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FONCTIONS ET CARACTÈRES
PRINCIPAUX DES HÉRAUTS D'ARMES D'APRÈS LES LÉGENDES SUR
L'ORIGINE DE L'OFFICE D'ARMES AU XVE SIÈCLE
Torsten Hiltmann
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TORSTEN HILTMANN*
*. — Torsten HILTMANN, docteur en histoire, Institut historique allemand de Paris, 8 rue du Parc
Royal, 75003 Paris. Je remercie cordialement mes collègues Franck Viltart et Valérie Bessey pour
avoir corrigé ce texte en bon français, ainsi que Patricia Wiegmann pour m’avoir aidé à mettre en
ordre les notes de bas de page.
1. — Pour une introduction sommaire dans la multitude des missions des hérauts, voir :
G. MELVILLE, « Hérauts et héros », dans European Monarchy : Its Evolution and Practice from
Roman Antiquity to Modern Times, éd. H. Duchhardt, R. A. Jackson et D. Sturdy, Stuttgart, Steiner,
1992, p. 81-97 et G. MELVILLE, « “Un bel office” : Zum Heroldswesen in der spätmittelalterlichen
Welt des Adels, der Höfe und Fürsten », dans Deutscher Königshof, Hoftag und Reichstag im späten
Mittelalter, éd. P. Moraw, Sigmaringen, Thorbecke, 2002, p. 291-321. Pour les différentes tâches en
particulier voir, entre autres, pour les tournois : S. ANGLO, « Financial and Heraldic Records of the
English Tournament », Journal of the Society of Archivists, n° 2, 1962, p. 183-195 et T. HILTMANN,
Beaulx seigneurs, […] vous avez ung bel office, et que tous nobles doivent
amer et priser, car a voz rappors et relacions les roys, les dames, les princes
et autres grans seigneurs jugent des honneurs mondains, soit en armes,
comme en assaulx, batailles, sieges, ou autrement en joustes, en tournois, en
haultes et pompeuses festes et obseques. Et toutes choses faictes en grans
magnificences et tendans a honneurs par vous doivent estre herauldées et
publiées en divers royaumes et pays ; donnez courage a plusieurs princes et
nobles chevaliers de faire de haultes entreprinses par quoy il soit d’eulx
longue fame et renommée, et devez dire verité en armes et departir les hon-
neurs a qui ilz appartiennent4.
Des formules presque similaires se retrouvent dans les statuts des ordres
chevaleresques lorsqu’il s’agit de préciser les devoirs des hérauts des ordres,
tant pour l’ordre de la Toison d’or5 que pour celui de saint Michel :
C’est assavoir qu’il [le roi d’armes] enquerra diligemment des haultz faitz des
chevaliers de l’ordre sans faveur, amour, hayne, dommaige, prouffit ou aultre
affection, en fera veritablement rapport au greffier de l’ordre, pour etre mys
en chronique ou registre comme se devre faire […]6.
On peut aussi citer des œuvres correspondantes comme les Ehrenreden du
héraut Peter Suchenwirt ou du héraut Gelre7. Et il faut également rappeler
qu’à la fin du Moyen Âge, en Allemagne, les hérauts d’armes étaient désignés
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4. — Ibid., p 1.
5. — Voir Die Protokollbücher des Ordens vom Goldenen Vlies, t. 1 : Herzog Philipp der Gute 1430-
1467, éd. S. Dünnebeil, Stuttgart, Thorbecke, 2002, p. 212 : Item que ledit heraut Thoison d’or
enquerra diligenment des proesses, et haulx faiz et honnorables du souverain et des chevaliers de
l’ordre, dont il fera veritable rapport au greffier de l’ordre pour estre mys en escript comme faire se
devra. Pour la fonction des hérauts dans des ordres chevaleresques voir G. MELVILLE, « Rituelle
Ostentation und pragmatische Inquisition : Zur Institutionalität des Ordens vom Goldenen Vlies »,
dans Im Spannungsfeld von Recht und Ritual : Soziale Kommunikation in Mittelalter und Früher
Neuzeit, éd. H. Duchhardt et G. Melville, Cologne/Weimar/Vienne, Böhlau, 1997, p. 215-271,
p. 235 et 240-48 et ID., « Hérauts et héros » (op. cit. n. 1), p. 87 et 92.
6. — Paris, Bibliothèque nationale de France (désormais BNF), ms. fr. 25190, f. 14 r.
7. — Voir par exemple S. CAIN-VAN D’ELDEN, « The Ehrenreden of Peter Suchenwirt and Gelre »,
Beiträge zur Geschichte der deutschen Sprache und Literatur, n° 97, 1975, p. 88-101 ; Cl. BRINKER,
« Van manigen helden gute tat », Geschichte als Exempel bei Peter Suchenwirt, Berne, P. Lang, 1987
et, pour Gelre, W. VAN ANROOIJ, Spiegel van ridderschap (op. cit. n. 1).
8. — Cf. par exemple le récit de Jorg Brandenburg, héraut, sur la diète d’Empire tenue à Cologne en
1505 : Erstlich in dissem Register begryffen durch der Romschen konglichen maistat Raumrich kon-
diger der wapen auch anderen Churfürsten vnd Fürsten Ernholdt perssofandten vnd Ernknecht die
Versammlung tzu Coln auff den gemelten tag […], dans Sammlung ungedruckt- und rarer Schriften
zu Erläuterung des Staats-, des gemeinen bürgerlichen und Kirchen-Rechts wie auch der Geschichte
von Teutschland, éd. H. C. Senckenberg, Frankfurt a. M., Fleischer, 1745, t. 1, p. 157.
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9. — I. KAISER MAXIMILIAN, Die Geferlicheiten und eins Teil der Geschichten des loblichen streit-
baren und hochberümbten Helds und Ritters Herr Teuerdanks, éd. H. Unger (Die Fundgrube 40),
München, Winkler, 1968, p. 32 ([…] donc, prépares-toi vite / parce que tu dois sur ce voyage / res-
ter mon seul compagnon / afin que tu puisses dorénavant / en donner la bonne relation. / Et le
Ehrenhold lui repond : / Sire, c’est pour cela que je porte ce nom, / pour que l’action honnête de
chacun / soit, à chaque moment, promu par ma personne / et que je punisse fortement dans tous les
pays, / les vices, turpitudes et infamies / car toutes les choses dans ce monde s’enfuient, / sauf l’hon-
neur, laquelle perdure [trad. T. Hiltmann]).
10. — Cf. par exemple J. BRETEL, Le Tournoi de Chauvency, éd. par M. Delbouille, Liège, Vaillant-
Carmanne, 1932, p. 283-389 et 1017-1047. Pour d’autres exemples, voir aussi : J. BUMKE, Höfische
Kultur : Literatur und Gesellschaft im Mittelalter, t. 1, München, dtv, 1986, p. 369-371.
11. — Voir l’argumentation dans T. HILTMANN, Zwischen Heroldsamt und Adel (op. cit. n. 1), p. 19-
28.
12. — Le but de ce projet est d’établir une collection exhaustive des sources concernant les hérauts,
momentanément restreinte aux hérauts mentionnés dans des sources bourguignonnes (elles seront
accessibles en mode recherche en plein texte et par mots-clés), et de réunir les informations sur les
différents hérauts et offices en Bourgogne. De cette manière, le projet recense toutes les mentions de
hérauts d’armes principalement dans les sources issues de la comptabilité (entre autres, toute la
Recette générale de toutes les finances) et de l’historiographie pour la période de 1386 à 1519.
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23. — (suite) Malghis Martin, qui en 1483 est mentionné pour la première fois, ici comme messager,
et qui devient désormais chevaucheur, poursuivant d’armes sous le nom Salins, héraut Lothier et
enfin, en 1507, roi d’armes de Hainaut ; ou encore Bertrand de Longuespée, mentionné en 1481
comme chevaucheur, dans les années 1490 comme poursuivant Gorinchem, héraut Charolais et plus
tard comme héraut Limbourg et qui devient en 1509 roi d’armes de Flandre (pour les différentes
sources voir la base de données Les hérauts d’armes dans les sources bourguignonnes, en prépara-
tion à l’Institut historique allemand, les nos 0074, 0116 et 0099 dans le catalogue des personnes).
Des informations plus approfondies sur ces personnages et sur les différentes carrières des hérauts
d’armes sous les ducs de Bourgogne entre Charles le Téméraire et Charles Quint, se trouvent dans la
thèse de doctorat que Henri Simonneau prépare à ce sujet sous la direction de Bertrand Schnerb
(Lille 3).
24. — Voir Die Hofordnungen der Herzöge von Burgund, vol. 1 : Herzog Philipp der Gute 1407-
1467, éd. H. Kruse et W. Paravicini, Ostfildern, Thorbecke, 2005, n° 11, § 301, 304-306 et n° 15,
§ 261-264.
25. — Voir Paris, BNF, fr. 2903, f. 21 r-25 r, f. 23 v.
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26. — À côté des trois textes traités dans cet article, il convient également de nommer : le « Traité
sur le roi d’armes Montjoie », un traité sur l’histoire et l’ancienne manière de couronner le roi
d’armes des François – voir T. HILTMANN, Zwischen Heroldsamt und Adel (op. cit. n. 1), p. 253-273
et 436-437, ainsi que, avec une lecture différente de ce texte, G. MELVILLE, « “… et en tel estat le roy
Charles lui assist la couronne sur le chief” : Zur Krönung des französischen Wappenkönigs im
Spätmittelalter », dans Investitur- und Krönungsrituale : Herrschaftseinsetzungen im kulturellen
Vergleich, éd. M. Steinicke et S. Weinfurter, Cologne/Weimar/Vienne, Böhlau, 2005, p. 137-161 ;
l’« Epitre de Carthage », une lettre que ceux du siège de Carthage ont envoyée à Jules César concer-
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Mais c’est pour cela qu’ils sont encore mieux à même de répondre aux
questions telles qu’il faut les poser ici : comment les hérauts d’armes ont-ils
eux-mêmes présentés les fonctions de leur office ? Vers quelles fonctions pri-
mitives ont-ils cherché à l’affilier ? Sont-ils parvenus à agencer une image
cohérente de cet office, et si oui, comment ? Dans quelle direction ont-ils
enfin cherché à déterminer l’essence de leur office ?
Pour cette étude, nous allons nous concentrer sur trois textes en particulier
qui représentent à juste titre les trois filiations les plus couramment utilisées
par les auteurs :
- le traité Selon les ditz, qui présente les origines de l’office à travers des
vieux chevaliers ;
- le traité de Jehan Hérart, qui porte sur le rôle de pucelles ;
- le traité sur les anges, qui cherche à démontrer l’origine angélique des
hérauts.
Les vieux chevaliers
Le premier traité, que l’on appelle le traité Selon les ditz, est le plus impor-
tant et le plus diffusé des trois textes que je viens d’énoncer28. Il est l’un des
textes clé des compendia de l’office d’armes du XVe siècle, retranscrit dans
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28. — Pour la version la plus répandue de ce texte voir F. ROLAND, Parties inédites (op. cit. n. 26),
p. 49-61. Pour une étude approfondie sur ce texte et sa tradition voir T. HILTMANN, Zwischen
Heroldsamt und Adel (op. cit. n. 1), p. 232-255 et 436.
29. — Voir ibidem, p. 244.
30. — F. ROLAND, Parties inédites (op. cit. n. 26), p. 50.
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effet, comme dans le traité Selon les ditz, il fallait trouver des successeurs à
ces vieux chevaliers. Et pour ceux-ci il était exigé qu’il s’agisse d’hommes
preudhommes et leaulx, qui aueroient moult veu et congnoissance d’hon-
neur44.
Dans ce récit sur l’origine de l’office d’armes c’est la fonction diploma-
tique qui était largement prépondérante. Les fonctions liées à l’honneur,
même si elles sont présentes dans les personnages des vieux chevaliers-
hérauts et de leurs successeurs, ne jouent qu’un rôle marginal. Un lien fonc-
tionnel entre les deux n’est pas évident.
Les anges
Nous avons vu que les deux textes précédents montrent une image assez
hétérogène des fonctions de l’office d’armes. Pour celui-ci il y avait vraisem-
blablement deux concepts bien prédominants qui demeuraient très présents
dans la tradition : les fonctions liées à l’honneur, représentées par les vieux
chevaliers ; et la fonction diplomatique qui comptait surtout sur l’immunité
que l’on leur attribuait. Mais entre ces deux il n’y avait pas d’équilibre fixe. Il
était bien difficile pour les auteurs de lier l’un avec l’autre.
Cela semble changer avec le troisième texte qui présente encore une fois
une toute nouvelle filiation. Je n’ai trouvé jusqu’à maintenant que quatre
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Selon lui, c’est Énoch, fils de Seth, fils cadet d’Adam, qui instaura le pre-
mier – d’après l’exemple des anges – l’office des hérauts d’armes :
Et pour faire les messages de tous les seigneurs temporeulx et de toute
noblesce pour le temps avenir, il ordonna l’office d’armes et leur bailla escus-
son et tunique47.
Ce texte va alors encore plus loin dans sa démonstration des origines de
l’office d’armes, en remontant jusqu’à la création du monde. Et même, si
cette idée d’une certaine diplomatie et d’un service de messagerie comme
fonction initiale reste présente, l’auteur arrive à lier les différentes fonctions
de l’office dans un seul concept : celui de l’analogie entre hérauts et anges.
Cela est exprimé très clairement au début du texte. Les anges – comme je
viens de citer – sont alors décrits à la fois comme des messagers et comme
des rapporteurs des faits et gestes des hommes devant Dieu. Mais aussi dans
toute une liste de tâches, qui, en analogie avec les anges, font partie des com-
pétences des hérauts, concernant entre autres48 :
- la transmission de messages : comme Dieu envoie ses messages par l’inter-
médiaire des anges, les hérauts doivent transmettre les messages des princes
et de toute la noblesse ;
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doivent les heraulx estre messagiers des deffialles [défis] et batailles des
princes et admonnester et conforter les combatans de faire leur honneur et de
y prendre garde pour en savoir parler quant temps en est49.
À la fin, le texte (et cette fois-ci sans analogie avec les anges) exige que
personne, ni prince ni seigneur ni juges de noblesse, ne soit admis à juger du
droit d’armes sans l’opinion des hérauts et officiers d’armes, et cela spéciale-
ment en cas de bataille : Car a eulx appartient de en parler et de le savoir
faire50.
Donc, ce texte sur les anges est le seul texte qui rassemble l’éventail de
toutes les activités des hérauts et qui arrive, en même temps, à établir une
véritable cohérence entre leurs différentes tâches et fonctions. Mais pour ce
faire, l’auteur a dû remonter jusqu’au commencement du monde, en établis-
sant cette analogie avec les anges, et non pas par le fonctionnement ou les
caractéristiques de l’office en lui-même.
Cette analyse de la description des fonctions des hérauts dans les différents
récits des origines légendaires de l’office d’armes nous amène enfin aux
constats suivants : il y a, en fait, deux fonctions constitutives de l’office
d’armes qui semblent se compléter : les fonctions liées à l’honneur et les
fonctions diplomatiques et de messagerie. En ce qui concerne l’idée que les
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La garantie de ces deux points se trouve dans le serment que les hérauts
devaient prêter lors de leur entrée dans l’office d’armes et qui, de cette
manière, allait aider à garantir le bon fonctionnement de celui-ci. Il en va de
même pour les deux fonctions centrales de l’office : celles liées à l’honneur
comme celles liées à la diplomatie et la messagerie.
De cette manière, on lit dans le traité Selon les ditz à propos de l’instaura-
tion des hérauts, comme generaulx legalz, par les différents princes :
Item, en les ordonnant commanda [Jules César] les faire jurer sur loy que non
pas seullement aux ordonnans, mais a tous les aultres roix et princes, garde-
ront féablement leurs secrés, et augmenteront les honneurs, proesses et
loenges de eulx et des nobles52.
Et dans un autre passage on peut lire que les hérauts :
[…] ont a clariffier et verité dire en toutes choses, et faire clairs les obscurs
fais des batailles, et estre sans faveur pour nesune des parties, mais dire et
rapporter la pure verité non plus pour sons propre prince que pour sa partie
adverse, ne pour aultre53.
Dans le traité de Jean Hérart c’est aussi à cause de ce serment et de son
contenu qu’on a accordé aux vieux chevaliers et à leurs successeurs cette
immunité si particulière à l’office d’armes54. En effet, ils ont prêté le serment
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L signifie leal. Ung herault doibt estre plaine de toute leaulté tant qu’en luy ne
soit trouvé fraude ne deception quelconque59.
Donc les notions de loyauté et de vérité propre à l’office d’armes se retrou-
vent intimement liées dans les deux fonctions centrales des hérauts :
Pour la loyauté envers toute la noblesse, cela signifie que les hérauts doi-
vent, d’une part, faire leurs rapports et récits sur les exploits et l’honneur des
nobles sans faveur ni défaveur pour personne, qu’ils n’avantagent personne
mais traitent leur maître de la même façon que toute la noblesse. Mais d’autre
part, cela vaut aussi pour leurs missions diplomatiques/messagerie, pendant
lesquelles ils ne doivent révéler les secrets de personne, mais les garder pour
eux en qualité de véritables serviteurs de la noblesse dans son ensemble.
C’est-à-dire qu’ils doivent traiter – ici aussi – tout le monde de la même
façon, sans favoriser personne, même pas leur propre maître.
Et quant à la prétention de toujours dire la vérité, cela veut dire, en ce qui
concerne les fonctions liées à l’honneur, que les hérauts doivent faire des rap-
ports véritables sur les faits et exploits des nobles, d’après ce qu’ils ont vu,
sans ajouter ni rien cacher, comme des témoins sûrs et fiables. Mais cela veut
dire aussi que durant leurs fonctions diplomatiques et de messagerie, ils prê-
tent la plus grande attention à leurs messages, qu’ils n’ajoutent ni ne cachent
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importance ne se voit pas seulement dans son nombre de copies dans les com-
pendia de l’office d’armes61. On retrouve ses traces également dans différents
témoignages littéraires et historiographiques.
Un poème sur les joutes de Saint-Inglevert de 1390 raconte ainsi la promo-
tion du poursuivant de Jean de Roye au rang de héraut, en mettant en relief le
serment :
Et là fu fais li poursievans
De Monseigneur Jehan de Roie
Héraux, à solempnelle joie,
Des III chevaliers fu nommés
Saint Iglebert, et sermentés
En avant du roy des Franchois62.
Nous connaissons aussi une lettre de recommandation de Jean de Rouverel
pour son poursuivant Regnaut Talmas, en date du 8 janvier 1430, dans
laquelle il requiert à tous chevaliers, écuyers, capitaines et gens d’armes
qu’ils le laissent passer sans nul empêchement, chaque fois qu’il vient, sans
nuire ni causer de dommage à sa personne ou à ses biens, voire en le proté-
geant. Cette lettre commence ainsi :
A tous ceux qui ces presentes lettres verront, Jean de Rouverel, chevalier, sei-
gneur dudict lieu, salut. Sçavoir je fay que moy, confiant des preud’hommie,
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61. — Pour une énumération complète des différentes copies dans les compendia voir T. HILTMANN,
Zwischen Heroldsamt und Adel (op. cit. n. 1), p. 438-439. Le texte du serment est inséré en plus dans
le « Traité à propos de la création d’un officier d’armes » (pour les copies voir ibid., p. 439) et dans
la « Lettre du roi d’armes Calabre » (voir ibid., p. 438 ; le texte est imprimé dans G. MELVILLE,
« Brief des Wappenkönigs Calabre » [op. cit. n. 1], p. 107-109). De cette manière, le serment des
hérauts d’armes était inscrit dans presque chaque copie connue du XVe siècle.
62. — Partie inédite des chroniques de Saint-Denis, suivie d’un récit également inédit de la cam-
pagne de Flandres en 1382 et d’un poëme sur les joutes de Saint-Inglebert (1390), éd. par J. Pichon,
Paris, impr. de Ch. Lahure, 1864, p. 77-78.
63. — F. DE BELLEFOREST, Les Grandes Annales et l’histoire générale de France, dès la venue des
Francs en Gaule jusques au règne du Roy très-chrestien Henry III, Paris, G. Buon, 1579, t. 1, f. 760 r.
64. — E. DE MONSTRELET, La Chronique, en deux livres, avec pièces justificatives, 1400-1444, éd.
L. C. Douët d’Arcq, 6 vol., Paris, Vve de J. Renouard, 1857-1862, IV, chap. 267, p. 116-117.
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65. — Régestes de la cité de Liège, éd. É. Fairon, t. 4, Liège, Éditions de la Commission communale
de l’histoire de l’ancien pays de Liège, 1939, p. 181.
66. — À propos de Königsberg et de ce texte voir : U. MÜLLER, « Königsberg », dans Die deutsche
Literatur des Mittelalters : Verfasserlexikon, crée par W. Stammler, continué par K. Langosch et éd.
par K. Ruh et G. Keil, t. 5, Berlin, de Gruyter, 1985, col. 103-104. Le texte de ce poème est édité
dans Historische Volkslieder der Deutschen vom 13. bis zum 16. Jahrhundert, éd. par Rochus
Freiherr von Liliencron, t. 1, Leipzig, Vogel, 1865, n° 43, p. 206-209. Bien sûr il faut garder à l’es-
prit que la situation des hérauts d’armes allemands était bien différente de celle des hérauts d’armes
en France et en Bourgogne, et même ailleurs, et que, par conséquent, le contenu du serment pouvait
aussi éventuellement différer d’un pays à un autre. Néanmoins, les exigences incorporées dans ce
serment restent apparemment les mêmes. Aussi la mise en valeur de ce serment si explicite dans un
texte allemand démontre-t-elle clairement que le serment était un élément constitutif important de
l’office d’armes en général, indépendamment des différentes formations ou développements régio-
naux. Une comparaison entre ceux-ci serait prometteuse et reste toujours à faire.
67. — Ibid., p. 70-74 (Königsberg, cela doit te désoler / Et tu dois, autant que possible, le rendre
public / Si bien qu’aux choses bonnes et vraies / Tu as juré et serment prêté ; trad. par T. Hiltmann).
68. — Ibidem, p. 116-126 (Elle disait : « Cette méchanceté est bien arrivée ; / Est-ce que tu ne veux
pas le proclamer, / Écoute donc, ce que je te dis. » / Je disais : « Cela ne me regarde pas ! » /
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Conclusion
La notion d’honneur joue un rôle considérable pour l’office d’armes, mais
celle-ci mérite néanmoins d’être relativisée. Premièrement, car, comme nous
l’avons montré, il faut prendre en considération aussi les fonctions diploma-
tiques et de messagerie. Celles-ci avaient une plus grande importance pour la
compréhension de l’office d’armes que ce que l’on avait perçu jusqu’ici, et la
notion d’honneur ne les expliquait pas dans leur totalité. Deuxièmement,
parce que le caractère principal de l’office d’armes repose moins dans le
contenu des missions des hérauts d’armes que dans les conditions dans les-
quelles elles devaient être accomplies. Ces conditions se trouvent exprimées
principalement dans le serment que les hérauts ont dû prêter en entrant dans
l’office, qui les obligeait à la loyauté envers toute la noblesse et à la vérité.
S’il y a un fond commun à cet office, c’est ici qu’il repose.
Ce constat invite aussi à passer en revue les missions des hérauts d’armes
liées à l’honneur. Dans la plupart des cas, ils ne faisaient pas un panégyrique
du caractère noble et honorifique des personnages concernés. Avec Geoffrey
A. Lester on peut observer que les récits des hérauts d’armes sur des événe-
ments nobiliaires et chevaleresques étaient plutôt marqués par un style sobre,
très technique et attentif aux moindres détails (surtout aux noms des partici-
pants)69. Observation qui gagne en évidence avec l’étude ci-dessus. La tâche
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68. — (suite) Elle disait : « Quel genre d’homme es-tu ? / Est-ce que tu n’as pas aux armes juré ? » /
Je disais : « Oui, moi, majesté ; / je place en avant celui qui fait du bien / le meilleur à la place d’hon-
neur ; / et celui que je connais malfaiteur, / je ne le mets pas près du bon » ; trad. par T. Hiltmann).
69. — Cf. surtout G. A. LESTER, « The Literary Activity of the Medieval English Heralds », English
Studies, n° 71, 1990, p. 222-229, mais aussi ID., « Fifteenth-century English heraldic narrative »,
Yearbook of English Studies, n° 22, 1992, p. 201-212.
70. — Voir, dans ce sens, entre autres, le traité Selon les ditz (cf. F. ROLAND, Parties inédites [op. cit.
n. 26], p. 50 et 56), ou aussi le Traité de blason en forme de Questionnaire (cf. par exemple Paris,
BNF, fr. 1983, f. 44 v). Les citations au début de cet article peuvent être aussi comprises de cette
manière, cf. ci-dessus, notes 4 et 6.
71. — Cf. ci-dessus, note 8. Voir aussi K. SCHOTTENLOHER, « Kaiserliche Herolde des
16. Jahrhunderts als öffentliche Berichterstatter », Historisches Jahrbuch, n° 49, 1929, p. 460-471.
On peut supposer que c’est aussi à cause de cette liaison entre impartialité et vérité que la notion de
« héraut » se retrouve toujours dans le titre d’innombrables journaux comme : International Herald
Tribune, Boston Herald, Miami Herald, etc.
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Contraints à une loyauté envers leurs maîtres mais aussi envers toute la
noblesse et obligés à la seule vérité, ils devaient former un groupe bien dis-
tinct, hors de toutes les relations habituelles entre les nobles et leurs servi-
teurs. Il fallait donc un symbole fort, un véritable rite de passage : un bap-
tême. En accompagnant le serment, celui-ci rendait clairement visible ce que
le serment exigeait ; un passage, durant lequel l’individu, serviteur d’un
maître, devenait une personne publique72. À en croire les traités des hérauts
d’armes, le baptême d’un héraut signifierait même le passage vers un nouvel
« ordre », auquel il s’engageait à vie, presque comme dans un ordre reli-
gieux73. D’après ces textes il n’y avait finalement que trois scénarios pour
renoncer à cet office : devenir chevalier, devenir homme d’Église ou com-
mettre un crime et être condamné à la peine capitale74.
Enfin, les obligations exprimées dans le serment démontrent la tentative
d’établir l’office d’armes comme une instance indépendante, dédiée à la
vérité et au service de la noblesse en tant que tel. Et cela aussi bien dans ses
fonctions de rapporteur que de messager et diplomate. L’impartialité qui en
suivit pour les hérauts était un concept novateur dans cette société nobiliaire
marquée par l’idée du noble comme guerrier et par une nette dichotomie ami-
ennemi75. Cela leur donne finalement aussi une place importante dans l’his-
toire de la diplomatie et de la neutralité. Le concept ou l’idéal de la neutralité
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72. — Cette expression est utilisée à plusieurs reprises, par exemple, dans le Traité sur le roi
d’armes Montjoie (cf. ci-dessus, note 26). Dans le récit introductif sur les origines de l’office
d’armes, on voit très clairement la signification de ce statut, ici dans le contexte des missions diplo-
matiques et de messagerie, vu que les hérauts étaient installés par tous les princes « pour plus seure-
ment aller, demourer et retourner, faisant leurs ambassades, commissions et vrais rappors d’amis a
ennemis, d’ennemis a amis, sans y adjouster ne oster malicieusement paroles quelzconques ne aussy
reveler ne accuser emprinses de guerres, embuches ne aux autres de son party comme personnes
publiques qu’ilz sont. Et pour ce furent ils de tous les partis ainsi ordonnez, establis et jurez sur
grans sermens et sur peines de avoir traites les langues de la gorge quant le certain seroit sceu »
(Wroclaw, BU, n° d’acquisition 1994/249, p. 89-90). Le renvoi à ce statut se répète plus tard dans la
teneur du serment du roi d’armes Montjoie par lequel on lui rappelle les obligations de son office
comme celles d’un office de personne publique (Wroclaw, BU, n° d’acquisition 1994/249, p. 89 et
p. 103). G. MELVILLE avait déjà attiré l’attention sur cette expression dans son article « Un bel
office » (op. cit. n. 1), p. 313.
73. — En fait, cette comparaison se trouve déjà clairement exprimée chez le héraut Sicile qui com-
pare les poursuivants aux novices entrant dans un ordre religieux, quand il parle de la différence
entre les poursuivants et les hérauts d’armes, cf. ibidem, p. 88.
74. — Cf. ibid., p. 90-91.
75. — Je dois ces réflexions finales aux remarques pertinentes de Kl. Oschema (Berne) qui m’avait
fait parvenir, à cette occasion, une version préliminaire de son article intitulé « Die unmögliche
Neutralität : Freundschaft als Grundlage der Politik im spätmittelalterlichen Frankreich », lequel va
paraître dans les actes du colloque Freundschaft oder "amitié"? Ein politisch-soziales Konzept der
Vormoderne im zwischensprachlichen Vergleich (15.-17. Jahrhundert), 20-21 mai 2005, Berne, sous
la direction de Klaus Oschema.
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s’est traduit par les légendes sur l’origine d’office d’armes traitées ci-dessus.
Dans ce contexte, le choix délibéré des différents prédécesseurs imaginaires
des hérauts d’armes apparaît donc plus clairement. Tous les trois vont dans le
même sens. En effet, en revendiquant une position impartiale dans un monde
de combattants, il n’est pas étonnant d’y voir figurer sur un même niveau : des
vieux chevaliers, des pucelles et des anges.
Mots-clés : hérauts d’armes, fonctions, diplomatie, honneur, imaginaire,
serment, immunité.
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