Dimanche 29 Mai 2011
SANTÉ
Bars à sourire :
la riposte des dentistes
À Nancy, l’implantation d’un bar à sourire fait grincer des dents les chirurgiens-dentistes.
L’Ordre départemental a décidé d’actionner la justice. Le gérant du bar se dit confiant.
E
au oxygénée ou pas ? La
question fait rage dans les
bars à sourire et surtout
dans les cabinets dentaires.
DOSSIER
Les dentistes nancéiens ont
décidé d’en avoir le cœur net.
La cible du courroux du con-
seil départemental de l’Ordre
des dentistes de Meurthe-et-
Moselle ? Le Beauty Smile, un
bar de blanchiment nouvelle-
ment installé rue Stanislas,
près de la gare, « Une belle
adresse », confie avec fierté le
concepteur de la maison, Émi-
lien Tusar.
Produits conformes
Selon lui, son affaire tourne
très bien depuis l’ouverture,
voilà un mois, mais il s’apprête
déjà à la vendre. Il a même
publié une annonce en ligne.
« Ce qui m’intéresse, c’est le
concept, monter de toutes piè-
ces un bar avant de le céder
rapidement. On nous a déjà
proposé des prix alléchants. »
Mais, depuis quelques jours,
le moral du jeune gérant, par
ailleurs à la tête d’une salle de
sport à Piennes, en Meurthe-
et-Moselle, chute. En effet, les
chirurgiens-dentistes prépa-
La blancheur à la carte
Le bar à sourire de Metz a ouvert le mois dernier et compte déjà une centaine de clients.
La séance de blanchiment dure 20 minutes et coûte 89 €.
E
n entrant dans le Bar à
sourire, en plein centre
de Metz, on tombe direc-
tement sur le gérant, Eddy
Bourg. Normal, le salon de
blanchiment des dents ne fait
que 20 m². Baigné dans une
atmosphère qui fleure bon les
années 60 et une musique très
tendance, le client est tout de
suite intrigué par trois gros
fauteuils en forme d’œufs (les
egg cabines, pour les connais-
seurs).
« C’est pour préserver l’inti-
mité », explique Eddy. Installé
au fond du cocon, on ne peut
pas être vu. Du reste, le prin-
cipe est simple : à l’aide d’un
nuancier d’une vingtaine de
teintes, on peut situer aisé-
ment la blancheur de sa denti-
tion : plutôt brunâtre ou ultra-
bright ? Le Bar à sourire pour-
rait faire gagner deux à sept
teintes. Preuve à l’appui,
grâce au nuancier.
Formation
de vingt heures
Pour commencer, il faut se
brosser les dents et enfiler des
lunettes protectrices. Puis,
muni d’une gouttière en sili-
cone enduite d’un gel spécial,
le client prend place dans
l’œuf. Il est soumis à une
lumière bleue pulsée qui
active le produit pendant
deux fois dix minutes. Et hop,
le tour est joué. Le tout pour
89 € ou 79 € si on vient à
deux.
Un vrai business. Eddy, le
rent leur riposte en se basant
sur les produits utilisés pour
faire gagner à la couleur des
dents de « 3 à 9 teintes sur le
nuancier », comme le précise
Emilien Tusar.
« Notre fournisseur nous
assure que nos produits sont
conformes à la réglementation
européenne et aux normes ISO.
Ils ne contiennent pas de
peroxyde d’hydrogène (eau
oxygénée) », assure le gérant.
« Les fabricants
ont triché »
Le doct eur Chr ist ophe
Amory, spécialiste en blanchi-
ment dentaire à la faculté de
Nancy, n’est pas du même
avis. « Les fabricants ont tri-
ché », affirme-t-il. Certes, les
produits appliqués sur les
dents ne renferment pas de
peroxyde d’hydrogène. « Il
s’agit de perborate de sodium
et d’EDTA. Mais leur action
commune produit du peroxyde
d’hydrogène à des concentra-
tions très importantes et donc
interdites par la réglementa-
tion. Pour moi, il s’agit d’une
pratique faite dans une officine
qui n’a rien de médical. »
Quelles actions peuvent
avoir ces produits chimiques
appliqués dans une bouche
commerçant, tient par ailleurs
des magasins de vêtements à
Thionville. Sa cogérante, Sté-
phanie Dell’Agnese, est coif-
feuse. Tous deux ont entendu
parler du procédé miracle, il y
a quelques mois. Notamment
lors de l’ouverture de la pre-
mière boutique du genre en
France, le Magic Smile, à
Paris. « Nous avons suivi une
formation, pendant une ving-
Émilien Tusar, patron du bar à sourire de la rue Stanislas, à Nancy, subit l’ire du conseil de l’Ordre
des chirurgiens-dentistes de Meurthe-et-Moselle. Photos Anthony PICORÉ
aux tissus non protégés de leur
contact ? « Le perborate est
connu pour son action sur la
fertilité et déconseillée chez les
femmes enceintes », met en
garde le Dr Franck Lefèvre,
Cheveux mi-longs, casquette, chemise à fleurs et chaussures cirées noires, Eddy n’a rien d’un dentiste.
Normal : sa technique de blanchissement des dents, c’est du business à 100 %. Photo Maury GOLINI
taine d’heures », souligne
Eddy. Pour lui, le blanchiment
des dents, c’est comme des
séances d’UV. « Au début,
quand personne ne connais-
sait, les gens étaient inquiets
et sceptiques. Très vite ça s’est
démocratisé. »
« Pas de peroxyde,
pas de problème »
Quand à la controverse avec
Région
président du conseil de l’ordre
départemental.
Celui-ci a décidé d’entamer
une action en justice et d’aler-
ter l’Agence régionale de
Santé. « Nous désirons avant
les dentistes, le gérant l’écarte
d’un geste : « Mais ça, c’était
avant ! Depuis mars 2011, on
n’a plus le droit d’utiliser du
peroxyde, cette substance
agressive qui rendait les dents
et les gencives sensibles.
Maintenant tout le monde
s’est calmé : on ne joue plus
avec les mêmes armes. Mais le
résultat est identique. » Tou-
jours est-il que la séance est
03 7
ouvertures à metz et nancy
Quelques précautions Prudence
sur les kits
L’utilisation de produits de
blanchiment des dents conte-
nant jusqu’à 0,1 % de peroxyde
d’hydrogène ne présente aucun
risque pour la santé du consom-
mateur. Par contre, l’utilisation
de produits de blanchiment
dentaire contenant entre 0,1 %
et 6 % de peroxyde d’hydrogène
peut comporter des risques
Avant tout blanchiment des dents, quelques précautions s’impo- pour les consommateurs.
sent. Le Beauty smile, à Nancy, demande à ses clients de lire ses Or, une étude anglaise indi-
recommandations avant de s’engager. De leur côté, les chirurgiens que que sur vingt kits de blan-
dentistes qui pratiquent aussi le blanchiment dentaire prennent un chiment en vente libre, notam-
luxe de précautions. Avant tout, une consultation chez un dentiste est ment sur Internet, 18
nécessaire. Le praticien vérifie l’état de la bouche et de la dentition, contiennent des niveaux illé-
traque entre autres les caries et la présence de tartre. Ensuite, il cherche gaux d’agents de blanchiment,
à comprendre pourquoi la teinte actuelle des dents ne plaît pas. qui peuvent entraîner de sérieu-
Ce n’est qu’une fois cette étape est franchie que l’on passe à la phase ses irritations ou brûlures à la
suivante. Un dentiste a deux méthodes pour blanchir les dents. La bouche et aux gencives.
version longue et douce demande le port d’une gouttière contenant un Une grande prudence est
gel éclaircisseur chaque jour pendant trois semaines à raison d’une donc requise avec les produits
heure par jour. La seconde est plus radicale : elle se pratique dans le proposés. Afin d’éviter que le
cabinet dentaire. Le praticien utilise un puissant produit éclaircissant blanchiment ne devienne
activé, mais il isole la totalité de la bouche, évitant tout contact du source de souffrance, il est
produit avec la langue, les gencives et les joues. La séance dure une recommandé de consulter un
heure et revient entre 200 et 400 euros. dentiste qualifié.
tout connaître la composition
des produits appliqués », insis-
te-t-il. Les professionnels ne
sont prêts à lâcher le morceau.
M.-O. N.
interdite aux femmes encein-
tes ! « Pourtant, il n’y a plus
de peroxyde… Ils doivent pren-
dre des précautions extraordi-
naires », observe Eddy.
Le résultat doit durer entre
six et neuf mois, selon la
consommation de café, de thé
ou de cigarettes du client.
Aux dires du gérant, les séan-
ces sont à renouveler à
volonté…