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ALGÉRIE 1956 - 1961

LE CENTRE D’INSTRUCTION ET DE
PRÉPARATION À LA CONTRE-GUÉRILLA
D’ARZEW
LES RÉPONSES APPORTÉES PAR L’ARMÉE
FRANÇAISE DANS SA LUTTE POUR LE CONTRÔLE
DE LA POPULATION

1
Les CAHIERS de la DREX

Les Cahiers du retex


Synthèses du retour d’expérience signées par le général commandant le CDEF, ils
présentent les enseignements que l’armée de Terre tire des opérations et des exercices
des forces terrestres françaises ou des armées étrangères, dans les domaines de la
doctrine, des équipements et de la formation. Les Cahiers du retex sont, soit
périodiques et, dans ce cas, sont complétés par un bilan des mesures prises par le
commandement (exploitation), soit centrés sur une opération ou une phase particulière
d’une opération.

Les Cahiers de la recherche doctrinale


Ils constituent des études à caractère historique ou thématique destinées à appuyer
l’élaboration de la doctrine et du retour d’expérience de l’armée de Terre sans, pour
autant, s’y substituer. Fruit de travaux de recherche, leur contenu n’a pas de valeur
doctrinale.

Les Cahiers de la réflexion doctrinale


Destinés à enrichir la pensée militaire sur la base d’études personnelles, de
témoignages ou d’expériences particulières, ils sont ouverts à toutes les personnes
désireuses d’y contribuer. Le contenu de ces Cahiers n’a pas de valeur doctrinale.
Algérie 1956 - 1961
Le Centre d’Instruction et de Préparation à
la Contre-Guérilla d’Arzew
LES RÉPONSES APPORTÉES PAR L’ARMÉE FRANÇAISE DANS SA
LUTTE POUR LE CONTRÔLE DE LA POPULATION

Ce document est tiré d’un travail rédigé pendant leur scolarité au Cours
Supérieur d’État-Major (CSEM) par les commandants Fague, Heuzé, Agazzini
et les capitaines de Mesmay et Michel ainsi que d’un travail rédigé au Command
and Staff College de l’US Marine Corps par le commandant Fague.

La mise en page a été effectuée par le Bureau recherche du CDEF.

CDEF / DREX - B.RCH - BP 53 - 00445 ARMÉES


PNIA : 821 753 52 08 - Tél. : 01 44 42 52 08 - Fax : 01 44 42 44 29 - www.cdef.terre.defense.gouv.fr
Courriel : jerome.cario@cdef.deterre.defense.gouv.fr

3
Sommaire

SOMMAIRE
INTRODUCTION ................................................................................................. 9

PARTIE I – L’ACTION REBELLE ........................................................................ 16

1. LE ROLE CENTRAL DE LA POPULATION ..................................................................................................... 17


2. L’OPA REBELLE ......................................................................................................................................... 18
3. L’ORGANISATION TERRITORIALE DU FLN ................................................................................................ 20

PARTIE II - CONNAÎTRE ................................................................................... 22

1. ENSEIGNER LA CONNAISSANCE DU MILIEU ............................................................................................... 23


1.1/ Des conférences adaptées ...................................................................................................................... 23
1.2/ Les débats ............................................................................................................................................... 24
1.3/ Les cas concrets ..................................................................................................................................... 25

2. LE RENSEIGNEMENT .................................................................................................................................. 26
2.1/ Les problèmes du renseignement ............................................................................................................ 26
2.2/ La collecte du renseignement ................................................................................................................. 27
2.3/ Préserver le secret des opérations ......................................................................................................... 28

PARTIE III - INFORMER.................................................................................... 33

1. UNE THÉORISATION DE L’INFORMATION .................................................................................................. 33


1.1/ L’instruction dispensée au Centre d’Instruction et de Préparation de Contre-Guérilla ....................... 33
1.2/ Les évolutions apportées dans le temps ................................................................................................. 34

2. UNE MISE EN ŒUVRE SUR LE TERRAIN ...................................................................................................... 35


2.1/ Les moniteurs itinérants d’action psychologiques ou officiers itinérants (OI) ...................................... 35
2.2/ Les équipes psychologiques .................................................................................................................... 35

PARTIE IV - ÉDUQUER ...................................................................................... 39

1. LA POLITIQUE D’ÉDUCATION ..................................................................................................................... 39

2. LES STRUCTURES DÉDIÉES À L’ÉDUCATION .............................................................................................. 40


2.1/ En métropole .......................................................................................................................................... 40
2.2/ En Algérie ............................................................................................................................................... 41

7
Sommaire

3. LES STRUCTURES NON-DÉDIÉES, PARTICIPANT À L’ÉDUCATION DES POPULATIONS ............................... 43


3.1/ Les sections administratives spéciales (SAS) ........................................................................................ 43
3.2/ Les postes de pacification ...................................................................................................................... 44
3.3/ L’assistance médicale gratuite (AMG) .................................................................................................. 44

4. L’ACTION SPÉCIFIQUE SUR LE MILIEU FÉMININ ....................................................................................... 45

PARTIE V – ORGANISER LA POPULATION ......................................................... 49

1. GÉNÉRALITÉS ............................................................................................................................................. 49
1.1/ Définition et buts ................................................................................................................................... 49
1.2/ Principes ................................................................................................................................................ 49

2. MISE EN PRATIQUE DES PRINCIPES ............................................................................................................ 50


2.1/ Première phase : s’imposer.................................................................................................................... 50
2.2/ Deuxième phase : organiser .................................................................................................................. 51
2.3/ Troisième phase : engager ..................................................................................................................... 53

CONCLUSION .................................................................................................... 55

8
INTRODUCTION

9
Introduction

Introduction

Traiter de la contre-guérilla en Algérie est un sujet particulièrement vaste qui englobe de nombreux
aspects. En effet, face à ce combat d’un genre particulier, l’armée a réagi progressivement en adaptant
sa doctrine, la formation de ses cadres et hommes du rang, ses structures et ses procédés de combat sur
le terrain. Chacun de ces aspects mériterait à lui seul une étude approfondie. Cependant, lorsque l’on
cherche à dégager les domaines principaux qui permettent de traiter la contre-guérilla dans sa
globalité, il ressort que les mesures prises par l’armée française l’ont été dans deux domaines
principaux : la transformation des opérations militaires et les mesures accrues dans le contrôle
de la population.

Dans sa lutte pour le contrôle de la population en Algérie, l’armée française est confrontée à une
nouvelle forme de guerre : la guérilla, appelée aussi guerre subversive, terrorisme ou soulèvement de
population. Selon Pierre Dabezies, cette forme de combat est « une lutte armée du faible contre le fort.
Elle est menée par des bandes ou des éléments légers qui s’efforcent de surprendre, de déséquilibrer,
d’user l’adversaire, de le priver de sa liberté d’action et ainsi de sa supériorité par des actions
multiples et incisives, toutes de souplesse, de mobilité et d’ubiquité ».

La guérilla est un phénomène ancien et recouvre plusieurs


logiques que l’on peut regrouper en trois grandes
catégories distinctes : un soulèvement d’ordre
sociologique (émeute de la faim ou révolte agraire), une
révolte à dominante idéologique (révolte des camisards,
minorité protestante dans les Cévennes au XVIIIème siècle)
ou réaction nationale (résistance espagnole à l’invasion
napoléonienne en 1808 ou maquisards français et
yougoslaves durant la Seconde Guerre mondiale). Mais la
guérilla, quelle que soit son origine, a deux facteurs en
commun. Le premier est le temps : il s’agit par les
différentes actions de miner et non de détruire l’ennemi. Le
deuxième, c’est la population, qui est le véritable enjeu de L’insurrection madrilène du 2 mai 1808
la bataille et qui sert donc de trame à l’affrontement. Sa vue par Goya
conquête par l’un des deux camps sert donc d’atout majeur.

Mais si la guérilla se nourrit des rancœurs et des inégalités ressenties,


dénonce le colon ou l’autorité politique légale, elle exerce aussi une
pression constante et parfois violente sur les habitants. Une hiérarchie
administrative parallèle encadre la population en s’appuyant sur une
organisation clandestine armée qu’il importe de détruire. Cette guerre
prend aussi des formes de violence aveugle comme le terrorisme,
l’ensemble formant ce que Roger Trinquier définit comme « la guerre
moderne », titre de son ouvrage le plus célèbre. Cet officier possède
une vaste expérience des mouvements de guérilla de la Seconde
Guerre mondiale et des années suivantes. Il a en effet servi en Chine
de 1938 à 1947, puis en Indochine et en Algérie. Selon le colonel
Le colonel Roger Trinquier, Trinquier, la guerre moderne « peut être nommée guerre subversive
auteur de La Guerre Moderne

11
Introduction

ou guerre révolutionnaire. Elle se distingue de la guerre classique par le fait que la victoire n’est plus
uniquement celle de l’affrontement de deux armées en terrain clos. La guerre moderne est
caractérisée par un ensemble d’actions de toute nature : politiques, sociales, économiques,
psychologique et dont le but suprême est le renversement du pouvoir en place. » Ainsi, l’objectif de la
guerre moderne est bien la conquête de la population au travers de multiples modes d’action.

La façon dont l’armée française a voulu reconquérir la population autochtone peut s’envisager sous
plusieurs angles. Il est possible, par exemple, de choisir une zone géographique particulière et de
l’étudier tout au long de la période en cherchant à analyser les actions rebelles puis les réactions de
l’armée dans le but d’en dégager un bilan. À cette démarche « micro-historique », une démarche plus
globale est préférable. Ainsi, la découverte et l’exploitation d’archives provenant du Centre
d’Instruction à la Pacification et à la Contre-Guérilla (CIPCG) d’Arzew offrent de nouvelles
perspectives.

Ce centre de formation des officiers, créé dès 1956, a pour but d’enseigner et de « donner à tous les
officiers affectés en Algérie, susceptibles de commander des secteurs, des quartiers, des sections ou
pelotons, dès leur arrivée, une information sur la forme de guerre qu’il convient de mener » 1. Dans
une directive interne aux moniteurs du CIPCG, il est rappelé que « le point de départ de
l’enseignement dispensé est l’étude des fondements de la guerre psychologique. Nous en déduisons les
principes de la guerre révolutionnaire en général, puis ceux de la guerre subversive qui nous est
imposée. Nous voyons ensuite comment ces principes sont appliqués en Algérie, ce qui nous permet de
découvrir les points forts et les points faibles de la rébellion (…). Dès lors, notre programme se tourne
vers un but pratique : comment concevoir et appliquer la riposte à cette forme particulière de guerre
révolutionnaire qu’est la rébellion algérienne ».

L’enseignement dure deux semaines et s’articule en deux temps. Une partie théorique traite du milieu
et de la sociologie du théâtre algérien tandis qu’une partie technique enseigne les procédés de
pacification. Ces cours se nourrissent et s’inspirent largement de l’expérience indochinoise de la
guerre contre révolutionnaire et sera dispensé à près de 7 000 officiers entre 1956 et 1959.

La naissance du CIPCG d’Arzew est liée à la prise


de conscience que les méthodes de contre-guérilla
menées par l’armée française au début du conflit
(jusqu’en 1957) sous-estiment grandement le rôle
majeur de la population. L’approche est
essentiellement militaire. En outre, l’outil est
inadapté car aucune doctrine n’a été élaborée pour
faire face aux modes opératoires rebelles en partie
parce que les matériels sont aussi vétustes. Enfin, la
lutte antisubversive est subordonnée à une
législation qui est celle d’un pays en paix.
Le CIPCG d’Arzew
L’étude de ce qui est enseigné au CIPCG semble http://lh3.ggpht.com
fondamentale en ce sens qu’elle se situe à la charnière

1
Note du général commandant supérieur interarmées aux généraux commandants les corps d’armée et les
territoires du Sud Algérien au 1er septembre 1957.

12
Introduction

entre le sommet de la hiérarchie (qui définit les objectifs, analyse et cherche à mettre à profit les
leçons apprises en Indochine) et les officiers chargés de former leurs hommes et d’agir sur le terrain
afin de remplir les missions qui leur sont confiées. L’enseignement dispensé permet en outre de savoir
si oui ou non, l’armée a compris ce qu’il était nécessaire de maîtriser pour espérer l’emporter et donc,
si elle a su s’adapter à cette lutte particulière au moins sur un plan conceptuel. La réponse paraît
positive et les cours dispensés au CIPCG prouvent que les professeurs ont non seulement compris la
menace mais aussi les enjeux majeurs de ce conflit quant aux actions à mener sur les populations.

13
PARTIE I

L’ACTION REBELLE

15
Partie I : l’action rebelle

PARTIE I : L’ACTION REBELLE

La contre-guérilla en soi n’existe pas mais se définit comme une réaction face à un type de guérilla.
Gérard Chaliand rappelle à juste titre que chaque guérilla est particulière même si certains traits
communs peuvent se dégager2. Tenter d’analyser les mesures envisagées par l’armée française dans sa
tentative de contrôler la population nécessite d’étudier d’abord les procédés rebelles mis en œuvre
pour gagner cette même population dont le soutien - de gré ou de force - est essentiel pour le succès de
sa lutte.

L’insurrection rebelle de la Toussaint 1954 se caractérise


par des actions brutales relevant de modes opératoires
traditionnellement employés par la guérilla et le
terrorisme. Par la suite, le FLN3 développe puis étend ces
modes d’actions qui constitueront l’essentiel de l’action
violente dirigée contre les troupes françaises. Mais
l’insurrection algérienne, qui s’inscrit dans le cadre
d’une lutte révolutionnaire, porte aussi son effort sur le
contrôle de la population. Au fur et à mesure que les
rebelles se structurent, ils mènent une lutte parallèle pour
contrôler la population afin, d’une part, de lui faire
accepter la légitimité de son combat, et d’autre part, de Insurgés algériens en 1954.
s’assurer son soutien. www.rfi.fr

1. Le rôle central de la population


La population est l’élément central de toute guerre psychologique. Le conflit algérien ne fait pas
exception à la règle et à partir du moment où les rebelles commencent à se structurer, ils prennent en
compte cet aspect vital pour le succès de leur combat. Un règlement édité au Caire dans les premières
années de l’agitation définit l'importance de la population. Ce document est rédigé par le major Ali
Faouzi Kachef, commandant le camp des Volontaires de la Mort à Al-Azhar. Celle-ci y apparaît
comme l’un des moyens dont la guérilla dispose dans son combat : « Les partisans ont besoin de la
population pour les ravitailler, les renseigner, leur fournir des guides, et pour soigner leurs malades
et leurs blessés. Il faut donc veiller très scrupuleusement à ne pas nuire à la population amie et, au
contraire, châtier impitoyablement les traîtres ».

De même, une note de service signée par le général Salan (commandant supérieur interarmées) au
sujet de la guerre psychologique menée par le FLN rappelle que « la guerre psychologique est
considérée par les dirigeants du FLN comme l’atout- maître du jeu révolutionnaire, qu’il subordonne
l’effort militaire à l’action politique. L’ALN4 n’est qu’un élément du FLN ; elle n’en constitue pas le
moteur »5. Le commandement français, aidé en cela par l’expérience indochinoise, a donc bien perçu

2
CHALIAND Gérard, Terrorismes et guérillas, Bruxelles, éd. Complexe, 1988.
3
Front de Libération Nationale formé au Caire en 1955.
4
Armée de Libération Nationale, branche armée du FLN.
5
Note de service n° 861/EM.10/PSY/DR du 27 février 1957.

17
Partie I : l’action rebelle

la nature de la lutte qu’il doit mener. Le conflit algérien s’inscrit dans le domaine de la guerre
révolutionnaire et subversive. Guerre révolutionnaire parce qu’elle cherche à gagner chaque individu à
la doctrine FLN ainsi qu’à substituer un ordre nouveau aux structures en place. La révolution FLN se
propose donc de conquérir la population. Guerre de subversion ensuite, par le choix des méthodes et
des moyens de combat.

Une des caractéristiques premières des guérillas tient à leur organisation. Pour qu’une guérilla soit
efficace, elle doit atteindre un degré d’organisation très avancé. Les rebelles algériens ont su se
structurer et organiser leur mouvement en fonction des objectifs décidés par la branche politique. C’est
donc bien l’OPA et son action qui seront les objectifs prioritaires de l’armée française dans le cadre de
sa lutte pour le contrôle de la population.

2. L’Organisation Politico-Administrative (OPA) rebelle

L’OPA cherche à mettre en place des hiérarchies parallèles dont le but est de s’emparer de l’individu
et de le contrôler. À l’échelon le plus bas, dans chaque fraction de douar, on trouve un « comité des
trois » dépositaire de la doctrine et qui contrôle les personnes physiques en les embrigadant dans une
organisation de parti : le FLN. Ce comité est placé sous l’autorité du commissaire politique du secteur.

Le « comité des trois »

Ce « comité des trois » est composé d’un responsable, d’un adjoint politique et d’un adjoint
administratif.
- L’adjoint politique recrute et gère les militants, les adhérents et les sympathisants qui
constituent le Front.
o le militant est l’élément moteur qui doit se tenir en permanence à disposition du
Front.
o l’adhérent doit assister aux réunions. Les militants et les adhérents sont regroupés en
cellules de six personnes dirigées par un chef. Trois cellules forment un groupe. Cinq
groupes forment une section.
o le sympathisant appartient à un groupe auprès duquel il cotise.
- L’adjoint administratif veille sur l’Assemblée du Peuple. Élue par l’ensemble des membres du
Front, cette assemblée de cinq membres se compose ainsi :
o un président ;
o un responsable de l’état civil et des services sanitaires ;
o un responsable culturel (enseignement) et justice (président du tribunal local) ;
o un responsable de la sécurité et des Eaux et Forêts ;
o un chargé des affaires économiques et financières qui collecte les impôts et alloue les
secours aux plus nécessiteux.

Le commissaire politique

Un document rebelle récupéré à Ighil Mimoun est utilisé au CIPCG d’Arzew pour former les officiers
français. Il décrit en détail ce que l’OPA attend de ses commissaires politiques. On y lit que « les
commissaires politiques contrôleront et guideront le comité des trois (…), feront des causeries

18
Partie I : l’action rebelle

éducatives dans les villages (…), veilleront à ce qu’il n’existe aucune


dualité de pouvoir entre le comité des trois (organisation FLN) et le
comité élu de l’Assemblée du Peuple. Les commissaires politiques sont
responsables de la diffusion au sein du peuple des mots d’ordre du FLN
et de sa littérature (…) sont aussi chargés de la finance et du
ravitaillement. C’est sur les commissaires politiques que compte le FLN
pour contrecarrer la propagande insidieuse des SAS6. Les commissaires
politiques ont aussi pour tâche de veiller à ce que nos commandants
d’unité ne commettent aucune faute psychologique ».

Cette tâche est jugée primordiale et dans ce même document, un exemple


est même avancé pour l’illustrer : « Lors du débat au Parlement français
sur le rappel du contingent, un de nos chefs militaires a choisi ce moment
pour monter l’embuscade de Sakamody où des civils (hommes, femmes et
enfants européens) trouvèrent la mort. Un commissaire politique qui suit
de près la situation politique aurait déconseillé au chef militaire cette
Exemple de journal officiel
embuscade dont les conséquences furent lourdes pour notre cause ».
du FLN : El Moudjahid.
Le commissaire politique possède donc des pouvoirs et attributions assez
étendus. Globalement, il organise et éduque le peuple, prend en charge la propagande et l’information,
mène la guerre psychologique et supervise les Assemblées du Peuple.

Les organisations affiliées

Parmi les autres organisations FLN et ALN, des syndicats sont créés pour encadrer les travailleurs.
Parmi eux, l’UGTA pour les salariés, l’UGCA pour les commerçants et l’UGEMA pour les étudiants7.
Cependant, en milieu rural, c’est l’Assemblée du Peuple qui traite le plus souvent de la plupart des
problèmes professionnels.

6
Les SAS sont l’abréviation des Sections Administratives Spécialisées. Créées en 1955, elles sont les lointaines
héritières des Affaires indigènes du Maroc. Pour plus de détails : LTN Jouan et LTN Lasconjarias, Les Sections
Administratives Spécialisées, un outil pour la stabilisation, Paris, CDEF, 2006.
7
UGTA : Union Générale des Travailleurs Algériens.
UGCA : Union Générale des Commerçants Algériens.
UGEMA : Union Générale des Étudiants Musulmans Algériens.

19
Partie I : l’action rebelle

3. L’organisation territoriale du FLN

Organisation territoriale du FLN en Algérie.

Enfin, l’organisation d’ensemble des hiérarchies fonctionnelles repose sur le schéma suivant. Le pays
est divisé en 6 Wilayas (provinces). Chaque Wilaya est divisée en Mintaqas (zone). Ces dernières
regroupent des Nahias (région) elles-mêmes découpées en Kasma (secteur). À chacun de ces échelons
se trouve un chef politico-militaire assisté d’un adjoint politique, d’un adjoint militaire et d’un adjoint
liaisons/ renseignement.

Les rebelles algériens sont parvenus à créer un appareil de guerre révolutionnaire capable de convertir
la population, de l’informer, l’éveiller et la contrôler. C’est donc cet outil, qui n’est véritablement
opérationnel qu’à partir de 1956, que l’armée française doit combattre et détruire si elle veut gagner
les cœurs et reprendre l’initiative.

20
PARTIE II
CONNAITRE

21
Partie II : connaître

PARTIE II : CONNAITRE

La lutte en Algérie met en avant l’importance du


renseignement. En Indochine, ce renseignement
avait été en partie négligé et « très peu développé en
raison de la peur du double jeu »8. Il se fonde alors
essentiellement sur les documents pris à l’ennemi et
très peu sur le renseignement d’origine humaine.
Les leçons de la défaite sont cependant tirées et lors
du conflit algérien, le renseignement devient un
objectif capital recherché à tous les échelons. Mais
cette recherche du renseignement ne peut se faire
que si les hommes chargés de sa collecte ont une
idée précise du milieu dans lequel ils évoluent. Un
rapport de fin de mission du 2ème Régiment de
Tirailleurs Algérien daté du 27 octobre 1957 montre
bien que seule la connaissance parfaite de Une opération dans les Aurès en 1957. Source :
http://www.djelfa.info
l’environnement permet d’acquérir du
renseignement :
« Les brillants résultats de cette opération sont le fruit d’une œuvre de longue haleine
basée :
- sur la connaissance du milieu géographique et humain ;
- sur la destruction lente et progressive de l’organisation politico-administrative ;
- sur la recherche patiente et minutieuse du renseignement »9.

1. Enseigner la connaissance du milieu

Le centre d’Arzew a pour vocation première de faire connaître l’Algérie aux troupes qui arrivent de
métropole. Les stages durent une quinzaine de jours et s’adressent à des publics divers. Il s’agit
essentiellement d’un public d’officiers mais on trouve aussi des stages courts destinés aux militaires
du rang. En outre, on distingue les formations destinées aux officiers supérieurs de celles des officiers
subalternes. L’enseignement se veut didactique et s’appuie sur des méthodes pédagogiques variées.

1.1 Des conférences adaptées

Les instructeurs d’Arzew font effort sur la connaissance de la population musulmane et attachent une
grande importance aux domaines de l’ethnologie et de la sociologie. Comprendre l’environnement
de l’Algérie en 1956-1957 passe par la présentation nécessairement complexe mais riche d’un
pays et d’une population où les ethnies, les pratiques sociales et culturelles et les relations avec le
colon sont multiples et diverses. Un dossier particulier demeuré dans les cartons du Service
Historique de la Défense permet d’illustrer la variété des sujets abordés en sept conférences10: le

8
Service Historique de la Défense, carton R4378, guérilla n°8.
9
Service Historique de la Défense, carton 1H 2523.
10
Service Historique de la Défense, carton 1H 2524.

23
Partie II : connaître

monde musulman, le milieu musulman, la mentalité musulmane algérienne, les réalités algériennes (en
deux temps), des généralités sur l’évolution du monde musulman et enfin l’évolution politique de la
population musulmane.

Ces conférences s’appuient sur des textes d’universitaires ; la septième conférence s’appuie ainsi sur
un article de Jacques Soustelle paru dans la revue Défense Nationale de juillet 1956 et intitulé « La
rébellion algérienne dans le cadre du panarabisme ». Il s’agit de décrire les menées étrangères en
Algérie et de définir le plan d’action des nationalistes à
l’intérieur. Cet article se caractérise par une tonalité assez
violente qui reflète les préoccupations de l’époque :

« Lentes à s’émouvoir, les démocraties laissent


toujours l’avantage initial à l’adversaire. Sauront-
elles, avant qu’il ne soit trop tard, éteindre le foyer
d’insécurité et de guerre allumé au Moyen-Orient et
en Afrique par l’impérialisme panarabe ? »

Ailleurs dans ce même texte, certains États de la région


sont directement pris pour cible : « La baudruche
égyptienne et panarabisme peuvent encore être
dégonflés » affirme un auteur anonyme. D’autres articles,
Le colonel Nasser, défenseur du
tel celui de François Luchaire, professeur de droit à la panarabisme.
faculté de Nancy, intitulé « l’Union française et l’Islam » www.weekly.ahram.org.eg
apparaissent encore plus virulents dans leurs critiques
puisque l’auteur accuse l’islam d’être le « plus énergique
dissolvant de l’union française ».

Les thèmes abordés sont essentiellement politiques. Il s’agit en effet de donner aux cadres une
conscience politique et un aperçu des enjeux pour lesquels ils combattent. Ces conférences sont
complétées par un cours intitulé « sociologie pratique » qui aborde des questions beaucoup plus « terre
à terre » où les acteurs sont confrontés à des cas concrets qui nécessitent leur participation active.

1.2 Les débats

Après les conférences viennent les débats, essentiels : « En préambule, l’instructeur parle du
contact et de la volonté de connaissance du milieu que l’officier doit manifester en Algérie ». Cette
séance se veut ouverte et les archives conservent une liste des principales questions posées. Elle reflète
bien les préoccupations des stagiaires face à un monde et à un conflit nouveaux :
- Comment s’initier au dialecte algérien ?
- Quelles erreurs et « gaffes » éviter ?
- Quel comportement adopter vis-à-vis des femmes et quels mots sont interdits ?
- Comment réagir face aux taquineries et aux « mises en boîte » ?

On note une véritable soif de connaissances et cette séance de « sociologie pratique » connaît un
grand succès comme le note un des rapports du centre : « La formule des débats se révèle la plus

24
Partie II : connaître

payante, elle amène souvent à des exposés qui forcent l’intérêt, même des plus indifférents »11.

Le cours de sociologie aborde également les autres composantes de l’Algérie française :


- Les Européens d’Algérie : des données statistiques, historiques et sociologiques sur ces
communautés sont fournies aux élèves afin de casser certains clichés et favoriser l’élaboration
d’une contre-propagande efficace. La majorité des pieds-noirs appartiennent en effet aux
classes modestes et ne se résument pas à une aristocratie de grands propriétaires terriens.
- Les élites musulmanes : après une étude de leurs histoires respectives, elles sont réparties entre
élites européanisées et arabisées.
- Les Français de souche nord-africaine : les informations données sur cette catégorie visent en
priorité à préparer les officiers français à commander des troupes autochtones. Les cours
soulignent le caractère secret, fier et susceptible des jeunes Algériens, leur respect pour la
puissance et leur sens élevé de l’honneur. Ces qualités en font des soldats exceptionnellement
loyaux et dévoués pour peu qu’on leur accorde la considération nécessaire.
- Les femmes algériennes : leur rôle et leur position dans la société algérienne sont précisément
décrits à travers l’étude du droit coutumier de la famille et de l’interprétation locale de la
charia.

Le but de ces cours est simple : donner un aperçu simple et honnête d’un pays en transition, l’Algérie,
et permettre aux officiers de pouvoir entrer en contact avec les couches les plus nombreuses de la
population, les huit millions d’autochtones.

1.3 Les cas concrets

Les cas concrets, s’ils existent, restent paradoxalement minoritaires dans l’enseignement dispensé à
Arzew. Cependant, leur présence est un signe fort de la modernité de l’enseignement dispensé. On
peut les classer en deux grandes catégories : les études en salle et les sorties sur le terrain. Les sorties
sur le terrain ont pour but l’apprentissage des méthodes de contre-guérilla. Elles ne sont pas
systématiques et sont plutôt réservées aux officiers subalternes et aux sous-officiers. Les études de cas
concret consistent plutôt en exercices sur carte ou en études de dossier dont le résultat est restitué sous
forme écrite. Ainsi, à partir d’un dossier de situation, les stagiaires doivent réaliser un tract à
destination d’une population pour répondre à des objectifs précis. Cette préparation à la guerre
psychologique et aux opérations d’influence sont très originaux et répondent à des préoccupations
constantes du commandement : comment s’assurer de la fidélité et du soutien des FSNA12 ? Comment
former des cadres qui sachent comprendre leur environnement ? La réflexion prend alors un tour plus
politiques : « Alors messieurs, mettez-vous à la place de l’Algérien et que feriez-vous si vous aviez à
choisir entre trois civilisations : la civilisation berbère, la civilisation arabe ou la civilisation
occidentale ? »

Entre 1957 et 1961, le centre d’Arzew forme presque 80% des officiers ayant servi en Algérie. Ce
stage se déroule le plus souvent dès l’arrivée sur le théâtre même si certains cadres n’y participent que
plusieurs mois après. Tous soulignent alors l’intérêt du stage et leurs regrets de n’avoir pas pu le
réaliser plus tôt. L’ensemble des stagiaires répète et affirme que leur action aurait été plus efficace

11
Service Historique de la Défense, carton 1H 2524.
12
Français de Souche Nord Africaine. Les Harkis sont 56 128 en décembre 1959.

25
Partie II : connaître

s’ils en avaient bénéficié. L’intérêt de connaître la population dans ses composantes et ses habitudes se
trouve souligné par un rapport de la 10ème division parachutiste datant de mars 1957. Il montre le lien
entre une bonne connaissance du milieu et le recueil du renseignement opérationnel : « D’autre part, il
est primordial d’étudier de très près les réactions de la population. Si celle-ci se dégèle (les enfants
vont à l’école, nos tracts sont lus ouvertement), il y a de fortes chances pour que les suspects arrêtés
soient importants. Dans le cas contraire, on doit conclure qu’il reste encore en liberté des équipes de
tueurs ou des agents de renseignements dont la population craint les représailles après le départ des
forces de l'ordre ».

2. Le renseignement
Une fois la connaissance du milieu acquise, le chef ou ses subordonnés sont plus à même d’extraire du
renseignement de toutes les situations de la vie quotidienne. Ainsi, le CIPCG cite en exemple dans
l’un de ses cours un compte-rendu de la 27ème division d’infanterie alpine :

« Après un séjour de quelques mois dans le même douar, le commandant de sous-


quartier pourra connaître la plupart des habitants et détecter la présence de rebelles ou
d’agents rebelles d’après l’ambiance générale : attitude de la population d’un village,
changement dans les habitudes pastorales ou agricoles, nouveaux bergers, mise en scène
trop accentuée etc. Ces exemples ne sont pas limitatifs, la situation du commandement de
sous-quartiers est analogue à celle du médecin qui connaît bien son malade et juge son
état du premier coup d’œil ».

Les leçons de la guerre d’Indochine sont alors jugées


comme assimilées et le renseignement est devenu,
sous la pression constante du commandement, l’affaire
de tous. En outre, le renseignement provenant des
populations musulmanes est pris en compte avec plus
d’attention et le double jeu semble moins redouté.
Sans doute cela tient-il au fait que le théâtre algérien
est plus connu que l’Indochine. Plus proche, l’Algérie
appartient à la métropole depuis 120 ans quand
l’Indochine était de conquête plus récente.

La connaissance de l’environnement humain La population est la source principale du


renseignement en contre-rébellion.
devient essentielle au moment où la quête du
www.aureschaouia.free.fr
renseignement est jugée prioritaire. Cependant, son
recueil rencontre un certain nombre de difficultés.

2.1 Les problèmes du renseignement

« Le manque de renseignements sur l’ennemi est l’une des caractéristiques de la lutte


actuelle. On parle de « mur » infranchissable entre la population musulmane et les
français de souche »13.
13
Service Historique de la Défense, carton 1H 2524.

26
Partie II : connaître

Malgré la préparation des cadres au centre d’Arzew, le fossé culturel demeure important et pose des
problèmes dans le recueil d’informations à caractère opérationnel. Ainsi, au mois de novembre
1957, le CIPCG aborde dans son cours destiné aux officiers supérieurs les problèmes du
renseignement :
- La crainte inspirée par le terrorisme rend les « informateurs » plus rares ;
- L’insécurité qui règne dans de nombreuses zones rend impossible le travail normal des
services de police ;
- La poussée de xénophobie dans le monde musulman en relation avec l’évolution générale de
la situation politique limite les relations entre occidentaux et « indigènes ».

Ces lignes mettent en relief les problèmes que rencontre la recherche d’information dans des espaces
qui ne sont pas sécurisés. Elles montrent la schizophrénie du renseignement, indispensable dans le
cadre de « la guerre moderne », mais d’autant plus abondant que la sécurité règne dans la zone en
question. Il faut donc lutter sur deux fronts : détruire les bandes armées et rechercher le renseignement
qui permet cette destruction. En outre, dans le cadre de la recherche de l’information, le renseignement
humain n’est pas le seul à être utilisé. On note également un effort d’adaptation du renseignement en
utilisant les nouvelles techniques mises à disposition. Ainsi le cours du CIPCG destiné aux officiers
supérieurs insiste sur l’effort d’adaptation dans différents domaines :

« Cet effort d’adaptation, nous allons le retrouver :


- Dans les conditions générales du fonctionnement de l’appui aérien en Algérie, objet de
notre première causerie ;
- Dans l’étude particulière de l’opération héliportée que nous verrons ensuite ;
- Enfin, de l’importance qu’il convient d’apporter à la photo aérienne qui constituera
notre troisième exposé ».

Le CIPCG attache un grand intérêt aux techniques


modernes et en particulier aux photographies aériennes. Si
cette technique est connue depuis longtemps14, l’amélioration
de la technique fait que ce sont de véritables films dont
dispose le commandement. De plus, ces images sont
systématiquement employées et une filière se développe afin
que le renseignement issu des photographies aériennes soit
appliqué dans les délais les plus brefs.

2.2 La collecte du renseignement

Les méthodes pour collecter le renseignement sont


nombreuses. La première tient à la connaissance et à Nomadiser dans le désert ou dans le
l’observation du milieu. Il faut néanmoins le chercher au djebel pour collecter du renseignement
sein de la population. Or, l’Algérie des années 1950-1960 www.ecpad.fr
demeure un pays essentiellement rural. Des opérations de

14
La photographie aérienne est connue depuis la Première Guerre mondiale et elle a été activement utilisée au
cours de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi les Allemands utilisaient une technique consistant à peindre des
convois motorisés sur les routes pour égarer les analystes alliés sur leur véritable force.

27
Partie II : connaître

nomadisation sont alors montées pour quérir le renseignement au milieu de populations qui ne sont pas
directement défendues ou protégées par des détachements en poste. Cependant, cette méthode présente
un certain nombre de difficultés :

« Pour la majorité des cadres, la nomadisation évoquait un déplacement continu de


plusieurs jours en zone d’insécurité, coupés de haltes, bivouacs et dont le but essentiel est
de montrer la présence des forces de maintien de l’ordre afin de rassurer les populations
hésitantes et de recueillir ainsi des renseignements. En partant de cette conception, les
unités, plus ou moins chargées, plutôt plus que moins, encombrées d’animaux de bât,
mulets réglementaires ou ânes récupérés, suivent passivement les pistes ou les sentiers,
parcourent un nombre considérable de kilomètres et rentrent épuisés au cantonnement
après avoir vainement battu la campagne pendant trois ou quatre jours. Après plusieurs
nomadisations ainsi effectuées, cadres et troupes, déçus, ne croient plus au procédé ou
bien sont persuadés que les bandes rebelles n’existent pas. Les officiers de renseignement
s’imaginent bien souvent que les régions ainsi visitées sont libérées, momentanément du
moins, de l’emprise des Hors-la-loi »15.

Ces actions de nomadisation forcées ont peu d’impact dans le recueil du renseignement. Elles
permettent néanmoins dans des régions déjà pacifiées de montrer l’armée aux habitants et de participer
à la reprise de la confiance.

Dans les villes, selon le système mis en place par le colonel Trinquier, la première étape consiste à
recenser la population urbaine avant de la ficher et de l’organiser dans le but de fournir du
renseignement et d’assurer à terme son autodéfense par la constitution de groupes armés. Le
recrutement d’agents urbains est grandement facilité par la présence continue de forces de sécurité.
Ces derniers suivent tout d’abord une formation basique à la transmission discrète d’informations et à
l’identification des responsables adverses. Ils reprennent ensuite leur travail originel qui sert à la fois
de couverture et de source régulière de revenus. Les meilleurs agents s’avèrent les membres de base
du FLN, parfois recrutés de force par la rébellion. Peu difficiles à convaincre et à retourner,
compromis une fois qu’ils ont dénoncé leurs anciens camarades, ils n’ont plus d’espoir que le succès
de la cause française. Les plus fiables d’entre eux remplissent parfois des tâches d’agent double.

Pour les habitants des zones rurales, certains sont armés et placés dans les groupes d’auto-défense que
mettent en œuvre les SAS. On leur confie la défense des villages et de quelques douars. Cette politique
s’accompagne pour l’armée régulière d’un abandon des postes statiques et la création de commandos
de chasse couplée à des opérations de ratissage16.

2.3 Préserver le secret des opérations

Dans un cours intitulé « Facteurs de base dans la lutte contre la guérilla », le CIPCG d’Arzew
s’attache à définir les facteurs de succès dans la lutte contre les bandes armées et donc dans la
conquête des cœurs de la population. Ces facteurs de succès sont les suivants :

15
Compte rendu de la 10ème Région Militaire. Cité par le CIPCG dans le cadre du cours sur la collecte du
renseignement. Service Historique de la Défense, carton 1H 2524.
16
Colonel Trinquier, La guerre moderne, Paris, 1961.

28
Partie II : connaître

- le renseignement ;
- les préparatifs ;
- la préservation du secret.
Ce dernier impératif de maintien du secret est rappelé dans un compte rendu de la 19ème division
d’Infanterie (4 juin 1956) : « Quelques précautions élémentaires visant à réduire au maximum les
indiscrétions (pas d’ordres écrits, exécutants et subordonnés prévenus au dernier moment etc.) jointes
à l’exploitation opportune de « filières d’intoxication » protègent le secret de l’opération »17. Mais le
secret demeure d’autant plus difficile à préserver que les troupes vivent au milieu de la population et
que leurs faits et gestes sont très vite connus. Il importe alors pour la réussite des opérations de
conserver le secret ou de monter des opérations de déception.

Ces quelques éléments rappellent l’importance qu’attache l’armée française des années 1950-1960
à la connaissance d’une population avec laquelle elle vit et pour laquelle elle combat. Cet
apprentissage est considéré comme préalable à la conquête des cœurs. Les leçons de la guerre
d’Indochine ont été retenues et l’armée les applique au cours du conflit algérien. La guerre
d’Indochine a également montré la valeur du renseignement dans la lutte contre la guérilla. On
assiste alors en Algérie à une recherche permanente du renseignement et à son traitement systématique
en vue de son utilisation opérationnelle. Culte du renseignement qui se transformera parfois en dérive
lors des interrogatoires.

17
Service Historique de la Défense, carton 1H 2524.

29
PARTIE III
INFORMER

31
Partie III : informer

PARTIE III : INFORMER

Dès le début des opérations en Algérie, l’emploi de l’arme psychologique apparaît primordial
dans les opérations de contre-guérilla. À tel point que le Ministre de la Défense Nationale et des
Forces Armées édite une Instruction provisoire définissant différents termes :

« L’action psychologique est la mise en œuvre coordonnée de mesures et de moyens variés


destinés à éclairer l’opinion et à orienter les sentiments, l’attitude et le comportement de
milieux neutres ou amis, dans l’intention :
- de contrecarrer l’influence adverse ;
- de se ménager la sympathie agissante des neutres ;
- de fortifier la détermination et la volonté combative des milieux amis. Elle utilise
couramment des techniques spécialisées telles que l’information et dans une
certaine limite la propagande.
L’information est la communication de tous faits, nouvelles, explications, destinés à donner
aux individus et aux groupes auxquels elle s’adresse, les moyens de fonder objectivement
leur opinion.
La propagande est la communication de tous faits, nouvelles, explications, destinés à
exercer une pression sur l’émotivité, l’esprit, les tendances et en dernière analyse, le
comportement d’un groupe donné, au bénéfice du groupe qui les diffuse.
La guerre psychologique est la mise en œuvre concertée de mesures et de moyens variés,
destinés à influencer l’opinion, les sentiments, l’attitude et le comportement d’éléments
adverses de manière à les modifier dans un sens favorable à la réalisation des objectifs de
la guerre »18.

En Algérie, l’information de la population est donc reconnue comme une des clefs du succès de
son contrôle pour permettre de remporter le combat contre l’insurrection. C’est la raison pour laquelle
elle fait l’objet d’une théorisation et d’une mise en application simultanée sur le terrain.

1. Une théorisation de l’information


Élaborée par les penseurs militaires français de la contre-guérilla, qui s’appuient eux-mêmes sur leur
expérience des camps de prisonniers du Viêtminh et sur les écrits de Mao Zedong pour qui : « dans la
guerre, le terrain de manœuvre est la population et la conquête de son opinion, l’objectif principal »,
l’information est théorisée à Arzew et précisée au gré des différents retours d’expérience.

1.1 L’instruction dispensée au CIPCG d’Arzew

Pour savoir quoi dire, il convient de savoir à qui le dire. L’étude des milieux que l’information doit
atteindre est un des axes privilégiés par le CIPCG au vu de l’hétérogénéité de la population algérienne.
Par exemple, on distingue dans la seule couche musulmane : au plan ethnique, les Arabes et les
Berbères ; au plan social, les chômeurs pauvres et les bourgeois riches ; selon le genre de vie, les
sédentaires, les nomades et les semi-nomades ; au plan religieux, les Mozabites et les Kabyles, les

18
TTA 117, Instruction provisoire sur l’emploi de l’arme psychologique, réédité par le CDEF, 2008.

33
Partie III : informer

fanatiques et les évolués… À Arzew, on apprend :

- que dire et pourquoi le dire ? Les valeurs sur lesquelles s’appuyer sont la paix, le progrès et le
respect de la force, de la justice, de la dignité humaine et de la liberté individuelle.
- à qui s’adresser ? Les populations à informer sont successivement les forces de l’ordre, les
Européens, les élites musulmanes, les masses musulmanes engagées (avec nous) et attentistes (la
majorité), les rebelles, les Français de métropole.
- comment le dire ? Pour être fructueuse, une information objective se doit d’être permanente,
offensive, adaptée, préparée et contrôlée.

Cette instruction s’appuie également sur des travaux pratiques destinés à apprendre à élaborer des
tracts (persuasifs, de renseignement, d’information, de directives, d’instructions…), des affiches, des
sérigraphies, des panneaux photo, des documents sonores, …

1.2 Les évolutions apportées

L’expérience des Moniteurs Itinérants d’Action Psychologique remonte régulièrement vers le 5ème
Bureau où elle est analysée pour donner lieu à des améliorations. Ainsi le 23 novembre 1956, le
Commandant Feaugas, chef des Officiers Itinérants, note qu’il faut :

« - Multiplier les halls de propagande et les


panneaux et mettre en place dans tous les
centres le panneau d’information ;
- Inciter les postes de contrôle à procéder aux
vérifications d’identité dans un hall de
propagande ou devant un panneau
d’information et à clore le contrôle par une
explication psychologique ;
- Exercer son action sur les marchés, surtout
dans les zones d’habitat dispersé ;
- Inciter les patrouilles de nuit à faire
connaître leur passage en collant des
papillons afin que les populations se sachent
protégées ;
Diffusion de messages par hauts-parleurs en
- Utiliser au maximum haut-parleurs et
1957 à Alger.
www.ecpad.fr
magnétophones. Il faut rendre plus vivantes
les bandes magnéto […] Il faut imiter la voix
du speaker tunisien ou cairote, reproduire son indicatif, puis le contrer et le ridiculiser.
Alterner les indicatifs musicaux : le sien, mensonge ; le nôtre, vérité » 19.

Mais au début chacun « y croit sans y croire », c’est-à-dire croit aux principes de l’information mais
en perçoit mal les applications et doute des résultats qui pourraient être obtenus. C’est la raison pour
laquelle des structures concrètes sont érigées.

19
Note sans numéro du commandant Feaugas du 26/11/1956.

34
Partie III : informer

2. Une mise en œuvre sur le terrain


Cette information imaginée par les théoriciens est mise en œuvre sur le terrain en deux étapes avec
l’instauration successive des Moniteurs Itinérants d’Action Psychologique puis celle des équipes
psychologiques.

2.1 Les Moniteurs Itinérants d’Action Psychologique ou Officiers Itinérants (OI)

Le 10 juillet 1956, le Ministre-résident met à la disposition des


forces armées à l’échelon des compagnies trente Officiers
Itinérants pour soutenir les cadres spécialisés dans l’action
psychologique. Ces OI ont pour mission de « convaincre,
instruire et aider les cadres des unités stationnées en dehors des
villes dans leur rôle d’action psychologique »20. Le 20 juillet
suivant, 25 OI ex-prisonniers du Vietminh sont en outre
détachés afin d’aider « à la réalisation d’une vaste campagne
de désintoxication et de rééducation de la population
musulmane, faute de quoi demeureraient sans effet durables nos
succès militaires »21.

Chaque Officier Moniteur est rattaché à un certain nombre de


bataillons (8 en principe) parmi lesquels il effectue des circuits
d’environ un mois en faisant des démonstrations de séances de
propagande. Après un an d’expérience, en mars 1957, une
nouvelle augmentation du nombre d’OI permet d’en affecter un
Panneau d’affichage dans le cadre de ou deux par Zone Opérationnelle tandis que les autres sont mis
l’action psychologique
à la disposition des officiers généraux pour la pacification. Leur
www.djelfa.info
rôle est de commenter et développer aux unités, les directives
du Ministre Résident Général en Algérie ainsi que de convaincre les cadres et la troupe de
l’importance de l’action psychologique et d’en enseigner les méthodes.

2.2 Les équipes psychologiques

Le 1er mai 1958, le général d’armée Salan, commandant la 10e Région Militaire et Commandant
Supérieur Interarmées envisage la constitution d’« équipes psychologiques » à partir de harkis
sélectionnés22. Aux ordres de l’Officier Psychologique de Quartier, elles se composent :
- d’un gradé européen si possible interprète et capable de jouer à la fois un rôle civique et
psychologique tout en commandant une patrouille lors d’un coup de main ;
- et de 9 harkis choisis de préférence parmi les anciens fellaghas ralliés, prisonniers ou hébergés et à
défaut parmi ceux ayant suivi un stage à Arzew ou dans un centre de rééducation.

Elles ont pour mission :

20
Lettre n°2477/CM du Ministre Résidant du 05/07/1956.
21
Note de service n°1716/EM.10/BP du 20/07/1956.
22
Note de service n°0999/RM.10/5-OPS-S.

35
Partie III : informer

- de participer à la lutte contre l’Organisation Politico-Administrative (OPA), soit en recherchant le


renseignement par coups de main ou par contacts avec la population, soit en montant des actions
destinées à détruire des éléments rebelles ;
- d’assurer l’instruction de la population par des réunions publiques ou des contacts personnels dans
les lieux de rassemblements de population (cafés, marchés, …) ;
- de contrôler l’organisation de la population afin de détecter les individus douteux et ceux qui sont
sûrs afin de leur donner des responsabilités dans une administration future.
Pour cela, elles sont équipées de 4 PM, 6 fusils de chasse et 6 fusils de guerre prélevés sur l’armement
récupéré sur les rebelles. Elles reçoivent une formation civique et psychologique ainsi qu’une
instruction militaire toute entière orientée sur l’agressivité et comprenant du close-combat, du tir
instinctif et du travail en patrouille.

Parallèlement à l’action de ces éléments dispersés sur le terrain et afin de faciliter leur mission en leur
permettant de disposer d’outils d’information supplémentaires, des moyens communs sont mis en
œuvre avec notamment une émission radio : « La Voix dans le Désert » et des journaux tels que
Contact et Bled. En 1958, on envisage même d’éditer sous la forme d’une bande dessinée un
témoignage d’officier engagé dans la lutte contre la rébellion, Nous avons pacifié Tazalt de Jean-Yves
Alquier.

La guerre psychologique qui s’oppose aux rebelles et l’action psychologique qui porte sur la
population sont complémentaires. Elles s’appuient donc fortement sur l’information délivrée sur le
terrain par les équipes idoines. Elle obtient parfois des résultats semblables à ceux des unités
combattantes. Le 22 février 1960, une bande de 22 hommes avec armes et bagages se rallie à
Djermane dans les Aurès ; ce ralliement ne fait l’objet d’aucune pression militaire particulière mais les
anciens insurgés soulignent la qualité d’une action psychologique en profondeur qui persuade, attire,
menace ou promet.

36
PARTIE IV
EDUQUER

37
Partie IV : éduquer

PARTIE IV : EDUQUER

La politique et le rôle des armées françaises dans le travail d’éducation des populations en
Algérie est clairement formalisé dans l’enseignement dispensé au centre d’Arzew23. Imaginative,
évolutive, volontariste bien que tardive, elle donne lieu à de nombreuses initiatives. L’éducation se
distingue de l’information et de la propagande en ce qu’elle vise un objectif durable de
formation des individus et des citoyens. Les deux premiers procédés visent quant à eux des
objectifs à court terme.

1. La politique d’éducation
Dans son discours du 3 octobre 1958 annonçant le plan de Constantine, le général De Gaulle déclare :
« l’avenir auquel la France appelle l’Algérie, c’est la transformation profonde de ce pays si
courageux, si vivant, mais aussi si difficile et souffrant, qu’il faut réaliser ». L’amélioration des
conditions de vie, le développement des ressources du sol et des élites sont au cœur de ce projet.
De surcroît, la lutte contre l’organisation rebelle passe par son démantèlement mais surtout par le
ralliement de la population. Cette dernière cristallise son opposition autour de trois motifs de lutte à
combattre simultanément :
- un motif obsessionnel avec le mythe de
l’indépendance ;
- un motif passionnel avec la difficulté des rapports
entre les communautés ;
- un motif rationnel qui tourne autour des raisons
légitimes d’insatisfaction.
L’éducation poursuit donc le triple but d’« engager la
population dans l’action en lui faisant prendre conscience de la
lutte qu’elle subit et du choix que lui impose cette lutte ; ensuite
de former des élites locales définitivement françaises ; enfin de
préparer l’auto-détermination en armant idéologiquement les
populations pour lutter contre l’adversaire ».
L’éducation dès le plus bas âge : une des
missions confiées à l’armée.
Considérant que seule une formation endogène peut être
acceptée en profondeur, l’approche prônée se veut
indirecte et en trois phases :
- initialement, informer pour sensibiliser les masses ;
- puis former dans des centres spécialisés des élites détectées qui deviendront agents
d’influence ou d’exécution ;
- enfin, guider ces mêmes élites vers la formation de leurs coreligionnaires.
L’éducation dispensée vise à former tout à la fois des hommes et femmes modernes, des citoyens
éclairés, des partisans, des Français à part entière :
« - Pour former des hommes et femmes modernes :
- dispenser une instruction académique de base (lecture, écriture, calcul, hygiène,
etc.) ;

23
Conférences – causeries « Éducation de la population » du CIPCG d’Arzew.

39
Partie IV : éduquer

- développer la connaissance de la société moderne et lutter contre les préjugés ;


- faire connaître l’adversaire, faire connaître la France, montrer ce que seraient
une Algérie indépendante, une Algérie province française.
- Pour former des partisans, former sur le renseignement, l’auto-défense, le rôle des
chefs de Douar, des secrétaires de Mairie, des élus locaux, des chefs de cercles féminins.
- Pour former des Français à part entière, former sur le fonctionnement des institutions
françaises et sur la participation à la vie démocratique de la Patrie ».

La mise en œuvre de cette politique se concrétise par une foison d’initiatives et de réalisations variées,
visant en priorité le milieu féminin et la jeunesse algérienne.

2. Les structures dédiées à l’éducation


La situation particulière de l’Algérie est caractérisée par un retard en matière de développement et
d’éducation ainsi que par une poussée démographique exceptionnelle. Elle conduit les autorités
françaises à mettre en œuvre des moyens exceptionnels par rapport aux structures et
programmes éducatifs communs afin de relever le défi de l’éducation des populations. Il s’agit
principalement des Centres d’Éducation Civique et Militaires (CECM) et des Centres de
Formation des Moniteurs et Monitrices de la Jeunesse Algérienne (CFMJA). L’organisation et le
fonctionnement de ces centres, bien que du ressort du pouvoir civil, restent confiée aux militaires
en raison du nombre restreint de cadres civils présent en Algérie.

2.1 En métropole

Premier axe de cette politique d’éducation, le renforcement des structures horizontales de la


population. Il s’agit donc de former les cadres sur qui reposeront l’éducation des quelques cinq
millions de jeunes Algériens. Cette politique éducative se déroule dans deux centres distincts :

- Le Centre de Formation des Monitrices de la Jeunesse Féminine Musulmane (CFMJFM)

Situé à Nantes, ce centre forme pendant 6 mois 150 monitrices et aides-monitrices. Le premier stage
débute le 1er juillet 1959. Il est tourné vers les jeunes femmes françaises de souche musulmane ou
européenne, âgées de 18 à 35 ans et détentrices du certificat d’études primaires. Il comporte des cours
d’instruction générale, une formation médicale et des connaissances des bases du secourisme et de la
puériculture mais aussi des cours d’initiation à la vie moderne et à la sociologie musulmane. À l’issue
du stage, les monitrices et aides-monitrices sous contrat sont affectées dans un des foyers ruraux ou
urbains du Service de Formation de la Jeunesse Algérienne (SFJA). Cette action complète celle des
Comités féminins et des Adjoints Sanitaires et Sociales Rurales Auxiliaires (ASSRA).

- Le Centre d’Entraînement des Moniteurs de la Jeunesse Algérienne (CEMJA)

Créé en 1957 à Issoire, ce centre accueille deux promotions de 500 à 600 stagiaires par an. Ils sont
principalement recrutés parmi les candidats à l’engagement par devancement d’appel et
accessoirement parmi les appelés du contingent. En 1959, ce centre a déjà formé 1 500 moniteurs. En
plus de la formation militaire commune de base, l’instruction dispensée s’articule autour de deux

40
Partie IV : éduquer

grands axes : une instruction sportive intensive (athlétisme, ski, natation, etc.) et une instruction
générale pratique (secourisme, hygiène, civisme, artisanat, etc.) accompagnée de diverses activités
culturelles ainsi que de voyages et « visites d’ouverture » (usines Berliet, barrages hydrauliques, gare
SNCF de Lyon, ports, bases aériennes et navales, etc.).

Une solide formation pédagogique est dispensée pour permettre aux stagiaires d’enseigner à leur tour
ces disciplines. Assimilés à des sous-officiers appelés, les moniteurs retournent en Algérie et sont
affectés par binômes dans les différents organismes du Service de Formation des Jeunes (SFJA),
foyers sportifs ou foyers des jeunes dont ils forment l’encadrement. Certains rejoignent même les
SAS. À l’issue de leur service national, les « CEMJistes » ont le choix de continuer de servir comme
moniteur dans les SFJA, de s’engager ou de reprendre une activité privée.

2.2. En Algérie

- Action vers les élites : les Centres d’Éducation Civique et Militaire (CECM)

Ces centres de formation des élites, au nombre d’un par secteur, visent à établir dans la société
algérienne une hiérarchie verticale qui prolonge la hiérarchie administrative. Ils accueillent leurs
stagiaires pendant un mois et le programme s’articule autour de causeries, en langues française et
arabe portant sur des domaines variés : éducation civique, mission de la France dans le monde, action
rebelle, auto-défense et organisation de la population.

Le point clé consiste ici à identifier et recruter comme stagiaires des hommes de 20 à 40 ans,
susceptibles de devenir des agents d’influence et d’exécution sans autorité officielle. Ceux-ci seront
sélectionnés parmi les élus municipaux, maires ou conseillers de souche musulmane comme
européenne, chefs de douars, de quartiers, d’îlots choisis parmi les anciens militaires, les membres de
groupements professionnels ou sportifs, syndicats, supplétifs, etc. Ils devront se distinguer par leur
valeur intellectuelle et morale, leur force de caractère, mais surtout par leur capacité à rayonner et
s’imposer dans leur groupe social. Leur recrutement, en dehors de celui des élus qui est du ressort des
préfectures et sous préfectures, incombe aux chefs de secteurs et quartiers. Elle requiert donc de la part
des militaires une profonde connaissance des populations.

À l’issue du mois d’instruction, le stagiaire retourne dans son douar. Il est placé sous la bienveillante
et vigilante responsabilité du commandement local qui doit le protéger, le guider, le contrôler ; cette
phase est considérée comme aussi délicate que le recrutement. Pour le protéger, le commandement
doit veiller à ce que le stagiaire ne soit pas isolé et puisse être entouré d’un ou plusieurs anciens
stagiaires du même douar pour le guider et le contrôler. Tous doivent demeurer proches du
commandement qui s’attache à les réunir régulièrement afin de recueillir leurs impressions et leurs
remarques tout en les maintenant informés de la situation.

Très rapidement, les résultats obtenus sont jugés excellents. Ainsi, « dans le corps d’armée d’Oran au
début de l’année 1959, 40% des élus municipaux ont suivi le stage et on estime que 100% l’auront
suivi avant la fin de l’année. En ce qui concerne les cadres des douars et les auto-défenses, l’action
entreprise à conduit à la désagrégation complète de l’OPA dans l’Ouest des massifs du Dahra et de

41
Partie IV : éduquer

l’Ouarsenis »24.

- Action vers la jeunesse : le Service de Formation des Jeunes en Algérie (SFJA)

Crée par arrêté du 1er décembre 1958, le SFJA vise à former et orienter les adolescents et jeunes filles
non scolarisées de plus de 14 ans (chaque année, sur 120 000 garçons atteignant l’âge post-scolaire,
70 000 sont sans formation) en complément des structures civiles compétentes en matière de formation
professionnelle. Ce service s’appuie sur les structures militaires qui couvrent tout le territoire algérien.
Service civil bien que dirigé et animé par des militaires, le SFJA est placé sous l’autorité du Secrétaire
Général de l’Administration en Algérie et la direction du général Dunoyer de Segonzac.
L’encadrement des centres ressortissants du SFJA est constitué d’officiers d’active mais aussi appelés,
de sous-officiers, de moniteurs militaires et de « CEMJistes ». Les structures suivantes sont
privilégiées :

• Foyers sportifs

Encadrés par des « CEMJistes » et dirigés par un officier


souvent issu de la SAS voisine, ils rassemblent 50 à 100
jeunes garçons et filles autour du sport. Ils permettent de
recenser ces jeunes tout en leur donnant un début de
formation humaine, physique et civique. À la fin 1959, on
compte près de 650 foyers sportifs sur les trois départements
algériens.

• Foyers de jeunes (FJ) « CEMJiste » à gauche entouré de quelques


jeunes algériens
Dotés d’infrastructures et d’un encadrement permanents, Crédits : Jacky Malléa
ils visent à donner à une centaine de jeunes garçons et
filles âgés de 14 à 20 ans, en externat, une éducation morale, civique, physique et scolaire de base,
ainsi qu’une formation ménagère pour les jeunes filles et professionnelle pour les garçons. Il existe
différent types de FJ : les FJ « ruraux » dans les regroupements importants définitifs, les FJ « agricoles
» accentuant l’enseignement agricole (en internat) et les FJ qui s’apparentent à des « clubs de jeunes »
dans les quartiers surpeuplés des grandes villes.

• Les « centres de jeunesse »

Dans la « directive d’action sur la jeunesse » 25 du 27 juin 1960, le commandant du corps d’armée
d’Oran établit des Centres de jeunesse qui ont pour but le rapprochement et la fraternisation effective
entre les communautés à travers l’éducation, l’information et la distraction de la jeunesse postscolaire,
sans limite d’âge.

Celle-ci prévoit la mise en place immédiate de centres placés sous l’égide de « comités de patronage »
rassemblant représentants administratifs (municipalités, SAS, personnalités FSE et FSA, organisations
de jeunesse publique ou privée, etc.) et responsables militaires locaux désireux d’en assurer

24
Conférences - causeries « Éducation de la population » du CIPCG d’Arzew.
25
Note n°88/CAO/BDL du CA d’Oran et n°27660/IGR du 27 juin 1960.

42
Partie IV : éduquer

l’animation. L’armée est chargée d’apporter toute l’assistance matérielle possible, en fournissant
notamment des locaux provisoires.

Le soutien de ces centres, dont l’organisation et l’animation ne sont pas figées, incombe selon le cas et
les possibilités aux unités militaires, aux formations du SFJA26, aux officiers de SAS ou à
l’administration civile. Les activités multiples proposées pour ces centres touchent aux domaines
sportifs (sports individuels et collectifs, tourisme, sorties scoutes) culturels, éducatifs (bibliothèques de
jeunes, alphabétisation, explorations, etc.) ou artisanaux (travail du bois, du fer et de l’électricité).
Dans tous les cas, les aspects récréatifs et les distractions sont favorisées (télévision, cinéma, fêtes,
etc.). Il est recommandé à ces centres que les jeunes s’approprient totalement ces lieux en décidant
eux-mêmes de leurs activités.

À chaque échelon du commandement, un officier est désigné pour suivre spécifiquement ces centres et
assurer la liaison avec les comités de patronage. Il s’agit bien là, « dans un véritable esprit de croisade
et avec la ferme volonté de ne pas se laisser arrêter par les difficultés qui ne manqueront pas de se
présenter(…) de faire connaître à toute la jeunesse le vrai visage d’une France unie et fraternelle, de
lui donner des motifs concrets de choisir un avenir français » 27. Une cinquantaine de FJ sont
constitués fin 1959.

• Les centres de formation de la jeunesse algérienne (CFJA)

Centres à dominante technique, ils visent à former en internat pendant une année une élite technique et
ouvrière sélectionnée, autour d’un corps support ou à proximité d’une entreprise. Ils sont dotés d’un
encadrement robuste, composé de cadres militaires et de moniteurs issus des CEMJ. Ils dispensent une
préformation professionnelle et une ouverture sur le milieu économique complétée par une formation
civique et visent à un placement immédiat dans des entreprises partenaires à la fin du stage. Une
centaine de CFJA existent et sont actifs fin 1959.

3. Les structures non-dédiées, participant à l’éducation des populations


3.1 Les sections administratives spéciales (SAS)

L’arrêté du 26 septembre 1955 instituant le Service des Affaires Algériennes


définit dans son article n°4 la mission des officiers SAS :

« Ils sont destinés à assurer toutes missions d’encadrement et de


renforcement des personnels des unités administratives et des
collectivités locales. Ils peuvent, à cet effet, se voir investir des
fonctions identiques à celles normalement exercées par les
administrateurs du service civil ».
Officier SAS coiffé de son
képi de couleur bleu.
www.notrejournal.info
26
Dans le cadre des directives fixées par la note n°1009 du délégué Général du Gouvernement et Général
Commandant en chef du 16 février 1960.
27
Note n°88/CAO/BDL du CA d’Oran et n°27660/IGR du 27 juin 1960.

43
Partie IV : éduquer

Subordonnés directement aux commandants de secteur et aux sous-préfets, leur action est renforcée
par le décret du 2 septembre 1959 qui les charge « de recueillir et de coordonner les propositions des
municipalités concernant le Plan de développement économique et social (…) et de veiller à sa mise
en œuvre (…) de coordonner l’activité des différents services techniques ». Par ce même décret, ils
sont institués représentants légaux des sous-préfets. Leur mission comporte un volet éducatif, à travers
la mise à disposition de crédits pour la construction d’écoles et la scolarisation des enfants (les
enseignants étant fournis par les unités de secteur). L’Algérie comptait 300 SAS le 1er janvier 1956 et
600 un an plus tard.

3.2 Les postes de pacification

« S’apparentant en plusieurs points à celle des officiers de SAS, la mission des chefs de poste de
pacification revêt un aspect militaire et un aspect civil»28. Outil de mise en œuvre de la politique
générale de pacification en Algérie, le poste de pacification (du volume d’une section et sous
l’autorité du commandant de sous-quartier) a pour mission, outre la destruction des bandes armées
et de l’OPA, d’« assurer la promotion humaine, sociale et culturelle des populations
musulmanes, et élever leur niveau de vie ; amener ces populations, par le cœur et par la raison, à
choisir d’elles-mêmes, le moment venu, la solution la plus française ». Parmi ses missions civiles,
le poste doit assurer en liaison étroite avec la SAS la plus proche :
- le recensement détaillé des populations ;
- l’assistance dans des domaines tels que la construction de maisons, l’agriculture ou l’élevage ;
- des missions spécifiques d’éducation :
o La classe pour les enfants de 4 à 14 ans ;
o Les cours du soir pour adultes et adolescents ;
o Les cercles d’union pour jeunes de 15 à 25 ans ;
o L’ouvroir féminin (renforcés d’une femme de colon ou d’une assistante féminine) ;
o L’initiation des enfants au sport et développement physique.

3.3 L’assistance médicale gratuite (AMG)

Organisée par le décret du 16 juillet 1956, l’AMG en Algérie


repose sur un dispositif articulé autour d’antennes médicales
fixes (principalement au sein des SAS) mais aussi itinérantes.
Elle fournit une assistance directe fournie aux populations
locales contribuant au recul des épidémies et à l’amélioration de
l’état sanitaire général (en 1959, les 700 médecins militaires
dispensent environ 16 millions de consultations). Elle a aussi
l’immense mérite de rallier profondément les cœurs et de
largement diffuser une éducation sanitaire de base aux
populations les moins accessibles sans lesquelles nul
développement n’est possible.

Les notions de puériculture dispensées aux femmes sont notamment


Assistance médicale gratuite.
un vecteur efficace d’éducation et d’autonomisation de la femme
www.ecpad.fr
musulmane. Elles sont dispensées par des équipes médico-sociales

28
Directive donnée aux chefs de poste par un commandant de zone - Conférence du centre d’Arzew.

44
Partie IV : éduquer

itinérantes (EMSI) composées d’un médecin secondé par des adjoints sanitaires et sociales rurales
auxiliaires (ASSRA), jeunes filles formées pour seconder un médecin dans ces tâches, dont
obligatoirement une musulmane.

4. L’action spécifique sur le milieu féminin


« Notre mission civilisatrice, en dehors de tout contexte politique, est de transformer
l’Algérie pour permettre à sa population, et particulièrement au milieu féminin qui
représente la moitié du potentiel humain de ce pays de passer sans heurt à une forme
moderne de vie, telle que nous avons l’habitude de la concevoir en Occident ».

Ces mots introduisent la conférence dispensée aux officiers formés au centre d’Arzew sur le milieu
féminin en Algérie. L’objectif est bien l’émancipation de la femme algérienne ; influente au sein
de son milieu familial, la femme algérienne doit être ralliée à la cause française. L’émancipation
passe par une prise de conscience de leur condition d’infériorité (claustration, interdits sociaux et
religieux, inégalité des droits). Cette prise de conscience sera suscitée par la comparaison avec le statut
des femmes européennes. Les préalables sont un accroissement de la scolarisation féminine pour
diffuser une instruction minimale et une modification des comportements des populations
européennes. La femme algérienne doit trouver une nouvelle dignité à travers de nouvelles marques de
déférence et de considération que les Européens lui témoigneront.

Les actions entreprises s’appuient sur des vecteurs


technologiques mais surtout humains. Parmi les supports
techniques, la radiodiffusion de l’émission hebdomadaire La
tribune de la femme sur France Alger rencontre un vif
succès, créant un courant de solidarité et de sympathie entre
les auditrices. Mais le cœur de l’action militaire s’appuie sur
des équipes de contact, les équipes médicosociales
itinérantes (EMSI). Une EMSI est composée d’au moins une
adjointe sanitaire et sociale rurale auxiliaire (ASSRA), jeune
femme sous statut civil vivant au milieu des soldats du
quartier. Avec seulement 300 ASSRA, le ratio est de 7 000
femmes algériennes pour une équipe médico-sociale
itinérante.
Réussir à convaincre les femmes par les soins, l’écoute,
l’organisation de structures dédiées, etc.
Référendum organisé en Oranie.

Les premières expériences démontrent la pertinence du schéma d’action suivant afin de pénétrer
efficacement le milieu féminin :
1. Implantation de l’équipe dans un quartier choisi par le commandement militaire ;
2. Choix des centres d’intérêt géographiques de l’équipe, afin qu’elle puisse en une
semaine passer 1 à 2 journées dans chaque centre ; les centres d’intérêts doivent être
des douars regroupant au moins 1 500 à 3 000 femmes de 14 à 30 ans.
3. Étude du milieu et porte-à-porte : l’acte médico-social ne constitue pas une fin en soi

45
Partie IV : éduquer

mais doit permettre d’établir le contact et de permettre à la femme algérienne - et aux


hommes - de sortir de son domicile.
4. Recherche de leaders, femmes influentes dans le groupe.
5. Création du cercle : c’est le moment de la création du « cercle féminin », à l’ombre
d’un olivier, dans une cour ou un local. Les femmes (environ 30 à 50) doivent s’y
sentir bien, chez elles, en confiance. Peu à peu, les femmes seront orientées vers
d’autres services en fonction de leurs préoccupations.
6. Création de l’équipe des responsables : les femmes identifiées comme influentes se
verront peu à peu confier de petites responsabilités d’intérêt général (scolarisation,
secours aux indigents, propreté d’une rue, etc.) afin de leur donner, aux yeux de la
population comme d’elles-mêmes une importance sociale susceptible d’accroître leur
rayonnement. Toutefois, aucune ne doit être nommée présidente afin d’éviter les
dissensions.
7. Consolidation : une fois le cercle rôdé, l’EMSI s’en détache peu à peu, sans toutefois
le livrer jamais à lui-même (fragilité du processus) pour reporter son effort sur un
autre cercle tout en maintenant un suivi plus lointain de celui-ci.

Le succès de l’action sur le milieu féminin passe par une action simultanée et réussie sur les hommes
qui sont susceptible de marquer de l’hostilité envers des changements de comportement de leur épouse
ou dans leurs habitudes. L’équipe EMSI doit éviter de se faire du mari un adversaire en associant et
intéressant l’époux au processus à travers des séances d’information organisées à leur intention.

46
PARTIE V
ORGANISER LA POPULATION

47
Partie V : organiser la population

PARTIE V : ORGANISER LA POPULATION

La population non engagée, à quelque communauté qu’elle appartienne, est l’enjeu de l’adversaire
comme des forces de l’ordre. Elle détient la solution du problème, car le succès appartiendra à celui
des deux qui la fera s’engager dans son action. Pour lui faire prendre parti puis l’engager vers sa
tendance française, pour lui permettre de se « tenir seule debout », il est nécessaire d’agir sur elle à
travers plusieurs volets dans lequel s’inscrit, entre autres, son organisation.

1. Généralités
1.1 Définition et buts

L’organisation par les forces armées de la population algérienne a pour objet d’aider les
individus et les groupes composant cette collectivité à se donner des chefs et des structures
susceptibles de faire sentir l’action de ces chefs sur tous les membres de la population.

Il s’agit tout d’abord de faciliter l’engagement des populations dans l’action et leur contrôle, de
diffuser en profondeur, d’adapter et de contrôler l’information et l’éducation de la population. De la
même manière, il est nécessaire de rendre solidaires les individus composant cette population de
manière qu’elle n’offre aucune fissure à l’adversaire tout en décelant les éléments perturbateurs. Le
premier objectif est d’obtenir la participation de tous à la lutte (autodéfense armée et
renseignement). Dans le futur, le but est d’une part de permettre à une masse inorganisée de réaliser
un bond en avant dans un monde moderne sans écraser ses individualités et d’autre part de faciliter
la relève de l’armée par l’administration en favorisant l’éclosion des cadres formés qui jusqu’alors
faisaient défaut.

1.2 Principes

Pour être efficace, le système d’organisation repose sur une double problématique : il est centré autour
d’un pôle d’attraction temporel ou spirituel qui permet en conséquence de pénétrer en chacun des
individus. À l’époque de la colonisation, l’organisation des populations d’Algérie comporte deux
aspects : le premier repose sur une hiérarchie verticale politico-administrative et civilo-militaire, qui
s’arrête à l’arrondissement. Avec les SAS, un effort est mis sur l’échelon local qu’est la commune et
les douars. Le second aspect s’articule autour de quelques organisations horizontales de personnes
groupées en associations diverses autour d’un centre d’intérêt commun.

Dans ce cadre, les forces armées s’efforcent :


- d’orienter dans le sens de son action la hiérarchie verticale à laquelle elle appartient ainsi que
les associations existantes ;
- de prolonger jusqu’à l’échelon des individus avec lesquels elle est au contact, les différents
modes de son action, de créer, d’animer et de guider dans la masse inorganisée de nouvelles
organisations et associations.

Cette action se déroule en trois phases :


- une phase de contrôle surimposé qui aboutit à la mise en place d’une organisation élémentaire;

49
Partie V : organiser la population

- une phase d’engagement dans l’action des populations ainsi sommairement organisées, qui
conduisit à leur mise en autodéfense idéologique et armée ;
- une phase d’engagement dans l’action de toutes les couches de la population qui aboutit à leur
auto-encadrement et à la suppression du système surimposé.

2. Mise en pratique des principes


2.1 Première phase : s’imposer

Une fois la population retrouvée, elle doit être rapidement organisée pour pouvoir être contrôlée et
ainsi mieux protégée. Il est donc nécessaire de la faire entrer dans une hiérarchie simple et de mettre
en place un organisme capable d’actionner cette hiérarchie. À cet effet, un bureau « population »
composé d’éléments du 2ème bureau (renseignement) et du 5ème bureau (action psychologique) est mis
en place afin de coordonner et orienter l’ensemble de cette action. Pour mettre en œuvre cette première
phase, les forces mènent successivement un découpage des zones puis un recensement de la
population.

- Découpage

En premier lieu, un morcèlement a priori, hiérarchisé et adapté à la fois au terrain et à l’habitat de la


zone considérée est effectué. Ce découpage subdivise la zone considérée en quartiers (ou douars),
îlots (cinq à dix groupes de maisons), groupes de maisons (cinq à dix maisons) et maisons. Chaque
élément est ensuite numéroté jusqu’au plus bas niveau.

- Recensement

Une fois la numérotation des maisons achevée, le


recensement individuel des habitants débute afin d’identifier
les individus, les situer dans le découpage réalisé et
connaître leur place dans la hiérarchie nouvellement créée.
Les chefs d’îlots sont désignés d’office d’après leur
influence29 dans le quartier et non d’après leur tendance
politique. Leur tâche consiste essentiellement à faire
appliquer le règlement de police (appel, circulation des
personnes et des biens, ravitaillement, hygiène, …). La
numérotation issue du découpage est ensuite portée sur les
cartes d’identité ou les certificats de recensement des
habitants.
Recenser la population, une des
Cette organisation primaire permet de commander et de préoccupations des officiers SAS
contrôler une population qui jusqu’alors se trouvait sous www.ecpad.fr

29
L’élection risquait de porter ombrage aux municipalités. L’appel aux volontaires facilitait le noyautage par les
rebelles. Le meilleur procédé consistait donc à la désignation autoritaire effectuée parmi les éléments jeunes,
s’étant fait remarquer par leur attitude ouverte et si possible leur connaissance du français. L’expérience a
montré que les « mauvais chefs » s’éliminaient rapidement d’eux-mêmes.

50
Partie V : organiser la population

l’emprise rebelle. Elle devient de fait un centre de rayonnement30. Concernant les populations
dispersées, la solution adoptée vise à les regrouper dans ce qui deviendrait ultérieurement des villages.
Quant aux nomades, des SAS mobiles les accompagnent dans les temps de transhumance.

2.2 Deuxième phase : organiser

Une fois que les bases du premier dispositif sont jetées, il s’agit de renforcer l’organisation à
travers trois volets : l’encadrement, les organisations horizontales et l’autodéfense.

- L’encadrement

L’organisation primaire mise en place, les forces armées se chargent d’éduquer les chefs désignés ou
ceux qui s’étaient révélés. L’objectif est de les intégrer à l’action pour à terme remplacer les forces
de l’ordre dans les fonctions politiques et administratives.

- Les organisations horizontales

L’organisation primaire se révélant insuffisante, il devient nécessaire de mettre en place des


organisations horizontales capables dans le futur de contrôler démocratiquement leur autorité
respective afin d’éviter le retour à un système féodal. Pour l’Algérie, le commandement supérieur
avait retenu quatre grands groupes d’associations :
- la fédération des unités territoriales et des autodéfenses par le biais des douars31 ;
- les femmes ;
- les jeunes ;
- les anciens militaires.

À titre d’exemple, dès le milieu de l’année 1957, cent responsables de douars sont déjà formés dans
des centres où ils avaient reçu quelques notions administratives, une instruction civique et une
instruction militaire en vue de leur autodéfense et des actions de renseignement. Ils animent une
population d’environ un million de personnes. Cent autres responsables sont alors sur le point
d’achever leur formation.

Pour atteindre les femmes, des équipes médico-sociales féminines composées d’une chrétienne et de
deux musulmanes avaient été créées. Chaque équipe accompagnée d’un médecin rayonnait sur 3 ou 4
douars. Par le truchement de cercles féminins et d’ouvroirs, la possibilité était donnée aux femmes de
s’exprimer et de s’organiser en vue de leur émancipation. Quant aux jeunes, 550 jeunes musulmans
formés fin 1957 au Centre de Formation de Moniteurs de la Jeunesse d’Algérie (CFMJA) relayaient

30
Pour pallier l’incapacité (par manque d’effectifs) d’implanter des troupes dans tous les villages et permettre
aux habitants de travailler sur leurs terres dans des conditions de sécurités raisonnables, les « centres de
rayonnement » sont créés à partir de villages choisis pour leurs facilités d’accès, leur possibilité de défense et
leur proximité des terres cultivables. Un poste d’une vingtaine d’hommes est établi à l’intérieur puis la
population des villages voisins (de l’ordre de 1 000 habitants) se resserre dans ce village « agrandi », alors
protégé contre les incursions rebelles.
31
Les douars représentaient à l’époque la forme des anciennes tribus et avaient chacun leur personnalité et leur
vie propre.

51
Partie V : organiser la population

dans leur ville et village l’instruction reçue. À terme, 2 000 moniteurs devaient être formés. Enfin, les
anciens combattants animaient de leur côté leurs pairs grâce aux réunions fréquentes que les
responsables organisaient dans la Maison des combattants de chaque village.

Ce choix de groupements n’était pas limitatif et chaque échelon de la hiérarchie était habilité à
encourager la création d’associations nouvelles autour de pôles d’attraction d’intérêt local : comités de
l’hygiène, des loisirs, des commerçants, …

- L’autodéfense

Une fois que les responsables revenaient formés de leurs centres et qu’ils commençaient à diffuser
l’éducation qui leur avait été donnée, ils pouvaient demander d’eux-mêmes, et en accord avec les
populations, à s’organiser en groupe d’autodéfense. Il était en effet impératif que l’autodéfense ne
fût jamais décidée autoritairement. Elle devait être sollicitée en toute connaissance de cause par la
population elle-même, après avoir donné des preuves sérieuses de son engagement. L’autodéfense
était ainsi autant psychologique que matérielle et constituait donc le critère du succès de l’action et la
condition de sa poursuite. Elle permettait en l’occurrence l’auto-encadrement de la population,
préalable à son autodétermination.

La formation psychologique et l’instruction militaire primaire données aux chefs étaient poursuivies
sur place. Les meilleurs parmi les hommes armés étaient ensuite envoyés dans des centres de
formation pour y recevoir une instruction complémentaire (éducation civique, renseignement, maintien
de l’ordre, action économique et sociale, …) les rendant capables dans le cadre de l’auto-encadrement
de former à leur tour.

Le volume du groupe d’autodéfense dépendait de la


menace sur zone, des capacités d’action des forces de
l’ordre et des caractéristiques des objectifs à protéger (en
général dix hommes armés par douar). Dans la mesure où
le degré de confiance accordé le permettait, compte tenu
aussi de la nature de l’armement et des possibilités de
contrôle par les forces de l’ordre, il était courant de
laisser les armes entre les mains des habitants32. Les
hommes les plus efficaces s’avèrent être le plus souvent,
d’anciens membres de l’OPA ou d’anciens militaires. En
outre, le ravitaillement était également contrôlé afin
d’éviter tout soutien de la part des habitants au profit des
rebelles dans ce domaine. Enfin, les Commandants de
Quartiers disposaient d’une autonomie financière
suffisante pour pouvoir rémunérer en fonction des
Remise d’un fusil à un harki
www.ecpad.fr
services réels rendus.
Les habitants qui le souhaitaient pouvaient également

32
A partir du moment où l’autodéfense est créée, elle reçoit immédiatement les armes réellement nécessaires à sa
défense et non pas deux ou trois fusils symboliques et inefficaces. L’expérience a montré que les risques pris
l’ont été à bon escient (sur 900 armes distribuées dans le secteur de Cassaigne en 1959, 2 fusils de chasse ont été
perdus par désertion).

52
Partie V : organiser la population

participer à l’autodéfense et à la pacification en rejoignant un harka, un mahgzen (groupes de


combattants autochtones en général affectés à la protection des SAS et des SAU) ou un Groupe
Mobile de Sécurité (chargé d’assurer la sécurité dans les zones rurales). Les harkas, dont les premières
unités furent crées en 1957 dans l’Ouarsenis et en Kabylie, consistaient en un groupe de combattants
autochtones rattachés à une unité française. Leur succès
est dans un premier temps limité par la propagande et les
campagnes de terreur du FLN. Mais à partir de 1958, les
succès militaires français permettent aux harkas
d’accroître leur recrutement. Leur nombre passe de 28 000
à 60 000 en décembre 1958, et 6 000 à 7 000 harkis sont
affectés aux commandos de chasse (soit par adjonction à
une unité française, soit en constituant des unités
autonomes). Les harkas sont souvent constituées de jeunes
gens sans emploi désireux de défendre leurs villages et
leurs familles, hostiles à l’idéologie totalitaire du FLN et
confiants dans la capacité de la France à leur octroyer la
justice sociale et un système de gouvernement plus
démocratique. Les officiers français chargés de
commander ces compagnies recevaient une formation
adaptée au CIPCG d’Arzew.
Maghzen chargé de la protection d’une SAS.

A titre d’exemple, il est intéressant de souligner la qualité des résultats des actions visant à engager la
population dans la région de Geryville (12 000 habitants, en majorité nomades récemment fixés, où
l’OPA y était florissante) entre juin et novembre 1959 :

- Juin-juillet 1959 - organisation primaire

Cette période est placée sous le signe de l’intimidation en ce sens qu’il s’agissait de montrer la
puissance des forces de l’ordre. Après l’isolement de la ville début juin afin d’en contrôler la
population, le recensement est entièrement repris et la localité découpée en 5 secteurs. Fin juillet, un
poste est implanté à demeure dans chaque quartier et les chefs de blocs sont désignés. Durant cette
période, un certain nombre d’occasions sont saisies pour manifester la puissance des forces de l’ordre :
passage, sans ostentation, mais visible de fellaghas capturés, fête sportive avec lâcher de parachutistes,
kermesse populaire avec poser d’hélicoptères.

- Août-septembre 1959 - confirmation de la hiérarchie mise en place

Tandis que le recensement se poursuit, les chefs de blocs sont fréquemment réunis et leurs initiatives
encouragées. Plusieurs comités sont créés : comité du travail, comité du service d’ordre (prélude à
l’autodéfense), comité du moral, comité du cinéma… Rapidement, et à la demande des responsables
locaux les barrages de barbelés sont supprimés dans la ville et le couvre-feu repoussé. Les fêtes
traditionnelles suspendues depuis 5 ans, sont célébrées avec succès. De la même manière, la visite du
général commandant le corps d’armée dans le secteur voit 5000 personnes se presser pour l’accueillir.

À partir du moment où l’autodéfense est créée, elle reçoit immédiatement les armes réellement
nécessaires à sa défense et non pas deux ou trois fusils symboliques et inefficaces. L’expérience a

53
Partie V : organiser la population

montré que les risques pris l’ont été à bon escient (sur 900 armes distribuées dans le secteur de
Cassaigne en 1959, 2 fusils de chasse ont été perdus par désertion). Le principe des harkas, constituées
en vue de renforcer les forces de l’ordre principalement dans le cadre d’opérations militaires ne sera
pas abordé dans cette étude.

Il n’a été achevé qu’en octobre 1959 et s’est révélé incomplet à 50% (une équipe à 5/6 personnes
recense une centaine d’habitants par jour).

Moins de cinq mois après le début des actions, soit dès octobre 1959 commence une période
caractérisée par la création d’organisations horizontales : mouvements féminins, mouvements de
jeunesse et mouvements d’anciens combattants. En outre, épaulés par une quinzaine de militaires
(dont 5 harkis), 15 des 100 chefs de blocs participent volontairement aux patrouilles de sécurité. Le
renseignement arrive et les habitants se montrent confiants. Enfin, à la fin du mois d’octobre, l’OPA
est quasiment détruite, les cellules de terrorisme, de collecte de fonds et de liaison ont complètement
disparu.

2.3 Troisième phase : engager

Une fois la population organisée dans des groupes d’autodéfense, les effectifs de centres de
rayonnement ou des troupes implantées dans l’agglomération sont généralement réduits. Les chefs des
associations horizontales détectés durant la deuxième phase sont envoyés en formation afin de
multiplier les actions d’éducation destinés à l’ensemble de la population.

À terme, ces structures « restaurées ou réformées » doivent se substituer aux forces de l’ordre et aux
bureaux « populations ». Dans ces quartiers de pacification nouvellement créés, la population
remplace d’elle-même les organismes supprimés. L’autorité qui l’anime, la protège et la guide se
transforme en simple autorité de tutelle.

54
CONCLUSION

55
Conclusion

CONCLUSION

La première démarche qu’une armée entreprend lorsqu’elle est confrontée à une guerre révolutionnaire
telle que celle qui éclate en Algérie en 1954 est de comprendre l’ennemi, ses modes d’actions et ses
buts. Le célèbre « de quoi s’agit-il ? » du maréchal Foch initie toute réflexion et ne déroge pas à la
règle dans le cas du conflit algérien.

L’expérience des cadres ainsi que l’épisode indochinois furent bien évidemment des atouts pour
comprendre le soulèvement algérien et s’y adapter. Ceci dit, l’exemple du Centre d’Instruction
Pacification et Contre-Guérilla (CIPCG) d’Arzew montre bien que les cadres de l’armée française
avaient compris les ressorts de la guerre révolutionnaire.

En outre, sous l’impulsion de quelques chefs dynamiques, intelligents et visionnaires dans la lutte
contre l’insurrection, l’armée sait réagir en bâtissant une structure d’enseignement qui a pour mission
de fournir à ses officiers des outils de compréhension de la situation et des clés concrètes pour agir
directement sur le terrain. À cet égard, les niveaux atteints quant aux mesures d’organisation et
d’éducation ne manquent pas de surprendre.

À Arzew, l’armée française démontre un réel savoir faire quant aux modes opératoires à adopter pour
empêcher une guérilla de s’approprier la population. Pour autant, les solutions trouvées et les réponses
apportées ne peuvent s’inscrire dans tous les cadres spatio-temporels ni dans l’ensemble des structures
sociales. Les cours d’Arzew se voulaient adaptés à une conjoncture bien particulière. S’ils se sont
avérés efficaces, c’est bien parce que l’expérience, l’intelligence de situation et la finesse d’analyse en
ont précédé la conceptualisation.

57
59
Centre de Doctrine
CDEF d’Emploi des Forces

Par les forces, pour les forces

Cahier de la Réflexion
8 juillet 2009

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