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APÔTRES, MAÎTRES DE MAISON ET DOMESTIQUES

Les origines du ministère tripartite

Brian J. Capper

Institut protestant de théologie | « Études théologiques et religieuses »

2006/3 Tome 81 | pages 395 à 428


ISSN 0014-2239
DOI 10.3917/etr.0813.0395
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ÉTUDES THÉOLOGIQUES ET RELIGIEUSES


81e année – 2006/ 3 – P. 395 à 428

APÔTRES, MAÎTRES DE MAISON


ET DOMESTIQUES :
LES ORIGINES DU MINISTÈRE TRIPARTITE

Dans cet article, Brian CAPPER * suggère qu’on trouve dès la période du
Nouveau Testament le modèle du ministère tripartite comprenant des
évêques, des prêtres et des diacres, période à laquelle des ministres itiné-
rants visitent des petites églises de maison. Ils ont l’habitude de se réunir
dans la salle à manger des maîtres de maison qui offrent le repas chrétien,
assistés par des domestiques de confiance. Pour les chrétiens de la deuxième
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génération, ces réunions s’élargissent, sont présidées par un évêque unique
et se tiennent en des lieux nouveaux , plus ouverts au public. Ayant été élevés
au titre de délégués apostoliques ou ayant été nommés parmi des itinérants
devenus sédentaires ou des chrétiens du lieu particulièrement qualifiés, ces
évêques remplacent les itinérants. Pour l’eucharistie, ils sont assistés par
des diacres, qui sont recrutés parmi les anciens domestiques de confiance.
Les maîtres des églises de maison, désormais rassemblés, constituent le
groupe des anciens.

Dans 1 Corinthiens et dans Romains, les sources les plus anciennes qui
parlent de « ministère » (diakonia) dans l’Église, le ministère n’est pas
réservé aux membres les plus influents de la communauté, mais il est le
service que l’Esprit inspire à chaque croyant : « Il y a diversité de dons de la
grâce, mais c’est le même Esprit ; diversité de ministères (« œuvres de
service », diakonion), mais c’est le même Seigneur ; diversité de modes
d’action (« opérations », energematon), mais c’est le même Dieu qui, en
tous, met tout en œuvre. » (1 Co 12, 4-6) Le « ministère » est « la manifes-

* Brian C APPER enseigne l’histoire du christianisme des origines à l’Université de


Canterbury Christ Church.

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tation de l’Esprit en chaque croyant en vue du bien de tous » (1 Co 12:7;


14:4). Tous contribuent à « l’édification commune » (1 Co 14, 26 ;
cf. Rm 12, 3-8). La vision que Paul a de l’Église (une communauté
d’entraide mutuelle, inspirée par les charismes, dans laquelle chaque croyant
en tant que membre du corps du Christ a une contribution à apporter :
pratique, prophétique ou miraculeuse, inspirée par l’Esprit dans le contexte
d’une réunion publique) est difficilement comparable avec l’Église officielle
dans la conception d’Ignace d’Antioche au début du IIe siècle, selon laquelle
l’existence de la communauté est définie par l’ordre tripartite des évêques,
anciens et diacres, et dans laquelle on imagine difficilement le laïc avoir une
place ou un rôle prééminent quelconque. Le rôle central de l’évêque dans
l’instruction, l’animation de la liturgie, le baptême, le contrôle des finances et
le jugement des disputes, et la présence autour de lui de classes prédéfinies
de personnalités officielles (les anciens et les diacres) qui remplissent les
tâches publiques de l’instruction, l’assistance dans la liturgie et l’aide aux
pauvres, font penser à une forme de communauté dans laquelle le clergé
s’était attribué l’administration et l’expression publique de l’Évangile par des
actes de culte et de service.
La transition de la situation précédente se prête facilement à une carica-
ture sociologique : la dernière phase d’un processus d’institutionnalisation
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par lequel un groupe est amené à être défini par sa bureaucratie, qui gouverne
principalement pour protéger son propre statut et pour exclure toute tentative
de l’en priver. La bureaucratie, en réalité, devient l’institution. Néanmoins,
cela constituerait une évaluation trop négative du rôle du clergé au temps
d’Ignace. Après la mort des derniers apôtres, il était courant que des dévelop-
pements dans la doctrine menacent l’unité de la communauté et la continuité
avec sa tradition et ses racines apostoliques. Les Épîtres de Jean dans le
Nouveau Testament, fondées sur la période immédiatement précédente,
révèlent clairement un contexte dans lequel planent les spectres d’un gnosti-
cisme naissant et d’une christologie ouvertement docétique, contre lesquels
les docteurs chrétiens devaient lutter pour préserver une version authentique
du christianisme pour les générations à venir. Le danger de la fragmentation
de la doctrine, et donc de la communauté chrétienne même, est apparu avec
la mort de la génération apostolique, dont l’autorité naturelle lorsqu’elle était
encore vivante était facilement capable de restreindre les déviations doctri-
nales. « Ignace fait la relation entre l’évêque monarchique et la sauvegarde
de la foi orthodoxe de telle manière qu’il suggère qu’un des buts principaux
lié au fait de n’avoir qu’un seul évêque était de sauvegarder la bonne
doctrine 1. » Les difficultés rencontrées par l’Église vis-à-vis du gnosticisme

1. W. TELFER, The Office of a Bishop, Londres/Darton, Longman and Todd, 1962, p. 69.

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du IIe siècle ont confirmé la nécessité de se réunir autour de ceux qui sauve-
gardaient la tradition apostolique.
Le ministère et l’échelle sociale de la communauté
Cette étude montre que la tendance à l’exclusion des laïcs du « minis-
tère » était, de manière significative, une conséquence inattendue d’un
rassemblement plus étroit autour de l’évêque – garant de la tradition aposto-
lique – des communautés chrétiennes très développées au temps d’Ignace et
donc moins faciles à défendre. On soutient fréquemment que la lutte contre
l’hérésie contribuait au renforcement de l’évêque comme seule autorité.
Cependant, on n’a pas démontré que le rassemblement autour d’un évêque ait
provoqué des changements – qui par leur simple nature provoqueraient une
diminution des occasions d’engagement dans le culte et dans la vie publique
de la communauté – du schéma social de l’Église par rapport à sa forme la
plus ancienne dans le Nouveau Testament. Il est de plus en plus clair que les
Églises issues de la mission paulinienne avaient ce qu’on pourrait appeler
aujourd’hui une structure « cellulaire », fondée sur des groupes qui se réunis-
saient dans les maisons des plus riches. Dans chaque ville, l’Église était
constituée de groupes de maison, parrainés par des chrétiens reconnus qui
organisaient chez eux le culte auquel assistaient de petits cercles de croyants.
Dans Romains 16, 3-5 une Église se réunit dans la maison de Prisca et
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d’Aquilas. Dans Romains 16, 10-11 des groupes sont identifiés comme étant
ceux de la maison d’Aristobule et de Narcisse. Wayne Meeks interprète les
trois listes de noms dans Rm 16, 14-15 comme la liste de trois autres
maisons 2. À Corinthe, des groupes de croyants semblent s’être réunis dans la
maison de Crispus, converti ainsi que toute sa maison, dont la fonction précé-
dente de chef de synagogue confirme aussi son statut de chef de maison
(Actes 18, 5-8), et de Gaius, qui était l’hôte de Paul et de « toute l’Église »
lorsque Paul écrivit à Rome de Corinthe (Épître aux Romains 16, 23). Gaius
disposait probablement des lieux les plus vastes, et pouvait donc accueillir
tous les chrétiens de Corinthe ; cependant, de petites réunions avaient aussi
lieu dans d’autres maisons. Il semble que Stéphanas ait aussi accueilli un
groupe (1 Co 16, 19). À Laodicée, la chef de maison Nympha a accueilli une
Église dans sa maison (Col 4, 15).
Quelle était la taille de ces premiers groupes de maisons ? Les dimensions
physiques des maisons ayant fait l’objet de fouilles archéologiques peuvent

2. W. MEEKS, The First Urban Christians, New Haven, Yale University Press, 1983, p. 75.
Gerd THEISSEN a travaillé ultérieurement l’analyse sociale des premières communautés chré-
tiennes définies comme « cellulaires » et créées sous le patronage de certains chefs de maison
importants, voir G. THEISSEN, Studien zur Soziologie des Urchristentums, Tübingen, J.C.B.
Mohr, coll. « WUNT », 1979 ; traduction anglaise The Social Setting of Pauline Christianity,
Edinbourg, T. & T. Clarke, 1982.

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nous éclairer sur cette question. À Pompéi et à Herculanum, de nombreuses


grandes maisons appartenant aux classes aisées furent conservées par la lave
et les cendres volcaniques en 79 apr. J.-C. À Herculanum, les dimensions de
l’atrium, ou pièce principale des maisons de ce genre, étaient d’environ sept
mètres soixante sur neuf mètres quinze ; la cour, lorsque la maison en dispo-
sait d’une, mesurait environ dix mètres sur quinze mètres vingt. À Pompéi,
les atriums mesuraient environ neuf mètres cinquante sur douze mètres
quatre-vingts et les cours péristyles environ seize mètres quatre-vingts sur
vingt mètres quarante 3. Ainsi, l’atrium d’une maison pouvait fournir l’espace
nécessaire pour réunir au maximum deux ou trois douzaines de personnes
(moins pour être à l’aise, surtout lors du repas 4) ; les cours pouvaient en
accueillir cent ou deux cents, selon le temps. Ces dimensions physiques
suggèrent deux types de réunions de la chrétienté primitive. La communauté
chrétienne d’une ville se sera normalement réunie, en groupes d’environ
vingt-cinq personnes, dans ses plus grandes maisons. De manière occasion-
nelle, tous les croyants d’une ville se seraient réunis dans la cour de la plus
grande maison pour écouter les visiteurs importants ou pour des délibérations
importantes, selon les conditions.
Dans les Églises issues de la mission paulinienne, le principal acte de
culte était le partage d’un repas incluant des actions rituelles (1 Co 11, 17-
34). Plus tard, le christianisme vit l’eucharistie comme étant l’acte définis-
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sant le culte chrétien ; cela confirmait que dans les premiers temps les petites
réunions dans les maisons étaient plus fréquentes que les grandes qui étaient
quant à elles occasionnelles. Ces repas ne se prenaient pas dans des lieux de
culte comparables aux salles à manger des maisons associatives gréco-
romaines, mais plutôt dans les maisons particulières les plus grandes. Peu
importe que les fidèles aient été serrés ou non, leur nombre excédait rarement
les deux ou trois douzaines.
Il est évident que la vision paulinienne du « ministère de tous les
croyants » ne peut être mise en œuvre que dans de telles circonstances,
lorsque les réunions des communautés chrétiennes sont relativement petites.
Chaque individu ne peut apporter de contribution significative fréquente au
culte d’un groupe qui dépasse deux ou trois douzaines de personnes. Dès
lors, la vision paulinienne de l’Église en tant que communauté charismatique,
est fondée sur l’hypothèse que les chrétiens se réunissent en groupes relative-
ment petits, dans lesquels chacun, du plus modeste au plus éminent, peut

3. Cf. A. MAIURI, Ercolano, I, Rome, 1958, p. 198, 208, 266, 280, 384, 394 ; A. G. McKay,
Houses, Villas, and Palaces in the Roman World, Londres, Thames and Hudson, 1975 ;
H. ESCHEBACH, Pompeji: erlebte antike Welt, Leipzig, Seemann, 1978, p. 312 ; E. E. ELLIS,
Pauline Theology: Ministry and Society, Exeter, Paternoster, 1989, p. 140-141.
4. On pouvait prendre le repas dans la salle à manger adjacente, généralement de plus petite
dimension.

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apporter une contribution régulière. Paul applique la métaphore du corps à la


communauté. À l’image des différentes parties du corps humain, dont les
fonctions diffèrent, mais qui ont une importance égale dans la vie de
l’ensemble, la contribution apportée par le service le plus humble à la vie de
la communauté est aussi nécessaire que le plus spectaculaire des dons. Paul
insiste sur le fait que l’Esprit inspire chaque membre de la communauté
(1 Co 12, 5) et donne des exemples de son action en chacun (v. 8-10). Plus
tard, Paul utilise aussi l’exemple de la prophétie et là insiste sur le fait que
chacun peut exercer un ministère selon l’Esprit ; il encourage chacun à la
prophétie (14, 1, 5) et envisage des situations s’y prêtant (v. 24). La capacité
de chacun à prophétiser est probablement expliquée en 14, 26, lorsque à
la réunion des chrétiens pour le culte « chacun peut chanter un cantique,
apporter un enseignement ou révélation, parler en langues ou bien
interpréter ». Cette Épître nous fournit la source la plus ancienne sur la forme
du culte chrétien. L’eucharistie (1 Co 11, 17-34), se déroulant dans le
contexte d’un repas dans une maison, doit être reliée au mode de culte décrit
dans les chapitres 12 à 14, dans lesquels chaque membre de la communauté
apporte une contribution personnelle. On complète ainsi le tableau de la plus
ancienne forme du culte chrétien. Paul ne pouvait présenter cette vision de la
vie et du culte chrétiens que si les Églises sous son influence se réunissaient
par petits groupes de maison. Au culte, les membres étaient vraisemblable-
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ment tous encouragés à prophétiser ou à apporter un service, même pratique,
dans l’Esprit. Nous savons que dès les premiers temps les chrétiens
rompaient le pain « à domicile » (Actes, 2, 46). À partir de Romains 12, 8, il
est clair que Paul recensait des actions pratiques parmi les charismata.
Au temps d’Ignace, le culte chrétien se déroulait à une toute autre échelle,
bien plus grande. Ignace décrit l’évêque présidant l’eucharistie, entouré de
son conseil d’anciens, et assisté dans son ministère auprès des laïcs par de
nombreux diacres 5. Ainsi, le nombre de membres du clergé, à une des
réunions de la communauté à son époque, pouvait dépasser le nombre moyen
de personnes participant aux Églises des temps plus anciens. Nous avons
donc affaire à des réunions chrétiennes typiques d’environ deux cents ou
trois cents âmes ou même plus et non de seulement deux ou trois douzaines.
L’échelle de ces réunions peut suggérer que les grands groupes de croyants,
plutôt rares dans les premiers temps, étaient maintenant devenus la norme.
Des locaux en dur étaient alors sûrement disponibles, ce qui permettait des
réunions beaucoup plus grandes en toute période de l’année, quel que soit le
temps ou la saison. Il est possible que la taille de ces réunions soit due au
succès de la mission chrétienne même et au nombre de croyants dans chaque
ville. Si on poursuit l’argument de l’importance de l’évêque en tant que

5. IGNACE, Lettre aux Magnésiens, 6 ; Lettre aux Tralliens, 3.

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garant de la tradition apostolique et rempart contre l’hérésie, il apparaît que


l’importance de ces réunions est peut-être une conséquence des conflits de
l’époque. Les croyants se réunissaient en groupes plus grands pour écouter la
voix fiable de la tradition apostolique, plutôt qu’en maisons-communautés
ayant des eucharisties à part. Ce développement intervint probablement
quand des sous-groupes plus petits et donc plus indépendants auraient pu être
soupçonnés de donner un enseignement hétérodoxe. Tous les croyants se
réunissaient semaine après semaine autour de l’évêque afin de sauvegarder la
doctrine apostolique transmise par l’évêque et les anciens réunis.
La signification symbolique qu’Ignace voit en chaque officier de la
communauté prouve que la situation qu’il décrit marque un changement par
rapport au modèle de culte chrétien des premiers temps. Ignace fait des
évêques, diacres et anciens respectivement les images de Dieu, du Christ et
des apôtres 6. Cet ordre et cette analogie sont particulièrement incongrus,
sachant qu’il place les diacres au dessus des anciens ou pire (si les éléments
sont rangés dans l’ordre attendu), il place les apôtres au dessus du Christ.
Cette comparaison est évidente si on y réfléchit. Au départ, elle faisait réfé-
rence au binôme que formaient à égalité le président du repas et les diacres
qui le servaient : à l’image de Dieu siégeant en majesté et du Christ servant
humblement l’humanité à travers le repas qui était son corps. Ces deux
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responsabilités étaient passées à trois au temps d’Ignace. En clair, les anciens
qui apparaissaient comme un conseil réuni étaient devenus une nouvelle
réalité sociale, et cette image fut maladroitement rattachée à l’image
précédente.
En anticipant une partie de l’analyse des premiers responsables chrétiens
faite ci-après, il apparaît que l’image renvoyait au départ à la réunion dans
des maisons pour le repas, présidée par l’hôte et à laquelle des domestiques
de confiance ou d’autres membres du groupe servaient le repas. Les maîtres
de maison importants qui accueillaient les réunions des premiers temps
s’étaient désormais unis en un conseil d’anciens ; les limites entre les
maisons-Églises individuelles à l’intérieur d’une ville étant alors effacées, il
ne restait plus alors qu’une seule assemblée, avec plus de membres. Comme
l’eucharistie nécessitait toujours un président, une personnalité importante
apparaît alors au dessus du conseil d’anciens ; auparavant, peut-être l’un des
leurs ou un enseignant ou un prophète local réputé, mais dès lors, il prend en
charge les réunions du groupe élargi et l’animation de la liturgie eucharis-
tique qui était jusqu’alors la fonction des maîtres de maison.
Il est inutile d’espérer que dans la forme élargie de la communauté,
produit d’un évangélisme fructueux et de la lutte contre la fragmentation

6. Ibid.

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doctrinale, la vision de Paul d’une participation significative de chaque


membre de la communauté puisse trouver son expression. Déjà, dans les
premiers temps, les réunions plus grandes étaient de par leur nature diffé-
rentes des petites réunions en maisons. Dans une réunion en maison de deux
douzaines de fidèles, la vision de Paul d’une contribution de chaque membre
(une contribution de ministère) à la communauté était encore réalisable. Dans
un contexte social plus étroit, la sagesse que chacun apportait à la réunion
pouvait être perçue, et les services pratiques rendus par chacun pouvaient
être appréciés par le groupe. Dans les communautés bien plus grandes de
l’époque d’Ignace, cela n’était pas possible. Au cours d’une réunion de
plusieurs centaines de personnes, l’évêque présidait, et un ou deux anciens
pouvaient parler. Les diacres s’occupaient des éléments de l’eucharistie ;
tandis que d’autres se voyaient assigner des tâches pratiques : ils
accueillaient les fidèles ou étaient chargés des lectures Mais, alors que les
chrétiens pouvaient toujours être encouragés à servir leur prochain, la taille
des réunions des communautés impliquait que la participation active du
fidèle ordinaire à ces réunions soit en réalité exclue. L’histoire nous révèle
qu’en fait les chrétiens se rendaient volontiers des services entre eux en
dehors de l’assemblée, mais ceux-ci n’étaient pas visibles en public et
restaient donc ignorés de la compréhension que l’Église avait d’elle-même.
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Les transformations que nous avons constatées quant à la taille des
réunions chrétiennes nous aident en effet à comprendre ce que nous décelons
dans la période du Nouveau Testament des prémices du ministère tripartite
des évêques, anciens et diacres qui apparaît chez Ignace au début du IIe siècle.
Ce n’est pas sans une certaine appréhension que nous abordons la question
des origines potentielles de l’organisation des Églises chrétiennes à la fin de
la période néotestamentaire. Beaucoup maintiennent que le terme « office »
est strictement incompatible avec la vision pleine d’entrain de Paul d’une
Église créée par les charismata inspirées par l’Esprit 7. L’exploitation par
Paul du Corps du Christ dans 1 Co 12, 4-11 rend impossible pour certains
l’existence de rôles permettant l’exercice d’autorité, d’une hiérarchie quel-
conque. Le seul président de la communauté n’est-il pas l’Esprit d’inspira-
tion, qui lui-même dirige la réunion ? N’est-ce pas ce que l’Esprit adresse à
la communauté à travers des charismata inspirés, qui représentent l’autorité
de Dieu ? L’interprétation de Paul du culte chrétien comme ministère de tous
par l’Esprit n’exclut-elle pas toute frontière entre « laïcs » et « membres » de
la communauté ? L’interprétation classique de cette approche fut évoquée par
l’historien allemand de la fin du IXe siècle, Rudoph Sohm, qui a cherché, en

7. Cf. E. KÄSEMANN, « Ministry and Community in the New Testament », in Essays on New
Testament Themes, Londres, SCM, 1964, p. 63-94.

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privilégiant une vue anti-institutionnelle de l’Église, à réincarner la vigueur


du christianisme primitif 8.
De telles positions ont probablement mal interprété le but de Paul dans ce
passage. Il insiste sur la complémentarité des différentes « opérations » de
l’Esprit pour éradiquer le clivage dommageable entraîné par le faux intérêt
fondé sur la vanité pour les dons les plus spectaculaires, et il s’intéresse
d’abord au sujet qui préoccupe ses adversaires, les charismata spectaculaires.
Après avoir suivi sa pensée, en disant que les différents dons de l’Esprit
doivent se compléter plutôt qu’entrer en compétition les uns avec les autres
(12, 12-26), il présente une seconde liste des opérations de l’Esprit qui inclut
les deux expressions : dons d’assistance et de direction. Un langage rappe-
lant la structure officielle, hiérarchique, apparaît alors avec force : « Et
ceux que Dieu a disposés dans l’Église sont, premièrement des apôtres,
deuxièmement des prophètes, troisièmement des hommes chargés de l’ensei-
gnement… » (12, 28) L’opération normale de l’Esprit en chacun n’est pas
poursuivi par manque de gouvernement. La véhémence avec laquelle,
ailleurs dans ses écrits, Paul défend sa propre autorité, due à son statut
d’apôtre, montre que son intention ne peut être celle de l’anarchie spirituelle.
Il ne s’oppose pas aux limites normales de la fonction, mais simplement aux
fausses barrières érigées par ceux qui se vantaient bêtement d’avoir reçu les
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charismata les plus remarquables.
Après avoir mentionné les « hommes chargés d’enseignement », la numé-
rotation de 1 Co 12, 28 s’arrête ; les éléments suivants sont introduits par de
simples « ensuite… puis... puis… » (epeita... epeita... epeita…), ce qui
implique que ce qui suit ne fait pas autorité comme les trois premiers
charismes. La comparaison de la séquence des manifestations de l’Esprit
suivant celles de la première liste de Paul est instructive. La glossolalie, la
capacité à opérer des miracles et à guérir sont répétées de la première à la
seconde liste ; la « foi » et « le discernement des esprits » sont omis ; les
« paroles de sagesse » et « de connaissance » de la première liste (12, 8)
n’ont pas d’équivalents dans la seconde. Il est possible que Paul ait déjà
mentionné ce genre de manifestation, comme on peut le constater lorsqu’il
fait référence aux prophètes et à l’Église chrétienne ; en tout cas, il est clair
que la liste n’est pas exhaustive mais vise plutôt à illustrer ses propos. Bien
que Paul semble limiter dans 1 Co 12, 3-8 les manifestations de l’Esprit,
qu’il estime être des « ministères » , à des paroles inspirées et à des manifes-
tations miraculeuses diverses, en 1 Co 12, 28, l’Esprit semble inspirer des

8. R. S OHM , Kirchenrecht I. Die Geschichtlichen Grundlagen, Leipzig, Duncker &


Humblot, 1892, p. 158-164. Sohm pensait que l’Église transforma par erreur le charisme en une
fonction permanente. Le débat animé qui en résulta est rapporté dans E. NARDONI, « Charism in
the Early Church Since Rudolph Sohm: An Ecumenical Challenge », Theological Studies 53,
1992, p. 646-662.

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fonctions différentes. Dans les Bibles anglaises, elles sont parfois traduites
par helpers (c’est-à-dire « aides », antilempseis ; Chouraqui propose « dons
de secours » qui va dans le sens d’« aide ») et administrators (dans la
Revised Standard Version, « administrateurs » kyberneseis). Ce dernier terme
que la King James Version traduit governments (gouvernements/administra-
tions) signifie littéralement « gouvernails », et semble indiquer le rôle d’ani-
mation de la liturgie. Les « aides » et les « administrateurs » semblent indi-
quer des services naissants dans les communautés locales. Si les
« administrateurs » président à la réunion de la communauté et dirigent le
culte, le terme fait probablement référence aux chefs de maison principaux.
Les « aides » étaient vraisemblablement leurs assistants lorsqu’une assistance
était nécessaire, notamment lors du repas, pour servir celui-ci, et peut-être
pour l’administration charitable qui y est associée. Il se peut que les fonc-
tions d’aide et d’administrateur anticipent celles de « diacre » et
d’« évêque ». Bien que Paul reste dans le domaine purement rhétorique, sa
seconde liste s’approche plus d’une description précise de la communauté
telle qu’elle fonctionnait à l’époque. Loin d’exclure le contexte des fonctions
établies, la manifestation de l’Esprit s’opère à travers lui.
Néanmoins, la plupart des opinions s’accordent sur le fait que les Églises
de Paul, à l’époque où il écrivit ses lettres, ne présentaient qu’une structure
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institutionnelle naissante. Les références à ceux qui exercent l’autorité ne
sont pas fréquentes et la terminologie est imprécise. On pourrait pourtant
s’attendre à trouver une insistance particulière sur les « officiels » locaux car
ces communautés étaient récentes, et donc le transfert d’autorité de l’apôtre
aux responsables locaux n’avait pas encore eu lieu. Pour ces Églises tout
juste fondées, les missionnaires itinérants représentaient l’autorité la plus
importante ; c’est l’objectif de ces lettres. Les preuves restantes de la nais-
sance des fonctions d’autorité dans les lettres de Paul sont les suivantes.
Dans sa première lettre à Thessalonique, 50-51 apr. J.-C. (en principe le plus
ancien texte 9 du Nouveau Testament puisque sa rédaction suit de quelques
mois seulement la fondation de l’Église), Paul fait référence à ceux qui sont
« placés en tête » de la communauté (proïstamenoi, 1 Th 5, 12). Il s’agit
probablement des membres locaux équivalant aux « aides » et aux « adminis-
trateurs » de 1 Co 12, 28 que Paul mentionnera quelques quatre années plus
tard. Moins d’une année ou deux après, Paul s’adresse aux « superviseurs »
(episkopoi, d’autres traductions possibles d’espiskopoi auraient été
« épiscopes » [Traduction Œcuménique de la Bible] ou « évêques »
[Segond]) et aux « serviteurs » (diakonoi, « diacres ») de l’Église à Philippes
(Ph 1 1). Dans sa lettre à Rome (vers 56 apr. J.-C., bien que nous ne sachions
pas quand l’Église fut fondée), Paul mentionne Phoebé le « serviteur »

9. La théorie « Galates du Sud » placerait Galates plus tôt.

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(diakonos, peut-être « diacre ») de l’Église de Cenchrées (le port de


Corinthe). Dans son exposé sur le Corps du Christ en Rm 12, 3-8, il fait réfé-
rence une fois de plus, à travers « celui qui fait une contribution » (metadi-
dous) et « celui qui exerce la miséricorde » (eleon, peut-être l’« aide » de
1 Co 12, 28), au proïstamenos, terme traduit dans la New English Bible par
leader (dirigeant), bien que la Revised Standard Version le traduise par he
who gives aid (celui qui porte secours). Certains pensent que les « prophètes
et hommes chargés de l’enseignement » qui suivent les « apôtres » dans
l’ordre donné dans 1 Co 12, 28 sont peut-être des chefs locaux plutôt que des
missionnaires itinérants ; cependant, nous le verrons plus tard, cela est moins
probable. Ces références proviennent de la période des six ou sept premières
années de la mission de Paul en Europe. À l’exception de Rome, que Paul
n’avait pas encore visitée, nous savons que ces Églises avaient été récem-
ment fondées et dépendaient encore largement de son autorité. Comme ce qui
est exposé ici n’est que la somme de ce que la correspondance paulinienne
authentique révèle des officiers des Églises locales, la relative jeunesse de
ces Églises prouve que l’éventuel manque de preuves ne doit pas être utilisé
pour démontrer que Paul n’avait légitimé aucune structure organisationnelle
locale.
Peut-on détecter un mode d’organisation locale ? Il ne s’agit sûrement pas
ici de fonctions bien établies au point d’avoir une terminologie elle aussi bien
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établie. Cependant, quelques termes apparaissent plusieurs fois. Or, aucun
des textes n’implique qu’un seul individu était responsable de l’Église dans
telle ou telle ville, et ces éléments semblent impliquer la pluralité des chefs
locaux. L’épiscopat monarchique, auquel se réfèrent les écrits de la période
d’Ignace d’Antioche et de celle qui suivit (au-delà de 115 apr. J.-C.), n’a pas
de précédent clair dans l’episkopos du Nouveau Testament. Dans Philippiens
1, 1, le terme episkopos apparaît au pluriel (episkopoi), suggérant la pluralité
de « superviseurs » dans la seule ville de Philippes, et faisant penser à une
classe dirigeante d’anciens (on ne peut pas encore parler de conseil). Dans
Actes 14, 23, environ deux ans avant la fondation de l’Église de Philippes, il
est écrit que Paul et Barnabas désignèrent des « anciens » pour chaque Église
fondée dans le sud de la Turquie lors du premier voyage missionnaire de
Paul ; ainsi, chacun de ces deux textes semble décrire la mise en place par les
apôtres au niveau local d’une classe dirigeante plurielle.
Bien que le terme presbyteros n’apparaisse jamais dans les lettres pauli-
niennes authentiques, les termes « superviseur » (« évêque », episkopos) et
« ancien » (presbyteros) semblent être facilement interchangeables pendant la
majorité du premier siècle. Dans les Actes des Apôtres, Paul s’adresse aux
« anciens » (Actes 20, 17, cf. 14 23) à Ephèse en tant que « gardiens »
(v. 28). Dans Tite 1, 5-7, l’instruction donnée à Tite d’établir des « anciens »
est suivie d’une liste des qualifications requises pour la personne désignée

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episkopos. Dans 1 Pierre 5, 1-2, on ordonne aux « anciens » de « veiller »,


episkopein (verbe ayant la même origine). Clément de Rome parle d’abord
de « dissensions sur la fonction d’évêque (episkopos) », et du délit de retirer
leur fonction d’« évêque » ou de « superviseur » (episkope) à ceux qui l’exer-
çaient de droit, pour finalement parler du caractère sacré des « anciens »
(presbyteroi) morts après avoir exercé fidèlement leur fonction (1 Clément
44). Les responsables de 1 Th 5, 12 peuvent être perçus comme « évêques
presbytres » ou « évêques-anciens » au même titre que les « administra-
teurs » de 1 Co 12, 28 et ceux qui « président » (proïstamenos) dans l’Épître
aux Romains 12, 8. Dans les premières communautés pauliniennes, les res-
ponsables étaient multiples et Paul les appelait parfois « chefs » (proïstame-
nos), parfois « gardiens » (« évêques », episkopoi), ou même « administra-
teurs » (kyberneseis) ; l’auteur des Actes des Apôtres les appelait « anciens »
(presbyteroi) et « gardiens » (« évêques », episkopoi).
On suppose souvent, que si l’Église chrétienne des premiers temps était
dirigée par plusieurs « anciens », elle imitait tout simplement l’organisation
de la synagogue. En fait, James Tunstead Burtchaell a disserté longuement
sur l’émergence de la hiérarchie des membres d’une Église, soulignant que la
synagogue en était à tous égards le point de départ 10. Sa monographie est
l’étude la plus fournie depuis des années tentant de résoudre le problème de
l’émergence du « ministère tripartite » (évêques, anciens et diacres), univer-
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sel au milieu du IIe siècle. Son hypothèse est simple. Après la période de
l’établissement de l’Église dans laquelle l’autorité était régie par les mission-
naires apostoliques et par d’autres individus charismatiques exceptionnels,
elle s’est établie sur une hiérarchie semblable à celle de la synagogue. Le
culte juif de la synagogue était dirigé par le « chef de la synagogue » (archi-
synagogos), dirigeant unique ; plus tard, les communautés chrétiennes
locales furent dirigées par un chef de communauté unique. Les communautés
juives locales reconnaissaient la compétence d’hommes plus âgés souvent
appelés « chefs » (archontes). L’évêque chrétien présidait le conseil des
anciens (presbyteroi). Dans le culte chrétien, l’évêque était assisté lors du
repas par ses diacres ; le dirigeant de la synagogue juive disposait d’un
servant qui l’assistait (hyperetes).
Cependant, on ne peut expliquer l’émergence du ministère tripartite aussi
simplement. La terminologie utilisée pour les fonctions du culte juif diffère
en tout point de celle de son alter ego du culte chrétien. La dénomination
chrétienne episkopos utilisée pour le chef de la communauté ne suggère pas
de variation par rapport à la synagogue. En grec, l’assistant de la synagogue

10. J. T. BURTCHAELL, From Synagogue to Church, Cambridge, Cambridge University Press


(ensuite abrégé CUP), 1992.

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ne s’est jamais appelé diakonos 11. Dans la Diaspora, les « dirigeants » n’ont
pu que rarement être appelés « anciens » 12. Burtchaell est conscient que les
différences de terminologie rendent sa tâche considérablement plus difficile,
mais il cherche à surmonter ces difficultés en insistant sur le besoin d’un
modèle pour toutes les communautés chrétiennes autour de la Méditerranée
et sur la plausibilité d’une synagogue identique en termes de structure sociale
globale. Cependant, la structure sociale ne correspond pas plus que la termi-
nologie. Dans le culte chrétien, les « anciens y jouaient un rôle important,
mais les « dirigeants » de la synagogue ne jouaient aucun rôle dans le culte,
constituant plutôt l’autorité judiciaire à l’intérieur du groupe ethnique.
L’évêque chrétien est toujours assisté par un certain nombre de diacres, le
dirigeant de la synagogue, son équivalent, ne bénéficie que d’un seul assis-
tant. Le fait que la structure sociale de la synagogue n’offre qu’une corres-
pondance limitée avec celle de l’Église chrétienne ne peut que souligner les
divergences terminologiques 13.
Le ministère tripartite et la structure sociale des premières Églises.
Si la synagogue n’est pas le modèle de la structure du ministère tripartite,
quel est-il ? Nous ne devons pas chercher hors du cadre du christianisme des
premiers temps pour comprendre la structure de l’ordre chrétien, mais plutôt
dans le cadre de ses propres structures sociales caractéristiques. Le ministère
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tripartite résulte en fait des dimensions sociales du christianisme des
premiers temps ; celles-ci sont bien connues, facilement démontrables à
partir du Nouveau Testament. Les principales réalités sociales du christia-
nisme primitif étaient les suivantes : missionnaires itinérants, réunions
locales auxquelles ceux-ci étaient reçus dans les maisons des membres les
plus aisés de la communauté, l’acte principal était la prise en commun d’un
repas en suivant des pratiques rituelles et enfin l’attention portée aux
pauvres. Si on considère cette réalité sociale, l’émergence des trois classes de
membres de la communauté apparaît clairement. Premièrement, les
premières Églises chrétiennes furent fondées et revisitées par une classe de
dirigeants reconnus et faisant autorité, ceux-ci étaient des missionnaires
itinérants entretenus par les communautés. Ce groupe englobait ceux appelés
apôtres, certains que Jésus avait envoyés prêcher de son vivant, d’autres

11. Cf. H.W. Beyer, article « Diakonos », in Theological Dictionary of the New Testament
(ensuite abrégé TDNT) vol. II, G. KITTEL et al., éd., Grand Rapids, Eerdmans, 1964, p. 88-93,
voir en particulier p. 91.
12. Voir A. E. HARVEY, « Elders », Journal of Theological Studies, ns, 25, 1974, p. 318-
332. R. A. CAMPBELL, « Les anciens de l’Église de Jérusalem », Journal of Theological Studies,
ns, 44, 1993, p. 511-528, rejette le modèle de la synagogue pour les anciens chrétiens, voir en
particulier p. 513. Voir aussi F. Young, The Theology of the Pastoral Letters, Cambridge, CUP,
1994, p. 109-110.
13. A. E. HARVEY en arrive au même jugement dans sa critique de Burtchaell in Journal of
Theological Studies, ns, 44, 1993, p. 678-679.

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ayant acquis ce titre en vertu de leur qualité de missionnaires soutenus par


certaines assemblées (2 Co 8, 23) ; d’autres encore semblent avoir acquis ce
titre en vertu de leurs dons reconnus (par exemple, Jacques le frère du
Seigneur à Jérusalem). Deuxièmement, la pluralité des chefs locaux, comme
souligné précédemment, existait car ils étaient les premiers convertis impor-
tants à proposer leur maison en guise de lieu de réunion pour les Églises, et
représentaient l’autorité dans ces réunions en vertu de leur ancienneté dans la
foi et en vertu du fait qu’ils étaient les hôtes de ces réunions (qui incluaient le
repas chrétien) tenues dans leurs maisons. Loin d’être payés pour les services
rendus à la communauté, ils gagnaient plutôt en importance par leur parrai-
nage matériel ; grâce à eux les communautés pouvaient se réunir et se déve-
lopper. À l’inverse de la classe des itinérants au-dessus d’eux, ces gardiens-
maîtres de maison n’étaient pas au service de l’Église à temps plein.
Troisièmement, l’acte de culte central dans ces réunions de maison était un
repas, où les pauvres aussi étaient nourris. Un repas formel impliquait la
présence non seulement d’un hôte mais aussi d’un groupe de domestiques.
Lors des premiers repas chrétiens, certains chrétiens eurent l’honneur de
jouer ce rôle de servants pour la communauté. La partie suivante exposera
brièvement comment les trois classes (visiteurs, maîtres de maison et
servants honorifiques lors des repas) devinrent l’ordre tripartite des évêques,
des anciens et des diacres.
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Une classe de ministres itinérants
Adolf von Harnack a insisté sur la distinction entre le ministère itinérant
des « apôtres », « prophètes » et « enseignants », qui gagne en importance
dans 1 Co 12, 28, et les membres locaux de la communauté 14. Il distingue les
apôtres, prophètes et enseignants comme des membres charismatiques, qui
étaient nommés par l’Esprit seul à un ministère de l’Église universelle. Puis,
à ceux-ci, il oppose les membres élus par les communautés locales et dont
l’autorité ne dépassait pas le cadre de ces communautés. Sa découverte de
« L’enseignement (Didachè) des Douze Apôtres », en 1883, détermine sa
position. Ce travail sub-apostolique de la fin du Ier siècle révèle une classe
d’itinérants désignés comme apôtres, prophètes et enseignants, cette triade
n’étant pas clairement définie dans 1 Co 12, 28. Le document montrait une
méfiance vis-à-vis de cette classe en voie de disparition, qui devait subir un
examen méticuleux avant d’avoir le droit de vivre aux dépens de la commu-
nauté lors leur passage ; il conseillait aussi de nommer un ministère local
d’« évêques et de diacres » pour les remplacer.

14. A. VON HARNACK, The Mission and Expansion of Christianity in the First Three
Centuries, vol. I, New York, Harper, 1961, p. 319-368 ; The Constitution & Law of the Church
in the First Two Centuries, Londres, Williams & Norgate, 1910, p. 23-25.

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Ainsi donc, consacrez-vous des évêques et des diacres dignes du


Seigneur, des hommes doux, désintéressés, véridiques et éprouvés ;
car ils remplissent eux aussi, près de vous, le ministère des prophètes
et des enseignants. Ne les méprisez donc pas, car ils sont les hommes
honorés d’entre vous, avec les prophètes et les docteurs (XV.1) 15.
Le désir de Harnack de réserver le terme « charismatique » aux officiers
itinérants de l’Église était clairement excessif et nécessitait d’être corrigé.
Comme nous l’avons vu précédemment, on peut trouver l’annonce de la
création d’offices locaux dans la liste paulinienne des charismata dans
1 Co 12, 28. Cependant, on devrait donner plus de crédit à son idée : nous
devons voir la triade d’officiers qui ouvre la liste de Paul dans 1 Co 12, 28
comme des itinérants au même titre que ceux nommés dans la Didachè 16. La
construction de la liste implique certainement que Paul les imaginait comme
formant un groupe distinct. Dans la partie suivante, nous verrons qu’il existe
certaines preuves montrant que les apôtres, les prophètes et les enseignants
étaient eux aussi itinérants lors des premières décennies.
La communauté doit subvenir aux besoins de l’itinérant si ce dernier veut
accomplir son ministère, car il n’a aucun moyen de le faire lui-même. La
limite sociale entre la triade qui ouvre la liste de 1 Co 12, 28 et les fonctions
suivantes est donc fondée sur la combinaison d’un ministère itinérant à plein
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temps et le droit d’être nourri par la communauté. Ces deux facteurs distin-
guent très clairement du point de vue sociologique la classe des itinérants du
reste de la liste ; cela explique pourquoi la numérotation s’arrête après
l’évocation de ces trois fonctions. Néanmoins, nous n’avons aucune preuve,
datant de l’époque de Paul ou plus ancienne, attestant que certains membres
locaux de la communauté (par exemple, les proïstamenoi, episkopoi, ou
kyberneseis) avaient le droit à la nourriture. Dans le Nouveau Testament, on
ne trouve qu’une référence dans les Épîtres pastorales du quatrième quart du
Ier siècle parlant d’anciens locaux qui, probablement, avaient le droit au
soutien matériel (1 Tim 5, 17) 17. Ainsi, ce n’est qu’à la fin du Ier siècle, après
la période paulinienne, que nous entendons parler de membres de commu-
nautés locales ayant droit à un soutien matériel. La Didachè, à la fin du

15. Les Pères apostoliques I, Doctrine des Apôtres. Épitre de Barnabé, texte grec et traduc-
tion française par Hippolyte HEMMER, Gabriel OGER et A. LAURENT, Paris, Librairie Alphonse
Picard, 1919, p. 7.
16. Les autres critiques de Harnack, dans J. A. Robinson, « The Christian Ministry in the
Apostolic and Sub-Apostolic Periods », in Essays on the Early History of the Church and the
Ministry, H. B. SWETE, éd., Londres, Macmillan, 1921, p. 57-92, sont moins convaincantes.
17. Cette interprétation, quoique décriée, traduit probablement bien le sens du texte. Les
textes cités en 1 Tm 5, 18 (Dt 25, 4 et 24, 15) avaient auparavant des liens importants avec le
soutien des apôtres (cf. 1 Co 9, 9, 14 ; Lv 19, 13; Mt 10, 10 ; Lc 10, 7). Le mot habituellement
traduit par « honneur »pourrait signifier « honoraires ». Cf. F. YOUNG, The Theology of the
Pastoral Letters, Cambridge, CUP, 1994, p. 105-106.

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2006/3 APÔTRES, MAÎTRES DE MAISON ET DOMESTIQUES

Iersiècle, considère que les prophètes et les enseignants se fixeront en un seul


lieu. Ainsi, s’ils se fixent, ils auront le droit à la nourriture (XIII.1-2).
Le droit des apôtres de recevoir un soutien de la communauté remonte à
Jésus qui donna à ses disciples la mission de prêcher. On disait de ceux qui
furent nommés pour prêcher qu’ils étaient « envoyés » (apostolos). Ils
devaient renoncer à leurs occupations terrestres pour remplir le commande-
ment de Jésus et donc se virent attribuer le droit de se voir nourrir par les
communautés (Mt 9, 35-10, 16 ; Mc 6, 6-11 ; Lc 9, 1-5, 10, 1-12). Paul,
contrairement aux autres, se privait de ce droit, mais le revendiquait claire-
ment (1 Co 9, 1-18) et nomme les précédents (plus tard relatés dans les Évan-
giles dans le cadre de missions) les commandements du Seigneur (v. 9).
L’apôtre a le droit « de manger et de boire » aux frais de la communauté
(v. 4), d’être « dispensé[s] de travailler » (v. 6) et même d’emmener avec lui
une épouse chrétienne, qui semble aussi avoir les mêmes droits (v. 5). Quand
Paul fait référence aux « autres apôtres, les frères du Seigneur et Céphas »,
qui se donnent les droits évoqués précédemment (v. 5), il laisse entrevoir un
ordre social bien établi dans le christianisme primitif.
La thèse de Harnack selon laquelle les prophètes, eux aussi, étaient une
classe itinérante, ne bénéficie plus de l’approbation générale, car certains
considèrent qu’il est évident qu’il y avait des « prophètes » fixés dans des
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communautés, dans la mesure où Paul envisageait que tous à Corinthe étaient
en mesure de prophétiser 18. Cependant, il est difficile de contredire la vision
de Harnack. Paul fait clairement la différence entre la fonction de prophète et
le fait que l’Esprit prophétique est disponible pour tous. Sa question rhéto-
rique en 1 Co 12, 29 (« Tous sont-ils prophètes ? ») contraste avec son
encouragement général à prophétiser, adressé à tous (14, 5, 24, 31). S’il y
avait des « groupes de prophètes » à Corinthe 19, Paul ne les a pas en tête dans
1 Co 12 28. Il faut clairement distinguer les prophètes auxquels il attribue la
deuxième place dans l’ordre de l’Église de l’entière communauté prophéti-
sant au niveau local ; les premiers sont des personnages chez qui l’Esprit
œuvre si puissamment qu’ils héritent de la deuxième place après les apôtres.
Dans ce débat, il y a un autre texte clé : Actes 13, 1-3, où on apprend
qu’« il y avait à Antioche, dans l’Église du lieu, des prophètes et des hommes
chargés de l’enseignement : Barnabas, Syméon appelé Niger et Lucius de
Cyrène, Manaen compagnon d’enfance d’Hérode le tétrarque, et Saul ». Ce
groupe reçoit le commandement du Seigneur, à travers la prophétie alors
qu’ils célébraient le culte du Seigneur, d’envoyer Saul et Barnabas en Asie
Mineure pour leur premier séjour missionnaire. De nombreux auteurs se

18. Cf. Bengst HOLMBERG, Paul and Power, Lund, CWK Gleerup, 1978, p. 97.
19. Cf. J. D. G. DUNN, Jesus and the Spirit, Londres, SCM, 1975, p. 280.

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réfèrent à ces mots pour prouver que le groupe de « prophètes et d’ensei-


gnants » était fixé en permanence dans l’Église d’Antioche, mais ce n’est
probablement pas le cas. Ils étaient sans doute fixés à Antioche, mais leur
rôle était de voyager dans l’arrière-pays de la Syrie pour prêcher ou aider les
communautés nouvellement établies. Paul et Barnabas eux-mêmes illustrent
cette possibilité. Avant cela, Barnabas fut envoyé à Jérusalem pour observer
les débuts de la mission des Gentils à Antioche (Actes 11, 22-24). Après cette
enquête, il partit chercher Saul à Tarse pour « enseigner » à Antioche pendant
un an (v. 25-26). Tous les deux avaient été envoyés à Jérusalem pour y soute-
nir l’Église locale (11, 29-30). Cependant, après avoir exercé ces fonctions
itinérantes pour l’Église, ils furent tous les deux reconnus parmi les
« prophètes et enseignants » d’Antioche, plutôt que parmi les apôtres
(v. 13, 1). Après le nombre important de conversions à la foi dans de
nouveaux lieux, l’Église mit en place un système pour les établir dans la foi ;
elle envoyait des enseignants itinérants pour de longs séjours, ces ensei-
gnants vivaient aux bons soins des nouvelles communautés. La désignation
spéciale pour le premier séjour missionnaire en Asie Mineure (Actes 13, 2-3)
semble être le point de départ du terme « apôtre » qui sera par la suite utilisé
pour Paul et Barnabas (14, 4 et 14). Pourtant, avant cet appel, Paul et
Barnabas étaient souvent désignés pour des tâches spéciales de « prophètes et
d’enseignants » ; c’est peut-être le cas du groupe tout entier d’Actes 13, 1.
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On peut lire que des prophètes descendirent de Jérusalem à Antioche dans
Actes 11, 27, on peut donc présumer qu’ils bénéficieraient du soutien des
communautés. Dans Actes 15, 32, nous pouvons voir les prophètes Judas et
Silas faire fonction de ministre à Antioche, et donc bénéficier implicitement
du soutien de la communauté avant de repartir. Il y a peu de raisons qui prou-
vent que les structures sociales révélées dans la Didachè ne s’appliquent pas
aux prophètes et enseignants d’Antioche des premières décennies de l’Église.
Il est certain que la tâche de missionnaire concentre l’intérêt des Actes des
Apôtres 13, 1-3 où on mentionne les « prophètes et enseignants », comme on
peut le constater à partir des nominations de Saul et Barnabas.
Les faux prophètes qui « se sont répandus dans le monde » dans
1 Jean 4, 1 convoitaient probablement le support financier des communautés
qu’ils visitaient, et amenèrent directement les instructions précautionneuses
de la Didachè au sujet du soutien à apporter aux visiteurs se disant apôtres ou
prophètes20. Paul souligne le droit de l’enseignant au soutien de la commu-
nauté : « Que celui qui reçoit l’enseignement de la Parole fasse une part
dans tous ses biens en faveur de celui qui l’instruit. » (Galates 6, 6) Les
« prophètes » qui font le lien entre les apôtres et les enseignants dans

20. L’apôtre qui souhaite rester trois jours est un faux prophète (XI.4-5). Le prophète qui
mange de la nourriture commandée en état d’extase ou demande de l’argent en état d’extase est
un faux prophète (XI.9, 12).

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2006/3 APÔTRES, MAÎTRES DE MAISON ET DOMESTIQUES

1 Co 12, 28 n’ont pas pu se voir refuser ce droit. Ceux-ci étaient des indivi-
dus d’un charisma remarquable qui pouvaient se déplacer de communauté en
communauté et jouir des mêmes droits que les apôtres ; leur statut quasi
apostolique est confirmé dans Éphésiens 2, 20, où ils constituent avec les
apôtres la fondation de l’Eglise. On apprend des « enseignants » qu’ils
étaient itinérants dans la Didachè XI.1 et qu’ils devaient être « reçus » si leur
doctrine était conforme. En XIII.2, un « vrai enseignant » a droit à sa nourri-
ture comme « tout prophète véridique » cité en XIII.1 (cf. XI.10). Dans la
Didachè, la fluidité de la terminologie, apôtre, prophète, enseignant peut
s’expliquer par ce qui était commun à ces individus : le droit à l’entretien de
la part de la communauté.
Les maîtres de maison
On n’a pas encore accordé assez d’importance aux réunions de maison
des premières communautés dans l’étude de l’origine du ministère tripartite.
Au contraire, la synagogue et les associations religieuses gréco-romaines pri-
vées ont été privilégiées 21. Cependant, il est peu probable que ces formes
aient eu une place significative lors des premières années, car de telles struc-
tures se rapportent plutôt à un cadre public dans lequel les réunions de
groupe se déroulent dans une salle à cet effet 22. Il semble qu’à une occasion
Paul loua un lieu pour prodiguer son enseignement : l’école de Tyrannos à
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Éphèse (Actes 19, 9), mais en général son activité paraît se dérouler dans le
contexte des maisons privées de ses convertis les plus aisés 23.
L’utilisation de maisons plus grandes pour les réunions donna naturelle-
ment de l’importance aux maîtres de maison mettant leurs biens à la disposi-
tion des communautés et des itinérants. Leur hospitalité et leur travail aux
côtés des apôtres et pendant leur absence étaient la condition nécessaire à la
création de communautés stables. L’autorité que Paul octroya en retour à ces
maîtres de maison qui parrainèrent les communautés chrétiennes apparaît à la
fin de la première Épître aux Corinthiens. En 16, 15-16, il ordonne d’obéir à
Stéphanas et à sa famille.

21. Surtout par E. HATCH, The Organisation of the Early Christian Churches, Londres,
Longmans, Green & Co., 1881.
22. Bien qu’il y ait des démonstrations de rassemblements des associations religieuses dans
des maisons, Wayne MEEKS est généralement assez négatif sur la pertinence de l’influence de
ces associations sur la forme publique des Églises chrétiennes, The First Urban Christians,
New Haven, Yale University Press, 1983, p. 77-80.
23. E. E. ELLIS, op. cit., p. 141, pense que la première référence au bâtiment d’église est
faite par Clément d’Alexandrie, Stromata 7.5 (env. 200 apr. J.-C.). Il est probable qu’avant cela,
des maisons privées avaient été agrandies et aménagées pour des réunions ou modifiées pour
pouvoir être utilisées dans leur intégralité comme une église lorsque des communautés chré-
tiennes en prennent possession.

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Encore une recommandation, frères : vous savez que Stéphanas et sa


famille sont les prémices de l’Achaïe ; ils se sont dévoués au service
des saints. Obéissez donc à des personnes de cette valeur et à
quiconque partage leurs travaux et leur peine.
Paul accorda à Stéphanas et à sa famille l’autorité car ils étaient parmi les
plus anciens à avoir la foi, ils étaient ouvertement dévoués et convenaient à
la tâche qui leur était dévolue. Comme Paul s’est souvenu de n’avoir baptisé
que la famille de Stéphanas à Corinthe (1 Co 1, 16), on peut dire que leur
ancienneté dans la foi leur a toujours conféré un rôle important. Aux yeux de
Paul, Stéphanas avait le droit de se faire obéir par la communauté. De plus,
Paul enjoint les chrétiens à obéir, non seulement à Stéphanas, mais aussi « à
des personnes de cette valeur », qui ici équivalent à ceux qui accueillaient
des groupes de chrétiens au sein de leur foyer. Nous avons remarqué précé-
demment que ces maîtres de maison importants incluaient aussi Crispus
(Ac 18, 5-8), et Gaius (Rm 16, 23) ; ils semblent avoir été les deux premiers
convertis par Paul à Corinthe 24. Il émerge donc, sous la tutelle des apôtres,
plusieurs dirigeants locaux qui peuvent être identifiés comme appartenant à
la classe des « évêques-présbytres » évoquée plus haut.
C’est peut-être faire de la surinterprétation d’un seul verset de la première
Épître aux Corinthiens que de dire que Paul a toujours investi ces maîtres de
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maison importants d’autorité, mais Clément de Rome, qui écrivit en 96 apr.
J.-C., à une génération postérieure à ces événements, semble savoir que ce
verset présente la structure typique à travers laquelle les apôtres établissaient
les autorités locales dans les Églises. Voici ce qu’il écrit à Corinthe, contre
ceux qui destituèrent l’autorité des anciens de la communauté.
Les Apôtres nous ont annoncé la bonne nouvelle de la part de Jésus-
Christ. Jésus-Christ a été envoyé par Dieu. Le Christ vient donc de
Dieu et les Apôtres du Christ. Cette double mission elle-même, avec
son ordre, vient donc de la volonté de Dieu. Munis des instructions de
Notre Seigneur Jésus-Christ, pleinement convaincus par sa résurrec-
tion, et affermis dans leur foi en la parole de Dieu, les Apôtres allaient,
tous remplis de l’assurance que donne le Saint-Esprit, annoncer par-
tout la bonne nouvelle de la venue du Royaume des cieux. À travers
les campagnes et les villes, ils proclamaient la parole, c’est ainsi qu’ils
prirent leurs prémices ; et après avoir éprouvé quel était leur esprit, ils
les établirent évêques et diacres des futurs croyants. (1 Clément 42)
Il est possible que le Clément qui écrivit ces paroles fût le contemporain
de Paul mentionné dans l’Épître aux Philippiens 4, 3. Il est certain que ce

24. Cf. 1 Co 1, 14 ; comparer avec le baptême de la famille de Stéphanas dans le verset


suivant ; cela montre que les noms de 1 Co 1, 14 représentent en fait la maison complète.

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passage semble associer la connaissance de 1 Co 16, 15 (et 1, 16) avec


l’expression « épiscopes et diacres » de Ph 1, 1. Cette partie de 1 Clément est
en fait la première référence dans la littérature chrétienne à l’idée d’une
succession apostolique 25. Clément dit savoir que celle-ci se pratiquait réguliè-
rement lors des premières décennies. Il a peut-être observé ce processus au
départ ; les preuves que nous avons vont dans son sens.
Les déductions récentes concernant la structure sociale du christianisme
des premiers temps concordent avec ce que dit Clément. À partir de la struc-
ture « cellulaire » que nous avons montrée plus haut, émerge la raison de la
pluralité des dirigeants locaux dans chacune des communautés pauliniennes.
Chaque sous-groupe se réunissait dans la maison d’un des dirigeants de la
communauté chrétienne locale ; chacun de ces dirigeants étant un ancien/
gardien, et ils étaient plusieurs dans chaque ville. Comme nous l’avons
déduit précédemment, ces groupes étaient relativement petits. L’importance
en nombre des réunions des Églises ayant une telle structure sociale dépen-
dait de l’hospitalité de certains membres plus aisés de la communauté. Alors
que les maisons les plus grandes convenaient particulièrement aux réunions
chrétiennes, les simples appartements comme ceux du port d’Ostie, où des
gens plus pauvres étaient eux vraiment à l’étroit, ne convenaient pas 26. Des
croyants plus aisés, sérieux dans leur foi, ouvrirent leurs maisons aux autres
pour fournir un contexte propice au repas communautaire, à la prière, au
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chant et à l’enseignement. L’hospitalité elle-même était à cette époque un
processus formel comportant un côté sacré. Dans le monde moderne, l’ouver-
ture de son intimité par une invitation pour un repas force le respect pour les
opinions de l’hôte sur le déroulement des événements, et parfois même pour
ses opinions politiques. Nous pouvons être certains que dans les premiers
temps, le maître de maison contrôlait toute réunion qu’il accueillait. Cela
faisait partie des us et coutumes. Comme les maîtres de maison chrétiens des
premiers temps qui tenaient des réunions dans leur maison étaient toujours
les plus anciens dans la foi et qu’ils étaient les parrains locaux de l’Évangile,
ils devinrent les personnalités dirigeantes de la communauté au niveau local.
Leur autorité provenait d’un ensemble d’éléments : leur statut social, leur
maturité, leur générosité, leur charisme et leur nomination apostolique. Gerd
Theissen a étudié les mêmes informations que nous à propos d’individus de
Corinthe que nous connaissons de nom ; il conclut que bien qu’il n’y ait pas
beaucoup de « sages aux yeux des hommes, ni beaucoup de puissants, ni
beaucoup de gens de bonne famille » à Corinthe (1 Co 1, 26), c’est précisé-
ment ce groupe qui présidait à la communauté 27. Il est conscient des enjeux

25. Cf. aussi 1 Clément 44.


26. Cf. C. K. BARRETT, Church, Ministry and Sacraments in the New Testament, Carlisle,
Paternoster, 1985, p. 36.
27. G. Theissen, op. cit., p. 73-96.

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théologiques que soulève un lien entre le rang social et l’attribution d’une


haute place dans l’Église, et il prend en compte la catégorie de « patriar-
chisme d’amour » de E. Troeltsch pour résoudre ses difficultés : ceux qui ont
une position sociale privilégiée ne la doivent qu’à leur mise à disposition de
la communauté de leurs ressources 28.
Gardant présent dans nos esprits ce tableau de la structure sociale cellu-
laire des Églises de Paul, nous pouvons désormais établir les nuances
précises contenus par les références aux dirigeants de Thessalonique,
Philippes, et Rome, mentionnées précédemment. Le participe proïstamenoi
employé dans 1 Th 5 12 (Revised Standard Version : « they are over you »,
« ils sont au dessus de vous ») provient du verbe proïstemi et pourrait vouloir
dire « ceux qui vous dirigent/président », « ceux qui sont concernés par
vous/pour qui vous êtes importants » ou « ceux qui vis-à-vis de vous sont des
protecteurs/patrons 29 ». Lorsque Paul utilisait ce terme, il lui associait proba-
blement tous ces éléments. L’aspect de l’autorité est clair si on considère le
participe « donnant des ordres » (nouthetountes), dont le sens est attesté en
grec classique et employé dans des sources juives 30. La référence précédente
au travail pousse vers la nuance du souci pour la communauté 31. Le verbe est
utilisé au participe passé « les anciens qui ont bien exercé la présidence »
dans 1 Tm 5, 17, ce qui suggère une nuance d’autorité conférée par la fonc-
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tion elle-même. Nous apercevons ici non seulement l’attention pour la
communauté mais aussi l’attention pour ceux qui font autorité dans la
communauté.
De nombreux spécialistes perçoivent la nuance technique « patron » ou
« protecteur » dans le participe 32. Le nom féminin apparenté prostatis, utilisé

28. Ibid., p. 107. C. K. BARRETT, op. cit., p. 37, commente de manière plus pragmatique :
« Les peu nombreux […] qui ont de l’argent, une éducation, de l’influence ; qui sont habitués à
diriger […] qui possèdent de grandes maisons plaisantes […] surtout s’ils s’étaient engagés
dans l’Église lors des premières années, et ont, après avoir longuement fréquenté Paul, acquis
une solide compréhension de la croyance et des pratiques chrétiennes seront amenés à devenir
des dirigeants […]. C’est sensé […], c’est socialement inévitable. » Peut-être que ce commen-
taire n’accorde pas assez d’importance aux intentions de Paul.
29. Cf. B. REICKE, TDNT VI, p. 700-701 ; W. BAUER, W. F. ARNDT et F. W. GINGRICH, A
Greek-English Lexicon of the New Testament and Other Early Christian Literature, Chicago,
University of Chicago Press, 1979, p. 707.
30. Exemple, Flavius Josèphe (Vita 168) et 1 Maccabées 5, 19, utilisent le verbe concer-
nant le gouvernement de la communauté (ici plethos, qui est un terme technique désignant la
communauté qui se réunit en conseil pour prendre des décisions), cf. BAUER-ARNDT-GINGRICH,
op.cit., p. 668 et comparer avec l’utilisation de l’hébreu rab dans la « Règle de la communauté
de Qumran » (1QS) V, 2, 9, 22 ; VI, 19.
31. E. BEST, A Commentary on the First and Second Epistles to the Thessalonians, 2e éd.,
Londres, Black, 1977, p. 223-224.
32. Cf. E. VON D OBSCHÜTZ , Die Thessalonicher-Briefe, Göttingen, Vandenhoeck &
Ruprecht, 1909 ; M. DIBELIUS, An die Thessalonicher I, II: An die Philipper, Tübingen, J.C.B.
Mohr, 1937 ; E. BEST, op. cit., Londres, Black, 1955 ; cf. Wayne MEEKS, op. cit., p. 134, 234.

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en Rm 16, 1-2 pour désigner l’attention de Phoebé pour l’Église et pour Paul
lui-même, a comme signification technique attestée : « protectrice » 33. Pour
Wayne Meeks, le contexte social suggère le sens de « patron » ou de
« protecteur » dans 1 Th 5, 12, mais le passage implique aussi l’attention et
« le droit de gouverner » 34. Un indice qui pourrait expliquer la variété des
nuances peut être explicité par les autres utilisations de ces mots souvent en
relation avec les fonctions d’« évêque » et de « diacre » dans les lettres
pastorales. Le terme n’est pas utilisé pour désigner le rôle de ces officiers
dans la communauté, mais pour montrer le bon usage de leur autorité au sein
de leurs maisons, qualification nécessaire pour occuper ces fonctions dans
l’Église (1 Tm 3, 4-5. 12). Le terme n’est utilisé que dans les lettres pasto-
rales et il se rapporte au rôle des anciens dans l’église (1 Tm 5, 17). Pour
l’ancien, l’Église était tout simplement une extension de sa propre maison,
car il l’y accueillait. Nous sommes ici au cœur du sujet. Le chef de la maison
a une position d’autorité (en fait, une autorité considérable 35), il pourvoit aux
besoins de tous ceux qui se trouvent dans sa maison (famille, esclaves et
domestiques), et de par son statut social et de par sa richesse il est le patron
et le protecteur de tous. Les premières maisons-Églises pauliniennes jouis-
saient du patronage et de la protection de personnalités locales au rang social
important qui soutenaient l’Évangile, et elles reconnaissaient leur autorité.
Ces maîtres de maison/patrons de l’Église représentent la classe d’évêques-
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presbytres décrite précédemment, dont on peut observer la pluralité dans
1 Th 5, 12. Comme pour les maîtres de maison importants à Corinthe, Paul
élève très clairement ce groupe au rang d’autorité en demandant à la commu-
nauté d’« avoir pour eux la plus haute estime, avec amour » (v. 13).
Nous avons déjà pu voir que le même participe apparaît dans la descrip-
tion de Paul en Rm 12, 3-8 (ho proïstamenos, v. 8) des différents
« membres » (v. 4) du corps composant la communauté chrétienne et que la
New English Bible traduit ce terme par leader (dirigeant) 36 bien que la
Revised Standard Version (incohérente dans sa traduction par rapport à
1 Th 5, 12) propose he who gives aid (celui qui porte secours). Certains
pensent que comme dans le même verset, le précédent membre de la liste de
Paul est « celui qui partage » (ho metadidous) et que le membre suivant est
celui qui « prend pitié » (ho eleon), nous devrions considérer le terme en
cause comme un dérivé du verbe proïstemi au sens second de « être concerné
par, se soucier de, proposer son aide » ; le contexte nous fait plutôt penser au
soutien 37. Cependant, cela rend les trois derniers membres identiques et la

33. BAUER-ARNDT-GINGRICH, op. cit., p. 718.


34. Ibid., p. 134.
35. Surtout en tant que patria potestas dans le contexte romain.
36. Cf. E. E. ELLIS, op. cit., p. 37.
37. Cf. J. D. G. DUNN, Romans 9-16, Dallas Tex., Word Books, 1988, p. 731; B. REICKE,
TDNT VI, p. 701.

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conclusion de la liste de Paul plutôt terne : celui qui partage, celui qui donne
son aide, celui qui exerce la charité. Alors que la rhétorique peut faire des
répétitions, l’analogie de Paul avec le corps humain, ici comme en 1 Co 12,
devrait représenter la variété des dons de l’Esprit, les différentes fonctions de
chaque membre du corps et nous ne devrions donc pas nous attendre à voir
Rm 12, 8 conclure par une liste de synonymes.
Le sens de maître de maison, hôte et président des réunion pour ho proïs-
tamenos en Rm 12, 8 permet une interprétation plus riche, et révèle en fait
que Paul pense à l’ordre précis du culte lors des réunions chrétiennes. La
charité pour les pauvres faisait partie intégrante des repas des premiers chré-
tiens. Cela distingue en fait l’aumône chrétienne de l’aumône de la syna-
gogue citée par des sources rabbiniques, pour lesquelles de l’argent destiné à
acheter de la nourriture était porté aux pauvres la veille du Shabbat 38. Les
chrétiens faisaient la chose autrement, ils s’occupaient de leurs pauvres lors
des repas dans les maisons privées utilisées pour leurs réunions. Ce processus
tient sûrement son origine du repas de Jésus avec « les collecteurs d’impôts
et les pêcheurs » (Lc 7, 30-32 ; 19, 7) et on peut aussi l’observer tôt dans les
Actes (Ac 6, 1), où le service (quotidien) à toute personne dans le besoin
(2, 45 ; 4, 35) consistait en repas (quotidiens) pris dans des maisons privées
(Ac 2, 46). La réunion commençait probablement par un discours suivi du
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partage d’un repas pendant lequel le pain était rompu de manière sacramen-
tale et qui se terminait par la prière, comme le décrit Actes 2, 42 : enseigne-
ment, communion fraternelle (koinonia), fraction du pain et prières.
Nous rencontrons ici la même séquence qu’à la fin de Rm 12, 8 : ceux qui
remettent leurs dons à l’administrateur lors des réunions (ceux qui
« donnent »), le dirigeant lui-même (proïstamenos), qui gère la collecte des
dons et le repas, et ceux qui s’occupent de la distribution de l’aumône (ceux
qui « exercent la miséricorde »). Le premier élément de la séquence, ho
metadidous, indique tout membre offrant un soutien matériel. Nous pouvons
clairement percevoir le sens de la contribution financière en comparant avec
Ep 4, 28 : « Celui qui volait, qu’il cesse de voler ; qu’il prenne plutôt la peine
de travailler honnêtement de ses mains, afin d’avoir de quoi partager (meta-
didonai) avec celui qui est dans le besoin. » Ceux qui « exercent la miséri-
corde » anticipent sur les « diacres » tardifs, bien qu’ils ne soient pas ainsi
désignés ; ils s’assurent qu’on s’occupe des nécessiteux lors des repas et,
ensuite, ils sortent s’occuper de ceux qui ne sont pas capables d’assister à la

38. Les nomades pauvres recevaient de la nourriture quotidiennement sur un « plateau »,


mais ils n’étaient pas invités dans les maisons pour les repas. Cf. G. F. MOORE, Judaism,
Cambridge Mass., Harvard University Press, 1927, p. 174-178. Moore ne pense pas que ce sys-
tème fonctionnait dans la synagogue du premier siècle ; D. SECCOMBE s’oppose aux spécialistes
qui pensent le contraire : « Was there Organised Charity in Jerusalem Before the Christians ? »,
Journal of Theological Studies, ns, 29, 1978, p. 140-143.

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réunion ; en leur portant leur part du repas. L’intervenant proïstamenos est


l’hôte de chaque groupe réuni en maison et le gardien du bon déroulement du
repas ainsi que de la charité aux pauvres qui ont lieu sous son autorité.
La pluralité des episkopoi dirigeant les chrétiens dans la ville de Philippes
(Ph 1, 1) font partie de la même classe de maîtres de maison. Le contexte
général que nous avons découvert, de maîtres de maison importants soute-
nant des sous-groupes de chrétiens à Corinthe et à Rome, montre que ce texte
ne doit pas être considéré comme fantasque ou difficile à cerner du point de
vue de la hiérarchie de l’Église aux débuts du christianisme. Clément l’avait
sûrement compris comme faisant référence à des maîtres de maison impor-
tants et le relia donc à 1 Co 16, 15. Cependant, nous ne devons pas considé-
rer que cette classe dirigeante se percevait comme un conseil régnant ou
qu’elle se réunissait en tant que tel. Cette conception émerge en partie de
l’idée que les premiers chrétiens imitaient les anciens de la synagogue, ce
qui, nous l’avons vu, est peu probable. La supposition que le groupe de diri-
geants de Philippes et des autres églises de la mission paulinienne constituait
un semblant de conseil d’anciens représente en fait la racine du problème
pour la compréhension de l’émergence de l’ordre ignacien. Lors des premiers
temps, ils ne constituaient pas un conseil ou une assemblée d’anciens, mais il
servaient leurs communautés en tant que dirigeants individuels, et donc de la
même façon que les évêques monarchiques qui suivirent. Ils ne devinrent un
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« conseil » que lorsque les maisons-communautés individuelles fusionnèrent.
Lorsque cela arriva, le christianisme dut recréer un président du repas
unique, que la liturgie chrétienne avait toujours exigé, en créant un gardien
supérieur ou un évêque qui était désigné pour prendre la place de l’apôtre
concernant l’autorité sur la communauté et la tradition enseignée.
Servants au repas
En Grec, le diacre ou diakonos est souvent un domestique qui sert à table.
Les Sept hommes nommés dans les Actes (6, 1-6) pour le service quotidien
des veuves dans la première communauté à Jérusalem sont traditionnelle-
ment perçus comme étant les premiers diacres nommés de l’Église chré-
tienne. L’association est naturelle si on considère le rôle des diacres quelques
décennies plus tard : la fonction pratique de la collecte et de la distribution de
l’aumône. Cependant, ces Sept semblent avoir été des dirigeants d’un statut
bien plus élevé. Le terme diakonos n’apparaît pas dans la description, bien
que le verbe apparenté diakonein soit utilisé pour décrire le service des tables
dont les Douze refusent de s’occuper (6, 2). La nomination des Sept est
censée résoudre le problème du service des veuves appartenant au groupe des
« Hellénistes » (apparaissant dans Actes 6, 1), un groupe distinct de celui des
« Hébreux » ; on peut penser que le second était un groupe de disciples
réunis autour des Douze et parmi lesquels un système de service aux pauvres
était opérationnel (2, 42-47 ; 4, 32-5, 11).
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Comme tous ceux qui sont nommés ont des noms grecs, ils ne semblent
pas avoir été nommés pour le service des pauvres de toute la communauté de
Jérusalem mais seulement pour le groupe des « Hellénistes ». Il semble que
la distinction entre « Hellénistes » et « Hébreux » dans Actes 6, 1 ne soit que
linguistique. Tous ceux qui habitaient en Palestine à cette époque connais-
saient des rudiments de grec. Les chrétiens « hellénistes » semblent ne pas
connaître l’araméen et donc de ne pas être intégrés dans la première commu-
nauté des disciples de Jésus dont le culte était pratiqué en araméen 39. À
l’inverse, ils restèrent dans le contexte des communautés-synagogues ayant
des liens forts avec la Diaspora. Ces synagogues sont mentionnées pour la
première fois dans les Actes à cet endroit (6, 9). Deux de ceux qui sont
nommés parmi les Sept réapparaissent dans des rôles de prédication et
d’enseignement. Étienne enseigne de manière dérangeante dans des syna-
gogues hellénophones (6, 8-8, 1). Philippe évangélise la Samarie (8, 4-13).
Leur rôle semblait donc se composer de diverses tâches pratiques : charité
auprès des pauvres, enseignement, évangélisation et direction de l’entière
communauté des chrétiens d’expression grecque.
La détresse des veuves hellénistes advint probablement parce que les
communautés hellénistes grandissaient à une certaine distance de la première
communauté, dans le contexte des synagogues hellénophones. La solution
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pour la situation des veuves était de commencer l’organisation formelle de la
communauté chrétienne dans ce nouveau contexte social en élisant de
manière formelle une classe dirigeante pour elles. Les Sept représentent
à cette étape quelque chose ressemblant à la pluralité des
« anciens/évêques » observée dans les communautés pauliniennes. Ils avaient
probablement instauré le repas communautaire dans leurs maisons et chacun
subvenait aux besoins d’une partie du groupe des veuves hellénistes.
Il y a un point plus naturel, bien que souvent méprisé, du début des Actes
dans lequel on peut percevoir les racines de la fonction de diacre : le rassem-
blement quotidien à table qui caractérisait la vie de la communauté chré-
tienne à Jérusalem dans les premiers temps (Ac 2, 46). Les veuves hellénistes
avaient été exclues du « service quotidien » (Ac 6, 1) qui se déroulait claire-
ment dans le contexte du repas, car les apôtres refusaient de servir à table
pour s’assurer du partage équitable pour tous. Comme nous l’avons noté,
Actes 2, 42 présente probablement les éléments successifs des soirées de
réunion chrétiennes : « l’enseignement des apôtres et la communion frater-
nelle (koinonia), la fraction du pain et les prières ». Koinonia indique ici le
processus de collecte des contributions matérielles des gens réunis pour le
repas du soir et leur distribution de tout bien nécessaire selon les besoins de

39. Cf. M. HENGEL, Between Jesus and Paul, Londres, SCM, 1983, p. 1-29, 133-156.

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tous 40. Ce processus de collecte et de distribution est aussi mentionné dans


Actes 2, 44-45. Il est clair qu’avant la dispute dans Actes 6, 1, la collecte et la
distribution censées subvenir aux besoins matériels étaient déjà établies
quotidiennement et avaient lieu lors des repas du soir. Les références aux
biens déposés aux pieds des apôtres (4, 35-37 ; 5, 2) indiquent que les apôtres
étaient responsables de l’ensemble des opérations financières et de charité de
la communauté. Cependant, nous ne pouvons pas déduire de cela qu’ils
avaient pris en charge toutes les tâches pratiques requises par l’administra-
tion d’un tel système. Cette thèse est renforcée de par le fait que le mode de
vie communautaire adopté par les premiers groupes de disciples à Jérusalem
faisait partie de ce qu’on pourrait appeler un courant communautaire plus
répandu dans le judaisme à cette époque. Parmi les esséniens, il y avait des
communautés de partage des biens organisées formellement, supportant la
comparaison avec la première Église de Jérusalem 41. La chaburah phari-
saïque (ou repas communautaire) exprimait en toute vraisemblance le senti-
ment religieux commun à une classe sociale.
Il est très probable que le service pratique du repas et que la distribution
des biens matériels furent attribués à de jeunes hommes de la communauté
dignes de confiance, sur le même modèle que dans les communautés juives
de l’époque. Alors que dans le monde ancien on rendait naturellement
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honneur aux plus âgés, on estimait que les tâches pratiques des services
devaient naturellement être attribuées à des hommes plus jeunes dans la
communauté. Dans les Therapeutae d’Égypte organisées formellement – une
secte juive ascétique contemporaine des Actes –, de jeunes hommes appelés
diakonoi 42 servaient lors des repas rituels. L’histoire de la tromperie de

40. On peut penser à des vêtements, tels que ceux que Tabitha confectionnait à Joppé,
Actes 9, 36-43. On peut comparer la « distribution quotidienne »avec le processus de repas
communautaires dans les camps esséniens décrits par PHILON, Hypothetica, 11, 8-13. Ici chaque
membre travaillait en dehors de la communauté et rapportait son salaire pour le joindre aux
fonds communs à la fin de la journée de travail. Puis, le superviseur du camp prend l’argent et
achète tout ce dont la communauté a besoin, y compris de la nourriture pour le repas du soir,
durant lequel la distribution doit être faite. Dans le contexte de cette description, il y a
une insistance particulière sur le soutien des personnes âgées et malades, celles-ci ne pouvant
apporter leur contribution mais ayant tout de même le droit de participer au repas de la commu-
nauté, comme dans Actes 6, 1.
41. Cf. Brian J. CAPPER « The interpretation of Acts 5.4 » Journal for the Study of the New
Testament 19, 1983, p. 117-131 ; « The New Covenant in Southern Palestine at the Arrest of
Jesus » in The Dead Sea Scrolls as Background to Post-Biblical Judaism and Early
Christianity, James R. Davila, éd., Studies on the Texts of the Desert of Judah XLVI,
Leiden/Boston, Brill, 2003, p. 90-116 ; « The Church as New Covenant of Effective
Economics : The Social Origins of Mutually Supportive Christian Community » in
International Journal for the Study of the Christian Church 2, 2002, p. 83-102 ; « Community
of Goods in the Early Jerusalem Church » in Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt,
H. TEMPORINI & W. HAASE, éd., série II, vol. 26, part 2, Berlin, De Gruyter, 1995, p. 1730-
1774.
42. PHILON, De la vie contemplative, p. 70-71.

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l’Église, organisée par Ananias et Sapphira, au sujet d’une propriété dans


Actes 5, 1-11 nous donne un indice sur la manière dont s’était développé le
rôle d’un officier gérant les dons. Après sa mort fatidique due à sa condam-
nation véhémente de la part de Pierre, le couple est emmené et enterré par
des « jeunes gens » de la communauté (5, 6, neoteroi, 10, neaniskoi).
Comme le repas communautaire se déroulait dans des maisons privées au
début de l’Église de Jérusalem, les maîtres de ces maisons y présidaient. Cela
peut être un indice important si on cherche à comprendre le rôle de plus en
plus important des « anciens » dans l’Église de Jérusalem (Actes 11, 30 ;
15, 2, 6, 23; 21, 18), groupe dont l’apparition énigmatique dans les Actes fut
problématique pour les spécialistes. Dans les communautés pauliniennes, le
maître de maison présidait au repas ; il était assisté par ses propres domes-
tiques (qui avaient probablement tous adopté la nouvelle foi) ou par d’autres
membres de la communauté. Pline le Jeune fit torturer « deux esclaves que
l’on disait diaconesses » pour découvrir la « superstition » chrétienne 43. Les
deux femmes avaient sûrement un rôle de service aux repas dans la maison à
laquelle elles étaient assignées ou dans une autre où elles assistaient au culte
chrétien. Dans les Actes, quand nous apprenons que des maisons entières se
convertissaient, nous apprenons qu’il y avait des esclaves de confiance.
Quand Corneille, un craignant-Dieu, eut une vision, il envoya deux de ses
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domestiques « ainsi qu’un soldat (craignant aussi le Seigneur) d’une grande
piété, depuis longtemps sous ses ordres » (10, 7) chercher Pierre et lui expli-
quer sa vision. Pierre trouva la maison entière prête à l’écouter (10, 27), ils
croyaient tous et se faisaient baptiser (10, 44-48), ainsi la « maison » tout
entière fut sauvée (11, 14). De tels domestiques de confiance servaient sans
doute lors des repas par la suite, et d’autres fidèles de la communauté les
rejoignirent plus tard, devenant des servants « honoraires » de la maison lors
des repas. Nous avons ici la génération du ministère local des episkopoi et
diakonoi. Les diakonoi étaient ceux qui servaient aussi lors des repas nor-
maux du maître de maison ; ainsi il y a toujours eu une pluralité dans le
christianisme, le rapport avec l’episkopos étant intime. L’episkopos était un
maître de maison important dans la ville, qui, avec l’approbation des apôtres,
avait parrainé le message chrétien en offrant sa maison à l’Église pour le
déroulement des repas et des réunions, qu’il présidait. Il était le « gardien »
de la partie de la communauté qui se réunissait dans sa maison. Ce sont ceux
auxquels Paul fait référence à Thessalonique comme « ceux qui parmi vous
se donnent de la peine, veillent sur vous dans le Seigneur et vous repren-
nent » (1 Th 5, 12).
Ces maîtres de maison furent sûrement amenés à avoir un rôle dans la
collection et la gestion des fonds de l’Église. Dans 1 Co 16, 1-3, Paul donne

43. PLINE LE JEUNE, Épîtres, X, 96.

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ses instructions aux Corinthiens : « Pour la collecte en faveur des saints […].
Le premier jour de chaque semaine, chacun mettra de côté chez lui ce qu’il
aura réussi à épargner, afin qu’on n’attende pas mon arrivée pour recueillir
les dons. » Le texte n’a pas de sens si on considère « épargner » comme
faisant référence à des économies privées, personnelles, une accumulation du
croyant individuellement en attendant l’arrivée de Paul. Le « premier jour de
la semaine » était le jour où les chrétiens se rassemblaient et où on procédait
à une collecte publique. Dès lors l’Église dispose de fonds, rendant inutile la
collecte après l’arrivée de Paul 44. Comme les seuls locaux dont disposent les
chrétiens étaient les maisons des maîtres les plus aisés, ces fonds étaient stoc-
kés sous leur surveillance. On peut voir un indice sur les fonctions finan-
cières de ces maîtres de maison lorsque Paul s’adresse spécifiquement aux
« épiscopes et diacres » à Philippes (Ph 1, 1), car sa lettre se termine par des
remerciements attentionnés pour le soutien matériel (4, 10-20), et il se peut
que les finances déterminent une bonne partie de l’argumentation précédente
de la lettre 45. Les membres ayant ces fonctions sont probablement les anti-
lempsis et kyberneseis de 1 Co 12, 28. Rappelons que la Revised Standard
Version traduit le nom du groupe précédent par helpers (aides), car antilam-
banein peut signifier « se charger de, aider, venir au secours de 46 ». Dans la
conclusion de son discours aux Éphésiens, où Paul fait des commentaires sur
les finances de l’Église (Ac 20, 33-36), le verbe fait référence au secours aux
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faibles et aux malades par des moyens pécuniaires (v. 35). Le « don d’assis-
tance » de 1 Co 12, 28 montre donc le diaconat naissant, alors que « le don
de direction » fait référence aux maîtres de maison qui président aux repas.
L’émergence de l’épiscopat monarchique
Dans le christianisme plus tardif, le rôle d’animer l’eucharistie sera limité
aux évêques et aux anciens. Cela suggère que les anciens avaient toujours
présidé aux repas chrétiens et cet argument est cohérent avec les origines
sociales suggérées pour ce groupe – sûrement des maîtres de maison impor-
tants qui accueillaient les premiers groupes de maisons et dirigeaient la
communion. Au temps d’Ignace, les anciens ne sont plus les chefs de ces
maisons-Églises/groupes de communion, mais ils sont rassemblés dans un
conseil regroupé autour de l’évêque monarchique. Le culte régulier décrit par
Ignace compte beaucoup trop de participants pour se dérouler dans l’atrium
d’une seule maison (quelle que soit sa taille). Les chrétiens devaient donc se
réunir dans des lieux plus vastes. La manière la plus naturelle d’obtenir des
lieux ayant de telles dimensions physiques était de modifier des maisons

44. Pour plus d’arguments sur cette opinion voir E. E. Ellis, op. cit., p. 94-95.
45. Cf. Brian J. CAPPER, « Paul’s dispute with Philippi : Understanding Paul’s Argument in
Phil. from his Thanks in 4, 10-20 », Theologische Zeitschrift 49 (1993) p. 193-214.
46. BAUER-ARNDT-GINGRICH, op. cit., p. 74.

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privées qui étaient alors passées en la possession de la communauté. Les


modifications comprenaient le remplacement des murs internes par des
arches supportant le toit, et la construction d’un bâtiment supplémentaire
dans la cour. L’église chrétienne découverte à Capharnaum était bâtie au
départ sur une pièce d’une maison privée et présente les preuves d’une telle
extension 47. L’église de Dura-Europos l’était sur une maison privée, mais
l’atrium avait été modifié, car un des murs internes divisant la maison avait
été supprimé 48.
La création de lieux de rencontre plus grands permettait la réunion régu-
lière de toutes les communautés-maisons d’une ville dans un seul endroit, et
la description apportée par Ignace montre que cette pratique était devenue la
norme. La fusion de groupes de maisons individuelles en une communauté à
plus grande échelle explique l’aspect étrange de ce qu’Ignace voyait comme
symbolisé par chaque fonction de l’ordre tripartite. Après cette évolution, les
maîtres des communautés-maisons individuelles, qui avaient toujours présidé
seuls à l’eucharistie ayant lieu dans leurs maisons, se réunirent en une assem-
blée investie d’une certaine autorité, importante dans le cadre de réunions
plus vastes. C’est à ce niveau de l’évolution sociale de l’Église que nous
voyons l’émergence du conseil d’anciens, groupe qui ne se réunissait
qu’exceptionnellement, lors des plus grandes réunions. Dans les premiers
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temps, ce n’était pas un conseil au sens où ils se réunissaient indépendam-
ment de leur maison-communauté et où ils pouvaient coopter un membre de
leur communauté. Ce groupe était constitué des maîtres de maison de
confiance chez qui avait normalement lieu le culte chrétien. Tel qu’on le voit
avec Ignace, il s’est transformé en même temps que les éléments eucharis-
tiques étaient progressivement exclus du repas pris en commun, car ces repas
trop importants ne pouvaient plus être organisés dans une maison. De moins
en moins fréquents, ces repas en commun furent même déconseillés comme
lieu de rencontre chrétien.
Ainsi, la transition dans le développement social de l’Église montre que
l’apparition du conseil des anciens dans l’Église d’une ville n’est pas due
simplement à une imitation des pratiques de la synagogue juive. Les assem-
blées chrétiennes d’anciens ont pu avoir l’apparence de celles des anciens de
la communauté juive, mais des différences importantes subsistent, dues en
partie à des origines différentes. Alors que les anciens de la synagogue
n’avaient aucun rôle dans le culte, il en allait autrement des anciens chrétiens
car ils avaient précédemment exercé les fonctions d’ancien-évêque, chargés

47. Cf. E. M. M EYERS et James F. S TRANGE , Archaeology, the Rabbis, and Early
Christianity, Londres, SCM, 1981, p. 58-61, 128-130.
48. C. H. KRAELING, The Christian Building (Excavations at Dura-Europos, Final Report),
VIII, Part II, M. I. ROSTOTZEFF et al., éd., Londres, Oxford University Press, 1943 sqq., p. 7-30.

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de maisons-églises individuelles. Ils présidaient leurs eucharisties et avaient


joué un rôle dans l’enseignement et la discipline. En termes de dispositions
pratiques, alors que les anciens de la synagogue bénéficiaient probablement
de places importantes quand ils assistaient au culte, les anciens chrétiens,
ainsi que le suggère Ignace, siégeaient face à la communauté, avec l’évêque,
car ils avaient présidé aux eucharisties dans les maisons.
L’explication bien connue de Lightfoot de la montée de l’épiscopat
monarchique, montre que chaque Église avait été dirigée par un conseil
d’anciens-évêques. Puisqu’un conseil doit avoir un président, l’ancien-
évêque qui siégeait au conseil des anciens aurait eu une position dominante.
Un ancien-évêque qui avait gagné le droit de présider en permanence aurait
été amené à disposer en permanence d’une position supérieure à celle des
autres anciens-évêques et serait devenu le seul évêque, l’évêque monarchique
d’Ignace 49. Le processus décrit plus haut peut conduire à revoir la thèse de
Lightfoot. Alors que les anciens-évêques de communautés individuelles
devinrent un groupe se réunissant régulièrement et dirigeant la plus grande
communauté, dans certaines communautés, le plus âgé ou le plus respecté,
aurait été amené à présider régulièrement à l’eucharistie des plus grandes
communautés. Un ancien-évêque deviendrait le dirigeant de toute la commu-
nauté chrétienne de la ville, acquérant ainsi un rôle principal au niveau de la
discipline (exclusion de la table du Seigneur), assumant les responsabilités
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d’entretien des bâtiments et, par conséquent, jouissant du pouvoir ultime sur
le lieu de réunion de l’Église.
Une telle évolution a pu avoir lieu. Mais on ne peut pas concevoir un
tel changement sans certaines qualifications. D’abord les premiers anciens-
évêques ne s’étaient pas vu accorder le droit au soutien par la communauté
comme les missionnaires itinérants ; du point de vue social, ils n’en avaient
pas besoin. C’étaient des membres éminents de la communauté et leur posi-
tion tenait en partie à leur statut social et à leur richesse. Ils avaient donc été
utilisés plutôt pour protéger les communautés en tant que patrons, et non
comme membres « sous-contrat » et donc rétribués. Ils dirigeaient des
réunions mais pas de maison-communauté. Ils appartenaient à une classe
sociale plus élevée et, par conséquent, avaient des affaires ou des terres dont
ils devaient s’occuper ; pour diriger une grande communauté ils auraient dû
être au service de l’Église à plein temps. Ce renoncement en faveur d’un
appel spirituel définissait auparavant, en termes sociaux, les missionnaires
itinérants. Il semble bien que l’ancien en 1 Tm 5, 17 qui sert (proestotes,
préside) la communauté se dirigeait vers un service différent et commençait à
recevoir une rémunération qui était auparavant réservée à la classe des
itinérants.

49. J. B. LIGHTFOOT, Excursus « The Christian Ministry » in Les Épîtres de Saint Paul,
Philippiens, Londres, Macmillan, 1888, p. 181-269.

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Ensuite, les anciens-évêques avaient l’habitude de se considérer comme


étant la seconde autorité dans la hiérarchie de l’Église. Les apôtres leur
avaient permis d’acquérir leur autorité et de la préserver en servant leur
communauté-maison, on peut donc penser qu’ils ne convoitaient pas forcé-
ment un rôle supérieur à l’extérieur. Pour illustrer cela, voici un tableau de
leur ancienne existence. Les maisons-églises auraient été habituées à se
réunir ensemble dans un seul lieu (comme nous l’avons remarqué, probable-
ment dans la cour d’une maison plus vaste) à l’occasion d’événements parti-
culièrement importants dans la vie de la communauté. Les événements les
plus courants pour de tels rassemblements agrandis dans les premières décen-
nies de la vie de l’Église étaient souvent la visite dans la ville d’un apôtre,
d’un prophète ou d’un enseignant vénéré. Si l’ancien-évêque présidait à cette
occasion, il le faisait en tant qu’hôte, mais conscient que le visiteur était
l’autorité principale supérieure. Ceux qui étaient rassemblés venaient écouter
le visiteur et non le maître de maison. En fait, les anciens-évêques-maîtres de
maison ont toujours dû comprendre qu’ils avaient un rôle important
uniquement en l’absence des itinérants qui avaient fondé leurs propres
communautés.
Dernier point, un ancien-évêque local ne pouvait être nommé dans les
plus grandes réunions sans l’approbation d’autres anciens-évêques. C’eût été
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porter gravement atteinte à la dignité de chaque maison-Église constituant le
groupe que ne pas avoir un processus bien établi pour la nomination d’un
ancien-évêque en particulier à la direction d’un groupe de maisons-Églises
auparavant indépendantes 50.
Tous ces facteurs nous suggèrent que si un ancien-évêque local venait à se
voir attribuer l’autorité sur les groupes rassemblés, il devait être pleinement
conscient d’avoir franchi un palier dans la hiérarchie de l’Église ; cette
promotion aurait été confirmée par une ordination formelle indiquant
l’approbation de la communauté.
La Didachè nous fournit une autre description du processus de nomina-
tion d’autres évêques monarchiques à cette période. Nous apprenons la
sédentarisation d’itinérants importants dans des communautés locales qui ont
un rôle de dirigeants monarchiques. La Didachè indique aussi qu’ils conser-
vent leur droit au soutien matériel et alimentaire de la part de la communauté.
On a souvent pensé que Timothée et Tite représentaient une classe locale-
ment émergente de « délégués apostoliques », précurseurs de l’évêque
monarchique permanent dans un seul lieu 51. Il est aussi intéressant de noter

50. C’est probablement le problème au sujet de Diotréphès dans 3 Jean.


51. Cette thèse est défendue par B. S. EASTON, The Pastoral Epistles, Londres, SCM, 1948,
p. 171-179. Dans les annotations de la tradition manuscrite, Tite est appelé évêque des Crétois,
Timothée évêque des Éphésiens, cf. BAUER-ARNDT-GINGRICH, op. cit., p. 299.

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que plus les itinérants prenaient de l’âge, plus ils étaient enclins à s’établir à
un endroit pour des périodes de plus en plus longues, ou même
définitivement 52. Il n’est pas difficile d’imaginer que les deux processus, la
promotion hiérarchique d’anciens, locaux très respectés, ainsi que la sédenta-
risation d’itinérants de renom, ont tous deux contribué à la création
d’évêques monarchiques de même statut. Certains évêques monarchiques
étaient probablement des itinérants âgés qui s’étaient établis dans une ville
faisant partie de leur ancien domaine de mission. Ils auraient automatique-
ment joui d’une autorité supérieure à celle des anciens-évêques et auraient
conservé leur droit au soutien communautaire. D’autres étaient probablement
promus par acte délibéré du rang d’ancien-évêque à celui de gardien de tous
les chrétiens de la ville ; ils auraient été payés, car leurs responsabilités
seraient devenus autrement plus importantes 53.
Ainsi, le contexte social nous aide à expliquer l’émergence de la hiérar-
chie tripartite des fonctions dans l’Église. L’ordre tripartite existait bien dans
les Églises des premières décennies : une classe itinérante, une classe de
maîtres de maison/anciens-évêques et une classe de domestiques servant lors
du repas chrétien. Cet ordre devint la hiérarchie de l’évêque monarchique, de
son conseil des anciens, et des diacres servant à l’eucharistie et venant en
aide aux pauvres. Cette transition impliqua non seulement la création d’une
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fonction locale équivalente à la classe itinérante, mais aussi la fusion de la
classe ancien-évêque en un conseil d’anciens par la création de lieux de
rencontre plus grands. Cette évolution est un symbole de la vitalité de la
communauté chrétienne qui pouvait adapter sa structure à la situation chan-
geante. Comme de nombreux endroits furent évangélisés, il fut de moins en
moins utile d’avoir une classe itinérante qui ne faisait que visiter des commu-
nautés matures dans leur foi, mais il devint nécessaire d’avoir des dirigeants
locaux charismatiques pour gouverner ce qui était devenu de très grandes
communautés et même les défendre contre les innovations doctrinales prove-
nant de l’étranger. La classe des itinérants céda la place à celle des évêques
monarchiques pour préserver ce que les itinérants avaient créé au départ.

52. Cela a pu être un facteur très important dans le processus qui a engendré la classe des
évêques monarchiques.
53. Il est possible que le groupe des anciens-évêques ait cherché des hommes plus jeunes,
disposant de l’énergie nécessaire pour diriger les communautés réunies dans une ville.
F. M. YOUNG soutient cette opinion qui fait de l’évêque monarchique un élu des anciens : « On
EPISKOPOS and PRESBYTEROS », Journal of Theological Studies, ns, 45, 1994, p. 142-148. Ce
développement est cependant moins plausible si on considère l’autorité presque tyrannique que
revendiquait l’évêque monarchique plus tard. Celui-ci devait être une figure d’un certain rang
social pour présider les anciens lors des réunions de la communauté.

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Le ministère de la laïcité et l’échelle sociale de la communauté


La création et la structuration de communautés plus grandes eurent pour
inconvénient d’étouffer le rôle des laïcs. Nous pouvons discerner le début de
la création de l’épiscopat monarchique dans la conclusion de la liste des dons
du Christ à l’Église, dans Éphésiens 4, 11-12.
C’est lui qui a donné les uns comme apôtres, les autres comme
prophètes, les autres comme évangélistes, les autres comme pasteurs
et docteurs, pour le perfectionnement des saints en vue de l’œuvre du
service et de l’édification du corps du Christ. (traduction Segond)
La présentation faite par Paul de la triade des « apôtres », « prophètes » et
« enseignants » (1 Co 12, 28) subit ici quelques modifications. L’auteur
range la classe de probables prêcheurs itinérants après les apôtres et les
prophètes, les appelant « évangélistes ». Ils n’étaient ni prophètes ni apôtres,
car pour l’auteur ces groupes étaient historiques et limités en nombre. Dès
lors, en 2, 20, l’auteur évoque la « fondation des apôtres et des prophètes »,
comme un groupe qui disparaît au fur et à mesure que les années passent ;
l’auteur visiblement ne veut pas utiliser les termes « apôtres » et
« prophètes » pour parler des itinérants de cette période ; il en est de même
dans la Didachè. Avec le désir de voir l’uniformité doctrinale fondée sur l’en-
seignement de la classe itinérante précédente, le statut des itinérants de cette
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période reçoit une certaine qualification. Après cette classification du reste
des itinérants en « évangélistes », la triade de Paul est modifiée et il appelle
les enseignants en quelque sorte « enseignants-pasteurs ». En effet, la version
grecque comporte un article devant chaque élément de cette liste sauf pour sa
conclusion, « les enseignants et pasteurs » ; on peut donc penser que ces
deux mots ne qualifient qu’un seul groupe, les enseignants-pasteurs, nourris
par les églises locales. Le terme pasteur est ajouté pour indiquer la nature
sédentaire de leur fonction.
La traduction d’Éphésiens 4, 11-12, met une virgule après l’expression
« pour le perfectionnement des saints », celle-ci nous fait donc penser à une
simple répétition que l’on pourrait gloser de la sorte « pour équiper les saints
pour un service ». Sans la virgule, la phrase lie tous « les saints » à « l’œuvre
du service (ou ministère) » ; sa présence ou son absence a dû être décidée par
le traducteur. Nous avons cité la traduction de Louis Segond ; nous
pouvons lui comparer les versions anglaises : la King James Version, la
Revised Version, et la première édition de la Revised Standard Version
incluent toutes une virgule. L’auteur d’Éphésiens entendait-il que tous les
saints, tous les croyants, contribuaient au « ministère » (les traductions sans
virgule), ou considérait-il déjà le « ministère » comme le privilège de ces
officiers principaux de l’Église, dont il fait la liste ? La traduction avec la
virgule donne probablement le sens correct. L’argument majeur en sa faveur
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2006/3 APÔTRES, MAÎTRES DE MAISON ET DOMESTIQUES

et le refus catégorique du « ministère » à tous les croyants est la brièveté de


la liste des dons. 1 Corinthiens 12, 8-11 nous donne neuf exemples de mani-
festations de l’Esprit ; le verset 12, 28 dresse la liste de huit éléments ; dans
Rom 12, 3-8 nous avons sept exemples. Tous contiennent des éléments qui
sont, selon nos critères, des ministères clairement « laïcs » : les dons oraux
par lesquels l’Esprit communique sa sagesse à la communauté à
travers tous ses membres, et même la simple tâche de contributions maté-
rielles lors de l’eucharistie pour le secours des pauvres. L’auteur
d’Ephésiens, toutefois, n’a retenu que les trois fonctions principales du début
de 1 Co 12, 28, les adaptant à la situation de sa propre Église, dans laquelle il
était d’une importance primordiale de conserver une continuité doctrinale
vis-à-vis de la tradition apostolique. Le « ministère » (diakonia) est donc
devenu uniquement la sauvegarde de la classe dirigeante par rapport à la
communauté. Les dons, que l’on pourrait qualifier de ministère « laïc » en
langage courant, sont tout simplement omis. Le ministère est devenu la sau-
vegarde de certains membres de l’Église, se démarquant par rapport à la
vision précédente d’une participation de toute la communauté ; les laïcs et le
diaconat naissant sont exclus 54.
Le processus d’exclusion du ministère des laïcs est donc même percep-
tible dans l’un des écrits de la fin de la période néotestamentaire. Cependant,
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si la vision originale disparaît dans la pensée de l’Église (si la thèse à propos
de l’émergence du ministère tripartite évoquée dans cette étude est juste), ce
n’est pas parce qu’un clergé émergeant usurpe la place des laïcs, mais grâce à
la taille des communautés à l’échelle de villes qui se multiplièrent grâce au
succès de la mission et au besoin d’exclure un enseignement hétérodoxe. Des
communautés de centaines de croyants ne pouvaient pas utiliser les dons des
laïcs comme pouvaient le faire les maisons-Églises ne réunissant que deux ou
trois douzaines de fidèles. Plus tard, le succès grandissant de l’Évangile eut
pour résultat des changements plus profonds représentés grosso modo dans la
structure de l’Église catholique aujourd’hui : un grand nombre de commu-
nautés ayant chacune un seul ancien (prêtre). Cependant, les témoignages
de la première Épître aux Corinthiens et de l’Épître aux Romains ont été
préservés pour la postérité, et l’Église peut, à l’image du scribe instruit en
vue du Royaume des cieux, tirer du trésor de sa maison du neuf et du vieux
(Mt 13, 52). L’insistance primitive sur la manifestation de l’Esprit à travers
chaque membre de la communauté est fondée sur la compréhension de
l’Église attestée ailleurs dans le Nouveau Testament. L’Église, représentant
l’âge de la plénitude, dans laquelle tous les membres du peuple de Dieu

54. La question de la virgule est souvent débattue. Pour une étude judicieuse du passage,
partageant l’opinion exprimée ici, voir A. M. Lincoln, Ephesians, Dallas, Tex., Word, 1990,
p. 253-254.

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renouvelé sont investis de l’Esprit, contraste avec les temps de l’attente,


pendant lequel l’Esprit ne se manifestait qu’à travers quelques responsables
inspirés. Comme Pierre le dit le jour de la Pentecôte : « Dans les derniers
jours, l’Esprit est répandu sur toute la communauté » (Actes des Apôtres
2, 15-21, citant Joël 3, 1-5). 1 Corinthiens et Romains comprennent cette
expression théologique de l’Église en tant que communauté dans laquelle
tous pratiquent un ministère par l’Esprit comme se déroulant publiquement
dans la communauté locale, chacun apportant sa contribution. L’Église
contemporaine doit toujours être prête à permettre au processus que nous
avons décrit dans cette étude d’être renversée. Les plus grandes assemblées
ne peuvent qu’encourager le ministère laïc à travers la création d’une struc-
ture cellulaire qui encourage, guide et mûrit le développement des dons per-
sonnels. Là où les communautés sont petites, l’Église a raison de s’inspirer
de ses formes sociales les plus anciennes et de permettre aux dons des laïcs
de servir dans le culte pour édifier le Corps de Christ en ce lieu. Peut-être y
a-t-il même des situations, dans lesquelles une salle de culte trop onéreuse à
entretenir justifierait de revenir à des structures d’Églises de maison.
Brian J. CAPPER
Université de Canterbury Christ Church
© Institut protestant de théologie | Téléchargé le 26/01/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.222.194.6)

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