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LE CENTRE D’INSTRUCTION ET DE
PRÉPARATION À LA CONTRE-GUÉRILLA
D’ARZEW
LES RÉPONSES APPORTÉES PAR L’ARMÉE
FRANÇAISE DANS SA LUTTE POUR LE CONTRÔLE
DE LA POPULATION
1
Les CAHIERS de la DREX
Ce document est tiré d’un travail rédigé pendant leur scolarité au Cours
Supérieur d’État-Major (CSEM) par les commandants Fague, Heuzé, Agazzini
et les capitaines de Mesmay et Michel ainsi que d’un travail rédigé au Command
and Staff College de l’US Marine Corps par le commandant Fague.
3
Sommaire
SOMMAIRE
INTRODUCTION ................................................................................................. 9
2. LE RENSEIGNEMENT .................................................................................................................................. 26
2.1/ Les problèmes du renseignement ............................................................................................................ 26
2.2/ La collecte du renseignement ................................................................................................................. 27
2.3/ Préserver le secret des opérations ......................................................................................................... 28
7
Sommaire
1. GÉNÉRALITÉS ............................................................................................................................................. 49
1.1/ Définition et buts ................................................................................................................................... 49
1.2/ Principes ................................................................................................................................................ 49
CONCLUSION .................................................................................................... 55
8
INTRODUCTION
9
Introduction
Introduction
Traiter de la contre-guérilla en Algérie est un sujet particulièrement vaste qui englobe de nombreux
aspects. En effet, face à ce combat d’un genre particulier, l’armée a réagi progressivement en adaptant
sa doctrine, la formation de ses cadres et hommes du rang, ses structures et ses procédés de combat sur
le terrain. Chacun de ces aspects mériterait à lui seul une étude approfondie. Cependant, lorsque l’on
cherche à dégager les domaines principaux qui permettent de traiter la contre-guérilla dans sa
globalité, il ressort que les mesures prises par l’armée française l’ont été dans deux domaines
principaux : la transformation des opérations militaires et les mesures accrues dans le contrôle
de la population.
Dans sa lutte pour le contrôle de la population en Algérie, l’armée française est confrontée à une
nouvelle forme de guerre : la guérilla, appelée aussi guerre subversive, terrorisme ou soulèvement de
population. Selon Pierre Dabezies, cette forme de combat est « une lutte armée du faible contre le fort.
Elle est menée par des bandes ou des éléments légers qui s’efforcent de surprendre, de déséquilibrer,
d’user l’adversaire, de le priver de sa liberté d’action et ainsi de sa supériorité par des actions
multiples et incisives, toutes de souplesse, de mobilité et d’ubiquité ».
11
Introduction
ou guerre révolutionnaire. Elle se distingue de la guerre classique par le fait que la victoire n’est plus
uniquement celle de l’affrontement de deux armées en terrain clos. La guerre moderne est
caractérisée par un ensemble d’actions de toute nature : politiques, sociales, économiques,
psychologique et dont le but suprême est le renversement du pouvoir en place. » Ainsi, l’objectif de la
guerre moderne est bien la conquête de la population au travers de multiples modes d’action.
La façon dont l’armée française a voulu reconquérir la population autochtone peut s’envisager sous
plusieurs angles. Il est possible, par exemple, de choisir une zone géographique particulière et de
l’étudier tout au long de la période en cherchant à analyser les actions rebelles puis les réactions de
l’armée dans le but d’en dégager un bilan. À cette démarche « micro-historique », une démarche plus
globale est préférable. Ainsi, la découverte et l’exploitation d’archives provenant du Centre
d’Instruction à la Pacification et à la Contre-Guérilla (CIPCG) d’Arzew offrent de nouvelles
perspectives.
Ce centre de formation des officiers, créé dès 1956, a pour but d’enseigner et de « donner à tous les
officiers affectés en Algérie, susceptibles de commander des secteurs, des quartiers, des sections ou
pelotons, dès leur arrivée, une information sur la forme de guerre qu’il convient de mener » 1. Dans
une directive interne aux moniteurs du CIPCG, il est rappelé que « le point de départ de
l’enseignement dispensé est l’étude des fondements de la guerre psychologique. Nous en déduisons les
principes de la guerre révolutionnaire en général, puis ceux de la guerre subversive qui nous est
imposée. Nous voyons ensuite comment ces principes sont appliqués en Algérie, ce qui nous permet de
découvrir les points forts et les points faibles de la rébellion (…). Dès lors, notre programme se tourne
vers un but pratique : comment concevoir et appliquer la riposte à cette forme particulière de guerre
révolutionnaire qu’est la rébellion algérienne ».
L’enseignement dure deux semaines et s’articule en deux temps. Une partie théorique traite du milieu
et de la sociologie du théâtre algérien tandis qu’une partie technique enseigne les procédés de
pacification. Ces cours se nourrissent et s’inspirent largement de l’expérience indochinoise de la
guerre contre révolutionnaire et sera dispensé à près de 7 000 officiers entre 1956 et 1959.
1
Note du général commandant supérieur interarmées aux généraux commandants les corps d’armée et les
territoires du Sud Algérien au 1er septembre 1957.
12
Introduction
entre le sommet de la hiérarchie (qui définit les objectifs, analyse et cherche à mettre à profit les
leçons apprises en Indochine) et les officiers chargés de former leurs hommes et d’agir sur le terrain
afin de remplir les missions qui leur sont confiées. L’enseignement dispensé permet en outre de savoir
si oui ou non, l’armée a compris ce qu’il était nécessaire de maîtriser pour espérer l’emporter et donc,
si elle a su s’adapter à cette lutte particulière au moins sur un plan conceptuel. La réponse paraît
positive et les cours dispensés au CIPCG prouvent que les professeurs ont non seulement compris la
menace mais aussi les enjeux majeurs de ce conflit quant aux actions à mener sur les populations.
13
PARTIE I
L’ACTION REBELLE
15
Partie I : l’action rebelle
La contre-guérilla en soi n’existe pas mais se définit comme une réaction face à un type de guérilla.
Gérard Chaliand rappelle à juste titre que chaque guérilla est particulière même si certains traits
communs peuvent se dégager2. Tenter d’analyser les mesures envisagées par l’armée française dans sa
tentative de contrôler la population nécessite d’étudier d’abord les procédés rebelles mis en œuvre
pour gagner cette même population dont le soutien - de gré ou de force - est essentiel pour le succès de
sa lutte.
De même, une note de service signée par le général Salan (commandant supérieur interarmées) au
sujet de la guerre psychologique menée par le FLN rappelle que « la guerre psychologique est
considérée par les dirigeants du FLN comme l’atout- maître du jeu révolutionnaire, qu’il subordonne
l’effort militaire à l’action politique. L’ALN4 n’est qu’un élément du FLN ; elle n’en constitue pas le
moteur »5. Le commandement français, aidé en cela par l’expérience indochinoise, a donc bien perçu
2
CHALIAND Gérard, Terrorismes et guérillas, Bruxelles, éd. Complexe, 1988.
3
Front de Libération Nationale formé au Caire en 1955.
4
Armée de Libération Nationale, branche armée du FLN.
5
Note de service n° 861/EM.10/PSY/DR du 27 février 1957.
17
Partie I : l’action rebelle
la nature de la lutte qu’il doit mener. Le conflit algérien s’inscrit dans le domaine de la guerre
révolutionnaire et subversive. Guerre révolutionnaire parce qu’elle cherche à gagner chaque individu à
la doctrine FLN ainsi qu’à substituer un ordre nouveau aux structures en place. La révolution FLN se
propose donc de conquérir la population. Guerre de subversion ensuite, par le choix des méthodes et
des moyens de combat.
Une des caractéristiques premières des guérillas tient à leur organisation. Pour qu’une guérilla soit
efficace, elle doit atteindre un degré d’organisation très avancé. Les rebelles algériens ont su se
structurer et organiser leur mouvement en fonction des objectifs décidés par la branche politique. C’est
donc bien l’OPA et son action qui seront les objectifs prioritaires de l’armée française dans le cadre de
sa lutte pour le contrôle de la population.
L’OPA cherche à mettre en place des hiérarchies parallèles dont le but est de s’emparer de l’individu
et de le contrôler. À l’échelon le plus bas, dans chaque fraction de douar, on trouve un « comité des
trois » dépositaire de la doctrine et qui contrôle les personnes physiques en les embrigadant dans une
organisation de parti : le FLN. Ce comité est placé sous l’autorité du commissaire politique du secteur.
Ce « comité des trois » est composé d’un responsable, d’un adjoint politique et d’un adjoint
administratif.
- L’adjoint politique recrute et gère les militants, les adhérents et les sympathisants qui
constituent le Front.
o le militant est l’élément moteur qui doit se tenir en permanence à disposition du
Front.
o l’adhérent doit assister aux réunions. Les militants et les adhérents sont regroupés en
cellules de six personnes dirigées par un chef. Trois cellules forment un groupe. Cinq
groupes forment une section.
o le sympathisant appartient à un groupe auprès duquel il cotise.
- L’adjoint administratif veille sur l’Assemblée du Peuple. Élue par l’ensemble des membres du
Front, cette assemblée de cinq membres se compose ainsi :
o un président ;
o un responsable de l’état civil et des services sanitaires ;
o un responsable culturel (enseignement) et justice (président du tribunal local) ;
o un responsable de la sécurité et des Eaux et Forêts ;
o un chargé des affaires économiques et financières qui collecte les impôts et alloue les
secours aux plus nécessiteux.
Le commissaire politique
Un document rebelle récupéré à Ighil Mimoun est utilisé au CIPCG d’Arzew pour former les officiers
français. Il décrit en détail ce que l’OPA attend de ses commissaires politiques. On y lit que « les
commissaires politiques contrôleront et guideront le comité des trois (…), feront des causeries
18
Partie I : l’action rebelle
Parmi les autres organisations FLN et ALN, des syndicats sont créés pour encadrer les travailleurs.
Parmi eux, l’UGTA pour les salariés, l’UGCA pour les commerçants et l’UGEMA pour les étudiants7.
Cependant, en milieu rural, c’est l’Assemblée du Peuple qui traite le plus souvent de la plupart des
problèmes professionnels.
6
Les SAS sont l’abréviation des Sections Administratives Spécialisées. Créées en 1955, elles sont les lointaines
héritières des Affaires indigènes du Maroc. Pour plus de détails : LTN Jouan et LTN Lasconjarias, Les Sections
Administratives Spécialisées, un outil pour la stabilisation, Paris, CDEF, 2006.
7
UGTA : Union Générale des Travailleurs Algériens.
UGCA : Union Générale des Commerçants Algériens.
UGEMA : Union Générale des Étudiants Musulmans Algériens.
19
Partie I : l’action rebelle
Enfin, l’organisation d’ensemble des hiérarchies fonctionnelles repose sur le schéma suivant. Le pays
est divisé en 6 Wilayas (provinces). Chaque Wilaya est divisée en Mintaqas (zone). Ces dernières
regroupent des Nahias (région) elles-mêmes découpées en Kasma (secteur). À chacun de ces échelons
se trouve un chef politico-militaire assisté d’un adjoint politique, d’un adjoint militaire et d’un adjoint
liaisons/ renseignement.
Les rebelles algériens sont parvenus à créer un appareil de guerre révolutionnaire capable de convertir
la population, de l’informer, l’éveiller et la contrôler. C’est donc cet outil, qui n’est véritablement
opérationnel qu’à partir de 1956, que l’armée française doit combattre et détruire si elle veut gagner
les cœurs et reprendre l’initiative.
20
PARTIE II
CONNAITRE
21
Partie II : connaître
PARTIE II : CONNAITRE
Le centre d’Arzew a pour vocation première de faire connaître l’Algérie aux troupes qui arrivent de
métropole. Les stages durent une quinzaine de jours et s’adressent à des publics divers. Il s’agit
essentiellement d’un public d’officiers mais on trouve aussi des stages courts destinés aux militaires
du rang. En outre, on distingue les formations destinées aux officiers supérieurs de celles des officiers
subalternes. L’enseignement se veut didactique et s’appuie sur des méthodes pédagogiques variées.
Les instructeurs d’Arzew font effort sur la connaissance de la population musulmane et attachent une
grande importance aux domaines de l’ethnologie et de la sociologie. Comprendre l’environnement
de l’Algérie en 1956-1957 passe par la présentation nécessairement complexe mais riche d’un
pays et d’une population où les ethnies, les pratiques sociales et culturelles et les relations avec le
colon sont multiples et diverses. Un dossier particulier demeuré dans les cartons du Service
Historique de la Défense permet d’illustrer la variété des sujets abordés en sept conférences10: le
8
Service Historique de la Défense, carton R4378, guérilla n°8.
9
Service Historique de la Défense, carton 1H 2523.
10
Service Historique de la Défense, carton 1H 2524.
23
Partie II : connaître
monde musulman, le milieu musulman, la mentalité musulmane algérienne, les réalités algériennes (en
deux temps), des généralités sur l’évolution du monde musulman et enfin l’évolution politique de la
population musulmane.
Ces conférences s’appuient sur des textes d’universitaires ; la septième conférence s’appuie ainsi sur
un article de Jacques Soustelle paru dans la revue Défense Nationale de juillet 1956 et intitulé « La
rébellion algérienne dans le cadre du panarabisme ». Il s’agit de décrire les menées étrangères en
Algérie et de définir le plan d’action des nationalistes à
l’intérieur. Cet article se caractérise par une tonalité assez
violente qui reflète les préoccupations de l’époque :
Les thèmes abordés sont essentiellement politiques. Il s’agit en effet de donner aux cadres une
conscience politique et un aperçu des enjeux pour lesquels ils combattent. Ces conférences sont
complétées par un cours intitulé « sociologie pratique » qui aborde des questions beaucoup plus « terre
à terre » où les acteurs sont confrontés à des cas concrets qui nécessitent leur participation active.
Après les conférences viennent les débats, essentiels : « En préambule, l’instructeur parle du
contact et de la volonté de connaissance du milieu que l’officier doit manifester en Algérie ». Cette
séance se veut ouverte et les archives conservent une liste des principales questions posées. Elle reflète
bien les préoccupations des stagiaires face à un monde et à un conflit nouveaux :
- Comment s’initier au dialecte algérien ?
- Quelles erreurs et « gaffes » éviter ?
- Quel comportement adopter vis-à-vis des femmes et quels mots sont interdits ?
- Comment réagir face aux taquineries et aux « mises en boîte » ?
On note une véritable soif de connaissances et cette séance de « sociologie pratique » connaît un
grand succès comme le note un des rapports du centre : « La formule des débats se révèle la plus
24
Partie II : connaître
payante, elle amène souvent à des exposés qui forcent l’intérêt, même des plus indifférents »11.
Le but de ces cours est simple : donner un aperçu simple et honnête d’un pays en transition, l’Algérie,
et permettre aux officiers de pouvoir entrer en contact avec les couches les plus nombreuses de la
population, les huit millions d’autochtones.
Les cas concrets, s’ils existent, restent paradoxalement minoritaires dans l’enseignement dispensé à
Arzew. Cependant, leur présence est un signe fort de la modernité de l’enseignement dispensé. On
peut les classer en deux grandes catégories : les études en salle et les sorties sur le terrain. Les sorties
sur le terrain ont pour but l’apprentissage des méthodes de contre-guérilla. Elles ne sont pas
systématiques et sont plutôt réservées aux officiers subalternes et aux sous-officiers. Les études de cas
concret consistent plutôt en exercices sur carte ou en études de dossier dont le résultat est restitué sous
forme écrite. Ainsi, à partir d’un dossier de situation, les stagiaires doivent réaliser un tract à
destination d’une population pour répondre à des objectifs précis. Cette préparation à la guerre
psychologique et aux opérations d’influence sont très originaux et répondent à des préoccupations
constantes du commandement : comment s’assurer de la fidélité et du soutien des FSNA12 ? Comment
former des cadres qui sachent comprendre leur environnement ? La réflexion prend alors un tour plus
politiques : « Alors messieurs, mettez-vous à la place de l’Algérien et que feriez-vous si vous aviez à
choisir entre trois civilisations : la civilisation berbère, la civilisation arabe ou la civilisation
occidentale ? »
Entre 1957 et 1961, le centre d’Arzew forme presque 80% des officiers ayant servi en Algérie. Ce
stage se déroule le plus souvent dès l’arrivée sur le théâtre même si certains cadres n’y participent que
plusieurs mois après. Tous soulignent alors l’intérêt du stage et leurs regrets de n’avoir pas pu le
réaliser plus tôt. L’ensemble des stagiaires répète et affirme que leur action aurait été plus efficace
11
Service Historique de la Défense, carton 1H 2524.
12
Français de Souche Nord Africaine. Les Harkis sont 56 128 en décembre 1959.
25
Partie II : connaître
s’ils en avaient bénéficié. L’intérêt de connaître la population dans ses composantes et ses habitudes se
trouve souligné par un rapport de la 10ème division parachutiste datant de mars 1957. Il montre le lien
entre une bonne connaissance du milieu et le recueil du renseignement opérationnel : « D’autre part, il
est primordial d’étudier de très près les réactions de la population. Si celle-ci se dégèle (les enfants
vont à l’école, nos tracts sont lus ouvertement), il y a de fortes chances pour que les suspects arrêtés
soient importants. Dans le cas contraire, on doit conclure qu’il reste encore en liberté des équipes de
tueurs ou des agents de renseignements dont la population craint les représailles après le départ des
forces de l'ordre ».
2. Le renseignement
Une fois la connaissance du milieu acquise, le chef ou ses subordonnés sont plus à même d’extraire du
renseignement de toutes les situations de la vie quotidienne. Ainsi, le CIPCG cite en exemple dans
l’un de ses cours un compte-rendu de la 27ème division d’infanterie alpine :
26
Partie II : connaître
Malgré la préparation des cadres au centre d’Arzew, le fossé culturel demeure important et pose des
problèmes dans le recueil d’informations à caractère opérationnel. Ainsi, au mois de novembre
1957, le CIPCG aborde dans son cours destiné aux officiers supérieurs les problèmes du
renseignement :
- La crainte inspirée par le terrorisme rend les « informateurs » plus rares ;
- L’insécurité qui règne dans de nombreuses zones rend impossible le travail normal des
services de police ;
- La poussée de xénophobie dans le monde musulman en relation avec l’évolution générale de
la situation politique limite les relations entre occidentaux et « indigènes ».
Ces lignes mettent en relief les problèmes que rencontre la recherche d’information dans des espaces
qui ne sont pas sécurisés. Elles montrent la schizophrénie du renseignement, indispensable dans le
cadre de « la guerre moderne », mais d’autant plus abondant que la sécurité règne dans la zone en
question. Il faut donc lutter sur deux fronts : détruire les bandes armées et rechercher le renseignement
qui permet cette destruction. En outre, dans le cadre de la recherche de l’information, le renseignement
humain n’est pas le seul à être utilisé. On note également un effort d’adaptation du renseignement en
utilisant les nouvelles techniques mises à disposition. Ainsi le cours du CIPCG destiné aux officiers
supérieurs insiste sur l’effort d’adaptation dans différents domaines :
14
La photographie aérienne est connue depuis la Première Guerre mondiale et elle a été activement utilisée au
cours de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi les Allemands utilisaient une technique consistant à peindre des
convois motorisés sur les routes pour égarer les analystes alliés sur leur véritable force.
27
Partie II : connaître
nomadisation sont alors montées pour quérir le renseignement au milieu de populations qui ne sont pas
directement défendues ou protégées par des détachements en poste. Cependant, cette méthode présente
un certain nombre de difficultés :
Ces actions de nomadisation forcées ont peu d’impact dans le recueil du renseignement. Elles
permettent néanmoins dans des régions déjà pacifiées de montrer l’armée aux habitants et de participer
à la reprise de la confiance.
Dans les villes, selon le système mis en place par le colonel Trinquier, la première étape consiste à
recenser la population urbaine avant de la ficher et de l’organiser dans le but de fournir du
renseignement et d’assurer à terme son autodéfense par la constitution de groupes armés. Le
recrutement d’agents urbains est grandement facilité par la présence continue de forces de sécurité.
Ces derniers suivent tout d’abord une formation basique à la transmission discrète d’informations et à
l’identification des responsables adverses. Ils reprennent ensuite leur travail originel qui sert à la fois
de couverture et de source régulière de revenus. Les meilleurs agents s’avèrent les membres de base
du FLN, parfois recrutés de force par la rébellion. Peu difficiles à convaincre et à retourner,
compromis une fois qu’ils ont dénoncé leurs anciens camarades, ils n’ont plus d’espoir que le succès
de la cause française. Les plus fiables d’entre eux remplissent parfois des tâches d’agent double.
Pour les habitants des zones rurales, certains sont armés et placés dans les groupes d’auto-défense que
mettent en œuvre les SAS. On leur confie la défense des villages et de quelques douars. Cette politique
s’accompagne pour l’armée régulière d’un abandon des postes statiques et la création de commandos
de chasse couplée à des opérations de ratissage16.
Dans un cours intitulé « Facteurs de base dans la lutte contre la guérilla », le CIPCG d’Arzew
s’attache à définir les facteurs de succès dans la lutte contre les bandes armées et donc dans la
conquête des cœurs de la population. Ces facteurs de succès sont les suivants :
15
Compte rendu de la 10ème Région Militaire. Cité par le CIPCG dans le cadre du cours sur la collecte du
renseignement. Service Historique de la Défense, carton 1H 2524.
16
Colonel Trinquier, La guerre moderne, Paris, 1961.
28
Partie II : connaître
- le renseignement ;
- les préparatifs ;
- la préservation du secret.
Ce dernier impératif de maintien du secret est rappelé dans un compte rendu de la 19ème division
d’Infanterie (4 juin 1956) : « Quelques précautions élémentaires visant à réduire au maximum les
indiscrétions (pas d’ordres écrits, exécutants et subordonnés prévenus au dernier moment etc.) jointes
à l’exploitation opportune de « filières d’intoxication » protègent le secret de l’opération »17. Mais le
secret demeure d’autant plus difficile à préserver que les troupes vivent au milieu de la population et
que leurs faits et gestes sont très vite connus. Il importe alors pour la réussite des opérations de
conserver le secret ou de monter des opérations de déception.
Ces quelques éléments rappellent l’importance qu’attache l’armée française des années 1950-1960
à la connaissance d’une population avec laquelle elle vit et pour laquelle elle combat. Cet
apprentissage est considéré comme préalable à la conquête des cœurs. Les leçons de la guerre
d’Indochine ont été retenues et l’armée les applique au cours du conflit algérien. La guerre
d’Indochine a également montré la valeur du renseignement dans la lutte contre la guérilla. On
assiste alors en Algérie à une recherche permanente du renseignement et à son traitement systématique
en vue de son utilisation opérationnelle. Culte du renseignement qui se transformera parfois en dérive
lors des interrogatoires.
17
Service Historique de la Défense, carton 1H 2524.
29
PARTIE III
INFORMER
31
Partie III : informer
Dès le début des opérations en Algérie, l’emploi de l’arme psychologique apparaît primordial
dans les opérations de contre-guérilla. À tel point que le Ministre de la Défense Nationale et des
Forces Armées édite une Instruction provisoire définissant différents termes :
En Algérie, l’information de la population est donc reconnue comme une des clefs du succès de
son contrôle pour permettre de remporter le combat contre l’insurrection. C’est la raison pour laquelle
elle fait l’objet d’une théorisation et d’une mise en application simultanée sur le terrain.
Pour savoir quoi dire, il convient de savoir à qui le dire. L’étude des milieux que l’information doit
atteindre est un des axes privilégiés par le CIPCG au vu de l’hétérogénéité de la population algérienne.
Par exemple, on distingue dans la seule couche musulmane : au plan ethnique, les Arabes et les
Berbères ; au plan social, les chômeurs pauvres et les bourgeois riches ; selon le genre de vie, les
sédentaires, les nomades et les semi-nomades ; au plan religieux, les Mozabites et les Kabyles, les
18
TTA 117, Instruction provisoire sur l’emploi de l’arme psychologique, réédité par le CDEF, 2008.
33
Partie III : informer
- que dire et pourquoi le dire ? Les valeurs sur lesquelles s’appuyer sont la paix, le progrès et le
respect de la force, de la justice, de la dignité humaine et de la liberté individuelle.
- à qui s’adresser ? Les populations à informer sont successivement les forces de l’ordre, les
Européens, les élites musulmanes, les masses musulmanes engagées (avec nous) et attentistes (la
majorité), les rebelles, les Français de métropole.
- comment le dire ? Pour être fructueuse, une information objective se doit d’être permanente,
offensive, adaptée, préparée et contrôlée.
Cette instruction s’appuie également sur des travaux pratiques destinés à apprendre à élaborer des
tracts (persuasifs, de renseignement, d’information, de directives, d’instructions…), des affiches, des
sérigraphies, des panneaux photo, des documents sonores, …
L’expérience des Moniteurs Itinérants d’Action Psychologique remonte régulièrement vers le 5ème
Bureau où elle est analysée pour donner lieu à des améliorations. Ainsi le 23 novembre 1956, le
Commandant Feaugas, chef des Officiers Itinérants, note qu’il faut :
Mais au début chacun « y croit sans y croire », c’est-à-dire croit aux principes de l’information mais
en perçoit mal les applications et doute des résultats qui pourraient être obtenus. C’est la raison pour
laquelle des structures concrètes sont érigées.
19
Note sans numéro du commandant Feaugas du 26/11/1956.
34
Partie III : informer
Le 1er mai 1958, le général d’armée Salan, commandant la 10e Région Militaire et Commandant
Supérieur Interarmées envisage la constitution d’« équipes psychologiques » à partir de harkis
sélectionnés22. Aux ordres de l’Officier Psychologique de Quartier, elles se composent :
- d’un gradé européen si possible interprète et capable de jouer à la fois un rôle civique et
psychologique tout en commandant une patrouille lors d’un coup de main ;
- et de 9 harkis choisis de préférence parmi les anciens fellaghas ralliés, prisonniers ou hébergés et à
défaut parmi ceux ayant suivi un stage à Arzew ou dans un centre de rééducation.
20
Lettre n°2477/CM du Ministre Résidant du 05/07/1956.
21
Note de service n°1716/EM.10/BP du 20/07/1956.
22
Note de service n°0999/RM.10/5-OPS-S.
35
Partie III : informer
Parallèlement à l’action de ces éléments dispersés sur le terrain et afin de faciliter leur mission en leur
permettant de disposer d’outils d’information supplémentaires, des moyens communs sont mis en
œuvre avec notamment une émission radio : « La Voix dans le Désert » et des journaux tels que
Contact et Bled. En 1958, on envisage même d’éditer sous la forme d’une bande dessinée un
témoignage d’officier engagé dans la lutte contre la rébellion, Nous avons pacifié Tazalt de Jean-Yves
Alquier.
La guerre psychologique qui s’oppose aux rebelles et l’action psychologique qui porte sur la
population sont complémentaires. Elles s’appuient donc fortement sur l’information délivrée sur le
terrain par les équipes idoines. Elle obtient parfois des résultats semblables à ceux des unités
combattantes. Le 22 février 1960, une bande de 22 hommes avec armes et bagages se rallie à
Djermane dans les Aurès ; ce ralliement ne fait l’objet d’aucune pression militaire particulière mais les
anciens insurgés soulignent la qualité d’une action psychologique en profondeur qui persuade, attire,
menace ou promet.
36
PARTIE IV
EDUQUER
37
Partie IV : éduquer
PARTIE IV : EDUQUER
La politique et le rôle des armées françaises dans le travail d’éducation des populations en
Algérie est clairement formalisé dans l’enseignement dispensé au centre d’Arzew23. Imaginative,
évolutive, volontariste bien que tardive, elle donne lieu à de nombreuses initiatives. L’éducation se
distingue de l’information et de la propagande en ce qu’elle vise un objectif durable de
formation des individus et des citoyens. Les deux premiers procédés visent quant à eux des
objectifs à court terme.
1. La politique d’éducation
Dans son discours du 3 octobre 1958 annonçant le plan de Constantine, le général De Gaulle déclare :
« l’avenir auquel la France appelle l’Algérie, c’est la transformation profonde de ce pays si
courageux, si vivant, mais aussi si difficile et souffrant, qu’il faut réaliser ». L’amélioration des
conditions de vie, le développement des ressources du sol et des élites sont au cœur de ce projet.
De surcroît, la lutte contre l’organisation rebelle passe par son démantèlement mais surtout par le
ralliement de la population. Cette dernière cristallise son opposition autour de trois motifs de lutte à
combattre simultanément :
- un motif obsessionnel avec le mythe de
l’indépendance ;
- un motif passionnel avec la difficulté des rapports
entre les communautés ;
- un motif rationnel qui tourne autour des raisons
légitimes d’insatisfaction.
L’éducation poursuit donc le triple but d’« engager la
population dans l’action en lui faisant prendre conscience de la
lutte qu’elle subit et du choix que lui impose cette lutte ; ensuite
de former des élites locales définitivement françaises ; enfin de
préparer l’auto-détermination en armant idéologiquement les
populations pour lutter contre l’adversaire ».
L’éducation dès le plus bas âge : une des
missions confiées à l’armée.
Considérant que seule une formation endogène peut être
acceptée en profondeur, l’approche prônée se veut
indirecte et en trois phases :
- initialement, informer pour sensibiliser les masses ;
- puis former dans des centres spécialisés des élites détectées qui deviendront agents
d’influence ou d’exécution ;
- enfin, guider ces mêmes élites vers la formation de leurs coreligionnaires.
L’éducation dispensée vise à former tout à la fois des hommes et femmes modernes, des citoyens
éclairés, des partisans, des Français à part entière :
« - Pour former des hommes et femmes modernes :
- dispenser une instruction académique de base (lecture, écriture, calcul, hygiène,
etc.) ;
23
Conférences – causeries « Éducation de la population » du CIPCG d’Arzew.
39
Partie IV : éduquer
La mise en œuvre de cette politique se concrétise par une foison d’initiatives et de réalisations variées,
visant en priorité le milieu féminin et la jeunesse algérienne.
2.1 En métropole
Situé à Nantes, ce centre forme pendant 6 mois 150 monitrices et aides-monitrices. Le premier stage
débute le 1er juillet 1959. Il est tourné vers les jeunes femmes françaises de souche musulmane ou
européenne, âgées de 18 à 35 ans et détentrices du certificat d’études primaires. Il comporte des cours
d’instruction générale, une formation médicale et des connaissances des bases du secourisme et de la
puériculture mais aussi des cours d’initiation à la vie moderne et à la sociologie musulmane. À l’issue
du stage, les monitrices et aides-monitrices sous contrat sont affectées dans un des foyers ruraux ou
urbains du Service de Formation de la Jeunesse Algérienne (SFJA). Cette action complète celle des
Comités féminins et des Adjoints Sanitaires et Sociales Rurales Auxiliaires (ASSRA).
Créé en 1957 à Issoire, ce centre accueille deux promotions de 500 à 600 stagiaires par an. Ils sont
principalement recrutés parmi les candidats à l’engagement par devancement d’appel et
accessoirement parmi les appelés du contingent. En 1959, ce centre a déjà formé 1 500 moniteurs. En
plus de la formation militaire commune de base, l’instruction dispensée s’articule autour de deux
40
Partie IV : éduquer
grands axes : une instruction sportive intensive (athlétisme, ski, natation, etc.) et une instruction
générale pratique (secourisme, hygiène, civisme, artisanat, etc.) accompagnée de diverses activités
culturelles ainsi que de voyages et « visites d’ouverture » (usines Berliet, barrages hydrauliques, gare
SNCF de Lyon, ports, bases aériennes et navales, etc.).
Une solide formation pédagogique est dispensée pour permettre aux stagiaires d’enseigner à leur tour
ces disciplines. Assimilés à des sous-officiers appelés, les moniteurs retournent en Algérie et sont
affectés par binômes dans les différents organismes du Service de Formation des Jeunes (SFJA),
foyers sportifs ou foyers des jeunes dont ils forment l’encadrement. Certains rejoignent même les
SAS. À l’issue de leur service national, les « CEMJistes » ont le choix de continuer de servir comme
moniteur dans les SFJA, de s’engager ou de reprendre une activité privée.
2.2. En Algérie
- Action vers les élites : les Centres d’Éducation Civique et Militaire (CECM)
Ces centres de formation des élites, au nombre d’un par secteur, visent à établir dans la société
algérienne une hiérarchie verticale qui prolonge la hiérarchie administrative. Ils accueillent leurs
stagiaires pendant un mois et le programme s’articule autour de causeries, en langues française et
arabe portant sur des domaines variés : éducation civique, mission de la France dans le monde, action
rebelle, auto-défense et organisation de la population.
Le point clé consiste ici à identifier et recruter comme stagiaires des hommes de 20 à 40 ans,
susceptibles de devenir des agents d’influence et d’exécution sans autorité officielle. Ceux-ci seront
sélectionnés parmi les élus municipaux, maires ou conseillers de souche musulmane comme
européenne, chefs de douars, de quartiers, d’îlots choisis parmi les anciens militaires, les membres de
groupements professionnels ou sportifs, syndicats, supplétifs, etc. Ils devront se distinguer par leur
valeur intellectuelle et morale, leur force de caractère, mais surtout par leur capacité à rayonner et
s’imposer dans leur groupe social. Leur recrutement, en dehors de celui des élus qui est du ressort des
préfectures et sous préfectures, incombe aux chefs de secteurs et quartiers. Elle requiert donc de la part
des militaires une profonde connaissance des populations.
À l’issue du mois d’instruction, le stagiaire retourne dans son douar. Il est placé sous la bienveillante
et vigilante responsabilité du commandement local qui doit le protéger, le guider, le contrôler ; cette
phase est considérée comme aussi délicate que le recrutement. Pour le protéger, le commandement
doit veiller à ce que le stagiaire ne soit pas isolé et puisse être entouré d’un ou plusieurs anciens
stagiaires du même douar pour le guider et le contrôler. Tous doivent demeurer proches du
commandement qui s’attache à les réunir régulièrement afin de recueillir leurs impressions et leurs
remarques tout en les maintenant informés de la situation.
Très rapidement, les résultats obtenus sont jugés excellents. Ainsi, « dans le corps d’armée d’Oran au
début de l’année 1959, 40% des élus municipaux ont suivi le stage et on estime que 100% l’auront
suivi avant la fin de l’année. En ce qui concerne les cadres des douars et les auto-défenses, l’action
entreprise à conduit à la désagrégation complète de l’OPA dans l’Ouest des massifs du Dahra et de
41
Partie IV : éduquer
l’Ouarsenis »24.
Crée par arrêté du 1er décembre 1958, le SFJA vise à former et orienter les adolescents et jeunes filles
non scolarisées de plus de 14 ans (chaque année, sur 120 000 garçons atteignant l’âge post-scolaire,
70 000 sont sans formation) en complément des structures civiles compétentes en matière de formation
professionnelle. Ce service s’appuie sur les structures militaires qui couvrent tout le territoire algérien.
Service civil bien que dirigé et animé par des militaires, le SFJA est placé sous l’autorité du Secrétaire
Général de l’Administration en Algérie et la direction du général Dunoyer de Segonzac.
L’encadrement des centres ressortissants du SFJA est constitué d’officiers d’active mais aussi appelés,
de sous-officiers, de moniteurs militaires et de « CEMJistes ». Les structures suivantes sont
privilégiées :
• Foyers sportifs
Dans la « directive d’action sur la jeunesse » 25 du 27 juin 1960, le commandant du corps d’armée
d’Oran établit des Centres de jeunesse qui ont pour but le rapprochement et la fraternisation effective
entre les communautés à travers l’éducation, l’information et la distraction de la jeunesse postscolaire,
sans limite d’âge.
Celle-ci prévoit la mise en place immédiate de centres placés sous l’égide de « comités de patronage »
rassemblant représentants administratifs (municipalités, SAS, personnalités FSE et FSA, organisations
de jeunesse publique ou privée, etc.) et responsables militaires locaux désireux d’en assurer
24
Conférences - causeries « Éducation de la population » du CIPCG d’Arzew.
25
Note n°88/CAO/BDL du CA d’Oran et n°27660/IGR du 27 juin 1960.
42
Partie IV : éduquer
l’animation. L’armée est chargée d’apporter toute l’assistance matérielle possible, en fournissant
notamment des locaux provisoires.
Le soutien de ces centres, dont l’organisation et l’animation ne sont pas figées, incombe selon le cas et
les possibilités aux unités militaires, aux formations du SFJA26, aux officiers de SAS ou à
l’administration civile. Les activités multiples proposées pour ces centres touchent aux domaines
sportifs (sports individuels et collectifs, tourisme, sorties scoutes) culturels, éducatifs (bibliothèques de
jeunes, alphabétisation, explorations, etc.) ou artisanaux (travail du bois, du fer et de l’électricité).
Dans tous les cas, les aspects récréatifs et les distractions sont favorisées (télévision, cinéma, fêtes,
etc.). Il est recommandé à ces centres que les jeunes s’approprient totalement ces lieux en décidant
eux-mêmes de leurs activités.
À chaque échelon du commandement, un officier est désigné pour suivre spécifiquement ces centres et
assurer la liaison avec les comités de patronage. Il s’agit bien là, « dans un véritable esprit de croisade
et avec la ferme volonté de ne pas se laisser arrêter par les difficultés qui ne manqueront pas de se
présenter(…) de faire connaître à toute la jeunesse le vrai visage d’une France unie et fraternelle, de
lui donner des motifs concrets de choisir un avenir français » 27. Une cinquantaine de FJ sont
constitués fin 1959.
Centres à dominante technique, ils visent à former en internat pendant une année une élite technique et
ouvrière sélectionnée, autour d’un corps support ou à proximité d’une entreprise. Ils sont dotés d’un
encadrement robuste, composé de cadres militaires et de moniteurs issus des CEMJ. Ils dispensent une
préformation professionnelle et une ouverture sur le milieu économique complétée par une formation
civique et visent à un placement immédiat dans des entreprises partenaires à la fin du stage. Une
centaine de CFJA existent et sont actifs fin 1959.
43
Partie IV : éduquer
Subordonnés directement aux commandants de secteur et aux sous-préfets, leur action est renforcée
par le décret du 2 septembre 1959 qui les charge « de recueillir et de coordonner les propositions des
municipalités concernant le Plan de développement économique et social (…) et de veiller à sa mise
en œuvre (…) de coordonner l’activité des différents services techniques ». Par ce même décret, ils
sont institués représentants légaux des sous-préfets. Leur mission comporte un volet éducatif, à travers
la mise à disposition de crédits pour la construction d’écoles et la scolarisation des enfants (les
enseignants étant fournis par les unités de secteur). L’Algérie comptait 300 SAS le 1er janvier 1956 et
600 un an plus tard.
« S’apparentant en plusieurs points à celle des officiers de SAS, la mission des chefs de poste de
pacification revêt un aspect militaire et un aspect civil»28. Outil de mise en œuvre de la politique
générale de pacification en Algérie, le poste de pacification (du volume d’une section et sous
l’autorité du commandant de sous-quartier) a pour mission, outre la destruction des bandes armées
et de l’OPA, d’« assurer la promotion humaine, sociale et culturelle des populations
musulmanes, et élever leur niveau de vie ; amener ces populations, par le cœur et par la raison, à
choisir d’elles-mêmes, le moment venu, la solution la plus française ». Parmi ses missions civiles,
le poste doit assurer en liaison étroite avec la SAS la plus proche :
- le recensement détaillé des populations ;
- l’assistance dans des domaines tels que la construction de maisons, l’agriculture ou l’élevage ;
- des missions spécifiques d’éducation :
o La classe pour les enfants de 4 à 14 ans ;
o Les cours du soir pour adultes et adolescents ;
o Les cercles d’union pour jeunes de 15 à 25 ans ;
o L’ouvroir féminin (renforcés d’une femme de colon ou d’une assistante féminine) ;
o L’initiation des enfants au sport et développement physique.
28
Directive donnée aux chefs de poste par un commandant de zone - Conférence du centre d’Arzew.
44
Partie IV : éduquer
itinérantes (EMSI) composées d’un médecin secondé par des adjoints sanitaires et sociales rurales
auxiliaires (ASSRA), jeunes filles formées pour seconder un médecin dans ces tâches, dont
obligatoirement une musulmane.
Ces mots introduisent la conférence dispensée aux officiers formés au centre d’Arzew sur le milieu
féminin en Algérie. L’objectif est bien l’émancipation de la femme algérienne ; influente au sein
de son milieu familial, la femme algérienne doit être ralliée à la cause française. L’émancipation
passe par une prise de conscience de leur condition d’infériorité (claustration, interdits sociaux et
religieux, inégalité des droits). Cette prise de conscience sera suscitée par la comparaison avec le statut
des femmes européennes. Les préalables sont un accroissement de la scolarisation féminine pour
diffuser une instruction minimale et une modification des comportements des populations
européennes. La femme algérienne doit trouver une nouvelle dignité à travers de nouvelles marques de
déférence et de considération que les Européens lui témoigneront.
Les premières expériences démontrent la pertinence du schéma d’action suivant afin de pénétrer
efficacement le milieu féminin :
1. Implantation de l’équipe dans un quartier choisi par le commandement militaire ;
2. Choix des centres d’intérêt géographiques de l’équipe, afin qu’elle puisse en une
semaine passer 1 à 2 journées dans chaque centre ; les centres d’intérêts doivent être
des douars regroupant au moins 1 500 à 3 000 femmes de 14 à 30 ans.
3. Étude du milieu et porte-à-porte : l’acte médico-social ne constitue pas une fin en soi
45
Partie IV : éduquer
Le succès de l’action sur le milieu féminin passe par une action simultanée et réussie sur les hommes
qui sont susceptible de marquer de l’hostilité envers des changements de comportement de leur épouse
ou dans leurs habitudes. L’équipe EMSI doit éviter de se faire du mari un adversaire en associant et
intéressant l’époux au processus à travers des séances d’information organisées à leur intention.
46
PARTIE V
ORGANISER LA POPULATION
47
Partie V : organiser la population
La population non engagée, à quelque communauté qu’elle appartienne, est l’enjeu de l’adversaire
comme des forces de l’ordre. Elle détient la solution du problème, car le succès appartiendra à celui
des deux qui la fera s’engager dans son action. Pour lui faire prendre parti puis l’engager vers sa
tendance française, pour lui permettre de se « tenir seule debout », il est nécessaire d’agir sur elle à
travers plusieurs volets dans lequel s’inscrit, entre autres, son organisation.
1. Généralités
1.1 Définition et buts
L’organisation par les forces armées de la population algérienne a pour objet d’aider les
individus et les groupes composant cette collectivité à se donner des chefs et des structures
susceptibles de faire sentir l’action de ces chefs sur tous les membres de la population.
Il s’agit tout d’abord de faciliter l’engagement des populations dans l’action et leur contrôle, de
diffuser en profondeur, d’adapter et de contrôler l’information et l’éducation de la population. De la
même manière, il est nécessaire de rendre solidaires les individus composant cette population de
manière qu’elle n’offre aucune fissure à l’adversaire tout en décelant les éléments perturbateurs. Le
premier objectif est d’obtenir la participation de tous à la lutte (autodéfense armée et
renseignement). Dans le futur, le but est d’une part de permettre à une masse inorganisée de réaliser
un bond en avant dans un monde moderne sans écraser ses individualités et d’autre part de faciliter
la relève de l’armée par l’administration en favorisant l’éclosion des cadres formés qui jusqu’alors
faisaient défaut.
1.2 Principes
Pour être efficace, le système d’organisation repose sur une double problématique : il est centré autour
d’un pôle d’attraction temporel ou spirituel qui permet en conséquence de pénétrer en chacun des
individus. À l’époque de la colonisation, l’organisation des populations d’Algérie comporte deux
aspects : le premier repose sur une hiérarchie verticale politico-administrative et civilo-militaire, qui
s’arrête à l’arrondissement. Avec les SAS, un effort est mis sur l’échelon local qu’est la commune et
les douars. Le second aspect s’articule autour de quelques organisations horizontales de personnes
groupées en associations diverses autour d’un centre d’intérêt commun.
49
Partie V : organiser la population
- une phase d’engagement dans l’action des populations ainsi sommairement organisées, qui
conduisit à leur mise en autodéfense idéologique et armée ;
- une phase d’engagement dans l’action de toutes les couches de la population qui aboutit à leur
auto-encadrement et à la suppression du système surimposé.
Une fois la population retrouvée, elle doit être rapidement organisée pour pouvoir être contrôlée et
ainsi mieux protégée. Il est donc nécessaire de la faire entrer dans une hiérarchie simple et de mettre
en place un organisme capable d’actionner cette hiérarchie. À cet effet, un bureau « population »
composé d’éléments du 2ème bureau (renseignement) et du 5ème bureau (action psychologique) est mis
en place afin de coordonner et orienter l’ensemble de cette action. Pour mettre en œuvre cette première
phase, les forces mènent successivement un découpage des zones puis un recensement de la
population.
- Découpage
- Recensement
29
L’élection risquait de porter ombrage aux municipalités. L’appel aux volontaires facilitait le noyautage par les
rebelles. Le meilleur procédé consistait donc à la désignation autoritaire effectuée parmi les éléments jeunes,
s’étant fait remarquer par leur attitude ouverte et si possible leur connaissance du français. L’expérience a
montré que les « mauvais chefs » s’éliminaient rapidement d’eux-mêmes.
50
Partie V : organiser la population
l’emprise rebelle. Elle devient de fait un centre de rayonnement30. Concernant les populations
dispersées, la solution adoptée vise à les regrouper dans ce qui deviendrait ultérieurement des villages.
Quant aux nomades, des SAS mobiles les accompagnent dans les temps de transhumance.
Une fois que les bases du premier dispositif sont jetées, il s’agit de renforcer l’organisation à
travers trois volets : l’encadrement, les organisations horizontales et l’autodéfense.
- L’encadrement
L’organisation primaire mise en place, les forces armées se chargent d’éduquer les chefs désignés ou
ceux qui s’étaient révélés. L’objectif est de les intégrer à l’action pour à terme remplacer les forces
de l’ordre dans les fonctions politiques et administratives.
À titre d’exemple, dès le milieu de l’année 1957, cent responsables de douars sont déjà formés dans
des centres où ils avaient reçu quelques notions administratives, une instruction civique et une
instruction militaire en vue de leur autodéfense et des actions de renseignement. Ils animent une
population d’environ un million de personnes. Cent autres responsables sont alors sur le point
d’achever leur formation.
Pour atteindre les femmes, des équipes médico-sociales féminines composées d’une chrétienne et de
deux musulmanes avaient été créées. Chaque équipe accompagnée d’un médecin rayonnait sur 3 ou 4
douars. Par le truchement de cercles féminins et d’ouvroirs, la possibilité était donnée aux femmes de
s’exprimer et de s’organiser en vue de leur émancipation. Quant aux jeunes, 550 jeunes musulmans
formés fin 1957 au Centre de Formation de Moniteurs de la Jeunesse d’Algérie (CFMJA) relayaient
30
Pour pallier l’incapacité (par manque d’effectifs) d’implanter des troupes dans tous les villages et permettre
aux habitants de travailler sur leurs terres dans des conditions de sécurités raisonnables, les « centres de
rayonnement » sont créés à partir de villages choisis pour leurs facilités d’accès, leur possibilité de défense et
leur proximité des terres cultivables. Un poste d’une vingtaine d’hommes est établi à l’intérieur puis la
population des villages voisins (de l’ordre de 1 000 habitants) se resserre dans ce village « agrandi », alors
protégé contre les incursions rebelles.
31
Les douars représentaient à l’époque la forme des anciennes tribus et avaient chacun leur personnalité et leur
vie propre.
51
Partie V : organiser la population
dans leur ville et village l’instruction reçue. À terme, 2 000 moniteurs devaient être formés. Enfin, les
anciens combattants animaient de leur côté leurs pairs grâce aux réunions fréquentes que les
responsables organisaient dans la Maison des combattants de chaque village.
Ce choix de groupements n’était pas limitatif et chaque échelon de la hiérarchie était habilité à
encourager la création d’associations nouvelles autour de pôles d’attraction d’intérêt local : comités de
l’hygiène, des loisirs, des commerçants, …
- L’autodéfense
Une fois que les responsables revenaient formés de leurs centres et qu’ils commençaient à diffuser
l’éducation qui leur avait été donnée, ils pouvaient demander d’eux-mêmes, et en accord avec les
populations, à s’organiser en groupe d’autodéfense. Il était en effet impératif que l’autodéfense ne
fût jamais décidée autoritairement. Elle devait être sollicitée en toute connaissance de cause par la
population elle-même, après avoir donné des preuves sérieuses de son engagement. L’autodéfense
était ainsi autant psychologique que matérielle et constituait donc le critère du succès de l’action et la
condition de sa poursuite. Elle permettait en l’occurrence l’auto-encadrement de la population,
préalable à son autodétermination.
La formation psychologique et l’instruction militaire primaire données aux chefs étaient poursuivies
sur place. Les meilleurs parmi les hommes armés étaient ensuite envoyés dans des centres de
formation pour y recevoir une instruction complémentaire (éducation civique, renseignement, maintien
de l’ordre, action économique et sociale, …) les rendant capables dans le cadre de l’auto-encadrement
de former à leur tour.
32
A partir du moment où l’autodéfense est créée, elle reçoit immédiatement les armes réellement nécessaires à sa
défense et non pas deux ou trois fusils symboliques et inefficaces. L’expérience a montré que les risques pris
l’ont été à bon escient (sur 900 armes distribuées dans le secteur de Cassaigne en 1959, 2 fusils de chasse ont été
perdus par désertion).
52
Partie V : organiser la population
A titre d’exemple, il est intéressant de souligner la qualité des résultats des actions visant à engager la
population dans la région de Geryville (12 000 habitants, en majorité nomades récemment fixés, où
l’OPA y était florissante) entre juin et novembre 1959 :
Cette période est placée sous le signe de l’intimidation en ce sens qu’il s’agissait de montrer la
puissance des forces de l’ordre. Après l’isolement de la ville début juin afin d’en contrôler la
population, le recensement est entièrement repris et la localité découpée en 5 secteurs. Fin juillet, un
poste est implanté à demeure dans chaque quartier et les chefs de blocs sont désignés. Durant cette
période, un certain nombre d’occasions sont saisies pour manifester la puissance des forces de l’ordre :
passage, sans ostentation, mais visible de fellaghas capturés, fête sportive avec lâcher de parachutistes,
kermesse populaire avec poser d’hélicoptères.
Tandis que le recensement se poursuit, les chefs de blocs sont fréquemment réunis et leurs initiatives
encouragées. Plusieurs comités sont créés : comité du travail, comité du service d’ordre (prélude à
l’autodéfense), comité du moral, comité du cinéma… Rapidement, et à la demande des responsables
locaux les barrages de barbelés sont supprimés dans la ville et le couvre-feu repoussé. Les fêtes
traditionnelles suspendues depuis 5 ans, sont célébrées avec succès. De la même manière, la visite du
général commandant le corps d’armée dans le secteur voit 5000 personnes se presser pour l’accueillir.
À partir du moment où l’autodéfense est créée, elle reçoit immédiatement les armes réellement
nécessaires à sa défense et non pas deux ou trois fusils symboliques et inefficaces. L’expérience a
53
Partie V : organiser la population
montré que les risques pris l’ont été à bon escient (sur 900 armes distribuées dans le secteur de
Cassaigne en 1959, 2 fusils de chasse ont été perdus par désertion). Le principe des harkas, constituées
en vue de renforcer les forces de l’ordre principalement dans le cadre d’opérations militaires ne sera
pas abordé dans cette étude.
Il n’a été achevé qu’en octobre 1959 et s’est révélé incomplet à 50% (une équipe à 5/6 personnes
recense une centaine d’habitants par jour).
Moins de cinq mois après le début des actions, soit dès octobre 1959 commence une période
caractérisée par la création d’organisations horizontales : mouvements féminins, mouvements de
jeunesse et mouvements d’anciens combattants. En outre, épaulés par une quinzaine de militaires
(dont 5 harkis), 15 des 100 chefs de blocs participent volontairement aux patrouilles de sécurité. Le
renseignement arrive et les habitants se montrent confiants. Enfin, à la fin du mois d’octobre, l’OPA
est quasiment détruite, les cellules de terrorisme, de collecte de fonds et de liaison ont complètement
disparu.
Une fois la population organisée dans des groupes d’autodéfense, les effectifs de centres de
rayonnement ou des troupes implantées dans l’agglomération sont généralement réduits. Les chefs des
associations horizontales détectés durant la deuxième phase sont envoyés en formation afin de
multiplier les actions d’éducation destinés à l’ensemble de la population.
À terme, ces structures « restaurées ou réformées » doivent se substituer aux forces de l’ordre et aux
bureaux « populations ». Dans ces quartiers de pacification nouvellement créés, la population
remplace d’elle-même les organismes supprimés. L’autorité qui l’anime, la protège et la guide se
transforme en simple autorité de tutelle.
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CONCLUSION
55
Conclusion
CONCLUSION
La première démarche qu’une armée entreprend lorsqu’elle est confrontée à une guerre révolutionnaire
telle que celle qui éclate en Algérie en 1954 est de comprendre l’ennemi, ses modes d’actions et ses
buts. Le célèbre « de quoi s’agit-il ? » du maréchal Foch initie toute réflexion et ne déroge pas à la
règle dans le cas du conflit algérien.
L’expérience des cadres ainsi que l’épisode indochinois furent bien évidemment des atouts pour
comprendre le soulèvement algérien et s’y adapter. Ceci dit, l’exemple du Centre d’Instruction
Pacification et Contre-Guérilla (CIPCG) d’Arzew montre bien que les cadres de l’armée française
avaient compris les ressorts de la guerre révolutionnaire.
En outre, sous l’impulsion de quelques chefs dynamiques, intelligents et visionnaires dans la lutte
contre l’insurrection, l’armée sait réagir en bâtissant une structure d’enseignement qui a pour mission
de fournir à ses officiers des outils de compréhension de la situation et des clés concrètes pour agir
directement sur le terrain. À cet égard, les niveaux atteints quant aux mesures d’organisation et
d’éducation ne manquent pas de surprendre.
À Arzew, l’armée française démontre un réel savoir faire quant aux modes opératoires à adopter pour
empêcher une guérilla de s’approprier la population. Pour autant, les solutions trouvées et les réponses
apportées ne peuvent s’inscrire dans tous les cadres spatio-temporels ni dans l’ensemble des structures
sociales. Les cours d’Arzew se voulaient adaptés à une conjoncture bien particulière. S’ils se sont
avérés efficaces, c’est bien parce que l’expérience, l’intelligence de situation et la finesse d’analyse en
ont précédé la conceptualisation.
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Centre de Doctrine
CDEF d’Emploi des Forces
Cahier de la Réflexion
8 juillet 2009