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Emmanuel Petit et Leonardo refont France-Brésil 1998

La France remporte son premier titre de championne du monde le 12 juillet 1998 face au
Brésil (3-0) au Stade de France. Les milieu de terrain français Emmanuel Petit et brésilien
Leonardo racontent les coulisses de ce match historique.
Par Rémi Dupré
Publié le 23 mai 2014 à 20h29 - Mis à jour le 19 août 2019 à 14h53
Temps de Lecture 127 min.
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Avant le France-Brésil de jeudi, les deux équipes se sont affrontées à quatre reprises en
Coupe du monde : en 1958, 1986, 1998 et 2006. Pour la dernière édition, où les Bleus et la
Seleçao ont été éliminés successivement par le futur vainqueur allemand, « Le Monde »
avait demandé à des protagonistes de ces quatre rencontres de refaire le match.
Emmanuel Petit et Leonardo se souviennent de la finale du 12 juillet 1998 au Stade de
France.
EMMANUEL PETIT: « C’EST COMME SOUS DROGUE, J’AI PEUR DE NE JAMAIS POUVOIR
REDESCENDRE »
Le Français Emmanuel Petit et le Brésilien Cafu en finale de la Coupe du monde le 12 juillet
1998 au Stade de France.
Le Français Emmanuel Petit et le Brésilien Cafu en finale de la Coupe du monde le 12 juillet
1998 au Stade de France. ANTONIO SCORZA / AFP
« Il n’y a aucune tension, aucun stress dans les vestiaires avant la finale. Nous sommes
particulièrement sereins. C’est un rêve de se retrouver en finale de “notre” Mondial. C’est
l’aboutissement pour une bande de potes qui vivent ensemble depuis plusieurs années. De
surcroît, c’est la finale rêvée face au Brésil. Peu de gens ont misé de l’argent sur nous ou
nous voyaient en finale. On s’est préparés sereinement. Aimé Jacquet sent qu’il a un groupe
qui monte en puissance. On a une sorte de force tranquille en nous.
L’objectif du sélectionneur est de conserver cet équilibre, cette sérénité. On tire notre force
de l’expérience emmagasinée dans les plus grands clubs. Cette équipe de France est pleine
de maturité au bon moment. On sait qu’il y a des problèmes relationnels entre certains
joueurs brésiliens. On sait que leur édifice peut s’effriter. On a écho du problème de santé de
Ronaldo avant la finale [une crise d’épilepsie selon la version officielle]. Nous jouons aussi
aux jeux vidéo. Mais il faut vraiment y jouer dix heures par jour pour avoir un problème.
Cette information n’a pas d’impact sur la finale.
J’ai tiré 50 % des coups de pied arrêtés des Bleus pendant cette Coupe du monde et je tiens
souvent compte de l’envergure et de la sortie du gardien adverse. On sait que le point faible
des Brésiliens se situe au premier poteau avec Roberto Carlos. Je mise donc sur nos atouts
dans le domaine aérien. Zinédine Zidane a vécu une compétition frustrante. Il a été expulsé
contre l’Arabie saoudite lors du premier tour et n’a pas été assez décisif jusqu’à présent. Et
là, il assume son statut de meilleur joueur du monde lors de finales en marquant de la tête à
la 27e minute. Il signe un doublé juste avant la reprise (45 + 1). De la tête encore. Ce n’est
pourtant pas un domaine ni une phase de jeu qu’il affectionne. Et là, il est couronné avec ses
deux buts.
« On part à trois : moi, Dugarry et Vieira. Ce dernier me fait la dernière passe. Et je conclus.
Ce but est le plus grand moment de ma carrière. On m’en parle tous les jours depuis. »
On est imperméables, et le fait de mener au score nous a avantagés sur le plan mental. Les
Brésiliens ont l’impression de jouer contre un mur. C’est difficile pour eux de passer notre
milieu de terrain. Ils flanchent mentalement et perdent de vue leur jeu. Il y a des frictions
entre certains joueurs brésiliens qui se montrent parfois individualistes.
Le documentaire “Les yeux dans les Bleus” montre une scène déterminante à la mi-temps du
match : l’excitation monte car on est à quarante-cinq minutes d’une consécration, d’un titre
suprême, d’un jour qui fera date. Les émotions prennent donc le pas sur le naturel. Aimé
Jacquet sait s’effacer ou, à l’inverse, intervenir dans le vestiaire lorsqu’il le faut. Il nous dit :
“Les gars, on a encore une mi-temps à disputer. Il y a 0-0.”

On ne tremble même pas après l’expulsion de Marcel Desailly à la 68e minute. On reste
soudés, solidaires, sûrs de notre force. On se jette corps et âme dans la bataille pour tenir
cette victoire en seconde période et ne pas céder face aux déferlantes, aux attaques
répétées des Brésiliens. Après l’expulsion de Marcel, je redescends en défense centrale pour
évoluer à côté de Frank Leboeuf. C’est une charnière centrale inédite. Nous n’avions jamais
joué ensemble dans ce secteur jusque-là, et pourtant on ne concède aucune occasion. Il ne
faut absolument pas prendre de but. A l’exception d’un arrêt de Fabien Barthez et d’une
frappe brésilienne sur la barre, le match est maîtrisé de A à Z.
A la 92e minute, c’est le bonheur d’être en finale de Coupe du monde qui me pousse à faire
cette dernière montée. J’ai fait un rêve prémonitoire : on gagne 2-0 en finale chez nous. Je
peux ainsi corriger ce rêve. Il y a un renvoi défensif sur un corner tiré par les Brésiliens. On
sent que ces derniers ne sont pas impliqués par le repli, hormis Cafu qui fait de la figuration
sur le dernier but car il ne peut rien faire. On part à trois : moi, Dugarry et Vieira. Ce dernier
me fait la dernière passe. Et je conclus. Ce but est le plus grand moment de ma carrière. On
m’en parle tous les jours depuis. J’aime le sport car il vous permet d’avoir des émotions
nettes à un instant T.
L’ambiance au Stade de France est indescriptible. Il y a des capteurs sonores installés pour
mesurer les décibels. Cela équivaut au décollage de trois Boeing lorsque je marque le
troisième et dernier but. Sur le plan sonore, c’est le black-out complet. J’ai l’impression
d’avoir ma tête dans un caisson. Au coup de sifflet final, c’est le bordel dans ma tête. Je ne
peux pas analyser ce que je ressens. Il y a une émotion extraordinaire. Le temps est
suspendu. On souhaite que cette communion soit éternelle. C’est comme un électrochoc.
C’est comme sous drogue, j’ai peur de ne jamais pouvoir redescendre. On se demande
comment on va pouvoir gérer l’après, avec notre cercle privé. Je ne sais même pas si je suis
sur la photo lors de la remise du trophée dans la tribune présidentielle. Je ne réussis pas à
faire une photocopie mentale de ce moment précis. Il y a le président Chirac qui avait
énoncé, avant le match, les noms des joueurs sans savoir ce qu’il disait. J’ai rigolé en
revoyant les images.
On prend conscience de l’engouement du pays lorsqu’on rentre en bus à Clairefontaine. On
commence à le sentir après le but en or de Laurent Blanc lors du 8e de finale contre le
Paraguay. Les gens sont unanimement derrière nous. Ils nous suivent jusqu’à Clairefontaine
en scooter ou à vélo. Certains sont montés sur des pylônes électriques ou sur des branches
d’arbre. Les télés et les radios revenaient en boucle sur la finale. C’était comme s’il n’y avait
plus d’actualité et que la France était coupée du reste du monde. J’étais dans un état
végétatif devant cette ferveur sincère et bestiale.
Une fête est organisée à Clairefontaine avec nos épouses, compagnes et enfants après la
finale. Un spectacle de magicien et d’autres activités sont prévus. C’est une joie
extraordinaire faite de bonheurs simples. Après la finale, tout le monde veut me rencontrer,
dont les politiques. Seize ans après, les choses n’ont pas changé. Il y a une adhésion très
symbolique. Le slogan “Black-Blanc-Beur” fait l’objet d’une récupération politique.
Dommage que les responsables de ce pays n’aient pas pris le tournant qui convenait
derrière.
Cette liesse contraste avec la posture de la corporation médiatique, qui nous a défoncés.
Aimé Jacquet a été critiqué par certains médias. On fait corps derrière lui et le staff. A
l’époque, joueurs et journalistes se respectent à défaut de s’apprécier. Là, on ne comprend
pas. On est déçus et en colère car on critique l’homme et non le sélectionneur. On
s’attendait à un réflexe patriotique de la part des journalistes. Ce sacre est une revanche et
une consécration pour Jacquet. Il a raison sur le choix des hommes. N’oublions pas qu’il
prend des risques dès l’Euro 1996 en mettant à l’écart Cantona et Ginola.
On finit quand même le Mondial 1998 avec la meilleure défense [2 buts encaissés] et la
meilleure attaque [15 réalisations]. Ce qui est paradoxal puisqu’on nous critiquait pour notre
manque d’efficacité en comparaison avec les grandes nations du foot. Nous, on voulait
gagner cette Coupe du monde et frôler l’excellence sportive. On n’a pas été soutenus par
l’ensemble de la presse française alors qu’on s’attendait à une forme de chauvinisme.
A l’Euro 2000, certains journalistes ont continué par sadisme à s’acharner sur des joueurs
comme Didier Deschamps. Mais il y avait avec la plupart des journalistes une forme de
respect. On ne pourrait plus réaliser “Les yeux dans les Bleus” aujourd’hui. Durant l’Euro
2016 organisé en France, les Bleus auront beaucoup de pression. Ce sera une compétition
très tendue, avec une équipe composée de jeunes qui aura mûri au Brésil deux ans avant. Si
on avait échoué en 1998, on nous aurait rangés dans un tiroir. On serait repartis dans nos
clubs respectifs et le cours des choses aurait repris.
« La plus belle image que je conserve est cette masse, cette liesse populaire, cette marée
humaine sur les Champs-Elysées. »
On a beaucoup parlé de l’ambiance “club” qui régnait en équipe de France. C’était
indispensable que le groupe, composé de caractères différents, vive bien ensemble. Je
comprends que Didier Deschamps, dans son travail de sélectionneur, privilégie la cohésion
de groupe lorsqu’il annonce sa liste pour le Mondial au Brésil. Il faut savoir vivre en autarcie
six semaines ensemble. Il y avait un code, une charte morale entre nous à l’époque.
La plus belle image que je conserve est cette masse, cette liesse populaire, cette marée
humaine sur les Champs-Elysées. On n’avait plus vu pareille scène depuis la Libération en
1944, qui avait mis un terme à une tragédie nationale. On a senti qu’on pouvait fédérer
autour de nous énormément de gens. Ces témoignages de reconnaissance sont notre plus
belle victoire. »
LEONARDO : « C’EST TRÈS BIZARRE CE QUI EST ARRIVÉ À RONALDO »
Finaliste malheureux en 1998, le milieu de terrain de la Seleçao revient sur l’hospitalisation
de Ronaldo quelques heures avant la finale et les deux buts du numéro 10 français qui ont
réduit les espoirs du Brésil à néant
Le Brésilien Leonardo face à Emmanuel Petit le 12 juillet 1998 en finale de la Coupe du
monde.
Le Brésilien Leonardo face à Emmanuel Petit le 12 juillet 1998 en finale de la Coupe du
monde. GABRIEL BOUYS / AFP
« C’est très bizarre ce qui est arrivé à Ronaldo. Comment imaginer que le meilleur joueur du
monde avant une finale de Coupe du monde en France, contre la France, la dernière du
siècle, a un problème sept heures avant le match ? Ou tu crois en Dieu ou tu ne comprends
rien. Si c’est n’importe quel joueur, pas de problème. Tu restes à l’hôtel et on n’en parle
plus. Ça ne change rien. Mais quand ça arrive à Ronaldo, qu’est-ce qu’on fait ? Ça a été une
journée interminable. Ce qui s’est passé ? Je n’en sais rien. Il y a eu un problème après le
repas. On a tout entendu. Il n’était pas bien, c’est certain, mais c’est difficile à comprendre.
Même lui ne s’en souvient plus. Il n’a jamais rien eu avant, il n’a jamais plus rien eu après.
Tout le monde a spéculé mais personne n’en sait rien. Même lui ne le sait pas. Le stress ? Les
médicaments ? On ne sait pas. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’était plus en état de jouer… Il va à
l’hôpital, il revient, puis il joue. Attention, je ne veux pas justifier notre défaite en finale. La
France, en 1998, était une équipe vraiment extraordinaire. Il n’y a rien à dire. Il n’y a qu’à
regarder le résultat, 3-0. Ça dit tout.
« Zidane n’était pas considéré comme dangereux dans la surface »
Zinédine Zidane devait être marqué par Ronaldo. Sauf qu’on fait le brief du match sans
Ronaldo qui était parti à l’hôpital. Edmundo devait jouer à sa place et donc marquer Zidane,
qui n’a jamais marqué un but de la tête, sauf deux fois en finale de la Coupe du monde…
Donc, ce n’était pas a priori un joueur considéré comme dangereux dans la surface. C’étaient
plutôt Marcel Desailly ou Franck Lebœuf qu’il fallait marquer.
Moi, j’étais assigné à suivre le ballon. J’étais l’homme en plus dans la surface. Lors du
premier but, Ronaldo est en dehors de la surface, moi je suis le ballon, et quand je vois que
Zidane se précipite j’essaye d’y aller, mais j’arrive en retard. Mais bon, je n’étais pas au
marquage sur Zidane. Plus tard, avec Zidane, on a rigolé de ça. Zidane est un type marrant, je
l’aime bien. Encore aujourd’hui, il dit régulièrement : “Merci à Léo.” Sur le deuxième but, on
décide de changer le système. C’est Dunga qui est chargé de prendre Zidane au marquage.
Malheureusement, il glisse au moment où le ballon est tiré depuis le corner. On connaît la
suite… »

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