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EFFETS POST-TRAUMATIQUES DU HANDICAP SUR LE SYSTÈME

PERCEPTIF ET SUR LE PSYCHISME DES PARENTS


Analyse et nouvelle proposition d'accompagnement des parentalités difficiles

Francesco Grasso

Presses Universitaires de France | « La psychiatrie de l'enfant »

2012/2 Vol. 55 | pages 397 à 484


ISSN 0079-726X
ISBN 9782130593690
DOI 10.3917/psye.552.0397
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-la-psychiatrie-de-l-enfant-2012-2-page-397.htm
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23 novembre 2012 - TITRE - AUTEUR - La_psychiatrie_de_lenfant - 135 x 215 - page 397 / 684

Traumatisme
Handicap
Dissociation
Accompagnement

Effets post-traumatiques
du handicap sur le systÈme
perceptif et sur le psychisme
des parents. Analyse et nouvelle
proposition d’accompagnement
des parentalitÉs difficiles
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Francesco Grasso1

Effets post-traumatiques du handicap sur le système


perceptif et sur le psychisme des parents.
Analyse et nouvelle proposition d’accompagnement
des parentalités difficiles

La naissance d’un enfant handicapé est généralement associée à une


rupture de la continuité parmi les différents types de représentations psy-
chiques chez les parents et à l’échec des systèmes prévisionnels normaux
(anticipatoires des réactions de l’enfant) à prévoir et à donner du sens
aux situations. L’émergence du sens de l’expérience affective est donc
troublée chez les parents par les difficultés réciproques à comprendre et à
prévoir les sentiments d’autrui. Elle rend difficile, voire impossible, d’in-
vestir libidinalement l’enfant et perturbe aussi les processus d’attache-
ment à l’enfant handicapé. L’expérience du handicap peut se comprendre
comme un véritable traumatisme qui comporte le déraillement de l’état
de conscience – momentané, prolongé ou intermittent – chez les parents
d’enfants atteints de maladies chroniques ou handicapés, c’est-à-dire un
processus dissociatif qui rend difficile la mise en place des représentations

1.  Professeur sous contrat et coordinateur du Corso di Perfezionamento in


Intervento sulla Disabilità in Età Evolutiva, Université de Sienne, Italie.
Psychiatrie de l’enfant, LV, 2, 2012, pp. 397 à 484
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de l’enfant réel (à la place ou en continuité avec « l’enfant imaginaire »


attendu) et l’intégration entre différents niveaux représentatifs. L’auteur
propose un processus d’accompagnement des parents selon deux direc-
tions de travail : a) la création d’une base perceptive commune entre
parents et soignants et b) l’accompagnement psychologique des parents
tout au long du chemin thérapeutique et/ou rééducatif ; ainsi qu’une prise
en charge soit de l’enfant, soit des parents, sur quatre axes : 1) relation,
représentation parentale, action thérapeutique ; 2) dommage biologique
– capacités ; 3) ressources – objectifs ; 4) communication – information.

POST TRAUMATIC EFFECTS OF A HANDICAP ON THE PERCEPTIVE


SYSTEM AND ON THE PSYCHE OF PARENTS. AN ANALYSIS
AND A NEW PROPOSITION FOR ACCOMPANYING DIFFICULT
PARENTING SITUATIONS

The birth of a handicapped child is generally associated with a break


in continuity among the different types of psychic representations held
by parents and the failure of normal previsional systems (anticipatory
system in regard to the child’s reactions) which foresee and give meaning
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to situations. The emergence of meaning of an affective experience is thus
disturbed in the parents by reciprocal difficulties in understanding and
anticipating the feelings of the other. This makes it difficult if not impossi-
ble to invest the child libidinally and it disturbs the process of attachment
to the handicapped child. The experience of handicap can be understood
as a veritable trauma which carries with it a derailing of the state of
consciousness –momentarily, over a long period or intermittantly– for
the parents of children afflicted with chronic diseases or handicaps. This
includes a dissociative process which makes it difficult to set represen-
tations of the real child into place (in the place of, or in continuity with
the « imaginary child » who was expected) and the integration between
different representative levels. The author proposes a process of accom-
paniment for the parents in two different directions: a)  the creation of
a common perceptive base between the parents and the caregivers and
b) the psychological accompaniment of the parents throughout the thera-
peutic period and/or throughout re-education; also, a treatment program,
either for the child or for the parents along four dimensions: 1) Relations,
Parental representations, Treatment; 2) Biological damage –Capacities;
3) Ressources –Objectives; 4) Communication –Information.
Key words: Traumatism – Handicap – Dissociation – Accompaniment.

EFECTOS POST-TRAUMÁTICOS DE LA MINUSVALÍA EN EL SISTEMA


PERCEPTIVO Y EN EL PSIQUISMO DE LOS PADRES. ANÁLISIS
Y NUEVA PROPUESTA DE AYUDA PARA ASUMIR LAS DIFICULTADES
DE SER PADRES

El nacimiento de un niño minusválido se asocia generalmente con


la ruptura de la continuidad de las representaciones psíquicas de los
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padres y el fracaso de lo que habitualmente se espera (expectativas de


cómo va a reaccionar el niño) La prevención es importante para poder
dar sentido a las situaciones que vayan surgiendo. Las dificultades de
los padres y las de niño, así como las reacciones del entorno, perturban
la experiencia afectiva inicial. La investidura libidinal y el proceso de
apego al niño minusválido son muy difíciles, casi imposibles. La expe-
riencia de la minusvalía es un verdadero traumatismo y el desconcierto
del estado consciente de los padres de niños minusválidos o afectados por
una enfermedad crónica, puede ser momentáneo, intermitente o prolon-
gado. Se trata de un proceso disociativo que dificulta la instalación de
las representaciones del niño real (en lugar del « niño imaginario » espe-
rado) así como la integración de los distintos niveles de representación.
El autor propone dos direcciones para el proceso de acompañamiento de
los padres: a) creación de una base perceptiva común entre padres y tera-
peutas: b) acompañamiento psicológico de los padres durante el trabajo
psicológico y/o educativo. Asimismo, tratamiento del niño o de los padres
según cuatro ejes: 1) Relación –Representación de la Paternidad –Acción
terapéutica; 2)  Daño biológico y Capacidades; 3)  Recursos –Objetivos;
4) Comunicación –Información.
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Palabras claves: Traumatismo – Minusvalía – Disociación – Ayuda.

Un souvenir de mes premières années de travail dans le


domaine du handicap me reste fortement vivant : ce sont les
propos des parents d’enfants atteints de handicap dans la
salle d’attente de l’institut de rééducation où je travaillais à
l’époque. Ces discussions entre parents, même si elles étaient
différentes entre eux dans les détails, se ressemblaient beau-
coup et se répétaient dans le temps toujours de la même
façon. Les parents racontaient les faits autour de la nais-
sance de leurs enfants, les angoisses qui avaient suivi l’an-
nonce du handicap et leurs conjectures sur ce que n’avait
pas marché : à qui revenait la faute (à la mère, au père, à la
famille maternelle ou paternelle, aux médecins, etc.) ?
La structure narrative de tous ces discours comme les
contenus étaient presque les mêmes ; comme si parlait un seul
narrateur qui changeait à chaque fois les noms, les temps,
les lieux et les circonstances du même récit. Après beaucoup
d’années d’expérience, je me rends compte aujourd’hui que
« le narrateur » était en effet le même : le traumatisme. En
tous ces parents, et en beaucoup d’autres avec qui j’ai été
en contact, ce qui était toujours présent et réel de leur expé-
rience parentale était seulement le souvenir traumatique. Il
m’a fallu des années de travail et de réflexion scientifique
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sous différents angles conceptuels pour comprendre qu’il


fallait prendre en compte la dimension et les effets de ce trau-
matisme pour être proche de ce que les parents pouvaient
« voir » de leur propre situation et de leur propre enfant.
Cet article, dans sa première partie, parle du traumatisme
de la naissance, de l’annonce et/ou de la découverte du handi-
cap de son propre enfant ; des effets post-traumatiques chro-
niques chez les parents : le bouleversement de la façon de voir
les choses, d’éprouver des émotions, d’entretenir la relation
et de donner du sens et une signification à ses propres expé-
riences de parentalité. Ensuite, l’article compare les études et
les recherches sur le Syndrome de stress post-traumatique :
les altérations perceptives et cognitives ; la gestion des émo-
tions et la symbolisation des événements traumatiques dans
les réponses parentales face au handicap de leur enfant. De
ce rapprochement découlent de très fortes ressemblances qui
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sont analysées soit du côté théorique, soit du côté clinique.
Elles concernent surtout d’importantes altérations du fonc-
tionnement de l’appareil psychique, et spécialement : 1) l’in-
capacité de beaucoup de parents à extraire du sens (affectif et
émotionnel) du flux d’informations sensorielles qui arrivent
de la réalité extérieure et 2) la très forte perturbation à dyna-
miser psychiquement la signification des expériences, même
banales, de la parentalité.
Dans la deuxième partie de l’article, des vignettes cliniques
aident le lecteur à focaliser les aspects cliniques des altérations
traumatiques décrites dans la première partie, ainsi que les
aspects de l’intervention thérapeutique. Enfin, nous esquis-
serons les présupposés pour une nouvelle clinique du handi-
cap nommée l’accompagnement des parentalités difficiles, qui
s’appuie justement sur la possibilité d’intégration perceptive
des différentes visions de l’enfant chez le parent et chez les
professionnels qui fournissent les soins au sujet handicapé
(soins médicaux, rééducation spécialisée, éducation scolaire,
intégration et inclusion sociale) et sur le soutien psychothé-
rapeutique précoce et durable à la parentalité. Cet accompa-
gnement, au même titre que les soins médicaux, peut faciliter
l’évolution clinique de l’enfant et son intégration dans le tissu
familial et social, et surtout peut assurer une bonne sauvegarde
de la santé psychique des parents.
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Effets post-traumatiques du handicap 401

Les parents face aux handicaps

Les trois dimensions de la parentalité

Didier Houzel (1997), dans « Les dimensions de la paren-


talité », fournit une définition conceptuelle et historiogra­
phique des concepts de maternalité et de paternalité :
« l’exercice, l’expérience, la pratique ». Dans le cas du han-
dicap, chacune de ces dimensions semble être très troublée.
À notre sens, l’expérience d’être parent d’un enfant handi-
capé est quelque chose de qualitativement différent et de non
comparable à une expérience de parentalité normale, car ce
sont les éléments de base de cette fonction qui sont grave-
ment endommagés, troublant l’ensemble de l’architecture
psychique parentale. Cela en raison des aspects inconscients
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qu’une telle expérience suscite.

– L’expérience maternelle du handicap


L’expérience d’une maternité « différente » comporte une
très profonde désorientation, expérience rejoignant ce que
Freud (1919) évoquait avec L’Inquiétante étrangeté. Le
fait d’être devant le handicap ravive les aspects effroyables
du psychisme (angoisses, peurs causées par la grossesse,
fantasmes de fautes archaïques) qui ne peuvent pas être
reconnus en l’autre et en soi-même, car ils sont éliminés.
S.  Korff-Sausse (1996) affirme : « L’enfant handicapé nous
tend un miroir qui met à nu nos propres imperfections et
reflète une image dans laquelle nous n’avons pas envie de
nous reconnaître. » Il arrive très souvent d’assister à un
refus de la mère de voir ou de croire à ce que le médecin
annonce par rapport au handicap. C’est un moment instinc-
tif de rejet, de répulsion de ce qu’est la réalité. Dans ces pre-
mières phases de découverte ou de révélation du handicap,
la frontière entre imagination et réalité devient extrêmement
labile. Le bouleversement maternel auquel il nous est donné
d’assister possède une dynamique propre qui se déroule dans
le temps. Dans l’expérience d’être mère d’un enfant handi-
capé, se chevauchent et se succèdent différents scénarios et
donc différentes stratégies de réponse mises en œuvre par la
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mère face à la situation. Très souvent, dans la période qui


suit le moment d’ahurissement, de confusion, de rejet, on
assiste à toute une série de mécanismes réparateurs de type
maniaque. On passe d’une consultation à l’autre d’experts
pour avoir une confirmation, une certitude sur laquelle s’ap-
puyer. Même si elle s’efforce de se distancier de l’enfant, la
mère se trouve continuellement engluée dans les difficultés
objectives des soins à lui prodiguer. Ce tourment se prolonge
dans le temps et entraîne souvent un épuisement physique
et psychique, altérant sa capacité à réfléchir sur les choses à
faire pour elle et l’enfant.

a) La blessure narcissique de la mère

La littérature psychanalytique qui traite de l’expérience


maternelle du handicap accorde une grande importance au
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narcissisme maternel et à sa blessure. Ceci concerne plu-
sieurs dimensions de sa personne : en premier lieu, l’échec
de sa tâche biologique comme génitrice. Ce qu’on touche est
en ce sens : a) le désir de reproduction biologique – intégrité
biologique ; b) le fait d’être mère – fonction symbolique. Un
enfant handicapé est la preuve objective que quelque chose
qui est strictement lié au rôle de la femme en tant que géni-
trice (celle qui donne la vie) n’a pas marché dans la concep-
tion ou pendant la grossesse. Cette « erreur » biologique
en rappelle une autre de type plus symbolique. Un enfant
anormal représente, dans le sens généalogique, un échec
de la mère par rapport à la ligne de transmission féminine
–  par rapport à l’identification avec sa propre mère. Plus
généralement, cela exprime une fracture dans la continuité
de son groupe d’appartenance et déclare l’impuissance de
la femme à satisfaire le désir de sa propre famille et de la
famille de l’époux d’avoir une descendance saine. La mère
se retrouve, donc, blessée dans son narcissisme car elle ne
peut pas satisfaire son désir de complétude par rapport à
son propre père et au désir d’enfant et de descendance de
son clan.
Tout investissement de l’enfant en soi-même devient
irréalisable, tout comme une séparation symbolique de
ce même enfant qui ne satisfait pas le désir lié à l’enfant
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Effets post-traumatiques du handicap 403

imaginaire et pour lequel une identification est également


impossible au vu de l’étrangeté, la diversité, et le fait donc
devenir « un étranger » pour elle-même. On assiste souvent à
la réduction de l’enfant à un « objet de soin » pour la mère,
à quelque chose de non séparé et de non séparable d’elle-
même qui nécessite ses soins pour exister (Mannoni). Tout
cela représente donc un état adynamique, d’immobilité, qui
empêche le développement de l’enfant, son devenir sujet.
Prenant comme point de départ une autre réflexion,
S.  Korff-Sausse (1996) arrive à la même conclusion. Pour
elle, la naissance d’un enfant invalide déclenche un proces-
sus de deuil. En effet, si d’un côté l’enfant handicapé détruit
les espoirs d’immortalité présents dans la filiation et brise
le système narcissique des parents, de l’autre, en restant
en vie, il est incorporé à l’intérieur du psychisme du parent
pour donner à ses instances narcissiques une voie de repli.
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Cela caractérise, pour l’auteur, l’immobilisation du temps,
caractéristique des relations des parents avec leur enfant
handicapé. Le deuil devient de cette façon impossible, car
perdre l’enfant, effectuer un désinvestissement, signifie désin-
vestir une partie d’eux-mêmes. Le manque de perspective
temporelle relative à l’enfant est lié à l’impossibilité de le
symboliser. Ce qui est impossible, c’est de réaliser le passage
de la représentation imaginaire et fortement investie de l’en-
fant désiré à la représentation terrifiante et persécutrice de
l’enfant réel.

b) L’ambivalence maternelle

La dialectique entre le psychisme primordial de l’enfant


et les représentations de la mère enrichit démesurément la
complexité de la relation mère/enfant, donnant lieu à une
grande plasticité d’interprétation soit du contexte, soit du
rôle symbolique soutenu par l’environnement dans le pro-
cessus continu d’équilibrage pulsionnel de ce rapport.
L’amour envers l’enfant, l’investissement libidinal
déversé sur l’enfant réel, a pour but de combler un vide et
de compléter et satisfaire le désir maternel ; il est doué d’une
remarquable force qui permet que les choses entre l’enfant
et sa mère se déroulent de la meilleure des façons. Winnicott
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404 Francesco Grasso

(1958) affirme que, même si l’enfant est la cause qui met à


dure épreuve l’intégrité psychophysique de la mère, il garde
en soi la capacité de la « guérir » (Candilis-Huismann). Il est
capable de gratifier la mère en s’attachant à elle avec son sou-
rire, avec ses élans et avec sa vitalité, en lui restituant l’im-
pression d’être une bonne mère, objet d’amour bon (Soulé,
1982). De ce point de vue, la naissance de l’enfant (sain) et
les craintes qui ne se sont pas réalisées peuvent permettre la
« reconstruction maniaque » de son enfant1. L’amour que
la mère ressent pour son propre enfant dément fortement ses
peurs de provoquer des dégâts avec ses attaques sadiques.
Plus l’enfant est en bonne santé, plus les peurs sont démen-
ties, et cela réduit remarquablement les angoisses maternelles
et… paternelles. Mais un enfant malade, anormal, passif ou
imprévisible confirmera ces angoisses jusqu’à identifier dans
l’enfant même un persécuteur. Tout cela active des mécanis-
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mes archaïques de type sadique qui se mettent en activité en
réponse à la menace constituée par les attaques destructives
représentées par la présence même de l’enfant anormal.
La société semble jouer aussi un rôle important dans cet
équilibre de forces très délicat. Les sociétés occidentales
notamment considèrent la mise au monde d’un bébé comme
un événement porteur d’une haute valeur sociale (sur-
tout dans les régions où les taux de natalité sont très bas,
proches ou au-dessous de zéro). Toutefois, cela impli-
que qu’une mère vient à être « obligée » d’aimer, de soi-
gner et d’accepter d’emblée sa progéniture, quelle que
soit la situation dans laquelle elle, en tant que mère,
se trouve. Cela, concrètement, interdit et rend répré-
hensible toute forme d’hostilité ou de violence imagi-
née ou réalisée à l’égard du nouveau-né2 ; et comporte,
d’une part, l’impossibilité pour une femme de mettre
en discussion sa récente maternité et, d’autre part,
la prise de conscience d’une caractéristique humaine

1.  M.  Soulé (1982) cite l’article de Winnicott (1935) sur la défense mania-
que. Dans cet écrit, l’auteur anglais donne les caractéristiques de la défense
maniaque. Michel Soulé souligne que ces caractéristiques peuvent être retrouvées chez
la jeune accouchée qui réalise ainsi rapidement l’évitement de la réalité intérieure
(angoissante et meurtrière) et s’efforce de valoriser une relation avec l’objet extérieur
(ici le nouveau-né) pour tenter de dissimuler la tension dans la réalité intérieure.
2.  Chose tout à fait normale dans d’autres cultures et à d’autres époques.
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Effets post-traumatiques du handicap 405

fondamentale, c’est-à-dire l’agressivité, voire la destructivité


à l’égard de l’enfant. Cette forclusion génère chez les mères
encore plus d’angoisse et de culpabilité (Bydlowski, 1978).
– La problématique paternelle face au handicap

a) La blessure narcissique du père, la marque


de la transmission
La littérature est riche de descriptions de réactions
maternelles face au handicap. Cela est dû probablement à
la résonance émotionnelle différente chez les deux parents1.
Tout d’abord, il faut dire qu’on connaît beaucoup plus
la réaction, les réponses ou les sentiments des mères qui
montrent un comportement actif, qui choisissent ou qui sont
portés à affronter le problème de façon affirmative et plus
vouée à l’action, par rapport aux pères qui vivent le handi-
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cap du fils de manière plus passive ou peut-être détachée.
La première observation, qui en effet constitue une dif-
férence fondamentale face aux réponses maternelles, est que
les hommes plus que les femmes ont généralement une atti-
tude très influencée par le degré de gravité du déficit ou de
son effective visibilité sociale. Cela conduit souvent à « igno-
rer » le handicap léger du fils en ne voulant pas voir et à fuir
parfois des situations qui impliquent un handicap grave ou
multiple. Ces attitudes servent très probablement de défense
pour soulager le coup infligé au narcissisme.
La réaction dépressive des pères est fréquente dans les
couples ou dans les familles qui se trouvent confrontés au
handicap. La déception et ensuite la rage devant la condi-
tion de l’enfant ont été, sont et restent depuis longtemps très
fortes. Si l’on peut facilement imaginer un comportement
dépressif quand on vit des frustrations continues, il existe
également un type de père qui alterne (ou remplace complè-
tement) telle réaction avec des comportements agressifs, à la
limite de la réponse paranoïde, dont le paradigme est d’être
contre tout et contre tous.

1.  Ce fait ne veut absolument pas minimiser l’impact que la naissance d’un
enfant handicapé a pour un homme, mais veut souligner seulement une réaction
différente pas tellement au niveau quantitatif, mais plutôt qualitatif.
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406 Francesco Grasso

b) L’éloignement et la prise de distance du père : le père face


à l’enfant handicapé

Dans l’expérience d’être père d’un enfant anormal, plu-


sieurs facteurs contribuent à l’éloignement réciproque du
père et de l’enfant sous forme de présence physique, et aussi à
l’abandon du rôle de père sous forme de présence symbolique.
Dans le premier cas, il est évident qu’à la naissance, les
soins, la protection de l’enfant seront assumés par l’institu-
tion sanitaire qui soigne le petit et souvent même par sa mère
(intervention avec le couple mère-enfant, aide à l’interac-
tion, support psychopédagogique). Cela confine le père à un
rôle d’arrière-plan. Il recouvre dans ce cas un rôle d’« assis-
tant » au soin de l’enfant, au lieu du rôle de chef de famille
qui assure soin et protection. Du point de vue personnel, il
se trouve donc soumis de façon implicite ou explicite à deux
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genres de pressions plutôt dévalorisantes. D’un côté sa com-
pagne, la mère de l’enfant, qui souvent accuse son homme
d’inefficacité, même quand un tel dénigrement n’est pas sou-
tenable rationnellement, ce qui se manifeste chez le père sous
forme de doute de ne pas être à la hauteur de son devoir
biologique. De l’autre, en soutenant le poids de la résonance
sociale de sa communauté d’appartenance face aux réac-
tions dévalorisantes et/ou pitoyables mises en œuvre par la
société qui rendent en ces cas la paternité, comme du reste
la maternité, une entreprise hasardeuse. On assiste souvent,
en réaction à cette marginalisation, à une prise de distance du
père envers son enfant, sa compagne, la situation de famille
en général. Le risque concret est que le père soit seulement
le porte-parole de la mère, en agissant comme support aux
mouvements de la mère. Cela représente un double risque
pour l’enfant qui se trouvera isolé de la réalité externe et
incorporé dans le vécu maternel, mais aussi face à une prise
de position « défensive » du père à la sauvegarde de son nar-
cissisme au prix de la perte de la parole à l’intérieur du foyer
domestique. Ce genre de père montre des traits typiques
d’intolérance et de rigidité dans la façon de penser, ainsi
que dans la façon d’agir à l’égard de l’enfant. Si ces brefs
exemples constituent certaines des réponses paternelles
les plus fréquentes au handicap, il est nécessaire d’ajouter
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Effets post-traumatiques du handicap 407

les pères qui se substituent complètement à la mère plus


ou moins bouleversée par l’événement, en la dépossédant
ou en la remplaçant dans son rôle (suivi, nutrition, édu-
cation, affection). Ce sont les cas dans lesquels se réveille
chez l’homme une identification à la femme et qui entre en
concurrence avec elle. Souvent, cet instinct a comme objectif
d’éliminer le rival – la mère naturelle de l’enfant.
– Qu’est-ce qui arrive aux couples après la naissance
d’un enfant handicapé ?
Tout ce qui a été dit pour le père et la mère jusqu’à main-
tenant a des répercussions sur la vie de couple ainsi que dans
le changement d’équilibre de la famille. Malheureusement,
la naissance d’un enfant handicapé génère des problèmes de
gestion et d’équilibre envers lesquels il n’y a pas une réponse
univoque pour les parents. En premier lieu, le surinvestisse-
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ment maternel dans les soins, le fait de rester accrochée au
problème de l’enfant de toute son énergie ; en second lieu,
les effets de ces comportements. La mère sera plus attentive
aux exigences du fils « anormal », et on observera, de son côté,
un comportement agressif et de refus tant sur le plan affectif
que sur le plan sexuel à l’égard du partenaire, qui provoque
des changements radicaux dans la relation de couple.

a) Relation de couple
Dans les cas où existent déjà des difficultés de couple,
l’arrivée de l’enfant handicapé constitue souvent une
épreuve trop rude à surmonter pour les époux. Surtout pour
les pères, la situation est encore plus délicate. Il arrive très
fréquemment que le père réagisse en abandonnant le foyer
familial, en abandonnant sa femme et les enfants. Dans ces
cas, le refus de la paternité est comparable au refus de la
compagne et de tout ce qui dérive d’elle. Dans d’autres cas,
les parents décident, de bon ou mauvais gré, de mettre fin à
leur histoire.

b) Responsabilité - faute
On assiste souvent à des reproches réciproques en ce qui
concerne l’anormalité, l’éventuelle responsabilité de l’une
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408 Francesco Grasso

ou de l’autre ligne généalogique, ou des responsabilités réci-


proques en cas de traumatisme : accident, soins erronés,
médicaments dangereux pendant la grossesse, le fait d’avoir
fait confiance à des spécialistes peu experts, comportements
inadéquats pendant la puerpéralité, etc.
Quelle est la cause qui a provoqué le dommage à l’en-
fant ? Est-ce notre faute ou un fait provoqué par des causes
externes ou dû au hasard ? Mais, même si ces questions ont
trouvé une réponse satisfaisante, les parents arriveront tôt
ou tard à se demander : « À qui revient la faute ? », « Qui est
le responsable ? », « Qui a transmis le mal qui a frappé l’en-
fant ? » Il n’est pas rare de trouver des couples, un père et
une mère qui se barricadent, chacun pour son compte dans
la douleur sourde, en étouffant leur rage, sans la possibilité
de l’externaliser. Cette rage se transformera au fil du temps
en allusions sur le compte de l’autre ou en méfiance ou, pire
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encore, en hostilité qui empoisonne le rapport et asphyxie le
couple. La maturité personnelle de la mère ou du père, leur
désir d’être parents est certainement le plus mis en cause ;
mais le manque de partage de la responsabilité de la part des
époux est la cause primordiale du naufrage du mariage. Le
handicap, beaucoup plus que d’autres événements traumati-
sants comme les deuils, les maladies invalidantes, les retour-
nements de fortune ou les retournements sociaux, remet en
jeu l’aspect le plus profond sur lequel le couple repose, c’est-
à-dire le désir de devenir une famille, la capacité de générer
et d’assurer une propre filiation.

c) Évolution familiale
Plus que d’évolutions, il serait plus juste de parler de
« révolutions familiales » étant donné que les ajustements
au sein de la famille comportent souvent des changements
radicaux non seulement dans les aspects pratiques –  chan-
gements d’environnement, d’horaires –, mais aussi dans les
équilibres et le cadre émotionnel sous-tendant les relations
entre les différents membres de la famille. Quand la rela-
tion à l’enfant est fréquemment filtrée à travers le personnel
spécialisé qui garantit le traitement – médecins, infirmiers,
rééducateurs  –, cela entraîne une transformation du rôle
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Effets post-traumatiques du handicap 409

des parents et un déclassement général de leur importance.


Nous avons constaté combien cette problématique appa-
raît lourde, spécialement pour les pères. En fait, celui qui
exerce l’autorité est le médecin, juge ultime de la conduite
des parents, ce qui établit une distance forcée par rapport à
l’enfant qui a plus besoin des étrangers que de ses parents.
Dans le cas d’enfants prématurés, l’approche directe à son
propre enfant est justement empêchée, et les machines gèrent
ce rapport. Tout cela engendre des sentiments de soustrac-
tion de l’enfant, une claire difficulté de pouvoir et des repré-
sentations mentales abnormes et inadéquates (Fava-Vizziello
et coll., 1992 ; Gibeault, 1989). Dans le cadre relationnel,
le noyau familial devra intégrer les figures spécialisées qui
« croient savoir » beaucoup plus de choses qu’eux sur leur
enfant. Malheureusement, ces rapports ne sont pas du tout
faciles. À la frustration d’avoir généré un « étranger » anor-
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mal, s’ajoute un sentiment d’incomplétude impliqué par la
mise à distance. Cette étrangeté est maintenue par la peur de
ne pas savoir quoi faire, de ne pas savoir où mettre les mains,
de se sentir jugé par les membres de l’équipe soignante qui
n’arrivent pas toujours à négocier les positions intransigeantes
d’une technicité avancée et les inquiétudes parentales, leur
déception et leur frustration. Enfin, le parent ressent de la
frayeur due aux réactions imprévues de l’enfant, qu’il ne
sait ni expliquer ni prévoir.

d) Parentalité, handicap et psychopathologie


Enfin, dans l’ensemble des problématiques familiales,
nous pouvons compter aussi le cas –  plus fréquent qu’on
ne croit – où avoir donné naissance à un enfant handicapé
déclenche chez l’un ou les deux parents une décompensa-
tion pathologique. S’il est vrai qu’une expérience de ce type,
du fait de la surcharge émotionnelle qu’un tel traumatisme
comporte, représente un facteur favorisant la réactivation
de fantasmes de persécution ou d’anciens traumatismes,
elle fonctionne aussi comme déclencheur pour des for-
mes psychopathologiques latentes comme les troubles de la
personnalité sur base dissociative (O. Van  der Hart, 2006)
surtout, mais aussi des formes dépressives masquées et les
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410 Francesco Grasso

décompensations psychotiques. Parfois, ce que l’enfant


représente –  peurs, fantaisies, fantasmes, menaces para-
noïdes – peut être englobé dans la pathologie du parent, en
devenant une forme de canalisation de sa pathologie.

e) Les « faits divers » des journaux


Il suffit de lire attentivement les « faits divers » des quoti-
diens pour découvrir avec une régularité déconcertante, au
moins une fois par semaine, des comptes rendus de meurtres
d’enfants handicapés mis en actes souvent par des mères,
mais aussi par des pères et par d’autres parents. Les décla-
rations des parents meurtriers relativement à ces actes sont
souvent de véritables délires lucides, mis en relief par les jour-
nalistes avec une grande pruderie qui découle de l’étrangeté
(inquiétante) de ces événements. Parfois, les journaux sou-
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lignent les aspects (faussement) altruistes de ces meurtres,
c’est-à-dire que le parent met fin par son geste aux souf-
frances de l’enfant, soigné pendant des années dans le plus
grand désarroi et source de peines infinies pour la famille. Il
est aussi très fréquent d’assister aux regroupements de plu-
sieurs épisodes de ce type dans les jours ou semaines suivant
le premier meurtre.

La phénoménologie du traumatisme de la naissance, de


l’annonce et de la découverte du handicap
– La découverte du handicap
Pour parler de véritable découverte du handicap, il faut
tout d’abord faire une distinction parmi les caractéristiques
temporelles de cet événement. Les choses paraissent très
différentes si le handicap est annoncé pendant la grossesse,
s’il est révélé par un examen échographique, si l’annonce
est effectuée à la naissance de l’enfant ou s’il découle d’une
découverte tardive de déficiences se manifestant seulement
après un certain temps.
– La grossesse
Dans son article sur « l’enfant imaginaire », M.  Soulé
(1982) trace un parcours génétique des représentations de
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Effets post-traumatiques du handicap 411

l’enfant et de ses arrangements au courant de la vie de la


femme (et de l’homme) à partir des jeux de l’enfant de 2 ans
par rapport aux sexes et aux générations. Le désir d’avoir un
enfant se réalise d’abord à travers le jeu des poupées. Chez
les jeunes filles ayant abandonné les aspects fantastiques de
l’âge enfantin, le thème de l’enfant imaginaire se présente
avec force et prend des contours plus réels, plus en ligne avec
la réalité.
Le fait d’être enceinte constitue le complément du rêve
œdipien, l’enfant dans cette première phase est en effet
« l’enfant du rêve », c’est-à-dire l’enfant imaginaire que la
femme enceinte imagine non comme un fœtus, mais comme
un enfant déjà formé. Les premiers mouvements fœtaux
mis au jour par le biais des échographies détermineront la
rencontre entre l’enfant réel (l’enfant attendu) et l’enfant
imaginaire1. Cette prise de contact peut être plus ou moins
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définie. Il peut se produire une reconnaissance immédiate
de la force des mouvements, de la vitalité du fœtus et de la
temporalité (rythmique) de son enfant, ou au contraire, il
peut se produire une anesthésie des sensations –  comme si
l’enfant n’était pas là. Il y a là la possibilité pour les parents
de connaître avec précision le sexe et les conditions réelles de
l’enfant. En conséquence, cela entraîne un radical remanie-
ment des représentations qui le concernent.
– La découverte du handicap lors de l’examen
échographique
Dans le cas de l’annonce anténatale de l’anormalité, les
schémas d’anticipation concernant l’enfant réel sont com-
plètement bouleversés. La représentation fantasmatique de
l’enfant imaginaire ne sort pas indemne de cette épreuve,
même si elle est soutenue par des désirs inconscients et des
projections narcissiques. En effet, il est nécessaire qu’il y

1.  Drina Candilis (1996), en parlant du thème des peurs pendant la grossesse


avec une approche historique et anthropologique, illustre ce qui était rapporté dans
les chroniques de l’époque concernant la découverte maternelle de l’enfant in utero.
Dans les récits, on peut lire des cas étonnants d’enfants qui étaient en mesure de
parler dans le ventre maternel et auxquels on prédisait un avenir brillant. L’auteur
ajoute que cela témoigne que l’enfant imaginaire préexiste dans la tête de la mère
bien avant l’enfant réel – qui se manifeste dans l’utérus – et que cette représenta-
tion imaginaire ne sera jamais totalement remplacée par l’arrivée de l’enfant réel.
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412 Francesco Grasso

ait une véritable scission du moi pour pouvoir continuer


à espérer en un enfant parfait et idéalisé après l’annonce
que quelque chose ne va pas bien ; la possibilité d’imaginer
et de fantasmer l’enfant se trouve figée et bloquée par des
contraintes objectives qui émergent de l’écran et des mots du
médecin, et elle est possible seulement dans un processus de
clivage enfant réel/enfant idéalisé1.
La mesure de la puissance de la découverte de l’anoma-
lie est la réaction, très intense, qui est décrite même quand
on communique aux parents des malformations très légères
ou pas du tout pathologiques, comme par exemple le bec de
lièvre ou la fente labiale (Despar et coll.  2010). Elles sont
capables de provoquer chez les parents des réactions de
souffrance très aiguës pour l’outrage à la représentation
idéalisée de l’enfant parfait rêvé et désiré, et pour l’effroi
provoqué par un événement que l’on craignait (Candilis-
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Huisman, 1996). Il n’est pas rare qu’à cette découverte suive
la décision extrême d’interrompre la grossesse.

– L’annonce du handicap
Quand le handicap est visible ou évident à la naissance,
il est habituellement (mais pas toujours) communiqué aux
parents. Selon plusieurs auteurs, ce moment reste imprimé
à vie dans le souvenir de la famille. J. Rousseau (1989) parle
du malaise de l’équipe soignante quand elle communique ces
faits aux parents, mais il souligne l’importance de dédier une
attention particulière2 à cet événement.
La littérature concorde sur l’importance de l’instant de
la découverte du handicap et sur le traumatisme que cela
provoque chez les parents. J.  Roy (1993  b) parle de l’an-
nonce comme le moment où se manifestent des sentiments
déchirants d’oscillation et de peine émotionnelle provoqués
par la violence des affections en jeu. Ces mêmes ­sentiments

1.  Luc Vanden Driessche, dans son ouvrage L’Enfant parallèle (2009), affirme
que dans le cas du handicap la transfiguration de l’enfant idéalisé devient possible
seulement sous forme de(s) représentation(s) d’enfant parallèle, mélange d’enfant
réel et imaginaire idéalisé. Ce mouvement narcissique (clivé) d’identification avec
l’enfant réel préserve le narcissisme du parent et lui permet l’articulation symbolique
qui structure cette réalité (op. cit. p. 82).
2.  La forte résonance émotionnelle que cela provoque est reliée au sentiment
de rejet, probablement de peur du handicap.
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Effets post-traumatiques du handicap 413

régissent les réactions de colère, de révolte ou de gel émo-


tionnel et de prostration. Si ceci est l’aspect le plus visible
de la question, lorsque après un certain temps on fait reve-
nir mentalement les parents à la situation de l’annonce,
ils affirment que la sensation prédominante est le vide, un
manque, une sensation d’irréel. L’incrédulité, le détache-
ment sont les émotions les plus évoquées rétrospective-
ment par les parents1. Dans ces moments de confusion, il
est facile pour les parents de se laisser aller à des commentaires,
réactions et considérations qui ne passent pas à travers le
filtrage social. Ces moments sont comparables à ceux qui sui-
vent immédiatement la mort d’un être cher, connue juste-
ment comme « phase d’étourdissement2 ».

– Quelle découverte ?
Il faut aussi se demander si parler du « moment de la
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découverte » a du sens. Il serait peut-être plus adéquat et
plus proche de la réalité d’inscrire cet événement dans une
perspective temporelle élargie. Si on réfléchit un instant, il
existe déjà dans la tête des parents, jusqu’au moment de la
naissance, des représentations de l’enfant à venir. Le thème
de l’enfant imaginaire (Soulé, 1982) élucide la nature d’une
partie de ces représentations prénatales. Ce thème concerne
la représentation fantasmatique de l’enfant qui est soutenue
jusqu’à la naissance par le désir d’enfanter. Cette représen-
tation, même si elle est fondée sur des données imaginaires,
sur le fantasme d’avoir un enfant, détermine quand même
des effets réels. Ils dérivent de l’interaction entre les aspects
de la personnalité du parent réel et ses autres représenta-
tions d’ordre social et culturel. Cela signifie simplement
que si le parent, la mère surtout3, après la phase initiale
d’étourdissement et d’incrédulité, arrive à surmonter le
détachement à l’enfant réel, il aura de grosses ­difficultés

1.  Dans le récit des parents, il n’est pas rare de déceler de véritables phéno-
mènes dissociatifs et/ou de dépersonnalisation. Parfois, les parents se voient flotter
dans l’air à regarder le médecin qui parle à eux-mêmes assis ; ou ressentent une
sensation de complet détachement émotionnel de la situation, comme si les paroles
du médecin étaient adressées à quelqu’un d’autre.
2.  Bowlby et Rousseau décrivent quatre phases du deuil.
3.  Le père (la littérature scientifique partage le même avis) garde en général
une position plus détachée.
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414 Francesco Grasso

et probablement besoin de beaucoup de temps pour for-


mer (générer ou réadapter) de nouvelles représentations
de la réalité1. Ces dernières vont s’installer dans « le vide » en
raison de l’activation manquée des représentations créées au
cours de la grossesse et exclues avec la naissance anormale. Il
est donc compréhensible que la vraie découverte du handicap
de la part des parents soit un processus qui demande beau-
coup de temps pour passer de l’étourdissement, de l’incré-
dulité, à la prise en compte d’une « réalité » non prévue.
Les équipes des maternités et les opérateurs pédopsychia-
triques impliqués dans cette tâche2 témoignent que le parent,
tout de suite après l’annonce, n’a pas beaucoup de choses à
dire (Roy, 1993 a). Souvent, les spécialistes de la santé men-
tale infantile reprochent au personnel sanitaire de se limiter
uniquement à communiquer le handicap et leur demandent
également de garantir une aide à la famille (Rousseau, 1989,
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Roy, 1993  b). Probablement, jamais comme dans ce cas,
l’usage du terme « accompagnement personnel des parents »
n’est aussi approprié. Ce concept sera repris et articulé dans
la deuxième partie de l’article.
L’annonce du handicap est seulement le début d’une décou-
verte. C’est seulement l’invitation faite aux parents de « regar-
der » leur enfant. Dans les cas les plus difficiles où existe le
refus agi de l’enfant, l’annonce du handicap devient le début
d’un défi entre la présence réelle et l’ensemble des représen-
tations cristallisées des parents3 qu’on peut tranquillement
considérer comme un trouble dissociatif de la conscience.

1.  Du nouveau-né ; d’être avec le nouveau-né et d’être la mère – anormale –


d’un enfant anormal.
2.  Même pour ceux qui ont une grande expérience dans ce domaine, la nais-
sance pathologique est un événement critique. Elle est considérée, voire souhaitée,
comme exception à la norme, un pur hasard qui n’a pas la même dignité qu’une
naissance normale. Il est évident que les maternités ne sont pas préparées au han-
dicap. La naissance de l’enfant malformé est toujours source d’angoisse et de ten-
sions, comme cela a été révélé par une enquête menée sur le vécu des médecins et de
l’équipe soignante suite à la découverte d’un handicap congénital. Les résultats
de l’enquête effectuée à l’aide d’un questionnaire montrent une remarquable forme de
gêne dans le fait de supporter une telle situation, et même plusieurs opérateurs
souhaiteraient un soutien dans ces cas. L’étude souligne particulièrement l’intérêt
du personnel concernant le sujet et le caractère déplaisant de l’annonce à faire aux
parents (Rousseau, 1988).
3.  Réfléchissons à l’effet que la naissance a sur le narcissisme parental et le
« refus de croire » ou de voir qui souvent s’installe. À travers le mécanisme défensif
du rejet, on assiste souvent à une méconnaissance de l’enfant réel en faveur d’une
représentation du petit totalement distincte de la réalité.
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Effets post-traumatiques du handicap 415

– La découverte tardive du handicap


Dans le cas d’une découverte tardive du handicap, cer-
tains auteurs relatent des effets déchirants, semblables
à ceux de la découverte précoce. En effet, je pense qu’il
est vraiment inapproprié de parler d’une découverte
dans ces cas. Tous les parents –  les mères spécialement  –
qui ont découvert le handicap par le biais d’une annonce
ante-­partum ou à qui le handicap a été confirmé après
quelque temps affirment globalement que, même s’ils ne
connaissaient pas le diagnostic exact, ils étaient parfaite-
ment conscients qu’il y avait un problème, que leur enfant
n’était pas comme les autres ou comme ses frères avant lui.
A posteriori, les mères qui mettent au monde des enfants
invalides disent souvent, et non pas par simple suggestion,
que pendant la grossesse ou pendant les premiers moments
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de contact, elles avaient eu l’impression (et la crainte) que
quelque chose n’allait pas1. Par exemple, l’enfant ne bou-
geait pas ou le faisait d’une manière particulière dans leur
ventre. Sur cette impression de l’enfant, strictement liée
aux sensations intéroceptives de la mère (quand l’enfant
n’est pas encore né) et aux schémas que les parents ont inté-
riorisés lors d’expériences précédentes ou pour avoir vu, lu
ou écouté des choses autour du sujet (après la naissance),
se greffent d’autres types de représentation de l’enfant qui
ne sont pas toujours en synergie ou en accord entre elles,
comme on verra par la suite2. Le fait de ne pas s’en aper-
cevoir, le fait de vouloir « temporiser » cette la découverte
dépend seulement des « distorsions perceptives imposantes »
des représentations parentales de l’enfant. Dans cette
optique, l’attitude des parents à minimiser est soutenue par
« l’étrangeté perceptive » de la réalité et par l’exclusion
défensive de pensées et de sentiments envers l’enfant, et elle
comporte, par conséquence, une manipulation continue et
inconsciente de la résonance émotionnelle.

1.  Voir plus loin les cas de Lucrezia et Giuseppe.


2.  Un énorme désir d’avoir un enfant ou, au contraire, une forte peur
d’avorter convergent à « faire ignorer » de simples signes ou mal-êtres ou la sen-
sation que tout est arrêté. En revanche, le poids d’autres attentes sur le rôle que
cet enfant aura dans la famille – nucléaire et élargie – peut facilement générer des
malentendus.
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416 Francesco Grasso

– La relation entre l’enfant du désir (l’enfant


imaginaire) et l’enfant attendu
Les représentations que les mères construisent ont des
origines différentes et hétérogènes. Si, d’un côté, on peut
considérer l’enfant qui naît comme objet sexualisé, objet du
désir (narcissique, œdipien ou simplement fruit de la satisfac-
tion du désir de grossesse maternel), de l’autre, il ne faut pas
oublier qu’au moins deux formes de représentation de l’enfant
existent, actives et présentes à chaque moment. En premier lieu,
nous avons la représentation psychique de l’enfant attendu
dont on a déjà ébauché quelques traits. Même si elle n’est
presque jamais citée dans la littérature concernant le thème,
cette représentation concerne la façon de se figurer l’enfant,
très brute et sans détail. Quand la gestation commence, les
parents, à travers l’échographie, à travers la lecture de livres
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ou de programmes spécialisés, la modifient au fur et à mesure
de l’évolution du fœtus : l’augmentation des dimensions, sa
vitalité et son comportement à travers l’interface maternelle.
L’« enfant attendu » est donc constitué par les attentes de
base, sur le fœtus avant et sur l’enfant après. Ce processus
de monitorage absolument inconscient et primordial1 est celui
qui scande les temps d’évolution physiologique de l’enfant.
Quand l’annonce – mais aussi l’incertitude de l’échogra-
phiste et du gynécologue – de la présence d’une malformation
– de n’importe quelle entité – est faite pendant la grossesse,
on assistera à une rapide déstructuration de cette représen-
tation de l’enfant attendu, qui laissera un vide qui sera vrai-
semblablement comblé par l’image ou la représentation de la
« maladie attendue », qui à son tour dirigera la perception
de la réalité. À ce propos, les parents affirment expérimenter
la sensation de se trouver au bord d’un abîme. Le doute sur
« ce qui arrivera » est exactement celui dont les obstétriciens
font l’expérience après une annonce d’anomalie fœtale dont
on ne saurait pas prévoir les effets. Dans ce cas, ils sont rapi-
dement submergés, pas tellement par des questions médicales
sur l’enfant en lui-même, mais par des quêtes d’assurance de

1.  Qui peut être également passé sous silence, mélangé à plusieurs croyances,
interprétations ou complètement refoulé quand il fait surgir des doutes trop grands
et intolérables sur l’intégrité de l’enfant.
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Effets post-traumatiques du handicap 417

la part des parents. Les mêmes médecins confirment que, en


cas d’incertitude, les décisions des parents sont difficilement
gérables puisqu’ils cherchent surtout du réconfort à leurs
peurs, un soutien à leurs espoirs, et non pas de la rationalité
scientifique en termes de probabilités.
– La naissance d’un enfant anormal
Si le moment de la naissance représente une dure confron-
tation avec la réalité, ce moment devient dramatique quand il
faut affronter un enfant anormal, un enfant qu’on a tout de
suite tendance à rejeter parce qu’il fait peur ou parce qu’il
est vécu comme une punition, une erreur ou une injustice.
En premier lieu, l’enfant anormal ne correspond pas aux
schémas d’anticipations perceptives de l’enfant attendu, ce
qui met en graves difficultés le fait de toucher l’enfant réel,
de le manipuler, ainsi que tous les échanges communicatifs
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avec lui. En deuxième lieu, la représentation fantasmatique
de l’enfant (enfant imaginaire) reste active car, plus ou moins
explicitement, les parents refusent ce qu’ils voient1.
L’identification avec un enfant est d’habitude un pro-
cessus long qui se développe en parallèle au démantèlement
de la représentation de l’enfant imaginaire. Pour qu’il y
ait un ancrage de l’enfant réel à l’enfant imaginaire, il est
nécessaire que des facteurs d’illusion œuvrent pendant quel-
que temps. La mère doit pouvoir projeter dans son enfant
celle qu’elle a été enfant (nouveau-né). La libidinalisation
des actions du nouveau-né, de son corps, lui permet d’ob-
tenir une satisfaction aux soins qu’elle doit apporter sans
cesse à l’enfant. Il faut donc que le petit se présente à la mère
comme suffisamment expressif, de façon à permettre son
identification avec l’enfant. Il faudra donc que la mère et le
père se retrouvent dans l’enfant. Dans le cas du handicap, la
transfiguration est impossible2 ; le chemin de l’identification
avec le nouveau-né est bloqué par l’effarement, par la peur
ou simplement par le doute et la confusion. Comme nous le
verrons par la suite, même un processus de deuil est impos-
sible, car l’enfant est vivant, il est présent et demande qu’on

1.  Souvent, les parents s’interrogent s’il n’y a pas eu d’erreur sous forme de
changement d’enfants.
2.  Cf. L’Enfant parallèle, p. 60, op. cit.
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418 Francesco Grasso

s’occupe de lui. La satisfaction substitutive est également


impossible, car l’enfant est et restera pendant longtemps un
étranger. Un étranger très inquiétant.
– La question du deuil
Plusieurs auteurs ont comparé les réactions des parents –
de la mère surtout – à la découverte du handicap de l’enfant aux
réactions propres au deuil pour la mort d’un être cher. Pour
essayer de comprendre ce qui arrive, il est nécessaire de savoir
qui est l’objet d’un tel deuil maternel (et paternel). Certains
auteurs tels J. Rousseau (1994) et R. Drotard (1975)1, dans leurs
études sur des parents à qui on avait annoncé le handicap de
l’enfant, ont relevé des réactions parfaitement identiques aux
phases relatives aux parents d’enfants chez qui a été diagnos-
tiquée une maladie mortelle et donc irréversible reportées
par Bowlby2 – étourdissement, incrédulité, colère/désespoir,
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désorganisation, détachement –, les quatre phases du deuil.
Comme les parents d’enfants atteints de maladies incura-
bles, les mères et les pères d’enfants handicapés délaissent
tout ce qui concerne leur vie mais sort du domaine de la maladie
de l’enfant : travail, maison, les autres enfants, les rapports
sociaux. De plus, nous pouvons retrouver chez les parents
d’enfant handicapés l’étourdissement et les comportements
compulsifs d’assistance que nous observons chez les parents
d’enfants destinés à la mort. Mais la lecture plus attentive
des recherches nous permet de distinguer le deuil d’antici-
pation (pour un enfant mortellement malade) de la réaction
désespérée des parents à la naissance de l’enfant handicapé3.
Dans le cas du handicap, l’incrédulité, la colère, le refus qui

1.  Dans l’étude de méta-analyse conduite par Drotard et al., il n’y avait pas de
différence de réponse suivant le type de handicap.
2.  Bowlby, dans le VIIe chapitre du texte « La perte de la mère » (in Attachement
et Perte, vol. III), aborde ce sujet, le processus de deuil des parents d’enfants chez
qui a été diagnostiquée une maladie mortelle et donc irréversible.
3.  Bowlby parle en effet des deux dernières phases, la désorganisation/confu-
sion et la réorganisation, comme des moments de préparation et d’anticipation du
deuil. Les parents d’enfants atteints de maladies incurables oscillent, jusqu’à la
fin, entre phase d’optimisme trompeur et maniaque et phase de pessimisme et de
découragement profond, mais, tôt ou tard, il y a un moment où le parent prend
conscience des conditions de l’enfant mourant et se laisse aller à un déchirant déta-
chement émotionnel progressif. Le processus d’intellectualisation et surtout celui
du détachement émotionnel rendront possible la réorganisation psychique dans le
couple parental.
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Effets post-traumatiques du handicap 419

s’expriment dans l’aspect maniaque de l’assistance à l’en-


fant, prédominent sur tous les autres aspects de la relation.
La volonté parentale de faire face aux vraies difficultés liées
à cette forme de parentalité, le refus et la lutte entre la réalité
des faits et l’espoir parental de guérison ou de « déblocage »
sont infatigables et se prolongent pendant fort longtemps,
indépendamment de la gravité du déficit même (Benfield et
coll. 1976). Cette lutte continue est ce qui se passe dans la
plupart des familles avec un enfant handicapé.
Nous proposons, à ce sujet, une distinction entre le deuil
pour les représentations de l’enfant attendu et de l’enfant ima-
ginaire. Nous pouvons imaginer ces deux instances comme des
représentations de l’enfant qui viendra. Comme nous l’avons
vu, l’enfant attendu est une représentation plutôt esquissée,
concrètement un schéma prévisionnel de type essentiellement
perceptif lié à un prototype d’enfant. La naissance d’un enfant
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handicapé, anormal, défectueux, heurtera la représentation
d’anticipation perceptive en la rendant inutilisable et en créant
à sa place un vide qui se traduit en confusion opérationnelle
typique des parents : quoi faire ? Comment le faire ? à qui le
faire ? L’autre instance représentationnelle, l’enfant imagi-
naire, suit un tout autre chemin. Cette représentation est soute-
nue par le désir infantile maternel de perfection : c’est l’enfant
parfait duquel chaque mère « normale » fait le « deuil » en
transfigurant par identification projective cette représentation
narcissique dans l’enfant réel (Soulé, 1982 ; Bydlowski, 1978).
Nous nous trouvons donc confrontés, au moins, à un
double problème1 :
– en premier lieu, les parents ne savent plus comment
s’orienter car certains, plusieurs ou tous les paramètres
de référence de l’enfant sont altérés à cause de son anor-
malité, c’est-à-dire que les schémas d’anticipation per-
ceptive sont inutilisables ;
– il est impossible de réaliser une transfiguration de l’enfant
imaginaire dans l’enfant réel, car aucune forme d’iden-
tification avec l’enfant réel n’est possible car celui-ci est
monstrueux, étranger, inquiétant (Freud, 1919).

1.  Le problème est double, car à partir de la naissance de l’enfant commen-


cent à fonctionner les systèmes d’attachement pour l’enfant et de l’enfant.
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420 Francesco Grasso

Cette situation de vide, d’absence de représentations et


de fort effroi qui suit la naissance d’un enfant handicapé se
traduit, en termes de comportement, en un moment d’étour-
dissement et de véritable dissociation entre perception et
représentation psychique de l’enfant.

– Mais, pourquoi cela ?


En tout premier lieu, parce que l’enfant handicapé n’est
pas mort et, sauf graves complications organiques, n’est pas
en train de mourir, mais au contraire est bien vivant. Si les
processus d’identification avec l’enfant et l’investissement
narcissique sont impossibles1 existent plusieurs autres sys-
tèmes psychiques qui s’activent automatiquement dans la
relation parent/enfant. Tout d’abord, le rôle biopsycholo-
gique du système de l’attachement-soin, qui crée automati-
quement un lien, très fort, entre l’enfant et le parent (et vice
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versa) ; il faut aussi considérer le poids du social, dont nous
avons discuté précédemment, qui oblige à être un bon parent
même contre sa volonté. En troisième lieu, il y a le fait que
la machine de l’assistance sociale et sanitaire se met tout de
suite en marche, enlevant aux parents la tâche de garantir à
l’enfant l’assistance et en les dépossédant d’une partie des
choix décisionnels2 à leur charge.
Dans les cas les plus malheureux, nous pouvons noter le
passage – comme dans le véritable deuil – à un détachement
émotionnel des parents toujours plus évident, accompagné
d’une agressivité agie ou latente plus ou moins importante
envers l’enfant ; plus souvent, la lutte entre les exigences élimi­
natoires, infanticides, et le fait de vouloir et devoir s’occuper
de lui portent les parents à des identifications de type hystérique3
avec de « bons parents » ou avec de « bons thérapeutes à
vie » de leur enfant. Il n’y a donc pas d’attentes réalistes par

1. Ouvrant la voie à la fois à des processus massifs d’identification projective


de type narcissique (voir la suite).
2.  Le parent ne peut plus, comme auparavant, décider de garder l’enfant ou
de l’exposer, c’est-à-dire de le faire mourir, en l’abandonnant.
3.  Ici, nous reprenons le concept d’« identification hystérique ». Comme chez
l’hystérique, la somatisation s’inscrit dans un problème où l’affect prévaut sur la
représentation psychique ; ainsi, dans le rapport opérationnel entre mère et enfant
handicapé, l’action, le passage à l’acte remplace la pensée et la réflexion. L’action
qui en résulte est donc très souvent vide, sans affection ni histoire, dépourvue d’un
véritable projet, mais plutôt « une des choses à faire ».
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Effets post-traumatiques du handicap 421

r­ apport à l’enfant, et il n’est même pas possible d’en avoir,


comme nous le verrons dans la partie suivante de l’article.

L’inintÉgration de l’expÉrience perceptive


des parents – aspects thÉoriques

La complexité du système de représentation psychique chez


l’homme
À partir des premiers travaux de Freud, nous trouvons
une conception de l’appareil psychique complexe, constitué
par un ensemble de contenus psychiques-représentations.
Ces « contenus psychiques » ont la caractéristique d’acqué-
rir de l’énergie dynamique des valences pulsionnelles qu’eux-
mêmes représentent. A.  Green (1987) précise que c’est au
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moment où la représentation psychique de la pulsion (Trieb-
repraësentanz) domine la « représentation de chose » que
surgit vraiment la représentation-représentant (Vorstellung-
reprasentanz) de la pulsion comme délégation du somatique
dans le psychique. On pourrait donc définir le(s) concept(s)
de représentation psychique proposé(s) par la psychanalyse
– « représentation de mot » et « représentation de chose » –
comme des « contenus psychiques actifs ». Des traces mné-
siques qui se caractérisent par le fait d’avoir été investies
par l’énergie pulsionnelle (libidinale et/ou destructive) et qui
donc gardent en elles l’énergie pour activer la dynamique
psychique avec la finalité de la satisfaction pulsionnelle.
D’autres conceptions plus récentes de l’appareil psychique
humain, à savoir les modèles neurophysiologiques de Antonio
Damasio (1994) et de Gerald  Edelmann (1989,1992), consi­
dèrent l’esprit comme un générateur de représentations céré-
brales de la réalité. Celles-ci ne seraient que des processus
neurophysiologiques du cerveau qui dirigent de façon très
organisée les différentes fonctions mentales : l’attention, la
perception, la pensée, le raisonnement logique, les réponses
émotionnelles. Le modèle d’Edelmann assigne aux structures
de conscience secondaire le rôle de sélectionner les différentes
cartes neuronales du réel en provenance de circuits de caté-
gorisation primaire « rentrants » (récurrents) de la réalité.
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422 Francesco Grasso

Ces « cartes neuronales » sont en rapport constant avec la


catégorisation symbolique que notre conscience (secondaire)
construit moment par moment. Une critique fondamentale
du modèle d’Edelmann (et de Antonio Damasio) introduit un
troisième type de conception de l’appareil psychique et de
la représentation psychique, celui de Daniel Dennett (1996).
Cet auteur conteste à Edelmann et Damasio le manque de
finalisme ; s’il est vrai que les modèles neurophysiologiques
donnent une explication extrêmement détaillée de comment
la « machine cerveau-esprit » fonctionne, ils ne s’attardent
pas à analyser la raison de ce mode de fonctionnement1.
– La question fondamentale du processus de couplage
individu/environnement. La réflexion qui découle
de « l’optique écologique » de J. J. Gibson
La théorie de Gibson (1980) nous aide dans la réflexion
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sur le fonctionnement finalisé de l’appareil psychique. Le
modèle théorique de la perception de J. J.  Gibson (1996,
1980), qui découle d’un grand nombre de recherches expéri-
mentales, affirme que nous n’avons pas besoin d’ajouter des
processus d’élaboration cognitive (d’analyse et de synthèse)
à la perception sensorielle, comme la plupart des auteurs
cognitivistes l’établissent. En fait, l’expérience, l’apprentis-
sage et la mémoire améliorent toujours nos capacités innées
d’extraction d’invariants perceptifs et de significations2, du
flux phénoménal de l’expérience. Avec le temps et avec l’ex-
périence, notre perception sensorielle devient toujours plus
précise et discriminatoire par rapport aux phénomènes par-
ticuliers (invariants structurels, contextuels et symboliques
de la réalité) nécessaires et utiles à notre survie et à notre

1.  Ce que Dennett garde comme un des piliers de la vie est l’existence d’une
pulsion épistémique, cognitive, comme déjà affirmé par Piaget (1963), mais
s’appuyant sur d’autres bases que l’auteur suisse. Il analyse la façon dont cette
« pulsion à connaître » s’est articulée, lors des millions d’années d’évolution, en
structures, mentales et non, avec des caractéristiques tout à fait différentes. Il
identifie donc les moteurs de l’existence et de l’évolution dans l’instinct de survie
et la nécessité de connaître. Comme Freud a eu besoin d’envisager une pulsion
libidinale pour expliquer tout d’abord « pourquoi » la machine fonctionne et non
seulement « comment », Dennett nous montre le chemin de l’évolution et nous
signale les passages obligés entre esprit et nature : le problème de l’intentionnalité
ou de l’attitude intentionnelle humaine ; le problème de la sensibilité ou des sen-
sations et de la conscience comme principes primordiaux propres aux esprits.
2.  Invariants d’ordre perceptif symbolique.
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Effets post-traumatiques du handicap 423

comportement motivé. Pour cette raison, ce sera la réalité


– et non l’élaboration faite en amont – qui « suggère » le sens
d’un contexte déterminé.
– Neisser et le cycle d’anticipation perceptif :
ou comment utiliser la cognition
sans le cognitivisme
Ulrich  Neisser, en  1976, dans Cognition and Reality.
Principles and Implications of Cognitive psychology,
accepte les principes de la théorie de la perception de Gibson
et de « l’optique écologique », en ajoutant un complément.
L’auteur affirme, en accord avec Gibson, que si nous avions
vraiment besoin d’une élaboration si importante pour des
formes si simples d’activité intelligente, notre tête serait très
rapidement en crise face à la lourdeur du traitement des don-
nées. L’« optique écologique » de Gibson donne une explica-
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tion scientifique plausible pour expliquer la façon d’utiliser
et d’extraire l’information de l’environnement, qui sera évi-
demment élaborée successivement sous forme de mémoires
sensorielles, de mémoires autobiographiques et de réseaux
de signification. Neisser propose un modèle circulaire pour
le processus d’extraction continue de l’information du flux
de l’expérience. Dans ce modèle, la liaison entre l’action
et nos mémoires encyclopédiques, nos expériences passées et
notre intentionnalité se joue sous forme d’anticipation per-
ceptive du réel au niveau tacite (inconscient) ou explicite
(conscient). Le modèle proposé par Neisser porte le nom de
« schéma d’anticipation perceptif ».
– De la perception à la cognition,
à la (les) conscience(s)
Dans la suite, nous utiliserons le modèle de J. J. Gibson et
le schéma d’anticipation de Neisser comme cadre théorique
de référence de la dynamique représentationnelle pour
décrire les perturbations des attentes parentales envers son
propre enfant et sa parentalité, et pour bâtir une clinique de
l’expérience parentale du handicap. Ces attentes dépendent,
à leur tour, des différents niveaux de représentation de
l’esprit activés simultanément et qui permettent à l’indi-
vidu d’être conscient (la connaissance ou pour mieux dire la
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424 Francesco Grasso

reconnaissance) de la réalité qui l’entoure et dans laquelle il


est plongé.
À ce sujet, il peut être utile ici de regrouper et distinguer
les différentes formes de représentations psychiques qui sont
à l’œuvre (de façon parallèle et simultanée) chez l’homme et
qui donnent lieu aux différents phénomènes de conscience.
À un premier hypothétique étage, nous trouvons la connais­
sance perceptivo-motrice qui est garantie par les neurones
canoniques dont Rizzolati et Sinigaglia (2006) ont parlé.
Dans les régions temporales et pariétales de notre cerveau,
aires considérées comme exclusivement motrices ou sen-
sorielles, existent des neurones qui présentent un double
codage, moteur et perceptif, de la même action. Cela signi-
fie que des motoneurones s’activent soit pendant le mou-
vement relatif à une situation particulière, soit à la simple
perception de la même situation. Une partie de ces cellules
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récemment découvertes sont encore plus spécialisées. Elles
s’activent à la simple perception de l’action effectuée par
d’autres sujets et ont été appelées « neurones miroirs1 ». Ces
régions du cerveau, une fois stimulées, donnent lieu à des
mouvements. Cela permet d’affirmer que notre cerveau a la
possibilité de connaître la valeur d’action des objets ou des
situations d’une façon simplement perceptive, sans utiliser
forcément les aires préfrontales réservées à l’élaboration
cognitive et aux processus de décision consciente, et démontre
qu’il existe une connaissance motrice de base disponible déjà
dans les processus perceptifs.
À un deuxième étage, nous trouvons les représentations
psychiques qui se sont cumulées à partir de l’expérience passée
du sujet (l’expérience des différents contextes interpersonnels,
de ses besoins et désirs, et les aspects émotionnels qui consti-
tuent son caractère et sa personnalité) et celles qui découlent
de l’apprentissage d’un système de signes et de codes symbo-
liques (langage et culture). Ces mémoires permettent à l’indi-
vidu de prévoir la signification des situations dans lesquelles
il est pris, parmi les significations qu’il a apprises (connais-
sance encyclopédique) ou qu’il a acquises (socialité, culture,

1.  Pareillement aux aires motrices, dans les aires sensorielles existent aussi
des « neurones miroirs » sensoriels qui ont un codage moteur de la perception.
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Effets post-traumatiques du handicap 425

histoire personnelle) dans le temps. Contextuellement, ces


significations lui permettent d’anticiper l’action. Les méca-
nismes d’analyse du percept comme la synthèse des éléments
distingués, la construction du percept, sa signification et la
confrontation avec l’expérience du sujet, sont bien dynami-
sés dans le modèle écologique de la perception de Gibson et
dans le modèle de l’anticipation perceptive de Neisser. Ce
dernier permet de bien expliquer le couplage et la synchronie
entre un individu déterminé (sujet) et le monde qui l’entoure
(objet). Le rapport entre la réalité et le sujet est donc fonction
de la dotation cognitive de l’individu, mais aussi de sa propre
histoire passée (vécue ou symbolisée) qui sélectionne automa-
tiquement les informations perceptives.
Enfin, à un troisième étage, nous trouvons une forme de
connaissance réflexive et totalement acontextuelle. Elle se
base sur une représentation délayée de la réalité qui permet
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d’opérer, dans le sens piagétien du terme, sur elle. La capacité
de se représenter la réalité est une conquête assez récente des
êtres vivants, mais chez l’homme elle devient très puissante
grâce au langage et à la possibilité des êtres humains de se
« re-représenter »1 la réalité, au sens de Dennett. Cette der-
nière forme représentative est celle que nous reconnaissons
comme « notre conscience ». Elle est, en accord avec Freud,
simplement un épiphénomène de la construction de l’appa-
reil psychique et du couplage entre individu et réalité.

Les différents processus de conscience


– Perception de la réalité et conscience synchronique
(primaire)
Les points fondamentaux de ce type de conscience qui
permet le contact et le couplage avec la réalité sont :
– d’une part, la capacité innée chez l’homme d’extraire des
invariants (perceptifs et conceptuels) à partir d’un flux
changeant de stimulation ;

1.  Le langage et le code de signes permettent une représentation de deuxième


niveau de la réalité. Pour l’homme est possible non seulement la remémoration des
situations, mais une remémoration exclusivement symbolique et totalement déta-
chée de la réalité à laquelle elle se réfère.
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426 Francesco Grasso

– d’autre part, l’anticipation perceptive jouée par les mémoi-


res sensorielles (visuelle, acoustique, cénesthésique,
etc.)1 et par les circuits de mémoire (la catégorisation de
la réalité, ou conscience primaire au sens de Edelmann)
qui permettent les prévisions de sens (émotionnelles,
relationnelles, symboliques, contextuelles2) de l’expé-
rience, mais qui ne permettent pas de réfléchir sur le sens
de l’expérience.
Selon ce modèle, les processus de défense de la vie fantas-
matique de l’individu ne découlent pas de la suppression ou
de l’influence sélective de la mémoire en amont. La sélection
des informations revient à un niveau perceptif direct, c’est
elle qui déterminera la façon dont un individu peut perce-
voir la réalité à un moment bien déterminé de sa vie.
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– Conscience diachronique, réflexive, de ses propres
expériences
Le mécanisme perceptif de couplage individu/environne-
ment décrit ne concerne donc pas l’élaboration de l’expérience
a posteriori. Cette forme ultérieure d’élaboration déplacée
ou « après coup »3 met en cause la connaissance et le stockage
de l’expérience, sa mise à disposition ou son exclusion (de la
conscience) par le biais des cartes neuronales « symboliques »
et des circuits réverbérants (rentrants) parallèles qui se
forment tout au long de l’histoire de l’individu.
– La question de la multiplicité des systèmes
représentatifs et de l’organisation des différents
niveaux de représentation en rapport à la conscience
S’il existe un accord de fond entre les différentes concep-
tions de l’appareil psychique et du couplage individu/monde

1.  La théorie de Gibson et le modèle dérivé par Neisser évitent les complica-
tions inutiles du redoublement de la réalité extérieure dans l’appareil psychique et
donnent un apport efficace à l’explication du fonctionnement mental de l’individu
dans le processus d’échange continu avec l’environnement.
2.  À ce propos, se référer aux études de M. Cole (1995) sur le rôle du contexte
pour l’individuation des signifiants d’une situation donnée et au concept de script
proposé par Shanck et Abelson (1975) dans l’étude sur l’attention.
3.  Qui a été examinée depuis longtemps par la psychanalyse au vu de ses liens
entre mémoire (les traces d’expérience) et la perception/attention (amnésie, lapsus,
rêve, libres associations).
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Effets post-traumatiques du handicap 427

extérieur, il concerne la multiplicité des processus de repré-


sentation psychique chez l’homme. En psychanalyse, comme
dans les approches neuropsychologiques et neurobiologiques
plus complexes, le fonctionnement psychique, la dynamique
intrapsychique et la conscience sont la combinaison de plu-
sieurs structures (mentales ou cérébrales) qui travaillent sur
la base d’une architecture définie. À notre avis, la clinique
concernant les thématiques parentales du handicap, ou plus
généralement d’autres phénomènes psychiques, constitue un
formidable banc d’essai pour ces théories.
– Le double ancrage corporel et interactif
des processus de représentation
Bernard Golse (1985), en se référant au développement
de l’appareil psychique de l’enfant, nous montre la double
racine, corporelle et interactive, du processus de symbo-
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lisation. Il souligne, d’un côté, l’origine corporelle de la
représentation d’où part le processus1. De l’autre, c’est l’in-
tervention de la mère et de sa dynamique fantasmatique qui
dirige l’enfant à choisir, parmi ses multiples traces mnésiques
qui dérivent des sensations internes, celles qui vont se lais-
ser investir, « “accaparer” par le représentant psychique
pulsionnel né de la tension somatique » (op. cit., p. 183). Le
dialogue ne se joue donc pas simplement au niveau des traces
mnésiques de l’autre (Bowlby, 1969), mais garde comme sa
discriminante essentielle la satisfaction physique (libidinale)
qui permet à la trace psychique de devenir une représenta-
tion investie, active au niveau psychique, donc symbolisable.
Golse ajoute que l’on retrouve la même dynamique dans la
sélection des affects.
Il apparaît évident que, dans l’interaction entre mère
(parent) et enfant handicapé, ce processus de double ancrage
de la représentation psychique est fortement troublé par
la fantasmatisation parentale. Ceci concerne aussi bien la
constitution des représentations chez l’enfant que la possi-
bilité de consolider, chez les parents, une image mentale de
leur propre enfant et la prévision de son développement. Le

1.  La représentation, comme représentant psychique de la pulsion, est seule-


ment une forme de délégation du somatique au psychique.
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428 Francesco Grasso

vécu de refus de l’enfant ou l’acceptation d’un enfant idéa-


lisé et non réel, ainsi que l’interaction physique et psychique
frustrante avec l’enfant réel (enfant mou ou rigide, irritable,
intouchable) troublent l’échange de sensations et expériences
de l’autre (mère) avec l’enfant. Le même sort touche l’expé-
rience affective vécue par la mère par rapport à ses attentes.
Tout cela ne peut que conditionner son message de retour
vers l’enfant.
– Expériences qui provoquent une « rupture
de la continuité » de la réalité perçue, l’intentionnalité,
les processus de signification, la capacité
de symbolisation, l’élaboration et la conscience
Par rapport à la représentation de l’affect, Golse rap-
pelle les études de D. Stern sur l’« accordage affectif » et Le
Discours vivant d’A.  Green (1973). Selon ces études, l’af-
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fect n’a pas seulement le rôle de coloration de la représen-
tation, mais développe aussi une fonction représentative au
sein de l’appareil psychique. Les représentations des affects
qui découlent du rapport mère/enfant acquièrent un sens
(signification) très puissant si nous les considérons comme
des schémas d’anticipation réciproque des états affectifs de
l’enfant et de la mère.
Dans les jeux d’échange et d’imitation que la mère met
en place continuellement face au comportement de l’enfant1,
ces schémas sont activés et guidés initialement par leur rôle
d’extraction d’invariants perceptifs –  affects vitaux. Une
fois que ces cycles d’anticipation perceptifs, et donc affec-
tifs, se mettent en marche, ils sont déjà réciproquement
synchronisés (l’un dépendant des perceptions de l’autre) et
sont intégrés dans un même système de signification affec-
tive2. Ils se confirment mutuellement, car ils fournissent aux
partenaires des échanges (la mère et l’enfant) la conscience
primordiale et réciproque « d’être ensemble » et de partager
le même flux d’informations. Ces flux d’informations croi-
sés, fondés sur l’échange interactif, et surtout basés sur les

1.  Dans le même temps, nous pouvons raisonnablement supposer un processus


réciproque chez l’enfant.
2.  Véhiculé par l’extraction de significations affectives maternelles du flux
d’informations internes et externes à son organisme.
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Effets post-traumatiques du handicap 429

premiers ­échanges corporels pendant les premiers moments


d’existence de l’enfant, donnent à la relation un sens et une
signification affective bien précise.
Quand l’interaction mère/enfant est troublée par diffé-
rentes raisons (dépression post-partum, psychose puerpé-
rale, danger de vie de l’enfant, handicap grave ou évident),
l’accordage affectif prend des chemins anormaux, car la
réciprocité de l’échange affectif est altérée par des éléments
physiques ou psychiques1 qui empêchent le flux normal des
sensations et perceptions, et donc la construction du sens
réciproque de la relation. La mère d’un enfant atteint d’une
tétraplégie peut être plus sensible envers ses sensations
cinesthésiques par rapport à celles qui lui sont transmises
par le corps de l’enfant (souplesse ou rigidité excessive). Et
encore, les sensations proprioceptives maternelles peuvent
être désagréables (ex. rigidité du contact, lourdeur et fatigue
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associées au manque de réponses toniques d’ajustement du
corps de l’enfant). Souvent, la tendresse envers son propre
enfant (une caresse) est accompagnée par l’émergence d’un
sens négatif de l’affect (gêne, dégoût parfois) dérivant du
contact corporel désagréable et donnant lieu à une repré-
sentation affective détournée, voire totalement dissociée de
l’interaction. En ce sens-là, l’accordage affectif maternel est
piégé par des sensations inconciliables.
– Le bouleversement du processus d’attachement
de l’enfant handicapé
Même si manquent encore des évidences bien précises sur la
sécurité de l’attachement des enfants handicapés, les observa-
tions cliniques sur le comportement de soin parental témoignent
d’une forte probabilité de trouver un important pourcentage
d’attachements insécures parmi ces enfants (Bolomay et Peter,
2010). Cette remarque nous renvoie aux difficultés de l’en-
fant de se représenter un comportement maternel et paternel
(parental) plus ou moins troublé émotionnellement (détaché,
froid, distant, refusant ou même peu continu) qui accompagne
d’habitude la parentalité de l’enfant handicapé.

1.  La fantasmatisation de l’enfant est envahie par le désarroi, la peur, le


dégoût, etc.
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430 Francesco Grasso

Si Bowlby (1960) considère la perte (réelle, physique) de


la mère, mais aussi la perte de l’amour maternel, comme une
menace pour le système d’attachement, il peut être utile de
prendre en compte le poids de la vie fantasmatique parentale
sur la modification du système d’attachement chez l’homme.
À ce sujet, les recherches sociobiologiques (de Waal, 1996) sur
l’élevage de primates handicapés sont très intéressantes. Chez
les singes Rhésus, où il n’y a rien de comparable à la dyna-
mique intrapsychique humaine et à une vie fantasmatique,
nous relevons une phénoménologie parentale envers les
sujets handicapés complètement différente de celle des êtres
humains. En fait, la sécurité ou l’insécurité de l’attachement
ne dépend pas du handicap du petit, mais des caractéristiques
neurobiologiques (tempéramentales) soit de la mère, soit du
bébé.
Si l’on réfère les comportements de soin et la sensibilité
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envers l’enfant seulement à la médiation effectuée par les
modèles opérationnels internes parentaux, sans considérer le
bouleversement que l’aspect fantasmatique du handicap joue
sur l’organisation psychique des parents, il est impossible
d’expliquer exhaustivement ce qui arrive à la suite d’un
traumatisme constitué par l’expérience d’un enfant han-
dicapé. Le « détachement » des parents, très fréquemment
observé dans l’interaction, découle, en fait, de la discon-
tinuité entre les expériences réelles (s’occuper de l’enfant)
et la fantasmatisation de l’enfant (investissement libidinal,
planification et prévision de son comportement, satisfac-
tion qui dérive de la relation physique ou symbolique avec
l’enfant)1.

Le traumatisme du handicap comme échec du processus


d’organisation mental et source de conflit entre différents
niveaux de représentation des parents
Le handicap est un très bon point de vue pour illustrer
ce qui arrive quand un très fort traumatisme interrompt

1.  A. Faugli (2008, 2009 a) suggère que l’interaction entre différents facteurs
relationnels (stress maternel, expérience traumatique chez le bébé) et le développe-
ment de troubles psychiques chez les bébés atteints d’atrésie œsophagienne témoi-
gnent d’une vulnérabilité de l’attachement de ces enfants.
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Effets post-traumatiques du handicap 431

le cycle d’anticipation perceptive et que la prévision de la


réalité échoue. En ces cas là, nous pouvons affirmer que
n’existent pas de données en mémoire qui nous permet-
traient de percevoir la situation réelle tout en continuant
à rester synchronisé au flux informatif actuel. Cela advient
parce que ce qui est perçu est fort différent de ce que nous
attendions. Nos stratégies d’anticipation de ce qui est en
train de nous arriver (normalement ancrées sur notre expé-
rience passée et nos connaissances préalables) subissent
une interruption qui peut être plus ou moins importante.
Quand il n’y a pas la possibilité de faire rencontrer ce à
quoi l’on s’attend avec l’évidence du handicap (imprévu,
irréparable, inexplicable), la réalité devient difficilement
reconnaissable par rapport à l’habituel. Très souvent, il
n’existe pas chez les parents d’éléments qui peuvent don-
ner une interprétation de ce qui se passe sous leurs yeux,
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mais seulement des « tentatives d’approximation1 ». Cette
approximation peut garantir l’élimination des incongruités,
mais quand la réalité est tellement dure et troublante, elle
échoue. En ce cas, d’habitude, une partie importante de
la réalité est éliminée de notre perception. Cela comporte
« le retrait » à l’intérieur de nous-mêmes pour échapper à
un chagrin trop fort pour nos ressources. La chronicisation
de ces deux processus, l’approximation et/ou l’exclusion,
donne vraisemblablement lieu à des déraillements de l’état
de conscience, momentanés ou prolongés, chez les parents.
Ceci dépend de l’expérience traumatique qu’ils subissent,
de leurs ressources psychophysiques individuelles, de leurs
ancrages de conscience à la réalité et surtout des possibili-
tés de pouvoir disposer de quelqu’un capable « d’être en
phase » avec ce qui est en train d’arriver au parent (famille,
amis, personnes émotionnellement significatives, profes-
sionnels de la santé mentale).

1.  Les mécanismes cognitifs d’élimination de l’incongruité reviennent à la


théorie du schéma mise au point par Bartlett (1932), selon laquelle les individus
ont tendance à selectionner une partie du matériel qui doit être rappelé et à omettre
l’autre au cours d’essais de mémorisation successifs. Ceci reflète un processus de
rationalisation mis au point par l’individu. Sur ce même sujet sont axées les études
sur les phénomènes de sélection, abstraction, interprétation et intégration de l’in-
formation à partir de l’expérience passée (Alba et Hasher, (1983).
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432 Francesco Grasso

– Les conséquences du trauma dans la littérature


internationale
Quand l’individu n’est pas assez fort pour faire face
aux menaces externes et que les autres ne réussissent pas à
apporter du secours, l’incapacité à éliminer les menaces peut
provoquer une réaction de stress aiguë. De nombreuses varia-
bles peuvent donner aux individus une impression d’abus et
provoquer des altérations permanentes dans les structures
psychologiques et biologiques (Van der Kolk, 1996).
L’exposition au traumatisme a des effets très variables
selon les sujets. Le sens de cette expérience découle de
l’impact traumatique sur les aspects qui sont propres à un
individu spécifique : ses expériences précédentes, sa façon
de réagir et de faire face aux problèmes, sa réactivité géné-
rale. À ce propos, Yehuda et McFarlane (1995) soutiennent
la très grande importance jouée par ce qui se passe tout de
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suite après le trauma (aspects péritraumatiques). En fait, la
capacité des individus à mobiliser l’aide de l’entourage est
un aspect très important dans le processus d’adaptation au
traumatisme. Les résultats de toutes les recherches montrent
que la gravité du traumatisme ne suffit pas seule à prévoir
l’évolution de la réponse d’une personne donnée. Tous les
auteurs affirment, d’un commun accord, que le développe-
ment d’une pathologie chronique de stress est l’exception et
non la règle, étant donné que celle-ci est influencée par un
ensemble de vulnérabilités comme : une familiarité positive
pour les pathologies psychiatriques, une personnalité d’une
certaine manière névrotique, le rôle des autres événements de
vie1 et des médiateurs sociaux après le traumatisme (Kessler
et al., 1996 ; Breslau, Davis, 1992 ; McFarlane, 1989), l’ex-
position durable au stress (Fava Vizziello, 2003) et le niveau
d’énergie et d’efficience mentale du sujet exposé à un évé-
nement potentiellement traumatique (Janet, 1928, 1934 ;
O.  Van  der  Hart, 2006). Même dans le domaine des réac-
tions parentales au traumatisme du handicap, nous obser-
vons un très grand nombre de réponses différentes suite à
la naissance et à la découverte ou à l’annonce d’un enfant

1.  Surtout le fait d’avoir vécu d’autres traumatismes.


23 novembre 2012 - TITRE - AUTEUR - La_psychiatrie_de_lenfant - 135 x 215 - page 433 / 684

Effets post-traumatiques du handicap 433

handicapé. En effet, nous pouvons considérer cela comme le


résultat d’un ensemble de facteurs personnels, sociaux et
environnementaux différents selon les cas.

– La nature du traumatisme
Le sentiment d’impuissance et d’inadéquation et la
menace (physique ou morale) à la vie de l’individu sont fon-
damentaux pour l’analyse d’un stress traumatique, le trau-
matisme va attaquer le sentiment de soi du sujet (traumatisé)
et sa capacité de prévision du monde. Van der Kolk (1996)
affirme que les valeurs typiques d’une culture influencent la
manière selon laquelle un événement imprévisible agit sur le
sentiment de soi et détermine le sentiment de violation asso-
cié au traumatisme, ce qui est particulièrement dramatique
pour les parents d’enfants handicapés. Les sociétés occiden-
tales sont porteuses de valeurs contradictoires : d’un côté,
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elles affirment et défendent la solidarité pour les plus dému-
nis et, de l’autre, elles accordent une très grande valeur à la
compétitivité dans toutes ses formes (travail, économie, sexe,
etc.) et donnent la prévalence de l’apparaître sur l’être.
Cette considération, apparemment sociologique, représente
une véritable « cage mentale » pour les parents et pour les
professionnels du handicap. En réalité, ces pièges font vivre
de façon ambivalente tous les efforts sociaux mis en place en
faveur du handicap et des familles.

– Les effets à long terme du stress traumatique


Les études sur le Syndrome de stress post-traumatique
précisent que les facteurs intrapsychiques, relationnels
et sociaux ne sont pas les seuls qui contribuent à l’adap-
tation au traumatisme, étant donné que les conséquences
biologiques ont un impact différent lors du développement
de l’individu. Les plus importants et évidents effets à long
terme du traumatisme observés dans la littérature inter-
nationale sont :
– hyperactivité généralisée et difficulté à moduler l’agres-
sion contre soi-même et les autres ; difficulté à moduler
les impulsions sexuelles, les problèmes dans les relations
sociales, excès de dépendance ou isolement des autres ;
23 novembre 2012 - TITRE - AUTEUR - La_psychiatrie_de_lenfant - 135 x 215 - page 434 / 684 23 no

434 Francesco Grasso

– altérations des processus neurobiologiques impliqués


dans la discrimination des stimuli, troubles de l’attention
et de la concentration ; dissociation, somatisations ;
– réponses conditionnées d’évitement (peur) aux stimuli
qui rappellent le traumatisme ;
– propositions sémantiquement fragmentaires ; perte de la
confiance et de l’espoir ; sentiment d’incapacité à agir,
perte de la pensée imaginative (action imaginée) ;
– isolement social, perte des affects importants, manque de
participation dans les projets pour le futur ;
– dissociation structurale plus ou moins grave de la person-
nalité (O. Van der Hart, 2006).
Les réactions comme l’hyperactivité, le manque de dis-
crimination des stimuli, la perte de l’espoir et de la confiance
dans le futur et dans ses propres ressources, l’évitement
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des situations qui rappellent le handicap, l’isolement social
et beaucoup d’autres réactions font partie du répertoire
typique des parents d’enfants handicapés. Ces réactions se
prolongent dans le temps jusqu’à se chroniciser et à réduire
sensiblement l’espace vital de la famille (parents, enfants,
groupe familial). Il est donc bien fondé de s’interroger sur les
effets potentiellement post-traumatiques du handicap pour
les parents.

– Traumatisme et sens de l’expérience affective


Krystal (1978) soutient que le traumatisme provoque une
« dédifférenciation des affects », c’est-à-dire la perte de la
capacité d’identifier des émotions spécifiques qui fonctionnent
comme référence pour faire face adéquatement à une situa-
tion déterminée. L’auteur affirme que qui a subi un trauma-
tisme est incapable de créer des constructions sémantiques
qui peuvent identifier avec cohérence ses propres états soma-
tiques. Cette incapacité est donc corrélée à des réactions psy-
chosomatiques et au passage à l’acte (attaque et fugue).
De ce point de vue, nous retrouvons le même genre de
difficulté à associer la signification verbale ou symbolique
aux expériences propres du traumatisme du handicap chez
les parents d’enfants atteints. Pendant des années, il est
impossible à ces parents de trouver des mots pour décrire
23 novembre 2012 - TITRE - AUTEUR - La_psychiatrie_de_lenfant - 135 x 215 - page 435 / 684

Effets post-traumatiques du handicap 435

les premières sensations de la prise de contact avec l’enfant.


Même s’ils réussissent à mettre en paroles l’étourdissement
et l’angoisse et parfois aussi leur dégoût, tous leurs comptes-
rendus présentent une notion d’irréalité, comme si les évé-
nements ne les concernaient pas personnellement. Dans ces
images, les parents se voient comme insensibles, froids, déta-
chés de leurs émotions. À ce propos, ce petit morceau de récit
parental sur l’expérience de la naissance d’un enfant handi-
capé peut être emblématique : « […] Quand on m’a annoncé
que mon enfant avait une malformation grave, et que jamais
il n’aurait été comme les autres enfants, je me suis sentie
étrangement calme, comme si j’assistais à la projection d’un
film qui ne me concernait pas mais qui touchait les autres
personnes »1. Cette sensation d’irréalité reste imprimée à
jamais dans la mémoire des parents et, bien des années plus
tard, elle donne la même sensation (désagréable) de désarroi
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et de confusion.

– La permanence du traumatisme et le changement


dans la vision du monde du parent
Kardiner (1941), à propos des changements radicaux
dans la conception de soi et des autres, observe que la per-
sonne traumatisée se comporte comme si la situation qui a
originairement provoqué le choc était encore présente et
active, et qu’elle adopte toujours les mêmes défenses inutiles
d’autrefois.
En accord avec Van  der  Kolk (1996), nous pouvons
observer que pour les parents d’enfants handicapés, comme
pour les autres personnes traumatisées et continuellement
exposées (réellement ou pas) à la source du traumatisme, la
conception du monde et d’eux-mêmes change radicalement.
Nous pouvons noter que, dans le cas d’un enfant handicapé,
les soins dont un bébé a normalement besoin sont compliqués
par ses problèmes de santé, par l’attention nécessaire aux
thérapies, à l’apprentissage spécialisé et aux aides sociales
qu’il lui faut. A.  Faugli, à ce propos, relève que le stress

1.  Version originale : « I felt very calm and detached as though I was wat-
ching a film and was not involved at all. Everyone was very upset. People appea-
red from everywhere. » The Lancet, June 30, 1973, pp. 1499-1501.
23 novembre 2012 - TITRE - AUTEUR - La_psychiatrie_de_lenfant - 135 x 215 - page 436 / 684 23 no

436 Francesco Grasso

familial chronique chez les parents d’enfants atteints d’atré-


sie œsophagienne a un impact négatif sur la santé psychique
des bébés (2009 a) et sur le fonctionnement psychosocial des
adolescents qui souffrent de la même maladie (2009 b).
– Traumatisme et dissociation. Les altérations
neurophysiologiques
Plusieurs études ont mis en évidence des altérations
dans les réponses neurophysiologiques chez le sujet atteint
de stress traumatique chronique. Parmi elles, Paige et al.
(1990) ont relevé des différences significatives entre patients
avec SSPT (Syndrome de stress post-traumatique) et sujets
normaux du groupe contrôle dans l’évocation de PCE
(potentiels corticaux liés aux événements) comme la réponse
à des bruits. Les premiers (SSPT) étaient plus sensibles aux
bruits que les sujets normaux et répondaient à des inten-
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sités sonores inaudibles pour la majeure partie des sujets
du groupe contrôle. En outre, chez les patients atteints de
SSPT, les PCE montraient une réduction sensible du pat-
tern électrique de réponse plutôt que l’augmentation pré-
vue. Paige a interprété ces réponses (paradoxales) comme
la preuve que chez les patients avec SSPT sont activés des
circuits à feed-back d’inhibition sur l’état tonique d’hype-
ractivité. McFarlane, Weber et Clark (1993), utilisant le
même paradigme expérimental, ont observé que les patients
atteints de SSPT :
– ne sont pas capables de distinguer les stimuli pertinents
de ceux qui ne le sont pas ;
– portent moins attention aux événements émotionnellement
neutres, mais importants pour leur valeur existentielle ;
– en comparaison aux sujets sains, ils ont besoin d’un effort
majeur pour comprendre la signification des événements
et pour répondre correctement à l’expérience en cours.
Tout cela suggère que celui qui développe une patholo-
gie chronique suite au traumatisme présente des difficultés à
neutraliser les stimuli de son environnement pour participer
aux tâches de majeure importance. À long terme, se refer-
mer sur soi-même peut être un effet compensatoire à cette
manière de réagir.
23 novembre 2012 - TITRE - AUTEUR - La_psychiatrie_de_lenfant - 135 x 215 - page 437 / 684

Effets post-traumatiques du handicap 437

Dans le domaine qui nous intéresse, le handicap, nous


pouvons considérer la fragmentation dans l’interaction
avec l’enfant, la difficulté à comprendre les signaux de l’en-
fant et, parfois, l’incapacité totale des parents d’enfants
handicapés de comprendre le sens des mots des profession-
nels sur leur propre enfant (état de la thérapie, niveau sco-
laire, habilités de jeu, caractéristiques et traits personnels)
comme de véritables réactions post-traumatiques1. À cause
de ces attitudes, certains parents sont considérés comme
brusques dans leur comportement et discontinus dans leurs
décisions (changements fréquents dans les programmes,
disputes et crises, revendication). Même ici, il n’est pas dif-
ficile d’assister, à long terme, à une fermeture presque com-
plète envers l’extérieur et à la cristallisation des options
comportementales inefficaces et obsolètes2.
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– Traumatisme et dissociation. L’altération
des fonctions cognitives
Ledoux (1992) a observé que les réponses de peur,
­induites artificiellement chez des cobayes, engendrent des
traces subcorticales permanentes. En fait, les lésions au
cortex cérébral chez ces mêmes animaux rendent impossible
l’effacement des réponses de peur. Ledoux et coll., en accord
avec Kolb (1987), soutiennent que les patients atteints de
SSPT montrent une altération (traumatique) du contrôle
cortical inhibiteur sur les aires responsables de l’apprentis-
sage, de l’accoutumance et de la discrimination des stimuli
(signification des situations). L’impossibilité à effacer les
traces émotionnelles conséquentes au traumatisme et l’alté-
ration du contrôle cortical peuvent nous conduire à penser
que chez les patients SSPT les sensations traumatiques sont
vécues comme états affectifs, sensations somatiques ou images

1.  Chez les mères d’enfants atteints d’atrésie œsophagienne, A. Faugli (2009 a)
trouve une compromission de l’attitude maternelle à interagir avec ses propres enfants
et la présence d’un sentiment plus général d’incompétence envers les enfants.
2.  Sigfried propose une explication neurophysiologique très fine de ces phé-
nomènes en observant qu’à la suite de l’exposition prolongée à un grave stress, les
opioïdes endogènes et la NA, qui inhibent la douleur et diminuent la panique, inter-
fèrent avec le stockage de l’expérience dans la mémoire explicite. Les expériences de
raidissement-étourdissement peuvent donc permettre à l’organisme de ne pas expé-
rimenter ou de ne pas rappeler la situation oppressante de stress, tout en ouvrant la
voie aux phénomènes dissociatifs de la conscience en réponse au stress prolongé.
23 novembre 2012 - TITRE - AUTEUR - La_psychiatrie_de_lenfant - 135 x 215 - page 438 / 684 23 no

438 Francesco Grasso

visuelles (flash-back) sans temps et non (ou peu) modifiables


par l’expérience. Des études expérimentales utilisant le PET1
sur des sujets atteints de SSPT ont confirmé cette hypothèse
et montrent une très forte asymétrie de réponse dans l’hé-
misphère droit2. Quand les sujets étaient exposés à la nar-
ration vibrante de leurs expériences traumatiques, les récits
activaient fortement la région paralimbaire et de l’amygdale
(cortex insulaire, orbiculaire-postfrontal, cortex temporal et
gyrus cingulaire) et le cortex visuel dx, tandis que, évidence
surprenante de cette recherche, l’aire de Broca s’éteignait
presque complètement. Les résultats de Rauch et al. (1996)
donnent du poids à l’hypothèse qu’il existe un empêchement
physiologique à la traduction de l’expérience traumatique
dans des formes communicatives et linguistiques. Cela signi-
fie, en premier lieu, la structuration de souvenirs émotion-
nels sans évaluation consciente (symbolique) de l’information
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afférente par le néocortex ; en deuxième lieu, la disjonction
des réponses émotionnelles et des perceptions subjectives
aux stimuli qui rappellent le traumatisme. Cette disjonction
(dissociation) dans la réponse à la stimulation traumatique
explique l’absence d’intégration entre l’aspect émotionnel du
traumatisme et sa signification symbolique, et rend compte
de la façon dont les patients SSPT réactualisent, dans le pré-
sent, les émotions du passé liées au traumatisme.
O.  Van der Hart (2006) reprend le concept de Janet
(1907) de « dépression mentale » chez les sujets hystériques
et affirme que la diminution de l’efficience mentale des sujets
traumatisés qui ont développé un SSPT débouche sur une
dissociation structurale à partir du moment où l’efficience et
l’énergie mentale deviennent trop faibles pour leur consentir
l’intégration complète des événements. Quand l’intégration
n’est plus possible, les souvenirs traumatiques sont évités ;
les pensées qui regardent le (les) trauma(s) sont bloquées,
tandis que surgissent d’autres pensées intrusives négatives
liées aux mémoires traumatiques qui épuisent encore plus le
sujet traumatisé, baissant encore plus son énergie et son effi-
cience mentale.

1.  Positron Emission Tomography.


2.  Chargé de la codification émotionnelle.
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Effets post-traumatiques du handicap 439

Ces observations jettent une nouvelle lumière sur les


récits des parents d’enfants handicapés qui parlent de leur
expérience parentale. Chez eux, nous trouvons ponctuelle-
ment le débordement émotif, la perte du sens de l’expérience
et parfois la difficulté à discriminer entre causes et effets ;
tout en montrant que le sens et la signification des ­expériences
des parents sont interrompus et remplacés par l’intrusion des
mémoires procédurales et de flash-back du passé.
– Traumatisme, altération des processus cognitifs,
dissociation
La sélection de la réalité découle de l’expérience et
de l’apprentissage de l’individu. Chez les traumatisés,
Janoff-Bullman (1992) a parlé de représentations brisées.
Van  der  Kolk (1996) soutient que les schémas intérieurs
(mémoires, représentations) qui se basent sur le trauma-
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tisme donnent lieu à des schémas parallèles (représentations
psychiques) peu intégrés entre eux : « […] qui sont activés
au fur et à mesure de l’état [et que] […] souvent des hauts
niveaux de compétence et de sensibilité interpersonnels
coexistent avec la haine pour soi-même, l’absence d’atten-
tion et la cruauté interpersonnelle ».
Pour O. Van der Hart (2006), chez les sujets qui dévelop-
pent un SSPT, les différents « systèmes d’actions » activés par
des situations externes (réalité) ou internes (pensées, réac-
tions émotionnelles ou somatiques) rappelant le traumatisme
se compartimentent, donnant lieu à des parties dissociatives
de la même personnalité1. Toutes ces parties dissociatives ont
des schémas quasi autonomes pour percevoir, faire des liaisons
ou pour penser la réalité extérieure et le self de l’individu,
mais elles ne sont pas suffisamment cohésives et coordonnées
avec sa personnalité globale. Pour l’auteur, c’est justement
l’alternance en succession temporelle de ces parties disso-
ciatives dans le contrôle du comportement à engendrer des
variations significatives soit dans les compétences, soit dans
les connaissances.

1.  Ces parties dissociatives sont des quartiers d’une même personnalité qui
abritent seulement des parties de l’expérience du sujet et qui n’ont pas de caracté-
ristiques stables.
23 novembre 2012 - TITRE - AUTEUR - La_psychiatrie_de_lenfant - 135 x 215 - page 440 / 684 23 no

440 Francesco Grasso

Chez beaucoup d’enfants (Putnam, 1997) et chez des adul-


tes (Boon, Draifer, 1993) traumatisés, on relève des difficul-
tés à apprendre de sa propre expérience (Putnam, Helmers,
Trickett, 1993). Des problèmes de mémoire, concentra-
tion, attention et de planification ont été aussi observés par
beaucoup d’auteurs1. Golier, Yehuda, Lupiens et al. (2002)
soulignent qu’environ un tiers des victimes des troubles trau-
matiques chroniques montrent ces difficultés.
En ce qui concerne la relation entre la dissociation et l’al-
tération pathologique du niveau de conscience, Van der Hart
(2006) affirme que l’altération de la conscience est seulement
un indicateur sensible de la dissociation structurale, mais
non spécifique. En fait, s’il est vrai que la baisse et la res-
triction du champ de la conscience (distractions, confusion-
­obnubilation, dépersonnalisation) sont des symptômes très
clairs de l’évitement phobique mis en place par les sujets
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traumatisés au regard des aspects liés au traumatisme, il est
aussi vrai qu’on peut observer des altérations de la conscience
dans beaucoup d’autres troubles psychiatriques et neurolo-
giques sur des bases non proprement traumatiques.
Ce que les auteurs ont remarqué chez les patients SSPT
montre une nette ressemblance avec ce que nous observons
chez les parents qui vivent le handicap de leur propre enfant.
Parfois, ces parents ne sont pas capables ni de suivre l’évolu-
tion de l’enfant (surtout le fait que même un enfant handicapé
puisse grandir) ni d’intégrer l’expérience affective immédiate
dans l’organisation globale de leur propre expérience. C’est
la contingence du moment qui donne du sens aux choses : les
difficultés ou l’absence d’intégration conduisent donc à une
très forte réactivité à l’environnement sans possibilité, faute
d’un support clinique ­spécifique, d’intégration perceptive
et symbolique de l’expérience personnelle. Très ­souvent, la
haine, la rage envers les autres et l’hyperactivation prennent
la place de l’incapacité et du désespoir à entretenir une rela-
tion avec son propre enfant et de l’impossibilité de réflexion
sur ces aspects.

1.  Ces difficultés dans les processus cognitifs ont été notées soit chez les enfants
(Moradi, Taghavi, Neshat, Doos et al., 1999) et aussi chez les adultes (Jenkins,
Langlais, Delos et al., 2000 ; Vasterling, Brailey, Constatnts et al., 1998).
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Effets post-traumatiques du handicap 441

– Dégradation et changements dans la conception


de sa propre expérience (traumatique)
Pour conclure cette démarche de rapprochement entre
les réactions chroniques au stress et le comportement sou-
vent exhibé par les parents d’enfant handicapé, nous allons
citer des études sur des sujets qui présentent le SSPT sous
forme chronique et qui montrent le rôle fondamental du
déficit d’intégration perceptive dans le stockage et la récu-
pération des expériences traumatiques. Van  der Kolk et
Fisler (1995), utilisant un questionnaire axé sur les aspects
sensoriels, affectifs, linguistiques et narratifs de l’événement
traumatique –  le TMI (Traumatic Memory Inventory)  –,
ont pu constater que tous les sujets, indépendamment de
leur conscience du traumatisme subi, avaient de très gran-
des difficultés à organiser leurs propres souvenirs de façon
narrative. Au début du questionnaire, les seuls souvenirs du
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traumatisme étaient des flash-back (visuels, auditifs, somati-
ques ou ­cénesthésiques, affectifs). Il arrivait souvent que les
différentes modalités sensorielles qui émergeaient n’étaient
pas liées les unes aux autres. Quand le traumatisme était
rappelé plus intensément et que le patient réussissait petit
à petit à raconter ce qui s’était passé, surgissaient un nom-
bre important de modalités sensorielles. Pour Van der Kolk
(1996) : « […] l’essence d’un souvenir traumatique est d’être
dissocié et d’avoir été mémorisé comme un fragment sensoriel
dépourvu des composantes linguistiques ». Le traumatisme
agit et désagrège perceptivement1 l’expérience en modalités
divisées et isolées entre elles dans le souvenir.
La désarticulation simultanée de l’expérience perceptive
et perceptivo-symbolique est, très probablement, le pivot
autour duquel tourne tout le processus de désorganisation
et déchéance de sa propre expérience, du sentiment de soi-
même et du monde, de celui qui a développé une réaction
post-traumatique chronique.

1.  Voir Janet (1892), « Étude sur quelques cas d’amnésie antérograde dans la
maladie de la désagrégation psychologique » ; (1904), « L’amnésie et la dissociation
des souvenirs par l’émotion », in : L’Amnésie psychologique – Œuvres choisies 2,
2006.
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442 Francesco Grasso

L’inintÉgration de l’expÉrience perceptive des parents


– aspects cliniques

À la lumière des études et des ressemblances soulignées


jusqu’ici, nous pouvons bien considérer le handicap de son
propre enfant comme un traumatisme majeur dans la vie du
parent. Nous résumons à présent, en les éclairant à travers
des vignettes cliniques, les effets les plus importants que le
handicap cause sur le système de représentation psychique
des parents.

L’impossibilité à synchroniser la représentation intérieure


de la réalité et la réalité extérieure
L’impossibilité à synchroniser la représentation intérieure
de la réalité (diachronique) et la réalité extérieure est due au
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fait que les processus (synchroniques) de couplement inté-
rieur-extérieur (perception-conscience primaire) ­subissent
un important décalage qui fait dérailler tous les schémas de
prévision de la réalité et trouble l’adaptation.
Dans les exemples suivants, la réalité extérieure, tota-
lement imprévue, bouleverse les attentes liées à l’enfant
attendu et/ou à l’enfant imaginaire, et rend vraiment difficile
pour les parents de pouvoir vivre la quotidienneté.
Marco est un enfant sicilien âgé de 10 ans, atteint par le syndrome
de Cohen1. Il fréquente la quatrième classe de l’école primaire. Le
père et la mère de Marco ne sont pas consanguins. Marco est né à
terme, et dès le debut les médecins ont dévoilé aux parents la gravité
de la situation. La découverte a été précoce et évidente. L’enfant était
mou, pleurait souvent et inlassablement, et il avait des rythmes très
irréguliers. Pendant très longtemps, le diagnostic resta incertain ;
il fut formulé plusieurs années après la naissance, à la suite d’une
hospitalisation auprès d’un institut spécialisé dans la recherche sur
le retard mental. À cette occasion, les médecins pour la première fois
ont envisagé l’hypothèse du syndrome sur la base de données clini-
ques et non sur des analyses génétiques adéquates. L’enfant a été
intégré à l’école à l’âge de 4 ans, quand son état physique et ­psychique
général s’était un peu stabilisé. Avant cet âge, il souffrait pério-
diquement de maladies à répétition et d’épisodes incoercibles de

1.  Ce syndrome est très rare, et les cas que l’on connaît se concentrent surtout
sur les Juifs ashkénazes et sur les peuples finnois.
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Effets post-traumatiques du handicap 443

vomissement qui avaient (et ont encore) les caractéristiques de l’im-


prévisibilité. La naissance de Marco est, encore aujourd’hui, un
événement inexplicable pour ses parents (et aussi pour le personnel
soignant).
Antonino est un enfant atteint par une grave malformation
cardiaque, la tétralogie de Fallot, qui a été traitée chirurgicale-
ment à l’âge d’un an. Il présente un niveau cognitif déficitaire qui
montre un retard mental léger. L’enfant, dès sa naissance jusqu’à
sa deuxième année, a été en danger de mort. Les douze premiers
mois avant l’intervention ont été les plus dramatiques, étant donné
que le petit était ­inopérable. Cela a créé dans sa famille de gros
déséquilibres qui ont conduit le père à abandonner le foyer conju-
gal juste après l’intervention chirurgicale. La mère raconte que le
père a toujours refusé Antonino et qu’il n’a jamais voulu accepter
son handicap. En plus, le fait que son fils était en constant danger
de mort a empiré la situation. Dans la famille paternelle, la tante
d’Antonino – médecin – avait prédit à son frère une mort rapide
de l’enfant, et elle lui avait conseillé dès le début de « ne pas s’at-
tacher » au petit. Ce qu’il a fait. Antonino n’est pas mort, alors le
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père a quitté la maison et est allé vivre avec une autre femme.
Le manque d’expériences spécifiques auxquelles se réfé-
rer dans le processus de parentalité augmente la confusion et
le désarroi des parents.
Le père et la mère de Marco1 décrivent les premiers moments
de la vie de l’enfant d’une façon très confuse. Aujourd’hui encore,
ce souvenir représente un ­cauchemar pour le couple. Surtout en
ce qui concerne ses réveils ­nocturnes continuels. L’enfant a eu un
comportement imprévisible, et pendant plusieurs années il leur
était impossible de comprendre et de répondre de façon appro-
priée à la souffrance de leur enfant.
Le sens de l’autre est troublant. Cela provoque l’échec de la
conscience primaire à catégoriser l’expérience immédiate et à
pouvoir créer des représentations psychiques de l’enfant réel.
Mme A. est une enseignante de 48 ans, mariée et mère de qua-
tre enfants. Le dernier, Alphio, est pluri­handicapé. Il présente
une sévère surdité avec une perte bilatérale de  100db, son tracé
EEG présente des anomalies électriques dans l’hémisphère droit
(niveau fronto-central) qui, en bas âge, lui ont valu de graves crises
convulsives. L’enfant a été diagnostiqué comme autiste à l’âge de
5 ans, il ne communique pas si ce n’est que par gestes non codifiés

1.  Marco est atteint par le syndrome de Cohen, maladie qui comporte des
troubles cognitifs sévères.
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444 Francesco Grasso

et fonctionnels à ses besoins. Mme A., qui exerce la profession d’en-


seignante spécialisée dans le handicap, se trouve soudainement,
à l’âge de 35  ans, face à un problème beaucoup plus important
qui lui prend tout son temps et qui, petit à petit, monopolise toute
la famille. Le diagnostic officiel –  retard mental moyen chez un
sujet avec surdité sévère, troubles neurologiques et traits autistes
très accentués – est très lourd et laisse des marges de manœuvre
assez limitées. Le comportement d’Alphio, au fil du temps, devient
dominé par une très grande instabilité comportementale et par la
manifestation immédiate de ses besoins primaires (manger et boire
goulûment, chercher le contact avec sa mère, se toucher à plu-
sieurs reprises à fin de masturbation), vu l’incapacité absolue des
parents à régler ses exigences. À 8 ans, Alphio était déjà un enfant
corpulent et solide qui répondait à la frustration avec une agressi-
vité non contrôlée envers lui et envers les autres. Si quelqu’un ou
quelque chose entravait la satisfaction de ses exigences, il se jetait
par terre, donnait des coups de pied, tapait sa tête contre le mur
en se provoquant des blessures profondes. Il avait même appris à
réagir avec des attitudes de défi comme se pencher sur le rebord
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de la fenêtre ou en se mettant à lécher le sol, sachant que ces com-
portements terrorisaient ses parents, surtout sa mère. Devant de
telles attitudes, Mme A. apparaissait totalement impuissante envers
son fils, le justifiait et le défendait devant tout le monde en raison
de son droit à s’exprimer librement, et lui permettait toute sorte
d’intempérance, tant à la maison qu’à l’extérieur.
La jeune maman de Lucrezia, une enfant de 4  ans atteinte
d’une tétraparésie non diagnostiquée à la naissance, parle des pre-
miers contacts et des étranges sensations physiques et psychiques
qu’elle éprouvait envers son enfant. Lucrezia était molle, et elle
n’arrivait pas à la tenir dans ses bras car la petite tombait de tous
les côtés. À l’âge de 4 mois, quand le pédiatre, exhorté par la mère,
a décidé l’hospitalisation de Lucrezia dans le service de neurologie
pédiatrique, un diagnostic sur la pathologie a été émis. À partir de
ce moment-là, la famille put commencer un trajet de rééducation
kinésithérapeutique. En séance, quand cette mère se remémore
les premiers moments d’interaction avec son enfant, elle le fait en
assumant une expression qui est un mélange d’effroi1 et de dégoût,
tandis qu’avec la main elle ne perd jamais, même pas pour un ins-
tant, le contact avec sa fille.
Lors du premier entretien, un couple de parents d’un enfant
atteint de trisomie  21 affirme que le diagnostic ­relatif à leur fils
Giuseppe leur a été communiqué seulement quand il avait déjà
neuf mois. Même si la mère et le père du petit appartiennent à un
niveau socioculturel élevé – lui est ingénieur, elle est enseignante spé-
cialisée pour enfants handicapés –, ils racontent avoir découvert le

1.  Freud a décrit ce type de sensation en l’appelant « inquiétante étrangeté ».


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Effets post-traumatiques du handicap 445

handicap seulement après une consultation pédiatrique de contrôle.


Le médecin, qui ne soupçonnait pas du tout qu’ils ignoraient les
conditions de l’enfant, a commencé tout de suite à leur parler des
problèmes physiques liés au mongolisme. Même s’il est très impro-
bable que les médecins aient « omis » de leur communiquer à la
naissance que l’enfant était atteint de trisomie 21, les deux époux
s’empressent d’affirmer qu’ils ont appris le diagnostic tardivement.
Le cas se présente vraiment difficile et pathologique. La maman de
Giuseppe est une femme avec des problèmes de personnalité assez
sérieux résultant d’une incapacité à reconnaître et respecter les
limites entre soi-même et l’autre (enfant). En outre, elle semble
totalement dépendante de la façon de penser de son mari. Même
si la relation objectale avec son enfant est fortement perturbée,
la mère de Giuseppe affirme que dès la naissance elle savait que quel-
que chose n’allait pas et qu’elle se trouvait confrontée à un enfant
anormal tout en le niant au niveau rationnel. Elle parle de l’exa-
men qu’elle faisait sur le corps de l’enfant et se rappelle nettement
de détails : la protrusion de la langue, les doigts trop courts et
l’étrange buste trapu de son fils, elle avait donc déjà fait son dia-
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gnostic de mongolisme mais, malgré cela, l’annonce du médecin a
été pour elle « une surprise ».
Ceci est un exemple emblématique de comment l’impact
brutal et traumatique de la réalité provoque une dissociation
entre la perception de l’enfant, le sens immédiat et la signi-
fication de l’expérience. Cette sorte de clivage est capable
de maintenir dans le même temps des représentations tota-
lement divergentes de l’enfant et d’adopter des stratégies
comportementales complètement différentes et contrastantes
entre elles.

Les altérations des processus de signification (perceptive et


symbolique) de l’expérience parentale
Pour les parents, donner du sens à l’expérience « d’être
avec » son propre enfant atteint de handicap est une entre-
prise vraiment difficile, en raison des difficultés objectives à
décoder les signaux de l’enfant, d’une part, et en raison de la
fantasmatisation parentale de l’enfant, d’autre part.
Les réveils précoces de Marco1 pendant la nuit ­adviennent tou-
jours avec une séquence précise, ils sont brusques et ­accompagnés

1.  Marco est atteint par le syndrome de Cohen, maladie qui comporte des
troubles cognitifs sévères.
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446 Francesco Grasso

par des pleurs ; après cela, Marco s’assoit au milieu du lit, com-
mence à tousser, vomit abondamment, et après retombe dans
un sommeil serein pendant toute la nuit. Aucun spécialiste n’a
jamais expliqué aux parents la raison de ce symptôme ni sa signi-
fication. Avec le temps, ils ont compris que : « […] vomir a été
depuis toujours la façon de Marco d’affronter des événements
stressants ou des nouveautés imprévues […] ». Ils ont compris
aussi que tout ce qui dépasse la routine, même un seul bruit dif-
férent, provoque une agitation psychomotrice immédiate, des
vomissements et un changement soudain et incontrôlable de son
état d’activation : pleurs sans cesse et rire incontrôlable. Pendant
les deux dernières années, à ces symptômes se sont ajoutés
des épisodes convulsifs (réactions corporelles globales) face à des évé-
nements qu’il ne peut ni prévoir ni ­contrôler. La réaction de Marco
se déroule donc selon le mécanisme ­suivant : stress, agitation psy-
chophysique, vidage. Il est inutile d’ajouter que la peur des crises
convulsives a déchaîné chez les parents des angoisses latentes de
mort. L’éventualité toujours présente d’un déséquilibre chez l’en-
fant et le doute constant concernant l’interprétation de ses signaux
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ont fait en sorte que les parents se sont trouvés et se sentent sou-
vent à la merci de leur fils : « […] Avec Marco, nous avons toujours
été confrontés à l’imprévisibilité des événements. Notre comporte-
ment a été guidé par les actions, les exigences et par ses caprices
[…]. » Comme solution, ils ont adopté l’attitude de le contenter en
toutes ses manifestations : jusqu’à aujourd’hui, ce sont eux qui se
sont limités, ils ont pris l’habitude de contracter leurs habitudes,
leurs espaces et modes de vie sur la base de la vie de Marco. Éviter
des tâches et des occupations extrafamiliales pour pouvoir donner
gain de cause à Marco. Au fil du temps et avec la maturation des
structures du système nerveux central, le comportement hyper-
réactif de Marco a laissé la place à des manifestations d’agitation
plus esquissées, comme des comportements autoagressifs (morsu-
res) et des crises de rire incessant. Le rire insistant, ­paroxystique
de Marco, affole le père parce que cela signifie perdre le contrôle
jusqu’à s’étouffer d’un moment à l’autre. Les parents se décla-
rent aujourd’hui encore impuissants face à ces situations auxquel-
les ils répondent avec des cris et d’autres systèmes empiriques et
grossiers.
Le petit Juan est un enfant atteint d’une encéphalopathie néo-
natale (ICD-9 : 742.9). Les dégâts au cerveau ont compromis de
façon très importante ses facultés intellectuelles et psychomotri-
ces (faible tonus musculaire, manque de conscience corporelle et
de programmation des mouvements complexes). Très rarement, il
entre en relation avec ses parents et d’autres enfants, et encore
moins il communique intentionnellement avec eux. Juan s’exprime
par des bruits peu articulés, sans aucune prosodie, et très long-
temps les cliniciens ont suspecté des troubles de l’ouïe. Il est très
répétitif et incapable ni d’adresser ni de régler son attention au
23 novembre 2012 - TITRE - AUTEUR - La_psychiatrie_de_lenfant - 135 x 215 - page 447 / 684

Effets post-traumatiques du handicap 447

monde extérieur, problème qui le rend extrêmement instable et


hyperactif. L’ensemble de ces troubles ont donné un diagnostic de
syndrome autistique sur base organique. Le petit est gauche ; sa
marche est très particulière, en effet, il sautille à travers la pièce
au lieu de se promener. Quand il est empêché dans ses besoins, il
se fâche très facilement, émet alors des cris de plus en plus aigus et
saute comme un ressort. Au contraire de ce que déclare sa mère,
il arrive très souvent que Juan ne contrôle pas ses sphincters et
se mouille entièrement. La mère se montre très stressée lors de sa
première visite à mon cabinet, elle s’énerve sans aucune raison
apparente et me demande tout de suite si elle peut fumer pendant
l’entretien. Elle va tout critiquer : l’éclairage de la pièce, l’endroit
difficile à rejoindre, mon ton de voix et, de temps en temps, même
les mots que j’utilise pour Juan. Elle parle, sans reprendre son
souffle, de la naissance non prévue de Juan comme d’une catas-
trophe dans sa vie et dans la vie de son époux duquel elle va bien-
tôt se séparer. L’interaction mère/enfant est en effet très pénible.
La mère est sévèrement démunie pour comprendre les signaux de
Juan et s’engage dans la lecture systématique des intentions de
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l’enfant en projetant sur lui ses angoisses et ses frustrations (« tu
es un enfant capricieux […] ; tu es fatigué et tu vas t’étouffer […] ;
tu as faim, n’est-ce pas ; les éducateurs de la crèche t’ont rendu
fou, mon petit »). Cette « lecture de la pensée » de Juan ne reflète
pas le comportement sans but de l’enfant, très peu intéressé par les
choses et les personnes de la pièce. De plus, les rares fois où Juan
s’intéresse à des jouets qui lui sont proposés, la mère s’interpose
sans respect pour l’activité en cours.
Maria est une grande fille qui fréquente la dernière classe d’école
primaire et porte encore la couche-culotte. À l’école, elle est désor-
mais la seule à s’habiller en blouse blanche avec un grand nœud
rose. Cette tenue la rend immédiatement identifiable parmi tous les
autres écoliers. Maria est atteinte d’une grave arriération mentale
et psychomotrice et s’exprime par des cris et des bruits gutturaux.
Elle a déjà 12 ans, mais elle ne parle pas et connaît à peine deux
ou trois mots, très rarement utilisés. Très tôt, l’important retard
du développement psychomoteur a donné l’idée de l’ampleur des
problèmes de la petite fille. Jusqu’à l’âge d’un an et demi, elle était
très ­passive et restait très isolée des autres enfants auxquels elle
ne s’intéressait pas, occupée par des activités répétitives. Maria
était irrégulière dans ses rythmes et devenait rapidement colérique,
spécialement quand on lui demandait de suivre des règles. Dès le
début de sa grossesse, la mère de Maria était convaincue qu’elle
allait accoucher d’un enfant trisomique. Même si elle avait reçu un
avis négatif du gynécologue qui ne relevait pas la moindre évidence
clinique, elle a continué à le croire jusqu’à l’accouchement. Lors
de l’entretien, elle tient à préciser qu’elle aurait poursuivi la gros-
sesse de Maria dans tous les cas, trisomique ou pas. « Pourquoi
cette femme ­a-t-elle pété les plombs ? », c’était ma question quand
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448 Francesco Grasso

je l’écoutais. La maman de Maria est biologiste. Elle me raconte que


pendant sa grossesse, elle a travaillé sur des agents viraux patho-
gènes dans un laboratoire ­pharmaceutique. Pour cette femme, le
handicap de Maria est la confirmation de ses angoisses anténatales
et certifie sa ­responsabilité fautive. En fait, elle quitte son poste
immédiatement après la naissance de Maria pour s’occuper de sa
fille. Dès lors, sa mission est de « soulager sa fille malheureuse »
et elle utilise toutes ses forces pour protéger sa fille des autres qui
cherchent à lui faire de la peine. La mère de Maria, en effet, ne
supporte pas que sa fille ait à souffrir pour une ­quelconque raison,
y compris son éducation et les relations avec les autres, mais sur-
tout elle n’accepte aucune mise en discussion de son style éducatif
envers sa fille qui ne nécessite que de l’affection et ­absolument pas
de violence inutile.
Le manque d’évolution dans les représentations paren-
tales de l’enfant et dans leurs stratégies comportementales
­témoigne des troubles de conscience des parents. Les expé-
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riences des parents restent pour très longtemps clivées et
inintégrées entre elles et engendrent des représentations de
l’enfant relativement peu mobiles ou modifiables.
Les représentations maternelle et paternelle de Maria n’ont
pas pu évoluer dans le temps. La naissance de Maria, réalisation
du pire cauchemar de la mère, a déclenché la projection massive
des craintes maternelles anténatales à travers la peur exagérée que
Maria puisse être abîmée et/ou contaminée par les autres. Le méca-
nisme d’identification projective soutient donc la représentation
maternelle de Maria : un tout petit enfant éternel à protéger des
autres. Le comportement de protection maniaque de la mère a
comme but immédiat et visible de « protéger » sa fille, mais sou-
tient la satisfaction des exigences narcissiques de la mère : justifier
son attitude maternelle comme la seule concevable1. Le résultat
de ce trouble de la perception et de la dynamique intrapsychique
maternelle est que les interventions éducatives mises en place au
fil du temps afin que Maria puisse se comporter selon les règles du
vivre en commun ont toujours échoué pour l’intromission de sa
mère2. La mère de Maria se jette ouvertement contre qui ose avan-
cer des requêtes de discipline. De plus, elle s’est toujours opposée
à toute action visant à changer et améliorer les conditions psychi-
ques, relationnelles et d’apprentissage de l’enfant. Aujourd’hui,
Maria (12 ans) est dans une situation personnelle et relationnelle
très grave. Elle est, dans le pire sens du terme, une petite sauvage ;
elle ne peut pas rester seule avec les enfants de son âge et nécessite

1.  Enlevant donc le poids de sa responsabilité.


2.  Surtout dans le travail des éducateurs, à l’école comme à la maison.
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Effets post-traumatiques du handicap 449

t­ oujours un rapport duel (avec son propre éducateur) pour essayer


de contenir ses ­intempérances. C’est elle qui décide motu proprio
quoi faire, comment et quand le faire. Si quelqu’un l’en empêche,
elle fait des colères rageuses, agressant les autres et se cognant la
tête contre le mur : conduites très dangereuses pour Maria mais
aussi pour les autres, enfants et adultes.

L’idéalisation et l’investissement narcissique des parents


L’idéalisation et l’investissement narcissique des parents
soutiennent les représentations psychiques qui donnent du
sens au vécu de l’enfant.
Freud (1910) évoque le cas de Léonard de Vinci qui, suite
à un attachement très fort et durable à la mère (érotisée) au
cours de la première enfance et au refoulement de cet amour
maternel, recherche plus tard, au cours de l’adolescence, un
objet qui corresponde à l’enfant idéal que lui-même a été – un
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petit garçon, dans le cas de Léonard, qui peut donc représen-
ter son moi. Il s’identifie à la mère qui l’aime, et à la mère
qui aime l’enfant qu’il a été. Donc, dans l’identification nar-
cissique, comme l’affirme Meltzer (1978, p. 95), il ne s’agit pas
seulement de s’aimer soi-même, mais de s’identifier à l’autre
qui aime le sujet. Cette forme d’identification nous rappelle
le mouvement psychique qui a lieu chez la mère par rapport à
l’enfant. Dans le processus de substitution, ou pour mieux dire
de transfiguration de l’enfant du désir (l’enfant idéalisé) en
enfant réel, on retrouve une identification projective de type
narcissique. La mère projette sur l’enfant réel tous les désirs
relatifs à son enfance, ou mieux, tous les désirs concernant la
façon dont elle aurait voulu être aimée pendant son enfance,
comme un enfant parfait et désiré par ses parents. Enfin, elle
s’identifie avec le géniteur qui aime cet enfant qui vient de naî-
tre, qui par projection prend les traits de l’enfant idéalisé.
Pendant les entretiens entre Mme  A. et moi-même, un élément
important surgit. Alphio1 est né suite à une grossesse non program-
mée. Elle était déjà fatiguée par les trois grossesses précédentes. Cela
a été une volonté imposée par le mari, un homme plus âgé qu’elle et
qui, avant la naissance d’Alphio, centralisait dans ses mains toute

1.  Alphio est plurihandicapé. Il présente un retard mental moyen avec surdité
sévère, troubles neurologiques et des traits autistes très accentués.
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450 Francesco Grasso

la vie de famille. Ce que Mme A. rappelait avec plus de hargne et de


souffrance était que le mari, en s’apercevant de sa réaction néga-
tive, lui proposa l’avortement. Une haine occulte transparaissait,
en effet, dans les discours de Mme  A., envers cet homme si têtu et
prévaricateur qui d’abord l’avait obligée à avoir un enfant et après
cherchait à l’humilier en lui proposant d’interrompre la grossesse.
Il est probable que des désirs inconscients de mort pourraient avoir
caractérisé le début de la grossesse de Mme  A., cette rage et cette
haine pour l’imposition de cet autre enfant, quand elle avait déjà
« accompli son devoir » de femme et de mère. Ces désirs n’avaient
jamais été exprimés et ne pouvaient être exprimables pour aucune
raison par une femme très religieuse comme elle. Ils ont implosé
après la découverte de la ­condition de l’enfant. Une implosion de
haine qui rendait vaine et dangereuse la tentative d’une quelconque
action dirigée vers l’enfant, car cela aurait dévoilé l’horreur de sa
faute, le fait de ne pas avoir désiré cet enfant et d’avoir été punie
pour cela. La faute est donc un premier élément qui soutient tous les
comportements maternels. Son attitude cherchant à diminuer toutes
les interventions en montrant clairement son scepticisme sert seule-
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ment à cacher sa culpabilité, en la niant et en continuant à assumer
sa punition. Laisser l’enfant libre de faire ce qu’il veut, ne lui don-
ner aucune règle, aucune imposition, ne pas lui faire de peine, c’est
le système que la mère avait « choisi » comme réparation du « mal »
qu’elle avait fait, devant Dieu d’abord et devant son père ensuite,
et enfin à l’égard de son enfant. Dans son inconscient, en guise d’ex-
piation et pour pouvoir soutenir le rôle d’une mère digne, elle était
obligée de supporter humblement les intempérances de l’enfant et le
jugement de ceux qui la regardent, des gens qui s’apitoient sur son
sort, elle qui en définitive était si orgueilleuse car si juste. Sa mission
de mère était que son fils Alphio ne devait ressentir ni souffrance ni
douleur. Tout devait lui être permis et elle devait tout essayer pour
réparer le mal que fantasmatiquement elle lui a fait. Cette attitude
oblative et excessivement permissive, qui découlait du besoin nar-
cissique de la mère à être « une (bonne) mère qui aime son enfant »,
rendait la vie encore plus difficile à l’enfant et intensifiait sa relation
troublée à l’environnement. L’identification narcissique de la mère
d’Alphio, dont les tentatives de réparation qui excluaient automa-
tiquement toute autre personne hormis elle, était l’élément le plus
important de son attitude envers son propre enfant qu’elle seule, en
tant que « bonne mère », pouvait tenter de réparer.

L’impossibilité des parents à rester ancrés aux aspects réels


et réalistes de la situation
L’impossibilité des parents à rester ancrés aux aspects
réels et réalistes de la situation conduit à des courts-­circuits
entre leurs intentions (« j’aimerai bien que mon enfant
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Effets post-traumatiques du handicap 451

guérisse et soit comme tous les autres ») et leur comporte-


ment face aux difficultés de l’enfant. La dissociation entre les
souhaits (intentions) du parent, d’une part, et ses actions,
de l’autre1, est un aspect habituel de la parentalité dans le
domaine du handicap. Le scepticisme envers les interven-
tions, les mots et le pronostic à long terme des soignants est
souvent le signe que la perception parentale est soutenue
principalement (ou à la fois exclusivement) par la fantasma-
tisation et moins (ou nullement) par la perception réelle des
conditions de l’enfant.
Ma prise en charge de Marco2 (début du suivi) a eu lieu à
l’école, pendant la rencontre collégiale pour formuler le plan édu-
catif individualisé. À cette réunion sont présents les enseignants
de l’enfant et l’équipe de santé publique au complet (psychologue,
pédagogues, médecin et physiothérapeute). Il y a également les
deux parents, très agréables, intéressés et surtout encore jeunes,
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qui ont acquis une bonne préparation technique sur le problème
de leur fils. De leur discours, je déduis le poids de tant d’années de
tentatives pour faire quelque chose pour l’enfant, poids qui sem-
ble, jusqu’à maintenant, être porteur de peu de succès. Si d’un
côté ces personnes suivent d’une façon très attentive et continue
leur enfant, de l’autre, quand ils se heurtent à la sévérité de la
situation, à la disponibilité assez limitée de l’équipe soignante et
à une administration qui ne peut pas toujours garantir les choses
auxquelles on croit avoir droit, ils ne peuvent pas se passer « de
bien rigoler ». Malheureusement, ce faux rire, ce « se laisser-al-
ler » à une attitude vaine n’est pas une façon de dédramatiser une
situation qui pendant longtemps les a plongés dans l’impuissance.
En regardant ces parents au-delà de leur statut social3, ils me ren-
voient à l’idée de deux enfants, deux jeunes, qui sont confrontés
à un problème beaucoup plus grand qu’eux : trop adultes pour
pouvoir pleurer, trop jeunes pour réagir efficacement.
Au fur et à mesure de l’écoulement du temps et de la fré-
quentation de milieux différents, nous pouvons noter que
chez les parents se creuse un clivage de plus en plus pro-
fond entre la perception de l’enfant (réel) et leurs besoins
narcissiques.

1.  Spécialement quand il se comporte comme si la rééducation ou d’autres


interventions pouvaient lui restituer un enfant normal.
2.  Marco est atteint par le Syndrome de Cohen, maladie qui comporte des
troubles cognitifs sévères.
3.  Le père est officier de la marine militaire, la mère, depuis que Marco est né,
travaille à la maison après une formation secondaire, niveau bac.
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452 Francesco Grasso

Giovanni présente un déficit intellectuel léger qui se situe à la


limite entre normalité et pathologie (borderline). Il présente des
difficultés surtout dans le secteur de la pensée abstraite (symbo-
lisme, raisonnement théorique). L’enfant fournit une performance
assez médiocre aux épreuves verbales du WISC-R, il présente en
outre une carence psychomotrice dans le domaine de l’organisa-
tion spatiale et de la structuration espace/temps qui endommage
ses capacités d’abstraction et de symbolisation, où il cumule un
retard de presque trois ans par rapport à l’âge chronologique.
Quand, lors des rencontres avec les parents, nous discutons avec
la mère de ses interactions avec l’enfant, son incapacité ­semble
évidente. Surtout quand elle doit affronter des moments difficiles
avec Giovanni, comme l’aider dans ses devoirs scolaires, la mère
se déclare ouvertement responsable de tous les problèmes de son
enfant, tout en montrant un manque de ­différenciation entre elle et
Giovanni. Chaque fois qu’elle doit mettre en discussion sa compé-
tence comme mère ou comme éducatrice (de son fils), elle se brise.
Tout cela ­débouche dans la fugue et dans le découragement, dans les
larmes et dans une pensée de type dépressif : « tout est inutile ». Ce
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qu’elle demande aux soignants est surtout de maintenir un ancrage
à l’espoir que l’enfant puisse un jour, magiquement, acquérir les
capacités que maintenant il ne possède pas. Si, en séance, la mère
est consciente des difficultés propres à Giovanni, les choses sont
différentes ailleurs. Des entretiens avec les enseignantes ressort, en
fait, un autre aspect. Les maîtresses me communiquent leur embar-
ras pour les difficultés qu’elles rencontrent dans l’interaction avec
la mère. À leur dire, elle présente une très grande réticence à l’idée
d’une programmation scolaire différenciée et simplifiée pour aider
Giovanni, vu le gros écart qui existe avec les autres enfants. La
mère, elle-même maîtresse d’école primaire qui a arrêté de tra-
vailler après la naissance de ses enfants, affirme en guise de justi-
fication à cette conduite que l’enseignement devrait être le même
pour tous et non différencié, surtout si le « différent » est son fils.
Dans ce milieu social, elle ignore donc ouvertement les difficultés
de Giovanni, et elle en a honte si on y fait simplement allusion. Les
difficultés de Giovanni sont reconnues en privé, en séance, mais à
l’extérieur elles sont attribuées à la rigidité des enseignements et à
une méthode erronée, et aussi à un manque de travail de la part
de l’enfant.
Au début de la vie de Juan1, son père s’est très peu intéressé
à lui. Il raconte qu’à cette période, il était très pris par son tra-
vail et se rendait pour de très longues périodes à l’étranger. Il a
donc « permis » que sa femme, qu’il considère comme une femme
totalement incompétente, s’occupe de son enfant, des soins et de

1.  Juan est un enfant atteint d’une encéphalopathie néonatale (ICD-9 : 742.9).
Les dégâts au cerveau ont compromis d’une façon très importante ses facultés
intellectuelles et psychomotrices.
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Effets post-traumatiques du handicap 453

son éducation. Maintenant, il déprécie fortement l’attitude de son


épouse en lui reprochant ses angoisses exagérées et son « pessi-
misme » en rapport aux conditions de Juan. Après avoir débuté
une relation clandestine avec la baby-sitter de Juan, il a pris en
main la « gestion du cas » et l’a emmené vivre chez lui avec sa
­nurse-copine, chargée de remplacer la mère naturelle de plus en
plus débordée et intolérante envers les comportements bizarres de
Juan. Le père de Juan a un bon rapport avec l’enfant ; il joue et
rigole bien avec lui, mais le gros du travail est sur les épaules de la
copine/baby-sitter. Cependant, il se tient au courant des thérapies
et des interventions médicales qui pourront « faire sortir » Juan de
son état actuel tout en lui redonnant des capacités normales pour
un enfant de son âge. La façon du père de voir Juan est soute-
nue par ses projections narcissiques et irréalistes. Son désir est
de ­vouloir réparer les dégâts faits par sa femme en lui démontrant
qu’il est le seul capable de remettre Juan en état. Le père de Juan
est convaincu que personne mieux que lui (y compris les soignants
consultés) sait ce qu’il faut pour son fils. Tous les essais pour
échanger avec cet homme sur les conditions réelles de l’enfant et
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envisager pour lui un futur souhaitable sont vains. Les projections
narcissiques et l’idéalisation du père de Juan ne se limitent pas à
concevoir un futur ­presque normal pour son fils, mais concernent
l’idéalisation ­globale de lui-même qu’il veut maintenir coûte que
coûte. Cela l’amène à exclure de sa propre vie tous ceux –  et en
premier lieu sa femme – qui mettent en discussion sa personne et
ses décisions et qui compromettent l’image idéale de soi en tant
qu’homme et père. Pour lui, les difficultés de Juan sont donc le
résultat des angoisses maternelles et de sa névrose, qui a des effets
négatifs pour son enfant.

L’altération de la mise en phase entre la perception de la réalité,


les différents systèmes de conscience et les représentations
symboliques et narratives

Le traumatisme du handicap de l’enfant, comme tous


les traumatismes importants, donne lieu à un décalage entre
les attentes de l’individu (son anticipation de la réalité) et ce
qui revient à l’objectivité des choses (la réalité extérieure).
La dynamique qui suit le traumatisme concerne la dissocia-
tion perceptive, le trouble des processus de conscience/moni-
torage de la réalité et des altérations ­graves du vécu et de
la signification de l’expérience parentale. Très souvent, les
représentations symboliques idéalisées de l’enfant se subs-
tituent totalement aux processus normaux de conscience
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454 Francesco Grasso

primaire qui guident la perception1, qui sera dirigée par la


projection narcissique massive des parents.
Tout cela explique les altérations perceptives de la réa-
lité : exclusion défensive de parties importantes de la réalité2
trop douloureuse ou troublante pour les parents. Les com-
portements, la conduite et les décisions envers l’enfant, sou-
vent très importants, sont pris pour sauvegarder l’intégrité
narcissique du parent (idéalisation ; symbolisation ; cohé-
rence et intégration du moi).
La mère de Maria3 n’a pas un bon rapport avec l’école, ni avec
nous : éducateurs et soignants. Les enseignants, les médecins, les
psys et tous les autres disent ce qu’elle doit et ne doit pas faire
pour Maria, et cette femme ne supporte plus tout cela. Elle se méfie
des autres, incapables d’assurer à sa fille la sécurité nécessaire.
Concrètement, la peur que Maria puisse être victime d’accidents
prend un double aspect. En premier lieu, la mère est littérale-
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ment obsédée par la contamination (terreur d’attraper des infec-
tions virales). Nous avons déjà eu l’occasion de présenter Maria
habillée, comme à l’école maternelle, avec sa blouse blanche. Cette
blouse a une double fonction : rendre Maria visible parmi les cen-
taines d’écoliers et occulter l’épaisseur de la grande ­couche-culotte
qu’elle porte encore sur elle. Le but de lui faire encore porter
des couches est d’éviter tout contact avec les toilettes de l’école
où Maria pourrait attraper des maladies infectieuses. En second
lieu, la mère est terrorisée par le sang. Étant donné que les réac-
tions de rage de Maria sont souvent très fortes, il arrive bien sou-
vent qu’elle se fasse des égratignures ou des hématomes ou que sa
masse corporelle et sa force tout à fait inhabituelles provoquent
des blessures aux personnels scolaires (chutes et blessures). La vue
de la moindre trace de sang horrifie la mère de Maria au point que,
après des accidents même très banals, elle évite de l’emmener à
l’école durant des semaines entières. Il faut souligner, à ce propos,
que cette sensibilité maternelle est réservée uniquement à la vue du
sang et aux blessures de sa fille. Elle reste indifférente aux consé-
quences des accidents chez les professionnels qui entourent Maria.
Dans les deux cas, nous pouvons remarquer les effets importants
du traumatisme au niveau des processus de perception/significa-
tion de la réalité, qui porte cette mère à donner à la réalité un sens
et une signification fortement détournée.

1.  Sous forme d’anticipation du sens de l’expérience.


2.  Liotti (2011), Van  der Hart et coll. (2006) parlent du phénomène dû au
compartiment de mémoires et des parties de la personnalité à la suite d’épisodes
traumatisants aigus ou chroniques.
3.  Maria est atteinte d’une grave arriération mentale et psychomotrice et s’ex-
prime par des cris et des bruits gutturaux.
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Effets post-traumatiques du handicap 455

Altération du flux des informations perceptives : sidéra-


tion et blocage devant le comportement de l’enfant : anesthé-
sie temporaire des sensations corporelles.
Des enregistrements vidéo faits par hasard pendant une obser-
vation en classe montrent que Mme A. apparaît littéralement sidérée
et totalement incapable d’une quelconque réaction en regardant
son fils Alphio1 qui se tortille, se cogne la tête et glisse sur le sol
comme un ver. Elle assume une posture rigide ; son expression est
perdue dans le vide, et elle n’a pas la force de s’adresser à quelqu’un
autour d’elle pour trouver du réconfort. Elle a besoin de plusieurs
minutes pour se reprendre et revenir à son état habituel.
Chez les parents d’enfants handicapés, nous notons la
discontinuité des processus de monitorage du réel sous forme
de changements soudains d’humeur ; volubilité et change-
ments fréquents d’idées sur l’enfant.
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La façon dont la mère de Juan2 parle de sa grossesse, de la
découverte du handicap et des épisodes de sa vie en relation à son
fils est très fragmentée et discontinue. Elle relate ses problèmes
familiaux et de couple : elle et son mari ont chacun perdu leur père
très jeunes, et cela les a déboussolés dans leur vie d’adultes ; la
naissance d’un enfant normal ça passe, Juan a en effet une sœur
aînée, mais un enfant autiste non, c’est trop. Son récit est très sou-
vent interrompu par des lapsus, des silences, des sanglots ou des
éclats de rage qu’elle contrôle à peine. Souvent, elle fait un mélange
entre l’histoire de Juan et ses problèmes physiques et psychiques ;
sa vie personnelle (ses problèmes au travail, la querelle avec son
mari en raison de sa prochaine séparation) et la haine envers son
mari coupable de ne pas soutenir ses efforts envers Juan mais aussi
toujours prêt à la blesser et à la tromper. La mère de Juan craint,
justement, la comparaison avec la baby-sitter de Juan, véritable
substitut maternel dont elle ne peut plus se passer. En fait, même si
cette femme est toujours angoissée et en détresse pour son fils, dont
elle envisage les conditions réelles, dans le même temps elle profite
de son exclusion dans la gestion de l’enfant, dont se sont chargé le
père et la nurse, pour éviter le contact avec Juan. Sa fragilité et
sa propension à la fragmentation psychique la poussent à éviter
de plus en plus le rapport avec l’enfant ; les moments d’intimité
avec Juan, chez elle, sont vécus comme des expériences traumati-
santes. À ce propos, elle déclare ouvertement qu’elle n’arrive pas

1.  Alphio est plurihandicapé. Il présente un retard mental moyen avec surdité
sévère, troubles neurologiques et des traits autistes très accentués.
2.  Juan est un enfant atteint d’une encéphalopathie néonatale (ICD-9 : 742.9).
Les dégâts au cerveau ont compromis d’une façon très importante ses facultés intel-
lectuelles et psychomotrices.
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456 Francesco Grasso

à ­supporter son enfant qui sautille à travers la pièce ou qui joue


pendant des heures avec un bout de papier. Dans ces cas-là, elle
préfère placer Juan devant la télé à regarder des bandes dessinées
ou le laisser jouer avec sa sœur, plutôt que de s’engager dans des
échanges intimes et câlins avec lui. Au bout du compte, je m’aper-
çois que ce qui la terrorise le plus est de rester seule avec Juan,
chose qui rend encore plus intolérable son échec comme femme et
comme mère et qui la plonge dans la dépression.

Chronicisation du traumatisme

Le parent se retrouve englué à un présent traumatique


perpétuel dominé par les émotions du moment. La percep-
tion de l’expérience et sa signification sont fortement clivées
entre elles et ne permettent pas l’intégration et l’historicisa-
tion de l’expérience parentale.
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Le père de Marco1, pendant qu’il surveille la porte (pour éviter
que Marco ne s’échappe), parle de la nécessité que lui et sa femme
ont eue à rester « attachés » aux familles d’origine car la gestion de
Marco nécessite l’intervention de toute la famille ; Marco les a donc
empêchés d’avoir un processus normal de vie conjugale (parenta-
lité, rapport de couple) en les obligeant à rester centrés sur lui et
surtout unis à la famille d’origine. Les parents de Marco, selon
leur avis, ont été assujettis pendant trop longtemps aux exigences
de l’enfant, c’est-à-dire à l’impact destructeur de sa pathologie et
à ses réactions corporelles indifférenciées : « […] il n’y a pas une
histoire de Marco, mais un ensemble de comportements dictés par
la contingence, par le moment, il n’y a pas un début et une fin et
un déroulement d’événements unis par une logique ». Si jusqu’à
maintenant la contingence du moment a rempli leurs journées,
actuellement ils se trouvent face à une « complexité majeure » psy-
chologique de leur fils qui, selon leurs mots : « joue à leur rendre
la vie impossible, avec des comportements de défi, en s’opposant à
eux et en les bouleversant ».

Chez les parents, le parcours de parentalité apparaît


interrompu par l’impact traumatique du handicap. De ce
fait, l’investissement narcissique de l’enfant réel est perdu
en raison de la perte de contact entre attentes et désirs et la
réalité perceptive.

1.  Marco est atteint par le syndrome de Cohen, maladie qui comporte des
troubles cognitifs sévères.
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Effets post-traumatiques du handicap 457

Après des années, les réactions des deux parents de Marco


sont très différentes. Si la mère a accepté d’avoir un bébé de
10  ans qui est encore très dépendant d’elle, le père réagit par
une dépression masquée cachée sous une attitude vaine. Il écrit
dans le journal des interactions quotidiennes que j’ai prescrit
aux parents avec soin et formalisme et utilise un langage techni-
que et impersonnel, comme s’il était en train de rédiger un rap-
port technique : « Comportement du père : exaltation de l’activité
par le biais du repérage d’un domaine de travail approprié ;
exercices manuels exécutés à la découverte de la surprise et fina-
lisés à l’implication continue de l’enfant ; tentative de montage
de la surprise en essayant d’impliquer le sujet. Comportement de
Marco : […] le sujet s’approche intéressé et rentre dans la zone
de travail ; les exercices manuels exécutés à la découverte de la
surprise l’intéressent mais il n’interagit pas : il observe attentive-
ment les exercices presque pour vérifier leur accomplissement
exact […]. » Le discours paternel met en évidence une note évi-
demment dépressive en commentaire : « […] il n’y a rien à faire,
il est difficile de l’impliquer dans les activités que je lui propose, il
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préfère jouer tout seul plutôt que de m’avoir comme partenaire ».
Je pense que l’homme est fatigué, il se déclare incapable de sou-
tenir le rôle d’un père affectueux disponible pour jouer avec son
enfant. Plus tard, il traduira son découragement en s’éloignant du
travail thérapeutique, avec retards aux séances, et enfin en arri-
vant à exprimer toute sa déception à l’égard de cet enfant qui ne lui
ressemble pas du tout.

Dans les propos des parents et dans les explications qu’ils


donnent aux autres au sujet de leurs enfants, nous relevons
assez fréquemment la « résurgence » de représentations et
craintes archaïques. Ces représentations sont atemporelles
et non modifiables. Elles ne peuvent pas être démantelées,
sont difficilement mobilisables et encore plus difficilement
susceptibles d’élaboration pour être intégrées dans une pers-
pective historique et narrative de l’expérience parentale.
Les entretiens avec Mme A., durant les deux premières années,
avaient lieu deux ou trois fois par semaine, puis sont devenus moins
fréquents durant les deux années qui ont suivi. Lors de ces rencon-
tres, Mme A. faisait émerger, dans les centaines de fiches remplies
en guise de journal, toujours la même représentation d’Alphio1, la
même qu’à l’époque du premier diagnostic à l’âge de 4-5 ans. Cette
représentation forte et prégnante d’un enfant très délicat en raison

1.  Alphio est plurihandicapé. Il présente un retard mental moyen avec surdité
sévère, troubles neurologiques et des traits autistes très accentués.
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458 Francesco Grasso

de ses conditions graves ne pouvait que faiblement se colorier des


nouvelles capacités acquises par l’enfant et restait essentiellement
immuable. Même si Mme A. devenait toujours plus consciente des
progrès de l’enfant, qui maintenant était bien adapté à l’école et
bien intégré dans son groupe, cette représentation d’Alphio resur-
gissait périodiquement dans ses discours, surtout dans les moments
critiques d’agitation de l’enfant ou bien pour des inquiétudes de la
mère face à des difficultés imprévues. Cette représentation d’Alphio
comme « enfant autiste gravement endommagé » revenait lorsque
des nouveautés ou des changements se présentaient à l’horizon,
comme le passage à une nouvelle école ou la participation à des
activités différentes de la routine scolaire et de type plus social1.
Je peux dire que, au fil du temps, Mme A. a atteint la capacité de
rendre cette représentation « horrifiante » d’Alphio plus apprivoi-
sable et à éprouver moins de honte face aux autres, mais non à
l’intégrer et l’élaborer totalement. Cela lui a suffi pour commencer
à cohabiter avec elle et pour laisser de l’espace à l’enfant, but prin-
cipal de l’intervention.
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L’incapacité à prévoir et anticiper le sens et la significa-
tion de l’expérience parentale dans le long terme rend dif-
ficile, voire impossible d’envisager le futur de l’enfant et à
projeter sur sa vie.
« […] Pour Alphio, c’est toujours la première fois », me dit un
jour son père. Il se référait aux nombreuses interventions adres-
sées à son fils, dépourvues selon lui de continuité, d’enchaînement
entre elles. Pour les parents d’enfants normaux, les changements
(de classe à l’école, du corps, de la maturité sexuelle, etc.) balisent
le fait de grandir, mais pour Mme A., mère/enseignante d’Alphio, la
croissance physique et psychique de son fils signifiait simplement
l’approche de la menace de séparation d’avec lui. La simple pensée
qu’Alphio puisse changer d’institut et aller dans une autre école où
elle ne pourrait pas le suivre la bouleversait. En effet, la volonté
de beaucoup de parents d’enfants handicapés de vouloir retarder
le plus possible les étapes scolaires est une donnée très fréquente.
Ce phénomène s’appuie sur deux facteurs principaux : 1) l’espoir
qu’en doublant beaucoup de fois les classes l’enfant puisse rattra-
per ses retards ; 2) le fait de voir et considérer son propre enfant
comme trop petit, démuni ou incapable d’affronter la vie, qui repré-
sente les différentes formes de distorsion perceptive soutenues par
les projections (narcissique et/ou hystérique) des parents.

1.  Ces réactions sont typiques des patients atteints de troubles de stress post-
traumatiques chroniques, où les mémoires traumatiques sont fortement activées
par les situations qui rappellent les aspects du traumatisme originaire.
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Effets post-traumatiques du handicap 459

La contamination1 des processus de parentalité touche


souvent les autres enfants, donnant lieu aussi à la com-
promission de la parentalité envers les frères et sœurs des
enfants handicapés.
Je suivais Marco2 depuis environ six mois lorsque le couple
m’annonça la nouvelle grossesse de Mme  F. qui était à nouveau
enceinte d’un garçon. C’était un moment très délicat pour la
famille F. étant donné que cet événement constitua un renverse-
ment des positions du père et de la mère. Mme F. malgré des condi-
tions physiques optimales et une grossesse physiologiquement bien
supportée, manifesta un changement radical vis-à-vis de Marco.
Ce n’est pas qu’elle évitait de s’en occuper – les rapports entre elle
et l’enfant pendant l’été étaient devenus beaucoup plus intenses
suite à un travail fait sur l’échange corporel entre mère et enfant –
mais elle n’était pas en mesure d’assumer la responsabilité dont elle
s’était chargée auparavant. Son attitude était simplement celle de
quelqu’un qui veut rester à l’écart. Pendant cette période, elle a
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baissé les bras, totalement absorbée par ses angoisses et les fantas-
mes qui dérivaient de cette nouvelle grossesse, étant donné qu’elle
attendait un autre garçon. Sa vivacité intellectuelle à déceler les
changements et à repérer les bonnes interprétations des compor-
tements et des relations de Marco, sa capacité à mettre au jour sa
vie fantasmatique ont été placées « en attente » pendant toute la
période de la grossesse. Tout de suite après l’annonce de la nou-
velle grossesse, Mme F. me dit être très fatiguée et qu’elle n’a plus la
force de « suivre Marco » comme quand elle « allait bien ». Cette
fois, c’est elle qui passe par un état dépressif. Elle me parle de
ses pensées par rapport à Marco : « […] probablement nous (les
parents) ne comptons en rien pour lui, il nous utilise, que nous
soyons là ou pas c’est la même chose ». Le fond de ce discours
porte évidemment sur le fait de ne pas être une mère adéquate ou
compétente, discours qui revient souvent ces derniers temps. Dans
ses mots, je décèle une certaine agressivité à l’égard de Marco,
perçu comme un ingrat, presque comme un étranger qui profite
de ses parents. Marco, de son côté, ne proteste pas en séance et
reste à l’écart.

Fermeture progressive des parents à l’extérieur de l’en-


clave familiale (parents, amis, compagnon).

1.  Luc Van den Driessche, en parlant des effets des représentations d’enfant
parallèle qui permettent aux parents l’investissement sur l’enfant réel, affirme
qu’elles viennent éventuellement interférer avec le regard singulier que les parents
portent sur chacun de leurs enfants.
2.  Marco est atteint par le syndrome de Cohen, maladie qui comporte des
troubles cognitifs sévères.
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460 Francesco Grasso

La mère et le père de Maria1 sont tous les deux très réticents


envers toutes sortes d’influences sur la vie de Maria (les horaires,
le personnel soignant, la classe). Avec le temps, cela a entraîné une
fermeture progressive aux autres. La mère, qui reçoit très rarement
chez elle, a transformé l’ambiance domestique en un endroit qui
rappelle plus un hôpital qu’une maison privée. Les éducateurs qui
viennent travailler à domicile sont obligés de chausser des couvre-
chaussures et de s’habiller avec des grands tabliers blancs (comme
Maria à l’école). Ils sont invités à se laver les mains plusieurs fois
avant et pendant le contact avec Maria. Toute la vie familiale est
axée sur Maria : les activités et les engagements familiaux sont sou-
mis (ou mieux, sacrifiés) à l’intérêt supérieur de Maria – comme sa
mère aime le répéter de nombreuses fois –, toutes choses qui chro-
nicisent et figent le rapport ­traumatique entre parents et enfant.
Le résultat est que le couple mère/enfant reste confiné à la maison
avec une vie sociale très pauvre. D’ailleurs, la majeure partie des
opérateurs et des soignants engagés auprès de Maria s’accordent,
de façon superficielle et hâtive, sur les troubles psychiques de cette
femme, renforçant en elle les effets d’émargination et entraînant
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une très forte méfiance et une rage sourde envers eux.

Le déraillement perceptif-émotif du parent bouleverse


durablement la réciprocité et les processus intersubjectifs
entre enfant et parents

Chez les enfants handicapés, nous relevons souvent


des troubles de l’intersubjectivité primaire et secondaire
(échanges corporels, affectifs, émotionnels, mentalisation de
l’enfant et de soi-même en tant que parent).
Le rapport fusionnel entre Maria et sa mère et la très faible
dotation cognitive de la fille ont eu comme résultat un grave et per-
manent trouble de la relation. L’enfant est incapable de reconnaî-
tre les émotions et les états d’âme des autres au-delà d’un rapport
intéressé à la satisfaction de ses besoins. Sa réponse émotionnelle
aux événements extérieurs est dichotomique : apaisement ou rage.
Il n’existe aucun processus psychique secondaire, symbolique ou
mentalisé ; il est donc impossible pour elle de reconnaître les émo-
tions chez les autres et en elle-même. Tout cela peut apparaître
consécutif à ce qui advient dans le psychisme maternel, fortement
diminué dans ses capacités d’identification à l’autre en raison
de l’utilisation massive de l’identification projective qui guide sa

1.  Maria est atteinte d’une grave arriération mentale et psychomotrice et s’ex-
prime par des cris et de bruits gutturaux.
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Effets post-traumatiques du handicap 461

façon de voir et d’approcher sa fille. Dans les très rares moments


où la mère de Maria n’est pas totalement absorbée par ses angois-
ses pathologiques, elle est capable de mentaliser, à sa façon, son
expérience parentale et d’exprimer ce qu’elle voit de la réalité de
sa fille : les dangers ­ubiquitaires, les risques et la méchanceté des
autres envers Maria. Sa vision de Maria a contaminé tous les rap-
ports sociaux (éducateurs, soignants, amis, copain de classe, etc.).
Tout ce monde représente pour Maria, donc pour la mère et pour
son narcissisme, un danger potentiel.
Une relation qui est empêchée dans les aspects de
l’échange sensoriel, et surtout dans les processus de régula-
tion et de repérage affectif, représente une entrave aux pro-
cessus d’attachement de l’enfant et à la séparation psychique
des parents d’avec leur propre enfant.
La mère d’Alphio1 considérait que la relation avec son fils était
si proche qu’elle n’avait pas besoin de mots pour le comprendre,
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elle réussissait très bien à entrer dans sa tête et à toujours savoir
ce dont il avait besoin. Cette perte des limites interpersonnelles et
de la frontière psychique entre Alphio et elle-même était la cause
principale de la désorganisation comportementale et psychique de
l’enfant, perdu dans les angoisses maternelles projetées sur lui. Ne
pouvant compter que sur des capacités cognitives très limitées, il
avait encore plus de mal à s’adapter à cette relation si perturbée
avec sa mère et ses réactions à l’environnement étaient toujours
très chaotiques, sans aucune médiation symbolique (gestes ou
paroles) et sous l’égide du processus primaire. Le problème qui se
posait était donc de rétablir une relation de l’enfant avec la mère,
c’est-à-dire transformer la relation fusionnelle et chaotique mère/
enfant en une relation d’attachement sécurisant, symbolisé et sur-
tout « lisible et prévisible » pour la mère et pour Alphio. À ces
conditions seulement, il a été possible de rétablir l’investissement
objectal de l’enfant (réel) et de mettre à l’écart le rapport fusionnel
dû au processus d’identification projective maternelle.
Dans le cas d’Alphio et dans beaucoup d’autres cas simi-
laires où il y a une limitation sévère des capacités ­cognitives,
sensorielles et relationnelles, il est presque de règle que le
rapport fusionnel du parent avec l’enfant entrave lourde-
ment les processus d’attachement et de soins du couple
enfant/parent, en empêchant la possibilité de voir l’autre
comme objet d’investissement et de permettre à l’enfant des

1.  Alphio est plurihandicapé. Il présente un retard mental moyen avec surdité
sévère, troubles neurologiques et des traits autistes très accentués.
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462 Francesco Grasso

mouvements de séparation-individuation en tant que per-


sonne distincte.
Les altérations importantes de l’intersubjectivité, de la
résonance émotionnelle et de l’identification avec son propre
enfant s’objectivent dans le trouble de la relation affective
et de la résonance émotive, dans la « mis-communication »
(trouble de la communication) relationnelle (Lyons-Ruth,
1999) du parent et, chez l’enfant, dans un attachement insé-
cure (évitement, désorganisation) et éventuellement dans la
mise en place de troubles du comportement1.
Antonino2 n’a pas une identité à lui, à la maison comme à
l’école, hormis celle d’être un « problème ». Il l’a été depuis sa
naissance. Il l’a été pour les soins continus dont il a eu besoin
pour surmonter l’intervention chirurgicale qui lui a ouvert une
possibilité de vie. Il l’a été pour le couple de ses parents étant
donné que, suite à sa naissance, le ménage s’est dissout. Le père
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d’Antonino n’a pas tenu devant la surcharge émotionnelle de cet
enfant anormal et il a préféré partir avec une autre femme. La
mère d’Antonino a un aspect très modeste et ne prend pas soin
d’elle : elle n’utilise aucun maquillage, s’habille de façon som-
bre et anonyme ; on lui donnerait beaucoup plus de 50 ans, alors
qu’elle en a juste un peu plus de 40. En revanche, elle est très
attentive à l’habillement d’Antonino, à sa santé (le moucher, lui
demander s’il a besoin d’aller aux toilettes, s’il a mal quelque
part) et à la bonne conduite de son fils. Elle le gronde s’il ne
s’assoit pas correctement pendant la séance ou s’il commence à
faire des caprices. On a l’impression que le manque de discipline
de l’enfant est pour elle un motif d’embarras, de honte face aux
autres. Même si elle traite son fils de 7 ans comme un enfant de
3 ans, cela ne veut pas dire qu’elle a un rapport affectif, chaleu-
reux avec l’enfant. Elle n’a pas un comportement hostile, mais
reste très mesurée et il est très rare qu’elle serre Antonino dans
ses bras. Ce dernier, au contraire, adopte souvent une attitude
régressive pour obtenir plus d’attention et plus de contact physi-
que. La mère d’Antonino ne parle pas volontiers des problèmes
de son fils, ni de ceux qui se présentent à l’école ni de ceux qui
se présentent à la maison. Elle feint de les ignorer plus que de les
tolérer, de ne pas (vouloir) les voir. Elle a toujours été très rétive
pour tenir un journal et décrire les interactions avec l’enfant.
Le fait de l’obliger à voir de trop près son fils crée en elle de

1.  A. Faugli (2009 a) souligne, en plus, que le stress familial (chronique) est un
facteur puissant pour expliquer les difficultés d’adaptation des enfants atteints des
maladies pédiatriques graves.
2.  Antonino est un enfant atteint par une grave malformation cardiaque, la
tétralogie de Fallot, il présente un retard mental léger.
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Effets post-traumatiques du handicap 463

l­’embarras, un refus. Cela est en contradiction apparente avec le


fait de justifier tous ses comportements et de donner continuel-
lement une justification qui la concerne. Elle a toujours besoin
de s’excuser – des retards, des absences, des comportements de
l’enfant en séance.
J’ai souvent l’impression que la mère d’Antonino n’arrive
pas à supporter la relation avec son fils car l’enfant, mais surtout
l’attention à ses problèmes, lui fait revivre quelque chose qu’elle
préfère oublier, effacer, éliminer : son échec en tant que femme,
abandonnée par son mari car inadéquate et incapable d’enfanter,
désavouée par son ex. belle-mère comme responsable des problè-
mes de son petit-fils parce que « du côté paternel il n’y a jamais eu
d’handicapés ».
La perte narcissique de cette femme, très attentive aux aspects
de la santé de l’enfant comme elle l’est du point de vue profession-
nel, se révèle dans sa négligence affichée et dans le fait de cacher
ses sentiments aux autres et à soi-même et surtout dans la distance
émotionnelle entre elle et son fils. De son côté, le petit Antonino en
consultation a des attitudes très particulières. Tant qu’on parle de
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ses problèmes ou des ennuis qu’il provoque à l’école ou du fait que
sa mère ainsi que ses maîtresses le considèrent comme une peste,
il reste tranquille : il joue et dessine sur la petite table qui lui est
destinée ; mais quand le discours porte sur les sentiments et les
émotions que la mère laborieusement affirme ressentir, Antonino
devient immédiatement inquiet. Il demande à sa mère de l’accom-
pagner aux toilettes ou de partir en lui répétant sans cesse la ques-
tion : « Est-ce que tu m’aimes ? »
Antonino continue à être un problème étant donné que ses
capacités cognitives et instrumentales sont en dessous de la norme,
il a donc besoin d’être suivi par une enseignante spécialisée. Il
manque de discipline, il est provocateur. Quand il décide de ne pas
travailler, il est très difficile de trouver la manière pour le faire coo-
pérer, même si ses capacités, bien que limitées, lui permettraient
de participer activement aux programmes scolaires et de les mettre
à profit. Une de ses attitudes les plus gênantes est de répéter sans
cesse ses demandes, même s’il se rend compte qu’on ne consentira
pas à sa requête. Le fait de répéter les mêmes questions conduit les
personnes à considérer son comportement comme une désagréa-
ble provocation. L’enfant n’est pas du tout aimé par ses copains
qui souvent se moquent de lui. Quand il se sent attaqué, il réagit
physiquement en donnant des coups de pied, en mordant ou en
griffant. Étant donné qu’il est très maladroit dans ses réactions et
ses approches, même si ce sont les autres qui le ­provoquent, c’est
presque tout le temps lui qui est puni. Antonino est vécu comme
« problème » chez la mère, tandis qu’à l’école il est le « bouc
émissaire », l’enfant à punir en classe quand il faut un coupable.
Antonino se prête très bien à ce rôle qu’il répète continuellement,
même en consultation.
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464 Francesco Grasso

Le comportement désorganisé des parents, une explication


clinique
La revue de la littérature scientifique sur les troubles
post-traumatiques et l’analyse des manifestations cliniques
assez fréquentes chez les parents d’enfants handicapés nous
permettent de focaliser des points fondamentaux pour une
explication étiopathogénique de la question.
Tout d’abord, nous pouvons reconsidérer l’exclusion/
évitement systématique de certains aspects concernant la
relation, les soins et les projets envers son propre enfant (qui
assume une valeur de menace du fait de rappeler continuel-
lement aux parents le traumatisme du handicap), esquissés
dans les vignettes cliniques, comme la preuve de l’action psy-
chique de compartiment de l’expérience parentale du handi-
cap, donc comme les effets d’une dissociation structurale de
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la personnalité chez les parents qui n’arrivent pas à surmon-
ter le traumatisme.
Ensuite, nous pouvons raisonnablement affirmer que ces
manifestations dissociatives découlent des profondes altéra-
tions des systèmes perceptifs et d’actions individuelles (dont
nous avons longuement parlé dans la première partie de l’ar-
ticle) dédiés à l’évaluation et à l’expression du comportement
du sujet. L’altération du flux perceptif et de la signification
de sa propre expérience est aussi le mécanisme principal qui
maintient et renouvelle continuellement chez le parent les
effets dissociatifs du traumatisme liés à l’expérience du han-
dicap de son propre enfant.
Enfin, étant donné que chez les sujets traumatisés l’éner-
gie et l’efficience mentale sont trop faibles pour activer des
tendances à l’action de niveau élevé (réflexives) adressées
aux événements stressants (O.  Van der Hart, 2006), nous
assistons à l’arrêt ou à la régression à des tendances à l’ac-
tion de niveau plus bas et désadaptées sous forme d’actions
substitutives1 (fugue, évitement, attaque, rage, soumission,
etc.).

1.  Janet (1928) affirme que la fixation ou la régression propre à la dissocia-


tion se manifeste à travers la mise en place de substituts de l’action adaptée. Cela
comporte « une mutation dans la dominance [de la conscience] vers des niveaux de
tendances à l’action plus élémentaires ».
23 novembre 2012 - TITRE - AUTEUR - La_psychiatrie_de_lenfant - 135 x 215 - page 465 / 684

Effets post-traumatiques du handicap 465

– Hypothèse du déraillement de la conscience primaire


(perceptive) de la réalité des parents d’enfants
handicapés (Grasso, 2005 ; 2005 a)
Le déraillement du flux de continuité de l’expérience
perceptive et de signification de la réalité1 et/ou l’exclusion
forcée de la réalité troublante va provoquer un saut à l’ex-
térieur du flux normal de conscience qui garantit la signi-
fication des informations perceptives et émotionnelles chez
l’individu. Cela amène, chez les parents d’enfants handica-
pés, à un fonctionnement psychique altéré selon différents
degrés qui entraîne un vécu partiel de la réalité – une expé-
rience qui aurait toutes les caractéristiques de la réalité mais
qui existerait en dehors de la continuité du sens commun
de l’expérience. Tout cela peut prendre l’aspect de traces de
mémoire sans nom, fluctuantes comme des fantômes prêts à
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réapparaître dans une nouvelle interruption du flux d’in-
formation (altération de l’état de conscience). À propos des
effets traumatiques au niveau des fonctions perceptives et
neuropsychologiques, Van der Kolk (1995, 2001) et Hopper
(2001) relèvent chez les patients souffrant du syndrome de
stress post-traumatique une difficulté à intégrer les aspects
sensoriels et émotionnels des événements traumatiques et
une façon d’isoler les composantes d’un même souvenir trau-
matique, qui reste ainsi peu susceptible de remaniement nar-
ratif et d’intégration cognitive.
– La scission traumatique entre les différents systèmes
de représentation, la dérégulation perceptive et la
dissociation entre perception et conscience primaire
Suivant l’hypothèse énoncée de l’interruption du flux des
informations, nous pouvons imaginer deux (ou trois) degrés
d’altérations :
1/ interruption momentanée du flux anticipatoire : Ce qui
est expérimenté (niveau perceptif) est instantanément modi-
fié (corrigé) selon des restrictions des mémoires de masse de
l’individu ;

1.  Qui est due à l’échec des mécanismes de couplage intérieur/extérieur, dont
nous avons parlé auparavant.
23 novembre 2012 - TITRE - AUTEUR - La_psychiatrie_de_lenfant - 135 x 215 - page 466 / 684 23 no

466 Francesco Grasso

2/ interruption permanente du flux anticipatoire : En ce


cas, le mécanisme anticipatoire ne peut plus, comme d’ha-
bitude, ni donner du sens ni stocker les informations per-
ceptives afférentes. Cela arrive en raison de l’impossibilité à
éliminer les incohérences de façon automatique. En ce cas là,
très probablement l’esprit va donner du sens à la perception
de la réalité à partir des mémoires préalables (­apprentissages,
expériences passées, expériences des autres) ou d’autres
­formes de représentations psychiques (processus de fantas-
matisation/idéalisation de l’enfant qui, comme nous l’avons
vu, répondent à des exigences narcissiques gravement attein-
tes par le handicap) par les biais du mécanisme d’identifica-
tion projective (narcissique).
La réalité phénoménologique du parent prend un sens dif-
férent du normal. La perception de la réalité est donc stric-
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tement limitée aux sensations basiques, aux émotions vécues
instant par instant, tandis que le sens de l’expérience n’est
plus rattaché avec continuité et flexibilité aux ­expériences.
Cette condition de l’esprit est caractérisée d’habitude par le
débordement de la vie fantasmatique (de l’imaginaire) sur
la vie phénoménologique. Dans les cas les plus extrêmes,
comme dans les cas de SSPT chronique, le contact à la réa-
lité est globalement troublé, et une partie de l’expérience est
exclue et isolée.
Sur la base des données cliniques, nous pouvons aussi
envisager un dysfonctionnement permanent, mais inter-
mittent ou partiel, du flux anticipatoire probablement dû à
des expériences traumatiques préalables non cliniquement
importantes mais qui prédisposent le parent à la dissocia-
tion dans le cas de débordement affectif et émotionnel ou
face à des dangers qui dépassent ses capacités de réaction et/
ou élaboration. Cette forme d’altération du monitorage de
la conscience change, selon les moments, l’extension de la
dissociation, la brutalité des virages du monitorage contrôle
intérieur/extérieur de la réalité et la possibilité d’intégration
et de signification de l’expérience1.

1.  P. Janet, dans le cas d’Emma Dutemple, illustre les effets du traumatisme


psychologique. Il note : 1)  les troubles de mémoire et l’impossibilité à récupérer
certains souvenirs des événements traumatisants ; 2)  des troubles à intégrer une
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Effets post-traumatiques du handicap 467

Ces observations peuvent peut-être mieux expliquer le


comportement parfois étrange et bizarre de certains parents,
leurs solutions insolites et parfois folles (pour quelqu’un qui
les regarde de l’extérieur) par rapport aux problèmes cau-
sés par le comportement de leurs enfants à leur cadre de
vie et ainsi au sens qu’ils donnent à cette situation. Quand
une expérience est fortement traumatisante, « la réalité » de
l’enfant et de la parentalité reste extrêmement troublante
pendant plusieurs années avant que le parent puisse réor-
ganiser son système perceptif et de significations, ce qui
conduit à la très grande difficulté d’adaptation des parents
à de nouveaux milieux sociaux et à un très grand chagrin
quand ils se trouvent en contact avec « la normalité ». Le
processus de contact réel se maintient de façon partielle et
il a souvent besoin de « nouvelles significations externes »
pour être réorganisé. À notre avis, il faut donc créer des
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« ponts » entre expérience personnelle, réalité et vie fantas-
matique des parents.

Une nouvelle clinique du handicap

L’investigation des représentations parentales


Dans la clinique de l’accompagnement des parents d’en-
fants handicapés, nous sommes confrontés à la complexité
de l’architecture des représentations psychiques humaines
esquissée dans les pages précédentes. Le problème qui se
présente aux cliniciens est le suivant : comment affronter la
situation ? De quelle manière, où et quand le faire (et par-
fois même pourquoi le faire) ? Selon le point de vue clinique
proposé ici, l’approche des représentations parentales de
l’enfant handicapé doit nécessairement partir de la réalité
perceptive des parents, même si elle est erronée ou détour-
née. À notre avis, cette prise en compte est l’élément le plus
puissant qui permet la mobilisation et le remaniement des
représentations psychiques relatives à l’enfant handicapé, à

partie de l’expérience actuelle du sujet traumatisé dans l’ensemble de son histoire


(troubles de la conscience). Janet observe que ces troubles apparaissent plus graves
chez des sujets déjà affaiblis au niveau psychologique ou chez les patients qui pré-
sentent des histoires personnelles difficiles, voire traumatiques.
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468 Francesco Grasso

sa maladie et à ses déficiences, au poids émotionnel que cela


suppose pour le parent, à la façon dont les parents vivent et
expérimentent cette parentalité.
La naissance de Marco1 a été un événement imprévisible pour
ses parents. Mettre au monde un enfant porteur d’une maladie
rare et si difficile à diagnostiquer pourrait paraître comme un
trauma majeur, mais, d’après leurs récits, ce qui a bouleversé le
plus leur vie a été l’impossibilité de prévoir le comportement et les
réactions physiques de l’enfant, mêlée à l’angoisse constante que
l’enfant puisse décéder à tout moment. En effet, le niveau intellec-
tif très bas de Marco, ses compétences adaptatives et d’autonomie
très faibles ont toujours rendu très difficile aux parents de pouvoir
décoder avec fiabilité ses signes (essentiellement des manifestations
de bien-être ou de mal-être) et trouver une quelconque régularité
dans ses réponses physiques à l’environnement. Pour le père et
la mère, être parents se réduisait à la collection de manifestations
bizarres de Marco auxquelles ils faisaient correspondre des répon-
ses encore plus bizarres : Marco pleurait et son père aboyait pour
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le faire taire ; Marco se réveillait la nuit en pleine crise d’agitation
motrice, et son père produisait des bruits assourdissants pour « le
stopper » ; Marco s’endormait seulement sur le divan du salon,
et sa mère trouva la solution de transporter l’ensemble des lits
(le lit matrimonial et celui de Marco) dans cette pièce. Pour ses
parents, Marco a toujours été « le néant » : ses désirs, ses besoins
primordiaux et encore plus une quelconque identité restaient des
domaines inconnus. Pour eux, élever Marco était essentiellement
« faire face à » : un présent qui reste toujours le même, un ensem-
ble d’efforts continus sans gratifications qui épuisent toute forme
d’enthousiasme et d’énergie. Les réactions parentales, même si
différentes entre elles – dépressive chez le père, opérationnelle et
« sans répit » chez la mère –, se ressemblent dans la difficulté des
deux parents à rencontrer « Marco » : ses problèmes de santé, sa
grande arriération psychique leur ont nié toutes possibilités de
contact psychologique avec lui. Cet anéantissement du sens de l’ex-
périence parentale et les difficultés à tisser des liens émotionnels
témoignent des profondes altérations perceptives et de la significa-
tion de l’expérience parentale engendrée par le manque presque
total de prévisibilité et de sens expérimenté dans ces cas.
L’histoire d’Alphio2, comme beaucoup d’autres histoires d’en-
fants atteints de handicaps, débute par l’incrédulité des parents
face aux médecins, au(x) diagnostic(s) et à tous ceux qui leur
rappellent les problèmes de l’enfant. Dès le début, Mme  A. note

1.  Marco est atteint par le syndrome de Cohen, maladie qui comporte des
troubles cognitifs sévères.
2.  Alphio est plurihandicapé. Il présente un retard mental moyen avec surdité
sévère, troubles neurologiques et des traits autistes très accentués.
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Effets post-traumatiques du handicap 469

qu’il y a quelque chose qui ne marche pas chez le petit, elle est la
première à s’apercevoir de sa surdité profonde et à le dire à son
mari, époustouflé. À partir de ce moment-là, elle investit Alphio
de tous ses espoirs maternels de « réparer elle-même son fils »,
étant ­impossible pour elle de s’attacher à « son enfant cassé ». Du
fait, toutes les interactions mère/enfant étaient très douloureuses
et angoissantes, spécialement quand Alphio manifestait des affects
négatifs (lamentations, pleurs, cris, agitation), car elle devenait
totalement impuissante à faire quoi que ce soit en son secours, elle
pleurait, priait, songeait le voir soudainement guéri mais était tota-
lement incapable de le soigner ou de s’occuper de lui. En revanche,
elle ne dormait jamais la nuit, pour étudier les dernières découver-
tes sur la surdité, sur l’autisme et sur l’arriération mentale afin de
savoir quoi faire avec son enfant. Alphio c’était son « enfant ange »,
le « don de Dieu » qui la consacrait à la mission capitale de le gué-
rir, voilà sa « vision » des choses. Le problème majeur de cette
mère n’était donc pas les lourdes déficiences de l’enfant (nombre
de contrôles médicaux, bilans de santé et examens cliniques de
tout genre le témoignaient), mais c’était principalement les autres
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(parents, professionnels, collègues à l’école) qui n’arrivaient pas
à « envisager » la situation de son fils et qui, surtout, empêchaient
le développement de ses potentialités réelles. Elle considérait
donc les efforts des professionnels comme une menace constante
à la santé d’Alphio et à son développement. Du coup, sa mission
(secondaire) devenait aussi celle de défendre son fils des autres
en l’encerclant d’une affection aveugle qui ne laissait d’espace à
personne. Le cas d’Alphio nous montre comment le traumatisme
qui découle de l’expérience du handicap altère dramatiquement la
possibilité de cette mère de « voir » et comprendre les conditions
réelles de son enfant, de se rendre compte de ses énormes difficul-
tés cognitives et relationnelles, et de ne pas reconnaître les faibles
progrès que pourtant Alphio faisait à l’école et en rééducation.
Pour elle, ces résultats étaient insignifiants et superficiels pour son
petit. En plus, ils étaient conquis au prix de grandes souffrances
totalement inutiles et inhumaines. Ces formes massives d’altéra-
tion perceptive et de signification de l’expérience chez cette mère,
qui avaient fait échouer toutes formes d’intervention destinées
à Alphio, enfant malade, peuvent s’expliquer seulement comme
le résultat d’une dissociation post-traumatique (fragmentation
et détournement du sens de l’expérience). Ce processus défensif
pathologique est responsable de l’attribution d’un sens de périls
et de danger1 aux actions des soignants qui réactivaient l’impuis-
sance et la culpabilité (faute) maternel. Il est important de souli-
gner que ces altérations perceptives renvoient inévitablement à la
vie fantasmatique du parent. D’autre part, pour le parent, le fait

1.  Apparemment pour l’enfant, plus réalistement pour la mère.


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470 Francesco Grasso

de ­partager avec d’autres sa « réalité » et sa fantasmatisation peut


donner « du corps » à ces « ­fantasmes » parentaux et permettre
d’analyser les significations et les sentiments parentaux.

Le suivi clinique – l’accompagnement des parentalités difficiles


Notre modèle clinique (Grasso, 2005, 2005 a) s’articule
en quatre axes d’intervention organisés par deux directions
principales de travail.
– Les directions de travail
a) La création d’une base de réalité partagée
Nous avons argumenté jusqu’ici que l’expérience du
handicap ne concerne pas seulement le manque ou l’altéra-
tion du fonctionnement biologique, physique et psychique
de l’enfant et ne se réduit pas aux difficultés d’adaptation
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à l’environnement. Elle est une réalité beaucoup plus com-
plexe qui, pour le parent, implique la remise en question du
fondement même de la parentalité et de sa propre organi-
sation psychique. La création, avec les parents, d’une base
de réalité partagée par le biais du monitorage de l’enfant,
de son comportement, du plan thérapeutique mis au point
par l’équipe pluriprofessionnelle en fonction de l’évaluation
des progrès, des arrêts ou des régressions de l’enfant, est le
présupposé essentiel à tout type d’intervention. Les parents
­doivent toujours être informés sur les conditions de leur
enfant pour se sentir « au-dedans » de ce qui se passe. En ce
sens, l’accompagnement clinique des enfants handicapés et de
leurs parents est une activité qui dépasse la simple intégration
et la coordination des différentes interventions ­nécessaires
face à un handicap spécifique (Grasso, 1994, 1995).
La façon, la plus simple d’approcher des cas comme ceux
de Marco et d’Alphio est d’essayer de focaliser de petits échan-
tillons de la réalité de l’enfant (conditions physiques, psychi-
ques et relationnelles) pour les partager avec les parents.
Pour Marco1, le travail de construction d’une base perceptive
commune entre professionnels et parents (père et mère ­séparément)

1.  Marco est atteint par le syndrome de Cohen, maladie qui comporte des
troubles cognitifs sévères.
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Effets post-traumatiques du handicap 471

fut axé sur la meilleure compréhension du comportement de l’en-


fant et donc sur le décodage des signes émis grossièrement par
Marco. Cette phase, que nous pouvons nommer « la découverte de
son propre enfant », fut pour les deux parents (et aussi pour les
professionnels) vraiment enthousiasmante. Les uns (les parents)
pouvaient finalement regarder leur propre enfant, donner un sens
primordial à son comportement et initier la mise en place d’une
réciprocité émotionnelle avec lui. Les autres (les professionnels)
avaient maintenant les moyens de travailler en se focalisant sur
des objectifs spécifiques (partagés avec les parents) sans jouer au
hasard et sans être trop conditionnés par l’étiquette d’« enfant non
traitable » qu’avait jusqu’alors Marco. Les opérateurs en rééduca-
tion et à l’école pouvaient maintenant reconnaître ses signes d’at-
tention ou de fatigue et lui proposer des tâches tout en respectant
ses faibles capacités et ses grandes limites.
Ce que nous proposons est un travail qui se focalise
sur le système « parents-enfant-équipe soignante » et qui
s’appuie, d’abord, sur la mise en commun des situations
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concrètes qui les concernent : la prise en compte des habi-
lités et des difficultés de l’enfant, des problématiques des
parents, des opportunités et des barrières représentées par
l’environnement.
Pour le suivi d’Alphio1 et de ses parents, il fut tout de suite
clair qu’il fallait intervenir d’abord sur la mère afin qu’elle laisse
des espaces libres aux professionnels chargés des soins à Alphio.
Un dispositif de double monitorage des activités et du compor-
tement, rédigé séparément soit par le professionnel, soit par la
mère, fit l’affaire. Cette solution thérapeutique avait deux buts :
1) permettre le rapprochement de Mme A. à son « enfant réel » en
la focalisant sur des aspects très circonscrits ; 2) partager la vision
qu’elle avait de son propre enfant et des soins : capacités, efforts,
­faiblesses, crises et malheurs, avec les professionnels des équipes
scolaire et rééducative.
Le but est donc de suivre ensemble l’évolution d’une
réalité qui peut être partagée moment par moment avec
les parents, les soignants et les éducateurs. Nous pouvons
obtenir cela en créant une base perceptive dynamique
(modifiable dans le temps) partagée entre équipe soignante,
équipe de rééducation et scolaire, et parents, afin que tous
puissent se référer au même « objet » (l’enfant spécifique,

1.  Alphio est plurihandicapé. Il présente un retard mental moyen avec surdité
sévère, troubles neurologiques et des traits autistes très accentués.
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472 Francesco Grasso

la maladie ou ses difficultés propres, l’interaction et les


échanges affectifs, les entraves sociales, etc.). Cela conduit
à la réorganisation systématique des évaluations parenta-
les, afin de les mettre en condition d’extraire un sens pré-
visible de leurs ­expériences de parentalité et de contenir et
résoudre les angoisses qui découlent de leur désarroi inté-
rieur comme de leurs ­impasses. C’est seulement sur cette
base commune que nous pourrons bâtir des projets adaptés
au cas spécifique et ajuster les objectifs à la qualité et la
quantité de changement que le parent peut supporter sans
perdre son équilibre avec son partenaire, sa famille et son
contexte social.
Dans les deux cas de Marco et d’Alphio, le travail des soignants
consacré à la création d’une base perceptive commune, et obtenue
par le biais de fiches d’observation assez détaillées sur de sim-
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ples données perceptives (les lieux, les temps, les comportements
d’Alphio et de Marco en situations spécifiques et les réactions des
adultes), améliora beaucoup la capacité de conscience des parents
envers leur propre enfant. Ce travail amena à une évolution des
conditions physique et psychologique beaucoup plus facile, même
si pas toujours fluide et continue, et fut aussi la ressource princeps
pour mobiliser les représentations parentales. Un autre résultat
thérapeutique fut l’amélioration du cycle d’anticipation percep-
tivo-motrice en réponse à l’enfant et l’activation d’une très forte
réciprocité émotionnelle parent/enfant. Les parents apprennent,
dans le temps, à canaliser leurs émotions (bonnes ou mauvaises)
sur l’enfant réel et à constater ses réactions (son plaisir ou déplai-
sir, l’ébauche de son identité). En bref, à constituer un lien avec
lui à différents niveaux (perceptif d’abord, d’attachement ensuite,
­symbolique et libidinal après).

Créer cette « base perceptive » commune de la réalité


dans un cadre psychothérapeutique sert à « rendre visibles »
aux parents les changements de l’enfant et à les reconduire
au projet qui a été construit avec eux et dont ils connaissent
et partagent les présupposés, les méthodologies et les finali-
tés. Il faut donc prévoir des séances périodiques qui soient
dédiées à la restitution aux parents du travail effectué sur
leur propre enfant et à la mise au point et la reprogramma-
tion successive du travail clinique avec les parents. Lors de
ces séances, les parents ont donc la possibilité de mieux se
rendre compte et prévoir ce qui se passe, tout en se focalisant
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Effets post-traumatiques du handicap 473

sur des aspects spécifiques de leur expérience, réduisant


ainsi l’attitude typique de tout remettre en discussion à la
moindre difficulté imprévue.

b) La mise en place d’un accompagnement psychologique


et psychothérapeutique
La mise en place d’un accompagnement psychologique
et psychothérapeutique doit se dérouler parallèlement aux
soins, sur la base de l’échange des éléments qui sortent du
monitorage de l’enfant et de la quotidienneté des parents. Le
travail psychothérapeutique avec les parents est axé sur la
focalisation des représentations psychiques de l’enfant, sur
le sens émotionnel et sur la signification propre de l’expé-
rience de parentalité.
Lors de l’entretien qui précédait le bilan de santé de Maria1,
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je me suis tout de suite aperçu de la grande difficulté que sa mère
avait à parler du passé de l’enfant : de sa grossesse, des premiers
moments après l’accouchement et de la petite enfance de sa fille.
Des questions très banales, comme le poids de l’enfant à la nais-
sance ou le titre d’Apgar était pour cette femme source d’inquié-
tude et de gêne. Une fois commencé, à contrecœur, le récit de
sa grossesse, elle ne put plus se retenir de pleurer à chaque mot
qu’elle prononçait. Ses larmes tombaient automatiquement et sans
aucun contrôle, mais elle semblait ne pas s’apercevoir de ses émo-
tions et restait presque détachée de l’expérience qu’elle venait de
raconter, étant donné qu’elle se disait étonnée de ces pleurs jamais
connus auparavant.
Ce travail clinique « précoce » se déroule lors de séances
de type psychothérapeutique, de préférence au tout début du
suivi et au domicile de la famille. Il est centré sur la décou-
verte et la mise au jour de « représentations parentales » qui
surgissent dans les moments du partage des expériences com-
munes avec les parents. Moments qui permettent la mobilisa-
tion de l’imaginaire parentale.
Souvent, lors des visites à la maison, j’essayais de discuter avec
la mère de Juan2 des manières pour améliorer ses ­comportements

1.  Maria est atteinte d’une grave arriération mentale et psychomotrice et s’ex-
prime par des cris et de bruits gutturaux.
2.  Juan est un enfant atteint d’une encéphalopathie néonatale (ICD-9 : 742.9).
Les dégâts au cerveau ont compromis d’une façon très importante ses facultés intel-
lectuelles et psychomotrices.
23 novembre 2012 - TITRE - AUTEUR - La_psychiatrie_de_lenfant - 135 x 215 - page 474 / 684 23 no

474 Francesco Grasso

répétitifs comme déchirer des bouts de papier en tout petits mor-


ceaux ou tourner en rond sur lui-même. Ces manifestations la ren-
daient folle, mais le simple geste d’embrasser son enfant pour les
arrêter était vraiment difficile à accomplir pour elle : « Je sais ce
que je devrais faire avec Juan, mais pour l’embrasser il faut que je
sois tranquille et dans ces moments là je n’arrive pas à trouver la
moindre sérénité. Pour cette raison j’ai lâché, je suis constamment
fatiguée et, depuis cette naissance, je n’ai jamais été bien, ni avec
Juan, ni dans ma peau. »
L’utilisation du journal de l’enfant et/ou des fiches d’en-
registrement du comportement et du sens émotionnel de la
quotidienneté de l’enfant aident à « donner du corps » aux
représentations que les parents possèdent de leur enfant et
de leur parentalité. Ces outils sont très utiles à faire surgir les
fantasmes qui soutiennent la relation parent/enfant, aident à
canaliser les angoisses profondes des adultes, à ­remoduler
leurs réponses émotionnelles et enfin à mettre en place la
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relation avec son propre enfant.
Pour le père et la mère de Marco1, la compilation du journal de
l’enfant, d’abord, et des fiches d’observation comportementales,
après, fut assez particulière. En fait, les notes qui concernaient les
réactions, les sentiments et les émotions parentales qui découlaient
des interactions furent beaucoup plus copieuses et détaillées que
celles qui se focalisaient sur les actions de Marco. La tâche d’obser-
ver le comportement de son propre fils eut donc l’effet de mobiliser
et de mettre au grand jour des émotions et des pensées jusqu’alors
méconnues pour les deux parents. Pendant deux ans, Mme A. écrit
exactement les mêmes choses sur les fiches d’observation compor-
tementale : Comportement de l’enfant – « Alphio suit diligemment
les tâches proposées » ; Réactions du parent – « La mère l’aide et
le surveille avec amour. » L’apparente fixité de ces observations
ouvrait, toutefois, des espaces aux très grandes angoisses mater-
nelles sous-jacentes à sa relation avec Alphio et qui venaient à être
réactivées par les situations spécifiques d’interactions (s’occuper
de lui, le laver ; faire de simples jeux ensemble) prévues lors du
suivi. En effet, pendant les entretiens de discussion des observa-
tions, dans le cadre d’un très long travail psychothérapeutique et
transférentiel, Mme  A. agissait son angoisse et ses peurs déstruc-
turantes envers son fils. Cette actualisation était l’occasion pour
prendre contact et rendre plus apprivoisables, dans le transfert,
ces émotions. L’intégration graduelle des affects jusqu’alors déliés

1.  Marco est atteint par le syndrome de Cohen, maladie qui comporte des
troubles cognitifs sévères.
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Effets post-traumatiques du handicap 475

lui permit de construire son rôle parental, jusqu’alors profondé-


ment détourné, sinon mis à l’écart (en tant que soignante-mère) par
les effets déstructurants du traumatisme lié au handicap d’Alphio.
Ce travail thérapeutique, au fil des ans, aida à la mise en place
d’un rapport maternel authentique, même si tout à fait dépendant
d’un soutien psychologique.
Comme nous l’avons détaillé auparavant1, l’accompa-
gnement a un déroulement absolument non linéaire et non
prévisible, qui se bâtit au fur et à mesure que les acteurs du
processus (parents et professionnels) changent.
– Les points principaux du setting et de la prise
en charge de l’enfant et de sa famille
Dans cette dernière partie de l’article, nous allons sim-
plement esquisser les points essentiels du suivi que nous
envisageons pour l’accompagnement de la parentalité d’un
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enfant handicapé.

a) Les axes de l’intervention – lignes d’adresse pour l’intervention


clinique

– Axe : Relation-Représentation parentale-Action théra-


peutique. À notre avis, c’est l’axe principal. Il se base
sur l’analyse des relations parents/enfant pour mettre
en lumière les représentations parentales qui concernent
l’enfant et la parentalité. L’accompagnement clinique
des parents se déroule dans le temps, donne la possibi-
lité d’expliciter les représentations psychiques, de suivre
leurs évolutions ou involutions et de les mobiliser dans un
cadre transférentiel.
– Axe : Déficiences biologiques-Habilités-Potentialités (de
l’enfant). Cet axe concerne le bilan des conditions « ­réelles »
de l’enfant et se base sur ce qui manque ou est endommagé et
ce qui peut être récupéré ou amélioré, pour établir la pos-
sibilité de faire des projets pour le futur (autonomie per-
sonnelle, adaptation scolaire, intégration dans le monde
du travail, etc.). Il n’est pas simplement question d’in-
former le parent, mais il faut créer une réalité perceptive

1.  Voir paragraphe sur les effets du traumatisme.


23 novembre 2012 - TITRE - AUTEUR - La_psychiatrie_de_lenfant - 135 x 215 - page 476 / 684 23 no

476 Francesco Grasso

partagée avec eux, le sens de l’expérience est mis en com-


mun avec d’autres personnes pour éviter, comme cela
arrive souvent, deux (ou plus) réalités soutenues par des
exigences différentes des parent(s) et des soignant(s).
– Axe : Ressources-Objectifs-Résultats. Cet axe concerne
la mise en acte des interventions. Tous les plans doivent
prendre en compte les possibilités offertes par le contexte
auquel l’enfant et sa famille appartiennent et poursuivre
des buts réalisables. Les objectifs et les résultats doivent
donc passer par la vérification sociale et organisatrice
et s’articuler dans un « projet de vie » convenable pour
l’enfant par le biais d’un processus « continu » de ré-
encadrement du suivi clinique axé sur les situations de la
quotidienneté (interactions, attentes, obstacles, ressources
disponibles). Cela veut dire travailler selon le « principe
de réalité » décelant les failles, parfois macroscopiques,
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qui existent entre les intentions des parents et celles des
soignants envers l’enfant et son cadre de vie actuel.
– Axe : Communication-Information-Décision. C’est le
travail d’interconnexion entre les différents profession-
nels, indispensable pour rendre les efforts faits envers
l’enfant et les parents le plus possible unitaires en vue
d’objectifs qui concordent entre eux. L’échange clinique
à tous les niveaux est la condition préalable à toutes les
interventions. Cela donne aux soignants la possibilité de
lire et de prévoir les réactions des parents et de suivre
les événements qui concernent l’enfant et les parents.
Il faut souligner que l’échange du « sens » de l’expé-
rience parentale du handicap et ses aspects structurel,
fonctionnel, émotionnel et symbolique est un processus
à double voie (des soignants aux parents et vice versa) ;
en ce sens-là, les « comportements bizarres » auront leur
propre signification dans le déroulement du rapport
thérapeutique.

b) Évaluation
Un aspect fondamental du suivi pour la mise en place du projet
de vie inclusif (au niveau social) de l’enfant est l’évaluation des
conditions de l’enfant, bien sûr, mais aussi des représentations
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Effets post-traumatiques du handicap 477

parentales et des facteurs environnementaux (selon le modèle


bio-psycho-social de l’OMS, 2001, 2007).
L’accompagnement clinique concerne, d’abord, l’éva­
luation :
1/ de l’enfant (bilan de santé, niveau de développement
psychomoteur, du langage, cognitif, communicatif, des auto-
nomies, niveau de socialisation) et de son environnement
(facilitateurs et barrières) ;
2/ de la situation familiale (visite au domicile et entretien
en consultation) ;
3/ des représentations psychiques des parents. Nous pouvons
identifier différents types d’outils spécifiques pour investi-
guer les images mentales de l’enfant que le parent a dans la
tête et les difficultés que les parents présentent dans les pro-
cessus d’organisation et de représentation :
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– L’analyse de la narration parentale (utilisation du « jour-
nal de bord » ou d’agendas finalisés à des buts bien délimi-
tés et de simples grilles de repérage comportementales) ;
– L’évaluation des capacités du parent à percevoir les
caractéristiques de son propre enfant et son niveau de
développement (compétences, difficultés, vitesse de pro-
gression dans le temps) comme les outils qui cotent la
perception parentale des domaines du développement
de l’enfant [ex. CBCL –Child Behavior Checklist/1.5 to
5 years of age, for children ages 6 to 18, for youth 11 to 18,
(Achenbach, 1991, 1992); Questionnaire Parents du PEP
– 3, (Shopler et al., 2004) ; ICF-CY, (OMS, 2007).]
– L’évaluation des aspects métacognitifs des parents (échel-
les ou entretiens structurés) ;
– L’évaluation des aspects du traumatisme ou de la présence
d’un Syndrome de stress post-traumatique (SSPT) : TEC
– Traumatic Experience Checklist (Nijenhuis, Van der Hart,
Kruger, 2002) ; PSTD Inventory (Solomon Z., Benbenishty R.,
Neria Y., Abramowitz M., Ginzburg K. & Ohry A., 1993) ;
CAPS –Clinician Administred PTSD Scale (Blake, Weathers,
Nagy, Kaloupek, Charney & Keane, 1995) ; etc.
– Enfin, si les narrations ou les comportements parentaux
montrent une allure pathologique sous forme de désorga-
nisation de la pensée et d’incapacité à gérer l’émotivité
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478 Francesco Grasso

en situation spécifique, les échelles et les interviews struc-


turées pour l’évaluation des symptômes dissociatifs peu-
vent être très utiles : DES –Dissociative Experience Scale
(Bernstein, Putnam, 1986 ; Carlson, Putnam, 1993) ;
DES-Taxon (Waller, Carlson, Putnam, 1996) ; SCID-D-R
– Structured Clinical Interview for Dissociative Disorder
(Steinberg, 1995 ; 2000), etc.
4/ et ensuite, la restitution à la famille (parents) pour la
mise au point d’un projet thérapeutique avec toutes les com-
posantes de l’équipe (psychologue, médecins, orthophoniste,
kinésithérapeute, éducateurs, art-thérapeute, etc.).

c) Les interventions cliniques


Les interventions que nous proposons doivent être
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adaptées au cadre clinique spécifique. En ligne générale,
le monitorage de l’enfant est le véritable point de départ
de toutes actions thérapeutiques et il occupe donc un poste
prioritaire.
– Monitorage de l’enfant. Il concerne la mise au point d’un
dispositif d’échange et de partage des informations sur
l’enfant (bimensuel pour les trois premiers mois, mensuel
ensuite). S’il le faut, la périodicité des rencontres peut
être hebdomadaire, voire plus resserrée.
– Travail sur les contextes d’accueil et de résidence de
l’enfant (école, domicile, institut de rééducation, établis-
sement sportifs, etc.). Le processus de partage des infor-
mations et d’adaptation des contextes sociaux devient
fondamental si nous voulons généraliser les résultats du
travail avec l’enfant et les parents. Si nous envisageons
une logique inclusive dans nos actions cliniques, il est
vraiment important de prendre en compte des facteurs qui
facilitent ou empêchent le processus de développement de
l’enfant (et de ses parents) dans un contexte social.
– Psychothérapie adressée aux parents (interactions
parent/enfant). Si les perturbations parentales sont
assez graves et étendues, une prise en charge psycho-
thérapeutique (hebdomadaire) de la mère et du père
ensemble est proposée. La consultation est focalisée sur
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Effets post-traumatiques du handicap 479

les représentations de son propre enfant qui découlent


de la narration de leurs expériences parentales enregis-
trées lors des activités en famille avec l’enfant. À partir
de là, le travail se focalise : sur l’histoire personnelle des
parents, comme parents et comme enfants ; sur la façon
de percevoir l’enfant en tant que personne ; sur le vécu
de sa propre parentalité dans le présent ; sur les éventuel-
les distorsions perceptives relevées lors du monitorage du
rapport parent/enfant ; sur les difficultés d’intégrer l’ex-
périence actuelle avec l’histoire personnelle du parent ;
et enfin sur les rapports d’eux-mêmes avec les autres à
l’intérieur du contexte social d’appartenance.
– Supervision clinique d’équipe (mensuelle) : évalua-
tion des progrès, des difficultés, de l’impact des outils
­techniques et des méthodologies de travail sur l’enfant et
sur les contextes.
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Conclusion

Les efforts, soit économiques soit en termes de ressources


humaines, sur la question de l’inclusion sociale des ­personnes
avec des handicaps sont une évidence qui ne peut pas être
mise en discussion. Pour l’âge du développement (0-18 ans),
ont été mises au point des aides et des interventions pour
l’insertion scolaire des enfants (enseignement spécialisé,
assistants à l’hygiène, assistants éducatifs, etc.), pour la réé-
ducation (nombreuses institutions spécialisées réparties sur
le territoire), pour la socialisation et pour le renforcement
des autonomies (les régions et les communs payent de nom-
breux projets à thème). En revanche, l’assistance psycholo-
gique aux familles reste presque inconnue.
En Italie, particulièrement, la loi 104/1992 avec ses inté-
grations successives est la loi de référence sur le handicap. Elle
assure aux personnes handicapées les droits fondamentaux à
l’éducation, à l’étude, au travail, tout en mettant à disposition
du sujet « en situation de handicap » l’effective possibilité de
s’intégrer positivement dans la société. Toutefois, presque
toujours, la famille, seule, doit s’orienter dans la multitude
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480 Francesco Grasso

d’opportunités financées par l’État et par les administrations


locales en matière de politique pour le handicap. La famille,
spécialement dans les premiers moments douloureux de la
naissance ou de l’annonce du handicap, peut très rarement
compter sur un soutien psychologique et social continu dans
le temps et compétent dans ses formes.
À notre avis, l’accompagnement clinique des parentalités
difficiles est le véritable « anneau de conjonction » entre les
lignes d’adresses politiques actuelles en thème de handicap
et la véritable intégration/inclusion sociale du handicap. La
prévision d’une démarche clinique et sociale organisée ainsi
donnerait une garantie de continuité et d’efficacité à tous les
parcours étudiés pour le handicap. L’accompagnement des
parentalités difficiles par le biais d’un partage avec « quelqu’un
qui est, quand même, toujours là » éviterait la dispersion des
ressources, le redoublement et la fragmentation des inter-
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Dr Francesco Grasso Automne 2010


Via Antonio de Curtis, 30
95131 Catania
Italie
franzgrasso@tiscali.it

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