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VIEUX CHEVALIERS, PUCELLES, ANGES.

FONCTIONS ET CARACTÈRES
PRINCIPAUX DES HÉRAUTS D'ARMES D'APRÈS LES LÉGENDES SUR
L'ORIGINE DE L'OFFICE D'ARMES AU XVE SIÈCLE

Torsten Hiltmann

Association Revue du Nord | « Revue du Nord »

2006/3 n° 366 - 367 | pages 503 à 525


ISSN 0035-2624
DOI 10.3917/rdn.366.0503
Article disponible en ligne à l'adresse :
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TORSTEN HILTMANN*

Vieux chevaliers, pucelles, anges.


Fonctions et caractères principaux des hérauts
d’armes d’après les légendes sur l’origine
de l’office d’armes au XVe siècle

Les hérauts d’armes rassemblent dans leurs mains de nombreuses fonc-


tions ou tâches. Les liens entre celles-ci paraissent parfois très difficiles à éta-
blir. En effet, les hérauts sont présents dans les tournois, dont ils font les
annonces, participent à leur déroulement et assistent à la remise des prix ;
dans l’armée, où ils sont chargés de reconnaître l’ennemi, d’annoncer des
ordres, de rassembler des troupes et d’identifier les morts et les prisonniers ; à
la cour, où ils accomplissent des fonctions plus représentatives pendant les
couronnements, les obsèques, les entrées et les fêtes comme celles des ordres
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chevaleresques. On les voit apparaître dans de nombreuses missions diploma-
tiques, au cours desquelles ils transmettent des messages, interviennent dans
des négociations, procurent des sauf-conduits et, pendant la guerre, établis-
sent ou entretiennent le contact entre les belligérants. Ils accompagnent des
voyageurs, pour lesquels ils font parfois office de guides et d’interprètes. Ils
publient des annonces officielles comme des proclamations de paix, diffusent
des nouvelles et racontent publiquement les grands faits d’armes de la cheva-
lerie. Ils rédigent encore des poèmes et des éloges, mais aussi des récits sur
des tournois, des obsèques et autres solennités. Enfin, ils prennent même la
plume pour écrire des chroniques, des descriptions de pays, des généalogies,
des armoriaux, etc.1.

*. — Torsten HILTMANN, docteur en histoire, Institut historique allemand de Paris, 8 rue du Parc
Royal, 75003 Paris. Je remercie cordialement mes collègues Franck Viltart et Valérie Bessey pour
avoir corrigé ce texte en bon français, ainsi que Patricia Wiegmann pour m’avoir aidé à mettre en
ordre les notes de bas de page.
1. — Pour une introduction sommaire dans la multitude des missions des hérauts, voir :
G. MELVILLE, « Hérauts et héros », dans European Monarchy : Its Evolution and Practice from
Roman Antiquity to Modern Times, éd. H. Duchhardt, R. A. Jackson et D. Sturdy, Stuttgart, Steiner,
1992, p. 81-97 et G. MELVILLE, « “Un bel office” : Zum Heroldswesen in der spätmittelalterlichen
Welt des Adels, der Höfe und Fürsten », dans Deutscher Königshof, Hoftag und Reichstag im späten
Mittelalter, éd. P. Moraw, Sigmaringen, Thorbecke, 2002, p. 291-321. Pour les différentes tâches en
particulier voir, entre autres, pour les tournois : S. ANGLO, « Financial and Heraldic Records of the
English Tournament », Journal of the Society of Archivists, n° 2, 1962, p. 183-195 et T. HILTMANN,

REVUE DU NORD, TOME 88 - N° 366-367, JUILLET-DÉCEMBRE 2006, P. 503-525


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504 TORSTEN HILTMANN

Devant cette diversité de tâches et de fonctions, comment peut-on expli-


quer d’une manière cohérente ce que sont les hérauts d’armes et en quoi
consistait leur office ? Quels sont les traits les plus importants qui permettent
d’unifier la multitude des devoirs de cet office ? Autrement dit, qu’est-ce qui
est l’essentiel dans l’office ?
Jusqu’ici, les regards se fixaient surtout sur les thèmes liés à la communi-
cation de la renommée et de l’honneur en tant que fonction principale de l’of-
fice d’armes, amenant à penser que l’essentiel de cet office, et donc le lien
commun entre les différentes tâches des hérauts d’armes, reposait justement
sur la notion d’honneur, ou plus précisément, sur la connaissance par les
hérauts d’armes de l’honneur et des personnages2.
Ce constat se base, entre autres, sur des récits comme celui du débat imagi-
naire entre un héraut français et un héraut anglais devant la dame Prudence
autour de la question Qui est le royaume chrestien qui plus est digne d’estre
approuché d’Onneur ? À cette occasion, dame Prudence décrit leur office par
les mots suivants3 :
1. — (suite) « Information et tradition textuelle : Les tournois et leur traitement dans les manuels des
hérauts d’armes au XVe siècle », dans Information et société en Occident à la fin du Moyen Âge, Actes
du colloque international tenu à l’Université du Quebec à Montréal et à l’Université d’Ottawa (9-
11 mai 2002), éd. par C. Boudreau, K. Fianu, C. Gauvard et M. Hébert, Paris, Publ. de la Sorbonne,
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2004, p. 219-231. Pour le militaire : P. ADAM-EVEN, « Les fonctions militaires des hérauts d’armes :
leur influence sur le développement de l’héraldique », Archives héraldiques suisses, n° 71, 1957,
p. 2-32 et T. R. DAVIES, « The Heralds in Medieval Warfare », Coat of arms, n° 9, 1967, p. 245-260.
Pour la diplomatie : L. RÖMHELD, Die diplomatischen Funktionen der Herolde im späten Mittelalter,
thèse de doctorat, Université de Heidelberg, 1964, ainsi que l’article d’A.-B. SPITZBARTH dans le pré-
sent volume. Pour les publications et proclamations de paix : D. LETT et N. OFFENSTADT, « Les pra-
tiques du cri au Moyen Âge », dans Haro ! Noël ! Oyé ! Pratiques du cri au Moyen Âge, éd. D. Lett et
N. Offenstadt, Paris, Publ. de la Sorbonne, 2003, p. 5-41. Et pour les textes rédigés par des hérauts
d’armes voir par ex. : A. VALLET DE VIRIVILLE, « Notice sur la vie et les ouvrages de Gilles Le
Bouvier, dit Berry, premier roi d’armes et chroniqueur du roi Charles VII », dans Compte Rendu des
Travaux de la société de Berry à Paris (1864/1865), p. 207-247 ; G. A. LESTER, « The Literary
Activity of the Medieval English Heralds », English Studies, n° 71, 1990, p. 222-229 ; W. VAN
ANROOIJ, Spiegel van ridderschap : Heraut Gelre en zijn ereredes, Amsterdam, Prometheus, 1990 ;
Cl. BOUDREAU, Les traités de blason en français (XIVe-XVIe siècles), thèse de doctorat, EPHE, Paris,
3 vol., 1996 et T. HILTMANN, Zwischen Heroldsamt und Adel : Die Kompendien des office d’armes im
französischen und burgundischen Spätmittelalter, thèse de doctorat, TU Dresden / EPHE, Paris,
2005 avec une vue d’ensemble de la production littéraire des hérauts d’armes, p. 28-35.
2. — Voir G. MELVILLE, « Hérauts et héros » (op. cit. n. 1), p. 93-96 ; ID., « Un bel office » (op. cit.
n. 1), p. 292-293 et 320-321 ; W. PARAVICINI, Die ritterlich höfische Kultur des Mittelalters,
München, Oldenbourg, 1994, p. 80 et en incluant aussi la connaissance des personnages :
T. HILTMANN, Zwischen Heroldsamt und Adel (op. cit. n. 1), p. 19-28.
3. — Pour ce texte voir avant tout : G. MELVILLE, « Geschichte im Diskurs : Zur Auseinandersetzung
zwischen Herolden über die Frage Qui est le royaume chrestien qui plus est digne d’estre approuché
d’Onneur ? », dans Les princes et l’histoire du XIVe au XVIIIe siècle, Actes du colloque organisé par
l’Université de Versailles – Saint-Quentin et l’Institut historique allemand, Paris/Versailles 13-
16 mars 1996, éd. par C. Grell, W. Paravicini et J. Voss, Bonn, Bouvier, 1998, p. 243-262. Ce récit
même servait par exemple comme point de départ pour l’étude de G. MELVILLE, « Un bel office » (op.
cit. n. 1), où l’auteur donne une interprétation exhaustive de ce récit et propose une vaste vue d’en-
semble des différentes tâches et de la fonction sociale de l’office d’armes à partir de ces constats. Le
texte de ce débat est publié dans Le débat des hérauts d’armes de France et d’Angleterre suivi de The
Debate between the Herald of England and France by John Cook, éd. par L. Pannier et P. Meyer
(Société des anciens textes français, 8), Paris, Firmin Didot et Cie, 1877 (réimp. New York 1966).
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Beaulx seigneurs, […] vous avez ung bel office, et que tous nobles doivent
amer et priser, car a voz rappors et relacions les roys, les dames, les princes
et autres grans seigneurs jugent des honneurs mondains, soit en armes,
comme en assaulx, batailles, sieges, ou autrement en joustes, en tournois, en
haultes et pompeuses festes et obseques. Et toutes choses faictes en grans
magnificences et tendans a honneurs par vous doivent estre herauldées et
publiées en divers royaumes et pays ; donnez courage a plusieurs princes et
nobles chevaliers de faire de haultes entreprinses par quoy il soit d’eulx
longue fame et renommée, et devez dire verité en armes et departir les hon-
neurs a qui ilz appartiennent4.
Des formules presque similaires se retrouvent dans les statuts des ordres
chevaleresques lorsqu’il s’agit de préciser les devoirs des hérauts des ordres,
tant pour l’ordre de la Toison d’or5 que pour celui de saint Michel :
C’est assavoir qu’il [le roi d’armes] enquerra diligemment des haultz faitz des
chevaliers de l’ordre sans faveur, amour, hayne, dommaige, prouffit ou aultre
affection, en fera veritablement rapport au greffier de l’ordre, pour etre mys
en chronique ou registre comme se devre faire […]6.
On peut aussi citer des œuvres correspondantes comme les Ehrenreden du
héraut Peter Suchenwirt ou du héraut Gelre7. Et il faut également rappeler
qu’à la fin du Moyen Âge, en Allemagne, les hérauts d’armes étaient désignés
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aussi comme Ehrenhold ou Ernknecht, ce qui veut dire serviteur de l’hon-
neur8. Comme dans le Theuerdank, fameux roman écrit par l’empereur
Maximilien, où le héros invite, par ces mots, son Ehrenhold à l’accompagner
comme son seul compagnon dans ses aventures à venir :
[…] « Darumb so rüst dich zuº behend,
Wann du auf solcher Reis allein
º sein,
Mein getreuer Gefert mußt

4. — Ibid., p 1.
5. — Voir Die Protokollbücher des Ordens vom Goldenen Vlies, t. 1 : Herzog Philipp der Gute 1430-
1467, éd. S. Dünnebeil, Stuttgart, Thorbecke, 2002, p. 212 : Item que ledit heraut Thoison d’or
enquerra diligenment des proesses, et haulx faiz et honnorables du souverain et des chevaliers de
l’ordre, dont il fera veritable rapport au greffier de l’ordre pour estre mys en escript comme faire se
devra. Pour la fonction des hérauts dans des ordres chevaleresques voir G. MELVILLE, « Rituelle
Ostentation und pragmatische Inquisition : Zur Institutionalität des Ordens vom Goldenen Vlies »,
dans Im Spannungsfeld von Recht und Ritual : Soziale Kommunikation in Mittelalter und Früher
Neuzeit, éd. H. Duchhardt et G. Melville, Cologne/Weimar/Vienne, Böhlau, 1997, p. 215-271,
p. 235 et 240-48 et ID., « Hérauts et héros » (op. cit. n. 1), p. 87 et 92.
6. — Paris, Bibliothèque nationale de France (désormais BNF), ms. fr. 25190, f. 14 r.
7. — Voir par exemple S. CAIN-VAN D’ELDEN, « The Ehrenreden of Peter Suchenwirt and Gelre »,
Beiträge zur Geschichte der deutschen Sprache und Literatur, n° 97, 1975, p. 88-101 ; Cl. BRINKER,
« Van manigen helden gute tat », Geschichte als Exempel bei Peter Suchenwirt, Berne, P. Lang, 1987
et, pour Gelre, W. VAN ANROOIJ, Spiegel van ridderschap (op. cit. n. 1).
8. — Cf. par exemple le récit de Jorg Brandenburg, héraut, sur la diète d’Empire tenue à Cologne en
1505 : Erstlich in dissem Register begryffen durch der Romschen konglichen maistat Raumrich kon-
diger der wapen auch anderen Churfürsten vnd Fürsten Ernholdt perssofandten vnd Ernknecht die
Versammlung tzu Coln auff den gemelten tag […], dans Sammlung ungedruckt- und rarer Schriften
zu Erläuterung des Staats-, des gemeinen bürgerlichen und Kirchen-Rechts wie auch der Geschichte
von Teutschland, éd. H. C. Senckenberg, Frankfurt a. M., Fleischer, 1745, t. 1, p. 157.
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Damit du künftig mügst darvon


Ein warhaftige Kundschaft ton. »
Der Erenhold im Antwort gab :
« Herr, darumb Ich den namen hab,
Daß ich eins jeden erlich Tat
Soll offenwaren fru und spat,
Und strafen seer in allem Land
Laster, Untugend und die Schand ;
Dann alles in der Welt zergeet,
Ausgenommen die Eer beleibt steet »9.
En effet, c’est depuis les débuts de l’office d’armes – avec les tournois du
XIIIe siècle – que l’honneur et le récit d’honneur ont constitué un trait essen-
tiel de cet office. Déjà là, il ne s’agissait pas seulement de reconnaître des
armoiries mais d’identifier les personnages et de raconter leurs faits et
prouesses10. Et cette fonction – la diffusion de la renommée et de l’honneur –
demeure apparemment, en dépit de toutes les évolutions, la préoccupation la
plus importante de cet office11. Et c’est par celle-ci, tout comme par leur
réputation de connaisseurs et gardiens de ce même honneur, qu’on chargea
l’office d’armes aussi d’une certaine valeur symbolique, en désignant les
hérauts comme les véritables représentants de celle-ci. Et cette valeur
explique, pour sa part, le rôle représentatif que les hérauts ont rempli lors des
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différentes cérémonies à la cour et ailleurs (pendant les tournois, les
obsèques, etc.).
Mais est-ce que les autres fonctions des hérauts d’armes, voire la plupart de
leurs missions, remontent vraiment à ce lien étroit entre les hérauts d’armes et
la notion d’honneur ? Quand on dépouille minutieusement les pièces comp-
tables, comme nous le faisons dans notre projet de base de données sur les
hérauts d’armes dans les sources bourguignonnes12, on fait vite le constat que

9. — I. KAISER MAXIMILIAN, Die Geferlicheiten und eins Teil der Geschichten des loblichen streit-
baren und hochberümbten Helds und Ritters Herr Teuerdanks, éd. H. Unger (Die Fundgrube 40),
München, Winkler, 1968, p. 32 ([…] donc, prépares-toi vite / parce que tu dois sur ce voyage / res-
ter mon seul compagnon / afin que tu puisses dorénavant / en donner la bonne relation. / Et le
Ehrenhold lui repond : / Sire, c’est pour cela que je porte ce nom, / pour que l’action honnête de
chacun / soit, à chaque moment, promu par ma personne / et que je punisse fortement dans tous les
pays, / les vices, turpitudes et infamies / car toutes les choses dans ce monde s’enfuient, / sauf l’hon-
neur, laquelle perdure [trad. T. Hiltmann]).
10. — Cf. par exemple J. BRETEL, Le Tournoi de Chauvency, éd. par M. Delbouille, Liège, Vaillant-
Carmanne, 1932, p. 283-389 et 1017-1047. Pour d’autres exemples, voir aussi : J. BUMKE, Höfische
Kultur : Literatur und Gesellschaft im Mittelalter, t. 1, München, dtv, 1986, p. 369-371.
11. — Voir l’argumentation dans T. HILTMANN, Zwischen Heroldsamt und Adel (op. cit. n. 1), p. 19-
28.
12. — Le but de ce projet est d’établir une collection exhaustive des sources concernant les hérauts,
momentanément restreinte aux hérauts mentionnés dans des sources bourguignonnes (elles seront
accessibles en mode recherche en plein texte et par mots-clés), et de réunir les informations sur les
différents hérauts et offices en Bourgogne. De cette manière, le projet recense toutes les mentions de
hérauts d’armes principalement dans les sources issues de la comptabilité (entre autres, toute la
Recette générale de toutes les finances) et de l’historiographie pour la période de 1386 à 1519.
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les missions diplomatiques et de messagerie sont largement prépondérantes


parmi les rétributions accordées aux officiers d’armes. Il est évident qu’ici
aussi l’honneur pouvait jouer un certain rôle. Par exemple, quand il s’agissait
d’accompagner des ambassadeurs et d’autres sujets aussi bien que des invités
du duc pendant leurs voyages13, ou quand les hérauts diffusaient des défis,
invitaient aux joutes ou transportaient les colliers des ordres chevale-
resques14. Mais ces missions restent, à vrai dire, minoritaires.
Dans leur majeure partie, pour la période étudiée, les hérauts d’armes fai-
saient office de simples messagers. Sur 3 200 mentions environ de hérauts
d’armes recensées dans les sources comptables bourguignonnes entre 1405
et 1519 (y compris tous les dons reçus par des hérauts, des gages payés, des
aides à vivre, des vêtements, des largesses, etc.), au moins 1 100 d’entre-elles
concernent directement de simples ports de lettre. C’est-à-dire du duc à tel ou
tel prince, seigneur, officier ou ville, et inversement. Même parmi toutes les
missions diplomatiques effectuées par les hérauts et rois d’armes à l’époque
de Philippe le Bon (donc des missions en contact avec d’autres princes et des
ambassadeurs du duc de Bourgogne), près de la moitié consiste, d’après
12. — (suite) Il s’agit de les mettre à la disposition des chercheurs à venir en espérant donner, de
cette manière, une nouvelle impulsion à la recherche sur ce sujet vaste et fascinant. La base de don-
nées sur « Les hérauts d’armes dans les sources bourguignonnes » est en train d’être établie à
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l’Institut historique allemand sous la direction de W. Paravicini et T. Hiltmann, avec la collaboration
de F. Viltart et les contributions précieuses de G.-X. Blary et H. Simonneau (tous les deux à Lille 3).
Déjà maintenant englobant presque 6 000 entrées, elle sera publiée fin 2007 sur les pages Internet de
l’IHA (www.dhi-paris.fr). L’édition d’une prosopographie des hérauts bourguignons, s’appuyant sur
les informations rassemblées par la base de données, est également en préparation pour 2007.
13. — Voir par exemple le héraut d’armes Salins qui a reçu 65 francs en monnaie royale pour avoir
guidé le premier échanson du roi de Hongrie à travers l’Europe pendant plusieurs mois (Lille,
archives départementales du Nord [désormais AD Nord], B 1978, f. 102 r-v). En février 1437, le roi
d’armes Toison d’or recevait 80 £ pour les redistribuer aux hérauts et poursuivants accompagnant les
ambassadeurs du roi de France (Lille, AD Nord, B 1957, f. 283 r). En 1450, Toison d’or accompa-
gnait, de son côté, le seigneur de Croÿ et d’autres en ambassade devers le roi de France (Lille, AD
Nord, B 2004, f. 113 r). Mais il est important de ne pas oublier non plus, que les hérauts d’armes,
comme voyageurs professionnels, étaient, à ce titre, de bons connaisseurs des différents pays et des
différentes cours, et qu’ils devaient savoir parler plusieurs langues, ce qui en faisait une compagnie
bien utile aussi. De cette manière, leur connaissance des lieux était sûrement plus importante que
leur valeur représentative quand le héraut Franche-Comté et le poursuivant Tournehem furent char-
gés de guider, par exemple, en août 1453, des gens de guerre anglais de Lille à Calais (Lille, AD
Nord, B 2012, f.159v) ou quand Charles le Téméraire donna 18 £ au poursuivant d’armes
Châteaubelin, pour estre alé en la compaignie de Notinet Le Gaigneur, pour luy aydier a conduire et
porter seurement jusques en la ville de Bruxelles certaine somme de deniers que ledit Notinet avoit
apporté en la compaignie de l’armée de Bourgoingne […] (Les comptes de l’argentier de Charles le
Téméraire, duc de Bourgogne, t. 1 : Année 1468. Le registre B 2068 des Archives départementales du
Nord, éd. A. Greve et É. Lebailly, Paris, Académie des Inscriptions et Belle-lettres, 2001, p. 384-
385, § 1598).
14. — Jean Molinet raconte que c’est le roi d’armes Jarretière qui vint auprès de Maximilien après
son voyage à Edimbourg pour lui remettre le collier de l’ordre de la Jarretière. Maximilien, de son
côté, remit à cette occasion son riche manteau au héraut anglais (cf. Chroniques de Jean Molinet, éd.
G. Doutrepont et O. Jodogne, 3 vol., Bruxelles, Palais des Académies, 1935-1937, II, p. 196-198). Et
quand le comte de Nevers renvoya, en 1468, son collier de l’ordre de Toison d’or, il le fit par son
poursuivant d’armes Donzy (cf. Die Protokollbücher des Ordens vom Goldenen Vlies, t. 2 : Das
Ordensfest 1468 in Brügge unter Herzog Karl dem Kühnen, éd. S. Dünnebeil, Stuttgart, Thorbecke,
2003, p. 42-43, n° 11).
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Anne-Brigitte Spitzbarth, justement à assurer la correspondance entre le duc


et ceux-ci15.
Apporter des messages et aider, de cette manière, à garantir le contact du
duc avec les autres princes et avec ses propres officiers et sujets constituait
donc l’une des tâches quotidiennes des hérauts, même l’une des plus impor-
tantes. Et c’est justement ici qu’il paraît plutôt difficile de ramener la justifi-
cation de cette fonction au lien étroit de l’office d’armes avec l’honneur.
Surtout, parce que les hérauts, dans ces fonctions précises, étaient fortement
interchangeables avec des messagers et des chevaucheurs qui exécutaient par-
fois exactement le même type de missions16. En effet, le choix entre un héraut
ou un chevaucheur importait peu lorsqu’il s’agissait d’apporter des lettres aux
nobles bourguignons afin qu’ils se présentent aux montres d’armes le jour
prévu ; au maire et échevins d’Abbeville à propos du renouvellement de la loi
de leur ville ; aux prévôt et jurés de Valenciennes afin d’obtenir des chariots
pour le transport des bagages de la duchesse ; au conducteur des gentils-
hommes de l’hôtel du duc par lesquelles il lui mande quelque chose à propos
de sa charge ; ou encore au receveur général pour lui mander qu’il envoie cer-
tains mandements aux baillis en Bourgogne17.
Ce n’est pas le cas, en revanche, de la diplomatie en temps de guerre. Dans
ce cadre, on est véritablement en présence d’un domaine d’activité propre
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aux hérauts. S’il s’agit de transmettre des ultimatums ou des déclarations de
guerre, de demander des sauf-conduits pour des pourparlers, faire des som-
mations ou initier des négociations de reddition, des échanges de prisonniers,
bref, s’il s’agit de franchir les lignes de combat afin d’établir le contact avec
les ennemis, c’est avant tout aux hérauts d’armes que l’on faisait appel18. Une
telle décision peut bien impliquer des questions d’honneur, mais ce n’est pas
là, le principal motif. Car ce n’était pas de prime abord l’honneur de leur
maître qui préservait les hérauts pendant ces missions d’être attaqués par un
ennemi et qui leur assurait qu’ils étaient – dans la plupart des cas – au moins
écoutés. Il s’agit plutôt de cette certaine immunité qu’on attribuait aux
hérauts d’armes, leur invulnérabilité relative en tant que hérauts qui les pré-
servaient d’être tués sur le champ, et qui, en fait, les désignait pour des fonc-
tions diplomatiques et une messagerie périlleuse19.

15. — Voir l’article d’A.-B. SPITZBARTH dans ce volume.


16. — Ibid.
17. — Cf. Les comptes de l’argentier de Charles le Téméraire, duc de Bourgogne (op. cit. n. 13),
p. 183, § 789 ; ibid., p. 324, § 1339 ; Lille, AD Nord, B 1972, f. 136 v ; B 2118, f. 124 v ; B 1948,
f. 144 v.
18. — Pour les fonctions des hérauts dans le domaine militaire de la diplomatie voir surtout
L. RÖHMHELD, Die diplomatischen Funktionen (op. cit. n. 1), p. 18-38.
19. — À propos de l’immunité ou invulnérabilité des hérauts d’armes voir ibid., p. 87-104. Bien sûr,
l’honneur du maître d’un héraut pouvait, lui aussi, jouer un certain rôle, comme le montre bien
l’exemple du roi David, qui se trouve mentionné dans le traité Selon les ditz justement pour illustrer
cette immunité (cf. ci-dessous, note 36). Mais l’attaque d’un héraut ne présente qu’une mise en
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VIEUX CHEVALIERS, PUCELLES, ANGES... 509

La diplomatie et la messagerie n’étaient donc pas seulement des fonctions


accessoires au regard des autres obligations des hérauts d’armes. Elles étaient
constitutives de cet office, voire des plus importantes, ce qui est révélé
notamment par le recrutement des hérauts d’armes et des poursuivants qui
s’opérait de la même façon chez les ménestrels que chez les chevaucheurs.
Bien sûr, d’un côté, les hérauts restaient plutôt proches du cercle des ménes-
trels. Dans les comptes brabançons du début du XVe siècle, on trouve plu-
sieurs hérauts qui étaient – avant d’être nommés héraut – mentionnés comme
ménestrels, comme fifre ou trompette, etc.20. Et Nicolas Villart, le fameux
héraut Calabre, roi d’armes d’Anjou, était encore mentionné dans les
comptes royaux, huit ans avant son couronnement, en tant que roi d’armes
d’Anjou et de Touraine (1389), comme ménestrel de bouche21. Mais de
l’autre côté, parmi les hérauts les plus connus il y en avait aussi plusieurs qui
auparavant avaient servi comme chevaucheur, entre autres Claes
Heynenzoon, dit Gelre, ou Gilles Le Bouvier, dit Berry22. Et ils étaient loin
d’être les seuls, surtout pour le XVe siècle23.
19. — (suite) cause de l’honneur de son maître, un défi, que celui-ci peut accepter. Normalement, en
pleine situation de guerre, cela n’a plus d’importance quand un conflit est en passe d’être réglé. En
fait, la véritable perte de l’honneur concerne l’agresseur d’un héraut qui par cet agissement n’ob-
serve plus les règles. D’ailleurs, cette invulnérabilité des hérauts d’armes n’était pas toujours res-
pectée. Jean Molinet nous raconte comment en 1477 un héraut du seigneur de Moy fut tué par des
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archers français quand il s’avançait à découvert pour parlementer ; cf. Chroniques de Jean Molinet
(op. cit. n. 14) I, p. 192. Dans la comptabilité bourguignonne on trouve de la même manière des
hérauts incarcérés par les ennemis de leur maître ; à cet égard voir entre autres le poursuivant
Châteaubelin en 1434 (cf. Lille, AD Nord, B 1951, f. 153 r), le poursuivant Germoles en 1435 (cf.
Lille, AD Nord, B 1956, n° 57.154), le héraut Limbourg en 1468 (cf. Lille, AD Nord, B 2068,
f. 123 v-124 r), ou aussi le roi d’armes d’Artois en 1445 (cf. Lille, AD Nord, B 1988, f. 64 v).
20. — Voir les différents exemples chez A. UYTTEBROUCK, Le gouvernement du duché de Brabant au
bas Moyen Âge (1355-1430), 2 vol., Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1975, t. 1,
p. 222-223. La même chose vaut aussi pour les hérauts en Navarre, voir l’article de María NARBONA
dans ce volume.
21. — Voir les comptes royaux sous Charles VI pour l’année 1381 : Comptes de l’Hôtel des rois de
France aux XIVe et XVe siècle, éd. L. C. Douët d’Arcq, Paris, J. Renouard, 1865, p. 185-186.
D’ailleurs, pendant tout le XVe siècle, les hérauts d’armes ont reçu leurs largesses (des quatre nataux,
mais aussi pendant les tournois) en compagnie des ménestrels et des trompettes, avec lesquels ils
devaient partager, voir T. HILTMANN, Zwischen Heroldsamt und Adel (op. cit. n. 1), p. 18-19. Et au
début de XVe siècle il était même possible qu’un héraut devienne un fou, comme le montre la carrière
d’un certain Nuneke, qu’on peut poursuivre dans le Marienburger Tresslerbuch, les comptes de
l’ordre teutonique. Jusqu’en 1404 parfois comme héraut, parfois comme spreker, il apparaît à partir
de cette date régulièrement comme fou. Voir H. BOOCKMANN, « Spielleute und Gaukler in den
Rechnungen des Deutschordens-Hochmeisters », dans Feste und Feiern im Mittelalter :
Paderborner Symposium des Mediävistenverbandes, éd. D. Altenburg, J. Jarnut et H. H. Steinhoff,
Sigmaringen, Thorbecke, 1991, p. 217-227, p. 223 avec notes 40-43.
22. — Pour la carrière du héraut Gelre, qui était auparavant messager de Jean de Châtillon-Blois,
voir : W. VAN ANROOIJ, Spiegel van ridderschap (op. cit. n. 1), p. 56-66. Pour Gilles Le Bouvier, qui
encore en novembre 1420 dans les comptes du dauphin était mentionné comme « Gilles Le Bouvier,
chevaucheur de l’escuierie de Monseigneur », voir A. VALLET DE VIRIVILLE, Notice sur la vie et les
ouvrages de Gilles Le Bouvier (op. cit. n. 1), p. 214 avec note 1.
23. — Pour des hérauts bretons par exemple, voir M. JONES, « Vers une prosopographie des hérauts
bretons médiévaux : une enquête à poursuivre », Académie des inscriptions et Belles-lettres.
Comptes rendus des séances, n° 3, 2001, p. 1399-1426 (cf. p. 1409). Pour des exemples entre les
hérauts d’armes sous les ducs de Bourgogne, voir entre autres Ernoulet Marchant, qui en 1472 est
mentionné comme chevaucheur et trois ans plus tard comme poursuivant d’armes Beauvergier ;
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510 TORSTEN HILTMANN

Ce rapprochement entre certains hérauts et le cercle des messagers/chevau-


cheurs s’observe de la même façon dans les ordonnances de l’hôtel. Ainsi,
dans celles de Philippe le Bon, les poursuivants, lors de leur première appari-
tion en 1438 puis en 1445, n’étaient pas mentionnés avec les hérauts et les
rois d’armes, mais dans l’écurie, à côté des chevaucheurs24. Et dans l’ordon-
nance de l’hôtel de Jean, comte de Nevers (1469), on trouve Nevers le hirault
et Donzi le poursuivant mentionnés immédiatement après les chevaucheurs
du comte25.
On peut donc en conclure : primo, que les fonctions diplomatiques et de
messagerie jouaient un rôle beaucoup plus important pour les hérauts
d’armes et pour le fonctionnement de leur office que ce qu’elles étaient cen-
sées jouer jusqu’à maintenant. Secundo, que celles-ci échappent en partie à la
tentative d’explication selon laquelle l’office d’armes et la diversité de ses
fonctions se basent avant tout sur la notion d’honneur. L’honneur est l’un des
traits les plus importants de cet office ; mais il n’explique néanmoins qu’une
partie de cet office et de la multitude de ses attributions.
Si l’on veut comprendre le véritable fondement de cet office et en décrire
l’essentiel, il faut donc chercher plus loin. Les textes que les hérauts d’armes
ont eux-mêmes rassemblés à propos de leur office, et particulièrement ceux
qui traitent de ses origines, s’avèrent particulièrement propices à cette entre-
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prise. C’est justement ici que l’on peut voir comment les hérauts d’armes (et
leurs contemporains) ont cherché eux-mêmes à expliquer cet office, en lui
donnant une justification, en lui attribuant une fonction et une place dans ce
monde.
Tout laisse à penser qu’ils en avaient besoin. Les récits sur l’origine de l’of-
fice revêtaient une très grande importance pour les hérauts d’armes. Pour le
XVe siècle, on trouve au moins sept textes différents sur ce sujet, avec une

23. — (suite) Malghis Martin, qui en 1483 est mentionné pour la première fois, ici comme messager,
et qui devient désormais chevaucheur, poursuivant d’armes sous le nom Salins, héraut Lothier et
enfin, en 1507, roi d’armes de Hainaut ; ou encore Bertrand de Longuespée, mentionné en 1481
comme chevaucheur, dans les années 1490 comme poursuivant Gorinchem, héraut Charolais et plus
tard comme héraut Limbourg et qui devient en 1509 roi d’armes de Flandre (pour les différentes
sources voir la base de données Les hérauts d’armes dans les sources bourguignonnes, en prépara-
tion à l’Institut historique allemand, les nos 0074, 0116 et 0099 dans le catalogue des personnes).
Des informations plus approfondies sur ces personnages et sur les différentes carrières des hérauts
d’armes sous les ducs de Bourgogne entre Charles le Téméraire et Charles Quint, se trouvent dans la
thèse de doctorat que Henri Simonneau prépare à ce sujet sous la direction de Bertrand Schnerb
(Lille 3).
24. — Voir Die Hofordnungen der Herzöge von Burgund, vol. 1 : Herzog Philipp der Gute 1407-
1467, éd. H. Kruse et W. Paravicini, Ostfildern, Thorbecke, 2005, n° 11, § 301, 304-306 et n° 15,
§ 261-264.
25. — Voir Paris, BNF, fr. 2903, f. 21 r-25 r, f. 23 v.
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VIEUX CHEVALIERS, PUCELLES, ANGES... 511

multitude de variantes très importantes à travers de nombreuses copies26.


Sans compter tous les extraits que l’on retrouve dans la plupart des autres
textes sur l’office d’armes (suppliques des hérauts d’armes au roi de France,
traités de blason, etc.), ce qui montre l’importance et l’influence du sujet27.
Cependant, ce que l’on trouve dans ces textes, c’est avant tout l’idée que se
faisaient les hérauts d’eux-mêmes et, à travers cela, comment ils répondaient
à certaines interrogations liées à leur office. C’est la manière dont ils ont eux-
mêmes conçu leur office, ou plutôt, comment ils ont voulu le désigner, qui
transparaît. C’est ainsi que ces textes doivent être compris : comme l’expres-
sion des exigences de cet office plutôt que comme un reflet de la réalité à tra-
vers des récits légendaires.

26. — À côté des trois textes traités dans cet article, il convient également de nommer : le « Traité
sur le roi d’armes Montjoie », un traité sur l’histoire et l’ancienne manière de couronner le roi
d’armes des François – voir T. HILTMANN, Zwischen Heroldsamt und Adel (op. cit. n. 1), p. 253-273
et 436-437, ainsi que, avec une lecture différente de ce texte, G. MELVILLE, « “… et en tel estat le roy
Charles lui assist la couronne sur le chief” : Zur Krönung des französischen Wappenkönigs im
Spätmittelalter », dans Investitur- und Krönungsrituale : Herrschaftseinsetzungen im kulturellen
Vergleich, éd. M. Steinicke et S. Weinfurter, Cologne/Weimar/Vienne, Böhlau, 2005, p. 137-161 ;
l’« Epitre de Carthage », une lettre que ceux du siège de Carthage ont envoyée à Jules César concer-
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nant l’instauration de douze vieux chevaliers comme hérauts d’armes et de leur droits et devoirs –
voir T. HILTMANN, Zwischen Heroldsamt und Adel (op. cit. n. 1), p. 122-123 et 437 ; « L’histoire
mondiale de l’office d’armes avant Jules César », où le héraut Sicile cherche à démontrer la préhis-
toire de l’office d’armes – voir F. ROLAND, Parties inédites de l’œuvre de Sicile, héraut d’Alphonse V
roi d’Aragon, maréchal d’armes du pays de Hainaut, auteur de Blason des couleurs, Mons,
Dequesne-Masquillier, 1867, p. 5-40 ; le traité « De origine heraldorum » de Aeneas Piccolomini,
donc du futur pape Pie II – voir F. FÜRBETH : « “Vom Ursprung der Herolde” : Ein humanistischer
Brief als heraldischer Lehrtext », Beiträge zur Geschichte der deutschen Sprache und Literatur,
n° 117, 1995, p. 437-488, ainsi que, avec l’énumération de quelques copies supplémentaires,
T. HILTMANN, Zwischen Heroldsamt und Adel (op. cit. n. 1), p. 73-74. À propos de la riche tradition
de l’histoire imaginaire concernant l’office d’armes voir aussi G. MELVILLE, « Das Herkommen der
Deutschen und Französischen Herolde : Zwei Fiktionen der Vergangenheit zur Begründung einer
Gegenwart », dans Kultureller Austausch und Literaturgeschichte im Mittelalter, éd. I. Kasten,
W. Paravicini et R. Pérennec, Sigmaringen, Thorbecke, 1998 [supplément de Francia, 43], p. 47-60 ;
Cl. BOUDREAU, « Les hérauts d’armes et leurs écrits face à l’histoire : enquête sur la diffusion du
mythe des origines de leur office (XIVe-XVIIe siècle) », dans L’identità genealogica e araldica : Fonti,
metodologie, interdisciplinarità, prospettive. Atti del XXIII Congresso internazionale di scienze
genealogica e araldica, Torino, Archivio di Stato, 21-26 settembre 1998, t. 1, Rome, 2000
[Publicazioni degli Archivi di Stato, Saggi, 64], p. 453-476 ainsi que EAD., « Messagers, rappor-
teurs, juges et “voir-disant” : Les hérauts d’armes vus par eux-mêmes et par d’autres dans les sources
didactiques (XIVe-XVIe siècles) », dans Information et société en Occident à la fin du Moyen Âge,
Actes du colloque international tenu à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université
d’Ottawa (9-11 mai 2002), éd. C. Boudreau et al., Paris, Publ. de la Sorbonne, 2004, p. 233-245.
27. — Pour l’utilisation des ces textes par exemple dans les quatre différentes suppliques de l’office
d’armes voir T. HILTMANN, Zwischen Heroldsamt und Adel (op. cit. n. 1), p. 251, dans les traités de
blason comme le « Traité en forme d’un questionnaire », ibid., p. 327-331, mais aussi le « Livro de
Arautos », une description des pays par un héraut portugais (Livro de Arautos : Script. anno
MCCCCXVI, ms. lat. 28, J. Rylands Library [Manchester] Ministerio Armorum : Estudo codicoló-
gico, histórico, literário, linguístico, texto crítico e tradução, éd. A. A. Nascimento, Lisbonne, 1977,
p. 143) ou la lettre de Calabre, roi d’armes d’Anjou et de Tourraine (G. MELVILLE, « Brief des
Wappenkönigs Calabre : Sieben Auskünfte über Amt, Aufgaben und Selbstverständnis spätmittelal-
terlicher Herolde » [avec édition du texte], Majestas, n° 3, 1995, p. 69-116, p. 114).
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512 TORSTEN HILTMANN

Mais c’est pour cela qu’ils sont encore mieux à même de répondre aux
questions telles qu’il faut les poser ici : comment les hérauts d’armes ont-ils
eux-mêmes présentés les fonctions de leur office ? Vers quelles fonctions pri-
mitives ont-ils cherché à l’affilier ? Sont-ils parvenus à agencer une image
cohérente de cet office, et si oui, comment ? Dans quelle direction ont-ils
enfin cherché à déterminer l’essence de leur office ?
Pour cette étude, nous allons nous concentrer sur trois textes en particulier
qui représentent à juste titre les trois filiations les plus couramment utilisées
par les auteurs :
- le traité Selon les ditz, qui présente les origines de l’office à travers des
vieux chevaliers ;
- le traité de Jehan Hérart, qui porte sur le rôle de pucelles ;
- le traité sur les anges, qui cherche à démontrer l’origine angélique des
hérauts.
Les vieux chevaliers
Le premier traité, que l’on appelle le traité Selon les ditz, est le plus impor-
tant et le plus diffusé des trois textes que je viens d’énoncer28. Il est l’un des
textes clé des compendia de l’office d’armes du XVe siècle, retranscrit dans
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presque chacun d’eux. Il était répandu principalement en France et en
Bourgogne, bien qu’il existe aussi des traductions en anglais et en allemand.
Au total, on en connaît plus de trente-six copies. Les origines de ce texte, en
revanche, restent encore incertaines, malgré certaines pistes. On peut penser
cependant qu’il était déjà rédigé au moins autour de 1400, vu que l’on
retrouve des renvois à cette même histoire sur les origines des hérauts dans
l’argumentation des hérauts d’armes français au sein de leur supplique datée
de 140829.
Le traité commence par raconter les victoires de Jules César. Plusieurs de
ses chevaliers étant devenus trop vieux pour combattre, l’empereur, César
dans le texte, édifie pour eux un collège en guise de retraite. Mais les vieux
chevaliers préfèrent retourner sur le champ de bataille.
Adont le empereur, considerant saigement que ja soit ce que leurs corps feus-
sent de petitte vigheur et force, touttesfois leurs consaulx et jugemens estoient
moult prouffitables et tres bons es fais d’armes et de chevallerie30.
À cette fin, il fait édifier des châteaux portatifs…

28. — Pour la version la plus répandue de ce texte voir F. ROLAND, Parties inédites (op. cit. n. 26),
p. 49-61. Pour une étude approfondie sur ce texte et sa tradition voir T. HILTMANN, Zwischen
Heroldsamt und Adel (op. cit. n. 1), p. 232-255 et 436.
29. — Voir ibidem, p. 244.
30. — F. ROLAND, Parties inédites (op. cit. n. 26), p. 50.
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VIEUX CHEVALIERS, PUCELLES, ANGES... 513

[…] adfin qu’ilz veissent et advissassent les merites ou desmerites dez


bataillans, et que a chascun ilz attribuassent ce que il aueroient deservy ; les-
quelz chevalliers anciens par l’ordonnance dudit empereur estoient presens a
adviser les proesses et vaillances desditz chevalliers et combatteurs. Et aussi
ilz estoient assis devant la table dudit empereur a ses festes sollemnelles par
grant honneur et exemple de honneur31.
Et ces vieux chevaliers, que l’on appela hérauts, devenaient ainsi les prédé-
cesseurs des hérauts contemporains :
Car ou lieux desdis anciens chevalliers autorisés, comme dit est, lesditz
heraulx ont succedé par force de nom et de dignité32.
Dans les ordonnances de l’empereur pour le maintien de cet office, dont la
relation s’ensuit, on retrouve une description claire des qualités dont ces nou-
veaux hérauts devaient disposer et de ce qu’ils étaient censés en faire :
Et adfin que ledit office ne fausist, ledit empereur volt et ordonna que les roix
et princes ordonnaissent, esleussent et proveissent hommes francz, bien nés,
moriginés, habilles preudhommes et féaulx de vie et de moeurs bien cogneus
et approuvés, ensievans le monde, affin que ilz oyssent, veyssent et cogneus-
sent les proesses et noblesses, et jurans que féaulx ilz seroient et laboureroient
a leur pooir a avoir vraye congnoissance des noblesses et dignités de cheval-
lerie33.
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La première fonction des hérauts était donc, selon ce texte, l’observation
des combattants et l’attribution des faits et de l’honneur qui en découle. La
cause de l’instauration de l’office d’armes résidait dans les compétences et
l’expérience de ces vieux chevaliers, prédécesseurs des hérauts, qui étaient
considérés ici comme des exemples d’honneur.
Mais l’observation et le rapport des faits d’armes ne restaient pas la seule
fonction des hérauts d’armes décrite dans ce texte. Il continue ainsi :
Et selon les docteurs et saiges es loix, iceulx heraulx sont en fais generaulx
legalz ordonnés par l’empereur es fais d’armes, et establis des princes en
leurs provinces pour estre reçeus honourablement, traittiés deuement, en fai-
sant leur office34.
Plus loin dans le texte, on rencontre à plusieurs reprises la notion de legats
ou messagiers. Une autre fois, le texte parle même explicitement des heraulx
comme legalz generaulx et messagés especiaulx35. Enfin, la fonction diplo-
matique s’avère même prédominante dans le reste du texte.
On peut remarquer que la plus grande préoccupation de l’auteur s’attache à
faire accepter et à défendre l’immunité attribuée à l’office d’armes. Ceci
31. — Ibid.
32. — Ibid., p. 51.
33. — Ibid., p. 51-52.
34. — Ibid., p. 51.
35. — Ibid., p. 57.
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514 TORSTEN HILTMANN

ressort particulièrement à travers l’histoire des rois David et Amon, qui


illustre l’importance du respect dû à cette immunité : il raconte, comment le
roi David ot envoyé ses messagés au roy Amon et comment le roi Amon fist à
iceulx messagés heraulx36 raser la moitié de leurs barbes et couper la moitié
de leurs robes, et les renvoya comme ça. Le roi David se vengea pour cette
injure faite à ses hérauts en détruisant le royaume de son adversaire.
Néanmoins, une page plus loin, on trouve la fonction des hérauts d’armes
décrite de nouveau de telle manière qu’ils doivent :
[…] congnoistre et dire vérité des notables faits d’armes, et sçavoir quel est
honneur en champ, pour attribuer a chacun en fais d’armes selon sa merite al
exemple des anciens chevalliers dont dessus est faitte mention37.
Donc, à côté de la fonction liée à l’honneur, qui est – selon le texte – la
fonction originelle de l’office et qui jusqu’ici a suscité le plus grand intérêt
des chercheurs, la fonction diplomatique, quant à elle, jouait aussi un rôle non
négligeable, un certain intérêt dans l’idée que les hérauts avaient de leur
office. Cependant, ces deux aspects : l’observation et le rapport des faits
d’armes (donc les fonctions liées à l’honneur) et les fonctions de diploma-
tie/messagerie apparaissent côte à côte, sans avoir un vrai lien entre elles. Ni
au niveau du contenu ni au niveau des fonctions en elles-mêmes.
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Leur lien unique repose ici exclusivement sur l’empereur, donc d’après le
texte Jules César, qui – d’un côté – installe les vieux chevaliers dans l’office
de hérauts et qui – de l’autre côté – les met sous la protection des lois en tant
que generaulx legalz38, en renvoyant au Digeste du Corpus Iuris Civilis réuni,
en fait, par l’empereur Justinien39.
Les pucelles
Le deuxième texte ne provient pas de la plume d’un héraut. Dans plusieurs
copies c’est un certain Jean Hérart qui est désigné comme l’auteur de ce récit
et qui manifestement n’appartenait pas à l’office d’armes. Néanmoins, ce
texte était inséré dans plusieurs manuscrits de l’office d’armes et était utilisé
au même titre dans d’autres de leurs textes40.
Cependant, ce texte-ci prend tout de suite une autre orientation. Il com-
mence ainsi :

36. — Cf. ibid., p. 55.


37. — Ibid., p. 56.
38. — Ibid., p. 51.
39. — Le texte renvoie, en fait, au Digeste, 50.7.18, cf. Corpus Iuris Civilis, editio stereotypa, t. 1 :
Institutiones, recognovit P. Krüger, Digesta, recognovit T. Mommsen, retractavit P. Krüger, Berlin,
1928, p. 904.
40. — Pour une énumération des différentes copies dans les compendia de l’office d’armes du
XVe siècle voir T. HILTMANN, Zwischen Heroldsamt und Adel (op. cit. n. 1), p. 438. Pour le renvoi à
ce texte dans le traité sur l’origine angélique de l’office d’armes, cf. ci-dessous, à l’appel de note 46.
Le texte même est édité entre autres dans F. ROLAND, Parties inédites (op. cit. n. 26), p. 81-86.
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VIEUX CHEVALIERS, PUCELLES, ANGES... 515

Mes tres chiers redoubtés princes et seigneurs, on troeuve es escriptures


anciennes que le tres noble office d’armes fut jadis maintenue et escercée par
nobles pucelles, sans tache de villonie, de bonne renommee, qui portoient et
rapportoient les messages et ambaxades d’armes de prince et de seigneur à
aultre, toutes les fois que mestier ilz en avoient, et n’estoit trouvee en tous
leurs rappors nulle faulte ne mensonge, mais toutte verité41.
Ce texte nous met donc face à une autre fonction primitive de l’office
d’armes laquelle s’oriente clairement vers la fonction diplomatique. Et déjà,
comme l’indique l’adresse du texte, il s’agit ici d’une revendication de cer-
tains droits, et plus particulièrement de l’immunité qui est attribué à l’office
d’armes.
La suite du texte met en évidence l’importance de ses revendications en
évoquant le sort des pucelles qu’il faut interpréter comme des symboles de
l’honneur, mais surtout comme ceux de l’intangibilité. Parce qu’à partir d’un
certain moment aulcunes malvais ribaudz commencèrent par malle volonté42
à déshonorer ces nobles pucelles, ce qui mit cet office sur le déclin. Dès lors,
selon le texte, les princes et seigneurs n’osèrent plus s’envoyer de messages.
Et par conséquent, le désaccord et la dissension régnèrent entre les seigneurs.
Et quand ils se voyaient, toujours selon le texte, ce n’était que pour se com-
battre.
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C’est pourquoi les princes se mirent d’accord pour punir les malfaiteurs et
installer de nouveaux hérauts : ils firent appel aux vieux chevaliers qui ne
pouvaient plus combattre, mais qui pouvaient toujours aller et venir entre les
princes et seigneurs, faire des ambassades et porter des messages. En échange
de cela ils devaient prêter serment, en promettant à toute la noblesse de ne pas
révéler leurs secrets et de toujours dire la vérité.
Les hérauts, en assurant l’échange et la communication entre les nobles,
empêchaient – de cette manière – les guerres entre les princes. Le traité de
Jean Hérart les présente donc comme de véritables gardiens de la paix. Il
attribue un rôle significatif à leurs fonctions diplomatiques en allant plus loin,
puisqu’il leur accorde même une importance majeure dans le fonctionnement
de la société nobiliaire en général.
Dans ce traité, il est intéressant de remarquer que l’on retrouve de nouveau
les vieux chevaliers du traité Selon les ditz. Mais ici, ils sont mentionnés dans
des fonctions distinctes et sans que leurs compétences particulières soient
reconnues et appréciées. Sauf dans un petit commentaire selon lequel les
princes étaient heureux quand ils avaient un héraut dans leur conseil ainsi que
dans la description des qualités dont leurs successeurs devaient disposer43. En

41. — Ibid., p. 81-82.


42. — Ibid., p. 82.
43. — Ibid., p. 83.
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516 TORSTEN HILTMANN

effet, comme dans le traité Selon les ditz, il fallait trouver des successeurs à
ces vieux chevaliers. Et pour ceux-ci il était exigé qu’il s’agisse d’hommes
preudhommes et leaulx, qui aueroient moult veu et congnoissance d’hon-
neur44.
Dans ce récit sur l’origine de l’office d’armes c’est la fonction diploma-
tique qui était largement prépondérante. Les fonctions liées à l’honneur,
même si elles sont présentes dans les personnages des vieux chevaliers-
hérauts et de leurs successeurs, ne jouent qu’un rôle marginal. Un lien fonc-
tionnel entre les deux n’est pas évident.
Les anges
Nous avons vu que les deux textes précédents montrent une image assez
hétérogène des fonctions de l’office d’armes. Pour celui-ci il y avait vraisem-
blablement deux concepts bien prédominants qui demeuraient très présents
dans la tradition : les fonctions liées à l’honneur, représentées par les vieux
chevaliers ; et la fonction diplomatique qui comptait surtout sur l’immunité
que l’on leur attribuait. Mais entre ces deux il n’y avait pas d’équilibre fixe. Il
était bien difficile pour les auteurs de lier l’un avec l’autre.
Cela semble changer avec le troisième texte qui présente encore une fois
une toute nouvelle filiation. Je n’ai trouvé jusqu’à maintenant que quatre
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copies de ce texte, dont on peut distinguer trois versions bien différentes.
Mais en toute vraisemblance sa tradition replace ce texte plutôt dans un
contexte anglais45. Il commence ainsi :
Maistre Jehan Erart tesmongne, comme il est escript en cest livre, que l’office
d’armes fut premierement excercee par femmes pucelles et qu’il l’a veu en
plusieurs histoires. Mais pourtant ce ne fut pas le commencement de l’office.
Car quant Dieu crea le monde au premier jour, il crea les angres [sic] pour
estre messagieres des choses divines et segrez de sa magesté, et aussi que par
eulx le conduit et rapport des bonnes ames fut fait et rapporté devant lui de
ceulx qui auroient bien gardé ses commandemens et combatu contre l’anemy
d’enfer46.

44. — Ibid., p. 84.


45. — Trois des quatre manuscrits contenant ce texte sont actuellement conservés à Londres :
London, College of Arms, M. 19 (ici f. 151 r-153 v) ; M. 16 bis (relié en 13 bis ; ici f. 6 v-8 r) et
London, British Library (désormais BL), Egerton 1644 (ici f. 8[bis] r-10 r). Les deux premiers
manuscrits, d’après leur contenu, sont évidemment d’origine anglaise. Le manuscrit Egerton 1644
de son côté doit provenir de Valenciennes, rédigé, semble-t-il, par Francquevie, le héraut de la ville.
Néanmoins, ce manuscrit plus récent partage au moins deux de ses textes avec le ms. M. 19 cité
auparavant. Pour une analyse plus détaillée des manuscrits London, College of Arms, M. 19 et BL,
Egerton 1644 voir T. HILTMANN, Zwischen Heroldsamt und Adel (op. cit. n. 1), p. 667-672 et 673-
676. La quatrième copie, une version très abrégée de ce texte, se trouve dans le manuscrit Paris,
BNF, fr. 31842, f. 99 r-99 v.
46. — London, College of Arms, M. 19, f. 151 r.
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VIEUX CHEVALIERS, PUCELLES, ANGES... 517

Selon lui, c’est Énoch, fils de Seth, fils cadet d’Adam, qui instaura le pre-
mier – d’après l’exemple des anges – l’office des hérauts d’armes :
Et pour faire les messages de tous les seigneurs temporeulx et de toute
noblesce pour le temps avenir, il ordonna l’office d’armes et leur bailla escus-
son et tunique47.
Ce texte va alors encore plus loin dans sa démonstration des origines de
l’office d’armes, en remontant jusqu’à la création du monde. Et même, si
cette idée d’une certaine diplomatie et d’un service de messagerie comme
fonction initiale reste présente, l’auteur arrive à lier les différentes fonctions
de l’office dans un seul concept : celui de l’analogie entre hérauts et anges.
Cela est exprimé très clairement au début du texte. Les anges – comme je
viens de citer – sont alors décrits à la fois comme des messagers et comme
des rapporteurs des faits et gestes des hommes devant Dieu. Mais aussi dans
toute une liste de tâches, qui, en analogie avec les anges, font partie des com-
pétences des hérauts, concernant entre autres48 :
- la transmission de messages : comme Dieu envoie ses messages par l’inter-
médiaire des anges, les hérauts doivent transmettre les messages des princes
et de toute la noblesse ;
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- l’annonce des mariages : comme Gabriel annonça l’incarnation de Jésus à
Marie, les mariages des princes doivent être annoncé par les hérauts ;
- et comme le seigneur était, en montant aux cieux, accompagné par des
anges, tous les princes doivent être accompagnés par des hérauts et officiers
d’armes partout où ils vont.
À l’instar des anges, les hérauts doivent de plus être messagers de la joie et
exhorter la paix entre les princes ; annoncer – comme il est bien décrit dans le
texte – de prince à prince, les nouvelles de leurs réjouissances et de la résur-
rection de la chose publique ; donner du réconfort à tous les gens de la
noblesse et particulièrement à ceux qui souffrent pour la guerre du prince et
les recommander selon leurs mérites ; déployer les cottes d’armes et ban-
nières quand elles sont portées pour la première fois et couper la queue des
pennons en en faisant des bannières.
C’est particulièrement dans la description de leurs actions en temps de
guerre que la combinaison des différentes fonctions des hérauts se révèle
ouvertement :
Et aussi comme les angres [sic] furent messagiers de la bataille de nostre sei-
gneur, quant il souffry mort et passion, et le reconforterent, en celle senefiance

47. — Ibid., f. 151 v.


48. — Voir ibid., f. 152 r-152 v.
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518 TORSTEN HILTMANN

doivent les heraulx estre messagiers des deffialles [défis] et batailles des
princes et admonnester et conforter les combatans de faire leur honneur et de
y prendre garde pour en savoir parler quant temps en est49.
À la fin, le texte (et cette fois-ci sans analogie avec les anges) exige que
personne, ni prince ni seigneur ni juges de noblesse, ne soit admis à juger du
droit d’armes sans l’opinion des hérauts et officiers d’armes, et cela spéciale-
ment en cas de bataille : Car a eulx appartient de en parler et de le savoir
faire50.
Donc, ce texte sur les anges est le seul texte qui rassemble l’éventail de
toutes les activités des hérauts et qui arrive, en même temps, à établir une
véritable cohérence entre leurs différentes tâches et fonctions. Mais pour ce
faire, l’auteur a dû remonter jusqu’au commencement du monde, en établis-
sant cette analogie avec les anges, et non pas par le fonctionnement ou les
caractéristiques de l’office en lui-même.
Cette analyse de la description des fonctions des hérauts dans les différents
récits des origines légendaires de l’office d’armes nous amène enfin aux
constats suivants : il y a, en fait, deux fonctions constitutives de l’office
d’armes qui semblent se compléter : les fonctions liées à l’honneur et les
fonctions diplomatiques et de messagerie. En ce qui concerne l’idée que les
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hérauts se sont faite de leur office, les fonctions diplomatiques apparaissent
plutôt prédominantes. Mais il faut surtout constater que pour eux aussi il
paraissait difficile de présenter une image cohérente de leur office et de
décrire les points communs entre leurs différentes fonctions.
Les points communs
Même s’ils ne sont pas décrits de manière explicite, ces points communs
entre les différentes fonctions des hérauts d’armes figurent bel et bien dans
les textes que nous venons d’étudier. Toutefois, ils ne concernent pas la des-
cription des fonctions proprement dites, mais plutôt les conditions de leur
bon fonctionnement – et ce sont plus précisément deux points qui émergent :
- la loyauté, pas seulement envers leurs maîtres, mais aussi envers toute la
noblesse ;
- l’exigence, ou tout du moins la prétention, de toujours dire la vérité, ce
pourquoi les hérauts se décrivent eux-mêmes comme des voir-disants,
c’est-à-dire ceux qui disent la vérité51.

49. — Ibid., f. 152 r-152 v.


50. — Ibid., f. 153 r.
51. — Ces deux points étaient, d’ailleurs, déjà séparément mis en relief par G. MELVILLE, « Brief des
Wappenkönigs Calabre » (op. cit. n. 27), p. 91-92 et G. MELVILLE, « Un bel office » (op. cit. n. 1),
p. 313 et 332-333 pour la double loyauté, ainsi que par Cl. BOUDREAU, « Messagers » (op. cit. n. 26),
p. 245 pour l’attachement des hérauts d’armes à la vérité. La présente étude propose de lier ces deux
points réunis dans le serment des hérauts d’armes, ce qui permet, à mon avis, de comprendre le fon-
dement de cet office dans toute sa diversité.
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VIEUX CHEVALIERS, PUCELLES, ANGES... 519

La garantie de ces deux points se trouve dans le serment que les hérauts
devaient prêter lors de leur entrée dans l’office d’armes et qui, de cette
manière, allait aider à garantir le bon fonctionnement de celui-ci. Il en va de
même pour les deux fonctions centrales de l’office : celles liées à l’honneur
comme celles liées à la diplomatie et la messagerie.
De cette manière, on lit dans le traité Selon les ditz à propos de l’instaura-
tion des hérauts, comme generaulx legalz, par les différents princes :
Item, en les ordonnant commanda [Jules César] les faire jurer sur loy que non
pas seullement aux ordonnans, mais a tous les aultres roix et princes, garde-
ront féablement leurs secrés, et augmenteront les honneurs, proesses et
loenges de eulx et des nobles52.
Et dans un autre passage on peut lire que les hérauts :
[…] ont a clariffier et verité dire en toutes choses, et faire clairs les obscurs
fais des batailles, et estre sans faveur pour nesune des parties, mais dire et
rapporter la pure verité non plus pour sons propre prince que pour sa partie
adverse, ne pour aultre53.
Dans le traité de Jean Hérart c’est aussi à cause de ce serment et de son
contenu qu’on a accordé aux vieux chevaliers et à leurs successeurs cette
immunité si particulière à l’office d’armes54. En effet, ils ont prêté le serment
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envers toute la noblesse, envers tous les princes seigneurs, chevaliers,
écuyers, dames et demoiselles :
[…] que bien et leallement ilz maintendroient ledit office, sans ce que par eulx
feussent découvertz ne accusés par rapport ne aultrement les secretz ne estas
tant d’une partie comme d’aultre, ains feroient bons et leaulx services et mes-
sages de ce qui leur seroit chergié, sans nulle mensonge55.
Il est également intéressant de voir comment on a expliqué dans le traité
des anges la signification des différentes lettres du mot « HERAULT ».
Notamment, la lettre U, selon ce traité, senefie veritable et vray disant56, ce
qui est précisé dans une autre version du texte :
U signifie veritable, que herrault doibt estre envers tous veritable et non
ynventeur des fables ne de menchonses57.
Et la lettre L senefie loyauté58, et plus précisément :

52. — F. ROLAND, Parties inédites (op. cit. n. 26), p. 57.


53. — Ibid., p. 53.
54. — Cela est aussi exprimé très clairement dans le Traité sur le roi d’armes Montjoie, cf. la cita-
tion ci-dessous, note 72.
55. — Ibid., p. 82-83.
56. — London, College of Arms, M. 19, f. 151 v.
57. — London, BL, Egerton 1644, f. 9 r.
58. — London, College of Arms, M. 19, f. 151 v.
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520 TORSTEN HILTMANN

L signifie leal. Ung herault doibt estre plaine de toute leaulté tant qu’en luy ne
soit trouvé fraude ne deception quelconque59.
Donc les notions de loyauté et de vérité propre à l’office d’armes se retrou-
vent intimement liées dans les deux fonctions centrales des hérauts :
Pour la loyauté envers toute la noblesse, cela signifie que les hérauts doi-
vent, d’une part, faire leurs rapports et récits sur les exploits et l’honneur des
nobles sans faveur ni défaveur pour personne, qu’ils n’avantagent personne
mais traitent leur maître de la même façon que toute la noblesse. Mais d’autre
part, cela vaut aussi pour leurs missions diplomatiques/messagerie, pendant
lesquelles ils ne doivent révéler les secrets de personne, mais les garder pour
eux en qualité de véritables serviteurs de la noblesse dans son ensemble.
C’est-à-dire qu’ils doivent traiter – ici aussi – tout le monde de la même
façon, sans favoriser personne, même pas leur propre maître.
Et quant à la prétention de toujours dire la vérité, cela veut dire, en ce qui
concerne les fonctions liées à l’honneur, que les hérauts doivent faire des rap-
ports véritables sur les faits et exploits des nobles, d’après ce qu’ils ont vu,
sans ajouter ni rien cacher, comme des témoins sûrs et fiables. Mais cela veut
dire aussi que durant leurs fonctions diplomatiques et de messagerie, ils prê-
tent la plus grande attention à leurs messages, qu’ils n’ajoutent ni ne cachent
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rien et qu’ils les exécutent comme il leur a été demandé de le faire, en toute
fiabilité.
Le serment des hérauts au centre de l’office d’armes
Cette liaison entre les fonctions des hérauts d’armes se retrouve clairement
dans la teneur même du serment que prêtaient les hérauts, fréquemment ins-
crit dans les différents manuscrits de l’office d’armes. À cette occasion on
explique aux hérauts :
Premierement vous jurés comme leal chrétien […] que tout le temps de vostre
vie, de toute vostre pooir, vous servirés leallement monseigneur vostre maistre
tel, etc., et tous princes, seigneurs, dames, damoiselles, gentilz hommes et
gentilz femmes, […] Et en touttes manières vous tendrés en secret ce qui sera
a celer ; leur garderés et augmenterés leur honneur et prouffit, ferés toutte
dilligence de les aidier a secourir de vous et du vostre […] ; se vous sçavés
leur contraire dommage ou deshonneur, vous leur noncerés ou ferés sçavoir ;
si ferés vrais et justes rappors de tout ce qu’on vous chergera de faire et de
dire sans nulle faveur pour quelque gaigne ou perte que vous y puissiés
faire, etc.60.
Le serment se retrouve donc véritablement au centre de l’office d’armes ;
il joue un rôle de tout premier plan dans la conception de cet office. Son

59. — London, BL, Egerton 1644, f. 9 r.


60. — F. ROLAND, Parties inédites (op. cit. n. 26), p. 89-90.
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VIEUX CHEVALIERS, PUCELLES, ANGES... 521

importance ne se voit pas seulement dans son nombre de copies dans les com-
pendia de l’office d’armes61. On retrouve ses traces également dans différents
témoignages littéraires et historiographiques.
Un poème sur les joutes de Saint-Inglevert de 1390 raconte ainsi la promo-
tion du poursuivant de Jean de Roye au rang de héraut, en mettant en relief le
serment :
Et là fu fais li poursievans
De Monseigneur Jehan de Roie
Héraux, à solempnelle joie,
Des III chevaliers fu nommés
Saint Iglebert, et sermentés
En avant du roy des Franchois62.
Nous connaissons aussi une lettre de recommandation de Jean de Rouverel
pour son poursuivant Regnaut Talmas, en date du 8 janvier 1430, dans
laquelle il requiert à tous chevaliers, écuyers, capitaines et gens d’armes
qu’ils le laissent passer sans nul empêchement, chaque fois qu’il vient, sans
nuire ni causer de dommage à sa personne ou à ses biens, voire en le proté-
geant. Cette lettre commence ainsi :
A tous ceux qui ces presentes lettres verront, Jean de Rouverel, chevalier, sei-
gneur dudict lieu, salut. Sçavoir je fay que moy, confiant des preud’hommie,
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loyauté et bonne diligence de Regnaut Talmas, iceluy Regnaut ay retenu et
retiens pour mes besoignes et affaires de mes teres et seigneuries et autres,
mon poursuyvant d’armes, apres ce que de luy ay receu, et prins le serment en
tel cas accoustumé […]63.
Il n’est pas rare de voir certains textes faire référence au serment, soit par
les hérauts eux-mêmes, soit par d’autres. Monstrelet nous raconte comment
un seigneur picard, Sarasin d’Ailly, apprend en 1422 la mort du roi Henri V
par la voix de son poursuivant Havrenas. Il demande au poursuivant des pré-
cisions :
Et adonc messire Sarrasin lui demanda par sa foy s’il avoit veu ledit roy mort
et se il l’avoit bien advisé. Et il respondi que oyl. « Or, me dy par ton sere-
ment, dist messire Sarrasin, avoit-il point ses houseaulx chaussez ? »64.

61. — Pour une énumération complète des différentes copies dans les compendia voir T. HILTMANN,
Zwischen Heroldsamt und Adel (op. cit. n. 1), p. 438-439. Le texte du serment est inséré en plus dans
le « Traité à propos de la création d’un officier d’armes » (pour les copies voir ibid., p. 439) et dans
la « Lettre du roi d’armes Calabre » (voir ibid., p. 438 ; le texte est imprimé dans G. MELVILLE,
« Brief des Wappenkönigs Calabre » [op. cit. n. 1], p. 107-109). De cette manière, le serment des
hérauts d’armes était inscrit dans presque chaque copie connue du XVe siècle.
62. — Partie inédite des chroniques de Saint-Denis, suivie d’un récit également inédit de la cam-
pagne de Flandres en 1382 et d’un poëme sur les joutes de Saint-Inglebert (1390), éd. par J. Pichon,
Paris, impr. de Ch. Lahure, 1864, p. 77-78.
63. — F. DE BELLEFOREST, Les Grandes Annales et l’histoire générale de France, dès la venue des
Francs en Gaule jusques au règne du Roy très-chrestien Henry III, Paris, G. Buon, 1579, t. 1, f. 760 r.
64. — E. DE MONSTRELET, La Chronique, en deux livres, avec pièces justificatives, 1400-1444, éd.
L. C. Douët d’Arcq, 6 vol., Paris, Vve de J. Renouard, 1857-1862, IV, chap. 267, p. 116-117.
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522 TORSTEN HILTMANN

Le héraut Charolais, maréchal d’armes de Brabant, conclut son rapport à


propos de son voyage à Liège en février 1466 avec les mots suivants :
Ces choses dessusdictes, je, Charrolois le herault et marissal d’armes dudit
pays de Brabant, certiffie, par la foy et serement de mon corps et en verité de
herault, estre veritables65.
Enfin, un véritable renvoi au contenu même de ce serment se retrouve dans
un poème du héraut allemand Königsberg, rédigé à propos du meurtre du
candidat potentiel à la couronne allemande, Frédéric de Brunswick-
Lunebourg, le 5 juin 1400 près de Fritzlar66. En se promenant, il rencontre
madame Justice, qui lui raconte qu’elle était, avec les dames Honneur,
Loyauté, Vérité, Prudence, Vertu et Modestie, chassée par la dame Honte.
Elle lui expose les atrocités qui se sont passées, et lui rappelle :
Konigsberg, das sal dir wesen leid
und salt is mogelich vorbass bringen
wan du zu rechten waren dingen
hast gelobit und gesworn67.
Mais Königsberg refuse, en disant qu’il avait déjà suffisamment souffert
pour raconter la vérité. Néanmoins, elle insiste :
Sie sprach : « Dise bosheit ist geschicht ;
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wiltu das vorbass sagen nicht,
so hore doch was ich dir san »
Ich sprach : « es enget mich doch nit an ! »
Sie sprach : « wie bistu dann ein man ?
Hastu den wapen nit gesworn ? »
Ich sprach : « ja ich, hochgeborn ;
wer da wol dut, den setz ich vort
den besten an den eren ort ;
und wen ich weiss ein bosewicht,
den sez ich bi kein guden nicht »68.

65. — Régestes de la cité de Liège, éd. É. Fairon, t. 4, Liège, Éditions de la Commission communale
de l’histoire de l’ancien pays de Liège, 1939, p. 181.
66. — À propos de Königsberg et de ce texte voir : U. MÜLLER, « Königsberg », dans Die deutsche
Literatur des Mittelalters : Verfasserlexikon, crée par W. Stammler, continué par K. Langosch et éd.
par K. Ruh et G. Keil, t. 5, Berlin, de Gruyter, 1985, col. 103-104. Le texte de ce poème est édité
dans Historische Volkslieder der Deutschen vom 13. bis zum 16. Jahrhundert, éd. par Rochus
Freiherr von Liliencron, t. 1, Leipzig, Vogel, 1865, n° 43, p. 206-209. Bien sûr il faut garder à l’es-
prit que la situation des hérauts d’armes allemands était bien différente de celle des hérauts d’armes
en France et en Bourgogne, et même ailleurs, et que, par conséquent, le contenu du serment pouvait
aussi éventuellement différer d’un pays à un autre. Néanmoins, les exigences incorporées dans ce
serment restent apparemment les mêmes. Aussi la mise en valeur de ce serment si explicite dans un
texte allemand démontre-t-elle clairement que le serment était un élément constitutif important de
l’office d’armes en général, indépendamment des différentes formations ou développements régio-
naux. Une comparaison entre ceux-ci serait prometteuse et reste toujours à faire.
67. — Ibid., p. 70-74 (Königsberg, cela doit te désoler / Et tu dois, autant que possible, le rendre
public / Si bien qu’aux choses bonnes et vraies / Tu as juré et serment prêté ; trad. par T. Hiltmann).
68. — Ibidem, p. 116-126 (Elle disait : « Cette méchanceté est bien arrivée ; / Est-ce que tu ne veux
pas le proclamer, / Écoute donc, ce que je te dis. » / Je disais : « Cela ne me regarde pas ! » /
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VIEUX CHEVALIERS, PUCELLES, ANGES... 523

Conclusion
La notion d’honneur joue un rôle considérable pour l’office d’armes, mais
celle-ci mérite néanmoins d’être relativisée. Premièrement, car, comme nous
l’avons montré, il faut prendre en considération aussi les fonctions diploma-
tiques et de messagerie. Celles-ci avaient une plus grande importance pour la
compréhension de l’office d’armes que ce que l’on avait perçu jusqu’ici, et la
notion d’honneur ne les expliquait pas dans leur totalité. Deuxièmement,
parce que le caractère principal de l’office d’armes repose moins dans le
contenu des missions des hérauts d’armes que dans les conditions dans les-
quelles elles devaient être accomplies. Ces conditions se trouvent exprimées
principalement dans le serment que les hérauts ont dû prêter en entrant dans
l’office, qui les obligeait à la loyauté envers toute la noblesse et à la vérité.
S’il y a un fond commun à cet office, c’est ici qu’il repose.
Ce constat invite aussi à passer en revue les missions des hérauts d’armes
liées à l’honneur. Dans la plupart des cas, ils ne faisaient pas un panégyrique
du caractère noble et honorifique des personnages concernés. Avec Geoffrey
A. Lester on peut observer que les récits des hérauts d’armes sur des événe-
ments nobiliaires et chevaleresques étaient plutôt marqués par un style sobre,
très technique et attentif aux moindres détails (surtout aux noms des partici-
pants)69. Observation qui gagne en évidence avec l’étude ci-dessus. La tâche
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des hérauts, dans ce contexte, pourrait alors aussi se comprendre comme le
fait de cautionner, voire de garantir, un récit digne de foi qui servirait de base
à des jugements honorifiques ultérieurs70. Cette idée expliquerait également
que certains hérauts d’armes devinrent, au moins en Allemagne au début du
XVIe siècle, des rapporteurs des diètes d’Empire71, bien éloignées du monde
chevaleresque.
L’étude du serment pourrait offrir de la même façon une explication pos-
sible sur le baptême et le port des noms d’office. Les obligations contenues
dans celui-ci mettaient les hérauts dans une position très particulière.

68. — (suite) Elle disait : « Quel genre d’homme es-tu ? / Est-ce que tu n’as pas aux armes juré ? » /
Je disais : « Oui, moi, majesté ; / je place en avant celui qui fait du bien / le meilleur à la place d’hon-
neur ; / et celui que je connais malfaiteur, / je ne le mets pas près du bon » ; trad. par T. Hiltmann).
69. — Cf. surtout G. A. LESTER, « The Literary Activity of the Medieval English Heralds », English
Studies, n° 71, 1990, p. 222-229, mais aussi ID., « Fifteenth-century English heraldic narrative »,
Yearbook of English Studies, n° 22, 1992, p. 201-212.
70. — Voir, dans ce sens, entre autres, le traité Selon les ditz (cf. F. ROLAND, Parties inédites [op. cit.
n. 26], p. 50 et 56), ou aussi le Traité de blason en forme de Questionnaire (cf. par exemple Paris,
BNF, fr. 1983, f. 44 v). Les citations au début de cet article peuvent être aussi comprises de cette
manière, cf. ci-dessus, notes 4 et 6.
71. — Cf. ci-dessus, note 8. Voir aussi K. SCHOTTENLOHER, « Kaiserliche Herolde des
16. Jahrhunderts als öffentliche Berichterstatter », Historisches Jahrbuch, n° 49, 1929, p. 460-471.
On peut supposer que c’est aussi à cause de cette liaison entre impartialité et vérité que la notion de
« héraut » se retrouve toujours dans le titre d’innombrables journaux comme : International Herald
Tribune, Boston Herald, Miami Herald, etc.
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Contraints à une loyauté envers leurs maîtres mais aussi envers toute la
noblesse et obligés à la seule vérité, ils devaient former un groupe bien dis-
tinct, hors de toutes les relations habituelles entre les nobles et leurs servi-
teurs. Il fallait donc un symbole fort, un véritable rite de passage : un bap-
tême. En accompagnant le serment, celui-ci rendait clairement visible ce que
le serment exigeait ; un passage, durant lequel l’individu, serviteur d’un
maître, devenait une personne publique72. À en croire les traités des hérauts
d’armes, le baptême d’un héraut signifierait même le passage vers un nouvel
« ordre », auquel il s’engageait à vie, presque comme dans un ordre reli-
gieux73. D’après ces textes il n’y avait finalement que trois scénarios pour
renoncer à cet office : devenir chevalier, devenir homme d’Église ou com-
mettre un crime et être condamné à la peine capitale74.
Enfin, les obligations exprimées dans le serment démontrent la tentative
d’établir l’office d’armes comme une instance indépendante, dédiée à la
vérité et au service de la noblesse en tant que tel. Et cela aussi bien dans ses
fonctions de rapporteur que de messager et diplomate. L’impartialité qui en
suivit pour les hérauts était un concept novateur dans cette société nobiliaire
marquée par l’idée du noble comme guerrier et par une nette dichotomie ami-
ennemi75. Cela leur donne finalement aussi une place importante dans l’his-
toire de la diplomatie et de la neutralité. Le concept ou l’idéal de la neutralité
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ont commencé seulement à se développer au XVe siècle. L’abstention, quant à
elle, était toujours largement imprégnée d’une connotation défavorable, voire
négative. Pour les hérauts d’armes il fallait donc revaloriser leur statut tel
qu’ils le revendiquaient et bien légitimer cette position inhabituelle, ce qui

72. — Cette expression est utilisée à plusieurs reprises, par exemple, dans le Traité sur le roi
d’armes Montjoie (cf. ci-dessus, note 26). Dans le récit introductif sur les origines de l’office
d’armes, on voit très clairement la signification de ce statut, ici dans le contexte des missions diplo-
matiques et de messagerie, vu que les hérauts étaient installés par tous les princes « pour plus seure-
ment aller, demourer et retourner, faisant leurs ambassades, commissions et vrais rappors d’amis a
ennemis, d’ennemis a amis, sans y adjouster ne oster malicieusement paroles quelzconques ne aussy
reveler ne accuser emprinses de guerres, embuches ne aux autres de son party comme personnes
publiques qu’ilz sont. Et pour ce furent ils de tous les partis ainsi ordonnez, establis et jurez sur
grans sermens et sur peines de avoir traites les langues de la gorge quant le certain seroit sceu »
(Wroclaw, BU, n° d’acquisition 1994/249, p. 89-90). Le renvoi à ce statut se répète plus tard dans la
teneur du serment du roi d’armes Montjoie par lequel on lui rappelle les obligations de son office
comme celles d’un office de personne publique (Wroclaw, BU, n° d’acquisition 1994/249, p. 89 et
p. 103). G. MELVILLE avait déjà attiré l’attention sur cette expression dans son article « Un bel
office » (op. cit. n. 1), p. 313.
73. — En fait, cette comparaison se trouve déjà clairement exprimée chez le héraut Sicile qui com-
pare les poursuivants aux novices entrant dans un ordre religieux, quand il parle de la différence
entre les poursuivants et les hérauts d’armes, cf. ibidem, p. 88.
74. — Cf. ibid., p. 90-91.
75. — Je dois ces réflexions finales aux remarques pertinentes de Kl. Oschema (Berne) qui m’avait
fait parvenir, à cette occasion, une version préliminaire de son article intitulé « Die unmögliche
Neutralität : Freundschaft als Grundlage der Politik im spätmittelalterlichen Frankreich », lequel va
paraître dans les actes du colloque Freundschaft oder "amitié"? Ein politisch-soziales Konzept der
Vormoderne im zwischensprachlichen Vergleich (15.-17. Jahrhundert), 20-21 mai 2005, Berne, sous
la direction de Klaus Oschema.
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VIEUX CHEVALIERS, PUCELLES, ANGES... 525

s’est traduit par les légendes sur l’origine d’office d’armes traitées ci-dessus.
Dans ce contexte, le choix délibéré des différents prédécesseurs imaginaires
des hérauts d’armes apparaît donc plus clairement. Tous les trois vont dans le
même sens. En effet, en revendiquant une position impartiale dans un monde
de combattants, il n’est pas étonnant d’y voir figurer sur un même niveau : des
vieux chevaliers, des pucelles et des anges.
Mots-clés : hérauts d’armes, fonctions, diplomatie, honneur, imaginaire,
serment, immunité.
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