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Échos d'Orient

Traductions de l'Écriture Sainte en néo-grec, avant le XIXe siècle


Th. Xanthopoulos

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Xanthopoulos Th. Traductions de l'Écriture Sainte en néo-grec, avant le XIXe siècle. In: Échos d'Orient, tome 5, n°6, 1902. pp.
321-332;

doi : https://doi.org/10.3406/rebyz.1902.3427

https://www.persee.fr/doc/rebyz_1146-9447_1902_num_5_6_3427

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TRADUCTIONS

DE L'ÉCRITURE SAINTE EN NÉO-GREC

AVANTLE XIXe SIÈCLE

Les derniers événements d'Athènes ont de la nation; les vulgaristes, ralliés aux
mis une fois de plus à l'ordre du jour la théories de M. J. Psicharis, ne forment
question, si souvent débattue dans l'Eglise pas encore un groupe bien compact, et
de Constantinople, des versions de sont tenus en suspicion par leurs
l'Ecriture en néo-grec. Toutes les consciences compatriotes. Ils sentent l'étranger, dit-on; ils
orthodoxes ont été plus ou moins remuées n'ont plus le pur patriotisme et subissent
par la « scandaleuse entreprise » d'un l'influence des milieux européens dans
homogène qui n'a pas craint de porter lesquels ils vivent. Ils ne sont pas les
une main sacrilège sur le texte vénérable représentants de l'idée grecque.
des Evangiles, pour se faire le champion Or, l'Eglise du Phanar est contraire, en
de la plus abominable des causes. M. A. principe, à la traduction des Ecritures en
Pallis a commis un attentat contre sa l'un ou l'autre de ces dialectes. Elle serait
religion et contre sa patrie. Voilà ce que toutefois plus tolérante pour la langue
tous les organes de la presse hellénique correcte ou relevée; mais là encore, elle se
ont dit et répété à satiété. Deux seuls ont refuserait à une approbation, pour cette
pris parti pour le novateur, et la nation raison, dit-elle, que cette langue est à très
tout entière leur a jeté l'anathème. peu de chose près celle de l'Evangile ou
Le nouvel essai de traduction des de l'Ancien Testament, et qu'ainsi une
Ecritures n'a donc pas eu tout le succès qu'en traduction de ce genre n'aurait pas sa
attendaient ses auteurs ; il a même provoqué raison d'être, puisqu'elle ferait comme
de sanglantes protestations; j'en dirai double emploi avec le texte original qu'elle
quelque chose dans une autre étude. n'éclaircirait pas.
Mais cette troublante question n'étant pas Je reviendrai, dans la suite de ce travail,
d'hier, il m'a paru utile d'en faire sur les raisons apportées par l'Eglise
l'historique et de passer en revue les différentes grecque, au cours des derniers
versions néo-grecques parues avant celle événements, pour renoulever ses défenses contre
de M. Pallis. Toutes, soit qu'elles aient toute traduction des Livres Saints. L'une
été élaborées par des auteurs juifs, d'entre elles mérite cependant une réponse
protestants ou orthodoxes, visaient au même immédiate à cause de son importance
but, mettre la Bible au niveau du peuple. même, et surtout de la confusion qu'elle
a pu produire dans quelques esprits.
L'organe officiel du patriarcat de
Quand je parle de néo-grec, j'entends Constantinople, en s'élevant énergiquement
ce que l'on est convenu d'appeler I. grec contre toute tentative qui voudrait
vulgaire ainsi que le grec correct ou relevé. profaner par une traduction le texte de
On sait que l'un est la langue parlée., l'Écriture, a déclaré, en effet, qu'il se basait en
même par la bonne société d'Athènes et cela sur la pratique identique de l'Eglise
de Constantinople; l'autre est la langue catholique. 11 est rare que nos frères séparés
écrite, celle des journaux et des livres, appuient leurs jugements ou leurs
sauf de très rares exceptions. Jusqu'ici, les doctrines sur des fondements aussi solides,
puristes ont pour eux la grande majorité et il est réellement malheureux que, pour
Echos d'Orient. ç° année. — N" 6. Septembre 1902.
ÉCHOS D ORIENT

la circonstance, la comparaison des points j l'Ecclésiaste, le Cantique des cantiques


de vue entre les deux Eglises ne puisse ce dernier jusqu'à Tage de trente ans?
pas se vérifier. Pour ma part, je le regrette. Le Concile de Trente, qui avait à lutter
Il paraîtrait donc que l'Eglise catholique contre les théories protestantes, en cette
interdit systématiquement à ses fidèles la matière comme en bien d'autres, porta
lecture des Livres Saints. Le reproche ne les mêmes défenses, et le pape Pie IV
date pas d'hier. 11 y a longtemps déjà qu'il publia les règles de l'Index. Mais la
a été formulé, soit en Orient, soit surtout discipline ne tarda pas à se radoucir, dès que
en Occident^ par les chefs de la Réforme. les troubles provoqués par la Réforme
Il s'agit de ne rien exagérer et de mettre eurent fait place au calme qui suit
les choses bien au point. L'orthodoxie — toujours les grandes et violentes secousses.
c'est une vérité solidement établie depuis Benoît XIV fut plus large que ses
la réponse patriarcale à certaine Encyclique prédécesseurs. Il permit aux simples fidèles la
de Léon XIII — aime à emprunter à lecture de la Bible traduite en langues
l'arsenal protestant les armes dont elle a besoin modernes, et deux seules conditions furent
pour défendre ses théories et donner un exigées pour jouir de cette autorisation :
semblant de justification à la plus funeste ces sortes de traduction doivent être
des séparations. revêtues de l'approbation de l'autorité
Or, aux protestants dont s'inspirent compétente et accompagnées de notes
aujourd'hui tant d'écrivains orthodoxes, tirées des Pères de l'Eglise ou d'autres
Bossuet répondait déjà victorieusement écrivains catholiques-
dans ses Variations, que bien avant les Or, si j'ai bien compris les documents
prétendus réformés, il existait dans l'Eglise orthodoxes qui traitent de cette matière, il
catholique des versions de l'Ecriture à me paraît que l'Eglise du Phanar n'exige pas
l'usage des fidèles. Le psautier, les autre chose. Il y a même un cercle vicieux
Evangiles, d'autres livres sacrés furent traduits dans ce qu'elle enseigne, car si, d'une
dès le haut moyen âge, et comptent part, elle impose comme l'Eglise
aujourd'hui parmi les plus anciens catholique l'approbation préalable de l'autorité
monuments de quelques langues européennes. compétente, qui est dans le cas présent le
Mais ces versions se multiplièrent surtout patriarche et le Saint Synode, d'autre part,
après la découverte de l'imprimerie. elle se refuse obstinément à approuver
L'Eglise, il est vrai, s'est souvent n'importe quelle traduction de l'Écriture
montrée sévère pour permettre indistinctement en grec vulgaire qui est la langue parlée
aux fidèles la lecture de toutes les parties communément par le peuple. Et l'on
de la Bible. Mais, à cet égard, elle n'a fait arrive ainsi à cette conclusion que l'Eglise
que suivre les règles de la prudence la catholique, accusée par plus d'un fervent
plus élémentaire. Dès le xne siècle, elle orthodoxe de proscrire systématiquement
interdisait au peuple certaines parties de aux fidèles toute lecture de la Bible, non
l'Ecriture, et pour de bonnes raisons. seulement l'autorise moyennant deux
Parmi les Pères de l'Eglise eux-mêmes, conditions forts raisonnables, mais l'admet
plusieurs pensaient que nos Livres Saints même dans un texte moderne, ce à quoi
ne doivent pas être mis entre toutes les l'Eglise de Constantinople se refuse
mains, et que certains passages, loin absolument pour ses propres fidèles.
d'édifier, peuvent scandaliser. En remontant L'enseignement de celle-ci a peu varié
plus haut encore, ne voit-on pas la à cet égard. Certains patriarches, ou
Synagogue user de ce droit que nous d'autres personnalités moins marquantes
reconnaissons à l'Eglise, et interdire à ses ont paru, il est vrai, favoriser ces versions ;
adhérents, pour des raisons d'ordre divers, la mais ils n'ont exprimé dans la question
lecture des premiers chapitresdelaGenèse, que leur opinion individuelle, et les
le commencement et la fin d'Ezéchiel, protestations officielles ne laissent aucun
TRADUCTIONS DE L'ÉCRITURE SAINTE EN NÉO-GREC AVANT LE XIXe SIÈCLE

doute sur les sentiments de la nation tout adopté la langue (i). Or, il est un. fait qu'il
entière dans le débat qui nous occupe. n'est plus permis de mettre en doute, c'est
Toutefois, des essais de versions de que, dès cette époque et déjà bien avant,
l'Ecriture en néo-grec ont été tentés, et l'on constate lacoexistence de deuxidiomes:
depuis bien longtemps déjà. M. Pallis l'un officiel et savant, l'autre populaire, se
n'est pas un initiateur, mais un nom de rapprochant beaucoup de ce que l'on appelle
plus à ajouter à la liste des traducteurs de assez dédaigneusement aujourd'hui le grec
l'Ecriture en dialecte populaire. Je n'ose vulgaire. Tobia,qui veut être compris et faire
dire s'il faut voir dans son nouvel essai, œuvre utile, emploie le dialecte du peuple.
si brusquement entravé, une inspiration Mais commentaire, dira-t-on, n'est pas
protestante ou peut-être une douce traduction. Aussi dois-je signaler que
pression de l'influence moscovite qui s'exerce l'exégète a cru nécessaire, dans le cours
en haut lieu à Athènes, comme chacun de ses explications, de traduire en langage
sait. La grande sœur orthodoxe n'a pas populaire de nombreux passages du Pen-
eu en effet les mêmes scrupules, et il y a tateuque, et c'est là, à ma connaissance,
longtemps que circulent en Russie les le premier exemple d'une version partielle
exemplaires du Nouveau Testament avec de l'Ecriture en grec vulgaire. De plus, cet
le visa du SaintSynode. Quoi qu'il en soit, essai a ceci d'intéressant qu'il nous
je tiens à signaler dès à présent que toutes- présente un texte néo-grec écrit en caractères
les versions orthodoxes de l'Ecriture en hébraïques.
néo-grec, antérieures à celle de M. Pallis, 2° C'est aussi en pleine période byzanti ne
ont toujours été sollicitées et patronnées que fut traduite la prophétie de Jonas (2),
par des Sociétés bibliques protestantes, et et par un Juif qui, comme son devancier,
que leurs auteurs n'ont pas eu pour unique se servit dans sa rédaction de l'écriture
mobile le désir, très légitime d'ailleurs, hébraïque. Il existe aujourd'hui deux
de mettre la parole de Dieu à la portée manuscrits de cette version. Le plus ancien
du peuple. On s'en convaincra dans la fait partie de la bibliothèque Bodléenn© ; il
suite de ce travail. Si M. Pallis ne s'est nous fournit ce précieux renseignement
laissé influencer par aucune puissance que l'ouvrage a été vendu en 1263. On-
occulte, on peut dire hardiment que sa pourrait conjecturer que la rédaction elle-
conduite est sans précédent. même date de plus loin.
Ce modeste travail comprend deux L'auteur s'est efforcé de rendre l'original
parties: i° versions antérieures à Cyrille d'une manière adéquate. La traduction est
Lucaris ; 2° de Cyrille Lucaris à la fin du donc absolument littérale et l'on y
xvme siècle. rencontre de fréquents hébraïsmes. Ainsi, les
substantifs conservent dans la version
1° VERSIONS ANTÉRIEURES A grecque le genre qu'ils ont en hébreu. On
CYRILLE LUCARIS y trouve des anomalies comme celle-ci
« xvsfjio μεγάλη», le terme qui signifie
i° Le premier essai qui ait été fait d'une vent étant en hébreu du féminin. Voici du
traduction, de la Bible en grec populaire reste tout un verset comme échantillon de
constitue un des plus anciens monuments la langue: « Eal 6 Κύρνος έ'ρριψεν ανε(αο
de cette langue. Datant du xie siècle, il nous αεγάλην προς τήν θάλασσα, και ητον λαίλαπας
reporte aux temps de la première Croisade, 'ιχένας εν τή Βάλάσσα, και το xapctêi εδιαλο-
sous Alexis Ier Comnène. L'auteur, Tobia γίζετον το συθριβεΐ. (Chap. Γ, 4·) Le
ben Eliézer, était juif, comme son nom manuscrit d'Oxford présente des formes dialec-
l'indique, et vivait à Castoria en Macédoine.
Il nous a laissé un commentaire du Penta- (1) J. Perles, Jüdisch-byzantinische Beziehungen, dans la
teuque à l'usage de ses compatriotes Byzantinische Zeitchrift, t. II (1893), p. 574.
(2) K. Krumbacher, Geschichte der byzantinischen Litte-
établis dans les pays grecs et qui en avaient ratur, 2e edit., p. 909.
.
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tales, a dit un critique, propres au parler rodoxes. Selon lui, c'est un mauvais
de Corfou. Au contraire, le second livre, κακή βίβλος.
manuscrit conservé à la bibliothèque de Bologne, L'ouvrage dut obtenir cependant un
ei que l'on date du xve siècle, paraît nous certain succès puisqu'il eut les honneurs
offrir un spécimen du dialecte crétois. Quoi d'une seconde édition à Venise en 1567.
qu'il en soit de cette question particulière, De plus, la quatrième édition du θησαυρός
il est intéressant de constater que, dès le de Damascene, qui parut dans cette
milieu du xin° siècle, pour le moins, il même ville en 1628, contient plusieurs
existait une traduction de la prophétie de discours de Kartanos, où, comme dans
Jonas en néo-grec. son "Ανθος, le moine auteur traduit à
3° En ι =, 36, paraissait à Venise un l'usage du peuple plus d'un passage de
ouvrage grec avec ce titre quelque peu énig- l'Écriture (1). Kartanos a donc été
matique : Tô παρόν βιβλίον.εναί ή παλαιά τε initiateur, et le premier parmi les Grecs qui
χαΐ νέα οίαθήκη, ήτοι το άνθος ' ανάγκα ιον ait compris la nécessité d'une traduction
αυτής. Son auteur, un moine grec, de la Bible en langue accessible au peuple.
s'appelait Joannice Kartanos (1). Ce bon caloyer, 40 En dehors de l'ouvrage de Kartanos,
qui n'était pas, paraît-il, la vertu même, le xvie siècle nous a légué une très
et dont l'humeur vagabonde donna prise précieuse traduction en néo-grec de tout le
à de très vives critiques, voulait mettre la Pentateuque. C'est l'essai le plus
Sainte Ecriture à la portée du peuple. considérable tenté jusque-là dans ce genre. Ici
L'idée, en son principe, n'avait rien de encore le traducteur est juif et, comme
blâmable, et Kartanos. qui avait au cœur ses prédécesseurs, il se sert des
toute l'activité de sa race, eut le courage caractères hébraïques . L'anonymat qu'il a
i!e la réaliser. Quelques menus méfaits voulu garder n'a pas encore été percé.
l'avaient conduit jusque dans les geôles de Comme on peut le voir dans l'édition
Venise. C'est là que, pour occuper ses très soignée que M. C. Hesseling nous a
loisirs forcés, il pensa faire œuvre récemment donnée de cette version (2),
expiatoire en composant cet ouvrage dont c'est à Constantinople, en 1 547, que parut
l'unique but était le profit spirituel de la l'ouvrage dont les pages divisées en trois
nation. colonnes donnaient lestroistextes: hébreu,
Le livre du moine grec contenait, en néo-grec et espagnol. Ne traitant ici la
langue populaire, toute l'histoire de question des versions de l'Écriture en
l'Ancien Testament et d'une partie du néogrec qu'au point de vue historique, je ne
Nouveau. Et, fait qui rentre dans la question pourrais, sans m'écarter de mon sujet,
qui nous occupe, de nombreux passages faire les remarques linguistiques que
des Livres Saints y étaient traduits comporte un texte de cette vaieur. Elles
littéralement çà et là en grec moderne (2). ont été faites, d'ailleurs, par de plus
Un autre moine grec, Pacôme Roussanos, compétents. Le savant éditeur auquel nous
un puriste celui-là, qui à cette époque devons cette publication y voit « un
poursuivait de ses diatribes son peu monument de la langue commune de la fin
honorable confrère, s'insurge en particulier du moyen âge ».
contre le style de cet ouvrage, φράσις M. E. Legrand (3) et M. Lazare Bel-
βάρβαρος. En dehors de la langue qui
n'est pas de son goût, Roussanos y relève
un certain nombre d'opinions hété- (1) Ph. Meyer, art. Damascenos, op. cit.. t. IV, p. 428.
(2) Les cinq livres de la Loi. Traduction en néo-grec
publiée en caractères hébraïques à Constantinople en
1547, transcrite et accompagnée d'une introduction, d'un
(1) Sathas, Νεοελληνική φιλολογία. — Βιογραφία!. glossaire et d'un fac-similé, par D. C. Hesseling,
Athènes, 1868, p. 147. Leide, 1897, in-8", Lxiv-443 pages.
(2) Ph. Meyer, art. Kartanos, dans Realencyclopadie filr (3) Bibliographie hellénique des xve et xvi° siècles, Paris,
protestantische Theologie und Kirche, γ edit., t. X, p. 99- 1885,. t· H, P· 159-161.
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leli (1), qui se sont occupés de cette été publié à Constantinople en même
version à différents titres, ne doutent ni l'un temps que Job, en deux colonnes, hébreu
ni l'autre que l'auteur ne fût juif. Il n'y a, et grec moderne, et comme toujours en
pour s'en convaincre, qu'à lire les quelques écriture hébraïque.
lignes qui précèdent le texte lui-même et Je dois faire ici deux remarques qui
qui se terminent ainsi : s'imposent et qui se sont présentées
« Commencé à imprimer ce livre à la d'elles-mêmes à l'esprit du lecteur. A
néoménie de Tammouz, l'an 5307 de rencontre de la plupart de leurs
l'ère de la création (1 1 juin 1 547), à coreligionnaires d'aujourd'hui établis en
Constantinople, chez le disciple des territoire turc, qui ne se servent entre eux que
typographes, Éliézer, fils deGerson Soncin. » d'un espagnol corrompu, il est permis
La Bibliothèque nationale de Paris d'affirmer, d'après les documents cités,
possède un exemplaire de cette précieuse qu'au moins à partir du xie siècle jusqu'au
version. D'autres sont à Oxford, Londres, xvne siècle, les Juifs de Turquie adoptèrent
Parme et Breslau (2). Les hébraïsmes y le grec moderne comme langue courante
sont fréquents, l'auteur s'étant appliqué à de leur nation. De plus, je me contente
rendre le plus fidèlement possible le de constater, sans vouloir donner à cette
texte original. Quelques lignes prises au observation plus d'importance qu'elle
hasard suffiront à donner une idée de n'en comporte, que les premières versions
i'œuvre tout entière. « Κ al είπεν 6 θεός · va de la Bible en néo-grec nous viennent de
κάΐΛω^ε άνθρωπο εις τη στέριασή ρ.ας σαν ces mêmes Juifs, qui, selon la tradition,
την όαοίοτη [Λας, καΐ να ζουσιάσουν εις ψάρι travaillèrent à la rédaction des Septante.
τής θαλασσους καΐ εις πετούμενο τοΰ ούρανοΰ 6° Enfin, je ne puis passer sous silence
και εις γτήνο καΐ εις όλη την ήγή, καΐ εις un essai de traduction qui ne rentre, il
δλο το σερπετο δπου σερπετεύγει επί την est vrai, qu'indirectement dans mon sujet,
ήγή. » (Gen. I, 26.) Cette langue mais n'en mérite pas moins d'être signalé,
populaire du xvie siècle est, à peu de chose ne serait-ce qu'à titre de curiosité. Je veux
près, le grec vulgaire, tel que le parlent parler d'un manuscrit de la bibliothèque
encore aujourd'hui les professeurs eux- Saint-Marc à Venise, comprenant le
mêmes de la jeune Université d'Athènes, Pentateuque, les Proverbes, Ruth, le Cantique
dès qu'ils descendent de leur chaire et des Cantiques, l'Ecclésiaste, les
reprennent contact avec la réalité. Lamentations de Jérémie et Daniel. Les parties
50 Vers la même époque, le livre de Job rédigées en hébreu dans les prototypes
était traduit, lui aussi, en néo-grec, et sont ici traduites en grec attique; celles,
paraissait à Constantinople en 1576. Là au contraire, qui ont été écrites en chal-
encore le traducteur est juif, et, comme déen sont rendues en dialecte dorien. On
ses devanciers, il n'emploie que les voit difficilement l'utilité pratique d'une
caractères hébraïques (3). S'il faut en croire œuvre de ce genre ; mais elle révèle un
Amaduzzi(4), le livre des Proverbes aurait helléniste de première force, un admirateur
de l'antiquité classique qui, sans doute,
(t) Une version grecque du Pentateuque du xvic siècle, par pur dilettantisme, consentit à s'atteler
dans la Revue des études grecques, t. III (1890), p. 289-308 ;
— Deux versions du Pentateuque faites à Constantinople au à cette rude besogne. Le manuscrit en
xvie siècle, dans la Revue des études juives, année 1-891, question remonterait à la fin du xvie siècle,
p. 250-263. et l'auteur présumé serait un juif converti
(2) Le cod. 232 de la bibliothèque du Métokhion du
Saint-Sépulcre à Constantinople est un manuscrit du au christianisme (i).
Pentateuque gréco-hébreu, mais il ne contient, en dépit de
son titre, que la Genèse. On_ en doit une transcription
très inexacte en grec à Nicolas Mavrocordatos. A. Papa- (1) F. Vigouroux, Dictionnaire de la Bible, t. Ill, col.
dopoulos-Kerameus, Ίεροσ-ολυμιτιν.ή βιβλιοθήκη, t. IV, 291; Kaulen, dans le Kirchenlexicon, 2' édit., t. II, col.
p. 109-198. 716; Eb. Nestle, dans la Realencyclopadie für protest.,
(3) K. Krumbacher, op. cit., p. 909. t. III, p. 24. D'Ansse de Villoison a publié ce manuscrit,
(4) Demetrii Pepani opera, Rome, 1781, p. lxxiv-lxxv. sauf le Pentateuque, dont il n'a donné que quelques
ÉCHOS D ORIENT

2° DE CYRILLE LUCARIS A LA FIN DU Les attaches du patriarche Cyrille Lucaris


XVIII(' SIÈCLE au protestantisme ne font plus aujourd'hui
de doute pour personne. 11 fut toujours
Les premières pages de ce travail ont en excellentes et très intimes relations avec
suffisamment démontré qu'à des auteurs ses amis les calvinistes de Genève et les
Juifs revient l'initiative d'avoir traduit les ambassadeurs des puissances protestantes
premiers l'Ecriture en néo-grec. L'essai à Constantinople. La profession de foi qui
de Kartanos, les idées exprimées par porte son nom, et qui parut à Genève, est
Damascene Studite en quelques endroits considérée, il est vrai, comme document
de ses ouvrages, ne nous ont pas encore apocryphe par les historiens orthodoxes.
livré la véritable pensée de l'Eglise Mais je ne veux point aborder ici cette
orthodoxe à ce sujet. En insistant tous deux épineuse question. Il est d'ailleurs
sur la nécessité de donner l'Ecriture Sainte parfaitement acquis, et l'onvoudrabien me dispen-
au peuple dans sa langue, ils n'ont exprimé serd'enapporter présentement lespreuves,
qu'une opinion individuelle qui que le célèbre patriarche adopta et lit
n'engageait en rien la doctrine de l'Eglise à siennes nombre d'idées protestantes. Ses
laquelle ils appartenaient. En un mot, nous relations suivies avec le mondedelaRéforme
n'avons pas rencontré jusqu'ici de ne pouvaient manquer de le rendre
traductions ex professo faites par des Grecs, favorable au projet de répandre parmi les Grecs
et nous ignorons encore le jugement de les Livres Saints traduits dans la langue
la Grande Eglise en pareille matière. Il est du peuple. Connaissant l'état d'esprit de
temps d'élucider cette question. Lucaris, les protestants ne tardèrent pas
On sait les efforts du protestantisme à à entamer les négociations pour la
sa naissance pour attirer à lui les Eglises réalisation de leur plan. Tout faisait pressentir
orthodoxes de l'Orient. Le clergé et le qu'elles devaient inévitablement aboutir.
peuple dans leur ensemble ne se laissèrent Mais, avant d'exposer la suite des
jamais séduire par les doctrines nouvelles, événements, il est permis de se demander si
et les patriarches Joasaph et Jérémie II se les traductions projetées répondaient bien
montrèrent d'une désespérante méfiance à un véritable besoin. Il est de fait notoire
envers les prétendus réformés. Cependant, que, durant presque toute la période qui
grâce à la propagande effrénée entreprise s'étend de la prise de Constantinople à
par les émissaires protestants, grâce aux l'explosion de la révolution grecque, les
brochures répandues à foison dans les seuls auteurs en usage dans les écoles
principaux centres, quelques individus, populaires furent les livres liturgiques,
fascinés par de tous autres intérêts que Psautier, Evangile, Epîtres des apôtres et
ceux du salut de leur âme, se rangèrent autres. Un manuscrit en ma possession
çà et là à la suite des apôtres du pur dont je rendrai compte quelque jour
Evangile. corrobore pleinement les travaux qui ont
Dès le début de leur action en Orient, paru sur ce sujet, et y ajoute même
les missions protestantes obéissant au quelques détails inédits et fort instructifs.
principe cher à la Réforme de mettre la Bible Malgré les puissants efforts accomplis
dans toutes les mains et d'en laisser à depuis bientôt un siècle, je puis dire en
chacun la libre interprétation, s'occupèrent connaissance de cause que les méthodes
activement de la diffusion de la parole pédagogiques appliquées dans la plupart
sainte dans une langue accessible aux des écoles grecques de villages ont peu
peuples qu'elles prétendaient évangéliser. varié, et que, si quelques établissements
d'instruction secondaire ou supérieure
extraits. Strasbourg, 1784. Quelques années après, Chr. font réellement honneur à la nation qui
F. Ammon donnait le Pentateuque seul. Erlanger, 179O- les entretient, en revanche une très grande
1791. Enfin, O. von Gebhardt a édité le manuscrit en
entier. Leipzig, 1875. partie de la jeunesse grecque, celle sur-
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tout de l'empire ottoman, est encore lait également le Serai et le Phanar.


tributaire des procédés anciens. Cela étant, En 1628, l'ambassade des Pays-Bas
on peut affirmer que, en général, la langue recevait un aumônier dans la personne
de l'Evangile est accessible à un Grec d'Antoine Léger (1), qui arrivait dans la
d'Epire ou de Macédoine qui a terminé capitale pour s'emparer insensiblement de
ses études primaires, et qu'il n'est pas l'esprit de Lucaris et préparer ainsi le grand
absolument nécessaire, pour l'aider à mouvement vers le protestantisme. Des
comprendre le texte sacré, de lui en donner lettres de quelques pasteurs et professeurs
une traduction. Les lectures de l'Evangile de Genève le recommandaient à
publiques ou privées, très fréquentes, l'ambassadeur et conseillaient une entente avec
l'histoire de l'Ancien et du Nouveau le patriarche sur les mesures à prendre
Testament enseignée dans toutes les écoles pour les progrès de l'Evangile en Orient.
primaires, les nombreuses prières Une lettre de Cornélius Haga lui-même,
liturgiques apprises par cœur dans les classes datée de 1629, signale trois moyens propres
élémentaires, font qu'unhommëdu peuple, à atteindre ce but: l'Evangile devra être
Grec de religion et de langue, connaît traduit en langue grecque vulgaire, et
suffisamment l'Evangile, dans le texte l'ambassadeur promet de s'occuper tout
liturgique, pour pouvoir en citer à particulièrement de cette question ; un
l'occasion de longs passages qu'il entend fort gymnase sera fondé pour l'éducation de
bien. la jeunesse ; Lucaris rédigera une
Le texte original du Nouveau Testament, profession de foi selon les principes de la Réforme .
dit l'Encyclopédie des Missions américaines (1), Aussitôt élaboré, le plan entra en voie
est très semblable au grec actuel. C'est un d'exécution. Nous savons en effet que,
livre de texte dans toutes les écoles primaires. en 1629, le traducteur était déjà à l'œuvre.
Les élèves doivent en apprendre de longs C'était un hiéromoine, Maxime de Galli-
extraits. Il n'est pas douteux que les enfants poli, appelé aussi Calliergi, de son nom
grecs sont plus instruits sur la Bible dans leurs de famille. Le choix était des plus heureux
classes que ne le sont les enfants américains et l'on y reconnaît la main du patriarche;
dans nos écoles publiques. Maxime se disait son disciple (2). Assuré
Après ce qui vient d'être dit, à qui des bonnes dispositions de Cyrille, Antoine
voudrait connaître mon sentiment personnel, Léger entreprit aussitôt de gagner le
j'avouerais que les versions de l'Evangile patriarche d'Alexandrie, Gérasime, et dans
ou autres parties de l'Ecriture en une lettre du 9 juillet 1629 ^ ^u'1 proposa
néogrec, sans être « nuisibles, ridicules et la fondation d'écoles et la traduction des
inutiles » comme on l'a avancé, ne sont Evangiles en langue populaire. La réponse
point cependant d'une absolue nécessité. patriarcale ne dut pas satisfaire
Ces quelques explications qui m'ont l'aumônier dont le zèle ne doutait de rien.
paru nécessaires permettront au lecteur Gérasime se prononçait formellement contre
de se faire une idée. nette des événements toute tentative de version des Ecritures en
qui vont se dérouler sous Cyrille Lucaris, néo-grec.
à l'occasion de la première version Ce premier échec ne découragea ni le
néogrecque, élaborée par un orthodoxe. Le traducteur ni les puissants protecteurs qui
représentant le plus influent des le soutenaient dans son œuvre. Au com-
puissances protestantes à Constantinople
était alors l'ambassadeur de Hollande, (1) E. Legrand, Bibliographie hellénique iu xvn0 siècle,
t. IV, p. 383.
Cornélius Haga, qui, nanti. d'une double (2) Diomède Kyriacos, Δοκιμιον 'Εκκλησιαστικής
mission politique et religieuse, surveil- Ιστορίας, Athènes, 1874, p. 33); Sathas, op. cit.,
p. 309. Έχρημάτισε μ,αδητης Κυρίλλου τβΰ Αουκάρεως
και ύπο των δ;αμ.αρτυρομένων προσληφθείς έποτίσθη
(1) The Eucyclopœdia of Missions, New-York, 1891, t. Ier, αρκούντως τον ίον της αίρεσεως και έγένετο πρόσφορον
p. 398. αύτίις όργανον.
328 ÉCHOS D'ORIENT

mencement de 1632, le hiéromoine avait et insiste sur la loyauté de ses intentions,


achevé sa tâche, et l'on songeait à affirmant qu'il n'a en vue que la gloire de
l'impression. Mais des obstacles imprévus Dieu et l'utilité de son Eglise (i).
surgirent qui retardèrent la réalisation du Une grosse question restait à résoudre,
projet. Le principal contretemps fut la celle de la diffusion des ι 500 exemplaires
mort de Maxime de Gallipoli survenue qui venaient de paraître à Genève. Là
le 24 septembre 1633, au monastère de la encore, de sérieuses difficultés s'élevèrent.
Vierge, dans l'île de Halki. La revision du L'année même de la mort de Lucaris
travail ne fut pas chose facile et Lucaris et de l'apparition de l'œuvre de Maxime,
lui-même ne dédaigna pas d'y mettre la Cyrille II condamnait et réprouvait la
main. Enfin, toutes les difficultés étant fameuse traduction, et son successeur
vaincues, la traduction de Maxime renouvelait les mêmes défenses en 1640.
paraissait aux frais du gouvernement hollandais Le Synode de Jassy en 1642 anathematise
en 1638 à Genève, chez Pierre Aubert, en les doctrines du patriarche calviniste,
deux colonnes, texte original et texte néo- sans faire mention de la traduction inspirée
grec. Un premier volume contenait les par lui, les exemplaires n'en étant pas
quatre Evangiles; le second, les Actes, encore en circulation. Mais le Synode, qui
les Epîtres, et l'Apocalypse (1). L'ouvrage n'ignore pas les rapports intéressés des
avait pour titre : Ή Καινή Διαθήκη τοΰ ambassades protestantes avec le Phanar,
Κυρίου ή[λών Ίησοΰ Χρίστου -δίγλωττος, εν interdit au peuple toute lecture de la
■/) άντιπροσώπως το τε θείον πρωτότυπον καΐ Bible faite dans l'original ou dans une
ή άπαραλλάκτως εξ εκείνου εις· άπλήν διά- version et non accompagnée des explications
λεκτον, δια του (υ.ακαρίτου κυρίου Μαξίαου des Pères. Là encore, comme en beaucoup
τοΰ Καλλιουπόλεοος γενομένη {χετάφρασις, d'autres points, la doctrine orthodoxe
s'harmonise merveilleusement avec la

αριά έτυπώθησαν * ετει 1638. Maxime était


mort depuis cinq ans (2) et n'avait pas tradition de l'Eglise catholique.
vu son œuvre achevée. Cyrille Lucaris, Cependant, malgré toutes ces défenses
dont le rôle fut prépondérant dans cette et condamnations, le moment est venu
si laborieuse affaire, terminait lui-même d'agir. En 1645, Parthenios II monte sur
une vie des plus agitées, le 27 juin 1638. le trône patriarcal. On le sait conciliant et
Dans une double préface, Maxime et
Lucaris indiquent les motifs qui les ont (r) Alexandre Helladius, orthodoxe convaincu et
engagés à publier cette traduction. Il est fanatique, voudrait démontrer au chapitre xv de son Status
nécessaire, dit le premier, que le peuple pressens Ecclesice Grœcœ (Nuremberg, 1714), que h
préface mise par Cyrille Lucaris en tête de la version de
lise la parole de Dieu. Or, il n'en Maxime de Gallipoli ne peut pas être considérée comme
comprend pas la langue. Λίχτι πώς θέλει une approbation officielle de la part de l'Eglise orthodoxe,
πιστευτή τίνας ή να υπάκουα?) εκείνα όπου ce patriarche étant manifestement calviniste à cette époque.
Il est bon de recueillir ce témoignage. Les historiens
λέγονται, εάν δεν γρικά; le patriarche grecs actuels ont tout mis en œuvre pour réhabiliter la
« calvinisant » reproduit la même pensée mémoire de Lucaris. S'il sembla, disent-ils,, pencher vers
la Réforme, c'est qu'il y fut poussé par la nécessité de
lutter contre les Jésuites, soutenus par les puissances
(1) E. Legrand, Bibliographie hellénique du xvii' siècle, catholiques, et dut ainsi demander aide et protection aux
t. Ier, Paris, 1894, p. 363-388. — Vigouroux, Dictionnaire ambassadeurs protestants près la Sublimé Porté. Sa fin
de la Bible, t. m, p. 331. — The Encyclopaedia of lamentable, ajoutent-ils, doit être regardée comme un
Missions, t. P'. New-York, 1 891 ,. p. 400. véritable martyre, et l'Eglise orthodoxe qui permet que
(2) Sathas, op. cit., p. 309, dit formellement que la des ά κ ο λ 0 y θ t α t soient publiées en son honneur, n'a
traduction fut faite et éditée à Genève en 1638 par fait que sanctionner ainsi le jugement impartial de
Maxime qui y séjournait alors. Aussi s'étonne-t-il du l'histoire. Or, voici le jugement d'Helladius, fils très soumis
terme de μακαρίτης appliqué à l'auteur dans le de la Grande Eglise : Nee tarnen viri eruditt negabünt
titre de l'ouvrage. C'est à Constantinople que la version ilium turn lemporis Johannis Calvini opinionibus imbutum
fut faite. Maxime mourut en 16 33 et son œuvre parut fuisse; p. 242. Et après avoir rappelé que Cyrille fut
en 1638. Dès lors, l'appellation de μακαρίτης (défunt) est anathematise par plusieurs Conciles orthodoxes, il conclut
parfaitement exacte, et le sic dont la fait suivre Sathas Ex quibus omnibus in apico erit Cyrillum plane Calvini
:

est tout à fait déplacé. discipulum, non vero Grœciœ Ecclesice filium fuisse, p. 246.
TRADUCTIONS DE L'ÉCRITURE SAINTE EN NÉO-GREC AVANT LE XIXe SIÈCLE 329

favorable aux Calvinistes. Il ne pourra dait négativement à la question: ει δει


que voir de bon œil la diffusion du pur τήν θείχν Γραφήν κοινώς παρά πάντων τών
Evangile en langue populaire. Avec son χριστιανών άναγινώσκεσθαι (ι).
consentement les exemplaires sont expédiés Le silence commençait à se faire sur
peu à peu de Genève, et le patriarche en cette irritante question, lorsqu'un nouvel
autorise la distribution à Constantinople essai de traduction suscita de nouvelles
et à Smyrne. La victoire semblait donc fureurs et mit aux prises les deux partis.
complète pour le parti protestant, lorsque Un moine grec, Seraphim de Mitylène,
Mélèce Syrigos, se mettant à la tête des orthodoxe à (Constantinople, catholique à
membres les plus influents du clergé Paris, protestant en Angleterre et en
orthodoxe de la capitale, se déclara Hollande, faisait paraître à Londres en
franchement contre Parthenios II et fit une 1703, aux frais du clergé anglican, une
opposition violente à la nouvelle soi-disant revision de la version de Maxime
traduction (1). de Gallipoli, sans le texte original. Dans
Dosithée de Jérusalem, qui n'approuvait sa préface, Seraphim traite avec le dernier
pas la conduite du successeur de Luçaris, mépris les patriarches et les évêques grecs
raconte lui-même comment le moine qui s'opposent obstinément et de parti
intransigeant protesta publiquement contre pris à toute tentative de traduction des
son chef ecclésiastique : « Syrigos, Livres Saints à l'usage du peuple.
apprenant que le patriarche avait donné son L'année suivante, un exemplaire de la
autorisation, se procura deux exemplaires nouvelle édition des Evangiles était
de la version de Maxime, dont l'un publiquement livré au feu à Constantinople,
contenait les quatre Evangiles, l'autre les dans la cour patriarcale, et le patriarche
Actes, les Epîtres et l'Apocalypse. Un Gabriel III de Chalcédoine lançait de
dimanche qu'il prêchait dans l'église nouveaux anathèmes contre les profanateurs
patriarcale, il les montra au peuple et prouva de la parole de Dieu. Dans une encyclique,
fortement que le traducteur, les l'œuvre de Maxime était appelée «
imprimeurs et les lecteurs s'étaient mis en superflue et inutile », et la réédition faite par
dehors du christianisme et méritaient son continuateur devait être bannie de
l'anathème (2). » toute maison orthodoxe : « Nous
Mélèce Syrigos paya cher cet acte enjoignons et nous prescrivons qu'aucun clerc
d'indépendance ; Parthenios II l'exila à Kip ni laïque n'achète, ne détienne, ni ne lise la
(Ghemlek), près de Brousse. Il ne rentra traduction en langue vulgaire faite
à Constantinople qu'après la triste fin du autrefois par Maxime de Gallipoli et rééditée de
patriarche, quimourutétrangléle iomai 165 1 , nos jours par le hiéromoine Séraphim de
dans son deuxième patriarcat (3). Mitylène (2). » On peut croire néanmoins
L'opposition continua tenace et acharnée. Même que les exemplaires de l'édition de Londres
après la mort de leur chef Mélèce Syrigos, furent rapidement distribués, puisqu'en
survenue à Constantinople en 1664, les 1703 une réédition sortait des mêmes
tenants de l'orthodoxie ne désarmèrent presses.
pas. Huit ans après, en 1672, le Synode Mais quelques années après, en 1723,
de Jérusalem, tenu sous Dosithée, répon- l'Eglise orthodoxe s'élève à nouveau contre
les idées protestantes qui s'infiltrent peu
(1) Sathas, op. cit., p. 309; M. Gédkon, Πατριαρν/r/.o! à peu en Orient, et le patriarche Jérémie III,
πίνακες, p. 574; Zaviras, Neà Ελλάς, Athènes, 1872; dans un acte officiel qu'il signe avec les
p. 442 ; Hypsilantis, Ta μετά την άλωσιν,
Constantinople, 1870, p. 150.
(2) ΙΙερΊ των έν Ίεροσαλύμοίς πατρίαρχευσάντων, (1) Mesoloras, Συμβολική της ορθοδόξου 'Ανατολικής
Bucharest, 1 7 1 5> Ρ- :173· Εκκλησίας. — ΙΙαράρτημ.« του Α' τόμου. Athènes, 18931
(3)S.Byzantios, "II Κωνσταντινούπολις, Athènes, 1862, p. IO3 et 120-121,
t. II, p. .307. Selon cet écrivain, Lucaris serait mort en (2) M. Gédéon, Κανον,καΙ διατάξεις, Constantinople,
1640 et Parthenios en 1650. Les deux dates sont erronées. 1 888, t. Ι", ρ. ΐοό.
330 ÉCHOS D ORIENT

patriarches d'Alexandrie, d'Antioche et de Réforme. Enfin, remplacer le texte original


Jérusalem, ne permet la lecture de la Bible par une traduction en langue moderne,
qu'à ceux des simples fidèles qui sont à c'est pousser le peuple grec à l'ignorance
même de consulter les explications des et à la barbarie. La Bible est en effet le
Pères (i). seul livre en langue antique qui n'ait pas
A part Lucaris et Parthenios II qui cessé d'être lu et médité par le peuple et
favorisèrent plus ou moins les versions de que l'on retrouve dans les plus humbles
l'Ecriture en néo-grec et travaillèrent à chaumières. Ce texte relativement facile,
répandre parmi le peuple les éditions de dont la lecture quotidienne se fait presque
Maxime et de Seraphim, l'Eglise officielle, dans tous les foyers, habitue peu à peu le
en théorie et en pratique, fut toujours paysan qui n'est pas entièrement illettré
hostile au projet. Alexandre Helladius, qui, à certaines formes, à certains termes
en plusieurs chapitres de son précieux inusités dans le néo-grec, lui permettant ainsi
ouvrage, a traité longuement la question de ne pas rester complètement étranger
des traductions de l'Evangile en grec aux charmes de la littérature classique et
vulgaire, nous a donné en même temps les de ne pas être trop dérouté dans les œuvres
raisons des sévères prohibitions des Pères. C'est par l'Ecriture seule,
patriarcales (2). Elles sont utiles à signaler et conclut Helladius, que le peuple grec peut
l'on pourra se convaincre à leur exposé encore se représenter la pureté et l'élégance
que les écrivains grecs actuels, qui ont fait du dialecte ancien. Et notre auteur
couler des flots d'encre lors des derniers termine son réquisitoire (i) par cette
événements d'Athènes et ont ainsi affirmation qui paraîtra hardie : Ha in Grcecia,
provoqué les sanglantes bagarres que l'on quamvis alia regione aliter loquantur diver-
sait, n'ont pas versé de nouveaux sisque vocabulis utantur, nemo tarnen est
arguments dans le débat. A ce point de vue, qui textum Scripturœ sacrœ- atque linguam
il est permis de dire que l'enseignement precationum non intelligat.
de l'Eglise orthodoxe n'a point varié et Le lecteur jugera de la valeur et de
que sa doctrine est restée immuable. la solidité des raisons alléguées. Si toutes
Pour Helladius, comme de nos jours ne sont pas également concluantes, il
pour les théologiens du Phanar ou de faut avouer cependant que quelques-unes
l'Université d'Athènes, ces traductions d'entre elles semblent s'appuyer sur
sont « inutiles et ridicules », parce qu'elles l'expérience et l'histoire. Helladius a bien voulu
ne peuvent pas rendre le texte original nous donner dans son ouvrage un exemple
mot pour mot. Le grec moderne n'est pas de traduction, telle qu'il l'admettait. C'est
une langue formée; sa morphologie et sa tout le chapitre II de saint Mathieu, qui est
syntaxe n'ont pas de règles fixes, et les traduit par lui dans une langue se
termes sont pris dans une acception rapprochant si fort du texte original qu'une
différente selon les provinces qui les emploient. œuvre de ce genre serait parfaitement
Il en résultera donc que souvent le texte inutile et n'eclaircirait nullement les passages
de la traduction sera plus obscur encore que le peuple n'entend pas. Qu'on en juge
que l'original. De plus, les auteurs eux- par cette simple comparaison de son texte
mêmes de ces versions doivent être avec le verset correspondant de la version
considérés comme des ennemis de l'Eglise de Maxime.
orthodoxe, car ils n'ont qu'un seul but :
répandre en Orient les idées chères à la TEXTE D HELLADIUS TEXTE DE MAXIME
Άκούσθη φωνή etc Φωνή άκούσθη είς
τήν 'Ραμα, θρήνος και τήν \Ρα[λα, πολύς θρήνος
(1) M. Gédéon, op. cit., t. II, p. 428; Ίερος κλαυθρ.ος και οδυρμος καΐ πολλά κλάσματα και
Σύνδεσμος, 15 nov. 1901, p. 252.
(2) Op. cit., cap. xi. — In quo exponuntur causai cur
hœ vulgäres editiones novi Testamenti a Grœcorum Patriar-
chis rejectee sint, p. 1^3. (ι) Op. cit., p. 187.
TRADUCTIONS DE L'ÉCRITURE SAINTE EN NÉO-GREC AVANT LE XIXe SIÈCLE })l

καταπολύς , ή Ρα^ήλ πολλά άναστεναγ^ά,όπου Le Kirchenlexicon attribue à Liberios


'έκλαιε τα τέκνα αυτ^ς εκλαιεν ή 'Ρα^ήλ τα Coletti une édition catholique du Nouveau
καίπαρηγορίαν δεν ει^εν, παιδιά της και δεν Testament en grec vulgaire, qui aurait
έπειδτ α,πεΟανασι. ήθελε να παρηγορηθή, paru à Venise en 1708. Le fait paraît peu
διατι δεν είναι πλέον. probable et demanderait, en tous cas, à
(Ch.ii, ΐ8.) être appuyé sur quelques preuves. Je
Une nouvelle édition de l'Evangile en soupçonne ici une confusion avec l'édition de
deux colonnes, texte original et texte Halle dont je viens de parler, car nulle
néogrec, parut à Halle en 1710, aux frais part ailleurs il n'est fait mention de cet
de la reine de Prusse. Elle se contente de ouvrage.
reproduire presque littéralement celle de Je ne sais rien non plus d'une certaine
1703, et j'ai dit que cette dernière ne version de l'Evangile en néo-grec, signalée
différait pas sensiblement de celle de Maxime sans autres détails par Sathas (1), et dont
de Gallipoli. Herman Francké, qui en prit l'auteur serait François Prosalentis(t 1728).
l'initiative et en écrivit la préface, s'adressa A-t-elleété publiée? Est-elle restée
à Helladius lui-même, qui se trouvait alors manuscrite? Je l'ignore.
à Halle, pour la revision du travail. Il La version saxonne d'Herman Francké
désirait en même temps connaître sa fut reprise par Reineke qui la fit entrer
pensée au sujet des versions de l'Ecriture dans sa tétraglotte parue en 17 13 et en
en grec vulgaire. Celui-ci, on ne sait 1747. Enfin, en 1746, Callenberg a publié
pourquoi, fit attendre sa réponse et Francké quelques passages du Nouveau Testament
impatienté se décida à livrer l'œuvre à tirés de la traduction de Maxime (2).
l'impression, après l'avoir préalablement Ici, aux dernières lignes de ce premier
soumise à un savant grec de Macédoine, article, une conclusion s'impose. Les
Anastase Michel, établi en Allemagne éditions de l'Ecriture en langue vulgaire ont
depuis quelques années (1). toujours été accueillies avec froideur et
Alexandre Helladius rapporte qu'un méfiance parle peuple grec, soit qu'il n'en
autre Grec, Liberios Coletti, ne fut pas ait pas senti la nécessité, soit que les
étranger à cette édition de 17 10. Mais sa prohibitions patriarcales et le mot d'ordre
collaboration paraît s'être réduiteà quelques donné au clergé en aient entravé la
notes de médiocre importance qui ne diffusion. Peut-être faut-il donner raison à
peuvent justifier les basses injures certains écrivains orthodoxes qui ont
dirigées contre lui par l'auteur du Status prétendu que l'argent protestant aurait pu
prcesens. On ne peut croire que le motif trouver un meilleur emploi. L'influence
de cette antipathie fut le simple fait d'avoir
collaboré en si infime mesure à la revision p. 558 « cum notulis et interpolationibus Itali hominis
entreprise par Anastase Michel. Nous Liberii Coletti licet Atheniensem se venditet ». Sathas,
savons par ailleurs (2) que Coletti, op. cit., p. 459.
personnage très digne de sympathie, était M. E. Legrand a bien voulu, dans une lettre en date
du 12 février 1902, me fournir des détails intéressants
un Grec passé au catholicisme. Cela sur ce Grec revenu à l'Unité. « Le seul fait d'avoir été si
suffisait pour s'attirer les haines du fougueux violemment attaqué par A. Helladius dans les chapitres xvm
et xix de son Status prœsens suffirait à prouver que
orthodoxe qu'était Helladius, et devenir Coletti n'était pas orthodoxe. Il avait fait ses études au
à ses yeux le dernier des hommes. Fabri- collège Flangini, à Venise, sur lequel avait la haute main
cius se trompe à la suite d'Helladius en l'archevêque Meletios Typaldos, prélat dont les
sentiments catholiques sont bien connus. Mais comment se
faisant de Coletti un Italien. 11 n'est pas trouve-t-il à frayer avec les luthériens de Halle? Je n'en
permis de douter qu'il ne fût Grec, et sais rien. Enfin, sur les sentiments catholiques de Coletti,
Sathas lui-même ne le nie pas (3). consultez l'excellent ouvrage du R. P. Pierling, La
Sorbonne et la Russie, p. 100-.101 et p. 172-173. Vous y verrez
que Don Liberio fut torturé et mourut en prison, dans
(1) Sathas, op. cit., p. 448, 450 et 460. une forteresse de Russie, pour la foi catholique. »
(2) Kirchenlexicon, t. II, col. 715. (1) Cf. 'op. cit., p. 446.
(5) Fabricius, Bibliotheca grœca, t. X, Hambourg, 1737, (2) Cf. P. Meyer, Realencyclopadie, t. III, p. .118.
33 ÉCHOS D'ORIENT

exercée par les éditions de Maxime de soit de nouveau agitée. Un autre article
Gallipoli et de Seraphim de Mitylène fut rendra compte des nouvelles tentatives
nulle de toute manière. Nous n'avons donc accomplies dans ce sens, au cours du
à enregistrer jusqu'ici que des tentatives xixe siècle, jusqu'à nos jours.
avortées. Un siècle s'écoulera depuis
l'édition de Halle ( 1 7 1 o) avant que l'idée ne T. Xanthopoulos.

L'ÉGLISE GRECQUE MELCHITE CATHOLIQUE

(Suite.)

CHAPITRE VI La vie de cet évêque n'est pas encore


très bien connue. Il naquit à Alep, on ne
GERMANOS ADAM, ARCHEVÊQUE D'ALEP, sait au juste en quelle année, et fut envoyé
ET LE CONCILE DE QARQAFÉ (1806). à Rome pour y faire ses études au collège
de la Propagande. Ses écrits montrent que,
Nous avons déjà eu l'occasion de citer outre l'arabe, le grec, l'italien et le latin,
le nom de l'archevêque d'Alep, Germanos il y apprit aussi le français. Revenu en
Adam, personnage qui, à cause de sa Syrie, il fut sacré évêque de Saint-Jean
science et de sa capacité, jouit d'une grande d'Acre en 1774, par le patriarche
notoriété de son vivant, et dont l'influence Théodose VI Dahan (1). En 1777, les habitants
même après sa mort fut considérable, d'Alep le choisirent pour archevêque, en
bien que, malheureusement, elle ne se remplacement d'Ignace Jarbou (2).
soit pas exercée pour le plus grand bien Germanos accepta, quoiqu'il eût eu plutôt
de la catholicité. Le moment est enfin l'intention de se retirer à Rome. Ne
venu de parler en détail de ce fameux pouvant se rendre à Alep, probablement à
prélat, de sa vie, de sa doctrine et de son cause des persécutions, il fixa sa résidence
influence (1). successivement à Zouq-Mikaïl, près de

(1) Les sources de l'histoire de Germanos, outre les vénérable évêque de Beyrouth, Msr Mélétios Fakkak, qui
Bulles pontificales relatives à ses écrits, sont sa a bien voulu nous ouvrir l'accès de sa bibliothèque privée,
correspondance et ses œuvres. Pour sa correspondance, nous assez riche en manuscrits du xvuie siècle. Entre autres
avons utilisé un manuscrit arabe provenant de l'évêché ouvrages que nous utiliserons pour la suite de cette
de Beyrouth, manuscrit qui contient toute une série de histoire, nous y avons trouvé un magnifique exemplaire du
lettres et de mandements de Germanos, plusieurs réponses célèbre Τακτικον 'Αντιοχείας, œuvre du prêtre Jean
dé ses correspondants, et, de plus, un certain nombre de Ajjeymi, dont nous avons déjà parlé (Echos d'Orient, t. V,
décisions juridiques canonico-civiles signées par p. 146). Si ce dernier ouvrage ne nous apprend rien de
l'archevêque d'Alep et d'autres prélats du temps. Si la plus grande nouveau sur les huit ou dix premiers siècles d'Antioche,
partie de la correspondance de Germanos ne regarde que ni sur les diocèses qui le composaient, il pourra du moins
les affaires de son diocèse, plusieurs de ses lettres nous aider un jour, par certaines traditions qui y sont
apportent néanmoins un certain intérêt à l'histoire de sa consignées, à compléter le chapitre premier,
doctrine. Pour les références, nous donnons la date de néces airement fort court, de cette histoire. — Nous avons aussi
chaque lettre et le nom des correspondants. On ne retrouvé dans cette bibliothèque les actes du Concile de
saurait recourir à un autre mode de citation, attendu que Saint-Sauveur de 1790, sous le patriarche Athanase V
les documents anciens assez nombreux qui se trouvent à Jauhar, dont nous avons parlé plus haut (t. V, p. 147)
l'évêché de Beyrouth n'ont été jusqu'ici l'objet d'aucun il est regrettable qu'ils ne nous soient pas tombés plus
:

classement. tôt sous la main.


Les œuvres théologiques de Germanos ayant été très (1) Abrégé de l'histoire de la nation des Grecs melchites
lues, il en existe d'assez nombreuses copies en Orient, catholiques, Beyrouth, 1884, p. 69.
mais aucun de s.es -ouvrages, sauf son catéchisme, dont (2) Mandement du patriarche Théodose VI aux Alépins,
nous parlerons plus loin, n'a été imprimé. 15 avril 1777; lettre d'Adam à ses nouveaux diocésains.
Nous tenons à t«a»i>igner ici notre reconnaissance au 3 mai 1777.

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