Vous êtes sur la page 1sur 1

I N F O R M AT I O N S

GÉNÉRALES

Médecine, justice et immigration


Polémique sur une expertise à Rennes
Après la communauté frontière pour que soit expulsé ce pulsable ». Le Dr Catherine Tré- enfant ». Et que, si cette mé- complexe. On se donne de la
éducative, c’est au tour de jeune garçon devenu légalement guier dit tenir l’information selon thode, dite de Greulich et Pyle, ef- marge. La prudence guide ce
médecins du CHU de Rennes majeur. Le lycéen est transféré en laquelle l’expertise était catégo- fectuée à partir d’une radiogra- type d’expertise qui est d’ailleurs
de réagir à l’utilisation de centre de rétention administra- rique des enseignants qui ont pu phie de la main et du poignet plutôt favorable quand il y a un
l’âge osseux à des fins tive. Mais, devant la mobilisation avoir accès au rapport par l’inter- gauches, est adaptée aux popula- doute. » Sans le dire explicite-
médico-légales. En l’espèce, il de ses camarades de lycée et des médiaire de l’avocat du jeune tions européennes, le manque de ment, le radiologue expert recon-
s’agissait de déterminer l’âge enseignants, le préfet accorde à homme. Les trois spécialistes ren- données de référence sur les po- naît que, pour Julio, il n’a pas eu
civil d’un jeune Angolais. Le Julio un titre de séjour d’un an à nais estiment pourtant qu’« au- pulations d’Afrique subsaha- de doute.
médecin auteur de l’expertise titre « exceptionnel et humani- cune méthode ne permet (…) une rienne ferait exister « un risque Le Dr Bonfils dit ne pas bien
médicale qui a conclu à la taire ». détermination précise de l’âge d’erreur non négligeable à comprendre la polémique. « J’ac-
majorité de ce dernier, ce qui a osseux à un ou deux ans près ». l’égard des populations d’Afrique cepte tout à fait que mon avis
eu pour conséquence de le Pédiatres et radiologues mobi- Et d’ajouter : « En routine médi- ou d’Asie ». soit discuté par mes pairs,
rendre expulsable, se dit lisés. Quelques semaines après cale, c’est l’évolution de l’âge os- Les trois auteurs du texte ren- mais, dans le cas présent, aucun
« choqué » par ce qui serait ces faits, des médecins du CHU seux dans le temps qui est sou- voient également au rapport du confrère ne m’a téléphoné pour
un « procès d’intention ». de Rennes ont voulu s’exprimer vent prise en compte et non pas 10 janvier 2007 de l’Académie de me dire : “Là, tu as fait une er-
et placer le sujet sur le terrain de une donnée ponctuelle. Il faut médecine. « L’Académie conclut reur !“, explique le Dr Bonfils. Il
DE NOTRE CORRESPONDANT la médecine et de l’éthique. Les également tenir compte de l’état que la lecture de l’âge osseux par s’agit d’un procès d’intention
Drs Catherine Tréguier, Bertrand nutritionnel de l’enfant, d’un re- la méthode de Greulich et Pyle, qui surgit sous le coup de l’émo-
LES FAITS, d’abord. Le 4 mars, Bruneau et Pierre Darnault, trois tard de croissance ou, au universellement utilisée, permet tion. Mais je ne peux accepter
Julio, un jeune Angolais, élève du radiologues du CHU de Rennes, contraire, d’une avance de matu- d’apprécier avec une bonne esti- d’être tenu pour responsable de
lycée Victor-et-Hélène-Basch, à soulignent dans un texte commun ration, de facteurs ethniques, mation l’âge de développement l’expulsion (NDLR : Julio a ob-
Rennes, est interpellé dans le mé- adressé au « Quotidien » que « la géographiques et socio-écono- d’un adolescent en dessous de tenu un titre de séjour d’un an).
tro au retour d’une sortie sco- responsabilité de l’expertise mé- miques. » 16 ans, écrivent-ils. Cette mé- Je rends mon avis mais la déci-
laire. Malgré les papiers de son dicale dans le placement de Julio Citant le comité d’éthique, saisi thode ne permet pas de distinc- sion est d’ordre judiciaire. »
pays d’origine dont il est muni et en centre de rétention adminis- en 2004 par la défenseure des en- tion nette entre 16 et 18 ans. » Enfin, les trois médecins du CHU
qui précisent qu’il a 16 ans, Julio trative a fortement mobilisé la fants, Claire Brisset, sur le re- soulignent que le rapport d’exper-
est placé en garde à vue. Les communauté médicale pédia- cours à des techniques radiolo- La prudence guide l’expertise. tise concernant Julio a ignoré les
fonctionnaires de la police aux trique et radiologique du CHU ». giques et à l’examen pubertaire à Joint par téléphone, le Dr Rémy recommandations de prudence
frontières mettent en doute son Pour expliquer cette mobilisa- des fins juridiques (voir encadré), Bonfils, radiologue et expert au- des comités d’éthique et des so-
âge. Un médecin expert auprès tion, les trois médecins avancent les trois médecins rappellent que près des tribunaux, qui s’était ex- ciétés scientifiques. Et ils souhai-
des tribunaux est alors saisi. plusieurs éléments. D’abord, le « la méthode d’évaluation de primé auparavant sur France 3 tent rappeler que « pour réduire
Conclusion de l’expertise : il est fait que « le rapport d’expertise l’âge la plus couramment prati- car il estimait que son nom avait l’imprécision liée à la lecture de
majeur. Le lendemain, le préfet (ait) conclu sans aucune réserve quée sert à apprécier l’âge biolo- été « mis en pâture », précise l’âge osseux », la Société franco-
prend un arrêté de reconduite à la que Julio était majeur donc ex- gique et non chronologique d’un tout d’abord qu’il ne peut ré- phone d’imagerie pédiatrique et
pondre sur un cas particulier, prénatale a mis à la disposition
mais accepte d’expliquer de ma- des tribunaux depuis 2006 une
Repères nière générale la procédure qu’il
met en œuvre quand il est solli-
liste de radiopédiatres prêts à ai-
der la justice. Une liste qui n’est
Dans son avis n° 88 (juillet 2005), le Comité consulta- mation de l’âge du développement des moins de 15 ans, cité pour ce type d’expertise. Ce plus utilisée actuellement… « Ce
tif national d’éthique estime que si le corps médical ne doit mais manque de fiabilité entre 16 et 18 ans. médecin souligne qu’il exerce au type de décision lourde de consé-
pas s’exonérer de ses responsabilités lors d’une expertise Dans une pétition lancée en novembre dernier, « Mé- sein d’un cabinet dans lequel tra- quences mérite pourtant que la
médicale en vue de déterminer l’âge d’un enfant ou d’un decine et immigration : non aux liaisons dangereuses », vaillent deux radiopédiatres. justice s’adresse à des radiopé-
adolescent, il doit avoir « sans cesse à l’esprit que sa fonc- Médecins du monde demande « un droit de désobéis- « Ces confrères viennent du CHU diatres entraînés à ce type de
tion est toujours celle d’un soignant avant d’être celle sance déontologique de la part de tous les professionnels et me font bénéficier de leur avis lecture, estime le Dr Catherine
d’un expert ». Relevant l’imprécision des méthodes d’éva- de santé qui pourraient être amenés à prescrire ou à réa- de haute technicité et de haute Tréguier. Nous sommes nom-
luation, le Comité souligne également que la responsabilité liser des actes utilisant les sciences médicales non pas volée, précise le Dr Bonfils. Mais breux à assurer des gardes dans
du juge reste entière « dans la mesure où les arguments dans l’intérêt médical de la personne, mais dans le cadre c’est à moi ensuite d’apporter les grandes villes et il n’est pas
médicaux ne pourront lui apporter d’éléments suffisam- des lois de l’immigration ». Parmi les utilisations de la des réponses aux questions difficile d’interpréter des âges
ment certains pour asseoir sa conviction ». médecine dénoncées, MDM cite « le calcul de l’âge os- qu’un magistrat me pose. Et, osseux à distance. »
Dans un rapport réalisé à la demande des minis- seux sur des adolescents pouvant conduire à leur exclu- dans ces cas, il ne s’agit bien évi- > OLIVIER QUARANTE
tères de la Justice et de la Santé, en janvier 2007, l’Acadé- sion de la protection de l’enfance et à leur expulsion si ces demment pas d’appliquer arith-
mie de médecine indique que la lecture de l’âge osseux par examens établissent que ce sont des “adultes biolo- métiquement une table que l’on * Chaumoitre K., Colavolpe N., Marciano-
la méthode de Greulich et Pyle permet une bonne approxi- giques” ». sait ne pas être exploitable pour Chagnaud S. et al., J Radiol, 2007, 88 :
les non-Européens. C’est plus 1376 et 1544.

Des campagnes d’information en préparation


Changer l’image du cancer
Roselyne Bachelot veut gnostic. Le suivi post-thérapeu- une clairvoyance et un courage
accélérer le changement tique est encore mal connu (et) que soutiennent la solidité de
de regard sur le cancer. l’implication des patients dans l’information prodiguée et le
Des campagnes la stratégie de traitement insuf- lien avec les personnels soi-
d’information sont en fisante. Seul un sur deux estime gnants. Et, de toute évidence,
préparation, pour diffuser avoir participé à la décision thé- certains ont besoin d’être épau-
des « messages de tolérance, rapeutique. Le versant psycholo- lés, accompagnés (soutien psy-
invitant à comprendre plutôt gique de la prise en charge (lui) chologique et social), pour abor-
qu’à juger ». apparaît encore trop inégale- der, mieux armés, la période de
ment reconnu. » rémission ».
« LE CANCER SEMBLE encore Dans cet esprit, Roselyne Bache-
trop souvent associé à l’image de Pour une prise en charge glo- lot prévoit « d’inclure davan-
la mort (et) stigmatisé, s’agis- bale. En soulignant ces quelques tage, dans les campagnes d’in-
sant en particulier des jeunes insuffisances dans l’accompagne- formation que nous préparons,
qui en sont atteints (...) Six pour ment des femmes et des hommes de manière explicite et à des
S. TOUBON/« LE QUOTIDIEN »

cent (des malades), parmi les atteints de cancer, mises en fins pédagogiques, des messages
plus fragiles, les plus démunis avant par l’enquête DREES/IN- de tolérance, invitant à com-
matériellement et moralement les SERM sur la qualité de vie des prendre plutôt qu’à juger ».
plus vulnérables, se montrent in- cancéreux deux ans après l’an- Quant à « la généralisation des
satisfaits du suivi et des infor- nonce du diagnostic (« le Quoti- consultations d’annonce prévue
mations reçues (...) Une personne dien » du 28 mars), la ministre de dans le plan Cancer 2003-
sur cinq déclare avoir été victime la Santé entend affirmer sa vo- Roselyne Bachelot a clôturé le colloque sur « La vie deux ans après le diagnostic de cancer » 2007 », elle « reste » aux yeux de
d’attitudes discriminatoires sur lonté de « veiller à ce que soit as- la ministre « encore beaucoup
son lieu de travail. Faute de suré, au-delà de l’aspect médico- sans le concours des soignants. attitudes dont l’invisibilité rend trop théorique ». C’est « un com-
moyens, matériels et surtout hu- technique, une prise en charge Des médecins, notamment, qui difficile l’évaluation. Leur “tra- bat pour la vie, mais aussi pour
mains, seulement 40 à 80 % (se- globale ». Une telle politique de « savent que le respect du ma- vail discret”, leurs manières la liberté, et ce combat est le
lon les régions) des patients et santé, qui n’est autre qu’« une po- lade, de son libre arbitre, de son d’être » participent de la qualité mien », a conclu Roselyne Ba-
de leurs proches bénéficient des litique de la vie, un projet de so- intimité, de sa singularité, s’ex- de vie du patient. La relation de chelot.
consultations d’annonce du dia- ciété », ne saurait se décliner prime le plus souvent dans des ce dernier à la maladie « exige > PH. R.

10 - LE QUOTIDIEN DU MEDECIN - N° 8342 - LUNDI 31 MARS 2008 - www.quotimed.com

Vous aimerez peut-être aussi