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CONTRIBUTION
AUTORISATIONS DE PECHE ACCCORDEES A DES CHALUTIERS PELAGIQUES CONGELATEURS
ETRANGERS : UN COMMUNIQUE PEUT‐IL PERMETTRE CE QUE LA LOI N’AUTORISE PAS ?
« Ceux qui ne savent se rappeler le passé sont condamnés à le répéter »
La délivrance d’autorisations de pêche à des chalutiers pélagiques étrangers continue à polluer l’atmosphère entre les professionnels du secteur et le
Ministre de l’Economie maritime. Nous avions, dans une contribution parue dans sud quotidien du 29 janvier 2011, cru devoir, en notre qualité
d’ancien directeur de l’Océanographie et des Pêches maritimes, apporter des éclaircissements pour faciliter la compréhension du problème.
A cet effet, nous avions rappelé « les accords de pêche secrets », puis donné quelques informations sur la biologie des pélagiques côtiers, décrit le
chalut pélagique, cité des articles pertinents du code de la pêche, la loi 98‐32 du 14 avril 1998 et son décret d’application 98‐498 du 10 juin 1998 en
vigueur , avant de faire une proposition tenant compte du rang de notre pays et à l’importance de la pêche dans son économie. Pour rappel, la
pêche représente 1,7% du PIB et 12,7% des recettes d’exportation en 2009. Nous sommes malheureux de constater, que certains ont réussi à
convaincre les autorités gouvernementales que des ressources financières importantes pouvaient être encaissées par le trésor public, en autorisant
des chalutiers pélagiques à opérer dans les sénégalaises d’une part et de l’autre, que le chalutage pélagique était inoffensif.
Notre présente contribution n’a d’autre dessein que d’éclairer davantage nos compatriotes sur la pratique de la pêche pélagique et d’attirer
l’attention des décideurs sur les risques de dégradation des stocks nationaux de poissons pélagiques, liés à la présence dans notre ZEE de ces
chalutiers étrangers, ainsi que les conséquences désastreuses sur le plan économique et social tant au niveau de la pêche qu’à celui de l’économie
nationale.
Rappel
Les pélagiques côtiers, la sardinelle ronde (yaboye meureuk) notamment, constitue un stock unique subdivisé en trois sous‐stocks dont deux
constitués de juvéniles et de jeunes reproducteurs. Il existe deux nurseries localisées respectivement à l’extrême nord de la Mauritanie et au Sénégal
ème
sur la petite côte. Le 3 sous‐stock est constitué d’adultes qui, avec leurs pontes, assurent l’essentiel du recrutement des deux nurseries. Les jeunes
reproducteurs, à leur tour, assurent le recrutement du sous stock adulte. Dès lors, toute surexploitation d’une des trois composantes du stock a,
fatalement, des conséquences néfastes sur les deux autres, d’où la nécessité d’une gestion concertée par la Mauritanie, le Sénégal, la Gambie et la
Guinée Bissau.
Le Sénégal a la double particularité d’avoir une pêche pélagique artisanale très active et les pélagiques constituent 80% du poisson consommé par les
populations sénégalaises. Par contre, la Mauritanie n’a pas une pêche pélagique artisanale et sa population ne consomme pas beaucoup de poisson.
Quant à la Guinée Bissau, elle aussi n’a pas une pêche pélagique artisanale développée et n’héberge pas, non plus, un sous stock juvénile. C’est le
sous‐stock adulte qui est exploité par les chalutiers pélagiques étrangers opérant dans toute la sous‐région.
Le ministre chargé de la pêche répète inlassablement, à tort, qu’en ne permettant pas l’exploitation des pélagiques côtiers de passage dans sa ZEE, le
Sénégal perdait des ressources financières importantes. Il soutient qu’il y a un stock de 1,450 millions de tonnes qui n’est pas en danger. Pourtant, à
ème
la 7 réunion du groupe de travail de la FAO sur l’évaluation des petits pélagiques au large de l’Afrique nord‐occidentale, tenue à Agadir, du 17 au
26 avril 2007, il est apparu que le stock de sardinelles rondes est surexploité et qu’une diminution de l’effort pour la pêche totale d’au moins 50% sur
les deux espèces de sardinelles a été recommandée. Le chinchard blanc est surexploité et le chinchard noir pleinement exploité, une diminution de
20% de l’effort actuel est recommandée pour ces espèces.
Il faut retenir que ce sont les répercussions d’une surexploitation du stock adulte, migrateur, sur le recrutement des nurseries qui sont au centre du
débat. Quand bien même le sous‐stock adulte serait‐il inaccessible aux pêcheurs artisans et industriels sénégalais, sa surexploitation a des
répercussions négatives sur les pêcheries de notre pays qui héberge une nurserie. Ainsi, se justifie la légitime protestation des pêcheurs artisans et
industriels sénégalais. L’introduction d’une vingtaine de chalutiers pélagiques entraine, en effet, une surexploitation. Ces navires sont soit des
congélateurs, presque toujours accompagnés de cargos dans lesquels, ils transbordent leurs captures, ce qui leur permet d’accroître
considérablement leur temps de pêche, soit de bateaux‐usines qui font toutes les opérations de transformation à bord : produits élaborés congelés,
farine et huile poisson notamment.
Dans l’avant dernier protocole (1997‐2001) signé entre le Sénégal et l’Union européenne, sous l’égide de leur accord‐cadre de pêche, 22 chalutiers
pélagiques congélateurs avaient été autorisés à pêcher dans les eaux sénégalaises. Toutefois, pour éviter une pression de pêche trop forte, la
précaution de ne pas autoriser à pêcher plus de six bateaux à la fois, avait été prise. C’est le lieu de saluer la mémoire de feu Arona DIAGNE, pêcheur
artisan de Mbour dont les pleurs après la signature du protocole précité, retransmis par Walf FM et Sud FM, résonnent encore dans nos oreilles.
Suite à cet événement anecdotique, les possibilités de pêche accordées par le Sénégal n’ont jamais été utilisées par l’Union européenne, bien que la
contrepartie financière correspondante ait été intégralement été versée.
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Les communiqués publiés respectivement par la GAIPES et par le Ministère de l’Economie Maritime.
Le Communiqué du GAIPES.
Il est exagéré de soutenir que les navires concernés sont équipés d’engins de pêche spéciaux pouvant aspirer toute la flore animale et végétale à des
kilomètres à la ronde. Le chalut pélagique, personne n’en doute, est un engin de pêche destructeur dont l’ouverture peut être estimée à environ 80
m2. Le système d’aspiration sert au déversement rapide du contenu du chalut sur le bateau. L’équipage n’a pas, ce faisant, à le remonter à bord
pour procéder à un débarquement classique. Le système d’aspiration évoqué permet un gain de temps qui va augmenter les heures de pêche du
bateau.
Le Communiqué du MEM.
D’abord, il convient de rappeler qu’un navire de pêche étranger n’est autorisé à pêcher dans les eaux sénégalaises que dans le cadre d’un accord de
pêche ou dans celui d’un affrètement (art 16, loi 98‐32 du 14 avril 1998, code de la pêche).
Les chalutiers congélateurs introduits actuellement dans la ZEE sénégalaise pêchent vraisemblablement soit :
‐ dans le cadre d’affrètements dont les modalités sont précisées aux articles 23 et 24 du décret 98‐498 portant application de la loi susvisée.
Toutefois, il apparaît que l’affrètement tel qu’il est compris par le MEM ne serait pas celui prévu par le code de la pêche. Selon le Code,
seuls les bateaux de pêche fraiche affrétés et les navires de recherche sont autorisés à opérer sous le couvert d’un arrêté (art 31, loi 98‐
32 code la pêche et article 26, décret 98‐498 du 10 juin 1998) ;
‐ dans le cadre d’un contrat que l’Etat aurait signé avec des armateurs, ce qu’aucun des 96 articles de la loi 98‐32 du 14 avril 1998 et des 70
articles du décret 98‐498 du 10 juin 1998 ne permet.
Par conséquent, les autorisations accordées par le Ministre de l’Economie maritime ne sont pas conformes aux dispositions légales et règlementaires
régissant les activités de pêche dans les eaux sénégalaises.
Ce qui précède précisé, le communiqué du Ministère de l’Economie Maritime (MEM,) dont on ignore le signataire, appelle quelques remarques :
‐ il y a antinomie entre le titre « autorisation de pêche pélagique et l’interdiction absolue d’utiliser un autre système de pêche que le chalut
classique à maille de 70 mm ». La pêche industrielle des petits pélagiques en général, les sardinelles en particulier, est pratiquée avec des chaluts
pélagiques et une maille de 50 mm ou avec une senne tournante avec une maille de 28 mm pour la pêche artisanale (article 32, décret 98‐498). Le
chalut classique avec une maille de 70 mm est surtout utilisé pour la pêche des poissons et céphalopodes thiofs, dorades, soles, seiches, poulpes etc.
Par conséquent, nous comprenons difficilement qu’un armateur « honnête » accepte qu’on lui impose d’utiliser une maille de 70 mm !!!
‐ la totalité des captures d’un bateau affrété doit être débarquée au Sénégal (article 24, alinéa c, décret 98‐498, 10 juin 1998) et la moitié de
l’équipage, état major exclu, constituée par des inscrits maritimes sénégalais (art 24, alinéa f, décret 98‐498 du susvisé). Nous ne sommes pas sûrs
que ces deux dispositions aient été prises en compte dans les autorisations de pêche « accordées en toute souveraineté » et si tel est le cas, ce
serait une autre violation de la loi.
A toutes fins utiles, nous attirons l’attention sur les désagréments connus par les observateurs mauritaniens embarqués sur des chalutiers pélagiques
de très gros tonnage ; ils ont rarement la possibilité d’apprécier les quantités pêchées et stockées dans les chambres froides des bateaux qu’ils
doivent inspecter et contrôler. Les commandants des bateaux n’hésitent pas à abaisser fortement la température des chambres de stockage de très
grande capacité. Partant, les observateurs, même correctement équipés, restent, le moins de temps possible, dans une atmosphère quasi‐
sibérienne. Aussi, la contrevaleur des espèces nobles capturées accessoirement et dont le prix est 10 fois supérieur à celui des petits pélagiques n’est‐
elle presque jamais prise en compte dans le calcul de la valeur des captures, parce que non déclarés. Il en est de même de la quantité de farine et
d’huile fabriquée à bord. Il faut noter que la tonne d’huile produite à bord desdits chalutiers en Mauritanie et au Maroc vaut 600 dollars.
Pour comprendre l’opposition des professionnels de la pêche artisans comme industriels à l’introduction d’une vingtaine de chalutiers pélagiques
dans les eaux sénégalaises, il convient de retenir ce qui suit :
1. La loi 98‐32 et le décret 98‐498 sont, à notre connaissance, les seuls textes régissant l’exercice de la pêche dans les eaux sénégalaises. La
pêche est une activité économique trop importante où on ne doit pas se permettre des élucubrations et autres expérimentations ;
2. Le chalut pélagique est un engin dévastateur qui capture tout ce qui se trouve sur son passage, aussi bien les poissons de surface comme
les sardinelles, que les poissons de fond notamment les thiofs et dorades ;
3. Les 22 chalutiers étrangers autorisés à pêcher représentent une capacité de pêche trop importante d’où surexploitation et répercussion sur
les 2 autres sous‐stocks composés respectivement de jeunes reproducteurs et de juvéniles. La nurserie située sur la petite côte ne recrutera pas
suffisamment de juvéniles qui plus tard devaient devenir des jeunes reproducteurs devant alimenter le sous‐stock adulte. De ce fait, les
3
possibilités de pêche des pêcheurs sénégalais seront réduites. Même chez les humains, une hécatombe des adultes (surexploitation) est
généralement suivie d’une baisse des accouplements et des naissances (recrutement) et il existe une nurserie sur la zone de Mbour. La
protestation des professionnels est légitime et en faisant, de l’inaccessibilité des pêcheurs et armateurs sénégalais au stock adulte se trouvant
au‐delà des 20 à 35 milles marins, un argument‐massue, le MEM ne nous semble pas comprendre ce qui est en jeu ;
4. Les pêcheurs artisans et armateurs sénégalais exploitent les jeunes reproducteurs et les juvéniles. Cette exploitation doit se faire de façon
responsable. L’article 3 de la loi 98‐32 dispose « La gestion des ressources halieutiques est une prérogative de l'Etat. L'Etat définit, à cet
effet, une politique visant à protéger, à conserver ces ressources et à prévoir leur exploitation durable de manière à préserver l’écosystème
marin. L’Etat mettra en œuvre une approche de prudence dans la gestion des ressources halieutiques » ;
5. L’affrètement de navires de pêche étrangers ne peut être autorisé, qu'à titre exceptionnel, pour faire face à des difficultés
d’approvisionnement des usines. L'autorisation définit les conditions de l'affrètement dont l’obligation de débarquer la totalité des
captures, ainsi que celle d’embarquer des inscrits maritimes sénégalais à hauteur de 50% de l’équipage, état‐major exclu. Nous serions
extrêmement heureux si l’on nous confirmait que ces conditions sont remplies car si elles ne l’étaient pas ce serait une violation
supplémentaire de la règlementation. Les bateaux pouvant être affrétés sont énumérés dans le décret 98‐498, les chalutiers congélateurs
pélagiques n’en font pas partie : la législation en vigueur n’autorise pas l’affrètement de chalutiers congélateurs pélagiques.
6. Les membres de la quasi‐totalité des organisations professionnelles de pêche ayant manifesté leur opposition à l’introduction des
chalutiers pélagiques dans les eaux sénégalaises, il serait intéressant de connaître l’identité des affréteurs. S’agit‐il de véritables armateurs
connus ou d’illustres inconnus mobilisés en la circonstance ?
7. Le Sénégal est un Etat de droit, nul n’est au dessus de la loi. Un simple communiqué ne peut pas rendre légal ce que la loi n’autorise pas.
L’affrètement de chalutiers pélagiques congélateurs n’étant pas autorisé par la législation en vigueur (art 24, alinéa a, décret 98‐498), le communiqué
du MEM n’a qu’un seul intérêt : ce qui était nié jusqu’à ce jour est à présent avoué. Les ressources halieutiques sénégalaises restent, quant à elles,
toujours en danger. Les avis des chercheurs du CRODT dont l’expérience est régulièrement sollicitée au niveau international méritent d’être pris en
compte. Du reste, lors de la réunion de la commission consultative d’attribution des licences de pêche (CCALP) du 10 décembre 2010, le représentant
du CRODT a marqué son désaccord total à la délivrance des autorisations de pêche sollicitées. Nous ne le répéterons jamais assez, l’avis scientifique
est capital dans ce genre d’opérations.
Cacher que des bateaux ont été autorisés à pêcher est possible, la liste des navires autorisés à pêcher dans notre ZEE est établie par la DPM mais sa
notification aux patrouilles de surveillance n’est pas de son ressort. Comme dans l’affaire dite « des accords de pêche secrets » des instructions
orales pourraient être données pour ne pas laisser de traces. Pour réduire les possibilités de dissimulation, on devrait après établissement de la liste
précitée par la DPM, la faire contresigner par la direction du Trésor public et la diffuser largement et pourquoi pas la « poster » sur le site web du
Gouvernement. Tout pêcheur rencontrant en mer, un bateau en pêche pourrait ainsi, vérifier si celui‐ci opère légalement ou non.
En conclusion, nous considérons que les rédacteurs du communiqué du MEM ont été mal inspirés et les autorisations de pêche délivrées, ne l’ont
pas été dans des conditions conformes aux dispositions législatives et règlementaires en vigueur. Déclarer que «le Sénégal a souverainement
décidé d’exploiter une partie des ressources pélagiques côtières afin que le trésor public puisse en bénéficier à l’instar des autres pays limitrophes,
ce que refuse certains membres de la profession » ne rend pas légale la pêche de chalutiers pélagiques congélateurs étrangers dans les eaux sous
juridiction sénégalaise. La souveraineté ne peut pas s’exercer en dehors de la loi.
Dr Sogui DIOUF
Vétérinaire
d.sogui@yahoo.fr