases, tradition orale) et en extrait des
croquis « copiés à la loupe ».
Mais si Viollet-le-Duc rend hommage à Charnay après avoir beaucoup utilisé
ses photographies pour étayer son propos, il n’en signale pas moins la nécessité
de rationaliser la photographie archéologique pour en faire un instrument plus sûr.

Félix-Jacques Moulin : « La photographie en Algérie », La Lumière, 22 mars


1856 (n° 12)” pp. 45-46.

Alger, 14 mars 1856. J ’ai mis le pied le 7 mars sur le sol africain, après une
traversée délicieuse ; mais j ’ai eu quelque peine à m’installer avec 1 100 kilog.
de bagages. Enfin j’y suis ! Nous avons essayé nos substances hier, et
aujourd’hui nous avons fait une douzaine de stéréoscopes à l’albumine qui
ont très bien réussi. Demain nous aborderons les grandes plaques, et la
semaine prochaine nous ferons une petite excursion à Blidah, au col de la
Chiffa, à Médéah, Milianah, Cherchell, au tombeau de la Chrétienne, etc.
Nous nous occuperons d’Alger et de ses environs en reprenant haleine. J ’ai
été très bien accueilli par \1. le gouverneur.
Le pays est magnifique : toutes ces maisons, ces mosquées, ces marabouts
blanchis, se détachent agréablement sur une végétation vigoureuse et toujours
verte. Alger a beaucoup perdu de son ancien aspect. Il m’est difficile de
braquer mon instrument sans rencontrer un toit en tuile, des persiennes, des
numéros de maisons, des enseignes et des réverbères ; tout cela vient faire
tache... J ’ai déjà beaucoup étudié le terrain... J ’ai visité les mosquées, toutes
sont ornées d’une fontaine pour les ablutions. J ’ai vu un cadi rendant la
justice. J ’ai assisté à une soirée des Aïssa-voi, secte de fanatiques qui se
réunissent le samedi soir dans une maison mauresque éclairée par quelques
bougies ; une douzaine de chanteurs tapent de la manière la plus monotone
sur de grands tambours, tandis que les sectaires dansent et s’enivrent d’encens
jusqu’à ce qu’ils tombent comme atteints de catalepsie ; alors ils se percent
la joue, la langue ; ou bien ils prennent des fers rouges avec leurs dents et
se les passent sur la langue ; ils mangent des vipères, des scorpions et autres
comestibles de ce genre. C’est hideux à voir ! ! La semaine prochaine nous
aurons le pendant de ce triste spectacle ; c’est la fête des nègres. Ceux-ci
opèrent en plein jour, sur le bord de la mer ; on sacrifie un boeuf, des
moutons, des volailles, que l’on dépèce ; puis des danses désordonnées
commencent et se prolongent jusqu’à ce que la folie s’ensuive ; alors il y en
a qui se jettent dans la mer ; ils ne savent pas nager, et cependant ils ne s’y
noient pas, ce qui est le plus curieux.
Les photographes de profession, qui sont ici en petit nombre, font des
portraits sur plaques et vendent quelques photographies achetées à Paris.
L E S D E B U T S D E L A P H O T O G R A P H IE 147

41. (En haut) Félix J.-A.


Moulin, l'Interprète et les
quatre caïds, vers 1856.
Tirage papier albuminé.
42. (En bas) Louis-Jean
Delton, Targui e t son m éhari à
Paris, 1867. Tirage papier
albuminé. -
Deux mises en scène de la
réalité coloniale : en Algérie par
Moulin, en studio à Paris par
Delton.
148 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

J ’ai éprouvé des difficultés pour l’emploi de l’eau, même dans le cas où
l’on doit se servir de l’eau commune ; celle d’Alger ne peut être utilisée parce
qu’elle est trop chargée de sels calcaires, et comme il m’en faut beaucoup,
je me suis vu sur le point d’en faire préparer à la pharmacie centrale... J ’ai
trouvé le moyen de m’en procurer en ville ; mais quand je yais me mettre
en route, comment faire ? Faudra-t-il que je prenne à ma charge une caravane
de mulets et de dromadaires ?
Ici le sol est un vrai terreau ; le cactus, l’aloës, toutes les plantes grasses
qui poussent à peine dans les serres, remplacent le chardon et les mauvaises
herbes ; l’oranger, chargé de fleurs et de fruits, embaume l’air de ses douces
émanations. On se procure pour 5 centimes deux oranges dont le jus savoureux
rafraîchit la bouche. Les figues et les dates abondent.
Les rues habitées par les Maures sont hideusement curieuses. Les toitures,
qui se joignent, empêchent le soleil d’y pénétrer, et pas de soleil, pas de
photographie. J ’ai cependant réussi à en reproduire quelques lambeaux.
Percées presque à pic, ces rues mal pavées, en marches d’escaliers, sont
d’un accès si difficile que les ânes même ont de la peine à les gravir. Tous
ces quartiers sont habités par une population pauvre qui leur donne un aspect
aussi étrange qu’animé. A côté des juives, mal vêtues, circulent des Kabyles
couverts, en guise de burnous, d’un vieux sac de toile ; des Maures d’Alger
aux jambes nues, mais la tête couverte d’une calotte ; et enfin les Biskri,
espèces d’Auvergnats originaires de Biskara, qui, en portant de l’eau, en
faisant des commissions, en chargeant et déchargeant les marchandises,
gagnent un peu d’argent et retournent dans leur pays pour y vivre du fruit
de leurs économies.
Juives, Kabyles, Maures, Biskri vont et viennent, se croisent avec les
femmes des Maures toujours voilées, population déchue ; avec les négresses,
vieux restes de l’esclavage, dont le nombre diminue tous les jours ; avec les
habitants français, espagnols, italiens ; parsemez cette mêlée pittoresque des
costumes sévères de nos soldats français et indigènes ; ajoutez à l’aspect
bizarre de cette population hétérogène les embarras incessants occasionnés
par des dromadaires, des arabas, chariots de transports traînés par des bœufs ;
par des omnibus à trois chevaux maigres, mais vifs ; par des diligences, vieux
type presque perdu en France, attelées de cinq ou six petits chevaux arabes
qui brûlent le pavé ; passez toutes ces scènes grotesques au kaléidoscope, et
vous aurez sous les yeux la plus complète julienne que jamais le bal Musard
ait pu vous servir.
Remarquez encore que la température, qui est d’une chaleur intolérable au
soleil, est très fraîche à l’ombre et le soir, ce qui tend à donner à ces scènes
une variété continuelle et presque imprévue...
Qu’Allah vous conserve !...
L E S D E B IT S D E LA P H O T O G R A P H IE 149

ï élix-Jacques Moulin : L ’A lg é r ie p h o to g r a p h i é e , v. 1858, prospectus.

P U B L IC A T IO N N A T IO N A L E

v us les auspices de S. Exc. le ministre de la Guerre et avec le concours


M. le Maréchal comte Randon, gouverneur général de l’Algérie, des
mmandants supérieurs et des Bureaux arabes.
Cette publication, destinée à populariser l’Algérie, a été accueillie avec
eur par S. M. Napoléon III, qui a bien voulu en accepter la dédicace ; elle
: mprend les principales villes, ruines romaines, sites pittoresques, oasis et
ages arabes les plus intéressants des trois provinces.
L’ouvrage complet se compose de 300 épreuves divisées en six albums de
épreuves chacun, savoir : deux albums pour la province d’Alger ; deux
ums pour la province d’Oran ; deux albums pour la province de Constantine.
On peut souscrire pour un ou plusieurs volumes. — S’adresser, pour
maître les conditions de la souscription et les termes de payement à : A.-
V. Moulin, Photographe, 23, rue Richer, à Paris et à M. Goubaud, Agent
■ral pour la souscription, 92, rue Richelieu, à Paris (Ecrire franco).

entreprenant une excursion photographique en Algérie, je ne comptais


vainement pas y rencontrer les matériaux d’une collection aussi complète
c celle que je suis en mesure de publier. Je connaissais les difficultés de
«port à l’intérieur avec un bagage aussi fragile que volumineux, l’impossibi-
- de renouveler les produits chimiques, et surtout de se procurer de l’eau
■’liée, dont on ne peut faire provision sans augmenter considérablement les
_ages ; j ’avais à redouter aussi la répugnance des Arabes à laisser reproduire
image.
L'ne lettre de recommandation de Son Excellence le Maréchal Vaillant,
-stre de la Guerre, largement interprétée par M. le Maréchal gouverneur
:e Randon, m’a ouvert toutes les portes, aplani tous les obstacles. J ’ai
.. partout de MM. les Gommandants supérieurs et Officiers des bureaux
bes un accueil bienveillant et un concours empressé.
Les variations atmosphériques, la chaleur, les inconvénients d’un travail
sque toujours en plein vent, sous la tente ou dans des ateliers improvisés ;
• uploi d’un matériel aussi réduit que possible ; des instruments détériorés
la chaleur ou la chute d’un mulet ; souvent de l’eau bourbeuse ; enfin
.tes les petites misères réunies des photographes touristes, nous les avons
portées avec résignation, combattues avec persévérance, et enfin surmontées,
.-âce à l’intelligente coopération de mon compagnon de voyage, M.-A. Qumet

t crois, par tous ces motifs, avoir droit à l’indulgence des amateurs, et
■spère qu’ils me sauront gré d’avoir consacré dix-huit mois à recueillir tout
150 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

ce que l’Algérie peut offrir d’intéressant pour ceux qui l’ont habitée et pour
ceux qui sont avides de renseignements sur ce pays si peu connu et qui mérite
tant de l’être.
Des notes, des observations, des légendes arabes, des relations de faits
militaires, etc., destinées à donner encore plus d’intérêt aux sujets auxquels
elles se rattachent, sont mises, à défaut de texte, au bas de chaque épreuve.

Désiré Charnay : C ité s e t r u in e s a m é r ic a in e s , 1863, pp. 247-380.

J ’attendais mes bagages depuis deux mois, ils n’arrivaient pas ; je craignis
que l’état des routes ne permit pas à l’expéditeur de me les envoyer, il fallut
donc me mettre à l’œuvre avec les ressources que m’offrait la ville. Je fabriquai
du nitrate et du fulmicoton, j ’avais des glaces et l’un de mes instruments ;
je trouvai de l’éther et de l’alcool. Pour développer l’image il me fallut
employer le sulfate de fer qu’on trouve partout.
Mes premiers essais ne furent pas heureux, les clichés des monuments de
la ville étaient mauvais. Quelques jours après j ’en fis d’autres meilleurs,
presque satisfaisants. Je préparai donc mon expédition de Mitla, car je devais
retourner au Yucatan, remonter à Palenqué, traverser la sierra et faire le tour
de la province de Chiapas, en passant par Tehuantepec pour revenir à
Oaxaca. J ’aurais voulu faire ce long voyage avant la saison des pluies s’il
était possible, et le temps pressait.
Mais quand je voulus partir, je m’aperçus que mes produits ne marchaient
plus.
Pendant huit jours, je fis les essais les plus variés, je me servis de bains
vieux et nouveaux, j ’avais une douzaine de collodions différents, j ’employai
tous les développants et tous les fixateurs ; peine inutile. Le collodion arriva
même jusqu’à perdre toute sensibilité. Avec une exposition de cinq minutes
au soleil, et un instrument double, je n’obtenais qu’une tache blanche à
l’endroit du col.
Désespérant de réussir, je mélangeai tous les collodions et j ’attendis.
Quelques jours après, je voulus tenter un nouvel essai, je fis un cliché le
matin à sept heures, il était bon : à sept heures et demie, insensibilité. Le
lendemain, j ’en fis deux, sans pouvoir en réussir un troisième ; le surlendemain
trois et, par progression, chaque jour en faisant un de plus, mais pas
davantage. Tout à coup le collodion ne m’apportait que des positifs sur verre ;
un autre jour des négatifs, et cela sans qu’il me fût possible de faire l’un ou
l’autre à mon choix. J ’ai vainement cherché la clef de phénomènes aussi
curieux et je laisse aux photographes érudits le soin d’en trouver les causes.
Ma position était des plus embarrassantes, je craignis un moment de ne
pouvoir réussir. J ’aurai donc fait, me disais-je, trois mille lieues dans le but
I.E S D E B U T S D E L A P H O T O G R A P H I E 151

de rapporter en Europe l’image de ces ruines merveilleuses, si peu connues,


■ intéressantes, pour me trouver devant elles impuissant à les reproduire !
J'éprouvai pendant ces jours de sombres découragements et de terribles
défaillances ; j ’étais sans nouvelles de mes bagages, et l’état de la province
allait empirant chaque jour. Je fus sur le point de faiblir et d’abandonner la
artie. Je parvins cependant à remonter ce moral affaibli, et, quoi qu’il dût
~'en coûter, je voulus achever mon œuvre. Attendre ! Que la patience est
-ne belle chose pour qui sait la pratiquer !
On n’arrivera jamais à la connaissance parfaite de ces monuments, tant
ue dureront au Mexique ces bouleversements perpétuels ; la vie des voyageurs
st sans cesse à la merci du premier pandour venu, comme à la discrétion
es populations indiennes ; il lui arrive tous les jours, comme cela m’arriva,
de se voir enlever le fruit de six mois de travail, d’une dépense énorme et
fatigues sans nombre : j ’eus des clichés brisés et presque toutes mes notes
".levées.
Du reste, les ruines vont se détériorant chaque jour : les Indiens hâtent cet
.néantissement déjà trop rapide, et, poussés par une superstition des plus
izarres, ils accourent par bandes des plus lointains villages et s’emparent de
es petites pierres taillées en brique qui composent les mosaïques, persuadés
.'entre leurs mains, elles se changeront en or. L’administration locale devrait
ien mettre un terme à ce vandalisme stupide ; il suffirait pour cela d’un
rdre à l’alcade du village, et d ’un gardien qu’on relèverait chaque jour.
Les caprices du collodion avaient bien voulu me permettre de réussir les
reproductions des ruines ; j ’en avais une vingtaine que je fis transporter à
s d’homme, et que je m’empressai de vernir à mon retour à Oaxaca,
lomme je n’avais pas de vernis Sœhné, j ’en fis un à l’ambre et au chloroforme,
:ui ne me réussit point ; je résolus alors de les protéger provisoirement avec
ne couche d’albumine, recette donnée par Van Monckhoven, dans son Traité
■it photographie.
Les clichés vernis, je les mis sécher au soleil, et m’occupai déjà du jour
de mon départ : il devait en être autrement.
J'allai dans la ville rendre quelques visites, me proposant au retour de
.Doser religieusement mes clichés dans leurs boîtes à rainures.
\h ! monsieur Monckhoven qu’avez-vous fait ! Je rentrai ; de loin les glaces
me parurent d’une transparence extraordinaire, je m’approchai : quelle fut
ma stupéfaction de voir que tout avait disparu, la contraction de l’albumine
.vait tout enlevé.
Certes, c’était un grand malheur ; mes produits et mes ressources épuisés
me faisaient désespérer de réussir ; ajoutez à cela que les troupes libérales,
jssées trois mois auparavant, venaient à leur tour assiéger les réactionnaires.
La ville allait être fermée ; il y avait plus de cinq mois que j’attendais, et
^as de nouvelles de mes bagages ! [...]
152 L A P H O T O G R A P H I E E X T R A N C E I11H.-IK7I

[Pour échapper aux émeutes de la région de Mitla («Les rues étaient coupées
de barricades, le feu commençait », p. 267), Charnay rallie Vera Cruz et, par
crainte d ’emprunter avec ses mules les ponts de lianes — « ces passerelles
vacillantes » — construits par les Indiens, il traverse les cours d ’eaux à gué.]

Je dirigeai les mules au-dessus de la passerelle : à mon grand désespoir,


je les vis s’enfoncer aussitôt, plus que le comportait un gué ; je lançai mon
cheval au galop pour les ramener, mais je ne pus les empêcher de poursuivre ;
je crus mes clichés perdus, car les boîtes avaient aux trois quarts disparu
dans l’eau. L’ara, se voyant au milieu des flots, poussait des cris déchirants ;
je suivais désolé, ne quittant pas mes clichés de l’œil, indifférent à tout autre
chose qu’au danger qu’ils couraient devant moi, sans que j ’y pusse rien.
Ce fut une véritable agonie ; chaque soubresaut de la mule perdant pied,
nageant et marchant tour à tour, me jetait dans de nouvelles angoisses ; ce
fut long comme un siècle, et la largeur de la rivière me parut infinie. Je ne
respirai que lorsque je les vis à l’autre bord, où j ’arrivai en même temps
qu’elles.
Je m’empressai de décharger le tout et d’ouvrir les boîtes. Elles étaient
remplies d’eau que je versai doucement, de peur que la couche de collodion
humidifiée ne se soulevât de la glace ; il n’y eut heureusement que peu de
mal, les bords seuls s’étaient décollés ; le séjour dans l’eau, si long pour moi,
n’avait été que relativement court, et trois d’entre eux seulement avaient
souffert. Je les retirai tous des boîtes mouillées, et je les étendis immédiatement
au soleil [...J.

Mon premier soin en rentrant à Mérida fut de préparer mon expédition


pour Chichen-Itza. Je nettoyai donc mes glaces afin de les retrouver toutes
prêtes en arrivant, m’évitant ainsi dans les ruines une besogne difficile et
désagréable. Je remplis un litre de collodion normal prêt à être sensibilisé,
et comme j ’avais remarqué, lors de ma première expérience que sur des
plaques de trente-six centimètres sur quarante-cinq, le collodion était sec dans
le haut avant d’arriver au bas du verre, je le composai de cent dix parties
d’alcool contre quatre-vingt-dix d’éther et un pour cent d’iodure ; encore
étais-je obligé de le verser en toute hâte et de précipiter immédiatement la
glace dans le bain.
Le collodion ainsi composé est fort léger, très délicat, et j ’éprouve aujourd’hui
combien il adhère peu à la glace ; mais c’était la seule manière de réussir
pour d’aussi grandes dimensions, et je fus obligé d ’employer la même recette
dans toutes mes expéditions successives. Tout étant prêt, je fixai le jour du
départ. Cette fois, je l’avoue, je ne partais pas sans émotion : les ruines étaient
loin, j ’allais seul, ces légendes d ’indiens barbares, les actes de férocité commis
par eux, leur dernière victoire qui grandissait encore la terreur de leur nom,
tout cela me troublait et m’impressionnait vivement. [...]
L E S D É B U T S D E LA P H O T O G R A P H IE 153

43. Désiré Charnay, « Palais des nonnes à Uxmal, détail du côté sud, pl. 43 », Cités e t ruines
américaines, 1863. Tirage papier albuminé/négatif verre (vers 1858). -
L'une des 47 épreuves publiées par Charnay après son voyage ethnographique au Mexique.
Certaines ont nécessité la participation de 40 hommes pendant 3 jours.

[Arrivé à Chichen-Itza] Je me mis immédiatement à l’ouvrage, préparant


des produits pour le lendemain, examinant la chambre noire, les développants
et les fixateurs. La nuit vint ensuite ; elle fut ravissante ; nous dormîmes la
porte ouverte, doucement bercés dans nos hamacs.
A cinq heures, j ’étais sur pied ; les Indiens, chargés, n’attendaient plus que
l'ordre de partir. Une douzaine d’entre eux, armés de haches, nous suivaient
aussi pour couper les bois et dégager les monuments ; quelques soldats de
station au village se joignirent à notre petite troupe, qui s’ébranla tout entière,
formant un total de quarante-cinq personnes.
Le guide nous conduisit directement au palais des Nonnes, le plus
considérable des monuments de Chichen-Itza, dont notre ouvrage reproduit
la façade principale. On fut obligé d’ouvrir un passage au machete. Ce ne fut
pas sans peine que nous arrivâmes, déchirés par les ronces et le corps couvert
de garrapatas, espèce de gros pou de bois qui s’enfonce dans les chairs comme
ses confrères, et dont on a toutes les peines du monde à se débarrasser. Je
m’installai dans l’une des pièces parfaitement conservées du palais ; on posa
des sentinelles au loin afin de prévenir toute surprise, et les Indiens se mirent
au travail. LTne fois mon cabinet noir organisé, je fis un cliché d’essai ; tous
154 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

ces braves gens étaient émerveillés de la nature de l’instrument et du


phénomène de la chambre noire. Le point obtenu, ils voulurent tous admirer
sur la glace dépolie la reproduction renversée de l’image, et semblèrent frappés
de stupeur ; le vieux curé surtout ne pouvait s’en rassasier. [...]

[A L’xmal] Je fis immédiatement porter mes instruments et mes bagages


aux ruines, et, le lendemain, je m’installai dans une salle de la partie sud
du palais des Nonnes. Au moyen de paillassons et de couvertures, je fis une
chambre noire parfaitement obscure, et, sur une table que me fournit l'hacienda,
j ’installai mes bains et mes produits. Deux Indiens avaient pour unique
occupation la charge de m’aller quérir de l’eau, ce qu’ils faisaient au moyen
de jarres. Quatre autres devaient m’aider dans mes opérations, tenir un dais
de drap blanc au-dessus de l’instrument, pour que l’intérieur de la chambre
ne s’échaulïat pas trop ; ils avaient à m’ouvrir la porte de mon cabinet noir,
à la fermer hermétiquement aussitôt rentré. Quarante autres Indiens furent
occupés trois jours à couper les bois, pour dégager les monuments entourés
de taillis et souvent couverts de plantes grimpantes. Antonio formait ma
réserve et ne me quittait pas : il tenait la lumière, pendant que, au-dessus
de ma tête, durant le travail du développement des clichés, les quatre premiers
Indiens tenaient également un drap pour empêcher les gravats des voûtes de
tomber sur la couche de collodion. [...]
Je me trouvais moins de vigueur pour mon travail, travail où j ’usais mes
forces par une épouvantable transpiration. Le lecteur s’en rendra compte,
quand je lui dirai que je consommais quelque chose comme douze litres de
liquide, vin et eau mélangée d’alcool, et que le tout s’évaporait, ce qui
constituait un poids de plus de vingt-cinq livres.
Chaque reproduction me coûtait jusqu’à deux ou trois essais ; d’autres,
parfaitement réussies, se trouvaient perdues par des accidents inattendus et
souvent par l’indiscrète curiosité des Indiens, qui, malgré mes défenses
expresses, ne pouvaient retirer leurs doigts des clichés terminés que je mettais
sécher au dehors. A ce sujet, il m’arriva l’aventure suivante qui faillit
compromettre ma réussite dans la reproduction du plus beau de ces palais,
la maison du Gouverneur. Je l’avais réservé pour le dernier, afin de pouvoir
lui donner tous mes soins. Comme le palais s’élève sur une pyramide, il
m’avait fallu construire sur l’esplanade qui le précède un cube en pierre sèche
de douze pieds de hauteur, afin d ’établir mon instrument au niveau de
l’édifice. Mon cabinet noir, installé dans la grande salle du milieu, c’est-à-
dire à quatre-vingts mètres du lieu d’exposition, m’avait forcé d’ajouter un
drap mouillé à tous mes engins ; j ’en enveloppais le châssis, afin que, pendant
le temps prolongé de l’exposition et des allées et venues, la couche de collodion
ne séchât point.
Je courais pour abréger autant que possible. Comme le palais est fort
grand, je résolus de le faire en deux parties, afin de donner plus de détails,
L E S D E B U T S D E LA P H O T O G R A P H IE 155

et d’arriver à un effet d ’ensemble plus saisissant. J ’avais mis de côté pour


cette reproduction un flacon de collodion parfaitement reposé, sur lequel je
comptais, et deux glaces, les seules que j ’eusse trouvées ; je n’avais plus
d’autres produits, et pas d’autres glaces, il fallait donc réussir, et réussir coup
sur coup sous peine de voir la lumière changer et l’éclairage n’être plus le
même pour les deux parties du monument.
Je commençais donc, et le premier cliché vint parfaitement : pas une tache,
clair, transparent, chaque détail dans ses valeurs, irréprochable en un mot.
Pour le second, un rayon de soleil s’était glissé dans le châssis, la glace
se trouvait coupée par une ligne noire qui rendait le cliché impossible. Je me
hâtai de nettoyer la glace, mon collodion s’épuisait, et je n’en avais pas
d’autre, je le versai donc avec tout le soin possible, et connaissant l’accident
qui m’avait fait manquer l’autre, il m’était facile de l’éviter pour celui-là.
Tout alla bien, le cliché réussit ; il était de même teinte, de même force, et
je me glorifiais déjà de mon triomphe dans une affaire aussi délicate.
Je déposai celui que je venais d’achever pour examiner le premier et mieux
juger de la perfection de mon œuvre. Je l’avais à la main, et, le regardant
par transparence, je voulus effacer avec le doigt quelques voiles de produits
que j ’apercevais derrière la glace. O désespoir ! quelqu’un avait changé la
position du verre, et ma main entière se grava sur la couche impressionnée.
Je compris que tout était manqué, et jetant un regard terrible autour de moi,
au milieu d’affreuses imprécations, je demandai le nom du coupable ; il n’avait
garde de se nommer. Je bondissais comme un tigre sous l’excitation de ma
colère, et mes Indiens semblaient pétrifiés. Que faire ? J ’avais laissé dans le
palais des Nonnes plusieurs flacons contenant des résidus de collodion
sensibilisés ; je promis une piastre au premier qui me les rapporterait.
Les pauvres gens se précipitèrent alors comme des flèches, se livrant au
milieu des bois coupés à un steeple-chase des plus échevelés, auquel mon
courroux de photographe ne put tenir ; je me hâtai cependant de nettoyer
ma glace à nouveau ; je n’avais pas terminé qu’ils arrivèrent. Mais, sur quatre
coureurs, il y avait trois gagnants, chacun me présentant un flacon. Je n’avais
pas prévu le résultat ; calcul ou hasard, je m’exécutai de bonne grâce. Il
n’était point encore trop tard, et si le dernier cliché passablement réussi ne
valait pas les autres, on pouvait au moins s’en contenter.
156 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

E.E. Viollet-le-Duc : C ité s e t r u in e s a m é r ic a in e s , 1863, pp. 49-104.

Une des salles intérieures du Cirque nous fournit un ample sujet d’observations.
Cette salle, pi. X X X III 4, donne en coupe transversale la section fig. 2. Les
parements (mal appareillés, comme ceux de l’extérieur) sont entièrement
revêtus d ’une série de sculptures plates, représentant des hommes armés
combattant des serpents et des tigres. Si la signification de ce bas-relief est
obscure, les types des têtes, les costumes, les armes des personnages, donnent
de précieux renseignements. On remarque tout d’abord que les traits de la
plupart de ces personnages ne rappellent nullement les profils des figures de
Palenqué, ou ceux que l’on prête aux races indigènes du Mexique si souvent
reproduits par des terres cuites recueillies en grand nombre dans ces contrées.
Ainsi, fig. 3, nous donnons une copie fidèle de ces terres cuites que M. Charnay
a bien voulu déposer entre nos mains, et fig. 3 bis, une tête d’un indigène,
copiée par une photographie. Il est clair que ces deux types appartiennent
à une même race ou à un même mélange de sang. La terre cuite, qui est
d’une époque fort ancienne, et le sujet nouveau présentent les mêmes
caractères ; front étroit, naissance du nez mince et déprimée, sourcils
rapprochés, paupières supérieures recouvrant fortement l’angle externe de
l’œil, os du nez saillant, narines maigres, anguleuses, ouvertes ; pommettes
plutôt anguleuses que saillantes, joues plates, bouche large, abaissée vers ses
extrémités, lèvres grosses et coupées nettement, os maxillaire se relevant sous
la bouche. Or, ce type de Mexicain, donné fig. 3 bis, est fréquent, et parmi
nos photographies, nous en possédons plusieurs qui conservent ce même
caractère bien tranché. Nous ne pouvons donc mettre en doute l’exactitude
des traits reproduits par cette terre cuite, puisque, encore de nos jours, ce
type s’est conservé. A côté de ces types, nous donnons, fig. 4, le fac-similé
d’une photographie faite à Mexico : c’est un jeune sujet femelle. Ici le caractère
de la race finnique est des plus prononcés ; front bas, angle externe de l’œil
relevé, nez court, pommettes hautes, bouche large, lèvre supérieure épaisse
et coupée nettement, éloignée du nez, menton fuyant, base du visage large ;
et ce sujet n’est pas le seul, nous en possédons un certain nombre qui
présentent les mêmes caractères et qui tous appartiennent à la plus basse
classe de Mexico. Le sujet fig. 3 bis se rapproche du type des figures de
Palenqué, quoique, dans celles-ci, les angles externes des yeux soient relevés
et le menton fuyant. Mais voici, fig. 5, une copie faite à la loupe, aussi
exactement que possible, d’une des têtes les mieux conservées du bas-relief
de Chichen-Itza. Le profil du guerrier représenté ici se rapproche sensiblement

4. L e s c h iffre s r o m a i n s r e n v o i e n t a u x 4 7 g r a n d e s p la n c h e s d u e s à D é s i r é C h a r n a y ( n o n r e p r o d u it e s ic i).

C ’e s t e n le s d é c h i f f r a n t « à la l o u p e » q u e V io l le t - le - D u c p r é lè v e s e s i n f o r m a t io n s — le s q u e lle s s o n t

t r a n s p o s é e s d a n s le s g r a v u r e s q u i illu s tr e n t s o n te x te .
L E S D É B U T S D E LA P H O T O G R A P H IE 157

44 Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc,
« Introduction » a Désire Ctiarrtay.
Cités e t ruines américaines, 1863,
Dans son » Introduction ». Viollel-le-Duc
inséré des croquis « copiés a la loupe
a partir de photographies de Charnay
158 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

des types du nord de l’Europe, et l’influence toujours si apparente du sang


jaune ne s’y fait pas sentir. Dans le même bas-relief, nous voyons cependant
des personnages dont les traits paraissent beaucoup moins purs. Quelques-
uns ont un appendice qui leur traverse le nez, l’un d’eux même semble avoir
devant les yeux une paire de besicles saillantes comme le seraient de petites
lorgnettes dites jumelles. [...J

Tous les personnages représentés sur le bas-relief intérieur du Cirque sont


richement vêtus, coiffés de casques ornés de plumes et très variés de forme.
Dans la main gauche, ils portent un paquet de javelines, et leur main droite
tient une sorte de massue. Une garde, comme un épais bracelet, entoure leur
poignet. En examinant scrupuleusement ces masses d’armes, on distingue à
leur extrémité comme une pierre ou un morceau de métal engagé dans une
enveloppe volumineuse composée de deux parties (voir la fig. 6 grossie à la
loupe). De quelle matière étaient ces enveloppes ? C’est ce qu’il est difficile
de dire ; leur bord est strié comme pour indiquer une fourrure ou une masse
de bois rayée sur les côtés. Quelques-unes de ces armes sont munies d’un
manche ; d’autres ont un anneau qui sert à les tenir avec deux doigts
seulement.
Le Livre sacré, dont l’importance historique s’accroît en analysant les
planches de M. Charnay, nous fournit, au sujet de ces masses d’armes, un
renseignement curieux. Quatre tribus quichées sont retranchées sur le mont
Hacavitz, personnifiées en Balam-Quitzé, Balam-Agab, Mahucutah et Iqi-
Balam. Les populations de la plaine se réunissent pour les attaquer ; mais
celles-ci, arrivées au pied de la montagne avant la nuit, font halte et
s’endorment. « Tous ensemble donc ils firent halte dans la route ; et, sans
qu’ils s’en aperçussent, tous finirent par s’endormir ; après quoi on commença
(les quatre personnages quichés) à leur raser les sourcils avec leurs barbes ;
on leur enleva le riche métal de leur col, avec leurs couronnes et leurs
ornements ; mais ce ne fut que la poignée de leurs masses qu’ils prirent en fait
de métal précieux ; on le fit pour humilier leurs faces et pour les prendre au
piège, en signe de la grandeur de la nation quichée. Ensuite, s’étant réveillés,
ils cherchèrent aussitôt à prendre leurs couronnes, avec la poignée de leurs
masses, mais il n’y avait plus d’argent ou d’or à la poignée, ni à leur
couronnes... » Quelques-unes des masses d’armes représentées entre les mains
des personnages du bas-relief du Cirque de Chichen-Itza sont, en effet, garnies
d’ornements à la poignée.
Pour la facilité des lecteurs, nous donnons, fig. 7, deux des casques ou
bonnets chargés de plumes de ces guerriers, soigneusement copiés à la loupe
sur la photographie de M. Charnay. [...]

Nous rangerions ainsi les édifices de Palenqué dans la série des monuments
construits par les indigènes, avant la soumission de Xibalba, ceux de PYucatan
LE S D É B U T S D E LA P H O T O G R A P H IE 159

sitôt après la domination des Quiches, de la race conquérante et supérieure,


et ceux de Mitla parmi les dérivés de l’influence quichée, postérieurement à
la séparation des tribus réunies à Tulan. Les monuments dont les restes se
voient encore dans l’Amérique centrale, que notre ami M. Daly a visités et
dont nous attendons une description, seraient dus au retour des tribus quichées
vers le nord et le nord-est, après la chute de leur domination sur la péninsule
yucatèque, affaiblies qu’elles étaient par leurs querelles et un soulèvement de
l’antique population indigène. Peut-être sommes-nous arrivés au moment où
une intervention européenne au Mexique permettra de déchirer les voiles qui
couvrent encore l’histoire de cette belle contrée. M. Charnay a rendu un
service signalé à l’étude de l’archéologie en offrant au public cette collection
de photographies recueillies à travers mille périls et aux dépens de sa fortune
privée. Nous ne pouvons que souhaiter le voir compléter ces renseignements
déjà si curieux pendant un second voyage que, cette fois, nous l’espérons du
moins, il entreprendrait sous la protection de la France. Mais ces études ne
seront complètes que lorsqu’on aura pu faire, dans l’Amérique centrale, dans
celle du Nord et dans le Pérou, une série de photographies entreprises avec
méthode, des relevés de plans dressés avec exactitude et ces observations
comparatives à l’aide desquelles l’archéologie peut formuler des conclusions
certaines. A nos yeux, l’architecture antique du Mexique se rapproche, sur
bien des points, de celle de l’Inde septentrionale ; mais comment ces rapports
se sont-ils établis ? Est-ce par le nord-est ? est-ce par le nord-ouest ? C’est
une question réservée jusqu’au moment où la connaissance de ces monuments
indo-septentrionaux sera complète.
TROIS TYPES:
LE PROFESSIONNEL, L’ARTISTE
ET L’AMATEUR
(1853)

Ernest LACAN (1828-1879)

Ernest Lacan est depuis un peu plus d ’un an rédacteur en chef de La Lumière
quand il rédige, en janvier et février 1853, trois « esquisses physiologiques » qui
sont autant de portraits de photographes. Leur intérêt est de nous renseigner sur
les différentes pratiques en vigueur à l ’époque — telles que Lacan les percevait.
Il oppose les tenants du commerce et de l ’industrie (première esquisse) aux
photographes artistes et amateurs (deuxième et troisième esquisses).
La clientèle, les prix, les produits, le métier dominent chez le professionnel
portraitiste pour qui la valeur des productions et l ’aménagement des locaux
n ’obéissent qu’aux impératifs du profit.
De façon significative, l ’« artiste photographe » vu par Lacan n’est pas
redevable de son statut d ’artiste à la photographie, mais à une pratique légitime
(peinture, sculpture...). Avec le peintre comme modèle, Lacan trace ici le profil
mythique d’un praticien « inspiré » dont « la seule qualité d ’artiste peut donner
un caractère particulier à sa personne, à ses œuvres et ses habitudes ».
Quant à l ’amateur, il est, en 1853, riche, mondain, membre de l ’« élite de la
société », expérimentateur et cultivé. Il n ’annonce en rien l ’amateur que vont tenter
de promouvoir Jules Bourdin et Léon Vidal quand, au milieu des années 1860,
ils voudront faire d’une pratique élitaire « le domaine de tous » (cf. p. 437). A
quoi contribuera de façon décisive le Kodak dans les années 1880.
L E S D E B U T S D E LA P H O T O G R A P H IE 161

Le photographe, esquisse physiologique : du photographe proprement


dit », La Lumière, 8janv. 1853 (n° 2), pp. 7-8.

Quel est celui d’entre vous, ô lecteurs, qui pour éviter une averse, ou un
créancier, ou un importun, ou pour attendre l’omnibus, ou enfin pour jouir
■lu î bonnement de quelques instants de douce flânerie, ne s’est arrêté devant
un de ces cadres qui miroitent à droite et à gauche d’une porte bâtarde, et
dans lesquels sont réunies les images fidèles d’un gendarme, d’une première
communiante, d’un monsieur de qualité douteuse et de deux ou trois familles
groupées tendrement, le sourire aux lèvres, dans des attitudes plus ou moins
gracieuses et engageantes, et n’a lu, au milieu des susdits cadres, cette
inscription écrite en lettres gothiques :

P o r t r a it s a u d a g u e r r é o t y p e
DEPUIS 2 FR.
RESSEMBLANCE GARANTIE
DANS CETTE MAISON

Qui de vous encore ne s’est pris à regarder du coin de l’ceil l’allée au bout
de laquelle s’avancent les premières marches d’un escalier plein d’ombre et
de mystère, et à désirer de pénétrer jusque dans le sanctuaire du photographe ?
Ce sanctuaire est toujours situé au dernier étage de la maison. Il est tout
naturel que le collaborateur du soleil se loge le plus près possible du ciel.
Une odeur assez pénétrante de produits chimiques annonce le terme de
ascension. La chambre dans laquelle on entre communique avec une terrasse
^ui sert de théâtre à l’une des phases les plus essentielles de l’opération : la
pose. Cette pièce, qu’on appelle salon, est meublée plus ou moins élégamment.
>ur la table sont entassés pêle-mêle des portraits de toute grandeur, de tout
prix. Les murs en sont tapissés. Des cadres vides, des passe-partout, des
médaillons remplissent les intervalles. Quant au cabinet noir, c’est le sacro
:nctum, personne que les initiés n’y pénètre.
On comprendra que la propreté de l’escalier, l’élégance du salon, la richesse
ie l'ameublement du photographe, varient selon le quartier qu’il habite et la
leur de ses œuvres. Ainsi, on pourrait établir cette proportion mathématique :
un photographe de telle rue est à un photographe de tel boulevard comme
1 irancs sont à 55 francs. Mettez des tapis dans l’escalier, un bouton de cristal
la porte, des meubles garnis de velours dans le salon, du papier satiné sur
murs, et vous aurez une idée de ce que l’on voit rue Vivienne, ou boulevard
s Italiens ; mais c’est toujours la même disposition, le même plan, le même
ombre d’étages.
Maintenant que nous avons esquissé la demeure, étudions celui qui l’habite.
[...] Au physique, le photographe ressemble à tout le monde. Il n’a pas
- airs particuliers, cette mise, cette tournure, cette physionomie originale
162 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

qui distinguent le peintre, par exemple. Ses mains seules révèlent aux yeux
indiscrets les secrets de son incognito. Le nitrate d’argent les marque d’un
signe qui se renouvelle chaque jour.
En général, le photographe proprement dit est philosophe. Avant de
pratiquer, il a fait autre chose, souvent un peu de tout ; aussi connaît-il
ordinairement assez bien la vie. [...] Si vous vous étonnez en voyant sa toilette
négligée; si vous regardez avec dédain son pantalon couvert de taches
multicolores, il aura le bon esprit de ne s’en point fâcher et se contentera de
vous répondre : C’est un pantalon qui vaut deux cents francs par jour. Et
il dira vrai. Il y a tels photographes chez lesquels il faut prendre son numéro
quand on veut obtenir son portrait, et qui achètent une maison tous les six
mois.
Qu’on dise encore qu’on ne s’enrichit plus de nos jours !

« Le photographe, esquisse physiologique : du photographe artiste »,


La Lumière, 15 janv. 1853 (n° 3), p. 11.

Le photographe artiste est celui qui, ayant consacré sa vie à l’étude d’un art,
comme la peinture, l’architecture, la gravure, etc., a vu dans la photographie
un moyen nouveau de traduire ses impressions, d’imiter la nature dans sa
poésie, sa richesse et sa beauté, et de reproduire les chefs-d’œuvre que le
génie humain a semés sur la terre. C’est ordinairement un peintre : c’est
toujours un homme d’intelligence et de talent.
La seule qualité d’artiste suffit pour donner un caractère particulier à sa
personne, à ses œuvres, à ses habitudes.
Si vous entrez dans son atelier, vous y remarquerez de suite cet aimable
désordre, inévitable conséquence de la mobilité d’esprit de celui qui l’habite.
Les papiers préparés ou non, les objectifs, les bassines, les flacons, les cartons
à dessin, les pinceaux, les palettes, les poupées d’atelier, les chevalets, tout
cela concourt à cet aspect étrange, qui fait éprouver aux yeux ce que l’oreille
ressent lorsqu’elle écoute une symphonie, où les instruments de toute nature,
de toute puissance, mêlent leurs voix si dissemblables dans un ensemble où
tout se fond et s’harmonise.
Aux murs élevés sont suspendus des tableaux, des ébauches, des croquis,
et puis des épreuves sur plaques, sur papier, des portraits, des vues, des
académies, des fragments. L’œil étonné de l’intrus s’arrête parfois sur une
épreuve à moitié perdue à laquelle il cherche en vain quelque mérite. Il ne
s’aperçoit pas qu’il y a un détail admirablement rendu, ou une expression
frappante, ou un effet de lumière, ou des masses largement saisies, quelque
chose enfin qui a du caractère, et que l’artiste conserve précieusement, sans
s’occuper d’une tache ou d’une déchirure, ou d’un tirage défectueux.
LES DEBUTS DE LA PHOTOGRAPHIE 163

Chez le photographe artiste, on ne retrouve plus cette disposition invariable


du logis, que nous avons décrite dans notre dernière esquisse. La fantaisie
règne et gouverne seule dans ces demeures privilégiées qu’habitent deux arts,
vivant en bonne intelligence, et se faisant de mutuelles concessions.
Tantôt l’atelier du peintre est tout à fait séparé de l’atelier du photographe ;
tantôt, au contraire, ils n’en font qu’un. [...]
Quand vous entrez chez tel photographe artiste, vous le trouvez entouré
d’une troupe assez nombreuse, qui obéit à ses ordres, qui l’aide dans ses
manipulations, qui règle ses pas et ses démarches sur les siens. Ce sont ses
élèves. Ceux-là feront un jour partie de cette catégorie que nous avons appelée
photographe amateur. Pour le moment, ils font leur apprentissage, et, n’était
leur âge et leur condition, on pourrait les nommer les rapins de la photographie.
Le photographe artiste voyage une partie de l’été.
Quand vous allez chercher loin de Paris quelques jours de repos et de
calme, si, dans vos promenades solitaires, par quelque belle matinée de
septembre, vous apercevez, au détour d’un sentier qui grimpe sur la colline,
ou à la lisière d’un bois, ou au bord de quelque poétique rivière, un homme,
vêtu d’une blouse grise, coiffé d’un chapeau à larges bords, ayant devant lui
un instrument étrange posé sur un triple pied, et qu’il semble pointer comme
un artilleur pointerait une pièce de canon ; ne craignez pas de vous approcher,
abordez l’inconnu. Vous trouverez en lui un homme de bonne compagnie,
un causeur aimable et spirituel ; il vous questionnera sur le pays, sur les
points de vue, sur les monuments ; en échange, il vous donnera, tout en
continuant son opération, des nouvelles de Paris, des arts, des sciences ;
seulement si vous le voyez prendre sa montre ou consulter un sablier, ou
ompter, en battant la mesure, les secondes qui passent, ne l’interrogez pas,
et surtout ne l’interrompez pas ; vous compromettriez son œuvre. C’est un
photographe artiste ! [...]
Le photographe artiste étant libre, et n’ayant à rendre compte qu’à lui-
même de l’emploi de son temps, il en résulte une perfection bien plus grande
■tans les productions. Avec quel tact il sait choisir l’heure où les ombres
s'accusent avec le plus de netteté et d’ampleur, si c’est un monument qu’il
reproduit ; de légèreté et de transparence, si c’est un paysage ; de délicatesse
et de grâce, si c’est un portrait ! Comme il sait encore modifier ces différences,
suivant le style du monument, l’effet du paysage ou le caractère du modèle !
Avec quelle habileté il choisit son point de vue, comme il compose ses
accessoires et ses draperies ! Et encore, quel soin il porte jusque dans la
dernière et la moins importante des manipulations ! Comme son épreuve est
réellement bien une œuvre artistique, une production de son intelligence et
de son talent !
Le photographe artiste se passionne, et cela est facile à comprendre, pour
tel ou tel genre, et pour certains procédés qu’il abandonne rarement. Il se
Ivre exclusivement à la reproduction des monuments, ou des vues, ou des
164 I \ PHOTOGRAPHIE FN FRANCE 1816-1871

portraits ou des sujets composés, comme des groupes, d’après l’antique ou


d’après nature ; il est partisan décidé et fidèle de l’albumine, ou du papier,
ou du collodion. Il affectionne aussi un ton particulier, qu’il donne
invariablement à ses épreuves ; c’est son coloris. Aussi est-il impossible de ne
pas reconnaître l’artiste dans l’œuvre, comme en peinture. Souvent le
photographe artiste a des procédés à lui, et publie des brochures, mais nous
ne pouvons cependant le confondre avec le photographe savant. Quand nous
en serons à ce type, on verra quelles différences nous faisons entre ces deux
genres.
Maintenant, s’il existe dans l’espèce photographe des types vigoureusement
dessinés, c’est surtout dans le genre photographe artiste, et cela est facile à
comprendre : chaque individu conservant son indépendance, ne cédant qu’à
son inspiration, son goût et sa fantaisie, conserve aussi son originalité.
Celui-ci s’est fait un nom parmi les peintres ; il a une vaste intelligence,
une instruction étendue ; mais il a également des bizarreries : et qui n’en a
pas, surtout dans le monde privilégié des arts ? Il fait de la photographie
avec passion ; mais le plus grand chagrin que vous puissiez lui faire, c’est de
l ’accuser de photographie. Il vous montre coquettement ses épreuves ; il vous
parle de ses perfectionnements, de ses innovations ; il vous tiendra au courant
des plus minutieuses observations qu’il a faites ; il s’émeut ; il s’enthousiasme ;
mais n’allez pas lui dire le premier : « Eh bien ! et la photographie ? » Il vous
tournera le dos en vous disant : « Je suis peintre et non photographe ! » Si
vous êtes initié vous-même, faites-lui des confidences, il les accueillera
volontiers ; mais surtout, ne lui en demandez pas ! Pour lui, la photographie
est comme une maîtresse qu’on chérit et qu’on cache ; dont on parle avec
bonheur, mais dont on ne veut pas qu’on vous parle. Si vous pénétrez, par
hasard, dans le sanctuaire où il l’adore et la séquestre, malheur à vous !
chaque regard est un coup de poignard pour son cœur jaloux ; chaque pas
est une offense qu’il ne vous pardonnera jamais !
Cet autre a laissé franchement de côté la peinture pour se livrer au charme
de la photographie. Il a un grand talent et s’en croit bien davantage encore.
Il est au premier rang et veut se mettre à la tête ; il fait d’admirables choses,
il produit des merveilles, et proclame hautement que ce sont des épreuves
manquées, ce qui lui fournit l’occasion, en les comparant aux travaux de ses
confrères, de dire à qui veut l’entendre : « Vous voyez, ce qu’ils font de mieux
est tout au plus égal à ce que je fais de moins bien ! » C’est un système
comme un autre.
I.ES DEBUTS DE LA PHOTOGRAPHIE 165

Le photographe, esquisse physiologique : du photographe amateur »,


La Lumière, 26 févr. 1853 (n° 9), p. 36.

Le photographe amateur, pour nous, c’est l’homme qui, par amour de l’art,
î'est passionné pour la photographie, comme il se serait passionné pour la
peinture, la sculpture ou la musique, qui en a fait une étude sérieuse,
raisonnée, intelligente, avec la ferme volonté de ne pas lui sacrifier inutilement
une partie de son temps et de sa fortune, et qui est arrivé à égaler, sinon
à dépasser, ceux qui lui ont servi de maîtres.
Il appartient généralement à l’élite de la société. C’est dans les brillantes
réunions du grand monde, sous les lambris dorés des plus somptueux hôtels,
sous l’ombrage parfumé des plus riches parcs, qu’il vit et qu’il s’inspire. Le
jour, on le rencontre aux Champs-Elysées, aux bois, conduisant un magnifique
attelage ou montant un cheval de race. Le soir, accoudé sur la balustrade
dorée de sa loge à l’Opéra ou aux Italiens, il écoute avec ravissement les
chefs-d’œuvre de Meyerbeer ou de Rossini. On compte parmi les photographes
amateurs un duc, plusieurs comtes, vicomtes et barons ; des diplomates, de
.auts fonctionnaires, des magistrats. Celui-ci a une immense fortune, il porte
un grand nom, que les artistes de tous les pays et de tous les genres de talent
jnt appris à connaître et à vénérer. [...]
Il ne néglige aucun moyen de bien faire. Aux plus célèbres opticiens, il
achète leurs meilleurs objectifs ; à ceux qui cherchent et qui découvrent, il
achète leurs procédés, quelque prix qu’ils y mettent, ce qui ne l’empêche pas,
quand il veut en prendre la peine, de faire lui-même des innovations, des
perfectionnements dont il donne le secret à qui veut le lui demander. [...]
Cet autre possède aussi une grande fortune et un nom que la reconnaissance
publique a ennobli. Il a un culte pour tout ce qui touche aux arts, et une
bienveillance inépuisable pour les artistes. Sa demeure est un musée. Partout,
,'œil s’y arrête sur une œuvre de génie, sur le nom d’un grand maître. Il a
vu dans la photographie l’auxiliaire, le complément des autres arts dont elle
reproduit les admirables chefs-d’œuvre, pouvant ainsi les multiplier à l’infini,
sans leur rien prendre, et il s’est fait photographe. Sachant mieux que personne
tout ce qu’il y a d’enseignements dans les œuvres que les artistes d’un autre
temps nous ont laissées, il s’est donné la tâche difficile de les reproduire pour
les répandre, se faisant ainsi le collaborateur des plus grands noms et des
plus beaux génies.
Un troisième ', appelé par la nature de ses hautes fonctions à passer
plusieurs années de sa vie sous le ciel poétique et lumineux de l’Orient, au
bord des mers que les poètes ont chantées dans toutes les langues, parmi les
ruines antiques qui ont inspiré tant de générations d’artistes, a ajouté aux1

1. Les trois «photographes amateurs» qui inspirent Ernest Lacan sont sans doute le comte Olvmpe
Aguado. Benjamin Delessert et, enfin, le baron Gros.
166 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

missions politiques dont il était chargé une mission d’un tout autre genre,
qui avait bien aussi son utilité : rapporter dans son pays, au moyen de la
photographie, tout ce qu’il venait admirer pendant les heures de loisir que
la diplomatie lui laissait [...].
Dans son atelier, le photographe amateur s’entoure de tout ce qui peut
rendre les opérations moins pénibles, et il a raison. Il a ordinairement un
préparateur dont il dirige le travail, qui, en son lieu et place, se tache les
doigts de nitrate, respire de l’éther ou s’enduit les mains de cire fondue 2. Du
reste, ces fonctions sont très recherchées, et le subalterne dont il s’agit ne se
plaint jamais de sa condition, ce qui prouve surabondamment qu’elle est
bonne. Il dit : nous avons fait telle chose, nous avons acheté tel instrument ;
il est bien payé, bien chauffé, pas trop surchargé de besogne : en faut-il
davantage pour être heureux ?

2. L’amateur est ici un calotypiste qui utilise le procédé négatif du papier ciré préconisé par
Gustave Le Gray.
DISDERI, UN GRAND ENTREPRENEUR
(1854-1856)

Ernest LACAN (1828-1879) ;


Syndic de la faillite D isdéri (1856)

Les premiers photographes n ’étaient pas certes tous des artistes ratés — des
« fruits secs de l ’art », disait-on à l ’époque. Ce qui était vrai pour certains
calotypistes (plusieurs sortaient de l ’atelier du peintre Delaroche) l ’était beaucoup
moins pour les nombreux portraitistes qui, au milieu des années 1850, s ’installent
à Paris.
André-Adolphe Disdéri est de ces derniers. Ses liens avec l ’art sont des plus
tenus. Contrairement à beaucoup de ses confrères, il ne s ’intitule pas « peintre-
photographe » ni « artiste-photographe », mais « Photographe des Palais de
"ndustrie et des Beaux-Arts, membre de la Société d ’encouragement ». Ses intérêts
sont avant tout commerciaux comme l ’indique son itinéraire personnel.
Il comprend rapidement que pour gagner de l ’argent il lui faut utiliser au
maximum les atouts de l ’économie de marché en plein essor : l ’emprunt,
'actionnariat, la création de sociétés multiples et importantes (sa Société du Palais
de l ’industrie compte près de 80 personnes 1, la publicité (dès son installation en
1854, il invite le Tout-Paris à venir dans son établissement admirer une importante
exposition de ses travaux), la recherche de contrats commercialement prometteurs
il obtient la concession de photographier tous les objets de l ’Exposition universelle
de 1855), l ’innovation technique (il dépose son brevet sur la « carte de visite » 2
en novembre 1854), le souci de cultiver et de faire connaître son originalité (en
1855, il publie un livre, Renseignements photographiques indispensables
à tous).
En dépit de ses talents commerciaux, Disdéri ne peut éviter la faillite. Mais
reprend rapidement son activité — son établissement du boulevard des Italiens
■•ra pendant tout le Second Empire l ’une des plus grandes maisons de photographie
U Paris. Il mourra en 1889, ruiné.

Elizabeth Anne McCauley, A.A.E. Disdéri and the Carte de Visite, Portrait Photograph, New Haven and
London. Yale University Press, 1985.
_ S u r la « c a r te d e v is ite » , v o ir in fr a , p p . 3 5 2 - 3 6 7 .
168 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

45. André-Adolphe Disdèri, Autoportrait, vers I860.


Tirage papier albuminé.
LES DÉBUTS DE LA PHOTOGRAPHIE 169

Ernest LACAN : « Galerie photographique de M. Disdéri », La Lumière, il nov.


1854 (n° 45), p. 179.

Depuis quelques jours, le vestibule de la maison occupée par le prestidigitateur


Chocat-Hamilton, sur le boulevard des Italiens, est encombré de curieux. Le
soir, un brillant éclairage y attire les promeneurs. Ce vestibule, décoré avec
goût, est tapissé d’épreuves photographiques de tous les genres et de toutes
les dimensions ; c’est l’exposition de M. Disdéri. [...]
Il y a près de deux ans, M. Disdéri était en province, dans le Midi. Nous
reçûmes de lui une série d’épreuves obtenues rapidement sur collodion,
représentant des groupes d’écoliers jouant ou étudiant, des scènes de chasse,
des animaux vivants, etc. Nous crûmes reconnaître dans ces épreuves une
originalité et un goût artistique que nous fîmes ressortir dans un article où
nous reprochions pourtant à l’opérateur trop de négligence dans son travail.
Ces mêmes épreuves, exhibées plus tard par M. Disdéri dans une réunion
Dhotographique, attirèrent vivement l’attention des personnes présentes.
Depuis, M. Disdéri vint se fixer à Paris ; nous suivîmes ses travaux, et nous
reconnûmes en lui une activité, une persévérance et une intelligence artistique
remarquables. Il avait surtout une qualité assez rare, et qui lui a profité :
c'était de reconnaître la valeur des œuvres de ses confrères et de chercher
par tous les moyens à les imiter. M. Disdéri avait un grand projet, celui de
fonder un établissement qui pût rivaliser avec les gigantesques ateliers de
Londres ; mais il voulait avant tout être à même d’offrir au public des
œuvres qui pussent soutenir la comparaison avec les meilleures productions
hotographiques. Il a travaillé avec ardeur, et aujourd’hui son projet est
réalisé.
Les ateliers que M. Disdéri vient d’ouvrir sont les plus vastes qui existent
usqu’à présent dans Paris. Leur disposition rappelle, autant que le permet
la différence des constructions, ceux de MM. Kilburn et Hennemann. Ainsi,
établissement occupe deux étages. Au premier, se trouvent les magasins,
atelier d’encadrement, le salon de réception. Au-dessus, deux grandes
[errasses à châssis, un salon élégant pour les dames, puis des laboratoires
istincts pour la manipulation des plaques, du collodion, et le tirage des
positifs. Les châssis des terrasses sont en verre bleu. M. Disdéri pense que
ette disposition est très favorable à ses opérations ; l’experience viendra
décider si son opinion doit prévaloir.
170 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-187]

Rapport du syndic définitif de la faillite du sieur André-Adolphe


Disdéri, personnellement photographe, boulevard des Italiens n° 8, à
Paris », 22janv. 1856 (Archives de Paris : D 11 U3.212, n° 12926).

Le sieur Disdéri est né à Paris au mois de mars 1819. Il est marié et a un


enfant. Depuis plusieurs années sa femme exploite, à Brest, un établissement
de photographie qui paraît être resté toujours complètement indépendant des
affaires de son mari avec lequel d’ailleurs elle paraît vivre séparée de fait.
Primitivement commis-vovageur pour le commerce de la nouveauté, le sieur
Disdéri s’établit fabricant de lingeries à Paris, rue du Cadran n° 14, dans le
courant de l’année 1844, en société avec un sieur Varet sous la raison sociale
Disdéri et Cie. Le sieur Disdéri était sans ressources personnelles ; le sieur
Varet n’avait, paraît-il, lui-même que du crédit. Cette société ne prospéra
pas : peu de temps après elle fut dissoute avec un passif de 7 à 8000 F environ
que le sieur Disdéri se serait engagé à payer envers son associé Varet.
Cette première affaire était à peine réglée que le sieur Disdéri formait, rue
Bourbon-Villeneuve n° 54, un établissement de bonneterie, à l’aide d’un prêt
qui lui était fait par un sieur Guy.
L'ne année s’écoulait ainsi et le sieur Disdéri se voyait forcé par quelques
nouvelles dettes de liquider ce nouveau commerce [...].
On était alors vers la lin de l’année 1846. Le sieur Disdéri partit pour
Brest où se trouvaient quelques membres de la famille de sa femme et ce fut
avec leur concours que fut organisé l’établissement de photographie que
Mme Disdéri exploite encore en ce moment.
Le sieur Disdéri, de son côté, avait essayé de diverses affaires. Un emploi
dans un établissement d’engrais lui avait échappé ; cette opération n’ayant
pas réussi, une entreprise de Diorama dans laquelle il s’était intéressé avec
des ressources d ’emprunt lui aurait encore occasionné une perte sensible.
Enfin, à la suite de divers mécomptes, il quitta Brest et se rendit dans le
Midi de la France où il établit quelques relations, particulièrement à Nîmes ;
il y fit de la photographie. Lorsqu’au mois de janvier 1854, il vint se fixer
à Paris.
Le sieur Disdéri avait alors de nombreuses dettes, ses ressources étaient
nulles ou à peu près. Cependant au mois de septembre suivant, il commença
boulevard des Italiens n° 8, à l’aide de nouveaux emprunts, l’installation de
l’établissement qui fut mis en société quelques mois après.
Les frais de son premier établissement furent assez importants pour absorber
de suite les sommes que son fondateur avait trouvées à emprunter. De
nombreux besoins devenaient impérieux ; on s’adressa à ceux-là mêmes qui
déjà se trouvaient engagés. Il fut décidé alors que l’établissement serait mis
en société en commandite par actions ; que les anciens prêts seraient couverts
par la délivrance d’actions représentant un capital égal à celui déjà versé et
LES DÉBUTS DE LA PHOTOGRAPHIE 171

46 André Adolphe Disdéri, Série d'autoportraits « carte-de-visite »


vers 1860. Tirage papier albuminé.
172 I.A PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

absorbé par l’installation, et que le capital nouveau serait fourni par voie de
prêt à la société, ce qui fut en effet réalisé, et la société fut constituée sur
ces bases par actes des 2 décembre 1854 et 15 janvier 1855 avec le sieur
Disdéri pour gérant sous la raison sociale Disdéri et Cie, qui déjà avait été
employée pour le commerce de lingerie et qui depuis a été encore prise pour
la société de photographie dite du Palais de l’industrie qui a fonctionné
parallèlement à la société du boulevard.
Cette société après quelques mois d’existence seulement a amené les débats
qui vous ont été déjà signalés. Des plaintes graves formulées par quelques-
uns des actionnaires créanciers avaient motivé l’arrestation du sieur Disdéri
et la déclaration des deux faillites personnelle et sociale.

« Rapport du syndic définitif de la faillite de la société Disdéri et Cie,


établissement de photographie, boulevard des Italiens, n° 8, à Paris »,
22janv. 1857 (Archives de Paris: D l l U3.212, n° 12920).

La société Disdéri et Cie a été constituée en commandite par actions, suivant


actes sous signatures privées, enregistrées et publiées, des 29 décembre 1854
et 15 janvier 1855.
Elle avait pour but l’exploitation d’une entreprise de photographie, fondée
par le sieur Disdéri ; sa durée était fixée à six années, du 1er décembre 1854 ;
son capital à 60 000 F, divisé en 60 actions de 1000 F chaque, et son siège
établi à Paris, boulevard des Italiens, n° 8.
Le sieur André-Adolphe Disdéri, fondateur, s’en instituait seul gérant ; il
apportait à la société son établissement, situé boulevard des Italiens, n° 8 ;
créé depuis peu de temps, et non encore complètement installé ; et pour prix
de son apport^ se réservant 40 actions, sur les 60 du capital. Ces quarante
actions représentaient : 25, la clientèle, l’achalandage et l’industrie du
fondateur, et 15, les travaux, les marchandises et le matériel déjà existant
alors.
Le sieur Disdéri, en dehors du savoir qu’il pouvait posséder comme artiste
photographe, n’offrait pas de bien grande sécurité alors pour l’administration
des intérêts qui allaient lui être confiés.
Avant de fonder cette entreprise de photographie, il avait été d’abord
voyageur de commerce pour la nouveauté, puis successivement marchand de
lingeries, bonnetier, photographe à Brest, et dans d’autres localités du Midi
de la France, et enfin au commencement de l’année 1854 photographe à
Paris.
Le caractère ardent du sieur Disdéri, qui lui a toujours fait rêver de grandes
entreprises, n’était pas la seule cause de ces divers changements d’industrie ;
le commerce de lingerie s’était liquidé par 7 à 8 000 F de pertes ; celui de
bonneterie avait ajouté à ce chiffre son contingent de déficit ; une perte de
LES DEBUTS DE LA PHOTOGRAPHIE 173

5 à 6 000 F dans une entreprise de Diorama à Brest serait encore venue


aggraver cette situation.
Aussi, pour organiser la maison de Paris, d’abord en son nom seul, le sieur
Disdéri dut-il avoir recours à des emprunts, qui furent promptement épuisés ;
ce fut alors qu’en présence de nouveaux besoins on dut recourir à la formation
d’une société, afin d’intéresser les prêteurs dans l’opération.
Le sieur Disdéri était locataire verbal pour dix-huit ans, en vertu d’une
simple promesse, du local où il avait installé son établissement ; il comprenait
la jouissance d’une terrasse mais pour un temps bien moindre, que le
propriétaire pouvait réduire à deux années seulement.
Ces conventions ne donnaient aucune sécurité, elles étaient faites avec la
plus inconcevable imprévoyance.
Le sieur Disdéri s’y était livré à la discrétion absolue d’un principal
locataire, M. Chocat-Hamilton, et du propriétaire.
Cependant, sur la terrasse, des dépenses importantes avaient été faites en
travaux divers pour l’installation.
Enfin, la société commença à fonctionner avec des résultats négatifs d’abord,
mais qui bientôt furent tels qu’on était en droit de concevoir les plus belles
espérances dans un avenir prochain.
Il arriva pourtant que les avances nouvelles faites à la société et les produits
de la maison furent absorbés en quelques mois, et que le sieur Disdéri, dès
le mois d’octobre 1855, sollicitait de nouveaux versements de fonds pour les
besoins de la société.
A l’occasion de l’Exposition universelle, une société en participation avait
été fondée par le sieur Disdéri au nom de la société Disdéri et Cie, avec deux
autres personnes, pour l’exploitation de la concession qui lui avait été faite,
de la reproduction par la photographie de tous les objets exposés.
Cette nouvelle entreprise, dans laquelle la société Disdéri et Cie n’avait
d'intérêt que pour moitié, devait être gérée et administrée séparément.
A l’occasion de la faculté sollicitée par le sieur Disdéri de ses actionnaires
d’émettre pour 30 000 F d’obligations, des comptes lui furent demandés et
une situation prospère fut présentée par le sieur Disdéri, mais la création des
obligations était présentée comme nécessitée par l’emploi des capitaux
disponibles dans l’installation de la maison, si bien que la société, même avec
des bénéfices, était gênée ; on voulut vérifier les comptes et alors un véritable
désordre fut révélé aux actionnaires.
Les écritures étaient mal tenues, la société était depuis longtemps l’objet
de poursuites judiciaires, une confusion déplorable régnait entre les deux
tpérations du boulevard et du Palais de l’industrie ; cette dernière affaire
était même administrée sous la raison Disdéri et Cie, ce qui ajoutait à la
confusion. Enfin, les actionnaires crurent reconnaître que les prétendus
bénéfices n’étaient qu’illusoires et que réellement il y avait perte sans que la
cause en fût appréciable.
174 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

Ils auraient, assurent-ils, refusé l’autorisation d’émettre des obligations. Le


sieur Disdéri a prétendu le contraire ; toujours est-il qu’il fit confectionner les
obligations et que, sur le certificat, délivré par lui, d’une délibération qui
l’aurait autorisé à faire l’émission, les titres d’obligations furent présentés au
timbre, et timbrés conformément à la loi.
Ce fait, venu à la connaissance des actionnaires qui n’avaient pas signé de
délibération autorisant l’émission, déterminèrent de leur part une plainte à
la suite de laquelle le sieur Disdéri fut arrêté ; et la faillite personnelle,
déclarée d ’abord, amena la déclaration de la faillite de la société, par suite
de l’instruction suivie contre le sieur Disdéri ; la poursuite en banqueroute
frauduleuse dirigée contre lui fut convertie en banqueroute simple et en abus
de confiance ; mais par jugement de la 7e Chambre du tribunal correctionnel,
les faits d’abus de confiance ayant été écartés, le sieur Disdéri a été condamné
à 15 jours d’emprisonnement, pour délit de banqueroute simple.
Depuis cette décision, le sieur Disdéri, fidèle à son système de comptes, a
élevé la singulière prétention de vouloir démontrer qu’au moment de la plainte
des actionnaires et créanciers, la maison était en pleine prospérité. A cet effet,
et pour compléter le travail de l’expert, Monsieur le Juge Commissaire a bien
voulu lui laisser toute liberté, pour établir les comptes ainsi qu’il l’entendait

Nous devons constater ici que le sieur Disdéri n’a rien prouvé du tout, et
que le travail fait par lui ou pour lui ne fait que confirmer le désordre des
affaires sociales, qu’au lieu de bénéfices il y a perte incontestable et même
déficit dont la cause est encore ignorée.
LES PREMIERES ARMES
DES PHOTOGRAPHES DE GUERRE
(1855)

C olonel Jean-C harles LANGLOIS (1789-1870)

'est en Crimée, entre 1854 et 1856, avec Roger Fenton et Marcus Sparling,
an-Charles Langlois et Léon-Eugène Méhédin, Jean-Baptiste Durand-Brager et
simone, James Robertson et Felice Beato, que prend naissance la photographie
■ guerre.
Le colonel Charles Langlois, peintre spécialisé dans les sujets militaires 1,
■mbarque pour la Crimée en compagnie de Léon Méhédin afin de préparer un
■ morarna sur le siège de Sébastopol. Méhédin, qui dispose d’une formation
'architecte, est chargé de la photographie.
La soixantaine de lettres envoyées par Langlois à sa femme 2 entre octobre 1855
mai 1856 révèlent les difficultés quotidiennes auxquelles les photographes
ageurs doivent faire face à l ’époque, l ’inadaptation du procédé à répondre à
ur situation et leur opiniâtreté à trouver une solution. Les demandes de Langlois
a femme, ainsi que les espoirs qu’il met en un article du B u lle tin d e la
S o ciété f ra n ç a is e d e p h o to g r a p h ie sont à cet égard édifiants.

Voici comment Maxime Du Camp présente Langlois dans ses Souvenirs littéraires (1882-1883): «L e
nel Langlois était et doit rester célèbre, car c’est à lui, plus q u ’à nul autre, que l’on doit en France,
n la création, du moins le perfectionnement des panoramas. C’est lui qui le premier transporta le
tateur au centre même de l’action représentée, modela la peinture avec soin, distribua abondamment
nmière sur la toile et produisit un effet qui touche de près à l’illusion. Je me rappelle encore l’émotion
ni je fus saisi, lorsque, étant petit enfant, on me conduisit, aux environs du boulevard du Temple, dans
vaste rotonde où je vis pour la première fois un panorama de Langlois, qui était celui de la bataille
Navarin. C ’était extraordinaire d ’animation, de fougue et d’emportement. Quel tumulte ! mais quel
ce ! J ’en fus effrayé. Quoi ! la colonne d’eau soulevée par les boulets ne s’affaisse jamais, la lueur
~nême canon brille toujours, le capitaine de vaisseau Milius n’abaisse pas son bras dressé par un geste
immandement; cette immobilité me glaçait, car je la trouvais surnaturelle.»
m e correspondance, introduite et annotée par François Robichon et André Rouillé, sera publiée dans
a rxalité.
176 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

47. Charles Langlois, Dixième Vue du panorama de Sébastopol pris de la tour de M alakoff
pendant la guerre de Crimée, 1855. Tirage papier salé albuminisé négatif papier
Pour préparer son grand Panorama de la bataille de Sébastopol, Langlois, peintre de bataille,
se rend en Crimée en compagnie de Méhédin, récemment initié à la photographie.
L'épreuve ci-dessus et celle de la page suivante font partie d'un ensemble de 14 calotypes gui,
mis bout a bout, forment un panorama photographique circulaire de 360°.

Lettres à sa femme Zoé, 1855.

Quartier général, le 6 décembre 1855. Ma chère Zoé, nous voilà obligés de rentrer
chez nous ; depuis onze jours le temps a été constamment mauvais ; aujourd’hui
il est à la tempête... Elle est violente et beaucoup de tentes et de baraques
ont été enlevées et les débris portés au loin et dispersés dans des champs de
boue. Nous espérions mieux hier, le soleil s’était levé brillamment, le baromètre
avait haussé d’une manière assez vive ; on prépara quatre châssis comme
l’autre jour espérant quelques heures de soleil, et nous arrivâmes en toute
lu s d é b u t s de la p h o t o g r a p h ie i 77

48. Charles Langlois. Treizième Vue du panorama de Sébastopol pris de la tour de M alakoff
pendant la guerre de Crimée. 1855. Tirage papier salé albuminisé/négatif papier.
Sacs de sable, tranchées, canons, obus ; autant d'objets qui renvoient - sans qu'apparaisse
aucun cadavre - à l'immobilité de la mort. Par quoi Langlois signale la connivence secrète
qui lie la photographie, la mort et la guerre. Les nuages,
seuls éléments mobiles, sont gouachés après coup.
178 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

hâte à Malakoff par des chemins affreux. Ce fut vainement cette fois : la pluie
commença presque aussitôt et n’a pas décessé jusqu’au moment où je t’écris.
Le caoutchouc a rempli ses fonctions d’une manière distinguée et malgré des
lacs de boue qui ont maculé mes pieds et les pantalons, je n’ai pas été
mouillé. Mais les quatre feuilles ont été perdues, ce qui nous fait ressembler
aux Russes qui tirent leur poudre aux moineaux 3, et Dieu sait ce qu’ils en
consomment journellement et à des distances ridicules. Toutes ces tentatives
avortées nous font comprendre l’importance d’un procédé qui pour réussir
n’aurait besoin que de quelques minutes de pose et l’on revient ainsi et
toujours au procédé Taupenot 45. Mais j ’avais pensé que ce professeur était
à l’Ecole militaire de Saint-Cyr et au contraire c’est à La Flèche qu’il donne
ses leçons. Il n’y a donc pas à l’aller voir ; cependant chère amie, il y a
quelque chose à faire.
M. Méhédin remet de jour en jour et ne sait pas prendre un parti à ce
sujet, en attendant il faut toujours faire faire la boîte des vingt-quatre glaces
telles que je les ai indiquées, demander à Schiertz une cuvette en caoutchouc
dont le fond intérieur soit de 0,28 sur 0,34. Au lieu de voir M. Taupenot il
faudrait aller chez MM. Veron et Fontaine, marchands de produits chimiques,
et leur demander s’ils pourraient nous faire deux litres d’’albumine fermentée
selon la formule de M. Taupenot indiquée au dernier alinéa de la page 239
du numéro de septembre (en mettant 1,5 % d’iodure de potassium) et qui
finit à moitié de la page 240 D. Nous ne pouvons point faire cette albumine
ici parce que nous n’avons ni œufs ni levain de bière. En y mettant de
l’insistance cela ne doit pas offrir de difficulté de leur part ; leur demander
s’ils seront sûrs de nous faire parvenir ces objets promptement. Dans ce cas
on ajouterait au paquet une rondelle pour le grand objectif que l’on
demanderait à M. Maugey avec les vis qui seraient nécessaires pour la fixer
à la chambre que nous avons faite et qui fonctionne passablement. Une
modification que je fais faire nous la complétera, je l’espère. A propos de
cette chambre il m’est arrivé une singulière chose. T ’ai-je dit qu’à notre
arrivée M. Méhédin n’espérait rien de bon du voyage : il pensait que
Sébastopol n’était guère plus pittoresque que Kamiesch. Il voyait donc son
affaire à lui fort compromise tout en s’occupant activement de notre installation.
Aussi grand fut son étonnement quand je le conduisis à Malakoff. Ces ravins
profonds qu’il avait fallu traverser, la terre couverte de boulets et d’éclats de
bombes et d’obus, nos tranchées, mais surtout les travaux de Malakoff
bouleversés comme par un tremblement de terre, lui donnaient le vertige et
il n’y voyait que du feu comme disent les soldats et surtout il n’y comprenait

3. Allusion aux tirs mal ajustés des canonniers adverses.


4. Voir « Nouveau procédé photographique de M. Taupenot [...], collodion recouvert d ’albumine et
employé sec », Bulletin de la Société française de photographie, sept. 1855.
5. Ibid.
•LES DÉBUTS DE LA PHOTOGRAPHIE 179

rien. Mais lorsque de là il put découvrir la ville avec les monuments, les forts
en ruine, il la trouva superbe et remplie de vues charmantes et très variées.
Cependant je lui faisais comprendre ce chaos apparent, comment on pourrait
le rendre en Panorama, ce qui serait nature et là où elle se réunirait à la
peinture. [...]

Le 18janvier 1856 [...] Les rares et pauvres épreuves obtenues à force de


persévérance et de ténacité, à quel prix elles reviennent ! c’est incroyable !
Des durées d’exposition de plusieurs heures [dans la chambre noire] demandent
pour les faire sortir des [temps de développement de] deux et trois jours et
uelquefois plus avec des renouvellements de bains de deux ou trois par
jour , trop heureux encore d’acheter à ce prix des renseignements sur des
hoses qui disparaissent chaque jour par la main des hommes et par celle
iu temps et du climat qui agissent ici avec une grande vigueur. Mais pour
uelques épreuves arrachées à l’hiver, combien de feuilles perdues 1, combien
de substances disparues sans compter celles détruites par l’effet de la gelée
avant que notre baraque ait reçu les perfectionnements qui l’ont mise à l’abri
puis combien de bois il a fallu brûler.

î L* colonel Langlois témoigne des difficultés à surmonter en 1856 pour réaliser des images photographiques,
^niculier dans les conditions exceptionnelles d ’un laboratoire de campagne. Mais les circonstances
râbles n’expliquent pas tout. Méhédin qui ne maîtrise pas le procédé au collodion humide, ni le
-dé Taupenot, s’en tient aux négatifs en papier ciré sec préconisés par Gustave Le Gray ; mais ils
insuffisamment sensibles puisque leur temps de développement est de plus de trois jours après un
B - de pose de plusieurs heures dans la chambre noire. Nous sommes bien loin du mythe de
rantanéité qui s’attache à la photographie dès ses premières années et pendant tout le XIXe siècle.
' agit de feuilles de papier qui, placées dans un châssis, exposées à la chambre noire puis développées
: de gallique, donneront des négatifs en papier (calotypes).
Ill
L’IMPULSION
DE L’EXPOSITION
UNIVERSELLE

1855
AU SERVICE DE LA MORALE,
AU SERVICE DE LA MARCHANDISE
(1854-1855)

Pierre CALOINE (1818-1859) ;


A nd ré-A dolp he DlSDÉRI (1819-1889)

Avant même le jury de l ’Exposition universelle de 1855 (cf p. 188), Pierre


Caloine se prononce à propos de la photographie pour l ’« utilité » contre la
« curiosité ». Le nouveau procédé ne doit pas satisfaire les seuls besoins, caprices
et frivolités de la clientèle bourgeoise et mondaine, mais remplir des fonctions d ’un
ordre plus élevé, assumer un véritable rôle social : « concourir à l ’accomplissement
du grand œuvre moralisateur ».
Cette mission devrait selon Caloine consister en une « croisade contre le mauvais
goût ». Multipliés grâce à la photographie, et mis ainsi « à la portée de tous »,
les « chefs-d’œuvre de l ’art » auraient à charge, comme l ’écrira un peu plus tard
la Revue photographique, de faire pénétrer « les lumières dans les masses pour
les élever et les rendre meilleures » 1.
Cette idée d’un pouvoir social de l ’art est chère aux saint-simoniens et à des
hommes comme le comte Léon de Laborde. Dans son rapport sur l ’Exposition
universelle de Londres en 1851 (cf. pp. 218-225), celui-ci préconisait déjà de
« vulgariser » l ’art en utilisant tous les « moyens reproducteurs », notamment la
photographie qui accédait sous sa plume au rang d ’« auxiliaire démocratique par
excellence » 123. A ses détracteurs il répondait : « On m ’objecte que je vais créer des
prétentions, exalter des amours-propres, rendre intolérables les ouvriers, déjà trop
disposés à se croire supérieurs à leur véritable capacité : c’est la plus profonde
des erreurs. Rien n ’inspire plus la modestie que le savoir, rien ne fera rentrer plus
sûrement l ’ouvrier à la fabrique, rien ne le ramènera à son travail manuel qu’il
exécute en maître, comme la connaissance des chefs-d’œuvre dont il aura compris
les beautés qu’il renoncera d ’atteindre. L ’ignorance dans l ’isolement crée les illusions
de l ’amour-propre ; l ’instruction, au contact des grandes productions de l ’art, remet
les talents à leur place. » ’

1. Revue photographique, 1862, p. 151.


2. Léon de Laborde, Travaux de la Commission française sur Vindustrie des nations, Paris, 1856, pp. 481 sq.
3. Ibid, p. 495.
L'IMPULSION DE L’EXPOSITION UNIVERSELLE 183

En 1855, la mission morale de la photographie se retrouve chez Disdéri associée


à une mission économique. « Photographe des palais de l ’Industrie et des Beaux-
Arts », il affirme que la gravure et la lithographie sont incapables de répondre
aux besoins figuratifs de l ’heure. Seule la photographie peut, selon lui, assurer
la publicité des produits industriels 4, faire connaître les techniques nouvelles (« que
de main d’œuvre épargnée, que d ’économie apportée ») et prolonger dans la classe
ouvrière tout entière « l ’action moralisatrice » de l ’Exposition.
Enfin, souligne-t-il, la photographie peut également s ’intégrer à certaines
fabrications : abat-jour, éventails, paravents, etc. J
Par-delà les photographes, Disdéri s ’adresse à l ’ensemble des « industriels ».
Il entend les convaincre d’utiliser le nouvel instrument dont il suggère, par une
longue énumération rhétorique, toute la richesse pratique — économique, sociale et
morale.
A noter que les propos de Disdéri : 1° sont émis dans une situation de concurrence
entre divers types d ’images : photographie, gravure, lithographie ; 2° s ’inscrivent
comme ceux de Caloine dans un projet social proche de celui des saint-simoniens,
très influents à l ’Exposition universelle de 1855 ; 3° surestiment, et de beaucoup,
es capacités techniques réelles du procédé qui ne permettra jamais à cette époque
de livrer, en quarante-huit heures, à des milliers d ’exemplaires, et à un prix
ncroyablement modique » la reproduction des objets industriels.

Pierre Caloine : « De l’influence de la photographie sur l’avenir de l’art


du dessin » , La Lumière, 29 avr. 1854 (n° 17), pp. 65-66.

Les bons photographes, outre qu’ils sont en réalité de savants chimistes-


Ph ysiciens, doivent occuper encore un rang distingué parmi les artistes.
Leur but n’est pas seulement de satisfaire la curiosité ou le caprice d’une
■ ale qui leur retirera peut-être demain la vogue dont ils jouissent aujourd’hui.
Indépendamment de ce qu’ils doivent compléter les livres de la science, ceux
de 1!anatomie, par exemple, en reproduisant tous les organes dans leurs détails
—icroscopiques, ils sont conviés à cette perpétuelle croisade contre le mauvais

Walter Benjamin, à propos de cette même Exposition universelle de 1855 : « Depuis le milieu du
e. la photographie étend considérablement l’économie de marchandises en jetant sur le marché une
immense de figures, de paysages, d ’événements, ou démunis de toute valeur informative, ou n ’ayant
~.tre rôle que d’illustrer l’information. Pour augmenter le changement, elle renouvelle ses objets en
- édifiant ses techniques de prise de vue selon les modes successives, ce qui va déterminer toute son
xs ire à venir. » Walter Benjamin, « Paris, capitale du XIXe siècle » [mai 1935], Poésie et Révolution, p. 128.
î 'est aussi le point de vue de Paul Mantz (cf. pp. 207-208).
184 l ,\ PHOTOGRAPH 11 IN FRANCE 1816-1871

goût. Eux aussi doivent concourir à l’accomplissement du grand œuvre


moralisateur, qui sanctifie en quelque sorte la raison d’être des arts du dessin.
Les images du photographe s’adressent à toutes les intelligences.
Sa langue est universelle, comme le seront toujours les mélodies de Mozart
et de Boieldieu. Il doit fixer avec l’exactitude du géomètre, avec la sévérité
de l’homme de goût et la sagacité du penseur, les caractères si variés, si
fugitifs des beautés de la nature.
A lui est dévolu le soin de rassembler, de réunir en mille faisceaux, ces
rayons de la clarté céleste. A lui est conféré surtout le privilège de multiplier,
de vulgariser les chefs-d’œuvre de l’art, et de mettre ainsi à la portée de tous
le résumé du beau dont l’essence est Dieu, et qui partout où il arrive apporte
l’amour et le bonheur.

André-Adolphe Disdéri : R e n s e ig n e m e n ts p h o to g r a p h iq u e s in d is p e n s a b le s
à to u s , 1855, pp. 3-6 et pp. 30-33.

Engendrant une rivalité noble, utile, féconde ; entretenant la persévérance,


alimentant l’émulation, l’espoir de la récompense, l’Exposition hâte le
perfectionnement des sciences, des arts et de l’industrie. C’est le fil électrique
qui du point central communique aux stations les découvertes passées au
critérium et reconnues profitables, et qui signale les obstacles contre lesquels
l’effort individuel lutterait en vain durant de longues années, car, convoquant
et rassemblant les concurrents, l’Exposition crée le libre échange des
inspirations ; grâce à elle, l’un greffe une idée sur l’idée de l’autre, l’un trouve
la solution d ’un problème, l’autre le corollaire.
L’Exposition exerce sur la classe ouvrière une action moralisatrice dont il
faut se réjouir, car l’ouvrier va au palais de l’Industrie puiser des notions
utiles à l’amour du travail.
Aussi est-il à regretter que les grandes assises de l’industrie ne puissent
pas être permanentes, mais le seraient-elles que les ouvriers des centres de
populations éloignées de la capitale ne sauraient encore jouir de ce bienfait.
Bien que les journaux consacrent au compte rendu et à l’appréciation des
objets exposés grand nombre de leurs colonnes, bien que ce travail soit
consciencieusement fait, la province et l’étranger peuvent-ils, par la lecture,
se former une idée exacte des merveilles que renferme cette grande hôtellerie
des sciences et des arts, ce temple élevé au progrès ?
Sans hésiter, non. Est-il un moyen de remédier a cet inconvénient regrettable,
ou du moins de l’atténuer ?
Sans hésiter, oui. Grâce aux progrès si rapides que depuis quelques années
a faits l’art photographique, grâce au bon marché auquel l’exploitation de
cet art sur une grande échelle permet de livrer ses produits, cette lacune peut
être comblée.
1/ 'IMPULSION DE I. EXPOSITION UNIVERSELLE 185

50. Anonyme, Exposition


universelle de 1855, stand
Saint-Gobain, 1855. Demi-
épreuve stéréoscopique. -
Les expositions universelles
sont, au xixe siècle, des
hommages rendus au règne
nouveau de la marchandise.
Pour Disdéri la photographie
est à la fois une marchandise et
un moyen de promotion des
marchandises.

Si le texte de la rédaction est impuissant à donner une juste intelligence


de ces machines parfois si compliquées, de ces mécanismes aux mille rouages
et de la beauté de ces œuvres d’art, meubles, bijoux, bronzes, statues ou
tableaux, la photographie, avec ses reproductions scrupuleuses, fournira les
-planches à l’histoire de l’Exposition.
Mais la gravure et la lithographie peuvent jouer le même rôle, dira-t-on.
C'est une erreur. Puis la question du bon marché qui, en pareille occurrence,
.'est point une question secondaire, est tranchée dès l’abord en faveur de la
->hotographie.
La grandeur de nos ateliers, dont l’un occupe deux étages, 8, boulevard
es Italiens (le plus vaste établissement de ce genre, qui existe non seulement
Paris, mais en Europe), et notre imprimerie photographique nous permettent
de livrer, en quarante-huit heures, à des milliers d’exemplaires, et à un prix
îcroyablement modique, la reproduction de tous objets formant l’ensemble
ie l’exposition de nos industriels. Mille cliches des vitrines des principaux
xposants, deux cents clichés de tableaux du palais des Beaux-Arts, sont là
□our attester ce que nous avançons.
Ce serait faire injure à l’intelligence de nos industriels, que d’expliquer
■nguement l’utilité qui résulte de ces reproductions.
Le fabricant récompensé par le jury international de ses efforts et de ses
travaux, n’est-il pas désireux de propager les modèles qui lui valent une
îorable récompense ? A côté d ’un noble amour-propre satisfait, n’y a-t-il
is encore pour lui intérêt à le faire ? La propagation du modèle d’un meuble
pprécié par tous les visiteurs de l’Exposition ne peut-elle pas attirer au
186 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

fabricant des commandes nombreuses ? Celle d’une machine à tisser, à coudre,


à peigner ou des instruments aratoires n’amènera-t-elle pas un semblable
résultat ?
Et maintenant, pour les œuvres d’art, l’utilité est tout autant évidente.
Leur popularisation ne doit-elle pas, en développant le sentiment et l’amour
du beau, exciter une émulation recommandable ?
En voyant les progrès réalisés par l’art et l’industrie, l’ouvrier et l’artiste
chercheront à copier, à atteindre, à dépasser même la perfection des modèles
qu’ils auront sous les yeux. Oui, il y a là, pour le patron comme pour
l’ouvrier, utilité morale, utilité matérielle ; il y a là accroissement certain pour
la production et facilité pour la vente. [...J
On commence à reconnaître que le portrait va devenir d’une mince
importance en photographie, eu égard aux applications scientifiques et
industrielles qui auront incessamment lieu.
Si les lignes qui vont suivre sont taxées d’exagération, dans dix ans on sera
bien forcé d’avouer que nous restons non seulement dans les limites du
possible, mais encore en deçà de la réalité ; dans dix ans ce que nous émettons
comme hypothèses, probabilités, au lieu d’avoir un cachet de hardiesse, nous
fera décerner un brevet de timidité.
Jusqu’à ce jour, nous laissons de côté la question du portrait, on s’est borné
en photographie à la reproduction de quelques monuments, de quelques
sculptures, de quelques bustes, de quelques gravures. A l’exception de cinq
ou six de nos plus grands industriels, qui donc a songé à une application
plus large de l’art photographique ?
En effet, tandis que ceux-là entrevoyaient la possibilité de faire jouer un
grand rôle à la photographie dans leur industrie d’impression sur étoffes, sur
porcelaines et des toiles peintes, etc., il n’est pas, que nous sachions,
d’architectes, de médecins, de mécaniciens, de constructeurs, de professeurs,
d’agriculteurs qui aient tenté de l’utiliser au profit de leur profession.
Et cependant, qui pourrait reproduire avec plus de fidélité que l’épreuve
photographique les principaux sujets d’anatomie, d’ostéologie, les divers
accidents de la clinique, les phases de la dissection, les opérations de chirurgie ?
L’avantage de l’exactitude de la reproduction joint à celui de l’économie,
ne doit-il pas engendrer la popularisation au moyen des planches photographi­
ques, non pas seulement des monuments, des villas, des palais, mais encore
de chaque fraction sculpturale remarquable, des distributions d’intérieur ; en
un mot, le plan, la coupe, l’élévation des palais, des musées, des temples, des
bibliothèques, des salles de spectacle, des gares de chemins de fer, des usines,
des casernes, des hôtels, des halles, des docks, des marchés, des jardins, qui
réunissent l’élégance à la commodité ; les plans, les coupes des charpentes les
plus remarquables, les plus osées, les plus risquées ; des escaliers monumentaux
ou légers et capricieux ; de ces ponts de pierre si solides, si bien assis du
Moyen Age, de ces ponts suspendus d’une rive à l’autre, comme on les jette
L’IMPULSION DE L’EXPOSITION UNIVERSELLE 187

sur les fleuves aujourd’hui ; de ces plafonds historiés, de ces parquets mosaïqués
si charmants, si pleins de fantaisie ; de ces riches lambris, de ces colonnades
tordues, creusées, fouillées, sculptées ; de ces meubles sculptés plutôt que
travaillés par l’artiste ; de ces fontes, de ces bronzes qui valent leur pesant
d’or ; de ces modèles si variés, si gracieux qu’offrent la bijouterie, l’orfèvrerie,
la joaillerie de nos Cellini actuels ; des chefs-d’œuvre de l’ébénisterie ; de ces
productions céramiques aux mille formes ; de ces tapisseries chatoyantes ; de
ces papiers peints qui valent des tableaux ; de ces dessins d’éventails vaporeux ;
de ces somptueux châles ; de ces broderies patientes ; de ces dentelles aux
prix fabuleux ; de ces camées, de ces médailles dont les collections sont si
rares qu’on ose à peine les montrer, et des décors de nos scènes principales,
et de toutes les merveilles enfantées par l’industrie de luxe.
A cette popularisation, intelligemment faite, que ne gagnerait donc pas
chacune des professions que nous venons de mentionner ?
Et la mécanique ! Si les planches photographiques vulgarisent les dessins
de ces machines si multiples, et si simples parfois, richesses enfouies dans nos
conservatoires, les machines-outils, les machines à broyer, à cambrer, à élever
les fardeaux, à guillocher, à graver, à filer, à gauffrer, à lainer, ou les machines
électriques, hydrauliques ou à vapeur ; que de main-d’œuvre épargnée, que
d’économie apportée, que d’améliorations introduites !
Et pour la construction des navires ! les formes, les plans et les coupes des
coques, du gréement, des voitures !
Et pour l’histoire naturelle !
Et pour l’horticulture ! l’arboriculture ! l’agriculture ! l’agriculture surtout !
combien serait-il utile de faire passer sous les yeux de l’agriculteur capable
des dessins de charrues, de machines à vanner, à battre le blé !
Il n’est peut-être pas d’industries ou de sciences où la photographie n’ait
sa case qui l’attende. Nos fils, à défaut de nous-mêmes, la verront appliquée
à la géométrie, à la géologie, à la métallurgie, à la météorologie, à l’arpentage,
à l’astronomie, à la physique, à la botanique, à la chimie, à la minéralogie,
à la zoologie, aux mines, et nous irons plus loin : à la science militaire ! Car,
lorsqu’à un général le temps manquera pour faire relever exactement une
position, l’instantanéité et la fidélité de la reproduction photographique
pourront le tirer d’embarras.
L’ETAT DE LA PHOTOGRAPHIE
EN 1855

Rapport du ju ry de l ’E xp osition u n iv erselle de 1855

Saluant les progrès de « l ’art nouveau » depuis 1851, le jury de l ’Exposition


universelle entend à la fois favoriser les applications pratiques de la photographie,
et la rendre « populaire et accessible à tous » — ce qui implique notamment la
mise au point d’épreuves inaltérables.
Deux recommandations sont données aux photographes et aux fabricants :
1° soigner leurs tirages pour réduire l ’instabilité des épreuves (préjudiciable à
l ’utilisation de la photographie par l ’industrie) ; 2° abaisser leurs prix pour
« augmenter considérablement la vente de leurs produits, et, tout en popularisant
la photographie, [accroître] la somme totale de leurs bénéfices ».
Le jury félicite Blanquart-Evrard pour son action sur les coûts et récompense
Braun pour ses applications de la photographie à la fabrication des étoffes, mais
la véritable promotion qu’il fa it de la gravure héliographique 1 trahit ses doutes
sur les capacités de la photographie proprement dite à « garantir l ’indestructibilité
des épreuves et [à] en réduire le prix aux frais du tirage ordinaire des gravures ».

Exposition universelle de 1855. « Rapports du jury mixte international publiés


sous la direction de S.A.I. le prince Napoléon », 1856, pp. 1233-1243.

Les progrès réalisés depuis quelques années par la photographie, comme


invention et comme exécution, donnaient un grand intérêt à l’Exposition de
1855. L’attente n’a pas été trompée, grâce au zèle des photographes les plus
distingués qui, de tous les pays, des contrées les plus éloignées, le Canada,
la Jamaïque, l’Australie même, ont répondu à l’appel et ont envoyé des
échantillons de leurs produits.

1. Alors que les photographies sont aux sels d ’argent, la gravure héliographique est un procédé qui, à
partir d’un cliché photographique, permet d’obtenir des épreuves inaltérables à l’encre grasse d’imprimerie.
A l’aide d’un négatif (ou d’un positif selon le procédé) est produite, par les seuls moyens de la lumière
et de la chimie, une matrice sur pierre (c’est la litho-photographie) ou sur métal (c’est l’héliogravure,
procédé en taille douce) ; puis sont tirées des estampes à l’encre d ’imprimerie.
I. IMPULSION DE L’EXPOSITION UNIVERSELLE 189

Il y a peu d’années, à l’époque même de l’Exposition universelle de 1851,


on pouvait encore croire que la photographie^ cette curieuse découverte
scientifique, serait peu susceptible d’application utile. Mais aujourd’hui, en
face des produits si variés de l’Exposition de 1855, on est bien obligé de
reconnaître que la belle découverte de Daguerre et de Nicéphore Niépce
dépasse la valeur d’un pur fait scientifique et compte à juste titre parmi les
arts nouveaux d’une application universelle et d’une pratique facile.
Le premier fait à signaler est la disparition presque complète des épreuves
daguerriennes. A Londres, en 1851, leur nombre dépassait considérablement
celui des épreuves sur papier, et la grande majorité de ces plaques consistait
en portraits. Ici les plaques sont rares en comparaison des épreuves sur
papier, et les portraits, objets de curiosité plutôt que d’utilité réelle, n’occupent
qu’une place secondaire relativement aux applications si variées de la
photographie.
Le Jury a constaté avec satisfaction cette tendance à l’utilité pratique. Pour
prendre le rang élevé auquel elle devait aspirer, il fallait que la photographie
justifiât des services qu’elle pouvait rendre ; aujourd’hui elle y est parvenue,
heureusement secondée par les découvertes de la science, qui a sans cesse
apporté les perfectionnements indispensables pour mettre l’art nouveau à
hauteur de sa mission, et le rendre populaire et accessible à tous.

Lin des reproches le plus fréquemment adressés à la photographie, c’est


l'instabilité de ses produits. Trop souvent, il faut l’avouer, par suite de la
négligence avec laquelle sont tirées les épreuves positives, ces belles planches,
dont le prix s’élève quelquefois jusqu’à cent francs, s’altèrent peu a peu par
l'effet de la lumière et finissent par disparaître. Ce fâcheux résultat, dû
principalement à l’absence de soins suffisants dans les manipulations, discrédite
la photographie et en dégoûte le public. Mais en dehors de ces faits
regrettables, qu’une attention constante de la part des fabricants rendrait
d'ailleurs plus rares, la science ne garantit pas encore théoriquement la durée
indéfinie des épreuves positives les mieux fixées. Heureusement la récente
découverte de M. Niépce de Saint-Victor, l’héliographie 2, en remplaçant les
épreuves positives photographiques par des épreuves imprimées à l’encre à
.'aide de la presse, donnera, tout le fait espérer, une solution satisfaisante à
cette question si capitale pour l’avenir de la photographie. En garantissant
,'indestructibilité des épreuves, et en réduisant le prix aux frais du tirage
ordinaire des gravures, M. Niépce de Saint-Victor complétera et couronnera
oeuvre de Daguerre, de Nicéphore Niépce et de Talbot. [...J

_ Tandis que chez Francis VVey (cf. p. 108 et 117) «héliographie» est un terme générique synonyme
procédé photo-chimique de réalisation des images, il désigne ici les seuls procédés de fabrication photo-
imiques d’épreuves positives à l’encre grasse d’imprimerie : la litho-photographie ou la gravure
igraphique (voir en annexe : « Les procédés techniques »).
190 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANGE 1816-1871

Les procédés aujourd’hui en usage pour les épreuves négatives sont


nombreux ; chacun d’eux a des avantages particuliers, et on ne peut reconnaître
à aucun une supériorité absolue. Des résultats également remarquables ont
été obtenus par des clichés sur papier humide, ou sur des papiers secs
différemment préparés, sur glace albuminée et sur glace collodionnée, à l’état
humide ou à l’état sec. Diverses méthodes nouvelles permettant aux opérateurs
de se servir du collodion à l’état sec, il est probable que, dans un temps plus
ou moins prochain, le collodion remplacera définitivement l’albumine, qui,
seule jusqu’ici, offrait aux praticiens l’avantage de pouvoir garder longtemps
les glaces toutes préparées. Cette supériorité relative de l’albumine n’existant
plus, l’extrême sensibilité et la facile manipulation du collodion le feront
préférer désormais aux procédés à l’albumine. L’usage du papier se perpétuera
probablement longtemps encore, à cause de son extrême commodité dans les
voyages, de sa longue conservation et de son inaltérabilité. [...J

Généralement, le prix des photographies est encore trop élevé ; les fabricants
ne comprennent pas assez qu’en réduisant leurs prix ils augmenteraient
considérablement la vente de leurs produits, et, tout en popularisant la
photographie, accroîtraient la somme totale de leurs bénéfices. C’est une voie
que le Jury sait être praticable et où il aimerait à les voir entrer. Sous ce
rapport, l’établissement de MM. Blanquart-Evrard et Fockedey, à Lille, a
rendu de véritables services que le Jury reconnaît avec plaisir ; plus que tout
autre il a contribué à faire baisser la valeur vénale des épreuves, et à rendre
accessibles à un public plus nombreux les produits de la photographie. A ce
point de vue important, l’héliographie est encore destinée à jouer un grand
rôle.
Lorsque nous détaillerons les titres des exposants aux récompenses que le
Jury leur accorde, on jugera du grand nombre des applications nouvelles de
la photographie aux sciences, à l’industrie et aux beaux-arts. Nous n’en
parlerons donc pas ici, nous bornant à constater ce fait, qui est le trait saillant
de l’exposition de photographie, la tendance de plus en plus prononcée de
cet art à entrer dans le domaine pratique. [...]

M. Benjamin Delessert, qui a exposé des reproductions fac-similé des


estampes de Marc-Antoine Raimondi et une planche héliographique d’après
une gravure d ’Albert Dürer a été mis hors de concours comme membre du
Jury.
M. A. Riffaut, qui a beaucoup contribué, par de persévérants travaux, aux
progrès de l’héliographie, et qui a exposé des gravures héliographiques d’un
grand intérêt. [...]
M. Lemercier, qui possède un des plus beaux établissements de lithographie
du monde entier, et dont les produits exposés sont classés dans la 2e section,
a envoyé des spécimens remarquables de photo-lithographie. Déjà, depuis
L'IMPULSION DE L'EXPOSITION UNI\ LRSELLE 191

plusieurs années, M. Lemercier cherchait, avec MM. Lerebours, Barreswill et


Davanne, à produire une image photographique sur la pierre lithographique,
qu’il enduit d’une couche de bitume de Judée dissoute dans de l’éther.
Aujourd’hui, M. Lemercier est parvenu à des résultats satisfaisants, et ses
spécimens de portraits, de paysages, de reproduction de monuments et d’objets
d’art, montrent quel parti important on pourra tirer de la photo-lithographie.
[...]
MM. Bisson frères ont créé, à Paris, un vaste établissement photographique
où ils exploitent avec un égal succès toutes les branches de cet art. De leur
atelier sortent les reproductions fac-similé des estampes de Rembrandt et celles
d'après Albert Durer, reproductions bien utiles aux artistes qui, pour quelques
francs, obtiennent le fac-similé parfait des gravures de ces grands maîtres
devenues aujourd’hui si rares et si chères, et ces grandes épreuves, d’après
les chefs-d’œuvre de la statuaire antique, telles que le buste de YApollon
Belvédère de la grandeur de l’original. Ainsi, aujourd’hui, grâce aux
perfectionnements de la photographie, les écoles de dessin publiques et
particulières pourront se fournir d’excellents modèles à bon marché, d’après
les chefs-d’œuvre des grands maîtres de l’art, qui remplaceront ces mauvaises
•t ridicules lithographies, peu capables d’inspirer aux élèves le sentiment du
ieau. Les industriels aussi ont souvent recours aux ateliers de MM. Bisson
nour faire tirer des épreuves des modèles et des dessins de leurs fabriques,
:nsi que l’attestent les photographies de lampes et de candélabres qui figurent
ans leur exposition. [...]
M. Nègre [...], à Paris, qui, depuis plusieurs années, s’est voué avec zèle
la photographie, montre dans chacune de ses œuvres le goût d’un véritable
rtiste. Ses groupes, pris instantanément sur collodion, ses joueurs de
/rnemuse, sont d’un charmant effet ; mais ce qui distingue le plus son
^position ce sont ses gravures héliographiques d’après le procédé de M. Niépce
de Saint-Victor ; la plus grande, le portail de Saint-Trophime d’Arles, placée
i côté de l’épreuve photographique, n’est guère inférieure par l’effet, bien
ii'un peu moins fine à cause du grain d’aqua-tinta ; plusieurs vues de Paris,
Pont-Neuf, la place du Châtelet, les bas-reliefs de l’Etoile, un homme
_:croupi, indiquent les progrès successifs de M. Nègre dans cette branche
uvelle de la photographie, à laquelle il s’est adonné ; en applaudissant à
-- premiers succès, le Jury l’engage à persévérer dans ses utiles travaux.
M. Braun, à Dornach (Haut-Rhin), dirige en Alsace un grand établissement
dessins industriels. Il a imaginé d’employer la photographie à reproduire
:es bouquets et des couronnes de fleurs qui puissent servir de sujets aux
mriques d’étoffes. Après de nombreux essais il a complètement réussi, et il
- envoyé à l’Exposition une collection d’épreuves représentant des fleurs de
:te espèce groupées avec goût et rendues avec une grande perfection. Ces
inches, dont les clichés sont sur verre, font partie d’une suite de trois cents
euves à l’usage des industriels. M. Braun a très heureusement triomphé
192 I V PHOTOGRAPHIE E\ FRANCE 1816-1871

de la difficulté que présentait au photographe le mélange des couleurs


différentes des fleurs et la verdure sombre du feuillage. Plusieurs épreuve-
donnent les Heurs de grandeur naturelle. Le Jury a reconnu avec plaisir, dans
cette heureuse application de la photographie, une œuvre d’une utilité
incontestable, à laquelle les industriels rendent justice et que le succès a déjà
consacrée.
MM. Blanquart-Evrard et H. Fockedey, à Lille, exposent plusieurs albums
dont ils ont tiré les épreuves positives. Ces épreuves sont obtenues par les
procédés fréquemment usités en Angleterre pour le tirage des positifs, procédés
qui consistent à préparer le papier avec l’iodure d’argent et à développer
l’image par l’acide gallique. C’est la méthode employée par M. Benjamin
Delessert pour sa publication sur Marc-Antoine Raimondi, et par M. Piot
pour la publication de ses vues de monuments. Elle permet d’obtenir des
épreuves presque instantanément, même par les temps les plus sombres, et
possède une solidité supérieure à celle que donne le tirage par le chlorure
d’argent. On obtient ainsi une économie de temps, de main-d’œuvre et de
matériel, dont MM. Blanquart et Fockedey ont profité pour abaisser le prix
des épreuves positives. Aujourd’hui, cette maison livre à 20 centimes pièce
des épreuves de 12 centimètres sur 18, à 65 centimes celles de 24 sur 18, et
à 2,50 F celles de 50 sur 40 centimètres. C’est là un vrai service rendu au
public et surtout aux photographes, service que le Jury reconnaît, tout en
manifestant le désir que ces produits puissent être améliorés ; en effet, ces
épreuves ont un ton uniformément gris et blafard, désagréable à l’œil et sans
aucun effet. L’établissement de Lille, qui prend à tort le titre d’imprimerie,
car ses procédés ne participent en rien à l’impression, a le premier permis,
par la rapidité et le prix modéré de ses tirages, la publication de grands
ouvrages. Le premier édité est le beau voyage en Egypte, Nubie, Palestine
et Syrie, de M. Maxime Du Camp, dont les épreuves, si fines dans les détails
et d’un effet si pittoresque, n’ont jamais été dépassées, et sont d’autant plus
remarquables qu’elles furent prises à une époque où la photographie était
encore dans son enfance. Le procédé sur papier sec n’étant pas encore inventé,
on peut s’imaginer toutes les difficultés d’exécution qu’entraînait la nécessité
de la préparation première du papier et le développement de l’image, qu’il
fallait obtenir avec une extrême rapidité, la grande chaleur desséchant les
papiers et altérant rapidement les liqueurs. Plus tard, MM. Blanquart et
Fockedey entreprirent le tirage du bel ouvrage de M. Salzmann sur l’art
judaïque hérodien, chrétien et arabe en Palestine, et celui de M. John Greene
sur l’Egypte. Cette maison édite, en outre, pour son compte, plusieurs ouvrages
d’art et de voyage, dont les négatifs sont tirés par des photographes attachés
à l’établissement. Ces publications, à un prix généralement très modéré,
offriraient un degré plus grand d’utilité si les sujets étaient mieux choisis et
surtout reproduits d’une façon plus heureuse. [...]
C’est surtout dans la fabrication des portraits que la photographie est
devenue une importante industrie. Tel atelier à Paris vend pour plusieurs
L’IMPULSION DE L’EXPOSITION UNIVERSELLE 193

centaines de mille francs par an, et on cite une maison qui, en un seul mois,
a fabriqué pour 50 000 F. Malheureusement le bon goût ne préside pas
toujours à cette industrie. A côté de portraits disposés avec art, éclairés avec
intelligence, le Jury a remarqué un plus grand nombre de productions
médiocres. Généralement les fabricants de portraits, dans un but purement
mercantile, flattent le goût du public, trop souvent mal inspiré, tandis qu’ils
devraient le guider et l’éclairer. Telle est l’origine de cette quantité de portraits
retouchés dans les négatifs ou dans les positifs, de ces portraits couverts de
couleurs à l’aquarelle ou à l’huile, où, sous prétexte d’embellir la ressemblance,
on l’altère infailliblement, de sorte qu’au lieu d’une fidèle reproduction de la
nature on livre au public une œuvre de fantaisie. Le Jury condamne ce genre
bâtard qui n’est ni de la photographie, ni de l’art, et qui ne peut avoir pour
résultat que de corrompre le goût.
Les négatifs des portraits sont toujours faits sur collodion, à cause de la
grande rapidité de ce procédé ; une pose très courte est une condition
indispensable pour la réussite d’un portrait.
VERS LE MUSEE IMAGINAIRE
(1856)

Ernest LACAN (1828-1879)

Tirant parti de ses longs comptes rendus de l ’Exposition universelle de 1855 parus
dans Le M oniteur universel et La Lum ière, Ernest Lacan publie un livre
de plus de deux cents pages dans lequel il ne consacre guère que deux pages à
la défense de la photographie en tant qu’art ; encore conclut-il: «Nous ne
prétendons pas que la photographie doive être placée au rang des arts d ’inspiration
mais nous voudrions que ses œuvres ne fussent point considérées comme les
résultats d ’opérations purement mécaniques. » 12
En fait, son propos est ailleurs. Tout comme Disdéri et le jury de l ’Exposition
universelle, Lacan cherche à sortir la photographie de ses usages purement privés.
Il propose de mettre la photographie au service de l ’histoire de l ’art et, prenant
l ’exemple des campagnes commandées à Baldus (1 200 clichés du nouveau Louvre
affirme Lacan3), il annonce quelque chose comme l ’édition d ’art de l ’avenir où
des « monographies » et des « livres » devraient diffuser à bon compte les œuvres
de l ’architecture, la sculpture, la peinture et la gravure.
Beaucoup plus réticent envers le portrait photographique, Lacan y voit néanmoins
l ’« intermédiaire indispensable entre les grandes figures qui appartiennent à
l ’histoire, et la postérité ». Ou’un éditeur rassemble en volume les effigies des
grands hommes, et il aura construit lui aussi « un monument pour l ’avenir » 4...
A noter les observations de Lacan sur « le grand besoin de notre siècle, la
vulgarisation » ', qui le conduisent à qualifier la photographie de « procédé
transitoire » et à lui préférer la gravure héliographique.

1. Ernest Lacan, E s q u is s e s p h o to g r a p h iq u e s à p r o p o s d e l ’E x p o s i tio n u n iv e rse lle e t de la g u erre d 'O r ie n t , 1856. Voir


un autre extrait su p ra , pp. 130-131.
2. I b i d ., pp. 78-79. Voir également Paul Périer (cf. pp. 209-212).
3. L a R é u n io n des T u ile r ie s a u L o u v r e 1 8 5 2 -1 8 5 7 . par Édouard Baldus (voir Bibliographie), comprendra en
fait 4 vol. et 470 phot.
4. C ’est ce que tenteront les Disdéri, Nadar, Carjat, Mayer et Pierson, etc. avec leurs fameuses « Galeries
de contemporains ».
L ’I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 195

E s q u is s e s p h o to g r a p h iq u e s à p r o p o s d e l ’E x p o s itio n u n iv e r s e lle e t d e la
g u e r r e d ’O r ie n t, 1856, pp. 205-219.

On a vu par les nombreux spécimens qui figuraient à l’Exposition universelle


que la photographie se prêtait admirablement aux besoins de la science, et
que, par ses merveilleux résultats, elle en facilitait les études les plus abstraites.
Certes, c’est une grande ressource pour le savant d’avoir entre les mains
tes reproductions identiques, mais considérablement amplifiées, d’insectes
nvisibles à l’œil, ou même de parties anatomiques de ces infiniment petits ;
'est un puissant secours pour le naturaliste de pouvoir réunir sous son regard,
ians des albums peu coûteux, les différents types des races humaines, ou des
spèces zoologiques, avec tous les caractères qui les distinguent. [...J
Il v a donc dans la photographie autre chose pour la science qu’un procédé
graphique s’appliquant admirablement à ses besoins de reproduction et de
dgarisation : il y a encore un ensemble de moyens nouveaux et puissants
’'expérimentation.
Nous croyons, en conséquence, que les hommes d’élite auxquels ses
opérations sont devenues familières doivent, surtout dans ce sens, mettre à
irofit les merveilleuses ressources qu’elle fournit.

Si maintenant nous considérons la photographie dans ses applications aux


iux-arts, où certes elle a fait ses preuves, nous trouvons qu’un champ tout
-si vaste s’ouvre devant elle.
On est arrivé, dans la reproduction des paysages et des monuments, à un
gré voisin de la perfection. Aussi plusieurs artistes, comprenant toute la
issance du nouveau moyen qui leur était offert, ont-ils exploré diverses
•ntrées célèbres par les sites ou les monuments dont la nature et les hommes
- ont enrichies. Nous avons dit précédemment leurs noms et décrit leurs
i avres, mais il reste encore beaucoup à faire dans cette voie. Il ne suffit plus
choisir dans un pays quelques beaux paysages, ou dans une ville certains
numents que le touriste admire : il faut, à mesure que les procédés se
■fectionnent, augmenter l’importance des résultats. Il faut que les albums
•mgraphiques deviennent des livres, et que la fantaisie de l’artiste n’y laisse
■ nt de lacunes.
Quelle admirable collection, par exemple, au point de vue de l’art, que
reUe commencée par la sage et prévoyante initiative de M. le ministre d’Etat,
a jnt l’exécution a été confiée à M. Baldus ! Elle compte déjà 1 200 clichés,
.its au dixième des modèles originaux. Tout le nouveau Louvre y figure,
.is la feuille d’acanthe des chapiteaux, la guirlande suspendue aux frises,
v - 3Taux grandes figures des frontons. Chaque détail de cette architecture
> que a été reproduit séparément ; des vues d’ensemble, qui donnent une
dé? exacte de l’aspect général du monument, complètent cette monographie
196 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

51 e t 52. Édouard Baldus, d eux é p re u v e s


is s u e s d e R éunion d e s Tuileries au Louvre
1852-1858, une publication en 4 v o lu m es et
470 p lan ch es photo g rap h iq u es, -
Ici la photographie s e rt a d éc o u p er, reg ro u p e-
inventorier, archiver e t m e ttre en fiche,
ju sq u 'à attein d re parfois u n e so rte d e
g éo m étrie abstraite.
L I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 197

gigantesque, qui fait comprendre les richesses infinies de composition et de


travail accumulées sur ces murs éblouissants, et qui resteront comme la
merveille de ce siècle si fécond en prodiges.
Quel intérêt, que d’enseignements ne trouverait-on pas encore dans un
ouvrage de ce genre, qui réunirait les différents types d’architecture, en
reproduisant les monuments qui caractérisent les diverses transformations de
cet art dans tous les pays ! On dira sans doute que cette entreprise est trop
immense pour qu’un seul homme puisse l’accomplir. Il est évident qu’une
œuvre semblable ne peut être que le résultat d’un travail collectif ; mais il
existe de par le monde assez de photographes de talent pour réaliser ce
gigantesque projet. On a déjà la plupart des monuments célèbres de France,
Italie, d’Espagne, d’Athènes dans les albums de MM. Baldus, Martens, Le
'ecq, Nègre, Eugène Piot, Tenison, Ferrier, Alinari, Perini, Anderson, Coen,
Lorent ; MM. Robertson et de Caranza nous ont fait connaître ceux de
Constantinople ; la Palestine et l’Egypte monumentale figurent dans les
Dublications de MM. Maxime Du Camp et Salzmann ; peu à peu l’œuvre se
omplètera de soi-même ; surtout il faudrait que les photographes comprissent
i nécessité d’explorer de nouveaux pays et de varier les sujets qu’ils
•nuisissent.
Il y a certains monuments que tous ont voulu représenter. Ce système peut
tre profitable dans un concours, en ce qu’il fait mieux ressortir les différences
habileté ; mais il serait plus avantageux pour chacun, et surtout plus utile
« ur le public, que les photographes appliquassent leur talent à la reproduction
de morceaux d’architecture moins connus et moins exploités.

Nous en dirons autant pour ce qui concerne la reproduction de la statuaire,


laquelle se prête si admirablement la photographie.
Que M. Bayard, qui excelle surtout dans ce genre — et à qui l’on doit
irocher de n’avoir étudié qu’un trop petit nombre de sujets —, que
IM. Baldus, Bilordeaux, Bisson, Le Secq et Renard, dont les copies de bas-
iefs et de statues ont été si justement remarquées à l’Exposition [universelle
de 1855], que ces artistes si expérimentés prennent dans nos musées les chefs-
euvre de la sculpture, et qu’ils les reproduisent, non plus isolément, selon
ur fantaisie, mais par époque et en suivant la classification naturellement
iquée par les diverses écoles, et alors ils feront une œuvre grande et utile.
Quant aux chefs-d’œuvre de la peinture, quelques essais dont l’Exposition
i "nstaté la réussite ont prouvé que la photographie pouvait, dès maintenant,
'reprendre avec succès ce genre de reproduction.
Mais il est une autre application plus facile et non moins importante dans
- résultats que nous voudrions voir adopter sérieusement par les hommes
.igents qui se sont consacrés au nouvel art ; nous voulons parler de la
roduction des gravures anciennes, comme l’a comprise M. Benjamin
i essert.
198 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

53. Adolphe Braun, Fleurs, v ers 1855. Tirage papier album iné. -
En 1855, Braun reçoit le s félicitations du jury d e l'Exposition universelle p our avoir
« im aginé d 'em p lo y er la p h o tographie à reproduire d e s b o u q u ets et d e s co u ro n n es
d e fle u rs qui p u is s e n t servir d e su je ts aux fabriques d 'é to ffe s ».

Le but de M. Delessert en exposant sa belle collection n’était pas seulement


de montrer tout l’avantage de l’art qu’il pratique avec tant de succès ; il
voulait encore attirer l’attention des photographes sur cette application si
utile des moyens dont ils disposent. Son exemple sera certainement suivi. La
reproduction des œuvres des maîtres graveurs les plus célèbres n’est pas
seulement une entreprise d’une immense utilité pour le progrès de l’art, elle
est encore, au point de vue industriel, une spéculation productive et qui
mérite l’appui des éditeurs intelligents.

Un autre exemple qui ne peut manquer non plus d’être suivi, et qui mérite
de l’être, est celui qu’a donné, dans un genre différent, M. Braun, de Dornach.
M. Braun est un de ces artistes qui, sous le titre modeste de dessinateurs,
ont concouru si puissamment, en France, au développement et aux succès de
L ’I M P U L S I O N D E L 'E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 199

l’industrie des étoffes, en fournissant aux grands manufacturiers des composi­


tions qui sont des chefs-d’œuvre de goût et d’intelligence artistique. Afin de
mieux étudier les fleurs, qui lui servent de modèles, il a fait construire une
serre où toutes les espèces réunies à grands frais, cultivées avec amour,
naissent, croissent et vivent sous son regard. C’est là qu’il va s’inspirer et
composer, sur la nature elle-même, ses gracieux dessins. Mais M. Braun est
un de ces hommes que les résultats obtenus, si satisfaisants qu’ils puissent
être, n’arrêtent jamais quand il s’agit d’adopter des moyens nouveaux propres
à amener un progrès. Aussi a-t-il compris de suite tous les avantages de la
photographie appliquée à son art. Nous ne savons pas combien de temps ont
duré ses études, mais ce que nous pouvons dire, et ce que l’Exposition a
prouvé, c’est que jamais encore la photographie n’était arrivée à un tel degré
de perfection. Et pourtant que de difficultés n’avait-il pas à vaincre ! [...]
NE Braun a prouvé que ces difficultés pouvaient être vaincues ; plus de
quatre cents épreuves, exposées aux regards du public, ont suffisamment
attesté le succès complet de ses efforts, et l’utilité de semblables travaux pour
le progrès des arts industriels 6.
Jusqu’à ce jour le portrait a été considéré comme une des applications les

Ibid., p . 20.

C'était déjà l’avis de la Société industrielle de Mulhouse, qui expliquait dans un rapport lu en séance
■ 31 janv. 1855 : « Les bons matériaux manquent généralement aux dessinateurs de fleurs : ceux qui ont
publiés par la gravure et la lithographie, à quelques exceptions près, comme les modèles d ’après Van
Spandouck et bien peu d’autres, laissent généralement beaucoup à désirer. Les formes, dites d ’après
-‘rure. en sont souvent tronquées, maniérées et quelques-unes même de pure convention. Les dessinateurs,
-alement très occupés, ont rarement le temps de faire eux-mêmes des études soignées d ’après nature,
omme ils ne trouvent pas assez de bons modèles à consulter, ils en sont réduits à se répéter trop
vent. La collection de M. Braun nous semble destinée à combler ce vide regrettable ; elle va procurer
jeunes gens d’excellents modèles et aux artistes faits des matériaux précieux.
L application que M. Braun a su faire de la photographie est une idée heureuse, qu’il a exécutée avec
wj plein succès. Il a entrepris ce long et difficile travail en vue d ’être utile aux dessinateurs qu’employe
. jstrie. ainsi qu’aux artistes décorateurs [...].
Les photographies de M. Braun surpassent en pureté, en netteté et en ensemble harmonieux, tout ce
.- nous avons vu jusqu’à présent de cette admirable et précieuse invention, incontestablement appelée
’ grand avenir et qui sera pour les arts, comme pour l’industrie, d ’une immense utilité. Ce n’est plus
- .-ment du blanc et du noir, comme on faisait au commencement et naguère encore les photographies.
■ de M. Braun sont graduées depuis le ton le plus vigoureux jusqu’aux nuances les plus légères ; les
les plus délicats, les plus fins y sont rendus avep une netteté, une pureté et une précision
Tz --.ématique, inconnue jusqu’à présent dans les arts ; et, à l’inverse de ce que les arts peuvent produire
js délicat, qui perd toujours vu à la loupe, ces photographies gagnent : plus c’est grandi, plus c’est

' rc une chambre noire se développant sur une longueur de deux mètres et demi et avec un objectif
at - centimètres, M. Braun est parvenu à produire des fleurs de grandeur naturelle [...] ; une de ces
es et la plus belle est même plus grande que nature, et vous remarquerez qu’elles sont aussi pures
a .elle de la collection, dont les plus petites sont d ’environ moitié grandeur. A l’œil nu on peut découvrir
f ictère du tissu de chaque Heur, leur velouté, leurs parties visqueuses et jusqu’au transparent des
n d et minces ; et sur les feuillages on remarque toutçs les petites membranes dentelées, toutes les veines,
- happent souvent à l’œil sur la feuille même. »
200 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

plus lucratives de la photographie, et en effet on cite des portraitistes qui se


sont rapidement enrichis ; mais en dehors du bénéfice plus ou moins grand
qu’un photographe peut en tirer, et de la satisfaction plus ou moins vive que
l’on éprouve en reconnaissant sa propre image reproduite sur une plaque
d’argent ou sur une feuille de papier, avec une vérité souvent un peu brutale,
on ne voit guère autre chose dans un portrait photographique. Pourtant cette
application pourrait être considérée à un certain point de vue comme une
des plus importantes de la photographie.
Il y a quelques artistes à Paris, comme MM. Mayer frères et Pierson,
Victor Plumier, Tournachon-Nadar jeune, Vaillat, les plus habiles dans ce
genre, qui font chaque jour un grand nombre de portraits. Parmi les personnes
qui se succèdent ainsi dans leurs ateliers, que d’hommes célèbres dans la
politique, dans la littérature, dans le métier des armes, dans le clergé, viennent
poser tour à tour devant cette chambre noire qui reproduit fidèlement et fixe
pour toujours leur image !
Dans ces circonstances, le photographe portraitiste n’est plus seulement un
opérateur qui fait plus ou moins bien son œuvre ; il devient l’intermédiaire
indispensable entre les grandes figures qui appartiennent à l’histoire, et la
postérité qui voudra connaître leurs traits comme elle connaîtra leurs noms.
Voilà ce que nous voudrions que les photographes comprissent. [...J
Il y a des photographes dans tous les pays. Q u’ils choisissent, dans les
portraits dont ils ont gardé les clichés ou qu’ils produisent chaque jour, ceux
des hommes célèbres, et que par l’intermédiaire de quelque éditeur intelligent,
comme M. Blanquart-Évrard, par exemple, qui a déjà édité de si nombreuses
publications photographiques, ils réunissent en une immense collection tous
ces glorieux types, et alors ils feront à la fois une spéculation productive, une
œuvre d’un grand intérêt dans le présent, et un monument pour l’avenir.
Toutes les œuvres que nous venons d’indiquer rapidement, et que la
photographie peut, dès maintenant, accomplir, c’est à la gravure héliographique
qu’il appartient de les vulgariser. Nous avons peine à comprendre que parmi
les hommes de goût et d’intelligence qui se sont adonnés à la photographie,
ou n’en puisse citer que deux qui se consacrent spécialement à ce nouvel art.
Pourtant, les succès obtenus par MM. Nègre et Riffaut sont de nature à
encourager les plus timides, et montrent suffisamment que l’avenir est là. [...]
La gravure héliographique fait donc son chemin ; mais pour qu’elle
puisse progresser rapidement, il lui faut le concours actif des plus habiles
photographes ; car c’est seulement par la pratique et par les efforts collectifs
qu’on arrive au perfectionnement [...]. Tout en possédant les mêmes privilèges
que la photographie, comme art de reproduction, [elle] se prête bien davantage
encore à la publicité, c’est-à-dire à la vulgarisation. 7

7. Un peu plus haut (p. 204), Ernest Lacan écrit : « Pour nous la photographie, si complète qu’elle soit
dans ses résultats, n ’est qu’un procédé transitoire, et c’est à la gravure héliographique ou à la
photolithographie qu’appartient l’avenir. »
LE CONCOURS
DU DUC DE LUYNES
(1856)

Société française de photographie

V l ’Exposition universelle de 1855 révèle l ’existence d’un réel besoin social de


'garisation des images photographiques, elle permet aussi de mesurer les problèmes
chniques et économiques qui contrarient sa mise en œuvre. Malgré les efforts de
Blanquart-Evrard, le tirage aux sels d ’argent reste long et coûteux : il assure
usieurs, mais non pas une multitude d’épreuves, et celles-ci sont souvent altérables.
D'où, en 1856, l ’initiative du duc de Luynes, archéologue et membre de l ’Institut,
demande à la Société française de photographie d’organiser un concours qu’il
,te d’un prix de 2 000francs, afin de « faire faire des progrès [...] importants
tirage des épreuves positives et à leur conservation ». Prévue le 1erjuillet 1858,
clôture est reportée au 1erjuillet 1861 et c’est finalement en mars 1862
Alphonse Poitevin reçoit le prix pour son procédé de tirage au charbon.
Simultanément et de façon complémentaire, le duc de Luynes offre 8 000francs
our favoriser les recherches sur la gravure héliographique. Ainsi le programme
acé par le Rapport de l ’Exposition est mis en œuvre. Mais, faute de résultats
nsfaisants, la clôture de ce concours est, elle aussi, différée : du 1er juillet 1859
1er avril 1864, puis une nouvelle fois jusqu’en avril 1867, date à laquelle
levin reçoit ici encore le prix pour sa méthode de litho-photographie. Devant
Société française de photographie, Victor Régnault souligne en 1856 « la haute
sortance du but » recherché et évoque l ’un de ses enjeux : « les bénéfices
iuslriels ».

Procès-verbal de la séance du 18 juillet 1856 », Bulletin de la Société française


tographie, août 1856, pp. 214-229.

! le Président [Victor Régnault] donne lecture du rapport suivant, relatif


nrix fondé par M. le duc de Luynes :
202 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

Une des applications les plus intéressantes de la photographie est la


reproduction fidèle et incontestable des monuments et documents historiques
ou artistiques que le temps et les révolutions finissent toujours par détruire.
Depuis les immortelles découvertes de Niépce, Daguerre et Talbot, les
archéologues se sont vivement préoccupés de cette importante application,
qui doit fournir des éléments si précieux aux siècles futurs. Mais pour que
la photographie puisse réaliser les grandes espérances qu’elle a fait concevoir
sous ce rapport, il faut, avant tout, que l’on soit certain de la conservation
indéfinie des épreuves. Malheureusement, l’expérience de la première période
photographique que nous venons de traverser est loin d’être rassurante à cet
égard : beaucoup d’épreuves qui n’ont que quelques années d’existence sont
aujourd’hui profondément altérées ; quelques-unes se sont complètement
effacées. Les photographes, justement alarmés d’un état de choses qui
compromet gravement le développement merveilleux que leur art a pris en
si peu de temps, se livrent aujourd’hui, à l’envi, à la recherche des causes
qui ont déterminé une altération si rapide, et des nouveaux procédés de tirage
qui assurent une plus longue durée aux épreuves.
Les sociétés photographiques ont enregistré, depuis quelques années, un
grand nombre de procédés de fixage des épreuves positives, que leurs auteurs
présentent comme devant en assurer la conservation indéfinie. Elles ont pu
constater que des perfectionnements importants avaient été réalisés, en effet,
par rapport aux premiers procédés de tirage auxquels on s’était arrêté ; et il
y a lieu d’espérer que les efforts persévérants d’un si grand nombre d’opérateurs
zélés, intelligents et instruits en amèneront prochainement de plus grands
encore. Mais la conservation indéfinie des épreuves photographiques ne peut
être prouvée que par l’expérience de plusieurs siècles ; les archéologues
hésiteront à confier les sujets de leurs études à un art dont les produits ne
leur présenteront pas des garanties suffisantes de durée, et ne se fieront pas
aux promesses qui leur seront faites à cet égard, de quelque autorité qu’elles
émanent, quand le temps n’aura pu en donner une consécration incontestable.

La connaissance que nous avons aujourd’hui des propriétés physiques et


chimiques des corps suggère des objections dont le temps pourra seul préciser
la portée.
Les éléments chimiques qui constituent le dessin d’une épreuve positive
existaient, primitivement, à l’état de dissolution dans les liqueurs qui ont
servi à la préparation photogénique des papiers. Ils sont donc solubles dans
des réactifs chimiques appropriés ; et, bien que l’on puisse admettre que, dans
les conditions où les épreuves seront conservées, elles ne se trouveront pas
exposées à des agents semblables, aucun chimiste ne peut assurer qu’une
altération analogue de ces substances ne pourra pas être produite, dans la
suite des temps, par des agents bien moins énergiques que l’air pourra leur
présenter, ou qui pourront se développer en quantité très minime dans les
L 'I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 20 3

espaces où les épreuves séjourneront. D’un autre côté, les quantités pondérales
des métaux qui forment les noirs et les demi-teintes de nos épreuves sont
extraordinairement petites, elles sont fixées sur le papier par des affinités très
faibles. Aucun métal n’est absolument fixe aux hautes températures de nos
foyers : et, quelque faible que l’on veuille supposer leur tension de vapeur
aux températures ordinaires, ne peut-on pas craindre que la vaporisation
seule finira par les dissiper ? Les conditions dans lesquelles on conservera les
épreuves dans les bibliothèques, c’est-à-dire reliées en livre ou superposées
dans des cartons, ne faciliteront-elles pas cette altération, ainsi que plusieurs
photographes ont cru le reconnaître sur les épreuves fixées par les anciennes
méthodes, en présentant à chacune des molécules métalliques un grand
nombre de particules de papier, semblables à celle sur laquelle elle se trouve
fixée, et qui peuvent en faciliter la diffusion.
Le carbone est, de toutes les matières que la chimie nous a fait connaître,
la plus fixe et la plus inaltérable à tous les agents chimiques aux températures
ordinaires de notre atmosphère. Ce n’est qu’à des températures élevées, celle
de la combustion vive, que le carbone disparaît en se combinant avec
.'oxygène. La conservation des anciens manuscrits nous prouve que le charbon,
fixé sur le papier à l’état de noir de fumée, se conserve sans altération pendant
bien des siècles. Il est donc évident que si l’on parvenait à produire les noirs
du dessin photographique par le charbon, on aurait pour la conservation des
épreuves la même garantie que pour nos livres imprimés, et c’est la plus forte
que l’on puisse espérer et désirer.
Depuis quelques années, bien des tentatives ont été faites pour transformer
les épreuves photogéniques en planches pouvant servir au tirage d’un grand
nombre d’épreuves par les procédés de la gravure ou de la lithographie. Si
ces tentatives n’ont pas donné jusqu’ici un succès complet, si les épreuves
qu'elles ont fournies sont inférieures, au point de vue artistique, à celles qui
sont produites par les procédés photographiques ordinaires, on peut dire
néanmoins que les résultats sont de nature à faire concevoir de grandes
-spérances, et l’on ne peut pas douter qu’ils ne se perfectionnent rapidement
entre les mains des artistes habiles qui ne manqueront pas de se livrer à ce
«îenre d’étude. La haute importance du but qu’il faut atteindre, et les bénéfices
ndustriels qui peuvent en être la conséquence, stimuleront l’ardeur dans les
di\ erses spécialités qui peuvent y concourir.
C’est pour hâter ce moment tant désiré où les procédés de l’imprimerie ou
de la lithographie permettront de reproduire les merveilles de la photographie,
-ans l’intervention dans le dessin de la main humaine, que M. le duc de
Luynes, dont le monde scientifique a pu apprécier depuis longtemps le
:évouement éclairé aux sciences et aux arts, vient de fonder un prix de
")0 francs pour l’auteur qui, dans le délai de trois années, aura résolu ce
roblème d’une manière qui sera jugée satisfaisante par une commission
ommée à cet effet par la Société française de photographie. [...]
204 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

Indépendamment de la fondation du prix de 8 000 francs proposé pour la


gravure ou la lithographie photographiques dans les conditions du programme.
M. le duc de Luynes met à la disposition de la Société une somme de
2 000 francs, destinée à récompenser l’auteur ou les auteurs qui, dans une
période de deux années, auront fait faire les progrès les plus importants au
tirage des épreuves positives et à leur conservation, soit par la découverte de
nouveaux procédés, soit par une étude complète des diverses actions chimiques
et physiques qui interviennent dans les procédés employés ou qui influent sur
l’altération des épreuves.
Le concours relatif au prix de 8 000 francs sera clos le 1er juiller 1859.
Le concours relatif au prix de 2 000 francs le sera le 1er juillet 1858.
Les membres de la Société ne sont pas exclus du concours. » [...]

M. Jules Cloquet, de l’Institut, demande si M. le duc de Luynes a voulu


ouvrir un concours universel. C’est la première fois qu’un prix est fondé pour
cette nature de recherches, et il est probable que l’exemple sera suivi dans
d’autres pays ; il croit qu’il serait fâcheux pour la Société et pour l’art de
restreindre le prix aux nationaux.
M. le Président dit que la commission, qui s’est mise en rapport avec M. le
duc de Luynes, a décidé, pour répondre aux intentions du donateur, que le
concours devait être universel. C’est en effet de l’art au point de vue général,
et non pas au point de vue du travail national, qu’il s’est préoccupé.
UN PORTRAIT PHOTOGRAPHIQUE
À L’ÉLECTRICITÉ ET... À DISTANCE
(1856)

M. GAZEBON, cafetier.

Très célèbre comme caricaturiste et écrivain, Nadar Vest également comme


■hotographe dès l ’ouverture de son atelier de la rue Saint-Lazare en 1854.
Sa célébrité lui vaut un important courrier et les sollicitations les plus diverses.
Cette lettre d ’un certain Gazebon est plaisante car l ’ignorance, la suffisance et
culte du progrès y confinent à la ndiveté. Nadar la cite dans ses mémoires,
Q uand j ’étais photographe (1900), ajoutant : « J ’avais lu et relu cette lettre
casse — que je reproduis ici textuelle, orthographe et ponctuation — , admirant
’égal la crédulité dodue de ce Gazebon et la fourbe du perfide Mauclerc. »
.1 noter que Nadar n’a jamais pratiqué le daguerréotype (encore moins le
• daguerréotipe »), seulement la photographie au collodion.

Lettre à Nadar, Pau, 27 août 1856.

Monsieur, M. Mauclerc, artiste dramatique, de passage en notre ville, m’a


ait voir ainsi qu’aux habitués de mon établissement son portrait daguerréotipé
nous a-t-il dit par vous à Paris, tandis que lui était aux Eaux-Bonnes
ir le procédé électrique).
Plusieurs personnes qui ignorent les progrès de l’électricité se sont refusées
_ .-.jouter foi aux affirmations de M. Mauclerc dont pour ma part je n’ai pas
uté un seul instant m’étant un peu occupé de Daguerreotipe dans un temps.
Je viens donc vous prier monsieur de me tirer mon portrait d’après le
me procédé et de me l’envoyer le plus promptement possible.
Recevant journellement la meilleure société et même un grand nombre
Anglais surtout en hiver, je vous engage à appliquer tous vos soins à ce
avail, ne pouvant que vous être favorable, beaucoup de personnes se
■posant de vous écrire pour avoir aussi leur portrait.
206 I.A PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

- Tiens, ma fanme, r lé mon portrait au Dapuerr»otype que je te rapporte tte Par’s


Pourquoi iMc est ce que tu o'as pas auss, [ait taire le mien uméant que tuj étais? èftohtt va1

t)4. H on o ré D aum ier, Le C harivari , 24 juil. 184"’ LithoqrapM e.

Je le désire tiré en couleur et s’il est possible assis à l’une des tables de
ma grande salle de billards.
J ’ai l’honneur de vous saluer. Gazebon.
Propriétaire du café du Grand Théâtre,
Grande-Place.
EXEMPLES DE
PHOTOGRAPHIE APPLIQUÉE
(1855)

Paul MANTZ (1821-1895)

Par-delà les querelles sur le statut, artistique ou non, de la photographie — une


orientation nouvelle apparaît dans les années 1850 : celle de Part industriel. Manlz
cite dans L ’Artiste différentes expériences de photographie appliquée à la
céramique, à la joaillerie, à la décoration de l ’émail, etc.
On pourrait mentionner, dans la même veine, Braun et la fabrication des étoffes,
Oagron et son importante entreprise de bijoux incrustés de photographies
microscopiques (cf. pp. 386-388). Plus tard, Maréchal et Tessié du Motay
utiliseront la photographie pour fabriquer des vitraux.

D’une nouvelle application de la photographie », L ’Artiste, mai-août 1855,


pp. 216-217.

On a voulu — et le but était digne en effet des plus ardents efforts, des
curiosités les plus intelligentes — appliquer la photographie aux arts industriels,
à ceux du moins dont les produits circulent dans toutes les mains, frappent
tous les yeux et se trouvent étroitement mêlés à notre vie quotidienne, je
veux dire à la céramique, à la joaillerie, à la fabrication des vitraux ou de
'émail, et par suite à bien d ’autres industries de luxe. Le but entrevu méritait
d’être poursuivi activement. Les journaux scientifiques nous ont appris l’autre
jour qu’il était atteint.
Dans un mémoire présenté à l’Académie des sciences et récemment imprimé,
'inventeur du nouveau procédé, M. Lafon de Camarsac, explique comment,
après avoir transporté l’image photographique sur de la porcelaine, sur du
verre, ou sur différents métaux, il parvient à l’incruster, pour ainsi dire, dans
la substance du subjectile qui l’a reçue, de manière à ce qu’elle s’y incorpore
à jamais. Il montre ensuite comment, à l’aide d’une opération aussi simple
que rapide, il vitrifie cette image en lui donnant une coloration bleue, rose,
pourpre, bistrée, etc. [...J
208 I.A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

On devine que ce procédé ne doit point rester stérilement enfermé dans le


domaine de la curiosité pure. Bien que les manipulations successives auxquelles
l’image doit être livrée soient très délicates et exigent de la part de l’artiste
une dextérité toute spéciale, la méthode nouvelle pourra devenir d’un emploi
facile et fréquent ; elle devra surtout être appliquée aux arts industriels, pour
l’enrichissement desquels elle a été cherchée et découverte. Qui pourrait dire
le profit que la céramique, par exemple, saura en tirer ? Le procédé réussissant
aussi bien sur les surfaces courbes que sur les surfaces planes, il n’est pas
de vase dont les flancs arrondis ou plats ne puissent recevoir l’image ; tout
un nouveau système de décoration peut surgir dans la poterie de luxe, et
Sèvres a dû s’émouvoir sans doute d’une découverte qui, bien comprise et
bien exploitée, pourrait lui être d’un précieux secours pour l’ornementation
de ses charmantes merveilles. Mais il ne faut pas croire que, bien que le
résultat photographique se produise mécaniquement, l'artiste n’aura plus rien
à faire : loin de là, dans la combinaison des éléments qu’il voudra employer,
dans l’appropriation de l’ornement à la forme du vase et à sa destination,
le goût, l’esprit, le sentiment seront plus que jamais nécessaires.
A LA CONQUETE
DU « SANCTUAIRE DES ARTS »
(1855)

Paul PÉRIER (1812-ca 1874)

Tous les adeptes de la photographie ne partagent pas les idées du jury de


'Exposition universelle, de Disdéri ou même dErnest Lacan. C ’est le cas de Paul
Périer, membre fondateur et vice-président du comité d ’administration de la Société
rançaise de photographie et auteur, en 1855, dans le Bulletin de la société,
le cinq longs articles sur la photographie à l ’Exposition universelle.
Périer, qui veut à tout prix que la photographie soit traitée à égalité avec les
taux-arts, s ’offusque de la voir tenue à l ’écart du «sanctuaire des arts» de
'avenue Montaigne 1 et engage à ce propos une polémique avec les graveurs dont
œuvres sont admises « dans l ’enceinte sacrée ». Contre ceux qui ne voient dans
photographie qu’une activité purement mécanique, il insiste sur le rôle central
’artiste dans la réussite d’une épreuve. Enfin, il n ’hésite pas à donner des
ges aux beaux-arts : il oppose « photographes artistes » et « photographes
rurement industriels », déplore « les péchés de nos faux-frères » et, surtout, se
itisfait pour la photographie d’une place « secondaire » dans le cénacle de l ’art.
Plus loin, à propos de la retouche, il remettra même en question la spécificité
la pratique photographique, s ’attirant une réponse cinglante d ’Eugène Durieu
. pp. 273-276).

Exposition universelle », Bulletin de la Société française de photographie, mai et juin 1855,


146-148 et 167-176.

.ns un des premiers couloirs qu’on trouve à sa gauche en entrant au Palais


l'industrie par le grand portail, on rencontre quatre ou cinq compartiments,
~uits ou cabines, sur les quatre faces desquels se pressent les plus brillants*

- Exposition universelle de 1855 s’organisait autour de deux sites distincts. Le Palais de l'industrie,
lue des Champs-Elysées, abritait tous les produits industriels et la photographie (épreuves et appareils) ;
einture, la sculpture, la gravure étaient pour leur part présentées dans un bâtiment indépendant,
- rtiue Montaigne.
210 I.A PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

spécimens de la photographie française, en se disputant les rayons obliques


d’un jour changeant et douteux.
Certes, si nous avons lieu d’être fiers pour notre art de cette exhibition
ce n’est pas en raison de l’hospitalité qui nous est faite.
Elle rappelle un peu trop ces catacombes du Louvre, de sinistre mémoire,
où tant de peintres se sont vu ensevelir de leur vivant.
Déjà beaucoup d’entre nous se sentaient à l’avance dépaysés au milieu des
produits, tout merveilleux qu’ils soient, de l’industrie cosmopolite. Les résultats
glorieux et féconds d’une découverte qui surpasse et menace dans leur
existence même la lithographie, la gravure, et jusqu’à certaines régions de la
peinture, leur semblaient dignes de trouver place dans le sanctuaire des arts.
Une vérité désormais hors de conteste fortifiait nos droits à cette distinction
c’est que nos productions sont de celles où le goût et l’intelligence impriment
aux œuvres de choix un sceau plus caractéristique, établissant de la sorte
entre le photographe purement industriel et le photographe artiste une
démarcation profonde.
Or, la part de chacun eût été faite par un jury des beaux-arts ; on pouvait
du moins l’espérer ; les œuvres artistiques eussent été les bienvenues et se
fussent humblement rangées au-dessous des créations du génie. Quant à ceux
qui, sous prétexte de photographie, dirigent des manufactures d’enluminage.
avec le concours d'artisans qui travaillent à leurs pièces, ils auraient eu la ressource
d’exposer leurs articles à cette place, d’ailleurs très honorable, où nous
sommes, c’est-à-dire au milieu des produits manufacturés dans le monde
entier. [...]

La photographie est-elle un art ou un métier ? Doit-on voir dans ses


différentes applications la pratique d’une industrie, ou la culture d’une branche
des beaux-arts ? Telle est la question que nous avons abordée dans notre
préambule, et qu’il serait utile d’approfondir et de résoudre une fois pour
toutes.
Personne, que nous sachions, ne dispute aux plus belles pages photographi­
ques déjà connues les qualités et les conditions d’une œuvre d’art. Le procédé
créateur étant mis en dehors, l’image obtenue a toutes les apparences d’un
dessin de grand maître ou d’une gravure de premier ordre ; les égalant de
tous points, elles les surpassent à quelques égards, produisent une impression
aussi forte, excitent chez les hommes de goût une même admiration. Mais
patience ! nous n’avons du lion que la peau ; un mot nous renverse du
piédestal : Chacun peut en faire autant. [...]
On nous oppose que nos dessins se produisent tout seuls, par l’action
spontanée de la lumière, pendant que nous bayons aux corneilles. [...] Si, la
glace ou le papier une fois mis dans les conditions de sensibilité voulues, la
lumière faisait le reste, assurément les œuvres de tous les photographes du
monde seraient des pièces de monnaie frappées au même coin. [...]
\
L ’I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N IV E R S E L L E 211

Par malheur, tout divin qu’il soit, ce beau soleil n’en sait pas encore aussi
long. Il noircit, ou du moins il impressionne intimement un papier blanc
qu’on lui présente. Il nous rend ce service en passant par le corps de tous
les objets qu’il éclaire et dont la lentille de nos chambres noires amène l’image
sur ce papier.
Mais il n’est, après tout, ici, Dieu nous pardonne ce blasphème ! qu’un
agent aveugle, indifférent et servile.
Selon qu’il aura fonctionné plus ou moins longtemps, selon la nature et la
durée des opérations ultérieures, les lumières et les ombres de nos images
seront plus ou moins intenses. Non seulement leur valeur absolue, mais aussi
leurs relations seront différentes et donneront à l’épreuve définitive toutes les
qualités ou tous les défauts. Avec le talent, déjà rare, de comprendre, de
composer, limiter, encadrer un portrait ou un paysage, c’est là, et là surtout,
que l’action et la responsabilité de l’artiste commencent. Jusqu’ici nous
n'avions eu qu’un opérateur. [...]
Il s’agit donc de conduire le travail dans toutes ses phases, de telle sorte
que les lumières, les ombres et les demi-teintes du négatif donnent sur le
positif des résultats inverses propres à faire un dessin à la fois puissant et
doux, large et fin, harmonieux dans ses contrastes.
Quelque excès dans une solution, la moindre différence dans les procédés,
:uelques minutes, voire quelques secondes de négligence ou d’erreur, ou
même (question controversée toutefois) trop ou trop peu de pose à la chambre
aire, et le résultat sera médiocre, sinon détestable.
On conçoit dès lors que, pour l’artiste même du goût le plus sûr, ces détails
.finis, ces reports d’effets inverses aux directs, et tout le côté technique des
opérations exigent une assez longue expérience, avant qu’il se soit bien pénétré
: es relations du négatif avec le positif et qu’il sache obtenir le premier parfait
vue du second, lequel, après tout, est le but suprême. Mais, à coup sûr,
artiste ou l’amateur éclairé, s’ils veulent s’en donner la peine, y arriveront
: ou tard.
Quant à celui qui sera resté étranger à toute notion d’art et que la nature
. ura privé des facultés nécessaires pour les acquérir, fût-il un chimiste hors
üîne, adroit, patient, minutieux autant qu’homme au monde, comment
»rmera-t-il son jugement sur ses propres œuvres ? Où sera sa boussole ? Pour
difier les qualités ou les défauts de ses premiers essais, encore faut-il qu’il
i en état de contrôler avec certitude ces qualités et ces défauts. Enfin quel
- l'objet de l’examen ? Un dessin. C’est là matière d’art, ou la langue n’a
tus de sens. Or qui peut et veut juger sainement ses propres travaux, sans
aveuglé par les illusions de la paternité, doit, à bien plus forte raison,
é : en état de juger ceux d’autrui. Nous voilà donc amenés, par une logique
incible, à constater, bon gré mal gré, que le photographe, pour produire
bonnes épreuves autrement que par hasard, doit être capable d’apprécier
■ s les œuvres analogues aux siennes, en d’autres termes, toutes les œuvres
212 I.A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

d’art ; que son œil exercé doit discerner, d’un regard prompt et sûr le meilleur
tableau parmi les tableaux, la plus belle gravure parmi les gravures diverses
ou de divers états, la plus puissante eau-forte, en un mot qu’il doit être un
juré compétent (chose rare) pour tous les concours artistiques. Maintenant,
qui pourrait contester que les facultés, innées ou conquises par l’étude, qui
font l’artiste, créateur, expert, collecteur ou critique, peu nous importe, soient
précisément celles qu’exige une pareille tâche ? D’où nous sommes en droit
de conclure comme nous nous l’étions proposé, c’est-à-dire que le succès en
photographie dépend étroitement des conditions qui font le succès, l’orgueil
et les jouissances de tous ceux qui se livrent au culte des beaux-arts.
N’est-il pas superflu d’ajouter que ces facultés ne courent pas les rues, et
que dès lors, en voyant une photographie parfaite, il est absurde d’imaginer
que, pour en faire autant, il suffise d’acheter des drogues et des fioles et de
consentir à se noircir les doigts ?
Est-il plus juste, plus rationnel, d’exclure des salles consacrées aux œuvres
d’art des productions secondaires, sans doute, mais qui, pour justifier de leur
parenté, montrent des parchemins en si bonne forme ?
Secondaires, avons-nous dit, et nous le répétons avec tout l’empressement
du respect. Si nous nous parions, en effet, des plumes du peintre ou du
sculpteur, nous serions bons à traiter comme des geais effrontés. Loin de là.
Nous soutenons seulement avoir droit de bourgeoisie dans la cité, mais nous
y saluerons toujours bien bas la noblesse ; dans ce festin des grands seigneurs
de l’art, les miettes peuvent nous rassasier. Mais ces miettes sont à nous, et
nous les réclamons.
D’autres sont admis dans l’enceinte sacrée qui n’y ont guère plus de droits,
à bien prendre. En effet, tombant d’accord avec nous de nos mérites
revendiqués, on objectera sans doute que nous ne sommes cependant pas
créateurs.
Mais, sans vouloir ici rabaisser personne, la gravure proprement dite est-
elle créatrice ? taille-douce, eau-forte, aquatinte font-elles autre chose que
reproduire et multiplier une œuvre préexistante ? Et si nous nous plaisons à
proclamer les éminentes qualités nécessaires pour y exceller, ces qualités sont-
elles autres qu’un sentiment profond du modèle et de l’art en général, un
goût exercé, de la patience, une longue pratique de procédés spéciaux, c’est-
à-dire identiquement tout ce qui met un photographe hors de pair ? Ouel
rire accueillerait pourtant celui qui prétendrait assimiler le graveur à
l’industriel ! [...]
Nous portons, il est temps de le dire, la peine des péchés de nos faux frères
[les photographes purement industriels]. A voir les choses sans nom qui
tapissent nos rues et nos boulevards, aux places mêmes les plus chères et les
plus admirées de la foule des badauds ; en présence du nombre effrayant, de
la médiocrité désolante et souvent du plus impudent charlatanisme, Rome a
craint une invasion des barbares et nous a fermé ses portes.
POLEMIQUES
À PROPOS DE LA * VULGARISATION »
(1855)

Paul PÉRIER (1812-ca 1874)

Contre l ’opinion généralement partagée à l ’époque (si l ’on excepte Henri Delaborde,
cf. pp. 228-237), Paul Périer, dans son dernier article sur l ’Exposition universelle
de 1855, prend parti contre la vulgarisation des œuvres d’art par le moyen de la
photographie. Pour lui, le quantitatif ne peut opérer qu’aux dépens du qualitatif.
Diffuser, c’est affadir. Multiplier les reproductions, c’est perdre contact avec
'original, c’est sombrer dans « une infaillible décadence ».
La position de Paul Périer qui constitue en fa it une réponse à Ernest Lacan, -
Disdéri, Léon de Laborde et au jury de l ’Exposition universelle, résulte de trois
refus : 1° celui de la civilisation du « bon marché », 2° celui des thèses de Léon
de Laborde en faveur de la « vulgarisation de l ’art » 1 qui, pour Périer, ne produit
ullement l ’élévation escomptée du goût des « masses » ; 3° refus, enfin, de
’« utilité » et de l ’instrumentalisation de la photographie chères au jury de
'Exposition.
Seule la question d’un art photographique retient Périer qui se désintéresse des
entuelles utilisations sociales du procédé.

Exposition universelle: photographes français» ( 5 'article), Bulletin de la


■ '.étéfrançaise de photographie, sept. 1855, pp. 256-274.

I) v a quelque cent ans que par tous pays, et même les plus réchauffés au
- xtffle de l’art, un portrait de famille était un grand luxe, une fantaisie
rincière que la noblesse de robe ou d’épée, la haute bourgeoisie trafiquante
avaient seules se passer. [...] A Venise, c’étaient Giorgione et le Titien ;
Florence, Léonard et le Bronzino ; Raphaël et Jules Romain à Rome, dont
pinceau daignait retracer les traits des doges ou de leurs inquiétants*

Leon de Laborde, Travaux de la Commission française sur l'industrie des nations, 1856, p. 445. Voir infra,
z7 219-225.
214 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

55. Gabriel d e Rum ine, Athènes,


Acropolis, les cariatides de
l'Erecthaeum, 1859. Tirage papier
album iné/négatif collodion sec.

56. Noél-M arie-Paymal Lerebours,


« Italie. T em ple d e C éré s a
P estu m », Excursions daguerriennes
1 8 4 1 '8 4 ? Gravure d 'a p rè s un
d ag u e rré o ty p e d e Lerebours,
I IMPULSION DE L'EXPOSITION UNIVERSELLE 215

57. A. Guillot-Saguez, Statue de Moïse par Michel-Ange,


R o n e 24 fév. 1847. Tirage papier salé/n ég atif papier. -

La photographie, m o y en d e « vulgarisation » d e s œ u v re s d'art.


D es reproductions é ta ie n t v e n d u e s aux a rtis te s e t aux
a m a te u rs s o u s form e d e fascicules. D es 1841 ^e reb o u rs publie
s e s Excursions daguerriennes : d eux recueils d e g ravures
réalisées à la m ain (sauf deux) à partir d e d ag u e rré o ty p es. Si
l'arch itectu re e t la statu aire o n t. d an s un p rem ier te m p s, se u le s
é té reproduites, en tR 53 Blanquart-Évrard publiera d a n s son
Musée photographique d e s reproductions d e ta b ,eaux d u e s a
Bayard, Renard e t Houdoit.

conseillers, des Médicis et des Salviati, et prenait pour modèles ordinaires les
apes et les cardinaux. A peine quelques princes tout court, comme il en
isonne en ces endroits, ou quelques traitants dorés sur tranche par le
commerce oriental obtenaient-ils que ces grandes palettes dérogeassent au
point de se charger pour eux. Quel chemin a parcouru l’art, et comme il
- est fait peuple depuis cet âge d’or de son existence !
\ujourd’hui, c’est tout au plus si l’on peut regarder comme une prétention
xceptionnelle la manie des galeries de portraits, tant il en fourmille aux pans
.es plus chétives murailles. Prendrons-nous le fait pour une marche en avant
u pour un mouvement rétrograde ? Si chacun maintenant peut se procurer
es ancêtres ou poser comme ancêtre lui-même à si bon marché ; si tout
portier veut et peut avoir autour de lui son intéressante race en peinture, ou
lisser à ses neveux l’image de ses propres vertus avec celle du cordon de
son ordre, faut-il en rire ou s’en affliger comme artiste ? Est-ce un bien ? est-
e un mal ? Petite question suivie d’une plus grande.
Le goût du public, en matière de beaux-arts, a-t-il fait des progrès, ou
- est-il, au contraire, affaibli depuis les temps héroïques de la peinture ? La
faculté de juger sainement, en un mot la science du bon et du mauvais, cette
r récieuse clef du paradis artistique, a-t-elle pénétré plus avant dans les masses,
u n’est-elle pas demeurée le sceau de plus en plus caractéristique des
216 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

organisations prédisposées, et pour d’autres, n’est-ce pas toujours une conquête


à faire au prix d’une longue et pénible éducation ? Indiquons seulement ici
quelques-uns des motifs de nos défiances à l’endroit des contemporains.
Vulgariser les beaux-arts, ce n’est étendre leur empire que dans un sens
très restreint, et ce n’est pas du tout favoriser leur essor continu vers le beau.
Comme d’un vaccin précieux et dont la production est restreinte, il semble
qu’on n’en puisse inoculer l’instinct à tout le monde, qu’en faisant la part
de chacun très petite. [...]
Quelqu’un croit-il, par hasard, que la généralité des goûts se forme sur la
vue des chefs-d’œuvre ou même seulement des bons ouvrages ? Ce serait
s’abuser étrangement. La multiplicité des reproductions n’a rendu, sous ce
rapport, aucun service qui ne fût amplement et très fâcheusement compensé.
Parties de la haute gravure, elles s’égarent jusqu’à l’enluminage, ou bien
s’élancent du bronze et du marbre pour s’aller perdre dans le zinc et dans
le caoutchouc. Aussi les yeux du plus grand nombre ne s’exercent-ils à voir
que sur le laid. [...J
Partout avec la civilisation même pénètre cette lèpre des arts, cette infaillible
décadence qu’on nomme le bon marché !
A côté de toute conquête artistique surgit une application industrielle
économique, et de là ces monstrueux accouplements d’art et de commerce,
dont la fécondité déplorable infeste notre époque.
Le burin qu’illustrait Marc-Antoine a conduit aux images de saints dans
les livres d’heures.
La pierre de Senefelder 2 nous a dotés de ces figures de Belles Marseillaises
et de Baigneuses plus ou moins surprises qui font rêver les écoliers en promenade.
Les nobles outils de Benvenuto [Cellini] sont passés aux mains des quincailliers,
et nous devons au premier qui coula le bronze ou tailla le marbre, mainte
odieuse et ridicule mascarade qui désole nos places publiques.
C’est cependant avec ces rebuts, avec ces épluchures des grands arts que
sont entretenues depuis soixante ans les notions artistiques de la foule.
Quels encouragements, quelle critique et quel niveau de goût peut-il sortir
de cette éducation ?
Si la diffusion et, par suite, la dégénérescence des œuvres d’art, sous toutes
les formes, ont fait de la masse du public qui les juge quelque chose comme
le M. Jourdain voulant parler turc, par un phénomène inverse, par une sorte
de choc en retour, la perversion du goût commun devait amener la perversion
du talent créateur. Autrefois rien d’analogue au barbouilleur de nos jours ne
pouvait exister. [...] on était exclu du temple de l’art par défaut d’aptitude,
comme nos conscrits le sont des rangs de l’armée par défaut de taille, c’est-
à-dire irrémissiblement. De même que la France n’a pas de trop petits soldats,

2 . A la On du X V I I I e siècle, le Bavarois Aloys Senefelder avait mis au point un procédé d ’impression à


partir d’une pierre polie ; le terme de lithographie n’apparut en France que vers 1803.
I. I M P U L S I O N D E L 'E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 21 7

l’Italie n’avait pas de trop mauvais peintres ; l’état social de ce temps les
forçait d’avorter.
Parmi nous, au contraire, victimes ou complices, quel est le peinturlureur
assez maladroit pour ne pas trouver un débouché ? [...]
Ainsi donc, plus de limites, plus de visas, plus d’obstacles à l’entrée des
carrières de l’art proprement ou malproprement dit ; partant plus de bornes
à l’envahissement des médiocrités, et pour dernier terme de cet échange
d’influences délétères entre l’acheteur et l’acheté, corruption du goût public
générale et profonde.
Il faut bien reconnaître cependant que les grands et vrais intérêts de l’art
ne peuvent tout dominer ; qu’on ne les fera jamais comprendre de tout le
monde ; que l’art comporte d’ailleurs, dans ses relations matérielles avec les
sociétés, certaines conditions de superflu, inaccessibles aux masses, et que
ceux-là mêmes dont les jouissances et les admirations sont des contresens ou
des pis-aller, pour égarés et malheureux qu’ils nous paraissent, n’en ont pas
moins droit à la satisfaction de leurs goûts.
« LA VULGARISATION DE L’ART
EST-ELLE LA RUINE DE L’ART ? »
(1856)

Léon de LABORDE (1807-1869)

Membre de l ’Institut, rédacteur, à la suite de l ’Exposition universelle de Londres


en 1851, d ’un rapport de plus de 1 000 pages sur les beaux-arts (les passages
suivants en sont extraits), membre fondateur de la Sociétéfrançaise de photographie,
le comte Léon de Laborde fonde ses convictions sur l ’observation des bouleversements
qui affectent depuis plusieurs décennies la société : l ’effondrement des anciennes
aristocraties et le développement rapide de l ’industrie. Selon lui, la situation
nouvelle n ’exclut pas l ’art, mais l ’oblige à s ’adapter. Il faut élargir son public,
s ’adresser « à tout le monde », accepter de collaborer avec l ’industrie. Le comte
de Laborde veut en fait, comme les saint-simoniens, que l ’art concoure à la
« fraternisation générale » qu’accomplira la société industrielle. Pour « féconder
l ’industrie », tous les acteurs de la production, ouvriers comme industriels, doivent
devenir amateurs et même praticiens de l ’art. Dès lors se pose le problème de sa
« vulgarisation ». Plusieurs solutions sont proposées : développer tous les « moyens
reproducteurs » tels que la photographie et la gravure héliographique 1, inviter les
peintres à laisser leur chevalet pour décorer les lieux publics, mettre en place un
enseignement artistique « pour tous » et, bien sûr, transformer les objets usuels en
objets d ’art, bref : créer un art industriel.
Dans ses réponses à la « routine », de Laborde développe une conception qui
pourrait infléchir sensiblement le débat sur le statut de la photographie : « Au-
dessous d ’une certaine limite de supériorité, art, science et littérature, tout est de
l ’industrie. » Autrement dit, pour de Laborde, la frontière entre l ’art et l ’industrie
ne délimite pas des pratiques ou des procédés, mais des niveaux de qualité, elle
marque des différences non pas de nature, mais de degré ; il n’existe pas de
pratique en soi artistique mais seulement des produits artistiques. Cette conception
interdit d ’exclure par principe la photographie du domaine de l ’art.
Il semble d’ailleurs que ce soit elle qui, par son succès et sa production
croissante, stimule la réflexion esthétique et sociologique de Laborde (« ils croient

1. Léon de Laborde fait partie du jury des deux prix fondés par le duc de Luynes (B.S.F.P., I860, p, 114),
cf. p. 473.
L ’I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N IV E R S E L L E 219

que les arts s ’abaissent, parce qu’ils s’étendent »). L ’auteur semble répondre par
avance à la remarque de Walter Benjamin : « On s ’était dépensé en vaines
subtilités pour décider si la photographie était ou non un art, mais on ne s ’était
pas demandé d’abord si cette invention même ne transformait pas le caractère
général de l ’art [...]. » 2

Travaux de la Commission française sur l’industrie des nations,


Exposition universelle de Londres », t. V III, 1856, pp. 450-503.

Loin donc de croire à la ruine des arts et des lettres, je compte sur eux pour
maintenir les traits dominants du caractère et de l’originalité des nations,
cour guérir, ou au moins pour rendre moins douloureuse, la triste plaie de
notre matérialisme. [...]
Faites-en l’épreuve : quand la vapeur vous aura promené à travers les
spaces sans laisser une trace de quoi que ce soit dans votre mémoire
-urchargée ; quand l’électricité, en roulant son fil autour de la terre, vous
pportera les révolutions du globe de chaque jour et de chaque heure ; quand
mille autres inventions prodigieuses, accablant votre intelligence, vous auront
:onné le vertige, les arts deviendront le plus doux, le plus calme, le plus
ssuré des refuges au milieu de cette tourmente. [...] Il se dégagera ainsi de
vaste public, préparé par une éducation mieux appropriée aux progrès,
.ne élite d’âmes qui se mettront en communication sympathique avec les
inistes de tous les pays, comme le sont déjà les musiciens avec leur auditoire
oiquiste, les poètes avec leurs lecteurs partout répandus ; comme eux,
architectes, peintres, statuaires, aidés par la photographie, qui répand
stantanément leurs créations dans toutes les mains, rencontreront partout,
dans les réduits les plus éloignés, des âmes amies qui seront l’écho de leur
me, des amateurs éclairés qui apprécieront leurs inventions. [...J
Loin donc de tuer les arts en les répandant partout, cette large diffusion
ra comme la cloche qui appelle à l’église le monde croyant ; les sons du
mbre béni frappent les oreilles de chacun : entendus de tous, ils réveillent
r z tous un même sentiment de piété, mais ils ne persuadent qu’un petit
>:>mbre de cœurs portés naturellement à la prière et qui répondent à son
oel. Tel sera aussi le résultat de cette grande communauté des artistes du
nde entier, quand la culture des arts sera étendue à tous.
Je passe à côté d’une objection déjà débattue. La routine dit : n’inspirez
is la passion des arts à des gens qui ne sont destinés ni à avoir du talent.

L'oeuvre d’art à l'ère de la reproductibilité technique» [lre version franç. 1936],


et révolution, p. 186.
220 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

ni à pouvoir l’exercer, s’ils en avaient ; enseignez-leur le dessin industriel, le


dessin linéaire, cela suffit au peuple ; en lui apprenant davantage, vous faites
de mauvais artistes, vous détournez de bons ouvriers de leur carrière naturelle
Je n’ai pas le courage de lutter avec l’entêtement : j ’ai dit ce que je pensais
de cette niaiserie qui se nomme le dessin industriel ; j ’ai exposé l’utilité de
faire des artistes de tous les ouvriers, de tout le monde ; je laisse faire la
routine. Où irons-nous, s’écriera-t-elle, si nous créons tant d’artistes, tant de
bras inutiles ? Insensée ! le monde ne suit-il pas la marche envahissante du
progrès de la civilisation ? [...] Vous craignez d’augmenter le nombre des
artistes dépourvus de talent, leurs prétentions vous effrayent ; faites-en qui
aient du talent, les passions turbulentes de ceux-là ne sont pas à craindre
Occupés de leurs beaux rêves, dans leurs ateliers, ils ne vont pas chercher
dans la rue une triste réalité [...].
La routine n’est pas à bout d’objections décourageantes : elle répétera sur
tous les tons que l’anéantissement des aristocraties a tué l’art, sans songer
qu’il y a quelqu’un de plus riche que les seigneurs d’autrefois : ce sera tout
le monde d’aujourd’hui, du moment où tout ce monde deviendra par
l’éducation artiste un monde d’élite ; alors l’industrie, ce qu’on appelle l’esprit
d’association, c’est-à-dire les capitaux de tous réunis au profit de chacun
décorera les salles de café, les salons de concerts publics, les appartements
des clubs et les théâtres avec une richesse que l’aristocratie n’a jamais atteinte
en y employant vingt fois plus d’artistes qu’elle n’en protégeait ; seulement,
et voici l’écueil ou au moins l’objection, quels artistes choisira-t-elle ? Quel
art encouragera-t-elle ? Ici sans doute, je diffère de l’opinion commune : je
crois qu’en prenant soin de former le goût de cette aristocratie nouvelle qui
s’appelle tout le monde, Ingres, Delaroche, Delacroix et Scheffer ne seront
pas de trop grands artistes pour les entrepreneurs de cafés et les directeurs
de spectacles. [...]
Mais, on va dire, comment obligerez-vous ces grands artistes à aller
s’installer dans un café pour peindre des panneaux ? D’abord, je crois que
le temps n’est pas éloigné où les artistes auront secoué toutes les mièvreries
modernes, tous ces haut-le-cœur des aristocrates de l’école ; où ils trouveront
que, pour le développement des splendeurs de l’art, tout théâtre est bon
quand il a un public intelligent, et que le plaisir de parler à une foule
innombrable et incessamment renouvelée, curieuse et avide d’émotions, vaut
bien le triste honneur de se montrer à des habits brodés, de poser devant
des gens blasés, qui bâillent d’ennui et ne vous regardent même pas. [...]

Quatremère de Quincy, aveuglé par les préventions de son temps, n’aurait


voulu, à aucun prix, fondre les arts avec l’industrie dans une commune
action ; mais, à son insu, il travaillait à opérer cette fusion désirable, car il
comprenait l’absolue nécessité de faire sortir les arts du cercle étroit où ils
végètent et de les raviver dans l’atmosphère populaire. [...]
L 'I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N IV E R S E L L E 221

On s’inquiète à tort de la direction que les succès financiers peuvent donner


aux tendances de l’artiste, on s'effraye sans raison des productions mercantiles
que va provoquer l’amour du lucre. Ces préoccupations s’évanouissent dès
qu’on se rend bien compte de la nature des créations de l’art, dès qu’on
accepte l’association de l’art avec l’industrie, en reconnaissant à l’un et à
l’autre des limites. En effet, si les productions de l’art sont devenues une
marchandise, si les artistes deviennent des fabricants, que vous importe ?
Soyez donc certain qu’il surnagera sur ce grand courant d’œuvres banales
quelques rares chefs-d’œuvre, qu’il s’élèvera sur cette foule mercantile un
petit nombre d’artistes supérieurs. Le niveau général se sera élevé ; les
sommités de l’art, loin de l’amoindrir, auront participé de cette élévation. Il
se fait en France, en un siècle, quatre ou cinq portraits dignes de ce nom,
j'entends de véritables œuvres d’art. [...] A côté de ces chefs-d’œuvre il s’est
fait environ 500 000 portraits, sans compter 2 ou 3 000 000 de portraits
daguerréotypés (depuis vingt ans seulement). On expose tous les ans des
milliers de tableaux ; combien en reste-t-il qui méritent d’être cités, qui
conservent, après quelques années, une qualité, une valeur quelconque ? [...]
On se rend à la salle des commissaires-priseurs comme on va au marché ;
pourquoi les œuvres des artistes ne seraient-elles pas jugées, appréciées, cotées,
d’après des règles qui les confondent avec les raies et les turbots de la halle
voisine ? Il serait fou de s’en plaindre, il ne serait pas juste que l’objet d’art
échappât à ce contact ; c’est le sort de toute marchandise : les tableaux de
nos plus illustres artistes le partagent avec les livres, les manuscrits et les
autographes de nos plus grands poètes, qui sont ainsi adjugés au plus offrant,
suivant des règles et des principes parfaitement étrangers au domaine élevé
de l’inspiration.
Au-dessous d’une certaine limite de supériorité, art, science et littérature,
tout est de l’industrie. Faites que ce soit de la bonne et la meilleure possible,
mais ne prétendez pas maintenir des distinctions puériles. Comment ! les
théâtres de Paris donnent en moyenne 350 pièces par année, une par jour ;
nos romanciers produisent en même temps autant de romans disséminés dans
les revues, feuilletons de journaux et journaux à un sou, et vous appellerez
cela des productions de l’art, et vous m’obligerez à ranger les meubles sculptés
du faubourg Saint-Antoine dans les produits de l’industrie ? Moi je tiens tout
cela pour de la fabrique et si bien fabrique que je vous mets au défi, après
in mois, de citer les titres de ces pièces et de ces romans, de retenir les noms
de leurs auteurs ; on écoute et on lit cela sans s’informer qui l’a fait ; on y
pleure, on en rit, et la toile tombée ou le dernier feuillet tourné, on n’en sait
plus rien. Je me trompe, dans cette immense production il y a l’immense
analité et puis l’élite ; l’œuvre de génie, le chef-d’œuvre, rari nantes. Que ce
soient des tableaux ou des poésies, des meubles ou des statues, des vaudevilles
j des romans, il y a le grand nombre qui se perd dans la foule ; il y a le
hoix mis à part et en réserve par les natures d’élite qui lui sont sympathiques.
222 L A P H O T O G R A P H I L E N F R A N C E 1816-1871

[...] on laissera le reste suivre son cours de production périodique, nécessaire


banale, immense ; immensité pareille à la production de la nature, qui n'a
jamais compromis une belle rose parce qu’à côté de la plus belle elle en
produisait des milliers d’espèces inférieures.
Acceptons les faits tels qu’ils sont ; réjouissons-nous de ce qu’ils sont. La
carrière de l’artiste de talent sera toujours une existence vouée aux rudes
labeurs, aux angoisses de l’amour-propre, mais ce ne sera plus une vie
d’abnégation et de misère. Le talent sera une carrière lucrative. Le métier de
protecteur des arts, aussi, n’est plus ce métier de dupe qui conduisait à
l’hôpital : c’est la meilleure des spéculations : on encourage les débuts des
talents ignorés en achetant à bas prix leurs premiers tableaux qu’on revend
cher quand la réputation conquise a relevé leur valeur ; ne parle-t-on pas de
gens de rien qui ont sournoisement fait fortune à ce jeu de grand seigneur,
comme on citait autrefois tel duc et pair qui s’y était généreusement ruiné ?
[...]
Les mêmes gens qui disent que l’instruction généralement répandue a tué
l’amour de l’étude dans la classe des érudits, que les prodiges réalisés par
l’application des sciences rendent impossibles les progrès de la théorie, disent
aussi que les arts s’en vont ; ils le voient ainsi, mais c’est un effet d’optique ;
ils croient que les arts s’abaissent, parce qu’ils s’étendent.
La littérature et la science se sont bien trouvées de leur popularité [...].
Et les arts seraient seuls déshérités de cette noble part de popularité ! les
arts qui sont faits pour la foule comme pour l’élite, qui sont l’expression la
plus séduisante des sentiments du cœur humain et des beautés de la nature,
craindraient, en se vulgarisant, de devenir vulgaires, en se popularisant, de
s’identifier aux masses, car c’est là la grosse objection ; et on ose la faire à
une époque où les plus habiles physiciens s’occupent du chauffage des
fourneaux de nos cuisines et de la ventilation de nos égouts. [...] à une époque
où l’instruction, répandue dans toutes les classes, crée dans tous les lieux des
appréciateurs de la bonne littérature ; où nos plus grands écrivains travaillent
pour les journaux à cinq centimes et pour les petits théâtres des boulevards ;
où nos plus charmants compositeurs mettent en musique les farces des théâtres
en plein vent et les romances des cafés-concerts ; et c’est au milieu même de
cette époque de diffusion générale que les arts plastiques prétendraient se
retirer de la fraternité universelle ! Ils ne le pourraient pas, si même, mal
conseillés, ils tentaient de le faire ; car, de tous côtés, se prépare le
rapprochement définitif.
Les sociétés ont leur courant : ni les gouvernements attardés, ni les
littérateurs en manchettes, ni les savants et les artistes dédaigneux, ne le leur
feront remonter. [...]
Le mouvement de la société tend à faire participer le plus grand nombre
au partage des jouissances réservées à quelques-uns ; le lit de la propriété
creusé et mis à l’abri de l’entraînement, faisons la part large à tous. [...]
L 'I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 22 3

J ’accepterais les objections s’il s’agissait d’une tendance superficielle, d’un


mouvement factice ; mais cette transformation des arts se produit avec le
caractère d’à-propos de toutes les grandes découvertes : pas une qui ne vienne
à son rang satisfaire un besoin signalé et développer une jouissance cherchée,
pas une qui, par son caractère de nouveauté, ne bouleverse ou n’inquiète
ordre établi ; l’écriture après la parole, l’imprimerie après l’écriture, la
rapidité des communications après l’imprimerie, qu’elle soit obtenue par les
relais de poste, les chemins de fer, l’électricité ou la locomotion aérienne ;
toutes concourent au grand fait de l’extension à tous des conquêtes
intellectuelles ou matérielles, d’accord avec la marche démocratique de la
fraternisation générale, qui s’établit en tous lieux par l’égalité des poids et
mesures, par l’uniformité des monnaies, par la suppression des douanes, par
une législation et des formes administratives mises partout en rapport [...J.
Dans ce grand mouvement libéral, l’art réservé au petit nombre, à l’élite,
jx intelligences supérieures, est une de ces fatuités qui ne peuvent plus se
reproduire en public ; elle ressemble trop à toutes ces prétentions que la
suppression des privilèges a renversées. [...]
Le point de départ de l’art moderne dans ses conditions nouvelles d’extension
".définie se trouve dans le renouvellement de la société par la révolution de
"89. La reconnaissance des principes démocratiques entraînait avec elle
galité à tous les rangs et en toutes choses. L’instruction répandue
_ néralement, les sciences devenues accessibles à tous, faisaient pressentir la
venue prochaine des arts, comme accompagnement obligé et naturel de
éducation. [...]
L’intervention des machines a été, dans cette propagande de l’art, une
coque et l’équivalent d’une révolution ; les moyens reproducteurs sont
auxiliaire démocratique par excellence. Contester cette action est d’un
mgle ; dédaigner cette influence serait d’un insensé ; ne pas prévoir l’avenir
de cette association du génie des arts avec la puissance des nouveaux moyens
reproduction à bon marché, c’est d’un esprit borné. La fonte du bronze
1 multiplia les chefs-d’œuvre de Phidias et des grands sculpteurs de
antiquité avait été accueillie par la Grèce avec reconnaissance ; le Moyen
_ reçut comme un don du Ciel l’imprimerie, qui est l’écriture mécanique ;
r la vapeur, cette éloquente expression de la société moderne, donnait ses
ras puissants en aide à tous les produits de l’industrie imprégnés de l’influence
des arts ; aujourd’hui la photographie, ou l’art mécanique dans une perfection
ale, initie le monde aux beautés des créations divines et humaines. Tous
- moyens réunis répandent jusque dans la cabane du paysan la copie
lement reproduite de l’objet d’art unique et de l’étoffe brodée à la main
: le riche avait seul possédés. [...J
Dès avant la Révolution et jusqu’à nos jours, mais sans discontinuer
^ant cinquante ans, L.-L. Boilly a peint à l’huile des portraits fort
■t- - mblants, en une séance et au prix de 20 francs ; il en comptait en 1845,
224 r.A P H O T O G R A P H I E EN’ F R A N C E 1816-1871

lorsqu’il mourut, plus 5 000, et sans doute il se trompait à son désavantage


Une pareille facilité, une si immense production, un art mis tellement à la
portée de tous ne fut pas exceptionnel ; Boilly eut des imitateurs dans
Thompson, pour l’aquarelle, et dans vingt autres émules qui, avec plus ou
moins de talent, donnaient c’est le mot, portraits, vues et paysages dessiné:-
au pastel ou peints à l’huile pour quelques francs. Etait-ce de l’art ? Je suis
tenté de répondre affirmativement, quand je compare ces productions à la
moyenne des oeuvres du temps passé et de l’étranger ; mais je dirai : non, ce
n’est pas de l’art ; ce sont les produits courants d’une industrie qui préludait
par ces précurseurs faciles à l’admirable découverte du daguerréotype.
Mais avant d’avoir obtenu du Ciel cette merveilleuse faveur qui s’appelle
le dessin par le soleil, ou l’héliographie, n’avions-nous pas des ressources déjà
surprenantes ? Dès le début de ce siècle l’invention de Senefelder [la
lithographie] mit dans toutes les mains les dessins originaux des Vernet.
Géricault, Bonington, et les copies des meilleurs tableaux de l’école par des
dessinateurs de talent ; la gravure en bois, qui est aussi une reproduction
artificielle des dessins de l’artiste, a atteint, par les améliorations de la presse
une perfection étonnante. Les moulages en plâtre ont été perfectionnés ; les
mouleurs ont choisi d’excellents modèles, et chaque épreuve est revenue à si
bon marché, que j ’entendais ce matin même un marchand offrir aux passants
les beaux médaillons des Pisans, les admirables fragments de J. Goujon, en
s’écriant : « A un sou, messieurs ! cela les vaut bien, quand ce ne serait que
pour boucher le trou d’un tuyau de poêle ! » Que dire enfin de ces
photographies, qui sont des perfections de l’art aux yeux des artistes eux-
mêmes, et que le bon marché répand dans toutes les mains, tandis que leur
multiplicité les place sous tous les yeux ? Déjà la gravure s’est emparée de
ses productions pour en rendre les épreuves moins chères et plus égales ; en
même temps de nouveaux procédés de transport sur pierre permettent aux
artistes de dessiner sur papier, sans aucune étude préparatoire, dans
l’indépendance de l’inspiration, avec toute la liberté de la main, et ces dessins
de maîtres sont imprimés en épreuves innombrables. [...]
Désormais le capital, la première mise, le fonds de l’établissement de
l’industriel consistera, pour qu’il ait chance de fructifier, d’une part d’écus
et d’une part de connaissances scientifiques et de talents artistes, et si un
commanditaire n’est pas aveugle, il ne confiera sa fortune qu’à l’homme qui
réunira ces qualités indispensables au véritable industriel. Remarquez qu’il
ne s’agit pas d’être membre ni de l’Académie des sciences ni de l’Académie
des beaux-arts, mais d’avoir assez étudié, assez suivi de cours, assez pratiqué
soi-même pour comprendre et juger, pour choisir et surveiller. Un chef de
maison, pourrait-il tout faire, devrait distribuer les travaux pour ne conserver
que la surveillance ; c’est dire assez que la position des artistes est assurée
près de lui. Ces artistes ont besoin d’une direction, car ce sont des hommes
de talent qu’une imagination exubérante, une main trop facile, poussent hors
L T M P W L S I O N D E L 'E X P O S I T I O N U N IV E R S E L L E 22 5

de la carrière des études réfléchies et des travaux sérieux. Devant une toile,
îs feraient de la peinture lâchée, dans un bloc de marbre de la sculpture
boursouflée ; vous leur donnez de la faïence à peindre ou du carton-pâte à
modeler et ils feront merveille, parce que ce sont des talents naturellement
spéculatifs et instinctivement industriels, mais à la condition d’être dirigés,
maintenus par un chef habile, dont le sentiment vif des arts et le talent acquis
prennent sur eux assez d ’autorité pour imposer à leur imagination, à leur
facilité, les règles du bon sens, qui sont les obligations et les lois industrielles.

Ce que je rêve pour féconder l’industrie, c’est, dans le passé, un homme


imme Charles Boulle, dans le présent, un artiste comme Auguste Debay,
dans l’avenir, toute une génération semblable à ces deux hommes. [...]
Auguste Debay étudie la peinture dans l’atelier de l’illustre Gros et il devient
-on élève favori ; il concourt à l’Ecole des beaux-arts et l’emporte sur tous
■s concurrents : le premier prix de peinture le conduit à la villa Médicis
] ; il devient sculpteur, et de retour à Paris il remporte, dans un nouveau
mœurs, la palme pour l’exécution du monument de l’archevêque de Paris,
,*tte sainte victime de nos discordes civiles 3. Jusqu’à présent, on le voit, c’est
.me carrière d ’artiste remplie à la façon des grands maîtres des temps passés ;
lui manquait cependant quelque chose pour être entier comme eux : Debay
a senti, et il s’est complété en se plaçant à la tête d’une fabrique d’objets
art et de figures en terre cuite pour l’ornement des édifices et des jardins.
I. avait compris que pour être un grand artiste, il fallait être aussi un
idustriel de premier ordre.

\|_-r Afire a été tué sur les barricades en 1848, alors qu’il tentait d ’arrêter les fusillades.
DEFENSE DES GRAVEURS MENACES
(1856)

H enri ÜELABORDE (1811-1899)

Le vicomte Henri Delaborde, conservateur adjoint du département des Estampes


de la Bibliothèque impériale et auteur de nombreux articles dans la Revue des
deux-mondes, instruit, au nom de la gravure, un brillant procès contre la
photographie. Sa démonstration, construite sur une série d'oppositions, rappelle
fort, dans sa logique et dans ses expressions mêmes, les diatribes lancées par les
adeptes de l’idéal en peinture contre les amis de Courbet. Charles Perrier 1 ne
défend-il pas à la même époque l'« innocente tricherie » des premiers contre la
« reproduction matérielle des objets » propre, selon lui, aux seconds 12 ? Delaborde
transpose donc les termes d'un débat interne à la peinture dans une polémique
entre deux pratiques.
En fait, la vigueur de ses propos tient aux menaces précises qui pèsent désormais
sur la gravure : « Aujourd’hui, la succession est ouverte. » La photographie est
en train de conquérir le marché de la reproduction. Aussi Delaborde conseille-
t-il d ’opérer un recul stratégique en abandonnant à la photographie tout ce qui
relève de la copie mécanique. En revanche, il invite à lutter pour conserver aux
graveurs la reproduction des œuvres d’art — laquelle exige « l ’expression, la
physionomie, le style », et n ’a rien de commun avec « l ’imitation servile ». Enfin
Delaborde voit dans le développement de la gravure d ’artiste le moyen le plus sûr
d’échapper à la pression d ’un rival en plein essor.

1. Charles Perrier, L ’Artiste, I4oct. 1855, pp. 85-89.


2. Que les adversaires des réalistes emploient au milieu des années 1850 des arguments semblables à ceux
qu’avancent certains adversaires de la photographie ne suffit pas cependant pour transformer les réalistes
en partisans de la chambre noire. Fernand Desnoyers (L ’Artiste, 9 déc. 1855, p. 197), qui défend la cause
réaliste, marque ses distances avec la photographie : « Le réalisme, dit-il, est la peinture vraie des objets.
Il n’y a pas de peinture vraie sans couleur, sans esprit, sans vie ou animation, sans physionomie ou
sentiment. Il serait donc vulgaire d ’appliquer la définition qui précède à un art mécanique. »
L ’I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 22 7

58. Nadar, Portrait de Baudelaire (détail), 1859. Tirage papier albuminé.


Édouard Manet, Portrait de Baudelaire, 1865-1868. 3 gravures. -
Si Manet s'inspira d'une photographie de Nadar pour réaliser ses portraits posthumes
de Baudelaire, il n'en manifeste que plus de liberté dans le traitement de la surface :
griffée, rongée par l'eau-forte et par l'aquatinte, la figure du poète
se confond avec l’arrière-plan.
228 l.A PHOTOGRAPHIE EX FRANCE 1816-1871

« La photographie et la gravure », Revue des deux-mondes, 1er avr. 1856, pp. 617-638.

Quel que soit [...] le mode d’exécution adopté dans les travaux photographi­
ques, que l’on ait recours à la glace, au papier ou au métal, ces opérations,
matériellement differentes, ne s’en accomplissent pas moins toutes d’elles-
mêmes et indépendamment, pour ainsi dire, de la volonté de l’opérateur. Il
y a place pour l’habileté scientifique de celui-ci, pour la sagacité avec laquelle
il usera de tel agent chimique ; il n’y a pas place pour son sentiment en tant
qu’artiste, puisqu’il ne lui appartient pas d’interpréter ni de modifier en quoi
que ce soit l’aspect des modèles donnés. Tout se passe à côté de lui et en
dehors de lui, dans une sphère d’action purement mécanique, avec une
exactitude certaine, mais inintelligente. [...]

Les conditions de la gravure sont infiniment plus larges. La gravure est un


art, précisément parce qu’elle permet, qu’elle exige même la participation de
la pensée et du goût à un travail de reproduction. Soumission sincère à
l’autorité du modèle, voilà sans doute la première loi de ce travail ; mais
l’imitation sera insuffisante, si elle garde seulement le caractère d’une copie
littérale. Pour qu’une estampe rende à souhait le tableau d’après lequel elle
a été faite, il faut que le graveur ait su décomposer les intentions du peintre,
les proportionner aux moyens dont il dispose, et remplacer par des équivalents
propres à son art les termes mêmes du texte original. Il faut, en un mot,
qu’il se soit assimilé l’esprit de son modèle, mais que jusqu’à un certain point
il en ait varié la lettre. Sans cela, il aura, par excès de scrupule et par une
docilité mal entendue, altéré à la fois la vérité qu’il prétendait respecter et
le style dont il avait mission de traduire les formes.
Un exemple emprunté aux œuvres d’un autre art pourra rendre sensible
cette différence entre la transcription matérielle et la copie par voie
d’interprétation. Les procédés actuels pour la réduction des statues et des
bas-reliefs donnent, on le sait, des résultats mathématiquement exacts. D’où
vient pourtant que ces répétitions, si fidèles en réalité, ne semblent pas avoir
à beaucoup près la même beauté que les morceaux originaux ? C’est qu’elles
formulent une ressemblance servile au lieu d’une image en correspondance
avec le type choisi. Le changement de proportion, la différence des matières
nécessitaient quelques variantes en dehors de l’action d ’une machine, et qui
eussent réclamé la main intelligente d’un artiste. Croit-on que le sculpteur
de la Vénus de Milo ou le sculpteur du Moïse eussent traité leurs ouvrages
absolument de la même façon, si ces ouvrages, au lieu de garder leurs
proportions colossales, se fussent réduits à ces proportions de statuettes qu’on
leur donne aujourd’hui, et si le bronze eût dû être employé au lieu du
marbre ? Telle forme eût été autrement ressentie, tel détail simplifié ou
exprimé avec plus de délicatesse. Quelque chose d’analogue à ces modifications
ou à ces sacrifices doit se passer dans un travail de reproduction par le burin.
L 'I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 2 29

Il ne suffit pas que le graveur s’attache à rendre de point en point tout ce


qu'il voit dans son modèle : il est nécessaire qu’il juge et détermine l’importance
relative de chaque objet, qu’il prenne certains partis pour simuler un coloris
varié avec deux tons seulement et pour conserver au dessin soit sa grâce, soit
3a fierté, en opérant sur un champ très restreint, où tout détail, s’il n’est
tténué, devient aisément hors de propos et de mesure. On comprend dès
>rs à quel point le discernement et l’intelligence pittoresque sont de mise
ans un genre de travail qui, tout en reflétant la pensée d’autrui, doit avoir
ussi son caractère particulier et sa physionomie distinctive. L’imagination
même ne saurait être exclue du domaine de la gravure, et l’on pourrait dire
-ans exagération qu’il n’est guère de graveur éminent dans aucun pays ni à
. ucune époque dont les œuvres n’attestent une véritable puissance d’invention.
Lorsque Marc-Antoine trouve le secret de formuler pleinement les
«entions à demi indiquées par le crayon de Raphaël, lorsque Jean Morin
l Gérard Audran, enrichissant de leur propre fonds la pensée de Champagne
ou de Le Brun, transforment en chefs-d’œuvre des œuvres imparfaites ou
uelquefois décidément faibles, ne faut-il voir que des témoignages d’habileté
îatérielle dans ces traductions si heureusement mensongères ? Suffirait-il pour
traduire ainsi d’avoir le coup d’œil juste et la main exercée, et n’est-ce pas
lutôt faire preuve d’imagination que de deviner si bien le génie ou d ’amener
à ce point les œuvres incomplètes du talent ?
La gravure a donc une double tâche à remplir. Elle doit à la fois copier
commenter la peinture, sous peine d’abdiquer ses privilèges et de se dérober
ix conditions de l’art. La photographie au contraire, ne procédant que du
;it. commence et finit avec lui. Elle l’accepte tel qu’il se présente, se
approprie sans contrôle, sans développement ni restriction d’aucune sorte ;
rile ne peut rien au-delà de cette fidélité aveugle. En dehors de cette
-similation à outrance, elle n’existe pas. [...J
On ne saurait prétendre toutefois que la gravure, quelle qu’elle soit, d’un
iffieau l’emporte nécessairement sur une épreuve photographique. Tout le
r.traire peut arriver, et il va sans dire qu’en accusant l’insuffisance du
rocéde, nous n’entendons sacrifier ses produits qu’aux œuvres du talent. A
up sûr, de bonnes photographies d’après les Stanze de Raphaël ou la Cène
Léonard seraient moins compromettantes pour la gloire des deux maîtres
; ue les estampes de Volpato et de Morghen, et nous préférerions de grand
•rur à ces imitations trompeuses, à ces travaux d’un burin débile ou
v lontairement infidèle, des images qui auraient au moins l’avantage d’une
délité mathématique ; mais que l’on se pourvoie ailleurs et en meilleur lieu,
l’on rapproche une belle planche d’après quelque peinture de Raphaël
la Vierge de François I" d’Edelinck, par exemple —, et une photographie
iprès le même tableau : on comprendra que l’exactitude littérale n’est pas,
.nt s’en faut, le dernier mot de l’art. Ce qui demeure ici à l’état de copie
•rvile se montrera là sous une apparence plus digne du modèle. D’un côté
230 L A P H O T O G R A P H I E E X F R A N C E 1816-1871

le fac-similé absolu, sans sacrifice, sans les modifications que commandaient


le changement des dimensions et l’indigence d’un coloris réduit à deux seuls
tons, de l’autre la ressemblance obtenue par un sentiment judicieux des
beautés originales et des moyens laissés à la reproduction, en un mot l’analogie
morale au lieu de la conformité inerte, un travail d’art au lieu d’un décalque.
Ajoutons qu’en dehors de ces conditions d ’infériorité inhérentes à son principe
même et à ses lois générales, la photographie porte en soi des éléments
d’imperfection matérielle dont l’avenir aura raison peut-être, mais contre
lesquels on a jusqu’à présent vainement lutté. Certains tons, tels que l’azur
et les nuances qui en dérivent, se reproduisent sur l’épreuve photographique
dans une gamme si claire, qu’ils semblent en quelque sorte absents, tandis
que les tons participant du rouge acquièrent une extrême intensité. De là un
désaccord et une dureté qui faussent l’harmonie pittoresque. Le visage d’un
homme sanguin se dessinant sur un ciel limpide apparaîtra comme une tache
noire sur un fond blanc ; une figure vêtue d ’une draperie bleu clair ou lilas
deviendra à côté d’un mur en briques une silhouette blanche et sans relief.
La gravure n’a ni ces exagérations, ni ces défaillances. Comme elle procède
par analogie en traduisant le coloris d’un tableau, comme elle reflète non les
tons mêmes, mais leur valeur relative et leur aspect plus ou moins lumineux,
elle ne dénature pas par des altérations partielles l’ensemble de l’effet. Le
blanc et le noir, au lieu d’aboutir à des contrastes heurtés, se proportionnent
à la mesure déterminée par la peinture originale ; ils font l’office d’équivalents
et rendent dans leurs rapports exacts sinon les couleurs, du moins tous les
accidents du clair-obscur. La photographie au contraire, diversement influencée
par l’action de ces couleurs, a tantôt trop de délicatesse, tantôt trop de
violence,. Elle ne sait que ressentir chimiquement l’effet de chaque ton, et.
faute de pouvoir coordonner tant d’impressions inégales, elle substitue une
succession de dissonances, ou tout au moins une harmonie çà et là brisée,
à l’harmonie continue qu’avait créée le pinceau. [...]
On a eu beau diversifier depuis quelque temps l’emploi des substances
colorantes, essayer tantôt des tons gris-noir, tantôt des tons sépia ou roux-
ferrugineux : les résultats de ces différents essais ont tous la même lourdeur
d’effet, la même tristesse, le même aspect terne et languissant3. Cela

3. « II ne sera pas inutile d’ajouter que les recherches n’ont pas eu pour objet unique, ni même pour
objet principal, la découverte d ’un ton plus souple que les tons obtenus jusqu’ici. La durée des épreuves
au point où se trouve encore la science, est un fait pour le moins douteux. Nombre d ’images photographiques
habituellement exposées à la lumière se sont détruites au bout de quelques années. D’autres enfin, tirées
sur les fragments d ’une même feuille de papier, produites en vertu des mêmes préparations et placées
ensuite dans les mêmes conditions atmosphériques, ont eu chacune un sort différent. A côté d ’une épreuve
qui se détériorait rapidement, une épreuve ne subissait que de lentes altérations ou même demeurait dans
un état d’intégrité complète. [...] Rien de très péremptoire n’est venu calmer les inquiétudes que l’on
avait pu concevoir sur ce point, et quant à présent du moins, la durée incertaine des épreuves
photographiques est un inconvénient de plus à signaler en regard des avantages de la gravure. » [Note
de Henri Delaborde]
L ’I M P U L S I O N D E L 'E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 231

s’explique : la photographie, quelle que soit la couleur qu’on lui livre, n’a
qu’une seule manière de la mettre en œuvre. Un seul mode d’exécution lui
sert à rendre les travaux de tous genres, les variétés infinies et les caractères
multiples d’un original. Là où le pinceau, le crayon, le burin exprimeraient
par la diversité du faire l’espèce particulière de chaque objet, elle promène
une touche toujours égale 4. Q u’elle ait à représenter un corps transparent ou
un corps opaque, qu’il lui faille modeler une draperie légère ou une pierre,
elle opérera de la même façon, et ce procédé immuable, cette uniformité de
moyens en face des types les plus opposés, répandront sur toutes les parties
de 1’œuvre la froideur et la monotonie. [...]

Il peut arriver cependant qu’en face de certaines œuvres d’art, l’extrême


bnégation de la photographie soit de mise, ou même que son impuissance
modifier la réalité cesse absolument d’être un défaut. Les monuments de
sculpture, où l’expression se subordonne en général à la pureté de la forme
■ilpable, ont par cela même moins besoin que les tableaux et les dessins
i être reproduits par voie d’interprétation. L’imitation exacte des proportions
■ du modelé suffit pour leur conserver leur signification et leur caractère
ropres. Aussi le procédé photographique, précisément parce qu’il s’arrête à
pparence formelle, peut-il être employé avec à-propos lorsqu’il s’agit
; ibtenir l’image d’une statue ou d’un bas-relief — sauf, nous l’avons dit
déjà. les inconvénients attachés à tout moyen de réduction qui ne permettra
imettre ni d’atténuer aucun détail. A plus forte raison ce procédé semble-
■. approprié aux conditions spéciales de l’architecture. Dans un monument,
r xpression résulte en effet tout entière de la combinaison des lignes ; tout
: nettement et définitivement accusé, toute beauté réside à la surface, tout
■rte en dehors son élégance ou sa grandeur. A quoi bon dès lors l’intervention
fart pour commenter ce qui s’explique de soi ? Le meilleur mode de
roduction sera celui qui laissera le plus complètement intacte la physionomie
érieure du modèle, l’image la plus précieuse sera celle où l’on pourra le
_is surprendre le sentiment personnel du traducteur. Il y a donc lieu de
le er et d’accepter à peu près sans réserve les œuvres de la photographie
q and elles ont pour objet la représentation des œuvres de l’architecture. On
■ - jurait dire qu’elles inaugurent un art supérieur à l’art d’Israël Silvestre,
Gabriel Pérelle, de Piranesi ou de tel autre graveur de monuments : l’art,
o re une fois, n’a que faire dans cette fidélité toute mécanique ; mais il n’y
. ;ue justice à reconnaître ce qu’elles offrent d ’incomparable au point de vue
:r authenticité et quelles vastes ressources elles créent aux études techniques,
:.me à l’archéologie et à l’histoire. [...]

Ex insistant sur le caractère irremplaçable de la touche et de la couche, Delaborde met en évidence


- iques années avant les premiers tableaux de Manet et des impressionnistes — ce qui peut assurément
_ -r la peinture de la photographie.
232 I.A P H O T O G R A P H I E E N E R W O E 1816-1871

N’eussent-elles d’autre avantage que de populariser au dehors la gloire de


l’architecture et de la sculpture françaises à des époques bien différentes, de
telles publications mériteraient à ce titre seul les encouragements et la
sympathie ; mais elles peuvent avoir une utilité plus immédiate et réveiller
un juste orgueil ou des admirations que le temps a refroidies. Qui sait ? Peut-
être, à force de voir ces images des grands monuments de l’art dans notre
pays, arriverons-nous à mieux apprécier les rares qualités des modèles. Peut-
être, en comparant les œuvres de notre école aux œuvres produites ailleurs
— et la comparaison est facile, puisque la photographie fournit de part et
d’autre la même somme de documents certains —, serons-nous moins
insouciants ou moins modestes, et nous aviserons-nous de penser qu’après
tout l’architecture et la sculpture françaises tiennent, depuis le X IIIe siècle,
un rang que l’Italie elle-même n’a pas toujours su prendre ou conserver.

La photographie, très insuffisante en face de la nature, des tableaux et des


dessins, partout enfin où l’exactitude matérielle doit s’allier à l’expression
d’un sentiment — la photographie, on le voit, a une importance et une utilité
incontestables dans les cas où le fait seul doit être surpris et consigné. Il
semblerait dès lors que des gravures, c’est-à-dire des formes irrévocablement
définies, pussent, aussi bien que des monuments ou des statues, être
impunément soumises à ce mode de transcription. Bien plus : certaines
imperfections résultant de la différence des proportions ou de la nature des
matériaux employés par l’architecture et par la statuaire, certaines modifica­
tions inévitables du coloris ne paraissent pas à redouter ici. L’épreuve sera
d’une dimension égale à la dimension de l’épreuve originale ; les deux seuls
tons dont le burin dispose appartiennent aussi à la photographie. Il n’y aura
donc, il ne devrait y avoir du moins, aucune dissemblance entre les copies
et les modèles. D’où vient pourtant que cette dissemblance existe de manière
à frapper les yeux les moins clairvoyants ? [...] Que l’objet essentiel soit la
reproduction des lignes et de l’effet déterminés par le graveur, rien de plus
vrai ; mais il y a dans les œuvres de la gravure comme dans celles de la
peinture une expression inhérente à la touche même, un goût d’exécution
vivant et personnel qui ne saurait s’isoler du moyen propre sans que cette
scission dénature forcément le style. La photographie, tout en ne procédant
pas comme le burin ou comme la pointe, pourra sans doute imiter l’apparence
générale des travaux qu’auront exécutés ces instruments ; elle ne réussira pas
à en rendre l’esprit, à s’assimiler la précision savante ou la grâce facile qui
leur appartiennent.
Il résulte de ce qui précède que, pour copier des estampes, le plus sûr
serait encore de recourir aux procédés mêmes de la gravure. Tout dépendra,
il est vrai, de l’intelligence et du talent des copistes ; mais pour peu qu’ils
soient gens habiles, ils donneront des pièces originales une idée plus juste et
plus complète que ne saurait le faire la photographie. On a entrepris, il y
L 'I M P I L S I O N D E L 'E X P O S I T I O N I N T V E R S E L L E 23 3

a quelques années, de photographier l’œuvre entier de Marc-Antoine.


Envisagée comme moyen d ’ajouter à la popularité de compositions admirables,
une telle entreprise n’a rien que de louable [...] mais l’insuffisance de
l’exécution nous laisserait le droit d’être plus sévère, et nous n’hésiterions pas
à préférer de beaucoup aux pièces photographiées d’après Marc-Antoine (cf.
p. 262) les copies gravées par Marc de Ravenne et Augustin Vénitien. Celles-
ci, tout inférieures qu’elles sont aux chefs-d’œuvre qui leur ont servi de
modèles, gardent au moins quelque chose du faire net et résolu des estampes
originales. Dans celles-là au contraire, la fermeté du travail se traduit par je
ne sais quelle lourdeur de touche, la finesse s’empâte ou disparaît, et, si
fidèles qu’elles semblent au premier abord, ces réimpressions prétendues ne
sont rien de plus que des esquisses, et, qui pis est, des esquisses sans verve.
On supposera peut-être que la photographie, incapable de rendre à souhait
la manière incisive de Marc-Antoine, doit avec plus de succès s’attaquer à
d’autres manières et à des maîtres d’un autre ordre. Si l’extrême délicatesse
des contours et du modelé échappe à son action, des effets d’ombre et de
lumière formulés non plus par des traits, mais par des teintes, des masses de
tons franchement clairs ou veloutés se déposeront sur la glace ou sur le papier
plus aisément que des tailles subtiles, parce qu’il existe en pareil cas une
sorte d’analogie entre le procédé photographique et le procédé même de la
gravure. La publication de l'Œuvre de Rembrandt3 nous semble un fait beaucoup
plus propre à démentir qu’à confirmer cette opinion. Ici encore nous
reconnaîtrons volontiers ce qu’il peut y avoir d’utile à présenter dans leur
ensemble les créations successives du génie, à montrer réunis des chefs-
d’œuvre d ’invention et de sentiment disséminés dans les cabinets ou dans les
galeries ; mais il faut avouer aussi qu’au point de vue de l’art et de l’habileté
technique, ces chefs-d’œuvre n’apparaissent qu’étrangement défigurés. L’imper­
fection principale des photographies du Rembrandt consiste dans le défaut de
transparence des ombres. De là une âpreté d’effet directement contraire à
l'effet harmonieux qu’à su trouver la main du maître. Dans les pièces
originales, les parties obscures sont, malgré l’intensité du ton, pénétrables à
œil pour ainsi dire. On y entrevoit des reflets, de chaudes lueurs assoupies ;
on sent que ces corps voilés d’ombre ont leur relief propre, leur modelé, leur
consistance, et que si un rayon venait à les éclairer, ils se comporteraient
comme les corps voisins placés en pleine lumière. Dans les reproductions au
contraire, l’ombre cesse d’être un voile ; elle étreint la forme et l’absorbe.
Tout ce qui n’était que mystérieux devient épais ou vide, toute énergie de
ton se convertit en noir boueux ou dur. Quelle fausse idée, par exemple, ne

L 'Œ u v r e de R e m b r a n d t re p r o d u it p a r la p h o to g r a p h ie , d é c rit et c o m m e n té p a r A l . C h a r le s B l a n c , 1853. Ce sont


les frères Bisson qui ont réalisé les clichés ; l’imprimerie photographique de Lemercier en a assuré le
nrage. Collées sur carteline, les photographies ont été vendues en deux séries de dix livraisons (20 F
une). Chacune comptait quatre planches photographiques dans la première série, et six dans la seconde,
au total soixante photographies.
234 L A P H O T O G R A P H I E E X F R A N C E 1816-1871

se formerait-on pas de l’un des plus beaux ouvrages de Rembrandt — le


portrait en pied du Bourgmestre Six — si l’on se fiait à la triste contrefaçon
que la photographie nous en donne ? [...]

Aux yeux de qui n’y regarde pas dé, fort près, l’art nouveau paraît en
mesure de remplacer un art désormais suranné. A quoi bon pâlir de longues
années sur une besogne qui peut maintenant s’accomplir en quelques secondes ?
Pourquoi s’obstiner à transporter péniblement sur le cuivre des modèles qui
viennent d’eux-mêmes se décalquer sur le papier ? Quelle copie préférable à
cette empreinte, quelle main plus sûre que cette infaillible pratique ? L’erreur
semble assez générale pour qu’il importe de préciser en quelques mots le rôle
de la photographie. Non, la gravure n’a trouvé là ni un mode d’exécution
supérieur, ni même un équivalent ; non, les graveurs n’en seront pas réduits
à la condition des maîtres de poste, dont les chemins de fer ont ruiné
l’industrie. [...]
L’art a quelque chose de plus beau et de meilleur à nous enseigner. Il ne
nous montre pas seulement l’extérieur des objets, il donne à la forme une
signification particulière, il nous initie à certains secrets que nous n’aurions
pas su démêler sans lui, et — pour ne parler que de la gravure — il
s’approprie, il achève de préciser le fond de la pensée d’autrui, au lieu d’en
copier platement les surfaces.
La photographie [...] compte aujourd’hui assez de partisans, et de partisans
enthousiastes, pour qu’il ne semble pas superflu ni hors de propos de défendre
la cause contraire. On ne considérait, il y a quelques années, la photographie
que comme l’héritière présomptive de la gravure ; aujourd’hui la succession
est ouverte, et tandis que le burin reste trop souvent oisif, les appareils
fonctionnent avec une force de production croissante, avec un redoublement
d’activité que la mode encourage, et qui n’a plus seulement pour témoins les
murs des laboratoires. Dans beaucoup de salons, les prodiges de la photographie
ne sont guère moins en honneur que ne l’étaient hier les miracles accomplis
par les tables tournantes. Chacun veut mettre la main à l’opération, chacun
veut, tant bien que mal, obtenir son négatif et tirer son épreuve — le tout,
non sans arrière-pensée un peu ambitieuse quelquefois, mais le plus souvent
en vue de se procurer un amusement. [...J Ailleurs cependant le danger est
plus grave et le succès plus incertain, puisque les artistes eux-mêmes se font
les apôtres de la foi nouvelle et n’hésitent pas à réclamer pour elle un respect
qui ne lui est pas dû. « La photographie, écrivait récemment M. Ziégler dans
une brochure sur laquelle le nom de l’auteur appelle une certaine attention 6,
la photographie étant essentiellement un art d’imitation, elle pourrait à ce
titre réclamer une place parmi les arts d’imitation, aussi bien que la

6. Jules Ziégler, un des artistes les plus célèbres de la monarchie de Juillet, était un adepte de la manière
sombre, proche de l’Ecole espagnole (Ribera, Zurbaran). Il décora à fresque l’église de la Madeleine à
Paris.
L 'I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N IV E R S E L L E 235

59. Camille Corot, Figures dans un paysage, s.d. Cliché-verre. -


Le cliché-verre est une estampe tirée sur une feuille de papier photosensible à partir d'un
négatif réalisé à la main - en utilisant une pointe sèche pour érafler un verni opaque étendu
sur une plaque de verre, « Ni dessin, ni eau-forte, ni photographie », le cliché-verre est
une technique ambiguë : une manière de rester peintre tout en utilisant les ressources de
la photographie. Son statut intermédiaire explique l'intérêt qu'ont pu lui accorder
certains artistes situés dans l'orbite de Fontainebleau, Corot en premier lieu.

lithographie et les divers genres de gravure. Ceci n’a pas été admis ; il faut
toujours, même en fait d’art, un peu de temps pour la naturalisation d’un
étranger ; il faut aussi réserver quelque chose au progrès : plus tard cela se
fera. » A Dieu ne plaise que cela se fasse ! Sous prétexte de progrès, on
n’arriverait ainsi qu’à une confusion organisée. La photographie n’étant, quoi
qu’on en dise, ni un art d ’imitation, ni un art d’aucune sorte, puisqu’elle ne
peut rien par elle-même, puisqu’elle ne formule rien en dehors du fait, qu’a-
t-elle à démêler avec l’expression volontaire et personnelle ? A quel titre
entrerait-elle en rivalité avec le talent ? Quelle sorte d’idéal est-elle en mesure
de nous révéler ? Un poète, si poète descriptif qu’il fût, ne saurait comment
-’y prendre pour chanter les produits photographiques, tant la signification
en est bornée, tant ils matérialisent la réalité même. Et l’on voudrait assimiler
es images inertes, ces œuvres sans accent et sans portée, aux œuvres qui
236 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

ont reçu l’empreinte du sentiment, du goût, de la pensée humaine enfin !


Non, la photographie n’est et ne peut être rien de plus qu’un procédé
secondaire, très ingénieux en soi, très bon pour renseigner la science et
quelquefois l’art lui-même ; mais elle ne doit pas lutter avec lui, encore moins
le déposséder du rang qui lui appartient. Il y aura toujours entre l’art et la
photographie la distance qui sépare la vérité choisie de l’effigie vulgaire, ou
la différence qui existe entre une belle statue et un moule pris sur la nature.

Il ne faut donc pas, tout en constatant les progrès actuels et les fâcheux
succès de la photographie, s’inquiéter outre mesure des conséquences, ni s’v
résigner d’avance comme à un mal irrémédiable. Ces succès peuvent grandir
encore, ces envahissements s’étendre et se généraliser : la défaite de la gravure
n’en sera pas plus assurée pour cela. Pendant quelque temps peut-être, on
continuera de s’abuser sur les prétendus avantages d’un procédé sans valeur
sérieuse, sans mérite au point de vue de l’art ; mais la gravure ne deviendra
pas pour toujours un luxe d’érudits, une sorte de rareté dont les esprits
gourmets pour ainsi dire seront seuls à goûter le mérite. Tôt ou tard elle
aura raison de nos dédains, parce qu’elle seule est en mesure de satisfaire à
des aspirations plus sérieuses, à des besoins d’intelligence plus durables que
la vaine curiosité ou les empressements irréfléchis auxquels nous nous
abandonnons aujourd’hui.
Suit-il de là qu’elle doive sortir sans aucun préjudice de cette épreuve plus
ou moins longue, et se retrouver, les mauvais moments une fois passés, en
possession de tous ses anciens privilèges ? Telle n’est pas notre pensée. Il est
très probable au contraire que la photographie ne cédera pas tout le terrain
qu’elle a conquis, et d’ailleurs ses conquêtes, si injustes qu’elles soient pour
la plupart, n’ont pas toujours, nous l’avons dit, le caractère d’usurpations.
Rien que de fort légitime dans l’application du moyen photographique à la
représentation des monuments et en général des objets qui intéressent
l’archéologie ou l’histoire. Pour l’étude des sciences naturelles, les avantages
sont tout aussi incontestables. L’entomologie, la botanique trouveront là des
documents plus sûrs, plus détaillés, plus scrupuleusement exacts que le burin
ne pourrait les fournir. Partout donc où l’authenticité absolue est la condition
principale, l’unique mérite à rechercher, la gravure pourra être considérée
avec raison comme insuffisante, et dans un temps donné se trouver hors
d’usage.
Ne craignons pas de faire à la photographie une part plus large encore et
de pressentir l’extension que, selon toute apparence, elle prendra ailleurs au
détriment de la gravure. Que l’imagerie, les illustrations de livres à bas prix,
tout ce qu’on pourrait appeler la gravure industrielle finisse par disparaître
à peu près complètement, cela est vraisemblable ; mais il n’y aura pas là
d’atteinte grave portée à l’art. A vrai dire, ce ne sera qu’un genre d’industrie
substitué à un autre, une modification purement matérielle, et peut-être même,
I. I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 23 7

sous ce rapport, une amélioration. On ne saurait s’effrayer beaucoup d’une


révolution si humble au fond, ni en tirer un argument fort décisif contre
l’avenir de la gravure en général. Les conditions qui lui seraient faites de ce
côté, celles qui résultent déjà de l’emploi opportun du nouveau procédé
dans d’autres occasions que nous avons indiquées, restent parfaitement
indépendantes des conditions essentielles de son existence. Que l’on recoure
à la photographie pour transporter sur le papier les œuvres de l’architecture
et de la sculpture, les objets d’étude scientifique, et ces menues compositions,
ces croquis vulgaires qui servaient de modèles à l’imagerie, rien de mieux.
Il faut admettre sans regret comme sans inquiétude la destitution de la
gravure en pareil cas ; mais hors de là point de transaction, point d’innovation
admissible. Accepter aux lieu et place des estampes les photographies d’après
les tableaux, d’après les dessins et d’après les estampes mêmes, ce ne serait
pas seulement répudier certaines traditions, certaines conventions du goût, ce
serait aussi perdre toute notion de l’art et sacrifier de gaieté de cœur
( l’expression de la pensée à la réalité grossière, la forme intelligente à la forme
brute. Lin tel revirement ne s’accomplira pas, nous l’espérons bien ; seulement
nos hésitations présentes peuvent aboutir, pour un temps du moins, à des
habitudes mauvaises, et ce danger est assez grave pour qu’il importe de le
signaler. Quant aux moyens de le conjurer, le plus sage est de s’en remettre
avant tout aux leçons pratiques et au talent, car il n’appartient qu’aux artistes
de nous convertir pleinement en opposant aux entraînements de la foule le
meilleur des arguments : de belles œuvres.
Qu’ils protestent donc de la sorte et au plus tôt contre des erreurs qui
menacent de s’accréditer, qu’ils dirigent tous leurs efforts vers ce que la
photographie est précisément le plus impuissante à rendre — l’expression, la
physionomie, le style. Le moment est venu pour les graveurs de régénérer
l'opinion, et, il faut le dire aussi, l’art, que beaucoup d’entre eux ont laissé
- abâtardir. Aujourd’hui plus que jamais puisqu’il s’agit de nous faire sentir
les vices de la reproduction mécanique, ils doivent se tenir en garde contre
toute préoccupation excessive de la manœuvre, se défier des recettes et du
métier, se montrer en un mot ouvertement artistes au lieu d’être seulement
ies ouvriers adroits. Les exemples ne leur manqueront pas dans le passé de
notre école. Croit-on que si Morin, Gérard Audran, Nanteuil ou Edelinck,
réapparaissaient aujourd’hui, ils n’auraient pas raison de la photographie et
de ses succès ? Ils sauraient bien la refouler dans ses limites et nous convaincre
du peu qu’elle vaut par la comparaison avec leurs savants ouvrages. C’est
-jx héritiers de ces grands maîtres à faire revivre la tradition, à défendre
jr propre domaine, et plus d’un, heureusement, est à la hauteur de la tâche.
<CE QUI NE S’APPREND PAS »
EN PHOTOGRAPHIE
(1857)

NADAR [Félix T ournachon, dit] (1820-1910)

Nadar — Félix Tournachon — est un caricaturiste déjà célèbre quand, fin 1853,
il exhorte son frère Adrien Tournachon à délaisser la peinture pour la photographie,
plus lucrative, et à s ’installer. Félix qui envisage avec son cadet une association
prochaine, lui paie quelques leçons chez Gustave Le Gray et l ’autorise à adopter
le pseudonyme de « Nadar jeune ».
A peine établi dans un atelier du boulevard des Capucines, Adrien nourrit des
velléités d’indépendance vis-à-vis de son frère Félix qui, de son côté, au début de
l ’année 1854, prend ses premiers clichés photographiques au 113, rue Saint-Lazare.
En dépit de leurs différends, Félix vient encore, à la fin septembre 1854, travailler
avec Adrien à l ’atelier du boulevard des Capucines.
Finalement, la rupture entre les deux frères intervient en janvier 1855. Félix
réclame l ’argent investi et déplore qu’Adrien affiche le nom de « Nadar » à la
façade de son nouvel atelier du boulevard des Italiens. La brouille se cristallise
autour de la revendication par Félix de la propriété exclusive du pseudonyme
« Nadar ». La justice est saisie. En février 1856, Adrien est condamné par
défaut ; un second jugement, le 22 avril, renvoie les parties dos à dos. AT Dillais,
qui plaide pour Adrien, parvient à convaincre le tribunal que Félix Tournachon,
qui a porté le pseudonyme « Nadar » comme artiste et écrivain, n’est « pas
photographe » ! Voici un extrait de la communication que Félix adresse, en appel,
au tribunal, le 12 décembre 1857. Belle distinction établie entre l ’opérateur et
l ’artiste de la chambre noire.
60. Étienne Carjat, « Nadar »,
Diogène, 30 nov. 1856.
Gravure sur bois.

Mémoire pour la revendication de la propriété exclusive


du pseudonyme Nadar, Mémoires du tribunal de Paris, 1857.

La Photographie est une découverte merveilleuse, une science qui occupe les
intelligences les plus élevées, un art qui aiguise les esprits les plus sagaces
- et dont l’application est à la portée du dernier des imbéciles. Cet art
prodigieux qui de rien fait quelque chose, cette invention miraculeuse après
laquelle on peut tout croire, ce problème impossible dont les savants qui le
résolvent depuis quelque vingt années en sont encore à chercher le mot, cette
Photographie qui, avec l’électricité appliquée et le chloroforme, fait de notre
.IX e siècle le plus grand de tous les siècles — cette surnaturelle Photographie
exercée chaque jour, dans chaque maison, par le premier venu et le
zernier aussi, car elle a ouvert un rendez-vous général à tous les fruits secs
de toutes les carrières. Vous voyez à chaque pas opérer photographiquement
n peintre qui n’avait jamais peint, un ténor sans engagement, et de votre
cher comme de votre concierge je me charge — c’est sérieusement que je
arle — de faire en une leçon deux opérateurs photographiques de plus. La
'léorie photographique s’apprend en une heure ; les premières notions de
■ratique, en une journée.
240 [.A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

Voilà ce qui s’apprend, Maître Dillais, aussi facilement que j ’ai l’honneur
de vous l’exposer — et ce qui fait que tout le monde, sans aucune espèce
d’exception, peut aspirer du jour au lendemain à se dire photographe, sans
témérité.
Ce qui ne s’apprend pas, je vais vous le dire : c’est le sentiment de la
lumière, c’est l’application artistique des effets produits par les jours divers
et combinés, c’est l’application de tels ou tels de ces effets selon la nature
des physionomies qu’artiste vous avez à reproduire.
Ce qui s’apprend beaucoup moins, c’est l’intelligence morale de votre sujet,
c’est ce tact rapide qui vous met en communion avec le modèle, vous le fait
juger et diriger vers ses habitudes, dans ses idées, selon son caractère, et vous
permet de donner, non pas banalement et au hasard, une indifférente
reproduction plastique à la portée du dernier servant de laboratoire, mais la
ressemblance la plus familière et la plus favorable, la ressemblance intime
— C’est le côté psychologique de la photographie, le mot ne me semble pas
trop ambitieux [...J.
Voilà les qualités qui peuvent seules faire attacher quelque amour-propre
aux résultats d’opérations que leur simplicité élémentaire met à la portée de
tout le monde : voilà ce qui donne la valeur véritable aux œuvres photographi­
ques, ce qui les différencie — et ce qui consacre pour chacun le droit de se
réclamer de ses œuvres et de ne permettre à personne d’usurper le nom qui
les signe.
L’APPAREIL PHOTOGRAPHIQUE
EST UN ARTISTE
(1858)

T h éop h ile GAUTIER (1811-1872)

Alors rédacteur en chef de L ’Artiste, Théophile Gautier prend en 1858 le


contrepied des opinions de Delaborde et de ses amis (cf. pp. 226-237). La
photographie est créatrice : elle interprète, transpose, embellit et donne d ’une œuvre
conventionnelle un rendu qu’« aucune main humaine ne saurait atteindre ».
Appliquée à l ’œuvre célèbre de Paul Delaroche, elle change « en très beaux tableaux
des toiles assez médiocres ». L ’auteur de M ademoiselle de M aupin qui, dès
1840, s’était essayé au daguerréotype avec Eugène Piot pendant son voyage en
Espagne, met en évidence, sur le mode ironique et paradoxal qu’il affectionne, les
changements de valeur, de taille, de texture que suppose — et que supposera -
toute reproduction photographique des œuvres de peinture.
La publication chez Goupil de L ’Œ uvre de Paul Delaroche photographiée
'par Robert J. Bingham] indique qu’en 1858 de grands éditeurs d’estampes misent
sur la photographie 1. Cadart, qui s ’installe éditeur en 1859, accorde dans son
catalogue une large place à la photographie, avant de s ’y opposer violemment à
partir de 1862 (cf. pp. 400-401).

L’œuvre de Paul Delaroche photographiée », L ’Artiste, janv.-avr. 1858, pp. 153-


155.

Quelque exacte que soit une gravure, elle ne donne pas d’une manière
irrécusable et mathématique l’œuvre du maître. On ne peut s’y fier absolument.
Dans la reproduction la plus fidèle se glisse toujours quelque chose de
individualité du copiste, aussi M. Goupil, religieux jusqu’au bout pour son
maître de prédilection, a-t-il eu recours à la photographie afin d’obtenir un
:.ic-similé définitif des toiles et des dessins qu’il admire ; entreprise immense

Voir p. 299. note 2.


242 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

61 Robert J. Bingham, « Hérodiade », Œuvre de Paul Delaroche reproduit


en photographie, 1858. Tirage papier albuminé. -
Théophile Gautier s'oppose frontalement aux adversaires les plus résolus de la reproduction
des toiles par la photographie en affirmant, non sans perfidie, à l'encontre de
Delaroche, que la photographie « change en très beaux tableaux
des toiles assez médiocres ».

et pleine de difficultés, car le soleil est un ouvrier plus capricieux qu’on ne


croit ; il se refuse souvent à faire ce qu’on lui demande, et ses rayons ont
des répugnances à se charger de telle ou telle teinte. Mais il jouit d’une
réputation d’impartialité que nul ne soupçonne ; il n’est pas toujours juste
pourtant et ment quelquefois comme un homme, ce divin soleil !
Nous avons curieusement feuilleté le carton d’épreuves qui nous a été
soumis, et qui sont fort belles pour la plupart ; mais on se tromperait
étrangement en pensant que la photographie reproduit comme un miroir les
objets qu’on lui présente. Lorsqu’il s’agit de peinture, la photographie, malgré
les sentiments bourgeois qu’on lui suppose, se fait artiste, et interprète à sa
manière la toile exposée devant son objectif. Elle sait sacrifier à propos sous
une teinte sombre les détails inutiles ou trop voyants, et réserver sa plus vive
lumière pour la figure qui l’intéresse. Elle efface, elle estompe, elle assourdit
et met en relief avec un art dont on ne la juge pas capable. Certaines de ses
épreuves ressemblent à des eaux-fortes de Rembrandt. D’un tableau criard,
elle fait souvent un dessin plein d’harmonie qui surprendrait l’auteur lui-
L ’I M P U L S I O N nr I 'E X P O S I T I O N U N IV E R S E L L E 24 3

même. Douée d’une qualité de concentration et de réduction mathématiques,


elle donne à de grandes toiles un peu vides un intérêt et un charme singuliers,
en rassemblant dans un petit espace des détails éparpillés. Confiez-lui un
fusain, elle le rendra avec un flou, une vaghezze, et en même temps un
scrupule, qu’aucune main humaine ne saurait atteindre, et elle signe son
travail du propre nom de l’auteur, sans être faussaire pour cela.
Sentant qu’elle avait à lutter contre Mercury, Calamatta, Henriquel-Dupont,
Blanchard, Forster et l’élite du burin, la photographie s’est piquée d’honneur,
et pour répondre à la confiance de M. Goupil, elle a vraiment fait merveille,
même dans l’excès de son zèle elle a changé en très beaux tableaux des toiles
assez médiocres. [...] Chaque toile est ainsi reproduite avec des hasards et
des bonheurs qu’on a de la peine à ne pas croire intelligents. [...]
Maintenant quelle conclusion tirer de cet important essai entrepris par un
homme qui a publié les plus belles estampes de ce temps-ci ? La gravure est-
elle destinée à disparaître comme la calligraphie après l’invention de
Gutenberg ? Le burin cédera-t-il au rayon de lumière ? Nous espérons que
non, et cela pour un motif qui peut paraître bizarre au premier abord. La
photographie, si exacte en face de la nature, devient fantasque en face des
tableaux ; elle les éteint ou les illumine à son gré, et presque toujours les
transpose très heureusement parfois ; mais elle ne fait pas toujours la besogne
consciencieuse et servile qu’on attend d’elle. Par exemple, avec une belle
gravure et une bonne photographie on a le maître presque entier, et c’est le
résultat que sans doute M. Goupil a voulu obtenir.
« UNE BONNE NOUVELLE
POUR L’AVENIR DE LA PEINTURE »
(1855)

A ntoine-Joseph WlERTZ (1806-1865)

Wiertz, l ’un des plus célèbres peintres d ’histoire de Belgique, fa it partie des rares
artistes qui, en 1855, considèrent la photographie comme « l ’honneur de [leur]
époque ». A l ’inverse de l ’intérêt prudent d ’un Francis Wey, l ’adhésion de Wiertz
est immédiate, sans réserve et enthousiaste comme en témoigne cet article publié
dans Le N ational 1.
Wiertz reprend certaines idées répandues à l ’époque chez les partisans de la
photographie : 1° « l ’art se divise en deux parties, la partie matérielle et la partie
intelligente » ; 2° la photographie ne tue pas l ’art mais seulement « l ’œuvre de la
patience ». En revanche, ses propos sont véritablement d ’un visionnaire quand il
évoque la juture collaboration entre l ’art et la photographie. Walter Benjamin
dira que Wiertz « attribue à la photographie la mission d ’éclairer philosophiquement
la peinture » 12.

« La photographie », Œuvres littéraires, 1870, pp. 309-310.

Voici une bonne nouvelle pour l’avenir de la peinture.


L’art, comme on sait, se divise en deux parties, la partie matérielle et la
partie intelligente.
Des peintres s’attachent à la partie matérielle seulement et rendent
admirablement une robe de satin. D’autres s’attachent à la partie intelligente ;
ils inventent, composent, dessinent et semblent ignorer le rendu.
Le peintre qui rend bien, c’est le maçon qui construit ; l’autre, c’est
l’architecte qui invente et compose. L’architecte et le maçon en peinture sont
en présence d’un grand événement. Cet événement sera pour l’architecte un
sujet de joie, pour le maçon un sujet de désespoir.

1. Publié en juin 1855, repris en 1870 dans les Œuvres littéraires qui rassemblent
les differents écrits de Wiertz sur Part.
2. Walter Benjamin. «Paris, capitale du X IXe siècle » [mai 1935], Poésie et révolution, p. 128.
L ’I M P U L S I O N D E L 'E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 24 5

Il nous est né, depuis peu d’années, une machine, l’honneur de notre
époque, qui, chaque jour, étonne notre pensée et effraie nos yeux.
Cette machine, avant un siècle, sera le pinceau, la palette, les couleurs,
l’adresse, l’habitude, la patience, le coup d’œil, la touche, la pâte, le glacis,
la ficelle, le modelé, le fini, le rendu.
Avant un siècle, il n’y aura plus de maçons en peinture : il n’y aura plus
que des architectes, des peintres dans toute l’acception du mot.
Qu’on ne pense pas que le daguerréotype tue l’art. Non, il tue l’œuvre de
la patience, il rend hommage à l’œuvre de la pensée.
Quand le daguerréotype, cet enfant géant, aura atteint l’âge de maturité ;
quand toute sa force, toute sa puissance se seront développées, alors le génie
de l’art lui mettra tout à coup la main sur le collet et s’écriera : « A moi !
tu es à moi maintenant ! Nous allons travailler ensemble. »
Ce que je viens dire, je le disais déjà il y a dix ans.
Je me souviens qu’à ce propos quelqu’un fit cette réflexion : les productions
daguerriennes ne pourront jamais atteindre les dimensions de la nature. A
:uoi je répondis qu’elles arriveraient certainement à ce résultat.
Ce que je prédis alors vient d’arriver. M. Plumier, notre habile photographe,
un de ces hommes de la race des esprits chercheurs qui honorent quelquefois
leur pays par quelque découverte, M. Plumier vient d ’inventer le moyen de
roduire des dessins photographiques représentant des objets grands comme
nature ! De plus, le moyen nouveau est tel qu’il peut à volonté reproduire
:ans toutes les dimensions imaginables...
Intelligence humaine, marche toujours ! va, marche !
INCERTITUDES ET VOLTE-FACE :
L’EMBARRAS DES INTELLECTUELS
(1855-1858)

Jules-C laude ZlÉGLER (1804-1856) ;


A lp h on se de LAMARTINE (1790-1869)

Au milieu du siècle, l ’attitude des intellectuels (artistes, journalistes, critiques.


écrivains) envers la photographie est incertaine, fragile, contradictoire.
En 1855, le peintre Jules-Claude Ziégler, célèbre à son époque, directeur de
l ’Ecole impériale des beaux-arts et du musée de Dijon, décorateur de l ’église de
la Madeleine à Paris, n ’en est pas moins un ami de la photographie. Lié à
Bayard 1, ancien membre de la défunte Société héliographique, il rédige un long
Com pte rendu de la photographie à l’Exposition universelle où le
nouveau procédé est présenté comme relevant du « domaine de l ’art ».
Selon Ziégler, chaque pratique artistique a son terrain d’élection : à la peinture
sur verre, « le brillant des couleurs » ; aux tableaux des musées, « la belle
exécution ». Pour ce qui est de la photographie, son champ spécifique est « l ’extrême
netteté », « l ’extrême finesse » du rendu.
Ziégler refuse donc le métissage des pratiques : « Un photographe qui, sous
prétexte de se rapprocher des œuvres d ’un autre art, néglige la finesse, n’est pas
dans le vrai. » Il s ’oppose aux calotypistes et à Francis Wey qui voyait dans la
fameuse « théorie des sacrifices » 12, reprise de la peinture, une condition essentielle
de l ’art photographique. Reste que Ziégler, comme Wey quatre ans plus tôt (cf
p. ), tempère son adhésion en marquant fortement la différence entre peinture et
photographie, entre la « supériorité de l ’intelligence humaine » et la précision
propre au nouvel art.
Incertitudes et contradictions s ’expriment de façon particulièrement nette chez
Lamartine qui, en 1858, entre deux entretiens de son Cours familier de
littérature, opère un revirement complet, passant d ’une attaque brutale à un
repentir excessif

1. Hippolyte Bayard réalise un portrait de Ziégler au daguerréotype en 1844


(Société française de photographie!.
2. Sur la théorie des sacrifices, voir pp. 120-121.
/IM P U L S IO N D E L 'E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 247

Cette versatilité, tout comme les crispations parfois violentes de certains


intellectuels de l ’époque, trahit les balbutiements d’une pensée démunie face aux
questions théoriques que lui pose une pratique radicalement nouvelle.

Jules-Claude Ziégler : C o m p te r e n d u d e la p h o to g r a p h i e à l ’E x p o s itio n


u n iv e r s e lle d e 1 8 5 5 , 1855, pp. 6-38.

Chacun des arts a un domaine qui lui est propre, une sorte de caractère
exclusif qui fait son essence. Ainsi, la peinture sur verre a surtout pour objet
le plus vif éclat auquel puisse atteindre le brillant des couleurs. Peu importe
la pensée ou le sujet d’une verrière ; il s’agit d’abord de la puissance et du
triomphe de la couleur transparente aux rayons du soleil. La peinture murale
de nos monuments religieux est essentiellement destinée à la propagation des
idées chrétiennes ; ici, le sujet, la pensée, dominent toute autre considération :
l’ampleur des formes et des draperies, la sobriété des détails, la simplicité
dans l’exécution, subordonnent la peinture à la pensée. Au contraire, pour
les ouvrages exposés dans nos musées, la belle exécution est la question
principale. Il en est ainsi de chacun des autres arts : quoique solidaires en
certains points, chacun a un caractère qui lui est plus exclusivement réservé.
Appliquant ce principe à la photographie, nous dirons avec conviction et
même avec certitude que son caractère essentiel est l’extrême finesse. Le
champ de la photographie commence où finit celui du crayon et du burin.
De ceci l’on peut tirer une règle pour la dimension des épreuves, qui ne
doivent pas excéder certaines limites, sous peine d ’entrer dans un domaine
qui ne leur appartient pas et où elles rencontreraient la main rivale des
maîtres. Un photographe qui, sous prétexte de se rapprocher des œuvres d ’un
autre art, néglige la finesse, n’est pas dans le vrai : il sort du principe et
s’égare.
En photographie, la perfection est, on ne saurait assez le répéter, dans
’’extrême netteté, jointe bien entendu à la rectitude des lignes et à la juste
valeur des lumières ; mais il ne faudrait pas inférer de ceci que le sentiment
de l’artiste est étranger à la réussite d’une œuvre photographique. Le choix
d’un point de vue, de l’heure précise où ce point de vue est le mieux éclairé,
la pose d’un modèle vivant, la détermination des ombres d’une statue, exigent
le coup d’œil et le sentiment de l’artiste, et l’on peut reconnaître aisément
une épreuve faite par un homme qui a pratiqué les beaux-arts ou qui est
doué de dispositions naturelles.
Le baron Gros s’est acquis, dans le daguerréotype, une réputation qu’il
pourrait ne devoir qu’à la peinture, s’il eût consenti à exposer ses belles et
nombreuses études peintes, rapportées des Cordillères, du Mexique et
d’Athènes, où l’avaient appelé ses fonctions dans la diplomatie.
248 I.A PHOTOGRAPHIE EN F R W C E 1816-1871

62 et 63. Charles Nègre, Paris, scène de marché au port de l'H ôtel de Ville, vers 1850.
En haut tirage sur papier salé (d'après un négatif papier) ayant servi de modèle
pour l’esquisse à l'huile sur toile (en bas).
I . 'I M P L 'I . S I O N D E L 'E X P O S I T I O N U N IV E R S E L L E 24 9

M. Baldus a fait ses preuves comme peintre d’histoire. Je connais de


M. Bayard certains paysages qui font penser à Ruysdael. MM. Le Secq, Nègre
et Adrien Tournachon sont d’habiles peintres. M. Paul Périer est un
photographe trop habile et trop artiste pour n’avoir pas été doué des plus
heureuses dispositions qu’il a montrées comme amateur éclairé de peinture.
En résumé, y compris Daguerre, les artistes ont beaucoup plus coopéré que
les physiciens ou les chimistes, et surtout que les mathématiciens, à l’invention
et aux perfectionnements des procédés photographiques : d’où l’on pourrait
conclure que la photographie est du domaine de l’art plutôt que de la science
ou de l’industrie. Etant essentiellement un art d’imitation, elle pourrait, à ce
titre, réclamer une place parmi les arts d’imitation, aussi bien que la
lithographie et les divers genres de gravure. Ceci n’a pas été admis [par le
jury de l’Exposition universelle] ; il faut toujours, même en fait d’art, un peu
de temps pour la naturalisation d’un étranger ; il faut aussi réserver quelque
chose au progrès : plus tard, cela se fera. [...]
M. Szathmari a eu le bonheur de photographier quelques-uns de ces beaux
costumes valaques portés par les plus belles paysannes de la race caucasienne ;
près de celles-ci, par une opposition heureuse, se trouvent des bohémiens
errants, dans un état de misère et de nudité pitoyables. Si, pour un moment,
nous nous transportons vis-à-vis des Bohémiens de Knaus, le peintre allemand,
exposés avenue de Montaigne, nous pouvons reconnaître toute la supériorité
de l’intelligence humaine sur la précision photographique.
Les Bohémiens de M. Szathmari sont préférables à un grand nombre de
sujets du même genre, peints par des artistes de mérite, et ils les réduisent
à l’état de médiocrités ; mais à son tour, le tableau de M. Knaus démontre
impossibilité où est la photographie de nuire à la peinture d’un certain
ordre, auquel elle n’atteindra jamais. Voilà un des grands services rendus à
"art ancien par l’art nouveau : l’annihilation du médiocre ci la glorification
du vrai talent.

Alphonse de Lamartine : C o u r s f a m i l i e r d e l i t t é r a t u r e , Entretien XXXVI,


Ï58, pp. 410-411.

Un peintre n’est pas seulement un copiste, c’est un créateur. De même qu’un


musicien ne serait pas un artiste s’il se bornait à imiter, à l’aide d’un
rchestre, le bruit d’un chaudron sur le chenet ou du marteau sur une
enclume, de même un peintre ne serait pas un créateur s’il se bornait, comme
photographe, à calquer la nature sans la choisir, sans la sentir, sans
animer, sans l’embellir. C’est cette servilité de la photographie qui me fait
rofondément mépriser cette invention du hasard, qui ne sera jamais un art,
■nais un plagiat de la nature par l’optique. Est-ce un art que la réverbération
250 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

d’un verre sur un papier ? Non, c’est un coup de soleil pris sur le fait par
un manœuvre. Mais où est la conception de l’homme ? où est le choix ? où
est l’âme ? où est l’enthousiasme créateur du beau ? où est le beau ? Dans
le cristal peut-être, mais à coup sûr pas dans l’homme. La preuve, c’est que
Titien, ou Raphaël, ou Van Dyck, ou Rubens n’obtiendront pas de l’instrument
du photographe une plus belle épreuve que le manipulateur de la rue. Laissons
donc la photographie, qui ne vaudra jamais dans le domaine de l’art le coup
de crayon inspiré et magistral que Michel-Ange, en visitant Raphaël absent,
laissa de sa main sur le carton des noces de Psyché, contre la porte de l’atelier
de la Fornarina ! Le photographe ne destituera jamais le peintre : l’un est un
homme, l’autre est une machine. Ne comparons plus.

Alphonse de Lamartine : C o u r s f a m i l i e r d e l i tt é r a t u r e , Entretien XXXVII.


1858, p. 43.

La photographie, contre laquelle j ’ai lancé, dans le premier Entretien sur


Léopold Robert, un anathème inspiré par le charlatanisme qui la déshonore,
en multiplia les copies [des tableaux], La photographie, c’est le photographe.
Depuis que nous avons admiré les merveilleux portraits saisis à un éclat de
soleil par Adam Salomon, le statuaire du sentiment, qui se délasse à peindre,
nous ne disons plus c’est un métier ; c’est un art ; c’est mieux qu’un art, c’est
un phénomène solaire où l’artiste collabore avec le soleil !
INFIRMITE ORIGINELLE
DE LA PHOTOGRAPHIE
(1858)

A. BONNARDOT (1808-1884)

En 1855 la photographie a opéré une véritable percée publique grâce à deux


expositions : celle du Palais de l ’industrie et celle de la Société française de
photographie dans ses locaux de la rue Drouot. De plus, les articles d ’Ernest
Lacan dans Le M oniteur universel, son livre (paru en 1856), l ’activité de la
jeune Société française de photographie qui publie un bulletin mensuel et l ’attention,
souvent favorable, accordée à la photographie par la presse non spécialisée, ne
tardent pas à engendrer des réactions polémiques, comme celle d ’Henri Delaborde
dans la Revue des deux-mondes (cf. pp. 226-237) ou celle de Bonnardot dans
la Revue universelle des arts.
L ’argumentation de Bonnardot repose sur la critique de deux propriétés dont
on a coutume de créditer la photographie, l ’instantanéité et la fidélité littérale
(«optique ») à la nature.
A suivre Bonnardot, l ’œuvre d ’art n ’est pas seulement de l ’ordre de l ’instant,
elle condense « le sentiment du passé et de l ’avenir ». Alors que la photographie
« n ’expose à l ’œil et à la pensée qu’une seule page, et jamais un livre complet »,
l ’art a moins vocation à représenter les choses mêmes qu’à assembler des beautés
éparses, « alternatives dans la réalité ». Pour Bonnardot, c’est dans sa structure
matérielle et technique que la photographie reste inexorablement étrangère à
l ’art. Celui-ci tend vers une vérité supérieure, synthétique, qui relève de « l ’âme ».
Dans le portrait, par exemple, la beauté est à saisir au-delà de « la forme
matérielle du visage ».
Ces conceptions remontent à l ’âge classique. Bellori au XVIIe siècle autorisait
l ’artiste à « corriger » le réel et l ’incitait à « être supérieur à la nature en
choisissant parmi les beautés naturelles ». Sa théorie du Beau idéal visait
principalement le « naturalisme » de Caravage accusé de « rendre sans pratiquer
aucun choix l ’apparence sensible et pourtant défectueuse des choses » 1. Autour de*

Erwin Panofsky, Idea, p. 126 sq., Paris, 1983.


252 I.A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

la photographie, d ’anciens débats se rouvrent, dont l ’origine échappe peut-être à


ceux mêmes qui s ’y engagent.
Bonnardot, en définitive, n’accorde à la photographie qu’un statut de « vassale
de l ’art ». Il se démarque cependant d’Henri Delaborde qui ne reconnaît pas même
à la photographie les qualités requises pour reproduire les œuvres d’art.

« La photographie et l’art » , Revue universelle des arts, oct. 1855-mars 1856, t. II, pp. 37-
47.

En présence d’un si merveilleux résultat [la reproduction photographique des


couleurs] 2, le peintre en paysages sera-t-il réduit aux effets de nuit et de
crépuscule ? Devra-t-il jeter sa palette aux orties, s’avouer vaincu, et aussi
inutile désormais qu’un cheval à Venise ? Non certes, car il n’en conservera
pas moins son privilège de créer des œuvres auxquelles le daguerréotype, cet
habile et froid copiste, est et sera toujours étranger. Sans fausser la nature,
l’imagination de l’artiste la décore simultanément de mille harmonies qu’elle
n’offre en réalité que tour à tour. L’instrument de Daguerre n’expose à l’œil
et à la pensée qu’une seule page, et jamais un livre complet. Sur la toile du
grand artiste on discerne plus de beautés, de mouvements, de contrastes, que
n’en perçoit la vision matérielle. La réalité fixée mécaniquement porte
nécessairement le cachet de son origine : elle manque d’âme, elle ne présente
à l’esprit qu’une idée, elle n’existe que dans le temps présent. L’art sait
joindre au présent le sentiment du passé et de l’avenir, il fait rêver, il fait
naître en nous des pensées multiples. [...]

Les artistes, en tout genre, communiquent leur âme à tout ce qu’ils


expriment par la voix, le geste, l’archet ou le pinceau, et lui donnent ce je

2. La photographie en couleur qu’évoque ici Bonnardot est, en 1855, encore du domaine de l’utopie. Les
tentatives de Becquerel (1848), de Niépce de Saint-Victor (1851) et de Testud de Beauregard (1855) sont
très embryonnaires. Un pas important sera toutefois réalisé par Charles Cros et Louis Ducos du Hauron
qui présenteront en 1869 à la Société française de photographie leur méthode de sélection trichrome, mais
il faudra attendre 1907 pour que la photographie en couleur connaisse une première application pratique
avec les autochromes commercialisés par Louis et Auguste Lumière.
Cette situation hypothétique de la photographie en couleur est, en 1855, confirmée par les propos de
Bonnardot qui, quelques lignes avant le passage cité ici (pp. 40-41), note : « Le coloris naturel, ajouté par
le soleil aux lavis photographiques, ne les rendrait certainement pas plus artistiques. On entretient depuis
longtemps le public de tentatives faites pour réaliser ce nouveau progrès [...]. Jusqu’ici, je n’ai jamais vu,
en fait de coloris dû à l’action de la lumière, que quelques ciels d ’un bleu terne ou plutôt verdâtre ; mais
j ’accorde volontiers qu’au moyen du collodion on fixera sur verre des portraits et des vues qui retiendront
toutes les teintes vives de la nature, telles qu’elles apparaissent sur la glace dépolie d ’une chambre noire ».
L ’I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 25 3

ne sais quoi que la vie réelle ne possède pas. Une âme seule, par une influence
magique, peut rendre palpitants un tableau, une scène de Molière, un air de
Rossini. Cette sorte de migration de l’âme d’un artiste dans son instrument
s’opère par l’entremise d’un agent immatériel dont l’essence nous est inconnue,
comme tout ce qui touche au sentiment. L’art peut donc outrepasser les effets
de la nature physique, sans pourtant violer ses lois, accumuler dans un
paysage des effets de lumières, d’ombres et d’harmonie, que le monde réel
n’offre que par voie de succession, ou même ne possède jamais pour nos sens
matériels ; il crée, en un mot, c’est-à-dire que de la réunion de mille beautés,
qui ne sont qu’alternatives dans la réalité, il en produit une qui surpasse
l’oeuvre de la nature. C’est cette beauté, résumé de toutes les beautés éparses
dans le monde réel, qu’en littérature, en musique et en peinture, on nomme
la poésie.
Les produits industriels de la photographie ne peuvent donc être des objets
d’art, et même quand un de nos premiers artistes dirigerait le travail de la
lumière, il ne saurait les rendre tels ; il choisirait les plus heureux points de
perspective, indiquerait les attitudes les plus nobles, les plus gracieuses, mais,
'quoi qu’il fit dans cette tâche mécanique, il ne lui serait pas permis plus qu’à
tout autre d’être artiste là où il ne peut rien ajouter de son âme, rien
créer3. Il interrogera volontiers, avant de faire un portrait, une épreuve
photographique, mais pour en faire l’usage qu’il ferait d ’un mannequin inerte ;
il s’en aidera pour fixer plus rapidement les traits qui constituent la
ressemblance, mais son pinceau seul en saura faire une création, une œuvre
d’art, qui charme assez pour que l’âme de la personne reproduite prédomine
sur la forme matérielle du visage.
; > j ’admets volontiers que la photographie peut ou pourra bientôt obtenir des
portraits vivants, si elle parvient à les fabriquer instantanément, et (ce qui me
semble le point essentiel) à l’insu des personnes dont il s’agit de reproduire
les traits. Assurément j ’accorde qu’un tel portrait sera exact et animé ; mais
il lui manquera toujours cette poésie dont l’âme artiste peut seule le revêtir,
et qui n’existe en réalité sur aucun visage humain. Le daguerréotype reflète
la lumière qui colore les objets terrestres, mais non cette clarté et ces célestes
visions que perçoit une âme inspirée. Son objectif est un œil sensible à la
seule matière, mais l’âme de Raphaël était en rapport avec de sublimes
perceptions, qu’il avait le secret de fixer sur la toile. Cette puissante faculté
de traduire, au moyen d’un agent matériel, des inspirations ultra-mondaines,
est ce qui constitue le génie des grands poètes, peintres, auteurs et musiciens.
Ce qui, dans leurs œuvres, allume une si vive admiration, c’est ce reflet d’un

3. Cette idée de l’impuissance de l’artiste lui-même à faire œuvre d ’art avec la photographie s’oppose au
sentiment de nombreux auteurs — Le Gray, Wey, etc. qui professent une véritable mystique de
l'artiste ; elle contredit également à l’opinion de Lamartine pour qui, finalement, « photographie, c’est le
photographe » (cf. p. 250).
Be L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

monde que l’âme sent, mais que les yeux du corps n’ont jamais contemplé.
[...] Il est interdit au daguerréotype de produire, avec n’importe quel modèle,
une vierge raphaëlesque, parce que les modèles des vierges de Raphaël, ces
visages empreints d’un rayon de la beauté céleste, posaient surtout, non dans
son atelier, mais dans le sanctuaire de son immense et sublime conception.

En définitive, le daguerréotype, armé de toutes ses perfections matérielles,


ne pourra jamais triompher que des peintres médiocres, dépourvus du feu
sacré. L’artiste créateur aura toujours devant lui un monde fermé à l’optique,
et il s’y réfugiera comme dans un asile inviolable. La photographie dissipera
cette nuée de petits talents avortés, dont les charbonneuses lithographies
encombrent les cartons de nos marchands d’estampes en plein vent. Pour
éviter la ruine, ces pseudo-artistes s’exerceront à photographier des portraits
et des paysages, au lieu d’en dessiner. Les gens étrangers à l’art, les familles
peu aisées, auront gagné l’avantage d’obtenir à bon marché des portraits faits
sur l’heure, et d’une ressemblance satisfaisante, si l’instrument n’est pas
défectueux.
Quant aux vrais artistes, cette concurrence de l’optique aboutira à faire
plus vivement ressortir leur mérite. Pour eux ce merveilleux travail de la
lumière ne sera qu’un vassal de l’art, qu’un mode d’introduction à l’étude
du dessin et de la perspective. Au reste, toutes les idées que j ’exprime ici
doivent être, pour nos grands peintres, des lieux communs, des échos vulgaires
de leurs ateliers. A leurs yeux, il y aura toujours, entre les produits de
l’intelligent pinceau et ceux, les plus parfaits, des rayons solaires, l’abîme qui
sépare de la matière inerte l’essence de l’âme.
Je ne veux pas omettre un autre service important que la photographie est
appelée à rendre à l’art, son souverain seigneur. Elle commence à reproduire
assez bien, à rendre plus populaires, les œuvres capitales, en fait de statues,
de tableaux et d’eaux-fortes, célèbres 4. Dans ces produits matériels, on doit
nécessairement retrouver la poésie, l’art, puisqu’ils sont les reflets de créations
des grands génies. Quand cet heureux emploi de la photographie aura atteint
à la perfection, il en résultera pour les études artistiques d’immenses avantages,
ne fût-ce que celui de pouvoir procurer à peu de frais d’excellents modèles.
Sous ce rapport encore, la découverte de MM. Niépce et Daguerre contribuera
aux progrès de la haute peinture, loin d’en hâter la ruine.

4. Les peintres ont largement profité de cet aspect « documentaire » de la photographie — Courbet.
Degas, Bouguereau, mais aussi Jean-François Millet, comme en témoigne la demande qu’il adresse en
avril 1865 à son ami Félix Feuardent avant son départ pour l’Italie (lettre citée par Alfred Sensier, La
Vie et FŒuvre de J.-F. Millet, Paris, 1881, pp. 283-284). Au début des années 1850, Feuardent avait réalisé
un daguerréotype de Millet et sa famille. « Barbizon, 7 avril 1865. Mon cher Feuardent, voilà qu’enfin
vous partez pour l’Italie ! ... S’il arrivait que vous trouviez des photographies, soit d ’après des antiques,
surtout d’après les moins connus ici, soit d’après des peintures à partir de Cimabue jusqu’à Michel-Ange
et y compris, et que ces choses ne se vendent pas des prix exorbitants, prenez-les donc ; nous nous
* UNE CALAMITE PUBLIQUE,
UN FLÉAU SOCIAL,
UNE ÉPOUVANTABLE INVENTION... »
(1856)

M a r c e l in (1825-1887)

« À bas la photographie ! ! ! », tel est le titre du célèbre article illustré et écrit


par Marcelin, et publié en 1856 dans le Journal am usant. Graveur et dessinateur,
ami et collaborateur de longue date de Nadar, Marcelin prend soin de préciser
d ’emblée, dans une note, que ses propos ne sauraient concerner le maître de la rue
Saint-Lazare. Mais peut-être Nadar s ’est-il néanmoins senti visé par ce réquisitoire
sarcastique contre l ’ensemble de sa profession.
Après une évocation idyllique de la manière qu’on avait autrefois de faire « le
portrait d’une jolie femme », Marcelin compare la pose chez le photographe à
une séance chez le dentiste. En concurrent menacé par l ’expansion foudroyante des
ateliers de portraits, il utilise pour sa polémique un véritable coup de force
graphique en présentant comme des reproductions fidèles de « photographies » des
gravures où il exagère les défauts du nouveau procédé : charbonneux, grisâtre,
monotone.
Non sans âpreté, Marcelin voit dans la photographie « une calamité publique,
un fléau social, une épouvantable invention », et les grands hommes lui devront
le passer à la postérité sous l ’aspect de « cadavres préoccupés »...

--rangerons ici pour vous en débarrasser. Chaque endroit où vous passerez a ses choses particulières:
mr. cz cela à mesure. Pour ce qui est des vieux maîtres, vous ne prendriez que des oeuvres faites directement
. les originaux et non des choses faites sur des gravures. Ne prenez rien d ’après Raphaël : on le trouve
- Paris... Informez-vous soigneusement à Naples si on a reproduit des peintures d ’Herculanum et de
I*1 mpéi. En somme, ce qui vous paraîtra bon d ’après des œuvres d ’art, ou d ’après nature, si cela vous
mnble bien : figures humaines et animaux. Le fils de Diaz, qui est mort, en avait rapporté de très bien,
moutons entre autres. Dans les figures humaines, prendre naturellement celles qui sentent le moins
« adëmie et le modèle. Enfin ce qui est bien, ancien et moderne, licite ou illicite. Suffit. »
256 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

P r i x d o n u m é r o : 1*5 o f l n t i m e i . fi S e p t e m b r e .

IB E ,

JOURNAL AMUSANT
o n sa b o h sm
JOURNAL ILLUSTRE,
Journal fc'tmagfs, journal fornique, critique, satirique, rtc.,
I l H E B T e t C'*, f t l I B K I T » l CA
f f / I I P O V , r o n d a l t i a r d e l a u o l H n l a f a e r t e t C ", d u C A n r i r a H , d e t a C a r i c a t u r e i t n l i t l q u r ,
d a f l N i r 'e C h i l i p u a . d e a / n o d e * C a r i t i c n m r * . «■<-.

dFi po*l=l * Cclop* tt d Sirrehmck. — B raidla, nft:a *


UodIi{*> da la Cdur, 1*.

A BAS LA PHOTHOGRAPHÏE ü!
tn conspedu rçpc «laljltd.
TEXTE ET BESStXS PAH J I ARCEEMTV. |/'n pStlogropht.)
La pbolo*rapLi6 Ml un cat pendibla.
[UtU jalà fe œ ni )

supérieur*, on voit nn tableau datant de li dem itre g u ita re, assis au m ilic u jd 'tn groupe de musiciens aex
I. moiiié do dix-huitième r ié d e , représentant une réunion énorme* basses. Plus loin, abritées par un paravent
OOVMEHT SB FAISAIT IX WSTtAlT t f o S JOUI m i l de personnages eéltb rc i do tem ps, ehez le prinoe de form ant un pe tit talon dans le grand , la maréchale de
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Dana un grand salon i panneaux de boiserin seulp- compagnie d'un abhé.
...... Le doux portrait do ma Lmrçère. U « , a u x fenêtres hautes donnant sur un ja rd in , se Entin dans un coin du tableau , p ris d'une fenêtre dra ­
An m atée d e "Versai!!?*, d ans une galerie des étages preste une foule nombreuse. Ici M ozart enfant prélude pée d'nn de ces grands rideaux de velours à loraades
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Lazars, M3. U J é ly o tte , le chanteur à bonnes fortunes , accorde une madame d'E gm ont. A demi couchée sur un sofa, Il

64. La premiere page du Journal amusant, textes et dessins de Marcelin.


L IM P U L S IO N D E L 'E X P O S I T I O N U N IV E R S E L L E 25 7

« À bas la photographie ! ! ! » , Journal amusant, 6 sept. 1856 (n° 36), pp. 1-5.

I Enfin dans un coin du tableau, près d ’une


COMMENT SE FAISAIT fenêtre drapée d ’un de ces grands rideaux de
LE PORTRAIT D’UNE JOLIE FEMME velours à torsades d ’or qui servent de fonds aux
AUTREFOIS portraits de Rigaud, un peintre, qui ne peut être
... Le doux portrait de ma bergère. que Latour, fait le portrait de madame d ’Egmont.
À demi couchée sur un sofa, la belle duchesse
Au musée de Versailles, dans une galerie des écoute en souriant les jolies choses que le prince
étages supérieurs, on voit un tableau datant de la de Rohan lui dit à l’oreille ; assis en face d’elle,
dernière moitié du dix-huitième siècle, représen­ Marmontel s’apprête à lui lire quelque œuvre
tant une réunion de personnages célèbres du nouvelle, un de ces contes qu’il contait si bien, et
temps, chez le prince de Conti, au Temple. qu’il écrivait si mal.
Dans un grand salon à panneaux de boiseries Or, au milieu de cette foule brillante, dans ce
sculptées, aux fenêtres hautes donnant sur un joyeux pêle-mêle de chants, de rires, d ’accords
ardin, se presse une foule nombreuse. Là Mozart d ’instruments, entouré de ce luxe grandiose, q u ’il
enfant prélude sur le clavecin ; le prince de Latour- était facile à l'artiste, d ’ailleurs assez sûr de lui-
Taxis et madame de Guébriant l’écoutent accoudés même pour n’avoir plus besoin de cette attention
au dossier de son fauteuil. Là Jélyottc, le chanteur fatigante qui de nos jours fait d ’un peintre
à bonnes fortunes, accorde une guitare, assis au consciencieux un trappiste qui ne sait que vous
milieu d'un groupe de musiciens aux énormes dire : « Frère, il faut poser ! », qu’il était facile,
basses. Plus loin, abritées par un paravent formant dis-je, à l’artiste, transporté, de voir un chef-
un petit salon dans le grand, la maréchale de d ’œuvre de grâce dans ce charmant modèle qui
Luxembourg et la princesse de Chimay déjeunent posait devant lui sans contrainte, de voir dans
en compagnie d’un abbé. une femme une divinité !
258 I \ PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

Et voilà l’origine de tous ces ravissants portraits en saillie sur un toit, où le vent siffle et la pluie
de nymphes mignardes, de Grâces musquées, de ruisselle en hiver, où le soleil darde en été ; au
déesses poudrées, olympe de tabatière, mythologie milieu se dresse un fauteuil d ’opérateur surmonté
rococote, dont on rit d ’abord, mais qu’on trouve d ’une, tige de fer avec un tampon ; en entrant
naturelle et charmante ensuite. Une beauté un là vous éprouvez cette répugnance instinctive
peu forte devenait une Junon majestueuse ; un analogue à celle que cause le salon d ’un dentiste.
peu mince, c’était une Diane chasseresse ; froide Un monsieur que vous ne connaissez pas
et insensible, une vraie Minerve ; tendre et enjouée, s’empare de vous comme d ’une proie, vous fait
Vénus en personne. Ajoutez à cela que le costume asseoir, vous palpe, vous manie à son gré, vous
mythologique permettait, sans blesser les conve­ faisant pencher le tête, plier un bras, étendre
nances, de montrer un beau bras, une épaule l’autre, rentrer vos jambes, sous prétexte d ’éviter
ronde, voire même une jolie jambe. Honni soit les raccourcis.
qui mal y pense !

ISMfi 1 3097

II
COMMENT SE FAIT
On étend derrière vous une enseigne de cabaret
LE PORTRAIT D’UNE JOLIE FEMME
représentant un jardin riche, on vous accoude sur
AUJOURD’HUI
une table portant un pot de fleurs fanées, on vous
met dans la main un roman de Paul de Kock
... A cin q fr a n c s et a u -d e s s u s. pour vous donner un air sérieux, l’on vous visse
le tampon derrière la tête, l’on vous prie de ne
Aujourd’hui vous êtes femme, jolie, cela va sans plus bouger.
dire, et vous voulez faire faire votre portrait ; tout Cependant la lumière de la cage vous éblouit ;
naturellement vous songez à la photographie, dont mais, ne pouvant baisser les paupières, vous
tout le monde vous parle. clignez les yeux, vous grincez de la bouche, tous
Vous vous faites donc conduire chez un photo­ les muscles de la face se contractent ; la roideur
graphe ; vous montez cinq étages, et vous arrivez de la pose vous donne une crampe aux bras ou
tout essoufflée dans une sorte de cage vitrée, prise dans les jambes...
[ / I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 259

Mais vous tenez bon. dont il est question ici ? On la nie formellement
On ôte la plaque, on la passe au bain, on tire par les raisons suivantes :
l’épreuve et l’on vous apporte votre portrait. 1° Parce que l’objectif grossit et déforme toutes
Horreur ! horreur ! horreur !

Quoi ! cette chose noire, charbonnée, ce fantôme


dans cette cave, ce visage tiré, ces yeux éteints,
ces rides dures, ce gros nez, ces grosses mains,
ces gros genoux c’est moi ?
Que faire cependant, il est convenu qu’une
photographie est un chef-d’œuvre de ressem­
blance ! Vous payez.
parties saillantes : très évidente dans les mains,
Et vous revenez triste à la maison. Suis-je donc
les pieds et les genoux quand ils ne sont pas
déjà si vieille ! Quelques amis vous consolent.
placés sur un même plan, cette déformation l’est
C’est une mauvaise épreuve, un mauvais photo­
moins au premier coup d ’œil dans la figure, mais
graphe... » Vous enfouissez ce portrait au plus
n ’en existe pas moins, et modifie sensiblement
profond de vos tiroirs, vous n’y touchez plus et
l’harmonie générale du visage ;
finissez par l’oublier.
2° Parce que la vive lumière nécessaire pour
Mais, aux jours des rangements solennels, quand obtenir l’empreinte et la préparation chimique qui
par hasard votre main rencontre la boîte froide
fixe l’épreuve donnent des oppositions de clair et
qui renferme ce portrait, vous sentez votre cœur
d ’ombre, de blanc et de noir, trop durement
serrer comme si vous touchiez un tombeau...
accusées ; les chairs paraissent labourées, marte­
celui des illusions !...
lées ; la moindre saillie, le moindre pli, projette
Rassurez-vous, Madame, ce portrait ne vous a
une ombre lourde ; les fossettes deviennent des
amais ressemblé.
rides ;
3° Parce que cette même lumière blesse l’œil
III de la personne qui pose ; de là cette contraction
OL L'ON PROUVE QUE LA PHOTOGRAPHIE des muscles faciaux, qui, resserrant les yeux,
NE PEUT PAS RESSEMBLER fronçant les sourcils, déprimant la bouche, donne
au visage cet air sournois, gêné, méfiant, que l’on
La ressemblance morale, c’est-à-dire cette idéali­ retrouve dans toutes les photographies ;
sation qui, saisissant le caractère dominant d ’un 4° Parce que cette perfection servile des moin­
crrsonnage en fait un type saillant, comme le dres détails trouble l’œil ; on croit regarder
Sertin de Vaux d ’Ingres, le Listz de Scheffer, ou l’épreuve à travers un verre trop fort ;
Guizot de Delaroche, on ne peut la demander 5° Parce que cette roideur, cette immobilité
i une machine inerte, cela n’est pas contestable. du personnage, trouble l’esprit ; on se rappelle
Aussi n’est-ce que de la ressemblance physique involontairement les portraits après décès.
260 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

IV
LA PHOTOGRAPHIE ARTISTIQUE

... Moins fort que le cheval


L ’âne est son concurrent et non pas son rival

Longtemps la photographie se contenta de


débiter aux passants ces choses noires faites à leur
image. L’on ne s’en inquiétait pas plus que des
silhouettes découpées de la foire ; mais depuis peu
la photographie, étendant son petit commerce, a
proclamé ses produits œuvres d ’art. Elle nous a
donné des voyages, des copies de tableaux ; des
études, voire même des compositions originales,
et tout cela commence à se glisser subrepticement
aux étalages, entre les bronzes et les tableaux. Item, l ’n voyage en Égypte, Nubie 2. etc.
La premiere planche représente un palmier,
c’est la haute Égypte ; une seconde, deux cailloux,
c’est la Nubie ; une troisième, trois pierres de
taille en rang d ’oignons, c’est Thèbcs ; une qua-

13100

Examinons donc ces titres artistiques.


Voici, dans un voyage à Venise . une vue de
l’église Saint-Marc : trois chaudrons mal étamés,
sous un ciel gris, sans air ; une machine pneumati­
que semble avoir fait le vide à l’entour. Et c’est
là cette Saint-Marc aux coupoles dorées, aux
murailles bariolées de fresques, ciselée, pailletée,
étincelante, comme un écrin sous le soleil d ’Italie !
Et ces palais gris, ces eaux mornes, désertes et
silencieuses comme le canal Saint-Martin, ce sont
là ces demeures princières du Canaletti, ces
lagunes couvertes de pourpre, d’or et de soleil !
I I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N IV E R S E L L E 261

trième, rien ; et partout cette même atmosphère î n le r r


de machine pneumatique, ce même ciel gris de
Hollande. Et c’est là l'Orient, ce pays aux
mystérieux entassements de colosses, de tombes
et de temples écroulés, se détachant sur l’azur,
aux solitudes infinies sous le soleil ardent !
Voici maintenant des vues des Alpes ; des
glaciers, fromages à la crème mal battus, sur le
blanc cru desquels se silhouettent en noir, comme
des ombres chinoises \ de petits pins et des chalets
découpés à Nuremberg.

D'autres plus modestes s’en sont tenus à des


vues de fermes, de campagnes de France 4. Hélas !
de cette campagne si verte, si riante, si animée,
si spirituelle dans ses accidents, ils ont fait des
déserts noirs, aux chaumières vides et désolées,
aux bois maudits, où les arbres ont Pair desséchés,
brûlés, des paysages malades de la peste !
Et les vues de Paris !... le triomphe de la
photographie ! Prenons la plus célèbre, la vue
générale de Paris prise à la hauteur du Pont-
N euf’ : les bains de la Samaritaine, les bains

r.ri IV. un bateau de charbon, trois bateaux que des génies ailés déroulaient dans le ciel des
blanchisseuses, voilà les trois quarts du tableau anciens tableaux, une immense affiche peinte sur
premier plan ; derrière, quelques toits de le mur d ’une maison de la place Dauphine jette
ns et quelques aiguilles de clocher, et, pour à l’œil ces mots : A la belle Jardinière.
entrer l'elTet, pareille à ces inscriptions latines Jaquettes à 6francs. C ’est là Paris !
262 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

La photographie a abordé aussi les copies des allure nonchalante et solide comme celle des
tableaux, et cette machine intelligente a fait un buffles de leur patrie absente ; on aimait leur
chef-d’œuvre d’effet concentré et d ’harmonie de charivari grotesque, mélancolique comme la cam­
tons du Retour des blessés de Muller, cette grisaille pagne de Rome, avec les mugissements de la
rachitique ; et du chef-d’œuvre de Delacroix, le grande outre et le petit fausset aigu comme le
Massacre de Scio, elle a fait je ne sais quel plat de chant de la cigale au soleil. Mais, depuis qu’ils
gratin mal réussi, brûlé partout, semé de taches se sont ainsi vendus aux photographes, depuis
blanches ! qu’on les retrouve à tous les étalages de tous les
Elle a copié de vieilles gravures, et des planches coins de rues, ils n’excitent plus que ce sentiment
noires, éraillées, confuses, trop cuites, nous ont de satiété nauséabonde qu’on éprouve en enten­
montré l’œuvre de Marc-Antoine, puis celle de dant la jolie romance des Hirondelles sur l’orgue
Rembrandt, revues et considérablement obs­ de Barbarie.
curcies 6. Et les études de femmes sans voile !... mais il
De succès en succès, la photographie n ’a plus ne nous est pas permis d ’aborder ce sujet :
douté de rien : elle a abordé les compositions
originales, en dépit des raccourcis : de là ce déluge
de joueurs d’échecs en profil, de combattants
s’arrachant les cheveux en espalier, de brigands
dévalisateurs sur une seule ligne. Pends-toi,
Curtius ! 7
Le chef-d’œuvre de ce genre, qui pullule aux
étalages, ce sont les trois Pifferari 8 en rang
d’oignons.
Jusqu’alors on avait un faible pour ces pauvres
gens ; on aimait leurs guenilles rissolées, leur
clinquant aventureux, leurs chausses primitives,
leurs bardocules de chiffons et de ficelles, leur

d'ailleurs cela rentre dans l’orthopédie.


Eh bien, tous ces méfaits artistiques, on peut
encore les pardonner à la photographie ; ces
morceaux de monuments, ces lambeaux de paysa­
ges, ces essais d ’études, sont après tout des
documents très précieux pour la science et pour
Part.
Mais ce qui devient plus grave, impardonnable,
impie, sacrilège ; ce qui fait de la photographie
une calamité publique, un fléau social, c’est la
profanation photographique des jolies femmes et
des grands hommes de notre temps, de tout ce
que nous avons de plus charmant et de plus
respectable : je veux parler de ces caricatures
L I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 263

sérieuses d’actrices, d’artistes, d ’écrivains célèbres


qui depuis quelque temps s’étalent effrontément
aux étalages des photographes.
Voilà de biens gros mots !... justifions-les par
des exemples notoires. Prenons quelques photo­
graphies de femmes et d’hommes bien connus, et
comparons les originaux aux copies ; bien entendu,
les expressions vives par lesquelles nous qualifie­
rons chacune de ces copies s’adressent non à la
personne, mais à son effigie menteuse.

V
QUELQUES CÉLÉBRITÉS
DAPRÈS NATURE ET EN PHOTOGRAPHIE

MADAME RISTORI

D'après nature :
Le plus beau visage auquel il ait été donné de
réunir la majesté antique et la passion moderne.
En photographie (chez Meyer) 9 :

épanouie ; un joli menton rond à fossette ; et puis


un cou, et puis des épaules, et puis ceci, et puis
cela, qu’elle nous a si vaillamment montré dans
Jaguanta : une vraie nymphe de Boucher égarée
dans ce siècle de maigreur et de crinoline.
En photographie (chez Meyer) :
Une Maritorne effarouchée, le visage ridé, les
sourcils froncés, le buste trop long, les jambes
trop courtes

Rechignée, morose, une ligure de casse-noisette


ennuyé, Madame de Guignon-Guignol.

MADAME MARIE CABEL

D’après nature ;
Le plus frais visage qui se puisse voir ; des yeux
clairs sous des sourcils bien arqués ; un petit
nez mutin ; une bouche souriante, vraie grenade
264 LA P H O T O G R A P H IE E N F R A N C E 1816-1871

MONSIEUR INGRES MONSIEUR ALEXANDRE DUMAS

D’après nature : D’après nature :


La majesté ; un front haut et puissant, de grands Vous souvient-il de son portrait par Giraud,
yeux d’aigle qui fixeraient le soleil, un nez aquilin publié en tête d ’une édition des Mousquetaires ?
bien accusé, une bouche impérieuse, un menton Voilà le vrai Dumas : aventureux comme d’Arta-
carré et volontaire, des cheveux noirs vainqueurs gnan, chevaleresque comme Athos, robuste comme
du temps, une tête d ’empereur romain ou de pape Porthos, galant comme Aramis.
du moyen âge. En photographie (boulevard Montmartre n) :
En photographie (collection Sylvestre 10) :

Le roi des chimpanzés.


MONSIEUR PRÉAU LT

Un épicier constipé. D'après nature :


Une bonne tête ronde, presque bourgeoise au
MONSIEUR DELACROIX
premier aspect, mais s’illuminant tout à coup
D’après nature : et mobile à l’excès ; il sourit : c’est la finesse
La passion ; les yeux clignotants et gouailleurs, bienveillante de Béranger ; il s’indigne : c’est la
le nez aventureux, la bouche de Méphistophélès, contraction furieuse d ’un combattant de sa Tuerie.
les cheveux de Roméo, un type d ’Hoffmann. Il ne parle pas, il décoche.
En photographie (collection Sylvestre) : En photographie (collection Sylvestre) :

Un marchand de contre-marques. Un Polonais mauvaise tête.


L 'I M P U L S I O N D K L 'E X P O S I T I O N I N I\ ERSELLE 265

Croyez donc à la beauté, au mérite, après cela ! d'affaires, de débiteurs aux abois, de créatures
Mais de quel mauvais lieu sortent donc tous ces avachies, ne donneront-ils pas l’idée, ces fantômes
spectres ? Vraiment, c’est à faire craindre de photographiques, ridés, contractés, grinçants, aux
rencontrer un grand homme au coin d ’un bois ! regards faux, ayant à la fois l’immobilité de la
Et supposez la postérité jugeant les célébrités mort et l’inquiétude de la vie : des cadavres
de notre temps d’après ces photographies réputées préoccupés !
documents authentiques, et les comparant aux
célébrités des temps passés dont les portraits sont Et maintenant conviendra-t-on que la photo­
venus jusqu’à nous ! En face des saints du graphie soit une calamité publique, un fléau social,
Giotto et du Cimabue, des savants d'Holbein, des une épouvantable invention qui nous déshonorera
guerriers d’Albert Durer, des princes du Titien, dans l’avenir, comme elle nous dessèche l’esprit
des gentilshommes de Van Dyck. des magistrats et le cœur dans le présent, le dernier mot de
de Rigaud et de I.arguilhere, des jolies femmes la science et du scepticisme, d ’accord, comme
de Latour, en face des héros de Gros et de Gérard, toujours, pour nous enlever le peu qui nous reste
de quelle génération d'huissiers, de recors, d ’agents1 d ’illusions poétiques et généreuses !

1. Allusion probable aux épreuves réalisées par les frères Bisson à Venise,
2. Il est sans doute ici question du plus célèbre des albums de photographies d ’Orient, celui de Maxime
Du Camp : Egypte, Nubie, Palestine et Syrie, Paris, 1852.
3. Entre 1855 et 1868, les frères Bisson ^surtout Auguste-Rosalie) réalisent de nombreuses épreuves dans
266 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

les Alpes. Les ascensions du mont Blanc par Napoléon III et Eugénie en 1859 et 1860 donneront lieu
à un album : H a u te S a v o ie , le m o n t B la n c e t ses g la c ie r s , s o u v e n irs d u vo ya g e d e L L . M M . l ’E m p e r e u r e t l ’I m p é r a tr ic e .
4. Mentionnons : Paul Berthier, Louis-Alphonse de Brébisson, A. Briquet, E. Colliau, Eugène Cuvelier.
J. J. Heilmann, André Giroux, Gustave Le Gray, et la plupart des calotypistes.
5. Cette « Vue de Paris » est chère aux photographes des années 1850 qui, comme Baldus ou Bisson, la
traitent sous la forme de panorama.
6. La N o tic e s u r la v ie d e M a r c - A n t o in e R a i m o n d i de Benjamin Delessert (cf. p. 190) avait reçu un accueil
favorable à l’Exposition universelle et auprès d ’Ernest Lacan, tout comme L ’Œ u v r e de R e m b r a n d t photographiée
par les frères Bisson (cf. p. 191) (voir in f r a notre Bibliographie).
7. Célèbre cabinet de cire, prédécesseur du musée Grévin.
8. Les p i f f e r a r i étaient des musiciens ambulants — originaires des Abruzzes — chers aux peintres spécialisés
dans le pittoresque italien (Léopold Robert, Hébert, etc.) avant de figurer dans les scènes de genre des
premiers « artistes-photographes ». Pour répondre à la demande des peintres autant que pour faire eux-
mêmes oeuvre artistique, Jules Malacrida. Louis-Camille d’Olivier, Adrien Tournachon, Furne et Henry
Tournier, etc., ont amplement traité le thème des p if fe r a r i. Disdéri photographie pour sa part en 1853
deux musiciens calabrais. Il semble toutefois que Marcelin évoque ici une épreuve de Charles Nègre
datant de l’été 1853.
9. Sans doute les frères Mayer (Léopold-Ernest et Louis) qui s’associent en janvier 1855 avec Pierre-Louis
Pierson pour former la société Mayer frères et Pierson.
10. Voir in fr a (p. 313) la photographie parodiée ici par Marcelin.
11. En 1856, V A n n u a ir e g é n é r a l d u com m erce (Didot) mentionne au boulevard Montmartre les photographes
A. Saugrin (n° II), Auguste Vaute (n°5). A ces deux noms Y A lm a n a c h B o t tin ajoute Charles Reutlinger
sont l’atelier se situe « 112, rue Richelieu, au coin du boulevard Montmartre».
TRANSCRIRE SANS CHOISIR
N’EST QUE RUINE DE L’ART
(1857-1859)
\
G ustave PLANCHE (1808-1857) ;
E ugène DELACROIX (1798-1863)

Un an après le virulent article d’Henri Delaborde défendant la gravure contre la


photographie (cf. pp. 228-237), le critique Gustave Planche dénonce ici, dans la
même Revue des deux-mondes, les effets pervers de la photographie sur la
peinture de paysage. Tandis que Delaborde s ’inquiétait avant tout du devenir d ’une
corporation, Planche se soucie de questions esthétiques : il rend la photographie
responsable de tous les maux de la peinture, sans examiner les effets mutuels de
l ’un et l ’autre moyen d ’expression, ni leurs rapports respectifs avec l'évolution
technique et industrielle du XIXe siècle 1.
Planche, l ’un des principaux adversaires du romantisme, qui consacre son article
à Ruysdaèl, Claude Lorrain et Nicolas Poussin, veut curieusement ignorer les
transformations profondes intervenues depuis trente ans dans le genre du paysage
principalement sous l ’influence anglaise (Constable est mort en 1837, Turner
en 1851) — chez des peintres comme Delacroix, Corot, Huet, bientôt Courbet,
Chintreuil, et l ’école de Barbizon.
Mais le plus surprenant est de constater combien des personnalités aux choix
esthétiques aussi différents que Planche et Delacroix s ’accordent dans leurs critiques
sur la photographie. «L e soleil, écrit Planche (...), transcrit tout ce qu’il a
touché ; il n’omet rien, ne sacrifie rien », alors que l ’art doit « choisir ce qui lui

1. Meyer Schapiro fait observer que tableaux et sculptures sont les derniers objets faits à la main dans
les sociétés modernes. « Presque tout le reste est produit industriellement, en masse, et grâce à une large
division du travail» («Abstract A rt», Modem Art, selected papers, Brazilles, New York, 1978, p. 218). Ce
goût et ce plaisir de la performance corporelle — goût de la tache, du geste, du coup de pinceau
s’opposent à l’instantanéité photographique telle que la décrit Walter Benjamin dans ses « Thèmes
baudelairiens » : « Avec l’invention des allumettes vers le milieu du dernier siècle, a commencé toute une
série de découvertes qui ont pour caractère commun de déclencher un mécanisme complexe à partir d ’un
seul mouvement rapide de la main [...]. Parmi les innombrables gestes, tels que mise en place, introduction,
pression, etc., le déclic instantané du photographe est un de ceux qui ont eu le plus de conséquences.
Une pression du doigt suffit à conserver l’événement pour un temps illimité. L’appareil confère à l’instant
une sorte de choc posthume», ([1939] Poésie et Révolution, p. 251).
268 ! A P H O T O G R A P H IE E \ F R A N C E 1816-1871

(faconvient et répudier ce qui ne lui convient pas ». Planche, aussi bien que Delacroix,
it de la « théorie des sacrifices » 2 l ’un des critères fondamentaux de l ’art.
Quant à Delacroix, dans son Jo u rn al, il reprend l ’un des thèmes favoris des
adversaires de la photographie ou de ceux qui, comme lui, la considèrent du point
■de vue de la peinture. L ’« infirmité » de la photographie, explique-t-il, est
paradoxalement sa trop grande « perfection ». A force de précision et de «justesse »,
elle « offusque et fausse la vue », elle menace l ’« heureuse impuissance [de l ’œil]
d ’apercevoir [les] infinis détails » 3.
Mais de ces remarques somme toute assez traditionnelles, Delacroix tire une
intéressante distinction entre la peinture et la photographie. Alors que la première
est selon lui de l ’ordre de la construction, que le peintre sélectionne et organise
les éléments de son tableau en fonction d ’un dispositif préalable, la photographie
ressortit à la saisie, au prélèvement, à la coupe : « Quand un photographe prend
une vue, vous ne voyez jamais qu’une partie découpée d ’un tout. » Le photographe
«prend», le peintre compose.• la toile est une totalité, la photographie n ’est
qu’un fragment. Ce qui en définitive éloigne radicalement la photographie de l ’art
c’est qu’à tous les niveaux « l ’accessoire [y] est aussi capital que le principal »,
c’est que le procédé n’établit aucune hiérarchie : ni entre les objets enregistrés, ni
entre les détails reproduits, ni entre les bords et le centre de l ’image.
Si l ’art irrigue parfois la photographie, ce ne peut être que dans les brèches
du procédé : dans ses « imperfections » et « lacunes ». C’est bien l ’avis des
peintres-photographes qui, comme Gustave Le Gray (cf. pp. 98-100), sont de
fervents adeptes du calotype (voir, en fin de volume, dans notre appendice technique,
les effets particuliers du calotype).

Gustave Planche : « Le paysage et les paysagistes », R evue des d e u x -m o n d e s .

15 juin 1857, pp. 756-787.

Tous ceux qui s’intéressent au développement des arts du dessin s’affligent


avec raison des doctrines qui dominent aujourd’hui le paysage. Il ne faut
pourtant pas imputer ces doctrines à l’abaissement de l’intelligence. La
meilleure part de cette aberration revient évidemment à la photographie. Le

2. Sur la «théorie des sacrifices» voir la définition de Littré p. 97 (n. 4).


3. Cf. dans le Journal, à la date du 12oct. 1853 : « Voyez cette scène intéressante, qui se passera, si vous
voulez, autour du lit d ’une femme mourante : rendez, saisissez, s’il est possible, par la photographie, cet
ensemble ; il sera déparé par mille côtés. C ’est que, suivant le degré de votre imagination, la scène vous
paraîtra plus ou moins belle, vous serez poète plus ou moins dans cette scène où vous êtes acteur ; vous
ne voyez que ce qui est intéressant, tandis que l’instrument aura tout mis. »
L T M H L T .S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N IV E R S E L L E 26 9

soleil dessine la forme des objets plus exactement que les plus habiles pinceaux,
et comme l’imitation est plus facile à comprendre que l’interprétation, on ne
doit pas s’étonner que la photographie ait excité une admiration si vive.
L’œuvre du soleil, envisagée comme document, est une chose excellente, dont
il ne faut pas médire ; si l’on veut y voir l’équivalent de l’art le plus parfait,
on se trompe d’une manière absolue. [...] L’art ne doit pas transcrire ce qu’il
voit, mais choisir ce qui lui convient et répudier ce qui ne lui convient pas ;
en d ’autres termes, il doit retenir pour son usage ce qui est conforme à son
but et négliger tout ce qui lui est inutile. Le soleil procède autrement : il
touche à tout ce qu’il éclaire et transcrit tout ce qu’il a touché ; il n’omet
rien, ne sacrifie rien, car il agit sans volonté, sans dessein préconçu, et ceux
qui voient dans la photographie quelque chose de supérieur à la peinture,
confessent à leur insu qu’ils ne comprennent rien à la peinture. [...] L’œuvre
du soleil a cela de singulier qu’elle exprime sans pitié les détails que nos
yeux n’aperçoivent pas.

Il ne faut donc voir dans la photographie qu’un document à consulter,


document très fidèle dans le sens absolu du mot, puisqu’il ne révèle rien
d’imaginaire, mais qui nous abuse en nous offrant les choses sous un aspect
que nos regards ne peuvent contrôler. Malheureusement la photographie est
acceptée aujourd’hui comme une autorité sans appel. Les œuvres du pinceau,
on peut le dire sans exagération, sont estimées en raison directe de leur
conformité avec la photographie, et je n’hésite pas à dire que la découverte
de Daguerre, si estimable d’ailleurs au point de vue scientifique, a puissamment
contribué à la corruption du goût public. Je rends pleine justice aux mérites
de la photographie, je sais les services que lui doit l’histoire de l’architecture ;
la collection des monuments de l’Egypte, rapportée par M. Teynard, est
assurément une des plus précieuses qu’on puisse mentionner, et je reconnais
volontiers que le crayon n’aurait pas mieux fait. Toutefois la photographie,
qui suffit à la représentation des monuments, à la représentation des montagnes
ne réussit pas à rendre aussi fidèlement la vie des plantes : dès que la brise
vient de souffler, le soleil ne transcrit pas un bouquet de palmiers comme il
transcrit le profil des sphinx. Or c’est là précisément ce que les gens du
monde paraissent ignorer ; ils consultent la photographie comme un oracle,
et toutes les fois qu’ils ne retrouvent pas sur la toile ce que la photographie
leur a montré, ils se déclarent mécontents. Les peintres qui ne sont pas assez
opulents ou assez résolus pour résister au goût corrompu des gens du monde
se proposent l’imitation comme but suprême, et accréditent l’erreur que leur
bon sens condamne. C’est ainsi que le paysage s’est détourné de sa voie
légitime. Pour le ramener dans le droit chemin, il faut s’attacher à remettre
en honneur les peintres éminents [Ruysdaël, Claude Lorrain, Nicolas Poussin]
qui l’ont illustré, et qui malheureusement ne sont pas estimés aujourd’hui à
leur juste valeur.
270 L A P H O T O G R A P H I E E X F R A N C E 1816-1871

Eugène Delacroix : J o u r n a l, Plon [1893], p. 744.

1er septembre [1859], Strasbourg. Le réaliste le plus obstiné est bien forcé
d’employer, pour rendre la nature, certaines conventions de composition ou
d’exécution. S’il est question de la composition, il ne peut prendre un morceau
isolé ou même une collection de morceaux pour en faire un tableau. Il faut
bien circonscrire l’idée, pour que l’esprit du spectateur ne flotte pas sur un
tout nécessairement découpé ; sans cela, il n’y aurait pas d’art. Quand un
i photographe prend une vue, vous ne voyez jamais qu’une partie découpée
d’un tout : le bord du tableau est aussi intéressant que le centre ; vous ne
pouvez que supposer un ensemble dont vous ne voyez qu’une portion qui
semble choisie au hasard. L’accessoire est aussi capital que le principal ; le
plus souvent, il se présente le premier et offusque la vue. Il faut faire plus
de concessions à l’infirmité de la reproduction dans un ouvrage photographié
que dans un ouvrage d’imagination. Les photographies qui saisissent davantage
sont celles où l’imperfection même du procédé pour rendre d’une manière
absolue, laisse certaines lacunes, certains repos pour l’œil qui lui permettent
de ne se fixer que sur un petit nombre d’objets. Si l’œil avait la perfection
d ’un verre grossissant, la photographie serait insupportable : on verrait toutes
les feuilles d’un arbre, toutes les tuiles d’un toit et sur ces tuiles les mousses,
les insectes, etc. Et que dire des aspects choquants que donne la perspective
réelle, défauts moins choquants peut-être dans le paysage, où les parties qui
se présentent en avant peuvent être grossies, même démesurément, sans que
le spectateur en soit aussi blessé que quand il s’agit de figures humaines ?
Le réaliste obstiné corrigera donc dans un tableau cette inflexible perspective
qui fausse la vue des objets à force de justesse.
Devant la nature elle-même, c’est notre imagination qui fait le tableau :
nous ne voyons ni les brins d’herbe dans un paysage, ni les accidents de la
peau dans un joli visage. Notre œil, dans l’heureuse impuissance d’apercevoir
ces infinis détails, ne fait parvenir à notre esprit que ce qu’il faut qu’il
perçoive ; ce dernier fait encore, à notre insu, un travail particulier ; il ne
tient pas compte de tout ce que l’œil lui présente ; il rattache à d’autres
impressions antérieures celles qu’il éprouve et sa jouissance dépend de sa
disposition présente. Cela est si vrai que la même vue ne produit pas le même
effet, saisie sous des aspects différents. Ce qui fait l’infériorité de la littérature
moderne c’est la prétention de tout rendre ; l’ensemble disparaît, noyé dans
les détails, et l’ennui en est la conséquence. Dans certains romans comme
ceux de Cooper, par exemple, il faut lire un volume de conversation et de
description pour trouver un passage intéressant ; ce défaut dépare singulière­
ment les ouvrages de Walter Scott, et rend bien difficile de les lire ; aussi
l’esprit se promène languissant au milieu de cette monotonie et de ce vide
où l’auteur semble se complaire à se parler à lui-même. Heureuse la peinture
de ne demander qu’un coup d ’œil pour attirer et pour fixer.
L 'I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N LTN I V E R S E L L E 271

65 Louis-Auguste et Auguste-Rosalie Bisson, Monographie de Notre-Dame de Paris


Vantail de la porte Saint-Marcel, vers 1853. Tirage papier albuminé/négatif verre. -
« Quand un photographe prend une vue, vous ne voyez jamais qu'une partie découpée d'un tout »,
écrit Delacroix. Le photographe prélève tandis que le peintre compose ;
la toile est une totalité, et la photographie un fragment.
POUR OU CONTRE LA RETOUCHE (1855)

Paul PÉRIER (1812- c a 1874) ;


E ugène DURIEU (1800-1874)

Amateur de peinture et vice-président de la Société française de photographie, Paul


Périer consacre toute son ardeur à vouloir faire accepter la photographie dans le
domaine des beaux-arts. Cela le conduit paradoxalement à mettre en question la
spécificité du procédé quand, au nom des « intérêts majeurs de la création
artistique », il défend en 1855 la retouche et accorde ainsi la priorité à l ’image
sur le procédé, au produit (le « résultat ») sur son mode de production (le
« moyen »).
Eugène Durieu, président de la Société, réagit aux propos de Périer dans le
Bulletin de la Société française de photographie. Il l ’accuse de refuser à
la photographie sa dimension de pratique autonome, de méconnaître le fonctionnement
véritable du procès artistique, de soumettre la multiplicité des pratiques artistiques
à l ’hégémonie de la peinture et... d ’oublier la raison d’être de la Société française
de photographie. Contre les hybrides, contre le métissage des pratiques, Durieu
affirme que les arts ont « leurs règles spéciales qui en font autant d ’arts
particuliers ». Les mélanger c’est n ’obtenir « q u ’un quelque chose sans nom».

Paul Périer : « Exposition universelle : photographes français » (3e article).


Bulletin de la Société française de photographie, juill. 1855, pp. 187-200.

D’aucuns crieront à la supercherie : prêtres austères de la virginité photographi­


que, au seul mot de retouche ils se voileront la face et porteront le deuil de
leur vestale profanée !
Nous regrettons de ne pouvoir traiter in extenso une question qui soulève
de si vives controverses ; ces pontifes jaloux nous rappellent ce médecin qui,
tenant dans ses mains la guérison empirique de son malade, préférait le voir
mourir dans les règles. Interdire au peintre photographe, à tous ceux qui
cherchent’ le mieux et savent l’obtenir, une certaine participation manuelle
L ’I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 27 3

au résultat définitif, c’est mettre le moyen au-dessus du but, et vouloir faire


prédominer une abstraction stérile sur les intérêts majeurs d’une création
artistique.
Or il est difficile de concevoir en pratique une marche plus fâcheuse, une
logique plus faible en théorie.
Nous n’admettrons jamais qu’il puisse exister, dans quelque branche que
ce soit des beaux-arts, une sphère supérieure où l’honneur et le succès soient
à la condition de se balancer comme une bête fauve d’un bord à l’autre
de sa cage, emprisonné dans des formules despotiques et des procédés
infranchissables ; où la gloire consiste à s’obstiner sciemment dans la puérile
abstinence des moyens aboutissant à la perfection : ce serait un singulier
contrat que ce pacte de fidélité jusqu’à la mort avec des objectifs et des
bassines. [...]
La photographie a deux buts et deux ambitions : l’art et la science.
Le plus intéressant et le plus général, si ce n’est le plus utile, c’est encore
art, au moins quant à présent.
Or, en fait d ’art, la perfection absolue du résultat est tout ; le moyen n’est
rien, ou du moins il s’efface et disparaît devant le but. Conçoit-on en effet
jue quelque chose soit, ou nous importe, en dehors de sa raison d’être ; et
le résultat n’est-il pas la seule raison d’être du moyen ?
Laissez-moi donc toucher à mes négatifs et même à mes positifs, si je les
améliore et les rehausse d’un échelon. Je n’y parviendrai, certes, qu’à la
condition d’être habile dessinateur ou coloriste, et de rester pour la lumière
un collaborateur prudent et respectueux. Cela seul importe, et cela seul est
assez difficile pour demeurer rare et méritoire. En un mot, souffrez qu’on
atteigne le supérieur et le complet avec de sobres retouches. Libre à vous
'être fier d’un fétichisme qui vous fera souvent végéter dans les à-peu-près.

Eugène Durieu : « Sur la retouche des épreuves photographiques » (à


M. Paul Périer), Bulletin de la Société française de photographie, oct. 1855, pp. 297-304.

Ce qui me paraît principalement dangereux pour la photographie dans votre


ihéorie, c’est qu’elle érige la retouche en système ; elle ne se borne pas à la
tolérer comme une nécessité de circonstance ; elle l’appelle et la glorifie comme
un avantage ; elle en fait le complément artistique de la photographie qui,
-ans elle, ne serait plus ou moins qu’une sèche opération de physique et de
:himie : de telle sorte que, si en d’autres occasions vous avez blâmé la
retouche, ce n’est pas en elle-même et parce qu’elle était la retouche, mais
parce qu’elle était la retouche inhabilement pratiquée.
Voici, mon cher collègue, où nous nous séparons complètement. Bonne ou
mauvaise, il faut, selon moi, au point de vue de l’art photographique (le seul
Lui soit en cause ici), proscrire la retouche. Et pour qu’il n’y ait aucun
274 LA PHOTOGRAPHIE EM FRANCE 1816-1871

malentendu, qui pourrait naître d’une concession conciliante, j ’aime mieux,


du moment que nous raisonnons principes, déclarer que je repousse la retouche
d’une manière absolue, et particulièrement la retouche telle que vous
l’entendez, ajoutant à l’épreuve des détails que l’impression lumineuse n’a
pas donnés par elle-même, corrigeant le modelé, surperposant enfin le travail
du dessinateur à celui du photographe. Car je mets de côté, bien entendu,
ce qui n’a jamais été considéré comme une retouche, le soin de faire disparaître
par un trait d’encre de Chine un point blanc, qu’une bulle d’air ou quelque
accident analogue aurait laissé dans l’épreuve. Puisque vous parlez d’art dans
la retouche, ce n’est pas évidemment de celle-ci qu’il s’agit.
Je prends donc la question comme vous la posez, et c’est précisément la
retouche qualifiée par vous d’artistique que j ’attaque nettement, sans exception
ni réserve.
L’art peut se définir, je crois, [comme] tout procédé par lequel l’homme
manifeste au dehors et réveille au cœur de ses semblables le sentiment du
beau, que Dieu a déposé en nous comme une de ses plus radieuses émanations.
Quel que soit le moyen, la couleur chez le peintre, la forme chez le sculpteur,
le son chez le musicien, il y aura de l’art, du moment qu’en présence de
l’œuvre le beau se révélera.
Mais si le fond est le même parce que le but est commun, les procédés
difièrent et chacun d’eux a ses conditions déterminées : ce sont ces conditions
mêmes qui constituent et individualisent chaque branche de l’art.
C’est ainsi, par exemple, que, malgré un type et un but communs, les arts
de la musique présentent des subdivisions aussi variées qu’il s’est créé de
moyens particuliers de moduler par les sons, dans la série des divers
instruments. Chacune de ces subdivisions a un nom : il y a des chanteurs,
des violonistes, des flûtistes, des pianistes, des bassons, des cors ; tous ces
procédés ont des règles, des difficultés qui sont leur condition d’être, et qu’il
n’est pas permis de méconnaître sans détruire la spécialité artistique qu’ils
représentent.
De même des arts du dessin : la peinture à l’huile, l’aquarelle, la gouache,
la miniature, la gravure, l’eau-forte, la lithographie, ont leurs règles spéciales
qui en font comme autant d’arts particuliers.
^ Et ces procédés n’empruntent pas seulement leur valeur au résultat artistique
auquel ils aboutissent : il y a dans la difficulté qui leur est propre, lorsqu’elle
est habilement surmontée, quelque chose qui fait partie intégrante de l’art et
que l’esprit ne permet pas d’en séparer. [...J Corrigez une gravure au crayon,
venez d’un trait de plume rectifier les lignes si fines de l’eau-forte, ajoutez
à une aqua-tinte des retouches au pinceau ; ôtez, en un mot, à ces arts la
difficulté spéciale de leur procédé, et vous verrez ce qu’ils deviendront.
Coloriez une estampe ; quelque habile que soit le coloriage, vous n’aurez pas
une peinture, et vous n’aurez plus de gravure : vous n’aurez qu’un quelque
chose sans nom, qui présenterait tout au plus un intérêt de curiosité si la
L 'I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 275

fantaisie d’un grand artiste avait arrangé ce pastiche. Mais on peut affirmer
d’avance qu’aucun n’aura cette envie ; et, en tout cas^il ne soutiendrait pas
théoriquement l’utilité d’une telle pratique, car il saurait bien qu’en
transformant le travail primitif il n’a pu y mettre de l’art qu’à la condition
d’en faire une œuvre nouvelle et personnelle.
Cette observation s’applique à la retouche des épreuves photographiques.
Sans doute un artiste de talent pourra, s’il lui plaît, prenant pour point de
départ le dessin fourni par la lumière et le modifiant à sa guise, produire en
définitive une œuvre d’art ; mais cette œuvre vaudra ce que l’aura faite
l'artiste : l’intérêt photographique n’existera plus à aucun degré ; et mieux
aurait certes valu que le dessinateur s’inspirant simplement du travail de la
photographie, et laissant en paix l’épreuve, eût composé sur la donnée offerte
par elle un tableau qui lui fût entièrement propre. [...] Si les observations
qui précèdent ont quelque justesse, n’en faudrait-il pas conclure que
généralement chaque art doit trouver sa véritable puissance en soi-même,
c’est-à-dire dans l’emploi habile des procédés qui lui sont propres ; et, pour
rentrer dans le sujet spécial qui nous occupe, appeler le pinceau au secours
de la photographie sous prétexte d’y introduire de l’art, c’est précisément
exclure Yart photographique. [...]
Appliquons-nous par l’étude des théories, par les observations approfondies,
par une pratique soigneuse et persévérante, à introduire dans nos procédés
des perfectionnements qui permettent à notre art d’atteindre son dernier
degré. Tel doit être le but des photographes ; c’est l’objet de notre Société.
Or rien ne serait si contraire à ce programme, si funeste aux progrès de
la photographie, que votre théorie sur les retouches, si elle pouvait prévaloir.
Et ne parlez pas de bonne retouche : au point de vue de l’intérêt
photographique, mieux vaut la mauvaise. Plus la retouche dont vous parlez
serait parfaite, plus elle serait dangereuse. Car, si elle pouvait réellement
remplir le rôle que vous lui assignez, elle dispenserait de bien faire. On finirait
par ne plus demander à la photographie, comme le font déjà certains fabricants
de portraits, que les principales dispositions des traits et l’indication des
contours. C’est alors que, réduite à l’office le plus secondaire, devenue pour
le dessinateur quelque chose d’analogue à ce qu’est le praticien pour le
sculpteur, la photographie n’aurait plus de place que dans la liste des
découvertes scientifiques utilisées par l’industrie. Elle descendrait du haut
rang qu’elle a acquis dans l’art aussi bien que dans la science, et verrait
réduire ce glorieux domaine qu’elle agrandit chaque jour de conquêtes
nouvelles.
Que si, en dehors de la question d’art, on voulait s’arrêter à certaines
applications de la photographie, que devient, avec le système de retouche,
cette exactitude, cette sincérité des reproductions qui donnent aux épreuves
photographiques un prix et un intérêt si particuliers ? Où sera la garantie de
276 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

la vérité si le soupçon d’une retouche est possible ? Ce charme, je dirai


presque religieux et parfois si consolant, que nous fait éprouver, précisément
parce qu’elle est le reflet direct et sans intermédiaire de leur personne, l’image
photographiée d’un parent, d’un ami, que devient-il avec une retouche qui
réduit la reproduction photographique à un portrait ordinaire ?
LA PHOTOGRAPHIE
À L’ENCAN
(1855)

Paul PÉRIER (1812- ca 1874)

Tout comme lé rapport du jury de l ’Exposition universelle de 1855 (cf pp. 188-
193), Paul Périer dénonce la domination du commerce sur la pratique du portrait.
Mais, contrairement au jury qui se limite à déplorer des abus, Périer refuse toute
relation entre l ’art et l ’« industrie » et s ’oppose à ce qui, en ce milieu des années
1850, en est l ’expression : les grands studios, de plus en plus nombreux à Paris,
et ces sortes de guides pratiques du portrait qui accompagnent presque chaque
traité sur la photographie.
Comme pour Gustave Planche (cf. pp. 268-269) qui, se plaçant du point de
vue de la peinture, dénonce l ’empreinte de la photographie sur l ’art du paysage,
l ’ennemi, pour Périer, est le net, la « dissection microscopique » et l ’« inquisition
dans le détail ». Les valeurs nobles sont à chercher dans un certain brouillage :
« Ce vague dans la forme [qui] est la mélodie de la peinture ».

« Exposition universelle : photographes français » (5' article), Bulletin de la


Société française de photographie, sept. 1855, pp. 256-274.

Aujourd’hui pour maints photographes, comme autrefois pour la plupart des


peintres secondaires, le but principal n ’est pas de faire un bon portrait, mais
d’en faire et d’en vendre beaucoup. Ce but est licite industriellement ; mais
il se poursuit par des voies funestes à la prédominance du beau dans les arts.
Ür le photographe étant au peintre du temps passé dans la proportion de 10
contre 1, la mauvaise influence croît en même raison. [...] On vous présente
fièrement à tous coins de salon des découpures horripilantes, des trompe-l’œil
collés sur un fond de papier suie, dont le dessin raide et le modelé cadavéreux
semblent obtenus avec des crayons pétris de cendre et de pommade. Mais
cela sort des ateliers de M. X. Il a fait poser des têtes couronnées ; de plus,
c’est de la photographie dite pure, immaculée de tout contact d’artiste (on
le voit de reste !) : donc c’est beau ! Le père fait gros dos, la mère s’épanouit,
278 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

la fille si bien accommodée rougit de bonheur, et tous ensemble croient


fermement qu’à côté de ce morceau Van Dyck n’était qu’un très petit garçon.
Que sera-ce tout à l’heure quand les sociétés d’art en commandite
distribueront à leurs actionnaires les premiers dividendes prélevés sur ce
béotisme : argument suprême, car il est plat, rond, brillant, et porte un
millésime.
La belle chose que le talent mis en actions ; et de quels sublimes éclairs
la prime et le coupon vont illuminer l’art nouveau dont la cote officielle
célébrera le succès ! N’êtes-vous pas ému d’avance par ces touchants mariages
de la hausse et du modelé, de l’escompte et du clair-obscur, des profits et
pertes et de la gloire ? et n’est-on pas heureux de se dire que, pour arriver
droit au plus grand artiste, on n’aura qu’à se renseigner chez un agent de
change ? [...]
Aujourd’hui, parce que l’atelier commence par une cuisine, le premier venu
croit s’approprier aussi vite les plus profonds secrets du génie que les formules
précises du laboratoire, et n’hésite pas à se poser en maître ès arts aussitôt
qu’il est sûr de développer un négatif sans taches. [...] Adieu tout noviciat
et vive la science infuse ! On ne jure plus que par Jacotot. 1
C’est ainsi que le moindre de nos opuscules renferme un chapitre spécial
de haute esthétique, où les écoliers crédules recueillent les plus étranges
doctrines. On y donne la recette pour faire un beau portrait, comme ailleurs
pour une gibelotte. Tournez les yeux par-ci, le menton par-là ; faites que la
lumière projetée méthodiquement orne d’un luisant l’os frontal, la pommette
et le bout du nez. C’est comme à l’exercice. On décompose l’ouvrage en trois
temps et quatre mouvements.
A ces enseignements de la parole viennent se joindre ceux de l’exemple,
et vous voyez bientôt surgir les plus bizarres spécimens. [...]
Tous, ou peu s’en faut, s’accordent pour lutter de dissection microscopique
et d’inquisition dans le détail, ignorant, hélas ! qu’une juste mesure de vague
dans la forme est la mélodie de la peinture.
Tout cela est triste. Il semble que certaines gens prennent à tâche de faire
maudire la photographie par tous ceux qui portent sous l’arcade sourcilière
une prunelle fine et délicate.
Il serait bien temps que les amateurs, que les artistes convaincus,
enthousiastes, réunissent leurs efforts pour opposer un brise-lame à ce mauvais
courant. [...] qu’ils regardent par exemple si Van Dyck et Velasquez se
faisaient une ligne d’horizon avec des jambes, s’ils considéraient leurs modèles
comme un accessoire du velours d’Utrecht, et si leurs plus éclatantes figures
semblent un plan cadastral dressé par les statisticiens de la ride et de la
tache de rousseur !

1. J.-J. Jacotot (1770-1840) a connu une grande célébrité pour sa Méthode d1'enseignement universel dite Méthode
Jacotot.
ÉLOGE DU * TRAVAIL »
PHOTOGRAPHIQUE
(1856)

E ugène DURIEU (1800-1874)

Eugène Durieu profite de son compte rendu de la première exposition de la Société


française de photographie (en 1855, parallèlement à celle de l ’Exposition universelle)
pour procéder à une intéressante mise au point sur la spécificité de l ’« art en
photographie » dont il a dû défendre le principe face à Paul Périer lui-même (cf
pp. 273-276) .
Durieu distingue les usages documentaires (qui relèvent d’une « exacte mise au
point » et d ’une « manipulation régulière ») et la pratique artistique. Celle-ci
requiert d’une part la connaissance des règles communes aux arts du dessin (point
de vue, répartition des lumières, etc.) et, d’autre part, la capacité de pressentir,
à travers la procédure photographique, ce que sera finalement l’image.
Durieu insiste sur les « imperfections de l ’instrument », la variabilité des
résultats et, partant, sur le rôle déterminant de l ’opérateur. Il met l ’accent sur le
« travail photographique » en tant que processus spécifique de production de
l ’image.
Près d ’un siècle plus tard, Edward Weston et Ansel Adams donneront toute sa
dimension à la théorie de la prévisualisation esquissée ici par Durieu, entendue
comme l ’organisation de l ’acte photographique à partir d ’une appréciation anticipée
du « rendu définitif ».

Rapport présenté au nom de la commission chargée de l’examen de


l’exposition ouverte dans les salons de la S. F. P., du 1er août au
15 novembre 1855 », Bulletin de la Société française de photographie, févr. 1856, pp. 37-72.

Comme elle reproduit les tableaux de la nature avec une exactitude extrême,
et souvent avec une perfection et un fini que le crayon le plus habile ne
saurait atteindre, les personnes qui ne voient dans l’art qu’une imitation de
la nature ont dû accueillir la photographie comme la dernière et la plus
280 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

complète expression de l’art. Beaucoup donc se sont laissé séduire à cette


idée, et s’attachant au côté matériel de la reproduction, ils ont cru avoir
atteint en photographie l’extrême limite de la perfection, quand ils étaient
parvenus à fixer sur le papier une image nette, claire, finement détaillée d’un
point de vue. Plus le calque était exact, plus le succès leur paraissait complet.
Cette manière de considérer la photographie n’est pas, selon nous, la vraie ;
car, à ce compte, il suffirait, pour faire de l’art, d’une certaine habileté de
tour de main, d’une vue exercée à la mise au point ; et en laissant faire
ensuite l’instrument, on se trouverait avoir produit des tableaux comme les
maîtres.
Le sentiment public protesterait contre cette façon de comprendre et de
sentir l’art photographique. Il n’y a, pour s’en convaincre, qu’à examiner les
épreuves qui excitent le plus l’admiration des gens de goût, et l’on ne tardera
pas à reconnaître que la netteté et la précision des lignes, indispensables
cependant à certain degré, ne sont pas exclusivement les qualités qui concilient
les suffrages et font le principal charme de ces sortes de productions.
C’est que, pour la photographie comme pour les autres procédés de dessin,
il n’y a d’art qu’à la condition, non pas de reproduire l’image des objets
extérieurs et de les imiter plus ou moins fidèlement, mais d’exprimer, de
réaliser, de communiquer le sentiment que l’aspect de la nature excite dans
notre âme, chacun suivant notre manière de sentir. L’imitation n’est en un
mot que le moyen de l’art, elle n’en est pas le but.
Permettez-moi, Messieurs, de m’arrêter un instant sur ce point.
On se tromperait étrangement et on montrerait qu’on n’a que bien
incomplètement étudié les ressources comme les imperfections de l’instrument
photographique, si l’on ne reconnaissait pas que ce procédé, quelque précis
qu’il puisse être, ne rend pas de lui-même les objets extérieurs tels que l’oeil
humain les voit, avec la valeur relative des tons et de la perspective.
S’il s’agit uniquement de copier des lignes et des contours, de reproduire
des détails d’architecture ou un objet précis et déterminé, la question est
assez simple. Une exacte mise au point et une manipulation régulière
donneront un résultat satisfaisant.
Autre chose est s’il faut obtenir non plus une copie, mais un tableau ; si
l’on veut rendre, avec la représentation d’un paysage ou d’une figure,
l’effet artistique qu’ils produisent : c’est alors que le photographe devient
véritablement créateur et doit remplir des conditions toutes particulières.
Nous ne parlons pas seulement de l’observation de ces règles générales, qui
sont communes à la photographie, comme à tous les arts du dessin, le choix
du point de vue, la délimitation habile du tableau, l’art d’appeler et de
concentrer l’intérêt sur le sujet principal, la bonne distribution de la lumière :
nous voulons insister de plus sur d’autres conditions spéciales à la photographie,
et dont on ne saurait trop tenir compte, c’est de juger par avance quelle
transformation l’image, vue à la chambre noire, subira dans le travail
photographique et quel sera le rendu définitif, si l’on peut se servir de cette
L ’I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 281

expression. Ce n’est pas trop ici que la science vienne au secours du sentiment
artistique. L’objectif a pour la mise au point des différents plans des règles
géométriques qui, selon l’application qu’on en fait, peuvent dénaturer
complètement les effets des différents plans ou leur conserver toute leur valeur
relative. On pourrait en dire autant de la loi chimique : ne sait-on pas que
tous les tons ne sont pas produits sur la substance sensible avec des intensités
ou des dégradations de teintes proportionnelles à celles que nous montre la
nature ?
L’art du photographe, comme sa science, consistent donc ici à ramener,
par l’habileté de sa mise au point, modifiée suivant les circonstances, de son
éclairage, de ses manipulations, l’effet rendu aussi près que possible de l’effet
naturel, de manière à ce que l’épreuve nous montre le tableau que notre œil
avait vu, que votre sentiment avait adopté, avec les effets artistiques qui vous
charmaient. [...]
En résumé, Messieurs (et c’est par là que la photographie prendra une
place de plus en plus élevée), l’objectif n’est pas une simple combinaison
d’optique, qui, mécaniquement, répond au premier venu à qui il plaît de
l’interroger, mais un instrument que le photographe peut diriger et conduire
suivant son sentiment. Sans doute l’objectif ne peut rendre que ce qu’il voit ;
mais il appartient au photographe de lui faire voir ce qu’il veut ; il peut
choisir ses points de vue, les limiter, pour leur donner l’intérêt d’une
composition, distribuer la lumière de façon à produire des effets voulus, régler
la mise au point, de telle sorte que les divers plans du tableau présentent
l’importance relative qui leur convient.
C’est là ce qui constitue l’art en photographie.
STYLES NATIONAUX ET POUVOIRS
MÉDIUMNIQUES DE LA PHOTOGRAPHIE
(1857)

T h éop h ile GAUTIER (1811-1872)

Dans ce compte rendu de la seconde exposition de la Société française (1857),


Gautier, loin de réduire la photographie à une « simple opération chimique »,
insiste sur les traits distinctifs qui s ’y manifestent — à commencer par les traits
nationaux. A Ven croire, on peut d’emblée reconnaître une « manière » italienne
ou anglaise — ne serait-ce que par analogie avec les peintures de ces pays. Gautier
réserve aux Français le privilège de la diversité. Il transporte chez les photographes
la vieille opposition, née des querelles du XV1V siècle, entre « dessinateurs » et
« coloristes ».
Pour mieux dire l ’unicité de l ’œuvre photographique, il avance, dans le
prolongement de Balzac 1, l ’hypothèse romanesque et fantastique d’un pouvoir
médiumnique de l ’opérateur : grâce à « une certaine transmission fuidique » celui-
ci serait en mesure d ’irradier la plaque, la marquant d’une trace irrémédiablement
singulière...
Non sans inconséquence, Gautier ravale dans un deuxième temps la photographie
au statut de « très humble servante » et d’« esclave dévouée de l ’art ». Est-ce pour
apaiser les lecteurs de L ’Artiste hostiles au nouveau procédé ?

1. « Balzac se sentit mal à l’aise devant le nouveau prodige : il ne se pouvait défendre d ’une appréhension
vague de l’opération daguerrienne.
Il en avait trouvé son explication à lui [...] Selon Balzac, chaque corps dans la nature se trouve composé
de séries de spectres, en couches superposées à l’infini, foliacées en pellicules infinitésimales, dans tous
les sens où l’optique perçoit ce corps.
L'homme à jamais ne pouvant créer, — c’est-à-dire d ’une apparition, de l’impalpable, constituer une
chose solide, ou de rien faire une chose —, chaque opération daguerrienne venait donc surprendre, détachait
et retenait en se l’appliquant une des couches du corps objecté.
De là pour ledit corps, et à chaque opération renouvelée, perte évidente d ’un de ses spectres, c’est-à-dire
d’une part de son essence constitutive.» Nadar, «Balzac et le daguerréotype», Quand j'étais photographe,
1900, pp. 5-6.
L 'I M P U L S I O N D E L E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 283

66. Nadar, Reproduction d'un portrait-daguerréotype de Balzac,


s.d. - Nadar : « Cette terreur de Balzac devant le
daguerréotype était-elle sincère ou jouée ? (...] En tout cas elle
ne l'empêcha pas de poser au moins une fois pour ce
daguerréotype unique que je possédais après Gavarni et Silvy,
aujourd'hui transmis à M. Spoelberg de Lovenjoul » (Quand
j'étais photographe, pp. 6-7).

Exposition photographique » , L ’Artiste, déc. 1856-mars 1857, pp. 193-195.

La photographie accueillie d’abord avec enthousiasme a soulevé, comme toute


invention, une multitude de critiques. Des «sprits, bien intentionnés sans
doute, ont voulu voir dans cette admirable découverte un péril pour l’art ;
ils ont craint que la main humaine devînt inhabile, sachant qu’une machine
était là qui travaillerait pour elle. Cette crainte n’a rien de fondé et nous le
démontrerons tout à l’heure. La photographie d’ailleurs n ’est pas, comme on
le croit communément, une simple opération chimique. Tout ce que touche
homme reçoit son empreinte ; l’âme y est visible par quelques rayons : dans
une exposition composée d’épreuves héliographiques venant de divers pays,
.es nationalités se reconnaissent aisément ; la photographie anglaise, par
xemple, ressemble aux tableaux et aux gravures d’origine britannique ; elle
des airs de keepsake et de livre of beauties ; la nature y prend quelque chose
de propre, de net, de lustré, de soyeux, d ’élégant et de fashionable qui saisit
•s yeux les moins attentifs. Vous voyez des animaux, vous les croyez faits
d'après Landseer ; les paysages rappelent Constable, Turner, Callow et
\\ illiam Wyld ; les scènes familières sont des Mulready, les portraits, des
Lawrence. Vous direz sans doute que ce caractère tient au pays, à la nature
s objets représentés, et qu’il n’y a rien d’étonnant après tout à ce que la
284 I.A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

reproduction d’un site ou d’un individu d’Angleterre ait le cachet anglais ;


mais cette physionomie persiste, même lorsque l’épreuve est faite en Egypte
ou en Grèce d’après des types tout différents. Les photographes d’Albion ont
une manière de poser leurs modèles, de distribuer leurs lumières, de prendre
leurs points de vue qu’on ne saurait méconnaître. Il y en a de byroniens, de
lakistes à la façon de Wordsworth, de bibliques dans le genre de Martin, de
néo-raphaélesques comme Millais. [...]
On retrouve chez les Italiens le goût des monuments, l’amour de la grande
peinture, la passion de l’archéologie ; ils s’occupent plus de l’art que de la
nature, et cherchent la beauté des lignes avant la magie de l’effet. Comme
la peinture de leur pays, ils manquent de clair-obscur ; des lumières larges,
des localités soutenues, des ombres bien tranchées, sont les qualités ordinaires
de leurs photographies.

L’individualité règne chez les Lrançais ; chacun agit d’après son idée
particulière : la même diversité de genre se retrouve à l’Exposition photographi­
que qu’au Salon. Chose qui semble étrange, et qui est vraie pourtant, il y
a parmi les photographes français les dessinateurs et les coloristes : ceux-là
arrêtent leurs contours, découpent nettement leurs silhouettes, n’admettent
que des teintes blanches ou grises ; ceux-ci noient le bord des objets,
concentrent leurs lumières, épaississent leurs ombres, réchauffent leurs tons,
veloutent leurs noirs et savent culotter le travail du soleil comme une vieille
eau-forte de Rembrandt, estompée sur papier jaune. Chaque photographe en
renom a son cachet, et ses épreuves n’auraient pas besoin de sa griffe pour
être démêlées d’entre les autres. Cela tient aux objectifs, aux agents chimiques,
à l’albumine ou au collodion, au lavage, au papier ciré, ou à la plaque de
verre, au temps qu’il faisait ce jour-là, au nombre de minutes ou de secondes
de l’exposition, à la couleur, à la nature, au plus ou moins d’immobilité du
modèle ; un peu, sans doute, à toutes ces circonstances, mais principalement
au goût de l’artiste, à sa façon d’envisager et de comprendre les choses, de
les choisir, de les arranger, de les disposer, et surtout — pourquoi ne le
dirions-nous pas ? — à une certaine transmission fluidique, que la science
n’est pas en état de déterminer aujourd’hui, mais qui n’en existe pas moins.
Pensez-vous que ces plaques imprégnées de préparations assez sensibles pour
s’impressionner à l’action de la lumière, ne soient pas modifiées par l’influx
humain ? Nous touchons là à une question délicate : l’âme peut-elle agir sur
la matière ? Le magnétisme semble répondre : oui. [...]

On a prétendu que la photographie nuisait à l’art et en abaisserait le


niveau. Jamais allégation ne fut plus dénuée de fondement. La photographie
est au contraire la très humble servante, l’esclave dévouée de l’art ; elle lui
prend des notes, elle lui fait des études d’après nature ; pour lui, elle se
charge de toutes les besognes ennuyeuses et pénibles. [...]
L ’I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 28 5

La photographie est à l’art ce que le famulus Wagner 2 est à Faust. Elle


compile, elle commente, elle fournit les textes, elle garnit de documents les
murs du cabinet, mais elle ne conclut pas et elle attend la décision du maître.
Que signifie tout cela ? Elle n’en sait rien. Cela est, voilà tout.
Dans un temps donné, la photographie aura fait disparaître de la peinture
tout ce qui est métier et n’exige que de la justesse d’œil et de l’adresse de
main. Si elle supprime une foule de petites besognes inférieures, en les
accomplissant avec une facile supériorité, elle montre par cela même la
grandeur de l’idéal ; prenant pour elle la réalité grossière, elle laisse l’homme
chercher le beau, « cette splendeur du vrai » que nul procédé chimique ou
mécanique ne peut atteindre, et tout en fixant sur son épreuve la Mona Lisa
de Léonard, la magicienne au mystérieux sourire, elle sait qu’elle ne saurait
jamais l’inventer !

Fidèle serviteur de Faust dans l’œuvre de Goethe.


LA «PORTRAITUROMANIE»
(1858)

François-V ictor FOURNEL (1829-1894)

Après Daumier et avant Baudelaire, Fournel tourne en dérision la nouvelle


«épidémie» qui frappe le bourgeois des années 1850 : la « portraituromanie ».
Plus que la sculpture, la miniature ou la peinture, la photographie est le terrain
privilégié de cette épidémie : un goût prononcé du « paraître » s’y manifeste,
affectant le maintien des modèles et aiguisant leurs exigences esthétiques. Les poses
témoignent toutes d ’un «gonflement intérieur, [d ’]une importance naive et comique,
[d’une volonté] d ’avoir l ’air de quelque chose », tandis que l ’éclairage, le modelé,
la touche en peinture ou la retouche en photographie visent à donner aux portraits
une impression de «propre», de «soigné», de «léché» et de «f i ni ». Ces
qualités qui, selon Disdéri, sont « indispensables aux épreuves photographiques »,
ne sont pas, comme il le prétend, empruntées aux maîtres de l ’art, mais aux petits
peintres du moment, aux « Van Dycks à prix modéré » qui, ironise Fournel,
« font de si jolis portraits, doux, léchés, mignons, luisants, aussi propres que la
prunelle de l ’œil ». Au-delà des procédés, une communauté s ’établit donc, sur le
plan des formes elles-mêmes, entre la petite peinture bourgeoise et le portrait
photographique car elles bénéficient l ’une et l ’autre des faveurs du même public,
dont le credo artistique est la « reproduction exacte de la nature », comme le
déplorera encore Baudelaire en 1859 (cf. pp. 326-329).
A l ’instar de beaucoup d’auteurs et d’artistes issus de la bohème, Fournel nourrit
une aversion profonde pour le bourgeois, pour son « ignorance dans tout ce qui
touche aux beaux-arts » et pour les goûts, les opinions, les idées « de son état
social ». Mais la suffisance et la laideur des bourgeois — « si seulement ils se
contentaient d’être laids (...) Par malheur, ils veulent être prétentieusement laids »
— qui, dans les portraits peints, « agacent » tant Fournel, deviennent franchement
insupportables avec la profusion des photographies qui « poursuivent et obsèdent
partout les regards ». Plus qu’hostile à la photographie, Fournel est exaspéré par
l ’audience qu'elle offre au bourgeois triomphant. S ’il surestime la diffusion réelle
de la photographie en 1858, il rend compte d’un phénomène qui va bientôt
s ’accentuer avec l ’avènement prochain de la « carte de visite » et que dénoncera à
son tour Audigier dans les colonnes de La Patrie (cf. pp. 356-361).
L ’I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 28 7

67. De Torbéchet, Allafn et Cie, L'Artiste , vers 1860. « Carte de visite ». -


Cette « carte de visite » est une déclinaison, sous la forme d'un photomontage,
d'un autoportrait de Torbéchet en sculpteur, peintre et photographe. S'y mêlent l'humour
la mégalomanie (favorisée par le phénomène nouveau de la « carte de visite »), et l'affirmation
que le photographe est un artiste, au même titre que le peintre ou le sculpteur.
288 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

lW iJi
l \ m s t i DITE 8&SOSTIIIS.
— De celle manière nous évitons les racuiurcis, e t r.ous obtenons une balle pose qui
rappelle lea bae-reliefs deN inive...
— El les Innst o nmes de pain d'épieg.

LE FAUTEUIL MÉCANIQUE,
— D onnez-vo us d o n c 5a p e in e d e v o u s a sseo ir.

68. Marcelin, « Fantaisies photographiques »,


Journal am usant n°60, 21 fév. 1857,
L ’I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 28 9

C e q u ’on v o i t d a n s le s r u e s d e P a r i s , 1858, pp. 384-400.

Mes] réflexions roulaient sur l’une des plus déplorables parmi les nombreuses
épidémies qui, dans ces derniers temps, ont fait leur proie du Parisien ; c’est
la portraituromanie, s’il m’est permis de faire mon petit néologisme après
tous les autres, et de créer un mot nouveau pour une chose nouvelle.
On a remarqué qu’il ne s’était jamais tant coulé de statues en bronze,
taillé tant de statues en marbre, que depuis quelques années. La moindre
sous-préfecture s’empresse, avec un zèle louable, d ’élever devant la mairie,
au son des trompettes et des discours, un piédestal à quelque petit grand
homme exhumé de l’oubli pour la circonstance, et qui s’est illustré jadis par
un sonnet ou un vaudeville.
Quant au bourgeois parisien, à moins d’être décoré ou membre d’une
académie, il n’ose encore se faire dresser une statue en pied, de son vivant,
et il s’en tient au buste ou au médaillon. Il s’en tient surtout au portrait.
Entrez à une exposition quelconque ; vous êtes sûr d’y voir une foule de
messieurs fort laids, et de dames dont, par courtoisie, je ne veux rien dire
de désagréable, qui se sont fait représenter sur la toile dans des attitudes
superbes et avec des expressions héroïques.
Ce n’est pas que je blâme en aucune manière cette belle passion de se faire
peindre, qui possède la plupart des citoyens de Paris : loin de là ! Le mal est
que, n’entendant rien à la peinture pour la plupart, ils n’en viennent pas
moins dans les ateliers, avec leurs goûts, leurs idées, leurs préférences, leurs
vues à eux sur la matière, qu’ils cherchent, naturellement encore, à faire
prédominer, avec la majestueuse obstination du bourgeois convaincu.
Il y a une classe d ’artistes méconnus, dont on dit beaucoup trop de mal :
ce sont ces braves gens qui font de si jolis portraits, doux, léchés, mignons*
luisants, aussi propres que la prunelle de l’œil, où l’on peut se mirer comme
dans un parquet bien verni. Leurs œuvres sont toujours exposées dans les
rues populeuses, au coin des passages, sur les boulevards, avec l’adresse du
peintre et le prix de la chose, qui varie de 20 francs à 100 francs, les mains
comprises. Ces utiles artistes semblent faits tout exprès pour initier les
bourgeois à la connaissance de l’art et pour les réconcilier avec les peintres.
C’est pourquoi, disciples de saint Luc lorsque vous verrez s’avancer près
de votre chevalet quelqu’une de ces bonnes têtes de Joseph Prudhomme,
immortalisées par les crayons de Cham et de Daumier, quelqu’un de ces
glorieux personnages chargés de bagues d’or, de breloques et d’épingles de
cravate, qui débuteront par vous recommander de leur donner sur la toile
du linge bien blanc et de les faire sourire, hâtez-vous de leur tendre l’adresse
de ces Van Dycks à prix modéré, à moins que vous n’ayez grand besoin de

L Patron des peintres — et, pour Fournel, des peintres sérieux.


290 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

quelques billets de cent francs, ou que vous ne vous sentiez doués de beaucoup
de philosophie, de résignation et de condescendance.
Le martyre commence dès la première séance, quand il s’agit de leur faire
prendre une pose raisonnable. Tous voudraient être peints de face, avec la
lumière tombant en plein visage. Pas de profil, c’est trop mesquin et trop
anguleux ; pas de trois-quarts, c’est une position qu’ils ne comprennent point.
Si vous adoptez le trois-quarts, gare au désenchantement et aux réclamations !
Ce côté de la figure dont on n’aperçoit que la moitié, leur paraît une duperie
et un non-sens. Ils voudront qu’on distingue leurs deux joues bien en face,
et se montreront choqués au dernier point de cet œil qui, sur la toile, est
plus petit que l’autre, et qui risque, dans leur opinion, de les faire passer
pour borgnes.
Ces messieurs tiennent essentiellement — et qui aurait la cruauté de leur
en vouloir ? — à ne laisser perdre aucun détail de leur physionomie, à la
montrer dans toute son ampleur et sa majesté. Ils ont droit à une vue
d’ensemble, puisqu’ils payent ce qu’il faut : pourquoi supprimerait-on d’un
coup la moitié de la tâche ? N’est-ce pas tricher l’acheteur que de simplifier
ainsi la besogne ? Ils ne sont pas venus pour faire peindre leur joue droite
ou leur joue gauche, mais leur figure, qui se compose de deux joues aussi
bien que de deux yeux et de deux oreilles. Encore est-ce bien peu des deux
joues ! Ils n’osent pas trop le dire, mais ils voudraient qu’on les vît de tous
les côtés à la fois, et il leur semble qu’en cherchant, on pourrait trouver un
moyen, en ce siècle où l’on a inventé tant de choses ! [...]Il
Il est rare qu’un bourgeois se fasse peindre sans les mains, ou ce sera
malgré lui. Un portrait sans mains n’existe pas pour le bourgeois : c’est
quelque chose d’incomplet comme un cul-de-jatte. La posture et l’expression
des mains le préoccupent au plus haut degré. Les uns se font représenter la
dextre sur la poitrine ; les autres, négligemment repliée sur la ceinture, ou
tombant le long de la cuisse ; d’autres encore, assis et le coude rejeté en
arrière sur le dossier d’une chaise, comme le portrait de Schubert, dans les
Mélodies de leur fille. Pour leur femme, il lui faut une rose à la main, ou, à
tout le moins, au corsage. Jadis, c’était un oiseau sur le doigt ; mais l’oiseau
a fait son temps et cédé sa place à la fleur.
La plupart des dames ont la manie de poser la poitrine en avant, la tête
penchée, la bouche en cœur, avec un sourire stéréotypé qu’il faut rendre,
sous peine de s’entendre dire qu’on les a vieillies et renfrognées. Mais voici
le problème : c’est qu’elles veulent absolument sourire sans qu’on leur allonge
la bouche ; vous serez bien heureux, au contraire, si elles n’exigent pas encore
que vous la rétrécissiez, et si ces lèvres de poupée minaudière qui seraient
trop courtes pour une petite fille faisant la moue, ne leur semblent pas trop
longues, même pour le sourire. [...]
C’est qu’avant tout duchesses et financières tiennent à ce qu’on voie, au
premier coup d’œil jeté sur leur portrait, qu’elles appartiennent au monde
L ’I M P U L S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N I V E R S E L L E 291

69. E. Thiesson, Portrait de


Daguerre, 1844.
Daguerréotype. - Le succès du
daguerréotype a reposé pour
une large part sur le caractère
« propre, soigné, léché, fini »
(Fournel) que sa finesse et sa
précision donnaient aux
portraits.

70. Charles Desavary, Portrait


de Camille Corot, vers 1865.
Tirage papier albuminé. - Si le
dispositif du studio reste
généralement caché, il apparaît
ici au travers d’une
installation de fortune - dans
un jardin. Forme fruste de la
machinerie photographique.
292 I . \ P H O T O G R A P H I E F \ FRANCE 1816-1871

71. Nadar, Portrait de


Champfleury, vers 1865. Tirage
papier albuminé. -
Les mentions écrites sur
l'épreuve renvoient à
l'administration du studio.
Elles ne figureront pas sur le
portrait définitif, après
l'opération de recadrage.

72. Adolphe Dallemagne,


Pcdrait d'ingres, 1866. Tirage
papier albuminé. -
Pour sa « Galerie des artistes
contemporains »,
Dallemagne élabore un dispositif
associant les accessoires
traditionnels de l'art (cadre,
palette, pinceaux, etc.) et du
studio photographique (rideau,
parfois colonne, etc.). Les
modèles - peintres,
sculpteurs, graveurs -
occupent dans le cadre la place
de l'œuvre.
I. I M P U L S I O N D E L 'E X P O S I T I O N U N IV E R S E L L E 2H 3

comme il faut. Elles se préoccupent encore moins d’être belles, que de l’être
à la façon du jour, et il semblerait à les voir et à les entendre, qu’elles posent
pour des gravures de mode. Soignez la ressemblance de la robe au moins
autant que celle de la figure ; rendez-en avec scrupule, avec respect, la couleur,
le dessin, la coupe, les fleurs, la richesse ; surpassez-vous dans les dentelles,
la gaze et les bijoux, et vous serez un grand peintre. [...]
Ce qui effraye surtout les bourgeois, ce sont les ombres du modelé ; ils ne
voient là que du noir, qui rembrunit et attriste la figure. Cette nuit sur leur
face les désole et les navre. La moindre tache dans la physionomie du tableau
les alarme ; chaque pli leur semble une ride. Pas de demi-teintes, mais une
carnation uniformément blanche comme une buffleterie, et délicatement
nuancée de rose aux pommettes ! Pas d’empâtements : cela est raboteux et
grossier ! Les dessins des journaux de dames et de tailleurs, voilà leur secret
idéal ! C’est propre, c’est soigné, c’est léché, c’est fini ; les cheveux sont
artistement arrangés (peintres, n’oubliez jamais ce grand point dans le portrait
d’un bourgeois, et faites-vous coiffeurs pour lui plaire) ; les cils, les ongles,
les yeux sont nettement dessinés et coloriés avec amour ; la pose est gracieuse,
la gorge saillante et la taille fine. [...]

Ces braves bourgeois s’imaginent volontiers qu’il est de leur intérêt de faire
beaucoup d’observations à l’artiste, et que plus on le surveille, plus on y
gagne, comme chez le fournisseur. Ils ont toujours remarqué, dans leur partie,
que les pratiques les plus difficiles sont les mieux servies et qu’on ne donne
aux autres que de la camelote : ils agissent en conséquence. Et puis ils sont
bien aises de faire voir que l’on s’y connaît, tout bourgeois que l’on soit.
Mais le résultat est tout autre qu’ils ne l’avaient espéré : à force de tracasser
l’artiste, ils l’ennuient et le dégoûtent de son œuvre, et le seul fruit qu’ils en
retirent c’est de lui faire gâcher le portrait.
Il y a des peintres que cette ignorance des bourgeois dans tout ce qui
touche aux beaux-arts, cette inintelligence profonde, incurable, des conditions
les plus élémentaires, cette obtuse et complète inaptitude à rien comprendre
de ce que le dernier rapin du dernier atelier de Prance saisit du premier
coup, irritent et exaspèrent jusqu’à la fureur. C’est un tort. Pourquoi en
vouloir aux bourgeois d’être bourgeois, et d’avoir les goûts, les opinions, les
idées de leur état social ? C’est le contraire qui serait étrange et inconcevable.
[...] Du reste, il paye Yarticle ; et vous voudriez qu’il abdiquât le droit, acheté
en entrant, de critiquer celui qu’il honore de sa clientèle, et de se faire servir
à son gré pour son argent ? Cette abnégation surhumaine ne s’est jamais vue.
Ainsi, d’une part, les bourgeois ont le droit, en leur qualité de bourgeois,
de ne rien entendre du tout à la peinture ; de l’autre, ils ont le droit, en leur
qualité d’acheteurs, de chercher à faire prévaloir leur goût et de tourmenter
l’artiste par leurs observations ineptes. Mais celui-ci a le droit de ne pas
entreprendre leur portrait ; ou bien, s’il l’a entrepris, de se satisfaire soi-
294 TA P H O T O G R A P H IE E N T R A N C E 1816-1871

même, en mécontentant le bourgeois ; ou de satisfaire le bourgeois en se


mécontentant soi-même, de livrer une croûte que notre Midas prendra pour
un chef-d’œuvre.
Au fait, a-t-il bien ce dernier droit ? C’est une question que je pose aux
casuistes de l’art.
La meilleure et la plus sûre manière de prévenir toutes les objections du
client, est de le flatter sans vergogne sur la toile. S’il a des verrues, gardez-
vous de les rendre : ce ne sont pour lui que des grains de beauté. Soyez
persuadés qu’il ne jugera jamais que vous avez dépassé les bornes, et que
plus il sera flatté plus il se trouvera ressemblant. [...]

Mais c’est surtout au daguerréotype 2 que j ’en veux, au daguerréotype qui


poursuit et obsède partout les regards, jusque dans la mansarde d’un fumiste
et dans la loge d ’un portier. Encore s’il se renfermait au foyer domestique,
on n’aurait rien à dire ; ce sont là affaires de ménage où le public n’a pas
le droit de s’immiscer, puisqu’il est admis qu’on peut laver son linge sale en
famille. Mais non ; dans les rues, les passages et les impasses, partout où il
y a une circulation quelconque, une place sur un mur, sur une fenêtre, à une
devanture, vous verrez s’étaler, avec une complaisance insupportable, des
trophées de daguerréotypes reflétant des myriades de bourgeois de tous les
âges et de toutes les formes.
O bourgeois de Paris et d’autres lieux, puissiez-vous bientôt comprendre
que si vous n’êtes pas beaux en chair et en os, vous êtes fort laids quand
vous vous faites peindre, surtout par une mécanique inintelligente, qui n’a
pas l’esprit de jeter un peu de sable d’or sur vos imperfections physiques, et
colle brutalement sur la plaque votre décalque incolore et sans vie !
Si seulement ils se contentaient d ’être laids, ces messieurs et ces dames !
Par malheur, ils veulent être prétentieusement laids. Au lieu de cette laideur
simple et digne, qui du moins commanderait une respectueuse compassion,
c’est la laideur qui pose solennellement devant un miroir. Dans cette galerie
de portraits familiers, vous ne trouverez peut-être pas une posture naturelle,
pas une physionomie que ne contracte un mensonge, pas un corps qui ne se
contourne avec emphase ou afféterie. [...J Ce monsieur joue avec les breloques
de sa montre ; cet autre tient la main droite plongée dans son gilet, d’une
façon méditative, imitée de nos grands orateurs parlementaires ; celui-ci a
voulu se présenter à l’admiration de la foule, un livre de la main gauche et
une plume de la main droite ; celui-là, la pipe à la bouche, couvant du regard
une bouteille à moitié vide et un verre entièrement plein.
Il y en a qui se donnent des airs artistes et bon enfant ; d’autres qui sont
bouffis d’une solennité rogue et compassée. Les premiers se font peindre en
paletots-sacs, décolletés, la barbe inculte, à cheval sur une chaise dont le

2. Ici le mot « daguerréotype » signifie « photographie » ; en 1858 le portrait au daguerréotype est devenu
une pratique marginale qui ne saurait proposer aux regards des « myriades » d ’effigies.
L 'I M P U I . S I O N D E L ’E X P O S I T I O N U N IV E R S E L L E 2 95

dossier supporte leurs bras croisés, et riant d’un rire cyniquement dédaigneux ;
les seconds ont mis, pour cette grande occasion, gilet blanc, cravate blanche
avec l’épingle du jour de leur noce, gants Jouvin premier choix, jabot énorme
qu’ils ont pris soin de faire bouffer avec complaisance, et ils tiennent entre
leurs genoux un beau jonc à pomme d’or. En voici un, le plus ingénieux de
tous, qui se présente au public dans l’attitude intéressante d’un homme qui
hume une prise : ce gaillard doit assurément passer pour un homme de
beaucoup d’esprit parmi ses connaissances.
Dans les poses même les plus simples et les plus naturelles en apparence,
on sent percer un gonflement intérieur, une importance naïve et comique : il
n’est pas jusqu’à la manière dont ces braves bourgeois portent leurs lunettes,
qui n’ait son emphase et sa dignité. Comme tout ce pauvre monde se torture,
se fend la tête et se bat les flancs pour avoir l’air de quelque chose ! Mais
où vont-ils chercher ces physionomies et ces postures ?
Tout cela est fort amusant, sans doute, mais aussi tout cela finit par
fatiguer. On se lasse d’être poursuivi partout par ces visions grimaçantes, par
ces fantômes de bourgeois en grande tenue, qui ont l’air de songer à la
postérité, et de bourgeoises coquettes qui sourient éternellement au public du
bout de leurs dents jaunes et du coin de leurs petits yeux clignotants. Ce
spectacle m’agace. C’est peut-être là ce qui me rend injuste pour le
daguerréotype. Je trouve qu’il n’a rien de commun avec l’art, qu’il en est et
qu’il en sera toujours l’antipode, la négation complète, quelque progrès qu’on
se flatte de lui faire accomplir. Q u’est-ce, je vous prie, que cette machine,
sans âme ni intelligence, qui met une ride au lieu d’un pli, une grimace en
place d’un sourire, qui jette bêtement dans le même moule la beauté et la
laideur, la jeunesse et la caducité, le terre-à-terre et l’idéal ? Les Philistins
adorent parce qu’elle les reproduit à peu près tels qu’ils sont. C’est justement
pour cela que je lui en veux, ô Philistins ! et c’est bien tant pis si elle vous
représente tels que vous êtes ; il vaudrait mieux qu’elle vous représentât tels
que vous n’êtes pas. Regardez-vous dans la glace, si vous tenez tant à vous
contempler : c’est le moyen de vous admirer à votre aise, sans que personne
un souffre.
Axiome. Le daguerréotype est fait pour les souvenirs de famille. Voilà son
unique domaine ; qu’il n’en sorte pas, et personne ne songera à l’attaquer
sur ce terrain.
IV
LES DERNIERES
CONTROVERSES
DES
ANNÉES 1850
OFFENSIVE DES GRAVEURS
CONTRE LES PHOTOGRAPHES
(1859)

Léon BOULANGER ; A rsène D u r a n d ; Justin L ié n a r d ;


Société du progrès de l’art ind ustriel ;
LA GAVINIE ; Edouard de LATREILLE ;
P h ilip p e BURTY (1830-1890)

Après la convention conclue en janvier 1859 par la France et le canton de Genève


sur la propriété des œuvres de l ’esprit et de l ’art, Léon Boulanger — qui souhaite
en voir élargir les dispositions à tous les pays — publie le 1erfévrier, dans la
Revue des beaux-arts dont il est le directeur, un appel à la mobilisation du
milieu artistique contre la «guerre fatale que livre à outrance à l ’art sérieux de
la gravure la contrefaçon par la photographie ». Le même jour, le grand éditeur
d’estampes Goupil appelle graveurs et lithographes à signer une pétition adressée
à l ’Empereur « afin der solliciter son intervention pour empêcher l ’Autriche, la
Prusse, l ’Italie et les Etats-Unis d ’Amérique — en un mot, tous les pays avec
lesquels il n ’a pas été conclu de conventions internationales — de reproduire [leurs]
œuvres par la photographie, dont ces nations inondent le monde entier. [Les
signataires] déclarent que ces contrefaçons par la photographie les menacent d ’une
ruine certaine » 1.
La polémique qui s ’engage alors entre les partisans de la photographie et ceux
de la gravure est riche d’enseignements. Elle révèle qu’il existe déjà en 1859 un
marché international de la photographie. Elle renseigne également sur l ’attitude
de certains grands marchands d ’estampes qui, comme Goupil, après avoir très tôt
utilisé la photographie2, n ’hésitent pas à la combattre3 quand, selon eux, elle
menace leurs intérêts (le revirement le plus radical sera celui de Cadart en 1862
avec la création de la Société des aquafortistes, cf. pp. 400-401). Le retentissement
que l ’épisode connaît dans la presse révèle la disproportion des forces en présence :
la plupart des grands quotidiens volent au secours des graveurs (le C onstitutionnel,
L ’Union, le Jo u rn al des débats et le C ourrier de Paris,), tandis que la
photographie reçoit seulement le soutien de quelques publications spécialisées à
petit tirage (La Lumière, L ’Art au XIXe siècle) à quoi s ’ajoute une réponse
de Latreille dans la Revue des beaux-arts et, plus tard, un compte rendu de
L E S D E R N I E R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S 1850 29 9

l ’exposition de la Société française de photographie par Philippe Burty dans la


Gazette des beaux-arts.
Ces tensions, nées de l ’irruption d’un « nouveau venu » sur le marché de l ’image
suscitent d’autres attitudes dictées par le souci de concilier les intérêts des deux
parties. Edouard de Latreille montre « comment la photographie rend un véritable
service à la gravure », il nie leur rivalité et propose « qu ’elles se donnent
amicalement la main ». Pour La Gavinie, dans La Lum ière, photographie et
gravure ne s ’adressent pas à la même « clientèle d ’acheteurs » et peuvent donc
cohabiter. Dans L ’A rt au XIXe siècle, les photographes proposent aux graveurs
une alliance pour combattre la contrefaçon. Enfin, Arsène Durand voit dans la
photographie le meilleur instrument de promotion de la gravure, tandis que Burty
dans la G azette des beaux-arts souligne les avantages de la photographie, tout
en s ’efforçant de rassurer les éditeurs d ’estampes.

Cité dans la revue L’Art au XIXesiècle, t. IV, 1859, p. 64.


_ Goupil publie dès 1852, souvent en collaboration avec des maisons anglaises, des ouvrages abondamment
ustrés de photographies originales collées sur feuilles cartonnées et vendues en livraisons. Voici quelques-
ses de ces publications photographiques :
1852-1853, Paris photographié. Vues et monuments, par F.-A. Renard (co-éditeur Vibert) ;
1853. Notice sur la vie de Marc-Antoine Raimondi..., par Benjamin Delessert (co-éditeur D. Colnaghi and
C i e . Londres) ;
1854, Œuvre d’Albert Durer, par Bisson frères (co-éditeurs Clément à Paris, Gambart and Co à Londres) ;
1858, L ’Œuvre de Paul Delaroche, par Robert J. Bingham ;
1858, Egypte et Nubie..., par Félix Teynard (co-éditeur Gambart and Co, Londres).
Les discours hostiles de cette époque passent souvent du particulier au général en associant la défense
intérêts (ceux des graveurs, des éditeurs d ’estampes ou des peintres de paysages lésés par certaines
-aiiques photographiques comme la reproduction de peintures ou la contrefaçon d ’estampes) à un
grement global de la photographie en elle-même : des caractères du procédé, de la qualité et du statut
a o images.
300 I \ F H O K K I R . U ’H l i : ' \ F R A N C K 1810-1871

Léon Boulanger : « De l’art de la gravure et de l’avenir des graveurs


en France », Revue des beaux-arts, t. X, 1859, pp. 43-47.

•Combien d’artistes sont réduits aux secours que peuvent encore leur offrir
quelques amis, menacés d’être demain aussi pauvres qu’eux. L’éclat qui
semble rejaillir de la vitrine de quelques éditeurs émérites sur la fortune de
nos graveurs est un pur mirage. Editeurs et graveurs sont menacés du même
naufrage, tant que la contrefaçon par la photographie aura sa pleine liberté
dans plusieurs parties de l’Europe et de l’Amérique. [...]
Nous voudrions modérer nos impressions, mais le pouvons-nous, en présence
de cette guerre fatale que livre à outrance à l’art sérieux de la gravure la
contrefaçon par la photographie !
Je le répète, à quelle triste condition peut n’être pas réduite la vie d’un
artiste ? Ne pouvant suffire aux besoins de la famille, femme et enfants
poussent au brocantage un père désespéré de se voir entre les mains des
exploiteurs. Il reçoit, il est vrai, quelques billets de mille francs pour traiter
une planche importante qui lui demandera huit ou dix ans de travail ; heureux
s’il peut joindre à ces travaux de longue haleine quelques essais d’une
exécution plus rapide, mais peu rémunérés.
Telle était autrefois la position la plus brillante du graveur au burin, avant
de se trouver en présence de la photographie. Que peut-elle être aujourd’hui ?
Combien d’éditeurs consacrent dix, vingt, quarante mille francs et plus,
pour doter le monde des arts d’une nouvelle production du burin. Dès que
le public se trouve en possession d’une gravure remarquable, la presse est
unanime dans ses éloges, et c’est alors que les éditeurs intelligents pourraient
sercroire récompensés de leurs sacrifices ; car, il faut bien le dire, ce sont eux
qui soutiennent tant d’artistes graveurs qui ne pourraient exister autrement.
Mais, après le succès, après les sacrifices les plus généreux, ils se voient,
au lendemain de la victoire, saisis au collet par l’artisan photographe qui dit
à l’éditeur : « Pose ici devant moi, ou du moins fais poser ton œuvre. » Alors,
comme par un coup de baguette, mais sans être plus magicien que Macaluso,
en vertu d’une découverte de la science, il fait agir un petit appareil, et le
tour est fait. Ne craignez rien de plus de l’honnête homme ; il ne vous
demandera pas d’ouvrir vos tiroirs et de photographier vos billets de banque,
un fantaisiste ne prend pas cette peine pour passer la corde au bon endroit...
Prop heureux quand l’éditeur, à la suite de ces déconvenues, peut encore
marcher et faire travailler les artistes !
Ainsi fait la photographie ; après avoir tué l’art, elle trafique du travail
d’autrui.

Nous venons d’examiner la situation, il s’agit maintenant de résoudre le


problème.
I.E S D E R N I E R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S 1850 301

Nous voulons d’abord appeler l’attention du gouvernement sur une piraterie


exercée sur une grande échelle. Victimes du mauvais vouloir de leurs com­
patriotes, nos graveurs sont encore en butte aux vexations des photographes
étrangers qui, chaque jour, s’engagent à plaisir dans cette armée de
contrebandiers, et vont infecter l’Europe et l’Amérique de leur pacotille à vil
prix.
La France, la première, a inscrit dans sa législation, en termes absolus et
sans conditions, la reconnaissance internationale de la propriété littéraire et
artistique. Nous attendons encore que l’exemple donné par le décret du
28 mars 1852 soit imité par tous les gouvernements étrangers. [...] Sans doute,
la contrefaçon est une affreuse maladie, une lèpre honteuse ; mais elle n’est
pas incurable. Cherchons à empêcher la contagion et à détruire la source du
mal par des efforts communs, dussions-nous ne pas recevoir en échange une
somme de reconnaissance égale à nos tentatives et à nos travaux. [...]
En attendant qu’on puisse conclure un traité international complet, nous
trouvons, dans le Moniteur du 20 janvier, la promulgation d’une convention
conclue entre la France et le canton de Genève pour la propriété des œuvres
d’esprit et d’art. Ce traité garantit la propriété des Genevois et les oblige
s\ nallagmatiquement à respecter la propriété des artistes et éditeurs français.
Nous voici donc en possession d’un nouveau traité-modèle. Il nous est permis
de l’envisager comme un essai tenté pour mettre fin à une si grande détresse.
Cette loi, en devenant universelle, satisferait les intérêts de tous.
Réunissons tous nos efforts pour apitoyer les gouvernements sur l’avenir de
nos artistes graveurs, afin qu’ils n’oublient pas que ces artistes sont des
hommes et qu’ils sont malheureux. Si nous parvenons à faire reconnaître
l'évidente injustice qui prépare le désastre et la ruine de l’art de la gravure,
nous aurons fait un grand pas vers le but que nous voulons atteindre. L’active
et prudente sollicitude du gouvernement nous répond du succès de la cause
que nous défendons.
Décidé à suivre résolument notre tâche, nous chercherons par tous les
moyens possibles à encourager le goût du beau dont l’influence doit hâter la
marche progressive des arts, en concourant à les sauvegarder.

Arsène Durand : « La photographie, la gravure et la pétition signée chez


M. Goupil », L ’A r t a u X I X ' siè c le , t. IV, 1859, pp. 51-52.

Quand donc cessera-t-on de faire de l’Art une aristocratie et de sa divinité


ne belle dédaigneuse ? Voici aujourd’hui les graveurs qui, de par la volonté
c'un marchand d’estampes, M. Goupil, ne veulent plus se commettre avec la
photographie, la vulgarisatrice de la gravure !
MM. Henriquel-Dupont, Martinet, graveurs ; Léon-Noël, Mouilleron, litho-
sraphes, sont, nous dit-on, les signataires de cette protestation contre la
photographie. [...]
302 LA PHOTOGRAPHIE EX FRANCE 1816-1871

Dans cette circulaire, il n’est rien moins question, de par la volonté sans
doute de M. Goupil, l’éditeur d’estampes, de solliciter l’agrément de l’Etat...
pour supprimer la photographie. Pourquoi pas aussi le soleil, qui est l’agent
suprême de la photographie ?
Il paraît, toujours selon la circulaire, que la photographie est une drôlesse
dont les désirs n’ont plus de bornes, et qui ne laisse rien à croquer sous les
dents de Messieurs les éditeurs d’estampes.
Et c’est au nom des graveurs, qui n’ont jamais vécu bien largement avec
Messieurs les éditeurs, que la pétition insulte, horripile, vilipende la traîtresse
de photographie !
Au dire de ses signataires, la photographie est l’auteur de tous nos maux !
Si nos artistes sont sans pain, c’est la faute de la photographie.
Si les graveurs, si les peintres voient leur burin, leur pinceau inactifs, c’est
la faute de la photographie. [...]
Voyons, monsieur Goupil, laissons un peu de côté votre circulaire signée
par vos amis les artistes, parlons sérieusement. Est-ce que vos plaintes, à la
façon de M.Josse, espèrent jamais attendrir le soleil, qui est devenu le
concurrent de votre boutique ? Pensez-vous que l’autorité pourra jamais
étendre, comme Josué, ses bras augustes pour arrêter l’astre divin sur la
gravure, au moment où le soleil la traduira instantanément de son reflet
éternel ?
Allons donc... vous êtes marchand d ’estampes, monsieur Goupil !
Et la photographie, après tout, ne fait pas autant de mal que vous pouvez
le laisser croire à cette pauvre gravure, objet de votre sollicitude ou de vos
doléances non grammaticales 4.
Est-ce que la photographie ne pénètre pas aujourd’hui dans des pays où
la gravure n’avait jamais eu accès ? Est-ce que cette même gravure reproduite
en photographie n’est pas l’avant-coureur de la gravure reproduite ? Est-ce
qu’une copie n’est point déjà un désir éveillé et tendu vers un objet original ?
Et si la photographie, par exemple, n’annonce pas au monde qu’il existe un
Henriquel-Dupont, un Blanchard, un Mercury, un Girardet, comment voulez-
vous, monsieur Goupil, que l’on désire, de Pékin à Paris, les œuvres des
graveurs que vous défendez si mal contre la photographie, que vous défendez
même, sans vous en apercevoir, contre vos propres intérêts ?
Non, votre circulaire, signée par vos amis, n’a pas de raison d’être ; elle
est dans le faux, comme cette opinion vulgaire qui refuse au photographe le
titre d’artiste ; pour vous en convaincre, monsieur Goupil, nous n’avons qu’à
vous prier de vous échapper un moment de votre boutique, et de venir
respirer plus sainement, plus librement, l’air du progrès, à la face du soleil
et au nom de la liberté de Part.

4. La circulaire parle d’« industrie dolosive ».


I .E S D E R N I È R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S 1850 «IT

Justin Liénard : « Réponse au nom des graveurs au projet de pétition


adressée à S. M. l’Empereur par MM. les graveurs et lithograhes », L ’Art
au XIX' siècle, t. IV, 1859, pp. 64-66.

Une circulaire en date du 1er février 1859, signée de MM. Henriquel-Dupont,


M artinet^ Mouilleron et Léon-Noël, engage tous les artistes graveurs et
lithographes à aller signer une pétition déposée chez M. Goupil, éditeur (19,
boulevard Montmartre), pour être ensuite présentée à S. M. l’Empereur,
« afin de solliciter son intervention pour empêcher l’Autriche, la Prusse, l’Italie
et les Etats-Unis d’Amérique, en un mot, tous les pays avec lesquels il n’a
pas été conclu de conventions internationales, de reproduire nos œuvres par
la photographie, dont ces nations, disent les pétitionnaires, inondent le monde
entier. Ils déclarent que ces contrefaçons par la photographie les menacent
d’une ruine certaine ».
Il est douloureux d’entendre ce cri de détresse de la part d’artistes aussi
éminents, d’artistes qui font partie des gloires de la France. L’Etat leur doit
protection ; il leur a déjà prouvé toute sa sollicitude par le crédit alloué de
200 000 francs, et l’Etat, il n’en faut pas douter, ferait tout ce qu’a fait Colbert
pour conserver la gravure en France. Mais on doit constater que la gravure
se meurt, et que les honorables pétitionnaires sont dans l’erreur en signalant
cette seule cause de contrefaçon en pays étranger, comme la ruine de leur
art, et de penser aussi que cette contrefaçon nuira à leur belle et grande
renommée.
Cette publicité dans le monde entier les grandira encore et les fera plus
rechercher, peut-être la gravure ressuscitera-t-elle plus gôutée et plus admirée,
quand elle sera mise en regard de la photographie, sa triste rivale. [...]
Si la photographie était le fléau réel, le fléau destructeur de la gravure, il
faudrait alors en accuser MM. les éditeurs qui, les premiers, ont répandu
cette peste pour le gain du moment, étalant et vantant outre mesure cette
nouvelle invention, manquant ainsi de prévoyance et restant dans les bas-
fonds du mercantilisme, tâchant d’arriver à vendre zéro, comme ceux qui
xpédient des pendules sans mouvements, et des bouteilles d’eau comme vins
fins.
Si MM. les éditeurs ont péché en éditant des œuvres photographiées, ils
n seront les premiers punis.
304 I .A P H O T O G R A P H I E E N P R A N C E 181B-1H7I

Société du progrès de l’art industriel : « Réponse au nom de MM. les


photographes, lue à la Société du progrès de l’art industriel », L'Art au
XIX'siècle, t. IV, 1859, p. 75.

« Tous doivent se réunir pour demander aux chefs des Etats civilisés de faire
reconnaître les droits sacrés de la propriété intellectuelle. »
Voilà de bonnes et sages paroles auxquelles les photographes les premiers
donneront une pleine adhésion. La contrefaçon, par quelque méthode qu’elle
soit produite, photographie ou autre, est une plaie véritable, un vol d’autant
plus audacieux qu’il se sait plus difficile à atteindre, et contre lequel tout le
monde sans exception doit prêcher une croisade nécessaire.
Nous sommes d’accord sur ce point avec les rédacteurs de la pétition
Goupil, mais nous y rencontrons des expressions qui nous semblent sortir des
bornes d ’une courtoisie passée en usage dans la langue française. Non, la
photographie n’est pas seulement une industrie sans travail sérieux, et qui ne
demande à ceux qui s’y adonnent ni risques de capitaux ni efforts de
l’intelligence ; jetons les regards autour de nous, et nous y verrons à chaque
pas une réfutation victorieuse de ces imputations au moins calomnieuses. Que
son abus lèse des droits sacrés, c’est un malheur auquel il faut porter remede,
et nous sommes les premiers à le désirer ; mais laisser entendre qu’un artiste
qui vient demander au travail de la lumière la reproduction de ses œuvres
compromet ses intérêts matériels et le succès de sa renommée, nous ne
saurions y croire. Hélas ! bon nombre d’artistes actuels ont, s’il en est ainsi,
leur renommée bien malade : bon marché, célérité d’exécution, la photographie
réunit ces deux avantages. Est-ce la faute des graveurs ou de leurs éditeurs
si la gravure ne peut lutter sous ces rapports ? Nous n’en sommes pas juges.
Au surplus, elle a tant d’autres avantages, que, pour certains cas, elle est et
doit être seule abordée.
La réunion que demande la pétition aux graveurs contre la reproduction
photographique des œuvres contemporaines n’est qu’une répétition des efforts
faits contre la lithographie lors de-son apparition. Qu’est-il arrivé? La
lithographie a fait sa place à côté de la gravure, et aujourd’hui nous la voyons
se liguer avec son ancienne ennemie pour faire la guerre au nouvel art qui
surgit et dont les empiètements les inquiètent. Laissez faire, il fera, il a déjà
fait, malgré vous, à côté de vous, sa place. Comme toute chose qui a sa
raison d’être, il restera et croîtra parce qu’il est venu en son temps et répond
aux besoins de notre civilisation. [...J Allons donc, Messieurs, moins de mots
acerbes, place aux derniers venus ; demandcz-leur appui contre la contrefaçon,
Indre sans cesse renaissante, ils seront avec vous ; mais ne leur prodiguez
pas les injures, car je vous l’ai dit et je le répète, la photographie fera, elle
s’est fait, à côté de vous et malgré vous, sa place légitime.
MM. H. de La Blanchère ; Ad. Tournachon Jeune ; Graves ; Ad. Doriaux ;
Legros ; Morin ; Renard.
I .E S D E R N I È R E S C O N T R O V E R S E S I)) S VN N E E S 1850 :)n j

La Gavinie : « Chronique », La Lumière, 12 mars 1859 (n" 11), pp. 43-47.

Sous prétexte de défendre les intérêts de la gravure, quelques journaux


prêchent depuis quelques jours une vraie croisade contre la photographie. Le
Courrier de Paris, le grave Constitutionnel, Y Union, la sérieuse Revue des deux-mondes
et le Journal des débats lui-même ont pris part en même temps à cette attaque
inattendue. D’où vient l’organisation de cette formidable ligne de bataille ?
Qui a dirigé si habilement et avec tant d’ensemble la stratégie du combat ?
On le pense bien, ce n’est pas le hasard qui a fait éclater à la fois dans six
journaux ces tirades anti-photographiques. Il fallait une influence sérieuse
pour obtenir ainsi le concours d’une partie si brillante de la presse française !
Nous avons su, sans trop de recherches, qu’un des éditeurs renommés de
Paris était à la tête de cette ligue, dont le but est d ’obtenir une loi qui vienne
en aide aux éditeurs de gravures de tous les pays, en empêchant la contrefaçon.

Voici en quels termes s’exprime dans le Journal des débats M. Delécluze :


« La photographie, avec sa faculté de tout absorber et de tout reproduire,
favorise la contrefaçon. Dès qu’une gravure que l’on n’a obtenue qu’au prix
de beaucoup de temps et d’argent est publiée à Paris, elle est contrefaite
aussitôt dans les pays étrangers en un format moins grand. Je serais assez
embarrassé de qualifier ce coup de commerce ; mais, quelque nom qu’on lui
inflige, il est évident que si ce genre de contrefaçon si facile se perpétue, les
éditeurs cesseront de faire graver, et la gravure, considérée comme profession,
ne faisant pas vivre son maître, il ne se formera plus de graveurs. Ce triste
résultat est plus imminent qu’on pourrait le croire, et il est grand temps de
le conjurer si la chose est possible. »
Si jusqu’ici l’amour que les graveurs ont conservé pour leur art et l’activité
des éditeurs ont fait tête à cet orage menaçant, il est temps, dit le Journal des
débats, que les personnes qui peuvent influer sur la direction des beaux-arts
s’occupent de cette grave difficulté.
Nous ne voulons pas contester ici le tort porté à la gravure par la
photographie ; mais il serait facile de discuter cependant la forme exagérée
sous laquelle on le présente. Les artistes et le public ne trouvent-ils pas,
d’ailleurs, un double avantage dans ces reproductions qui popularisent les
œuvres et séduisent par le bon marché ? Certes, ce ne sont pas les amateurs
de gravures qui se contentent aujourd’hui des épreuves dont il est question.
L’art que nous défendons a créé lui-même cette clientèle d’acheteurs, chaque
jour plus nombreuse, dont il forme peu à peu le goût, et qui arrivera, grâce
à cette éducation progressive, à une entente plus complète des productions
artistiques.
Selon nous, les chefs-d’œuvre sortis du burin de MM. Henriquel-Dupont,
Prévost, Lefebvre, Giraudot, Mercury, Blanchard, etc., n’ont rien à redouter
de l’élan admirable donné à la découverte de Niépce et de Daguerre.
30b LA P H O T O G R A P H IE EN FRANCE 1816-1871

Édouard de Latreille : « La gravure et la photographie, à M. Léon


Boulanger, Directeur de la R e v u e d e s b e a u x - a r ts », Revue des beaux-arts, t. X,
1859, pp. 113-115.

Si donc il n’est pas plus possible à la photographie de détrôner la gravure


qu’à la gravure de détrôner la photographie, pourquoi ces deux reproductrices
d’œuvres d ’art ne se donneraient-elles pas amicalement la main ? Ni l’une ni
l’autre n’auraient à y perdre, à mon sens ; car, si d’un côté, la photographie
multiplie les belles gravures, cette multiplication même assure et consolide
l’avenir de l’art du graveur par le goût qu’elle en inspire et qu’elle en
perpétue.
Que les artistes graveurs ne perdent jamais de vue cette pensée : la
photographie ne fait pas de gravures elle-même, son rôle se borne à les
reproduire et à les répandre. Reste la question de l’éditeur, mais elle est facile
à trancher. L’amateur de gravures aimera toujours mieux une épreuve prise
sur planche qu’une reproduction photographique, parce qu’il sait qu’après
quelques années, la reproduction aura disparu. Ainsi, loin de perdre de leur
valeur, les véritables épreuves n’auront fait qu’en acquérir. En attendant,
graveurs et photographes auront vécu de leur industrie, et le goût de la
gravure aura pénétré plus avant dans les masses.
Il est un point encore par lequel la photographie rend un véritable service
à l’art de la gravure, c’est celui de la reproduction des chefs-d’œuvre dont
les originaux sont ou uniques, ou fort rares, et dont la planche n’existe plus.
La photographie, en les reproduisant à l’infini, remet ces chefs-d’œuvre
dans toutes les mains et à un prix accessible à tous. Mais, objectera-t-on,
cela est bien pour les œuvres tombées dans le domaine public, et qu’on ne
peut plus se procurer qu’au moyen de la photographie ; quant aux productions
nouvelles, dont les auteurs existent et que des éditeurs exploitent, peut-on
souffrir qu’on les répande ainsi, au détriment de la spéculation ? A cela je
pourrais répondre aux graveurs et aux éditeurs : Messieurs, vous avez la loi
pour vous ; que demandez-vous de plus ? Vous pouvez poursuivre le
contrefacteur, non seulement en France, mais encore dans la plupart des
nations européennes qui ont échangé entre elles des traités protecteurs de la
propriété artistique et industrielle.
Ceux qui connaissent, par la chimie, toutes les ressources de la photographie,
savent fort bien qu’avec une minime dépense, on peut reproduire, à s’y
méprendre, un billet de banque de mille francs ; la lithographie, combinée
avec certains moyens chimiques, est dans le même cas. Faudra-t-il donc
répudier du même coup la photographie, la chimie et la lithographie ? Ne
suffit-il pas à la société d’être armée d’une loi rigoureuse contre les faussaires ?
L E S D E R N I È R E S C O N T R O X E R S E S D E S A N N E E S 1850 ÎOT

Philippe Burty : « Exposition de la Société française de photographie »,


Gazette des beaux-arts, 1859, pp. 209-221.

Lorsque, il y a quelques mois, une discussion passionnée s’éleva entre les


éditeurs, qui croyaient leurs intérêts compromis, et les photographes, ardents
comme tous les nouveaux venus dans la lice, la Gazette des beaux-arts dut
attendre que les esprits se fussent calmés, et l’exposition qui vient de s’ouvrir
lui fournit aujourd’hui toute liberté pour donner son avis dans la question.
Si le débat était resté circonscrit dans les limites de la contrefaçon commerciale,
le blâme ne serait point douteux. Il est évident que, quel que soit le moyen
employé, la contrefaçon d’une œuvre d’art est un vol, et les éditeurs étaient
dans leur droit en invoquant la protection du gouvernement. Mais on traitait
la photographie d’« industrie dolosive », ce qui tendait à faire suspecter la
probité du soleil ! On l’accusait « d’écraser facilement les œuvres originales
sans risquer de capitaux, sans travail sérieux, sans efforts de l’intelligence »,
et nous nous trouvons aujourd’hui [à l’exposition de la Société française de
photographie] en présence de suites de la plus grande importance artistique
et commerciale, d’œuvres remarquables à tous les titres, de perfectionnements
réalisés dans tous les sens.
Quel éditeur d’estampes, à aucune époque et dans aucun pays, eût osé
entreprendre la reproduction véritablement textuelle des cartons d’Hampton
C ourt5, comme MM. Caldesi et Montechi, ou des tableaux flamands du
XVe siècle, comme Fierlands, de Bruxelles ? La mise de fonds, dès aujourd’hui,
est énorme, car si le cliché s’obtient à peu de frais, le tirage des epreuves
coûte, au contraire, infiniment plus cher que pour la gravure ou la
dhographie b, les résultats sont chanceux à cause du prix de revient et de
aridité relative de quelques-unes de ces admirables études. En admettant
chose matériellement impossible) que cet éditeur que nous rêvons ait rencontré
un burin assez courageux pour entreprendre cette œuvre gigantesque, combien
ât-il livré par année à notre impatience des fragments de cette châsse de
Sainte-Ursule qu’un photographe nous donne complète en quelques heures,
- non avec tout son effet pictural, au moins avec la fidélité la plus minutieuse
: es physionomies, des attitudes et des silhouettes ? Je veux encore, pour un
moment, que l’illustre fou, commanditeur de cette entreprise, ait rencontré
graveur infatigable, qui, par un phénomène sans précédent dans l’histoire
'es arts, pourra remonter le passé et se pénétrer intimement de l’esprit d’une
poque au milieu de laquelle il ne vit plus, trouvera-t-il chez ces traducteursIl

Il s’agit des sept cartons de Raphaël jadis exposés au palais d ’Hampton Court et offerts en 1865 par
.a reine Victoria au nouveau musée de South Kensington (l’actuel Victoria and Albert Museum).
Les recherches sur la gravure héliographique visaient précisément à conjuguer les avantages de la
‘ographie pour l’obtention de la matrice et ceux de la gravure pour le tirage à l’encre grasse des
c veuves fcf. p. 188 (n. 1)].
308 L À P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1810-1871
L E S D E R N I È R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S 1850 30 9

autre chose que des artistes tendant constamment à substituer leur génie à
celui du peintre ? Les traductions sont d’autant plus belles qu’elles sont plus
personnelles, et par cela même moins fidèles. Feuilletez au Cabinet des
estampes l’œuvre des innombrables graveurs de Raphaël, vous verrez que les
plus illustres ne se sont passionnés que pour une seule des faces de ce génie
multiple. Les uns ont été pénétrés de sa grâce ; les autres frappés de sa force ;
tous, à leur insu et souvent avec le plus grand talent, n’ont fait que mettre
au jour leur personnalité intime.
La photographie est impersonnelle ; elle n’interprète pas, elle copie ; là est
sa faiblesse comme sa force, car elle rend avec la même indifférence le détail
oiseux et ce rien à peine visible, à peine sensible, qui donne l’âme et fait la
ressemblance. Nul doute que, dans un temps très court, elle ne tue cette
gravure et cette lithographie de pacotille, éditées sans conscience pour les
besoins des âmes peu délicates, en fournissant à meilleur compte des modèles
relativement supérieurs ; mais elle s’arrête à l’idéalisation, et c’est là justement
que commence le rôle du graveur et du lithographe de talent. Que les éditeurs
se rassurent, la photographie ne s’adresse guère à la foule, au moins dans
l’état actuel de ses procédés ; elle offre aux artistes des matériaux dans lesquels
il faut une grande habitude pour discerner le bon de ce qui n’est qu’un à
peu près ; elle donne aux curieux qui n’ont point de fortune, le moyen de
faire à peu de frais des voyages dans les deux mondes, les pieds sur les
chenets et le nez dans un carton ; à l’antiquaire des reproductions de
monuments ; au physiologiste des pages anatomiques contre lesquelles aucun
art ne saurait lutter ; mais jamais elle ne traduira Prud’hon comme l’ont fait
Roger et Aubry-Lecomte. Elle rendra comme un trompe-l’œil la façade de
l’Ecole des beaux-arts ; mais elle n’ébranlera jamais la gloire de M. Henriquel-
Dupont, qui, dans sa gravure de l’Hémicycle *7, nous a donné quelque chose
de plus complet que l’original, en rendant à cette composition la puissante
unité que sa coloration peu épique lui enlève par places.
La photographie porte avec elle les traces indélébiles de son action
mécanique.

Henriquel-Dupont avait mis dix ans pour graver l'Hémicycle de l ’Ecole des beaux-arts d ’après Paul
Delaroche.

74. Anonyme, « Henri IV reçoit le portrait de Marie de Médicis.


i aorès Rubens », Mélanges photographiques, 1851 -
_ une des épreuves - reproduction d'une gravure tirée elle-
-é m e d'une peinture - publiées par Blanquart-Évrard dans la série
Ma anges photographiques composée de 63 reproductions de
szulptures, bas-reliefs, gravures et monuments.
UNE IDEE FIXE :
REPRODUIRE, DIFFUSER (1857)

Société française de photographie

Les graveurs qui, en 1859, se reconnaissent dans la pétition de Goupil (cf. p. 303),
craignent sans doute moins la photographie elle-même que ce qui se met lentement
en place autour d’elle : la gravure héliographique. Quand, en 1856, Ernest Lacan
diagnostique que la photographie est, du point de vue de la vulgarisation, un
« procédé transitoire » [cf. p. 200 (n. 7)], cela sonne pour eux comme une menace.
Il n ’est donc pas étonnant que leurs réactions d ’hostilité (par la voix d ’Henri
Delaborde en 1856 et par la pétition Goupil en 1859) suivent l ’Exposition
universelle, le lancement du concours du duc de Luynes et les premières réalisations
pratiques, celles de Louis-Alphonse Poitevin notamment.
En janvier 1857, la lithophotographie de Poitevin en est certes à « ses premiers
pas » — le tirage des épreuves est encore délicat, les images manquent de demi-
teintes et les résultats ne sont pas uniformes — , mais le procédé n ’est plus une
curiosité de laboratoire, et c’est en cela qu’il est dangereux pour les graveurs et
les lithographes. Poitevin a ouvert en 1856 une imprimerie lithophotographique,
rue Saint-Jacques à Paris, « pour prouver que son procédé pouvait devenir
pratique » : il atteint déjà, avec des tirages de 1500 exemplaires, un niveau
« industriel » et ses premiers clients sont le vicomte de Janzé, Mallet-Bachelier,
le comte Olympe Aguado et, pour essai, la maison d ’édition Gide et Baudry.
Mais ces résultats encourageants — il faudrait mentionner les essais de Charles
Nègre, de Garnier et Salmon, de Pretsch — ne signifient pas que la reproduction
des images par les procédés photomécaniques soit acquise : les manipulations sont
encore longues et délicates, et l ’intervention de la main souvent nécessaire. Poitevin
doit fermer son imprimerie dès 1857 et vendre à Lemercier les droits d ’utilisation
de son procédé.
Son sort et celui de Blanquart-Evrard, dont l ’« imprimerie photographique »
de Lille ferma en 1855, résument bien la situation de la multiplication des images
photochimiques dans la seconde moitié des années 1850, et dans l ’ensemble du
Second Empire. La photographie proprement dite, altérable et finalement coûteuse,
a démontré son incapacité à répondre aux besoins de « vulgarisation » des images,
tandis que les procédés photomécaniques qui associent les vertus de la photographie
à ceux de la gravure, ne sont pas encore en mesure de répondre aux espoirs qu’ils
suscitent.
L E S D E R N I È R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N E E S I8 3 t

75 et 76. Pierre Trémaux, « Jeune Femme Nouba », Voyage au Soudan oriental, pl. 36, 1854.
A gauche : tirage papier albuminé/négatif papier.
A droite : lithographie réalisée d'après la photographie. -
C'est à cause de l'incertitude qui régnait sur la pérennité des tirages photographiques insérés
dans sa publication que Trémaux les remplaça, « sans frais pour le souscripteur »,
par des lithographies.

Dans cette situation intermédiaire, l ’alliance idéale entre la photographie et la


gravure devra, pour quelque temps encore, accorder une place à la main.
Dans la presse illustrée et en général dans l ’édition, la photographie sera
largement utilisée par les graveurs, mais comme simple modèle.
Dès 1853, Louis Rousseau, du Muséum d ’histoire naturelle, le peintre et
lithographe Achille Devéria, de la Bibliothèque impériale, avaient projeté d ’éditer
et de diffuser sous le titre Photographie zoologique ou représentation des
anim aux rares des collections du M uséum d ’histoire naturelle dix
fascicules de six photographies réalisées par les frères Bisson et tirées par
Lemercier. Mais l ’altération trop probable des tirages aux sels d’argent avait
incité les auteurs à se risquer dans la photogravure et à employer le procédé que
Xiépce de Saint- Victor venait de faire connaître. Les planches des trois livraisons
mrues (en septembre, novembre et décembre 1853) sont signées Bisson (pour les
lichés photographiques), Mante (pour le report des clichés sur acier), Riffaul
pour la gravure des planches à l ’acide) et Pernel (pour le tirage des épreuves
à l ’mcre grasse d ’imprimerie). Malheureusement, il fallait ajouter à ces procédures
toutes chimiques de nombreuses retouches manuelles (cf. ill. p. 443).
312 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

L ’exemple de Pierre Tre'maux est caractéristique1. En 1847 puis en 1853 il


effectue deux voyages au Soudan, en Afrique septentrionale et en Asie mineure.
S ’il ne rapporte d’abord que des dessins, il revient d ’un second voyage avec des
clichés photographiques. Ayant entrepris (en juin 1852) de publier ses dessins sous
forme de lithographies, il décide d ’introduire désormais dans ses publications des
photographies originales. Mais il est rapidement contraint de prévenir ses
souscripteurs que « les photographies, n’étant pas reconnues suffisamment inaltérables
par la lumière et divers autres agents pour offrir la certitude de durée nécessaire
à un corps d’ouvrage, seront à l ’avenir reproduites par la lithographie [...]. Celles
déjà livrées seront successivement remplacées par des reproductions lithographiées,
données en supplément dans les livraisons et sans frais pour le souscripteur ». Il
publie ainsi deux séries achevées pour l ’une (Voyage au Soudan oriental) en
1859 et pour l ’autre (Parallèle des édifices anciens et m odernes du
continent africain) en 1861 — au total 35 livraisons. Enfin, il fait paraître
entre 1862 et 1868 une troisième série (Exploration archéologique en Asie
mineure) en utilisant cette fois la photolithographie, le procédé Poitevin.
Trémaux a donc eu recours à toutes les formules alors disponibles de diffusion
des images : la lithographie de ses dessins, la photographie (qu’il est obligé
d ’abandonner), la lithographie d ’après ses photographies, et la photolithographie.
Comment mieux dire l ’imbroglio technique auquel doivent faire face les amateurs
de « vulgarisation » des images ?

« Rapport sur les procédés de lithophotographie de M. Poitevin » (par


une commission composée de MM. Bayard, Bilordeaux, Humbert de Molard, Lemaître.
Silbermann et Balard, de l’Institut, rapporteur), Bulletin de la Société française de photographie,
févr. 1857, pp. 42-47.

L’art de reproduire les dessins obtenus par la lumière avec l’encre et par les
procédés ordinaires de l’impression, a été l’objet de tentatives nombreuses
que justifie suffisamment l’importance du résultat cherché. Substituer en effet
aux pratiques difficiles, longues et coûteuses employées pour le tirage des
positifs, les procédés mécaniques dont une longue pratique a rendu l’exécution
prompte, sûre et économique, remplacer ces particules de métaux dont la
longue conservation à la surface de nos plaques et de nos papiers est encore
si problématique, par le charbon qui, employé par les anciens pour écrire sur
leur papyrus, a montré qu’il pouvait résister à l’épreuve du temps et de l’air
plus encore que la lame ligneuse sur laquelle il avait été déposé, sont des
1. Voir Bernard Marbot. Regards sur la photographie en France au XL\ siècle. Introduction de Weston J. Naef.
Paris. Berger-Levrault. 1980.
I .ES D E R N IÈ R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S'

77 et 78. Portrait d'Ingres, vers 1855. A gauche : photographie de Victor Laisné.


A droite : gravure illustrant le chapitre réservé à Ingres par Théophile Snvestre
dans son Histoire des artistes vivants, etudes d ’après nature, Paris. 1856
La reproduction des photographies dans les journaux et les livres
exige encore, en 1856, le recours à la gravure manuelle.

avantages qui ont dû de tout temps exciter l’émulation des photographes et


que le prix si noblement fonde par M. de Luynes doit notablement augmenter.
Ces efforts se continuent, dans deux voies parallèles en quelque sorte, et
tendent à ramener le tirage des épreuves positives aux procédés de la gravure
sur métaux et de la lithographie.
Peu de temps après la découverte de Daguerre, M. Donné d ’abord et
M. F izeau plus tard en France2, M. Grove en Angleterre, firent, pour
transformer la plaque daguerrienne même en une planche propre à tirer des
épreuves, des efforts qui continuèrent en quelque sorte ceux que Nicéphore
Niépce avait exécutés dans le temps, et qui, comme on l’a rappelé dans une
autre circonstance, ont été l’occasion de la découverte de la photographie
'-Ile-même. Mais on n’a encore obtenu rien d’important et surtout de régulier
dans cette direction, à laquelle ont fait plus tard renoncer les perfectionnements
de la photographie proprement dite et la faculté de reporter sur des planches
métalliques, plus propres à la gravure, la lumière agissant d ’une manière plus
.egulière, transmise à travers un cliché.
Nous n’avons point à vous entretenir ici de ces essais de gravure
. diographique qui ont reçu dans ces derniers temps des perfectionnements

J Sur les expériences de Donné et Fizeau. voir supra, pp. 70-76.


3U I -K PIIOTOGRAFHIK UN FRA.Vt I- 1816-1871

notables. Quand des épreuves suffisantes auront permis d’en faire une
appréciation exacte, nous essayerons de caractériser ce progrès. Nous n’avons
à vous entretenir ici que des essais faits pour obtenir des images sur verre
et tirer des épreuves par les procédés ordinaires de la lithographie.
Le bitume de Judée, sur lequel s’exercèrent d’abord les recherches de
Nicéphore Niépce, et dont M. Niépcc de Saint-Victor et M. Lemaître, notre
collègue et le collaborateur de l’oncle et du neveu, ont fait un emploi si
heureux dans ces dernières années, présente une propriété singulière. Soluble
dans certains menstrues, il voit, sous l’influence combinée de l’oxygène de
l’air et de la lumière, qui l’un et l’autre n’auraient pas agi séparément, ainsi
que l’a montré M. Chevreul, cette solubilité s’amoindrir et presque disparaître.
Ce fut cette propriété qu’essayèrent aussi d’utiliser d’abord MM. Lerebours.
Lemercier, Barreswill et Davanne pour l’exécution du procédé qui leur est
commun, et au moyen duquel nous avons vu reproduire plusieurs belles
épreuves. Si ce procédé n’a pas encore atteint dans son exécution une parfaite
régularité, on eût pu espérer qu’une pratique constante, une expérience plus
prolongée la lui feraient acquérir. Mais cette pratique même était rendue
difficile à étendre par la nécessité d’employer au lavage de pierres volumineuses
des dissolvants coûteux, dont l’action trop prolongée pouvait même faire
disparaître les parties impressionnées par la lumière. On conçoit aussi toute
l’importance qu’il y avait à substituer à ce vernis d’une matière insoluble
dans l’eau, et qui exigeait le lavage de la pierre par des dissolvants spéciaux,
une matière d’un autre ordre qui permît d’opérer sans leur concours et sans
les inconvénients qu’il amène. Tel a été le but des recherches de M. Poitevin,
et c’est dans l’action combinée de la lumière et du bichromate de potasse sur
plusieurs corps solubles d’origine végétale et animale, tels que la gomme, la
dextrine, la gélatine, la gélatine que M. Talbot avait employée pour la gravure
héliographique, et mieux encore dans l’albumine, qu’il a trouvé le moyen de
l’atteindre.
Si on recouvre une pierre lithographique ordinaire d’une solution albumi­
neuse mêlée de bichromate de potasse, et si on laisse ce liquide s’évaporer
spontanément, l’albumine, si tant qu’elle soit altérée dans sa nature, ne l’est
pas dans sa solubilité, et un lavage à l’eau froide suffit pour enlever à la
pierre la plus grande partie de la matière restée inaltérée et qui n’a pu la
pénétrer. Mais expose-t-on cette surface ainsi conditionnée à l’action de la
lumière traversant les parties inégalement transparentes d’un cliché négatif,
une altération, qui n’est pas certainement une coagulation ordinaire, et à
laquelle l’action oxygénante de l’acide chromique contribue sans doute, rend
cette albumine insoluble et fait qu’elle reste ainsi sur la pierre en quantités
d’autant plus grandes que l’action de la lumière a été plus intense. Ainsi
modifiée, cette albumine repousse l’eau comme s’il s’était foimé un corps gras
dont la production dans cette circonstance pourrait devenir l’objet de
recherches intéressantes. Dans cet état, elle se charge aisément d’encre grasse
L E S D E R N I E R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S 1850 315

79. Alphonse Poitevin et Louis Rousseau, Polypier (vers 1855). Photolithographie. -


La solution à la difficile question de la « vulgarisation » des images photographiques doit
beaucoup à Poitevin qui, avec sa « photolithographie », remporte en 1867 le concours
lancé on2 e ans auparavant par le duc de Luynes. Davanne écrira à cette occasion que
« par son procédé d'impression à l’encre grasse, qui est la lithographie, il [Poitevin] produit
facilement, sans retouches, de manière à laisser toute garantie d'authenticité, une
épreuve photographique quelconque et à tel nombre d'exemplaires qu'il peut être
nécessaire pour mettre à la portée de chacun des documents utiles aux arts et aux sciences »
(B.S.F.P., 1867. p. 112).

dinaire, qui reste sans adhérence aux parties de la pierre où la lumière n’a
> agi. Si l’on passe alors sur cette surface un rouleau recouvert de cette
. ,ialité d’encre dans laquelle entre du savon et que les lithographes appellent
crf de report, celle-ci adhère aux points recouverts d’albumine impressionnés
ir la lumière et non aux autres, et la pierre se trouve ainsi recouverte
encre grasse disséminée en proportions variables comme elle l’aurait été par
crayon du dessinateur. En acidulant ensuite, en mouillant avec l’éponge,
ncre en excès disparaît. Le dessin s’égalise en lui faisant subir les opérations
316 L A P H O T O G R A P H I E F N F R A N C E 1816-1871

lithographiques connues, c’est-à-dire l’enlevage à l’essence et le réencrage .. ■


rouleau, et l’on n’a plus ensuite qu’à recouvrir cette pierre ainsi prépar—
d’une couche de gomme qui ne prend que là où il n’y a pas d’encre, et
la soumettre encore à l’encrage ordinaire et à l’acidulation pour obtenir autant
d’exemplaires que si le dessin, dont la lumière s’est entièrement chargée, av_ l
été fait avec le crayon et par les procédés connus de la lithographie.
C’est ainsi que votre Commission a vu opérer M. Poitevin et reporter s^-
pierre des clichés qui ont été tirés avec un succès qui lui avait fait concevoir
des espérances sérieuses. C’est du reste la seule chose dont elle aurait j
vous entretenir si elle eût fait son Rapport à l’époque où elle vérifiait 1-
observations de M. Poitevin. Mais, pour prouver que son procédé pouvai
devenir pratique, il a eu le bon esprit de le mettre en œuvre et de lui donm -
ainsi la sanction d’un commencement d’exploitation régulière, qui est ei
définitive l’épreuve la plus sérieuse des inventions. Le procédé dont nous nou-
entretenons l’a heureusement subie, et M. Poitevin a déjà pu donner
quelques éditeurs des épreuves tirées par son procédé de photolithographic,
qui ont été livrées au commerce, ou qui sont destinées à enrichir quelque-
publications. M. le vicomte de Janzé, pour faire reproduire sa collection c
terres cuites, n’a pas employé moins de 44 clichés. M. Mallet-Bachelier, en
publiant dans les Annales de Chimie et de Physique un Mémoire de M. Ville, a
substitué au dessin ordinaire des épreuves obtenues par M. Poitevin, exempi'
qui ne peut manquer d’être plus suivi plus tard ; enfin MM. Gide et Baudn
ont fait tirer une première épreuve de dessins variés dont ils ont essayé de
faire la base d’un journal destiné à répandre des fac-simih de ces objets de
luxe dont le goût ou mieux la mode varient les formes tous les jours. On
conçoit d ’ailleurs que les résultats que l’on obtient dépendent pour leur qualité
de celle du cliché que l’on transporte sur pierre. M. Poitevin les accepte tous,
et on conçoit qu’il ne peut répondre que du tirage et non du dessin. Au
moyen de cette organisation qui lui permet en quelque sorte de nourrir et
de développer l’art par le métier, M. Poitevin a pu continuer ses expériences
et reproduire quelques belles épreuves de paysage que M. Aguado lui avait
confiées. Celle qui représente un détail de la cathédrale de Reims et qui a
été obtenue avec un beau cliché de M. Bisson, figure en ce moment dans
votre Exposition, et montre le point le plus avancé que le nouveau procédé
ait atteint jusqu’aujourd’hui.
fous les résultats ont été du reste obtenus absolument sans retouche, sans
aucune espèce d’intervention dans le dessin de la main humaine. Dans une
de nos séances précédentes, M. Remercier vous a dit qu’un tirage qui pouvait
reproduire jusqu’à 100 épreuves commençait à devenir industriel. Ceux que
M. Poitevin a exécutés ont bien dépassé cette exigence. La plupart ont été
exécutés à 500 exemplaires, l’un d’eux a été amené jusqu’à 1 500 exemplaires
sans que la pierre en ait souffert ; on voit donc que le dessin photographique
est aussi solide que le dessin à la main.
L E S D E R N I È R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S 185Ü 317

Le tirage de ces épreuves est du reste un peu plus délicat que celui des
produits de la lithographie ordinaire ; il exige quelques soins spéciaux qui le
rendent aussi un peu plus coûteux. Mais cette augmentation de prix légère
et qui n’est guère que d’un quart en sus des épreuves de la lithographie, est
ioin de compenser la différence notable de prix qui existe entre le dessin et
la production du cliché et du report sur pierre quand il s’agit surtout de
dessins compliqués. Abstraction faite de l’avantage qu’il y a dans la
reproduction de l’image réelle des objets eux-mêmes, on voit donc que le
nouveau procédé de photolithographic, même dès ses premiers pas, présente
sur la reproduction par la lithographie ordinaire une notable économie. Elle
-e maintiendrait aussi lors même que, pour obtenir de meilleurs reports, il
fallût faire plusieurs dessins positifs sur pierre, afin de choisir pour le tirage
elle où l’épreuve serait le mieux venue. On conçoit en effet que, selon les
hangements d’intensité de la lumière, cette production d’image par celle qui
traverse le cliché présentera dans son exécution toutes les incertitudes et les
ariations qui accompagnent l’exécution des épreuves positives. Celles qui
-ont exposées en ce moment dans le local de la Société ont été cependant
btenues sans tâtonnements. Fallût-il en faire d’ailleurs, le prix de la
eproduction ne se trouverait augmenté que de la somme minime qu’exigent
- manipulations nécessaires pour rendre une pierre lithographique, qui a
•é couverte d’un premier dessin, propre à servir une seconde fois.
Les quelques détails dans lesquels nous venons d’entrer montrent que la
mse en pratique de la photolithographic a amélioré, d’une manière non
uteuse, l’industrie qui consiste à reproduire et à multiplier les images des
>bjets. Voyons maintenant ce que méritent d’éloges ou de critiques les
preuves obtenues par la méthode nouvelle au point de vue de l’art.
Ce serait une déception que d’attendre dans l’exécution de ce procédé ce
'ni dans la dégradation des teintes, et cette perfection du modelé que
résentent les épreuves positives bien faites. Cependant M. Poitevin a exécuté
uelques portraits et notamment un portrait de femme qui permet d’espérer
.ue son procédé permettra de réaliser tout ce qu’on peut attendre de la
lographie proprement dite. Il serait à désirer que, pour donner la meilleure
sure de la valeur de son procédé sous ce rapport, M. Poitevin voulût bien
appliquer à la reproduction de quelques plâtres ou de quelques marbres
polis.
En résumé, nous pensons que la mise en œuvre, d’une manière industrielle,
- procédés imaginés par M. Poitevin est un fait d’une importance sérieuse
our la photographie. Nous croyons que la Société, en remerciant M. Poitevin
ses intéressantes communications, doit aussi l’engager à persévérer dans
voie qui lui a déjà permis d’apporter à la reproduction et à la multiplication
s dessins photographiques des améliorations qui ne sauraient d ’ailleurs que
accroître par une pratique plus longue et plus étendue, que la Société
nographique appelle de tous ses vœux.
ENFIN ADMISE
AU SALON DES BEAUX-ARTS, MAIS
(1856-1859)

NADAR et la Société française de photographie (1856) ;


P h ilip p e BURTY (1830-1890) ; L ouis FIGUIER (1819-1894)

Alors qu’en 1855 la photographie n’avait pas été admise au Salon des beaux-arts,
avenue Montaigne, mais au Palais de l ’industrie, parmi les produits manufacturés
(cf. pp. 209-210), quatre ans plus tard, en 1859, les photographes sont finalement
.autorisés à côtoyer, sous le même toit, les peintres, les graveurs et les lithographes.
La décision semble avoir été précédée de discussions nombreuses au sein même de
la Société française de photographie et de difficiles négociations avec la direction
des Beaux-Arts 1.
En cohabitant avec les peintres, les photographes espéraient bénéficier d ’une
légitimité nouvelle. Cet objectif n ’est que partiellement atteint car la photographie
n’est pas vraiment intégrée au Salon : elle doit se satisfaire « d ’un espace distinct
il est vrai des Beaux-Arts, mais qui, par sa contiguïté avec ceux-ci [...] lui fait
une sorte de réhabilitation ». Pour Figuier, ce compromis « établit avec vérité la
situation mutuelle des deux parties en litige ».

1. A la réunion de la Société française de photographie, en date du 17 avril 1857, le rapport de la


« Commission chargée d ’examiner la question de l’admission de la photographie aux expositions de
peinture, gravure et lithographie [...] donne lieu à une longue discussion qui en fait ajourner le vote et
la prochaine séance » (B.S.F.P., 1857, p. 119). Lors de celle-ci, il est décidé de « modifier les conclusions »
du rapport (B.S.F.P., 1857, p. 123). En juin 1858. la S.F.P. décide de tenir son exposition en février 1859
sans en préciser l’endroit ; mais le 19 novembre 1858, son ouverture est reportée au mois d ’avril et, dit-
on, l’exposition se tiendra dans un « local spécial [...] qui sera ultérieurement fixé » (B.S.F.P., 1858.
p. 341). Le 24 décembre 1858, on parle de « circonstances nouvelles [qui] pourraient se produire » (B.S.F.P.,
1859, p. 2). En janvier 1859, enfin, la première publication du règlement révèle que l’exposition se tiendra
«dans un emplacement spécial au palais de l’Industrie» (B.S.F.P., 1859, p. 17) et, précise Régnault lors
de la séance suivante, «en même temps que l’exposition de peinture» (B.S.F.P., 1859, p. 30). Ces
fluctuations concernant la date et le lieu suggèrent une négociation mouvementée.
Le catalogue de l’exposition qui a lieu du 15 avril au 1erjuillet 1859 mentionne : « La Société française
de photographie ayant, cette année, avec l’autorisation de M. le Ministre d ’Etat et M. le Directeur des
Beaux-Arts, organisé sa troisième exposition publique dans le pavillon sud-ouest du palais des Champs-
Elysées, y a convié tous les photographes français et étrangers ».
L E S D E R N I È R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S 1850 319

Officiellement, la photographie se situe désormais à mi-chemin entre le produit


industriel et l ’œuvre d’art — et l ’espace qui la sépare encore des sections « nobles »
traduit le rapport des forces au sein de l ’institution culturelle.
Reste que Burty et Figuier soulignent l ’un et l ’autre le caractère transitoire de
la décision du gouvernement qui pourrait accepter « pour un jour prochain l ’accès
complet et définitif de la photographie dans le sanctuaire des Beaux-Arts ». Ils
entendent par là que le statut des images photographiques n ’est pas défini une
fois pour toutes, mais qu’il évolue en fonction du poids social des « parties en
litige » : d ’une part la puissante institution des Beaux-Arts (avec l ’appui
conjoncturel de la pétition Goupil destinée à l ’Empereur et émise — est-ce fortuit ?
— au lendemain même de l ’annonce de l ’exposition photographique) et, d ’autre
part, la Société française de photographie dont les activités (expositions, bulletins,
réunions, concours), la notoriété de certains de ses membres et les sympathies
diverses qu’elle rencontre, témoignent de l ’expansion irrésistible du nouveau procédé
et de l ’essor du marché photographique.

Nadar et la S.F.P. : « Interventions lors de la séance du 21 novembre


1856 », Bulletin de la Société française de photographie, déc. 1856, pp. 325-334.

M. le Secrétaire général donne lecture de la lettre suivante adressée à la


Société par M. Nadar :
« Messieurs,
La photographie est, jusqu’ici, oubliée dans le programme de l’exposition
des Beaux-Arts en 1857.
Cet oubli me paraît préjudiciable en même temps à l’art et aux intérêts
que vous représentez.
Vous l’avez sans doute déjà pensé comme moi et j ’arrive vraisemblablement
un peu tard pour appeler votre attention sur l’influence que ne saurait
manquer d’avoir dans cette question une démarche officielle de votre Société.
Cette démarche collective viendrait relier, en leur donnant une force réelle,
les influences individuelles que chacun de nous doit faire agir dans le but
commun.
J ’ai l’honneur, à l’appui de ma proposition, de joindre sous ce pli quelques
lignes que je viens de publier à ce sujet, et je serai heureux de mettre à votre
zisposition mon concours dans la presse en général, si faible qu’il puisse être.
Veuillez agréer, etc. »
M. Durieu dit que ce n’est pas la première fois qu’on a exprimé la pensée
que la photographie devait avoir sa place à l’exposition des Beaux-Arts plutôt
qu’à celle de l’Industrie ; mais quelques objections ont été élevées par certains
320 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

13 JO *
1350F
L a p h o to g ra p h ie s o llic ita n t u n e to n te p e tite p! à l'e x ­ I n g r a t i t u d e de la peinture, q"i refuse la pl, is.
p o sitio n d es b e a u x - a r ts . p l a c e d - r t o n exposi t i on à la pho t o g r a p h i e i “ ^ ul cl
doit ta n t.

80. 81 et 83. Trois dessins de Nadar à propos de l'admission


de la photographie au Salon des Beaux-Arts.
En haut : Journal amusant, n°55. 17 janv. 1857. En bas :
Journal amusant, n° 172, 16 avril 1859.

Ces trois dessins qui s'échelonnent de 1857 à 1859 expriment


la volonté de Nadar de voir la photographie accueillie au Salon des
beaux-arts. « Enfin !... », note-t-il en 1859. en écho à I âpreté
des négociations.

L a P e i n t u r e o ffra n t â l a P h o to g r a p h ie u n e to u te p e t i t e
p la c e à l’e x p o s itio n d e s b e a u x - a r t s . E n fin 1.,,
L E S D E R N I È R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S 1850 321

artistes eux-mêmes, qui pensent qu’il ne faudrait comprendre parmi les objets
exposés aux Beaux-Arts que ceux où la main de l’homme intervient d'une
façon plus directe, tels que la peinture, l’architecture, la sculpture, la gravure,
etc.
Dans tous les cas, la question mérite d’être examinée ; mais M. Durieu ne
pense pas que la Société puisse la discuter séance tenante. Peut-être voudra-
t-elle la renvoyer à l’examen préalable d’une commission.
M. le président pense que si la question était discutée, il faudrait se
préoccuper non seulement des avantages qu’il y aurait pour la photographie
à être admise aux Beaux-Arts, mais tenir compte aussi des inconvénients que
cette admission pourrait entraîner. Il faudrait examiner si les premiers sont
supérieurs aux seconds. Au surplus, la commission ferait un rapport, et on
pourrait ensuite discuter les questions sur lesquelles son attention se serait
portée.
\1. le président propose de composer ainsi la commission : MM. le comte
Léon de Laborde, Eugène Delacroix, Philippe Rousseau, Paul Périer, le comte
Aguado, Cousin, Théophile Gautier.
M. Durieu pense qu’il serait bien d’inviter la commission à présenter son
rapport sans retard, parce que c’est une de ces questions qui peuvent soulever
des avis assez opposés. [...J
M. Bayle-Mouillard craint que l’adrrtission de la photographie à l’exposition
des Beaux-Arts ne lui soit pas avantageuse. En effet, à celle de l’Industrie,
la photographie joue un rôle assez distingué, tandis qu’il est fort à redouter
qu’à l’exposition des Beaux-Arts elle ne soit reléguée au dernier rang. La
lithographie et la gravure n’y sont déjà pas bien traitées, il craint que la
photographie ne l’y soit bien moins encore. D’un autre côté, la photographie
étant admise aux Beaux-Arts n’y serait que comme produit artistique, et dès
lors les chercheurs, les inventeurs se trouveraient négligés.
M. le président ajoute que rien n’empêcherait que les objets qui, ne
présentant pas un intérêt suffisamment artistique, ne seraient pas admis à
l’exposition des Beaux-Arts, ne fussent présentés à un autre titre aux
expositions de l’Industrie.

Philippe Burty : « Exposition de la Société française de photographie »,


Gazette des beaux-arts, 1859, pp. 209-221.

On se rappelle qu’à l’Exposition universelle de 1855, la photographie, malgré


ses protestations, fut reléguée au milieu des produits purement industriels ;
'était la traiter bien durement, et elle songea dès ce jour à en appeler au
-’ublic, ce juge en dernier ressort. Fondée vers la fin de 1854, sous la présidence
de M. Régnault, de l’Institut, la Société française de photographie qui compte
322 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

parmi ses administrateurs le comte Léon de Laborde, ouvrit une première


exposition au siège même de ses réunions, et plus tard, en 1857, une seconde
au boulevard des Capucines dans les salons de M. Le Gray. Cette année,
enfin, la société a obtenu du gouvernement, au palais des Champs-Elysées,
un espace distinct il est vrai des beaux-arts, mais qui, par sa contiguïté avec
ceux-ci, acquiert aux yeux du public une importance qui lui fait une
sorte de réhabilitation. Si les photographes m’en croient, ils ne devront
provisoirement pas demander davantage, et la direction des Beaux-Arts me
semble avoir nettement et judicieusement résolu la question de préséance, en
laissant installer cette exhibition parallèlement à celle des œuvres de la
peinture, de la sculpture et de la gravure modernes, mais sans la prendre
sous sa direction officielle, et sans partager avec elle le local ni l’entrée.

Louis Figuier : L a P h o t o g r a p h i e a u s a lo n d e 1 8 5 9 , 1860, pp. 1-7.

Si nous n’avons pas eu dans notre siècle la querelle des anciens et des modernes,
nous avons eu la querelle des graveurs et des photographistes 2. La photographie
apparaissait à peine à l’horizon de la science, que la gravure et la lithographie,
et non sans raison, hélas ! concevaient les plus vives alarmes de l’apparition
inopinée de cette rivale, ardente comme tout ce qui est jeune et fort. Il y a
vingt ans que la photographie a pris naissance, il y a vingt ans aussi que
lithographes et graveurs s’efforcent de la combattre. Efforts impuissants ! Rien
n’a pu parvenir à faire discréditer dans l’opinion publique les merveilles de
cet art nouveau. A l’époque de l’Exposition universelle de 1855, la photographie,
malgré ses vives réclamations, ne put pénétrer dans le sanctuaire du palais
de l’avenue Montaigne ; elle fut condamnée à chercher son asile dans
l’immense bazar des produits de toutes sortes qui remplissaient le Palais de
l’industrie. En 1859, pressée plus vivement, la commission des musées a
adopté un moyen terme : elle a accordé, dans le Palais de l’industrie, une
place à l’exposition de photographie, tout à côté de l’exposition de peinture
et de gravure, mais avec une entrée distincte, et, pour ainsi dire, sous une
autre clef. On ne peut qu’applaudir à cette solution du différend, car elle
établit avec vérité la situation mutuelle des deux parties en litige, et fait
entrevoir pour un jour prochain l’accès complet et définitif de la photographie
dans le sanctuaire des Beaux-Arts.
Si l’interdiction qui avait été portée jusqu’ici a été en partie levée, on peut
croire qu’il existe des motifs suffisants pour légitimer l’accueil fraternel que
les beaux-arts ont fait non à une rivale, mais à une compagne et à un

2. Le terme de « photographiste » est, depuis le début des années 1850, assez rarement usité ; ici, en
1859, il fait déjà figure d ’archaïsme.
L E S D E R N I È R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S 1850 3 23

auxiliaire utile. Depuis quelques années, en effet, la photographie a pris le


caractère artistique qu’elle travaillait à atteindre. Il suffit, pour se convaincre
de cette vérité, d’étudier la magnifique collection des épreuves françaises et
étrangères que la Société de photographie avait disposées avec tant de goût
dans le Palais de l’industrie, grâce au zèle intelligent et éclairé de son
secrétaire-agent, M. Martin Laulerie. Nous nous efforcerons, dans la revue
sommaire que nous allons entreprendre, de faire ressortir le mérite de cette
exposition au point de vue artistique, tant pour établir aux yeux du public
le fait, encore trop discuté, de l’existence de la photographie comme branche
nouvelle des beaux-arts, que pour concourir, dans la limite de notre sphère,
à diriger les opérateurs dans une voie qui peut seule assurer le succès et
l’avenir de cette belle création de la science. A l’heure où la photographie
est encore, on peut le dire, aux temps voisins de sa naissance, il faut qu’elle
s’arrache aux sentiers battus du mercantilisme et du métier ; il faut qu’elle
s’élève dans une région plus haute, et que, sans prétendre à éclipser la
gravure, elle arrive à constituer une forme parallèle de cette manifestation de
l’art.
Il ne nous sera pas difficile de prouver par la revue sommaire de l’exposition
photographique, que la reproduction de la nature par l’instrument de Daguerre
n’est qu’une forme de plus mise entre nos mains, que ce n’est qu’un moyen
nouveau dont nous pouvons disposer, un procédé, jusqu’ici sans analogue,
pour traduire matériellement l’impression que fait sur nous l’aspect de la
nature. Jusqu’ici, l’artiste a eu à sa disposition le pinceau, le crayon, le burin,
la surface lithographique ; il a de plus, maintenant, l’objectif de la chambre
obscure. L’objectif est un instrument comme le crayon ou le pinceau ; la
photographie est un procédé comme le dessin et la gravure, car ce qui fait
'artiste, c’est le sentiment et non le procédé. Tout homme heureusement et
convenablement doué peut donc obtenir les mêmes effets avec l’un quelconque
de ces moyens de reproduction.
Aux personnes que cette assimilation pourrait surprendre, nous ferons
remarquer qu’un photographiste habile a toujours sa manière propre tout
aussi bien qu’un dessinateur ou un peintre, de telle sorte qu’avec un peu
d'habitude on reconnaît toujours au premier coup d’œil l’œuvre de tel ou tel
opérateur, et bien plus, que le caractère propre à l’esprit artistique de chaque
nation se décèle avec une singulière et frappante évidence dans les œuvres sorties
•.es différents pays. Vous devineriez d’une lieue un paysage photographique dû
à un artiste anglais, à sa couleur froide, guindée et monotone, à la presque-
identité qu’elle présente avec une vignette anglaise. Jamais un photographiste
français ne pourra être confondu, sous ce rapport, avec un de ses confrères
d'outre-Manche. 3

Louis Figuier reprend ici le thème de la photographie « nationale » développé naguère par Théophile
Gautier (cf. pp. 283-285).
324 L A P H O T O G R A P H I E E N I R A N C E 1816-1871

Nous ajouterons que l’individualité de chaque photographiste demeure


toujours reconnaissable dans son œuvre. Faites reproduire par différents
opérateurs un même site naturel, demandez à différents artistes le portrait
d’une même personne, et aucune de ces œuvres, reproduisant pourtant un
modèle identique, ne ressemblera à l’autre ; dans chacune d’elles, tout ce que
vous reconnaîtrez, c’est la manière, ou plutôt le sentiment de celui qui l’a
exécutée.
Si donc l’objectif n’est qu’un instrument de plus dont nous disposons pour
traduire l’aspect de la nature, si le photographiste conserve dans ses œuvres
son individualité, sa manière propre, le sentiment qui le distingue et l’anime,
on est bien forcé de reconnaître que la photographie fait véritablement partie
du domaine des beaux-arts. Au lieu de n’y voir qu’un simple mécanisme à
la portée du premier venu, il faut donc s’efforcer de la pousser plus avant
encore dans la direction artistique ; il faut applaudir aux efforts de ceux qui
travaillent dans cet esprit élevé, et souhaiter que leur exemple trouve beaucoup
d’imitateurs. Le jury de l’exposition, dans le choix ou le refus qu’il a fait des
épreuves soumises à son examen, nous semble avoir été dirigé par cette
pensée, et nous l’en félicitons. Il a chassé les marchands du temple ; ainsi
nous pouvons y entrer avec la certitude de n’y trouver que des œuvres
d’artistes.
LA «TRIVIALE IMAGE »
(1859)

C harles BAUDELAIRE (1821-1867)

Les propos de Charles Baudelaire contre la photographie sont, dans son Salon
de 1859, brillants mais sévères. S ’il Jlétrit les engouements successifs de la
« société immonde » pour te portrait au daguerréotype puis pour le stéréoscope, il
ne parle pas de l ’exposition de photographies qui, pourtant, côtoie pour la première
fois le Salon et sert sans doute de prétexte à sa diatribe.
Par-delà la photographie, c’est en fait un double rejet qu’il formule : contre
l ’industrie, « la plus mortelle ennemie de l ’art » ; contre le réalisme, qui croit à
la possible « reproduction exacte de la nature ». Baudelaire identifie l ’expansion
de la photographie avec l ’essor économique de la bourgeoisie, accusée de vouloir
contempler « sa triviale image sur le métal ».
Comme l ’a noté Walter Benjamin, le poète ne pouvait trouver dans la
photographie ce qu’il demandait à la peinture : une beauté inépuisable. « Ce qui
rend insatiable le plaisir qu’on prend aux belles choses, c’est l ’image du monde
antérieur, celui que Baudelaire présente comme voilé par les larmes de la
nostalgie » 1. Aussi ce dernier récuse-t-il une pratique qui vise, croit-il, à
« frapper » le public, à « le surprendre », à le « stupéfier » sans laisser opérer
le lent travail de la mémoire, ni laisser affleurer « le domaine de l ’impalpable
et de l ’imaginaire... » Pour Baudelaire, dépourvues d ’aura, les photographies
n’ont pas d ’âme.
On notera, sur le même ton, une condamnation sans équivoque des images
licencieuses que proposaient, dans les années 1850, des officines spécialisées.
Finalement, comme Bonnardot, Planche et parfois même Gautier, Baudelaire réduit
la photographie à la portion congrue ; elle sera « la servante des sciences et des
arts, mais la très humble servante », sa tâche se limitera à « sauver de l ’oubli
[...] les choses précieuses dont la forme va disparaître » .12

1. Walter Benjamin, Charles Baudelaire, un poète lyrique à l'apogée du capitalisme, Paris, Payot, 1982, p. 198.
2. Cf. cette lettre à Nadar, du 14 mai 1854: «Si tu étais un ange, tu irais faire ta cour à un nommé
Moreau, marchand de tableaux, rue Laffitte, hôtel Laffitte [...] et tu obtiendrais de cet homme la
permission de faire une double belle épreuve photographique d ’après La Duchesse d’Albe de Goya (archi-
Goya, archi-authentiquc). [...] la beauté des Goya étant généralement peu comprise, tu ferais bien de ne
faire que deux reproductions, l’une pour toi, l’autre pour moi. Si tu t’y résous, prends garde de les faire
trop petites. Cela enlèverait une partie du caractère. »
326 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

Pourtant, en 1865, après avoir lui-même posé — chez Carjat3 et chez Nadar
notamment — , Baudelaire avoue à sa mère son désir de posséder son portrait
photographique : « C’est une idée qui s’est em parée de moi. » Le cliché devra
avoir « le flou d’un dessin », précise-t-il. Cette condition d’ordre esthétique et la
volonté de Baudelaire d’être présent chez le photographe trahissent en fa it le rôle
particulier de la photographie dans une relation fortement œdipienne — Baudelaire
attendant de la photographie une image de sa mère non pas telle qu’elle est (avec
rides et défauts), mais telle qu’il la désire.

« Salon de 1859 : le public moderne et la photographie », « Salon de 1859 ».


Œuvres complètes, t. II (Gallimard, 1976), p. 616.

Si l’artiste abêtit le public, celui-ci le lui rend bien. Ils sont deux termes
corrélatifs qui agissent l’un sur l’autre avec une égale puissance. Aussi
admirons avec quelle rapidité nous nous enfonçons dans la voie du progrès
(j’entends par progrès la domination progressive de la matière), et quelle
diffusion merveilleuse se fait tous les jours de l’habileté commune, de celle
qui peut s’acquérir par la patience.
Chez nous le peintre naturel, comme le poète naturel, est presque un
monstre. Le goût exclusif du Vrai (si noble quand il est limité à ses véritables
applications) opprime ici et étouffe le goût du Beau. Où il faudrait ne voir
que le Beau (je suppose une belle peinture, et l’on peut aisément deviner
celle que je me figure), notre public ne cherche que le Vrai. Il n’est pas
artiste, naturellement artiste ; philosophe peut-être, moraliste, ingénieur,
amateur d’anecdotes instructives, tout ce qu’on voudra, mais jamais spontané­
ment artiste. Il sent ou plutôt il juge successivement, analytiquement. D’autres
peuples, plus favorisés, sentent tout de suite, tout à la fois, synthétiquement.
Je parlais tout à l’heure des artistes qui cherchent à étonner le public. Le
désir d’étonner et d’être étonné est très légitime. It is a happiness to wonder,
« c’est un bonheur d ’être étonné » ; mais aussi, it is a happiness to dream, « c’est
un bonheur de rêver » 4. Toute la question, si vous exigez que je vous confère
le titre d’artiste ou d’amateur des beaux-arts, est donc de savoir par quels
procédés vous voulez créer ou sentir l’étonnement. Parce que le Beau est

3. Lettre à Carjat, datée du 6 octobre 1863, à propos du portrait de Baudelaire assis, dit « aux gravures » :
« Manet vient de me montrer la photographie qu’il porte chez (le graveur) Bracquemond ; je vous félicite
et je vous remercie. Cela n’est pas parfait, parce que cette perfection est impossible, mais j ’ai rarement vu
quelque chose d ’aussi bien [...] si vous n’avez pas détruit le cliché, faites m’en quelques épreuves. Quelques,
cela veut dire ce que vous pourrez [...] »
4. Citation d’Edgar Poe.
L E S D E R N IÈ R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S

toujours étonnant, il serait absurde de supposer que ce qui est étonnant r~t
toujours beau. Or notre public, qui est singulièrement impuissant à sentir
bonheur de la rêverie ou de l’admiration (signe des petites âmes), veut être
étonné par des moyens étrangers à l’art, et ses artistes obéissants se conforment
à son goût ; ils veulent le frapper, le surprendre, le stupéfier par des
stratagèmes indignes, parce qu’ils le savent incapable de s’extasier devant la
tactique naturelle de l’art véritable.
Dans ces jours déplorables, une industrie nouvelle se produisit, qui ne
contribua pas peu à confirmer la sottise dans sa foi et à ruiner ce qui pouvait
rester de divin dans l’esprit français. Cette foule idolâtre postulait un idéal
digne d’elle et approprié à sa nature, cela est bien entendu. En matière de
peinture et de statuaire, le Credo actuel des gens du monde, surtout en France
(et je ne crois pas que qui que ce soit ose affirmer le contraire), est celui-
ci : «Je crois à la nature et je ne crois qu’à la nature (il y a de bonnes
raisons pour cela). Je crois que l’art est et ne peut être que la reproduction
exacte de la nature (une secte timide et dissidente veut que les objets de
nature répugnante soient écartés, ainsi un pot de chambre ou un squelette).
Ainsi l’industrie qui nous donnerait un résultat identique à la nature serait
l’art absolu ». Un Dieu vengeur a exaucé les vœux de cette multitude.
Daguerre fut son Messie. Et alors elle se dit : « Puisque la photographie nous
donne toutes les garanties désirables d’exactitude (ils croient cela, les
insensés !), l’art, c’est la photographie. » A partir de ce moment, la société
immonde se rua, comme un seul Narcisse, pour contempler sa triviale image
sur le métal. Une folie, un fanatisme extraordinaire s’empara de tous ces
nouveaux adorateurs du soleil. D’étranges abominations se produisirent. En
associant et en groupant des drôles et des drôlesses, attifés comme les bouchers
et les blanchisseuses dans le carnaval, en priant ces héros de vouloir bien
continuer, pour le temps nécessaire à l’opération, leur grimace de circonstance,
on se flatta de rendre les scènes, tragiques ou gracieuses, de l’histoire ancienne.
Quelque écrivain démocrate a dû voir là le moyen, à bon marché, de répandre
dans le peuple le goût de l’histoire et de la peinture, commettant ainsi un
double sacrilège et insultant à la fois la divine peinture et l’art sublime du
comédien. Peu de temps après, des milliers d’yeux avides se penchaient sur
les trous du stéréoscope 5 comme sur les lucarnes de l’infini. L’amour de
l'obscénité, qui est aussi vivace dans le cœur naturel de l’homme que l’amour
de soi-même, ne laissa pas échapper une si belle occasion de se satisfaire. Et
qu’on ne dise pas que les enfants qui reviennent de l’école prenaient seuls
plaisir à ces sottises ; elles furent l’engouement du monde. J ’ai entendu une
belle dame, une dame du beau monde, non pas du mien, répondre à ceux
qui lui cachaient discrètement pareilles images, se chargeant ainsi d’avoir de

5. Les photographies stéréoscopiques rencontrent un important succès sous le Second Empire. Constituées
par la juxtaposition de deux vues prises simultanément mais sous des angles légèrement différents, elles
permettent, dans une visionneuse binoculaire — un stéréoscope —, de simuler le relief.
328 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

la pudeur pour elle : « Donnez toujours ; il n’y a rien de trop fort pour moi. »
Je jure que j ’ai entendu cela ; mais qui me croira ? [...]
Comme l’industrie photographique était le refuge de tous les peintres
manqués, trop mal doués ou trop paresseux pour achever leurs études, cet
universel engouement portait non seulement le caractère de l’aveuglement et
de l’imbécillité, mais avait aussi la couleur d’une vengeance. Q u’une si stupide
conspiration, dans laquelle on trouve, comme dans toutes les autres, les
méchants et les dupes, puisse réussir d’une manière absolue, je ne le crois
pas, ou du moins je ne veux pas le croire ; mais je suis convaincu que les
progrès mal appliqués de la photographie ont beaucoup contribué, comme
d’ailleurs tous les progrès purement matériels, à l’appauvrissement du génie
artistique français, déjà si rare. La Fatuité moderne aura beau rugir, éructer
tous les borborygmes de sa ronde personnalité, vomir tous les sophismes
indigestes dont une philosophie récente l’a bourrée à gueule-que-veux-tu, cela
tombe sous le sens que l’industrie, faisant irruption dans l’art, en devient la
plus mortelle ennemie, et que la confusion des fonctions empêche qu’aucune
soit bien remplie. La poésie et le progrès sont deux ambitieux qui se haïssent
d’une haine instinctive, et, quand ils se rencontrent dans le même chemin,
il faut que l’un des deux serve l’autre. S’il est permis à la photographie de
suppléer l’art dans quelques-unes de ses fonctions, elle l’aura bientôt supplanté
ou corrompu tout à fait, grâce à l’alliance naturelle qu’elle trouvera dans la
sottise de la multitude. Il faut donc qu’elle rentre dans son véritable devoir,
qui est d’être la servante des sciences et des arts, mais la très humble servante,
comme l’imprimerie et la sténographie, qui n’ont ni créé ni suppléé la
littérature. Q u’elle enrichisse rapidement l’album du voyageur et rende à ses
yeux la précision qui manquerait à sa mémoire, qu’elle orne la bibliothèque
du naturaliste, exagère les animaux microscopiques, fortifie même de quelques
renseignements les hypothèses de l’astronome ; qu’elle soit enfin le secrétaire
et le garde-note de quiconque a besoin dans sa profession d ’une absolue
exactitude matérielle, jusque-là rien de mieux. Q u’elle sauve de l’oubli les
ruines pendantes, les livres, les estampes et les manuscrits que le temps
dévore, les choses précieuses dont la forme va disparaître et qui demandent
une place dans les archives de notre mémoire, elle sera remerciée et applaudie.
Mais s’il lui est permis d’empiéter sur le domaine de l’impalpable et de
l’imaginaire, sur tout ce qui ne vaut que parce que l’homme y ajoute de son
âme, alors malheur à nous !
Je sais bien que plusieurs me diront : « La maladie que vous venez
d’expliquer est celle des imbéciles. Quel homme, digne du nom d ’artiste, et
quel amateur véritable a jamais confondu l’art avec l’industrie ? » Je le sais,
et cependant je leur demanderai à mon tour s’ils croient à la contagion du
bien et du mal, à l’action des foules sur les individus et à l’obéissance
involontaire, forcée, de l’individu à la foule. Que l’artiste agisse sur le public,
et que le public réagisse sur l’artiste, c’est une loi incontestable et irrésistible ;
d’ailleurs les faits, terribles témoins, sont faciles à étudier ; on peut constater
L E S D E R N I È R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S 1850 32 9

le désastre. De jour en jour l’art diminue le respect de lui-même, se prosterne


devant la réalité extérieure, et le peintre devient de plus en plus enclin à
peindre, non pas ce qu’il rêve, mais ce qu’il voit. Cependant c’est un bonheur
de rêver, et c’était une gloire d’exprimer ce qu’on rêvait ; mais que dis-je !
connaît-il encore ce bonheur ?
L’observateur de bonne foi affirmera-t-il que l’invasion de la photographie
et la grande folie industrielle sont tout à fait étrangères à ce résultat déplorable ?
Est-il permis de supposer qu’un peuple dont les yeux s’accoutument à
considérer les résultats d’une science matérielle comme les produits du beau
n’a pas singulièrement, au bout d’un certain temps, diminué la faculté de
juger et de sentir ce qu’il y a de plus éthéré et de plus immatériel ?

Lettre à Mme Aupick, [Bruxelles], samedi 23 [déc. 1865].

Je voudrais bien avoir ton portrait. C’est une idée qui s’est emparée de moi. Il
y a un excellent photographe au Havre. Mais je crains bien que cela ne soit
pas possible maintenant. Il faudrait que je fusse présent. Tu ne t’y connais pas,
et tous les photographes, même excellents, ont des manies ridicules ; ils
prennent pour une bonne image une image où toutes les verrues, toutes les
rides, tous les défauts, toutes les trivialités du visage sont rendus très visibles,
très exagérés ; plus l’image est DURE, plus ils sont contents. De plus, je
voudrais que le visage eût au moins la dimension d’un ou deux pouces. Il
n’y a guère qu’à Paris qu’on sache faire ce que je désire, c’est-à-dire un
portrait exact, mais ayant le flou d’un dessin. Enfin, nous y penserons, n’est-
ce pas ?
PHOTOGRAPHIE ET UTOPIE
(1855-1862)

L. Cyrus MACAIRE ;
NADAR [Félix T ournachon, dit] (1820-1910) ;
E. Lamé -Fleury

« La photographie est l ’une des découvertes les plus merveilleuses de ce siècle »,


écrit en 1855 le photographe parisien Cyrus Macaire, ancien daguerréotypiste
ambulant aux Etats-Unis. Découverte si merveilleuse et si radicale qu’elle suscite
les passions les plus opposées : la crainte, chez ceux dont elle menace la situation ;
l ’espoir, chez ceux qui arrivent à l ’associer à leurs préoccupations ou projets
d’avenir.
Mais, dans les années 1850-1860, la photographie n’est qu’une force potentielle,
incapable encore d ’honorer toutes ses promesses. C ’est dans cet écart entre la
situation réelle et les potentialités du procédé que convergent et s ’expriment une
foule d ’utopies.
Sous couvert de vanter les mérites de l ’outil au service de l ’art, de l ’industrie
ou de la science, nombre de discours sur la photographie — particulièrement ceux
des années 1850 très souvent empreints de saint-simonisme — sont en fait
l ’expression d’utopies industrielles, artistiques et scientifiques.
La photographie s ’inscrit alors dans une triple quête de l ’absolu : absolu dt
l ’exactitude (identité illusoire entre l ’objet et son image) ; maîtrise du temps
(assurer la pérennité de l ’éphémère) ; fantasme d ’un relevé universel (mise en
image du « monde entier »).
Le rêve qu’avait Cyrus Macaire d’une conquête photographique du monde se
réalise de façon particulière chez Nadar. Après ses premières tentatives de
photographie en ballon — son brevet pour la « photographie aérostatique » date
d ’octobre 1858 — , il entreprend au tout début des années 1860 de photographier
à la lumière électrique les catacombes et les égouts de Paris. Il s’agit là, à double
titre, d ’un acte pionnier : la première et difficile rencontre des deux techniques
modernes — la photographie et l ’électricité — et la conquête photographique d ’un
univers mystérieux (Paris souterrain), ordinairement ravi aux regards.
Dans les airs et sous terre Nadar procède, grâce à la photographie, a une
extension du champ visuel : en ballon il conquiert un point de vue vertical sur
l ’espace ; dans les égouts et les catacombes il révèle un monde de ténèbres par
nature rétif à la photographie. Associé à l ’aérostation ou l ’électricité, l ’acte
L E S D E R N IÈ R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S 1850 331

photographique relève dans l ’un et l ’autre cas de l ’exploit technique, de la témérité


et de la découverte.
Si les intentions de Cyrus Macaire diffèrent sensiblement des réalisations de
Nadar qui, elles, ne se déploient pas horizontalement mais verticalement — du
ciel au sous-sol de Paris — , elles sont animées par une semblable conception, une
même utopie des rapports entre la photographie et le réel.

L. Cyrus Macaire : « Note relative à la création d’une section de


photographie au ministère d’Etat», 5 févr. 1855. (Archives nationales: F21 562)

L’importance des services que la photographie pense rendre est suffisamment


appréciée aujourd’hui. Ce n’est plus maintenant une science problématique,
c’est une science certaine ; elle n’a plus à chercher pour être ; elle a trouvé.
Cependant, on est loin de l’utiliser comme elle pourrait l’être. Malgré sa
perfection actuelle, elle n’a pu encore éveiller efficacement la sollicitude de
l’Etat, qui, la laissant absolument entre les mains des particuliers, permet,
par cela seul, que tous les progrès, toutes les améliorations qu’elle est
susceptible d’acquérir chaque jour, soient tenus cachés et secrets. Cet état de
choses ne peut qu’entraver et même paralyser une science nouvelle, qui a
besoin de la publicité pour arriver aux développements magnifiques qu’elle
promet.
La photographie est un art essentiellement national. Les inventeurs sont
français ; ses améliorations principales sont sorties de France. A ce seul titre,
il mériterait l’attention du gouvernement.
Mais, en dehors de son origine, il se recommande par les services sans
nombre qu’il pourrait rendre.
La photographie peut et doit faire partie intégrante des armées et des
flottes, et donner aux rapports militaires, maritimes et scientifiques des
éclaircissements positifs et parlants, que la plume ne pourrait qu’indiquer.
En matière judiciaire même, elle peut fournir des renseignements exacts,
et déposer avec toute la sincérité des faits surpris et à jamais consignés par
elle

On peut citer ici cet exemple. Les chantiers de M. Lenormand, constructeur de navires au Havre, ont
été incendiés en 1852 ; MM. Macaire et Warnod ont reproduit les divers aspects du sinistre. Les chantiers
étaient assurés. Un rapport d ’expert fut fait sur l’état des choses. La société d’assurances se refusait à
exécution de sa garantie. Procès. Devant le tribunal la compagnie d ’assurances soutenait (rapport en
main) que le désastre n’était point aussi complet que le prétendait l’assuré. Hésitation du tribunal en
ésence d’aflirmations de fait contraires. C ’est alors que la pensée vint à M. Lenormand de mettre sous
les yeux du tribunal, les vues exécutées par MM. Macaire et Warnod. Et la question fut immédiatement
çée en faveur de M. Lenormand. Voir La Patrie du 30janv. 1853, p. 3, col. 2. [Note de Cyrus Macaire]
332 I.A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1371

Elle peut, dans les pays les plus lointains, recueillir avec facilité les
monuments de tous les âges, les inscriptions de toutes les langues, et rapporter
aux savants des textes réels et d ’une indiscutable exactitude.
Elle peut, dans les bibliothèques, dans les musées, dans les collections de
toute nature, faire des catalogues certains, à l’abri de l’erreur, et qui
deviendraient d’autant plus précieux, qu’ils conserveraient pour toujours
l’image des objets que le temps atteint et détruit souvent.
Elle peut dans les sièges faire à distance le dessin de la brèche, souvent mortel,
et presque toujours très dangereux, pour l’officier chargé de l’exécuter.
Elle peut relever les côtes, avec leurs anfractuosités les plus insignifiantes,
et venir en aide aux géologues qui étudient le mouvement et la formation des
terrains.
Les travaux déjà accomplis, malgré l’insuffisance des anciens procédés,
prouvent à quels résultats magnifiques on pourrait arriver.
Aujourd’hui, quand le gouvernement veut envoyer des photographes en
expédition, il est forcé de supporter des dépenses considérables, et encore,
n’est-il pas certain des résultats qui en seront rapportés. Et si l’on supposait
qu’il voulût systématiser et généraliser l’envoi d’artistes spéciaux, et acceptât-
il la charge des frais énormes auxquels il serait nécessairement condamné,
qu’il serait obligé d’y renoncer dans la situation actuelle des choses, faute
d’agents capables et pourvus de procédés suffisants.
Cet état de choses ne doit pas durer ; il appartient à la France d’utiliser la
photographie et d’en retirer tous les avantages qu’elle peut offrir dès
aujourd’hui.
'foutes les impossibilités, toutes les difficultés dont elle est entourée
maintenant, disparaîtraient devant la création d’une section de photographie à
la division des Beaux-Arts. Elle aurait pour objet :
1. De réunir et publier tous les procédés qui, dans l’état actuel des choses,
restent cachés.
2. D’encourager les travaux photographiques, par tous les moyens ordinaires
des concours, expositions, mentions, récompenses, etc.
3. De rassembler tout ce que la photographie a pu ou pourra produire d’utile
ou de remarquable, et notamment tous les faits d’actualité dont, au moyen
des procédés d’instantanéité, elle aura pu fixer l’irrécusable souvenir. On peut
certainement considérer qu’une telle collection, qui servirait à l’histoire de la
découverte de Niépce et Daguerre, ne serait ni moins importante, ni moins
intéressante que toutes celles qui ont pour objet la mécanique, la céramique,
la numismatique, le dessin, etc.
Comme application particulière, on peut, dès à présent, signaler la création
d’une sorte de Musée d’honneur, où seraient rassemblés avec légendes, les
portraits historiques de tous ceux qui se seraient distingués, d’une façon
quelconque, dans les armes, les arts, les sciences, dans l’ordre moral, par des
traits de dévouement, etc., etc.
L E S D E R N I È R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S 1850 33 3

4. Et enfin, de créer une école pratique de photographie, où seront non


seulement enseignés et pratiqués les meilleurs procédés connus ; mais où
encore seraient continuées des recherches, qui ne pourront manquer de
produire des résultats nécessaires. Les élèves de cette école seraient spécialement
destinés à l’armée, à la marine, aux consulats, etc., etc. Ces élèves pourraient
être pris parmi les soldats sous les drapeaux, ou les agents déjà en fonction.
En considérant l’importance et le but de la photographie, on ne comprendrait
guère pourquoi elle ne recevrait point de l’État, le concours qu’en reçoivent
le dessin, l’architecture, les sciences mécaniques, etc. qui sont cultivées chacune
dans des écoles spéciales.
On peut juger du degré d’intérêt qui doit s’attacher à la création dont il
s’agit, par ses conséquences immédiates. Voici sommairement quelques-unes
de ces conséquences.
Chaque régiment, soit en garnison, soit en campagne, serait chargé de
fournir la reproduction des événements réalisés à sa portée, ou des vues qui
comporteraient un caractère d’intérêt quelconque. Ce serait là l’histoire
militaire positive du temps.
Ici on croit pouvoir ouvrir une parenthèse, pour faire remarquer que le
besoin de la photographie vient de se manifester dans les conditions spéciales
dont il est question. Des photographes ont été envoyés en Crimée ; mais
malheureusement, ils n’ont rien pu, et ne pouvaient rien produire de
satisfaisant, parce que leur expérience était bornée, et leurs procédés
insuffisants. 2
Chaque navire ayant à bord un photographe dans son équipage, plus de
sites, plus de rivages, plus de côtes (dont on aura ainsi le relevé universel),
plus de ports, etc., plus un type étranger quelconque d’hommes, d’animaux,
de plantes, etc. qui n’aient leur reproduction identique dans les cartons du
eouvernement. Il en serait de même des accidents de mer, des échouements
de navires, dont la justice a quelquefois à connaître.
Ce serait là, non seulement l’histoire en action de la marine ; mais encore,
dans un temps donné, la représentation du monde entier, aux différents points de
ue de la topographie, de l’hydrographie, des espèces animale, végétale, et
minérale.
On comprend sans peine quels services, toujours dans un temps donné, et
même dès aujourd’hui, pourrait rendre à l’histoire, à la science, aux arts, au
jouvernement lui-même, l’ensemble de pareils documents.
C’est à cet ordre d ’idées, que fut due la pensée d’adjoindre des dessinateurs
i l'expédition d ’Egypte.*I

. Ce propos sur le travail des photographes de Crimée sera bientôt périmé. Quand Cyrus Macaire écrit,
. i ' vrier 1 8 5 5 , i l n’a encore pu voir d ’épreuves photographiques de la guerre : l’Anglais Roger Fenton
irque à Balaklava en mars 1 8 5 5 , le colonel français Jean-Charles Langlois accompagné de Léon-
-gene Méhédin séjournera sur le théâtre des hostilités à partir de novembre 1 8 5 5 (voir supra, pp. 1 7 5 -
II faut y ajouter Durand-Brager et Lissimone, l’Anglais James Robertson et Felice Beato.
334 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

Quant aux moyens d’exécution, ils sont des plus simples. Comme indication,
il suffira de dire, par exemple, que le bagage photographique peut être
contenu dans une boîte de 25 centimètres carrés, et que les pharmacies
particulières à chaque corps sont naturellement pourvues des éléments
nécessaires à la photographie.
Il convient d’ajouter que la dépense à supporter par le Trésor, pour réaliser
de pareils résultats, sera presque nulle, dans les conditions indiquées. Il ne
faut pas perdre de vue que le personnel sera presque gratuit dans ces
conditions.
Pour ne pas étendre cette note au-delà des termes nécessaires pour en faire
connaître l’objet, il est fait observer que si l’ordre d’idées qu’elle comporte
est accueilli, une nouvelle note, plus explicite alors fera connaître un plan
complet d’exécution.
On croit devoir ajouter pourtant que la photographie est l’une des
découvertes les plus merveilleuses de ce siècle ; que la perfection de ses moyens
d’exécution, et par conséquent la généralisation plus ou moins grande de ses
usages, peut être avancée ou reculée, selon qu’elle sera abandonnée aux efforts
individuels, ou encouragée et dirigée par le gouvernement.
Si le gouvernement comprend bien la question, comme il ne peut manquer
de le faire, il aidera au plus rapide développement possible de cet art-science.
Et l’avoir énergiquement fait appliquer ne sera pas, dans l’avenir, la moindre
des gloires pacifiques qu’il aura pu s’y ménager.

Nadar : « Brevet d’invention. Mémoire descriptif », 23 oct. 1858.

Cabinet de M. Émile Barrault, ingénieur diplômé, 33, boulevard Saint-Martin, à Paris.


Demande d’un brevet d’invention de quinze ans pour un nouveau système de photographie
aérostatique par M. Tournachon, Gaspard Félix, dit Nadar à Paris.

J ’ai combiné des moyens particuliers qui me permettent d’employer la


photographie pour la levée des plans topographiques, hydrographiques et
cadastraux et aussi pour diriger les opérations stratégiques pour le levé des
fortifications d’une place, d’une armée en marche, etc.
Afin d’obtenir ces résultats, j ’ai dû opérer en ballon et chercher des
dispositions particulières qui me permissent de transformer en cabinet de
photographie la nacelle de ce ballon, c’est ce à quoi je suis parvenu par les
dispositions suivantes pour la description desquelles je m’aiderai du dessin
annexé à ce mémoire.
L’appareil photographique doit toujours être dans une position perpendicu­
laire et, pour ce faire, il peut être placé, soit sur l’une des faces latérales de
la nacelle A, comme l’indique la figure 1, soit sur le fond perforé de cette
L E S D E R N I È R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S 1850 33 5

nacelle A, comme le représente la figure 2 ; dans cette dernière disposition,


l’objectif B pourra également être placé sur les côtés aussi bien qu’au milieu.
La perpendicularité de l’appareil est une des conditions essentielles qui
peuvent me permettre de remplir le but que je me suis proposé, mais ce n’est
pas la seule et j ’avais à prévoir la nécessité de pouvoir enlever et replacer
avec rapidité l’obturateur de l’appareil. A cet effet, j ’ai imaginé comme on
le voit figure 3 de disposer sur l’appareil un levier qui oscille au point a et
de telle sorte que, par une simple traction opérée sur la ficelle b qui est
attachée à l’extrémité de ce levier, on fait passer l’obturateur de la position
de fermeture indiquée en noir à la position d’ouverture vue en rouge.
Mais j ’ai voulu également pouvoir exécuter l’opération complète dans la
nacelle même transformée en chambre noire et, pour cela, j ’ai garni cette
nacelle de lustrine noire, par exemple, en ayant pour plafond mobile une
draperie jaune qui laisse passer la lumière d’une manière suffisante pour que
l’opérateur puisse travailler sans que les rayons qui passent puissent en rien
gêner l’opération, puisque les rayons jaunes agissent (comme des rayons noirs)
négativement.
Je puis donc dans ma nacelle, collodionner, sensibiliser et développer
l’image.
Ayant ainsi exposé mon invention, je revendique, conformément à la loi,
[’exploitation exclusive :
1. d’un nouveau système de photographie aérostatique caractérisé par la
disposition dans une nacelle de ballon libre ou captif, d’appareils placés
perpendiculairement avec leur objectif dirigé vers le bas, la nacelle elle-même
se trouvant transformée en chambre noire à l’aide des dispositions indiquées
et spécialement d’un plafond mobile formé d’une draperie jaune ;
2. des dispositions particulières que j ’ai imaginées et décrites dans ce mémoire
et le dessin annexé pour arriver à laver photographiquement les plans
topographiques, stratégiques, hydrographiques, cadastraux, etc., et spéciale­
ment de l’emploi d’appareils perpendiculairement placés avec obturateurs
horizontaux adhérents à l’appareil et pouvant se mouvoir à l’aide d’un levier
que l’on maintient dans ses positions extrêmes à l’aide de ressorts ou d’arrêts
quelconques ;
de l’application nouvelle des appareils de photographie à la levée des plans
topographiques, stratégiques, hydrographiques, cadastraux, etc., en disposant
perpendiculairement ces appareils dans la nacelle d ’un ballon organisée de
manière à servir à l’exécution de toutes les opérations pour collodionner,
sensibiliser et développer l’image.
Il me sera facultatif de modifier les dispositions, dimensions et proportions
de l’appareil photographique employé ainsi que les moyens d ’attaches à la
nacelle, toutes questions accessoires qui peuvent varier à l’infini dans la
photographie aérostatique.
336 I.A P H O T O G R A P H IE EN FR A N C E 1816-1871

83. Nadar schéma du « Nouveau système de photographie


aérostatique >\ 23 oct 1858.
84 Honoré Daumier, « Nadar élevant a photographie à la
hauteur de i art », Le Boulevard, 25 mai 1862. Lithographie.
85. Nadar, Le Ballon « le Géant » sur ie Champ-de-Mars avant
sa seconde ascension, le 18 octobre 1863.

Journaliste, écrivain, photographe, Nadar a aussi été l'un des


pionniers de la navigation aérienne à laquelle il associa d'ailleurs
la photographie, comme en témoigne, en 1858, son brevet pour
un « Nouveau système de photographie aérostatique ». Partisan
farouche de la thèse - juste, mais alors controversée -
préconisant l'utilisation pour voler d'appareils plus lourds
que l'air, il n 'er fit pas moins construire un énorme ballon : le
Géant, avec lequel il réalisera des ascensions publiques
dans plusieurs villes de France et d’Europe. La seconde
ascension du Géant 118 oct. 1863) se termina par une
catastrophe : le ballon s'échoua à Hanovre, Nadar et une partie
de son équipage, dont sa femme, furent blessés. (Le ballon
de droite est l'Aigle, utilisé pour les fêtes officielles).
L E S D E R N I È R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N É E S 1850 337

86. Nadar, Vues aériennes du quartier de l'étoile , 1868.

Une addition a été prise à l’effet d’établir la communication suivie entre la


terre et le ballon captif. L’une des cordes de captivité, attachée à l’un des
bords de la nacelle passe dans un anneau large attaché lui-même par une
ficelle légère de la longueur de la corde, laquelle ficelle est roulée sur un
treuil fixé à la nacelle. A cet anneau est attachée une boîte qui porte les
clichés positifs au fur et à mesure de l’opération et la même ficelle remonte
la boîte avec les réponses ou observations venant du sol.
Ce système simple rend les communications on ne peut plus faciles et
commodes et dispense des pertes de gaz qui ont lieu dans les descentes et
les ascensions de l’aérostat au fur et à mesure des besoins.
338 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

E. Lamé-Fleury3 : Lettre à Félix Nadar, Paris, 10 mars 1862 (Bibliothèque


nationale, Nafr. 24275).

Monsieur, Mon chef d’atelier m’a remis hier la collection de vos premières
épreuves photographiques [des catacombes de Paris] et je vous en remercie.
J ’étais fort curieux d’avoir un spécimen de l’opération. Il y a des parties tout
à fait réussies et l’ensemble est en somme satisfaisant, mais il y a un diable
d’écueil sur lequel j ’appelle toute votre attention : c’est la question importante
des ciels (nous appelons ciel de la galerie, le plafond), qui ne se perspectivent
dans aucune des épreuves. Il résulte de là que nos ossements semblent plaqués
sur un mur très élevé, sans que le spectateur puisse deviner qu’ils forment
la paroi d’une galerie de 2,50 mètres au plus de hauteur. N’y aurait-il pas
moyen de prendre le point de vue de telle sorte qu’on voie le plafond et le
plancher ou, comme nous disons, le ciel et le sol de nos galeries — ce qui est
indispensable pour en représenter l’aspect général et ne pas donner créance
à une idée de nef cathédrale. Il ne manque absolument que cela à des
épreuves très bonnes, dont la meilleure me paraît être celle du puits. Le
fouillis d ’os est parfaitement rendu et je ne crains pas de dire qu’il est plus
beau que nature.
Je suis trop habitué, en ce qui concerne ma modeste partie, aux réflexions
saugrenues des philistins, pour avoir l’intention de vous donner le moindre
conseil. Je me borne à vous rendre tant bien que mal l’impulsion d’un
membre attentif du profanum vulgus. Vous seriez, du reste, bien aimable si
vous pouviez vous arranger pour venir aux catacombes mardi 18 ou mercredi
19 courant, à trois heures et demie ; je m’y trouverais et nous causerions,
épreuves en main. Sinon, dites-moi l’heure de l’après-midi où l’on peut vous
voir un moment ?
Il est bien entendu qu’on ne touchera au puits que lorsque vous retirerez
votre veto, mais je crains bien que les mannequins ne rendent pas l’effet de
la nature vivante au milieu de cette nature morte. On pourrait du moins placer
un chariot, quelques outils : un peu de jour au puits servirait-il à profder le
trou ?
Vous voyez, du reste, que notre ossuaire est mis intégralement à votre
disposition. Savez-vous que vous êtes le premier Parisien qu’on laisse errer
ainsi librement dans le sombre empire ? N’en jasez même point, pour ne pas
effaroucher l’autorité.
Avez-vous admis mon idée stéréoscopique ? J ’ai lu, dans Le Moniteur de
samedi, notre note, sur le sort de laquelle je ne laissais pas que d’être inquiet.
Il paraît que vous aviez changé d’idée en ce qui concernait le moment de
l’insertion. Ce doit être Le Moniteur... des grandeurs qui a supprimé ma

3. Ingénieur des mines au ministère de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux publics.


L E S D E R N IE R E S C O N T R O V E R S E S D E S A N N E E S

87. Nadar, Autoportrait dans les catacombes, versl861. Tirage papier albuminé. -
En 1861 Nadar réalisa à la lumière électrique - technique pour laquelle il déposa un brevet -
une centaine de vues dans les catacombes et les égouts de Paris. Les lampes
étaient au magnésium, les plaques au collodion, et les temps de pose d’environ 18 minutes.
340 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

citation philosophique de Gilbert Dariste [?], comme je vous ai livré ma seule


et unique minute, je ne sais pas bien les changements (peu importants, en
tout cas) qui ont pu être faits à ma partie de texte.
A propos de texte, nous causerions aussi de notre prochaine entrevue de
la tartine 4 qu’il pourrait être utile de joindre à votre curieux album.
En attendant, je vous souhaite bonne réussite — qui ne me paraît pouvoir
faire défaut à en juger d’après votre fort curieuse collection d’épreuves, qui
va diablement vous amener des visiteurs —, et vous renouvelle l’assurance
de mes sentiments dévoués 5.

4. Le terme de « tartine » désigne familièrement un texte ou un article, une introduction, une présentation,
à un album de photographies.
5. Cette lettre paraîtra dans le premier tome de Correspondance de Nadar, établie par André Rouillé et
Béatrice Soyer, aux éditions Macula.
L’INDUSTRIE PHOTOGRAPHIQUE
À PARIS EN 1860
(1859-1865)

Paul Périer (1812-ca 1874) ;


anonym es ;
Chambre de com m erce de Paris (1865)

Les quatre textes qui suivent rendent compte de la réalité du développement


industriel et commercial de la photographie à Paris à la fin des années 1850. Les
deux premiers insistent sur la rationalisation, l ’organisation en chaîne et l ’importance
de la production tant des produits (le papier albuminé Marion) que des épreuves
('les vues stéréoscopiques chez Ferrier et Soulier). Il s ’agit, à l ’échelle de l ’« industrie
photographique », d’établissements importants : Marion emploie « une tribu tout
entière d ’ouvriers des deux sexes et de tous les âges » et, pour leur part, Ferrier
et Soulier se situent parmi les seize maisons parisiennes employant plus de 20
ouvriers (cf. p. 347) : leur «personnel s ’élève à une quinzaine de personnes, sans
compter celles qui travaillent au dehors ».
Les Statistiques de l’industrie permettent de dresser un bilan chiffré de
”activité à Paris au cours de la décennie 1850-1860 ; elles renseignent sur la
diversité, le nombre, la localisation et le montant des affaires, ainsi que sur les
ouvriers photographes : nombre, salaires, conditions de travail, répartition par
sexe, etc. La comparaison avec les chiffres de 1848 — relatifs à l ’activité des
iaguerréotypistes parisiens (cf. pp. 83-86) — révèle qu’au cours de la décennie
1850-1860, pendant laquelle la photographie proprement dite supplante le
laguerréotype, le nombre des ateliers est multiplié par quatre et celui des ouvriers
oar douze. Tout en invitant à ne pas donner au mot « industrie » une trop grande
mplitude, cette comparaison indique que le passage du daguerréotype à la
■holographie n ’est pas seulement une transformation d’ordre technique.
Paul Périer témoigne, quant à lui, des conséquences de l ’« industrialisation »
ir la qualité des résultats. Il dénonce en mai 1859 le « sans-gêne industriel »
lui risque certes de compromettre les intérêts commerciaux des photographes eux-
■mes, mais aussi de fournir des arguments aux détracteurs de l ’art photographique
ru moment où l ’exposition de la Société française de photographie se tient pour
: première fois aux côtés de celle des Beaux-Arts.
342 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

Pour répondre aux critiques, Paul Périer tente alors d ’imputer les négligences
des ateliers à des modes de travail en voie de disparition, et surtout de travestir
les causes profondes des imperfections (la photographie est une « industrie »
soumise aux effets de la concurrence) en carences individuelles de quelques praticiens.
Pour la première fois dans son argumentation en faveur d’un art photographique,
Périer intègre la composante commerciale, moins pour la condamner comme en
1855 (c f pp. 213-217) que pour essayer de l ’infléchir.

Anonyme : « Quelques mots sur la photographie au point de vue


industriel », La Lumière, 17 déc. 1859 (n °5 1 ), p. 201.

Mais il est un point de vue sous lequel la photographie a été très imparfaitement
considérée jusqu’à présent : celui du développement industriel, qui a pourtant
bien aussi son importance. En voyant la quantité considérable d’épreuves,
stéréoscopiques ou autres, qui sont chaque jour mises en vente, on ne songe
pas à la somme énorme de travail qu’elles représentent, au nombre de mains
par lesquelles elles passent avant d ’être livrées aux acheteurs, ni à la place
que les ateliers où elles se produisent occupent dans le Paris moderne. C’est
là pourtant une question intéressante et qui vaudrait bien la peine d’être
étudiée. [...]
Il y a quelques jours, nous avons visité les nouveaux ateliers que MM. Ferrier
père et fils, associés depuis peu avec M. Soulier, ont établis boulevard de
Sébastopol, et cette visite nous a fait entrevoir l’importance de ce côté
industriel dont nous parlons. Depuis longtemps nous connaissions et nous
aimions ces artistes si habiles et si laborieux, nous savions qu’ils produisaient
beaucoup, mais nous étions loin de nous douter de l’activité qui règne autour
d’eux. A côté du vaste magasin où les épreuves, rangées symétriquement dans
des casiers numérotés, s’offrent aux acheteurs, s’étend une enfilade de pièces
où l’on travaille activement. Ici, c’est le laboratoire, puis la chambre aux
préparations, puis celle où se fait le tirage des épreuves ; opération importante
que M. Ferrier lui-même surveille continuellement. A la fin de la journée,
toutes les épreuves positives obtenues pendant le jour — le nombre en est
considérable — sont livrées à d’autres mains et développées pendant toute
la soirée, dans une pièce spéciale. Un homme procède au fixage et au lavage
dans une chambre voisine. Une fois terminées, les épreuves positives sur verre
sont remises à des ouvriers qui les coupent, d’autres y appliquent un verre
dépoli ; puis, on les examine une à une pour en corriger, à l’aide d ’un pinceau,
les légères imperfections ; des femmes les prennent alors et les nettoient,
d’autres les encadrent, et, enfin on y colle, s’il y a lieu, les légendes explicatives.
LES DERNIÈRES CONTROVERSES DES ANNÉES lf : i

Voilà, en quelques mots, ce que nous avons vu. L’établissement n’occupe


pas moins de huit ou dix vastes pièces, et le personnel s’élève à une quinzaine
de personnes, sans compter celles qui travaillent au-dehors.

Anonyme : « Ateliers photographiques de Courbevoie », La Lumière, 25 ju in


1859 (n° 26), p. 101-102.

Nous venons de visiter avec le plus vif intérêt des ateliers photographiques 1
qui peuvent à bon droit passer pour les plus importants dans ce genre ; nous
voulons parler de ceux que M. Marion a établis dans sa fabrique à Courbevoie.
...] Il y avait longtemps que nous désirions visiter cet important établissement,
d’où sortent, à notre connaissance, une si grande quantité de papiers
photographiques, tout préparés, et nous rendre compte par nos yeux de la
manière dont cette préparation se fait sur une aussi grande échelle. L’occasion
était trop belle pour la laisser échapper, et nous entrâmes.
Au milieu d ’une tribu tout entière d’ouvriers des deux sexes et de tous les
âges, nous reconnûmes M. Marion, qui, tout en travaillant de ses mains
comme un simple compagnon, promène autour de lui l’œil intelligent du
maître. Guidé par lui, nous avons pu suivre une à une les opérations que le
papier subit entre les mains nombreuses par lesquelles il passe.
L’albumineuse (car ici comme chez la plupart de nos principaux photo­
graphes, ce sont des femmes que l’on charge de ce travail délicat), l’albumineuse
est placée entre deux apprentis ; l’un lui passe les feuilles de papier que le
contremaître lui donne et qui sont prêtes à recevoir le premier bain. Après
avoir séjourné dans trois ou quatre bassines suivant la préparation qu’on veut
leur faire subir, ces feuilles sont enlevées par le second apprenti, qui les fixe
immédiatement sur de petites tringles en bois supportées par une plus grande
qui traverse l’atelier dans toute sa largeur. D’autres ouvriers prennent ensuite
:es feuilles quand elles sont bien sèches, pour les terminer avant de les mettre
en rames.
Tout cela se fait avec une précision mécanique, avec un ordre extrême et
sans qu’une seconde soit perdue.
On peut se faire une idée du développement que la photographie a pris
en France et à l’étranger, par l’énorme quantité de papiers préparés qui
sortent de ces ateliers ; c’est à croire qu’il y a autant de photographes que
t'habitants en Europe. Nous avons vu fermer devant nous une caisse
volumineuse adressée à l’un des artistes qui suivent en Italie la marche de
notre armée, et nous considérions d’un œil respectueux ces feuilles blanches
tui vont devenir là-bas les pages irréfutables d’une glorieuse histoire.
Habituellement l’expression « atelier photographique » désigne un lieu de réalisation des images. Chez
- portraitistes, l’atelier photographique combine un salon de pose et un laboratoire (pour la préparation
plaques et le tirage des épreuves). Ici l’expression est appliquée à une fabrique de papiers
"ographiques, celle de Marion.
344 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

Paul Périer : « Rapport pour le prix fondé par M. le duc de Luynes »,


Bulletin de la Société française de photographie, m ai 1859, pp. 121-149.

Le scrupule des soins et des précautions, c’est bien là ce qui, jusqu’à ce jour,
a fait défaut chez tant d ’opérateurs ; et nous abordons ici l’explication des
défiances et des griefs déplorablement fondés du public. Il n’est pas sans
intérêt de s’y arrêter un moment, ce sera pour mieux prouver qu’il n’y a pas
chez nous vice de race, mais imperfection accidentelle de l’individu. La
question vaut quelque peine, car le mal est aussi réel en fait que son
explication en principe est facile et rassurante.
Si la photographie n’était qu’un passe-temps pour les gens de loisir, ou
même un art restreint à des produits de petit nombre et de grand prix ; si
la rapidité de ses progrès n’en avait pas fait en peu de temps l’aliment d’une
industrie des plus expansives, et la source d’une vaste exploitation commerciale,
on comprendrait moins que les œuvres créées par elle ne l’eussent pas toujours
été dans les meilleures conditions. Mais quelle est au contraire, pour la
presque totalité, la source des épreuves que le public voit au-dehors, aux
montres des éditeurs ou dans leurs cartons, et de celles qu’il achète ? C’est
à coup sûr l’atelier d’un photographe qui, souvent artiste, est en même temps
le chef d’une industrie, et que les conditions de toute industrie poussent
d’autant plus à beaucoup produire que c’est là le sine qua non d’un bon marché
nécessité par la concurrence.
Or nous croyons ne blesser personne, et nous savons faire la part des
honorables exceptions en disant que, dans nos premières années surtout, dans
l’ère des doutes et du tâtonnement, soit erreur, soit insouciance, il est sorti
de la plupart de ces ateliers une énorme quantité d’épreuves négligées et
défectueuses. Il ne servirait à rien de le taire, puisque c’est un fait avéré,
connu de tous. Au contraire, il importe hautement de rappeler à tous nos
confrères que c’est là le vrai péril, et qu’il dépend d’eux de perdre bientôt
sans retour le public dont ils ont besoin, ou de le reconquérir et de le garder
en appliquant le remède qui se trouve ici toujours à côté du mal. Sans doute
on ne peut exiger que le chef d’un atelier photographique suive personnellement
le tirage de chaque épreuve positive. Il ne peut, comme l’amateur qui ne
calcule ni son temps ni ses débours, caresser paternellement toutes ses œuvres
l’une après l’autre. On s’explique donc assez que, à l’époque où des procédés
mal conçus et pleins d’écueils nécessitent pour la réussite une série de correctifs
minutieux et prolongés, l’œil du maître faisant souvent défaut, la maison en
souffrît. Mais les difficultés, qui tendaient chaque jour à s’amoindrir, étant
aujourd’hui vaincues presque totalement, avec elles disparaît le danger le plus
gros et s’évanouit toute excuse. Espérons qu’on écoutera désormais plus
volontiers la voix qui parle au nom de l’honneur et de l’intérêt, au-dedans
comme au-dehors de nos frontières ; car la plaie dont nous saignons encore
était bien autrement grave à l’étranger. Dans les pays et les cités célèbres où
LES DERNIÈRES CONTROVERSES DES ANNÉES 1850 345

le touriste est de continuel passage, il est arrivé trop souvent que le sans-
gêne industriel a dépassé toutes mesures et mérité les plus sévères qualifications.
[...] Le meilleur moyen, toutefois, de réparer le mal après l’avoir signalé,
n’est pas de souffrir qu’on en exagère la portée, qu’on en dénature les causes,
et d’accorder à ceux qui nous critiquent ce que nous leur devons refuser.
L’art le plus élevé ne saurait se porter garant de tous les artistes ; on ne peut
guère se flatter que, dans le nôtre, tous ceux dont ce serait le devoir avisent
au salut commun. Il y aura probablement toujours des photographies
éphémères et trompeuses; est-ce,une raison pour condamner les épreuves
durables ? Et ne suffit-il pas que l’amateur éclairé soit toujours sûr de trouver
un producteur habile, et l’acquéreur prudent un vendeur consciencieux ? Il
y a des gravures détestables et des lithographies impossibles qu’il vaudrait
mieux voir s’effacer en un instant que durer toujours ; la peinture même, et
la sculpture, comptent cent médiocrités pour un chef-d’œuvre ; on n’en admire
pas moins, on honore tous ces arts sans aucun souci de leur fécondité malsaine.
La photographie, dans son humble sphère, se défendra par des vertus et
des forces du même genre.

S ta tis tiq u e s d e l ’in d u s t r i e ( 1 8 6 0 ) , C h a m b re de com m erce de Paris, édition de 1865,


pp. 603-606.

Commentaire du tableau de la page suivante

Les photographes établis à Paris peuvent se diviser en trois classes :


La première comprend les grandes maisons qui, tout en faisant le portrait
en terrasse, emploient au-dehors des opérateurs chargés d’explorer telle ou telle
contrée, et d’y tirer des clichés. Ces maisons occupent, soit à l’atelier, soit
à domicile, des retoucheurs et des coloristes pour portraits, qui sont
généralement des artistes habiles.
La deuxième classe comprend les industriels faisant exclusivement le portrait
en terrasse. Ceux-ci ne sortent point de Paris et s’adressent à des artistes
retoucheurs d’un talent moins éprouvé.
La troisième classe se compose de petits photographes en boutique, qui
exercent aussi leur industrie dans les foires et dans les fêtes de la capitale
et des environs.
Les principaux photographes font des affaires très importantes à l’intérieur
et vendent un certain nombre de leurs produits à l’étranger. [...J
Il n’est pas hors de propos de faire observer, en terminant, que les ouvriers
employés dans l’industrie photographique ont été pendant longtemps de
simples journaliers que l’on mettait au courant de l’une des branches du
travail, et qui se livraient souvent à d’autres occupations lorsque le travail
346 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

Totaux
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LES DERNIÈRES CONTROVERSES DES ANNÉES 1850 347

était insuffisant. Il n’en est plus de même aujourd’hui. Depuis quelques


années, l’ouvrier photographe commence à se produire, et beaucoup de jeunes
gens embrassent une profession qui paraît offrir de réelles garanties pour
l’avenir.
Indépendamment de l’opération photographique elle-même, on fait chez les
photographes quelques travaux accessoires qui consistent à couper, coller,
cylindrer, cirer les épreuves et à les monter sur papier blanc. Ces travaux
sont devenus tout récemment l’objet d’une industrie nouvelle, exercée par des
façonniers qui s’intitulent margeurs de photographies.
La photographie a, en outre, donné naissance à plusieurs industries spéciales
qui lui fournissent ses instruments et ses matières premières, telles que
chambres noires, objectifs, plaques, papiers préparés, produits chimiques,
cadres et albums. Les industriels qui se livrent à ces spécialités ont été classés
avec les opticiens, les planeurs sur métaux, les fabricants de produits
chimiques, les doreurs sur cadres, les relieurs, etc.
Les photographes sont principalement établis dans les premier, deuxième,
troisième et neuvième arrondissements.
Les quartiers où l’on en trouve le plus grand nombre sont ceux des Halles,
du Palais-Royal, Gaillon, Vivienne, de Bonne Nouvelle, des Arts et Metiers,
Saint-Georges et de la porte Saint-Martin.
En 1849, il existait à Paris cinquante-six photographes ; en 1860, on en a
trouvé :
16 employant plus de 20 ouvriers ; _
58 employant de 2 à 10 ouvriers ;
33 employant un ouvrier ou travaillant seuls.
Total 207, dont 15 exercent, en outre, une autre industrie.
Avec 566 ouvriers, les photographes ont fait, en 1860, un chiffre de
6 547 410 F d ’affaires. Moyenne par établissement : 31 630 F : et par ouvrier :
11 562 F.
Le loyer des deux cent sept ateliers s’élève à la somme de 341 945 francs.
Moyenne pour chacun : 1 651 F.

Ouvriers
Sombre. On a recensé en 1860 :
Hommes ....................................................................................... 461
Femmes ......................................................................................... 92
Garçons âgés de 16 ans (apprentis) ....................................... 13

Total 566 ouvriers,


désignés comme suit :
Hommes : peintres-miniaturistes, retoucheurs, coloristes, préparateurs, opéra­
teurs, colleurs, margeurs et hommes de peine.
348 I .A P H O T O G R A P H I E EN FRANCE 1 8 1 6 -1 8 7 1

Femmes : retoucheuses, coloristes et colleuses.


En 1848, on ne comptait que 48 ouvriers photographes ; l’augmentation est
donc de 518 ; elle s’explique par l’extension toujours croissante qu’a prise
cette industrie.

Durée du travail
La journée de travail est en moyenne de dix heures (de 8 à 6), dont une
heure est prise pour le déjeuner.
Morte-saison
122 photographes ont déclaré ne pas avoir de morte-saison ; pour les autres,
elle est en moyenne de quatre mois : janvier, février, mars et novembre.

Mœurs et habitudes
Hommes. Sur 461 ouvriers :
8 logent chez le patron ; 375 dans leurs meubles ; 78 en garni.
450 ont une conduite bonne; 11, douteuse.
Tous savent liie et écrire.
Femmes. Des 92 ouvrières :
2 logent chez le patron ; 85 dans leurs meubles ; 5 en garni.
Ces ouvrières ont généralement une bonne conduite.
87 savent lire et écrire ; 5 ne savent ni lire ni écrire.
Apprentis. Sur 13 apprentis, 6 logent chez le patron ; 7 chez leurs parents.
Tous savent lire et écrire et sont enfants d’ouvriers.
LES DERNIÈRES CONTROVERSES DES ANNÉES 1850 3+9

2 sont engagés par contrat ; 11 sans contrat. 2 sont engagés pour deux ans ;
5 pour trois ans ; 6 pour quatre ans.

Débouchés des produits


France 5 608 410 F
Étranger : 939 000 F

6 547 410 F
Voici maintenant tout ce que nous trouvons dans la statistique officielle,
relativement aux fabricants :
Il y a 38 fabricants d’appareils pour la photographie ; ces 38 fabricants
font : 1 834 800 F d’affaires avec 262 ouvriers ; moyenne par ouvrier : 7 003 F.
Ces 38 fabricants ont pour 46 370 F de loyer ; moyenne par établissement :
1 220 F.
Telle était, en 1860, la situation de l’industrie photographique en France.
LES IIITISÏKS CONTEMPORAINS

DISDÉRI.
V

LE
TRIOMPHE DE
L’INDUSTRIE

LES ANNÉES 1860


UN COUP DE GÉNIE COMMERCIAL :
LA <CARTE DE VISITE »
(1854-1860)

A ndré-A dolphe DlSDÉRI (1819-1889) ;


H enri d ’AUDIGIER (1828-1872) ; Ernest LACAN (1828-1879) ;
Pierre PETIT (1832-1909) ; L ’I l l u s t r a t i o n (1860)

En novembre 1857, La Gavinie note dans La Lum ière qu’« au lieu de cartes
de visite traditionnelles [...], quelques progressistes ont déjà inauguré les cartes-
portraits ; il paraît, ajoute-t-il, que l ’année 1858 est destinée à voir cette mode
se propager ; ainsi, plus de carton ordinaire, mais, dans le même format, une
reproduction du personnage des pieds à la tête » 1■ En fa it c’est dès 1854 que
Disdéri a déposé un brevet pour la « carte de visite ». Comme il l ’expliquera plus
tard, « le format choisi [pour les portraits], par son prix trop élevé, n’était pas
accessible à la masse du public ; c’est cet obstacle apporté à l ’essor de la
photographie par les frais inhérents à la production des grandes épreuves qui nous
a conduits à réduire le portrait au format de la carte de visite ; personne n’ignore
[en 1861] le succès de cette application, qui est devenue si populaire qu’on rencontre
ces portraits dans toutes les mains » 12. Disdéri a donc parfaitement assimilé le
principe rappelé par le jury de l ’Exposition de 1855 : vendre beaucoup et à bon
marché pour accroître les bénéfices.
Les « cartes de visite » sont généralement réalisées à l ’aide d’un appareil à
4 objectifs ; dans un châssis fixe une même plaque recueille 4 clichés identiques
et, dans un châssis mobile, 4, 6 ou 8 clichés qui peuvent être différents. L ’économie
porte moins sur la quantité des produits utilisés pour chaque épreuve que sur la
réduction des longues et coûteuses manipulations nécessaires au tirage. Les « cartes
de visite » ont l ’inconvénient d’être de format réduit (6 X 9 cm), mais sont moins
chères et plus nombreuses.
La vogue de la « carte de visite », qui débute en 1858, n’acquiert sa véritable
ampleur qu’à partir de 1860. La photographie devient alors un instrument du

1. La Gavinie, «C hronique», La Lumière, 21 nov, 1857 (n°47), p. 187.


2. Disdéri, Application de la photographie à la reproduction des œuvres d’art, 1861, p. 46.
I.E T R I O M P H E D E I . TNDl S I R II 353

paraître social. Pour les couches bourgeoises les plus modestes elle sert à signifier
une réussite — comme l ’attestent à la fois les premiers succès de la photographie
équestre (cf p. 361) et, surtout, le rituel de l ’album dans lequel on dispose des
portraits d ’hommes célèbres pour donner l ’illusion qu’ils sont amis de la famille.
Henri d’Audigier met l ’accent sur ce phénomène nouveau : « Les portraits ne sont
plus seulement achetés par les originaux et ceux qui les connaissent. » Par-delà
leur usage privé, ils assument une fonction de médiation entre la « foule » et
« tout ce qui a un nom », comme le souhaitait déjà Ernest Lacan en 1855.
Audigier soulève en outre un problème qui gagne précisément en acuité avec l ’essor
de la photographie : le droit de propriété de chacun sur sa propre image.

Le « tarif général » de Pierre Petit (cf. p. 364) révèle les conditions financières
de cette vogue : alors qu’en 1862 le prix d ’un seul portrait non colorié varie de
25 à 150 F selon son format, celui des cartes de visite est de 15 F les douze ou
de 70 F les cent. La comparaison de ces derniers prix avec le salaire journalier
moyen des ouvriers (3,85 F dans le bâtiment à Paris ; 2,50 F dans les mines du
Nord ou encore 1,82 F dans l ’agriculture) conduit cependant à circonscrire les
effets « démocratiques » de la « carte de visite » aux seules catégories bourgeoises.

En 1860, Disdéri fa it transformer ses établissements du boulevard des Italiens :


leur ampleur et leur luxe témoignent de la réussite des grands studios parisiens
au cours des cinq années précédentes et annoncent les succès de la décennie à venir.
Ils symbolisent à leur façon un Second Empire mondain et « fashionable ».

André-Adolphe Disdéri : Brevet d’invention, Paris, 26 nov. 1 8 5 4 3.

Mémoire descriptif déposé à l’appui d’une demande d’un brevet d’invention de quinze
ans, — formé par le Sieur Disdéri (André-Adolphe), photographe demeurant à Paris,
boulevard des Italiens, n" 8.
Pour le perfectionnement en photographie, notamment appliquée aux cartes de visite
portrait, monuments, etc.

Les clichés photographiques faits à l’aide du collodion, de l’albumine et du


verre, permettent d’obtenir des épreuves ou images sur papier ou autres

Mémoire déposé au « Bureau spécial pour la prise des brevets d ’invention en France et à l’étranger »,
Dnservé aux archives de la Société française de photographie.
354 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

89. Appareil a quatre objectifs pour cartes de visites, vers


1860. -
Selon Disdéri cet appare oermet d'obtenir sur le même
négatif : soi* 4 Images semblables (en un seul
déclenchement), soit 6 ou 8 images différentes
(successivement, en utilisant un châssis mobile) Pour obtenir
6 vues il suffit, à I aide d'un cache place à l'arrière des objectifs
de ménager une fenêtre correspondant a un sixième de la
surface de la plaque sensible, le châssis mobile permettant de
présenter à la fenêtre successivement les 6 zones de la plaque

substances d’un grain aussi fin, aussi parfait et en somme aussi beau qu’on
peut le désirer, mais l’emploi de ce moyen nécessite des manipulations et une
façon qui, jusqu’à maintenant, élève forcément chaque épreuve à un prix
notable.
Pour rendre les épreuves photographiques abordables aux besoins du
commerce, il fallait diminuer beaucoup les frais de fabrication, résultat que
j ’ai obtenu par mon perfectionnement.
Je n’ai pas la prétention de revendiquer ici une invention importante sous
le rapport de l’art, mais tout simplement, je viens me garantir mon droit
privatif, en le mettant sous la protection des lois, en m’appuyant sur le dernier
paragraphe de l’article deux de la loi du 5 juillet 1844, comme «application
nouvelle de moyens communs pour l’obtention d’un résultat et d’un produit
industriels ».
En substance, mon nouveau procédé consiste à préparer des clichés
photographiques contenant chacun un certain nombre d’images qui me
donnent ensuite à chaque opération un nombre d’épreuves suffisant pour
couvrir largement les frais entraînés par les différentes manipulations pour
avoir le résultat, c’est-à-dire des épreuves semblables ou différentes par le
même cliché.
En d’autres termes, mon procédé consiste d’abord à préparer un cliché qui
ensuite permet d’opérer à la fois sur un nombre d’épreuves assez grand pour
que les frais se trouvent très minimisés, étant répartis sur chaque épreuve.
Par exemple, je prends une plaque de verre pouvant contenir dix épreuves,
et je fais mon cliché, soit tout d’un coup, soit épreuve par épreuve ; ensuite
LE TRIOMPHE DE L'INDU

'■ ' V- A ) 0lt9


90 André Adolphe Disden, Six Portraits d ’homme (sur une m ême plaque). 1858.
Tirage papier albuminé. -
Les portraits n'étaient pas livrés sous cette forme aux clients des salons de pose des années i860
Les fameuses « cartes de visites » qu'ils achetaient par douzaines, voire par centaines
prévenaient d’une plaque de 4. 6 ou 8 vues ; apres tirage sur papier, l'epreuve
était découpée et chacun des portraits collé sur carton
356 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

je me sers de ce cliché pour obtenir dix épreuves à la fois de sorte que tout
le temps et les frais nécessités pour obtenir une épreuve du cliché se trouven-
divisés par dix. Ce qui réduit à très peu le prix de chacune de ces dix
épreuves.
Ces nouveaux perfectionnements de la photographie permettent donc
d’obtenir de très belles épreuves à un prix si modique qu’on peut les appliquer
à une foule de cas où cela aurait été impossible jusqu’à présent, en ayant
égard au prix bien entendu.
Un des premiers usages que j ’ai fait de ces perfectionnements a été de les
appliquer aux cartes de visite portrait. Dans ce but, j ’ai fait poser la personne
une ou plusieurs fois, car, comme [il] suffit avec le collodion d’une ou deux
secondes, la même personne peut poser dans plusieurs positions sans être
fatiguée. Enfin, je forme mon cliché avec dix sujets semblables ou différents
puis je tire mes épreuves sur papier ; lorsqu’elles sont terminées je les sépare
en coupant le papier et je les colle derrière les cartes de visite.
Pour la reproduction des monuments remarquables, ces perfectionnements
offrent aussi des avantages d’économie qu’on ne peut comparer ni avec la
gravure ni avec la lithographie, sans parler de l’exactitude des formes, des
effets, etc. qui seront toujours infiniment plus exacts avec l’emploi de
mes perfectionnements qui constituent réellement un nouveau procédé très
important pour le Commerce, les Arts et l’Industrie.

Henri d’Audigier : « Chronique », La Patrie, 7 oct. 1860, p. 2.

Mes amis, voulez-vous faire fortune ? Exploitez les vices ou les travers de vos
semblables ; parmi ces divers fonds de commerce, un des plus riches, des plus
sûrs, un de ceux qui manquent le moins, comme dit le fabuliste, c’est la vanité
humaine.
Les photographes l’ont compris et s’en trouvent bien.
L’un d’eux, un jour, inventa les portraits-cartes ; il avait découvert une mine
d’or. [...]
Tous les gens qui ont l’esprit vide et la bourse pleine, tous les jolis jeunes
gens et les belles coquettes qui, après leur figure même, n’aiment rien tant
que la représentation de leur figure, les étrangers qui devancent les modes
et patronnent les ridicules de Paris, Anglais ennuyés, Russes aimables,
charmantes Polonaises, lionnes indigènes, lorettes et gandins se plurent a
multiplier les exemplaires de leur gracieuse personne, et, dans le monde-
élégant, on fit voyager son portrait pour rendre commodément ses visites par
procuration.
Bientôt l’idée vint d’assembler ces portraits, d’en former une galerie et de
tenir exposition permanente de ses amis et connaissances : naturellement on
y mit du choix et les figures vieilles, laides ou communes, soigneusement
91. Pierre Petit, Autoportrait « carte de visite », vers 1970.
358 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

92. Anonyme, Un photographe dans son atelier, vers 1870.


On reconnaît à la droite du photographe un appareil stéréoscopique à deux objectifs
et, derrière lui, un appareil à quatre obiectifs pour « cartes de visite »
L E T R I O M P H E D E L ’I ' D l S T R 1I-

closes dans un album, furent réservées pour l’intimité ; restèrent en évidence


les jeunes et frais minois, les nobles têtes, les portraits des femmes gracieuses,
d’hommes riches, puissants ou célèbres, et, en les étalant, on semblait dire :
« Voyez un peu les beaux amis, les brillantes connaissances que nous avons ! »
Ceux qui manquaient de relations aussi avantageuses ne se tinrent pourtant
pas pour battus, et la spéculation vint à leur aide. Ils purent, chez MM. les
photographes, se procurer tous les portraits qu’ils désirèrent. Il suffisait d’v
mettre le prix. [...]
Parbleu ! se dirent les photographes, c’est à merveille. Puisque nos portraits
ne sont plus seulement achetés par les originaux et par ceux qui les connaissent,
mais par Pierre, Paul, par le premier venu, il s’agit de nous procurer le plus
de portraits possible, et plus considérables seront les personnes représentées,
plus leur noble image attirera les chalands.
Alors, je ne sais comment, ces collaborateurs du soleil fabriquèrent en toute
hâte et exposèrent à leur vitrine les personnages célèbres aux titres les plus
divers : rois, souverains et grands de la terre, guerriers, magistrats, diplomates,
écrivains, artistes, comédiens, actrices, ballerines, courtisanes et saltimbanques,
tous les rangs, toutes les professions, tous les âges et toutes les célébrités se
confondirent dans un singulier et souvent fort irrévérencieux pêle-mêle. A
côté des membres de familles souveraines, on vit un acrobate du Cirque ou
une sauteuse des Délassements comiques ; dans un même cadre figurèrent un
cabotin et un prince de sang, un littérateur fameux et une fameuse lorette :
ce fut le triomphe de la démocratie et de l’égalité sociale.
Aujourd’hui, le mal est à son comble. Tout ce qui a un nom dans les arts,
les lettres, l’aristocratie, les armes, le barreau, la finance, le théâtre, le
gouvernement, l’administration ou le demi-monde est pourtraicté sur de petits
cartons, vendus par douzaines, par quarterons, par grosses, et expédié dans
toutes les villes de France et d’Europe.
Maintenant, plus de majesté secrète, plus de beauté invisible, plus
d’incognito ! Pour mes vingt sous, je puis désormais contempler sans voiles
l’auguste nez du shah de Perse ou la barbe du Grand Turc.
Tes lectrices sensibles ne tomberont plus dans des rêveries sans fin, après
avoir fermé un livre qui les aura émues : au lieu de mettre leur imagination
en campagne pour se figurer la tournure, la mise, la physionomie de l’auteur,
au lieu de s’exposer à cent méprises lâcheuses, au lieu de se demander : Est-
il jeune ? est-il vieux ? brun ou blond ? Est-il coiffé à la Titus ou à la Jeune-
France ? Porte-t-il des lunettes ? Est-il grêlé ? Est-il gras ou maigre ? Elles
courront chez un photographe et sauront à quoi s’en tenir-sur l’objet qui les
préoccupe. Helas ! combien d’illusions littéraires tomberont devant la réalité !
Maudits photographes ! ils vont empêcher les amours platoniques des femmes
de province pour les littérateurs de la capitale ! [...]
Autre danger. Il y a encore quelques fats de par le monde, si je ne me
trompe. Eh bien ! voyez comme l’industrie nouvelle va servir les intérêts de
360 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

33. Eugène Thiebault, Épreuve mosaïque. 1865. Tirage papier albuminé -


Photomontage compose a partir de « cartes de visite »
Réalisé à des fins publicitaires, il illustre un phénomène nouveau :
la profusion kaléidoscopique des portraits-cartes.
I

LE T R IO M P H E D E L T N D I S T R I E ,1

ces gens-là. Pour 1 F 50 c, le premier gandin qui passe sur le boulevard peut
acquérir en photographie, la plus jolie, la plus noble, la plus vertueuse femme
de Paris.
N’y a-t-il pas là quelque chose de choquant ? Passe pour ces demoiselles
qui se font croquer sous les costumes les plus incomplets et dans les attitudes
les plus... pittoresques. Ce qu’un fat peut dire de celles-là, sans être vrai,
peut toujours être vraisemblable. D’ailleurs, elles n’ont rien à perdre, et tout
à gagner aux galants propos des oisifs. Mais si j ’avais l’honneur d’être le
mari de telle femme estimable et charmante, dont le portrait est en vente,
il me répugnerait de penser que ce portrait peut tomber dans certaines mains
et être affiché dans certaines collections.
Tout le monde n’a point ces scrupules, et je reconnais à chacun le droit
d’agir, en pareil cas, suivant sa fantaisie. Le nombre est grand, sans compter
les acteurs et les musiciens, des gens qui aiment à populariser leur image ;
c’est leur affaire. Mais je me demande si, parmi les hommes ou les femmes
dont les photographes débitent la pourtraicture, tous et toutes ont pleinement
consenti à être ainsi vendus, colportés et exportés. [...]
Quoi qu’il en soit, je conseille à tous les hommes illustres ou simplement
connus, à toutes les femmes belles ou célèbres, de se défier grandement des
photographes embusqués à tous les coins de rue. [...] Le méchant photographe
est à l’affût, n’en doutez pas ; le photographe vous regarde, le photographe vous
attend, et son objectif est sur vous braqué. Doublez, doublez le pas, ou c’est
fait de vous ; vous allez être happés au passage par ces chasseurs de figures
et vendus à vil prix. Rappelez-vous l’homme qui avait perdu son ombre. Sans
nul doute, quelque photographe du temps lui avait joué ce vilain tour ! Ne
vous laissez plus voler votre ombre, surtout quand vous savez l’usage qu’on
en fait.

Ernest Lacan : « Revue de la quinzaine », Le M o n it e u r d e la p h o to g r a p h ie , 1 5 a v r .

1861 (n° 3), pp. 17-18.Il

Il est certain que la photographie équestre se fera une place parmi les applications
les plus productives du nouvel art. Elle ne s’adresse pas seulement aux gens
qui ont, mais encore à ceux qui veulent paraître avoir. A ce titre elle peut
compter sur un nombre infini d ’amateurs. Tout le monde ne peut se faire
photographier sur son cheval ou dans sa voiture ; donc tout le monde voudra
pouvoir montrer son portrait à cheval ou en voiture, pour paraître appartenir
à la classe privilégiée. Il y aura foule dans les champs de pose.
M. Pierre Petit se propose d’appliquer la même idée par un autre moyen :
il offre aux heureux propriétaires d’équipages, de meutes et de châteaux,
d’aller les photographier chez eux. Il économise le champ de pose, mais il
perd toute cette partie de la clientèle qui ne monte que sur des chevaux de
louage et ne se promène qu’en voiture de remise. A-t-il tort ? a-t-il raison ?
362 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

94. Louis-Jean Delton, Photographie hippique, 1862. Tirage 95. Louis-Jean Delton, Portrait équestre d'Émile de Girardin,
papier albuminé. - 1867, Tirage papier albuminé. -
Delton a réalisé plusieurs affichettes-réclames pour son atelier. Comme la « carte de visite » mais différemment, la
Sur l'une d'elles il fait imprimer en 1863 : « Ce vaste photographie équestre répond bien au besoin de paraître des
établissement de photographie réunit toutes les conditions bourgeois du second Empire : « Elle ne s'adresse pas
désirables à l'exécution de toutes reproductions en général, seulement aux gens qui ont, mais encore à ceux qui veulent
choses mortes ou vivantes [...], il offre donc au commerce son paraître avoir. A ce titre elle peut compter sur un nombre infini
concours pour la photographie appliquée à la publicité ; à d'amateurs » (Ernest Lacan, voir supra, p. 361}.
cet effet, il vient de prendre un brevet (S.G.D.G.). »
L E T R I O M P H E D E L ’I N D L S i
364 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

Pierre Petit : « Tarifs », publiés en annexe de Simples conseils, manuel indispensable aux
gens du monde, 1862.

P.D. : « Les salons de Disdéri », L ’Illustration, 2 juin 1860, p. 351.

Les salons où Disdéri expose la collection de ses chefs-d’œuvre photographiques


sont assurément l’une des plus attrayantes curiosités de Paris. La richesse et
le bon goût avec lequel ils sont décorés pourraient faire dire que si le luxe
était banni du reste de la terre, il se retrouverait dans les palais des souverains
et dans les ateliers des artistes. Les meubles précieux, les tapisseries les plus
chères, les peintures les plus achevées, les sculptures les mieux fouillées y
abondent au milieu d’un ruissellement d’or. C’est riche, mais c’est artistique ;
c’est éblouissant, mais c’est beau.
Pour arriver aux ateliers de Disdéri, on traverse d’abord un splendide salon
style Renaissance, dont chaque détail mériterait une mention toute particulière.
Toute l’ornementation en est d’un goût irréprochable, d’une élégance rare,
d’un travail délicat et charmant. Les boiseries, en chêne sculpté, sont d’une
richesse incomparable, et la grande bibliothèque qui orne cette piece attire
LE TRIOM PHE DE L U N D IS

les regards par l’exquise beauté de ses panneaux, où sont représentées


quatre figures symboliques de l’Abondance, de l’Industrie, des Arts et de la
Science. Non loin de là s’élèvera bientôt la statue en marbre blanc d'une
divinité nouvelle, la Muse de la Photographie.
Du salon François Ier, on passe dans un salon Louis XV, plus vaste encore,
où éclatent tout le luxe, toute la magnificence que prête l’imagination des
poètes au séjour des fées. Ce n’est qu’or, bronze, marbre, soie, bois précieux
et peintures plus précieuses encore. C’est un prix de Rome, M. Bin, qui a
exécuté la décoration de ce salon de prince : il l’a illustré avec un goût et un
talent des plus remarquables : rien de plus léger, de plus frais, de plus
gracieux que ces galantes compositions : la fantaisie du peintre a créé là des
allégories dont le charme atteste une fois de plus l’ut pictura poesis.
Faut-il, avec un critique d’art autorisé qui a décrit ailleurs toutes ces
merveilles, parler « des tentures en lampas ponceau brodé et crépiné d’or ?
de ces sièges Louis XV si bien contournés ? des grandes glaces à trumeau
festonnées de fleurs d’or si mignonnement découpées ? des panneaux enrichis
d’attributs peints dans des couleurs tendres et gaies ? des meubles de Boule
et des bronzes d’art ?» Tel petit guéridon a été payé son pesant d ’or ou à
peu près ; tel vase figurerait avec avantage derrière les vitrines artistiques du
Louvre. Mais il serait trop long de tout citer. Contentons-nous, pour nous
résumer, de dire que ce salon Louis XV, avec son fond bleu pâle, blanc et
or, avec ses peintures aimables, avec ses harmonies tendres et claires, repose
et enchante le regard, malgré le luxe fou et les magnificences sans pareilles
qu’on y a prodiguées à pleines mains.
Les bureaux, les magasins, les ateliers, l’escalier même sont décorés avec
le même soin, avec le même goût, avec le même luxe ; pas le moindre
désaccord ne blesse parmi ces somptuosités.
Nous n’avons encore rien dit d’un troisième salon qui est, pour ainsi dire,
le musée spécial de la maison. C’est une galerie magnifiquement ornée où
sont exposés les portraits des principaux personnages qui ont posé devant
Disdéri. Inestimable collection dans laquelle figurent plus de quatre cents
illustrations de tous genres ; c’est le véritable livre d’or de la célébrité dont
les feuillets épars se relieront un jour en un album du plus haut prix pour
l'histoire. Tous les noms glorieux qui sont l’honneur de l’armée, de l’Église,
de la magistrature, du barreau, de la littérature, des arts, de la science, de
la finance, de l’industrie et même du commerce, se trouvent dans cette galerie
où la noblesse de la naissance avoisine celle du talent. Iconographie doublement
aristocratique dans laquelle n’ont pas dédaigné de prendre place LL. MM.
"Empereur et l’Impératrice, le prince Impérial, le prince Jérôme, le prince
Napoléon, les princesses Mathilde et Clotilde, la princesse Murat, la grande
duchesse Hamilton, la grande duchesse Marie de Russie, les princes et les
princesses de Leuchtenberg, le grand duc de Toscane, le prince d’Orange, S.
M. la reine Christine, etc.
366 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

D I S D Ë R I P H O T O G R A P H I E PAR C H A M .

Disdéri devant une lète qui ne Int dit pas jjrand'cliosp.

Disdéri devant une tête qui lui dit quelque chose.

Disdéri devant une lOte qui l’inspire énormément.

9 6 . C h a m , le C h a riv a ri, 13 d é c . 1861.


LE TRIOM PHE DE L'INDUSTRIE 367

Ce n’est rien hasarder que de prédire à la publication des Contemporains de


Disdéri un succès égal à la grandeur de l’œuvre qu’il a entreprise.
Avions-nous tort de dire en commençant qu’un étranger n’avait point épuisé
la série des plus intéressantes curiosités de Paris, s’il retournait dans son pays
sans avoir vu et admiré un établissement photographique comme celui du
boulevard des Italiens ?
Et nous-même, en passant sur ce fashionable boulevard où se groupent
toutes les élégances mondaines et artistiques, ne devions-nous pas remettre
poliment notre carte à Disdéri, l’ingénieux inventeur du portrait-carte de visite ?
invention qui aujourd’hui fait le tour du monde et qui a donné un élan
nouveau à la belle découverte des Daguerre, Niépce et Talbot.
L’EXPANSION COMMERCIALE
ET SES LIMITES TECHNIQUES
( 1862 )

A uguste BELLOC (actif 1848-1888) ;


Ernest LACAN (1828-1879) ; A ndré-A dolphe DlSDÉRl
(1819-1889)
Au début des années 1860, l ’activité photographique connaît, grâce aux épreuves
stéréoscopiques 1 et surtout à la « carte de visite », un essor important, comme en
témoigne le luxe des nouveaux salons de Disdéri (cf. pp. 364-367). Le tanJ
(«prix courant») quA. Belloc annexe en 1862 à son livre Photographie
rationnelle renseigne sur les activités de certaines maisons parisiennes qui,
parallèlement à la production de portraits, fabriquent et vendent du matériel
photographique, et parfois, comme Belloc, assurent le tirage des clichés. Ce tanJ
révèle en outre le dynamisme d’un commerce soumis à une rude concurrence qui
adopte des méthodes incitatives de vente (« leçons gratuites aux acquéreurs
d ’appareils »), organise des envois postaux en province pour étendre sa clientèle
et commence à accorder une attention particulière au marché « des amateurs ».
La création en 1862 du C om ptoir international de photographies, au but
« essentiellement commercial », exprime bien les préoccupations d’une large partie
du milieu photographique à cette époque et, particulièrement, celles de Lacan pour
qui « le côté industriel du nouvel art ne saurait être négligé ».
Cependant, malgré ses succès, l ’industrie photographique est dans une impasse.
En 1862 la Société française de photographie décerne enfin à Alphonse Poitevin
le prix de 2 000francs offert en 1856 par le duc de Luynes pour améliorer la
conservation des épreuves. Malheureusement, son procédé de tirage au charbon ne
peut trouver d’emblée une application industrielle, car il suppose une réorganisation
des laboratoires photographiques, c’est-à-dire des investissements et des risques que
les ateliers hésitent à assumer. Ainsi s ’expliquent l ’appel de Disdéri à l ’Etat et
l ’importance persistante de la pratique du portrait par rapport a « tous les travaux
qui concernent les arts, l ’industrie et la science » (cf. p. 371). En jait, sous le
Second Empire le procédé au charbon ne sera jamais vraiment en mesure de
supplanter les tirages aux sels d ’argent 12.

1. Sur les photographies stéréoscopiques, voir p. 327, note 5.


2. Dans son «Compte rendu de la séance du 8 mars 1868 » publié dans Le Moniteur de la photographie
LE TRIOM PHE DE L’INDUSTRIE 369

Auguste Belloc : « Prix courant », Photographie rationnelle, 1862 (annexe).

Chaque année, le commerce peu scrupuleux de la capitale répand par milliers,


dans les provinces, des prospectus dont les prix, extrêmement réduits, nous
procurent l’honneur bien compris de plusieurs centaines de lettres, dont la
formule invariable est celle-ci :
« Nous venons de recevoir les prix courants de MM. X, Y, Z, etc. Comparés
aux vôtres, ils offrent un avantage que nous ne voudrions pas perdre, etc.
Aussi nous venons vous demander une réduction, etc. »
Dès le début nous avions compris combien il était dangereux de s’engager
dans la voie du médiocre à propos de fournitures de photographie, et nous
nous sommes toujours fait une loi de ne pas dévier de cette ligne de conduite.
Nous ne modifierons en rien notre manière et nous ne prendrons pas pour
modèles les Maisons [de photographie] à bon marché 3, mais nous ferons cette
concession à nos clients, de faire prendre dans les maisons qu’ils nous
désigneront les articles qu’ils nous auront signalés et que nous livrerons aux
mêmes prix de la maison indiquée. Cet engagement, nous sommes d’autant
plus heureux de le tenir qu’il nous dispense de toute responsabilité et qu’il
peut être utile comme point de comparaison.
Quant à la responsabilité, nous voulons l’assumer tout entière et nous
reprendrons les objectifs, les papiers albuminés, l’ébénisterie qui ne seraient
pas conformes aux desseins de l’opérateur.
Nos conseils sont acquis à nos clients, soit de vive voix, soit par
correspondance ; et ce sera toujours un plaisir autant qu’un devoir pour nous
de leur indiquer les moyens de surmonter les difficultés qu’ils pourraient
rencontrer.
Nous donnons des leçons gratuites aux acquéreurs d’appareils, dans les
proportions suivantes: 4 leçons pour un 1/4 de plaque; 12 leçons pour
'acquisition d’un appareil 1/2; et 24 leçons à l’acquéreur d’un appareil
2'. X 27, qui achètera en outre les produits chimiques nécessaires pour opérer
endant quelques mois.
L’avantage qui résulte de cette combinaison n’a pas besoin d’être expliqué,
est évident que nos prix étant les mêmes, sinon plus bas que ceux des
utres fabriques, et les produits d’une pureté et d’une supériorité réelles, si

I" avr. 1868, n° 2, p 14), la Société photographique de Marseille note : « Il est à désirer qu’on parvienne
iroduire dans le tirage des épreuves au charbon plus de simplicité et de facilité. Un double transport,
t ploi de fortes pressions enfin, le coût actuel des papiers employés [...] sont des obstacles à la
earisation du procédé au charbon ». A la fin des années 1860, Braun de Dornach, semble l’un des
trois à avoir utilisé sur une grande échelle le tirage au charbon, notamment pour ses reproductions de
d e s s i n s de maîtres.
- Toutefois les prix de tous nos articles sont abaissés encore cette année et n’ont à redouter aucune
urrence. » [Note d’A. Belloc]
3 70 I.A P H O T O G R A P H I E E X F R A N C E 1816-1871

Ernest Lacan : « La photographie et le commerce : Comptoir internatio­


nal de photographie », L e M o n i t e u r d e la p h o to g r a p h ie , 15juin 1862 (n° 7), pp. 52-53.

« La photographie est fille adoptive des sciences et des beaux-arts : aux unes
elle emprunte ses procédés ; aux autres elle offre ses applications. » Mais il
ne faut pas craindre de le dire, la photographie est liée intimement avec
l’industrie et le commerce. Elle a créé pour eux des éléments nouveaux de
développement, et elle attend de leurs ressources de légitimes profits. Nous
sommes de ceux qui pensent que l’on doit encourager sans cesse les études
scientifiques qui amènent les perfectionnements et les découvertes, et chercher
à élever toujours davantage le mérite artistique des productions ; mais nous
croyons aussi que le côté industriel du nouvel art ne saurait être négligé, et
que tout ce qui peut tendre efficacement au progrès dans ce sens mérite
également une sérieuse attention. C’est à ce titre que nous allons signaler à
nos lecteurs une entreprise. [...] Nous voulons parler du Comptoir international
des photographes [sic], fondé sous la direction de M. Edmond Potonié.
L E T R I O M P H E D E L ’I N D U S T R I E

Pour faire connaître l’idée qui a présidé à cette fondation, il nous suffira
de citer quelques lignes de la circulaire qui a été adressée par M. Potonié
aux sociétés photographiques et aux publications spéciales :
« Le but du Comptoir est essentiellement commercial.
Prendre l’initiative de toutes les mesures qui peuvent conduire à la sécurité
et à la prospérité des affaires photographiques ; fonder successivement dans
les principales villes des dépôts des meilleures productions photographiques,
former des expositions permanentes et locales ; faciliter les relations ; arriver
à un accroissement considérable des débouchés ; offrir à chaque nouveau
produit un placement rapide, sûr et important : tels sont les services que le
Comptoir est appelé à rendre.
La photographie a pris partout, comme art, comme science et comme
industrie, un tel développement, le champ qu’elle ouvre au commerce est si
vaste, que l’exécution de ce projet (comme toute autre entreprise de ce genre)
est devenue un besoin. [...J
Il ne suffit pas de créer, il faut répandre ; la richesse est fille de l’échange. »
Dès l’abord nous avions approuvé ce projet ; mais, avant de nous y associer
complètement, nous avons voulu nous procurer tous les renseignements qui
pourraient intéresser nos lecteurs. [...]
Dans la pensée du fondateur, les opérations du Comptoir comprendraient
tout ce qui sert à la photographie et tout ce qu’elle produit et peut produire ;
ainsi, pour la fabrication à l’usage des photographes : appareils, ustensiles,
produits chimiques, papiers, etc., — articles terminés pour le public : cadres,
albums, étuis, stéréoscopes, photographies de tous genres, — librairie
photographique : journaux, livres spéciaux, livres illustrés par la photographie.
Le Comptoir serait l’intermédiaire universel entre les fabricants et les
photographes, entre les photographes et le public. Le comptoir central de
Paris réunirait à la fois l’importation et l’exportation. Il répandrait, au moyen
de ses succursales, les produits photographiques français à l’étranger, et il
aurait à Paris les dépôts des produits étrangers.
M. Potonié s’est déjà assuré des agents ou des correspondants dans les
villes suivantes : Berlin, Copenhague, Varsovie, Pétersbourg, Moscou, Odessa,
Breslau, Vienne, Madrid, Lisbonne, New-York, Adélaïde (Australie), Calcutta.

\ndré-Adolphe D isdéri: «Matériel de la photographie», l ’A r t de la


■' o g r a p k ie , 1862, pp. 144-145.

L’incertitude, en effet, qui plane sur la durée des images arrête et suspend
■>us les travaux qui concernent les arts, l’industrie et la science ; on n’ose
ras se lancer dans des publications sérieuses, on ne veut point entreprendre
e collection importante avec la pensée que l’œuvre exécutée à grands frais
3 72 L A P H O T O G R A P H I E E N E R VN( E IH 1G-1871

sera éphémère. Les établissements de photographie ont donc été obligés de


concentrer leurs efforts vers la production des portraits, et leur organisation
est faite surtout en vue de cette branche de la photographie.
Le public n’attache pas, en général, croyons-nous, une extrême importance
à la durée indéfinie de ces images qu’il peut faire renouveler sans cesse,
suivant la mode, et multiplier à peu de frais. Il serait difficilement entraîné
à accepter des épreuves d’un autre ton que celui qui a été consacré par la
pratique des procédés aux sels d’argent, et pour lui, tout d’abord, les avantages
du nouveau procédé [au charbon] ne compenseraient peut-être pas la perte
de l’aspect particulier qu’il s’est habitué à préférer dans ses portraits.
Ce serait donc de la témérité, pour un établissement de photographie, de
modifier tout à coup et radicalement l’organisation fondamentale de ses
ateliers avant de s’être assuré de travaux importants, susceptibles de compenser
et les frais de nouvelle installation et la défaveur momentanée qui pourrait
en résulter dans le public qui l’alimente par les portraits.
Mais l’Etat pourrait prendre l’initiative et résoudre la question, en confiant
aux nouveaux procédés [au charbon] quelques-uns des ouvrages qu’il serait
si urgent d’exécuter. N’a-t-on pas des documents importants à rassembler, des
collections précieuses à compléter ? C’est à l’Etat surtout qu’il appartiendrait de
faire entrer la photographie dans sa véritable voie, en consacrant aux yeux
de tous, par des applications dont on ne saurait contester la valeur, les
procédés qui conduisent aux épreuves inaltérables.
LE COMMERCE S’ANNEXE L’« ART » :
PROMOTION DE L’ <EFFET »
( 1860- 1862)

Ernest LACAN (1828-1879), A nd ré-A dolp he DlSDÉRI (1819-


1889) ; H enri de LA BLANCHÈRE (1821-1880) ; Pierre M ichel
LAFON de CAMARSAC (1821-1905)

Face au sans-gêne de l ’« industrie du portrait », certains grands studios parisiens


conjuguent leurs efforts pour reconquérir les faveurs d ’une clientèle attachée à la
qualité. Ils publient des ouvrages à prétentions esthétiques pour démontrer que la
photographie est avant tout un art. Disdéri, qui n’a jamais esquissé dans ses
publications de 1853, 1855 et 1861 1 le moindre argument en faveur du statut
artistique de la photographie, procède, dans son épais ouvrage de 1862, précisément
intitulé L ’A r t d e la p h o to g r a p h ie , à une minutieuse démonstration (cf. pp. 374-
375) avec comme souci de <<relever la photographie aux yeux de la foule » et de
séduire « la partie éclairée du public ».
C’est Henri de La Blanchère (cf. pp. 375-377) qui, dès 1860, avait publié le
premier de ces ouvrages issus des grands studios de portraits 2. Dans L ’A rt du
photographe son argumentation s ’organise en deux temps. Il reprend la « théorie
des sacrifices » nécessaire pour donner aux photographies un « effet-peinture » et
susciter l ’assimilation photographie-peinture-art. Mais il souligne en même temps
ombien cette « science des sacrifices » est difficile à appliquer avec une technique
qui vous « inonde » de détails inutiles. On retrouve chez La Blanchère l ’opposition
entre le « net » (que la machine obtient sans effort) et le « flou », propre aux
effets d’art — mais elle s ’étaie d ’arguments qui relèvent de la psychologie de la
vision : devant un visage, c’est l ’« effet général » que nous percevons, et non les
détails. Voir, c’est synthétiser. La photographie doit en tenir compte.
En ces années I860, le rapport entre photographie et peinture se déplace, en
même temps que l'argument de la vérité objective de la photographie perd de son

Cf. infra, bibliographie.


- Cf. bibliographie : Henri de La Blanchère (18601, Alophe (1861), Pierre Petit (1862), Mayer et Pierson
862), Liébert (1864), Ken (1864).
374 LA P H O T O G R A P H IE EN FRA N CE 1 8 1 6 -1 8 7 1

prestige (« l ’effet, voilà le but »). Évolution qu’on pourrait résumer (et simplifier)
ainsi : il ne s ’agit plus de faire plus vrai que la peinture, mais de mentir aussi
bien qu’elle. La peinture ment, explique La Blanchère, et c’est par quoi elle nous
intéresse. Il n ’est pas loin d’ajouter pour les photographes : arrangez, interprétez,
mentez donc un peu, vous aussi. Vous n’en serez que plus artistes...

Ernest Lacan : « Revue photographique » , Le Moniteur de la photographie, 15 déc.


1861 (n° 19), p. 145.

Nos portraitistes nous paraissent en général y porter peu d’attention, malgré


son importance : nous voulons parler des soins apportés au tirage. Il est bien
certain que la quantité considérable d’épreuves qui s’impriment chaque jour
dans certains ateliers ne permet pas de livrer au public exigeant et pressé
des images d’une régularité parfaite ; mais nous ne saurions trop recommander
aux portraitistes de surveiller attentivement les employés chargés de cet
important travail. Souvent, sur vingt portraits de la même personne, il n’y
en a pas deux de même ton, et la plupart sont tachés ou montés avec
négligence. Cette inégalité frappe plus le public que les qualités mêmes d’un
portrait. Le plus beau négatif ne saurait lui plaire, si l’épreuve positive qui
le reproduit est défectueuse.
Les photographes étrangers paraissent se préoccuper davantage de l’impres­
sion. J ’ai sous les yeux des portraits-cartes exécutés à Londres, à Vienne, à
Berlin, et dont le tirage est irréprochable, bien que ces épreuves aient été
prises au hasard parmi celles répandues dans le commerce.

André-Adolphe Disdéri : L ’A r t d e la p h o to g r a p h i e , 1862, pp. 145-146 et 294-


295.

Pour moi, j ’appelle de tous mes vœux le moment où la photographie deviendra,


pour le public tout entier, un art incontesté. S’il m’était permis de parler de
mes propres efforts, je dirais qu’ils ont toujours tendu à relever la photographie
aux yeux de la foule, et, tout en la popularisant, à l’entourer de ce prestige
qui lui est dû. Ce qui a beaucoup contribué [...J à arrêter l’essort de l’art
nouveau, c’est le discrédit où la plupart des photographes eux-mêmes l’avaient
laissé tomber, soit qu’ils ne comptassent pas assez sur leurs propres forces,
soit qu’ils n’eussent point assez de confiance dans le succès pour tenter
d’organiser la photographie sur de larges bases ; ils s’en étaient généralement
tenus à en faire une industrie et toute spéciale, dont l’importance allait
LE T R I O M P H E U E L 'I N D U S T R I E 375

s’amoindrissant chaque jour pour les esprits superficiels auxquels n’étaient


point encore révélées les applications nombreuses qu’elle pouvait recevoir. On
sait la popularité que je lui ai rendue tout à coup par l’invention de la carte
de visite (que j ’ai fait breveter en 1854). Le public, lassé des portraits plus
ou moins enlaidis et déformés par des appareils impuissants à conserver en
grand l’harmonie des proportions, a accueilli avec enthousiasme ces images
diminuées où la personne est vue en pied, dans ses attitudes habituelles, et
dessinée avec une correction qui charme l’œil des moins expérimentés en
matière d’art. [...]
Il résulte de tout ce qu’on vient de lire qu’il doit être bien difficile d’obtenir
en photographie un bon portrait, une image à la fois belle et ressemblante,
et que cet art de faire le portrait ne peut s’acquérir que par une observation
constante de la nature et par des travaux longs et patients. Encore ces études
ne seront-elles fécondes que pour l’artiste naturellement doué du sentiment
de la beauté ; car la connaissance des lois de l’art développe en lui ce
sentiment, lui indique les objets auxquels il faut l’appliquer ; elle l’empêche
de s’égarer, mais elle ne saurait en tenir lieu.
On pensera sans doute que tant de difficultés et de lenteurs s’allient mal
avec les exigences d’une production industrielle qui doit être avant tout rapide
et peu coûteuse, qu’un bon portrait, en un mot, ne saurait être obtenu à bon
marché. Nous répondrons qu’il ne s’agit pas d’industrie ici, qu’il s’agit d’art,
et que l’art cherche la beauté et que peu lui importe à quel prix il la réalise.
La partie éclairée du public sent bien cette différence : pourquoi s’adresse-
t-elle exclusivement aux photographes qui tiennent leurs travaux aux prix les
plus élevés ? Serait-ce que la valeur intrinsèque des matières qui constituent
leurs produits lui semblerait plus grande ? Non, ce sont les mêmes matériaux,
les mêmes substances, les mêmes manipulations chimiques. Il y a seulement
ici quelque chose de plus qu’ailleurs, c’est un peu d’art, une parcelle de
beauté. Cette parcelle de beauté, c’est ce qui fait aussi la valeur inestimable
de ces minces morceaux de toile signés Decamps ou Delacroix.

Henri de La Blanchère : L ’A r t d u p h o to g r a p h e , 1860, pp. 13-16 et 60-63.

Moins de finesse, plus d’effet ; moins de détails, plus de perspective aérienne ;


moins épure, plus tableau ; moins de machine, plus d ’art : voilà ce que nous
cherchons.
Ainsi donc, selon nous, la photographie a deux voies bien distinctes à
suivre : la reproduction idéalement fine des détails, et la création intelligente
d’œuvres d’art, de tableaux. Malheureusement, la première est la plus facile
et la plus attrayante : la seconde est celle que nous cherchons, et son amour
est le mobile qui nous fait entreprendre ces études ; heureux si elles entraînent
avec nous quelques sectateurs amis !
376 L A P H O T O G R A P H I E EN' T R A N C E 1816-1871

Il n’est pas jusqu’aux portraits qui ne se ressentent du parti pris actuel


des détails aux dépens de l’ensemble, et cependant il est bien rare que nous
regardions les traits d’une personne aimée à une distance telle que nous
distinguions ce que nous montre de détails l’épreuve photographique. Ne
vaudrait-il pas mieux un peu plus d’effet général ? Quand il est si facile de
reconnaître quelqu’un à son port, à sa démarche, alors que nos yeux ne
distinguent qu’à peine les traits de son visage, ne devrait-on pas tenir compte
de cette faculté dans la création du portrait photographique ? Si cette faculté
n’existait pas, le portrait ne serait né que de la photographie, et heureusement
il date de la peinture, dont il fut sans doute l’origine. Q u’était-il alors, qu’est-
il encore dans les mains des grands maîtres ? sinon un ensemble de lignes
générales et jamais une étude microscopique. [...]
O magnifiques portraits de Raphaël, Van Dyck, Caravage, quand nous
sera-t-il donné de savoir assez sacrifier pour arriver à votre effet ! Il faut bien
se pénétrer de cette idée, que la science des sacrifices est plus difficile avec
la photographie qu’avec tout autre moyen de reproduction. Au milieu de la
surabondance de finesse, de détails qui vous inondent, vous ne savez quoi
retrancher ; vous êtes trop riche et vous vous laissez aller à faire parade de
cette richesse, oubliant que l’éclat est d’autant plus frappant qu’il est ménagé
et rassemblé sur un point capital. La majorité des opérateurs s’extasie sur la
netteté merveilleuse, et nous avec eux, d’un portrait irréprochable (mais est-
ce de l’art !) ; et ces mille plis, ces dentelles si fines, ces bijoux si vrais, cette
lumière scintillant partout, ce papillotage à l’œil du spectateur, est-ce bien
là le beau artistique tel que nous le cherchons ? Non, mille fois non. Sacrifiez,
éteignez tous ces détails, toutes ces lumières ; faites resplendir vos têtes aux
dépens des fonds et des accessoires, estompez vos mille riens pour ne pas
distraire de l’ensemble, et vous aurez un tout vraiment artistique, vraiment
satisfaisant. Nous ne préconisons pas ici le flou des épreuves, bien loin de
là ; mais nous redisons qu’on pousse à la finesse extrême, et qu’on manque
de relief et de vie. [...]
L La photographie est l’art de l’imitation par excellence, c’est le calque de
la nature, et la nature nous entoure de modèles ; l’essentiel est de choisir, et
surtout de bien choisir. Combien de recherches, de méditations ne demande
pas cet éclectisme si difficile à pratiquer, et par combien de déceptions le
photographe ne passe-t-il pas pour saisir enfin cette manière d ’envisager les
objets qu’il reproduit, manière qui échappe à l’analyse et qui forme de son
œuvre un faire à lui au lieu d’une copie maladroite. La peinture aussi est un
art d’imitation, mais combien de difficultés insurmontables pour nous sont
tournées sans peine par elle ? Où nous sommes arrêtés, elle enjambe l’obstacle,
où nous succombons, elle triomphe ! mais est-elle toujours vraie ? Là est le
point délicat : et nul n’oserait l’affirmer. Non,: elle n’est vraie ni dans ses
détails ni dans ses ensembles, et je parle ici dans une acception générale, et
tout autant pour l’œuvre des grands maîtres que pour celle des plus modestes
L E T R IO M P H E D E I IN D U S T R IE

dessinateurs. Je prendrai pour exemple un effet que tout photographe


paysagiste a dû remarquer et qui est des plus frappants.
Qu’un peintre ait à rendre, d’après nature, un horizon de montagnes :
qu’un photographe à côté de lui prenne une épreuve du même point de vue,
et qu’ils comparent. Voici ce que ce dernier remarquera sans aucun doute :
le peintre aura outré la hauteur relative de la chaîne de montagnes, et tout
étonné, niera presque la vérité mathématique de la reproduction de son voisin.
Pourquoi ? parce que lui voyait en dessinant, et avec les yeux du corps et
avec les yeux de l’expérience qui lui disait combien cette montagne était
haute ; et malgré lui, il dessinait non ce qu’il voyait, mais ce qu’il savait. Je
me borne à cet exemple, mais je veux faire sentir en passant que son pinceau
laisse de côté le buisson qui masque une échappée de vue, qu’il grandit
l’arbre du premier plan qui doit, en découpant le ciel, produire encadrement
à son paysage, et qu’il dessinera de souvenir le paysan sur son âne ou la
jeune fille venant du marché, tandis qu’il faudra au photographe un hasard
heureux ou des peines sans nombre pour assortir un modèle et le faire passer
dans le point nécessaire, heureux encore s’il ne s’aperçoit pas qu’il cherche
tout bonnement l’impossible.
Imiter n’est pas tout, copier n’est rien, je le répète, l’essentiel est de choisir
et de bien choisir. Il faut que notre homme ait cette faculté résultant de
l’habitude, qui lui fera deviner un tableau là où les éléments qui doivent le
composer semblent dispersés et sans valeur ; il faut que son tact, son génie,
allais-je dire, lui indique le point, le seul, d’où ces éléments souvent bien
simples produiront l’effet qu’il désire. L’effet, voilà le but ; pour y atteindre,
il faudra qu’il se rappelle que son instrument, rigide observateur des lois de
la perspective, fera petit ce qui est loin, plus gros ce qui est près. Et cependant,
que de moyens lui restent pour tirer parti de cette indocilité apparente. Q u’il
sache à propos outrer la grandeur des premiers plans pour amoindrir les
derniers ou faire fuir les horizons, qu’il repousse les objets les uns par les
autres, assortissant de couleurs ceux qui sont loin, contrastant ceux qui sont
plus proches.
Et qu’on ne m’aille pas dire que je parle de choses impossibles quand il
s’agit des plans immobiles d’un paysage. Croyez-moi, qui cherche bien, trouve
toujours des points, un seul peut-être, qui rempliront les conditions que nous
exigeons. Mais ce point demande quelquefois une longue et patiente recherche,
il faut tourner et retourner, et longtemps.

Lafon de Camarsac : « Introduction », D isdéri, L ’Art de la photographie, 1862,


pp. 52-54.

Si le rôle de l’art est d’exprimer l’homme, son but suprême est de l’exprimer
dans sa plus haute beauté, et c’est là en effet son éternelle recherche. Ce but,
que poursuivent ardemment le sculpteur et le peintre, est-il interdit au
378 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

photographe de le rechercher aussi ? Nous ne le croyons pas. Le monde visible


est tout entier du domaine de la photographie ; elle dispose de toutes les
formes de la réalité extérieure et en même temps de la lumière qui les éclaire.
Elle peut grouper ces éléments divers, et donner aux êtres vivants, dans les
limites de leur type, des attitudes infiniment variées, un geste expressif, une
physionomie animée du rayon de l’intelligence ou de la passion. Si elle ne
peut changer les formes de la nature inanimée, elle en peut modifier les
aspects par le choix du point de vue et de la distance, et elle obtient ainsi
tous les effets de perspective dont la peinture tire ses plus éloquentes images.
Nulle combinaison de clair-obscur qui ne lui soit facilement accessible, nulle
opposition d’ombre ou de clair qu’elle ne puisse reproduire, soit dans le jeu
accentué de ses blancs et de ses noirs, soit dans la délicatesse exquise de ses
demi-teintes les plus transparentes.
Cet ensemble de moyens d’appropriation constitue sans nul doute, lorsqu’il
est mis en œuvre par un opérateur intelligent, un langage par lequel il
exprime sa pensée et qui transmettra aux autres hommes des idées et des
sentiments. Par le choix des types, par la manière de les éclairer, il inscrira
dans une image matérielle la trace vivante de sa personnalité : les attitudes
seront élégantes ou grandioses ; les draperies seront gracieuses ou sévères ;
l’effet éveillera dans l’esprit du spectateur une impression sereine ou
mélancolique. Enfin, il est permis au photographe de traduire, par des moyens
qui lui sont propres, un nombre considérable de phénomènes du monde
intérieur.
La photographie est donc un langage ; elle est donc un art. A ce titre, elle
a ses instruments spéciaux qui tracent la limite du champ où s’exerce sa
puissance ; elle a en un mot son esthétique particulière, qui dirige et règle
la mise en œuvre de tous les éléments dont elle dispose.
Le fonds où le photographe doit puiser les éléments de son art, c’est la
nature visible ; les apparences des formes modifiées par la lumière et la
distance, voilà les mots de cette langue qu’il doit parler.
COMMERCE, INDUSTRIE, BATIMENT :
VERS LE POUVOIR MULTIPLICATEUR
DE L’IMAGE (1856-1868)

A lp h on se DAVANNE (1824-1912) ; E xp osition u n iv erselle de


L ondres (1862) ; L a L u m i è r e (1856)

Les comptes rendus des expositions universelles de 1855 et de 1867 permettent,


par comparaison, d’apprécier la réalité des liens qui, d ’une manifestation à l ’autre,
se sont établis entre la photographie et l ’industrie. Force est de constater que les
espoirs et les rêves de 1855 ne se sont pas totalement réalisés. En 1855 Disdéri

97. Auguste-Rosalie Bisson (dit Bisson jeunel.


Exposition universelle, 1867, Paris, 1867. Tirage papier albuminé.
380 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

98. Hippo;yte Auguste Collard, « Perspective du passage des c:étcns sur le viaduc »,
Pont-viaduc sur la Seine au Point-du-Jour. pi. 15, 1868. Tirage papier albuminé. - Collard a, entre 1857 et 1868,
consacré plusieurs albums à des ponts ou viaducs en construction ou en réparation.

était convaincu qu’un avenir radieux s ’offrait à la photographie industrielle : « Si


les lignes qui vont suivre, prévenait-il alors, sont taxées d ’exagération, dans dix
ans on sera bien forcé d’avouer que nous restons non seulement dans les limites
du possible, mais encore en-deçà de la réalité ».
En 1867, la circonspection d’Alphonse Davanne sonne comme un démenti des
propos de Disdéri dont les illusions étaient en réalité l ’expression d ’un optimisme
de souche saint-simonienne, d ’une surestimation des rythmes du progrès scientifique,
industriel et technique.
La photographie s ’intégre certes à certains processus de production, mais c’est
essentiellement dans les industries de luxe : les vues sur soie de Louise Laffon,
les vitraux de Tessié du Motay et Maréchal à Metz, les émaux de Lajon de
Camarsac, etc. Autre exemple, important : les séries de fleurs qu’Adolphe Braun
destine à l ’industrie du tissu et du papier peint (cf. pp. 191-192), mais il date
d ’avant 1855 et n’est que timidement suivi par Charles Aubry. L'entreprise la
plus achevée semble finalement celle de Prudent Dagron qui, avec ses bijoux
photographiques, emploie 150 personnes en 1862.
L E T R I O M P H E D E L ’IN D U S T R IE 381

99. Bisson frères, Ponts routier e t ferroviaire, s.d. Tirage papier albuminé. - Le sujet est en harmonie
avec la rigueur formelle de l'image : la précision, la géométrie des lignes, la mise en valeur de la structure et de la matière des objets.
Une image qui illustre la connivence entre la photographie et le modernisme technologique du second Empire.

Mais dans l ’ensemble, la photographie n’est utilisée qu’en aval de la production,


pour « représenter la chose absente : l ’usine, la machine, le modèle que l ’on n ’a
pu déplacer — le dessin photographique venant compléter ainsi l'exposition de
l ’industriel ». Encore la photographie souffre-t-elle de sa réputation d’altérabilité
qui la prive des investissements et programmes d’envergure. Rares sont avant 1871
les commandes émises par le commerce, comme celle adressée à Adrien Tournachon
(1856) de photographier les bœufs d ’un concours agricole, et rares aussi les
entreprises comme celle d’Alexis Godillot qui édite en 1866 un catalogue réalisé
par Louise Laffon 1. Pour que de telles initiatives se généralisent, il jaudra
attendre, précise Davanne, que « l ’héliographie et la lithophotographie se soient
complètement développées ».
Avant 1871, les photographies à caractère industriel sont essentiellement liées
aux transformations urbaines et aux travaux d ’aménagement du réseau ferré. En

Notons que dans cet Album photographique des uniformes de l'armée française de Louise Laffon, les
photographies sont peintes à la main, ce qui lève l’hypothèque de leur altérabilité.
382 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

'GO tuoudrj djiujs 'ou. ■ Cnemm de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée,


1861. Tirage papier albuminé/négatif papier. -
Baldus a su trouver des équivalents formels a la nouvelle réalité industrielle de son temps. Tout comme chez Bisson, Collard
ou Durandelle, la beauté fonctionnelle de l’objet industriel et utilitaire a chez lui stimulé l'innovation plastique

1855, le baron James de Rothschild commande à Edouard Baldus un album de


50 photographies — Chem in de fer du N ord, Ligne de Paris à Boulogne
— pour l ’offrir à la reine Victoria lors de sa visite à l ’Exposition universelle
de Paris (une variante à 25 exemplaires sera tirée vers I860).
Deux ans plus tard débute une collaboration régulière entre Hippolyte-Auguste
Collard et l ’administration des Ponts et Chaussées pour laquelle il réalisera de
1857 à 1868 au moins huit albums de « vues photographiques des phases principales
des travaux de reconstruction » de différents ponts. Ses clichés permettent aux
ingénieurs de suivre l ’évolution des travaux, d’en informer leur conseil d’administra­
tion et, finalement, d’illustrer la publication du bilan technique de chaque projetz.
L ’exemple de l ’Administration des forêts à l ’Exposition universelle de 1867 indique
comment, dans un compte rendu technique, le texte est articulé avec un relief en
plâtre, une carte et des photographies d ’un même site. A la fin des années I860,
Collard s ’intitulera « photographe des Ponts et Chaussées », mais beaucoup d ’autres

2. «Compte rendu de l’exposition de Vienne en 1873 », Bulletin de la Société française de photographie, 1875.
p. 264. Les grandes administrations « faisaient un fréquent emploi de la photographie [...] pour se rendre
un compte exact de l’état des travaux, les relever date par date, les soumettre aux conseils d ’administration
et cela de manière bien autrement authentique que par des rapports ».
LE T R IO M P H E DE L T N D l 15 -

101. Hippolyte Auguste Collard, Rotonde sur le Chemin de fer du Bourbonnais, Nevers, 1860-1863. Tirage papier albuminé
384 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

— Baldus, Bisson, Biaise, Duclos, Se'e, etc. — auront travaillé pour les travaux
publics et les compagnies de chemins de fer.
Souvent de très grande qualité, leurs images ne sont considérées que pour leur
valeur illustrative et descriptive. En témoigne l ’indifférence à leur égard des
archives et des publications techniques, voire de la presse en général. Assez
curieusement Davanne lui-même ne mentionne que de façon très allusive — sans
même citer un seul photographe — la présence à l ’Exposition universelle de 1867
de cette production photographique « industrielle ».
Après avoir réalisé en 1858 un bel album de 60 photographies sur le Bois de
Boulogne, Charles Marville se présentera bientôt comme « photographe de la Ville
de Paris » et collaborera à la vaste entreprise commanditée par Haussmann et
l ’Empereur : une « Histoire générale de Paris ». Marville fixera avec méthode
chaque rue appelée à disparaître, les phases successives des travaux et le nouveau
tracé. Il laissera à la Ville de Paris plus de 900 plaques et trois collections
d ’épreuves 3.
Ses liens avec les autorités municipales expliquent certainement sa contribution
au « diorama botanique » 45*installé à l ’Exposition universelle de 1867 dont Pierre
Petit est pourtant le photographe exclusif. Avec le soutien de Barillet — le
jardinier en chef de la Ville de Paris et de l ’Exposition — , Marville essaie
toutefois de remporter ce marché qu’il situe entre 1 500 et 3 000 épreuves .
A côté de Bisson, Baldus, Marville, Biaise, etc. (voir bibliographie), il faudrait
citer Delmaet et Durandelle qui enregistrent entre 1865 et 1872 les étapes de la
construction par Charles Garnier de l ’Opéra de Paris. Mais toutes ces séries
destinées aux ingénieurs des Ponts et Chaussées ou aux architectes des grands
projets urbains laissent encore la photographie à la périphérie de l ’industrie
proprement dite, à la porte des usines et des fabriques ; le caractère plus
architectural qu’industriel de ces images trahit la fragilité des liens qui unissent
la photographie au monde de l ’industrie avant 1871.

3. Marie de l'hézy, Charles Marville, photographe de Paris de 1851 à 1879, Paris, Bibliothèque historique de
la Ville de Paris, 1980, pp. 19-20.
4. Ce diorama est composé d’appareils munis d’une lentille dans lesquels sont disposées 8 à 12 photographies
de la faune et de la flore que les visiteurs peuvent faire défiler en actionnant un bouton. Le 16 décembre
1866 Sallière écrit à Barillet : «C e mot de Diorama n’a pas été compris [...], à tort ou à raison on pense
au Diorama qui est aux Champs-Elysées [...], on a cru que c’était quelque chose d ’analogue, dans lequel
la forme et la couleur auraient également part et où il y aurait quelque chose d ’artistique» (Arch. nat.
F12 11870).
5. Fournier, un des administrateurs de l’Exposition universelle, écrit à Barillet le 19 février 1867: «Je
crois qu’il est nécessaire de limiter à mille le nombre des vues photographiées à commander à M. Marville
Je fais une proposition dans ce sens dans ma note à l’appui de sa soumission. Je vous prie de soumettre
la question à M. Alphand si ce nombre vous paraît insuffisant» (Archives nationales F12 11869).
L E T R I O M P H E D E L ’I N D U S T R I E 385

Alphonse Davanne : « Exposition universelle de 1867 » , Bulletin de la Société


française de photographie, ao û t 1868, pp. 207-224.

La photographie peut prêter un concours actif aux autres industries, et


recevoir ainsi des applications très diverses. Nous rappellerons ici ce que nous
avons dit plus haut de la dorure sur verre, porcelaine, émaux ou faïences
obtenue photographiquement par M. Grüne, de Berlin. M. Dagron a appliqué
à la bijouterie les petites épreuves microscopiques, et divers essais ont été
tentés pour obtenir d’une manière courante, sur les étoffes, des dessins au
moyen de la photographie. Des tissus pour robes, des mouchoirs, ont été
décorés par ce moyen, et le succès encourage ces premières tentatives.
La photographie sur soie blanche est employée depuis longtemps par
Mmc Laffon pour faire des écrans très élégants, et M. Disdéri a exposé cette
année plusieurs albums de photographies sur taffetas blanc, destinées
probablement au même usage, car ces images doivent nécessairement être
tendues pour prendre toute leur valeur. M. le marquis de Béranger a indiqué
par un heureux essai le parti que l’on pourrait tirer de ce même genre
d’épreuves pour la fabrication des éventails.
Les ressources que peut présenter la photographie commencent à être mieux
comprises dans l’industrie, et toutes les fois que l’on veut représenter la chose
absente, c’est maintenant au photographe que l’on a recours ; aussi, à chaque
pas, dans les diverses galeries ou annexes du Champ-de-Mars, trouve-t-on
des épreuves plus ou moins heureuses, mais qui iront toujours se perfectionnant
dans l’avenir, et qui représentent l’usine, la machine, le modèle que l’on n’a
pu déplacer : le dessin photographique vient compléter ainsi l’exposition de
l’industriel.
Ce qui rend la photographie spécialement propre à ce genre de reproduction,
c’est que, quelle que soit la complication du modèle, non seulement la copie
est exacte, mais le prix de revient est bien inférieur à celui d’un dessin et
elle comble une lacune, en permettant de faire à peu de frais pour le fabricant
un petit nombre d’épreuves de ses divers modèles, quand il ne pouvait les
obtenir autrefois que par le dessin et la gravure, procédés qui ne deviennent
économiques qu’à la condition de tirer un très grand nombre d’exemplaires.
Lorsque l’héliographie et la lithophotographie se seront complètement dévelop­
pées, l’application de la photographie à l’industrie pourra se faire d’une
manière complète, car le cliché obtenu à la chambre noire sera, suivant le
besoin, tiré économiquement à un petit nombre d’exemplaires, et, s’il en faut
un grand nombre, on le transformera en une planche gravée ou en une
planche lithographique pour le tirage rapide et peu coûteux des impressions
à l’encre grasse.
386 I . A P H O T O G R A P H I E K .\ l 'R . W C E 1816-1871

E x p o s itio n u n iv e r s e lle d e 1 8 6 2 à L o n d r e s , S e c tio n f r a n ç a i s e , C a ta lo g u e


o ff ic ie l, « Renseignements », 1862, pp. 98-100.

M. Dagron. Photographie microscopique montée et non montée sur bijoux ; breveté s.g.d.g.
pour la France, l ’Angleterre et tous autres pays. Paris, rue Neuve-des-Petits-Champs.
Le 25 novembre 1860, on lisait dans le Constitutionnel : « Une curieuse trouvaille
vient d’être faite dans les Champs-Elysées et a été déposée aussitôt à la
préfecture de police. C’est une bague d’une grande richesse, entièrement
neuve, dont nous croyons pouvoir donner une description assez détaillée, car
elle ne sera certainement remise qu’à bon escient à la personne qui la
réclamera.
Le chaton est orné d’une couronne royale en diamants, sur rubis, avec le
chiffre V.A. également en diamants. Sous le chaton se trouve un stéréoscope,
pour ainsi dire, imperceptible : les oculaires ne sont guère plus grands qu’une
tête d’épingle, et les deux conduits ont à peine le diamètre d’une très fine
plume de corbeau. En tenant l’œil fixé sur les trous oculaires, on distingue
sur l’objectif les portraits du prince Albert et du prince de Galles en
photographie, et par suite du grossissement les portraits, invisibles certainement
à l’œil nu, puisqu’ils n’ont pas le diamètre d’une petite lentille, arrivent à
la grandeur d’une carte de visite, et l’on peut même lire le nom du prince
de Galles sous le portrait de S.A.R.
Une circonstance qui pourra donner une direction aux recherches, c’est
qu’il y a peu de jours une plainte a été portée sur le vol d’un coffret de
bijoux expédié de Paris à la cour d’Angleterre. »

Le lendemain, M. le préfet de police recevait un de ces stéréoscopes, pour


ainsi dire, imperceptibles, dans lequel se trouvait, à côté de l’article du
Constitutionnel, reproduit en entier, une lettre aussi longue de M. Dagron,
inventeur des bijoux photographiques, qui réclamait cette bague comme
faisant partie d’une boîte contenant onze bijoux qu’il adressait à S.M. la
reine d ’Angleterre et qui avait été volée au chemin de fer du Nord. [...J
L’histoire de ce vol, la description de la bague par le Constitutionnel, la
réclamation de M. Dagron, firent alors du bruit et attirèrent vivement
l’attention sur la découverte, ou plutôt sur l’application si ingénieuse que
l’habile artiste, déjà en réputation à cette époque, venait de faire de la
photographie microscopique à la bijouterie. [...]
M. Dagron est parvenu en effet, à force d’essais et de coûteux tâtonnements,
à rendre si simple et si facile la fabrication de ces photographies microscopiques,
que le photographe-opticien le moins habile peut, après avoir lu la description,
mettre en pratique ses procédés, et obtenir des épreuves où il ne manquera
que ce sentiment artistique auquel l’habileté cupide ne put jamais suppléer,
et que Dieu mit dans un si petit nombre d ’âmes.
LE TRIOM PHE DE I.T X D IST R IE JS7

M. Dagron obtient ses épreuves en nombre quelconque, d’après le procédé


Taupenot, à l’aide d’appareils agencés par lui de la manière la plus ingénieuse
et la mieux entendue, sur de petites glaces, au moyen de multiplicateurs
placés à l’extrémité de la chambre. Ces images, découpées ensuite en petits
carrés de trois millimètres, sont collées à l’extrémité d’un prisme dont on
passe à la cuvette l’extrémité opposée à l’image, de manière à lui donner la
courbure voulue pour que le prisme devienne une lentille grossissante, puis
on arrondit à la meule lapidaire les bords de l’épreuve et les arêtes latérales
du prisme, de manière à lui donner des dimensions assez minimes pour qu’il
s’adapte aux bijoux les plus délicats.
Mettre un microscope photographique de moins d’un millimètre de diamètre,
qui montre dans le chaton d’une bague dix-huit portraits de défenseurs de
l’Italie, c’est déjà merveilleux, et on comprend, comme le constatent des
correspondances de Rome publiées par les journaux français, que le patriotes
italiens habitant les pays encore soumis à un régime qui leur est odieux aient
pu demander par milliers un bijou qui leur montrait réunis les traits des
héroïques conquérants de la liberté italienne. M. Dagron ne se borne pas là :
il prend un prisme de crown quadrangulaire, colle une épreuve à chaque
extrémité, et passant ensuite chacune de ses extrémités à la cuvette, il en
transforme la surface plane en surface courbe d ’un rayon voulu, servant de
lentille pour voir l’épreuve opposée agrandie, tandis que celle qui se trouve
placée près de l’œil est trop petite pour être aperçue. On peut ainsi avoir
constamment à sa disposition l'almanach le plus commode ; un des semestres
est placé à une des extrémités, le second occupe l’autre, en tout plus de six
mille lettres, rendues très nettement lisibles par le grossissement, et contenues
dans un microscope qui est microscopique lui-même.
En faisant de ces procédés une application à la bijouterie courante,
M. Dagron a créé une industrie considérable ; il n’emploie pas moins de cent
cinquante ouvriers dans ses ateliers, où fonctionnent des appareils et un
outillage qu’il a dû inventer ou modifier d’une manière presque complète.
Ces microscopes photographiques se montent en bagues, en bijoux, en
bracelets, en broches, en breloques, en porte-crayons, etc. On peut ainsi
porter sur soi, dans un seul chaton de bague ou à l’épingle de sa cravate,
le portrait de tous ceux qu’on aime, à côté de l’image des lieux où se
rattachent nos plus doux souvenirs. Un étui de quelques pouces peut renfermer,
comme dans les cases d’un musée lilliputien, la reproduction la plus fidèle
de chefs-d’œuvre les plus aimés.
A l’Exposition de la photographie de 1861, le public se pressait autour des
bijoux de M. Dagron, et cette curiosité, si justifiée quand l’art et la science
se mûrissent pour résoudre de tels problèmes, était encore surexcitée par le
témoignage de toute la presse, qui s’empressait de prodiguer ses éloges et de
populariser l’œuvre de l’ingénieux photographe.
Malgré les efforts de la contrefaçon contre laquelle il lutte, le développement
388 L A P H O T O G R A P H I E E X F R A N C E 1816-1871

de son industrie a forcé M. Dagron de conserver ses importants ateliers rue


Neuve-des-Bons-Enfants, ses luxueux salons de la rue Neuve-des-Petits-
Champs étant consacrés aux portraits et à la réception des illustres personnages
qu’attire journellement la réputation de l’artiste.

[Anonyme], « La photographie au Concours agricole universel », La


Lumière, 7 juin 1856 (n° 23), p. 89.

Depuis lundi dernier la photographie est en plein exercice au Concours


agricole universel, et nous pouvons affirmer de visu qu’elle y tient admirablement
sa place. C’est à M. Adrien Tournachon (Nadar jeune) qu’a été confiée la
mission de reproduire par la photographie les animaux primés. Il eût été
difficile de mieux choisir.
L’atelier nous a paru très bien disposé. C’est une large baraque qu’entoure
un vaste espace rectangulaire où viennent poser tour à tour, en pleine lumière,
les sujets destinés à être pourtraités. Une palissade de deux mètres de hauteur,

102. Adrien Tournachon, Bœuf; 1857.


Tirage papier verni-ciré/négatif collodion instantané de Bertsch.
LE TRIOM PHE DE L'IN D l " T R I E

recouverte de serge vert sombre, isole ce terrain et protège le travail des


artistes contre les regards indiscrets de la foule.
Pendant que le photographe opère, plusieurs peintres chargés du même
travail prennent des croquis. Il règne dans ce bienheureux coin une activité
qui fait plaisir à voir.
Nous avons vu M. Adrien Tournachon à l’œuvre, et nous avons pu juger
des difficultés qu’il lui faut vaincre. Pendant que nous étions auprès de lui,
on a amené un gigantesque taureau noir, que son conducteur tenait par une
longe. La glace collodionnée, sensibilisée et placée dans la chambre obscure,
il a fallu attendre (par un soleil ardent sous l’influence duquel l’éther s’évapore
avec une grande rapidité) que l’animal voulût bien rester un moment
tranquille. Il trépignait, mugissait, agitait son énorme tête. Enfin, l’habile
photographe a saisi un moment de repos entre deux mouvements. Cet instant
(deux secondes) a suffi pour obtenir une excellente image. Ainsi, malgré toutes
les difficultés et les tâtonnements nécessaires, M. Adrien Tournachon a pu
faire le premier jour quatorze beaux clichés sur seize épreuves. Aujourd’hui
(jeudi), le nombre de ses clichés s’élève à plus de quarante.
C’est un succès que nous sommes heureux de constater, parce qu’il
appartient à un artiste dont nous avons pu apprécier depuis deux ans
l’intelligence, le zèle et le talent, et parce qu’il est une nouvelle preuve des
services que la photographie peut rendre, même dans ses plus difficiles
applications.
LA PHOTOGRAPHIE AU TRIBUNAL :
LA QUESTION DES CONTREFAÇONS
( 1862 )

MAYER et PIERSON ; Société photographique de M arseille ;


L. SASSÈRE ; Me MARIE ; Chambre des appels de p olice
correction n elle

Si les grandes maisons de photographie s ’appliquent à démontrer le caractère


artistique de leurs produits, ce n ’est pas seulement pour séduire leur clientèle déçue,
mais pour s ’opposer à un type de « concurrence déloyale » : la contrefaçon.
En 1861, Mayer et Pierson assignent en justice Betbeder, Thiébault et Schwabbé
pour avoir reproduit et mis en vente leurs portraits de Cavour et Palmerston ; le
19 janvier 1862, le tribunal correctionnel de Paris déboute Mayer et Pierson qui
font appel et finissent par obtenir gain de cause le 10 avril 1862.
Entre les deux jugements, Mayer et Pierson ajoutent à leur livre en cours de
rédaction 1 un chapitre intitulé : « Un mot à propos de la propriété des œuvres
photographiques » (cf. pp. 392-395) pour lancer un « cri d’alarme » devant les
dangers de la contrefaçon (« c ’en est fa it de l ’avenir de la photographie ») et
appeler tous les photographes (« ce sont les intérêts de tous que nous défendons »)
à « agir promptement ». Le « moment est éminemment favorable » puisque la
législation en matière de propriété littéraire et artistique est en cours de révision.
Le but principal de leur action en justice est d’infléchir la nouvelle loi en faveur
de la photographie — laquelle, et pour cause, n’est pas mentionnée dans la loi
de 1793 relative à la propriété exclusive des œuvres d ’art. Mais pour faire
bénéficier la photographie de la loi de 1793, et du même coup faire reculer les
contrefaçons, encore faut-il prouver qu’elle est un art.
C ’est précisément sur cette question que repose toute la plaidoirie en appel de
M e Marie, avocat de Mayer et Pierson : « La photographie est-elle art ? Voilà
la question grave, importante, vitale pour la photographie » insiste-t-il. En se
prononçant, la justice décidera de l ’avenir et des usages de la profession. M e Marie,
qui fa it du photographe un « presque peintre », ne veut voir entre les deux
pratiques qu’une différence de degré et non de nature. Son parti est visiblement

1. Mayer et Pierson. La Photographie considérée comme art et comme industrie, 1862.


LE TRIOM PHE DE LTXDL'S

103 et 104. Mayer et Pierson, deux portraits-cartes, 1861. A gauche : Lord Palmertson. A droite . Comte de Cavour. -
C'est à propos de ces dëu>lfl|caries de visite », plutôt médiocres, que Mayer et Pierson saisissent la justice pour contrefaçon
et que leur avocat revendique un droit de propriété artistique élargi a la photographe

(h u tenir au plus près de la corporation puissamment protegee des peintres pour


jaire bénéficier les photographes des mêmes avantages.
Pour sa part, la Société photographique de Marseille redouble de modération
dans sa lettre au ministre, ne réclamant pour la photographie qu’une place de
second ordre dans la « grande famille » de l ’art.
Dans ses attendus, la Chambre des appels (cf. p. 397) procède à une
reconnaissance très mesurée de la photographie comme art en distinguant le procédé
technique et les produits — lesquels, précise-t-elle, « ne doivent pas être
nécessairement, et dans tous les cas, considérés comme dénués de caractère
artistique ».
En dépit de cette prudence, Mayer et Pierson, qui ont attendu le verdict pour
publier leur livre, pavoisent : « Aujourd’hui, écrivent-ils, aux yeux de la
jurisprudence, comme à ceux des artistes et de l ’opinion publique, la photographie
est un art, la reproduction des œuvres d ’un photographe est une contrefaçon » 2.

2. I b id . , p. 217
392 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

En fait, l ’arrêt qu’ils citent eux-mêmes « accorde protection absolue à l ’œuvre de


l ’artiste et abandonne comme indigne de l ’intérêt de la loi et de la justice le
produit de manœuvrier»3. Autrement dit, rien n’est vraiment réglé pour la
photographie : « Il se fera encore [...] bien du bruit autour d ’elle. » 4

Mayer et Pierson : L a P h o to g ra p h ie c o n s id é r é e com m e art e t com m e


in d u s tr ie , 1862, pp. 186-213.

V ous vous rappelez, cher lecteur, cette exposition photographique, fermée il


y a quelques mois à peine, qui avait sa petite porte donnant dans l’exposition
des beaux-arts en attendant que la photographie puisse, elle aussi, monter
par l’escalier d ’honneur et prendre rang à côté de ses sœurs aînées la peinture
et la gravure ? 5 Q u’eussiez-vous pensé si, en parcourant toutes ses œuvres
marquées, chacune à divers titres, d’un cachet irrécusable d’originalité
personnelle, vous aviez rencontré un Monsieur à l’œil trouble et faux, mais
au visage profondément satisfait qui [...] vous eût dit du ton le plus assuré :
« Toutes ces œuvres m’appartiennent, c’est mon domaine, ma chose ; je puis
les vendre, les exploiter, les contrefaire, les dénaturer comme il me plaît ;
tous ces gens qui se sont donné tant de peine pour les créer, qui ont dépensé
tant d’efforts, tant d ’argent pour les obtenir, qui ont supporté tant de fatigues,
affronté tant de dangers pour prendre ces vues, qui ont fait de si longues,
de si minutieuses, de si coûteuses recherches pour inventer ces procédés
nouveaux, n’ont travaillé que pour moi. Ce sont des serfs attachés à ma
glèbe, et ils n’ont ici réuni leurs œuvres qu’afin que je les eusse plus facilement
sous la main, qu’il me fût plus aisé de choisir et de prendre. »
Évidemment vous auriez d’abord regardé cet homme comme un fou, un
maniaque, un échappé des petites-maisons ; mais s’il vous eût offert de vous
montrer chez lui de nombreuses épreuves de tous ces chefs-d’œuvre que vous
admiriez, et de vous les céder au prix le plus vil, vous affirmant qu’il
s’emparait sans vergogne des œuvres de tous les photographes artistes ou
industriels, et les exploitait à son profit, sans crainte aucune de la réprobation
publique ou des sévérités de la loi, votre conscience se fût alors révoltée, vous
auriez repoussé, indigné, les offres de ce contrefacteur effronté, de ce parasite
impudent qui cherchait à faire de vous le bénévole complice de son vol, de
son plagiat.

3. Ibid., p. 232.
4. Sassère, «Code des photographes», Le Moniteur de la photographie, 15 déc. 1862 (n° 19), p. 150.
5. Allusion aux expositions de la Société française de photographie qui, en 1859 et 1861, se tiennent au
Palais de l’industrie en même temps que le Salon des beaux-arts, mais dans un espace séparé (cf. pp. 318-
324).
LE TRIOM PHE DE L T N D l SI S::

Et cependant, cher lecteur, vous auriez eu tort ; cet homme, prétend-c L


est dans son droit ; il tient boutique ouverte de contrefaçon à tous les coins
de rue, dans tout bazar porté sur quatre piquets en attendant la bâtiss
nouvelle ; il a ses commettants en province, ses commissionnaires à l’étranger
et il expédie pour les quatre coins du monde les œuvres contrefaites de la
photographie française. Nul, vous dit-il, n’a à me reprendre; la loi de 1793
et celle de 1810, qui règlent la propriété des œuvres littéraires et artistiques,
désignent les auteurs d’écrits en tout genre, les compositeurs de musique, les
peintres et dessinateurs qui feront graver des tableaux et des dessins, elle se
tait sur la photographie, venue au monde un demi-siècle après ; donc toute
œuvre photographique est dans le domaine public ; je puis la reproduire et
la vendre à l’infini. Q u’importe que je spolie M. tel, que j ’en ruine un autre,
que j ’enlève à un troisième sa réputation et la récompense de ses travaux ?
je ne commets pas d’acte illégal ; et jusqu’à ce que la photographie ait conquis
sa place au palais de Beaux-Arts, aucun tribunal ne pourra m’atteindre ; tant
que le tourniquet existera à la porte qui fait communiquer l’exposition de
sculpture, de peinture et de gravure à celle des productions photographiques,
je continuerai mon commerce sans peur et sans reproche ; si le tourniquet
disparaît, j ’aviserai. [...] Les premiers, nous jetons le cri d’alarme*!*' si la
propriété des productions photographiques n’est pas solennellement reconnue
à leur auteur, si leur reproduction n’est pas qualifiée contrefaçon d’art et
punie comme telle, c’en est fait de l’avenir de la photographie. Notre voix,
nous l’espérons, sera entendue et tout ce que la photographie compte d’artistes
nous apportera son concours. Ce sont les intérêts de tous que nous défendons.
Le moment est éminemment favorable, pour plaider et faire triompher notre
cause qui est celle de l’art et de la justice ; ne le laissons pas échapper.
L’insuffisance des lois protectrices de la propriété littéraire et artistique a été
enfin reconnue, une commission composée des hommes les plus consciencieux
et les plus capables a été formée pour élaborer un nouveau projet. Elle
proclame la propriété littéraire et artistique comme la plus légitime, la plus
sainte et a proclamé sa perpétuité. Exposons à tous notre situation et réclamons
hautement notre entrée dans la grande famille. Mais agissons promptement
et empêchons, par tous les moyens, qu’une mauvaise interprétation accidentelle
de la loi ne devienne une jurisprudence établie ; l’occasion manquée, le mal
grandira et il sera d’autant plus difficile de le détruire, qu’il aura poussé de
plus profondes racines. [...]

Ah ! messieurs qui prétendez que le photographe ne crée pas avec les


ressources de son imagination et ne reproduit pas avec son sentiment propre
des images d’après nature, allez dans ses ateliers, voyez la patience intelligente,
les ressources d’esprit et l’adresse qu’il emploie [...] et vous ferez alors la
part du procédé, de l’instrument, et celle de l’artiste, et vous avouerez que
celui-ci est le créateur ; que le daguerréotype et les composés chimiques ne
394 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

sont que le pinceau et la palette à l’aide desquels il réalise l’idéal qu’il a


dans l’esprit. [...J
Mais pour un instant abandonnons cette question d’art, et admettons que
la photographie peut bien rendre aux beaux-arts les services qu’on veut bien
reconnaître, mais qu’en somme elle n’est qu’un art industriel, et voyons si,
réduite à cet humble rôle, on a le droit d’enlever ou de restreindre les droits
de propriété du photographe sur l’œuvre qu’il produit. Prenons une de ces
œuvres les plus vulgaires ; une simple figurine carte de visite, un portrait plus
ou moins court-vêtu, mais qui puisse plaire à la curiosité publique. Pour faire
ce portrait ou cette figurine, le photographe a dû d’abord payer son modèle,
le costumer, le faire poser, faire une dépense considérable, en clichés, en
retouches, en épreuves d’étude ; puis avant de mettre en vente faire les dépôts
légaux, souvent obtenir l’autorisation, sans que rien de tout cela constitue
pour lui le moindre titre de propriété ? Il n’a fait que produire un excellent
modèle pour le forban aposté au coin, et toujours à l’affût d ’une aubaine
nouvelle.
Parfois aussi un personnage éminent, d’une renommée populaire, veut bien
favoriser l’artiste qui a fait son portrait, et lui permettre d’en livrer au public
assez d’exemplaires pour rectifier les images plus ou moins grotesques qu’on
fait courir de lui. Vaine obligeance ! à peine le portrait a-t-il paru qu’il est
reproduit, contrefait, vendu partout au profit de qui n’a aucun droit, et, pour
empêcher un tel trafic, une telle spoliation, il faudrait l’intervention personnelle
du personnage représenté. [...] [La gloire] suffira-t-elle à l’éditeur qui, au
prix des plus grands sacrifices, a envoyé en Chine, au Japon, dans les contrées
les plus lointaines, un artiste avec tout l’attirail d’appareils photographiques
nécessaires pour obtenir une collection de vues qui, commercialement
exploitées, puissent le récompenser de ses sacrifices et lui laisser un légitime
bénéfice ? Hélas, elle ne lui arrivera seulement pas, il aura fait une spéculation
folle, ruineuse, n’ayant nul moyen de lutter contre la concurrence qui n’aura
qu’à prendre ses photographies et les reproduire presque sans frais. [...] Ces
commerçants ont ainsi exposé leur fortune, se croyant sous la sauvegarde de
la loi, pour enrichir, si les principes que nous combattons étaient admis, non
pas le domaine public, mais la caisse de quelques industriels parasites de bas
étage. Adieu donc alors, ces charmants voyages faits au coin du feu, en
tournant le bouton de l’appareil stéréoscopique, qui déroule devant vous les
intérieurs, les monuments, les scènes de la vie des peuples qui nous sont
inconnus, qui nous montrent tous les types humains, nous font connaître
toutes les civilisations. Quel fou voudrait désormais se soumettre à des fatigues,
à des travaux qui n’apporteraient que la ruine pour salaire ? La photographie
a fait des progrès, a rendu les plus grands services à la science, aux beaux-
arts ; elle ne progresserait plus et son rôle serait fini, car avant tout, c’est un
art, et chacun l’abandonnera lorsqu’il sera convaincu que jamais elle ne lui
permettra de recueillir le fruit de son travail et de son génie.
LE TRIOM PHE DE LTNDI STRIi

Mais il est impossible, quelque fiction, quelque interprétation de la .


qu’on invoque, d’admettre de pareils principes, et si la loi était formelle -
et Dieu merci ! elle est contraire et dans l’esprit et dans la lettre — de telles
conséquences devraient la faire révoquer.

« Projet de lettre à M. le ministre d’État », lu au cours de la séance du 28 févr.


1862 devant la Société photographique de Marseille, Le Moniteur de la photographie, 15 mars
1862 (n° 1), p. 7.

Monsieur le Ministre, Au moment où Votre Excellence se préoccupe de la


révision de notre législation en matière de propriété littéraire et artistique, la
Société photographique de Marseille a cru devoir recommander à votre
bienveillante attention, Monsieur le Ministre, les intérêts les plus chers qu’elle
encourage.
Sans vouloir prétendre à une assimilation avec les arts de création pure,
il faut pourtant reconnaître que la photographie, tout en étant pour ceux-ci
un utile et puissant auxiliaire, comporte encore en elle-même une certaine
somme de recherche et d’invention artistique. Et cependant, en l’état actuel
des choses, des hommes de goût, de talent et d’étude peuvent, non sans de
vifs regrets, voir des copistes avides, à l’aide d’une facile reproduction, leur
ravir presque impunément le fruit de travaux longs et pénibles à la perfection
desquels l’intelligence à contribué pour la plus large part.
C’est que la jurisprudence, enchaînée par une législation ancienne déjà, et
antérieure à la découverte de la photographie, ne peut accorder à ces mêmes
œuvres la garantie efficace de la répression pénale.
Nous espérons, Monsieur le Ministre, que, grâce à votre intervention
éclairée autant qu’équitable, cette fâcheuse situation pourra bientôt se modifier
à l’avantage de notre art ; aussi, est-ce avec une entière confiance que la
Société photographique de Marseille a l’honneur d’adresser à Votre Excellence
le vœu que la photographie soit nommément comprise dans le projet de loi nouvelle relatif
à la propriété littéraire et artistique.
Veuillez agréer, etc.
Les membres de la Commission administrative

Me Marie, cité par L. Sassère : « Code des photographes », Le Moniteur de


la photographie, 15 mai 1862 (n° 5), pp. 37-39.

La photographie est-elle un art ? Toutes ces magnificences qu’elle produit,


toutes ces merveilles qu’elle étale devant nous et qui excitent notre admiration,
sont-elles des œuvres d’art ? Est-il vrai que, dans ces œuvres, l’instinct, le
396 LA PHO TOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

sentiment, le goût, le cœur, l’âme de l’artiste ne soient pour rien, et qu’il n’y
ait qu’un procédé mécanique qui aura donné les effets produits ?
Voilà la question grave, importante, vitale pour la photographie, et le
tribunal l’a résolue dans un sens tel qu’il faut déclarer que la photographie
n’est vraiment plus une propriété ayant ses garanties et ses protections, mais
que le domaine public peut s’en emparer quand et comme il le veut. [...]
L’instrument photographique, voilà ce qui a frappé d’abord, et l’homme
s’est effacé, abaissé : il a disparu, il n’a plus été rien. C’est une injustice
d’une part ; c’est un mensonge d’autre part : on déshérite l’homme d’une
propriété à laquelle il a donné un éclat immense. [...] Il n’y a pas
d’assimilation, dit le tribunal, entre la peinture et la photographie, car la
photographie ne crée pas, n’invente pas. Le peintre observe, imagine, conçoit
et crée. La peinture et la sculpture ont, devant elles, le domaine de l’idéal
comme le domaine de la réalité. Le domaine de l’idéal est fermé à la
photographie.
Pourquoi ces comparaisons ? Le peintre n’invente pas toujours. Souvent il
reproduit la nature et les personnages. Pour reproduire la nature, il faut qu’il
copie.
S’il pouvait l’imiter exactement, il ne désirerait rien de mieux, et il serait
bien convaincu d’avoir fait une œuvre d ’art en se rapprochant le plus possible
de cette nature qui le charme et qu’il admire.
Est-ce que le peintre est moins peintre quand il reproduit exactement ? Le
peintre a un domaine plus large, le photographe n’a devant lui que la réalité ;
mais il en saisira le beau, le vrai ; et le beau est le même pour le photographe
que pour le peintre et le sculpteur. [...]
Sans doute, le photographe ne crée pas, n’invente pas comme le peintre,
et au même degré. Mais lorsqu’il voudra prendre une vue, un paysage, agira-
t-il sans discernement comme le fait un manœuvre ? Non, il fera ce que fait
le peintre, si c’est un homme de génie, si c’est un homme de sentiment, si
c’est un homme de goût ; il combinera heureusement l’ombre et la lumière ;
comme le peintre, il fera son tableau dans sa pensée, et quand il l’aura
composé dans son imagination, il prendra son appareil pour lui faire rendre
ce que son intelligence a conçu et ce qu’il veut faire passer dans son œuvre.
Voilà l’artiste photographe, voilà son œuvre.
La confirmation du jugement, c’est la destruction de la photographie.
Croyez-vous que ces hommes qui, en sacrifiant leur fortune et leur vie, excitent
notre enthousiasme et notre admiration, croyez-vous qu’ils consentiront à de
pareils sacrifices pour chercher dans des pays lointains les curiosités qu’ils
nous recèlent ; croyez-vous qu’ils graviront les plus hautes montagnes, au
péril de leur existence, pour étaler à nos yeux leurs sauvages grandeurs, si,
rentrés chez eux après tant de fatigues et de sacrifices de tout genre, il suffit
qu’un copiste arrive pour prendre leur œuvre ?
Il leur faut une récompense, et, j ’y insiste, c’est le droit de reproduction
exclusive que je réclame pour eux ; il n’a pas appartenu à la propriété
I.E TRIOM PHE DE L'INDUSTRIE 397

matérielle, il n’est pas protégé par le droit commun, il ne l’est que par la
loi de 1793. Effacez cette loi, il disparaît, il ne reste plus rien, et toutes les
belles photographies appartiendront ainsi au premier copiste venu qui vivra
du bien d’autrui, sans que jamais il soit permis d’empêcher une semblable
reproduction.

« Tribunaux, Chambre des appels de police correctionnelle, audience


du 10 avril 1862 », Le Moniteur de la photographie, 1er mai 1862 (n°4), p. 32.

«Considérant que la loi du 19juillet 1793 interdit toute reproduction, au


préjudice du droit des auteurs, des œuvres qui sont le produit de l’esprit ou
du génie, notamment de la gravure et du dessin ;
« Considérant que les dessins photographiques ne doivent pas être nécessaire­
ment, et dans tous les cas, considérés comme dénués de tout caractère
artistique, ni rangés au nombre des œuvres purement matérielles ;
« Q u’en effet ces dessins, quoique obtenus à l’aide de la chambre noire et
sous l’influence de la lumière, peuvent, dans un certain degré, être le produit
de la pensée, de l’esprit, du goût et de l’intelligence de l’opérateur ;
« Que leur perfection, indépendamment de l’habileté de la main, dépend,
en grande partie, dans la reproduction des paysages, du choix du point de
vue, de la combinaison des effets de lumière et d’ombre, et, en outre, dans
les portraits, de la pose du sujet, de l’agencement des costumes et des
accessoires, toutes choses abandonnées au sentiment artistique et qui donnent
à l’œuvre du photographe l’empreinte de sa personnalité ;
« Considérant que, dans l’espèce, les portraits du comte de Cavour et de
lord Palmerston, par ces divers caractères, peuvent être considérés comme
des productions artistiques et qu’ils doivent jouir de la protection accordée
par la loi de 1793 aux œuvres de l’esprit;
« Considérant que, si les procédés inventés par Daguerre appartiennent au
domaine public, et si, dès lors, chacun peut les employer, il n’en résulte
nullement que les produits réalisés à l’aide de ces procédés, par l’art et
l’intelligence du photographe, doivent également tomber dans le domaine
public. »
CONTRE-OFFENSIVE DES PEINTRES
(1862-1863)

Jean-D om inique INGRES e t a l i i ;


A lfred CADART (1828-1875) et F élix CHEVALIER ;
T h éop h ile GAUTIER (1811-1872)

Après leur échec en appel face à Mayer et Pierson (cf. p. 390), Betbeder et
Schwabbé se pourvoient en cassation, mais sont déboutés le 28 novembre 1862. La
Cour refuse toutefois de rendre un « arrêt de principe », laissant aux juges le soin
de décider cas par cas « si le produit déféré à leur appréciation rentre par sa
nature dans les œuvres d’art protégées par la loi du 19 juillet 1793 » 1. D ’autres
procès pour contrefaçon ont donc lieu : au tribunal de décider si les épreuves
incriminées relèvent ou non de la création artistique.
En mars 1863, à l ’occasion d ’un autre procès contre plusieurs de leurs
contrefacteurs, Mayer et Pierson font à nouveau l ’expérience de la précarité du
statut de la photographie, la juridiction du premier degré refusant encore à la
photographie « sa place au rang des Beaux-Arts et le droit d’invoquer la protection
de la loi spéciale de 1793 » 12. Leur victoire en appel donne au M oniteur de
la photographie l ’occasion de réclamer, mais en vain, « un arrêt de principe
qui fasse cesser le conflit entre les deux juridictions du premier et du second
degré » 3.
Ces procès sont aussi l ’occasion pour les adversaires de l ’art photographique de
passer à l ’offensive : l ’avocat de Betbeder et Schwabbé lit à l ’audience de la Cour
suprême, en novembre 1862, une protestation signée d ’Ingres 4, Flandrin, Trayon,
etc., contre toute assimilation de la photographie à l ’art.
Ernest Lacan a raison de noter que certains peintres sollicités, comme Léon
Cogniet et Eugène Delacroix, ont refusé de signer. Mais à la même époque,

1. L. Sassère, Le Moniteur de la photographie, 15 déc. 1862 (nü 19), p. 150.


2. A. Perrot de Chaumeux, Le Moniteur de la photographie, 1er mai 1863 (n° 4),p. 31.
3. L. Sassère, Le Moniteur de la photographie, 15 juill. 1863 (n°9), p. 72.
4. C’est pourtant ce même Ingres qui se fera traiter de « photographe », cinq ans plus tard, par un des
principaux personnages de Manette Salomon, le roman des Concourt : « Ce qu'il est, je vais vous le dire :
l’inventeur au dix-neuvième siècle de la photographie en couleur pour la reproduction des Pérugin et des
Raphaël, voilà tout !... » E. et J. de Goncourt, Manette Salomon, 1979 (1867), Union générale d’édition.
Paris, p. 143.
LE TRIOMPHE DE [/IN D U ST R IE 399

d ’autres artistes s ’organisent au sein de la Société des aquafortistes fondée en


mai 1862 pour lutter contre l ’envahissement de la photographie dans le domaine
de la reproduction artistique. L ’itinéraire d ’Alfred Cadart, marchand d ’estampes,
éditeur et fondateur de la Société des aquafortistes est significatif3. A ses
débuts en 1859, Cadart réserve une place importante à la photographie et notamment
aux travaux d’Henry Voland : il commercialise ses reproductions de peintures, ses
nus, ses paysages, et sa « collection stéréoscopique des vues de la Chine » 56. En
1861, il s ’associe au photographe Félix Chevalier et augmente encore son catalogue
d’une série de photographies des principaux tableaux du Salon ; or, moins d ’un
an plus tard, en mai 1862, Cadart devient « éditeur-gérant » de la Société des
aquafortistes, vilipende la photographie et l ’exclut de son catalogue. Ce brutal
revirement est peut-être l ’effet d’une nouvelle stratégie commerciale, il n ’en traduit
pas moins une désaffection croissante envers la photographie de la part de certains
secteurs des beaux-arts.
Enfin, Théophile Gautier, qui a toujours soutenu les mérites de la photo­
graphie comme « servante active et soumise » 7 de l ’art, accepte de se contredire
dans sa préface à la première publication annuelle de la Société des aquafortistes
en août 1863. Autre signe de désaffection ?

« Protestation émanée des grands artistes contre toute assimilation de


la photographie a l’art » , citée dans L. Sassère, « Code des photographes », Le Moniteur
de ta photographie, 15 déc. 1862 (n° 19), pp. 149-151.

« Considérant que, dans de récentes circonstances, les tribunaux ont été saisis
de la question de savoir si la photographie devait être assimilée aux beaux-
arts, et ses produits protégés à l’égal des œuvres des artistes ;
Considérant que la photographie se résume en une série d’opérations toutes
manuelles, qui nécessite sans doute quelque habitude des manipulations
qu’elle comporte, mais que les épreuves qui en résultent ne peuvent, en aucune
circonstance, être assimilées aux œuvres fruit de l’intelligence et de l’étude de
l’art. Par ces motifs,
Les artistes soussignés protestent contre toute assimilation qui pourrait être
faite de la photographie à l’art. »

5. Voir l’intéressante étude de Janine Bailly-Herzberg, L ’Eau-forte de peintre au X I X ' siècle ; la Société des
aquafortistes (1862-1867). Paris. L. Laguet. 1972.
6. Prospectus cité par Janine Baillv-Herzberg. op. cit., p. 18.
7. Théophile Gautier. « Publications photographiques de MM. Faucheur et Danelle », Le Moniteur universel.
25 avr. 1862.
400 LA PHOTOGRAPHIE EX FRANCE 1816-1871

Ont signé : MM. Ingres, de l’Institut ; Flandrin, id. ; R. Fleury, id. ;


Nanteuil, id. ; Henriquel-Dupont, id. ; Martinet, id. ; Jeanron, Calamatta,
Philippoteaux, Eug. Lepoitevin, Troyon, Bida, H. Bellangé, Jalabert, Ph. Rous­
seau, Gendron, L. Lequesne, Isabey, Français, Emile Lecomte, P. de Chavan-
nes, Vidal, L. Lassalle, J. Bourgeois, Lafosse, Em. Lafon, Lalaisse 8.

Alfred Cadart et Félix Chevalier : Présentation de la Société des


aquafortistes, 1862 (prospectus, Archives nationales F21 123).

Depuis quelques années un groupe de jeunes artistes s’était tourné vers l’eau-
lorte, comme offrant le moyen le plus vif et le plus spontané de rendre la
pensée. Il en résulta des planches intéressantes, quelques illustrations pour
les livres de la nouvelle génération ; mais le public n’avait pas été en relation
directe avec ce groupe, composé d’artistes qui, produisant pour eux et sans
souci de répandre leurs œuvres, ne pouvaient entrer en lutte avec la
photographie.
Car des éditeurs considérables en sont arrivés à regarder la photographie
comme le meilleur moyen de vulgariser les œuvres d’art. Tout par la
photographie, tout pour la photographie, semble être le mot d’ordre de ces
marchands qui, ayant jadis répandu dans le public le goût de la bourgeoise
gravure à la manière noire, devaient en arriver à cette autre manière noire
mécanique : la photographie.
Frappés de cette déplorable tendance, les artistes se réunirent, et comme
leurs essais avaient déjà marqué, ils voulurent protester par une publication
qui montrât que l’interprétation de l’artiste par l’artiste devait se perpétuer,
et non l’interprétation de l’artiste par la machine.
Ainsi fut constitué tout d’abord un groupe de jeunes aquafortistes, auxquels
s’adjoignirent bientôt la plupart des maîtres glorieux qui, depuis 1830, ont
essayé à diverses reprises, en s’interprétant eux-mêmes par la pointe, de
montrer aux ouvriers en gravure et en lithographie les qualités qu’ils laissaient
dans l’ombre pour leur substituer une sorte de métier dans lequel disparaissaient
les angles de toute personnalité puissante. [...] Les plus grands maîtres
d’aujourd’hui se sont fait recevoir de la Société des aquafortistes. Des artistes,
indifférents jusqu’ici à la vulgarisation de leur œuvre, ont demandé des
cuivres, et la publication contiendra la fleur de leurs essais à la pointe.
Ainsi, c’est donc une réunion de peintres consacrés par la réputation, et
de jeunes peintres qui la cherchent par l’étude et la pensée, que cette Société
des aquafortistes, dont le succès a été si grand en Angleterre.

8. « Nous sommes heureux de pouvoir affirmer que MM. Léon Cogniet et Eugène Delacroix ont refusé
formellement de signer cette protestation qui leur était présentée. Il est permis de croire que beaucoup
d'artistes dont les noms ne figurent pas dans la liste ci-dessus ont répondu également par un refus à la
démarche que l'on a faite près d ’eux. » [Note du Moniteur de la photographie]
LE TRIOM PHE 1)E I.T XDI » - i

Aucune entreprise de ce genre n’avait encore été tentée en France. N


espérons que le public s’associera aux efforts de cette curieuse association
d’artistes et d’éditeurs qui marchent ensemble avec la même foi, les uns
apportant leurs œuvres, les autres essayant de les mettre en lumière et d'v
appeler les rayons de la publicité.

Théophile Gautier : « Un mot sur l’eau-forte », Préface à Société des aquafortistes,


lre année, août 1863.

En ce temps où la photographie charme le vulgaire par la fidélité mécanique


de ses reproductions, il devait se déclarer dans l’art une tendance au libre
caprice et à la fantaisie pittoresque. Le besoin de réagir contre le positivisme
de l’instrument-miroir a fait prendre à plus d’un peintre la pointe du graveur
à l’eau-forte, et de la réunion de ces talents, ennuyés de voir les murs tapissés
de monotones images d’où l’âme est absente, est née la Société des aquafortistes,
dont l’œuvre, divisée en douze livraisons, forme le volume que précèdent ces
lignes.
Nul moyen, en effet, n’est plus simple, plus direct, plus personnel que l’eau-
forte. Une planche de cuivre enfumée d’un vernis, un poinçon quelconque,
canif, grattoir ou aiguille, une bouteille d’acide, voilà tout l’outillage. [...] Si
vous trouvez par hasard quelques-unes des planches qui composent ce recueil
un peu trop farouches et truculentes, songez que toute réaction va d’abord
aux extrêmes, et que la Société des aquafortistes s’est fondée précisément pour
combattre la photographie, la lithographie, l’aqua-tinta, la gravure dont les
hachures recroisées ont un point au milieu ; en un mot, le travail régulier,
automatique, sans inspiration qui dénature l’idée même de l’artiste, et qu’ils
ont voulu dans leurs planches parler directement au public, à leurs risques
et périls.
Le succès a prouvé qu’ils n’avaient pas eu tort ; le texte est toujours
préférable à la traduction.
LA PHOTOGRAPHIE ET
L’ENSEIGNEMENT DU DESSIN
(1850-1869)

E ugène DELACROIX (1 7 9 9 -1 8 6 3 ); Charles AUBRY (1811-1877)

La question de l ’usage de la photographie pour l ’enseignement du dessin se pose


largement au cours des années 1850, mais les premiers essais ne commencent pas
avant la décennie suivante.
Dans son compte rendu du Dessin sans m aître 1 d ’Elisabeth Cavé, Delacroix
propose en 1850 l ’usage du daguerréotype pour apprendre aux artistes à « redresser
les erreurs de l ’œil » et « remédier aux lacunes de l ’enseignement » du dessin -
conseil que, selon lui, « beaucoup d ’artistes » suivent déjà.
C’est aussi l ’occasion pour Delacroix de préciser ses idées sur le daguerréotype :
«Plus que le calque, il est le miroir de l ’objet». A noter aussi cette formule
lapidaire qui concentre les débats sur la question de l ’imitation en art : le
daguerréotype n’est « qu’un reflet du réel, qu’une copie, fausse en quelque sorte
à force d’être exacte ».
Grand peintre, Delacroix a toujours adopté une attitude bienveillante vis-à-vis
de la photographie : il dessinera d’après des épreuves qu’il a lui-même contribué
à réaliser en 1853-1854 avec Eugène Durieu 12, et il refusera, en 1862, de signet-
la pétition des artistes contre la photographie. Mais il n ’imagine guère qu’elle
puisse relever de l ’art 3. Elle est principalement pour lui une « machine » didactique

1. Élisabeth Cavé, Le Dessin sans maître, Paris, Susse frères, 1850.


2. Philippe Burty note en 1865 sur la première page du recueil des 32 études de nus d ’Eugène Durieu
(conservé à la Bibliothèque nationale) : « Toute cette suite de photographies a été achetée par moi à la
vente posthume de l’atelier d ’Eugène Delacroix. Il s’en servait souvent et ses cartons contenaient un
nombre considérable d ’études au crayon d ’après ces photographies dont quelques-unes ont été faites
expressément pour lui par un de ses amis et les modèles posés par lui. »
Dans son Journal Eugène Delacroix note lui-même le 30 juillet 1854 avant de partir pour Dieppe
« Avoir les photographies de Durieu pour emporter à Dieppe » ; et le 24 août suivant à Dieppe : « Tous
les jours précédents, promenades, dessins d ’après les photographies de Durieu. »
3. Voir cependant dans le Journal, 21 mai 1853: «Après dîner (Pierret et Riescner) ont regardé les
photographies que je dois à l’obligeance de Durieu. Je leur ai fait faire l’expérience que j ’ai faite moi-
même, sans y penser, deux jours auparavant : c’est-à-dire qu’après avoir examiné ces photographies qui
reproduisaient des modèles nus, dont quelques-uns étaient d ’une nature pauvre et avec des parties outrées
et d’un effet peu agréable, je leur ai mis sous les yeux les gravures de Marc-Antoine (le graveur de
Raphaël). Nous avons éprouvé un sentiment de répulsion et presque de dégoût, pour l’incorrection, la
LE T R I O M P H E D E L 'IN D U S !r

1 05. E u g e n e D urieu, É tu d e d e n u , ’ 8 5 3 -1 8 5 4 . Tira g e p a p ie r s a l é / " é g a t if p a p ie r


C 'e s t d e c e ty p e d e p h o to g ra p h ie s - s o u v e n t p r é p a r é e s a v e c s o n c o n c o u rs
q u e D e la cro ix s 'e s t in s p iré p o u r un g ra n d n o m b r e d 'é t u d e s .
404 L A P H O T O G R A P H I E E \ F R A N C E 1816-1871

qui peut « apprendre à avoir l ’œil juste », et qui peut aussi, par la reproduction
des tableaux de maîtres, aider à l ’analyse des constituants picturaux *4.

Photographe de fleurs et de fruits, Aubry se présente comme « dessinateur ».


Il a effectivement pratiqué le dessin appliqué à la tapisserie et au papier avant
de se lancer dans le nouvel art. Il cherche à profiter de la demande exprimée dans
les années 1860 par les écoles de dessin en faveur de l ’utilisation de la photographie
comme instrument pédagogique.
Le nom d ’Aubry n ’apparaît cependant pas dans un rapport ministériel5 relatif
à l ’usage de la photographie dans l ’enseignement du dessin. On y apprend en
revanche que « Lemercier, Joly-Grangedor, Thomson sont les artistes qui se sont
principalement intéressés à ces travaux », qu’une « somme de 400francs a été mise
à la disposition de M. Ravaisson en 1862 pour continuer ses recherches » et qu ’en
« 1864 on a autorisé l ’emploi dans les lycées de Paris de photographies de M. Joly-
Grangedor à titre d ’essai ».
En 1864, Charles Aubry envoie au prince impérial une série de quinze planches
d’études de feuilles qu’il dédicace ainsi : « Prince, pour faciliter l ’étude de la
nature, je l ’ai prise sur le fa it et j ’apporte aux ouvriers des modèles qui doivent
faire grandir l ’art industriel un peu compromis par le portefeuille insuffisant des
écoles de dessin. En vous dédiant cette œuvre de régénération, j ’affirme aux élèves
ouvriers que si vous pensez aux besoins matériels avec les prêts au travail pour
l ’enfance, vous pensez aussi à ce qui moralise et développe les meilleurs sentiments,
le beau et le vrai. Veuillez recevoir l ’asssurance du profond respect de votre très
humble et très obéissant serviteur. Ch. Aubry. Au Prince impérial. Paris le 31 mai
1864. » 6

manière, le peu de naturel, malgré la qualité de style, la seule qu’on puisse admirer, mais que nous
n’admirions plus dans ce moment. En vérité, qu’un homme de génie se serve du daguerréotype comme
il faut s’en servir, et il s’élèvera à une hauteur que nous ne connaissons pas. »
4. Cf. le Journal, 24 nov. 1853 : « Promenade le soir dans la galerie Vivienne, où j ’ai vu des photographies
chez un libraire. Ce qui m’a attiré, c’est l'Elévation en croix de Rubens (de la cathédrale d ’Anvers), qui
m’a beaucoup intéressé : les incorrections, n’étant plus sauvées par le faire et la couleur, paraissent
davantage. »
5. Archives nationales (F''6902), ministère de l’Instruction publique, sans date.
6. Charles Aubry, Etudes de feuilles. l re série, 31 mai 1864, Paris, Bibliothèque nationale, Eo 69a Fol. Voir
l’article d’Anne McCauley, « Photographs for industry : the Career of Charles Aubry », The J. Paul Getty
Museum Journal, Los Angeles, vol. XIV, 1986. La lettre ci-dessus sera publiée dans le premier tome de
Correspondance de Nadar, établie par André Rouillé et Béatrice Soyer, à paraître aux éditions Macula.
L E T R I O M P H E D E L ’I N D U S T R I E

Eugène Delacroix : « Revue des arts », Revue des d e u x -m o n d e s, s e p t .

pp. 1139-1146.

L’idée si simple de M 5 Cavé n’est venue à aucun d’eux [les pédagogues


d’esprit systématique] à cause de sa simplicité même : apprendre à dessiner,
a-t-elle dit, c’est apprendre à avoir l’œil juste ; il importe peu que ce soit une
machine qui soit le professeur, pourvu que l’on apprenne avant tout à avoir
l’œil juste ; le raisonnement et même le sentiment ne doivent venir qu’après.
En effet, dessiner n’est pas reproduire un objet tel qu’il est, ceci est la
besogne du sculpteur, mais tel qu’il paraît, et ceci est celle du dessinateur
et du peintre ; ce dernier achève, au moyen de la dégradation des teintes, ce
que l’autre a commencé au moyen de la juste disposition des lignes ; c’est
la perspective, en un mot, qu’il faut mettre non pas dans l ’esprit, mais dans l ’œil
de l’élève. Vous ne m’apprenez, dirai-je au maître, avec vos proportions exactes
et votre perspective par a plus b, que des vérités, et dans l’art tout est
mensonge : ce qui est long doit paraître court, ce qui est courbe paraîtra
droit, et réciproquement. Q u’est-ce en définitive que la peinture dans sa
définition la plus littérale ? L’imitation de la saillie sur une surface plane.
Avant de faire de la poésie avec la peinture, il faut avoir appris à faire venir
les objets en avant ; il a fallu des siècles pour en arriver là. On a commencé
par un trait sec et aride, on a fini par les merveilles de Rubens et du Titien,
dans lesquels les parties saillantes comme les simples contours, prononcés
chacun dans la mesure convenable, sont arrivés à cacher l’art tout à fait à
force d’art : voilà le nec plus ultra, voilà le prodige, et ce prodige est le fruit
de l’illusion.
Donnez, dirai-je encore avec Mme Cavé, un morceau d’argile à un paysan
en lui demandant d’en former une boule : le résultat sera tant bien que mal
une boule. Présentez à ce sculpteur improvisé une feuille de papier et des
crayons, et demandez-lui de résoudre le même problème avec des instruments
d’une autre espèce en traçant sur le papier et en arrondissant l’objet au
moyen du blanc et du noir : vous aurez peine à lui faire concevoir seulement
ce que vous exigez de lui ; il faudra des années pour qu’il arrive à modeler
un peu passablement à l’aide du dessin.
M"" Cavé ne s’occupe donc qu’à rendre l’œil juste. Crâce à sa méthode,
qui est la simplicité même, les proportions, la tournure, la grâce, viendront
d’elles-mêmes se tracer sur le papier ou sur la toile. Au moyen d’un calque
de l’objet à représenter pris sur une gaze transparente, elle donne à son élève
la compréhension forcée des raccourcis, cet écueil de toute espèce de dessin ;
elle accoutume l’esprit à ce qu’ils offrent de bizarre et même d’incroyable.
En faisant ensuite répéter de mémoire ce trait en quelque sorte pris sur le
fait, elle familiarise de plus en plus le commençant avec les difficultés : c’est
appeler la science au secours de l’expérience naissante et ouvrir du même
406 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1 8 1 6-1871

coup à l’élève la carrière de la composition, laquelle serait fermée à jamais


sans le secours du dessin de mémoire.

Conduits par une idée analogue, beaucoup d’artistes ont eu recours au


daguerréotype pour redresser les erreurs de l’œil : je soutiendrai avec eux, et
peut-être contre l’opinion des critiques de la méthode d’enseignement par le
calque à la vitre ou par la gaze, que l’étude du daguerréotype, si elle est
bien comprise, peut à elle seule remédier aux lacunes de l’enseignement ;
mais il faut déjà une grande expérience pour s’en aider convenablement. Le
daguerréotype est plus que le calque, il est le miroir de l’objet ; certains
détails, presque toujours négligés dans les dessins d’après nature, y prennent
une grande importance caractéristique, et introduisent ainsi l’artiste dans la
connaissance complète de la construction : les ombres et les lumières s’y
retrouvent avec leur véritable caractère, c’est-à-dire avec leur degré exact de
fermeté ou de mollesse, distinction très délicate et sans laquelle il n’y a pas
de saillie. Il ne faut pourtant pas perdre de vue que le daguerréotype ne doit
être considéré que comme un traducteur chargé de nous initier plus avant
dans les secrets de la nature ; car, malgré son étonnante réalité dans certaines
parties, il n’est encore qu’un reflet du réel, qu’une copie, fausse en quelque
sorte à force d’être exacte. Les monstruosités qu’il présente sont choquantes
à juste titre, bien qu’elles soient littéralement celles de la nature elle-même ;
mais ces imperfections, que la machine reproduit avec fidélité, ne choquent
point nos yeux quand nous regardons le modèle sans cet intermédiaire ; l’œil
corrige à notre insu les malencontreuses exactitudes de la perspective
rigoureuse ; il fait déjà la besogne d’un artiste intelligent : dans la peinture, c'est
l'esprit qui parle à l'esprit et non la science qui parle à la science. Cette réflexion
de Mme Cavé est la vieille querelle de la lettre et de l’esprit : c’est la critique
de ces artistes qui, au lieu de prendre le daguerréotype comme un conseil,
comme une espèce de dictionnaire, en font le tableau même. Ils croient être
bien plus près de la nature quand, à force de peines, ils n’ont pas trop gâté
dans leur peinture le résultat obtenu d’abord mécaniquement. Ils sont écrasés
par la désespérante perfection de certains effets qu’ils trouvent sur la plaque
de métal. Plus ils s’efforcent de lui ressembler, plus ils découvrent leur
faiblesse. Leur ouvrage n’est donc que la copie nécessairement froide de cette
copie imparfaite à d’autres égards. L’artiste, en un mot, devient une machine
attelée à une autre machine.

Le daguerréotype me conduit naturellement à ce que Mme E. Cavé dit du


portrait : « Il n’est pas d’œuvre plus délicate. Une personne qui remue, qui
parle, ne laisse pas apercevoir ses imperfections comme un portrait muet et
immobile. On voit toujours beaucoup trop un portrait ; on le voit plus en un
jour que l’original en dix ans. Un portrait initie celui qui le regarde à des
détails qu’il n’avait jamais vus. Ainsi, par exemple, il arrive souvent qu’on
L E T R I O M P H E D E L 'I N D U S T R I E

dit devant un portrait : C’est ressemblant, mais le nez est trop court. Puis
on regarde l’original, et on ajoute : Je n’avais pas remarqué que vous eussiez
le nez si court !... mais vous avez le nez très court !... » Ces réflexions montrent
assez quelle doit être la tâche du peintre de portrait, et cette tâche exige
peut-être, contre l’opinion reçue qui classe le portrait dans les genres inférieurs,
des facultés supérieures et tout à fait distinctes. On comprend que l’habileté
du peintre de portrait consistera à amoindrir les imperfections de son modèle,
tout en conservant la ressemblance, et les moyens que donne Mme Cavé de
résoudre cette difficulté sont à la fois simples et ingénieux. Certains traits
peuvent être modifiés, embellis, tranchons le mot, sans nuire aux traits
caractéristiques. « Étudiez le caractère d’une tête, tâchez de reconnaître ce
qu’elle a de frappant au premier abord. Il y a des personnes qui naissent
avec ce tact ; aussi font-elles le portrait ressemblant même avant de savoir
dessiner. J ’appelle ressemblant le portrait qui plaît à nos amis, sans que nos
ennemis puissent dire : C’est flatté ! Et ne croyez pas que ce soit facile :
combien y a-t-il de bons peintres de portrait, c’est-à-dire de peintres qui
joignent à un grand talent le mérite de la ressemblance ? Fort peu. Souvent
un simple croquis est plus ressemblant qu’un portrait : c’est qu’on a eu le
temps d’y mettre ce que tout le monde a remarqué. Savez-vous quelle est la
couleur des yeux de tous vos amis ? Non certainement... Il résulte de là que
nous nous regardons entre nous très légèrement. De là cette question : Faut-
il qu’un peintre de portraits nous en montre plus que nous n’avons l’habitude
d’en voir ? Examinez les portraits faits au daguerréotype : sur cent, il n’y en
a pas un de supportable. Pourquoi cela ? C’est que ce n’est pas la régularité
des traits qui nous frappe et nous charme, mais la physionomie, l’expression
du visage, parce que tout le monde a une physionomie qui nous saisit au
premier aspect, et qu’une machine ne rendra jamais. De la personne ou de
l’objet qu’on dessine, c’est donc surtout l’esprit qu’il faut comprendre et
rendre. Or, cet esprit a mille faces différentes ; il y a autant de physionomies
que~dë sentiments. C’est une grande merveille de Dieu d’avoir fait tant de
figures diverses avec un nez, une bouche et deux yeux ; car qui de nous n’a
pas cent visages ? Mon portrait de ce matin sera-t-il celui de ce soir, de
demain ? Rien ne se répète : à chaque instant, une expression nouvelle ! »

Charles Aubry : Lettre à Nadar, 1er mars 1869.

Monsieur, Je voudrais (vous allez voir comme je suis malin en affaires) tirer
parti de deux cents clichés de fleurs et de fruits du genre des épreuves que
je joins à la présente.
Déjà (vous allez voir comme je sais faire mousser une affaire) le Préfet de
la Seine, ou plutôt la commission nommée par lui, a fait choix de seize de
408 L A P H O T O G R A P H IE E N FRANCE 1 8 1 6 -1 8 7 1

’ 0 6 . C h a rle s A ubry, É tu d e d e fle u rs , v e r s 1 8 6 4 . T ira g e p a p e r a lb d m in é . -


Si le s s e r ie s d 'é t u d e s d e fe u ille s e t d e fle u r s d 'A u b ry r e ti e n n e n t a u jo u rd 'h u i p o u r le u rs q u a lité s e s th é tiq u e s ,
e lle s o n t é t é r é a l i s é e s à d e s fin s o s te n s iD le m e o t u tilitaire s :
in d u s tr ie lle s , p é d a g o g iq u e s e t c o m m e r c ia le s .
La r é f é r e n c e n 'e s t p lu s le s b e a u x -a r ts m a is r a rt in d u s tr ie 1
LE T R IO M P H E D E L T X D l S T R il -*>*■

mes photographies, sur vingt-cinq présentées, pour être données comme


modèles aux écoles de dessin de la capitale. Et je viens de fournir vins*,
collections de ces modèles pour commencer.
Exproprié, j ’ai quitté Paris et me suis fait construire un atelier TYPE que
je voudrais bien vous voir visiter (comme cette invitation à venir goûter le
vin et le fromage de Brie est adroitement faite, avouez-le ?).
Je voudrais tirer un bon parti de mon ouvrage, ainsi que je vous l’ai déjà
dit, mais pour cela il faut l’appui des personnes qui disposent de la curiosité
publique (comme j ’ai bien évité de prononcer le nom de journaliste?).
Mes épreuves coûtent sur beau bristol, très grand, de 90 centimes à 1 franc.
Je voudrais les vendre 4 francs. Bénéfice net : 3 francs !
Les épreuves d’écoles sont sur des moitiés de feuilles de bristol gris et
coûtent 75 centimes. — Je les vends à Stuttgart et à Paris 2,50 francs. Bénéfice
net: 1,75 franc.
Vous voyez d’ici que si l’on tirait pour toutes les écoles de France, je ne
dis pas mes deux cents clichés, mais cent, on réaliserait pas mal de mille
francs.
Et que si le public du monde entier, non compris celui de la Nouvelle
Calédonie, de l’Australie et ejusdem farina, achète si peu que ce soit des
épreuves de mes deux cents clichés, on pourrait ajouter pas mal de mille
francs aux mille francs des écoles.
Enfin tout cela présente une spéculation honnête (en voilà deux mots
stupéfaits d’être ensemble... enfin !) dont les bénéfices peuvent être partagés
entre nous deux, si vous n’y trouvez pas d ’inconvénients, aux conditions
suivantes.
Vous deviendrez mon associé ât vous forcerez les journaux à parler de
notre affaire. Puis votre établissement sera le seul endroit où Parisiens,
provinciaux et étrangers trouveront mes photographies, nos photographies.
J ’aurais pu aller vous raconter tout cela mais, ex abrupto, vous n’auriez pu
que demander à réfléchir.
Et puis, si vous veniez, vous pourriez vous rendre compte des moyens de
reproduction dont je dispose, moyens curieux et nouveaux.
Vous allez vous demander pourquoi je m’adresse à vous plutôt qu’à de
riches spéculateurs, n’est-ce pas ? Si vous aviez l’imprudence de me faire cette
question, je ne vous répondrais pas pour vous punir de ce que vous ne vous
connaissez pas assez. Agréez toutes mes civilités.

Ch. Aubry, dessinateur.


PAS D’ART
SANS INDUSTRIE
. (1864)

A lexandre KEN (m ort ca 1874)

L ’auteur décrit le fonctionnement d’un grand studio de portrait organisé et décoré


en vue de satisfaire les attentes des « gens du meilleur monde ». En affirmant
que le photographe-portraitiste doit « être artiste de naissance et de savoir », Ken
prend clairement position dans le débat sur le statut de la photographie, mais,
contrairement à beaucoup de ses collègues, il revendique la dualité de l ’activité du
photographe chez lui « l ’industriel [...] double toujours l ’artiste ». Pour Ken, le
talent artistique du photographe ne peut, à lui seul, produire une « belle œuvre »
s ’il n’est soutenu par une « exploitation industrielle ». Ken prône ici l ’alliance de
l ’art et de l ’industrie chère aux membres de la Société du progrès de l’art'
industriel — laquelle est d ’ailleurs présidée par le photographe Henri de La
Blanchère, et fa it une place à la photographie dans sa seconde exposition, en
1863.

D i s s e r t a t i o n s h is to r iq u e s , a r t i s t i q u e s e t s c ie n tif iq u e s s u r la p h o to g r a p h i e ,
1864. pp. 205-224.

Lorsque, aujourd’hui, on veut citer un type du luxe et du bon goût qui


doivent régner dans un établissement à la fois artistique et industriel, on cite
les ateliers d’un photographe parisien. [...]
L’air pur et la lumière sont les deux conditions indispensables d’un atelier
de photographie, et ces deux choses sont rares à Paris, où l’espace est si
difficile à trouver, même à prix d’or. Souvent forcé de les chercher assez haut,
il transforme en splendides et délicieuses demeures ces étages que meublaient
autrefois les poètes et la jeunesse, qui seuls y établissaient leur nid. Les
établissements se divisent en trois parties distinctes qui empruntent à la
destination qui leur est propre une physionomie particulière : les salons de
réception et d’attente, la terrasse ou salon de pose, et les laboratoires.
Les salons d ’attente luxueusement meublés, ornés de bronzes, de marbres,
de porcelaines, d’objets d’art ; des salles d’exposition, des cabinets de toilette
L E T R I O M P H E D E L ’I N D U S T R I E

1 0 7 , (A g a u c h e ) P au l L o u is A le x a n d re B o u rg e o is , Autoportrait dans son atelier de Chalon-sur-Saône, v e r s 18 6 0 .


10 8 . (A d ro ite ) O ly m p e A g u a d o , Autoportrait dans son atelier, v e r s 1 8 5 3 . T ira g e p a p ie r l é g è r e m e n t a lb u m in é ,

B o u rg e o is e s t u n p h o to g r a p h e p ro f e s s io n n e l d e p ro v in c e , A g u a d o un a r is to c r a te p a ris ie n a m a te u r d e p h o to g ra p h ie .
C h e z A g u a d o , l'a te lie r a p p a ra ît c o m m e un v é r ita b le e s p a c e s c é n iq u e a v e c f o n d s p e in ts ,
c o u l i s s e s , s y s t è m e d e ré g la g e d e la lu m iè re , e t c ., t a n d i s q u e B o u rg e o is s e p r é s e n t e e n s a b o t s a v e c le s
in s tr u m e n t s o rd in a ir e s d u p h o to g ra p h e (p ied , c h a m b r e n o ire , a p p u ie - tê te , c o lo n n e , c u v e t te s , e tc .).

où les dames se costument avant la pose, forment la partie livrée au public,


celle que chaque artiste s’efforce de rendre digne des personnages qui le
visitent, et où les gens du meilleur monde peuvent se croire chez eux. On
se tromperait grandement, si l’on attribuait toute cette recherche luxueuse à
une préoccupation purement industrielle, au désir d’éblouir le visiteur en
faisant miroiter à ses yeux toutes les apparences de la richesse qui accompagne
ordinairement le succès. Le même sentiment artistique qui fait accumuler aux
peintres mille curiosités, des objets d’art, de riches meubles, souvent des
fantaisies d ’un grand prix dans le fouillis harmonieux de son atelier, inspire
et impose au photographe le luxe de son établissement. [...]
Chez le photographe, le modèle pose à peine une demi-minute devant
l’instrument. Il faut qu’avant d’entrer dans le salon de pose, il ait oublié
dans les salons d’attente toute préoccupation extérieure : qu’en y feuilletant
les albums, en examinant les portraits exposés, en interrogeant sur la valeur
artistique, sur le caractère propre à chacun d’eux, il ait pu apprécier et saisir
les poses et l’expression qui lui conviennent le mieux, et que quelques conseils
412 I.A P H O T O G R A P H I L E N 1 R A N C H 18 I6-IB71

109. A n o n y m e , A t e lie r d u p h o to g ra p h e G u e u v in , 2 0 , r u e C a s s e tte à P an s, 1 8 6 3 -1 8 6 7 . -


Le p r e m i e ' e t a g e é ta it r é s e r v é a u s a lo n d e p o s e a v e c s e s g r a n d e s b a ie s v itré e s e t le fo n d p e in t q u e l'o n a p e rç o it
p a r la f e n ê t r e o u v e r te .

de l’artiste suffisent ensuite pour lui faire prendre. Tout doit être mis en
œuvre pour distraire le visiteur et donner à son visage une expression de
calme et de bonheur, pour faire naître dans son âme des idées agréables,
riantes, qui, éclairant ses traits d’un doux sourire, en fassent disparaître cette
expression sérieuse que le plus grand nombre a une tendance à prendre, et
qui, étant celle qui s’exagère le plus, donne ordinairement à sa physionomie
un air de souffrance, de contraction ou d’ennui.
Le salon de pose est ordinairement établi sur une terrasse couverte et
disposée de manière que les rayons lumineux puissent parfaitement l’éclairer
dans toutes ses parties et à toute heure du jour. Des écrans mobiles, des rideaux
de différentes nuances, des réflecteurs habilement manœuvrés composent la
lumière suivant les besoins de l’opération, règlent son intensité et éclairent
le modèle, de façon que toutes les surfaces, tous les contours soient apparents,
et que tout en mettant un des côtés beaucoup plus franchement en lumière
que l’autre, aucune partie ne reste enveloppée dans une ombre absolue. 1

1. Alexandre Ken érige en principe d'une esthétique du portrait ce que Fourncl dénonçait quelques années
auparavant comme les caprices d’une clientèle bourgeoise en mal de paraître (cf. pp. 289-295).
LE T R I O M P H E H E L ’I N D L S T R I E

1 10. A n o n y m e , L 'A te lie r d e P a u l L o u is A le x a n d re B o u rg e o is à C h a lo n -s u r-S a ô n e , fin d e s a n n é e s 1 8 6 0 . -


C 'e s t p e u t- ê tr e à d e s fin s p u b lic ita ire s q u e le p h o to g r a p h e a p r o c é d é à c e t t e m is e e n s c è n e
qui, o u tr e l'o rg a n is a tio n s p a tia le d e s lieux, m o n tr e le s a c tiv ité s , le s p ro d u c tio n s
e t le m a té rie l d u s tu d io .

Les accessoires qui meublent le salon de pose doivent être assez nombreux,
variés et de bon goût. Des toiles peintes en trompe-l’œil, glissant dans des
rainures, forment des fonds divers représentant des berceaux, des jardins, des
paysages, des galeries, etc. Il faut assez bien choisir et disposer ses accessoires
pour qu’ils ne puissent pas acquérir trop d’importance et écraser même dans
l’épreuve le modèle qu’ils doivent simplement accompagner et faire valoir.

Ceux qui prétendent qu’il ne peut pas y avoir de l’art dans un portrait
photographique, et qui, toujours préoccupés de l’instrument, ne voient pas la
personne qui le manœuvre, devraient passer quelques journées dans un salon
de pose et voir l’artiste aux prises avec le modèle. [...] Que d’efforts pénibles
il dépense à corriger l’ineptie souvent revêche du modèle ou la vérité trop
fidèle de l’instrument ! [...] Si, ce qui n’arrive que trop souvent, le goût de
la personne qui pose est en désaccord avec le sien, il faut qu’à la minute
même il la persuade, la drape, la pose. Il faut d’un coup d’œil qu’il ait vu
la beauté caractéristique de sa physionomie, et trouvé le jour, l’aspect, la
pose qui la fera le mieux valoir ; qu’il l’amène à donner à son visage
l’expression qui lui sied, la souplesse, l’élégance, le naturel ; qu’elle retranche
de sa toilette tel détail nuisible, tel ornement qui, charmant sur la personne,
414 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

ne produirait pas le même effet dans le portrait ; qu’il lui persuade qu’il est
inutile de charger ses doigts et ses bras de bijoux, d’encadrer son image dans
un fond prétentieux, de l’entourer de vases, de berceaux, de statuettes, de
guirlandes, de changer telle robe dont la couleur qu’elle aime donnerait à
l’épreuve une teinte désastreuse. Lutte pénible, difficile, dans laquelle l’artiste
dépense en vain tout le tact, toutes les resssources d’un esprit ingénieux et
patient, lorsqu’un amour-propre déplacé s’en mêle ; alors, de guerre lasse, il
laisse le client poser comme il veut, et l’instrument croquer le modèle tel
qu’il est. L’artiste n’est pour rien dans cette affaire ; il n’a d'autre ressource
que de diriger la lumière et plus tard le tirage, de manière à produire de
bonnes épreuves photographiques qui laissent toute la responsabilité de la
vulgarité, de la laideur ou du ridicule du portrait à qui elle revient.
Pour la photographie, dit-on, c’est le modèle qui fait son portrait lui-même.
Ceci est vrai dans le sens absolu du mot, si l’on veut dire qu’une fois éclairé
et posé, le modèle et l’instrument agissent seuls. Mais à qui est due la pose,
à qui est due la disposition du jour ? Les traits les plus réguliers, les plus
délicats seront mal rendus, enlaidis par l’épreuve, si une pose et un jour
habilement disposés ne font leur image harmonieuse, si l’artiste ne sait sentir
ni faire valoir leur beauté ; la figure la plus ingrate, étudiée et rendue par
l’artiste, peut donner un portrait remarquable. [...] Lorsqu’on entre dans un
salon de pose, on ne saurait trop se pénétrer de cette idée que c’est l’expérience,
le savoir, le goût épuré, le sens artistique du photographe qui doivent guider
le modèle et suppléer à ce qui lui manque.
On a voulu formuler des règles certaines pour la pose du modèle ; d’après
nous, il ne peut y en avoir. C’est à l’artiste de bien étudier d’abord le
caractère de la physionomie, le genre de beauté de la personne qui vient lui
demander son portrait, et de la poser ensuite suivant son inspiration, de
manière à faire valoir le mieux et le plus harmonieusement possible les
avantages et à masquer les défauts qui le frappent. En posant le modèle un
peu de côté et le visage un peu plus de face que le corps, en mettant les
mains autant que possible sur le même plan que le visage, sans que les pieds
soient trop projetés en avant, on peut obtenir des portraits harmonieux,
accentués, des épreuves qui ont une véritable tournure artistique. Posé trop
en face, il est plus difficile de ne pas laisser tomber le portrait dans le
vulgarisme qu’on reproche aux reproductions photographiques ordinaires.
Mais ce sont là des données générales ; c’est au photographe, nous le répétons,
de voir la pose qui convient au modèle, de mesurer et de disposer la lumière ;
c’est en cela qu’il doit faire réellement preuve de sens artistique et de sa
personnalité. Il doit éviter tout parti pris dans la pose et dans l’effet produit,
sans cela il arrivera à ce résultat que tous ses portraits se ressembleront plus
ou moins, qu’ils auront un aspect général uniforme qui détruira l’individualité
de chacun d’eux. C’est ce qu’on remarque dans les épreuves, d’ailleurs fort
belles, qui sortent des ateliers de quelques photographes habiles qui, se
LE T R IO M P H E DE E 1 \ D '. '~T1I

laissant séduire par l’aspect saisissant de certaines poses, répètent toujours _i


même. Evidemment, ce sont là des conditions difficiles à remplir, il faut avoir,
pour bien les comprendre et surtout pour les suivre, un sentiment profond
de la beauté et de l’art, de l’imagination, du goût, du tour, un esprit ingénieux,
l’œil prompt et sûr, en un mot, être artiste de naissance et de savoir : mais
nous ne parlons ici que du photographe artiste, et non du simple opérateur.
La pose arrêtée, quelle qu’elle soit, la plus essentielle de toutes les obligations
du modèle, c’est l’immobilité. [...] La durée de la pose est à peine de quelques
secondes, et, aidées de l’appui-tête, les personnes les plus vives peuvent garder
dans ce court intervalle une immobilité absolue. [...]
Quelques secondes ont suffi pour imprimer d’une manière latente l’image
dans la couche sensible. On ferme l’objectif, on retire le châssis de l’objectif,
la liberté est rendue au modèle et toutes les manipulations successives qui
feront d’abord apparaître l’image encore invisible sous l’action des réactifs
appropriés et qui la fixeront, et le tirage des épreuves sur le cliché négatif
ainsi obtenu, se feront dans le laboratoire, complètement isolé et interdit au
public.
Le laboratoire se compose de plusieurs pièces ayant chacune leur destination
propre. La partie la plus essentielle est celle où se collodionnent et se
sensibilisent d’abord les glaces, puis où se développe et se fixe l’image.
Cette pièce est ordinairement divisée en deux compartiments. Le premier
communique avec le salon de pose et les autres pièces de l’atelier ; le second,
n’ayant de communication qu’avec le premier, doit être absolument privé de
rayons solaires. Si la lumière y pénètre, cela ne doit être que par un verre
jaune. [...)
Une autre pièce, privée aussi de lumière blanche, doit servir à la préparation
du papier pour épreuves positives ; on y conserve les feuilles suspendues et
entourées de toiles peintes en noir jusqu’au moment où on les met dans les
châssis pour opérer les tirages qui ont lieu sur des terrasses en pleine lumière.
Dans les autres parties de l’atelier se trouvent les casiers où se conservent
les clichés négatifs, et les artistes qui retouchent ou colorient les images, et
qui font subir à l’épreuve les dernières opérations qui la mettent en état d’être
livrée au public. On se fait rarement une idée de l’ordre minutieux qui doit
régner dans un établissement de photographe. Chez lui, l’industriel occupant
un nombreux personnel et dirigeant une exploitation qui souvent représente
des capitaux considérables, double toujours l’artiste ; le moindre laisser-aller
serait sa ruine. C’est par milliers parfois qu’il compte ses clichés, et chacun
de ses clichés représentant des personnages ou des sujets différents, doit être
à la minute sous la main. Lorsqu’arrive une demande, il faut qu’il connaisse
l’état de chacun d’eux, le nombre d’épreuves positives qu’il a fournies, s’il
peut encore servir et quelle sera sa durée probable. Son catalogue est pour
lui une fortune, mais difficile à maintenir et à gérer comme toute fortune qui
repose sur une entreprise industrielle et la vogue d’une réputation d’artiste.
4 16 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

Lorsque le peintre ou le sculpteur exposent leur œuvre, ils ont le public pour
juge — le sentiment artistique si répandu en France dans les masses, le goût
exercé des gens du monde, et par dessus tout cela le savoir de critiques
éminents qui éclairent et guident ; le photographe a d’abord pour juge unique
et sans appel le client, qui retrouve pour apprécier ses épreuves toutes ses
exigences, toutes ses prétentions, et qui s’étonne qu’on n’ait pas fait un chef-
d’œuvre en le reproduisant à son goût. Aussi doit-on tenir pour artiste d’un
mérite réel celui qui arrive à la réputation et à la fortune uniquement par
la production de ses œuvres.

Pour être complet, un atelier de photographie doit posséder un laboratoire


de chimie, et préparer lui-même les produits les plus délicats qu’il emploie.
[...] Un laboratoire de chimie est d’ailleurs pour le photographe une occasion
constante d ’étude et par conséquent de progrès ; il ne pourra pas, s’il n’en
possède point, essayer la plupart des formules ou des découvertes qu’on lui
vante, et se rendre compte ainsi par lui-même de leur valeur, ni tenter lui-
même l’emploi de nouvelles substances, ni modifier par des tâtonnements et
des recherches nécessaires ses anciens procédés ; il sera privé de ses principaux
moyens d’investigation et de progrès. [...]

Sous tous les rapports, on le voit, la photographie est un art complexe ;


l’artiste, quelque éminent qu’il soit, ne suffirait pas à faire une belle œuvre ;
l’instrument et le procédé, malgré leur perfection, ne donneraient qu’une
épreuve sans sentiment, sans harmonie, sans vie, quelque chose de terne et
de mort. Il faut, pour produire une épreuve photographique réellement bonne,
ces conditions si rarement réunies ; un artiste opérateur habile, un bon
instrument, un procédé parfait et un atelier intelligemment approprié.
On comprend dès lors que l’exploitation industrielle pouvant suffire seule
aux dépenses qu’exigent de telles conditions, c’est surtout par elle que le
progrès de l’art créé par Daguerre doit s’accomplir.
NOUVELLE SUPPLIQUE EN FAVEUR
DE L’ART PHOTOGRAPHIQUE
(1863)

Société photographique d e M arseille

Le 1er mai 1863, l ’exposition de la Société française de photographie s ’ouvre


pour la troisième fois en même temps et dans le même bâtiment que le Salon,
mais toujours séparée de lui « par une barrière, symbole des derniers préjugés qui
repoussent encore [la photographie] du nombre des arts » 1. Début mars, la Société
photographique de Marseille décide d ’adresser au ministre une nouvelle supplique
pour que « les œuvres d’art qui sont le résultat de l ’application photographique
soient admises à l ’exposition des Beaux-Arts » 12. Cette réactualisation, quatre ans
plus tard, des débats de 1859 apparaît presque insolite dans la presse photographique
de l ’époque tant les préoccupations semblent s ’être éloignées des problèmes de l ’art
pour se tourner vers des questions plus matérielles : depuis le début des années
I860, l ’argument de l ’art n’est plus avancé que pour relancer la demande (Disdéri),
lutter contre la « concurrence déloyale » (Mayer et Pierson) ou proposer comme
Alexandre Ken une alliance art-industrie.

E. L. : « Société photographique de Marseille » , Le Moniteur de la photographie,


15 avr. 1863 (n° 3), pp. 23-24.

Monsieur le Ministre, Nous n’avons pas vu figurer parmi les arts appelés à
l’exposition artistique de 1863, les œuvres exécutées par les moyens photogéni­
ques. Nous prenons la liberté de vous adresser quelques observations à ce
sujet, au nom de la Société photographique de Marseille.
Il y a confusion dans l’expression qui a cours aujourd’hui pour désigner
tout ce qui est du ressort de cette admirable découverte, et nous n’hésitons
pas à attribuer à ce fait l’oubli que nous prenons la liberté de vous signaler.
On dit, en effet, la photographie indifféremment pour la science photographique
ou pour l’art photographique. Il y a cependant une distinction à établir et
un mot à créer. Le nom de science photographique nous paraît une
dénomination juste, mais l’art photographique est un mot aussi peu applicable

1. Ernest Lacan, Le Moniteur de la photographie, 15 mai 1863 (n° 5), p. 33.


2. « Société photographique de Marseille », Le Moniteur de la photographie, 15 avr. 1863 (n° 3), p. 23.
418 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

à la chose que si l’on disait : l’art de la perspective pour la peinture, ou l’art


grammatical pour la poésie.
La science photographique procède de la chimie. C’est une de ses branches
les plus intéressantes. Le chimiste est parvenu à mettre dans les mains de
l’homme de goût et de l’artiste un instrument qui le dispense des études
sévères de la perspective et du travail mécanique du crayon ou du pinceau.
Réactifs, procédés d’emploi des substances photogéniques, instruments au
service de cet emploi forment le corps de cette science nouvelle et délicate.
Quant à l’art photographique, nous venons de le dire, il n’a pas de nom,
et nous voudrions qu’il fût possible de lui en donner un qui réunît dans son
acception l’idée de l’art par le procédé héliographique.
L’art, en général, a pour but de manifester au-dehors, par des moyens
divers, les pensées, les sentiments, les passions de l’individu.
Que ces moyens soient l’écriture et la grammaire, la perspective et le
pinceau, ou bien la photographie, le but est le même. Seulement la
photographie, qui est incontestablement scientifique, exécutant du même coup
le travail du crayon et celui du géomètre permet à l’art un vol plus élevé.
[...] Au reste, le procédé dans l’art est secondaire. C’est l’idée, c’est le choix
dans le mode employé pour l’exprimer qui est l’essentiel. Nous pensons que
c’est par la manière d’entendre ce point important que les artistes se sont
divisés en peintres réalistes et en peintres de style. Les uns croient qu’ils
doivent représenter crûment et tel qu’il existe l’objet qui doit servir à
l’expression, les autres pensent qu’ils ne doivent représenter de cet objet que
ce qui leur semble le plus apte à rendre l’idée spéciale qu’ils ont en vue. On
a dit que le dessin produit par le soleil est un dessin du genre réaliste,
puisqu’il [ne] peut éliminer les parties inutiles à l’effet. De plus, comme le
procédé photographique est à la disposition de tout le monde, puisqu’il ne
nécessite que quelques détails préliminaires, on a ajouté que cette méthode
d’expression est plutôt du domaine du métier que de celui de l’art.
Heureusement, Monsieur le Ministre, que dans la quantité des œuvres
produites par le procédé héliographique, il s’en est trouvé d’admirables qui
ont pu montrer ce que le véritable artiste pouvait tirer de ce nouveau moyen.
[-J
Si ces considérations, Monsieur le Ministre, vous paraissent suffisantes pour
faire cesser la confusion qui jusqu’à présent a fait prendre le moyen pour la
cause, l’instrument pour la pensée qui le dirige, nous prenons la liberté de
vous prier d’accorder à l’exposition des Beaux-Arts de 1863, laquelle va
prochainement s’ouvrir, une place aux œuvres originales produites par les
procédés héliographiques et les mêmes conditions d’admission que celles qui
sont exigées pour la peinture, la sculpture, la gravure ou la lithographie.
Nous avons l’honneur d’être, Monsieur le Ministre, de Votre Excellence,
les très humbles et très obéissants serviteurs, membres de la Société
photographique de Marseille.
<PHOTOGRAPHIES OBSCENES »
(1860-1864)

G a z e tte d e s tr ib u n a u x ; Tribunal correctionnel de N antes

Si la question de l ’art préoccupe les critiques et les photographes de formation


académique, la pratique au quotidien est souvent plus prosaïque : un moyen de
gagner sa vie, quitte à contrevenir à la loi.
Les « photographies obscènes » sont à cet égard intéressantes : elles invitent à
ne pas oublier que derrière les discours convenus, les grands studios, les images
et les photographes-artistes reconnus, existent un foisonnement de pratiques
ordinaires, une multitude d’images et d ’opérateurs obscurs.
Les décisions de justice sont un des moyens d ’accès à cette réalité du milieu
photographique de l ’époque : ses pratiques clandestines, certains modes de
distribution des images 1, la situation sociale des modèles — sans parler du ton
des comptes rendus, des dispositions de la loi et du moralisme bourgeois qui s’y
exprime.

« Photographies obscènes », Gazette des tribunaux, cité par Revue photographique, 1860,
p. 191.

Malgré les avertissements sévères et répétés de la justice, nous voyons


fréquemment des gens plus dociles à l’appât du gain que soucieux des
punitions qui les attendent, qui spéculent sur l’immoralité et entraînent avec
eux dans les hasards de leur commerce clandestin de jeunes femmes déjà
perdues sans doute, mais qui achèvent, dans ces impurs ateliers, d’abdiquer
toute pudeur.
Elles sont six aujourd’hui qui comparaissent devant le tribunal ; toutes sont
jeunes, une cependant est déjà veuve, deux sont mariées, ce qui ne les
empêche pas de figurer dans ces tableaux qu’il ne serait possible ni de montrer
ni de décrire. Elles sont assez jolies, et ont même, chose plus extraordinaire,
un air de candeur qui contraste étrangement avec la prévention qui les amène
sur le banc de la police correctionnelle.
1 Lamarre est graveur à Nantes, tout en exploitant avec sa femme un commerce de marchandises
diverses : cristaux, bijoux, porcelaines, jouets d ’enfants, et... photographies « propres à attirer les regards
et à surexciter les sens ».
420 I.A P H O T O G R A P H I E E X F R A N C E 1816-1871

111. Anonyme Nu allongé, lavant 1870). Vue stéréoscopique. -


Le décor, la lascivité de la pose, la position des jambes, l'accent mis sur le sexe et les seins, etc.,
tout situait à l'époque cette image dans tordre de l'obscène, d'autant qu'elle était destinée à être vue en relief
dans un stéréoscope (certains appareils pouvaient contenir une centaine de vues
que l’on faisait défiler les yeux collés à la lunette).

Voici leurs noms : Aimée Lecoq, veuve Martin ; Alexandrine-Félicité Niquet.


femme Petot ; Marie Destourbet ; Joséphine-Emma Cotterel ; Louise-Désirée
Cotterel ; Lucie-Radegonde Vilain, femme Hory.
La veuve Martin ne posait pas dans les tableaux, elle les coloriait. Les
autres se disent lingères ou blanchisseuses.
A côté d’elles se trouvent les sieurs Jules Rivemale et Balthazar-Pascal
Gaudry. Ce dernier a les cheveux blancs et un air respectable, qui jure autant
dans cette triste affaire que l’air candide de ses complices.
Soixante photographies ont été saisies ; Rivemale reconnaît les avoir
composées, mais il prétend n’avoir été que l’ouvrier de Gaudry, qui lui payait
6 francs par jour. Gaudry affirme, au contraire, qu’il n’a fait que prêter son
atelier, et qu’il ignorait à quel genre de travail on s’y livrait, mais les autres
prévenus ne sont pas d’accord avec lui.
Une des femmes entre autres prétend que Gaudry était le patron, et ajoute
avec une triste naïveté : « M. Rivemale ne me donnait que 4 F 50 ; je lui ai
dit que je ne pouvais pas travailler pour ce prix-là, et il m’a répondu :
M. Gaudry ne veut pas donner davantage. »
C’est la même qui dit : « J ’ai été chercher ma sœur pour travailler. »
M. l’avocat impérial Merveilleux Duvigneau soutient la prévention, et
insiste surtout à l’égard de Gaudry. Il fait connaître cette triste circonstance
que dans ces odieux tableaux on n’avait pas craint de faire figurer une
malheureuse enfant de onze ans.
I.E T R IO M P H E DE L :

112. Anonyme, Femme nue sur un divan, 1854. Tirage papier salé. -
Cette image se situe à mi-chemin entre les photographies obscènes que la censure interdisait
et celles qu'elle autorisait « sans exposition à l'étalage ».

Le Tribunal (sixième chambre), présidé par M. Gislain de Bontin, a


condamné Rivemale à quatre mois de prison et 100 F d’amende ; Gaudry à
six mois de prison et 500 F d’amende ; Louise-Désirée Cotterel et la femme
Hory, toutes deux déjà condamnées pour le même fait, à deux mois de prison
et 16 F d’amende ; la femme Petot, Marie Destourbet et Joséphine Cotterel
chacune à un mois de prison et 16 F d’amende ; la veuve Martin à quinze
jours de prison.

Tribunal correctionnel de N antes: jugement, 16 m ars 1864 (D P. 64-3-219).

Considérant que, suivant procès-verbal du 18 février dernier, saisie a été faite,


dans les magasins des sieur et dame Lamarre, de quatorze photographies qui
étaient placées dans une armoire fermée ;
Que, suivant procès-verbal du 23 dudit mois, saisie a été faite dans les
mêmes magasins de quarante-trois photographies exposées à la montre dans
les vitrines ;
422 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

113. Louis-Camille d'Olivier, Nu allongé, étude n ° 538. 1855. Tirage papier légèrement albuminé. -
Olivier, qui est peintre et photographe, fonde en 1853 avec l'appui de Léon Cogniet, la Société photographique
spécialisée dans la production de nus pour artistes.

Considérant que ces diverses photographies n’ont pas été déposées à la


Préfecture, et que la vente n’en a pas été autorisée par l’autorité compétente ;
Que leur mise en vente entraîne l’application de l’article 22 du décret du
27 février 1852 ;
Considérant que ces diverses photographies de la seconde saisie représentent
des femmes nues, et quelques-unes avec des poses qui sont propres à attirer
les regards et à surexciter les sens ; qu’elles sont contraires aux mœurs et
délictueuses, et qu’il y a lieu, leur publicité dans les montres et aux vitrines
du magasin ayant été reconnue et constatée, de leur appliquer l’article 8 de
la loi du 17 mai 1819 ;
Considérant que les premières photographies saisies au nombre de quatorze,
et notamment les numéros 1, 2 et 3, reproduisent des sujets indécents et
obscènes évidemment offensants pour la morale et les bonnes mœurs ; que
les prévenus reconnaissent en avoir acheté une collection de trente, d’une
personne qu’ils ne peuvent pas ou ne veulent pas indiquer ; qu’ils avouent
LE T R IO M P H E DE L’INDU

114. Gaudenzio Marconi, Nu agenouillé, 1870. Tirage papier albuminé. -


Marconi se présente comme « photographe des Beaux-Arts ». Ses séries d’« académies pour artistes » étant strictement conçues
pour servir aux etudes anatomiques, les effets esthétiques et érotiques sont ostensiblement subordonnés a la rigueur documenta re
424 L A PHOTOGRAPHIE E X F R A N C E 1816-1871

115. Julien Vallou de


Villeneuve, Étude d'après
nature n ° 1906, 1854. Tirage
papier salé/négatif papier. -
Peintre et lithographe, Vallou
de Villeneuve commence vers
1850 une importante série de
nus. Par l'emploi du négatif
papier, la qualité des poses e-
de la lumière, par les
accessoires, etc., ses images
étaient destinées aux
artistes. Courbet semble
s être inspiré de plusieurs
d'entre elles.

en avoir vendu sept, et ne font pas connaître ce que sont devenus les neul
dessins qui manquent ;
Que le fait d’avoir tenu en vente, dans un magasin ouvert à tous et
fréquenté par un grand nombre de personnes, des photographies licencieuses,
constitue le délit d’outrage public aux mœurs ; qu’en effet ces objets, qui
avaient été achetés pour être vendus, ont été placés dans des magasins
communs aux autres articles du commerce des époux Lamarre, ont été
présentés par eux aux acheteurs et ont été répandus dans le public par l’effet
des ventes qui ont été faites : que les deux circonstances d’outrage à la morale
et de publicité constitutives du délit imputé aux prévenus se rencontrent dans
l’espèce, et qu’il y a lieu de leur faire l’application de l’article 8 de la loi
précitée du 17 mai 1819 ;
Considérant que, vainement, la dame Lamarre maintient qu’elle a été
étrangère à la vente ou à la mise en vente des photographies [...]. Q u’on
peut même dire que cette dame a reconnu elle-même qu’elle encourait une
responsabilité personnelle, puisque, lors de la seconde visite, elle a enlevé
avec l’ongle la figure d’une photographie pour la rendre méconnaissable ;
Que la dame Lamarre, pas plus que son mari, n’a pu ignorer l’obligation
du dépôt des photographies et de l’autorisation nécessaire pour en opérer
légitimement la vente ; qu’en faisant cette vente sans autorisation, ou en y
L E T R I O M P H E D E L IN T " .

coopérant, elle a, ainsi que Lamarre, commis la contravention réprimée ra^r


le décret précité [...].
Considérant que, quelle que soit la qualification donnée par l'art. 22 âa
décret du 27 février 1852, à la vente sans autorisation préalable de dessins.
gravures, photographies, la peine infligée à cette infraction consiste dans un
emprisonnement d’un mois à un an, et dans une amende de 100 à 1000 francs,
peines essentiellement correctionnelles, et même plus graves que celle infligée
à la vente de photographies délictueuses, délit commis et jugé simultanément
[...].
Condamne le sieur Lamarre et la dame Lamarre, chacun à quarante jours
de prison et 100 F d’amende ;
Les condamne solidairement aux dépens.
Ordonne la confiscation et la destruction des photographies qui ont été
saisies.
LA PHOTOGRAPHIE REDUITE
À UNE SEULE FORMULE
(1865)

Léon VIDAL (1833-1906)

Léon Vidal, le pragmatique secrétaire de la Société photographique de Marseille,


veut bien que la photographie soit un art — à condition de donner à ce terme
le sens de moyen, méthode, technique, procédé. En revanche, la photographie ne
saurait ressortir aux Beaux-Arts « qui ne comprennent que l ’architecture, la
sculpture, la peinture et la musique ».
Ce tour de passe-passe sémantique a surtout pour effet de réduire la photographie
à peu de chose : un instrument dont Vidal espère qu”il deviendra, grâce à la
science, « plus mécanique encore », voire « mathématisé » — et qu’il n’aura d’autre
fin que « la reproduction parfaite [...] de la nature extérieure ».
Point de vue « technique », restreint jusqu’au paradoxe : l ’opérateur est ramené
à la condition de préparateur de laboratoire.

« Préambule » , P h o to g ra p h ie , c a lc u l d es te m p s de p o se, 1 8 6 5 , p p . 1 - 3 .

La photographie est-elle un art ?


Telle est la question que nous voyons s’agiter chaque jour et sur laquelle
il est émis encore bien des opinions contradictoires. La base de l’argumentation
est évidemment mal formulée ; on devrait, avant de discuter, se mettre
d’accord sur les termes, et distinguer dans le mot photographie les deux
acceptions spéciales qu’il exprime.
Notre but, en abordant ce sujet, n’est pas de raviver une discussion à notre
avis sans utilité, mais bien de donner une définition exacte de la photographie,
pour expliquer ensuite, à l’aide de cette définition, quelle est la tâche que
doivent s’imposer les chercheurs voués au progrès de l’une des plus
merveilleuses et des plus utiles découvertes de ce siècle.
La photographie est un art, comme la navigation est un art, comme la
métallurgie est un art, comme sont des arts toutes les branches spéciales des
applications de l’intelligence humaine, mais on ne peut la ranger dans la
classe des beaux-arts, qui ne comprennent que Yarchitecture, la sculpture, la
peinture et la musique.
L E T R IO M P H E D E L IN D U < 7 x 7 1 <T

La photographie, parmi les arts, appartient à la classe des arts scientifiques


c’est un art scientifique, ou plus brièvement une science qui, il est vrai, se
rattache aux beaux-arts comme un de leurs moyens les plus précieux, un ce
leurs auxiliaires les plus sûrs et les plus efficaces.
La photographie, au point de vue des beaux-arts, est donc un moyen : et
si toute tentative ayant pour but de perfectionner ce moyen est certainement
un service rendu aux beaux-arts, on ne peut en conclure que la photographie
doive occuper une place parmi les beaux-arts proprement dits, les arts de
création.
Mais, objectera-t-on, la photographie peut conduire à faire des œuvres
d’art ; l’appareil photographique, entre les mains d ’un artiste, est comme un
crayon, un pinceau à l’aide desquels il fait œuvre d’art. Cela nous paraît
vrai, et nous avons depuis longtemps déjà professé cette conviction, sur
laquelle notre intention n’est pas de revenir ; mais nous nous bornerons à
répondre que le moyen, qu’il soit appareil photographique, crayon ou pinceau,
appartient à la classe des procédés, et que tout procédé dérive essentiellement
d’une application scientifique ou industrielle.
Nous considérons, en effet, l’art photographique comme un procédé pour
arriver à la reproduction parfaite et à la fixation des images de la nature
extérieure, procédé mécanique qui sera d’autant plus utile aux arts de création
qu’il sera plus perfectionné. La science seule peut conduire à de nouveaux
progrès dans cet art mécanique, et, pour exprimer plus franchement encore
notre opinion à cet égard, nous ajouterons que la photographie sera d’autant
plus féconde en résultats utiles, en applications vraiment industrielles, qu’elle
sera devenue un art plus mécanique encore.
Il existe actuellement dans cet art une trop grande part faite à l’appréciation ;
on ne l’a pas suffisamment mathématisé ; chacun a ses formules, ses appareils ;
mille voies sont ouvertes partant du même point et convergeant vers le même
but ; mais il doit exister une seule voie absolument rectiligne qui les résume
toutes : c’est celle que nous devons tous chercher.
LES DEBUTS DE
L’AGRANDISSEMENT
(1865)

Ernest LACAN (1828-1879)

Dès 1854, l ’opticien Charles Chevalier avait proposé un « mégascope réfracteur


achromatique » 1 pour agrandir des négatifs de petites dimensions. Mais c’est en
1859 que la question des agrandissements devient une réelle préoccupation.
Woodward, de Baltimore, présente à la Société française de photographie sa
« chambre solaire », déclenchant l ’habituel concert des « réclamations de priorité ».
En 1863, la Société française de photographie offre un prix de 3 000 F pour
favoriser l ’élaboration d ’une méthode d’agrandissement conforme à quatre impératifs :
« 1° rapidité de la pose [ ...] ; 2° absence de déformation dans l ’image [ ...];
3° finesse, égalité, netteté de l ’image [ ...] ; 4° production économique et
pratique » 12.
Ernest Lacan rend compte ici de l ’activité de Numa Blanc qui, outre son métier
de portraitiste, dirige une « imprimerie » photographique équipée d ’un agrandisseur
électrique (et non plus solaire). Blanc a su se constituer une importante
clientèle parisienne, provinciale, et même internationale. La comparaison avec les
établissements Blanquart-Evrard en 1855 (cf. jbp. 188-193) permet d ’apprécier la
transformation de la production photographique en une décennie.

« Revue photographique », Le Moniteur de la photographie. 1er déc. 1865 (n° 18), pp. 137-
138.

Parmi les portraitistes parisiens qui se sont occupés avec le plus d’ardeur et
de persévérance de la question des agrandissements, M. Numa Blanc, l’habile
photographe miniaturiste, peut être cité comme un des plus zélés. Il n’a cessé
d’étudier le côté pratique de cette importante application, et les résultats qu’il
a obtenus prouvent largement que ses travaux ont été fructueux.

1. Charles Chevalier, Guide du photographe, 1854, p. 22.


2. Bulletin de la Société française de photographie, avr. 1863, pp. 98-99.
L E T R I O M P H E D E L T X D L 's T R I E

Après avoir expérimenté les divers appareils et procédés qui se sont produits
successivement, M. Numa Blanc en est arrivé à combiner ensemble plusieurs
systèmes et à se servir exclusivement de la lumière électrique. L’avantage
qu’il y trouve est notable, car au lieu d’attendre qu’il plaise au soleil de se
montrer, ce qui est souvent une vaine attente, il peut opérer un tirage régulier
depuis l’heure la plus matinale, jusqu’à la dernière heure de la soirée. Aussi
peut-il aujourd’hui offrir à ses confrères de Paris, de la province et de
l’étranger, d’opérer pour eux le tirage des clichés qu’ils désirent amplifier.
C’est une véritable imprimerie à agrandissements qu’il vient d’organiser.
Nous venons de visiter son établissement, et nous en avons trouvé
l’installation parfaite.
Une vaste chambre a été disposée de façon à ce qu’aucune lumière extérieure
n’y puisse pénétrer. Elle renferme, avec l’appareil amplifiant et le chariot sur
lequel voyage l’écran destiné au papier sensible, les bassines, les produits
chimiques, etc. Plusieurs opérateurs peuvent y circuler aisément.
L’appareil employé, et que M. Numa Blanc nomme électro-mégascope, est,
comme nous l’avons dit, une heureuse combinaison de plusieurs systèmes. La
lampe est de Serrin, le mécanisme qui la règle est celui de Duboscq, le
système optique est celui de Woodward modifié. Les pointes de charbon ont
été perfectionnées de telle sorte que la lumière est fixe et continue. Son
intensité est telle que deux minutes suffisent pour obtenir une image complète
sur papier ioduré. Quelles que soient les objections qu’on a élevées contre le
tirage par développement, il est certain que les résultats en sont aussi excellents
que possible ; sous le double rapport de la netteté et de la vigueur, ils ne
laissent rien à désirer, et dans cette application, ce mode d’impression a
l’immense avantage de la rapidité.
VERS UNE PRODUCTION MÉCANIQUE
D’ <EFFETS ARTISTIQUES »
(1865)

A ntoine-François-Jean CLAUDET (1797-1867) ;


L e NEVE FOSTER (actif en 1856-1871)

En 1861, Ernest Lacan dénonçait les négligences techniques dont souffraient de


nombreux portraits photographiques (cf p. 374) ; cinq ans plus tard Claudel,
photographe français à Londres, renverse le propos : il déplore qu’on fasse passer
la perfection de « la manipulation » avant le « vrai caractère artistique ». Ses
regrets tiennent à la fois à des soucis commerciaux (« satisfaire le goût des classes
éclairées» et du «public») et à des choix esthétiques.
Eortement impressionné par les portraits de Julia Cameron exposés à Dublin,
Claudet observe que leur intérêt est loin de s’épuiser au premier regard (« Plus
on examine les spécimens de M me Cameron et plus on les apprécie »). Or, à l ’en
croire, techniquement ces photographies ne dépassent pas « la médiocrité ».
Conclusion : si « l ’habileté mécanique » ne peut nuire à la photographie, elle n ’est
nullement la raison suffisante d’une bonne épreuve.
- Même s ’il attribue à l ’inexpérience les flous de Julia Cameron, Claudet n ’en
tire pas moins quelques leçons. Comme La Blanchère quatre ans plus tôt (cf.
pp. 375-378), il critique « l’exactitude mathématique » et prend conscience de
l ’intérêt d’un certain brouillage comme moyen d ’ajouter de l ’ambigüité aux formes
et de rendre leur lecture plus complexe et plus personnelle. Ses références viennent
de la peinture, mais il pourrait aussi bien les trouver en musique 1 ou plus tard
chez Es premiers photographes pictorialistes.
~' Pratiquement, il fa it construire un objectif qui, par un mouvement de va-et-
vient pendant la pose, produit un léger « flou artistique ». La « théorie des
sacrifices » chère à Wey et à Le Gray se prolonge ici dans un brouillage généralisé
de l ’image. Ce que Claudet met en place, c’est un système mécanique et rationnel
de production des « effets ».

1. Delacroix cite dans son Journal (28 févr. 1851), à propos de Chopin, mort quelques mois plus tôt (oct.
1849), un article de Liszt paru dans une publication parisienne. Liszt vante chez Chopin « ce contour
flottant et indéterminé qui fait le charme de sa pensée » et « cette indécision nuageuse et estompée, qui,
en détruisant toutes les arêtes de la forme, la drape de longs plis comme de flocons brumeux ».
I.E T R I O M P H E D E I. I M ) l s .

116. Julia Margaret Cameron,


Portrait de Fanny Saint-John,
vers 1870. Tirage papier
albuminé. -
Les portraits de Julia Margaret
Cameron suscitent chez
Claudet une réflexion sur les
fonctions esthétiques du
flou, à mi-chemin entre la
« théorie des sacrifices » et le
pictorialisme.

A. Claudet et Le Neve Foster : « Exposition internationale de Dublin


(1865) », Le Moniteur de la photographie, lerfévr. 1866 (n° 22), pp. 171-172.

L’absence d’un grand nombre de photographes de réputation anglais et


étrangers se fait sentir par une certaine rareté de production déployant un
vrai caractère artistique, particulièrement dans la classe des portraits, quoiqu’il
se présente heureusement de brillantes exceptions, et nous appelons l’attention
sur ce point dans le but de faire comprendre aux photographes combien cette
condition est essentielle et que sans elle le portrait photographique ne pourra
jamais satisfaire le goût des classes éclairées et mériter l’encouragement de
ceux qui, par leur instruction et leurs études artistiques dirigent généralement
le jugement du public.
Pour les portraits photographiques, il ne s’agit pas uniquement de produire
des photocopies bien définies, claires, parfaites sous le rapport de la
manipulation, mais bien plus, de donner au modèle une pose aussi gracieuse
que le sujet le comporte sans perdre le caractère naturel ; d’arranger les
draperies avec goût, d’éviter les accessoires inutiles ou étrangers à la personne,
et enfin, d’éclairer le modèle de manière que les traits et l’expression soient
rendus avec l’effet le plus favorable.
Nous sommes particulièrement conduits à faire cette observation par suite
de l’examen de plusieurs portraits et groupes de figures exposés par
432 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1316-1871

Mme Cameron, qui, bien que comme photographies, n’étant pas au-dessus de
la médiocrité (peut-être à cause du manque d’appareils assez parfaits et d’une
expérience suffisante dans la manipulation), sont néanmoins le résultat du
travail d ’un véritable artiste. Quel est en effet le juge compétent en matière
d’art qui ne préférât ces productions, avec toutes leurs imperfections manifestes,
à plusieurs des plus parfaites photographies qu’on voit dans les expositions ?
Plus on examine les spécimens de Mme Cameron et plus on les apprécie. A
la première vue, on peut les négliger et ne pas les comprendre, mais à une
seconde et à une troisième visite, ses cadres sont ceux qui attirent le plus
l’attention. Cependant beaucoup des portraits et des groupes exposés sont
une preuve qu’une bonne manipulation peut s’allier aux qualités de l’art et
de la composition. Il n’est donc pas à dire que l’habileté mécanique et le
goût artistique ne puissent pas se prêter la main dans ce genre de production.

A. Claudet et Le Neve Foster : « Exposition internationale de Dublin


(1865) » (suite), Le Moniteur de la photographie, 1er mars 1866 (n° 24), pp. 190-192.

On ne devrait exposer que [les épreuves] qui offrent de l’intérêt sous le


rapport de l’art et de l’instruction.
Le choix du sujet est le critérium certain du sentiment et du goût du
photographe, et, en exposant des tableaux dont la vue est agréable ou
instructive, il ennoblit l’art qu’il pratique.
Le point essentiel, pour un photographe, est donc de savoir quand il a
réussi à produire un résultat satisfaisant ; mais il paraît que ce n’est pas une
affaire bien facile.
Néanmoins, on ne doit pas supposer que des artistes tels que les Bedford,
Maxwell Lyte, Mudd, England, Heath, et bien d’autres parmi les exposants
qui brillent à l’exposition de Dublin [1865], n’ont jamais échoué dans leurs
essais. Certainement non ; mais ils ont le jugement et le bon goût de n’exposer
que des tableaux remarquables par quelques-unes des qualités qui distinguent
les vraies productions de l’art. Lorsqu’on examine les spécimens envoyés par
de tels artistes, on ne peut qu’être frappé de leur excellence, reconnaître qu’ils
font le plus grand honneur à la photographie et qu’ils sont capables de l’élever
au rang des beaux-arts. La vulgarité et le mauvais goût sont les plus grands
ennemis de la photographie, et si, dans les expositions publiques, on ne réussit
pas à les expulser, ils finiront par dégrader l’art et par étouffer cette
merveilleuse découverte dont plus d’un signe déjà semblerait faire craindre
la décadence.
Les paysages, les vues représentant la mer et les nuages, les montagnes et
les vallées, les sujets d’architecture ancienne et moderne, sont un champ qui
ne peut bien être exploité que par ceux qui comprennent le beau. Le choix
I .E T R I O M P H E D E I I M j '. v l S -SS

seul du sujet, la saison et le moment du jour auquel il doit être repr-^rare


pour profiter des effets de lumière les plus favorables, tout cela exige î'-xi
exercé et le sentiment pur de vrais artistes. Dans leurs mains, la photograpcse
n’est que le moyen de fixer le tableau tout composé qu’ils n’ont fait que
choisir et qui — n’est-ce pas une création de l’art ? — représente la nature
dans quelque caractère de beauté. Pour arriver à leur but, ils doivent
nécessairement n’employer que d’excellents instruments et manipuler habile­
ment. Mais le principal mérite de leurs productions est toujours dû au choix
du sujet et à la façon dont il est rendu.

A. Claudet : « Moyen d’obtenir des portraits d’un effet harmonieux et


artistique, Mémoire lu à l’Association britannique, à Nottingham, le
23 août 1866 », Le Moniteur de la photographie, 1er oct. 1866 (n° 14), pp. 106-107.

Un portrait photographique montrant tous les pores toutes les aspérités de


la peau et ses moindres rides, pourrait-il jamais être considéré comme une
production agréable, artistique ? La trop grande exactitude de la photographie
dans la reproduction des moindres détails a toujours été regrettée, par les
artistes de goût ; dans le but de l’éviter, quelques-uns sont allés jusqu’à
suggérer qu’il conviendrait que les photographes prissent leurs portraits un
peu hors de foyer. Mais ces artistes, oubliant certaines lois de l’optique, n’ont
pas considéré qu’il est impossible de représenter toute la figure, précisément
au même degré, hors de foyer. Si, par exemple, le nez est un peu hors du foyer,
les yeux le seront davantage, les oreilles encore plus, à un tel point que
quelques parties de la figure deviendront confuses, et n’auront rien de distinct,
tandis qu’une seule se trouvera adoucie par une légère déviation du plan du
foyer exact.
Néanmoins, quoique cette méthode soit impraticable, l’idée suggérée dans
un louable esprit de progrès, méritait toute considération, et un enseignement
utile a même découlé de l’observation parfaitement juste que les portraits
photographiques, pour être agréables et artistiques, ne doivent pas trop
s’approcher de l’exactitude mathématique.
J ’ai été convaincu par moi-même de l’avantage qui, sous un point de
vue artistique, résulterait d’un moyen qui permît de faire les portraits
photographiques de telle manière qu’ils ressemblassent autant que possible à
une production d’art, dans laquelle tous les détails sont exécutés au moyen
de touches légères du pinceau ou du crayon qui expriment sans dureté le
passage des ombres à la lumière ; aussi ce sujet important a-t-il occupé depuis
longtemps ma plus sérieuse attention ; je me suis mis dès lors à la recherche
d’une méthode capable de corriger dans les portraits photographiques cette
dureté mécanique qui est due à l’action des objectifs les plus parfaits.
43+ L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871
POUR UN ESSOR DE
LA PHOTOGRAPHIE D’AMATEUR
(1865-1866)

Léon VIDAL (1833-1906) ; Ju les BOURDIN (1838-1893)

À la fin des années I860, Léon Vidal, de la Société photographique de Marseille,


se plaint d’un ralentissement des progrès en matière de technique photographique.
Il déplore notamment que, pour le négatif, le collodion sec de Taupenot (1855)
ou Russel (1861) n’ait pas supplanté le collodion humide qui « s ’oppose si
malheureusement à la propagation de l ’art du dessin par la lumière ».
Il est donc urgent de promouvoir une « voie nouvelle en photographie », d’étendre
au procédé lui-même le phénomène de diffusion déjà en vigueur pour les épreuves.
Mais pour vendre des appareils et des produits photographiques à un public plus
large que celui des professionnels et des amateurs éclairés, il faut simplifier
considérablement les opérations photographiques.
L ’accroissement du nombre des amateurs suppose donc, selon Vidal, que l ’industrie
prenne en charge les tâches techniques les plus fastidieuses : la fabrication des
surfaces sensibles (selon un procédé sec) et le tirage des épreuves (par une
« fabrique d’agrandissements »). Les options techniques de Vidal (procédés secs,
appareils de petit format, agrandissement) tendent vers une nouvelle pratique, plus
populaire, de la photographie, mais au prix d’une perte de maîtrise par l ’amateur
d’une partie des opérations. Un tel programme, qui est encore à l ’époque l ’expression
d’une utopie (un « rêve » dit Vidal), sera en partie mis en œuvre à la fin des
années 1880 par Kodak et son fameux slogan : « Appuyez sur le bouton, nous
faisons le reste »).
Une première promotion de la photographie d ’amateur est engagée de façon
concrète — c’est-à-dire dans les conditions techniques du milieu des années 1860
— avec l ’appareil Dubroni (anagramme de Bourdin, le nom de son inventeur).
Le 29 décembre 1864, Jules Bourdin, polytechnicien et fils de l ’éditeur Ernest
Bourdin, dépose le brevet définitif de son « petit appareil », « simple et portatif »,
qui « transforme la chambre noire elle-même en laboratoire ». Bien décidé à
exploiter commercialement son « ingénieuse » invention, Bourdin organise aussitôt
une importante campagne publicitaire dans la presse — L ’Illustration, Le
436 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

M oniteur de la photographie, La Lum ière, Paris Architecte, La Vie


parisienne, etc.
Cette campagne intitulée « Appareil Dubroni, Photographie de poche » renseigne
sur la destination de l ’appareil (un large public d’amateursj et les principes qui
ont présidé à sa conception. Bourdin cherche délibérément à rompre avec le caractère
minoritaire des premiers moments de la pratique d’amateur (cf. pp. 165-166) :
loin d ’être réservée à quelques esthètes privilégiés, elle doit être « ouverte maintenant
à tout le monde », à tous les « gens du monde » précise Bourdin ( U Illustration,
18 nov. 1865). Dans sa campagne publicitaire, il n ’est pas question de
démarche artistique mais de « distraction attrayante », et les amateurs d’esthétique
photographique font place aux « amateurs de villégiature » pour qui le Dubroni
est un moyen de « charmer les loisirs de la vie de château ».
La photographie d’amateur dans son acception actuelle, celle où le loisir le
dispute à l ’esthétique, prend donc naissance au milieu des années 1860, en liaison
avec un goût croissant pour le thermalisme, les loisirs, les vacances à la campagne
ou aux « bains de mer » 1, etc. Elle s ’étendra par la suite à l ’ensemble de la
société au même rythme que le « droit aux loisirs ».

Léon Vidal : « La voie nouvelle en photographie », L e M o n i t e u r d e la p h o to g r a p h ie ,


15 fevr. 1866 (n° 23), pp. 178-180 et 1er mars 1866 (n° 24), pp. 186-188.

Les procédés se suivent et ne se ressemblent, hélas ! que trop depuis quelque


temps.
La photographie pratique a atteint une limite qu’elle a de la peine à
franchir ; on dirait que l’ornière de l’habitude qui borde sa route lui oppose
un obstacle insurmontable et que, de longtemps encore, elle ne se décidera
à s’engager dans une voie nouvelle, à côtoyer le progrès de plus près.
Cette voie nouvelle, c’est l’emploi plus général des procédés secs, c’est la
fabrication purement industrielle de tous les véhicules sensibles, positifs ou
négatifs, dont l’emploi est constant dans la pratique de l’art actuel.
Jusqu’à ce jour la photographie a usé, le plus souvent, des procédés
humides, et nous voudrions voir reléguer bientôt dans les faits du passé ces

1. Cette liaison s’exprime de façon éloquente dans les colonnes de L ’Illustration du 27 mai 1865 (p. 335)
où la réclame pour l’appareil Dubroni est immédiatement précédée par un article intitulé « Les bains
d’Ems », qui commence ainsi : « Voici un soleil de mai qui va faire déserter Paris. Déjà l’on n’entend
plus parler que de départs, qui pour les châteaux, qui pour les voyages, qui pour les bains de mer ou
pour les eaux. Le Paris aristocratique, financier, intelligent, s’éloigne toujours alors que nous reviennent
les hirondelles, la province et l’étranger : c’est le chassé-croisé habituel. Si les eaux sont en vogue, toutes
du moins n’ont pas la même destinée », etc.
L E T R I O M P H E D E L 'I N D U S T R I E

méthodes si compliquées dans leur emploi pratique, et dont l’application


s’oppose si malheureusement à la propagation de l’art merveilleux du dessin
par la lumière.
Nous voudrions que la photographie, dont le secours est si utile à toutes
les branches de nos connaissances, devînt le domaine de tous ; que chacun
eût part à ses bienfaits, qu’on pût user de l’objectif comme d’un crayon,
comme d’une plume qu’on achète toute taillée et qu’on n’a plus qu’à tremper
dans une encre vendue toute prête. La reproduction facile des images de la
nature extérieure serait, tout comme l’art d ’écrire, un des puissants auxiliaires
de la pensée.
Si notre rêve se réalisait, nous verrions la photographie devenir le vade-
mecum de tous, mais il faudrait, pour que ce rêve devint réalité, qu’on parvînt
presque à faire de la photographie comme on fait de la prose, sans le savoir,
comme on écrit sans avoir besoin de connaître la composition intime de
l’encre, les procédés industriels de fabrication soit des plumes, soit du papier.
L’art photographique comprendrait alors des savants et d’ingénieux
photographes chargés d ’étudier et d’améliorer la science, des calligraphes
photographes auxquels incomberait, comme aux calligraphes de nos litho­
graphies, la mission d’appliquer avec un haut degré de perfection les procédés
indiqués par la science, et enfin le public sachant photographier comme il y
a le public sachant lire et écrire.
Pour savoir photographier, il suffirait d ’être capable de traduire par
n’importe quel procédé et à l’aide de la lumière les images de la nature
extérieure, mais sans toutes ces préparations, ces longueurs, ces insuccès sans
nombre qui sont, dans la voie du passé, l’apanage de l’amateur photographe
et du photographe de profession.

Tel est le rêve. Évidemment il ne suffit pas de former un vœu pour qu’il
soit exaucé, mais cependant nous ne croyons pas prétendre à l’impossible en
formulant le désir de voir se vulgariser à ce point la belle science de la
photographie. [...] A l’industrie maintenant le soin de s’emparer de toutes les
applications susceptibles de passer dans une pratique facile, des procédés secs,
des appareils portatifs, par exemple.
Nous ne croyons pas essentiel que tout le monde connaisse à fond la théorie
de l’art photographique, cette science approfondie n’est pas plus indispensable
à quiconque voudrait photographier, que la connaissance des règles de
grammaire ne l’est à un Français quelconque pour exprimer sa pensée dans
sa langue, à quelques incorrections près.
Il faudrait que l’industrie parvînt à rendre mécanique autant que possible
l’application d’un procédé photographique à la portée de tous ; et, pour en
donner une idée, voici comment : un tout petit appareil d ’un quart de plaque
au maximum serait l’instrument usuel ; des glaces ou papiers sensibles secs
fabriqués industriellement, toujours de la même manière, seraient à la
438 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

disposition des personnes munies d’appareils portatifs comme le sont des


cartouches de numéros déterminés à l’usage des fusils Lefaucheux.
Les glaces impressionnées et développées par chacun seraient à loisir
converties en épreuves positives sur des papiers sensibles que l’on trouverait
tout préparés aussi.
Pour avoir des épreuves agrandies à tel ou tel degré, on n’aurait qu’à
confier les petits clichés à une fabrique d’agrandissements.

A ces conditions la photographie deviendrait bien facile, comme application,


à quiconque voudrait en user, puisque l’on n’aurait guère à se préoccuper
que du temps de pose pour lequel on peut donner des règles très précises et
faciles à retenir, et du développement des clichés, opération bien simple et
qu’on apprendrait très rapidement.
Q u’importe à l’homme pratique d’en savoir davantage ? Libre à lui, si son
esprit n’est pas satisfait de procéder aussi mécaniquement, de pénétrer dans
les profondeurs de la science pure ; mais, avant tout, ce qu’il lui faut, c’est
le résultat, c’est la traduction de telle image dont il aura le souvenir à
conserver, la description à faire, la copie à transmettre ; tant mieux s’il y
arrive, comme on parvient à jouer n’importe quel air de musique en tournant
une manivelle ; le but final est tout pour le vulgaire et mille faits nous le
prouvent. [...J

Le moment est venu, selon nous, où l’industrie peut débuter dans cette
voie de vulgarisation, et il mériterait bien d’être considéré comme un
bienfaiteur public l’industriel intelligent et initiateur qui s’appliquerait à
réaliser la voie nouvelle, à mettre la photographie à la portée de tous, l’industriel
qui préparerait les plumes, l’encre et le papier de l’art photographique. [...]
Nous trouverons bientôt fastidieux au possible ce travail mécanique qui
consiste à nettoyer des glaces, à répandre sur leur surface une couche de
collodion, à sensibiliser, passer au tannin, laver, vernir, puis à recommencer
sans cesse cette série d’opérations de plus en plus décourageantes et ennuyeuses,
et dont le résultat final est d’enlever à M. A. 2 un temps précieux dont il
pourrait tirer un parti plus utile en se consacrant à ses relations, à ses travaux
professionnels. Il s’occuperait de photographie avec le même succès s’il
trouvait, toutes préparées, les glaces qu’il est obligé de fabriquer lui-même,
au sein d’une solitude absolue, d’une clarté des plus douteuses, environné
d’une atmosphère de vapeurs dont l’inhalation est des moins favorables à sa
santé.

2. Un peu plus haut dans son article, Léon Vidal a pris un exemple pour illustrer son argument : « M A.,
homme du monde, avocat distingué, occupe ses loisirs à faire de la photographie, à reproduire avec son
aide les sites qui le frappent dans ses excursions ; il emporte toujours (supposons que ce toujours soit
possible) un tout petit appareil bien léger et un certain nombre de glaces sèches et rapporte après chaque
sortie des vues ravissantes. »
L E T R IO M P H E DE L T N D L S T fc li * 2 *

Les clichés obtenus, tout n’est pas fini : des papiers positifs doivent êtr-
préparés jusqu’au moment du tirage des épreuves ; nouvelle fabrication a
laquelle un temps quelquefois assez long doit être consacré. Ne vaudraii-û
pas mieux que des papiers sensibles, inaltérables dans l’obscurité, fussent mis
par l’industrie à la disposition de notre amateur pour lequel la photographie
deviendrait alors un véritable délassement au lieu d’être pour lui un travail
fatigant, une cause de perte de temps, de négligence de ses affaires, et tout
cela pour en venir souvent à un complet abandon. [...]
N’avons-nous pas raison de plaider la cause des amateurs en nous efforçant
d’amener l’industrie à leur aide pour les dégager des travaux de pure
fabrication auxquels ils sont obligés de se livrer aujourd’hui au prix de tant
de temps et de dégoût ?
Ce que nous demandons, c’est qu’il se crée en France une industrie ayant
pour objet la fabrication des glaces sèches pa- un procédé normal, constant,
ayant fait ses preuves. Ce procédé existe, mais il ne manque plus que
l’industriel. [...]
Nous n’exigeons pas que cette usine de glaces sensibles se mette d’abord
sur le pied de préparer des glaces de toutes les dimensions, il suffirait d’une
seule, du quart de plaque pourvu que simultanément on mît en fabrication
l’appareil portatif aussi léger que possible, destiné à impressionner ces glaces.
L’appareil Dubroni jouit d’une certaine vogue, mais cet appareil, basé sur
l’emploi de réactifs liquides au moment de l’opération, ne peut avoir sa place
marquée dans les horizons de la photographie nouvelle. Combien grande au
contraire serait la vogue d’un petit appareil du genre de celui que nous
indiquons, accompagné d’un petit manuel explicatif en quatre pages, contenant
la manière de s’en servir et pour lequel on trouverait chez tous les depositaires
d’objets photographiques des glaces sensibles toutes préparées !
— La photographie alors passerait dans toutes les mains ; les dames que
rebutent aujourd’hui tant de manipulations salissantes, ne redouteraient plus
d’emporter dans leurs nécessaires de voyage l’instrument pratique dont
l’emploi leur serait si facile, et de cette généralisation du dessin par la lumière,
il ne pourrait que résulter une marche plus rapide vers les perfectionnements
de la science photographique. En effet, plus il y aura de gens usant de
l’objectif et plus grand sera le nombre des chercheurs.
Parmi nos savants illustres, nos artistes de premier ordre, il n’en est pas
encore qui aient pu s’occuper de photographie, tant cette science leur a été
présentée jusqu’à ce jour sous un aspect défavorable ; mais certainement il
n’en serait plus ainsi dès que tout se résumerait dans une simple opération
mécanique et il y a lieu de croire que ceux des hommes de génie qui
s’engageraient d’abord dans cette voie, parce qu’elle leur paraîtrait commode
et prompte, ne tarderaient pas à s’en occuper à un point de vue, soit plus
pratique encore, soit plus abstrait, et à signaler de nouveaux perfectionnements
dont l’industrie aurait à tirer parti aussitôt au profit de ses vues de
vulgarisation.
440 I.A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

PH O TO G R A PH IE DE POCHE
APPAREIL DUBRONI.

APPAREIL SANS la b o r a t o ire .

Les procédés destinés à propager la photographie s\


rirhissent; chaîne jour d'une conquête nouvelle.
On vient d'inventer un appareil sans la b o ra to ire, sim
portatif et des plus ingénieux, qui se présente muni >■
tous ses accessoires et renfermé dans un charmant i
eessaire. Cela s'appelle i A p p a r e il D ubroni ou P hotogra•
de Poche. Au moyen de ce petit appareil, qui permet c
parer sûrement et sans le secours d'aucune substai
t -xique» toute personne ignorant même les principes
la photographie, arrivera en peu de jours, pourvu que •
«■tfl adroite et soigneuse, à obtenir d’excellentes épreu’
117. 4 publicités
Appareil Dubrom
p o rtia its ou vue* , dans un salon ou en plein air, coinin'
Photographie de poche » celles des meilleurs photographes.
parues dans l'Illustration
successivement les 25
io francs l'appareil complet. — Dépôt central à Par
mars, 27 mai, 1“r juil et 14 tj, rue J Ieoh, au Comptoir géographique.
août 1865. Gravures sur
bois. _________________________________________________ -
LE TRIOM PHE DE I.’INDUSTRIE

APPAREIL DUBRONI correspondants l’apparition de eet appareil,


PHOTOCRAPIIIK DF POCHE que tout le monde s'accorde à trouver
ingénieux. Quelle distraction attrayante, en
L ingénieux Appareil Dubroni, dit Photo­ effet, est offerte aux personnes qui liassent
graphie de poche, dont nous avons déjà quelques jours à la campagne : elles peuvent
entretenu nos lecteurs, a molivé de nouvelles en rapporter les jolis paysages qu’elles auront
demandes de renseignements dans nos vus.
bureaux. Nous donnons ici quelques explica­ I.’appareil, dans sa boîte de peintre, est
tions qui serviront de réponse à nos corres­ accompagné d’un Guide illustré qu il suffit
pondants. I .'appareil Dubroni esl le plus de suivcSJà la lettre. On est certain de réussir
portatil et le plus économique de tous sans beaucoup de peine. On obtient, en
les objectifs photographiques perfectionnés raison de la saison où nous sommes, des
jusqu à ce jour. C’est une chambre en verre vues instantanées.
'aune, dans laquelle on introduit les bains En général, d’après les expériences faites,
photographiques au moyen de pipettes en il suffit d’ouvrir et de fermer, pour le
caoutchouc très faciles à manier, mais l’in­ paysage : quant aux portraits faits dans un
venteur ne garantit (pie les substances qu’il jardin, il faut cinq à six secondes.
prépare lui-même ; à l’aide de ses produits, L appareil Dubroni. boîte complète. -FO F.
qui ne contiennent aucun élément toxique, — Caisse d approvisionnement, pour renou­
on ne peut manquer d’opérer sûrement. Avec veler les produits de l’appareil trois fois.
l’appareil Dubroni. on ne risque pas de se 10 F. — S adresser au Comptoir géographi­
tacher les doigts ; on peut opérer en pleine que 6 rue Jacob. Paris — Envois contre
lumière, en tous lieux, dans un salon, dans remboursement ou mandat sur la poste.
un jardin, etc., et sans aucune espèce de D après le même principe, on a construit
laboratoire. Aussi, nos amateurs de villégia­ un grand appareil avec tous ses accessoires.
ture. avant leurs départs successifs pour la Prix : 200 F.
campagne, se sont-ils munis, par prévoyance
et pour charmer les loisirs de la vie de
château, d’una caisse d’approvisionnements : APPAREIL DUBRONI
aucun d eux n ’a été arrêté dans ses expérien­ PHOTOGRAPHIE DE POCHE
ces. et l’on nous a communiqué déjà de
ravissants paysages saisis au inoven de L Appareil Dubroni. dont nous avons parlé
cet appareil, avec les facilités d operations souvent à nos lecteurs, tient tout ce qu’il
indiquées dans le Guide illustré. — L’appa­ promet, et afin d’aider les premiers essais
reil. son nécessaire, ses accessoires et son de ce charmant appareil, une nouvelle ins­
approvisionnement de produits ne coûtent truction. revue par M. Bisson, vient d’être
que 40 F. renfermés dans une charmante placée dans chaque boîte. — La science
boîte de peintre. — Dépôt central, à Paris, photographique est une porte ouverte main­
au Comptoir géographique. 6. rue Jacob. tenant à tout le monde. Plus de mystère ;
dans un salon, chacun peut faire des
portraits, en plaçant la personne près d une
fenêtre. Par ces temps d automne, les paysa­
APPAREIL DUBRONI ges photographiques donnent des résultats
PHOTOGRAPHIE DE POCHE
très artistiques.
L’Appareil Dubroni de 40 F, et la caisse
Nous sommes heureux de voir le succès de produits, 10 F', qu’on expédie dans tous
tous les jours croissant de l’appareil Dubroni. les pays du monde, se vendent à Paris, b. rue
car nous avons des premiers indiqué à nos Jacob, au Comptoir géographique.
LA PHOTOGRAPHIE SCIENTIFIQUE :
UNE PERSPECTIVE D’AVENIR
(1862-1869)

G uillaum e B enjam in D U C H E N N E de BOULOGNE (1806-1875) ;


H ervé-A u guste Faye (1814-1902) ; C harles SAINTE-CLAIRE
DEVILLE (1814-1876) ; A im é G IRARD (1830-1898) ;
A. H ardy et A. d e Montméja ; D r Ozanam

La photographie qui est « fille de la science et de l ’art » a, disait-on, partie liée


avec l ’une et l ’autre. Les faits ont montré qu’avec l ’art cela n ’allait pas de soi,
la prudence s ’impose également quant à la place effective de la photographie dans
le domaine scientifique avant 1871.
Si les prédictions d’Arago ont d ’emblée (en 1840) trouvé un écho dans le
domaine de la microscopie avec Alfred Donné et Léon Foucault (cf. pp. 73-76),
la photographie ne pénètre que lentement dans le laboratoire du savant, en tout
cas beaucoup plus modestement que pourraient le laisser croire nombre de propos
de l ’époque pour lesquels la science associée à l ’art et à l ’industrie constituent, la
photographie aidant, le socle du progrès.
Entre 1852 et 1856, le D ’ Duchenne de Boulogne cherche à lire sur les corps
les « signes du langage muet de l ’âme » en soumettant les muscles du visage de
ses patients à des impulsions électriques. Les résultats sont selon lui « tellement
inattendus ou en opposition avec certains préjugés » qu’il a besoin d’en produire
des témoignages irrécusables : c’est à « la photographie, aussi fidèle que le miroir »
qu’il fa it appel en prenant bien soin de bannir toute retouche pour « ne laisser
aucun doute sur l ’exactitude des faits ». Son M écanisme de la physionomie
hum aine ou Analyse électro-physiologique de l’expression des passions,
publié en 1862, s’accompagne d’un atlas de planches composées chacune de seize
photographies qui, numérotées, servent de support à son propos et constituent un
véritable tableau synoptique de l ’expression des passions : l ’agression, la douleur,
la joie, la tristesse, la bienveillance, etc.
Combiné à d ’autres systèmes optiques — le microscope et la lunette astronomique
— , l ’appareil photographique est également associé à l ’exploration des mondes
invisibles et infinis. Les travaux au « microscope-daguerréotype » de Foucault et
Donné sont poursuivis par Auguste Bertsch 1 et par l ’opticien Jules Duboscq qui,
au tout début de 1857, se sert d ’un « microscope photo-électrique », tire ses épreuves
sur verre et les projette dans un amphithéâtre de la Faculté des sciences à l ’aide
I . F. T R I O M P H E D E I IN I

118. L ouis R o u s s e a u , A chille D e v éria, « I n s e c t e s . O rd re d e s


c o l é o p tè r e s . F am ille d e s lo n g ic o rn e s », P h o to g ra p h ie z o o lo g iq u e
pl. 3, 1 8 5 3 . H é lio g ra v u re . -
C la s s e r, in v e n to rie r, r a s s e m b le r s o u s fo r m e d e c o lle c tio n s , e t
d iffu s e r, s o n t d e s p r é o c c u p a tio n s m a j e u r e s d u xix® s iè c le qui s e
m a n i f e s te n t d a n s le p h é n o m è n e n o u v e a u d e s e x p o s itio n s
u n iv e rs e lle s , l 'e s s o r d e s m u s é e s d ’h is to ir e n a tu re lle , e t le s
n o m b re u x p ro je ts e n c y c lo p é d iq u e s a u x q u e ls la p h o to g ra p h ie
v ie n t d o n n e r u n n o u v e l é la n , s a n s v ra im e n t p o u v o ir
te c h n iq u e m e n t le s s a tis fa ir e . Il fa u d ra a t t e n d r e la m is e a u p o in t
d e s p r o c é d é s p h o t o m é c a n i q u e s Icf. s u p ra , p. 3 1 1 ).

d ’un projecteur électrique 12. D ’autre part, la photographie est largement mêlée aux
recherches astronomiques. Le 13 octobre 1856, Auguste Bertsch et Camille d’Arnaud
photographient l ’éclipse de la lune à l ’aide d’une lunette de Porro. «Après avoir
appliqué la photographie d ’une manière que je crois utile à l ’étude des infiniment
petits, déclare Bertsch à la S.F.P., [j’ai voulu] montrer, par des expériences
sérieuses, que notre science peut aussi rendre de vrais services dans l ’étude des
infiniment grands » 3. Chacune des éclipses du soleil ou de la lune sera donc
l ’occasion d ’une expérimentation nouvelle en vue de « substituer à l ’œil de l ’observateur
une plaque photographique », de promouvoir « l ’observation automatique / contre]
l ’ancienne méthode basée sur nos sens ».
Les sens, les sentiments et l ’individualité si chers aux « photographes artistes »,
sont précisément ce que rejettent les hommes de science. A moins que la frontière
entre l ’art et la science ne soit pas si radicale, comme tendrait à le prouver
Duchenne de Boulogne qui s ’adresse à la communauté scientifique et aux artistes,
qui invoque la physiologie en même temps que Rembrandt et Ribera, et qui divise
son ouvrage en une partie scientifique et une partie esthétique, l ’une et l ’autre
« réunissant, autant que possible, l ’ensemble des conditions qui constituent le beau,
au point de vue plastique ».

1. Il présente le 10 août 1857 à l'Académie des sciences des épreuves au collodion de cristaux de salicine
en lumière polarisée, une « diatomée du guano obtenue avec un grossissement de 500 diamètres »> et une
navicuie [algue brune] « grossie de 800 diamètres ».
2. «Assemblée générale de la Société». Bulletin de la Société française de photographie, mars 1857. pp. 63-64.
3. «Assemblée générale de la Société». Bulletin de la Société française de photographie, nov. 1856. p. 304.
4 44 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

Cette imbrication de l ’art et de la science assez caractéristique du XIXe siècle


se retrouve dans les photographies de montagne d’Aimé Civiale. Au premier abord
certaines d’entre elles pourraient passer pour des vues pittoresques, comparables à
celles de Bisson, Soulier ou Braun. Mais Civiale ne produit pas de « paysage »,
son « point de vue, scientifique, est tout autre » : il s’adresse au géographe, au
géologue et au météorologiste avec le souci de leur offrir des images « au-dessus
de toute controverse et indépendantes de toute idée préconçue ou de toute erreur
personnelle ». Alors que l ’artiste n’obéit qu’à sa fantaisie, Civiale s ’astreint à des
procédures rigoureuses : il combine les vues de détail et les panoramas (certains
atteignent 4 m de long), calcule les déplacements relatifs du soleil et de sa caméra,
respecte des conditions précises d ’altitude, ajuste «parfaitement» l ’horizontalité
de son axe optique et ne laisse aucune lacune dans les ensembles qu’il figure.
Enfin, et c’est un des traits distinctifs de la photographie scientifique, ses images
s ’accompagnent d’une série de mesures, de prélèvements (géologiques) et de notations
extra-photographiques. Alors que la photographie artistique de paysage est de
l ’ordre de la fantaisie, de la rencontre fortuite et toujours exceptionnelle, la
démarche scientifique de Civiale relève du système, de l ’ordre et de la règle. Si
la première n ’a d’autre finalité que de satisfaire le regard, la sienne s ’inscrit dans
un processus qui la dépasse mais qu’elle vient servir.
C’est bien le cas aussi chez le colonel Laussedat qui utilise la photographie
pour le levé de plans et l ’établissement de cartes. Comparée au dessin et à la
chambre claire qu’il emploie d’abord, la photographie apporte à sa méthode une
facilité et une efficacité nouvelles : soixante heures sur le terrain et deux mois « en
cabinet » suffisent là où deux ans de travail auraient été nécessaires.
Attester, faciliter les démonstrations, l ’enseignement et le travail du savant,
renouveler radicalement l ’imagerie scientifique, ouvrir de nouvelles perspectives à
la recherche et en diffuser largement les résultats, voilà ce que la photographie
peut apporter à la science.
Pourtant, avant 1871, les liens entre la photographie et la science sont encore
ténus. Sans conteste à cause de certaines pesanteurs du milieu scientifique, mais
aussi à cause de la photographie elle-même, de ses difficultés à mettre en œuvre
toute ses potentialités. Aussi les comptes rendus consacrés à ses usages scientifiques
s ’écrivent-ils plus au futur qu’au passé ou au présent, plus en termes d ’essais que
de pratiques effectives.
Toutefois, à la fin des années I860, deux initiatives tracent de nouvelles
perspectives : la publication par Hardy et Montméja de la Clinique photographi­
que de l’hôpital Saint-Louis et l ’expérience du D r Ozanam.
Pour remplacer les planches médicales traditionnelles à la fois chères et inexactes,
le D r Hardy qui connaît l ’importance de la « vue » dans la pratique clinique,
demande à son élève Montméja d’établir un répertoire « exact » des maladies de
L E T R I O M P H E D E L ’Ï N D l S T V I î

la peau. Soucieux de « mettre à la portée de tout le monde un moyen nouztam


d’étudier et de connaître », c’est-à-dire des « planches qui représentent la nature
prise sur le fa it », il lui conseille d ’apprendre et d’utiliser la photographie qui.
faute de procédé en couleurs, sera peinte à la main. Dès 1869, le « plein succès ■■
de cette initiative conduira à la création de la Revue photographique des
H ôpitaux de Paris par Montméja et Rengade et à la « construction à l ’hôpital
Saint-Louis d ’un magnifique atelier de photographie, qui sera le rendez-vous de
ce que la pathologie a de plus intéressant et de plus rare ». Ainsi s ’amorcent les
futures publications médicales illustrées par la photographie, en particulier la
fameuse Iconographie photographique de la Salpêtrière à partir de 1876.
Le D r Ozanam est lui aussi un précurseur : il est le premier à utiliser la
photographie pour ses capacités à enregistrer, plutôt qu’à représenter (pour employer
le vocabulaire sémiologique de Charles S. Peirce, sa pratique procède de l ’« index »
et non de V« icône»), Ozanam sort la photographie du pur registre visuel : il
ne lui demande pas de montrer un objet, mais de traduire visuellement un phénomène
tactile — les battements du cœur et du pouls. Passage du tactile au visuel que
son appareil a précisément pour fonction d ’opérer. Ozanam n’ignore certes pas
Marey 4 : il le cite, précise ses conclusions, et surtout le précède de plus de dix
ans dans l ’utilisation de la photographie. Avec Ozanam, pour la première fois,
la photographie n’est plus considérée comme un dessin plus que parfait, mais
comme un système enregistreur susceptible de s ’intégrer dans des appareillages, des
dispositifs d’expérimentation, des inducteurs d’un savoir scientifique nouveau.

4 Étienne-Jules Marey, Physiologie médicale de la circulation du sang, basée sur Vétude des mouvements du cœur et
du pouls artériel, avec application aux maladies de Vappareil circulatoire, Paris, 1863, 568 pp., 235 fig.
446 L A P H O T O G R A P H I L EN1 F R A N C E 1816-1871

Guillaume Duchenne de Boulogne : « Avertissement » , Mécanisme de la


physionomie humaine ou Analyse électro-physiologique de l ’expression des passions applicable à la pratique
des actes plastiques, 1862, pp. V -X I.

Les faits mis en lumière par mes recherches électro-physiologiques, sur le


mécanisme de la physionomie humaine ont une si grande importance ; ils
sont en général tellement inattendus, ou en opposition avec certains préjugés
et l’opinion générale, que la démonstration expérimentale seule peut les faire
accepter dans la science.
La photographie, aussi fidèle que le miroir, va permettre aux lecteurs
d ’assister, pour ainsi dire, à mes expériences électro-physiologiques, et de
juger la valeur des déductions que j ’en ai tirées.
Dès 1852, convaincu de l’impossibilité de vulgariser et même de publier
ces recherches sans l’aide de la photographie, je me suis adressé à des artistes
de talent. Ces premiers essais n’ont pas réussi et ne pouvaient réussir. En
photographie, comme en peinture ou en sculpture, on ne rend bien que ce
que l’on sent bien. L’art ne réside pas seulement dans une habitude de
manipulation. Pour ce qui a trait à mes recherches, il faut, au moyen d’une
sage distribution de la lumière, savoir mettre en relief telle ou telle ligne
expressive. C’est ce que ne pouvait faire seul l’artiste le plus habile ; il ne
comprenait pas les faits physiologiques à démontrer.
J ’ai dû, en conséquence, m’initier dans l’art de la photographie.
J ’ai photographié moi-même la plupart des figures ou présidé à leur
exécution 5, et, afin de ne laisser aucun doute sur l’exactitude des faits qu’elles
représentent, j ’ai voulu que l’on n’y fît aucune retouche.
Si, au point de vue photographique, elles laissent quelquefois à désirer, on
me tiendra compte, j ’espère, des difficultés que présente ce genre d’opérations.
Je vais en signaler la principale.
Bien que mon appareil d’induction soit d ’une grande précision et approprié
à ces expériences électro-physiologiques, il est cependant impossible de
maintenir longtemps au même degré de contraction le muscle, dont l’irritabilité,
après quelques secondes d’action continue, semble s’affaiblir sous l’influence
d’un courant à intermittences très rapprochées. De là vient la nécessité de
photographier rapidement les expressions produites par l’expérimentation
électro-physiologique.
Or, à l’époque où la plupart de mes clichés ont été obtenus (de 1852 à
1856), les appareils photographiques en usage étaient moins perfectionnés
qu’aujourd’hui. J ’ai dû me servir alors d’objectifs allemands, qui seuls
pouvaient opérer avec assez de rapidité. Malheureusement ces appareils

5. « M. Adrien Tournachon, photographe dont tout le monde connaît l’habileté, a bien voulu me prêter
le concours de son talent dans l’exécution de quelques clichés. » [Note de Duchenne]
L E T R I O M P H E D E L IN

119. G u illau m e D u c h e n n e d e B o u lo g n e e t A d rie n T o u m a c h o n , P o rtra it d e D u c h e n n e d e B o u lo g n e , 1 8 5 2 -1 8 5 6 . T ira g e p a p ie r a lb u m in e


P o u r p r é s e n t e r s a m é t h o d e d e trav a il, D u c h e n n e jo in t à s o n o u v ra g e M é c a n is m e d e la p h y s io n o m ie h u m a in e 0 862
u n e v u e qui le m o n tr e e n tra in d ’a p p o s e r s u r le v is a g e d 'u n p a tie n t s e s « r h é o p h o r e s »
(é le c tro d e s ) re lié s à u n e « m a c h in e d 'in d u c tio n » (un g é n é r a t e u r é le c triq u e ).
HH L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E I8 U >-I8 7!

1 20. G u illa u m e D u c h e n n e d e B o u lo g n e e t A d rie n T o u rn a c h o n . M é c a n is m e d e la p h y s io n o m ie h u m a in e (18621, pt. n ° 7 ,


1 8 5 2 -1 8 5 6 . S e iz e t r a g e s p a p ie r a lb u m in é . -
C o m m e s o u v e n t a u xixe s iè c le , l'o u v ra g e d u D 'D u c h e n n e s 'a d r e s s e à la fo is à la c o m m u n a u t é s c ie n tifiq u e e t a u x a r ti s t e s
il s e c o m p o s e d 'u n e p a rtie s c ie n tifiq u e e t d u n e p â l i e e s t h é t i q u e , ta n d is q u e ses p la n c h e s
p h o to g r a p h iq u e s c o n f r o n te n t d e s r e le v é s d 'e x p é r i e n c e s à d e s œ u v r e s d e la s ta tu a ire .
LE T R IO M P H E DE l / I N D l > 7 R : i ^

produisaient des déformations légères, et manquaient tellement de profondeur,


que si, par exemple, l’œil était mis au point, le nez et l’oreille n'y étaient
plus. Il en est résulté souvent que, s’il me fallait mettre en relief certains
traits expressifs et les montrer avec netteté, j ’étais forcé de sacrifier les autres,
qui, en termes de photographie, étaient flous ; ou bien si, dans le but d’obtenir
plus d’ensemble, je prenais un point intermédiaire, aucun trait de l’image
photographique ne se voyait nettement.
Avec les appareils que nous possédons aujourd’hui, il me serait facile
d’éviter ces légères déformations s. Mais ce serait grand dommage cjue ces
photographies fussent sacrifiées, pour quelques imperfections ; car elles
présentent toutes un intérêt scientifique et artistique.
En effet, ces imperfections photographiques ne nuisent pas à la vérité et
à la netteté des lignes expressives.
De plus, on remarquera qu’en général la distribution de la lumière est
parfaitement harmonisée avec les passions que ces lignes expressives représen­
tent. Ainsi les figures qui peignent les passions sombres, concentriques :
l’agression, la méchanceté, la souffrance, la douleur, la frayeur, la torture
mêlée d’effroi, gagnent singulièrement en énergie, sous l’influence du clair-
obscur ; elles rappellent la manière de Rembrandt. D autres figures tirées en
plein soleil, la pose devant être très courte, offrent cependant des détails fins,
des ombres bien fouillées ; ce sont encore des clairs-obscurs, mais à la manière
de Ribera. On trouvera enfin quelques photographies très lumineuses, éclairées
d’une manière générale : ce sont surtout celles qui peignent l’étonnement,
l’ébahissement, l’admiration, la gaieté.
Toutes les figures de l’Album sont assez grandes pour que l’on voie très
distinctement les lignes expressives : elles sont d’un quart environ de la
grandeur naturelle.
Comme ces détails échappent à une certaine distance, j ’ai pensé qu’il était
utile, surtout pour l’enseignement, de grandir les têtes qui peuvent servir à
la démonstration des principes fondamentaux de la doctrine physionomique
que j ’ai à établir. Ces têtes, grandes à peu près comme nature, sont au
nombre de cinquante 1.
L’Album complet se compose de soixante-douze figures photographiées.
Elles sont consacrées à l’étude expérimentale des muscles de l’attention (le
frontal), de la réflexion (Yorbiculaire palpébral supérieur), de l’agression (le
pyramidal), de la douleur (le sourcilier), de la joie (le grand zygomatique), de la
bienveillance {Yorbiculaire palpébral inférieur), du mépris (les palpébraux), de la
lasciveté (le transverse du nez), de la tristesse (le triangulaire des lèvres), du pleurer

6. « J ’opère avec un objectif de M. Dérosier, à court foyer, extrêmement rapide et d ’une grande
profondeur. » [Note de Duchenne]
7. « De 1856 à 1857, j ’ai obtenu par transparence ces clichés négatifs, d ’après des positifs intermédiaires
grossis, qui eux-mêmes avaient été faits sur mes négatifs primitifs d ’un quart de nature. Je ne sache pas
que ce genre de photographie ait été fait avant moi. » [Note de Duchenne]
+50 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

(le petit zygomatique et Yélévateur propre de la lèvre supérieure), du pleurnicher


(Yélévateur commun de l’aile du nez et de la lèvre supérieure), enfin des muscles
complémentaires de la surprise ou de l’étonnement (les abaisseurs de la lèvre
inférieure), et complémentaire de la frayeur, de l’effroi (le peaucier). [...]

Explication de la légende
L’individu que j ’ai choisi comme sujet principal des expériences représentées
par la photographie dans cet album, est un vieillard édenté, à la face maigre,
dont les traits, sans être absolument laids, approchent de la trivialité, dont
la physionomie est en parfaite concordance avec son caractère inoffensif et
son intelligence assez bornée.
Voici les raisons qui ont déterminé ce choix :
1° Dans la vieillesse, on voit, sous l’influence des contractions musculaires,
se dessiner toutes les lignes expressives de la face (les lignes fondamentales
et secondaires).
2° La maigreur de mon sujet favorise le développement de ces lignes
expressives, et facilite en même temps l’électrisation partielle des muscles de
la face.
3° A cette figure triviale je n’ai pas préféré des traits nobles et beaux. Ce
n’est pas que l’on doive représenter la nature dans ses imperfections, pour
la représenter exactement ; j ’ai voulu seulement démontrer qu’en l’absence de
beauté plastique, malgré les défauts de la forme, toute figure humaine peut
devenir moralement belle, par la peinture fidèle des émotions de l’âme. On
verra que l’on arrive à ce résultat en excitant partiellement les organes
moteurs de la face dont la principale fonction est de peindre nos passions.
4° Enfin, cet homme présentait une condition très favorable que je n’ai pas
rencontrée chez d’autres sujets. Il est peu de personnes qui consentent à se
soumettre à ce genre d’expériences, parce que, sans être très douloureuse,
l’électrisation des muscles de la face provoque souvent des mouvements
involontaires, la contorsion des traits du visage. Ce sujet, lui, était peu
sensible. Il était atteint d’une affection compliquée d’anesthésie de la face 8.
Je pouvais expérimenter sur cette région sans qu’il en éprouvât de la douleur,
au point que je faisais contracter partiellement ses muscles avec autant de
précision et de sûreté que sur le cadavre encore irritable. [...]
Malgré ces conditions désavantageuses, et quoique la présence des rhéopho-
res 9 et des mains qui les tiennent, nuise à l’effet de mes figures, les expressions
artificielles que j ’ai photographiées n’en sont pas moins saisissantes de vérité.
[...] Les moteurs du sourcil sont, de tous les muscles expressifs, ceux qui

8. « II était affecté d ’un spasme des muscles rotateurs droits de la tête, spasme qui se montrait seulement
alors qu’il voulait travailler de son état de cordonnier (j’ai décrit cette maladie sous le nom de spasme
musculaire fonctionnel). Je Ten ai guéri par l’électrisation des muscles antagonistes. » [Note de Duchenne]
9. « Rhéophore. Vieux. Se disait du fil conducteur d ’un courant électrique», Diet. Le Robert, t. VI.
LE TRIOMPHE DE L'INDI ÎTI l

obéissent le moins à la volonté ; en général, l’émotion de l’âme seule a -■


pouvoir de les mettre partiellement en mouvement. Or, on le sait, le vieil!
dont il a été question plus haut est trop peu intelligent ou trop pt j
impressionnable pour rendre lui-même les expressions que je produis artificielle­
ment sur sa face.

Hervé-Auguste Faye : « Sur l’emploi de la photographie dans les


observations astronomiques » , Comptes rendus hebdomadaires des séances de l ’Académie des
sciences, 1864, pp. 75-78.

J ’ai entretenu plusieurs fois l’Académie des erreurs singulières, dépendant de


l’individualité de l’observateur, qui affectent la détermination astronomique
de l’heure, et j ’ai montré que si ces erreurs vicient les observations au point
de rendre jusqu’à un certain point illusoire la haute précision qu’on leur
attribue, il existe un moyen radical de les faire disparaître en supprimant
l’observateur et en substituant à nos sens l’emploi simultané de deux grandes
découvertes de notre époque, la photographie et la télégraphie électrique. [...]

121. Auguste Bertsch et Camille d'Arnaud,


La Lune pendant ïéclipse du 13 octobre
1856. Tirage papier albuminé. -
Les photographes ont très tôt été attirés
par les extrêmes : l'infiniment petit avec
les daguerréotypes au microscope de Léon
Foucault et l'infiniment grand avec les
tentatives nombreuses de photographier la
Lune, les astres, le ciel. Si Bertsch et
Arnaud avaient déjà, en 1856, réussi à
photographier une éclipse de la Lune à l'aide
d'une lunette de Porro (ci-contre), Faye
préconise en 1864 d'associer la photographie
et l'électricité (les techniques les plus
modernes de l'époque) pour les
observations astronomiques, comme l'avait
déjà fait Duchenne de Boulogne pour ses
travaux sur la physionomie.
452 LA PHOTOGRAPHIE KN FRANCE 1816-1871

Je demande maintenant aux astronomes s’il ne vaut pas mieux supprimer la


machine humaine, dont les imperfections nous sont révélées d ’une manière si
frappante, et dont les résultats varient non seulement avec les années, mais
aussi, d’un instant à l’autre, avec les troubles momentanés de la digestion,
de la circulation du sang ou de la fatigue nerveuse.
La possibilité de supprimer l’observateur a été pleinement démontrée à
Paris, il y a quelques années, par des expériences que M. Porro a bien voulu
faire, d ’après mes idées, dans ses ateliers, avec le concours de MM. H. Robert,
Digney frères et Quinet. Le procédé, qui est d’une simplicité extrême quand
il s’agit du Soleil, devient plus délicat, mais non impraticable, lorsqu’on veut
l’appliquer aux étoiles. Il consiste à substituer à l’œil de l’observateur une
plaque photographique, et à enregistrer électriquement l’instant où la lumière
est admise dans la chambre noire appliquée à la lunette méridienne. Nous
avons ainsi obtenu, en vingt secondes, dix observations du Soleil. Quand je
dis nous avons obtenu, il serait plus exact de dire que nous avons regardé faire
un astronome improvisé, un enfant qui était tout simplement chargé de tirer
une planchette et de lâcher une détente, besogne que nous aurions pu faire
exécuter par une machine. Si les astronomes, qui ont déjà adopté séparément
ces deux puissants moyens d’observation, finissent, comme je l’espère, par en
adopter aussi la combinaison plus puissante encore, je désire que l’Académie
veuille bien se rappeler que j ’ai eu l’honneur de lui présenter, il y a cinq ou
six ans, la première observation effective 10 d’éclipse complètement enregistrée
à l’aide de cette combinaison de l’électricité et de la photographie, et la
première observation méridienne du Soleil indépendante des sens et du cerveau
humain.
En examinant hier le négatif de cette curieuse observation que je conserve
avec soin, j ’ai remarqué certains défauts que je n’avais pas notés autrefois.
En y regardant de plus près, j ’ai reconnu que ces défauts étaient inhérents
non pas à l’épreuve, mais au Soleil lui-même ; ce sont, en effet, des taches
solaires qui sont venues s’inscrire d’elles-mêmes en même temps que les bords
du disque sur lesquels doit porter l’attention de l’observateur. Voilà donc une
observation automatique qui donne avec une grande exactitude non seulement
la situation de l’astre à l’instant du midi vrai, mais encore celle de ses taches,
dont l’étude a pris une si grande importance dans ces derniers temps. Voilà
un nouvel exemple de la supériorité de l’observation automatique sur l’ancienne
méthode basée sur nos sens : en thèse générale, on ne voit que les choses qui
intéressent à l’instant de l’observation : le reste échappe presque toujours à
l’attention non prévenue. L’observation automatique, au contraire, enregistre
tout, ce que l’on cherche actuellement et ce que l’on cherchera plus tard.
On m’a objecté et l’on m’opposera encore la complication que ce système
introduirait dans la pratique journalière des observatoires ; à cela je réponds
10. « J'entends par là les clichés obtenus sur une grande échelle, avec les indications nécessaires pour
rapporter les mesures aux cercles célestes. » [Note de Faye]
LE TRIOMPHE DE LTNDL STRIE

qu’il a fallu payer du même prix chaque accroissement de précision dans les
mesures célestes, en sorte qu’un observatoire du X IX e siècle diffère encore plus
des premiers observatoires que l’outillage de nos filatures ne diffère de l’ancien
rouet. On fera moins d ’observations, mais elles seront plus dignes de foi. Un
exemple récent a montré aux astronomes combien il est dangereux de se fier
à l’apparence de l’exactitude : il est bien établi aujourd’hui que la distance
de la Terre au Soleil, acceptée hier par tous les astronomes comme une
donnée définitive, était en erreur de plus d’un trentième de sa valeur. On
devra s’attendre à de nouveaux mécomptes de ce genre tant qu’on laissera
subsister dans le domaine de l’observation des causes d’erreurs qui échappent
à toute analyse, comme la cause physiologique dont je viens d’entretenir
l’Académie.

Charles Sainte-Claire Deville : « Rapport relatif à des études photo­


graphiques sur les Alpes, faites au point de vue de l’orographie et de
la géographie physique par M. Aimé Civiale », Comptes rendus des séances de
l’Académie des sciences, t. LXII, 16 avr. 1866, pp. 873-881.

Lorsqu’il s’agit de reproduire par l’imitation une scène ou un objet naturels,


on peut se placer à deux points de vue sinon opposés, au moins entièrement
différents : le point de vue de l’art et celui de la science.
Le premier, aussi bien dans les phénomènes de l’ordre intellectuel que dans
ceux de l’ordre physique, implique à un certain degré l’intervention d’une
personnalité, et c’est ce qui fait même en partie le charme ou le mérite de
l’œuvre. Il arrivera aussi rarement que l’imitation absolument exacte ou
photographique d’une contrée étendue constitue ce qu’on appelle un paysage,
qu’il arrivera que la reproduction textuelle d ’une scène de la vie ordinaire ou
d’un épisode historique puisse, sans variantes, se transporter sur le théâtre
ou se raconter dans un poème. A cause de cela, la photographie ne remplacera
jamais l’art.
Le point de vue scientifique est tout autre. Ce que le savant désire avant
tout, c’est la connaissance exacte des rapports entre les objets qu’il veut
étudier. En d’autres termes, et pour rester fidèles à la comparaison que nous
faisions en commençant, le réalisme, qu’il serait déplorable de regarder comme
le but final de l’art, est, au contraire, ce à quoi doit tendre la reproduction
scientifique des objets naturels.
La géologie positive, en particulier, se fondant avant tout sur les coordonnées
géographiques exactes des divers points de la surface du globe, ne peut
raisonner en toute sécurité que d’après des représentations fidèles des accidents
de cette surface.
454 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

Les trois procédés généraux qui servent à représenter les positions relatives
des points géographiques (les projections sur un plan horizontal ou les cartes ;
les profils ou vues qui ne sont que des projections sur un plan vertical ; enfin
les reliefs, où l’on tient compte à la fois des trois dimensions) ont successivement
obéi aux progrès réclamés par ce besoin de plus en plus pressant d’exactitude.
C’est ainsi que les cartographes ont été amenés à substituer aux traits
informes et tracés à peu près sans méthode, qui servaient autrefois à exprimer
les reliefs du sol, la seule projection réellement irréprochable, les courbes de
niveau équidistantes.
Pour les plans en relief, c’est de nos jours seulement en France que nous
avons obtenu des images dans lesquelles le rapport des bases aux altitudes
fût respecté ; et l’on sait quelle reconnaissance la géographie et la géologie
doivent à la persévérance et au talent dont M. Bardin a fait preuve en ce
genre si intéressant de travaux.
On peut dire que l’art de figurer les profils ou les vues a été le dernier
à refléter ce besoin impérieux de précision. Quelque soin que mette un
dessinateur à retracer fidèlement les lignes d’une montagne ou d’une contrée,
à n’en rien exagérer, il ne sera jamais sûr de s’être affranchi de certaines
illusions d’optique ou de perspective. Bien plus, les géologues, dans le plus
grand nombre des coupes, faussent sans nécessité les rapports entre les bases
et les hauteurs ; et il ne faudrait pas remonter bien loin dans la science pour
retrouver des arguments qui ne semblaient avoir quelque portée que parce
qu’ils s’appliquaient à des profils ou à des reliefs, dans lesquels non seulement
les pentes étaient grossièrement altérées, mais qui, par suite du même défaut
de construction, ne présentaient que des rapports inexacts entre les vides et
les pleins d’une contrée, entre les espaces effectivement occupés par les massifs
montagneux et les espaces laissés à découvert par les cols, les vallées, les
échancrures.

M. Aimé Civiale a compris que cette lacune ne pouvait être remplie d’une
manière irréprochable que par la photographie. Convaincu que le géographe,
le géologue, le météorologiste doivent trouver dans cette admirable découverte
de notre siècle un moyen au-dessus de toute controverse et indépendant de
toute idée préconçue ou de toute erreur personnelle, de connaître la forme
et le relief réel des massifs montagneux, il a mis au service de cette pensée
aussi juste que féconde les ressources de la forte éducation scientifique qu’il
avait puisée à l’École polytechnique, et depuis neuf ans rien n’a été négligé
par lui pour arriver à des résultats utiles à la science.
La chaîne des Alpes, à la fois la plus élevée, la plus étendue et la plus
complexe de toutes les chaînes européennes, s’offrait naturellement comme le
plus beau sujet d’études en ce genre, mais, avant d’engager en quelque sorte
la lutte avec un aussi rude jouteur, M. Civiale avait voulu mettre de son côté
toutes les chances de succès.
LE TRIOMPHE DE L Iv

122. Aimé Civiale, Bloc erratique de serpentine au lac M attm ark lavant 1868).
Tirage papier albuminé/négatif papier ciré sec avec paraffine. -
La démarche scientifique de Civiale se distingue de celle, esthétique, d'un paysagiste. Le but ne consiste pas à produire
des images artistiques, mais des instruments fiables à l'usage des géologues et des géographes.

Deux voyages faits aux Pyrénées pendant les étés de 1857 et de 1858 lui
avaient servi d’apprentissage. Mais déjà, dans ces campagnes d’essai, et bien
qu’il ne disposât, une première fois, que d’appareils photographiques de
faibles dimensions, M. Civiale, des trois stations principales qu’il avait choisies
(Bagnères-de-Luchon, Luz près Saint-Sauveur et Saint-Jean-de-Luz), avait
rapporté des épreuves très remarquables et dont l’Académie a pu apprécier
le mérite : en particulier, un panorama donnant l’ensemble du massif de la
Maladetta, différentes vues du chaos de Cèdre et du cirque de Gavarnie,
enfin, de nombreuses reproductions des falaises des environs de Biarritz, si
instructives pour le géologue.
De retour à Paris, et décidé à entreprendre la description photographique
des Alpes, M. Civiale voulut d’abord introduire dans les procédés et les
instruments spéciaux les perfectionnements que son expérience lui suggérait,
comme devant faciliter le transport et la manœuvre de ces appareils délicats
dans les lieux le plus difficilement accessibles.
Il s’est servi, pour l’obtention de ces négatifs, du procédé sur papier sec :
456 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

123 Auguste-Rosalie Bisson (dit Bisson jeune), Savoie n ° 18. L'Aiguille du Midi, 1859-1862. Tirage papier albuminé. -
Bisson jeune escalade le mont Blanc en 1861 et 1862, aux débuts de la vogue du tourisme et du sport alpins. Il rapporte (et vend
de nombreuses vues de montagne : sans prétentions scientifiques, ce sont moins des paysages -
un genre artistique - que des photographies de tourisme - un genre à venir.

l’emploi des glaces collodionnées devant présenter de trop grandes difficultés


pour le transport dans des contrées aussi accidentées.
Mais il a fait subir, au procédé habituellement employé pour le papier ciré,
plusieurs modifications dont la plus importante a été l’introduction de la
paraffine dans le cirage (4 parties de paraffine et 1 partie de cire d’abeilles).
Les épreuves ainsi obtenues sont plus fines et plus rapides.
M. Civiale a fait construire pour ses voyages un appareil dont le transport
est facile, la stabilité complète, le poids modéré, et qui donne des épreuves
de grande dimension : 0,38 m sur 0,27 m. Il a fait aussi construire un objectif
double qui lui permet de reproduire toute la circonférence en quatorze
épreuves, au lieu de dix-huit qu’il fallait auparavant. Enfin, pour diminuer
le poids de l’objectif, il a remplacé la monture de cuivre pesant 3,7 kg par
une monture en aluminium parfaitement solide et pesant 850 grammes.
Malgré toutes ces simplifications et bien que tout ait été le plus
ingénieusement combiné pour qu’il n’y eût aucun double emploi, l’ensemble
des appareils photographiques, joint au bagage personnel le plus modeste,
n’en constitue pas moins un poids de 250 kg, qu’il faut transporter à dos de
mulet ou à dos d ’homme dans les points choisis pour les stations.
Ces stations sont de deux ordres assez différents, suivant que l’auteur se
proposait d’y obtenir des panoramas ou des vues de détail.
LE TRIOMPHE DE L INLT'-TIÆ «T

Pour ces dernières, on recherchait naturellement les points les mieux pL*cn
pour faire ressortir la structure des roches, la disposition régulière ou anormsjr
des couches, les brisements ou plissements qu’elles présentent ; les formes
générales et les pentes des glaciers, les allures de leurs moraines latérales
frontales ; les accumulations de roches moutonnées, polies et striées : enfin,
toutes les circonstances qui rendent aussi fructueux au géologue qu’intéressant
pour le touriste le parcours des Alpes.
Les stations de ce genre sont habituellement d’un choix et d’un accès plus
faciles que celles qui sont destinées à la reproduction d’un ensemble de
montagnes ou d’un panorama. Le plus souvent, d’ailleurs, pour la représenta­
tion d’un accident partiel et limité, l’emploi d’une ou de deux planches suffit.
Aussi les Membres de l’Académie ont pu se convaincre, en examinant le bel
album qui, chaque année, est offert à l’Académie par M. Civiale, que ces
épreuves de détail sont traitées avec une perfection égale à celle qu’on peut
rencontrer dans les épreuves obtenues par les photographes de profession.
Les panoramas, qui constituent la partie la plus originale et la plus
importante du travail, présentent de grandes difficultés, tant à cause de
l’éclairage nécessairement discordant des diverses parties qui les composent,
qu’en raison du choix même de la station. Outre que la combinaison de ces
stations exige, pour que leur réunion représente bien l’ensemble des divers
massifs, une connaissance parfaite de la topographie, il y a des conditions
d’altitude auxquelles elles doivent satisfaire. Ainsi les pics ou les cols d’une
hauteur au-dessus de la mer comprise entre 2 200 et 3 200 m offrent
généralement, dans les Alpes, les meilleures stations pour les vues panorami­
ques. Quand l’altitude atteint 3 500 m, les vallées cessent de se dessiner
nettement ; quand elle s’abaisse à 2 000 m, on n’aperçoit plus un assez grand
nombre de sommets.
On conçoit aisément qu’une opération qui se poursuit pendant un assez
grand nombre d’heures dans la journée exige des précautions particulières
pour que le déplacement régulier du soleil n’éclaire pas d ’une manière trop
inégale et trop disparate les différentes parties du tableau. M. Civiale a
reconnu, par expérience, qu’en commençant vers 7 h du matin, il faut se
tourner d’abord vers le nord, puis aller successivement du nord à l’ouest, de
l’ouest au sud, etc. En procédant ainsi, l’opérateur se trouve généralement,
vers 11 h ou midi, en face de l’est, qui est alors éclairé de la maniéré la
moins défavorable.
Afin que ces panoramas donnent avec précision l’ensemble des chaînes de
montagnes, la position relative des points culminants, la direction des vallées
qui les séparent, etc., il est indispensable, pour raccorder exactement les
épreuves, de placer l’axe optique de l’instrument dans une position parfaitement
horizontale. L’instrument tourne autour de son axe, de manière que chaque
feuille recouvre la suivante d ’un centimètre environ, et le tour complet
d’horizon exige, dans l’appareil de M. Civiale, 14 manœuvres de ce genre.
+58 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

Dans chaque station, on a consigné exactement la position et l’orientation


de l’axe optique de l’appareil ; on a mesuré barométriquement l’altitude, noté
l’angle dans lequel le panorama est compris, et déterminé, à l’aide d’un
goniomètre fort simple, imaginé par l’auteur, les angles verticaux des différents
sommets du panorama au-dessus de la station. Il sera alors facile, avec
l’épreuve photographique et une carte topographique détaillée, de connaître
les coordonnées de chaque sommet ou d’un point intéressant par rapport au
plan horizontal qui passe par la station.
Enfin, M. Civiale a voulu compléter tous ces renseignements en recueillant
des échantillons géologiques à chacun des points qui lui ont servi de station
principale ou secondaire, et la collection déjà nombreuse qu’il a formée de
cette manière ne sera pas indifférente pour l’intérêt de cette description
photographique des Alpes. [...]
Tel est l’ensemble des travaux photographiques que M. Aimé Civiale a
soumis au jugement de l’Académie. On voit que, par leur nombre, par la
variété et l’heureux choix des points de vue, par la rigueur avec laquelle sont
établies toutes les données qui peuvent servir aux progrès de la géologie et
de la géographie physique, en un mot par l’esprit scientifique qui a si sûrement
et si constamment dirigé l’auteur, cette collection constitue déjà un recueil
que devra consulter toute personne désireuse d’étudier et de connaître à fond
la grande chaîne des Alpes.

Commissaires : MM. Régnault, Daubrée, Ch. Sainte-Claire Deville, rapporteur.

Aimé Girard : « Analyse des travaux de M. Laussedat sur l’application


de la photographie au levé des plans », Journal des débats, 24 févr. 1865, pp. 1-2.

La topographie, c’est-à-dire l’art de lever les plans, repose sur un ensemble


d’opérations minutieuses que le géomètre doit exécuter sur le terrain, et dont
il lui faut ensuite, à l’aide de calculs et de constructions géométriques, traduire
les résultats sur le papier. Tantôt, si l’on emploie la méthode de cheminement,
il faut, la chaîne et la boussole à la main, parcourir pas à pas le terrain dont
on veut relever les points remarquables ; tantôt, si l’on applique la méthode
des intersections, il faut, de chaque extrémité d’une base orientée, mesurer
autant d’angles que l’on veut relever de points, et, par l’intersection des lignes
de visée ainsi obtenues, déterminer la position véritable de ces points sur le
plan.
Les résultats que fournissent ces méthodes sont d’une grande exactitude,
et leur interprétation est facile, lorsqu’on cherche uniquement à reconnaître
la position qu’occupent sur le plan horizontal les divers objets remarquables
LE TRIOMPHE DE 1 I M f '

du lieu. Mais il n’en est plus de même lorsqu’on se propose d'appréaeT »


hauteurs auxquelles ces objets s’élèvent au-dessus de l’horizon. [...J
£ln officier distingué, M. Laussedat, chef de bataillon du génie et professeur
de géodésie à l’Ecole polytechnique, a entrepris, depuis douze ans environ,
une étude approfondie de la méthode qu’avait fait connaître Beautemps-
Beaupré. 11 Convaincu par des expériences nombreuses des avantages que
présente cette méthode, persuadé que son abandon presque général devait
être attribué à la difficulté qu’offre le dessin d’après nature et à l’insuffisance
de l’éducation artistique reçue par nos ingénieurs et nos officiers, M. Laussedat
s’est appliqué à en modifier les conditions d’exécution de telle sorte que la
reproduction exacte des perspectives fût possible, même à un dessinateur peu
expérimenté. Ce résultat a été atteint, en 1854, par l’emploi de la chambre
claire. Modifié et perfectionné par M. Laussedat, cet instrument a fourni,
entre les mains de sous-officiers du génie peu exercés au dessin artistique,
des perspectives fort exactes, et dont l’application à la construction des plans
a été faite avec succès.
Dès les premiers jours de ses recherches, M. Laussedat avait entrevu une
solution plus simple encore de la question, et l’idée de substituer les épreuves
photographiques aux vues dessinées à la main s’était tout d’abord présentée
à son esprit. Mais à cette époque les procédés photographiques étaient peu
répandus ; ils étaient d’ailleurs d’une exécution difficile, peu appropriés aux
opérations d’un officier en campagne, et l’idée dut être abandonnée par son
auteur. Elle a été reprise dans ces dernières années, et cette fois, mis
en possession de procédés commodes, praticables en toute circonstance,
M. Laussedat a pu déduire de l’emploi des perspectives photographiques une
méthode aussi certaine dans ses résultats qu’aisée dans sa pratique.
Rien n’est plus simple, d’après cette méthode, que de réunir sur le terrain
tous les éléments nécessaires au levé d’un plan même assez compliqué. Une
chambre noire ajustée avec soin, munie d’un cercle horizontal divisé et d’une
lunette, forme tout le bagage nécessaire. En face du lieu dont on veut
déterminer le plan et le relief, on mesure par les moyens ordinaires une base
de longueur quelconque, et de chaque extrémité de cette base on prend une
vue photographique du lieu. En outre, après avoir choisi, au milieu des divers
objets que comprend le tableau, un point remarquable, on en relève la position
exacte en mesurant, au moyen du cercle divisé que porte la chambre, l’angle
formé à chaque extrémité de la base par le rayon visuel dirigé de cette
extrémité sur le point. Les opérations sur le terrain sont alors terminées ;
l’opérateur peut, rentré dans son cabinet et sûr qu’aucun élément ne lui
manque, procéder à son aise à la construction du plan. [...]
Telle est en résumé la méthode que M. Laussedat recommande avec juste
raison, non point pour construire des plans parfaits, mais pour obtenir des

11. Ingénieur. Inventeur, en 1835, d ’une méthode de relevé topographique à double point de vue.
460 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

levés très exacts et de beaucoup supérieurs à ceux que fournissent les méthodes
usitées dans les reconnaissances militaires ou hydrographiques. Cette méthode
a déjà fait ses preuves ; il y a quatre ans environ, nous en avons suivi avec
intérêt les premières applications. Des vues photographiques prises les unes
au sommet de l’observatoire de l’École polytechnique, les autres sur la plate­
forme de la tour nord de l’église Saint-Sulpice, ont été transformées par
M. Laussedat en un plan partiel de Paris d ’une exactitude telle, que ce plan
a pu être superposé, sans qu’aucune différence apparût, au plan exécuté en
1839 sous la direction de M. Emmery, ingénieur en chef des Ponts et
Chaussées. Frappé des mérites de ce premier essai qui avait valu à son auteur
l'approbation de l’Académie des sciences, M. le ministre de la Guerre, à la
demande du Comité des fortifications, décida que des expériences régulières
seraient entreprises à l’effet de constater l’utilité de la nouvelle méthode. Ces
expériences ont été exécutées en 1861 et 1862 par les officiers de la division
du génie de la garde impériale, et elles ont donné, principalement entre les
mains de MM. Blondeau, Ducrot, Mansier et Sabouraud, les résultats les
plus satisfaisants.
Encouragé par leur réussite, M. le ministre de la Guerre ordonna qu’un
essai décisif aurait lieu, et, dans ce but, M. le capitaine Javary, auquel toutes
les manipulations photographiques sont familières, fut mis à la disposition de
M. Laussedat, et chargé de tenter, dans les conditions ordinaires d ’une
reconnaissance militaire, l’application de la méthode des perspectives photo­
graphiques. Le succès a été complet, et, il y a quelques semaines, M. le
général Morin mettait sous les yeux de l’Académie des sciences le résultat de
la dernière et de la plus importante des expériences faites par M. Javary.
C’est un plan détaillé de la ville de Grenoble et de ses environs, d’une
exactitude parfaite, embrassant une étendue totale de plus de 20 km2, et
exécuté entièrement au moyen de vingt-neuf vues photographiques prises de
dix-huit stations différentes. Les opérations exécutées sur le terrain par
M. Javary n’ont pas exigé plus de 60 h, et le travail de cabinet a été terminé
à Paris en moins de deux mois. Pour obtenir un résultat équivalent par les
méthodes topographiques ordinaires, il n’eût pas fallu moins de deux ans.
La question est donc jugée, et l’emploi des perspectives photographiques
comptera dorénavant au nombre des méthodes géodésiques régulières. Les
militaires, les ingénieurs, les géographes, les marins, les voyageurs, etc.,
trouveront dans son emploi le moyen d’exécuter rapidement et sans grande
peine des travaux utiles. Les procédés photographiques sont aujourd’hui aussi
répandus, plus répandus peut-être que l’art du dessin ; l’armée et la marine
comptent dans leurs rangs un grand nombre d’opérateurs habiles, et il n’est
guère de voyageur qui, partant pour des contrées lointaines, n’emporte avec
lui une chambre noire et un objectif. D’ailleurs, nous savons avec quelle
reconnaissance les photographes accueillent, toute occasion qui leur est offerte
de prendre part à d’intéressantes applications. Aussi demeurons-nous persuadé
LE TRIOMPHE DE LTHDU3 RH

que les travaux de M. Laussedat porteront rapidement leurs fruits, et ur


méthode dont nous venons de parler, se répandant bientôt non seu. r -—
parmi les hommes spéciaux, mais encore parmi les photographes am..' ■*.
ne tardera pas à enrichir la science de documents importants.

A. Hardy et A. de Montmeja : « Préface » (1er fëvr. 1867), Clinique photogn fc


de l’hôpital Saint-Louis, 1868, pp. I-III.

Pour l’étude des maladies de la peau, dans lesquelles le diagnostic s’étab:


ordinairement d’après une certaine nuance de coloration, ou d’après de
certains détails de configurations, difficiles à indiquer exactement dans une
description théorique, l’examen des malades a toujours été considéré comme
une nécessité, l’habitude clinique donnant à la vue une expérience qui permet
de saisir des caractères différentiels à l’aide desquels on peut reconnaître la
nature spéciale d’une éruption. Mais comme tout le monde n’est pas à même
d’avoir continuellement sous les yeux des exemples vivants d’affections
cutanées, on a cherché à remplacer les malades par des planches coloriées.
Malheureusement ces planches, quoique faites d’après nature, pèchent souvent
par le défaut d’exactitude, et, d’un autre côté, on ne peut les obtenir qu’au

124. A. de Montméja, A ffec­


tions dartreuses. 1867. Tirage
papier albuminé colorié. -
L'une des 49 épreuves illustra.-:
la C ivique photographique de
l'hopitai Saint-Louis (18681. un
ouvrage visant, par l'usage de
la photographie, à « mettre à la
portée de tout le monde [médi­
cal] un moyen d'étudier et de
connaître les maladies de la
peau ». Les épreuves sont colo­
riées à la main.
462 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

prix de dépenses considérables, qui les rendent peu abordables pour la majeure
partie des élèves et des médecins. Pour obvier à ces inconvénients, nous avons
eu la pensée de reproduire par la photographie coloriée les types les plus
communs des maladies de la peau, et le succès ayant paru couronner nos
premiers essais, nous avons entrepris une collection à peu près complète de
ces affections que nous venons aujourd’hui offrir au public médical.
La partie artistique de cette oeuvre, et sans contredit la plus importante,
a été confiée à un de mes élèves, M. de Montméja, qui joint à une connaissance
approfondie des maladies de la peau un talent incontestable de photographe
et de coloriste ; nous pouvons dire que ses planches représentent la nature
prise sur le fait. Elles constituent un recueil des principales maladies qu’on
rencontre à l’hôpital Saint-Louis, pendant l’espace de plusieurs mois ; et la
réunion de ces exemples divers nous paraît justifier le titre que nous avons
donné à cet ouvrage en l’intitulant : Clinique photographique de l ’hôpital Saint-
Louis.
A chaque planche nous avons joint un texte contenant une description
sommaire de la maladie représentée, mais nous n’avons pas eu la prétention
de faire un traité de pathologie cutanée ; nous avons voulu, au contraire,
présenter un atlas exact pouvant former le complément de tout ouvrage de
dermatologie, quelle que soit la doctrine de l’auteur.
C’est un recueil clinique destiné à faciliter l’étude des maladies de la peau,
aussi bien pour les étudiants qui veulent les apprendre que pour les médecins
qui éprouvent le besoin de les revoir et de se familiariser avec certains détails
de ces affections.
Notre but est donc de mettre à la portée de tout le monde un moyen
nouveau d’étudier et de connaître les maladies de la peau ; nous osons espérer
l’atteindre par l’exactitude de nos planches et par les sacrifices que nous
avons dû faire pour livrer cet ouvrage à un prix bien inférieur à celui de tout
atlas gravé et colorié.

Depuis longtemps déjà, M. Hardy avait reconnu l’utilité de l’iconographie


appliquée à l’étude des maladies de la peau, sans songer néanmoins à publier
jamais un atlas toujours trop coûteux, quand on considère l’inexactitude dont
les ouvrages de ce genre sont pour la plupart entachés.
Dans le courant de l’été de 1866, M. Hardy eut connaissance d’essais
photographiques faits en Angleterre, et me confia, dès lors, le projet d’étudier
avec lui ce nouveau procédé d’iconographie dermatologique.
Je commençai par devenir photographe. Ma main s’habitua à tenir le
pinceau que guidait l’œil du maître, et en peu de temps il me fut permis
d’attendre de la photographie la réalisation de nos espérances.
Depuis cette époque s’érigea, dans l’hôpital Saint-Louis, un atelier dans
lequel s’exécutent toutes les opérations nécessaires à la publication de la
clinique photographique de M. Hardy. Je me suis placé moi-même à la tête
LE TRIOMPHE DE L’INDUSTRIE «3

de cet atelier pour diriger et prendre part aux divers travaux qui s’y font
sous mes yeux.
C’est en faisant abstraction de tout intermédiaire que je suis parvenu à
livrer à bas prix ces épreuves, réunissant toutes les garanties de durée et
d’inaltérabilité que réclame l’importance de notre ouvrage.
Le coloris, confié à des mains habiles, s’exécute entièrement sous mes yeux,
avec la sanction de M. Hardy, qui juge en dernier ressort.
Ce travail, on le voit, est fait en dehors de toute pensée commerciale.
M. Hardy a libéralement donné le texte qui accompagne mes planches, et
j ’espère que cet ensemble pourra être considéré comme l’expression graphique
de cette richesse de coloris dont M. Hardy sait animer ses descriptions
cliniques.

Dr Ozanam : « Procès-verbal de la séance du 2 juillet 1869 », Bulletin de la


Société française de photographie, juill. 1869, pp. 172-177.

[M. le Dr Ozanam présente à la séance l’appareil qu’il a inventé pour


reproduire par la photographie les battements du cœur et du pouls. Il joint
à sa présentation la note suivante :] La précision mathématique avec laquelle
la lumière fixe instantanément la forme des objets m’avait fait désirer depuis
longtemps d ’appliquer la photographie à la reproduction fidèle du cours du
sang dans les vaisseaux du corps humain. Je vais expliquer, en peu de mots,
par quel moyen j ’ai réussi à réaliser cette idée au moyen d’un nouvel appareil
enregistreur.
Il fallait remplir quatre conditions pour arriver au but désiré :
1° Reproduire artificiellement Yartère par un tube ou vaisseau dont les parois
transparentes pussent laisser pénétrer librement la lumière et le regard ;
2° Imiter le sang par une colonne liquide, dont le niveau pût être influencé à
chaque instant par l’impulsion sanguine et qui, s’élevant ou s’abaissant dans
le tube sans le mouiller ni colorer ses parois, lui laissât en même temps toute
sa transparence ;
3° Inscrire la ligne ondulante représentée par la surface liquide, au moyen
d’un appareil curseur portant un papier ou verre préparé prêt à recevoir
l’impression de la lumière partout où le niveau abaissé du liquide lui
permettrait de parvenir ;
4° Renfermer ces divers éléments dans une chambre noire disposée convenable­
ment pour l’opération.
Ces quatre conditions ont été obtenues dans l’appareil que j ’ai l’honneur
de soumettre à la Société, et que j ’ai fait construire, sur mes données, par
M. Bréguet.
Une petite chambre noire, de 35 cm de long sur 12 de haut et 4 d’épaisseur,
renferme tout l’instrument. Elle est parfaitement portative ; et, divisée à moitié
464 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

125. Dr Charles Ozanam et Fdcuard Baldus. Pouls d'une demoiselle de 18 ans. 74 pulsations par minute. 1869.
Tirage papier albuminé. -
La photographie n'est pas utilisée ici pour montrer un objet (représenter), mais pour traduire visuellement (figurer'
un phénomène tachie - les battements du cœur et du pous
Elle est intégrée à un dispositif qui transforme les signaux mécaniques
en signes optiques pouvant être enregistrés par la plaque photoqraphique. Cet usage non mimétique de la photographie
- ramenée à l’état de pur enregistrement - connaîtra, toupurs dans le domaine scientifique, un grand essor
avec les premiers travaux de Étienne-Jules Marey dans les années 1880.

de hauteur comme le couvercle d’une boîte, elle laisse à jour, pendant la


préparation, tous les éléments de l’appareil.
Vers le milieu de la longueur, un tube curseur couvre et découvre à volonté
une fente longitudinale, verticale, très étroite, par laquelle seule la lumière
doit pénétrer.
C’est le long de cette fente que se place l’artère artificielle et transparente,
composée d’un tube de verre, dont la cavité, large de 1 millimètre, renferme
du mercure pour simuler le sang.
L’extrémité inférieure du tube, évasée en un petit réservoir pyramidal,
s’applique directement sur l’artère ou sur le cœur.
Une membrane de caoutchouc vulcanisé, très mince, fixée au pourtour du
réservoir, maintient le mercure et lui permet d’osciller librement à chaque
impulsion artérielle ; ces oscillations sont si sensibles, qu’elles reproduisent les
moindres variations de l’ondulation sanguine. [...] Une seule condition est
nécessaire, c’est que la pression de l’artère contre le réservoir de mercure
fasse monter celui-ci au point d’afileurement de la fente verticale pratiquée
dans la chambre noire.
Notons, en outre, que la forme cylindrique du tube, produisant l’effet d’une
loupe, est éminemment favorable à la concentration de la lumière et facilite
l’instantanéité de l’épreuve.
\'appareil curseur que j ’ai employé est d’une grande perfection ; il est réglé
de manière à ne fournir que le milieu de sa course avec une vitesse régulière,
I.E TRIOMPHE DE L I\T '\ ' TIE •%.

évitant ainsi la première détente, toujours trop rapide, et la dernière, toujocs*


trop lente. On peut encore varier la construction de l’appareil en le form a :
de deux cylindres, dont l’un enroule et l’autre déroule la bande photographique,
tandis que la colonne mercurielle oscille entre les deux cylindres ; ce nouvel
appareil est beaucoup plus petit, plus portatif, mais il ne permet d'agir que
sur papier, élément peu sensible, et non sur verre, comme le premier :
cependant la découverte récente de la photographie sur plaques souples de
mica pourra faciliter l’emploi de ce procédé.
La plaque photographique parcourt environ 1 cm par seconde ; l’image
produite, après avoir été fixée par les procédés habituels, peut être sans
difficulté amplifiée de 2, 4, 10 diamètres ; une seule pulsation occupe dès lors
un espace de 10cm, comme celles que j ’ai l’honneur de présenter ici; par
cet artifice on transforme, on multiplie le temps par Vespace ; aussi l’œil pourra-
t-il apprécier facilement les modifications survenues dans l/l00e d’ondulation
pendant l/l00e de seconde, puisque chacune d’elles occupera sur l’image une
étendue de 1 mm. Il y a, dans ce procédé, de quoi répondre, je l’espère, à
toutes les exigences de la science exacte. [...]
Mais nous ajouterons, pour montrer le progrès de la science, qu’en
soumettant l’image agrandie à 10 diamètres au foyer du microscope, qui
permet facilement d’observer l/l000e de millimètre, on pourrait étudier, s’il
était nécessaire, les variations de l/l00 000e de pulsation pendant 1/100 000e
de seconde. Puis, prenant cette image et la soumettant à un appareil de
projection, éclairé par la lumière Drummond ou la lumière électrique, ou
bien encore par celle du magnésium, on peut recevoir sur une glace préparée
l’image agrandie, au point d’avoir 1 mètre de diamètre, ce qui conduit
l’observateur qui l’examinerait sur l’autre face avec un microscope, aux
dernières limites du visible, c’est-à-dire à reconnaître ce qui se passe dans la
millionième partie d ’une pulsation du cœur pendant la millionième partie
d’une seconde 12.
Mais, dès à présent, et sans grossir les tracés, il nous est déjà facile de
saisir, dans ces images, un des caractères particuliers du pouls, le dicrotisme,
sur lequel je désire plus spécialement attirer l’attention aujourd’hui.
Le dicrotisme, c’est-à-dire le battement double, a été décrit par le docteur
Marey comme un état normal du pouls ; avant l’invention du sphygmographe
on ne pouvait l’observer que dans quelques cas pathologiques, et surtout on
l’avait indiqué comme signe précurseur des hémorrhagies.
Notre schéma photographique vient corroborer l’assertion du docteur
Marey ; mais, en même temps, il résout la question d’une manière plus

12. « J ’ai pu observer à l’Exposition universelle, sous les arcades de la cour centrale, des photographies
d’objets microscopiques grossies ainsi à 2 degrés, représentant des navicules grossies à 3 600 diamètres ;
une pulsation du cœur, soumise à un pareil foyer, occuperait 30 mètres de longueur, c’estijidire 36 fois
plus que ne l’indique le calcul que nous faisons ici, et le microscope pourrait permettre d’en analyser la
36 000 000e partie. » [Note du Dr Ozanam]
466 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

complète. Il montre, en effet, que le pouls naturel est non seulement dicrote,
mais triple et même quadruple parfois dans son évolution ; en effet, après être
monté d’un seul bond au sommet de l’échelle, il redescend par trois ou quatre
chutes successives au niveau inférieur. En second lieu, ce dicrotisme naturel
varie infiniment de force et de degré, en sorte que la chute se fait tantôt par
lignes horizontales successives, tantôt par lignes ascendantes où le pouls remonte par deux
et trois fois avant de s’abaisser entièrement.
Il faut donc désormais distinguer le dicrotisme horizontal du dicrotisme ascendant,
le dicrotisme simple de celui qui est multiple.
Les planches, jointes à ce Mémoire, représentent le pouls physiologique
aux différents âges, en commençant à l’âge de 5 ans pour remonter à 12, 18,
25, 28, 30, 42,^43, 48, 65 ans.
Ces images nous permettent déjà de reconnaître une foule de détails
intéressants. On voit, en effet, combien la force de contraction du cœur
grandit avec l’âge, du moins jusqu’à 50 ans, pour redescendre ensuite.
Les dicrotismes sont d’une évidence parfaite dans le plus grand nombre
des images, et l’on voit encore que leurs caractères se dessinent de plus en
plus avec l’âge croissant du sujet.
En examinant la huitième pulsation de la première image, on y reconnaît
une diminution notable dans la hauteur de la pulsation. Cet abaissement est
dû à l’influence du mouvement respiratoire. Au moment où l’on inspire l’air
atmosphérique, le cœur, gêné dans sa contraction, chasse plus difficilement
le sang, et l’ascension de la colonne sanguine est moins accentuée. L’exagération
de cette oppression du cœur conduit à l’intermittence du pouls, phénomène
que j ’ai souvent observé chez les enfants à demi asphyxiés par le croup ; à
chaque mouvement inspiratoire, une pulsation manquait complètement. Nous
avons donc aujourd’hui, par la photographie du pouls, l’explication de ce fait
pathologique, qui se trouve n’être que l’exagération grande d’un fait
physiologique.
C’est par une analyse aussi délicate que l’on parviendra à caractériser
chaque affection du cœur et des vaisseaux, non seulement des gros vaisseaux,
mais même des petites artères, car la délicatesse de l’instrument est telle
qu’on peut obtenir le battement des vaisseaux capillaires de la pulpe des
doigts échauffés, ou d’un phlegmon en voie de formation rapide.
Ainsi, désormais il appartiendra à la lumière d’inscrire elle-même les
battements du cœur de l’homme et de diagnostiquer ses maladies ; l’ensemble
de ces signes, réunis en dictionnaire, constituera une sorte de langue que le
médecin devra apprendre ; elle lui donnera, en quelques pages, la clef de
l’organisme dont il est appelé à prendre soin, au lieu d’en abandonner la
connaissance à l’appréciation de chaque praticien, appréciation variable pour
chacun, et trop souvent trompeuse, comme l’imperfection des sens que nous
recevons de la nature.
VERS UNE CIVILISATION
DE L’IMAGE...
(1866-1869)

C h a r le s NÈGRE (1820-1880) ; A l p h o n s e D A V A N N E (1824-1912) ;


L é o n V i d a l (1833-1906) ; J u l e s JO LY-G RANG EDO R (1818-1871)

La gravure héliographique 1 doit « élever la gravure au niveau de la photographie


[et] faire rentrer le tirage des épreuves photographiques dans les conditions
ordinaires de Vimprimerie » ; ainsi s ’exprime, par la voix de Charles Nègre, l ’une
des plus grandes préoccupations du XIXe siècle.
On a vu que les tentatives pour répondre à cette attente jalonnaient tout le
Second Empire. Dès 1851 Lemercier entame ses recherches ; en 1854 c’est au tour
de Charles Nègre, juste avant l ’Exposition universelle de 1855 qui rend un
hommage appuyé à la gravure héliographique. C’est dans ce contexte que le duc
de Luynes offre un prix de 8 000francs pour accélérer la résolution des problèmes
techniques (cf. pp. 201-204) ; la clôture du concours, primitivement fixée en 1859,
est reportée à 1864 et le lauréat, Alphonse Poitevin, n ’est finalement désigné qu’en
1867.
L ’audience internationale de ce prix et la fébrilité qui l ’entoure témoignent de
l ’importance de l’enjeu : l ’inaltérabilité des épreuves, mais surtout leur rapide
multiplication par les procédés à l ’encre d’imprimerie et, au-delà, les « bénéfices
industriels », comme l ’avait bien prévu Victor Régnault en 1856 (cf. p. 203).
—=X> Il s’agit d’offrir aux images photographiques des perspectives de diffusion alors
inconnues : passer de la reproductibilité restreinte à la reproductibilité illimitée.
Si chercheurs et commanditaires conjuguent leurs efforts, c’est dans l ’espoir de
franchir au plus vite ce pas essentiel qui permettra aux images photographiques
d ’envahir la presse et les publications illustrées, qui donnera à la photographie
une dimension industrielle et une maturité économique, qui transformera la culture
sous le flot des reproductions, donnant naissance à une véritable « civilisation de
l ’image ».

1. En combinant les avantages de la photographie pour la réalisation photochimique des planches et ceux
de la gravure pour leur tirage à l’encre grasse d ’imprimerie, la gravure héliographique devra produire à
faible coût et en grande quantité des épreuves stables et pénétrer un vaste marché — celui de l’édition,
de la presse et de l’imprimerie en général — jusqu’alors quasiment inaccessible pour des raisons techniques
et économiques (voir en fin de volume dans notre appendice la section sur les procédés photomécaniques .
468 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

126. Charles Nègre, M o s a ïq u e d 'é to ffe s , d e p lu m e s e t d e 127. Nicéphore Niépce, L e C a rd in a l d 'A m b o is e Ire p ro d u c tio n
p a s s e m e n te rie s , vers 1857. Épreuve sur papier d'une gravure d 'u n e g ra v u re I. Épreuve sur papier d'une héliographie sur plaque
héliographique sur acier. d'étain réalisée par Niépce en mai ou juin 1826.

Mais pour l'heure, en 1869, Léon Vidal regrette que les procédés de tirage au
charbon — destinés à assurer la stabilité des épreuves — ne soient guère en faveur
dans le « monde photographique ». Après les réserves déjà émises par Disdéri en
1862 (cf. pp. 371-372), cela semble confirmer que l ’industrie photographique
paraît moins concernée par l ’altérabilité des épreuves que par la question de leur
multiplicité.
La raison en est que la multiplicité obtenue par la généralisation des procédés
photomécaniques devrait, selon Léon Vidal, donner lieu à un « mouvement
commercial » important, à une rupture (comparable au passage de la miniature
à la photographie) permettant à l ’« art héliographique [...] de conquérir un rang
définitif parmi les industries sérieuses ».
A noter que Léon Vidal ne revendique plus, comme le faisaient ses collègues
dix ou quinze ans auparavant, la reconnaissance de la photographie par les
instances artistiques mais, c’est un signe, par le monde industriel. Enfin, bien que
ses informations chiffrées restent vagues, l ’activité photographique semble moin
rentable à Marseille qu’à Paris.
Joly-Grangedor, de son côté, perçoit avec lucidité la mutation qui s ’amorce en
1869 dans l ’activité photographique : du cliché au tirage, des sels d ’argent à
LE TRIOMPHE DE L'INDUSTRIE 469

128. Louis Fizeau, Planche de monnaies, 1849. Éoreuve sur 129. Alphonse Poitevin et Louise Laffon. M usee Napoléon III.
papier d'une gravure en creux obtenue à partir d'un daguerréotype. Nymphe aux rinceaux, pi. XVI, s.d. Lithophotographie.

l ’encre grasse pour les épreuves, de la reproduction à la multiplication infinie, du


portrait à l ’édition, de la « curiosité » à l ’« utilité », etc. Seule cette transformation
de l ’artisanat en industrie permettra, affirme Joly-Grangedor, de « demander à la
photographie tout ce qu’elle doit donner ». Ce sera l ’œuvre des dernières décennies
du siècle.

Léon Vidal : « Considérations générales sur les divers procédés au


charbon », Le Moniteur de la photographie, 1er avr. 1869 (n °2 ), p. 10.Il

Il y a lieu d’examiner les motifs du peu d’empressement qu’a mis le monde


photographique à s’emparer des nouveaux procédés, si ingénieux pourtant, si
fertiles en résultats splendides, sans parler de leur qualité principale : la
stabilité.
Évidemment, on a dû rencontrer quelques difficultés dans la pratique
courante de ces tirages, en dépit des soins minutieux avec lesquels ses
propagateurs les ont décrits. Le photographe praticien, surtout, n’aime pas
470 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

à tâtonner ; encore moins aime-t-il à chercher, à créer. Il n’en a pas le temps.


Il lui faut, pour satisfaire aux besoins de son industrie, un procédé courant,
fait de toutes pièces, et dans lequel il reste à l’appréciation personnelle, aux
circonstances accidentelles, la moindre part possible.
Les insuccès fréquents sont pour lui une cause de ruine ; il ne résisterait
pas à une trop longue incertitude des résultats.
Les procédés au charbon sont-ils de nature à lui donner cette certitude à
peu près constante et lui ofTrent-ils les moyens d’un travail normal continu,
d’une régularité satisfaisante ?
Nous ne le pensons pas, au moins s’il s’agit de tous les genres de travaux
industriels, sans exception, qu’embrasse aujourd’hui l’art du photographe.
Ainsi, bien que nous ayons vu des portraits admirablement réussis par le
procédé avec simple ou double transport, nous ne croyons pas qu’il soit encore
absolument facile d’obtenir toujours des positifs de portraits avec toutes les
douceurs artistiques voulues.
Il y a moyen d ’y arriver, puisque les cas de succès existent ; mais il est
encore des circonstances dans lesquelles, en dépit de toutes les précautions,
on n’arrive pas au résultat désiré, à un résultat analogue à celui que fournit
le tirage ordinaire au chlorure d ’argent.
Voilà ce qui explique la lenteur des photographes vers un procédé appelé
à rendre à notre art de si grands services. Mais, si nous laissons de côté les
exceptions pour ne parler que des cas où le succès est normalement constant,
nous devons être surpris que dans cette voie-là, dans la voie, par exemple,
des reproductions des dessins des maîtres si brillamment inaugurée par
M. Braun de Dornach, on n’ait pas créé en France des maisons de tirage
d’épreuve au charbon. En dehors du portrait, il y a tout à faire, paysages,
monuments, reproductions de gravures, toutes choses auxquelles se prêtent
admirablement les procédés de tirages stables tels qu’on les connaît.

Charles N ègre: D e la g r a v u r e h é lio g r a p h iq u e , 1866, pp. 6- 18.

La gravure héliographique, qui doit être considérée comme le complément


indispensable de la photographie, est moins connue jusqu’à présent ; son
utilité a été moins directe, et on a cru d’abord qu’arrivée à un tel degré de
perfection, la photographie seule pourrait répondre à tous les besoins.
L’utilité de la photographie est toutefois enfermée dans des bornes étroites ;
si elle peut suffire aux exigences du moment, elle ne peut pas satisfaire tous
les besoins nouveaux qu’elle a fait naître. De plus, il est aujourd’hui avéré
que ces magnifiques images portent en elles un germe de destruction, qui les
altère et les fait même disparaître complètement, dans un temps quelquefois
fort court. [...]
LE TRIOMPHE DE L'INDUSTRIE

130 Alphonse Poitevin et Louis Rousseau, Lézard, 1856. Lithophotographie


Négatif de M. L. Rousseau photographié sur pierre par A. Poitevin, 1856, procédé au bichromate ».
472 LA PHOTOGRAPHIE EX FRANCE lHlli-1871

Cette destruction fatale des épreuves photographiques est reconnue et


avouée par les savants et les opérateurs. Tous les traités de photographie la
signalent, et les essais nombreux tentés journellement pour y remédier n’ont
abouti à aucun résultat véritablement satisfaisant. Si, au grave inconvénient
qui vient d’être signalé, on ajoute l’incertitude accompagnant les méthodes
ordinaires de tirage des épreuves photographiques, les grandes dépenses que
ces tirages entraînent, l’extrême difficulté qu’on éprouve à produire un nombre
d’épreuves suffisant pour satisfaire aux besoins des publications imprimées,
on comprendra quelle est l’importance d’un procédé qui, en élevant la gravure
au niveau de la photographie, peut faire rentrer le tirage des épreuves
photographiques dans les conditions ordinaires de l’imprimerie. [...]
Dès l’année 1854, convaincu que la photographie ne devait être considérée
que comme un moyen transitoire pour arriver à la gravure héliographique,
je m’attachai à résoudre ce problème. [...]
Puis-je me demander si j ’ai résolu le problème de l’impression des images
photographiques par les procédés ordinaires de l’imprimerie ? On ne peut
jamais être bon juge de sa propre cause ; aussi laisserai-je au temps le soin
de répondre et de sanctionner l’œuvre, si réellement elle réunit ces conditions
indispensables de vitalité : sécurité pratique du procédé, résultat artistique,
utilité, économie industrielle.

Alphonse Davanne : « Rapport de la commission chargée de décerner


le prix de 8 000 francs fondé par M. le duc de Luynes pour l’impression
à l’encre grasse des épreuves photographiques », Bulletin de la Société française
d e p h o to g r a p h ie , a v r . 1 8 6 7 , p p . 8 9 - 1 1 2 .

Messieurs, Votre Société naissante était à peine constituée que M. le duc de


Luynes, plein de confiance en votre avenir, et appréciant dès le début les
services que vous étiez appelés à rendre, mettait à votre disposition une
somme considérable, pour la consacrer, sous forme de prix, aux progrès de
la photographie. Une partie de cette somme fut attribuée à l’encouragement
de recherches pour perfectionner les épreuves positives, et l’autre partie fut
destinée à fonder un prix de 8 000 francs, pour récompenser les meilleurs
procédés d’impression photographique à l’encre grasse, résultat d’une impor­
tance considérable et particulièrement désiré par le donateur.
M. le duc de Luynes, en effet, reconnaissait qu’à la photographie seule
appartient le mérite de la fidélité et de l’authenticité incontestables qui
conviennent si bien aux recherches de la science ; mais tout en rendant justice
à la beauté et à la fraîcheur des épreuves obtenues aux sels d’argent, il
refusait cependant de confier à ces procédés trop éphémères la reproduction
de travaux qu’il importait de transmettre aux âges futurs.
LE TRIOMPHE DE L’INDUSTRIE 4

Les résultats connus à cette époque, l’altération facile des épreuves positives
ordinaires ne justifiaient que trop les craintes de M. le duc de Luynes.
Ajoutons que les prix relativement élevés d’images faites avec des métaux
précieux s’opposaient à ce qu’elles pussent être facilement à la portée de tous
ceux qui auraient intérêt à les consulter. L’expérience du passé prouvait au
contraire que les impressions obtenues au moyen de l’encre mélangée de
carbone résistaient facilement à l’action du temps, l’inaltérabilité du carbone
étant un des gages les plus certains de la solidité de ces impressions ; d’autre
part, la facilité du tirage permettait de répandre ces épreuves à un très grand
nombre d’exemplaires ; aussi M. le duc de Luynes, voulant réunir les avantages
spéciaux de l’un et de l’autre procédé, institua le prix de 8 000 francs pour
stimuler le zèle des inventeurs, et il choisit la Société française de photographie
pour décerner ce prix à celui qui aurait résolu le problème de reproduire les
images photographiques par les procédés de l’impression à l’encre grasse.
Le programme de ce prix, rédigé par M. Régnault, président de la Société,
a été publié dans la séance du 18juillet 1856.
Il résulte des termes de ce programme, qui reproduit les intentions mêmes
de M. le duc de Luynes, qu’une des premières conditions est de joindre à
l’inaltérabilité du tirage à l’encre grasse la fidélité, l’authenticité de la
reproduction photographique, si précieuse pour tous les documents historiques,
et que. par conséquent, on doit exclure tout travail manuel de retouche.
Il résulte également que le prix ne peut être partagé entre plusieurs
concurrents, que dans le cas où aucun de ces concurrents n’aurait satisfait aux
conditions du programme pour obtenir le grand prix.
Dans votre séance de juillet 1859, vous avez nommé, comme jury du
concours, une commission composée de : M M . RE G N A U L T , BALARD, P.
PÉR IE R , M A IL A N D , C le A G U A D O , BAYARD, E . B E C Q U E R E L , C O U S IN , Léon
F o u c a u l t , C ,c Léon de L a b o r d e , P e l i g o t , R o b e r t .
M. Davanne fait partie de la commission comme vice-président de votre
comité d’administration.
La première préoccupation de la commission a été de bien se pénétrer de
l’esprit du programme et des intentions du fondateur du prix. Or, cette
intention était évidemment de récompenser non pas la plus belle épreuve,
mais bien l’inventeur qui, en présentant un procédé à la fois bon et pratique,
ferait faire le plus grand progrès à l’impression photographique par l’encre
grasse, et en rendrait l’application facile et générale.
Il ne suffisait donc pas d’examiner les spécimens présentés par les
concurrents, mais on devait remonter plus haut et apprécier le principe de
l’invention, la valeur du procédé [...J. Si nous nous reportons à la pensée de
M. le duc de Luynes, qui était certainement de voir vulgariser par des procédés
facilement pratiques les documents utiles aux savants, aux archéologues et
aux artistes, nous devons reconnaître que M. Nègre n’a pas complètement
atteint le but, car son procédé délicat est resté entre ses mains : aucun élève-
474 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

aucun opérateur ne peut nous assurer qu’à son défaut quelque autre personne
pourrait le remplacer ; aussi ce mode d’opérer n’a-t-il reçu ni l’extension ni
la vulgarisation des procédés de M. Poitevin.
M. Poitevin, au contraire, a complètement réalisé les conditions posées par
M. le duc de Luynes. En effet, par son procédé d’impression à l’encre grasse,
qui est la lithographie, il produit facilement, sans retouches, de manière à
laisser toute garantie d’authenticité, une épreuve photographique quelconque,
et à tel nombre d’exemplaires qu’il peut être nécessaire pour mettre à la
portée de chacun les documents utiles aux arts et aux sciences.
Il a donc rempli les intentions du fondateur du prix, et, à ce titre, la
commission instituée par vous comme juge du concours a décidé, par un vote
unanime, que le prix de 8 000 F fondé par M. le duc de Luynes serait décerné
à M. Poitevin.

Léon Vidal : D e l ’a r t p h o to g r a p h iq u e c o n s id é r é a u p o i n t d e v u e in d u s tr ie l,
1868, pp. 10-17.

Il y avait à Marseille, il y a une vingtaine d’années, tout au plus quatre à


cinq peintres en miniature, au nombre desquels deux à peine possédaient une
certaine réputation due à un talent sérieux.
Ces artistes, après une année de labeur, durant laquelle ils avaient achevé
une cinquantaine de portraits environ, avaient gagné tout juste de quoi
subvenir à leur existence et à celle des leurs.
Ces quelques rares portraits donnaient heu, pour leur exécution, à l’achat
de fournitures de modique valeur, puis ils étaient enfermés dans des cadres
quelconques, et c’était là tout.
Aujourd’hui Marseille possède de quarante à cinquante photographes, dont
le plus grand nombre se livre à l’industrie du portrait héliographique, et
trouve dans cette industrie des bénéfices plus rémunérateurs que ne l’étaient
ceux des peintres miniaturistes en renom.
Il est vrai que les deux qualités essentielles du portrait photographique, le
bas prix d’une part et la parfaite ressemblance de l’autre, sans parler des
autres avantages de ce mode de reproduction, tels que la rapidité d’exécution,
la facilité de multiplication des épreuves, ont généralisé la mode du portrait
à un tel point qu’il est peu de personnes, dans n’importe quelle classe de la
société, qui ne viennent poser au moins une fois devant l’objectif, et qui
n’aient heu de répandre, parmi leurs parents et amis, une douzaine environ
de portraits.

Poursuivant notre exemple relatif à Marseille, nous arrivons à des résultats


qui laissent bien loin le mouvement industriel provoqué par l’art du portrait
LE TRIOMPHE DE L’INDUSTRIE 4":

en miniature. Nos cinquante photographes produisent chacun annuellement


un nombre approximatif moyen de mille à douze cents clichés, au prix moyen,
avec les demandes supplémentaires d’épreuves positives, de 15 F par cliché,
soit une recette de 18 000 F, dont l’ensemble constitue un mouvement d’affaires
de quelques centaines de mille francs, sans parler des autres dépenses
accessoires qui sont la conséquence du portrait fait, telles que celles des
albums spéciaux dont le nombre est si répandu, des encadrements dont
l’importance s’est nécessairement accrue dans une proportion conforme au
nombre infini des épreuves.
C’est encore par mille et mille francs qu’il faut évaluer le mouvement
industriel résultant de l’existence de tant d’épreuves, qu’il faut bien loger
dans un support quelconque.
Le photographe n’est que fort rarement seul ; il a besoin d’aides, de
retoucheurs ; en moyenne, nous pouvons évaluer à trois personnes par atelier
photographique l’ensemble du personnel de ces établissements. Ce qui, pour
Marseille, élève à plus de cent le nombre des artistes et ouvriers photographes.
Les retoucheurs, dans les principaux établissements, sont de véritables peintres
auxquels il est alloué des appointements plus forts assurément que ne le serait
la somme de leurs bénéfices, s’ils exerçaient isolément l’art spécial de la
peinture. Leur existence est d’ailleurs bien mieux assurée ainsi. Le nombre
de ces peintres retoucheurs est forcément plus considérable que ne l’était celui
des miniaturistes. On peut donc affirmer que l’art photographique, tout en
produisant de toutes pièces une somme, un ensemble d’industries ayant pour
objet la reproduction du portrait, n’a fait aucun tort soit à l’art lui-même,
soit aux artistes. Il les a au contraire puissamment aidés en facilitant leurs
travaux et en augmentant les applications de leur spécialité.
Nous laissons de côté ce qui est relatif aux peintres de grands portraits à
l’huile, comme aussi aux peintres de genre, mais à tort sans doute, car il est
très vrai que les peintres de portraits à l’huile doivent à l’existence des
portraits photographiques un bien plus grand nombre de commandes, ne
seraient-ce que les portraits après décès, dont l’exécution n’est possible que
par le fait de l’existence d’un portrait photographique du défunt.
Ainsi, sans qu’aucune industrie préétablie en ait souffert, la photographie
produit maintenant, à Marseille seulement, un mouvement d’affaires annuel
d’environ un million. C’est dire qu’un mouvement analogue existe dans toutes
les villes importantes, non seulement de la France, mais du monde entier. 2
[...]
Bien qu’il nous soit encore très difficile de baser un chiffre total du
mouvement commercial de la photographie en France sur des données
statistiques authentiques, nous ne croyons pas atteindre le chiffre réel en

2. Paul Fassy, Le Moniteur de la photographie, 1C1juin 1866, p. 46 : «C onsidérée au seul point de vue
commercial, elle [la photographie] a une action extrême. Ainsi, l’an passé, elle a livré au commerce pour
deux millions de produits par mois, soit vingt-quatre millions par an, pour Paris seulement ! »
476 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

l’évaluant à une quinzaine de millions, y compris l’exportation. Ces nombres


sont d’ailleurs appelés à s’accroître beaucoup quand la photographie, par le
perfectionnement pratique des procédés stables, aura conquis un rang définitif
parmi les industries sérieuses. Nous allons terminer par quelques considérations
sur ces nouveaux procédés dont le moindre mérite sera d’assigner à l’art
héliographique la valeur industrielle de l’imprimerie et de la gravure.
Notre but, en insistant sur l’importance du mouvement industriel créé par
les applications si nombreuses de la photographie, est de l’élever dans l’échelle
des industries diverses à un rang de considération mieux en rapport avec ses
bienfaits. Jusqu’à ce jour, en dépit d’un certain retour de l’opinion en sa
faveur, on l’a classée comme une de ces industries de dixième ordre qui
n’entraîne pas, pour ceux qui la professent, toute la considération qui s’attache,
par exemple, à l’industrie du sucre ou du coton. Pourquoi un photographe
ne mériterait-il pas, tout comme un raffineur ou un filateur, le titre d’honorable
industriel ? Il y a à cette infériorité de convention deux raisons : la première
est basée sur la nouveauté de cet art né à peine avec notre jeune génération
et pour lequel n’existe encore aucune tradition ; l’autre est la conséquence de
ce que, au premier abord, c’est un art facile par excellence et nécessitant, de
la part des praticiens, des études peu approfondies pour produire des résultats
médiocres ou satisfaisants.
Puis viendrait une troisième raison, basée sur l’instabilité des productions
de la photographie, productions éphémères par la nature délébile des agents
métalliques employés à l’impression, ce qui a pour fâcheuse conséquence de
fermer aux œuvres photographiques l’entrée de toutes les collections sérieuses,
des cabinets d’estampes, des musées nationaux.
Avec la stabilité des épreuves, l’avenir industriel de l’art photographique
grandira dans une immense proportion, parce que la typographie, la
lithographie multiplieront ses produits au-delà de toutes limites imaginables,
et l’industrie de l’art héliographique prendra rang à côté de celle de
l’imprimeur, si elle ne lui est assimilée ; elle acquerra sur cette dernière un
degré de supériorité dû au caractère plus artistique des dessins produits par
la lumière. [...]
La Commission impériale de l’Exposition universelle de 1867, en décernant
la médaille d’or destinée à la classe des produits photographiques à M. Garnier,
inventeur d’un procédé de tirage par la gravure des épreuves photographiques,
a prouvé l’intérêt primordial qu’elle attachait aux recherches tentées dans la
voie de la stabilité des images.
Déjà depuis plusieurs années, le si regrettable [sic] duc de Luynes avait
créé, pour le même objet, un concours dont le prix était une somme de
10 000 F. 3

3. En fait, sur les 10 000 F offerts par le duc de Luynes, 8 000 sont véritablement destinés à « récompenser
les meilleurs procédés d'impression photographique à l’encre grasse ».
LE TRIOMPHE DE L'INDUSTRIE

La commission chargée de décerner cette récompense en a jugé digne


M. Poitevin, à qui la photographie doit tant de découvertes intéressantes et
celles surtout qui, en principe, conduisent aujourd’hui les divers chercheurs
à l’obtention plus ou moins facile, plus ou moins parfaite d’épreuves
inaltérables.

Joly-Grangedor : « Les derniers progrès de la photographie », Gazette des


beaux-arts, 1869, pp. 447-461.

Tout l’effort des photographes, artistes, amateurs ou savants de profession,


s’est porté de préférence sur la production des clichés types, et [...] la
multiplication durable des images est restée pour eux, pendant longtemps,
une question secondaire. On était pressé de jouir des effets merveilleux de
ces dessins magiques improvisés par la lumière ; des millions de portraits et
de banalités insignifiantes, puis les excentricités du stéréoscope vinrent
passionner la curiosité du monde entier. Tous les instincts vulgaires du public
y trouvaient leur compte, et le succès de la photographie industrielle, honnête
ou clandestine, fut immense. Mais l’intérêt de l’art et l’éducation du goût
public n’occupèrent longtemps qu’une place bien restreinte dans la prodigieuse
activité de cette production sans caractère et sans résultat sérieux.
Aujourd’hui, la période de l’étonnement causé par le phénomène photo­
graphique touche à son terme. On s’est partout familiarisé peu à peu avec
l’éclosion magique de ces images qui spontanément apparaissent au simple
contact de la réalité. On commence à comprendre que le moment est venu
de demander à la photographie tout ce qu’elle doit donner, et que l’art dans
ses traditions, la nature dans ses grandeurs visibles, comme dans ses mystères,
doivent enfin devenir le but supérieur des efforts de cette industrie naissante
et de ses développements futurs. [...]
Comment se fait-il, nous dira-t-on, que, malgré les nombreuses tentatives
déjà faites par tous ceux qui ont pressenti depuis longtemps l’avenir réservé
à la photographie, les livres d ’art, les journaux illustrés, le commerce des
estampes, n’aient point encore profité dans une plus large mesure du bénéfice
de ces méthodes inattendues qui permettent, avec d’énormes réductions de
prix, la production presque illimitée d’images de toute nature et d’une
incontestable valeur ?
C’est que le rôle des procédés vraiment industriels, dans cette production,
est encore trop restreint. Dès qu’on entend s’adresser au grand nombre,
l’industrie est naturellement mise en cause. C’est elle qui doit fournir au
public cette multitude d ’images nouvelles et indispensables, selon nous, aux
progrès de l’éducation générale. [...]
478 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

Que l’artiste photographe, nous retenons le mot, puisse livrer son cliché
à l’imprimeur et en obtenir un nombre illimité de reproductions fidèles
économiquement, solidement et rapidement exécutées, telle est la formule
d’un progrès depuis longtemps désiré, et qui nous paraît aujourd’hui être sur
le point de s’accomplir.
Sans les épreuves utiles qu’on en peut tirer, le plus beau des clichés
photographiques reste lettre morte ; comme la locomotive privée de son
combustible et isolée des wagons qu’elle doit entraîner, il n’est plus qu’une
chose admirable et curieuse qui contient et promet le mouvement, mais ne
le donne pas. La question du tirage et de la multiplication des bonnes
épreuves est donc capitale ; bien résolue, elle doit rendre à la photographie
sa véritable importance.
PHOTOGRAPHIE,
CONTRÔLE ET RÉPRESSION
(1863-1872)

Inspection générale des prisons,


ministère de la Marine et des Colonies

La photographie est très tôt perçue comme un moyen possible de contrôle des
déviants : des « fous », des prisonniers, des errants. Ernest Lacan propose dès
1855 que l ’on photographie les détenus pour prévenir évasions et récidives 1, mais
il semble qu’avant 1870 les intentions soient rarement suivies d ’effets. La transition
décisive sera l ’usage par la préfecture de Police de photographies dans ses actions
répressives contre les communards.
Les documents d’archives révèlent comment s ’impose progressivement l ’usage
répressif de la photographie. En 1863 le directeur de la Maison centrale de
Clairvaux souhaite acquérir un appareil photographique, mais le Conseil de
l ’Inspection générale des prisons refuse d ’accéder à sa demande car ce « serait
pour les détenus une aggravation de peine non prévue par la loi et un moyen de
plus d’empêcher tout retour au bien ».
Le 11 août 1871, à peine trois mois après la défaite de la Commune, le ministre
de la Marine et des Colonies décide, pour « rendre plus certaine et plus rapide »
l ’action des juges maritimes, de faire photographier « tout individu [...] condamné
par une des juridictions permanentes des ports à une peine supérieure à six mois
d’emprisonnement ». Il est rapidement imité par son collègue ministre de la Guerre
qui, en février 1872, étend cette décision à l ’armée de terre et, pour Paris, aux
« militaires condamnés pour participation à l ’insurrection ».
C’est que la Commune est proche, et les craintes pour la « sûreté publique »
encore vives. Le 30 mars 1872 les choses se précisent. Le Directeur de
l ’Administration pénitentiaire profite de la situation pour renouveler la proposition,
déjà émise en 1863, d ’utiliser la photographie à l ’encontre des prisonniers civils
et, en particulier, des « individus condamnés pour faits insurrectionnels » 12.

1. Ernest Lacan, Esquisses photographiques à propos de l ’Exposition universelle de la guerre d’Orient. 1856. p 39.
2. Ce sera chose faite en 1874, avec l’entrée officielle de la photographie à la préfecture de Paris et.
surtout, en 1882, avec le premier fichier anthropométrique et photographique mis au point par Alphonse
Bertillon. Cf. Christian Phéline, «L’image accusatrice», Les Cahiers de la photographie, nQ17. 1985 numéro
spécial).
480 I .A PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

Avec le concours d’un photographe comme Eugène Appert qui va recueillir dans
les prisons de Versailles les portraits des communards, la photographie devient un
moyen de contrôle destiné à juguler les risques d ’agitation. Mais par une sorte
d ’ironie, diffusés, vendus ou exposés, ces mêmes « portraits des individus poursuivis
ou condamnés pour leur participation aux derniers faits insurrectionnels »
transforment les victimes en héros : leur fonction initiale est inversée, au point que
le Général gouverneur de Paris en interdit la diffusion.

Ministère de l’Intérieur, direction de l’Administration pénitentiaire, le


Conseil de l’Inspection générale des prisons : « Proposition du directeur
de Clairvaux d’acheter un appareil photographique pour chacune des
maisons centrales », 20 nov. 1863. [Archives nationales F 7 12708]

Vu la demande adressée à M. le Préfet de l’Aube par M. le directeur de la


Maison centrale de Clairvaux à l’effet d’être autorisé à acheter un appareil
photographique.
Vu la lettre de M. le Préfet transmettant cette demande à M. le ministre
de l’Intérieur.
Considérant que si la justice criminelle pour les besoins de l’instruction a
été amenée à ordonner que les portraits de quelques individus fussent
photographiés pour guider les recherches des agents de l’autorité, cette mesure
n’a été prise qu’avec la plus grande réserve et sous la responsabilité des
magistrats qui l’ordonnaient, que l’intelligence et la discrétion de ces
fonctionnaires garantissaient du reste qu’il ne serait fait aucun abus de ce
moyen d ’instruction.
Mais qu’il n’en saurait être de même d ’une mesure générale appliquée sans
distinction à tous les condamnés des maisons centrales, qu’elle serait pour
ces détenus une aggravation de peine non prévue par la loi et un moyen de
plus d’empêcher tout retour au bien.
Q u’un tel mode serait d’ailleurs trop souvent inefficace, que rien n’est
fugitif comme la physionomie humaine et que la moindre modification dans
les traits du visage peut changer l’aspect de la figure d’un homme, que l’âge
d’ailleurs pour les condamnés à longue peine qui sont les plus dangereux
rendrait inutile toute image photographique.
Q u’à tous ces embarras, si l’on ajoute l’abus possible de ces dessins
abandonnés dans un greffe à la discrétion d’agents non responsables, il ne
paraît pas convenable d’introduire cet usage dans les maisons centrales.
Est d’avis, qu’il n’y a pas lieu de donner suite à la demande de M. le
directeur de la Maison centrale de Clairvaux.
le Président, Ch. Lucas ; le Secrétaire, L. Grollier.
LE TRIOMPHE DE L’INDUSTRIE

131. Eugène Appert, M o n se ig n e u r Darboy, a r ch evê q u e d e Paris, d a n s la cellule n° 23, 4 e se c tio n qu'il a o c c u p é e le 24 m ai 1871
d e d e u x à q uatre h eures, 1871. Photomontage, tirage papier albuminé. -

Cette épreuve fat* partie d'une séné de photomontages et de mises en scène : Crim es d e la C o m m u n e. Appert reconstitue,
et transforme pour mieux les dénoncer, certains actes des communards.
Les images de sa série sont donc fictives, mais aux yeux de spectateurs incapables
de déceler la supercherie, elles sont créditées de l'exactitude photographique.

Le ministre de la Marine et des Colonies : « Instructions relatives à la


photographie des condamnés», 11 août 1871.

Le ministre de la Marine et des Colonies à Messieurs les Préfets maritimes à Cherbourg,


Brest, Lorient, Rochefort et Toulon.
Monsieur le Préfet, mon attention s’est portée sur les difficultés matérielles
et les lenteurs que présente souvent la constatation de l’identité des prévenus,
et, désireux de rendre plus certaine et plus rapide cette importante mission
confiée parfois aux juges militaires, j ’ai été amené à rechercher comment il
serait possible d’étahlir, avec une précision que ne fournissent presque jamais
les signalements, le moyen, dès la première comparution d’un individu devant
les juridictions maritimes, de reconnaître aisément le prévenu, si, dans la
suite, il venait à se rendre coupable d’une nouvelle faute. Cette possibilité
serait à la fois une précieuse ressource pour aider la justice dans ses
482 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

investigations, et une garantie pour les justiciables, qui n’auraient point à


craindre d’être victimes d’erreurs toujours fort préjudiciables.
En effet, sans parler des arrestations opérées sur des innocents, il est arrivé
plusieurs fois que, pour échapper aux conséquences de fautes plus graves, et
surtout à l’augmentation de peine résultant de la récidive, des individus,
dissimulant leurs qualités, se faisaient condamner sous de faux noms, en
empruntant celui de déserteurs ou d ’autres marins dont ils avaient connu
l’histoire et dont ils n’ignoraient pas l’éloignement momentané.
Or, il importe de ne point perdre de vue que les condamnations et les
décisions quelconques des tribunaux frappent le plus souvent un petit nombre
d ’individus qui, tour à tour libres ou détenus, constituent comme une sorte
de personnel judiciaire, alternativement en révolte contre la société et la
discipline, ou châtié en leur nom.
Il m’a semblé qu’une des preuves les plus irréfragables de l’identité est la
représentation exacte de la physionomie d’un condamné par la photographie.
La mise en pratique de cette mesure qui, grâce aux ateliers établis depuis
près de douze années dans les ports, pour l’exercice de cette profession,
pourrait être exécutée au fur et à mesure des condamnations, moyennant une
dépense insignifiante, aurait le double avantage de faciliter les recherches de
la police judiciaire, au cas d’une seconde poursuite, et de permettre l’application
à coup sûr des peines de la récidive.
J ’ai donc arrêté que, désormais, tout individu, quelle que soit sa qualité,
condamné par une des juridictions permanentes des ports à une peine
supérieure à six mois d’emprisonnement, sera, dans la semaine qui suivra le
jour où sa condamnation est devenue irrévocable, et par les soins du
commissaire aux hôpitaux et prisons, photographié, la tête nue, les cheveux
coupés ras et, autant que possible, sans barbe. L’épreuve sur papier aura
20 millimètres sur 30 millimètres, et représentera seulement la tête et le cou
du condamné. Il ne sera tiré que deux épreuves qui seront collées, l’une sur
la minute du jugement, et l’autre sur celle des ampliations qui m’est adressée
pour les archives judiciaires centrales de mon ministère. Le cliché sera
conservé, si faire se peut, mais il ne pourra en être reproduit aucune épreuve
que sur un ordre écrit du préfet maritime. [...]
Cette formalité ne sera remplie, à l’égard des condamnés à mort, que dans
le cas où une mesure de clémence interviendrait en leur faveur, et seulement
après que notification leur aura été faite de la décision gracieuse.
A titre de disposition transitoire, chaque port fera, au fur et à mesure du
possible, et en commençant par ceux dont l’élargissement est le plus imminent,
exécuter la photographie des détenus qui subissent actuellement le restant
d’une peine supérieure à six mois d ’emprisonnement dans les divers
établissements pénitentiaires de la marine. Les épreuves seront envoyées à
qui de droit, selon les règles tracées plus haut, et porteront au dos les nom
et prénoms du condamné.
L E T R I O M P H E D E L ’I N D U S T R I E 48 3

Veuillez bien, Monsieur le Préfet, notifier la présente instruction à M. le


commissaire-rapporteur près le 1er tribunal maritime, et à M. le commissaire
aux hôpitaux et prisons, à qui il appartient d’en assurer l’effet, chacun dans
la limite de ses attributions. Je vous confie le soin de veiller à la mise en
pratique de cette décision, dont il y a lieu d’attendre les meilleurs résultats,
dans l’intérêt de la justice.
Recevez, Messieurs, l’assurance de ma considération la plus distinguée.
Le Vice-Amiral, Ministre secrétaire d’Etat
au département de la Marine et des Colonies,
A. Pothuau.

Ministère de l’Intérieur, direction de l’Administration pénitentiaire


(2e bureau), Inspection générale des prisons : « Application de la
photographie à la constatation de l’identité des détenus», 3 0 mars 1872.
[Archives nationales F7 12708]

Monsieur le Directeur et cher collègue, par une circulaire du 11 août 1871


dont vous trouverez, ci-inclus, un exemplaire, M. le ministre de la Marine et
des Colonies a prescrit aux préfets maritimes des cinq grands ports français
de faire exécuter la photographie de tous les individus condamnés par
une des juridictions de la marine à une peine supérieure à six mois
d’emprisonnement.
Cette circulaire a été communiquée le 29 février dernier au ministère de
l’Intérieur par le ministre de la Guerre qui informait en même temps son
collègue qu’il venait d’adopter en principe la même mesure en ce qui concerne
les condamnés de l’armée de terre. M. le ministre de la Guerre ajoute qu’il
a décidé qu’à titre d’essai M. le Gouverneur de Paris serait invité à faire
l’application de ladite mesure à un certain nombre de militaires condamnés
pour participation à l’insurrection à une peine supérieure à six mois
d’emprisonnement, mais n’entraînant pas leur exclusion de l’armée, et il
appelle l’attention de M. le ministre de l’Intérieur sur le point de savoir s’il
n’y aurait pas avantage à procéder de même à l’égard des individus de l’ordre
civil ou exclus de l’armée par le fait de leur condamnation contre lesquels
les conseils de guerre auraient eu à prononcer des peines supérieures à six
mois de prison pour faits insurrectionnels.
L’Administration pénitentiaire a, dès 1863, songé à appliquer la photographie
à la constatation de l’identité des détenus, mais elle y a renoncé par les motifs
développés dans un avis du Conseil de l’Inspection générale des prisons dont
vous trouverez également une copie ci-jointe, ainsi que de la décision du
2 décembre 1863 qui en a adopté les dispositions.
484 L A P H O T O G R A P H I E E X F R A N C E 1816-1871

132 Attribué à D'Sdér1. Cadavres de fédérés pendant la Semaine sanglante,


mai 1871. Tirage papier albuminé.

La question dont il s’agit intéressant avant tout la sûreté publique, je crois


devoir vous prier de vouloir bien examiner, à un point de vue général :
1° Si, nonobstant l’avis et la décision que je viens de rappeler, il conviendrait
dans cet ordre d’idées, de faire photographier tous les individus condamnés
en matière criminelle et ceux qui sont condamnés en matière correctionnelle
à un emprisonnement de plus d’un an, pour crime et délits ordinaires.
2° S’il y aurait lieu d’appliquer la mesure aux individus condamnés pour
faits insurrectionnels.
Dans le cas où vous inclineriez vers l’afTirmative, il resterait à nous concerter
pour le mode d’exécution et pour l’imputation des dépenses auxquelles
devraient donner lieu l’achat, l’entretien et le renouvellement des appareils.
Agréez, M. le Directeur et cher collègue, l’assurance de ma haute
considération.
Ï 3 t T R I O M P H E D E L 'I N D U S T R I E 48 5

Le Général gouverneur de Paris, arrêté du 28 décembre 1871 (Archives


nationales F 18 2363).

Le Général gouverneur de Paris,


En vertu des pouvoirs que lui confère l’état de siège,
Vu l’article 9 de la loi des 9-11 août 1849,
Attendu que l’on met en vente dans les boutiques et que l’on colporte sur
la voie publique des dessins ou emblèmes de nature à troubler la paix
publique,
Arrête :
Article 1". L’exhibition, la mise en vente et le colportage de tous dessins,
photographies ou emblèmes de nature à troubler la paix publique, sont
prohibés.
Sont interdits notamment la mise en vente, l’exhibition et le colportage des
portraits des individus poursuivis ou condamnés pour leur participation aux
derniers faits insurrectionnels.
Article 2. Les infractions au présent arrêté seront constatées par les officiers
de police judiciaire, par les agents de la force publique et déférés aux tribunaux
compétents.
Signé : de Ladmirault.
ANNEXES
CHRONOLOGIE

1802 1831
Expériences de Wedgwood sur la Daguerre signale à Niépce les effets
2 1 m a i.
« Sensibilité à la lumière du nitrate d’argent » de la lumière sur l’iodure d’argent.
■— rapportées par Humphry Davy dans
J o u r n a ls o f th e R o y a l I n s titu tio n . 1833
1816 5 ju ille t. Mort de Nicéphor^ JJépce.
M a i . Niépce réalise sur papier à l’aide
d'une chambre noire ses premiers « points de 1835
vues » : ce sont des images négatives. L’Anglais William Henry Fox Talbot
A o û t.
obtient à la chambre noire une image
1819 (négative) sur papier qui représente une
L’anglais John Herschel reconnaît à fenêtre de la bibliothèque de Lacock Abbey.
l’hyposulfife de soude la propriété de
dissoudre les sels d’argent. L’hyposulfite 1837
servira à « fixer » les images photographiques Isidore Niépce, le fils de Nicéphore,
12ju in .
— depuis Talbot et Daguerre jusqu’à accepte par contrat avec Daguerre que le
aujourd’hui. procédé photochimique porte « le nom seul
de M. Daguerre ».
1822
Ouverture par Daguerre et Bouton du
1839
« Diorama » à Paris, près de la place du
François Arago présente pour la
7 ja n v ie r .
Château d’eau.
première fois à l’Académie des sciences de
1825 Paris des épreuves photochimiques
Début de la collaboration de
J u in . réalisées par Daguerre : des daguerréotypes.
Nicéphore Niépce avec le graveur parisien Le procédé pour les obtenir est encore tenu
François Lemaître. secret.
1826 Après la communication
3 1 ja n v ie r .
2 5 ja n v ie r . Première lettre de Daguerre à d’Arago, l’Anglais Fox Talbot, qui a eu
Niépce. connaissance des travaux de Daguerre,
revendique devant la Royal Society of
M a i- n o v e m b r e . Premières héliographies de London la priorité de l’invention.
Niépce sur plaque d’étain d’après nature. Le
P a y s a g e à S a i n t- L o u p - d e - V a r e n n e s date sans Fox Talbot affirme dans une lettre
2 1 fé v r ie r .
doute de cette époque (ill. p. 26). à Jean-Baptiste Biot, de l’Académie des
sciences, qu’il a, « depuis près de 5 ans »,
1827 « fixé avec une certaine rapidité des images
Niépce rédige à Kiew (en
8 d éce m b re.
données par la c a m é r a o b scu ra ».
Angleterre) sa « Notice sur quelques résultats
obtenus spontanément par l’action de la 1 5 j u i n . Le ministre de l’Intérieur Duchâtel
lumière », destinée à la Royal Society of présente à la Chambre des députés un projet
London. de loi engageant l’Etat à acquérir le
procédé de Daguerre.
1829
Traité provisoire d’association
1 4 d écem b re. Daguerre et Isidore Niépce
2 2 ju in .
Niépce-Daguerre. Niépce joint au traité sa accordent au papetier Alphonse Giroux
« Notice sur l’héliographie ». l’exclusivité pour la fabrication et la vente
ANNEXES

de la chambre conçue par Daguerre : la Juin. Antoine Claudet ouvre à Londres un


« seule revêtue de sa signature ». studio avec une licence de Daguerre.
24 j u i n . Exposition de « positifs directs » Claudet et Fizeau réalisent des vues
(sur papier) par Hippolyte Bayard à Paris, stéréoscopiques au daguerréotype (par
salle des Commissaires priseurs. déplacement d’un seul appareil).
François Arago, président de la
3 ju ille t. Girault de Prangey voyage (jusqu’en 1845)
commission chargée d’examiner le projet de autour de la Méditerranée, il rapportera près
loi Duchâtel, exhorte les députés à voter en de 900 daguerréotypes.
faveur de l’acquisition par l’Etat du procédé
de Daguerre : pour « en doter libéralement 1842
le monde entier ». Mars. Bayard reçoit un prix de 3 000 F au
concours organisé par la Société
Gay-Lussac engage la Chambre
3 0 ju ille t. d’encouragement pour l’industrie nationale
des pairs à adopter les conclusions de la en vue d’accélérer le perfectionnement de la
commission favorable à l’acquisition par photographie sur papier.
l’État du procédé de Daguerre.
1843
Le secret du procédé Daguerre est
1 9 a o û t. Bayard réalise 20 daguerréotypes du
A o û t.
levé par François Arago devant l’Académie château de Blois « pour servir au projet de
des sciences et l’Académie des beaux-arts restauration sur la demande de M. Duban,
réunies à Paris. architecte ».
2 n o v em b re . Raoul Rochette fait l’éloge du Novembre. Jules Itier s’embarque pour la
procédé de Bayard (positifs directs sur Chine avec un matériel daguerrien.
papier) devant l’Académie des beaux-arts.
1844
Frédéric Goupil-Fesquet et le
N ovem bre.
M a i. Premier et seul numéro du
peintre Horace Vernet débarquent à publié par Jules Rouby.
D a g u e r r é o ty p e ,
Alexandrie munis d'un matériel pour
daguerréotype. Ils y rencontrent le Léon Foucault, le préparateur du
J u ille t.
16 novembre un autre daguerréotypiste, Dr Alfred Donné, réalise des daguerréotypes
Pierre Gustave Joly de Lotbinière. au microscope : les agrandissements sont
de 20 à 400, les temps de pose de 4 à
1840 20 secondes.
Bayard réalise son autoportrait
1 8 o ctobre.
en suicidé sur papier positif direct. 8 ju ille t. Louis Fizeau soumet à l’Académie
des sciences une méthode complète de
Accroissement de la sensibilité des plaques
reproduction des daguerréotypes à l’encre
daguerriennes (la pose passe de 15 minutes à
grasse d’imprimerie. Lerebours publiera dans
5 secondes) grâce aux procédés de Claudet,
E x c u r s io n s d a g u e rr ie n n e s (1843-1844) trois
Fizeau, Gaudin, Vaillat, Thierry, Bingham,
etc. gravures réalisées à l’aide de ce procédé.
1 4 octo b re. Jules Itier réalise en Chine, à
En Espagne Théophile Gautier s’exerce au
daguerréotype aux côtés d’Eugène Piot. Wampoa, à l’occasion de la signature du
traité franco-chinois mettant fin à la
1841 Première guerre de l’opium, un
7f é v r ie r . Fox Talbot prend en Angleterre daguerréotype des diplomates : c’est l’un
un brevet pour son procédé « calotype » : il des premiers daguerréotypes d’actualité.
tire par contact sur papier salé des images
positives d ’après des négatifs en papier. 1845
Frédéric Martens : daguerréotypes
M a r s . Léon Foucault copie sur cuivre par panoramiques de 14 X 50 cm, couvrant un
galvanoplastie des daguerréotypes. champ de 150°.
Bayard reçoit une médaille d’argent
A v r il. Louis Fizeau et Léon Foucault obtiennent
de la Société libre des beaux-arts. les premières images daguerriennes du soleil.
490 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

En 1847 Gustave Le Gray et François Gustave Le Gray envoie 9 épreuves


Arago feront des « expériences pour obtenir photographiques au Salon des beaux-arts.
sur plaque les taches noires qui paraissent D’abord admises à figurer parmi les
sur le soleil ». lithographies, elles sont finalement retiré'es de
l’exposition.
1847
Blanquart-Évrard présente à
J a n v ie r .
l’Académie des sciences un perfectionnement 1851
des négatifs papier (calotypes). Fondation de la Société
J a n v ie r .
25 Niépce de Saint-Victor obtient
o cto b re. héliographique à Paris par le baron Gros
des négatifs sur verre grâce à l’emploi de (président) et Hippolyte Bayard, Edmond
l’albumine pour retenir les sels d’argent à Becquerel, Benjamin Delessert, Eugène
la surface des plaques. L’image est plus Durieu, O. Mestral, Benito de Monfort,
précise qu’avec les négatifs en papier, mais Léon de Laborde, Niépce de Saint-Victor,
l’albumine réduit la sensibilité des sels Jules Ziégler (membres du comité).
d’argent. Le procédé est utilisé jusqu’en Gustave Le Gray, Henri Le Secq, Charles
1860. ‘SJègre, Édouard Baldus, Eugène Delacroix,
Francis Wey, etc., sont membres fondateurs.
56 studios de daguerréotypistes à Paris ; ils
occupent 48 ouvriers. 9 fé v r ie r . Premier numéro de L a L u m iè r e ,
hebdomadaire créé par le colonel Benito de
1848 Montfort et l’abbé Moigno. Lié dans un
Edmond Becquerel recueille sur
7 f é v r ie r . premier temps à la Société héliographique.
un daguerréotype les couleurs du spectre Ernest Lacan en sera le rédacteur en chef
solaire, mais sans réussir à les fixer. de décembre 1851 à décembre 1860.
Les frères Bisson reçoivent commande de Gustave Le Gray dépose à
2 5 fé v r ie r .
réaliser (jusqu’en 1849) les portraits- l’Académie des sciences un pli cacheté relatif
daguerréotypes des membres de à son procédé de négatifs sur papier ciré
l’Assemblée nationale (ils seront « confiés, sec (surtout utilisé par les photographes
comme modèles, aux mains de voyageurs jusqu’à la fin de la décennie).
40 litographes »).
Les bénéficiaires de la Mission
2 8 f é v r ie r .
Premières projections à l’aide d’une héliographique sont désignés par la
lanterne magique de photographies positives Commission des monuments historiques :
transparentes (albumine sur verre). Bayard sera envoyé en Normandie, Le Gray
et Mestral en Touraine et dans le Midi,
1849 Baldus en Bourgogne et Dauphiné, Le Secq
La photographie est représentée à en Champagne, Alsace et Lorraine.
l’Exposition des produits de l’industrie de
Paris. Gustave Le Gray y remporte une 7 m a r s . La Société héliographique nomme
médaille. une commission d ’étude pour la création
d’une « imprimerie photographique »
Maxime Du Camp, chargé d’une
4 n o v em b re . destinée au tirage des épreuves positives.
mission archéologique, s’embarque en
compagnie de Gustave Flaubert pour L’Exposition universelle de Londres
J u in .
l’Egypte muni d’un matériel photographique. accueille la photographie — pour la France :
Il a auparavant pris « plusieurs leçons chez Gouin, Bayard, Le Gray, Le Secq,
Gustave Le Gray ». Martens, Thierry, etc.
J u in . Publication de la première livraison
1850 de d’Eugène Piot.
L ’I t a l i e m o n u m e n ta le
Blanquart-Evrard présente à
2 7 m a i.
l’Académie des sciences sa méthode de Ouverture à Loos-les-Lille de
E té .
fabrication des papiers positifs à l’« Imprimerie photographique » de
l’albumine. Blanquart-Évrard (voir bibliographie).
ANNEXES 491

Porro, Vaillat et Thompson d ’une


8 ju ille t. Lemercier, Lerebours, Davanne et
3 ju ille t.
part, et le baron Gros d’autre part, prennent, Barreswil déposent un brevet pour un
au moment de l’éclipse, des photographies procédé de photolithographie à base de
du soleil. bitume de Judée.

10 ju ille t. Mort de Daguerre. Charles Nègre part pour le Midi de


A o û t.
la France. Il rapportera au début de 1853
S e p te m b r e . Parution de L ’A l b u m environ 80 photographies de monuments
p h o to g r a p h iq u e de l ’a r tis te e t d e l ’a m a te u r , qui, tirées chez de Fonteny, seront en partie
première publication de ]’« imprimerie (seulement 2 livraisons de 8 planches)
photographique » de Blanquart-Évrard. publiées chez Goupil en 1854 au prix de 8 F
la planche.
O c to b re . Ouverture à Paris, 72, rue Saint-
Nicolas-d’Antin, de l’« imprimerie 21 novem bre.Jour du plébiscite de
photographique » de H. de Fonteny pour Napoléon III empereur : Henri Le Secq
« le tirage des épreuves positives, à des prix photographie la façade de l’Hôtel de Ville
modérés ». Elle est dirigée par Alexandre de Paris sur laquelle sont affichés les résultats
Lachevardière. du vote.
L’Anglais Frederick Scott Archer publie Adolphe-Alexandre Martin crée le
son procédé de plaques négatives au collodion ferrotype (positif au collodion sur métal
humide sur verre. Beaucoup plus rapide noirci), surtout utilisé par les photographes
que l’albumine, le collodion doit cependant forains.
être exposé humide dans la chambre noire, Henri Le Secq enregistre (jusqu’en 1853)
donc être préparé et traité sur les lieux mêmes les transformations urbaines ordonnées par
de la prise de vue. Il sera utilisé jusqu’en Jean-Jacques Berger, préfet de Paris.
1880.
Maxime Du Camp publie E g y p t e , N u b i e ,
Niépce de Saint-Victor obtient des chez Gide et Baudry (entre
P a le s tin e e t S y r ie
daguerréotypes coloriés (une seule couleur à 150 et 200 exemplaires). Les tirages
la fois). photographiques sont assurés par Blanquart-
Evrard.
1852
Brevet de Jules Duboscq pour son
1 6 fé v r ie r .
stéréoscope, inspiré de celui de l’Anglais 1853
David Brewster (1849). L’imprimeur lithographe Rose-
D é b u t.
Joseph Lemercier adjoint une « imprimerie
3 m a i. Premier numéro de C o s m o s , revue photographique » à ses ateliers.
h e b d o m a d a ir e d e s p r o g r è s des s cien ces e t d e le u rs
fondée par
a p p lic a tio n s a u x a r ts et à l ’in d u s tr ie , 2 3 m a i. Niépce de Saint-Victor présente à

le colonel Benito de Montfort et l’abbé l’Académie des sciences son procédé de


Moigno. Le C o s m o s , qui paraîtra jusqu’en gravure héliographique sur acier, utilisé
1864, entretiendra une vive concurrence avec par Mante pour la publication de L a
L a L u m iè r e . P h o to g r a p h ie z o o lo g iq u e de Louis Rousseau.

1 2 d éce m b re. Auguste Salzmann et son aide


Philippe de Chennevières, directeur
A v r il.
Durheim partent pour Jérusalem. Leur but
des Beaux-Arts, commande à Gustave Le est de confirmer par la photographie les
Gray de photographier les œuvres hypothèses contestées de l’archéologue
principales du Salon, au Palais-Royal à Paris Félicien Caignart de Saulcy.
(deux albums sont aujourd’hui connus).
î
Adolphe Braun s’installe photographe à
Le baron Gros réalise des
1 0 - 1 2 m a i. Dornach en vue de « former une collection
daguerréotypes à l’occasion de la cérémonie d’études destinées aux artistes qui
de la distribution des Aigles au Champ-de- emploient les fleurs comme éléments de
Mars. décoration ».
492 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

Cuvelier, négociant à Arras et passionné de Installé depuis peu, Adrien Tournachon, le


photographie, invente le cliché-verre auquel frère de Nadar, collabore avec le
il initie le peintre Corot. Dr Duchenne de Boulogne à une série de
Dans sa Société photographique créée sous photographies pathologiques (pour ses
les auspices du peintre Léon Cogniet, Louis- « recherches électro-physiologiques sur le
Camille d’Olivier réalise, tire et vend des mécanisme de la physionomie humaine »).
nus pour artistes. John B. Greene publie L e N i l (tirages
Eugène Durieu photographie une série photographiques par Blanquart-Evrard).
d’études de nus en collaboration avec Eugène L’opticien Charles Chevalier construit son
Delacroix. « mégascope réfracteur achromatique » pour
Maxwell Lyte et Gustave Le Gray le tirage par agrandissement.
pratiquent la technique des ciels rapportés Nadar s’installe photographe, 113, rue
qui consiste à combiner un paysage et un Saint-Lazare à Paris.
ciel pris séparément (les plaques ne pouvant
rendre simultanément le sol et le ciel, d’une 1855
luminosité trop différente). 1 ". ja n v i e r . Premier numéro du B u l l e t i n de la
S o c ié té fr a n ç a i s e d e p h o to g r a p h ie , mensuel.
16 m a r s . Victor Régnault, membre de
1854 l’Institut, est élu président de la Société
7J a n v ie r . Disdéri ouvre son atelier du 8, française de photographie ; il le restera
boulevard des Italiens à Paris. jusqu’en 1868.
1 " a v r il. L a L u m iè r e est le premier organe de
Auguste Bertsch obtient des épreuves
A v r il.
presse à reproduire à l’encre d’imprimerie au collodion avec un temps de pose de 1/4 de
une illustration d’après une photographie. seconde. Il propose à la Société française
S e p te m b r e . La police suisse du canton de de photographie de « reproduire une place
Vaud préconise l’utilisation du daguerréotype publique avec des passants ».
pour identifier un malfaiteur. 1 5 m a i. Ouverture de l’Exposition
11 Lafon de Camarsac dépose un
s e p te m b r e . universelle de Paris. La photographie est
brevet pour ses émaux photographiques admise au palais de l’Industrie, mais non
(souvent coloriés). à celui, séparé, des beaux-arts (jusqu’au
15 novembre 1855).
1 5 n o v e m b r e . Fondation de la Société
française de photographie par Aguado, Testud de Beauregard obtient des
J u in .
Bayard, Bisson, Blanquart-Evrard, baron épreuves « accusant sur la même feuille des
Gros, Léon de Laborde, Gustave Le Gray, colorations diverses, en rapport avec les
Charles Nègre, etc. (93 fondateurs). Elle couleurs de la nature ».
comptera 165 membres en 1855 et 272 en 1 " a o û t. Première exposition de la Société
1864. française de photographie dans ses locaux,
26 n o v em b re . Disdéri dépose son brevet pour rue Drouot (jusqu’au 15 novembre).
la « carte de visite ». 27 a o û t. Alphonse Poitevin dépose deux
Adolphe Braun réalise une série de brevets : 1° « l’hélioplastie » (moyen de
300 photographies de fleurs pour servir de produire des planches pour la gravure ou
modèles aux peintres, dessinateurs et l’impression typographique) ; 2° la
fabricants de tissus. lithophotographie. Ces deux procédés
exploitent la solubilité des bichromates
Edouard-Denis Baldus enregistre (jusqu’en
mélangés à des matières organiques.
1856) les réalisations de Lefuel au Nouveau
Louvre (architecture, sculptures, éléments J.-M . Taupenot propose son
S e p te m b r e .
de décoration). Les clichés seront publiés en procédé de négatifs au collodion albuminé
4 volumes et 470 planches photographiques. sec.
ANNEXES 493

19 octobre. Davanne et Girard : « Mémoire 18 juillet. La Société française de


analytique sur la formation, le fixage et photographie lance, à la demande du duc de
l’altération des épreuves positives en Luynes, un double concours pour favoriser
photographie » (communication à la Société les recherches sur les moyens : 1° d’assurer
française de photographie). la pérennité des épreuves (2 000 F) ; 2° de
rendre pratique la gravure héliographique
1" novembre. Premier numéro du Photographe,
(8 000 F).
revue dirigée par A. Herling. Elle paraîtra
jusqu’en février 1856 (5 numéros publiés). 13 août. Charles Nègre prend un brevet pour
son procédé de gravure héliographique :
5 novembre. Premier numéro de la Revue « Méthode pour transformer les images
photographique, fondée par Léon Wulff, photographiques plaquées en planches
mensuelle, paraissant jusqu’en 1865.
gravées ».
13 novembre. Le colonel Charles Langlois
13 octobre. Auguste Bertsch et Camille
arrive à Kamiesch en Crimée pour préparer d ’Arnaud photographient au collodion
son panorama du siège de Sébastopol.
l’éclipse de la lune à l’aide de la lunette de
Assisté de Léon Méhédin, il utilise la
Porro.
photographie. Ils quitteront la Crimée le
12 mai 1856. 15 novembre. Seconde exposition de la
Société française de photographie (jusqu’au
17 novembre. Niépce de Saint-Victor : 15janvier 1857), 35, boulevard des
« Mémoire sur la gravure héliographique Capucines, dans l’immeuble qui abrite le
obtenue directement dans la chambre studio de Gustave Le Gray et qui, en 1860,
noire » (communication à la Société française •
accueillera celui de Nadar.
de photographie).
Baldus photographie pour le compte du 21 novembre. Charles Nègre communique à
baron James de Rothschild — président des la Société française de photographie son
Chemins de fer du Nord — un album sur « Mémoire sur la damasquinure et la
les sites traversés par la ligne de Paris à gravure héliographique ».
Boulogne (un album sera offert à la reine Commande à Édouard Baldus par le
Victoria en 1855 ; une autre version paraîtra ministère de l’Intérieur d’une série sur les
à 25 exemplaires vers 1860). inondations du Rhône à Lyon, Avignon,
Fermeture de l’« imprimerie Tarascon.
photographique » de Blanquart-Évrard à Publication de Jérusalem d’Auguste
Loos-les-Lille. Salzmann par les éditions Gide et Baudry
(tirages photographiques par Blanquart-
1856 Évrard) ; album de 174 planches.
Début. Alphonse Poitevin ouvre à Paris, rue
Saint-Jacques, une imprimerie
photolithographique (rachetée en 1857 par 1857
Lemercier). Au dos d’une photolithographie : 16 janvier. Jules Duboscq réalise des
« Épreuve obtenue après un tirage de 800. épreuves au microscope électrique (X 300)
Paris le 19 février 1857. Poitevin ». qui, tirées sur verre, sont ensuite projetées
à l’aide d’un appareil électrique.
7 mars. Chargé de 1 100 kg de matériel,
Moulin arrive en Algérie avec l’appui du 17 avril. Désiré Charnay quitte Paris pour
ministre de la Guerre, pour une « excursion le Mexique, il est de retour en 1861.
photographique» de 18 mois. Il en
rapportera plus de 300 clichés. 10 août. Auguste Bertsch présente à
l’Académie des sciences une série de
Juillet. Premier et seul numéro du Spectateur, photographies au microscope agrandies
organe de la photographie, des arts, de la littérature jusqu’à « 800 diamètres » ; les cristaux de
et de l’industrie, revue fondée par Auguste salicine reproduits ont été éclairés en
Caron. lumière polarisée.
494 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

Gustave Le Gray réalise


S e p te m b r e /o c to b r e . « Reportage » de Charles Nègre sur l’Asile
une série (limitée) d’albums de photographies impérial de Vincennes destiné par
sur l'entraînement de la Garde impériale Napoléon III à accueillir des ouvriers
au camp militaire de Châlons-sur-Marne. convalescents (la date pourrait être 1859). Il
Des albums seront offerts par l’empereur à donne lieu à un album tiré à plusieurs
plusieurs de ses généraux. exemplaires offerts par l’empereur à quelques
19 n o v em b re . Premier numéro du P h o to g r a p h e , hauts fonctionnaires.
dirigé par Edouard de Latreille, paraissant
jusqu’en avril 1858 (7 numéros publiés). 1859
Les graveurs et lithographes sont
F é v r ie r .
signale le début de
2 1 n o v em b re . L a L u m iè r e invités à signer chez le marchand d’estampes
la vogue de la « carte de visite ». Goupil une pétition adressée à l’empereur
1 2 décem bre. Nadar (Félix Tournachon) pour protester contre la « photographie qui
gagne son procès en appel contre son frère — les menace d ’une ruine certaine ».
le photographe Adrien Tournachon — au 1 5 a v r il. Prorogation du prix de 2 000 F,
sujet de la « Revendication de la propriété offert en 1856 par le duc de Luynes pour
exclusive du pseudonyme Nadar ». favoriser la recherche de procédés de
Hippolyte-Auguste Collard photographie tirages inaltérables.
les phases des travaux du pont Saint-Michel. 1 5 a v r il. Troisième exposition de la Société
1858 j française de photographie au palais des
1 5 m a r s . Porro et Quinet photographient Champs-Elysées (jusqu’au 1erjuillet) dans
l’éclipse du soleil. un « espace distinct, il est vrai des Beaux-
Arts, mais qui, par sa contiguïté avec ceux-
1 8 j u i n . Besson présente à la Société ci, lui fait une sorte de réhabilitation ».
française de photographie un appareil à
24 objectifs permettant « d’obtenir d ’un 1 5 j u i l l e t . Woodward présente à la Société
seul coup 24 clichés d’un même objet ». française de photographie sa « chambre
solaire » pour agrandissements. Quinet
Nadar dépose un brevet pour la
2 3 o cto b re. lancera plusieurs réclamations de priorité
photographie aérienne. pour avoir fait breveter en 1854 un appareil
O c to b re . Premier numéro de L a P h o to g r a p h ie ,
semblable. L’agrandissement devient une
j o u r n a l d es p u b lic a tio n s lé g a le m e n t a u to r isé e s,
question importante.
mensuel publié par Furne et Tournier, qui Aimé Civiale commence à photographier
paraîtra jusqu’en mai 1859. les Alpes (Tyrol, Suisse, Savoie). En 1870 il
Hippolyte-Auguste Collard photographie aura rassemblé près de 1 000 vues et
successivement (jusqu’en 1864) pour les 41 panoramas géants (jusqu’à 4 m de long)
Ponts-et-Chaussées les phases des travaux destinés aux études géographiques,
de construction ou de réfection des ponts au géologiques et orographiques.
Change, Louis-Philippe, Saint-Louis, de Chambre à 4 objectifs construite par
Bercy et le pont-viaduc sur la Seine au Point- Hermagis et utilisée pour la « carte de visite »
du-Jour. — permettant 4 poses simultanées ou
Ouverture d ’un cours de photographie à 8 différentes.
l’école des Ponts-et-Chaussées, assuré Photographes et éditeurs de vues
(jusqu’en 1872) par Louis Robert, chef des stéréoscopiques, Furne (ils et Henry Tournier
ateliers de peinture et dorure à la disposent en 1859 d’un catalogue de plus
manufacture de Sèvres. de 1 000 numéros.
Pierre Petit, ancien opérateur de Disdéri,
s’installe 31, place Cadet, à Paris. 1860
Photographe attitré du clergé, il assure en Disdéri inaugure ses locaux rénovés,
A v r il.
1864 disposer d’environ 25 000 clichés 8, boulevard des Italiens (de mars 1860 à
d’ecclésiastiques. avril 1861 il prendra 9 081 clichés).
ANNEXES 49 5

1 5 j u i n . WulfF obtient en 20 secondes des 1 5 m a rs. Premier numéro du M o n i t e u r de la


clichés à la lumière artificielle (produite par p h o to g r a p h ie — paraissant le 1“ et le 15 de
un appareil de Moule). chaque mois — dirigé par Ernest Lacan
qui vient, en décembre, de quitter L a L u m iè r e .
1 8 j u i l l e t . Les photographes sont largement Pendant les années 1860, le M o n i t e u r de la
associés aux missions d’observation de p h o to g r a p h ie ravira à L a L u m iè r e l’autorité
l’éclipse du soleil : Aimé Girard en Algérie qu’elle avait acquise au cours de la
(École polytechnique), Léon Foucault en décennie précédente. ,
Espagne (ministère de l’Instruction
publique), Auguste Bertsch à Paris. 1 5 m a r s . Le major anglais Russell propose

Prudent Dagron applique la photographie pour les négatifs un collodion sec au tannin.
microscopique à la fabrication de bijoux Comme le collodion albuminé sec de
photographiques (de petites vues de Taupenot (1855), il est destiné à remplacer
dimensions réduites sont incrustées dans des le collodion humide dans la photographie
bijoux). Il emploie 150 ouvriers. de paysage et de voyage.
35, boulevard des Capucines : Alophe Ferrier et Soulier affirment devant la
A v r il.
succède à Gustave Le Gray qui quitte Paris ; Société française de photographie prendre des
Nadar ouvre dans le même immeuble son « vues stéréoscopiques d ’une instantanéité
nouvel atelier. absolue, et représentant différentes vues de
Paris, avec des personnages, des chevaux,
Plusieurs grands studios engagés dans la des voitures en mouvement ».
production de « cartes de visite » publient ou
préparent des ouvrages largement 1 " m a i. Quatrième exposition de la Société'
consacrés à des questions esthétiques : La française de photographie, contiguë au Salon
Blanchère (1860) ; Alophe (1861) ; Petit, des beaux-arts (jusqu’au 31 août).
Mayer et Pierson, Disdéri (1862) ; Liébert,
Ken (1864) [voir bibliographie]. Auguste-Rosalie Bisson réalise
2 4 ju ille t.
trois clichés depuis le sommet du mont Blanc.
Il était parti de Chamonix avec
1861 « 25 porteurs qui, en se relayant, devaient
Le concours du duc de Luynes
1 8 ja n v i e r . monter l à - h a u t les chambres noires, la tente,
(8 000 F destinés à récompenser le meilleur les glaces, les collodions, etc. » (nouvelle
procédé photomécanique) organisé par la expédition en 1862, et vues stéréoscopiques
Société française de photographie est prorogé en 1868).
au 1er avril 1864, les résultats de Alphonse
Poitevin, Charles Nègre et Pretsch n’étant pas Première exposition de la Société
S e p te m b r e .
jugés suffisants. photographique de Marseille.
Louis-Jean Delton crée une société
F é v r ie r . O c to b re . Poitrineau fabrique une voiture-
de « photographie pour cavaliers, amazones, laboratoire destinée à la photographie en
chevaux, voitures, meutes » à Paris, 8, rue extérieur ou en voyage.
de la Faisanderie.
Disdéri organise une grande
N ovem bre.
4 Nadar prend un brevet de
f é v r ie r . exposition de ses travaux dans les anciens
photographie à la lumière électrique. Ses locaux du Jockey Club.
premiers essais datent de 1858 dans les
Étienne Carjat s’installe photographe à
bureaux de L a P r e s s e s c ie n tifiq u e , avec l’aide de
Paris, 56, rue Laffitte (jusqu’en 1865), puis,
Charles Praetorius. Le temps de pose pour
de 1866 à 1869, 62, rue Pigalle.
un portrait varie alors de 60 à 85 secondes.
Nadar réalise une centaine de vues à la
Jules Duboscq présente à la
15 fé v r ie r . lumière électrique dans les catacombes et les
Société française de photographie deux égouts de Paris qu’il « anime » de
agrandisseurs : l’un fonctionne à la lumière mannequins de bois déguisés. L’opération
solaire, l’autre à la lumière électrique. dure 3 mois.
496 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

1862 généraux d ’exploitation se sont élevés en 1861


Alphonse Poitevin remporte le
*21 m a r s . à près de 400 000 F » et que leur
« petit concours » du duc de Luynes (2 000 F) « collection de clichés de portraits se porte à
avec son procédé de tirages inaltérables au près de 50 000 types ».
charbon. Une médaille est décernée à Fargier.
1 0 a v r il. Mayer et Pierson obtiennent gain 1863
de cause en Cour d’appel contre Betbéder, Seconde exposition de la Société
J a n v ie r.
Thiébault et Schwabbé qui ont contrefait photographique de Marseille.
et vendu plusieurs portraits de leur galerie
d’hommes célèbres. Nouveau procès de Mayer et Pierson
M a rs.
contre plusieurs contrefacteurs. Comme dans
M a i . Présentation internationale de leur précédent procès (1862), ils sont
photographies à l’Exposition universelle de d’abord déboutés avant de gagner en appel.
Londres. Les exposants français d ’épreuves
et de matériel remportent 32 médailles et 1 0 a v r il. La Société française de
46 mentions honorables, contre 26 et 51 photographie lance un concours de 3 000 F
pour leurs concurrents immédiats du pour favoriser l’élaboration d ’une méthode
Royaume-Uni. d’agrandissement.
1 5 j u i n . Création, autour d’Alfred Cadart, l n m a i. Cinquième exposition de la Société
de la Société des aquafortistes dont l'un des française de photographie, toujours contiguë
buts est de s’opposer à la concurrence de au Salon des beaux-arts (jusqu’au 31 août).
la photographie dans le domaine de la
reproduction des œuvres d’art. Désiré Charney accoste à
2 a o û t.
Madagascar.
28 n o v e m b r e . Lors de leur pourvoi en
cassation contre Mayer et Pierson, Betbéder 2 0 n o v em b re . Le directeur de la prison de
et Schwabbé présentent à la Cour une Clairvaux propose que chaque maison
« protestation émanée des grands artistes centrale soit dotée d’un appareil
contre toute assimilation de la photographique. Refus de l’administration
photographie à l’art ». Ingres, Flandrin, pénitentiaire.
Troyon, Jeanron, etc. en sont les
signataires, mais ni Delacroix ni Cogniet. Arthur Chevalier présente un
4 d écem b re.

Charles Marville qui, depuis le milieu des « mégascope » à la Société française de


années 1850, se présente comme photographie. Vive revendication de
« photographe du Musée impérial du priorité de la part d’Auguste Bertsch.
Louvre » et enregistre les transformations de Alphonse Liébert va de son côté
Paris, s’intitule désormais « photographe commercialiser un « appareil solaire pour
de la Ville de Paris ». l’amplification des épreuves ».
Création du Copiptoir international de Désiré Charnay publie C ité s e t ru in e s
a m é r ic a in e s .
photographie, au but « essentiellement
commercial », et de la Chambre syndicale François Willème crée une société de
de la photographie située au 82, bd de photosculpture pour le portrait. Plusieurs
Sébastopol à Paris. Le rôle réel de l’un et appareils disposés en cercle autour du
de l’autre semble avoir été modeste avant modèle enregistrent des vues de sa tête sous
1871, bien que la Chambre syndicale plusieurs angles : leur synthèse
intervienne directement dans l’organisation reproduisant l’illusion du volume permet de
de la section « Photographie » de guider le maniement d’un pantographe
l’Exposition universelle de 1867. utilisé pour sculpter un bloc de glaise.
Mayer et Pierson déclarent « occuper un La photographie fait son entrée à la
personnel d’artistes ou d’ouvriers qui se seconde exposition de la Société du progrès
monte à 60 personnes », que leurs « frais, de l’art industriel, à Paris.
ANNEXES 49 7

1864 Adolphe Braun adopte, dans son atelier de


Sixième exposition de la Société
1 " m a i. Dornach, le procédé de tirage au charbon
française de photographie, contiguë au Salon d’Alphonse Poitevin. Spécialisé dans la
des beaux-arts (jusqu’au 31 août). reproduction d’œuvres de l’art ancien, son
catalogue compte en 1868 près de
Charles Aubry dédie au prince
3 1 m a i.
4 000 clichés.
impérial une série d’« Etudes de feuilles »
destinée à « faire grandir l’art industriel ». La photoglyptie (ou woodburytypie) est un
procédé de tirage à l’« encre transparente »
29 décem b re. Jules Bourdin dépose le brevet et de diffusion des photographies. Mis au
définitif de son « petit appareil simple et point par l’Anglais Woodbury et inspiré de
portatif » : le Dubroni destiné aux l’hélioplastie de Poitevin (1855), il est
« amateurs ». exploité en France par Goupil et Cie et
Des photographies de Joly-Grangedor sont, Lemercier.
« à titre d ’essai », utilisées dans certains
1867
lycées parisiens pour l’enseignement du
5 avril. Alphonse Poitevin remporte le
dessin. Il avait en 1862 remporté une mention
« grand concours » (8 000 F) du duc de
honorable à l’Exposition universelle de
Luynes pour sa méthode de
Londres « pour sa photographie appliquée à
lithophotographie.
l’enseignement ».
2 décembre. Charles Cros confie à l’Académie
1865
des sciences sa « Solution du problème de la
J " m a i. Septième exposition de la Société
photographie des couleurs ».
française de photographie, à côté du Salon
des beaux-arts (jusqu’au 31 juillet). Concessionnaire exclusif du droit de
photographier l’Exposition universelle, Pierre
Le préfet de Paris Haussmann
2 9 décem b re.
Petit s’adjoint Bisson jeune pour les vues
crée le Service des travaux historiques pour d’ensemble, Léon et Lévy pour les vues
lequel Charles Marville photographie les stéréoscopiques et Michelez pour la
quartiers de Paris promis à la rénovation, reproduction des œuvres d’art.
Delmaet et Durandelle commencent Exposition de photographies dans
l’enregistrement photographique de la l’enceinte de l’Exposition universelle de Paris.
construction de l’Opéra de Paris (une
centaine de vues entre 1865 et 1872). 1868
Numa Blanc produit dans son « imprimerie 23 novembre. Louis Ducos du Hauron dépose
photographique » des agrandissements à la une demande de brevet pour son procédé de
lumière électrique. reproduction indirecte des couleurs.
1866 1” décembre. Premier numéro du Rayon bleu,
1 5 fé v r ie r . Léon Vidal énonce dans L e journal des photographes, mensuel dirigé par L.-
M o n i t e u r de la p h o to g r a p h ie les conditions d’un M. Cyrus. Il paraîtra jusqu’en décembre
accroissement de la pratique 1869.
photographique d’amateur.
1869
Juin. Maréchal et Tessié du Motay F mai. Huitième exposition de la Société
exploitent à Metz un procédé d ’impression à française de photographie, à côté du Salon
l’encre grasse : la phototypie. des beaux-arts (jusqu’au 31 octobre).
1 " d écem b re. L e M o n i t e u r d e la p h o to g r a p h ie : 2 juillet. Charles Cros communique à la
« En fait de nouveauté, en voici une qui nous Société française de photographie sa
arrive d’Amérique en passant par « Solution du problème de la photographie
l’Angleterre, le portrait-album. Il pourrait des couleurs » fondée, comme le procédé de
bien hériter de la vogue que perd de jour Ducos du Hauron (à qui il dénie toute
en jour, peut-être pour en avoir abusé, la antériorité), sur le principe de la synthèse
carte de visite. » trichrome.
498 LA P H O T O G R A P H IE E X F R A N C E 1HW-IH71

2 juillet. Le Dr Ozanam soumet à la Société


française de photographie un appareil pour
figurer par la photographie les battements
du cœur et du pouls.
1870
1" mai. Neuvième exposition de la Société
française de photographie, à côté du Salon
des beaux-arts (jusqu’au 31 août).
21 novembre. Prudent Dagron est envoyé en
province par le directeur des postes pour
établir un service de dépêches
photomicroscopiques transmises par pigeons
voyageurs.
Nadar organise le service postal par ballon
dans Paris assiégé.

\ t . Le ministre de la Marine décide de

faire photographier « tout individu condamné


par une des juridictions permanentes des
ports à une peine supérieure à 6 mois
d’emprisonnement ».
Bisson photographie, sous la direction
.d^Ernest Lacan, le siège de Paris.
De nombreux photographes réalisent des
séries à l’occasion de la guerre franco-
prussienne et de la Commune : Andrieu,
Appert, Delisle, Disdéri, Braquehais, Liébert,
Léautté, etc. [voir bibliographie].
Gaudenzio Marconi, spécialisé dans les
études de nus pour artistes, se présente
comme « photographe de l’Ecole des
beaux-arts ».
1872 j
j 0 mars. Le directeur de l’Administration
pénitentiaire renouvelle la proposition, déjà
émise en 1863, d’utiliser la photographie à
l’encontre des « prisonniers civils et, en
particulier, des individus condamnés pour
faits insurrectionnels ».
LES PROCÉDÉS TECHNIQUES

LES PROCÉDÉS DIRECTS

Ces procédés donnent directement une image positive, sans image intermédiaire.
Le Polaroid est aujourd’hui un exemple de procédé direct.

Héliographie. Terme générique signifiant « écriture par la lumière ».


Désigne plus particulièrement le procédé au bitume de Judée de Nicéphore
Niépce, sur pierre d ’abord, puis sur plaque d’étain poli.
Mordues par l’acide après la formation de l’image, les plaques d’étain pou­
vaient se transformer en planches d’impression.
En novembre 1829, Nicéphore Niépce rédige sa « Notice sur l’héliographie ».

Daguerréotype. Le daguerréotype (dont le principe est rendu public en août


1839) est une image positive obtenue sur une plaque de cuivre argenté, soigneu­
sement polie. Sous l’effet de vapeurs d’iode, l’argent donne du iodure d’argent
sensible à la lumière. Après exposition à la chambre noire la plaque est mise
en contact, à l’abri de la lumière, avec des vapeurs de mercure qui font apparaî­
tre une image positive fixée à l’hyposulfite de soude. D’une grande finesse de
détails, le daguerréotype a l’inconvénient de présenter un fort miroitement et,
surtout, d’être unique.

Papier positif direct. Comme les daguerréotypes, les épreuves réalisées par
Hippolyte Bayard en 1839 sont positives et uniques, mais sur papier. Le miroite­
ment est ainsi supprimé, au prix d ’une moindre finesse de l’image.

Ambrotypes (1851) et ferrotypes (1852). Les ambrotypes sont des images


négatives au collodion qui, légèrement sous-exposées et placées dans un écrin
sur un velours noir, paraissent positives.
Les ferrotypes obéissent au même principe, mais le collodion est cette fois
étendu sur une plaque de métal recouvert d’un vernis noir.
500 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

LES PROCÉDÉS NÉGATIFS-POSITIFS

L’épreuve définitive, positive, est obtenue par tirage d’une image négative, c’est-
à-dire aux valeurs inversées. Le système négatif-positif assure la reproductibilité
des épreuves.
LES NÉGATIFS

Calotype. Les premières images négatives obtenues par l’Anglais Fox Talbot
le sont sur feuilles de papier sensibilisé placées encore humides dans le châssis
d’une chambre noire ; il les nomme « calotypes ».
Par extension, le terme « calotype » ne désignera pas seulement les négatifs
en papier, mais aussi les épreuves positives obtenues par tirage à partir de ceux-
ci.
La texture du papier des négatifs tend à estomper les contours, à donner à
l’image un aspect vaporeux, à restreindre la précision du procédé. Autant
d ’effets recherchés dès les années 1840 par les calotypistes qui espèrent ainsi
concilier la photographie et la fameuse « théorie des sacrifices » héritée de la
peinture.

Albumine sur verre. Il est possible d’allier la finesse à la reproductibilité en


remplaçant le papier du négatif par du verre, à condition de trouver une
substance susceptible de retenir les sels d ’argent. En 1847, Niépce de Saint-
Victor, le neveu de Nicéphore Niépce, préconise l’albumine (blanc d’œufs).
Les épreuves obtenues à partir des plaques de verre albuminées sont fines ;
malheureusement l’albumine tend à réduire la sensibilité des sels d ’argent, donc
à exiger de longs temps de pose.

Collodion humide. En 1850-1851, Scott Archer préconise l’usage du collodion


— liquide composé de coton-poudre dissous dans l’alcool et l’éther —, qui a
l’avantage de ne pas réduire la sensibilité à la lumière des sels d’argent. La
plaque de verre, recouverte de collodion, puis sensibilisée dans un bain d’argent,
était placée encore humide dans un châssis, exposée à la chambre noire et
développée immédiatement au laboratoire. Jusqu’aux années 1870, le collodion
humide sera le procédé de prédilection des studios de portrait qui exigent un
procédé rapide (quelques secondes de pose) et disposent d’un laboratoire à
proximité.

Collodion sec. Le collodion humide étant difficile à utiliser loin d’un labora­
toire, particulièrement en voyage, de nombreuses tentatives ont donc visé à
mettre au point une formule de collodion sec qui ne réduirait pas la sensibilité
des plaques. Les formules les plus importantes sont le collodion albuminé de
Taupenot (1855) et le collodion au tanin du major Russel (18bl).
ANNEXES
502 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

Papier ciré sec. Les difficultés de la photographie hors du studio (architecture,


archéologie, paysage, voyage, etc.) ne provenaient pas seulement du collodion,
mais aussi de la fragilité et du poids des plaques de verre. Les négatifs en papier
(calotypes) pouvaient résoudre ces problèmes, au détriment de la précision.
Pour concilier légèreté du matériel et finesse de l’image, et pour s’affranchir des
contraintes dues à la fragilité des plaques, Gustave Le Gray propose en 1851
des négatifs sur papier ciré sec — utilisant de la cire vierge pour boucher les
pores du papier et augmenter sa transparence.

LES ÉPREUVES POSITIVES

Les épreuves négatives étaient tirées sur papier, d’abord par exposition, et,
après 1851, par développement — selon la méthode de Blanquart-Evrard. Dans
le premier cas une feuille de papier sensibilisé était exposée plusieurs heures à
la lumière dans un châssis sous le négatif à tirer, jusqu’à apparition de l’image.
Dans le tirage par développement, le papier est exposé dans les mêmes condi­
tions, mais quelques minutes seulement. L’image latente, invisible, qui s’est
formée, est alors développée dans un bain acide.

Papier salé. Dès avant les années 1840, Talbot utilisait le papier salé pour ses
tirages. Il enduisait le papier d’une solution de sel marin avant de le tremper
dans une solution de nitrate d’argent pour le sensibiliser, puis le faire sécher.

Papier albuminé. Le papier albuminé, plus brillant et plus satiné que le papier
salé, a l’avantage de mieux faire vibrer les valeurs de l’image que le papier salé.

Papier au charbon. Mis au point par Alphonse Poitevin (de 1855 à 1862), le
papier au charbon est composé d’une couche de gélatine bichromatée addition­
née de charbon pulvérisé — gélatine qui devient insoluble dans l’eau sous
l’action de la lumière. Après exposition du papier au charbon sous un négatif,
le papier est lavé à l’eau, la gélatine se dissout, à l’exception des parties insolées
(parties claires du négatif, parties foncées des objets reproduits) qui retiennent
le charbon et apparaissent en noir.
Difficile à manipuler, le papier au charbon a cependant l’avantage de n’être
pas composé de sels d’argent comme les papiers salés ou albuminés, et d’être
ainsi inaltérable. C’est pour les perfectionnements qu’il lui a apportés que
Poitevin a remporté le « petit concours » du duc de Luynes en 1862.
ANNEXES 50 3

LES PROCÉDÉS PHOTOMÉCANIQUES

Le procédé négatif/positif autorise la reproduction des épreuves, théoriquement


en nombre infini, mais pratiquement en quantités limitées à cause de la durée
et du coût des tirages. D’où l’idée d’allier dans un même procédé les qualités
de la photographie à celles de l’imprimerie.
La rapidité d’exécution et la fidélité de la photographie sont utilisées pour
la réalisation des plaques destinées à être tirées à l’encre grasse, selon les
principes d ’impression des gravures.
Les procédés photomécaniques ont d’emblée retenu l’attention de Niépce et,
dès 1842, Hippolyte Fizeau a pour sa part mis au point un procédé de tirage
à l’encré grasse d’après des daguerréotypes. Ces procédés ont fait l’objet de
nombreuses recherches, en particulier sous l’impulsion de l’Exposition univer­
selle de 1855 et surtout du « grand concours » du duc de Luynes (8 000 francs).
Lancé en 1856, le concours fut attribué en 1867, comme le précédent, à
Alphonse Poitevin. Les procédés proposés furent multiples. Parmi les très nom­
breux candidats il faut citer Nègre, Placet, Pretsch, Lemercier, qui reçurent des
médailles.
La photolithographie de Poitevin repose sur la propriété d’un mélange d’albu­
mine et de bichromate de potasse de retenir, après exposition à la lumière,
l’encre d’imprimerie. Poitevin étend donc sur une pierre lithographique un tel
mélange d’albumine bichromatée, place un négatif au-dessus et expose à la
lumière. Les parties transparentes du négatif (parties sombres du sujet) laissent
passer la lumière qui agit sur l’albumine bichromatée. Au tirage (semblable à
celui des lithographies ordinaires), l’albumine bichromatée qui a été insolée
retient l’encre, ce qui produit une image positive.
BIBLIOGRAPHIE
( 1839- 1871)

La bibliographie rassemble l’essentiel des ouvrages,


traités, journaux, almanachs, catalogues,
formulaires, etc., parus en France entre 1839 et
1871 (à l’exception des dictionnaires qui, eux, sont
postérieurs). Elle est suivie d ’une sélection
d ’albums d’images photographiques.
Une classification thématique est proposée, mais
à titre indicatif dans la mesure où les ouvrages ne
traitent généralement pas d’une seule question, et
débordent les rubriques retenues. Si beaucoup de titres
sont de caractère essentiellement technique, la
plupart contiennent des considérations
esthétiques et historiques, voire théoriques.
Il aurait donc été souvent souhaitable de faire
figurer une même publication dans plusieurs
rubriques ; nous ne l’avons pas fait pour ne pas
allonger démesurément cette bibliographie.
Les titres qui méritent une attention prioritaire
sont précédés d’un astérisque.
Nous avons tenu à faire figurer l’ensemble des
références bibliographiques de la période parce qu’elles
n’ont, à notre connaissance, jamais été rassemblées,
et qu’elles constituent un instrument d’étude essentiel
de la photographie française entre 1839 et 1871.
ANNEXES 50 5

SOMMAIRE DE LA BIBLIOGRAPHIE

506 DICTIONNAIRES

506 ENCYCLOPÉDIES, TRAITÉS GÉNÉRAUX


506 PETITS TRAITÉS, MANUELS, FORMULAIRES
507 MANUELS D’INITIATION

508 OPTIQUE, CHIMIE, MATÉRIEL


508 DAGUERRÉOTYPE
509 CALOTYPE
510 COLLODION
511 PROCÉDÉS PHOTOMÉCANIQUES, TIRAGES (charbon, agrandissement, etc.)
511 PROCÉDÉS PARTICULIERS (ferrotype, stéréoscopie, etc.)
512 RETOUCHE, COLORIAGE, COULEUR

5 1 3 HISTOIRE
5 1 3 ESTHÉTIQUE

5 1 4 APPLICATIONS : SCIENCES, INDUSTRIE, GUERRE, etc.

515 ANNUAIRES, TARIFS, ALMANACHS

5 1 6 PÉRIODIQUES
Journaux photographiques
Journaux accordant une attention à la photographie

517 EXPOSITIONS : COMPTES RENDUS, CATALOGUES

518 ALBUMS ET SÉRIES D'IMAGES PHOTOGRAPHIQUES


Publications de B lanquart-É vrard G uerre
R eproduction de peintures et gravures T opographie, paysages
A rchitecture Portraits de contem porains
T ravaux, Ponts et Chaussées, Etudes de nu
C hem ins de fer « A ctualités, reportages »
Science, industrie Scènes de la C om m une
O rient Vues stéréoscopiques
Voyages et découvertes
506 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

DICTIONNAIRES Paris, Lerebours et Secrétan, s.d .


à l ’a lbum ine,
In-8°, 227 p.
1854. * Photographie. T r a ité nouveau... E d itio n
nouvelle renferm ant tous les perfectionnem ents
B ellier de L a C h a v ig n e r ie (É m ile) et A u v r a y
apportés à cet a rt ju s q u ’à ce jo u r , Paris,
(Louis), Dictionnaire général des artistes de l ’École Lerebours et Secrétan. In-8°,
française depuis l’origine des arts du dessin V-387 p.
jusqu’à nos jours, Paris, Renouard, 1882-1887.
3 vol. L eg ro s (Adolphe)
1856. * Encyclopédie de la p h otographie sur
BÉNÉZIT (Emmanuel), Dictionnaire critique et
p a p ie r, collodion, verre n é g a tif et p o s itif, et sur
documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et
to ile... tra ité com plet de coloris, Paris, Fauteur.
graveurs de tous temps et de tous les pays, Paris,
In-8°, 333 p.
Gründ, 1976. 10 vol.
s.d. * L e Soleil de la p hotographie, tra ité com plet
BÉraldi (Henri), Les Graveurs du XIXe siècle, Paris, de la photographie, Paris, Fauteur. In-8°, 388 p.
1885-1892. 12 vol.
* N ié pc e de S a i n t -V ic t o r (Claude-Marie-
V aperea u (Gustave), Dictionnaire universel des François), Recherches photographiques.
contemporains, 5e éd., Paris, Hachette, 1880. P hotographie sur verre. H éliochrom ie. Gravure
héliographique. S u i v i t de « Considérations » p a r
M . E . Chevreul, préface et notes d ’Ernest
Lacan, Paris, A. Gaudin, 1855. In-8°, XXIV-
140 p., portrait.
ENCYCLOPÉDIES, TRAITÉS * Sella (V. Giuseppe), G uide théorique et p ra tiq u e
du photographe, ou A r t de dessiner sur verre, p a p ier,
GÉNÉRAUX m éta l... au moyen de l ’action de la lum ière,
Traduction et notes de E. de Valicourt, Paris,
Roret, 1857. In-18, XII-492 p., fig.
AUBRÉE (Charles), Traité pratique de photographie
sur papier, sur verre et sur plaques métalliques, V an M o n c k h o v e n (Désiré Charles Emmanuel)
Paris, G. Baillière, 1851. In-8°. 1856. * T r a ité général de p h o to g ra p h ie...,
2e éd., Paris, A. Gaudin et frère. In-8°, 400 p.,
B ello c (A u g u ste) 4 pl., frontisp. [4e éd. : 1863 ; 5e éd. ; 1865 ;
1855. * Les Quatre Branches de la photographie, 6e éd. : 1873 ; 7e éd. : 1884].
traité complet théorique et pratique des procédés de 1859. * Répertoire général de p h otographie
Daguerre, Talbot, Niépce de Saint- Victor et p ra tiq u e et théorique..., 3e éd., Paris, A. Gaudin
Archer, Paris, Fauteur. In-8°, LI-416 p., portr. et frère, 1859. In-8°, 351 p., atlas et pl.
1862. * Photographie rationnelle. Traité complet
théorique et pratique, applications diverses, précédé
de l’histoire de la photographie, Paris, Dentu.
In-8°, 420 p.
D upont (J.), Traité de photographie, Paris, N. J. PETITS TRAITÉS, MANUELS,
Philippart, 1862. In-16, 62 p. FORMULAIRES
* L a B l a n c h è r e (Henri de), Répertoire
encyclopédique de photographie, Paris, A m y o t,
s.d. In-8°, fig. Partie alphabétique : t. I- A r r o u is(abbé), Photographie perfectionnée,
II ; Partie périodique : 1863 (t. III), 1864 (t. procédés nouveaux, Poitiers, A. Dupré, 1864.
IV), 1865 (t. V), 1866 (t. VI). In-8°, 71p.

* L a S o r in i Èr e (C te D u v erd ier de) e t TEXIER B a illy (Charles-François), Mémorandum ou


(A.), Traité complet et pratique de photographie, Récapitulation des meilleurs procédés pour opérer sur
Paris, A. Texier, 1854. In-18, 235 p. papier par la voie sèche et la voie humide,
introduction de Aug. Caron, Paris, E. Brière,
Répertoire général de
* L a t r e ï LLE (É dou ard d e ). 1854. In-8°, Pièce.
photographie, ou Formulaire complet de cet art,
Paris, Roret, 1858. In-18, VI-456 p. B el lo c (A u gu ste)
1857. * Le Catéchisme de l ’opérateur
L e G ray (G u sta v e) photographe..., Paris, Fauteur. In-8°, IV-276 p.
[1852]. * Photographie. Traité nouveau 1858. * Compendium des quatre branches de la
théorique et pratique des procédés et manipulations photographie, traité complet théorique et pratique
sur papier sec, humide, et sur verre au collodion, des procédés de Daguerre, Talbot, Niépce de
ANNEXES 507

Saint-Victor et Archer..., Paris, l’auteur. In-8°, L at REILLE (Édouard de)


460 p. 1855. * Nouveau manuel simplifié de
1860. * Code de l ’opérateur photographe, Paris, photographie sur verre et sur papier, albumine,
A, Tremblay. In-18, 69 p. collodion, Paris, Roret. In-18, 96 p.
1861. * Causeries photographiques, Paris, 1856. * Nouveau manuel simplifié de
l’auteur. In-18. 129 p. photographie sur plaque, verre et papier, albumine
et collodion, suivi d’un petit traité sur les
B ER T R A N D ( E . ) ,
Recueil de formules pour la instruments d’optique appliqués à la photographie,
photographie sur collodion sec et humide, albumine de la véritable théorie du stéréoscope, Paris,
et papier, suivi d’un nouveau procédé pour le Roret. In-18, 166 p.
tirage des épreuves positives, Paris, Leiber, 1862.
In-32, 60 p. * LEGROS (Adolphe), Photographie sur plaque
d’argent et papier... dernier perfectionnement...,
* B ride (Charles), L ’Amateur photographe, guide Paris, l’auteur, 1851. In-8°, 111p.
pratique de photographie... suivi d’un vocabulaire de
chimie photographique et d’un appendice traitant LETELLIER (L. Victor), Guide-manuel de
des épreuves microscopiques et amplifiées, Paris, photographie pratique sur collodion, Paris,
A. Faure, 1862. In-18, XII-238 p.. fig. Desloges, 1860. In-18, 87 p.

C h e v a lie r(Charles) * M a r io n (Auguste), Procédés nouveaux de


1847. * Recueil de mémoires et de procédés photographie, ou Notes photographiques, Paris,
nouveaux concernant la photographie sur plaques Lieber, 1865. In-8°, 116 p.
métalliques et sur papier... [et] Rapports sur les MILLET et L eborgne , Procédés d ’instantanéité,
instruments inventés ou construits par Charles nouveau manuel pratique de daguerréotypie et de
Chevalier, Paris, C. Chevalier. In-8°, photographie, ou Résumé simplifié des
XXVII-164 et 11-XLVI1I p., pl. principales méthodes pour opérer sur papier, verre,
1854. * Guide du photographe, Paris, toile, cuivre, bois, plaque d’argent, Paris,
C. Chevalier. In-8°, 3 parties ; 80, 112, 56 p., Gaudin, 1854. In-8°, 24 p.
pi.
1857. * Photographie sur papier sec, glaces V a l ic o u r t deS é r a n v i l l e r s (Edmond de).
albuminées, collodion, plaques métalliques. Divers 1861. * Nouveau manuel simplifié de
procédés par MM. E. Bacot, Baillieu photographie sur verre, albumine et collodion, suivi
d’Avrincourt, Bayard, A. Chevalier, A. Festeau. d’un Traité sommaire de photographie sur papier,
Description d’une nouvelle chambre obscure pour Paris, Roret. In-8°, 308 p., fig.
opérer en pleine lumière..., Paris, Palais-Roval, 1862. * Nouveau manuel complet de
158. In-12, 75 p., pl. photographie sur métal, sur papier et sur verre,
contenant toutes les découvertes de MM. Niépce
COLAS (Ferdinand), Photographie. Description du et Daguerre..., précédé d’un résumé historique et
procédé dit américain, Paris, Lerehours et critique sur l’origine et les progrès de la
Secrétan, 1847. In-8°, 8 p. photographie, Paris, Roret. 2 vol. in-12, XIX-
256 et XIII-340 p., fig.
D ü BOSCQ (Jules), Règles pratiques de la
photographie sur plaque, papier, albumine et
collodion d’après les meilleurs procédés connus,
Paris, l’auteur, 1853. In-8°, 47 p.
Fau (Julien), Douze Leçons de photographie, Paris, MANUELS D’INITIATION
C. Chevalier, 1854. In-16, 88 p.
* G audin (Marc-Antoine-Augustin), Vade- * C (Arthur), L ’Étudiant photographe,
h e v a l ie r
mecum du photographe, notice abrégée du traité pratique de photographie à l’usage des
daguerréotype et de la photographie sur papier, amateurs... Avec les procédés de
Paris, Poitevin, 1861 In-12, 212 p. MM. A . Civiale, E. Bacot, A . Cui elur,
G oda rd (Emile), Encyclopédie des virages, ou
L. Robert..., Paris, E. Lacroix. 1867. In-18.
Réunion, expérimentation et description des meilleurs 246 p., fig.
procédés, Angoulême, Chatenet, 1864. * L a B l a _ \ C H È R E ( H e n r i d e ! . L m PhêM ç»wpk*\ é o
In-8°, 59 p. com m nçanli. Pans. Amyoc 1863. I » T . 1% p .
HaRDV, Procédé Hardy, nouvelle méthode pour opérer
sur plaque, verre et papier, Paris, Fauteur. 1854.
In-8°, 46 p,
508 LA P H O T O G R A P H IE EN FR A N C E 1 8 1 6 -1 8 7 1

apprendre seul à faire des portraits sans connaître C laudeT (Antoine-François-Jean)


ni peinture ni dessin, suivi du Magnétisme ou 1850. Recherches sur la théorie des principaux
somnambulisme dévoilé à tout le monde, Paris, phénomènes de photographie dans le procédé du
l’auteur, 1849. In-8°, 80 p. daguerréotype, Paris, G. Baillière. In-8°, pl.
M a r in ie r (J .), Photomagie, mémento pour opérer seul 1851. * Nouvelles recherches sur la différence
sans avoir aucune notion de Part photographique avec entre foyers visuels et photogéniques..., Paris,
figures explicatives, Paris, l’auteur, 1864. Lerebours et Secrétan. In-8°, 30 p., fig.
In-8°, 29 p. G a r ELLA (Napoléon), Nouvel appareil de
MlLl.ET, Nouveaux éléments de photographie, nouvelle photographie panoramique, Etampes, A. Allien.
méthode de photographie sur papier, sur verre et sur 1858. In-12, 23 p.
plaque métallique, ou PArt de Papprendre soi- GAUDIN (Marc-Antoine-Augustin), Notice
même sans maître, Paris, Fauteur, 1851. In-8°, explicative sur l'emploi de l ’appareil photographique
49 p. de M A. Gaudin, Paris, O. de Lalande,
M ulot (L.) et L efebvre (Casimir), La 1854. In-8°, 19 p.
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A. François. In-8°, 15 p.
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perfectionnés et portatifs avec l ’instruction de
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C a r p e n t ie r
(Gauthier-Villars, 580 p .): 1864]. Bonaventure et Ducessois, 1855. In-8Û.
ANNEXES 509

C hevalier (Charles) L éotard , Nouvelle méthode brevetée pour le polissage


1844. * Mélanges photographiques, complément des plaques dans les opérations du daguerréotype,
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pl.
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daguerréotype, Paris, l’auteur. In-8°, 56 p., pl.
daguerréotype, Paris, l’ingénieur Chevallier,
C h e v a l ie r(Vincent), Notice complémentaire et 1847. In-8°, 16 p.
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daguerréotype, Paris, Pollet, 1843. In-8°,
DAGUERRE (Louis-Jacques-Mandé)
26 p., pf
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In-8°, 11-79 p., pl., [2e éd. : 1839; 3e éd. frères, 1844. In-18, 36 p.
(A. Giroux): 1839; 4e éd. augmentée
(Lerebours) : 1839]. T h ie r r y(J.)
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Bachelier. In~8°, 16 p. 1847. * Daguerréotypie J. Thierry. Franches
explications sur l ’emploi de sa liqueur invariable...
G a u d in (Marc-Antoine-Augustin) Précédées d’une Histoire abrégée de la
1844. * Traité pratique de photographie, exposé photographie, Paris, Lerebours et Secrétan.
complet des procédés relatifs au daguerréotype, In-8°, 179 p., fig., couv. ill.
Paris, J.-J. Dubochet. In-8°, IV-248 p,,
[2e éd. (79 p.) : 1842]. VAILLAT (E.), Daguerréotype sur plaques,
1844. Instructions pour le daguerréotype et Vusage renseignements consciencieux pour opérer avec sûreté,
de l’appareil Gaudin. Suivi d’une notice abrégée Paris, l’auteur, 1850. Gr. in-8°, 59 p.
pour Vélectroplastie et le travail au bain d’argent,
Paris, Hauquelin et Bautruche. In-8°, 51 p.
1851. Fixage sans miroitement des épreuves
daguerriennes sur plaque d’argent, Paris,
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1852. * Résumé général du daguerréotype,
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In-8°, 124 p.
Baldus (Édouard-Denis), Concours de
G a u d in (Marc-Antoine-Augustin) et photographie, Mémoire déposé au secrétariat de la
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1841. * Derniers perfectionnements apportés au nationale, Paris, V. Masson, 1852. In-8°, 32 p.
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56 p., p l, [2e éd. (79 p.) : 1842]. BLANQUART-Ev r a r d (Louis-Désiré)
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considéré sous un point de vue artistique, mécanique Br ÉBISSON (Alphonse de), Glanes photographiques,
et pittoresque par un amateur, Paris, Alphonse notes complémentaires concernant la photographie sur
Giroux et Cie, 1840. In-8°, 36 p. papier, Paris, 1848.
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510 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 181 6 -1 8 7

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* G eOFFRAY (Stéphane), Traité pratique pour B r é b isso n (A lp h on se de)
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nouveaux procédés améliorateurs, P a n s, collodion, répertoire de la plupart des procédés
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1852. Nouvelle Méthode photographique sur
G u ILLOT-SaGUEZ (Dr A.), Méthode théorique et collodion donnant des épreuves instantanées, traité
pratique de photographie sur papier, Paris, complet des divers procédés, Paris, Chevalier.
V. Masson, 1847. In-8°, 23 p. ln-8°, 87 p.
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Découverte d’une nouvelle substance accélératrice, détails complets sur ce procédé, Paris, Leiber.
Paris, Proux, 1847. In-8°, 11 p. In-8°, 89 p.
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1850. * Traité pratique de photographie sur sur verre, d’après les derniers perfectionnements,
papier et sur verre, Paris, G. Baillière. In-8°, Paris, C. Chevalier, 1852. In-8°, 61 p.
43 p., [2e éd. (79 p.) : 1842]. * D is d ÉRI (André-Adolphe-Eugène), Manuel
1851. * Nouveau traité théorique et pratique de opératoire de photographie sur collodion instantané,
photographie sur papier et sur verre contenant des Paris, A. Gaudin, 1853. In-8°, 64 p.
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pour opérer sur un papier sec restant sensible huit D upont (A.- T . ) e t D e s h a y e s ( A . ) , Traité
à dix jours, Paris, Lerebours et Secrétan. populaire de photographie sur collodion, Paris,
In-8°, 184 p. Leiber, 1862. In-18, 212 p.
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photographie sur verre..., Paris, l’auteur, 1852.
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Paris, l’auteur. In-8°, 12 p. G odard (Emile), ABC de la photographie sur
I860. * Pratique de la photographie sur papier collodion, méthode pratique, simple et facile, Paris,
simplifiée par l’emploi de l’appareil conservateur bureau de La Lumière, 1854. In-8°, 39 p.
des papiers sensibilisés et des préservateurs H erl ing (A .), Traité de photographie sur collodion
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Perrot d e C h a u m e u x (L.), Collodion sec, exposé

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collodion, son application sur les plaques de verre, de photographie sur collodion. Positifs et négatifs
Paris, Carré, 1852, In-8°, Pièce. sur verre. Tirage des épreuves positives sur papier,
Paris, L. et H. WulfT, 1859. In-8°, 47 p.
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la photographie sur collodion, Paris, l’auteur, * ROBIQUET (Henri-Edmond), Manuel théorique
1854. In-8°, IV-208 p. et pratique de photographie sur collodion et sur
ANNEXES

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303 p., fig. images de toutes les dimensions, Paris, J. Best.
1856. In-8°, 16 p.
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Chevalier... concernant un procédé sur collodion sec MOOCK (L .), Traité pratique complet d’impression
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43 p. V. E. Gauthier, 1866. In-8°, 19 p.
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* Po it e v in (Louis-Alphonse), Traité de
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* DAVANNE (Alphonse) et G irard (Aimé), contenant l’histoire, la théorie et la pratique des
Recherches théoriques et pratiques sur la formation méthodes et procédés de l’impression au charbon, de
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Gauthier-Villars, 1864. In-8°, VI-152p. Paris, Leiber, 1862. In-8°, IV-182 p., fig., pi-,
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Paymal) et L e m e r c ie r (Joseph), Emmanuel), Méthodes simplifiées de photographie
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* GEYMET (Théophile), Photolithographie, traits et épreuves photographiques, Paris, V. Masson et
demi-teintes, traité pratique, Paris, Seringe frères, fils, 1865. In-8°, 122 p., fig.
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M a RGUERY (E .), Photographie, procédé infaillible et (ferrotype, stéréoscopie, etc.)
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fonds dégradés dits vignettes anglaises, Paris,
A. Briois, 1863. In-8°, 15 p. B er t sc h (A u g u ste),Nouveaux appareils
photographiques de M. Bertsch pour
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[1868]. Notes photographiques de 1868. Procédés factice, précédée d’un nouveau procédé pour obtenir
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Paris, l’auteur. In-8°, 38 p.
BREWSTER(David), Mémoire sur les modifications et
M o it e ssie r (A lb ert),Nouvelle méthode pour le perfectionnements apportés au stéréoscope, Paris,
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512 LA P H O T O G R A P H IE E N FRANCE 1 8 1 6 -1 8 7 1

CLAUDET (Antoine-François-Jean) RETOUCHE, COLORIAGE,


1853. * Du stéréoscope et de ses applications à COULEUR
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et Ducessois. In-8°, 23 p. Belloc (Auguste)
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perfectionnement, Paris, A. Ninet, 1855. In-8°, épreuves albuminées, Paris, Leiber.
4 p. In-16, 63 p.
G autier (Théophile). Photosculpture, Paris, 1868. * Le Retoucheur, traité complet de la
P. Dupont, 1864. In-8°, 14 p. photographie, de la retouche, du coloris des épreuves
albuminées, Paris, rue de Lancry, 16.
* GEYMET (Théophile), Emaux photographiques, ïn-18, 70 p.
traité pratique, secrets, tours de mains, formules,
palette complète du photographe émailleur, Paris, Blanquart -É vrard (Louis-Désiré), Les
Geymet et Alker, 1868. In-8°, 127 p., [2e éd. Couleurs en photographie, causerie, Lille,
(187 p.) : 1872]. L. Danel, 1871. In-8°, 16 p.
* L a BLANCHÈRE (Henri de), Monographie du * CROS (Charles), Solution générale du problème de
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Amyot, 1861. In-8°, 330 p., fig. Villars, 1869. rn-8°, 12 p.
Le B lanc (Édouard), Traité pratique de photo­ D a v id (Hilaire) [dit Lenglet], Méthode de peinture
miniature contenant son historique, les divers appliquée uniquement à la photographie de portraits,
procédés employés..., Paris, l’auteur, 1869. Paris, l’auteur, 1854. In-8°. 16 p., [2e éd. :
In-8°, 48 p. 1856; 3e éd. : 1862; 4e éd. : 18671-
LEBORGNE, Photographie : épreuves positives directes Ducos DU H a U!RON (Louis)
obtenues par le collodion sur toile, soie, bois, 1869. * Les Couleurs en photographie, solution
porcelaine, pierre, ivoire, etc., Paris, du problème, Paris, A. Marion. In-8°, 57 p.
A. Gaudin, 1853. In-8°, 16 p. 1870. * Les Couleurs en photographie et en
particulier l ’héliochromie au charbon, Paris,
M angel du M esnil , Société française de
A. Marion. In-8°, 82 p.
Wothlytypie, Application des nouveaux procédés
photographiques, Paris, Siège de la société, LAURENT (A.), La Photographie simplifiée, suivie de
rue de la Grange-Batelière, 1865. In-8°, 47 p. l ’Art de la peindre et de la colorier, Paris,
Desloges, 1856. In-8°, 64 p., pl. coul.
M artin (Adolphe), Photographie nouvelle : procédé
pour obtenir des épreuves positives directes sur glace, LEFEBVRE (Casimir), Guide du peintre-coloriste,
Paris, C. Chevalier, 1852. In-8°, 23 p. comprenant l’enluminage des gravures et
lithographies, le coloris du daguerréotype, des vues
M oigno (abbé François-Napoléon-M arie), sur verre pour stéréoscope et la retouche de la
Stéréoscope, ses effets merveilleux ; pseudoscope, ses photographie à l ’aquarelle et à l ’huile, Paris,
effets étranges, Paris, A. Franck, 1852. In-8°, Desloges, 1858. In-8°, 62 p.
16 p., pl.
NlÉPCE DE Saint -V ictor {Claude-Marie-
* P lN O T(Émile), Photographie-ivoire, ou l’Art de
faire des miniatures..., procédé d’un traité complet François )
1852. * Second mémoire sur l’héliochromie,
de photographie contenant les procédés nouveaux
Paris, Hennuyer. In-8°, 8 p.
pour faire des fonds de paysages, les ciels, Paris,
1852. * Troisième mémoire sur l’héliochromie,
Desloges, 1857. In-8°, 168 p.
Paris, Hennuyer In-8°, 8 p.
POILLY (E. de), Photographies. Epreuves positives
T h i ÉBAULT, Traité pratique simplifié sur toutes les
nacrées, procédé déposé à l ’Académie des sciences le
branches de la photographie en général, et de la
7 novembre 1853, Paris, A. Gaudin et frère,
retouche à l ’huile et à l ’aquarelle..., Paris,
1856. In-18, 15 p.
Fauteur, 1858. In-12, 48 p., [2e éd. (95 p.) :
* V an M onckhoven (Désiré-Charles- 1858].
Emmanuel), Procédé nouveau de photographie sur
plaques de fer, et notice sur les vernis
photographiques et le collodion sec, Paris,
A. Gaudin et frère, A. Secrétan, 1858.
In-8°, 104 p.
ANNEXES 513

HISTOIRE CALOINE (Pierre), De l ’infiuence de la photographie


sur l ’avenir des arts du dessin, Lille, Lefebvre-
Ducrocq, 1854. In-8°, 14 p.
ALOPHE [MENUT (Adolphe) dit], Le Passé, le D is d é r i (André-Adolphe-Eugène)
présent et l’avenir de la photographie, manuel 1855. * Renseignements photographiques
pratique de photographie, Paris, l’auteur, indispensables à tous, Paris, l’auteur. In-8°,
1861. In-8°, 47 p., [2e éd. : 1864]. 46 p .
* Arago (François), Rapport de M. Arago sur le 1862. * L ’Art de la photographie, introduction
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1839. In-8°. M E. Durieu, au nom de la commission chargée de
* B lanquarT -É vrard (Louis-Désiré), La l’examen de l’exposition ouverte dans les salons
Photographie, ses origines, ses progrès, ses de la Société française de photographie, du 1er août
transformations, Lille, L. Danel, 1869. Gr. au 15 novembre 1855, Paris, Mallet-
in-4°, 61 p., pl. Bachelier, s.d. In-8°, 46 p.

FIGUIER (Louis-Guillaume), Exposition et histoire * FIGUIER (Louis-Guillaume), La Photographie au


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Paris, V. Masson ; Langlois et Leclercq, II 1-88 p.
1851-1857. 4 vol. in-18, [5 réimp.].
* La B l a n c h ÈRE (Henri de), L ’Art du
* FOUQUE (Victor), La Vérité sur l ’invention de la photographe, comprenant les procédés complets sur
photographie. Nicéphore Niépce, sa vie, ses essais, papier et sur glace, négatifs et positifs, Paris,
ses travaux, d’après sa correspondance et autres Amyot, 1859. In-8°, IV-280 p., fig.
documents inédits, Chalon-sur-Saône, Ferran,
1867. In-8°, 282 p., phot, et fac-similé. * L acan (Ernest), Esquisses photographiques, à
propos de l’Exposition universelle et de la guerre
* K en (Alexandre), Dissertations historiques, d ’Orient, Paris, Grassart, 1856. In-18, VII-
artistiques et scientifiques sur la photographie, 2 2 0 p.
Paris, Librairie nouvelle, 1864. In-18, XI-
246 p. * LlÉBERT (AlphonseJ.), La Photographie en
Amérique, Paris, Leiber, 1864. In-8°, XII-
* N i ÉPCE (Isidore), Post tenebras lux. Historique de 422 p., [2e éd. (536 p .): 1874; 3e éd.
la découverte improprement nommée Daguerréotype, (679 p.) : 1878].
précédée d’une notice sur son véritable inventeur,
feu M. Joseph-Nicépkore Niépce, de Chalon-sur- * M ayer et P ierson , La Photographie considérée
Saône, par son fils Isidore Niépce, Paris, As tier, comme art et comme industrie, histoire de sa
1841. In-8°, 72 p., pl. découverte, ses progrès, ses applications, son
avenir, Paris, L. Hachette, 1862. In-18, IV-
T hierry (J.), Histoire générale abrégée de la 244 p .
photographie, Dieppe, E. Delevoye, 1862.
In-16, 29 p. * PÉRIER (Paul), Société française de photographie.
Compte rendu de l ’Exposition universelle de 1855,
Paris, Mallet-Bachelier, 1855. In-8°, 77 p.

ESTHÉTIQUE P E T IT (Pierre), Simples conseils, manuel


indispensable aux gens du monde, Paris, tous les
libraires, 1862. In-16, 64 p.
* Blanquart -É vrard (Louis-Désiré), * Z lÉ G L E R (Jules-Claude), Compte rendu de la
Intervention de l’art dans la photographie, Lille, photographie à l ’Exposition universelle de 1855,
L. Danel, 1863. In-8°, 20 p., fig. Dijon, Douillier, 1855. In-8°, 55 p.
BURTY (Philippe)
1859. * La Photographie au Palais des beaux-
arts, Paris, J . Claye. Gr. In-8°, 15 p.
1861. «Appendice sur la gravure, la
lithographie et la photographie », L agrange
(Léon), La Peinture et la sculpture au Salon de
1861. Paris. Gr. in-8°.
514 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

APPLICATIONS : SCIENCES, plastiques, Paris, Vve J. Renouard. Gr. in-8°,


99 p., pl., alb.
INDUSTRIE, GUERRE, etc. 1864. Photo-autographie ou autographie sur métal
et sur pierre de figures photomicroscopiques du
système nerveux, Paris, A. Parent. In-8°,
* B raun (Adolphe), Photographie de fleurs à 15 p., pl.
l'usage desfabriques de toiles peintes, papiers peints, 1865. Anatomie microscopique du système nerveux,
soieries, porcelaines, etc., Mulhouse, P. Baret, recherches à l’aide de la photo-autographie sur pierre
1855. In-8°, 8 p. ou sur zinc, Paris, Vve J. Renouard. In-8Û,
12 p.
B rooke (Charles), Description des appareils D umas (Lt-col. Florid or), De la photographie et de
photographiques employés... à l'observatoire de ses applications aux besoins de l’armée, Paris,
Greenwich pour l’enregistrement des variations Réunion des officiers, 1872. In-16, 20 p.,
magnétiques et météorologiques, Traduction de carte,
Michel de VermolofF, Paris, L. Mathias,
1852. In-8°, 56 p. * F iguier (Louis-Guillaume), Les Applications
nouvelles de la science à l'industrie et aux arts en
1855, Paris, Masson, 1856. In-16, IV-
CHEVALIER (Arthur), La Méthode des portraits 388 p., [2e éd. (428 p.) : 1857].
grandeur naturelle et des agrandissements
photographiques mise à la portée de tout le monde, G ir a r d (Jules)
Paris, Fauteur, 1862. In-8°, 41 p., fig. 1871. La Photographie appliquée aux études
géographiques, Paris, F. Savy. In-16, 86 p., fig.
D agron (Prudent-René-Patrice) 1872. Photomicrographie en cent tableaux, Paris,
1862. Cylindres photo-microscopiques montés et au bureau du journal Les Mondes.
non montés sur bijoux, Paris, rue Neuve-des- In-8°, X I1-54, fig.
Petits-Champs, 66. In-8°, 36 p. JOUART (Abel), Application de la photographie aux
1864. * Traité de photographie microscopique, levés militaires, Paris, J. Dumaine, 1866.
Paris, Fauteur. In-18, 36 p., fig. In-8°, 11-75 p., pl. et plan.
[1871]. * La Poste par pigeons voyageurs,
souvenir du siège de Paris. Notice sur le voyage du L afon de C amarsac (A.)
ballon Le Niépce emportant M. Dagron et ses 1855. Application de l'héliographie aux arts
collaborateurs, et détails sur la mission qu ’ils avaient céramiques, aux émaux, à la joaillerie, aux vitraux,
à remplir, Tours-Bordeaux, 1870-1871. ou Transformation des dessins photographiques
In-18, 24 p., fac-similé photo. en peintures vitrifiées, Paris, C. Chevalier.
In-8°, 30 p.
* D isdéri (André-Adolphe-Eugène), Application 1868. Portraits photographiques sur émail
de la photographie à la reproduction des œuvres d’art, vitrifiés et inaltérables comme les peintures de Sèvres,
Paris, Fauteur, 1861. In-8°, 21 p. Paris, Fauteur. In-8°, 28 p.
* MoiTESSIER (Albert), La Photographie appliquée
* D onné (Alfred), Cours de microscopie aux recherches micrographiques, Paris,
complémentaire des études médicales, anatomie J.-B. Baillière et fils, 1866. In 18, 334 p.,
microscopique et physiologique des fluides de pl.
l'économie, Atlas exécuté d'après nature au
microscope-daguerréotype, Paris, Baillière, P â té (Cap. Jean-Pierre-Édouard), Application de
1845. Atlas de 20 pl. (86 gravures de Oudet la photographie à la topographie militaire, notice
d’après des daguerréotypes de Jean- sur la planchette photographique de
Bernard-Léon Foucault). M. A. Chevallier, Paris, Cosse et Dumaine,
1862. In-8°, 31 p., pl.
D uchenne de Boulogne (Dr Guillaume-
ROUGET (Ferdinand), La Photographie mentale des
Benjamin-Amand) esprits dévoilée, connaissance de la cause qui produit
1855. De l'électrisation localisée et de son les effets naturels et magnétiques du spiritisme,
application à la physiologie, à la pathologie et à la depuis l’Antiquité jusqu'à nos jours, Toulouse,
thérapeutique, Paris, J.-B. Baillière. In-8°, Bompard, 1870. In-8°, X-205 p.
XII-926 p., fig., [2e éd. (1 046 p . ) : 1861 ;
3e éd. (1 120 p . ) : 1872]. V idal (Léon), Marseille. Union des arts. Création
1862. * Mécanisme de la physionomie humaine, d'un centre intellectuel, exposition permanente de
ou Analyse électro-physiologique de l'expression des peinture, sculpture, objets d'art et de science,
passions applicable à la pratique des arts Marseille, Arnaud, 1862. In-8°, 68 p., fig.
ANNEXES 515

ANNUAIRES, TARIFS, I860. E x c u r s io n s u r le th é â tre d e la g u erre

ALMANACHS d 'I t a l i e , p h o to g r a p h ié e p o u r l ’u sa g e du stéréo sco p e,


Paris, P. Dupont. In-8C, 4 p.
1864. * C a ta lo g u e g é n é ra l des ép reu ves
stéréo sco p iq u es s u r verre de F e rr ie r p è r e , f i l s et
* A lm a n a c h B o t t i n d u com m erce de P a r is , des S o u lie r , Paris, H. Plon. In-18, 159 p.
d é p a r te m e n ts e t des p r in c ip a le s v ille s du m o n d e, [1870]. * C a ta lo g u e g é n é ra l des épreuves
Paris, Sébastien Bottin, 1839-1856. 18 vol. stéréo sco p iq u es s u r verre e t la n te rn e s m a g iq u e s de
F e r r ie r p è r e , f i l s et S o u lie r ... M M . L é o n et
* A n n u a ir e g é n é ra l d u com m erce, de l ’in d u s tr ie , de la
m a g is tr a tu r e et de l'a d m in is tr a tio n . A lm a n a c h des
J . L évy, Paris. In-24, 221 p.
5 0 0 0 0 0 a d resse s, Paris, Firmin Didot, 1839- FIGUIER (Louis-Guillaume), L ’A n n é e s c ie n tifiq u e
1856. 18 vol. e t in d u s tr ie lle , ou E x p o s é a n n u e l des tr a v a u x
s c ie n tifiq u e s , d es in v e n tio n s et d es p r in c ip a le s
* A n n u a ir e - A lm a n a c h d u com m erce, de l ’in d u s tr ie , de
a p p lic a tio n s de la science à l ’in d u s tr ie e t a u x a rts.
Paris,
la m a g is tr a tu r e et de V a d m in is tr a tio n ,
Firmin Didot et Sébastien Bottin, 1857- l rt [-38e] année, 1856 [-1894], Paris,
1871. 15 vol. Hachette, 1857-1895. Tn-16, fig., pl. et cartes.
GAUDIN (Alexis), C a ta lo g u e g é n é ra l des épreuves
B la n q u a r t-É v r a r d (Louis-Désiré), Im p r im e r ie s téréo sco p iq u es s u r p la q u e , verre et p a p ie r , de A l e x i s
p h o to g r a p h iq u e de B l a n q u a r t- E v r a r d , C a ta lo g u e ,
G a u d in e t f r è r e , Paris, H. Plon, 1856. In-8°,
Lille, à la direction de l’Imprimerie 64 p.
photographique, juin 1853. In-4°, 20 p.
LaTREILLE (Edouard de)
B ra u n (Adolphe), G a le r ie s de L L . A A . R R . le [1857] . A lm a n a c h - m a n u e l d u p h o to g r a p h e p o u r
G r a n d - D u c et la G r a n d e -D u c h e ss e d e S a x e -W e im a r - 1 8 5 7 , Paris, Mallet-Bachelier s.d. In-12, 72 p.,
E ise n a c h , ca ta lo g u e des d essin s de m a îtr e s des
pi.
d iffé r e n te s écoles, r e p r o d u its en fa c - s i m i lé , [1858] , A l m a n a c h - m a n u e l du p h o to g r a p h e p o u r
Mulhouse, L.-L. Bader, 1867. In-16. 6 p., 1 8 5 8 , Paris, Mallet-Bachelier s.d. In-12, 72 p.,
[2e éd. (11 p.) : 1868].
p 1-
1863. * A lm a n a c h u tile des in v e n tio n s et
* B u RON, P r ix - c o u r a n t de la m a n u fa c tu r e
déco u vertes p o u r 1 8 6 4 , Paris, Collignon. In-18,
d ’in s tr u m e n ts d ’o p tiq u e e t de m a th é m a tiq u e s de
B u r o n , Paris, Vve Dondey-Dupré, 1844.
128 p.
In-8°, V U 12 p., fig. M a r io n (A uguste)
1870. C a ta lo g u e des p a p ie r s , a p p a r e ils , p r o d u its ,
Chambre de commerce de Paris e tc ., p o u r p h o to g r a p h ie ..., 1870, Paris, fauteur.
1851. S ta tis tiq u e s de l ’in d u s tr ie à P a r is r é s u lta n t In-8°, 47 p.
de l ’enquête f a i t e p a r la C h a m b re de com m erce p o u r 1870. * M a g a s in d ’a r tic le s de p h o to g r a p h ie
le s années 1 8 4 7 -1 8 4 8 , Paris. A . M a r io n , c ité B e rg è re , 16. C a ta lo g u e in itia te u r
1860. S ta tis tiq u e s de l ’in d u s tr ie à P a r is ré s u lta n t a u x p ro céd és a n cien s e t n o u v e a u x , sels d 'a r g e n t,
de l ’enquê te f a i t e p a r la C h a m b re de com m erce p o u r fe r r o - p r u s s ia te et ch a rb o n , 1870, Paris, fauteur.
les années 1 8 6 0 , Paris. In-8°, 96 p.
1875. E n q u ê te s u r les c o n d itio n s de tr a v a il en
F ra n ce p e n d a n t l ’ann ée 1 8 7 2 , Département de la SECRÉTAN (G.)
Seine, Paris. 1859, * P r i x c o u ra n t de to u s les a rtic le s de
p h o to g r a p h ie , o b je c tifs , a p p a r e ils c o m p le ts , m a i
* DAVANNE (Alphonse), A n n u a ir e p h o to g r a p h iq u e 1859, Paris, Secrétan. In-8°, 128 p., fig.
Paris, Gauthier-
p o u r l'a n n é e 1 8 6 5 ( - 1 8 7 0 ) , 1862. C a ta lo g u e et p r i x des in s tr u m e n ts d ’o p tiq u e ,
Villars, 1865-1870. 6 vol., in-12. de p h y s iq u e , de c h im ie , de m a th é m a tiq u e s ,
d ’a str o n o m ie e t de m a r i n e ..., Paris, Secrétan.
* D elestre (Jean-Baptiste), A n n u a ir e de la 2 vol. in-8°, fig.
p h o to g r a p h ie , r é s u m é des p ro céd és les m e ille u r s ,
2e éd., Paris, Desloges, 1858. In-8°, 208 p.

FERRIER père et fils, SOULIER (Charles)


1857. C a ta lo g u e g é n é ra l des é p reu ve s
p é r io d iq u e s 1
stéréoscopiques de F e rr ie r p h o to g r a p h e , 8 , rue
C o q u illiè re , Paris, Bénard. In-8°, 64 p. Journaux photographiques
1859. N o u v e lle s Vues d 'I t a l i e p h o to g r a p h ié e s p a r
F e rr ie r, 8 , rue C o q u illiè re , Paris, P. Dupont. L e D a g u e r r é o ty p e , L i m o u x , m a i 1844, (1 seul

In-8°, 8 p. n u m é r o ) . — P u b l ié par Jules R o u b y .


516 LA P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1 8 1 6-1871

L a L u m iè r e , jo u r n a l non p o litiq u e . B e a u x - A r ts , mars 1861 les 1er et 15 de chaque mois. Après


puis R e v u e d e la
h é lio g r a p h ie , scien ces, dans les années 1850, il fera
L a L u m iè r e
p h o to g r a p h ie , Paris, 1851-1867. In-fol., autorité dans les années 1860 — aux côtés du
hebdomadaire. — Fondé par le colonel de B u lle tin de la S o c ié té fr a n ç a is e de p h o to g r a p h ie .
Montfort et Pabbé Moigno, le journal L a
L u m iè r e qui paraît pour la première fois le L ’A l b u m p h o to g r a p h iq u e u n iv erse l. L e J o u r n a l b ij o u ...,
9 février 1851 est proche de la Société Bordeaux, juill. 1865 - oct. 1866. — Devient :
héliographique. En novembre 1851, quand L a R u c h e p h o to g r a p h iq u e , p o é tiq u e , a r tis tiq u e et
Alexis Gaudin en devient le propriétaire, litté r a ir e , nov. 1866 (1 seul numéro).
les liens avec la Société héliographique se font Paris, déc.
R a y o n b le u , j o u r n a l des p h o to g r a p h e s ,
plus lâches. De déc. 1851 à déc. 1860, 1868 - déc. 1869, mensuel. — Dirigé par
Ernest Lacan en sera le rédacteur en chef. L.-M. Cyrus.
Quand il quittera L a L u m iè r e pour fonder
L e M o n ite u r de la p h o to g r a p h ie , Lacan sera
remplacé à la rédaction en chef par Marc-
Antoine Gaudin.
Journaux accordant une attention à
la photographie
L e P r o p a g a te u r . F e u ille a r tis tiq u e et c o m m e rc ia le , puis
A r t s , in d u s tr ie , co m m erce, puis P h o to g r a p h ie , a r ts , C o m p te s ren d u s h eb d o m a d a ire s d es séances de
in d u s tr ie , litté r a tu r e , Paris, nov. 1853-1855. l ’A c a d é m ie d e s scien ces, Paris, 1839-1871.
B u l le t in de la S o c ié té fr a n ç a is e de p h o to g r a p h ie ,
Paris, B u l le t in d e la S o c ié té d ’e n c o u ra g em en t p o u r l ’in d u s tr ie
mensuel, 1855-1871. Organe de la Société n a tio n a le , p u b li é avec l ’a p p r o b a tio n de M . le
française de photographie, il paraît de M in i s t r e des T r a v a u x p u b lic s , de l ’A g r ic u ltu r e et
façon régulière à partir de janv. 1855. d u C o m m e rc e, Paris, Mme Huzard, 1839-1871.
R e v u e p h o to g r a p h iq u e , p a r a is s a n t le 5 de ch a q u e m o is , C o sm o s, revue e n c yclo p é d iq u e h e b d o m a d a ir e des p ro g rè s
Paris, nov. 1855-1865. Fondée par Léon des sciences et de le u rs a p p lic a tio n s a u x a r ts et à
WulfF pour « procurer aux artistes Paris, 1852-1864. — Fondé par
l ’in d u s tr ie ,
photographes et aux amateurs de la le colonel Benito de Montfort et Pabbé
photographie une publication à bon Moigno qui en est le rédacteur en chef
marché, qui traite exclusivement du bel art jusqu’en 1862. Vive concurrence avec L a
qu’ils cultivent et de ses applications ». L u m iè r e .

L e P h o to g r a p h e , revu e d e la p h o to g r a p h ie fr a n ç a i s e e t P a n th é o n d e l ’in d u s tr ie , revue en c yclo p é d iq u e des


Paris, nov. 1855 - fevr. 1856,
étra n g è re , m a n u fa c tu r e s , fa b r iq u e s e t u s in e s , p u b li é p a r une
5 numéros. — Gérant : A. Herling. s o c ié té d ’h o m m e s d e le ttre s. S cie n c e s, in v e n tio n s,
pro g rès, Paris, Gaittet et Gie, 1855.
L e S p e c ta te u r , o rg a n e d e la p h o to g r a p h ie , d es a r ts , de
Paris, juill. 1856
la litté r a tu r e et d e l ’in d u s tr ie , R e v u e u n iv e r se lle des a r ts ,
Paris, M. France,
(1 seul numéro). — Publié par Auguste Bruxelles, A. Labroue, 1855. — Publiée par
Caron. Paul Lacroix (bibliophile Jacob).

Paris,
L e P h o to g r a p h e , p a r a is s a n t to u s le s q u in z e jo u r s , L e s M o n d e s , revue h e b d o m a d a ir e d es scie n ces e t d e le u rs

nov. 1857 - avr. 1858, bimensuel, Paris,


a p p lic a tio n s a u x a r ts e t à l ’in d u s tr ie ...,

(7 numéros). — «Directeur : Édouard de 1863-1871. — Revue dirigée par Pabbé


Latreille, photographe-chimiste, auteur de la Moigno, transfuge du C o sm o s.
P h o to g ra p h ie s im p lif ié e , de V A lm a n a c h d u
C r itiq u e illu s tr é e , c h ro n iq u e litté r a ir e e t a r tis tiq u e , échos
p h o to g r a p h e et du F o r m u la ir e g é n é r a l d e la
d u m o n d e p a r is ie n e t d u s p o r t, il lu s tr a tio n s p a r la
p h o to g r a p h ie , élève de M. Gustave Le
Paris, hebdomadaire, 1865. —
p h o to g r a p h ie ,
Gray. » Rédacteur en chef : Auguste Muriel Journal
L a P h o to g r a p h ie , jo u r n a l d es p u b lic a tio n s lé g a le m e n t
dans lequel sont collées des photographies.
Paris, oct. 1858 - mai 1859,
a u to risé e s, L e C e n ta u re , revue [ m e n su e lle ] illu s tr é e d u s p o r t, d e la
mensuel. — Publié par Furne fils et Henry Paris, 1866-
vénerie, de l ’a g r ic u ltu r e e t des a r ts ,
Tournier. 1869. — Publiée par le photographe Léon
Crémière, cette revue est illustrée de gravures
L e M o n it e u r d e la p h o to g r a p h ie , revu e in te r n a tio n a le
réalisées à partir de photographies, mais
des p ro g rè s d u n o u v e l a r t, Paris, Leiber, 1861- ne traite pas de photographie.
1879. In-4°, bimensuel. — Dirigé par Paul
Liesegang et surtout Ernest Lacan, L e Il faudrait également se reporter aux rubriques
M o n it e u r d e la p h o to g r a p h ie paraît à partir de artistiques et scientifiques de la plupart des
ANNEXES 517

périodiques [ L ’A r t a u XIX? sièc le, L ’A r ti s t e , L a Z lÉ G L E R (Jules-Claude), C o m p te ren d u d e la


G a z e tte d es b e a u x -a r ts , L ’I ll u s t r a t io n , L e M o n d e illu s tr é , p h o to g r a p h ie à l ’E x p o s i tio n u n iv e r se lle d e 1 8 5 5 ,
L a R e v u e des b e a u x -a r ts , L a R e v u e d e s D e u x M o n d e s , Dijon, Douillier, 1855. In-8°.
etc.), ainsi que des journaux quotidiens de
l’époque : L e C o n s titu tio n n e l, L e F ig a r o , L a G a z e tte 1 8 5 7 . Société française de photographie.
de F r a n c e , L e J o u r n a l des d é b a ts. L e M o n ite u r u n iv e r se l , C a ta lo g u e de la d e u x iè m e e x p o s itio n a n n u e lle des
L ’O p in io n n a tio n a le , L e P a y s , L a P r e s s e , L e S iè c le , œ uvres des a r tis te s e t a m a te u r s fr a n ç a i s et
etc. é tra n g e rs a in s i que des a p p a r e ils et p r o d u its
a p p a r te n a n t à to u tes le s b ranches de l ’a r t
p h o to g r a p h iq u e , Paris, 1857.

EXPOSITIONS : COMPTES 1 8 5 9 . FIGUIER (L ouis-G uillaum e), La

RENDUS, CATALOGUES de 1 8 5 9 , Paris,


P h o to g r a p h ie au S a lo n
L. Hachette, 1860. In-16.
Société française de photographie. C a ta lo g u e
1 8 4 9 . LaboRde (Cte Léon de), « Rapport du de la tro isiè m e e x p o s itio n de la S o c ié té fr a n ç a is e
jury centra] de l’Exposition des produits de de p h o to g r a p h ie , c o m p r e n a n t les œ uvres des
l’industrie de 1849, Héliographie», L a p h o to g r a p h e s fr a n ç a i s et é tra n g e rs , Paris, 1859.
L u m iè r e , 23 févr. 1851, pp. 9-10 et 2 mars
Société philomatique de Bordeaux. E x p o sitio n -
1851, pp. 14-15. g é n é ra le d es p r o d u its de l ’a g r ic u ltu r e , de
l ’in d u s tr ie et d e s a r ts in d u s tr ie ls (c la sse 2 6 , n° 5 ) ,
1 8 5 1 . C a ta lo g u e o ff ic i e l de la G ra n d e e x p o s itio n des Bordeaux, G. Gounouilhon, 1859.
p r o d u its de l ’in d u s tr ie de to u tes les n a tio n s , 1 8 5 1 ,
Londres, Spicer frères et W. Clowes fils, 1 8 6 1 . Société française de photographie.
1851. C a ta lo g u e de la q u a tr iè m e e x p o s itio n de la S o c ié té
E x p o s itio n u n iv e r se lle d e 1 8 5 1 . L is te des fr a n ç a is e de p h o to g r a p h ie ..., Paris, Mallet-
m é d a ille s e t m e n tio n s h o n o ra b les décernées a u x Bachelier, 1861.
e x p o s a n ts f r a n ç a i s , Paris, 1851.
Société photographique de Marseille.
LABORDE (Cte Léon de), E x p o s i tio n u n iv e rse lle C a ta lo g u e d e la p r e m iè r e e x p o s itio n d e la S o c ié té
de L o n d re s. T r a v a u x de la C o m m is s io n fr a n ç a is e p h o to g r a p h iq u e de M a r s e ill e ..., s e p te m b r e 1 8 6 1 ,
s u r l ’in d u s tr ie d es n a tio n s . V F g r o u p e , 3Cf j u r y , Marseille, Arnaud et Cie, 1861.
B e a u x - A r ts , Paris, 1856. In-8°, t. VIII.
1 8 6 2 . E x p o s i tio n u n iv e r se lle d e 1 8 6 2 à L o n d re s.
1 8 5 5 . E x p o s itio n u n iv e r se lle d e 1 8 5 5 . C a ta lo g u e R a p p o r ts d es m e m b re s d e la c o m m is sio n im p é r ia le
o ffic ie l, p u b l i é p a r o rdre d e la c o m m is sio n im p é r ia le , d e la sectio n fr a n ç a i s e d u j u r y in t e r n a tio n a l...,
Paris, E. Panis, 1855. In-8°. Paris, Chain & Cie, 1862-1864. In-8°, 7 vol.
E x p o s itio n u n iv e r se lle de 1 8 5 5 . R a p p o r ts du j u r y E x p o s i tio n u n iv e r se lle de 1 8 6 2 à L o n d re s. S e c tio n
in te r n a tio n a l, p u b lié s so u s la d ir e c tio n de S . A . l fr a n ç a is e . C a ta lo g u e , Paris, impr. impériale,
le p r in c e N a p o lé o n , Paris, 1856. ïn-4°. 1862. In-8°.
V isite s e t é tu d e s de S . A . l le p r in c e N a p o lé o n a u 1 8 6 3 . E x p o s i tio n des B e a u x - A r ts a p p liq u é s à
P a la is de l ’in d u s tr ie , Paris, 1855. Paris, 1863.
l ’in d u s tr ie . C a ta lo g u e ,

F ig u ie r (Louis-Guillaume), Les Société française de photographie.


A p p l ic a t io n s n o u v e lle s de la science à l ’in d u s tr ie et C a ta lo g u e de la c in q u iè m e e x p o sitio n de la S o c ié té
a u x a rts en 1 8 5 5 , o p . c it. fr a n ç a is e de p h o to g r a p h ie ..., Paris, Mallet-
Bachelier, 1863.
L acan (Ernest), E s q u is s e s p h o to g r a p h iq u e s , à
p r o p o s de l ’E x p o s itio n u n iv e rse lle e t de la g u erre
1864. Société française de photographie.
d ’O r ie n l, Paris, Grassart, 1856. In-18.
C a ta lo g u e de la s ix iè m e e x p o s itio n de la S o c ié té
MADINIER (H.), E x p o s itio n u n iv e rse lle de fr a n ç a ise de p h o to g r a p h ie ..., Paris. Gauthier-
1 8 5 5 . N o te s s u r les p r in c ip a u x p r o d u its e x p o sé s, Villars, 1864.
Paris, 1855.
1 8 6 5 . Société française de photographie
T resca (H.), V isite à l ’E x p o s i tio n u n iv e rse lle de C a ta lo g u e de la s e p tiè m e e x p o sitio n de la S o c ié té
P a r is en 1 8 5 5 , Paris, L. Hachette et Cie, fr a n ç a is e de p h o to g r a p h ie .... Paris. Gauthier-
1855. In-8°. Villars. 1865.
518 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

Société philomatique de Bordeaux, Onzième B enecke (E.), W a l t h e r (Jean), M a r v i ll e


exposition générale des produits de Vagriculture, de (Charles), R é g n a u lt (Victor), Fays (A.),
l ’industrie et des arts industriels. L iste des TENISON (E.-K.), LOYDREAU (Édouard),
récompensést Bordeaux, G. Gounouilhon, 1865. E tu d e s p h o to g r a p h iq u e s , Lille, 1853. 2 séries, 67
et 8 phot.
1867. Exposition universelle de 1867 à Paris.
B enecke (E.), M a r v i ll e iCharles), M ic h ie ls
Catalogue général publié pa r la commission
(J.-F.), SABATTIER, V a rié tés p h o to g r a p h iq u e s ,
impériale. M atériel et application des arts
Lille, v. 1853. 6 phot.
libéraux (groupe I I , classe 6 à 13), Paris,
E. Dentu, 1867. In-8°. B la n q u a r t- É v r a r d (Louis-Désiré), B rébisson
(Alphonse de), B enecke (E.), D u Camp
Rapport des délégations ouvrières... à l ’Exposition
(Maxime), FORTIER, L a g ra n g e (Alexis
universelle de 1867, Paris, 1867. Gr. in-4°.
de), M a r v i ll e (Charles), W a l t h e r (Jean),
DaVANNE (Alphonse), Exposition universelle de A l b u m p h o to g r a p h iq u e de l'a r tis te e t de
1867 à Paris. Rapports du ju ry international l ’a m a te u r , Lille, Ernest Vanackere ; Paris,
publiés sous la direction de M . Michel Chevalier. Roret ; Londres, M.-P. Camus & Cie,
Epreuves et appareils de photographie, Paris, 1851-1852. 36 phot.
P. Dupont, 1867. In-8°. B rébisson (Alphonse de), S t e w a r t (John),
WALTHER (Jean), K e e p s a k e p h o to g ia p h iq u e .
1869. Société française de photographie. Lille, Blanquart-Évrard,
É tu d e s e t p a y s a g e s ,
Catalogue de la huitième exposition de la Société Paris, A. Morel et Édouard Pierre, 1853.
française de photographie..., Paris, Gauthier-
Villars, 1869. C LAINE (Guillaume), B r u x e lle s p h o to g r a p h iq u e ,
Lille, v. 1854. Env. 10 phot.
1870. Société française de photographie. Du Camp (Maxime), É g y p te , N u b ie , P a le s tin e et
Catalogue de la neuvième exposition de la Société S y r ie , d e s s in s p h o to g r a p h iq u e s re c u e illis p e n d a n t les
française de p h o t o g r a p h i e Paris, Gauthier- an n ées 1 8 4 9 , 1 8 5 0 et 1 8 5 1 ..., Paris, Gide et
Villars, 1870. J. Baudry, 1852. 61 p., 125 phot.
D esplanques (E.)
1854. L a B e lg iq u e , Lille. 8 phot.
1854. L e s T a b le a u x célèbres, Lille. 1 phot.
ALBUMS ET SÉRIES D’IMAGES
Fays (A.), L o y d re a u (Édouard), T en iso n
PHOTOGRAPHIQUES 2 (E.-K.), TlLLARD (Ferdinand), R e c u e il
p h o to g r a p h iq u e , Lille, 1854. 24 phot.
Publications de Blanquart-Évrard 3 FORTIER (Fr. Alph.), L e s M o n u m e n ts d e P a r is ,
[Anonyme], G a le r ie p h o to g r a p h iq u e , Lille, 1853. Lille, 1853. 8 phot.
8 phot.
G re en e (John Bulkley), L e N i l , m o n u m e n ts ,
B a y ard (Hippolyte), D esp la n q u es (E.), p a y s a g e s , e x p lo r a tio n s p h o to g r a p h iq u e s ..., Lille,
F o r t i e r (Fr. Alph.), L aisné (Victor), 1854. 94 phot.
M a r v i ll e (Charles), S t e w a r t (John),
S o u v e n ir s p h o to g r a p h iq u e s , Lille, 1853. 37 phot. HOUDOIT (ou H o u d o y ), D e s s in s o r ig in a u x et
g r a v u r e s célèbres, Lille, 1853. 4 phot.
Bayard (Hippolyte), R enard (François-
Auguste), L ’Œ u v re d e N . P o u s s in , Lille, 1853. MALÈGUE (Hippolyte), A l b u m p h o to g r a p h iq u e

8 phot. d ’a rch éo lo g ie r e lig ie u se , Le Puy, l’auteur, 1857.

B a y ard (Hippolyte), H o u d o it (J.), M a r v i ll e MARVILLE (Charles), L es B o rd s au R n in . Lille.


(Charles), R e n a rd (François-Auguste), 1853. 28 phot.
M u s é e p h o to g r a p h iq u e , Lille, 1853. 50 phot. M a r v i ll e (Charles) et B lo t (Julien), L ’A r t

BaYARD (Hippolyte), RENARD (François-


r e lig ie u x , a rc h ite c tu re e t s c u lp tu r e , Lille, 1853-
1854. l re série, 41 phot.
Auguste), L ’A r t r e lig ie u x , p e in tu r e , Lille, 1853-
1854. 2e série, 28 phot. M arville (Charles) et R égnault (Victor),
É tu d e s e t p a y s a g e s , Lille, 1853-1854. 3e et
Bayard (Hippolyte), R enard (François-
4 ' séries, 17 phot.
Auguste), SPOOTBEN, L ’A r t c o n te m p o ra in ,
a rc h ite c tu re , s c u lp tu r e , p e in tu r e , Lille, 1854. M arville (Charles) et W a ith er (Jean),
l re série, 12 phot. M é la n g e s p h o to g r a p h iq u e s , Lille, 1851. 63 phot.
ANNEXES 519

MARVILLE (Charles) et Le S ecq (Henri), P a r is 1854-1858. R e p r o d u c tio n s p h o to g r a p h iq u e s des


p h o to g r a p h iq u e , Lille, 1851-1853. 33 phot. p lu s b e a u x ty p e s d 'a rc h ite c tu r e et de s c u lp tu r e d 'a p r è s
le s m o n u m e n ts les p lu s r e m a rq u a b le s de
ROBERT (Louis), S o u v e n ir s de V e rs a ille s , Lille, l 'A n t i q u i t é ) d u M o y e n A g e et de la R e n a is s a n c e ...,
1853. 13 phot. Paris, Bisson frères. 201 phot.
Sai.ZMANN (Auguste), J é r u s a le m , rep ro d u ctio n [v. 1858]. P r in c ip a u x m o n u m e n ts de R ouen. 15
p h o to g r a p h iq u e des m o n u m e n ts de la v ille s a in te ..., phot.
Paris, Gide et J. Baudry, 1856. 1 vol. texte D lS D É R l (André-Adolphe-Eugène), P a la is de
et 174 phot. V e rs a ille s . Vues d 'in té r ie u r p r is e s à l'o c c a sio n de la
S t e w a r t (John), S o u v e n ir s des P y ré n é e s, Lille, v isite de S . M . la rein e V ic to ria , p a r D is d é r i,
1852-1853. 19 phot. Texte par A. Caron de Lalande, Paris, rue
Lepelletier, n° 3, 1857. Gr. in-fol.
SUTTON (Thomas), S o u v e n ir de J e r s e y , Lille, 1854.
8 phot. G irault de P rangey (Joseph-Philibert),
«Vues daguerriennes d’Italie, Grèce,
Palestine, Syrie, Liban, Egypte», 1841-
Reproduction de peintures et 1845. Env. 900 dag.
gravures4 G ros (Bon Jean-Baptiste-Louis), «Vues
Bingham (Robert-Jefferson), Πu v r e de P a u l
daguerriennes d ’Athènes, Bogota, Londres et
D e la r o c h e r e p r o d u it en p h o to g r a p h ie p a r B in g h a m ,
Paris», 1850-1851.
a c c o m p a g n é d ’un e n o tice s u r la v ie e t les o u vra g es Le S ecq (Henri), P h o to g ra p h ie s r e la tiv e s a u x tr a v a u x
de P a u l D e la r o c h e p a r H e n r i D e la b o r d e e t d u de la V ille de P a r is , 1 8 4 9 -1 8 5 3 , [1853]. 1 alb.,
ca ta lo g u e r a is o n n é de l ’œ uvre p a r J u l e s G o d d e, 22 phot.
Paris, Goupil, 1858. In-fol.
N è g re (Charles), L e M i d i de la F r a n c e . S ite s et
B lS S O N (Louis-Auguste e t Auguste-Rosalie) Paris, Goupil et Cie,
m o n u m e n ts h is to r iq u e s ...,
1853. L ’Œ u v r e de R e m b r a n d t, r e p r o d u it p a r la 1854. 2 livraisons, 10 phot.
p h o to g r a p h ie , d é c rit et c o m m e n té p a r M . C h a rle s
B la n c , Paris, Gide et J. Baudry. 2 vol. R e n a rd (François-Auguste), P a r is p h o to g r a p h ié .
1858. Œ u v re d ’A l b e r t D u r e r p h o to g r a p h ié p a r V ues et m o n u m e n ts , Paris, Goupil et Vibert,
M M . B is s o n J r ir e s d ’a p r è s la co lle c tio n a p p a r te n a n t [1852-1853].
à M . S im o n , Paris, Clément. 80 phot.
R om an (D.), A l b u m p h o to g r a p h iq u e d u M i d i de la
D ELESSER T (François-Benjamin-Marie), N o tic e F rance, Arles, v. 1860. 15 phot.
s u r la v ie de M a r c - A n t o in e R a im o n d i , g r a v e u r
W in t e r (Charles), F r is e s de la c a th é d ra le de
b o lo n a is, a cc o m p a g n é e de r e p ro d u c tio n s
p h o to g r a p h iq u e s de q u e lq u e s -u n e s d e ses e s ta m p e s ,
1859. 21 phot.
S tr a s b o u r g ,

Paris, Goupil, Londres, Colnaghi, 1853.


In-fol., 30 p., 11 phot.
F r a n c k , L ’A r t a n c ie n . P h o to g r a p h ie s d es co llectio n s
Travaux, Ponts et Chaussées,
cé lè b re s... 1001 phot. Chemins de fer
RlCHEBOURG (Pierre-Amboise), S a lo n d e 1 8 6 1 : le Baldus (Edouard-Denis)
h a ll des s c u lp tu r e s et les c im a ise s, 1861. 42 phot. [1855]. C h e m in de f e r du N o r d . L ig n e d e P a r is
Paris.
à B o u lo g n e . A l b u m de vu es p h o to g r a p h iq u e s ,
50 phot, et carte dépliante avec 72 petites
Architecture4 phot.
[1861]. C h e m in de f e r d e P a r is à L y o n e t à la
BALDUS (Edouard-Denis), R é u n io n d e s T u ile r ie s au
M é d ite r r a n é e , Paris. 68 phot, dont
L o u v r e , 1 8 5 2 -1 8 5 7 . R e c u e il de p h o to g r a p h ie s p u b l i é
2 panoramas.
p a r ordre de S . E . M . A c h ill e F o u ld , m in is tr e
d 'E t a t e t de la M a is o n de l'E m p e r e u r , Paris, 1858. B l a is e (Gabriel), C o m p a g n ie d u C h e m in de f e r
4 vol., 470 phot. d 'O r lé a n s . In v a s io n a lle m a n d e , 1 8 7 0 -1 8 7 1 , [1872].
19 phot.
B lS S O N (Louis-Auguste et Auguste-Rosalie)
[v. 1853]. M o n o g r a p h ie de N o tr e - D a m e de P a r is C ollard (Hippolyte-Auguste)
e t de la n o u v e lle sa c r is tie de M M . L a s s u s et V io lle t- [1857]. P o n t S a in t - M ic h e l, 1857. Vues
le - D u c ... précéd é e d 'u n e n o tic e h is to r iq u e et p h o to g r a p h iq u e s des p h a s e s p r in c ip a le s des tr a v a u x
a rchéologique p a r M . C e ltib è re , Paris, A. Morel. de c o n stru ctio n de ce p o n t, exécu tés en 1 8 5 7 ,
80 pl. dont 12 pi. phot. Paris. 7 phot.
520 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

[I860]. P o n t a u C hange, 1860. Vues DUCHENNE DE Boulogne (D‘ Guillaume-


p h o to g r a p h iq u e s des p h a s e s p r in c ip a le s d es tr a v a u x Benjamin- Amand), A l b u m d e p h o to g r a p h ie s
de reco n stru ctio n d e ce p o n t exécu tés en 1 8 5 8 , p a th o lo g iq u e s , c o m p lé m e n ta ir e d u liv r e : « D e
1 859, I8 6 0 , Paris, [I860]. 8 phot. Paris, J.-B. Baillière et
l ’é le c tr isa tio n localisée » ,
[1862]. P o n t L o u is - P h il ip p e et p o n t S a in t - L o u i s . fils, 1862. In-4°, 16 pl.
Vues p h o to g r a p h iq u e s p r is e s p e n d a n t P e x é c u tio n des
tr a v a u x en 1 8 6 0 , 1 8 6 1 e t 1 8 6 2 , Paris, H. Plon. H a rd y (A.) et MontmÉJA (A. de), C lin iq u e

8 phot. Paris,
p h o to g r a p h iq u e de l ’h ô p ita l S a in t - L o u i s ,

[1864]. P o n t d e B e rc y . Vues p h o to g r a p h iq u e s
Chamerot et Lauwereyns, 1868. In-4°,
p r is e s p e n d a n t P e x é c u tio n des tr a v a u x en 1 8 6 3 et
49 phot.
1864, Paris, H. Plon. 7 phot. LAFFON (Louise), A l b u m p h o to g r a p h iq u e des
[1864]. M in is tè r e de P A g r ic u ltu r e , d u C o m m e rc e Paris, A. Godillot,
u n ifo rm e s d e P a rm é e fr a n ç a is e ,
et des T r a v a u x p u b lic s . C h e m in de f e r de c e in tu re impr. Laprunière, 1866. In-fol., 66 phot,
de P a r is (r iv e g a u c h e ). A l b u m p h o to g r a p h iq u e coloriées.
du p o n t- v ia d u c su r la S e in e au P o in t- d u - J o u r , Paris.
14 phot. MARIETTE (A uguste), L e S é r a p é u m de M e m p h is
[1867]. M in i s t è r e d e P A g r ic u ltu r e , d u C o m m e rc e d éco u vert e t d é c rit p a r A u g . M a r ie t te . O u v r a g e d é d ié
et des T r a v a u x p u b lic s . E x p o s itio n u n iv e rse lle de à S . A . l . M g r le P r in c e N a p o lé o n et p u b l i é so u s
1867. A lb u m des p o n ts de P a r is , Paris. le s a u s p ic e s d e S . E . M . A c h ill e F o u ld , m in is tr e
389 phot. d ’É t a i , Paris, Gide, 1857. 36 pl. (dont
certaines lithophotographies de Lemercier
C ollard (Hippolyte-Auguste), Baldus d ’après des photographies de Marville).
(Edouard-Denis) et F ro is s a rd , S e rv ic e
m u n ic ip a l des T r a v a u x p u b lic s de P a r i s ..., POITEVIN (L ouis-A lphonse), C h o ix d e terres c u ite s
C h e m in de f e r de G en ève. D é r iv a tio n s d e la D h u is a n tiq u e s du c a b in e t de M . le v ic o m te de J a n z é ,
et de la V a n n e , [1869-1873]. 56 phot. p h o to g r a p h ié e s p a r M . L a v e r d e t e t rep o rtées su r
p ie rr e lith o g r a p h iq u e p a r M . P o ite v in , te x te
D elmaet et D urandelle e x p l i c a t i f p a r M . J . W it te , P aris, F. D idot,
1865-1872. « Le Nouvel Opéra de Paris ». 1857. G r. in-fol., 44 pl.
Env. 100 phot.
1868. C h a n tie r de c o n stru c tio n d u n o u v e l H ô te l- P otteau (Philippe), Bocourt (T.), E ichthal
D ie u . 16 phot. (Louis d’), MONTBLANC (Ctc de), « Collection
anthropologique du Muséum de Paris »,
DUCLOS (J.), V u e s p h o to g r a p h iq u e s . T r a v a u x des Paris, 1861-1867. Env. 280 n°.
lig n e s de B r e ta g n e et de Vendée. C o m p a g n ie du
C h e m in d e f e r d ’O rlé a n s , v. 1865. 49 phot. R ousseau (Louis) et D evéria (Achille),
P h o to g r a p h ie z o o lo g iq u e o u r e p ré se n ta tio n des
GEOFFROY (O.), A l b u m p h o to g r a p h iq u e e t d e s c r i p t i f a n im a u x ra res des co llectio n s d u M u s é u m
du m a té r ie l d u c h e m in de f e r du N o r d , 2 e p a r tie , d ’h is to ire n a tu r e lle p u b lié e p a r L . R o u s s e a u et
v o itu res et w a g o n s , 1858. 41 phot. A . D e v é r ia . P ro c é d é des p l u s h a b ile s
imprimerie photographique de
p h o to g r a p h e s ,
LANDOYER (D.), M in is tè r e d e P A g r ic u ltu r e , du
C o m m e rc e e t d es T r a v a u x p u b lic s . E x p o s itio n
Lemercier, Paris, Masson ; Londres,
E. Gambart and Co, [1853]. —
u n iv erse lle d e 1 8 6 7 . P o n t d e T i l s i t t s u r la S a ô n e
[Photographies de Bisson à partir
à L yon, [1867]. 11 phot.
desquelles Mante, Riffaut et Pernel réalisent
SÉE (Gerson), N a v i g a tio n de la S e in e . B a r r a g e s à et tirent des héliogravures selon le procédé
h a u sse s m o b ile s, [1863]. 16 phot. Niépce de Saint-Victor].

Orient4
Science, industrie
BARTHOLDI (Frédéric-Auguste), « Égypte et
AUBRY (Charles), E tu d e s de fe u i l l e s , 1 " s é r ie , Paris, Nubie» et «Arabie heureuse», 1855-1856,
1864. 15 phot. 2 séries, 100 phot.
D onné (Alfred) et FOUCAULT (Léon), C o u r s de CAMMAS (Henry), S o u v e n ir s d ’E g y p te , o ffe r t à son
m icro sco p ie c o m p lé m e n ta ir e des étu d es m é d ic a le s et A . R . le C o m te de P a r is , [1864]. In-fol., 58 phot.
p h y s io lo g iq u e s des f l u i d e s de l ’économ ie. A t l a s ,
Paris, J.-B. Baillière, 1845. [Gravures d ’après De C l e r c q (Louis), V o ya g e en O r i e n t... 1 8 5 9 -1 8 6 0 .
des daguerréotypes de Foucault]. In-Gr. fol.j 5 alb., 230 phot.
ANNEXES 521

TEYNARD (Félix), Égypte et Nubie. Sites et R ichebourg (Pierre-Amboise) et G autier


monuments les plus intéressants pour l’étude de l'art (Théophile), Trésors d’art de la Russie ancienne
et de l’histoire. Atlas photographié accompagné et moderne. Ouvrage publié sous le patronage de
de plans et d’une table explicative servant de S. M. l ’empereur Alexandre II, dédié à S. M.
complément à la grande description de l ’Egypte, l’impératrice Marie Alexandrovna, texte de
Paris, Londres, Berlin, New York, Goupil et Théophile Gautier et photographies de
Cie, 1858. 2 vol., 160 phot. Richebourg, Paris, Gide, 1859. 3 parties,
1 vol. Gr. fol., 200 phot.
ROBIN (E .), Souvenirs de la Nouvelle Calédonie,
Nouméa, 1869. 50 phot.
T r Émaux (Pierre), Voyage au Soudan oriental, dans
Voyages et découvertes l’Afrique septentrionale et dans l ’Asie mineure,
B isson (Louis-Auguste et Auguste-Rosalie) exécuté de 1847 à 1854... Atlas de vues
1860. Voyage en Savoie. Excursion dirigée par pittoresques, scènes de mœurs, types de végétation
A. Balmat. 49 phot. remarquables..., Paris (Borrani et Droz),
1861. Voyage en Suisse. 44 phot. Londres (J. Madden), Saint-Pétersbourg
(Hauer, A. Cluzel succès.), Berlin
CHARNAY (Claude-Joseph-Désiré) (A. Asher et Cie), s.d. [1852-1868]. 200 pl.
[1863]. Cités et ruines américaines : Mitla, (phot., lithogr., lithophot.).
Païengué, Iz.am.al, Chicken-Itza, Uxmal,
Introduction de Viollet-le-Duc, Paris,
J. Claye. In-Gr.fol., 47 phot., 2 litho.
1864. Le Mexique et ses monuments anciens,
Paris, E. Bondonneau. In-4°, 20 phot. Guerre
DELESSERT (Édouard), île de Sardaigne : Cagliari D urand - BRAGER (Jean-Baptiste-Henri) ct
et Sassari, Paris, Goupil et Cie, 1854, In-pet. LASSIMONNE, Kibum, Sébastopol, Kamiesch,
fol., 40 phot. London, E. Gambart et Co, Paris,
Imprimerie photographique Lemercier,
L erebours (Nicolas-Marie Paymal), Excursions Bisson frères, [1856]. 48 phot.
daguerriennes. Vues et monuments les plus
remarquables du globe, Paris, Rittner et L anglois (Cei Charles), M éhédin (Léon-
Goupil, Lerebours, H. Bossange, 1842-1844. Eugène), M artens (Frédéric), Souvenirs de la
In-4Ü, 2 vol., 111 épr. (aquatintes, guerre de Crimée. Hommage à S. M. l ’empereur
lithographies et 3 héliogravures d ’après des Napoléon III par le colonel C. Langlois, Paris,
dag.). v.1856. Boîte, 29 phot.
LUYNES (duc de), Voyage d’exploration à la mer M é h é d in (Léon-Eugène)
Morte, à Pétra et sur la rive gauche du Jourdain 1859. Campagne d’Italie en 1859, Paris. In-
par M. le duc de Luynes... Œuvre posthume pet. fol.. 12 phot.
publiée par ses petits-fils sous la direction de M. le 1859. Sites de la guerre d’Italie, In-pet. fol.,
comte Vogue, Paris, Arthus Bertrand, [1871- 12 phot.
1875]. 4 vol. de texte, 1 atlas de pi.
(photogravures et photolithographies par
Charles Nègre).
MiOT (Paul-Émile), Album du (fi1Miot, Astrée, Topographie, paysages
1867-1869, Service historique de la Marine. BELCOUR (J.), Vues photographiques de Soissons,
2 vol., 104 phot, (vues de Tahiti et des Iles Soissons, L. Demesse, 1857. 22 phot.
Marquises).
B isson (Louis-Auguste et Auguste-Rosalie)
M oulin (Félix-Jacques-Antoine), L ’Algérie 1862. Haute-Savoie : le Mont-Blanc et ses
photographiée. Publication nationale sous les glaciers. Souvenirs du voyage de LL. MM.
auspices de S. E. le Ministre de la Guerre, l ’Empereur et l ’Impératrice.
l’auteur, 23, rue Richer, 1859. 459 phot, dont s.d. Vues du Pré Catelan, bois de Boulogne, Paris.
11 panoramas. 13 phot.
PiERSON (François), Souvenirs du voyage de la B raun (Adolphe)
mission d’exploration envoyée en Nouvelle Calédonie 1859. A Sa Majesté Napoléon 111. L ’Alsace
par la Cie de la Nouvelle Calédonie, 1870-1871. photographiée par Adolphe Braun à Dornach, Haut-
In-4°, 42 phot. Rhin. Gr. fol., 120 phot.
522 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

1859. Vues d’Alsace, Album dédié à S.M. DELTON (Louis-Jean), Album Delton, Paris,
l ’Empereur par Ad. Braun. Gr. fol., 50 phot. Photographie hippique, 1870. 2 vol.,
204 phot.
C iviale (Aimé), Voyages photographiques dans les
Alpes, 1860-1870. 14 vol., 927 phot, et 41 D is d ÉR I(André-Adolphe-Eugène), Galerie de
panoramas. contemporains, texte biographique par Dollingen,
portraits en pied photographiés par Disdéri,
HEILMANN (J.-J.), «Vues des Pyrénées», Pau,
Paris, 1862. 3 vol., in-4° de 25 phot.
Marx, 1854-1860. 19 phot.
D urât (Pierre), Photo-biographie des contemporains,
L iesville (A.-R. de). Vues de Cherbourg..., Paris,
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l’auteur, 1861. 12 phot. Gripp.
L yte (Farnham Maxwell), « Pyrénées », Pau,
F lan ( A .) et B l u m ( E .) , Les Photographies
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M arville (Charles), Album du bois de Boulogne,
H ugo (Charles) et VACQUERIE (Auguste),
Paris, 1858. 60 phot. « Portraits de Victor Hugo et de ses
ROUSSET (Ildefonse-François-Louis) familiers... à Jersey », [1853-1856].
1865. Le Tour de Marne, décrit et photographié 58 phot.
par Emile de La Bédollière et Ildefonse Rousset, L aiSNÉ (Victor), Histoire des artistes vivants par
Paris, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie. Théophile Silvestre, Paris, 1853-1856. 21 phot.
ln-4°, 64 p., plan, phot.
1865. Le Bois de Vincennes, décrit et photographié M artin (Adolphe), Portraits parlementaires
par Emile de La Bédollière et Ildefonse Rousset, daguerréotypés, Paris, 1849.
Paris, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie.
In-fol., 74 p., phot., pl., plan. M ayer et P ierson
1866. Etudes photographiques, introduction et 1856. Portraits des plénipotentaires, Congrès de
notes de Louis Jourdan, Paris, A. Giroux. 10 Paris, 30 mars 1856. 16 phot.
fasc. en 1 vol. in-4°, phot. 1862. Album des députés du Corps législatif,
Paris. 196 phot.
Soulier (Charles)
1864- 1867. «Suisse», Paris, Photographie N auar (Félix), «Galerie des contemporains».
Antonin. N° 101-149. [En mars 1861, Nadar annonce dans Journal
1865- 1867. «Savoie», Paris, Photographie amusant une liste de 78 noms].
Antonin. N° 149-184. PETIT (Pierre) et T rinquar T, Galerie des hommes
STEWART (John), « Paysages et monuments des du jour, biographies par Théodore Pelloquet,
Pyrénées», Pau, Marx, v. 1864. N° 102-203, Paris, 1861.
24 phot.
TERPEREAU (Alphonse), «B ord eau x » , 1866-
1867. 30 phot.

Études de nu
D lrieu (Jean-Louis-Marie-Eugène), « Etudes
de nus», Paris, 1853-1854. 32 phot., (cahier
Portraits de contemporains ayant appartenu à Eugène Delacroix).
B érot (J.) MALACRIDA, « Etudes d ’après nature », Paris,
[1865]. La Presse photographiée par J. Bérot, Lemercier, v. 1853. 36 phot.
peintre, Paris, Photographie de la presse
artistique. 24 phot. M arconi (Gaudenzio), «Académies pour
[1865]. Le Siècle photographié par J. Bérot, l’Ecole des beaux-arts », Paris, 1869-1873.
peintre, Paris, Photographie de la presse 87 phot.
artistique. 25 phot.
MOULIN (Félix-Jacques-Antoine), « Etudes
CHEVALIER, Cartes-programmes pour les théâtres de photographiques», Paris, 1852-1854. Env.
Paris, v. 1867-1869. 40 phot. 60 phot.
D ALLEMAGNE (Adolphe-Jean-François-Marin), O livier (Louis d’), « Etudes d ’après nature »,
Galerie des artistes contemporains, v. 1866. l re Paris, Société photographique, 1854-1855.
série, 50 phot. N° 1 à 583.
ANNEXES 52 3

QuiNET (Alexandre) et B audry , « Études [1867]. Souvenirs de l ’Hôtel-Dieu de Paris, 1867.


d’après nature, Autorisées sans exposition à 10 phot.
l’étalage», Paris, 1861. N° 1-7.
TOURNIER (Henry), « Exposition universelle des
QUINET (Alexandre), « Études d ’après nature, chiens, 1863 », Paris, 1863. 60 phot.
Autorisées sans exposition à l’étalage », Paris.
1862. N° 8-29.
V allou de V illeneuve (Julien), « Études
d’après nature», Paris, Lemercier, 1853- Scènes de la Commune
1855. N° 1001-1971, 215 phot.
A n d r ie u (J.), Désastres de la guerre, Paris,
VOLAND (Henry), «É tudes d ’après natu re» , l’auteur, [1871]. 44 phot.
v. 1861. 17 phot.
A pp e r t (Eugène), « Les Crimes de la
Communes», Paris, v. 1871.
30 photomontages.
« Actualités, reportages » B a u d e l a i r e , S a g l i o et P e t e r , S iè g e de

B aUDEMENT (Émile) et TOURNACHON (A drien), Strasbourg, 1870, Strasbourg, 1870. 43 phot.


Les Races bovines au Concours universel agricole de Braquehais (Bruno), « Paris et ses environs au
Paris en 1856, études zootechniques, 1869 Atlas moment de la Commune», Paris, 1871.
d ’après 87 p h o t. d ’A drien T o u rn ach o n . 120 phot.
B lS S O N (Jne) et P e t i t (Pierre), Exposition DELISLE (J.), Souvenir du siège de Paris, Paris, v.
universelle de 1867, Paris, [1867], 45 phot. 1871. 20 phot.
Album de l'Isthme de Suez, tnai 1866 - juin
C U V IE R ,
EMONDS (P.), Hôtel de Ville de Paris, 1871, Paris,
1867, P aris, 1867. In-4° obi. 34 phot. [1871]. 23 phot.
D ubois d e N é h a u t (Louis-Pierre-Théophile), FONTES (E.), Ambulance de la Grande Gerbe, parc
Revue de la garde du bois de Boulogne en présence de Saint-Cloud, Paris, Société photoglyptique,
de S.M. le roi de Bavière (juin 1857), Paris, 1871. In-4°, 34 phot.
[1857], 30phot,
G erm ain (L.), C h o c q u e lle (H.) et D e lm a e t-
D u v a l frères (tapissiers), Pavillon impérial à D u R A N D E L L E , « Ruines causées par la guerre
l'Exposition universelle de 1867, Paris, 1867. aux alentours de Paris», Paris, 1870-1871.
13 phot. In-pet. fol., 26 phot.
Le Gray (Jean-Baptiste-Gustave) LÉAUTTÉ, Photographies d'après nature sous la
1857. Souvenirs du camp de Châlons. Exemplaire Commune de Paris, du 18 mars au 21 mai 1871,
offert par Napoléon III au général comte de Paris, 10, rue Mandar, 1871. 17 phot.
Montebello. In-fol., 66phot.
1860. «Sicile, juin I860», Paris, Colliau et LlÉBERT (Alphonse J.), Les Ruines de Paris et de
Gostet. 7phot, ses environs, 1870-1871. Cent photographies par
A. Liébert, Texte par Alfred d ’Aunay, Paris,
N a d a r (Félix T o u r n a c h o n dit) Photographie américaine, 1872. 2 vol.,
1861. « Paris, les catacombes, 1861», Paris. 100 JlIlMl.
75phot.
1861. « Paris, les égouts, 1861», Paris. LoubèRI. 'P.î. Album photographique des ruines de
27 phot. Paris. Préface par Justin Lallier, Paris,
P. Loubère, libraire, 22, rue Visconti,
N ÈGRE (Charles),
Vues photographiques de l'Asile [sept. 1871]. 1 alb. in-8° obi., 21 phot.
impérial de Vincennes, v. 1859. 15phot.
R obert (Émile), «Paris, 15 juin 1871 », Paris,
P etit (Pierre). Exposition universelle de 1867. 1871. 33 phot.
Construction du Palais des expositions en 1866.
Paris, [1866]. 20phot. T iersault , « Ruines de Paris en 1871 », Paris,
1871. 17 phot.
PRÉVÔT(G.), Garde impériale française. Camp de
Châlons, 1866. In-4°, 84phot. T iersault , «Siège de Paris, 1870-1871 », Paris,
1871. 37 phot.
R ic h e b o u rg (Pierre-Amboise)
[1864]. Palais impérial de l'Elysée Napoléon. WULFF (Jne), Insurrection de Paris, ruines, Paris,
27 phot. 1871. In-4°, 45 phot.
524 LA P H O T O G R A P H IE EN TR A N C E 1816-1871

Vues stéréoscopiques 3 1858. « Midi de la France », Paris. N° 1-


360.
F urne fils et T ournier (Henry) 1859. «France, Compiègne, 1859», Paris.
1858. « Provence et Languedoc», Paris. N° 1-175.
N° 1-200.
1858. « Souvenirs de Cherbourg, août L amy (E.), « Vues des Pyrénées, photographies
1858 », Paris. N° 1-80. par É. Lamy », Paris, 1868. N° 1-124.
JOUVIN (Hippolyte), « Vues instantanées de
Paris », Paris, 1863. N“ 1-194. LÉON et LÉVY, « Exposition universelle de 1867.
Photographié et publié par M. Léon et
JOUVIN (L.). J . Lévy», Paris, 1867. N° 1-635.
1857-1858. «Voyage en Normandie»,
Paris. N° 1-490. VERNEUIL, «L e P.L.M. », Paris, 1868. N° 1-570.

1. Les dates de parution sont mentionnées jusqu’en cation contraire, éditées par Blanquart-Évrard. La
1871. même pour les périodiques qui paraissent au- liste des publications de Blanquart-Evrard a été
delà de cette année 1871. établie par Isabelle J ammes : B la n q u a rt-E v ra rd et les
2. Les titres d ’albuin viennent en italiques, ceux origines de l ’édition photographique fra n ça ise. C atalogue
des séries entre guillemets. Le nombre des photo­ raisonné des album s photographiques édités, 1851-1855,
graphies indiqué pour chacun des recueils ou séries Droz, Genève, 1981.
l’est à titre indicatif. Il ne rend pas compte des 4. Voir également ci-dessus les publications de
clichés effectivement réalisés par Fauteur, mais seu­ Blanquart-Évrard.
lement des épreuves actuellement disponibles 5. La liste ci-dessous de quelques grandes séries de
(essentiellement dans les institutions françaises). Il vues stéréoscopiques ne rend pas compte d’une
ne préjuge donc pas des découvertes à venir. production nombreuse et variée (voir notamment
3. Les photographies ont été tirées à l’« Imprime­ su p ra les catalogues de Ferrier et Soulier et de
rie photographique » de Loos-les-Lille et, sauf indi­ A. Gaudin).
INDEX DES NOMS PROPRES

A BARRESWIL Charles-Louis-Arthur (1817-


1870) : 191, 314.
ADAM-SALOMON Antoine-Samuel (1811- BAUCHAL Charles : 15, 95-97, 106.
1881) : 250. BAUDELAIRE Charles (1821-1867) : 227, 286,
ADAMS Ansel (né 1903) : 279. 325 (et n. 1), 326-329.
AGUADO Olympe-Clémente-Alexandre- BAUDRY : voir GIDE et BAUDRY.
Auguste, comte (1827-1894) : 9 (n. 2), 165, BAYARD Hippolyte (1801-1887) : 35, 39 (n. 3),
310, 316, 321, 411 (ill.), 473. 44, 62-63 (et ill.), 64 (et n. 3, 4), 68 (ill.),
ALIGNY Claude-Félix-Théodore Caruelle d ’ 126, 128, 197, 215, 246 (et n. 1), 249, 312,
(1798-1871): 106. 473.
ALINARI Guiseppe et Léopoldo : 197. BAYLE-MOUILLARD: 321.
ALLAIN Prosper-Denis-Édouard (1826-ap. BEATO Felice (1830-1906) : 175, 333 (n. 2).
1864) : 287, 386 (ill.). BEAUTEMPS-BEAUPRÉ Charles-François
AI.OPHE Adolphe-Marie-Alexandre Menut, dit (1766-1854) : 459.
(1812-1883) : 82 (et n. 1), 373 (n. 2). BECQUEREL Alexandre-Edmond (1820-
ALPHAND Jean-Charles (1817-1891) : 384 1891) : 9 (n. 2), 252, 473.
(n. 5). BEDFORD Francis (1816-1894) : 432.
ANDERSON Robert (1805-1871) : 197. BELLANGÉ Joseph-Louis-Hippolvte (1800-
APPERT Eugène (v. 1814-1867} : 480-481 (et 1866) : 400.
ill). BELLOC Auguste (actif 1848-1888) : 368, 369-
ARAGO François (1786-1853) : 8, 23, 33-35 36- 370.
43, 45, 48, 51-52, 64 (n. 4), 71, 137, 144, 442. BELLORI Giovanni Pietro (1615-1696) : 251.
ARCHER Frederick Scott : 87. BENJAMIN Walter (1892-1944) : 183 (n. 4),
ARNAUD Camille d’ : 443, 451 (ill ). 219 (et n. 2), 244 (et n. 2), 267 (n. 1), 325
AUBRÉE : 79 (et n. 1). (et n. 1).
AUBRY Charles (1811-1877) : 380, 402-404, BÉRANGER Raymond, marquis de : 385.
407-409 (et ill.). BERGER Jean-Jacques, préfet (1790-1859) :
AUBRY-LECOMTE Hyacinthe-Louis-Victor- 128.
Jean-Baptiste (v. 1787-1858) : 111, 309. BERTHIER Paul-Marcellin (1822-1912) : 266
AUDIGIER Charles-Louis-Alexandre-Henri, (n. 4).
comte d’ (1828-1872) : 286, 352-353, 356, BERTILLON Alphonse (1853-1914) : 479
359, 361. (n. 2).
AUDRAN Gérard (1640-1703) : 229, 237. BERTSCH Auguste (mort 1871) : 443, 451 (ill.).
AUPICK Caroline (1793-1871) : 329. BETBEDER Faustin : 390, 398.
BILORDEAUX Adolphe: 197, 312.
BINGHAM Robert Jefferson (actif 1850-1860) :
241-242 (et ill.), 299 (n. 2).
B BIOT Jean-Baptiste (1774-1862) : 42 (n. 5), 65.
BISSON jeune, Auguste-Rosalie Bisson, dit
BALARD Antoine-Jérôme (1802-1876) : 312, (1826-1900) : 265 (et n. 3), 379 (ill.), 384,
473. 444, 456 (ill.).
BALDUS Édouard-Denis (1813-1882) : 15, 106, BISSON Louis-Auguste (1814-1876) . 126, 191,
126, 131, 194-197 (et ill.), 249, 382 (et ill.), 197.
384. 464 (ill.). BISSON frères : 131, 233 (et n. 3), 265 (n. 3),
BALZAC Honoré de (1799-1850) : 282-283. 266 (n. 6), 271 (ill.), 299 (n. 2), 316, 381
BARILLET : 384 (n. 4, 5). fill-)-
526 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

BLAISE Gabriel : 384. CARROLL Charles Lutwidge Dodgson, dit


BLANC Numa : 428-429. Lewis (1832-1898) : 431.
BLANCHARD Auguste-Thomas-Marie (1819- CAVÉ Élisabeth-Marie Blavot (née v. 1810) :
1898) : 243, 302, 305. 402 (et n. 1), 405-407.
BLANQUART-ÉVRARD Louis-Désiré (1802- CAVOUR Camillo Benso, comte de (1810-
1872) : 9, 87, 88-89, 93-97, 100, 103-104, 1861) : 391, 397.
122, 126, 137, 144, 188, 190, 192, 200-201, CHAM Amédée-Charles-Henri de Noé, dit
215, 308 (ill.), 310, 428. (1819-1879) : 289, 366 (ill.).
BOILLY Louis-Léopold (1761-1845) : 224. CHAMPAIGNE Philippe de (1602-1674) : 229.
BOITOUZET J.-E.-Fr. (actif 1854-1865) : 105 CHAMPFLEURY Jules Husson, dit Fleury puis
(ill.). (1821-1889) : 9 (n. 2), 292.
BONINGTON Richard Parkes (1802-1828) : CHAPRON Nicolas : 112.
224. CHARNAY Claude-Joseph-Désiré (1828-
BONNARDOT A. (1808-1884) : 251, 252-254, 1915) : 144-146, 150-155 (et ill.), 156-157.
325. CHATEAUBRIAND François-René, vicomte
BOUGUEREAU Adolphe-William (1825- de (1768-1848) : 124.
1905) : 254. CHEVALIER Charles-Louis (1804-1859) : 400-
BOULANGER Léon : 298, 300-301. 401, 428 (et n. 1).
BOURDIN Jules (1833-1893) : voir CHEVALIER Félix : 398-399, 400-401.
DUBRONI. CHEVREUL Marie-Eugène (1786-1889) : 314.
BOURGEOIS Paul-Louis-Alexandre: 411 CHINTRELTL Antoine (1816-1873) : 267.
(ill.), 413. CHOCAT-HAMILTON Pierre-Étienne-
BRACQUEMOND Félix (1833-1914) : 326. Auguste: 169, 173.
BRAUN Adolphe (1812-1877) : 96 (ill.), 188, CHOPIN Frédéric (1810-1849) : 430 (n. 1).
191, 198-199 (et ill.), 199 (et n. 6), 207, 368 CIMABUE Giovanni (1240-1302) : 245 (n. 4),
(n. 2), 380, 444, 470. 265.
BRÉBISSON Louis-Alphonse de (1798-1872) : CIVIALE Aimé (1821-1893) : 444, 453-458 (et
266 (n. 4). ill).
BRIQUET Alfred Saint-Ange (actif 1850- CLAUDET Antoine-François-Jean (1796-
~1865) : 101 (ill.), 266 (n. 4). 1867) : 81, 430, 431-434.
BRONZINO Angiolo Torri, dit II (1503-1572) : CLÉMENT Pierre (1809-1870) : 299 (n. 2).
213. CLERCQ Louis-Constant-Henri-François de
BURON : 33 (ill.). (1836-1901) : 142 (ill.), 144 (et n. 1).
BURTY Philippe (1830-1890) : 12, 298-299, CLOQUET Jules-Germain (1790-1883) : 204.
307-309, 318, 321-322, 403. COEN Giuseppe . 197.
COGNIET Léon (1794-1880) : 398, 400 (n. 8).
COLET Louise (1810-1876) : 122 (n. 1).
c COLLARD Hippolyte-Auguste (av. 1840, ap.
1887) : 129, 380 (ill.), 382-383 (et ill.).
CADART Alfred (1828-1875) : 398-399, 400- COLLIAU Eugène : 266 (n. 4).
401. COLNAGHI D. : 299 (n. 2).
CAIGNART d e SAULCY Louis-Félicien- CONSTABLE John (1776-1837) : 267, 283.
Joseph (1807-1880) : 136-137, 138-141. CORMENIN Louis de (1788-1868) : 122, 124-
CALAMATTA Luigi (1801-1869) : 243, 400. 125.
CALDESI Luigi : 307. COROT Camille (1796-1875) : 111, 235 (ill.),
CALLOW William (1812-1908) : 283. 267, 291.
CALOINE Pierre (1818-1859) : 182, 183-184.
COURBET Gustave (1819-1877) : 109, 226, 254
CAMERON Julia Margaret (1815-1879) : 430-
(n. 4), 267, 424.
431 (et ill.).
CARANZA Ernest de : 197. COUSIN Victor (1792-1867) : 321, 473.
CARAVAGE, Le (1573-1610) : 115, 251, 376. CROS Charles (1842-1888) : 252 (n. 2).
CARJAT Étienne (1828-1906) : 194 (n. 4), 239 CUVELIER Eugène (1837-1900) : 101, 266
(ill.), 326 (et n. 3). (n. 4).
ANNEXES 527

D IÉBO LT: 131.


D DILLAIS : 238, 240.
DAGRON Prudent-René-Patrice (1819-1900) : DISDÉRI André-Adolphe-Eugène (1819-
207, 385-388. 1889) : 10, 12-13, 16 (et n. 6, 13), 167-174
DAGUERRE Louis-Jacques-Mandé (1787- (et ill.), 182-183, 184-187, 194 (et n. 4),
1851) : 6 (ill.), 22-23, 28-30, 31, 32-44, 46- 209, 213, 266 (n. 8), 286, 350, 352 (et n. 2),
48 (et ill.), 50-53, 57, 62 (et n. 4), 66-67, 353-356 (et ill.), 364-368, 371-375, 377,
80-81 (ill.), 99, 144, 189, 202, 249, 252, 254, 379-380, 385, 417, 484 (ill.).
269, 291, 305, 313, 323, 327, 333, 367, 397, DOLARD Camille (1810-1884) : 9 (ill.).
416. DONNÉ Alfred (1801-1878) : 44, 71-72, 73-76,
DALLEMAGNE Adolphe-Jean-François- 313 (et n. 2), 442-443.
Marin (1811 - ap. 1872) : 292 (ill.). DORIAUX Ad. : 304.
DANELLE : 399 (n. 7). DOW ou DOV Gérard (1613-1675) : 115.
DAUBRÉE Gabriel-Auguste (né 1814) : 458. DREVET Pierre (1663-1738): 112.
DAUMIER Honoré (1808-1879) : 20 (ill.), 50 DUBAN Félix-Louis-Jacques (1797-1870) : 128.
(n. 5), 90 (ill.), 180 (ill.), 206 (ill.), 286, 289, DUBOSCQ L.-Jules (1822-1894) : 429, 443.
296 (ill.), 336 (ill.). DUBRONI, Jules Bourdin, dit (1838-1893) :
DAVANNE Louis-Alphonse (1824-1912) : 27, 160, 435-436, 439. 440-441.
97, 191, 314, 379-384, 385, 467, 472-474. DU CAMP Maxime (1822-1894) : 92 (n. I),
DEBAY Auguste-Hyacinthe (1804-1865) : 225. 122-126 (et ill.), 137, 144, 175 (n. 1), 265
DECAMPS Alexandre-Gabriel (1803-1860) : (n. 2).
111, 375. DUCHÂTEL Charles-Marie, comte Tanneguy
DEGAS, Hilaire-Germain-Edgar de Gas, dit (1803-1867) : 36 (n. 1), 42, 66.
Edgar (1834-1917) : 254 (n. 4). DUCHENNE de BOULOGNE Guillaume-
DELABORDE Henri, vicomte (1811-1899) : 11, Benjamin-Amand (1806-1875) : 442, 446-
108, 128 (n. 1), 213 (et n. 1), 219, 225-226, 451 (et ill.).
228-237, 241, 251-252, 267, 310. DUCLOS : 384.
DELACROIX Ferdinand-Victor-Eugène (1798- DUCOS DU HAURON Louis (1837-1920) : 252
1863) : 9 (n. 2), 97 (n. 4), 106, 220, 262, 264, (n. 2).
267-268, 270, 271, 321, 375, 400 (n. 8), DUCROT : 460.
402 (et n. 2, 3), 404 (n. 4), 405-407, 430 DURAND Arsène : 298-299, 301-302.
(n. 1). DURAND-BRAGER Jean-Baptiste-Henri
DELAROCHE Hippolyte, dit Paul (1797- (1814-1879) : 175, 333 (n. 2).
1856) : 39, 95, 167, 220, 241, 259, 309. DURANDELLE Louis-Émile (1839-1917) : 126,
DELÉCLUZE Étienne-Jean (1781-1863) : 107, 384 ; et voir DELMAET et
114-115, 305. DURANDELLE.
DELESSERT François-Benjamin-Marie (1817- DURER Albrecht (1471-1528) : 190-191, 265.
1868) : 42 (n. 6), 165, 190, 192, 197-198, 266 DURHEIM Cari : 136-137.
(n. 6), 299 (n. 2). DURIEU Jean-Louis-Marie-Eugène (1800-
DELMAET Clémence Jacob, veuve (1836- 1874) : 9-10, 15, 209, 272, 273-276, 279-
v. 1890) : 384. 281, 318-319, 321, 402-403 (et ill.).
DELMAET et DURANDELLE : 127 (ill.), 129,
142 (ill.), 384.
DELONDRE Paul (mort 1900) : 97.
DELTON Louis-Jean (av. 1820-a p . 1900) : 147
(ill.), 362-363 (ill.).
DÉROSIER : 449 (n. 6).
DESAVARY Charles (1837-1885) : 291 (ill.). E
DESMAISONS Pierre-Émile (1812-1880) : 111.
DEVÉRIA Jacques-Jean-Marie-Achille (1800- EDELINCK Gérard (1640-1707) : 229, 237.
1857) : 77-78, 311, 443 (ill.). ENGLAND William : 432.
DEVÉRIA Théodule (1831-1871) : 136-137, EUGÉNIE, impératrice (1826-1920) : 265
141-143 (et ill.). (n. 3), 365.
528 LA PHOTOGRAPHIK 1 \ FRANCK 1816-1871

F GAY-IsjgSAC Louis-Joseph (1778-1850) : 43


(et n. 7).
FASSY Paul : 475 (n. 2). GAZEBON : 205-206.
FAUCHEUR : 399 (n. 7). GENDRON Auguste (né 1818) : 400.
FAYE Hervé-Auguste (1814-1902) : 442, 451- GÉRARD Léon (actif v. 1860) : 265.
453. GÉRICAULT Théodore (1791-1824) : 224.
FENTON Roger (1819-1869) : 175, 333 (n. 2). GIDE Casimir (1804-1868) et BAUDRY : 310,
FERRIER père et fils, Claude-Marie (1811- 316.
1889) et
Jacques-Alexandre, et SOULIER GIRARD Aimé (1830-1898) : 442, 458-461.
Charles : 341-342. GIRARDET Charles-Samuel (1780-1863) : 302.
FEUARDENT Félix (actif v. 1850) : 254 (n. 4). GIRARDIN Émile de (1806-1881) : 363.
FIERLANDS Louis : 307. GIRAUD : 264.
FIGUIER Louis (1819-1894) : 12 (n. 11), 318- GIRAUDOT : 305.
319, 322-324. GIRAULT d e PRANGEY Joseph-Philibert
FIZEAU Armand-Hippolytc-Louis (1819- (1804-1892) : 126.
1896) : 71, 76, 87, 126, 313 (n. 2), 469 (ill.). GIROUX André (1801-1879) : 266 (n. 4).
FLACHÉRON Jean-François, Charles, André GODILLOT Alexis : 381.
dit Frédéric (1813-1883) : 97. GONCOURT Edmond de (1822-1896) et Jules
FLANDRIN Hippolyte (1809-1864) : 398. 400. de (1830-1870).
FLAUBERT Gustave (1821-1880) : 122 (et GOUPIL Jean-Baptiste-Michel-Adolphe (né
n. 1), 144. 1806) : 241, 243, 298-299, 301-304, 310, 319.
FLAVIUS JOSEPHE (37 - ap. 100) : 124. GOUPIL-FESQUET Frédéric : 52-53, 54-58,
FLEURY Joseph-Nicolas-Robert : 400. 126, 144.
FOCKEDEY Hippolyte : 190, 192. GOYA, Francisco de Goya y Lucientes, dit
FONTAINE: 178. (1746-1828) : 325 (n,2).
FONTENY Henri de: 132, 144. GRAVES : 304.
FORSTER François (1790-1872) : 243. GREENE John Bulkley (1832-1856) : 126, 144.
FORTIER Georges: 106, 131. GROS Jean-Baptiste-I.ouis, baron (1793-1871) :
FOUCAULT Jean-Bernard-Léon (1819-1868) ; 9 (n. 2), 112-113 (et ill.), 126, 165, 225, 247,
71, 73-76, 442, 473. 265.
FOURNEL François-Victor (1829-1894) : 286, GRÜNE : 385.
289-290, 291, 293-295, 412 (n. 1). GUEUVIN (actif 1851-1871) : 412.
FOURNIER : 384 (n. 5). GUILLOT-SAGUEZ A. (actif 1840-1850) : 215
FRANÇAIS François-Louis (1814-1897) : 111, (ill.).
400.
FURNE Charles-Paul : 266 (n. 8).
H
HARDY Alfred (1811-1893) : 444, 462-463.
G HARDY et MONTMEJA : 442, 444, 461-463.
HALJSSMANN Georges-Eugène, baron (1809-
GAMBART : 299 (n. 2). 1891) : 128, 384.
GARNIER Jean-Louis-Charles (1825-1898) : HEATH : 432.
384. HÉBERT Antoine-Auguste-Ernest (1871-
GARNIER Henry : 476. 1908) : 128, 384.
GARNIER et SALMON': 310. HEGEL Georg Wilhelm Friedrich (1770-1831) :
GAUDIN Marc-Antoine-Augustin (né 1804) : 111 (n. 1).
35, 43-44, 55, 80-81. HEILMANN J.-J. : 265 (n. 4).
GAUTIER Théophile (1811-1872) : 15, 241- HENNEMANN Nikolaas : 169.
243, 244, 282, 283-285, 321, 323 (n. 3), 325, HENRIQUEL-DUPONT, Louis-Pierre
398-399, 401. Henriquel, dit (1797-1892) : 243, 301-303,
GAVARNI, Sulpice-Guillaume Chevalier, dit 305, 309-400.
Paul (1804-1866) : 283. HERLING A. : 7 (n. 1).
ANNEXES 52 9

HIMELY Sigismond (né 1801) : 61. LACAN Ernest (1828-1879) : 7 (et n. 1), 10-12,
HOU DOIT : 215. 96 (et n. 3), 106, 126, 128, 130-131, 160, 161-
HUBERT Eugène : 62, 64, 70. 166, 167, 169, 194 (et n. 1), 195, 197-200,
HUET Paul (1803-1869) : 267. 209, 213, 251, 266 (n. 6), 310, 352-353, 361,
HUGO Victor (1802-1885) : 122 (n. 1). 363, 368, 370-371, 373, 374, 417 (n. 1), 428-
HUMBERT DE MOLARD Louis-Adolphe 429, 430, 479 (et n. 1).
(1800-1874) : 312. LACRETELLE Henri de (1815-1899) : 95, 97
(et n. 6), 104, 126-128, 129-130.
LADMIRAULT Louis-René-Paul de, général,
(1808-1898): 485.
I LAFFON Louise : 380-381, 385, 469 (ill ).
LAFON DE CAMARSAC Pierre-Michel (1821-
INGRES Jean-Auguste-Dominique (1780- 1905) : 16 (n. 13), 207, 373, 377-378, 380.
1867) : 50 (et n. 4), 106, 220, 259, 264, 292, LA GAVINIE : 298-299, 305, 352 (et n. 1).
313, 398, 399-400. LAISNÉ Victor (né 1807) : 313 (ill.).
ISABEY Jean-Baptiste (1767-1855) : 400. LAMARRE M. et M™ : 419 (n. 1), 421, 424-
ITIER Jules (1802-1877) : 54, 58-60, 126.
425.
LAMARTINE Alphonse-Marie-Louis de (1790-
1869) : 124, 246, 249-250, 253.
LAMÉ-FLEURY Ernest-Jules-Frédéric (né
J 1823) : 330, 338, 340.
JALABERT Charles-François (1819-1901) : LANDSEER sir Edwin Henry (1802-1873) :
400. 283.
JANIN Jules (1804-1874) : 8, 45, 46-51, 61. LANGLOIS Jean-Charles, colonel (1789-
JANZÉ Hippolyte, vicomte de : 310, 316. 1870) : 175 (et n. 1), 176-179 (et ill.), 333
JAVARY, capitaine : 460. (n.2).
JEANRON Philippe-Auguste (1808-1877) : 400. LANTARA, Simon-Mathurin Lantarat, dit
JOLY-GRANGEDOR Jules (1818-1871): 14, (1729-1778): 110.
404, 467-469, 477-478. LARGUILLIÈRE Nicolas de (1656-1746) : 265.
JOLY d e LOTBINIÈRE Pierre-Gustave (1798- LA ROCHE Tiphaine de : 53 (n. 2).
1865) : 52, 56, 61. LASCASES Emmanuel, comte de (1766-1842) :
JOMARD Edmond : 52, 61. 61.
LATOUR Georges de (1593-1652) : 257, 265.
LATREILLE Édouard de : 298-299, 306.
LAULERIE Martin : 323.
K LAUSSEDAT Aimé, colonel (1819-1907) : 444,
459-461.
KEN Alexandre (mort v. 1874) : 373 (n. 2), 410- LAVOLLÉE Charles-Hubert (né 1823) : 54.
417. LAWRENCE sir Thomas (1769-1830) : 283.
KILBURN William Edward (actif 1846-1862) : LEFEBVRE : 305.
169. LEFUEL Hector (1810-1881) : 131.
KNAUS Louis (1829-1910) : 249. LE GRAY Jean-Baptiste-Gustave (1820-1882) :
10 (et n. 4), 15, 87, 95 (et n. 1), 97, 98-100,
101, 103, 108-109 (et ill.), 124, 126, 131,
L 166 (n. 2), 179 (n. 6), 238, 253 (n. 3), 266
(n. 4), 268, 322, 430.
LA BLANCHÈRE Pierre-René-Marie-Henri de LEGROS Adolphe : 304.
(1821-1880) : 304, 373-374, 375-377, 410, LEMAÎTRE Augustin-François (1797-1870) :
430. 22-23, 25, 30, 314.
LABORDE Léon-Emmanuel-Simon-Joseph, LEMERCIER Rose-Joseph (1803-1887) : 190-
comte de (1807-1869) : 9 (n. 2), 12, 18-19, 191, 233 (n. 5), 310-311, 316, 404, 467.
182 (et n. 2), 213, 218 (et n. 1), 219-225, LE NEVE FOSTER (actif 1856-1871) : 430,
321-322, 473. 431-433.
530 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871 \

LÉONARD de VINCI (1452-1519) : 72, 213, MARION A. (av. 1835-1917) : 341, 343 (et
229, 285. n. 1).
LÉON-NOËL André : 301, 303. MARTENS Frédéric (v. 1809-1875) : 61, 197.
LEREBOURS Nicolas-Marie Paymal (1807- MARTIN John (1799-1854) : 48 (et n. 3), 284.
1873) : 43, 52-53, 60-61, 80-81, 87 (et n. 2), MARTINET Achille-Louis (1806-1877) : 301,
191, 214-215 (et ill.), 313. 303, 400.
LE SECQ, Jean-Louis-Henry Le Secq MARVILLE Charles (1816-v. 1879) : 15, 100-
Destournelles, dit Henri (1818-1882) : 96-98 101 (et ill.), 126, 129, 131, 384 (et n. 3, 5).
(et ill.), 101-102 (et ill.), 106, 126-131 (et MAURISSET Théodore : 44 (ill.).
ill.), 197, 249. MAYER frères, Léopold-Ernest (1817-1870) et
LE SUEUR Eustache (1617-1655) : 106. Louis-Frédéric (mort 1881) : 200, 266 (n. 9).
L'HOTE Édouard : 107 (n. 2). MAYER et PIERSON : 10, 13, 16, 87-88, 194
LIÉBERT Alphonse-J. (1827-1914) : 373 (n. 2). (n. 4), 200, 266, 373 (n. 2), 390-391 (et ill.),
LIÉNARD Justin : 298, 303. 392-395, 398, 417.
LISSIMONE : 175, 333 (n. 2). MÉHÉDIN Léon-Eugène (1828-1905) : 175,
LORENT August Jakob : 197. 178, 333 (n. 2).
LORRAIN, Claude Gellée, dit Le (1600-1682) : MÉHÉMET-ALI (1769-1849) : 52, 55, 58.
267, 269. MERCURY ou MERCURI Paul (1804-1884) :
LORY (actif 1862-1878) : 49 (ill.). 243, 302, 305.
LUMIÈRE Auguste (1862-1954) et Louis (1864- MESTRAL O. : 126.
1948) : 252 (n. 2). METZU ou METSU Gabriel (1629-1667) : 115.
LUYNES Honoré-Théodoric-Paul-Joseph MICHEL-ANGE (1475-1564) : 106, 115, 250.
d’Albert, duc de (1802-1867) : 201, 203-204, MIGNARD Nicolas (1608-1668) : 112.
218 (n. 1), 313, 472-474, 476. MILLAIS sir John Everett (1829-1896) : 284.
LYTE Farnham Maxwell (1828-1906) : 432. MILLET Jean-François (1814-1875) : 254
(n. 4).
MILNE-EDWARDS Henri (1800-1885) : 72,
78.
M MONET Claude (1840-1926) : 128.
MONTECHI : 307.
MAC AI RE Louis-Cyrus (1807-1871) : 330, 331- MONTFORT Benito de, colonel : 9 (n. 2).
334. MONTMÉJA A. de : 444-445, 461 (ill.), 463 ;
MAILAND : 473. et voir HARDY et MONTMÉJA.
MALACRIDA Jules : 266 (n. 8). MORGHEN Raphaël (1761-1833) : 112, 229.
MALLET-BACHELIER : 310, 316. MORIN Jean : 229, 237, 304.
MANET Édouard (1832-1883) : 227 (ill.), 231, MOUTLLERON Adolphe (1820-1887) : 111,
326 (n. 3). 301, 303.
MANSIER : 460. MOULIN Félix-Jacques-Antoine (v. 1800 - ap.
MANTE : 311. 1868) : 144-145, 146-150 (et ill.).
MANTZ Paul (1821-1895) : 183 (n. 5), 207- MUDD James (actif 1854-1895) : 432.
208. MULREADY William (1786-1863) : 283.
MARC de RAVENNE : 233. MURILLO Bartolomé Esteban (1618-1682) :
MARC-ANTOINE : voir RAIMONDI. 50.
MARCELIN, Émile Planat, dit (1825-1887) :
255, 256-265 (et ill.), 266 (n. 8), 288 (ill.).
MARCONI Gaudenzio (1842 - ap. 1885) : 423 N
(ill.).
MARÉCHAL Charles-Raphaël : 207, 380. NADAR jeune, Adrien Tournachon, dit (1825-
MAREY Étienne-Jules (1830-1904) : 445 (et 1903) : 44 (ill.), 200, 238, 249, 266 (n. 8),
n. 4), 465-466. 304, 381, 388-389 (et ill.), 446 (n. 5).
MARIE Alexandre-Thomas (1795-1870) : 390, NADAR, Gaspard-Félix Tournachon, dit Félix
395-397. (1820-1910) : 9, 194 (n. 4), 205, 227 (ill.),
MARIETTE Auguste (1821-1881) : 137, 141. 238, 239-240, 242, 255, 282-283 (et ill.),
ANNEXES 531

292 (ill.), 318-321 (et ill.), 325 (n. 2), 330- PIERSON Pierre-Louis (1822-1913) : 266
331, 334-337 (et ill.), 339 (ill.), 407-408. (n. 9) ; et voir MAYER et PIERSON.
NANTEUIL Célestin (1813-1873) : 70, 112, PIOT Eugène (1812-1890) : 144, 192, 197, 241.
237, 400. PIRANESI Giambattista (1720-1778) : 231.
NAPOLÉON III (1808-1873) : 145, 188, 265 PLANCHE Gustave (1808-1857) : 267, 268-
(n. 3), 303, 319, 365, 384, 404. 269, 277, 325.
NÈGRE Charles (1820-1880) : 106, 126, 131- PLUMIER Victor : 106, 200, 245.
132, 133-134 (et ill.), 135 (ill.), 191, 197, POE Edgar Allan (1809-1849) : 326 (n. 4).
200, 248-249 (et ill.), 266 (n. 8), 310, 467- POITEVIN Louis-Alphonse (1819-1882) : 201,
468 (ill.), 470-472. 310, 314-317 (et ill.), 368, 443 (ill.), 467, 469
NIÉPCE Claude (1763-1828) : 22. (ill.), 471 (ill.), 474.
NIÉPCE fils Isidore (1795-1868) : 24, 31, 35-36, PORRO Ignace (né 1795) : 443, 451-452.
42. POTHUAU Louis-Pierre-Alexis (1815-1882) :
NIÉPCE Joseph-Nicéphore (1765-1833) : 22-23, 483.
24-34 (et ill.), 35-37, 42-43, 53, 87, 189, 202, POTONIÉ Edmond: 370-371.
305, 313-314, 332, 367, 468 (ill.). POUSSIN Nicolas (1594-1665) : 267, 269.
NIÉPCE DE SAINT-VICTOR Claude-Félix- PRÉAULT, Antoine-Augustin Préault, dit
Abel (1805-1870) : 87, 189, 252 (n. 2), 311, Auguste (né v. 1810-1871) : 264.
314. PRETSCH Paul (1808-1873) : 310.
NOLLET Jean-Antoine, abbé (1700-1770) : 25 PRÉVOST Victor (1820-1881) : 305.
(et n. 5). PRUD’HON, Pierre, dit Pierre-Paul (1758-
1823) : 309.
PU VIS DE CHAVANNES Pierre-Cécil (1824-
1898) : 400.
O
OLIVIER Louis-Camille d ’ (1827 - ap. 1870) :
266 (n. 8), 422 (ill.). Q
OZANAM Charles, Dr. (né 1824) : 442, 444-
QUATREMÈRE d e QUINCY, Antoine-
445, 463-466 (et ill ).
Chrysostome, dit (1755-1849) : 220.
QUINET fils, M.-Achille (mort en 1909) : 149,
452.
P
PALMERSTON Henry Temple, lord (1784- R
1869) : 391, 397.
PANOFSKY Erwin (1892-1968) : 72 (et n. 2), RAIMONDI, Marcantonio Raimondi, dit
251 (n. 1). Marc-Antoine (1480-1534) : 190, 192, 216,
PEIRCE Charles Sanders (1839-1914) : 17 233, 262, 266 (n. 6), 402 (n. 3).
(n. 20, 21), 445. RAOUL-ROCHETTE, Désiré-Raoul Rochette,
PÉRIER Charles-Fortunat-Paul (1812 - v. dit Désiré (1790-1854) : 39 (n. 3), 62, 64, 65-
1874): 10, 12, 15-16, 194 (n. 2), 209-217, 70.
249, 272-273, 277-278, 321, 341-342, RAPHAËL (1483-1520) : 106, 112, 213, 229,
344-345, 473. 250, 253-254, 307 (n. 5), 309, 376, 398 (n. 4),
PÉRINI : 197. 404 (n. 4).
PERNEL : 311. RAVAISSON, Jean-Gaspard-Félix Lâcher
PERRIER Charles (1835-1860) : 17 (et n. 21), Ravaisson-Mollien, dit Félix (1813 1900)
107 (et n. 2), 226 (et n. 1). 404.
PERROT DE CHAUMEUX A. : 398 (n. 2). REGNAULT Henri-Victor (1810-1878) : 9
PETIT Pierre (1832-1909) : 352-353, 357 (ill.), (n. 2), 78, 101, 110 (ill.), 118 (ill.), 201, 321,
361, 373 (n. 2), 384. 458, 467, 473.
PHILIPPOTEAUX HenriTEmmanuel-Félix REMBRANDT (1606-1669): 109, 115, 191,
(né 1815) : 400. 234, 242, 262, 284, 444, 449.
532 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

RENARD François-Auguste : 197, 215, 299, SCOTTI : 24.


304. SÉE Gerson : 384.
RENGADE : 445. SENEFELDER Aloys (1771-1834) : 22, 216 (et
REUTLINGER Charles (1816 - ap. 1880) : 266 n. 2), 224.
(n. 11). SERRIN : 429.
RIBERA Jusepe ou José de (1588-1652) : 234, SILBERMANN : 312.
444, 449. SILVESTRE Israël (1621-1691) : 231.
RICHEBOURG Pierre-Amboise (av. 1830 - ap. SILVY Camille (1835 - ap. 1868) : 283.
1872) : 118 (ill.). SOULANGE-TESSIER, Louis-Emmanuel
RIFFAUT Adolphe-Pierre (1821-1859) : 190, Soulange, dit (né 1816) : 111.
200, 311. SOULIER Charles : 444 ; et voir FERRIER et
RIGAUD Hyacinthe (1659-1743) : 112 (n. 5), SOULIER.
257, 265. SPARLING Marcus : 175.
ROBERT H. : 452. STEEN Jan (1626-1679) : 115.
ROBERT Léopold (1794-1835) : 250, 266 (n. 8). SUTTON Thomas (1819-1875) : 92, 93-94.
ROBERT Louis-Rémy (1811-1882) : 97. SZATHMARI Karl-Baptist von : 249.
ROBERTSON James (1813-1881): 175, 197.
ROGER: 309.
ROMAIN Jules (v. 1492 - 1546) : 213.
ROTHSCHILD James de : 382. T
ROUSSEAU Louis-François-Emmanuel (1788-
1868) : 72, 77-78, 311, 315 (ill.), 443 (ill.), TALBOT William Henri Fox (1800-1877) : 42
471 (ill.). (n. 5), 47, 65, 68, 87, 189, 202, 313, 367.
ROUSSEAU Philippe (1816-1887) : 321, 400. TAUPENOT J.-M . (1824-1856) : 178-179, 387,
ROUSSEAU Théodore (1812-1867) : 106. 435.
RUBENS Pierre-Paul (1577-1640) : 15, 106, TENISON E.-K. : 197.
120, 250, 308, 404-405. TESSIÉ DU MOTAY Cyprien : 207.
RUMINE Gabriel de : 214 (ill.). TESTUD DE BEAUREGARD : 252 (n. 2).
RUSSEL : 435. TEYNARD Félix (1817-1892) : 144, 269, 299
RUYSDAËL Jacob (v. 1628-1682) : 249, 267, (n. 2).
269. THIÉBAULT Eugène (actif 1856-1874) : 360
(ill.), 390.
THIESSON E. : 291 (ill.).
THOMPSON : 224, 404.
TITIEN, Tiziano Vecellio, dit (v. 1485-1576) :
S 15, 120, 213, 250, 265, 405.
TORBÉCHET Zacharie-Jean-Baptiste de : 287
SABOURAUD : 460. (ill.).
SAINTE-CLAIRE DEVILLE Charles (1814- TOURNACHON : voir NADAR.
1876) : 442, 453-458. TOURNIER Henry : 266 (n. 8).
SALATHÉ Frédéric (1793-1860) : 61. TRÉMAUX Pierre (1818-1895) : 311-312 (et
SALLIÈRE : 384 (n. 4). ill.).
SALMON Alphonse : voir GARNIER et TROYON Constant (1810-1865) : 398, 400.
SALMON. TURNER Joseph Mallord William (1775-
SALZMANN Auguste (1824-1872) : 92, 126, 1851): 267, 283.
132, 136-140 (et ill.), 144, 192, 197,
SASSÈRE L. : 390, 392 (n. 4), 395-397, 398-
399.
SAUGRIN A. : 266 (n. 11).
SCHAPIRO Meyer: 267 (n. 1).
v
SCHEFFER Arie, dit Ary (1795-1858) : 220, VAILLAT : 106, 200.
259. VALLOU DE VILLENEUVE Julien (1795-
SCHNETZ Jean-Victor (1787-1870) : 70. 1866) : 424 (ill.).
SCHWABBÉ : 390, 398. VAN der ANKER: 350 (ill.).
ANNEXES 53 3

VAN DYCK Antoine (1599-1641) : 15, 120, 250,


265, 278, 286, 289, 376.
w
VAN MONCKHOVEN Désiré-Charles- WARNOD Jean-Victor, né Macaire (1812-ap.
Emmanuel : 151. 1886) : 331 (n. 1).
VAN OSTADE Adriaen (1610-1684) : 115-116. WATTEAU Antoine (1684-1721) : 115.
VAN SPANDOUCK : 199 (n. 6). WESTON Edward (1886-1958) : 279.
VAUTE Auguste : 266 (n. 11). WEY Francis (1812-1882) : 9 (n. 2), 15, 7 (et
VELASQUEZ (1599-1660) : 278. n. 5), 107, 108-121, 189 (n. 2), 244, 246, 253
VÉNITIEN Auguste : 233. (n. 3), 430.
VERNET Horace (1789-1363) : 52, 54-56, 61, W IERTZ Antoine-Joseph (1806-1865) : 244-
144, 224. 245.
VIBERT Edmond-Célestin-Paul (né 1851) : 299 WOODWARD David A. : 428-429.
(n. 2). WYLD William (1806-1889) : 283.
VICTORIA, reine (1819-1901) : 307 (n. 5), 382.
VIDAL Léon (1833-1906) : 14, 109, 111, 160,
426-427, 435, 436-439, 467-468, 469-470,
474-477. Z
VILLE Georges : 89 (n. 4), 316.
VIOLLET-LE-DUC Eugène-Emmanuel (1814- ZIÉGLER Jules-Claude (1804-1856) : 9 (n. 2),
1879) : 128 (n. 2), 144-146, 156-159 (et ill.). 106, 234, 246 (et n. 1), 247-249.
VOLAND Henri : 399. ZURBARÂN Francisco de (1598-1664) : 115,
VOLPATO Giovanni (1733-1803) : 229. 234.
INDEX DES NOTIONS

SOMMAIRE 538 LA PRATIQUE 542 LA TECHNIQUE


Applications Instruments
Appréciations sur- Opérations
Avant le cliche'
535 L’ÉCONOMIE Prise de vue
539 LE PORTRAIT Traitement de l’image
Agents
Concurrence Les épreuves
Les affaires Négatives
Lieux 539 LE PROCÉDÉ Positives
Produits Couleur
Généralités Carte de visite
Invention Stéréoscopiques
535 LES EMPLOYÉS Encouragements
Appréciations sur- Substances chimiques
Généralités /qualités
Catégories
543 LE TEMPS
540 LE PUBLIC
535 LA DIFFUSION
Catégories
Généralités 543 LES UTOPIES
Goût
Objets
Attitudes envers la pho­
Fonctions sociales
tographie
Modalités
Effets de la photo­
graphie
Rapports spectateur^/
536 L’ESTHÉTIQUE
objets figurés
Généralités
Écoles
Effets 540 PRATIQUES
Composants CONNEXES
Catégories
536 LES LIEUX Agents
Rapports de la photo­
Production (-de) graphie avec
Expositions Art
Institutions Gravure
Revues et journaux Les choses
Peinture
Science
538 LE PHOTOGRAPHE
Catégories
Appréciations sur- 541 LA REPRÉSENTA­
Photographe artiste TION
ANNEXES 53 5

L’ÉCONOMIE Lieux
• Entreprise/établissement/société : 167, 169,
172-173, 191, 278, 342, 353, 367, 372, 409.
• Fabrique, magasin, succursale : 342-343, 365,
369-371, 424.
• Commerce, la photographie est un • «Fabrique» de tirage («imprimerie
commerce : 9, 13, 103, 160, 167, 304, 323, 341-342, photographique »,...) : 9, 84, 92, 95, 185, 192, 428-
344, 370, 387-388, 394, 419, 430. 429, 435, 438, 470.
• Voie industrielle, la photographie est une
industrie: 10-11, 84, 87-89, 92, 95, 103, 160, 183,
249, 310, 316-317, 321-322, 341-342, 344, 368, Produits
370-371, 380, 387, 428, 439, 474, 476.
• Épreuves (vente et production) : 316, 341-
342, 354.
• Fournitures (produits, matériel) : 341, 343,
Agents 347, 368-369, 435-437, 439.
• Fabricant, industriel, photographe
industriel : 84, 189-190, 371, 438.
• Clientèle, débouchés : 9, 88-89, 95, 103, 132,
160, 305, 309-310, 319, 342, 368-369. LES EMPLOYÉS
• Généralités: 153-154, 163, 429.
Concurrence : 95, 342, 344, 368-369 (et • Conditions matérielles : 85-86, 345, 348.
n.3), 394, 417. • Nombre : 83, 85, 92, 145, 153, 341, 346-347,
387, 475.
• Conséquences (baisse de qualité des épreuves, • Salaires : 82, 85, 89, 348, 420, 475.
négligences) : 13, 189, 341, 345, 374, 430.
• Contrefaçon : 13, 304, 387, 390-394, 398.
• Propriété industrielle, littéraire et artistique : Catégories
298, 301, 304, 306, 354, 390, 393-396.
• Colleur : 347.
• Laboratoire (de) : 93-94.
Les affaires • Margeur : 347.
• Miniaturiste : 347.
• Importance et essor du marché, activité, • Modèles (photos obscènes) : 420.
production (nombre des ateliers, niveau des • Opérateur : 238, 335, 345, 416.
affaires) : 8, 13, 84, 86, 341, 354, 368, 371, 374- • Peintre : 347.
375, 439, 468, 474-477. • Préparateur : 166, 347.
• Organisation (travail, production, vente) : • Retoucheur, coloriste : 345, 347, 415, 475.
88-89, 92, 95, 103, 185, 415. • Tireur : 374.
• Bénéfices, profits, chiffres d ’affaires : 11, 160,
162, 173, 188, 190, 198-199, 201, 203, 352, 409,
467, 474-475.
• Capitaux, investissements : 82, 170, 172-173, LA DIFFUSION
307, 368, 394, 415.
• Coût et rentabilisation de la production • Généralités: 186-188, 194, 200-201, 213, 222,
(épreuves, produits, matériel), prix de revient : 9, 310, 312, 316-317, 477.
38, 88-89, 100, 184, 186, 190, 307, 310, 312, 316,
343, 354, 356, 371, 385, 394, 440-441, 462-463, 470,
472. Objets
• Créanciers, faillites, actionnaires, emprunts :
167, 170, 172-174, 278. • Images de productions industrielles : 183,
• Exportation, distribution en province, service 185.
(tirage, conseil, leçon) : 10, 188, 190, 298, 345, 359, • Œuvres d ’art, beaux-arts : 12, 50, 61, 67, 165,
361, 369-371, 393, 409, 424, 428-429, 476. 182, 184, 186, 190, 194-195, 197-198, 216, 218-219,
• Prix et baisse des prix (épreuves, produits, 223, 241-243, 254, 303-307, 400.
matériel), prix de vente : 39-40, 87-89, 92, 95, 100, • Portraits : 19, 361, 367.
132 (n.l), 160, 185, 188-190, 192, 224, 304-305, • Procédé photographique: 188-189, 368 (n.2),
327, 344, 352, 354, 356, 368-370 (et n.2, 3), 409, 435, 437-441, 474.
440-441, 473. • Savoir, science : 462, 466.
536 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

Fonctions sociales : • Magie des- : 284.


• Perspective (-de) : 69, 99, 338.
• Généralités : 182, 185, 189. • Pittoresque: 39, 69, 108, 11 1, 132-134, 137-
• Démocratie : 11, 182, 223, 306. 139, 192.
• Éducation, instruction : 11, 223, 305-306, 462, • Prescience des- : 118,
477. • Réel (-de) : 62.
• Moralisation: 11, 182-184, 404.
• Régénération du «goût public»: 113, 183, Composants
220.
• Généralités: 103-104, 119, 132, 211, 245, 279-
Modalités 281, 284, 378, 397, 433.
• Choix (sujet, ...) : 133, 270, 376-377, 433.
• Éditeurs, publications, éditions • Clair-obscur : 378, 449.
photographiques : 61, 71-72, 76, 88-89, 125-126, • Composition (vs cadrage) : 211, 270.
137-138, 144-145, 149. 192, 194, 198, 200, 233, • Constraste : 37, 259, 377-378.
241, 298, 301, 303, 311-312, 315, 371, 394, 462, • Couleur : 377.
477. • Détail : 46, 81, 120, 133, 155, 259, 269, 277-
• Gravure héliographique, photolithographie, 278, 290, 373, 375-376, 433.
procédés photomécaniques : 11, 13-14, 23, 71, 76, • Ensemble, masse (vs détail) : 48, 81, 111, 134,
87, 188-191, 194, 200-201 (et n.7), 203, 218, 307 162, 270, 376.
(n.6), 310, 312, 314-316, 381, 385, 467-468 (et n.I), • Flou (le)/net (le) : 63-64, 69, 277, 373, 376,
470, 472-474, 476. 430, 433-434, 449.
• Images photographiques Cmultiplicité, • Formes des objets : 378, 414.
reproduction illimitée, diffusion massive) : 11, 131, • Harmonie : 230.
190, 201, 224, 303, 379, 385, 467-468, 472, 477. • Interprétation, expression : 117-120, 228, 280.
• « Imprimerie photographique » : 9, 84, 92, • Lumière: 69, 155, 162, 247, 253, 281, 376,
95, 185, 192, 428-429, 435, 438, 470. 378, 414, 449, 457.
• Mise au point : 99, 280-281.
• Ombre : 163.
• Point de vue : 133, 154, 163, 247, 253, 281,
L’ESTHÉTIQUE 338, 377-378, 457.
• Relief : 376.
• Généralités : 9, 120, 378, 430. • Rendu : 15, 162, 279-280.
• Étude, étude d ’après nature : 260. 284. • Sacrifices (les) : 99, 107, 121, 134, 228, 230,
• Idéal (!’-) : 18, 394, 396. 242, 267, 269, 376, 449.
• « Lois éternelles » (le Beau, le Vrai) : 15-16, • Teinte, demi-teinte : 129, 316, 378.
396, 432. • Temps de pose : 99.
• Théorie des sacrifices : 15, 97 (et n.5), 111, • Ton, tonalité : 39, 81, 109, 164.
120, 246, 268 (et n.2), 270, 373, 376, 430.

Écoles LES LIEUX


• Calotype : 63-64, 97, 246-247, 268. Production (-de)
• Classique et romantique : 106.
• Coloristes et dessinateurs : 15, 96, 106, 282, • Atelier: 10, 162, 166, 185, 238, 344, 364, 388,
284. 410, 445, 462-463.
• Idéaliste : 17, 95, 107, 226, 251, 402, 406-407, • Boutique, magasin : 74, 342, 345, 365, 370,
418. 424.
• Nationale : 282-284, 323 (et n.3). • Domicile (à-) : 55.
• Naturaliste: 114-115, 251. • École : 333, 460.
• Orientaliste: 125, 144, 261. • Entreprise/établissement de photographie : 9,
• Réaliste : 18, 107, 270, 325, 329, 406, 418, 84, 88-89, 92, 95, 167, 169, 172-173, 185, 191-192,
453. 278, 310, 315, 342, 352, 367, 372, 387-388, 409,
428-429, 435, 438, 470.
Effets : • Fabrique, « usine » (matériel, produits,
épreuves) : 342-343, 369.
• Généralités : 48, 99, 104, 155, 192, 253, 375, • Foire : 345, 388.
377-378, 430. • Laboratoire: 153-154, 161, 169, 179 (n.5),
• Artistique : 62, 69, 373, 430. 334-335, 342, 410, 415-410.
• Lumière (-de la) : 338. • Mission héliographique : 126, 128, 136.
ANNEXES 53 7

• Salon/terrasse de pose (situation, • Chambre syndicale de la photographie : 13.


équipement, accessoires) : 161, 169, 258, 345, 410, • Commission des monuments historiques : 38.
412-413. 126, 129, 131.
• Studios de portrait : 161, 258, 277-278, 365, • Comptoir international de la photographie :
416. 13,.368, 370-371.
• Voyage, excursion, expédition : 56-58, 125, • École des beaux-arts : 225, 309.
144-146, 148-150, 152-154, 190, 332, 438-439 (et • Inspection générale des prisons : 480, 483-
n. 2), 459-460. 484.
• Ministère des beaux-arts : 7.
Expositions • Ministère de la Guerre : 460, 483.
• Ministère de l’Instruction publique : 122, 137,
• Internationale de Dublin : 431-432.
145.
• Montre (vitrine) : 161, 421-422. • Ministère de l’Intérieur : 480, 483-484.
• Musée photographique : 97.
• Ministère de la Marine et des Colonies : 479,
• Palais des beaux-arts (-du) : 167, 183, 185,
481-483.
393. • Ponts et Chaussées : 129, 382, 460.
• Palais de l’industrie (-du) : 167, 172-173, 183- • Société des aquafortistes : 13, 298, 399-401 (et
184, 209, 251, 318 (et n.l), 322-323, 392 (n. 5).
n.5).
• Photographique : 65-66, 97, 169, 251. • Société d ’encouragement pour l’industrie
• Salons : 12, 318, 392 (n. 5).
nationale : 62.
• Salon de 1850 : 97, 108, 114. • Société française de photographie : 7, 10 (et
• Salon de 1852 : 106. n.6), 12 (et n.10), 15, 64 (n.4), 96 (n.3), 98, 201-
• Salon de 1859 : 98, 325-356. 204, 209, 218, 246 (n.l), 251-252 (et n.2), 272,
• Salon de 1863 : 417-418. 275, 279, 282, 299, 307, 310, 317, 320, 428, 443,
• Salon des beaux-arts de 1857 : 12, 319, 321.
463, 472-473.
• Salon des beaux-arts de 1859 : 318, 392 (n.5). • Société héliographique : 8, 88, 96 (n.3), 246.
• Salon des beaux-arts de 1861 : 392 (n.5). • Société industrielle de Mulhouse : 199 (n.6).
• Société française de photographie 1855 : 10, • Société libre des beaux-arts : 62.
279-281. • Société photographique de Marseille : 368
• Société française de photographie 1857 : 316, (n.2), 390-391, 395, 417-418 (et n.2), 426, 435.
319, 321.. • Société du progrès de l’art industriel : 298,
• Société française de photographie 1859 : 318 304, 410.
(et n.l), 321-323, 325, 341, 392 (n.5). • Société royale de Londres : 37.
• Société française de photographie 1861 : 387, • Tribunal correctionnel de Nantes : 421-422,
392 (n.5). 424-425.
• Société française de photographie 1863 : 417.
• Universelle de 1851 : 18, 182, 218-219.
• Universelle de 1855 : 10-12, 92, 167, 173, 182-
185, 188-193, 194-195, 197-198, 201, 209 (et n.l), Revues et journaux
213, 246-247, 249, 251, 266 (n.6), 277, 310, 315, • Annales de Chimie et de Physique : 316.
318, 322, 352, 379, 382, 384, 467. • Art au XIX1 siècle (L’) : 298-299 (et n.l), 301-
• Universelle de 1862 : 379, 386-387. 304.
• Universelle de 1867 : 379, 382, 384-385, 465 • Artiste (L’) : 17 (et n.21), 46-48, 50-51, 79-81,
(n. 12), 476. 107 (et n.2), 207-208, 226 (n.l), 241-243, 282-285.
• Bulletin de la Société française de photographie : 12
(n.10), 15 (n.12), 93-94, 175, 178 (n.4, 5), 201-204,
209-213, 272-281, 318-319 (et n.l), 321, 344-345,
Institutions : 8, 371. 382 (n.2), 385, 428 (n.2), 443 (n.2, 3), 463-466,
472-477.
• Académie des beaux-arts : 35, 39 (n.3), 62 (et • Boulevard (Le) : 336.
n.l), 64-66, 69-70, 224, 318-319, 321-322, 332, 341, • Charivari : 20, 50 (n.5), 90, 206, 29b, 366.
398, 426.. • Constitutionnel (Le) : 138-141, 298, 305, 386.
• Académie des inscriptions et belles lettres : • Cosmos (Le) : 7 (n.l).
132, 136-138. • Courrier de Paris (Le) : 298, 305.
• Académie des sciences de Paris : 35, 45, 64- • Événement (L ’) : 122.
66, 71-72, 77-78, 87 (et n.2), 89 (n.6), 207, 224, • Gazette des beaux-arts : 299, 307, 309, 477-478.
443 (n.l), 451-452, 457-458, 460. • Gazette des tribunaux (La) : 419-421.
• Bibliothèque impériale : 77 (et n.4), 226. • Globe (Le) : 107.
• Chambre de commerce de Paris : 82, 84-86, • Illustration (L’) : 352, 364-365, 367, 435-436
341, 345-349. (et n.l), 440-441.
538 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

• Journal amusant ( I a ) : 255-265, 288, 320, 350. • Copiste : 395-397.


• Journal des débats (Le) : 50 (n.4), 107, 114-115, • Industriel, fabricant d ’images: 84, 117-118,
298, 305, 458-461. 160, 210, 275, 344-345, 476.
• Lumière (La) : 7 (n.l), 8-10 (et n.3, 5), 13, 35, • Mécanique, manœuvrier, artisan : 63, 106,
88-89, 96-97 (et n.3, 5, 6), 104, 106-122, 124-125, 210, 250, 392, 396.
145-146, 148, 160-166, 183-184, 194, 298-299, • Médiateur (entre le spectateur et le monde) :
305, 343, 352 (et n.l), 379-389, 436. 396.
• Monde illustré (Le) : 180. • Prédateur : 361, 466.
• Moniteur de la photographie (Le) : 7 (n.l), 13,
338, 361, 368 (et n.2), 370-371, 374, 392 (n.4), 395-
400 (et n.l, 2, 3, 7), 417-418 (et n.l, 2), 428-429, Photographe artiste
431-434, 436-439, 469-470, 475 (n.2).
• Moniteur universel (Le) : 65-70, 122, 194, 251. • Art du- : 273, 281.
• Esprit, âme, goût du- : 14, 104, 111, 117, 120,
• National (Le) : 244.
• Paris-Architecte : 436. 138, 208, 210, 253, 284, 414, 432.
• Patrie (La) : 286, 331 (n.l), 356, 359, 361. • Génie, pouvoir médiumnique du- : 282, 284,
309, 377, 396.
• Photographe (Le) (d’A. Herling) : 7 (n.l).
• Habileté (technique), expérience du- : 211,
• Photographe (Le) (d’Édouard de Latreille) : 7
229, 274-275, 280-281, 432.
(n.l).
• Photographie news (The) : 93-94. • Imagination du- : 229, 270, 328, 394.
• Individualité, personnalité, volonté du- : 104,
• Presse (U ) : 107, 122.
• Propagateur (Le) : 7 (n.l). 111, 132, 164, 309, 324, 378, 397, 453.
• Inspiration (divine) du- : 104.
• Revue archéologique (La) : 137, 141 (et n.2).
• Intuition de l’effet du- : 99, 279.
• Revue des beaux-arts (La) : 298, 300-301, 306.
• Revue des Deux Mondes (La) : 11, 226, 228-237, • Main, manière, faire du- : 109, 272, 274, 284,
316, 323-324, 376, 414.
251, 267-270, 305, 405-407.
• Sentiment (de la beauté) du- : 14, 104, 118,
• Revue photographique (La) : 7 (n.l), 11 (n.9),
133, 228, 247, 280-281, 324, 375, 396-397, 443.
182 (et n.l), 419-422, 424-425.
• Talent du- : 162-164, 309.
• Revue photographique des hôpitaux de Paris : 445.
• Vision du- : 104.
• Revue universelle des arts : 251-254.
• Siècle (Le) : 107.
• Spectateur (Le) : 7 (n.l).
• Union (U) : 298, 305.
• Vie parisienne (La) : 436. LA PRATIQUE
• Destination (catégories sociales, profession,
but) : 59, 132-133, 149.
• Nécessité, composante d ’une dynamique
LE PHOTOGRAPHE historique : 124, 219, 223-224, 239, 304.
• Progrès, évolution, transformation (pratiques
Catégories et activités) : 62, 64-66, 69-71, 73, 77, 87-89, 136,
188, 260, 275, 310, 316-317, 443, 451-453, 455,
• Amateur: 44, 70, 160, 163, 165, 211, 278, 326, 457-458, 460, 468.
344, 368, 370, 435-436, 439-441, 461. • Succès/expansion/engouement pour- : 234,
• Artiste (peintre-photographe, sculpteur- 236, 251, 269, 319, 325, 328, 352, 371.
photographe, peintre) : 13-15, 95, 97, 99, 132-133,
139, 162,164, 167, 209-212, 238, 240, 249, 272,
278-280, 302, 344, 370, 374, 390, 392-393, 395-397, Applications/usages
414-416, 432-433.
• Artiste et industriel : 410, 415. • Généralités: 35, 186, 189-190, 432.
• Calotypiste : 166-167 (et n.2). • Aérostation : 335.
• Industriel : 13-14, 209-210, 212, 392, 466. • Archéologie: 60, 124-126, 129, 134, 136-141,
• Professionnel: 139, 146, 160-162, 457, 469. 143-146, 151, 156, 159, 166, 195, 202, 236, 332.
• Touriste: 345, 441, 457. • Architecture: 112, 114, 126, 128-131, 133,
• Voyageur: 39, 61, 124, 149, 151, 175, 460. 202, 231, 236, 269, 356, 382, 384.
• Armée/guerre : 175, 331-332, 334, 459-460.
• Astronomie : 40, 443, 451-453.
Appréciation sur- • Biologie, zoologie, histoire naturelle : 73, 450-
• Artiste raté (« fruit sec » de l’art) : 167, 239, 451.
328. • Carte de visite : 13, 352, 354, 356, 367, 375.
ANNEXES 5 39

• Coloniale: 144-145, 149. 74-75, 136-137, 394, 445-446, 452-453, 458-460,


• Découverte du monde, voyage : 63, 67, 69, 462-466.
122, 124-125, 130, 207, 260, 312, 379-381, 385-387, • Moyen de contrôle et répression : 479, 482-
460. 483.
• Domaine privé (-au) : 10, 50, 182-183, 189, • Moyen de reproduction : 8, 69, 218.
194, 208, 367, 394. • Non-art : 235-236, 249, 251, 269, 295, 386.
• Erotisme, obscénité : 324-325, 327, 419, 422. • Science: 108, 118, 189, 239, 249, 273, 323,
• Fins utiles et pratiques (-à des) : 189-190, 192, 331, 370, 417-418, 427.
213.
• Géologie : 332, 444, 453-455, 457-458.
• Groupe : 60, 453.
• Histoire, actualité : 54, 333. LE PORTRAIT
• Industrie: 186-187, 191-192, 198-199, 379-
382, 384. • Généralités: 35, 41 (n.4), 50, 87, 115, 117,
• Justice : 331. 120, 189, 199,205, 253, 255, 258-259, 316, 329,
• Médecine: 41, 73, 309, 461-466. 386-387, 441, 485.
• Météorologie : 41, 444, 454. • Album : 359.
• Microscopie : 67, 71, 73-76, 386-387, 442-443, • Art et esthétique du- : 81, 103, 118, 121, 240,
465. 278, 286, 289, 293, 375, 412-414, 431.
• Panorama : 444, 455-458. • Autoportrait : 62, 64.
• Paysage : 270, 377, 444, 453. • Clientèle (situation sociale, goût...) : 193, 286,
• Photométrie : 40. 289-290, 293-294, 356, 361, 372-373, 375, 388, 411,
• Physique : 41. 413-414, 416, 431, 474.
• Reproduction de peinture-tableaux-dessins : • Contemporains célèbres : 200, 262-263, 265,
68-69, 112, 232, 260, 262, 316, 368 (n.2), 399. 332, 353, 359, 365, 394.
• Sculpture : 133, 197, 231, 316. • Équestre : 361.
• Topographie : 41, 334, 444, 453-454, 459-460. • Galerie, collection de- : 215, 294, 356, 361.
• Idéal : 293, 329.
• Illusion démocratique : 359.
• Image/modèle (enlaidissement, déformation,
Appréciations sur- image cadavérique) : 259, 265.
• Image/modèle (ressemblance, faire-valoir,
• « Calamité publique », « fléau social » : 262, embellissement) : 193, 294-295, 407, 413-414, 474,
265. 450.
• A rt: 10, 12-13, 17, 45, 95, 97, 103, 108, 117, • Industrie, commerce du- : 193, 277-278, 373,
194, 210, 219, 239, 249-250, 260, 268, 272-273, 324, 375.
370, 373-375, 378, 390-391, 395, 398, 416-418, • Judiciaire, police (-de) : 224, 482.
426. • Marché, demande, attente (épidémie, vogue,
• Art d’imitation : 249, 376. mode) : 286, 289, 294, 327, 353, 359, 372, 474.
• Art industriel : 207-208, 386-387, 394, 410, • Peint, retouché : 193, 406-407.
416-417. • Physionomie, expression, sourire, mains...
• Art secondaire, presque-art, quasi-art : 97, 258-259, 277, 290, 294, 412, 480, 450.
103, 108, 209, 212. • Pose : 161, 255, 258, 278, 286, 290, 294-295,
• Art spécifique, «spécial» : 16-17, 104, 272- 411, 414.
273, 275, 279-281, 323. • Prix du- : 161, 215, 254, 289, 352-353, 361,
• Commerce/industrie : 304, 323, 341-342, 344, 375, 474-475.
370, 387-388. • Production, pratique (importance, primauté
• Création : 375. du-) : 193, 199, 221, 277, 359, 368, 372, 374.
• Instrument : 45. • Torture (daguerréotype) : 81.
• Langage : 378. • Usage commercial : 361.
• Loisir (photo amateur...) : 344, 435-436, 439- • Usage privé : 295, 359.
441. • Usage social (paraître...) : 286, 290, 293-294,
• Luxe : 344. 352, 359, 361.
• Machine automatique, opération chimique :
97, 116, 209, 228, 259, 282-283, 375, 396, 400, 406.
• Métier (s’apprend) : 210, 240, 326, 418.
• Moyen auxiliaire des arts, de la science et de
l’industrie: 11, 35-36, 42, 182-184, 186, 218, 235, LE PROCÉDÉ
275, 330.
• Moyen de connaissance, d ’observation : 61, • Généralités : 23, 30-31, 210, 272, 427.
540 LA P H O T O G R A P H IE E N FRANCE 1 8 1 6 -1 8 7 1

Invention LE PUBLIC
• Généralités : 22-23, 29, 36, 64, 66, 313. Généralités: 190, 220, 338, 371, 378.
• Brevets ; 353. • Perception, vision du- : 269-270, 373, 376-377,
• Française : 42, 46, 51, 331. 406-407.
• Héliographie de Niépce (« couleur », « point
de vue », « rétine ») : 22-25, 28.
• Inventeurs : 22, 64-65, 321, 335, 367, 473. Catégories
• Principes : 22, 65, 69, 473. • Bourgeois : 286, 289, 293.
• Gens de goût : 280.
• Masse du-, « tout le monde » : 216-217, 222,
Perfectionnements 352.

a) E n cou ragem en ts : 62, 332, 334, 370. Goût


• Aide du ministère de l’Intérieur : 66. • Généralités : 215-216.
• Concours du duc de Luynes : 12, 201, 204, • Beau (-du), Vrai (-du) : 326.
313, 368, 467, 472-473. • Mauvais, vulgaire, corrompu : 99, 182, 217,
• Concours de la Société d ’encouragement pour 269, 432, 477.
l’industrie nationale en vue d ’accélérer les
perfectionnements de la photographie sur Attitudes envers la photographie
papier : 62.
• Prix de la Société française de photographie : • Attiré, avide, curieux, étonné : 35, 43, 58-59,
428. 65-66, 323, 325-327, 329, 344, 387.
• Déçu : 189, 374-375.
b) R ech erch es (essais, expériences, • Indifférent, défiant : 82, 344.
brevets) : 9, 24-25, 28-29, 32-33, 37, 46, 66, 76,
78, 80-81, 87-88, 165, 167, 189, 275, 313-314, Effets de la photographie
317, 353, 356, 386, 435, 439.
• Extension (effective) du champ visuel,
renouvellement du regard: 112, 126, 129-130.
• Extension (symbolique) du champ visuel :
359.
Appréciations sur-/qualités • Découverte, ubiquité du spectateur : 114, 125,
129, 309, 394.
• Altérabilité, éphémère : 37, 78, 133, 188-189,
201-203, 230 (n.3), 306, 310-311, 345, 371, 381,
468, 470, 472-473, 476. Rapports spectateurs/objets figurés
• Automaticité: 17, 267 (n.l). • Indiscrétion (-d’) : 359.
• Facilité, simplicité à mettre en oeuvre : 40, 66, • Proximité (-de) : 128.
69, 239, 367 (n.l), 440-441, 444, 459, 476.
• Inégale sensibilité aux couleurs: 46, 230-231,
242.
• Instantanéité : 463-464.
• Limites (altérabilité, non-multiplicité, etc.), PRATIQUES CONNEXES
« moyen transitoire» : 11, 79, 175, 183, 229, 273,
381, 470, 472. Catégories
• Magique, merveilleux, diabolique : 48, 50, 55-
56, 58, 154, 239, 245, 334, 426, 477. • Gravure: 60-61, 313.
• Multiplicité : 23, 28, 310. • Aquarelle : 67, 110.
• Nouveau, radicalement différent, spécificité : • Dessin : 77, 315, 402, 459-462.
42, 51, 272, 274-275, 441. • Diorama: 28-29, 42, 170, 173, 384.
• Rapidité ■ 38, 40, 60, 87, 128, 193, 304. • Eau-forte : 27, 400-401.
• Reproductibilité : 23, 87. • Gouache : 110.
• Solidité, inaltérabilité, stabilité : 38, 48, 67, • Gravure de reproduction : 72, 76, 78, 309.
70, 103, 188-189, 202, 204, 312, 463, 467, 469, 473, • Lavis : 109.
476. • Lithographie: 216 (n.2), 310, 312-313, 315-
• Souplesse, autorise l’interprétation : 97, 99, 316.
107, 109, 111, 279, 281. • Peinture (pratique de la-) : 396.
ANNEXES 541

Agents • Contiguïté physique de l’image avec- : 16-17,


146.
• Dessinateur : 402, 405, 454. • Distance : 122, 124, 205.
• Éditeur/marchand d ’estampes : 69, 97, 155, • Immobilité : 81.
162, 209, 228, 247, 253, 259, 281-283, 375-376, 378, • Mouvement des- : 81.
396, 400, 406, 414, 449, 457. • Décomposition, découpage des- : 129, 195,
268, 270.

Rapport de la photographie avec d) P e in tu re :


• Généralités : 210, 250, 286, 373, 389, 396.
a) A r t :
• Dépend a nctya llï'geance de la photographie
• Généralités : 9, 15, 67, 69, 111, 132, 183, 210, vis-à-vis de la-: 97, 103-104, 106, 118-119, 160,
318, 442, 453. 163-164, 210-212, 272, 278, 318.
• «Révolution» de 1’- : 111, 113, 115-116, 236. • Différences esthétiques : 95, 103, 246, 249,
• Attaque (pétition...) contre la photographie : 268-269, 377-378.
11, 13-14, 16-17, 226, 246, 255, 301-305, 319, 341,
398-400, 402. e) S cien ce :
• Chance pour 1’- : 98-99, 116, 475. • Généralités : 41, 67, 71, 187, 195, 442-446,
• Collaboratrice de 1’- : 119, 244-245, 475. 449- 459, 461-466, 472.
• Epuration de 1’-, élimination des « gens de
• Instrument de diffusion/auxiliaire : 71-72, 74-
métier » : 98, 107, 113-114, 244-245, 249, 254, 285.
75, 77-78, 114, 183, 186, 195, 442-446, 452-458,
• Instrument de diffusion et d ’étude, modèle
pour 1’- : 39, 50, 59-60, 70, 104, 125, 132-133, 165, 462, 464-466.
• Moyen d ’expérimentation : 72, 195, 442-445,
191, 253-254, 269, 285, 323, 394-395, 406, 418,
450- 455, 464-466.
427.
• Moyen d’enseignement de 1’- : 191, 402, 404,
406, 409.
• Revendications et actions en faveur d ’un art
photographique : 12, 16, 99, 108, 275, 280-281,432,
468. LA REPRÉSENTATION
• Corruptrice de 1’-, péril pour 1’- : 8, 111, 114,
116, 267-269, 283-284, 300, 328. • Copie (sans âme), calque, fac-similé, procès-
• Servante/vassale de 1’- : 53, 249, 252, 254, verbal, preuve (incontestable, digne de foi) : 16,
282, 285, 325, 328. 75-76, 112, 119, 124, 136, 140-141, 226, 229-230,
• Stimulation des artistes et de 1’- : 116. 241, 249, 252, 280, 295, 309, 376, 401, 406, 431,
453-454.
• Document (art-science-industrie) : 75, 137,
b) G ra vu re : 262, 265, 269, 328, 382, 384.
• Exactitude absolue, authenticité, objectivité :
• Généralités: 22, 37, 69, 183, 198, 233, 241, 35, 38, 65, 69, 72-73, 75, 78-79, 104, 117, 119, 133,
247, 307, 310-311. 140, 186, 229, 236, 275, 279, 325, 327-328, 332,
• Affrontement : 234-237, 298, 302, 307, 322, 356, 385, 406, 442, 444-446, 452-454, 460, 462-463,
401. 473-474, 482.
• Collaboration, chance pour la- : 60-61, 299, • Faux (dans l’art) à force de justesse : 234,
302-303, 305-306, 311. 270, 406.
• Concurrence: 11, 137, 183, 185, 212, 234, • Fidélité (absolue, sans intelligence, etc.) : 35,
236, 243, 301-302, 304, 356, 385, 400, 444. 38, 47, 69, 73, 75, 78, 99, 113, 115, 117, 187, 229,
• Contrefaçon des- : 298, 300, 303, 305, 307. 231, 251, 269, 273, 307, 401, 406, 442, 446, 463.
• Epurer la-, éliminer les graveurs de • Infidèle, fantaisie, mensonge : 193, 242, 259,
reproduction : 108, 309. 263, 338.
• Art de la- : 30, 228, 232, 300-301. • Interprétation, expression : 64, 103, 108, 121,
• Difficultés de la- : 303. 228, 241-242.
• Menace pour la- : 112, 115, 210, 226, 236- • Médiation entre le spectateur et le monde :
237, 300-303, 305, 322. 122, 159, 200, 309.
• Nouvelle répartition des tâches entre la • Mémoire, souvenir, enregistrement,
photographie et la- : 237. empreinte : 50, 57-58, 69, 128, 141, 325, 328, 332,
445.
c) L es choses • Miroir (qui a gardé l’empreinte) : 45, 48, 104,
• (Rel découverte des- : 125, 128-129, 131, 331. 401-402, 406.
542 LA PHOTOGRAPHIE EN FRANCE 1816-1871

• Netteté, perfection, précision, finesse : 23, 25, a) A v a n t le clich é


28, 38, 46-47, 60, 64, 70, 78, 87, 246-247, 249, 268,
270, 279-280, 453-454, 456, 463. • Collodionnage : 103, 415.
• Œuvre d’art, dessin : 62, 65-67, 211. • Polissage des plaques (daguerréotype) : 56-
• Prélèvement, fragment, coupe : 268, 270. 57.
• Reproduction (sans interprétation) • Sensibilisation: 66, 92-93, 415.
matérielle, mécanique: 73, 75, 78, 111-112, 116-
117, 140, 228, 294, 309, 375, 443, 452. b) P r is e d e vue
• Ressemblance (en général) : 16, 71, 117-120,
161, 259, 309. • Exposition à la chambre noire, prise de vue :
• Ressemblance artistique, spirituelle et 67, 163, 389.
morale : 119, 230, 253, 259. • Exposition au mercure (daguerréotype) : 55-
• Ressemblance matérielle et physique : 228, 56, 342, 344.
259. • Mise au point : 99, 280-281.
• Simulacre de l’objet, substitut du réel, le réel • Mise en scène : 338, 389.
lui-même: 35, 38, 71-72, 74-75, 77-78, 122, 124,
130, 158, 356, 462. c) T ra ite m e n t d e l’im age
• Substitut (au récit) : 124-125, 185, 331.
• Développement : 67, 92, 94, 99, 150, 342, 415.
• Transparence (réduit l’écart spectateur-
• Agrandissement : 245, 428, 435, 449.
objet) : 122. • Autres (collage, montage, etc.) : 347, 356.
• Valeur artistique, intérêt de- : 106, 240, 274-
• Fixage et fixation : 25, 31-32, 37, 67, 70, 92,
275, 375.
94, 342, 415.
• Vérité (en général) : 71, 74, 76, 125, 137, 276.
• Impression (encre grasse), photogravure :
• Vérité dans l’art, pour l’imagination : 117,
310-313, 315-316, 385, 472.
119. • Lavage : 67, 70, 92, 94, 314, 342.
• Vérité matérielle, objective, mathématique : • Retouche et coloration : 15, 67, 209, 272-273,
75, 122, 124, 136-137, 140-141, 373, 377, 446, 449.
275, 286, 311, 316, 442, 445-446, 462-463, 473-474.
• Tirage (par exposition ou développement) :
88-89, 92-93, 192, 201-202, 204, 312-313, 347, 356,
368, 370, 429, 467.
• Tirage au charbon : 13-14, 201, 368 (et n.2),
LA TECHNIQUE (voir aussi, en 372, 468-470.
• Virage : 92, 94.
annexe, « les procédés techniques »)

Instruments
Les épreuves
• Généralités : 162, 178, 396, 416.
• Agrandisseur, megascope : 428-429, 465. a) N é g a tiv e s :
• Cadre : 176.
• Chambre noire, appareil : 30-31, 66-67, 178, • Généralités : 22, 24-25, 32, 87, 190, 314.
323, 369, 387, 389, 435, 439-441, 446, 449, 452, • Papier (calotype) : 63-64, 87, 164, 166 (n.2),
455-456, 458-460, 463-465. 178, 190, 456, 465.
• Châssis (chambre noire ou tirage) : 93, 155, • Système négatif/positif : 22.
352. • Verre albumine: 87, 151, 164, 178, 190, 314-
• Laboratoire (-de) : 93. 315 353.
• Objectif: 24, 43, 80, 165, 178, 259, 323-324, • Verre collodion : 87, 150-152, 154-155, 165.
352, 430, 446, 449, 456, 460. 169, 179 (n.5), 190, 193, 353, 356, 389, 435-436,
• Obturateur : 335. 438, 443, 456.
• Optique (loupe, microscope, lentille...) : 24-
25, 71-77, 112, 158, 442-444, 452, 459, 465. b) P o sitiv e s
• Planche : 312-313.
• Stéréoscope : 325, 327 (et n.5), 338, 341-342, • Généralités : 32, 87-88, 316, 342, 452.
386. • Daguerréotype (directes sur metal) : 8, 23, 31,
35, 60-63, 67, 70-74, 76, 82, 87-88, 104, 107, 111-
112, 115, 117-118, 120, 129 (n.4), 136, 144, 189,
Opérations 252, 254, 313, 341, 442.
• Directes sur papier : 35, 39 (n.3), 62-63, 65-
• Généralités : 40, 93, 154, 335, 344, 415, 435, 67, 70.
438-439. • Papier (sur) : 341, 343, 439.
ANNEXES 54 3

c) C ouleur : 206. • Exposition (tirage) : 67, 93, 429.


• Gain de- (grâce à la photographie) : 38, 40,
d) C a rte de v is ite : 167, 368, 375, 386. 192, 460.
e) S téréoscopiqu es : 146, 368, 394, 477. • Objet de la photographie (arrêter, incarner le
temps, figurer le processus temporel,
immortaliser) *■129-130, 267 (n.l).
Substances chimiques • Pose (-de) : 34, 37, 40-41 (et n.4), 43, 55, 57,
67, 79-81, 150; 154, 163, 178-179 (n.5), 356, 389,
• Généralités : 150, 416. 411, 415, 441, 449. 452, 456-457.
• Acide gallique : 89, 94.
• Bitume de Judée : 43, 191, 314.
• Charbon : 203, 312.
• Encre grasse d’imprimerie: 307 (n.6), 311- LES UTOPIES
312, 314-315, 467 (n.l).
• Hyposulfite : 94. • Généralités : 330-331.
• Mercure : 23, 43. • Démocratie (« à la portée de tous et de
• Papier (sensible) : 39, 65-67, 70, 93, 437-438, chacun ») : 50, 224, 306.
465. • Exactitude : 60, 332.
• Plaqué d’argent : 39-40, 44, 70. • Instantanéité : 46, 50, 79, 81, 179 (n.5), 187,
• Sels d’argent (iodure, chlorure, nitrate, etc.) : 191-192, 251, 253, 332.
23, 39, 65, 87-88. • Maîtriser/fixer le temps : 330, 332.
• Relevé universel et encyclopédique (tout
transformer en photographie, en album) : 125, 130-
131, 195-197, 200, 280, 330, 333.
LE TEMPS • Reproduire les couleurs: 35, 115, 206, 252.
• Saint-simonisme: 11, 35-36, 42, 78, 137-139,
• Généralités : 465. 182-184, 186, 218, 235, 275, 330, 384, 442, 444-445.
• Destructeur: 129-130, 151, 202, 328. • Suppression des contraintes du procédé,
• Développement (-de) et fixage (-de) : 89, 94, automaticité : 210, 435, 437.
179 (et n.5). • Usage universel (pour tout et pour tous) : 333.
Crédits photographiques

Bayerisches Nationalmuseum (Munich) :


80.
Bruno Bischofberger (Zurich) : 113.
Bibliothèque Charcot de la Salpêtrière :
447, 448.
Bibliothèque historique de la Ville de
Paris : 412.
Bibliothèque nationale : 44, 49, 98, 100,
101, 105, 123, 127bd, 139, 140d, 140g, 142hg,
142hd, 142b, 147h, 147b, 153, 171, 176,
177, 196h, 196b, 214h, 227, 235, 242, 283,
287, 291b, 292h, 292b, 308, 341g, 341d,
313g, 315, 336hd, 336b, 337, 355, 357, 360,
362, 363, 379, 381, 382, 388, 391g, 391d,
403, 408, 41 Id, 420, 421, 422, 423, 424, 456,
461, 481, 484.
Caisse nationale des Monuments
historiques: 118g, 127hd, 339.
Collection particulière : 9, 198, 411g, 413.
Conservatoire national des arts et métiers :
47.
École nationale des ponts et chaussées :
380.
George Eastman House (Rochester) : 383.
Gérard Lévy : 6, 168.
Gemsheim collection (Austin) : 26b.
Joseph Nègre : 134, 135, 248h, 248b.
Musée des Arts décoratifs : 96g, 102h,
102b, 127hg, 127bg.
Musée Carnavalet : 291 h.
Musée français de la photographie : 354,
358.
Musée Niépce (Chalon-sur-Saône) : 26h.
Musée d’Orsay : 431.
Phyllis Lambert (Montréal) : 271.
Société française de photographie : 27, 63,
68, 109, 110, 118d, 185, 214b, 215, 443, 451,
453, 464, 468g, 468g, 469g, 469d, 471.
Table des matières

7 IN T R O D U C T IO N

I. PRÉDOMINANCE DU DAGUERRÉOTYPE.
LES ANNÉES 1840.
22 L ’invention. J . - N . N ié p c e , L . - J . - M . D a g u e r r e .
35 L ’annonce. F . A r a g o , M . - A . G a u d in .
45 « C ’est un m iroir qui garde toutes les em preintes. » J . J a n in .
52 En Égypte, en C hine : les prem iers « daguerréotypeurs ».
F . G o u p il- F e s q u e t, J . I tie r , N . - M . P a y m a l L e r e b o u r s .
62 Bayard le pionnier : effet de réel et sim ulacre. H . B a ya rd ,
R . R o c h e tte , E . H u b e r t.
71 L ’euphorie des scientifiques. A . D o n n é , L . F o u c a u lt, A c a d é m ie
d es sc ien ces.
79 Prem iers rêves d ’instantanéité. A n o n y m e .
82 Dix années de daguerréotype : prem ier bilan commercial.
C h a m b r e d e co m m erce d e P a r is .
87 T entative d ’une production industrielle. L . - D . B l a n q u a r l-
E vra rd .

II. LES DÉBUTS DE LA PHOTOGRAPHIE. 1850-1855


92 U ne « im prim erie photographique ». T . S u tto n .
95 C om m e la peinture... G . L e G r a y , L . - D . B la n q u a r t - E v r a r d ,
H . d e L a c r e te lle , C h . B a u c h a l.
- 107 « La photographie contraindra le peintre à s’élever ju s q u ’à
l’idéal. » F . W e y , E . J. D e lé c lu g e .
“ 117 La ressem blance n ’est pas le réel. F . W e y .
122 L ’univers dans un a lb u m /à propos de M axim e D u C am p.
L . d e C o r m e n in .
126 U n nouveau regard sur l’architecture. H. d e L a c re te 'lle ,
E . L acan.
- 132 La question du pittoresque. C h . N è g r e .
136 Controverses archéologiques : la preuve p ar la
photographie. A c a d é m ie clés in s c r ip tio n s e t b e lle s -le ttr e s ,
L . - F . - J . C a ig n a r t de S a u lc y , T h . D e v é r ia .
144 Photographie ethnographique et coloniale. F . - J . M o u lin ,
D . C h a m a y , E .- E . V io lle t- le - D u c . •
ANNEXES 547

160 T rois types : le professionnel, l’artiste et l’am ateur. E . L acan.


167 D isdéri, un gran d entrepreneur. E . L a c a n , S y n d ic d e la f a i l l i t e
D is d é r i.
175 Les prem ières arm es des photographes de guerre. C o lo n e l
J . - C h . L a n g lo is .

III. L’IM PULSION DE L’EXPOSITION UNIVERSELLE


182 Au service de la morale, au service de la marchandise.
P . C a lo in e , A . - A . D i s d é r i .
188 L’état de la photographie en 1855 : R a p p o r t du j u r y de
l ’E x p o s itio n u n iv e rs e lle .
194 Vers le musée imaginaire. E . L a c a n .
201 Le concours du duc de Luynes. S o c ié té f r a n ç a i s e d e p h o to g r a p h ie .
205 Un portrait photographique à l’électricité et... à distance.
M . G a z e b o n , c a fe tie r .
207 Exemples de photographie appliquée. P . M a n t z .
209 A la conquête du « sanctuaire des arts ». P . P é r ie r .
213 Polémiques à propos de la « vulgarisation ». P . P é r ie r .
218 « La vulgarisation des arts est-elle la ruine de l’art ? »
L. d e L a b o r d e.
226 Défense des graveurs menacés. H . D e la b o r d e .
238 « Ce qui ne s’apprend pas » en photographie. N a d a r .
-241 L’appareil photographique est un artiste. T h . G a u tie r .
244 « Une bonne nouvelle pour l’avenir de la peinture ».
A . - J . W ie r tz .
•246 Incertitudes et volte-face : l’embarras des intellectuels.
J . - C . Z ié g le r , A . d e L a m a r tin e .
251 Infirmité originelle de la photographie. A . B o n n a r d o t.
255 « Une calamité publique, un fléau social, une épouvantable
invention... ». M a r c e lin .
267 Transcrire sans choisir n’est que ruine de l’art. G . P la n c h e ,
E . D e la c r o ix .
272 Pour ou contre la retouche. P . P é r ie r , E . D u r ie u .
277 La photographie à l’encan. P . P é r ie r .
279 Eloge du « travail » photographique. E . D u r ie u .
548 L A P H O T O G R A P H I E E N F R A N C E 1816-1871

282 Styles nationaux et pouvoirs m édium niques de la


photographie. T h . G a u tie r .
286 L a « portraitu rom anie ». F . - V . F o u r n e l.

IV. LES DERNIÈRES CONTROVERSES DES ANNÉES 1850


'2 9 8 Offensive des graveurs contre les photographes. L . B o u la n g e r ,
A . D u r a n d , S o c ié té d u p r o g r è s d e l ’a r t in d u s tr ie l, L a G a v in ie ,
E . d e L a tr e ille . P h . B u r ty .
310 U ne idée fixe : reproduire, diffuser. S o c ié té f r a n ç a i s e d e
p h o to g r a p h ie .
"318 Enfin adm ise au Salon des beaux-arts, m ais... N a d a r et
E . D u r ie u , P h . B u r t y , L . F ig u ie r .
325 La « triviale im age » . C h . B a u d e la ir e .
330 Photographie et utopie. L . - C . M a c a i r e , N a d a r , E . L a m é - F le u r y .
341 L ’industrie photographique à Paris en 1860. P . P é r ie r ,
a n o n y m e s.

V. LE TRIOMPHE DE L’INDUSTRIE. LES ANNÉES 1860


352 U n coup de génie com m ercial : la « carte de visite ». A . - A .
D i s d é r i , H . d ’A u d i g i e r , E . L a c a n , P . P e t i t , L ’Illustration.
368 L ’expansion com m erciale et ses limites techniques. A . B e llo c ,
E . L a ca n , A .- A . D is d é r i.
- 373 Le com m erce s’annexe l’« art » : prom otion de l’« effet ».
E . L a c a n , A . - A . D i s d é r i , H . d e L a B la n c h è r e , P . - M . L a f o n
de C a m a rsa c.
379 C om m erce, industrie, bâtim ent : vers le pouvoir
m ultiplicateur de l’image. A . D a v a n n e , C a ta lo g u e d e
. l ’E x p o s i t i o n u n iv e r s e lle d e 1 8 6 2 , La Lum ière.
390 La photographie au tribunal : la question des contrefaçons.
M a y e r e t P ie r s o n , S o c ié té p h o to g r a p h iq u e d e M a r s e il l e , L . S a s s è r e ,
t
M . M a r i e , C h a m b r e d e s a p p e l s d e p o lic e c o rre c tio n n e lle .
398 Contre-offensive des peintres. J . - D . In g res et alii, A. C adart
e t F . C h e v a lie r , T h . G a u tie r .
ANNEXES 549

402 La photographie et l’enseignem ent du dessin. E . D e la c r o ix ,


Ch. A u bry.
410 Pas d ’art sans industrie (1864). A . K e n .
417 Nouvelle supplique en faveur de l’art photographique. S o c ié té
p h o to g r a p h iq u e d e M a r s e il l e .
419 « Photographies obscènes ». G a z e t t e d e s tr ib u n a u x , T r ib u n a l
c o r re c tio n n e l d e N a n te s .
426 La photographie réduite à une seule formule. L . V id a l.
428 Les débuts de l’agrandissem ent. E . L a c a n .
430 V ers une production m écanique d ’« effets artistiques ».
A . - F . - J . C la u d e t, L e N e v e F o s te r .
435 Pour un essor de la photographie d ’am ateur. L. V id a l,
J . B o u r d in .
442 La photographie scientifique : une perspective d ’avenir.
G . B . D u c h e n n e d e B o u lo g n e , H . A . . F a y e , C . S a i n t e - C l a ir e
D e v i l l e , A . G ir a r d , A . H a r d y e t A . d e M o n tm é ja , D ' O z a n a m .
467 Vers une civilisation de l’im age... Ch. N ègre, A . D avanne,
L . V id a l, J . J o l y - G r a n g e d o r .
479 Photographie, contrôle et répression. I n s p e c tio n g é n é r a le des
p r is o n s , m in is tè r e d e la M a r in e e t d e s C o lo n ie s .

ANNEXES
488 Chronologie.
499 Les procédés techniques.
504 Bibliographie.
525 Index des nom s propres.
534 Index thém atique.
COM POSITION :

| TARDY QUERCY
46001 CAHORS
Achevé d’imprimer
sur les presses
de MAME IMPRIMEURS, à Tours
N° d’impression : 23435
Dépôt légal : novembre 1989
a photographie est l’une des grandes inventions du
L X I X e siècle. Elle a suscité une multitude d’écrits, dès les
premiers tâtonnements de Niépce en 1816. Ces documents
écrits sont de toute première importance pour connaître la
photographie dans ses dimensions esthétiques, techniques,
sociales, économiques et idéologiques ; pour aborder d’un
point de vue original la science, l’industrie, la
communication, et l’art lui-même qui a été profondément
ébranlé par cette « intruse ».
L’ouvrage d’André Rouillé n’est pas une simple
juxtaposition de textes, mais une mise en sens des écrits, des
propos et des positions. Il rend compte de façon claire et
précise des controverses dont la photographie a été l’objet au
cours de ses cinquante premières années. Jamais un tel
ensemble de textes fondamentaux, inédits ou inaccessibles,
n’avait été établi.
Cet ouvrage de 548 pages illustré de 160 photographies
est conçu comme un instrument de travail. Il est précédé
d’une introduction générale. Les 200 textes, accompagnés
de leurs références précises, sont présentés et replacés dans
leur contexte.
L’importance des annexes facilite l’étude, la recherche, la
découverte :
1. Un glossaire des principaux procédés techniques et un
tableau chronologique de leur période d’utilisation.
2. Une chronologie détaillée des événements
photographiques.
3. Une bibliographie d’ouvrages et d’albums d’époque de
près de 400 titres.
4. Un index des noms.
5. Un index analytique des notions.
Un ouvrage pour connaître, comprendre, étudier,
approfondir, découvrir la photographie française du
X I X e siècle. LTn ouvrage de référence.

N é e n 1 9 4 8 , A n d ré R o u illé e s t m a ître d e c o n f é r e n c e à l'u n iv e rs ité d e


P a n s VIII. Il e s t l’a u te u r d e p lu s ie u r s liv r e s : L'Empire d e la Photographie ,
1 8 3 9 -1 8 7 0 (1 9 8 2 ) ; H istoire d e la P hotographie (a v e c J e a n - C la u d e
L e m a g n y , 1 9 8 6 ) ; Le C o rp s e t so n im age, P h otograph ies du xnP siè c le (a v e c
B e rn a rd M arb o t, 1 9 8 6 ). Il p r é p a re l'é d itio n c ritiq u e d e la C orresp o n d a n ce
d e Nadar (4 v o lu m e s ). Il e s t r é d a c te u r e n c h e f d e la r e v u e La R e ch erch e
photographique.

Prix : 2 8 0 F.

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