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DE LA GESTION DES CONNAISSANCES AUX ORGANISATIONS

ORIENTÉES CONCEPTION

Armand Hatchuel et al.

érès | Revue internationale des sciences sociales

2002/1 - n° 171
pages 29 à 42

ISSN 0304-3037

Article disponible en ligne à l'adresse:


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http://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-sociales-2002-1-page-29.htm
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Pour citer cet article :
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Hatchuel Armand et al., « De la gestion des connaissances aux organisations orientées conception » ,
Revue internationale des sciences sociales , 2002/1 n° 171, p. 29-42. DOI : 10.3917/riss.171.0029
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LE NOUVEAU CONTEXTE

De la gestion des connaissances


aux organisations orientées conception

Armand Hatchuel, Pascal Le Masson, Benoît Weil

Introduction : la gestion des celles qui ont développé les plus grands efforts de
connaissances, un symptôme création et de partage des nouvelles connais-
sances. Pourquoi donc les sciences de la gestion
ou un remède ? ou les sciences économiques, et avec elles les
entreprises, prendraient-elles soudain conscience
La gestion des connaissances (knowledge mana- d’une telle évidence ? La façon dont ces disci-
gement) est un thème d’actualité, comme en plines posent la question de la gestion des
témoigne le nombre de publications qui lui sont connaissances ne devrait-elle pas nous amener à
consacrées tant en gestion qu’en économie (voir douter de la solidité de leurs propres connais-
fig. 1 [Scarbrough and Swan, 1999]). Toutefois, sances ?
la notion de gestion des Pour comprendre cet
connaissances (knowledge Armand Hatchuel est professeur à l’É- engouement contemporain,
management) ne désigne pas cole des mines de Paris. Il a publié de nous reviendrons dans une
un corps de pratiques éprou- nombreux articles et ouvrages, dont première partie sur l’histoire
vées, mais plutôt un Experts in Organizations (avec Benoît de « la gestion des connais-
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ensemble de préoccupations, Weil), Walter de Gruyter, 1995. sances » et des formes

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Email : hatchuel@paris.ensmp.fr
d’expériences diverses, et Pascal Le Masson est enseignant-cher- qu’elle a prises dans le
bien sûr un slogan faisant cheur à l’École des mines de Paris. passé. Cette histoire montre
suite à celui d’organisation Email : lemasson@paris.ensmp.fr un schème constant : la nais-
apprenante. Néanmoins, ce Benoît Weil est professeur de concep- sance récurrente d’acteurs
tion à l’École des mines de Paris. Il a
mot d’ordre a connu un suc- publié plusieurs articles et ouvrages développant un nouveau
cès qui, nous le verrons dans dont Experts in Organizations. domaine d’expertise (bu-
cet article, constitue un Email : bweil@paris.ensmp.fr reaux d’études et de
symptôme des nombreuses méthodes, laboratoires de
tensions que connaissent recherche, experts en mana-
aujourd’hui les entreprises gement, etc.) pour faire face
contemporaines pour maintenir des apprentis- à de nouvelles préoccupations ; par contraste, la
sages collectifs efficaces. Ce sont les enjeux asso- nouvelle émergence de cette question tient autant
ciés à ces tensions et ce qu’ils nous apprennent à la multiplication des experts qu’à une crise de
sur le management des entreprises que nous leurs modes d’intervention et du renouvellement
allons examiner dans cet article. de leurs savoirs.
La notion de knowledge management est en Nous verrons donc que cette réémergence
effet problématique, sinon paradoxale. Dans son est un signal révélateur des crises que traversent
activité quotidienne, chacun de nous mobilise les les entreprises contemporaines confrontées à un
savoirs dont il dispose ou apprend plus ou moins capitalisme de l’innovation intensive (Hatchuel et
de ses expériences ; de plus, la production de Weil, 1999). Ce sont ces crises et leurs consé-
savoirs est l’objectif de toutes les disciplines aca- quences sur l’organisation que nous tenterons
démiques sans que celles-ci revendiquent le dans une seconde partie de mettre en évidence 1.
recours explicite au KM ; enfin, nos sociétés sont Nous les définissons comme des crises et des

RISS 171/Mars 2002


30 Armand Hatchuel, Pascal Le Masson, Benoît Weil

FIG. 1. Nombre d’articles concernant le « knowledge management » dans les articles de la base ProQuest.

Source : Scarbrough and Swan, 1999.

mutations des « acteurs et des activités de gement contemporain. Si cela ne devait pas être
conception » : les activités de conception sont des le cas, la gestion des connaissances contempo-
régulations essentielles de la vie des entreprises. raines ne serait alors que le signe avant-coureur
Les acteurs concernés détiennent les grandes d’une crise sérieuse de la raison d’être des entre-
formes de l’expertise et sont aujourd’hui confron- prises.
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tés à la nécessité de développer de nouvelles

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formes d’action collective et donc de nouvelles Quelques étapes historiques de la
formes de production collective des connais- gestion des connaissances
sances.
Mais si la gestion des connaissances signale L’histoire des entreprises n’est pas l’histoire
ces crises, elle ne suffit pas à les résoudre. Et là d’une activité dont les principes et les structures
résident les ambiguïtés et les désillusions qui par- n’auraient pas varié depuis le marchand génois.
fois accompagnent les expériences de KM ! Aussi, Bien au contraire, cette histoire est notamment
dans une troisième partie, nous verrons que les l’histoire de processus de genèses multiples ; et
entreprises, à l’occasion d’expériences de KM, notamment celle de grandes fonctions qui, inven-
découvrent en fait qu’elles doivent inventer tées par étapes, ont permis de structurer et de
aujourd’hui un régime d’apprentissages croisés réguler des activités en créant des formes d’ex-
essentiel à la production collective des connais- pertises nouvelles. Ainsi, à des moments clés de
sances dans un contexte d’innovation intensive. l’histoire et dans certains contextes socio-écono-
Ces apprentissages croisés ne se réduisent pas à miques, les entreprises ont pris conscience que
une interprétation en termes de capital humain ou certains savoirs devaient être systématiquement
de compétence d’entreprise. Ils dépendent des recherchés, produits et détenus par des acteurs
rationalisations gestionnaires du travail collectif, spécifiques ou largement banalisés. Ces muta-
autrement dit de la manière dont sont pensés les tions ont alors suscité la mise en œuvre d’un
métiers et les missions. L’entreprise contempo- ensemble de procédures, de structures ou d’ac-
raine devra donc s’interroger sur les fonctionne- tions de formation que l’on peut regrouper sous le
ments qui permettent l’innovation et l’apprentis- vocable de « gestion des connaissances ».
sage collectif : c’est autour de cette question que Pour simplifier, nous rappellerons trois
se reconstruisent les grands principes de mana- étapes significatives des grandes mutations entre-
De la gestion des connaissances aux organisations orientées conception 31

preneuriales de la fin du XIXe siècle et qui ont lar- d’apprentissage » qui deviendront des instru-
gement déterminé le vocabulaire même avec ments clés de la production moderne.
lequel nous parlons « d’entreprise ». À chaque
fois, ces mutations ont donné naissance à des Le laboratoire de recherche comme lieu
domaines d’expertise, à de nouvelles « figures de production de connaissances
d’acteurs » (fonctions, métiers, rôles) et à de nou-
veaux dispositifs organisationnels. Nous évoque- Toujours au tournant du XXe siècle, influencée par
rons brièvement le mouvement taylorien et la les succès de la recherche en chimie, une autre
naissance du « bureau des méthodes » ; la recon- forme de gestion des savoirs fait son apparition
naissance des savoirs scientifiques qui conduira à dans les entreprises avec la naissance des labora-
la création des départements de recherche ; la toires de recherche. Issus des services d’essais et
naissance des services fonctionnels associés à des des ateliers d’analyse et de mesure, ces labora-
savoirs du management. toires ont pour objectif d’accompagner la valida-
tion des processus et les produits, sans qu’il y ait
toujours une perspective d’innovation. Il s’agit de
Le mouvement taylorien, stabiliser les meilleurs procédés et de contrôler
la science du travail, et le les initiatives et les changements qu’introduisent
« bureau de préparation du travail » les entrepreneurs pour répondre à de nouveaux
besoins. Le laboratoire est lui-même un dispositif
Avant le milieu du XIXe siècle, les savoirs de de gestion des connaissances qui assure la pro-
fabrication ne font pas encore l’objet de duction, la diffusion et la capitalisation de cer-
réflexions poussées de la part des entrepreneurs. tains savoirs spécifiques. C’est ce processus que
L’activité de ces derniers se concentre sur la ges- décrivent les monographies consacrées aux labo-
tion des achats, les investissements et la vente. La ratoires de General Electric, d’Alcoa et de Du
question des connaissances de production Pont de Nemours, qui montrent la logique d’ap-
n’émerge comme objet de connaissance systéma- propriation des connaissances ou de production
tique qu’avec le mouvement taylorien et, dans le d’un savoir scientifique dans l’industrie. Ce n’est
sillage de celui-ci, avec la naissance de « bureaux que progressivement que ces nouvelles entités
de préparation du travail » qui, à l’instar des apparaîtront comme des sources essentielles de
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anciens bureaux d’études, sont désormais chargés l’innovation.

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de consolider et de renouveler les savoirs de
fabrication et d’en faire une « science du tra- La science administrative :
vail ». Au-delà des interprétations traditionnelles les nouveaux savoirs du management
du taylorisme, ce mouvement correspondait au
dépassement d’un ancien mode de gestion des Un troisième domaine de questions apparaît aussi
connaissances devenu incompatible avec la au début du XXe siècle. Ce sont les savoirs des
logique d’efficacité et de progrès technique des managers, souvent appelés sciences de « l’admi-
entreprises. Au début du siècle, aux États-Unis, la nistration ou de la direction ». Si les dirigeants et
gestion des ouvriers qualifiés est en crise : com- les chefs de service étaient encore très peu nom-
ment faut-il rémunérer cette main d’œuvre ? breux dans les entreprises du XIXe siècle, le début
Comment faut-il tenir compte du progrès des du XXe et surtout l’entre-deux-guerres voient le
machines et des procédés, devenu incessant ? La nombre de ces « cols blancs » augmenter consi-
doctrine taylorienne apporte une réponse à ces dérablement. Cette montée des managers conduit
questions en soutenant que la responsabilité de d’abord à la production de doctrines spécifiques
l’entrepreneur est aussi de préparer le travail (ou qui deviendront le support des savoirs de mana-
de faire faire cette préparation) et d’assurer la gement. Dans les années dix-vingt, Henri Fayol
constitution des savoirs de production sous une est le premier à synthétiser ces savoirs et à en
forme « scientifique ». Dès 1911, le chimiste faire l’objet d’un travail systématique. Dès les
français Le Châtelier se fait l’écho de cette années vingt, il élabore une analyse de l’activité
science nouvelle dans l’édition française de la et des compétences des dirigeants, affirmant du
doctrine de Taylor. Un foisonnement de même coup l’identité de ces gestionnaires face
recherches se développe alors et l’on doit notam- aux propriétaires du capital. Le savoir « adminis-
ment à cette époque l’invention des « courbes tratif » se constitue en corpus de connaissances et
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sera enseigné pour renforcer l’identité et la légiti- Cette logique abstraite a son équivalent
mité des managers. Ainsi se met en place un contemporain. Plutôt que d’analyser les termes
enseignement académique (organisation d’une nouveaux de la compétition, une bonne part de la
Graduate School of business administration à littérature a substitué, au paradigme cyberné-
Harvard en 1908, au sein de la faculté des arts et tique, un paradigme « connexionniste » dans
sciences ; organisation d’une Graduate School of lequel la notion de « réseau » a pris une place dis-
business à Stanford en 1925). Il s’inspire de la proportionnée et confuse. Ainsi, pour beaucoup,
formation des avocats et médecins qui ont besoin le KM se réduit à organiser des réseaux, comme si
d’un savoir orienté vers une pratique. Ce savoir l’on pouvait organiser un réseau d’échange entre
administratif s’enrichira ensuite d’un ensemble vendeurs (salesmen) ou un réseau d’échange
d’outils de gestion développés dans le cadre des entre scientifiques selon les mêmes principes !
programmes d’armement américains et anglais au Cette vision a conduit à surestimer l’intérêt des
cours de la Seconde Guerre mondiale (recherche bases de connaissances simplement en libre accès
opérationnelle). C’est aussi en lien avec la crois- via des réseaux de type Web. Une étude menée
sance rapide du nombre de cols blancs que, dès conjointement par plusieurs centres de recherche
1959, Peter Drucker redéfinira les grands axes internationaux en lien avec Cap Gemini (Earl,
d’une science du management. Hatchuel et Stymne, 2000) a montré que ces
réseaux n’étaient efficaces que lorsqu’ils étaient
Une représentation anhistorique de reliés à des activités de la firme et activement ani-
l’entreprise : théorie des systèmes més par des knowledge brokers. Mais avant
et de l’information d’évoquer les outils du KM, il faut revenir aux
caractéristiques de la compétition économique et
Ainsi, dans les faits, les entreprises se transfor- examiner dans ce contexte les nouvelles formes
ment par strates et évoluent selon une généalogie d’apprentissages collectifs qu’elle suscite.
des acteurs et des savoirs. La gestion des connais-
sances peut donc prendre la forme banale d’un Gestion des connaissances
programme de formation ou au contraire marquer
une modification radicale des acteurs et des fonc- et compétition :
tionnements de l’entreprise. Mais les représenta- les défis d’un capitalisme
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tions de l’entreprise en gestion ou en économie de l’innovation intensive

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font souvent peu de cas de ces processus histo-
riques. Elles véhiculent une vision universelle, Un capitalisme de l’innovation intensive
abstraite et ahistorique de l’organisation comme
structure, comme système et comme processeur Depuis la fin des années soixante-dix, nous
d’information. Ainsi, les savoirs nécessaires à sommes entrés dans un capitalisme qui mobilise
l’activité, leurs formes différentes selon les une compétition par l’innovation intensive (Hat-
métiers ou les problèmes ne sont que très rare- chuel et Weil, 1995, 1999). « Innovation inten-
ment évoqués au cours des années soixante et sive » signifie pour ces auteurs que tous les
soixante-dix, alors même que, deux décennies modes de formation de la valeur sont désormais
auparavant, ils ont révolutionné l’entreprise. La concernés par une logique d’innovation ; et la
raison de cet oubli tient à la domination d’un technologie n’est qu’un de ces modes parmi
paradigme systémique et cybernétique de l’infor- d’autres. Les entreprises agissent sur des marchés
mation, cette dernière étant le plus souvent où l’innovation peut porter indifféremment sur
confondue avec la connaissance. L’entreprise est les qualités fonctionnelles ou communication-
alors simplement représentée par des flux d’in- nelles d’un produit, son style, les services qui
formations entre des ressources (hommes, l’accompagnent, les valeurs humanitaires, envi-
machines, capitaux), et l’apprentissage réduit à ronnementales qu’il exprime ou respecte, etc.
un simple feed-back. Et peu importe que les pra- Bref, l’innovation est partout et peut venir d’où
ticiens de la « courbe d’apprentissage » appren- on ne l’attend pas. Ce capitalisme se manifeste
nent dans les faits qu’il n’y a pas d’apprentissage dès les années quatre-vingt par un régime accru
« naturel » et que l’apprentissage individuel de variété des produits (Hatchuel évoque déjà en
cache toujours un apprentissage collectif (nous y 1986 un « taylorisme de la variété »). Il s’ampli-
reviendrons). fie au cours des années quatre-vingt-dix avec un
De la gestion des connaissances aux organisations orientées conception 33

renouvellement accéléré des produits et des tech- experts-concepteurs (techniciens, artistes, ache-
niques. teurs, commerciaux…), auxquels on doit
On peut observer des signes de l’universalité adjoindre aujourd’hui tous les « internautes »
de cette forme de compétition, aussi bien dans les actifs qui participent à des degrés divers à la créa-
secteurs traditionnels comme l’automobile ou la tion collective des connaissances. La prise de
montre, que dans le monde des TIC (technologies conscience de l’importance de ces processus de
de l’information et de la communication) les plus renouvellement des connaissances, de leurs
jeunes où, à leurs dépens, les fabricants de télé- conséquences sur les apprentissages collectifs et
phonie mobile ont vu, en très peu d’années, leurs sur la gouvernabilité des firmes ne s’est faite que
produits passer du stade de l’instrument tech- de façon graduelle : on est passé en une décennie
nique à celui d’un produit grand public soumis d’une vision techniciste à une vision connexion-
aux effets de mode. Ce régime d’innovation niste et stratégique du KM. Ces visions sont selon
intensive correspond à des transformations nous trop caricaturales et nous verrons dans la
sociales lourdes dont il est à la fois cause et troisième partie de cet article comment replacer
conséquence. L’accroissement des cols blancs et plus précisément le KM dans une mutation pro-
des classes moyennes dans les pays riches, carac- fonde et récente des entreprises.
téristique de la seconde moitié du XXe siècle, est
l’une de ses principales causes. Cette nouvelle Premiers signes de crise : les aventures
clientèle, éduquée et exigeante, est soucieuse de et mésaventures des systèmes-experts
différenciation, d’autonomie dans ses choix, de
moyens d’expression de ses valeurs et de versati- Vers le milieu des années quatre-vingt, dans le
lité dans ses goûts. Ainsi s’installe un mouvement sillage de l’intelligence artificielle, une nouvelle
auto-renforçant en faveur d’une accélération de forme d’informatisation, les systèmes-experts, se
l’innovation dans toutes les dimensions des pro- propose de capitaliser et mettre à disposition du
duits ou services proposés. La mondialisation collectif des savoirs individuels devenus rares ou
donne à cette compétition une ampleur nouvelle, difficilement accessibles. Les promoteurs de ces
mais elle ne crée pas la logique d’innovation systèmes ne plaident pas pour des changements
intensive : elle ne fait que l’exacerber et l’ampli- radicaux, mais veulent simplement « écouter »
fier. La notion d’économie postindustrielle n’ex- l’expert humain et enregistrer ce qu’il sait : on
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prime pas clairement ce concept. Car l’expansion passe des outils de stockage des informations à

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de la variété des produits et l’accélération de des systèmes qui doivent expliciter les formes
leurs renouvellements s’accompagne d’une mise capitalisables de la connaissance. Hatchuel et
en danger de toutes les pratiques de capitalisa- Weil (Hatchuel et Weil, 1995) ont analysé de
tion et d’apprentissage. Là se trouve le cœur de la façon détaillée plusieurs projets industriels de
relation entre capitalisme contemporain et KM. systèmes-experts. Ils ont montré que la représen-
Les entreprises s’intéressent activement aux tation de la connaissance dans ces systèmes était
connaissances parce qu’elles ne comprennent très restrictive et que les mésaventures des sys-
plus très bien comment elles se forment, qui les tèmes-experts dévoilaient la nature des différents
détient et lesquelles on doit sauvegarder. types d’apprentissages et les crises contempo-
Dans ce cadre, le concept d’économies fon- raines qui les caractérisent. Leur apport porte
dées sur la connaissance (Foray et Lundvall, principalement sur trois points.
1996) nous semble prendre un sens opératoire Les systèmes experts des années quatre-
clair. Ces économies ne sont pas seulement carac- vingt distinguaient les connaissances (base de
térisées par le « capital » historique des connais- faits et de règles) et les raisonnements sur ces
sances accumulées, mais par le flux sans précé- connaissances (moteurs d’inférence). Or cette
dent des connaissances nouvelles créées, hypothèse n’était tenable qu’avec des formes de
échangées ou détruites. L’importance de ce flux savoir très particulières, proches des savoirs de
est donc nécessairement renforcé par les NTIC, « l’artisan » qui suit pas à pas une recette
mais leur développement en retour serait inutile immuable. Pour des savoirs plus dynamiques
sans l’existence d’un besoin permanent de nou- comme celui d’un « réparateur » (agent de main-
veaux savoirs. Enfin, ce flux est inséparable des tenance par exemple) ou d’un « stratège/concep-
acteurs qui le mettent en mouvement, et dans teur » (concepteur technique, agent de plan-
l’entreprise, ces acteurs sont au premier chef les ning…), l’hypothèse initiale est trop forte :
34 Armand Hatchuel, Pascal Le Masson, Benoît Weil

connaissance et raisonnement sont étroitement vu arriver une gamme d’outils nouveaux permet-
liés. Les apprentissages collectifs nécessaires à tant de mettre des bases de connaissances en
chacune de ces formes de savoir sont éminem- accès ouvert (intranets), d’organiser des forums
ment différentes. De plus, à mesure qu’on passe de discussion, de mobiliser non seulement le
de l’artisan au stratège, on constate que la dyna- texte, mais aussi l’image et le son. Les enjeux de
mique des connaissances est de plus en plus liée ces dispositifs sont indéniables, mais ce qui était
à celle des relations que l’acteur entretient dans vrai pour les systèmes-experts l’est encore pour
l’action. On mesure l’intérêt de cette distinction ces systèmes : il n’y a pas de connaissance en soi,
en remarquant que, dans un capitalisme de l’in- elle ne prend de sens que dans des apprentissages
novation intensive, la plupart des acteurs de la collectifs adaptés à la fois aux raisonnements de
firme voient la dimension « réparatrice » et « stra- l’action et aux relations organisationnelles
tégique/conceptrice » de leur travail nettement qu’elle mobilise. L’impact modeste actuel de ces
accrue. outils n’est pas lié aux outils eux-mêmes, mais à
La métaphore du « recueil » ou du « trans- une sous-estimation permanente de ces deux
fert » des connaissances est souvent trompeuse : dimensions. Il faut aussi prendre en compte le fait
« Les systèmes-experts n’imitent pas le raisonne- que le KM se développe dans un contexte de crise
ment ou ne recueillent pas les connaissances, ils du processus stratégique dans les entreprises.
ne peuvent fonctionner que s’ils les trans-
forment » (Hatchuel et Weil, 1995). De façon Extension stratégique de la crise : les
plus générale, nous ne « recueillons » jamais vrai- compétences de l’entreprise en question
ment la connaissance d’autrui, nous transformons
plutôt la nôtre par des interactions avec lui. On ne Dans un capitalisme de l’innovation intensive, la
peut donc traiter l’échange de connaissances robustesse des entreprises et leur capacité à décli-
comme la circulation d’une monnaie. Il est plus ner une stratégie vont se révéler particulièrement
juste de penser que, pendant l’échange, non seu- menacées. Au début des années quatre-vingt,
lement « ce que chacun sait » change, mais aussi Peters et Waterman connaissent un succès consi-
chacun de nous se fait une idée différente de ce dérable en promouvant des entreprises d’excel-
qu’il a donné et reçu. Mais ne savions-nous pas lence considérées comme des « modèles » d’or-
qu’« enseigner » est une tâche difficile qui exige ganisation, mais deux ans plus tard la moitié de
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un dispositif d’interaction particulier et notam- ceux désignés comme les meilleurs étaient en dif-

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ment un contrôle des « acquis » ? ficulté ou avaient disparu ! On constate alors le
Qui étaient les experts dont on voulait recours important à la notion vague de « compé-
« recueillir la connaissance » ? Hatchuel et Weil tences » ou capabilities pour exprimer la capacité
montrent que ce ne sont plus les ouvriers profes- de la firme à construire son développement (Pra-
sionnels auxquels on s’intéresse, mais précisé- halad et Hamel, 1990). Mais malgré une littéra-
ment les « cols blancs » issus de l’histoire récente ture abondante, la notion reste si abstraite qu’elle
des entreprises et qui sont eux-mêmes des know- ne donne lieu à aucune opérationalisation parti-
ledge workers. Ce constat indique un mouvement culière et tend à évoquer la dynamique des
particulièrement frappant : les grandes transfor- connaissances sur laquelle ces compétences doi-
mations industrielles qui ont eu lieu à la fin des vent en définitive s’appuyer. Starbuck (Starbuck,
années soixante-dix ont mis en difficulté les 1992) reprend cette idée de Know-How Company
« cols blancs ». Ainsi s’installe dans la plupart qu’il appelle knowledge intensive firm (KIF). Pour
des entreprises ce que ces auteurs appellent « les chercher des références à son concept, il s’inté-
crises cachées des savoirs industriels ou crise de resse à l’organisation des cabinets d’avocats ou
la conception » (ibid.). Quelle pouvait être la de consultants. Il analyse les spécificités de ces
conséquence de telles crises ? Quand ceux qui entreprises, et insiste sur le fait que les employés
régulent l’activité de la firme (définition des pro- sont demandeurs d’autonomie et d’évaluation
duits, des procédés, des règles d’organisation) ont individuelle, qu’ils sont rétifs à la bureaucratisa-
du mal à stabiliser leurs connaissances et à les tion et cherchent naturellement des formes
reconstruire, alors la gouvernabilité même de d’échange collectif. Cette capacité à créer collec-
l’entreprise est en cause. tivement des connaissances sera mise en avant
Les systèmes-experts n’étaient que la pre- pour toutes les entreprises (Nonaka et Takeuchi,
mière vague des outils du KM. Avec les NTIC, on a 1995).
De la gestion des connaissances aux organisations orientées conception 35

Un savoir savamment désorganisé : Jerry Lewis et Stella Stevens dans le film Docteur Jerry et Mister Love.
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Coll. part.

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Mais cette littérature stratégique ne doit pas des compétences disponibles ; d’autre part la
être interprétée comme le signe que de nouvelles question de la prescription des règles dans l’orga-
méthodologies de gestion des connaissances sont nisation doit être revue. En effet, si les activités
désormais bien éprouvées. Elle est le reflet des de conception de ces règles sont soumises à des
difficultés récurrentes des entreprises à stabiliser crises récurrentes de leurs expertises, les pres-
et renouveler de façon adéquate leurs savoirs de criptions qui en découlent doivent laisser place à
conception. Signe supplémentaire : dans une de nouvelles autonomies, ou en tout cas s’ouvrir
enquête menée par le cabinet Ernst & Young en à tous les porteurs de connaissances utiles. Ainsi,
1997, une majorité de managers interrogés sur ce dans le contexte d’un capitalisme de l’innovation
qu’ils attendaient des outils de gestion des intensive, la gestion des connaissances ne peut
connaissances ont répondu : « L’innovation. » plus être seulement pensée comme un processus
Ces crises allaient-elles donner naissance à d’introduction de nouveaux spécialistes, mais
de nouveaux acteurs ou de nouvelles organisa- doit envisager le renouvellement des formes col-
tions ? De fait il n’est pas très aisé d’analyser ces lectives de la décision et de la prescription dans
problèmes dans le langage traditionnel du mana- l’organisation.
gement : celui de la décision, de la planification, Ainsi peut-on mieux caractériser le mouve-
de l’optimisation. Avec la crise des savoirs de ment contemporain la gestion des connaissances,
conception se produit un double glissement : non comme un simple problème de gestion, mais
d’une part la question de la décision optimale dis- comme une crise du modèle de l’action collective
paraît au profit d’une interrogation sur la nature dans les entreprises. Or, en reprenant une pers-
36 Armand Hatchuel, Pascal Le Masson, Benoît Weil

pective théorique développée par Hatchuel (Hat- Hatchuel et Weil, on l’a vu, ont aussi criti-
chuel et Weil, 1995), une crise de l’action collec- qué l’approche par domaines de l’expertise (Hat-
tive est toujours une crise double : à la fois une chuel et Weil, 1995) ; ils ont proposé une typolo-
crise des savoirs et une crise des relations 2. gie des savoirs tenant compte de la stabilité
Autrement dit, le mouvement de gestion des relative des objets de connaissance et des rela-
connaissances n’annonce pas seulement le besoin tions dans l’action. La différence d’approche est
de nouveaux outils de capitalisation des savoirs, essentielle dans la mesure où la dimension col-
il signale simultanément les nécessaires réévalua- lective est incluse dans la définition du savoir et
tion et transformation des relations dans l’entre- où, dans chacune des formes du savoir, on peut
prise que nous allons maintenant examiner. Cela aisément reconnaître des formes différentes du
était déjà partiellement vrai pour chacune des dif- collectif. Prolongeant cette analyse sur les formes
férentes étapes historiques évoquées plus haut. de capitalisation des connaissances en concep-
Mais encore fallait-il identifier en quoi consistait tion, Weil et Moisdon confirment que capitalisa-
la crise contemporaine. tion, remémoration et production de connais-
sances sont intimement mêlées (Weil et Moisdon,
Action collective 1995). Autrement dit, dans l’action, produire des
connaissances et capitaliser sont une seule et
et identité de la firme : même chose et nous ne mémorisons que dans la
vers des organisations orientées mesure même où notre action construit des objets
conception mémorisables.
Lien au contexte temporel et social, objets
Considérer la production de connaissances de connaissance, dynamique des savoirs dans
comme une action collective est un point de vue l’action, on voit se dessiner ainsi plusieurs
mieux formalisé récemment (Hatchuel, 2000), notions concourantes qui permettent de sortir de
mais qui a de nombreux antécédents. Historique- la représentation traditionnelle du savoir comme
ment, ce point de vue s’exprime dès les années « capital » précédant l’action. Elles permettent de
soixante contre les ambitions de la cybernétique revenir avec plus de précision aux problèmes des
qui, avec H. Simon, prédit que la machine dépas- apprentissages collectifs dans l’entreprise
sera l’homme et qu’elle pourra réaliser mieux et contemporaine.
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plus vite que lui des tâches réputées intelligentes.

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À l’époque, Simon s’appuie sur l’exemple emblé- Les formes de l’apprentissage collectif :
matique des échecs. L’histoire lui donnera raison. critique de la notion de « communautés
Mais en réponse à ces prétentions, de nombreux de pratique »
auteurs insistent a contrario sur l’aspect social de
la connaissance. C’est notamment le cas de L’analyse récente des apprentissages collectifs a
M. Polanyi, pour qui « la connaissance est une notamment porté sur la notion de métier et celle
activité qui serait mieux décrite comme un pro- de « communauté de pratique ». Selon Blackler,
cessus de “connaître” » (le terme de knowing uti- les premiers travaux sont ceux du psychologue
lisé par l’auteur en anglais rend bien compte du Russe Vygotsky qui développe l’idée marxiste
caractère actif du processus). Il introduit aussi selon laquelle « ce n’est pas la conscience des
une hiérarchie de « l’action de connaître » (kno- humains qui détermine leur être social mais leurs
wing) en fonction des formes sociales de son expériences sociales qui forme leur conscience »
actualisation : ainsi l’habileté correspond à la (Blackler, 1995). L’importance du contexte social
capacité à agir selon les règles, le savoir-faire d’apprentissage est souvent signalée notamment
know-how inclut l’habileté, mais correspond en en lien avec les logiques des métiers.
outre à l’action dans un contexte social complexe, Au concept de métier, les auteurs américains
enfin, la compétence inclut le savoir-faire, mais substituent celui de « communauté de pratique »,
désigne aussi une capacité à influencer les règles. moins exigeant et plus flexible. Celui-ci est déve-
Blackler (1995) reprendra cette distinction entre loppé par des auteurs appartenant à l’Institut for
l’action de connaître (knowing) et la connais- Research on Learning (IRL), excroissance du Palo
sance (knowledge) et préconise une approche par Alto Research Center qui s’intéresse aux consé-
les situations de création du savoir, c’est-à-dire quences sociologiques de l’âge de l’information.
par l’activité dans laquelle le savoir est mobilisé. Lave et Wenger (Lave et Wenger, 1991) insistent
De la gestion des connaissances aux organisations orientées conception 37

sur l’efficacité de l’apprentissage, dans le cadre ces communautés soit résultent de la tradition des
de ces « communautés de pratiques ». Ils analy- métiers, soit se forment « naturellement » dans
sent l’entrée dans une communauté de pratiques l’action : entreprise, management et KM n’ont pas
comme une participation d’abord périphérique d’identité claire dans ces travaux. Ce point de vue
qui croît graduellement en engagement et en a ses vertus, mais il ne répond pas directement au
complexité, aussi bien du point de vue des problème contemporain de la dynamique des
connaissances que des relations sociales (legiti- apprentissages dans les processus d’innovation
mate peripheral participation). Reprenant le ou de production de connaissances nouvelles.
concept d’enacting développé par Daft et Weick Plusieurs chercheurs ont commencé à tra-
(Daft et Weick, 1984), selon lequel des organisa- vailler en ce sens. Ils insistent sur la notion d’ac-
tions innovantes construisent et adaptent en per- tivité dans la gestion des savoirs (Leonard-Bar-
manence leur propre représentation de l’environ- ton, 1995) et étudient le management des
nement, Brown et Duguid (1991) montrent que activités les plus susceptibles de produire ou de
ces communautés de pratiques contribuent préci- faire circuler de la connaissance (expérimenta-
sément au renouvellement des visions du monde tions notamment). Barley (Barley 1996) rejoint
d’une entreprise et donc à sa capacité d’innova- les analyses d’Hatchuel et Weil, en insistant sur le
tion. rôle de certains acteurs essentiels du processus
Ces auteurs apportent ainsi des descriptions d’apprentissage : notamment les techniciens de
fines du processus d’apprentissage collectif dans maintenance ou de laboratoires de R&D qui, parce
l’action. Toutefois leur discours est essentielle- qu’ils sont en permanence à faire le lien entre des
ment interprétatif ou exprime implicitement une phénomène réels et leur interprétation, sont des
logique informelle de « laissez-faire » : Wenger et vecteurs essentiels des apprentissages collectifs.
Snyder (2000) montrent que le management Il reprend donc l’idée que les apprentissages col-
risque plutôt de nuire aux communautés en s’y lectifs en équipe sont d’abord suscités par la com-
intéressant de trop près, mais qu’il doit avoir plémentarité des savoirs en présence face aux
conscience de leur existence de façon à contri- questions à traiter : « Les défenseurs des équipes
buer modestement à leur développement en met- parlent le plus souvent d’améliorer la participa-
tant simplement à disposition des salles de tion et l’implication plutôt que de relier des spé-
réunion ou des outils informatiques du type cialistes avec des connaissances complémen-
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groupware. Cette approche, pour intéressante taires. » Or, Charue et Midler (1993), étudiant la

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qu’elle soit, a des limites importantes. Les robotisation des tôleries automobiles, montrent
notions semblent totalement indépendantes du que l’organisation est incapable de prescrire et
contexte d’entreprise lui-même et négligent le diviser en détail le travail face à une innovation
fait que l’entreprise est un lieu de conception et technologique. On doit donc penser que les
de prescription, et qu’on peut difficilement y par- apprentissages collectifs novateurs s’appuient sur
ler de « communautés », comme si les acteurs n’y de nouveaux rapports d’autorité et de prescrip-
étaient pas définis par des expertises hétérogènes tion.
et comme s’ils étaient tous équivalents face aux A. Hatchuel (1996) a décrit à l’aide des
processus de régulation. Enfin, quelles sont les notions de « prescription faible » et « de pres-
frontières de ces communautés de pratiques en cription réciproque » la manière dont s’organi-
situation d’innovation intensive ? Comment sent les activités de conception où aucun expert
savoir qui y participe ? On retrouve de nouveau n’est en mesure de prescrire totalement le travail,
l’utopie contemporaine du management con- mais où des rapports de prescription restent
nexioniste de l’entreprise, où les dirigeants ne nécessaires à l’action.
seraient que de sympathiques organisateurs de La « prescription faible » consiste à fixer
« forums ouverts » ou de « messageries » ! non pas des buts, des missions ou des procédures,
mais des « objets de travail » qui sont aussi des
De nouveaux rapports de prescription « objets de connaissance » : ils permettent une
pour l’apprentissage collectif première orientation et une répartition provisoire
des tâches. Ainsi, lorsqu’une entreprise doit orga-
Les approches en termes de communautés de pra- niser sa « veille technologique », le responsable
tiques rejoignent la tradition plus ancienne des de cette activité ne peut que fixer un thème de
« collectifs de travail » et font l’hypothèse que veille (par exemple, « les nouveaux polymères »)
38 Armand Hatchuel, Pascal Le Masson, Benoît Weil

et une répartition provisoire par zones d’explora- sent entendre les discours illusoires sur l’en-
tion (Web, visites, organismes, brevets). treprise « holistique », « organique » où tout
La notion de « prescription réciproque » le monde serait expert ou entrepreneur auto-
s’applique ensuite lorsque « l’apprentissage de nome ;
l’un est modifié par l’apprentissage de l’autre, Enfin, ces notions indiquent, on va le voir, les
modifications qui tiennent aussi bien aux rela- formes de management adaptées aux proces-
tions qui existent entre les deux acteurs, qu’à la sus d’apprentissages requis par l’innovation
nature des savoirs qu’ils élaborent ». intensive.
La notion de « prescription réciproque »
peut être aussi associée à la notion de « rationa- Vers des « organisations orientées
lité interactive » développée par Jean-Pierre conception »
Ponssard (Ponssard et Tanguy, 1993). Pour cet
auteur, face à l’incertitude ou à des environne- La tendance récente à organiser l’entreprise en
ments instables, la forme de rationalité privilé- projets peut être ainsi reliée à une certaine forme
giée n’est pas de nature mécaniste : un acteur de gestion des connaissances. Pour Midler (Ben-
seul, avec des modélisations aussi robustes que ghozi, Charue-Duboc et Midler, 2001) le chef de
possible et pour lequel le moteur de la décision projet a pour rôle d’organiser l’échange de
est l’incitation individuelle. Il faut lui substituer connaissances. La position de chef de projet ins-
la notion de « rationalité interactive ». Cette ratio- talle donc un rapport de prescription faible qui
nalité n’est pas universelle, mais émerge dans par définition n’est ni celui du chef (il n’est pas
l’interaction entre plusieurs acteurs qui utilisent dirigeant de l’entreprise) ni celui d’un expert. La
une modélisation commune du réel comme réfé- littérature a d’ailleurs du mal à le qualifier et les
rence pour l’action et dont la remise en cause doit notions courantes de heavyweight ou lightweight
être possible, c’est-à-dire dont l’invalidation est leader (Wheelwright et Clark, 1992) sont des
pratiquement réalisable ; dans ce cadre, le moteur métaphores qui masquent cette difficulté.
de la décision collective est la recherche d’un Mais la forme « projet » n’est pas toujours
point focal vers lequel tendent tous les acteurs favorable aux apprentissages collectifs innova-
concernés. teurs et Weil et Moisdon (1995) montrent l’inté-
Cette nouvelle vision des rapports de pres- rêt pour la création de connaissances nouvelles de
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cription a plusieurs avantages théoriques : certaines expériences sur des « groupes multimé-

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Elle établit un lien explicite entre gestion des tiers hors projet » chez un constructeur automo-
connaissances et organisation de l’action. bile. En étudiant en détail le travail de ces
Prescription faible et réciproque apparais- groupes, les auteurs montrent que leur manage-
sent comme des prérequis pour la définition ment repose sur une bonne formulation des objets
des relations dans l’entreprise lorsque la de connaissance et sur une bonne restitution col-
dynamique des connaissances est intensive ; lective des raisonnements progressivement
Ces deux notions sont compatibles avec l’exis- constitués. Dans ces groupes, la « gestion des
tence de structures d’autorité sans lesquelles connaissances » ne vient pas s’ajouter au mana-
la firme disparaîtrait dans le marché : ce qui gement du travail en équipe. C’est le contraire qui
change, c’est le contenu et le moment serait vrai : manager le processus de production
d’exercice de cette autorité. Ainsi un respon- des connaissances est le point de départ à partir
sable est-il en droit d’imposer l’étude d’une duquel les objectifs, l’organisation du travail et la
nouvelle technique ou d’un nouveau style motivation des agents sont construits et révisés.
sans pouvoir dire ce qu’il faudra faire ni ce Ce même constat a été généralisé par Chapel
que l’on fera finalement (prescription (1997), qui a étudié l’organisation du développe-
faible), mais durant cette étude, il se rangera ment de produits nouveaux dans une entreprise
lui-même aux avis de certains de ses colla- connue pour sa capacité à rester innovante pen-
borateurs reconnus, sur certaines questions dant plusieurs décennies.
et à certains moments, comme des prescrip- Hatchuel et Weil (1999) ont repris ces diffé-
teurs légitimes (prescription réciproque) ; rentes problématiques et ont montré que la firme
Elles permettent de penser que dans les entre- contemporaine ne peut se suffire d’une organisa-
prises contemporaines les rapports de pres- tion matricielle de type projets/métiers. Cette
cription ne disparaîtront pas, comme le lais- structure est toujours tentante parce que les
De la gestion des connaissances aux organisations orientées conception 39

« métiers » peuvent être pensés comme des définitive n’accordent aucune spécificité aux rap-
« communautés de pratique » et les « projets » ports de coopération dans la firme (Kogut et
comme des espaces d’apprentissages croisés. Zander, 1992). Ils remarquent a contrario que
Mais ce modèle suppose la stabilité des objets, « ce que les firmes font mieux que les marchés est
des savoirs et des métiers. Or dans un capitalisme le partage et le transfert de connaissances entre
de l’innovation intensive ce sont précisément les des individus et des groupes au sein d’une orga-
objets (produits, procédés, systèmes) et les nisation ». Ils ajoutent que « les firmes appren-
savoirs (métiers, techniques, expertises) qui sont nent de nouveaux savoirs en recombinant leurs
en permanence déstabilisés. L’entreprise doit capacités actuelles » et qu’elles offrent à leurs
alors reconstruire en permanence ses apprentis- personnels « le territoire normatif auquel les
sages collectifs autour d’« objets-concepts » (par membres s’identifient ». Cette théorie de la firme
exemple « la voiture intelligente ») et de est critiquée par les auteurs néo-institutionna-
« métiers embryonnaires » (par exemple « l’ani- listes. Ainsi Foss (1996) signale que, contraire-
mation scientifique »), dont l’élaboration pro- ment à ce qu’elle prétend, cette nouvelle théorie
gressive donnera peut-être (mais pas toujours) de la firme ne peut pas se passer du concept d’op-
naissance à des métiers et à des projets plus rou- portunisme, de sorte que la notion de connais-
tinisés. Hatchuel et Weil appellent « organisations sance n’est jamais qu’un complément à la théorie
orientées conception » les formes d’organisations des coûts de transaction de Williamson. L’argu-
qui favorisent les cycles d’apprentissages collec- ment vaut, mais il pèche par son universalité et
tifs permettant une telle régénération simultanée son absence de référence au contenu de l’action :
des objets, des savoirs et des métiers. les apprentissages collectifs ne font pas dispa-
Ces analyses dévoilent et précisent le véri- raître la négociation, le pouvoir ou l’opportu-
table enjeu d’une gestion des connaissances nisme des agents, mais ils modifient fondamenta-
aujourd’hui : permettre une telle transition. Car lement leurs conditions d’actions, leurs cibles et
contrairement à la notion « d’organisation appre- leurs effets. La prise en compte de l’hygiène et de
nante » qui ne dit rien de ce qui doit être appris ni la sécurité au travail n’a pas modifié le potentiel
comment, celle « d’organisation orientée concep- de conflictualité, mais au moins sur certains de
tion » indique clairement qu’il s’agit de piloter ces points l’action collective est désormais plus
des processus créateurs de concepts, d’objets et efficace.
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de métiers nouveaux. Si nous pensons que les entreprises sont des

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On comprend aussi pourquoi la notion de KM lieux d’apprentissage collectif, nous ne pouvons
si répandue reste encore peu active dans les faits : cependant faire l’hypothèse qu’elles sont univer-
conçue comme une simple rationalisation des sellement capables de réaliser ces apprentissages,
connaissances existantes ou disséminées, elle se quels que soient les contextes d’action. L’histoire
réduira vite à des pratiques organisationnelles des entreprises confirme ce point de vue. Il a fallu
bien connues et n’aura pas de raison d’être. des mouvements doctrinaux importants et des
Repensée comme nous venons de le faire, elle rationalisations multiples pour que naissent de
devient le levier d’une mutation d’ensemble des grandes entreprises capables de mobiliser des
activités de conception et des rapports de pres- connaissances multiples, ou que se forment des
cription ; mutation destinée à soutenir des pro- acteurs ayant la légitimité et la compétence
cessus de genèse et d’innovation. On comprend nécessaires pour agir en faveur de l’innovation.
que le chantier en soit encore à ses débuts. Kogut et Zander expriment donc la « raison
d’être » de la firme, mais rien ne prouve qu’elle
puisse réaliser sa mission face à des formes de
Conclusion : compétition aussi exacerbées que celles que nous
gestion des connaissances et avons décrites ici. De plus, pour résister à l’inno-
identité de l’entreprise vation intensive, les entreprises peuvent être ten-
tées, on le sait bien, par des logiques de flexibilité
Les théories économiques néoclassiques de la tous azimuts particulièrement difficiles à vivre
firme voient celle-ci comme un ensemble de pour les personnels, et qui en définitive ne peu-
contrats marchands ou comme un réducteur des vent qu’aggraver les crises des apprentissages
coûts de transactions sur un marché. Kogut et collectifs. La mutation que nous décrivons ne
Zander se sont opposés à ces définitions qui en peut donc être sous-estimée : au-delà des slogans
40 Armand Hatchuel, Pascal Le Masson, Benoît Weil

du KM, ce qui se joue concerne la capacité des d’autre part, par une reconstruction des relations
entreprises à se régénérer dans l’innovation, mais à la clientèle notamment grâce aux NTIC. Mais
aussi à maintenir dans ce processus leur identité comment penser que, dans un tel contexte, un
propre. statu quo eût été possible et que l’entreprise eût
Au terme de cette étude, nous pensons avoir pu conserver son identité sans changer profondé-
expliqué l’engouement actuel pour le knowledge ment ? L’explosion récurrente de nouveaux
management non par ses résultats en pratique, savoirs, l’extension des champs de la compéti-
mais parce qu’il est le symptôme des défis que tion, l’innovation intensive, l’émergence de nou-
rencontrent les entreprises contemporaines : défis velles valeurs sociales, les métamorphoses des
souvent cachés ou masqués par des discours de systèmes éducatifs, tout cela concourt à une
circonstance des managers. Dans un capitalisme déstabilisation profonde des sociétés et des éco-
de l’innovation intensive, l’action de tous les nomies, et donc de l’entreprise. Le concept
acteurs de l’entreprise devient difficile, incer- « d’organisations orientées conception » nous
taine, dépendante de multiples coopérations et de semble offrir une piste importante pour cette
savoirs éphémères. Or, là où l’action de chacun mutation. Il ne dit pas que les firmes doivent se
pose problème, la question des apprentissages désintéresser des activités de fabrication, ce qui
collectifs est toujours sous-jacente. Des difficul- serait absurde ; il signale simplement que les
tés analogues existaient au début du siècle : nous grands principes qui ont structuré l’entreprise
leur devons les formes modernes de l’entreprise depuis un siècle étaient issus d’un paradigme de
et notamment la naissance des grands acteurs la production. Or ce paradigme n’est plus adapté
prescripteurs, organisateurs des apprentissages à un capitalisme de l’innovation intensive et l’on
collectifs. Entre l’entrepreneur et l’ouvrier sont doit aujourd’hui adopter un paradigme de la
venus s’interposer le bureau des méthodes, le conception, car c’est dans cette perspective que
psychologue du travail, la recherche indus- se détermine la régénération de la firme et de son
trielle… identité : la production doit donc être pensée
Pendant plusieurs décennies, ces décou- comme un moment (crucial) du processus de
pages de l’action collective sont restés relative- conception, alors que nous avions tendance à
ment stables. Aujourd’hui, on est probablement penser l’inverse.
face à des mutations du même ordre. Nous les Tels sont les enjeux qui se cachent derrière
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voyons naître aux deux extrêmes de la firme : le succès d’une notion aussi problématique que

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d’une part, par une reconstruction des métiers de celle de « gestion des connaissances ».
la R&D (Hatchuel, Le Masson et Weil, 2001) ;

Notes

1. Cette perspective généalogique de discerner derrière la gestion des suppose une interaction appropriée
se justifie du point de vue de connaissances les formes d’action entre les savoirs détenus par les
l’épistémologie des sciences de collective qu’elle prétend acteurs et les relations qui existent
gestion telle qu’elle a pu être rationaliser. entre eux. Ce principe étant un
exprimée par Armand Hatchuel invariant, la contextualisation des
(Hatchuel, 2000). En effet, si les savoirs et des relations permet de
sciences de gestion s’intéressent 2. Hatchuel appelle « principe de comprendre les crises et la
aux formes de rationalisation de non séparabilité S/R » le postulat généalogie des formes de l’action
l’action collective, il s’agit alors selon lequel l’action collective collective.
De la gestion des connaissances aux organisations orientées conception 41

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