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L'ENTREPRENEURIAT COOPÉRATIF, UN ENJEU POUR L'EMPLOI DES

JEUNES DIPLÔMÉS MAROCAINS

Aomar Ibourk

De Boeck Supérieur | « Entreprendre & Innover »

2014/1 n° 20 | pages 107 à 124


ISSN 2034-7634
ISBN 9782804188306
DOI 10.3917/entin.020.0107
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-entreprendre-et-innover-2014-1-page-107.htm
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L’entrepreneuriat
coopératif, un enjeu
pour l’emploi des jeunes
diplômés marocains
> Aomar Ibourk

Résumé

Le système coopératif est un levier du développement socio-économique local, mais les coopératives
affrontent des obstacles qui les empêchent d’accomplir pleinement leur rôle de création de valeur écono-
mique et sociale. La principale difficulté que rencontrent les coopératives marocaines des jeunes diplômés
est le manque d’activité. L’article identifie les déterminants de l’inactivité par le biais d’une étude empirique
qui s’appuie sur des données aussi bien quantitatives que qualitatives. L’accent est mis sur les coopératives
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des jeunes évoluant dans des environnements socioculturels variés et problématiques.

Les points forts


• Un chômage endémique touche les diplômés marocains de l’enseignement
supérieur et particulièrement les titulaires des diplômes universitaires géné-
ralistes (Lettres, Sciences, Droit et Économie).
• Le modèle coopératif peut constituer pour eux un mode d’insertion privilégié.
• Une analyse menée sur un grand nombre de coopératives de jeunes diplô-
més révèle que beaucoup d’entre elles sont inactives, créées par pur effet
d’aubaine pour bénéficier des subventions publiques et des aides des ONG.

Entreprendre & Innover / Mars 2014 / 107


Entreprendre dans la diversité, vol. 1 (20), 2014
Dossier : L’entrepreneuriat coopératif, un enjeu pour l’emploi des jeunes diplômés marocains

À l’instar des pays en développement, le


Maroc connaît un fort taux de chômage
de ses jeunes diplômés. Cette situation,
3252 diplômés (soit une moyenne de 11
adhérents par coopérative) et engageant
un capital de 44644703 DH (soit une
préoccupante pour toute une classe d’âge, moyenne de 154480 DH par coopérative et
a poussé les pouvoirs publics à s’impliquer 13737 DH par adhérent) ont été réperto-
en matière de politique de l’emploi et à riées. Cependant, malgré l’intérêt affiché
promouvoir des modalités différentes des par les pouvoirs publics, le développement
canons habituels pour entreprendre. Par- de ce type de coopératives reste en deçà
tant du constat que l’écart entre le rythme des espérances (Fath Allah, 2011)3. L’im-
de création d’emplois dans le secteur pact de cette forte dynamique constatée
public, longtemps considéré comme étant au niveau de la création des coopératives
la filière d’insertion de prédilection des devrait être relativisé eu égard à l’exis-
diplômés, et celui de la croissance de l’offre tence d’une proportion non négligeable
du travail diplômé ne peut que s’accentuer de coopératives en situation d’inactivité
vu la conjoncture, la politique de l’emploi ou de manque d’activité.
initiée vise à faciliter l’insertion des diplô-
Les déterminants de cette inactivité pro-
més dans le secteur privé et à trouver de
viennent d’une multitude de facteurs
nouvelles voies de formation et d’accès à
ayant trait à la nature des coopératives
l’emploi et à l’activité économique. Tous
et à ses aspects juridiques, organisation-
les diplômés ne sont pas toutefois aptes à
nels et matériels intrinsèques. D’autres
suivre cette voie puisqu’une bonne partie
contingences pèsent également sur leur
est prise dans un chômage endémique,
action. C’est ainsi que les logiques com-
lequel touche les diplômés du supérieur et
portementales et cognitives des acteurs,
frappe tout particulièrement les titulaires
sans parler des objectifs entrepreneuriaux
des diplômes universitaires généralistes
de création de valeurs qui pourraient
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(Lettres, Sciences, Droit et Économie).
les animer, devraient recevoir beaucoup
D’autres filières d’insertion alternatives
plus d’attention car ils constituent des
sont ainsi à envisager en vue de résorber un
vecteurs d’action et des variables déter-
tel chômage et créer de l’activité. Parmi ces
minantes de succès pour « entreprendre
alternatives, le secteur coopératif présente
dans la diversité ».
de fortes potentialités compte tenu du rôle
économique et social qu’il doit jouer. Partant de ce constat, la présente étude
s’interroge sur la capacité réelle de ce sec-
Il est à souligner que cette initiative n’est
teur à assurer le rôle de développement
pas récente puisque l’entité responsable
socio-économique central qui lui est assi-
de la promotion des coopératives : « l’Of-
gné. Sur la base de données nationales et
fice de Développement de la Coopération
d’enquêtes qualitatives, nous cherchons
(ODCO) » a vu le jour en 1962, soit six
à dégager les principales contingences
années seulement après l’indépendance.
(aléas) qui pèsent sur ce secteur. Sur le
À la fin de 2011 (ODCO, 2012)1, 289 coo-
plan méthodologique, ce travail combine
pératives de jeunes diplômés2, encadrant

génératrice de revenu et si au moins 50 % de ses adhé-


1 ODCO, 2012, Revue «Attaaaoun», vol.100 rents ont le Baccalauréat ou plus.
2 Selon l›ODCO une coopérative est qualifiée de « coo- 3 Fath Allah A., 2011, «Le Secteur Coopératif au Maroc»,
pérative de jeune diplômé » si elle réalise une activité Revue Marocaine des Coopératives, vol.1

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Aomar Ibourk

les démarches quantitatives et qualita- la recherche de pratiques innovantes et


tives. Les bases de données constituées économiquement efficaces est devenue
permettent d’élargir de façon novatrice le un souci majeur des décideurs publics
champ d’analyse en étudiant les détermi- et des ONG. Le Maroc a entrepris un cer-
nants de la survie d’une coopérative, ques- tain nombre de réformes pour stimuler
tions, très peu abordées dans la littérature l’emploi. Elles ont abouti à des mutations
mais appréhendées ici à l’aide des modèles certes progressives mais certaines ont pro-
dit de « variable dépendante limitée ». voqué un réel dynamisme entrepreneurial
surtout social.
Dans la première section, un cadrage des
principales caractéristiques propres au
Ű Ű Des niveaux de chômage
marché du travail des diplômés au Maroc
est effectué en vue de mieux cerner l’inté-
importants
rêt de promouvoir les coopératives en tant L’économie marocaine ne crée pas suffi-
qu’acteurs socioéconomiques de déve- samment d’emplois pour absorber à la fois
loppement local et modalité alternative le stock de chômage existant et les flux des
d’entrepreneuriat social issu de pratiques jeunes qui arrivent chaque année sur le
régionales et culturelles originales. Dans marché. En moyenne, entre 2000 et 2004,
une deuxième partie, l’étude du « régime les créations nettes d’emplois4 sont de
entrepreneurial coopérative » et ses incar- l’ordre de 185 300 par an, soit un taux de
nations diverses permettra une brève croissance de 4,36 % alors qu’entre 2005
présentation typologique des formes de et 2010 les créations nettes ont atteint
coopératives à destination de jeunes diplô- 155 400 emplois par an, soit une crois-
més et de leurs réalisations respectives. sance de 4,55 %. Aussi, les emplois (sala-
La dernière section sera consacrée, quant riés déclarés à la CNSS5 y compris) ont-ils
à elle, à une analyse spatiale du secteur connu, durant la décennie 2000-2010, une
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coopératif combinée à une analyse écono- faible croissance, par rapport au PIB cou-
métrique afin de dégager les meilleures rant et surtout à la FBCF6, qui enregistrent
pratiques susceptibles d’initier et de nour- tous les deux une progression beaucoup
rir un débat sur les dysfonctionnements, plus élevée.
les potentialités, les accomplissements de
Par ailleurs, force est de constater que les
ce secteur de l’entrepreneuriat lorsqu’il
emplois créés s’adressent peu aux diplô-
est mis au service du développement
més. En effet, la structure de la demande
socioéconomique local et national. Les
de travail est caractérisée par une prédo-
implications stratégiques et politiques de
minance des travailleurs sans diplôme qui
cette évaluation des formes de coopéra-
représentent 65,5 % de l’emploi total en
tives et de leur efficacité au Maroc étant
2010. La part des titulaires d’un diplôme
présentées sous forme de conclusion.
de niveaux moyen est passée de 18,4 % à
23,7 % entre 2000 et 2010 et la part des
Le marché du travail diplômés de niveau supérieur est passée
des diplômés et l’émergence
de l’entrepreneuriat social
4 Sources : rapports du Haut Commissariat au Plan.
Dans une situation de chômage croissant 5 Caisse Nationale de la Sécurité Sociale
et de problèmes sociaux qui s’accumulent, 6 Formation Brut du Capital Fixe

Entreprendre & Innover / Mars 2014 / 109


Dossier : L’entrepreneuriat coopératif, un enjeu pour l’emploi des jeunes diplômés marocains

de 8,4 % à 10,8 % sur la même période. Ű Ű Vers un mode alternatif


Les créations nettes d’emploi ont profité de l’entrepreneuriat
davantage aux personnes ayant un diplôme
Les statistiques citées plus haut
de niveau moyen ou étant sans diplôme.
témoignent d’une concomitance au sein
Le marché du travail est aussi caractérisé
des diplômés d’un chômage de primo-
ces dernières années par une salarisation
insertion et d’un chômage de longue
croissante de l’emploi (rémunéré).
durée. Cet état de fait interpelle tant sur
D’un autre côté, la structure de la popu- le plan individuel que collectif quant à
lation en chômage par niveau de diplôme l’adéquation formation/emploi mais aussi
révèle que les actifs diplômés sont les plus sur les effets pervers de long terme induits
touchés. En 2010, le taux de chômage par cette corrélation négative. D’un point
relatif à cette catégorie se situe à 18,1 %, de vue individuel, cette situation peut
soit près du quart de l’ensemble des chô- être difficilement vécue par les personnes
meurs. Le taux de chômage des diplô- concernées. Le chômage des diplômés se
més de niveau moyen est relativement traduit également par une dépréciation
moins élevé : 16 %. Quant aux chômeurs rapide du capital humain et des compé-
sans diplôme, leur taux de chômage ne tences d’action. Les périodes de chômage
dépasse pas 4,5 %. Par type de diplômes, plus fréquentes à l’entrée dans la vie active
les taux de chômage restent très élevés réduisent considérablement les chances,
pour les diplômés de l’enseignement pour les jeunes, de concrétiser leurs pro-
supérieur (facultés) et pour les bacheliers. jets professionnels initiaux, basés sur
En revanche, les titulaires de diplômes des l’obtention du diplôme. Cette situation
grandes écoles et des instituts supérieurs est génératrice chez eux de sentiments
sont les mieux lotis, avec un taux de chô- de découragement et/ou d’insatisfaction
mage qui atteint à peine 3,9 % en 2010. difficiles à éliminer même en cas d’accès
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à l’emploi qui peut mener à une perte de
Le chômage de longue durée, quant à
confiance en soi et une image négative de
lui, est prépondérant chez les diplômés,
soi.
en particulier ceux de niveau supérieur
(77,6 %), contre une proportion qui n’est Elle remet in fine en cause le mécanisme
que de 44 % pour les sans diplôme. Si la des transferts intergénérationnels entre
durée moyenne du chômage est d’environ les membres d’une famille qui contri-
32 mois en 2010, plus le niveau de diplôme buait à pallier l’absence d’un système de
s’améliore et plus la durée moyenne du retraite généralisé au Maroc. En effet, au
chômage s’élève. Un diplômé de niveau sein d’un ménage, les études supérieures
supérieur a une durée moyenne de chô- représentent une forme de capitalisation
mage d’environ 40 mois, soit près de 17 pour la génération précédente. L’obten-
mois de plus qu’un sans diplôme et 6 mois tion d’un emploi « convenable » à l’issue
de plus qu’un diplômé de niveau moyen. de ses études permet au jeune de bénéfi-
La durée de chômage se caractérise aussi cier de cette capitalisation et de venir en
par le fait que les écarts sont moins grands aide aux membres de sa famille. La situa-
entre les hommes et les femmes pour les tion de chômage prolongé ou de déclas-
diplômes de niveau supérieur que pour les sement important remet en cause ce
autres niveaux de diplôme. mécanisme de « retraite ». À long terme,

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Aomar Ibourk

cette tendance risque de provoquer un L’orientation du Maroc vers un modèle


dysfonctionnement structurel au sein de économique basé sur les coopératives
la société marocaine. n’est pas récente. En effet, depuis l’indé-
pendance, les autorités publiques encou-
D’un point de vue collectif, cette situa-
ragent l’organisation de la production
tion de chômage soulève des questions de
sous forme de coopératives témoignant
fond tant ses répercussions d’ordre écono-
l’importance que jouent les coopératives
mique et social sont importantes. Sur le
dans la croissance nationale et par consé-
plan économique, c’est la question de la
quent l’amélioration des conditions de vie
valorisation individuelle et collective des
de la population. Ainsi, l’Office de Déve-
investissements en capital humain qui
loppement de la Coopération (ODCO) a vu
est posée. Le chômage des diplômés est
le jour en 19637. Il s’agit d’une structure
source, pour la collectivité, de trois coûts :
administrative dont le but est d’assurer
le coût direct de la formation du diplômé ;
une mobilisation nationale pour la moder-
le coût de financement des politiques de
nisation et le développement des secteurs
l’emploi que l’État met en place ; le coût
traditionnels, notamment l’agriculture.
lié au manque à gagner dû à l’inutilisation
Les missions de l’ODCO sont régies par la
des compétences des jeunes chômeurs.
loi 24-83 (article 77).
Les difficultés persistantes des diplômés
À ce stade, il est primordial de souligner
pour accéder à l’emploi engendrent un
que les efforts déployés par les déci-
manque à gagner pour l’économie. Pis,
deurs publics doivent s’orienter vers une
ces difficultés risquent de favoriser, à
croissance plus élevée, plus créatrice
terme, l’émergence d’attitudes indivi-
d’emplois de qualité mais aussi d’activi-
duelles négatives vis-à-vis de l’investisse-
tés innovantes menant vers des projets
ment en capital humain rendant encore
entrepreneuriaux à plus ou moins forte
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plus hypothétique la compétitivité de
valeur ajoutée. Il s’agit de créer de l’acti-
l’économie nationale. Sur le plan social,
vité et pas seulement de créer des emplois
ce sont les fondements même de l’équi-
« convenables ». En effet, l’accent doit
libre social qui sont remis en cause. L’ex-
être mis sur la recherche d’un modèle
clusion prolongée de l’emploi, induite par
de croissance qui intègre explicitement
le chômage de longue durée, augmente
la composante « emploi » dans les poli-
les chances de l’exclusion sociale et remet
tiques macroéconomiques, les politiques
en cause le système de redistribution
sectorielles, la politique commerciale, les
dominant basé sur les transferts intra et
politiques d’encouragement des PME et
intergénérationnels entre les membres
les politiques visant à assainir le climat
d’une famille. Le chômage de longue
d’affaires. Dans ce cadre, des types d’en-
durée détruit les capacités de la famille à
trepreneuriat sont apparus et sont deve-
assurer son rôle d’assurance contre le chô-
nus très dominants au Maroc. Il s’agit
mage et la vieillesse.
des types : coopératif, associatif- solidaire
En somme, le chômage, que connaît le
Maroc exerce des effets néfastes sur l’in-
térêt individuel qui s’amplifient, d’une
7 Cet office a été restructuré en 1975 et devenu une
manière exponentielle, au niveau de entreprise publique jouissant de la personnalité morale et
« l’intérêt général ». d’autonomie financière et administrative.

Entreprendre & Innover / Mars 2014 / 111


Dossier : L’entrepreneuriat coopératif, un enjeu pour l’emploi des jeunes diplômés marocains

et activité génératrices de revenus L’entreprenariat coopératif :


(Bouchafra, 2011)8. un levier pour
Historiquement, l’entrepreneuriat social l’auto-insertion
est un phénomène ancien, puisque son Les coopératives constituent un mode
essor s’est opéré avec celui de l’économie d’organisation prometteur tant au niveau
sociale et solidaire dont les origines datent collectif qu’individuel en raison de ses
du milieu du 19e siècle. Il fait aujourd’hui caractéristiques intrinsèques. En effet,
l’objet d’un nouveau débat avec l’avène- l’adhésion volontaire, l’exercice démo-
ment de la crise économique, qui touche cratique du pouvoir par les membres, la
actuellement aussi bien les pays dévelop- participation économique, l’autonomie,
pés que les pays en voie de développe- la formation et l’engagement sont autant
ment ; et la persistance du chômage. Il est d’éléments qui définissent l’identité des
vu aujourd’hui comme « la solution » à la coopératives (Côté, 2005)10. Tel que docu-
crise de confiance que connaît le système menté dans la littérature, les coopératives
capitaliste. offrent une multitude d’avantages en se
proposant comme une solution efficace
Cette crise est principalement causée
face aux échecs de la coordination de mar-
par le déséquilibre réel croissant entre
ché (Côté, 2000)11 ainsi qu’une réponse
la production réelle et la production vir-
aux limites des entreprises capitalistiques
tuelle à des fins spéculatives. Dans une
(Côté, 2007)12.
telle optique, le rôle des coopératives
comme forme de l’entrepreneuriat social De surcroît, les valeurs et les principes
mais aussi comme mode d’accompagne- coopératifs permettent d’atténuer les
ment peut s’avérer une variable prépon- comportements opportunistes et l’asy-
dérante dans l’équation de résorption du métrie d’information entre les membres.
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chômage dans le sens où elle fournit les Ainsi, le système coopératif a un impact
leviers de développement imprégnés par positif sur les coûts de transaction et
un aspect social (Nations Unies, 2003)9. d’agence tout en stimulant l’entraide
Les coopératives, par nature de leur orga- entre membres, servant ainsi de rempart
nisation, peuvent mieux supporter les contre les « abus » du marché. Dans cette
conséquences des crises que les autres perspective, les coopératives constituent
formes d’entrepreneuriat. Cette qualité de un capital social, qui se manifeste, entre
résistance aux crises est due à certaines autres, par la solidarité, la confiance
particularités telles que l’absence de spé- partagée ainsi que la responsabilisation,
culation, la primauté de l’humain, l’éco- dont bénéficie la communauté dans son
logie et la primauté de la solidarité sur la
concurrence.
10 Côté D., 2005, «Loyauté et identité coopérative : l’im-
plantation d’un nouveau paradigme coopératif», RECMA,
vol.295, p. 50-69.
11 Côté D., 2000, Des jardins, entre rupture et continui-
8 Bouchafra M., 2011, Le secteur coopératif marocain té… L’identité coopérative, handicap ou avantage concur-
durant les cinq dernières années : Une dynamique à sou- rentiel, Centre de gestion des coopératives, École des HEC,
tenir, Revue Marocaine des Coopératives, vol.1. Cahier n° 4, 2000.
9 Nations Unies, 2003, le rôle des coopératives dans le 12 Côté D., 2007, «Fondements d’un nouveau paradigme
développement social, Rapport du Secrétaire Général de coopératif : Quelles incitations pour les acteurs clés»,
l’Assemblée Général. New York. RECMA, vol. 305, p. 72-91.

112 /
Aomar Ibourk

ensemble. En outre, un tel capital social13 de masse. Quant aux avantages pour la
contribue à l’amélioration de la perfor- communauté, ils permettent un meilleur
mance économico-financière. Grâce à accès à des produits et des services de
son approche participative, le système qualité tout en renforçant la loyauté de
coopératif tisse des liens forts entre les la clientèle. De plus, l’épanouissement
membres de la communauté, assurant de ce type d’organisation offre de plus
ainsi une autonomie de ces derniers tout grands débouchés d’emplois. Dans une
en garantissant une utilisation efficace de optique plus collective, les coopératives
leurs ressources. engendrent une croissance économique
et sociale dans la communauté tout en
Par ailleurs, selon le CoopZone14, il est
ouvrant l’accès à de nouveaux marchés.
possible également de distinguer deux
types d’avantages du système coopéra- La constitution d’un capital social collectif
tif : les avantages philosophiques et les actionnable par les membres est appelée
avantages pour la communauté. En effet, également à favoriser l’entrepreneuriat
le premier type permet à tous d’avoir de collectif grâce à deux types de méca-
modestes économies plutôt que d’entraî- nismes : d’une part des mécanismes de
ner l’enrichissement excessif de certains, propagation de l’information, qui mettent
limitant ainsi le risque de l’établissement en jeu un capital social distant caracté-
d’une inégalité béante des revenus. risé par des liens faibles ; et d’autre part
des mécanismes basés sur l’instauration
En plus, l’entraide, créée par le système
d’une confiance interpersonnelle et repo-
coopératif, offre un appoint solide au
sant sur un capital social fortement local
renforcement des liens communautaires.
et marqué par des liens forts (Aubert et
Enfin, les coopératives permettent aux
al., 2008)15.
membres de définir leurs propres besoins
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plutôt que de laisser un conglomérat le
Ű Ű Les coopératives des jeunes
faire à leur place. Tous ces éléments favo-
risent le développement de produits et
diplômés : une croissance
de services par les membres et pour les quantitative
membres d’une part, et donnent lieu à des Le nombre de coopératives au Maroc a
pratiques d’affaires conformes à l’éthique progressé de 137,12 % durant la période
d’autre part. Une telle pratique constitue allant de 2000 à 2011 et de 71,46 % entre
une garantie contre l’homogénéisation 2006 et 2011.
des biens et services découlant du marché
Le nombre des coopératives des jeunes
diplômés a considérablement augmenté
13 Il est à signaler que la définition du capital social est ces dernières années, passant de 199 coo-
source de plusieurs controverses et ce concept peut être
analysé à différentes échelles, du niveau microécono-
pératives en 2005 à 289 en 2012. Toute-
mique (Burt, 2000) à celui macroéconomique (Zak, 2001). fois, le nombre des coopératives crées a
Par conséquent, sa délimitation est loin de faire l’objet baissé plus ou moins considérablement
d’un accord.
entre 1996 et 2011 (voir graphique 1). En
14 Coop Zone est une coopérative de consommateurs, à
Québec, qui offre à la communauté universitaire et au
monde de l’enseignement une gamme de produits et
de services de haute qualité adaptés aux besoins de ses 15 Aubert et al., (2008), Capital social et entrepreneurs
membres tout au long de leur parcours éducatif et profes- touristiques ruraux, 2èmes journées de recherches en
sionnel http://coopzone.coop/fr/book/print/15 sciences sociales, INRA- SFER –CIRAD, LILLE, France

Entreprendre & Innover / Mars 2014 / 113


Dossier : L’entrepreneuriat coopératif, un enjeu pour l’emploi des jeunes diplômés marocains

Nombre d’adhérents
Nombre de Taux de Nombre Taux de
Année moyen
coopératives croissance d’adhérents croissance
relative à tous les niveaux appropriés des systèmes nationaux d’éducation et de par coopérative
formation.
2000 3 815
Aomar Ibourk est économiste et spécialiste des méthodes quantitatives appliquées aux
2002 4 277 12,11 % 267 466
sciences sociales. Ses recherches portent entre autres sur les ajustements des marchés du
63
travail. Il enseigne à l’université Cadi Ayyad, Faculté de Sciences Juridiques Economiques et
2004 4 827
Sociales (FSJES) de Marrakech. 12,86 % 317 289 18,63 % 66
2006 5276 9,30 % 324 239 2,19 % 61
Annexes
2008 6 286 19,14 % 347 684 7,23 % 55
Tableau 1 : Évolution du nombre de coopératives et leurs adhérents au Maroc entre 2000 et
2010 7 804 2011 24,15 % 380 144 9,34 % 49
2011
Année
Nombre de 9046
Taux de Nombre 15,91 %
Taux de 399 558
Nombre d'adhérents 5,11 % 44
coopératives croissance d’adhérents croissance moyen par coopérative
2000 3 815

Tableau 1 : Évolution du nombre


2002
2004
4 277
4 827
12,11 %
12,86 %
18,63 %
de coopératives
63
66
267 466
317 289
et leurs adhérents au Maroc entre
2000 et 2011
2006
2008
5276
6 286
9,30 %
2,19 %
19,14 %
7,23 %
61
55
324 239
347 684
2010 7 804 24,15 % 380 144 9,34 % 49
Source : ♦ ODCO, Annuaires Statistiques
2011 9046 15,91 % 399 558 5,11 % des44Coopératives Années 2002, 2004, 2006 et 2008.
♦ ODCO,
Source : ♦ ODCO, Annuaires Statistiques des Coopératives Années 2002, 2004, 2006 et 2008. ♦ ODCO, Revue
Revue
« Attaaaoun » n° 89, hiver 2009 et n°« Attaaaoun »
100, édition 2012. n° 89, hiver 2009 et n° 100, édition 2012. 

Graphique 1 : creation des cooperatives des jeunes dipômés Graphique 2 : Évolution des adhérents des coopératives des jeunes diplômés

Tableau 2 : Répartition des coopératives par secteurs d’activité (2005 et mars 2012)
Graphique 2 : Évolution des adhérents des coopératives des jeunes diplômés Secteurs 2005 mars 2012
Agriculture (HRA 105 140
Alphabétisation 29 59
Forets 20 21
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parallèle, on observe sur la même période, l’agriculture et l’artisanat, regroupent
Artisanat 9 20
Transport 15 15
une évolution des adhérents en dents de une diversité de branches.
Total 199 289

scie ( graphique 2).


L’incitation à la création de coopératives
Tableau 3 : La répartition des régions selon les quatre groupes issus du CAH
Le tableau 2 présente la répartition des deGroupes
diplômés se traduit par Régions une série de
Groupe 1 Souss-Massa-Darâa
coopératives des jeunes diplômés par mesures : l’organisation d’ateliers et de
Doukkala-Abda

secteurs d’activité pour les années 2005 campagne


Groupe 2 de sensibilisation Meknès-Tafilalet
Oriental
sur la coo-
et 2012, sachant que les gros secteurs, pérative,
Groupe 3
l’accompagnement des
Tanger-Tétouan
Grand Casablanca
jeunes à
l’élaboration des études de faisabilité des
Chaouia-Ouardigha
Fès-Boulmane
projets coopératifs, laGharb-Chrarda-Bni possibilité Hssend’accéder
Marrakech-Tansift-Al Haouz
aux crédits
Groupe 4 pour le financementRabat-Salé-Zemmour-Zaër
des pro-
Secteurs 2005 mars 2012 jets coopératifs, l’encadrement Région du Sud pendant
Tadla-Azilal
Agriculture (HRA 105 140 la période de constitution et d’agrément,
Taza-Al Houceima-Taounate
Alphabétisation 29 59 les exonérations fiscales (EL Boubekri,
Forets 20 21 2006)16, l’ouverture du champ d’activité
Artisanat 9 20
Transport 15 15
16 EL Boubekri M., 2006, L’Expert Comptable et les
Total 199 289 contrôles spécifiques dans les coopératives agricoles déro-
geant à la règle de l’exclusivisme, Mémoire d’Expertise
Tableau 2 : Répartition des coopératives Comptable, Institut Supérieur de Commerce et d’Adminis-
par secteurs d’activité (2005 et mars 2012) tration des Entreprises ‘ISCAE.

114 /
Aomar Ibourk

des coopératives à toutes les branches La position des quatre groupes sur la
de l’activité humaine, et la non-exigence cartographie socio-économique permet
d’un capital minimal pour la création d’aboutir aux conclusions suivantes :
d’une coopérative (Ahrouch, 2011)17.
Premier groupe. Du point de vue des indi-
cateurs relatifs au secteur coopératif, la
Environnement principale caractéristique de la région de
socio-économique et Souss-Massa-Drâa réside dans le nombre
dynamique des coopératives élevé des coopératives de femmes créées
des jeunes diplômés  au sein de cette région. De même, le
recours à la cartographie socio-écono-
L’objet de cette section est de présenter
mique régionale permet de constater que
les résultats empiriques portant sur l’ana-
cette région à vocation agricole est carac-
lyse des coopératives des jeunes diplômés
térisée par un niveau de pauvreté supé-
au Maroc
rieur à la moyenne nationale (Direction
des études et des prévisions financières,
Ű Ű Cartographie socio-économique
2006). Par ailleurs, cette région souffre
régionale  d’un taux d’analphabétisme parmi les plus
Les résultats de la classification ascen- élevés du pays. Les étendues pastorales
dante hiérarchique ont abouti à la dont dispose cette région lui permettent
constitution de quatre groupes distincts de réaliser une part importante du chep-
consignés dans le tableau 3. Cette étape tel national arrivant à un pourcentage de
permet de procéder à la caractérisation de 14,1 % (Direction des études et des prévi-
ces groupes par les indicateurs relatifs au sions financières, 2006). L’essor de ce type
secteur coopératif. d’activités, dans une région rurale comme
celle-ci, est plus souvent accompagné par
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L’analyse des données socio-économiques
des activités relatives aux femmes. Ces
régionales par l’ACP permet de consti-
activités s’inspirent depuis longtemps du
tuer une cartographie de développement
principe de « Jmaâ » qui prend la forme
socio-économique relative aux régions. La
d’un travail collectif qui assure le sou-
projection par la suite des quatre groupes
tien et la solidarité au sein des structures
constitués sur cette cartographie permet
sociales les plus défavorisées. Cette réa-
d’appréhender les résultats de l’analyse
lité prise conjointement avec un environ-
typologique à la lumière des indicateurs
nement socio-économique détérioré a
socio-économiques régionaux18.
permis l’émergence et le développement
des coopératives des femmes. En effet,
17 Ahrouch S., 2011, «Les coopératives au Maroc : enjeux la richesse agricole dont bénéficie cette
et évolutions», RECMA, vol.322, p 23-26
région permet la création d’un nombre
18 Les deux premiers axes factoriels résument, à eux
seuls, 62,15 % de l’information. Cela laisse à penser
important des coopératives de femmes
que nous obtiendrons une meilleure représentation des opérant dans le secteur agricole. Ainsi,
proximités entre les régions. L’analyse du diagramme de dans cette région seule, 170 coopératives
composantes dans l’espace après rotation nous permet
d’interpréter les deux axes factoriels. Le premier axe op- des femmes opèrent dans la production
pose les régions riches urbaines ayant un développement
humain élevé (IDH), contre les régions pauvres ayant un
taux d’analphabétisme élevé. Le deuxième axe (en haut) des coopératives inactives opérant dans le secteur agri-
regroupe les régions se caractérisant par la prédominance cole (Graphique 3).

Entreprendre & Innover / Mars 2014 / 115


Dossier : L’entrepreneuriat coopératif, un enjeu pour l’emploi des jeunes diplômés marocains

Graphique 3 : Cartographie socio-économique régionale

Graphique 4
d’huile d’argan et ses dérivés en produits L’analyse de la cartographie socio-éco-
cosmétiques (Ahrouch, 2010)19. nomique a montré que ces régions se
distinguent essentiellement des autres,
L’adhésion des femmes au secteur coopé-
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non seulement, par le nombre élevé des
ratif ne se limite pas seulement aux coo-
coopératives de jeunes opérant dans le
pératives féminines. En effet, les femmes
domaine de l’agriculture, mais aussi, par
sont également des membres actifs de
un taux élevé de l’inactivité des coopé-
coopératives mixtes (Ait Haddout, 1999)20.
ratives de jeunes. Les taux de pauvreté
Deuxième groupe. Le deuxième groupe et d’analphabétisme restent en général
(régions de Doukkala-Abda, Meknès-Tafila- élevés au sein de ce groupe. Les régions
let, l’Oriental et Tanger-Tétouan) se carac- qui forment ce dernier se caractérisent
térise essentiellement par le nombre des en général par un niveau de développe-
coopératives créées par les jeunes. Toute- ment socio-économique moyen au niveau
fois, ces coopératives souffrent d’un degré national, exception faite de la région de
élevé d’inactivité : presque 50 % de celles- Doukkala-Abda qui est l’une des régions
ci restent inactives. ayant un faible niveau de développement
socio-économique (Direction des études
19 Ahrouch S., 2010, Les enjeux de l’attractivité des coo- et des prévisions financières, 2006). L’ana-
pératives : cas du Maroc, Colloque européen du comité lyse des principaux indicateurs du marché
de recherche de l’ACI (Alliance coopérative internationale)
sous le thème «Les contributions des coopératives à une du travail a révélé que dans ce groupe les
économie plurielle», Lyon, France. taux du chômage et du sous-emploi sont
20 Ait Haddout A., 1999, Les coopératives de femmes au relativement élevés.
Maroc : État des lieux, Étude coopératives, vol.4.

116 /
Aomar Ibourk

Dans un environnement socio-écono- Gharb-Chrarda-Bni Hssen, Marrakech-Tan-


mique marqué par une rareté de res- sift-Al Haouz, Rabat-Salé-Zemmour-Zaër,
sources comme celui de ce groupe, la Région du Sud, Tadla-Azilal et Taza-Al Hou-
création de coopératives semble être un ceima-Taounate) est caractérisé par sa
remède au chômage des diplômés. Cet performance moyenne vis-à-vis des indi-
environnement est propice à la création cateurs relatifs au secteur coopératif. La
et au développement des coopératives de prédominance des coopératives de jeunes
jeunes. En effet, les régions de l’Orientale, opérant dans le domaine de l’alphabétisa-
Meknès-Tafilalet et de Tanger Tétouan tion est beaucoup plus perceptible dans ce
concentrent, à elles seules, 50 % des lau- groupe. L’analyse de la position qu’occupe
réats diplômés (Zouhir, 2011). Toutefois, ce groupe sur la cartographie socio-écono-
presque la moitié de ces coopératives mique est confirmée par la propagation de
restent inactives. Ceci met à l’ordre du l’analphabétisme au sein de ce dernier, un
jour la question des contraintes (Zouhir, analphabétisme qui est accompagné par
2011) rencontrées par les jeunes diplô- un taux important d’activité. En effet, au
més. Ces derniers rencontrent de mul- Maroc le taux d’activité est beaucoup plus
tiples contraintes qui ne leur permettent présent dans des régions généralement
pas d’atteindre les objectifs assignés à ce pauvres à vocation rurale où l’analphabé-
secteur. tisme est prédominant. L’essor des coopé-
ratives de jeunes opérant dans le domaine
Troisième groupe. Le troisième groupe
de la lutte contre l’analphabétisme dans
présenté par la région du Grand Casa-
un groupe comme celui-ci s’explique par
blanca, est caractérisé par le nombre de
la philosophie même qui sous-tend la
coopératives le plus faible du pays. Ces
création de la coopérative. En effet, la
coopératives sont généralement créées
création de celle-ci doit répondre en pre-
par les femmes. La région de Casablanca
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mier lieu aux besoins locaux et immédiats
a maintenu un niveau de développement
socio-économique élevé par rapport au
niveau national. Il s’agit d’une région Groupes Régions
urbaine (taux d’urbanisation = 92,02%) Groupe 1 Souss-Massa-Darâa
plutôt riche avec un PIB par tête attei- Doukkala-Abda
gnant 35300 dh et un développement Meknès-Tafilalet
Groupe 2
humain important (IDH=74%). Le niveau Oriental
faible de la création des coopératives dans Tanger-Tétouan
cette région s’explique surtout par l’envi- Groupe 3 Grand Casablanca
ronnement socio-économique relatif à la Chaouia-Ouardigha
région. En effet, la création des coopéra- Fès-Boulmane
tives s’épanouit dans des régions ayant Gharb-Chrarda-Bni Hssen
des niveaux de développement socio- Marrakech-Tansift-Al Haouz
Groupe 4
économique dégradés où la rareté des Rabat-Salé-Zemmour-Zaër
ressources est la principale cause de la Région du Sud
création. Tadla-Azilal
Taza-Al Houceima-Taounate
Quatrième groupe. Le quatrième groupe
Tableau 3 : La répartition des régions
(Chaouia-Ouardigha, Fès-Boulmane,
selon les quatre groupes issus du CAH

Entreprendre & Innover / Mars 2014 / 117


Dossier : L’entrepreneuriat coopératif, un enjeu pour l’emploi des jeunes diplômés marocains

de la communauté. Il est donc normal que Ű Ű L’inactivité au cœur


Graphique
les coopératives opérant dans le3domaine des dysfonctionnements
: Cartographie des
socio-économique régionale
de l’analphabétisme soient les plus impor- coopératives des jeunes diplômés 
tantes dans ce groupe.
L’analyse typologique précédente a mon-
Cette première analyse a révélé que tré que presque la moitié des coopératives
l’impact de l’environnement socio-éco- de jeunes créées au sein du deuxième
nomique régional sur le fonctionnement groupe – qui absorbe une grande partie
du secteur associatif demeure une réa- des coopératives de jeunes à l’échelle
lité incontestable. Son effet est différent nationale – restent inactives. D’où l’enjeu
selon la typologie des régions. En effet, le d’une analyse des déterminants de l’inac-
nombre important de coopératives créées tivité des coopératives des jeunes21.
par les jeunes était la caractéristique
 Les fonctions de survie selon la taille
principale des régions plutôt pauvres où
de la coopérative :
l’analphabétisme est important et/ou le
taux d’activité, de sous emploi et de chô- La configuration qu’illustre ce graphique
mage sont très perceptibles. Toutefois, confirme le fait que la survie des coopé-
ces coopératives (des jeunes) souffrent ratives est fonction de la taille de celles-ci
d’un degré d’inactivité très élevé. Ce qui en termes d’effectifs. Ainsi plus le nombre
nous amène dans ce qui suit à analyser ce d’adhérents augmente, plus la coopéra-
problème par le biais d’une analyse éco- tive a des chances de ne pas sombrer dans
nométrique. l’inactivité.
 Les fonctions de survie selon la date de
création de la coopérative :

Graphique 4
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21 En présence de données censurées, le recours aux


méthodes statistiques d’analyses des durées s’impose. La
formulation technique du modèle peut être obtenue sur
demande auprès de l’auteur.

118 /
Graphique 5 :
Aomar Ibourk

Graphique 5 :

Graphique 6
Il ressort du tableau de l’analyse des don- coopératives ne se créent plus spontané-
nées que la probabilité d’être inactive est ment (c’est-à-dire à l’initiative des coopé-
plus élevée pour les coopératives jeunes rateurs), mais elles relèvent généralement
(création après l’initiative de dévelop- d’une impulsion de l’administration pu­­
pement humain). Les jeunes créent des blique, des programmes de développement
coopératives pour bénéficier des subven- et des ONG. Ainsi, on observe l’émergence
tions et des aides de l’État et des ONG. de coopératives fantômes durant les der-
Aussi doit-on constater que le rythme de nières décennies et partant l’apparition
création des coopératives augmente là où de coopératives inactives sur plus de deux
il existe un programme ou une ONG qui ans, voir même des coopératives qui n’ont
accorde des subventions aux coopératives, exercé aucune activité dès leur création.
ce qui ne fait qu’amplifier l’esprit d’assis-
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 Les fonctions de survie selon le secteur
tanat et de dépendance des coopératives
d’activité de la coopérative :
vis-à-vis de l’État et des donateurs. En fait,
Graphique 6

Tableau 3 : Déterminants d’inactivité des coopératives


variables Coef. Sig.

Constante -0,52 ns
1. Secteur d'activité
Autres secteurs 0,8 ***
Agriculture Réf Réf
Alphabétisation 0,26 ns
2. Régions
L’Oriental -1,62 ****
Meknès Tafilalet 2,37 ****
Tanger Tétouan 0,07 ns
Autres régions Réf Réf
3. Nombre d'adhérents
D’après ce graphique on note que les
[0,7]
Tableau 3 : Déterminants d’inactivité des coopératives Réf Réf
coopératives opérant dans les secteurs
variables Coef. Sig.
Entreprendre & Innover / Mars 2014 / 119
Constante -0,52 ns
1. Secteur d'activité
Autres secteurs 0,8 ***
Dossier : L’entrepreneuriat coopératif, un enjeu pour l’emploi des jeunes diplômés marocains

de l’agriculture et l’alphabétisation sont Deux effets importants sont à signaler :


celles qui présentent les meilleures durées
1. Effet de la taille (too big to fail) : Plus le
de vies.
nombre de l’effectif est important et plus
la coopérative a de chance de ne pas deve-
Les déterminants de l’inactivité
nir inactive.
des coopératives : une approche
par les modèles à choix discrets 2. Effets de dynamique impulsée : La dyna-
mique constatée dans les créations peut
Une autre réponse concernant les déter-
être parfois impulsée fondamentalement,
minants de l’inactivité des coopératives
par l’INDH23 et par les autres programmes
provient de l’approche par les modèles à
qui soutiennent les coopératives. En fait,
choix discrets22.
force est de constater l’évolution quanti-
Ce modèle estime pour une coopérative tative enregistrée après l’avènement de
de jeunes la probabilité d’être inactive par l’INDH. Cette évolution est d’autant plus
rapport à la situation d’être active. Les remarquée dans les provinces qui exigent
résultats des estimations sont consignés que les porteurs des projets générateurs
dans le tableau suivant : de revenus se regroupent en coopératives
pour pouvoir bénéficier du financement
de l’INDH24. le dynamisme enregistré,
Variables Coef. Sig.
ces dernières années, dans l’évolution du
Constante –0,52 ns
secteur coopératif des jeunes est renforcé
1. Secteur d’activité
essentiellement par la volonté de réussir.
Autres secteurs 0,8 ***
Agriculture Réf Réf En somme, nous pouvons synthétiser
Alphabétisation 0,26 ns l’ensemble des résultats par trois points
2. Régions majeurs :
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L’Oriental –1,62 ****
Meknès Tafilalet 2,37 **** Esprit d’assistanat : Les jeunes créent par-
Tanger Tétouan 0,07 ns fois des coopératives pour bénéficier des
Autres régions Réf Réf subventions et des aides de l’État et des
3. Nombre d’adhérents ONG. Le rythme de création des coopéra-
[0,7] Réf Réf tives augmente là où il y a un programme
Plus de 7 –0,04 *** ou une ONG qui accorde des subventions
4. Période de création aux coopératives. Certains jeunes pré-
de la coopérative tendent même qu’on leur a dit, notam-
Avant 2005 (avant INDH) Réf Réf ment dans le cadre de l’INDH, « créez
Après 2005 (après INDH) –2,09 **** une coopérative et on va financer votre
Capital –0,001 ns projet ». Il y a même des coopératives
Tableau 4 : Déterminants d’inactivité des qui expliquent dans les rapports moraux,
coopératives présentés à l’occasion des assemblées

23 Initiative Nationale de Développement Humain


24 Certaines provinces financent les activités génératrices
de revenues présentées par des associations. Dans ces pro-
22 La formulation technique du modèle peut être obtenue vinces la dynamique est enregistrée notamment de la part
sur demande auprès de l’auteur des associations.

120 /
Aomar Ibourk

générales qu’elles n’ont réalisé aucune que la taille, le secteur d’activité, et la


activité puisqu’elles n’ont pas encore reçu date de création.
de subventions. D’autres revendiquent
De l’enquête qualitative, il ressort que les
« voilà, nous avons créé notre coopérative
adhérents des coopértives présentent des
mais l’État ne nous a rien donné, com-
trajectoires professionnelles marquées
ment voulez-vous alors qu’on réalise notre
par le chômage de longue durée et l’ab-
projet ? ». Ces faits ne font qu’amplifier
sence d’expérience professionnelle. L’im-
l’esprit d’assistanat et de dépendance des
plication dans le projet de coopérative est
coopératives vis-à-vis de l’État et des dona-
motivée par le souci d’échapper au chô-
teurs.
mage et/ou par le souhait d’exercer une
L’utilisation des coopératives comme activité en situation d’indépendant (auto-
instrument de politique nationale. Les emploi). L’esprit d’assistanat domine éga-
pouvoirs publics continuent à développer lement, et les jeunes porteurs de projets
les coopératives pour atteindre des objec- de coopératives ne sont généralement
tifs spécifiques. À titre d’exemple, nous pas conscients de l’utilité de l’étude pré-
pouvons comprendre l’encouragement alable, et évoquent comme explication
de la création des coopératives dans les par rapport à cela, certaines coopératives
provinces du Nord du Royaume en vue ont un capital très faible. Faute de quoi,
de lutter contre la drogue et l’émigration elles ne peuvent aucunement engager
clandestine. Ainsi les coopératives d’argan d’opérations d’investissement à moyen ou
sont impulsées dans le cadre d’un pro- à long terme ou participer à des actions
gramme de préservation de l’arganier. pouvant déboucher sur de bonnes retom-
bées commerciales et économiques. Il
Opportunismes des adhérents. Certaines
faut par ailleurs souligner le défaut de
coopératives se sont fragilisées, d’autres
bonne gouvernance : un nombre consi-
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sont actuellement inactives à cause du
dérable de coopératives est mal géré et
manque de fidélité de la part de leurs
présente des bilans en deçà des attentes
membres. Dans ce contexte, les coopé-
de leurs membres et de leurs partenaires.
ratives sont appelées également à faire
Certaines fonctionnent sans un plan pré-
face au handicap lié à la rétention des
visionnel ou une stratégie malgré la pré-
adhérents (Barraud-Didier et Henninger,
sence de possibilités financières. D’autres
2009)25.
ne respectent pas les statuts relatifs aux
De plus, l’analyse économétrique a per- réunions de leurs instances dirigeantes et
mis de confirmer d’une part les abou- présentent une défaillance en termes de
tissements de l’analyse typologique compétences et de ressources humaines
précédente en ce qui concerne le degré qualifiées.
important de l’inactivité des coopéra-
Presque la totalité des adhérents interro-
tives des jeunes. D’autre part, elle a mis
gés affichent une attitude d’insatisfaction
en exergue les facteurs qui déterminent
par rapport à leur emploi au sein de leurs
l’inactivité des coopératives au Maroc tels
coopératives respectives. Les difficultés
25 Barraud-Didier V., et Henninger M.C., 2009, «Les déter-
de surmonter les problèmes administra-
minants de la fidélité des adhérents de coopératives agri- tifs, logistiques (local), l’insuffisance des
coles», RECMA, vol.314, p. 47-62. recettes de la coopérative, le manque

Entreprendre & Innover / Mars 2014 / 121


Dossier : L’entrepreneuriat coopératif, un enjeu pour l’emploi des jeunes diplômés marocains

d’entente entre les adhérents sont les promotion des coopératives des jeunes
principales raisons avancées pour justifier diplômés est considérée alors comme une
cette attitude d’insatisfaction. Cette situa- des filières alternatives prometteuses. Ces
tion d’insatisfaction est reflétée égale- dernières permettent la création d’em-
ment par le pourcentage élevé (60 %) des plois décents, c’est-à-dire des emplois
adhérents qui se déclarent à la recherche capables de satisfaire les besoins vitaux et
d’un autre emploi. Cette recherche en assurent l’exercice des droits fondamen-
parallèle d’un autre emploi est suscep- taux à travers des revenus durables qui
tible d’enclencher et/ou de renforcer un peuvent contribuer de façon pérenne à
processus du détachement (baisse du maintenir ces emplois même en période
degré d’implication) des adhérents par de crise (Barbier, 2006)27.
rapport à leurs emplois d’adhérents-sala-
Les coopératives détiennent des avan-
riés. Les coopératives souffrent également
tages qui ne caractérisent pas les autres
d’une concurrence rude. Aussi, elles ont
formes d’organisation classiques. En effet,
difficilement accès au marché (marchés
par définition, elles sont autorisées juridi-
publics) en raison d’un manque de réfé-
quement à octroyer à leurs membres une
rence et de coordination requises. De plus,
partie de leurs bénéfices. Elles concluent
il y a un problème d’absence de synergie
des contrats d’affaires avec leurs propres
éventuelle entre les coopératives. Enfin,
membres. Elles limitent la responsabilité
l’absence d’infrastructure routière et de
légale de leurs membres et, en cas de dis-
moyens de communication et de désen-
solution, les biens privés de leurs membres
clavement de plusieurs zones pose de
sont épargnés. Par conséquent, on peut
sérieuses difficultés : cherté de l’appro-
affirmer que la coopérative cumule un
visionnement et de l’acheminement de
avantage comparatif pour contribuer à
la production. Cela condamne ainsi de
l’éradication de la pauvreté par rapport
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nombreuses coopératives situées dans ces
aux formes d’organisation.
zones, à la stagnation et à l’inactivité.
Cependant le développement de ce type
La priorité accordée à l’insertion profes-
de coopérative reste en deçà des espé-
sionnelle des diplômés par les décideurs
rances. Les trois principales raisons sont :
publics se justifie doublement. D’une
part, le chômage est difficilement accep- 3. L’absence d’infrastructures pour cette
table au niveau social. D’autre part, le forme d’entrepreneuriat : dans les régions
chômage des diplômés induit des effets plus défavorisées, les mécanismes d’appui
visibles tant sur le plan social que sur le (incubateurs, réseaux d’investisseurs pro-
plan économique. Cette ampleur prise videntiels, fonds de réplication) dont les
par le chômage des diplômés dans la nou- entrepreneurs sociaux ont besoin pour se
velle configuration du marché du travail développer sont rares ;
marocain26 conduit les pouvoirs publics
4. Le cadre juridique et législatif qui est
à intensifier et à diversifier leurs actions
moins développé  : les lois régissant les
en matière de politique de l’emploi. La

27 Barbier J.P., (2006), L’intermédiation sur le marché


26 Caractérisée par le désengagement de l’État en tant du travail dans les pays du Maghreb : Étude comparative
qu’employeur et le rôle grandissant alloué au secteur entre l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, BIT, première édi-
privé. tion 2006.

122 /
Aomar Ibourk

marchés financiers doivent être modifiées l’encontre du principe entrepreneurial


si l’on veut inciter les fonds d’investisse- porté par beaucoup de coopératives. Les
ment social à intervenir dans les régions principaux résultats, issus de notre ana-
les plus défavorisés. De plus, la réglemen- lyse empirique, ont identifié ce compor-
tation sous sa forme actuelle entrave tement comme étant un déterminant clef
l’autonomisation — à travers des modèles de l’inactivité des coopératives. Dans un
hybrides — des ONG, qui restent donc for- tel cas de figure, ces dernières sont mal-
tement tributaires des bailleurs de fonds ; gérées et ne répondent ni aux besoins
de la communauté ni aux besoins des
5. Les habitudes culturelles et le système
membres eux-mêmes. D’un autre côté, les
éducatif, qui n’encouragent pas un envi-
pouvoirs publics utilisent les coopératives
ronnement favorable au développement
à mauvais escient dans la mesure où ils
de cette forme d’entrepreneuriat. En
exercent une ingérence qui pèsent sur la
effet, l’action d’entreprendre est généra-
pérennité des coopératives d’une part, et
lement perçue par la société marocaine
promeuvent ces dernières dans des régions
comme une action proprement mascu-
plutôt que dans d’autres pour réaliser un
line. De plus, les programmes scolaires ne
agenda purement politique d’autre part.
permettent pas aux élèves d’acquérir les
Ajoutons à cela l’enclavement de cer-
compétences pour développer et stimu-
taines coopératives qui freinent leur déve-
ler leur capacité entrepreneuriale (Potter,
loppement. Il paraît clair que le système
2008)28.
coopératif, dans son régime actuel, est
De prime abord, l’analyse des statistiques voué à l’échec.
révèle l’essor considérable du secteur
Plusieurs actions doivent être envisagées
coopératif, porté principalement par le
en vue de sauver ce secteur :
secteur agricole, si l’on se réfère au taux
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de créations enregistrées ces dernières  D’abord, la culture entrepreneuriale
années. Toutefois, cette analyse élude une doit être promue à tous les niveaux, à
grande part de la réalité que connaissent commencer par l’entourage familial et
les coopératives marocaines. Si ces der- scolaire.
nières enregistrent des taux de création
 L’instauration d’une politique macro-
élevés, il n’en demeure pas moins que
économique nationale de promotion des
leur inactivité sévit de plus en plus. Ceci
coopératives, accompagnée d’une législa-
a pour effet une inefficience qui touche le
tion propice et d’un cadre institutionnel
système coopératif dans son ensemble.
favorable, représente la condition sine
Les analyses empiriques dévoilent plu- qua non à l’émergence d’un tissu coopéra-
sieurs fléaux qui émanent des pouvoirs tif apte à faire face à la crise de chômage
publics mais aussi des membres eux- et par conséquent contribuer à la relance
mêmes et qui rongent le tissu coopératif. économique ;
Pour certains, l’adhésion à une coopé-
 Mettre en œuvre des mesures d’ac-
rative découle souvent d’un esprit d’op-
compagnement des jeunes à la création
portunisme et d’assistanat, ce qui va à
de leurs coopératives, elle comprend la
création de fonds d’aide et de soutien, la
28 Potter, J., 2008, Entrepreneurship and Higher Educa- révision de la fiscalité (le gouvernement
tion, OCDE, Paris.

Entreprendre & Innover / Mars 2014 / 123


Dossier : L’entrepreneuriat coopératif, un enjeu pour l’emploi des jeunes diplômés marocains

marocain n’offre plus d’exonérations en  le soutien et l’incitation à la commer-


matière d’impôt sur les sociétés et de taxe cialisation des biens et services produits
sur la valeur ajoutée aux coopératives par les coopératives à travers des mesures
regroupées de façon semi-industrielle et spécifiques telles que : la labellisation,
qui enregistrent un chiffre d’affaires supé- l’appui aux produits du terroir, l’organisa-
rieur à un million de dirhams et ce depuis tion de salons de produits de l’économie
2005), l’encouragement à l’investisse- sociale et solidaire au niveau national
ment par allégement des taxes, l’amélio- et régional, l’ouverture de grandes sur-
ration de l’accès au crédit, qui contribue faces destinées aux produits des coopéra-
à l’acquisition de terrain et de locaux pro- tives, … ;
fessionnels, l’instauration d’un guichet
 L’accès équitable à des subventions,
unique et la création de forums et de ren-
soumises à suivi rigoureux, accordées par
contres pour les jeunes entrepreneurs.
les organismes publics et les ONG en vue
 Instaurer la bonne gouvernance coo- de lutter contre l’esprit d’assistanat et
pérative à travers la mise en place d’un l’opportunisme.
système transparent de normes, règles et
 S’aligner avec les recommandations
démarches garantissant la souveraineté
de l’Organisation Internationale du Travail
des droits de ses membres ;
en promettant l’enseignement des prin-
 Mettre en œuvre un système de con­ cipes et pratiques coopératifs et la forma-
trôle interne/externe pour éviter tout dé­­ tion relative à tous les niveaux appropriés
raillement des objectifs des coopératives ; des systèmes nationaux d’éducation et de
formation.
 le soutien et le renforcement des capa-
cités des gestionnaires de coopératives Aomar Ibourk est économiste et spécialiste des
dans le domaine de la gestion, la commer- méthodes quantitatives appliquées aux sciences
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cialisation, l’organisation, etc. ; sociales. Ses recherches portent entre autres sur
les ajustements des marchés du travail. Il enseigne
 l’appui technique par les différents à l’université Cadi Ayyad, Faculté de Sciences
départements ministériels et par les ONG Juridiques Economiques et Sociales (FSJES) de
nationales et internationales ; Marrakech.

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