Vous êtes sur la page 1sur 22

UNIVERSITÀ DEGLI STUDI DI SALERNO

Dipartimento Di Studi Umanistici

CORSO DI LAUREA IN LINGUE E LETTERATURE MODERNE

Mini-mémoire

Barbey d’Aurevilly et ses tentatives de saboter la femme auteur au XIX


siècle : l’attaque à George Sand et Daniel Stern

PROFESSORESSA ALUNNA

AGNESE SILVESTRI ANGELA


PECORARO
Matr. 4322102213

1
Table des matières
Première partie : cadre théorique sur la question de « LA FEMME AUTEUR »
INTRODUCTION
1.1 La femme face à la folie misogyne
1.2 La femme auteur au XIXème siècle
Deuxième partie : Barbey d’Aurevilly : « l’exterminateur » des femmes
2.1. Le bas-bleuisme dans Les œuvres et les hommes V  : Les bas-bleus
Troisième partie : Barbey d’Aurevilly et ses tentatives de saboter la femme auteur
au XIX siècle : l’agression à George Sand et Daniel Stern 
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE ET SITOGRAPHIE

2
Première partie
Cadre théorique sur la question de la « femme auteur »
« Pour notre compte, nous ne croyons nullement à l’égalité spirituelle de l’homme et de la
femme [...] Or, s’ils sont différents, c’est évidemment pour faire des choses différentes et
différence implique hiérarchie »1

Introduction

Effervescente et frénétique, le XIXème siècle s’écoule en se débattant entre les


forces puissantes du bouleversement et de l’arrachement au passé. Société patriarcale,
pensée misogyne et hiérarchisation sexuée, sont les clefs de voûte pour déchiffrer la
réalité de ce moment historique.
Ce travail ce centre sur la situation des femmes auteurs au XIXème siècle,
qu’en conquérant visibilité dans la société, dans le champ littéraire et dans la
production artistique, subissent l’hostilité d’un imaginaire qui tend à les exclure de la
sphère de la création, des domaines de l’art et des espaces de la société en général.

On peut définir ce siècle, le siècle du défi d’une société qui met à l’écart les
femmes, qui les oblige à la soumission et à la marginalisation, qui les prive d’une
éducation adéquate, qui les considère des êtres inferieurs et incapable de penser, créer,
juger, questionner, réfléchir et discuter. En sein d’une une société machiste qui les voit
comme des ennemies et des concurrentes, les femmes défendent et conquièrent
fièrement leur statut d’écrivaines et d’intellectuelles. Cependant, même si les hommes
de ce siècle agissent incessamment contre les femmes, pour les rejetées dans les
espaces qui sont à elles accordés, elles revendiquent et conquièrent l’espace dont elles
ont été privées depuis toujours : l’espace de la liberté et de l’affirmation de son
existence. Il s’agit d’un siècle où les femmes s’engagent pour attaquer et briser le
système patriarcal qui les rend esclaves de leur propre vie. C’est le siècle où Marie
d’Agoult, dans son Essai sur la liberté (1847) déclare :

De tous temps les rapports des sexes ont préoccupé les législateurs. Tous ont senti
l’importance de ces rapports dont la liberté, plus ou moins étendue a notablement
influé, non-seulement sur les mœurs, mais encore sur les formes politiques des
sociétés. Ajoutons que tous ont paru poser en fait l’infériorité, si ce n’est même la
perversité de nature du sexe le plus faible ; d’où ils ont déduit un droit une incapacité
religieuse, civile et politique, plus ou moins accusée selon les temps et les lieux, mais
1

3
constituant pour la femme, même aux épouses plus favorables, chez les nations les
plus civilisées, un état de tutelle assez voisin de l’état de servage. 2

Au XIXème siècle, on assiste à la multiplication du nombre de femmes qui


défient le préjugé en écrivant des ouvrages qu’au-delà des intentions littéraires révèlent
des ambitions historiques, sociologiques, politiques et philosophiques. Leur talent et
leur ambition inspirent une critique hostile qui va les jugées en tant que femme et pas
comme écrivaines.

Ce travail vise à montrer la conception qu’on avait des femmes auteurs, à


travers l’image que d’elles ont donné les hommes : après une première présentation de
la question de la femme auteur dans un point de vue global, cette réflexion va centrer
son attention sur l’analyse de deux textes de l’œuvre Les œuvres et les hommes V : Les
bas-bleus écrit par Jules Barbey d’Aurevilly.

Avant tout, pour entendre la condition de la femme auteur au XIXème siècle


dans son rapport avec la création, il faut réfléchir sur le concept de genre.

Utiliser la notion de « genre, […] principe de différentiation qui détermine la


construction des rôles sexués et qui l’organise dans un rapport de pouvoir »3, dans la
critique littéraire donne la possibilité d’interpréter les textes littéraires compte tenu que
« la différence des sexes est une construction sociale et culturelle dans son principe,
politique dans ses effets, qui résulte d’un processus complexe et assigne les individus à
des rôles complémentaires et hiérarchisés »4. Les études de genre sont un instrument
indispensable pour entendre la construction et représentation de l’ordre symbolique des
sexes, comme explique Damien Zanone :

« Conduire cette entreprise avec le genre conduit à se montrer résolument


attentif à un phénomène massif qui demandait à être envisagé en tant que tel : la
place qu’accordent la littérature et les arts à la question de la différence des
sexes et, subsidiairement, à celle de leur hiérarchisation »

En effet, en utilisant la perspective du genre il est possible d’investiguer d’une


manière différente le phénomène littéraire qui concerne la femme auteur au XIXème
2

3
Damien Zanone, « Introduction », Romantisme, vol. 179, no. 1, 2018, p.5. URL :
https://www.cairn.info/revue-romantisme-2018-1-page-5.htm, dernière consultation : 14/06/2021
4
Ibid p.

4
siècle. De cette façon, on peut arriver à une compréhension plus éclairée de la
participation des femmes à l’œuvre créatrice et des causes que leur ont empêché d’y
accéder.

1.1 La femme face à la folie misogyne

La femme est née pour être fille, mère et épouse. Elle représente l’amour, la
docilité, la modestie et son existence est consacrée au dévouement et à la soumission.
En d’autres termes, la femme existe pour aimer les hommes, pour les satisfaire, pour
s’en occuper, pour les aider à briller. Elle, au contraire n’a pas le droit de briller et
d’avoir des ambitions personnelles. Cependant, le nombre de femmes qui s’aventure
dans ‘les affaires des hommes’ augmente à grande vitesse et termine pour attirer
l’attention de tous, engendrer la peur et ouvrir le chemin à une polémique
incandescente qui va se faire entendre tout au long du siècle. Qu’est-ce qu’il veut dire
être femme ? Quelle-est sa place dans le genre humain ? Qu’est-ce qu’il passe quand
elle s’hasarde à écrire ? Ces sont les questions cruciales à partir desquelles se
développe le brulant débat sur la femme auteur au cours du siècle. Des questions
étonnantes, dont les réponses absurdes reposent sur des raisonnements odieux et
indécentes.

Avec son ouvrage La petite sœur de Balzac. Essai sur la femme auteur (1989)
Cristine Planté dresse une reconstruction de la question de la femme auteur, en
donnant la possibilité de retracer les racines intimes de la misogynie qui règne sur la
société et sur la vie des femmes au XIXème siècle. L’écrivaine observe que la division
sexuelle de l’humanité peut s’expliquer à partir de l’existence de valeurs humaines
« universelles », destinés uniquement aux « homme blancs de culture chrétienne
bourgeoise occidentale » 5, dont les femmes sont par conséquence exclues. Dans cette
optique, elles sont confinées dans une condition d’exclusion. Elles restent au foyer
tandis que les hommes luttent dans le struggle of life. Il s’agirait d’un privilège donné
aux femmes au nom de la galanterie, mais qui n’est rien plus qu’une logique qui tend à
justifier son enfermement dans la société. Au XIXème siècle on assiste au
développement d’un nouveau schéma, qui à travers des travaux biologiques, médicales
5

5
et naturalistes prétend identifier la femme comme constitutive d’une espèce qui, dans
un point de vue physiologique, moral et intellectuel fonctionne d’une manière tout à
fait différente par rapport à l’homme. On assiste à la division définitive de l’humanité :
l’homme et la femme appartiennent à deux espèces opposées dont les lois et les valeurs
ne se correspondent et ne peuvent pas se confondre. L’homme incarne « l’humain en
général, neutre et universel » tandis que la femme fait partie d’une espèce qui se situe
entre l’homme et l’animal, une sous-espèce. Il s’agit d’une théorie qui manipule et
vulgarise la science à son gout pour tracer la limite naturelle de l’existence de la
femme. Le point de départ du discours médical, qui se développe au cours du siècle,
peut s’identifier exactement dans l’attention accordée au corps de la femme et plus
précisément à son appareil reproducteur. La femme est dotée des ovaires qui lui donne
la capacité de procréer et c’est juste ici qui réside sa nature intime. « Ce viscère agit
sur tout le système féminin d’une manière bien évidente, et semble soumettre à son
empire la somme presqu’entière des actions et des affections de la femme » 6. On
comprend, alors, que les efforces des médecins visent à soumettre l’existence de la
femme à une disposition précise : aux femmes la maternité, aux hommes la paternité
intellectuelle. Pendant le siècle, cette prétendue vérité scientifique sera utilisée pour
déterminer qu’une femme, qui veut concilier le travail maternel et domestique avec
l’écriture, ne sera jamais « ni un bonne mère, ni une bonne épouse » 7. Par conséquent,
« la littérature des femmes est ainsi appréhendée comme une forme de maturité ratée,
viciée, avortée, rivale, nécessairement malheureuse » 8. La femme qui refuse de
consacrer sa vie au soin de sa famille, perd son rôle d’ange de la paix et son activité
créatrice se révèle subversive. En refusant le sacrifice et le dévouement c’est la société
entière qu’elle conduit à la confusion.

[…] les femmes auteures mettent l’ordre social en question non parce que leurs
ouvrages avancent des idées féministes et des revendications subversives […] mais par
le simple fait qu’elles écrivent. C’est-à-dire qu’elles font usage de capacités
intellectuelles et humaines qui prouvent qu’elles ne sont pas par nature inférieures aux
hommes, et posent donc de ce fait la question de l’égalité, et celle du rapport entre
ordre de la nature et lois humaines. 9

7
Planté pag 6
8
Femme en litterature pag 57
9
Planté pag 8 file 1

6
1.2 La femme auteur au XIXème siècle

La figure de la femme auteur au XIXème siècle s’inscrit dans un système de


domination masculine fondé sur des préjugés et des stéréotypes bien ancrés. Sa
condition est le résultat d’un édifice misogyne qui organise la société et le panorama
culturel sur la base d’un rapport de pouvoir que l’exclue à priori.

Dès lors que les idéaux révolutionnaires d’égalité semblent s’intéresser aussi à
la femme et à sa condition de fantasme sociale, la femme vit un moment de visibilité
dans l’espace public politique et littéraire. Moment qui résiste brièvement et qui est
suivi par une nouvelle escalassions de violence envers les femmes : la fermeture des
clubs en 1793, le Code Civil en 1804 qui inscrit dans la Loi l’inégalité des sexes, la loi
qui abroge le divorce en 1816 en rétablissant la pleine autorité de l’époux, démontrent
l’acharnement et la haine qu’elles inspiraient dans la société. Il s’agit de mesures qui
ont voulu miner et éviter la présence de la femme dans les sphères de la vie sociale,
politique et littéraire pour l’enfermer dans un espace bien délimité.

La marginalisation qui accable la vie de la femme s’étend à la sphère de la


création et peut s’observer déjà à partir des plusieurs termes utilisés pour faire
référence aux femmes qui écrivaient. « Écrivain », « femme auteur », « auteur »,
« écrivain-femme », « femme auteure » ou « littératrice ». L’abondance des termes
existants pour s’adresser à une femme qui écrit révèle une véritable difficulté à
concevoir que la vie d’une femme puisse concilier avec l’écriture. En plus, montre que
« pour se nommer et se définir dans son activité de créatrice, la femme qui écrit est
donc obligée de se situer d’emblée comme être sexué, d’inscrire le fait d’être femme
au cœur de son œuvre »10.

On voit que, la question de l’incompatibilité entre la femme et le métier d’écrivaine


avait été traitée aussi par des femmes auteures comme Madame de Genlis :

Comment concilier tout ce mystère de délicatesse et de grâce, ce charme intéressant de


douceur enchanteresse et d’une pudeur touchante, avec des prétentions ambitieuses et
l’éclatante profession d’auteur ? […] La condition des femmes est, ainsi que toutes les
autres, heureuse quand on a les vertus qu’elle demande, malheureuse, quand on se
livre aux passions violentes, à l’amour qui nous égare, à l’ambition qui nous rend
intrigantes, à l’orgueil qui nous corrompt et nous dénature 11

10
Christine Planté, La petite sœur de Balzac : essai sur la femme auteur, op.cit, p. 16
11
Corinne ou l’italie

7
L’édifice de la misogynie au XIXème siècle, se fonde sur des piliers bien
définis : d’un côté on a la motivation sociale, dont on a déjà discuté avant, et de l’autre
côté on a une motivation qu’on peut définir tout à fait sexiste : la femme est par nature
inférieure à l’homme, elle ne peut pas écrire parce que « le génie est mâle ». 12
Ainsi,
celles qui tentent de sortir de la bulle d’invisibilité et subordination, en se risquant dans
n’importe quel domaine de l’activité humaine, sont condamné de vanité et
d’indécence. Ces femmes sont considérées coupables d’outrager leur propre nature.
Elles sont destinées à être dominées, réglées et soumises, dès lors la rébellion ne rentre
pas dans leurs possibilités. Mais elles se rebêlent, évidemment. Qu’est-ce qu’il passe
donc quand une femme viole les réglés que lui ont été imposées par l’univers ?
Comment peut-on définir une femme qui sort de l’ordinaire ? Avant tout, il faut
signaler que le discours médical se distingue pour l’ambition de « fixer en trait
immuables une « nature féminine » entièrement déterminée par le sexe, et caractérisée
au « physique » par la « faiblesse » au « moral » par la « sensibilité »13 : « l’influence
interne qui rappelle la femme à son sexe d’une manière continuelle […] que paraissent
dériver les traits les plus saillant de son caractère physique et moral »14. Quand une
femme s’hasarde à mêler le métier de mère et épouse avec des activités intellectuelles
sur sa vie s’abattent la frigidité, la vulgarité, le nervosisme, l’immoralité, la vanité,
l’imprudence, l’infidélité, la tentation, le caprice, le désir de gloire et la compétition,
tous à la fois. Et si cela arrive : c’est le désastre. C’est l’infraction de l’ordre des choses
qui s’affirme. La femme cesse d’être une femme. « Partout où il y a un bas-bleu qui
surgit, la femme disparait »15. En trahissant sa nature, elle va perde les vertus et les
traits qui la définissent comme une femme véritable. Elle est expulsée de son sexe,

La femme qui viole les normes de son espèce, va payer très cher l’outrage et la
violation en se transformant dans une créature effrayante. Elle n’est pas seulement
décrite comme une rebelle imprudente et stupide : elle est une aberration, un monstre,
un être hybride, un homme manqué, une femme à demi.

George Sand avait la voix d’un homme et portait volontiers le costume masculin ;
Mme de Staël avait le visage (ajoutons-y : et le style) d’un homme. Presque toutes les
12
La mysoginie litteraire le cas Sand
13

14

15
Mysoginie nota 3

8
femmes géniales de l’Amérique et de l’Angleterre en ces dernières années avaient la
mandibule forte comme l’homme16
Affirmations de ce type abondent dans les ouvrages et les discussions des
hommes du temps : ils sont en proie d’une inquiétante manie qui lui fait croire que le
génie soit incompatible avec le corps féminin.

Cependant, comme les femmes démontrent exactement le contraire, la société


patriarcale où elles vivent, arrive à mettre en place une nouvelle dialectique afin de
marginaliser le phénomène de la femme auteur : une femme qui écrit et qui ne devrait
pas le faire, peut être considéré une exception, tandis que toutes les autres représentent
la règle. Elle représente une double exception : à sa nature sexuelle et au statut
d’écrivain en général. Ainsi, les exceptions sont les femmes auxquelles se reconnaisse,
même si à contrecœur, le fait d’être douée du talent et du génie. En effet, le terme
exception indique ce qui est singulière, anormal et donc hors du commun. Cette
argumentation se présent comme la nouvelle pierre angulaire d’une structure sociale
patriarcale, qui met en lumière quelque femme pour obscurcir les autres encore plus
durement.

Mais ceci n’annule pas le fait que cette oppression est d’ordre général, qu’elle
constitue un système social. Et justement parce qu’elle fait système, l’exclusion des
femmes ne peut être rompue de manière socialement acceptable qu’individuellement, à
titre d’exception qui, pour ne pas déstabiliser les statu-quo, doit permettre de confirmer
la règle de l’exclusion des femmes en tant que genre. […] Cette dimension
d’exceptionnalité […] renvoie à une règle qui régit la position objective des femmes
dans la société, une règle qui fait d’elles un genre (c’est-à-dire un groupe social)
opprimé. 17

En plus, même si on concède aux femmes d’écrire, c’est toujours en vertu d’un
cercle de limitations qui concerne les formes d’expressions, les sujets et les domaines
qui leur sont permises.

Depuis qu’elles ne sont pas admises à exercer leur art dans tous les genres, on
assiste à la catégorisation sexuelle de la littérature à travers la hiérarchisation des
genres littéraires. Ces dernières s’organisent dans un partage sexué, selon lequel il y a

16
T. Joran, Le Mensonge du féminisme, op. cit., p. 403. Cité par cristine planté 4 ore 39 minuti  

17
Reflexion sur la notion d’exceptionnalité pag 78-79

9
« les plus femmes des genres-femmes (roman, lettres, journal intime) et les plus
hommes des genres-hommes : histoire et poésie) ». Ces dernières sont considérées
prestigieux en tant que genres de la création par excellence, mais on voit que
l’interdiction imposée aux femmes concerne en réalité un ensemble bien plus vaste.
Elles ne peuvent pas se risquer dans le traitement de la religion, de l’histoire, de la
politique, de la science, de la philosophie, de la tragédie, du comique, de l’épopée et
des genres poétiques élevés. La femme auteur « a accès à un champ générique limité :
le cœur en est l’écriture intime, espace de déploiement des qualités fondamentales des
femmes auteurs, la sincérité et la naturalité. » 18.

Il va sans dire que, si la nature de la femme influence et détermine les limites


de son activité littéraire, c’est sa production littéraire qui subisse la discrimination et la
marginalisation. La « littérature féminine » est dévalorisée est discréditée du principe.
On assiste à la configuration d’une manière d’écriture propre des femmes, absolument
distinct et inférieure par rapport à celle des hommes.

Le talent de la femme, aussi bien que ses vertus, reçoit de cette exquise sensibilité un
reflet facile à reconnaître dans ses œuvres littéraires. [Sa] sagacité imprime à ses
paroles et à ses écrits un cachet particulier. La rare facilité avec laquelle elle sent
explique la rare habileté avec laquelle elle raconte. Elle a le talent de tout dire, même
les pensées les plus abstraites, avec grâce et légèreté. Guidée par son instinct dans le
choix des expressions, d’un seul mot elle fait jaillir les idées ; les effets de son style
sont d’autant plus puissants que la réflexion semble y prendre une moindre part. Son
éloquence est rapide, délicate, vivement nuancée ; c’est le jeu de sa physionomie
traduit en paroles 19

Les femmes écrivent pour distraction et plaisir, par conséquent leur littérature
se juge pathétique et misérable. Cette littérature est toujours contaminée par l’essence
féminine et par conséquent est privée de réputation et indigne de notoriété.

Les femmes peuvent être et ont été des poètes, écrivains et des artistes, dans toutes les
civilisations mais elles ont été des poètes femmes, des écrivains femmes, des artistes
femmes. Etudiez leurs œuvres, ouvres-les au hasard ! à la deuxième ligne, et sans
savoir de qui elles sont, vous étés prévenus ; vous sentez femme ! Odor di femina. […]
Elles restent donc incommutablement femmes quand elles se montrent les plus
artistes ; et les arts mêmes dans lesquels elles réussissent le mieux, sont ces arts
d’expression qu’on pourrait appeler des arts femmes. 20
18
Barbey le grand exterminateur
19
L. Cerise, préface à P. Roussel, Le Système moral et physique de la femme, op. cit., p. XXIV cité par
PLANTÉ, Christine. Écrire comme un homme, écrire comme une femme dans: La petite sœur de
Balzac: Essai sur la femme auteur pp. 181-222 [online]. Lyon: Presses universitaires de Lyon, 2015
(creato il 09 janvier 2022).
20
Barbey introduction

10
Finalement, la misogynie littéraire qui affecte les femmes auteurs, agit pour les
marginaliser, déprécier leur travail, discréditer leur position d’intellectuelles en les
réduisant à un phénomène insignifiant et isolé par rapports à la production géniale et
illustre des grands hommes.

Toutefois, beaucoup de femmes s’opposent à cette sentence, sortent des limites


de la création que lui sont imposés, se donnent à la production dans les genres les plus
variés, abordent tous les sujets, entrent dans tous les domaines. Elles démontrent d’être
capables d’exceller dans l’activité créatrice, d’être douées d’intelligence et du talent,
d’être digne d’attention et de gloire dans la même mesure des hommes. Ainsi, alors
que les femmes auteurs arrivent à s’affirmer remarquablement dans le scénario
intellectuel et culturel du siècle, les hommes ressent encore plus fort la menace de la
compétition et la peur de l’échec. Ils craignent de perdre leur monopole illégitime, qui
en réalité ont déjà perdu.

Deuxième partie

Barbey d’Aurevilly : « l’exterminateur »21 des femmes


« Les femmes qui écrivent ne sont plus des femmes. Ce sont des hommes, -du moins de
prétention, -et manqués ! Ce sont des Bas-bleus. Bas-bleu est masculin. Les Bas-bleus
ont, plus ou moins, donné la démission de leur sexe »

L’écrivain et critique Antoine Compagnon, dans son livre Les Antimodernes.


De Joseph Maistre à Roland Barthes (2005), en se référant à Barbey d’Aurevilly,
affirme : « ce grand fantoche a réussi à se faire attribuer la paternité de cette
expression » 22. Barbey d’Aurevilly est donc un antimoderne, qui assume le rôle de
prophète du passé pour sentencier et dénoncer, en nom du rétablissement de l’ordre.

Entre les figures qui caractérisent la posture antimoderne, on détache celle de


la vitupération comme représentative de l’écriture aurevillienne. Il s’agit d’une figure
de style caractérisée par « l’imprécation, alliance de prédiction et de prédication » et on

21

22
Antimodernes

11
peut ajouter, l’injures, la réprobation et la récrimination. Ce qui l’inspire est la colère,
la protestation et l’aversion. Il se sert de l’ironie, de l’insulte et de la calomnie pour
adresser aux femmes de lettres des offenses outrageuses, rudes et implacable. Il fait
appel aux figures rhétoriques de la métaphore, la similitude et l’oxymore pour créer
des images agressives et brutal. Tout cela va se condenser dans une écriture recherchée
qui « vise à l’effet autant qu’à la vérité ». 23

Après d’avoir donné des informations plus générales sur l’œuvre de Barbey
d’Aurevilly, cette dernière partie du travail va se dédier à l’analyse de deux textes
choisis : la polémique dressée contre Daniel Stern et George Sand. À partir du
commentaire des textes, sera possible retracer les points saillants du discours de
l’auteur contre le bas-bleu, qui déterminent sa vision négative des femmes écrivaines,
tandis que l’analyse stylistique permettra de réfléchir sur les enjeux dont il se sert pour
les discréditer et déformer dans leur condition de femme et posture d’écrivaines.

2.1. Le bas-bleuisme dans Les œuvres et les hommes V : Les bas-bleus

Un pas décisif pour dresser le discours contre les femmes auteurs et pour réagir
à sa présence dans les domaines intellectuelles, est donné par les hommes avec la
création d’une nouvelle catégorie sociale : le bas-bleu. La mise en place de ce terme
correspond à la réponse de la critique masculine à l’activité littéraire de la femme
auteur au XIXème siècle. L’expression procède de l’anglais blue stocking , utilisée en
Angleterre pour faire référence aux membres des club littéraires qui portaient des bas
bleus ; toutefois au fil du temps le terme commence à s’étendre « aux femmes de
lettres ridicules et pédantes » 24.

Pour entendre le succès et la longévité de l’image du bas-bleu, il faut faire


référence à trois ouvrages fondamentaux : l’article « Le Bas-bleu » dans Les françaises
peints par eux même (1833) de Jules Janin, Physiologie du bas-bleu (1841) de Frédéric
Soulié et la sérié de quarante caricatures intitulées « Les Bas-bleus » (1844) publiée
par Honoré Daumier dans Le Charivari, un journal satirique centré sur la caricature et
la blague. L’acception bas-bleu mise au service de l’idéologie machiste sera utilisée,
dans un premier moment, pour se moquer et ridiculiser les femmes, mais, au fil du
23
Antimoderne pag 147
24
Des femmes en litterature martin reid pag 48

12
temps, deviendra le moyen pour lui adresser des attaques féroces et pour les
stigmatiser avec des descriptions ignobles.

Le phénomène du bas-bleu résistera pendant longtemps dans la société


française, menaçant la figure et la dignité des femmes qui avaient des prétentions à la
connaissance et à l’émancipation. En effet, le terme se transformera dans une véritable
marque discriminatoire utilisée pour critiquer, décourager, condamner et dévaloriser
les femmes auteurs, ses aspirations et ses ouvrages.

Molière les appelait des femmes savantes ; nous les avons nommées Bas-Bleus. […]
j’aime ce nom [bas-bleus], qui ne signifie absolument rien, par cela seul qu’il dénonce
cette espèce féminine par un mot du genre masculin. […] du moment qu’une femme
est Bas-bleus, il faut absolument dire d’elle : il est malpropre, il est prétentieux, il est
malfaisant, il est une peste. […] il y a des Bas-bleus de tous les âges, de tous les rangs,
de toutes les fortunes, de tout le couleur, de toutes les opinions. 25

Barbey d’Aurevilly s’inscrit parfaitement dans ce filon avec son livre Les
hommes et les œuvre V : Les Bas-bleus (1878), cinquième volume de l’œuvre, qui se
présente comme une des critiques le plus acharnées envers les femmes auteurs.
Toutefois, par rapport à ses contemporaines, la polémique de Barbey se distingue pour
être une condamnation nettement idéologique. Même si dans l’œuvre on retrouve, plus
ou moins, la même pensée misogyne qui détermine la vision qu’on avait de la femme
auteur et de la place à elle accordée dans la littérature et dans la société, on voit que
l’intérêt fondamental de l’auteur est celui de condamner les bas-bleus en tant que cause
du désordre social, de la décadence morale et de la médiocrité de la littérature.

L’œuvre se présente comme un ensemble bien organisé et hiérarchisé, où les


portraits de femmes auteurs peuvent se regrouper en séries : les femmes auteurs mères
(Sophie Gay), filles de (Mme Marie-Alexandre Dumas), maitresses de (Louise Colet,
la comtesse Guiccioli, etc.) épouses de (Mme Edgar Quinet) sœurs de (Eugénie de
Guérin). Cette façon de proposer les femmes, révèle l’intention de l’auteur de
souligner la subordination de toute femme écrivaine aux hommes. D’ailleurs, Il est
intéressant de noter que, comme dans la vie les femmes ne peuvent qu’exister dans la
relation avec les hommes, de la même façon se trouvent à la dépendance de leur figure
dans la littérature. En effet, le canon littéraire français se caractérise pour l’absence des

25
Souillé

13
femmes. Ainsi, quand une femme écrit et cherche des références, entre les modelés des
figures célèbres à suivre elle ne trouve que noms d’hommes.

Le recueil compte vingt-six textes, qu’on pourrait définir plus des querelles
infamantes que des descriptions où les jugements donnés se centrent surtout sur
l’incongruence qui existe entre la personnalité, les idées, les aptitudes et les
orientations des écrivaines par rapport à leur sexe, plutôt que sur leurs œuvres.

L’abondance des femmes auteures présentées, réponde à l’intention de l’auteur


de montrer l’amplitude du phénomène qui en envahissant la société, provoque des
effets dévastateurs sur les mœurs et la civilisation. Dans l’introduction du livre, Barbey
historise le phénomène en retraçant dans la Révolution et dans l’américanisme ses
causes originaires. En effet, c’est pendant ces événements qui avait été jeté la graine
d’une égalité inconcevable pour l’auteur : « le principe d’égalité sautera, dans un
temps donné, ses barrières. L’égalité civile et politique n’est qu’une égalité relative,
une part faite à qui veut tout prendre, car les principes sont absolus » 26 

Cependant, dans le recueil de on peut noter une ambiguïté concernant la thèse


selon laquelle toute femme écrivaine commet un péché que l’entraine à la condition de
bas-bleu. Au nom du talent et du génie on a des exceptions. En effet, Barbey n’opère
pas à une extermination indistincte des femmes auteures, mais introduit des nuances du
bleu. Ainsi, on a des femmes qu’échappent au bas-bleuisme pur sur la base d’un
jugement de valeur. Ce jugement est appliqué par l’auteur eux femmes de lettres qui
ont conservé le caractère authentique de ces aspirations. Elles restent aux limites de la
création littéraire que lui est permise sans usurper les rôles et les domaines littéraire,
qui sont masculins par nature. Il en résulte que, ce jugement de valeur se base sur la
condamnation du brouillage des identités sexuelles et manifeste l’obsession pour
l’hermaphrodisme social et de l’anti-virilisation chez l’auteur : « […] la femme
s’hommasse, et quand ces fusions contre nature se produisent, c’est toujours […] la
femelle qui absorbe le mâle jusqu’à ce qu’il n’y ait plus là ni male ni femelle, mais je
ne sais plus quelle substance neutre » 27.

26
Barbey introduction
27
Nota
2 le gran exterminateur

14
2.2. Barbey d’Aurevilly et ses tentatives de saboter la femme auteur au
XIX siècle : l’agression à George Sand et Daniel Stern

Ces porteuses de nom masculin […] elles se sont elles-mêmes déculottées. George
Sand est maintenant partout Madame Sand ; Daniel Stern, Madame Daniel Stern […]
ces sans-culottes ont repris peu à peu leurs jupes, mais avec, elles n’ont pas repris la
grâce qu’elles avaient autrefois à les porter. […] C’est la punition ! Quand une femme
a donné dans ce carnaval de l’orgueil et de la Libre-Pensée ; qu’elle a fait l’homme et
qu’elle s’est promenée en homme, dans ses livres, elle en reste éternellement gauchie.
Femme gauchie et homme gauche, impuissant hermaphrodisme de deux disgrâces.

Avant tout, dans ce premier passage on retrouve la question du pseudonyme,


phénomène très fréquent parmi les femmes auteures au XIXème siècle, pour des
différentes raisons : les écrivaines faisaient ce choix pour échapper des préjugés et des
jugements négatifs, pour avoir la possibilité de se créer une identité littéraire et publier
ses ouvrages sans provoquer la méfiance due à la misogynie du temps. Selon la pensée
misogyne, le fait d’écrire en utilisant un nom masculin c’était un élément décisif pour
démontrer que la femme auteure, en virilisant sa personne, renonçait à son sexe. En
effet, l’auteur affirme que « être homme, être hommes à tout prix, voilà l’idée fixe
dans ces cerveaux femelles ! »

Daniel Stern, pseudonyme28 de la femme de lettre Marie D’Agoult, se distingue dans


les domaines intellectuels de l’histoire et de la philosophie. Elle incarne parfaitement la
violation de la classification traditionnelle et sexuée des genres littéraires, qui est la
cause, selon l’auteur, de l’appauvrissement de la qualité de la littérature en général.
Donc, c’est justement pour cette raison que l’écrivaine inspire chez l’auteur des
invectives furieuses. En effet, ces accuses se déploient à partir de la critique acharnée
de ses ouvrages. On peut noter que, entre les outils utilisés par l’auteur pour accomplir
sa mission de dépréciation, c’est celui de l’insulte. Il définit Daniel Stern « une
rabâcheuse du progrès », qui « a de bonne heure laissé la quenouille pour l’écritoire »
en devenant une « effrayante éleveuse de pédantes ». À partir des dernières définitions
on peut noter que Barbey fait toujours recours à l’insulte. Il opine, qu’en donnant dans

28
L’auteur opine que Marie d’Agoult aurait fait ce choix pour se soustraire à la critique en se
cachant derrière un masque : « Vraiment, c’eut été là peu amazone ! » En somme, il accuse
l’écrivaine d’être une lâche jalouse des hommes.

15
Les Esquisses morales, des maximes sur la condition humaine, la femme, l’homme, la
moralité, l’esprit, l’éducation, la religion, les arts et les lettres, elle « expose des idées
qui feraient sourire celui qu’elle imite ». Sur l’ouvrage de l’écrivaine, l’auteur sentence
d’une façon décisive que : « toute sa philosophie n’est que l’horreur de la loi salique. »

Barbey explique que dans son œuvre l’auteure insiste sur l’urgence de
l’émancipation de la femme et à son avis « sa conception de la femme, et telle qu’elle
l’entend, il n’y en a plus. La femme se dissout dans cette conception comme un métal
dans le creuset ». Cette image, est créé par l’auteur pour donner l’idée de
décomposition total de l’identité féminine quand se consacre à la création. Elle n’est
que « une volontaire, toujours en révolte contre son organisme féminin ». En ses mots,
Daniel Stern devient une femme, qui en dévoilant une discussion sur l’émancipation de
la femme, rivalise contre son propre sexe : « c’est l’eunuchisme appliqué par Mme
Stern à tout son sexe ». La femme, en se mêlant avec les métiers et les domaines des
hommes, devient une sorte d’hybride des sexes, et finit pour ne pas appartenir à aucun
des deux. « Elle doit avoir la pomme d’Adam, cette male femme-là ».

En procédant dans ses accusations il arrive à commenter le travail historique


amené par Daniel Stern dans Histoire des commencements de la République aux Pays-
Bas. A ce propos, il opine que « cette histoire que je viens de lire n’a changé en rien
mon opinion sur Mme Stern et sur son sexe en général, à qui je ne reconnais pas le
droit […] d’écrire l’histoire. Les femmes ont la tête et les mains trop petites pour
cela ».

Ce passage offensif, témoigne de la pensée de l’époque selon laquelle les


hommes, caractérisés par la force physique, intellectuelle et de l’esprit sont considérés
les maîtres des genres littéraires au sommet de la hiérarchie. « Tout est compensé dans
la Nature. La grâce et la force s’excluent nécessairement l’une l’autre, et des mains
faites pour arranger des fleurs ne soutiennent pas la massue d’Hercule »29 Ainsi, les
hommes sont naturellement disposés à la création des œuvres d’art et des chefs-
d’œuvre. Ils sont doués d’une raison qui lui permet la réflexion, le raisonnement et le
développement de l’esprit critique tandis que dans les femmes ces capacités se voient
29
idem

16
complétement empêchées. Les femmes n’ont pas la puissance intérieure de l’invention,
les genres trop sérieux et laborieux sont considérés au-dessus de leur force créatrice.

Malgré ses prétentions à être un philosophe, est surtout une rhétoricienne […] Nul
mouvement intérieur n’anime sa phrase […] Sa grande diablesse de phrase carrée se
développe toujours de la même manière avec la plus fatigante des monotonies. Le livre
de Mme Stern est […] l’expression de ces vulgarités intellectuelles de ce temps. Sans
initiative par elle-même, sans idées qui lui appartienne.

Selon l’auteur, le travail de création est pour les femmes une « gymnastique qui
doit être fatigante […] Mais que voulez-vous ? Il faut être homme ».

Ainsi, un homme peut se faire charge de la puissance conceptrice des idées,


peut conduire un travail intellectuel d’une façon cohérente et organisée tandis que les
femmes en sont incapables. Toute création qui demande l’élaboration des idées
complexes, des raisonnement épineux et de la spéculation ne peut pas entrer dans la
tête des femmes : « Quelle plus œuvre d’homme que l’histoire ? […] comment osent-
elles s’en mêler ? »

Cette histoire, est manifestement un livre de femme […] il est de femme par le manque
d’aperçu, de profondeur, d’originalité, de vigueur enflammé ; qualités viriles que les
femmes n’ont pas, parce qu’elles en ont d’autres, la grâce, l’élégance, la finesse, le
coloris doux, la tendresse […] que Mme Stern n’a pas non plus. Il est d’une femme, ce
livre, mais d’une femme maigrie par des études abstraites qui n’étaient point faites
pour elle.

Selon l’auteur, Daniel Stern a perdu toutes ces marques de reconnaissance


féminine en devenant une : « espèce de Christine de Suède […] qui n’a pas abdiqué le
trône, mais la royauté de la femme, le trône de sa grâce et de sa faiblesse »

Dans un point de vue rhétorique, on peut noter que l’auteur utilise très souvent
un ton ironique. Evidemment, il se sert de son sarcasme pour couvrir de ridicule
l’activité littéraire de l’écrivaine autant que toute sa personne.

De physionomie, c’est une espèce de Du Chatelet sans Voltaire […] de lady Byron
sans lord Byron. Ce n’est pas pour rien qu’elle s’est choisi ce nom de Daniel Stern.
Daniel est un nom de prophète et Stern veut dire sérieux en anglais. Son esprit, à
angles aigus plus qu’ouverts, n’a jamais su sourire. Il est grave, guinde, pédant et
intellectuellement ressemble à ce qu’est ostéologiquement une gouvernante anglaise
qui a beaucoup voyagé et que les temps, l’ennui, les voyages, ont durcie et pétrifiée
sous son busc.

17
L’enjeux de l’ironique se voit donc expliqué par l’intention, toujours présente
chez l’auteur, de dévaloriser d’une façon totale les facultés intellectuelles de l’auteure.

Savante, dit-on, du moins de pose savante […] elle a trouvé que ce n’était pas encore
assez de savoir l’allemand et elle s’est mise à apprendre le hollandais pour faire le livre
que voici. Ce barbotage de canard hollandais l’a attiré […] à sa prochaine publication,
elle pourrait se jeter dans le chinois et l’apprendre pour nous faire l’histoire de la
Chine. Une seule chose peut l’empêcher, c’est que la Chine est un Empire, et même un
Empire d’un certain despotisme […]
Cependant, à partir de la lecture du dernier passage, on constate que la dérision
de l’auteur, cache offensive continuelle et au même temps révèle une volonté
d’agression. Il semble de retracer dans son allusion au despotisme chinois, une sorte de
nostalgie du pouvoir et d’insatisfaction. De toute évidence, il aurait préféré soumettre
la condition de la femme à n’importe quelle tyrannie, plutôt que la voir fière et digne
pour ses potentialités. Après tout, on comprend que ses idées seraient les mêmes d’un
dictateur parfait.

La rhétorique de Barbey d’Aurevilly nait et s’aliment d’une intention violente


qui est retraçable tout au cours de l’invective contre Daniel Stern. En effet, on voit que
les conséquences auxquelles l’auteur la condamne, au nom de ses ambitions
intellectuelles, sont impitoyables : « Quand une femme cesse d’être femme et que dans
l’impitié d’un travail terrible et la folie d’une ambition, elle porte sur elle-même des
mains suicides […]

C’est presque à la fin de son agression verbale à l’écrivaine, « ce cerveau sans
sexe », qu’il utilise l’une des images le plus déplorables pour la décrire : « Mme Stern
[…] c’est une bréhaigne littéraire. Ses livres ne sont point sortis de ses entrailles, mais
de ses prétentions ». En somme, cette excellente femme de lettre finit pour acquérir sur
la plume de l’auteur, les semblances d’un animal stérile, qui n’a pas ni œufs, ni
laitance. Avec son arrogance et sa perfidie il va créer une image humiliante où va
reproduire l’un des préjugés fondants de la misogynie de l’époque : la femme faisait
partie d’une sous-espèce, plus proche de l’animal que de l’homme.

Maintenant, notre commentaire va glisser sur le texte de Barbey dédié à George


Sand, « reine indiscutée du bas-bleuisme contemporain »30. Il s’agit d’une des
polémiques les plus féroces du recueil et on en peut entendre la raison : plus grands

30
thermodon

18
sont la gloire et le talent d’une femme auteure, plus cruel sont les attaques que lui sont
adressés. Barbey accuse Sand d’avoir remis en question la séculaire répartition des
rôles sociaux et d’avoir, en nom de l’égalité, joué un rôle de premier ordre sur la scène
publique et littéraire. George Sand, en défiant toutes les normes de son sexe, a dépassé
toutes les limites de la société patriarcale : elle a écrit et fumé alors qu’était habillée en
homme. Barbey la condamne pour avoir corrompu et dégradé la moralité publique, à
travers le développement de sentiments comme la liberté amoureuse et sexuelle et la
tolérance envers l’infidélité. Selon l’auteur, elle est coupable d’avoir inspiré, à travers
ses ouvrages, la haine pour le mariage et d’avoir légitimé l’adultère : « est une
Sganarelle héroïque, qui reconnait hardiment la légitimité du cocuage ».

Ce qui irrite l’auteur, est la tentative de George Sand de se défendre de la


critique du temps en déclassant, elle-même, son propre talent, les prétentions de ces
ouvrages et l’influence qu’elle a exercé sur les ambitions et les idées des autres
femmes : « Mme Sand n’est point une lady Tartuffe…de naïveté, qui se mette à la
torture pour nous persuader qu’elle n’est qu’une innocente […] elle nous affirme, après
tant d’années d’effet funeste sur l’imagination contemporaine, qu’elle est innocente
comme l’enfant qui vient de naitre ». En revanche, pour l’auteur, Sand est la « Grande
dépravatrice » qui a endoctriné les femmes avec des idées néfastes pour toute la
société.

L’aversion jalouse dont il souffre envers l’auteure est tout de suite retraçable,
au principe de sa polémique, quand il dit : « Or, comme avoir diablement de talent, est
la grande affaire dans ce diable de pays qu’on appelle la France, Mme George Sand a
joui, sans conteste, d’une intolérable félicité d’écrivain, et elle mourra pleine de jours,
d’argents et de célébrité ». En effet, malgré son aptitude hors du commun, selon la
misogynie du temps, a attiré sur elle-même la célébrité et la gloire : « dé son début, elle
[…] monta à une hauteur énorme […] Pas une seule résistance, un seul obstacle […] A
chaque roman qui tombait de cette plume facile, c’étaient des applaudissements
universels ! ». Pour l’opinion général, dès les lecteurs aux intellectuels, jusqu’à arriver
aux grands hommes de la littérature, elle a été considérée un génie. Barbey, consommé
par sa rage et sa rancœur n’arrive pas à s’en capaciter. Dès lors, il élabore des attaques,
toujours dans la forme de l’insulte, dans lesquels il disqualifie la production littéraire

19
de Sand ainsi que son style d’écrivaine, pour essayer d’anéantir le mythe du génie qui
concerne sa figure et de dévaloriser la gloire qu’elle a gagné.

Dans on invective, il se pose des questions avec un rhétorique vouée à déclasser


la qualité de l’œuvre sandienne:
Ses œuvres d’il y a trente ans ont-elles conservé la radieuse fraicheur des œuvres faites
pour l’immortalité ? N’ont-elles pas vieilli assez déjà pour nous permettre de prévoir
qu’un jour elles pourraient bien mourir ? […] Le style, qui est le mérite le plus
généralement admis des mérites de Mme Sand, est-il vraiment comme l’on a dit, un
style de génie ? […] Elle n’a point d’originalité […] Elle ne choque personne par ce
grand côté de l’esprit que les forts seuls savent aimer et que les moyennes
intellectuelles qui lisent, détestent. […] Elle a ce qui plait, avant tout, aux moyennes,
l’abondance et la facilité. Comme son style est coulant !

De son esthétique romanesque, il dénonce une prétendue caducité de célébrité


et une inconsistance de mérite, expliquées par la perversion morale et la dissimulation
du vice que, pour l’auteur, y résident : « Mme Sand […] qui n’eut pour tout génie
d’invention que d’être mal mariée, bohème et démocrate, et qui n’a jamais que ces
trois sources d’inspiration : le mouvais ménage, le cabotinisme et la mésalliance.
L’auteur, en proie du ressentiment, fait glisser ses attaques sur les aspects de la vie
personnel et sexuelle de George Sand, qui évidemment, n’ont rien à faire avec ses
facultés intellectuelles et artistiques. L’image que l’auteur met en place, est celle d’une
femme indécente et immorale, qui vit de relations scandaleuses et qui a des ambitions
trop prétentieuses pour son réel talent. En réalité, la liberté qui caractérise la vie de
femme et d’artiste de Sand, rend dingue l’auteur et inspire en lui l’injure et la
calomnie. En effet, il opine que : « Mme Sand, dont on a fait une femme de génie,
personne n’a jamais pensé à en faire une femme d’esprit ». L’auteur est animé par un
esprit démodé et une mentalité conservatrice, qui fait qu’il refuse l’esthétique
sandienne parce que, en réalité, attend à « l’autonomie de l’art et au désillusionnement
moral sur la réalité humaine »31.

Il accuse George Sand d’avoir rempli ses romans de prudhommisme d’images


« surannées » qui fait qu’elle « à l’imagination (l’imagination dans le style),
impuissante et vulgaire […] rhétorique tombée en loques ».

Il est curieux de noter comme, la production de cette femme de lettre qui a, en


quelque sorte, jeté dans les esprits du temps le graine de la modernité et de
31
Doc professoressa silvestri pag 30

20
l’émancipation, soit exactement accusée du contraire : d’être une épave de créations
obsolètes « tombées vingt fois de leurs béquilles ».

Vers la fin de sa polémique, la haine de Barbey s’exacerbe au point qu’il rejoint


des pics de violence inouïs : « nous avions été tous pris, plus ou moins, au traquenard
de sa réputation, ce piège a bêtes ou à étourdit qui ne regardent jamais à rien ». Dans
cette image terrible que l’auteur crée, George Sand devient une sorte de chasseuse de
consensus obtenus par tromperie, un imposteur perfide qui veut faire tomber dans sa
piège impudique et honteuse les esprits de tous : « Nous avons cru qu’elle était un
écrivain volontaire et travailleur qui avait émancipé la femme dans sa personne, et qui,
vaillante dans le faux, mais vaillante, voulait émanciper le mariage, l’opinion, la loi ! »

Sur la plume implacable de l’auteur, George Sand devient une « aimable


rêveuse […] qui a commencé par pondre, sans rime ni raison, des romans ». Dans cette
image, comme on a déjà vu dans les attaques adressées à Daniel Stern, on retrouve une
odieuse rhétorique qui fait des femmes des lettres des bêtes qui ne sont pas poussée à
la création par le savoir et l’esprit artistique, mais par un instinct rude et animal.

Barbey conclut son invective contre George Sand en ses mots « Elle a le génie
et elle a l’innocence ! le génie auquel nous avons cru si vite ! L’innocence à laquelle
nous ne croyons pas ! ». En confirmant sa nature d’antimoderne parfait, il semble
organiser cette polémique inspirée par le désir d’ouvrir les yeux à tous ceux qui ont cru
au talent de George Sand, et d’essayer de réduire en gravats sa personne et ses idées
révolutionnaires et éclairantes. En réalité, ce qui inspire vraiment l’auteur dans ces
injures, est la rage et la jalousie envers un talent, qu’il le savait bien, été authentique.

CONCLUSION

À travers cette analyse on a montré que les attaques féroces et désagréable que
Barbey d’Aurevilly rédige envers les femmes auteurs, peuvent s’interpréter comme
une défense consternée et nostalgique d’un monde où régné la domination masculine.
Il voudrait se présenter comme un homme de l’esprit fin, qui essaye de sauver
l’humanité et la civilisation par la menace de « une invasion de pédantes ». Il voudrait
être celui qui met en garde les hommes d’un danger provoqué par le fait que « presque

21
tout le monde actuellement a le ridicule de penser que l’homme et la femme ont la
même tête, le même cœur, la même puissance et le même droit ». Il voudrait aviser
l’humanité que cette conception « stupide, ignorant et anarchique » qui « tend à
devenir une croyance et une opinion universelle » causera une apocalypse aux effets
néfastes et irrémédiables.

Toutefois, on comprend très bien que sont les sentiments de peur, de fierté
blessée et de compétitions, qui inspires la brutalité des insultes aux femmes de lettres :
« Nous mourons en proie aux femmes » il affirme désespéré. « Nous aurons atteint
notre destinée le plus haute, et c’est nous, les hommes, qui désormais ferons les
confitures et les cornichons ! » il affirme déconsolé.

En définitive, Barbey d’Aurevilly, en attaquant les femmes auteures, n’admet


pas seulement leur existence et le fait qu’elles sont en train de s’affirmer socialement,
dans une manière digne d’attention, mais qu’elles sont des militants intellectuelles,
engagées dans un changement qui dépossèdera les hommes de leur illégitime
suprématie.

Bibliographie

Planté, C., La petite sœur de Balzac : essai sur la femme auteur, Paris, Seuil, 1989.
Planté, C., Femmes exceptionnelles : Des exceptions pour quelle règle, Bruxelles, Les
Cahiers du GRIF, n° 37-38, 1988.

22

Vous aimerez peut-être aussi