Vous êtes sur la page 1sur 3

Revue d'histoire des sciences

Steven Shapin, Simon Schaffer, Leviathan et la pompe à air :


Hobbes et Boyle entre science et politique. Trad, de l'anglais par
Thierry Plélat avec la collab. de Sylvie Barjansky (Paris : La
Découverte, 1993)
Jean Bernhardt

Citer ce document / Cite this document :

Bernhardt Jean. Steven Shapin, Simon Schaffer, Leviathan et la pompe à air : Hobbes et Boyle entre science et politique.
Trad, de l'anglais par Thierry Plélat avec la collab. de Sylvie Barjansky (Paris : La Découverte, 1993). In: Revue d'histoire des
sciences, tome 49, n°2-3, 1996. Théorie et pratique dans la construction des savoirs alchimiques. pp. 368-369;

https://www.persee.fr/doc/rhs_0151-4105_1996_num_49_2_1261_t1_0368_0000_1

Fichier pdf généré le 08/04/2018


368 Revue d'Histoire des Sciences, 1996, 49/2-3

Steven Shapin, Simon Schaffer, Leviathan et la pompe à air :


Hobbes et Boyle entre science et politique. Trad, de l'anglais
par Thierry Plélat avec la collab. de Sylvie Barjansky (Paris :
La Découverte, 1993), 13,5 x 21,5 cm, 463 p., 23 Ш., h.-t.,
bibliogr., index, « Textes à l'appui, Sér. anthropologie des se.
et techn. » [lre éd. : Princeton univ. Press, 1985.]

Cette étude importante est la traduction française d'un ouvrage publié à


Princeton en 1985 et recensé ici même avec lucidité (1990, хып-i, 109-116) par
M. D. Pestře. Voir aussi M. R. Chartier, Le Monde du 28 janvier 1994 pour l'éd.
française. Je voudrais seulement introduire quelques remarques, dans le
prolongement de mes analyses de la maturité de Hobbes (notamment en 1993, xlvt/2-3).
Il est clair qu'une des grandes qualités de l'ouvrage est sa défiance à l'égard
des risques d'anachronisme, dans lequel donne, je le crains, une majorité de
personnes dénombrées comme historiens des sciences, à en juger par les
rassemblements immenses de spécialistes apparemment qualifiés dont on a pu avoir
l'expérience. La prudence des deux auteurs ne va pas sans conséquences bénéfiques
sur le traitement de la question, très « professionnel », comme on aime à dire
aujourd'hui (p. 110, 112), c'est-à-dire solidement documenté, au ras des textes
conservés et de la production localisée des « faits d'expérience » (111). Aucune
référence toutefois, ni en anglais, ni en traduction, à l'opuscule qui a marqué
la naissance de la philosophie hobbesienne (hobbien fait barbarisme ou « Siècle
des lumières »), à savoir le Short Tract d'environ 1630, anonyme baptisé par
Tônnies. Les auteurs ne croyaient-ils pas, contre l'évidence, à son authenticité?
Il est plus probable qu'ils ne s'intéressaient centralement qu'à la pompe à vide
et à Boyle, fort peu à l'évolution du philosophe. Les « variations » de ce dernier
(de 1631 à 1648) sont instructives; ses critiques, remarque justement D. Pestře,
« font presque seules que les choses changent » (p. 115) et qu'il y a progrès dans
Г expérimentation pneumatique. Rappelons que, contrairement aux ragots d'époque,
parfois repris de nos jours, Hobbes fut partie prenante à l'activité scientifique
du temps, même en mathématiques, où Huygens se montra sévère à son égard,
sous la Restauration, mais à plus forte raison en optique et aussi en anatomie
du corps humain. Tout comme Descartes, il disséquait, Vesale en main.
Les avantages de ce style « formel-positiviste de description » (p. 114) ont
leur revers, « un revers négatif » (p. 112) en ce que leurs auteurs « restent très
près de l'événement [...], collés à lui dans un relatif court terme » (ibid.) et non
seulement cantonnent ce travail dans la prudente « Httéralité des énoncés » (p. 113),
mais contestent de plus chez Boyle une parfaite concordance du faire et du dire,
qui feraient des faits expérimentaux des évidences en soi et non des questions
(p. 110, 113, 114). Les historiens de la pensée philosophique, non moins que
les historiens des sciences, connaissent bien cette difficulté et ce risque inhérents
à toute interprétation qui « dépasse » réellement et « reconstruit » (p. 1 14) la
complexité dynamique (p. 115) sous-jacente aux documents inertes. Un équilibre
est à trouver entre les contrôles factuels et la liberté créatrice de l'interprète,
ce n'est jamais le même pour tout le monde, mais sans cet inconfort fécond,
à quoi bon prendre du recul par rapport aux documents circonstanciés? Pour
justifier la distance vivifiante et risquée que l'on prend par rapport aux catalo-
Analyses d'ouvrages 369

gués les plus exhaustifs et les plus fidèles, on pensera à Epicure et au célèbre
principe épistémologique de la « non-infirmation ». Quant à Hobbes, l'un des
nombreux savants de son époque, comme Descartes, Gassendi et tant d'autres,
à cultiver l'inspiration épicurienne, on saisit mieux son ralliement au plénisme,
à partir de l'observation du chevalier Charles Cavendish, selon laquelle la lumière
est visible à l'intérieur du tube de Torricelli (aspect empirique), ce qui serait
impossible, puisque la lumière n'est concevable (aspect théorique) que comme
une propriété ou un attribut inhérent à une substance existante : il y a donc
nécessairement un milieu plein, véhicule de la lumière qui le manifeste et qui
n'est pas une substance (1).

(1) J'ai sans doute fait trop confiance à Cari Hempel à propos de Linus, qui apparaît
beaucoup plus empiriste aux deux chercheurs britanniques et beaucoup moins entiché
d'argument ad hoc que ne le prétend Hempel dans sa présentation de la « ficelle » (funiculus).
Jean Bernhardt

Pamela H. Smith, The Business of Alchemy : Science and culture


in the Holy Roman Empire (Princeton: Princeton Univ. Press,
1994), 16 X 24 cm, xn-308 p., 30 ill., bibliogr., index.

Nous savons par Stahl lui-même que c'est la lecture de la Physica subterranea
(Francfort, 1669) de Johann Joachim Bêcher (1635-1682), qu'il réédita en 1703,
qui lui inspira sa célèbre théorie du phlogistique. Bêcher en effet, reprenant
explicitement la doctrine paracelsienne des trois principes métalliques que sont le
Mercure, le Soufre et le Sel, appelait terra pinguis une terre huileuse et
combustible qui conférait à toute chose sa chaleur et son inflammabilité. Mais Bêcher
n'était pas seulement chimiste, il fit surtout une belle carrière de médecin et
mathématicien à la cour de Félecteur-archevêque de Mainz, puis à celle de
Ferdinand-Maria à Munich, avant de se mettre au service de l'empereur à Vienne
en tant que conseiller commercial. A ce titre, il s'employa à convaincre les princes
et les nobles d'Allemagne que désormais, bien davantage que la propriété
terrienne, c'était le processus de production, d'échange et de consommation des
biens manufacturés qui produisait des richesses.
Pamela Smith, en retraçant l'itinéraire du personnage (le plus souvent à partir
du témoignage autobiographique de ses ouvrages et de ses lettres), montre comment
il introduisit les valeurs du commerce dans la culture aristocratique de la cour,
en tirant parti du statut d'expert que lui conféraient ses connaissances de médecin
et d'alchimiste; en particulier, l'alchimie devint pour lui « le véhicule par lequel
il parlait à la cour de production et de croissance matérielle » (p. 9). Dans le
monde ouvert dont on trouve le modèle chez Alsted et Comenius, où l'on apprend
à contrôler la fortune en suivant l'enseignement néo-stoïcien de Juste Lipse, la
pratique est aussi productrice de connaissance théorique : voilà ce dont témoigne
l'alchimie, qui est nécessairement théorie et pratique. L'ordre du laboratoire
représente alors l'ordre idéal d'une société organisée pour la production des richesses,
autour d'un prince qui dirige son économie, comme l'alchimiste qui contrôle
les feux et les mélanges par l'intermédiaire de ses assistants. Désormais, le crédit

Vous aimerez peut-être aussi