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Nouveau modèle de développement au Maroc

Justice sociale et politique de l’aménagement du territoire


Mohammed Anouar Elhazziti

Libération
« …Ainsi que vous le savez, la volonté de faire prévaloir la justice entre les catégories sociales et
entre les régions a toujours été un idéal inscrit au coeur de Nos orientations politiques,
économiques et sociales. Elle a toujours présidé aux multiples initiatives et aux différents
chantiers que Nous avons lancés. Car ce que Nous visons en définitive, c’est d’améliorer le
quotidien de nos citoyens en le marquant du sceau de la justice et de l’équité et en veillant au
respect de la dignité humaine et de l’égalité des chances,
…Comme vous devez le savoir, la réalisation de la justice sociale nécessite qu’un certain nombre
d’enjeux soient pris en considération avec sérieux, objectivité et créativité. Citons notamment :
- la problématique des disparités sociales et spatiales, et sa relation avec les contraintes liées à la
gestion des systèmes fiscaux et des dispositifs de protection sociale ;
- la question de la généralisation de l’accès aux services et équipements sociaux de base, en tant
que volet essentiel de la justice sociale ;
- la nécessaire mise en place d’institutions foncièrement solidaires, acquises à l’idéal de justice
sociale et
disposées à apporter leur concours pour résoudre les problèmes réels des citoyens, répondre à
leurs préoccupations et satisfaire leurs demandes pressantes…», a déclaré Sa Majesté le
Roi Mohammed VI dans son message au 3ème Forum parlementaire sur la justice sociale.
La justice sociale reste un concept difficile à définir et à cerner et elle a souvent plusieurs
explications selon les angles de vue et d’étude. Ce concept est considéré fréquemment par
de nombreux écrivains et chercheurs comme étant essentiellement lié aux droits humains. Sachant
l’importance de cette interprétation conventionnelle, de nombreux autres aspects de la justice
sociale peuvent être distingués, y compris ceux relatifs à des causes et à des impacts territoriaux
ou spatiaux. Aussi, certaines des dimensions de la justice sociale sont moins évidentes dans les
débats et sont plus faciles à comprendre que d’autres : les pressions exercées par la globalisation
de l’économie ont, par exemple, contribué à la dissolution des identités et des valeurs partagées
qui marquaient la vie collective en systèmes communautaires conventionnels.
La place de la planification territoriale suscite au Maroc actuellement un grand débat dans sa
relation avec la sociale en insistant sur la nécessité aménagement du territoire efficace, incluant en
même temps les préoccupations sectorielles dans des projets intégrés et planifiés d’élaboration et
de mise en oeuvre de politiques publiques. Dans cette perspective, il est évident que l’exclusion
territoriale, reflétant souvent l’absence de prise en compte de la dimension sociale dans le
processus de la planification territoriale, peut être considérée comme un élément essentiel de
l’exclusion sociale. A cet effet, l’intégration des considérations de justice et d’équité est une
condition absolue pour la mise en place d’une politique de planification territoriale équitable et
efficace.
Il est vrai que l’insistance actuelle sur la dimension territoriale ou spatiale dans le débat sur la
justice sociale est en partie une conséquence de l’évolution du concept du développement durable.
Au Maroc, cette question a pris beaucoup d’importance lors du débat national sur l’aménagement
du territoire au début des années 2000 avec ses outputs relatifs au schéma national de
l’aménagement du territoire
(SNAT), sa charte et la mise en place du Conseil supérieur de l’aménagement du territoire, sous la
présidence effective de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. La justice sociale reflète également
l’intérêt croissant dans les discours publics et les réformes qu’a connus le Maroc après la
Constitution de 2011 et la traduction sur le terrain des grands chantiers de la décentralisation et de
la régionalisation avancée. Aussi, les collectivités territoriales ont été dotées d’outils de
développement et de planification territoriaux qui devront traiter des inégalités spatiales, y
compris les plans d’action communaux et les plans de développement provinciaux et régionaux,
sans oublier les documents de planification urbaine. Ces différents outils reflètent la nature
complexe et interdépendante des causes et des conséquences du déséquilibre territorial, y compris
les difficultés de convergence et de coordination dans l’élaboration et la mise en oeuvre des
politiques de développement, et ce dans un environnement qui connaît une diversité croissante des
conditions socio-économiques des territoires et régions du pays.
En outre, beaucoup de chercheurs, d’acteurs publics et d’associatifs considèrent jusqu’à présent
que le développement durable concerne essentiellement les questions environnementales, alors
que cette interprétation est limitée. La Commission mondiale pour l’environnement et le
développement en 1987 a défini le développement durable comme “un développement qui répond
aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs
besoins”. Cette interprétation
offre une perspective beaucoup plus large pour la définition, car elle englobe à la fois des
questions intergénérationnelles et intragénérationnelles et souligne la nécessité de maintenir
un équilibre dynamique entre les considérations économiques, sociales et environnementales. Lors
du débat national sur l’aménagement du territoire au Maroc dans les années 2000, le schéma
national et sa charte ont été fondés sur les trois piliers du développement durable en relation
avec l’aménagement du territoire : l’efficience économique, l’équité sociale et la
durabilité environnementale. Ainsi, le territoire est l’élément commun qui réunit cette triade de
principes durables dans les préoccupations de développement, tout en définissant le champ dans
lequel les politiques associées à chacune desdites préoccupations sont mises en oeuvre. Dans cette
perspective, la dimension territoriale du développement durable peut être prise en même
temps comme un élément intégrateur et comme un moyen d’optimisation de la puissance des
relations entre économie, société et environnement.
Dans ce sens, l’interprétation du développement durable dans l’expérience marocaine de
l’aménagement du territoire conduit à affirmer que la réduction de l’exclusion sociale et la
promotion d’une cohésion et d’une justice sociales accrues sont des objectifs fondamentaux aussi
importants
pour la réalisation du développement durable que le développement économique responsable et la
durabilité environnementale. Dans cette perspective, le fondement conceptuel du développement
durable peut être sollicité en ce qui concerne le respect de la justice sociale par la réduction, par
exemple, de la pauvreté ou du manque d’accès aux infrastructures et services publics. De ce fait,
la politique de l’aménagement du territoire au Maroc constitue le développement durable en tant
qu’un ensemble de moyens pour réduire les disparités territoriales et encourager une plus grande
solidarité
entre les territoires et les groupes sociaux.
Dans les débats accompagnants la politique de l’aménagement du territoire, il y a des
composantes essentielles qui nécessitent une refonte de la réflexion en relation avec la justice
sociale. La première concerne la question du renforcement de la cohésion territoriale sans étendre
les disparités sociales,
et cela signifie que le développement territorial devra en principe contribuer à la réalisation d’une
plus grande cohésion sociale. En outre, la cohésion territoriale ne doit pas être élaborée et mise en
oeuvre avec des effets favorisant le désavantage social par la concentration de groupes
socialement exclus (exemple de la fragmentation urbaine). Pour éviter cette situation, il est
essentiel de procéder au développement d’instruments et de mécanismes qui encouragent
l’enracinement de la culture d’appartenance et d’attachement au lieu de vie commun qui est le
territoire.
La deuxième composante est relative à la transformation de la justice sociale comme un produit
de la croissance économique. Il s’agit là de garantir une distribution équitable, dans le temps et
dans l’espace, des profits de la croissance économique. Le constat observé, le plus souvent, révèle
que les profits de la croissance économique sont accaparés par une petite composante de la
société, accentuant, de la sorte, la polarisation économique et sociale en plus de l’exclusion
indirecte du marché du travail à travers des barrières physiques qui empêchent la main-d’oeuvre
qualifiée d’obtenir du travail (distance par rapport au lieu du travail comme exemple).
Concernant la troisième composante, il s’agit essentiellement de l’aptitude des décideurs et des
mangers publics territoriaux à mettre en oeuvre des politiques publiques adaptées aux territoires
dans le but de renforcer l’inclusion et la justice sociale. Cela nécessite un renforcement de la
décentralisation
et de la déconcentration administrative pour mettre objectivement un contrepoids démocratique
nécessaire aux forces de la centralisation, et ce dans l’objectif de promouvoir l’innovation et la
compétitivité des politiques publiques. Cette question nécessite bien sûr une gouvernance
territoriale efficace et performante.
Enfin, le quatrième constituant concerne surtout l’aspect environnemental qui est lié intimement à
la justice sociale et touche notamment les pays en voie de développement et ceux sous-
développés. Il
faut savoir que la destruction du patrimoine environnemental, dans la quête des bénéfices du
développement économique, a des répercussions à la fois sur les milieux de vie et sur la durabilité
économique des territoires. Les impacts socio-territoriaux d’une action environnementale
irréfléchie prennent plusieurs formes. Il pourra s’agir d’une officialisation réglementaire de
l’exploitation abusive des ressources naturelles, ou d’un développement de modèle de production
agricole intense destinée à l’exportation, etc.

D’une manière générale, la justice sociale devra être appréhendée comme un système composé de
sous-systèmes interdépendants représentés dans la politique de l’aménagement du territoire par la
notion globale du développement durable. A cet effet, comme il a été décrit précédemment,
l’exclusion sociale a des liens directs avec la surexploitation du patrimoine environnemental, la
polarisation économique, la fragmentation territoriale et la faiblesse en matière de gouvernance
territoriale. Les
tendances négatives de cette exclusion persistent toujours dans plusieurs niveaux territoriaux
marocains urbains et ruraux, en donnant lieu à des territoires dysfonctionnels, où le déclin
économique, la pauvreté, le chômage, le malaise social et la dégradation de l’environnement se
combinent pour produire des territoires défavorisés. Donc, toutes ces préoccupations doivent être
prises en considération à l’occasion des débats à ce sujet, et ce en cherchant à mettre en place un
modèle de développement territorial axé sur la justice sociale.

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