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14 J.

HUBERT

une cinquantaine de mètre de longueur, soit cinq à six mètres de


plus que deux importants monuments du ve siècle dont Grégoire
de Tours a donné les dimensions, la basilique construite à Tours
par l'évêque Perpet pour abriter le tombeau de saint Martin
et la cathédrale de Clermont, œuvre de l'évêque Namatius.^
Cette très grande église était édifiée dans l'île de la Cité à 250
mètres à l'est du palais des souverains mérovingiens et elle ne
pouvait avoir qu'une origine royale. Fondations et substructions
de l'édifice original attestaient un travail soigné et les fragments
de son décor de marbre — chapiteaux, colonnes et colonnettes,
pavement — ont été déposés dans les collections du Musée
de Cluny 20. Ces vestiges témoignent de la recherche d'un
certain luxe, comme les restes de la basilique des Apôtres (plus tard
Sainte- Geneviève), fondée par Clovis, et de la basilique Sainte-
Croix-Saint- Vincent, plus tard Saint-Germain-des-Prés, œuvre
de Childebert. L'église de la Cité paraissait être d'une date plus
proche de la première de ces basiliques que de la seconde 21.
Au nord-ouest des substructions de l'église, on retrouva en 1845
les fondations de Saint-Christophe, église qui ne disparut qu'à la
Révolution, et dont l'emplacement exact est essentiel à connaître
pour l'intelligence de ce que nous révéleront des documents.

3. Indications données par V ancienne topographie de Vile de


la Cité. — On dispose d'un excellent document, V Atlas de la
censive de V archevêché dans Paris, exécuté en 1786 par Rittmann
et Juigné 22 ; et l'on doit y joindre le plan de Paris publié en 1737

20. A. Lenoir, Statistique monumentale de Paris (Paris, 1867), p. 20-21,


pi. XVII. — A. P. M. Gilbert, « Fouilles du parvis Notre-Dame à Paris »,
dans Annuaire de la Société des Antiquaires de France, 1850, p. 130-136. —
Ch. Sellier, « Rapport sur la découverte de quelques vestiges de la basilique
mérovingienne au parvis de l'église Notre-Dame », dans Commission du
Vieux-Pans, séance du 25 mai 1907, p. 219-222. — Musée des Thermes et
de l'Hôtel de Cluny. Catalogue général, t. I (Paris, 1922), p. 114. — M. Michel
Fleury prépare une étude critique des découvertes du parvis Notre-Dame
en utilisant, outre ces relations, les précieuses notes de Waquer conservées
à la Bibliothèque de la Ville de Paris. Il est particulièrement difficile de
préciser la stratigraphie indispensable à bien connaître pour distinguer les
superpositions de maçonnerie et les reprises.
21. Cf. May Viellard-Troierouroff, dans Les églises suburbaines de
Paris du IVe au X* siècle (Paris, 1961), p. 89 et suiv., p. 165 et suiv. La
sculpture du grand chapiteau trouvé dans les ruines de la basilique du parvis
Notre-Dame, très semblable à celle du chapiteau provenant de la basilique
des Saints-Apôtres construite par Clovis peu après l'année 496, est beaucoup
plus proche des techniques gallo-romaines que la sculpture des chapiteaux
de marbre du milieu du vi* siècle provenant de la basilique Sainte-Croix
et Saint-Vincent de Paris et de la cathédrale de Nantes (D. Costa,
Inventaire des collections publiques françaises. 10. Nantes. Musée Th. Dobrée. Art
mérovingien. Paris, 1964, fig. 180-184). D'après l'archéologie, la basilique
des fouilles de la Cité pourrait donc être la première cathédrale intra muros,
datant au moins de la seconde moitié du ve siècle.
22. Archives nationales, N* Seine, atlas 64, publié en fac-similé par Armand
LES ORIGINES DE NOTRE-DAME DE PARIS 15

par l'abbé Delagrive où figure auprès de la façade de Notre-Dame


l'église de Saint- Jean-le-Rond qui fut démolie dès l'année 1748.
La confrontation du plan des fouilles et des plans du xvme siècle
permet de faire une constatation très importante (fig. 2). Les
deux églises s'élevaient à la suite l'une de l'autre, sur une même
file mais sans régularité. Apparemment, l'église de l'est, dans
son second état, était moins grande que l'autre. Les deux édifices
n'étaient séparés que par une distance d'une trentaine de mètres.
Les baptistères n'avaient pas la même fixité d'emplacement
que les églises. Ceux d'Aquilée, de Trêves, de Milan et de Nantes
ont changé de place au cours des âges. Cependant, le nom même
de Saint-Jean-le-Rond donne à penser que le baptistère de la
Cité n'a jamais changé d'emplacement. En effet, l'édifice qui en
garda le vocable et les prérogatives après la construction de la
cathédrale gothique était de plan rectangulaire. D'évidence
il doit son nom de Saint- Jean-le-Rond au souvenir d'un
baptistère de plan circulaire qui s'élevait au même endroit. Il était
situé à l'extérieur du mur entourant le cloître Notre-Dame et
son église et s'élevait à quelques mètres seulement du chevet
de l'église retrouvée dans les fouilles du parvis Notre-Dame ;
il était évidemment le baptistère propre à cette église.
Avant la construction de la cathédrale actuelle, il y avait
donc un groupe cathedral essentiellement composé, à l'ouest
d'une très grande église accompagnée d'un baptistère et, à l'est,
d'une église moins importante, au nord de laquelle s'étendait,
entouré d'un mur, le « cloître Notre-Dame » où les chanoines
avaient leurs logis. Les lieux capitulaires étaient probablement
placés au chevet de l'église.

Les textes.

Les textes qui intéressent l'histoire du groupe episcopal de


Paris pendant le haut Moyen âge sont nombreux **. Je ne ferai

Brette dans Histoire générale de Paris. Collection de documents, t. I (Paris,


1906). La planche XXVIII correspond à la partie est de la Cité.
23. Ces textes ont été publiés par Benjamin Guérard (Cartulaire de la
cathédrale Notre-Dame de Paris. Paris, 1850) et par Robert de Lasteyrie
(Cartulaire général de Paris, t. I, Paris, 1887). Ils ont été inexactement
commentés par Victor Mortet dans son livre Étude historique et archéologique
sur la cathédrale et le palais episcopal de Paris du VIe au XIIe siècle (Paris,
1888). Avec perspicacité, Jules Quicherat, « Critique des deux plus anciennes
chartes de Saint-Germain-des-Prés », dans Bibliothèque de l'École des Chartes
t. XXVI (1865), p. 545-550, et « Les trois Saint-Germain de Paris », dans
Mémoires de la Société des Antiquaires de France, t. XXVIII (1865), p. 156-
180, avait leconnu que la plurabilité des vocables d'une église episcopate
signifiait une pluralité d'édifices. Victor Mortet voulut lui opposer « l'opi-
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état ici que de ceux dont le témoignage ne peut donner lieu à


discussion 24.
L'existence d'une église cathédrale dans l'île de la Cité remonte
très haut. Grégoire de Tours en témoigne. On racontait de son
temps, c'est-à-dire dans la seconde moitié du vie siècle, qu'il
y aurait eu une première cathédrale hors de l'île, dans le faubourg,
à proximité du cimetière où était le tombeau d'une sainte, Cres-
■centia ; mais ce n'était déjà plus qu'une tradition assez vague 25.
Au vie siècle et au vne siècle, dans les écrits de Grégoire de
Tours 26 et dans les chartes 27, la cathédrale n'est désignée que
par le mot ecclesia. A la fin du siècle suivant apparaissent dans
les actes les vocables multiples : Notre-Dame, Saint-Étienne et

nion commune », selon laquelle ces vocables multiples étaient ceux des autels
d'une seule église et il n'a réussi qu'à montrer les inconvénients d'une
«nquête entreprise pour justifier une conviction a priori. Ses théories ont été
longtemps acceptées (cf. A. Friedmann, Paris, ses rues, ses paroisses, du
Moyen âge à la Révolution, Paris, 1959, p. 50-54), mais elles ont été très
complètement réfutées par Marcel Aubert, « Les anciennes églises épiscopales
•de Paris... », dans Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles
Lettres, 1939, p. 319-327, et La cathédrale Notre-Dame de Paris. Notice
historique et archéologique, 3e édit. (Paris, 1945), p. 2 et suiv.
24. Le poème De ecclesia parisiaca de Fortunat (Carmina, II, 10, édit.
Leo, p. 37) se rapporte d'après son titre à la cathédrale de Paris mais, dès
le Moyen âge, il fut appliqué à la basilique Sainte-Croix et Saint- Vincent,
plus tard Saint-Germain-des-Prés (Gislemar, Vita S. Droctoveii, c. 9, Acta
Sanctorum, 30 mars, p. 38). — Les « basiliques » Saint-Étienne et Notre-
Dame citées dans la donation faite vers 700 par Ermentrudis (R. de Las-,
teyrie, op. cit., p. 21, n° 14) ne sont pas les églises de la Cité mais Saint-
JÊtienne-des-Grès et Notre-Dame-des-Champs, qui, d'après une fouille
récente, existait déjà à cette époque (cf. une communication faite par
M. Michel Fleury à la Société des Antiquaires de France en 1963 et
actuellement sous presse). Nous ne considérons enfin que comme une hypothèse
intéressante, faite par Léon Levillain (« Le formulaire de Marculf et la
critique moderne », dans Bibliothèque de l'École des Charles, t. LXXIV (1923),
p. 81 et suiv. et « Le vocable de la cathédrale de Paris à l'époque franque »,
dans Mélanges Ferdinand Lot (Paris, 1925), p. 445-476) l'attribution à Paris
d'une formule du recueil de Marculf (II, 1, édit. Zeumer, p. 70 et 71) qui
garde le souvenir de la fondation faite avant 650 dans une ville épiscopale
non désignée d'un oratorium ac cellola, c'est-à-dire d'un petit établissement
monastique, qui était placé sous le vocable de la Vierge. D'autres cités
épiscopales, et probablement Meaux dont Levillain ignorait l'ancienne église
■épiscopale intra muros dédiée à la Vierge, peuvent être préférées à Paris
pour cette identification. Les actes faux, comme le diplôme de Childebert Ier
•en faveur de Sainte-Croix et Saint- Vincent, ou des textes hagiographiques,
■comme la vie de saint Cloud (Acta Sanctorum, sept., t. III, col. 91) ont été
rédigés trop tardivement pour intéresser notre étude.
25. Grégoire de Tours. In gloria confessorum, 105 : « Tumulus erat
in vico Parisiorum, haud procula loco in quo senior, ut aiunt, ecclesia nun-
cupatur ».
26. Textes cités et commentés par A. Longnon, Géographie de la Gaule
4M F/e siècle (Paris, 1878), p. 353-354.
27. « Sancta ecclesia Parisiaca » (Testament de Bertramnus, évêque
•du Mans, 615, Pardessus, Diplomata, t. I, n° CCXXIX, p. 202) ; « Sacro-
sancte ecclesie civitatis Parisiensis » (Donation d'Ermentrude, v. 700, R. de
Lasteyrie, op. cit., n° 149, p. 21).

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