Vous êtes sur la page 1sur 542

De

la même auteure

La France à l’heure du monde


De 1981 à nos jours
Seuil, 2013, rééd. « Points Histoire », 2018

« Prolétaires de tous les pays, qui lave vos chaussettes ? »
Le genre de l’engagement dans les années 1968
(en codirection avec Fanny Bugnon et Fanny Gallot)
Presses universitaires de Rennes, 2017

La Société française, de 1945 à nos jours
(avec Jenny Raflik et Jean Vigreux)
La Documentation française, 2015

Une histoire des journaux lycéens
(avec une préface de Cabu)
Les Arènes, 2014

Hériter en politique
Filiations, générations et transmissions politiques
Allemagne-France-Italie XIXe-XXIe siècles
(en codirection avec Arnaud Baubérot)
PUF, 2011

Sous l’œil de l’expert
Les dossiers judiciaires de personnalité
(en codirection avec Jean-Claude Vimont)
PURH, 2011

Jeunesse oblige
Histoire des jeunes en France (XIXe-XXIe siècles)
(en codirection avec Ivan Jablonka)
PUF, 2009

Le plus bel âge ?
Jeunes et jeunesse en France
de l’aube des Trente Glorieuses à la guerre d’Algérie
Fayard, 2007

e
Les « XX siècle » français
La France et les Français de 1914 à nos jours
Ellipses, 2006
Ce livre est publié dans la collection
L’UNIVERS HISTORIQUE
fondée par Jacques Julliard et Michel Winock
et dirigée par Patrick Boucheron.

Le titre de ce manuscrit est un hommage au film de William Klein,


Grands soirs et petits matins (« Extraits d’un film qui aurait pu exister »)
(Films Paris-New York, 1968).

ISBN 978-2-02-130159-5

© Éditions du Seuil, janvier 2018


Es ist Zeit, daß es Zeit wird.
Es ist Zeit.

Il est temps que le temps advienne.
Il est temps.
Paul CELAN, « Corona »,
Pavot et Mémoire, 1952.
Ce livre est dédié à celles et ceux qui ont « fait Mai »,
pour leur courage et pour leurs rêves ;
ils continuent de nous porter.
TABLE DES MATIÈRES

Titre

De la même auteure

Copyright

Introduction - L’événement au présent

68 en mosaïque

Sans temps mort

Troubler l’ordre

Un internationalisme concret

Genre de l’événement, genre de l’engagement

Rêve général

Que faire ?

Prologue - « Glorieuses » ? Des années critiques

États critiques

« À bientôt, j’espère ! » Les mobilisations paysannes et ouvrières

Lignes brisées : quelques recompositions politiques

Première partie - Protagonismes

Chapitre I - Soyons tout - Étudiants, paysans, ouvriers : rencontres et solidarités


Ce n’est qu’un début

Grands soirs. Nuits et jours de solidarité

Mauvais présages : le spectre du chômage

Chapitre II - L’esprit des lieux - Grèves, occupations et subversions

Sans préavis. Dynamique de la grève

Dans la brèche des occupations

De haute lutte. Modalités et modulations des pratiques grévistes

Revendiquer la dignité

Chapitre III - Conflits intérieurs - Quelques antagonismes politiques et stratégiques

L’ordre du jour : la CGT et le PCF au vif de l’événement

Des mots d’ordre : la discipline du Parti

Passes d’armes

Chapitre IV - Un autre monde - L’internationalisme comme principe actif

Près du Vietnam

Ni patrie ni frontières : les manières du transfert

En circulation : textes, pratiques et expériences critiques

Passeurs d’ici et d’ailleurs

Deuxième partie - De l’autre côté : pouvoir, police et politique

Chapitre V - Que fait la police ? - Dispositifs stratégiques et violences politiques

Une police remontée

Ordres et désordres des forces de l’ordre

Une police politique ?

Chapitre VI - En haut lieu - Choix et stratégies du pouvoir

Diviser et mieux régner


Sous contrôle

L’État contre-attaque

Chapitre VII - Rappels à l’ordre - Les oppositions à la contestation

Tirer sur le rouge

En découdre

Le communisme, voilà l’ennemi

Troisième partie - L’expérience sensible du politique

Chapitre VIII - Que la joie demeure - Expérience sensible et affects mobilisateurs

Un heureux événement

Les raisons de la colère

Peurs bleues

Chapitre IX - Temps de paroles et éclats de voix

Les merles moqueurs ou le rire de Mai

Poétique du politique

De l’art dans la vie

Chapitre X - Féminin-masculin - Sexe et genre de l’événement

Mères, ménagères ou mégères : le sexisme ordinaire

Se désassigner, devenir sujet

La révolution a-t-elle un sexe ?

Chapitre XI - Le temps ravivé - Conscience historique et temporalités

Les tâtonnements de l’événement

Faire histoire. Au secours du présent

Clôture du temps ou commencement ?

Quatrième partie - Changer la vie Projets et futurs imaginés


Chapitre XII - Demander le possible - Pratiques de la critique et imagination politique

Les choses de la vie

Sens critiques

Mises en examen : un enseignement en jugement

« Dieu n’est pas conservateur » : l’Église aux prises de la critique

Chapitre XIII - Changer de base - Autonomie, autogestion et émancipation

Sans estrades ni chaires ? Les ambiguïtés de l’autonomie universitaire

Sous la bannière autogestionnaire

Une ruse de l’histoire ? Autogestion versus participation

Chapitre XIV - Le rouge et le noir - Quelques imaginaires révolutionnaires

Parler d’elle : la révolution désirée

Tout un programme

La ligne rouge

Épilogue ? - Une arrière-saison - Bilans, déceptions, prévisions

Terminer une grève

À moitié vide ou à moitié plein : le dernier verre et la coupe amère

Retour à la normale ?

Conclusion - Par-delà le rire et l’oubli

Les ondes longues du passé

Dorénavant

Donner du sens a-t-il un sens ?

Notes

Sources
Archives

Films et émissions

Récits et témoignages

Bibliographie

Les « années 1968 »

1968 : Explorations de l’événement

Groupes, classes et mouvements sociaux

Engagements et socialisations politiques autour de 1968

Cultures et pensées renouvelées

Déclinaisons locales de l’événement

Sexe et genre de l’événement

Penser et écrire l’événement : historicité et contemporanéité

Affects et expérience sensible du politique

Utopies politiques et futurs imaginés

Sigles

Index

Remerciements
INTRODUCTION

L’événement au présent

Une jeune femme parcourt à pas vifs les galeries du musée Kcic. Est-ce par
amour de l’art ? Par goût de l’histoire ? Ou par attirance irrépressible pour ce
guide un peu timide, souvent sur son quant-à-soi et qu’elle appelle « mon Roi » ?
Elle l’écoute des heures durant raconter les parcelles de passé que le musée
recèle ; elle compatit aussi à ses doutes mal dissimulés et ses hésitations
tourmentées. L’homme a beau être savant et fervent, il ignore qui étaient
exactement les étudiants nommés Renault, Cléon, Flins, Platon, Héraclite et
Boulogne-Billancourt. Avec une douloureuse perplexité, il évoque cette statue, à
jamais perdue si tant est qu’elle ait existé, d’un étudiant au poing levé, un certain
Hercule C. Bendit. La statue aurait figuré parmi les Sept Merveilles du monde,
érigée pour célébrer la révolution dite « de Mai ». Là encore rien n’est moins
sûr – il n’en demeure que quelques allusions dans des peintures, réalisées
longtemps après. La jeune femme s’interroge :

de quel type de révolution pouvait-il s’agir ? Mon Roi n’en sait rien,
personne ne le sait. Et un étudiant qui lève le poing ne signifie pour nous
que ceci : un étudiant levait le poing. C’est tout. Les spéculations faites
au sujet de la révolution et du poing se réduisent, à ce jour, à elles-
mêmes. Je crains qu’on ne sache jamais ce que fut Mai 68 et si cette
révolution appartenait à la culture française ou – comme certains le
soupçonnent – à la civilisation chinoise.

Pourra-t-on jamais en connaître davantage sur cet étrange événement, par-


delà les brisures du temps ? Mais si ce n’est pas le cas, se console-t-elle, ce ne
sera pas la faute de « son Roi », pour pathétique qu’il soit parfois : les matériaux
historiques manquent, qui offriraient d’explorer plus avant cette époque
mythique et détruite.
Le musée Kcic a été imaginé par Enrique Vila-Matas dans une savoureuse
nouvelle : un cataclysme mondial y a anéanti, cinq siècles auparavant, tout ce
qui avait vécu jusque-là 1. Le passé semble mort à jamais, n’était cette passion
compliquée à en retrouver des traces et à les disséquer pour les faire encore
parler. Malgré cette quête, leur signification paraît s’échapper, irréductible et
inaccessible. C’est un texte très drôle, ironique à souhait. Un texte profond sous
le voile de sa légèreté : il exprime la perte de sens qui peut affecter le passé si
l’on n’y prend garde et si l’on n’en prend soin. Et ce, jusque dans la valeur des
gestes – qu’est-ce qu’un poing levé si à présent plus rien n’en reste ? Jusqu’au
symbole même du musée, lieu de la conservation et de l’inventaire sans mystère,
où les choses sont statufiées.
Nul besoin de calamiteuse catastrophe pour concevoir un 1968 épars et
oublié, dont seuls des fragments subsisteraient : un événement désossé, débité en
tranches, morceaux choisis vendus à l’encan ou exposés dans un mausolée.
D’ores et déjà, il a été déformé et défiguré : tout cela n’aurait été que jeu, si peu
réfléchi et si peu sérieux – une parenthèse heureuse mais vite refermée avec,
dans les mâchoires qui l’enserrent, le goût amer des espérances broyées. Par ces
caricatures et même ces procès 2, 1968 apparaît amputé. Beaucoup pourtant lui
ont gardé fidélité et, en quelque sorte, le protègent. Mais de quoi ? De cette
« mémoire-écran 3 », sédimentée strate après strate depuis tant d’années, qui
l’associe à ses conséquences présumées : individualisme, égoïsme, présentisme
et même néolibéralisme… Les suffixes figés de ces mots en cortège disent déjà
combien ils endiguent l’événement, comme s’ils le pétrifiaient. Ils lui sont
accolés pour mieux en faire un repoussoir, voire un « astre noir 4 ». Ils ont surtout
pour tare d’être plaqués sur un moment qui n’a rien à voir. L’essayiste Gilles
Lipovetsky a écrit à son sujet : « son originalité fut de tout contester et de ne rien
proposer 5 ». Rien n’est plus faux – encore faut-il le démontrer, en puisant à ses
sources vives. Il y a donc lieu de revenir aux projets, à l’inventivité, à tout ce qui
a été imaginé, de grand et de petit, pour réellement changer la vie – on
n’oubliera pas que ces mots étaient de Rimbaud : mettre l’événement à distance
de l’« immense condescendance » que peut parfois lui témoigner la postérité 6.

68 en mosaïque
Nous ne sommes pas à Kcic ni dans les temps reculés d’un futur désolé : il y
a tant de sources à explorer, une matière vibrante encore d’espoirs et
d’engagements. Une historiographie renouvelée espère se soustraire aux dictées
du prêt-à-penser 7. Un peu plus d’une décennie après « les événements », il était
de bon ton d’affirmer qu’il n’y avait plus d’ouvriers ni de classes sociales ; on a
alors négligé voire oublié la grève générale. Aujourd’hui, toute une histoire
renoue avec cette dimension fondamentale, évoquant l’« insubordination 8 » qui a
mis le temps en suspens. Dans le même élan s’exprime le souci de varier les
angles d’observation, de décentrer le regard hors de Paris pour valoriser d’autres
scènes, sans négliger la capitale pour autant. 1968 est une marqueterie : partout,
quelque chose arrive. Il peut y avoir inquiétude ou retrait ; il peut y avoir ivresse
de bonheur ou, au contraire, grande peur. Mais nulle part on ne rencontrera
d’indifférent à l’événement. Nulle part on ne trouvera le petit mot si célèbre et
même un peu galvaudé noté par Louis XVI sur son journal, à la date d’un
14 juillet : – Que s’est-il passé ? – « Rien ». Les médias sont là désormais :
même les spectateurs sont engagés.
Les sources et leurs foisonnements peuvent d’ailleurs donner le vertige.
Derrière chacune d’elles, il y a tant de visages et tant de paysages qu’on ne
saisira jamais. Pour suivre les hésitations, les bifurcations, les chemins qui n’ont
finalement pas été empruntés et ceux qui l’ont été sans pierre blanche,
quelquefois dans le silence, il faut plus que notre pauvre écriture : il faudrait la
littérature. Entendre la poésie laisser lentement l’événement se détacher du sol et
dire, comme Serge Velay : « L’air bleu bruissait d’essaims de paroles 9. » Des
poèmes, il y en a tant, de célèbres et d’inconnus, surgis au coin des rues. À leur
image, quoique loin de leur éclat, ce travail se donne deux principes d’écriture :
être au présent pour ne pas enfouir l’événement dans l’embaumement des
imparfaits ; et le prendre au sérieux, à bonne distance des ricanements ou des
reniements.

Sans temps mort


« Les événements » : l’expression utilisée à propos de 1968 a été ressassée.
Elle a très tôt montré la difficulté sur laquelle achoppe toute tentative de définir
et circonscrire ce qui s’est passé : une révolution, mais à moitié, restée au milieu
du gué. Pourtant, lorsque Gilles Deleuze et Félix Guattari remettent le mot
d’« événement » sur le métier, c’est au contraire par un refus de le catégoriser.
1968 est pour eux un « événement pur », une déviation par rapport à l’ordre des
lois et des déterminations, « un phénomène de voyance » : les yeux se sont
dessillés, la société perçoit l’intolérable tout comme le désirable, jusque-là pas
même rêvé, pas même envisagé. « Du possible, sinon j’étouffe » : tel est le cri
lancé à la volée, cri-résumé d’un moment où l’insupportable se montre tout à
coup, quand la suffocation inspire impérieusement le désir d’autres présents 10.
Dit autrement, dit avec les mots de Michel de Certeau : « Quelque chose
nous est arrivé. Quelque chose s’est mis à bouger en nous. […] Cette expérience
a été. Elle est imprenable 11. » Il y a là toute la gravité des métamorphoses
intimes et des changements collectifs : le présent s’arrache aux habitudes, le
temps est au sens strict extra-ordinaire et ne peut plus s’oublier. Certes la
chronologie est là, qui nous aide ; sa succession est rassurante, comme l’est son
implacable régularité. Mais elle dit mal la profusion et le tremblé du temps. Car
le risque est toujours, à vouloir le transcrire, de « domestiquer la potentialité
déchirante de l’instant 12 ».
La domestiquer, ce serait voir déjà Juin en Mai : la reprise, les élections, les
façons de rentrer dans le rang et de fermer le ban – en somme le dénouement,
comme s’il était inéluctable. Ce serait tout le contraire du mouvement, avec ses
vicissitudes et ses tâtonnements. L’événement est une marche : il suppose qu’on
lui restitue son « en cours 13 », toutes les virtualités qu’on lui prête et les avenirs
qu’on y projette. Le temps vécu n’apparaît plus seulement telle une grandeur
physique ou une durée algébrique ; il se montre moins familier et moins évident,
comme s’il n’était plus seulement une enveloppe où l’on se glisse sans le vouloir
et où la vie s’écoule sans presque le savoir. « Le temps ravivé scintille 14 » et
donne toute sa place à l’histoire.
De fait, l’événement 1968 est traversé de références au passé. On est loin du
présentisme auquel on l’a parfois associé, comme s’il avait provoqué un
enfermement dans le présent 15. Une telle réduction dit si peu l’enchevêtrement
des temps, manières entremêlées de faire renaître des pans d’histoire et de laisser
jaillir cent projets. Dans ces passés revisités au gré d’un événement qui laisse
s’ouvrir d’autres avenirs, il y a moins une nostalgie qu’une forme de vie.
Cependant, les protagonistes de Mai-Juin sont-ils bien, les uns aux autres,
des contemporains ? C’est une certitude si le mot renvoie à une coexistence,
neutre, dans le temps. Mais l’évidence fléchit si l’on y voit plutôt une manière de
partager le même présent et de s’y sentir ensemble. Alors se dessinent des
discordances et des dissonances. Cette porte du temps est donc à deux battants :
l’un ouvre sur une synchronie, un rapprochement par-delà la géographie éclatée
de scènes multiples et bigarrées – les participants éprouvent le sentiment d’un
temps actif et partagé, temps dense dont l’intensité est plus forte que la distance ;
l’autre creuse une différence – les temps vécus se révèlent disjoints, peu
communs. Pour certains, ce qui survient en 1968 est tellement déroutant que la
perception des lendemains en est troublée – inquiète et même tourmentée. Pour
d’autres, ce surgissement était espéré et rencontre des attentes forgées de longue
date. En tout cas, le temps comme matière historique mérite qu’on s’y arrête,
considéré comme un enjeu tactique, stratégique et politique, fort de futurs
imaginés.

Troubler l’ordre
On sait que les mots majeurs de 1968 – on dirait les maîtres mots s’il n’était
question justement de déloger les maîtres et la domination – sont ceux de
contestation et d’insubordination. La désobéissance sociale et politique y
exprime le rejet d’un ordre imposé et supposé partagé. Elle énonce et dénonce
cet ordre-là, qui jusqu’à présent semblait évident, transparent à force de
s’imposer et de se laisser oublier. Les protagonistes des barricades et des
occupations prennent le temps, ce temps que la grève laisse, ce temps si
différent, pour lézarder l’écorce des conventions sociales. L’événement est un
dévoilement : il expose tout ce qu’il y a de préjugés, de normes auxquelles il faut
être conforme mais qui paraissent soudain insolites et désaccordées. Les
imaginaires contestataires rompent avec le tout-venant de ce qui va de soi, pour
mieux révéler en quoi il ne va pas.
À cette aune, la politique n’est pas seulement gestion des affaires : elle est
partage du sensible, selon les mots de Jacques Rancière. Ce n’est pas d’abord
l’art de diriger. Ce n’est pas, ou pas essentiellement, une modalité de
gouvernement : la politique est avant tout une manière d’être sujet. Rancière
donne le nom de « police » à ce que l’on entend ordinairement par compétition
électorale, État, fonctionnement constitutionnel et institutionnel, en bref exercice
du pouvoir. Elle est une manière de lisser et de policer ; elle distribue les rôles et
fait que chacun demeure à sa place : la « police », dans cette acception, organise
le consentement, entérine la division des tâches et circonscrit la politique à une
spécialité, voire à une profession. C’est pourquoi Rancière préfère réserver le
nom de « politique » à la pratique de l’égalité et de l’émancipation. Elle a ceci
d’essentiel qu’elle est discussion et action sur ce qui est commun : non
seulement elle concerne, mais elle implique tout un chacun 16. Les laissés-pour-
compte de la politique n’en sont plus, ici : elles et ils se la réapproprient.
C’est en ce sens qu’il faut entendre aussi le rejet de la « police » en 1968 :
non pas principalement du corps des policiers, organisé et hiérarchisé,
acquiesçant aux ordres, mais justement l’ordre même qu’ils défendent.
Gendarmes et policiers sont des protagonistes à part entière : par fonction et par
mission, ils s’affrontent aux contestataires. Mais rien n’est lisse ni linéaire non
plus de leur côté ; des doutes les assaillent, comme se dressent devant eux des
obstacles tactiques et des incertitudes politiques. Face à eux, pour un temps ou
plus durablement, les contestataires refusent d’obéir et de consentir : 1968
marque « une rupture d’accommodement 17 ». Les places et les cases
apparaissent comme des cages et des carcans. Les rôles assignés sont
questionnés – rendus visibles, avant même d’être récusés. La contestation a cette
vertu pour les uns, cette imprudence voire cette impudence pour les autres, de
contrarier les certitudes. Se soumettre ne va plus de soi et plus rien ne sera
désormais tout à fait comme avant. « Les étudiants cess[ent] de fonctionner
comme des étudiants, les travailleurs comme des travailleurs et les paysans
comme des paysans 18. »
L’espace social n’en devient pas fluide pour autant : les cloisonnements
demeurent et, avec eux, leur lot de méfiances et de peurs. L’événement ne brise
ni toutes les barrières ni toutes les frontières. Il n’empêche : des univers sociaux
se rencontrent, les classements et les hiérarchies sont interrogés, comme le sont
les identités. Des potentialités s’entrouvrent et laissent apercevoir ce que pourrait
être un monde différent.

Un internationalisme concret
13 mai 1968 : lors de manifestations gigantesques organisées dans tout le
pays, on entend le slogan « Dix ans ça suffit ». Le lendemain, les ouvriers de
Sud-Aviation, à Bouguenais près de Nantes, reconduisent la grève et occupent
leur usine. Commence alors à circuler un pastiche, procédé cher aux
situationnistes ; c’est une bande dessinée détournée, avec un James Bond qui
déclare sentencieusement : « Un spectre hante la planète : le spectre des
travailleurs de Sud-Aviation. Toutes les vieilles puissances de la terre se sont
groupées en une organisation des Nations unies pour traquer ce spectre : le pape
et le président du soviet suprême, Wilson et Mitterrand, les radicaux de France et
les policiers américains 19. » On aura reconnu l’accroche, parodiée, du Manifeste
communiste lancé cent vingt ans plus tôt par Karl Marx et Friedrich Engels. Par-
delà l’humour décalé et le jeu teinté de sérieux, un même internationalisme s’y
dessine et s’affirme, un même ancrage dans une histoire-monde en train de
s’écrire fiévreusement et dont les protagonistes espèrent qu’elle va balayer les
puissants.
Les événements français de 1968 ne peuvent que se lire au prisme du monde
où ils s’arriment. La dimension internationale n’est pas seulement un contexte ;
c’est un enjeu, pour nombre d’acteurs soucieux de s’insurger dans un
mouvement de grand vent où les frontières indiffèrent. Le 68 français ne se
comprendrait pas sans la matrice internationale des mois qui le précèdent.
Certes, tous les protagonistes n’ont pas cette sensibilité au dépassement d’un
cadre national jugé trop étriqué. Les étudiants sont les plus déterminés à cette
imprégnation par les circulations et les transferts hors frontières : le temps
disponible, la possibilité de voyager et les bouleversements qui touchent partout
les universités les avantagent en la matière. Il en va de même pour les
organisations qui se réclament d’un projet révolutionnaire et se réfèrent par
tradition à l’internationalisme, conçu non comme une contingence pratique mais
comme une boussole politique. Bien au-delà, pourtant, des solidarités
transnationales sont à l’œuvre, en particulier entre travailleurs français et
étrangers, une dimension trop souvent occultée. Très vite, des déclarations de
soutien arrivent du monde entier tandis que, dans les universités occupées, des
commissions et exposés sont proposés sur la situation de nombreux pays, de la
Chine à Cuba, du Japon aux États-Unis, de l’Allemagne à l’Italie. Les
expériences circulent, se relatent et s’influencent, au plus près d’un
internationalisme concret.
Mais la médaille a son revers. La situation des immigrés et des exilés se
tend. D’aucuns, parmi les inquiets, envisagent un complot de l’étranger et
nourrissent une xénophobie latente ou exprimée. À celles et ceux qui ne sont pas
français, il demeure périlleux de s’engager et de manifester, quand se multiplient
les arrestations et les expulsions 20. C’est là une autre de ces tensions qui
singularisent l’événement : au grand large fait écho un repli, à l’ouverture, une
clôture.

Genre de l’événement, genre de l’engagement


1968 représente bien le refus du consentement à l’ordre établi et la mise en
cause de ses dichotomies, entre Français et étrangers, ouvriers et étudiants,
élèves et enseignants, médecins et patients, public et privé. Et cependant, parmi
tous ces clivages à dépasser, le rapport femmes-hommes est sans doute le moins
interrogé – d’autant qu’il est compliqué par d’autres appartenances, d’âge et de
classe en particulier.
Affirmant que « 68 a, dans une large mesure, oublié les femmes et leurs
aspirations propres », Michelle Perrot a pu évoquer à ce sujet « un sentiment de
dédoublement, de vide » 21. Lynne Segal parle de son côté d’un « point aveugle
de l’histoire » : ce sont les hommes et eux seuls qui occuperaient le centre des
années 1960 et sa date charnière, imposante et fascinante 22. L’insurrection des
femmes et leur révolte lui auraient simplement succédé. Pourtant, si la
« deuxième vague » du féminisme est souvent datée de 1970, il importe de
troubler quelque peu cette chronologie, d’en revisiter les expressions et les
formes, bref d’analyser aussi 68 au prisme du genre 23.
1968 marque singulièrement les femmes qui y prennent part 24. Leur
engagement est différent, moins formel et moins institutionnel. Elles se tiennent,
et sont tenues, à une certaine place : elles participent, mais parfois au second
rang. Certaines hésitent à prendre la parole, accaparée par des hommes sur les
tribunes et les piquets de grève, dans les micros et les mégaphones. On se trouve
là au pivot d’un paradoxe qui cisaille l’événement 25 : les actrices de 1968,
comme leurs camarades masculins, revendiquent égalité et justice, dénoncent les
identités imposées ; mais, en même temps, elles s’appuient aussi sur cette
catégorie, « femmes », et sur des rôles de genre tout à la fois reproduits et
contestés.

Rêve général
On le voit, l’événement 1968 est pétri d’expériences sensibles et affectives,
où les émotions jouent un rôle décisif. Émotions politiques s’il en est, dans la
joie soudain réveillée de bousculer l’ordre des choses, de rire au nez de ce
monde et de l’imaginer autrement, même le temps d’un printemps. Émotions
politiques ô combien, dans la frayeur de certains, dans les tensions et les
détestations attisées. Les sciences sociales en général et l’histoire en particulier
se sont longtemps méfiées des émotions, jugées tour à tour fuyantes,
insaisissables et au fond anhistoriques. Il y avait là une façon de reconduire
l’opposition entre raison et émotion, très occidentale dans le tranchant de son
partage depuis Zénon et Platon : le premier fustigeait les « mouvements de l’âme
déraisonnables et contre-nature », le second, les poètes bousculant par leur chant
la sérénité de la cité. Le clivage a persisté dans le discours des élites :
« émotions » et « émeutes » se sont longtemps confondues, disqualifiées comme
plébéiennes chez des notables inquiets de la colère populaire. La dichotomie
s’est encore durcie à la tombée du XIXe siècle : la « psychologie des foules »
selon Gustave Le Bon associait les émotions à la manipulation, reléguées au
rang d’inconscient collectif sans contrôle ni discernement. Mais le paradigme a
changé : les émotions ne sont plus à ce point opposées à la raison, on peut
désormais parler d’intelligence et de travail émotionnels 26. Ce serait tronquer
l’intensité de 1968 que de ne pas les prendre à bras-le-corps.
Donc, de corps et d’émotions, il sera question. Car ce livre veut d’abord
donner plein crédit à ce qui est éprouvé, imaginé et ressenti. Jusques et y
compris les utopies : bien loin de déconsidérer ce mot trop souvent déprécié, on
le saisira dans la force de ce qu’il permet. L’utopie met « en lumière les défauts
de l’existant 27 » ; elle offre de « juger ce que nous faisons à la lumière de ce que
nous pourrions ou devrions faire 28 ». Les projets d’émancipation conçus en 1968
expriment la société telle qu’elle est et proposent l’esquisse d’un monde
différent : parfois avec humilité, par les visées modestes d’une réforme
quotidienne ; parfois avec exaltation, dans l’ambition et la passion
révolutionnaires. Il importe d’y voir des utopies concrètes, lieux de pratique et
de pensée perçus comme différents mais possibles, accessibles et non pas
lunaires, toujours évoqués en partant du présent. Le rêve et la grève s’avèrent
complémentaires ; ils activent une créativité politique et critique.

Que faire ?
Cette inventivité est au cœur du protagonisme, comme « expérience
personnelle de l’histoire en acte 29 ». Les individus ordinaires deviennent des
protagonistes lorsque leur quotidien rencontre l’événement et provoque leur
engagement, mélange d’implication personnelle et d’action collective, aux
arrangements et motivations multiples. Le protagonisme est lui-même traversé
de conflits, tant il est vrai que la conflictualité est un propulseur de la dynamique
historique : 1968 a bien plus que deux côtés, séparés par la herse des barricades.
Pour autant, les oppositions à la contestation sont en général négligées ; or, elles
constituent un ressort considérable de l’événement, non pas seulement un creux
ou un camp. Il dessine une expérience sensible du politique, forte d’émotions qui
sont à leur tour moteurs de l’action. Il est porteur de projets et d’imaginaires
concrets. Protagonismes, oppositions à la contestation, formes sensibles de
l’engagement et imaginations alternatives pourront ici servir de fil – rouge sans
doute, mais pas seulement.
Les sources sont copieuses : ce récit ne prétend pas dompter leur profusion.
Comptes rendus de réunions, tracts, brochures, correspondances, presse, films et
émissions, circulaires de préfets, rapports de police, fiches de renseignements,
textes ministériels, papiers de l’Élysée… Elles ont été choisies à dessein pour
leur complémentarité, respectueuse des bords – dans tous les sens que le mot
revêt. Elles ont surgi au vif de l’événement et émanent de lui. 1968 est à ce point
lesté d’échos médiatisés, de reconstitutions et d’interprétations, qu’il valait
mieux s’en tenir à ce qu’il a fait naître sur le moment et non dans l’a posteriori,
passionnant lui aussi mais souvent déformant. Ces archives, dont beaucoup
dorment dans des fonds peu voire jamais explorés, voient coexister des
exaltations et des tensions, des vents contraires et des adversaires. Elles convient
à ne rien négliger : les sources qui émanent des grévistes et des manifestants,
travailleurs, lycéens et étudiants, des poètes d’un jour ou de toute une vie, des
comités d’action, de grève et de quartier, des organisations politiques et
syndicales ; mais aussi celles qui proviennent du pouvoir dans ses déclinaisons
locales et nationales, gouvernementales et préfectorales ; celles que produisent la
police et les Renseignements généraux. Ce n’est là un récit ni « par le bas » ni
« par le haut », qui supposerait de s’en tenir à une hiérarchie justement contestée
dans sa verticalité trop abrupte. C’est bien plutôt une circulation incessante de
débats, de positions et de combats qui forment une constellation de pratiques et
d’idées. L’événement provoque d’emblée une tension quant au sens à lui prêter,
et c’est elle qu’il faut explorer. Ce n’est donc pas une histoire de la seule
rébellion, mais également du pouvoir en place et de ses réactions, des forces de
l’ordre et, au-delà, des contempteurs de la contestation. Ces sources sont
examinées sans a priori ni privilège, avec la loyauté qu’elles requièrent. Il s’agit
de concilier une approche pragmatique, compréhensive à l’égard des
protagonistes, quels que soient leurs choix, et une démarche critique, qui
interroge les propriétés sociales, la pérennité des structures et des habitudes
incrustées.
Pour autant, ces pages n’entendent pas neutraliser l’événement ni en faire un
objet froid sous un regard distancié. L’écriture est toujours un engagement,
quand bien même il ne se dirait pas comme tel et quand bien même il se tairait. Il
est des prédilections dans le sous-texte de l’histoire et, plus encore, des attraits ;
mieux vaut les confier d’emblée. Michel de Certeau, encore lui, nous l’a bien
appris, et Pierre Bourdieu après lui : l’« opération historique » est située.
L’auteure de ces lignes ne s’en cache pas : les protagonistes de la contestation lui
sont devenus, malgré le temps passé, comme des ami(e)s ou des allié(e)s. Le
« je » peut bien se faufiler ici, sortir un instant de sa coulisse : j’admire leur
courage, leur détermination, leur rire et par-dessus tout leur grand désir de
changer, au moins un peu, le monde tel qu’il est. Je me sens de leur côté.
Alors, pas de musée imaginaire : on n’arpentera pas les rues de 68 comme
les allées d’un monde figé. Par fidélité à celles et ceux qui y ont participé, ce
travail voudrait retracer un passé vivant – et la force de sa promesse.
PROLOGUE

« Glorieuses » ? Des années critiques

« Les choses vivantes ne se calculent pas à l’avance. » Brûlante, virulente,


La Lettre au père de Franz Kafka indiquait par là ce que l’histoire apprend de
son côté : l’événement est riche de son étonnement, de tout ce qui en fait
l’étrange et chaleureuse nouveauté. Aucune explication mécanique ne l’y mène
par nécessité, aucun automate ne guide les protagonistes en les prenant par le
bras pour les conduire là. 1968 est forgé de hasards, de surprises et d’aléas qui
façonnent sa puissance et sa singularité. Pour autant, le saisissement devant
l’inouï, dont on a beaucoup parlé, mérite d’être relativisé. Tant de fois, on a
brandi l’article de Pierre Viansson-Ponté, « La France s’ennuie 1 » – manière de
mesurer par contraste un saisissement tantôt heureux, tantôt affolé. Néanmoins,
dans un contexte international bouleversé par les décolonisations, les
insurrections du tiers-monde et les révolutions, de la Chine à Cuba, le pays est
traversé de convulsions sociales. Elles n’ont certes pas l’allure des grands
soulèvements, mais elles émoussent l’image impassible d’une prospérité enfin
trouvée. Toutes proportions de la comparaison gardées, le XVIIIe siècle a
longtemps, lui aussi, été considéré sans fissure ni fêlure, la Révolution venant
soudain briser une quiétude supposée ; et cependant, l’historien Jean Nicolas a
documenté plus de huit mille révoltes et rendu à ce siècle son « intranquillité » 2.
Pas plus que l’on ne saurait lire l’événement à l’aune de son après, on ne
peut donc se contenter d’une expression que sa fortune ne rend pas moins
malencontreuse : les « Trente Glorieuses ». On le sait, Jean Fourastié a baptisé
de la sorte la période de moyenne durée qui court de l’après-guerre à la crise
déclarée. Or, l’expression, trop englobante, dissimule les retournements de
conjoncture comme le feuilleté des situations spécifiques 3. Frappée au sceau de
l’homogénéité, sans brèches ni failles, elle s’arrime de surcroît à un critère qui
masque bien des différences : le taux de croissance.
Les quelques années qui suivent la guerre d’Algérie apparaissent en réalité
critiques – si l’on accepte de laisser le mot se déployer : il renvoie d’abord au
discernement et à la faculté de juger. L’extension de l’univers médiatique et le
prolongement de la scolarité, l’apparition de contre-cultures artistiques,
contestataires et subversives, affûtent l’exigence d’interroger les évidences. Une
conscience sociale et politique s’affirme ou s’affine, non pas seulement dans les
textes rebelles des musiques insurgées, mais aussi dans des luttes et des grèves,
trop oubliées, recouvertes a posteriori par le manteau d’une croissance qui n’est
pas pleinement partagée. Ces années sont porteuses de crises localisées,
convergentes mais encore dispersées. C’est alors que l’événement s’impose,
« exactement comme une serrure peut s’ouvrir quand toutes ses gorges sont
alignées 4 ».

États critiques

CESSER D’HÉRITER

« Nous pouvons affirmer, sans grand risque de nous tromper, que l’étudiant
en France est, après le policier et le prêtre, l’être le plus universellement
méprisé ». L’incipit vient trancher net : De la misère en milieu étudiant
considérée sous ses aspects économique, politique, psychologique, sexuel et
notamment intellectuel et de quelques moyens pour y remédier, pamphlet
incandescent qui fait scandale dès sa sortie en novembre 1966, décrit les
étudiants comme une « minorité prolongée », docile voire servile, ligotée par
toutes les chaînes de l’autorité. Le texte est signé de l’Union nationale des
étudiants de France (UNEF) de Strasbourg, dominée par des situationnistes à
l’esprit frondeur, libertaire et révolutionnaire. Les auteurs de ce libelle
implacable, qui fustige des jeunes gens à l’« espace-temps étriqué », n’y vont
pas par quatre chemins : Mustapha Khayati et ses amis allèguent une
« ménopause de l’esprit » pour des étudiants au « savoir sérieux », déjà vieux,
destinés à devenir des rouages conservateurs pour le bon fonctionnement d’un
système marchand 5. À Trente en Italie, de jeunes marxistes analysent aussi le
conformisme d’étudiants atomisés, dotés d’œillères et manipulés : « Comme les
chiens de Pavlov, petit à petit, on leur apprend à saliver : le prix en sera la
profession (celui qui ne se prépare pas subira le même sort que la marchandise
avariée : on ne le mettra pas sur le marché). » Ces textes italiens, très critiques à
l’égard d’un univers productiviste et consumériste, circulent largement : on les
retrouve en France, discutés dans diverses universités 6.
En 1964, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron signent pour leur part un
essai remarqué, Les Héritiers 7. Ils y dévoilent, enquête sociologique et
statistiques à l’appui, l’importance d’une reproduction qui favorise les déjà
favorisés : le capital culturel des étudiants privilégiés, accumulé par la
socialisation familiale, les conversations, les voyages ou la fréquentation de
musées, se coule avec aisance dans le moule des connaissances exigées à
l’Université. Les étudiants issus de la bourgeoisie peuvent mobiliser des savoirs,
des savoir-dire et des savoir-faire déjà acquis, quand les jeunes de milieux
populaires s’y confrontent à une inégalité redoublée. D’emblée, l’ouvrage fait
date. Une adaptation théâtrale est programmée pour le mois de mai 1968,
d’abord au parc municipal de Châtillon où une première représentation a lieu le
8 mai, puis à l’École normale supérieure. Très demandée, la pièce, Les Héritiers
ou les étudiants pipés, mise en scène par Jacques Nichet, est jouée dans
différentes universités et plusieurs salles de banlieue 8. Une prise de conscience
s’opère, dans un milieu étudiant lui-même très divers, où la reproduction
culturelle n’est pas seul facteur d’inégalité. Une analyse menée par la sociologue
Noëlle Bisseret, chargée de cours à l’université de Nanterre, commence alors à
être diffusée. Sa critique se fonde sur une enquête conduite auprès de sept mille
étudiants inscrits à la faculté des lettres de Paris ; elle montre que les personnes
contraintes de travailler pour financer leurs études sont le plus rapidement
« éliminées », le taux de réussite variant de 25  % pour les salariés à 55  % pour
les non-salariés. Or, moins de 20  % des étudiants enfants de cadres supérieurs et
professions libérales travaillent, contre 60  % pour les étudiants de classes
populaires. 12  % à peine bénéficient d’une bourse en première année 9. En
somme, l’univers étudiant subit une crise de croissance. La reproduction d’une
culture sélective, longtemps si prisée, entre en tension avec les nouvelles
fonctions conférées à l’Université, celles de former non plus seulement une élite
mais un corps intermédiaire aux attributions plus techniques. Elle se heurte, de
manière complémentaire, à un élargissement social du recrutement. Celui-ci rend
le monde étudiant moins homogène qu’auparavant et sans doute plus ouvert à la
critique, qui résonne comme l’air du temps.

CHANGEMENTS DE TEMPS

« Les temps sont en train de changer » et « l’eau commence à monter » : The


Times They Are a-Changin’ devient, dès sa sortie en janvier 1964, une chanson
phare pour une époque bousculée par cette révolte culturelle et générationnelle.
Bob Dylan le dit encore : la bataille qui se joue là, dehors, ébranlera les murs et
les fenêtres. Le protest song porte à la critique, et le rock, moins commercial
qu’en ses premières années, pourfend un monde qu’on n’accepte plus sans
distance. Jimi Hendrix et Eric Clapton y campent en majesté, irrévérencieuse et
séditieuse. The Unknown Soldier sort en février 1968 : avec les Doors, Jim
Morrison évoque le soldat inconnu à la tête transpercée d’une balle, fracassée –
et des enfants morts à peine nés. La guerre du Vietnam obsède et nourrit la
colère, en France aussi. En 1966, dans La Guerre, Antoine chante un monde qui
s’effondre et des spectres qui sortent de l’ombre. Serge Reggiani est plus
pudique et moins explicite avec L’Avion et l’Enfant, en 1968 : mais cet avion là-
bas, dans le jardin, qui fait disparaître la maison, a tout du bombardier américain.
L’air du temps est à l’art du temps : un art qui ne serait pas hors-sol mais
tout entier fiché dans l’actualité, soucieux de la rendre intelligible et visible
avant même de la dénoncer. Les happenings sont en ce sens la forme du pur
présent. Avec le peintre et plasticien Jean-Jacques Lebel qui les fait émerger en
France, ils projettent dans ce ciel neuf et strié un souffle de liberté. La création
est émancipation et subversion. Les Nouveaux Réalistes (Arman, Christo, Yves
Klein, Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely) triturent des morceaux de réel, tôles,
chiffons, boîtes, objets et matériaux industriels : leurs valeurs d’usage
deviennent fragments poétiques. Au cinéma, Jean-Luc Godard opère une
révolution graphique autant que politique : foin des conventions et du « cinéma
de papa », la caméra est dans la rue. Collages, montage qui montre ses bords et
ses faux raccords, inventions picturales et plastiques, tout se noue et se joue pour
subvertir les formes et se tenir loin des normes. Pierrot le Fou est, oui, plus fou
encore que Michel Poiccard dans À bout de souffle, mais tous deux bravent
l’ordre avec une insolence placide, jusqu’à mourir plutôt que de s’y conformer.
La critique prend d’autres tours encore, plus directement politiques. Le
marxisme en est vivifié : le retour à l’humanisme est un défi au stalinisme, une
critique de l’économisme désincarné. Des revues comme Arguments et
Socialisme ou Barbarie explorent les modes de l’aliénation et, en retour, les
insubordinations possibles. Des thèmes concrets, ancrés dans l’ordinaire de
l’existence, sont explorés : bureaucratie, technologie, société de consommation,
sexualité… Toute une pragmatique de la vie quotidienne devient enjeu politique
et objet de pensée. Henri Lefebvre amarre la philosophie à une critique des
hiérarchies et à l’insurrection des sujets : « Marx, écrit-il, voulait d’abord
transformer la vie quotidienne. Changer le monde c’était d’abord changer la vie
de chaque jour, la vie réelle. » On comprend que Guy Debord, Raoul Vaneigem
et les situationnistes voient en Lefebvre un compagnon de révolte philosophique
et politique : tous plaident pour des noces de la révolution et de la fête, de l’art et
de la vie. Avec la revue Partisans qu’édite François Maspero, le monde, et
surtout le tiers-monde, est à chaque page, en un internationalisme pratique. Avec
ces échappées réflexives, les dogmes ont du plomb dans l’aile et apparaissent
davantage pour ce qu’ils sont. Divers viviers et courants viennent se mêler,
moins sectaires et moins cloisonnés que dans l’orthodoxie classique : Boris
Gobille a pu parler de « braconnages existentiels » et de « lectures
“obliques” » 10.

FEUX DE CAMPS : TENSIONS OUEST-EST ET GRANDS


ÉBRANLEMENTS

Ces approches critiques prennent place dans un monde toujours lézardé par
la guerre froide, mais plus complexe, moins dichotomique. Le paysage
géopolitique est parsemé d’anfractuosités, brèches taillées dans la coexistence
pacifique, failles qui rejouent et trouent le relief du conflit Ouest-Est. Quoique
l’on en pense, la Chine du « Grand Timonier » fascine. De la « Révolution
culturelle » entamée en 1966, on n’entend en Occident que des échos forcément
lointains et forcément déformés : jeunes gardes rouges qui châtient les
bureaucrates vieillissants, démocratie inspirée de la Commune de Paris, pièces
de théâtre populaire montées en plein air, puissance des comités
révolutionnaires. On ne sait rien alors de ses victimes, ni de la remise en ordre,
ni des déportés. Domine encore une certaine « perception libertaire de la
Chine », célébrée par les militant(e)s maoïstes comme un « printemps des
peuples » renouvelé. En mai 1967, Mao Tse Toung assure vouloir bannir les
invectives, les coups de poing et les armes, et choisir contre la violence la
discussion, l’autocritique et le raisonnement. Il dit même compter sur les
femmes, cette « moitié du ciel ». Des intellectuels en reviennent séduits : André
Malraux, Alain Peyrefitte, Benny Lévy… Les tensions entre la Chine populaire
et l’URSS intensifient la critique envers l’Union soviétique 11.
À l’autre bout du monde, la révolution s’expérimente pas à pas, à Cuba. En
janvier 1966, la « Tricontinentale » réunie à La Havane pose les piliers d’une
solidarité entre les peuples d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie. En juillet de
l’an suivant est fondée l’Organisation latino-américaine de solidarité, l’OLAS.
En Bolivie, Ernesto Guevara mène un combat de guérilla et en appelle à
l’extension des insurrections. Un jeune philosophe français, Régis Debray, part à
Cuba puis suit Guevara en Bolivie, soucieux de mettre en cohérence l’action et
l’espérance de révolution. Mais Debray est emprisonné et torturé, alors que le
« Che » est abattu par l’armée bolivienne. La photographie de son corps
supplicié fait penser au Christ mort d’Andrea Mantegna ; les images de Guevara
deviennent vite iconiques.
Comme celles qui viennent du Vietnam. Le 10 mai 1967, le « Tribunal
Russell » a tranché : lors du procès informel initié par les philosophes Bertrand
Russell et Jean-Paul Sartre, à Stockholm, les États-Unis sont déclarés coupables
de crimes de guerre d’une ampleur telle qu’ils revêtent le « caractère de crimes
contre l’humanité ». Au même moment, la pièce V comme Vietnam du
dramaturge Armand Gatti est créée à Paris puis voyage partout dans le monde,
du Canada à l’Italie et du Japon à la Turquie : pour Gatti, « l’humanité entière
fait aujourd’hui partie de chacune de ses rizières 12 ».

LES FRAGILITÉS DE LA PROSPÉRITÉ

À l’abri des grands conflits mais touchée par leurs ricochets, l’Europe
occidentale se prépare pour sa part au Marché commun et à l’ouverture des
frontières. Aux niveaux nationaux, les économies doivent se restructurer afin de
rester concurrentielles face à la compétition étrangère. Ces économies sont
fragiles. Certes, les taux de croissance connaissent des degrés élevés : plus de 5 
% en RFA, en France et en Italie, loin néanmoins des 10  % japonais, mais
dépassant les 3  % des États-Unis. Pourtant, les années 1966-1968 connaissent
un retournement de conjoncture : le secrétaire général de la CFDT, Eugène
Descamps, déclare sur Europe no 1 le 3 mai 1968 : « Nous connaissons
actuellement une crise économique. » La production industrielle ralentit à
compter de 1966 et ce ralentissement s’accentue l’année suivante ; les
économistes de l’INSEE parlent d’un arrêt de l’expansion qui ne cesse de
« s’aggraver » 13. Au même moment, après le Japon, l’Allemagne de l’Ouest
connaît une récession tandis que le Royaume-Uni dévalue la livre sterling.
L’année 1967 constitue le pivot d’un changement de tendance et la fin de la
croissance. Le ministre de l’Économie, Michel Debré, juge la situation de
l’emploi préoccupante tandis que l’Élysée commence à évoquer un « malaise
général dans les milieux économiques et financiers » 14.
Ces tensions trouvent leurs déclinaisons selon les secteurs et les régions.
L’économiste Jacques Rueff brosse un tableau assez sombre : « La situation de
l’ensemble de l’économie française n’a pas été bonne au cours de l’année
1967 » ; c’est aussi « l’une des plus mauvaises que nous ayons connue pour
l’industrie textile », en raison d’une véritable « dépression » des marchés
intérieurs et extérieurs. À son orée, 1968 apparaît comme une « date fatidique »,
avec la réalisation intégrale de la Communauté économique européenne et
l’application des « accords Kennedy » qui abaissent fortement les droits de
douane, notamment pour les produits textiles. Les industries sidérurgiques sont
aussi en difficulté. La compétition internationale apparaît redoutable et la bataille
commerciale fait rage. Il faut comprimer les prix de revient et accroître la
productivité à marche forcée. En Lorraine, tout le bassin ferrifère souffre de cette
récession. Les Renseignements généraux (RG) jugent la situation très
préoccupante, tant l’inquiétude est grande chez les cadres comme chez les
ouvrier(e)s. À Longwy, fin 1967, les moins de 25 ans représentent désormais 50 
% des demandeurs d’emploi, contre 25  % deux ans auparavant. Le patronat
prévoit pour 1968 « une année pour le moins difficile » ; le climat socio-
économique de certaines petites villes, comme Lunéville, est jugé « très
grave » 15.
Dans le Nord, l’état de l’emploi est également alarmant. Des usines ferment,
des puits de mines licencient ; en un an, le nombre de demandeurs d’emploi a
doublé et, parmi eux, plus de 40  % ont moins de 25 ans. Dans la région de
Fourmies, un cahier de revendications présenté le 1er mai 1968 souligne que la
situation est « dramatique et angoissante pour les jeunes qui à l’école n’avaient
pas appris à conjuguer le verbe “chômer” ». Avec les réductions d’horaires non
compensées, les licenciements et mises à pied, elle est jugée d’une
« exceptionnelle gravité » 16. Dans la Loire, les associations patronales ne sont
pas plus rassurantes : elles dépeignent une « crise indéniable » pour l’industrie
métallurgique confrontée à une concurrence acharnée : fusils de chasse
espagnols, bicyclettes hongroises, forge allemande, mécanique italienne,
outillage agricole tchécoslovaque… Mais le textile y est aussi affaibli. Autour de
Roanne, région bonnetière, l’industrie de la maille ne parvient plus à faire face :
les articles étrangers viennent de Hong Kong, du Japon et d’Europe de l’Est,
mais surtout d’Italie. Là aussi, des usines disparaissent, comme l’entreprise
Araud de Firminy ou, à Roanne, les « tricots Chasco » connus depuis des
décennies. Lorsque, au début de l’année 1968, les établissements Goutte de
Panissières, qui fabriquaient des corsets à façon, ferment leurs portes, les
ouvrières restent « sur le carreau » ; seuls quelques hommes parviennent à se
placer, loin cependant de leur métier : quelques-uns vont fabriquer des
remorques de camping, un autre est embauché dans la salaison en gros 17…
Ces grands bastions industriels ne sont pas seuls touchés. En Auvergne, les
RG évoquent un état de l’emploi particulièrement dégradé : « Une telle situation
ne s’était pas vue depuis plus de dix ans. » « Crise et licenciements collectifs »
titre, dans l’Ouest, Presse Océan. En Loire-Atlantique, plusieurs milliers
d’emplois sont supprimés en quelques années : dans les chantiers navals, chez
Say, Lu, Cassegrain et bien d’autres encore. Ailleurs, c’est le dépeuplement que
l’on craint. Un exemple en est donné à Céret, dans les Pyrénées : sur quelque
cinquante jeunes hommes libérés du service militaire, trois seulement comptent
rester ; faute de débouchés, les autres partiront pour la grande ville, Perpignan ou
même Toulouse et Montpellier, ou bien quitteront la région 18. On l’a un peu vite
oublié mais Pierre Viansson-Ponté, dans son article à forte postérité, ne parle pas
que de « l’ennui » ; il écrit aussi : « Quant aux jeunes ouvriers, ils cherchent du
travail et n’en trouvent pas. »
Les salaires sont de surcroît faibles dans de nombreux secteurs. Le volant de
chômeurs, estimé entre 400 000 et 500 000, pèse d’ailleurs sur les rémunérations
des travailleurs et les tire vers le bas. Entre 1964 et 1967, les salaires réels ne
progressent plus que de 3  % par an, contre 5  % durant la période antérieure.
Cette moyenne cache non seulement des disparités, mais une recrudescence
d’inégalités. Plus de 5 millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté et
2 millions de salariés gagnent moins de 500 francs par mois – soit l’équivalent
de 750 euros 19. Dans un discours prononcé à Brive le 2 mars 1968, François
Mitterrand se lance dans une diatribe sur le sujet :

N’est-il pas scandaleux, citoyennes et citoyens, de considérer que près


de la moitié des salaires français sont au-dessous de 700 francs par
mois ? Est-il admissible qu’il y ait encore des salaires à 400 francs par
mois ? Est-ce qu’on peut vivre avec ça 20 ?

Des observateurs que pourtant tout éloigne de la gauche socialiste et


communiste ou des syndicats en font aussi le constat. Au Figaro, Raymond Aron
le reconnaît : le revenu réel des salariés n’augmente plus depuis le début de
l’année 1967 ; le taux de progression des salaires nominaux rejoint à peine la
hausse du coût de la vie. « Enfin, dans le pays tout entier s’est répandue une
crainte du chômage que la France ne connaissait plus depuis 1945 21. »
Les syndicats ne manquent pas de dénoncer le contraste entre ces revenus
qui stagnent, surtout pour les plus modestes, et la productivité du travail qui,
elle, n’a pas cessé d’augmenter : elle se serait accrue de 50  % en dix ans. À la
Régie Renault par exemple, la productivité par travailleur est passée de
8,3 véhicules en 1958 à 12 dix ans après. Les semaines de travail sont longues et
les cadences élevées. On évalue à quarante-six heures en moyenne la durée du
travail hebdomadaire dans le secteur industriel. Les ouvriers agricoles sont
encore moins bien lotis, payés au SMAG, le salaire minimum agricole garanti,
inférieur de 15  % au SMIG, pour une durée de travail de deux cents heures par
mois au minimum et des heures supplémentaires la plupart du temps non
rémunérées 22.

« À bientôt, j’espère ! » Les mobilisations


paysannes et ouvrières
PAYSANS EN COLÈRE, LIAISONS OUVRIÈRES

C’est d’ailleurs dans le monde agricole que les protestations sont les plus
virulentes, tout au long des années 1960. Le Midi viticole est traversé de
mouvements paysans : avec l’entrée dans le Marché commun, les cours du vin
s’effondrent. L’Ouest, surtout, connaît des contestations imposantes ; ici, les
éleveurs sont les plus mobilisés. Les syndicats ne reculent pas devant l’action
directe, avec cette particularité qu’ils s’associent au mouvement ouvrier. Le
19 février 1964, près de 80 000 personnes manifestent à Nantes « pour le droit à
la vie, pour l’avenir des jeunes, pour du travail pour tous » à l’appel de la CGT,
de syndicats enseignants et de la Fédération départementale des syndicats
d’exploitants agricoles (FDSEA). Un an plus tard, le 8 avril 1965, c’est cette fois
à Paris que, par dizaines de milliers, des manifestants scandent le slogan
« L’Ouest veut vivre », avec cette même alliance paysans-ouvriers-enseignants.
Les tensions s’intensifient au fil des années et les rassemblements se font plus
violents. En décembre 1966, la mairie de Morlaix est mise à sac par des
aviculteurs. Le 29 juin 1967, à Redon, la sous-préfecture d’Ille-et-Vilaine est
visée par les paysans en colère. Dans le Finistère, à Quimper, le 2 octobre, la
manifestation tourne à la révolte, d’aucuns diront à l’émeute : la permanence
d’un député de la majorité est saccagée et les manifestants veulent prendre
d’assaut la préfecture. Rues dépavées, vitrines brisées, poteaux indicateurs
arrachés, voiture d’un notable brûlée : les affrontements sont très durs. Parmi les
cris et les slogans, on entend : « Nous ne voulons pas deux Europe, celle des
riches et celle des pauvres. » Au Mans, le 26 octobre, des barricades sont
dressées, des arbres abattus et des voitures incendiées. La contestation s’étend :
dans la Creuse, en ce même mois d’octobre rouge tant les mouvements sont
violents, des agriculteurs dressent des barrages routiers. La Fédération nationale
des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) ne récuse pas ces actions, elle ne
les invalide pas mais tente d’expliquer l’exaspération : « Les paysans qui
manifestent leur colère et leur désespoir ne sont pas ces “arriérés” dont on ose
parfois parler. Ils ont investi, modernisé, fait de lourds sacrifices d’argent et de
travail. » Là aussi, la productivité a augmenté, mais les paysans n’en ont pas
récolté les fruits et même, pour beaucoup, se sont appauvris 23. On ne s’étonnera
donc pas des actions communes menées par la FNSEA et la CGT, tant les
questions de l’emploi et du niveau de vie sont pareillement ciblées. Cette
solidarité active passe par une nouvelle journée d’action organisée en commun,
le 13 décembre 1967.
L’année 1967 est émaillée de conflits importants, dans le monde paysan
mais aussi dans certaines usines où les ouvrier(e)s se lancent dans des conflits
majeurs. Ils rappellent, par les effets de solidarité, la grève des mineurs. Quatre
ans plus tôt, en 1963, ce grand mouvement avait reçu le soutien de l’opinion et
l’aide de bien des étudiants, par des collectes, des comités de défense et des
rassemblements – comme celui qui avait regroupé 2 000 manifestants au
Quartier latin. Cette entraide se retrouve durant la grande grève de la Rhodiaceta,
en février et mars 1967. Filiale de Rhône-Poulenc SA spécialisée dans la
production de Tergal et de Nylon, l’usine de Besançon, forte d’environ 3 
000 ouvrières et ouvriers, est alors occupée ; une trentaine d’étudiants apportent
leur soutien pratique et physique sur les piquets, après l’annonce de nombreuses
suppressions d’emplois. L’UNEF organise des quêtes et participe aux
rassemblements, tandis que les grévistes viennent expliquer le mouvement à
l’université. Les salariés ont vu comme une provocation la comptabilité des jours
chômés comme jours de congé, lors des baisses de la production. La grève
commence sur le site de Besançon mais s’étend telle une traînée de poudre :
d’abord à Vaise, le site principal du groupe basé à Lyon, mais encore à Saint-
Fons et Péage-de-Roussillon. La CFDT insiste sur les conditions de travail : les
ouvriers sont « des hommes, pas des robots » : la force de la grève est résumée
dans ces mots. La CGT, de son côté, met l’accent sur les salaires jugés
insuffisants. L’occupation trouve un écho à l’échelle du pays tout entier. Des
artistes viennent soutenir les grévistes. Colette Magny compose pour « la
Rhodiameta » – un nom transformé le temps de la chanson, comme « Pol-
Rhoulenc », « trust de la chimie » ; certes, « le bagne, c’est fini »

Mais derrière les hauts murs de la Rhodiameta


Dans des locaux fermés éclairés aux néons
La lumière la plus proche de celle du soleil
Comme dit le patron
On travaille à feu continu à plus de 30 degrés
Et 70  % d’humidité
On devient tous nerveux
Nos ulcères fleurissent
Nos ulcères s’épanouissent
À la Rhodiameta ! À la Rhodiameta !

Chris Marker, qui a tourné à « la Rhodia », intitule son film À bientôt, j’espère :
ce sont les termes employés par un jeune ouvrier, Georges Maurivard, pleins
d’ironie à l’adresse du patronat et pleins d’espoir pour d’autres combats. Avec le
recul, ils apparaissent prémonitoires : une invitation en tout cas 24.
La mobilisation de la Rhodiaceta marque les esprits ; elle est aussi
médiatisée. La longue grève d’un mois, en avril, dans les mines de fer en
Lorraine trouve moins de relais ; elle n’en reste pas moins singulièrement
puissante, par un blocage quasi total et une paralysie de l’extraction durant trente
jours. En avril 1967, la lutte des ouvriers sur les chantiers navals de Saint-
Nazaire est quant à elle spectaculaire : des milliers de personnes manifestent
dans la ville en signe de solidarité ; plusieurs tonnes de poissons sont livrées aux
familles des grévistes et, le 9 avril, les coiffeurs rasent vraiment « gratis » 25.
En France hexagonale, les médias évoquent moins encore la situation
pourtant très tendue en Guadeloupe. À Basse-Terre, le 20 mars 1967, un
Européen, propriétaire d’un grand magasin, lâche son berger allemand sur un
vieux cordonnier infirme et excite son chien par un « Dis bonjour au nègre ! ».
Cette agression raciste est suivie de jours de colère, de manifestations et de
grèves ouvrières. La répression policière de la révolte fait de nombreux morts –
on en ignore encore le nombre exact, peut-être plus de quatre-vingts – et une
centaine de blessés. Des centaines de personnes sont arrêtées et certaines
condamnées à de la prison. Aux Antilles, ce « Mé 67 » restera longtemps un
traumatisme, trop oublié 26.

CAEN : « BANC D’ESSAI » ET RAMPE DE LANCEMENT

L’année 1968 commence dans le sillon de ces mobilisations, avec un cortège


de luttes fortes, auxquelles les milieux syndicaux et militants se réfèrent souvent.
Il faudra désormais leur ajouter Caen. Entre 1 000 et 1 500 ouvrières et ouvriers
y mènent une grève totale entre le 23 janvier et le 13 février. Dans trois usines
importantes, nées de la décentralisation, la SAVIEM, Jaeger et la Sonormel,
l’entrée en grève est d’abord le fait des ouvriers spécialisés (OS), mobilisés
contre le « chantage aux primes », l’autorité des « petits chefs » et la pression
des cadences. Les salariées de chez Jaeger la décrivent par un slogan : « Les
compteurs défilent, les ouvrières tombent. » Des jeunes (la plupart ont moins de
25 ans) sont embauchés comme OS quelle que soit leur formation : pour être
recrutés, comme l’usine ne propose rien d’autre que des emplois non qualifiés,
beaucoup candidatent sans mentionner leurs diplômes, brevet industriel ou CAP.
Les OS sont donc très nombreux dans ce bassin d’emploi récent : jusqu’à 80  %
de la main-d’œuvre contre 52  % en moyenne nationale, selon une enquête de la
CFDT. À la SAVIEM de Blainville, usine de montage délocalisée par Renault,
la productivité est élevée, mais les salaires bien moindres qu’en région
parisienne : ils sont bas, 700 francs par mois pour des semaines de quarante-cinq
heures. Et sous une discipline stricte : les RG parlent d’une « caporalisation »
pour ces jeunes dont certains, même, sont bacheliers, d’autres des « étudiants
ratés », « des barbus à cheveux courts, des barbus à cheveux longs »… Tous les
ingrédients sont réunis pour faire de Caen un microcosme de la contestation. Le
7 février, le préfet du Calvados va jusqu’à décrire « un banc d’essai très
instructif en matière de conflits sociaux 27 ».
La liaison avec le monde étudiant se mène grâce à l’UNEF et aux
militant(e)s de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR) : collectes dans les
restaurants universitaires, prises de parole dans les meetings, coup de main sur
les piquets. Elle s’impose avec d’autant plus de force face à la répression. En
effet, la nuit du 26 au 27 janvier est marquée par la violence du choc entre forces
de l’ordre et manifestants. CRS et gardes mobiles usent de grenades offensives
« qui explosent en coups de canon » ; ils chargent matraques au poing et crosses
en avant. Dans l’air volent des pavés, des pinces et des boulons. Il y a du sang
sur la chaussée. La révolte gronde au fracas des vitrines brisées. On s’affronte
« comme on ne s’était encore jamais battu en temps de paix ». Le préfet
reconnaît aux manifestants un « incontestable courage physique et une
détermination hardie ». Caen, se disent les RG, n’a décidément plus rien de la
ville « prudente, conservatrice et modérée » qui faisait sa réputation 28.
La CFDT joue un rôle essentiel dans ces grèves, ce qui lui vaut la vive
hostilité du préfet, lequel fustige ses « décisions infantiles » et son manque
supposé de « la plus élémentaire maturité ». Dans le même registre et sur le
même ton, ce préfet, Gaston Pontal, dénigre les jeunes ouvriers spécialisés,
« dont le cas relèverait de l’adolescence inadaptée ». Même la presse caennaise,
à travers les éditions locales de Ouest-France et de Paris Normandie, ferait « sa
crise de puberté », par sa relative bienveillance envers les mouvements de grève.
Le préfet Pontal est d’ailleurs loué à Paris et remercié par Jacques Foccart : le
secrétaire général de l’Élysée lui sait gré de ses analyses, tant elles semblent
utiles pour parer à une situation qui pourrait bien se produire ailleurs. Des grèves
se diffusent de fait, en solidarité : dans la région, comme à l’usine Tréfimétaux
de Dives-sur-Mer et plusieurs usines de Condé-sur-Noireau, et dans la branche,
avec des débrayages à la SAVIEM de Limoges et de Suresnes. Des collectes ont
lieu à la gare Saint-Lazare ; des mareyeurs de Port-en-Bessin livrent aux
grévistes deux tonnes de poissons… Mais les résultats de la grève sont maigres
et assortis de répression : des syndiqués CFDT sont mis à pied pour entrave à la
liberté du travail. « Tout semble mis en œuvre pour parvenir au licenciement des
délégués CFDT », notent les RG 29.
La presse nationale se montre plutôt clémente face à la violence des
manifestations et devant les barricades que les ouvriers ont dressées. André
Pautard, dans France-Soir, éclaire « la fureur » et « le désespoir » par le travail
abrutissant de la chaîne. Dans Le Canard enchaîné, Morvan Lebesque décrit les
« mutins caennais » : des prolétaires tels des recrues au front, « au rif de la sueur
et du pain de la misère ». Et si le dividende manque à gagner, « la loi martiale
des pauvres » s’abat sur ces petits soldats : réductions d’horaires et
licenciements. L’essayiste Jean Lacouture parle dans Le Monde d’une
« jacquerie ouvrière » : il y a « un avertissement » dans cette colère ; « le grand
soir » n’était pas loin, les Caennais s’en sont approchés 30.

LA FRANCE NE « S’ENNUIE » PAS

Un mois à peine après les affrontements de Caen, c’est à Redon, le 11 mars,


qu’un cortège d’ouvriers, de lycéens et de paysans se mesure aux forces de
l’ordre après avoir tenté de bloquer la voie ferrée. Les manifestants sont environ
4 000 et trouvent face à eux quelque 1 500 CRS. Aux charges de ces derniers, ils
répondent sans hésiter à coups de pierres et de boulons. La bataille rangée fait
plus de trente blessés. Cette protestation a lieu dans le sillage de débrayages qui
touchent plusieurs usines métallurgiques de la région, dont les directions
refusent de négocier sur les salaires. Les arrêts de travail s’étendent chaîne par
chaîne, atelier par atelier. Comme à Caen, ce mouvement déstabilise et
surprend : beaucoup des ouvrier(e)s sont filles et fils de paysans ; le patronat les
a longtemps crus dociles. Quelques jours plus tard, la grève touche d’autres
usines : Flaminaire, les Fonderies, Unifer… Le 29 mars, 1 500 personnes
manifestent en solidarité. Des étudiants rédigent un tract qui explique la grève
ouvrière et, à Rennes, le diffusent dans les quartiers populaires 31.
Besançon, Caen et Redon deviennent le symbole de la détermination
ouvrière, des rencontres entre ouvriers, paysans et étudiants, de la violence et de
la répression policières. D’autres conflits font moins parler d’eux, mais ils sont
pourtant nombreux. En mars, toujours, les marins pêcheurs de Boulogne-sur-Mer
se lancent dans une grève qui sera longue, elle aussi : près de vingt jours. Elle
prolonge un conflit de deux semaines chez les cent vingt salariés des chantiers
maritimes, qui obtiennent de travailler quarante-cinq heures au lieu de quarante-
huit : rudes semaines de travail, au demeurant, même après satisfaction de la
revendication. Les marins-pêcheurs déplorent quant à eux la médiocrité du cours
du poisson et ses conséquences sensibles sur leurs rémunérations. Lors de ses
délibérations, la municipalité d’Équihen-Plage évoque le « drame » en cours, la
« misère », et rappelle les accidents meurtriers de la pêche hauturière. Les
responsables syndicaux paraissent désemparés, impuissants devant les
importations résultant du Marché commun : un « marasme », d’après les RG. À
l’issue d’une négociation, ils obtiennent un salaire brut minimum de 1 000 francs
et trois jours de congé supplémentaires par an. En « compensation », les
employeurs exigent de réduire l’équipage sur chaque bateau : la productivité doit
augmenter 32.
Plusieurs mouvements de grève ont lieu aussi à Saint-Étienne, aux
établissements Peugeot ; mais la direction menace de lock-out et promet un
transfert d’une partie de la production sur le site de Sochaux en cas de nouvelle
mobilisation. En avril, le patronat meusien, dans les mines de fer, refuse tout
dialogue, au besoin par la répression. À Bouligny, le directeur dénonce
« l’inconscience » des « meneurs » alors qu’il faut affronter la concurrence ; il
décide d’annuler les primes, en guise de punition 33.
En Charente-Maritime, le 25 avril 1968 est une grande journée de
mobilisation : plusieurs syndicats appellent la population à manifester son
soutien aux salariés de Sud-Aviation, menacés de suppressions d’emplois. Le
préfet décide d’interdire cette manifestation sur les communes de Rochefort et
de La Rochelle ainsi que sur les axes routiers du département, au nom des
« troubles graves à l’ordre public » qu’elle pourrait selon lui provoquer. Mais le
comité intersyndical passe outre l’interdiction préfectorale – les autorités se
préparent à un affrontement. Les CRS sont chargés de filtrer toutes les voitures
dans lesquelles il y aurait « trois hommes ou plus » et de « désintégrer les
cortèges », tandis qu’un escadron de gendarmerie doit protéger la préfecture. Le
commandant des CRS appelle ses troupes au sang-froid : elles doivent isoler les
manifestants et les « conduire discrètement au commissariat » ; en revanche, il
leur faut veiller à ce qu’« aucune brutalité ne soit commise sur les
personnalités » – conseillers généraux, maires ou parlementaires. Mille
manifestants répondent présents en dépit de l’interdiction. Les protestataires sont
rapidement encerclés et dispersés par des grenades lacrymogènes 34.
Outre les salaires, les conditions de travail et l’emploi, un autre mot d’ordre
nourrit les revendications dans toutes ces mobilisations : l’abrogation des
ordonnances sur la Sécurité sociale. Ces textes ont été adoptés par le
gouvernement le 21 août 1967. Ils affaiblissent le rôle des syndicats dans les
conseils d’administration des caisses de la Sécurité sociale : la répartition depuis
1946 était à trois quarts de sièges pour les syndicats de salariés et un quart pour
le patronat ; il s’agit désormais d’établir une parité. Ils prévoient de surcroît une
augmentation du ticket modérateur à la charge de l’assuré, de l’ordre de 10  %.
Les syndicats protestent, les partis de gauche aussi. Des comités, des cartels, des
fédérations se créent pour défendre l’acquis de la Libération – au début de
l’année 1968, ils sont présents dans quatre-vingts départements. Tracts, collages
d’affiches, campagnes de pétition, lettres aux parlementaires et aux élus locaux,
cartes postales envoyées à l’Élysée, conférences de presse et communiqués se
multiplient. Des centaines de manifestations ont lieu en ce sens dans toute la
France 35. Bref, on le voit : cette France ne « s’ennuie » pas.

Lignes brisées : quelques recompositions


politiques

FAMILLES RECOMPOSÉES : NOUVELLES ALLIANCES ET NOUVEAUX


PROJETS

Il ne s’agit pas pour autant de se montrer visionnaire. En janvier 1968, un


bulletin intérieur de la JCR entend rester prudent : certes, d’un côté, des grèves
« de type Rhodia » pourraient bien entraîner d’autres mouvements importants ;
mais, de l’autre, la gauche soucieuse de préparer l’après-gaullisme paraît
temporiser, préoccupée surtout d’établir un programme commun de
gouvernement. Partant, d’après la JCR, dans cette conjoncture, « on ne peut
guère attendre pour le 1er semestre 68 de luttes d’envergure 36. »
Avec des hauts et des bas, des avancées et des tensions, différents partis
s’activent pour parvenir à une union de la gauche. Ainsi en a décidé le Parti
communiste français (PCF) lors de son XVIIe Congrès, en mai 1964. L’année
suivante a été mise sur pied la Fédération de la gauche démocrate et socialiste
(FGDS), non communiste, qui regroupe la Section française de l’Internationale
ouvrière (SFIO), la Convention des institutions républicaines et le Parti radical.
À l’élection présidentielle de 1965, le Parti communiste a soutenu François
Mitterrand et n’a pas présenté de candidat. La mise en ballottage du général
de Gaulle a pu alors être considérée comme un succès. Les législatives de 1967
n’ont d’ailleurs été remportées que de justesse par la majorité présidentielle,
avec 247 sièges au Palais-Bourbon face aux 240 de l’opposition. La gauche se
sent donc prête à gagner les échéances suivantes mais, pour cela, elle doit être
rassemblée. Des accords s’établissent entre le PCF et la FGDS pour aboutir à
une plate-forme commune, en février 1968 37.
Le PC est un « colosse aux pieds d’argile », selon les mots de Claude
Pennetier. Il compte à la veille de Mai environ 350 000 membres et a attiré sur
ses listes 22,5  % des voix lors des législatives de 1967. Le Parti souhaite œuvrer
à une « normalisation du jeu politique », comme le dit aussi Julian Mischi, par
un « aggiornamento stratégique » entamé avec son secrétaire général Waldeck
Rochet. Mais cette alliance programmatique a son revers : le risque de perdre un
certain monopole de la représentation ouvrière. Les tensions internes ne cessent
de s’aggraver. Le Parti est inquiet de dissidences « prochinoises », surtout au
sein de l’Union des étudiants communistes (UEC), et attend de ses fédérations
un recensement précis de telles « activités ». Des groupes entiers se détachent de
l’UEC et du PC, les quittent soit par scission soit par exclusion. Des
organisations en naissent, comme la JCR, trotskiste, ou l’Union des jeunesses
communistes marxistes-léninistes (UJCml), maoïste, en 1966 38.

ÉTUDIANTS EN BATAILLES RANGÉES


L’UEC n’est pas seule en perte de vitesse. Plus généralement, on peut parler
d’une « crise de la politisation organisée 39 ». C’est le cas chez les étudiants.
Leur nombre a doublé en huit ans, entre 1960 et 1968 ; en revanche, les effectifs
de l’UNEF se sont affaissés, par rapport à l’époque engagée de la guerre
d’Algérie – elle regroupe désormais moins d’un dixième des effectifs, avec 3 
000 adhérents sur 600 000 étudiants dont 515 000 inscrits à l’Université. Elle se
fait aussi plus modérée, plus syndicale que politique, mais toujours à même
d’organiser de grands rassemblements, comme en novembre 1967 pour protester
contre les conditions de la rentrée universitaire 40.
Une double bataille s’engage dans le monde étudiant. La réforme Fouchet
est susceptible d’engendrer une sélection à l’Université. À Nanterre, elle
déclenche une grève de dix jours en ce même mois de novembre 1967. Les
règlements intérieurs des résidences universitaires sont aussi vivement
contestés : ils interdisent toute visite des étudiants dans les bâtiments des
étudiantes et vice versa. Une telle norme apparaît conservatrice et archaïque ;
elle suscite une protestation qui s’étend à de nombreuses universités.
Elle commence début décembre à Clermont-Ferrand, gagne Nantes à la toute
fin de l’année et bon nombre de villes à compter de février. Des rassemblements
sont réprimés par les forces de police mobilisées, comme à Nantes le 14 février
où une brève occupation du rectorat se heurte à l’assaut de gendarmes et de
CRS : barricades et jets de pierres d’un côté, matraquages et gaz lacrymogènes
de l’autre. Le mouvement étudiant nantais se radicalise et noue davantage de
liens avec des luttes locales d’ouvriers. L’UNEF va jusqu’à parler d’une
« chasse à l’homme » dans les rues de Montpellier, où trente résidents de la cité
universitaire sont interpellés et passent une nuit au commissariat. Des
assemblées générales se tiennent ici et là, comme à Nancy où l’AG compte entre
200 et 300 étudiants ; les forces de l’ordre pénètrent dans la cité universitaire et
expulsent les résidents manu militari. Le 6 mars, un meeting d’environ 1 
500 étudiants est chargé par les CRS, causant une cinquantaine de blessés.
Partout, le mot d’ordre « libre organisation de la vie dans les cités » est
déployé 41.
ENRAGEZ-VOUS

Nanterre est au carrefour de ces soulèvements et initie pour partie le


mouvement. « Ce lieu surgi comme une île » selon les mots de Michel
de Certeau, aux abords d’un bidonville dans le quartier de La Folie, repaire de
militant(e)s révolutionnaires très investi(e)s notamment dans le département de
sociologie, « est devenu le microcosme, le lieu clos, le résumé des
confrontations idéologiques qui divisent l’humanité ». Chrétiens progressistes,
membres de l’UEC, maoïstes, trotskistes et libertaires s’y disputent et s’y
associent. Des situationnistes – Gérard Bigorgne, Patrick Cheval, René Riesel –
se désignent comme les « enragés », par référence aux révolutionnaires radicaux
autour de Jacques Roux, Claire Lacombe et Jean-François Varlet, qui
entendaient pousser la Révolution française vers une véritable égalité. Le terme
devient vite le récipient de tous les dénigrements : pour beaucoup, ce sont des
fous, des furieux, ou les deux.
La protestation nanterroise se décline depuis l’occupation de la résidence des
filles dès mars 1967 à la grève de novembre contre la sélection, puis à la
manifestation du 26 janvier 1968 contre les « listes noires » que l’administration
aurait dressées, manifestation qui se solde par l’intervention de la police.
Quelques jours plus tard, Patrick Cheval est exclu de la cité universitaire. Daniel
Cohn-Bendit, militant anarchiste bien connu sur le campus pour son engagement
joyeux et contagieux, est quant à lui menacé d’être expulsé de l’université. Sa
« sortie » provocatrice faite à un ministre en visite n’a pas plu. L’épisode est des
plus connus : le 8 janvier 1968, François Missoffe vient inaugurer la piscine de
Nanterre ; Daniel Cohn-Bendit l’interpelle sur son Livre blanc de la jeunesse qui
ne dit pas un mot des questions liées à la sexualité ; le ministre de la Jeunesse et
des Sports ne trouve rien d’autre à lui conseiller qu’un plongeon dans la piscine
tout juste étrennée. Le ministre de l’Intérieur lui-même, Christian Fouchet,
prévoit l’expulsion du « trublion ». Le 7 février, Le Nouvel Observateur publie
la motion adoptée à l’unanimité par le département de sociologie en soutien à
l’étudiant ; elle dit sa « totale réprobation » contre la mesure d’expulsion. Des
solidarités s’activent aussi et s’amplifient après l’arrestation de Nicolas Boulte et
Xavier Langlade : tous deux sont membres du Comité Vietnam national (CVN)
et militants de la JCR à Nanterre ; ils sont accusés d’avoir brisé les vitres de
l’American Express lors d’un rassemblement contre la guerre du Vietnam, le
21 mars. Le lendemain, après une assemblée convoquée dans l’urgence, les
locaux de l’administration, parmi lesquels la salle du conseil des professeurs,
sont occupés toute la nuit durant par cent quarante-deux étudiant(e)s : le
mouvement du 22-Mars est né.
Les « enragés » voudraient détruire des dossiers d’étudiants conservés dans
le bâtiment ; ils en sont empêchés par les autres occupants. Leurs mots d’ordre,
aussi, diffèrent : les « enragés » lancent « Ne travaillez jamais », « L’ennui est
contre-révolutionnaire », « Prenez vos désirs pour la réalité », alors que les
membres du tout nouveau 22-Mars mettent l’accent sur la jonction avec le
mouvement ouvrier. L’assemblée de la faculté se réunit le 30 mars. Le doyen
Pierre Grappin a déposé une plainte contre X pour dégradation de bâtiments ; il
prévoit la comparution de certains étudiants devant le conseil de l’Université.
Aux assistants et maîtres-assistants qui réclament la franchise universitaire sur
l’ensemble du domaine, refusent tout recours aux forces de police et défendent
les libres débats, le doyen répond que la franchise n’est pas de droit : c’est une
tradition mais l’Université ne saurait devenir « un lieu d’immunité ». En guise de
compensation, Pierre Grappin propose d’ouvrir un lieu de réunions sur le
campus ; ce ne serait pas une « capitulation », plutôt un compromis qu’une
compromission. C’est aussi un moyen de canaliser la mobilisation : « il faut
éviter de disperser la discussion dans les couloirs, il vaut mieux la cristalliser
dans certains lieux », préconise le doyen. Le psychanalyste et professeur de
psychologie Didier Anzieu insiste sur la tâche primordiale des enseignants à ses
yeux : « juger l’étudiant ». Le philosophe Paul Ricœur prône quant à lui un
dialogue constructif et bienveillant. In fine, l’assemblée vote à l’unanimité une
motion de soutien au doyen 42.
La pression monte durant tout le mois d’avril, entre réunions publiques,
débats politiques et cours interrompus, dont celui de l’historien René Rémond le
2 mai. Le lendemain, le doyen Grappin décide de suspendre les cours sine die et
de fermer la faculté. Les étudiant(e)s quittent Nanterre et se rendent à la
Sorbonne ; la police intervient pour les en chasser. Mai a commencé…


On le voit, les dernières années des « Trente Glorieuses » ne sont pas si
glorieuses que cela. La France est loin d’être en sommeil, comme une princesse
de conte de fées que l’événement viendrait éveiller. Les observateurs notent une
intensification du travail liée à la hausse de la productivité, dans l’industrie la
fréquence du travail posté et des équipes en horaires décalés pour rentabiliser au
mieux les équipements coûteux, enfin le problème de l’emploi. Pour certaines
régions ou certains bastions, cette situation confine au désarroi. Tour à tour signe
de fébrilité, de colère ou de détermination, les mobilisations sont nombreuses,
mais dispersées. Elles aiguisent du moins l’esprit critique, lui-même fortifié pour
toutes sortes de raisons, dans une génération moins contrainte et mieux formée.
Reste à saisir ce qui fait le mystère de l’événement, que l’on ne saurait réduire à
ses causes ni à son avant.
PREMIÈRE PARTIE

PROTAGONISMES
CHAPITRE I

Soyons tout

Étudiants, paysans, ouvriers :


rencontres et solidarités

D’abord, les étudiants ; ensuite, les salariés ; enfin, le pouvoir et l’Élysée.


Tel est le schéma généralement mobilisé pour commenter les « événements » –
une sorte de valse à trois temps, dont chaque pas serait compté : une
chorégraphie bien réglée. Et pourtant… Cette tripartition mécanique ne résiste
pas à l’examen : ni en termes chronologiques, quand chaque moment est porteur
de rencontres, de dialogues et d’entraides ; ni du point de vue politique, tant un
projet essentiel, mis en pratique, repose sur un désir de décloisonnement –
franchir « des barrières et des frontières entre classes sociales », « transcender
les fossés hérissés des différences sociales », briser « l’isolement des champs
d’action » et montrer « une communauté d’intérêt » 1.
Le monde social n’en est pas aplani pour autant. Étudiants et ouvriers savent
qu’au quotidien, leurs univers de travail, de culture et de condition sont séparés.
Les premiers forment une petite minorité, à peine 12 % d’une classe d’âge, et
donc encore privilégiée. La plupart ignorent encore tout du labeur et de la peine
liés au travail salarié. Mais la catégorie évolue et son périmètre s’étend : la
France compte 500 000 étudiants, contre 100 000 vingt ans auparavant. Cette
évolution, impressionnante à l’échelle historique, s’accompagne d’une timide
ouverture sociologique. Il n’empêche : les enfants d’ouvriers ne représentent que
10 % des étudiants. Les ouvriers, de leur côté, ont pour eux le nombre et la
représentativité : 7,7 millions environ, soit près de 38 % de la population active ;
c’est une force considérable, dans l’absolu comme en proportion 2. Les paysans,
dont si peu des enfants se repèrent parmi les étudiants (7 %), sont encore 14 %
de la population active ; mais c’est un monde frappé par l’exode rural et qui,
sans être exsangue, se sait fragilisé.
À quelle condition ces groupes sociaux, en apparence si éloignés, peuvent-ils
se rencontrer ? De toute évidence, à la faveur de l’événement. Parce qu’il
suspend le temps, parce qu’il est un arrêt – du travail et de l’ordinaire –, il offre
une nouvelle forme de disponibilité. C’est là que vibre l’un de ses forts accents :
vouloir échapper aux rôles sociaux qui enserrent, enfermements à résidence
identitaire. Cela n’empêche pas la conscience de classe et la fierté des
appartenances : « ouvriers paysans nous sommes » – la formule sans nul doute
résonne aussi puissamment qu’au siècle passé. Mais, parce qu’elle laisse le
temps de questionner la vie, le quotidien et le métier, la grève généralisée permet
de les mettre à distance, pour les imaginer autrement. Si de surcroît l’événement
ne se réduit pas à sa dimension générationnelle, l’âge est une composante
essentielle des rapprochements. On ne retient que trop les rencontres manquées,
celles de grilles ouvrières refermées devant un cortège étudiant – et l’on songe à
Boulogne-Billancourt, le 16 mai. C’est sans compter toutes les discussions
nouées, les barricades construites ensemble et les pratiques concrètes de
solidarité, au-delà des mots et des idées 3.
Le mouvement étudiant est une étincelle, qui met de l’électricité dans l’air
du temps usuel. Mais cet état de haute tension, comme survolté, est d’emblée
partagé par des ouvriers, jeunes le plus souvent, qui contribuent à faire disjoncter
les circuits tout tracés. Les ouvriers ne prennent pas seulement le relais ;
beaucoup sont déjà présents aux tout débuts de l’événement. Si le courant passe
bien à certains moments, c’est qu’il y a là un prolongement des engagements, le
souvenir actif de luttes menées au coude à coude et la force des solidarités.
Ce n’est qu’un début

MISE EN MARCHE

« Le Recteur de l’Académie de Paris, Président du Conseil de l’Université,


soussigné, requiert les forces de police de rétablir d’ordre à l’intérieur de la
Sorbonne en expulsant les perturbateurs. Paris le 3 mai 1968 à 15 h 35. Signé
Jean Roche. » La consigne tient en trois lignes, mais c’est un détonateur.
Lorsque Jean Roche décide de recourir aux forces de l’ordre, lorsque celles-ci
envahissent la cour de la Sorbonne, lorsqu’elles arrêtent sans ménagement une
centaine de manifestants, ni le recteur ni les autorités ne le savent encore : c’est
une bombe à retardement. La spirale est enclenchée : la répression nourrit
l’indignation, accroît la mobilisation, qui accentue la répression… et ainsi de
suite, dans une vrille que l’événement dessine. D’autant que les peines sont
sévères : les samedi 4 et dimanche 5 mai, treize interpellés comparaissent devant
la 10e chambre correctionnelle de Paris, en audiences de flagrant délit. Un seul
est relaxé, tandis que quatre sont condamnés à deux mois de prison ferme et huit
à un emprisonnement avec sursis 4. De tels jugements, rendus un dimanche, à la
façon d’un tribunal d’exception, attisent la colère mais disposent à l’action. Dès
le 5 mai, Alain Geismar, qui dirige le Syndicat national de l’enseignement
supérieur (SNESup), appelle à une grève des enseignants ; Jacques Sauvageot, à
la tête de l’UNEF, convie les syndicats à des discussions unitaires pour riposter.
D’emblée donc, il s’agit de briser l’isolement étudiant. Trois revendications sont
avancées : libération des emprisonnés, réouverture de la Sorbonne fermée
d’autorité, retrait des forces de police hors du Quartier latin.
Le lundi 6 mai, 3 000 personnes se rassemblent pour protester contre le
conseil de discipline chargé de juger sept étudiants, parmi lesquels Daniel Cohn-
Bendit. Leur nombre double durant la manifestation de l’après-midi, qui tourne à
l’affrontement ; à la tombée du soir, quelque 15 000 manifestants se heurtent aux
forces de l’ordre, dans un face-à-face très violent : près de 500 personnes sont
blessées et 80 sont arrêtées. La capitale n’est plus la seule ville impliquée : à
Toulouse ce 6 mai, un rassemblement rapproche étudiants, enseignants et
ouvriers, à l’appel des syndicats de salariés ; l’Association générale des étudiants
de Lyon-UNEF se prononce pour une grève illimitée ; à Strasbourg, une
manifestation de protestation rassemble plusieurs centaines d’étudiants. Le
lendemain, la marche dans Paris s’est encore étoffée : plus de 25 000
manifestants défilent jusqu’à l’Étoile ; de nouveaux affrontements ont lieu sur
les Champs-Élysées. La banderole de tête dit bien une exigence de l’heure :
« Les étudiants avec les travailleurs ». En province, certaines universités
commencent à être occupées. Le 8 mai, l’UNEF, les syndicats enseignants et
l’Union régionale CFDT organisent un meeting commun à la Halle aux Vins où
se trouve la faculté des sciences de Paris. Dans les universités, les grèves
s’étendent, tandis que les lycées commencent à se mobiliser. En ce 8 mai, à
Nancy, une assemblée réunit les doyens des facultés, des professeurs et des
représentants des syndicats étudiants. Le doyen de la faculté de droit et des
sciences économiques, Robert Bentz, estime que « les événements actuels sont
un sursaut d’humanité contre un monde technocratique où l’homme n’est plus
considéré ». Il s’agit d’adopter « une position de force commune » pour
organiser une protestation solennelle à l’occasion de la venue d’Alain Peyrefitte,
le ministre de l’Éducation nationale. « Singulier de la part de doyens ! »
considère le préfet, outré 5.
D’emblée, les étudiants ne sont pas isolés : d’autres jeunes viennent leur
prêter main-forte. On le mesure à l’aune des interpellations qui ont lieu à Paris
dès le 3 mai. Le tableau suivant a pu être constitué à partir des fiches dressées
par la police :

Ouvriers tôlier (né en 1949) ; conducteur typographe


imprimerie Hermieu (1948) ; tourneur (1945) ;
typographe (1949) ; typographe (1948) ; ouvrier en
bâtiment (1947) ; ouvrier dans l’industrie de la
mosaïque (1943)
Techniciens
prothésiste (1950) ; agent technique CNRS (1945) ;
aide-monteur matériel téléphonique à Boulogne
(1945) ; électronicien SFAT (1947) ; technicien
électricien (1945) ; électricien (1950)
Employés employé de bureau EDF (1938) ; agent des lignes
PTT (1941) ; téléphoniste (1932) ; employé SNCF
(1950) ; aide-rédacteur (1946) ; employé
d’assurances (1940) ; employé de bureau (1943) ;
réceptionnaire-magasinier (1947)
Commerce et artisanat papetier (1949) ; boulanger, mais actuellement sans
emploi (1944) ; maroquinier (1951) ; tapissier
(1949) ; charcutier (1945) ; stagiaire Marketing-
Service (1943) ; épicier (1937) ; représentant de
publicité (1944) ; vendeur (1948) ; représentant
« Laville » (1939) ; cuisinier au Berlitz Opéra
(1949) ; employé de restaurant, chef de rang à « La
Bouteille d’or », quai de Montebello (1945) ;
coursier (1950) ; plongeur au « Saïgon » (1931) ;
vendeur en librairie (1949)
Professions attaché à la recherche scientifique (1939) ;
de l’enseignement sociologue, Peuple et Culture ; enseignant au lycée
et de la culture de Juvisy (1943) ; éducateur maison des Jeunes
(1945) ; professeur de lettres au lycée Hector-
Berlioz (1938) ; assistant des musées, musée des
Antiquités nationales à Saint-Germain-en-Laye
(1940) ; chargé de cours à la Sorbonne (1942) ;
journaliste Les Nouvelles de Versailles (1946) ;
documentaliste (1935) ; aide-moniteur d’éducation
physique (1944)
Transports et services coursier « Allô Fret » (1946)
Cadres et ingénieurs ingénieur commercial (1944) ; ingénieur (1944)
Professions artistiques dessinateur ; clicheur France-Soir (1949) ; coureur
et sportives automobile ; dessinateur (1942) ; artiste peintre
(1904) ; photographe ambulant (1946) ; chanteur
(1948)
Autres militaire 2e classe ministère de la Marine (1946) ;
coopérant au titre du service militaire (1944) ; sans
emploi (1940) ; retraité (1903)
Tableau réalisé d’après les fiches de la préfecture de police de Paris, « Interpellations, non-étudiants »,
3 mai 1968, APP FB / 2*.

Étudiants à Rouen, [mai 1968], Fonds université de Rouen.


Un brassage social est à l’œuvre dans le moment de l’affrontement, qui fait
se rencontrer des ouvriers, du tourneur au tôlier, des techniciens, de l’aide-
monteur à l’électronicien, des employés, de la SNCF aux PTT, et de nombreux
commerçants, artisans et employés de commerce, libraire, boulanger, charcutier,
cuisinier et coursier, au côté de professeurs, de chercheurs, de journalistes et
d’artistes. La communauté d’âge est frappante : à quelques exceptions près, tel
ce peintre de 64 ans ou ce retraité d’un an son aîné, une majorité est âgée de 18 à
24 ans, hormis un documentaliste de 33 ans, un téléphoniste de 36, un plongeur
de restaurant de 37. Les jeunes sont plus à même d’endurer l’affrontement
physique et, par leur statut souvent moins contraint, encore détachés de certaines
responsabilités, à prendre des risques. Au-delà, l’effet d’âge est important, qui
favorise l’expérience d’un temps différent ; durant la jeunesse, le goût de
l’extraordinaire est le moins entravé.

LES MAINS FRAGILES

Surtout, un rapprochement social est très tôt esquissé, pour des raisons
pratiques et politiques. Le 5 mai, les comités de défense contre la répression
convient à « briser le mur des calomnies » brandies contre les étudiants. C’est
une façon de ne pas se couper de la population : « La presse veut que les masses
populaires ne comprennent pas notre révolte, qu’elles laissent s’abattre la
répression. » Il faut non seulement trouver des appuis, mais encore créer des
convergences : l’unité des travailleurs doit s’opérer face à la répression 6. Un peu
plus tard, des banderoles portées en cortège de la Sorbonne à Billancourt
porteront l’inscription : « Les ouvriers reprendront des mains fragiles des
étudiants le drapeau de la lutte. » Les mains fragiles : l’expression dit
l’importance décisive de ne pas rester isolés. Éloignés d’un monde ouvrier qui
garde le prestige de sa force et de ses luttes passées, les étudiants se savent
moins puissants. D’où cette obsession de la jonction : un travail de conviction est
mené pied à pied pour persuader que les étudiants ne sont pas d’abord des « fils
et filles à papa » arc-boutés sur leurs droits.
Le mouvement du 22-Mars s’adresse donc aux ouvriers, pour leur rappeler la
composition sociale de l’Université mais aussi dépasser l’enjeu sociologique et
poser des questions politiques : « Nous refusons d’être des érudits coupés de la
réalité sociale. Nous refusons d’être utilisés au profit de la classe dirigeante.
Nous voulons supprimer la séparation entre travail d’exécution et travail de
réflexion et d’organisation. Nous voulons construire une société sans classe, le
sens de votre lutte est le même. » Daniel Cohn-Bendit le formule autrement le
9 mai, dans un reportage télévisé : « des étudiants refusent la fonction qui leur
est assignée par la société, c’est-à-dire qu’ils refusent de devenir les futurs
cadres de la société qui exploiteront plus tard la classe ouvrière et la
paysannerie » 7.
Ces tentatives de convergence s’appliquent en pratique. À Nancy, dans les
facultés de lettres et de droit, le Comité de soutien aux travailleurs en lutte est
réactivé ; il avait été fondé quelques mois plus tôt, par réciprocité : la CFDT
avait appuyé les étudiants sur la mixité des résidences universitaires et, lors de
grèves, les étudiants s’étaient montrés solidaires. À Nantes, la section locale de
l’UNEF en appelle à l’unité travailleurs-étudiants, parce que « les CRS sont les
mêmes à Paris, Quimper, Redon et Caen ». Au même moment à Nanterre, un
tract compare la répression à celle qu’ont subie quelques mois auparavant les
ouvriers de Caen, Redon, Mulhouse et Le Mans. La mobilisation ne saurait donc
être celle des seuls étudiants : « car la matraque policière ne distingue pas les
têtes d’étudiants des têtes d’ouvriers ». L’argument, propice aux alliances par-
delà les différences, est pragmatique. Il vise aussi à bousculer les identités ; c’est
dans ce même tract qu’on lit : les étudiants « refusent de devenir les chiens de
garde de la bourgeoisie » 8.
Très tôt, les comités d’action constitués début mai s’attellent à démontrer
que l’enseignement tel qu’il est cimente la hiérarchie sociale : les étudiants sont
préparés à devenir des cadres, dont la fonction d’exploitation n’est pas absente.
Une majorité constituerait « des “couches-tampons” entre la classe dominante et
le prolétariat, couches destinées à gérer un ordre social qu’ils ne peuvent
critiquer 9 ». À la faculté de Censier, un comité très actif, composé d’étudiants
mais aussi de jeunes salariés, affirme très tôt qu’« il n’y a plus de problème
étudiant ». Il faut entendre par là une volonté farouche de décloisonnement, le
souhait résolu de ne pas défendre une identité séparée :

Étudiants, ne nous laissons pas scinder des professeurs et autres classes


de la société. Ne nous laissons pas enfermer dans une pseudo-classe
d’étudiants avec ses problèmes économiques et sociaux. Nous n’étions
autrefois qu’une petite classe de futurs privilégiés nécessairement
intégrables. Nous sommes maintenant une trop grande « minorité », non
assimilables, mais gardant le statut de l’ancienne minorité. Telle est la
contradiction où nous, fils de bourgeois, sommes placés. Nous ne
sommes plus assurés de devenir de nouveaux dirigeants. Telle est
l’origine de notre seule force révolutionnaire. Ne la laissons pas
s’échapper 10.

L’étudiant ne demeure qu’à une condition : c’est que tout le monde puisse
étudier.

Grands soirs. Nuits et jours de solidarité

LE FEU AUX POUDRES

Dans la nuit du 10 au 11 mai, le rapport de force entre police et manifestants


se tend un peu plus, jusqu’à atteindre une acmé. À 19 heures, 10 000 personnes
environ se rassemblent devant la prison de la Santé au cri de « Libérez nos
camarades ». Une heure plus tard, le cortège se dirige vers le boulevard Saint-
Germain. Consigne est donnée, notamment par Alain Geismar et Jacques
Sauvageot, d’occuper le Quartier latin : la présence policière dans cet espace
voué à l’étude depuis plusieurs siècles apparaît comme un sacrilège politique.
Vers 21 heures, les premières barricades se dressent, faites de grilles d’arbres, de
panneaux d’affichage, de quelques voitures et de pavés. Les renforts des CRS
s’étoffent. Une heure s’écoule encore. La tension s’accumule. Presque
surréaliste, un dialogue s’entame entre le vice-recteur Claude Chalin et Alain
Geismar, par radios interposées – RTL et Europe no 1 diffusent leurs reportages
en direct, exaltés, spontanés. Alain Geismar n’entend pas céder et déclare : « Il y
a une chose qui est nette : tant qu’il y a d’un côté des manifestants et de l’autre
côté des flics, nous sommes du côté des manifestants. Nous ne pouvons pas
passer de l’autre côté. Alors si là-dessus il n’y a rien de nouveau, ce n’est pas la
peine que vous vous dérangiez monsieur le recteur. » Claude Chalin n’a pas de
consigne sur ce point ; le dialogue tourne court. Une délégation est reçue au
rectorat – mais c’est en vain. Lorsque Daniel Cohn-Bendit sort du bureau du
recteur Roche à près de 2 h 30 matin, il proclame : « Ce qui se passe ce soir dans
la rue, c’est que toute la jeunesse s’exprime contre une certaine société… Il n’y a
pas que des étudiants, il y a des jeunes chômeurs… La politique se fait dans la
rue » 11. Des convergences se mènent par l’effet de l’âge, franchissent les écarts
de positions sociales.
Les combats, qui commencent lorsque les CRS bombardent les manifestants
de grenades lacrymogènes puis de grenades offensives, se mènent dans une
évidente solidarité. Des habitants du quartier jettent de l’eau depuis leurs
fenêtres, pour soulager les insurgés des gaz lacrymogènes ; d’autres riverains
leur apportent des vivres. Certains CRS tirent des grenades jusque dans les
appartements. Les manifestants rétorquent en lançant des pavés et des cocktails
Molotov. Les policiers mettent trois heures pour venir à bout de quelque
soixante barricades, que les manifestants ont incendiées pour retarder l’issue de
l’affrontement, d’une rare intensité.
Aucune hésitation : l’événement, tragique tant il y a de blessés (367
officiellement), attise l’indignation et la volonté d’action. Les appels syndicaux à
la grève générale de vingt-quatre heures, fixée au 13 mai, insistent tous sur la
solidarité entre étudiants et ouvriers : là où deux mondes demeuraient le plus
souvent séparés, la violence policière vient les rapprocher. Les liens se nouent
autour de l’émotion suscitée par la répression, jugée « sans précédent » dans le
communiqué signé de la CGT, de la FEN (Fédération de l’Éducation nationale),
de Force ouvrière (FO) et de la CFDT. Georges Séguy, le secrétaire général de la
CGT, déclare dans un communiqué : « Les travailleurs sont indignés. Solidarité
aux étudiants ! » La formule ne tient pas seulement du constat ; elle vise à
susciter ce qu’elle décrit : « la violente répression policière dirigée contre les
étudiants indigne les ouvriers ». Cette colère se décline dans de très nombreuses
variations, nationales et locales. En Vendée, l’appel syndical commun évoque
« les brutalités ignobles des forces de l’ordre dans leur répression des
manifestations des Étudiants et des Professeurs Parisiens » et insiste sur la
nécessaire unité : « vous êtes tous concernés ». À Saint-Nazaire, le dirigeant de
FO, Paul Malnoë, assure que « s’il le faut, les ouvriers iront jusqu’à
l’engagement physique aux côtés des étudiants ». À Lyon, la section CGT de
l’entreprise automobile Berliet dresse un parallèle entre ce qui arrive aux
étudiants et ce qui s’est passé dans l’usine même, un an auparavant : « Les CRS
occupent la Sorbonne comme ils ont occupé l’entreprise en 1967. » Dans la
Meuse, la section CFDT de la Société métallurgique Stenay salue les
manifestations, seul recours des étudiants pour alerter l’opinion publique et faire
pression sur le gouvernement, quand les ouvrières et ouvriers ont l’arme de la
grève ; elle informe que de jeunes ouvriers ont été matraqués, « comme leurs
camarades étudiants ». On ne peut pas rester indifférent : « Si tu ne réagis pas, si
tu ne protestes pas, Camarade Ouvrier, demain c’est toi qui recevras les
coups » 12. Des liens effectifs se nouent, dans le repoussoir des adversaires
communs : la police et le pouvoir.
Tout n’est pas qu’harmonie pour autant. Les Renseignements généraux
observent que cette journée du 13 mai est « improvisée en catastrophe » par des
états-majors syndicaux enfiévrés, dont le dimanche 12 mai se passe en réunions,
« courses folles » et tractations. Les dirigeants de la CGT ne veulent pas de
Daniel Cohn-Bendit en tête du cortège, cet « anarchiste allemand » comme l’a
appelé Georges Marchais. Un compromis est finalement trouvé : à Paris, deux
rendez-vous différents sont donnés, l’un pour les étudiants et l’autre pour les
salariés, qui doivent se rejoindre à Denfert. En tête de cortège sera placée une
grande banderole dont le slogan rapproche des mondes sociaux dans l’action :
« Étudiants, enseignants, travailleurs, solidaires » 13.
Difficile d’estimer le nombre de défilés qui ont lieu ce 13 mai ; il est
impressionnant, près de 500 peut-être. Tant de villes ont leur cortège. Ce qui
frappe, c’est la dimension inédite, bien souvent, de ces rassemblements. À
Toulouse, La Dépêche du midi le confie : « On ne s’attendait pas à un tel
déferlement » ; la place du Capitole est noire de monde. Les plus petites villes
ont leur défilé. Dans les Ardennes, à Charleville-Mézières, des cars viennent de
Sedan, Blagny, Givet, Rocroi, Rethel et Vouziers… 2 000 personnes manifestent
à Tarbes, 1 000 à Rodez, 900 à Decazeville, 350 à Cahors et 350 à Bagnères-de-
Bigorre… 700 personnes marchent dans les rues de Guéret munies de pancartes
telles « Pas de police à l’université », « Union des travailleurs et des étudiants »,
« Création d’emplois », « Tous unis contre la répression », « Pour que le
dialogue se substitue aux matraques », « Liberté d’expression ». Dans la Corrèze
voisine, à Tulle, d’autres slogans sont repris à l’unisson : « À l’usine, aux
champs, à l’université, un ennemi commun : le pouvoir » 14.
Au-delà des mots d’ordre, le 13 mai est un carrefour commun, une date de
confluence : les rencontres se mènent dans le sentiment heureux de l’unité. À
Lyon, un millier de manifestants se rendent en cortège à l’usine Rhodiaceta de
Vaise. À Dunkerque, les participants distribuent un tract intitulé « Vive l’union
des travailleurs et des étudiants » imprimé par les ouvriers typographes de La
Voix du Nord, le journal régional. La solidarité travailleurs-étudiants est sur
toutes les lèvres et vainc, pour un temps au moins, les réticences. Beaucoup y
travaillent activement et en confiance : à Rennes, les RG mentionnent « l’unité
ouvriers-étudiants et l’extrême jeunesse des participants ». Dès l’aube, à
5 heures du matin, plusieurs dizaines d’étudiants ont rejoint les usines Citroën
pour y distribuer des tracts au côté des responsables CGT. Plus tard dans la
matinée, les mêmes et d’autres ont pris part à des piquets de grève dans certaines
zones industrielles. Et c’est à Rennes qu’une phrase-clé est prononcée par le
secrétaire de l’Union départementale CFDT, André Marivin : « À l’exemple des
étudiants qui occupent les facultés, les ouvriers de chez Citroën devraient
occuper l’usine » 15.
DES ENDROITS POUR UNE RENCONTRE

Les occupations qui commencent au lendemain du 13 mai offrent des


conditions matérielles pour conforter cette solidarité. Dès le 14 mai, des
étudiants rejoignent en cortège depuis Nantes la première usine occupée, Sud-
Aviation à Bouguenais, apportant aux grévistes couvertures et argent : près d’un
millier discutent toute la nuit avec les ouvriers sur les piquets de grève. Trois
jours plus tard, 3 000 étudiants partent du Quartier latin vers Boulogne-
Billancourt. L’épisode a été maintes fois raconté : les responsables de la CGT
ferment les grilles de l’usine pour les empêcher d’entrer, estimant que les
ouvriers n’ont « pas de leçon » à recevoir des étudiants. Au cours de la journée,
le syndicat CGT de l’usine publie une déclaration qui refuse « toute ingérence
extérieure ». Les dirigeants de la CGT assurent apprécier « la solidarité des
étudiants et des enseignants dans le combat contre le pouvoir personnel et le
patronat » ; mais, en quelque sorte, chacun doit rester chez soi. On y reviendra, il
y a ici bien des divergences stratégiques, politiques et idéologiques. Mais s’en
tenir là reviendrait à oublier que des étudiants de l’École normale supérieure de
Saint-Cloud entretenaient des contacts dans l’usine et s’y trouvaient déjà : « tout
contact n’était donc pas coupé avec les étudiants ». La déclaration de la CFDT
au meeting qui se tient le 17 mai sur l’île Seguin salue non seulement « la
magnifique résistance des étudiants face à la répression féroce des forces de
police », mais encore toute une nuit passée à discuter, autour des piquets : « Une
sympathie, une amitié réciproque s’est nouée entre travailleurs et étudiants et
ceux qui n’ont pas été là cette nuit ont manqué une page sans précédent dans
l’histoire. » Le 24 mai, la marche d’environ 300 étudiants de Caen vers les
usines en grève, telles Radiotechnique, Moulinex et Citroën, est quant à elle
couronnée de succès : la rencontre a bien lieu et s’entretient 16.
Service d’ordre à la faculté des lettres de Rouen, site de Mont-Saint-Aignan, s. d., Fonds université
de Rouen.

Étudiantes et étudiants sont présents sur les piquets de grève ; des ouvriers se
rendent dans les universités occupées, souvent proclamées d’ailleurs « ouvertes
aux travailleurs ». Les RG décrivent la faculté des lettres de Rouen où non
seulement des lycéennes et lycéens, mais encore de jeunes ouvriers venus de
Duclair, d’Elbeuf ou de Barentin « ont quasiment élu domicile », montent la
garde de nuit et vont collecter vivres et argent le jour durant. C’est le cas aussi à
Toulouse, où le Comité de liaison étudiants-ouvriers-paysans se retrouve à
l’université et sur les piquets, et s’occupe de chercher du ravitaillement dans les
campagnes. À Strasbourg, des délégations ouvrières viennent à l’université
décrire leur lutte et leurs revendications. À Paris, de jeunes métallos de Renault
vont discuter à la Sorbonne tandis que « les militants cédétistes de l’usine
Rhône-Poulenc de Vitry tiennent leurs réunions à Censier » 17. À Oignies dans le
Pas-de-Calais, la section CGT évoque « l’honneur de ne jamais oublier » le
soutien apporté par les étudiants à la grève des mineurs, en 1963 18.
En somme, Billancourt est un arbre imposant mais, au-delà, il existe une
forêt d’initiatives, de réunions et de discussions entre travailleurs et étudiants.
Tel, à Épinal, ce « dialogue passionnant entre les Comités d’action lycéens
(CAL) et les syndicalistes » décrit par La Liberté de l’Est, où élèves et salariés
mettent en commun leur refus de la ségrégation et de la « prédestination
sociale ». Telles encore ces retrouvailles à Paris entre étudiants et ouvriers
d’Hispano-Suiza et de Renault, qui réfléchissent à ce que serait une société
libérée de l’exploitation : « Peut-on imaginer une société d’hommes libres, libres
à partir de 6 heures du soir, s’ils travaillent à la chaîne neuf heures par jour ?
C’est avant qu’il faut faire marcher notre imagination. » Ou bien encore cette
réunion publique à Rouen, organisée par le comité de grève des étudiantes et
étudiants : 1 500 personnes s’y retrouvent – 800 étudiants et 500 ouvriers
d’après les RG – pour partager impressions de lutte et projets de société. Le soir,
la faculté des lettres de Mont-Saint-Aignan est même gardée par des ouvriers des
Chantiers de Normandie, car les occupants craignent une intervention de
l’organisation d’extrême droite Occident. Sur les piquets et dans les espaces
occupés, la solidarité n’est donc pas à sens unique et s’ancre au contraire dans la
réciprocité 19.
L’importance de ces liens étudiants-travailleurs ne s’éclaire pas seulement
par le rôle attribué à la classe ouvrière d’un point de vue marxiste et
révolutionnaire. La volonté passionnée d’ébranler la division sociale du travail
s’explique aussi par tout ce qu’il y a à y gagner : ne plus se sentir assigné(e) à
une fonction et une seule, ne plus s’enfermer dans un travail qui serait
uniquement intellectuel ou manuel, mettre en cause ce clivage même, s’enrichir
de la diversité. C’est ce qu’explique Jacques Benveniste, chef de clinique à la
faculté de médecine de Paris : le contact avec celles et ceux qui travaillent de
leurs mains peut empêcher l’Université de devenir « un corps technocratique
stérile et vide de sens 20 ».
Lors de ces rencontres, les participants se demandent comment lever les
obstacles à la séparation des sphères, comment rapprocher deux univers jusque-
là éloignés. Loin d’être chimériques, les hypothèses sont pragmatiques. À
Nantes, l’ouverture des restaurants et des cités universitaires aux jeunes
travailleurs est envisagée : la perspective est élémentaire mais se dote d’un
caractère offensif en visant « l’éclatement du cloisonnement social actuel ». Une
solidarité s’établit avec le personnel de ces restaurants et cités, tout comme à
Tours où l’assemblée générale de l’université réunie le 15 mai décrit, en leur
présence, les conditions de travail que connaissent les agents. Des collectes se
mettent en place rapidement. Dans l’École nationale des beaux-arts de Paris
(ENSBA) occupée, des affiches informent que les grévistes habitant les
bidonvilles de Champigny connaissent une véritable pénurie : il faut les aider
d’urgence. Le comité de grève installé à Censier appelle à l’aide pour les
grévistes de Meudon, dont certains ne peuvent plus payer leur loyer et risquent
d’être expulsés. À Aix-en-Provence, un comité de solidarité organise des quêtes
en ville et distribue des vivres aux familles de grévistes, surtout aux manœuvres
du bâtiment, les plus éprouvés 21.
Le mouvement porte l’idée d’universités ouvertes à tous, lieux d’éducation
populaire qui ne seraient pas réservés à une minorité. Au Centre de sociologie
européenne, dont Pierre Bourdieu est le directeur adjoint, les mécanismes de
sélection et de relégation des classes populaires sont précisément analysés,
associés qu’ils sont d’après les contestataires à la « conservation sociale du
système scolaire ». Partant, il s’agit de réfléchir en pratique à des alternatives
réelles. Les élèves de différentes grandes écoles de Nancy (Mines, Industries
chimiques, Mécanique, Agronomie, Géologie et Brasserie) soutiennent que, pour
abolir « le handicap » supporté par un fils ou une fille d’ouvriers arrivant dans
l’enseignement supérieur, il faut supprimer de l’évaluation toute référence à
l’« aisance » supposée des classes privilégiées. À Clermont-Ferrand, on projette
la mise en place de rattrapages accélérés. À Poitiers, la commission « Université
et Société » songe à une « contre-presse » établie collectivement. À Nanterre, la
commission « Culture et Contestation » imagine des travaux de groupes qui
permettraient la création et la libre expression, la conception de scénarios en
commun, la pratique collective du théâtre, des week-ends et des vacances
réunissant travailleurs et étudiants 22.
« Katangais » et « trimards » sont au fond l’incarnation des jeunes ouvriers
qui occupent les universités avec les étudiants et traduisent cette cohabitation
nouvelle, ni toujours simple ni dénuée de tensions. Les premiers sont présents à
la Sorbonne et à l’Odéon, les seconds sont actifs à Lyon. Des éducateurs les
décrivent comme des « sous-prolétaires », parfois membres de bandes de
quartier, et dépeignent les liens noués avec les étudiants dans la solidarité des
bagarres frontales avec des mouvements d’extrême droite comme Occident. Ces
jeunes s’occupent du service d’ordre, le « comité d’intervention rapide »
constitué avec les étudiants à la Sorbonne. L’un d’eux, Jackie, raconte avoir été
mercenaire dans le Katanga congolais, d’où leur surnom. Mais leurs pratiques
combatives hors de tout contrôle conduisent les étudiants à s’interroger sur la
pertinence de la violence. Les « Katangais » sont d’ailleurs finalement expulsés
de la Sorbonne et les « trimards » lyonnais, à la demande d’un professeur qui les
aurait « engagés », auraient contribué à leur faire quitter les lieux. Les forces de
l’ordre se soucient spécialement de ces « Katangais » ; elles s’interrogent sur
leur capacité insurrectionnelle et insistent sur les émeutes qu’ils pourraient
fomenter à Bordeaux, Strasbourg, Marseille et Caen notamment. Les policiers
s’inquiètent d’autant qu’en interrogeant un « chef de bande », « Lucien le
Katangais », ils constatent qu’il est né à Shanghai et y voient, à tort, une
subversion possible d’éléments « prochinois » 23.
Des films sont projetés, qui ouvrent à d’autres discussions : un film sur la
Commune à Saint-Étienne, pour plonger dans l’histoire, affûter les armes de la
grève et affermir la mobilisation ; La Grève des mineurs de Decazeville en 1963,
pour un passé plus récent, une projection organisée à Poitiers par le comité
Luttes ouvrières-Luttes étudiantes ; ou bien encore Les Inconnus sur la terre, sur
les problèmes paysans dans le département déshérité de la Lozère – le débat a
lieu dans une usine métallurgique à Rive-de-Gier 24.

OUVRIERS, PAYSANS NOUS SOMMES

Ce dernier exemple témoigne d’une autre ténacité : le souhait d’une alliance


entre étudiants, salariés et paysans. Car le monde agricole est déjà pour partie
mobilisé, et puissamment. Certes, il n’a rien d’homogène, selon les statuts et les
lieux. L’Ouest, surtout, est vent debout face à ce qui est vécu comme une crise
grave. La journée du 8 mai, sous les auspices d’un slogan qui est aussi un cri,
« L’Ouest veut vivre », a connu un succès retentissant dans le monde paysan et
le mouvement ouvrier. Le lendemain, L’Humanité peut titrer « Un immense
mouvement populaire » et décrire « la force tranquille » des ouvriers,
enseignants et paysans. Les cortèges sont imposants : on compte
30 000 manifestants à Brest, 20 000 à Quimper et Angers, 10 000 à Rennes et
au Mans, 5 000 à Fougères… Au total, 100 000 personnes ont défilé dans tout le
grand Ouest. C’est aussi une journée de grève, suivie dans l’enseignement, la
métallurgie, les transports et le bâtiment. La Vendée agricole insiste sur la rareté
d’une telle manifestation ouvriers-paysans. Le Télégramme de Brest parle d’une
« Bretagne en grève » qui rassemble « ouvriers, fonctionnaires et paysans ».
Dans le Finistère, les Renseignements généraux eux-mêmes se montrent
impressionnés par le « caractère spectaculaire » de cette journée : la grève a été
« quasi générale dans tous les secteurs », jusque dans l’enseignement
confessionnel ; le clergé a d’ailleurs été très présent parmi les manifestants. Les
RG évoquent des taux de grève d’une rare ampleur : 87 % de grévistes dans le
bâtiment et 91 % des personnels des grands magasins à Rennes, 95 % dans la
métallurgie à Redon, 65 % dans la chaussure à Fougères. Même les syndicats de
police de l’Ouest, adhérents à la Fédération de la police nationale CFDT,
affirment leur solidarité avec les autres travailleurs à l’occasion de cette journée ;
ils réclament du travail pour tous et la sécurité de l’emploi, et, pour les policiers,
le rétablissement du droit de grève, le respect des libertés syndicales et la
protection des délégués 25.
Partout, le thème du travail comme la hantise du chômage forment un
dénominateur commun. Les syndicats de salariés s’expriment sur la défense de
l’emploi, la garantie des ressources et l’amélioration du pouvoir d’achat ; les
agriculteurs réclament un soutien des marchés agricoles de la part de l’État.
L’exode rural est redouté comme une perspective douloureuse : « Nous ne
voulons pas d’un déménagement du territoire », déclare en Vendée le
responsable de la FDSEA. Membre connu de la commission « Agricole » du
Parti socialiste unifié (PSU), Bernard Lambert relie quant à lui le soulèvement
paysan aux événements de Nanterre et de Paris : pour lui, les véritables
« enragés » sont « les enragés du pouvoir », de la finance et du profit. Une
solidarité internationale et anticoloniale se dessine ici : Bernard Lambert fustige
l’exploitation des pays sous-développés où la France achète des produits « à des
prix de braderie ». Il s’agit par-dessus tout d’affirmer le « droit à la vie ». À
Redon, on peut d’ailleurs voir une pancarte aux quelques lettres noires, « tristes
comme un faire-part » : « Vaincre ou mourir » 26.
Cortège « L’Ouest veut vivre » à La-Roche-sur-Yon, 8 mai 1968, CDHMOT Vendée.

Le Centre départemental des jeunes agriculteurs (CDJA) du Pas-de-Calais


saisit l’occasion de cette mobilisation pour décrire la rude existence
d’agriculteurs aux abois : quinze heures de travail quotidien, le cumul des traites,
des échéances et des annuités, une production accrue qui finalement ne se vend
pas, ou mal, à « des prix de misère ». C’est à Bruxelles que les choses se jouent
désormais : les manifestants mettent en cause le « marché commun libéral ». Là
encore, une conscience mondiale se déploie au niveau local : sont pointés du
doigt les trusts puissants qui plongeraient le monde paysan et, au-delà, toutes les
populations dans un « cercle infernal » quand les pays sous-développés, où les
ouvriers et les paysans travaillent pour presque rien et parfois dans le dénuement
total, exportent des denrées vers l’Europe au lieu de nourrir leur population.
Pendant ce temps, la sous-alimentation affecte deux êtres humains sur trois à
l’échelle de la planète, mais il est demandé aux agriculteurs européens de réduire
leur production : n’est-il pas « scandaleux » d’ignorer à ce point les problèmes
mondiaux, se demande le CDJA du Pas-de-Calais. À Arras, entre le 11 et le
14 mai, environ 3 500 agriculteurs manifestent en lançant des slogans :
« Produire = Misère », « Misère = révolution. Pensez-y ». « Misère » est
décidément un mot qui porte : dans le Nord, le président de la FDSEA Eugène
Carlu assure que « la misère est à nos portes ». Si, dans une lettre au préfet,
Pierre Delforge, qui préside la CDJA du Pas-de-Calais, affirme avoir « évité le
pire » lors d’une manifestation le 11 mai, tandis que la foule exprimait
violemment son mécontentement, il n’est pas certain de pouvoir toujours
contenir « les explosions de désespoir et de colère » à l’avenir. En Meurthe-et-
Moselle, les agriculteurs lancent également un avertissement solennel aux
négociateurs de Bruxelles, et disent refuser d’être « sacrifiés à la Communauté
européenne ». Dans le Var le 24 mai, les agriculteurs organisent un barrage
routier sur la nationale 8. Dans le département voisin de l’Aude, une soixantaine
de jeunes agriculteurs se réunissent le 12 juin à la chambre d’agriculture de
Carcassonne pour étudier le cas d’un des leurs, en difficulté avec
l’administration des impôts ; puis une délégation se rend à la direction de
l’enregistrement en protestant contre « la façon cavalière » avec laquelle
l’administration fiscale déciderait de leur sort. Dans la région de Perpignan, des
maraîchers bloquent pendant une journée la circulation entre la France et
l’Espagne, à la frontière du Perthus 27.
Mais des tensions se dessinent aussi entre secteurs agricoles et selon les
générations. Dans les Ardennes, plusieurs syndicalistes de la FDSEA quittent
l’organisation, jugée pusillanime : les promoteurs du mouvement revendicatif
sont avant tout des herbagers qui reprochent aux céréaliers et betteraviers, plus
riches et plus puissants, d’être trop timorés ; ce sont surtout des jeunes 28. Jeunes
encore, les agriculteurs qui, en Loire-Atlantique, expliquent les raisons de
prendre part au mouvement :
Nous refusons que l’agriculture connaisse le même développement que
l’industrie qui a transformé les travailleurs en prolétaires n’ayant aucun
droit sur leur travail et le fruit de celui-ci. Nous sommes donc solidaires
des ouvriers qui réclament le droit syndical dans l’entreprise et qui
veulent être responsables dans leur travail. Le mouvement déclenché par
les étudiants nous concerne. De son issue dépend que l’école et
l’Université nous aident à mener le combat pour la participation des
travailleurs que nous sommes, ou au contraire contribue à l’étouffer.
Pour tout cela, les Jeunes Agriculteurs de Loire-Atlantique ne se
contentent pas de soutenir les Ouvriers et les Étudiants dans leur lutte.
Ils sont à leur côté pour contester les mêmes faits et revendiquer les
mêmes droits 29.
Manifestation du 24 mai à Nantes, CHT Nantes, Fonds 1968, 7-10.

C’est aussi pourquoi les jeunes paysans sont à la tête des réseaux d’entraide et de
ravitaillement. Dans le Calvados, le Comité régional des jeunes agriculteurs fait
livrer plusieurs centaines de litres de lait en berlingots aux ouvriers en grève de
la SAVIEM à Blainville-sur-Orne, à la Sonormel et chez Jaeger à Caen – sans
d’ailleurs en référer à leurs aînés, mis devant le fait accompli une fois le lait
livré. En Bretagne, les collectes se mènent « sans faire pression sur les
fermiers », relèvent les gendarmes chargés de les surveiller. Les laiteries de
Plancoët et de Créhen livrent gratuitement aux grévistes de Dinan plus de
600 litres de lait et des dizaines de kilos de fromage et de beurre. En Mayenne,
les agriculteurs reçoivent, en échange des denrées, des bons de soutien aux
grévistes. À Bordeaux, les relations des étudiants avec les syndicats ruraux
permettent l’activation de distributions, sous forme de dons ou de ventes à très
bas prix. Certains syndicats agricoles insistent pour livrer aux grévistes leurs
produits à prix coûtant, non seulement pour les soutenir dans leur lutte, mais
aussi avec un autre but : les informer de la réalité des prix, lorsque les
distributeurs, grandes surfaces et autres intermédiaires n’entrent pas dans le
circuit 30.
Évidemment, tout n’est pas lisse : un certain nombre d’agriculteurs sont
hostiles au mouvement. Certains, dirigeants syndicaux et paysans, sont parfois
effrayés par les événements. La « peur du rouge » resurgit et les rejets font aussi
loi à certains endroits. Dans le nord du Finistère, aux grévistes venus leur
demander des légumes, des paysans rétorquent : « Vous aurez à manger quand
vous aurez repris le travail » 31.

NOUS SOMMES TOUS DES ÉTRANGERS

Parmi les collectes réalisées, certaines sont consacrées à aider les travailleurs
étrangers et leurs familles, parmi les plus précaires et les plus mal logées. Ici
aussi, la solidarité s’organise. À Paris, le comité d’action du 14e arrondissement
ravitaille les foyers du quartier et aide les familles nord-africaines en priorité.
Des comités d’action privilégient l’aide alimentaire aux bidonvilles, comme
c’est le cas à Nanterre. À la faculté de droit d’Assas, une commission « Luttes
ouvrières » met en place un comité d’alphabétisation pour les travailleurs
étrangers. Des documents informent sur les foyers de travailleurs ou les centres
d’hébergement, tels ceux de Citroën où les ouvriers s’entassent à quatorze ou
quinze dans des deux-pièces aux loyers élevés. Les étudiants étrangers jouent un
rôle actif dans ces rencontres – une quarantaine d’étudiants portugais participent
aux meetings à Montreuil, Ivry et Saint-Denis 32.
L’internationalisme, dont on mesurera mieux plus loin l’ampleur et
l’activité, se traduit par un principe d’égalité. Le journal maoïste La Cause du
peuple revendique la nationalité française pour tous les immigrants,
immédiatement, collectivement et sans condition : celle ou celui qui travaille ici
est d’ici. À Toulouse, le mouvement du 25-Avril avance le slogan « Nous
sommes tous des étrangers. » Il rappelle que l’écrasante majorité des étrangers
présents sur le sol français y travaillent dans les emplois les plus ingrats et sont,
en quelque sorte, surexploités – François Cusset pourra parler de « prolétaires au
carré ». Contre le racisme et les ségrégations, il s’agit de rappeler une tradition
du mouvement ouvrier. À la Sorbonne, une affiche proclame : « Pour la
première fois, les étrangers sont chez eux en France. » Certains comités d’action
et de quartier réclament l’abolition du statut des étrangers, les mêmes droits et
les mêmes libertés, en se référant à la Commune de Paris, à son ministre du
Travail, l’ouvrier hongrois Frankel, et à son chef militaire, l’ouvrier polonais
Dombrowski. Dans cette perspective révolutionnaire, le « concept de nationalité
[apparaît] profondément réactionnaire » 33.
Malgré les risques de répression et d’expulsion, bon nombre de travailleuses
et travailleurs qui n’ont pas la nationalité française non seulement participent
aux grèves et aux manifestations mais encore, en certains endroits, s’organisent
comme tels pour défendre leurs droits. La population active étrangère est
majoritairement ouvrière : à plus de 70 %, dont plus de la moitié est constituée
de travailleurs non qualifiés. Un ouvrier sur sept en 1968 est originaire
d’Algérie 34. À Billancourt, des ouvriers algériens, portugais et espagnols, très
mobilisés, dressent dans une plate-forme commune la liste de leurs
revendications : suppression des contrats provisoires, rejet des discriminations
dans l’emploi ou les promotions, juste distribution du logement, carte de travail
unique valable pour toutes les professions, droit de vote et éligibilité pour la
désignation des délégués du personnel, versement des allocations aux familles
qui ne vivent pas en France, programme d’alphabétisation. Localement, la CGT
s’oppose à une telle démarche, mais la CFDT soutient cette « plate-forme de
combat des ouvriers immigrés » 35. Un comité des étrangers est créé à la faculté
de Censier : il dénonce les bidonvilles, les chambres misérables aux « loyers
exorbitants », « l’exploitation éhontée des travailleurs étrangers » et réclame un
salaire égal pour un travail égal, des libertés syndicales, la liberté d’action
politique et d’association, la fin des contrôles policiers 36. Ce soutien va au-delà
de l’aide matérielle : il s’appuie sur une solidarité où les frontières ne sont pas de
mise.

DES JOURNÉES PARTICULIÈRES

Après la nuit des 10 au 11 mai, après les immenses cortèges du 13, le 24 mai
est une autre de ces grandes « journées ». Elle résulte de deux enjeux venus
s’entrecroiser : les agriculteurs avaient d’ores et déjà prévu de manifester ; leur
protestation rencontre celle d’autres manifestants, jeunes ouvriers et étudiants,
indignés par l’interdiction de séjour qui s’abat sur Daniel Cohn-Bendit. Depuis
deux jours, l’indignation va crescendo et trouve son acmé le 24 mai.
La FNSEA appelle ce jour-là à une mobilisation nationale contre la baisse
des prix de la viande et du lait ; on compte dans toute la France environ
200 000 manifestants. À Nantes, les agriculteurs jouent un rôle majeur : des
tracteurs entrent dans la ville. Des protestataires brandissent une banderole dont
le ton est clair : « Non au régime capitaliste, oui à la révolution complète de la
société ». À Rennes, la manifestation rassemble près de 10 000 personnes et se
termine par des tensions : des cultivateurs lancent des bouteilles de lait sur les
grilles de la préfecture, des étudiants jettent des pierres et brisent quelques vitres.
Les agriculteurs présents s’engagent à verser en faveur du comité de grève
ouvrier deux centimes par kilo de pommes de terre vendu. À Paimpol, les rues
de la ville sont marquées de fourches et de tridents tracés à la peinture blanche
sur le sol ; les commerçants ferment leurs boutiques, par crainte ou par solidarité
avec les paysans et ouvriers. À La Ciotat, une vingtaine de tracteurs défilent
dans la ville tandis que, dans la Creuse, les salariés de plusieurs usines
déclenchent une grève en soutien aux paysans mobilisés 37.
Cette forte journée se prolonge jusqu’au lendemain, au petit matin, après des
affrontements en certains endroits acharnés. À Lyon, de nombreux ouvriers,
techniciens et employés se sont joints aux étudiants : ils sont tourneur, carrossier,
ajusteur, bobinier, ou encore monteur, polisseur et chaudronnier, repousseur sur
métaux, éboueur, comptable et agent d’assurances… Parmi les manifestants
arrêtés figurent onze Algériens dont quatre ouvriers spécialisés, un conducteur
de machines, un plombier-zingueur et un pontonnier, deux manœuvres tunisiens,
huit Portugais dont quatre maçons, deux soudeurs, un OS et un plongeur de
restaurant, et deux Italiens, un plâtrier et un plombier. Cette « nuit des
barricades » lyonnaise s’achève, tragiquement, par la mort du commissaire René
Lacroix, un épisode sur lequel on reviendra 38.
À Paris, la confrontation avec les forces de l’ordre dure aussi toute la nuit.
Les fiches dressées par la police confirment la diversité sociologique des
personnes interpellées et, par là, une solidarité dans ces affrontements – qui sont
très loin de concerner seulement les étudiants. Quatre-vingt-quinze ouvriers (il
s’agit d’hommes exclusivement) figurent parmi les manifestants arrêtés.
Beaucoup sont OS dans la mécanique et la métallurgie ; le plus jeune a 17 ans et
le plus âgé 34, mais la majorité a entre 18 et 24 ans. On peut aussi dénombrer
soixante techniciens, du monteur en téléphone au laborantin, du machiniste au
frigoriste, du sérigraphe au câbleur électronicien, de l’imprimeur au prothésiste ;
une seule femme appartient à cette catégorie, une aide-physicienne de 27 ans.
Les femmes sont un peu plus nombreuses, comme on pouvait l’imaginer, parmi
les cinquante-cinq employés interpellés : six secrétaires et sténodactylos, auprès
d’une employée des impôts et d’une caissière « chez Dior ». Les soixante-huit
vendeurs, vendeuses et artisans qui comptent parmi les personnes arrêtées ont
des emplois également divers : on y trouve un cordonnier, un fleuriste, des
coiffeuses et coiffeurs, un peaussier, mais aussi un disquaire, un vendeur de
magnétophones, une décoratrice étalagiste, plusieurs menuisiers, bouchers et
charcutiers. Dans les professions des transports et services, un groupe de
soixante personnes, se trouvent plusieurs garçons de café et barmans, un groom
dans un hôtel prestigieux, des coursiers, un laveur de carreaux, un livreur de
journaux et aussi – les fiches sont parfois très précises… – un distributeur de
cartons de publicité pour lessives. Auprès d’une vingtaine d’enseignants et
enseignantes et de dix ingénieurs, on recense enfin cinq médecins, un paysagiste
et un géomètre, trente-trois artistes, comédiens, écrivains, compositeurs et
réalisateurs. Vingt-deux nationalités sont représentées – signe, une fois encore,
d’une solidarité qui dépasse les appartenances nationales 39. Un jeune homme de
26 ans, Philippe Mathérion, trouve la mort cette nuit-là à cause d’un éclat de
grenade offensive tirée par des policiers – mais sa mort est passée sous silence,
éclipsée par le décès du commissaire Lacroix.
Début juin, tandis que montent davantage encore les tensions, les dispositifs
pour soutenir les ouvriers sur les piquets s’étendent et se consolident. Le 3 juin,
une réunion se tient sur ce sujet dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne ;
Alain Geismar y annonce la création d’un centre destiné à fédérer les groupes
d’autodéfense. Il s’agit de coordonner les interventions chaque fois que les
services de police tenteront d’évacuer les piquets de grève. Le lendemain, un
policier, François D., décrit le fonctionnement de ces comités d’action : ils
regroupent différentes tendances politiques (mouvement du 22-Mars, maoïstes,
trotskistes, communistes, syndicalistes), s’organisent par districts à Paris et en
banlieue, avec des responsables locaux par arrondissements et communes. Ils
forment des « commandos d’intervention » prêts à soutenir les grévistes et
renforcer les piquets de grève au premier appel 40. Et cet appel est entendu deux
jours plus tard, à Flins.

FLINS, UN DRAPEAU CONTEMPORAIN

Un épisode, majeur et tragique, de ces rencontres se déroule à l’usine


Renault de Flins et dans ses environs. Le 6 juin, les forces de l’ordre pénètrent
dans l’usine. C’est le branle-bas de combat : la population locale, des étudiants
et d’autres salariés se mobilisent pour prêter main-forte aux ouvriers qui
l’occupaient. Des militants, maoïstes notamment, appellent à débrayer par
solidarité entre ouvriers. La Jeunesse communiste révolutionnaire lance une
invitation pratique à ne pas laisser Flins isolée : « Travailleurs, étudiants,
participons aux manifestations de solidarité avec les travailleurs de Flins.
Soutenons sous toutes les formes possibles leur combat. En ce moment, ils
luttent seuls pour nous tous ». Des comités et assemblées d’universités se
prononcent pour rejoindre Flins 41.
Au soir du 6 juin, l’UNEF organise un rassemblement place de la Sorbonne,
où d’après la police se retrouvent environ 2 500 personnes. Au même moment se
déroule devant le siège de l’Union des industries métallurgiques et minières une
manifestation de protestation, initiée par la CFDT, avec plus de
1 000 participants, essentiellement des ouvriers. Une bonne partie converge gare
Saint-Lazare pour prendre le train à destination de Flins. Vers 22 heures, un
autre cortège les rejoint, composé d’un millier de manifestants venus de
Boulogne-Billancourt, pour beaucoup ouvriers chez Renault. Dans la nuit, plus
de 300 personnes sont arrêtées à l’entrée de l’autoroute de l’Ouest et empêchées
de se rendre à l’usine ; elles sont conduites au centre de Beaujon où elles sont
incarcérées vingt-quatre heures durant. Le lendemain encore, plusieurs dizaines
de manifestantes et manifestants sont interpellés 42.
On constate de nouveau leur grande diversité : une moitié est composée
d’étudiantes et d’étudiants, une autre de salariés aux statuts et métiers variés. Les
ouvriers (fraiseurs, régleurs, ajusteurs, soudeurs, chaudronniers, mécaniciens,
massicotiers, magasiniers, manutentionnaires, dépanneur en électroménager…)
côtoient des professeurs et quelques ingénieurs, un metteur en scène, plusieurs
comédiens et un artiste de music-hall, trois architectes et un luthier. Un
débardeur des Halles, un batelier, un brocanteur, un pépiniériste et un cultivateur
rejoignent un vétérinaire, un avocat et plusieurs dessinateurs. Des employés sont
coude à coude avec des écrivains, artistes et journalistes parmi lesquels Monique
Wittig, Jean-Jacques Lebel et Jean-Edern Hallier. Les femmes représentent un
sixième des personnes arrêtées : des étudiantes, mais aussi des ouvrières et
employées. On repère par exemple une ouvrière de chez Wonder venue de
Vernon dans l’Eure, une hôtesse de l’air, une ouvreuse de cinéma, une assistante
médicale et une infirmière, une bibliothécaire, une éducatrice, des institutrices et
professeures, une employée de mairie et plusieurs secrétaires, une traductrice et
une assistante de publicité, une accessoiriste, une monteuse de films et même
une habilleuse aux Folies-Bergères 43…
Chez les grévistes de Flins, cette entraide marque les esprits et en bouleverse
plus d’un. Les images que Jean-Pierre Thorn prend sur le vif, pour le film qui
deviendra Oser lutter, oser vaincre, laissent s’exprimer ce sentiment de
fraternité : « les étudiants, ils ont commencé le mouvement. C’est les jeunes qui
emmènent le groupe, c’est les jeunes là qui poussent. […] Alors, solidaires avec
nous, c’est magnifique, moi je trouve que c’est magnifique » ; « je remercie les
étudiants parce qu’ils sont là aujourd’hui » ; « c’est grâce aux étudiants si on a
réussi à faire tout ça ». La méfiance et les réticences créées par la distance
sociale semblent alors balayées 44.
Durant quatre jours, on se bat dans les champs et autour des grands
ensembles. Au cours de ces affrontements, un lycéen maoïste, Gilles Tautin,
meurt noyé après s’être jeté dans la Seine pour échapper aux policiers. Tandis
qu’une troisième « nuit des barricades » se déroule, en réaction, à Paris, Flins est
« un drapeau pour quelques contemporains 45 ». Le lendemain, deux ouvriers,
Henri Blanchet et Pierre Beylot, sont tués lors d’affrontements avec les forces de
l’ordre à Peugeot-Sochaux, tandis que quatre-vingts personnes y sont blessées,
dont certaines grièvement 46.

Mauvais présages : le spectre du chômage

CORTÈGE D’ANXIÉTÉS

Si l’événement trouve son étincelle dans l’indignation face à la répression


policière, ses fondements sont plus profonds. Cortège d’inquiétudes, expression
d’anxiétés : partout, la question de l’emploi est posée. Le spectre du chômage,
ici, croise, là, celui des « débouchés ».
Les manifestations organisées le 1er mai avaient déjà choisi l’emploi pour
thème privilégié. Le registre de la hantise et de l’angoisse est incessamment
décliné : certains syndicats constatent « avec angoisse le développement du
chômage », comme la CFDT, tandis que FO parle d’un « sous-emploi
grandissant ». En Loire-Atlantique, dans le canton de Clisson, l’Association des
familles de France dépeint « l’angoisse des familles », l’« insécurité
angoissante », celle des jeunes, chômeurs ignorés puisque non encore déclarés,
mais aussi « l’humiliation » faite « aux anciens », ces travailleuses et travailleurs
qui, à partir de 50 ans, sont considérés comme des « charges inutiles ».
« Angoisse » encore, pour l’Union de la jeunesse communiste de France (UJCF),
sur la question de l’emploi, de la formation professionnelle et des débouchés. De
nombreuses banderoles dans les manifestations du 13 mai réclament le « plein-
emploi ». Les Renseignements généraux reconnaissent « une inquiétude très vive
parmi la classe ouvrière dans le domaine de l’emploi et des salaires ». Et la
presse régionale s’en fait aussi l’écho : « Le nombre de demandes d’emploi non
satisfaites ne cesse d’augmenter à un rythme inquiétant », titre Presse Océan,
quand l’éditorial de L’Ardennais évoque la « hantise du manque d’emploi ». En
Corrèze, les adversaires du jeune élu Jacques Chirac n’hésitent pas à le
dénommer « Monsieur Chômage » – Jacques Duclos désigne même le secrétaire
d’État à l’Emploi et conseiller général de Meymac comme le « secrétaire d’État
à l’aménagement du chômage » 47.
Les jeunes sont tout spécialement touchés, non pas seulement par un
chômage encore peu déclaré, mais aussi par le sentiment de ne pas trouver
d’emploi à la hauteur de leurs qualifications. À Dunkerque, une banderole
confectionnée par la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) se déploie avec une
ironie qui ne cache pas la morosité : « on demande des balayeurs avec CAP ». À
Valence, l’association de parents d’élèves, au lycée Émile-Loubet, distribue un
tract inquiet sur une situation fragile : « SOS l’avenir des jeunes Français est en
péril » 48.

UNE SITUATION DE GÉNÉRATION


Comparer la situation des étudiants et celle des jeunes ouvriers est-il dès lors
indu ? Certains tracts ne jugent pas l’hypothèse incongrue : « Le chômage frappe
indistinctement la classe ouvrière et les étudiants. » Le rapprochement est
intéressant car il désigne une condition de génération. La part des moins de
24 ans parmi les demandeurs d’emploi est alors de 40 %, un pourcentage
multiplié par trois depuis 1962. Les économistes s’inquiètent de cette
« dégradation du climat psychologique […] exceptionnellement rapide en France
en ce début de 1968. Ici, un CAP ne donne pas l’emploi ou pas d’emploi du tout.
Là, une licence n’offre aucun débouché même dans des disciplines scientifiques
comme la physique ». Le rapprochement est d’ailleurs fait par les étudiants. Le
9 mai, un enseignant de la faculté des sciences de Paris a l’idée de faire
composer ses élèves en première année de physique-chimie, venus pour un
examen, sur le mouvement qui se déroule au même moment. Les
développements consacrés dans leurs descriptions au « chômage actuel », aux
« débouchés incertains », à « l’emploi des jeunes », à « l’inquiétude, parfois
l’angoisse » sont légions parmi ces étudiants, contestataires ou non : « on ne sait
pas si on pourra trouver du travail avec une licence » ; « le problème le plus
important est peut-être celui des débouchés » ; « à quoi bon étudier des années
durant pour être au chômage ensuite ? » ; « il n’est un secret pour personne que
la licence n’apporte rien ou pas grand-chose à celui qui se décide à aller gagner
sa vie ». Une jeune femme conclut que bon nombre d’étudiants, en entrant dans
la vie active, se retrouveront sans emploi « comme le sont déjà des milliers
d’ouvriers, qui eux ne peuvent déjà plus se soulever comme l’ont fait les
étudiants, car ils seraient immédiatement renvoyés – et tant de chômeurs
attendent déjà pour prendre leur place » 49. Le doyen de la faculté des sciences de
Paris, Marc Zamansky, déclare dans Le Monde du 28 mai : « il y a un problème
crucial de débouchés pour les étudiants » ; son collègue Claude Lombois,
premier doyen de la faculté de droit à Limoges, estime les étudiants affectés
d’une « “psychose de la sécurité”, affolés par la question des débouchés » 50.
La question est partout soulevée, comme en atteste le texte des étudiants
contestataires de Nanterre, « Pourquoi des sociologues ». Il dépeint « des
départements de sciences humaines surpeuplés relativement aux débouchés
disponibles » et l’« incertitude des étudiants par rapport aux métiers futurs ». Le
chômage apparaît bien plus grave que quelques voitures incendiées : c’est le
point de vue défendu par l’hebdomadaire catholique du diocèse de Reims 51.
Le Ve Plan admet de fait un volant de 500 000 chômeurs, et en prévoit plus
de 600 000 pour 1970. L’Union pour la défense de la République (UDR), le parti
au pouvoir, reconnaît que le nombre de 450 000 chômeurs est d’ores et déjà
atteint. Et d’expliquer que « les concentrations / fusions provoquées par la
nécessité absolue de maintenir un marché compétitif en France, dans le cadre du
Marché commun, ont naturellement favorisé l’augmentation du chômage qui est
devenu le problème essentiel de l’Économie française au cours de l’année 1967-
1968 ». Mais « le chômage n’est pas une maladie honteuse, c’est un problème
constant, universel, pour toute économie en progrès ». D’autres adoptent un
regard plus critique. À Marseille, les comités d’action font de la lutte contre le
chômage un cheval de bataille et l’interprètent à l’aune du capitalisme : un
volant de chômage peut être utile pour « étouffer les revendications, faire taire
les contestataires et maintenir les bas salaires ». Car le chômage exacerbe la
concurrence entre les travailleurs, entre les hommes et les femmes, les étrangers
et les nationaux. La volonté de lutter contre la mise en compétition généralisée
n’est sans doute pas pour rien dans l’importance, en Mai et Juin, des
« métissages sociaux » 52.


Ces métissages se soudent sans nul doute par l’âge : l’événement semble le
surgissement d’une jeunesse lasse de ronger son frein. Ce sont des jeunes qui,
souvent, prennent l’initiative du débrayage. Moins contraints par des exigences
familiales, plus exposés au risque de chômage, confrontés parfois à la
déqualification de leur emploi par contraste avec leur formation, les jeunes
travailleurs se montrent déterminés dans l’action et lui imposent une dynamique
propre parfois à faire regimber certains délégués syndicaux, leurs aînés.
Est-ce le signe d’un conflit de générations ? Il y a certes une visibilité
particulière des jeunes, une précocité de leur engagement, une singularité dans
leurs revendications et leurs modalités d’action. Il y a bien une situation de
génération, par l’exposition nouvelle au chômage et à ce qui apparaît comme
une crise des débouchés. Les convergences et les moments de fraternisation sont
nombreux : il est plus aisé pour de jeunes ouvriers de se rendre dans les
universités occupées ; il leur est plus facile de s’engager très avant dans la
contestation. Mais s’il est question de générations, alors c’est d’un pluriel
générationnel, tant les quelque 10 millions de lycéens, étudiants et travailleurs
mobilisés vont bien au-delà d’une classe d’âge ou d’une cohorte privilégiée. De
surcroît, l’interprétation par le conflit de générations, jugée psychologisante et
par là même dépolitisante, est immédiatement récusée. La grève générale est une
lutte des classes et il n’est pas question de la masquer au profit d’une lutte des
classes d’âge présumée.
Entre étudiants, agriculteurs et salariés, il y a tout à la fois complémentarité
et continuité. « Le mouvement étudiant a été le détonateur. Nous sommes la
bombe 53 », déclare Georges Churlet, le secrétaire de l’Union départementale
CGT dans le Rhône, le 18 mai. C’est cette rencontre explosive et redoutée du
pouvoir, à l’occasion de la grève généralisée et des occupations, qui entre
véritablement dans l’histoire.
CHAPITRE II

L’esprit des lieux

Grèves, occupations et subversions

Une usine immobile, les machines arrêtées ; le lieu de travail vu autrement,


exploré et approprié : l’écrivaine Leslie Kaplan a dépeint ces journées de grève
en mai et juin d’abord par l’espace, « la sensation de l’espace 1 ». C’est de ce
sentiment qu’il faut partir, peut-être, pour comprendre une dimension essentielle
de l’événement : l’extraordinaire des lieux ouverts et transformés. Occuper les
usines, les bureaux, les mairies, les grands magasins, les gares, les ports, les
musées, les théâtres ou les facultés, c’est d’abord les voir différemment :
l’espace de travail est comme redécouvert. Sa fonction change radicalement
quand il devient celui d’une sociabilité et d’une unité. En juin 1936, Simone
Weil avait décrit cette émotion immense de traverser l’usine avec joie, de faire
taire le labeur, la douleur et la monotonie de la répétition, dans la perception vive
d’un lieu enfin à soi : « Joie d’entendre, au lieu du fracas impitoyable des
machines, de la musique, des chants et des rires. On se promène parmi ces
machines auxquelles on a donné pendant tant et tant d’heures le meilleur de sa
substance vitale, et elles se taisent, elles ne coupent plus les doigts, elles ne font
plus mal 2. » Occuper en 1968, c’est retourner à ce Front populaire et faire fi du
sens que le mot a pris pendant la guerre. C’est transgresser le cours des choses :
l’événement creuse des brèches où s’engouffrer – espaces sociaux bien sûr, mais
d’abord espaces physiques et géographiques. En étant occupés, les lieux se
dotent d’une autre signification : ils assignent moins à des places figées et fixées,
qui elles-mêmes sont interrogées. Le politique est là, dans cette subversion de
l’ordinaire, dans la prise et l’emprise que suppose le changement de rôle, dans
l’impression d’être, au moins pour un temps, maîtres et maîtresses des lieux. La
grève est une trouée dans un monde clos.
Ces grèves s’étendent « comme une nappe d’eau gagnée par le gel 3 », selon
les mots d’Antoine Prost : 7 millions de grévistes à l’apogée de l’événement,
auxquels s’adjoignent celles et ceux qui, sans être salariés, sont mobilisés, les
lycéens et étudiants évidemment. Le principe même de cette extension est subtil
et pluriel : la grève est généralisée sans que jamais les directions syndicales
appellent à la grève générale, sauf pour vingt-quatre heures, le 13 mai. Cette
propagation entrelace deux dynamiques, elles-mêmes emboîtées. La première
tient à la spontanéité, au niveau local, à l’arrêt de travail qui parfois reprend un
mouvement précédent là où il s’était terminé. La seconde implique un
mimétisme, un facteur d’émulation sinon d’imitation, où l’échelle nationale est
une ressource pour entrer à son tour dans l’action. La grève est faite d’histoire et
de voisinages : ici, les luttes passées sont réactivées ; là, c’est l’effet
d’entraînement et de proximité qui joue, ou la solidarité.
Il y a bien sûr une pragmatique de l’occupation et elle ne va pas sans
tensions. S’organiser à l’intérieur même du lieu de travail, c’est éviter qu’il soit
repris par le pouvoir, la police ou le patron ; c’est ancrer la mobilisation dans la
durée. Tenir l’objectif exige un rapport de force à protagonistes multiples : les
occupants, les dirigeants, les forces de l’ordre, mais également les non-grévistes,
donc les collègues qui sont parfois aussi des ami(e)s. Le défi a un prix et son
coût est souvent élevé. Il y faut varier les tactiques ; il y faut aussi du courage,
moral et physique. La pratique mêle l’organisation et la spontanéité, les
expériences passées, la gageure de la nouveauté. Car il est des permanences et
des traditions dans l’occupation, par la manière notamment dont l’outil de travail
est préservé : l’événement combine la hardiesse du surgissement et l’entretien du
quotidien.
Sans préavis. Dynamique de la grève

ENTRÉES EN GRÈVE : CONTINUITÉS ET NOUVEAUTÉS

Le 13 mai impulse une dynamique décisive, même si, pour les directions
syndicales nationales, elle devrait se cantonner à une journée – ce que l’on
nomme une « grève carrée ». Les taux de grévistes sont impressionnants et
exceptionnels. Dans les secteurs nationalisés et parapublics, ils ne sont pas
inférieurs à 45 % et atteignent souvent 60 % (à la SNCF et dans les houillères)
voire 80 % (à EDF-GDF). Dans le public, ils sont tout aussi élevés : 60 % dans
les PTT, 75 % parmi les employés de la Sécurité sociale et jusqu’à 80 % dans
l’enseignement. Dans certaines usines, qui par le passé avaient connu de rudes
conflits comme Rhodiaceta, la grève est d’emblée totale. Dans le département de
la Loire, elle est suivie à 80 % dans le textile, 86 % dans l’enseignement, 96 %
dans la métallurgie et même 100 % dans la verrerie. Dans le Puy-de-Dôme, la
Manufacture de tabacs de la Seita à Riom compte 90 % de grévistes, les
entreprises métallurgiques Ducellier et Cegedur à Issoire jusqu’à 96 %. Il est
aussi beaucoup de « premières fois ». Les Renseignements généraux ne
manquent pas de les relever : aux forges d’Haironville dans la Meuse, « c’est la
première fois qu’un mouvement de grève est suivi par les ouvriers » ; dans le
même département, « pour la première fois », un mouvement de grève a été suivi
à 80 % par le personnel enseignant. Dans certaines usines où régnait pourtant
jusqu’à présent « un climat social parfaitement calme », comme à la Société
métallurgique de Gerzat près de Clermont-Ferrand, tous les « horaires » (les
ouvriers et ouvrières payés à l’heure) font grève le 13 mai et la quasi-totalité des
« mensuels » (payés au mois). À Roanne, le sous-préfet remarque le caractère
étonnant voire inouï de l’événement : le personnel de l’Atelier de construction,
qui n’avait pas manifesté depuis de nombreuses années, a répondu cette fois à
l’appel des syndicats. Une grève générale, sans conteste, comme la nomme
d’ailleurs la presse 4.
D’où vient que cette grève soit reconduite dès le lendemain dans une usine,
Sud-Aviation, et de surcroît avec occupation ? L’entreprise implantée à
Bouguenais, à six kilomètres au sud-ouest de Nantes, compte un peu plus de
2 600 salariés. Elle contribue à la construction du Concorde et de la Caravelle, et
travaille également pour l’armée. C’est une forteresse ouvrière, fière de son
travail et de sa technicité 5. Elle est aussi un bastion de l’anarchisme et du
syndicalisme révolutionnaire, comme c’est le cas plus généralement en Loire-
Atlantique. L’une des figures phares en est le dirigeant anarcho-syndicaliste
Alexandre Hébert, qui fut pendant plusieurs années secrétaire de l’Union
départementale Force ouvrière. La section FO de Sud-Aviation-Bouguenais est
d’ailleurs la plus radicale et la plus déterminée ; elle donne l’impulsion de
l’occupation. Elle est tenue par Yvon Rocton, membre du Comité de liaison et
d’action pour la classe ouvrière, composé surtout de trotskistes appartenant à
l’Organisation communiste internationaliste. Rocton, appelé durant la guerre
d’Algérie entre 1958 et 1960, militant contre la torture et envoyé pour cela en
bataillon disciplinaire, est un militant tenace, de tradition communiste
révolutionnaire. Lors de la grève des mineurs en 1963, il a été expulsé de la CGT
et c’est alors qu’il a rejoint Force ouvrière. Le 14 mai, tandis que le représentant
de la CGT dans l’usine de Bouguenais suggère d’organiser des débrayages d’une
demi-heure plusieurs fois dans la journée, Yvon Rocton estime que « la grève
totale avec occupation de l’usine et création d’un comité de grève serait la
manière la plus efficace de faire aboutir le mouvement ». Il est entendu et sa
proposition l’emporte en assemblée générale de salariés, par un vote à main
levée. L’occupation commence et le directeur est séquestré 6.
Le lendemain, les ouvriers de Renault-Cléon se mettent en grève à leur tour,
lors d’une journée nationale pour l’abrogation des ordonnances sur la Sécurité
sociale. Lorsque la direction de l’entreprise signifie son refus de recevoir les
délégués du personnel, la grève se prolonge immédiatement par une décision
d’occupation et la direction est elle aussi « “consignée” dans ses bureaux » 7. La
grève est parfois lancée à partir d’une tension locale, comme à la gare de Givors
le 16 mai, où deux intérimaires viennent d’être licenciés ; l’action est initiatrice
d’un mouvement qui peu à peu s’étend dans la SNCF. À la Société des eaux de
Contrexéville, même s’il n’y avait eu aucune grève depuis la création de l’usine
douze ans plus tôt, le feu couvait sous la cendre depuis plusieurs années, les
ouvrières et ouvriers réclamant un alignement des salaires et des avantages
sociaux sur les autres usines du groupe Perrier. La grève est déclenchée le
16 mai ; elle est d’emblée totale. La mobilisation commence à faire tache
d’huile. La CFDT de la SAVIEM à Blainville diffuse un tract le 17 mai intitulé
« Ça bouge partout ! » : dans toutes les usines de la Régie Renault, la
mobilisation est engagée ; « allons-nous les regarder ? ». En diffusant le 18 mai
son appel aux traminots de Marseille, la CGT s’appuie quant à elle sur une
information de dernière heure : les collègues du Havre et de Bordeaux ont arrêté
le travail et occupent les dépôts. Le souci de ne pas être en reste, de ne pas
demeurer confiné dans la passivité est puissant et s’ajoute aux revendications
portées depuis des années. C’est à partir surtout du 20 mai que le mouvement se
généralise. De très grosses usines entrent en grève ce jour-là, tels Peugeot-
Sochaux et Citroën-Javel, où il n’y avait pas eu de mobilisation depuis dix-huit
ans du fait d’un encadrement patronal et managérial autoritaire et d’une forte
pression exercée sur la main-d’œuvre immigrée en particulier. En ce 20 mai, le
pays est « paralysé » : c’est une métaphore fréquente dans les médias. Et
cependant, la grève n’empêche pas le mouvement : en bloquant, les grévistes
agissent. La presse renonce devant la tâche titanesque d’en dresser la liste :
comme l’indique en « une » L’Yonne républicaine du 21 mai, « un journal ne
suffirait pas pour publier l’énumération des usines qui ont été occupées, lundi
matin, par les ouvriers ». La grève s’étend encore après les rencontres de
Grenelle et de Varenne. Le 28 mai, le préfet de la Loire relate le
« durcissement » du conflit : la Manufacture nationale d’armes est en grève
totale et occupée ; les guichets des banques stéphanoises sont fermés ; dans les
entreprises métallurgiques le mouvement est reconduit et « s’aggrave » à la
base ; les trois usines de la Compagnie des ateliers et forges de la Loire, à Saint-
Étienne, Firminy et Saint-Chamond, sont en grève illimitée avec occupation ;
aux PTT, le centre de tri est toujours occupé tout comme le sont les ateliers de
Manufrance où le drapeau rouge est hissé. En Corse comme à Vintimille, les
douaniers eux-mêmes sont en grève. Dans les Alpes-Maritimes, pas moins de
quarante mairies, sur cent soixante-trois communes, sont occupées ; mais dans
ce département, ce sont les Parfumeries de Grasse qui connaissent, pour le
secteur privé, les plus forts taux de grévistes (80 %) 8.
Pour éclairer les dispositifs d’entrées en grève, Sabine Erbès-Seguin a pu
distinguer trois modèles de déclenchement : une initiative syndicale ; une action
spontanée, lancée par la base et relayée par les organisations locales ; plus rares
et en tout cas minoritaires, des initiatives prises en dehors de tous cadres
syndicaux, voire contre eux. L’impression domine d’une grande spontanéité.
Parmi d’autres et pour en témoigner, les notes quotidiennes prises par André
Sernin sont précieuses : ce Journal d’un bourgeois de Paris, manuscrit resté
inédit, est rédigé en mai et juin par André Sernin, un proche de la droite
conservatrice, antigaulliste depuis l’indépendance de l’Algérie, qui circule dans
le Paris de la contestation avec un mélange d’hostilité et de curiosité ; il dévore
aussi la presse avec avidité. À la date du samedi 18 mai, il écrit : « partout, les
troupes vont plus vite que les chefs ; c’est la caractéristique de cette étrange
grève, qui ressemble à une épidémie plus qu’à un mouvement raisonné » 9.

LA CARTE ET LE TERRITOIRE

Les raisons et motivations de la grève sont empreintes de diversité : chaque


lieu est singulier. En ce sens, la carte n’est pas le territoire, dans sa complexité et
son histoire. Le récent passé des luttes ouvrières se voit, ici ou là, remobilisé. À
Saint-Étienne, un commissaire divisionnaire se réfère aux grèves de 1947 pour
aborder un mouvement d’« ampleur inégalée ». À Toulouse, quand les
cheminots occupent la gare, ils le voient comme une « première fois depuis
1947 » ; « un ancien vient serrer la main de ses camarades ; il revit ses propres
luttes ». Chez les dockers de Marseille, la grève est une revanche : la répression
qui s’était abattue sur les grévistes, entre 1947 et 1951, demeure dans les
mémoires. À Poissy, certains se rappellent la mobilisation de 1950 et la violence
policière : « ils nous [avaient] envoyé les CRS, à 3H du matin, les crosses en
avant ». En Loire-Atlantique, l’Union départementale Force ouvrière, dont on a
évoqué la tradition syndicaliste révolutionnaire, s’appuie aussi sur le passé pour
en tirer, sinon des leçons, du moins une inspiration : il s’agit de prendre les
dispositions nécessaires et unitaires pour gagner la grève, refuser des réquisitions
qui viseraient, comme en 1953, à la briser. Yvon Rocton, à Sud-Aviation,
brandit les expériences proches ou lointaines, celles du Front populaire et celles
des années 1950, pour refuser tout « os à ronger » : le passé invite à ne pas être
dupe, incite à la lucidité. Autre exemple de méfiance qui convie à ne pas céder :
la CGT des retraités dans les PTT se remémore la grande grève de 1953 et ce
qu’il y a lieu de ne pas répéter – « reprendre le travail sans avoir obtenu des
garanties officielles. C’est pourquoi nous devons montrer notre solidarité » 10.
De solidarité, il est beaucoup question comme moteur de l’action. Lorsque,
le 21 mai à Paris, la CGT des forts des Halles – les manutentionnaires des
marchés et des abattoirs – décide la grève immédiate sans limitation de durée, les
autres travailleurs du secteur leur emboîtent le pas, « par solidarité avec leurs
camarades grévistes ». Les travailleurs de Pechiney décident de « partir »
exactement en même temps, le 21 mai, avec arrêt total et occupation à l’usine de
Largentière (Hautes-Alpes) et de Saint-Auban (Basses-Alpes). Mais
l’événement, malgré tout ce qu’il porte en lui de nouveauté, est également vécu
comme un prolongement. Dans les Vosges, selon les RG, les salariés perçoivent
leur grève comme un conflit de rattrapage ou de continuité : le mouvement
national crée une situation favorable à faire mieux entendre, voire à imposer des
revendications formulées de longue date. Dans les Ardennes, plusieurs usines
métallurgiques importantes, Lefort à Charleville, Tréfimétaux à Givet, les Hauts-
Fourneaux de la Chiers à Vireux, qui comptent chacune plus de 1 000 salariés,
sont en grève totale près d’un mois durant ; le mouvement y est animé par des
comités de grève indépendants des directions syndicales et par des ouvriers
jeunes, inorganisés ou récemment syndiqués. Dans la Meuse, ce sont des jeunes
encore que repèrent les RG surpris par les arrêts de travail nombreux, au
« développement inaccoutumé » pour un département jugé d’habitude « calme
voire passif ». La grève se mène aussi par effet d’entraînement : la détermination
des grévistes les conduit souvent à ne pas rester dans leur usine mais à tenter de
convaincre leurs collègues des entreprises voisines. À La Souterraine dans la
Creuse, un département où le conflit est vif notamment dans la métallurgie, le
transport et le déménagement, une entreprise de chemiserie voit son personnel
mobilisé pendant plusieurs jours sur intervention de grévistes du même
établissement mais venus d’un département voisin, l’Indre. Dans certaines
communes meusiennes, des grévistes arrivés de la Marne, des Ardennes et de la
Haute-Marne contribuent à déclencher l’installation de piquets 11.
Il y a des exceptions, bien sûr, à la rapide extension de cette grève
généralisée : les contrastes régionaux sont fondamentaux. Dans le Gers, le
20 mai et selon les renseignements du préfet, il n’y aurait pas de grévistes dans
l’enseignement primaire, mais 53 % dans le secondaire ; aucun gréviste non plus
dans les services des finances publiques, mais 22 % parmi les personnels
communaux, 90 % à la SNCF et 99 % à EDF-GDF. À la même date, dans les
Basses-Alpes, il n’y aurait pas de grévistes au sein des services publics et
seulement 8 % dans le Vaucluse pour ce qui est des PTT, tandis que, dans le
même secteur, la grève est totale à Nice et que le centre de tri à Toulon est en
grève avec occupation. Près de Fréjus, à Gassin, une usine de torpilles qui
compte 400 ouvriers est occupée durant une heure le 21 mai, puis les grévistes
quittent les lieux sur l’injonction du directeur. Le lendemain, à Draguignan, les
personnels de la préfecture eux-mêmes entrent en grève, à 70 %, alors que ce
taux n’est que de 20 % à la préfecture d’Avignon. En Charente-Maritime, la vie
industrielle du département est presque totalement à l’arrêt, mais l’usine
automobile Simca continue quant à elle de « tourner » ; plus précisément, elle
tente de fonctionner jusqu’au moment où, ne recevant plus de matières
premières, elle doit cesser son activité. Dans cette entreprise, il n’existe aucune
implantation syndicale en dehors du syndicat « maison » impulsé par les patrons.
De la même manière, si la grève ne prend pas chez Simca-Chrysler à Poissy,
c’est que la CGT y a été éradiquée depuis une dizaine d’années. L’absence de
mobilisation chez Citroën à Rennes s’éclaire par un encadrement quasi militaire
des ouvriers. À Peugeot-Sochaux, les participants à l’occupation sont très
minoritaires : de nombreux ouvriers préfèrent rester chez eux ; ceux qui habitent
la campagne se consacrent à leur activité agricole, souvent leur second métier.
Certaines régions sont aussi beaucoup moins concernées par la mobilisation.
C’est le cas de l’Alsace, où les ouvriers sont pourtant très représentés dans la
population active (45 %), mais de tradition conservatrice ; la grève y toucherait à
peine 10 % des salariés. En fait, le mouvement s’y déroule surtout en dents de
scie : il commence, s’interrompt, puis reprend 12.
C’est là un élément important. Se mettre en grève n’est pas simple, même
quand elle gagne tout le pays : on pense au salaire perdu, aux traites à payer, à
d’éventuelles sanctions et à une possible répression. L’entrée dans le mouvement
est aussi faite d’accommodements. À l’usine métallurgique Vincey-Bourget dans
les Vosges, le personnel fait grève le mardi 21, retravaille le 22 puis s’arrête de
nouveau le 24, ceci pour ne pas perdre le jeudi de l’Ascension, payé à condition
d’avoir travaillé la veille. À la Poudrerie de Saint-Chamas dans les Bouches-du-
Rhône, les salariés reprennent le travail le lundi 27 mais finalement repartent en
grève le lendemain. Dans le Tarn, à Mazamet, les ouvriers des usines
mécaniques cessent de travailler un quart d’heure à chaque reprise de service 13.
Et puis, il est des arrêts contraints et forcés, faute de matières premières ou
de commandes. Certaines exploitations houillères du bassin d’Auvergne doivent
interrompre la production, sans appel à la grève, par manque d’énergie
électrique. Dans une papeterie vosgienne, à Laval-sur-Vologne, la direction met
au chômage près de 100 ouvriers : les expéditions n’étant plus assurées, l’usine a
atteint sa capacité maximale de stockage. La société routière Colas, à Montluçon
dans l’Allier, ne peut plus se ravitailler en bitume : le directeur explique être
obligé de faire effectuer aux personnels le « pont » de l’Ascension, du 24 au
25 mai, non payé. Dans la Drôme, à la cave coopérative de Die, l’employeur
laisse les salariés au repos, mais cette semaine est à valoir sur leurs congés
annuels 14.

EXTENSION DU DOMAINE DE LA LUTTE

Si la grève concerne en majorité des ouvrières et ouvriers, des employé(e)s


et des enseignant(e)s, d’autres catégories encore sont mobilisées. Dès le 17 mai,
chez Renault, les cadres et ingénieurs du Centre technique de Rueil décident de
cesser le travail « afin de ne pas entraver le mouvement », par compréhension et
solidarité. Réunis chaque jour en assemblée d’environ 150 personnes, ils
affirment se sentir « pleinement concernés » et s’engager pour l’amélioration des
conventions collectives, mais aussi pour de meilleurs rapports humains au sein
de l’entreprise. Les cadres de Renault-Billancourt dénoncent une « oppression
technocratique », « pendant de ce que fut au XVIIIe siècle le despotisme éclairé » :
rien ne ferait plus contrepoids à la contrainte de la machine ; ils demandent donc
l’amélioration des « conditions psychologiques », par l’accession de chacune et
chacun à des responsabilités et la participation de tous aux décisions. Dans les
mines, la grève est suivie par des ingénieurs qui déplorent les directives prises de
loin, sans concertation ; ils ont parfois le sentiment d’être instrumentalisés,
quand leur autorité morale est utilisée pour faire accepter des mesures
préjudiciables au personnel. Là aussi, l’unité se dessine par-delà les statuts, tout
comme s’impose la conscience d’une solidarité nécessaire 15.
Reste que les syndicats constatent un comportement des cadres très variable
selon les entreprises : certains demeurent neutres, d’autres sont flottants et
hésitants, d’autres enfin se rangent du côté des directions. Au sein de la CFDT,
les « remontées » faites département par département indiquent la grande
diversité des positions : en Haute-Garonne, une « bonne réaction » des jeunes
cadres syndicalistes ; en Loire-Atlantique, des ingénieurs et cadres qui suivent le
mouvement à quelques rares exceptions ; mais, dans le Nord, des difficultés avec
les cadres de la CGC, la Confédération générale des cadres ; ou bien encore,
dans les Vosges, des tensions avec eux dans de nombreuses entreprises
occupées 16.
L’artisanat n’est pas en reste, où la grève prend selon les secteurs et les
moments. En région parisienne, la Chambre syndicale CGT des cochers-
chauffeurs, celle des artisans du taxi, le syndicat de l’industrie du taxi de la
Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) et le syndicat FO des
conducteurs de taxi s’adressent par tracts à la population, le 22 mai. C’est
l’occasion de dépeindre les conditions de travail et de vie : la tension nerveuse,
la fatigue physique, des journées au volant de douze, quatorze voire seize heures
et un dimanche sur sept seulement passé en famille. On trouve dans cette
description une rare allusion à la pollution, qui n’est pas encore considérée
comme un sujet de société : « Pendant dix heures, les poumons remplis de gaz
nocifs rejetés par les milliers de voitures qui l’environnent, le chauffeur de taxi
doit se frayer un passage dans le carrousel infernal qu’est la circulation
parisienne. » Celle-ci est tellement ralentie par l’intensité du trafic que désormais
un taxi finit par rouler plus lentement que « le cocher de fiacre de nos grands-
parents ». À Marseille, les chauffeurs de taxi se rallient aussi au mouvement, à
compter du 22, et demandent un réajustement du tarif, l’allégement de la fiscalité
ainsi que le rattachement « de tous les petits propriétaires » à la Sécurité sociale.
Le Syndicat autonome des taxis de la Loire annonce de son côté se lancer dans
une grève générale de solidarité, les 23 et 24 mai. Les ouvrières et ouvriers
coiffeurs dressent des cahiers de revendications – la situation qu’elles et ils
détaillent est peu enviable : les horaires apparaissent anarchiques et les salaires,
indécents. Jeunes et apprentis sont considérés comme exploités, tandis
qu’aucune garantie de l’emploi n’est assurée, passé 40 ans. Depuis dix ans, il n’y
a plus de convention collective nationale : les grévistes réclament qu’elle soit
rétablie. Dans le Puy-de-Dôme, les ouvriers coiffeurs demandent que la retraite
soit portée à 60 ans pour les hommes et 55 pour les femmes, arguant de la
fatigue propre à la profession 17.
Par l’intermédiaire de leurs syndicats, les ouvrières et ouvriers boulangers
s’expriment également dans le mouvement. Dans l’Yonne, la CFDT vitupère le
« pouvoir abusif » qu’ont les patrons de dire non à des revendications pourtant
justes : « Les seuls intéressés à l’insuffisance [des] salaires sont à la fois juges,
parties et défenseurs de leur propre cause. » Le 12 juin, le syndicat FO des
boulangers, pâtissiers, vendeurs et vendeuses dénonce avec vigueur
l’augmentation du prix du pain : si un accord sur les salaires a été conclu dans la
boulangerie, il n’est pas intervenu pour que les consommateurs le paient par la
hausse des prix ; le capital est à la hauteur pour verser les salaires augmentés,
sans que la population ait à en faire les frais 18.
Dans la brèche des occupations

LES SYMBOLES DE LA SUBVERSION

Dans les entreprises occupées, la vie s’organise. Sud-Aviation donne le ton.


Les syndicats s’y mobilisent pour assurer la gratuité des repas et, dès le jeudi
16 mai, une fête est prévue dans l’usine pour le dimanche suivant. Les
« camarades » musiciens, chanteurs, animateurs et fantaisistes sont sollicités. À
l’amorce de la deuxième semaine, l’intersyndicale décide de publier au moins un
communiqué par jour, afin de tenir les travailleurs au courant des événements.
Les regards sont d’autant plus braqués sur l’usine de Bouguenais que non
seulement c’est la première où les salariés se sont lancés dans l’occupation, mais
encore le directeur y est séquestré. Les grévistes n’emploient pourtant pas cet
adjectif : la section « horaire » Force ouvrière, que dirige Yvon Rocton dont on
connaît le rôle moteur, lui préfère l’expression de « gardé à vue ». Aux premiers
jours néanmoins, tous s’accordent à prendre leur revanche sur le patron et les
années d’exploitation : on lui passe en boucle L’Internationale…
L’intersyndicale s’installe dans les bureaux de la direction et annonce assurer, au
moins temporairement, le fonctionnement de l’usine. Mais la tension règne
parmi les grévistes eux-mêmes quantau sort de Paul Duvochel, et jusqu’au sein
du syndicat FO. Finalement, le 28 mai, un vote décide sa libération, par 890 voix
pour et 444 contre. Force ouvrière s’est divisée entre ouvriers horaires et
mensuels : ces derniers ont négocié qu’un acompte leur soit versé. La section
« horaire », quant à elle, voit dans ce directeur relâché un mauvais message
donné à l’échelle nationale, le signe d’un essoufflement du mouvement ou au
moins d’une concession qui pourrait lui être fatale. À la fin de l’après-midi le
mercredi 29 mai, la voiture de Paul Duvochel franchit les grilles, vitres fermées,
et passe au milieu d’une haie d’ouvriers. Pas un cri ne retentit, le silence est
impressionnant. Puis un gréviste sonne du clairon, comme pour signaler la
solennité de l’instant 19.
L’action de Sud-Aviation-Bouguenais donne un élan, sinon un modèle. Les
séquestrations sont rares cependant et ont d’autant plus de retentissement que les
directions syndicales au niveau national les désapprouvent vivement. Cela
n’empêche pas quelque 500 à 600 jeunes ouvriers, chez Renault-Cléon,
d’enfermer le directeur de l’usine dans ses bureaux et d’occuper les ateliers, au
soir du 15 mai, après que la direction a refusé de recevoir une délégation. Mais,
comme le relèvent les RG, la CGT s’efforce de reprendre la situation en main et
de canaliser ce type d’actions, auxquelles elle est opposée. Pour autant, les
séquestrations se font aussi par endroits à l’initiative de militantes et militants
cégétistes, signe d’un clivage au sein de la confédération. À Issoire, les membres
de la direction séquestrés dans l’usine Ducellier le sont plutôt sous l’influence de
la section CFDT ; un représentant de la direction est même arrêté sur la route par
des grévistes alors qu’il tente de quitter l’agglomération ; il est libéré le
lendemain. À la Cegedur dans la vallée du Gier, le directeur n’est pas séquestré
mais il n’est plus autorisé à pénétrer dans l’usine. D’autres gestes ouvriers
équivalent à une libération temporaire face à l’emprise patronale. Chez Massey-
Ferguson à Marquette dans le Nord, l’entrée en grève le 20 mai s’accompagne
d’un incendie volontaire : le feu est mis au fichier de renseignements établi par
la direction 20.
Cette prise de possession métamorphose les lieux et convertit les symboles.
On le sait bien pour les universités, où rivalisent les portraits de Lénine, Rosa
Luxemburg, Trotski, Mao et Guevara. Dans les entreprises occupées, les
drapeaux rouges sont nombreux. Ils viennent parfois se substituer aux emblèmes
des usines et c’est un signe fort qui est affiché alors. Le directeur de Massey-
Ferguson, indigné, raconte au préfet que les fanions « MF », aux couleurs de
l’entreprise, ont été remplacés par des drapeaux rouges. À l’usine Polyfibres de
Remiremont, les grévistes les accompagnent d’une banderole accrochée à
l’enseigne de l’usine : « Toi qui entres ici, perds tout espoir » ; la formule
empruntée à L’Enfer de Dante traduit la souffrance et le sentiment des vies
englouties dans le travail usinier. Il s’agit de s’en libérer, au moins le temps du
mouvement. D’ailleurs, chez Berliet à Vénissieux, les travailleurs attaquent le
nom de l’entreprise au cœur, en jouant de l’anagramme : « LIBERTÉ » ; ces six
lettres, brandies dans le bonheur même éphémère d’une autonomie retrouvée,
avaient déjà remplacé « BERLIET » en octobre 1944, lorsque Marius Berliet
avait été poursuivi pour collaboration durant l’Occupation – l’usine avait été
mise sous séquestre, mais elle lui avait été finalement restituée. C’est donc le
moment d’une revanche face à une décision à l’époque très mal acceptée par les
ouvriers. Répéter le geste de la Libération est une manière de renouer avec
l’histoire récente et d’arrimer la lutte à une résistance continuée.
La dignité le dispute à la fierté de pouvoir exposer, sur les lieux mêmes du
travail ou dans certains espaces publics, la bannière du mouvement ouvrier. À la
« Cello » de Bezons dans le Val-d’Oise, où l’on produit de la Cellophane, le
drapeau rouge est hissé au sommet de l’immense cheminée qui culmine à quatre-
vingt-cinq mètres – c’est l’une des plus hautes de France : les grévistes se
réjouissent qu’on l’aperçoive partout depuis Paris ou encore, constat
symbolique, depuis Nanterre. Les cheminots de Limoges ont quant à eux
accroché le drapeau des travailleurs en lutte sur le campanile de la gare, de sorte
là encore qu’on le voie de très loin. À Varennes, dans la nuit du 22 au 23 mai, un
drapeau rouge est planté sur le trottoir, juste devant la maison d’un patron.
Ailleurs, il voisine avec son rival tricolore, comme à la mairie de la petite
commune de Bouligny, près de Verdun. Un tel partage fait évidemment écho à
une symbolique politique, non dépourvue de clivages et de divisions : à Épinal,
FO a suspendu un drapeau tricolore au fronton de la Bourse du Travail, pour
faire pendant au drapeau rouge accroché par la CGT 21.

TRAVAIL DE LA GRÈVE

Mais se réapproprier l’usine, c’est également la protéger. En prendre soin est


une manière de prouver non seulement un esprit de responsabilité – sur lequel
insiste tout spécialement la CGT –, mais encore le sentiment fort d’assumer par
soi-même les tâches de préservation. Il s’agit de montrer au fond que l’on peut
se passer des contremaîtres et pourquoi pas des patrons. « Certains grévistes vont
faire leurs huit heures d’occupation comme ils faisaient leurs huit heures à
l’usine 22. » En somme, c’est aussi un travail que la grève : elle mobilise, dans
tous les sens du terme.

Ravitaillement de la direction de la SMIAS, coll. Péault, CHT Nantes, Fonds 1968, 7-10.

À la « Cello » de Bezons, les ouvriers installent du papier sur les tables pour
éviter la rouille, veillent au bon arrêt des machines afin que la viscose ne coule
pas dans les tuyaux et ne se « fixe » pas. Ailleurs, il faut au contraire que
certaines continuent de fonctionner, même sans produire, pour éviter la
détérioration de la matière première : à la société métallurgique de Stenay dans
la Meuse, une trentaine d’ouvriers assurent chaque jour le service jusqu’en
soirée, « pour la coulée ». Des ouvriers passent l’aspirateur ; on les voit
entretenir les machines 23.
Chez Renault, à Billancourt, les grévistes pensent même à camoufler le
prototype de la « R6 ». La CGT le revendique non sans une forme d’orgueil
ouvrier : « la musique, les jeux, les spectacles, le couchage, le service d’ordre,
les repas, tout est désormais organisé ». La consigne ne vaut pas que dans les
usines : aux PTT, les facteurs gardent souvent leur tenue de préposés et
entendent rester sur place pour préserver l’outil de travail 24.

UN DÉFI AUX HIÉRARCHIES

Occuper et bloquer, c’est enfin montrer une force, elle-même inversée par
rapport à l’ordre coutumier. La grève est un défi au monde social tel qu’il est et à
ses hiérarchies. Elle est une gageure, telle une flèche décochée contre le pouvoir.
Certains faits le montrent à l’envi, là où les grévistes peuvent directement le
braver. Dans l’imprimerie, des « linos » font sauter certains titres du journal de
droite L’Aurore, ou sabotent sa mise en page ; des rotativistes refusent de tirer
La Nation, l’organe de l’Union pour la nouvelle République (UNR), gaulliste. La
fermeté est un pari majeur de l’action : l’enjeu est de ne pas céder pour « tenir »
et faire fi des pressions. Aux Sables-d’Olonne en Vendée, le port est fermé et
même lorsqu’un yacht anglais se présente, les filins demeurent tendus :
impossible de passer. À Fos-sur-Mer, un pétrolier géant est dérouté sur…
Amsterdam. Non loin de là, le commandant d’un pétrolier libérien bloqué dans
le port marseillais alors qu’il déchargeait sa cargaison propose 4 000 dollars aux
grévistes pour qu’ils acceptent de débrancher le tuyau reliant le navire aux
réservoirs de stockage : il essuie un refus. À Caen, les syndicats lancent le
29 mai une opération « ville fermée » ; son organisation est mise au point avec
soin. Les corps de métier sont appelés à se mobiliser aux lieux stratégiques de la
ville : les grévistes de Moulinex, Jaeger et Sonormel bloquent le quartier de la
Demi-Lune ; ceux de Citroën et des PTT, le Cygne de Croix ; les ouvriers du
bâtiment s’installent sur le pont Vandœuvre ; les étudiantes et étudiants, sur la
route de la Délivrande 25. C’est là une autre façon de prendre l’espace et d’en
faire la démonstration : la visibilité est importante, pour convaincre et gagner
« l’opinion ».

De haute lutte. Modalités et modulations


des pratiques grévistes

L’EXCEPTIONNEL NORMAL

Mais la grève n’est pas d’un bloc : l’action s’ajuste à chaque situation. Les
mêmes grévistes qui refusent de se plier à certaines injonctions savent aussi
moduler leurs pratiques de la grève et de l’occupation. Certes, le port des Sables-
d’Olonne n’accueille pas les yachts ; pour autant, lorsque le 25 mai la mer se fait
houleuse par suite de mauvais temps, les syndicalistes du milieu marin enlèvent
le barrage qui en bloquait l’accès pour permettre aux bateaux de s’y réfugier. À
Boulogne-sur-Mer, le trafic marchandise est à l’arrêt complet mais le trafic
passager reste possible afin d’assurer la liaison transmanche, au besoin. À la
SNCF où le mouvement est très suivi, la sécurité des passages à niveau est
assurée par les grévistes. Quelques consignes détonnent, dans un monde à
l’envers éphémère : à l’usine Sud-Aviation de Marignane, c’est la direction qui
demande aux cadres de se mettre en grève… En réalité, il s’agit par ce moyen de
pénétrer dans les locaux gardés par des piquets pour assurer la sécurité des
installations 26.
Le dosage est délicat et parfois subtil entre le temps extraordinaire qu’ouvre
la grève et la nécessité d’y préserver une forme de quotidienneté. Il faut veiller à
l’hygiène des rues, mise à mal par l’arrêt de travail suivi par les éboueurs. Les
solutions pratiquées sont diverses : à Montpellier, le préfet réquisitionne des
hommes de troupe pour l’enlèvement des ordures ménagères – tout en précisant
que cette réquisition ne comporte pas l’usage des armes… ; à Marseille, le
général Multrier, qui commande la VIIe Région militaire, accepte d’apporter le
concours de l’armée – un détachement comprenant une centaine de militaires et
vingt-deux camions-bennes ; il indique au député-maire, Gaston Defferre, que ce
sera « à titre onéreux » : la Ville remboursera plus tard. Mais à Saint-Dié le
30 mai, des bénévoles membres du comité de grève se chargent de ramasser les
ordures ménagères en utilisant les camions-bennes de la municipalité ; à
Sarcelles début juin, les éboueurs, toujours en grève, assurent le travail tout en
informant la population par haut-parleurs sur la poursuite de leur action. À la
mairie de Tulle, parmi tant d’autres municipalités, le personnel des bureaux
rejoint les ouvriers des services techniques qui ont cessé le travail les premiers.
Nonobstant, une permanence d’état civil est maintenue, assurée par un gréviste,
de même qu’un service aux cimetières pour les inhumations éventuelles… Les
établissements hospitaliers du Vaucluse connaissent une grève symbolique : les
soins aux patients sont assurés comme à l’ordinaire et cependant, les personnels
refusent de pointer. La grève est totale en revanche à l’aéroport occupé de Nice,
mais des « avions taxis » fonctionnent pour transférer les médicaments et le lait.
Aux autoroutes de l’Estérel, les personnels sont en grève, toutefois la sécurité est
assurée. Dans les banques d’Avignon et de son agglomération, le personnel
gréviste sert bénévolement les clients, à titre exceptionnel, le 30 mai, pour les
opérations de retrait ou les règlements de salaires. À Saint-Dié encore, les
travailleurs acceptent, après la venue du maire, de laisser les chaudières allumées
afin que le ravitaillement en viande soit garanti pour les hôpitaux et les
collectivités. Dans la petite commune de Bogny-sur-Meuse, dans les Ardennes,
les ouvriers du moulin décident qu’il restera ouvert et fonctionnera en lien étroit
avec les boulangeries, pour éviter la spéculation. De tels détails n’ont rien de
trivial : ils dessinent, en quelque sorte, l’exceptionnel normal 27.
Ils sont d’autant plus sérieux que l’inquiétude s’insinue rapidement sur la
question du ravitaillement. À suivre les bulletins quotidiens de renseignements
qui parviennent aux préfets et à lire la presse, on mesure combien la question
chemine, s’impose et devient vite un sujet d’anxiété. Elle surgit aux alentours
des 20-22 mai lorsque la grève s’ancre et s’étend. Dans le Vaucluse, c’est même
dès le 18 mai que les Renseignements généraux mentionnent « un certain
affolement », avec de très importants achats alimentaires, bien plus qu’à
l’ordinaire, et de nombreux retraits d’argent. Même constat d’« affolement » à
Toulouse, Albi et Montauban. À Paris, les services spécialisés dans le commerce
et la circulation au sein de la préfecture de police relèvent, le 22 mai, que les
denrées susceptibles de se conserver, comme les pommes de terre, sont très
demandées et voient leurs prix augmenter fortement. D’autres difficultés
s’annoncent, quant aux fruits et légumes par exemple, en raison du blocage des
trains dans les dépôts SNCF et des limitations de carburant pour les transporteurs
routiers, qui d’ailleurs majorent leurs tarifs en conséquence. La capitale peine en
outre à être ravitaillée car les conducteurs de camions hésitent à y entrer, par
crainte de ne pas pouvoir en repartir faute de carburant. Mais Paris est loin d’être
la seule touchée par ces difficultés inhérentes au blocage. Dans la Creuse, le
23 mai, les stocks de sucre ont atteint la cote d’alerte, à telle enseigne que les
commerçants en limitent la vente à un kilogramme par client ; les stocks d’eau
minérale sont proches du niveau zéro et l’on redoute des difficultés pour
l’alimentation des maternités, comme celle de Guéret ; sur un autre registre, les
stocks de vin rouge ordinaire sont, à la même date, pratiquement épuisés chez les
détaillants. Dans le Pas-de-Calais, les épiciers rationnent leurs clients pour des
denrées comme l’huile ou le sucre. Les boulangeries sont livrées en farine avec
les tout derniers stocks des grands moulins. Les bureaux de tabac manquent de
cigarettes ; les Gauloises y ont pour ainsi dire disparu. « Pas de panique », titre
L’Est républicain le 28 mai ; et d’ajouter toutefois : « mais il ne faudrait pas que
la situation actuelle s’éternise », en mentionnant une « psychose du sucre » et
des clients qui en achètent par trente kilos 28. On le voit et on le sent : l’enjeu est
essentiel. La presse insiste le plus souvent sur la nécessité de ne pas prolonger
trop longtemps le mouvement. En matière de ravitaillement, la peur qui s’instille
avec l’entrée de la grève dans la durée est en quelque sorte alimentée.
ORGANISER LA SOLIDARITÉ

Les grévistes en sont bien conscients car là se joue l’avenir de la


mobilisation. Nantes connaît à cet égard une situation exceptionnelle : le comité
de grève composé des principales forces syndicales y occupe l’hôtel de ville et
décide d’organiser par lui-même le ravitaillement. La ville est souvent érigée en
modèle d’autogestion : on prête à la « commune » de Nantes certains traits de la
Commune de Paris, près de cent ans auparavant. L’analogie a évidemment ses
limites ; il n’empêche, une autre gestion s’y met en place. Le comité central de
grève se charge d’éditer et de distribuer des bons d’essence et d’alimentation.
Les bons de carburant sont détaxés pour les agriculteurs, en accord avec les
organisations syndicales ouvrières.
Le comité intersyndical CGT-CFDT-CGTFO-FEN veille à ce que les petits
commerces maintiennent des prix « normaux ». Un cahier est tenu chaque jour
pour recenser les personnes venues au ravitaillement, où sont scrupuleusement
notés le salaire, l’employeur, le nombre et l’âge des enfants le cas échéant. Le
comité organise des points de vente à prix coûtant et sans intermédiaires dans les
quartiers populaires de Nantes, tenus par des responsables syndicaux, des
enseignants, des militants d’associations familiales et des étudiants. Le comité de
grève des Dervallières voit dans cette organisation directe un « bastion de
résistance populaire ». Le mouvement du 22-Mars s’y réfère souvent et en
appelle à ce qu’il y ait bien d’autres « Nantes » : car c’est ainsi que se fera la
révolution par la base, durablement 29.
D’autres comités centraux de grève, à l’exemple du comité nantais, se
constituent dans la région et siègent dans les locaux municipaux, à Paimpol,
Guingamp ou Lannion. Mais ailleurs aussi, la solidarité s’organise pour faire
face aux risques de pénurie. À Auxerre, le comité de grève initie un centre de
distribution de vivres à la salle municipaleFelser. Non loin de là, à Tonnerre, un
système de points selon la composition du foyer et le nombre de jours de grève
permet de répartir équitablement les collectes d’argent. À Dijon, Montbard et
Migennes, des distributions se mènent en lien avec les agriculteurs locaux et les
commerçants. Il s’agit de rassurer, comme le fait à Saint-Étienne l’Association
populaire des familles : inutile de remplir les garde-manger au-delà des besoins
immédiats ; l’association encourage à noter les prix et à dénoncer collectivement
les hausses abusives. Divers syndicats s’emploient à tranquilliser les esprits.
L’Union des syndicats CGT des Hauts-de-Seine convie le 24 mai à ne pas
constituer de stocks superflus : les comités de grève des laiteries ont pris des
dispositions pour assurer les livraisons en lait des hôpitaux, maternités, crèches
et collectivités ; les stocks de farine, viande, beurre et de manière générale
denrées de première nécessité sont importants ; aucun manque d’eau n’est à
craindre par ailleurs. Les municipalités, quand leur couleur politique
accompagne une défense des grévistes, les soutiennent par diverses formes de
ravitaillement. La mairie communiste de Vitry-sur-Seine et le comité de grève
des employés communaux stigmatisent les « rumeurs tendancieuses – colportées
complaisamment par le gouvernement » –, qui tenteraient de créer l’affolement
pour discréditer la grève ; la municipalité invite les commerçants à l’« esprit
d’organisation et de responsabilité » tandis qu’elle garantit de son côté des
services d’urgence en matière d’alimentation et de santé. À quelques kilomètres
de là, la ville de Châtillon attribue des colis de produits alimentaires et les
distribue chaque jour à la mairie 30.
Bon d’essence à Nantes, CHT Nantes, Fonds 1968, 6-22.

LIGNES DE HAUTE TENSION


La grève est bel et bien une lutte : elle s’inscrit dans un rapport de force
complexe et multiforme, oppose les grévistes aux non-grévistes, aux gendarmes
et aux policiers, et évidemment au patronat. Bien des moyens sont recherchés
pour convaincre les seconds, leur démontrer le bien-fondé du mouvement, les
faire passer dans « l’autre camp ». Ce peut être une pression morale, comme
l’exercent certaines sections de la FEN : les syndicalistes enseignants
apostrophent leurs collègues sur leur « trahison », tout en s’excusant pour la
« brutalité » d’une telle désignation – c’est que la situation, exceptionnelle, exige
la franchise et la clarté. Des syndicats interpellent les non-grévistes par tracts et
affiches, en leur demandant de ne pas être « à contre-courant » et de rejoindre
leurs camarades de travail « dans leur lutte fraternelle ». Dans le cas contraire,
que feront-ils et que feront-elles face aux acquis de la grève ? C’est à leur
« conscience » qu’il s’agit de s’adresser. Mais quand il s’avère vain, le travail de
conviction laisse place aux invectives. Dans un centre des Chèques postaux
parisien, 200 grévistes scandent, chaque fois que des employés entrent ou sortent
du centre : « Les fayots au boulot. » Quand des salariés cherchent à forcer
l’entrée pour travailler, comme c’est le cas chez Usinor à Dunkerque, ils sont
repoussés par les grévistes qui ont mis en batteries des pompes à incendie… Le
24 mai, dans l’entreprise métallurgique Semiac de Vouziers, les ouvriers qui
occupent l’usine « accueillent » les non-grévistes avec des extincteurs ; ceux-ci
organisent alors une manifestation avec drapeau tricolore pour réclamer « la
liberté de travailler ». La bataille des couleurs est décidément politique et
réactive bien, par l’étendard de la symbolique, des clivages anciens. Le journal
L’Est républicain constate le 7 juin que les ouvriers de la tôlerie et
chaudronnerie d’Argonne travaillent sous les auspices du drapeau tricolore, hissé
au faîte de l’usine pour marquer leur hostilité à la grève, aux « rouges », aux
« communistes ». Dans l’usine de textile Big-Chief à La Roche-sur-Yon, la
section de la Confédération française du travail (CFT), connue pour son rôle de
« syndicat maison », vilipende dans le drapeau rouge le « drapeau de
l’étranger », en y voyant la bannière politique de l’Union soviétique ou de la
Chine maoïste. Le combat se mène donc par symboles interposés, quand il ne
s’agit pas de lutte physique. Chez Berliet, lorsque des « mensuels » et des cadres
réoccupent les locaux pour y travailler, ils y accrochent une banderole
« entreprise libérée », sorte de pied de nez ironique venu narguer celle
qu’avaient fixée les grévistes : « Liberté » 31.
Mais ce ne sont pas là qu’insignes et allégories. La violence est concrète,
matérielle, rude pour les corps ; elle fait des blessés. Ces casse multiplient. Le
22 mai à La Rochelle, Élie T., peintre dans une usine de construction navale, part
avec ses camarades pour tenter de faire débrayer les employés des essences aux
armées, au cri de « Les gars, on arrête ! Tous la main dans la main ! ». Mais l’un
d’eux se précipite sur lui en hurlant « Je vais t’arranger la cravate » et le frappe ;
il s’en sort avec une côte cassée. Le lendemain, à l’usine Polyfibres de Saint-
Nabord dans les Vosges, le piquet de grève est attaqué à coups de pierre et
plusieurs grévistes sont blessés. Le 5 juin, le piquet de l’entreprise Calor à Lyon
est assailli par un commando et là aussi, un gréviste est grièvement blessé. Le
12 juin, dans une entreprise de travaux publics à Boulogne-sur-Mer, un
manœuvre de 17 ans, Michel L., est agressé par plusieurs individus qui lui
reprochent de « faire grève parce qu’il est contre de Gaulle » ; ils l’assomment à
coups de barre de fer. Parfois, ce sont les patrons qui s’en prennent
physiquement aux grévistes. C’est ce qui se produit le 26 mai à Andrézieux-
Bouthéon près de Saint-Étienne. Louis O., le directeur des établissements
SERUP (Société d’études et de recherches pour l’utilisation du plastique), blesse
d’un coup de fusil de chasse le secrétaire de la Fédération nationale des métaux
CGT, atteint de sept plombs à la main, au genou et au thorax ; ses jours ne sont
pas en danger. Louis O. est écroué à la maison d’arrêt de Saint-Étienne – il sera
condamné en janvier 1969 à deux ans de prison avec sursis. Le 1er juin, une
ouvrière en grève de l’entreprise Occulta-Gaines Scandale est victime d’une
fracture du bassin et de plusieurs hémorragies internes, après que le fils de
l’employeur a foncé avec sa voiture sur le piquet de grève où elle se trouvait. Les
affrontements se mènent enfin avec les forces de l’ordre. On en a vu un exemple
extrême à Sochaux et à Flins. Mais bien des heurts ont lieu ailleurs, quoique
avec une violence plus contenue. À Épinal, le comité de grève des Chèques
postaux condamne le 23 mai l’intervention des CRS qui ont chargé le piquet,
sans sommation ; les événements du Quartier latin n’auraient donc « pas servi de
leçon ». L’indignation est vigoureuse parmi les travailleurs de l’entreprise
Grosdidier à Vivier dans les Ardennes, où la gendarmerie patrouille et riposte
sur les lieux des rassemblements. Les grévistes y voient une manœuvre du
patronat et ne comprennent pas que la gendarmerie, censée être placée au service
de la nation, soit ici au service des patrons : « Grosdidier est-il devenu la
nation ? » ; non, répond le comité de grève, il « représente seulement son coffre-
fort, son compte en banque et les millions qu’il a “gagnés” avec la sueur des
ouvriers » 32.
Revendiquer la dignité

LA GRÈVE AU QUOTIDIEN : L’EXEMPLE DE MICHELIN

Le rapport de force empreint de tensions peut se suivre au jour le jour dans


une entreprise comme Michelin. L’usine phare de Clermont-Ferrand,
mondialement connue avec sa mascotte sympathique et bonhomme, le
Bibendum, est un bastion ouvrier et le domaine d’un grand patron français,
François Michelin, 42 ans, dont le paternalisme est réputé. En 1968 l’entreprise
compte 22 000 salariés. La grève y est très suivie et, au 20 mai, toute la
production est bloquée. Des meetings se tiennent deux fois par jour à l’intérieur
de l’usine. On estime à plus de 1 000 le nombre d’ouvriers qui participent aux
piquets de grève, en rangs serrés. Plusieurs jours durant, François Michelin
oppose un silence jugé hautain et méprisant aux demandes de délégation venues
des grévistes qui ont rédigé leurs cahiers de revendications. Le 24 mai, il fait
diffuser une lettre qui occulte la demande d’entrevue ; elle mentionne
l’amélioration des conditions de travail et la sécurité de l’emploi, mais d’une
manière si générale qu’elle ne répond à aucune des demandes sur le fond. Dix
mille ouvriers environ se retrouvent en meeting le 28 mai et décident d’un
cortège jusqu’au domicile des Michelin, sur le cours Sablon. C’est toujours le
silence qui répond. Les grévistes se sentent humiliés par le refus intransigeant
d’un patron qui repousse toute communication, a fortiori toute négociation ;
beaucoup y perçoivent une arrogance assortie d’un mépris de classe.
C’est pourquoi, le 30 mai, les responsables de la CGT et de la CFDT
appellent au renforcement des piquets de grève et de l’occupation. Les
organisations syndicales finissent par rencontrer la direction le lendemain. La
situation ne se détend pas pour autant : François Michelin a répondu au comité
de grève que les contraintes économiques ne permettent pas de satisfaire les
revendications. Pourtant, certaines pourraient être remplies sans aucune charge
financière, comme la suppression des « brimades antigrève » ou la
reconnaissance de la section syndicale d’entreprise. Les salariés réclament aussi
la disparition de la distinction entre « horaires » et « mensuels », par esprit de
solidarité et d’égalité. Les organisations de salariés déplorent qu’un grand patron
comme François Michelin rejette toute discussion sur les libertés syndicales et se
situe en deçà du protocole de Grenelle, jugé pourtant minimaliste par les
grévistes. À leurs yeux, c’est une provocation.
Ce sentiment s’exacerbe lorsque les grévistes sont confrontés à un petit
groupe de « mensuels » qui bravent un piquet, puis aux forces de l’ordre. Malgré
un vote majoritaire pour la poursuite de la grève le 4 juin, un commissaire de
police fait rouvrir les portes de l’usine. Une moitié environ du personnel
« mensuel » reprend le travail, mais la grève continue, dans un climat très tendu.
La solidarité s’exprime dans la ville : le comité intersyndical des ouvriers et
employés municipaux de Clermont-Ferrand se dit scandalisé par l’action des
forces de l’ordre chez Michelin et écrit au préfet de région pour qu’elles n’y
interviennent plus. Après deux jours d’incertitudes, la grève cesse le 8 juin.
Les syndicats ont obtenu une augmentation de salaires de 10 % octroyée en
deux temps, le paiement des jours fériés, l’indemnisation des journées de grève à
50 %. Quant aux « temps morts » dont les ouvriers ne sont pas responsables mais
que la direction payait jusque-là aux neuf dixièmes du salaire horaire, ils seront
désormais pris en considération, au même titre que les heures de pleine
production 33.

LES TRAVAUX ET LES JOURS

Par leurs revendications, les grévistes dévoilent un pan de leur univers


journalier et dessinent en creux l’ordinaire de leur travail, souvent sa dureté.
Partout, le socle défendu par les organisations syndicales parties prenantes de la
mobilisation se décline en quelques points, revendications dites « matérielles »
mais cruciales tant elles concernent le quotidien : la semaine de quarante heures
sans perte salariale – alors que la loi du 18 juin 1966 a fixé à cinquante-
quatre heures sa limite supérieure –, le refus des salaires inférieurs à
1 000 francs, l’abrogation des ordonnances sur la Sécurité sociale, l’extension
des libertés syndicales et le paiement des jours de grève. À cette base s’ajoutent,
selon les lieux et les secteurs, l’échelle mobile des salaires – qui augmenteraient
au même rythme que les prix pour préserver le pouvoir d’achat face à
l’inflation –, la retraite à 60 ans pour les hommes et 55 ans pour les femmes – et
pour les hommes exerçant des travaux pénibles –, la suppression des contrats
provisoires, le refus des licenciements, l’égalité de statut avec la mensualisation
généralisée et la suppression des clauses restrictives sur les primes – une mesure
dont se servent les employeurs pour dissuader les salariés de faire grève. Dans
bien des régions, les grévistes greffent à ces demandes la suppression des
abattements de zones. Ceux-ci avaient été instaurés sous le gouvernement de
Vichy par un décret signé de Pierre Laval, le 19 juin 1943. Fondés sur des
critères sociogéographiques selon le coût de la vie, ils se déclinent en fonction
des salaires moyens de la région parisienne, d’après une répartition rendue plus
complexe encore par des différenciations à l’intérieur de chaque région :

Provence-Alpes-Côte d’Azur 27 %
Rhône-Alpes 28 %
Alsace 31 %
Lorraine 32 %
Nord 33 %
Picardie 34 %
Champagne 35 %
Aquitaine 35 %
Bourgogne 36 %
Auvergne 36 %
Midi-Pyrénées 37 %
Basse-Normandie 37 %
Bretagne 38 %
Poitou-Charentes 40 %
Limousin 42 %
Abattements de zones en 1968.

Or, ces abattements enfreignent le principe cher au mouvement ouvrier : à travail


égal, salaire égal. L’« injustice des zones » avait déjà été dénoncée lors des
grandes grèves de 1947 et 1948, notamment par les mineurs et les métallurgistes
de l’Est et du Nord 34.
Une fois encore, on ne saurait imaginer une homogénéité sociale et
territoriale : à l’échelle locale, les revendications forment comme une broderie
travaillée au petit point. Ici ou là, les attentes se font plus restreintes et plus
humbles, mais toujours adossées au travail quotidien et à la manière dont il est
ressenti, selon les aspirations et les besoins. Dans une fonderie de Bar-le-Duc, où
150 ouvriers ont débrayé, la revendication des grévistes est loin des quarante
heures hebdomadaires : comme la durée du travail a été récemment ramenée de
cinquante-quatre à cinquante et une heures avec une perte de salaire
proportionnelle, ils demandent à être payés sur la base de cinquante-quatre
heures. À certains endroits, on ne réclame pas d’augmentation de salaires, mais
une amélioration concrète des conditions de vie journalières : comme à l’usine
Michelin de Joué-lès-Tours en Indre-et-Loire où les salariés revendiquent une
prime au travail de nuit, une prime kilométrique pour les ouvriers qui travaillent
le dimanche et viennent de loin, ou bien encore le transport en car gratuit. À
Schiltigheim dans le Bas-Rhin, les grévistes de chez Quiri, une usine qui
fabrique des machines frigorifiques, n’évoquent pas le minimum salarial de
1 000 francs par mois demandé à l’échelle nationale par les syndicats, mais
fixent à 700 francs seulement son montant minimal : car les salaires –
notamment ceux des ouvriers espagnols et italiens – y sont très faibles, entre
2,70 et 3,20 francs de l’heure. D’où la nécessité de faire des heures
supplémentaires : la semaine de travail peut alors s’étirer jusqu’à soixante-dix
heures. L’ensemble est d’ailleurs perçu et pensé comme un cercle vicieux : bas
salaires, heures supplémentaires, chômage pour les jeunes mais aussi « pour les
vieux », pression du patron avec chantage au chômage… Les grévistes y
demandent, évidence qui devrait s’imposer d’elle-même, une amélioration des
conditions d’hygiène : il n’y a là qu’une douche pour 200 ouvriers 35.
PERDRE SA VIE À LA GAGNER ?

Lors d’un meeting qui se tient sur l’île Seguin à Billancourt, le 17 mai, un
syndicaliste de la CFDT soutient que, parmi ces revendications, certaines ne
coûteraient rien, telles les libertés syndicales. Mais ce serait pour le patronat une
manière de traiter les ouvrières et ouvriers

davantage en êtres humains et égaux à lui-même. Ceci, il ne peut le


tolérer car il a basé le fonctionnement de ses industries sur les méthodes
de la hiérarchie militaire. Pourtant, il va falloir qu’il se transforme ou
qu’il disparaisse, car les travailleurs et surtout parmi eux les jeunes ne
veulent plus être des soldats 36.

De tels sentiments illustrent la découverte que l’insupportable tel qu’il est


ressenti est un inacceptable. Des militants CFDT de l’Avallonnais, grévistes de
la SNCF, des PTT, d’EDF et ouvriers d’usine, l’énoncent dans un communiqué
le 24 mai :

Comment les jeunes pourraient-ils accepter de se voir privés de


formation parce que l’État veut sa bombe ? Comment pourraient-ils
supporter une société qui fait passer le tiercé et la brosse à chaussures
électrique avant l’avenir des enfants ? Comment pourraient-ils accepter
de travailler comme des machines, des outils, à qui il est interdit de
s’informer, de penser, de s’organiser et de s’épanouir ? Enfin, combien
de temps resteront-ils dans l’« ordre », dans la légalité alors que
beaucoup de patrons avallonnais sont depuis des années aux limites de la
légalité 37 ?

L’enjeu est désormais d’envisager une autre vie que celle rivée à la société de
consommation, de façonner son propre destin et non pas seulement d’obtenir des
avantages matériels, bien qu’ils soient essentiels. « Des hommes, pas des
robots » : tel était déjà le slogan de la grève lancée à la Rhodiaceta de Besançon
en 1967 et repris au fil des nouveaux événements 38.
En témoignent les cahiers de revendications élaborés par les personnels
d’Air Inter et d’Air France : les aspirations « matérielles » y côtoient les
demandes de considération, d’égards et d’attention. En réalité, on sent à quel
point ce partage est pour partie artificiel, tant les deux dimensions sont
intimement mêlées : voir les conditions de travail s’améliorer, c’est aussi
bénéficier d’une forme de respect non seulement pour ce travail, mais pour ce
que l’on est. Les cahiers de revendications réclament donc le retour immédiat
des quarante heures, la suppression des prises de service avant 6 heures du
matin, une véritable pause d’au moins trente minutes pour le petit-déjeuner, un
vrai temps pour les repas en lieu et place des plateaux servis pendant le travail,
des progrès en matière de climatisation et d’insonorisation. Outre l’échelle
mobile des salaires et l’intégration de toutes les primes dans le salaire fixe pour
éviter la concurrence entre les agents, les grévistes contestent les modalités de
promotion et exigent une commission paritaire afin d’en décider. Leurs cahiers
de revendications comportent également la demande d’une véritable médecine
du travail, indépendante des compagnies aériennes, une prévention et des soins
médicaux accrus pour le personnel exposé au bruit, enfin la reconnaissance de la
surdité due à la puissance sonore des avions comme une maladie professionnelle.
Ils réclament des congés spéciaux pour le personnel qui travaille dans les
conditions particulièrement pénibles des galeries à bagages. Mais avant toute
chose, en priorité dans la liste dressée, ils demandent le « respect de la personne
humaine », une considération et une meilleure compréhension de la part de
l’encadrement, la fin des abus d’autorité :

Nous refusons d’accepter le climat de travail, agrémenté de la présence


du « mouchard ». Nous refusons d’accepter, au mépris de notre
condition humaine, de notre santé, de nos nerfs, un modernisme
avilissant, des horaires et une surveillance ridicule 39.
On retrouve comme mis en œuvre ici les fondements éthiques et affectifs de
l’engagement décrits par le philosophe Axel Honneth à propos de la « lutte pour
la reconnaissance » : dans cette grève, il n’en va pas seulement d’une
concurrence pour les moyens d’existence ou d’une opposition d’intérêts, mais de
sentiments moraux de justice, de dignité et d’intégrité 40.


Lors d’un meeting improvisé le 3 mai, dans la cour de la Sorbonne, sous le
regard apparemment bienveillant des statues de Louis Pasteur et de Victor Hugo,
Daniel Cohn-Bendit manifeste au micro un sentiment de surprise teintée de
bonheur : « Je crois que c’est la première fois que nous voyons cela, c’est-à-dire
que, de fait, ici, nous occupons la Sorbonne 41. » La chose a tout de l’inédit et de
l’inouï ; d’où cette sorte d’étonnement qu’exprime le leader étudiant. Dans cette
séquence aussi brève que décisive se dit la métamorphose qu’engendre
l’événement : les espaces publics mais aussi ceux des fonctions et des
professions se transforment au gré des occupations. Dans la grève, il est un autre
esprit des lieux. Certains sont même renommés : à Nantes, la place Royale est
rebaptisée place du Peuple ; c’est le cas aussi, à Brest, de la place du Général-
Leclerc.
À la Sorbonne et à Nanterre, on trouve des amphis Karl-Marx, Rudi-
Dutschke et même, à l’initiative des situationnistes, Jules-Bonnot, le braqueur,
l’anarchiste, le fameux de la bande. À Lyon, le quai Claude-Bernard devient
quai Daniel-Cohn-Bendit et l’amphithéâtre Quinet, l’amphi Che-Guevara –
autant de lieux ouverts aux débats. Signe d’un renversement historique et
symbolique, les élèves qui occupent le lycée Thiers à Marseille le rebaptisent
« lycée de la Commune de Paris ». On envisage un temps, au soir du 15 mai, de
baptiser « Rosa-Luxemburg » l’Odéon occupé ; finalement, ce ne sera pas un
nom mais un slogan qui le désignera : « L’imagination prend le pouvoir » 42.
S’emparer de ces places, même de manière éphémère, c’est ébranler l’espace
social lui-même. Est-ce aussi, au moins un peu, changer les gens ? À
l’imprimerie Lang de Paris, lors de la consultation sur la reconduction de la
grève le 10 juin, un vote écrasant pour la poursuite du mouvement (1 362 « oui »
sur 1 527 votants), certains grévistes assurent que les barrières érigées par les
patrons entre les ateliers sont tombées : « Les rapports humains se sont instaurés,
renforcés et débouchent sur un climat d’une qualité extraordinaire 43. » De toute
évidence, la grève crée ou consolide des solidarités et la joie de voir les lieux
autrement. Elle provoque aussi des tensions aux facettes multiples, y compris
parmi les grévistes. Car les antagonismes ne manquent pas au sein même du
mouvement. Discordes syndicales, sociales et politiques : le conflit fait bel et
bien partie du protagonisme historique.

Nantes en mai 1968, coll. Péault, CHT Nantes, Fonds 1968, 7-10.
CHAPITRE III

Conflits intérieurs

Quelques antagonismes politiques


et stratégiques

« Des grues métaphysiques 1 » : c’est par cette expression peu amène que le
président de la CGT, Benoît Frachon, qualifie la contestation. La formule,
empruntée à Paul Lafargue, est d’une implacable ironie ; son usage traduit un
clivage profond, tenace et sans merci. Il oppose les directions de la CGT et du
PCF aux organisations et groupes radicaux, qu’il s’agisse de maoïstes, de
trotskistes ou d’anarchistes, tous qualifiés de « gauchistes ». Et voilà un autre
mot de poids dans cette tradition. Selon Lénine, le « gauchisme » est « la
maladie infantile du communisme » ; il désigne des courants jugés doctrinaires,
trop volontaristes et sectaires, qui se coupent des masses et manquent par là les
grands événements. Les « gauchistes » apparaissent aventuristes et isolés, ceci
expliquant cela et vice versa. L’opposition se décline elle-même en strates
historiques multiples et emboîtées. Les anarchistes s’affrontent aux marxistes sur
la question du pouvoir depuis Bakounine et Marx eux-mêmes ; les premiers
refusent toute forme étatique alors que les seconds considèrent comme
nécessaire une forme d’État révolutionnaire, qui devrait dépérir avec
l’avènement progressif d’une société communiste. Le clivage ne date donc pas
d’hier… La complexité s’accroît avec l’héritage commun des trotskistes, des
maoïstes et du PC : tous se réclament du marxisme et du léninisme. Mais Trotski
a quant à lui décrit l’ère stalinienne comme une « révolution trahie » et l’a
combattue au prix de sa vie. Quant aux maoïstes, c’est l’après-Staline que leurs
courants condamnent : Nikita Khrouchtchev a introduit à leurs yeux un
« révisionnisme », qui se traduirait dans les PC par un compromis avec la
bourgeoisie. Au-delà, malgré leurs différences de culture politique, tous
reprochent au Parti communiste l’abandon d’une perspective révolutionnaire au
profit d’un progressisme réformiste. Tout « communiste » qu’il se dise, le PCF
aurait sacrifié le programme d’une société sans classes et sans État ; son projet le
rapprocherait désormais de la social-démocratie.
On voit déjà à ce classique panorama combien les tensions sont
enchevêtrées. Complexité horizontale en quelque sorte, par les liens noués et
dénoués entre ces organisations. Les polarités se déplacent au gré des sujets : des
marxistes peuvent se sentir plus proches d’anarchistes que d’autres marxistes, et
lutter ensemble. Comme ses homologues en province – mouvement du 25-Avril
à Toulouse, du 11-Mai à Marseille… –, le mouvement du 22-Mars en est un
exemple éloquent : sa composition reflète une diversité politique. Il parvient
néanmoins à impulser une dynamique bien plus importante que son poids
numérique. Cela n’empêche pas les divergences stratégiques de s’y exprimer. À
cet égard, il est des tournants dans l’événement, moments kairos qui sont aussi
des occasions de bifurcation. Complexité verticale également : Xavier Vigna y a
insisté, il n’est pas pertinent de distinguer comme on le fait souvent notamment
pour la CGT, un appareil d’un côté et de l’autre une base, qui s’opposeraient de
manière rigide et coriace ; « sous l’unicité rassurante du sigle CGT pointe la
prolifération de protagonistes multiples 2 ». Pour autant, la « base » elle-même
n’est pas homogène et connaît des tiraillements.
Encore ne s’agit-il là que des rapports entre organisations. En réalité, le
conflit mord sur leurs bords : il dépasse le périmètre des syndicats et groupes
politiques constitués. C’est un conflit de stratégies et de projets où rien n’est
simple ni tranché. Il entraîne avec lui nombre de gens qui ne sont pas des
militants, n’ont ni appartenance ni carte mais se politisent dans et par
l’événement, et ont aussi à décider de la tactique, des mots d’ordre comme des
futurs imaginés. Le politique se joue là, rien de moins : la conflictualité lui est
constitutive. Les désaccords vont parfois jusqu’à la franche hostilité. Mais la
dispute sur les programmes et les conduites est le fruit doux-amer de la
démocratie ; elle apparaît aussi nécessaire que salutaire.

L’ordre du jour :
la CGT et le PCF au vif de l’événement

UNE « FORCE TRANQUILLE »

Les syndicats jouent un rôle essentiel dans la dynamique de la grève, en


particulier la CGT et la CFDT. Leurs parts respectives diffèrent, puisque la
première compte près d’1,9 million d’adhérents et la seconde, 600 000. Au-delà
du nombre, leur approche comme leurs mots d’ordre divergent. La CGT souhaite
apparaître comme une « grande force tranquille », selon les termes de son
secrétaire général, prononcés le 21 mai. La CGT, précise Georges Séguy, vient
« rétablir l’ordre au service des travailleurs ». C’est la raison pour laquelle il
s’oppose aux séquestrations : Georges Séguy les condamne sur Europe no 1 le
18 mai. Les militantes et militants de la CGT participent aux occupations et les
impulsent souvent. Mais les substantifs utilisés pour qualifier les actions
renvoient tous au registre d’un calme discipliné : « sang-froid », « autorité »,
« sécurité ». À la CFDT qui avance assez tôt la perspective de l’autogestion, les
responsables nationaux ou locaux de la CGT rétorquent qu’il ne saurait en être
question. Chez Sud-Aviation, à Bouguenais, le délégué CGT Georges Vincent
estime que l’autogestion est « un bien grand mot » ; l’occupation n’a selon lui de
sens que pour « assurer les mesures de sécurité ». La position soutenue par la
CGT est à la satisfaction immédiate des revendications : « les réformes ne nous
intéressent pas ». Le 23 mai, Guy Moineau, secrétaire général de la Fédération
cuirs et peaux, estime « inadmissible de perdre davantage de temps et de
prolonger les conséquences de la grève ». Le ministère de l’Intérieur analyse
cette stratégie comme une volonté de reprise rapide, au prix de concessions :
« ainsi s’amorce la tactique de la CGT qui, après avoir contribué à provoquer et
à généraliser la grève, s’emploie dans les semaines qui suivent à limiter les
revendications des travailleurs aux questions de salaires et à répandre, sous une
forme de moins en moins voilée, des appels à la reprise du travail » 3.
La CGT veut rassurer et se dissocier à toute force d’initiatives qu’elle
assimile à des dérives : non pas seulement les séquestrations mais certaines
manifestations. Le 24 mai, tandis que l’UNEF, le SNESup et le PSU appellent à
des rassemblements, la CGT organise des manifestations de son côté, qui elles-
mêmes ne se rejoignent pas, comme à Paris : le syndicat convie les salariés et
habitants de la rive gauche à défiler de la place Balard, près des usines Citroën, à
la gare d’Austerlitz ; celles et ceux de la rive droite, de la Bastille au boulevard
Haussmann. Ces manifestations occultent la question étudiante et le nom même
de Daniel Cohn-Bendit n’est pas prononcé, alors qu’il a été expulsé du territoire
français et interdit de séjour deux jours auparavant. La deuxième « nuit des
barricades » commence au soir du 24 mai et, le lendemain, le ministre de
l’Intérieur Christian Fouchet parle de « pègre » pour désigner ses participants.
Or, le terme est repris dans L’Humanité Dimanche : « Toute la nuit durant, dans
différents districts de Paris, on trouve une racaille des plus douteuse, cette pègre
organisée dont la présence contamine ceux qui l’acceptent et, plus encore, ceux
qui la sollicitent » 4. La « contamination » touche aussi le vocabulaire. Encore
faut-il comprendre la virulence du journal communiste sur ce sujet.

GRENELLE : PROTOCOLE DE DÉSACCORD ?

La crainte des « gauchistes », la peur d’être « débordés », l’inquiétude à


l’idée qu’une partie de l’opinion puisse se retourner contre la mobilisation si elle
va « trop loin », le souhait de limiter le mouvement à un cadre revendicatif, sont
autant d’éléments qui, aux yeux de la CGT, jouent en faveur des négociations.
Les discussions qui s’ouvrent au ministère des Affaires sociales dans l’après-
midi du 25 mai, rue de Grenelle, vont dans ce sens. L’histoire est réactivée : la
CGT pense aux accords Matignon qui, en juin 1936, avaient octroyé
augmentations de salaires et conventions collectives, promis les quarante heures
et les congés payés. La référence, si prégnante et si imposante, explique la
présence de Benoît Frachon dans les négociations de cette fin mai, lui qui avait
participé aux discussions de Matignon trente-deux ans plus tôt. Eugène
Descamps représente la CFDT ; il n’hésite pas à parler non seulement des
étudiants et de la répression mais aussi de Daniel Cohn-Bendit et de la mesure
qui s’abat sur lui, ce qui choque Georges Séguy. La CGT marque son accord
avec le Conseil national du patronat français (CNPF) sur la nécessité d’avancer
rapidement sur des points concrets qui concernent les salariés. Les questions
portant sur l’information et l’Université ne relèvent pas à leurs yeux de cette
négociation. De même, les ordonnances de la Sécurité sociale sont négligées,
malgré l’insistance de la CFDT qui continue de réclamer leur abrogation : la
CGT concède au gouvernement d’en repousser l’échéance lors d’un débat au
Parlement. Lorsque surgit un désaccord ou une difficulté, la CGT « propose de
remettre à plus tard la discussion, ou bien avance une nouvelle proposition, en
général en retrait sur les demandes syndicales précédentes, ce qui permet
d’aboutir à un compromis », comme le rappelle Michelle Zancarini-Fournel. Ce
souci de conclure au plus vite se précipite lorsque est annoncée par l’UNEF, la
FEN et le PSU la tenue d’un grand meeting au stade Charléty à Paris. Benoît
Frachon et Georges Séguy y voient un coup politique destiné à promouvoir
Pierre Mendès France et dirigé contre le PC ; ils sont d’autant plus décidés à
proposer une sortie de conflit. La CGT et le CNPF s’accordent sur le passage du
SMIG horaire à 3 francs au lieu de 2,22 – la CFDT négocie vainement
3,46 francs. L’échelle mobile des salaires, que défend la CFDT mais que la CGT
décide de négliger, est mise sous le boisseau. L’âge de la retraite n’est pas, lui
non plus, abordé. Quant à une éventuelle diminution du temps de travail, elle est
reportée à des négociations secteur par secteur. Les syndicats abandonnent aussi
le paiement intégral des jours de grève. Le chômage ne fait pas davantage partie
des discussions et rien n’est dit sur la situation de l’emploi. Seule la section
syndicale d’entreprise emporte l’adhésion et fait l’unanimité des syndicats, tant
ce nouveau droit apparaît comme une conquête majeure. Un peu plus tard, le
protocole signé rue de Varennes, au ministère de l’Agriculture, apportera un
autre acquis important : l’alignement des droits et du salaire minimum, pour les
salariés de l’agriculture, sur ceux de l’industrie 5.
Les discussions s’achèvent le 27 mai au petit matin et laissent les
protagonistes épuisés. À telle enseigne que, dans un lapsus délicat, Georges
Pompidou évoque des « travailleurs en lutte », reprenant à son compte le vocable
du mouvement ouvrier. Georges Séguy semble alors persuadé que le protocole
conclu à Grenelle permettra la fin du conflit et prononce cette phrase décisive :
« la reprise du travail ne saurait tarder ». Pour présenter ces résultats devant les
ouvriers de Renault-Billancourt, Benoît Frachon recourt de nouveau au lexique
de la modération :

Nous avons conservé le sang-froid, la fermeté, mais aussi la conscience


de ce qui existe et non pas des rêves qu’on fait. Je vous souhaite de
réussir le plus vite possible et en même temps de vous sentir solidaires et
me réjouis de ce que des millions de travailleurs mal payés et maltraités
dans les usines vont profiter de votre effort dans ce combat.

Mais lorsque Georges Séguy arrive pour détailler les mesures adoptées dans ce
qui est prudemment nommé non pas « accord » mais « constat », les sifflets et
huées fusent, en particulier quand les ouvriers mobilisés comprennent que les
journées de grève ne seront pas payées. Malgré tous les efforts, Grenelle semble
d’emblée désavoué. D’ailleurs, au cours de la journée, d’autres négociations se
déroulent au ministère de l’Industrie et le délégué CGT des Houillères refuse de
s’appuyer sur les propositions de Grenelle, qu’il qualifie de « gouvernementales
et patronales » en matière de salaires : elles sont insuffisantes selon lui et il
appelle au durcissement du conflit 6.
Au-delà, la CGT espère montrer sa maîtrise des événements et prouver
qu’elle garde influence et puissance. Les manifestations qu’elle initie le 29 mai
sont une réussite avec, d’après ses chiffres, 700 000 personnes à Paris – 100 000
selon la police. Si ces défilés mettent en avant la satisfaction des revendications,
il n’est toutefois pas question de prolonger la grève trop longtemps. Présent à
Flins le 8 juin, le secrétaire général de la Fédération nationale des métaux
exprime cette volonté de ne pas la faire durer, en s’adressant aux ouvriers :
« Nous pensons juste que vous devez exprimer un avis favorable à la reprise du
travail. » Dans un communiqué du lendemain, « le Bureau confédéral rappelle
que la CGT a appelé tous les travailleurs qui ont obtenu satisfaction pour
l’essentiel de leurs revendications à décider la reprise du travail et que cet appel,
qu’il maintient, a été largement entendu ». Ce communiqué entend couper
l’herbe sous le pied à celles et ceux qui essaient de mettre en place un Comité
national de grève. La CGT en récuse la légitimité : à ses yeux, ce comité est
composé « d’éléments irresponsables » issus de milieux de l’enseignement qui
n’engagent « en rien » le mouvement syndical. Les dirigeants cégétistes y
insistent : tout appel à la reprise de la grève générale est une « provocation
dangereuse », qui servirait « les ennemis de la classe ouvrière ». Le syndicat, au
plus haut niveau, arbitre ainsi l’achèvement du conflit : la grève est finie 7.
C’est la raison pour laquelle il n’organise pas de mobilisation après la mort
de Gilles Tautin, Pierre Beylot et Henri Blanchet, le premier à Flins, les seconds
à Sochaux les 11 et 12 juin. Si, dans différents communiqués, il appelle à y
« réagir vigoureusement » en signe d’indignation et de deuil, il propose une
heure d’arrêt de travail seulement. L’appel se répercute à différents niveaux,
fédéraux et locaux. L’Union locale CGT de La Souterraine manifeste son
« entière solidarité prolétarienne » ; elle ne passe pas outre la consigne,
cependant. À Aix-en-Provence, le syndicat CGT des employés communaux
relate la « forte émotion » qu’ont suscitée ces morts ; mais rien n’est organisé
pour la manifester. Dans le Doubs où sont décédés Beylot et Blanchet, la
Fédération départementale du PCF évoque le « tragique bilan » d’une
« intervention sauvage » de la part des CRS mais elle ne propose ni réaction ni
action. Elle estime que, dans ce département comme ailleurs, « l’ordre a régné
grâce au calme et à la dignité des travailleurs » ; c’est donc en accordant
satisfaction aux revendications que « pourra être rétablie la situation afin de
supprimer tout risque de nouveaux désordres » 8.

Des mots d’ordre : la discipline du Parti

ORDRE, CALME, AUTORITÉ

Le Parti communiste se montre spécialement attaché à cet « ordre » dont il


fait un mot-clé. Lui aussi scande les termes de « sang-froid », de « calme » et de
« discipline » ; lui aussi brandit l’« autorité » dont il fait preuve. À compter du
13 mai, il soutient les revendications principales du mouvement : augmentation
des salaires, réduction du temps de travail, garantie du plein-emploi, extension
des libertés syndicales et abrogation des ordonnances sur la Sécurité sociale. Il
rappelle les mesures phares de ce qu’il nomme un « programme social avancé »,
à la manière d’un « contrat de majorité » passé entre les différentes forces de
gauche. Quand le secrétaire général Waldeck Rochet s’exprime sur France Inter
le 18 mai, il propose, sans détailler, « un plan de développement économique et
social permettant de satisfaire progressivement les revendications des
travailleurs manuels et intellectuels ». Lorsque le Parti clarifie ses options, il
mentionne la nationalisation des secteurs-clés de l’économie – banques
d’affaires et grandes branches de l’industrie. À la différence du PSU et de la
CFDT, il n’est nullement question d’autogestion. Le Parti évoque « une
démocratie hardie et novatrice », « authentique et moderne », « conforme à
l’intérêt du peuple et de la France », sans plus de précision 9.
Le PC insiste enfin sur « l’indépendance nationale » et la paix, imagine
« une France démocratique, indépendante, pacifique et prospère ». Pour ce faire,
il prévoit un « gouvernement populaire et d’union démocratique », lui aussi
composé des partis de gauche. Le Parti se situe bien ici dans la ligne impulsée
depuis le début de la décennie, celle d’un programme commun, qui l’a conduit à
soutenir François Mitterrand à l’élection présidentielle de 1965 puis à passer
avec la FGDS des accords de désistements réciproques pour les législatives,
deux ans après 10.
On comprend dès lors son amertume et son agacement à voir
François Mitterrand agir de son côté, en proclamant le 28 mai qu’il est prêt à
prendre le pouvoir : Pierre Mendès France à Matignon et lui-même à l’Élysée.
Le Parti communiste se sent tout à la fois « doublé » et isolé. Le 29, Georges
Séguy fustige « les diviseurs de Charléty », ce « Charléty de tous les dangers »,
selon la formule de Claude Pennetier. Pierre Mendès France, qui par prudence ne
prend pas la parole mais signifie par sa présence la perspective qui s’y dessine,
est ovationné. Ce meeting conduit le PCF à trancher : « Une manœuvre de
grande envergure se développe dans le dos des travailleurs » 11.

LA VOIX DE LA SAGESSE

Le Parti communiste se montre tout aussi indigné lorsque, le 30 mai puis le


7 juin, le président de la République cible un danger « totalitaire » ; de Gaulle
vise clairement le PC. Celui-ci n’a alors de cesse de déminer l’attaque, vécue
comme une calomnie. Il assure qu’en aucun cas il ne représente une menace
pour la démocratie ; bien au contraire, il s’en fait le garant loyal et volontaire. Le
Parti qualifie sa propre attitude de « sage et résolue ». Il prend également soin de
ne jamais évoquer l’idée de révolution 12. Ou, comme les militant(e)s le disent à
la cellule Docteur-Lacapère, dans le 6e arrondissement, si le PC est
révolutionnaire, alors bien d’autres le sont, même la droite, même les royalistes,
et même de Gaulle en personne :

Est-on subversif parce qu’on proclame la nécessité d’une révolution,


c’est-à-dire d’un changement profond ? Dans ce cas, la France entière
serait actuellement en pleine subversion. Subversifs, les Pompidou,
Pisani, Giscard et autres Capitant. Et que dire de Monseigneur le Comte
de Paris ? Méditez les extraits d’une lettre adressée par lui au Général
de Gaulle et cité par Le Monde du 21 mai : « La signification profonde
de ces révoltes est le refus d’une société qui se décompose et qui n’est
plus vraiment acceptée que par ceux-là qui ont su maintenir leurs
privilèges ou qui comptent encore y trouver d’égoïstes satisfactions. Je
ne méconnais pas les aspects anarchistes, voire nihilistes, de ce
soulèvement : loin de lui enlever sa valeur alarmante, ils révèlent, dans
toute son étendue, l’extrême décomposition de ce que certains appellent
toujours l’ordre social… La reconstitution de notre société sur des bases
nouvelles n’est plus un rêve idéologique, c’est une nécessité
historique. » Peut-on souhaiter plus ardemment un changement
profond ? Peut-on donc être plus révolutionnaire que Monseigneur le
Comte de Paris ? Et le Général de Gaulle lui-même, gagné par cet
exemple illustre, n’a-t-il pas fièrement proclamé, le 7 juin : « Je ne suis
pas gêné d’être révolutionnaire » 13 ?

Le mot et plus encore la perspective même en paraissent évidés, si la révolution


est à ce point partagée, jusqu’aux royalistes et à l’hôte de l’Élysée. En réalité, le
Parti considère que la situation n’est pas révolutionnaire et c’est ainsi que l’on
saisit l’attitude de sa direction : si l’heure n’est pas à la révolution, alors elle est
aux élections, voie légale pour un changement de politique et légitime pour un
débat démocratique.
Lorsque le général de Gaulle annonce le 30 mai la dissolution de
l’Assemblée nationale et l’organisation prochaine d’élections, le PCF se place en
ordre de bataille. Il y voit la meilleure solution politique à la situation, son
débouché le plus propice. Si, début juin, la grève est jugée globalement terminée,
c’est aussi pour mieux consacrer l’énergie nécessaire à une lutte électorale qui
s’annonce cruciale. Lors d’un meeting au Palais des Sports de Paris, le 10 juin,
le poète et écrivain Louis Aragon tient un discours en ce sens. Fidèle depuis
quarante ans à la ligne du PC, Aragon proclame que cette consultation est « le
seul chemin profitable à la France » ; c’est l’« amorce de cette voie pacifique »
où le Parti veut s’engager ; c’est, enfin, un moyen de compléter par de futures
lois les « satisfactions insuffisantes arrachées par la grève ». Le PCF inscrit sa
stratégie dans le respect des institutions. Le 21 juin, Waldeck Rochet y revient à
la télévision : toute l’activité du Parti est déployée « au grand jour, dans le cadre
de la légalité républicaine ». Il y insiste encore durant l’entre-deux-tours, le 28,
en conviant au « grand sursaut démocratique » qui fera voter « les travailleurs et
les petites gens » pour les partis de gauche, avec « discipline » 14.
La position du Parti communiste n’est au fond pas très éloignée de celle que
prennent les organisations de la gauche sociale-démocrate, qu’il s’agisse de la
Fédération de la gauche démocrate et socialiste et, en son sein, de la SFIO. La
FGDS propose un « plan de développement économique et social qui réorganise
l’économie et la mette au service de la collectivité », aux contours cependant peu
fixés. Des sections locales de la fédération soutiennent les « justes
revendications pour obtenir les améliorations et les réformes qu’exige une
démocratie véritable », appellent « au calme » pour qu’elles aboutissent et
souhaitent « une reprise rapide de l’activité économique » : pour la FGDS aussi,
la grève doit cesser au plus vite. Le maire SFIO de Marseille, Gaston Defferre,
entend mettre ce constat en pratique dans sa ville : le 8 juin, il écrit au président
du port autonome que « l’intérêt général est évident : ces conflits doivent
prendre fin le plus tôt possible ». Trois semaines auparavant, il avait mis en
doute la pertinence d’augmenter les salaires, craignant que « le relèvement
généralisé des salaires handicape la compétitivité de l’économie nationale à la
veille de l’application intégrale des dispositions communautaires ». Secrétaire
général de la SFIO et vice-président de la FGDS, Guy Mollet déclare pour sa
part le 13 juin que son parti reste favorable à la révolution, mais pas celle-là qui
est une « révolte » seulement. Le PCF et la SFIO ont un adversaire, sinon un
ennemi commun : le « gauchisme », « ce perpétuel péché des futurs bourgeois
réactionnaires », comme on le lit dans Le Populaire 15.

Passes d’armes
DE « PSEUDO-RÉVOLUTIONNAIRES », « ÉTRANGERS À LA CLASSE
OUVRIÈRE »

Le « gauchisme » : le terme est une offense pour celles et ceux qu’il désigne.
Il les fait passer pour des irresponsables, des intrigants ou des aventuriers. En
cette occurrence, le mot n’a rien d’une qualité : il dénonce de dangereux badins
qui feraient fi des circonstances. Des garnements, si le mot « infantile » de
Lénine est pris au sens premier ; presque des voyous, voire des ennemis qui
feraient le jeu du pouvoir et, ainsi, le serviraient. « Gauchistes » et
« gaullistes » : le rapprochement proposé par le PC et la CGT ne vaut pas que
pour la rime ; il est employé pour ériger ces militant(e)s en « pseudo-
révolutionnaires à démasquer », comme l’a écrit Georges Marchais dans
L’Humanité le 3 mai. La leçon est rude et charrie avec elle l’imaginaire du
traître, des intentions cachées. Lorsqu’il qualifie Daniel Cohn-Bendit
d’« anarchiste allemand », le vocable colporte le registre de l’étranger et,
pourquoi pas, de l’ennemi héréditaire. Dans la cour de la Sorbonne, un groupe
d’étudiants découvre l’éditorial avec un rire indigné ; certains ajoutent « et juif »,
sous-entendant : « tant qu’on y est » 16…
Dès les toutes premières manifestations de mai, des tensions se font jour. Le
er
1 mai, les incidents sont fréquents et les rapports de police ne manquent jamais
de les signaler. Il s’agit souvent d’accrochages ou de bagarres entre le service
d’ordre de la CGT et des militants, trotskistes ici, « prochinois » là. À Lyon, les
RG décrivent en termes choisis l’échange de « quelques horions ». À Paris,
plusieurs centaines de manifestants, pour la plupart étudiants, tentent d’intégrer
le cortège et portent des banderoles dont les slogans s’adressent à la classe
ouvrière : « Le mouvement de Nanterre soutient les travailleurs. » Tous sont
écartés par des « coups rapides et brefs » ; leurs banderoles et pancartes sont
taillées en pièces et piétinées. Le constat est semblable le 13 mai. À Saint-
Nazaire, la mouvance libertaire animée par Gabriel Cohn-Bendit, qui enseigne
l’allemand au lycée Aristide-Briand, est refoulée et ne peut prendre la parole à la
tribune comme elle l’avait espéré. À Boulogne-sur-Mer, de vives altercations ont
lieu entre des élèves du lycée technique venus avec leur enseignant, militant du
PSU, et des responsables communistes ; les seconds veulent dissuader les
premiers de se rendre en cortège devant certaines usines. À Lille, la Fédération
des étudiants révolutionnaires (FER) tente d’emmener les manifestants vers la
préfecture, au lieu de disperser le cortège sur la place de la République ; le
service d’ordre de la CGT l’en empêche : « Les dirigeants des syndicats
traditionnels ont leurs troupes bien en main » et entendent le prouver 17.
D’autres actions sont combattues par les responsables du PCF ou de la CGT.
Le 10 mai à Toulouse, le groupe local des JCR organise une réunion publique
salle du Sénéchal ; quelque cinquante membres de l’UEC, renforcés par des
militants du PC, empêchent les orateurs de prendre la parole : les communistes
veulent « intimider leurs adversaires », observent les RG. À Gardanne le 20 mai,
des militants du PC empêchent par la force le déroulement d’une soirée
organisée par le Centre culturel France-Chine et la projection du film L’Orient
rouge : les Renseignements généraux vont jusqu’à parler d’un « commando ».
Le 24 mai, à Marseille, il y a certes deux cortèges séparés, l’un sur la Canebière
pour protester contre l’expulsion de Daniel Cohn-Bendit et l’autre, organisé par
la CGT, au Centre d’embauche des dockers. Cependant les étudiants rejoignent
les ouvriers. Alors, les responsables CGT donnent la « consigne » à leurs
militants de « canaliser » les étudiants. En Charente-Maritime, la police note
qu’à « aucun moment », les lycéens ne sont « autorisés » par la CGT à se joindre
au mouvement ouvrier, « ni publiquement, ni à titre privé ». Et tandis que les
drapeaux rouges flottent à tant de frontons, la cellule communiste d’Avallon voit
comme une provocation celui qui a été suspendu au sommet de la mairie ; elle
publie un communiqué pour protester contre le « commando » qui l’y a
accroché, tel un « méfait » 18.
L’Union syndicale CGT de la région parisienne condamne avec vigueur les
« groupes étrangers à la classe ouvrière », conduits selon elle par Alain Geismar
comme si c’était leur chef, qui auraient incité les ouvriers à réoccuper l’usine
Renault de Flins, le 7 juin. L’instance régionale de la CGT non seulement
considère l’occupation à cette date comme une erreur, mais nie aussi la capacité
d’initiative des travailleurs : ces derniers, sous ces traits, n’apparaissent pas
maîtres de leurs actions mais entraînés par des « entreprises de provocation » qui
leur seraient extérieures. D’ailleurs, le syndicat CGT des « horaires » chez
Renault juge que les partisans d’un mouvement prolongé « ne veulent pas que
les travailleurs aillent trop loin » : si la grève se poursuit, les négociations seront
plus difficiles et déboucheront sur moins d’acquis. Enfin, après la mort de Gilles
Tautin, la troisième « nuit des barricades » est émaillée de violences que le Parti
communiste condamne : s’il dit comprendre la colère des jeunes manifestants, il
n’admet pas qu’ils s’en prennent aux panneaux électoraux 19.

DU SEL SUR LES PLAIES

La virulence de ces rapports antagoniques s’inscrit dans une longue histoire.


Le Parti communiste a essuyé de nombreuses critiques durant la décennie
écoulée, traversé des scissions et ordonné des exclusions. Les chars à Budapest
en 1956, la position du Parti durant la guerre d’Algérie – qui n’évoquait pas
l’indépendance mais la paix – et la critique acerbe de l’Union soviétique ont
creusé un profond sillon. Plus qu’une déchirure : une blessure. « Nous étions
suspects de désertion, sinon de trahison 20 », écrira plus tard Daniel Bensaïd.
Même certains anarchistes, très éloignés du PCF, ont avec lui un passé commun.
Daniel Cohn-Bendit était très jeune au moment de la tragédie en Hongrie : il
avait 10 ans ; mais son frère aîné Gabriel, qui avait été l’animateur d’un cercle
de l’UEC, l’emmena protester devant le siège de L’Humanité 21. Ce souvenir,
plus tard amarré à une vive critique politique, peut expliquer la dureté des mots
employés par le militant anarchiste, au soir du 13 mai : « Ce qui m’a fait le plus
plaisir cet après-midi, c’est d’avoir marché en tête d’un défilé où les crapules
staliniennes étaient à la remorque. » L’insulte jette du sel sur une plaie ravivée.
Le PCF condamne aussitôt ces « aventuristes », dans lesquels il voit des
diviseurs. Cohn-Bendit est, bien sûr, tout spécialement visé : selon le Parti,
« l’anticommunisme » est l’arme traditionnelle de la grande bourgeoisie, le
pouvoir n’hésite pas à s’en servir et « l’anarchiste Cohn-Bendit prend part à ces
manœuvres ». Prudemment, le communiqué n’utilise plus le mot « allemand »
depuis le scandale créé par Georges Marchais mais, sur le fond, la situation a
empiré. L’hostilité se décline sur différents tons, parfois plus acerbes encore au
niveau local et des fédérations. En Gironde, l’Union départementale des
syndicats CGT vitupère le gouvernement qui, en fermant les facultés, aurait
« aidé au développement des agissements irresponsables et aventuristes de
certains groupes gauchistes ». D’autres ont recours à l’histoire pour les
réprouver. La section PCF de Renault-Billancourt sort un tract le 27 mai qui
évoque la République espagnole de 1936 : elle n’aurait pas seulement succombé
aux forces franquistes aidées des fascistes ; « dans plus d’un combat capital, il
lui manqua les forces que des anarchistes dévoyaient ». Un peu plus tard,
Waldeck Rochet insinuera même qu’un certain nombre d’anarchistes sont tout
simplement de la police 22. Cette idée selon laquelle les « gauchistes » feraient le
jeu des gaullistes s’impose avec la véhémence d’une assurance répétée.
Le stigmate « gauchiste » est encore acéré durant la préparation des
élections. Le PSU, lui aussi, est voué aux gémonies : « en se plaçant au côté
d’aventuriers », il aurait « tourné le dos » au socialisme et à la démocratie –
manière de dire évidemment qu’il ne faut pas voter pour lui. Le 28 juin, alors
que le parti au pouvoir vient de remporter un premier succès à la sortie des
isoloirs, Waldeck Rochet prend soin de se démarquer des « groupes soi-disant
révolutionnaires » qui pourraient inquiéter : depuis le début, rappelle le
secrétaire général, le Parti les a dénoncés. Certains candidats renvoient même
dos à dos les groupes contestataires et les forces de l’ordre, comme s’il s’agissait
de mêmes adversaires. Dans la circonscription de Mézières-Rethel, Raymond
Deparpe, un instituteur retraité, les place sur un pied d’égalité : « En dénonçant
les provocations et les violences des groupes gauchistes en même temps que
celles organisées par la police, les communistes ont évité de grands malheurs à
notre pays. » Les candidats du PCF espèrent gagner des voix en rassurant
l’opinion. Ils ont dès lors vite fait de réduire les autres organisations à la
violence et à l’outrance. Quelques semaines plus tard, Fernand Grenier, ancien
ministre et député de Saint-Denis, évoque lors d’une fête du Parti à Brive un
« complot gaulliste déclenché par les étudiants » : cette fois, ce ne sont plus les
groupes « gauchistes » qui sont visés, mais tous les contestataires de
l’Université 23.
Mais, à l’intérieur de la CGT comme du PCF, ces prises de position ne vont
pas sans critique ni opposition. Le 24 mai, André Barjonet rend publique sa
lettre à Georges Séguy : il y annonce démissionner de « toutes [ses] fonctions de
collaborateur » au bureau confédéral. Ils auraient, et Séguy en particulier,
« freiné le plus considérable mouvement populaire que la France ait jamais
connu depuis des décennies, l’orientant sur une voie exclusivement
revendicative et en sauvant ainsi le pouvoir gaulliste aux abois ». De surcroît, le
comportement de la confédération est jugé insultant envers les étudiants.
Barjonet déplore les attaques portées : elles lui rappellent « les explications
éculées de la Bourgeoisie du XIXe siècle sur les “meneurs” venus du dehors qui
corrompent les “bons ouvriers” » 24.
Des remous se manifestent aussi à l’intérieur du Parti. Le 26 mai, trente-six
intellectuel(les) communistes transmettent un courrier de protestation au bureau
politique : le texte, publié dans la presse, reproche à la direction d’avoir tenté
« au départ de freiner cet élan exceptionnel » et propose un dialogue, au plus
vite ; car « la cassure entre les communistes et la masse des étudiants et des
intellectuels aurait des conséquences tragiques ». Plus tard, l’historienne
Madeleine Rebérioux, qui fait partie des signataires, confiera : « Chaque matin,
pendant huit jours, nous ouvrions L’Humanité avec crainte, en nous demandant
comment nous allions remonter le courant, comment nous démarquer sans
attaquer le Parti. » Le physicien Jean-Pierre Vigier, ancien résistant des Francs-
tireurs et Partisans, est exclu du PCF le 27 mai et apprend cette décision par voie
de presse : il avait accepté de devenir directeur gérant du journal Action, le
quotidien des comités d’action impulsé par le 22-Mars, l’UNEF et le SNESup 25.

CROCHETS DU GAUCHE

Du côté des organisations qui se réclament de la révolution, les critiques qui


visent les directions du PC et de la CGT s’aiguisent. À Renault-Flins, les
ouvriers proches de la mouvance maoïste, relayés par Jean-Pierre Thorn et sa
caméra, pointent du doigt les propos du secrétaire CGT. Au sujet des piquets de
grève, il affirme : « je ne crois pas qu’ils soient nécessaires » ; puis il approuve
la présence des CRS :

Je suis très satisfait qu’il y ait un certain nombre de CRS à la centrale.


C’est pratique pour nous : quand ils y sont on n’a pas besoin d’y aller.
[…] J’ai dit hier que la police on l’admettait ; on l’admettait dans un
certain rôle, celui notamment de la circulation. Ben c’est une forme de
circulation qu’ils font.

À l’image, un gréviste s’étrangle de révolte : « On paie nos cotisations pour des


clarinettes. On paie nos cotisations pour des gars qui sont dans les bureaux. […]
J’explose, j’ai mal au cœur, ça me fout en pétard. » L’accusation d’être des
« diviseurs » est renvoyée à son envoyeur. Voix ouvrière reproche à la CGT
d’avoir organisé à Paris les deux défilés que l’on sait, le 24 mai : « deux cortèges
parallèles, marchant en sens inverse, l’un sur la rive gauche, l’autre sur la rive
droite, sans compter les multiples meetings de banlieue qui éparpillaient les
forces ouvrières » ; la manifestation de la rive gauche a d’ailleurs évité la gare
d’Austerlitz, par crainte de croiser le rassemblement étudiant. Et Voix ouvrière
de titrer : « Les dirigeants de la CGT divisent le mouvement… Vive l’unité des
travailleurs et des étudiants » 26.
Au début du mois de juin, la JCR et le Secrétariat unifié de la
e
IV Internationale parlent d’une « capitulation ». Des « syndiqués CGT de
base », sans doute militants maoïstes, condamnent une direction qui aurait
« complètement failli à son rôle de défense des travailleurs ». Que des
revendications essentielles aient été abandonnées comme l’échelle mobile des
salaires, un revenu minimum garanti de 1 000 francs par mois, l’abrogation des
ordonnances et les quarante heures, est à leurs yeux une raison d’indignation
majeure. Cela ne conduit pas à quitter la CGT : à Billancourt, certains s’estiment
« trahis », mais il leur importe de rester dans le syndicat ouvrier tout en luttant
pied à pied contre « la poignée de capitulards qui impose sa loi à la tête de la
CGT » 27.
Lorsque onze organisations sont dissoutes par le pouvoir – épisode que l’on
détaillera plus tard –, ni le PCF ni la CGT ne condamnent une telle décision et
creusent un fossé déjà béant. Le PSU juge un tel silence aberrant, alors qu’au
même moment l’État amnistie les anciens partisans de l’Organisation de l’armée
secrète (OAS) – « rappel grinçant de l’ordre colonial 28 ». Le « Manifeste
lycéen », élaboré au sein du PSU en juin, estime que les événements révèlent
« la véritable nature » du PC : il renoncerait à « son rôle politique spécifique
dans les luttes sociales pour se comporter en groupe de pression parlementaire et
municipal ». Proche des situationnistes, le Centre d’information pour la
révolution juge de son côté que le Parti est devenu « l’opposition de Sa
Majesté » ; et d’évoquer « l’usure des vieux reliefs qu’on appelle le glissement à
droite ». Le pouvoir a beau jeu de le proclamer dangereux ; en réalité, pour ces
courants, le PC est devenu le parti de l’ordre 29.
Beaucoup manient aussi l’ironie. La JCR décrit un parti habitué à
« considérer la motion de censure comme la forme la plus élevée de la lutte de
classes ». Dans La Cause du peuple, les rédacteurs se plaisent à rappeler les
écrits de Maurice Thorez, en 1930, fort éloigné de la position adoptée par le PCF
désormais :

Les ouvriers en grève ne peuvent renoncer à la violence collective sans


se condamner eux-mêmes à l’impuissance et à la défaite. La grève des
« bras croisés » est une bêtise et une faute. Les grévistes, lorsqu’ils
groupent la majorité du personnel, ont raison d’assurer, au besoin par la
violence, l’arrêt total de l’entreprise et ne doivent pas permettre à une
équipe de jaunes, racolés tant bien que mal, de briser le mouvement. […]
Cette violence collective et organisée du prolétariat en lutte ne peut
même pas s’arrêter devant les fétiches du légalisme. La loi est
l’expression de la domination capitaliste, et le prolétariat est en rébellion
légitime et permanente contre le capitalisme et ses lois.
Le 10 juin, Waldeck Rochet fustige « le nihilisme national dont se réclament
certains éléments anarchistes » et, par contraste, se dit fier d’avoir redonné les
trois couleurs à la classe ouvrière : « les couleurs de la France », précise-t-il,
« selon la belle expression d’Aragon ». Aussitôt, des militant(e)s exhument
d’anciens textes du poète, de ceux qu’il écrivait dans les années 1920 et 1930,
avant le ralliement à La Marseillaise et au drapeau français :

Les trois couleurs à la voirie !


Le drapeau rouge est le meilleur !
Leur France, jeune travailleur,
N’est aucunement ta patrie.

Lorsque Waldeck Rochet dit : « Les communistes aiment passionnément leur


pays », c’est un Aragon revenu de loin, par-delà plus de trente années, qui vient
lui rétorquer :

Un Français, vous me prenez pour un Français. Je me lève pourtant en


face de cette idée locale, la bouche débordant d’imprécations. J’arrache
de moi cette France qui ne m’a rien donné que de petites chansons et des
vêtements bleus d’assassins…

– allusion sans voile aucun à la capote bleu horizon que portaient les soldats des
tranchées. D’aucuns vont jusqu’à imiter le style de Louis Aragon et lui attribuer
un poème apocryphe, comme s’il critiquait la direction du Parti et les sommets
de la CGT :

Sur les routes qui vont à Flins


Il y avait tant de polices
CRS CGT complices
Que l’on est resté en chemin
Les ouvriers de Flins se battent
Presque sans aide et les menteurs
Ont appelé provocateurs
Ceux qui à leur secours se hâtent
Billancourt ne bougera pas
Les communistes sont aux portes
Propriétaires d’âmes mortes
Ennemis du prolétariat
Ce soir les cheminots oublient
Comment faire marcher les trains
Quand il s’agit d’aller à Flins
Et partout les grévistes plient
Honteuse fin de ce printemps
Qui commençait aux barricades
Ne l’oubliez plus camarades
Le stalinisme a fait son temps 30.

Dans la Sarthe et le Nord, des syndicalistes CFDT forgent leur propre


dictionnaire du mouvement contestataire. On peut y lire une surprise incrédule
devant le mot de « groupuscule » : dans les entreprises où elle est minoritaire, la
CGT peut l’être aussi. La justesse n’est pas toujours dans le nombre : « Les
moutons qui vivent en gros troupeaux ne connaissent pas les groupuscules mais
ils ne savent que faire “bé”. » Enfin, Daniel et Gabriel Cohn-Bendit conseillent à
Georges Séguy de lire ceci :

[Les syndicats] manquent généralement leur but parce qu’ils se bornent


à une guerre d’escarmouche contre les effets du régime existant, au lieu
de travailler en même temps à sa transformation et de se servir de leur
force organisée comme d’un levier pour l’émancipation définitive de la
classe travailleuse, c’est-à-dire l’abolition définitive du salariat… Au
lieu du mot d’ordre conservateur : un salaire équitable pour une journée
de travail équitable, ils devraient inscrire sur leurs drapeaux le mot
d’ordre révolutionnaire : abolition du salariat.

« Encore un détracteur qui méprise les “revendications alimentaires” », ironisent


les auteurs, après cette citation ; or, c’est de Marx qu’il s’agit, dans Salaire, prix
et profit 31.

LIGNES DE FAILLE : ACCORDS ET DÉSACCORDS STRATÉGIQUES


Mais que soutiennent ces groupes en retour ? Quelle stratégie avancent-ils ?
Le cœur de leur proposition est à l’auto-organisation. Dès les premières
occupations, beaucoup s’engagent dans des comités de grève, d’action et de
quartier. C’est une manière de défendre la démocratie à la base : cette « base »
elle-même qui devrait décider du mouvement, de ses impulsions et de ses
résolutions. Avec les syndicats certes, mais au-delà. La perspective n’a rien
d’une nouveauté : on ne s’étonne pas de voir l’histoire surgir ici, des sections
parisiennes sous la Révolution à la Commune de Paris, dans les années 1920 les
comités d’usines en Allemagne, en Autriche et en Italie, ceux de la Catalogne
libre pendant la guerre civile espagnole et, plus récemment, ceux de Hongrie
avant l’écrasement de l’automne 1956. La Tendance marxiste révolutionnaire, au
sein de la IVe Internationale, offre en exemple les événements de
Tchécoslovaquie, « printemps de Prague » à l’appui. Elle appelle à créer des
conseils ouvriers : « À l’heure actuelle, c’est le mot d’ordre essentiel » 32.
Assez tôt, la question se pose d’une coordination pour ces comités d’action.
L’idée est à la fois pratique et politique. Pratique, parce qu’une telle structuration
permettrait de mieux faire circuler l’information ; elle fédérerait les actions,
parfois même, les initierait ; elle convierait à mieux soutenir les étudiants et
travailleurs étrangers, davantage visés par la répression. Politique, parce qu’elle
pourrait s’imposer comme un pouvoir face au pouvoir. La FER affirme très tôt
cette position : elle fait du « Comité central national de grève » un axe
fondamental. C’est aussi le cheval de bataille que lance Yvon Rocton dans la
mêlée des propositions : il s’agirait de fédérer à tous les échelons, aux niveaux
local, régional et national, des comités de grève et de base. Ils pourraient décider
d’un contrôle sur la production et les prix, sur l’emploi et la qualification. Leurs
délégués seraient élus et révocables à tout moment. La JCR reprend cette option
stratégique à partir du 29 mai. Aujourd’hui, son journal quotidien créé
spécialement pour les événements, estime que les comités d’action nécessitent,
très vite, « une direction provisoire et révocable susceptible de les représenter,
afin que les personnalités en place n’usurpent pas le droit de parler au nom du
mouvement ». Le 1er juin, un Comité d’initiative pour un mouvement
révolutionnaire se constitue, initié par André Barjonet, Alain Geismar, Alain
Krivine, Gilbert Mury et Jean-Pierre Vigier. Son manifeste, intitulé « Les
impératifs actuels de la situation révolutionnaire », souligne que le mouvement a
été pour l’essentiel spontané ; mais cette spontanéité atteindrait des limites qui
pourraient tourner en recul social et en défaite politique. Il s’agit de se défendre,
face à la constitution des « comités d’action civique » impulsés par les gaullistes.
Et le texte de regretter que, depuis le 27 mai, aucune initiative n’ait été prise et
aucune proposition formulée, le mouvement semblant juste continuer sur sa
lancée, sans véritable horizon. L’improvisation ne suffit plus, même quand elle
vient de Daniel Cohn-Bendit, « le Rimbaud, l’enfant génial de la révolution ».
Le texte prône donc la constitution d’un « Conseil provisoire de la révolution »,
élu par une assemblée générale des comités d’action 33.
Mais le nouveau « Rimbaud » ne l’entend pas ainsi. Dans la conférence de
presse qu’il donne le 1er juin, Daniel Cohn-Bendit condamne l’initiative, en la
jugeant prématurée : même si elle offre une perspective à la base, elle n’a pas été
discutée, justement, « par la base ». Le mouvement du 22-Mars ne se rallie pas,
lui non plus, à cette option. Fédérer les comités de base pourrait avoir du sens,
mais plus tard : coordonner les comités de base reviendrait à les « stériliser ».
Pour la mouvance anarchiste, ce serait un symbole de « défaitisme
révolutionnaire », comme si l’on ne pouvait pas faire confiance en la spontanéité
du mouvement 34.
Bien des choses se jouent et se nouent donc en ces tout premiers jours de
juin, au milieu des incertitudes. La question stratégique est cruciale. Un tel débat
reflète les dissensions au sein de la contestation. Des militant(e)s de la JCR
appartiennent au mouvement du 22-Mars depuis sa création à Nanterre, mais se
heurtent en son sein sur certains points au courant anarchiste, qui y est plus
influent. Ses membres aiment à y insister : le 22-Mars n’a « pas de planification
politique pour l’avenir, il a uniquement, sur les trois ou quatre jours qui
viennent, […] une analyse de ce qui se passe et un travail directement lié à cette
analyse pour la semaine qui vient 35 ». L’absence de programme serait en
dernière instance un programme, le refus de la stratégie, une stratégie, sans ligne
ni idéologie. A contrario, ce spontanéisme lui est reproché par les groupes
trotskistes ou maoïstes qui y voient un activisme du pur présent, l’empêchant de
construire pour l’avenir.
Ce qui les unit en revanche, c’est le rejet unanime des élections : « élections
trahison » autant d’ailleurs que « piège à cons ». Pour qu’elles aient lieu, il faut
que le travail reprenne. Les partis politiques qui préparent l’échéance de fin juin
ont donc entériné cette fin. Pour celles et ceux qui veulent « continuer le
combat », c’est un enterrement – et les semaines qui y mènent forment un
cortège funèbre. « L’ordre règne », titre une affiche sortie des Beaux-Arts tandis
que, sur un brancard, on emporte un cadavre : celui des morts de mai et juin. Ce
corps mort est aussi celui de l’espoir brisé. De nouveau l’ironie est de mise mais
elle est devenue triste et, même, désabusée :

Votez !
Ne vous inquiétez pas, les élus gaullistes, les élus du Centre, les élus
communistes respecteront leurs promesses, comme ils l’ont toujours fait.
Ne vous posez pas de question. Ne posez pas de question.
Faites-nous taire 36.

« La grève est notre parlement » veut encore faire entendre le quotidien Action :
parce que le pouvoir a les moyens de les influencer, « les élections “se font” » 37.
Abandonner la grève pour les urnes, c’est aux yeux de beaucoup lâcher la proie
pour l’ombre et s’y laisser couler.


Entre les groupes radicaux et le Parti communiste français, la guerre est donc
déclarée : une guerre d’escarmouche, froide mais déterminée. Au soir de la
mobilisation, alors qu’elle s’éteint dans les dernières braises de Flins et la tenue
des élections, le comité d’action « Nous sommes en marche », à la faculté de
Censier, publie une « condamnation sans appel des traîtres aux travailleurs » :
« révolutionnaires, étudiants, salariés, nous avons été bernés une fois de plus
mais cette fois par nos frères, ceux qui prétendaient nous représenter ». Benoît
Frachon, de son côté, blâme les « impatiences petites-bourgeoises » et leur
« nihilisme » supposé 38. Trahison, division : les apostrophes envenimées
s’échangent des deux côtés. L’enjeu est profond car, au-delà des questions
stratégiques, il pose une question politique à la fois majeure et classique :
réforme ou révolution.
Le journaliste démocrate-chrétien Étienne Borne écrit : « pendant quelque
quarante-huit heures [les 28 et 29 mai], l’ordre public en France s’est appelé
Georges Séguy ». Raymond Aron en fait aussi l’observation :

Les erreurs commises par le Gouvernement tiennent, pour une part, à


une confiance excessive dans le soutien du Parti communiste. En
dernière analyse, celui-ci n’a pas trompé cette confiance. Dans l’heure
qui a suivi l’allocution du Président de la République, il a désamorcé la
bombe et consenti à des élections, qu’il n’a guère l’espoir de gagner.

« On ne saurait mieux dire », note, furieux et choqué, André Barjonet. Le Parti


communiste, poursuit Raymond Aron, « veut liquider les grèves par des accords
comparables à ceux de Matignon ». En diariste de droite, André Sernin aboutit à
la même conclusion : « De Gaulle est bien obligé de brandir l’oriflamme
anticommuniste, pour se rallier les bourgeois » ; le PC, en réalité, ne menace ni
le régime ni la Constitution. Mais Sernin va plus loin, en invoquant une
dimension diplomatique et géostratégique : « Quant au PC, il ne veut pas la
révolution ; seulement garder son contrôle sur les ouvriers en leur procurant des
avantages substantiels par la grève, et pour le reste, sauver de Gaulle et la
politique extérieure prosoviétique. Car si de Gaulle était renversé, le successeur
reviendrait presque certainement à l’atlantisme » 39.
La question internationale est peu soulevée du côté du PC. Lorsque Pierre
Juquin, membre du Comité central et agrégé de l’Université, appelle à voter en
juin, c’est en négligeant les expériences venues d’ailleurs. Il y a là un nouveau
coup de griffe, au passage, à l’intention des « gauchistes » : « Opposés à
l’aventure et au chaos, nous sommes profondément attachés à ce que la France
trouve son chemin original et indépendant, pacifique, vers le socialisme. Ce n’est
ni à Moscou, ni à Pékin, ni à La Havane, ni nulle part ailleurs qu’en France que
se décidera le destin de notre pays. » Ici, la voie vers le socialisme a perdu de
son internationalisme. Pour le Secrétariat unifié de la IVe Internationale, c’est
non seulement une « routine de l’électoralisme et du parlementarisme », mais
encore un lien avec le Kremlin. Moscou verrait en de Gaulle un facteur
affaiblissant le dispositif états-unien et, à ce titre, un rempart à protéger. L’URSS
serait « mortellement effrayée par la perspective d’une montée révolutionnaire
en Europe » ; il faudrait donc tâcher de la canaliser 40. Signe que le monde frappe
à la porte, de toute façon – et que l’on peut difficilement isoler le Mai-Juin
français du grand large où un peu partout se propage la contestation.
CHAPITRE IV

Un autre monde

L’internationalisme comme principe


actif

« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous » : en 1968, le mot d’ordre n’a


rien perdu de son tranchant ; tout juste faut-il ajouter aux travailleurs les
étudiants. Le monde est un projet en soi. Derrière cette idée se noue l’espoir de
briser les frontières, en un sens symbolique et politique. Dans les universités, on
connaît bien ce qui se passe à Berkeley comme à Berlin, à Trente comme à
Louvain ; on sait aussi ce qui surgit à Prague et à Varsovie. L’internationalisme
y apparaît comme un principe actif, un moteur politique décisif. Si
mondialisation il y a, c’est une « mondialisation par en bas 1 » : ses vecteurs, ses
acteurs et ses soutiens en font l’apprentissage quotidien. Le monde est là :
immense mais proche, tant sa diversité semble désormais à portée.
La préoccupation géopolitique n’est plus un domaine réservé ; c’est une
matière vive qui n’apparaît plus étrangère – comme on le dirait des « affaires ».
La révolution chinoise, l’expérimentation cubaine et la résistance nord-
vietnamienne sont pensées comme des brèches, de celles qui fissurent l’ordre
établi et brisent les hégémonies. Elles ébranlent les deux systèmes de
domination, entre l’Ouest et l’Est, et lézardent la relative harmonie de la
coexistence pacifique. Chacun des deux camps est traversé de contestations qui
les déstabilisent. Et si Cuba a un tel retentissement, c’est non seulement par le
charisme de Che Guevara, dont la mort récente avive encore l’aura, mais par un
internationalisme qui ne se réduit pas au discours : le régime de Fidel Castro se
montre critique à l’égard de l’Union soviétique et prône l’extension de la
révolution. Quant à la cause vietnamienne, elle est loin d’être un simple arrière-
fond : une génération reconvertit là sa lutte contre le colonialisme, dans le sillage
de la guerre d’Algérie, à la faveur d’un nouvel anti-impérialisme.
Il est des internationales organisées, dont l’internationalisme est justement la
vocation et pour lesquelles il forme une boussole politique. Elles offrent un
cadre, des savoirs et une histoire dotée de traditions réactivées ; elles ont leurs
représentants, acteurs de voyages, d’échanges et de passages. Mais, plus que
jamais – pour des raisons idéologiques et pratiques –, l’internationalisme se
décline sous des modalités moins formalisées. On se déplace plus facilement et
l’on s’y sent davantage incité(e), par conviction et effet d’entraînement ; les
médias rendent compte de ce qui se passe ici et là-bas, la télévision en particulier
dont les images confèrent aux événements un cachet tout à la fois extraordinaire
et familier.
Dès juillet 1967, lors d’une intervention à l’Université libre de Berlin,
Herbert Marcuse affirme : « Dorénavant chaque mouvement d’opposition ne
peut que se penser dans un cadre global 2 ». Ce cosmopolitisme en acte, le
philosophe d’origine allemande le connaît bien, lui l’exilé qui depuis les États-
Unis perçoit le succès fulgurant de ses écrits, lui qui ne cesse de voyager,
retrouvant partout en Europe des jeunes avides de débattre sur l’aliénation, le
désir et l’utopie. Comme lui, célèbres et anonymes se font passeurs de pratiques
critiques hors frontières : d’un bout à l’autre de l’Europe et du Japon au
Mexique, des États-Unis à différents pays d’Afrique où les mouvements
prolongent la décolonisation, la mobilisation est quasi planétaire. Là se situe une
force de l’événement, dans la « coalescence du local et du global, niveaux
ordinairement bien séparés, mais dont l’entrée en communication signe
typiquement les dynamiques critiques 3 ».
Le « global » cependant est peut-être trop englobant : ce que la notion porte
de total et d’intégral, un peu surplombant, risque de faire manquer les
singularités, les formes concrètes des expériences et des influences 4. À la
longue-vue des horizons lointains, mieux vaut donc préférer la loupe où se
laissent observer les passages et les voyages, les solidarités et les liens : tout ce
qui se crée dans le creuset de l’événement rendrait le monde presque évident.

Près du Vietnam

FNL VAINCRA

Depuis trois ans déjà, l’intervention états-unienne est le cœur des


préoccupations pour des militants révoltés par le conflit et l’hégémonie des
États-Unis. Mais au-delà des cercles politisés, la vision des villages incendiés
sous le regard des GI bouleverse le monde entier. Plus qu’ailleurs encore, le
politique est affaire de figurations : les images ne manquent pas pour se
représenter les souffrances mais aussi la résistance d’un pays en guerre et pour
faire de l’internationalisme politique, dans ces circonstances, une force
incandescente. Encore faut-il la pratiquer et la transposer. Comment importer en
Europe les enjeux du conflit et sensibiliser à une guerre éloignée dans laquelle la
France n’est pas directement impliquée ? En somme, comment faire que l’on se
sente près du Vietnam, quand géographiquement il est si loin 5 ?
Le Vietnam entre dans l’actualité politique et intellectuelle française en
février 1965, lorsque paraît dans Le Monde un manifeste à l’initiative du
Mouvement de la paix, proche du Parti communiste français : il dénonce
l’intervention états-unienne et en appelle à une conférence internationale. Les
États-Unis commencent à envoyer au Vietnam de premiers corps
expéditionnaires avec, très vite, plusieurs centaines de milliers de soldats.
L’UNEF et le SNESup créent un Collectif intersyndical universitaire pour la
paix au Vietnam qui organise, entre le 18 et le 25 novembre 1965, une Semaine
universitaire contre la guerre. Le 25 mai 1966, à l’initiative d’intellectuels tels
Laurent Schwartz, Jean-Paul Sartre et Pierre Vidal-Naquet, ont lieu les « Six
heures pour le Vietnam ». Le meeting fondateur du Comité Vietnam national a
lieu le 28 novembre 1966. Indépendant du PCF, le CVN ne se contente pas de
revendiquer « la paix » mais exprime son soutien au Front national de libération
vietnamien (FNL) ; le PSU comme la JCR y sont très impliqués 6.
C’est dans cette effervescence politique que naissent aussi les Comités
Vietnam de base (CVB), impulsés par l’UJCml. Le nom de l’organisation –
d’inspiration maoïste – dit l’un de ses objectifs pratiques : il y a lieu à ses yeux
d’organiser avant tout des comités à la « base », sans « personnalités », par un
travail de terrain axé sur le quotidien. Son programme est calqué sur celui du
FNL vietnamien : l’impérialisme états-unien est considéré comme agresseur ;
l’engagement pris par le FNL est de « libérer le Sud, défendre le Nord, marcher
vers la réunification » ; il se dit prêt à accepter « toute aide morale et matérielle
de ses amis des cinq continents » et veut contribuer « à la lutte des peuples pour
leur indépendance, contre le gendarme international qu’est l’impérialisme US » 7.
Avec cette certitude qui est presque un mantra : « FNL vaincra. »
Mais, dans la pratique politique, il ne peut s’agir d’importer purement et
simplement le programme du FNL : il convient de l’acclimater pour l’ajuster à la
situation française et convaincre de sa pertinence pour mieux le populariser. Un
militant résume cette question de translation : comment lier « le problème
vietnamien à la situation concrète des gens en France » ? On est là face à une
interrogation sur ce que fait la circulation même et la manière dont le transfert
opère. Le programme est passé au tamis de l’expérimentation locale ; sur le
terrain militant, un filtre agit, qui traduit des hésitations : faut-il s’appuyer sur ce
que pensent « les gens », rencontrés au hasard des diffusions, pour procéder
ensuite à une sorte de maïeutique politique ? Ou bien leur exposer d’emblée un
corpus d’idées, un programme élaboré à l’autre bout du monde dans un pays en
guerre ? Les chants du FNL sont beaucoup diffusés pour donner corps et voix au
combat :
Ils ont brisé nos os
Notre sang coule à flots
Mais notre haine remplit le ciel
Marchons tous de l’avant 8.

Mais « peut-on chanter l’hymne du Front au marché 9 » ? Et où manifester pour


s’assurer une plus grande efficacité ? À Paris, le 21 février 1968, à la différence
du CVN, de l’UNEF et du SNESup qui se rassemblent au Quartier latin, les
CVB se retrouvent sur les Champs-Élysées. Cette décision est longuement
discutée : ne vaudrait-il mieux pas défiler dans des avenues populaires, plutôt
que devant les badauds et touristes des beaux quartiers ? Le lieu l’emporte
finalement par-delà ces inconvénients : tactiquement, les « Champs » sont
« difficiles à boucler » par la police ; politiquement, il importe de faire une
démonstration de force aux « endroits où il y a des édifices US », d’aller « dans
le quartier le plus américain » 10.
Deux journaux sont utilisés : Victoire pour le Vietnam, le journal des
comités, et Le Courrier du Vietnam, hebdomadaire nord-vietnamien traduit par
les soins des Éditions en langues étrangères de Hanoï, dont la diffusion s’élève à
quelques milliers d’exemplaires. Ces journaux, complémentaires, sont bel et bien
au cœur du transfert. Le Courrier du Vietnam est présenté comme « le lien
vivant et popularisateur no 1 11 ». La guerre y est traitée sur un mode narratif
enlevé, qui n’épargne rien aux lecteurs de sa violence mais inverse la perspective
généralement adoptée dans le mouvement anti-impérialiste, où le peuple
vietnamien est perçu comme victime de l’agression états-unienne. Ici, c’est bien
davantage l’offensive des combattants de l’Armée de libération qui est mise en
avant, dans le détail de leurs exploits guerriers. La manière d’évoquer la tactique
des snipers « élevée à la hauteur d’un art » peut en témoigner :

Ha Van Nhieu est l’un de ceux qu’on surnomme « la terreur des


Yankees ». À lui seul, il a abattu 84 d’entre eux. Un Yankee colle-t-il ses
yeux au colimateur (sic) d’un mortier ? Pan ! Nhieu le gratifie d’une
balle qui l’abat, les bras entourant le trépied, la tête sur la bouche à feu.
Un autre GI rampe vers le mort, sans doute dans l’intention de traîner la
dépouille de son malheureux camarade vers quelque abri. Pan ! Le
rampeur a quelques soubresauts et s’immobilise définitivement 12.

Le Courrier du Vietnam propose aussi une rubrique intitulée « Dans la presse


étrangère », autre support de circulation transnationale. Elle puise ses articles et
entrefilets dans la presse des pays du bloc de l’Est et de la République populaire
de Chine, des Izvestia soviétiques au Renmin Ribao maoïste en passant par le
Zeri i Popullit d’Albanie ; mais il lui arrive aussi de reproduire des articles parus
dans les journaux états-uniens pour montrer la faiblesse de l’ennemi reconnue
jusque dans son propre pays. Des articles rendent compte des manifestations qui,
d’un continent à l’autre, protestent contre l’intervention honnie.

LE « VIETNAM HÉROÏQUE » : UNE SOLIDARITÉ CRITIQUE


La Jeunesse communiste révolutionnaire est elle aussi pleinement investie :
c’est une dimension majeure de son activité internationaliste. Elle est très active
dans le CVN qu’elle a contribué à fonder. Dans des villes de taille modeste, ses
membres s’efforcent de réaliser des événements semblables à ceux qui ont lieu à
Paris. À Mâcon par exemple, les « Vingt-quatre heures pour le Vietnam » se
tiennent en décembre 1967, avec débats, films et interventions artistiques. À
Grenoble, le 16 février, on retrouve ce type d’initiative 13. L’effort politique
redouble au début de l’année 1968, avec les premiers bombardements au Nord-
Vietnam et l’offensive du Têt, qui est un grave revers pour l’armée états-
unienne.
La IVe Internationale prône une mobilisation internationaliste agissante et
met en avant des initiatives prises dans différents pays, à l’instar des dockers
australiens et japonais qui boycottent le chargement ou le transport de troupes et
de munitions 14. L’internationalisme est une pratique et non une pétition de
principe ; ce sont les moyens traditionnels du mouvement ouvrier, la grève, le
blocage de la production et de la circulation, qui appuient cette solidarité.
Toutefois, en interne, la vigilance est de mise quant à l’évolution du FNL.
Son programme est jugé « on ne peut plus ambigu car il est à la fois le
programme le plus à gauche et le plus stalinien » – à gauche en raison de la
réforme agraire qui assure aux paysans la propriété des terres, mais stalinien par
le risque que se reconstitue un groupe social privilégié et bureaucratisé. « Or le
danger est que ces individus, de couche rachitique qu’ils sont, deviennent après
le départ des Américains une classe qui se retournera contre le prolétariat. »
D’où cette tension au sein de la JCR, exprimée dans les discussions par une
formulation prudente voire ambivalente : « extérieurement nous soutenons
inconditionnellement le programme du FNL car c’est notre devoir, mais tout en
le soutenant intérieurement à la JCR avec réserve 15 ». Cette relative
contradiction dénote une situation de grande intensité politique, où il s’agit de
manifester un soutien sans faille à la lutte anti-impérialiste, tout en gardant une
lucidité critique à l’égard du régime d’Hô Chi Minh.

LE FEU À LA PLAINE

Quoi qu’il en soit de ces nuances et divergences, l’opposition à


l’intervention militaire états-unienne est bel et bien, en 1968, une étincelle de la
contestation. Entre le 19 et le 21 février, l’UNEF organise « Trois jours pour le
Vietnam », trois journées de débats, réunions d’information et manifestations.
Au Quartier latin, 5 000 personnes environ sont rassemblées, le boulevard Saint-
Michel est rebaptisé « boulevard du Vietnam héroïque ». À Nanterre, le
mouvement du 22-Mars est créé, on s’en souvient, pour protester contre
l’arrestation d’un militant appartenant au CVN. Deux jours auparavant, les vitres
de l’American Express ont été brisées et l’action justifiée dans un tract soutenant
le « courant d’opposition à la guerre qui monte aux USA, les étudiants qui
brûlent leurs feuilles d’enrôlement, qui chassent de l’université les recruteurs des
usines de napalm 16 ». La date elle-même n’est pas choisie au hasard : à elle
seule, c’est un concentré de solidarité. En ce 20 mars s’ouvre le procès de Rap
Brown, l’un des leaders du mouvement afro-américain. De l’autre côté de
l’Atlantique, bataille pour les droits civiques et engagement anti-impérialiste
sont étroitement mêlés ; dès lors, si l’American Express est visée, c’est qu’elle
représente un robinet de « bonne conscience », où dégorge à flux continu, selon
les étudiants contestataires, le point de vue de Lyndon Johnson et d’une
administration guerrière. Pour celles et ceux qui l’ont scandé le 21 février, bien
au-delà du Quartier latin, Johnson est un « assassin ». Quelques semaines plus
tard, à la Cité universitaire de Paris, un tract appelle à ce que chacun se
mobilise : « L’indifférence n’est plus de mise 17. »
« La grande nouvelle du jour, note André Sernin le 3 mai dans son journal
quotidien, c’est que les Américains et les Nord-Vietnamiens se sont mis
d’accord pour se rencontrer le 10 mai à Paris 18. » Cependant, l’événement, pour
important qu’il soit, se voit vite relégué au second rang dans la hiérarchie des
médias, avec le début du mouvement. Et si les CVB ont prévu un rassemblement
le dimanche 12 mai devant l’hôtel Lutetia, où séjournent les membres de la
délégation vietnamienne, il est finalement annulé au vu de ces autres
« événements » qui le rendent soudain compliqué – par peur des provocations et
de la répression. La mobilisation que le Vietnam a suscitée en est soudain
déplacée.

Ni patrie ni frontières : les manières


du transfert

COMPTES COMMUNS : UNE COMPARAISON DES SITUATIONS

Théâtre de l’Odéon occupé, le 23 mai. La discussion, comme chaque jour,


est animée. « Le drapeau est un facteur d’aliénation » : il faut en finir avec les
drapeaux et les hérauts de la patrie, proclame un homme d’une quarantaine
d’années. Un participant, plus jeune, avance malicieusement : « Et si on brûlait
aussi le drapeau rouge ? » Mais celui-là, lui répond-on, ne représente aucune
nation. D’ailleurs, oui, il faudra s’en séparer, mais seulement lorsqu’on en aura
fini avec le tricolore et ses pairs : ni patrie ni frontières 19. Quelques jours plus
tard est diffusé à Nantes, Strasbourg et Paris un tract d’esprit « enragé » et
situationniste :

Ce que nous avons déjà fait en France hante l’Europe et va bientôt


menacer toutes les classes dominantes du monde, des bureaucrates de
Moscou et Pékin aux milliardaires de Washington et Tokyo. Comme
nous avons fait danser Paris, le prolétariat international va revenir à
l’assaut des capitales de tous les États, de toutes les citadelles de
l’aliénation 20.

Ce tract est traduit en anglais, espagnol, allemand et italien. Le 28 mai, à


Censier, le comité d’action cite longuement un texte de Jean Zay écrit quarante-
quatre ans auparavant et l’assortit de ce mot d’ordre, « Déchirez tous les
drapeaux tricolores ; peignez-les en rouge, en noir, faites-en ce que vous
voudrez, mangez-les mais… qu’ils disparaissent. Merde aux frontières » :

Terrible morceau de drap cloué à ta hampe, je te hais férocement : oui, je


te hais dans l’âme ; je te hais pour tout ce que tu représentes, pour le
sang frais, le sang humain aux âpres odeurs qui gicla sur tes plis ; je te
hais au nom des squelettes […] je hais en toi la vieille oppression
séculaire, le dieu bestial, le défi aux hommes que nous ne savons pas
être ; je hais tes sales couleurs, le rouge de leur sang, le bleu que tu volas
au ciel, le blanc livide de tes remords 21…

Le principe internationaliste est une tradition de longue date dans ce que l’on
nomme le « mouvement ouvrier ». L’action solidaire du prolétariat apparaît
comme une nécessité fondée sur des intérêts matériels communs, ceux d’une
classe sociale qui ne devrait pas être divisée par le chauvinisme ou le
nationalisme. Certes, l’affirmation de Marx et Engels, « les travailleurs n’ont pas
de patrie », n’a pas été confirmée par l’histoire. On connaît le tournant opéré par
le Parti communiste français à compter de 1934, tournant souvent décrit comme
un virage à cent quatre-vingts degrés et qui a conduit à se réapproprier la
symbolique patriotique : Marseillaise, drapeau tricolore et, à certains moments
stratégiques, le « Produisons français ». Les conséquences s’en ressentent encore
et la priorité n’est pas donnée par le PCF à l’internationalisme durant
l’événement. Pourtant, au 1er mai, on célèbre cette solidarité. À Nantes par
exemple, le meeting intersyndical met à l’honneur le peuple vietnamien, les
travailleurs espagnols et grecs, « ceux d’Amérique latine, comme les Noirs
d’Afrique et des États-Unis en proie à l’injustice 22 ».
Les étudiants sont plus tournés que les ouvriers vers leurs voisins européens
et au-delà vers le vaste monde où trouver des engagements à leur ressemblance.
Des raisons pratiques l’expliquent : issus de milieux sociaux relativement
privilégiés, les étudiants ont souvent de meilleurs moyens financiers pour
voyager ; leurs études les portent à considérer d’autres cultures, pratiquer
d’autres langues, accueillir sur les mêmes bancs leurs pairs venus du monde
entier. « Sur la route » : depuis Kerouac, le désir fait son chemin. Avec l’auto-
stop, les voyages sont facilités, comme les circulations de pratiques et d’idées 23.
La préoccupation internationale se marque par l’attention précise portée à la
situation mondiale. Des brèches se sont dessinées, qui affaiblissent le statu quo
de la guerre froide et de la coexistence pacifique sur fond d’intérêts bien
compris. Alors que l’équilibre rompu par la révolution de 1917 semblait de
nouveau rétabli et les fissures de l’ordre mondial colmatées, voilà que, via la
Chine, Cuba et le Vietnam, la relative tranquillité géopolitique et diplomatique
paraît fragilisée. D’aucuns pensent que ces failles ébranlent les toutes-
puissances :

internationalement, cette révolution se trouve dans une situation elle-


même privilégiée : défaut de l’impérialisme américain au Vietnam, crise
politique et crise raciale aux USA même, crise de l’impérialisme anglais,
crise de la construction européenne, début en Europe de l’expansion du
mouvement révolutionnaire, ouvrier et étudiant, éveil populaire en
Tchécoslovaquie, etc. 24.

Dans les lycées comme les universités, les participants sont ici sans oublier là-
bas et ne dissocient pas la mobilisation dans leur pays de ce qui se passe en
Allemagne et en Espagne, aux États-Unis ou en Italie, mais aussi et surtout dans
le « tiers-monde », si essentiel dans les engagements. Même les Renseignements
généraux citent Fidel Castro, sur la jonction entre solidarité ouvrière et soutien
actif aux pays « qui souffrent de sous-développement » : « Lutter aux côtés des
forces populaires est pour l’intellectuel des pays capitalistes un devoir
inéluctable lié à la dénonciation et à la lutte contre l’exploitation du tiers-
monde. » À l’université critique et populaire de Strasbourg, l’influence d’idées
venues du « guévarisme, du maoïsme, du fanonisme » est longuement évoquée.
Ce peut être une manière d’encourager la mobilisation, de se conforter et se
réconforter à l’aune de la comparaison. « Les lycéens savent que leur lutte est la
même de Berlin à Rome, de Londres à Madrid », proclament des comités
d’action lycéens 25.
Ces échanges permettent d’estimer les points communs. Le rapprochement
vient d’abord des décisions prises par les administrations des universités et les
autorités. C’est le cas sur le campus de Berkeley où le 14 septembre 1964 était
tombée l’interdiction de faire de la politique sur le campus et ses abords ; à
Berlin lorsque, le 8 avril 1965, le recteur de l’Université libre avait interdit la
présence lors d’une réunion publique d’Erich Kuby, journaliste au Spiegel, pour
sa critique de l’Université ; à Milan où en mai 1967 la censure ecclésiastique
s’était opposée à la publication d’un article sur le divorce dans le journal
étudiant de l’Université catholique ; à Varsovie aussi où, le 16 janvier 1968, les
représentations d’une pièce de Mickiewicz ont été suspendues. Le sentiment
d’une expérience partagée vient également de l’affrontement avec les forces de
l’ordre, depuis l’arrestation de quelque 800 étudiants le 3 décembre 1964 à
Berkeley, la mort de Benno Ohnesorg abattu à Berlin-Ouest par un policier en
civil le 2 juin 1967 d’une « balle qui a traversé beaucoup de têtes 26 » comme
l’écrit Die Zeit, la répression de la manifestation organisée par les étudiants de
Prague le 31 octobre 1967, les actions policières massives à Rome en février et
mars 1968 et, quelques semaines plus tard, l’intervention d’un millier de
policiers à l’université de Columbia, intervention qui fait plus de cent blessés 27.

LIEUX DE RENCONTRE, INVITATIONS AU VOYAGE

C’est dire l’importance accordée au grand rassemblement anti-impérialiste


qui se tient à Berlin les 17 et 18 février 1968. La préparation en est intensive : le
PSU et la JCR affrètent des cars venus de province, depuis la Bretagne, la
Normandie, le Nord et l’Alsace ; la JCR met en place des « cercles ouverts sur
Berlin », réalise des affichages massifs – une affiche internationale est diffusée,
en plusieurs langues, symbole tangible de cette pratique internationaliste. Une
souscription est lancée pour soutenir la popularisation de la manifestation 28.
Cinq cents militants français sont présents à Berlin. Ernest Mandel pour la
IVe Internationale et Rudi Dutschke pour le Sozialistischer Deutscher
Studentenbund (SDS) interviennent en commun sur les répercussions de la
guerre du Vietnam en Europe occidentale, Janette Habel et Mario de Santis
prennent la parole sur la situation en Amérique latine. La manifestation du
18 février, qui rassemble 30 000 personnes, est l’occasion d’apprendre de
nouvelles pratiques, plus spectaculaires : « Aux promenades paisibles se
substituent des cortèges résonnant de slogans radicaux, composés de groupes
d’avant-garde qui imitent le pas de charge des Zengakuren, prêts à répondre par
la violence à la violence de la police et des autres forces de répression » 29. Ce
pas qui change la cadence et brise la routine des manifestations a été
expérimenté au Japon lors des oppositions au Traité militaire américano-japonais
et à l’usage des bases états-uniennes dans la guerre du Vietnam (il y en a alors
128 réparties dans tout l’archipel). La teneur des slogans, la manière dont ils sont
scandés et le pas de course très rythmé sont donc à l’origine japonais, passent
par Berlin d’où ils sont repris à Paris. Les titres de la presse Springer fustigeant
une « minorité » (Minderheit) sont tournés en dérision, avec le cri répété parmi
les dizaines de milliers de manifestants : « Nous sommes une petite minorité »
(Wir sind eine kleine Minderheit). On remarque la présence de nombreux
portraits de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht dans la ville même où ils ont
été assassinés. Une trentaine de militants sont arrêtés parmi lesquels le fils de
Willy Brandt. Le maire de Berlin-Ouest, Klaus Schütz, avait d’ailleurs tenté dans
un premier temps d’interdire le rassemblement, allant jusqu’à déclarer à la
télévision que les délégations étrangères seraient traitées comme des adversaires
si elles participaient à une manifestation prohibée. Finalement, l’interdiction est
jugée inconstitutionnelle et la manifestation en revêt un caractère encore plus
important politiquement. Ses participants estiment avoir relevé un défi, face à ce
qui est perçu comme une « panique de la bourgeoisie allemande devant un
mouvement d’une telle ampleur, l’un des premiers depuis la prise de pouvoir par
les nazis 30 ».
Les liens noués de loin en loin se renforcent, sur le plan politique et
pratique : on loge chez l’habitant – Alain Krivine est hébergé chez Rudi
Dutschke ; c’est l’occasion de prolonger les discussions. En mars, Karl Wolff,
l’un des dirigeants du SDS, vient à Nanterre ; il anime quelques conférences. Les
autorités s’en inquiètent : le préfet de la Région du Nord relate les « tactiques de
pénétration similaires » entre les groupes révolutionnaires, renforcées par la
rencontre de Berlin. Dans le Nord et le Pas-de-Calais sont signalés de jeunes
anarchistes qui s’apprêteraient à se rendre en RFA 31. Des militants radicaux
venus de Louvain, où le mouvement de contestation prend de l’ampleur, arrivent
à Paris et sont chaleureusement accueillis ; Daniel Cohn-Bendit invite à suivre
leur exemple : « Nous devons préparer des actions telles que nos camarades
flamands nous les ont montrées à Louvain 32. » Au même moment, Václav Havel
est à New York, où il s’imprègne de la révolte étudiante tout en y racontant le
printemps de Prague 33.
L’attentat perpétré par Josef Bachmann, militant du parti d’extrême droite
NPD qui blesse grièvement Rudi Dutschke le 12 avril 1968, provoque une vague
d’indignation – et en RFA un véritable soulèvement : des manifestations et
affrontements violents avec les forces de l’ordre font deux morts, un
photographe de presse et un étudiant, et plus de 800 blessés. Une manifestation
de protestation est organisée à Paris, important les enjeux de la situation ouest-
allemande. Soucieux de faire comprendre en France la lutte des étudiants
allemands, le journal de la JCR Avant-Garde jeunesse lui consacre de
nombreuses pages : à Berlin-Ouest, « la vitrine de l’Occident a volé en éclats
sous les coups du SDS ». Par la proximité géographique et les liens tissés de
longue date, les étudiants de Strasbourg se mobilisent particulièrement dans la
dénonciation de l’attentat. Une affiche est placardée à la faculté et sur les murs
de la ville, qui fustige un « Springer assassin » et « Les Dernières nouvelles
d’Alsace complices » : la presse régionale est accusée de relayer le dénigrement
véhément de certains médias outre-Rhin contrôlés par le magnat Axel Springer,
assimilé à de véritables appels au meurtre. Dans le Bild en particulier, Rudi
Dutschke avait sans cesse été pris à partie, victime de nombreuses calomnies.
Pour beaucoup, cette tentative d’assassinat n’est donc pas l’acte d’un individu
isolé ; il a été influencé et encouragé par une stigmatisation systématique et
orchestrée à l’encontre des étudiants radicaux, le SDS au premier chef. À
Strasbourg, le 25 avril, une discussion sur le sujet est organisée à la faculté des
lettres et dans les cités universitaires ; une manifestation a lieu le lendemain et
des discussions en ville le samedi 34. Aux États-Unis aussi, la radicalisation
s’aiguise à l’aune de l’assassinat : à New York, les étudiants de l’université de
Columbia se rassemblent pour vilipender la « presse Springer » au Rockefeller
Center 35.
Il est significatif que les premières grandes réunions publiques du
mouvement se déroulent sous l’égide de l’internationalisme. Le meeting prévu à
la Sorbonne le 3 mai doit réunir des étudiants venus de Turin, Amsterdam,
Madrid, Berlin et Louvain. Aux yeux du Mouvement d’action universitaire
(MAU), la décision prise par le recteur Roche de fermer la Sorbonne serait aussi
le fruit d’une pression venue des ambassades européennes, qui n’auraient pas
voulu d’une telle rencontre internationale 36. Un autre des premiers meetings
importants de ce printemps, le 9 mai, est à l’origine organisé par la JCR – qui
décide de l’ouvrir au mouvement étudiant –, avec des participants belges,
italiens et allemands : Rudi Dutschke aurait dû y être présent.
Au-delà, la contribution de protagonistes venus de loin permet d’analyser de
manière concrète et vivante l’évolution de la situation. À Lyon, un professeur
allemand de la faculté des lettres propose un exposé détaillé de ce qui se passe à
Berlin. À Lille, le 4 juin, un étudiant allemand venu de Berlin raconte la
manifestation imposante qui y a eu lieu le 29 mai, l’occupation d’un théâtre et la
mise en place de Basisgruppen, équivalents des comités d’action français, ainsi
que les débrayages dans certaines usines 37. C’est un encouragement, une raison
de se sentir plus puissants grâce à l’extension des mobilisations et à leur
caractère spectaculaire.
Durant les mois de mai et juin, des militants d’autres pays apportent leur
expérience et leur soutien : c’est le cas par exemple de militants italiens qui
prendront part à la fondation de Pouvoir ouvrier (Potere Operaio) en 1969 ou
encore d’étudiants anglais. L’université d’Essex est occupée durant six
semaines ; certains participants au mouvement rejoignent la France pour tâter le
pouls des événements ; quelques-uns prennent part à la manifestation vers
l’usine Renault-Billancourt, le 17 mai. Le 22, 200 étudiants défilent dans les rues
de Manchester et vont remettre une lettre de protestation au bureau de l’attaché
commercial français ; le 10 juin, à Londres cette fois, 300 personnes se
rassemblent devant l’ambassade de France en signe de solidarité. De retour dans
son université à Hull après un séjour à Paris, l’étudiant anglais Tom Fawthrop
déchire sa convocation d’examen ; une procédure disciplinaire s’ensuit, qui elle-
même provoque une occupation en signe de protestation 38.On trouve aussi, plus
rares évidemment en raison de l’éloignement géographique, des militants latino-
américains. Mario Roberto Santucho, principal leader du Parti révolutionnaire
des travailleurs argentin, est présent à Paris en mai. Il s’adresse à ses camarades
français : « Vous avez un niveau de violence extrêmement bas dans les actions
de masses 39. » Le 24 mai, quatre membres du 22-Mars participent à un meeting à
l’Université libre de Bruxelles, parmi lesquels Daniel Bensaïd, qui a franchi
illégalement la frontière belge 40. Échanges d’expériences, comparaison de
situations, conseils et soutiens émaillent ces circulations, comme des invitations
au voyage chez des protagonistes d’autant plus fervents que tous mesurent la
dimension mondiale de l’événement.
Le 13 juin 1968, plusieurs d’entre eux se retrouvent autour de la table de la
BBC pour une émission consacrée au mouvement étudiant : Daniel Cohn-Bendit
et Alain Geismar pour la France, Karl Wolff pour la RFA, Jan Kaven pour la
Tchécoslovaquie et Tariq Ali pour le Royaume-Uni. La veille, Daniel Cohn-
Bendit et Alain Geismar sont intervenus à la London School of Economics ; le
lendemain, Daniel Cohn-Bendit et Tariq Ali visitent ensemble le cimetière de
High Gate où Marx est enterré. Tariq Ali est un autre symbole de cette
circulation transnationale, incarnation d’un internationalisme pratique et actif. Il
appartient à l’équipe de rédaction du journal de la gauche radicale britannique
The Black Dwarf ; d’origine pakistanaise comme l’est aussi Vinay Chand, autre
rédacteur du Black Dwarf, il travaille à Londres au côté du Zimbabwéen
Chenhamo Chimutengwende et de l’Irlandais Fred Halliday. Le bureau du
journal, à Soho, est un lieu de rencontre pour des militants venus du monde
entier. Tariq Ali voyage beaucoup lui aussi, en France, en Allemagne, en Irlande
du Nord, au Vietnam, au Pakistan… Les événements français sont placés en
« une » du Black Dwarf, non pas seulement pour en rendre compte, mais pour en
espérer des effets d’entraînement. Fin mai, le journal est ainsi titré : « Paris,
London, Rome, Berlin, we shall fight and we shall win ». Internationalisme au
présent, internationalisme historique également : le nom du journal (« le nain
noir ») a été choisi en hommage à une ancienne publication des années 1819-
1828, qui soutenait les rébellions et soulèvements dans d’autres pays, comme en
Amérique latine et dans les Caraïbes 41. Le climat subjectif se révèle propice à la
diffusion, à l’échange et à la solidarité.

UNE SOLIDARITÉ VENUE DU MONDE ENTIER

Les communiqués de soutien venus du monde entier se multiplient. Le


Comité des étudiants révolutionnaires québécois, enthousiaste, souligne que ce
mouvement « ne connaît pas de frontière » et sert aux peuples dans leurs luttes
pour leur émancipation, « contre toutes les formes d’impérialisme, d’exploitation
et d’aliénation ». Des militants espagnols y voient un appui pour leur combat
contre le franquisme, « le progrès et la solidarité » 42. À Göteborg en Suède, un
Comité de solidarité avec les ouvriers, les étudiants, les enseignants et les artistes
français en grève est fondé, qui envoie à Paris un délégué : il doit remettre aux
grévistes français plusieurs milliers de francs récoltés lors d’une campagne de
soutien. Spontanément et parce que cela lui paraît le choix le plus cohérent, il se
rend à Billancourt où il rencontre un représentant de la CGT. Mais, comme
aurait pu le dire Brassens, il est reçu à bras fermés et reconnaît son dépit étonné
d’avoir été mal accueilli :

Monsieur [T.] souligna que la présente grève est une affaire française et
ne concerne pas les autres pays. Que les ouvriers français étaient des
« ouvriers évolués » et ne manquaient donc de rien, notamment pas
d’argent… qu’ils avaient assez pour tenir encore un mois. Que pour
cette raison on ne possédait pas de compte spécial pour la solidarité aux
grévistes. Que bien sûr les ouvriers immigrés portugais et espagnols
étaient dans une situation plus difficile, mais qu’on ne pouvait rien pour
eux, qu’il était impossible de les contacter, à cause de la grève, qu’ils
étaient absents de l’usine, etc.

Aux dires de l’étudiant suédois, Monsieur T. aurait aussi affirmé que la grève
n’a rien de révolutionnaire et que la mise en marche des usines par les ouvriers
eux-mêmes serait une « idée romantique inadaptée à la situation française ». Le
Suédois lui rétorque que l’événement n’est pas une affaire française mais
concerne bel et bien tous les pays. Les fonds sont finalement reversés au Comité
de coordination des comités d’action 43.
Certaines prises de position émanent également d’étrangers vivant en
France, parfois réfugiés. Les déserteurs et insoumis exilés transmettent des
informations sur les événements français aux États-Unis, mais aussi au Japon ou
encore en Suède où existent des regroupements équivalents à leur Union
française des déserteurs et insoumis américains. Ils tiennent une conférence de
presse à la Sorbonne le 21 mai. Ils restent prudents néanmoins, craignant
toujours d’être expulsés : leur permis de séjour est renouvelable tous les quinze
jours, ils sont régulièrement interrogés au bureau des étrangers de la préfecture
de police et affirment avoir reçu des menaces d’expulsion à l’annonce d’une
première conférence de presse en avril 44.
À Strasbourg, le Comité de liaison des étudiants du « Tiers-Monde » publie
un texte de soutien « à la juste lutte des étudiants » : c’est l’occasion de rappeler
les liens réciproques de fraternité, car ces mêmes « étudiants progressistes
français » encouragent depuis des années la lutte des peuples contre le
colonialisme et le néocolonialisme. À Paris, la Cité universitaire s’érige en
symbole de solidarité : les pavillons de l’Argentine, d’Espagne, de Grèce mais
aussi de la France d’outre-mer sont occupés – l’ambassade de Grèce en appelle à
l’intervention de la police française pour la faire cesser 45.

En circulation : textes, pratiques


et expériences critiques

DE VARSOVIE À MILAN : IMPORTER LES ÉVÉNEMENTS

Ces transferts passent également par l’étude serrée des textes. Depuis la
Pologne est parvenu en France le document majeur de la contestation à
Varsovie, la « Lettre ouverte au Parti ouvrier polonais » élaborée en 1965 par
deux leaders étudiants contestataires, Jacek Kuron et Karol Modzelewski ;
arrêtés peu de temps après, ils ont été condamnés à trois ans de prison. Leur
manifeste est une mise en cause précise de la bureaucratie, il défend une
démocratie ouvrière et populaire à cent lieues du régime autoritaire polonais.
Des militants de la LCR l’ont importé et fait connaître en France. Ici ont joué un
profond accord politique, dans le prolongement du combat antistalinien mené
depuis les années vingt, mais aussi des liens noués par tradition familiale avec la
Pologne, puisque de nombreux militant(e)s sont d’origine juive ashkénaze – et
plus précisément polonaise. Un autocollant circule à Nanterre, qui dit bien
l’internationale de la colère en s’appuyant sur l’exemple des deux militants
emprisonnés pour leurs idées :

Jacek et Karol pourraient être… espagnols : avec les mineurs des


Asturies, ils combattraient le régime pourri… américains : avec les
chômeurs noirs de Chicago, ils participeraient aux émeutes…
vietnamiens : avec les guérilleros, ils terroriseraient le système 46.

Pour sa part, lorsqu’il comparaît devant le tribunal et quand le juge lui demande
son nom, Daniel Cohn-Bendit répond par un ironique et très politique
« Modzelewski-Kuron » 47.
Certains tracts tout entiers sont consacrés aux mouvements sociaux à
l’étranger. C’est le cas du « mouvement révolutionnaire italien » : on y explique
le projet Gui, semblable dans ses effets à la réforme Fouchet, les grèves
ouvrières nombreuses dans le Val d’Aoste mais surtout à Turin dans le bastion
de la Fiat – en avril, plusieurs dizaines de milliers de salariés se sont mis en
grève 48. L’insubordination active, de Trente à Turin et Milan, de Venise à Rome
et Bari, et dans de plus petites villes comme Lucques, Carrare ou Urbino, est une
référence majeure. C’est à sa « une » que, le 4 juin, le quotidien La Montagne
présente « la colère des étudiants italiens ».
Les textes élaborés dans le mouvement des universités critiques en Italie
sont privilégiés. À la faculté des lettres de Montpellier est diffusée la plate-forme
des étudiants de Turin adoptée en janvier. À Paris, des documents, dans leur
version italienne ou traduits, insistent sur l’autodéfense face à la répression,
munis de conseils pratiques pour parer aux moyens dont dispose la police
(espionnage, perquisitions, écoutes téléphoniques). À Lille et Lyon, via les
associations locales de l’UNEF par lesquelles transitent ces textes, les étudiants
comprennent comment leurs camarades italiens conçoivent les « universités
négatives », lancées d’abord à Trente dans la faculté de sociologie occupée :
elles correspondent à des « contre-cours » pour combattre la « fabrication
idéologique » à l’Université. Marcuse y est commenté, lui pour qui « le succès le
plus caractéristique de la société industrielle avancée est justement sa propre
capacité à contenir le changement social, sa propre capacité à intégrer les
opposants ». Double circulation, puisque à Trente les manifestants reprennent les
positions du Free Speech Movement états-unien, qui exhorte les étudiants à ne
pas reproduire les organismes politiques toujours prêts à les récupérer 49.
Que des textes venus de Trente servent de référence en France est révélateur
d’une conception politique internationaliste à plusieurs degrés. Le manifeste
pour une « université négative » s’inspire de propositions venues des États-Unis,
qui rompent avec la sociologie académique : les travaux d’Herbert Marcuse et de
Charles Wright Mills sur la domination des élites sont mobilisés de part et
d’autre de l’Atlantique. Certaines personnalités y jouent un rôle de passeurs
décisif : fondateur du Parti socialiste italien d’unité prolétarienne, membre du
Tribunal international des crimes de guerre – dit « Tribunal Russell » –, Lelio
Basso revient du Vietnam ; il décrit ce que sont les bombes à fragmentation.
L’université de Trente a été occupée durant plus de deux semaines à l’automne
1966, les étudiants s’y sont confrontés aux forces de l’ordre lors des
manifestations de protestation après la mort de l’étudiant militant Paolo Rossi,
tué lors d’un affrontement avec des activistes néofascistes. Si donc Trente
apparaît comme une source d’inspiration, c’est qu’elle est un bastion
d’expériences en termes de violence, de répression et d’occupation.

D’ALLEMAGNE : APRÈS LE NAZISME, APRÈS LE TRAUMATISME

Comme en Italie, les universités critiques de RFA, d’abord à Berlin-Ouest,


puis à Kiel, Francfort et Münster, développent des formes d’auto-organisation
par l’enseignement collectif, partagé et sans hiérarchie. Dans une interview au
Stern du 26 novembre 1967, Dutschke raccroche la pratique des universités
critiques à la philosophie des Lumières comme émancipation de l’individu. En
Allemagne, le mouvement de mobilisation est à la fois dense et plus lent 50.
L’affaiblissement du mouvement ouvrier, qui ne s’est pas relevé de l’écrasement
subi durant la période nazie, incite la gauche radicale à penser autrement le rôle
des étudiants, à le voir comme un relais de la classe ouvrière, à le considérer
même dans son autonomie. Ici, la réflexion d’Herbert Marcuse est une fois
encore essentielle. Dans L’Homme unidimensionnel, il montre que la classe
ouvrière demeure la condition objective décisive au changement radical de
structures ; mais elle n’en est plus le facteur, l’étincelle subjective, trop intégrée
qu’elle serait désormais : le potentiel subversif ouvrier a en quelque sorte été
neutralisé. La Nouvelle gauche, les étudiants radicalisés, les mouvements
féministes peuvent prendre le relais, sans s’y substituer. Ce contexte et la lecture
de Marcuse confortent les mouvements étudiants dans leur détermination à se
faire force contestataire. Même si Daniel Cohn-Bendit répond par un sarcastique
« Marcuse, qui est-ce ? » dans une interview au Nouvel Observateur en juin,
pour récuser toute autorité intellectuelle et tout père spirituel, L’Homme
unidimensionnel traduit aux éditions de Minuit se vend en France à plus de mille
exemplaires par semaine tandis que le mouvement du 22-Mars organise à
Nanterre des « journées marcusiennes » 51.
Le SDS occupe une place majeure dans une lecture du marxisme revitalisée :
la scission avec le Sozialdemokratische Partei Deutschlands (SPD) s’est produite
quand l’organisation mère, au congrès de Bad Godesberg, a abandonné les
références au marxisme révolutionnaire 52. Les positions de la gauche radicale
ouest-allemande proposent un internationalisme pratique, en nouant lutte anti-
impérialiste et engagement dans les pays du « capitalisme avancé ». La
manifestation berlinoise contre Moïse Tschombé, le président du Conseil
congolais soupçonné d’être impliqué dans le meurtre de Patrice Lumumba, est
perçue de ce point de vue comme une riposte coup pour coup.
Ce qui vient d’Allemagne touche à deux réflexions réactivées côté français :
sur l’État et sur l’autonomie dans l’espace urbain. Les lois sur l’état d’urgence
instaurées en RFA, qui restreignent les libertés (liberté d’aller et venir, liberté
professionnelle, secret de la correspondance et communications limitées sous
certaines conditions), incitent l’opposition extraparlementaire à réfléchir au rôle
de l’État en démocratie « bourgeoise » et à la répression par les institutions.
L’histoire y est à vif : la situation est associée à une expérience historique encore
récente, la fin de la République de Weimar et l’arrivée de Hitler au pouvoir. Le
traumatisme du nazisme incite à analyser de près la notion de « personnalité
autoritaire » forgée par Adorno et Horkheimer. Mais les étudiants radicalisés,
inspirés des thèses antiautoritaires avancées par l’école de Francfort, veulent non
plus seulement les penser, mais les mettre en œuvre : ils reprochent d’ailleurs à
Adorno, Horkheimer ou Habermas leur enfermement dans la théorie. Le SDS
initie des comités de surveillance sur les prix et les loyers, et des commissions
d’aide juridique face aux autorités, pour aider à une politisation étendue, « par le
bas ». Ville où tant d’enjeux brûlants se nouent, ville stratégique, ville tragique
coupée par le Mur, Berlin est aussi le lieu de « Communes » (Kommune I und II)
qui empruntent leur nom à l’expérience parisienne de 1871 et nourrissent les
réflexions sur la révolution de la vie quotidienne, telles qu’en France Henri
Lefebvre et les situationnistes peuvent les proposer. Le privéy est politique 53.
Rudi Dutschke évoque une « longue marche à travers les institutions », en les
contrant depuis leurs pratiques ordinaires, ce qui suppose d’apprendre « à
programmer et lire le langage des ordinateurs, à enseigner à tous les niveaux, à
se servir des mass media, à organiser la production, à repérer l’obsolescence
calculée et à y faire échec, à concevoir l’esthétique industrielle, etc. » 54.
Les informations venues de RFA ne cessent donc de circuler, par divers biais
et différents médias. Des services de presse sont mis sur pied dans les universités
occupées : c’est une bonne façon de mesurer ce qui se passe à l’étranger et la
manière dont on y rend compte des événements français. À Strasbourg, lieu
privilégié d’une préoccupation transfrontalière dans le mouvement contestataire,
la revue de presse du 17 mai signale les bagarres entre piquets de grève tenus par
le SDS et leurs opposants, à Berlin mais aussi à Francfort, rapportées par la
Frankfurter Allgemeine Zeitung. On remarque aussi non sans ironie un article
plutôt sympathique dans Die Zeit sur Daniel Cohn-Bendit, qualifié de « génie de
l’action » 55. Le journal Action consacre une pleine page à l’opposition
extraparlementaire et insiste sur les liens noués de pays à pays, entre autres avec
les États-Unis : le mouvement ouest-allemand rompt avec les traditions de la
gauche européenne pour importer un répertoire d’actions venu d’outre-
Atlantique, de sit-in en go-in, de teach-in et hearings en happenings – double
circulation, là encore, et insistance sur les innovations dans les pratiques.
Symbole de ces allers-retours franco-allemands, Daniel Cohn-Bendit est
interrogé à la télévision sur Berlin comme éventuel modèle pour la mobilisation
en France. Le leader de Nanterre y insiste, l’Allemagne est un « stimulant » : les
étudiants ouest-allemands opèrent une mise en cause radicale de l’Université et
de la société, en sortant des strictes revendications corporatistes. Il existe
cependant une différence majeure entre la situation française et le mouvement
allemand : on ne trouve pas en RFA l’équivalent d’un Parti communiste
puissant. Le mouvement ouvrier y a été affaibli, et un temps purement et
simplement détruit, sous le nazisme. De surcroît, la tradition de la grève
politique organisée par les syndicats n’y existe pas 56.

LES ENJEUX PRÉSENTS DU MOYEN-ORIENT

La situation au Proche et au Moyen-Orient n’est pas, elle non plus, négligée.


Déjà, lors de la journée anticolonialiste du 21 février, un certain nombre de
positions avaient été avancées. À Caen, lors du débat organisé au siège de
l’UNEF, Israël avait été présenté comme un « bastion de l’impérialisme au
Moyen-Orient », menant une « politique d’agression contre les peuples arabes ».
Le sort des Palestiniens dépossédés de leurs terres et condamnés à l’exil était
rappelé par la mise en exergue de la répression dans les territoires occupés 57.
À Paris en mai, la préfecture de police signale l’existence d’un stand
palestinien, « Al-Fath », dans la cour de la Sorbonne tandis que, début juin, le
comité d’occupation décide de faire évacuer un stand jugé « ultrasioniste » 58.
Au-delà de cet épisode, la Sorbonne est le théâtre de vives discussions sur le
conflit israélo-palestinien. Des « étudiants sionistes socialistes » exhortent à
prendre au sérieux la « fraction révolutionnaire » du sionisme. À leurs yeux, il a
toute sa place dans le concert des mouvements progressistes nationaux et
libérateurs ; il faut en être solidaire. Un groupe d’étudiants se présentant comme
progressistes, soutiens du peuple palestinien, leur rétorquent en ouvrant la
discussion sur la question cruciale de l’émancipation nationale : elle suppose une
nation opprimée, ce qui n’est pas le cas de l’État israélien. Comme les étudiants
sionistes aiment à citer Lénine sur le principe des nationalités, leurs adversaires
rappellent les positions tenues par le dirigeant bolchevik à propos de la Palestine
au IIe Congrès de l’Internationale communiste, « la duperie organisée par les
puissances impérialistes avec l’aide des classes privilégiées dans les pays
opprimés, lesquelles font semblant d’appeler à l’existence des États
politiquement indépendants qui en réalité sont des vassaux, aux points de vue
économique, financier et militaire » : ainsi, « sous prétexte de créer un État juif
en ce pays où les juifs sont un nombre insignifiant, le sionisme a livré la
population indigène des travailleurs arabes à l’exploitation de l’Angleterre ».
Tant que les Palestiniens resteront chassés de leurs terres et colonisés, le
dialogue paraîtra impossible 59.
Le Moyen-Orient est également présent sous la forme de textes diffusés par
des étudiants iraniens sur la situation dans leur pays : régime dictatorial et
policier, retour du Chah sans doute fomenté par la CIA, militants de partis de
gauche emprisonnés et torturés, certains déportés et fusillés. Les étudiants
français sont aussi tenus au courant des grèves dans les universités iraniennes,
comme l’université Pahlavi de Chiraz, l’université technique Aryamehr de
Téhéran et celle de Tabriz, l’une des plus prestigieuses d’Iran 60.
Le 2 juin, le Comité de solidarité à la révolution kurde et les étudiants kurdes
de Turquie en France organisent pour leur part un débat sur la lutte du peuple
kurde au Moyen-Orient ; ils et elles appellent à s’informer sur un mouvement
trop méconnu et à soutenir le combat pour l’autodétermination, « partie
intégrante de la révolution coloniale des peuples opprimés du Moyen-Orient 61 ».

Passeurs d’ici et d’ailleurs


L’INTERNATIONALISME COMME VIATIQUE POLITIQUE

L’internationalisme de 1968 ne s’arrête donc pas aux proclamations ni aux


déclarations de bonnes intentions. Il peut aussi se mesurer à l’histoire des
individus engagés. Ce cosmopolitisme est évident chez certains intellectuels de
la Nouvelle gauche dont la trajectoire est une traversée : que l’on songe aux
Franco-Tunisiens Mustapha Khayati, situationniste prolifique, Albert Memmi,
l’auteur du Portrait du colonisé, à Gisèle Halimi, avocate et militante féministe,
aux Grecs Kostas Axelos et Nicos Poulantzas ; ou encore à l’animateur de la
revue Partisans Boris Fraenkel, traducteur de Trotski, de Reich et de Marcuse,
qui longtemps conserve le statut d’apatride parce qu’il est né à Dantzig, alors
territoire indépendant, en 1921 62.
Moins célèbre mais tout aussi visible et sensible pour déchiffrer l’empreinte
transnationale de l’événement, la participation de nombreux étrangers aux
manifestations signale l’ampleur d’un brassage de nationalités, de cultures et de
références. Il faut se rappeler la présence de ces ouvriers, employés, artistes,
enseignants et journalistes venus du monde entier. Le pouvoir s’en méfie tout
particulièrement. Sur ordre des préfets, les agents des renseignements se
chargent de dresser des « fiches “R” » pour recenser les activistes étrangers,
qu’il s’agit donc de traquer, d’arrêter et d’expulser, ou auxquels on interdit
l’accès au territoire français. Si ce système de fichage très codé indique des
pratiques policières alors exacerbées à l’encontre des étrangers, il montre que la
contribution transnationale à l’événement est exceptionnelle, quoique souvent
ignorée.
La police nationale dresse des centaines de fiches qui déclinent les identités
de personnalités connues ou de militants anonymes 63. Les catégories dans
lesquelles elle les enserre et les qualificatifs qu’elle leur confère ont leur
importance : les procédés de nomination construisent des profils, voire
fabriquent des dénigrements. Les termes qui reviennent le plus souvent pour les
désigner sont ceux d’« agitateurs » et d’« émeutiers ». Ces trublions, jugés
perturbateurs et provocateurs, ont en outre le tort d’être des « propagandistes »,
autre mot-clé des fiches de la police. Elles et ils passent pour des individus
troubles – et suscitant du trouble comme le dit l’Académie depuis trois siècles à
propos des « agitateurs ». Ce sont des séditieux : mais le fait d’être étrangers les
rend encore plus dangereux, car le halo du complot leur est associé et, avec lui,
la présomption d’agissements organisés.
Qui est surtout visé ? D’abord les membres des organisations d’extrême
gauche, on peut s’en douter, même si elles ne sont pas toujours aisées à identifier
par les policiers. « Élément trotskiste très actif », disent les fiches, « élément
virulent », « propagandiste marxiste », « fait de la propagande marxiste-
léniniste »… Ce sont des militants allemands, belges, britanniques et italiens
principalement. Le 26 mai, à la frontière mosellane, la gendarmerie refoule un
car transportant des ouvriers allemands venus participer à une manifestation côté
français ; deux jours plus tard, L’Est républicain n’hésite pas à parler d’une
« gigantesque toile d’araignée » pour décrire les escadrons de gendarmerie et les
nombreux postes de contrôle qui quadrillent la région lorraine 64. Le SDS est
redouté au premier chef et, au-delà, les liens entre activistes français et
allemands – à Paris, un commissaire du 20e arrondissement s’en inquiète et
signale à sa hiérarchie que de nombreux véhicules immatriculés en Allemagne
de l’Ouest circulent au Quartier latin 65. Au plus haut niveau, la police nationale
s’alarme de ces connexions. Le siège du SDS, rue de l’Estrapade, fait l’objet
d’une surveillance renforcée, tant l’« agitation » y paraît « fébrile » selon les
termes des RG. Plusieurs véhicules étrangers transportant du matériel « à usage
insurrectionnel » (masques à gaz et casques de chantier) sont interceptés aux
frontières. Les militants allemands ne sont pas là seulement pour faire part de
leur expérience, mais participent au mouvement, jusque sur les barricades. « La
preuve irréfutable, note un rapport de police, c’est Lamche, responsable du SDS
en France, qui la donne » : il a été blessé par des éclats de grenade sur les
barricades dès les premières manifestations. À propos d’un militant du SDS, les
RG précisent qu’il est en contact avec « les étudiants extrémistes italiens de
Rome », indiquant l’emboîtement des réseaux et des liens. Une telle suspicion
explique que, à Lille, le service régional des Renseignements généraux (SRRG)
suggère de refouler systématiquement à la frontière les « transports collectifs
d’Allemands » 66.
Parmi les personnes expulsées et / ou interdites de séjour, beaucoup se
trouvent au carrefour de différents échanges. Parmi eux, quelques dirigeants,
théoriciens, journalistes et essayistes, ont toujours revendiqué cette position.
C’est le cas de Massimo Gorla, né en 1933, architecte à Milan et rédacteur en
chef de la revue La Sinistra, organe de la tendance prochinoise du Parti
communiste italien : il est repéré une première fois par les forces de police en
mars à Nice, tandis qu’il intervient au cours d’une réunion publique sur le
Vietnam et prône la création de nombreux Comités Vietnam dans toute l’Europe.
Gorla arrive à Paris en mai et prend une part active aux comités étudiants-
salariés ; il est expulsé par arrêté ministériel du 13 juin. C’est le cas aussi
d’Ernest Mandel, dirigeant historique du Secrétariat unifié de la
IVe Internationale, né en 1923 ; il vit à Bruxelles et dirige le Parti communiste
internationaliste. La fiche qui est dressée de lui pointe ses « nombreuses liaisons
en Europe (France, Allemagne, Italie) » ; il est interdit d’entrée en France le
10 juin. Pierre Le Grève, né en 1916, belge lui aussi, est présenté comme un
« agitateur trotskiste » en relation avec les mouvements révolutionnaires de
nombreux pays : FLN algérien, organisations d’extrême gauche espagnoles,
mouvances de libération en Afrique portugaise, anarchistes de Belgique, de
France et d’Allemagne ; organisateur d’un meeting à Bruxelles contre la guerre
d’Algérie le 12 mars 1962 en présence de Jean-Paul Sartre, député depuis 1965,
fondateur d’un Comité Vietnam en Belgique, il est également interdit de séjour
en France à compter du 10 juin. Un autre révolutionnaire belge est mis à l’index
par les Renseignements généraux : il s’agit de Jean-Claude Garot,
« révolutionnaire procastriste » qui milite à l’Université libre de Bruxelles où il
dirige la revue mensuelle Le Point, journal étudiant engagé dans les combats
anti-impérialistes ; les policiers le repèrent sur les barricades de Mai ; il est
expulsé. Il faut citer aussi Giangiacomo Feltrinelli 67, né en 1926, éditeur à
Milan, qui publie de très nombreux ouvrages sur Cuba et édite l’hebdomadaire
La Sinistra. Parmi les expulsés, on trouve encore Karl Wolff, né en 1943,
étudiant en droit à Fribourg et président du SDS ; il est arrivé à Paris en mars et a
pris la parole à Nanterre. Quant à Boris Fraenkel, la police tente de l’expulser
vers la RFA qui lui refuse l’accès sur son territoire, au motif que Dantzig n’était
pas allemande à sa naissance : il est assigné à résidence en Dordogne… Enfin,
on ne s’étonnera pas que Rudi Dutschke subisse la même interdiction ; très
grièvement blessé lors de l’attentat du 11 avril, il ne peut de toute façon plus se
déplacer mais il reste considéré comme un danger potentiel de subversion en
France et en Allemagne 68.
Moins célèbres mais connus dans les milieux militants, de nombreux
participants ouest-allemands sont également expulsés. On compte parmi eux
Heinrich S., né en 1941, membre du SDS, qui aurait « assuré des missions de
renseignements » en France pour le développement de liens internationalistes,
ainsi que Gustav L., né en 1933, professeur à l’École supérieure d’aéronautique,
responsable avec sa femme du groupe SDS à Paris ; leur appartement est visé par
la police, car il est considéré comme le « lieu de rendez-vous des agents
internationaux du SDS ». Jean Neil-Acheson, correspondant britannique de
l’Observer à Berlin, apparaît comme un « agent du SDS » après sa participation
aux manifestations et se voit infliger la même interdiction. La Belgique, en
raison de sa proximité géographique mais aussi de liens politiques établis depuis
des années, est bien représentée. Jacques Wattier, habitant Boussu en Wallonie,
membre du Parti communiste marxiste-léniniste belge, étudiant à l’Université
libre de Bruxelles, vient à Paris pour contribuer à « coordonner l’action étudiante
sur le plan européen » – puis est expulsé. Les polices française et belge
collaborent d’ailleurs à son sujet puisque, le 22 mai, la préfecture de police de
Paris est informée par ses collègues d’outre-Quiévrain que Wattier et son
camarade Bernard Audefroy viendraient en France pour participer à une
« réunion universitaire revendicative à l’échelle européenne 69 ».
Plus anonymes, d’autres passeurs de l’événement renforcent sa dimension
transnationale. Toutes et tous figurent sur les listes dressées pour établir les
arrêtés d’expulsion : Catherine C., 20 ans, Britannique interpellée alors qu’elle
vend le Livre noir des journées de Mai ; Monica J., 20 ans, Argentine qui
participe à l’occupation de la faculté de Censier ; Laureano F., 21 ans, Espagnol
vendeur de journaux politiques publiés de part et d’autre des Pyrénées, qui
diffuse aussi des tracts espagnols et sud-américains ; Sergio S., 33 ans, Italien
dont l’expulsion est motivée parce qu’il s’est rendu à plusieurs reprises dans la
Sorbonne occupée, a été arrêté en possession d’un carnet à souches pour
l’encaissement d’argent en solidarité avec les étudiants et apparaît casqué sur
une photographie du Comité d’action italien de la Sorbonne. Et tant d’autres
encore, celles et ceux qui sont interpellés à Flins : le Brésilien Aleidino B.,
l’Algérien Saïd C., les Argentins Julio L. et Hugo D., la Costaricaine Juna R.,
l’Israélien Eitan Z., le réfugié espagnol Thomas I. ; celles et ceux qui
manifestent à l’appel de l’UNEF le 11 juin, manifestation interdite qui leur vaut
d’être expulsés : le Malien Mamadou C., les Algériens Abdelhamdi G.,
Mohand N. et Djafar H., les Belges Jacqueline E.et Alexandra V. Seul le Chilien
Sergio A., 23 ans, s’en sort plutôt bien : l’ambassade du Chili à Paris intervient
en sa faveur ; son expulsion est annulée. À Toulouse, vingt-deux étrangers
interpellés dans la nuit du 11 au 12 juin sont immédiatement expulsés. Parmi eux
se trouvent huit Algériens dont cinq manœuvres, un ouvrier vitrier, un emballeur
et un grutier ; deux lycéens dont l’un est portugais et l’autre ivoirien, ainsi qu’un
étudiant canadien ; un peintre en bâtiment espagnol remis aux autorités
franquistes 70.
Pour d’autres, le couperet tombe sans que leur participation soit établie : en
ce qui concerne Hans-Alex M., 28 ans, Allemand considéré par les services de la
police comme un « étranger vagabond sans ressources et sans domicile », c’est
parce que sa présence en France est jugée « absolument dépourvue de toute
justification » qu’il est expulsé, après son interpellation le 14 juin dans l’Odéon
évacué. José F., Espagnol de 24 ans appréhendé à l’École des Beaux-Arts,
apparaît au policier chargé de statuer sur son dossier davantage comme « un
profiteur que comme un militant » – il est expulsé. En revanche, l’Allemand
Bernd B. a l’heur de « paraître sérieux » au responsable à qui son cas est confié ;
il évite la sanction. Parmi les étrangers expulsés, on trouve encore Omar B., un
Marocain de 30 ans, actif à la faculté de Censier, Mbarek B., correcteur
marocain de 21 ans, membre du service de presse dont s’est doté le comité
d’action de la faculté des sciences, Jean V., 24 ans, garçon de café belge qui
s’est mis à la disposition du mouvement comme infirmier secouriste, ou bien
Josiane M., serveuse de nationalité suisse qui garde bénévolement les enfants
dans la crèche installée à Censier 71.
DE L’ANTICOLONIALISME À L’ANTI-IMPÉRIALISME

1968 n’est pas survenu ex nihilo comme une année zéro. L’imprégnation de
références et d’expériences internationales n’est pas seulement un cadre ou un
arrière-fond ; elle s’illustre dans l’histoire et la trajectoire des personnes
engagées. Les archives de police en portent la trace : les policiers se montrent
soucieux de relever ce qui, dans le parcours des individus interpellés, a pu par le
passé être politiquement compromettant. Ces dossiers fourmillent d’éléments sur
de précédentes arrestations : ce qui du point de vue policier est le signe d’une
suspicion aggravée, témoigne de positions internationalistes, anticolonialistes et
anti-impérialistes sédimentées.
1968 est souvent le prolongement d’un engagement né durant la guerre
d’Algérie. Il y a là une matrice générationnelle, pour celles et ceux qui avaient
une vingtaine d’années durant le dernier conflit colonial français. Tel Gérard B.,
35 ans, arrêté dix ans plus tôt lors d’un meeting interdit organisé pour protester
contre le bombardement de Sakhiet, un village tunisien à la frontière algérienne,
le 14 février 1958. Parmi les personnes retrouvées dans les fichiers policiers
figurent aussi Jean-Pierre B., un cinéaste né en 1937, interpellé en février 1958
lors d’une protestation contre la dissolution de l’Union générale des étudiants
musulmans algériens, et Benoît Rey, auteur du livre Les Égorgeurs, récit qui
relatait ses souvenirs de soldat en Algérie, un ouvrage saisi en avril 1961. Plus
isolé dans ces fichiers mais témoin d’une continuité entre bataille pour
l’indépendance algérienne et soulèvement de Mai, Mohamed G., algérien,
manœuvre de 49 ans, arrêté le 6 mai 1968 lors des affrontements au Quartier
latin, était déjà fiché parce qu’interpellé le 31 mars 1956 alors qu’il manifestait
contre le transfert du dirigeant indépendantiste algérien Messali Hadj à Belle-Île-
en-Mer. Beaucoup, tels Yvon P., un inspecteur d’assurances de 32 ans, ou
Jean D., médecin de 34 ans, avaient été arrêtés lors des rassemblements du
27 octobre 1960 pour la fin de la guerre et l’indépendance de l’Algérie.
L’expérience avait beaucoup marqué : ce jour-là, la violence avait décidé de
futurs engagements. Ce 27 octobre compte parmi les moments de basculement
qui ponctuent les vies. Arlette Laguiller, parmi d’autres, en a témoigné : alors
âgée de 21 ans, elle a regardé,

pour la première fois, la police à l’œuvre ; je ne l’avais jamais vue


d’aussi près. Elle a tout de suite chargé à coups de « bidules », ces
longues matraques qui fendent si bien la peau du crâne. Et nous courions
comme des lapins. Partis de la Mutualité, nous nous sommes retrouvés,
toujours courant, sous la charge brutale des policiers, devant la Santé.
J’avais très peur. C’était ma première expérience, et elle n’a fait que
renforcer mon désir de faire quelque chose 72.

Elle décide le soir même d’adhérer au PSU. Ayant subi lui aussi cette violence,
un étudiant durant la guerre d’Algérie assure plus tard, en forme de bilan :
« J’étais devenu anti-flic, déjà prêt pour Mai 68 73. »
Dans les dossiers policiers figurent des personnes plus jeunes, adolescents à
la fin de la guerre d’Algérie : par exemple, Patrick B. et Patrick D., qui avaient
16 et 17 ans en 1961, date à laquelle ils avaient été interpellés lors de
manifestations pour la paix. La mobilisation dans bon nombre de lycées, sous la
forme auto-organisée des « comités antifascistes » contre l’OAS, a laissé son
empreinte et offert de renouer avec un savoir-faire militant. « Charonne »,
événement traumatique s’il en est, se retrouve dans les fiches de la police,
décidément utiles pour mesurer les continuités. Qu’il s’agisse de Danielle R.,
une secrétaire de 33 ans, de Philippe C., ouvrier tôlier de 36 ans, de Raymond T.,
ingénieur de 34 ans, tous avaient déjà été arrêtés six ans auparavant, un certain
8 février 74.

PROLONGEMENTS ET REPRISES D’ENGAGEMENT

Ces prolongements et reprises d’engagement sont tout aussi remarquables


dans le sillage de la guerre du Vietnam. Ce que relève la police, ce qui
l’interpelle si l’on ose le terme, en dit autant sur les forces de l’ordre que sur les
manifestants. Les éléments sélectionnés renseignent sur ce qui inquiète et
alourdit la charge des dossiers. Que reproche-t-on aux manifestants, en quoi leur
passé les rend-il plus suspects ? Ce qui est consigné, c’est bien sûr la
participation à des rassemblements, comme on le voit avec Jean A., employé de
bureau, et Bernard A., coursier, interpellés le 12 février 1965 devant
l’ambassade des États-Unis, Roland M., artiste peintre arrêté le 1er avril 1965
place de la Concorde, Martin D., étudiant, interpellé le 16 décembre 1966 à
l’Opéra lors de manifestation organisée par le Mouvement de la paix.
Dans la gradation des suspicions, les colleurs d’affiches pour le CVN sont
encore mieux situés. C’est le cas de Paul B., cinéaste indépendant, appréhendé
en décembre 1966 alors qu’il collait une affiche au slogan tranchant :
« Hiroshima 1945 Vietnam 1967 » ; d’Odile S., étudiante et membre du CVN,
interpellée le 1er juillet 1967 tandis qu’elle peignait des slogans antiaméricains
sur la façade de l’église américaine (pour détérioration d’édifice, elle a été
condamnée à 300 francs d’amende) ; de Françoise B., dactylographe syndiquée à
la CGT, interpellée le 6 octobre 1967 pour avoir collé des affiches anti-
impérialistes ; de Claude S., élève de khâgne au lycée Janson-de-Sailly,
interpellé le 6 février 1968 devant son lycée muni d’affiches sur le Vietnam.
Et puis au sommet de cette tacite hiérarchie du militantisme et, en miroir, de
la méfiance policière se trouvent celles et ceux qui ont quelque responsabilité :
l’avocat Gilbert K., 29 ans, qui s’occupe des affaires juridiques de la librairie
Michelet, le siège du Comité français de solidarité avec le peuple vietnamien ;
Jacques M., 28 ans, opérateur de prises de vues à l’Office de radiodiffusion-
télévision (ORTF), membre du PSU, responsable d’une collecte de fonds pour le
Vietnam ; Gilles O., 25 ans, professeur de physique, vendeur du Courrier du
Vietnam ; ou encore Nicolas B., 17 ans, militant du CVN et responsable d’un
CAL 75. Un internationalisme actif parsème les fiches de la police. L’une,
Monique C., s’est rendue à Pékin en 1966, l’un a participé à un hommage au
« Che », une autre a manifesté pour la libération du militant péruvien Hugo
Blanco, une autre encore pour le soutien aux Palestiniens.


Luttes de libération et guerres de décolonisation dessinent non pas l’arrière-
plan de l’événement, mais l’un de ses sens profonds : toutes renvoient à
l’émancipation qui est le fanal de ce moment. La nouveauté de 1968 naît des
points d’intersection à la croisée des engagements : des liens sont trouvés et des
ponts jetés entre les peuples insurgés, les étudiants insoumis et les travailleurs
révoltés. Ce sont des influences, des fertilisations et des réciprocités, au nom de
causes jugées plus communes qu’éloignées 76. Les révolutionnaires ont leurs
embarcadères, leurs escales obligées et leurs itinéraires. La Chine est toutefois
moins présente que Cuba ; l’Afrique est presque absente malgré ses
mobilisations et ses rébellions 77. Le transfert, bien que transnational, est aussi
une adaptation au cadre national et à ses singularités : le passé colonial et son
rejet « travaillent » les manifestants en France, comme le traumatisme nazi en
Allemagne.
De là à voir un complot fomenté de l’étranger, il n’y a qu’un pas –
l’hypothèse circule d’abondance parmi les opposants à la contestation. Pourtant,
la direction des Renseignements généraux, que l’on suppose bien informée, en
récuse la validité : l’existence d’une « organisation mondiale, clandestine,
centralisée et structurée » n’est pas décelée ; le mouvement n’est pas
« téléguidé ». Mais il y a, à tout le moins, « une entreprise de concertation
transfrontière » 78.
Globalité et transferts opèrent de manière circulaire : l’événement est global
parce que ses protagonistes voyagent, transmettent, s’approprient et relèvent le
défi d’un au-delà de la patrie ; mais la conscience que l’événement est mondial
et marquera l’histoire incite à son tour aux départs. Il ne faut pas manquer ce
moment et savoir ce qui se passe ailleurs ; 1968 est l’un de ces « événements
mondiaux intérieurs 79 ». On n’y prend pas « le moins » du monde : au contraire,
on y aspire au meilleur.
DEUXIÈME PARTIE

DE L’AUTRE CÔTÉ :
POUVOIR, POLICE
ET POLITIQUE
CHAPITRE V

Que fait la police ?

Dispositifs stratégiques et violences


politiques

« La force de la police, c’est qu’on ignore ses faiblesses. » Le mot est prêté à
Fouché et, sous son air de ne pas y toucher, il livre une clé élémentaire de
l’institution policière. Pour maintenir l’ordre, il faut une confiance réciproque
entre le pouvoir et son bras armé, un dispositif matériel solide, mais encore un
discours assuré, sans failles ni brèches. Or, l’événement est par définition une
trouée dans l’ordinaire : il vient briser les routines de la force publique pour la
mobiliser autrement, dans le temps de l’urgence et des ajustements. C’est une
épreuve, qui peut témoigner tout aussi bien de l’efficacité ou de la fragilité. Elle
éclaire des seuils de tolérance, déplace les formes de surveillance et le rapport à
la violence 1.
Saisir ces renouvellements est d’autant plus nécessaire que l’action policière
joue un rôle décisif ici. Elle est à l’origine, circonstancielle, de l’événement :
c’est en réaction au dispositif policier déployé et aux violences des premiers
jours de mai que l’appel à la grève est lancé. Étincelle, elle est aussi structurelle
et fait office de révélation sur le pouvoir et la manière de gouverner. La méfiance
voire le rejet traditionnels, notamment dans le mouvement ouvrier, à l’égard des
forces de l’ordre accusées de protéger un ordre jugé injuste dans son inégalité, en
sont nourris à nouveaux frais. Mais il n’y a pas là que rituel d’opposition : pour
beaucoup de manifestants, la confrontation brutale au dispositif policier est une
découverte, un choc physique et politique. Passionné autant qu’éprouvant, il
renvoie à ce que la politique peut avoir de charnel, quand le corps est mis en
danger 2. Ces face-à-face en corps-à-corps ne sont pas un étonnement pour
certains, qui ont connu au cours des années précédentes la dureté des
affrontements. La guerre d’Algérie, dans ses moments les plus tragiques,
demeure comme un passé présent. La fronde contre la IVe République, illustrée
le 13 mars 1958 par une manifestation policière devant le Palais-Bourbon, avait
montré que la loyauté n’était plus de mise. Cette insubordination, rare pour une
institution d’ordre, avait aidé Charles de Gaulle dans sa reconquête du pouvoir :
elle a placé le Général « en position de débiteur », comme s’il devait à la police
une faveur 3. La façon dont la répression meurtrière du 17 octobre 1961 puis la
tuerie de Charonne, le 8 février 1962, ont été couvertes et cautionnées par le
pouvoir est peut-être de ces dédommagements-là, au point d’en faire un
« massacre d’État ». « Charonne » n’a depuis jamais cessé d’alimenter
l’indignation et la rancœur.
La police a, sans doute, une « puissance d’enchantement 4 » : elle alimente la
fascination. On peut l’imaginer omnipotente et omnisciente, déployant les
réseaux tentaculaires de ses agents de renseignements à la manière d’un
panoptique. Une plongée dans les récits qu’elle produit éloigne de tels
fantasmes : qu’il s’agisse de circulaires internes, de rapports de surveillance ou
de comptes rendus faits aux ministres et aux préfets, au milieu des fiches et des
notes de service, ce sont chaque fois des grilles d’interprétation, des codes et des
normes, des « textes en tension 5 » tant peuvent y jouer les surenchères et les
rivalités. « Les polices », devrait-on dire à leur sujet, tant diffèrent les attitudes
selon qu’il s’agisse des gardes mobiles, des polices municipales et nationale ou
des Compagnies républicaines de sécurité. Du moins expriment-elles tout ce qui
se noue pour des forces chargées de maintenir l’ordre et d’appliquer des ordres,
quand le premier est contesté et les seconds interrogés par ceux-là mêmes qui
devraient les respecter sans discuter. Une fois encore, l’événement prouve sa
fonction de dévoilement.

Une police remontée

QUI-VIVE : AJUSTER LES DISPOSITIFS POLICIERS

Tout rassemblement est porteur de conflit latent. A fortiori lorsque les


manifestants disputent au gouvernement sa légitimité et estiment qu’à ce
moment il ne les représente plus : « le pouvoir est dans la rue » 6.

Cadres et gradés sont ainsi amenés à considérer la manifestation comme


une pratique politique faiblement légitime, susceptible de mettre en
cause le jeu normal de la démocratie représentative et, par-dessus tout,
de menacer « l’ordre public », c’est-à-dire l’ordre qui les a choisis, les a
formés, les emploie et les rémunère matériellement et symboliquement 7.

C’est à cette aune que le maintien de l’ordre évolue. Dans son registre
républicain, il se doit de témoigner distance et retenue, capacité à temporiser. Sa
règle est d’intimider, d’« agresser les sens et non les corps », de graduer la
riposte en évitant le contact qui pourrait dégénérer. Ce dispositif est
historiquement situé : les armements utilisés durant les événements, les gaz
lacrymogènes et le fourgon-pompe, ont commencé de s’imposer face aux
manifestations communistes des années 1950 et, bien sûr, durant la guerre
d’Algérie, période de rassemblements interdits. Les affrontements y sont
néanmoins violents et l’usage systématique de la matraque et même de son frère
d’arme le « bidule », long bâton de bois très prisé pour réprimer les opposants,
dément la théorie, en contournant ses principes défensifs 8.
Dès les premiers jours de mai, le dispositif policier doit s’ajuster à la
situation nouvelle, pour éviter d’en faire les frais. C’est le cas surtout à Paris et
dans les grandes villes. Séance tenante, tous les agents sont mobilisés ; la
consigne est de négliger voire d’abandonner d’autres activités courantes. Le
temps est extraordinaire, il impose de faire cesser les pratiques journalières pour
s’adapter à son caractère indécis, exceptionnel et mouvant. À Paris, dès le 8 mai,
le « ramassage de prostituées » par car est suspendu. De nouvelles fonctions sont
dévolues aux forces de l’ordre : traquer les transports d’armes de toute nature,
contrôler les véhicules provenant d’une autre région ou de l’étranger, protéger
les dépôts d’explosifs… Les noms des opérations ont beau être cocasses, elles
doivent être menées avec détermination : les évacuations programmées des
universités parisiennes occupées reçoivent les appellations d’« Astérix » (pour la
faculté de lettres) et « Obélix » (pour la faculté de sciences) – sans potion
néanmoins pour venir à bout d’occupants comparés à des Romains – des
étrangers – dans une Gaule assiégée 9.
Tous les effectifs sont mobilisés. Le 8 mai à Paris, la direction générale de la
police municipale annonce que les permissions sont reportées jusqu’à nouvel
ordre pour les commissaires principaux et divisionnaires, les commandants et les
officiers. Moins de quinze jours plus tard, l’ordre est étendu au niveau national
et à tous les policiers : les départs en congé sont suspendus ; seuls les
événements familiaux graves ouvrent à dérogation. Le 23 mai est un jour férié –
c’est le jeudi de l’Ascension : les fonctionnaires de police qui ne seraient pas en
service sont consignés à leur domicile, pour rejoindre leur poste au plus vite en
cas de besoin 10.
Signe de l’anxiété grandissante côté policier, à dater du 8 mai, tous les
effectifs de la police parisienne doivent être porteurs du calot et du casque et
tous les véhicules être équipés de grilles de protection. On perçoit, à lire leurs
rapports, l’inquiétude de policiers sous tension, leur énervement et leur
épuisement. Le 13, le Syndicat des gradés de la police nationale s’adresse au
préfet Maurice Grimaud pour exprimer « l’insécurité des fonctionnaires ». Le
21, les services préfectoraux lancent une alerte à tous les chefs des polices
urbaines : les officiers sont « instamment invités » à ne faire effectuer de
patrouilles à pied ou bicyclette que par groupes de deux gardiens au moins ;
aucun ne doit rester isolé. Selon une note – et une rumeur – des RG, des
commandos venus de l’Odéon envisageraient d’attaquer des policiers ; les
victimes seraient choisies parmi les agents regagnant leur domicile à une heure
tardive. Les policiers sont sur le qui-vive 11.
Ils ont de surcroît le sentiment d’être mal équipés. La tenue des gendarmes
mobiles – vareuse, pantalon, brodequins et baudrier – ne paraît pas adaptée : elle
gêne les mouvements et laisse trop de prise à l’adversaire au cœur de
l’affrontement. Il leur manque aussi des visières et des boucliers ; pour se
protéger, certains se munissent de couvercles de poubelle, qui font office de
protection. Les lunettes antigaz n’ont rien des masques qui
empêcheraient l’inhalation ; dans le feu de l’action, elles deviennent rapidement
opaques, il faut sans cesse les essuyer 12. En revanche, en pleine pénurie
d’essence, les agents bénéficient de facilités : des postes de distribution sont
ouverts à leur intention. Mais les directives y insistent, il ne s’agirait pas de
détourner ce contingentement de son objet unique : le bon fonctionnement du
service 13.
L’événement fait réfléchir à l’amélioration des équipements et à une gestion
mieux contrôlée, mieux quadrillée, de l’espace public. À Paris, le directeur
général de la police municipale, André Friédérich, se montre impressionné par
les moyens d’action et de liaison déployés par les adversaires auxquels les forces
de l’ordre ont affaire : postes radios portatifs, estafettes motorisées, ambulances,
engins et outils pour dépaver et barrer les rues – scies tronçonneuses et barres à
mine. Ces jeunes lui apparaissent instruits à la technique du combat de rue.
« C’est la première fois que la police municipale se trouve dans une situation
aussi exceptionnelle », reconnaît cet officier. D’où la légitimité à utiliser des
moyens nouveaux et puissants, les bulldozers notamment. Il s’agit aussi
d’étudier de nouvelles techniques de transmission, de sorte que les messages ne
puissent être interceptés par les manifestants. Enfin, la voirie pose des problèmes
qui ne peuvent plus être ignorés. André Friédérich suggère de supprimer le pavé
« mosaïque » : il devrait disparaître des chaussées. La préfecture de Paris aurait
également intérêt à enlever du domaine public les objets, matériels, décorations
et clôtures susceptibles d’entraver la circulation voire de constituer des armes
pour les émeutiers. Ces réflexions de fond ne sont pas propres à la capitale : à
Saint-Étienne, un commissaire divisionnaire étudie la possibilité de recourir à
des chevaux de frise pour interdire l’accès aux bâtiments importants 14.

OUTRAGES ET « LÂCHAGES »

Aux outrages que les policiers subissent habituellement viennent s’ajouter


les tensions spécifiques à l’événement. Le 3 mai, des agents de police
interpellent à Paris un jeune homme qui les abreuve d’insultes et d’accusations :
« Mort aux vaches, sales flics, enc… Vous enc… les Algériens, vous êtes des
truands, des bons à rien et vous êtes commandés par des bons à rien et des
imbéciles 15. » Le commissaire principal du 9e arrondissement relate la
mésaventure arrivée le 10 mai à l’un de ses agents. Il s’était rendu au lycée
Jacques-Decour, réputé pour sa combativité :

Les élèves m’ont fait promener dans tout le lycée, leur ayant demandé
où se trouvait le bureau de M. le proviseur. À ma sortie, traversant une
cours (sic), j’ai été hué et sifflé et ai fait l’objet de nombreux quolibets
plus ou moins désagréables, de la part des cinq cents élèves âgés
d’environ 12 ans pour la plupart 16.

Bien plus grave est aux yeux des policiers le slogan qui assimile les CRS aux
« SS ». Il s’agit en fait d’une reprise historique, puisqu’il avait été utilisé lors des
grèves insurrectionnelles des mineurs et ouvriers des aciéries, à l’automne 1948.
Le 13 mai, l’Union interfédérale des syndicats de la préfecture de police et de la
sûreté nationale publie un texte de protestation : les policiers impliqués, affirme
ce communiqué, « ont agi sans haine à l’égard des manifestants, la violence des
engagements étant rendue inévitable par le processus engagé ». L’enjeu est
politique : les forces de police ne se sentent pas assez soutenues par les autorités
et certains membres du gouvernement. Elles s’estiment même « lâchées » par le
Premier ministre, qui semble accorder crédit et caution aux étudiants. Lorsque
Georges Pompidou propose de rouvrir la Sorbonne, le 12 mai, les forces de
l’ordre y voient une façon de donner raison à la contestation. Les fonctionnaires
de police peinent à comprendre pourquoi consigne leur a d’abord été donnée
d’évacuer l’université, si c’était pour satisfaire ensuite la revendication des
étudiants. Et de fait, l’Union interfédérale des syndicats de la préfecture de
police et de la sûreté nationale n’hésite pas à déplorer publiquement la
déclaration du Premier ministre, perçue « comme une reconnaissance du bon
droit des étudiants et comme un désaveu absolu de l’action des forces de police
que le Gouvernement a ordonnée. Elle s’étonne, dans ces conditions, qu’un
dialogue efficace avec les étudiants n’ait pas été recherché avant que s’engagent
ces regrettables affrontements ». Son secrétaire général, Gérard Monate, dit
avoir « presque reçu mandat au cours d’une assemblée générale de déclencher la
grève de la police pour protester contre l’attitude du Premier ministre ». De son
côté, le secrétaire général du Syndicat des corps urbains de sécurité confesse
dans la presse qu’il est « difficile de se voir déjuger par le gouvernement. C’est à
lui qu’incombe la véritable responsabilité de la situation. On a pratiquement
donné l’autorisation de dresser les barricades. C’était une erreur ». Enfin, le
Syndicat des gradés de la police nationale, alarmé, interpelle Maurice Grimaud
pour l’informer de la colère qui monte dans ses rangs : le « personnel se trouve
traumatisé et indigné par les communiqués de presse, les informations radio et
les tracts diffusés sur la voie publique ». Les policiers pensent avoir exécuté les
ordres et avoir en conscience accompli leur devoir « dans toute l’acception du
Terme ». Au 13 mai, l’institution policière ne comprend pas le silence des
autorités et aimerait « recevoir dans un ordre du jour les approbations conjointes
de Monsieur le Ministre de l’Intérieur et de Monsieur le Préfet de Police » 17.

EXEMPLAIRES OU ARBITRAIRES ? MAURICE GRIMAUD FACE


AUX CONDUITES POLICIÈRES
Satisfaction lui est rapidement donnée. Le 15 mai, deux déclarations
viennent réconforter les policiers. Le ministre de l’Intérieur, Christian Fouchet,
salue leur discipline, leur courage et leur sang-froid. Maurice Grimaud leur dit
« la fierté [qu’il] éprouve d’avoir eu à commander, dans les circonstances que
nous venons de connaître, un corps de police exemplaire ». Trois jours plus tard,
sa circulaire s’accompagne de morceaux choisis dans les courriers de
correspondants qui célèbrent l’attitude des policiers, comme cette habitante de
La Rochette en Seine-et-Marne : « Je suis certaine que vos agents attaqués ont
accompli des prodiges » ; à Paris, un habitant du 16e arrondissement se montre
satisfait : « Nous, public neutre, nous félicitons vos services » ; un autre « crie
[son] admiration pour le service d’ordre ; vos hommes ont été magnifiques de
sang-froid et de calme » ; un correspondant lyonnais assure aux « gardiens de la
paix » : « Les honnêtes gens sont avec vous ». Le 24 mai, le préfet de police de
Paris renouvelle l’expression de sa gratitude à ses subordonnés et sa « très vive
satisfaction pour l’esprit de cohésion et de discipline » ; il utilise de nouveau
l’adjectif ajusté pour ce faire : « exemplaire » 18.
Les autorités n’en restent pas là : aux témoignages de satisfaction s’ajoutent
récompenses et gratifications. Dès le 4 mai, Maurice Grimaud adresse aux
compagnies en formation d’intervention ses « chaleureuses félicitations »,
assorties d’un congé exceptionnel. Faute de pouvoir en accorder, vu les
exigences de l’heure, le préfet de police annonce un relèvement du taux
d’indemnité, majoré de trois points. Tous les fonctionnaires de police doivent en
être informés 19.
Plus discrète, car limitée à l’attention du directeur général de la police
municipale et du directeur de la police judiciaire, une note de Maurice Grimaud,
en date du 28 mai, s’avère moins chaleureuse et plus critique à l’égard de
certaines pratiques. Il y insiste pour que les contrôles soient menés « dans le
style d’une police parfaitement maîtresse d’elle-même et consciente de ses
responsabilités ». Certaines interpellations apparaissent « souvent maladroites ou
inutilement brutales ». La question est tactique : même si l’individu a l’air « d’un
voyou », « il ne sert à rien de le bousculer, de tirer ses vêtements, de le rudoyer.
On l’exaspère un peu plus et on le confirme dans les idées qu’il avait déjà à tort
mais qu’il aura désormais avec quelques raisons sur certaines manières de
police ». Maurice Grimaud tient cependant à rassurer les destinataires de cette
lettre distante et prudente : il n’en va pas là d’une critique générale, ces cas
particuliers lui paraissent exceptionnels. Mais ils font du tort à tout un corps 20.
Le préfet de police de Paris décide d’aller plus loin, en envoyant le lendemain un
courrier aux fonctionnaires de la préfecture, que la presse ne manque pas de
publier. Il s’y adresse « à toute la Maison : aux gardiens comme aux gradés, aux
officiers comme aux patrons ». Son objet est formulé avec une fermeté
précautionneuse dans les termes utilisés : il évoque « les excès dans l’emploi de
la force ». Maurice Grimaud demande une explication franche, au nom des deux
batailles qu’il y a là à gagner, à la manière d’une mission : celle de la rue et celle
de la réputation. Le propos se veut équilibré : Grimaud rappelle qu’il s’est rendu
au chevet des policiers blessés parfois victimes d’agressions caractérisées, du
pavé lancé de plein fouet au jet de produits chimiques. Il comprend la violence
des policiers ; elle n’est pas en cause lorsqu’elle prend place au cœur des
affrontements. « Mais là où nous devons bien être tous d’accord, c’est que, passé
le choc inévitable du contact avec des manifestants agressifs qu’il s’agit de
repousser, les hommes d’ordre que vous êtes doivent aussitôt reprendre toute
leur maîtrise. »

Frapper un manifestant tombé à terre, poursuit-il, c’est se frapper soi-


même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière.
Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et
lorsqu’ils sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés.
Je sais que ce que je dis là sera mal interprété par certains, mais je sais
que j’ai raison et qu’au fond de vous-mêmes vous le reconnaissez. Si je
parle ainsi, c’est parce que je suis solidaire de vous. Je l’ai dit déjà et je
le répéterai : tout ce que fait la police parisienne me concerne et je ne me
séparerai pas d’elle dans les responsabilités. C’est pour cela qu’il faut
que nous soyons également tous solidaires dans l’application des
directives que je rappelle aujourd’hui et dont dépend, j’en suis
convaincu, l’avenir de la préfecture de police. Dites-vous bien et
répétez-le autour de vous : toutes les fois qu’une violence illégitime est
commise contre un manifestant, ce sont des dizaines de ses camarades
qui souhaitent le venger. Cette escalade n’a pas de limites. Dites-vous
aussi que lorsque vous donnez la preuve de votre sang-froid et de votre
courage, ceux qui sont en face de vous sont obligés de vous admirer
même s’ils ne le disent pas 21.

Maurice Grimaud veut toucher les « hommes de cœur » que sont selon lui
les policiers ; il leur parle avec franchise et humanité. Il est conscient du
potentiel danger que cette démarche recèle : elle tranche avec celle de son
prédécesseur, Maurice Papon. Sans doute le souvenir des terribles répressions à
l’encontre des manifestants algériens le 17 octobre 1961 et du massacre à
Charonne le 8 février 1962 n’est-il pas pour rien dans l’attitude de Grimaud,
dont par ailleurs le dirigeant de la JCR Alain Krivine dira plus tard que c’était
« un type bien ». Assurément, l’homme rompt avec la tradition voulant que le
préfet couvre certaines pratiques assimilées d’une litote à des « bavures ». Son
style est à l’opposé de l’autoritarisme déployé par Papon. Pour autant, il est
difficile d’affirmer que Maurice Grimaud aurait « empêché les débordements de
violence policière en mai 1968 » 22. Sa circulaire souvent citée date du 29 mai :
tout un mois d’affrontements s’est déjà déroulé, ponctué d’encouragements
régulièrement adressés à ses subordonnés. Ce 29 mai, soucieux de ménager les
syndicats policiers, il certifie que les faits rapportés sont seulement de « pénibles
incidents isolés 23 ». Sa version donne l’impression de pratiques très
circonscrites. Elle ne correspond pas aux témoignages nombreux qui étayent la
thèse d’une répression violente et parfois acharnée.

Ordres et désordres des forces de l’ordre


DÉLITS FLAGRANTS

« Des faits se sont produits, que personne ne peut accepter », explique


Maurice Grimaud dans sa lettre du 29 mai. Quels sont ces faits ? Une source sûre
repose dans les plaintes déposées par des particuliers et consignées par
l’inspection générale de la préfecture de police. Les toutes premières datent du 3
au 8 mai. Jean G., 29 ans, raconte avoir été frappé avec une matraque par un
CRS boulevard Saint-Michel ; des policiers lui ont cogné violemment la tête à
plusieurs reprises contre la porte grillagée de leur car. « Mon sang s’est mis à
couler ; j’ai demandé à être soigné ; on m’a dit de fermer ma g… et de me mettre
mon mouchoir par-dessus », explique-t-il. Le 6 mai, Denis D., 25 ans, est roué
de coups de matraque ; il fait le mort mais reçoit des coups de poing dans les
côtes ; il se met à crier : les coups redoublent et il perd connaissance. Le même
jour, des agents de la RATP en service à la station Luxembourg subissent de la
part des forces de police des sévices corporels qui nécessitent un arrêt de travail ;
le comité d’entreprise en rend compte au préfet de police. Luc D. dépose
plainte : un groupe de CRS les a brutalisés, lui et son frère, « de façon
inqualifiable » ; son frère en ressort avec plusieurs côtes cassées, le crâne ouvert
et des ecchymoses sur tout le corps ; « Nous n’étions pourtant, précise le
plaignant, ni étudiants ni manifestants. » François B., 35 ans, marié et père de
deux enfants, relate au procureur de la République ce qu’il a vécu ce 6 mai : il se
trouve près de l’Odéon quand plusieurs policiers le frappent à coups de matraque
et de pied, jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Les agents le chargent alors dans
leur car ; tandis qu’il reprend conscience, ils continuent de le battre en le
pressant d’avouer qu’il avait lancé des pavés, ce qu’il récuse formellement. Il
reste deux heures dans ce car et est pris de vomissements, si bien qu’une
ambulance est appelée. Il souffre d’une fracture du rocher : il restera un mois en
incapacité de travail totale, affligé d’une surdité totale et définitive d’une oreille,
assortie de troubles de l’équilibre. Le préjudice qu’il a subi est grave : il est
devenu infirme à vie. Jean-Pierre G. porte lui aussi plainte auprès du procureur
de la République ; il a été emmené au centre de tri et d’identification de Beaujon
le 6 mai, où il dit avoir assisté à des « scènes d’une violence extrême » : il a vu
des dizaines de jeunes gens s’effondrer sous les coups de matraque portés par
plusieurs CRS ou gardiens de la paix continuant à frapper quand les appréhendés
se tordent de douleur, à même le sol. « Que dire de l’inspecteur qui attend que
les victimes soient à terre pour leur bourrer le ventre de coups de pied. »
L’homme décrit Beaujon ce soir-là dans une « atmosphère sinistre et spectacle
atroce » : il évoque des adolescents brutalisés, des cris, des traumatismes
psychologiques qui marqueront sans doute leurs vies. Les dernières personnes
arrivées échappent à ces sévices : « les exécutants visiblement épuisés n’avaient
plus la force de frapper ». Un autre plaignant raconte aussi les coups reçus à
Beaujon : coups de bâton, de poing, de genou et de pied sur tout le corps, en
particulier la tête, le ventre et les testicules ; un officier circulant parmi ses
hommes leur aurait pourtant recommandé de ne pas viser la tête. René T.,
41 ans, tenancier d’un café boulevard du Montparnasse, dépeint de son côté la
scène qui s’est produite dans son établissement le 8 mai quand, « sans aucune
provocation de la part de [ses] clients », les CRS ont projeté plusieurs grenades
lacrymogènes à l’intérieur du café. Jean-Claude B., un cuisinier de 27 ans, ayant
osé demander son numéro de matricule au policier qui lui ordonnait de circuler
s’il ne voulait pas « [se] faire matraquer la gueule », reçoit « par-derrière une
avalanche de coups de matraques sur la tête et sur les épaules ». Un couple d’une
quarantaine d’années dépose plainte également : des policiers ont forcé leur
porte rue du Four, le 7 mai ; puis ils les ont emmenés dans la rue avec leurs
invités. Là, certains ont été matraqués et tous ont été victimes de la « bombe »
lancée par les policiers, dont on ne connaît pas la substance : en tout cas, elle
brûle la peau ; l’un d’eux a la cornée brûlée au second degré. Or, « la bombe fut
lancée dans la foule alors que bon nombre de femmes, d’enfants et de personnes
désintéressées s’y trouvaient. La police n’avait émis aucun avis » 24.
Ce témoignage fait écho à l’échange téléphonique qui a lieu dans la nuit du 7
au 8 mai entre un interne de garde à l’hôpital Cochin et un agent de la salle de
commandement à la préfecture de police. Le médecin se fait pressant : « quelle
est la composition chimique des gaz lacrymogènes employés par vos
effectifs ? » ; « du bromoacétate d’éthyle » ; « avec quel pourcentage ? » ; les
policiers l’ignorent. L’interne laisse éclater sa colère : « Si ça vous plaît que des
gens étouffent, cela vous regarde. Vous réveillez n’importe qui je m’en fous, il
me faut la composition exacte » 25. Trois jours plus tard, lors de la nuit « des
barricades », plusieurs types de grenades sont utilisés par les policiers,
notamment des grenades offensives au souffle puissant et des grenades
incendiaires qui peuvent brûler la peau et les yeux. Dans son communiqué publié
le lendemain, le SNESup mentionne des « gaz de guerre », gaz de combat à base
de composés chlorés et bromés, couramment employés par les forces états-
uniennes au Vietnam. Lors d’une conférence de presse à la faculté des sciences,
le professeur de médecine Marcel-Francis Kahn s’élève contre l’usage d’un gaz
très toxique : il assure avoir formellement identifié le chlorobenzalmalononitrile,
appelé plus communément CS ou CB ; ce gaz attaque les centres hépatiques et
rénaux et, en laboratoire, s’est montré mortel pour des animaux soumis à des
doses concentrées. Le professeur Kahn juge très grave qu’un tel gaz ait pu être
utilisé « pendant quarante-trois heures à Paris », sans que les autorités médicales
aient été averties, d’autant qu’il n’existe aucune toxicologie connue pour en
soigner les effets 26.
Cette « nuit des barricades » résulte d’une longue journée de tensions. Les
policiers sont mobilisés depuis treize heures ; beaucoup sont épuisés et à bout de
nerfs. Mais, selon Maurice Grimaud, il faut à tout prix éviter l’impression que
les manifestants l’emportent sur la police 27. Le Livre noir des journées de Mai 28
égrène les témoignages sur l’ampleur de la répression. Ce recueil, publié par
l’UNEF et le SNESup, est le fruit de la Commission de témoignage mise en
place après le 3 mai par des enseignants et des étudiants, avec une équipe de
secours aux victimes : passages à tabac, obstruction à l’action des soignants,
brimades et brutalités, acharnement sur les jeunes filles et sur les étrangers,
violations de domicile chez les riverains, blessés laissés sans soins…

LA MORT DU COMMISSAIRE LACROIX : UN TOURNANT DANS


L’ÉVÉNEMENT
Les tensions montent encore d’un cran avec le décès à Lyon, le 24 mai à la
nuit tombée, du commissaire René Lacroix. La thèse officielle retient
immédiatement la mort par écrasement : alors que le commissaire est posté sur le
pont Lafayette et que les affrontements sont violents depuis plusieurs heures –
des barricades sont dressées rue Vendôme et devant les halles des Cordeliers –,
un camion chargé de pierres est projeté sur le pont par des manifestants. René
Lacroix décède à l’hôpital une heure plus tard. Le camion dont la pédale
d’accélérateur a été lestée d’une lourde pierre a de toute évidence percuté le
commissaire. Deux jeunes hommes, qui figurent parmi les « trimards » déjà
évoqués, Michel Raton et Marcel Munch, sont aussitôt accusés. Auditionné,
Michel Raton, sans profession ni domicile fixe (il affirme être carreleur sans
emploi), explique que son idée était de dresser un barrage, en plaçant le véhicule
en travers de la route pour protéger les manifestants d’une charge policière 29.
Comme Marcel Munch, il est cependant inculpé d’homicide volontaire sur agent
de la force publique et écroué. La police et les médias relatent la mort du
commissaire comme un meurtre commis par des manifestants. Ses obsèques sont
l’occasion d’un imposant cortège. Dès le 25 mai, des rafles s’opèrent dans le
quartier de La Guillotière, qui visent surtout des Algériens et que beaucoup de
contestataires considèrent comme de véritables ratonnades 30. Cette tragédie est
un tournant dans l’événement.
À cet instant, il apparaît nécessaire de braquer pour un bref moment et pour
une fois le projecteur sur ce qui se passera deux ans plus tard. À l’automne 1970,
Michel Raton et Marcel Munch, qui ont passé les deux années précédentes en
prison, sont jugés pour homicide volontaire. Deux versions divisent les médecins
qui ont accueilli en urgence le commissaire, dans la demi-heure qui a suivi
l’événement. Il était encore conscient. Selon le chirurgien, des lésions
thoraciques graves ont entraîné la mort, par écrasement. Mais, d’après l’interne
qui a effectué le massage cardiaque de la dernière chance, c’est ce massage
cardiaque violent qui a fracturé les côtes et créé les lésions. Le médecin Paul
Grammont assure que René Lacroix ne présentait pas de blessure thoracique
quand il est arrivé, mais une simple fracture de l’épaule : selon lui, le camion n’a
pas écrasé le policier, même s’il l’a percuté. D’après la version de Grammont, le
commissaire a fait un arrêt cardiaque. Cette thèse, dûment argumentée, est
confortée par les problèmes cardiaques dont souffrait René Lacroix, qui semble
n’avoir pas été en service ce soir-là mais avait voulu s’interposer pour tenter de
calmer les tensions. À ce diagnostic s’ajoute la tonalité des dépositions : tous les
témoins indiquent que le camion a dévié sur le pont. Cette trajectoire en zigzag
prouverait que le commissaire n’était pas visé. Une telle thèse suscite la fureur
des autorités policières. Elle est pourtant assez solide pour que les accusés soient
acquittés et remis en liberté 31.
Mais tous ces éléments sont ignorés au moment de l’événement et le drame a
un effet dévastateur sur une partie de l’opinion. Il est difficile de dire que la
répression redouble de vigueur, mais les policiers se sentent touchés, avec la
perte d’un des leurs.

BARRICADES ! LA VIOLENCE DES NUITS BLANCHES

La deuxième « nuit des barricades » est violente aussi à Paris. Françoise L.,
22 ans, monitrice d’alphabétisation, rentre de la manifestation à 2 heures du
matin ce 25 mai ; elle est arrêtée en chemin par des CRS qui la frappent avec
leurs matraques. Elle est emmenée au commissariat du 5e arrondissement et, là,
reçoit un coup de poing dans le visage et un coup de pied dans les jambes. Elle
dit être ensuite insultée, une fois placée en cellule, et menacée de viol. La même
nuit, Jean C., un médecin de 45 ans, essaie de s’interposer face à des gendarmes
mobiles qui, quai de Gesvres, frappent des jeunes gens à coups de crosse de
mousqueton. Il reçoit des coups de poing accompagnés de « Fumier ! »,
« Salaud ! » ; il porte plainte pour coups et blessures volontaires. Francis C., un
étudiant de Nanterre, est emmené à Beaujon dans la nuit du 24 au 25 mai : « il y
avait des motocyclistes et des CRS qui nous frappaient », déclare-t-il, tandis
qu’un officier de police municipale demandait en vain aux responsables des CRS
de retirer leurs hommes. Jean-Paul M., aide-monteur de 16 ans, vient porter
plainte, aidé de son père : le 25 mai, place Saint-Michel, un policier introduit
dans sa poche un objet rond puis le brise d’un coup de crosse. L’adolescent
ressent alors une vive brûlure, tandis que se dégage une forte odeur de vapeur de
chlore. Une ambulance l’emmène mais des policiers l’en « arrachent » et il est
conduit à Beaujon. Il y reste, en slip, sous la pluie et dans la nuit, une heure
durant. Pour accroître l’humiliation, un policier coupe l’élastique de son slip. Le
jeune homme est finalement conduit à l’hôpital vers midi 32. Le témoignage
d’une jeune femme emmenée à Beaujon est relaté dans un tract où des cinéastes
en vue garantissent sa bonne foi 33. La jeune femme voit des hommes et des
femmes matraqués, « des blessures très graves à la tête » ; les Noirs, les Chinois
et les Vietnamiens seraient particulièrement visés. Elle-même est violentée puis
jetée dans une cellule où s’entassent quatre-vingts personnes. Elle rencontre une
lycéenne de 16 ans dont le corps est tuméfié ; dans cette cellule, une femme
enceinte est matraquée 34.
Certains manifestants bénéficient en revanche de passe-droits : il arrive que
les policiers soient contactés par diverses autorités pour que des membres de leur
famille soient relâchés. C’est le cas d’un étudiant, fils du maire de Suresnes –
« Monsieur le Préfet informé donne l’ordre de le libérer ». Le même jour
cependant, le préfet ordonne parallèlement de ne relâcher ni Jacques Sauvageot
ni Pierre Rousset – pourtant fils de l’ancien résistant, écrivain et gaulliste de
gauche David Rousset, qui sera en juin élu député sous une étiquette UDR. Un
peu plus tard, le général de corps d’armée Robert B. contacte un commissaire
pour faire libérer sa petite-fille interpellée et conduite au centre d’identification
de Beaujon, ce qu’il parvient à faire 35.
À force d’évoquer « Mai 68 », on en oublie trop souvent Juin. Or, ce mois-là
est émaillé des plus graves affrontements de l’événement, surtout en milieu
ouvrier ; c’est le mois d’autres morts encore. L’intervention et l’invasion des
CRS et des gendarmes mobiles dans l’usine Renault-Flins le 10 juin au petit
matin sont décrites par les ouvriers en grève comme un déchaînement de
violence frénétique. Un jeune gréviste témoigne : « La première chose qu’ils ont
faite, la rage aux dents, c’est d’arracher les drapeaux rouges » ; un autre
confirme : « Ils arrachaient tout » ; et un troisième : « C’était la vraie fureur ».
Un vieil ouvrier interpelle les CRS dans ce qui ressemble à un cri de détresse :
« Vous venez avec des fusils, des matraques, nous sommes les mains vides ». Ce
jour-là, non loin de l’usine, les forces de l’ordre pourchassent les militants venus
soutenir les grévistes. Parmi eux se trouve Gilles Tautin, lycéen et membre de
UJCml. D’après le témoignage de son camarade Jean Terrel, militant de la même
organisation et ancien vice-président de l’UNEF, ce n’est pas la panique qui a
poussé les jeunes gens à se jeter dans la Seine : « Nous avons été chargés aux
cris de “À l’eau ! Tous à la baille !” Les camarades trop lents sans doute à
plonger ont été précipités dans l’eau à coups de crosse. De l’autre côté de la
Seine, les flics nous attendaient crosse levée. » C’est à ce moment que Gilles
Tautin s’est noyé 36.
Ces tensions au plus haut se retrouvent à Peugeot-Sochaux, le lendemain :
les CRS pénètrent dans l’usine à 3 heures du matin et commencent par
matraquer ceux qui tiennent le piquet de grève. Des barricades s’érigent au petit
matin. Les ouvriers passent à l’offensive, au point que les CRS se réfugient à
l’intérieur de l’usine, où ils restent retranchés : quelques heures durant, la
distribution des places dans l’espace physique et social s’inverse. L’un des CRS,
affolé devant les assauts des travailleurs en grève, tire : il tue un ouvrier. Un
autre reçoit une grenade offensive en pleine tête ; il mourra le lendemain. Ils se
nomment Pierre Beylot et Henri Blanchet. Aussitôt, la nouvelle se répand et les
débrayages commencent dans les usines périphériques. De véritables combats
ont lieu tout au long de l’après-midi. Vers 18 heures, une foule d’habitants et de
travailleurs se forme aux cris de « Tous aux barricades ! ». Les CRS finissent par
se replier. En référence au lion de Belfort devenu symbole de Peugeot, les
ouvriers ont peint sur l’usine en lettres gigantesques : « Le lion est mort » 37.
Malgré les mises en garde de Maurice Grimaud à la toute fin du mois de
mai, les violences et les plaintes qu’elles engendrent se poursuivent en juin,
notamment durant la troisième « nuit des barricades » entre les 10 et 11 juin, un
soulèvement provoqué par la mort de Gilles Tautin. À Paris, Armand O., 37 ans,
médecin chef des hôpitaux psychiatriques, est assommé par les matraques de
policiers ; tandis que, couvert de sang, il est à moitié inconscient, un policier lui
arrache ses lunettes, qu’il piétine. Claude-Marie V., un journaliste de 29 ans, est
blessé par un tir de grenades offensives lancées en direction de la Sorbonne.
Atteint au visage, aux jambes et aux bras, il doit rester alité pendant quatre
semaines, au bout desquelles il marche toujours avec difficulté. Le directeur
général de la police municipale reconnaît que des coups ont été portés à des
journalistes munis de leurs brassards. Tout en concédant que ces violences sont
« parfaitement injustifiées », il les explique par l’épuisement qui règne parmi les
agents, cibles de projectiles et de bombes artisanales 38. Aux yeux des policiers
les plus hauts gradés, cette situation n’est pas une excuse ; mais elle éclaire l’état
de tension dans lequel se trouvent les forces de l’ordre, depuis le début de mai.

L’INSTITUTION POLICIÈRE ET LA VIOLENCE DES ADVERSAIRES

En effet, les policiers comptent eux aussi de nombreux blessés dans les
affrontements : 1 138 blessés dans la police parisienne, dont 338 chez les CRS et
436 chez les gardes mobiles, d’après la livraison de Liaison publiée en
septembre 1968. Selon les recensements effectués en interne par la préfecture de
police, la plupart de ces blessures sont légères : blessures à l’arcade sourcilière,
fracture d’un annulaire, contusions, douleurs aux parties sexuelles produites par
le jet d’une pierre, douleurs à la cheville, intoxication par les gaz
lacrymogènes… La grande majorité des policiers blessés ne nécessite pas de
prise en charge hospitalière. À Saint-Nazaire, des policiers sont plus grièvement
blessés : l’un d’eux doit même être amputé de la main. Au-delà, les forces de
l’ordre se sentent harcelées. Dans la capitale, un chef de district assure que les
grenades lancées par les manifestants sont suffocantes et « d’un effet beaucoup
plus difficilement supportable que les nôtres » 39.
Les policiers sont surpris par la combativité de leurs adversaires – et en sont
déstabilisés. Dès le 3 mai, un commandant des gardiens de la paix posté place
Edmond-Rostand, au Quartier latin, reconnaît que les manifestants, « sans être
agressifs, f[ont] montre d’une ténacité extraordinaire en se regroupant et en
réoccupant le terrain aussitôt que [sa] demi-compagnie se replie ». Un
commissaire de Saint-Nazaire décrit comment les manifestants « évitent le
corps-à-corps grâce à leur jeunesse et à leur agilité » ; selon lui, leur « mobilité »
est supérieure à celle des unités de gendarmerie… mobiles. Si la première « nuit
des barricades » est très rude, la deuxième, au soir du 24 mai, est sans doute la
plus violente. Les manifestants apparaissent beaucoup mieux organisés. Ils
s’emparent de matériaux trouvés sur des chantiers et dans des baraques
d’ouvriers : morceaux de bois, poutres, madriers, rouleaux de câbles, mais aussi
bancs et grilles d’arbres. Place Denfert-Rochereau, les pavés sont enlevés de la
chaussée au moyen d’un marteau-piqueur et d’un compresseur. Des jeunes
portent des matraques, des gourdins, des manches de pioche et des chaînes de
bicyclette. Entre gare de Lyon et Bastille, le quartier se hérisse de barricades.
Les bulldozers des policiers s’acharnent à les réduire et à les écraser. Vers
22 heures, toutes sont en feu. Visés par des lancers de pierres, les policiers
répliquent à la grenade lacrymogène ; les autopompes fonctionnent à plein
régime. À la même heure, un cortège d’environ 4 000 manifestants emprunte les
grands boulevards et parvient place de la Bourse, où un drapeau rouge est hissé ;
l’édifice commence d’être incendié. Il faut près d’une heure aux forces de
l’ordre pour venir à bout des insurgés. Les manifestants mettent le feu à des
cageots et des cartons ; ils lancent aux policiers des pierres et des boulons.
D’après un rapport de la préfecture de police, « leur agressivité et leur violence
sont telles que les forces de l’ordre tiennent difficilement leur position » – elles
doivent appeler des renforts. Là encore, les bulldozers entrent en action. À
2 heures, « l’atmosphère d’émeute règne toujours autour du Panthéon ». Ce n’est
qu’à 4 heures du matin que les barricades de la rue Monge et de la rue des
Écoles tombent, et à 6 heures que le calme revient. Calme précaire d’ailleurs, car
dès 8 heures, les étudiants qui s’étaient réfugiés dans différents établissements
universitaires reviennent en masse occuper la rue Gay-Lussac, « où leur extrême
animosité rendra impossibles les premiers travaux de repavage de la
chaussée » 40.
La « nuit rouge » n’est pas seulement parisienne. À Lyon, d’après les termes
du journal Le Progrès, les barricades dressées sur le cours Lafayette paraissent
indiquer que la rue est « entre les mains de spécialistes, puisqu’un compresseur
rangé sur un chantier est mis en marche et déplacé pour fournir l’essentiel de
l’ouvrage avant d’être mis à feu » ; c’est surtout le signe que de jeunes ouvriers
sont présents et actifs au côté des étudiants. À Nantes, cette nuit du 24 au 25 mai
est ponctuée d’une intense violence, entre dépavages d’un côté et matraquages
de l’autre. Une barricade s’érige rue de la Préfecture ; les policiers, postés sur le
quai de Versailles, tirent des grenades au chlore. Des paysans se mêlent aux
jeunes ouvriers et aux étudiants.

Nantes le 24 mai 1968, coll. Péault, CHT Nantes, Fonds 1968.


À Bordeaux, les barricades apparaissent avec une nuit de décalage par
rapport aux scènes lyonnaise, nantaise et parisienne : au petit matin du 26 mai, la
police décide de laisser les barricades en place, pour que la population puisse
constater les dégâts ; le lendemain, la tonalité médiatique est apocalyptique. À
Clermont-Ferrand, au soir du 1er juin, cent cinquante manifestants construisent
une barricade boulevard Dessaix, non loin de la préfecture, et y mettent le feu.
Après plusieurs heures d’affrontements acharnés, au cours desquels huit
manifestants sont sérieusement blessés tandis que la police compte une
quarantaine de blessés légers, la dispersion s’achève vers 2 heures du matin. Plus
de cent personnes sont gardées à vue. Saint-Nazaire s’enflamme aussi dans la
nuit du 11 au 12 juin ; les jeunes révoltés y sont tellement tenaces que les forces
de l’ordre doivent solliciter des renforts nantais. En revanche, dans d’autres
villes à forte tradition ouvrière comme Saint-Étienne, aucun heurt significatif ne
se produit. Un responsable du maintien de l’ordre l’explique par le « travail en
profondeur » mené par les services de police avec les manifestants, les syndicats
et sur les piquets. Ces contacts réguliers ont évité l’emploi massif de policiers en
tenue qui aurait pu passer pour une provocation de mauvais aloi, « vu l’aspect
frondeur du caractère stéphanois » 41.
La brutalité de ces affrontements ne doit pas laisser méconnaître la part des
négociations et des accommodements. Plusieurs officiers de police en
conviennent, le service d’ordre de l’UNEF canalise souvent les manifestants à
plusieurs mètres des barrages policiers et s’efforce « de calmer les plus excités
en leur disant “Taisez-vous, pas de provocation” ». Un commissaire raconte
avoir escorté les manifestants tout en étant lui-même « protégé » par leur service
d’ordre :

Je dois reconnaître que les responsables, qui devaient me faire


confiance, les ont fait refouler très en arrière, s’excusant même des
insultes inutiles prononcées. J’ai même vu le 8 mai [rue de]
Rennes / place du 18 Juin un cyclomotoriste du service d’ordre enlever
le pavé des mains d’un manifestant et le déposer ostensiblement à mes
pieds 42.

Des tractations régulières ont lieu avec Alain Geismar et Jacques Sauvageot.
Aucun d’eux n’est d’ailleurs considéré comme violent : la presse les dépeint en
modérateurs le plus souvent. Sud Ouest, le 16 mai, juge qu’Alain Geismar
contribue « à éviter bien des heurts ». Quant à Jacques Sauvageot, avec « son
faux air d’Alain Delon » et « sa voix naturellement douce » – le journal précise
même qu’il est célibataire, sans que l’on sache en quoi ce statut matrimonial a
une importance dans l’affaire… –, la violence n’est pas pour lui un but en soi.
Daniel Cohn-Bendit est lui-même présenté comme celui qui tempère « les plus
excités » 43.
De surcroît, certains savent distinguer les pratiques diverses des corps de
police : dans de rares « remerciements à la police parisienne », des manifestants
saluent la protection que leur ont offerte des policiers municipaux face à un
groupe de CRS qui les avait encerclés, le 24 mai ; ils leur auraient permis
d’« échapper à la chasse à l’homme et au massacre délibéré que les CRS ont
organisés » – les policiers municipaux les ont embarqués puis relâchés après
avoir franchi le barrage des CRS. Tout aussi rare est l’interpellation qu’adresse
le Comité d’action universitaire aux gardes mobiles et aux CRS, en imaginant
qu’ils pourraient être de leur côté : « L’État vous utilise pour réprimer les
revendications de ceux qui réclament une Université ouverte aux fils de
travailleurs, une Université qui puisse accueillir vos enfants » 44.
Sur l’usage de la violence, les positions sont partagées. Pour le PSU, au
Quartier latin comme à la Bastille, à Lyon comme à Bordeaux, à Flins comme à
Sochaux, « c’est chaque fois la volonté policière d’occuper les locaux
universitaires ou industriels, ou de bloquer l’itinéraire d’une manifestation
pacifique, qui a provoqué l’immobilisation des manifestants, puis les charges de
police ». Le parti affirme vouloir poursuivre ses objectifs aussi bien par l’action
légale et parlementaire que par « la pression pacifique des travailleurs lorsque
l’action légale n’y suffit pas ». Daniel Cohn-Bendit justifie l’usage de la
violence « pour ne pas se faire massacrer » : « Nous avons l’exemple d’une
manifestation non violente, qui s’est terminée par sept morts [en fait, neuf] :
c’est Charonne. » Pour le 22-Mars, la barricade est une « action exemplaire » :
elle est spontanée et exprime un moment politique particulier. Elle ne doit pas
pour autant être reconduite indéfiniment, au risque d’être « folklorisée », si elle
ne modifie plus le rapport de force : défensive, elle sert à se protéger, mais ne
vaut pas les manifestations offensives de rue, plus volontaristes et finalement
plus politiques, selon les circonstances. Surtout, la violence ne doit pas être
circonscrite aux affrontements et aux échauffourées. Comme l’affirme par
exemple, dans le Puy-de-Dôme, l’Union départementale CFDT, la violence
sociale est quotidienne, infligée à celles et ceux qui sont réduits à la misère, aux
travailleurs étrangers à qui on interdit de venir avec leur famille, à celles et ceux
qui sont contraints d’habiter des caves ou des bidonvilles, aux vieux travailleurs
qui ont 5 francs par jour pour subsister. On saisit à cette aune la position du
comité de Censier : « Une révolution est aussi violente que la violence qu’elle
récuse et qui lui résiste. Qui refuse a priori la violence n’est pas révolutionnaire
car il n’a pas pris conscience de la violence qui lui est faite » 45.

Une police politique ?

LA POLICE DES « SERVICES »

Cette police à laquelle s’affrontent les manifestants est-elle une police


politique ? L’existence d’une police de renseignements, avec son maillage dense
d’informateurs, de commissaires et de préfets, sa hiérarchie centralisée, en font
un signe distinctif du système policier français – même si ce n’est plus l’époque
de Fouché. Depuis la Libération, les Renseignements généraux sont rationalisés.
Ils doivent informer le pouvoir sur la situation sociale, politique et économique,
tenir des revues de presse et des sondages d’opinion, lui offrir des synthèses
d’informations, des études factuelles, des dossiers collectifs et individuels 46.
La police a besoin de constituer un vivier de données sur les individus
suspectés. Michel Foucault voyait en l’enquête « une manière déterminée
d’exercer le pouvoir ». Enquêter, c’est contrôler et s’efforcer de maîtriser une
réalité qui, sans cela, paraît échapper. La surveillance, le traitement des
informations et la désignation de l’adversaire débouchent sur un savoir
particulier, dont la finalité est l’emprise sur le territoire, en tant qu’il est social et
politique 47. Comme le disait à sa manière, plus sarcastique, le poète André
Frédérique : « Dans l’algèbre comme dans la police, il faut identifier X. »
On s’en doute : il n’y a pas là de neutralité. La police n’observe pas la
société avec un regard objectif et impassible, même si les rapports qu’elle
produit doivent adopter le ton d’une relative distanciation. L’événement
contribue à l’écorner : l’urgence, la nécessité de faire remonter au plus vite les
informations, le sentiment d’une mise en danger pour l’ordre que défend le corps
policier éclairent des prises de position qui mettent à mal l’impartialité. La police
est certes le bras armé de l’État ; pour autant, elle n’en est pas le décalque
mimétique et les policiers, dans leur diversité, ne pensent pas exactement comme
le gouvernement.
Les jugements de valeur ne manquent pas dans les dossiers constitués à des
fins de surveillance – et pas seulement dans « les services » spécialisés, les
fameux RG. Par exemple, le commissaire divisionnaire de Saint-Étienne juge
durement la CFDT et sa « surenchère » : la confédération manquerait de la
« maturité souhaitable ». Sans doute est-ce pour partie lié à sa naissance somme
toute récente (1964) ; mais c’est sans compter une longue tradition
d’engagement, depuis 1919, dans le cadre de la CFTC dont la CFDT est une
émanation. Le jugement est surtout politique, face à un syndicat offensif et
volontariste, comparé par ce commissaire à la CGT qui, « derrière le PC », aurait
« pris le parti de la modération et de la négociation avec les autorités en général
et particulièrement avec la police ». Au commissaire responsable des RG à
Rennes, la CFDT apparaît « démagogique ». Le préfet du Calvados va jusqu’à
évoquer un « machiavélisme léger » à son sujet. Les condamnations prennent ici
et là d’autres tonalités. Dans les Vosges, tandis que la grève des enseignants se
poursuit à Saint-Dié au-delà du 10 juin, le service départemental des RG a
tranché : « ce n’est plus une grève revendicative, ce n’est même plus une grève
politique, ce sont des vacances anticipées », excipant d’un répertoire habituel
dans le dénigrement des mouvements. À Paris, le directeur de la police
municipale, André Friédérich, confie sa rancœur face aux stations de radios
périphériques (il vise surtout RTL et Europe no 1), qui agiraient avec une « rare
malfaisance » et feraient passer « le souci de la sensation bien avant celui de la
plus élémentaire objectivité ». Il propose d’ailleurs de prendre des mesures –
sans en préciser le ton ni la teneur – contre ces « faiseurs de fausses nouvelles »
et d’« intoxication ». Ce haut gradé ne tolère pas, malgré la liberté d’expression,
que des reporters tendent le micro à des « agitateurs ». Les Renseignements
généraux des Ardennes, qui stigmatisent aussi les informations « tendancieuses »
des radios périphériques, ont une explication plus pragmatique à leur critique du
gouvernement : ce serait une revanche face à l’introduction de la publicité dans
les programmes de l’ORTF, laquelle diminuerait les ressources financières des
radios privées. Dans le Pas-de-Calais, la direction départementale des RG va
plus loin encore dans l’accusation portée contre la presse : Le Monde est jugé
« très nocif » et agirait « avec perfidie », en devenant « l’organe central de la
subversion » ; quant à Combat, il serait « tombé dans la démence », rien de
moins 48.

« INDICATEURS » VERSUS « AGITATEURS »

Ce sont ces « agitateurs » qu’il faut repérer, contrôler et traquer. Les


dispositifs de surveillance sont impressionnants et leurs cadences s’accélèrent au
fil de l’événement. Les directions régionales des Renseignements généraux
exigent de leurs services locaux des messages détaillés sur les prises de position,
les réactions de l’opinion, l’attitude des salariés, des étudiants et des enseignants,
les incidents susceptibles de se produire et ce, dans un délai de rigueur (le plus
souvent chaque matin entre 8 et 9 heures). Des exigences plus précises sont
énoncées pour provoquer des retournements de situation : le 22 mai, à Metz, la
direction des Renseignements généraux demande à ses subordonnés de
l’informer sur toute initiative importante qui pourrait interrompre ou affaiblir les
grèves et les occupations. Quant à la surveillance des organisations, elle est
apparentée aux méthodes employées contre le banditisme. Tous les moyens sont
bons pour les détecter : contrôles d’identité et de circulation, fouille des
véhicules, perquisitions dans les logements, contrôle des fiches d’hôtel,
information auprès des voisins 49.
Les fiches que dresse la police indiquent un certain ton, où se mêlent les
caractérisations politiques, d’ailleurs parfois hésitantes, et les considérations
psychologiques. C’est le cas surtout dans les rapports des RG, qui n’hésitent pas
à avancer des données aux contours incertains tant ils touchent à la zone obscure
du quotidien. Les « services » se chargent, à certains endroits, de ficher tous les
étudiants qui occupent des responsabilités syndicales, associatives ou politiques
dans leur université. C’est le cas à Poitiers. Ils repèrent par exemple Alain B.,
dont la fiche indique en rouge « extrême gauche » et dont le père, tonnelier, est
connu pour ses sympathies communistes ; le jeune homme est jugé par les RG
comme un « garçon intelligent mais semble-t-il assez peu courageux ». Au
contraire, Christian C., vice-président de l’Association générale des étudiants
(AGE) de Poitiers, apparaît comme « travailleur et très sérieux, ne professant pas
d’idées subversives », comme si les deux aspects étaient liés. Plus difficile à
cerner, Jacques D., le président de l’AGE, présenterait « une personnalité
accusée et un caractère peut-être entier »… Jean-Louis B., étudiant en pharmacie
et vice-président de la Fédération nationale des étudiants de France (FNEF),
aurait peu de moralité, préférant aux études la « vie facile ». Quant à Philippe
d’A., étudiant en droit et délégué à l’information pour la FNEF, il ne semble rien
moins que « paresseux, arriviste et cynique », tout en professant des idées
royalistes. Des jugements tombent comme des couperets. Le 25 mai à Rennes,
un drapeau rouge est hissé sur la grille de la préfecture ; le responsable de cette
action serait « instable, caractériel, hypernerveux, arrogant et indiscipliné ». Les
RG de Saint-Nazaire aiment à parler d’« adolescents chevelus » ; ils soulignent
l’« influence redoutable » qu’auraient en réalité ceux qui jusqu’à présent
passaient seulement pour « farfelus » 50.
Les policiers relèvent ce qui, dans le passé récent, pourrait renforcer la
conviction d’une subversion. Que Gilles C., lycéen interpellé lors d’une
manifestation le 7 juin, ait été candidat à un emploi au secrétariat général du
gouvernement ne laisse pas d’inquiéter ; tout comme Catherine G., étudiante en
sciences économiques, connue des services de police en tant que candidate à un
emploi d’administratrice à l’Assemblée nationale. Maurice G., soudeur à l’arc, et
Jacques L., peintre en bâtiment, se sont déjà fait arrêter comme « beatniks » en
1966, tandis que l’artiste Jean-Jacques L. avait été repéré lors d’un « monôme »
de baccalauréat la même année 51.
L’étonnement des RG ou des préfets est grand devant les dispositifs
pratiques de petits groupes politiques jusqu’alors négligés ou méprisés. Le préfet
de la Région Basse-Normandie constate combien « les étudiants révolutionnaires
sont remarquablement organisés » : « réussissant – ce n’est qu’un petit
exemple – à faire des inscriptions à la peinture devant plusieurs milliers de
personnes sans être reconnaissables, les peintres se voyant systématiquement
protégés par des banderoles et méthodiquement renseignés par exemple sur les
forces de police ». Les groupes Révoltes et Pouvoir ouvrier ont pour eux un
service d’ordre « homogène et vigoureux ». La JCR, bien implantée à Caen, sait
tenir en haleine, par une action de presse inlassable. Toutes et tous sont des
« individus physiquement et surtout intellectuellement très déterminés ». Face à
ces talents, il faudrait aux RG des inspecteurs plus jeunes, jamais appelés
« indicateurs » bien qu’ils le soient, « pour pouvoir accéder sans trop de
difficulté dans les couloirs de l’université ». Il faut contrer l’habileté que ces
groupes déploient pour échapper à la surveillance dont ils font l’objet. Dans une
sorte de jeu de miroirs ou de mises en abyme emboîtées, les Renseignements
généraux s’intéressent aux tactiques que les organisations révolutionnaires
utilisent pour les déjouer. Elles adoptent les règles de vie que pratique tout
réseau clandestin : contrôle de l’allure, cloisonnement des tâches, usage de
téléphones publics, repérage des techniques de filature – « en équipe, collantes,
discrètes », connaissance des méthodes d’interrogatoires, des moyens de
pression et de la distribution des rôles entre policiers. La police parvient à mettre
la main sur les consignes prodiguées par la JCR dans ses rangs : « Ne surestimez
pas les connaissances de la police. Souvent ils ne savent rien et ils bluffent ; s’ils
se doutent de quelque chose, ils n’ont souvent aucune preuve. Ne vous laissez
pas intimider. » La JCR le rappelle : la police est un adversaire politique, et elle
se conduit comme tel 52.

LE MEILLEUR ENNEMI : À LA POURSUITE DE « DANY »

Parmi les « agitateurs » dont la police et le gouvernement se méfient, Daniel


Cohn-Bendit occupe une place privilégiée. Les dispositifs policiers mis en place
pour le rechercher font écho à la formule de Jean Genet : Cohn-Bendit est
décidément le « génial emmerdeur de la bourgeoisie 53 ».
À Nanterre, le doyen de l’université, Pierre Grappin, avait déjà engagé une
procédure d’expulsion contre l’étudiant au début de l’année, après la fameuse
altercation avec le ministre de la Jeunesse et des Sports Pierre Missoffe. L’épée
de Damoclès réapparaît en mai – et elle s’abat, cette fois. Tandis que l’accès au
territoire belge lui est refusé et alors qu’il se rend à Berlin puis à Amsterdam, le
21 mai, un arrêté lui interdit l’accès du territoire français. Cet arrêté d’expulsion
lui est lu à Forbach par le commissaire principal Martin, chef du secteur
frontalier de la Moselle. Daniel Cohn-Bendit gagne alors Sarrebruck et déclare :
« Je reviendrai en France quand je voudrai où je voudrai 54. » Le défi sera-t-il
relevé ?
Tous les préfets reçoivent un télégramme ministériel d’extrême urgence, qui
leur enjoint de s’opposer à l’entrée en France du « ressortissant allemand Cohn
(ou Kohn) Bendit Marc Daniel ». Le 22 mai, les services centraux des
Renseignements généraux affirment savoir « de source sûre » que l’étudiant
entend « pénétrer incessamment » en France, par une frontière indéterminée : les
préfets sont invités à redoubler d’attention et à tout mettre en œuvre pour éviter
cette intrusion. Les services de Lorraine sont spécialement mobilisés et le
contrôle des aérodromes, considérablement renforcé. À Bar-le-Duc, la frontière
est gardée par une section commando du 23e régiment d’infanterie, réquisitionné.
Le ministère de l’Intérieur s’adresse à tous les préfets : en cas de découverte de
l’intéressé, il faudra le retenir tout en sollicitant en extrême urgence les
instructions de son cabinet. Le 26 mai, la préfecture de police de Paris
recommande une arrestation de nuit si l’occasion s’en présente, une opération de
jour étant susceptible de créer « des incidents » 55.
Partout en France, et surtout dans les régions frontalières de l’Est, les forces
de police et de gendarmerie sont en alerte. Même dans la Creuse, la gendarmerie
est sur le pied de guerre pour intercepter l’étudiant susceptible de franchir la
frontière : le 27 mai, il aurait été signalé dans le village de Faux-la-Montagne.
Aussitôt, les gendarmes investissent un moulin abandonné où il aurait été repéré.
En vain : il n’y a aucune trace du jeune homme dans le vieux moulin. L’exigence
est impérieuse, au point de susciter la négligence sur d’autres demandes jugées
moins urgentes ou moins sérieuses. L’ordre des priorités peut parfois étonner.
Lorsque, dans le bassin de Lorraine, les dirigeants des Houillères en appellent au
sous-préfet de Moselle afin qu’il mobilise des gendarmes pour lever les piquets
de grève, il déclare n’avoir pas de moyens pour le faire : le retour éventuel de
Cohn-Bendit nécessite toutes les forces disponibles le long de la frontière 56.
Et pourtant… Daniel Cohn-Bendit reparaît. Pas n’importe où : en plein
Paris – et pas n’importe où à Paris : dans la cour de la Sorbonne, sur le lieu donc
du délit. Sa chevelure, ordinairement d’un roux flamboyant, est teinte en noir ; le
subterfuge semble avoir suffi à se faufiler entre les mailles du filet. Au
camouflet, le jeune frondeur ajoute le rire et la raillerie. C’est plutôt Christian
Fouchet qu’il faudrait expulser, déclare-t-il en substance, en présence d’une
foule heureuse de ce pied de nez, qui ne laisse pas d’être politique : « J’ai été
expulsé sous le prétexte que j’avais troublé l’ordre public. Je demande donc que
ceux qui ont troublé l’ordre public en faisant entrer la police à la Sorbonne et au
Quartier latin, le recteur et le ministre de l’Intérieur, soient expulsés. » Daniel
Cohn-Bendit explique avoir franchi la frontière à travers bois, quelque part entre
l’Allemagne et la France, grâce à l’aide d’un mouvement révolutionnaire 57.
Devant un tel affront, l’état-major de la police parisienne donne de nouvelles
instructions. Il ne faudra plus passer de messages en clair sur les ondes – la
police judiciaire estime qu’ils sont entendus. Les actions concernant « ce
personnage » – voitures à intercepter, lieux à surveiller… – seront désormais
regroupées comme « Opération Gamma ». Au ministère de l’Intérieur, l’étudiant
révolutionnaire est une énigme, un véritable mystère. On y reconnaît son talent
gouailleur. Il paraît jouer un rôle d’agitateur et de modérateur. Les services sont
certains qu’il est « manipulé » – mais par qui ? Peut-être par « Krivine et ses
amis ». Quoi qu’il en soit, la police échoue à le cerner en mettant ses sources à
profit 58.
Cela n’empêche pas l’État de s’acharner ; cette incertitude sur laquelle il
bute renforce sa détermination à bannir le jeune homme du territoire français, et
ce pour longtemps : dix ans. Au fil des mois, le ministère de l’Intérieur rappelle
aux préfets que le décret de mai doit toujours s’appliquer. En janvier 1969,
l’ordre est de nouveau donné : au cas où Cohn-Bendit serait découvert, il
faudrait le déférer au Parquet puis le reconduire à la frontière, sous escorte et
sans délai. Deux mois plus tard, la police nationale s’inquiète d’un retour
éventuel qu’effectuerait l’ancien leader du 22-Mars à l’occasion de ce premier
anniversaire : les forces maritimes, aériennes et ferroviaires doivent redoubler de
vigilance et se mobiliser pour l’en empêcher. En septembre 1975 encore,
certains renseignements laissent penser qu’il pourrait chercher à revenir : s’il est
interpellé à la frontière, on lui interdira l’entrée ; s’il est découvert sur le
territoire français, il devra être refoulé 59. Daniel Cohn-Bendit n’est autorisé à
retourner en France que sur décision du ministre de l’Intérieur Christian Bonnet :
la mesure du 21 mai 1968 est levée le 20 décembre 1978, au bout de dix longues
années.


De tout cela, Maurice Grimaud et Raymond Marcellin se sont parlé par
Mémoires interposées. Dans le récit qu’il a livré neuf ans après les événements,
En mai fais ce qu’il te plaît, l’ancien préfet de police reconnaît qu’à la veille
encore de leur déclenchement, il n’était pas inquiet. Pour Raymond Marcellin,
nommé ministre de l’Intérieur le 1er juin et qui publie vingt-deux ans plus tard
L’Expérience du pouvoir, cette placidité a de quoi inquiéter : une telle absence
de conscience que des faits graves se préparaient, « à la veille d’événements
[mettant] en cause l’existence même du régime politique, montre à quel point un
gouvernement a besoin de diversifier ses sources d’informations 60 ». Les deux
hommes ont assurément des approches du maintien de l’ordre fort différentes,
liées à leurs sensibilités elles-mêmes opposées : plutôt libérale et humaine chez
Grimaud, plus autoritaire chez Marcellin. Pourtant, la suite donnera raison au
second : l’institution policière prend conscience, devant la ténacité des
manifestants, qu’il lui faut mieux se préparer à ces situations. Les réformes sont
d’abord pragmatiques : la police parisienne est équipée de boucliers, de gilets
pare-coups et d’une tenue de maintien de l’ordre appropriée. Les dispositifs de
renseignements sont renforcés : en août, le ministère de l’Intérieur parle de
3 000 individus à ficher 61.
Surtout dans les grandes villes aux épisodes les plus violents, la police a été
durement éprouvée par les événements. D’abord par le choc des affrontements
dont l’intensité l’a surprise et parfois prise au dépourvu : durant la deuxième
« nuit des barricades », les policiers ont été débordés et ont un moment pensé ne
pas venir à bout de ce « pouvoir dans la rue ». Un commissaire de Saint-Nazaire
le reconnaît : le corps urbain ne peut faire face à une telle situation ; ses agents
n’y sont ni aptes ni préparés « physiquement, psychologiquement et
moralement 62 ». Selon Christian Fouchet, la police municipale n’est pas du tout
entraînée pour de tels affrontements ; même les gendarmes mobiles et les CRS
ne sont pas vraiment prêts, face à des manifestants très jeunes, très légers et donc
très rapides, alors qu’eux-mêmes dépendent d’un matériel mécanique lourd à
manœuvrer : « on préfère ne pas imaginer par exemple ce qui se serait passé, un
certain soir, boulevard Saint-Michel, si le feu avait été mis à un véhicule : tous
les véhicules, collés l’un à l’autre, auraient pris feu l’un après l’autre 63 »…
Ensuite, par la mise en cause corrosive dont la police est l’objet : au-delà du
« CRS = SS », les violences policières sont dénoncées sans relâche dans les
manifestations et une partie de la presse. Enfin, avec le sentiment d’être, sinon
« lâchée », du moins insuffisamment soutenue par une partie du gouvernement.
Dans ses Mémoires, Maurice Grimaud rapporte une discussion à laquelle il a
assisté le dimanche 19 mai à l’Élysée, entre le général de Gaulle et le ministre de
l’Intérieur Christian Fouchet :

– Mon Général, il faut que vous sachiez que les forces de l’ordre sont
traumatisées.
– Mais Fouchet, « traumatisées », qu’est-ce que ça veut dire ? Eh bien,
Fouchet, il faut faire ce qu’il faut avec la police, il faut lui donner de la
gnôle ! Comme on le fait toujours pour les combattants des tranchées 64.

La « gnôle », remontant ou rétribution, est censée satisfaire les revendications


policières. Gageons que le Premier ministre, Georges Pompidou, ne voyait pas
les choses de la même manière : tant il est vrai que la gestion de la situation par
« le » pouvoir est différenciée – au point qu’il en perdrait sans doute son
singulier.
CHAPITRE VI

En haut lieu

Choix et stratégies du pouvoir

« Une émeute, c’est comme un incendie, ça se combat dans les premières


minutes 1. » Pour le général de Gaulle, les rassemblements, les affrontements
puis l’immense grève du 13 mai doivent être circonscrits à la manière d’un feu
de forêt, avant qu’il n’embrase le pays. Le temps est compté, il faut savoir
l’utiliser. L’art politique, quand on l’entend comme pouvoir, sens de l’État et
régulation des conflits, consiste à maîtriser la chronologie, impulser le calendrier
et ne pas se laisser déborder. Le président de la République se veut maître des
horloges : il désire reprendre la main. Mais en a-t-il les moyens ? Il n’est pas
anodin qu’il use du terme « émeute » pour désigner l’événement ; c’est une
façon de le disqualifier, renvoyé aux émotions populaires, à leur déviance et à
leur violence depuis longtemps jugées instinctives, voire insensées. L’État est là
pour les conjurer.
Et néanmoins, le pouvoir n’est pas tout un. La fermeté bien assise dans la
phrase du Général cache non seulement une certaine indécision, des hésitations,
mais encore des divisions au sommet. L’épisode dévoile les tensions au sein de
la majorité présidentielle et même du cabinet ministériel. C’est l’inouï de
l’événement : nul n’y est vraiment préparé, ni les policiers dont on vient de voir
les difficultés à l’affronter, ni les pouvoirs publics qui peinent à le canaliser. On
pourrait s’en étonner : après tout, le propre de l’État est d’exercer sa puissance
en toutes circonstances. Mais 68 a ceci de singulier qu’y participent des groupes
sociaux très différents, mobilisés non seulement ensemble et au même moment,
mais à bien des égards dans un esprit commun. Cette convergence est redoutable
pour le pouvoir, qui la craint. L’un des conseillers au secrétariat général de
l’Élysée, Bernard Ducamin, le reconnaîtra plus tard :

Face à des situations de ce type, l’État ne peut répondre que par des
solutions classiques qui consistent à diviser ce qui est uni : l’université
s’est unie au mouvement ouvrier, ce qui, pour un État, est insupportable.
Il n’est pas possible d’éviter un mouvement ouvrier, mais il n’est pas
possible d’avoir en même temps un mouvement étudiant ; il faut à tout
prix avoir l’un et l’autre successivement, mais pas ensemble, et le drame
de 1968 c’est qu’on les a vu venir, se réunir, se conjuguer et qu’on n’a
pas pu empêcher cette vague 2.

S’il est donc difficile au pouvoir de saisir l’épaule de la vague avant qu’elle ne
déferle, il lui faut jouer sur ses creux pour la briser.
On a beaucoup dit, à raison pour partie, que le président de la République et
son Premier Ministre ont une différence de stratégie. Mais, s’il y a bien pendant
quelques jours « crise au sommet de l’État », y a-t-il vraiment « deux voies » 3 ?
En réalité, leur approche démontre un même balancement entre compréhension
affichée de certains éléments et condamnation des « enragés », une même façon
d’attiser la peur avec le risque de guerre civile, enfin une vision de long terme
qui porte un nom : la « participation ». C’est davantage dans le courant gaulliste
qu’il y a opposition ; le clivage entre la « gauche » et la « droite » du mouvement
en est réveillé. L’autre ligne de partage court entre la tête de l’exécutif et le reste
du gouvernement, tant certains ministres semblent quasi absents ou
impuissants 4.
Reste que le pouvoir n’est pas qu’à l’Élysée et à Matignon : il est du côté des
préfets qui doivent appliquer, tant bien que mal, leurs décisions. La consigne est
de faire cesser la grève à tout prix et par toutes sortes de moyens, de la
concertation à la répression. L’échelle locale est essentielle : c’est aussi à ce
niveau-là qu’est mise en œuvre l’autorité de l’État.

Diviser et mieux régner

UN GÉNÉRAL DE DIVISION

Je ne vois pas pourquoi je décommanderais ce voyage. Nous n’avons


jamais été dans une situation aussi bonne : aucun risque de motion de
censure, aucune agitation sociale, aucune inquiétude du patronat, aucun
préparatif des syndicats avant l’automne. Il n’y a que vos « enragés » de
Nanterre qui s’agitent 5.

Tels sont les propos qu’aurait tenus Georges Pompidou au ministre de


l’Éducation nationale, Alain Peyrefitte, le 1er mai. Le lendemain, il s’envole pour
l’Iran et l’Afghanistan. Le garde des Sceaux, Louis Joxe, n’assure l’intérim que
pâlement, sans s’installer à Matignon ; à la tête du pouvoir, il semble n’y avoir
plus de coordination. Le jeudi 9, le ministre de l’Intérieur Christian Fouchet
évoque à l’Assemblée « une flambée de fureur et de violence » qui justifierait le
recours à la force. Lui aussi a, dans sa jeunesse, participé à des manifestations
d’étudiants. Mais il se doit de « faire respecter l’ordre républicain ». Et de mettre
au défi les députés qui le contesteraient : tous savent au fond qu’ils auraient agi
comme lui. Le ministre fait allusion aux Républiques précédentes : manière de
rappeler, dans un sous-entendu éloquent, que ses prédécesseurs, d’Alexandre
Ledru-Rollin et Georges Clemenceau à François Mitterrand, n’ont pas procédé
autrement. L’argument est habile pour faire taire l’opposition 6.
Georges Pompidou est pressé par Michel Jobert, son directeur de cabinet, de
rentrer à Paris le 10 mai : la situation s’est aggravée. À peine revenu, il
s’entretient avec le président de la République à l’Élysée : la décision d’une
conciliation est adoptée de manière conjointe par le Premier ministre et le chef
de l’État. Le locataire de Matignon ne peut agir sans l’aval du Général : il décide
de faire rouvrir la Sorbonne avec son accord et contre l’avis d’Alain Peyrefitte,
qui doit céder. L’allocution télévisée du 11 mai est empreinte d’« apaisement » :
Georges Pompidou affirme sa « profonde sympathie pour les étudiants ». Il
s’agit aussi de justifier son absence loin de Paris : « l’immense prestige dont
jouit la France actuelle dans ces pays [l’Iran et l’Afghanistan] » est à ce prix.
Mais s’il y a lieu de calmer le jeu, il est question de « rétablir l’ordre », et
fermement : la violence policière déployée dans la nuit n’est en aucun cas
récusée. Dans ce discours, le « je » est martelé – « je n’ai cessé… », « j’ai
réuni… », « j’ai décidé… » : la rhétorique permet d’affirmer qu’il est bien le
Premier ministre et protège en même temps l’hôte de l’Élysée 7.
« Je voulais traiter le problème de la jeunesse séparément », expliquera
Georges Pompidou. C’est de bonne stratégie puisque, si l’ouverture de la
Sorbonne semble une concession faite aux manifestants, elle est également un
moyen adroit de les ramener au Quartier latin, voire de les y confiner. L’espace
de la capitale est un espace social, comment l’oublier ? Si les étudiants sont dans
« leur » quartier, un certain ordre est assuré 8. Il s’agit d’éviter non seulement une
contagion mais encore des rencontres entre étudiants et ouvriers : on se rappelle
Redon, Caen et les interpellations de début mai. Le geste de Georges Pompidou
est critiqué dans sa propre majorité. Le Premier ministre est aussi interpellé à
l’Assemblée par François Mitterrand qui, le 14 mai, réclame la démission du
gouvernement : « vous ne serez pas le miraculé de Kaboul », lui lance-t-il,
soulignant par là que son absence aux jours décisifs ne le dispense pas de ses
responsabilités. Il n’empêche : le Premier ministre donne tous les gages d’un
subtil mélange entre transaction et fermeté. On ignore ce qu’il a alors à l’esprit,
intimement ; la lettre qu’il adressera le 29 juillet à Raymond Aron décrit un
homme moins assuré qu’il n’y paraît :
J’ai fait ce que fait un général qui ne peut plus tenir une position. Je me
suis retiré sur une position défendable. Et j’ai donné à cette retraite un
caractère « volontaire », à la fois par souci de sauver les apparences et à
cause de l’opinion 9.

En matière stratégique, le « général » est autant à Matignon qu’à l’Élysée. Mais


c’est un stratège qui doute, pour finalement manœuvrer comme dans une partie
de poker : un Premier ministre peut, lui aussi, bluffer.

LE BON GRAIN ET L’IVRAIE

Le 14 mai à l’Assemblée nationale, Georges Pompidou réitère son alliage de


compréhension et de condamnation ; il s’inscrit plus solidement dans une
tactique de division. Il tient à le dire pour, en partie, se dédouaner : ce n’est pas
d’abord le gouvernement qui est visé puisque les jeunes se révoltent autant à
Prague qu’à Berkeley. Un monde tout entier est touché, emporté dans une crise
de civilisation. Mais la jeunesse n’est pas une entité singulière, elle n’a pas
d’unité : le Premier ministre prend soin de séparer « la jeunesse ouvrière et
paysanne, qui connaît le prix du pain et la rude nécessité de l’effort », et les
étudiants, « nantis », « privilégiés » et « bien nourris ». Il dresse d’autres
frontières, disciplinaires, et stigmatise la sociologie, cette « science balbutiante,
dont beaucoup de spécialistes ont d’autant plus d’assurance que leurs
connaissances sont plus incertaines et bien souvent, en France au moins, mal
assimilées ». Comparés à des « sophistes » ou autres « médecins de Molière »,
les étudiants en sociologie de Nanterre sont ciblés et leurs enseignants ne sont
pas épargnés. Les sciences sociales, qui scrutent la société et, dans certains
courants, critiquent les effets de domination et de reproduction, ne sont pas
appréciées à Matignon.
Enfin, il lui paraît bon de séparer, parmi les étudiants, le bon grain de
l’ivraie : les représentants de l’UNEF, avec lesquels il entend discuter, et des
« extrémistes », « anarchistes » et « enragés ». Les premiers pourraient être
davantage « associés » à leurs enseignements : c’est un canevas pour la
participation à l’Université. Contre les autres, le ton de Georges Pompidou se
fait accusateur, adossé à l’hypothèse du complot : ces « individus » dépendraient
« d’une organisation internationale », dont le dessein serait de « créer la
subversion dans les pays occidentaux ». On ne sait qui est visé, de l’Union
soviétique ou de la Chine de Mao. Quoi qu’il en soit, le Premier ministre assure
se « préoccuper de cette organisation pour veiller à ce qu’elle ne puisse nuire ni
à la Nation ni à la République ». Une fois encore, l’action des forces de l’ordre
est validée : Georges Pompidou souligne deux qualités complémentaires du
préfet de police, son « humanité » et sa « fermeté » 10.
Peut-on percevoir dans ces considérations de Georges Pompidou un rappel
de son propre passé ? Les étudiants qu’il voit paresseux et travaillant peu sont,
peut-être, une projection de sa jeunesse, de son « bachot » décroché « sans
gloire » comme il l’écrira dans ses Mémoires, de son absence d’« effort pour
réussir », de ses heures passées au « Palais du Café » boulevard Saint-Michel
plutôt que dans les salles studieuses de l’École normale supérieure où il « ne
travaill[ait] pas beaucoup ». Ses enseignants sont là pour en témoigner, tel
Raymond Arasse, professeur de khâgne au lycée Louis-le-Grand où l’élève
Pompidou avait des « allures très amateur ». D’autres dépeignent un dandy,
fièrement dilettante, désinvolte et nonchalant 11. Dans ses lettres à son grand ami
Robert Poujol, alors qu’il a 18 ans, le jeune homme confesse sa « flemme » et sa
manière de devenir « vicieux et décadent ». Le 7 avril 1930, il écrit – non sans
une forme d’ironie :

[il est] bien difficile d’être modéré et calme. Tout le monde est
extrémiste et on se laisse entraîner. Il y a des moments où je me sens
affreusement révolutionnaire. Quand je vais sur les Champs-Élysées, j’ai
envie de sortir mon revolver. Il est vrai que je n’en ai pas 12.

Ces fragments de passé expliquent-ils l’image assez négative que Georges


Pompidou se fait des étudiants et qu’il conservera des années durant ?
QUERELLE DE FAMILLE DANS LA MAJORITÉ

Les critiques ne manquent pas au sein de la majorité. Beaucoup sont dirigées


contre le chef du gouvernement, qui attire les reproches sur sa droite comme sur
sa gauche. Certains ministres subissent des attaques venues de leur propre
camp ; c’est le cas d’Alain Peyrefitte et de Christian Fouchet. Le ministre de
l’Éducation nationale n’est pas une seule fois mentionné dans le discours de
Georges Pompidou le 14 mai : signe d’une prise de distance voire d’une
confiance écornée – il devra démissionner le 28 mai. Excédés par les
manifestations que le gouvernement n’aurait pas su réprimer, des députés de la
majorité vitupèrent les « faux étudiants » qui abuseraient de « l’hospitalité
française », référence à Daniel Cohn-Bendit, décidément au centre des intérêts.
Le député Bertrand Flornoy va jusqu’à renvoyer le leader anarchiste au passé
nazi : « Si Monsieur Cohn-Bendit voulait expérimenter ses méthodes
hitlériennes, nous ne serions pas opposés à ce qu’il le fasse dans son pays
d’origine 13. »
Au contraire, les « gaullistes de gauche », autour d’Edgard Pisani et de René
Capitant, se montrent bienveillants envers les étudiants et condamnent la logique
répressive. Plusieurs fois ministre dans les gouvernements Debré puis
Pompidou, le premier, en cohérence avec ses convictions, vote la censure le
22 mai et démissionne de son siège au Palais-Bourbon. Le second, président de
la commission des lois et opposé au Premier ministre qu’il juge trop
conservateur, démissionne avant le vote sur la censure et se récrie : « Je ne
pardonnerai jamais aux ministres qui ont fait huer de Gaulle par la rue. » René
Capitant rejette la responsabilité des événements sur le Premier ministre, devant
une « révolte qu’il n’a ni prévue ni comprise ». La dissociation qu’il opère entre
le gouvernement et le chef de l’État est poussée très loin : « nous considérons
que cette jeunesse, même si elle ne l’a pas encore compris, est objectivement
avec de Gaulle, bien qu’elle se dresse contre le gouvernement Pompidou » 14.
La critique est alimentée par les dénigrements que nourrissent les conseillers
du Président. Le magistrat Jacques Patin, chargé des affaires de justice au
secrétariat général de l’Élysée, dresse un rude bilan de l’action menée jusqu’à la
mi-mai : il fustige une « fermeté plus apparente que réelle », déplore un manque
d’autorité, « palpable en particulier dans l’incapacité à prendre en main
l’information et notamment à contrôler les postes périphériques ». Il se montre
très sévère à l’encontre de l’enseignement supérieur et de sa réforme, « mal
pensée » : « plutôt que de fabriquer en série des ratés sans débouchés, ce sont
des cadres moyens qu’il faut former ». De son côté, Michel Dupuch, chargé des
relations avec l’Afrique, déplore que l’État « atermoie » ; il évoque un
« mutisme débilitant » et un gouvernement sur « son quant-à-soi ». Jacques
Le Cornec, chargé des affaires économiques auprès du préfet dans le Finistère,
affiche son « pessimisme » quant à la politique régionale, pour une Bretagne
jugée délaissée ; il conseille d’être plus prudent et plus diplomate : « la
sensibilité psychologique et affective du tempérament celte est d’ailleurs un
facteur avec lequel on doit compter »… Au-delà de l’Élysée, certaines
fédérations du parti gaulliste redisent leur fidélité au Général mais assènent des
critiques au gouvernement, qu’elles verraient bien démissionner. À Guéret,
l’Union des démocrates pour la Ve République (UD Ve) de la Creuse préconise
l’installation « d’un gouvernement de transition regroupant des chercheurs, des
syndicalistes et certains membres de l’actuel gouvernement qui se sont révélés
les plus aptes aux contacts humains » : seule une coalition pourrait « se pencher
sur l’âme des Français » 15. Il est donc plus que temps, pour le pouvoir, de se
ressaisir et de maîtriser l’événement.

Sous contrôle

LA PARTICIPATION : UN DÉFI À LA « CHIENLIT » ?

Le Premier ministre relaie bien volontiers le mot salé qu’a forgé le Général
pour qualifier la situation, au retour de son voyage en Roumanie le 18 mai : « La
réforme oui, la chienlit non. » Aussitôt, la presse s’emploie à en faire l’exégèse
et à en saisir la genèse. « Chienlit » : ce n’est pas la première fois que Charles
de Gaulle l’emploie ; la IVe République avait eu droit à cette caractéristique, qui
rappelle Gargantua. Sans détour ni allégorie, le terme renvoie à « qui chie au
lit ». Mais il a son brevet littéraire : Huysmans avait décrit une « chienlit de
guerre ». Littré en donne un autre sens, plus historique, celui du Carnaval et des
jours gras. Voilà qui associe l’événement à un divertissement et à ses
accoutrements ; culbuté, le monde est à la renverse : il faut donc le remettre à
l’endroit 16.
L’étonnant néanmoins vient de ce que, en ces moments critiques, le Conseil
des ministres continue d’écumer des ordres du jour inchangés. Le 23 mai par
exemple, il examine un projet de loi qui modifie la réglementation minière en
Nouvelle-Calédonie, un autre relatif aux gîtes d’eaux chaudes et de vapeurs
d’eau dans les départements d’outre-mer, un dernier consacré à la situation
juridique des artistes du spectacle et des mannequins 17.
Le lendemain, le général de Gaulle prononce l’allocution télévisée prévue
depuis dix jours déjà – le Premier ministre l’avait annoncée le 14 mai. Le
Président apparaît fatigué et sans doute désorienté par une situation
« bouleversée », qui semble lui échapper. Il décrit un « pays au bord de la
paralysie », souffle le chaud et le froid. Il brandit la menace de la « guerre
civile » dans laquelle la nation pourrait « se rouler » : elle courrait à sa perte,
« aux aventures et aux usurpations les plus odieuses et les plus ruineuses ». Mais
il dit aussi la nécessité de « réformer » et de « changer partout où il le faut des
structures étroites et périmées ». En appelant à « la voie la plus directe et la plus
démocratique possible », le référendum, Charles de Gaulle mise sur le prestige
de sa personne : il lie le « destin » de la France au sien.
Ce discours du 24 mai avance une proposition qui n’est pas nouvelle mais
s’affine depuis des années : la « participation » des salariés. L’« association
capital-travail » est un pilier du « gaullisme de gauche » – et ce depuis le
discours que le Général a prononcé à Oxford le 25 novembre 1941. Il y revient
pour préciser son ambition en mars 1945, puis à la fondation du Rassemblement
du peuple français (RPF) le 7 avril 1947, enfin à Saint-Étienne le 4 janvier 1948.
Cette « association » renvoie à une « rémunération du travail proportionnée au
rendement global de l’entreprise ». Pour le cercle des gaullistes de gauche – qui
sont aussi des chrétiens, dans la tradition du christianisme social – tels René
Capitant, Léo Hamon, Louis Terrenoire et Louis Vallon, la participation offre
l’avantage de récuser la lutte de classes, l’antagonisme et la conflictualité. En
1965, Louis Vallon dépose un amendement au projet de loi de finances qui
relance la participation ; l’ordonnance du 17 août 1967 en consacre l’application
par l’intéressement des travailleurs aux bénéfices, dans les entreprises de plus de
cent salariés 18.
Depuis le début de l’année 1968, un proche conseiller du Général à l’Élysée,
Bernard Ducamin, ne cesse de rappeler la portée d’une telle réforme. Le 6 avril,
il écrit à Édouard Balladur, conseiller technique au cabinet du Premier ministre,
combien l’intéressement peut être important : associer les salariés à l’expansion
des entreprises, c’est aussi les dissuader de faire grève. Aux sceptiques qui,
comme le ministre des Affaires sociales Jean-Marcel Jeanneney, jugent son
application impossible dans les entreprises publiques, Bernard Ducamin soutient
le contraire : la SNCF, par exemple, « doit pouvoir à terme gagner de l’argent » ;
il faut y encourager « le sens de la recherche du profit ». Loin de se tenir en
retrait, l’État devrait « donner l’exemple » et stimuler un « esprit d’entreprise »,
concurrentiel et compétitif. Au secrétariat général de l’Élysée, Jacques Patin y
insiste aussi : l’intéressement aux bénéfices est une solution face aux grèves et
manifestations. Tout juste nommé, le ministre de l’Industrie Albin Chalandon
fait rédiger dans la foulée un projet de loi pour la rénovation universitaire,
sociale et économique, celui-là même qui devrait être soumis à référendum. La
participation en est le cœur : elle doit concerner « tous les échelons de
l’économie » et impliquer non seulement les travailleurs mais encore les élus
locaux 19.
Est-ce en raison de son ton, de l’impression que donne le Général d’être
accablé ? L’allocution du 24 mai ne convainc pas. Les RG le répètent à satiété :
« l’opinion » « espérait énormément » de cette intervention ; elle serait
« profondément déçue ». « De toute part on entend : “Ce n’est pas la peine
d’avoir mis huit jours pour dire cela” », notent les RG de la Loire. Ils relèvent
« un certain malaise » dans les milieux patronaux : en matière de participation, le
Président se serait « trop avancé » ; cela pourrait ouvrir des appétits et durcir les
exigences syndicales. Plus au fond, le chef de l’État aurait reconnu la faillite de
son propre régime, avec le bilan catastrophique de la situation. La tendance, lit-
on aussi dans le Pas-de-Calais, est à « la déception mêlée de regret » : le discours
n’a pas créé « le choc psychologique que souhaitait la grande majorité de la
population » 20.

RENCONTRE AU SOMMET

« L’appétit » des représentants syndicaux, selon les termes des


Renseignements généraux, va-t-il s’aiguiser après de telles déclarations ? On se
souvient que les négociations de Grenelle s’ouvrent le lendemain, sous les
auspices du Premier ministre. C’est donc à Georges Pompidou qu’elles sont
attribuées. Et cependant, le dispositif répond au vœu du chef de l’État ; ses
conseillers ne cessaient d’ailleurs de le recommander. Dès le 18 mai, Henri
Coury évoque l’hypothèse d’« accords de l’Élysée » pour réitérer les accords
Matignon : s’il n’est certes pas possible de discuter avec Daniel Cohn-Bendit,
« on peut encore parler avec M. Séguy et M. Descamps », dirigeants de la CGT
et de la CFDT. Il espère que le Général présidera lui-même à ces discussions,
lesquelles déboucheraient sur une « série de mesures spectaculaires ». Certes, la
note financière pourrait être élevée ; non seulement c’est inévitable mais encore,
certaines avancées comme la reconnaissance des syndicats dans l’entreprise ne
coûteraient rien 21. Finalement, ces négociations n’ont pas lieu rue du faubourg
Saint-Honoré mais rue de Grenelle, à l’hôtel du Châtelet où siège le ministère
des Affaires sociales. Le Président reste en retrait, estimant probablement que
son rôle n’est pas dans la discussion pragmatique avec les syndicats. Il
n’empêche : que les confédérations de salariés, au côté du patronat et sous la
houlette des représentants de l’État, prennent part à de telles concertations est un
autre volet de la participation.
Le ministre de l’Économie et des Finances, Michel Debré, a beau en être
écarté, par souci sans doute de diplomatie – il est réputé pour son intransigeance
et sa pugnacité –, il a rédigé des « orientations pour une discussion syndicale »
qui définissent les bornes à ne pas dépasser. Elles concernent les congés
annuels – il est inenvisageable selon lui de les augmenter –, la durée
hebdomadaire du travail – « un abaissement brutal est à rejeter », ce qui
condamne d’emblée la revendication des quarante heures pourtant partout
diffusée –, enfin la reconnaissance de la section syndicale d’entreprise – qu’il
serait souhaitable de ne pas généraliser. D’ores et déjà, à cette date, les jalons
sont posés et les limites, fixées 22.
Pour le pouvoir, cette rencontre au sommet est en soi un succès. Il est
parvenu à réunir autour d’une même table les syndicats de salariés et le patronat.
Il a aussi amené, pour la première fois, le CNPF à négocier sur les salaires au
niveau national, alors que ses statuts ne lui en donnent officiellement pas le
droit. Certes, le Premier ministre va un peu vite en besogne lorsqu’il parle
d’« accords » ; les syndicats lui préfèrent celui de « constat » 23. Mais c’est un
tournant de l’événement puisqu’au sortir de Grenelle, la CGT pense voir refluer
le mouvement, comme le gouvernement. Telle est la dimension des
négociations.
Elle a aussi son revers ou à tout le moins son pendant : le contrôle et la
répression. L’épisode est des plus connus : le général de Gaulle est, durant
quelques heures, porté disparu ; on ne le trouve ni à l’Élysée ni à Colombey.
Parti consulter le général Jacques Massu à Baden-Baden pour se garantir son
soutien et, au-delà, celui des anciens de l’OAS, ses adversaires sur l’Algérie à
qui il promet l’amnistie, il en revient plus fort encore. Son allocution
radiodiffusée dans l’après-midi du 30 mai est concise et déterminée. Une
nouvelle fois, mais de manière plus impérieuse et plus impétueuse, il évoque le
danger du « communisme totalitaire » et son parti, accusé de semer
« l’intoxication, l’intimidation et la tyrannie ». Charles de Gaulle ne prend pas
de gants rhétoriques lorsqu’il assure : « La France en effet est menacée de
dictature. » Il voue aux gémonies des « politiciens au rencard », mus par
« l’ambition et la haine » – ce mot tonitrue d’autant plus que, dans l’allocution,
son « h » est aspiré : le discours est lancé comme une pierre, sinon comme un
pavé. « La France se ressaisira » sans tarder ; le chef de l’État en appelle à
« l’action civique » pour défendre « la liberté ».
Sur un ton martial, le Général annonce aussi la dissolution de l’Assemblée :
le signal est donné pour rassembler ses partisans, qui manifestent massivement
au soir du 30 mai – on les retrouvera au chapitre suivant. Le gouvernement est
remanié : René Capitant est nommé garde des Sceaux par le général de Gaulle,
qui lui réitère sa confiance malgré les désaccords exprimés ; après la démission
forcée d’Alain Peyrefitte, Christian Fouchet est écarté de la Place Beauvau et
remplacé par un successeur connu, donc, pour sa poigne : Raymond Marcellin.
Ces changements, qui éloignent plusieurs ministres de haut rang, reflètent la
volonté d’une reprise en main. On apprend aussi, le 1er juin, que le Président a
rencontré des chefs de l’armée. La presse décrit des troupes en mouvement : les
escadrons de la gendarmerie mobile, avec chars et automitrailleuses, reviennent
de manœuvres et rentrent à Satory ; la brigade blindée de la 2e division regagne
son siège de Compiègne ; le 501e régiment de chars de combat rejoint
Rambouillet ; même le régiment de marche du Tchad fait retour sur Pontoise 24.
Manière de dissuader, façon d’impressionner : ces déplacements signalent un
regain d’autorité au sommet de l’État, qui indique le recours possible à l’armée.
C’est un message adressé à l’opinion : le risque de guerre civile n’est pas à
écarter et le pouvoir se montre prêt à l’affronter.

INFORMATIONS D’ORIGINE CONTRÔLÉE

La puissance d’État passe aussi par un contrôle accru sur l’information. De


nombreux moyens sont disponibles pour l’appliquer et, d’abord, son principal
instrument, l’ORTF créé quatre ans auparavant. Durant les douze premiers jours
des événements, entre le 2 et le 14 mai, deux heures y sont consacrées, dont une
heure trente à la « parole officielle » – ministres, préfet de police et autorités
universitaires – contre trente minutes aux manifestations et deux minutes aux
leaders syndicaux et étudiants. La diffusion d’un sujet sur les étudiants prévu
dans l’émission Panorama le 10 mai est interdite par les ministères de
l’Information et de l’Éducation nationale. Les journalistes et producteurs de
magazines s’indignent dans un communiqué et blâment une « scandaleuse
carence d’information ». Les salariés de l’Office entrent en grève le 17 mai et les
journalistes le 25. Les journaux télévisés, que regardent chaque soir 25 millions
de spectateurs, sont maintenus, assurés à partir du 26 par des non-grévistes ; à
cette date ne sont plus diffusées que les communications du gouvernement. Les
reportages en direct ne sont pas autorisés, mais le redeviennent pour les
manifestations pro-de Gaulle le 30 mai et les jours suivants 25.
Dans les départements, les centres d’émission de l’ORTF sont autant de
« points sensibles » pour les gendarmes et les préfets. Sur ordre du ministère de
l’Intérieur, ils se disposent à les faire surveiller, voire encercler. Or, la
gendarmerie est déjà très sollicitée. Dans le Puy-de-Dôme par exemple, les
gardes statiques affectés au sommet du Puy ainsi qu’au groupe haute fréquence
d’Ennezat et au centre de Chamalières sont prélevés sur des brigades « déjà
fortement dégarnies », déplore le préfet ; il ne s’agirait pas de dépouiller les
« points sensibles militaires ». En requérant la 61e division pour « assurer la
sécurité » de plusieurs centres hertziens situés à Moulainville, Rarécourt et
Willeroncourt, le préfet de la Meuse précise au général commandant de la région
qu’il sera fait usage de la force « sans emploi des armes ». En Loire-Atlantique,
le préfet assume d’interdire le journal télévisé des Pays de la Loire, « devant la
prétention des syndicalistes de se faire interviewer en direct à leur gré ». Dans le
cadre du Plan « Stentor » – dont le nom rappelle le crieur des armées grecques,
celui qui, dans la mythologie, impressionne et mugit –, le ministre des Armées
Pierre Messmer prévoit de réquisitionner tous les officiers capables de remplacer
les ingénieurs de stations, pour chaque relais de radio et de télévision. Au mont
Pilat, sur les contreforts du Massif central, le personnel, qui avait repris son
service, adopte le 8 juin une motion indignée après l’occupation militaire des
installations et l’expulsion des techniciens de l’Office. Les mots du texte sont
durs à l’égard des cadres régionaux et de la direction qui ont accepté cette
occupation : les personnels évoquent une « prostitution morale ». À Clermont-
Ferrand, l’intersyndicale de l’ORTF proteste en voyant expulser le personnel des
émetteurs et interpelle la population pour qu’elle réagisse à ce coup : « La police
à l’ORTF, c’est la police chez vous. » L’enjeu est si crucial qu’au niveau local,
la police surveille « discrètement » les réunions des salariés de l’ORTF et leurs
intersyndicales, telle celle qui se tient à Tulle le 21 juin 26.

FAIRE TAIRE L’ADVERSAIRE

Autre support, lui-même redoublé, de l’autorité au plus haut sommet de


l’État : l’interdiction de certaines manifestations et organisations. Le Conseil des
ministres en prend la décision le 12 juin : les manifestations sur la voie publique
sont interdites par décret. Comme le note Paris Jour, avec ou sans malice, la
mesure ne vise en rien les cérémonies commémoratives de l’appel du 18-Juin.
Les plus touchés par la sanction sont les étrangers qui participent aux
manifestations : beaucoup sont expulsés pour ce prétexte ou cette raison.
L’interdit s’assortit de la dissolution qui frappe onze groupes, partis ou
associations : la JCR, Voix ouvrière, Révoltes, la FER, le Comité de liaison des
étudiants révolutionnaires, l’Organisation communiste internationaliste, le Parti
communiste internationaliste (d’obédience trotskiste), le Parti communiste
marxiste-léniniste de France, l’UJCml (maoïstes), la Fédération de la jeunesse
révolutionnaire et le mouvement du 22-Mars, de tendance libertaire. Le texte
prend juridiquement appui sur la loi du 10 janvier 1936 au sujet des « groupes de
combat et milices privées » : à l’époque, elle avait servi contre des mouvements
d’extrême droite. En revanche, Occident n’est pas dissout ; le nouveau garde des
Sceaux René Capitant estime que, s’il utilise la violence, il n’est pas
« subversif » pour autant. Le décret entre en vigueur immédiatement. Il
s’entrechoque avec une mesure prise trois jours après : quelque cinquante
membres de l’OAS qui avaient été condamnés pour assassinat, parmi lesquels le
général Raoul Salan, sont amnistiés et libérés ou autorisés à rentrer en France
lorsqu’ils s’étaient exilés. Le ministre de l’Intérieur entend faire appliquer le
décret de dissolution avec la plus grande fermeté et poursuivre toute tentative de
reconstitution : c’est ce qui conduit en prison Alain Krivine et plusieurs de ses
camarades, François Carpentier, Pierrette Chenot, Claude Gac, Isaac Johsua,
Paul Nugues, Gérard Prim et Pierre Rousset 27.
Raymond Marcellin souhaite également l’ouverture d’une information
judiciaire contre X sur la base de l’article 90 du Code pénal : ce texte punit d’une
peine criminelle celles et ceux qui ont dressé des barricades, provoqué le
rassemblement d’insurgés ou envahi des établissements publics. De telles
poursuites ne peuvent être menées que devant la Cour de sûreté de l’État. Au
secrétariat général de l’Élysée, le conseiller juridique Jacques Patin reconnaît
l’« indéniable gravité » de cette mesure, mais il l’appuie sans réserve : comme
Raymond Marcellin, il craint un « manque de conviction » chez les magistrats
liés aux juridictions de droit commun. Le même Jacques Patin rappelle, dans une
note circonstanciée à l’attention du chef de l’État, que sont punis de mort « ceux
qui ont dirigé ou organisé un mouvement insurrectionnel ». En décembre, on
compte douze procédures en cours d’instruction, relatives à la distribution de
tracts « subversifs » – diffusés par des membres du 22-Mars et de la JCR – ainsi
que du journal maoïste La Cause du peuple. Elles aboutissent à des non-lieux.
Au printemps suivant, Jacques Patin évoque la situation d’une dizaine
d’étudiants qui avaient « molesté » en mai des policiers en civil. L’affaire est
délicate : le ministère de la Justice craint que les débats ne connaissent pas une
« issue favorable » pour les représentants de l’État, tant ces policiers font
souvent figure d’agents provocateurs. Le risque est de révéler au public des
pratiques qu’il vaut mieux cacher. Finalement, le cabinet du Premier ministre
donne son accord pour abandonner les poursuites 28.

L’État contre-attaque

LES PRÉFETS MOBILISÉS


Parallèlement à cette manière de faire taire l’adversaire, les préfets sont
mobilisés afin que le travail reprenne et qu’aucun risque de subversion ne puisse
faire déchoir le pouvoir. Ils relaient à cet effet les directives des ministères. Sur
ordre de Michel Debré, les préfets insistent sur le risque que les grévistes
feraient courir à l’économie : ils doivent le « faire sentir en toutes occasions ».
De l’Intérieur émane une consigne sur les armureries : les armes sont
neutralisées, leurs pièces essentielles enlevées et placées sous clé dans un local
distinct, une armoire forte au besoin. Le ministre insiste pour que les préfets
favorisent la reprise et déterminent les entreprises où elle serait « la plus féconde
et la plus spectaculaire ». Par un télégramme « extrême urgent » daté du 5 juin,
Raymond Marcellin les invite à envoyer la force publique partout où les chefs
d’entreprise la réclament 29.
Le ministre des Postes, Yves Guéna, convie de son côté à retrouver « l’esprit
postier » et demande à tous les personnels, au soir du 30 mai, de reprendre leur
service dès le lendemain, suivant en cela le vœu du chef de l’État. Dans son
argumentation figurent, en bonne place, les élections : il faut qu’elles puissent
avoir lieu librement – la démocratie est à ce prix. Le ministre invite les agents à
constituer des « comités de reprise du travail » et demande aux préfets de les
encourager 30.
La chose pourtant n’est pas si simple. Certains préfets font remarquer au
ministre de l’Intérieur que, même dans des départements considérés jusqu’alors
comme conservateurs, la grève est bien ancrée : il faudra plus que des promesses
pour la faire cesser. La Meuse, par exemple, est un département « calme et
modéré », « sociologiquement patriarcal » : l’ampleur du mouvement y
surprend. La conjonction de la contestation chez les étudiants, dans un monde
ouvrier aux « salaires très bas » et dans des milieux paysans sensibilisés aux
problèmes des prix touchant la viande et le lait, marque l’opinion dans ce
département où pourtant « l’ordre est un fait psychologique dominant ». En
revanche, le préfet des Pyrénées-Orientales certifie, sans craindre les clichés,
qu’« en dépit du tempérament excessif des Catalans et de leur sympathie
instinctive autant que traditionnelle pour les idées politiques d’extrême gauche »,
les troubles n’auront pas été trop graves dans la région 31.
CONTRE-PROPAGANDE

En tout cas, voilà les préfets occupés à répertorier les lieux de travail, les
bastions ouvriers et les mairies occupées afin de cerner où et comment les
piquets de grève pourraient être levés. Dans les Bouches-du-Rhône, le préfet
dresse la liste des mairies touchées par la grève et marque d’une croix rouge
celles qui s’avèrent « difficilement récupérables » telles Martigues, Aubagne ou
Berre. Ils se chargent de faire évacuer les piquets devant les dépôts pétroliers et
ce, dès le 31 mai : la réapparition de l’essence doit confirmer que le mouvement
prend fin à l’orée de juin 32.
Le préfet de Charente-Maritime, Daniel Doustin, se montre particulièrement
actif à convaincre les grévistes : le 31 mai et les jours suivants, il fait circuler
dans les rues de La Rochelle des voitures avec haut-parleurs pour appeler à la
reprise. Il leur adresse une lettre officielle, où il dit non sans ironie qu’« il faut
savoir terminer une grève », reprenant la formule célèbre de Maurice Thorez : le
préfet entend disputer au Parti communiste la légitimité de s’adresser aux
ouvriers. C’est, explique-t-il, parce qu’il connaît bien la condition des
travailleurs – lui-même est fils de cheminot – qu’il les exhorte à « faire
attention » : la grève pourrait se retourner contre eux si elle se prolongeait.
Daniel Doustin exalte les avantages « très substantiels » « définitivement
acquis » à Grenelle. Aller plus loin, ce serait mettre en péril l’économie, déjà
« terriblement dégradée » : la situation deviendrait « catastrophique » – certains
marchés en cours avec l’étranger ne seraient pas conclus, les emplois attendus ne
pourraient pas être créés. La dramatisation a le don de jouer sur une corde
sensible, en cette période tendue 33.
Enfin, à la demande de Raymond Marcellin et en prévision des élections, les
préfets font « remonter » les problèmes locaux qui demeurent en suspens, « dont
la solution aurait une influence sur le scrutin ». Toutefois, le ministre de
l’Intérieur l’a spécifié, ces difficultés ne l’intéressent pas forcément en soi : elles
ne doivent être évoquées que pour les circonscriptions « marginales », « où le
résultat est encore incertain » 34.
Au-delà, les préfets veulent faire en sorte que de tels événements ne se
répètent pas. Dans plusieurs régions se mettent en place des groupes de liaison
dont ils président les réunions : ils rassemblent des représentants de l’armée, de
la gendarmerie, de la police et des Renseignements généraux qui associent leurs
forces pour surveiller les mouvements radicaux, mais encore pour les
disqualifier aux yeux de la population. Le préfet du Nord, Pierre Dumont, insiste
pour que l’opinion soit informée « sur la véritable nature de ces mouvements
révolutionnaires, prétendus novateurs, alors qu’ils ne font que reprendre des
doctrines marxistes léninistes vieilles d’un demi-siècle ». Le préfet des Deux-
Sèvres, Jean Rougé, estime essentiel d’empêcher leur pénétration dans les
usines ; il juge également nécessaire une « contre-propagande révolutionnaire »,
« en informant discrètement » : « il ne s’agit pas d’affoler la population mais de
lui dire objectivement la vérité et les dangers que fait courir à la société l’activité
de ces groupes ». Il faut aussi empêcher que se tiennent les « universités
critiques » prévues durant l’été. Quant au préfet du Calvados, Gaston Pontal, il
s’assure auprès du ministre de l’Intérieur que les « agitateurs » sur le point de
faire leur service militaire verront leur cas traité « avec rigueur » : il ne faudrait
pas les incorporer dans des régiments dont il pourrait ensuite appliquer la
formation sur les barricades ou lors de manifestations 35…

RESPONSABILITÉS LIMITÉES

Longtemps encore, dans les allées du pouvoir, on cherchera des


responsabilités. Au secrétariat général de l’Élysée, le PSU est visé : « boutefeu
de la révolution », il aurait largement contribué à « détériorer » le climat
revendicatif en « durcissant » le mouvement. Au ministère de l’Intérieur, le
secrétaire général du SNESup, Alain Geismar, est décrit comme un « fanatique »
qui suscite la stupéfaction : « On peut s’étonner que les membres de
l’Enseignement supérieur aient choisi pour les représenter cet homme, trop jeune
d’ailleurs et manquant à tel point de mesure » 36.
Mais c’est au sein même d’un fleuron de l’industrie automobile sous
contrôle d’État, la Régie nationale des usines Renault, qu’une enquête est menée
plusieurs mois durant et bien sûr discrètement par la Direction de la surveillance
du territoire (DST). Cette enquête très confidentielle, jugée délicate par les
agents de la DST, est diligentée depuis l’Élysée sur demande de Jacques Foccart.
Elle vise le président-directeur général Pierre Dreyfus et divers responsables de
la Régie, soupçonnés d’avoir encouragé, voire facilité la grève. Dreyfus est
unanimement considéré comme un homme de gauche, même d’extrême gauche.
Un membre de sa famille, lors d’une conversation privée qu’il ne sait pas
enregistrée, assure : « C’est le socialisme qui l’intéresse, non l’industrie
automobile. » On rapporte que le directeur général à l’industrie de la Régie serait
un chrétien progressiste « de tendance PSU » ; le directeur du budget et de la
comptabilité serait proche du Parti communiste ou des trotskistes ; le directeur
financier serait « gauchisant » lui aussi – quoique « pas aussi rouge que les
autres ». En bref, l’homogénéité politique dans l’« état-major de la Régie »
aurait bien servi le conflit 37.
Il ne s’agit pas seulement de trouver des responsables ; il faut aussi leur faire
face et, même, contre-attaquer. Certains préfets placent leurs espoirs dans les
Comités de défense de la République (CDR), constitués à cet effet. Leurs
sections dans l’Éducation nationale pourraient être une manière de résister « à
l’action universitaire subversive », selon le préfet de Basse-Normandie. Le
conseiller à l’Élysée Bernard Ducamin va plus loin : c’est sur des forces bien
plus vastes que le pouvoir devra s’appuyer, à commencer par les femmes,
« contrepoids extraordinaire » à la menace révolutionnaire. Et Ducamin de
s’engager dans une analyse des caractéristiques féminines telles qu’il les
imagine : « Elles sont d’instinct plus conservatrices dans les idées » ; elles sont
aussi « beaucoup plus positives, concrètes, plus courageuses, plus actives, plus
pratiques ». En somme, le pouvoir pourrait utiliser avec bonheur leur « rôle
stabilisateur » 38.


Le pouvoir s’interroge sur ses bases ébranlées. Bernard Ducamin en vient à
considérer que « la Ve République n’a jamais su définir clairement aux yeux des
tiers sa politique sur le plan intérieur » : elle n’aurait pas de ligne directrice. La
stabilité des institutions, le Plan, la défense du franc ou l’expansion ne font pas
« des objectifs pour une société humaine » ; ce sont des moyens et non des fins :
« Notre société, en tant que collectivité humaine, a perdu sa finalité. » Que des
conseillers du Président s’inquiètent de ce qui forge et fait le régime signale non
seulement une « crise de la majorité » mais une secousse du système lui-même 39.
Le choc est existentiel, tel celui que traverse le Premier ministre ; dans une
lettre à François Mauriac le 23 juillet, il admet : « c’est bien du désarroi d’un
monde sans Dieu que nous avons été témoins ». Il voit même une parenté entre
ce qui s’est révélé en mai-juin et ce que décrit Fiodor Dostoïevski dans Les
Possédés, « un drame profond » qu’il aura du mal à surmonter, lui qui ressent au
moins passagèrement le sentiment d’une vanité à gouverner 40.
Le général de Gaulle ne tait pas ses doutes lui non plus, ni l’inquiétude
éprouvée face au monde tel qu’il est. Son entretien télévisé avec Michel Droit, le
7 juin, est un morceau d’anthologie de ce point de vue. Car le Président s’y
confie. Il reconnaît avoir eu la tentation de se retirer ; ce qui l’a retenu, c’est le
sens de l’histoire et la conscience de devoir la faire, comme s’il l’incarnait. Mais
il semble hésiter : « Depuis quelque chose comme trente ans que j’ai affaire à
l’Histoire, il m’est arrivé quelquefois de me demander si je ne devais pas la
quitter. » Confesser les incertitudes dont ont été pétris les moments importants
est un autre moyen de se poser en homme d’État, qui plie mais ne rompt pas :

en septembre 1940 après Dakar, où avec mes compagnons qui avaient


essuyé le feu des forces françaises qui tiraient sur les Français libres,
alors que l’ennemi était à Paris, j’ai douté qu’on pourrait jamais les
retourner contre l’envahisseur de la France. Ça a été le cas à Londres en
mars 1942 : devant une dissidence au sein de la France libre, dissidence
dont le gouvernement britannique avait été le complice, sinon
l’instigateur. Ce fut le cas en 1946 quand, submergé par le torrent stérile
des partis, sur lequel je n’avais pas de prise et ne pouvant agir à la place
où j’étais, je l’ai quittée.

Il rappelle « la vague de tristesse » qui l’a submergé, au soir du premier tour de


l’élection présidentielle, le 5 décembre 1965, lorsque sa mise en ballottage par
François Mitterrand l’a fragilisé. Fin mai, le président de la République s’est
senti isolé, presque abandonné. Pour exprimer ce sentiment, il en vient à filer
une métaphore saisissante, celle du bon ange dont le peuple se détourne :

Si bien qu’un de mes amis, car j’en ai tout de même quelques-uns, en


évoquant devant moi cette marée, un jour, évoquait aussi un tableau
primitif, je m’en souviens, qui représentait, me disait-il, une foule qui
était menée par les démons vers l’enfer, tandis qu’un pauvre ange lui
montrait la direction opposée. Et de cette foule tous les poings étaient
levés, non pas du tout contre les démons, mais bel et bien contre l’ange.

La confidence affective n’affaiblit pas son offensive. De Gaulle, de nouveau,


cingle « l’entreprise communiste totalitaire », un adjectif qu’il répète par quatre
fois dans cet entretien. Sans lui, le pays aurait pu glisser « au néant ». Le geste
présidentiel ne suffit plus pour autant, face à une civilisation « mécanique »,
« standardisée » et « technocratique » où l’humain semble perdu. D’où cette
solution, la participation, perçue comme une révolution, un terme assumé même
à l’Élysée : « Et moi je ne suis pas gêné dans ce sens-là d’être un révolutionnaire
comme je l’ai été si souvent », affirme le Président en rappelant la Résistance, le
« droit de vote aux femmes et aux Africains », la Sécurité sociale et les
nationalisations, autant de faits et d’acquis qu’il se réapproprie 41. C’est une
vision de l’histoire toute personnelle, celle d’un homme providentiel.
CHAPITRE VII

Rappels à l’ordre

Les oppositions à la contestation

Lors de son allocution du 30 mai, le général de Gaulle en appelle à la


riposte : « partout et tout de suite, il faut que s’organise l’action civique ».
L’expression n’est pas neutre, d’un point de vue politique : c’est le nom que
porte la police parallèle mise sur pied en 1960 pour soutenir le régime, le Service
d’action civique (SAC). Son « patron » est Jacques Foccart, proche conseiller du
Général à l’Élysée. Assurément, le degré de violence y a diminué depuis la
guerre d’Algérie : le SAC est moins paramilitaire, son appareil est moins
guerrier. Mais il reprend vigueur à la faveur des événements. Son ancien
président, Pierre Debizet, avait quitté l’organisation pour désaccord avec la
politique algérienne, en son temps ; il y est réintégré et retrouve même son poste
de responsable national 1. C’est le signe d’un durcissement du mouvement,
l’indice de cette crise aperçue sous d’autres angles : crise de la majorité, crise de
régime, crise du gaullisme aussi. Le général de Gaulle se montre affaibli, même
s’il relève finalement le défi. Sa succession commence d’être envisagée 2. Mais
le gaullisme peut-il survivre à son chef charismatique ? Ses partisans traversent
des heures d’incertitude : l’angoisse parfois les étreint avant que viennent les
journées triomphales de confiance retrouvée et de reprise en main. Les opposants
à la contestation ont senti le vent du boulet : un boulet rouge, à leurs yeux
inquiets.
Cette opposition dépasse les rangs des gaullistes fervents. Elle puise aux
ultra-droites, celles qui honnissent le régime, celles où le « gaullisme est quasi
unanimement exécré 3 ». La détestation du communisme, de l’anarchisme et de
ce qui a fait de longue date le mouvement ouvrier l’emporte. Cette détestation ne
réconcilie pas avec de Gaulle pour autant. D’ailleurs, les militants situés à
l’extrême droite de l’échiquier considèrent le mouvement avec ambiguïté : la
haine du « rouge » est forte mais, en même temps, la contestation a ceci
d’intéressant qu’elle ébranle les fondements d’une Ve République abhorrée.
Le rejet de la contestation s’étend bien au-delà de ces organisations. Une
partie de l’opinion refuse la grève, parfois en silence, dans la rumination, parfois
dans la violence ou la dénonciation. Comme à propos de la Révolution, il faut
comprendre « comment vit l’autre partie du monde, l’hémisphère qui reste dans
l’ombre 4 », celle qui repousse l’insurrection, en a peur et y voit un chaos.
L’« action civique » dont parle le Général s’impose dès lors comme un devoir :
un service rendu à la nation.

Tirer sur le rouge

RÉACTION EN CHAÎNE

Des organisations et des sigles à foison : aux premiers jours de mai, la


réaction s’organise face aux révoltes universitaires nées à Nanterre. D’autres
étudiants s’y attèlent, avec la conviction de lutter contre l’« émeute » et la
« révolution ». On trouve parmi ces petits groupes le Mouvement d’organisation
des étudiants pour la liberté (MODEL), la Fédération nationale des étudiants et
lycéens (FNEL), le Front des étudiants pour la rénovation de l’Université
(FERU), le Mouvement universitaire pour la réforme (MUR), le Front des
libertés universitaires (FLU), le Comité des étudiants pour les libertés
universitaires (CELU). Tous proclament combattre « l’anarchie, la propagande
marxiste, la terreur rouge ». Ils n’hésitent pas à faire le coup de poing : le MUR
assure avoir déchiré un drapeau noir et trois drapeaux rouges les 6 et 10 mai ; ses
membres regrettent le silence des médias sur ces exploits 5.
S’il est difficile d’évaluer ce qu’ils pèsent numériquement, une chose est
sûre : leur implantation ne se limite pas à la capitale, loin de là. À Dijon, une
contre-manifestation a lieu dès le 6 mai, aux mots d’ordre tantôt sobres –
« Laissez-nous travailler » – tantôt plus offensifs – « Foutez-nous la paix ».
Trois jours plus tard, quatre-vingts étudiants environ manifestent dans les rues de
la ville avec des slogans combatifs et agressifs : « Les enragés à l’asile », « Pas
de Nanterre à Dijon ». À l’université de Nantes, l’Association des étudiants en
droit et en sciences économiques brandit des analogies historiques : la
contestation rappellerait « les universités allemandes en 1933 ». À Briançon, un
groupe de lycéens constitue mi-mai un « mouvement antirévolutionnaire ». Mais
si, à l’université d’Aix-Marseille, le Comité de défense des étudiants appelle à
manifester le 17 mai, il lui faut finalement annuler le défilé car moins de cent
personnes ont répondu présent 6.
Certaines de ces mouvances ne se contentent pas d’affronter la contestation,
conscientes qu’il faut avoir des propositions à leur opposer. Les réformes
universitaires sont sur toutes les lèvres. La Fédération des étudiants de Paris
avance un slogan proche de la formule gaullienne, la « chienlit » en moins :
« Des réformes : oui ; la révolution : non ». À la faculté de droit de Paris, le
groupe Réforme et Démocratie défend une « réforme raisonnable » de
l’Université ; proche du gaullisme, il prône la participation, une relative
autonomie et la décentralisation des pouvoirs universitaires dans le cadre des
régions 7.
La FNEF est très active dans cette opposition, en rivale de l’UNEF. Fondée
six ans auparavant, elle se présente souvent comme apolitique. Elle est en réalité
proche de la droite et interlocutrice privilégiée du pouvoir. À Nanterre, elle
compte dans ses rangs Patrick Buisson, sympathisant des courants maurrassiens.
À Assas, elle est animée notamment par Claude Goasguen, ancien partisan de
l’Algérie française et proche du groupe d’extrême droite Occident. À Lyon,
Jean-Claude Valla en a dirigé la section avant de mettre sur pied le GRECE,
Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne, au côté
d’Alain de Benoist. À Nanterre, les affrontements avec les étudiants
contestataires ont commencé tôt : début avril, des membres de la FNEF ciblent
Daniel Cohn-Bendit, estimant que « la présence d’un étudiant allemand au
meeting des “enragés” est tout à fait inadmissible : ce n’est à personne, surtout
pas aux étudiants allemands, à donner des leçons aux étudiants français ». On
reconnaît l’empreinte nationaliste de la FNEF. Elle dit se soucier de l’Université,
non « de la lutte contre le capitalisme ou les impérialismes », et s’ancre dans un
corporatisme ; mais elle ne se veut pas modérée : « quand on croit à ce que l’on
représente, on défend ses convictions non pas modérément, mais avec courage et
ténacité ». En même temps, le 10 mai, sa position est à l’apaisement ; elle suit en
cela le Premier ministre dont elle salue l’action tout en déplorant le « chômage
grandissant parmi les jeunes diplômés », qui expliquerait la contestation 8.

L’EMPIRE D’OCCIDENT

Au sein de cette opposition, Occident est le groupe le plus virulent.


Constitué en 1964, avec à sa tête Alain Robert et Alain Madelin, le mouvement
nationaliste d’ultra-droite compte quelques centaines de membres. Son nom
indique son programme : son idéal est à l’Ouest, il est blanc, anticommuniste,
opposé aux luttes du tiers-monde. Les marxistes y sont « les pires ennemis de la
nation ». Son idéologie pousse le groupe à exalter l’« hérédité » et la « race » :
c’est une lutte de « civilisation ». Les « valeurs décadentes imposées par les
démocraties libérales » sont discréditées, comme les combats pour l’égalité.
Occident prône un « État nouveau », fort et hiérarchisé, et une « Europe
nouvelle », « fondée sur la communauté de race, seule capable de faire face à la
montée des peuples de couleur ». Il se déclare aussi « authentiquement
révolutionnaire » et espère le renversement du régime gaulliste 9.
Dans la guerre du Vietnam, le groupe soutient les États-Unis. Il attaque les
Comités Vietnam, comme à Rouen en janvier 1967 où l’affrontement est d’une
grande violence : deux étudiants sont grièvement blessés et une vingtaine de
membres appartenant à Occident sont interpellés, parmi lesquels Patrick
Devedjian, Alain Madelin et Gérard Longuet ; treize sont condamnés pour
« violences et voies de fait avec armes et préméditation ».
Cela n’empêche pas Occident de poursuivre ses actions. Les RG les
qualifient d’« expéditions punitives » : à Paris et Nanterre, elles sont journalières
depuis le début de l’année. À Nantes, le sénateur-maire André Morice se plaint
le 13 février auprès du préfet ; Occident a apposé des affiches et peinturluré de
son nom de nombreux lieux dans la ville : stade, basilique, théâtre, églises et
même… urinoirs ; l’affaire est jugée sérieuse et l’influence d’Occident
inquiétante. Le 22 avril, les locaux du CVN sont mis à sac. Des vitrines de
librairies sont brisées, comme à La Joie de lire tenue par l’éditeur François
Maspero, rue Saint-Séverin dans le Quartier latin. Des grenades d’entraînement
sont jetées sur le siège de l’UNEF. Le 2 mai, le groupe met le feu au local de
l’UNEF, dans l’enceinte même de la Sorbonne ; l’incendie est signé : on
retrouve l’emblème d’Occident, la croix celtique, sur les lieux dévastés où les
dégâts sont importants – archives détruites et pièces contiguës endommagées 10.

« LA DÉMOCRATIE À LA VOIRIE »

À compter du 13 mai, l’ultra-droite manifeste chaque jour à Paris, loin bien


sûr du Quartier latin et des parcours traditionnels au mouvement ouvrier –
Bastille, République, Nation : ces rassemblements ont lieu dans les beaux
quartiers de la capitale, à la Madeleine ou à l’Étoile. Ils regroupent chaque fois
environ 1 000 militants, jusqu’à 3 000 le samedi 18 mai. Les membres
d’Occident impriment « une allure violente aux cortèges », selon les descriptions
policières, tandis que les royalistes se montrent plus modérés, voire en retrait.
Pour la police, ce n’est pas surprenant : l’Action française souhaite depuis
plusieurs années éviter tout affrontement qui pourrait affecter son existence
même 11.
Et cependant, la ligue royaliste se fait entendre durant les événements. Elle
s’oppose toujours à la République, qu’elle considère incapable de s’affronter aux
« milliers de militants communistes lancés à l’assaut des sociétés occidentales ».
Elle prône la restauration d’un État monarchique et honnit la démocratie. « La
démocratie à la voirie ! » titre Pierre Pujo, essayiste, patron de presse et
dirigeant, dont le père avait fondé l’Action française avec Charles Maurras
soixante-dix ans auparavant. Le contentieux est ancien mais, avec de Gaulle, il
est réactivé. L’Action française n’a toujours pas accepté que le Sahara et
l’Algérie aient été « bradés ». « Démocrates, vous êtes vieux, votre régime
aussi » – le slogan est un détournement de ce qu’on peut lire à la Sorbonne ou à
Nanterre : « Professeurs, vous êtes vieux, vous nous faites vieillir » 12.
L’Action française renvoie dos à dos le « totalitarisme d’extrême gauche » et
l’« administration gaulliste » ; elle défend, pour s’opposer au marxisme comme
au Général, la « Restauration nationale ». Elle envisage sérieusement l’après de
Gaulle et l’imagine évidemment sans « les soviets » ni « Mendès France ou
Mitterrand », mais avec à leur place « le Roi ». La monarchie est brandie comme
le contraire de « la pagaie », du désordre et de l’anarchie. Le roi, « sûr de son
pouvoir, n’a pas à se préoccuper de réélection et à faire de la démagogie » ; avec
lui, plus de « gamelle gouvernementale », plus de problème de succession. La
révolte apparaît légitime à l’Action française ; une « insurrection de
l’intelligence et de l’instinct vital » lui semble nécessaire. Mais la jeunesse se
fourvoierait dans « l’impasse » contestataire ; les leaders étudiants ne seraient
que des « voyous révolutionnaires ». La dramatisation est de mise pour aviver la
peur du « rouge » et de l’invasion soviétique : « le bolchevisme est là qui guette
sa proie ». La ligue monarchiste en appelle à un « gouvernement de salut
public », sans crainte de l’allusion paradoxale au comité du même nom, instauré
sous la Ire République par la Convention ; c’est bien davantage pour elle une
référence à la guerre d’Algérie et au Comité insurrectionnel créé par Jacques
Massu en mai 1958, autre manière de rappeler qu’à ses yeux, Charles de Gaulle
a trahi 13.
En découdre

COMMANDOS ET SECTIONS D’ASSAUT

Tout au long des événements, des affrontements opposent les deux camps.
La préfecture de police de Paris signale que des commandos d’anciens
parachutistes circuleraient dans la capitale, prêts à affronter les « éléments
communistes prochinois et anarchistes ». La tension monte surtout début juin. À
Strasbourg, des membres du comité d’action civique pénètrent dans le Palais
universitaire, allument des incendies dans les caves et certains laboratoires,
saccagent le bureau du doyen de la faculté de théologie protestante, actions
pendant lesquelles une quinzaine d’étudiants sont blessés. Leurs opposants les
assimilent à de véritables « sections d’assaut ». À Lyon, dans la nuit du 3 au
4 juin, Occident et les comités d’action civique tentent d’investir la faculté des
lettres, mais sont repoussés au cours d’une bataille rangée. À Poitiers, le siège de
l’UNEF est occupé le 4 juin par une trentaine d’étudiants membres de la FNEF,
casqués et armés de matraques ; les militants de l’UNEF récupèrent leur local le
lendemain, après avoir brandi barres de fer et gourdins. À la faculté des lettres de
Rouen, sur la commune de Mont-Saint-Aignan, un groupe d’étudiants hostiles à
l’occupation décide une « opération de libération » le 6 juin au petit matin, avec
matraques, barres de fer et grenades lacrymogènes. Les « assiégés » – des
étudiants et de jeunes ouvriers – répliquent avec des cocktails Molotov, des
lances à incendie et des pavés. Toutes les vitrines du hall sont brisées. Les
« assaillants » sont poursuivis par les occupants sur près de deux kilomètres ; ils
s’enfuient à travers bois et bosquets. Une seconde tentative est lancée le 18 juin,
mais le rapport de force est inégal : les militants de la FNEF sont moins de 100
et les occupants, entre 600 et 700 ; les bagarres font plusieurs blessés. Selon le
comité de grève qui avait d’ailleurs décidé de cesser l’occupation nocturne des
locaux et entrepris leur remise en ordre, l’assaut aurait été mené avec l’appui des
policiers, plusieurs cars de police se seraient installés sur les abords pour
protéger le « commando » emmené par Didier P., président d’honneur de la
FNEF locale, au milieu d’agents des Renseignements généraux. Sur place, le
PSU le certifie aussi : « La police a été présente durant toute la durée de cette
attaque. Loin de s’opposer aux déprédations elle a tout simplement chargé les
étudiants qui tentaient de défendre leur lieu de travail » 14.

AU SERVICE DE LA NATION

Au-delà des organisations connues et répertoriées, combien d’anonymes se


sentent disposés à contrer la « subversion » ? Beaucoup écrivent aux préfets, aux
ministres et même à l’Élysée pour se plaindre ou se mettre à leur disposition. Il
en ressort une détestation des grévistes, posés en tire-au-flanc, en dangereux, en
ennemis. Les lettres vitupèrent les agents de l’ORTF – « comment le
gouvernement a-t-il pu pendant dix ans laisser ses adversaires noyauter l’Office
à ce point ? », s’interroge Henri B. Les interpellations adressées aux autorités
leur enjoignent la répression et davantage de sévérité. À Roubaix, un groupe de
commerçants suggère au préfet d’interdire les réunions publiques et les
manifestations 15.
D’autres veulent en découdre et proposent leurs services. Ainsi en est-il du
lieutenant-colonel honoraire C., ancien président des combattants de la
2e division blindée, qui offre de reprendre du galon pour la défense de la
civilisation sur laquelle planerait une « menace mortelle ». À Toulouse, un
commerçant excédé se demande le 27 mai si la préfecture est encore en mesure
de maintenir l’ordre ; dans le cas contraire, il se fait fort de le rétablir avec
quelques parachutistes de la région ; lui-même, ancien des Forces françaises
libres, a terminé la guerre avec le grade de commandant et le précise fièrement
tout comme il revendique son « opinion Algérie française ». Un texte qui affirme
représenter « la partie saine de la population toulousaine » apostrophe le préfet
de Haute-Garonne : s’il ne peut rétablir l’ordre, d’autres s’en chargeront eux-
mêmes – sans encore savoir bien comment. À Lambersart dans le Nord, un
certain Jean de R. déclare qu’il est disponible, d’autant qu’il est au chômage et a
du temps : il se met à l’entière disposition du préfet s’il a besoin de « bonnes
volontés ». Le même Jean de R. s’adresse par tract aux parents d’élèves, devant
le lycée de la ville, pour fustiger la « folie » des enseignants grévistes : « Nous
avons le devoir de défendre nos enfants contre ces fous, de ne pas laisser
transformer nos écoles en asiles d’aliénés. » Le préfet de région ne prend pas ces
courriers à la légère ; il salue d’ailleurs auprès du ministère de l’Intérieur le
piquet de grève bousculé par quelques parents devant ce lycée, à l’instigation de
Jean de R., militant d’extrême droite, de tendance OAS, ancien membre de la
Restauration nationale. À Jonzac en Charente-Maritime, d’autres parents
ironisent : dans les couples d’enseignants grévistes, « la femme [devrait]
renoncer à son poste, de façon à laisser un nombre important de places aux
jeunes sans situation » – manière tout à la fois de subordonner les femmes et de
reconnaître l’importance du sous-emploi. Dans l’Aube, à Troyes, un Comité de
défense de la liberté du travail préfère s’adresser à la population pour dénoncer
les « commandos » qui « ruinent le Pays ». « Halte aux cocos », crient les lettres
de près d’un mètre tracées à la peinture sur la route de Royan, tandis qu’à
Boulogne-sur-Mer, des croix de Lorraine sont dessinées à la chaux sur le bitume.
À Brive, dans la nuit du 21 juin, des centaines de tracts tricolores sont jetés sur la
chaussée 16.

L’HOMMAGE AU GÉNÉRAL

Beaucoup tiennent aussi à exprimer leur gratitude et leur fidélité au maître


de l’Élysée. Des télégrammes nombreux parviennent en ce sens rue du
Faubourg-Saint-Honoré, surtout à partir du 30 mai : les allocutions solennelles et
déterminées, prononcées par un Général renforcé, suscitent une ferveur certaine.
Le colonel Norbert M. lui adresse un double « bravo » pour avoir « sauvé
l’ordre, la France et la civilisation européenne ». Des médecins lyonnais assurent
qu’ils « l’aim[ent] plus que la vie ». « Vous êtes sublime », lui écrit une
demoiselle L. Marguerite de F. prie pour que « le bon Dieu » le bénisse tandis
que, depuis Brest, Édouard L. espère quant à lui que Dieu lui accordera longue
vie.
D’autres messages se font plus impérieux, donneurs d’ordres, de conseils ou
de leçons, c’est selon. Tanguy M. écrit ainsi : « Allez de Gaulle, cravachez
comme en 1940 » ; « Contre nous de la tirannie (sic) », s’écrie par télégramme
interposé un ancien combattant de la Légion. Gabriel L. demande, certes « très
respectueusement », de faire intervenir l’armée blindée pour que les troubles
soient « anéantis ». De New York, Richard T. est plus directif et même plus
expéditif : « Je demande que vous exterminiez les étudiants et les grévistes
néfastes qui souillent la France êtes-vous l’héritier de Napoléon ou un autre
fainéant. »
Mais surtout, les témoignages de félicitations viennent du monde entier et
partagent un anticommunisme ardent. Ino M. écrit d’Italie pour célébrer le
25 juin la « grande victoire sur l’anarchie, le communisme et ses laquais ».
Fernando B. salue depuis l’Espagne l’écrasement électoral du communisme
français. Un industriel des États-Unis affirme : « bien plus d’Américains que
vous ne pouvez l’imaginer souhaitent que vos efforts pour contrôler la poussée
communiste soient couronnés de succès ». Le chef de l’État reçoit encore un
télégramme de la Jewish section anti communist international pour le
congratuler 17.

Le communisme, voilà l’ennemi

FORMER LES BATAILLONS : LES COMITÉS DE DÉFENSE


DE LA RÉPUBLIQUE

Les partisans de De Gaulle peuvent désormais compter sur une nouvelle


organisation pour structurer et fédérer leur détermination. L’idée de créer des
« Comités de défense de la République » (CDR) émane de Pierre Lefranc et
Jacques Foccart ; il leur faut concevoir une structure plus souple et surtout plus
consensuelle que le SAC à caractère paramilitaire. Lancés aux alentours du
20 mai, les CDR connaissent un très rapide succès : ils enregistrent plusieurs
centaines d’adhésions par jour. On y retrouve d’anciens poujadistes, des proches
de l’OAS, des militants d’Occident, au côté de gaullistes fervents. C’est un
compromis passé entre différents courants pour faire face à ce qui est considéré
comme le principal danger : la subversion. Poing barré d’une croix, villes
saccagées et incendiées dans l’enfer brûlant des drapeaux rouges et noirs : la
propagande est efficace et solidement organisée, avec tracts, papillons et affiches
par centaines de milliers 18.
Les CDR ont l’habileté de s’adresser à toutes les catégories de la population,
auprès desquelles ils font jouer la peur du désordre et l’effroi devant la
« contagion révolutionnaire ». Si on « laisse faire » les contestataires, les
travailleurs seront lésés, leurs avantages acquis seront réduits en poussière ; les
agriculteurs souffriront de l’anarchie dans les villes et de la fermeture des
frontières ; les cadres seront mis en cause et leur promotion sociale enrayée ; les
commerçants perdront leur liberté d’entreprendre, leurs biens seront pillés et leur
avenir ruiné ; les parents verront disparaître toute leur autorité ; l’harmonie des
foyers sera brisée. Bref, assurent les CDR, « ce sera le désordre, la misère, le
fascisme » si le pays s’abandonne à une « poignée d’exaltés ». Localement, ils
savent aussi cibler des populations pour les convier à résister. En Charente-
Maritime, ils se tournent vers les officiers, sous-officiers, fonctionnaires et
ouvriers des armées dont le statut serait en péril si le Parti communiste et la
FGDS, « sa complice », prenaient le pouvoir : les deux partis souhaitent une
réduction massive des dépenses militaires. Si les CDR n’appellent pas les
citoyens aux armes, ils les invitent du moins à serrer les rangs et former leurs
bataillons, à défendre, contre le drapeau rouge, le tricolore « que nos pères ont
défendu au prix de leur sang ». La « paralysie », le « désordre », l’« aventure »
sont partout stigmatisés. La « révolution gronde » aux portes ; il faut y faire
barrage et l’abattre avant qu’il soit trop tard 19.
Affiche des CDR, juin, CDR AN 78AJ37 / 1.

Parallèlement et paradoxalement, le mot « révolution » est aussi récupéré par


certains CDR qui ne craignent pas l’appellation révolutionnaire : « Jeunes !
Venez aux CDR faire avec nous la révolution dans la paix ! » lit-on sur une
banderole rouge des comités. Cette tactique, certes minoritaire, rejoint celle que
pratique aussi l’Union des jeunes pour le progrès (UJP), l’organisation de jeunes
gaullistes créée trois ans plus tôt : « Les jeunes assument la révolution avec de
Gaulle. » Cela ne l’empêche pas de vouer aux pires maux « le terrorisme
totalitaire, l’émeute et l’anarchie », ni de dépeindre dans le catastrophisme le
cataclysme que serait un renversement du pouvoir gaulliste, avec « l’inflation
galopante, l’écroulement des salaires, le chômage généralisé, le tout finissant en
une dictature implacable ». Les étudiants contestataires et leurs leaders ne sont
aux yeux de l’UJP que de « petits Goebbels », soutenus par « une ridicule
phalange d’anarchistes déséquilibrés qui relèvent plus de la santé publique que
de l’Éducation nationale » : « une “folie criminelle” dont personne ne peut être
complice » 20.
Affiches de l’UJP, mai-juin, BDIC F delta 62 Rés.

MANIFESTANTS DE LA PATRIE
Les structures sont en place et quadrillent le territoire. Mais il faut aller plus
loin pour reprendre la main. Après le lancement des CDR, le parti gaulliste
s’organise pour une autre initiative : de grandes manifestations dans tout le pays.
L’UD Ve y met les moyens : elle fait imprimer 2 millions de tracts ; quelques
centaines de milliers sont largués par avion sur la capitale. Le parti affrète des
camions et des cars acheminés vers Paris depuis la banlieue mais aussi depuis le
Nord, la Picardie, la Bourgogne et la Normandie… Le pari est réussi. Des
centaines de milliers de personnes défilent de la Concorde à l’Étoile au soir du
30 mai. Les estimations sont, comme toujours, compliquées : la presse qui leur
est acquise, Le Figaro ou L’Aurore, va jusqu’à parler de 500 000 à
600 000 participants ; la CGT en compte plutôt 300 000, ce qui pour une fois la
rapproche des estimations policières. C’est un imposant succès, à telle enseigne
que la manifestation se déroule trois heures durant, jusqu’à l’Arc de Triomphe
où le disputent la colère et le recueillement. Parmi les slogans, on entend « La
France aux Français », « Mardi, tous au travail », « Mitterrand tu ne seras pas
président », « Salaud salaud salaud, Mitterrand répondit l’écho ». Le registre est
parfois violent, avec ses « Gauchistes au poteau » ou même son « Cohn-Bendit à
Dachau » – qui révoltera. Signe de la diversité dans les rangs des manifestants,
des « Vive le Maréchal » s’expriment en soutien aux mânes de Philippe Pétain 21.
L’appui au Général ne s’affirme pas que dans la capitale. Jusqu’à la mi-juin,
des défilés ont lieu dans une cinquantaine de départements, calqués sur le
modèle parisien : élus en tête qui arborent leurs écharpes tricolores, drapeaux,
Marseillaise et minute de silence devant les monuments aux morts. À Lyon, le
rassemblement se tient à l’endroit où le commissaire Lacroix a succombé. Les
symboles sont puissants pour rétablir l’autorité. À Nantes, au côté des maires et
députés de la majorité, les patrons sont en tête du cortège : le président de
l’Office patronal, le président de l’Union des syndicats patronaux et des chefs
d’entreprise très en vue dans la région. À Charleville-Mézières, un tract appelle à
éviter les provocations : le défilé doit se dérouler dans le calme et la dignité –
« penser que notre mission est de rendre l’espoir aux Français ». La tonalité est
parfois xénophobe. À Perpignan, le Comité de défense pour les libertés
républicaines met l’accent sur les étrangers : « La France a toujours accueilli ces
derniers avec la grande bonté qui la caractérise. S’ils ne sont pas satisfaits de
notre pays, qu’ils rentrent chez eux. » Leur présence sur les piquets de grève est
considérée comme une « ingérence » intolérable ; les manifestants s’adressent
donc aux travailleurs français, pour dissocier leurs camarades d’autres
nationalités : « Travailleurs français vous perdez votre liberté. Les piquets de
grève composés d’étrangers font la loi à la porte de vos usines, de vos ateliers,
de vos chantiers » 22.
25 avril, no 3, juin 1968, AD Charente-Maritime 181AJ196.

Des contre-rassemblements et des heurts ont lieu entre les deux camps,
comme à Lyon, Limoges, Reims et Rouen. Place Napoléon à La Roche-sur-Yon,
des coups de poing sont échangés. Des syndicalistes CFDT ont le courage de
distribuer des tracts aux manifestants et les interpellent sur leur aspiration à la
liberté : « Est-ce respecter la liberté du travail que d’obliger 500 000 personnes à
être chômeurs ? Est-ce respecter la liberté que de maintenir les salaires à un
niveau de misère ? Est-ce respecter la liberté que de refuser l’expression
syndicale dans les entreprises ? » Le ton monte quand resurgit l’histoire vive
encore de la répression : « Où étiez-vous après le massacre du métro Charonne
pour défendre la liberté d’expression ? » 23
Les jeunes gaullistes continuent de se rassembler à Paris après le succès du
30 mai. Le 1er juin, une centaine de jeunes portant drapeaux tricolores défilent
sur les Champs-Élysées puis forment cortège vers les studios d’Europe no 1,
auxquels ils lancent des cris hostiles ; des participants sont reçus par les
responsables, qui les autorisent à ficher un drapeau bleu-blanc-rouge sur leur
balcon : cet accord a le don d’apaiser les esprits et de disloquer la manifestation.
Le 4, on les voit sur le parvis du Trocadéro, scandant leurs slogans : « Waldeck
au crochet », « Moscou au clou », « Pékin aux requins ». La chanteuse Joséphine
Baker marche à leur tête : les jeunes gens sont fiers de voir parmi eux cette
vedette. Le Figaro décrit une jeune fille moulée dans une robe tricolore, « un flot
romantique de rubans patriotiques noués dans les cheveux ». Un drapeau rouge
est brûlé sur les marches du Palais de Chaillot. Un jeune du service d’ordre
harangue en vain les manifestants pour aller au Quartier latin « vidanger la
Sorbonne ». Il faut faire échec aux « provocateurs anarchistes », par tous les
moyens 24.

LE COMMUNISME NE PASSERA PAS : UNE OBSESSION DES CANDIDATS

C’est aussi ce qu’entendent faire les candidats de la majorité présidentielle


qui briguent un siège au Palais-Bourbon : dissuader tout autre choix que le vote
gaulliste. Le communiste, voilà l’ennemi : mettre dans l’urne un bulletin FGDS,
c’est « voter pratiquement communiste », car les deux sont alliés ; se prononcer
pour un centriste, c’est soutenir un groupuscule qui n’empêchera pas la gauche
de prendre le pouvoir – c’est « à terme » voter communiste ; se rallier à un
candidat isolé, c’est affaiblir « la seule formation nationale qui défende les
libertés » – c’est donc voter… « communiste sans le vouloir ». Au PC, à la
FGDS et au PSU, il ne manque plus que Mao Tse Toung et Che Guevara : « les
républicains ne s’y laisseront pas leurrer » 25.
Dans la circonscription de Nancy Pont-à-Mousson, le candidat gaulliste
Roger Souchal associe le PSU au drapeau noir, tandis que d’autres veulent
« établir en France une dictature rouge ». Candidat en Meurthe-et-Moselle,
Christian Fouchet appelle à « défendre la Patrie contre le sombre régime socialo-
communiste ». Philippe Dechartre, en Charente-Maritime, parle sans craindre
l’oxymore d’une « anarchie prochinoise », tandis que François Mitterrand est
présenté comme un danger, « un aventurier » : « la dictature nous menace », il
faut s’en défendre. Reprenant à de Gaulle ses caractérisations politiques, le
candidat UDR de Perpignan-Céret se présente en « rempart du totalitarisme ».
Dans la circonscription de Mézières-Rethel, Lucien Meunier préfère s’adresser
aux hommes et femmes « de bon sens » qui ne veulent pas voir « le drapeau noir
de l’anarchie sur les ruines de notre pays ». Une certaine rhétorique, autour de
« la montée des périls », rappelle un vocabulaire de guerre 26.
Affiche des CDR Sud-Loire, CHT Nantes, Fonds 1968, 6-32.

« Belle propagande », aurait dit Charles de Gaulle devant les affiches


sérigraphiées. Ses partisans reprennent à leurs adversaires une part de créativité :
le graphisme rappelle celui des contestataires, mais son sens est retourné 27. Des
formes se cherchent, des idées s’entrechoquent. La violence est, aussi, là : dans
les mots comme dans les affrontements, parfois très violents. Entre les deux
tours des élections législatives, à Arras, un colleur d’affiches du Parti
communiste est abattu par des militants CDR ; il s’appelait Marc Lanvin. C’est
l’un des morts oubliés de juin. Son décès est pour partie le fruit d’une
spectaculaire poussée de détestations et de haines, que se renvoient les deux
camps. Le politique est forgé d’affects et l’événement, dans son paroxysme
même, les porte à l’incandescence. Une expérience sensible se joue dans ses
cortèges et dans ses rangs, pétrie de rages et de joies : de sentiments.
TROISIÈME PARTIE

L’EXPÉRIENCE SENSIBLE
DU POLITIQUE
CHAPITRE VIII

Que la joie demeure

Expérience sensible et affects


mobilisateurs

Une impatience. Une exigence. Un pur élan. Un refus. Un mouvement


souverain. Une surprise émerveillée. Un état d’ébullition. Une intensité.
Une effervescence. Une hardiesse. Une échappée. Une émancipation.
Une dilapidation. Une vibration de vie. Une jubilation. Une rupture. Un
rêve éveillé. Un renversement. Une rencontre. Une traînée de feu. Une
fraîcheur soudaine. Un espace nouveau. Une fenêtre ouverte sur un pré.
Une insurrection de la pensée et de la parole. Un cri. Un amour fou. Un
moment. Un rire irrévérencieux. Une ténacité calme. Une ironie
révolutionnaire. Un souci du commun, de l’autre et de chacun. Une
conjuration des égaux. Une cité. Un communisme de pensée 1.

Quelques traits fulgurants tirés d’un temps en suspens : pour le romancier Serge
Velay, décrire 1968 avec fidélité exige ces instantanés saisissants, fragments
arrachés à une intensité perdue qui redonnent à l’événement la couleur et le goût
des émotions vécues. L’écriture poétique s’ajuste à l’expérience sensible du
politique : charnelle, incarnée, elle en fait savourer les fruits et dit les possibles
ouverts, les futurs entrevus.
Les émotions éprouvées en 1968 n’ont fait l’objet, dans l’historiographie sur
le sujet, que de brèves notations, simples allusions égrenées au passage et au fil
de témoignages. Serait-ce par prudence ou par pudeur ? Ne faudrait-il en
réserver le sens qu’à la littérature ? Pourtant, toute pratique politique est tissée
d’affects. Ils ne sont pas un frein ou un obstacle à la rationalité : ils en
constituent un fondement en tant qu’ils sont, eux-mêmes, une forme de jugement
raisonné. Il y a lieu de prendre au sérieux la notion d’« intelligence
émotionnelle » 2. Ce paradigme de l’expérience critique, qui considère les
émotions comme une forme de cognition, fait resurgir en force leur étymologie :
ce qui fait se mouvoir, en lien donc avec l’agir autant sinon plus qu’avec le pâtir.
Il remet au jour ce que l’émotion, jadis, voulait dire et renoue avec son sens
premier : « disposition dans le peuple à se soulever » 3.
Prendre en compte les sensations, les émotions et les sentiments qui s’y
expriment ne revient donc pas, loin de là, à dépolitiser l’engagement. « Les
affects sont la matière même du social, et plus particulièrement ils sont l’étoffe
de la politique » ; car le politique est un art de produire des effets – un art
d’affecter. Sans la capacité d’affecter, les idées seraient sans force et au fond
sans conséquence 4. Le sentiment de peser sur le cours de l’histoire est un affect
puissant, un facteur de politisation. Jacques Rancière définit le politique comme
ce qui bouleverse le partage du sensible ; il entend par là la transgression des
distributions courantes qui déterminent les rôles et les places 5. Les « passions
séditieuses » ou contestataires portent en elles un « devenir perpendiculaire »,
comme le dit Frédéric Lordon : la force affective qui provoque les
soulèvements – joie, mécontentement, colère, désir collectif de bouleversement –
se situe à angle droit par rapport au temps courant de la résignation, tranche
avec les aplats du monde social et lui donne un nouvel éclat 6.

Un heureux événement
L’ART DE LA JOIE

D’abord, la joie. Cette joie née de l’intervention, le sentiment d’avoir prise


sur l’histoire : la joie de l’initiative et de l’adhésion. Car tel est le protagonisme,
force d’attraction vers la vie publique, où l’individu et le collectif se mêlent en
se respectant 7. Des potentialités sont actualisées. On en retient le plus souvent la
certitude de vivre un temps ouvert, un moment extraordinaire, voire
révolutionnaire, au sens où de l’inédit y surgit. De l’autre côté de l’Atlantique,
l’un des animateurs du mouvement à Berkeley, Michael Rossman, parle d’une
« joie sauvage » qui traverse de part en part le Free Speech Movement 8. La
première « nuit des barricades » fait l’objet d’un compte rendu passionné dans
l’hebdomadaire du PSU, sous une plume anonyme, galvanisée par le bonheur
d’un moment exceptionnel :

Ceux qui ont élevé les barricades n’oublieront pas de sitôt l’espèce de
joie profonde, l’espèce de vertiges sans limites qui se sont emparés
d’eux. C’était comme si brutalement un couvercle sautait, libérant des
énergies depuis toujours réprimées. C’était comme si une longue
solitude prenait fin. […] Soudain tout était aboli : l’angoisse, la peur de
la mort, l’inquiétude de la vie. Le regard de chacun balayait un vaste
horizon possible dans le frémissement des drapeaux rouges. La négation
devenait affirmation. Affirmation d’un monde nouveau, urgent,
absolument nécessaire 9.

Les vies paraissent soulevées par l’événement. La barricade entre dans le


répertoire des « signes émouvants » 10, dispositifs matériels qui engagent dans le
politique une dimension corporelle. « Jubilation » est sans doute le mot le plus
approprié pour exprimer tout ce qui est ressenti : liesse de se retrouver,
allégresse de l’ordre bravé, fête de l’inattendu et de l’intensité vécue. Le
dessinateur Siné l’écrit le 11 mai :

Tout à coup, je ne me suis plus senti seul dans un monde hostile et


incompréhensif. J’étais avec mes frères, mes amis, mes potes. Un
moment inoubliable : vers 19H, ce soir, place St Germain des Prés, j’ai
eu l’impression d’être libre pour la première fois de ma vie. On marchait
en dehors des clous (d’ailleurs il n’y en avait plus), on riait, on chantait,
on gueulait « CRS SS », on commentait, on écoutait le transistor, on
était bien. […] Il est difficile d’exprimer parfaitement mon impression :
j’étais heureux, fier d’eux, et un peu moins honteux de moi. Je vivais
une sorte de rêve, les yeux bourrés de gaz lacrymogènes, le costume
trempé d’eau des lances d’arrosage, un lacet cassé à ma chaussure
gauche, mon carnet de chèques perdu au cours d’une course avec les
bandits de l’ordre à mes trousses 11.

L’événement rompt avec les colères solitaires et les sentiments isolés, esseulés.
C’est une manière de briser la monotonie du même, la sensation de l’uniforme.

DE L’AUDACE !
Paradoxalement, cette joie si évidente et si puissante est celle des émotions
qui se laisse le moins saisir. Elle se voit plus qu’elle ne se dit : on regarde
l’allégresse des visages sur les photographies et les écrans, quand s’y projettent
les films-fragments de l’événement. Dans un cinétract du mois de mai, entre
deux images d’une usine occupée, un carton annonce « l’espoir d’une autre
saison ». Cette exaltation, on l’entend également. Le 6 mai à la Sorbonne, les
étudiants convoqués devant le conseil de discipline entonnent joyeusement une
Internationale ; ils sourient, et leur sourire est un défi 12.
Le film tourné par Jean-Pierre Thorn sur la grève à l’usine Renault-Flins,
Oser lutter oser, vaincre, en montre chacune des étapes comme des éclats de
joie. Pour commencer, la gaieté exprimée durant les débrayages, quand l’usine
se met en mouvement : chacun quitte son poste de travail en chantant, en criant,
en s’interpellant avec entrain. « Flins » devient différent. Ensuite, les sourires
éclatants ; il n’est qu’à voir les ouvriers porter avec fierté leurs pancartes : « le
gouvernement populaire, c’est l’affaire du peuple seul ». Puis se mènent, d’une
entreprise à l’autre, de nouveaux débrayages et le cortège ressemble à celui d’un
mariage : les voitures des grévistes avancent en file, les klaxons retentissent. Un
ouvrier raconte le bonheur qu’il ressent :

Quand je vais dans une entreprise, une petite entreprise, qui n’ont pas de
syndicat, et qui demandent notre aide, qu’on les fait débrayer, pis qu’on
voit que les gars s’organisent, qu’ils ont la foi, qu’ils mettent tout en
œuvre, qu’ils créent un syndicat, un comité de grève, ben je t’assure, j’ai
le cœur qui déborde de joie, je chanterais, je laisserais éclater, je ferais
n’importe quoi, j’explose moi…

Enfin, une interpellation résonne comme un ordre inversé ; elle porte la trace
espiègle des carnavals, mais d’un carnaval politique et social : « CRS, à la
chaîne ! », « À la chaîne, les patrons ! » 13. Telle pourrait être l’incarnation même
de l’insubordination. Le titre qu’a choisi Jean-Pierre Thorn est en soi éloquent :
la joie vient de ce que l’on ose, d’une audace rare, le bonheur d’avoir franchi le
pas.
Une telle joie se laisse mal consigner dans des tracts, mal enfermer dans des
comptes rendus d’assemblées. Les traces en sont éparses. À Prades, dans les
Pyrénées-Orientales, le principal du collège évoque, à la date du 20 mai, « une
explosion de joie juvénile » : les élèves se rassemblent dans la cour, échappent à
l’autorité de leurs professeurs, la refusent même et décident de rejoindre le
cortège l’après-midi 14. Quelques notations expriment une dignité retrouvée. À
Clermont-Ferrand, la section CFDT des galeries commerciales Jaude traduit le
contentement serein de dire son fait au directeur, de pouvoir enfin lui retourner
ses tentatives d’intimidation : « Attention, Monsieur le Directeur, avec vos
menaces de sanction pour faits de grève : les tribunaux servent aussi les
syndicats (voir Michelin). C’en est fini. Désormais, Monsieur le Directeur, les
employés des Galeries unis dans leur syndicat CFDT se feront respecter et
exigeront d’être traités en personnes libres et responsables de leur destinée 15. »
Comment ne pas ici se rappeler les mots d’Axel Honneth dans son exploration
des luttes pour la reconnaissance ? Le sentiment d’avoir été trop longtemps
méprisé donne naissance à une résistance, expérience morale et cadre
d’interprétation commun 16.

GENS HEUREUX

À Lille, un comité d’action ouvriers-étudiants pose la question abruptement :


« Voyons, sommes-nous heureux ? Depuis plus d’un siècle, nous chantons de
moins en moins, nous ne savons plus chanter, nous sommes devenus honteux,
nous avons peur d’élever notre voix sans nous préoccuper d’argent et de
paiement ; notre voix avec notre spontanéité s’est rentrée en nous-mêmes ; nous
sommes devenus tristes et silencieux, solitaires et angoissés 17. » Chants en
conserve, voix frelatées et vies de mercenaires paraissent sombrer désormais. Ce
sont surtout les témoignages, ensuite et à foison, qui en rendront raison.
L’écrivaine Leslie Kaplan, établie en usine depuis plusieurs mois, relate à sa
manière sa « première image de mai » :

une fille qui arrive


en courant
essoufflée
elle est en retard
elle arrive
dans le vestiaire
de l’atelier
à l’usine
et elle dit, elle n’arrête pas de répéter
Vous avez entendu
les étudiants
elle rit sans arrêt
elle n’arrête pas de rire
vous avez entendu
à la radio
ce Cohn-Bendit 18.

Françoise Bonnot-Jörgens, étudiante de 24 ans en lettres modernes à la


Sorbonne, militante à l’UNEF, raconte la force du plaisir, « plaisir rhétorique et
plaisir de revanche dans les commissions, plaisir du dialogue avec les autres,
plaisirs fulgurants, incontrôlés, irrationnels dans les manifs ». Gisèle Moyroud,
qui quant à elle a 30 ans, est enseignante dans un collège rural de l’Isère et
participe aux manifestations dans la sous-préfecture, Pont-de-Beauvoisin ; elle se
souvient : « Car nous étions bien ! Comme nous étions bien ! » Dans cette joie se
mêlent en elle une fierté venue de loin, la dignité héritée d’avoir choisi son
camp, celui de ses parents et de ses grands-parents, de son père ouvrier, de son
grand-père paysan nourri « de choux et de patates », le camp « où on défilait à
mains nues, à visage découvert, dans les rues de la ville », « celui où on se disait
“camarade” » 19. Monique B., 42 ans, qui travaille dans un lycée de province, dit
qu’elle a « rajeuni » : « C’était gai. Les réunions avec les collègues des autres
établissements, les amitiés, les sympathies, les reconnaissances. Du soleil. » Le
soleil, encore, sous la plume de Benjamin Stora, une impression radieuse et
lumineuse : il avait quitté Constantine six ans auparavant et avait trouvé la
France étriquée, pleine de préjugés ; tout à coup, l’événement « fait basculer un
monde apparemment poli et rangé dans le désordre, la couleur, l’insolence, le
désir affiché d’une société nouvelle » ; le jeune homme a le sentiment de
retrouver « le soleil et la chaleur » de sa ville natale 20. Dans ces joies s’ancre une
« communauté émotionnelle 21 », quand tant d’individus se retrouvent autour
d’une constellation d’émotions éprouvée et valorisée.

Les raisons de la colère


PAR CORPS

La conflictualité est la matrice mobilisatrice de 1968. Elle n’oppose pas


seulement des projets antagonistes, des visions du monde et de la société : elle
s’inscrit aussi et peut-être d’abord dans les corps. Le rapport à la violence n’est
pas que théorique, il se révèle comme un rapport physique au pouvoir et à la
politique. À cet égard, 1968 constitue bien une « révolution de la perception 22 »,
dans un sens concret, matériel et quasi charnel.
Il est des actes fondateurs, parfois modestes, mais dont la hardiesse
provoque un saisissement, comme si le temps vibrait. Interrogés sur les
motivations de l’engagement, des participant(e)s témoignent de cet engrenage
que politise l’impulsion émotionnelle. François L., élève de classes préparatoires
au lycée Henri-IV à Paris, évoque cette évidence corporelle : « Lorsque l’on se
retrouve sur les barricades et que l’on voit s’avancer les CRS, on les voit cogner
sur les camarades, le réflexe sentimental est de faire comme les autres, de
prendre son pavé et de le lancer. Effectivement, alors je me suis senti pris dans
une situation étrange. Je reconnaissais que dans le cadre actuel, seule la violence
pouvait faire quelque chose. » Questionné lors d’une même enquête réalisée à la
fin-mai, Julien G., 27 ans, étudiant en quatrième année de droit, explicite cette
tension qui conduit au politique par une réaction solidaire jugée élémentaire.
Tandis que, resté chez lui, il suit le déroulement d’une manifestation à la radio, il
a la curiosité de sortir et d’en être un spectateur plus direct. Mais, très vite, toute
passivité lui devient impossible, pratiquement intolérable : « Et là, d’abord le fait
de voir le mur bleu et gris des policiers m’a révolté, cette espèce de muraille qui
avançait vers nous… et j’ai eu envie de lancer aussi mon pavé. » La violence
s’assume comme le politique même, en une certitude physique : « Je n’ai pas
trouvé le lieu où avoir un niveau intellectuel, un niveau de conception, et le seul
endroit possible, au fond, c’étaient les barricades. Et alors là, je n’avais pas de
questions à me poser ; j’y allais au niveau physiologique, même » 23. Y aller :
c’est un élan, un emportement face aux interventions policières. Galvanisant, il
fait partie de ces « expériences transformatrices 24 » qui remanient les êtres.
Pierre Bourdieu y a insisté :
C’est parce que le corps est (à des degrés inégaux) exposé, mis en jeu,
en danger dans le monde, affronté au risque de l’émotion, de la blessure,
de la souffrance, parfois de la mort, donc obligé de prendre au sérieux le
monde (et rien n’est plus sérieux que l’émotion qui touche jusqu’au
tréfonds des dispositifs organiques), qu’il est en mesure d’acquérir des
dispositions qui sont elles-mêmes ouvertures au monde 25.

Le corps alors n’est pas le lieu d’une métaphore : il est politique parce qu’il est
engagé 26.
Sur ce registre, certaines images échappées des reportages ne laissent pas
d’étonner : car il y a, paradoxe du protagonisme, de la sérénité dans le tourbillon
de la violence – et du courage en tout cas. Dans le film Ce n’est qu’un début de
Michel Andrieu, Jacques Kébadian et Renan Pollès, les affrontements du 6 mai
sont approchés de très près, caméra à l’épaule. Les jeunes gens apparaissent
démunis, sans aucun équipement face au bouclier policier. Certains ont
cependant une légèreté dans les gestes, presque aériens ; ils n’ont rien pour se
protéger ; leur manière de lancer un pavé apparaît néanmoins impavide. Au
premier plan, un jeune homme s’avance, placide, et son calme détonne : il tient
sous son bras gauche un cartable d’étudiant, sa main droite est enfoncée dans sa
poche et il marche, avec une détermination tranquille, vers une rangée de CRS.
Un peu plus loin, un autre jeune homme est assis : les policiers avancent vers lui,
matraques brandies ; il reste là et ne bouge pas. On remarque à peine une jeune
femme, qui traverse le plan comme un éclair fringant ; elle arrive sur la droite de
l’écran, au milieu de l’eau qui jaillit des autopompes policières ; elle lance un
pavé ou une pierre puis revient en souriant. Le calme de ces gestes semble
répondre à l’interpellation qu’on entend en arrière-fond : « N’ayez pas peur ! »
Un peu plus tard, le mouvement du 22-Mars le dira : « ce qu’il faut, c’est
montrer que la répression ça “ne nous fait pas caner” 27 ». Soudain la caméra se
met à trembler. La charge est plus violente et les visages qui passent furtivement
sous son œil sont inquiets. Des gens s’entassent dans l’escalier d’une station de
métro : comment ne penseraient-ils pas à Charonne, à ce moment 28 ?
Dans Le Nouvel Observateur, les reporters admirent « le cran des
étudiants ». Il s’agit de ne pas renoncer : le 8 mai, lorsque, en haut du boulevard
Saint-Michel, les leaders donnent la consigne de se disperser, les manifestants
paraissent « catastrophés » : « J’en ai vu qui pleuraient, qui disaient : “Alors, on
s’en va ? On cède ? On est venu pour rien ?” » 29. Il serait faux de dire qu’il n’y a
pas d’anxiété, voire d’angoisse, devant la violence ; certain(e)s tremblent de
peur. Mais l’engagement collectif, le sentiment de n’être pas isolé, la perception
de la solidarité la tempèrent. Leslie Kaplan se souvient :

sur un mur, une fois


j’ai vu quelqu’un écrire : Je n’ai plus peur 30.

Ces quelques mots jetés à la craie indiquent une bifurcation, qui lève les
inhibitions incorporées.

RAVAGES, CARNAGES

La répression crée une énergie, une détermination. On le voit aux reportages


qui filment en direct les affrontements. Des hommes et des femmes hurlent aux
policiers en train de matraquer étudiants et passants : « Mais arrêtez, arrêtez
espèces de brutes ! Mais vous êtes fous non 31 ? » Le 6 mai, le reportage de RTL
transmet d’autant plus les émotions que les journalistes sont au cœur de l’action :
ils ne peuvent taire l’étonnement et l’urgence, le bouleversement des repères
connus et tout simplement la violence. Mises en garde, exclamations,
interjections, fragments de discours perdant toute maîtrise, loin des reportages
posés et pondérés que l’on entend habituellement : « Attention attention François
il y a un pavé ! », « On ne peut plus respirer ici ! », « C’est épouvantable, ce sont
des dizaines, des centaines de cailloux, de pavés qui volent maintenant », « Oh
oust aïe la vache », « Pousse-toi ». Ébahis, ahuris, dépassés par les événements,
les reporters sont une courroie de transmission des émotions. Gilles Schneider,
pour Europe no 1, évoque en direct ces sentiments mêlés de confusion et de
stupéfaction devant l’insolite : « C’est absolument extraordinaire ce qui se passe
ici. » Des grenades explosent, les CRS chargent, les manifestants contre-
attaquent ; Schneider reprend : « C’est extraordinaire ce spectacle » 32.

L’Enragé, journal du comité de grève des étudiants de Rouen, mai, AD Seine-Maritime 5907W11.

Mais si « spectacle » il y a, il est effrayant. L’immense indignation se


décline dans le vocabulaire du ravage et du carnage. Or, dans le mimétisme des
affects, l’indignation comme « tristesse qui naît par émulation affective au
spectacle de la tristesse faite à autrui 33 » abolit certaines distances. Dans un
communiqué solennel empli d’une colère rentrée, le Bureau national du SNESup
dénonce le 11 mai la violence de la répression, l’usage des gaz suffocants, le
« ratissage » prolongé dans les immeubles et sur les toits, la « responsabilité
criminelle des forces de police qui ont entravé le soin aux blessés ». Très vite, on
s’en souvient, les témoignages sont rassemblés dans une brochure qui décrit les
coups, l’acharnement sur les manifestants isolés, les obstacles mis à
l’intervention des secours et les violences portées sur les soignants eux-mêmes,
les injures à caractère raciste (« raton », « sale nègre ») et sexiste (« salope »),
les gestes obscènes, les menaces de viol et les « matraques baladeuses sous les
jupes ». À Strasbourg, un tract appelle la population à se mobiliser, dans un cri :
« Les forces de police ont provoqué cette nuit à Paris une véritable boucherie. »
Le lendemain, le communiqué signé par l’UNEF, l’Union générale des étudiants
(UGE), le SNESup, la CGT, la CFDT et la FEN parle d’une opinion
« bouleversée par la répression policière sauvage qui s’est abattue sur les
étudiants et les universitaires du Quartier latin ». La formulation est elle-même
performative dans son économie émotive : le communiqué constate et souhaite
que l’opinion soit « bouleversée », et part de cette émotion pour l’alimenter.
« Sauvagerie » est le mot qui revient chez des étudiants de Clermont-Ferrand. À
Saint-Étienne, les enseignants et surveillants écrivent à l’inspecteur d’académie
leur révolte « devant la férocité de la répression policière ». À Caen, les
cheminots retraités CGT se déclarent « émus et indignés » ; ils n’hésitent pas à
l’affirmer : « ces brutalités et atrocités leur rappellent les méthodes qu’ils ont
subies » sous l’Occupation. À Gérardmer, lorsque leur cortège passe le 28 mai
devant la caserne de gendarmerie, les manifestant(e)s s’écrient : « Flics
assassins ». Un commissaire de police à Paris le confie au directeur de la police
municipale : « la haine du flic s’est révélée partout » 34. Un autre mot s’impose :
le « dégoût », celui exprimé par exemple par le docteur Le Guen, témoin depuis
sa fenêtre de violences policières qu’il décrit dans sa lettre au Monde, « avec
toute l’amertume de [son] impuissance ». Les institutrices et instituteurs d’une
commune de la Creuse, Monprimblanc, écrivent au Premier ministre leur
émotion et leur indignation ; même expression quelques kilomètres plus loin,
dans le canton de Pontarion. Plus au sud, à La Roque d’Anthéron, d’autres
enseignants se déclarent solidaires et dénoncent « les brutalités policières ». À
Toulouse, le président de l’Association générale des étudiants toulousains Alain
Alcouffe évoque « un véritable massacre » : « les CRS se vautrent dans le
carnage ». Lors d’assises nationales des comités d’action à Strasbourg début
juin, l’hypothèse est d’ailleurs avancée qu’« au départ [en province] le
mouvement n’est qu’une réaction affective aux événements parisiens ». Les
comités d’action reconnaissent que « la mobilisation policière au Quartier latin a
fait autant pour le développement de la lutte que tous [leurs] tracts et meetings
réunis » : elle a catalysé une colère accumulée 35. La force de l’appareil d’État est
aussi sa faiblesse, son talon d’Achille, car c’est d’abord là que le bât blesse.
L’UNEF insiste sur le fait que ces « atrocités policières » créent de
l’irréversibilité : il ne peut plus être question désormais d’un retour au passé. Le
statu quo est brisé et, avec lui finalement, le temps d’avant.

Nantes le 24 mai 1968, coll. Péault, CHT Nantes, Fonds 1968, 7-10.
LA HAINE

Cette temporalité qui cisaille la linéarité familière est accélérée début juin
avec la mort de Gilles Tautin. Immédiatement, le drame est politisé ; aux yeux
des militants, ce n’est pas un accident. « Notre camarade est mort assassiné par
les flics de De Gaulle ». Sur les pancartes et banderoles, au cours des jours qui
suivent son décès, on peut lire : « Gilles, notre haine contre tes assassins, contre
la victoire de ceux qui les ont armés est immense. » La mort du jeune homme ne
peut qu’attiser l’engagement par la dignité du deuil et l’immensité de la colère.
Dans les reportages sur les funérailles du lycéen, celles et ceux qui forment
cortège observent un silence poignant ; des jeunes gens portent d’immenses
gerbes de fleurs ; des roses sont brandies, les poings sont levés. Les visages
filmés en plans serrés expriment la gravité – et notamment cette jeune fille brune
qui fixe l’objectif longuement, avec intensité 36.
Ces drames suscitent une haine, explicite et assumée. La haine n’a pas bonne
presse dans les sociétés policées ; elle doit être refoulée, canalisée, voire niée.
Pour le XVIIIe siècle Arlette Farge l’a montré : « il est interdit de haïr, afin que la
tranquillité publique soit gardée » ; les pauvres « sont assignés à un rendez-vous
perpétuel d’assentiment vis-à-vis de leur condition et des autorités qui les
gouvernent » 37. La haine populaire est jugée délétère ; si les émotions ont
longtemps été disqualifiées par les élites, parce que venues de classes laborieuses
qui peuvent être aussi dangereuses, la haine a fortiori constitue un interdit 38.
Pourtant, les haines réciproques forment une trame affective de l’événement.
L’important est aussi qu’elles naissent de lui, sont engendrées dans son cours
même. Elles apparaissent aux premières heures de la répression. La section
« Sciences » des Étudiants socialistes unifiés (ESU) condamne des méthodes
« dignes du régime franquiste », en décrivant des « CRS, aveuglés par la haine
des étudiants, des “rouges”, [qui] matraquèrent pêle-mêle tous ceux qui se
trouvaient sur leur passage, poursuivant même les manifestants dans les
immeubles et les cafés ». Mais ce rejet virulent s’adresse d’abord au pouvoir et à
ses représentants. Il s’alimente des invectives que les membres du gouvernement
ne peuvent s’empêcher de lancer. Quand le ministre de l’Intérieur, Christian
Fouchet, parle de la « pègre », le mot est commenté et réapproprié. Cette façon
d’assumer le mot en le retournant est pratiquée par un architecte manifestant,
dans un texte qu’il distribue à la criée : « Moi, Michel Écochard architecte en
chef des Bâtiments Civils et Palais Nationaux, me considère avec tous les
camarades architectes présents à la manifestation de l’UNEF comme rentrant
dans la catégorie de “PÈGRE” définie par Monsieur Fouchet, Ministre de
l’Intérieur. » La manifestation du 30 mai, avec ses slogans haineux – « Les cocos
au poteau » ou « chez Mao », « Le rouquin à Pékin », « Cohn-Bendit à Berlin »
ou « à Dachau »… –, suscite surtout une hostilité viscérale 39.
En Loire-Atlantique, l’Association départementale des déportés s’offusque
dans un tract intitulé « Hitler pas mort », tant la référence aux camps apparaît
bouleversante et choquante. Jean-Marie Domenach consigne dans son journal ce
qui pour lui vient de se briser, en une rupture symbolique et politique avec
de Gaulle, par-delà l’expérience partagée de la Résistance : « En moi, quelque
chose a cassé. Je ne peux plus concéder à cet homme qui mobilise sciemment ce
qu’il y a de plus vil en France. » Maurice Clavel se montre bien plus que déçu,
désespéré devant l’attitude du grand homme en qui il avait cru : « C’est à
pleurer, des larmes très objectives » 40.
L’Enragé, journal du comité de grève des étudiants de Rouen, mai, AD Seine-Maritime 5907W11.

La morgue du Général, le choix de la répression, la mainmise sur


l’information, sa façon de trancher dans le vif des événements par la dissolution
comme coup porté à l’Assemblée, le recours à des formations paramilitaires, les
comités d’action civique sous le cachet des CDR et le souvenir réactivé que
de Gaulle reste un officier, tout cela fait croire à un risque de fascisme. Le mot
est obsédant. Certes, on peut le voir pour partie comme un terme tactique : sa
charge politique disqualifie un adversaire dont la puissance engendre la
virulence. Il y a là, très exactement, un « dispositif de sensibilisation » : un
agencement déployé pour susciter une réaction affective qui dispose à
s’engager 41. Mais la perception du danger est sincère, en un moment historique
où le passé est mobilisé ; celui-là est encore brûlant, comme s’il était vivant.
Pour Louis Aragon, Charles de Gaulle redevient un « général de division » ;
l’habit d’homme providentiel a de quoi inquiéter parce qu’il rappelle d’autres
coups de force et d’autres coups d’État ; les comités d’action civique ressuscitent
quant à eux le souvenir des Chemises noires et des Croix-de-Feu 42.
Au-delà des caractérisations politiques, les mots jugés humiliants dans la
bouche du Président, son ton « menaçant » et sa condescendance sont perçus
comme d’autres formes de violence. En Corrèze après le 30 mai, un tract
fédérant syndicats et partis de gauche souligne le « mépris et l’insolence » qui
blessent. L’écrivaine Annie Ernaux le formulera autrement, en percevant une
violence sociale et un mépris de classe (ou de caste) dans le mot du Général : il
parle « de “chienlit” d’une bouche tordue de dégoût, sans savoir le sens ; on a
perçu tout le dédain aristocratique que lui inspirait la révolte, réduite à un mot
qui charriait l’excrément et la copulation, le grouillement animal et l’échappée
des instincts » 43.
Enfin, les élections de juin suscitent une colère allant jusqu’à l’aversion. Le
comité d’action du lycée Rodin à Paris jette, dans un tract âpre et corrosif, les
termes d’« élections truquées », « listes électorales non révisées », « découpage
des circonscriptions trafiquées », « élections intoxiquées » : « L’ORTF est
investie par l’armée » ; « Les organisations révolutionnaires sont dissoutes ! Le
gouvernement libère les terroristes de l’OAS ! Le pouvoir sème la répression
dans les usines et dans la rue par sa police et ses commandos CDR ! »
« Fascistes » : les CDR s’attirent souvent cette épithète. Lors d’une assemblée
générale au lycée Louis-le-Grand, un texte juge « intolérable qu’un Président de
la République lance un appel à l’organisation des ligues de guerre civile
apparentées aux ligues fascistes d’antan ». À Nanterre, le comité d’action et le
SNESup convient à un « front uni contre les fauteurs de guerre civile » 44.

LES STRATÉGIES DU DISCRÉDIT OU LES USAGES DE LA PATHOLOGIE

Ce discours puise à la détestation mais tout aussi bien la nourrit : l’effet de


réciprocité est frappant. Par exemple, le CDR du 18e arrondissement, à Paris,
écrit : « Ce que les troupes nazies n’ont pas réussi, Monsieur Cohn-Bendit se
promet de le faire. Il veut voir notre Nation à feu et à sang […] Non au nazisme
rouge de Cohn-Bendit ! Non au nazisme noir ! Tous derrière le Drapeau
Tricolore 45 ! » Les caractérisations politiques s’entrecroisent. Le traumatisme du
fascisme sert de repère et façonne une configuration affective, tout imprégnée
d’hostilité.
Les stratégies du discrédit débordent le registre idéologique. Évidemment, la
répulsion est elle-même politique, mais ses enjeux se camouflent derrière une
répugnance quasi-physique. Elle se décline, au sein de l’opposition à la
contestation, dans les tonalités du bestiaire, de la boue des bas-fonds ou de la
pathologie. À la préfecture de police de Paris, la tournure « faune hantant le
Quartier Latin » revient ; le 23 mai, le commissaire principal B., de la police
municipale parisienne, évoque « un parfait échantillon de la fange qui fait
toujours surface lors d’événements insurrectionnels » 46. La métaphore rejoint la
« pègre » de Christian Fouchet. Un autre répertoire du discrédit est mobilisé :
celui de la folie. À Lambersart, dans la banlieue aisée de Lille, un père d’élèves,
Jean de R., répand des tracts dans lesquels il traite sans vergogne les grévistes de
« fous » ; or un fou est un « être absolument inutile » ; c’est pourquoi, martèle-t-
il, « nous avons le devoir de défendre nos enfants contre ces fous, de ne pas
laisser transformer nos écoles en asiles d’aliénés ». Arguer la folie est un bon
moyen de dépolitiser les pratiques. À Douai, tandis qu’un groupe de jeunes gens,
étudiants, lycéens, manœuvre, femme de ménage, serveuse de café, artiste-
peintre, ont remplacé dans la nuit du 31 mai le drapeau tricolore de la cour
d’appel par un fanion rouge, le procureur n’y voit qu’un geste de demeurés,
« victimes de la psychose créée dans la capitale » 47. À Nantes, l’UJP considère
les manifestants comme « une ridicule phalange d’anarchistes déséquilibrés »
qui relèveraient de la « santé publique » en raison de leurs troubles psychiques 48.
Quant à l’écrivain académicien Maurice Druon, il évoque de « mystérieuses
maladies virales », une « maladie mentale ou psychique », puis des « bacilles ».
Il n’hésite pas davantage à parler de « primarité tribale » : « par les porches et
sur les parvis du savoir, l’homme est ressorti de la caverne ». Mais le romancier
acère sa plume et va plus loin – il évoque Hitler : « Hitler aussi était un névrosé à
sexualité pauvre qui se serait voulu Don Juan. Hitler aussi était un peintre
médiocre qui se serait voulu Rubens. Hitler aussi avait une gorge violente, une
cervelle délirante. » Le rapprochement se poursuit avec un relent de
germanophobie : « Jeunesse, méfie-toi des enchanteurs venus d’Outre-Rhin et
rappelle-toi la légende du charmeur de rats. » Est-ce le pire ? Maurice Druon
rappelle les origines juives de Daniel Cohn-Bendit, sous couvert d’inquiétude
devant un potentiel regain de l’antisémitisme ; de tels propos n’ont-ils pas pour
conséquence de l’entretenir ? « Le plus grave est dans le fait – une vraie
malchance pour le libéralisme – qu’une révolte anarchiste, en France, ait été
conduite par un juif allemand. Car c’est autant d’eau apportée au moulin d’autres
violences qui peuvent séduire la jeunesse, au racisme, à l’antisémitisme, au
fascisme, lesquels s’alimentent aux mêmes névroses ». Le mot – « névroses » –
est jeté, dans une mise sur le même plan, ou un renvoi dos à dos, des
révolutionnaires et des fascistes, des contestataires et des réactionnaires 49.
L’engagement s’évide et devient maladie ; le politique se brise sur une
pathologie.
Ce diagnostic, quasi médicalisé, mérite d’autant plus l’attention que Maurice
Druon n’est pas le seul à vouloir le poser, dépolitisant par là l’événement. De
son côté, Raymond Aron en fait part dans les articles qu’il rédige au fil tranchant
des événements et dans le livre qu’il en a tiré, La Révolution introuvable. Aron
est d’ailleurs celui des commentateurs qui invoque le plus l’importance des
émotions. Il admet la puissance des siennes et ne cherche pas à s’en cacher :
« chacun a vécu cette période avec ses émotions. Personne, à ma connaissance,
n’est resté calme, lucide, au cours de ces deux semaines. En ce qui me concerne,
j’ai vécu ces semaines aux États-Unis dans la souffrance et en France dans
l’indignation. Mais dans une indignation qui dépasse toutes les indignations que
j’ai éprouvées au cours de mon existence ». Lorsqu’il cite Edgar Morin et sa
vision de la « Commune étudiante », c’est pour admettre la « répulsion
immédiate » qu’ils lui inspirent. Lorsqu’il mentionne la joie de certains amis,
c’est pour faire sentir la « répulsion presque physique » qu’elle a engendrée en
lui. Le PSU le « choque profondément » ; l’« enthousiasme pour ainsi dire
libertaire » de Jean-Jacques Servan-Schreiber (du moins selon l’interprétation
d’Aron) éveille sa « rage ». Il étrille une « irruption de barbares, inconscients de
leur barbarie ». Mais il ne s’arrête évidemment pas à la description de ses
émotions. Il fait des affects la principale explication des événements : les
« causes profondes appartiennent à l’ordre affectif, à l’ordre émotionnel. Au lieu
de prendre au sérieux ce que les acteurs disent, il faut comprendre ce qu’ils
ressentent. Les méthodes d’interprétation qui s’appliquent le mieux à la crise
récente sont celles qui passent pour les plus médiocres ! La Psychologie des
foules de Gustave Le Bon, ou l’interprétation par les résidus, chère à Pareto ».
On est ici dans la reproduction d’une dichotomie longtemps reconduite entre la
raison et les sentiments : les acteurs sont irrationnels ; leurs actes comptent
moins que leurs émotions, et leurs émotions sont elles-mêmes dissociées de leurs
actions. Cette position se dit plus encore dans un passage étonnant sous la plume
de Raymond Aron :

Je rappellerai, après d’autres, les travaux des biologistes ; nous savons


que les rats et beaucoup d’autres animaux, à partir d’une densité
excessive dans un espace donné, manifestent tous les signes de
dérèglement que nous rattachons, dans le règne humain, à la névrose.
Les étudiants français, en particulier à Paris, souffrent d’une névrose de
surpopulation 50.

Voilà que la « névrose » resurgit et avec elle l’effacement des sujets politiques
derrière une supposée pathologie aux causes sociales et spatiales,
l’enfouissement de leur capacité d’agir sous leurs instincts quasiment animaux –
et anormaux.

Peurs bleues

LE PARTI DE LA PEUR ?
Marc Kravetz, évoquant l’éditorialiste du Figaro, fustige « la haine contre-
révolutionaire de l’auteur et de ses abonnés ». C’est une haine encore, mêlée de
joie cynique, que le jeune journaliste et ancien leader de l’UNEF perçoit dans le
défilé du 30 mai : « À l’heure où les laquais savourent avec une joie toute
versaillaise la victoire de la peur et de la haine, le découragement et l’amertume
risquent de gagner les militants les plus actifs des journées de mai. » Pour
beaucoup de commentateurs, c’est en effet le triomphe de la peur. À la
Sorbonne, on décrit les manifestants comme une « meute apeurée ». Le 7 juin,
en pleine page de « une », dans un noir strié de rouge, un titre s’étale dans Le
Nouvel Observateur : « La Grande peur » 51.
Le pouvoir aurait-il peur ? Du côté de la contestation, on le répète à l’envi,
ce qui relève tout à la fois du constat, du jugement de valeur et du catalyseur. Le
mouvement du 25-Avril à Toulouse l’affirme : « Le gouvernement a peur, il
répond par la violence et dévoile que sa “douceur” n’est qu’un calme
apparent 52. » Les événements servent non seulement de déclencheurs mais de
révélateurs. Insister sur la peur qu’éprouveraient les puissants, c’est se sentir soi-
même plus fort. Après le 13 mai, le SNESup prévient : « Le pouvoir a peur, il
sème inconsidérément un mouvement de panique dont il porte l’entière
responsabilité. » Le dénoncer, c’est rassurer, faire taire l’inquiétude que pourrait
représenter pour une partie de l’opinion l’extension de la grève et des
occupations. Selon l’UNEF nantaise, Georges Pompidou voudrait, par la
réouverture de la Sorbonne, taire « la peur panique que lui procure l’unification
des luttes ouvrières et universitaires 53 ». Dans le Nord, certains comités d’action
estiment que « le patronat et l’État sont frappés de stupeur » ; le capitalisme
serait « affolé ». Les négociations comme les élections traduiraient ce désarroi.
Le mouvement toulousain est conscient du danger : « De Gaulle a bon espoir de
gagner “ses” élections s’il réussit à grouper derrière lui tous les petits bourgeois
terrorisés. » Et quand enfin, au crépuscule de juin, les forces de l’ordre évacuent
les dernières usines et universités occupées, le comité de Censier continue de le
répéter : « le Pouvoir a peur. Il espère décapiter la Démocratie de masse sur les
murs de Paris » 54. En Vendée, des syndicalistes CFDT choisissent de retourner
terme à terme les mots employés par le Président, devenu sous leur plume
ironique le « Président-Directeur Général de la République » : c’est lui qui, en
réalité, exercerait « un chantage inadmissible à la peur et à la dictature ». Le
patronat est devenu le « PC »…, le « parti de la crainte » 55. Dans une tribune à
Sud-Ouest, Michel Crépeau, conseiller général FGDS, croit bon de mentionner
la « grand-peur des bien-pensants », dans une allusion limpide à Georges
Bernanos, oubliant cependant que l’écrivain catholique en formulait l’expression
dans une ode antisémite à Édouard Drumont 56.

PEURS PANIQUES, PEURS POLITIQUES

Que peut-on savoir de cette peur prêtée au pouvoir par ses adversaires
contestataires ? Qu’en est-il de la peur politique ? Elle s’exprime peu, on s’en
doute : il y a rarement place et lieu de l’avouer. Mais elle se dit à bas bruit ; elle
se confie dans les journaux intimes des soutiens au régime. C’est le cas de
l’écrivain conservateur et catholique Julien Green, dont on suit pas à pas les états
d’âme, l’angoisse, puis la sérénité retrouvée et l’émoi toujours tapi, au fil des
jours, des semaines et des mois. Le 11 mai, depuis son domicile voisin du
boulevard Raspail à Paris, il est « tiré de son sommeil par la voix de la foule »,
« un grand bruit sinistre ». Le 18 mai, il s’avoue « déprimé par les nouvelles » et
se réfugie dans une église, tandis que son cœur « se serre de tristesse » devant
cette ville « si rebelle à l’Évangile du Christ ». Le 21 mai, égrenant presque une
à une ses « heures de perplexité », il est en proie aux doutes et aux revirements
d’humeur : « Je passe comme tout le monde de l’incertitude à l’optimisme.
L’anxiété me rend à l’espoir, qui me rend à l’anxiété comme dans un jeu féroce.
J’ai déjà connu des épreuves de ce genre. L’estomac barré, le plexus palpitant
comme un autre cœur. » Le 27 mai, en regardant la télévision, il croit voir « une
fenêtre par laquelle le diable nous dit bonjour », n’y perçoit que « rage » et que
« haine ». Mais le 31 mai, après la manifestation des Champs-Élysées, il décrit
« une atmosphère de fête, de joie, de soulagement ». Pourtant, le lendemain, il
s’alarme à nouveau : « L’inquiétude de ces journées finira-t-elle jamais ? Au
soulagement d’hier succède l’incertitude de l’avenir. Est-ce une guerre civile qui
doit sortir de ces élections de juin ? La tristesse que je vois sur le visage de ceux
que j’aime m’empêche quelquefois de dormir. » C’est seulement le 19 juin qu’il
consigne dans son journal une forme d’apaisement : « en France le travail
reprend un peu partout et l’éloquence électorale coule à flots. Le calme est
revenu, mais non l’insouciance d’autrefois. Tout le monde a eu peur et tout le
monde en convient. » Le 14 juillet, le rappel du tourment ne s’est toujours pas
tari : « À la campagne. Ici demeurent encore des souvenirs d’angoisse chez tout
le monde, l’angoisse de mai qui ne s’oubliera pas de sitôt. » Julien Green
anticipe les peurs à venir : « En France, on attend l’automne avec une certaine
anxiété » 57. Raymond Aron, de son côté, s’effraie de ce que le renversement du
pouvoir par « l’émeute » revienne dans le champ des possibilités 58.

CONJURER LA PEUR

La peur est utilisée comme un instrument politique au service du retour à


l’ordre. Les anciens de la division Leclerc, proches de De Gaulle, agitent le
spectre d’une « situation économique catastrophique sans précédent » comme
conséquence directe des événements, et plus encore une autre « menace », celle
d’« un colonialisme économique et intellectuel étranger venant à la fois de l’Est
et de l’Ouest ». L’antiparastase – façon de s’approprier une critique ou une
insulte – se faufile entre les lignes 59. Par exemple, le député du Nord et ministre
gaulliste Maurice Schumann écrit « en défense de la République » : « On a parlé
de grande peur. Oui, tous les démocrates, qu’ils soient chrétiens, libéraux ou
socialistes, ont peur d’un régime qui, partout où il s’est imposé, a détruit les
libertés syndicales et a créé un syndicat unique. » Donc, oui, les partisans du
régime reconnaissent leur peur, mais leur peur du communisme. Elle est
exprimée pour être partagée. L’UDR appelle à « faire barrage aux communistes
fauteurs de misère et de chômage », en lançant un « NON au parti de la peur ».
Lucien Neuwirth, député UDR de la Loire, l’homme de la loi qui porte son nom
et a dépénalisé la contraception, évoque un « choc psychologique » en réaction à
la « terreur communiste » et à un pays « paralysé par la peur ». Dans Roussillon-
Avenir, le journal de la fédération UD Ve République des Pyrénées-Orientales,
Charles Azaïs endosse le terme pour mieux le déminer. Parti de la peur ? Il y a
bien. « Je suis du parti de la trouille », même, titre-t-il. Mais c’est à ses yeux plus
que légitime car c’est la peur devant les « enragés » et les destructeurs, les
démagogues et les ambitieux, les inconscients et les calomniateurs. Alors ce mot,
il l’expose avec superbe, dans un orgueil paradoxal, fruit du mépris retourné :
« Voilà quel est le parti de la trouille, et nous sommes fiers de lui appartenir.
Parce que c’est celui de la peur pour tous et non de la peur pour soi. Parce qu’il
n’y a de vrai courage que celui de l’homme qui ressent la peur et qui la
domine » 60. Même des responsables de la SFIO, comme Jules Moch, brandissent
« la grande peur » de centaines de milliers d’électeurs, « horrifiés » par les
occupations de rues, de théâtres et d’universités 61.
Quant à l’« opinion », elle est bien difficile à cerner. Les préfets s’en
alarment et s’en font les relais, les « services » la scrutent et la traquent. Dans les
Vosges, ils la décrivent « inquiète et désorientée » par des événements qu’elle
« comprend très mal ». Dans la Meuse, on la dit anxieuse, « rythmée et
conditionnée par les communiqués radiodiffusés des événements parisiens ». En
Corse, l’inquiétude est plus vive encore après la rupture des relations maritimes
avec le continent. Le 28 mai, les RG caractérisent la situation en Provence
comme un état de « désarroi » ; quinze jours plus tard, à Marseille, ils dessinent
une « opinion inquiète, désorientée et souhaitant qu’on la rassure ». Plus
inattendu, le responsable des prisons marseillaises s’adresse au garde des Sceaux
pour évoquer « l’angoisse » du personnel pénitentiaire : si la population
carcérale reste calme, rien n’est assuré, avec l’arrêt des correspondances, la
raréfaction des visites familiales faute de transports et la suppression de produits
comme le tabac, « apparemment non indispensable mais dont l’importance
psychologique est considérable ». Quant au patronat, il apparaît « effrayé » et
conserve un « silence prudent ». Dans les Ardennes, après le 25 mai, on croit
pouvoir mesurer une recrudescence de l’anxiété tandis que les fausses nouvelles
alourdissent l’atmosphère. Mais l’allocution présidentielle du 30 mai paraît
« libérer [l’opinion] de la peur », comme le certifie le préfet de la Creuse à
Guéret 62.
On ne saurait nier ce qui va de l’inquiétude au désarroi. À Yport, un
chocolatier avoue sa frayeur à l’idée d’être rappelé dans les cadres de l’armée –
il l’a déjà été durant la guerre d’Algérie 63. L’événement est une épreuve
affective pour les personnes restées passives, mais non pas indifférentes pour
autant. Dans les révolutions comme les contestations, il est « une société
politiquement absente, qui subit l’initiative de l’autre 64 », la société impliquée.
L’angoisse de la guerre civile a de quoi tenailler. La peur du saut dans l’inconnu
sera toujours la plus fidèle alliée des pouvoirs en place ; comme d’autres, le
régime gaulliste en récolte les moissons. Pourtant, ce qui est gênant dans ce mot
d’« opinion », si simplement brandi par les RG comme les préfets, c’est
l’absence de tous contours. L’« opinion », ce serait tout aussi bien la
« population », comme un bloc ou un roc, abrupte et homogène. La mesurer,
c’est faire fi des clivages sociaux et des positions ; c’est faire comme si cette
« opinion » ne comportait pas aussi des millions de grévistes.


Au cours des événements, le rapport aux émotions est complexe ; plus
précisément, c’est leur expression qui l’est. La virilité des groupes
révolutionnaires l’interdirait : on s’y forgerait une armure politique, dure comme
l’acier, sans aucune place pour les réactions affectives qui dépolitiseraient
l’action 65. Des contestataires refusent d’être appelés « enragés » : le terme
réduirait leurs motivations à un plan « passionnel » ; ils lui préfèrent le beau mot
de « révoltés » 66. Il n’y pas de théorie politique des émotions – il suffirait de les
éprouver. Cependant, le comité de Censier aborde de front la question : la
révolution est le refus des clivages, entre l’individuel et le social, l’économique
et le politique, le loisir et le travail, l’utopie et la réalité, la raison et l’émotion.
« Toute personne qui considère l’émotion comme étrangère à la pensée logique
doit se défaire sur le champ de cette vision idéaliste. » Car il n’est pas de
création, y compris politique, qui ne parte d’une émotion vécue 67. Un « régime
collectif d’affects » n’est jamais cristallisé ; il s’inscrit dans une dynamique et
dessine une « économie émotive », faite d’incessants ajustements 68.
Ces dimensions émotionnelles interrogent les soubassements sensibles de la
politisation, la propulsion affective de l’affrontement, une conflictualité sensible.
Au fond, cette pratique anticipe le projet formulé par Frédéric Lordon : si le
capitalisme produit une esthétique de la marchandise qui suscite et attise
l’adhésion autant que la résignation, les protagonistes lui opposent une autre
sensibilité – la réappropriation de la vie, individuelle et collective,
l’affranchissement de la servitude hiérarchique, la restauration d’un temps pour
soi et pour l’engagement politique.
On conclura provisoirement en laissant parler l’écrivain Jean-Paul Michel à
propos de Mai-Juin et de ce qu’il a alors éprouvé, l’émotion heureuse et la
conscience historique : « Une joie. Très spéciale, puisque ce fut une joie
d’histoire – d’une tonalité incomparable 69. » C’est l’un des tons émotionnels de
l’événement, moteur et fédérateur, avec cette obsession : que la joie demeure.
CHAPITRE IX

Temps de paroles et éclats de voix

1968 a son franc-parler. « Les révolutionnaires de 89 ont pris la Bastille.


Nous avons pris la Parole ! Retournez le chiffre 89 et vous obtenez 68 1 ! » Ces
quelques mots jetés dans l’Odéon occupé disent l’importance de rompre le
silence trop longtemps imposé ou intériorisé – et de parler haut. Reformulée plus
tard par Michel de Certeau – « en mai dernier, on a pris la parole comme on a
pris la Bastille en 1789 2 » –, la comparaison historique est évidemment
politique. La geste contestataire passe par le langage, mais ne s’y limite pas. Ce
ne sont pas seulement des palabres, de « belles paroles » malgré le sens profond
de l’expression. Le propre de l’événement est de transformer les termes
quotidiens ou de les révéler, en les faisant exister. La discussion est la forme
élémentaire, mais trop souvent oubliée, de la démocratie. Lorsque, le 19 mai,
Daniel Cohn-Bendit est au côté de son frère à Saint-Nazaire, une assemblée se
forme sur la plage : près de 2 000 personnes viennent parler et se parler, y
compris les curieux qui d’abord regardaient de loin, sur le boulevard de la Mer,
penchés sur le parapet. Tous ces gens qui se sentent autorisés à prendre la parole,
dans ce lieu incongru, « c’est quelque chose qui ne s’était jamais vu 3 ».
Il n’en va pas là que de discours mais de cet acte même : parler – de la
légitimité qu’on y prend désormais. Le 28 mai, les travailleurs de Rhône-
Poulenc à Vitry l’expriment ainsi : « Alors que l’on nous avait toujours refusé la
parole, nous l’avons prise, nous avons appris à parler et cela est irréversible 4. »
L’expression politique ne nécessite plus ni passeport ni passe-droit 5. Prendre la
parole, c’est démanteler les murailles sociales qui enserrent le discours public
dans des limites circonscrites, oser les décloisonnements. Pour autant, rien n’y
est évident ; il faut parfois, pour s’en saisir, faire effort sur soi.
Le temps accordé à la parole agissante est l’occasion de mobiliser des
ressources activées, réveillées ou intensifiées par l’événement. L’humour en fait
partie : il est un atout important parce qu’il donne une puissance joyeuse au
mouvement ; il lui confère sa dimension créatrice et fédératrice. L’heure est
aussi à la poésie ; on prend ici le mot dans sa signification première de ποιεῖν
(poiein), faire, inventer et trouver – il est encore des trouvères à l’ère de
l’industrie et du marché. Michel de Certeau parle d’une « fête du feu 6 » ; il en
est des poètes, disait Rimbaud, comme des « voleurs de feu », dansant sur les
braises d’un monde jugé fini. La vocation de poète prophète, qui emprunte des
pans à l’avenir pour en parsemer le présent, s’exprime au vif de l’événement.
Elle se traduit dans des poèmes, dans la création artistique et l’intensité de la
joie. Les frontières entre l’art, la politique et la vie n’y ont plus lieu d’être.
Élégiaque ou burlesque, laconique ou prolixe, cette parole, souvent drôle,
satirique, inspirée, est un coup d’éclat : c’est « le rire de Mai 7 ».

Les merles moqueurs ou le rire de Mai

RIRE AUX LARMES ET RIRE AU NEZ

Il est un esprit de 1968 comme on le dit d’un « mot d’esprit » : pétri d’ironie
et de facétie. Gouaille, traits cocasses et mots narquois se glissent dans les textes
et les tracts, les manifestations et les assemblées. Et c’est d’abord, on le sait, le
Général qui est visé. Son âge vénérable, auquel font écho les « De Gaulle à
l’hospice » ou « De Gaulle au musée » entendus dans les rassemblements du
13 mai, est brocardé 8. Maurice Clavel, dans Le Nouvel Observateur, galvanisé
d’indignation face à la répression, n’hésite pas à plaisanter sur la vieillesse de
l’homme d’État, décidément un âge ingrat : « se ressouvenant de son ancienne
gloire, il se campe sur la seule hauteur qui lui reste, celle de la pyramide des
âges »… Clavel raille l’arrogance aristocratique du Général. On s’en rappelle : le
7 juin, le chef de l’État se compare à un ange qui peine à détourner le peuple des
Enfers. Une telle analogie attire l’ironie : « Car voici de l’absolument unique
dans notre histoire. Aucun de nos vieux rois de droit divin n’aurait chuchoté
cela, même à son ombre ! Saint-Louis, qui ne savait évidemment pas qu’on
l’appellerait ainsi, se fût préféré mort plutôt que d’entendre ce péché-là ! Un seul
grand de ce monde aurait pu tenir ce propos gaullique : un pharaon embaumé » 9.
Mouvement de la Jeunesse communiste de France, tract juin 1968, AD Charente-Maritime 181AJ196.

De Gaulle apparaît davantage comme un souverain à prétention


monarchique que comme un président de la République. Une affiche sur les
murs de Calais moque une prétention dynastique : « Vive Charles XI 10 ! » Le ton
est moins badin dans un dessin crayonné sur un mur de Censier : « Il araignée »,
tandis qu’une bestiole à képi figure celui dont le « règne » est fini. Dans
l’humeur situationniste ajustée à l’humour contestataire, le 22-Mars détourne
l’appel du 18-Juin le jour de son anniversaire :

Les chefs qui depuis le 13 mai 58 sont à la tête des armées françaises ont
formé un gouvernement. Ce gouvernement alléguant notre défaite s’est
mis en rapport avec les chefs de l’OAS pour nous faire cesser le combat.
Certes nous avons été submergés par les forces mécaniques, terrestres,
aériennes et hertziennes de l’ennemi. Infiniment plus que leur nombre et
leur matériel c’est le martèlement des bottes sur les écrans de télévision
et l’intoxication massive de la presse et des radios qui nous font reculer.
[…] Nous qui vous parlons en connaissance de cause nous vous disons
que rien n’est perdu pour la révolution. […] Atteint aujourd’hui par
votre faiblesse mécanique nous pourrons vaincre dans l’avenir par une
force révolutionnaire supérieure. Le destin du monde est là. Le
mouvement du 22-Mars invite tous les révolutionnaires qui se trouvent
en territoire français ou qui viendraient à s’y trouver avec leurs armes ou
sans leurs armes, travailleurs et étudiants, à s’organiser. Quoi qu’il arrive
la flamme de la résistance populaire ne doit pas s’éteindre et ne
s’éteindra pas. Demain comme aujourd’hui nous parlerons 11.

Le rôle de De Gaulle est inversé, par un paradoxe des conséquences historiques.


Le pastiche n’est pas seulement sarcastique ; sa détermination, même dans le
décalque et le décalage, indique qu’il y a des batailles et une guerre à
remporter – et que cette référence peut porter. Les plaisanteries jonglent avec
l’histoire : le 13 mai est un « vote franc et massif » – comme celui qu’avait
réclamé de Gaulle le 6 janvier 1961, mais en miroir ; « la France [est] occupée…
par des Français libres » ; Benoît Frachon mobilise ses souvenirs des accords
Matignon : « 3 millions de grévistes en 1936, 12 % de hausse de salaires,
9 millions en 1968, faites le compte » ; « Donnez un Dien-Bien-Phu au général
Chie-En-Li », lit-on sur le quai Claude-Bernard, à Lyon 12. À Nantes, parmi les
textes détournés, figure rien moins que le « Notre Père » – le sens de la prière en
sort cependant bouleversé :

Notre Charles qui est trop vieux


Que ton nom soit oublié
Que ton règne finisse
Que notre volonté soit faite
Et nos revendications satisfaites
Double aujourd’hui notre gain de chaque jour
Pardonne-nous nos offenses
À ceux qui nous ont enfoncés
Ne nous laisse pas succomber de privation
Mais délivre-nous du mal (de ta présence) 13.

GAIETÉ DE CŒUR
L’humour est donc aux détournements et aux retournements ; il se lance tel
un boomerang ou fait ricochet, rebondit et rejaillit. Roland Barthes, pour
s’opposer au structuralisme qu’il juge antihumaniste, affirme-t-il que « les
structures ne descendent pas dans la rue » ? Une affiche lui rétorque : « Barthes
non plus. » Le ministre de l’Intérieur fustige-t-il « la pègre » ? Qu’à cela ne
tienne, le mot est réapproprié par les intéressés : « Demandez Le Pavé, le France
Dimanche de la pègre. » À Poitiers, dans la nuit du 14 au 15 mai, une affiche est
apposée sur la grille d’entrée du commissariat central : « On a les flics les plus
instruits du monde. Ils sont tous les jours à la Sorbonne. » Pour répondre terme à
terme aux décisions du pouvoir après la dissolution de plusieurs organisations,
mais avec les seules armes de l’humour et de la dérision, l’« université autonome
de Strasbourg prononce la dissolution de divers organes afin de favoriser « le
retour au calme » : UNR, Occident, UDR, comités d’action civique, CRS,
mouvement du 13-Mai et UJP 14…
Les partisans du Général ne sont pas en reste pour retourner les sarcasmes de
l’adversaire. Dans les Vosges, le comité d’action civique transforme Mitterrand
en « mite errante ». Un faire-part de décès (politique) décline les titres qui le font
entrer dans l’histoire : « Presque Président de la République, Commandeur de
l’Ordre de l’Observatoire, Socialiste sans trop y croire » ; François Mitterrand,
après sa conférence de presse du 28 mai, aurait été « tué par le ridicule ». Ce
faux avis de décès est signé par « Waldeck-Crochet », « Mollet le dur » et même
« Cohn-Bandit » 15. En Charente-Maritime, les CDR ripostent aux contestataires
par un argumentaire tout prêt :

Si un jeune partisan du drapeau noir vous dit…


Qu’une révolution est nécessaire : dites-lui qu’il en faudrait même deux,
la deuxième pour récupérer les libertés perdues dans la première.
Qu’il faut suivre l’exemple de Che Guevara. Proposez d’aller planter de
la canne à sucre au Bois de Boulogne.
Que la liberté sexuelle doit être intégrale dans les établissements
scolaires. Approuvez, en soulignant que les meilleurs élèves sont
toujours ceux qui sont capables de sauter une classe.
Que de Gaulle est un homme du XIXe siècle. Dites que cela se voit bien,
puisqu’il ne peut pas supporter les barricades.
Que la Ve République, c’est le pouvoir personnel et qu’il n’est pas bon
que la République repose sur un seul homme. Répondez que c’est bien
votre avis et qu’il vaut mieux que la République ne repose sur rien,
comme la IVe.
Que Mitterrand est un grand homme. Ne vous mettez pas en peine d’une
réponse, personne ne vous dira cela.
Que l’anticommunisme est périmé. Ajoutez qu’il l’est d’autant plus que
le communisme l’est aussi.
Qu’il n’y a pas de chômage dans les démocraties populaires. Ajoutez
qu’il n’y a pas non plus de droit de grève dans les centrales
pénitentiaires 16.

On se renvoie donc coup pour coup, sur le mode mineur d’une gaieté de cœur. À
Strasbourg, des élèves imaginent le lycée comme une vaste machine à produire
du dentifrice, où la culture est mise en tube. Dans l’histoire mécanique de cette
fabrique, Napoléon est, si l’on peut dire, brossé en « grand maître entubeur des
temps modernes ». Les lycéens sont alignés comme produits manufacturés, à
base de manuels ingurgités : Malet et Isaac, Lagarde et Michard, Huisman et
Vergez. Voudraient-ils protester ? « Tout tube récalcitrant est écarté par un
dispositif de sécurité automatique ». À l’Institut d’études politiques de Paris, le
« manuel du parfait fonctionnaire » rétif à la tentation contestataire est rédigé sur
la base de quinze commandements : « Ne vous mêlez que de ce qui vous
regarde… et encore / Il vaut mieux avoir tort cent fois avec le règlement, que
raison à soi tout seul / Le plus grand tort que l’on puisse avoir, c’est d’avoir
raison / L’emploi des compétences diminue l’autorité des chefs et la souplesse
de l’exécution » 17.

RIRE JAUNE, RIRE ROUGE


Du côté des grévistes, on ne craint pas de rire de soi. Les bourdes à double
sens y invitent : « Un étudiant hurle : “Les CRS à l’usine !” Cela partait d’une
bonne intention… » Même les coquilles laissées dans l’urgence convient à
l’auto-ironie : « Erratum à propos de la commune de Nantes : ceux qui ont lu
“grossistes” au lieu de “grévistes” ont perdu » 18. La malice se troque aussi par
petites annonces interposées : « Échangerais grand six pièces rue Gay-Lussac
contre deux pièces, même mal aménagé, dans quartier plus calme » ;
« Échangerais contre feu, matériel complet antifasciste » 19. Et par le mordant
d’un humour dérangeant, surtout quand vient le temps du reflux et des espoirs
déçus : « Comment va la révolution ? Elle s’enurne 20. »
Les « jaunes » sont la cible d’un rire potache, d’un humour vache. Bon
nombre de textes interpellent les non-grévistes, campés dans le rôle des
satisfaits. Le style indirect libre leur prête des déclarations béates ou
renfrognées. Au Crédit foncier : « Je soussigné déclare avoir été parmi ceux qui
ont marqué leur hostilité à la grève décidée par les Organisations syndicales
CGT-CFDT-FO. En conséquence logique avec moi-même, je proteste avec la
même énergie contre les avantages obtenus, contre ma volonté, par lesdites
Organisations. C’est donc à regret que je travaillerai dix minutes de moins par
jour et que je recevrai des augmentations de salaires et d’indices qui n’étaient
pas justifiées pour moi » ; à Sud-Aviation-Bouguenais : « Je soussigné non
gréviste, travaillant à Sud-Aviation, m’engage par la présente à ne jamais
profiter des avantages de toute nature qu’auront obtenus mes camarades
grévistes » ; au lycée Pasteur de Neuilly-sur-Seine : « Je déclare être pleinement
satisfait des classes de plus de 35 élèves ; du chômage offert à 20 ans aux jeunes
intellectuels ; de l’humanisme libéral du XIXe siècle que j’inculque à mes élèves ;
des diplômes qui leur permettront d’exploiter avec bonne conscience leurs futurs
subordonnés » 21. À Flins, même au cœur des tensions avec les forces de l’ordre
dans une acmé violente, les occupants de l’usine Renault n’oublient pas de rire
pour autant. À l’un de ceux qui rentrent dans l’usine sous protection policière,
les grévistes lancent : « Tu vas rire jaune tout à l’heure » ; et aux CRS casqués :
« Retire ton pare-brise, y pleut pas ! » Dans une usine métallurgique nantaise, les
ouvrières et ouvriers en grève transforment les locaux en une salle de spectacle
où sont données de petites représentations, sous forme de sketchs mordants à
l’égard du patron baptisé « Duconno », de son adjoint « Pétochard » et d’un
ouvrier archétype du non-gréviste : Monsieur « Lebriseur » qui habite à Grève –
Lebriseur de Grève 22…
Mais les quolibets n’épargnent pas les délégués syndicaux jugés trop
modérés, comme celui-ci qui s’adresse à une foule assemblée, dans un dessin de
Wolinski : le syndicaliste (présumé CGT) demande aux grévistes pourquoi ils
ont arrêté le travail ; pour les salaires ? pour la Sécu ? pour les vacances ? Ni
réponse ni approbation : les grévistes gardent le silence. Le délégué commence à
s’agacer : « Tas de salopards ! Vous allez me dire pourquoi vous êtes en grève
oui ou merde ? » Alors, timidement mais avec détermination fuse un « on veut
faire la révolution ». Le délégué est estomaqué : « La révolution ! Vous êtes
fous ! Le gouvernement et le patronat ne marcheront jamais ! » 23.
La dérision, on le voit, est de surcroît une révélation : un constat lucide sur la
situation politique rendu plus léger par la tournure ironique, sans rien perdre de
sa gravité. C’est tout le paradoxe subtil de l’événement : le jeu y est aussi
sérieux.

Poétique du politique

COUPLETS ET SONNETS

« Le poète a dégoupillé la parole », annonce un papillon de la Sorbonne ;


« une foule est devenue poétique 24. » La poésie de 1968 vit au rythme de ses
soubresauts. Elle se fait allégresse et s’imprègne d’ivresse aux premiers jours de
mai, s’emplit d’audace, puis marque l’angoisse, l’indignation et la déception
dans les reculs de juin. Quelques poèmes, souvent anonymes, disent d’abord la
joie et en réinventent les formes, tel ce « Rigodon » qui invite à

Laisser le rire déborder


Envahir
La prairie 25.

Ce moment est un feu dont les braises apaisent, où les corps prennent force – le
feu de l’action :

Nourrir de feu
Du moindre de mes os
Du collier de mes plaies
De mes rêves en sang
Se jeter tout entier
Dans cette joie nouvelle
Et faire de son corps même
Une Barricade 26.

L’événement crée surprise et brisure. Sort de ses rails le train du quotidien ;


crépitent les marmites où l’on se soumettait ; s’ouvrent d’autres chemins :

des forces impatientes


brouillonnes et bouillonnantes
ont surgi
fait sauter le noir couvercle
dérailler la lourde machine
dont on ne savait plus combien
elle nous asservissait nous étouffait
écrasait la vie
ont éclaté
les enceintes les remparts
les barrages les masures
et le flot d’une parole
ivre de sa liberté recouvrée
s’est répandu
comme une haute lame
qui déferle
a ouvert par millions
la prison des consciences
y a jeté une lumière cinglante
déposé le ferment
qui enjoignait à ceux
qui subissaient le joug
de se redresser dire non
mettre fin au règne de la peur
réexaminer le décor
engager l’existence
sur les amples chemins
de la vie vraie 27.

L’événement est très loin de n’être qu’une négation, un refus ou un « non » : il


est ouvert sur une autre vie, entraperçue. Le romancier Michel Butor exprime lui
aussi le bonheur de voir s’effriter les lourds murs des institutions :

Quel plaisir de te voir enfin crouler


Palais masure
Et toi cher savoir
Dans ton ébranlement vas-tu
Retrouver ton teint
d’Aurore 28.

La poésie fracasse ses gangues, broie le lyrisme des jours anciens, fait exploser
les grandes envolées :

Voix
Voix sublimement tristes
ô qui montez de la profondeur d’un jadis
de roches très anciennes
je vous emmerde
Grandes phrases, envolées aux syrtes de l’exil
grands focs de voiliers pleins
de souffle immortels
je vous emmerde 29.

Pour être vivante, la poésie doit pouvoir contester même ce qu’il y a de plus
sacré en elle : plus de statue, plus de mythologie du génie.

FIN DES LENDEMAINS


Le temps alors obsède ; son usage, comme sa fuite, est un thème lancinant.
Beaucoup expriment le sentiment d’un arrêt, d’un suspens, entre levée de
l’ordinaire et urgence d’empoigner l’instant. Un temps opportun, un kairos se
dessine, moment qu’il faut saisir et vite, sous peine de le laisser s’échapper pour
longtemps.

Je regarde l’avenir éclater


Dans les yeux […]
Ils croient, les autres
Qu’il s’agit d’une kermesse
À disperser sous une pluie
Moi je sais
Qu’on ne doit surtout pas
S’endormir
À ce moment précis
Où la nuit se retire
Sous peine de manquer
Le rendez-vous de l’aube
La vie toujours en marche
Et jamais fatiguée 30.

L’impératif de rester éveillé et d’agripper l’intensité se joint au sentiment d’un


temps nouveau, où le futur frappe à la porte du présent. Mais si « l’avenir éclate
dans les yeux », il peut fuir sous le boutoir d’un ordre exigeant que tout
redevienne comme avant. Et dès lors ce sera la « fin des lendemains » 31.
La conscience que tout peut se rompre s’aiguise, quand le pouvoir reprend sa
place et ses droits. Et pourtant rien ne sera plus pareil, jamais, comme veut le
croire Charles Juliet :

très vite ces eaux


d’une nouvelle fécondité
vont refluer
être chassées rendues inertes
enfermées derrière les digues

mais elles ont pénétré
en terre
et tous nous savons
que là où un raz de marée
a catapulté
sur tout un pays
la fureur de sa vague
rien ne peut faire
que le paysage ne soit plus
comme avant 32.

Malgré les retours, la réaction, le reflux, ces poèmes disent l’irréversible : le


présent rend le futur différent.

METTRE EN VERS LA COLÈRE

Les poésies expriment l’indignation longtemps contenue et soudain libérée.


Cette libération se fait ouverture, après tant d’années de clôture. Jacques Prévert
en trace les traits :
On ferme !
Cri du cœur des gardiens de musée homme usé
Cri du cœur à greffer
À rafistoler
Cri d’un cœur exténué
On ferme !
On ferme la Cinémathèque et la Sorbonne avec
On ferme !
On verrouille l’espoir
On cloître les idées
On ferme !
ORTF bouclée
Vérités séquestrées
Jeunesse bâillonnée
On ferme !
Et si la jeunesse ouvre la bouche
par la force des choses
par la force de l’ordre
on la lui fait fermer.
On ferme !
Mais la jeunesse à terre
matraquée, piétinée
gazée et aveuglée
se relève pour forcer les portes grandes ouvertes
les portes d’un passé mensonger
périmé
On ouvre !
On ouvre sur la vie
la solidarité
et sur la liberté de la lucidité 33.
C’est une rage qui anime les poètes de fin mai, rage devant les slogans d’autres
manifestants : ceux du 30 mai, des drapeaux tricolores, des « cocos à Dachau »
et « Renault au boulot ». Prévert dit sa fureur devant les bannières répandues
comme la mer sur les Champs-Élysées :

On ne peut pas crier


On ne peut pas tomber plus bas
Renault au boulot
Misérable slogan hurlé
Champs-Élysées
En toute sécurité
Renault au boulot
La France aux Français
Cris tricolores
Cris de peur bleue
De terreur blanche
De honte rouge refoulée
Renault au boulot
Ouvriers à la chaîne
Chômeurs au malheur comme chiens
À la niche
Mineurs à la misère
Gueules noires au grisou
Paysans n’importe où
Et nous entre nous
Chez nous
Chez vous
Toujours partout 34.

Sous le sceau de l’anonymat, un poème distribué à Paris après le 30 mai évoque


ce qu’il perçoit comme un cortège de bien-pensants :
Les égouts de Paris ont dégorgé tous les rats tricolores
quand le chef emboucha le clairon des bien-pensants
bien protégés
par les bien-matraquants et les bien-mitraillants
de l’Ordre sacré.
Tous les rats maquillés de croix de Lorraine ont vomi
leur sanie patriotique
« La France aux Français »
« Que surgissent, hérissées de fer et de feu, les frontières »
[…] Ils crient : « Vive la France »,
mais ils pensent,
ces panses à fric,
« que vivent nos gros sous »
Inconnu de leur Arc des Triomphes sanguinaires,
dresse-toi,
dresse ta colère,
général ? non
jeune homme de bonne famille ? non
mais un pauvre gars du peuple,
usine ou terre fatigue, oppression,
dresse-toi,
petit gars à la gueule éclatée,
et jette
sur leur foule de rats puant la peur
la grande flamme rouge
de l’Internationale 35.

Le grand rappel à l’ordre qui sonne son tocsin en juin déchaîne d’autres poèmes
sur les capitaux et la lame acérée de leurs armes :

L’ordre de Qui ? L’ordre de quoi ?


L’ordre en Képi. L’ordre en casque
L’ordre en bombe H
L’ordre en coffres forts
L’ordre en lingots
L’ordre Rotschild
L’ordre Boussac – l’ordre Dassault
L’ordre en manteau de vison
Et en chasse à courre
L’ordre en orgies
L’ordre en festins
L’ordre en ripailles
L’ordre au Pire Mépris, et au Pire Langage 36.

Mais ce retour à l’ordre n’entrave pas la saisie du moment bouleversant, où tant


de gens ont mis de l’art dans la vie.

De l’art dans la vie

PLEINS CHANTS
Les pratiques artistiques se déclinent sous bien des formes et ne laissent pas
de se faire politiques. La musique est présente dans les usines occupées. Le
comité d’entreprise de la Régie Renault invite très vite, avec succès, de
nombreux interprètes comme Isabelle Aubret, Jacques Douai, Leny Escudero,
Jean Ferrat, Dominique Grange, Jacques Higelin, Paul Préboist et l’humoriste
Pierre Dac. À Renault-Cléon, on voit arriver un camion qui transporte un piano,
installé dans la cour de l’usine. À la Sorbonne aussi, il y a un piano et, dans le
vestibule du « grand amphi », une sorte de « mobile » en aluminium, étrange et
énorme, qui tintinnabule. Le 20 mai, aux usines Berliet, un orchestre improvisé
joue toute la nuit. Le 26, la section syndicale CGT du théâtre de Sartrouville
invite les grévistes des usines Cellophane et Joint français à un spectacle de
variétés avec les chanteuses Colette Magny et Francesca Solleville – pendant
que les enfants des grévistes regardent des dessins animés déroulés
manuellement. Un récital improvisé est proposé à la faculté des sciences
d’Orsay, avec le répertoire de Jacques Prévert.Le 1er juin, square Saint-Lambert à
Paris se tient une kermesse organisée par le comité de soutien aux grévistes, en
présence de Juliette Gréco.Le 15, à la faculté de médecine de Paris, un spectacle-
débat voit se succéder les artistes Dominique Grange, Gilda Gilles et Francis
Lemarque 37.
Des projections cinématographiques à vocation politique ouvrent sur des
discussions enlevées. Le comité intersyndical du musée de l’Homme pour la
défense du Vietnam tient une soirée autour de plusieurs films à teneur
internationaliste, qui lient les événements français aux combats vietnamiens :
Hanoi mardi 13 du réalisateur cubain Santiago Alvarez, un reportage sur le
Vietnam ainsi que des témoignages filmés sur les manifestations en France, dont
celui de William Klein. De petites villes ont leurs débats : à Mirecourt, on
discute autour du Mékong en feu et de Nous vaincrons, deux films sur la guerre
du Vietnam 38.
Le théâtre s’impose tout autant, et plus encore, parce qu’il implique les
participants. « Plus qu’aucun autre art, le théâtre est potentiellement une agora. »
Ses lieux coutumiers sont subvertis ou contournés, comme l’Odéon occupé à
partir du 15 mai, « scène nue, ouverte et gratuite de la parole publique » : le
théâtre est pensé comme « une permanence révolutionnaire créatrice » 39. Le
metteur en scène du Grand Magic Circus, Jérôme Savary, met sa troupe à
disposition du mouvement : elle jouera où l’on voudra bien d’elle, « dans un
bois, sur une botte de foin, dans une rue ou une maison, sur un terrain vague, un
canal, un bureau… Tous les lieux sont bons s’ils sont vivants, donc s’ils ne sont
pas des théâtres 40. » Au même moment à Berlin, Peter Handke oppose le
« théâtre de rue » à ce qu’il nomme le « théâtre-théâtre », « le théâtre qu’on ne
verrait qu’au théâtre » 41. Il faut quitter les lieux. La troupe du Soleil, avec Ariane
Mnouchkine, part jouer La Cuisine d’Arnold Wesker dans les usines en grève de
région parisienne 42. À Bar-le-Duc, des étudiants interprètent à la Bourse du
travail une pièce sur les événements. Dans le chef-lieu de la Meuse encore, sous
le marché couvert, une troupe d’amateurs attire à elle un public très nombreux
qui n’en était pas jusqu’alors familier. L’Est républicain parle d’une « grande
fraternisation théâtrale » – « trop longtemps le théâtre a été le domaine de la
cravate, du costume et des plaisirs réservés. Il est en fait le domaine de la liberté.
La cravate est acceptée, tout autant que le col roulé. Les travailleurs, en venant
au théâtre, ne se rendront plus complices des situations réelles qui leur sont
infligées » 43. À Épinal, les lycéens organisent une fête avec spectacles, lectures
et poésies, une rencontre nommée « chienlit culturelle », le 1er juin – nouvelle
antiparastase, diraient les rhétoriciens : le mot insultant est repris par celles et
ceux qu’il est supposé dénigrer 44.

PLUTÔT LA VIE

Demeurent des mots sur les murs, mots bruts, mots saillies, mots poésie.
« Plutôt la vie », lit-on dans l’entrée d’une université. On sait le rôle qu’y jouent
les situationnistes : ils ne sont qu’une poignée mais l’esprit qu’ils ont impulsé
depuis quelques années accompagne l’événement. L’évolution qui fait « du plus
artistique des mouvements politiques le plus politique des mouvements
artistiques 45 » conduit le petit groupe fédéré par Guy Debord à faire de l’art un
enjeu décisif. Pas n’importe quel art, s’entend : les situationnistes poussent les
formes anciennes à leur épuisement. L’art à leurs yeux ne saurait s’accommoder
de l’industrie capitaliste ; il déteste les compromissions ; il n’a rien d’une
institution. D’où l’importance des plagiats et des détournements, manières
d’actualiser l’art du passé. La poésie n’est pas figée, elle est en mouvement
incessant, à la façon de ces « dérives » et « flâneries » sans but ni objet, qui font
voir l’espace autrement. Il faut créer des « situations », moments de qualité,
modes de vie détachés du « spectacle », de la passivité engendrée par la
marchandise dans des sociétés réifiées 46.
Les murs sont empreints de leur poésie. Christian Sébastiani, jeune « poète
des murailles », visage dissimulé derrière un mouchoir, peint à la bombe ces
mots qui d’emblée font histoire. Sébastiani, proche de René Riesel qui a donné
au petit groupe de Nanterre le nom fameux d’« enragés », est arrêté le 10 juin
lors de la marche vers Flins 47. Ils écrivent rageusement les mots de l’instant :
« L’ennui est contre-révolutionnaire », « Ne travaillez jamais », « Prenez vos
désirs pour la réalité ». « Sous les pavés la plage » pourrait être signé d’une main
situationniste. La formule est en réalité extraite des Treize Soleils de la rue
Saint-Blaise, une pièce d’Amand Gatti jouée depuis début mai dans un théâtre
du 20e arrondissement de Paris et dont le thème est l’urbanisme destructeur au
cœur de ce quartier.
Au côté d’autres énoncés poético-politiques tels « Mieux vaut voler que de
se vendre », « Et les réserves imposées au plaisir incitent au plaisir de vivre sans
réserve », « Créez » claque sur la porte de la section nantaise de l’UNEF. Cette
obsession de la création, par l’art, le jeu et la poésie, imprégnait déjà les pages
du Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations. Le néologisme de
« créativité » qui y est employé a d’ailleurs été imposé par Raoul Vaneigem à
son éditeur réticent : Gaston Gallimard s’est incliné 48. Poésie, certes, mais
« poésie faite par tous et non par un » comme l’écrivait Lautréamont, celle d’un
anonymat poétique et politique 49.


Quelques temps après, André Glucksmann évoque à propos de 1968

[l’]égalité de tous devant les mots. L’esprit ironique remarque qu’on y


parle souvent pour ne rien dire ; il a raison, mais sa raison est courte. Un
des privilèges les plus abusifs de notre époque tient dans l’usage du
langage par quoi les classes et les fractions de classes se distinguent.
Chaque caste de la société française possède un jargon spécialisé qui la
transforme en univers clos, ses membres sont entre eux, complices, face
aux autres, fermés ; les mots sont devenus des poteaux-frontières.
L’abolition des privilèges passe par la destruction des ségrégations
linguistiques ; le flot de paroles envahissant la Sorbonne évoque la nuit
du 4 août aussi bien que les premiers soviets de Russie 50.

L’événement brise une évidence sociale, celle de la parole autorisée, réservée et


cloisonnée. Ce sentiment de légitimité est une ressource considérable. Le rire
catapulte de 1968, profusion de mots qui font mouche, s’ancre dans un répertoire
ravivé ; il ouvre un esprit critique qui dépassera de loin les deux mois de mai-
juin. « Rire politique » s’il en est, car il met au jour la fragilité d’un ordre et le
bonheur qu’il y a à pouvoir l’ébranler. « La poésie était quotidienne », notera
plus tard Maurice Blanchot. Pour lui, peu importe au fond ce qui s’est exprimé :
« le Dire primait le dit 51 ». On ne le suivra pas cependant jusque-là car la parole
pour partie libérée, si elle vaut en soi, est aussi plus que cela : elle est porteuse
de sens, parfois de programmes, toujours de projets. Les émotions qu’elle
procure sont d’essence politique. Sur une affiche, rue Gay-Lussac, il y a cette
phrase d’André Breton : « l’homme est à repassionner ». Plus qu’un impératif
insolent, c’est là sans doute l’un des enjeux de l’événement.
CHAPITRE X

Féminin-masculin

Sexe et genre de l’événement

Un autre rire, une autre joie. La scène se passe en avril 1968 à New York,
sur le campus de Columbia. Depuis plusieurs mois, les étudiant(e)s sont
mobilisé(e)s contre la ségrégation et les discriminations, en pleine guerre du
Vietnam. La grève et l’occupation sont décidées, meetings et sit-in se succèdent.
Le 25 avril, un leader interpelle les étudiantes présentes dans l’assemblée : que
certaines se désignent pour faire la cuisine. Sa requête est accueillie par un éclat
de rire : « Les femmes libérées ne sont pas des cuisinières » et il n’y a pas de
volontaires. La cuisine sera faite en commun, sinon rien 1.
La voix des femmes, les rôles de genre et la conscience de leur expression
apparaissent ténus dans la France de 1968. Cela ne signifie pas, loin de là, que
les femmes ne participent pas : elles sont présentes et agissantes. Mais elles
œuvrent souvent autrement : « les formes féminines de participation sont surtout
moins institutionnalisées, en marge ou extérieures aux principales organisations
militantes, syndicales ou partisanes 2 ». Comme elles sont très minoritaires dans
la sphère politique organisée, elles paraissent avoir moins de ressources où
puiser. Cela explique aussi pour partie que, d’après l’enquête menée par Julie
Pagis, l’influence de l’événement ait été plus forte encore pour les femmes que
pour les hommes ; elles ont en tout cas plus que les hommes le sentiment
d’appartenir à une « génération 1968 » 3. L’engagement antérieur étant moins
intense et parfois inexistant, la densité se concentre tout entière dans
l’événement.
Une tension alors se dessine : comment parler de la situation des femmes
sans les y enfermer ? Comment lutter pour et au nom des femmes sans en faire
une catégorie, dotée de propriétés spécifiques 4 ? 1968 est travaillé par ce
trouble : même les militants les plus sincères de l’émancipation entretiennent
une « police du genre », autant de « mesures visant le maintien sexué de l’ordre
sexué » 5. Que les femmes apparaissent peu dans leurs revendications, qu’on
attende d’elles des pratiques et des qualités auxquelles elles sont depuis
longtemps assignées ne paraît pas, le plus souvent, perturber ces militants.
« Genre » : en 1968, le mot n’existe pas encore tel qu’ici on l’entend, à la
suite de Joan Scott – « le genre est un élément constitutif des rapports sociaux
fondé sur des différences perçues entre les sexes, et le genre est une façon
première de signifier des rapports de pouvoir 6 ». Le terme n’est pas d’usage
parce que sa réalité est occultée : ces oppressions sont invisibles ou négligées. Il
ne saurait y avoir d’histoire du genre sans dévoilement des dominations. « Le
genre n’est pas simplement une “catégorie analytique” ; il se situe au cœur de la
pensée et de la politique 7. » Parmi les femmes mobilisées, certaines – et certains
hommes, plus rares – entendent mettre au jour des rapports de pouvoir, pour
mieux les subvertir et les dépasser. Les actrices de 1968 se mobilisent en tant
que femmes et veulent aussi ne pas s’afficher comme telles. Leurs identités sont
tout ensemble affirmées et déchirées, en un entre-deux tendu et heureux, difficile
certainement, et libérateur le plus souvent.

Mères, ménagères ou mégères : le sexisme


ordinaire

MACHISME AMBIANT, SEXISME VIOLENT


Durant l’événement, le sexisme s’infiltre là où on ne l’attend pas, là où du
moins il surprend. Car comment comprendre la misogynie de mouvements qui
prétendent combattre les oppressions ? Comment comprendre surtout qu’elle ne
soit pas même aperçue et a fortiori réfléchie ? C’est que la question ne se pose
tout simplement pas. La perception des dominations sexuées intervient peu ou
n’existe pas, et si les femmes, quant à elles, existent bel et bien, elles sont
souvent placées au rang d’objets, manipulés sans distance ni conscience. Les
montages situationnistes sont ainsi pétris d’un machisme affiché et non-
interrogé. Extraits de la bande dessinée pour la détourner et doter son érotique
d’un sens politique, ils reproduisent les codes sexués d’une iconographie
sensuelle et sexuelle. Les femmes y sont allongées, lascives, s’y déshabillent, s’y
montrent poitrine nue. Elles sont réduites à leur sexe – dans le double sens de
rôle sexué et de sexualité. Dans l’un de ces montages, une jeune femme au lit
explique, bulle situationniste à l’appui, que les « charognes l’ennuient » – il
s’agit tout autant des militants de la JCR, de la FER, que de ceux de l’UNEF ou
du « PCF-CGT ». Mais elle ajoute en pensée : « ce soir tout change. Des
camarades du conseil pour le maintien des occupations vont venir me baiser
violemment. Vu leur pratique, leurs théories doivent être vachement radicales ».
Dans un autre montage, une femme dépoitraillée, « jeune épouse d’un “ministre
de gauche” », fait intérieurement ce constat : « Je n’aurais jamais dû épouser un
ministre. Je file dans une usine en grève. » Une autre, la plus connue, montre une
femme magnifique, seins bombés exposés, exhalant dans la jouissance : « Ah
l’Internationale situationniste… » 8. Même parmi ces « situs » dont le talent
permet de penser la réification des rapports sociaux et le fétichisme de la
marchandise, « la femme » est associée à son seul corps, dénuée de pensée
politique, tandis que son lien aux militants se limite à l’attente passive de
rapports sexuels où elle apparaît surtout comme un objet. Sous couvert de
l’humour s’entend, mais est-ce bien suffisant ?
Cette représentation perpétuée se retrouve avec les gestes sexistes, dans des
lieux symboliques de la contestation, en flagrante contradiction avec le rejet
proclamé de la domination. Évelyne E., enseignante au lycée de Drancy, se
rappelle un débat à l’Odéon :
Dans une loge où les gens étaient pressés les uns contre les autres, j’ai
senti qu’on me pinçait les fesses. Impossible étant donné la foule de
savoir de qui venait cette charmante attention. Mais je fus profondément
indignée qu’en pleine assemblée révolutionnaire se manifestât ainsi le
machisme le plus sordide 9.

Les agressions sexistes atteignent un degré de violence exacerbé dans les


pratiques policières : « robes déchirées lors des arrestations, coups systématiques
au ventre, gestes obscènes – matraque entre les jambes –, fouilles au corps dans
les cars et au dépôt de Beaujon, qui peuvent aller jusqu’à des tentatives de viol,
limitées par l’intervention de gradés 10 ». Le Livre noir des journées de Mai
mentionne des policiers traitant des manifestantes de « putains dont ils allaient
s’occuper » et des CRS menaçants : « Espèce de salope, on va te faire défiler
dans les rues de Paris à poil 11. » Qu’il s’agisse de paroles ou de gestes,
l’irrespect et la violence faite aux femmes sont peu pensés, peu critiqués : ils
font partie du tout-venant qui a cours alors, où les femmes sont considérées
d’abord pour leur corps et selon les canons de la beauté.
Dans ce décor, les propos qui émaillent le Journal d’un bourgeois de Paris
n’ont pas de quoi surprendre. D’une avocate s’adressant à ses confrères en
espérant faire oublier son statut de femme pour leur parler sur un pied d’égalité,
André Sernin relate ce qu’il qualifie avec ironie de « paroles mémorables » :
« Mes chers confrères, je prends la parole parce que sous la robe il n’y a pas de
sexe. » Il mentionne, dans une écriture émoustillée, les étudiantes « souvent fort
jolies » qu’il croise dans les assemblées et dont les « mini-jupes inspirent
d’autres sentiments que l’amour de la révolution » 12. L’un des rédacteurs du
journal d’Action française AF = Université, Henri Mercier, n’y voit quant à lui
aucune espèce de sensualité mais retient seulement les « tracts distribués par les
pasionarias, mégères en culottes courtes, sans pudeur et sans honte 13 ». Ses
propos charrient un imaginaire bien ancien, celui de femmes inquiétantes et
dénigrées, dangereuses pour l’ordre parce que batailleuses, des sorcières aux
« pétroleuses ». Il y a là autant de touches apportées au tableau du sexisme
ordinaire, que l’événement ne fait pas taire.

AILLEURS OU À CÔTÉ : PLACES ET ESPACES SEXUÉS

Les lieux de l’événement sont eux-mêmes cloisonnés par des injonctions et


des interdits sexués. Car aux yeux de beaucoup d’hommes, même parmi les
contestataires, il s’agit toujours de réserver aux femmes un espace circonscrit,
fermement délimité. Leur présence la nuit dans les entreprises occupées est la
plupart du temps refusée, ou pas même imaginée. Elles sont souvent et
seulement regardées comme des femmes de, épouses de grévistes en l’occurrence
qui, comme à Sud-Aviation, « apportent le panier [de vivres] à leurs maris
volontairement enfermés ». À Port-Neuf en Charente-Maritime, la section locale
du PCF s’adresse aux femmes, mais le mot est ici synonyme d’épouses : « Vos
maris luttent pour leurs revendications et votre aide morale leur est
indispensable. » « Femmes et enfants, ne pas circuler dans le chantier », lit-on
sur un carton d’une usine occupée, dans la région de Caen. Des ouvriers
d’Hispano-Suiza déplorent que la section locale de la CGT interdise aux femmes
d’entrer dans l’usine en grève. Le virilisme s’y brandit. Selon les représentations
diffuses, les « jaunes » ne sont pas tout à fait des hommes et il leur manque des
attributs : « ils n’ont pas de couilles au cul, ils ont rien », entend-on à Renault-
Flins 14. Le masculin est le sexe de la lutte. Le mouvement du 22-Mars quant à
lui voudrait ne pas omettre les femmes ; mais il évoque la « condition féminine »
comme s’il s’agissait d’une essence ou d’une rubrique. « Les femmes et
ménagères ont un rôle à jouer dans la non-reprise du travail 15. » La formule est
curieuse et relève sans doute du lapsus. Il n’empêche : les femmes sont mises à
part et si elles peuvent agir, c’est à titre secondaire, rappelé pour ne pas l’oublier.
Les hommes parlent souvent à leur place. À Lorient, dans une usine
d’habillement, les ouvrières sont en lutte mais un homme conduit la négociation.
À Grenelle, aucune femme ne prend part aux discussions 16.
Si les espaces sociaux sont sexués, la répartition des tâches l’est tout autant.
Alain Schnapp et Pierre Vidal-Naquet ne manquent pas de pointer du doigt le
« chauvinisme masculin qui caractérise la société française » et qui se reproduit
ici. À la différence de ce qui se passe à Columbia, la cuisine est faite par des
filles dans la Sorbonne occupée ; « le mouvement ne s’est pas posé, ou guère
posé, le problème de l’inégalité des filles par rapport aux garçons devant le droit
aux études » 17. Des journalistes, comme Jean-Claude Guillebaud dans Sud Ouest
le 9 juin, pensent à ces mères inquiètes pour leurs enfants contestataires, à ces
milliers de femmes qui « ne dorment plus » parce, justement, elles sont mères et
n’ont « que deux choses à faire : souffrir et attendre » 18. Dans ce répertoire, les
femmes sont avant tout des mères et des ménagères, du côté de la sollicitude et
du soin. La douceur qui leur est prêtée est comme une seconde peau, naturalisée,
incorporée.
Du côté du pouvoir, lorsque les femmes sont mises en avant, c’est pour
reconduire la traditionnelle partition des émotions. Sur une affiche des CDR
imprimée fin mai, « les femmes de France adressent un appel solennel ». Elles
sont jugées le mieux à même de faire entendre « la voix du bon sens, du courage,
de l’amour », « contre celle du désordre et de la haine ». Elles sont donc choisies
afin d’appeler à l’union « pour la paix », « dans le calme et le travail ». Un
différentialisme sexué s’impose : les femmes sont placées du côté des
sentiments – et des bons sentiments. Le 25 mai, l’UD Ve interpelle les
« Françaises » parce qu’en tant que femmes et en tant que mères, elles seraient
« attachées à la paix, opposées à la violence » : c’est à elles de faire entendre « la
voix du bon sens ». Une mission leur est confiée : faire revenir le calme et la
sécurité 19.
Cette division sexuée est souvent intériorisée par les femmes elles-mêmes.
Les Femmes de l’Association syndicale des familles, proches du PCF,
s’interrogent sur le rôle qu’elles peuvent jouer dans l’événement, par exemple
équilibrer le budget dans le ménage : « Pour beaucoup d’entre nous ceci est un
souci constant et angoissant. » Elles portent encore d’autres responsabilités, en
tant que mères : « C’est sur nous que repose la formation de ceux et celles qui
seront plus tard des hommes et des femmes sur lesquels la société devra pouvoir
compter. » La démocratisation de l’enseignement « préoccupe particulièrement
les mamans ouvrières ». Elles prêtent la voix à tous ceux qui n’ont pas la force
de se défendre : malades, handicapés, vieillards et mal logés. C’est pourquoi
toutes les femmes doivent « se sentir concernées par l’action de leurs maris » ;
« elles sont conscientes de l’action irremplaçable des femmes de grévistes dans
la façon dont elles encouragent et remontent le moral de leurs maris » 20. Là
encore – cette fois ce sont elles qui l’expriment –, les femmes se situent dans le
soin, la constance de l’attention aux autres, la générosité déployée. Elles sont les
femmes de et leur rôle est secondaire : c’est un étai et non une force qui serait en
soi contestataire. Elles sont réduites à un champ de thèmes : l’éducation, le
ménage, le budget. Il peut s’agir de ressources ; elles ne les confinent pas à la
passivité 21. Mais elles les enferment dans les rangs de certains carcans : elles
sont d’abord et avant tout un appui à leurs maris.
Affiche du Centre féminin d’études et d’information, juin, BDIC F delta 62 Rés.

Lors de la première « nuit des barricades », quand le reporter de RTL


s’entretient avec un couple d’étudiants pour saisir l’histoire en train de se faire
sous leurs yeux et avec eux, il tend son micro à la jeune femme – « Vous
Madame, qu’en pensez-vous ? » –, mais c’est son compagnon qui répond à la
question, sans qu’elle le conteste ni ne proteste. Pour le reportage diffusé dans le
magazine Zoom le 14 mai, Guy Demoy interroge deux jeunes gens. La jeune
femme explique vouloir être professeure ; le journaliste lui rétorque qu’alors elle
sera une « courroie de transmission », « un cadre de cette société » contre
laquelle elle s’insurge pourtant ; il veut savoir ce qu’elle pense de cette
contradiction. Gênée, elle tente de s’esquiver et demande en riant pourquoi il lui
adresse des questions « vaches » au lieu de les poser à son ami 22. Dans les deux
cas, c’est à l’homme de répondre, à lui que reviennent et la prise de parole et la
difficulté. Seuls des hommes sont reconnus comme leaders de la contestation.
Certes, des femmes sont érigées en symboles, juchées sur des épaules
d’hommes, en porte-drapeaux. La photographie la plus célèbre est celle de
Caroline de Bendern devant le jardin du Luxembourg le 13 mai, sous l’objectif
de Jean-Pierre Rey : visage grave, tenant bien haut le drapeau du FNL
vietnamien, portée par l’artiste plasticien Jean-Jacques Lebel, elle fait vite figure
d’icône et entre dès le 24 mai, avec la publication par Life, dans l’imagerie
comme dans l’imaginaire de Mai 23. Cependant, pour la presse qui diffuse ces
photos, les femmes célébrées sont d’abord et avant tout cela : des images. Leur
corps est une allégorie.

L’INTERSECTION DES REVENDICATIONS

La situation spécifique des femmes n’est dès lors que rarement énoncée et
dénoncée. Une double oppression, à l’intersection des catégories « femmes » et
« travailleuses », est évoquée par les comités d’action étudiants-travailleurs de
Marseille : ils alertent sur le chômage des femmes, « plus grand que chez les
hommes, souvent non reconnu », qui fait de la main-d’œuvre féminine une cible
sommée de se montrer docile. Les différences salariales, les travaux pénibles des
femmes et leur nombre sur les chaînes de production, notamment dans les
industries alimentaires « où l’on travaille 10 ou 12 heures par jour pendant 4 à
5 mois, à des tarifs ridicules puis on chôme en attendant la saison », font l’objet
d’une critique sans concession 24.
C’est un autre mode d’intersection que le Parti communiste français met en
exergue : les femmes y sont présentées comme « travailleuses et mères de
famille ». Il réclame pour elles des augmentations substantielles, en particulier
pour les 3 millions de salariées qui gagnent moins de 600 francs par mois ; il
revendique également l’allongement des congés de maternité, l’attribution
généralisée de congés, avec maintien du salaire, pour soigner un enfant malade,
enfin l’avancement de l’âge de la retraite à 60 ans « pour toutes les femmes qui
en expriment le désir ». Le groupe communiste à l’Assemblée « a inlassablement
proposé et défendu des propositions de lois qui permettraient à toutes les femmes
de remplir pleinement leur double tâche de travailleuse et de mère ». Le Parti
communiste décrit la situation spécifique des femmes et propose, pour
l’améliorer, des réformes particulières ; mais celles-ci les concernent surtout en
tant que mères. Au milieu du mois de mai, le PCF publie un bulletin sur la fête
des mères, insistant sur l’importance d’« honorer les mères, [de] leur donner les
moyens d’assurer une vie digne à leur famille, l’instruction, le métier, la santé,
les loisirs sains à leurs enfants ». Un tract destiné aux femmes sort en juin, à
l’occasion des élections ; il leur enjoint d’utiliser leur bulletin de vote « pour
exprimer [leur] aspiration à une vie meilleure pour [leur] foyer, à un avenir de
bonheur pour [leurs] enfants » 25. Les espoirs prêtés aux femmes les ramènent à
la sphère domestique et à la maternité ; leur futur comme leur présent sont
envisagés à travers ceux de leurs enfants. Les femmes qui ne sont pas mères sont
négligées, voire oubliées.
Exceptionnelles sont par là même les professions de foi électorales qui
mentionnent les femmes. Citons comme l’une de ces raretés celle de Roger Mas,
candidat de la FGDS dans la circonscription de Mézières-Rethel (Ardennes) :
elle reprend l’ancien mot d’ordre « à travail égal salaire égal », mais appliqué
aux rapports femmes-hommes. Son texte évoque l’émancipation des femmes, en
lien avec l’« élimination réelle des inégalités ». Plus remarquable encore – au
moins au sens où elle se fait remarquer – est la candidature d’Antoinette Claux
dans la circonscription de Perpignan-Céret (Pyrénées-Orientales), au nom du
PSU. Son caractère inédit ne manque pas d’être souligné : une candidate, c’est
« une nouveauté dans le département ». A. Claux insiste elle-même sur la place
réservée aux femmes dans le mouvement et le droit qu’elles s’octroient à
intervenir dans les discussions et les confrontations : elles sont victimes d’une
répression policière « plus féroce et plus acharnée », elles sont l’objet de la part
du gouvernement d’une pression psychologique spécifique, exercée par le « parti
de la peur », agitée spécialement à leur égard car elles sont en charge du foyer.
« Mais les femmes, sans faire taire leur cœur, savent écouter leur raison, elles
savent observer, réfléchir, comprendre, juger » 26. Qu’il faille le rappeler et
préciser que les femmes ne sont pas uniquement inquiétude et compassion, qu’il
faille d’ailleurs trancher entre affects et raison, est en soi révélateur d’une
partition des émotions et d’une distribution sexuée où le masculin reste le sexe
du politique et le féminin celui du domestique.

Se désassigner, devenir sujet

TROUBLER LE GENRE

De cette répartition forcée des émotions, certaines femmes ont toutefois


décidé de rire. Ce faisant, elles interrogent et mettent en branle une division
sexuée trop figée. À l’Institut d’études politiques de Paris, occupé lui aussi, des
étudiantes diffusent un tract dans lequel elles formulent, sur le ton de l’humour,
l’inégalité du partage :

L’efficacité de la grève serait sans aucun doute plus radicale si toutes les
femmes refusaient de faire la cuisine et laissaient s’empiler la vaisselle
comme s’empilent les ordures dans la rue. […] Il s’avère donc de toute
première urgence que les syndicats se hâtent de rallier la partie la plus
« efficace » des travailleurs de la nation ; et comme il faut commencer
au plus vite l’action, souhaitons que les filles de Sciences Po, qui ne
représentent qu’un petit quart de la population de l’Institut, abandonnent
au plus tôt leur situation privilégiée de monopole dans leur confection
des sandwiches et le service de balayage et de nettoyage de l’école 27…
L’ironie est piquante, moyen subtil de dénoncer les atavismes, révéler les
contradictions et appeler au changement des comportements. Elle est très
caractéristique de ce que Pierre Ansart a nommé les « machines à décroire 28 » :
l’humour opère à la façon d’un levier pour soulever des non-dits et sortir la
réalité de la gangue des a priori. On relèvera encore la critique facétieuse des
attributs virils ; un comité d’action dans le 14e arrondissement de Paris s’amuse
d’une formule sexiste employée par le président-directeur général de Citroën,
Pierre Bercot : « Le profit renferme l’élément mâle de vigueur qui seul convient
à l’exercice nécessaire d’une responsabilité 29. » La galéjade est un révélateur ;
elle met au jour ce qui jusque-là apparaissait trop évident, dit en passant.
La surprise vient d’un bouleversement qui touche les rôles de genre dans
cette prise de parole, dont Michel de Certeau n’avait pas interrogé la dimension
sexuée. Pour les RG, elle est assez singulière pour être consignée. Le 2 juin, à la
préfecture de police de Paris, on relève avec une curiosité inquiète la présence
d’une femme, place Denfert-Rochereau, qui harangue les passants et critique le
gouvernement ; une « cinquantaine d’auditeurs » se pressent autour d’elle pour
l’écouter 30. Marion Page travaille dans une école maternelle à Paris et habite la
banlieue sud. En marchant dans la capitale, elle croise au coin d’une rue une
tribune de fortune ; elle s’y arrête parce que « [c’est] au tour d’une femme de
haranguer le public ; une image inhabituelle pour moi à qui on avait toujours
recommandé de se montrer silencieuse, discrète et réservée, surtout au
dehors 31 ». Les vertus féminines présumées sont secouées par la prise de parole
publique : les femmes sortent de la sphère privée et du silence où elle les
enfermait. Cette « victoire » sur soi est exprimée par Anne McDermid
lorsqu’elle lance pour la première fois un pavé, dans le tumulte de mai 32. La
présence des femmes est remarquable dans les services d’ordre des
manifestations où elles sont à quasi-parité, bras-dessus, bras-dessous avec leurs
camarades hommes, formant les chaînes et protégeant les cortèges.
Il est toutefois question, non seulement de libération, mais aussi de la
difficulté à s’exprimer en tant que femmes, souvent accentuée lorsque sont
intériorisés des complexes d’infériorité liés à l’appartenance sociale. Françoise
est employée au Crédit foncier, syndiquée à la CGT ; elle n’a pas fait d’études.
Lorsqu’elle rejoint le comité d’action des 3e et 4e arrondissements de Paris qui se
réunit chaque jour à l’École des arts appliqués et rassemble entre 80 et
100 personnes, elle se sent partagée entre le désir de prendre la parole et le
« sentiment de beaucoup [s’]écraser » face aux étudiants et intellectuels présents.
Elle se convainc que ce qu’elle a à dire n’est pas intéressant et que peut-être elle
ne saura pas bien l’exprimer. Elle reconnaît aussi en être affectée physiquement ;
il lui faut faire effort pour parler, au prix d’angoisses et de maux de ventre 33. Les
pressions de genre se traduisent là dans le corps, en une incarnation sensible des
contraintes de classe et de sexe.

Service d’ordre d’une manifestation, Rouen, s. d. [mai 1968], Fonds de l’université de Rouen.
L’EFFRACTION DES « PREMIÈRES FOIS »

La parole des femmes est souvent vécue comme une transgression inédite –
bien qu’elle ait des précédents historiques. Dans le film Classe de lutte réalisé
par le groupe Medvedkine, on voit la jeune employée Suzanne Zedet prendre
pour la première fois la parole en public, devant les portes de son entreprise,
l’usine de montres Yema à Besançon, face aux salariés mais aussi aux cadres et
au patron. Peu à peu, elle abandonne le papier qu’elle lisait pour improviser ; elle
s’empare des mots pour se les réapproprier – et pour gagner, puisque la grève
continue 34.Or, un an auparavant, dans À bientôt, j’espère, on l’avait vue taper
des tracts à la machine, en assistante de son mari syndicaliste ; c’était déjà pour
elle un acte militant. D’autres « premières fois » s’exposent dans ces prises de
parole féminines, comme celle des hôtesses de l’air qui manifestent en mai pour
revendiquer la suppression de leur mise à la retraite automatique et
discriminatoire à 40 ans, et pour la symétrie de statut entre femmes et hommes.
Au centre parisien des Chèques postaux, où les femmes sont majoritaires parmi
les salariés, elles sont environ un millier à occuper les bureaux. Elles s’affirment
encore dans la manifestation du 29 mai organisée devant leur lieu de travail par
les employées des Grands Magasins : bloquant les portes avec des chariots
amoncelés, elles forment leurs propres barricades. Leur lutte surprend par sa
détermination, alors que le personnel y est peu syndiqué ; mais les salaires y sont
très bas, les conditions de travail difficiles et « les rapports paternalistes ne sont
plus acceptés 35 ».
Leslie Kaplan décrit la rébellion de classe et de genre que représente pour
des ouvrières le fait de s’installer à l’intérieur de l’usine à l’arrêt, et l’étonnement
heureux que cette subversion suscite – même s’il s’agit d’y pratiquer ce que les
femmes sont censées savoir faire, tricoter comme, au temps de la Révolution
française, les femmes des assemblées :

des femmes avaient apporté des chaises


dans la cour
elles tricotaient
tu vois ça ?
des femmes assises sur des chaises
en train de tricoter
dans une cour d’usine
sous le grand ciel bleu et blanc
elles tricotaient
elles discutaient 36.

La photographe Dominique Cordier prend quelques clichés d’une


boulonnerie sur la rive gauche de Rouen, décrite par ses salarié(e)s comme une
« usine monstrueuse » tant les conditions de travail y sont rudes et dangereuses –
quelque temps auparavant, un travailleur algérien venait d’être happé dans une
machine et y avait laissé la vie. Sur ces clichés, une dame tricote paisiblement,
au premier plan 37. Les grèves féminines – Xavier Vigna a raison de le
souligner – constituent une « double effraction 38 ». Cesser le travail, rompre
avec le rythme de la machine, refuser l’ordre usinier et l’ordre établi est déjà en
soi une insoumission. L’insubordination s’avère d’autant plus détonante quand
elle émane de femmes, longtemps vouées à l’obéissance et à la docilité.
On mesure d’autant mieux à cette aune la force du cri poussé par la jeune
femme anonyme des usines Wonder à Saint-Ouen, celle qui le 10 juin refuse de
reprendre le travail. Elle se débat contre les appels au calme des syndicalistes
CGT et des responsables du PC, des hommes, qui l’entourent et lui assurent que
tout ira mieux maintenant. La jeune femme ne les entend pas – ou ne les croit
pas. Elle expose dans une explosion de colère toute la pénibilité du travail dans
cette entreprise où sont fabriquées des piles à base de charbon et de manganèse,
très corrosifs, et où l’on tue sa santé à petit feu.
L’Écho du Centre, 24 mai 1968 en « une » (Marbot-Bata à Neuvic-sur-l’Isle, Dordogne).

Non je rentrerai pas, non je retournerai pas là-d’dans. J’mettrais plus les
pieds dans cette taule. Rentrez-y vous allez voir quel bordel que c’est.
On est dégueulasses jusqu’à là, on est toutes noires. […] On n’a même
pas d’eau chaude pour se laver ! On est comme des charbonniers quand
on travaille là-d’dans 39 !

Cette femme combative et désespérée au moment de la reprise, dont il ne nous


reste que quelques images et un prénom – Jocelyne –, cette femme jamais
retrouvée est peut-être l’incarnation même de la rébellion.
« À Périgueux, bal gréviste chez Cotal », L’Écho du Centre, 30 mai 1968.

DEBOUT ! LE RETARD RELATIF DU FÉMINISME FRANÇAIS


De tels récits, dans leurs silences et leurs creux comme dans leurs
affirmations, disent tout à la fois la joie et la difficulté de s’exprimer comme
sujets. À vaste échelle, la parole des femmes en tant que femmes demeure rare
en 1968. Une exception toutefois est celle du groupe de travail « Féminin
masculin avenir ». Parmi ses animatrices figurent Jacqueline Feldman et Anne
Zelensky, que rejoint Christine Delphy. FMA, devenu « Féminisme, marxisme,
action » sous l’effet des événements et de leur radicalisation, organise le seul
meeting sur les femmes dans la Sorbonne occupée, le 6 juin, autour du thème
« Les femmes et la révolution » 40. Le FMA désigne avec une clarté implacable la
reconduction des fonctions sexuées à laquelle il s’agit de mettre fin :

Étudiant qui remets tout en question


Les rapports de l’élève au maître ;
As-tu pensé aussi à remettre en question
Les rapports de l’homme à la femme ?
Étudiante qui participes à la révolution,
Ne sois pas dupée une fois de plus,
Ne suis pas seulement les autres,
Définis tes propres revendications 41 !

La « Maternelle fraternelle », en cette même Sorbonne du printemps 1968,


aborde « une réflexion sur le genre et sur les rapports adultes-enfants ».
L’originalité de ces quelques expériences comme leur indéniable rareté
conduisent à signaler un certain « retard » français. Aux États-Unis comme aux
Pays-Bas et en RFA, des groupes de conscience non-mixtes sont les lieux
politiques où une parole féministe se libère. En Allemagne, ils apparaissent en
1967 et s’inspirent du Women’s Lib. L’histoire des féministes allemandes,
jusqu’alors passée sous silence, y est redécouverte. Des crèches alternatives
(Kinderläden) se mettent en place, tant la discrimination entre mères et pères
dans l’éducation des enfants est au centre des débats. À Berlin-Ouest, dans le
quartier de Charlottenburg, les membres de la communauté alternative
Kommune II travaillent joyeusement à articuler réflexion sur la vie privée et
engagement politique subversif. La « Commune » berlinoise met un point
d’honneur à éviter la division des fonctions et des droits selon l’âge ou le sexe, à
partager les tâches domestiques, à prôner l’abandon des assignations. Dans le
SDS même, des militantes telle Helke Sander invitent leurs camarades masculins
à se « libérer de leurs couilles bourgeoises » 42. Les attributs sexuels doivent
servir autrement qu’à imposer une domination sexuée.
La révolution a-t-elle un sexe ?

LE CORPS DU DÉLIT

Mais la sexualité est toujours sous contrainte ; c’est encore le domaine du


tabou et de la peur. Une autre oppression, imposante et tenaillante, frappe et
happe les récits : celle de la « virginité obligatoire avant le mariage », de
l’« avortement dans l’illégalité », de la « peur d’être enceinte » 43. Une terreur
même, à l’idée « des arrière-cours où l’on vous charcute à coups d’aiguilles à
tricoter et où on se chope une septicémie dont bien sûr l’on mourra, par
ignorance, faute de soins, faute d’avouer sa faute, faute même de reconnaître une
faute » ; « donc, chaque fois que j’atten[ds] mes règles dans l’angoisse, je
pens[e] : eh bien, si je suis enceinte, c’est simple, je me suiciderai », conclut
Sylvette Dupuis en racontant « son » 1968 et ce qui précédemment l’accablait 44.
« Trente ans après W. Reich, cet excellent éducateur de la jeunesse », les
étudiants continuent d’avoir « les comportements érotico-amoureux les plus
traditionnels, reproduisant les rapports généraux de la société de classes dans
leurs rapports intersexuels » 45. Le constat est établi en 1966 par les
situationnistes et Mustapha Khayati, l’auteur de la brochure brûlot et pamphlet :
la « misère en milieu étudiant » est entre autres sexuelle. Or, une chose est claire
pour les militant(e)s révolutionnaires : il ne saurait y avoir de « révolution
sexuelle » sans changement radical des structures sociales. On le voit à l’entame
de ce passage, Wilhelm Reich est l’un des auteurs phares alors redécouvert.
Selon le théoricien et militant communiste libertaire, la répression sexuelle
empêchait la lutte pour la révolution ; il fallait « résoudre le problème sexuel
d’une manière révolutionnaire ». Die Sexualität im Kulturkampf, publiée trente-
deux ans auparavant, est traduit en 1968 chez Plon sous le titre La Révolution
sexuelle. La conférence tenue à Nanterre par Boris Fraenkel sur l’œuvre de
Reich, au début de l’année 1968, compte d’ailleurs parmi les éléments
déclencheurs du 22-Mars, ses organisateurs ayant été réprimés par les autorités
de l’université 46. En mars encore, la philosophe Myriam Revault d’Allonnes y
propose une conférence sur la révolution sexuelle. Un cercle de lecture sur Reich
existe sur le campus tandis que circulent, sous le manteau, des exemplaires de La
Lutte sexuelle des jeunes dans certains lycées.
Il n’est pas question cependant de faire de Reich un nouveau dieu ni même
un maître. Ceux qui la diffusent en 1968 n’oublient pas que, par certains aspects,
l’œuvre reichienne trouve ses limites politiques autant qu’historiques. Il place
sur le même plan filles et garçons dans sa condamnation de la misère sexuelle
des jeunes, en omettant que la sexualité des filles est « autrement réprimée » que
celle des garçons : si donc Reich parle de sexualité, sa pensée est elle-même peu
sexuée. Mais c’est sur l’homosexualité que le bât reichien blesse. Il faut rappeler
les passages consacrés par Reich à ce qu’il juge être une « forme anormale du
développement sexuel », « une maladie lorsque les individus en souffrent ».
Certes, il ne s’agit pour lui ni de « condamner » ni de « punir » ; mais il s’agit
tout de même de « guérir » 47. À l’heure où il leur faut lutter contre la
catégorisation de l’homosexualité parmi les « désordres mentaux non
psychotiques » par l’American Psychiatric Association, contre sa classification
comme maladie mentale par l’Organisation mondiale de la santé en 1968 et, en
France, contre l’amendement Mirguet qui depuis 1960 la taxe de « fléau
social » 48, le lien tracé par Reich entre homosexualité et pathologie est
intolérable : « Ce qui est grave, écrit à regret l’intellectuel libertaire Daniel
Guérin, c’est de voir Reich se cramponner à une notion qui scientifiquement n’a
plus cours, celle des prétendues aberrations sexuelles 49. »

SANS ENTRAVES ?

À dire vrai, dans la France de 1968, même parmi ses franges les plus
contestataires, la sexualité est peu abordée. « Plus je fais la révolution, plus j’ai
envie de faire l’amour » : ce ne sont au fond que quelques mots, jetés sur un mur
de Mai. Il est certes encore bien d’autres slogans sur le sujet : l’incisif « Ne
faites pas comme chez vous, baisez ! » et le rêveur « Jouissons sans entraves ».
Mais il y a loin de la craie et de la peinture des murs, à l’encre de l’écriture
théorique et politique.
Plusieurs comités d’action, des comités lycéens en particulier, revendiquent
l’éducation sexuelle dans les programmes scolaires. « Il est ridicule de passer
plus de temps au développement du cheval qu’à la connaissance du
fonctionnement de notre organisme », expliquent les élèves du lycée Simone-
Weil à Saint-Étienne, qui demandent des conférences-débats avec la
participation de différentes familles d’esprit, religieuses, scientifiques et
politiques, afin de croiser les points de vue. Certain(e)s relaient la revendication
d’une contraception libre et gratuite, y compris pour les mineur(e)s et sans
ordonnance. Le CAL du lycée parisien Jacques-Decour est précis : introduction
de l’éducation sexuelle au niveau 1 comportant l’étude de l’anatomie puis de la
reproduction, enfin les méthodes de contraception. L’éducation sexuelle, conçue
comme une discipline nouvelle, permettrait d’éviter les refoulements nés de
l’ignorance 50. D’autres vilipendent le fantasme de « faire culminer la puissance
virile dans la défloration », disent le refus de « faire appel dans le lit conjugal à
la loi du “devoir conjugal” », autre façon d’imposer aux femmes des rapports
sexuels contraints. Le journal du lycée Pasteur de Neuilly-sur-Seine est très clair
sur le sujet : il faut se délester de toute honte, de toute idée de péché ou de
dégradation associée à la sexualité, de toute terreur. Comment peut-on encore
faire trembler les adolescents en leur laissant croire que la masturbation ferait
perdre de la moelle épinière ?… Le postulat s’accompagne de revendications
circonstanciées : abrogation de la loi de 1920 qui interdit l’avortement et des
réglementations qui font de l’adultère et de l’homosexualité des délits ;
amendements à la loi Neuwirth de l’année précédente : vente libre de
contraceptifs pour tou(te)s, y compris les mineur(e)s et sans ordonnance,
autorisation de la publicité pour les marques de contraceptifs. Le propos est
révolutionnaire – Reich est cité : « la lutte pour la solution de la question
sexuelle de la jeunesse est liée à la lutte pour le renversement du régime
capitaliste » – et anarchiste – « il s’agit toujours de libérer l’homme de tout Dieu
(morale, interdits sexuels) comme de tout maître (politique, révolution) ». Au
lycée Aristide-Briand de Saint-Nazaire, des inscriptions restent longtemps sur les
tableaux : « Liberté sexuelle », « Aimons-nous les uns sur les autres » 51.
Mais, en matière de sexualité, une parole libérée demeure exceptionnelle.
Signe de cette pudeur et de cette censure : les difficultés rencontrées par le
Comité d’action pédérastique révolutionnaire à la Sorbonne, « politiquement très
isolé ». Le comité d’occupation le rejette ; il compte finalement moins d’une
dizaine de membres et disparaît rapidement 52.

LA VÉRITÉ NUE DANS LA RUE

L’un des seuls lieux où s’élabore une pensée politique forte dans le domaine
du genre et des sexualités reste le comité d’action de Censier. Là se dit la volonté
de « détruire les tabous sur l’infériorité sexuelle de la femme », une
« infériorité » dont il s’agit de déconstruire et détruire les présupposés. S’y
récuse une « révolution sexuelle » apparue sous les seuls dehors d’« une mini-
jupe faisant l’amour avec une voiture de sport dans les pages publicitaires d’un
hebdomadaire gauche-de-luxe ». Les participant(e)s de ce comité, proches d’un
marxisme libertaire et de mouvances anarchistes, en appellent à un « réveil de
nos corps toujours enchaînés et meurtris ». Il y a lieu de briser les dichotomies,
« l’homme normal et l’homme pathologique ; le sain et le bizarre ; le viril et le
féminin ; le droit chemin et le chemin de traverse » :

Maturité, Virilité, Féminité, Maternité : ça ne veut rien dire. Ce sont des


notions idéologiques qui visent à notre intégration dans une société en
voie de désintégration. Ce sont des notions qui permettent de séparer
– les hommes des femmes,
– les doux des violents,
– les conquérants des méditants,
– les jeunes des adultes,
– les initiés des non-initiés.
Le comité alarme sur le fardeau des tabous, dont les femmes portent la plus
lourde part : la double morale sexuée et sexuelle est battue en brèche et in fine
taillée en pièces. La révolution sexuelle doit « TOUT » remettre en cause,
réveiller mais aussi révéler des corps jusqu’alors réduits à une « misère
fantomatique ». À dater de ce jour, il n’y a plus de « problèmes psycho-
sexuels » ; il n’y a que des problèmes politiques. La psychanalyse elle-même en
est ébréchée : si l’on « crie la vérité dans la rue », plus n’est besoin de la
chuchoter sur le divan. Il ne faut plus se laisser abuser par l’intimidante catégorie
de « minorités sexuelles » : à elles toutes, elles forment peut-être une majorité.
Au fond, ce que propose ce comité, c’est de mettre bas les masques, de « faire
parler tous les silences » et de « hurler les chuchotements » 53. Comme dans le
conte d’Andersen, tout passe par un dévoilement, exprimant que le roi est nu.


« L’adhérence aveugle au monde » : c’est en ces termes que Françoise
Héritier désigne la puissance des évidences supposées. Elle invite, pour contrer
la force de telles impositions, à « comprendre les raisons profondes de cette mise
en sujétion » 54. Parmi ces éléments figurent, bien sûr, les naturalisations des
assignations sexuées. La « nature » est si commode pour contourner les faits
sociaux et les inégalités. Comme l’écrit Maurice Godelier, « ces inégalités se
trouvent non seulement expliquées mais justifiées […]. Un ordre social
provisoire devient un ordre naturel incontournable 55 ». L’événement 1968
contribue à révéler ces mécanismes. L’ordre moral en est ébranlé, tout comme
l’ordre social. Les femmes jouent en ce domaine un rôle déterminant, même s’il
est encore réservé et prudent. Y a-t-il révolution sexuelle pour autant ? Si la
libération sexuelle est la « conquête des possibilités de vie sexuelle non
reproductive », qui bouleverse en profondeur les idées et les mœurs, si elle
réside bien « dans la politisation de la lutte contre les dispositifs de la répression
sexuelle » 56, alors elle s’amorce timidement, à pas feutrés et mesurés. 1968 n’est
pas l’orgie à laquelle, parfois, on l’associe ; l’événement est un spasme plutôt
qu’un orgasme. Le « jouissons sans entraves » ne demeure au fond qu’un slogan,
plutôt minoritaire dans le mouvement contestataire. Certes, tout n’est pas dit
dans les archives, des ébats mêlés aux combats, de l’effusion des corps qui se
mêlent bien plus encore à l’heure des luttes. Pour autant, le sujet n’est pas le
grand enjeu qu’on a souvent imaginé. C’est sans doute qu’« en Occident, on
prend le sexe trop au sérieux 57 » – 1968 n’échappe pas au constat. Mais la vague
d’insubordination s’accompagne d’une plus durable lame de fond : un esprit
critique des traditions et des institutions, une politisation de la sexualité qui met
le sujet sur le métier. Les normes perdent de leur assurance, de leur transparence
et de leur transcendance ; rendues visibles, elles deviennent « pensables –
discutables, critiquables, négociables 58 ». Leur hégémonie est affaiblie et c’est
un événement historique, à la mesure de ce moment : une fulgurance qui met le
temps en suspens.
CHAPITRE XI

Le temps ravivé

Conscience historique et temporalités

Quatre petites vignettes et trois protagonistes : deux messieurs bien mis font
face à un jeune homme paisible. Souriants et indulgents, les premiers s’adressent
au second : « Enfin, enfin la jeunesse se réveille », lui disent-ils, protecteurs ;
« Enfin, elle nous montre le chemin », « Braves petits ! » ; « Jeune homme,
l’avenir t’appartient ! », « Il est à toi ! », s’exclament-ils encore. Tout à coup
pourtant, les visages deviennent sévères et le ton menaçant : « Mais ne touche
pas au présent » et « Laisse le passé tranquille ! » 1. Le couperet est tombé et le
ton est donné : pour ceux que la contestation révulse, il ne sera pas dit que « la
jeunesse », symbole de l’avenir, devienne maîtresse du présent et conduise
l’ordre du temps.
Avec son humour coutumier, en un tournemain et quatre dessins, Wolinski
évoque ce temps politisé si propre à l’événement, mâtiné d’une concurrence
acharnée pour la maîtrise de l’histoire, celle du passé et celle qui se fait. Le
temps vécu n’a pas la neutralité des horloges : il est signifiant et porteur de
valeurs. Le sentiment du présent est éprouvé plus intensément ; la temporalité est
un enjeu de la lutte, dans l’expérience de l’urgence. L’événement est imprégné
de temporalités imbriquées, sédimentées et revivifiées.
L’historicité, comme sentiment du temps et conscience de l’histoire,
s’aiguise au gré de cette intensité : il faut répondre à l’appel du passé. À la façon
d’allées et venues dans le temps, 1968 est pétri d’histoire. Attraper au vol ce
surgissement transforme le passé et le présent : le passé n’existe jamais une fois
pour toutes ; il se métamorphose au gré de ce que l’on en fait ; tout passé qu’il
est, c’est un temps d’à-présent. Walter Benjamin parle d’une « constellation »,
rencontre sous la forme d’un choc, d’une collision, entre autrefois et
maintenant 2. Dans ce rendez-vous fugace, le déroulement du temps n’a rien
d’une chronologie linéaire et placide, dénuée d’aspérités ; il procède par sursauts
et enjambées.

Les tâtonnements de l’événement

TEMPS DE QUALITÉ

Un enseignant interroge des étudiants, au début de juin. Julien G., 27 ans, en


quatrième année de droit, raconte que « pour l’instant, il faut vivre au niveau de
la violence, au niveau des manifestations, il faut en rester à ce niveau primitif
pour prendre conscience de nous-mêmes, permettre en nous des idées qu’on
n’avait encore jamais eues, bloquées en nous quelque part ». C’est
« physiologiquement » qu’il ressent l’événement. Une initiation s’opère : le fait
d’être au milieu des autres, partageant le même moment, en forge les traits.
Certains affirment vivre une coupure qui sillonnera leur existence, comme une
lézarde entre leur passé et leur avenir tout tracé. Joël D., un étudiant de 20 ans en
lettres modernes à Censier, croit pouvoir confier : « Je suis un bourgeois en
puissance. Mon passé me rattache à la bourgeoisie et mon futur devrait consacrer
le fait que je suis bourgeois […] je me coupe de ce passé bourgeois et je conteste
l’avenir bourgeois qui me serait fatalement préparé » 3. L’éruption fait éclater,
dans la conscience que les protagonistes en ont du moins sur le moment, les
certitudes de leur destin singulier.
Ici apparaît un temps de qualité, tout en rapidité, en accélération ; un temps
du tout à coup et du sur-le-champ. Cette qualité du temps rappelle celle qui
passionnait Benjamin par son éclat soudain : un « temps vertical », « purement
intensif », perpendiculaire à la ligne du quotidien 4. Lors des « nuits des
barricades », des témoins rendent compte de ce rythme haletant : les
contestataires, écrit Philippe Labro, « apprennent, tout simplement, à la vitesse
d’un pavé qui se lance ou d’une grenade qui atterrit sur le trottoir, comment se
défendre, comment attaquer » ; « les batailles de rue, insiste aussi Alain
Touraine, s’apprennent plus rapidement qu’en suivant des cours d’état-major,
officiels ou révolutionnaires » 5. La retransmission en direct crée un « rapport
d’immédiateté 6 ». Le temps fait peau neuve. Cela ne va pas sans inquiéter : le
préfet du Puy-de-Dôme décrit l’opinion dans son département, « désorientée en
raison de la rapidité des événements 7 ».

UN TEMPS-MOUVEMENT

La temporalité apparaît condensée : Mai-Juin est un mouvement au sens


premier du mot, dans sa mobilité et sa labilité. Le 22-Mars en porte témoignage :
le nom que ses initiateurs se sont donné est un marqueur temporel
d’engagement. S’intituler « mouvement », c’est faire valoir une dynamique, un
empressement ; se nommer « 22-Mars », c’est prendre date, ouvrir l’avenir et
faire sédition dans le fil tranquille de la chronologie ; c’est aussi se référer à un
autre événement rendu contemporain, le « 26-Juillet » cubain – créé en 1953 par
Fidel Castro pour commémorer l’attaque de la caserne de la Moncada à Santiago
de Cuba.
Le mouvement est en perpétuel dépassement : le temps accéléré rend chaque
chose, à peine vécue, comme frappée d’obsolescence. Le 28 mai, les grévistes
des Beaux-Arts estiment que « l’occupation des locaux et les commissions sont
une forme d’action passée. Il faut trouver autre chose ». C’est le cas aussi des
commentaires portés sur les événements : « J’écris ces lignes le 3 juin, note le
proviseur d’un lycée de province. Je crois bon de les dater. Dans quinze jours
elles me paraîtront peut-être dépassées ou privées de sens. » La remarque vaut
pour la manière dont la presse de tous bords commente les débats à
l’Assemblée : Jean Daniel fustige leur « complaisance anachronique » comme
« le jeu à la fois truqué et dépassé du Parlement » ; Roland Cayrol stigmatise un
« formalisme désuet » et des « phrases sans rapport avec les problèmes posés par
l’actualité » ; même le journaliste du Figaro Marcel Gabilly s’offusque d’un
« débat inerte » – « déjà on le tient pour dépassé » – et de « partenaires
fossilisés » : « Tout aussitôt, on se fût cru en un autre temps, sous d’autres
cieux » 8. Une discordance des temps est ici révélée : ce désajustement rejette de
tels débats dans un hors-champ de l’actualité ; ils se montrent, au sens strict,
intempestifs.

LES EXIGENCES DE L’URGENCE

Cette perception du temps trouve son pendant dans l’exigence éperdue de


s’ajuster à l’accélération : la temporalité précipitée exacerbe le sentiment
d’urgence. Les protagonistes craignent toujours un revirement de situation. Dans
un texte diffusé le 20 mai, Cornelius Castoriadis s’en alarme : il y a « urgence »
à lancer un « mouvement révolutionnaire organisé », par la démocratie directe,
l’élection et la révocabilité permanente, la coordination et la circulation
incessante de l’information ; sinon, ce sera « le triomphe de la ligne commune à
Pompidou et à Séguy : que chacun reste à sa place ». Lorsque la FER propose de
mettre sur pied dans chaque entreprise un comité de grève élu par les assemblées
générales de grévistes, dans chaque ville des comités interprofessionnels
unitaires de grève et, au niveau national, un Comité central de grève, elle juge
que, dans le cas contraire, « la riposte du patronat sera terrible. Il ne pardonnera
pas aux ouvriers d’avoir ébranlé son insolente domination, de lui avoir fait
ravaler en quelques jours dix années d’affront ». Quand, fin mai, les étudiants en
lettres de Besançon se pressent de proposer des « formes d’organisation » et un
« programme » indépendants, c’est pour faire face aux « dangers extrêmement
pressants » que constituerait à leurs yeux une « réaction brutale » du pouvoir ou
une « opération de gauche » qui rétablirait la « légalité capitaliste ». Discutant
avec un délégué CGT de l’imprimerie Lang selon qui il faut « procéder par
étapes », des étudiants de la Sorbonne lui rétorquent : « C’est-à-dire laisser aux
patrons, au gaullisme, le temps de nous récupérer ? » 9. Le temps presse pour qui
redoute la récupération ou la répression.
Les organisations syndicales savent aussi l’importance politique du temps. À
Montbéliard, l’intersyndicale rappelle que les confédérations ont « demandé des
contacts dès mardi dernier [22 mai], que de temps perdu depuis ! » ; il y a
urgence à ce que « les discours cessent » au profit des « discussions sérieuses »
entre les représentants du patronat, des syndicats et de l’État ; « les usines sont
en ordre, elles sont prêtes à redémarrer ». Dans Le Nouvel Observateur, Jean
Daniel ne manque pas de le remarquer : « vite, très vite, le drame s’est
circonscrit à deux acteurs : de Gaulle et Séguy. Vite, très vite, ils ont dessiné leur
stratégie : maintenir leurs appareils, éviter de se laisser dépasser, conserver des
options traditionnelles ». L’anaphore fait voir une précipitation en miroir comme
enjeu de pouvoir. Des analystes à l’étranger s’interrogent sur la réaction
gaulliste : « Est-ce trop tard ? » se demande un journaliste de The Economist à
propos du discours du 30 mai ; cette riposte « a commencé une semaine voire
deux semaines trop tard », du moins « à la onzième heure » 10. Être à l’heure, en
ces circonstances, revêt une importance cruciale.
Il est des jours où l’on devine que l’histoire pourrait chavirer. Le 31 mai,
L’Est républicain titre « Grèves : la situation risque de s’aggraver » – le mot
« risque » dit déjà le sens d’un engagement. Et son auteur de relater un sentiment
fébrile, qui mêle suspense et anxiété : « Un proverbe arabe dit que “l’attente est
plus dure à supporter que le feu”. Dans les conversations hier, on sentait que
l’attente de la soirée était presque insupportable comme l’on notait sur les
visages une sorte de crispation. [On percevait que] l’avenir allait se jouer dans la
soirée. » L’historicité est là, dans la conscience du temps où tout se noue et tout
se joue.
Faire histoire. Au secours du présent

L’HISTOIRE COMMENTAIRE ET L’HISTOIRE REPÈRE

Cet ancrage dans le temps se pose d’emblée comme une inscription


historique, quand prédomine le sentiment que plus rien ne sera comme avant. Il
faut tout faire pour que « demain ne ressemble pas à hier », comme le formule à
Caen un tract de l’usine Jaeger. Syndicalisme, le magazine de la CFDT, titre le
10 juin : « Ouvriers étudiants. Le futur a déjà commencé » 11. Un renversement
fragmente l’impassible linéarité du continuum passé-présent-futur.
À un premier niveau de ces rendez-vous entre l’histoire et l’événement, on
trouve les commentateurs. Analystes et éditorialistes font souvent allusion à
l’histoire, clé de compréhension face à des événements qui les dépassent et
débordent de toutes parts. Devant l’absolu inconnu, le passé sert : il est avant
tout un repère, parfois pour atténuer l’étincelle de l’événement, le ramener à du
déjà-vu et rassurer les inquiets. Jamais peut-être on n’aura autant parlé d’histoire
à la radio et dans la presse. Tous les matins à 8 h 15 précises, les auditeurs de
RTL peuvent écouter les chroniques de Jean Ferniot, tout imprégnées
d’imaginaire historique. Le 14 mai, il commente la décision prise par Georges
Pompidou de rouvrir la Sorbonne : « On ne sait jamais comment les révolutions
commencent. En 1848, Louis-Philippe fut chassé par les pavés des rues et non
par la “campagne des banquets”. » Par un habile emboîtement des chronologies,
Ferniot laisse le champ des possibles ouvert. La référence au Front populaire
rapproche le passé convoqué : « La CGT et le parti communiste, mieux éveillés
qu’en 1936, s’efforcent de freiner le mouvement ou à tout le moins de le
contrôler. » L’allusion faite le 30 mai est plus cruelle encore, dans son cynisme
revendiqué : « il faudra “savoir terminer une grève”, comme le déclarait Maurice
Thorez en 1936. » Enfin, le 2 juin, le chroniqueur entraîne ses auditeurs dans une
frise chronologique endiablée : « en un mois à peine » s’est déroulé « à grande
vitesse le film de toutes les révolutions françaises – un peu de prise de la
Bastille, un peu des Trois Glorieuses, un peu de Quarante-Huit, un peu de
Commune, un peu de Front populaire, un peu de Libération », tandis que les
Français « de l’ordre » « se bouch[aient] les oreilles pour ne pas entendre la
rumeur lointaine de ce qu’ils croyaient être la vieille grande voix du faubourg
Saint-Antoine » 12. Ce détour par l’histoire n’a rien de décoratif ; il fait sentir
mieux que la description factuelle les enjeux politiques qui clivent la société.
Comme Jean Ferniot dans ses chroniques, Claude Imbert dresse pour
L’Express une sarabande d’événements qui traduisent la coexistence de temps
divergents. Par « un raccourci de continents et de siècles », la France serait
« chinoise dans les sous-sols de la Sorbonne, cubaine au Boul’ Mich’, russe dans
certaines usines, yougoslave dans d’autres, bleu-blanc-rouge sur les Champs-
Élysées », en une concurrence de passés rendus présents. Jean-Marie Domenach
rapproche des pratiques politiques par-delà l’abîme des temps historiques :
comme le pouvoir gaulliste vis-à-vis des étudiants, « déjà Louis XVI s’y était
trompé en croyant que les aristocrates ne se révolteraient pas » ; les marches vers
Paris ressemblent à la « tactique qui perdit les ouvriers de juin 1848 », lorsque
Cavaignac entreprit de « nettoyer les quartiers insurgés ». Domenach envisage
une histoire sédimentée et condensée, réincarnation symbolique du passé :
« Lamennais, descendu dans la rue pour rencontrer Karl Marx à Billancourt, y
trouvait Staline retranché derrière ses murailles. » Le précipité historique se fait
plus ironique dans Le Canard enchaîné : « Le général s’est enfui. – Où cela ? À
Varenne ? – Non, à Colombey. En vérité, il est allé plus loin. En Allemagne. À
Baden-Baden… Consulter le cousin Kolb. Ensuite de quoi les choses n’ont pas
traîné… Retour de l’île d’Elbe » 13. Le tressaillement de l’histoire indique une
ligne politique. Un éditorialiste britannique juge que, « comme Louis-Philippe
en 1848, le général de Gaulle a été surpris par la force du ressentiment à son
encontre 14 ». La détermination à parler d’histoire n’est pas, ou pas seulement, un
ornement journalistique : c’est un instrument stratégique.
La référence historique se révèle très prisée chez l’un des contempteurs les
plus véhéments de la contestation : le philosophe et éditorialiste Raymond Aron.
Il parsème ses commentaires d’allusions au passé et reconnaît son « goût
excessif des parallèles historiques ». Il l’exprime sans détour, assume de « jouer
Tocqueville », évoque 1848 mais pour mieux reproduire le dénigrement de
Proudhon : « On a fait une révolution sans idée. La nation française est une
nation de comédiens. » Aron le clarifie et explicite son mépris : « La crise de
mai ressemble dans son déroulement à la crise de 1848, avec un degré supérieur
d’absurdité. » L’éditorialiste du Figaro compare Louis-Philippe et de Gaulle
pour jauger ce qui a manqué au premier : l’équivalent historique d’un Massu
pour protéger les Tuileries et qui eût pu l’aider à s’assurer, par la peur, une
majorité 15. L’histoire est ici un point de rapprochement utile à disqualifier le
présent. Les allusions historiques viennent en renfort, face à l’incertitude
politique : devant l’inédit, utiliser l’analogie.

DONNER SUITE AU PASSÉ

Parmi les manières de mobiliser le passé, un tout autre registre consiste à


remonter aux sources pour y discerner des origines et des formes de
transmission. Lorsque, le 4 juin, le dirigeant communiste Jacques Duclos fustige
le drapeau noir comme celui « de l’anarchie et du deuil », aussitôt le journaliste
et essayiste Jean Lacouture lui consacre un article et fait revivre, en quelques
lignes, cet emblème brandi à Lyon par les canuts ou à Reims par les terrassiers
qui, en 1831, s’écriaient « Vivre en travaillant ou mourir en combattant ! » et
« De l’ouvrage ou la mort ! ». Il redonne vie aux paroles de Louise Michel :
« Plus de drapeau rouge mouillé du sang de nos soldats ! J’arbore le drapeau noir
portant le deuil de nos morts et de nos illusions ! » Il rappelle Makhno et la
Catalogne révolutionnaire 16. Cet hommage est une claire manière de contrer les
propos de Jacques Duclos : les morts y forment cortège, telles des ombres
anciennes, mais apparaissent dans la pleine force de leurs luttes. L’histoire alors
est l’évocation de combats et le rappel d’un tribut à léguer.
Elle peut être encore une mise en garde. Il suffit de citer les adversaires du
passé, en leur laissant dévoiler leur stratégie sans commentaire ni procès. Le
journal des comités d’action de Marseille reproduit un texte d’Adolphe Thiers au
titre explicite : « Comment mater une révolution ». L’ennemi acharné des
Communards y confie sa tactique pour discréditer un mouvement
révolutionnaire, l’affaiblir et in fine l’achever : « Je cherche ce qu’il faut faire
quand une révolution éclate, et qu’il s’agit de la maîtriser pour la ruiner. » Il faut
d’abord l’applaudir et la louer en vantant la générosité populaire ; puis introduire
le doute sur l’usage des armes, facteur de violences et de désordre, la sagesse
étant de les remettre à quelques personnes désignées ou quelques corps
constitués ; ensuite, une fois le peuple désarmé, insinuer que le mouvement est
infiltré par des forcenés ; enfin, appuyer tant et tant sur l’argument, « jusqu’à ce
que le peuple, aveuglé par tant d’accusations subites, finisse par croire qu’il a
échappé lui-même à un gouffre de scélératesse. C’est le moment de profiter de la
peur qui amène la stupeur, pour s’élancer hardiment en arrière, et mettre le frein
aux victorieux » 17. Il s’agit de faire parler le passé, assez éloquent pour en tirer
les conséquences, assez convaincant pour susciter la vigilance.
Mais plus encore, la référence à l’histoire s’impose dans la volonté d’une
suite donnée au passé. « La Révolution française a commencé », titre la FER le
24 mai 18 : pour l’organisation de jeunesse trotskiste, l’affirmer est déjà agir dans
et sur l’histoire. La formule n’est pas un pur constat ; elle procède aussi d’un
souhait, moins dette à l’égard des ancêtres qu’élan à reprendre leurs
engagements. Louis Aragon, lors d’un discours prononcé le 10 juin au meeting
du PCF, même s’il a de tout autres objectifs politiques et stratégiques que la
FER, partage dans une certaine mesure avec elle le sentiment d’un
prolongement. Il décrit de Gaulle en manipulateur autoritaire : « Il ne suffit pas
d’appeler République une monarchie de fait pour être cru de ceux dont les pères
ont renversé la Bastille 19. » Ici donc, pas de rupture des temps ; hommes et
femmes de jadis ne se sont pas évanouis dans la poussière et la terre, ce ne sont
pas même de lointains aïeux, mais des « pères ». Le passé semble se rapprocher.
Le sentiment de traverser des jours pleins et forts, riches de promesses,
fortifie l’intuition d’une histoire remise sur le métier, non pas seulement comme
passé, mais comme révolution vivante, dont le cours souterrain et enfoui resurgit
au présent. Pour les situationnistes, « cette prise de conscience est commencée :
au bout d’un mois nous nous retrouvons moins impuissants, moins aliénés parce
que nous commençons à objectiver nos aliénations. Nous le devons à la
Révolution, née dans “l’hexagone” en 1789, morte en Espagne en 1936, et qui
vient de se réincarner à Paris, alors que l’Europe, en dépit de ce qui se passe
ailleurs, n’y croyait plus 20 ». Des références venues de temporalités différentes
sont endossées, sans hiérarchie ni chronologie.

LA COMMUNE N’EST PAS MORTE

Comment donc renouer avec une histoire ancienne de sorte qu’elle ne soit
pas, malgré tout, passée – au sens d’achevée ? En 1968, nul évidemment n’a
vécu la Commune, dont le centenaire n’est pas loin ; pourtant, beaucoup s’en
sentent contemporains. « La Commune n’est pas morte » avait été un leitmotiv
dès ses lendemains, dans le mouvement ouvrier et révolutionnaire 21. Contre les
tentatives de l’enterrer dans les charniers de ses fusillés, les commémorations au
mur des Fédérés avaient permis depuis des décennies de maintenir son souvenir.
L’« éclair » de la rencontre entre passé et présent, intense et précaire, par essence
passagère, jaillit lorsque, comme le 10 mai, on entend ce cri : « C’est la revanche
de la Commune ! » Ou bien encore lorsqu’une femme, interrogée en direct,
confie : « Il y en a qui sont autour de moi et qui parlent de la Commune. »
« Vive la Commune », lit-on sur un mur de la Sorbonne : l’expression est bien
plus que rituelle et peut être comprise dans la pleine signification du mot
« vive » ; cette Commune exaltée est tout ensemble celle du passé et celle du
présent. « Renouer avec la Commune de Paris » est l’objectif que se fixent
notamment les militant(e)s du 22-Mars en visant l’occupation de l’hôtel de
ville 22.
« La Commune n’est pas morte » s’entend désormais au sens plein et entier :
il faut, pour celles et ceux qui se souviennent d’elle, lui rendre vie et l’incarner 23.
Les spectacles se multiplient à Paris. Des tracts annoncent pièces de théâtre et
représentations en plein air, du côté de Saint-Séverin, Ménilmontant ou Maubert.
Ces tracts émanent d’un regroupement, « La Commune vivante », qui appelle à
« venir revivre l’histoire de la Commune ». À la faculté des lettres de Saint-
Étienne, un film sur la Commune est projeté et la séance, ouverte aux
travailleurs en grève, est collectivement commentée. Le 24 juin encore, à la
faculté de médecine de Paris, une projection audiovisuelle sur la Commune est
proposée 24. Les soixante-cinq numéros en fac-similé du Cri du peuple sont
réédités.
La prégnance de la référence se comprend au regard d’une démocratie
directe et auto-organisée. Ce n’est pas un modèle reproductible à l’identique,
mais un rappel de ce à quoi des protagonistes aspirent – et de ce qui pourrait
advenir. La Base, bulletin des comités d’action enseignants, en rappelle
l’existence dans les sections de la Commune parisienne dès 1789, plus tard
dressées contre le pouvoir de la Convention. André Barjonet insiste sur la
tradition démocratique de ces sections, de la Révolution à 1871, que l’esprit de
Mai-Juin ressuscite selon lui. L’abolition du statut des étrangers est revendiquée,
et les mêmes droits pour toutes et tous : droits de grève, de manifestation et de
vote 25.
Cette manière de revivre l’événement passé au cœur du présent s’illustre
dans les noms donnés aux lieux et aux adversaires. À Marseille, des élèves
occupent le lycée Thiers, désormais selon eux « ex-lycée Thiers » : il devient le
« lycée de la Commune ». Après la manifestation du 30 mai, le terme de
« Versaillais » fleurit sur les tracts et dans les esprits. Dès le lendemain, sur une
palissade du boulevard Montmartre, une affiche éditée par la Coordination des
comités d’action appelle à rejeter « la dictature qui pèse sur Paris depuis que les
Versaillais écrasèrent la glorieuse Commune ». Le journal Action, qui chaque
jour restitue les débats et combats du mouvement, se montre amer dans l’article
qui s’y réfère : « Contre l’espoir d’une Commune, de Gaulle évoque la Semaine
sanglante et rapproche la légion de Paris. » Il renouvelle la référence une
semaine plus tard : « À l’heure des secousses, le capitalisme français se montre
le digne héritier des Versaillais qui assassinèrent les communards. » Finalement,
tandis que le premier tour des élections anticipées vient de donner une nette
majorité aux candidats du pouvoir, on peut y lire, le 25 juin : « Le vote des
rentiers a fait toutes les chambres réactionnaires depuis la Commune » 26.
Action fait d’ailleurs œuvre de collecte historique et rassemble les réactions
les plus hostiles à la Commune en son temps. Il les rapproche des « chiens de
garde » qui disqualifient les protagonistes de la contestation et dépolitisent leur
action, en la rabattant sur une frustration sociale. Action cite Maxime du Camp à
propos des Communards : « la question politique était le dernier de leurs soucis.
[…] Ce sont des petits-bourgeois déclassés » ; José-Maria de Héredia : « Nous
avons été la proie d’un soulèvement total de tous les déclassés, de tous les singes
d’Érostrate qui pullulent dans les bas-fonds des sociétés modernes, de tous les
paresseux pillards, de toutes les rodeuses de barrière, de la lie des prisons et des
bagnes » ; George Sand : « Ces hommes ont été mus par la haine et l’ambition
déçue » ; ou bien encore Edmond de Goncourt : « Enfin la saignée a été une
saignée à blanc… C’est vingt ans de repos que l’ancienne société a devant elle si
le pouvoir ose tout ce qu’il peut oser en ce moment » 27. Tous ceux et celles qui
ont haï la Commune, au point d’applaudir à son écrasement, sont comparés aux
ennemis du jour, ces nouveaux « Versaillais ». Le sociologue Alain Touraine
note dans une tribune publiée par Le Monde le 30 juin : « Le parti des Versaillais
n’a pas le droit de parler de réforme et de progrès 28. »
La Commune demeure référence vivante et puissante, durant et après les
événements. Quelques mois plus tard, André Glucksmann, qui avait pris part à la
rédaction du journal Action, évoquera cette histoire à la manière d’une source
qui s’était tarie et rejaillit : « Les “paroles oubliées” de Marx reviennent sur
toutes les lèvres en mai, il les avait cueillies sur celles expirantes de la
Commune, l’inspiration retourne à sa terre natale 29. »

RÉFÉRENCE HISTORIQUE ET RAISONNEMENT STRATÉGIQUE :


L’ÉCLAIR DU FRONT POPULAIRE

Le Front populaire est tout aussi présent dans les références de 1968, mais
différemment. Il fait écho aux événements en cours, d’abord parce qu’il n’est pas
d’un autre siècle : l’écart temporel se situe à échelle de vie humaine, et plusieurs
générations l’ont directement vécu. L’écrivaine Leslie Kaplan pourra parler d’

un vieux qui déclamait


à voix haute
dans la cour de l’usine
des tracts
qu’il avait gardés
de 36 30.

Les drapeaux rouges flottant sur le toit des usines rappellent à beaucoup un passé
encore frais. Dans certaines entreprises, les discussions sont parfois vives entre
les plus jeunes et « les plus âgés, notamment ceux qui ont connu les mouvements
de 1936 », rapporte une commission des luttes ouvrières à la SNECMA
d’Aubervilliers. Dans le mouvement du 22-Mars, la référence au Front populaire
est comme un dialogue noué entre présent et passé, une discussion un temps
suspendue et soudain revécue : « On a repris les choses là où elles avaient été le
plus loin en 1936 […] Comme quand on reprend une conversation là où on
l’avait laissée la veille, en cherchant à la dépasser » 31. C’est une façon de
célébrer des retrouvailles par-delà les années et d’assumer la discontinuité du
temps, ses bonds et ses élans.
Même si les contextes politiques diffèrent, les formes prises par les deux
mouvements peuvent être comparées : grève généralisée et entreprises occupées.
Cela explique que la date symbolique de 1936 passe pour une évidence ; sa seule
évocation suffit à réveiller des souvenirs de joie et d’unité. En réalité, la
référence au Front populaire est l’objet d’une bataille stratégique ; elle est en
cela un enjeu politique. Car les interprétations du Front populaire et la manière
dont il est cité divergent. Du côté de la CGT, c’est une « mémoire
enchanteresse 32 ». La confédération y renvoie pour donner confiance et conforter
la légitimité de sa ligne. Ainsi la présence de Benoît Frachon aux négociations
de Grenelle est-elle une manière de faire écho aux accords Matignon où il était
déjà présent ; néanmoins, le pouvoir avec qui il faut négocier cette fois n’est plus
ami mais adversaire. À Grenelle comme à Matignon, l’objectif est le même :
permettre la reprise du travail à très court terme. Pour la CGT, le bilan doit être
mesuré à l’aune de ce qui s’était passé trente-deux ans plus tôt. Le syndicat CGT
chez Renault insiste sur un succès comparable aux acquis de 1936, malgré des
conditions bien plus défavorables. « Pour la classe ouvrière, le bilan 1968 sort de
l’ordinaire, et il faut remonter loin dans le temps pour pouvoir trouver
l’équivalent » : au Front populaire, justement 33.

Agir pour vivre, journal des syndicalistes prolétariens CGT de Renault-Cléon, no 1, 24 juin.

Au contraire, un certain nombre de forces politiques engagées dans la


contestation, méfiantes à l’égard des dirigeants de la CGT, se réfère durant tout
le mouvement au Front populaire pour mettre en garde sur d’éventuelles
conséquences similaires. Certains comités d’action exposent surtout la façon
dont, avec l’inflation, les acquis salariaux arrachés en 1936 avaient été
rapidement balayés. À Bouguenais, l’appel des ouvriers de Sud-Aviation, sans
doute à l’initiative d’Yvon Rocton, annonce sa détermination à ne pas « être
dupes » : « Après juin 1936, les conquêtes ouvrières ont été reprises en moins de
deux ans par la bourgeoisie. » À Besançon, le comité d’action de la faculté
estime que « les patrons ont accordé les 40 heures en 1936, mais ils ont vite
repris ce qu’ils avaient cédé ». La CNT invite elle aussi les travailleurs à « ne
pas répéter les mêmes erreurs » ; « ne nous laissons pas acculer, comme en 1936,
à la reprise de la production au bénéfice des Patrons ». « Attention ! » s’alarme
enfin le journal Action : certes les avantages obtenus en 1936 ne sont pas
négligeables, loin s’en faut ; mais « le Front Populaire montre à l’évidence
comment s’enlise le mouvement des masses dans le marais parlementaire » 34. Le
passé se prolonge dans le présent mais il ne faut pas qu’il se répète : l’histoire ici
sert de leçon.

LA GUERRE RECOMMENCÉE ?

Il y a là un effet de situation historique et de génération : malgré ses limites,


le Front populaire marque une période heureuse, trop tôt brisée par les reculs,
l’écrasement puis la guerre. On ne s’étonnera pas de l’importance qu’a le second
conflit mondial dans les références lancinantes qui parcourent 1968. « La guerre
a fixé des paradigmes de la dureté, de la violence ou de la lâcheté 35. » Elle
demeure un traumatisme, tout à la fois totem et tabou. Si en 1968 l’un des
déclencheurs des événements, en tout cas dans l’univers étudiant, est
l’intervention militaire états-unienne au Vietnam, la protestation qu’elle génère
se décline en référence systématique à cette autre guerre, encore prégnante,
encore brûlante, même pour les jeunes gens qui ne l’ont pas vécue. En
février 1968, certaines organisations évoquent un « crime gigantesque contre
l’humanité » : « C’est plus que l’anéantissement de Varsovie par l’armée
allemande ; cela n’a comme différence avec Oradour que la démesure. » Les
soutiens aux États-Unis sont le plus souvent nommés « Kollabos », tandis que
s’associent, en creuset des deux références, les termes de « nazis » et de
« Yankees » 36. Pour les CVB, il y a bien une interférence entre les deux
moments, dont l’un prolonge l’autre par-delà le temps :
Les collabos de 1940 […] ont trouvé, comme l’écrit le vichyssois
Rebatet dans Rivarol, « un nouveau soldat de l’Occident » dans les
États-Unis. Ainsi, ceux qui applaudissaient le 21 février 1944 à
l’exécution du groupe de résistants FTP des travailleurs immigrés sont
aujourd’hui les plus fidèles soutiens des nouveaux nazis, les
impérialistes américains 37.

Tout se passe comme si les morts étaient présents ; ils hantent l’histoire des
vivants. C’est pourquoi les organisations opposées à la guerre du Vietnam, en
dépit de leurs divergences, font du 21 février une date essentielle : non pas
seulement pour commémorer, mais bien plus encore pour faire vivre le combat
des résistants, en l’occurrence le « groupe Manouchian ».
Dès que débutent les tensions violentes avec la police, la référence à la
Seconde Guerre mondiale et à la Résistance s’infiltre dans les consciences. Le
3 mai, lorsque des policiers envahissent la cour de la Sorbonne, la comparaison
qui s’impose est celle, employée aussitôt par l’UNEF, de « l’odieux régime de
Pétain ». Le rôle du général de Gaulle apparaît comme retourné. Un tract
anonyme qui circule dans les rues de Paris, signé d’une « ex-gaulliste enragée »,
indique ce ressentiment : « De Gaulle a été le chef de la France libre. C’est de
lui, aujourd’hui, que la France doit se libérer. Il a eu autrefois la gloire d’être le
“désordre”, la légitime révolte contre un vieillard qu’il qualifia de sénile et qui
voulait, lui aussi, “sauver la France” dans une certaine légalité » 38.
Un épisode survenu à Strasbourg dans la nuit du 22 mai est révélateur de
cette référence au passé. Sur le socle du monument aux morts, une inscription a
été peinte en rouge : « Révolution ». Le secrétaire d’État à l’Intérieur et
conseiller municipal de Strasbourg, André Bord, en saisit l’occasion pour faire
surgir dans les mémoires le lourd tribut des années noires et compare cette
inscription aux dégradations nazies : « Dans notre province, nous savons que les
nazis ont agi de la même manière en détruisant les monuments du souvenir et en
remplaçant le drapeau tricolore par un chiffon à croix gammée 39. » À leur tour,
les étudiants mobilisés de Strasbourg entendent contrer l’argument ; ils
soupçonnent le CDR d’être à l’origine de la dégradation pour discréditer le
mouvement :

Les malhonnêtes qui composent le « comité de défense de la


République » nous ont déjà accusés d’être « les mêmes qui conduisirent
la France à la défaite de juin 40 ». Leurs méthodes en cette affaire ne
rappelle-t-elle pas étrangement la politique hitlérienne qui consiste à
enflammer le Reichstag et à profiter de l’émotion du peuple pour
instaurer le régime que vous savez.
Strasbourgeois, ne vous laissez pas manœuvrer par les nazis.

L’Union des étudiants communistes réagit avec la même indignation et se


proclame successeur des résistants : « jamais les étudiants communistes
descendants de Georges Wodli, Jean Burger […] ne souilleront un Monument
sacré » 40.
On mesure combien la référence est puissante. Mais elle l’est tout autant du
côté de l’opposition à la contestation. Pour les anciens de la division Leclerc, « il
ne s’agit plus aujourd’hui de nazisme, mais d’un autre fléau, la menace de la
guerre civile entraînée par le processus révolutionnaire et anarchiste de
quelques-uns » ; ils « adjurent » les Français de « rester fidèles à la pensée du
général Leclerc » en opérant « des réformes dans le calme » : « Avec l’aide de la
Résistance ils ont su libérer un Paris intact. Ils ne sauraient admettre que des
irresponsables détruisent Paris. » À Caen, le CDR diffuse ce papillon : « 18 juin
1940 : La France avait sombré dans l’abîme et la servitude. Les Français furent
appelés à s’unir pour la reconquête de leurs libertés. 18 juin 1968 : De nouveau,
nos libertés sont menacées. » À Dijon, les jeunes du CDR interpellent les
étudiants : « Le 11 novembre, vos aînés manifestaient à l’Arc de Triomphe et les
Allemands les fusillaient. En 1968, des agitateurs étrangers insultent la France »,
« Ce n’est pas votre lutte, montrez-le ! » À la Sorbonne, un professeur de grec
met lui aussi sur le même plan les anciens occupants et les étudiants : « Les
Allemands ont occupé Paris, je n’ai pas collaboré ; les étudiants occupent la
Sorbonne, je ne collabore pas » 41. Le passé subsiste dans la mesure où il dicte
des attitudes et édicte des principes. Celles et ceux qui ont vécu les affres de la
guerre ont le sentiment de la revivre différemment et de devoir être à sa hauteur.
L’histoire ne se répète pas, mais le passé rejaillit parce qu’il est transmis : les
engagements sont réactivés, actualisés, rendus présents.

L’ALGÉRIE OU L’IMPOSSIBLE OUBLI

La guerre d’Algérie apparaît elle aussi dans la force d’un jaillissement. En


réalité, ce n’est pas la référence à l’Algérie ni au conflit militaire qui est
mobilisée : il y a là un silence, un passé oublié. La guerre se rappelle au présent
dans les souvenirs traumatisants des manifestations réprimées. Mais pas toutes,
de surcroît : le massacre des Algériens à Paris, le 17 octobre 1961, n’est jamais
évoqué. La mémoire est ici plus sélective que jamais.
On le voit à la manière dont « Charonne » est brandi comme un cri. Au cœur
d’épisodes de violence, citer le massacre du 8 février 1962 apparaît comme une
évidence. Ce cri, on l’entend le 3 mai lors des premières graves échauffourées
avec les policiers : « Ils viennent de Charonne et ils vont recommencer ! » Des
comités d’action fustigent le ministre de l’Intérieur, dépeint comme « chef des
indics, assassin de Charonne, patron des briseurs de grève ». Les CAL lancent le
3 mai un appel à la « mobilisation générale » avec pour slogan : « Assez de
Charonne, non à la dictature. » Le 8, à Marseille, plusieurs syndicats évoquent
un « Charonne à Paris ». Après les violences de la nuit du 10 au 11 mai, une
section locale de la CGT assure que « le Pouvoir, comme à Charonne, a montré
une fois de plus son vrai visage : la répression », tandis que le SNESup, parlant
de « gaz de guerre », affirme : « Maintenant c’est clair. Nous sommes les
cobayes pour les expériences d’une police sadique qui a déjà Charonne et les
tortures d’Algérie à son actif. » En Vendée, on l’a dit, après la manifestation
progaulliste en faveur des « libertés », la CFDT locale rétorque aux
manifestants : « Où étiez-vous après le massacre du métro Charonne pour
défendre la liberté d’expression ? » 42. La guerre d’Algérie n’a pas seulement
marqué les esprits ; elle a meurtri les corps ; son souvenir donne vie aux morts.
Les massacrés de Charonne ne sont pas oubliés. Plus encore, leur mémoire est
une arme contre le pouvoir et les policiers.
Mais la guerre revient autrement encore dans les esprits, par des éléments de
langage devenus familiers. Dans certaines usines occupées, les anciens soldats
du contingent prouvent la « spécificité de cette génération ouvrière » : le terme
« patrouiller » désigne la surveillance des machines ; la critique du travail en
usine rappelle celle de la caserne. Dans la Meuse, le directeur du centre
d’orientation professionnelle de Bar-le-Duc et secrétaire général de la
Convention des institutions républicaines, Victor Cusseau, militant bien connu
des Renseignements généraux, s’élève contre les brutalités policières provoquées
selon lui par la nostalgie des « ratonnades d’Alger ». Les traumatismes
reviennent en force dans les transpositions sémantiques : le 22-Mars évoque par
trois fois les « ratonnades » de Flins. Et quand les organisations d’extrême
gauche sont dissoutes le 12 juin, Jean-Paul Sartre y perçoit une réminiscence de
la répression qui s’était abattue, huit ans auparavant, sur les signataires du
« Manifeste des 121 » 43.
Ces appropriations de l’histoire n’ont « rien à voir avec les simples masques
mortuaires des choses du passé » ; elles engendrent une « conscience de soi et
une intelligence de soi-même » ; le « présent de l’histoire » permet l’« histoire
au présent » 44. S’il est révolu, le passé n’est pas résolu, car on ne se résout pas à
le laisser passer tout à fait ; il livre des clés qui sont autant de pratiques actives et
effectives.

Clôture du temps ou commencement ?

FERMER LE BAN, FERMER LE TEMPS


La conscience historique des acteurs réside enfin dans leur sensibilité aux
ruptures qui déterminent le futur, dans ses divers degrés de proximité. Décrire
ces moments est aussi une manière de les faire advenir, surtout lorsqu’on les
désire. Quand, le 1er juin, L’Est républicain titre « Nous voici sur l’autre versant
du conflit », il contribue à faire basculer l’événement, pour en finir. S’il reprend
une formule avancée par le préfet de Lorraine Pierre Dupuch, le choix d’un tel
titre a une portée politique. Le lendemain, Jean Ferniot de son côté prend acte du
fait que « la révolution est morte 45 ». La direction de la CFDT parle, deux jours
plus tard, du « mouvement de mai 1968 », ce qui « revient à déclarer sa fin 46 ».
Le même jour, Raymond Aron signe dans Le Figaro un article intitulé « Après la
tempête » : l’essentiel, donc, serait passé ; il ne resterait plus qu’à « comprendre
cet épisode de l’histoire de France, le plus étrange d’une histoire riche en
épisodes étranges ».
On voit bien quel performatif politique réside dans une telle fermeture du
temps, alors que les « épisodes », « étranges » ou non, se poursuivent tout au
long du mois de juin. Les comités d’action entament une campagne de « contre-
intoxication » et contestent les informations relatives aux reprises du travail. À
Paris, le comité d’action du 13e arrondissement affiche sur des panneaux publics
les titres de presse qui tous convergent dans le même sens : « Signes de détente »
pour L’Aurore, « Vers la détente » pour Paris Jour, « La France se remet au
travail » pour Le Parisien 47. Comme s’il n’arrivait plus rien en juin. Pourtant, on
le sait, la violence y connaît son acmé, avec les durs affrontements de Flins et la
mort de Gilles Tautin le 10 juin, celles de Pierre Beylot et de Henri Blanchet à
Sochaux le lendemain, la troisième « nuit des barricades » entre le 11 et le 12,
plus tard le décès de Marc Lanvin. « L’ordre règne », écrit le 22-Mars après la
répression de Flins : l’expression fait écho aussi bien à celle de Marx dans Les
Luttes de classes en France pour décrire l’après-juin 1848 qu’à celle de Rosa
Luxemburg – « l’ordre règne à Berlin » – en janvier 1919.
Lorsque, le 12 juin, les organisations d’extrême gauche sont dissoutes par
décret, certains ont recours à l’histoire pour démontrer le contre-sens politique et
historique que représente à leurs yeux cette répression. Une motion, votée à la
faculté des lettres de Caen, « s’élève vivement » contre cette décision : « la loi
du 10 janvier 1936 qui a servi de prétexte à une telle mesure visait les groupes
fascistes constitués en milices et à l’heure actuelle le groupe Occident peut
toujours exercer pleinement ses activités ». Lorsque la Sorbonne est évacuée et
fermée par la police le 16 juin, certains commentateurs favorables au
mouvement étudiant y voient un triste « retour des bâtons », ceux du passé
immédiat – « les acteurs réunis de l’affaire Ben Barka » – et ceux de la longue
contre-révolution. D’autres fustigent les découpages électoraux ; une fois de plus
surgit le spectre contre-révolutionnaire : « on découpe le territoire de telle
manière que la voix du chouan le plus “béni oui oui” vaille celle de dix
ouvriers ». L’Ancien Régime et l’armée de Thiers marchent alors confondus : le
24 juin, au soir du premier tour, Marc Kravetz évoque la « joie toute
versaillaise » des vainqueurs 48.

L’AVENIR DURE LONGTEMPS

En basculant dans l’étrangeté sous la plume des décideurs et de certains


commentateurs, l’événement ne semble plus avoir d’autre avenir que celui de
l’histoire ; il s’agit de le refermer comme présent efficient pour le faire sombrer
dans le passé et déminer son potentiel subversif voire explosif.
L’enjeu converge dans les élections en cours de préparation. Pour Raymond
Aron, le gouvernement peut compter sur le Parti communiste français, qui « n’a
pas trompé cette confiance. Dans l’heure qui a suivi l’allocution du président de
la République [le 30 mai], il a désamorcé la bombe et consenti à des élections
qu’il n’a guère l’espoir de gagner ». Ici prend place un tournant, qui engage une
politique du temps. « Il y a des moments où il faut savoir lutter contre le
courant », se justifiera Waldeck Rochet en juillet. René Andrieu stigmatisera le
« caractère anachronique » des barricades ; il y verra une discordance des temps.
Un autre dirigeant du PCF, Guy Besse, critiquera la « volonté de prouver demain
contre aujourd’hui », « ce rêve parfois d’enjamber le temps » spécifique des
« gauchistes ». Sur le moment, bien des acteurs ne s’y sont pas trompés. « Ouf »,
lance un Robert Tréno plus caustique que jamais dans le Canard enchaîné : le
Parti communiste « préparait la révolution comme une chose sérieuse, selon un
plan à longue échéance » ; il n’allait pas, « sur une simple injonction de
l’histoire, modifier un planning parfaitement au point » 49.
Plus tard, les militant(e)s de la JCR estimeront que « les élections ont été
perdues à la fin du mois de mai lorsque le PCF les a acceptées au lieu de
continuer et de durcir la grève ». Pour autant, l’avenir n’est pas fermé : le passé
peut en témoigner. « En 1936, le mouvement calmé par les congés payés avait
connu une nouvelle flambée en septembre ; la perspective d’un rebondissement
est aujourd’hui possible. » « Élections trahisons, diront certains comités
d’action, trahison des temps nouveaux […] élections pièges à con, piège de
l’ancienne vie, survivance du lointain avant-mai, de l’avril prépolitique » 50. Mai-
Juin apparaît dès ce moment comme une ouverture sur d’autres possibles mais
porte déjà leur disparition.


« Ce qui est arrivé aux êtres humains qui sont tombés, aucun avenir ne peut
le réparer. […] Au milieu de cette immense indifférence seule la conscience
humaine peut devenir le haut lieu où l’injustice peut être abolie, la seule instance
qui ne se satisfait pas de cela 51. » Comme Walter Benjamin avec qui il était en
dialogue serré, Max Horkheimer pensait que le passé pouvait être sauvé. La
conscience historique, ce que l’on pourrait nommer l’historicité, une manière
assumée d’être dans le temps, pouvait à ses yeux défier les injustices subies et
reprendre les luttes de jadis pour les vivre au présent. En 1968, l’histoire ne
donne pas seulement l’impression de défiler sous les yeux des commentateurs à
la manière d’une chronique telle qu’Alain Schnapp et Pierre Vidal-Naquet l’ont
décrite : « Tel lycée de la région parisienne a connu successivement, en moins
d’une semaine, l’explosion libérale de 1789, l’atmosphère raréfiée de 1793 et la
réaction thermidorienne 52. » Au-delà de l’analogie, c’est bien davantage de
références au sens fort qu’il s’agit, façons de ressusciter le passé en s’en
emparant pour en faire un ressort de l’action et un moteur de l’événement. On
comprend que, dans ces sauts à travers le temps, la temporalité ait été elle-même
transformée. Il semble qu’elle se soit en effet approchée d’un temps vraiment
plein, rempli, temps intensif et ouvert, contre le temps homogène, mécanique et
linéaire des régularités chronologiques.
QUATRIÈME PARTIE

CHANGER LA VIE
PROJETS ET FUTURS
IMAGINÉS
CHAPITRE XII

Demander le possible

Pratiques de la critique et imagination


politique

« Arrêtez le monde, je veux descendre » : c’est un autre mot du printemps,


entre sentiment d’un temps qui s’accélère et désir de suspens pour s’en extraire.
La course folle à la nouveauté empêche trop souvent de penser ; au contraire, la
grève offre de se poser pour agir et pour réfléchir. « Ayez des idées », lit-on sur
un mur de Mai. Saisir ce que ce monde a de meilleur et attraper sa part de
bonheur revient à l’imaginer autrement. Espoirs de lendemain et de bien
commun : il est beaucoup question de la vie, simplement, tant la volonté semble
grande de la réapprendre, comme s’il s’agissait de la retrouver après l’avoir
perdue en chemin.
On connaît la formule érigée en résumé, sur le moment comme plus tard :
« L’imagination au pouvoir ». Le 20 mai, Jean-Paul Sartre se fait l’intervieweur
de Daniel Cohn-Bendit pour Le Nouvel Observateur. C’est en soi un
renversement : le philosophe célèbre dans le monde entier, celui qui fait
profession de penser, se met en position d’interroger et d’écouter. Sa conclusion
évoque la capacité d’invention forgée au gré de ces journées :
Ce qu’il y a d’intéressant dans votre action, c’est qu’elle met
l’imagination au pouvoir. Vous avez une imagination limitée comme
tout le monde, mais vous avez beaucoup plus d’idées que vos aînés.
Nous, nous avons été faits de telle sorte que nous avons une idée précise
de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas. Un professeur dira :
« Supprimer les examens ? Jamais. On peut les aménager, mais pas les
supprimer ! » Pourquoi ? Parce qu’il a passé des examens pendant la
moitié de sa vie. La classe ouvrière a souvent imaginé de nouveaux
moyens de lutte, mais toujours en fonction de la situation précise dans
laquelle elle se trouvait. En 1936, elle a inventé l’occupation d’usines
parce que c’était la seule arme qu’elle avait pour consolider et pour
exploiter une victoire électorale. Vous, vous avez une imagination
beaucoup plus riche, et les formules qu’on lit sur les murs de la
Sorbonne le prouvent. Quelque chose est sorti de vous, qui étonne, qui
bouscule, qui renie tout ce qui a fait de notre société ce qu’elle est
aujourd’hui. C’est ce que j’appellerai l’extension du champ des
possibles. N’y renoncez pas.

« L’imagination au pouvoir » devient plus que le titre de l’entretien : un


condensé de ce qui advient.
La force des sentences bien frappées a son importance ; mais y réduire 68 en
laisserait échapper le sens, tout comme la complexité. L’événement n’est pas
logé dans ses slogans. Ce qui importe, ce sont bien plutôt les raisons qui en ont
fait un air du temps. L’imagination est une ressource essentielle du répertoire
d’action, une intelligence collective aux multiples déclinaisons. On peut la voir
comme une pratique, manière d’agir en milieu social qui mobilise la réflexion et
des formes de vie situées 1. La démarche est pragmatique : elle souhaite montrer
comment les protagonistes se placent en situation de critiques, proposent des
interprétations du monde et enquêtent sur les moyens de le changer, par
l’activation du sens de la justice sociale et d’une attente morale – non pas
moralisatrice mais éthique 2. Cette « compétence critique 3 » est elle-même
activée et favorisée par l’événement. Le politique y rencontre le quotidien :
l’imagination contestataire part de ce qui est journalier et familier, qu’il s’agisse
des lieux de vie, des quartiers ou des métiers, pour les penser différemment.

Les choses de la vie

L’ENFANCE DE L’ART

« Réinventer la vie », comme on le dit dans l’Odéon occupé, suppose que


l’art soit le quotidien et l’artiste, tout un chacun. « Les rues sont nos pinceaux,
les places sont nos palettes », avait dit Maïakovski ; l’événement s’accorde à ce
désir : l’atelier est en plein air et la rue est son univers. On reconnaît là le grand
souhait de briser avec la division sociale du travail : l’art ne doit plus être un
monde à part, séparé du tout-venant par le tranchant des cloisonnements. La
création révolutionnaire est pensée comme une mise en partage où se révèlent les
talents restés à l’état latent, par tous, pour tous et à tout âge. À Caen comme à
Paris, des affiches au formidable succès, travail collectif sans « vedettes »,
indiquent ce que pourrait être un art populaire. Le créateur ne saurait être un
solitaire : dans les écoles d’art mobilisées, d’Amiens à Marseille et de
Strasbourg à Montpellier, l’anonymat garantit la dimension collective de la
pratique subversive. « Partout la signature est bannie. » On y nourrit « le vieux
projet surréaliste de réconcilier l’art et la vie » 4. Au lycée Claude-Fauriel de
Saint-Étienne, les élèves insistent sur la nécessité que l’art ne soit plus « un
luxe », que les artistes cessent d’apparaître comme les « parents des dieux » ou
des « statues sur leur socle » : plutôt qu’une « espèce de merveille pondue toute
chaude du septième ciel et qu’on s’empresse de mettre vivement sous verre dans
une salle de musée où elle est présentée à tous, pour un franc, comme un objet
d’adoration », mieux vaut que l’art devienne matière vivante, résultat d’un
travail artisan 5.
C’est là chercher une forme de pureté où la beauté serait « dans la rue », où
rien ne serait incongru. L’art cesserait de se proclamer : il s’appuierait sur
l’innocence de son évidence. Tels les peintures rupestres, les premières statues
grecques ou les masques d’Afrique noire, « l’œuvre d’art se fait en ignorant
qu’elle est une œuvre d’art », comme on le dit aux Beaux-Arts de Rennes. L’art
ainsi pensé ne saurait être enseigné : on peut bien apprendre des techniques – la
tapisserie, la fresque, la céramique… –, on ne peut apprendre la beauté ; à cette
aune, on ne peut pas davantage la juger. À l’École des beaux-arts à Paris, la
commission des peintres et sculpteurs propose à l’assemblée générale réunie le
17 mai une motion déniant la légitimité de porter un jugement de valeur sur une
œuvre quel qu’en soit l’auteur ; elle est adoptée à l’unanimité 6.
Le 21 mai, à Paris, l’assemblée générale organisée par le Syndicat français
des artistes, réunie au théâtre de la Porte-Saint-Martin, vote la grève à une large
majorité. Certains comédiens s’y refusent néanmoins, tels Alain Delon et
Jacques Dacqmine (qui dirige la fédération Force ouvrière du spectacle) : tous
deux appellent à la reprise du travail et proposent de verser leurs cachets aux
familles de grévistes. À Villeurbanne, entre le 21 mai et le 11 juin, se réunissent
les directeurs de théâtres et d’institutions culturelles sous l’égide de Roger
Planchon, pour un véritable « rendez-vous contestataire » qu’Antoine
de Baecque compare à une « longue nuit du 4 Août ». La Déclaration adoptée le
25 récuse la culture « héréditaire, particulariste, bourgeoise ». Il s’agit de ne plus
la définir seulement comme un patrimoine d’œuvres artistiques, mais comme
pratique sociale et politique. Le syndicat CGT des techniciens du film s’allie au
Comité révolutionnaire cinéma et télévision et appelle à une grève générale
illimitée. Au soir du 17 mai, plus d’un millier de personnes se réunissent pour
inaugurer les états généraux du cinéma. Les tournages sont interrompus et le
Festival de Cannes, annulé 7. Certaines salles de quartier proposent de braver la
censure et, ce faisant, de la révéler. Le cinéma L’Arc-en-Ciel à Paris présente
ainsi chaque soir un film interdit, dont La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo.
Cette prise de risque se formule en quelques mots : « la censure n’existe que
parce que des gens en acceptent le principe ». Le comité d’action « Cinéma », à
la faculté de Censier, imagine un grand service public de l’audiovisuel
indépendant du pouvoir et de l’État, fondé sur « la possibilité pour tous de
devenir professionnel ». Financé par une contribution minime des spectateurs
qui deviendraient producteurs, il faciliterait la création : le coût moyen d’un film
serait calculé chaque année ; tout budget inférieur ou égal serait accepté ; tout
budget supérieur serait discuté par une commission composée de travailleurs et
de spectateurs. Dans le même mouvement, une quasi-égalité des salaires est
prônée, pour éviter l’abîme entre vedettes et techniciens 8.
On connaît moins l’entrée en scène de secteurs jusque-là peu critiques, que
l’événement pousse à penser un renouvellement des pratiques. Le milieu de la
danse est un exemple singulier : sans tradition de mobilisation, éloigné du
monde ouvrier, réputé pour être déconnecté de la société. Pourtant, à compter du
18 mai, un Comité d’action de la danse se réunit chaque jour au Petit-Odéon et
tient, le 2 juin, une assemblée générale à la Sorbonne en présence de
200 danseuses et danseurs, dont beaucoup travaillent à l’Opéra de Paris. On le
voit s’interroger sur ses possibilités d’action : un chemin se cherche, où se
frayer. Les séparations sont une nouvelle fois pointées du doigt : d’un côté, la
danse est « coupée de la société » parce qu’en raison de son isolement « le
danseur manque de culture générale et ne peut s’exprimer », dans l’habitude de
ce retrait ; de l’autre, la danse est peu considérée, réduite le plus souvent au
statut de divertissement voire de superficialité. Les artistes mobilisés
réfléchissent à l’enseignement de la danse, qui souffrirait de pénurie comparé à
d’autres pays – des exposés sont proposés sur la Chine, les États-Unis,
l’Allemagne et la Russie. Les techniques classiques, indéfiniment reproduites,
sont jugées sclérosées : on scrute les façons de les raviver. Les cours privés sont
dénigrés pour leur « parasitisme trop fréquent » et la commercialisation de
l’enseignement. La pédagogie cloisonne les disciplines, comme l’anatomie et la
physiologie, les autres arts sont négligés : les passerelles sont inexistantes et
l’entre-soi est de rigueur. Danseuses et danseurs ont peu de relations avec le
monde extérieur : il y a donc lieu de sortir de ce milieu, d’acquérir des savoirs
pour devenir des « êtres sociaux » et non plus seulement des artistes inspirés. En
retour, la danse devrait être mieux connue et mieux ancrée dans la société. Elle
pourrait aider à retrouver les corps perdus, souvent oubliés comme s’ils
n’existaient plus, tant l’usage qui en est fait semble limité. Le comité propose
d’introduire la danse à l’école primaire, de déployer une éducation sensorielle et
un enseignement du mouvement, d’encourager l’expressivité chez l’enfant et de
faire sentir les possibilités d’une création collective. Dans les pays occidentaux,
l’harmonie des gestes est en général ignorée ; tout un art de la vie est à
repenser 9.

LA VILLE EST À NOUS

Cette sensibilité est également portée par les architectes, soucieux d’une
attention plus fine, plus politique et collective, au « cadre de vie » – avant que
l’expression se fige. Certes, il est chez eux comme partout ailleurs des
inquiétudes corporatives : la peur du déclassement, celle de l’empiètement, la
crainte de se sentir dépossédé par d’autres acteurs – surtout les ingénieurs. La
mobilisation redéfinit la profession pour la réévaluer 10. Ici aussi, un système est
contesté, celui des « patrons », celui de l’ordre des architectes « féodal et
répressif », dont beaucoup demandent la dissolution, enfin celui de la
« vocation » – une terminologie périmée parce qu’aveugle à l’ordre social et aux
déterminations. L’industrie de la profession engendre une autre division, entre
les dirigeants de cabinets vers qui s’orientent toutes les commandes et les
architectes sous-traitants ou employés. Dans la société telle qu’elle est,
l’architecte n’aurait qu’un choix : être voleur ou volé – devenir grand patron
d’agence, « requin » traquant de nouvelles affaires, ou se faire « nègre »,
dessinateur exploité par les premiers. Plusieurs écoles d’architecture en appellent
à « déféodaliser » la profession 11.
Mais, au-delà, le rapport à la ville et à l’habitat est au centre des débats.
L’aménagement du territoire dépend du financement par les banques d’affaires ;
cet « assujettissement aux puissances d’argent » conduirait les architectes à
ignorer ou négliger le travail des ouvriers en termes de salaire mais aussi
d’hygiène et de sécurité sur les chantiers, pressés par les impératifs de leurs
commanditaires. Les accidents de travail sont fréquents : on compte trois morts
par jour dans le secteur du bâtiment 12.
Face à cette main basse sur la ville, comme l’aurait dit Francesco Rosi, un
tout autre urbanisme est imaginé en réplique, conçu comme « acte politique ».
Les bidonvilles ne sont pas seuls dénoncés, mais aussi les « villes bidons »,
pensées selon les impératifs du profit et de la spéculation. Les architectes se
mobilisent en concertation avec la Confédération nationale des Associations
populaires familiales, créée en 1952 pour venir en aide aux familles en difficulté.
Ils demandent que soit instaurée une priorité au logement social contre la
spéculation foncière, avec extension du droit de réquisition applicable aux
appartements inoccupés. Une urbanisation plus juste mettrait en cause le droit de
propriété et poserait en nécessité la municipalisation des sols, par un service
public de l’habitat. En Saône-et-Loire, l’architecte des Bâtiments de France
revisite la définition de l’architecture comme art essentiel d’organiser l’espace
perçu : l’architecte pourrait être un « artiste créateur de beauté » 13.

LIEUX COMMUNS

S’arrêter, donc. Reconsidérer son métier et le concevoir autrement : partout


où la grève prend, le temps ouvre aux bilans, aux aspects délaissés, aux futurs
différents. L’imagination critique agit à la façon d’une œuvre collective : les
repentirs sont révélés et dévoilent ce qu’ils recouvraient ; aucun détail ne se
perd, loin des trompe-l’œil et des apprêts. Au musée de l’Homme, des
commissions se tiennent chaque jour. L’ethnologue et écrivain Michel Leiris
préside les assemblées générales, dans la bibliothèque métamorphosée en forum
permanent. Le musée est repensé, du plus mince accessoire (revernir la caisse à
l’entrée, remplacer les photos pâlies…) au rôle fondamental qu’on voudrait lui
donner. Les salariés en grève, techniciens, conservateurs, ethnologues, estiment
que les musées en général et le leur en particulier ressemblent trop à des
réceptacles du savoir officiel, parfois sacralisé. Le sens critique du public n’est
pas sollicité : « Il faut détruire le mythe du Musée apportant des réponses
culturelles définitives, au profit de type d’“Expositions critiques” » 14.
Les lieux de la culture sont donc interrogés et certains se transforment au gré
de l’événement. Dans l’Odéon occupé fuse le slogan : « Quand l’Assemblée
nationale devient un théâtre bourgeois, tous les théâtres bourgeois doivent
devenir des assemblées nationales. » À Lille, le théâtre du Pont-Neuf est
proclamé « ouvert à tous » et devient lieu de débats. À Marseille, le Centre
dramatique national du Sud-Est est investi en « vitrine de la contestation » ;
l’Opéra de la cité phocéenne accueille des réunions, tout comme le Pavillon
populaire de Montpellier et le théâtre de Verdure à Perpignan. À Châtellerault, le
Théâtre populaire est grand ouvert ; on y joue du Labiche au profit des grévistes.
À Palaiseau, les salariés de la Maison des jeunes et de la culture (MJC)
s’affirment solidaires des travailleurs en grève « dans l’effort actuel de
contestation et de réflexion » ; la MJC suspend ses activités et s’offre aux débats
publics « qui doivent être, en ce moment, sa vocation ». À Fresnes, l’occupation
de la MJC est menée par 200 à 300 personnes, parmi lesquelles des jeunes de la
localité ; elle est rebaptisée « Maison autonome des jeunes » ; des discussions y
sont organisées chaque jour autour de thèmes variés, dont beaucoup portent sur
une culture mise à la portée de tous 15. Partout, on s’oppose aux mondes
compartimentés. La critique s’y déploie, définie qu’elle peut être comme « mise
en cause de l’ordre existant 16 ».
Maison de l’information libre et populaire, installée au Cirque de Rouen, 30 mai, AD Seine-
Maritime 5907W11.

Sens critiques

NE PAS AVALER
Michel Foucault a qualifié la critique d’« inservitude volontaire », une
indocilité propre à soulever les impensés 17. En 1968, cet esprit-là s’aiguise : plus
rien n’est évident, ce qui va de soi ne va pas et le quotidien fait relâche pour
inventer d’autres présents. Les sondages par exemple sont l’objet de jugements
mordants – et nouveaux : la sociologie ne s’y est pas encore vraiment penchée.
L’événement invite à la prise de distance ; elle revisite les vérités proclamées et
nombre de certitudes : il ouvre aussi la voie à d’autres champs d’études. Le
6 juin, 80 chercheuses et chercheurs en sciences sociales diffusent un texte qui
dénonce l’« utilisation frauduleuse des sondages d’opinion ». L’analyse prend
appui sur une enquête publiée par France-Soir deux jours auparavant. Son
résultat – « 75 % des Parisiens sont pour les élections » – fait l’objet d’une
batterie de questions : « Dans un Paris privé de transports, en grève généralisée,
avec occupation des lieux de travail, comment réaliser, un vendredi de Pentecôte
de 18 heures à 24 heures, un sondage représentatif de la population ? A-t-on par
exemple interrogé des travailleurs occupant leurs locaux de travail ? » Le
sondage est perçu comme un instrument de pression et d’intimidation. « En tant
que spécialistes de sciences humaines, nous dénonçons la malhonnêteté qui
préside à cette publication », concluent les auteurs, qui s’adressent aux
journalistes comme aux salariés de la presse écrite et parlée : il leur faut refuser
la publication de résultats tronqués, partiels ou déformés 18.
La méfiance règne à l’égard de médias jugés favorables au retour à l’ordre,
comme l’exprime à sa manière une affiche des Beaux-Arts à Caen – une
bouteille de poison y porte une étiquette rouge sang : « Presse. Ne pas avaler 19 ».
Pourtant, il n’est pas étonnant que des chercheurs critiques s’adressent aux
journalistes, car beaucoup sont en grève ou soutiennent le mouvement. À l’AFP,
Marcel Beaufrère, par ailleurs militant trotskiste, explique la nécessité de ne pas
cesser d’informer : « Nous sommes tous en grève mais nous devons continuer à
travailler. » À France Inter, les journalistes grévistes, dont un grand nombre sont
syndiqués, élaborent collectivement l’information parlée à partir du 22 mai,
avant de cesser le travail le 3 juin : durant trois semaines, plus aucune
information n’est diffusée sur les antennes d’Inter 20. À l’ORTF, la grève prend :
ses salariés entendent bien que l’Office cesse d’être « la chose du
gouvernement ». Les grévistes demandent l’abrogation du statut existant pour le
remplacer par un service public qui garantirait « la libre parole pour tous »,
indépendant du pouvoir et des groupes de pression. Les personnels réclament la
suppression de la tutelle sur l’information : les « communications
gouvernementales » devraient être présentées comme telles, sans plus aucune
ambiguïté, et non comme des nouvelles à prétention d’objectivité. Elles
s’accompagneraient d’une « libre et égale expression de toutes les tendances
politiques, artistiques et philosophiques ». Pour y veiller, un conseil
d’administration serait mis en place, composé pour un tiers de représentants
désignés par le gouvernement et de membres élus par toutes les catégories du
personnel, ainsi que des représentants des auditeurs et des téléspectateurs. On
s’en souvient : le gouvernement fait tout pour reprendre la situation en main. En
bien des endroits, le ministre Yves Guéna fait occuper les locaux de l’ORTF par
l’armée et, à Paris, ils sont encerclés par la police. Une spectaculaire « opération
Jéricho » est lancée à la Maison de la Radio pour riposter. Le public et
différentes catégories de manifestants sont invités à marcher chaque jour autour
de la « maison ronde » : artistes le 6 juin, journalistes le 7, métallos le 8,
enseignants et étudiants le 9, fonctionnaires le 10, écrivains le jour suivant et
finalement, le 12 juin, des auditeurs, des artistes et différentes personnalités
malgré l’interdiction de manifester. Dans une « lettre ouverte à tous les
candidat(e)s », l’intersyndicale de l’ORTF critique les procédés du
gouvernement et, par là, l’ordre existant :

Le pouvoir peut supprimer une émission comme La caméra explore le


temps contre la volonté des téléspectateurs ; faire partir des journalistes
qu’aime le public ; censurer des émissions comme la séquence de
Panorama sur les mouvements étudiants ; substituer à des reportages
réalisés dans les milieux ouvrier, paysan et universitaire des déclarations
officielles sur les mêmes sujets ; détourner l’attention des Français de la
situation intérieure du pays vers des problèmes de l’étranger ; ouvrir
largement l’antenne à la majorité et la fermer à l’opposition et même à
l’opinion publique ; faire appel à l’armée et aux forces de l’ordre pour
diffuser ses programmes 21.
Critique là encore, dans la volonté de « secouer les habitudes, les manières de
faire et de penser 22 ».

LA FIN DES MANDARINS ?

Dans le même mouvement, des étudiants en médecine et des praticiens


dénoncent l’« inadaptation totale de la faculté de médecine à sa fonction
sociale », tout en s’en prenant à un mandarinat « écrasant ». Les formes de
domination exercées à l’hôpital sont passées au crible de la critique. Les
frontières des compétences sont parfois arbitraires comme le montre le partage,
dérisoire s’il n’était le signe quotidien des relations de pouvoir, entre piqûre
intraveineuse et piqûre intramusculaire : la seconde est réservée au médecin
quand la première est pratiquée par l’infirmière – une ligne de démarcation qui
reconduit les hiérarchies jusque dans les moindres détails. À l’hôpital, le
médecin apparaît trop souvent comme un « grand mamamouchi revêtu de son
costume blanc » 23.
L’« affaire Soulié » est emblématique de cette dénonciation. Pierre Soulié a
65 ans ; spécialiste des cardiopathies congénitales, il dirige le service de
cardiologie à l’hôpital Broussais ; membre de l’Académie de médecine, il est
aussi titulaire d’une chaire à la faculté de médecine de Paris. Le 15 mai, il prend
à l’égard de son assistant, le docteur Pierre Vernant, des mesures de rétorsion
parce qu’il a fait signer une pétition contre la répression : le docteur Vernant se
voit interdire ses consultations et l’accès aux dossiers de ses patients. En réaction
à cette décision jugée aussi arbitraire qu’autoritaire, une réunion rassemble le
17 mai tous les personnels. Le 22, à une très large majorité, les participants
votent la destitution du professeur Soulié et le remplacent par une direction
collégiale. Ces réunions prennent la tournure d’un exutoire sur les vexations
infligées par le « patron ». Les membres du service racontent leur vie
professionnelle, parfois la peur et les affronts, comme ce médecin expérimenté
qui décrit les relations avec le professeur Soulié :
Il est évident pour tous ceux qui fréquentent ce service que, depuis des
années, nous souffrons de l’autorité, disons vraiment terrible, qu’exerce
le patron sur nous. Nous vivions dans la terreur, le mot n’est pas trop
fort ; il fera sourire les jeunes lorsqu’ils penseront que les gens de 45 ans
comme moi parlent de terreur, mais c’est vraiment le terme qui convient.
Nous vivions dans la terreur, nous vivions humiliés plusieurs fois par
semaine parce que bafoués devant des malades, devant le personnel […].
Il y avait de quoi pleurer à voir la façon dont nous nous sommes faits
traiter et l’impossibilité, je dis bien l’impossibilité, peut-être un peu la
lâcheté aussi, mais vraiment on a été traités comme un seigneur autrefois
n’aurait pas traité un esclave.

Les présents assurent qu’il ne s’agit nullement de « haine » ou de « règlement de


comptes », mais d’un progrès spectaculaire offert par le mouvement, d’abord par
le courage et « l’enthousiasme merveilleux » des étudiants. La « statue
déboulonnée » n’est pas une façon de récuser l’homme Soulié, seulement en lui
le mandarin : il est d’ailleurs invité à se placer « sur un pied d’égalité » pour
faire avec eux de la médecine, en humains 24.
Au même moment, dans la nuit du 21 au 22 mai, le Conseil national de
l’ordre des médecins est occupé par des étudiants et des praticiens. Deux
critiques président à cette protestation : l’une est ponctuelle, car l’Ordre n’a pas
réagi à la répression des 10-11 mai et à la manière dont les soignants ont été
empêchés par les policiers d’approcher les blessés ; l’autre est plus structurelle,
par une critique de fond : l’Ordre, dit-on, est un gardien de l’ordre. Les
contestataires ne manquent pas de rappeler les circonstances de sa création, en
1940, sur décision du gouvernement de Vichy. Il est proclamé déchu par les
occupants, tandis qu’une banderole est accrochée sur l’un de ses balcons :
« Maison de l’Indépendance Médicale et de l’Expression » 25.
Selon les contestataires, les études n’apporteraient qu’un savoir
fragmentaire, tourné exclusivement vers le corps humain (corps malade et corps
sain), sans lien avec les sciences sociales. Les étudiants demandent un « droit à
l’hôpital » dès la troisième année et une formation clinique plus précoce afin
d’être au plus tôt auprès des malades. Une fois encore, il est question de
décloisonnements. L’« obsession des concours » et la « magie des titres »
risquent d’abolir l’humain dans le médecin en faisant de lui un « super
technicien », au point de faire oublier l’homme malade au profit de la maladie.
Beaucoup réclament l’introduction de sciences humaines dans les études, non
pas matière supplémentaire qu’on ingurgiterait, mais supplément d’âme et
d’esprit. Rue des Saints-Pères à Paris, la faculté de médecine ouvre ses portes à
qui le souhaite et tient « meeting permanent ». Aux yeux du professeur Marcel-
Francis Kahn qui évoque « un immense mouvement », on y parle un « langage
nouveau et stupéfiant », qui bouscule la routine comme jamais. Mais les
« vieilles postures de déférence demeurent » ; si, à l’hôpital, des assemblées
générales réunissent toutes les catégories de personnels, administratifs, ouvriers
et soignants – ce qui est exceptionnel –, « aucun témoignage n’évoque des
médecins s’essayant au balai » 26.
Les professions liées aux soins sont très mobilisées. À Tarbes, le 13 mai, on
a vu des « blouses blanches » pour la première fois dans la rue. En Vendée, des
médecins s’engagent à dispenser des soins gratuits quand il le faudra et chaque
fois que « leur conscience le leur guidera ». La CFDT locale fustige le
commerce des cliniques privées, avec des personnels « payés au rabais » tandis
que leurs patrons engrangent les profits. Dans le Nord, le Syndicat professionnel
de la kinésithérapie revendique la constitution d’un code de déontologie et
rappelle l’utilité de la profession pour « des bénéfices humains non chiffrables ».
D’autres « kinés » demandent la suppression des écoles privées, « entreprises
commerciales plus préoccupées de leur rentabilité financière que de leur devoir
de fournir un enseignement de qualité ». Toutes et tous soulignent leur « souci
de dignité » 27. Des psychologues entendent dire de leur côté combien le
mouvement les fait « sortir de l’inertie » : les frontières disciplinaires sont
condamnées. Le découpage est jugé trop tranché entre médecine, psychiatrie et
psychologie, rattaché à l’organisation plus générale d’une société pyramidale et
cloisonnée. Des étudiants en psychiatrie l’expriment aussi : il faudrait instaurer
des « équipes soignantes déhiérarchisées » 28.
L’inégalité est en cause et en procès. Devant la maladie, l’espérance
thérapeutique reste fonction de la situation financière des patients : aux plus
modestes reviennent les soins des salles communes, où l’acte médical ne se
concilie pas toujours avec la dignité du malade. À l’université critique et
populaire de Strasbourg, on évoque également l’« énorme entreprise de
gaspillage » qu’est l’industrie pharmaceutique, où les prix de vente des
médicaments seraient dix fois supérieurs aux prix de revient. D’où ce paradoxe
sous le regard critique : « Une des acquisitions les plus importantes du
travailleur, la Sécurité sociale, subventionne l’un des secteurs les plus
caricaturaux du capitalisme. » La section « Médecine » des Étudiants socialistes
unifiés dénonce « les castes » hospitalières et propose de nouvelles structures
sanitaires, « au service des travailleurs et non plus à celui des laboratoires »
avec, pour ce faire, « une liaison étudiants-travailleurs au sein des universités
populaires et des hôpitaux » : ce serait travailler et lutter avec le mouvement
ouvrier 29.

Mises en examen : un enseignement


en jugement

LETTRES MORTES

De ces pratiques critiques et d’imagination politique, plusieurs traits se


dessinent : ébranlement des hiérarchies, mise en cause des cloisonnements,
aptitude au dévoilement. Ces ingrédients se retrouvent jusque dans des lieux et
des milieux habituellement réticents à contester les fondements de la société. La
mobilisation touche certaines des plus prestigieuses écoles de commerce, à
commencer par HEC. Des groupes de travail y interrogent la nature même de
leur enseignement. En rappelant que la grande majorité des professeurs vient du
monde de l’entreprise, les élèves en grève déplorent l’absence d’approches
théoriques qui permettraient de déjouer les techniques de gestion proposées. Les
étudiants contestataires ne croient pas en leur neutralité mais parlent d’un
« modelage » et d’un « conditionnement », aptes à former de « jeunes cadres
dynamiques », tandis que « les problèmes des travailleurs sont ignorés ».
L’École apparaît isolée dans un cadre luxueux, coupée des autres étudiants et
plus généralement du reste de la société. Ces élèves mobilisés réclament un
enseignement qui permettrait une « réflexion critique sur le système capitaliste »,
une formation en sociologie et une autonomie par rapport aux Chambres de
commerce et d’industrie. À l’École centrale, qui forme des ingénieurs, les
étudiants actifs dans la grève travaillent au projet d’un enseignement remanié.
Leur reproche porte sur la juxtaposition des sciences étudiées, trop rarement
connectées entre elles. Relier les disciplines ne pourrait qu’affûter les outils de la
critique et de la créativité. Ces élèves contestataires ne veulent plus ingérer
passivement des théorèmes, refusent d’être « gavés », souhaiteraient qu’on leur
apprenne comment les théorèmes sont élaborés et non pas seulement les
« consommer », que l’on vienne stimuler leur « imagination et leur pensée ». À
Nancy se réunissent le 31 mai des délégués de différentes grandes écoles de la
ville ; leur conclusion est que l’enseignement pourrait engager un
décloisonnement entre enfants et parents : les écoles ne devraient plus être
réservées aux jeunes mais ouvertes aux adultes qui continueraient de se former ;
l’univers scolaire ne serait plus un milieu fermé 30.
Au-delà de ces Écoles marquées au sceau du prestige et du privilège,
l’enseignement en général et l’enseignement supérieur en particulier voient leurs
bases vaciller sous le boutoir de la critique. Les traits décochés sont nombreux à
l’encontre d’une Université supposée engendrer la passivité et privilégier
l’assimilation au détriment de la réflexion : disciplines cloisonnées, usage
restreint des locaux à l’exclusion de pratiques politiques, culturelles et
artistiques, formation qui ne permettrait pas le développement des facultés
créatrices, le sens de la recherche et l’éveil de l’intérêt. À Nanterre, le Comité
d’action révolutionnaire empoigne les mots d’Antonin Artaud pour flétrir la
« citerne étroite » que les recteurs appellent « pensée » et décrire une « jeunesse
efflanquée » sous l’effet d’un « Esprit gelé ». Dans l’enseignement des lettres,
l’intelligence et l’inventivité seraient bannies au profit d’un fétichisme à l’égard
du passé et des œuvres établies. La culture apparaît séparée du monde et, de ce
fait, barricadée 31.
Jugés abrutissants, gangrénant l’Université par leur retour rituel chaque fin
d’année et transformant les enseignants en « policiers », les examens
apparaissent comme un poignard à toute rébellion : quand l’individu s’éloigne
du collectif pour retourner à la solitude des révisions, plus question de critique ni
de contestation. Les examens sont « la force de l’ordre ». Si les étudiants rentrent
chez eux pour réviser, « la fête vole en miettes et le gouvernement a gagné »,
observe Jacques Ozouf : une telle fin serait, selon lui, « d’une intolérable
tristesse ». Boris Gobille a raison d’y insister : ce qui apparaît secondaire dans le
déroulement des événements, la décision de boycotter les examens, puis leur
report, est en réalité un nœud du moment ; il rend les étudiants disponibles pour
l’action 32.

DES SAVOIRS SITUÉS OU L’IMPOSSIBLE NEUTRALITÉ

De ville en ville et de faculté en faculté s’opère le déploiement d’une


critique acérée. À Nantes, on estime que l’Université n’est pas consacrée à la
promotion de l’individu mais à la mise en valeur de quelques individualités,
« appareil de production » exposé à l’exigence de rentabilité. À Montpellier, les
étudiants mobilisés stigmatisent « la mainmise des entreprises privées »,
spécialement avec l’application du Plan Fouchet et la présence de représentants
de l’industrie dans les conseils d’enseignement. Mais ce n’est là, selon eux,
qu’une manifestation de la subordination plus générale aux besoins de
l’économie et du profit. Les principaux débouchés offerts aux psychologues et
sociologues confirment à leurs yeux la soumission aux impératifs de
consommation et de compétition : sélection du personnel, publicité, études de
marchés… La prétention à la neutralité est battue en brèche, comme le
consignent les auteurs du texte rédigé à Nanterre, « Pourquoi des sociologues » :
« l’hypocrisie de l’objectivité, de l’apolitisme, de l’étude innocente est beaucoup
plus criante dans les sciences humaines qu’ailleurs ». Depuis l’expérience tentée
par le sociologue australien Elton Mayo en 1930 pour améliorer la productivité
des travailleurs, la sociologie s’est ouverte à un terrain neuf, celui du
management et des ressources humaines, pour des entreprises mieux gérées. Des
étudiants lyonnais dénoncent « la prétendue objectivité d’un savoir scientifique
qui, surtout au niveau des sciences humaines, masque le caractère conflictuel de
la société et assure son bon ordre et sa pérennité » 33.
Les filières des sciences sociales sont le plus fort vivier de la contestation,
presque par essence et par définition : on y apprend à observer la société, à en
analyser les contours et à en traquer les fêlures. Il n’empêche : la critique
s’active aussi dans les facultés de sciences, où les étudiants déplorent le manque
d’une culture scientifique au profit d’une formation étroite dans un secteur
déterminé. C’est pourquoi, à Strasbourg, la commission chargée de réfléchir à la
pédagogie et à ses possibles renouvellements insiste sur la nécessité de ne pas
figer les savoirs comme s’ils étaient tout-faits, prêts-à-porter. Les professeurs
sont invités à ne plus présenter un résultat sans énoncer en même temps
comment on y est parvenu. Les étudiants prendraient part à la totalité de l’acte
pédagogique, de plain-pied avec les enseignants : recherche des informations,
mise en perspective et exposition. Car le savoir n’est jamais définitif ni objectif :
il est toujours en train de se faire et renvoie à une saisie particulière du monde à
un moment donné. À Orsay, les étudiants réclament une formation humaniste,
ouverte aux activités culturelles, politiques, syndicales et sociales ; elle
permettrait un travail en équipe et un esprit critique encouragé dès le plus jeune
âge, afin que soient suscités l’initiative et la curiosité, une culture artistique et un
plus vif intérêt pour les enseignements manuels et sportifs, trop souvent relégués
au rang de compléments 34.

LOIN DES LYCÉES NAPOLÉONIENS

Les lycéens mobilisés ne sont pas en reste pour imaginer un enseignement


différent. Il est difficile d’évaluer le nombre de comités d’action lycéens durant
les événements : lancés en janvier 1968 suite à l’exclusion de Romain Goupil,
militant JCR du lycée Condorcet, il en existe déjà une cinquantaine à la veille de
Mai. Les sources en signalent un peu partout, de Boulogne-sur-Mer à Saint-
Nazaire, de Tulle et Brive à Épinal et de Toulouse à Auxerre. Les lycéens sont
aussi « en effervescence » à Ajaccio, observent les Renseignements généraux.
En Corrèze, le maire d’Égletons indique au préfet avoir reçu le 13 mai une
délégation du CAL local, qui lui a remis une motion « dont le rédacteur n’est
certainement pas M. Cohn-Bendit ». Les CAL déplorent le poids pris par le
cours magistral, impropre à susciter le sens critique. Au lycée Jules-Verne de
Nantes, les élèves suggèrent d’expérimenter des solutions pratiques pour
atténuer la distance entre enseignants et enseignés : disposition des tables « en
fer à cheval » et estrade supprimée. Au lycée Mignet de Marseille, pour
développer l’esprit critique davantage que le « par cœur », les jeunes mobilisés
demandent « l’admission de la documentation » pour les compositions dans les
matières « dites de mémoire », comme l’histoire. Dans les lycées de Pau, les
élèves proposent que les programmes soient conçus en commun, par les
enseignants et par les lycéens. Au lycée Simone-Weil à Saint-Étienne,
l’élaboration est plus précise encore et fait l’objet d’un « cahier de doléances »
longuement développé. Les élèves y défendent une autogestion de
l’établissement et un enseignement fondé sur l’apprentissage du jugement grâce
à la discussion : unités de travail réduites pour faciliter la prise de parole,
exercices plus variés que la seule dissertation, formation à l’esprit d’analyse, de
la sensibilité et de la curiosité, réunions-discussions et bilans critiques 35…
Les séparations doivent donc être dépassées grâce aux cours communs et
aux passerelles entre disciplines. L’enseignement de l’histoire est
particulièrement visé : des CAL offrent de compléter l’approche chronologique
par des « mises en perspective » pratiquées au moyen d’exercices collectifs et
critiques. Le sport devrait cesser d’être une matière secondaire pour devenir une
discipline primordiale, favorisant l’aisance du corps. L’art, de la même manière,
ne devrait plus être auxiliaire mais éveiller en chacun le désir de créer. « Pour
que l’art fasse partie intégrante de la vie, les œuvres de chacun seront exposées
en permanence sur les murs du lycée et renouvelées le plus souvent possible » :
il s’agit de penser un enseignement dynamique, créatif et vivant, sans cesse en
mouvement. À Toulouse, les internes du lycée Saint-Sernin demandent
l’autorisation de lire les journaux et d’installer un poste de radio, pour cesser de
vivre « en vase clos ». Dans les lycées de Remiremont, les élèves envisagent la
création d’un foyer socioculturel autogéré, où l’on débattrait autour d’émissions
de télévision et de radio, et la lecture de journaux. À Strasbourg comme à Saint-
Nazaire, les élèves réclament aussi le droit d’expression et de libre information à
l’intérieur des lycées, par l’organisation de conférences, la mise à disposition de
locaux et le droit de critique sur toutes les décisions scolaires et disciplinaires.
Mais il faut pouvoir concevoir une vie commune hors de l’établissement. Au
lycée Jacques-Decour à Paris, le CAL imagine l’achat d’un hameau abandonné
où serait installée une maison de vacances propice au dépaysement, à
l’échappée 36.
La presse s’étonne parfois d’un bousculement des rôles, à la façon d’un
renversement. L’Est républicain rend compte d’un « face-à-face passionnant »
entre élèves, enseignants et parents des lycées d’Épinal réunis en assemblée
générale : le « bureau » de la réunion est tenu par des lycéens qui animent les
débats « avec une judicieuse autorité », tandis que les enseignants lèvent le doigt
pour parler. À Sedan, au lycée Turenne, la direction constate, amère, que lycéens
et professeurs contestataires désertent l’établissement et se retrouvent à la MJC
pour discuter réformes de l’enseignement, actualité politique et problèmes
philosophiques. À Boulogne-sur-Mer, les Renseignements généraux relèvent
l’« effervescence » qui règne dans les lycées de la ville depuis le 8 mai : des
manifestations se déroulent en solidarité avec les étudiants parisiens, mais les
élèves avancent aussi leurs revendications : la suppression des écoles privées
considérées comme sources d’inégalité, la mise sur le même pied de
l’enseignement général et de l’enseignement technique, par la transformation du
brevet de technicien en baccalauréat. À Bel-Ombre dans le Puy-de-Dôme, les
élèves du collège d’enseignement technique refusent que les CAP soient
supervisés par « les patrons, en particulier ceux de Michelin ». À Bron dans la
banlieue de Lyon, les élèves du collège d’enseignement technique s’indignent
devant « les coups et les brimades », « la discipline au service des patrons » 37.
Partout, à la passivité de l’absorption est opposée la pratique de la création et
de l’esprit critique. En entrant dans la contestation, lycéens, étudiants et
enseignants souhaitent échapper aux classements ordonnés et aux places
assignées, comme l’exprimera plus tard Leslie Kaplan :

on quittait sa cage
on refusait la catégorie, la case et le cas
on voulait être autre chose
qu’une fonction de production 38.

« Dieu n’est pas conservateur » : l’Église


aux prises de la critique

DE BONNE FOI
La pratique de la critique atteint aussi les chrétiens. Cette expérience de la
contestation ne part évidemment pas de rien : c’est un long chemin de
réappropriations et d’héritages. Il remonte au « socialisme chrétien » du
e
XIX siècle, aux « abbés démocrates », prêtres de paroisses et promoteurs
d’œuvres sociales, et aux « rouges chrétiens » de l’hebdomadaire Sept que le
Vatican condamna au silence en 1937. Ce progressisme se forge aussi dans le
dialogue philosophique avec le marxisme. À la Libération et dans son euphorie,
on « avait cru la rencontre possible », à la manière d’une « utopie ». Les passeurs
de Marx sont alors des laïcs comme les philosophes Emmanuel Mounier, Jean
Lacroix et Paul Ricœur, mais aussi des clercs de l’Action catholique et des
missions ouvrières tels les dominicains Henri-Charles Desroches, Marie-
Dominique Chenu, Yves Congar ou le théologien jésuite Jean Daniélou. Tous
pensent l’humanisme de Marx et s’accordent avec sa théorie de l’aliénation. « Il
s’agit, remarque Denis Pelletier, par un travail de lecture, de discernement et
d’interprétation, d’introduire au sein du christianisme une pensée venue du
dehors afin de le renouveler sans le trahir. » L’expérience des prêtres-ouvriers,
rendue populaire par de nombreux reportages et le récit de Gilbert Cesbron en
1952, Les Saints vont en enfer, y a contribué, malgré sa brutale interruption par
la papauté deux ans plus tard. La mobilisation en faveur de la cause tiers-
mondiste forme alors un pont entre sphère religieuse et sphère politique.
L’implication durant la guerre d’Algérie, l’opposition à la torture et les
révélations énoncées par l’hebdomadaire Témoignage chrétien, la Jeunesse
étudiante chrétienne (JEC) et La Route, branche aînée du scoutisme, ont aussi
suscité un grave conflit avec la hiérarchie. Cette période âpre, faite de
controverses et de combats, a ranimé le « dreyfusisme chrétien », selon les mots
de Jérôme Bocquet. Le concile Vatican II (1962-1965) s’impose ensuite comme
« événement religieux majeur du XXe siècle catholique, celui qui non seulement
déplace les lignes mais ébranle les fondements », rappelle Jean-Louis Schlegel.
Une part de l’héritage chrétien y est ranimée entre solidarité, fraternité et amour
du prochain. Vatican II est un encouragement à « aller au monde » et à
révolutionner les pratiques dans le quotidien liturgique – abandon du latin, prêtre
face aux fidèles derrière son nouvel autel, suppression des confessionnaux, des
surcharges et des bibelots 39.
Les fenêtres sont donc ouvertes depuis cet aggiornamento ; mais l’air qui
s’engouffre dans l’Église prend parfois des allures révolutionnaires. La critique
du capitalisme est réactivée par l’Action catholique ouvrière à la faveur des
événements : elle le répète et le regrette, la valeur de la personne n’est plus
mesurée que selon sa capacité de production et de consommation ; « opprimés
pendant de longues années par la violence que constitue la répression
antiouvrière, les travailleurs expriment aujourd’hui leur dignité ». La Jeunesse
ouvrière chrétienne évoque de son côté les « frustrations de la dignité ». Des
prêtres et des laïcs estiment que les aspirations manifestées par le mouvement
vont dans le sens du concile et de ses conclusions : partage des responsabilités et
participation, droit de chacun à faire entendre sa voix, « rejet d’un système
économique fondé sur le profit plus que sur l’épanouissement intégral de
l’homme ». Le révérend-père Lendger, aumônier de la faculté des sciences de
Toulouse, demande dans son homélie prononcée le 12 mai : « Sommes-nous des
chrétiens partisans de Dieu ou complices d’un monde de l’argent, de l’arrivisme,
des combines ? » À Caen, les services du préfet constatent à l’université
l’activité de géographes chrétiens progressistes, proches des milieux ruraux et
prêts à y adopter l’approche que les marxistes ont auprès des milieux ouvriers.
Dans le Poitou, les autorités s’étonnent de voir « mêlées à ces activités
[subversives] des personnes qu’on n’aurait pas pensé y trouver », en particulier
des responsables de l’Église protestante, comme le souligne le préfet de la
Vienne, tandis que son collègue des Deux-Sèvres renchérit : la « fraction
protestante » conteste beaucoup, mais quelques ecclésiastiques catholiques se
retrouvent aussi dans la « rébellion », autour de Thouars et de Bressuire. À
Poitiers, un pasteur qui occupe d’importantes fonctions dans l’Église Réformée
de France prend le temps de… distribuer des casques aux étudiants de l’UNEF,
lors des affrontements avec leurs adversaires de la FNEF. À Roanne, c’est
l’aumônier d’un lycée technique qui est dénoncé pour avoir cédé son local à des
réunions politiques de tendance maoïste. Un clivage générationnel trace son
sillon entre un clergé traditionaliste et âgé, et de jeunes aumôniers volontaristes,
proches des grévistes. Mais la plupart des prêtres se montrent solidaires des
populations de leurs quartiers, surtout dans les milieux populaires et ouvriers. À
Nantes, les curés du secteur de Chantenay se disent bouleversés par la fermeture
qui devrait frapper la raffinerie et, avec elle, ses salariés ; ils expliquent partager
avec la population ouvrière une « inquiétude grandissante » et les « questions
que leur pose la situation présente », en particulier les « limites de la propriété
privée ». En région parisienne, des prêtres se proclament solidaires et
confessent : « nous ne pouvons pas nous taire » – reprise du non possumus des
premiers chrétiens, qui exprime moins une impuissance qu’une détermination à
dire « non ». Leur soutien va à la contestation d’un monde où l’humain est
sacrifié au profit de l’argent. Ces clercs précisent ne pas vouloir tenir un langage
flou qui ménagerait les deux « camps » ; le leur, ils l’ont choisi : c’est le
capitalisme qu’ils visent. C’est aussi toute une vision autoritaire et paternaliste
de la politique et de l’économie ; d’ailleurs, ils précisent : « nous savons que
l’Église n’échappe pas à cette critique » 40.
UNE ÉGLISE RÉFORMÉE

Du côté de la hiérarchie, la contestation est accueillie avec une bienveillance


prudente, différente selon les lieux et les traditions. Certains tentent de rassurer
les uns et les autres, en évitant de prendre position. L’évêque de Saint-Dié, Jean
Vilnet, juge les événements réjouissants, si les relations sociales en sortent
modifiées – mais il n’en indique ni le sens ni la portée. Dans la Meuse, l’Église
se garde de se prononcer ; les Renseignements généraux estiment néanmoins
qu’elle « voit avec sympathie les revendications légitimes des jeunes et
désapprouve la forme périmée d’un certain patronat meusien, cause essentielle
de la gravité des mouvements sociaux » 41. Pour sa part, « “travaillé” par les
militants de la JEC », l’archevêque de Rennes, Paul Gouyon, dit comprendre la
contestation tandis qu’à Quimper, l’évêque Francis Barbu fait organiser une
quête dans toutes les églises du diocèse en faveur des travailleurs en grève. Dans
sa lettre pastorale du 26 mai, Michel Vidal, l’évêque de Nantes, manifeste son
inquiétude devant la soudaineté et l’ampleur des événements mais aussi sa « vive
sympathie ». Il évoque « le cri du pauvre », de ces travailleurs dont le salaire
n’atteint pas 600 francs par mois, de ces femmes et de ces hommes qui ont perdu
leur raison de vivre parce que « consommer, même du confort, ne les satisfait
pas ». Il explore encore « le cri de l’homme blessé », qui refuse le rôle
d’exécutant, de producteur ou de consommateur ; cette « crise de civilisation »
est en réalité un « signe d’espérance » ; l’évêque conclut sur l’importance de se
montrer solidaires et sur les pardons nécessaires. Enfin, le 23 mai, l’archevêque
de Paris, François Marty, s’exprime au nom de l’Assemblée des évêques de
France. Il a ces mots révélateurs : « Dieu n’est pas conservateur » ; la petite
phrase a le don d’indigner les catholiques qui le sont et parfois s’en
revendiquent. « Dieu est pour la justice » : les croyants ne peuvent voir perdurer
une société qui fait « violence aux faibles, écrase la santé, la dignité, la liberté de
millions d’hommes et de femmes et plus encore dans le tiers-monde ». Cette
expression, « Dieu n’est pas conservateur », est « saisie au bond par ceux qui
dans l’Église soutiennent la révolution » – alors même que François Marty
apparaît surtout comme le tenant du juste milieu, appelle au calme par radio dans
la nuit du 10 au 11 mai puis visite les étudiants comme les policiers blessés 42.
À la faculté de théologie de Paris, des assemblées se tiennent aussi : les
élèves veulent participer davantage à la vie hors des murs et souhaitent se
rattacher au syndicalisme étudiant ; ils entendent s’orienter vers une
« conception beaucoup plus critique de la Théologie ». Le 21 mai, un « Appel
aux chrétiens » d’intellectuels catholiques et protestants, parmi lesquels le
philosophe Paul Ricœur, le journaliste Georges Montaron, le théologien Marie-
Dominique Chenu ou la responsable du Mouvement Jeunes Femmes Janine
Grière, se déclare favorable à la contestation et propose au sein des églises un
engagement révolutionnaire. Le 2 juin, le Comité d’action pour la révolution
dans l’Église (CARE) investit l’église Saint-Séverin en fustigeant la « caste
sacerdotale ». Ce comité a été fondé par des étudiants du centre Saint-Yves,
l’aumônerie catholique des facultés de droit de Paris, dans le sillage des
dominicains. Le mouvement souhaite « décléricaliser » l’Église et refuse les
coupures jugées délétères entre le culte et la politique, comme entre les croyants
assimilés à des enfants et les curés à leurs pères. Bernard Brillant a pu parler
d’un « véritable anticléricalisme chrétien ». On suivra aussi Yann Raison du
Cleuziou quand il y voit une tentative tenace et exaltée pour « sortir Jésus du
ghetto de la vieille chrétienté » 43.
Cela ne va pas sans opposition. À Saint-Nazaire, des catholiques furieux de
ces évolutions écrivent à l’évêque de Nantes et vitupèrent des « clercs et
religieux dévoyés », accusés de propager la lutte de classes : certains seraient
devenus « des diviseurs, des dissolvants, des destructeurs ». Entre « prêches
tendancieux », voire « sacrilèges », et mouvements « contaminés » par un « virus
insidieux », cette Église-là mériterait d’être purgée, afin « que la lumière du
Christ sorte enfin des ténèbres » 44.

À BOULETS ROUGES
Car certains vont encore plus loin en défendant clairement un horizon
révolutionnaire. Dans Témoignage chrétien le 6 juin, Georges Montaron affirme
sa foi en une « révolution de l’homme dressé contre l’asphyxie technocratique »
et renvoie dos à dos gaullisme et communisme qui ont tout fait, selon lui, pour la
brider et l’empêcher. Certes, du côté du pouvoir, il n’y aurait rien à espérer
puisque les gouvernants défendent leurs intérêts : « On voit mal ces banquiers,
ces grands patrons, ces industriels, ces hommes d’affaires qui siègent dans ce
conseil d’administration qu’est le Conseil des ministres remettre en cause une
société dont ils vivent. » En revanche, plus étonnant et presque plus révoltant
selon l’éditorialiste chrétien est l’attitude – le mot est fort dans sa pointe
cinglante – des « patrons du communisme français qui n’ont eu qu’un souci,
reprendre en main leurs troupes, dompter ce courant révolutionnaire qui s’est
dressé en dehors d’eux 45 ».
En mars, des réseaux chrétiens militants, parmi lesquels Frères du monde, la
CIMADE, Christianisme social, Économie et Humanisme ou encore
Témoignage chrétien s’étaient déjà retrouvés autour du thème « Christianisme et
révolution ». Ils concluaient au « droit pour tout homme de participer à un
processus révolutionnaire, y compris dans la lutte armée », pour un changement
radical des structures sociales et politiques que ces chrétiens entendent assumer,
convaincus par la nécessité de « s’investir dans la lutte des classes et des masses
opprimées ». Le 22 mars, dans la salle de la Mutualité, Jean Cardonnel prononce
un discours vibrant : « Un vrai Carême serait une grève générale qui paralyserait
les mécanismes de la société de profit. » Ce dominicain, fervent soutien des
prêtres-ouvriers et de la décolonisation, n’hésite pas à parler de « la Résurrection
comme stimulant de la révolution ». Le 8 juin, un débat organisé par le Comité
d’action culturelle révolutionnaire rassemble un millier de participants à la
Sorbonne autour du thème « De Che Guevara à Jésus-Christ ». La religieuse
Françoise Vandermeersch se tient à la tribune au côté de Pierre Rosanvallon,
étudiant à HEC, qui préside les débats. Dom Hélder Câmara, prélat de Recife au
Brésil et surnommé « l’évêque des favelas », est là aussi et affirme respecter tous
ceux qui optent en conscience pour la violence, même s’il reconnaît préférer la
ligne de Martin Luther King à celle du « Che » 46.
Mais n’est-ce là que vocabulaire, sésames puisant, comme c’est le goût du
temps, au registre révolutionnaire ? Dans la revue dominicaine Frères du
monde – trimestrielle, elle tire à 6 000 exemplaires –, la critique va bien au-delà
du lexique. Le groupe, fondé neuf ans auparavant, se réclame de la révolution et
des luttes de libération dans le tiers-monde ; son engagement anti-impérialiste
s’illustre avec la lutte contre la guerre du Vietnam et l’attention apportée aux
foyers révolutionnaires, de la Chine à Cuba en passant par l’Afrique. En
janvier 1968, son éditorial appelle à l’urgence de la révolution. Frères du monde
s’engage dans la contestation et signe en juin un long texte d’avant-élections,
pétri d’amertume et de colère. Le PCF est pris à partie avec la virulence née des
espoirs déçus : ces militants chrétiens évoquent les « effarements grotesques de
Georges Marchais » et raillent la « fidélité féodale à Moscou », puis enfoncent le
clou en décrivant le maintien de l’ordre géopolitique – une véritable torpille : « il
est vrai qu’on ne peut pas à la fois faire applaudir de Gaulle à Bucarest et le faire
huer à la Bastille ».Ils exaltent « un marxisme vivant » : le « marxisme
sauvage » serait ailleurs, loin des rangs du PCF jugé trop modéré et pour qui la
révolution est toujours reportée à un lendemain bien lointain, « cette forme
baroque d’un au-delà miteux ». On le répète souvent à propos du Parti et de ses
dirigeants : rien ne peut se faire sans eux. Or, disent ces dominicains, « le
malheur, notre malheur, c’est qu’ils ne font rien, sinon s’asseoir sur la révolution
comme le monarque sur la France ». Le désarroi rageur est palpable devant la
dérobade face à l’obstacle « des coups donnés et reçus, des manifestations dures,
du blocage concret des mécanismes de l’économie » :

Comment ! voilà dix millions de travailleurs en grève, le patronat jugulé,


le pouvoir qui se liquéfie, Pompidou qui joue les Fregoli tel Kerensky
dans le film d’Eisenstein, de Gaulle qui boude un peuple ingrat, et au
lieu de pousser un peu jusqu’à ce que le château de cartes s’écroule, on
délibère sur l’orthodoxie révolutionnaire, on excommunie, on temporise
pour finalement ordonnancer le demi-tour et faire sonner la retraite.
C’est vraiment prendre les travailleurs pour des imbéciles !
« Un coup pour rien et tant pis pour les matraqués de mai. » Ces chrétiens
révolutionnaires ne se contentent pas d’invectiver le PC ; ils tirent à boulets
rouges sur « l’Église hiérarchique » qui « tartine à longueur de communiqués
électoraux la rhétorique conciliaire la plus éventée de la “participation”,
devançant même sur cette voie le vieux Monarque qui n’en espérait pas tant ».
Les néologismes vont bon train pour repousser « la “participation” conciliaro-
gaulliste, masque du néocapitalisme dans le vent ». La « voie médiane » est celle
des « sagesses creuses » et les appels à la prière, une « tarte à la crème pour jours
de peur ». Aux yeux de ces contestataires, la hiérarchie ecclésiastique confirme
qu’elle n’est au fond pas prête à sa révolution : elle est encore très loin du verbe
du concile, qui attisait « l’espoir concret des pauvres, des aliénés et des
humiliés ». Mais

que cette pesanteur de plomb n’ait pas empêché des chrétiens, laïcs et
prêtres, de dynamiser l’évangile vécu comme une présence active à
l’événement, voilà bien le miracle, […] las d’entendre des curés faire
des gammes sur la Sainte Vierge ou le péché originel pendant que
l’histoire se déroulait dans la rue.

Il reste donc l’espérance d’insuffler un autre courant dans une Église de la « joie
créatrice », « non plus conservatrice des peurs ancestrales et des soupirs
complexés », mais du « peuple des pauvres en marche vers la conquête de ses
droits et de sa dignité » 47.


La contestation n’est pas que principe du refus : à la pratique de la critique
se mêle, inséparable, l’imagination politique. Certes, le « non » a ses vertus.
Dans son journal, Michel Leiris le notera quand l’élan du printemps sera
retombé – « dire non jusqu’au bout : seul moyen, peut-être, pour que d’autres
puissent un jour dire oui ». Le substrat pourrait se résumer ainsi : « nous
n’acceptons plus » – et d’abord la division du travail social et les hiérarchies.
« Défense de ne pas afficher » : on interdit les interdits. Les parapets qui
protègent les institutions doivent s’effondrer, tout comme les remparts qui
séparent les disciplines au lycée et à l’Université, les enseignants et les
enseignés, les patients et les médecins, le personnel et les « mandarins », le
sommet des Églises et les chrétiens… « Les oreilles ont des murs », il faut les
faire tomber. À la faculté de médecine de Paris, de petites affiches manuscrites
lancent une question qui taraude : « Panser ou penser ? ». Les plus déterminés ne
sont pas là pour panser les plaies, badigeonner un système dont elles et ils ne
veulent plus ; pour ces révolutionnaires, aux jambes de bois plus de cautères.
Une idée surtout préoccupe dans la force de son évidence : revenir aux choses de
la vie, leur donner sens, ne pas se sentir mercenaire. De l’événement n’a pas
surgi cette expression qui pourtant lui conviendrait, « le bien de vivre », par
opposition au « mal » du même nom. C’est une recherche, hésitante et
tâtonnante, empreinte de contraintes et de libertés ; une pratique pleinement
politique qui a l’émancipation pour objet 48.
CHAPITRE XIII

Changer de base

Autonomie, autogestion
et émancipation

« Dix millions de travailleurs ne cessent pas leurs activités en même temps


pour 6, 30 ou 100 centimes, mais pour remettre en cause toute la direction du
pays et toutes les structures de la société. » Réunis en assemblée générale le
24 mai, les salariés des magasins de la FNAC à Lille se prononcent « pour
l’instauration de l’autogestion ». Pourtant, trois jours auparavant, Georges Séguy
a déclaré devant la presse : « Ce mouvement, placé sous la vigilance des
travailleurs, est bien trop puissant pour qu’il puisse être question de le stopper
par des formules creuses telles qu’autogestion, réforme de civilisation et autres
inventions qui aboutiraient à reléguer à l’arrière-plan les revendications
immédiates » 1. Dans ce dialogue par déclarations interposées se loge l’un des
enjeux puissants activés par l’événement. Il dépasse le clivage entre la CFDT et
la CGT pour toucher au cœur des projets : faut-il s’en tenir au niveau
revendicatif ou y puiser d’autres perspectives – des alternatives ? La question
sociale se fait ici politique. En miroir, la chose politique – la conception de la
cité – migre dans des lieux sociaux jusqu’alors peu conçus comme tels :
syndicats, universités ou entreprises occupées.
Ce qui se joue dans les occupations esquisse ce qui pourrait advenir dans la
durée et dans un monde différent, à imaginer. Assurer le quotidien de la grève,
organiser sa défense et coordonner son ravitaillement revient au fond à ouvrir
des pistes sur les manières de travailler autrement, libéré(e) de l’autorité :
l’occupation des lieux de travail est déjà une façon de s’en affranchir. Les
élaborations sur l’autonomie et l’autogestion, entamées quelques années avant
l’événement mais vivifiées, amplifiées et déplacées par lui, indiquent combien
les protagonistes interrogent les rôles et les places, entendent les voir et faire
fonctionner autrement, envisagent l’ébranlement des hiérarchies. C’est bien une
réflexion, certes tout juste amorcée, sur d’autres ordonnancements et, in fine, la
mise en cause radicale d’un ordre social.
Mais il ne faut jurer de rien : ni de l’autonomie ni de l’autogestion, quand
bien même toutes deux diraient l’esprit du temps avec leur préfixe commun.
Elles expriment l’importance capitale de la décision prise à la base, pilier d’une
société moins centralisée, démocratique et émancipée. Pour autant, l’autonomie
prônée pour les universités comme l’autogestion pour les entreprises occupées
est discutée et soupesée, tantôt avec confiance tantôt avec prudence. Car le
danger est toujours d’être récupéré ; cette hantise est une obsession chez les
protagonistes de la contestation. Il ne s’agit pas seulement de réfléchir aux
faiblesses de cette épée de Damoclès : la clairvoyance ne doit pas réfréner les
projets. Autonomie et autogestion ne s’affichent pas en panacées : elles sont
davantage vues comme des brèches ou des leviers pour penser une autre société.

Sans estrades ni chaires ? Les ambiguïtés


de l’autonomie universitaire

L’AUTONOMIE OU LE MANIFESTE D’UNE NOUVELLE ÈRE


11 mai 1968. À l’université de Strasbourg, les membres du conseil étudiant
décident de proclamer l’autonomie de la faculté : à leurs yeux, c’est le moyen le
plus adapté pour rompre avec un pouvoir jugé failli, discrédité. C’est une
manière indépendante et insubordonnée de développer, en dehors de contraintes
gouvernementales, une critique fondamentale de l’Université. C’est se doter
enfin de liberté dans la conception des programmes et l’évaluation de la
formation, mais aussi dans bien d’autres actions : initiatives culturelles,
formation politique, travail syndical… Les étudiants et enseignants parties
prenantes de cette révolution locale y voient une forme de démocratie directe : le
conseil étudiant est défini comme l’ensemble des volontaires, responsables et
solidaires, adossé au refus de délégués permanents. Une centaine d’enseignants
participent à cette « université autonome de Strasbourg » et, le 15 mai, adoptent
un texte de soutien aux étudiants qui ont créé « une situation révolutionnaire ».
Son prolongement doit se retrouver au cœur de la lutte politique, qui est l’affaire
de toutes et tous 2.
À une échelle plus vaste qui articule dimensions locale et nationale, un
« Manifeste universitaire » est élaboré, lu et approuvé par de nombreuses
assemblées générales, dans certaines écoles et universités de Paris et de région
parisienne (l’École nationale des Beaux-Arts, l’Institut d’études politiques,
l’Institut des langues orientales, la faculté de droit et de sciences économiques,
celle de philosophie, sociologie et lettres, mais aussi la faculté de médecine,
Nanterre et Orsay) et de province (Rouen, Clermont-Ferrand et Poitiers).
L’indépendance se mêle à la contestation de la société ; les établissements
d’enseignement supérieur doivent être gérés à parité par les enseignants et les
étudiants, sans ingérence extérieure. Tout ne se joue pas au niveau local pour
autant : des comités nationaux de vigilance, eux-mêmes issus de comités
paritaires propres à chaque université, distribueraient les moyens de manière
concertée 3. Réunis en colloque « inter-facultés » le 2 juin à Tours, 200 étudiants
de médecine votent une motion qui refuse « à tout Gouvernement, quel qu’il
soit, le droit d’imposer une réforme de structure à l’Université » : « nous ne lui
reconnaissons que le droit et le devoir de ratifier les légitimes décisions prises
par les seuls intéressés » 4.
À l’appui de cette autonomie, des étudiants mobilisés citent Jules Ferry : en
novembre 1883, alors qu’il était ministre de l’Éducation nationale, il écrivait aux
recteurs son souhait que se développe dans l’enseignement supérieur « le
sentiment de la responsabilité, l’habitude de s’administrer soi-même » ; c’eût été
un grand résultat de voir les universités gérer elles-mêmes leurs affaires,
« pénétrées de leur devoir et de leur valeur ». L’homme lige d’une
IIIe République encore jeune précisait que ces facultés se montreraient ainsi
« rivales des universités voisines, associant dans ces rivalités l’intérêt de leur
prospérité au désir de faire mieux que les autres, de s’acquérir des mérites
particuliers et des titres d’honneur 5 ». En 1968, une telle insistance sur la
concurrence a en réalité de quoi alarmer les tenants d’un enseignement plus
égalitaire et émancipé.

LES ANTINOMIES DE L’AUTONOMIE

Car l’autonomie suscite aussi une certaine prudence : l’ambiguïté du terme,


et ce qu’il recouvre, incitent à la méfiance. Pour celles et ceux qui rêvent d’un
enseignement sans estrades ni chaires, l’autonomie pourrait au contraire
renforcer le pouvoir des mandarins et conforter leur autorité sans plus de
contraintes ou barrières. Elle est donc susceptible de contenir « des désirs et des
projets peu avouables », avertissent des militants sceptiques, qui craignent
encore des « déviations régionalistes et corporatistes ». Et de fait, à la faculté de
droit de Paris, le Comité des étudiants pour les libertés universitaires, favorable à
certaines réformes mais opposé à la mouvance contestataire, reprend volontiers à
son compte la revendication d’autonomie, assortie d’une décentralisation et d’un
pouvoir accru dévolu aux régions ; charge ensuite à celles-ci d’entretenir des
liens resserrés entre les universités et le tissu économique environnant 6.
Dès lors se dresse le danger d’une compétition généralisée. Jules Ferry le
sous-entendait déjà : rendre les universités indépendantes de l’État est une
manière d’exiger d’elles de nouvelles performances, accompagnées d’une mise
en concurrence. Le colloque de Caen consacré à l’enseignement supérieur en
novembre 1966, présidé par André Lichnerowicz sous le parrainage de Pierre
Mendès France, auquel avaient participé Raymond Aron, Jacques Monod et
Laurent Schwartz, laissait parfois un goût amer. L’autonomie des universités y
était certes abordée, mais pour mieux insister sur leur rôle au sein de l’économie,
délestées de la tutelle de l’État et dotées de partenariats avec le monde de
l’entreprise dans une perspective compétitive. Pour assurer les conditions de
cette compétition, la sélection était envisagée. C’est pourquoi, parmi les
étudiants contestataires, Laurent Schwartz est désormais diversement apprécié :
« militant anti-impérialiste d’un côté, professeur “sélectionniste” de l’autre 7 ».
Pour l’« université autonome de Strasbourg », cette forme-là, telle que le
colloque de Caen la prévoit, n’est rien d’autre qu’une adaptation de
l’enseignement supérieur au néocapitalisme, sur le modèle des États-Unis où se
pratique l’autonomie.
Les partisans de l’émancipation ne veulent pas que les universités
deviennent concurrentielles entre elles, au service d’objectifs économiques et
d’une rentabilité nouvelle. Des universités devenues autonomes seraient chaque
jour plus tentées de recourir à des financements privés. Quant à la concurrence
exacerbée – c’est là encore que le bât blesse –, elle déboucherait sur un système
à deux vitesses, aiguisant les écarts entre établissements prestigieux et
établissements relégués. Les aspirations exprimées par la Fédération nationale
des Étudiants de France confirment que l’hypothèse est plausible : la FNEF
revendique l’autonomie pour les universités « cogérées par les étudiants et mises
en concurrence, [de sorte] qu’elles puissent travailler en symbiose avec les
milieux économiques et sociaux des régions ». L’Action française réclame elle
aussi l’autonomie et la régionalisation des crédits et des structures universitaires.
C’est pourquoi, aux assises nationales des universités qui se tiennent à
Strasbourg du 8 au 10 juin, plusieurs délégués refusent le débat sur l’autonomie
en raison de cette ambiguïté. À Toulouse, l’UNEF argumente sur le risque qu’il
y aurait pour les étudiants à se rendre complices d’ajustements voulus par un
capitalisme modernisé, ce qui reviendrait en dernière instance à les neutraliser et,
plus encore, à les récupérer. Le SNESup demande qu’on ne prenne pas le terme
d’autonomie à la légère et sans critique : ce serait faire le jeu de groupes de
pression à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Université ; il prône l’instauration
d’instances centrales de vigilance 8.
Parmi d’autres, le mouvement du 22-Mars est vent debout face à ce sujet
jugé piégé. Ses membres avancent une réflexion théorique et politique sur le
concept d’autonomie, susceptible d’en contrer de potentiels chausse-trappes.
Dans le contexte présent, l’autonomie semble en réalité foncièrement ajustée à la
logique moderniste chère au pouvoir gaulliste : elle se situe au carrefour de la
cogestion et de la participation. Il s’agit donc de ne pas autonomiser à son tour le
concept d’autonomie, de ne pas le considérer comme un absolu voire un fétiche
déconnecté de la réalité historique, sociale et politique. Il y a lieu d’envisager ses
conditions matérielles de possibilité et d’en mesurer l’éventuelle
« mystification » ou, à tout le moins, la régression par rapport aux objectifs de la
contestation : une pleine émancipation, soustraite aux exigences économiques et
au contrôle étatique 9.

LES FAUX-SEMBLANTS DU « POUVOIR ÉTUDIANT » ?

Reste le risque, avec l’autonomie, de faire face à un système inchangé en


termes de crédits. Si l’argent venait à manquer, que serait le « pouvoir
étudiant » ? Serait-ce le pouvoir de « gérer la pénurie » ? Par détournement des
aspirations initiales, ce serait au fond ce dont le pouvoir peut rêver : voir les
étudiants non seulement valider mais organiser une politique de l’Université à
moyens constants avec, pour les personnels non enseignants, des salaires
insuffisants. À cette aune, le « pouvoir étudiant » serait au mieux un leurre, au
pire une trahison, dit-on :

L’expérience de toutes les luttes revendicatrices montre que le moyen le


plus efficace de neutraliser un mouvement consiste à lui permettre de
prendre aux responsabilités une part suffisante pour qu’il soit
compromis, donc désamorcé, sans pour autant lui accorder une maîtrise
réelle du pouvoir de décision 10.
La revendication du « pouvoir étudiant » n’est pas elle non plus dépourvue
d’ambiguïté et certaines commissions ne manquent pas de le faire remarquer. Ce
qui est redouté par-dessus tout, c’est une intégration de la contestation à un
système bien rôdé. Certes, l’UNEF revendique un « droit de veto » pour les
étudiants ; selon le syndicat, c’est une manière infaillible d’éviter la
récupération. Mais que signifierait un pouvoir étudiant autonome des autres
personnels des universités ? Comme le dit le comité d’action à la faculté des
sciences d’Orsay, les autres travailleurs ont les mêmes droits et des
revendications « aussi justes et graves (sinon plus), et nullement contradictoires
avec celles des étudiants 11 ».
Plutôt que de pouvoir étudiant, d’aucuns comme le SNESup préfèrent
envisager la création d’un organisme indépendant, issu des assemblées et
comités locaux, qui regrouperait les représentants de tous les salariés et
étudiants, à parité, assorti de pouvoirs réels dont le droit de veto serait le garant.
Encore faut-il ne pas séparer l’Université de la société tout entière. Cette
exigence suppose d’ouvrir l’Université aux travailleurs. Hors de cette condition,
l’autonomie apparaît à certains comme une « supercherie » : « seuls, nous ne
pourrions réformer que pour la bourgeoisie 12 ».

Sous la bannière autogestionnaire

LES VOYAGES DE L’AUTOGESTION

Cette discussion est elle-même arcboutée aux débats sur l’autogestion,


distincte de la cogestion comme l’autonomie diffère de la « participation ».
Cogérer, ce serait prendre une part active aux résultats d’entreprises inchangées
dans leur fonctionnement, donc toujours fondées sur des rapports de propriété et
d’exploitation. L’autogestion, en revanche, repose sur des collectifs de travail
organisés, avec une propriété collective des moyens de production, qui
pourraient se passer de patrons.
Bien des pratiques se rangent au fond sous la « bannière
autogestionnaire 13 ». L’autogestion est d’abord expérimentée en Yougoslavie,
pays non aligné depuis 1948 et qui, sous Tito, se fait exportateur actif de projets
afin de briser son isolement. L’autonomie à l’égard de Moscou, affirmée dès
1945 avec la libération arrachée à l’occupant nazi par les résistants yougoslaves,
notamment la Ligue des communistes de Yougoslavie (LCY), lui permet
d’échapper à la discipline moscovite. Le pays recherche une voie alternative au
« modèle » soviétique. Selon la Loi fondamentale déposée par Tito auprès du
Parlement en juin 1950, la propriété des entreprises demeure étatique mais elles
sont gérées dans les faits par les travailleurs ou, plus précisément, par des
collectifs ouvriers dans le cadre de la planification d’État. Ces collectifs sont
formés par l’assemblée générale de l’usine soit, pour les entreprises de plus
grande taille, par un conseil élu. Cependant, la répartition des décisions reste
divisée et hiérarchisée : les collectifs ouvriers s’occupent surtout de
l’organisation du travail. Le directeur, représentant de l’État, garde la main sur
l’embauche et les licenciements ; il est chargé d’exécuter les plans étatiques,
tandis que l’État lui-même continue de fixer seul les objectifs de production. De
surcroît, un tournant s’opère en 1965, avec la libéralisation des prix et le retour
limité du marché : les entreprises n’ont plus la garantie de l’intervention
étatique, elles doivent s’autofinancer et avoir recours aux banques voire, à partir
de 1967, à des capitaux étrangers. L’expérience yougoslave s’apparente
davantage à un contrôle ouvrier qu’à une révolution autogestionnaire. Il n’en
reste pas moins qu’elle est exaltée par de nombreux courants de la Nouvelle
gauche, dont les représentants sont les passeurs en Europe occidentale et font de
l’autogestion une « utopie transnationale 14 ».
Henri Lefebvre et René Lourau comptent parmi ces passeurs, via la revue
Autogestion. Créée en 1966, universitaire, non partisane mais engagée, elle
inscrit son héritage dans une longue tradition, ancrée dans les pensées de
Fourier, Bakounine et Proudhon, et dans de fortes pratiques historiques depuis le
mir (la commune paysanne russe) jusqu’aux soviets de 1905 et 1917, aux
conseils ouvriers des révolutions allemande (1918-1919) et hongroise (1956),
des mouvements polonais (1956) et tchèque (1967-1968) en passant par les
commissions ouvrières italiennes (1919-1920) et de l’Espagne révolutionnaire
(1936-1939). Même si Henri Lefebvre y publie de loin en loin et si l’autogestion
n’est pas dans sa pensée un terme central, sa conception est fondamentale
comme alternative à la crise du communisme et au « marxisme officiel », contre
l’étatisation et la centralisation staliniennes. La participation de Lefebvre à la
revue Arguments, l’un des laboratoires de la « pensée antiautoritaire », lui avait
déjà offert de se pencher sur la pratique autogestionnaire 15. Yvon Bourdet, l’un
des piliers d’Autogestion, y théorise la notion d’« autogestion généralisée »,
développée dans Socialisme ou Barbarie. Des expériences contemporaines,
yougoslave bien sûr mais aussi algérienne et israélienne (avec les kibboutzim),
sont invoquées. Y cohabitent des contributeurs socialistes (comme Robert
Chapuis), trotskistes (Michel Raptis, dit « Pablo » dans la IVe Internationale,
conseiller du président algérien Ahmed Ben Bella) et anarchistes (souvent
auteurs de Rouge et Noir) 16.
Cette dernière, revue de l’Union des groupes anarchistes-communistes
(UGAC), consacre en mai un numéro entier aux pratiques historiques de
l’autogestion. Les occupations d’usines à Milan et Turinen 1920 rappellent le
mot d’ordre anarchiste d’alors, « Osez encore, osez plus, et la victoire ne pourra
manquer » ; ou bien, à propos des collectivités anarchistes espagnoles, le slogan
« Ni Franco ni Staline ». L’expérience autogestionnaire permet de laisser se
déployer « l’intelligence populaire 17 ».

L’ŒUVRE DES TRAVAILLEURS EUX-MÊMES

Le projet d’autogestion est surtout porté par la CFDT et défendu, comme on


le verra plus loin, par le PSU. Le terme a été utilisé pour la première fois par
Eugène Descamps lors d’une Semaine sociale à Grenoble en 1960. Dans la
bouche du secrétaire confédéral, le mot est alors employé de manière
indifférenciée avec celui de « cogestion » : ses contours sont encore
indéterminés. Certaines fédérations, qui forment la « gauche » de la CFDT, en
premier lieu la Chimie et Hacuitex (la Fédération de l’habillement, du cuir et du
textile), reprennent volontiers la notion et lui confèrent un dessein plus affirmé :
la conquête du pouvoir dans l’usine anticipe le renversement des rapports de
propriété. En décembre 1963, le congrès fédéral d’Hacuitex explicite cette
aspiration à une société autogestionnaire dans laquelle les travailleurs
prendraient en main leurs affaires, avec autogestion des entreprises par les
salariés, de la terre par les paysans et des services par les usagers 18. Fredo
Krumnow joue là un rôle essentiel : cet ancien militant de la JOC, contributeur
de Témoignage chrétien et membre du PSU, dirige la Fédération du textile
depuis 1960 et contribue à y apposer l’empreinte autogestionnaire. Son voyage
en Yougoslavie, à l’été 1965, a confirmé son engagement en la matière.
« Mais la CFDT des années 1965-1967 n’est pas encore prête à se lancer,
tête baissée, dans l’utopie révolutionnaire 19. » La révolte de 1968 lui offre
l’occasion d’avancer sur ce sillon. Dès le 16 mai, la confédération l’exprime sans
détour ni ambages : « À la monarchie industrielle et administrative, il faut
substituer des structures démocratiques à base d’autogestion 20. » Toutefois, lors
de la conférence de presse commune à l’UNEF et à la CFDT le 20 mai, les
termes de « démocratisation », « cogestion » et « autogestion » sont tour à tour
employés par Eugène Descamps, sans distinction. La confusion est jugée
« grave » par certains syndicats ou fédérations, telle la CFDT Chimie de Paris :
la cogestion suppose de prendre part à la course au profit ; or, pour ce syndicat,
« il est exclu que les travailleurs participent à la survivance de ce qu’ils
condamnent dans le capitalisme et dans ce sens il ne peut être question de
cogestion 21 ».
Nombreux sont les comités d’action qui débattent de l’autogestion avec
vivacité. À Lille, l’accent est mis sur la responsabilité individuelle et collective
qu’elle confère : l’autogestion sert l’être humain au lieu de l’oppresser. Le
syndicat CFDT de Renault-Billancourt défend l’autogestion comme un passage
progressif du contrôle ouvrier à la gestion pleine et entière par les travailleurs
eux-mêmes : elle n’aura rien à voir avec la participation gaulliste ou avec la
cogestion telle qu’elle se pratique déjà en RFA. À l’entreprise Sud-Aviation de
Courbevoie, des débats ont lieu dans l’usine et débouchent sur une idée : « Seule
la prise en main de la gestion et l’orientation de l’entreprise par les travailleurs
peut amener les garanties que réclament tous les salariés. » Bien des questions en
découlent, soumises à la discussion sans que leur réponse soit tranchée : aura-t-
on encore besoin de cadres dans un tel système ? Qu’en sera-t-il de la
rémunération : une hiérarchie des salaires devra-t-elle subsister ? Comment
penser la fiscalité 22 ? Ce sont des cheminements, des avancées à petits pas, des
incertitudes en débat.
Une seule entreprise durant les événements s’attelle véritablement à une
pratique d’autogestion, du moins dans la conception du projet : la CSF-Thomson
à Brest, une usine fondée six ans auparavant par la Compagnie générale de
télégraphie sans fil – elle produit des radars destinés à l’armée. La CFDT y est le
seul syndicat représenté mais le comité de grève dépasse largement les
syndiqués ; outre les ouvriers et employés, une trentaine d’ingénieurs environ
participent aux commissions chargées d’étudier méthodes de travail, définition
des postes, embauche et promotion, formation permanente et contrôle du budget.
Le journal de grève Notre combat relate cette brève expérience autogestionnaire.
L’existence de « commissions ouvrières » – ainsi dénommées bien qu’elles
accueillent aussi des ingénieurs et des employés – marque les esprits : elle initie
une mise en cause des hiérarchies au profit d’une « communauté » 23.
L’autogestion n’est pas pour autant un fétiche vénéré sans critique : elle fait
l’objet d’échanges serrés, qui en discernent les limites. Il n’y a donc là ni
linéarité ni aplanissement des difficultés.

Une ruse de l’histoire ? Autogestion versus


participation

AUTOCRITIQUE DE L’AUTOGESTION
Le 6 juin, une rencontre entre des étudiants de différentes universités et des
ouvriers de Renault, de Peugeot et d’Hispano-Suiza témoigne de cette
conscience critique. Les participants y insistent : l’autogestion permet
d’organiser la production selon les compétences des ouvriers eux-mêmes et
donne un sens nouveau à leur travail, en prise avec leurs savoir-faire. Elle
comprend une rotation des tâches et une éducation de tous à des domaines
variés, qu’ils soient techniques, économiques ou financiers. Elle rompt avec les
cloisonnements et la verticalité qui président aux rapports entre cadres, maîtrise,
ouvriers qualifiés et spécialisés.
Mais l’autogestion n’apparaît pas comme un mot d’ordre révolutionnaire en
soi, si les entreprises restent ancrées dans le système capitaliste. « Autogérer une
entreprise capitaliste ? C’est ce que font les entreprises américaines de pointe
(Boeing…) », indique un participant, allusion à la part des salariés dans les
bénéfices de l’entreprise. Et puis, il reste un danger : celui de l’auto-exploitation
des travailleurs par eux-mêmes. À ce sujet, des ouvriers d’Hispano-Suiza
pointent du doigt l’emprise de certains cadres CGT et leurs pratiques jugées
autoritaires au cœur même de la grève (interdiction faite aux femmes de rentrer,
filtrage et « flicage » au nom de la sécurité…) 24.
Cette discussion fait réfléchir et infléchir la position du 22-Mars, qui publie
deux jours plus tard la tribune « Autogestion et Narcissisme ». À la façon de
l’autonomie, l’autogestion peut apparaître, elle aussi, comme une
« mystification ». Une nouvelle fois, tout dépend de qui l’emploie : « de
Lapalisse à de Gaulle, de la CFDT aux anarchistes ». En ce sens, sans précision,
le mot fait écran. Les nouveaux courants du training group et des techniques
psychosociologiques mises au service de l’entreprise pourraient fort bien inclure
l’autogestion dans leur giron : il s’agirait en ce cas de développer les
performances individuelles pour mieux servir la compétitivité. La hiérarchie peut
être décriée, la critique en demeure parfois superficielle et enrobée d’une
« morale rogerienne ».
On reconnaît ici l’analyse critique des grands courants sociologiques et
psychologiques, décortiqués avec une distance à la fois précise et ironique par
les militants de Nanterre. Le psychologue états-unien Carl Rogers (né en 1902) a
élaboré une approche psychothérapeutique centrée sur la personne et sur sa
créativité : les potentialités de chaque individu, entravées, méritent d’être
révélées. Il n’est pas anodin que Rogers ait remplacé le mot « patient » par celui
de « client » : même s’il s’agit pour lui d’insister davantage sur l’activité au
détriment de la passivité, c’est aussi un mot du marché. Rogers propose de
l’appliquer à la communication des entreprises. C’est pourquoi, selon le 22-
Mars, il faut absolument opérer une clarification théorique de sa portée et de ses
limites. Dans le cas contraire, les alternatives sont vues comme des repoussoirs :
soit l’étatisation centralisée, soit la logique de marché 25. Cette dernière
hypothèse est d’autant plus plausible qu’elle est prônée par le pouvoir.

LA DISSOCIATION CAPITAL-TRAVAIL

Depuis quelques années, on s’en rappelle, le régime gaulliste parle beaucoup


de « dialogue » et de « participation ». À l’époque du RPF, Raymond Aron, au
côté de Georges Pompidou, s’était vivement opposé à la ligne Terrenoire-Vallon
sur la « participation ». En 1968, il professe encore sa méfiance à l’égard de
l’expression : « un mot ployable en tous sens n’a plus de sens ». Pour autant,
Aron assouplit sa position à l’aune des événements et finit par s’y rallier : il
invoque « la modernisation de l’économie française » qui exige « un sentiment
de participation ». Pour Aron, cela ne viendra pas d’une législation : ce doit être
plutôt une sorte de création continue au sein des entreprises où se forge une
« communauté » ; « le chef » qui associe ses « collaborateurs », cadres,
employés et ouvriers, assurerait une bien meilleure « fluidité de la gestion » 26.
On comprend que certains voient là une « diversion », apte à semer la
confusion 27. L’Union départementale CFDT du Rhône le souligne :
l’autogestion, ce n’est pas le paritarisme – « la parité des travailleurs et du
patronat est un leurre puisque ce dernier dispose de tous les pouvoirs 28 ». Pour
son homologue du Calvados, l’autogestion est bel et bien « la gestion des
entreprises par les travailleurs eux-mêmes 29 ». L’Union confédérale des
ingénieurs et cadres désavoue toute idée de réaliser l’autogestion « sans
s’attaquer à la nature même du pouvoir économique et politique ». L’autogestion
est une aspiration forte de l’époque, mais elle ne peut rester approximative et
confuse : il s’agit de « greffer un projet rationnel sur les motivations
passionnelles 30 ».
Ce projet suppose la rupture avec la logique du profit et de la propriété
privée : une pratique autogestionnaire est une expérience révolutionnaire. Elle
exige que tout soit contrôlé par les travailleurs eux-mêmes : programmes et
prévisions, investissements, production, organisation du travail, relations
commerciales, embauche et emploi, etc. Elle nécessite des liens étroits entre les
entreprises autogérées, qui ne sauraient rester isolées ; c’est une condition de
leur viabilité : « l’ensemble des rouages productifs [doivent] s’interpénétrer à la
manière de centraux téléphoniques 31 ». L’autogestion trace cette perspective
révolutionnaire : c’est la prise en main des moyens de production par la classe
ouvrière.


« Ce n’est pas le désordre qui doit être opposé à l’ordre, c’est l’autonomie. »
En 1968, il est peu probable que les contestataires aient ce mot de Sade à
l’esprit 32. Pourtant, le postulat sonne comme un défi et résonne clair dans l’esprit
du temps autogestionnaire. Mais autonomie et autogestion pourraient être
dévoyées. Le piège est-il dans l’autonomie comme le ver dans le fruit ? Le
paradoxe serait de tracer un chemin à rebours des espérances : celui de
l’élitisme, du marché et de la concurrence – en somme, une ruse de l’histoire,
qui retournerait le projet. L’autonomie est un beau mot ; il fait écho aux désirs de
liberté et d’affranchissement. Mais lâcher la bride pourrait revenir à l’avoir
toujours sur le cou, déformée, donc moins bien identifiée. Alain Touraine ne s’y
trompe pas, qui prévoit déjà une récupération cynique, au profit d’un plan
technocratique. Il croit voir émerger dans les débats des universités « des
tendances et des transformations dont les résultats sembleront un jour prochain
très étonnants à ceux qui en furent les acteurs passionnés 33 ». L’essentiel
pourtant tient peut-être dans la vigilance dont les acteurs se montrent armés.
Autonomie et autogestion sont surtout conçues comme des pistes à explorer, des
alternatives à l’économie de marché.
CHAPITRE XIV

Le rouge et le noir

Quelques imaginaires révolutionnaires

« Y a-t-il encore du possible (des ouvertures) dans un monde clos de toutes


parts ? » Cette question tourmentée, le philosophe Henri Lefebvre la soulève au
lendemain de Mai. Il évoque la crainte des projets détournés, tant « la société
anéantit ou récupère même les imaginations » 1. Mais si la peur demeure, elle
n’empêche pas l’inventivité : ni fiction ni divagations, ni fantaisie ni chimères si
l’on accepte de prendre un tant soit peu au sérieux ces projets révolutionnaires.
« Entrer dans l’ouvert 2 », c’est donner de l’air à la société, tout en partant d’elle.
Car ces propositions politiques ne sont pas arbitraires : elles se fondent sur ce qui
est su, connu et expérimenté pour avancer d’autres choix. Il n’en va pas là d’une
attente passive de ce qui adviendrait, mais d’un volontarisme créatif ; il
décachette la lettre de l’ordre en place, cesse de le prendre au mot et espère
contribuer à le débrider, le dérider, le desserrer.
Les partis et groupes politiques, ces fameux « groupuscules » que le pouvoir
tenait pour minuscules et qui se révèlent finalement influents, sont eux-mêmes
bousculés par l’événement : ils s’y renouvellent et s’y remodèlent. Il est
intéressant de mesurer ce que la grève fait aux projets conçus bien en amont
mais retouchés, voire bonifiés, comme on le dit d’un vin ancien. À coup sûr,
l’imagination politique ne s’arrête pas aux partis et groupes constitués –
d’aucuns diraient même : au contraire, les trouvailles révolutionnaires se logent
parfois dans des lieux qui n’en ont pas la vocation ou qui n’en font pas
profession. S’il importe donc de savoir combien les programmes sont revigorés,
il faut tout autant explorer ce qui se passe ailleurs, dans les espaces moins
institués. Il arrive que des gens, qui ne se connaissaient pas ou à peine jusque-là,
se retrouvent à la faveur de ce temps en suspens et le mettent à profit pour
imaginer pas à pas le dessin d’un monde différent. Ce sont des tentatives et des
expériences, sans certitudes ni grandiloquence, mais, affirmées dans la fermeté
de savoir, légitimes : « Nous demandons ce que nous devons avoir, non ce que
nous pouvons avoir », comme on l’entend à Berkeley.
Cette élaboration en situation montre que le champ de l’espéré s’étend. Si
Maurice Blanchot a écrit que 68 a « l’impossible comme seul défi » 3, pourtant,
par-delà les traces tenaces d’un graffiti, l’événement ne se résume ni ne se
consume dans le désir fou de « demander l’impossible ». C’est bien de possibles
qu’il s’agit, pensés hors du capitalisme – un point commun par-delà les
divergences et les différences.

Parler d’elle : la révolution désirée

UN ESPOIR DE GRAND SOIR ?

Comme une bien-aimée qu’on attendait : pour celles et ceux qui en rêvaient,
la révolution est là, enfin, tant chantée et tant désirée 4. « La révolution qui se
prépare depuis plus d’un siècle nous revient », assure le comité des Enragés le
30 mai. Est-ce une parole performative qui, en l’affirmant, veut la faire exister ?
Est-ce prendre ses rêves pour la réalité ? Les situationnistes ne sont pourtant pas
les seuls à le penser : la révolution est là, désormais. Bien sûr, elle n’est pas
achevée ; c’est une entame, un commencement. C’est pourquoi il n’en va pas là
seulement d’un constat mais d’une détermination à poursuivre l’action. Le
3 juin, la revue du Secrétariat unifié, Quatrième Internationale, publie dans la
conscience de l’urgence un supplément qui dit notamment : « Les barricades de
mai 1968 ont fait justice d’un conte que bourgeois et réformistes avaient
beaucoup répété et même fini par croire : dans notre société moderne, la
révolution est impossible. » Elle paraît sortir de la cage de fer dans laquelle on
l’avait tenue prisonnière et revient dans le champ du réel : l’impossible sort du
dictionnaire révolutionnaire. Les militants tiennent leur revanche et surtout
pensent atteindre enfin le but de leurs combats 5.
Que des partisans de la révolution assurent qu’elle frappe à la porte du
présent, rien d’étonnant. Le postulat se remarque au fond davantage lorsqu’il
émane d’une institution vénérable et, en matière révolutionnaire, jusque-là
insoupçonnable : à l’initiative de Jacques Berque, une pétition en provenance du
Collège de France, début mai, salue « les perspectives révolutionnaires ouvertes
par les derniers événements ». Parmi les premiers signataires, on trouve des
intellectuels communistes, membres du Parti ou compagnons de route, tels Pierre
Cot, Lucien Goldmann ou Jean-Pierre Vernant, des dissidents comme Roland
Barthes, Henri Chombart de Lauwe ou Henri Lefebvre, et d’ex-militants comme
Emmanuel Leroy-Ladurie. De leur côté, les jeunes médecins du PSU
s’enthousiasment pour « la contestation révolutionnaire des structures
capitalistes » : leur profession ne les porte pas par tradition vers la révolution,
mais l’engagement politique fait mentir les déterminismes sociologiques.
D’autres secteurs encore détonnent par leur position en faveur de la révolution.
Les danseurs et chorégraphes mobilisés jugent essentiel de jouer leur rôle dans
« la dynamique révolutionnaire actuelle ». Le Groupe biblique universitaire de
Paris publie un document intitulé « La révolution permanente », sans lien avec la
théorie de Marx approfondie par Parvus et Trotski ; il rappelle que les premiers
chrétiens, en minorité dans une société esclavagiste, avaient créé spontanément
une communauté de biens 6.
Le sentiment de vivre une révolution surgit en fait à profusion. Pour Jean
Genet, la révolte initiale devient « le sens même de la révolution, c’est-à-dire de
la remise en question de toutes les formes sociales dans lesquelles nous vivons ».
À la faculté des sciences de Paris, un texte collectif évoque « un mouvement
révolutionnaire sans précédent dans notre histoire ». Un petit groupe, qui
s’affuble ironiquement de l’appellation « Union des jeunes contre le progrès »
pour prendre à revers l’UJP, exulte : « la fête révolutionnaire n’est plus un
rêve » ; elle est vécue comme une poussée de sève, une danse de printemps. Les
Renseignements généraux pour leur part, pourtant peu suspects d’aspiration
révolutionnaire, emploient l’expression pour décrire les circonstances : à Saint-
Nazaire, les RG dépeignent une ville en « situation révolutionnaire » ; à Roanne,
ils parlent d’une « France tout entière ébranlée par une révolution ». Le préfet
des Pays de la Loire évoque sans détour l’expérience du Comité central de grève
nantais comme une « mesure révolutionnaire », même si c’est pour la dénigrer 7.
Mais un risque apparaît : que le mot s’use comme un tissu ravaudé – et
finisse galvaudé. On se souvient que l’organisation de jeunesse gaulliste, l’UJP,
brandit le slogan : « Les jeunes assument la révolution avec de Gaulle. » À
l’extrême droite, si le temps est à l’affirmation d’une contre-révolution
nécessaire, le groupe Occident s’affirme en « jeunesse révolutionnaire au service
de la nation » 8. Une révolution nationale ? Le grand dessein n’est pas sans
rappeler le régime de Pétain. On saisit donc, sous la plume de Maurice Clavel, la
pointe acerbe de l’ironie : « La révolution contre les révolutionnaires, c’est
connu, c’est Vichy. » Ou comme autrefois Proudhon le disait : « Si la révolution
n’existait pas, sachez-le bien, la réaction l’inventerait » 9.

LA FIN DES « COMME AVANT », LA NOUVEAUTÉ


DES COMMENCEMENTS

Il ne suffit donc pas que le mot soit exposé comme un trophée. Encore faut-il
en cerner les contours, revenir sinon à la définition de « la révolution », du
moins à ses critères et à ses conditions. Lénine avait schématisé le moment
d’ébranlement qui caractérise une situation révolutionnaire : « en haut », les
puissants ne peuvent plus gouverner comme avant ; « en bas », on n’accepte plus
d’être gouvernés comme avant 10. Cette analyse est logiquement reprise par les
courants qui se réclament de cette tradition. Au lycée Charlemagne à Paris, le
journal de la JCR, L’Insurgé, évoque la « révolution en marche » et reprend
terme à terme la référence à Lénine, pour l’appliquer à l’instant présent 11.
L’exemple singulier est celui des régiments où des comités d’action se sont
formés en mai, signe d’une confiance dans la révolution. Il est vrai que dans
certains casernements, ceux d’Angers, de Saumur et du Mans, des groupes de
soldats en appellent à l’insoumission 12. Pour le comité « Cinéma » de la faculté
de Censier, les événements empêchent désormais d’accepter les aliénations
d’hier : en cela, ils sont révolutionnaires. Il y a blocage de fait : les mécanismes
économiques et sociaux sont hors d’état de fonctionner ; c’est, d’après André
Barjonet, « objectivement une situation révolutionnaire ». Jacques Sauvageot
arrive mot pour mot à la même conclusion : des comités se sont créés partout,
dans les usines, les facultés et les quartiers, les entreprises sont occupées ; « il
n’y a plus de légalité. Objectivement, la situation est donc révolutionnaire » 13.
Ce mot répété, « objectivement », est lesté d’un sens important : la subjectivité,
conscience mêlée à la volonté, si elle est décisive, doit s’assortir de conditions
objectives, de facteurs matériels essentiels, et d’abord d’une modification des
rapports de production.
Y a-t-il là une simple application circonstancielle d’un modèle
révolutionnaire valable de manière universelle et selon un plan tout tracé ? Il
semble qu’il n’en soit rien : la situation sécrète ses nouveautés. Ainsi pour la
Tendance marxiste révolutionnaire de la IVe Internationale, « une crise
révolutionnaire sans précédent vient d’éclater ». Elle n’est pas le produit d’une
crise économique ; elle n’a pas commencé par le prolétariat. Ces singularités
signalent la créativité du processus révolutionnaire, qui n’est en soi jamais figé.
Elles montrent les voies particulières que peut emprunter la révolution « dans les
pays capitalistes avancés ». Elle n’est pas le « Grand Soir » si souvent
proclamé 14.
L’idée que la révolution ne répond pas à un schéma fixé, élaboré une bonne
fois dans les Palais d’hiver révolutionnaires, est défendue avec véhémence par
les individus, groupes et tendances qui se méfient de théories plaquées ou
ressassées. La défiance est immense à l’égard des pratiques dogmatiques : les
carcans idéologiques briseraient une dynamique en l’enfermant dans un prêt-à-
penser. On n’est pas surpris de retrouver ici le comité de Censier dont le nom
revêt son plein sens : « Nous sommes en marche »… La révolution est conçue
comme un mouvement, une expansion perpétuée. Elle porte des contradictions,
dépassées dans l’action elle-même ; telle est la dialectique que Hegel puis Marx
avaient pensée et où l’on continue de puiser. « La force et la faiblesse d’un
mouvement révolutionnaire est d’être en avance sur lui-même » ; ne faire qu’y
insister pour prôner un recul, c’est devenir réactionnaire ; n’y voir qu’une force,
c’est n’être qu’« un agité » 15.
Les protagonistes peuvent avoir le sentiment d’être des funambules sur la
corde du temps révolutionnaire, dans un exercice d’équilibre précaire. André
Sernin, « bourgeois de Paris » dans une capitale en ébullition, s’arrête stupéfait
devant une inscription : « La révolution se fera par le verbe et non par le
substantif. » Son journal porte sur cette sentence, recopiée avec soin, un grand
point d’interrogation. À l’aune de la marche pourtant, la phrase s’éclaire. La
situation révolutionnaire est un processus ; elle n’est pas une entité ou un objet,
définitif et cristallisé ; elle est une création dont le verbe indique le mouvement
et l’action 16.

Tout un programme

L’ESPÉRANCE RÉVOLUTIONNAIRE : POUVOIR POPULAIRE


ET POUVOIR OUVRIER

Pour ces protagonistes qui espèrent en un basculement révolutionnaire, avec


Mai on ne peut plus décidément être gouverné comme avant. S’exprime ici le
rejet de la démocratie parlementaire, que l’on a vu se décliner dans le refus des
élections : plus que « piège à cons », elles apparaissent comme une confiscation,
un détournement de projets. Le mouvement du 22-Mars est au faîte de
l’opposition à toute révolution de Palais (Bourbon). Au « pouvoir administratif »
que détient à ses yeux l’Assemblée, il oppose la démocratie directe. Tel est aussi
le problème du programme commun envisagé par le PC : il s’ancre dans un
cadre parlementaire classique, sans toucher aux fondements du politique ; il ne
s’attaque pas à la représentativité et, plus encore, ne pose pas la question du
« pouvoir ouvrier ». Durant la conférence de presse organisée le 20 mai par
l’UNEF et la CFDT, Jacques Sauvageot n’hésite pas à l’évoquer : le Parlement
s’est montré privé de tout pouvoir, réduit au rang de chambre d’enregistrement.
En prononçant la dissolution de l’Assemblée, le président de la République se
serait lui-même « chargé de dissiper toutes les illusions parlementaristes » 17.
Certains comités d’action associent à cette analyse une proposition
alternative :

[le vote] donne à chacun, à cause de sa représentativité nationale infime,


l’impression de pouvoir très peu de chose sur la vie de la Société, ce qui
provoque une dépolitisation (largement constatée ces dernières années).
Son caractère discontinu (tous les quatre ans en France) est totalement
incompatible avec la vie politique d’un pays, phénomène mouvant par
excellence.

Pour pallier la carence politique de la « démocratie législative », il y a lieu de


réfléchir à un procédé différent. La méthode de votes successifs est envisagée :
son premier échelon serait celui du comité d’action, qui ne devrait pas compter
plus de trente membres pour permettre une discussion sur toutes les questions
politiques, de celles qui font la cité, la polis au sens antique ; seraient ensuite
désignés des comités de quartier, de communes et de régions, chargés de
synthétiser le travail des comités de base ; le sommet de l’édifice serait occupé
par un Conseil national d’une trentaine de membres. La dimension pyramidale
de la construction serait compensée par deux principes intangibles destinés à
empêcher la concentration des fonctions et leur professionnalisation : les
membres des comités seraient élus, mandatés et révocables ; la rotation des
mandats éviterait tout « vedettariat » 18.
Est-ce le « pouvoir ouvrier » si souvent évoqué ? Il faut voir dans cette
expression une tradition du mouvement révolutionnaire, celle de la « centralité
ouvrière ». Ce n’est pas d’abord une question de sociologie, mais de politique et
de stratégie. Le mot « ouvrier » s’entend dans un sens éloigné des classements
socioprofessionnels établis par l’INSEE. L’ouvrier et l’ouvrière, ce sont les
autres mots des prolétaires, des travailleurs, des salariés, celles et ceux qui ne
détiennent pas les moyens de production et vendent leur force de travail à un
employeur quel qu’il soit, un patron ou l’État. Dans son fondement matérialiste,
cette insistance « ouvrière » a un sens pratique : seuls les exploités pourraient
trouver la force de se soulever contre un système qui les opprime et les oppresse.
La centralité ouvrière est une stratégie révolutionnaire : à la différence d’autres
groupes sociaux, comme les étudiants dont le combat est important mais ne peut
empêcher le fonctionnement général du système, les travailleurs, par la grève,
ont les moyens matériels de le bloquer. Cette base de la lutte de classe explique
l’insistance sur ce qui est, plus qu’un mot d’ordre, un projet de société : le
« pouvoir ouvrier ».
Dès la mi-mai, le journal Action réfute l’accusation selon laquelle le
mouvement ne saurait pas ce qu’il veut ni où il va : « Nous voulons que la
politique, c’est-à-dire l’organisation de la vie sociale, procède de la volonté des
travailleurs. » Elle pourrait passer par un Comité national de grève, émanation
des comités de grève locaux. De son côté, l’Internationale situationniste réactive
l’héritage conseilliste et prône la démocratie des conseils ouvriers, fédérés aux
échelles régionale et nationale. Cette hypothèse revient à la prise en main de
l’économie mais aussi de différents aspects de la vie sociale par des comités de
base. La « démocratie directe et totale » est conçue comme une participation
active et créative, sans pouvoir « extérieur », pour l’abolition des hiérarchies et
l’autonomie des travailleurs. Elle suppose des délégués révocables à tout instant
par leurs mandants 19.
Jeune parti quant à lui, le PSU se conçoit comme une expérience politique
novatrice, une gauche neuve face aux organisations jugées sclérosées, une force
de l’enthousiasme et du renouvellement contre la « tiédeur » et
l’« embourgeoisement ». Il n’entend pas pour autant renier la tradition socialiste
dans laquelle il s’inscrit ; ses dirigeants s’emploient à manier la dialectique de
l’ancien et du nouveau, par revitalisation de la tradition. Le PSU se revendique
du mouvement ouvrier ; plus encore, il s’affirme comme parti ouvrier : la
caractérisation, on l’aura compris, ne doit pas se comprendre d’après sa
composition sociale mais en fonction de ses objectifs politiques. En 1968, le
PSU est-il marxiste ? Certes, l’organisation est hétérogène 20. Malgré « l’étonnant
flamboiement de chacun des multiples courants » selon la formule de Michel
Rocard, le PSU est majoritairement marxiste – et ce, dès l’origine. La « Charte
pour l’unification socialiste », texte fondateur adopté au congrès d’Issy-les-
Moulineaux le 3 avril 1960, a pour triple pivot la lutte de classe, la révolution et
la collectivisation des moyens de production. L’organisation qui naît lors de ce
congrès souhaite être un « parti de la révolution sociale » et cette révolution,
« rupture radicale avec le mode de production capitaliste », devra se réaliser par
des « moyens légaux ou extra-légaux ». Après « Marx et Engels », il s’agit
d’analyser « les lois de l’évolution de la société capitaliste et sa destruction
inévitable », par la « collectivisation des principaux moyens de production et
d’échange » : « ainsi pourra disparaître la division de la société en classes dont la
lutte caractérise le régime capitaliste ». En novembre 1963, la prise de pouvoir
est analysée comme l’« acte révolutionnaire » « nécessaire », qui « détruira les
fondements mêmes du capitalisme ». À partir de 1968, le PSU se définit sans
ambages comme une « organisation révolutionnaire ». Quant à la formation
proposée au sein du parti, elle est centrée sur « le matérialisme historique et
dialectique », l’assimilation des « concepts d’économie politique marxiste » et la
« stratégie du mouvement révolutionnaire face au réformisme » 21. Bien loin d’un
simple « patois marxiste » comme a cru pouvoir le tempérer plus tard Michel
Rocard 22, il y a là une autodésignation politique et programmatique.
L’événement en précipite la pratique. Le 23 mai, Michel Rocard lui-même
lance un appel au « pouvoir populaire » et défend « la généralisation des
occupations des lieux de travail et l’adoption de mots d’ordre précis, sur
l’établissement de véritables structures de pouvoir populaire ». Le PSU place le
« pouvoir ouvrier » au cœur de son projet. Il se décline en droit de veto sur les
décisions patronales concernant l’emploi et les conditions de travail, le contrôle
des travailleurs sur les bénéfices comme sur les investissements et la gestion
ouvrière de la Sécurité sociale. À ce pouvoir ouvrier fait écho son pendant, le
pouvoir paysan, doté du contrôle sur les moyens de transformation et de
commercialisation des produits agricoles, au moyen d’assemblées régionales
populaires qui remplaceraient le pouvoir des préfets. Le PSU en appelle à la
formation de comités d’action populaire, collectifs de grands ensembles, de
quartiers et de localités. Sa charte politique dit vouloir « changer la vie », en
s’attaquant aux principes qui régissent l’économie. Celle-ci doit être mise « au
service des travailleurs », lesquels pourront désormais contrôler la marche des
entreprises. Pour mettre en œuvre de telles mesures inspirées d’un socialisme
pratique, quelques décisions conservatoires devront être prises en urgence, de
sorte que leurs avantages ne soient pas annulés par leurs propres effets sur la
monnaie et la balance des paiements. Le PSU propose de nationaliser « toutes les
entreprises dont le poids économique ou l’influence politique pourrait menacer
le développement de cette démocratie socialiste », notamment les établissements
de crédit et les holdings qui jouent un rôle décisif dans la réalisation des
équipements. Le parti met à son programme « une Assemblée constituante de la
république socialiste française reflétant cette démocratie à la base » : une forme
explicitée de démocratie directe et renouvelée 23.

RÉVOLUTION ET TRANSITIONS

Certaines mouvances, maoïstes notamment, voient cependant dans le PSU


une organisation « révolutionnaire en paroles, réformiste en fait ». À quelle aune
peuvent-elles en juger ? Selon les militants marxistes-léninistes, à la question du
pouvoir central, rarement posée dans ses projets. On peut bien parler, comme le
fait le PSU, de pouvoir ouvrier dans les usines, de pouvoir des paysans à la
campagne, de pouvoir des étudiants à l’Université et de « pouvoir populaire
révolutionnaire », si la « prise de pouvoir central est escamotée », les premiers
ne pourront survenir ou du moins tenir 24.
C’est là peut-être que les organisations marxistes révolutionnaires trotskistes
ou maoïstes diffèrent du PSU – voisin et compagnon de lutte néanmoins. Elles
prônent, davantage que les nationalisations, la socialisation des principaux
moyens de production – banques, monopoles, grandes entreprises industrielles,
commerciales, foncières – et leur « gestion démocratique par les travailleurs ».
Certaines, s’inspirant du « Programme de transition » tel que Trotski l’avait
élaboré à la veille de la guerre, partent des revendications matérielles concrètes
pour les rattacher à la perspective communiste, via des mesures passerelles
faisant pont entre le présent revendiqué et l’avenir désiré. Cette transition vers la
révolution suppose la réduction du temps de travail, l’échelle mobile des
salaires, le contrôle ouvrier sur la production, l’ouverture des livres de comptes,
le veto ouvrier sur l’embauche et les licenciements et la suppression du secret
bancaire. Elle englobe la gratuité des soins médicaux, des produits
pharmaceutiques, des transports urbains, de l’enseignement et du matériel
scolaire. En cette transition est supposé se situer un passage fondamental, qui
part de l’amélioration du niveau de vie et conduit à une transformation du genre
de vie. De telles mesures apparaissent déjà en contradiction avec le capitalisme,
puisqu’elles échappent à la logique de l’exploitation et du profit ; elles portent
les germes révolutionnaires pour un changement profond de la situation 25.

La ligne rouge

LE CAPITALISME EN PROCÈS

La matrice commune à tous ces projets repose sur un bouleversement radical


du système socio-économique, et non pas seulement du régime politique. Le
capitalisme y est l’objet du refus, le sujet du procès. Le PSU répète son rejet
« d’une société capitaliste et centralisée ». En défendant l’instauration d’une
transition vers le socialisme qui romprait « avec les structures de l’État
capitaliste », le bureau national du parti récuse « toute formule qui se
contenterait de satisfaire même substantiellement certaines des revendications
actuelles, sans changer fondamentalement les rapports entre les classes et sans
porter atteinte à l’ordre social capitaliste ». Le mouvement révolutionnaire est en
marche : avec l’occupation des usines, la propriété privée des moyens de
production paraît affaiblie. Les militant(e)s sont confiant(e)s. C’est pourquoi les
ESU réfutent une solution de type Mendès France ou Mitterrand : chacune de
ces deux cartes mises sur le tapis reviendrait à « la gestion loyale des intérêts de
la bourgeoisie » ; ce serait au fond confisquer la révolution. Les sections
régionales déclinent cette opposition selon diverses modalités. À Perpignan, les
protagonistes insistent sur une « Europe des peuples dans un cadre socialiste »,
ce qui suppose de rompre avec le parlementarisme, même à l’échelle
européenne : dans le cas contraire, il n’y aurait qu’une « extension des intérêts
capitalistes à un marché libéral élargi » 26.
Il s’agit donc d’imaginer une autre société, comme le font certains comités
de quartier. Rue Raymond-Losserand, dans le 14e arrondissement de Paris, des
voisins se réunissent pour passer au scalpel tout ce qui forge une société, ses
maux comme ses idéaux : l’éducation, la monnaie, la propriété, l’égalité… Ces
femmes et ces hommes se prennent à rêver mais – sans paradoxe – avec
lucidité :

Quand vous lancez des idées vraiment opposées à ce qui est


généralement admis, vous pouvez vous attendre à vous faire traiter de
doux rêveur. Un an après, vous rencontrez à nouveau celui qui s’était
moqué de vous et vous êtes étonné de constater qu’il a réfléchi, qu’il
commence sérieusement à se poser des questions. Au total, le
renouvellement profond de notre société n’est pas si utopique qu’on
pourrait le croire 27.

Le capitalisme est examiné dans ses fondements : propriété privée des moyens
de production, exploitation, course au rendement et compétition. La société qu’il
régit est regardée comme « une société de profit », basée sur l’acte de vente. Le
temps de travail apparaît comme « une tranche de vie entre parenthèses » ; la
vraie vie est ailleurs, hors du bureau ou de l’usine, lorsqu’on cesse pour un
temps d’être travailleur. Le travail semble en ces circonstances une vente au
détail de morceaux d’existence – l’employeur l’achète comme il le ferait de
machines, selon les seuls besoins de la production et au service de ses bénéfices.
Il « devient une chose qui nous est étrangère parce que nous la vendons : le
salariat est la vente à autrui de sa capacité de travail afin qu’il en fasse ce qu’il
jugera bon » 28.

ET SI… ? LE RÉEL DE L’UTOPIE

Mais alors que faire ? Comment concevoir une société définie autrement que
par le profit ? Pas à pas, pan à pan, on considère d’autres critères pour un monde
différent. À Lille, le comité d’action ouvriers-étudiants envisage des structures
d’échange modifiées, par le biais de mutuelles et de coopératives qui
échapperaient à l’emprise des intermédiaires : grossistes, agents de bourse ou
banquiers… Le comité de Censier imagine les conséquences en chaîne d’une
abolition de l’économie concurrentielle : sa disparition révèlerait aussi l’inutilité
de la publicité. Les entreprises de séduction périraient et, de leurs cendres,
naîtrait un autre goût de la beauté. L’information sur les produits viendrait des
producteurs eux-mêmes, tandis que les consommateurs seraient formés à sa
conception comme à sa critique 29.
Ces élaborations collectives procèdent par hypothèses successives sous une
forme interrogative : « Que se passerait-il si… ? » Elles soupèsent chacun des
éléments qui forment le socle du monde présent et examinent le bien-fondé de
leur évidence supposée. Tout ou presque y est passé au crible : l’éducation,
l’héritage, le mariage… Ainsi l’argent acquiert un « caractère sacré » ; le taux de
profit apparaît comme un veau d’or vaudou, l’un des derniers tabous. Un partage
réel des richesses conduirait à déconnecter la considération sociale de la
possession : si les niveaux de vie étaient rapprochés, l’argent ne serait plus une
marque – ou un stigmate – de distinction ; la créativité pourrait bien davantage
se libérer. Ce déploiement des capacités offre de repenser la division sociale du
travail : dans « une société plus fraternelle », il serait possible de réduire
considérablement le temps de travail et de le réaménager, afin de dépasser
l’opposition traditionnelle entre manuels et intellectuels, et de proposer d’autres
apprentissages, beaucoup moins clivés. L’exigence suppose d’être aux aguets, à
l’écoute des aptitudes, des goûts et des talents, sans les estimer au prisme de leur
rendement. Peut-être s’agirait-il de produire moins, ou en tout cas différemment,
loin des « bidules automatiques et scoubidous électroniques » : « tout se
tient » 30.
En somme, c’est un travailler moins pour travailler mieux. Mais est-ce
acceptable si cela revient à consommer moins ? Pour beaucoup, posséder
quelques biens hors de l’ordinaire et de la nécessité est une nouveauté : dans les
classes populaires, l’histoire de la consommation est surtout un récit de
privations, a fortiori quand elles sont frappées par les guerres. En 1968,
plusieurs générations s’en souviennent : le rationnement a marqué les mémoires
tout autant que les corps. Pourtant, l’imaginaire contestataire ne refuse pas le
confort ; ce n’est pas un aristocratisme retourné, élitiste dans son ascétisme. La
réflexion porte sur le bien commun, sur la pensée de l’utile contre la futilité du
gadget et le charme peu discret de la publicité, sur l’expérience de la gratuité.
Selon une hypothèse documentée, des transports en commun gratuits ne
créeraient pas de déficit, tant est coûteux l’édifice du contrôle, et tant peut être
vide de vie parfois la cadence sans joie des contrôleurs et poinçonneurs – qu’ils
soient ou non des Lilas. « Le gars qu’on croise et qu’on n’regarde pas » : près de
dix ans auparavant, la chanson de Serge Gainsbourg avait déjà mis en évidence
ces fonctions privées de sens si on les extrait du système dans lequel elles
semblent engoncées 31.
Mais des sociétés peuvent-elles exister non seulement sans logique de profit,
mais encore sans appât du gain ? Aux yeux de certains, l’histoire répond que oui,
il suffit de penser à la république des Guaranis, aux XVIIe et XVIIIe siècles, vue –
certes avec les mots de l’anachronisme – comme une forme de communisme.
Qu’en est-il de la propriété ? Faudrait-il mettre en commun tous les biens ?
Inutile d’aller jusque-là : l’essentiel est plutôt qu’on ne les utilise pas afin de
faire travailler les autres pour soi. Une chose est d’avoir un logement, une autre
est d’en posséder dix pour en louer neuf. Le raisonnement trouve son pendant
pour l’héritage, qui perd ce qu’il peut avoir de nocif – des fortunes en
accroissement cumulatif – si la répartition des revenus est égalitaire et si les
moyens de production sont aux mains de la collectivité. Dans de telles
conditions, l’héritage est perçu comme un bien : une transmission de souvenirs.
En somme,

on peut souhaiter comme statut de la propriété que les biens de


consommation restent la propriété des individus ; que les moyens de
production soient entre les mains des travailleurs intéressés ; que les
richesses naturelles soient à l’ensemble de la collectivité 32.

De tels projets, pensés au long cours, proposent « une organisation non


capitaliste de la vie » et reposent sur « le principe d’une dignité partagée » 33. En
partant des revendications les plus ordinaires, ces perspectives révolutionnaires
tentent de « fêler l’existant 34 ». Imaginer la révolution et croire en elle, c’est
aussi se détacher des modèles : si le passé est un vivier de références, l’attente
est aux renouvellements. Même dans ces « générations d’Octobre », de celles
pour qui 1917 est un exemple décisif, discuté, sans cesse remis sur le métier, on
est loin du palais d’Hiver : l’imaginaire révolutionnaire est à réactiver, nourri
d’anticipations sur l’émancipation plutôt que de canevas historiques figés.
Ajuster les projets à l’ordre du temps, éviter les doctrines pétrifiées revient à
avancer un programme vivant, à l’épreuve même du présent.
L’expérience révolutionnaire est à l’ordre du jour ; on la craint ou on
l’espère mais elle apparaît plausible, entrée qu’elle est dans le champ des
possibles : de potentielle, elle devient actuelle. Il est loin le temps où, après
Thermidor, un député de la Convention en appelait à exclure le mot
« révolutionnaire » du vocabulaire 35. Comme l’aurait dit Victor Hugo, on met un
bonnet rouge au vieux dictionnaire : le mot « révolution » chemine et s’insinue,
s’impose un peu partout ; c’est tout sauf un tabou. Même l’opposition à la
contestation se prend à en user comme si elle l’endossait. La torsion du mot
ouvre de nouveaux emplois : n’importe quoi bientôt pourra apparaître
« révolutionnaire » dans les slogans publicitaires.
Cette récupération est redoutée. Certains comparent le système (économique,
culturel et politique) à un « estomac d’autruche » pour lequel tout est digestible,
même les oppositions les plus déterminées. Il est susceptible d’engloutir les
désirs en les faisant dévier selon ses intérêts : avec une formidable et terrible
efficacité, il peut tout s’approprier. Les mots aigus d’Herbert Marcuse circulent
par-delà les frontières : « Le succès le plus caractéristique de la société
industrielle avancée est justement sa propre capacité à intégrer les opposants. »
De leur côté, Jacques Lacan, Henri Lefebvre et Jean-Paul Sartre signent un texte
qui dit la volonté éperdue « d’échapper par tout moyen à un ordre aliéné mais si
fortement structuré et intégré que la simple contestation risque toujours d’être
mise à son service » 36. L’hypothèse, formulée durant l’événement, sera plus tard
approfondie par Ève Chiapello et Luc Boltanski, selon qui le capitalisme

a besoin de ses ennemis, de ceux qu’il indigne et qui s’opposent à lui,


pour trouver les points d’appui moraux qui lui manquent et incorporer
des dispositifs de justice dont il n’aurait sans cela aucune raison de
reconnaître la pertinence 37.

Cette « capacité étonnante de survie », par ingestion des contestations, fait partie
de ce qui est craint, au soir même de Juin. Le constat en est renforcé quand vient
le temps des bilans – et des regrets.
ÉPILOGUE ?

Une arrière-saison

Bilans, déceptions, prévisions

« Reprise victorieuse du travail dans l’unité » : on connaît bien ce titre de


« une » paru dans L’Humanité le 6 juin. De fait, dès le 31 mai, quelques signes
de fin de conflit se sont dessinés ; cependant, la reprise ne commence vraiment
qu’aux premiers jours de juin. Mais la grève se durcit parallèlement dans
certains secteurs-clés : l’automobile, la métallurgie ou l’aéronautique. Il est
frappant que le titre si affirmatif – et si performatif – de L’Humanité intervienne
le jour même où les CRS occupent l’usine de Renault-Flins. Quatre jours plus
tard, il y a toujours plus d’un million de grévistes dans tout le pays. Le 10 juin,
Gilles Tautin meurt noyé près de Flins ; le lendemain à Sochaux, deux ouvriers
périssent au cours d’affrontements avec la police : Pierre Beylot et Henri
Blanchet. Au soir d’une journée endeuillée, de nouvelles barricades se dressent
dans un Paris embrasé. Pendant ce temps, des discussions serrées, marquées par
un rapport de force inégal entre patronat et salariés, s’engagent au niveau local.
Performatif, le mot de « reprise » l’est donc bien : l’annoncer, c’est la provoquer.
Il fait écho à la formule employée le 11 juin 1936 par Maurice Thorez, « il
faut savoir terminer une grève » ; la phrase aussitôt passée à la postérité a été
beaucoup réutilisée, commentée voire raillée. La plupart du temps, on en oublie
la suite – « dès que la satisfaction a été obtenue » – et plus encore la chute : « Il
faut même savoir consentir au compromis si toutes les revendications n’ont pas
encore été acceptées mais que l’on a obtenu la victoire sur les plus essentielles
revendications. » L’empreinte du Front populaire est marquante en 1968 : on en
cherche les correspondances et les échos. Dans les deux cas, ce serait une
« victoire », à l’échelle de l’histoire. Est-ce ainsi que cette fin est perçue ? Les
acquis obtenus constituent-ils un succès ? À la tombée de l’événement, quels
sont les sentiments de ses participants ?
Les tensions quant aux interprétations sont un enjeu important, qui dépasse
le seul bilan. Ces différences d’appréciation renseignent sur des divergences
stratégiques et des désaccords politiques profonds. Au-delà, elles éclairent la
compétence réflexive des protagonistes qui mesurent, au milieu des incertitudes,
les conséquences de l’événement. Elles expriment les formes d’évaluation que
les individus sont capables de mobiliser. Il y a là l’archétype d’une controverse
dans ce qu’elle a de plus dense et de plus intense, en ce qu’elle active la capacité
critique et la clairvoyance.

Terminer une grève

ACQUIS DE CONSCIENCE

Comment terminer une grève ? Ces mots ont l’air anodin et pourtant ce
qu’ils désignent renvoie à bien des négociations, des tâtonnements et des
hésitations, se nourrit d’émotions. La reprise est d’ailleurs très échelonnée : si, à
l’échelle du territoire national, l’Alsace est la première région où la grève cesse,
la reprise est progressive à la SNCF comme à la RATP, entre le 6 et le 8 juin. Ce
8 juin, le préfet du Nord constate que le trafic est toujours interrompu sur les
voies navigables et que, dans plusieurs usines métallurgiques, « un divorce
semble s’établir entre employés favorables à la reprise et une majorité d’ouvriers
qui y est hostile ». La tension est aussi palpable à Sud-Aviation : un vote
majoritaire pour la reprise a lieu le 10 juin, mais la CFDT et une partie du
syndicat FO y sont hostiles ; comme le relèvent les RG nantais, il s’en faut « de
peu, en raison des hésitations de FO, que la CFDT n’arrache une prolongation du
mouvement malgré l’action énergique de la CGT pour y mettre fin ». Le 12 juin,
les dockers de Dunkerque n’ont toujours pas repris le travail et une trentaine de
mairies dans le département du Nord sont encore fermées, dont celle de Lille ; à
la même date, les grandes usines chimiques de la région marseillaise comme les
chantiers navals de La Ciotat demeurent occupés. La tension oppose aussi
parfois les syndicats. À l’usine Alsthom de Tarbes (1 932 salariés), les ouvriers
votent à 80 % pour la poursuite de la grève le 15 juin ; le lundi 17, la CGT
convoque une assemblée et invite à voter la reprise, adoptée avec une faible
majorité ; pourtant, si les ouvriers rejoignent leurs ateliers, ils ne se remettent pas
au travail pour autant ; les syndiqués CFDT se montrent hostiles à la reprise, et
la CGT éprouve une « très grande difficulté à calmer les esprits ». Chez Berliet à
Lyon, la reprise n’intervient que le 19 juin, comme pour les dockers de
Marseille – le 20 juin à Peugeot-Sochaux. Et c’est seulement le 4 juillet que le
conflit prend fin à l’usine SEV Marchal d’Argenteuil et aux établissements
Boccard de Florange en Moselle, tandis que la grève de l’ORTF dure jusqu’au
12 juillet ; à Toulouse, les personnels de l’ORTF, administratifs, techniques et
journalistes, sont en grève tout au long de juin ; un seul journaliste, non gréviste,
assure les bulletins locaux d’informations 1…
Les discussions sont âpres entre syndicats et patronat, pour qui il n’y a pas
de petites économies. C’est le signe d’un rapport de force rude, déséquilibré,
mais souvent pénible pour les deux parties. Les employeurs mettent en avant ce
que la grève a engendré de difficultés et fait perdre en rentabilité ; l’argument
pèse pour limiter les nouveaux droits et rabougrir les espérances. La direction
des Charbonnages de France décide par exemple de maintenir pour ses salariés
l’indemnité de logement, mais pas les droits au chauffage ni les indemnités
d’eau et d’électricité, réduits au prorata des jours de grève 2.
À Grenelle, une simple avance de 50 % de salaires est prévue pour les
journées « perdues », gage d’un rattrapage à venir ; cette « avance » doit être
remboursée et les heures non travaillées seront récupérées avant la fin de
l’année. Les associations patronales s’entendent sur l’idée que les jours de grève
ne doivent pas être payés, « sinon il n’y a aucun frein à ce qu’on multiplie les
grèves ou qu’on les fasse durer », comme le dit un représentant de la Fédération
nationale de la brosserie. Ensuite viennent les marges d’application selon l’état
des négociations 3.
Le Comptoir de l’industrie textile française (CITF) annonce par exemple que
25 000 pièces de tissu ont été perdues et qu’en conséquence les salaires des
grévistes ne leur seront pas versés. Aux Établissements Blaise de Charleville-
Mézières, une usine qui fabrique des balais, toutes les heures de grève doivent
être récupérées dont 30 % « gratuitement ». La direction insiste sur l’importance
d’obtenir des prix de revient améliorés : les travailleurs sont invités à redoubler
leurs efforts pour accroître la productivité. La Compagnie des ateliers et forges
de la Loire adresse le même avertissement : des clients étrangers auraient
menacé d’annuler des commandes pourtant enregistrées ; les heures de grève
seront intégralement récupérées. Quant à la réduction du temps de travail, elle y
est minime et laisse voir surtout l’intensité des semaines et des journées :
l’horaire hebdomadaire ne sera réduit que d’une demi-heure et uniquement s’il
est supérieur à quarante-cinq heures ; il est prévu pour plus tard, à l’automne
1969, de le diminuer encore d’une heure s’il est supérieur à quarante-huit heures.
Aux établissements Brissonneau et Lotz, entreprise métallurgique qui construit
des rames de métro, l’horaire de travail est fixé à cinquante heures qui se
décomposent en 47 h 30 de travail « normal » et 2 h 30 consacrées au rattrapage
du temps « perdu ». De nombreuses entreprises créent également une prime de
productivité pour inviter les salariés à travailler plus vite et davantage 4. Les
quarante heures sont loin.

NÉGOCIER PIED À PIED

Le déroulé en détails de négociations locales révèle ce qu’il y a en elles de


dureté ; une plongée dans une entreprise en fin de grève en laisse percevoir
l’âpreté. Les établissements Ducellier dans le Puy-de-Dôme et en Haute-Loire
fabriquent diverses pièces automobiles dont des phares électriques ; en 1968, ils
comptent près de 6 000 ouvriers répartis sur différents sites : Issoire surtout,
mais aussi Sainte-Florine, Mégecoste, Brassac-les-Mines, Cournon et
Vergongheon ; avec les mines, c’est l’un des plus gros employeurs de la région.
Syndicats et patronat se retrouvent le 6 juin. Dans le face-à-face de la
négociation, le mieux pour le patron est d’arguer des contraintes extérieures qui
limitent la marge de manœuvre. Le représentant de la direction insiste sur la
manière dont les constructeurs automobiles « serrent » les prix de vente : aucune
amélioration ne peut donc être envisagée. Une phrase revient dans sa bouche :
« vous allez penser que je cherche à vous endormir mais je vais au fond du sac »,
« je ne cherche pas à vous endormir » ; il anticipe l’accusation mais,
paradoxalement, la légitime comme s’il y avait lieu d’en douter.
Les syndicalistes pointent du doigt les différences de salaires à travail égal :
comment peuvent-elles se justifier ? Le directeur répond qualité du travail et
vitesse d’exécution. Mais du côté ouvrier, on ne se satisfait pas de cette réponse-
là ; les syndicats poussent le représentant du patronat dans ses retranchements. Il
doit l’admettre finalement : un autre critère détermine le salaire, celui du
« service rendu », du « comportement » – prendre ou non son travail « sans
rechigner » –, en bref celui de la docilité.
Dans cette entreprise, aucun acquis majeur n’est finalement conquis par les
salariés. Le seul terrain d’entente trouvé au fil de la négociation concerne les
conditions très matérielles du travail, dont on comprend l’importance pour les
ouvrier(e)s puisqu’elles concernent leur vie de chaque jour. Le représentant
patronal entend « donner » un bleu ou une blouse à tous les salariés, et deux pour
les postes salissants ; il laisse « ces dames » choisir la teinte de la blouse parmi
deux ou trois. Pour « la rechange », l’entreprise vendra au personnel un vêtement
supplémentaire. Un syndicaliste s’enquiert du bleu que la direction promet :
sera-t-il la propriété de l’ouvrier ? « Oui mais je veux qu’il le porte », répond
l’administrateur. Les délégués syndicaux ont une autre demande à formuler :
l’installation de douches, surtout en considérant les postes salissants. Le
représentant patronal y met des conditions : les « bénéficiaires » devront
obligatoirement prendre cette douche – il ne faudrait pas qu’ils « profitent du
quart d’heure pour aller ailleurs ». Les directeurs auront donc tout pouvoir pour
appliquer des sanctions : les douches seront supprimées si le règlement n’est pas
respecté 5.
Dans cette négociation pied à pied, toute avancée doit être, en fait, arrachée.
Les modestes gains obtenus apparaissent concédés, comme si les travailleurs
devaient les quémander ; chaque acquis l’est sous conditions.

GÉNÉROSITÉ OU CHARITÉ ? LES AIDES PUBLIQUES AUX GRÉVISTES

Cette impression est confortée par les débats qui, au sein des collectivités
territoriales, portent sur l’aide financière susceptible d’être octroyée aux
grévistes et à leurs familles. Le conseil général du Rhône vote un crédit d’un
million de francs, attribué au bureau d’aide sociale des communes. La ville de
Lille accorde quant à elle une subvention de 500 000 francs ; celle d’Argentan,
50 000 francs « pour aider les familles modestes victimes des événements » ;
celle d’Orange, 20 000 francs. Mais les discussions sont parfois conflictuelles,
moins le plus souvent sur la pertinence de l’aide que sur son montant. À Guéret,
le maire radical Raymond Gadet propose la somme de 5 000 francs, en arguant
que la ville de Saint-Junien a fait de même. Mais certains conseillers municipaux
PCF la jugent bien trop modique, sachant qu’une ville comme Montluçon a
octroyé 30 000 francs : Guéret ne peut « faire moins qu’Ussel » et ses
50 000 francs. Finalement, le conseil municipal s’entend sur 10 000 francs et des
repas gratuits dans les cantines scolaires pour les enfants 6.
Mêmes tensions pratiques et politiques au conseil général de Corrèze : les
délibérations s’apparentent à une vente aux enchères. Comment faire pour que
l’aide n’apparaisse ni comme une aumône ni comme une misère ? Les débats
s’ouvrent sur la somme de 60 000 francs ; elle apparaît dérisoire à certains, si on
la rapporte aux quelque 15 000 grévistes de Corrèze et si on la compare à
d’autres départements – les 200 000 francs du Tarn notamment. Le président
Élie Rouby (SFIO) souhaite ne pas augmenter ce montant « afin, précise-t-il, que
les fonds votés ne le soient pas… comment dirais-je ?… pour récompenser
l’ardeur plus ou moins grande des grévistes ». Finalement, l’intervention de
Jacques Chirac, conseiller général élu dans le canton de Meymac, permet
d’augmenter de 4 000 francs la somme initialement fixée : selon le secrétaire
d’État à l’Emploi, l’aide ne doit pas récompenser les travailleurs pour avoir fait
grève, mais porter secours aux employés et ouvriers dont les salaires n’ont pas
été versés faute de liquidités 7.
La question soulève celle, plus complexe encore, des hausses de salaires
établies par les faux « accords » : le protocole de Grenelle, pense-t-on, a pour
conséquence substantielle d’augmenter fortement les rémunérations. Cette
interprétation résiste-t-elle à l’examen ?

À moitié vide ou à moitié plein : le dernier


verre et la coupe amère

LE SALAIRE DE L’ARDEUR

Le protocole du 27 mai dit « de Grenelle » a fixé le SMIG à 3 francs. Il


majore les salaires effectifs de 7 % à compter du 1er juin ; mais ce pourcentage
englobe les hausses déjà intervenues depuis le 1er janvier. Il est prévu que cette
augmentation soit portée à 10 % le 1er octobre. « Ces pourcentages de majoration
ne doivent pas être dépassés », insiste le CNPF 8. L’augmentation du SMIG
apparaît bien plus importante puisqu’elle se monte à 37 %.
Une vaste discussion s’ouvre d’emblée pour mesurer l’impact réel de ces
hausses salariales : les avis divergent à ce sujet. En juillet, l’UDR publie un
document étonnant, intitulé « Voilà ce qu’on vous a caché ». Il y est clairement
expliqué que les hausses de salaires constituent une « supercherie » : selon le
parti au pouvoir, on n’a pas distribué des augmentations, mais rien moins que
« du vent » – la hausse des prix et l’inflation ramèneront le pouvoir d’achat au
même niveau qu’auparavant. Cela signifie qu’au fond, les salariés n’ont rien
acquis par la négociation. Dans le bras de fer qui est aussi une lutte de classe,
c’est assurer que le camp d’en face n’a pas gagné ; la mobilisation n’a pas
« payé ». Le Comptoir de l’industrie textile française indique que deux
augmentations de salaires étaient de toute façon prévues avant mai : l’une de
2,52 % au printemps, l’autre de 2,20 % à l’automne ; à l’issue de la grève
généralisée, elles s’élèvent dans ce secteur à 9,80 et 2,98 %. L’écart n’est pas
très grand et en tout cas fort éloigné de ce que l’on pourrait attendre d’un tel
mouvement 9.
Les syndicats de salariés sont très partagés et ne se retrouvent pas tous sur le
même constat. On perçoit de nouveau là, autrement formulé, le clivage entre
CFDT et CGT. La CGT s’indigne que le pouvoir et le patronat fassent passer les
conquêtes du printemps pour des « broutilles » en prétendant que Mai et Juin
n’auraient servi à rien. « Si nous n’avons rien obtenu, pourquoi tente-t-on de
nous le reprendre ? » interroge le syndicat CGT des ouvriers horaires chez
Renault en septembre. Ce même syndicat entend dissocier la hausse des prix
constatée dès juillet et les augmentations salariales obtenues par la grève : ces
hausses étaient annoncées avant mai pour certaines ; elles résulteraient du
Marché commun. De surcroît, en 1967, les hausses de prix avaient été
importantes, notamment dans les secteurs contrôlés par l’État 10. L’indice
national des prix à la consommation calculé par l’INSEE à partir de
2 509 produits de nécessité atteste néanmoins une augmentation réelle des prix
après mai-juin.

Indice Indice Indice Indice Indice


moyenne moyenne Janvier juin décembre
1966 1967 1968 1968 1968
Ensemble 114,1 117,2 120,5 121,8 125,6
Pain 112,1 116,3 130,2 135,3 138,4
Sucre 105,9 110,6 110,7 111,2 120,9
Loyers et
137,2 146,7 151,7 154,7 163,9
charges
Transports 115,3 127,7 140,3 141,7 147,4
publics
Indice national des prix à la consommation, 259 articles, France entière (indice 100 en 1962)
Source : INSEE, Annuaire de la statistique. Résultats de 1968, 1969, vol. 75, no 17, p. 530.

On relève par exemple des hausses de prix que les chambres de commerce
jugent elles-mêmes « aberrantes » : 15 % en un mois pour la teinturerie, les
garages et les taxis 11. À Paris, l’indice correspondant au montant des loyers est
passé de 170 à 186 entre janvier et décembre, soit une hausse de près de 10 %.
Même si, pour mieux défendre les acquis de la grève, le syndicat CGT de
Renault soutient que les hausses de prix ne sont pas liées à l’augmentation des
salaires, il affirme cependant que le patronat tente de reprendre ce qu’il a été
obligé de concéder, car c’est « la loi fondamentale du capitalisme » fondée sur
l’accroissement des profits.
La CFDT est plus encline à considérer que les hausses salariales n’ont pas
été à la hauteur de la grève générale. Son groupe de travail économique évoque
sans détour les « informations fantaisistes sur l’ampleur des avantages acquis par
les travailleurs » ; d’après ses calculs, l’année 1968 aurait de toute façon connu
une croissance salariale plus importante que les deux années précédentes. Dans
le numéro spécial de sa revue Syndicalisme, la CFDT précise que la hausse des
rémunérations s’est élevée depuis le début de la décennie de 11 % chaque année,
et même de 14 % en 1963 ; l’augmentation de 7 à 10 % gagnée au printemps
1968 en est toute relativisée. Quant au SMIG, il a en réalité été rétabli au niveau
qu’il aurait dû avoir s’il avait suivi l’évolution moyenne des salaires – il
manquerait même 46 centimes… Le SMIG, de surcroît, ne concerne que 7 % des
salariés. Face à la hausse des prix intervenue durant l’été, qui affecte le quotidien
par le biais du gaz, de l’électricité, de la vignette automobile et des produits de
consommation courante, le syndicat FO de la Régie Renault estime que « le coût
de la vie augmente dans des proportions qui réduisent à néant ou à peu près les
augmentations de salaires obtenues à la fin de la grève » 12.
Il s’agit bien ici de conjurer le catastrophisme gouvernemental et patronal,
en rétablissant dans des proportions modérées voire modestes les acquis de Mai.
Au comité d’action Alésia-Montsouris, dans le 14e arrondissement de Paris, on
se dit que « si demain l’augmentation des prix rattrape les augmentations de
salaires, c’est parce qu’on n’aura pas touché au fond du problème : la
transformation du fonctionnement économique de notre société 13 ».

L’AMERTUME ET LES VEXATIONS

Le philosophe et économiste Cornelius Castoriadis va plus loin encore dans


la relativisation des acquis – accompagnée d’une vive déception. Non seulement
les hausses concédées rejoignent au fond le train d’augmentation salariale
général, mais encore elles sont amoindries par le non-paiement des jours de
grève. Le calcul est élémentaire : une quinzaine non payée fait chuter de 4 % le
salaire annuel. À ces considérations statistiques, il faut encore ajouter les
conséquences des ordonnances sur la Sécurité sociale, qui n’ont pas été discutées
à Grenelle alors qu’elles accroissent les cotisations des salariés tout en diminuant
les prestations, selon un montant officiellement estimé à 1 % de la masse
salariale globale. Et Castoriadis d’adjoindre à ces facteurs la hausse de la
productivité qui intensifiera les cadences 14.
Les recommandations en ce sens s’imposent déjà dans le patronat. Chez Big-
Chief, usine textile emblématique de Vendée implantée à La Roche-sur-Yon qui
compte près de 1 000 salarié(e)s, le P.-D.G. Antoine Richard exige de ses
ouvrières un « effort personnel » pour compenser les effets de leur grève : il
entend par là une « conscience professionnelle » au service d’un travail de
qualité en un temps diminué. La chambre de commerce et d’industrie de
Bretagne, qui insiste sur la « grave inquiétude et le découragement des chefs
d’entreprise », appelle à effectuer « un effort exceptionnel de productivité » pour
assurer des prix concurrentiels. Selon le journal Horizon lyonnais, « la France
peut sortir victorieuse de cette épreuve » ; du point de vue patronal, à quelque
chose malheur est bon : la « dynamique acquise » pourra être profitable à une
bonne tenue du capital français sur l’échiquier mondial. Mais pour cela, il faut
diffuser sans relâche une idée, répandue par « contagion psychique » :
l’augmentation de la productivité 15.
Encore faut-il ajouter les pressions et la répression exercées sur les salariés.
De nombreux syndicats rendent compte de sanctions, de brimades et de
vexations : « dans certains secteurs les responsables tiennent à faire payer aux
gars le fait d’avoir osé faire grève ». Les syndicats ne sont pas les seuls à
l’évoquer. Dans le Puy-de-Dôme, le sous-préfet de Thiers parle de
déclassements et de licenciements pour fait de grève. En outre, « un certain
nombre de chefs d’entreprise semblent décidés à chercher dans une amélioration
de la productivité une compensation aux hausses de salaires de la main-d’œuvre
non spécialisée » ; chez Renault par exemple, la diminution du temps de travail
de douze minutes par jour s’accompagne d’une accélération des cadences : la
production demeure inchangée, l’usine doit fabriquer soixante-quatre véhicules
par jour, après comme avant le mouvement. Comme l’a souligné Xavier Vigna,
l’ampleur de la répression antisyndicale semble plus importante dans les petites
entreprises et les départements peu industrialisés. Dans les Deux-Sèvres, l’Union
départementale CFDT va jusqu’à parler d’« épuration », en adressant son soutien
aux soixante-dix journalistes et techniciens de l’ORTF licenciés – parmi eux se
trouve Maurice Séveno, qui présentait jusque-là le journal télévisé sur la
première chaîne et est interdit d’antenne puis rapidement licencié. Face à cette
atteinte grave au droit de grève, de nombreuses sections syndicales adressent au
Premier ministre des motions de protestation 16.

RAISON ET SENTIMENTS : UN ABÎME ENTRE LES JUGEMENTS

Ce n’est donc pas l’impression d’une victoire qui prédomine dans les esprits,
chez les grévistes en fin de conflit. Dans un courrier au ministre de l’Intérieur, le
préfet de la Région Nord fait part « de la déception et de l’amertume parmi les
travailleurs des usines rouvertes ». Dans les Vosges, d’après les Renseignements
généraux, le sentiment dominant est au désenchantement 17. À Renault-
Billancourt, le syndicat CFDT n’y va pas par quatre chemins, tant les
propositions patronales ne donnent pas satisfaction : « Les patrons de la
métallurgie font semblant de céder, ils nous offrent gentiment de réduire
l’horaire de cinq minutes en nous en payant trois. Ils ont le sens de l’humour ;
nous aussi. Mais ne nous prennent-ils pas pour des cons ? » Lorsque, le 18 juin,
le travail y reprend finalement, le syndicat déplore que rien de sérieux n’ait été
acquis sur les retraites, l’humanisation du travail ou bien encore les relations
avec la hiérarchie. Et c’est « la rage au cœur » que les salariés retournent à leur
poste. Le journal maoïste La Cause du peuple parle d’une reprise « les larmes
aux yeux et les poings serrés ». Pourtant, le syndicat CGT invite les ouvriers à
être « confiants et fiers », sûrs de leur force et de leurs avancées 18.
Dans le contraste des sentiments se dit l’abîme qui sépare les deux
confédérations sur l’analyse de l’événement. La CFDT aurait voulu poursuivre
le mouvement et lui donner des débouchés autrement plus importants, qui
auraient touché aux structures mêmes du travail et de la société. Au contraire, la
CGT justifie ici le choix de ne pas « continuer le combat » et de lui préférer la
voie des élections.

Retour à la normale ?

GARDER LES SORTANTS : LA CONCLUSION DES ÉLECTIONS

Les élections législatives des 23 et 30 juin offrent une imposante victoire au


camp du pouvoir. La stabilité est de rigueur puisque 154 députés sortants sont
réélus, dont 142 appartiennent à la majorité. Celle-ci accroît ses voix de 8 % par
rapport à 1967 : son succès est donc éclatant 19. Est-il incontestable ? C’est un
problème différent. Dans L’Express le 1er juillet, Sempé propose un dessin des
deux scrutins, à un an d’intervalle : ils sont exactement identiques, comme s’il
ne s’était rien passé. Le taux d’abstention s’est légèrement accru, passant de
18,7 % en 1967 à 20 %. Mais l’appel au boycott des « élections pièges à cons »
n’a pas été entendu. On le comprend, puisque tous les partis ont décidé d’y
participer, à commencer par le PCF qui perd 600 000 voix par rapport au scrutin
précédent. Il n’empêche, le mode de scrutin et le découpage des circonscriptions
faussent aussi les résultats : le PCF glane 20 % des suffrages mais ne remporte
que 7 % des sièges ; l’UDR, les républicains indépendants et les gaullistes
dissidents n’obtiennent pas la majorité (47 % des voix au second tour) mais
s’octroient cependant 81 % des sièges à l’Assemblée. Le Canard enchaîné, plus
sarcastique que jamais, représente une manifestation composée uniquement de
De Gaulle déclinés, tantôt petits tantôt grands, en titrant : « 28 millions de
veaux… tants ». Les pancartes brandies par ces de Gaulle-manifestants
proclament tour à tour « Gaulle-Bendit au pouvoir », « Pour le droit de vote à
78 ans », « Libérez notre camarade Salan » ; un « Place aux jeunes » se mue en
« Place aux jaunes » 20…
Pour qui critique le pouvoir, c’est « une bien pauvre victoire » : « la
bourgeoisie gagne nécessairement les élections qu’elle organise. C’est son
terrain privilégié », écrit Marc Kravetz. André Jeanson, qui préside la CFDT, y
voit un scrutin réactionnaire, au sens étymologique et historique du terme ; en
ces occasions, l’appel au suffrage universel détourne la population d’une
mobilisation sociale pour la faire rentrer dans l’isolement de l’isoloir, et prouve
son inadéquation à l’échelle de l’histoire 21.
En termes pratiques et politiques, des opposants critiquent les conditions
mêmes dans lesquelles se déroulent ces élections. Pour le PSU, le mode de
scrutin favorise les notables tandis que les investitures sont décernées par des
formations anciennes « et souvent sclérosées ».À l’avocate Gisèle Halimi, la loi
électorale paraît injuste et le découpage des circonscriptions, truqué ; l’ORTF est
toujours « cernée par l’armée » quand les quartiers de certaines villes « sont
quadrillés par des comités paramilitaires dits “d’action civique” » – ces élections
seraient un « référendum camouflé ». Les listes électorales, closes le 29 février
1968, n’ont pas été révisées, ce qui a empêché près de 300 000 jeunes non
inscrits ayant atteint l’âge légal de s’exprimer par les urnes. Enfin, la majorité à
21 ans met la France en retard à l’échelle internationale quand tant de pays, de la
RFA aux Pays-Bas, de l’URSS aux États-Unis et au Canada, l’ont abaissée 22.
Par-delà ces facteurs qui ont sans doute favorisé la majorité, certains
observateurs se demandent ce qui, à gauche, a failli. Dans Le Nouvel
Observateur, Jean Daniel s’en explique : « La gauche n’a pas perdu les élections
parce qu’elle a essayé de prendre le pouvoir. Elle les a perdues parce qu’elle ne
l’a pas pris » 23.

REVENDICATIONS DE PATRONS

Dans l’achèvement de l’événement, outre les salariés, le pouvoir doit aussi


affronter les inquiétudes des entreprises et de leurs représentants. Car il est des
anxiétés de patrons et même des revendications. Dès la fin mai, les chefs
d’entreprise de la région stéphanoise publient un communiqué commun affiché
dans les rues et les usines à la manière d’une publicité. Ils s’y inquiètent des
« très lourdes charges » qui résulteront de la grève, d’autant que ces charges les
frapperont quand beaucoup connaissent déjà « d’énormes difficultés » ; elles
surviendront au moment où la concurrence se fait « impitoyable » ; elles
aggraveront les prix de revient face aux productions étrangères. L’existence de
certaines entreprises est en jeu ; c’est du moins ce dont le communiqué
s’émeut 24.Il est vrai que de nombreux établissements ferment depuis des mois ;
il n’y a donc pas là que rhétorique alarmiste pour faire cesser la grève, même si
le catastrophisme est aussi une arme pour faire taire les contestataires.
Une fois la grève terminée, demeurent des problèmes de caisses et de traites.
Les billets à ordre ont été longuement bloqués dans les centres de tri, de
nombreuses traites ont été refusées ; il en résulte un accroissement de
l’endettement pour un certain nombre d’entreprises à l’égard de leurs banques.
Pour exemple, le directeur général de la coutellerie Durol à Thiers se plaint de
difficultés constatées sur la partie financière de sa société : le blocage des billets
à ordre a engendré un découvert sur le compte en banque de l’entreprise, ce qui
risque de provoquer des frais importants ; ce P.-D.G. demande donc des prêts
sans intérêts au gouvernement. De fait, le ministère de l’Économie et des
Finances décide de venir en aide aux entreprises. Sont accordés des reports
d’échéances fiscales, des délais supplémentaires en matière de dettes civiles et
commerciales, enfin des prêts sans intérêts 25.
Et puis il y a encore ces dirigeants d’entreprises commerciales et touristiques
qui se plaignent du manque à gagner causé par les événements. Les doléances
parviennent aux préfets, qui tentent tant bien que mal d’y faire face. Les
récriminations s’accompagnent de demandes parfois surprenantes. À
La Bourboule, l’Union pour la sauvegarde et le développement des intérêts
bourbouliens estime que l’économie de la ville, aux ressources presque
exclusivement saisonnières, est compromise voire sinistrée après la grève des
transports qui a empêché la venue de touristes et de curistes. Elle réclame un
report de la rentrée des classes au 1er octobre, pour que septembre soit consacré
aux villégiatures. Le président de la Fédération thermale d’Auvergne formule la
même requête. Le préfet du Puy-de-Dôme essaie d’y agréer et transmet la
proposition au ministre de l’Éducation nationale. Mais cette solution, on ne s’en
étonnera pas, est rejetée – dans l’intérêt des élèves. La peine étant perdue, le
préfet informe ses interlocuteurs que les services fiscaux examineront la
situation des entreprises avec « une particulière bienveillance ». Le président du
Groupement interprofessionnel du Mont-Dore revendique quant à lui que la ville
soit classée ville sinistrée, ce qui lui permettrait de toucher des subventions 26. On
notera encore l’amertume des horticulteurs, fleuristes et pépiniéristes, dont le
syndicat professionnel mentionne d’« angoissants problèmes de trésorerie ». Les
méventes ont été importantes et elles se sont encore accrues lorsque le Conseil
national du commerce, organisme affilié au CNPF, a déclaré que la fête des
mères fixée au 26 mai était reportée au 16 juin, jour de la fête des pères. Les
producteurs de fleurs ont immédiatement protesté : « Nous avons amené notre
production à floraison pour le 26 mai. Les fleuristes seront normalement
approvisionnés à cette date, inscrite officiellement au calendrier par le ministère
de l’Intérieur et qu’il ne peut être question de reporter. » Mais le mal était fait.
Or, pour les producteurs et commerçants concernés, l’effet, qui pourrait de loin
apparaître anecdotique et cocasse, n’est en réalité pas négligeable quand on sait
que ces professions réalisent 10 % de leur chiffre d’affaires annuel à l’occasion
de la fête des mères 27…
« LE MOIS DERNIER TOUT S’EN ALLAIT » : L’APPEL AU PEUPLE
RÉACTIVÉ

Les difficultés s’amoncellent, ce qui peut expliquer l’usage traditionnel de


l’appel au peuple, réactivé. « Le mois dernier, tout s’en allait » : dans son
allocution du 29 juin, Charles de Gaulle mobilise les atouts et les attraits de
l’homme providentiel ; la France était « paralysée de force par la grève
généralisée ». Outre ce qu’il y a d’osé à évoquer « la France » comme si elle
n’était pas aussi composée de ses millions de grévistes, le Général use d’un
vocabulaire emphatique pour décrire une nation au bord du gouffre, soumise au
« charme maléfique » qui l’entraînerait « vers l’abîme ». Seul son appel aurait
permis de la sauver, in extremis, du précipice. Tout doit être remis en ordre,
comme si le pays avait été détraqué à la manière d’une machine folle.
La peur de la catastrophe est palpable et le chef de l’État contribue à
l’alimenter. Elle est sincère, comme dans le journal d’André Sernin pour qui la
grève ouvrière risque d’avoir des conséquences dramatiques, à quelques
semaines de la suppression des barrières douanières dans le cadre du Marché
commun ; comme d’autres journaux britanniques, le Daily Mirror prévoit une
inflation brutale, un chômage massif et une dévaluation du franc ; « c’est bien
possible, en effet », s’inquiète le diariste. La peur peut être aussi en partie
rhétorique, à la façon des communiqués de l’UDR pour qui « l’Europe, le grand
espoir des jeunes, est sabotée au moment où elle allait se faire » ; l’économie
française aurait été lâchement renversée par un croc-en-jambe quand elle se
lance dans la compétition européenne. Les « communistes et leurs alliés » ont
donc fait « un formidable cadeau aux industries étrangères », selon l’UDR.
Certains anciens de la division Leclerc frappent presque plus fort encore
lorsqu’ils prédisent une « catastrophe économique sans précédent qui nous
menace tous directement, [pouvant] ouvrir la voie à un colonialisme économique
et intellectuel étranger venant à la fois de l’Est et de l’Ouest » 28.
Mais le pouvoir et ses partisans ne sont pas seuls à prévoir de grands
tourments si des réformes de structures ne sont pas réalisées. Le 14 juin, le PSU
prophétise la fuite des capitaux, donc un risque pour la balance des paiements, le
blocage probable des investissements, la détérioration des échanges
commerciaux et la fermeture de nombreuses entreprises. Le Secrétariat unifié de
la IVe Internationale imagine de puissants conflits sociaux si, comme il
l’envisage, surviennent et l’inflation et le chômage qui grignoteront les
avantages acquis 29.

INFLUENCES ET INSPIRATIONS : LE MONDE EN ÉBULLITION

De telles prévisions s’appuient aussi sur la vivacité des luttes menées par les
travailleurs et les étudiants sur différents continents. Les événements de France,
eux-mêmes imprégnés de références venues d’ailleurs, exercent une indéniable
influence : les circulations et transmissions s’intensifient. En Argentine, livres,
revues et fascicules sur le mouvement français sont immédiatement traduits. En
Italie, lors des grèves de novembre, on entend le slogan « Ce n’est qu’un début
continuons le combat », qui a traversé les Alpes, tandis que le collectif ouvriers-
étudiants Lotta Continua se fonde par allusion à la révolte de Mai et Juin dans le
pays voisin. « La Francia indica la strada » – « la France ouvre la voie » – peut-
on lire dans un journal militant génois. Plus tard, c’est en référence au « Mai »
français que l’on évoquera pour l’Italie un « Mai latent » ou un « Mai
rampant » 30.
En Europe de l’Est, les mobilisations ouvrières comme les mouvements
étudiants déploient aussi leur élan. En Yougoslavie, tandis que les journaux du
Parti relatent ce qui se passe en France, la révolte étudiante à Belgrade conduit à
l’occupation des universités ; la contestation s’étend, de Ljubljana à Zagreb et à
Sarajevo 31. La tragédie qui se noue en Tchécoslovaquie indigne et bouleverse de
l’autre côté du rideau de fer. Le PCF se désolidarise de l’intervention des troupes
du Pacte de Varsovie, qui envahissent Prague le 21 août au soir. Victor Joannès,
membre du Comité central, assure que les communistes en ressentent « de
l’amertume et de l’affliction ». À Paris, le comité de grève de la faculté de droit
estime que ces armées « seraient plus à leur place dans la lutte contre les
agressions impérialistes que dans un combat contre un peuple qui cherche sa
voie dans le socialisme ». Ces événements, dans leur violence nue, révèlent sans
ambiguïté « la nature contre-révolutionnaire et antiouvrière de tous ces régimes
et de tous les partis qui leur sont plus ou moins liés ». L’AGE grenobloise
proclame sa solidarité envers les manifestants tchécoslovaques, « seuls à pouvoir
lutter à la fois contre les déviations staliniennes et contre les tentatives contre-
révolutionnaires préparées par le capitalisme toujours aux aguets ». À
Villeurbanne, un comité d’action y voit un espoir de révolution : « les directions
usurpatrices des pays de l’Est sont déjà hantées par le spectre de la révolution
prolétarienne qui les balaiera » 32.
Puis le drame qui se noue à Mexico au début de l’automne provoque une
vague de protestation : alors que vont s’ouvrir les jeux Olympiques célébrés
comme les « Olympiades de la Paix », un vaste mouvement populaire soulève le
pays. Le 2 octobre, sur la place des Trois-Cultures dans le quartier de Tlatelolco
à Mexico, l’armée perpètre un véritable massacre ; plus de 200 personnes sont
abattues tandis que s’enclenche la spirale infernale de la répression, entre
arrestations, pratique de la torture et exécutions. À Paris, une marche de
solidarité rassemble environ 5 000 manifestants, travailleurs et étudiants. Le
5 novembre au palais de la Mutualité se tient un meeting sur les luttes populaires
du Mexique 33. La solidarité internationale est à chaque fois ravivée.


Certaines des prévisions esquissées à la fin du mouvement se révèlent
exactes dans les mois suivants. La fuite des capitaux, enclenchée dès la mi-mai,
s’accentue progressivement au point d’atteindre des « dimensions
impressionnantes » en novembre ; elle revêt alors l’aspect d’un « véritable
exode » selon l’ambassadeur de France en Suisse, Gabriel Bonneau, et alimente
« une gigantesque crise des finances publiques » 34. À l’automne 1968, la crise
monétaire est sévère. Le contrôle des changes, instauré en juin, est supprimé en
septembre. La méfiance à l’égard du franc explique la forte spéculation en
faveur du Deutsche Mark. Après quelques hésitations, le gouvernement se
décide à fermer la Bourse le 20 novembre. Au Conseil des ministres
extraordinaire convoqué trois jours plus tard, on s’attend à ce que le Président
décrète la dévaluation. Il n’en est rien : le chef de l’État choisit de rétablir le
contrôle des changes et programme une importante réduction du déficit public,
mesures d’austérité à l’appui – modération des salaires et coupes budgétaires.
« N’est-il pas dommage que Mai-Juin 1968 ait changé si peu de choses en
profondeur ? » Nous sommes à Aytré, petite ville de Charente-Maritime. Dans
l’entreprise métallurgique locale, où travaillent 1 400 salariés, le syndicat des
Métaux CFDT contredit l’idée d’une grande victoire pour les ouvriers. Mais le
Bulletin intérieur du syndicat CGT des métaux d’Aytré rétorque aux camarades
et néanmoins rivaux de la CFDT que les résultats sont très importants 35. Les
interprétations diffèrent et c’est là une déclinaison locale de ces appréciations
contraires. À la manière du verre à moitié vide ou à moitié plein, l’inventaire
apparaît mitigé ou remarquable selon les positions de chacun : pour certains, la
coupe est amère ; pour d’autres, le bilan se bonifiera comme le vin. Au-delà des
acquis matériels, dont quelques-uns – comme la reconnaissance de la section
syndicale dans les entreprises – demeureront pour longtemps, quand d’autres –
les hausses de salaires – seront vite balayés, il reste ce qui pour beaucoup est
essentiel : le sentiment de s’être trouvés ou retrouvés, la joie d’une force
collective et l’importance de la solidarité, la conscience qu’une grève générale
est possible et qu’on pourra la recommencer. À Nantes, dans le quartier de
Chantenay, un ouvrier consigne dans son carnet ce qui lui paraît fondamental, le
« résultat moral » : « qu’on le veuille ou non, ce ne sera plus comme avant » 36.
À l’échelle internationale, les mobilisations n’ont pas faibli. C’est aussi la
raison pour laquelle le feu révolutionnaire ne paraît pas éteint, tout au contraire ;
la flamme reste brûlante voire incandescente – une étincelle la ranimerait.
Beaucoup du moins en sont persuadés et font du slogan si ardemment lancé le
principe d’un avenir entrevu : « Ce n’est qu’un début. »
CONCLUSION

Par-delà le rire et l’oubli

Voilà Tamina, dans Le Livre du rire et de l’oubli. Elle vient de


Tchécoslovaquie. 1968 avait été pour elle comme pour d’autres un printemps
d’espoir et de liberté, jusqu’à cet été transformé en tragédie. Prague écrasée par
les troupes du pacte de Varsovie, Tamina a quitté son pays. Elle vit en France
désormais, elle est serveuse dans un bar ; elle écoute les histoires, celles des
autres, les clients de passage et les habitués. Mais secrètement, elle lutte contre
l’oubli. « Depuis quelque temps, la décrit Kundera, elle était désespérée parce
que le passé était de plus en plus pâle. » L’essentiel n’est pas dans ces photos
blêmes et jaunies où l’on tente de saisir des vies ; l’essentiel, c’est l’humilité du
combat pour que le passé ne meure pas.

Elle ne veut pas rendre au passé sa poésie. Elle veut lui rendre son corps
perdu. Ce qui la pousse, ce n’est pas un désir de beauté. C’est un désir
de vie 1.

Il a été beaucoup question de poésie en 1968 ; de beauté aussi, quand il s’est agi
de réconcilier l’art et le quotidien, d’imaginer une existence plus intense et plus
libre. Mais, pour qui écrit sur l’événement, l’enjeu est avant tout de le rendre
vivant, sans l’embellir et sans en rire, en empoignant ses contradictions, en
s’emparant de ses éclats.
Les ondes longues du passé
Le passé recomposé est un temps d’usage courant. 1968 n’y échappe pas :
aux laboratoires des reconstitutions, il est même une matière de choix. S’en
saisir pour lui faire dire ce qu’il n’était pas est devenu un exercice banal,
quoique parfois acrobatique. La pratique est inaugurée très tôt, au lendemain
même de Juin. Les exemples seraient légions, comme celui de Maurice Druon.
L’écrivain académicien déteste la contestation ; il n’y perçoit que nihilisme et
pulsion de mort ; il compare les contestataires à Hitler. À le lire, on ne sait plus
au juste si l’on parle bien de la même histoire : la discordance des temps est une
stridence ici, qui crie. Plus tard, l’économiste Michel Albert, commissaire au
Plan sous le gouvernement Barre, lira 1968 au prisme de l’entreprise et de la
compétitivité. Ce promoteur de Vive la crise !, émission conçue pour faire
accepter le nouvel esprit du capitalisme sous ses traits néolibéraux, aura le ton
triomphant et l’assurance des vainqueurs : « Sous les pavés, il y avait
l’entreprise » 2. Une phrase assez typique d’un ton hégémonique dans les années
1980, pour taire les protestations et certifier qu’il y aurait un seul avenir
désormais : celui du profit et de la compétition.
Alors c’est vrai : ce travail a aussi voulu répondre aux affirmations
solennelles, souvent arrogantes, parfois même officielles. Ce que disent les
archives est si différent : avec et après d’autres, il fallait bien le montrer. Ces
interprétations m’ont hantée ; j’y voyais plus qu’une injustice : une volonté
délibérée d’évacuer un passé encombrant. 68 ou comment s’en débarrasser ?,
pour plagier les mots d’Eugène Ionesco. « Un événement n’est pas ce qu’on peut
voir ou savoir de lui mais ce qu’il devient 3 », a écrit Michel de Certeau.
L’événement a subi la balafre des miroirs déformants. L’histoire n’est pas la
discipline des justiciers ; cela n’empêche pas d’aider, un peu, à réparer le passé.
Tant de fragments restent encore dans l’ombre, pièces de marqueterie en
nombre infini. L’événement est fait de millions de petits morceaux impossibles à
recoller. C’est ce qui en a forgé la vie et elle s’échappe, inexorablement :
j’aimerais pouvoir les rattraper, mais il est tard. Et néanmoins, suivre Lucien, un
ancien enseignant qui se souvient d’un détail amusant : l’un de ses élèves, à qui
il passait des pavés dans la chaîne, lui disait à chaque fois « merci, monsieur »
comme si la politesse, sur les barricades, avait toujours cours… Parler des
aveugles et des infirmes qui réagissent et agissent, rappelant leurs droits à
l’instruction, au travail et à la santé. Évoquer l’inattendu, quand le patron d’une
entreprise de tissage, dans un petit village vosgien, offre à ses salariés grévistes
le tissu pour confectionner la banderole, en guise de soutien. Donner corps aux
détails cocasses et aux instants coriaces. Un commissaire principal suit les
consignes des Renseignements généraux par une réponse laconique : « Il n’y a
pas d’organisations révolutionnaires d’extrême gauche dans la Creuse. » Un
libraire de la rue de la Sorbonne, empêtré dans un litige avec le contrôleur des
contributions, s’en explique dans une lettre au préfet : « Il augmente mon forfait
pour les années 67 et 68 de 7 000 F en donnant comme argument que les
émeutes ont amené beaucoup de monde au Quartier latin et que mes affaires en
ont bénéficié » ; le libraire prie les autorités d’attester que la rue a été fermée. Un
monsieur Jean B. lance un comité de défense des personnes dont le véhicule a
brûlé. Un commerçant de Saint-Nazaire demande réparation pour les dégâts
commis dans la nuit du 11 au 12 juin par les grenades des policiers sur son
magasin et dresse la liste des objets détériorés, de la lampe bouillotte Louis XV
au pichet rustique, du gratte-dos à l’angelot doré. Un vendeur de télévisions
estime que les grévistes de l’ORTF causent les plus graves préjudices à son
commerce et s’en plaint au préfet. Les lycéens de Céret réclament que les blessés
des affrontements puissent passer la session spéciale du baccalauréat. À Saint-
Étienne, les joueurs du prestigieux club de football revendiquent une
augmentation de salaire, à la faveur du mouvement protestataire 4… Des rumeurs
circulent ici et là, déposées dans les commissariats : un « comité Cohn-Bendit »
préparerait l’attaque de l’Élysée au bazooka ; à la Sorbonne, les contestataires
projetteraient de vendre les fresques aux enchères et, pour les détacher,
chercheraient un expert ; à Billancourt, le pont qui relie l’île Seguin à la rive
opposée aurait été miné par des ouvriers de Renault – si les forces de l’ordre
investissaient l’usine, ils le feraient sauter ; dans une caserne de Laval, un dépôt
d’explosifs serait visé ; à Landerneau, des agriculteurs projetteraient de
kidnapper un ministre 5… Ces fantasmes-là font aussi une réalité.
Les protagonistes demeurent parfois, voire le plus souvent, dans l’anonymat.
Les archives parlent de comités de grève, d’action et de quartier, d’organisations
syndicales et politiques, de grévistes et de manifestants ; mais elles nomment
peu. Le plus souvent, elles ne permettent pas de situer exactement les auteurs, les
locuteurs et les acteurs. Quand elles le font, c’est soit pour mentionner des
personnalités, soit pour adopter l’approche des policiers. Dans les archives des
RG et des préfets, j’ai évidemment découvert des fiches, très fournies, à
prétention d’exhaustivité, des descriptions de logements perquisitionnés, des
photos d’identité et de police judiciaire. Pourtant, j’ai préféré les taire – non pas
seulement parce que c’était la condition de la dérogation mais parce que cette
démarche « policière » était trop éloignée de ce que je voulais faire. D’où ce
paradoxe d’une histoire qui tente d’incarner sans toujours nommer. La
métaphore que m’a suggérée Christian Ingrao ne pallie pas la carence mais a la
vertu de la désigner : la parole et les pratiques se diffusent comme une onde, qui
ne se localise pas toujours mais emplit l’air et le constitue.

Dorénavant
Il est encore un pan de l’événement que ce livre ne dit pas non plus : son
« désormais », le « dorénavant » de celles et ceux qui l’ont vécu. Tant de pages
pourraient être consacrées aux façons dont des vies ont été métamorphosées.
« Mai a été un démurement pour moi », raconte un poète exilé. Suzanne, une
institutrice de Grenoble venue à Paris pour reprendre des études, préfère quant à
elle dépeindre un changement physique, cheveux coupés courts et minijupes
assumées – car l’« indécence n’est pas dans la tenue mais dans le regard » : « je
voulais quitter ce personnage qui m’engonçait ». Chantal Cambronne-Desvignes,
enseignante en collège, qui en 1968 a 32 ans et attend son quatrième enfant,
décrit aussi tout ce que l’événement a changé dans sa vie : elle s’est mise à parler
avec les femmes de son quartier ; elles se sont confié les « trahisons » des maris,
la peur de grossesses nouvelles, la tentation de l’avortement quand il est toujours
interdit. Chantal ose évoquer les frustrations sexuelles et le malheur conjugal ; le
divorce finalement, vécu telle une conquête qui la libère de cet échec, est perçu
« comme une conséquence directe de Mai 68 ». Jacques Guilhaumou, alors
étudiant en première année d’histoire à Nanterre, se rappelle son père autoritaire,
cadre supérieur dans une grande entreprise d’informatique, soudain perdu à la
recherche de son fils dans la Sorbonne endormie, après une nuit d’occupation ;
cette forte personnalité, « habitué[e] à commander, devient un homme hésitant
au milieu de ces étudiants » ; « de tout, il était devenu rien, ou plutôt quelqu’un
d’ordinaire ». Pour le jeune homme, ce moment de basculement signe la fin du
conflit avec le père : la guerre ancienne est « neutralisée » 6. Les révolutions
comme les volcans, écrivait Hugo, « ont des journées de flamme et des années
de fumée » : le feu de l’événement brûle et pour beaucoup encore il n’est pas un
« tas de pierres » ou de cendres. Décidément, son avenir dure longtemps 7.
Parlez de 1968 autour de vous : combien aussitôt citeront quelques puissants,
des gens installés et importants, des femmes et surtout des hommes de pouvoir
qui ont renié ce passé ou semblent n’avoir rien à voir avec les espoirs qu’il
portait ? Cette part bien minime d’un iceberg immergé, cette part médiatisée,
tendrait à faire oublier les millions d’autres, presque muets. Dans une
magnifique étude de sociologie politique, Julie Pagis leur a rendu justice. Elle a
analysé la reconversion des dispositions contestataires dans des domaines
variés : l’enseignement aux pédagogies renouvelées, ajustées aux aspirations de
l’événement, l’animation sociale, l’éducation populaire, les formes d’exit aussi et
les stratégies parallèles. Elle a rendu compte de la « rénovation critique des
professions », des engagements syndicaux et associatifs, du bénévolat et de ses
déclinaisons. Elle a expliqué les déclassements par refus de la compétition et de
normes que beaucoup ont rejetées, enfin la ténacité parfois douloureuse, le souci
acharné de préserver son intégrité – et la fidélité 8.

Donner du sens a-t-il un sens ?


Au fond, que s’est-il passé ? Marx disait de la Commune que sa réussite et
son sens, c’était d’avoir existé 9. L’analogie ne revient pas à se défausser. On l’a
vu à ces quelques exemples, ce qui compte finalement, c’est que l’événement ait
bouleversé des existences. Il a rendu palpable le spectre d’autres avenirs, renoué
avec l’hypothèse de la révolution en la rendant tangible et possible, fait de
l’imagination une action. Le travail, les métiers, la culture, l’âge, l’art, le corps et
la sexualité, le temps même y ont été repensés.
Il n’y a pas une vérité de l’événement : mouvement social, grève générale,
aspiration à la révolution. Cette conclusion ne saurait donc le résumer. Elle peut
reprendre en revanche l’un des slogans qui en est né : « Tout est politique. » Car
s’il y a peu de pertinence à enfermer 1968 dans un seul sens, du moins a-t-il une
direction : faire du politique une chose partagée, le bien commun de toutes et
tous, où chacun peut s’exprimer, délibérer et décider. Le temps d’un printemps,
l’événement a renoué avec la démocratie du quotidien, comme on le faisait dans
la Grèce antique, mais dans une société débarrassée de l’esclavage, la béquille
atroce et tragique de l’Athènes classique.
Dans ses réflexions « sur la lecture », Proust notait que, d’un livre, on attend
souvent des réponses ; or, « ce qu’il peut seulement nous donner, ce sont des
désirs 10 ». 1968 reste une source d’inspiration ; on ne la voit pas se tarir.
L’événement n’a certes pas été une « répétition générale » ou une « révolution
anticipée », comme certains l’espéraient 11. À moins que l’avenir ne vienne le
démentir.
Notes

Les astérisques dans les notes signalent qu’une dérogation a été nécessaire
pour consulter ces fonds.

Introduction
L’événement au présent
1. Enrique Vila-Matas, « Au musée », traduit de l’espagnol par André Gabastou, in Écrire,
Mai 68, Paris, Argol, 2008, p. 252-253.
2. Une émission diffusée sur TF1 le 22 mai 1988 s’intitule Le Procès de Mai et le présentateur
Stéphane Paoli y demande : « N’est-il pas temps, vingt ans plus tard, d’instruire enfin le
procès de Mai ? », cité par Claire Sécail, « Mai 68 en procès à la télévision. La
criminalisation de l’événement historique (1988-2008) », in Christian Delporte, Denis
Maréchal, Caroline Moine, Isabelle Veyrat-Masson (dir.), Images et sons de Mai 68 (1968-
2008), Paris, Nouveau Monde, 2011, p. 372.
3. Boris Gobille, Mai 68, Paris, La Découverte, 2008, p. 5.
4. Jean-François Sirinelli, Mai 68. L’événement Janus, Paris, Fayard, 2008, p. 8. Cf. Serge
Audier, La Pensée anti-68. Essai sur les origines d’une restauration intellectuelle (2008),
Paris, La Découverte, rééd. 2009 et Boris Gobille, « L’événement 68. Pour une sociohistoire
du temps court », Annales. Histoire, sciences sociales, 63e année, 2008 / 2, notamment
p. 321-322.
5. Gilles Lipovetsky, « “Changer la vie” ou l’irruption de l’individualisme transpolitique »,
Pouvoirs, no 39, novembre 1986, p. 95. Cf. dans la même veine et à la même date Luc Ferry
et Alain Renaut, 68-86. Itinéraires de l’individu, Paris, Gallimard, 1987. L’ouvrage de
Kristin Ross, Mai 68 et ses vies ultérieures, a été décisif dans la déconstruction de cette
mythologie et des réappropriations aussi abusives que désabusées par quelques personnalités
érigées en « génération » (Kristin Ross, May ‘68 and its Afterlives, 2002, trad. fr. Mai 68 et
ses vies ultérieures, Paris, Complexe, 2005).
6. J’emprunte la formule à Edward P. Thompson qui l’emploie pour évoquer la classe ouvrière
anglaise (Edward P. Thompson, The Making of the English Working Class, 1963, trad. fr. La
Formation de la classe ouvrière anglaise, Paris, Seuil, 2012, p. 15).
7. Cf. Michelle Zancarini-Fournel, Le Moment 68. Une histoire contestée, Paris, Seuil, 2008.
8. Cf. Xavier Vigna, L’Insubordination ouvrière dans les années 68. Essai d’histoire politique
des usines, Rennes, PUR, 2007 et l’expression d’« “insubordination” proliférante », in
« Introduction », Xavier Vigna, Jean Vigreux (dir.), Mai-juin 1968. Huit semaines qui
ébranlèrent la France, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2010, p. 15. Voir Michelle
Zancarini-Fournel, « L’épicentre », in Philippe Artières, Michelle Zancarini-Fournel (dir.),
68. Une histoire collective (1962-1981), Paris, La Découverte, 2008, p. 209-269. Gerd-
Rainer Horn évoque un « proletarian May » : Gerd-Rainer Horn, The Spirit of ’68. Rebellion
in Western Europe and North America, 1956-1976, New York, Oxford University Press,
2007, p. 101.
9. Serge Velay, L’Intempestif, Remoulins-sur-Gardon, Jacques Brémond, 1998, p. 15.
10. Gilles Deleuze et Félix Guattari, « Mai 68 n’a pas eu lieu », Les Nouvelles, 3-9 mai 1984.
11. Michel de Certeau, « Pour une nouvelle culture : prendre la parole » (juin 1968), repris in La
Prise de parole et autres écrits politiques, Paris, Seuil, 1994, p. 41 et p. 43.
12. Pascale Goetschel, Christophe Granger, « Faire l’événement. Un enjeu des sociétés
contemporaines », Sociétés & Représentations, no 32, 2011 / 2, p. 16.
13. Federico Tarragoni, L’Énigme révolutionnaire, Paris, Les Prairies ordinaires, 2015, p. 135.
14. Henri Lefebvre, L’Irruption de Nanterre au sommet, Paris, Anthropos, 1968, p. 128.
15. François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil,
2003, rééd. 2012, p. 125.
16. Jacques Rancière, « Politique, identification, subjectivation » (1991), in Aux bords du
politique, Paris, Gallimard, 2007, p. 112 ; Id., « Le plaisir de la métamorphose politique », in
Moments politiques. Interventions 1977-2009, Paris, La Fabrique, 2009, p. 204.
17. Dominique Damamme, Boris Gobille, Frédérique Matonti, Bernard Pudal (dir.), Mai-
Juin 68, Paris, Éditions de l’Atelier, 2008, « Introduction », p. 11.
18. Kristin Ross, Mai 68 et ses vies ultérieures, op. cit., p. 32.
19. Montage situationniste, s. d., BNF LB61-600 (7398).
20. Cf. Daniel A. Gordon, Immigrants and Intellectuals. May’68 & the Rise of Anti-Racism in
France, Pontypool, Merlin Press, 2012, notamment p. 89-91.
21. Michelle Perrot, « Préface », in Filles de Mai. 68 dans la mémoire des femmes, Latresne, Le
Bord de l’eau, 2004, p. 7 et 10.
22. Lynne Segal, « She’s Leaving Home : Women’s Sixties Renaissance », in
Gurminder K. Bhambra et Ipek Demir (éd.), 1968 in Retrospect. History, Theory, Alterity,
New York, Palgrave Macmillan, 2009, p. 31 sq.
23. Michelle Zancarini-Fournel, « Genre et politique : les années 1968 », Vingtième Siècle.
Revue d’histoire, no 75, 2002 / 3, p. 139 ; Id., « Afterword », in Lessie Jo Frazier et Deborah
Cohen (éd.), Gender and Sexuality in 1968. Transformative Politics in the Cultural
Imagination, New York, Palgrave McMillan, 2009, p. 256.
24. Julie Pagis, Mai 68, un pavé dans leur histoire. Événements et socialisation politique, Paris,
Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 2014, p. 228 sq.
25. Cf. Joan Scott, Only paradoxes to offer. French Feminists and the Rights of Man (1996)
trad. fr. La Citoyenne paradoxale. Les féministes françaises et les droits de l’homme, Paris,
Albin Michel, 1998.
26. Cf. Arlie Hochschild, « The Sociology of Feeling and Emotion : Selected Possibilities »,
Sociological Inquiry, 2-3 avril 1975, p. 280-307.
27. Cf. Erik Olin Wright, Envisioning Real Utopias, 2010, trad. fr. Utopies réelles, Paris, La
Découverte, 2017.
28. André Gorz, Misères du présent. Richesse du possible, Paris, Galilée, 1997, p. 180.
29. Haim Burstin, Révolutionnaires. Pour une anthropologie politique de la Révolution
française, Paris, Vendémiaire, 2013, p. 175. Cf. Quentin Deluermoz, Boris Gobille (dir.),
Protagonisme et crises politiques, numéro de Politix. Revue des sciences sociales du
politique, no 112, 2015.

Prologue
« Glorieuses » ? Des années critiques
1. Pierre Viansson-Ponté, « Quand la France s’ennuie », Le Monde, 15 mars 1968.
2. Jean Nicolas, La Rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale (1661-
1789), Paris, Seuil, 2002 ; Cf. Jean-Luc Chappey, Bernard Gainot, Guillaume Mazeau,
Frédéric Régent, Pierre Serna, Pour quoi faire la révolution, Marseille, Agone, 2012, p. 14.
3. Jean Fourastié, Les Trente Glorieuses, ou la révolution invisible de 1946 à 1975, Paris,
Fayard, 1975 ; Cf. Céline Pessis, Sezin Topçu, Christophe Bonneuil (dir.), Une autre
histoire des « Trente Glorieuses ». Modernisation, contestations et pollutions dans la
France d’après-guerre, Paris, La Découverte, 2013 ; Michelle Zancarini-Fournel, Les Luttes
et les Rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours, Paris, La Découverte,
2016, p. 717-777.
4. Andrew Abbott, « L’avenir des sciences sociales. Entre l’empirique et le normatif »,
Annales. Histoire, sciences sociales, no 71-3, juillet-septembre 2016, p. 578.
5. UNEF, Association fédérative générale des étudiants de Strasbourg, De la misère en milieu
étudiant considérée sous ses aspects économique, politique, psychologique, sexuel et
notamment intellectuel et de quelques moyens pour y remédier, novembre 1966.
6. « Trente Italie », textes politiques de l’AGE de Lyon, s. d., BDIC F delta 813 / 8.
7. Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron, Les Héritiers. Les étudiants et la culture, Paris,
Minuit, 1964.
8. Pascale Goetschel, Renouveau et décentralisation du théâtre, Paris, PUF, 2004, p. 359.
9. Noëlle Bisseret, « Réussite universitaire et inégalité économique », s. d., BNF LB61-600
(2776). Cf. Bernard Pudal, « Ordre symbolique et système scolaire dans les années 1960 »,
in Dominique Damamme, Boris Gobille, Frédérique Matonti, Bernard Pudal (dir.), Mai-
Juin 68, op. cit., p. 68-72.
10. Ingrid Gilcher-Holtey, « La contribution des intellectuels de la Nouvelle gauche à la
définition du sens de Mai 68 », in Geneviève Dreyfus-Armand, Robert Frank, Marie-
Françoise Lévy, Michelle Zancarini-Fournel (dir.), Les Années 68. Le temps de la
contestation, Bruxelles, Complexe, 2000, p. 91-92 ; Michel Trebitsch, « Voyages autour de
la révolution. Les circulations de la pensée critique de 1956 à 1968 », in ibid., p. 79 ; Julien
Hage, Feltrinelli, Maspero, Wagenbach. Une nouvelle génération d’éditeurs politiques
d’extrême gauche en Europe occidentale, 1955-1982. Histoire comparée, histoire croisée,
thèse de doctorat, université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 2010 ; Henri Lefebvre
cité in Bernard Brillant, Les Clercs de 68, Paris, PUF, 2003, p. 34-35 ; Boris Gobille,
Mai 68, op. cit., p. 16 ; Ingrid Gilcher-Holtey, « Die Phantasie an die Macht ». Mai 68 in
Frankreich, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp Taschenbuch Verlag, 1995, p. 53-67.
11. Marnix Dressen, « Ombres chinoises. Regards de maoïstes français sur la Chine de Mao
(1965-1975) », Les Années 68 : une contestation mondialisée. Résonances et interactions
internationales, numéro de Matériaux pour l’histoire de notre temps, no 94, avril-juin 2009,
p. 22 sq.
12. Armand Gatti, V comme Vietnam, 1967, cf. www.esu-psu-unef.com/DOC/08-
VIE%20ETUDIANTE/67-04_gatti_21X27.pdf.
13. Stéphane Grégoir et Fabrice Lenglart, « Un nouvel indicateur pour saisir les retournements
de conjoncture », Économie et Statistique, vol. 314, no 1, 1998, p. 47-48.
14. J. Dromer, secrétariat général de l’Élysée, 18 mars 1967, AN AG5(1)/ 884 ; Le ministre de
l’Économie et des Finances, 18 mai, ibid.
15. Rapport de M. Rueff, s. d. ; Mission régionale de Lorraine, février 1966 ; Direction du
travail et de la main-d’œuvre, 8 février 1966 ; RG Longwy, 7 novembre 1966 ; Préfecture
de Meurthe-et-Moselle, 14 novembre 1967 ; RG Nancy, 30 janvier 1968, AD Meurthe-et-
Moselle 1296W18.
16. Comité d’action pour l’emploi Nord-Pas-de-Calais, 1er mai 1968 à Roubaix, AD Nord,
1008W1 / 4 ; Cahier de revendications présentées par l’Union locale des syndicats ouvriers
CGT de la région de Fourmies, 1er mai 1968, ibid.
17. Association des syndicats métallurgiques patronaux de la Loire, 18 avril 1967, AD Loire
650 VT 47* ; Chambre syndicale de la bonneterie de Roanne et de la région, 5 février 1968,
AD Loire 650 VT 48* ; RG Loire, 8 décembre 1965, ibid. ; Id., 2 avril 1968, ibid. ; Id.,
8 mai 1968, ibid.
18. RG 8e région, 4 janvier 1968, AD Puy-de-Dôme 32W18 ; Presse Océan, 29 janvier 1968 ;
FGDS Loire-Atlantique, juin 1968, CHT Nantes, Fonds 1968, 6-9.
19. Marcel Pinet, note à l’attention du général de Gaulle, 8 mai, AN AG5(1)/ 934 ; Jean
Vigreux, Croissance et contestations. 1958-1981, Paris, Seuil, 2014, p. 98.
20. Discours prononcé à Brive par François Mitterrand, 2 mars 1968, AD Corrèze 1540W132.
21. Raymond Aron, La Révolution introuvable. Réflexions sur la révolution de mai, Paris,
Fayard, 1968, p. 91. Cf. Jacques Capdevielle, René Mouriaux (dir.), Mai 68. L’entre-deux de
la modernité. Histoire de trente ans, Paris, Presses de la FNSP, 1988, p. 41 ; Christian
Baudelot, Anne Lebeaupin, « Les salaires de 1950 à 1975 », Économie et Statistique, no 113,
août 1979, p. 15-22.
22. CGT, Union locale des syndicats de Boulogne, 21 mai 1968, BNF LB61-600 (8164).
23. Jean-Philippe Martin, « Les contestations paysannes autour de 1968. Des luttes novatrices
mais isolées », Histoire & Sociétés rurales, vol. 41, 2014 / 1, p. 107 sq. ; Id., Histoire de la
nouvelle gauche paysanne. Des contestations des années 1960 à la confédération paysanne,
Paris, La Découverte, 2005, p. 33 sq. ; Nathalie Duclos, Les Violences paysannes sous la
Ve République, Économica, 1998, p. 79 ; Christian Bougeard, « Le moment 1968 en
Bretagne », in Bruno Benoit, Christian Chevandier, Gilles Morin, Gilles Richard, Gilles
Vergnon (dir.), À chacun son Mai ? Le tour de France de mai-juin 1968, Rennes, PUR,
2011, p. 26 ; Tract de la FNSEA, décembre 1967, AD Creuse 104W26.
24. Xavier Vigna, Michelle Zancarini-Fournel, « Les rencontres improbables dans “les
années 68” », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 101, janvier-mars 2009, p. 166 ; Nicolas
Hatzfeld, Cédric Lomba, « Unité ouvriers-étudiants : quelles pratiques derrière le mot
d’ordre ? Retour sur Besançon en 1968 », Savoir / Agir, no 6, 2008 / 4, p. 43 ; Nicolas
Hatzfeld, Cédric Lomba, « La grève de Rhodiaceta en 1967 », in Dominique Damamme,
Boris Gobille, Frédérique Matonti, Bernard Pudal (dir.), Mai-Juin 68, op. cit., p. 102 sq.
25. RG Nancy, 30 janvier 1968, AD Meurthe-et-Moselle 1296W18 ; Jacques Kergoat, « Sous la
plage, la grève », in Antoine Artous, Didier Epsztajn, Patrick Silberstein (dir.), La France
des années 68, Paris, Syllepse, 2008, p. 51.
26. Jean Vigreux, Croissance et contestations. 1958-1981, op. cit., p. 151 ; Michelle Zancarini-
Fournel, Les Luttes et les Rêves, op. cit., p. 785-787 ; Raymond Gama et Jean-Pierre
Sainton, Mé 67. Mémoire d’un événement, Pointe-à-Pitre, Société guadeloupéenne d’édition
et de diffusion, 1985.
27. Le préfet de la Région Basse-Normandie préfet du Calvados au ministre de l’Intérieur,
7 février 1968, AD Calvados 826W41051*.
28. RG Calvados, janvier-février 1968, ibid.
29. Le préfet de la Région Basse-Normandie au ministre de l’Intérieur, 3 février 1968,
AD Calvados 1520W138* ; Lettre de remerciement de Jacques Foccart au préfet Gaston
Pontal, 19 février 1968, AD Calvados 826W41051* ; Carte de remerciement du directeur de
cabinet du ministre de l’Industrie au préfet du Calvados, s. d. [février 1968], ibid. ; RG
Caen, AD Calvados 826W41024*.
30. André Pautard, « Pourquoi les jeunes ouvriers ont pris la tête de la violence à Caen ? Leurs
CAP ne servent à rien », France-Soir, 30 janvier 1968 ; Morvan Lebesque, « Les
mutineries », Le Canard enchaîné, 31 janvier 1968 ; Jean Lacouture, « Caen : de la grève à
la “jacquerie ouvrière” », Le Monde, 7 février 1968 ; Gérard Lange, « À Caen, une
représentation originale de la révolte de 1968 : la colère des OS », Révolte et Société, Paris,
Publications de la Sorbonne, t. II, 1989, p. 255-261 ; Id., « La liaison étudiants-ouvriers à
Caen », in René Mouriaux, Annick Percheron, Antoine Prost et Danielle Tartakowsky (dir.),
1968. Exploration du Mai français, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 217- 236.
31. UJCml, s. d., BNF LB61-600 (7473).
32. RG Boulogne-sur-Mer, 9 février 1968, AD Pas-de-Calais 1183W207* ; L’administrateur en
chef des Affaires maritimes, au sous-préfet, 12 mars 1968, ibid. ; Commune d’Équihen-
Plage, extrait du registre des délibérations, 23 février 1968 ; RG Boulogne-sur-Mer, 1er mars
1968, AD Pas-de-Calais 1183W207*.
33. Le préfet de la Loire au ministre de l’Intérieur, s. d., AD Loire 650 VT 47* ; Société des
mines de fer d’Amermont-Domary à Bouligny, 8 avril 1968, AD Meuse 1251W2660*.
34. Cabinet du préfet de Charente-Maritime, 23 avril 1968, AD Charente-Maritime 1288W404 ;
Id., 23 avril 1968, ibid. ; Le commandant du groupement opérationnel, CRS, La Rochelle,
24 avril 1968, ibid. ; Rapport du commissaire de police chargé des arrondissements au
commissaire central de La Rochelle, 26 avril 1968, ibid.
35. Danièle Fraboulet, « Le CNPF et les mutations de la vie politique et sociale de l’après
Mai 68 », in Gilles Richard et Jacqueline Sainclivier (dir.), Les Partis à l’épreuve de 68.
L’émergence de nouveaux clivages, 1971-1974, Rennes, PUR, 2012, p. 100 ; Appel du
Cartel départemental de défense et d’amélioration de la Sécurité sociale, s. d. [1967], AD
Puy-de-Dôme 106J13.
36. JCR, janvier-février 1968, BDIC, F delta 2177 / 21.
37. Jean-Jacques Becker, Le Parti communiste veut-il prendre le pouvoir ? La stratégie du PCF
de 1930 à nos jours, Paris, Seuil, 1981 ; Serge Berstein, « Les forces politiques :
recomposition et réappropriation », in Geneviève Dreyfus-Armand, Robert Frank, Marie-
Françoise Lévy, Michelle Zancarini-Fournel (dir.), Les Années 68, op. cit., p. 484 ; François
Audigier, « Le groupe gaulliste : quand les “godillots” doutent », Parlement[s], Revue
d’histoire politique, no 9, 2008 / 1, p. 12-13.
38. Claude Pennetier, « PCF et CGT face à 68 », in Philippe Artières, Michelle Zancarini-
Fournel (dir.), 68. Une histoire collective (1962-1981), op. cit., p. 337 ; Julian Mischi, « Le
PCF face au “problème gauchiste” », in Gilles Richard et Jacqueline Sainclivier (dir.), Les
Partis à l’épreuve de 68, op. cit., p. 209-210 ; Paul Boulland, Nathalie Ethuin, Julian Mischi,
« Les disqualifications des gauchistes au sein du PCF. Enjeux sociologiques et
stratégiques », Savoir / Agir, no 6, 2008 / 4, p. 33 ; Stéphane Courtois, Marc Lazar, Histoire
du Parti communiste français, Paris, PUF, 1995, rééd. 2000, p. 345.
39. Boris Gobille, Mai 68, op. cit., p. 10.
40. Jean-Philippe Legois, Alain Monchablon, Robi Morder, « Le mouvement étudiant et
l’Université : entre réforme et révolution (1964-1976) », in Geneviève Dreyfus-Armand,
Robert Frank, Marie-Françoise Lévy, Michelle Zancarini-Fournel (dir.), Les Années 68,
op. cit., p. 281-283.
41. Pascal Dumontier, Les Situationnistes et Mai 68. Théorie et pratique de la révolution, Paris,
Ivrea, 1995, p. 101 ; AGEN-UNEF, s. d. [début mars 1968], AD Loire-Atlantique
355W216 ; RG Nancy au directeur des RG, 11 avril 1968, AD Meurthe-et-Moselle
1296W18.
42. Michel de Certeau, La Prise de parole et autres écrits politiques, op. cit., p. 29 ; Combat,
3 avril 1968 ; Pascal Dumontier, Les Situationnistes et Mai 68, op. cit., p. 106-107 ; Faculté
des lettres et sciences humaines de Nanterre, 30 mars 1968, BNF LB61-600 (1155).
Première partie
Protagonismes

CHAPITRE I
SOYONS TOUT. ÉTUDIANTS, PAYSANS, OUVRIERS : RENCONTRES
ET SOLIDARITÉS

1. Michelle Zancarini-Fournel, Le Moment 68, op. cit., p. 216 ; Emmanuelle Loyer, Mai 68
dans le texte, Paris, Complexe, 2008, p. 164 ; Ingrid Gilcher-Holtey, « La nuit des
barricades », Sociétés & Représentations, no 4, mai 1997, p. 183.
2. Bernard Grais, « Sur 100 personnes actives 15 paysans et 38 ouvriers », Économie et
Statistique, vol. 2, no 1, 1969, p. 41-43.
3. Nicolas Hatzfeld, Cédric Lomba, « Unité ouvriers-étudiants… », art. cité, p. 43 sq. ; Bernard
Pudal et al., « Mai-Juin 68, jonction ou rendez-vous manqué entre ouvriers et étudiants ? »,
Savoir / Agir, no 6, 2008 / 4, p. 17 ; Xavier Vigna, Michelle Zancarini-Fournel, « Les
rencontres improbables dans “les années 68” », art. cité, p. 163-177 ; Michelle Zancarini-
Fournel, Les Luttes et les Rêves, op. cit., p. 811-813 ; Gerd-Rainer Horn, « Arbeiter und
Studenten in den 68er Jahren », in Oliver Rathkolb, Friedrich Stadler (Hg.), Das Jahr 1968 –
Ereignis, Symbol, Chiffre, Vienne, Vienna University Press, 2010, p. 187-208.
4. Jean-François Sirinelli, Mai 68, op. cit., p. 118 ; Michelle Zancarini-Fournel,
« L’épicentre », art. cité, p. 211.
5. RG Nancy, 9 mai 1968, AD Meurthe-et-Moselle 1296W26. Désormais, sauf mention
contraire, toutes les dates renvoient à 1968.
6. Comités de défense contre la répression, 5 mai, BNF LB61-600 (4655).
7. Mouvement du 22-Mars, s. d., BDIC F delta 813 / 7 ; Zoom, émission du 14 mai, de Jean-
Paul Thomas, reportage de Guy Demoy, BNF NUMAV-41563, 3’ 30’’.
8. RG Nancy, 6 mai, AD Meurthe-et-Moselle 1296W26 ; AGEN-UNEF, CHT Nantes, Fonds
1968, 6-1 ; Tract « Roche démission », 6 mai, BNF LB61-600 (4654).
9. Toulouse, mouvement du 25-Avril, s. d., BNF LB61-600 (9177).
10. Comité Censier « Nous sommes en marche », s. d., BNF LB61-600 (927).
11. Dialogue Geismar-Chalin, version sténographique des bandes magnétiques de RTL, cité in
L’Insurrection étudiante. 2-13 mai 1968. Ensemble critique et documentaire établi par Marc
Kravetz, Paris, UGE, 1968, p. 333 ; Philippe Labro, Les Barricades de mai, Paris, Solar,
1968, n. p.
12. CGT-CFDT-FEN, s. d. [appel au 13 mai], AD Nord 1008W 17/5 ; Georges Séguy, « Les
travailleurs sont indignés. Solidarité aux étudiants ! », s. d. [11 mai], BNF LB61-600
(9241) ; Tract La Roche-sur-Yon, 13 mai, CDHMOT Vendée ; RG Saint-Nazaire, AD
Loire-Atlantique 1194W89* ; Dogkiu Shin, « La CGT Berliet à Vénissieux en mai 1968 : la
réactivation de la mémoire locale et les enjeux de la contestation autour des conflits de
1967-1968 », in Xavier Vigna, Jean Vigreux (dir.), Mai-juin 1968, op. cit., p. 39 ; CFDT
syndicat des Métaux Meuse, section syndicale de la Société métallurgique de la Meuse
Stenay, 13 mai, AD Meuse 1251W2660*.
13. RG Valenciennes, 13 mai, AD Nord 1008W 17/5.
14. Xavier Vigna, L’Insubordination ouvrière, op. cit., p. 26 ; « 13 mai 1968 toulousain : le
forum au Capitole », La Dépêche du Midi, 15 mai ; RG Ardennes, AD Ardennes
1695W397 ; RG Toulouse, AD Haute-Garonne 5681W14* ; RG Creuse, AD Creuse
102W30 ; Manifestation du 13 mai à Tulle, AD Corrèze 10FI / 2270 ; Lilian Mathieu,
« Décalages et alignements des dynamiques contestataires : mai-juin 1968 à Lyon », in
Xavier Vigna, Jean Vigreux (dir.), Mai-juin 1968, op. cit., p. 59.
15. RG Dunkerque, AD Nord 1008W 17/5 ; « La grève générale de lundi », Ouest-France,
15 mai ; RG Rennes, AD Ille-et-Vilaine 510W116*.
16. Communiqué du syndicat CGT Renault, 17 mai, BNF LB61-600 (8161) ; Xavier Vigna,
Michelle Zancarini-Fournel, « Les rencontres improbables dans “les années 68” », art. cité,
p. 168 et 163 ; Déclaration CFDT au meeting de l’île Seguin, Billancourt, 17 mai, BNF
LB61-600 (8132) ; Gérard Lange, « La liaison étudiants-ouvriers à Caen », art. cité, p. 234-
235.
17. RG Rouen, s. d., AD Seine-Maritime 3907W10 ; Assises nationales de Strasbourg, rapport
de Toulouse, 8-10 juin, BDIC F delta 1061(9)-I ; Solidarité, Bulletin de liaison de la
commission ouvriers-étudiants de l’université autonome de Strasbourg, no 1, mai, ibid. ;
« Les jeunes métallos de chez Renault : “À l’usine, c’est pas marrant”. Ils préfèrent
l’atmosphère de la Sorbonne », Le Populaire du Centre, 18 mai 1968.
18. Boris Gobille, Mai 68, op. cit., p. 47.
19. « La société nouvelle », La Liberté de l’Est, 30 mai ; Compte rendu de la réunion du 6 juin
sur l’autogestion, s. d., BDIC F delta 813 / 7 ; RG Rouen, 29 mai, AD Seine-Maritime
3907W10.
20. Allocution de Jacques Benveniste (chef de clinique) à l’AG du 28 mai, Journal
d’information de la faculté de médecine de Paris, no 12, 30 mai, AN 78AJ34.
21. AGEN-UNEF, s. d., AD Loire-Atlantique 355W216 ; Université de Tours, s. d., BNF LB61-
600 (9305) ; Comité Censier, s. d., BNF LB61-600 (4756) ; Assises nationales de
Strasbourg, rapport d’Aix-en-Provence, 8-10 juin, BDIC F delta 1061(9)-I.
22. Texte issu de la réunion des chercheurs du Centre de sociologie européenne, 12 mai, cité in
Alain Schnapp, Pierre Vidal-Naquet, Journal de la commune étudiante. Documents
novembre 1967-juin 1968, Paris, Seuil, 1988, p. 696 ; Commissions inter-écoles de Nancy,
31 mai, AD Loire-Atlantique 171J16 ; Assises nationales des mouvements étudiants,
Clermont-Ferrand, 18 juin, AD Puy-de-Dôme 1J1482 ; Faculté des lettres et sciences
humaines de Clermont, 14 juin, AD Puy-de-Dôme 1J1483 ; Poitiers, rapport de la
commission « Université et Société », 16 juin, BDIC F delta 1061(9)-I ; Commission
« Culture et Contestation », Nanterre, 3 juin, cité in Alain Schnapp, Pierre Vidal-Naquet,
Journal de la commune étudiante, op. cit., p. 729-730.
23. Sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence, association départementale du Rhône, courrier
au recteur, 11 juin, AD Rhône 2690W1 ; Commissariat central de l’agglomération
lyonnaise, déclarations de Michel Raton, 24 juin, AD Rhône 4266W32* ; Commissaire CHF
SRPJ Dijon, 15 juin, AD Bouches-du-Rhône 135W349*.
24. RG Saint-Étienne, 29 mai, AD Loire 650 VT 101* ; RG Vienne, 14 juin, AD Vienne
1939W4* ; « Le quatrième dimanche de grève des ouvriers de Cegedur à Rive-de-Gier », La
Tribune-Le Progrès, 17 juin.
25. « Ouest : immense mouvement populaire », L’Humanité, 9 mai ; Ouest-France, « une » du
9 mai ; « 2 000 agriculteurs et ouvriers manifestent à La Roche-sur-Yon », La Vendée
agricole, 12 mai ; RG Quimper, AD Ille-et-Vilaine 510W116* ; RG Rennes, ibid.
26. Prise de parole CFDT, 8 mai, CDHMOT Vendée ; Intervention de Bernard Lambert, Nantes,
8 mai, CHT Nantes, Fonds 1968, 11-8 ; « À Redon », Ouest-France, 9 mai.
27. Positions du CDJA du Pas-de-Calais, 11 mai, AD Pas-de-Calais 1W34910 / 1* ; RG Arras,
14 mai, ibid. ; Pierre Delforge, lettre au préfet, 15 mai 1968, ibid. ; RG Nancy, 29 mai, AD
Meurthe-et-Moselle 1296W27 ; RG PACA, notes du 24 mai et du 12 juin, AD Bouches-du-
Rhône 135W350* ; Le préfet des Pyrénées-Orientales au ministre de l’Intérieur, 24 juin,
ibid., 135W349*.
28. RG Ardennes, 27 mai, AD Ardennes 1695W397.
29. Déclaration du CDJA prononcée au meeting du travail 31 mai, CHT Nantes, Fonds 1968, 6-
11.
30. RG Caen, 27 mai, AD Calvados 826W41024* ; Commandement régional de la gendarmerie
nationale, Rennes, 17 juin, AD Ille-et-Vilaine 510W114* ; Assises nationales de Strasbourg,
rapport de Bordeaux, 8-10 juin, BDIC F delta 1061(9)-I ; Syndicat agricole, s. d., CHT
Nantes, Fonds 1968, 6-10.
31. Vincent Porhel, « Plozévet 68 : la révolte au village ? », in Xavier Vigna, Jean Vigreux
(dir.), Mai-juin 1968, op. cit., p. 122 ; Cf. aussi Jean-Philippe Martin, « Des paysans
soixante-huitards : Le syndicalisme agricole (Hérault, Loire-Atlantique) et le mouvement de
mai-juin 1968 », in ibid., p. 93 et 98.
32. Tribune du 22 mars, 5 juin, BDIC F delta 813 / 7 ; Rapport de la commission « Luttes
ouvrières », Assas, 17 mai, BNF LB61-600 (207) ; Maud Anne Bracke, « May 1968 and
Algerian Immigrants in France : Trajectories of Mobilization and Encounter », in
Gurminder K. Bhambra et Ipek Demir (éd.), 1968 in Retrospect, op. cit., p. 121 ; Jacques
Baynac, Mai retrouvé, Paris, Robert Laffont, 1978, p. 137-143.
33. Daniel A. Gordon, Immigrants and Intellectuals, op. cit., p. 71 ; Toulouse, mouvement du
25-avril, s. d. [juin], AD Charente-Maritime 176AJ1 ; François Cusset, Contre-discours de
Mai. Ce qu’embaumeurs et fossoyeurs de 68 ne disent pas à ses héritiers, Arles, Actes Sud,
2008, p. 14 ; Comité trois Continents, 26 juin, BDIC F delta 813 / 7 ; « Pour l’abolition du
statut des étrangers en France », s. d. [mai], BNF LB61-600 (4650).
34. Maryse Tripier, L’Immigration dans la classe ouvrière en France, Paris, CIEMI-
L’Harmattan, 1990, p. 71 ; Laure Pitti, « Une matrice algérienne ? Trajectoires et
recompositions militantes en terrain ouvrier, de la cause de l’indépendance aux grèves d’OS
des années 1968-1975 », Politix, no 76, 2006, p. 144.
35. Ibid., p. 158 sq. ; Xavier Vigna, « Les usines Renault pendant les luttes des ouvriers de
l’automobile des années 1968 », in Jacqueline Costa-Lacoux, Geneviève Dreyfus-Armand,
Émile Temime (dir.), Renault sur Seine. Hommes et lieux de mémoire de l’industrie
automobile, Paris, La Découverte, 2007, p. 138 sq.
36. « Les étrangers aux Français », 23 mai, BNF LB61-600 (4646).
37. Jean-Philippe Martin, « Les contestations paysannes autour de 1968 », art. cité, p. 95 ; RG
Rennes, 24 mai, AD Ille-et-Vilaine 510W118* ; « Manifestations ouvrières et paysannes
hier à Paimpol », Ouest-France, 25-26 mai ; Note du préfet des Bouches-du-Rhône, 24 mai,
AD Bouches-du-Rhône 135W349* ; RG Creuse, Personnel des usines, s. d., AD Creuse
102W30.
38. Français non étudiants arrêtés lors de la « nuit des barricades » de Lyon du 24 au 25 mai,
AD Rhône 4296W142* ; Étrangers arrêtés, ibid. Sur la mort du commissaire Lacroix, voir
infra, chapitre V.
39. D’après les fiches de la préfecture de police de Paris, 24 et 25 mai, APP FB / 11*.
40. Note des RG, 3 juin, APP FB / 16* ; Rapport du gardien de la paix François D., 4 juin, ibid.
41. Les travailleurs en lutte de chez Renault, 6 juin, BNF LB61-600 (8680) ; Faculté de
médecine de Paris, texte des étudiants en kinésithérapie réunis en assemblée générale, 8 juin,
BNF LB61-600 (634) ; Comité d’action de l’École pratique des hautes études, 10 juin, BNF
LB61-600 (2840).
42. Préfecture de police, main-courante, 7 juin, APP FB / 17*.
43. Préfecture de police, interpellations à Flins, des 6 au 10 juin, APP FB / 17*.
44. Jean-Pierre Thorn, Oser lutter, oser vaincre, 1969, Les Productions de la Lanterne, BNF
NUMAV-44737, 47’ 30”, 48’ 00”, 50’ 30”.
45. Cf. Xavier Vigna, « La figure ouvrière à Flins (1968-1973) », in Geneviève Dreyfus-
Armand, Robert Frank, Marie-Françoise Lévy, Michelle Zancarini-Fournel (dir.), Les
Années 68, op. cit., p. 330. Voir aussi Xavier Vigna, « Les usines Renault pendant les luttes
des ouvriers de l’automobile des années 1968 », art. cité, p. 138 sq. ; Nicolas Hatzfeld, « Les
morts de Flins et Sochaux : de la grève à la violence politique », in Philippe Artières,
Michelle Zancarini-Fournel, 68. Une histoire collective (1962-1981), op. cit., p. 325.
46. Nicolas Hatzfeld, Les Gens d’usine. 50 ans d’histoire à Peugeot-Sochaux, Paris, Éditions de
l’Atelier, 2002, p. 364.
47. Communiqué de presse, 10 février, CDHMOT Vendée ; Confédération FO, 10 juin, BNF
LB61-600 (5951) ; Association des Familles de France du canton de Clisson, lettre au maire,
8 mai, AD Loire-Atlantique 355W233 ; Direction nationale de l’UJCF et de l’Union des
jeunes filles de France (UJFF), s. d., BNF LB61-600 (7451) ; Direction des RG, 14 mai,
AD Nord 1008W 17/5 ; Presse Océan, 20 mars ; L’Ardennais, 13 mai ; RG Corrèze,
10 avril, AD Corrèze 1540W134 ; Affiche décollée par une brigade de police, La Rochelle,
21 mai, AD Charente-Maritime 1288W404.
48. RG Dunkerque, 2 mai, AD Nord 1008W 1/4 ; Cf. Fanny Gallot, « La conflictualité à
Renault Cléon en mai-juin 68 », in Xavier Vigna, Jean Vigreux (dir.), Mai-juin 1968,
op. cit., p. 26 ; Gilles Vergnon, « Temps et territoires de Mai dans la Drôme : jeux
d’échelles », in Bruno Benoit, Christian Chevandier, Gilles Morin, Gilles Richard, Gilles
Vergnon (dir.), À chacun son Mai ?, op. cit., p. 75.
49. Tract « Grève générale le lundi 13 mai », BDIC F delta Rés 578 / 2, Fonds Cahiers de Mai ;
Marie-Thérèse Join-Lambert, « Approche statistique du problème de l’emploi des jeunes »,
Recherche sociale, mars-avril 1969, p. 8 ; Un mois de mai orageux. 113 étudiants expliquent
les raisons du soulèvement universitaire, Toulouse, Privat, 1968, p. 5-7, 9-10, 15, 17, 23,
132, 140 et 145.
50. Le Populaire du Centre, 8 mai cité par Fabien Conord, « Au cœur de la “France profonde” ?
Mai-juin 1968 en Creuse. Mouvements sociaux et permanences politiques », in Bruno
Benoit, Christian Chevandier, Gilles Morin, Gilles Richard, Gilles Vergnon (dir.), À chacun
son Mai ?, op. cit., p. 38.
51. Dany Cohn-Bendit, Jean-Pierre Duteuil, Bertrand Gérard, Bernard Granautier, « Pourquoi
des sociologues », mars 1968, BDIC F delta 813 / 8 ; Reims-Ardennes, Hebdomadaire du
diocèse de Reims, 2 juin, AD Ardennes 1695W397.
52. UDR, « Le chômage », juin 1968, BNF LB61-600 (7505) ; Journal des comités d’action
étudiants-travailleurs de Marseille-région, s. d., BDIC F delta Rés 578 / 2. L’expression
« métissages sociaux » est de Xavier Vigna, in « Le cinéma de Mai 68 », Vingtième Siècle.
Revue d’histoire, no 105, janvier-mars 2010, p. 245.
53. Cité par Bruno Benoit, « Les banlieues lyonnaises en mai-juin 1968 », in Bruno Benoit,
Christian Chevandier, Gilles Morin, Gilles Richard, Gilles Vergnon (dir.), À chacun son
Mai ?, op. cit., p. 91.

CHAPITRE II.
L’ESPRIT DES LIEUX. GRÈVES, OCCUPATIONS ET SUBVERSIONS
1. Leslie Kaplan, « Mai 68 », in Écrire, Mai 68, op. cit., p. 133.
2. Simone Weil, « Visite à un atelier parisien », La Révolution prolétarienne, 10 juin 1936.
3. Antoine Prost, « Les grèves de mai-juin 1968 », in Autour du Front populaire. Aspects du
mouvement social au XXe siècle, Paris, Seuil, p. 233-258.
4. Nicolas Hatzfeld, Cédric Lomba, « La grève de Rhodiaceta en 1967 », art. cité, p. 111 ;
CFDT, 13 mai, AD Puy-de-Dôme 106J13 ; RG Meuse, 14 mai, AD Meuse 1251W2660* ;
RG Bar-le-Duc, 17 mai, ibid. ; Préfecture du Puy-de-Dôme, télégrammes au ministère de
l’Intérieur, s. d., AD Puy-de-Dôme 1100W16 ; Le sous-préfet de Roanne, au préfet de la
Loire, 14 mai, AD Loire 650 VT 101*.
5. Herrick Chapman, L’Aéronautique. Salariés et patrons d’une industrie française 1928-1950,
Rennes, PUR, 2011.
6. François Le Madec, L’Aubépine de mai, chronique d’une usine occupée. Sud-Aviation
Nantes 68, 1988 ; Yves Guin, « Notes pour l’histoire des événements de mai-juin 1968 »,
notes manuscrites, CHT Nantes, Fonds 1968, 14-10 ; Jean-Paul Salles, « Les extrêmes
gauches », in Gilles Richard et Jacqueline Sainclivier (dir.), Les Partis à l’épreuve de 68,
op. cit., p. 239 ; Rebecca Clifford, Robert Gildea, James Mark, « Awakenings », in Robert
Gildea, James Mark, Anette Warring (éd.), Europe’s 1968. Voices of Revolt, Oxford, Oxford
University Press, 2013, p. 41.
7. Xavier Vigna, L’Insubordination ouvrière, op. cit., p. 27-30 ; Fanny Gallot, « Renault-
Cléon », in Antoine Artous, Didier Epsztajn, Patrick Silberstein (dir.), La France des
années 68, op. cit., p. 704 sq.
8. Michelle Zancarini-Fournel in Mai 68 à Lyon, bibliothèque municipale de Lyon, 2008,
BDIC, F pièce 8.020, p. 1 ; « Mille travailleurs en colère ont déclenché une grève illimitée à
la Société des eaux de Contrexéville », La Liberté de l’Est, 16 mai ; Tract CFDT SAVIEM
Blainville, 17 mai, AD Calvados 1028W69* ; CGT Marseille, 18 mai, AD Bouches-du-
Rhône 135W351* ; Antoine Prost, « Quoi de neuf sur le Mai français ? », Le Mouvement
social, no 143, avril-juin 1988, p. 93 ; L’Yonne républicaine, 21 mai, cité par Denis Martin,
« Mai-juin 68 dans l’Yonne. Un département de province face aux événements », Les
Cahiers d’Adiamos, 89, no 3, octobre 2009, p. 107 ; RG PACA, 21 mai, AD Bouches-du-
Rhône 135W350*.
9. Sabine Erbès-Seguin, « Relations entre travailleurs dans l’entreprise en grève : le cas de
mai-juin 1968 », Revue française de sociologie, vol. 11, no 3, 1970, p. 339-350 ; Boris
Gobille, Mai 68, op. cit., p. 36 ; André Sernin, Journal d’un bourgeois de Paris, 1968,
Brochure, BNF 16-LN27-96028, p. 39.
10. Le commissaire divisionnaire chef du district de Saint-Étienne au préfet chargé de la sécurité
publique, 15 juillet, AD Loire 650 VT 101* ; Tract « Vive la victoire des cheminots de
Toulouse », s. d., BNF LB61-600(9154) ; Emmanuel Arvois, « Mai-juin 68 dans une
conjoncture longue de lutte : les dockers de Marseille », Bruno Benoit, Christian
Chevandier, Gilles Morin, Gilles Richard, Gilles Vergnon (dir.), À chacun son Mai ?,
op. cit., p. 198 ; Jean-Pierre Thorn, Oser lutter, oser vaincre, op. cit., 32’ 45” sq. ; Bureau de
l’Union départementale [UD] de FO des syndicats de salariés de Loire-Atlantique, 25 mai,
CHT Nantes, Fonds 1968, 16-2 ; Appel des comités d’alliance ouvrière pour la construction
de la Ligue ouvrière révolutionnaire, 26 mai, AD Loire-Atlantique, Fonds Jean-Baboux
203J4 ; L’Yonne républicaine, 30 mai.
11. Commissariat spécial des Halles centrales, marchés et abattoirs, APP FB / 10* ; RG PACA,
note du 21 mai, AD Bouches-du-Rhône 135W350* ; RG Vosges, Situation au 17 mai, AD
Vosges 1998W157 ; RG Ardennes, 11 juin, AD Ardennes 1695W397 ; RG Bar-le-Duc,
23 mai, AD Meuse 1251W2660* ; Direction du travail et de la main-d’œuvre de la Creuse,
au préfet, 26 juin, AD Creuse 102W30 ; RG Bar-le-Duc, 22 mai, AD Meuse 1251W2660*.
12. Télégramme du préfet du Gers, 20 mai, AD Haute-Garonne 5681W11* ; RG PACA, 20 mai,
AD Bouches-du-Rhône 135W350* ; RG Charente-Maritime, 11 juillet, AD Charente-
Maritime 1310W158 ; Boris Gobille, Mai 68, op. cit., p. 48 ; Nicolas Hatzfeld, Les Gens
d’usine. 50 ans d’histoire à Peugeot-Sochaux, op. cit., p. 365 ; Léon Strauss, Jean-Claude
Richez, « Le mouvement social de mai 1968 en Alsace : décalage et développements
inégaux », Revue des sciences sociales de la France de l’Est, no 17, 1989-1990, p. 129 sq. ;
Léon Strauss, Jean-Claude Richez, « L’Alsace, une région décalée », in René Mouriaux,
Annick Percheron, Antoine Prost et Danielle Tartakowsky (dir.), 1968. Exploration du Mai
français, op. cit., p. 163-183.
13. RG Vosges, 20 mai, AD Vosges 1998W157 ; RG Bouches-du-Rhône, Synthèse, 28 mai, AD
Bouches-du-Rhône 135W349* ; Télégramme du préfet du Tarn, 7 juin, AD Haute-Garonne
5681W11*.
14. Préfecture du Puy-de-Dôme, s. d., AD Puy-de-Dôme 1100W16 ; RG Vosges, 28 mai, AD
Vosges 1998W157 ; Société routière Colas, région de Montluçon, à l’inspecteur du travail
du département de la Creuse, 21 mai, AD Creuse 102W30 ; Gilles Vergnon, « Temps et
territoires de Mai dans la Drôme : jeux d’échelles », art. cité, p. 76.
15. Position des cadres du Centre technique de Rueil (Renault), 17 mai, ANMT, Fonds Maurice-
Badiche, 2007 071 053 ; Ingénieurs et cadres de la Régie Renault, 20 mai, ibid. ; Cadres de
Billancourt, 31 mai et 10 juin, ibid. ; Syndicat national des ingénieurs des mines FO,
s. d. [mai], ANMT, Fonds Charbonnages de France, 2002 056 857.
16. CFDT, secteur « Action professionnelle et sociale », 10 juillet, ANMT, Fonds Eugène-
Descamps, 2002 009 0059.
17. Chambre syndicale CGT des cochers-chauffeurs, Chambre syndicale des artisans du taxi,
syndicat de l’industrie du taxi CFTC, syndicat Force ouvrière des conducteurs de taxi de la
région parisienne, 22 mai, BNF LB61-600 (6033) ; Syndicat des taximètres marseillais et de
Provence, 22 mai, AD Bouches-du-Rhône 135W351* ; Syndicat autonome des taxis de la
Loire, 21 mai, AD Loire 650 VT 102* ; Syndicat confédéré des ouvriers coiffeurs de Paris et
de la région parisienne, s. d., BNF LB61-600 (5997) ; Cahier des revendications des ouvriers
coiffeurs du Puy-de-Dôme, 28 mai, AD Puy-de-Dôme 1100W17.
18. Communiqué du syndicat CFDT des ouvriers boulangers, Yonne, L’Yonne républicaine,
25 mai, cité par Denis Martin, « Mai-juin 68 dans l’Yonne », art. cité, p. 130 ; Syndicat
Force ouvrière des boulangers, pâtissiers, vendeuses, 12 juin, BNF LB61-600 (5978).
19. Usine Sud-Aviation, notes manuscrites, CGT, CFDT, FO, s. d. [16 mai], CHT Nantes,
Fonds UD CFDT 589 ; Id., 18 mai ; Préfecture de Loire-Atlantique, 19 juin, AD Loire-
Atlantique 1194W89* ; Déclaration de la section « horaire » FO de Sud-Aviation-
Bouguenais, 29 mai, BNF LB61-600 (8322) ; Yves Guin, « Notes pour l’histoire des
événements de mai-juin 1968 », citées.
20. RG Rouen, 13 août, AD Seine-Maritime 3907W1 ; Fanny Gallot, « La conflictualité à
Renault Cléon en mai-juin 68 », art. cité, p. 24 ; Xavier Vigna, « La CGT et les grèves
ouvrières en mai-juin 1968 : une opératrice paradoxale de stabilisation », in Xavier Vigna,
Jean Vigreux (dir.), Mai-juin 1968, op. cit., p. 202 ; RG Puy-de-Dôme, s. d., AD Puy-de-
Dôme 1851W246 ; District de police de Saint-Étienne, 22 mai, AD Loire 650 VT 101*.
21. Lettre de Jean Simon, directeur de l’usine Massey-Ferguson (Marquette) au préfet, 28 mai,
AD Nord 1008W 17/6 ; « L’évolution de la situation sociale », L’Est républicain, 24 mai
1968 ; Dogkyu Shin, « La CGT Berliet à Vénissieux en mai 1968 : la réactivation de la
mémoire locale et les enjeux de la contestation autour des conflits de 1967-1968 », art. cité,
p. 38 ; Dino Belhocine, Hier à la Cello. Mémoires de mai dans une usine de Bezons,
Bezons, Éditions du Souvenir, 2009, p. 85 ; « Le mouvement revendicatif s’est encore
amplifié hier », L’Écho du Centre, 21 mai ; Groupement de gendarmerie de Bar-le-Duc,
23 mai, AD Meuse 1251W2660* ; RG Vosges, 22 mai, AD Vosges 1998W157.
22. Michelle Zancarini-Fournel, « L’épicentre », art. cité, p. 229.
23. Dino Belhocine, Hier à la Cello, op. cit., p. 85 ; Groupement de gendarmerie de Bar-le-Duc,
20 mai, AD Meuse 1251W2660* ; Tangui Perron et Michel Pigenet, « Images de soi,
images pour soi : le dilemme cinématographique de la CGT autour de 1968 », in Christian
Delporte, Denis Maréchal, Caroline Moine, Isabelle Veyrat-Masson (dir.), Images et sons de
Mai 68, op. cit., p. 117.
24. Nicolas Hatzfeld, « Les ouvriers de l’automobile : des vitrines sociales à la condition des
OS, le changement des regards », in Geneviève Dreyfus-Armand, Robert Frank, Marie-
Françoise Lévy, Michelle Zancarini-Fournel (dir.), Les Années 68, op. cit., p. 347-348 ;
CGT, Syndicat des travailleurs horaires Renault, 20 mai, BNF LB61-600 (8163) ; Procès-
verbal de sommation d’évacuer les lieux, 21 mai, AD Pas-de-Calais 1183W207*.
25. « L’autogestion, l’État et la révolution », Rouge et Noir, supplément au no 41, mai ; « Le
port des Sables est fermé », Ouest-France, 27 mai ; Jean-Paul Salles, « Mai 68 en Vendée »,
in David Hamelin, Jean-Paul Salles (coord.), Mai 68. Aspects régionaux et internationaux,
numéro de Dissidences, Latresne, Le Bord de l’eau, 2008, p. 57-58 ; Note du préfet des
Bouches-du-Rhône, 24 mai, AD Bouches-du-Rhône 135W349* ; « 20 000 francs pour
débrancher un tuyau », Le Monde, 26 mai ; CGT, CFDT, FEN, UNEF, 29 mai, AD
Calvados 1996JP11 / 243.
26. « La situation sociale aux Sables », Ouest-France, 25-26 mai ; RG Boulogne-sur-Mer,
29 mai, AD Pas-de-Calais 1183W207* ; Commandant gendarmerie de Thiers, message au
sous-préfet, 20 mai, AD Puy-de-Dôme 1146W43 ; Note du préfet de Provence, 21 mai, AD
Bouches-du-Rhône 135W349*.
27. Le préfet de l’Hérault, 24 mai, AD Bouches-du-Rhône 135W351* ; Le général de corps
d’armée Multrier, lettre à Gaston Defferre, 30 mai, ibid., 135W352* ; « Soulagement, hier,
lors de l’enlèvement si attendu des ordures ménagères », La Liberté de l’Est, 31 mai ; « Petit
dictionnaire de la vie quotidienne », Syndicalisme, no 1191, 10 juin ; « Malgré les accords de
Grenelle, la lutte se durcit, la solidarité s’organise », La Montagne, 30 mai 1968 ; RG
Avignon, 30 mai, AD Bouches-du-Rhône 135W349* ; « Aux abattoirs, M. Noël a demandé
que soient allumées les chaudières », L’Est républicain, 25 mai ; Comité de grève de Bogny
sur Meuse, 24 mai, AD Ardennes 1695W397.
28. RG PACA, 18 mai, AD Bouches-du-Rhône 135W350* ; Préfecture de Haute-Garonne,
24 mai, AD Haute-Garonne 5681W11* ; Préfecture de police, direction de la circulation, des
transports et du commerce, 22 mai, APP FB / 10* ; Direction générale du commerce
intérieur et des prix, département de la Creuse, au préfet, 23 mai, AD Creuse 102W30 ; RG
Boulogne-sur-Mer, 25 mai, AD Pas-de-Calais 1183W207*.
29. Préfecture de Loire-Atlantique, 19 juin, AD Loire-Atlantique 1194W89* ; Fédération
départementale des syndicats d’exploitants agricoles, CDJA, Nantes, 27 mai, CHT Nantes,
Fonds 1968, 6-11 ; Nantes, Comité central de grève, mai, ibid., 12-8 ; Yves Guin, « Notes
pour l’histoire des événements de mai-juin 1968 », citées, 14-10 ; Comité de grève du
secteur des Dervallières, s. d., CHT Nantes, Fonds 1968, 6-4 ; Tribune du 22-Mars, 5 juin,
BDIC F delta 813 / 7 ; Cahiers de Mai, no 1, 15 juin 1968.
30. Christian Bougeard, « Le moment 1968 en Bretagne », art. cité, p. 34 ; Denis Martin, « Mai-
juin 68 dans l’Yonne », art. cité, p. 146 et 151 ; Jean Vigreux, « Les événements de mai-
juin 1968 en Bourgogne », Les Cahiers d’Adiamos 89, no 3, octobre 2009, p. 43 ;
Association populaire des familles, section stéphanoise, 24 mai, AD Loire 650 VT 102* ;
Union des syndicats CGT des Hauts-de-Seine, 24 mai, APP FB / 49 ; Municipalité de Vitry-
sur-Seine et comité de grève des employés communaux, s. d., BNF LB61-600 (8661) ; Ville
de Châtillon, s. d. [début juin], BNF LB61-600 (8313).
31. FEN, section de Charente-Maritime, 24 mai, AD Charente-Maritime 1310W158 ; « Les
organisations syndicales », « Appel aux non-grévistes », 29 mai, CHT Nantes, Fonds 1968,
6-19 ; Police municipale, 6e arrondissement, 22 mai, APP FB / 10* ; Préfet Région Nord au
cabinet du ministère de l’Intérieur, 25 juin, AD Nord 1008W 17/1 ; RG Ardennes, 24 mai,
AD Ardennes 1695W397 ; « Drapeau tricolore sur l’usine », L’Est républicain, 7 juin ; La
CFT dans les grèves, Big-Chief, La Roche-sur-Yon, s. d. [juin], CDHMOT Vendée.
32. Déclaration d’Élie T., commissariat de police de La Rochelle, 22 mai, AD Charente-
Maritime 1310W158 ; Groupement de gendarmerie d’Épinal, message, 25 mai, AD Vosges
1998W157 ; Sur Calor cf. Michelle Zancarini-Fournel, « L’épicentre », art. cité, p. 262 ; Le
commissaire de police chargé du 2e arrondissement de Boulogne-sur-Mer, 12 juin, AD Pas-
de-Calais 1183W207* ; Gendarmerie nationale, compagnie de Montbrison, 26 mai, AD
Loire 650 VT 101* ; « Vive émotion à Lyon », La Montagne, 3 juin ; Comité de grève des
Chèques postaux, Épinal, s. d. [23 mai ?], AD Vosges 1998W157 ; Comité de grève de
l’entreprise Grosdidier, s. d., AD Ardennes 1695W397.
33. Cf. dossier « Michelin » aux archives départementales du Puy-de-Dôme sous la cote
1851W246.
34. Cf. Laurent Erbs, « Échelles et territoires du salaire en Moselle au tournant des années 1944-
1948 », Histoire & Mesure, XXVIII-2, 2013, p. 243-274.
35. RG Meuse, 28 juin, AD Meuse 1251W2660* ; Usine Michelin de Joué-lès-Tours,
s. d. [mai], AD Puy-de-Dôme 106J13 ; « Quiri peut payer », s. d. [mai], BDIC F delta
1061(9)-I.
36. Déclaration CFDT au meeting de l’île Seguin, Billancourt, 17 mai, BNF LB61-600 (8132).
37. L’Yonne républicaine, 24 mai.
38. Nicolas Hatzfeld, Cédric Lomba, « La grève de Rhodiaceta en 1967 », art. cité, p. 111.
39. Personnel d’Air Inter et d’Air France, 15 mai, BNF LB61-600 (8642) ; Air France Orly,
cahier de revendications, mai, BNF LB61-600 (8639).
40. Axel Honneth, Kampf um Anerkennung, 1992, trad. fr. La Lutte pour la reconnaissance,
Paris, Le Cerf, 2000, p. 191-193.
41. Zoom, 14 mai, op. cit., 6’ 20”.
42. Emmanuelle Loyer, « Les nuits blanches de l’Odéon », in Antoine de Baecque (dir.),
L’Odéon, un théâtre dans l’histoire, Paris, Gallimard, 2010, p. 186 ; Marie-Ange Rauch, Le
Théâtre en France en 1968. Crise d’une histoire, histoire d’une crise, Paris, Éditions de
l’Amandier, 2008, p. 192-200.
43. Imprimerie Georges Lang, 10 juin, AN 78AJ37 / 1.

CHAPITRE III
CONFLITS INTÉRIEURS. QUELQUES ANTAGONISMES POLITIQUES
ET STRATÉGIQUES

1. CGT Hauts-de-Seine, s. d., BNF LB61-600 (8077).


2. Xavier Vigna, « La CGT et les grèves ouvrières en mai-juin 1968 : une opératrice
paradoxale de stabilisation », art. cité, p. 194-195.
3. Xavier Vigna, L’Insubordination ouvrière, op. cit., p. 229 ; Alain Schnapp, Pierre Vidal-
Naquet, Journal de la commune étudiante, op. cit., p. 44 ; Syndicat des travailleurs de la
Régie Renault, CGT, 17 mai, BNF LB61-600 (8162) ; Yves Guin, « Notes pour l’histoire
des événements de mai-juin 1968 », citées ; Ministère de l’Intérieur, notes confidentielles,
juillet, AD Pas-de-Calais 3024W49*.
4. Union des syndicats CGT de Paris, s. d., BNF LB61-600 (5739) ; Rapport de la préfecture
de police de Paris, 25 mai, APP FB / 11*, L’Humanité Dimanche, 26 mai 1968.
5. Cf. Michelle Zancarini-Fournel, « Retour sur “Grenelle” : la cogestion de la crise ? », in
Geneviève Dreyfus-Armand, Robert Frank, Marie-Françoise Lévy, Michelle Zancarini-
Fournel (dir.), Les Années 68, op. cit., p. 449-450 ; Xavier Vigna, « La CGT et les grèves
ouvrières en mai-juin 1968 : une opératrice paradoxale de stabilisation », art. cité, p. 199 ;
Jacques Kergoat, « Sous la plage, la grève », art. cité, p. 62-63 ; Décret relatif au salaire
minimum garanti dans l’agriculture, conseil des ministres, 1er juin, AN AG5(1)/ 1403*.
6. Houillères et Charbonnages de France, réunion au ministère de l’Industrie, 27 mai, ANMT
Roubaix, Fonds Charbonnages de France, 2002 056 857.
7. Jean-Pierre Thorn, Oser lutter, oser vaincre, op. cit., 1 h 14’ 30” sq. ; « La CGT
communique », 9 juin, BNF LB61-600 (5722).
8. CGT, 11 juin, CDHMOT Vendée ; CGT Union locale des syndicats La Souterraine, 12 juin,
AD Creuse 102W30 ; Motion du syndicat CGT des employés municipaux d’Aix-en-
Provence, 19 juin, AD Bouches-du-Rhône 135W351* ; Texte de la Fédération PCF du
Doubs, 12 juin, BNF LB61-600 (6948).
9. Déclaration à France Inter de Waldeck Rochet, 18 mai, BNF LB61-600 (9300) ;
« Travailleurs, travailleuses, le Parti Communiste français vous parle », s. d., BNF LB61-
600 (9302) ; Fédération des Hauts-de-Seine du PCF, 15 mai, BNF LB61-600 (8075).
10. Communiqué du bureau politique du PCF, 20 mai, BNF LB61-600 (3935) ; Xavier Vigna,
« La CGT et les grèves ouvrières en mai-juin 1968 : une opératrice paradoxale de
stabilisation », art. cité, p. 197.
11. Claude Pennetier, « PCF et CGT face à 68 », art. cité, p. 343 ; Michelle Zancarini-Fournel,
« L’épicentre », art. cité, p. 252 ; Ministère de l’Intérieur, notes confidentielles, juillet, AD
Pas-de-Calais 3024W49*.
12. Communiqué du bureau politique du PCF, 3 juin, BNF LB61-600 (6938) ; « Le dernier
appel de Waldeck Rochet à la télévision », 21 juin, BNF LB61-600 (6959)
13. PCF, cellule Docteur-Lacapère, Paris 6e arrondissement, 20 juin, AN 581AP / 196
14. Louis Aragon, 10 juin, BNF LB61-600 (6948) ; Allocution de Waldeck Rochet à l’ORTF,
28 juin, BNF LB61-600 (6972).
15. Clamart, FGDS, 28 mai, BNF LB61-600 (8314) ; FGDS, 12 juin, BNF LB61-600 (3770) ;
Lettre de Gaston Defferre à monsieur Betous, président du port autonome de Marseille,
8 juin, AD Bouches-du-Rhône 135W352* ; Le préfet de la Région Provence, AD Bouches-
du-Rhône 135W349* ; Déclaration de Guy Mollet, Paris Jour, 13 juin ; Le Populaire cité in
Danielle Tartakowsky, « Mai 68 ou la gauche à contretemps », in Jean-Jacques Becker,
Gilles Candar (dir.), Histoire des gauches en France, t. II, Paris, La Découverte, 2004,
p. 267.
16. Zoom, 14 mai, op. cit., 2’ 50”.
17. RG, 8e région, 6 mai, AD Puy-de-Dôme 32W18 ; Le directeur général de la police
municipale au préfet de police, 1er mai, APP FB / 1* ; RG Saint-Nazaire, AD Loire-
Atlantique 1194W89* ; RG Boulogne-sur-Mer, 14 mai, AD Pas-de-Calais 1183W207* ; RG
Lille, 14 mai, AD Nord 1008W 17/5.
18. RG Toulouse, 12 mai, AD Haute-Garonne 5681W12* ; RG Marseille, 20 mai, AD Bouches-
du-Rhône 135W349* ; Commissariat central de Marseille, 24 mai, AD Bouches-du-Rhône
135W349* ; RG Charente-Maritime, 11 juillet, AD Charente-Maritime 1310W158 ; Sur
Avallon cf. Denis Martin, « Mai-juin 68 dans l’Yonne », art. cité, p. 135.
19. Union syndicale CGT de la région parisienne, 7 juin, BNF LB61-600 (5732) ; CGT,
Syndicat des travailleurs horaires et agents de production Renault (APR), 8 juin, BNF LB61-
600 (8169) ; PCF, cellule Visconti Paris 6e arrondissement, 12 juin, AN 581AP / 196.
20. Daniel Bensaïd, Une lente impatience, Paris, Stock, 2004, p. 57-58.
21. Claude Pennetier, « PCF et CGT face à 68 », art. cité, p. 340-341.
22. « Travailleurs, travailleuses, le Parti Communiste français vous parle », cité ; Appel de l’UD
[Gironde] des syndicats CGT, s. d., BNF LB61-600 (9241) ; PCF, section Renault, 27 mai,
ANMT Roubaix, Fonds Maurice-Badiche, 2007 071 053 ; « Nous savons maintenant à quel
point, par exemple, le mouvement anarchiste de la fin du XXe siècle était pénétré par la
police » (rapport de Waldeck Rochet au Comité central du 8 juillet, AD Seine-Saint-Denis,
261J244).
23. PCF, s. d. [juin], BNF LB61-600 (6978) ; PCF, Fédération des Hauts-de-Seine, section de
Châtillon, s. d., BNF LB61-600 (8255) ; Allocution de Waldeck Rochet à l’ORTF, 28 juin,
BNF LB61-600 (6972) ; Profession de foi de Raymond Deparpe, candidat du PCF, élections
législatives du 23 juin, AD Ardennes 22J13 ; RG Corrèze, kermesse de la section de Brive
du PCF, 8 juillet, AD Corrèze 1540W134.
24. Xavier Vigna, « La CGT et les grèves ouvrières en mai-juin 1968 : une opératrice
paradoxale de stabilisation », art. cité, p. 210 ; André Barjonet, La Révolution trahie de
1968, Paris, Les éditions John Didier, 1968, p. 35 et 23.
25. Victor Leduc, Les Tribulations d’un idéologue, Paris, Gallade Éditions, 2006, p. 354-356 ;
Bernard Brillant, Les Clercs de 68, op. cit., p. 350.
26. Jean-Pierre Thorn, Oser lutter, oser vaincre, op. cit., 1 h 09’ et 1 h 11’ 35” ; L’Insurgé.
Organe du cercle JCR de Charlemagne, no 3 spécial, s. d., BDIC GF delta 113 / 1 ;
Secrétariat unifié de la IVe Internationale, Supplément à L’Internationale no 30, s. d., BDIC
F delta 137 Rés / 1968 / 1 ; Voix ouvrière, 25 mai, BDIC F delta 861 / 2/1.
27. JCR, Aujourd’hui, no 3, 31 mai-1er juin, APP FB / 49 ; Des syndiqués CGT de base, 22 juin,
BNF LB61-600 (5704) ; Un groupe de militants syndicalistes prolétariens de Renault-
Billancourt, s. d. [juin], BNF LB61-600 (8218).
28. Michelle Zancarini-Fournel, Les Luttes et les Rêves, op. cit., p. 800.
29. PSU, section de Perpignan, s. d. [juin], AD Pyrénées-Orientales 110J10 ; PSU, « Manifeste
lycéen », s. d., AD Loire-Atlantique 1196W36* ; Centre d’information pour la révolution,
s. d. [juin], BDIC F delta Rés 578 / 2.
30. Aujourd’hui, no 4, 1er juin ; La Cause du peuple, no 16, 13 juin ; « Un inédit de Louis
Aragon », s. d. [juin], BNF LB61-600 (6945).
31. L’Outil CFDT. Journal des sections syndicales CFDT des départements 72 et 59, no 1,
juillet, BNF LB61-600 (8140) ; Daniel et Gabriel Cohn-Bendit, Le Gauchisme. Remède à la
maladie sénile du communisme, Paris, Seuil, 1968, p. 184 et 176.
32. La Base, Bulletin du comité d’action des enseignants, s. d., BDIC F delta Rés 578 / 2 ;
Tendance marxiste révolutionnaire de la IVe Internationale, 18 mai, BNF LB61-600 (7420).
33. Projet de plate-forme politique des comités d’action, s. d., AN 581AP / 196 ; Tract de la
FER, s. d., BNF LB61-600 (3815) ; Appel des comités d’alliance ouvrière pour la
construction de la Ligue ouvrière révolutionnaire, 26 mai, AD Loire-Atlantique 203J4 ;
Aujourd’hui, no 1, 29 mai ; « Les impératifs actuels de l’action révolutionnaire », 2 juin,
BDIC F delta Rés 578 / 2.
34. Conférence de presse de Daniel Cohn-Bendit, Sorbonne, 1er juin, BDIC F delta 813 / 7 ;
Tribune du 22-Mars, compte rendu de l’AG du 1er juin, ibid. ; Tribune du 22-Mars, 5 juin,
ibid.
35. Mouvement du 22-Mars, Ce n’est qu’un début continuons le combat, Paris, Maspero, 1968,
p. 70.
36. Comité d’initiative pour un mouvement révolutionnaire, 22 juin, BDIC F delta 813 / 7.
37. « Des votes “parallèles” organisés par et pour les jeunes », L’Est républicain, 15 juin ; Le
préfet de Meurthe-et-Moselle aux maires du département, 18 juin, AD Meurthe-et-Moselle
1636W41, « Notre parlement : la grève », Action, no 4, 5 juin 1968.
38. Comité Censier, s. d., BNF LB61-600 (928) ; Benoît Frachon, « La signification profonde
des grèves de mai et juin », s. d., BNF LB61-600 (8077).
39. Raymond Aron, La Révolution introuvable, op. cit., p. 44 ; André Barjonet, La Révolution
trahie de 1968, op. cit., p. 40 ; André Sernin, Journal d’un bourgeois de Paris, op. cit., p. 98
et 73.
40. Pierre Juquin, L’École et la Nation, mai-juin ; Secrétariat unifié de la IVe Internationale,
10 juin, BDIC F delta 137 Rés / 1968 / 1.

CHAPITRE IV
UN AUTRE MONDE. L’INTERNATIONALISME COMME PRINCIPE ACTIF
1. Kristin Ross, Communal Luxury : The Political Imaginary of the Paris Commune, 2015,
trad. fr. L’Imaginaire de la Commune, Paris, La Fabrique, 2015, p. 114.
2. Andreas Rothenhöfer, « Shifting Boundaries : Transnational Identification and Dissociation
in Protest Language », in Martin Klimke, Jacco Pekelder, Joachim Scharloth (éd.), Between
Prague Spring and French May. Opposition and Revolt in Europe 1960-1980, New York
Oxford, Berghahn Books, 2011, p. 118. Cf. Dorothee Weitbrecht, Aufbruch in die Dritte
Welt. Der Internationalismus der Studentenbewegung von 1968 in der Bundesrepublik
Deutschland, Göttingen, V & R Unipress, 2012, p. 270 sq.
3. Frédéric Lordon, Les Affects de la politique, Paris, Seuil, 2016, p. 127.
4. Selon Bruce Mazlich, « le mot global nous renvoie en direction de l’espace et peut inclure
l’idée de se trouver hors de notre planète en train de regarder le vaisseau Terre » (« Crossing
Boundaries : Ecumenical World, and Global History », in Philipp Pomper, Richard
H. Elphick et Richard T. Vann (éd.), World History. Ideologies, Structures and Identities,
Oxford, Blackwell, 1998, p. 47). Cf. Caroline Douki, Philippe Minard, « Histoire globale,
histoires connectées : un changement d’échelle historiographique ? », Revue d’histoire
moderne et contemporaine, no 54-4 bis, 2007 / 5, p. 7-21 ; Boris Gobille, « Qu’est-ce qu’un
“moment global” ? Les circulations révolutionnaires dans les années 1968 », Monde(s).
Histoire, espaces, relations, no 11, mai 2017.
5. Loin du Vietnam est le titre retenu pour le film documentaire collectif dont les différentes
parties sont réalisées par Jean-Luc Godard, Joris Ivens, William Klein, Claude Lelouch,
Alain Resnais et Agnès Varda en 1967, sous la houlette de Chris Marker.
6. Cf. Laurent Jalabert, « Aux origines de la génération 1968 : les étudiants français et la
guerre du Vietnam », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 55, juillet-septembre 1997,
p. 69-81 ; Geneviève Dreyfus-Armand, Jacques Portes, « Les interactions internationales de
la guerre du Viêt-Nam et Mai 68 », Geneviève Dreyfus-Armand, Robert Frank, Marie-
Françoise Lévy, Michelle Zancarini-Fournel (dir.), Les Années 68, op. cit., p. 49-67 ;
Nicolas Pas, Sortir de l’ombre du Parti communiste français. Histoire de l’engagement de
l’extrême gauche française sur la guerre du Vietnam 1965-1968, mémoire de DEA, IEP de
Paris, 1998 ; Nicolas Pas, « Six heures pour le Vietnam. Histoire des Comités Vietnam
français 1965-1968 », Revue historique, no 617, janvier-mars 2000, p. 157-185 ; Romain
Bertrand, « Mai 68 et l’anticolonialisme », in Dominique Damamme, Boris Gobille,
Frédérique Matonti, Bernard Pudal (dir.), Mai-Juin 68, op. cit., p. 89-101.
7. « Front uni résolu contre l’impérialisme américain », Garde rouge, no 3, janvier 1967.
8. CVB, s. d., BDIC F delta 2089.
9. Comité Italie-Tolbiac, notes manuscrites, réunion du 5 février, BDIC F delta 2089.
10. CVB parisiens, notes manuscrites, 12 février, BDIC F delta 2089.
11. Brochure congrès des CVB, BDIC F delta 2089.
12. « Les snipers, terreur des soldats U.S. », Le Courrier du Vietnam, no 155, 11 mars.
13. Nicolas Pas, Sortir de l’ombre du Parti communiste français, op. cit., p. 71.
14. Quatrième internationale, 26e année, no 33, avril, p. 5.
15. JCR, s. d., BDIC F delta 2177 / 21.
16. Tract, 20 mars, BDIC F delta 2089.
17. « La Cité avec le Vietnam », s. d. [11 mai ?], BNF LB61-600 (4588).
18. André Sernin, Journal d’un bourgeois de Paris, op. cit., p. 9.
19. Id., 23 mai 1968, p. 58.
20. Comité Enragés-Internationale situationniste-Conseil pour le maintien des occupations,
30 mai, BNF LB61-600 (7391).
21. Tract du Comité d’action révolutionnaire de Censier, 28 mai, cité in Emmanuelle Loyer,
Mai 68 dans le texte, op. cit., p. 275.
22. Yves Guin, « Notes pour l’histoire des événements de mai-juin 1968 », citées.
23. Belinda Davis, « A Whole World Opening Up : Transcultural Contact, Difference, and the
Politization of New Left Activists », in Changing the World, Changing Oneself : Political
Protest and Transnational Identities in the 1960s / 70s West Germany and US, Berghahn
Books, New York, 2008. Christiane Kohser-Spohn évoque un « tourisme politique »
(« Mouvement antiautoritaire en Allemagne et mouvement contestataire en France :
interactions ? », Matériaux pour l’histoire de notre temps, op. cit., p. 34-35).
24. « Les impératifs actuels de l’action révolutionnaire », Sorbonne, 2 juin, BDIC F delta Rés
578 / 2.
25. Fidel Castro, Discours de La Havane, mars, cité par les RG, 27 juin, AD Pas-de-Calais
1W44493* ; Toulouse, mouvement du 25-Avril, s. d., BNF LB61-600 (9177) ; Strasbourg,
Université critique et populaire, juin, BDIC F delta 1061(9)-I ; CAL, s. d. [4 mai ?], BDIC
GF delta 113 / 1.
26. Cité in Ingrid Gilcher-Holtey, « La nuit des barricades », art. cité, p. 182.
27. Cf. Alain Schnapp, Pierre Vidal-Naquet, Journal de la commune étudiante, op. cit., p. 19
et 22.
28. JCR, Bureau national du 26 janvier ; Bulletin intérieur, janvier-février, BDIC F delta
2177 / 21.
29. Quatrième internationale, no 33, avril, p. 5-6 ; William Marotti, « Japan 1968 : The
Performance of Violence and the Theater of Protest », The American Historical Review,
vol. 114, no 1, février 2009, p. 97-135.
30. JCR, groupe de Nantes, La Commune, no 2, 12 mars, AD Loire-Atlantique 355W216.
31. Groupe de liaison et d’information de la Région Nord, 11 juillet, AD Pas-de-Calais
1W44492*.
32. Gerd-Rainer Horn, The Spirit of ’68, op. cit., p. 74.
33. Carol Fink, Philipp Gassert, Detlef Junker (éd.), 1968 : The World Transformed,
Washington-Cambridge, The German Historical Institute-Cambridge University Press,
1998, p. 19 ; Ingrid Gilcher-Holtey, Die 68er Bewegung. Deutschland – Westeuropa – USA,
Munich, Verlag C.H. Beck, 2001, p. 65-66.
34. Avant-Garde jeunesse, no 12, mai ; Association générale des étudiants préparationnaires,
comités lycéens de soutien aux luttes du peuple, s. d. [avril], BDIC GF delta 113 / 1 ;
Affiche Strasbourg, avril, BDIC F delta 1061(9)-I.
35. Carol Fink, Philipp Gassert, Detlef Junker (éd.), 1968. The World Transformed, op. cit.,
p. 18.
36. MAU, s. d., BNF LB61-600 (3848).
37. Université de Lyon, commission critique de l’université, 24 mai, BDIC F delta 813 / 8 ;
« Rapport d’un camarade qui a quitté Berlin le lendemain des lois d’urgence », 4 juin, BNF
LB61-600 (2274).
38. Gerd-Rainer Horn, The Spirit of ’68, op. cit., p. 74 ; Manus McGrogan, « Vive La
Révolution and the Example of Lotta Continua : The Circulation of Ideas and Practices
Between the Left Militant Words of France an Italy Following May’68 », Modern and
Contemporary France, vol. 18, no 3, août 2010, p. 320 ; Steffen Bruendel, « Global
Dimensions of Conflict and Cooperation : Public Protest and the Quest for Transnational
Solidarity in Britain, 1968-1973 », in Ingrid Gilcher-Holtey (dir.), A Revolution of
Perception ? Consequences and Echoes of 1968, New York-Oxford, Berghahn Books, 2014,
p. 57.
39. Horacio Tarcus, « Le “Mai argentin”. Des lectures de la Nouvelle gauche jusqu’au
Cordobazo », Matériaux pour l’histoire de notre temps, op. cit., p. 89.
40. Service des RG, 27 juin, AD Pas-de-Calais 1W44493*.
41. Manus McGrogan, « L’écho du Mai français en Angleterre et Irlande du Nord. La London
School of Economics et le mouvement étudiant britannique », Matériaux pour l’histoire de
notre temps, op. cit., p. 56 ; Steffen Bruendel, « Global Dimensions of Conflict and
Cooperation », art. cité, p. 44 et 47-52.
42. Déclaration de solidarité du Comité des étudiants révolutionnaires québécois, s. d., BNF
LB61-600 (4580) ; « Adelante en la acción concreta por la libertad y la justicia », mai, BNF
LB61-600 (7382).
43. « Göteborg (Suède) solidaire de Paris », 8 juin, BDIC F delta 813 / 7.
44. Tribune du 22-Mars, 10 juin, BDIC F delta 813 / 7.
45. Strasbourg, Comité de liaison des étudiants du « Tiers-Monde », 14 mai, BDIC F delta
1061(9)-I ; Préfecture de police, salle d’information et de commandement, 22 mai, APP
FB / 10*.
46. Martha Kirszenbaum, « 1968 entre Varsovie et Paris : un cas de transfert culturel de
contestation », Histoire@Politique, Politique, culture, société, no 6, septembre-
décembre 2008. Cf. Florence Johsua, « “Nous vengerons nos pères…”. De l’usage de la
colère dans les organisations politiques d’extrême gauche dans les années 1968 », Politix,
no 104, 2013 / 4, p. 203-233.
47. Daniel Cohn-Bendit a été traduit fin avril devant un juge après plusieurs plaintes, dont celle
d’un militant de la FNEF pour coups et blessures et pour une information judiciaire contre X
à propos d’un tract donnant la recette de fabrication des cocktails Molotov.
48. Document distribué à la Halle aux Vins, s. d. [juin], BNF LB61-600 (2133).
49. Texte faculté de Montpellier, s. d., BNF LB61-600 (9281) ; « Lettera degli studenti torinesi
al convegno nazionale del movimento studentesco », Milano 11-12 mars, AN 78AJ37 / 1.
50. Ingrid Gilcher-Holtey, « 1968 in Deutschland und Frankreich : ein Vergleich », in Étienne
François, Matthias Middell, Emmanuel Terray, Dorothee Wierling (éd.), 1968 – ein
europäisches Jahr ?, Leipzig, Leipziger Universitätsverlag, 1997, p. 68-69.
51. Michel Trebitsch, « Voyages autour de la révolution. Les circulations de la pensée critique
de 1956 à 1968 », in Geneviève Dreyfus-Armand, Robert Frank, Marie-Françoise Lévy,
Michelle Zancarini-Fournel (dir.), Les Années 68, op. cit., p. 71.
52. Cf. Rudolf Sievers (dir.), 1968. Eine Enzyklopädie, Francfort, Suhrkamp, 2008, p. 10 ;
Marica Tolomelli, « 1968 : Formen der Interaktion zwischen Studenten- und
Arbeiterbewegung in Italien und der Bundesrepublik », in Ingrid Gilcher-Holtey, 1968. Vom
Ereignis zum Mythos, Francfort, Suhrkamp, 2008, p. 120-121 ; Bastien Hein, « 1968 et le
Tiers Monde. Radicaux et modérés dans le mouvement étudiant ouest-allemand », Revue
d’Allemagne et des pays de langue allemande, vol. 35, no 2, 2003, p. 218 sq. ; Michel
Fabréguet, « Les mouvements de 1967-1968 en République fédérale d’Allemagne et à
Berlin-Ouest », in Denis Roland, Justine Faure (dir.), 1968 hors de France. Histoire et
constructions historiographiques, Paris, L’Harmattan, 2009 ; Timothy Brown, « A Tale of
Two Communes : The Private and Political in Divided Berlin, 1967-1973 », in Martin
Klimke, Jacco Pekelder, Joachim Scharloth (éd.), Between Prague Spring and French May,
op. cit., p. 132-140.
53. Kristina Schulz, « Feminist Echoes of 1968 : Women’s Movements in Europe and the
United States », in Ingrid Gilcher-Holtey, A Revolution of Perception ?, op. cit., p. 128 ;
Cf. Julian Jackson, « Rethinking 68 », in Julian Jackson, Anna-Louise Milne, James
S. Williams (éd.), May 68. Rethinking France’s Last Revolution, New York, Palgrave
Macmillan, 2011, p. 9 ; Ingrid Gilcher-Holtey, Die 68er Bewegung, op. cit., p. 55-57.
54. Herbert Marcuse, Contre-révolution et Révolte, Paris, Seuil, 1973, p. 78-79. Cf. Igor
Krtolica, « Herbert Marcuse, penseur de la révolte des étudiants allemands », Cahiers du
GRM, no 3, 2012.
55. Université de Strasbourg, revue de la presse allemande du 17 mai, BDIC F delta 1061(9)-I.
56. Action, no 3, 21 mai ; Zoom, 14 mai, op. cit., 9’ 30” sq.
57. RG Caen, 21 février, AD Calvados 826W41024*.
58. Préfecture de police de Paris, 5 juin, APP FB / 55*.
59. Étudiants sionistes socialistes, juin, BNF LB61-600 (respect. 3754, 3755, 3757, 3759).
60. Groupe des révolutionnaires iraniens, s. d. [juin], AN 581AP / 196.
61. Conférence débat, 2 juin, BNF LB61-600 (4578).
62. Daniel A. Gordon, Immigrants and Intellectuals, op. cit., p. 20-21.
63. Fiches « R », liste de la direction des Renseignements généraux, août, APP FB / 59*.
64. Groupement de gendarmerie de Bar-le-Duc, 26 mai, AD Meuse 1251W2660* ; « Deux
automobilistes allemands contrôlés de près par les gendarmes », L’Est républicain, 28 mai.
65. Le commissaire principal du 20e arrondissement, 26 mai, APP FB / 12*.
66. RG, 24 juin, AD Pas-de-Calais 1W44493* ; Commissaire divisionnaire chef SRRG Lille,
27 mai, AD Nord 1008W 17/7.
67. Cf. Julien Hage, Feltrinelli, Maspero, Wagenbach…, op. cit.
68. Préfecture de police, direction de la police judiciaire, 1er juillet, APP FB / 59*.
69. Préfecture de police, salle d’information et de commandement, 22 mai, APP FB / 10*.
70. Direction de la police générale, expulsion d’étrangers, 26 juin, APP FB / 58* id.,
propositions d’expulsions, 25 juin, APP FB / 55* ; Le commissaire principal chef de la
Sûreté au commissaire divisionnaire, Toulouse, expulsions, 15 juin, AD Haute-Garonne
5681W11*.
71. Direction de la police générale, expulsions d’étrangers, 14 juin ; Id., 27 juin ; Id., examens
de situation d’un étranger, juin, APP FB / 58* ; Id., propositions d’expulsions d’étrangers,
6 juillet, APP FB / 55*.
72. Arlette Laguiller, Moi, une militante, Paris, Stock, 1974, p. 25.
73. Nicolas Vallet, lettre à l’auteure, 1er mai 2004.
74. Préfecture de police, agitation estudiantine au Quartier latin, 3 mai, APP FB / 2* ; Id., 6 mai
1968, APP FB / 3* ; Id., 24 mai, APP FB / 11*.
75. Id. et préfecture de police, interpellations manifestation, 7 juin, APP FB / 17*.
76. Gerd-Rainer Horn emploie l’expression de cross-fertilization (The Spirit of ’68, op. cit.,
p. 65).
77. Françoise Blum, Pierre Guidi, Ophélie Rillon (dir.), Étudiants africains en mouvement,
Paris, Publications de la Sorbonne, 2016.
78. Police nationale, service des RG, 24 juin, AD Pas-de-Calais 1W44493*.
79. Guillaume Sibertin-Blanc, « Crise et luttes étudiantes : dialectique de politisation et
questions de méthode », Actuel Marx, no 47, 1 / 2010, p. 63-79.
Deuxième partie
De l’autre côté : pouvoir, police et politique

CHAPITRE V
QUE FAIT LA POLICE ? DISPOSITIFS STRATÉGIQUES ET VIOLENCES
POLITIQUES

1. Sur les mises en cause de la police comme épreuves, cf. Cédric Moreau de Bellaing, Force
publique. Une sociologie de l’institution policière, Paris, Économica, 2015.
2. Sur la dimension physique du politique cf. Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris,
Seuil, 1997, p. 168 sq. ; Arlette Farge, Effusion et Tourment. Le récit des corps. Histoire du
peuple au XVIIIe siècle, Paris, Odile Jacob, 2007 ; Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962.
Anthropologie historique d’un massacre d’État, Paris, Gallimard, 2006, p. 86 sq.
3. Emmanuel Blanchard, « Quand les forces de l’ordre défient le Palais-Bourbon (13 mars
1958). Les policiers manifestants, l’arène parlementaire et la transition de régime »,
Genèses, no 83, 2011 / 2, p. 64 sq. ; Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962, op. cit.,
p. 197. Cf. Lilian Mathieu, « L’autre côté de la barricade : perceptions et pratiques policières
en mai et juin 1968 », Revue historique, no 665, 2013 / 1, p. 145-172.
4. Jean-Marc Berlière, « Archives de police / historiens policés ? », Revue d’histoire moderne
et contemporaine, 2001 / 5, no 48-4 bis, p. 57-68.
5. Quentin Deluermoz, « Présences d’État. Police et société à Paris (1854-1880) », Annales.
Histoire, sciences sociales, 2 / 2009 (64e année), p. 435-436.
6. Cf. Olivier Fillieule, Stratégies de la rue. Les manifestations en France, Paris, Presses de
Sciences Po, 1997 ; Danielle Tartakowsky, Le Pouvoir est dans la rue. Crises politiques et
manifestations en France, Paris, Aubier, 1998 ; Olivier Fillieule, Danielle Tartakowsky, La
Manifestation, Paris, Presses de Sciences Po, 2013.
7. Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962, op. cit., p. 221.
8. Jean-Marc Berlière, « Les forces de l’ordre », in Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli
(dir.), La France d’un siècle à l’autre. 1914-2000. Dictionnaire critique, Paris, Hachette,
1999, t. I, p. 230 ; Fabien Jobard, « Matraques, gaz et boucliers : la police en action », in
Philippe Artières, Michelle Zancarini-Fournel (dir.), 68. Une histoire collective (1962-
1981), op. cit., p. 283-284.
9. Direction générale de la police municipale, 8 mai, APP FB / 4* ; Ministère de l’Intérieur,
secrétariat général pour la police, 28 mai, AD Charente-Maritime 1288W404 ; Le préfet de
Charente-Maritime au commissaire divisionnaire La Rochelle, mai, ibid. ; Opérations
Astérix et Obélix, juin, APP FB / 29*.
10. Direction générale de la police municipale, section des effectifs, 8 mai, APP FB / 4* ;
Ministère de l’Intérieur, 20 mai, AD Nord 1008W 17/7 ; Commissaire divisionnaire
La Rochelle, 22 mai, AD Charente-Maritime 1288W404.
11. Direction générale de la police municipale, section des effectifs, 8 mai, APP FB / 4* ;
Syndicat des gradés de la police nationale, au préfet de police, 13 mai, APP FB / 29* ;
Polices urbaines à tous chefs polices urbaines, 21 mai, AD Nord 1008W 17/7 ; Commissaire
principal du 31e arrondissement (Rosny-sous-Bois), 22-23 mai, APP FB / 10* ; Note des
RG, 10 juin, APP FB / 18*.
12. Thierry Forest, « Mai 68 devant les barricades : le regard des gendarmes mobiles », in Bruno
Benoit, Christian Chevandier, Gilles Morin, Gilles Richard, Gilles Vergnon (dir.), À chacun
son Mai ?, op. cit., p. 167.
13. Direction générale de la police municipale, 24 mai, APP FB / 29* ; Id., bureau de gestion
administrative, 29 mai, ibid.
14. Le directeur général de la police municipale André Friédérich au préfet de police, 9 juillet,
APP FB / 32* ; Le commissaire divisionnaire chef du district de Saint-Étienne au préfet
chargé de la sécurité publique, 15 juillet, AD Loire 650 VT 101*.
15. Préfecture de police, rapports d’interpellation, 3 mai, APP FB / 2*.
16. Le commissaire principal du 9e arrondissement, 10 mai, APP FB / 4*.
17. Union interfédérale des syndicats de la préfecture de police et de la sûreté nationale, 13 mai,
APP FB / 29* ; RG de Rennes, 17 mai, AD Ille-et-Vilaine 510W114* ; Syndicat des gradés
de la police nationale à Maurice Grimaud, 13 mai, APP FB / 29*.
18. Ordre du jour du préfet de police, 15 mai, APP FB / 29* ; Maurice Grimaud aux directeurs
et chefs de service de la préfecture de police, 18 mai, APP FB / 29* ; Maurice Grimaud,
24 mai, APP FB / 11*.
19. Adresse de Maurice Grimaud, 4 mai, APP FB / 29* ; Le préfet de police aux chefs de
service des services actifs de la police, s. d. [après le 13 mai], APP FB / 29*.
20. Note de Maurice Grimaud au directeur général de la police municipale et au directeur de la
police judiciaire, 28 mai, APP FB / 32*.
21. Lettre de Maurice Grimaud à tous les policiers parisiens, 29 mai.
22. Philippe Nivet, « Maurice Grimaud et Mai 1968 », Histoire@Politique, no 27, 3 / 2015, n. p.
23. Lettre de Maurice Grimaud à Gérard Monate, 29 mai, Fonds Grimaud, Centre d’histoire de
Sciences Po, GRI 39, cité in ibid.
24. Préfecture de police, inspection générale des services, plaintes, exécutions de commissions
rogatoires, mai et juin, APP FB / 60* ; Le comité d’entreprise de la RATP au préfet de
police, 15 mai, APP FB / 29*.
25. Préfecture de police de Paris, 7 mai, APP FB / 4*.
26. SNESup, s. d. [11 mai ?], BNF LB61-600 (5777) ; Comités d’action, 13 mai, BNF LB61-
600 (4708).
27. Maurice Grimaud, En mai fais ce qu’il te plaît, Paris, Stock, 1977, p. 154 sq.
28. UNEF / SNES-Sup, Le Livre noir des journées de Mai, Paris, Le Seuil, 1968.
29. Commissariat central de l’agglomération lyonnaise, déclarations de Michel Raton, 24 juin,
AD Rhône 4266W32*.
30. Michelle Zancarini-Fournel, in Mai 68 à Lyon, op. cit., p. 1 et 11. Cf. aussi Lilian Mathieu,
« Décalages et alignements des dynamiques contestataires : mai-juin 1968 à Lyon », art.
cité, p. 62.
31. Déclarations de Paul G., interne des hôpitaux, et de Louis R., docteur en médecine,
1er octobre 1970, AD Rhône 4266W32* ; Audition de Paul Grammont, 8 octobre 1970,
ibid. ; Courrier du commissaire divisionnaire Lucien D. au procureur général près la cour
d’appel de Lyon, 13 octobre 1970, ibid.
32. Préfecture de police, inspection générale des services, plaintes, exécutions de commissions
rogatoires, mai et juin, APP FB / 60*.
33. Il s’agit de Jacques Baratier, Claude Chabrol, Jacques Doniol-Valcroze, Robert Enrico,
Pierre Kast, Louis Malle, Paul Paviot, Jean-Daniel Pollet et Jacques Rozier.
34. Commandement régional de la gendarmerie, Rennes, 12 juin, AD Ille-et-Vilaine,
510W122*.
35. Préfecture de police de Paris, salle d’information et de commandement, 4 mai, APP
FB / 1* ; Général de corps d’armée Robert B. au commissaire École (faut-il laisser École) du
gardien de la paix Pierre B., 20 juin, APP FB / 29*.
36. Jean-Pierre Thorn, Oser lutter, oser vaincre, op. cit.
37. Journal mural, Atelier populaire ex-ENSBA, 17 juin, AN 78AJ37 / 1.
38. Le commissaire de police chargé du 1er arrondissement au commissaire central de Saint-
Nazaire, 1er octobre, AD Loire-Atlantique 1194W89* ; Le directeur général de la police
municipale au préfet de police, 19 juin, APP FB / 18*.
39. Préfecture de police, 23 et 24 mai, APP FB / 10* ; Sous-directeur chef du 5e district, 23 mai,
ibid. ; Rapport du commissaire principal de Saint-Nazaire au préfet, 12 juin, AD Loire-
Atlantique 1194W89*.
40. Le commandant des gardiens de la paix N., au directeur général de la police municipale,
3 mai, APP FB / 2* ; Le commissaire central des circonscriptions de Saint-Nazaire et de
La Baule, au préfet, 28 août, AD Loire-Atlantique 1194W89* ; Préfecture de police de
Paris, salle d’information et de commandement, 24 mai, APP FB / 11* ; Direction générale
de la police municipale, 25 mai, ibid. ; Commissariat spécial des Halles centrales, marchés
et abattoirs, 24 et 25 mai, ibid.
41. « Lyon : dix-neuf jours agités », Le Progrès, 8 juin ; Fonds photographique sur la « nuit
rouge » de Nantes, AD Loire-Atlantique, Fonds Jean-Baboux 203J7 ; Hervé Chauvin,
« Mai 68 à Bordeaux », in Bruno Benoit, Christian Chevandier, Gilles Morin, Gilles
Richard, Gilles Vergnon (dir.), À chacun son Mai ?, op. cit., p. 106-107 ; Rapport du
commissaire principal de Saint-Nazaire au préfet, 12 juin, AD Loire-Atlantique 1194W89* ;
Le commissaire divisionnaire chef du district de Saint-Étienne au préfet chargé de la sécurité
publique, 15 juillet, AD Loire 650 VT 101*.
42. Le commissaire de voie publique chargé du 17e arrondissement, 15 mai, APP FB / 29*
43. Le sous-directeur de la police municipale, 20 juin, APP FB / 11* ; « Les chefs de la
“révolution culturelle” », Sud Ouest, 16 mai.
44. « Remerciements à la police parisienne », s. d., APP FB / 11* ; Comité d’action
universitaire, 10 mai, cité in L’Insurrection étudiante. 2-13 mai 1968, op. cit., p. 284.
45. Document du PSU, s. d. [juin], AN 581AP / 116 ; Zoom, 14 mai, op. cit., 31’ 30” ; Tribune
du 22-Mars, 10 juin, BDIC F delta 813 / 7 ; CFDT, UD des syndicats du Puy-de-Dôme,
17 mai, AD Puy-de-Dôme 106J13 ; Comité Censier, 7 juin, BNF LB61-600 (931).
46. David H. Bayley, Patterns of Policing. A Comparative Analysis, New Brunswick, Rutgers
Universiy Press, 1985 ; Richard Cobb, The Police and the People, trad. fr. La Protestation
populaire en France (1789-1820), Paris, Calmann-Lévy, 1975 ; Patrice Mann, « Pouvoir
politique et maintien de l’ordre. Portée et limites d’un débat », Revue française de
sociologie, vol. 35, no 3, 1994, p. 335-355.
47. Michel Foucault, « La vérité et les formes juridiques », dans Dits et Écrits 1954-1988, t. II,
Paris, Gallimard, 1994, p. 584. Cf. Pierre Karila-Cohen, « État et enquête au XIXe siècle :
d’une autorité à l’autre », Romantisme, 2010 / 3 no 149, p. 25-37 et Dominique Kalifa,
« Enquête et “culture de l’enquête” au XIXe siècle », ibid., p. 3-23 ; Fabien Jobard, « Le
banni et l’ennemi. D’une technique policière de maintien de la tranquillité et de l’ordre
publics », Cultures & Conflits, no 43, automne 2001, www.conflits.revues.org/571
48. Le commissaire divisionnaire de Saint-Étienne au préfet chargé de la sécurité publique,
15 juillet, AD Loire 650 VT 101* ; Le chef du service des RG de Rennes, 24 mai, AD Ille-
et-Vilaine 510W114* ; Le préfet de la Région Basse-Normandie au ministre de l’Intérieur,
14 mai, AD Calvados 1520W138* ; RG Vosges, 10 juin, AD Vosges 1998W157 ; Le
directeur général de la police municipale au préfet de police, 9 juillet, APP FB / 32* ; RG
Ardennes, 28 mai, AD Ardennes 1695W397 ; Police nationale, service des RG, 24 juin, AD
Pas-de-Calais 1W44493*.
49. RG Metz, 22 mai, AD Vosges 1998W157 ; Direction départementale des services de police
du Pas-de-Calais, 5 juillet, AD Pas-de-Calais 1W44492* ; Circulaire du ministre de
l’Intérieur aux préfets de zone, 28 juin, AD Nord 1008W 17/7 ; Le préfet de Région Poitou-
Charentes au commissaire central de police de Poitiers, 13 juillet, AD Vienne 2851W80*.
50. RG Charente-Maritime, 4 mars, AD Vienne 1927W4* ; RG Haute-Vienne, 17 mars, ibid. ;
RG Tours, 9 janvier 1967, ibid. ; RG Châtellerault, 20 mars, ibid. ; RG Loir-et-Cher,
21 janvier 1966, ibid. ; RG Rennes, Note au préfet, 18 juin, AD Ille-et-Vilaine 510W114* ;
RG Saint-Nazaire, 8 juillet, AD Loire-Atlantique 1194W89*.
51. Préfecture de police, interpellations, 7 juin, APP FB / 17* ; Agitation estudiantine au
Quartier latin, 3 mai, APP FB / 2*.
52. Le préfet de la Région Basse-Normandie, 14 mai, AD Calvados 1520W138* ; Préfecture du
Calvados, 19 juin, ibid. ; Préfecture de police, AD Pas-de-Calais 1W44493*.
53. Jean Genet, « Les maîtresses de Lénine », Le Nouvel Observateur, no 185, édition spéciale,
30 mai.
54. « Je reviendrai quand je voudrai », Le Monde, 26 mai.
55. Télégramme extrême urgent, 21 mai, AD Charente-Maritime 1288W404 ; Services centraux
des RG, 22 mai, AD Pas-de-Calais 1W44492* ; RG Metz, 22 mai, AD Vosges 1998W157 ;
Groupement de gendarmerie de Bar-le-Duc, 26 mai, AD Meuse 1251W2660* ; Ministère de
l’Intérieur, secrétariat général pour la police, à tous préfets, 24 mai, AD Nord 1008W 17/7 ;
Préfecture de police de Paris, 26 mai, APP FB / 12*.
56. Groupement de gendarmerie de la Creuse, compagnie de Bourganeuf, 31 mai, AD Creuse
102W30 ; Houillères du bassin de Lorraine, s. d., ANMT Roubaix, Fonds Charbonnages de
France, 2007 081 715.
57. « Le leader du Mouvement du 22-Mars réapparaît à Paris », Le Monde, 31 mai.
58. Le directeur de la police municipale, 1er juin, APP FB / 29* ; Ministère de l’Intérieur, notes
confidentielles, juillet, AD Pas-de-Calais 3024W49*.
59. Préfecture du Nord 8 janvier 1969, AD Nord 1008W 17/7 ; RG 17 mars 1969, ibid. ; Le
préfet délégué pour la police à Lyon, 12 septembre 1975, AD Rhône 4266W66*.
60. Maurice Grimaud, En mai fais ce qu’il te plaît, op. cit. ; Raymond Marcellin, L’Expérience
du pouvoir, Paris, La Table ronde, 1990, p. 157-158.
61. Le ministre de l’Intérieur aux préfets, 6 août, AD Calvados 1520W138* et AD Corrèze
1540W1346.
62. Le commissaire central des circonscriptions de Saint-Nazaire et de La Baule, au préfet, août,
AD Loire-Atlantique 1194W89*.
63. Rapport de Christian Fouchet au président de la République, juillet, AN AG5(1)/ 2227*.
64. Maurice Grimaud, En mai fais ce qu’il te plaît, op. cit., p. 210.

CHAPITRE VI
EN HAUT LIEU. CHOIX ET STRATÉGIES DU POUVOIR
1. Cité in Adrien Dansette, Mai 68, Paris, Plon, 1971, p. 107.
2. Intervention de Bernard Ducamin, in De Gaulle en son siècle. Moderniser la France, Paris,
Institut Charles de Gaulle-Plon-La Documentation française, 1992, p. 388.
3. Michelle Zancarini-Fournel, « Retour sur “Grenelle” : la cogestion de la crise ? », art. cité,
p. 443. Cf. Ingrid Gilcher-Holtey, 1968. Vom Ereignis zum Mythos, op. cit., p. 34 ; Boris
Gobille, Mai 68, op. cit., p. 99 ; Mathias Bernard, « L’État en mai 68 », in Xavier Vigna,
Jean Vigreux (dir.), Mai-juin 1968, op. cit., p. 137-138.
4. Cf. Gilles Le Béguec, « L’État dans tous ses états », in Geneviève Dreyfus-Armand, Robert
Frank, Marie-Françoise Lévy, Michelle Zancarini-Fournel (dir.), Les Années 68, op. cit.,
p. 462 sq., p. 462 sq.
5. Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, t. III, 2000, rééd. Paris, Bouquins, 2002, p. 1673.
6. Cf. Mathias Bernard, « L’État en mai 68 », art. cité, p. 132-133 ; Entretien avec Michel
Jobert par Béatrice Vallaeys, Libération, 2 mai 1998 ; Intervention de Christian Fouchet,
extrait des débats parlementaires du 9 mai, APP FB / 29*.
7. L’allocution du 11 mai peut être vue et écoutée sur le site de l’Institut national de
l’audiovisuel (INA) : www.ina.fr/video/VDD11005517 ; Elle est reprise dans Georges
Pompidou, Pour rétablir une vérité, Paris, Flammarion, 1982, p. 217-218. Cf. aussi Laurent
Jalabert, « Georges Pompidou et les jeunes en 1968 », in Bernard Lachaise, Sabine Tricaud
(dir.), Georges Pompidou et Mai 68, Bruxelles, Peter Lang, 2009, p. 30 sq.
8. Georges Pompidou, Pour rétablir une vérité, op. cit., p. 185. Cf. Kristin Ross, Mai 68 et ses
vies ultérieures, op. cit., p. 77.
9. Lettre de Pompidou à Raymond Aron, 29 juillet, in Éric Roussel, Georges Pompidou, Paris,
Perrin, 1984, p. 229-230.
10. Georges Pompidou, Le Nœud gordien, Paris, Plon, 1974, p. 26-28.
11. Georges Pompidou, Pour rétablir une vérité, op. cit., p. 14-18 ; Citation de Georges Arasse
in Éric Roussel, Georges Pompidou, op. cit., p. 41.
12. Lettres à Robert Poujol des 7 mars, 7 avril et 9 avril 1930, in Georges Pompidou, Lettres,
notes et portraits. 1928-1974, Paris, Robert Laffont, 2012, p. 92, 95, 97.
13. François Audigier, « Le groupe gaulliste : quand les “godillots” doutent », art. cité, p. 12-30.
14. Mathias Bernard, « L’État en mai 68 », art. cité, p. 136-137 ; René Capitant, 30 mai, BNF
LB61-600 (7492).
15. Jacques Patin, 17 mai, AN AG5(1)/ 2227* ; Michel Dupuch, secrétariat général de l’Élysée,
17 mai, ibid. ; Jacques Le Cornec, secrétariat général de l’Élysée, 17 mai, ibid. ; Fédération
de l’UD Ve République, 25 mai, AD Creuse 102W30.
16. « Chienlit », Ouest-France, 20 mai ; « La “chienlit” de Rabelais à de Gaulle », Le Monde,
21 mai.
17. Conseil des ministres, 23 mai, AN AG5(1)/ 1403*.
18. Cf. Yves Billard, « Les gaullistes de gauche », in Jean-Jacques Becker et Gilles Candar
(dir.), Histoire des gauches en France, t. II, op. cit., p. 190-196.
19. Lettre de Bernard Ducamin à Édouard Balladur, 6 avril, AN AG5(1)/ 932 ; Bernard
Ducamin, note à l’attention du général de Gaulle, 3 février, ibid. ; Jacques Patin, « Essai
critique à propos des récents événements », 17 mai 1968, AN AG5(1)/ 2227* ; Le ministre
de l’Industrie, à tous les préfets de métropole, s. d., AD Creuse 102W30.
20. RG Loire, 25 mai, AD Loire 650 VT 101* ; RG Boulogne-sur-Mer, 25 mai, AD Pas-de-
Calais 1183W207*.
21. Henri Coury, note à l’attention du général de Gaulle, 18 mai, AN AG5(1)/ 2101*.
22. Le ministre de l’Économie, 20 mai, AN AG5(1)/ 884.
23. Gilles Richard, « Georges Pompidou et la question sociale en mai 1968 », in Bernard
Lachaise, Sabine Tricaud (dir.), Georges Pompidou et Mai 68, op. cit., p. 41 ; Michelle
Zancarini-Fournel, « Retour sur “Grenelle” : la cogestion de la crise ? », art. cité, p. 446.
24. « Le général de Gaulle a rencontré des chefs de l’armée », Le Monde, 1er juin.
25. Marie-Françoise Lévy, Michelle Zancarini-Fournel, « La légende de l’écran noir.
L’information à la télévision en mai-juin 1968 », Réseaux, no 90, 1998, p. 102-103 et 98 ;
Michelle Zancarini-Fournel, « L’épicentre », art. cité, p. 216 ; Emmanuel Laurentin, « Le
transistor : à l’écoute de la rue », in Philippe Artières, Michelle Zancarini-Fournel (dir.), 68.
Une histoire collective (1962-1981), op. cit., p. 289.
26. Télégramme du préfet du Puy-de-Dôme au ministre de l’Intérieur, 19 mai, AD Puy-de-
Dôme 1100W17 ; Préfet de la Meuse, 31 mai, AD Meuse 1251W2660* ; Préfecture de
Loire-Atlantique, 19 juin, ADLoire-Atlantique 1194W89* ; Le général de division Ruellan,
commandant la 52e division militaire, au préfet de la Région Auvergne, 22 juin, AD Puy-de-
Dôme 1100W17 ; Intersyndicale de l’ORTF de la Région de Clermont-Ferrand, s. d., AD
Puy-de-Dôme 1100W17 ; Motion du personnel ORTF du mont Pilat, 8 juin, AD Loire 650
VT 102* ; Commissariat de Tulle, 21 juin, AD Corrèze 1154W7.
27. Conseil des ministres, 12 juin, AN AG5(1)/ 1411* ; « Manifestations et “groupuscules”
interdits », Paris Jour, 13 juin ; Kristin Ross, Mai 68 et ses vies ultérieures, op. cit., p. 65 ;
Circulaire du ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin, 9 juillet, AD Corrèze 1540W364.
28. Jacques Patin, secrétariat général de l’Élysée, 12 juin, AN AG5(1)/ 2101* ; Id., 10 décembre
et 7 mars 1969.
29. Télégramme reçu en message chiffré du ministre de l’Économie et des Finances à tous
préfets de région, 18 mai, AD Puy-de-Dôme 1100W16 ; Le ministre de l’Intérieur aux
préfets, 22 mai, AD Ille-et-Vilaine 510W113* ; Circulaire du ministre de l’Intérieur
Christian Fouchet à tous les préfets, 31 mai, AD Corrèze 1540W364 ; Ministre de
l’Intérieur, 5 juin, AD Loire 650 VT 101*.
30. Circulaire d’Yves Guéna aux directeurs régionaux de la Poste, 30 mai, AD Creuse 102W30.
31. Lettre du préfet de la Meuse au ministre de l’Intérieur, 22 mai, AD Meuse 1251W2660* ; Le
préfet des Pyrénées-Orientales au ministre de l’Intérieur, 24 juin, AD Bouches-du-Rhône
135W349*.
32. Préfecture des Bouches-du-Rhône, 1er juin, AD Bouches-du-Rhône 135W353*.
33. RG Charente-Maritime, 1er juin, AD Charente-Maritime 1310W158 ; Lettre du préfet
Doustin, s. d., ibid., 181AJ196.
34. Circulaire Marcellin à tous préfets de l’ex-région de défense de Bordeaux, 5 juin, AD
Creuse 102W30.
35. Groupe de liaison et d’information de la Région du Nord, 11 juillet, AD Pas-de-Calais
1W44492* ; Réunion du groupe de liaison et d’information régional sur l’activité des
mouvements révolutionnaires, Poitiers, 22 juillet, AD Vienne 2851W80* ; Le préfet du
Calvados au ministre de l’Intérieur, 30 août, AD Calvados 1520W138*.
36. Secrétariat général de l’Élysée, 29 mai, AN AG5(1)/ 2227* ; Ministère de l’Intérieur, notes
confidentielles, juillet, AD Pas-de-Calais 3024W49*.
37. Le directeur de la surveillance du territoire, au ministre de l’Intérieur, « État actuel des
investigations de la DST sur divers faits mettant en cause les dirigeants de la Régie
Renault », 15 avril 1969, AN AG5(1)/ 2227*.
38. Le préfet de la Région Basse-Normandie au ministre de l’Intérieur, 30 août, AD Calvados
1520W138* ; Bernard Ducamin, 10 juin, AN AG5(1)/ 2227*.
39. Gilles Le Béguec, « L’État dans tous ses états », cité, p. 470.
40. Lettre de Georges Pompidou à François Mauriac, 23 juillet, in Lettres, notes et portraits,
op. cit., p. 404.
41. Entretien de Charles de Gaulle avec Michel Droit, 7 juin 1968,
www.ina.fr/video/CAF87002401.

CHAPITRE VII
RAPPELS À L’ORDRE. LES OPPOSITIONS À LA CONTESTATION
1. François Audigier, Histoire du SAC. La part d’ombre du gaullisme, Paris, Stock, 2003,
p. 71-72, 83-84 ; Id., « Évolution du service d’ordre gaulliste des années cinquante aux
années soixante : quand la modernisation partidaire passe par la pacification militante », in
Gilles Richard et Jacqueline Sainclivier (dir.), Les Partis et la République. La recomposition
du système partisan 1956-1967, Rennes, PUR, 2008, p. 135 sq.
2. Brigitte Gaïti, « Le charisme en partage : mai-juin 1968 chez les gaullistes », in Dominique
Damamme, Boris Gobille, Frédérique Matonti, Bernard Pudal (dir.), Mai-Juin 68, op. cit.,
p. 262.
3. Olivier Dard, « Les droites nationalistes en Mai 68 », in Bruno Benoit, Christian
Chevandier, Gilles Morin, Gilles Richard, Gilles Vergnon (dir.), À chacun son Mai ?,
op. cit., p. 356-357.
4. Haim Burstin, Révolutionnaires, op. cit., p. 74.
5. MODEL, 15 mai, BNF LB61-600 (3865) ; FNEL, BNF LB61-600 (3836) ; FERU, BNF
LB61-600 (3839) ; FLU, BNF LB61-600 (3841) ; MUR, BNF LB61-600 (3910) ; CELU,
juin, BDIC F delta 62 Rés.
6. Philippe Péchoux, « “Pas de Nanterre à Dijon”. Construction et contradictions du
mouvement étudiant dijonnais de mai-juin 1968 : entre réforme, révolution et réaction », in
Xavier Vigna, Jean Vigreux (dir.), Mai-juin 1968, op. cit., p. 180-181 ; Association des
étudiants en droit et en sciences économiques, s. d., AD Loire-Atlantique 355W216 ; RG
PACA, 18 mai, AD Bouches-du-Rhône 135W350* ; Commissariat central de Marseille,
17 mai, AD Bouches-du-Rhône 135W349*.
7. Fédération des étudiants de Paris, s. d., BNF LB61-600 (3778) ; Liberté et Démocratie,
17 juin, BNF LB61-600 (145).
8. « Modérés et extrémistes se disputent l’audience des étudiants de Nanterre », Combat,
3 avril ; FNEF, s. d., BNF LB61-600 (3827) ; Résolution adoptée par le conseil
d’administration de la FNEF, 10 mai, AD Rhône 2690W1.
9. Occident, s. d., BDIC F delta 62 Rés ; Occident, Union régionale Bretagne Val-de-Loire,
s. d., AD Loire-Atlantique 203J2.
10. Université de Toulouse, s. d., BNF LB61-600 (9180) ; Notes des RG, 1er mai, APP FB / 1* ;
Lettre d’André Morice, au préfet, 13 février, AD Loire-Atlantique 1222W63* ; Ministère de
l’Intérieur, notes confidentielles, juillet, AD Pas-de-Calais 3024W49* ; Sur l’incendie du
local de l’UNEF : APP FB / 1*.
11. Préfecture de police, 22 mai, APP FB / 10*.
12. Action française, février, BNF LB61-600 (8745) ; Lycéens d’Action Française de Saint-
Germain, s. d., BNF LB61-600 (8698) ; Pierre Pujo, « La démocratie à la voirie ! », AF
Université. Mensuel des étudiants de la Restauration nationale, no 133 bis, BDIC F delta 62
Rés ; Préfecture de police, interpellations, conduites au poste, 5 juin, APP FB / 16* ; Henri
Mercier, « Au Quartier Latin », AF Université, no 133 bis, BDIC F delta 62 Rés.
13. Gérard Leclerc, « La vraie révolte », ibid. ; « La Restauration nationale et Aspects de la
France », mai, ibid. ; Tract Action française, juin, BNF LB61-600 (8747) ; Action française,
juin, BNF LB61-600 (8746).
14. Préfecture de police de Paris, 26 mai, APP FB / 12* ; École municipale des arts décoratifs de
Strasbourg, lettre à Pierre Pfimlin, 5 juin, BDIC F delta 1061(9)-I ; Michelle Zancarini-
Fournel in L’Intelligence d’une ville. Mai-juin 68 à Lyon, Lyon, bibliothèque municipale de
Lyon, 2008, p. 14 ; RG Vienne, 14 août, AD Vienne 1939W4* ; Le commissaire
divisionnaire chef du service départemental des RG de Seine-Maritime, au directeur des RG,
6 et 19 juin, AD Seine-Maritime 3907W10 ; PSU, 19 juin, ibid.
15. Lettre de Henri B. au sous-préfet, Lille, 19 juin, AD Nord 1008W 17/6 ; Lettre de la
fédération des groupements commerciaux de Roubaix et environs, au préfet, 12 juin, AD
Nord 1008W 17/6.
16. Lieutenant-colonel honoraire C., prière d’insérer, 3 juin, AD Bouches-du-Rhône
135W349* ; Préfecture de Haute-Garonne, 27 mai, AD Haute-Garonne 5681W11* ; Un
groupe appartenant à la partie saine de la population toulousaine, lettre au préfet, 13 juin,
ibid. ; Lettre de Jean de R. au préfet, 30 mai, AD Nord 1008W 17/6 ; Adresse aux parents
d’élèves, Lambersart, 22 mai, ibid. ; Préfet Région Nord au cabinet du ministère de
l’Intérieur, 11 juin, ibid. ; Tract « À messieurs les enseignants » signé « Des parents
d’élèves », circonscription de Jonzac, 25 juin, AD Charente-Maritime 1310W158 ; Comité
de défense pour la liberté du travail, Troyes, 31 mai, BNF LB61-600 (8743) ; RG Charente-
Maritime, 1er juin, AD Charente-Maritime 1310W158 ; Commissaire central de Boulogne-
sur-Mer, 18 mai, AD Pas-de-Calais 1183W207* ; Commissariat de Brive, Rapport
journalier, 21 juin, AD Corrèze 1154W7.
17. Télégrammes, Élysée, mai et juin, AN AG5(1)/ 51.
18. Jérôme Pozzi, « Georges Pompidou et les mouvements gaullistes », in Bernard Lachaise,
Sabine Tricaud (dir.), Georges Pompidou et Mai 68, op. cit., p. 67-68 ; CDR, juin, BDIC
F delta 813 / 7.
19. CDR, s. d., CHT Nantes, Fonds 1968, 6-32 ; Papillon CDR, La Rochelle, s. d. [juin], AD
Charente-Maritime 181AJ196 ; UD Ve et CDR Marseille, 22 mai, AD Bouches-du-Rhône
135W351* ; CDR de Versailles, s. d., BNF LB61-600 (8721).
20. Cf. François Audigier, Génération gaulliste. L’Union des jeunes pour le progrès, une école
de formation politique (1965-1975), Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2005 ;
Banderole CDR, s. d., AN 78AJ37 / 1 ; Affiche UJP, s. d., BNF LB61-600 (7435) ; UJP du
15e arrondissement, 13 juin, BNF LB61-600 (7440) ; RG Loire-Atlantique, 17 mai, AD
Loire-Atlantique 355W216 ; UJP Nantes, s. d., AD Loire-Atlantique 355W216 ; Papillon
UJP, s.d., BNF LB61-600 (7443).
21. Frank Georgi, « “Le pouvoir est dans la rue”. La “manifestation gaulliste” des Champs-
Élysées (30 mai 1968) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 48, 1995, p. 49 ; Le Joli
Mois de Mai de Jean-Denis Bollan et Renan Pollès, ARC, 1968, 28’ 22”.
22. Danielle Tartakowsky, « Les manifestations de mai-juin 68 en province », in René
Mouriaux, Annick Percheron, Antoine Prost et Danielle Tartakowsky (dir.), 1968.
Exploration du Mai français, op. cit., p. 159 ; Boris Gobille, Mai 68, op. cit., p. 23 ;
Toulouse, le commissaire divisionnaire central au préfet, 31 mai, AD Haute-Garonne
5681W11* ; « Plus de 100 000 personnes manifestent contre le désordre », Horizon
lyonnais, 1er juin ; Union des Métaux CFDT Nantes et région, 2 juin, CHT Nantes, Fonds
1968, 6-15 ; Tract, Charleville-Mézières, 31 mai, AD Ardennes 1695W397 ; Comité de
défense pour les libertés républicaines, Perpignan, s. d., AD Pyrénées-Orientales 1J386 / 8.
23. « Grande manifestation pour l’ordre, la liberté et la paix sociale », La Vendée Sablaise,
9 juin ; Tract CFDT distribué le 4 juin à La-Roche-Sur-Yon, CDHMOT Vendée ; CFDT
Vendée, ibid.
24. « Manifestations sur le 8e arrondissement », 1er juin, APP FB / 16* ; « Joséphine Baker en
tête de la manifestation des jeunes gaullistes », L’Aurore, 5 juin ; « Manifestation de jeunes
gaullistes du Trocadéro au Champ-de-Mars », Le Figaro, 5 juin ; Rapport du commandant
principal Léon D., 4 juin, APP FB / 16*
25. CDR, juin, BDIC F delta 813 / 7 ; CDR Sud-Loire, s. d., CHT Nantes, Fonds 1968, 16-16.
26. Profession de foi de Roger Souchal, AD Meurthe-et-Moselle 1636W40 ; L’Union et l’Action
sociale du Toulois et du Xaintois, ibid. ; Profession de foi de Philippe Dechartre, juin, AD
Charente-Maritime 181AJ196 ; Profession de foi de Jacques Godfrain, juin, AD Pyrénées-
Orientales 1J386 / 8 ; Profession de foi de Lucien Meunier, juin, AD Ardennes 22J13 ;
Profession de foi d’Étienne Garnier, juin, AD Loire-Atlantique 1194W9
27. François Audigier, « Les images militantes gaullistes de mai-juin 1968 : une propagande
antichienlit », in Christian Delporte, Denis Maréchal, Caroline Moine, Isabelle Veyrat-
Masson (dir.), Images et sons de Mai 68, op. cit., p. 320.
Troisième partie
L’expérience sensible du politique

CHAPITRE VIII
QUE LA JOIE DEMEURE. EXPÉRIENCE SENSIBLE ET AFFECTS
MOBILISATEURS

1. Serge Velay, L’Intempestif, op. cit., p. 27.


2. George E. Marcus, The Sentimental Citizen : Emotion in Democratic Politics (2002), trad.
fr. Le Citoyen sentimental. Émotions et politique en démocratie, Paris, Presses de la FNSP,
2008, p. 20 ; Damien Boquet et Piroska Nagy, « Pour une histoire des émotions. L’historien
face aux questions contemporaines », in id. (dir.) Le Sujet des émotions au Moyen Âge,
Paris, Beauchesne, 2009, p. 31.
3. « J’entends par affect les affections du corps par lesquelles sa puissance d’agir est accrue ou
réduite, secondée ou réprimée » (Baruch Spinoza, Éthique, III, définition 3, citée par
Frédéric Lordon, La Société des affects. Pour un structuralisme des passions, Paris, Seuil,
2013, p. 84).
4. Frédéric Lordon, Les Affects de la politique, op. cit., respectiv. p. 15, 35, 57, 58.
5. Jacques Rancière, Le Partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La Fabrique, 2000.
6. Frédéric Lordon, Capitalisme, désir et servitude. Marx et Spinoza, Paris, La Fabrique, 2010,
p. 179, 181, 185 ; Id., La Société des affects, op. cit., p. 101.
7. Haim Burstin, Révolutionnaires, op. cit., p. 155.
8. Michael Rossman, « Breakthrough at Berkeley », Center Magazine, mai 1968, p. 42.
9. Tribune socialiste, no 372, 16 mai, p. 6.
10. Pierre Ansart, La Gestion des passions politiques, Lausanne, L’Âge d’homme, 1983, p. 69-
70.
11. Liaisons sociales, no 954, 20 mai.
12. Zoom, 14 mai, op. cit., 18’ 00”.
13. Jean-Pierre Thorn, Oser lutter, oser vaincre, op. cit., respectiv. 1’ 00” sq., 5’ 00” sq.,
12’ 30”, 1 h 07’ 30” sq.
14. Rapport du principal du collège de Prades, 13 juin, AD Pyrénées-Orientales 1J815.
15. CFDT des travailleurs des Galeries, Clermont-Ferrand, 1er juin, AD Puy-de-Dôme 106J13.
16. Axel Honneth, La Lutte pour la reconnaissance, op. cit., p. 195.
17. Mouvement ouvrier et étudiant, Lille, s. d., AD Nord J 1582 / 20.
18. Leslie Kaplan, « Mai 68 », in Écrire. Mai 68, op. cit., p. 132.
19. Filles de Mai, op. cit., p. 36.
20. Cercle Barbara Salutati, Longtemps je me suis souvenu de Mai 68, Bordeaux, Le Castor
astral, 2002, p. 94 ; Benjamin Stora, La Dernière Génération d’Octobre, Paris, Stock, 2003,
p. 20.
21. Barbara H. Rosenwein, Emotional Communities in the Early Middle Ages, Ithaca, Cornell
University Press, 2006, p. 24-26. (biblio)
22. Ingrid Gilcher-Holtey (dir.), A Revolution of Perception ?, op. cit.
23. Cité in Jacques Durandeaux, Les Journées de mai 68, Bruxelles, Desclées de Brouwer,
1968, p. 13-14, 49.
24. Frédéric Lordon, Les Affects de la politique, op. cit., p. 138.
25. Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, op. cit., p. 168.
26. Le corps est alors le « lieu d’une microphysique du pouvoir », écrit Éric Fassin (préface à
Ann Laura Stoler, Carnal Knowledge and Imperial Power. Race and Intimate in Colonial
Rule (2002), trad. fr. La Chair de l’empire. Savoirs intimes et pouvoirs raciaux en régime
colonial, Paris, La Découverte, 2013, p. 12). « Le corps est la part la moins reconnue du
monde politique ; elle est pourtant la plus puissante » (Arlette Farge, Effusion et Tourment,
op. cit., p. 18).
27. Mouvement du 22-Mars, Ce n’est qu’un début continuons le combat, op. cit., p. 26.
28. Michel Andrieu, Jacques Kébadian, Renan Pollès, Ce n’est qu’un début, production ARC
(Atelier de recherche cinématographique), 1968, 7’ 00” sq.
29. Claude Angeli et Lucien Rioux, « Les communistes devant l’énigme étudiante », Le Nouvel
Observateur, 15 mai ; « Notre Commune du 10 mai », par Daniel Cohn-Bendit, ibid.
30. Leslie Kaplan, « Mai 68 », art. cité, p. 136.
31. Zoom, 14 mai, op. cit., 08’ 50”.
32. Hervé Glévarec, « Le reportage radiophonique des “événements” : mai 68 a-t-il inventé
“l’effet de réel” en radio ? », in Christian Delporte, Denis Maréchal, Caroline Moine,
Isabelle Veyrat-Masson (dir.), Images et sons de Mai 68, op. cit., p. 43-53.
33. Baruch Spinoza, Éthique, III, définition 20, citée par Frédéric Lordon, La Société des affects,
op. cit., p. 97.
34. Déclaration du Bureau national du SNESup, 11 mai, BNF LB61-600 (5774) ; Les
Témoignages sur la répression, BDIC F delta 861 / 2/2 ; Tract, Strasbourg, 11 mai, BDIC F
delta 1061(9)-I ; Communiqué UNEF, UGE, SNESup, CGT, CFDT, FEN, 12 mai, BNF
LB61-600 (6018) ; AG des étudiants en lettres de Clermont-Ferrand, 14 mai, AD Puy-de-
Dôme 175J125 ; Les professeurs et surveillants du lycée du Portail-Rouge à Saint-Étienne à
l’inspecteur d’académie de la Loire, 11 mai, AD Rhône 2690W1 ; Tract cheminots retraités
CGT, 18 mai, AD Calvados 1996JP11 / 243 ; Gendarmerie d’Épinal, 28 mai, AD Vosges
1998W158* ; Le commissaire de police principal au directeur de la police municipale,
15 mai, APP FB / 29*.
35. « Après les échauffourées de lundi. Un témoignage », Le Monde, 9 mai ; Les instituteurs et
institutrices de l’école de Monprimblanc à Monsieur le Premier ministre, s. d., et lettre
manuscrite des instituteurs du canton de Pontarion (Creuse) au Premier ministre, 14 juin,
AD Creuse 102W30 ; Syndicat national des instituteurs, La Roque d’Anthéron, 11 mai, AD
Bouches-du-Rhône 135W351* ; Alain Alcouffe, s. d., BNF LB61-600 (9196) ; Coordination
des comités d’action, 19 mai, BNF LB61-600 (4765).
36. Cinétract 3 BNF NUMAV-46342, 4’00 sq.
37. Arlette Farge, Effusion et Tourment, op. cit., p. 116. « La distinction entre une “haine”
plébéienne et militaire, et une “hostilité” bourgeoise, de nature peut-être moins sentimentale,
mérite d’être relevée : la haine, et la passion en général, est ainsi présentée comme une
modalité plus spécialement populaire du rapport à la politique » (Gilles Malandain, « La
haine des Bourbons sous la Restauration : quelques remarques sur un sentiment politique »,
in Frédéric Chauvaud et Ludovic Gaussot (dir.), La Haine. Histoire et actualité, Rennes,
Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 16).
38. « Ce sont les “autres” qui haïssent, figures diverses du barbare endogène ou exogène »
(Alain Brossat, « Haines et cris », in Claude Gautier et Olivier Le Cour Grandmaison
(coord.), Passions et sciences humaines, Paris, PUF, 2002, p. 67).
39. Section « Sciences » Étudiants socialistes unifiés, 3 mai 1968, BNF LB61-600 (3767) ;
« Vomir la pègre », s. d., APP FB / 50 ; SDRG Rouen, 31 mai, AD Seine-Maritime
3766W166.
40. Tract de l’Association départementale des déportés, s. d., CHT Nantes, Fonds 1968, 6-28 ;
Jean-Marie Domenach, Beaucoup de gueule et peu d’or. Journal d’un réfractaire (1946-
1977), Paris, Seuil, 2001, p. 279 cité in Bernard Brillant, Les Clercs de 68, op. cit., p. 384 ;
Maurice Clavel, « En plein gâtisme », Le Nouvel Observateur, no 187, 12-18 juin.
41. Christophe Traïni et Johanna Siméant, « Pourquoi et comment sensibiliser à la cause ? », in
Christophe Traïni (dir.), Émotions… Mobilisation !, Paris, Presses de Sciences Po, 2009,
p. 13.
42. Louis Aragon, « Le général de division », 10 juin, BNF LB61-600 (6948).
43. Les Unions départementales CGT CFDT FEN de la Meuse, 30 mai, AD Meuse
1251W2660* ; Les organisations syndicales, l’union des jeunes, les partis politiques qui les
soutiennent, s. d. [30 mai], AD Corrèze 1540W364 ; Annie Ernaux, Les Années, Paris,
Gallimard, 2008, p. 108-109.
44. Lycée Rodin, s. d. [juin], BDIC F delta 861 / 2/1 ; AG Lycée Louis-le-Grand, s. d., BDIC
GF delta 113 / 1 ; Comité d’action de Nanterre, SNESup, s. d. [juin], BDIC F delta 813 / 7.
45. CDR du 13e arrondissement, BDIC F delta 62 Rés.
46. Préfecture de police, 23-24 mai, APP FB / 10* ; Commissaire principal B., 23 mai, APP
FB / 10*.
47. Adresse aux parents d’élèves, Lambersart, 22 mai, AD Nord 1008W 17/6 ; Le procureur de
la cour d’appel de Douai au garde des Sceaux, 10 juin, AD Nord 1008W 17/2.
48. UJP Nantes, s. d., AD Loire-Atlantique 355W216.
49. Maurice Druon, L’Avenir en désarroi, Paris, Plon, 1968, respectiv. p. 19, 35, 51, 54, 59, 60.
50. Raymond Aron, La Révolution introuvable, op. cit., p. 13, 14, 26, 27, 35. À ce sujet, cf.
Julian Bourg, From Revolution to Ethics. May 1968 and Contemporary French Thought,
Montréal-Londres-Ithaca, McGill’s-Queen University Press, 2007, p. 29-30.
51. L’Insurrection étudiante. 2-13 mai 1968, op. cit., p. 34. ; Sorbonne, 2 juin, BDIC F delta
Rés 578 / 2.
52. Toulouse, mouvement du 25-Avril, s. d., BNF LB61-600 (9173).
53. AGEN-UNEF, s. d., AD Loire-Atlantique 355W216.
54. Comité d’action ouvriers-étudiants, s. d., AD Nord J 1582 / 20 ; Mouvement du 25-Avril,
11 juin, BNF LB61-600 (9236) ; Censier libre, 28 juin, BDIC F delta 813 / 7.
55. CFDT Vendée, s. d., CDHMOT Vendée ; Syndicalisme. Magazine de la CFDT, no 1191,
10 juin.
56. Michel Crépeau, « De la peur à l’espérance », Sud Ouest, 27 mai.
57. Julien Green, Ce qui reste de jour 1966-1972, Paris, Plon, 1972, p. 102, 105, 106, 109, 112,
113, 116, 120, 121.
58. Raymond Aron, La Révolution introuvable, op. cit., p. 107-108.
59. Division Leclerc, s. d. [mai], BDIC F delta 62 Rés.
60. Maurice Schumann, « Le péril est toujours là », Avenir 78, juin ; UDR, juillet, BNF LB61-
600 (7513) ; Lucien Neuwirth, « Oui, nous ne sommes pas prêts d’oublier », L’Écho de
Saint-Étienne et de sa région, juin ; Charles Azaïs, « Je suis du parti de la trouille »,
Roussillon-Avenir, no 2, juin, AD Pyrénées-Orientales 1J386 / 8.
61. Jules Moch, « Les causes générales de la victoire gaulliste », Midi Libre, 30 juillet.
62. RG Vosges, 17 mai, AD Vosges 1998W15 ; RG Meuse, 28 mai, AD Meuse 1251W2660* ;
RG Bar-le-Duc, 23 mai, ibid. ; RG PACA, 21 mai, AD Bouches-du-Rhône 135W350* ;
Lettre du responsable des Prisons marseillaises au garde des Sceaux, ibid., 135W353* ; RG
Ardennes, 25 mai, AD Ardennes 1695W397 ; Rapport du préfet de la Creuse au ministère de
l’Intérieur, 31 mai, AD Creuse 102W30.
63. Un si joli mois de mai, de Bertrand Delais, France 3 Normandie-Beau comme une image,
2008, 26’ 00” sq.
64. Haim Burstin, Révolutionnaires, op. cit., p. 74.
65. Rebecca Clifford, Robert Gildea, Anette Warring, « Gender and Sexuality », in Robert
Gildea, James Mark, Anette Warring (éd.), Europe’s 1968. Voices of Revolt, op. cit., p. 242.
66. « Un enragé : “Même si on nous offrait le paradis nous ne le voudrions pas. Nous voulons le
prendre” », France-Soir Paris presse, L’Intransigeant, 4 mai.
67. Comité Censier, 7 juin, BNF LB61-600 (931).
68. William Reddy, « Émotions et histoire contemporaine : esquisse d’une chronologie », in
Anne-Claude Ambroise-Rendu, Anne-Emmanuelle Demartini, Hélène Eck, Nicole Edelman
(dir.), Émotions contemporaines. XIXe-XXe siècles, Paris, Armand Colin, 2014, p. 44 ; Yves
Citton, Frédéric Lordon, « Un devenir spinoziste des sciences sociales ? », in id. (dir.),
Spinoza et les sciences sociales. De la puissance de la multitude à l’économie des affects,
Paris, Éditions Amsterdam, 2008, p. 32 ; Sophie Wahnich, « De l’économie émotive de la
Terreur », Annales. Histoire, sciences sociales, 2002 / 4, p. 891.
69. Jean-Paul Michel, « Première tentative de sortie des logiques du ressentiment », in Écrire,
Mai 68, op. cit., p. 166.
CHAPITRE IX
TEMPS DE PAROLES ET ÉCLATS DE VOIX
1. Intervention depuis la salle, Odéon, 1er juin, in Patrick Ravignant, L’Odéon est ouvert, Paris,
Stock, 1968, p. 104.
2. Michel de Certeau, La Prise de parole et autres écrits politiques, op. cit., p. 40.
3. « Daniel Cohn-Bendit, leader des “enragés de Nanterre”, ne parle pas mais dialogue »,
Éclair, 20 mai.
4. Travailleurs de Rhône-Poulenc, Vitry, 28 mai, BNF LB61-600 (8660).
5. Cf. Joachim Scharloth, « Revolution in a Word. A Communicative History of Discussion in
the German 1968 Protest Movement », in Ingrid Gilcher-Holtey (dir.), A Revolution of
Perception ?, op. cit., p. 163.
6. Michel de Certeau, La Prise de parole et autres écrits politiques, op. cit., p. 34.
7. Pierre Bourdieu, « Le rire de Mai », Interventions. 1961-2001, Marseille, Agone, 2002.
8. RG Lille, 14 mai, AD Nord 1008W 17/5 ; Id., Dunkerque, 13 mai, ibid.
9. Maurice Clavel, « En plein gâtisme », art. cité.
10. Groupe d’action révolutionnaire de Calais, s. d., AD Pas-de-Calais 1W44491*.
11. Mouvement du 22-Mars, BDIC F delta 813 / 7.
12. Benoît Frachon, Syndicalisme, no 1191, 10 juin ; Bibliothèque municipale de Lyon,
collection Jacques-Baur, Ms 7053 F.5 vo.
13. Prière des travailleurs en grève, CHT Nantes, Fonds 1968, 6-36.
14. Bernard Brillant, Les Clercs de 68, op. cit., p. 254 ; Collectif ARC, CA 13, juin, 2’ 48” ;
« Révolution brisée ? », Journal du dimanche, 2 juin ; RG Vienne, 8 juillet, AD Vienne
1939W4* ; Université autonome de Strasbourg, Déclaration, s. d., BDIC F delta 1061(9)-I.
15. « Près de 1 000 personnes ont répondu à l’appel du comité d’action civique des Vosges »,
L’Est républicain, 4 juin ; Document sans origine ni date, CHT Nantes, Fonds 1968, 16-16.
16. CDR, mai, AD Charente-Maritime 1310W158.
17. Potache, tribune lycéenne de Strasbourg, avril, BDIC F delta 1061(9)-I ; Document recueilli
à l’IEP de Paris, s. d., BNF LB61-600 (3390).
18. « Le 13 mai, un vote France et massif », Syndicalisme. Magazine de la CFDT, no 1191,
10 juin ; Tribune du 22-Mars, 5 juin, BDIC F delta 813 / 7.
19. Document recueilli à l’Institut d’études politiques de Paris, s. d. [mai], BNF LB61-600
(3390).
20. Bibliothèque municipale de Lyon, collection Jacques-Baur, Ms 7053, f.33 vo.
21. CGT FO, section « Employés », Syndicat national du personnel du Crédit foncier de France,
s. d., BNF LB61-600 (5961) ; Sud-Aviation-Bouguenais, s. d., CHT Nantes, Fonds
UD CFDT 589 ; Expression, journal du lycée Pasteur de Neuilly, no 2, 18 juin, BDIC GF
delta 113 / 1.
22. Jean-Pierre Thorn, Oser lutter, oser vaincre, op. cit., 47’ 00” et 42’ 30” ; Sketchs
« L’inadapté » et « Assemblée générale » (« vécu réellement dans une entreprise de la
métallurgie nantaise, écrit par des ouvriers qui l’ont vécu »), s. d. [mai], CHT Nantes, Fonds
1968, 7.
23. Mouvement du 13-Mai, 24 mai, CHT Nantes, Fonds 1968, 6-1.
24. Michel de Certeau, La Prise de parole et autres écrits politiques, op. cit., p. 42.
25. Anonyme, « Rigodon », in Poèmes de la révolution, Paris, juin 1968, rééd. Caractères, 1998,
p. 41.
26. Anonyme, « Barricade », ibid., p. 65.
27. Charles Juliet, Lueur après labour. Journal III 1968-1981, Paris, POL, 1997 [poème écrit en
juin], p. 21.
28. Michel Butor, « Flic flac », Le Monde, 1er juin.
29. Johann Ludwig (Diouf) Karukera, Sans titre, Poésie recueillie à l’Institut d’études politiques
de Paris, s. d. [mai 1968], BNF LB61-600 (3367).
30. « On ne peut pas écrire », in Poèmes de la révolution, op. cit., p. 19-20.
31. Poème, anonyme, s. d., BDIC F delta 813 / 8.
32. Charles Juliet, Lueur après labour, op. cit., p. 21.
33. Jacques Prévert, « On ferme ! », Action, no 3, 21 mai.
34. Jacques Prévert, « Renault, au boulot », s. d., BDIC F delta 813 / 8.
35. Poème distribué à la Halle aux Vins après le 30 mai, BNF LB61-600 (2130).
36. Poème de Philippe Robert, de la Fédération des infirmes et handicapés physiques, CHT
Nantes, Fonds UD CFDT 589.
37. Comité d’entreprise de la RNUR, juillet, BNF LB61-600 (8231) ; Un si joli mois de mai,
op. cit., 31’ 00” sq. ; André Sernin, Journal d’un bourgeois de Paris, op. cit., p. 42 ; Bruno
Benoit, « Les banlieues lyonnaises en mai-juin 1968 », art. cité, p. 92 ; Dino Belhocine, Hier
à la Cello, op. cit., p. 108 ; Direction générale de la police municipale, 1er juin, APP
FB / 16*.
38. L’Est républicain, 30 mai.
39. Emmanuelle Loyer, « Odéon, Villeurbanne, Avignon : la contestation par le théâtre », in
Philippe Artières, Michelle Zancarini-Fournel (dir.), 68. Une histoire collective (1962-
1981), op. cit., p. 395-396 ; Antoine de Baecque, « L’Odéon et la révolution », in Alain
Clavien, Claude Hauser, François Vallotton (dir.), Théâtre et scènes politiques, Lausanne,
Antipodes, 2014, p. 228.
40. Cité par Pascale Goetschel, « Mai 68 au théâtre : affirmation d’une identité professionnelle
singulière et plurielle », in Bruno Benoit, Christian Chevandier, Gilles Morin, Gilles
Richard, Gilles Vergnon (dir.), À chacun son Mai ?, op. cit., p. 285-286.
41. Peter Handke, « Straβentheater und Theatertheater », Theater Heute, avril 1968.
Cf. Charlotte Bomy, « Contre-cultures sur les scènes berlinoises à la fin des années 1960 :
théâtralisation du politique et redéfinition de l’institution théâtrale », in Bernard Lacroix,
Anne-Marie Pailhès, Caroline Rolland-Diamond, Xavier Landrin (dir.), Les Contre-cultures.
Genèses, circulations, pratiques, Paris, Syllepse, 2015, p. 177.
42. Bernard Brillant, Les Clercs de 68, op. cit., p. 288-289.
43. Groupement de gendarmerie de Bar-le-Duc, 25 mai, AD Meuse 1251W2660* ;
« L’expérience du marché couvert : un théâtre véritablement populaire », L’Est républicain,
30 mai.
44. CAL Épinal, 1er juin, AD Vosges 1998W158.
45. Laurent Chollet, L’Insurrection situationniste, Paris, Dagorno, 2000, p. 84.
46. Patrick Marcolini, Le Mouvement situationniste. Une histoire intellectuelle, Montreuil,
L’Échappée, 2012.
47. Pascal Dumontier, Les Situationnistes et Mai 68, op. cit., p. 119 et 152 ; Entretien avec
Walter Lewino, Le Tigre, 21 juin 2010 ; Anna Trespeuch-Berthelot, L’Internationale
situationniste. De l’histoire au mythe (1948-2013), Paris, PUF, 2015, p. 227 et 235.
48. Raoul Vaneigem, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, Paris, Gallimard,
1967, p. 259.
49. Ibid., p. 209.
50. André Glucksmann, Stratégie de la révolution, Paris, Christian Bourgois, 1968, p. 22.
51. Maurice Blanchot, La Communauté inavouable, Paris, Minuit, 1983, p. 52-53.

CHAPITRE X
FÉMININ-MASCULIN. SEXE ET GENRE DE L’ÉVÉNEMENT
1. Ramparts, 11 juin, p. 36, cité in Alain Schnapp, Pierre Vidal-Naquet, Journal de la
commune étudiante, op. cit., p. 57. Cf. Martin Klimke, The Other Alliance : Student Protest
in West Germany and the United States in the Global Sixties, Princeton-Oxford, Princeton
University Press, 2010.
2. Julie Pagis, Mai 68, un pavé dans leur histoire, op. cit., p. 85.
3. À la question posée aux personnes enquêtées « Avez-vous le sentiment d’appartenir à une
“génération de 68” ? », 70  % répondent « oui », mais bien davantage chez les femmes (80 
%) que chez les hommes (moins de 60  %) (Julie Pagis, « Repenser la formation des
générations politiques sous l’angle du genre. Le cas de Mai-Juin 1968 », in Vincent Porhel,
Michelle Zancarini-Fournel (coord.), 68’ Révolution dans le genre ?, numéro de Clio.
Histoire, femmes et sociétés, no 29, 2009, p. 101-103).
4. Joan Wallach Scott, La Citoyenne paradoxale. Les féministes françaises et les droits de
l’homme, op. cit., p. 13 et 29.
5. Mathilde Darley, Gwénaëlle Mainsant, « Police du genre », Genèses, no 97, 2014 / 4, p. 3.
6. Joan Scott, « Genre : une catégorie utile d’analyse historique », Le genre de l’histoire,
numéro de Les Cahiers du GRIF, no 37-38, Paris, Éditions Tierce, 1988, p. 141.
7. Karen Offen, European Feminisms, 1700-1950 : A Political History (2000), trad. fr. Les
Féminismes en Europe 1700-1950. Une histoire politique, Rennes, PUR, 2012, p. 21.
8. Montage situationniste, BNF LB61-600 (7400).
9. Témoignage d’Évelyne E., cité in Cercle Barbara Salutati, Longtemps je me suis souvenu de
Mai 68, op. cit., p. 72.
10. Michelle Zancarini-Fournel, « Genre et politique : les années 1968 », art. cité, p. 134.
11. UNEF-SNES-Sup, Le Livre noir des journées de Mai, op. cit., p. 67 et 75.
12. André Sernin, Journal d’un bourgeois de Paris, op. cit., 15 mai, p. 25.
13. Henri Mercier, « Au Quartier Latin », AF Université, no 133 bis, BDIC F delta 62 Rés.
14. Yves Guin, « Notes pour l’histoire des événements de mai-juin 1968 », citées ; Cité
nouvelle, Bulletin inter-cellules de la section de Port-Neuf, PCF, no 2, mai, AD Charente-
Maritime 1310W158 ; Un si joli mois de mai, op. cit., 21’ 00” ; Compte rendu de la réunion
du 6 juin sur l’autogestion, s. d., BDIC F delta 813 / 7 ; Jean-Pierre Thorn, Oser lutter, oser
vaincre, op. cit., 1 h 06’ 00”.
15. Tribune du 22-Mars, 2 juin, BDIC F delta 813 / 7.
16. Xavier Vigna, « La CGT et les grèves ouvrières en mai-juin 1968 : une opératrice
paradoxale de stabilisation », art. cité, p. 206.
17. Alain Schnapp, Pierre Vidal-Naquet, Journal de la commune étudiante, op. cit., p. 50.
18. Jean-Claude Guillebaud, « Une mère et cinq enfants dans la “Révolution” », Sud Ouest,
9 juin.
19. Affiche CDR, s. d. [mai], AN 78AJ37 / 1 ; UD Ve République, 25 mai, BNF LB61-600
(7483).
20. Les Femmes de l’Association syndicale des Familles, 24 mai, CHT Nantes, Fonds
UD CFDT 589.
21. Cf. Yasmine Siblot, « “Je suis la secrétaire de la famille !” La prise en charge féminine des
tâches administratives entre subordination et ressource », Genèses, no 64, 2006 / 3, p. 46-66.
22. Version sténographique des bandes magnétiques de RTL, citée in L’Insurrection étudiante.
2-13 mai 1968, op. cit., p. 348 ; Zoom, 14 mai, op. cit., 29’ 00”.
23. Cf. les travaux d’Audrey Leblanc, notamment L’Image de mai 68, du journalisme à
l’histoire, thèse, EHESS, 2015 et « Fixer l’événement. Le Mai 1968 du photojournalisme »,
Sociétés & Représentations, no 32, 2011 / 2, p. 57-76.
24. Mai 68, journal des comités d’action étudiants-travailleurs de Marseille-région, BDIC F
delta Rés 578 / 2.
25. PCF, s. d. [juin], BNF LB61-600 (6967) ; Bulletin d’adhésion PCF, s. d. [mai], BNF LB61-
600 (6982).
26. Profession de foi de Roger Mas, candidat de la FGDS, circonscription Mézières-Rethel,
élections législatives du 23 juin, AD Ardennes 22J13 ; Délégation départementale du PSU,
s. d. [juin], AD Pyrénées-Orientales 110J10 ; PSU, brouillon de profession de foi
[Antoinette Claux], document manuscrit, juin, ibid.
27. Institut d’études politiques de Paris, s. d., BNF LB61-600 (3388).
28. Pierre Ansart, La Gestion des passions politiques, op. cit., p. 179
29. Comité d’action de la rue Raymond-Losserand, s. d., BDIC 4 delta 191 Rés.
30. Préfecture de police, 2 juin, APP FB / 16*.
31. Cité in Filles de Mai, op. cit., p. 117.
32. Cité in Sara Maitland (éd.), Very Heaven. Looking Back at the Sixties, Londres, Virago,
1988, p. 209. Anne McDermid est agent littéraire, née aux États-Unis, installée en
Angleterre et séjourne alors à Paris.
33. Cité in Nicolas Daum, Mai 68 raconté par des anonymes, Paris, Éditions Amsterdam, 2008,
p. 138.
34. Groupe Medvedkine, Classe de lutte, SLON-Iskra, 1969. Cf. Bruno Muel et Francine Muel-
Dreyfus, « Week-ends à Sochaux », in Dominique Damamme, Boris Gobille, Frédérique
Matonti, Bernard Pudal (dir.), Mai-Juin 68, op. cit., p. 330 ; Cécile Canut, « Demain ce fut
mai. Politique sur paroles », in Cécile Canut, Jean-Marie Prieur (dir.), 1968-2008.
Événements de paroles, Paris, Michel Houdiard éditeur, 2011, p. 20 ; Xavier Vigna,
L’Insubordination ouvrière, op. cit., p. 21.
35. Michelle Zancarini-Fournel, « L’épicentre », art. cité, p. 263.
36. Leslie Kaplan, « Mai 68 », art. cité, p. 134.
37. Un si joli mois de Mai, op. cit., 31’ 30” sq.
38. Xavier Vigna, L’Insubordination ouvrière, op. cit., p. 116. Cf. Fanny Gallot, En découdre.
Comment les ouvrières ont révolutionné le travail et la société, Paris, La Découverte, 2015,
notamment p. 73-92.
39. La Reprise du travail aux usines Wonder est un film de douze minutes tourné par quatre
élèves de l’Institut des hautes études cinématographiques. Cf. Antoine de Baecque,
« Reprise d’Hervé Le Roux », in Philippe Artières, Michelle Zancarini-Fournel (dir.), 68.
Une histoire collective (1962-1981), op. cit., p. 272-275 ; Michelle Zancarini-Fournel, Les
Luttes et les Rêves, op. cit., p. 816 ; Et bien sûr le très beau film d’Hervé Le Roux, Reprise
(1996), qui lui est consacré.
40. Cf. Sylvie Chaperon, Les Années Beauvoir 1945-1970, Paris, Fayard, 2000, p. 342 et 348 ;
Michelle Zancarini-Fournel, « Genre et politique : les années 1968 », art. cité, p. 134 ;
Jacqueline Feldman, « Du FMA au MLF. Un témoignage sur les débuts du mouvement de
libération des femmes », in Vincent Porhel, Michelle Zancarini-Fournel (coord.), 68’
Révolution dans le genre ?, op. cit., p. 193-203.
41. Cité in Françoise Picq, Libération des femmes. Les années-mouvement, Paris, Seuil, 1993,
p. 12.
42. Lynne Segal, « She’s Leaving Home : Women’s Sixties Renaissance », art. cité, p. 37 ; Sally
Hines, « Riding the Waves : Feminism, Lesbian and Gay Politics, and the Transgender
Debates », in Gurminder K. Bhambra et Ipek Demir (éd.), 1968 in Retrospect. History,
Theory, Alterity, op. cit., 2009, p. 152 ; Eva Maleck-Lewy, Bernhard Maleck, « The
Women’s Movement in East and West Germany », in Carol Fink, Philipp Gassert, Detlef
Junker (éd.), 1968 : The World Transformed, op. cit., p. 377-379 ; Kristina Schulz,
« Feminist Echoes of 1968 : Women’s Movements in Europe and the United States », in
Ingrid Gilcher-Holtey, A Revolution of Perception ?, op. cit., p. 129.
43. Julie Pagis, Mai 68, un pavé dans leur histoire, op. cit., p. 65.
44. Cité in Filles de Mai, op. cit., p. 30.
45. De la misère en milieu étudiant…, op. cit., p. 8.
46. Mouvement du 22-Mars, Ce n’est qu’un début continuons le combat, op. cit., p. 11.
47. Wilhelm Reich, Der sexuelle Kampf der Jugend (1932), trad. fr. La Lutte sexuelle des
jeunes, Paris, Maspero, 1972, p. 127 et p. 88-90.
48. Cf. Janine Mossuz-Lavau, Les Lois de l’amour. Les politiques de la sexualité en France
(1950-2002), Paris, Payot, 1991, rééd. 2002, p. 287 sq. ; Florence Tamagne, Mauvais
genre ? Une histoire des représentations de l’homosexualité, Paris, La Martinière, 2001,
p. 200.
49. Daniel Guérin, Essai sur la révolution sexuelle, Paris, Belfond, 1969, p. 25.
50. Cahier de doléances du lycée Simone-Weil de Saint-Étienne, mai-juin, AD Loire 608W1 ;
CAL Decour, s. d., BDIC GF delta 113 / 1.
51. Expression, journal du lycée Pasteur de Neuilly, no 2, 18 juin, BDIC GF delta 113 / 1 ; RG
Saint-Nazaire, 8 juillet, AD Loire-Atlantique 1194W89*.
52. Michael Sibalis, « Mai 68 : le Comité d’action pédérastique révolutionnaire occupe la
Sorbonne », Genre, sexualité et société, no 10, octobre 2013, www.gss.revues.org/3009
consulté le 15 juin 2015.
53. Comité Censier, s. d. [juin 1968], BNF LB61-600 (932 et 925).
54. Françoise Héritier, Masculin / Féminin. La pensée de la différence, Paris, Odile Jacob, 1996,
p. 10-12.
55. Maurice Godelier, Avant-propos à Catherine Vidal et Dorothée Benoit-Browaeys, Cerveau,
sexe et pouvoir, Paris, Belin, 2005, p. 8-9.
56. Alain Giami, « Révolution sexuelle », in Janine Mossuz-Lavau (dir.), Dictionnaire des
sexualités, Paris, Robert Laffont, 2014, p. 728.
57. Gayle Rubin, « Thinking Sex. Notes for a Radical Theory of the Politics of Sexuality »
(1984), trad. fr. « Penser le sexe. Pour une théorie radicale de la politique de la sexualité »,
in Gayle Rubin, Surveiller et jouir. Anthropologie politique du sexe, Paris, EPEL, 2010,
p. 155 et p. 207.
58. Éric Fassin, « Démocratie sexuelle », Comprendre. Revue de philosophie et de sciences
sociales, no 6, 2005, p. 123-131.

CHAPITRE XI
LE TEMPS RAVIVÉ. CONSCIENCE HISTORIQUE ET TEMPORALITÉS
1. Dessins de Wolinski parus dans Action, no 3, 21 mai.
2. Walter Benjamin, Das Passagen-Werk, trad. fr. Paris capitale du XIXe siècle. Le Livre des
passages, Paris, Cerf, 1989, p. 479-480.
3. Jacques Durandeaux, Les Journées de Mai 68, Paris, Desclée de Brouwer, 1968, p. 12-15 et
129-130.
4. Antoine Chollet, Les Temps de la démocratie. Incertitude et autonomie du présent, doctorat,
IEP de Paris, 2009, p. 446.
5. Philippe Labro, Les Barricades de mai, op. cit., n. p. ; Alain Touraine, Le Communisme
utopique. Le mouvement de Mai (1968), rééd. Paris, Seuil, 1972, p. 149.
6. François Dosse, Renaissance de l’événement. Un défi pour l’historien : entre sphinx et
phénix, Paris, PUF, 2010, p. 241. Cf. Pierre Nora, « Le retour de l’événement » (1972), in
Jacques Le Goff, Pierre Nora (dir.), Faire de l’histoire, t. I : Nouveaux problèmes, Paris,
Gallimard, 1974, p. 226 sq.
7. Préfecture du Puy-de-Dôme, télégrammes au ministère de l’Intérieur, s. d., AD Puy-de-
Dôme 1100W16.
8. ENSBA, 28 mai, APP FB49 ; André Rouède, « La révolte des lycéens », Esprit, no 372, juin-
juillet, p. 1013 ; Jean Daniel, « Le grand chambardement », Le Nouvel Observateur, 22 mai
1968 ; Roland Cayrol, « La maison sans fenêtre », Tribune socialiste, no 374, 13 juin ;
Marcel Gabilly, « Attentisme », Le Figaro, 22 mai.
9. Cornelius Castoriadis, « La révolution anticipée », in Edgar Morin, Cornelius Castoriadis,
Claude Lefort, Mai 68. La Brèche (1968), rééd. Paris, Fayard, 2008, p. 129-132 et 146-148 ;
Tract de la FER, Besançon, s. d., BNF LB61-600(9060) ; AG des étudiants en lettres
modernes, Besançon, s. d., BNF LB61-600(9069) ; Anne Guérin, « Révolution ou
réparation ? », Les Temps modernes, no 266-267, août-septembre, p. 560.
10. Tract CFDT-CGT-FO-FEN Montbéliard-Audincourt, 25 mai, BNF LB61-600(9139) ; Jean
Daniel, « Le grand chambardement », Le Nouvel Observateur, 22 mai ; « Is It Too Late ? »,
The Economist, 1er juin.
11. Tract CFDT usine Jaeger de Caen, s. d., BNF LB61-600(8928) ; Syndicalisme. Magazine de
la CFDT, no 1191, 10 juin.
12. Jean Ferniot, 8 h 15. De de Gaulle à Pompidou, Paris, Plon, 1972, p. 18, 22, 29-31.
13. Claude Imbert, « L’affrontement », L’Express, 3 juin ; Jean-Marie Domenach, « L’ancien et
le nouveau », Esprit, no 372, juin-juillet, p. 1023-1026 ; Robert Tréno, « Ouf », Le Canard
enchaîné, 31 mai.
14. « Is It Too Late ? », art. cité.
15. Raymond Aron, La Révolution introuvable, op. cit., p. 33, 85, 134.
16. Jean Lacouture, « Pourquoi et depuis quand le drapeau noir », Le Monde, 5 juin 1968.
17. Mai 68. Notre lutte continue, s. d., BDIC F delta Rés 578 / 2.
18. FER, 24 mai, BNF LB61-600 (3810).
19. Louis Aragon, 10 juin, BNF LB61-600 (6948).
20. Centre d’information pour la révolution, s. d., BDIC F delta Rés 578 / 2.
21. Éric Fournier, La Commune n’est pas morte. Les usages politiques du passé, de 1871 à nos
jours, Paris, Libertalia, 2013.
22. Jacques Julliard, « Syndicalisme révolutionnaire et révolution étudiante », Esprit, no 372,
juin-juillet, p. 1037 ; Version sténographique des bandes magnétiques de RTL cité in
L’Insurrection étudiante. 2-13 mai 1968, op. cit., p. 347 ; André Sernin, Journal d’un
bourgeois de Paris, op. cit., p. 42 ; Mouvement du 22-Mars, Ce n’est qu’un début
continuons le combat, op. cit., p. 74.
23. « Camarades, la Commune n’est pas morte ! », écrivent les rédacteurs d’un tract pour un
mouvement révolutionnaire au lycée Rodin à Paris (s. d., BDIC F delta 861 / 2/1). Kristin
Ross parle de « vie après la mort de la Commune » (Kristin Ross, L’Imaginaire de la
Commune, op. cit., p. 13).
24. Préfecture de police, 3 juin, APP FB / 16* ; État-major des RG, 8 juin, APP FB / 17* ;
Préfecture de police, 10 juin, APP FB / 18* ; RG Saint-Étienne, 29 mai, AD Loire 650 VT
101* ; Tract, 22 juin, BNF LB61-600 (874).
25. La Base, s. d., BDIC F delta Rés 578 / 2 ; André Barjonet, La Révolution trahie de 1968,
op. cit., p. 42 ; « Pour l’abolition du statut des étrangers en France », s. d., BNF LB61-600
(4650).
26. La Commune, s. d., AN 78AJ33 ; Affiche, 1er juin, APP FB / 16* ; Action, no 4, 5 juin ; « De
sang froid », id., no 7, 11 juin ; Id., no 17, 25 juin.
27. Action, no 17, 25 juin.
28. Cité in Bernard Brillant, Les Clercs de 68, op. cit., p. 405.
29. André Glucksmann, Stratégie de la révolution, op. cit., p. 60.
30. Leslie Kaplan, « Mai 68 », art. cité, p. 138.
31. Commission « Luttes ouvrières », Assas, 22 mai, BNF LB61-600 (209) ; Mouvement du 22-
Mars, Ce n’est qu’un début continuons le combat, op. cit., p. 72.
32. Xavier Vigna, « La CGT et les grèves ouvrières en mai-juin 1968 : une opération paradoxale
de stabilisation », art. cité, p. 199.
33. CGT, Syndicat des travailleurs horaires Renault, 3 juillet, BNF LB61-600 (8175) ; Id.,
30 septembre, BNF LB61-600 (8184).
34. Appel des ouvriers de Sud-Aviation, 3 juin, BNF LB61-600 (8323) ; Tract du comité
d’action de la faculté de Besançon, 1er juin, BNF LB 61600-(9080) ; Tract de l’Union locale
CNT de Marseille, s. d. [20 mai ?], BNF LB61-600(8809 et 8810) ; Action, no 3, 21 mai.
35. Xavier Vigna, « Le crible de la mémoire : usage du passé dans les luttes ouvrières des
années 68 », in Marilyne Crivello, Patrick Garcia, Nicolas Offenstadt (dir.), Concurrence
des passés. Usages politiques du passé dans la France contemporaine, Aix-en-Provence,
Publications de l’université de Provence, 2006, p. 149.
36. Voix ouvrière, 26 février, BNF LB61-600 (7514).
37. Comités Vietnam de base, s. d. [février], BNF LB61-600 (4596).
38. « Le bureau national de l’UNEF aux organisations syndicales », s. d., APP FB 49 ; Tract,
« Une ex-gaulliste “enragée” », s. d., BNF LB61-600 (7396).
39. Le Monde, 24 mai, cité par Michelle Zancarini-Fournel, « L’épicentre », art. cité, p. 246.
40. UEC de Strasbourg, 23 mai, BDIC F delta 1061(9)-I.
41. « Divergences dans les associations d’anciens combattants », Le Monde, 31 mai ; CDR
Caen, 18 juin, BNF LB61-600(8926) ; Tract des jeunes du CDR, Dijon, 15 mai, BNF LB61-
600(9080) ; Jacques Perret, Inquiète Sorbonne, Paris, Hachette, 1968, p. 643.
42. Zoom, 14 mai, op. cit., 08’ 50” ; Collectif ARC, CA 13, juin, 27’ 00” ; CAL, « Mobilisation
générale », s. d. [4 mai ?], BDIC GF delta 113 / 1 ; Tract SNESup et UNEF, Marseille,
11 mai, BNF LB61-600(8813) ; Union locale CGT du 15e arrondissement, 13 mai, BNF
LB61-600 (5733) ; SNESup, s. d. [11 mai ?], BNF LB61-600 (5777) ; CFDT Vendée,
« Liberté liberté chérie… », s. d. [début juin], CDHMOT Vendée.
43. Nicolas Hatzfeld, Cédric Lomba, « La grève de Rhodiaceta en 1967 », art. cité, p. 107-108 ;
RG Meuse, 14 mai, AD Meuse 1251W2660* ; Jean-Philippe Talbo, La Grève à Flins, Paris,
Maspero, 1968, p. 57-58 ; Jean-Paul Sartre, « Les bastilles de Raymond Aron », Le Nouvel
Observateur, 19 juin.
44. Johann Gustav Droysen, Geschichte der preussischen Politik (1855), cité in Reinhart
Koselleck, « Geschichte » (1975), trad. fr. « Le concept d’histoire » in id., L’Expérience de
l’histoire, Paris, Gallimard-Seuil, 1997, p. 97.
45. Jean Ferniot, 8 h 15. De de Gaulle à Pompidou, op. cit., p. 29.
46. Xavier Vigna, L’Insubordination ouvrière, op. cit., p. 35.
47. Note des RG, 3 juin, APP FB / 16* ; Collectif ARC, CA 13, juin, 14’ 36”.
48. Motion de l’AG de la faculté des lettres de Caen, 13 juin, BNF LB61-600(8948) ; Jacques-
Arnaud Penent, « Le retour des bâtons », Combat, 18 juin ; Mai-juin 1968. Directives
d’action, 1968, Fonds Fondation nationale des sciences politiques, BR 4o 274(8), p. 14.
49. Cité in André Barjonet, La Révolution trahie, op. cit., p. 40 ; Intervention au Comité central
des 8 et 9 juillet, AD Seine-Saint-Denis, 261J244 ; René Andrieu, Les Communistes et la
révolution, Paris, Julliard, UGE, 1968, p. 103 ; Guy Besse, « Marxisme et jeunesse »,
France Nouvelle, 15 octobre 1969, Robert Tréno, « Ouf », art. cité.
50. Tract s. d. [août ?], BNF LB61-600(9153) ; Comités d’action Sorbonne, Vincennes,
Nanterre, Après Mai 1968, les plans de la bourgeoisie et du mouvement révolutionnaire,
Paris, Maspero, 1969, p. 21.
51. Max Horkheimer, texte paru dans Zeitschrift für Sozialforschung, 1934, cité in Michael
Löwy, Walter Benjamin : avertissement d’incendie. Une lecture des thèses « Sur le concept
d’histoire », Paris, PUF, 2001, p. 36-37.
52. Alain Schnapp, Pierre Vidal-Naquet, Journal de la commune étudiante, op. cit., p. 46.
Quatrième partie
Changer la vie
Projets et futurs imaginés

CHAPITRE XII
DEMANDER LE POSSIBLE. PRATIQUES DE LA CRITIQUE
ET IMAGINATION POLITIQUE

1. Cf. Roberto Frega, Pragmatist Epistemologies, Lexington, Lanham, 2011 ; Id., « The
Normative Structure of Ordinary », European Journal of Pragmatism and American
Philosophy, 7 (1), p. 54-76 ; Id., « Qu’est-ce qu’une pratique ? », in Francis Chateaureynaud
et Yves Cohen (dir.), Histoires pragmatiques, Paris, Éditions de l’EHESS, 2016, p. 321-347.
2. Luc Boltanski, De la critique. Précis de sociologie de l’émancipation, Paris, Gallimard,
2009, p. 48-56.
3. Yannick Barthe et Cyril Lemieux, « Quelle critique après Bourdieu ? », Mouvements, no 24,
2002 / 5, p. 36.
4. Bernard Brillant, Les Clercs de 68, op. cit., p. 262 et 300.
5. L’Épi, journal du lycée Claude-Fauriel de Saint-Étienne, no 1, s. d., AD Loire 608W1.
6. Beaux-Arts Rennes, 10 mai, BNF LB61-600 (9289) ; ENSBA, 17 mai, APP FB / 50.
7. Antoine de Baecque, « L’Odéon et la révolution », art. cité, p. 217 ; Pascale Goetschel,
Renouveau et décentralisation du théâtre, op. cit., p. 361 ; Id., « Mai 68 au théâtre :
affirmation d’une identité professionnelle singulière et plurielle », art. cité, p. 282-283 ;
Marie-Ange Rauch, Le Théâtre en France en 1968, op. cit. ; Emmanuelle Loyer, « 1968,
l’an I du tout culturel ? », L’Ombre portée de Mai 68, numéro de Vingtième Siècle. Revue
d’histoire, no 98, 2008 / 2, p. 104 sq. ; Sébastien Layerle, Caméras en lutte en Mai 68, Paris,
Nouveau Monde Éditions, 2008 ; Sonia Bruneau, Les Cinéastes insurgés en Mai 68 : des
hommes et des films pris dans l’événement. Éléments pour une socio-histoire des États
généraux du cinéma (1956-1998), université de Paris-III, 2008.
8. Comité d’action du cinéma libre, s. d., BNF LB61-600 (2909) ; Comité d’action cinéma,
faculté de Censier, 30 mai, BNF LB61-600 (2912).
9. Comité d’action de la danse, s. d., BNF LB61-600 (2819) ; Danse, réunion au Petit-Odéon,
28 mai, BNF LB61-600 (2821) ; Avant-projet de réforme de l’enseignement de la danse,
23 juin, BNF LB61-600 (2826).
10. Jean-Louis Violeau, Les Architectes et Mai 68, Paris, Éditions Recherche, 2005, notamment
p. 88-91.
11. École d’architecture de Marseille, 26 mai, APP FB / 50 ; ENSBA, 18 mai, BNF LB61-600
(3162).
12. Rapport de la commission « Déféodalisation » de l’architecture, 20 mai, BNF LB61-600
(3184-3185).
13. « Non aux bidonvilles. Non aux villes-bidons », s. d. [juin], BDIC F delta 813 / 7 ;
Confédération nationale des Associations populaires familiales, 21 mai, AD Nord
1008W17 / 6* ; « Suggestion faite par l’architecte des Bâtiments de France (fonctionnaire
salarié) de Saône-et-Loire », s. d., APP FB / 50.
14. Assemblée générale des sous-commissions du musée de l’Homme, 22 mai, BNF LB61-600
(2712) ; Propositions immédiates et pratiques pour l’animation du musée de l’Homme,
18 juin, BNF LB61-600 (2743) ; Musée de l’Homme, rapport de la sous-commission 3
(Enseignement), 23 mai, BNF LB61-600 (2738).
15. Emmanuelle Loyer, « Les nuits blanches de l’Odéon », art. cité, p. 198 ; Pascale Goetschel,
« Mai 68 au théâtre : affirmation d’une identité professionnelle singulière et plurielle »,
art. cité, p. 283 ; Robert Mencherini, « Marseille, la longue durée et les Belles de Mai », in
Bruno Benoit, Christian Chevandier, Gilles Morin, Gilles Richard, Gilles Vergnon (dir.), À
chacun son Mai ?, op. cit., p. 116-117 ; RG PACA, 14 juin, AD Bouches-du-Rhône
135W350* ; RG Vienne, 30 mai, AD Vienne 1939W5* ; MJC de Palaiseau, s. d., BNF
LB61-600 (8060) ; RG, 8 juin, APP FB17*.
16. Razmig Keucheyan, Hémisphère gauche. Une cartographie des nouvelles pensées critiques,
Paris, La Découverte, 2013, p. 9.
17. Michel Foucault, « Qu’est-ce que la critique ? », 27 mai 1978, in Qu’est-ce que la critique ?,
Paris, Vrin, 2015, p. 39.
18. « Des chercheurs en sciences sociales dénoncent l’utilisation frauduleuse des sondages
d’opinion », s. d. [6 juin], BDIC F delta 813 / 7.
19. Affiche, s. d., AD Calvados 1520W138*.
20. Éric Lagneau et Sandrine Lévêque, « Les journalistes dans la tourmente », in Dominique
Damamme, Boris Gobille, Frédérique Matonti, Bernard Pudal (dir.), Mai-Juin 68, op. cit.,
p. 361 ; Béatrice Donzelle, « France Inter en Mai 68, trois regards sur les événements », in
Christian Delporte, Denis Maréchal, Caroline Moine, Isabelle Veyrat-Masson (dir.), Images
et sons de Mai 68, op. cit., p. 15.
21. « L’ORTF en grève », s. d., BDIC F delta 1061(9)-I ; Circulaire de l’Union régionale
parisienne CFDT, 7 juin, BDIC F delta 813 / 7 ; Intersyndicale de l’ORTF, juin, AD
Charente-Maritime 181AJ195. La Caméra explore le temps est une série créée par Stellio
Lorenzi, André Castelot et Alain Decaux, qui a cessé d’être diffusée en mars 1966. Cf. Jean-
Pierre Filiu, Mai 68 à l’ORTF. Une radio-télévision en résistance, Paris, Nouveau Monde
Éditions, 2008.
22. Michel Foucault, « Le souci de la vérité » (1984), repris in Dits et Écrits, t. IV, op. cit.,
p. 734.
23. Tract faculté de médecine de Paris, s. d. [début juin], BNF LB61-600 (865) ; Faculté de
médecine de Paris, s. d., BNF LB61-600 (891) ; Comité de synthèse des étudiants en
médecine de Paris, Livre blanc de la réforme, 1968, AD Vienne 1558W18.
24. Service de cardiologie à l’hôpital Broussais, 17 mai, intervention du docteur Z., cité in Alain
Schnapp, Pierre Vidal-Naquet, Journal de la commune étudiante, op. cit., p. 659-663 ; Alain
Zweibaum, « L’affaire Soulié », Le Nouvel Observateur, 26 août ; « Mort et résurrection
d’un mandarin. Le cas du professeur Pierre Soulié », Esprit, décembre, p. 772.
25. Relation des événements survenus au Conseil national [de l’ordre des médecins], 22 mai,
AN 78AJ37 / 5.
26. « Médecine ouvre ses portes », 29 juin, BNF LB61-600 (880) ; La Voix du Nord, 31 mai ;
Comité de synthèse des étudiants en médecine de Paris, Livre blanc de la réforme, 1968, AD
Vienne 1558W18 ; Faculté de médecine de Paris, mai, BDIC F delta 861 / 2/1 ; Christian
Chevandier, « L’hôpital à la poursuite de son mois de Mai », in Bruno Benoit, Christian
Chevandier, Gilles Morin, Gilles Richard, Gilles Vergnon (dir.), À chacun son Mai ?,
op. cit., p. 183-185.
27. « Tarbes : pour la première fois, des “blouses blanches” dans la rue », La Dépêche du Midi,
15 mai ; Syndicat départemental des médecins de la Vendée, 28 mai, CDHMOT Vendée ;
CFDT Vendée, s. d., ibid. ; Syndicat professionnel des masseurs kinésithérapeutes du Nord,
24 mai, AD Nord 1008W17 / 6* ; Conclusions des séances de travail des 17 et 18 mai,
faculté de médecine, BNF LB61-600 (627) ; Texte du comité d’action des étudiants en
kinésithérapie de Paris, 17 mai, BNF LB61-600 (646).
28. Syndicat national des psychologues praticiens diplômés, au ministre des Affaires sociales,
Lille, 29 mai, AD Nord 1008W 17/6 ; Psychologie, Censier, 20 mai, BNF LB61-600 (918) ;
Journal d’information de la faculté de médecine de Paris, 14 juin, AN 78AJ34.
29. Strasbourg, Université critique et populaire, juin, BDIC F delta 1061(9)-I ; ESU section
« Médecine », s. d., BNF LB61-600 (3769).
30. HEC, s. d., BNF LB61-600 (2894) ; Projet de création d’un enseignement des sciences
sociales à HEC, s. d., BNF LB61-600 (2888) ; Projet remanié d’enseignement à l’École
centrale, 7 juin, BNF LB61-600 (2888) ; Commissions inter-écoles de Nancy, 31 mai, AD
Loire-Atlantique 171J16.
31. Assises nationales des facultés des sciences, Clermont-Ferrand, 8-10 juin, BDIC F delta
1061(9)-I ; Comité d’action révolutionnaire, Nanterre, 3 juin, BNF LB61-600 (1180) ;
Nanterre, 11 juin, BNF LB61-600 (1202).
32. MAU, 26 avril, BNF LB61-600 (3850) ; Jacques Ozouf, « Passeront-ils les examens ? », Le
Nouvel Observateur, no 184, 22 au 28 mai ; Boris Gobille, « L’événement 68 », art. cité,
p. 331.
33. Nantes, compte rendu de la commission sur le rôle de l’université, s. d., AD Loire-
Atlantique 171J16 ; AG des étudiants et enseignants des sections de psychologie,
philosophie, sociologie de la faculté des lettres et sciences humaines de Montpellier, 9 mai,
BNF LB61-600 (9273) ; « Vive la révolte des étudiants de Paris », 7 mai, AD Rhône
2690W1 ; Dany Cohn-Bendit, Jean-Pierre Duteuil, Bertrand Gérard, Bernard Granautier,
« Pourquoi des sociologues », art. cité.
34. Nantes, commission « Rôle de l’université », s. d., AD Loire-Atlantique 171J16 ;
Strasbourg, commission pédagogique, 5 juin, BDIC F delta 1061(9)-I ; Faculté d’Orsay,
7 juin, BNF LB61-600 (2161) ; Id., 22 mai, BNF LB61-600 (2176).
35. Cf. Robi Morder, « Grèves et mouvements lycéens », in Philippe Artières, Michelle
Zancarini-Fournel (dir.), 68. Une histoire collective, op. cit., p. 386. Les différents courants
du trotskisme y sont très investis, comme en témoignent les rôles respectifs que jouent
Maurice Najman et Michel Recanati (cf. Bernard Brillant, Les Clercs de 68, op. cit., p. 181).
RG Corse, 20 mai, AD Bouches-du-Rhône 135W350* ; Charles Spinasse, maire d’Égletons,
lettre au préfet de Corrèze, 13 mai, AD Corrèze 1540W364 ; Lycée Jules-Verne de Nantes,
28 mai, AD Loire-Atlantique 203J7 ; CAL de Mignet, mai, AD Bouches-du-Rhône
135W351* ; Lycées Louis-Barthou, Marguerite-de-Navarre, Saint-Cricq, Nay et Écoles
normales de Pau, AD Rhône 2690W2 ; Cahier de doléances du lycée Simone -Weil de
Saint-Étienne, mai-juin, AD Loire 608W1.
36. « Débats constructifs des lycéens », L’Est républicain, 30 mai ; CAL Decour, s. d., BDIC
GF delta 113 / 1 ; CAL Saint-Sernin, s. d., BNF LB61-600 (9233) ; Strasbourg, comité de
liaison lycéen pour la continuation de la lutte, 7 juin, BDIC F delta 1061(9)-I ; Comité
d’action des lycéens de Saint-Nazaire, s. d., AD Loire-Atlantique 355W216.
37. « Un face à face passionnant et constructif », L’Est républicain, 29 mai ; « Atmosphère
bouillonnante au lycée Claude-Gelée », L’Est républicain, 22 mai ; RG Ardennes, 4 juin,
AD Ardennes 1695W397 ; RG Boulogne-sur-Mer, 11 mai, AD Pas-de-Calais 1183W207* ;
Jean Vavasseur-Desperriers, « Béthune et sa région en Mai 68 », in Bruno Benoit, Christian
Chevandier, Gilles Morin, Gilles Richard, Gilles Vergnon (dir.), À chacun son Mai ?,
op. cit., p. 132 ; Le comité de grève élu du CET de Bel-Ombre, 18 mai, AD Puy-de-Dôme
106J13 ; Tract s. d., AD Rhône 2690W1.
38. Leslie Kaplan, « Mai 68 », art. cité, p. 143.
39. Denis Pelletier, « Une gauche sans domicile fixe », in Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel
(dir.), À la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Paris,
Seuil, 2012, p. 18-35 ; Frédéric Gugelot, « Intellectuels chrétiens entre marxisme et
évangélisme », in ibid., p. 183-185 ; Jérôme Bocquet, « Un dreyfusisme chrétien pendant la
guerre d’Algérie », in ibid., p. 186-213 ; Jean-Louis Schlegel, « Changer l’Église en
changeant la politique », in ibid., p. 216 et 220 ; Julie Pagis, Mai 68, un pavé dans leur
histoire, op. cit., p. 46-49 ; Hervé Serry, « Église catholique, autorité ecclésiale et politique
dans les années 1960 », in Dominique Damamme, Boris Gobille, Frédérique Matonti,
Bernard Pudal (dir.), Mai-Juin 68, op. cit., p. 49 ; Grégory Barrau, Le Mai 68 des
catholiques, Paris, Éditions de l’Atelier-Éditions Ouvrières, 1998 ; Denis Pelletier, La Crise
catholique : religion, société, politique en France (1965-1978), Paris, Payot, 2002.
40. Déclaration de l’Action catholique ouvrière le 20 mai, AD Meuse 1251W2660* ; Reims-
Ardennes, Hebdomadaire du diocèse de Reims, 2 juin, AD Ardennes 1695W397 ; RG
Toulouse, 15 mai, AD Haute-Garonne 5681W12* ; Préfecture du Calvados, 19 juin, AD
Calvados 1520W138* ; Réunion du groupe de liaison et d’information régional sur l’activité
des mouvements révolutionnaires, Poitiers, 22 juillet, AD Vienne 2851W80* ; RG Vienne,
8 juillet, AD Vienne 1939W4* ; RG Loire, 12 septembre, AD Loire 650 VT 103* ; RG
Ardennes, 23 mai, AD Ardennes 1695W397* ; Les prêtres du secteur de Chantenay, Nantes,
s. d., CHT Nantes, Fonds 1968, 6-21 ; Des prêtres de la région parisienne, s. d., ANMT
Roubaix, Fonds Maurice-Badiche, 2007 071 053.
41. RG Vosges, 27 mai, AD Vosges 1998W157 ; RG Bar-le-Duc, 23 mai, AD Meuse
1251W2660*.
42. Christian Bougeard, « Le moment 1968 en Bretagne », art. cité, p. 35 ; Lettre de l’évêque de
Nantes Michel Vial, 26 mai, CHT Nantes, Fonds 1968, 6-21 ; Hervé Serry, « Église
catholique, autorité ecclésiale et politique dans les années 1960 », art. cité, p. 56.
43. Faculté de théologie, 31 mai, BNF LB61-600 (3411) ; Boris Gobille, « La vocation
d’hétérodoxie », Boris Gobille, « La vocation d’hétérodoxie », in Dominique Damamme,
Boris Gobille, Frédérique Matonti, Bernard Pudal (dir.), Mai-Juin 68, op. cit., p. 277 pour la
« décléricalisation » ; Yann Raison du Cleuziou, « À la fois prêts et surpris : les chrétiens en
Mai 68 », in Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel, À la gauche du Christ, op. cit., p. 243.
44. Des catholiques nazairiens, juillet, AD Loire-Atlantique 1194W89*.
45. Georges Montaron, « Chrétiens dans la révolution », Témoignage chrétien, 6 juin.
46. Sabine Rousseau, Françoise Vandermeersch. L’émancipation d’une religieuse, Paris,
Khartala, 2013, p. 66-73 ; Yann Raison du Cleuziou, « À la fois prêts et surpris : les
chrétiens en Mai 68 », art. cité, p. 238-240.
47. Michel Blaise, Xavier Carrard, Hervé Chaigne, Raymond Domergue, Bertrand Duclos, Guy
Lassartesses, Maurice Mainhagu, Francis Arion, René Marty, Yves Peyrou, Odile Touzet,
Michel Touzet, « Des étudiants de Mai aux urnes de Juin », Frères du Monde, juin, AD
Charente-Maritime Fonds Jean-Paul Salles 176AJ1.
48. Michel Leiris, Journal 1922-1989, Paris, Gallimard, 1992, p. 627 (31 août) ; Faculté de
médecine de Paris, papillons et affiches manuscrites, s. d., BNF LB61-600 (908).

CHAPITRE XIII
CHANGER DE BASE. CHANGER DE BASE. AUTONOMIE,
AUTOGESTION ET ÉMANCIPATION

1. « Nous travailleurs des magasins de la FNAC » (Lille), 24 mai, AD Nord J 1582 / 20 ;


Allocution de Georges Séguy, 21 mai, ANMT Roubaix, Fonds Eugène-Descamps,
2002 009 0060.
2. Comité de coordination des étudiants de Strasbourg, s. d. [12 mai] ; Assemblée de
géographie, Strasbourg, 13 mai ; Conseil autonome de l’université autonome de Strasbourg,
13 mai, ibid. ; Texte enseignants de Strasbourg, 15 mai ; Proposition de définition et
d’organisation des conseils étudiants faits par une commission à la faculté des sciences de
Strasbourg, 15 mai, BDIC F delta 1061(9)-I.
3. Manifeste universitaire de mai, BNF LB61-600 (3380).
4. Colloque Interfacs de médecine, Tours, 2 juin, AD Nord J 1138.
5. Document Strasbourg, 6 juin, BDIC F delta 1061(9)-I.
6. Faculté de droit de Paris, CELU, 17 mai, citée in Alain Schnapp, Pierre Vidal-Naquet,
Journal de la Commune étudiante, op. cit., p. 690-691.
7. Bernard Brillant, Les Clercs de 68, op. cit., p. 174.
8. Résolution adoptée par le conseil d’administration de la FNEF, 10 mai, AD Rhône
2690W1 ; Procès-verbal de la réunion de la commission paritaire, Assas, 27 mai, BNF
LB61-600 (166) ; Non-retour. Revue théorique de la révolution de mai ; Assises nationales
de Strasbourg, rapport de Lyon, 8-10 juin ; Université autonome de Strasbourg, 8 juin,
BDIC F delta 1061(9)-I ; Commission préparatoire au Comité national de Strasbourg, s. d.,
BNF LB61-600 (2261) ; Beaux-Arts, commission critique de l’université de classe, 22 mai,
APP FB50 ; Coordination des comités d’action, 19 mai, BNF LB61-600 (4765) ; CNUF
Toulouse, s. d., BNF LB61-600 (9214) ; Toulouse, argumentaire adhésion UNEF, s. d., BNF
LB61-600 (9201) ; Faculté des sciences d’Orsay, 17 juin, BNF LB61-600 (2171) ;
Commission SNESup et comité de grève, s. d., BNF LB61-600 (2087).
9. Proposition de la commission sur l’autonomie, Nanterre, s. d. [14 mai ?], citée in Alain
Schnapp, Pierre Vidal-Naquet, Journal de la Commune étudiante, op. cit., p. 716-719.
10. Commission SNESup et comité de grève, s. d., BNF LB61-600 (2087).
11. Faculté des sciences d’Orsay, rapport de la commission « Cogestion », 27 mai, BNF LB61-
600 (2167).
12. Comité de grève de l’Institut Henri-Poincaré, s. d., BNF LB61-600 (2069).
13. Frank Georgi (dir.), Autogestion. La dernière utopie ?, Paris, Publications de la Sorbonne,
2003, p. 9.
14. Frank Georgi, « La France et la circulation internationale de l’utopie autogestionnaire », in
Geneviève Dreyfus-Armand (dir.), Les Années 68, un monde en mouvement. Nouveaux
regards sur une histoire plurielle (1962-1981), Paris, Syllepse, 2008, p. 83. Cf. aussi Marie-
Geneviève Dezès, « L’utopie réalisée : les modèles étrangers mythiques des auto--
gestionnaires français », in Frank Georgi (dir.), Autogestion. La dernière utopie ?, op. cit.,
p. 33 sq.
15. Michel Trebitsch, « Henri Lefebvre et l’autogestion », in ibid., p. 65-66.
16. Claudie Weill, « La revue Autogestion comme observatoire des mouvements
d’émancipation », L’Homme et la Société, no 132-2, 1999, p. 29-36 et id., « La revue
Autogestion », in Frank Georgi (dir.), Autogestion. La dernière utopie ?, op. cit., p. 55 sq.
17. « L’autogestion, l’État et la révolution », Rouge et Noir, supplément au no 41, mai.
18. Frank Georgi, L’Invention de la CFDT, 1957-1970. Syndicalisme, catholicisme et politique
dans la France de l’expansion, Paris, Éditions de l’Atelier-CNRS Éditions, 1995, p. 452.
19. Frank Georgi, Eugène Descamps : chrétien et syndicaliste, Paris, Éditions de l’Atelier, 1997,
p. 293.
20. Cité in Frank Georgi, « Jeux d’ombres. Mai, le mouvement social et l’autogestion (1968-
2007) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, op. cit., p. 31.
21. CFDT Chimie Paris, juillet, ANMT Roubaix, Fonds Eugène-Descamps, 2002 009 0059.
22. Lille, Comité d’action étudiants-ouvriers, s. d., AD Nord, J 1582 / 20 ; CFDT, syndicat
Renault des travailleurs de l’automobile, 13 septembre, BNF LB61-600 (8143) ; Sud-
Aviation Courbevoie, s. d. [fin mai], BNF LB61-600 (8321).
23. Vincent Porhel, Ouvriers bretons. Conflits d’usines, conflits identitaires en Bretagne dans
les années 1968, Rennes, PUR, 2008, p. 61-91 ; Id., « L’autogestion à l’usine CSF de
Brest », in Geneviève Dreyfus-Armand, Robert Frank, Marie-Françoise Lévy, Michelle
Zancarini-Fournel (dir.), Les Années 68, op. cit., p. 379-398 ; Syndicalisme. Magazine de la
CFDT, no 1191, 10 juin.
24. Compte rendu de la réunion du 6 juin sur l’autogestion, s. d., BDIC F delta 813 / 7.
25. Tribune du 22-Mars, 8 juin, ibid.
26. Raymond Aron, La Révolution introuvable, op. cit., p. 123-128.
27. Faculté des sciences d’Orsay, 27 mai, BNF LB61-600 (2167).
28. Cité par Alexis Bonnet, « L’autogestion et les cédétistes lyonnais », in Geneviève Dreyfus-
Armand, Robert Frank, Marie-Françoise Lévy, Michelle Zancarini-Fournel (dir.), Les
Années 68, op. cit., p. 366.
29. UD CFDT du Calvados, 18 mai, AD Calvados 1996JP11 / 243.
30. Union confédérale des ingénieurs et cadres CFDT, septembre, ANMT Roubaix, Fonds
Eugène-Descamps, 2002 009 0060.
31. Tribune du 22-Mars, 8 juin, citée.
32. Donatien Alphonse François de Sade fait l’objet d’un développement dans le Traité de
savoir-vivre à l’usage des jeunes générations : pour Raoul Vaneigem, Sade témoigne d’une
volonté révolutionnaire par la jouissance sans limite et une subjectivité dégagée des
hiérarchies (op. cit., p. 262). Cf. aussi Maurice Blanchot, Lautréamont et Sade, Paris,
Minuit, [1949] rééd. 1963.
33. Alain Touraine, Le Communisme utopique, op. cit., p. 55-56.

CHAPITRE XIV
LE ROUGE ET LE NOIR. QUELQUES IMAGINAIRES
RÉVOLUTIONNAIRES

1. Henri Lefebvre, L’Irruption de Nanterre au sommet, op. cit., p. 32.


2. Serge Velay, L’Intempestif, op. cit., p. 15.
3. Maurice Blanchot, La Communauté inavouable, op. cit., p. 53-54.
4. En 1969, Georges Moustaki créera la chanson « Sans la nommer » qui évoque la
« révolution permanente » en « bien-aimée » : « une fille bien vivante qui se réveille à des
lendemains qui chantent sous le soleil », « celle que l’on matraque, que l’on poursuit, que
l’on traque », « celle qui se soulève, qui souffre et se met en grève ».
5. Comité Enragés-Internationale situationniste-Conseil pour le maintien des occupations,
30 mai, BNF LB61-600 (7391) ; La Quatrième Internationale, 3 juin, BDIC F delta 137
Rés / 1968 / 1.
6. Pétition, Collège de France, s. d., BNF LB61-600 (2790) ; Danse, réunion au Petit-Odéon,
28 mai, BNF LB61-600 (2821) ; Groupe biblique universitaire de Paris, s. d., AD Nord
J 1582 / 20.
7. Jean Lebouleux, « Genet : non aux idoles, oui à l’homme », Combat, 31 mai, cité in Bernard
Brillant, Les Clercs de 68, op. cit., p. 216 ; Document faculté des sciences, s. d. [juin], BNF
LB61-600 (2135) ; Union des jeunes contre le progrès, s. d. APP FB / 49 ; RG Saint-
Nazaire, 11 juin, AD Loire-Atlantique 1194W89* ; RG Roanne, 30 juillet, AD Loire 650
VT 102* ; Le préfet des Pays de la Loire aux maires, 16 juillet, AD Loire-Atlantique
1194W89*.
8. Affiche UJP, s. d., BNF LB61-600 (7435) ; Banderole CDR, s. d., AN 78AJ37 / 1 ;
Occident, « Une jeunesse révolutionnaire au service de la nation », s. d., BDIC F delta 62
Rés.
9. Maurice Clavel, « En plein gâtisme », art. cité ; Pierre-Joseph Proudhon, Idée générale de la
révolution au XIXe siècle (1851), cité in Alain Rey, « Révolution ». Histoire d’un mot, Paris,
Gallimard, 1989, p. 269.
10. « C’est seulement lorsque ceux d’en bas ne veulent plus et que ceux d’en haut ne peuvent
plus continuer de vivre à l’ancienne manière, c’est alors seulement que la révolution peut
triompher » (Lénine, La Maladie infantile du communisme, 1920).
11. L’Insurgé. Organe du cercle JCR de Charlemagne, no 3 spécial, s. d., BDIC GF delta
113 / 1.
12. Groupes d’action démocratique des soldats d’Angers et de Saumur, s. d., AD Ille-et-Vilaine,
510W122* ; Affiche collée sur la caserne Chanzy au Mans, 11 juin, ibid.
13. Comité d’action « Cinéma », faculté de Censier, 30 mai, BNF LB61-600 (2912) ; André
Barjonet, La Révolution trahie de 1968, op. cit., p. 6 ; Jacques Sauvageot, « Les ouvriers
réclament avec nous un gouvernement populaire », Le Nouvel Observateur, no 185, 30 mai.
14. Direction internationale de la Tendance marxiste révolutionnaire, de la IVe Internationale,
s. d. [15 mai ?], BNF LB61-600 (7419) ; Conférence de presse de Daniel Cohn-Bendit,
Sorbonne, 1er juin, BDIC F delta 813 / 7.
15. Comité Censier, 7 juin, BNF LB61-600 (931).
16. André Sernin, Journal d’un bourgeois de Paris, op. cit., p. 43.
17. Tribune du 22-Mars, 5 juin, BDIC F delta 813 / 7 ; Jacques Sauvageot, conférence de presse
UNEF-CFDT, 20 mai, ANMT Roubaix, Fonds Eugène-Descamps, 2002 009 0059 ; Parti
communiste internationaliste, 31 mai, BDIC F delta 861 / 2/1.
18. Comité d’action révolutionnaire ouvriers-étudiants, s. d., BDIC F delta 861 / 2/1.
19. « Les enfants de Marx et du 13 mai », Action, no 2, 13 mai ; Clermont-Ferrand, comité de
grève, s. d., AD Puy-de-Dôme 106J13 ; Comité Enragés-Internationale situationniste-
Conseil pour le maintien des occupations, 30 mai, BNF LB61-600 (7391).
20. D’après l’enquête menée auprès des membres du Conseil politique national en
décembre 1966, 53  % des responsables nationaux se réclament du marxisme (20  % se
rattachent à l’humanisme laïque, 18  % au socialisme moderne ou démocratique et 7  % au
christianisme) (cf. Jean-François Kesler, La Gauche dissidente au nouveau PS : les
minorités qui ont rénové le PS, Toulouse, Privat, 1990, P. 413-414). Jean-Philippe Martin et
Yannick Drouet qualifient le PSU de « parti marxiste », mais c’est la seule occurrence dans
l’ensemble de l’ouvrage consacré au « PSU vu d’en bas », Jean-Philippe Martin et Yannick
Drouet, « Un militantisme paysan à gauche. Des réseaux paysans de Bernard Lambert (au
PSU) à ceux de l’OC-GOP (années 1960-années 1970) », in Tudi Kernalegenn, François
Prigent, Gilles Richard, Jacqueline Sainclivier (dir.), Le PSU vu d’en bas. Réseaux sociaux,
mouvement politique, laboratoire d’idées (années 1950-années 1980), Rennes, PUR, 2009,
p. 292. Cf. Ludivine Bantigny, « “Parti jeune, parti révolutionnaire ?” Caractérisation, action
et contestation des jeunes au PSU », in Noëlline Castagnez, Laurent Jalabert, Marc Lazar,
Gilles Morin, Jean-François Sirinelli (dir.), Le Parti socialiste unifié. Histoire et postérité,
Rennes, PUR, 2013, p. 61-71.
21. Michel Rocard, « Si ça vous amuse ». Chronique de mes faits et méfaits, Paris, Flammarion,
2010, p. 58 ; « Charte pour l’unification socialiste », in PSU, Textes et documents du
Congrès d’unification, 3 avril 1960, FNSP BR 8o1111 (6), p. 3-11 ; « Les résolutions du
IIIe Congrès du PSU », Tribune socialiste, no 170, 23 novembre 1963 ; Direction politique
nationale (DPN), 28-29 juin 1969, AN 581 AP 33 / 120.
22. Michel Rocard, « Si ça vous amuse ». Chronique de mes faits et méfaits, op. cit., p. 69.
23. Tribune socialiste, no 373, 23 mai ; Appel du PSU, s. d. [mai], CHT Nantes, Fonds 1968, 6-
8 ; Document du PSU, s. d. [juillet ?], AN 581AP / 116.
24. « À propos du livre de J. Jurquet : Le Printemps révolutionnaire de Mai 68 », s. d., BNF
LB61-600 (6999).
25. Direction internationale de la Tendance marxiste révolutionnaire de la IVe Internationale,
s. d. [15 mai ?], BNF LB61-600 (7419) ; Parti communiste internationaliste, 14 mai, BDIC F
delta 137 Rés / 1968 / 1 ; Secrétariat unifié de la IVe Internationale, 10 juin, BDIC F delta
137 Rés / 1968 / 1 ; Tendance marxiste révolutionnaire, 6 juin, BNF LB61-600 (7417).
26. Appel du PSU, s. d., CHT Nantes, Fonds 1968, 6-8 ; Bureau national du PSU, 29 mai, BNF
LB61-600 (3768) ; Secrétariat national des ESU, 29 mai, BNF LB61-600 (3768) ; PSU,
section de Perpignan, 20 juin, AD Pyrénées-Orientales 110J10.
27. Comité d’action de la rue Raymond-Losserand, s. d., BDIC 4 delta 191 Rés.
28. Commission « Droit », Assas, 6 juin, BNF LB61-600 (78) ; Comité d’action de la rue
Raymond-Losserand, s. d., BDIC 4 delta 191 Rés.
29. Comité d’action étudiants-ouvriers Lille, s. d., AD Nord J 1582 / 20 ; Comité Censier, BNF
LB61-600 (934).
30. Comité d’action de la rue Raymond-Losserand, « L’égalité, option directrice » et « L’action
éducative », BDIC 4 delta 191 Rés.
31. Id., « Une société d’aliénés », ibid.
32. Id., « La voie communautaire » ; « La propriété », ibid.
33. Jérôme Baschet, Adieux au capitalisme. Autonomie, société du bien vivre et multiplicité des
mondes, Paris, La Découverte, 2014, p. 53 et 72.
34. Federico Tarragoni, L’Énigme révolutionnaire, op. cit., p. 203.
35. Intervention de Sevestre à la Convention, 24 prairial (juin) 1795 : « Le Comité de sûreté
générale m’a chargé de vous proposer d’exclure de la langue le mot révolutionnaire, et
d’ordonner que les comités qui portaient ce nom, s’appelleront désormais comités de
surveillance » (cité in Alain Rey, « Révolution ». Histoire d’un mot, op. cit., p. 125).
36. Centre d’information pour la révolution, s. d. [juin], BDIC F delta Rés 578 / 2 ; Herbert
Marcuse, cité dans la revue italienne Lavoro Politico en novembre 1967 et diffusé à Lyon
sous le titre « Trente Italie », BDIC F delta 813 / 8 ; Jean-Paul Sartre, Henri Lefebvre et
Jacques Lacan, « Il est capital que le mouvement étudiant oppose et maintienne sa puissance
de refus », BNF LB61-600 (9185).
37. Luc Boltanski, Ève Chiapello, Le Nouvel Esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999,
p. 69.
Épilogue ?
Une arrière-saison. Bilans, déceptions, prévisions
1. Michelle Zancarini-Fournel, « L’épicentre », art. cité, p. 261 ; Préfet Région Nord au cabinet
du ministère de l’Intérieur, 8 juin, AD Nord 1008W 17/1 ; RG Marseille, 12 juin, AD
Bouches-du-Rhône 135W349* ; RG Nantes, 11 juin, AD Loire-Atlantique 1194W89* ; RG
Tarbes, 19 juin, AD Haute-Garonne 5681W11* ; Xavier Vigna, L’Insubordination ouvrière,
op. cit., p. 36 ; RG Toulouse, 11 juin, AD Haute-Garonne 5681W11*.
2. Direction des Charbonnages de France, 4 juin, ANMT Roubaix, Fonds Charbonnages de
France, 2007 081 715.
3. CNP, 3 juin, AD Ardennes 48J263 ; Fédération nationale de la brosserie, réunion du 6 juin,
ibid.
4. CITF, s. d., ANMT Roubaix, Fonds Boussac, 1987 003 0243 ; Communication de la
direction des établissements Blaise, Charleville-Mézières, s. d. [juin], AD Ardennes
48J263 ; Compagnie des ateliers et forges de la Loire, 11 juin, AD Loire 650 VT 101* ; RG
La Rochelle, 5 août, AD Charente-Maritime 1310W162*.
5. Négociations aux entreprises Ducellier, Issoire, 6 juin, AD Puy-de-Dôme 1100W17.
6. Horizon lyonnais, 31 mai ; RG Lille, 29 mai, AD Nord 1008W 17/4 ; « Le conseil municipal
vote 50 000 francs », Ouest-France, 1er-3 juin ; RG Avignon, 31 mai, AD Bouches-du-
Rhône 135W349* ; Guéret, extrait du registre des délibérations du conseil municipal,
28 mai, AD Creuse 102W30.
7. Conseil général de Corrèze, séances du 5 et du 7 juin, AD Corrèze 1540W364.
8. CNPF, 3 juin, AD Ardennes 48J263.
9. UDR, s. d. [juillet], BNF LB61-600 (7513) ; CITF, note d’André Aupetit, s. d. [1968],
ANMT Roubaix, Fonds Boussac, 1987 003 0243.
10. CGT, Syndicat des travailleurs horaires et APR Renault, 30 septembre, BNF LB61-600
(8184) ; Id., 8 juillet, BNF LB61-600 (8170).
11. Chambre régionale de commerce et d’industrie du Nord-Pas-de-Calais, 25 juin, AD Pas-de-
Calais 1W36407 / 7.
12. Secteur économique de la CFDT, 28 juin, ANMT Roubaix, Fonds Eugène-Descamps,
2002 009 0059 ; Syndicalisme, 20 juin ; Eugène Descamps, conférence de presse, 4 juillet,
ANMT Roubaix, Fonds Eugène-Descamps, 2002 009 0059 ; Force ouvrière, section de la
RNUR, 12 septembre, BNF LB61-600 (8221).
13. Comité Alésia-Montsouris pour un gouvernement populaire, s. d. [juin], BNF LB61-600
(7020).
14. Cornelius Castoriadis, « La révolution anticipée », art. cité, p. 122-123.
15. Lettre du directeur de Big-Chief Vendée aux personnels, 19 juillet, CDHMOT Vendée ;
Chambre régionale de commerce et d’industrie, 31 mai, AD Ille-et-Vilaine 510W126* ;
Horizon lyonnais, 7 juin.
16. CGT FSM, s. d. [12 juin], AD Puy-de-Dôme 1146W43 ; Le sous-préfet de Thiers au préfet
du Puy-de-Dôme, 28 juin, ibid. ; Force ouvrière, section de la RNUR, s. d. [octobre], BNF
LB61-600 (8222) ; « Flins, le 10 juin », 20 juin, BDIC F delta 813 / 7 ; Xavier Vigna,
L’Insubordination ouvrière, op. cit., p. 86 ; UD CFDT des Deux-Sèvres, 16 août, AD
Vienne 1927W9* ; RG Poitiers, 17 septembre, AD Vienne 1927W9*.
17. Préfet Région Nord au cabinet du ministère de l’Intérieur, 15 juin, AD Nord 1008W 17/1 ;
RG Vosges, 28 mai, AD Vosges 1998W157.
18. CFDT Renault Billancourt, 4 juin, BDIC F delta 813 / 7 ; La Cause du peuple, no 19, 22-
23 juin ; CGT, Syndicat des travailleurs horaires et APR Renault, 18 juin, BNF LB61-600
(8171).
19. Michelle Zancarini-Fournel, « L’épicentre », art. cité, p. 268.
20. « La France : 28 millions de veaux… tants », Le Canard enchaîné, 19 juin.
21. L’Insurrection étudiante. 2-13 mai 1968, op. cit., p. 34 ; André Jeanson, « Un scrutin
“réactionnaire” », Syndicalisme, no 1195, 6 juillet.
22. Document du PSU, s. d. [juin], AN 581AP / 116 ; Gisèle Halimi, « Pourquoi je ne suis pas
candidate ? », Convention, s. d., juin, AN 78AJ33 ; Strasbourg, compte rendu de la réunion
du Conseil universitaire, 4 juin, BDIC F delta 1061(9)-I.
23. « L’heure de l’inventaire », Le Nouvel Observateur, no 190, 3-9 juillet cité in Bernard
Brillant, Les Clercs de 68, op. cit., p. 419.
24. Les chefs d’entreprise de la région stéphanoise, communiqué, s. d. [29 mai ?], AD Loire 650
VT 102*.
25. Le sous-préfet de Thiers, 28 juin, AD Puy-de-Dôme 1146W43 ; Le président-directeur
général de la Coutellerie Durol à Thiers, 13 juin, ibid. ; Recueil des actes administratifs,
no 68-22, 20 juin.
26. Union pour la sauvegarde et le développement des intérêts bourbouliens, au président du
conseil général du Puy-de-Dôme, 19 juin, AD Puy-de-Dôme 1100W20 ; Le président du
Groupement interprofessionnel du Mont-Dore au président du conseil général du Puy-de-
Dôme, 3 juillet, ibid.
27. Le Syndicat des horticulteurs, fleuristes et pépiniéristes, au préfet du Puy-de-Dôme, 27 juin,
AD Puy-de-Dôme 1100W20 ; « La Fête des mères reportée à la Fête des pères ? », Le
Monde, 20 mai.
28. André Sernin, Journal d’un bourgeois de Paris, op. cit., p. 41 et 82 ; UDR, s. d. [juillet],
BNF LB61-600 (7513) ; Division Leclerc, s. d., BDIC F delta 62 Rés.
29. PSU, 14 juin, AN 581AP / 116 ; Secrétariat unifié de la IVe Internationale, 10 juin, BDIC F
delta 137 Rés / 1968 / 1.
30. Sidney Tarrow, Democrazia e disordine. Movimenti di protesta e politica in Italia. 1965-
1975, Rome-Bari, Laterza, 1990, p. 227 ; Antonio Benci, Immaginazione senza potere. Il
lungo viaggio del Maggio francese in Italia, Milan, Edizioni Punto Rosso, 2011, p. IX-XV,
44 sq., 131-132 et 147 sq. Cf. aussi Manus McGrogan, « Vive La Révolution and the
Example of Lotta Continua », art. cité p. 309-328 et Xavier Vigna, « L’Italie à la rescousse ?
L’importation d’un modèle italien dans les luttes d’usine des années 68 », in Gilles Richard
et Jacqueline Sainclivier (dir.), Les Partis à l’épreuve de 68, op. cit., p. 85-96.
31. Boris Kanzleiter, « 1968 in Yugoslavia : Student Revolt between East and West », in Martin
Klimke, Jacco Pekelder, Joachim Scharloth (éd.), Between Prague Spring and French May,
op. cit., p. 84 ; Horacio Tarcus, « Le “Mai argentin”. Des lectures de la Nouvelle gauche
jusqu’au Cordobazo », art. cité, p. 89.
32. Intervention de Victor Joannès, à la fête du PCF de la Charente-Maritime, 21 septembre,
AD Vienne 1927W17* ; Mouvement PAN (Panthéon Assas Nanterre), 25 août, BNF LB61-
600 (3897) ; « Nous serons libres lorsque le dernier des bourgeois aura été pendu avec les
tripes du dernier bureaucrate », s. d. [septembre], BDIC F delta 813 / 8 ; AGE de l’université
de Grenoble, 21 août, BDIC F delta 813 / 8 ; Journal du comité d’action de Villeurbanne,
no 1, s. d. [5 septembre ?], BDIC F delta Rés 578 / 2.
33. Mai 68. Notre lutte continue, 1er novembre, BDIC F delta Rés 578 / 2.
34. Janick Marina Schaufelbuehl, « Une dimension méconnue du Mai 68 français. La fuite des
capitaux », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 124, 2014 / 4, p. 141-154.
35. Tract CFDT Métaux d’Aytré, novembre, AD Charente-Maritime 1310W162 ; Bulletin
intérieur du syndicat CGT des métaux d’Aytré, novembre, ibid.
36. Notes manuscrites comité de grève comité de l’entreprise Joseph-Paris S.A. Nantes-
Chantenay, s. d., CHT Nantes, Fonds 1968, 12-11.

Conclusion
Par-delà le rire et l’oubli
1. Milan Kundera, Kniha smichu a zapomnéni (1978), trad. fr. Le Livre du rire et de l’oubli,
Paris, Gallimard, 1998, p. 147.
2. Maurice Druon, L’Avenir en désarroi, op. cit., p. 15 ; Michel Albert cité par Claire Sécail in
« Mai 68 en procès à la télévision… », art. cité, p. 374.
3. Michel de Certeau, La Prise de parole et autres écrits politiques, op. cit., p. 51.
4. Témoignage de Lucien L., cité in Cercle Barbara Salutati, Longtemps je me suis souvenu de
Mai 68, op. cit., p. 66 ; Confédération générale des aveugles, sourds, grands infirmes et
personnes âgées, s. d., APP FB / 10* ; « Grève de solidarité dans un tissage vosgien », L’Est
républicain, 30 mai ; Librairie Pierre Voisin, lettre au préfet, 14 octobre, APP FB / 29* ;
Rapport commissariat de police du 5e arrondissement, 8 juin, APP FB / 17* ; « Nous
voulons être augmentés », La Tribune-Le Progrès, 22 juin ; Lettre de Monsieur B. au préfet,
6 juin, AD Ille-et-Vilaine 510W113* ; Établissements R. P. Saint-Nazaire, AD Loire-
Atlantique 1194W89* ; Motion des élèves du lycée de Céret au recteur, 20 mai, AD
Pyrénées-Orientales 1J815.
5. État-major des RG, 8 juin, APP FB / 17* ; André Sernin, Journal d’un bourgeois de Paris,
op. cit., p. 33 ; Direction générale de la police municipale, 8 juin, APP FB / 17* ; RG
Rennes, 22 mai, AD Ille-et-Vilaine 510W113 ; Commandement régional de la gendarmerie
nationale, Finistère, Fiche de renseignements, AD Ille-et-Vilaine 510W122*.
6. Lettre à l’Union des écrivains, 26 janvier 1969, citée par Boris Gobille, « Être écrivain en
Mai 68. Quelques cas d’“écrivains d’aspiration” », Sociétés & Représentations, no 11,
2001 / 1, p. 466 ; Témoignage de Suzanne cité in Nicolas Daum, Mai 68 raconté par des
anonymes, op. cit., p. 37-38 ; Témoignage de Chantal Cambronne-Desvignes in Filles de
Mai, op. cit., p. 131 ; Jacques Guilhaumou, avec la collaboration de Thomas Stehlin,
Cartographier la nostalgie. L’utopie concrète de Mai 68, Besançon, Presses universitaires
de Franche-Comté, 2013, p. 106.
7. Victor Hugo, Tas de pierres, IV, 1862, cité in Alain Rey, « Révolution ». Histoire d’un mot,
op. cit., p. 208. « L’avenir dure longtemps » est le titre que Louis Althusser donna à son
autobiographie (édition originale chez Stock en 1992, réédition par Flammarion en 2013).
8. Julie Pagis, Mai 68, un pavé dans leur histoire, op. cit., p. 120-135, 167-169, 178 et 253.
9. Karl Marx, The Civil War in France : Address of the General Council of the Inter-national
Working-Men’s Association, trad. fr. La Guerre civile en France. Adresse du conseil général
de l’Association internationale des travailleurs (juin 1871) ; Cf. Kristin Ross, L’Imaginaire
de la Commune, op. cit., p. 17 et 64.
10. Marcel Proust, Sur la lecture (1906), cité in Gérard Noiriel, Penser avec, penser contre.
Itinéraire d’un historien, Paris, Belin, 2003, p. 21.
11. Cornelius Castoriadis, « La révolution anticipée », art. cité ; Daniel Bensaïd, Henri Weber,
Mai 1968 : une répétition générale, Paris, Maspero, 1968 ; Daniel et Gabriel Cohn-Bendit,
Le Gauchisme. Remède à la maladie sénile du communisme, op. cit., p. 128 ; Alain
Touraine, Le Communisme utopique, op. cit., p. 53.
Sources

Archives
Bibliothèque nationale de France (BNF), Paris
Fonds LB61-600 : tracts et documents 1968. Ce fonds comporte 10 000 pièces ;
il a été dépouillé de manière systématique.

Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC),
Nanterre
BDIC F delta 813 / 7 : Mouvement étudiant, Nanterre.
BDIC F delta 813 / 8 : Universités populaires.
BDIC F delta 137 Rés / 1968 : Parti communiste internationaliste en 1968.
BDIC 4 delta 191 Rés : Comité d’action de la rue Raymond-Losserand.
BDIC GF delta 113 / 1 : Comités d’action lycéens.
BDIC F delta 298 : Comités d’action, mouvements divers, appels circulaires.
BDIC F delta Rés 578 : Cahiers de mai.
BDIC F delta 861 : Fonds Jacques-Delarue, photos et tracts.
BDIC F delta 1061(9) : Mai 68 à Strasbourg et dans d’autres villes.
BDIC F delta 861 : Documents divers sur mai-juin 1968 en France.
BDIC F delta 62 Rés : Mouvements opposés au mouvement de mai-juin 1968.
BDIC F delta 1061(6) : Mai 68 à Lille.
BDIC F delta 2177 : Jeunesse communiste révolutionnaire.

Archives nationales (AN), Pierrefitte-sur-Seine
AG5(1)* : Fonds Charles de Gaulle président de la République.
AN 97 AJ : Papiers Christian Fouchet.
AN 581AP : Fonds PSU.
AN 78AJ : Tracts, journaux et brochures.

Archives de la préfecture de police de Paris
La sous-série FB a été entièrement consultée.
Les cotes FB 1 à 15 sont les dossiers journaliers du mois de mai ; les cotes FB 16
à 27, ceux de juin. Ils comprennent pour chaque journée :
– les instructions ;
– les effectifs, matériels, plans et notes de circulation ;
– les notes des RG ;
– les informations et renseignements locaux ;
– les rapports du directeur général, des sous-directeurs et des commissaires de
police ;
– des comptes rendus divers ;
– les mains courantes ;
– des notes manuscrites ;
– les interpellations et conduites aux postes ;
– des tracts et affiches.
Ont été aussi consultées les cotes :
FB 29* : opérations spéciales au Quartier latin, relations avec la police
judiciaire, état des violences caractérisées, réclamations contre le personnel,
déprédations, rapports d’activité de la police municipale.
FB 32* : Rapports sur les événements de la Sorbonne.
FB 35 à 44 : Coupures de presse.
FB 45 à 48 : Dépêches de l’AFP.
FB 49 à 51 : Tracts et brochures.

Archives départementales
Les archives des préfets, cabinets préfectoraux et Renseignements généraux ont
été systématiquement dépouillées dans les centres d’archives
départementales suivants :
Ardennes (Charleville-Mézières).
Bouches-du-Rhône (Marseille).
Calvados (Caen).
Charente-Maritime (La Rochelle).
Creuse (Guéret).
Corrèze (Tulle).
Haute-Garonne (Toulouse).
Haute-Vienne (Limoges).
Ille-et-Vilaine (Rennes).
Jura (Lons-le-Saunier).
Loire (Saint-Étienne).
Loire-Atlantique (Nantes).
Loiret (Orléans).
Meurthe-et-Moselle (Nancy).
Meuse (Bar-le-Duc).
Nord (Lille).
Pas-de-Calais (Arras).
Puy-de-Dôme (Clermont-Ferrand).
Pyrénées-Orientales (Perpignan).
Rhône (Lyon).
Seine-Maritime (Rouen).
Seine-Saint-Denis (Saint-Denis).
Vienne (Poitiers).
Vosges (Épinal).
Yonne (Auxerre).

Archives nationales du monde du travail (ANMT), Roubaix
Fonds Maurice-Badiche, cadre et militant CGT chez Renault.
Fonds Boussac.
Fonds CGT des Métaux de Marquette.
Fonds Charbonnages de France.
Fonds Conseil national du patronat français.
Fonds Eugène-Descamps, secrétaire confédéral CFDT.
Fonds La Lainière de Roubaix.
Fonds Prêtres ouvriers insoumis.
Fonds Syndicat CGT des ingénieurs, cadres et techniciens de l’usine Renault-
Billancourt.
Fonds Union régionale interprofessionnelle CFDT Nord Pas-de-Calais.

Autres fonds privés
Fonds Jean-Baboux (tracts, imprimés, mouvement ouvrier, mouvement
étudiant), AD Loire-Atlantique.
Fonds François-Forestier (faculté de Nantes), AD Loire-Atlantique.
Fonds Chevalier (journaux, tracts, bulletins), AD Ille-et-Vilaine.
Fonds Jacques-Thouroude (comptes rendus de réunions, bulletins…), AD Ille-et-
Vilaine.
Fonds Georgevail (mouvement étudiant lyonnais), AD Rhône.
Fonds Thérèse-Bouchez (médecine, Lille), AD Nord.
Fonds Madeleine-Baudoin (tracts et affiches), AD Bouches-du-Rhône.
Fonds Tanguy (1968 à Rouen), AD Seine-Maritime.
Fonds Patrick-Kessel (UJCml), Maison des sciences de l’homme de Dijon.

Centre d’histoire du travail (Nantes)
Fonds mai-juin 1968 (tracts, communiqués, circulaires, sketches, photos…).

Centre de documentation du Mouvement ouvrier et du travail en Vendée
(La Roche-sur-Yon)
Fonds CFDT
Fonds 1968
Films et émissions
À bientôt, j’espère, de Chris Marker et Mario Marret, Production Slon et Iskra,
1968.
CA 13, comité d’action du treizième, Collectif ARC, 1968.
Ce n’est qu’un début, de Michel Andrieu, Jacques Kébadian et Renan Pollès,
production ARC (Atelier de recherche cinématographique), 1968.
Cinétracts, 1968, BNF NUMAV-46342.
Citroën-Nanterre mai-juin 1968, chronique d’une grève, de Guy Devart et
Édouard Hayem, Les Productions de la Lanterne, 1968.
Le Droit à la parole, de Michel Andrieu et Jacques Kébadian, Collectif ARC,
1968.
Et maintenant, Fédération des Bouches-du-Rhône du PCF, 1968, BNF
NUMAV-45929.
Grands soirs et petits matins (« Extraits d’un film qui aurait pu exister »), de
William Klein, Films Paris-New York, 1968.
Le Joli Mois de mai, de Jean-Denis Bollan et Renan Pollès, production ARC,
1968.
Classe de lutte, du Groupe Medvedkine, SLON-Iskra, 1969.
Mai 68 im Elsass, d’Arnaud Gobin et Hubert Schilling, coproduction Ère
Production et France 3 Alsace, 2008.
Nantes Sud-Aviation, de Michel Andrieu et Pierre-William Glenn, Collectif
ARC, 1968.
Oser lutter, oser vaincre, de Jean-Pierre Thorn, production Groupe Cinéma
Ligne Rouge, distribution Les Productions de la Lanterne, 1968.
La Reprise du travail aux usines Wonder, de Pierre Bonneau, Liane Estiez-
Willemont, Jacques Willemont, production et diffusion Iskra, 1968.
Reprise, d’Hervé Le Roux, production Les Films d’ici, 1996.
Un si joli mois de mai, de Bertrand Delais, coproduction France 3 Normandie-
Beau comme une image, 2008.
Zoom, émission du 14 mai 1968, de Jean-Paul Thomas, réalisation Alain de
Sédouy et André Harris, reportage de Guy Demoy, BNF NUMAV-41563.
Récits et témoignages
Raymond ARON, La Révolution introuvable. Réflexions sur la révolution de mai,
Paris, Fayard, 1968.
Édouard BALLADUR, L’Arbre de Mai, Paris, L’Atelier Marcel Jullian, 1979.
André BARJONET, La Révolution trahie de 1968, Paris, Les éditions John Didier,
1968.
Jacques BAYNAC, Mai retrouvé, Paris, Robert Laffont, 1978.
Dino BELHOCINE, Hier à la Cello. Mémoires de mai dans une usine de Bezons,
Bezons, Éditions du Souvenir, 2009.
Daniel BENSAÏD, Henri WEBER, Mai 1968 : une répétition générale, Paris,
Maspero, 1968.
Julien BESANÇON, Journal mural, Paris, Tchou, 1968.
Maurice BLANCHOT, La Communauté inavouable, Paris, Minuit, 1983.
CERCLE BARBARA SALUTATI, Longtemps je me suis souvenu de Mai 68,
Bordeaux, Le Castor astral, 2002.
Michel DE CERTEAU, La Prise de parole et autres écrits politiques, Paris, Seuil,
1994.
Daniel et Gabriel COHN-BENDIT, Le Gauchisme. Remède à la maladie sénile du
communisme, Paris, Seuil, 1968.
COLLECTIF CLÉON, Notre arme, c’est la grève, Paris, Maspero, 1968.
Adrien DANSETTE, Mai 68, Paris, Plon, 1971.
Nicolas DAUM, Mai 68 raconté par des anonymes, Paris, Éditions Amsterdam,
2008.
Régis DEBRAY, Les Rendez-vous manqués. Pour Pierre Goldman, Paris, Seuil,
1975.
Maurice DRUON, L’Avenir en désarroi, Paris, Plon, 1968.
Jacques DUCLOS, Anarchistes d’hier et d’aujourd’hui. Comment le gauchisme
fait le jeu de la réaction, Paris, Éditions sociales, 1968.
Jacques DURANDEAUX, Les Journées de Mai 68, Bruxelles, Desclée de Brouwer,
1968.
Rudi DUTSCHKE, Geschichte ist machbar. Texte über das herrschende Falsches
und die Radikalität des Friedens (1980), Berlin, Wagenbach, 1991.
Jean FERNIOT, Mort d’une révolution, Paris, Denoël, 1968.
Filles de mai. 68 dans la mémoire des femmes, Latresne, Le Bord de l’eau, 2004.
André FONTAINE, La Guerre civile froide, Paris, Fayard, 1969.
Julien GREEN, Ce qui reste de jour 1966-1972, Paris, Plon, 1972.
André GLUCKSMANN, Stratégie de la révolution, Paris, Christian Bourgois, 1968.
Maurice GRIMAUD, En mai fais ce qu’il te plaît, Paris, Stock, 1977.
–, Je ne suis pas né en Mai 68. Souvenirs et carnets (1934-1992), Paris,
Tallandier, 2007.
Jacques GUILHAUMOU, avec la collaboration de Thomas STEHLIN, Cartographier
la nostalgie. L’utopie concrète de Mai 68, Besançon, Presses universitaires
de Franche-Comté, 2013.
Hervé HAMON, Patrick ROTMAN, Génération, t. I : Les Années de rêve, t. II : Les
Années de poudre, Paris, Seuil, 1987, 1988.
L’Insurrection étudiante. 2-13 mai 1968. Ensemble critique et documentaire
établi par Marc Kravetz, Paris, UGE, 1968.
Laurent JOFFRIN, Mai 68. Histoire des événements, Paris, Seuil, 1988.
Philippe LABRO, Les Barricades de mai, Paris, Solar, 1968.
–, Michèle MANCEAUX, Ce n’est qu’un début, Paris, Denoël, 1968.
Henri LEFEBVRE, L’Irruption de Nanterre au sommet, Paris, Anthropos, 1968.
François LE MADEC, L’Aubépine de mai, chronique d’une usine occupée. Sud-
Aviation Nantes 68, 1988, CHT Nantes, Fonds 1968 / 1.
Raymond MARCELLIN, L’Ordre public et les groupes révolutionnaires, Paris,
Plon, 1969.
–, L’Expérience du pouvoir, Paris, La Table ronde, 1990.
François DE MASSOT, La Grève générale (mai-juin 1968), Paris, supplément à
Informations ouvrières, no 437, 1969.
Edgar MORIN, Cornelius CASTORIADIS, Claude LEFORT, Mai 68. La Brèche
(1968), rééd. Paris, Fayard, 2008.
MOUVEMENT DU 22-MARS, Ce n’est qu’un début continuons le combat, Paris,
Maspero, 1968.
Arno MÜNSTER, Paris brennt. Die mai-Revolution in Frankreich, Francfort,
H. Heine-Verlag, 1968.
Jacques PERRET, Inquiète Sorbonne, Paris, Hachette, 1968.
Michelle PERROT, Madeleine REBÉRIOUX (coord.), La Sorbonne par elle-même,
numéro du Mouvement social, no 64, juillet-septembre 1968.
Jacques PESQUET, Des Soviets à Saclay ?, Paris, Maspero, 1968.
Poèmes de la révolution, Paris, juin 1968, rééd. Caractères, 1998.
Georges POMPIDOU, Lettres, notes et portraits. 1928-1974, Paris, Robert Laffont,
2012.
Patrick RAVIGNANT, L’Odéon est ouvert, Paris, Stock, 1968.
Waldeck ROCHET, Les Enseignements de mai-juin 1968, Paris, Éditions sociales,
1968.
Laurent SALINI, Le Mai des prolétaires, Paris, Éditions sociales, 1968.
Jean-Paul SARTRE, Les Communistes ont peur de la révolution, Paris, Didier,
1968.
Alain SCHNAPP, Pierre Vidal-NAQUET, Journal de la commune étudiante.
Documents novembre 1967-juin 1968, Paris, Seuil, 1988.
Georges SÉGUY, Le Mai de la CGT, Paris, Julliard, 1972.
André SERNIN, Journal d’un bourgeois de Paris, 1968, Brochure, BNF 16-
LN27-96028.
Jean-Philippe TALBO, La Grève à Flins, Paris, Maspero, 1968.
Alain TOURAINE, Le Communisme utopique. Le mouvement de Mai (1968),
rééd. Paris, Seuil, 1972.
Jean-Raymond TOURNOUX, Le Mois de mai du Général. Livre blanc des
événements, Paris, Plon, 1969.
UNEF, ASSOCIATION FÉDÉRATIVE GÉNÉRALE DES ÉTUDIANTS DE STRASBOURG, De la
misère en milieu étudiant considérée sous ses aspects économique, politique,
psychologique, sexuel et notamment intellectuel et de quelques moyens pour
y remédier, novembre 1966.
UNEF, SNESup, Le Livre noir des journées de Mai, Paris, Le Seuil, 1968.
Un mois de mai orageux. 113 étudiants expliquent les raisons du soulèvement
universitaire, Toulouse, Privat, 1968.
Un mois de mai très occupé. Paroles et images de mai 1968, Paris, VO Éditions-
Le Temps des cerises, 1998.
Serge VELAY, L’Intempestif, Remoulins-sur-Gardon, Jacques Brémond, 1998.
René VIÉNET, Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations,
Paris, Gallimard, 1998.
Sylvain ZEGEL, Les Idées de mai, Paris, Gallimard, 1968.
Bibliographie

Les « années 1968 »


« 1968 : un monde en révoltes », ContreTemps, no 22, Paris, Textuel, 2008.
Les Années 68 : une contestation mondialisée. Résonances et interactions
internationales, numéro de Matériaux pour l’histoire de notre temps, no 94,
2009.
Philippe ARTIÈRES, Michelle ZANCARINI-FOURNEL (dir.), 68. Une histoire
collective (1962-1981), Paris, La Découverte, 2008.
Antoine ARTOUS, Didier EPSZTAJN, Patrick SILBERSTEIN (dir.), La France des
années 68, Paris, Syllepse, 2008
Ludivine BANTIGNY, Boris GOBILLE, Eugénia PALIERAKI (coord.), Circulations
révolutionnaires dans les années 1968, numéro de Monde(s). Histoire,
espaces, relations, no 11, mai 2017.
Antonio BENCI, Immaginazione senza potere. Il lungo viaggio del Maggio
francese in Italia, Milano, Edizioni Punto Rosso, 2011.
Serge BERSTEIN, La France de l’expansion. La République gaullienne 1958-
1969, Paris, Seuil, 1989.
Françoise BLUM, Révolutions africaines. Congo, Sénégal, Madagscar, années
1960-1970, Rennes, PUR, 2014.
–, Pierre GUIDI, Ophélie RILLON (dir.), Étudiants africains en mouvements.
Contribution à une histoire des années 68, Paris, Publications de la
Sorbonne, 2016.
Luc BOLTANSKI, Ève CHIAPELLO, Le Nouvel Esprit du capitalisme, Paris,
Gallimard, 1999.
Timothy S. BROWN, « “1968” East and West : Divided Germany as a Case Study
in Transnational History », The American Historical Review, vol. 114, no 1,
février 2009, p. 69-96.
Jacques CAPDEVIELLE, René MOURIAUX (dir.), Mai 68. L’entre-deux de la
modernité. Histoire de trente ans, Paris, Presses de la FNSP, 1988.
Changing the World, Changing Oneself : Political Protest and Transnational
Identities in the 1960s / 70s West Germany and US, New York, Berghahn
Books, 2008.
Samantha CHRISTIANSEN, Zachary A. SCARLETT (éd.), The Third World in the
Global 1960s, Oxford, Berghan Books, 2013.
Alain DELALE, Gilles RAGACHE, La France de 1968, Paris, Seuil, 1978.
Gil DELANNOI, Les Années utopiques (1968-1978), Paris, La Découverte, 1990.
Patrick DRAMÉ, Jean LAMARRE (dir.), 1968. Des sociétés en crise : une
perspective globale, Laval, Presses de l’université Laval, 2009.
Geneviève DREYFUS-ARMAND (dir.), Les Années 68, un monde en mouvement.
Nouveaux regards sur une histoire plurielle (1962-1981), Paris, Syllepse,
2008.
–, Robert FRANK, Marie-Françoise LÉVY, Michelle ZANCARINI-FOURNEL (dir.),
Les Années 68. Le temps de la contestation, Bruxelles, Complexe, 2000.
François FEJTÖ, Jacques RUPNIK (dir.), Le Printemps tchécoslovaque 1968,
Bruxelles, Complexe, 1998.
Carol FINK, Philipp GASSERT, Detlef JUNKER (éd.), 1968 : The World
Transformed, Washington-Cambridge, The German Historical Institute-
Cambridge University Press, 1998.
Norbert FREI, 1968. Jugendrevolte und globaler Protest, Munich, Deutscher
Taschenbuch Verlag, 2008.
Raymond GAMA et Jean-Pierre SAINTON, Mé 67. Mémoire d’un événement,
Pointe-à-Pitre, Société guadeloupéenne d’édition et de diffusion, 1985.
Ingrid GILCHER-HOLTEY, Die 68er Bewegung. Deutschland – Westeuropa – USA,
Munich, Verlag C.H. Beck, 2001.
– (dir.), A Revolution of Perception ? Consequences and Echoes of 1968, New
York-Oxford, Berghahn Books, 2014.
Robert GILDEA, James MARK, Anette WARRING (éd.), Europe’s 1968. Voices of
Revolt, Oxford, Oxford University Press, 2013.
Bastien HEIN, « 1968 et le Tiers Monde. Radicaux et modérés dans le
mouvement étudiant ouest-allemand », Revue d’Allemagne et des pays de
langue allemande, vol. 35, no 2, 2003, p. 217-233.
Gerd-Rainer HORN, The Spirit of ’68. Rebellion in Western Europe and North
America, 1956-1976, New York, Oxford University Press, 2007.
–, Padraic KENNEY (éd.), Transnational Moments of Change : Europe 1945,
1968, 1989, Lanham, Rowman & Littlefield, 2004.
« The International 1968 », The American Historical Review, part. I, vol. 114,
no 1, février 2009 et part. II, vol. 114, no 2, avril 2009.
Laurent JALABERT, « Aux origines de la génération 1968 : les étudiants français
et la guerre du Vietnam », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 55, juillet-
septembre 1997, p. 69-81.
Martin KLIMKE, The Other Alliance : Student Protest in West Germany and the
United States in the Global Sixties, Princeton-Oxford, Princeton University
Press, 2010.
–, Jacco PEKELDER, Joachim SCHARLOTH (éd.), Between Prague Spring and
French May. Opposition and Revolt in Europe 1960-1980, New York
Oxford, Berghahn Books, 2011.
–, Joachim SCHARLOTH (dir.), 1968 in Europe : A History of Protest and
Activism, 1956-1977, New York, Palgrave Macmillan, 2008.
Christiane KOHSER-SPOHN, Mouvement étudiant et critique du fascisme en
Allemagne dans les années 1960, Paris, L’Harmattan, 2000.
Kostis KORNETIS, « “Everything Links” ? Temporality, Territoriality and
Cultural Transfer in the ’68 Protest Movements », Historein, no 9, 2009,
p. 34-45.
Marie-Claire LAVABRE, Henri REY, Les Mouvements de 1968, Paris-Florence,
Casterman-Giunti Gruppo Editoriale, 1998.
Marc LAZAR, « La gauche ouest-européenne et l’année 1968 en
Tchécoslovaquie : les cas français et italien », in Antoine Marès (dir.), La
Tchécoslovaquie, sismographe de l’Europe, Paris, Institut d’études slaves,
2009, p. 177-193
–, Marie-Anne MATTARD-BONUCCI (dir.), L’Italie des années de plomb. Le
terrorisme entre histoire et mémoire, Paris, Autrement, 2010.
Emmanuelle LOYER, Jean-François SIRINELLI (coord.), « Mai 68 dans le monde.
Jeux d’échelles », Histoire@Politique. Politique, culture, société, no 6,
septembre-décembre 2008.
William MAROTTI, « Japan 1968 : The Performance of Violence and the Theater
of Protest », The American Historical Review, vol. 114, no 1, février 2009,
p. 97-135.
Arthur MARWICK, The Sixties : Social and Cultural Transformation in Britain,
France, Italy and the United States, 1958-1974, Oxford, Oxford University
Press, 1998.
Nicolas PAS, Sortir de l’ombre du Parti communiste français. Histoire de
l’engagement de l’extrême gauche française sur la guerre du Vietnam 1965-
1968, DEA, IEP de Paris, 1998.
–, « Six heures pour le Vietnam. Histoire des Comités Vietnam français 1965-
1968 », Revue historique, no 617, janvier-mars 2000, p. 157-185.
Céline PESSIS, Sezin TOPÇU, Christophe BONNEUIL (dir.), Une autre histoire des
« Trente Glorieuses ». Modernisation, contestations et pollutions dans la
France d’après-guerre, Paris, La Découverte, 2013.
Jean-Pierre RIOUX, Jean-François SIRINELLI (coord.), L’Ombre portée de Mai 68,
numéro de Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 98, avril-juin 2008.
Denis ROLAND, Justine FAURE (dir.), 1968 hors de France. Histoire et
constructions historiographiques, Paris, L’Harmattan, 2009.
Daniel J. SHERMAN, Ruud VAN DIJK, Jasmine ALINDER, A. ANEESH (éd.), The
Long 1968. Revisions and New Perspectives, Bloomington, Indiana
University Press, 2013.
Jean-François SIRINELLI, Les Baby-Boomers. Une génération 1945-1969, Fayard,
2003.
–, Les Vingt Décisives. Le passé proche de notre avenir 1965-1985, Paris,
Fayard, 2007, rééd. Paris, Pluriel, 2012.
–, Génération sans pareille. Les baby-boomers de 1945 à nos jours, Paris,
Tallandier, 2016.
Isabelle SOMMIER, La Violence politique et son deuil. L’après 68 en France et en
Italie, Rennes, PUR, 1998.
Sidney TARROW, Democrazia e disordine. Movimenti di protesta e politica in
Italia. 1965-1975, Rome-Bari, Laterza, 1990.
Jeremy VARON, Bringing the War Home : The Weather Underground, The Red
Army Faction, and Revolutionary Violence in the Sixties and the Seventies,
Berkeley, The University of California Press, 2004.
Jean VIGREUX, Croissance et contestations. 1958-1981, Paris, Seuil, 2014.
Dorothee WEITBRECHT, Aufbruch in die Dritte Welt. Der Internationalismus der
Studentenbewegung von 1968 in der Bundesrepublik Deutschland,
Göttingen, V & R Unipress, 2012.

1968 : Explorations de l’événement


Ludivine BANTIGNY, « 1968. Un spectre hante la planète », in Patrick Boucheron
(dir.), Histoire mondiale de la France, Paris, Seuil, 2017, p. 709-714.
Bruno BENOIT, Christian CHEVANDIER, Gilles MORIN, Gilles RICHARD, Gilles
VERGNON (dir.), À chacun son Mai ? Le tour de France de mai-juin 1968,
Rennes, PUR, 2011.
Gurminder K. BHAMBRA, Ipek DEMIR (éd.), 1968 in Retrospect. History, Theory,
Alterity, New York, Palgrave Macmillan, 2009.
Dominique DAMAMME, Boris GOBILLE, Frédérique MATONTI et Bernard PUDAL
(dir.), Mai-Juin 68, Paris, Éditions de l’Atelier, 2008.
Étienne FRANÇOIS, Matthias MIDDELL, Emmanuel TERRAY, Dorothee WIERLING
(éd.), 1968 – ein europäisches Jahr ?, Leipzig, Leipziger Universitätsverlag,
1997.
Frank GEORGI, « “Le pouvoir est dans la rue”. La “manifestation gaulliste” des
Champs-Élysées (30 mai 1968) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 48,
1995, p. 46-60.
–, « Jeux d’ombres. Mai, le mouvement social et l’autogestion (1968-2007) »,
L’Ombre portée de Mai 68, numéro de Vingtième Siècle. Revue d’histoire,
no 98, 2 / 2008, p. 29-41.
Ingrid GILCHER-HOLTEY, « Die Phantasie an die Macht ». Mai 68 in Frankreich,
Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp Taschenbuch Verlag, 1995.
–, « La nuit des barricades », Sociétés & Représentations, no 4, mai 1997, p. 165-
184.
–, 1968. Vom Ereignis zum Mythos, Francfort, Suhrkamp, 2008.
Boris GOBILLE, « L’événement 68. Pour une sociohistoire du temps court »,
Annales. Histoire, sciences sociales, 63e année, 2008 / 2, p. 321-349.
–, Mai 68, Paris, La Découverte, 2008.
Louis GRUEL, La Rébellion de 1968. Une relecture sociologique, Rennes, PUR,
2004.
David HAMELIN, Jean-Paul SALLES (coord.), Mai 68. Aspects régionaux et
internationaux, numéro de Dissidences, Latresne, Le Bord de l’eau, 2008.
Édouard HUSSON, « 1968. Événement transnational ou international ? Le cas de
la France et de la République Fédérale d’Allemagne », Revue d’Allemagne et
des pays de langue allemande, vol. 35, no 2, avril-juin 2003, p. 179-180.
Julian JACKSON, Anna-Louise MILNE, James S. WILLIAMS (éd.), May 68.
Rethinking France’s Last Revolution, New York, Palgrave Macmillan, 2011.
Martha KIRSZENBAUM, « 1968 entre Varsovie et Paris : un cas de transfert
culturel de contestation », Histoire@Politique. Politique, culture, société,
no 6, septembre-décembre 2008, n. p.
Emmanuelle LOYER, Mai 68 dans le texte, Paris, Complexe, 2008.
Michel MARGAIRAZ, Danièle TARTAKOWSKY (dir.), 1968 entre libération et
libéralisation : la grande bifurcation, Rennes, PUR, 2010.
Lilian MATHIEU, « L’autre côté de la barricade : perceptions et pratiques
policières en mai et juin 1968 », Revue historique, no 665, 2013 / 1, p. 145-
172.
René MOURIAUX, Annick PERCHERON, Antoine PROST et Danielle TARTAKOWSKY
(dir.), 1968. Exploration du Mai français, deux tomes, Paris, L’Harmattan,
1992.
Philippe NIVET, « Maurice Grimaud et Mai 1968 », Histoire@Politique, no 27,
3 / 2015, n. p.
Julie PAGIS, Mai 68, un pavé dans leur histoire. Événements et socialisation
politique, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques,
2014.
Antoine PROST, « Quoi de neuf sur le Mai français ? », Le Mouvement social,
no 143, avril-juin 1988, p. 91-97.
–, « Les grèves de mai-juin 1968 », in Autour du Front populaire. Aspects du
mouvement social au XXe siècle, Paris, Seuil, 2006, p. 233-258.
Oliver RATHKOLB, Friedrich STADLER (Hg.), Das Jahr 1968 – Ereignis, Symbol,
Chiffre, Vienne, Vienna University Press, 2010.
Keith A. READER, The May 68 Events in France. Reproductions and
Interpretations, New York, St Martin’s Press, 1993.
Kristin ROSS, May ‘68 and its Afterlives, 2002, trad. fr. Mai 68 et ses vies
ultérieures, Paris, Complexe, 2005.
Janick Marina SCHAUFELBUEHL, « Une dimension méconnue du Mai 68 français.
La fuite des capitaux », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 124, 2014 / 4,
p. 141-154.
Rudolf SIEVERS (dir.), 1968. Eine Enzyklopädie, Francfort, Suhrkamp, 2008.
Daniel SINGER, Prelude to Revolution : France in May 1968, Chicago,
Haymarket Books, 2013.
Jean-François SIRINELLI, Mai 68. L’événement Janus, Paris, Fayard, 2008.
Isabelle SOMMIER, « Les processus de diffusion des révoltes juvéniles de 68 »,
Histoire@Politique. Histoire, Culture, Politique, no 6, septembre-
décembre 2008, n. p.
Xavier VIGNA, Jean VIGREUX (dir.), Mai-juin 1968. Huit semaines qui
ébranlèrent la France, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2010.
Michelle ZANCARINI-FOURNEL, L’Événement en histoire du temps présent, HDR,
Université Paris-I, 1999.

Groupes, classes et mouvements sociaux


Philippe ARTIÈRES (coord.), 68, les oubliés du cortège, numéro de Cahiers
d’histoire. Revue d’histoire critique, no 107, 2009.
Ludivine BANTIGNY, « Que jeunesse se passe ? Discours publics et expertises sur
les jeunes après Mai 68 », L’Ombre portée de Mai 68, numéro de Vingtième
siècle. Revue d’histoire, no 98, avril-juin 2008, p. 7-18.
Ludivine BANTIGNY, « Assignés à hériter. Quelques mouvements étudiants en
miroir (1968-2006) », in Ludivine Bantigny, Arnaud Baubérot (dir.), Hériter
en politique. Filiations, générations et transmissions politiques (Allemagne-
France-Italie XIXe-XXIe siècle), Paris, PUF, 2011, p. 287-300.
Patrick BRUNETEAUX, Maintenir l’ordre, Paris, Presses de Sciences Po, 1996.
Andrea CAVAZZINI, Enquête ouvrière et théorie critique. Enjeux et figures de la
centralité ouvrière dans l’Italie des années 1960, Liège, Presses de
l’université de Liège, 2013.
Jacqueline COSTA-LACOUX, Geneviève DREYFUS-ARMAND, Émile TEMIME (dir.),
Renault sur Seine. Hommes et lieux de mémoire de l’industrie automobile,
Paris, La Découverte, 2007.
Pierre DUBOIS, Renaud DULONG, Claude DURAND, Sabine ERBÈS-SEGUIN, Daniel
VIDAL, Grèves revendicatives ou grèves politiques ? Acteurs, pratiques, sens
du mouvement de mai, Paris, Anthropos, 1971.
Nathalie DUCLOS, Les Violences paysannes sous la Ve République, Paris,
Économica, 1998.
Sabine ERBÈS-SEGUIN, « Relations entre travailleurs dans l’entreprise en grève :
le cas de mai-juin 1968 », Revue française de sociologie, vol. 11, no 3, 1970,
p. 339-350.
Angéline ESCAFRÉ-DUBLET, Culture et immigration. De la question sociale à
l’enjeu politique, 1958-2007, Rennes, PUR, 2014.
Olivier FILLIEULE, Stratégies de la rue. Les manifestations en France, Paris,
Presses de Sciences Po, 1997.
–, Éric AGRIKOLIANSKY, Isabelle SOMMIER (dir.), Penser les mouvements sociaux.
Conflits sociaux et contestations dans les sociétés contemporaines, Paris,
La Découverte, 2010.
–, Danielle TARTAKOWSKY, La Manifestation, Paris, Presses de Sciences Po,
2013.
Didier FISCHER, L’Histoire des étudiants en France de 1945 à nos jours, Paris,
Flammarion, 2000.
Ronald FRASER, 1968 : a Student Generation in Revolt. An International Oral
History, New York, Pantheon, 1988.
Fanny GALLOT, En découdre. Comment les ouvrières ont révolutionné le travail
et la société, Paris, La Découverte, 2015.
Daniel A. GORDON, Immigrants and Intellectuals. May’68 & the Rise of Anti-
Racism in France, Pontypool, Merlin Press, 2012.
Nicolas HATZFELD, Les Gens d’usine. 50 ans d’histoire à Peugeot-Sochaux,
Paris, Éditions de l’Atelier, 2002.
–, Cédric LOMBA, « Unité ouvriers-étudiants : quelles pratiques derrière le mot
d’ordre ? Retour sur Besançon en 1968 », Savoir / Agir, no 6, 2008 / 4, p. 41-
48.
Gerd-Rainer HORN, « Arbeiter und Studenten in den 68er Jahren », in Oliver
Rathkolb, Friedrich Stadler (Hg.), Das Jahr 1968 – Ereignis, Symbol,
Chiffre, Vienne, Vienna University Press, 2010, p. 187-208.
Jean-Philippe LEGOIS, Alain MONCHABLON, Robi MORDER (coord.), Cent ans de
mouvements étudiants, Paris, Syllepse, 2007.
Jean-Philippe MARTIN, Histoire de la nouvelle gauche paysanne. Des
contestations des années 1960 à la confédération paysanne, Paris, La
Découverte, 2005.
–, « Les contestations paysannes autour de 1968. Des luttes novatrices mais
isolées », Histoire & Sociétés rurales, vol. 41, 2014 / 1, p. 89-136.
Doug MCADAM, Sidney TARROW, Charles TILLY, Dynamics of Contention,
Cambridge, Cambridge University Press, 2001.
Alain MONCHABLON, Histoire de l’UNEF, Paris, PUF, 1983.
Gérard NOIRIEL, Les Ouvriers dans la société française, XIXe-XXe siècle, Paris,
Seuil, 1986.
Michel PIGENET, Danielle TARTAKOWSKY (dir.), Histoire des mouvements
sociaux en France de 1814 à nos jours, Paris, La Découverte, 2012.
Laure PITTI, Ouvriers algériens à Renault-Billancourt de la guerre d’Algérie aux
grèves d’OS des années 1970, thèse d’histoire, université Paris-VIII, 2002.
–, « Une matrice algérienne ? Trajectoires et recompositions militantes en terrain
ouvrier, de la cause de l’indépendance aux grèves d’OS des années 1968-
1975 », Politix, no 76, 2006, p. 143-166.
Vincent PORHEL, Ouvriers bretons. Conflits d’usine, conflits identitaires en
Bretagne dans les années 1968, Rennes, PUR, 2008.
Élise ROULLAUD, « Luttes paysannes dans les années 68. Remise en cause d’un
ordre social local », Campagnes populaires, campagnes bourgeoises,
numéro de Agone, no 51, 2013, p. 26-49.
Guillaume SIBERTIN-BLANC, « Crise et luttes étudiantes : dialectique de
politisation et questions de méthode », Actuel Marx, no 47, 1 / 2010, p. 63-
79.
Stéphane SIROT, La Grève en France. Une histoire sociale (XIXe-XXe siècle), Paris,
Odile Jacob, 2002.
–, « Transgression du domaine de la lutte : quelle “insubordination ouvrière”
dans les grèves des “années 68” ? », Rebelles au travail, numéro de Cahiers
d’histoire. Revue d’histoire critique, no 125, octobre-décembre 2014, p. 101-
117.
Danielle TARTAKOWSKY, Le Pouvoir est dans la rue. Crises politiques et
manifestations en France, Paris, Aubier, 1998.
Xavier VIGNA, L’Insubordination ouvrière dans les années 68. Essai d’histoire
politique des usines, Rennes, PUR, 2007.
–, « Une émancipation des invisibles ? Les ouvriers immigrés dans les grèves de
mai-juin 68 », in Ahmed Boubeker et Abdellali Hajjat (dir.), Histoire
politique des immigrations (post)coloniales, France, 1920-2008, Paris,
Amsterdam, 2008, p. 85-94.
–, Histoire des ouvriers en France au XXe siècle, Paris, Perrin, 2012.
–, Michelle ZANCARINI-FOURNEL, « Les rencontres improbables dans “les
années 68” », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 101, janvier-mars 2009,
p. 163-177.

Engagements et socialisations politiques


autour de 1968
François AUDIGIER, « Le malaise des jeunes gaullistes en mai-juin 1968 »,
Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 70, avril-juin 2001, p. 71-88.
–, Histoire du SAC. La part d’ombre du gaullisme, Paris, Stock, 2003.
–, Génération gaulliste. L’Union des Jeunes pour le Progrès, 1965-1975, une
école de formation politique, Nancy, PUN, 2005.
–, « Le groupe gaulliste : quand les “godillots” doutent », Parlement[s], Revue
d’histoire politique, no 9, 2008 / 1, p. 12-30.
Ludivine BANTIGNY, « Être de son temps. Conscience historique et temps de
l’engagement dans la LCR des années 1968 », Dissidences, no 13,
janvier 2014, p. 37-48.
–, « Flux et reflux de l’idée révolutionnaire », in Christophe Charle et Laurent
Jeanpierre (dir.), La Vie intellectuelle en France, Paris, Seuil, 2016, vol. 2,
p. 639-662.
Jean-Jacques BECKER, Gilles CANDAR (dir.), Histoire des gauches en France,
t. II, XXe siècle : à l’épreuve de l’histoire, Paris, La Découverte, 2005.
Michel BIARD, Bernard GAINOT, Paul PASTEUR, Pierre SERNA (dir.),
« Extrême » ? Identités partisanes et stigmatisation des gauches en Europe
(XVIIIe-XXe siècle), Rennes, PUR, 2012.
Noëlline CASTAGNEZ, Laurent JALABERT, Marc LAZAR, Gilles MORIN, Jean-
François SIRINELLI (dir.), Le Parti socialiste unifié. Histoire et postérité,
Rennes, PUR, 2013.
Stéphane COURTOIS, Marc LAZAR, Histoire du Parti communiste français, Paris,
PUF, 1995, rééd. 2000.
Marnix DRESSEN, De l’amphi à l’établi. Les étudiants maoïstes à l’usine (1967-
1989), Paris, Belin, 1999.
Mathieu DUBOIS, Génération politique : les « années 68 » dans les jeunesses des
partis politiques en France et en RFA, Paris, PUPS, 2014.
Éric FOURNIER, La Commune n’est pas morte. Les usages politiques du passé, de
1871 à nos jours, Paris, Libertalia, 2013.
Fabienne GAMBRELLE, Michel TREBITSCH (dir.), Révolte et société. Actes du IVe
colloque d’Histoire au présent, Paris, Publications de la Sorbonne, 1989.
Jean GARRIGUES, Sylvie GUILLAUME, Jean-François SIRINELLI (dir.), Comprendre
la Ve République, Paris, PUF, 2010.
Frank GEORGI, L’Invention de la CFDT, 1957-1970. Syndicalisme, catholicisme
et politique dans la France de l’expansion, Paris, Éditions de l’Atelier-
CNRS Éditions, 1995.
– (dir.), Autogestion. La dernière utopie ?, Paris, Publications de la Sorbonne,
2003.
Florence JOHSUA, « “Nous vengerons nos pères…”. De l’usage de la colère dans
les organisations politiques d’extrême gauche dans les années 1968 »,
Politix, no 104, 2013 / 4, p. 203-233.
Tudi KERNALEGENN, François PRIGENT, Gilles RICHARD, Jacqueline SAINCLIVIER
(dir.), Le PSU vu d’en bas. Réseaux sociaux, mouvement politique,
laboratoire d’idées (années 1950-années 1980), Rennes, PUR, 2009.
Bernard LACHAISE, Sabine TRICAUD (dir.), Georges Pompidou et Mai 68,
Bruxelles, Peter Lang, 2009.
Manus MCGROGAN, « Vive La Révolution and the Example of Lotta Continua :
The Circulation of Ideas and Practices Between the Left Militant Words of
France an Italy Following May’68 », Modern and Contemporary France,
vol. 18, no 3, août 2010.
Julian MISCHI, Servir la classe ouvrière. Sociabilités militantes au PCF, Rennes,
PUR, 2010.
Gilles RICHARD, Jacqueline SAINCLIVIER (dir.), Les Partis et la République. La
recomposition du système partisan 1956-1967, Rennes, PUR, 2008.
– (dir.), Les Partis à l’épreuve de 68. L’émergence de nouveaux clivages, 1971-
1974, Rennes, PUR, 2012.
Jean-Paul SALLES, La Ligue communiste révolutionnaire (1968-1981).
Instrument du Grand Soir ou lieu d’apprentissage ?, Rennes, PUR, 2005.
Jean-François SIRINELLI (dir.), Histoire des droites en France, Paris, Gallimard,
1992.

Cultures et pensées renouvelées


Serge AUDIER, La Pensée anti-68. Essai sur les origines d’une restauration
intellectuelle (2008), Paris, La Découverte, rééd. 2009.
Antoine DE BAECQUE, Stéphane BOUQUET, Emmanuel BURDEAU, Cinéma 68,
Paris, Cahiers du cinéma, 2008.
Grégory BARRAU, Le Mai 68 des catholiques, Paris, Éditions de l’Atelier-
Éditions Ouvrières, 1998.
Julian BOURG, From Revolution to Ethics. May 1968 and Contemporary French
Thought, Montréal-Londres-Ithaca, McGill’s-Queen University Press, 2007.
Bernard BRILLANT, Les Clercs de 68, Paris, PUF, 2003.
Éric BRUN, Les Situationnistes. Une avant-garde totale (1950-1972), Paris,
CNRS Éditions, 2014.
Sonia BRUNEAU, Les Cinéastes insurgés en Mai 68 : des hommes et des films
pris dans l’événement. Éléments pour une socio-histoire des États généraux
du cinéma (1956-1998), université de Paris-III, 2008.
Laurent CHOLLET, L’Insurrection situationniste, Paris, Dagorno, 2000.
Évelyne COHEN, Marie-Françoise LÉVY (dir.), La Télévision des Trente
Glorieuses. Culture et politique, Paris, CNRS Éditions, 2007.
Christian DELPORTE, Denis MARÉCHAL, Caroline MOINE, Isabelle VEYRAT-
MASSON (dir.), Images et sons de Mai 68 (1968-2008), Paris, Nouveau
Monde Éditions, 2011.
Pascal DUMONTIER, Les Situationnistes et Mai 68. Théorie et pratique de la
révolution, Paris, Ivrea, 1995.
Michel FEHER, « Mai 68 dans la pensée », in Jean-Jacques Becker et Gilles
Candar (dir.), Histoire des gauches en France, La Découverte, Paris, 2004,
t. II, p. 599-623.
Jean-Pierre FILIU, Mai 68 à l’ORTF. Une radio-télévision en résistance, Paris,
Nouveau Monde Éditions, 2008.
Boris GOBILLE, « Être écrivain en mai 1968. Quelques cas d’“écrivains
d’aspiration” », Sociétés & Représentations, no 11, février 2001, p. 455-478.
–, Crise politique et incertitude : régimes de problématisation et logiques de
mobilisation des écrivains en Mai 68, thèse, EHESS, 2003.
–, « Les mobilisations de l’avant-garde littéraire française en mai 1968. Capital
politique, capital littéraire et conjoncture de crise », Actes de la recherche en
sciences sociales, no 158, juin 2005, p. 30-53.
–, « Un défi à la loi ? Les controverses autour de Pierrot le fou de Jean-Luc
Godard », Quaderni, 2015, no 86, p. 9-21.
–, Le Mai 68 des écrivains. Crise politique et avant-gardes littéraires, Paris,
CNRS Éditions, 2018.
Pascale GOETSCHEL, Renouveau et décentralisation du théâtre, Paris, PUF, 2004.
–, « Le Théâtre de France : l’Odéon de Barrault 1959-1968 », in Antoine de
Baecque (dir.), L’Odéon 1782-2010. Un théâtre dans l’histoire, Paris,
Gallimard, 2010, p. 148-181.
Julien HAGE, Feltrinelli, Maspero, Wagenbach : une nouvelle génération
d’éditeurs politiques d’extrême gauche en Europe occidentale, 1955-1982.
Histoire comparée, histoire croisée, thèse de doctorat, Université de
Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 2010.
David HAMELIN, Jean-Paul SALLES (coord.), Mai 68. Monde de la culture et
acteurs sociaux dans la contestation, numéro de Dissidences, Latresne, Le
Bord de l’eau, 2008.
Julian JACKSON, « The Mystery of May 68 », French Historical Studies, 2010,
vol. 33, no 4, p. 625-653.
Anselm JAPPE, L’Avant-garde inacceptable. Réflexions sur Guy Debord, Paris,
Lignes et Manifestes, 2004.
Bernard LACROIX, Anne-Marie PAILHÈS, Caroline ROLLAND-DIAMOND, Xavier
LANDRIN (dir.), Les Contre-cultures. Genèses, circulations, pratiques, Paris,
Syllepse, 2015.
Sébastien LAYERLE, Caméras en lutte en Mai 68, Paris, Nouveau Monde
Éditions, 2008.
Audrey LEBLANC, « Fixer l’événement. Le Mai 1968 du photojournalisme »,
Sociétés & Représentations, no 32, 2011 / 2, p. 57-76.
–, L’Image de Mai 68, du journalisme à l’histoire, thèse, EHESS, 2015.
Marie-Françoise LÉVY, Michelle ZANCARINI-FOURNEL, « La légende de l’écran
noir. L’information à la télévision en mai-juin 1968 », Réseaux, no 90, 1998,
p. 95-117.
Emmanuelle LOYER, « 1968, l’an I du tout culturel ? », L’Ombre portée de
Mai 68, numéro de Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 98, 2008 / 2,
p. 101-111.
Patrick MARCOLINI, Le Mouvement situationniste. Une histoire intellectuelle,
Montreuil, L’Échappée, 2012.
Olivier NEVEUX (dir.), Théâtres en lutte. Le théâtre militant en France des
années 1960 à aujourd’hui, Paris, La Découverte, 2007.
Pascal ORY, L’Entre-deux-mai. Histoire culturelle de la France mai 1968-
mai 1981, Paris, Seuil, 1983.
Denis PELLETIER, La Crise catholique : religion, société, politique en France
(1965-1978), Paris, Payot, 2002.
– et Jean-Louis SCHLEGEL (dir.), À la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche
en France de 1945 à nos jours, Paris, Seuil, 2012.
Marie-Ange RAUCH, Le Théâtre en France en 1968. Crise d’une histoire,
histoire d’une crise, Paris, Éditions de l’Amandier, 2008.
Chris REYNOLDS, Memories of May ’68 : France’s Convenient Consensus,
Cardiff, University of Wales Press, 2011.
Florent SCHOUMACHER, « Les analyses politiques de l’Internationale
situationniste et le tournant de 1968 », in David Hamelin, Jean-Paul Salles
(coord.), Mai 68. Aspects régionaux et internationaux, numéro de
Dissidences, Latresne, Le Bord de l’eau, 2008, p. 185-202.
Jeremi SURI, « The Rise and Fall of an International Counterculture, 1960-
1975 », The American Historical Review, vol. 114, no 1, février 2009, p. 45-
68.
Federico TARRAGONI, L’Énigme révolutionnaire, Paris, Les Prairies ordinaires,
2015.
Anna TRESPEUCH-BERTHELOT, L’Internationale situationniste. De l’histoire au
mythe (1948-2013), Paris, PUF, 2015.
Jean-Louis VIOLEAU, Les Architectes et Mai 68, Paris, Éditions Recherche, 2005.
Richard WOLIN, The Wind from the East : French Intellectuals, the Cultural
Revolution, and the Legacy of the 1960s, Princeton & Oxford, Princeton
University Press, 2010.

Déclinaisons locales de l’événement


Gareth BORDELAIS, Le Fonctionnaire de police face aux événements de Mai 68
au sein de la préfecture de police de Paris, master 2, université Évry-Val
d’Essonne, 2006.
Nathalie COLLADO, Christine COLLOMBIER, Le Mouvement de mai-juin 68 dans le
Gard, maîtrise, université de Montpellier, 1990.
Jean-François CONDETTE, « Autour de Mai 68, de la faculté des lettres à
l’université de Lille 3 : une mutation accélérée (1968-1970) », Revue du
Nord, t. 87, no 359, janvier-mars 2005, p. 139-176.
Nadège FAIVRE, Mai 68 à la faculté des lettres de Besançon, maîtrise, université
de France-Comté, 1998.
Stéphane FRUITIER, Les Événements de 1968 dans la Somme, maîtrise, université
Paris-I, 1987.
Anaïs GÉRARD, L’UNEF à Lyon, de mai 68 à la scission de 1971, histoire
politique de l’UNEF à Lyon à la fin des années 60, mémoire de fin d’études
de l’IEP de Lyon, 1998.
Sarah GUILBAUD, Mai 68 à Nantes, Nantes, Coiffard, 2004.
Patrick HASSENTEUFEL, Citroën-Paris en mai-juin 1968. Dualité de la grève,
maîtrise, université Paris-I, 1987.
L’Intelligence d’une ville. Mai-juin 68 à Lyon, Lyon, Bibliothèque municipale
de Lyon, 2008.
Émilie JOLIOT, Mai 68 dans le Haut-Doubs, maîtrise, université de Franche-
Comté, 2004.
Yves LEMÉNOREL, 68 à Caen, Caen, Cahiers du temps, 2008.
Cédric LEROY, 1968-1979 : la décennie des grèves ouvrières. Contribution à
l’étude du mouvement social dans le Calvados, maîtrise, université de Caen,
2001.
« Mai-juin 1968 dans l’Yonne », Les Cahiers d’Adiamos, 89, no 3, octobre 2009.
Olivier MARCHESI, Lyon en Mai 68, IEP de Lyon, 1998.
Marine MUGNIER, Le Mouvement étudiant à Dijon en mai-juin 68, M1, Dijon,
2005.
Jean-François NAUDET, La Grève de mai-juin 1968 à la RATP, maîtrise,
université Paris-I, 1986.
Willy PELLETIER, Mai 68 à Nantes : mobilisation et démobilisation, DEA, IEP
Paris, 1986.
Jean-Paul SALLES, « La Rochelle et la Charente-Maritime en mai 68 », Écrits
d’Ouest, no 14, 2006, p. 145-157.
Thomas ZURBACH, 1968 : le mai des travailleurs à Besançon, maîtrise,
université de France-Comté, 2002.

Sexe et genre de l’événement


Ludivine BANTIGNY, « Quelle “révolution” sexuelle ? Les politisations du sexe
dans les années post-68 », Sexe et politique, numéro de L’Homme et la
Société. Revue internationale de recherches et de synthèses en sciences
sociales, no 189-190, 2013 / 3-4, p. 15-34.
–, Fanny BUGNON, Fanny GALLOT, Prolétaires de tous les pays, qui lave vos
chaussettes ? Le genre de l’engagement dans les années 1968, Rennes,
PUR, 2017.
–, Fanny GALLOT, Frédéric THOMAS (coord.), Sexualités en révolutions, numéro
de Dissidences, no 15, automne 2016.
–, Anne KWASCHIK, « Déconditionner la place des femmes. Féminisme, genre et
engagement dans les “années 1968” », in Die « condition féminine ».
Deutschland und Frankreich im europäischen Vergleich 19./ 20.
Jahrhundert, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2016, p. 169-186.
Christine BARD (dir.), Les Féministes de la deuxième vague, actrices du
changement social, Rennes, PUR, 2013.
Marc BERGÈRE, Luc CAPDEVILA (dir.), Genre et événement. Du masculin et du
féminin en histoire des crises et des conflits, Rennes, Presses universitaires
de Rennes, 2006.
Sylvie CHAPERON, Les Années Beauvoir 1945-1970, Paris, Fayard, 2000.
Éric FASSIN, Le Sexe politique. Genre et sexualité au miroir transatlantique,
Paris, Éditions de l’EHESS, 2009.
Nancy FRASER, Les Féminismes en mouvement. Des années 1960 à l’ère
néolibérale, Paris, La Découverte, 2012.
Lessie Jo FRAZIER, Deborah COHEN (éd.), Gender and Sexuality in 1968.
Transformative Politics in the Cultural Imagination, New York, Palgrave
McMillan, 2009.
Fanny GALLOT, Ève MEURET-CAMPFORT, « Des ouvrières en lutte dans l’après
1968. Rapport au féminisme et subversions de genre », Politix, no 109, 2015,
p. 21-43.
Alain GIAMI, Gert HEKMA (dir.), Révolutions sexuelles, Paris, La Musardine,
2015.
Éliane GUBIN, Catherine JACQUES, Florence ROCHEFORT, Brigitte STUDER,
Françoise THÉBAUD, Michelle ZANCARINI-FOURNEL (dir.), Le Siècle des
féminismes, Paris, Éditions de l’Atelier-Éditions Ouvrières, 2004.
Julian JACKSON, Arcadie. La vie homosexuelle en France, de l’après-guerre à la
dépénalisation, Paris, Autrement, 2009.
Janine MOSSUZ-LAVAU, Les Lois de l’amour. Les politiques de la sexualité en
France (1950-2002), Paris, Payot, 1991, rééd. 2002.
Julie PAGIS, « Repenser la formation de générations politiques sous l’angle du
genre. Le cas de Mai-Juin 68 », Clio. Histoire, femmes et sociétés, no 29,
2009, p. 97-118.
Bibia PAVARD, Si je veux, quand je veux. Contraception et avortement dans la
société française (1956-1979), Rennes, PUR, 2012.
–, Michelle ZANCARINI-FOURNEL, Luttes de femmes. Un siècle d’affiches
féministes, Paris, Les Échappés, 2013.
Françoise PICQ, Libération des femmes. Les années-mouvement, Paris, Seuil,
1993.
Vincent PORHEL, Michelle ZANCARINI-FOURNEL (coord.), 68’ Révolution dans le
genre ?, numéro de Clio. Histoire, femmes et sociétés, no 29, 2009.
Massimo PREARO, Le Moment politique de l’homosexualité. Mouvements,
identités et communautés en France, Lyon, Presses universitaires de Lyon,
2014.
Anne-Claire REBREYEND, « Comment écrire l’histoire des sexualités au
e
XX siècle ? Bilan historiographique comparé français / anglo-américain »,
Clio. Histoire, femmes et sociétés, no 22, 2005, p. 185-209.
Gayle RUBIN, Surveiller et jouir. Anthropologie politique du sexe, textes réunis
et édités par Rostom Mesli, Paris, EPEL, 2010.
Michael SIBALIS, « Mai 68 : le Comité d’action pédérastique révolutionnaire
occupe la Sorbonne », Genre, sexualité et société, no 10, octobre 2013, n. p.
Xavier VIGNA, « De la conscience fière au stigmate social : le virilisme ouvrier à
l’épreuve des années 1968 », in Anne-Marie Sohn (dir.), Une histoire sans
les hommes est-elle possible ? Genre et masculinités, Lyon, ENS Éditions,
2014, p. 343-357.
Jeffrey WEEKS, The World We Have Won : the Remaking of Erotic and Intimate
Life, Londres, Routledge, 2007.
Michelle ZANCARINI-FOURNEL, « Genre et politique : les années 1968 »,
Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 75, 2002 / 3, p. 133-143.

Penser et écrire l’événement : historicité


et contemporanéité
Giorgio AGAMBEN, Che cos’è il contemporaneo ? (2008), trad. fr. Qu’est-ce que
le contemporain ?, Paris, Payot et Rivages, 2008.
Ludivine BANTIGNY, « Le temps politisé. Quelques enjeux politiques de la
conscience historique en Mai-Juin 68 », in Ludivine Bantigny, Quentin
Deluermoz (coor.), Historicités du XXe siècle. Coexistence et concurrence
des temps, numéro de Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 117, janvier-
mars 2013, p. 215-229.
–, « Mai-Juin 1968 : temps et contretemps de l’événement », in Anne Muxel
(dir.), Temps et politique. Les recompositions de l’identité, Paris, Presses de
Sciences Po, 2016, p. 122-142.
Pierre BOURDIEU, « Le rire de Mai », Interventions. 1961-2001, Marseille,
Agone, 2002.
Agnès CALLU (dir.), Le Mai 68 des historiens, entre identités narratives et
histoire orale, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion,
2010.
Cécile CANUT, Jean-Marie PRIEUR (dir.), 1968-2008. Événements de paroles,
Paris, Michel Houdiard éditeur, 2011.
François CUSSET, Contre-discours de Mai. Ce qu’embaumeurs et fossoyeurs de
68 ne disent pas à ses héritiers, Arles, Actes Sud, 2008.
Quentin DELUERMOZ, Boris GOBILLE (dir.), Protagonisme et crises politiques,
numéro de Politix. Revue des sciences sociales du politique, no 112, 2015.
Alain DEWERPE, Charonne, 8 février 1962. Anthropologie historique d’un
massacre d’État, Paris, Gallimard, 2006.
François DOSSE, Renaissance de l’événement. Un défi pour l’historien : entre
sphinx et phénix, Paris, PUF, 2010.
Régis DURAND et Michel POIVERT (dir.), L’Événement. Les images comme
acteurs de l’histoire, Paris, Hazan-Jeu de Paume, 2007
Écrire, Mai 68, Paris, Argol, 2008.
Pascale GOETSCHEL, Christophe GRANGER, « Faire l’événement. Un enjeu des
sociétés contemporaines », Sociétés & Représentations, no 32, 2011 / 2, p. 7-
23.
François HARTOG, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps,
Paris, Seuil, 2003, rééd. 2012.
Reinhart KOSELLECK, Vergangene Zukunft. Zur Semantik geschichtlicher Zeiten
(1979), trad. fr. Le Futur passé. Contribution à la sémantique des temps
historiques, Paris, Éditions de l’EHESS, 1990.
Wilfried MAUSBAUCH, « Historicising “1968” », Contemporary European
History, no 183, 2002, p. 177-187.
Olivier ORAIN, « Écrire sur 68 en spécialiste, tournant ou accomplissement ? »,
Genèses, no 76, septembre 2009, p. 137-156.
Pierre NORA, « Le retour de l’événement » (1972), in Jacques Le Goff, Pierre
Nora (dir.), Faire de l’histoire, t. I : Nouveaux problèmes, Paris, Gallimard,
1974, p. 201-228.
Bernard PUDAL, « Le moment 68 en France (éléments de problématique) », in
Janick Marina Schaufelbuehl (dir.), 1968-1978 : une décennie mouvementée
en Suisse, Zurich, Chronos, 2009, p. 53-66.
Jacques REVEL, « Pratiques du contemporain et régimes d’historicité », Le Genre
humain, no 35, 2000, p. 13-20.
Jean-Pierre RIOUX, « L’événement-mémoire : quarante ans de
commémorations », Le Débat, 149, mars-avril 2008, p. 4-19.
Jean-François SIRINELLI, « Le moment 1968, un objet pour la World History ? »,
Histoire@Politique. Politique, culture, société, no 6, septembre-
décembre 2008.
Isabelle SOMMIER, « Mai 68 : sous les pavés d’une page officielle », Sociétés
contemporaines, no 20, 1994, p. 63-82.
Xavier VIGNA, « Le crible de la mémoire : usage du passé dans les luttes
ouvrières des années 68 », in Marilyne Crivello, Patrick Garcia, Nicolas
Offenstadt (dir.), Concurrence des passés. Usages politiques du passé dans
la France contemporaine, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de
Provence, 2006, p. 147-156.
Michelle ZANCARINI-FOURNEL, Le Moment 68. Une histoire contestée, Paris,
Seuil, 2008.
–, avec Christian DELACROIX, La France du temps présent (1945-2005), Paris,
Belin, 2010.
Michelle Zancarini-Fournel, Les Luttes et les Rêves. Une histoire populaire de la
France de 1685 à nos jours, Paris, La Découverte, 2016.

Affects et expérience sensible du politique


Anne-Claude AMBROISE-RENDU, Anne-Emmanuelle DEMARTINI, Hélène ECK,
Nicole EDELMAN (dir.), Émotions contemporaines. XIXe-XXe siècles, Paris,
Armand Colin, 2014.
Ron AMINZADE et alii, Silence and Voice in the Study of Contentious Politics,
Cambridge, Cambridge University Press, 2001.
Pierre ANSART, La Gestion des passions politiques, Lausanne, L’Âge d’homme,
1983.
Ludivine BANTIGNY, « Affects et émotions dans l’engagement révolutionnaire
post-1968 », in Anne Muxel (dir.), La Vie privée des convictions. Politique,
affectivité, intimité, Paris, Presses de Sciences Po, 2014, p. 135-154.
–, « S’engager. Politique, événement et générations », in Alain CORBIN, Jean-
Jacques COURTINE, Georges VIGARELLO (dir.), Histoire des émotions, vol. 3,
Paris, Seuil, 2017, p. 139-164.
Pierre BOURDIEU, Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 1997.
Philippe BRAUD, L’Émotion en politique. Problèmes d’analyse, Paris, Presses de
la FNSP, 1996.
Yves CITTON, Frédéric LORDON (dir.), Spinoza et les sciences sociales. De la
puissance de la multitude à l’économie des affects, Paris, Éditions
Amsterdam, 2008.
Alain CORBIN, Jean-Jacques COURTINE, Georges VIGARELLO (dir.), Histoire des
émotions, Paris, Seuil, trois vol., 2016-2017.
Quentin DELUERMOZ, Emmanuel FUREIX, Hervé MAZUREL, M’hamed OUALDI,
« Écrire l’histoire des émotions. De l’objet à la catégorie d’analyse », Revue
d’histoire du XIXe siècle, no 47, 2013, p. 155-189.
Arlette FARGE, Effusion et Tourment. Le récit des corps. Histoire du peuple au
e
XVIII siècle, Paris, Odile Jacob, 2007.
Claude GAUTIER et Olivier LE COUR GRANDMAISON (coord.), Passions et
sciences humaines, Paris, PUF, 2002.
Daniel GAXIE, « Économie des partis et rétributions du militantisme », Revue
française de science politique, no 1, 1977, p. 123-154.
Jeff GOODWIN, James M. JASPER, Francesca POLLETTA (éd.), Passionate Politics.
Emotions and Social Movements, Chicago-Londres, The University of
Chicago Press, 2001.
Arlie HOCHSCHILD, « The Sociology of Feeling and Emotion : Selected
Possibilities », Sociological Inquiry, 2-3 avril 1975, p. 280-307.
Axel HONNETH, Kampf um Anerkennung (1992) trad. fr. La Lutte pour la
reconnaissance, Paris, Cerf, 2000.
Joshua HORDERN, Political Affections. Civic Participation and Moral Theology,
Oxford, Oxford University Press, 2013.
Frédéric LORDON, Capitalisme, désir et servitude. Marx et Spinoza, Paris, La
Fabrique, 2010.
–, La Société des affects. Pour un structuralisme des passions, Paris, Seuil, 2013.
–, Les Affects de la politique, Paris, Seuil, 2016.
George E. MARCUS, The Sentimental Citizen : Emotion in Democratic Politics
(2002), trad. fr. Le Citoyen sentimental. Émotions et politique en démocratie,
Paris, Presses de la FNSP, 2008.
Nicolas MARIOT, « Les formes élémentaires de l’effervescence collective, ou
l’état d’esprit prêté aux foules », Revue française de science politique,
vol. 51, 2001 / 5, p. 707-738.
Russell NEUMAN, George E. MARCUS, Ann N. CRIGLER, Michael MACKUEN, The
Affect Effect. Dynamics of Emotion in Political Thinking and Behavior,
Chicago-Londres, The University of Chicago Press, 2007.
Jacques RANCIÈRE, Le Partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La
Fabrique, 2000.
–, Aux bords du politique, Paris, Gallimard, 2007.
–, Moments politiques. Interventions 1977-2009, Paris, La Fabrique, 2009.
William M. REDDY, The Navigation of Feeling : A Framework for the History of
Emotions, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.
Bernard RIMÉ, Le Partage social des émotions, Paris, PUF, 2005.
James C. SCOTT, Domination and the Arts of résistance, trad. fr. La Domination
et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne (1992), Paris,
Éditions Amsterdam, 2008.
Patricia TICINETO Clough et Jean O’MALLEY HALLEY (éd.), The Affective Turn :
Theorizing the Social, Durham, Duke University Press, 2007.
Charles TILLY, Sidney TARROW, Contentious Politics, Boulder, Paradigm, 2007,
trad. fr. Politique(s) du conflit, Paris, Presses de Sciences Po, 2008.
Christophe TRAÏNI (dir.), Émotions… Mobilisation !, Paris, Presses de Sciences
Po, 2009.
Sophie WAHNICH, Les Émotions, la Révolution française et le présent. Exercices
pratiques de conscience historique, Paris, CNRS Éditions, 2009.

Utopies politiques et futurs imaginés


Miguel ABENSOUR, L’Utopie de Thomas More à Walter Benjamin, Paris,
Sens & Tonka, 2000.
–, Le Procès des maîtres rêveurs. L’utopie, une question au présent, Paris,
Sens & Tonka, 2013.
–, L’Histoire de l’utopie et le destin de sa critique, Paris, Sens & Tonka, 2016.
Ernst BLOCH, Das Prinzip Hoffnung (1959), trad. fr. Le Principe espérance,
Paris, Gallimard, 1991.
Nestor CAPDEVILA, Équivoques et tourments de l’utopie. Un concept en jeu,
Paris, Publications de la Sorbonne, 2015.
Laurent COLOTANIO, Caroline FAYOLLE (dir.), Genre et Utopie. Avec Michèle
Riot-Sarcey, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2016.
André GORZ, Misères du présent. Richesse du possible, Paris, Galilée, 1997.
Michael JACOBSEN, Keith TESTER, Utopia : Social Theory and the Future,
Burlington, Ashgate, 2012.
Florent PERRIER, Topeaugraphies de l’utopie. Esquisses sur l’art, l’utopie et le
politique, Paris, Payot, 2015.
Jacques RANCIÈRE, La Nuit des prolétaires. Archives du rêve ouvrier, 1981, rééd.
Paris, Fayard, 2012.
Paul RICŒUR, L’Idéologie et l’Utopie, rééd. Paris, Seuil, 2016.
Michèle RIOT-SARCEY, Le Réel de l’utopie. Essai sur le politique au XIXe siècle,
Paris, Albin Michel, 1998.
Lyman SARGENT, Utopianism : A Very Short Introduction, Oxford, Oxford
University Press, 2010.
Erik Olin WRIGHT, Envisioning Real Utopias, 2010, trad. fr. Utopies réelles,
Paris, La Découverte, 2017.
Sigles

AD : Archives départementales.
AGE : Association générale des étudiants.
AN : Archives nationales.
ANMT : Archives nationales du monde du travail.
APP : Archives de la préfecture de police de Paris.
BDIC : Bibliothèque de documentation internationale contemporaine.
BNF : Bibliothèque nationale de France.
CAL : Comités d’action lycéens.
CDHMOT : Centre de documentation sur l’histoire du mouvement ouvrier et du
travail.
CDJA : Centre départemental des jeunes agriculteurs.
CDR : Comités de défense de la République.
CELU : Comité des étudiants pour les libertés universitaires.
CFDT : Confédération française démocratique du travail.
CFT : Confédération française du travail.
CFTC : Confédération française des travailleurs chrétiens.
CGT : Confédération générale du travail.
CHT : Centre d’histoire du travail.
CNPF : Conseil national du patronat français.
CRS : Compagnies républicaines de sécurité.
CVB : Comités Vietnam de base.
CVN : Comité Vietnam national.
DST : Direction de la surveillance du territoire.
ENSBA : École nationale supérieure des beaux-arts.
ESU : Étudiants socialistes unifiés.
FDSEA : Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles.
FEN : Fédération de l’Éducation nationale.
FER : Fédération des étudiants révolutionnaires.
FERU : Front des étudiants pour la rénovation de l’Université.
FGDS : Fédération de la gauche démocrate et socialiste.
FNEF : Fédération nationale des étudiants de France.
FNEL : Fédération nationale des étudiants et lycéens.
FNSEA : Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles.
FO : Force ouvrière.
JCR : Jeunesse communiste révolutionnaire.
JEC : Jeunesse étudiante chrétienne.
JOC : Jeunesse ouvrière chrétienne.
MAU : Mouvement d’action universitaire.
MODEL : Mouvement d’organisation des étudiants pour la liberté.
MUR : Mouvement universitaire pour la réforme.
OAS : Organisation de l’armée secrète.
OLAS : Organisation latino-américaine de solidarité.
OP : Ouvrier professionnel.
OS : Ouvrier spécialisé.
PCF : Parti communiste français.
PSU : Parti socialiste unifié.
RG : Renseignements généraux.
RNUR : Régie nationale des usines Renault.
RPF : Rassemblement du peuple français.
SAC : Service d’action civique.
SDS : Sozialistischer Deutscher Studentenbund.
SFIO : Section française de l’Internationale ouvrière.
SMIG : Salaire minimum interprofessionnel garanti.
SNESup : Syndicat national de l’enseignement supérieur.
SPD : Sozialdemokratische Partei Deutschlands.
UD Ve : Union des démocrates pour la Ve République.
UDR : Union pour la défense de la République.
UEC : Union des étudiants communistes.
UJCF : Union de la jeunesse communiste de France.
UJCml : Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes.
UJFF : Union des jeunes filles de France.
UJP : Union des jeunes pour le progrès.
UNEF : Union nationale des étudiants de France.
UNR : Union pour la nouvelle République.
Index

Adorno, Theodor W.
Albert, Michel
Alcouffe, Alain
Alvarez, Santiago
Andersen, Hans Christian
Andrieu, Michel
Andrieu, René
Antoine (Pierre Murracioli, dit)
Anzieu, Didier
Aragon, Louis
Arman (Armand Fernandez, dit)
Aron, Raymond
Artaud, Antonin
Aubret, Isabelle
Audefroy, Bernard
Axelos, Kostas
Azaïs, Charles

Bachmann, Josef
Baker, Josephine
Bakounine, Mikhaïl
Barbu, Francis
Barjonet, André
Barthes, Roland
Basso, Lelio
Beaufrère
Ben Barka
Ben Bella, Ahmed
Benjamin, Walter
Benoist, Alain (de)
Bensaïd, Daniel
Bentz, Robert
Benveniste, Jacques
Bercot, Pierre
Berliet, Marius
Bernanos, Georges
Berque, Jacques
Besse, Guy
Beylot, Pierre
Bigorgne, Gérard
Bisseret, Noëlle
Blanchet, Henri
Blanchot, Maurice
Blanco, Hugo
Boltanski, Luc
Bonneau, Gabriel
Bonnet, Christian
Bonnot, Jules
Bonnot-Jörgens, Françoise
Bord, André
Borne, Étienne
Boulte, Nicolas
Bourdet, Yvon
Bourdieu, Pierre
Brandt, Willy
Breton, André
Brown, Rap
Buisson, Patrick
Butor, Michel

Cambronne-Desvignes, Chantal
Capitant, René
Cardonnel, Jean
Carpentier, François
Castoriadis, Cornélius
Castro, Fidel
Cavaignac, Eugène
Cayrol, Roland
Celan, Paul
Certeau, Michel (de)
Cesbron, Gilbert
Chalandon, Albin
Chalin, Claude
Chand, Vinay
Chapuis, René
Chenot, Pierrette
Chenu, Marie-Dominique
Cheval, Patrick
Chiapello, Ève
Chimutengwende, Chenhamo
Chirac, Jacques
Chombart de Lauwe, Henri
Churlet, Georges
Clapton, Eric
Claux, Antoinette
Clavel, Maurice
Clemenceau, Georges
Cohn-Bendit, Daniel
Cohn-Bendit, Gabriel
Congar, Yves
Cordier, Dominique
Cot, Pierre
Coury, Henri
Crépeau, Michel
Cusseau, Victor

Dac, Pierre
Dacqmine, Jacques
Daniel, Jean
Daniélou, Jean
Dante (Durante degli Alighieri, dit)
Debizet, Pierre
Debray, Régis
Debré, Michel
Dechartre, Philippe
Defferre, Gaston
Deleuze, Gilles
Delforge, Pierre
Delon, Alain
Delphy, Christine
Demoy, Guy
Deparpe, Raymond
Descamps, Eugène
Desroches, Henri-Charles
Devedjian, Patrick
Dombrowski, Jaroslav
Domenach, Jean-Marie
Dostoïevski, Fiodor
Douai, Jacques
Doustin, Daniel
Dreyfus, Pierre
Droit, Michel
Drumont, Édouard
Druon, Maurice
Ducamin, Bernard
Duclos, Jacques
Dumont, Pierre
Dupuch, Michel
Dupuch, Pierre
Dupuis, Sylvette
Duvochel, Paul
Dylan, Bob

Engels, Friedrich
Escudero, Lény

Feldman, Jacqueline
Feltrinelli, Giangiacomo
Ferniot, Jean
Ferrat, Jean
Ferry, Jules
Flornoy, Bertrand
Foccart, Jacques
Foucault, Michel
Fouché, Joseph
Fouchet, Christian
Fourastié, Jean
Fourier, Joseph
Frachon, Benoît
Fraenkel, Boris
Franco, Francisco
Fregoli, Leopoldo
Friédérich, André
Gabilly, Marcel
Gac, Claude
Gadet, Raymond
Gainsbourg, Serge
Gallimard, Gaston
Gatti, Armand
Gaulle, Charles (de)
Geismar, Alain
Genet, Jean
Gilles, Gilda
Giscard d’Estaing, Valéry
Glucksmann, André
Goasguen, Paul
Godard, Jean-Luc
Godelier, Maurice
Goebbels, Josef
Goldmann, Lucien
Goupil, Romain
Grappin, Pierre
Gréco, Juliette
Green, Julien
Grenier, Fernand
Grière, Janine
Guattari, Félix
Guéna, Yves
Guérin, Daniel
Guevara, Ernesto (Che)
Guilhaumou, Jacques
Guillebaud, Jean-Claude

Habel, Janette
Habermas, Jürgen
Hadj, Messali
Halimi, Gisèle
Halliday, Fred
Hallier, Jean-Edern
Hamon, Léo
Handke, Peter
Hébert, Alexandre
Hegel, Friedrich
Hendrix, Jimi
Higelin, Jacques
Hitler, Adolf
Honneth, Axel
Horkheimer, Max
Hugo, Victor
Huysmans, Denis

Imbert, Claude
Ionesco, Eugène

Jackie (« le Katangais »)
Jeanneney, Jean-Marcel
Jeanson, André
Joannès, Victor
Jobert, Michel
Johnson, Lyndon
Johsua, Isaac
Joxe, Louis
Juliet, Charles

Kafka, Franz
Kahn, Marcel-Francis
Kaplan, Leslie
Kaven, Jan
Kébadian, Jacques
Kerensky, Alexandre
Kerouac, Jack
Khrouchtchev, Nikita
Klein, William
Klein, Yves
Kravetz, Marc
Krivine, Alain
Krumnow, Fredo
Kuby, Erich
Kundera, Milan

Labiche, Eugène
Lacan, Jacques
Lacombe, Claire
Lacouture, Jean
Lacroix, Jean
Lacroix, René
Laguiller, Arlette
Langlade, Xavier
Lanvin, Marc
Lautréamont (Isidore Ducasse, dit)
Laval, Pierre
Lebel, Jean-Jacques
Lebesque, Morvan
Le Bon, Gustave
Le Cornec, Jacques
Ledru-Rollin, Alexandre
Lefebvre, Henri
Lefranc, Pierre
Le Grève, Pierre
Leiris, Michel
Lemarque, Francis
Lénine, Vladimir Illich
Leroy-Ladurie, Emmanuel
Lévy, Benny
Lichnerowicz, André
Liebknecht, Karl
Lipovetsky, Gilles
Lombois, Claude
Longuet, Gérard
Lordon, Frédéric
Louis-Philippe
Louis XVI
Lourau, René
Lumumba, Patrice
Luther King, Martin
Luxemburg, Rosa

Madelin, Alain
Magny, Colette
Maïakovski, Vladimir
Makhno, Nestor
Malraux, André
Mandel, Ernest
Mantegna, Andrea
Marchais, Georges
Marcuse, Herbert
Marivin, André
Marty, François
Marx, Karl
Maspero, François
Mas, Roger
Massu, Jacques
Mathérion, Philippe
Mauriac, François
Maurivard, Georges
Maurras, Charles
Mayo, Elton
McDermid, Anne
Memmi, Albert
Mendès France, Pierre
Mercier, Henri
Messmer, Pierre
Meunier, Lucien
Michelin, François
Michel, Jean-Paul
Michel, Louise
Missoffe, François
Mitterrand, François
Mnouchkine, Ariane
Moch, Jules
Modzelewski, Karol
Moineau, Guy
Mollet, Guy
Monate, Gérard
Monod, Jacques
Montaron, Georges
Morin, Edgar
Morrison, Jim
Mounier, Emmanuel
Moyroud, Gisèle
Munch, Marcel
Mury, Gilbert

Neil-Acheson, Jean
Neuwirth, Lucien
Nichet, Jacques
Nugues, Paul

Ohnesorg, Benno
Ozouf, Jacques

Papon, Maurice
Pareto, Vilfredo
Parvus, Alexandre
Passeron, Jean-Claude
Patin, Jacques
Pautard, André
Pétain, Philippe
Peyrefitte, Alain
Planchon, Roger
Pollès, Renan
Pompidou, Georges
Pontal, Gaston
Pontecorvo, Gillo
Poujol, Robert
Poulantzas, Nicos
Préboist, Paul
Prévert, Jacques
Prim, Gérard
Proudhon, Pierre-Joseph
Proust, Marcel
Pujo, Pierre

Rancière, Jacques
Raptis, Michel
Raton, Michel
Rebatet, Lucien
Reggiani, Serge
Reich, Wilhelm
Rémond, René
Revault d’Alonnes, Myriam
Rey, Benoît
Rey, Jean-Pierre
Richard, Antoine
Ricœur, Paul
Riesel, René
Rimbaud, Arthur
Robert, Alain
Rocard, Michel
Roche, Jean
Rochet, Waldeck
Rocton, Yvon
Rogers, Carl
Rosanvallon, Pierre
Rosi, Francesco
Rossi, Paolo
Rossman, Michael
Rouby, Élie
Rougé, Jean
Rousset, David
Rousset, Pierre
Roux, Jacques
Rueff, Jacques
Russell, Bertrand

Sade, Donatien Alphonse François (de)
Salan, Raoul
Sander, Helke
Sand, George
Santis, Mario (de)
Santucho, Mario Roberto
Sartre, Jean-Paul
Sauvageot, Jacques
Savary, Jérôme
Schneider, Gilles
Schumann, Maurice
Schütz, Klaus
Schwartz, Laurent
Scott, Joan
Sébastiani, Christian
Séguy, Georges
Sempé (Jean-Jacques Sempé, dit)
Sernin, André
Servan-Schreiber, Jean-Jacques
Séveno, Maurice
Siné (Maurice Sinet, dit)
Solleville, Francesca
Soulié, Pierre
Springer, Axel
Staline, Joseph
Stora, Benjamin

Tautin, Gilles
Terrel, Jean
Terrenoire, Louis
Thiers, Adolphe
Thorez, Maurice
Thorn, Jean-Pierre
Tinguely, Jean
Tito, Josip Broz
Tocqueville, Alexis (de)
Touraine, Alain
Tse Toung, Mao

Valla, Claude-Jean
Vallon, Louis
Vandermeersch, Françoise
Vaneigem, Raoul
Varlet, Jean-François
Velay, Serge
Vernant, Jean-Pierre
Vernant, Pierre
Viansson, Ponté Pierre
Vidal, Michel
Vidal-Naquet, Pierre
Vigier, Jean-Pierre
Vila-Matas, Enrique
Vilnet, Jean
Vincent, Georges

Wattier, Jacques
Weil, Simone
Wesker, Arnold
Wilson, Harold
Wittig, Monique
Wolff, Karl
Wright Mills, Charles

Zamansky, Marc
Zay, Jean
Zedet, Suzanne
Zelensky, Anne
Remerciements

Ce travail s’est mené avec la complicité attentive de Nicolas Hatzfeld. Il y a


bien des raisons de le remercier : ses suggestions, son enthousiasme, la liberté
qu’il m’a donnée, sa vigilance comme sa bien--veillance. Pascale Goetschel,
Gerd-Rainer Horn, Marc Lazar, Xavier Vigna et Michelle Zancarini-Fournel ont
accepté de lire le manuscrit à l’origine de cet ouvrage et de participer au jury
chargé de l’évaluer ; j’en suis heureuse et leur dis toute ma gratitude.

Séverine Nikel et Patrick Boucheron ont bien voulu accueillir ce livre, lui
accorder leur temps et lui faire confiance ; Caroline Pichon a veillé sur les
évolutions de sa publication et Marie-Caroline Saussier a mené un formidable
travail de préparation sur le manuscrit ; je les en remercie.

J’éprouve une profonde reconnaissance pour le travail des archivistes qui
m’ont aidée dans ces explorations parfois tâtonnantes ; partout, j’ai trouvé de
leur part une attention patiente et un appui essentiel à mes recherches.

Merci à Chantal et Jacques Bantigny pour leur sollicitude et leur soutien ;
Déborah Cohen, Fanny Gallot et Eugénia Palieraki, amies si chères que je
remercie de donner sans compter et pour l’éclat de l’histoire qu’elles écrivent ;
Raphaëlle Branche, François Chaubet, Quentin Deluermoz, Thomas Hippler et
Jean-Paul Salles pour leur précieuse lecture et la certitude de pouvoir compter
sur notre amitié ; Johann Chapoutot, Thomas Dodman, Boris Gobille,
Christophe Granger, Laurent Jeanpierre, Dominique Kalifa, Hervé Mazurel,
Stéphanie Sauget, Marie Scot, et Julien Théry pour tant de partages et depuis
tant d’années ; Mathieu Burnel en souvenir de l’avenir et du passé ; Sacha
Gillard, Mohamed Hanafi et Marius Loris pour l’art dans la vie ; Christian
Ingrao, pour tant de choses dont son infinie générosité ; et Thomas, historien,
bâtisseur, rêveur des gares et des aéroports, une des plus belles personnes qui
soient.

Cet ouvrage doit beaucoup à Daniel Blondet, qui en a lu chaque ligne et a
élaboré en le parcourant son propre récit, empreint d’intelligence et de poésie.
C’est un sage révolté. Son expérience et son immense connaissance n’ont rien
enlevé à son humilité. Je lui en sais gré, comme de notre amitié.

À Éléa et Numa, pour la joie de toujours et de chaque jour.

Et dans le souvenir lumineux d’Élise.

Vous aimerez peut-être aussi