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LE TROISIEME OEIL

« D’un oeil observer le monde, de l'autre, regarder le fond de soi même »


( Modigliani )
PRÉFACE

La dualité est présente dans toute chose. « Tout homme est tiraillé entre deux besoins, le besoin de la
Pirogue, c’est à dire du voyage, de l’arrachement à soi même, et le besoin de l’Arbre, de l’enracinement, de
l’identité, et les hommes errent constamment entre ces deux besoins en cédant tantôt à l’un tantôt à l’autre;
Jusqu’au jour où ils comprennent que c’est avec l’Arbre que l’on fabrique la Pirogue»
(mythe mélanésien)

Souvent entre amis, nous parlons de voyage et des aventures qu’il nous offre. Notre personnalité, notre
ouverture d’esprit, nous dirigeront vers des découvertes intéressantes. Si elles sont étonnantes, alors,
l’enfant resté caché dans un des nombreux tiroirs de notre mémoire, réapparaitra exalté pour raconter à ses
copains ce qui lui est arrivé; certain en douteront. Et pourtant! Nos vibrations animent le diapason de notre
vie et sa longueur d’onde communique nos humeurs à nos semblables. Selon les cultures et la faculté de
compréhension des personnes que nous croisons, nous sommes aimés, acceptés, ou pas! Le hasard met en
relation des gens très singuliers, la chance nous accompagne ou nous délaisse. Tout cela, nous permet de
raconter des tranches d'histoire et d'étranges histoires à notre entourage. Grace à la narration d'un ami, d'un
parent, le passé-un peu trop présent- s’immortalisera dans le futur.
Dans notre théâtre vivant, la pièce mainte fois interprétée, sera encore rejouée. Du strapontin tant de
fois relevé, où de nombreux mortels se sont assis et où, à notre tour nous nous asseyons, nous réfléchirons
à cette question: sommes nous de ces acteurs qui permettent à nos contemporains d’améliorer la mise en
scène de cette partition unique qu’est la vie?

« C’est une sotte présomption d’aller dédaignant et condamnant pour faux ce qui ne nous semble pas
vraisemblable » ( Montaigne )
AVANT- PROPOS

Les cheveux au vent sur la route du bonheur, dans le rétroviseur de ma moto, le copier-coller de
mon visage me regarde avancer à la vitesse du temps. Parfois le rythme est lent, d'autrefois rapide mais le
jour, toujours, laissera place à la nuit. La loi de l'homme veut le casque sur la tête et le non dépassement
du chiffre inscrit sur les panneaux en kilomètres heure. " Ne jouez pas avec la vie " nous dit-on, «elle est
trop courte». Je vais donc m’amuser avec elle comme elle s’amuse avec nous. Le terrain de jeu qu’est la
planéte nous offre tant de belles plages d’épanouissement que finalement chacun peu choisir la sienne.
Aucun conseil à donner. Ecoutons notre cœur. Formule de mode me direz vous.? Peut-être! mais l'import-
tant est d'aimer. Malgré tout, attention aux jeux de rôle, au jeu de guerre, au «Je», l’égo, cette poussière ir-
ritante qui affecte notre âme. Essayons de l’oublier et tout ira mieux.De rester attentif, les choses
prennent une autre physionomie, vos pensées s’enjolivent et l’ego, resté contemplatif, disparait.
Sous un ciel clair, sur les cheveux d’émeraude soyeux comme un tapis d’Ispahan, vos pieds nus
peignent la terre de vos empreintes. Votre tête de smiley candide est aux anges, aucun bruit blessant, aucun
stress ravageur. Vous admirez la beauté de ce lieu. Sur votre chemin, les abeilles remplissent de chèvre-
feuille leur panier? Les fourmis stoppent leur marche, admirent leurs voltiges. Entendez-vous le rossignol
siffler qu' accompagnent les percussions d’un pivert. Les feuilles de bouleau dansent au rythme du tempo.
La menthe, sauvage, envahit votre odorat et celui de l’écureuil roux; enivré, il grimpe le long d’un chêne
en zigzaguant. Le clapotis de l’eau entonne un air de flûte enchantée, le ruisseau frissonne. Une truite
scintillante saute du lit, plane dans l’air, vous salue aimablement en retenant son souffle, puis se liquéfie.
Sous votre chapeau de paille, vos bavardages se volatilisent. Dubitatif, vous ne parlez plus à vous même;
fini les questionnements inutiles. Personne ne vous regarde ni ne vous juge. Un soupçon de liberté vous a
enveloppé.
L’homo sapien, précurseur de la communication, est devenu caméraman ou photographe. Longtemps
la parole a fait foi. Aujourd’hui c’est fini, c’est l’image! Pensait-il, cet homme sage, que ses congénères du
futur seraient entourés d’une multitude d’espaces différents. Du domicile au travail, de la mer à la
montagne, nous nous adaptons à ces îlots de vie. Alors que dire quand nous déployons nos ailes pour
l’Asie, l’Afrique, Venise ou St Petersbourg! Sur la Lune nous y sommes, Mars bientôt. Toumaï et Lucy
seraient certainement effarés. Qui ne l'est pas, tant la créativité de l’homme est grande.
Un chasseur de papillon attrape, en plein vol, une Belle-dame. Ce superbe lépidoptère virevoltait dans
l’air, habillé de sa fragilité, cherchant l’amour. Un chasseur d’image filme, en pleine gloire, une femme
splendide fixant l’objectif; «Miroir, oh miroir, dis moi que je suis la plusbelle!». Les deux professionnels
sont fascinés par leur princesse pourtant si différente. L’un exposera le Nymphalidae dans un musée,
l’autre reluquera la star sur son écran-télé. Peu de gens admireront l'imago si difficile à capturer, nombreux
seront ceux captivés par la vedette, si facile à appréhender. La valeur des choses! quelle histoire!
Ah, la caméra, cet outil si merveilleux, compagnon de l’homme régénérateur de souvenir. Nous
filmons nos enfants, nos vacances, nous nous filmons nous même. Nous enregistrons la vie, larmoyant de
rire à la vue de notre bedaine à la plage, larmoyant de tristesse à la vue de Papy rammassant des palourdes
au grandes marées
PREMIER PAS

Sur le pont du paquebot, la petite balle de caoutchouc, avec une lenteur inexorable, rebondissait,
roulait, se cognait, partait de nouveau en sautillant. Le mime Marceau, au paradis des artistes, la bouche
bée, les yeux grands ouverts, admirait le petit bout de choux sur l’immense barque qui surfait les vagues
gigantesques. Ce bout de choux emporté dans la danse du bateau est un blondinet, béni d’eau fraiche,
qu’un courant d’air pousse vers l’inconnu. La toute première fois qu’il est parti, sa maman, déjà, l’avait
poussé vers l’inexploré: la naissance, l’étonnement d’être éjecté d’un couloir, sombre, étroit, résonnant de
bruits sourds puis la sortie violente vers l’éblouissement; aveugle j’ai vu la lumière!
Bébé innocent, puis enfant turbulent, ado contrarié, enfin adulte plus ou moins formaté apprenons
doucement. Nous tergiverserons ou nous irons tout droit mais nous avancerons. Notre famille, nos
multiples rencontres, dessineront notre identité comme le sculpteur arrondi la pierre de ses mains.

J’arrive véritablement à cette première grande visite où la graine du voyageur, plantée dans mes
veines, germera. Six ans après mon cri de nouveau-né, mon père gendarme mobile est appelé pour
défendre la colonisation en Algérie. Bien avant lui, son frère la défendait déjà en Indochine et ce pays
l’émerveillait tant, qu’il n’en est jamais revenu! Nos grands-parents en ont été profondément bouleversés.
et voilà leur second fils parti boire l'anisette avec ses copains de régiment dans un reg hostile où se cachent
des fellagas, emportant femme et enfants. Reviendra-t-il? Oui, deux ans plus tard. Charles, son grand
maitre, les adultes en ont un aussi, l’autorise à rentrer chez lui. Il ne racontera jamais rien de cette
excursion guerrière. De rester muet permet certainement de cacher la colère, le regret. Comment la cruauté
peut elle salir l’homme bon? De ce périple, nous les gentils enfants, grâce à une photo de l'album familial,
nous nous souvenons du départ de Marseille. Pour le reste, notre mémoire a projetée des hologrammes.
Cachée dans la nuit étoilée, la Méditerranée joue, avec nous, à monter et descendre des escaliers
d’eau. Ma soeur et moi sommes enfermés dans une cabine sans hublot alors que la mer s’étire de tout son
long, dehors en plein air! Quelle injustice! Ça nous rend malade. Nous arriverons quand même en Afrique
du Nord. Après avoir débarquer à Oran, nous remplirons nos estomacs, bien vides, dans un restaurant de la
ville. Juste avant le dessert, toutes les fenêtres seront soufflées par une explosion de joie: le feu d'artifice
tiré par des terroristes, nous souhaitant la bienvenue, a mal tourné! Toute la troupe partira précipitamment
de la salle et montera dans des véhicules militaires. Deux cents kilomètres de route cahoteuse, durciront
mes fesses. Assis sur des bancs, fixés à l’arrière du camion, mon corps s’affaissait puis se relevait pour
retombait, mes paupières aussi. Ma mère nous soutenait en imitant la chorégraphie. Personne ne chantait.
Les moteurs railleurs se turent enfin, nous arrivions à Bordj bou arreridg, ville située entre la Kabylie et les
hauts plateaux. Sympa la ballade! Les lendemains seront meilleurs: le souk, les chameaux, les hommes en
djellaba, le soleil qui illumine le torchis blancs des gourbis, sont pittoresques. Nous nous installerons vite
dans cette nouvelle existence. L’insouciance de l’enfant masque la réalité et nous ne sentirons pas vraiment
l’hostilité ou le danger de cette période historique. La curiosité des autochtones à notre égard est
particulière. Nous avions l’interdiction d’aller, seul, hors de la caserne. Mais quand nous étions à l’école,
aux récréations, certains caÏds testaient nos réactions en nous crachant dessus! C’est là que l’instituteur
intervenait en donnant des coups de règle sur les doigts: il ne fallait pas se rebeller. Nous ne comprenions
pas trop ces façons de faire. Heureusement, tous les enfants ne glaviotaient pas comme des lamas
sauvages. Sorti de là, nous nous amusions très bien entre fils de gendarmes. Les filles n’étaient pas
acceptées dans la bande donc je chahutais mes soeurs à la sieste obligatoire, de quatorze à seize heures; les
mouches n’ont jamais réussis à m’endormir et je détestais ce moment là. Par contre, j’adorais jeter un oeil
à travers les fissures des mur de la caserne pour observer, de l’autre côté, les gens du bled qui faisaient
l'identique, dans l'autre sens. Attraper des vipères avec mon bâton en forme de langue de serpent, était plus
risqué car si ma mère me surprenaient, je ne vous dis pas comment elle m’enguirlander: ce n’était pas
toujours Noël! Par bonheur, Aïsha nous préparait le meilleur coucous du monde. Cette femme attentionnée
était à notre service; comme quoi il ne suffit pas d’être Roi pour avoir un serviteur. Elle buvait
fréquemment le thé à la maison. Nous étions tous respectueux à son encontre mais ses yeux noirs
magnétiques m’impressionnaient. Quelle vie différente comparée à celle que nous avions en métropole!
Imaginez des gamins dans une cité minière du nord de la France; ll escaladent les terrils, jouent en short
dans les corons, la pluie blanchit leurs jambes noires de poussière charbonneuse qui décore tout autant les
maisons en briques rouges. Le vent ballotte les fiers et braves peupliers dans tous les sens jusqu’à faire
tinter leurs feuilles. Quel contraste! Ici, je suis en overdose de vitamines D, je parle l’arabe! Toujours est-il
qu'un jour, le sirocco, chaud et violent comme le pays où nous étions, nous a repoussé hors de chez lui,
marquant sûrement un tournant dans ma vie.
Main dans la main, deux enfants marchent vers une carlingue d’acier éblouissante comme un
diamant au soleil. Un ovni posé sur le tarmac, fumant de chaleur, nous atttend, au loin des bras s’agitent et
crient au revoir, nous devenons aveugles. Nous nous retrouvons assis dans l’avion qui vibre de tout son
corps, à moins que se ne soit les nôtres. Ma soeur et moi avons les lèvres tremblantes, un ruissellement de
tristesse tapisse nos joues. Est-ce la peur de l’abandon? L’émoi nous submerge. Nous changeons de
constellation et l’aéronef du même nom se déplace doucement, roule, roule encore et s'arrête. Personne ne
vient nous chercher, un ruissellement de tristesse tapisse nos joues mais les moteurs de l'engin volant se
fâchent soudainement, s'emballent, nous sprintons sur la piste, nos entrailles se nouent, est-ce la peur de
l’abandon? L’émoi nous submerge? Un moment d'apesanteur puis nous nous envolons comme Icare.
Brûlerons-nous nos ailes, serons-nous dégoutés à jamais de toutes formes de voyage?

Les états d’âme sont la musique de notre corps. Celui d’Achille est
constamment à la recherche de l’essence d’arbre de sa pirogue. Curieusement, il est embarqué, sans le
vouloir, sur des rivières qui parfois deviennent des torrents et vice-versa. Achille veut parcourir le monde,
savoir de quoi il est fait, sentir l’épice indienne sur un marché au Rajasthan, parler par geste avec
l’aborigène sur ses terres rouges, gravir un volcan encore chaud de ses propres jambes. C’est pourquoi un
jour, il reprend sa fuite.
4
Comme l'escargot, notre sac sur le dos, nous avançons
doucement sur les routes du Mexique. Les trompettes des Mariachis ont sonné notre départ de Mexico pour
l'Aventure. L'ami avec qui nous sommes m'a convaincu de le suivre jusqu'au Panama pour l'aider dans ses
fouilles archéologiques .Avant tout , nous nous imprégnerons des mœurs et coutumes amérindiennes en
traversant l'Amérique latine.Nous y descendrons en suivant la côte atlantique à partir du Mexique puis
remonterons par la côte pacifique vers les Etats-Unis.
Nous ne sommes pas des gringos et le poster de la Tour Eiffel sur la veste kaki des routards que nous
sommes le confirme. Faire de l'auto-stop dans ce pays demande de la patience.À part deux péons qui
discutent de l'autre côté de la route, c'est le calme plat. De temps en temps, un des deux hommes pète
mais cela ne dérange pas "la femme qui dort" derrière eux ,sur la ligne d'horizon -"la mujer que duarme"
est le nom d'une montagne- Nous jetons des petits cailloux sur l'alsphate égrainer les secondes devenues
des heures.Est-ce d'avoir toqué la nationale qu'enfin, un break Chevrolet noir arrive et s'arrête? Nous nous
installons dans ce carrosse et l'officier de police qui le conduit redémarre .Il nous explique qu'il n'en
pouvait plus d'être seul avec le corps du suicidé allongé dans la voiture.Il faisait chaud,nous sentions bien
une odeur bizarre mais nous n'avions pas spécialement vu le cercueil. Pendant qu'il racontait le désamour
des mexicains envers les lapins,dans les cimetières -ce sont les esprits des morts qui se promènent- le
cadavre au visage pâle légèrement bleuté nous fixait par le regard vitré du cercueil. Le portrait aux yeux
fermés, se tenant derrière cette petite fenêtre,semblait être un tableau de maître ,oublié sur la banquette en
cuir d'une limousine. Nous étions les premiers spectateurs à contempler cette œuvre torturée. C'était surtout
la première fois que nous voyions un homme sans vie. Le carrosse par magie c'était transformé en
corbillard. Cendrillon a eu de la chance avec sa citrouille, nous en aurons avec la seconde voiture qui nous
mènera a VeracruZ.

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