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Introduction 

: multiplicité de l’usage du mot « moraliste »


L’usage moderne du mot « moraliste » est très extensif. Valéry écrit ainsi : « Nos grands
auteurs sont tous plus ou moins des moralistes ». Ce serait ainsi une question de degré.
On parle aussi souvent des « romanciers moralistes » pour qualifier les romanciers du
XVIIème siècle. C’est une question importante qui souligne la parenté qui existe parfois
entre roman et maxime. Qu’on se reporte par exemple à Mme de Villedieu, ou à Mme de La
Fayette : les maximes ne sont pas absentes de leurs oeuvres. Pourtant, maximes morales et
romans sont deux genres bien différents. Qualifier ces romanciers de moralistes nous
renseigne cependant sur la figure du moraliste : 
 sècheresse de style poussée jusqu’à l’abstraction 
 goût de l’analyse psychologique 
 peinture des détails, personnel romanesque compliqué et construction d’une intrigue
simple
Autant d’éléments qui nous permettent de découvrir déjà certaines caractéristiques du
moraliste. Pourtant, on ne saurait s’y limiter et il faut mener une investigation plus précise.
Apparition du terme « moraliste »
Le Dictionnaire de Furetière
Le premier dictionnaire à ouvrir une entrée pour « moraliste » est le Dictionnaire de
Furetière en 1690.
"Moraliste : auteur qui écrit, qui traite de la morale."
Il faut donc se reporter à la définition que Furetière donne de la morale :
"Morale : la doctrine des moeurs, science qui enseigne à conduire sa vie, ses actions."
D’emblée, la morale est liée à une visée pratique : conduire ses moeurs. Il s’agit d’un
enseignement pratique. Et cette idée d’enseignement sera renforcée par un ajout dans
l’édition de 1701 :
"On a donné le nom de moraliste ou de rigoriste à ceux qu’on appelle jansénistes parce
qu’ils enseignent une morale très austère et très rigide."
Le Dictionnaire de l’Académie
Alors que chez Furetière le moraliste était avant tout un penseur, dans le Dictionnaire de
l’Académie, le moraliste est d’abord défini comme un écrivain :
Moraliste : écrivain qui traite des moeurs.
On est également passé de « la morale » chez Furetière aux « mœurs ». Le moraliste peut se
préoccuper essentiellement de bien observer, et pas seulement d’enseigner.
Progressivement, cette idée d’observation va s’imposer, même si la volonté d’édification
n’est jamais absente.
Par quel nom les moralistes se désignent-ils ? La Bruyère et le nom de « philosophe »
La Rochefoucauld reste silencieux. La Bruyère quant à lui se présente plus comme un
philosophe que comme un moraliste. On peut lire ainsi :
"Venez dans la solitude de mon cabinet, le philosophe est accessible."
Pour lui, le moraliste est un philosophe retiré dans son cabinet. Retiré, mais pas enfermé : la
volonté d’édification est toujours présente.
Et puis, Théophraste est également qualifié du nom de « philosophe », et il ne faut pas
oublier non plus que la philosophie morale est une des branches de la philosophie, dont La
Bruyère dit dans le Discours sur Théophraste :
"je me renferme seulement dans cette science qui décrit les moeurs, qui examine les
hommes, et qui développe leurs caractères"
Du « philosophe » au « moraliste »
Vauvenargues plus tard emploie lui aussi le terme de philosophe à propos des moralistes du
XVIIème siècle : La Rochefoucauld selon lui est « un grand philosophe et pas un peintre »,
tandis que La Bruyère est « un grand peintre, mais pas un philosophe ».
C’est seulement à la fin du XVIIIème siècle avec Chamfort que s’installe « moraliste ». Il
indique d’ailleurs une lignée :
"Montaigne, La Rochefoucauld et La Bruyère sont les premiers de nos écrivains moralistes et
peut-être aussi ceux qui ont le mieux connu le coeur humain."
Définition du moraliste
Le statut du moraliste face aux auteurs de spiritualité
Les moralistes du XVIIème siècle sont chrétiens. Leur réflexion morale s’exerce dans le cadre
du christianisme, à côté d’une littérature de dévotion et de piété très importante. Comme
les auteurs de spiritualité, des moralistes comme La Rochefoucauld et La Bruyère ne
renoncent jamais à l’idée d’édifier le lecteur : il ne s’agit jamais de se contenter de plaire,
mais toujours aussi d’enseigner.
Cependant, il y a une distinction nette entre le moraliste et l’auteur de spiritualité. Les
auteurs de dévotion défendent et illustrent les idées de l’Eglise. En cela, ils sont proches des
enseignements des prédicateurs. Le point de vue des moralistes est différent : ils ne
regardent pas l’homme comme capable de Dieu, mais l’homme à hauteur d’homme. Il s’agit
pour eux d’une sagesse humaine. Ils forment un homme pour le monde à la sagesse civile,
alors que le théologien le forme pour le salut éternet. Le point de vue des théologiens, des
auteurs spirituels, est théocentrique, à la différence du point de vue des moralistes qui lui
est anthropocentrique. Certes, dans les deux cas, on n’exclut ni Dieu ni l’homme. Mais
l’auteur de spiritualité va demander à l’homme un mouvement ascendant vers Dieu tandis
que le moraliste voit plutôt comment l’homme est capable de recevoir la Vérité.
Même ceux des moralistes qui ont aussi d’évidentes préoccupations théologiques, comme
Pascal ou Nicole, savent distinguer les deux, sans pour autant les exclure.
Le statut du moraliste face aux autres écrivains
Personne ne nie les préoccupations morales d’un Corneille ou d’un Molière. Au XVIIème
siècle, les romanciers, les dramaturges, les moralistes, tous sont passionnés par « l’anatomie
de tous les replis du cœur », pour reprendre l’expression de La Rochefoucauld dans une
lettre au Père Thomas Esprit. C’est même la tendance très générale de l’ensemble de la
littérature du XVIIème siècle.
Mais il faut aussi examiner la forme. Ce qui caractérise le moraliste, c’est de donner la forme
de réflexions morales à ses préoccupations.
La forme de la réflexion morale peut se couleur dans différents modèles qui vont recevoir
des noms très variés : essai, portrait, caractère, maxime, peinture, sentence, adage, etc.
Mais ce qui caractérise toutes ces réflexions morales, quelle que soit la forme adoptée, c’est
la brièveté et l’autonomie. On ne peut pas vraiment parler de fragment, ce qui sous-
entendrait une unité brisée ou inachevée. Ce sont des formes brèves qui tendent à une
certaine autonomie, une certaine unité du sens.
Dès lors, s’interroger sur la figure du moraliste au XVIIème siècle, c’est aussi s’interroger sur
la manière dont il écrit ses réflexions morales. Et s’ouvre ici tout une réflexion sur les liens
entre littérature et morale.

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