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Université Mohammed V-Souissi

Département d’Economie et de Gestion


Année universitaire 2021-2022

Economie industrielle (S6)


Groupes B et D

Professeur : MAANINOU AMAL

Présentation des grands axes du cours

L’économie industrielle (EI) est une discipline ancienne, mais qui au fil du temps se renouvelle
sans cesse et s’adapte à l’analyse des situations industrielles les plus diverses. Say a ainsi créé
au Conservatoire des arts et métiers une chaire d’EI en 1819. Marshall est, sans aucun doute,
l’un des premiers économistes qui a posé les bases de cette discipline et ce par le biais de
l’analyse de l’organisation industrielle. D’une part, il critique la position pessimiste de Ricardo
(lois des rendements décroissants dans l’agriculture) en mettant en avant la dynamique des
activités industrielles adossée à des rendements croissants internes. D’autre part, il met le doigt
sur les agglomérations industrielles qui génèrent des externalités positives (économies externes
qui résultent de la dynamique de l’environnement externe de la firme).

De leur côté de l’Atlantique, des économistes américains (Ely, Veblen, Clark…) ont également
contribué au développement de cette discipline via le constat suivant : l’analyse statique de la
concurrence pure et parfaite ne correspond pas à la réalité des structures des marchés et aux
comportements des firmes, dont certaines sont devenues de véritables mastodontes jouissant
du coup d’une situation de monopole et donc d’un grand pouvoir de marché, et ce à la suite de
la crise de 1873. Leur contribution est à la source de nouvelles dispositions juridiques et
réglementaires - lois antitrust, les Sherman Act - pour contrer ce type de situation dans diverses
industries (pétrole, transport ferroviaire, acier…). C’est dans ce cadre que la Standard Oïl, qui
contrôlait 90% du raffinage et de la distribution du pétrole, fut démantelée en 1911.

Plus tard, Mason, Bain, Scherer, etc. vont, entre 1930 et 1960, dynamiser l’EI, lui donnant de
fait ses lettres de noblesse, à la fois en peaufinant ses concepts-clé et en mettant en relief le
modèle de base de cette discipline : Structure-Comportement-Résultat. L’apport de ces
économistes consiste d’abord à ne pas focaliser l’attention uniquement sur le cas du monopole,
ensuite ils prennent à leur tour leur distance par rapport à l’hypothèse de la concurrence pure

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et parfaite et son corolaire, l’optimum des performances, s’attachent dans la foulée à établir
des classifications des différentes structures de marchés possibles, examinent les différentes
stratégies des firmes (qui oscillent entre concurrence et monopole), et introduisent de nouveaux
concepts (barrières à l’entrée….), ce qui au final aboutit audit modèle.

Dès le début des années 1980, l’EI s’enrichit de nouveaux outils, lesquels ouvrent la voie à de
nouvelles perspectives (la nouvelle EI) qui tournent autour des comportements stratégiques des
acteurs dans un contexte économique de plus en plus mondialisé, déréglementé et chapeauté
par l’industrie de la finance. Ce contexte modifie la structure et l’organisation des marchés.

L’un des enseignements majeurs de cette bifurcation est le rejet de la causalité déterministe qui
prévaut dans le modèle de base de l’EI, en ce sens que les comportements stratégiques des
firmes impactent la structure des marchés.

Ainsi, d’un côté la nouvelle EI s’appuie sur les nouvelles théories de l’entreprise (théorie des
coûts de transaction, théorie de l’agence, théorie évolutionniste) qui apportent de nouveaux
éclairages sur les modes d’organisation industrielle (recours au marché ou à l’organisation,
concentration, apprentissage et innovation, etc.) et les stratégies des firmes qui lui
correspondent. D’un autre côté, la théorie des jeux donne un nouveau souffle à l’EI moyennant
le recours à la modélisation. De fait, elle propose, entre autres, une nouvelle vision des barrières
à l’entrée, l’importance des négociations bilatérales… Dans cette perspective, les travaux de
Tirole sont une référence de premier plan.

On peut ainsi définir l’objet de l’EI comme suit : c’est une discipline qui pour but l’étude du
système productif et des stratégies de ses composantes, les firmes, elle ne se limite pas à
l’analyse des structures des marchés et des variables explicatives à l’existence de multiples
configurations de marché possibles, elle s’interroge également sur les comportements
stratégiques des firmes, des industries et des pouvoirs politiques. Sous cet éclairage, cette
discipline examine l’interface des comportements des acteurs au sein d’un secteur industriel
donné, des structures de marché (monopole, oligopole, monopsone, duopole…) et des
politiques publiques dédiées à la réglementation. Elle est donc une discipline de l’économie
dont la teneur est loin d’être statique et dont les outils s’avèrent tout à fait pertinents pour
comprendre la dynamique industrielle et concurrentielle, le choix des modalités de
l’organisation industrielle, et l’élaboration des politiques industrielles et réglementaires.

Afin d’éviter d’éventuels malentendus, quelques précisions s’imposent :

- cette discipline s’inscrit largement dans le cadre de la concurrence imparfaite,

- le terme « industrie » est à prendre au sens large, regroupant ainsi aussi bien les activités
industrielles au sens courant que celles qui se rattachent aux services : industrie
agroalimentaire, la chimie lourde, industrie des télécommunications, des loisirs, la grande
distribution, industrie aéronautique, etc.,

-le niveau d’analyse privilégié est d’ordre méso-économique, néanmoins la référence aux
niveaux micro et macro-économiques sont à prendre en considération,

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- le domaine de l’EI est vaste, pour preuve l’ouvrage d’Arena et al. comporte plus de 700
pages ! En outre, il ne dit rien ou presque sur les récents développements de cette discipline,
ceux qui ont trait à la modélisation. Il serait donc illusoire de traiter toutes ses
ramifications…Par conséquent, le plan retenu est le suivant :

Plan du cours

A-Les concepts fondamentaux de l’EI

B-L’apport des théories de la firme à l’EI

C-Présentation et discussion du modèle de base de l’EI

D-Remarques conclusives

Le premier axe est donc dédié aux principaux concepts de l’EI. Cet axe est tout à fait crucial
pour la compréhension des notions de base de cette discipline. Le second axe s’arrête sur le
premier versant de la nouvelle EI relatif aux théories de la firme qui ont émergé durant les
années 1970-1980. L’objectif consiste à mettre en lumière l’apport de ces théories à cette
discipline. La partie qui suit présente les grandes lignes du modèle de base de l’EI et les
interactions entre ses composantes. Elle prend deux périodes historiques (1950-1980 et de 1990
à nos jours) afin d’esquisser les grandes tendances de chacune de ces deux périodes et de
souligner les différences entre elles. Le dernier axe, remarques conclusives, constitue un
prolongement du troisième. D’une part, il jette un éclairage sur la montée en puissance des
géants du numérique (accélérée d’ailleurs par la crise sanitaire), des questions que la situation
concurrentielle des GAFA pose pour les spécialistes de l’EI et des défis auxquels devraient
face les autorités de régulation. D’autre part, il établit le lien avec le secteur de l’énergie et de
celui de l’automobile (voiture électrique) et en tire un certain nombre d’enseignements.

Liste bibliographique :

ALTERNATIVES ECONOMIQUES, Pollution. La face cachée du numérique (Dossier), n° 387,


2020.

ALTERNATIVES ECONOMIQUES, GAFA : comment les dompter ? (Dossier), n ° 3185, 2018.

ARENA R. et al., Traité d’économie industrielle, Economica, 1991.

BAUDRY B., Les relations interentreprises, La Découverte, 1995.

BAUDRY B., CHASSAGNON Y., Les théories économiques de la firme, La Découverte, 2014.

CHEVALIER J.-M., L’économie industrielle des stratégies d’entreprises, Montchrestien, 2000.

CORIAT B., WEINSTEIN O., « Les théories de la firme : entre contrat et compétences, une revue
critique des développements récents », Revue d’Economie industrielle, n° 129-130, I, 2010.

COUTINET N., SAGO-DUAREUX D., Economie des fusions-acquisitions, La Découverte, 2003.

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DOSI G., TEECE D., WINTER S. G, “ Les frontières de la firme”, Revue d’Economie Industrielle, 1er
trimestre, 1990.

GLAIS J.-J., Economie industrielle, les stratégies concurrentielles des firmes, Litec, 1992.

HANANE L., Firme et marché, Dar Essalam, 2004.

JACQUEMIN A., Sélection et pouvoir en économie industrielle, Economica-Cabay, 1985.

MORVAN Y., Fondements d’économie industrielle, Economica, 1991.

LEVET J.-L., L’économie industrielle en évolution, Economica, 2004.

MERINET S., VAUJOUR J-B., Economie de l’énergie, Dunod. 2015.

MISTRAL J. (sous la direction de), Le climat va-t-il changer le capitalisme ? Eyrolles, 2015.

PITRON G., La guerre des métaux rares, Les liens qui libèrent, 2018.

RIFKINE J., La troisième révolution industrielle, Babel, 2011.

TIROLE J., Théorie d’organisation industrielle, Economica, 1993.

WILLIAMSON O., Les institutions de l’économie, IinterEdition, 1994

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A-Les concepts fondamentaux de l’EI

-Les barrières à l’entrée : ce concept remet en cause la concurrence pure et parfaite dans la
mesure où il stipule que l’entrée dans un marché n’est pas libre et que donc se dresse un
obstacle ou une barrière à l’entrée. Ce concept constitue un outil de démarcation par rapport à
l’économie néo-classique et, à ce titre, rend compte de la dynamique concurrentielle dans un
secteur donné. Par la même occasion il met en avant les conditions d’entrée sur un marché et
leur impact sur la viabilité des firmes. La nature de ces barrières se décline au pluriel : - le
montant du capital, - l’accès à la technologie, - les avantages en termes de coût - les économies
d’échelle et d’apprentissage, - la différenciation du produit, - la réglementation.

Ainsi, pénétrer le marché des fournitures scolaires pose, en termes des besoins en capitaux,
moins de problèmes par rapport à celui de l’aéronautique ou de l’aérospatial. L’entrée dans ce
dernier exige des technologies diverses et pointues difficiles à acquérir sur le marché et qui
exigent en outre un long processus d’apprentissage. La production à grande échelle constitue
également un obstacle pour un prétendu entrant dont les ressources sont limitées. La
différenciation joue un rôle similaire car les consommateurs ne perçoivent pas les produits des
entrants potentiels comme des substituts parfaits. De même la publicité peut jouer le rôle d’une
barrière à l’entrée. Elle donne lieu à d’importantes dépenses en promotion et de communication
qui sont hors de portée des concurrents potentiels, et sert de support à la persuasion dont
bénéficient les entreprises déjà installées dans un secteur donné. Les pouvoirs politiques
constituent également une barrière en fermant certains marchés, jugés stratégiques ou
sensibles, à des entreprises (défense, aérospatial, énergie, transport…) ou à l’achat d’une
entreprise nationale par une entreprise étrangère…

-Les barrières à la sortie : celles-ci concernent de nombreux facteurs qui rendent le retrait d’un
marché fort problématique D’abord il s’agit d’actifs spécifiques (voir plus loin), comme des
machines que l’on ne peut pas réutiliser ou redéployer pour un autre usage (textile-habillement
versus électronique grand public par exemple). Ces actifs freinent la mobilité intersectorielle
des ressources et engendrent des coûts de sortie. Ces actifs spécifiques ont également une
dimension immatérielle (marque, réputation de la firme…). Ensuite, il faut mentionner d’autres
facteurs comme le coût associés aux licenciements (indemnités), aux reconversions (mobilité,
formation…) et aux engagements contractuels de moyen et long terme avec les clients, les
fournisseurs, etc.

-Les marchés contestables : cette notion vise à montrer que dans quelques situations l’entrée et
la sortie d’un marché ne posent pas de sérieux problèmes, en ce sens que d’une part l’entrée
est libre et que, d’autre part, la sortie se fait sans coût : dans ce cas le marché est dit contestable
(cas, par exemple, des nouvelles compagnies de transport aérien low cost pour les petites et
moyennes distances). Plus exactement, cette notion stipule qu’il n’existe pas de barrière à
l’entrée matérialisée par un désavantage quantitatif et qualitatif aux dépens des entrants
potentiels et que la sortie s’effectue sans coût, dans ce cadre l’entreprise n’a pas à supporter
des coûts irrécupérables.

-L’intégration verticale : ce concept rend compte d’une situation où une firme décide de
maitriser l’essentiel de l’enchainement d’un ensemble d’opérations qui se succèdent au sein du
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processus de production, lequel se termine par la mise à la disposition du client un bien
économique. Elle privilégie donc le « faire » (internaliser) que le « faire faire » (externaliser).
Prenons un exemple. Supposons qu’une entreprise produise et commercialise un produit
moyennement complexe, composé de 10 pièces et nécessitant 10 étapes lors de sa fabrication.
Le point de départ est l’accès aux matières premières et autres sources énergétiques ; le point
d’arrivée est sa livraison au client final. Entre les deux, ce produit passe par plusieurs phases
ou étapes dont 7 sont prises en charge par l’entreprise elle-même, alors que les 3 autres sont
assumées par les fournisseurs ou sous-traitants. Dans ce cas, l’entreprise se charge elle-même
de la fabrication de l’essentiel des pièces nécessaires pour la production du bien.

Souvent, l’intégration verticale de type structurelle concerne les firmes à activités


complémentaires et se fait en amont afin de s’assurer de certains approvisionnements, d’assurer
une meilleure coordination dans l’enchainement des opérations, une régularité de la
production, une combinaison technique et productive plus efficace, ce qui entraîne des
économies d’échelle, et donc une réduction des coûts.

Dans le cas contraire, on parle de désintégration verticale lorsqu’une firme se débarrasse de


certaines opérations et se concentre donc sur son métier de base. En interne elle n’intervient
suivant l’exemple cité que dans 3 étapes sur 10, confiant les 7 autres à des fournisseurs. Ici,
prime donc le « faire faire » sur le « faire ».

-L’oligopole : Il s’agit d’une structure de marché dans laquelle au moins 3 firmes se partagent
un marché. Cette structure est sans aucun doute la plus fréquente, elle prend trois
configurations : - oligopole homogène au sein duquel la concurrence passe par les prix, -
oligopole différencié, dans cette optique la concurrence passe par la différenciation, - oligopole
avec frange, ici l’oligopole est concentré entre les mains de quelques entreprises avec une
frange concurrentielle constituée par des entreprises de taille plus modeste qui occupent des
niches (les voitures de luxe dans l’industrie automobile, par exemple).

Par nature, un oligopole est instable. Cette instabilité est à mettre du côté des innovations
technologiques, organisationnelles ou encore commerciales et relationnelles comme c’est le
cas du e-commerce, qui sont autant de facteurs qui sont en mesure de remettre en cause la
stabilité concurrentielle dans un secteur donné.

-Le monopole naturel : ce concept renvoie aux industries de réseau (électricité, gaz, eau,
chemins de fer, télécommunications, routes…) qui se distinguent par de lourdes infrastructures
(rails, poteaux d’électricité, fils électriques, gazoducs, pièces annexes, etc.) ainsi que des
entretiens continus. Cette notion suggère donc la présence de coûts fixes élevés quel que soit
le volume de la production, et donc l’impératif de réaliser des économies d’échelle qu’une
seule entreprise ne peut réaliser pour entrer dans ses frais. Aussi, pour ces industries une taille
faible ou moyenne engendre-t-elle des rendements décroissants, et donc une concurrence libre
dans ce type d’industrie est autodestructrice.

La firme qui jouit d’un monopole naturel, a un rendement meilleur que n’importe quelle
combinaison de plusieurs firmes, et son acceptation sociale est souvent mentionnée. Mais cette
position dominante peut engendrer des « effets pervers » : prix élevés, inertie en matière

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d’innovation et de l’entretien des réseaux, clients non satisfaits…, ce qui conduit les pouvoirs
politiques à réglementer ce type de structure de marché.

-Stratégie : cette notion ne fait pas forcément partie des concepts-clé de l’EI, il s’avère
nonobstant utile d’en tenir compte car elle est au cœur du comportement des firmes. Pour la
définir, nous faisons référence à Chandler : « La stratégie consiste à déterminer les objectifs et
les buts fondamentaux à long terme d’une organisation (entreprise) puis à choisir les modes
d’action et d’allocation des ressources qui permettrons d’atteindre ces buts et objectifs ».

Quelques précisions s’imposent. D’abord l’horizon temporel de la stratégie est le moyen et le


long terme. Ensuite, la stratégie mobilise l’ensemble de l’entreprise. Troisièmement, il ne suffit
pas d’avoir une vision stratégique, il importe aussi de mettre en œuvre les moyens adéquats
(dimension tactique) pour atteindre les objectifs stratégiques. Enfin, la stratégie est
potentiellement irréversible.

Les entreprises déploient de nombreuses stratégies qui ne sont pas étrangères au domaine de
l’EI. Parmi lesquelles figurent :

a – stratégie d’impartition ou de coopération : les rapports entre les entreprises au sein d’un
secteur ne sont pas uniquement frappés par le sceau de la concurrence, mais également de la
coopération et ce dans des domaines divers. Gardons à l’esprit que cette coopération laisse
intacte la forme juridique des partenaires et que chacun de ces derniers garde une autonomie
au niveau de la prise de décision et donc ne s’engage que pour une période déterminée avec
des objectifs précis et des ressources adéquates.

Quant aux domaines de ce type de stratégie, ils sont nombreux ; - Recherche&Développement,


ici on cherche à mobiliser des complémentarités, à créer des synergies entre les partenaires car
la R&D est souvent onéreuse, risquée…- production : ici 2 ou 3 firmes, sinon plus, mettent en
place des plates-formes pour produire des pièces communes, ce qui permet de réaliser des
économies d’échelle, d’exercer une pression sur les fournisseurs pour réduire les prix…, -
transport et logistique avec utilisation en commun de moyens de transport, etc. Ce type de
stratégie est également d’ordre intersectoriel, liant des entreprises qui opèrent dans des secteurs
différents : chimie, électronique, métallurgie….

b – stratégie de croissance interne ou externe : à cet égard dans le premier cas la firme se
développe par ses propres moyens (achat ou location du terrain, construction du site industriel,
achat et installation des machines, embauche et formation des salariés, choix des
fournisseurs…) ; dans le second cas elle procède autrement : achat ou acquisition d’une
entreprise concurrente ou complémentaire, fusion, participations croisées (A qui achète 15%
du capital de B, et B qui achète 10% de celui de A), etc. Les stratégies de croissance externe
peuvent être horizontales (entre des entreprises ayant le même métier), verticales (entre des
firmes complémentaires) ou conglomérales (des entités ayant des activités totalement
différentes les unes des autres : exemple, agroalimentaire et télécommunications).

c- stratégie d’intégration ou de désintégration verticale…. (voir plus haut)

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d- stratégie de réduction des coûts, laquelle se déploie par le biais de la chasse continue aux
gaspillages, de l’élimination des redondances, de l’amélioration des modes opératoires et des
modalités de coordination intra et interentreprises…, ce qui permet d’augmenter la
productivité, et donc de baisser les coûts.

e- stratégie d’innovation : il s’agit ici de chercher à avoir un avantage concurrentiel par rapport
à ses rivaux en jouant la carte de l’innovation. Plusieurs configurations sont possibles que nous
empruntons à Schumpeter : - proposer aux consommateurs un produit et ou un service nouveau,
ou du moins d’une qualité nouvelle d’un bien économique, - utilisation de nouvelles matières
premières ou de nouvelles sources énergétiques (charbon, acier, électricité….versus énergies
renouvelables, lithium, fibres de Carbonne, etc.), - recours à de nouvelles méthodes de
production qui combinent organisation et technologie (Organisation Scientifique du Travail,
les méthodes de production fordistes, toyotistes….), - utilisation de nouvelles innovations
commerciales comme la vente-achat par internet…

B-L ’apport des nouvelles théories de la firme à l’EI

Nous examinons trois approches théoriques de la firme qui sont au cœur de la nouvelle EI, à
savoir la théorie des coûts de transaction, la théorie de l’agence et la théorie évolutionniste.
On commence par la théorie des coûts de transaction.

Dans un célèbre article qui date de 1937, « La nature de la firme », Coase pose cette question :
si le marché est le mode de coordination économique le plus efficace, pourquoi existe-t-il des
firmes ? Réponse : le recours au marché (régi par le système des prix dans la tradition néo-
classique) n’est pas gratuit, il engendre des coûts que l’analyse néo-classique ignore, les coûts
de transaction. Coase rejette ainsi l’hypothèse de la transparence et soutient que l’accès à
l’information n’est ni gratuit ni librement disponible. Il faut donc engager des dépenses pour
réaliser des transactions : - coûts de découverte de prix d’équilibre ou adéquats, - coûts de
découverte de partenaires fiables, - coûts de négociation, de rédaction et de suivi des contrats.

Pour mieux fixer les idées, prenons un exemple. Un entrepreneur veut se lancer dans la
production et la commercialisation de jus d’orange. Il a besoin de 1500 kilos d’orange par
semaine. Il doit donc faire le tour des entreprises aptes à lui fournir de manière régulière cette
quantité, il ne va pas s’arrêter à la première, et donc se déplace de l’une à l’autre pour trouver
celle qui à la fois lui propose un prix intéressant et semble être crédible, et donc avec qui il peut
s’engager de manière contractuelle pour une longue durée. Durant sa quête, l’entrepreneur est
ainsi amené à supporter des coûts (de nombreux déplacements qui occasionnent moult frais,
d’incessantes négociations et autres dépenses annexes, payer des juristes pour la rédaction du
contrat…). Par conséquent, pour Coase le recours au marché induit des coûts, en outre il
nécessite une inscription sociale qui se manifeste par des engagements contractuels, et le
marché exclut l’idée de contrat à long terme.

Dans ce cadre, Coase stipule que ces coûts jouent un rôle central pour départager entre « faire »
(internaliser) ou « faire faire » (externaliser), et donc s’interroge sur les « frontières » de
l’entreprise : si les coûts de transaction sont élevés, il serait préférable de recourir à la première
option, s’ils sont faibles, il vaudrait mieux recourir au marché. La justification de l’existence

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de la firme réside donc dans le fait que cette dernière réduit les coûts de transaction. Etant
imparfait, le marché n’est pas l’unique mode de coordination économique.

Plus tard, durant les années 1970-1980, s’appuyant sur les travaux de Coase Williamson
élabore la théorie des coûts de transaction. Il insiste sur le caractère essentiel des choix des
formes organisationnelles alternatives au marché, en fonction des coûts de transaction, il retient
à cet égard les hypothèses suivantes :

a- l’acteur économique est doté d’une rationalité limitée : suite à H. Simon, Williamson admet
que le comportement du décideur économique n’est pas aiguillonné par une rationalité
substantive qui le conduit à prendre la meilleure décision (optimisation), et ce pour les raisons
suivantes ; - il n’a pas accès à toutes les informations, - sa capacité de réception, de stockage
et de traitement de l’information est étriquée, - il a aussi des limites au niveau cognitif, ne peut
pas tout calculer, tout anticiper, - il ne peut maîtriser parfaitement les conséquences de ses
décisions, - il ne sait pas comment vont réagir les concurrents ... En conséquence, le décideur
vise, compte tenu de ces limites, un niveau de satisfaction et non d’optimisation, compte tenu
des informations dont il dispose.

b- l’acteur économique peut se comporter de manière opportuniste : Williamson écrit à ce


propos : « Par opportunisme j’entends une recherche d’intérêt personnel qui comporte la notion
de tromperie. Cette dernière inclut les formes les plus apparentes tels que le mensonge, le vol
et la tricherie ». En arrière-plan se pose la question de l’asymétrie de l’information entre les
acteurs économiques, il s’agit selon Williamson de divulgation d’informations erronées,
fausses, incomplètes, etc. Ce type de comportement peut se produire avant la rédaction du
contrat, on parle dans ce cas d’opportunisme ex post ou sélection adverse (exemple : un
candidat qui met dans son CV qu’il a effectué un stage de 6 mois dans une entreprise, alors
qu’il ne s’agit en vérité que de 3 mois). Il se manifeste également pendant l’engagement
contractuel (le contrat stipule que les oranges sont de qualité A, le fournisseur se comporte
d’abord de manière régulière, et un an après il mélange des oranges de qualité A et de qualité
B) : il s’agit d’un opportunisme ex ante ou aléa moral.

c-la spécificité des actifs : cette spécificité, écrit Williamson, « se définit en référence au degré
avec lequel un actif peut être redéployé pour un autre usage ou d’autres utilisations sans perte
de sa capacité de production ». Comme nous l’avons souligné plus haut, une machine, par
exemple, qui coupe du bois ne peut pas être réemployée pour couper de l’acier. Cette spécificité
a une portée plus générale : - ressources humaines spécifiques ayant de l’expérience, - actifs
localisés spécifiques (exemple : une usine d’agroalimentaire localisée dans une région agricole
ou près d’un port), - actifs dédiés (exemple : relation contractuelle avec un seul client), -
attachement à la clientèle (marque, réputation…).

d- l ’incertitude : celle-ci renvoie à divers aléas et autres perturbations auxquels doit faire face
l’entreprise : comportement inattendue des partenaires, manque d’informations, retournement
de la conjoncture économique, décision gouvernementale…, cela provient en partie du fait que
par nature le contrat est souvent incomplet : on ne peut prévoir d’avance toutes les éventualités
possibles.

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e- la fréquence des transactions : cette fréquence peut prendre trois configurations (unique,
occasionnelle, récurrente ou répétitive). Chaque configuration a des implications sur le
comportement d’autrui (l’opportunisme) et peut donc assouplir ou au contraire aggraver
l’incertitude.

Williamson se penche ensuite sur les modalités de la coordination économique et estime


qu’elles sont de l’ordre de 3 : au marché et à la firme, il ajoute une troisième qu’il désigne par
forme hybride. Celle-ci revoie à des arrangements contractuels inscrits souvent dans la durée
et qui se caractérisent par le partage de certaines ressources et la prise de certaines décisions
communes afin de réaliser des objectifs précis : franchise, sous-traitance, concession….

Enfin, Williamson élabore un arsenal des contrats qui régissent les transactions entre les
partenaires :

-contrat classique : ce type de contrat est unique ou ponctuel, son contenu est formel et est
parfaitement délimité, les réparations y sont inscrites dans le cas de défaillance de l’une des 2
parties. La présence d’une autorité (un juge) est exclue. Dans ce cas, l’opportunisme est
supposé faible, la spécificité des actifs est sans importance le degré d’incertitude est faible, et
la transaction est standardisée. Le recours au marché est donc indiqué.

-contrat néo-classique : ce genre de contrat est soumis à de fortes incertitudes liées en partie à
l’éventuel opportunisme des partenaires, en conséquence la présence d’une autorité externe
(tribunal) s’impose afin d’arbitrer dans le cas d’un conflit. Ici, la spécificité des actifs est prise
en compte, de même en est-il de la fréquence qui est occasionnelle, l’opportunisme et le degré
d’incertitude sont supposés forts. Ce type de contrat s’impose donc comme c’est le cas, par
exemple, pour un consultant ou un contrat de mission qui peut déboucher sur un conflit, et donc
fait intervenir un tiers ou une autorité externe.

-contrat évolutif ou personnalisé : ce contrat renvoie également à des situations soumises à


l’incertitude, mais de manière contractuelle les deux parties fixent les règles générales qui
cadrent les transactions et s’accordent à déléguer à l’une d’entre elles le soin d’interpréter
l’évolution du contrat et à trouver des issus quand un problème sérieux se pose. A ce niveau,
la spécificité des actifs joue un rôle capital, l’incertitude est forte étant donné la durée de la
fréquence, ce qui peut engendrer des comportements opportunistes. La spécificité des actifs
peut engendrer un « monopole bilatéral » entre deux entreprises, dont l’une est dépendante de
l’autre. En cas de conflit, le recours à un tribunal peut s’avérer coûteux, long et incertain.

Dans Les institutions de l’économie, Williamson estime que la théorie des coûts de transaction
apporte de nouveaux éclairages pour expliquer le recours à l’intégration verticale, il avance à
ce sujet l’exemple suivant :

1-en 1919, General Motors (GM) conclut un avec Fisher Body (FB) un accord contractuel par
lequel GM acceptait d’acheter à FB en quantité tous ses habitacles (carrosseries) en bois ;

2-le prix de livraison était établi sur une base « coûts plus marge » et comprenait des clauses
selon lesquelles GM ne serait pas facturé au-dessus de ses rivaux. Les conflits de prix devraient
être résolus par un arbitrage ayant valeur exécutoire ;

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3-la demande de production d’habitacles d’automobile s’accrut substantiellement pour GM au-
dessus ce qui avait été prévu, et ce dans un contexte dans lequel le métal remplace le bois dans
la fabrication des carrosseries, ce qui implique des investissements spécifiques de la part des
deux partenaires. En conséquence, GM exprima son mécontentement vis-à-vis des termes qui
fixaient les ajustements des prix. Il pressa en outre FB d’installer ses usines de carrosseries en
sorte qu’elles soient adjacentes aux usines d’assemblage de GM. Il serait alors possible de
réaliser des économies de transport et de stockage. FB s’y opposa.

4-GM commença à acquérir le capital de FB.

On observe d’abord que la relation entre GM et FB est marquée par l’incertitude et le


comportement des deux entreprises relève de la rationalité limitée qui impacte le contrat, lequel
est forcément incomplet. En effet la demande d’habitacles augmente, ce qui n’est pas été prévu
lors de la rédaction du contrat entre les deux firmes et par ailleurs le métal remplace le bois, ce
qui à son tour montre l’incapacité des acteurs à prévoir toutes les éventualités. Ensuite, ce
remplacement exige des investissements dans des actifs spécifiques pour chacune de ces deux
entreprises, ce qui engendre une relation de dépendance, l’une a besoin de l’autre. Quant à la
fréquence, elle est durable, ce qui pourrait engendrer des comportements opportunistes. En ce
qui concerne ce dernier point, suite à l’augmentation de la demande, en principe il y a
réalisation des économies d’échelle, et donc baisse des coûts de production, mais pour GM FB
se comporte de manière opportuniste car elle n’a pas voulu ajuster les prix à la baisse (GM
exprima son mécontentement …). Mais FB estime de son côté que GM se comporte de manière
opportuniste : installer ses usines à proximité des siennes entraîne des investissements en
termes d’actifs spécifiques que FB doit supporter et donc renforcer sa dépendance vis-à-vis de
GM, qui pourrait se comporter encore une fois de manière opportuniste. Face à ce double refus,
GM décide d’acheter le capital de FB, et donc de recourir à la croissance externe.

GM pouvait chercher un autre partenaire, mais cela exige des informations difficiles à acquérir
et surtout une telle option force GM a engagé de nombreuses dépenses et maintes négociations
pour se mettre d’accord avec l’éventuel partenaire sur les prix, s’assurer, dans certaines limites,
qu’il est fiable, et engager des juristes pour rédiger les contrats, et. Le recours au marché
engendre donc des coûts de transaction que GM peut économiser en optant pour l’intégration
verticale (voir encadré qui suit, lequel met à votre disposition l’épreuve de l’examen de l’année
2018-2019 consacrée à la théorie des coûts de transaction).

La firme X est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation des tracteurs. Ella a comme
principal fournisseur l’entreprise Y qui lui fournit des pièces de moteur et une partie du système de
freinage. Le contrat signé entre X et Y stipule que, d’une part, X s’engage à acheter une quantité
importante de ces pièces et que, d’autre part, le prix de livraison est établi sur la base « coûts plus
marge ».

Le contrat comprend une clause selon laquelle X ne serait pas facturée au-dessus de ses rivaux. En
cas de problème, une solution à l’amiable est préférée. L’évolution de cette relation se caractérise
par les points suivants :

-la demande enregistre une hausse importante, et ce grâce aux exportations. X demande à Y de revoir
les prix, mais sans succès ;

11
-un nouveau système de freinage se diffuse, ce qui conduit les deux entreprises à faire des
investissements productifs ;
-les droits de douane baissent et la demande intérieure augmente sensiblement ;
-X, qui est localisé près d’un important port, propose à Y d’installer une nouvelle usine à proximité
dudit port afin de réaliser des économies de transport et de stockage. Y refuse ;
-X propose à Y un contrat d’exclusivité. Y décline l’offre ;
-X prend la décision d’acheter Y.

Question : Sur la base de la théorie des coûts de transaction, expliquez pourquoi X opte au final pour
l’intégration verticale.

Passons à présent à la théorie de l’agence. Cette approche est la version moderne de la théorie
néo-classique. Pour l’essentiel les économistes qui lui sont affiliés (Meckeling, Alchian,
Jensen, Fama …) admettent que le marché est efficient, que l’agent économique est
parfaitement rationnel et est capable de faire des anticipations rationnelles (Jensen et Meckling
parlent de rationalité calculatoire). Quant à l’entreprise, elle est présentée comme un nœud de
contrats entre des agents économiques libres et rationnels. L’importance de cette théorie vient
en premier chef du fait qu’elle sert de support et de justification à la thèse sur la gouvernance
d’entreprise qui a pris de l’ampleur depuis les années 1980 et qui, selon laquelle, il faut
développer le principe de la valeur actionnariale qui fait la part belle aux actionnaires au
détriment des autres parties prenantes.

Dans cette perspective, la firme est comprise comme une « fiction légale » : « Les relations
contractuelles, écrivent Alchian et Desmetz, sont l’essence de la firme, non seulement avec les
employés, mais également avec les fournisseurs, les clients, les organismes de crédit (…) La
firme est une fiction légale ». En conséquence, seuls les individus ont des intérêts à défendre,
et non l’entreprise en tant que telle. D’autre part, la question des « frontières » de la firme ne
se pose pas comme chez Coase et Williamson …

La différence fondamentale avec la théorie néo-classique standard réside dans l’asymétrie de


l’information : l’agent économique A a plus d’informations que l’agent économique B, et donc
peut se comporter de manière opportuniste en utilisant pour son propre compte les informations
dont il dispose. Cette relation asymétrique coiffe des situations diverses entre : - le manager ou
le DG et l’actionnaire, - le manager et le trader, -le médecin, l’avocat, le garagiste.et le client,
- l’assureur et l’assuré, - l’Etat et une entreprise privée engagée, par exemple, pour construire
un pont, ou une route…- une entreprise et un sous-traitant, -etc.

La théorie de l’agence s’intéresse plus particulièrement au premier cas, elle a donc comme
champ d’investigation les grandes entreprises cotées en bourse ayant donc le statut de société
anonyme, société dans laquelle il y a séparation entre le manager qui dirige l’entreprise et qui
dispose donc plus d’informations que l’actionnaire, et ce dernier qui est propriétaire du capital
ou d’une partie du capital de l’entreprise.

Cette asymétrie d’information génère de potentiels conflits d’intérêt, et pour faire face à cette
divergence, des mécanismes de contrôle et d’incitation sont mobilisés afin de rendre la relation
entre les deux convergente. Dans ce cadre, on définit une relation d’agence comme suit : « Il

12
y a relation d’agence lorsque deux ou plusieurs agents nouent un contrat pour lequel une partie,
le principal (l’actionnaire) engage une autre, l’agent (le manager), pour exécuter en son nom
une tâche qui implique une délégation d’un certain pouvoir de décision » (on parle aussi de
relation entre mandant et mandataire). Il s’agit en somme de décisions stratégiques, et non
routinières, qui impactent la performance de l’entreprise et donc le revenu du propriétaire ou
l’actionnaire.

Or l’asymétrie d’information peut accoucher de comportements opportunistes, et donc peut


nuire aux intérêts de l’actionnaire, d’où la nécessité de mettre en place lesdits mécanismes (voir
tableau).

t-1 sélection adverse t : signature du contrat t+1 aléa moral


Opportunisme précontractuel Opportunisme post-contractuel

Le principal non informé doit Inciter l’agent qui dispose


sélectionner un bon partenaire d’une information privée à
(agent) ou un bon produit prendre une décision optimale
(détenu par l’agent) du point de vue du principal

Trouver une procédure pour Trouver une procédure


obtenir l’information incitative

Comment contrer l’éventuel opportunisme de l’agent ?

Les modalités sont diverses, elles reposent d’abord sur des mécanismes de contrôle et de
surveillance qui engendrent des coûts d’agence qu’il convient de limiter. Dans le cas des
entreprises cotées en bourse, les informations financières sont capitales car elles reflètent la
« santé » de la firme, il s’agit ainsi de multiplier les canaux informationnels afin d’évaluer la
valeur de l’entreprise en les mettant à la disposition des actionnaires, des investisseurs, des
analystes financiers, des agences de notation, etc. : dans ce cas la transparence informationnelle
est fortement exigée, elle sert à mettre en avant l’objectif lié à l’optimisation des placements
financiers. Sous cet éclairage, l’analyse financière devient le pivot au niveau du pilotage de
l’entreprise.

Dans cette optique, le manager met à la disposition des uns et des autres de nombreux
documents financiers de manière régulière pour attester de son intégrité et de sa volonté à ne
pas léser l’actionnaire (rapports financiers mensuels, trimestriels…, publications des comptes,
projections des résultats, mode de rémunération des managers, etc.). D’autres modalités sont
également utilisées : audit interne et/ou externe afin de faire des comparaisons, utilisation de
nouveaux critères de gestion ou des indicateurs d’efficience financière. Dans le cas d’une
relation entre un médecin et un patient, ce dernier peut consulter d’autres médecins pour
vérifier le diagnostic du premier…

Ensuite, ces modalités renvoient à des mécanismes incitatifs dont le but est faire converger
l’intérêt du principal et de celui de l’agent. Ces mécanismes se traduisent par : - paiement de
primes, de bonus… lorsque le manager atteint ses objectifs, - et, surtout, versement d’actions

13
ou de stock-options que le manager, pour faire vite, achète à un prix inférieur à celui du marché,
et qu’il pourra vendre quand le prix augmente (réalisation d’une plus-value). Dans ce deuxième
cas, cette modalité incite le manager à faire de son mieux pour doper la valeur de la firme et,
in fine, optimiser la rémunération des actionnaires et, par la même occasion la sienne.

Aussi, dans un contexte économique de plus en plus mondialisé et déréglementé, ouvert à la


concurrence et porté par l’industrie de la finance, les options stratégiques adossées à des
considérations financières impactent-elles les structures des marchés. Le rôle des managers est
donc tout à fait crucial au niveau de la prise de décision stratégique, il leur importe de justifier
leurs options auprès des actionnaires en mettant, en principe, à leur disposition tous les
documents comptables et financiers afin de les convaincre du bienfondé de leur choix.

Ces options s’inscrivent souvent dans une logique à court terme qui vise à maximiser la plus-
value en multipliant les fusions-acquisitions afin de booster la valeur actionnariale des firmes,
surtout dans un contexte dans lequel les taux d’intérêt sont bas, ce qui favorise l’endettement.
A cet égard, la logique financière l’emporte sur la logique productive, dès lors il n’est pas
étonnant que bon nombre de ces fusions se soldent par un échec.

D’un autre côté, ces options jouent aussi la carte de la désintégration verticale afin de minimiser
les coûts d’agence liés au contrôle et à la surveillance des fournisseurs et de là poussent les
firmes à nouer avec eux des contrats incitatifs pour divulguer l’information, partager le
risque…, ce qui leur octroie plus de visibilité.

Les formes de relations entre le principal et l’agent occupent ainsi une place centrale dans
l’analyse des structures des entreprises, leurs stratégies, et leur performance. En présence d’un
marché d’occasion de capitaux (marché financier secondaire), souvent l’effet de levier lié à un
taux d’intérêt bas encourage ou incite à l’endettement des firmes. De fait, l’influence
grandissante de la création de la valeur pour l’actionnaire a renforcé la tendance à la
concentration et à la financiarisation des stratégies, à la multiplication d’indicateurs reliés au
cours de la bourse, et à la recherche de performance financière.

Quant à la théorie évolutionniste, dont les fers de lance sont Dosi, Freeman, Teece, Winter…,
elle est aux antipodes des théories contractuelles de la firme. Dosi, Teece et Winter notent à ce
sujet : « Nous sommes strictement en désaccord avec les théories de l’entreprise qui la
considèrent comme un système de contrat ». S’inspirant librement des travaux de
Schumpeter, adoptant l’hypothèse de la rationalité limitée et utilisant de manière métaphorique
des concepts de la théorie de l’évolution, Winter écrit à ce propos : « Les firmes établissent des
règles de décision et les appliquent de manière routinière de période en période. Les firmes
conservent les mêmes routines tant que celles-ci donnent satisfaction ». Les auteurs affiliés
à cette approche théorique offrent ainsi un autre cadre articulé autour du triptyque : « diversité-
mutation-sélection ».

Par diversité, ce courant avance l’idée selon laquelle les entreprises sont totalement différentes
les unes des autres, y compris dans un même secteur économique. Cette diversité fait que
chaque entreprise développe des routines spécifiques ou endémiques et que ces routines
renvoient à des éléments d’hérédité constituant ainsi la « mémoire organisationnelle » de

14
l’entreprise. Ces routines sont intimement liées aux processus d’apprentissage intra-firme, et à
son évolution. Dit autrement, ce courant s’interroge : pourquoi les firmes différent-elles
durablement les unes des autres dans leurs caractéristiques, leurs comportements et leurs
performances ?

Ainsi, pour l’approche théorique évolutionniste les firmes mobilisent des connaissances
codifiées, standardisées, répétitives (comment encaisser un chèque, comment répondre à la
demande d’un client, comment fabriquer un produit….) et, d’un autre côté, mobilisent des
connaissances tacites ou « cachées » : prenons l’exemple d’un père qui veut apprendre à sa fille
à rouler à vélo, il lui explique qu’il faut s’assoir sur la selle, tenir fermement le guidon, pédaler
en conservant son équilibre, ne pas voir en bas…Il lui communique donc des connaissances
codifiées, or elles sont largement insuffisantes pour que l’enfant réussisse du premier coup, la
fille tombera à maintes reprises, essayera encore et encore, et ce n’est qu’à terme d’un
processus d’apprentissage que l’expérience sera concluante via l’accumulation de
connaissances tacites, connaissances qu’elle ne pourra pas transmettre à son fils ou à sa fille.

Prenons un autre exemple : un étudiant est pour la première fois contraint de préparer un tajine,
il consulte un livre ou son Smartphone et note la recette. Il est peu probable qu’il réussisse du
premier coup. La succession de tajines ratés et de tajines réussis constituera les connaissances
tacites accumulées lors du processus d’apprentissage. L’exécution rapide des opérations, la
dextérité, le doigté … sont autant de manifestations des connaissances tacites. Bref ces routines
dites statiques garantissent la régularité et la prévisibilité du comportement des acteurs
économiques, et donc réduisent l’incertitude.

Par mutation, ce courant théorique fait appel à d’autres routines dites dynamiques ou méta-
routines orientées principalement vers l’apprentissage, la résolution de problèmes et le
développement de nouveaux produits ou services. Entrent ici en jeu des routines marquées par
le sceau d’aptitude à la recherche qui accouchent d’innovations en fonction des opportunités
technologiques qui émanant de l’environnement de l’entreprise.

Ces méta-routines renvoient donc à des comportements dynamiques aptes à changer les
routines existantes, comportements qui via un processus d’essai-erreurs mettent au point de
nouvelles innovations (on ne peut pas, par exemple, mettre au point un nouveau médicament
en quelques jours ou semaines, cela exige un long processus d’apprentissage, une série d’essai-
erreurs, de nombreux tests, des protocoles…, processus qui peut durer jusqu’à 10 ans, sinon
plus) (voir tableau).

Type de la routine Individuelle Organisationnelle


Nature de la routine (Statique) Savoir-faire Procédure opératoires, standard
et règle d’application large
Nature de la routine Aptitude à la recherche Méta-routines
(Dynamique)

15
Ainsi, sur la base de ces deux types de routine, les économistes évolutionnistes définissent les
compétences distinctives de la firme, c’est-à-dire ce qu’elle sait faire et pourrait faire. D’une
part, il s’agit de compétences foncières ou principales (technologiques et organisationnelles)
de la firme qui sont articulées autour des routines statiques.

D’autre part, il s’agit de compétences secondaires ou auxiliaires animées par les méta-routines
(innovations). Ce courant soutient ainsi l’idée selon laquelle la mutation s’opère quand la firme
parvient à transformer ses compétences secondaires en compétences foncières : la mutation se
fait donc de manière endogène.

Supposons, par exemple, que les compétences foncières d’une firme sont relatives à la
fabrication et la commercialisation de fournitures scolaires (cahiers, livres, stylos…). La firme
en question investit dans les Nouvelles Technologies de l’Information et la Communication et
commence à vendre ses fournitures via internet (compétence secondaire). Petit à petit, grâce à
un processus d’apprentissage, elle développe ce nouvel axe, parvient à le maîtriser et change
donc de compétence, délaissant du coup la fabrication de fournitures scolaires pour s’engager
dans la vente par internet d’autres biens économiques.

Reste la question de la sélection. A ce sujet, Dosi, Winter… refusent l’idée selon laquelle seul
le marché, via la maximisation du profit, est capable de sélectionner les firmes, en conséquence
ils admettent une pluralité d’environnement de sélection : technologique, financier,
institutionnel…, aussi écrient-ils : « La viabilité des entreprises dépend de l’environnement de
sélection, et en particulier du niveau de la concurrence, de la politique publique, et des
fréquences des discontinuités technologiques ». Cet environnement de sélection joue donc le
rôle d’un filtre au sein duquel les barrières à l’entrée, concept-clé de l’EI, occupent une place
de choix :

- accès aux ressources financières,

- structure du marché (monopole, oligopole…),

- degré d’ouverture des marchés aux nouveaux entrants,

- opportunités technologiques,

- effets des politiques publiques (fiscalité, réglementation, etc.),

- processus d’apprentissage,

- etc.

Au total, ce courant met le doigt sur la capacité des entreprises à évoluer dans un environnement
mouvant et complexe, à faire face à la concurrence en misant sur l’innovation et l’acquisition
de nouvelles connaissances, autant d’atouts pour avoir un avantage concurrentiel. C’est une
approche dynamique, qui place les processus d’apprentissage et l’innovation au cœur du
comportement des firmes, par ce biais ces dernières recomposent les structures des marchés et
dressent par la même occasion des barrières d’entrée marquées par l’importance de la
technologie et des capitaux.

16
C-Présentation et discussion du modèle de base de l’EI

Comme le suggère la figure qui suit, le modèle de base de l’EI est composé de plusieurs blocs :
Conditions de base (1), Structures des marchés (2), Comportements (3), Politiques
gouvernementales (4) et Résultats (5).

Ce modèle a fait au fil du temps l’objet de plusieurs réaménagements afin de l’adapter par
rapport à l’évolution des activités et des politiques industrielles (structures des marchés, rôle
des pouvoirs politiques, comportements des entreprises). On a ainsi ajouté le bloc Politiques
gouvernementales, mais aussi introduit de nouveaux éléments. A titre d’exemples, dans le bloc
1 figure le coût de l’information ; dans le bloc 3, figurent Quantité-Qualité-Prix ainsi
qu’Acquisition-Fusion-Entente.

Il faut également mentionner le point suivant : dans un premier temps, ce modèle était
déterministe, en ce sens que le bloc 1 détermine le bloc 2, qui à son tour détermine le bloc 3,
lequel détermine le bloc 5 (il faut imaginer des flèches entre les blocs). Par la suite, on a
introduit des effets de feed-back, en ce sens que :

- le bloc 2 a des effets sur le bloc 1,

- le bloc 3 a des effets sur les blocs 1 et 2,

- le bloc 4 a des effets sur tous les autres blocs.

En conséquence, il existe des effets réciproques, qui vont dans les deux sens. Le cadre n’est
plus rigide, mais souple, flexible….

17
Conditions de base : côté Offre (1) Conditions de base : côté Demande (1)

Matières premières Elasticité-prix


Technologie Taux de croissance
Durée de vie des produits Possibilité de substitution
Rapport valeur-poids Conditions de commercialisation
Règles de la profession Méthodes d’achat
Conditions syndicales Caractéristiques cycliques ou saisonnières

Structures des marchés (2)

Nombre de vendeurs et d’acheteurs


Différenciation des produits
Barrières à l’entrée
Structure des coûts
Intégration verticale
Structure conglomérale

Comportement (3)

Politique des prix


Politique de production
Politique de R&D
Publicité
Moyens juridiques

Politiques gouvernementale (4)

Politiques macro-économiques
Réglementation-régulation
Investissement public
Incitations investissement-emploi
Zone-contrats programmes

Résultat (5)

Efficacité dans :
-la production
-l’allocation des ressources
-le progrès technique
-l’emploi

18
Il importe à présent d’examiner l’évolution sous-jacente aux blocs constitutifs de ce modèle.
L’objectif consiste à survoler deux périodes historiques et, chemin faisant, à mettre le doigt sur
les tendances lourdes qui animent chacune d’entre elles en s’arrêtant sur quelques composantes
desdits blocs et donc à souligner les différences entre elles.

La première période correspond plus ou moins aux « Trente glorieuses » (1950-1980). En ce


qui concerne les structures des marchés, la concurrence oscille entre les monopoles naturels et
les oligopoles. L’importance des monopoles naturels s’inscrit dans un contexte historique dans
lequel les pouvoirs politiques jouent un rôle important dans l’organisation de nombreux
secteurs de réseaux jugés stratégiques, comme l’énergie, les transports, l’eau…, avec comme
arrière-plan l’objectif de sécurité d’approvisionnement, de prévision de la demande à long
terme, et d’indépendance énergétique (énergie nucléaire en France, charbon et gaz en Grande-
Bretagne, charbon en Espagne, en RFA…).

A l’autre extrême, d’autres secteurs (automobile, électronique grand public, agroalimentaire,


grande distribution…) sont animés par des oligopoles plutôt homogènes, répondant aux
exigences de la production et la consommation de masse. La différenciation ne pèse pas lourd
dans un marché porteur, l’industrie de luxe demeure par conséquent marginale. Les barrières à
l’entrée sont relativement fortes, d’autant plus que chaque Etat des pays industrialisés (USA,
Canada, Grande-Bretagne, Italie, France, RFA, Japon…) défend ses « champions nationaux »
de la concurrence étrangère (interdiction de l’achat de ces champions par des entreprises
étrangères, par exemple) et encourage le renforcement des filières sur son territoire. L’Etat est
également actif dans la R&D compte tenu des tensions géopolitiques de l’époque (« la guerre
froide »).

Dans moult secteurs, l’intégration verticale est dominante (aéronautique, automobile, produits
électroménagers, industrie pétrolière…). Les dépenses en publicité sont à géométrie variable,
fortes aux USA, relativement faibles ailleurs. Les supports sont : journaux, affichage, dépliants,
radio, cinéma….

Dans un même mouvement, les structures conglomérales s’intensifient. Aux USA, les
concentrations s’opèrent via des fusions-acquisitions regroupant des activités diverses :
Tenneco, firme spécialisée au départ dans l’hydrocarbure, se lance dans l’emballage, le
matériel agricole, la chimie, les assurances…De même en est-il de ITT (téléphonie) qui fait
des acquisitions dans l’assurance, l’hôtellerie, l’équipement automobile…En France, les
pouvoirs politiques sont derrière des fusions-acquisitions qui donneront lieu à des « champions
nationaux » : Usinor-Wendel-Sidelor, Aérospatial-CGE-Alsthom …

Quant aux résultats, dans le cadre d’une croissance forte et régulière adossée à des politiques
macroéconomiques keynésiennes, dans beaucoup de pays de l’OCDE le chômage est presque
inexistant, la production est considérable compte tenu de l’essor démographique, de nouveaux
produits et services sont proposés aux consommateurs qui disposent d’un pouvoir d’achat
conséquent. Bref, c’était la « Belle époque » ou l’âge d’or du fordisme.

19
La période suivante, qui grosso modo démarre à partir des années 1980, s’inscrit dans un
contexte historique différent marqué par la mondialisation, l’ouverture commerciale sous
l’égide de l’Organisation Mondiale du Commerce, la constitution de blocs régionaux (UE,
ALENA, MERCOSUR…), la déréglementation tous azimut et l’hégémonie de l’industrie de
la finance, sans oublier la chute du mur de Berlin.

Ces mutations affectent donc le comportement des firmes, conduisant ainsi à une refonte des
structures des marchés, à un affaiblissement des barrières à l’entrée et à une réorganisation des
relations interentreprises et interindustrielles. Dans ce contexte, les monopoles naturels
n’échappent pas à la déréglementation. Les secteurs concernés s’ouvrent à la concurrence, des
entités de taille petite ou moyenne entre en compétition avec des entreprises déjà installées de
taille plus robuste. L’enjeu consiste à introduire la concurrence partout où c’est possible dans
la séquence production-transport-distribution. Plus exactement, les infrastructures restent en
situation de monopole, mais à en autoriser l’accès à plusieurs entreprises afin de promouvoir
la concurrence dans les services. Cette ouverture est de nature à améliorer la qualité du service
et à l’abaissement des prix. Mais les résultats sont contrastés.

On assiste aussi à la déstabilisation des oligopoles nationaux qui font face à une concurrence
de plus en plus rude orchestrée par les rivaux étrangers, y compris les firmes émergentes. De
même, les filières ou chaînes de valeur sont de plus en plus éclatées sur le plan géographique,
ce qui rend difficile la mise en place de véritables politiques industrielles. Etant donné la
relative saturation de certains marchés historiques (Amérique du Nord, Europe à 15, Japon,
Corée du Sud…) pour de nombreux produits de grande consommation, la recherche de
nouveaux débouchés devient le point de mire des grandes firmes. Ces dernières tirent
également profit de la situation économique, institutionnelle et sociale de nombreux pays,
comme ceux des Pays de l’Europe Centrale et Orientale, la Turquie, la Chine, l’Inde…
(Salaires bas, fiscalité généreuse, infrastructures, protection sociale faible …). La baisse des
coûts de transport aidant - les coûts de transport internationaux baissent entre 1985 et 1992 de
40%... -, les échanges des biens intermédiaires et finals explosent.

Dans ce cadre, les stratégies de délocalisation se multiplient, non seulement pour produire de
manière compétitive, mais également dans le domaine de la R&D (voir le tableau qui suit,
lequel retrace une typologie des logiques de globalisation des activités de R&D par les firmes
multinationales).

Transferts de technologie Production de connaissances


directement à l’étranger
Objectif de la mondialisation 1-Laboratoires de soutien local 2-Laboratoires d’innovation de
de la R&D proximité
Accès au marché
Objectif de la mondialisation 3-R&D imitatrice ou siphonage 4- Centre d’excellence
de la R&D technologique (veille Réseaux intégrés de production
Accès à la technologie technologique) de technologie au niveau
mondial

20
Ces stratégies ont un impact sur les structures industrielles des pays avancés (Amérique du
Nord, UE…). Cet impact se traduit par la fermeture de nombreux sites de production localisés
dans ces pays, ce qui conduit à l’augmentation du chômage et à long terme à leur
« désindustrialisation ». Le cas de l’industrie automobile sert ici d’exemple (voir tableau).

Evolution des effectifs de 159608 en 1999 130740 en 2003


Renault
Evolution des effectifs chez 112,9 en 199O 89,5 en 2005
les équipementiers
automobiles français (en
milliers)
Evolution du nombre 355000 en 1975 201900 en 2007
d’emplois dans l’industrie
automobile et chez les
équipementiers

Par contraste, émergent d’autres pays à vocation industrielle qui ne cessent depuis deux
décennies à progresser en la matière, la Chine - qu’on désigne par « l’atelier du monde » - en
premier chef.

Par ailleurs, la différenciation gagne du terrain, c’est une arme pour faire face à la concurrence,
mais étant donné que le pouvoir d’achat stagne, voire baisse, des produits à bas prix entrent
également en jeu (produits alimentaires, voitures, services de transport aérien…).

Parallèlement, les stratégies de croissance externe pullulent via d’incessantes opérations de


fusion-acquisition (F&A), d’abord aux USA, ensuite en Europe, conduisant ainsi au
développement d’entreprises de grande taille (mais des échecs ne sont pas à exclure) (voir le
tableau suivant relatif aux caractéristiques des F&A Américaines selon les périodes).

Période 1973-79 1980-89 1990-98


Nombre d’opérations 789 1427 2040
Fusions entre 29,9% 40,1% 47,8%
entreprises du même
secteur

Dans l’industrie automobile, par exemple, les positions changent sous l’impact de nombreuses
F&A : en 1998, Hyundai absorbe Kia et Asia, Renault s’allie à Nissan, et dans la foulée met la
main sur Dacia et Samsung, GM « avale » Saab, en 2000 Daimler- Chrysler entre dans le
capital de Mitsubishi à hauteur de 34%, GM se sépare de sa filiale équipementière Delphi, de
même en est-il de Ford qui se débarrasse de Visteon… , plus récemment on assiste à une
alliance qui regroupe PSA, Fiat et Chrysler, etc., mais nous assistons également à l’entrée en
jeux de nouveaux acteurs majoritairement asiatiques comme FAW, Dongfeng motor, Chery,
GAZ, Tata, Mahindra …, et de nouveaux arrivants qui misent sur la voiture électrique
comme BYD et Tesla.

21
En ce qui concerne l’intégration verticale, celle-ci cède, dans de nombreux secteurs, la place à
la désintégration verticale. Globalement, les firmes donneuses d’ordre se recentrent sur leur
métier de base, s’occupent d’une (bonne) partie de la R&D, produisent les pièces qui génèrent
le plus de valeur ajoutée et assurent parfois le montage final. La sélection des fournisseurs de
premier rang devient drastique. Les partenaires doivent avoir des compétences en R&D, en
organisation, en management …, et une assise financière solide en vue d’accompagner la firme
donneuse d’ordre ou firme-pivot dans la quête de nouveaux marchés. Les relations
interentreprises et intersectorielles font ainsi l’objet d’une réorganisation baptisée « Partenariat
industriel » dont les grands axes sont :

- participation au niveau de l’innovation,

- respect des délais et des normes relatives à la qualité (juste-à-temps),

- relations contractuelles en fonction du cycle de vie du bien économique (voir tableau).

Type de relation Sous-traitance traditionnelle Partenariat industriel

Modifications
Durée de l’engagement Court terme (1 an) Allongement de la durée (en
fonction du cycle de vie du
produit ou du modèle)
-Tâches confiées au vendeur -Une pièce -Un sous-ensemble
-Innovation du vendeur -Nulle -Sollicité
Délais Gestion par les stocks Système du JAT
Qualité des produits Fondée sur le contrôle du Fondée sur des signes visibles
donneur d’ordre
Nombre de vendeurs Nombreux Sous-traitance de premier
niveau

Dans ce cadre, le cycle de vie des produits a tendance à rétrécir (obsolescence programmée) et
les efforts en matière de R&D sont devenues intenses, y compris dans des secteurs dits
traditionnels comme le textile habillement (habits connectés…) (voir le tableau qui suit relatif
aux dépenses de R&D par secteur en 2008, en % du chiffre d’affaires).

Santé 12,0%
Logiciels et internet 11,4%
Ordinateurs et électronique 7,1%
Aérospatial et défense 4,5%
Automobile 4,1%
Produits de grande consommation 2,0%
Télécommunications 1,4%
Chimie 0,9%

Les firmes émergentes descendent dans l’arène (AliBaba, Dongfeng, Haier, Huawei, China
Unicom, Tata, Relance Industrie, Adilya Birla…), et mettent la main ou « avalent » des
entreprises européennes, américaines… : le groupe chinois Lenovo achète la division micro-
22
informatique d’IBM, l’indien Mitta Steel achète l’européen Areclor, Tata (voir encadré),
conglomérat indien, « avale » Jaguar et Land Rover, Dongfeng, constructeur automobile
chinois, acquiert 13% du capital de PSA, Oil and Natural Gas Corp, firme chinoise, achète
Imperial Energy du groupe américain Exxon Mobil, etc.

La galaxie Tata regroupe (en 2011) sept grands secteurs d’activité, quatre-vingt-dix
entreprises opérationnelles dont vingt-huit cotées en bourse :

- Automobile Tata Motors,


-Sidérurgie Tata Steel,
-Chimie Tata Chemicals,
-Energie Tata Power,
-TIC (Services informatiques),
-Services Indian Hôtels,
-Biens de consommation Tata Global Beverages (thé, café, boissons).

L’essor spectaculaire des TIC fait émerger de nouveaux acteurs, les GAFA, qui sont devenus
au fil du temps de véritables mastodontes jouissant d’une situation de quasi-monopole et donc
d’un pouvoir de marché défini par Jacquemin comme suit : « la capacité d’une firme de
modifier au fil du temps les conditions du marché à son avantage ».

Google n’a pas de véritable concurrent dans la recherche en ligne, de même Facebook n’a pas
de rival dans les réseaux sociaux, etc. La cotisation boursière de ces géants est impressionnante,
en 2018 celle de Google était de 714 milliards de dollars, d’Apple (840), d’Amazon (731) …

Parmi ces géants, certains optent pour la croissance externe, achètent à tour de bras des dizaines
et dizaines de start-up. En plus, ces mastodontes s’attaquent de front à la grande distribution,
la santé, l’énergie, l’intelligence artificielle, la voiture autonome, la presse…. Elles sont
multiproduits et multiservices. Au départ, Amazon, par exemple, vendait en ligne des livres,
puis a intégré la vente de produits électroniques, l’équipement de la maison, les produits frais…
Cet essor donne lieu à de nouveaux modèles d’affaires articulés autour de la dynamique des
réseaux et des plates-formes numériques. Bref, l’idée de les démanteler ou du moins de les
encadrer gagne du terrain.

Dans de nombreux pays industrialisés, le chômage est (relativement) élevé, et dans le cas où il
est bas, au nom de la flexibilité du marché du travail les jobs mal rémunérés courent les rues.
La croissance subit les effets des crises financières, notamment celle de 2008. Et dans une
économie déréglementée, affranchie de règles de jeu claires, portée par l’industrie de la finance,
des scandales et des faillites se succèdent, comme on atteste, par exemple, la faillite d’Enron
en 2001.

Les considérations écologiques pointent leur nez, ouvrant du coup de nouvelles perspectives
pour faire face à la dégradation de l’environnement, à la pollution, à la déforestation, à la
disparition d’écosystèmes…. De nouveaux acteurs s’engouffrent dans la brèche, des secteurs

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se développent à l’instar de celui des énergies renouvelables, mais la transition énergétique
risque d’être longue …

C-Indications conclusives

L’essor spectaculaire de la nouvelle économie articulée autour des TIC ou économie numérique
pose de redoutables questions aux chercheurs spécialistes de l’EI et constitue un défi pour les
pouvoirs publics. Si durant longtemps l’idée de la réguler était taboue, depuis quelques années
le verrou a sauté. Mais cette régulation est complexe, elle dépend de plusieurs facteurs, pas
uniquement d’ordres technologique, économique et commercial, mais aussi géopolitique
(rivalité entre les USA et la Chine, l’Empire du milieu a aussi ses GAFA : les BATX, Baidu,
Alibaba, Tencent et Xiaom), institutionnel, réglementaire, social…

Google, Facebook…proposent aux consommateurs toute une gamme de services qui au fil du
temps sont devenus incontournables dans la vie professionnelle et privée de milliards
d’individus. Dans ce cadre, le développement des GAFA repose largement sur les « effets de
réseau », c’est-à-dire que ces effets engendrent un mécanisme inhérent à l’univers numérique
selon lequel l’utilité d’un service s’accroît avec son nombre d’utilisateurs : par exemple l’utilité
d’un moteur de recherche s’améliore avec le nombre de requêtes qu’il traite, car ils les outillent
pour affiner sans cesse ses résultats et donc afin attirer d’autres usagers.

Le développement spectaculaire des géants du numérique est construit sur un marché dit biface
qui regroupe deux types de clientèle. Exemple : les chaînes de télévision (téléspectateurs) d’un
côté, et de l’autre les annonciateurs chargés de la publicité pour financer la gratuité des
programmes. De par leur taille et leur dynamisme, ces mastodontes jouissent d’une situation
de quasi-monopole, mais ne se contentent pas pour autant de dormir sur leurs lauriers et
d’encaisser la rente liée à leur position hégémonique, elles investissent massivement dans la
R&D en s’attaquant à plusieurs domaines : domotique, biotechnologies, appareils connectés,
médecine…Ou achètent des start-up innovantes afin de réduire la concurrence comme c’est le
cas de Facebook qui met 19 milliards de dollars en 2014 pour absorber WhatsApp.

Le modèle économique de ces firmes, Facebook et Google en particulier, repose sur la


monétisation des données personnelles des usagers auprès des annonciateurs. En 2018, 86%
des revenus du moteur de recherche et la quasi-totalité de ceux du réseau social sont issus de
la publicité numérique. Mais les données personnelles servent aussi à faire des « target
pricing », autrement dit à cibler les consommateurs en adoptant le prix à leur consentement à
payer ou bien à personnaliser leur offre.

D’une manière générale, ces données sont le principal « ingrédient » de l’économie numérique,
et la protection de ces données fait ces dernières années l’objet d’une attention toute particulière
de la part des autorités publiques comme c’est le cas de celle de l’UE, notamment après le
scandale de Cambridge Analytica. Les dernières révélations sur Facebook, baptisé
dernièrement Meta, soulèvent d’autres interrogations sur les enjeux économiques, sociaux et
éthiques des algorithmes. Ces derniers constituent une « boîte noire » pour les autorités de
régulation. Enfin, suite à la crise sanitaire en cours, l’idée d’instaurer une taxe européenne sur
les profits des GAFA fait son chemin.

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Bref, cadrer l’évolution des géants du numérique n’est plus un tabou et rappelle un antécédant,
plus ou moins récent, celui du démantèlement d’ATT en 1982. L’une des pistes prône un
démantèlement progressif de certaines positions dominantes. L’accent est mis sur
l’infrastructure - considérée comme un bien commun (défini suivant les travaux d’E. Ostrom
par des droits d’accès à la ressource, à des prélèvements, de gouvernance, d’exclusion …, droits
qui donnent lieu à des situations diverses - gestion de l’eau ou d’une forêt… ou d’une plate-
forme numérique - mais reconnus par l’Etat) - qui doit obéir à certaines règles d’intérêt général
qui dépassent le prisme consumériste.

Il s’agit donc de mettre en place une dissolution progressive des points de concentration
d’internet qui permettent de redistribuer les cartes du pouvoir du marché dans le réseau et des
alternatives d’émerger, comme les logiciels libres. L’enjeu est d’établir une neutralité du Net,
d’assurer à l’utilisateur une liberté de choix vis-à-vis de son terminal et qu’il ne soit prisonnier
d’un silo : que le consommateur soit en mesure d’acheter un Smartphone A, de choisir le
moteur de recherche B, l’assistant vocal C, le navigateur D…

D’autre part, la fascination qu’exercent les TIC sur les comportements des usagers ne doit pas
faire oublier, entre autres, leur participation dans la pollution, ce qui permet d’établir le lien
avec un autre secteur, celui des énergies renouvelables. Au fond, là aussi les enjeux sont
complexes car la question de l’énergie est multidimensionnelle. Elle a en effet plusieurs
facettes :

- économique (le fonctionnement normal de l’économie, les prix, les taxes, la compétitivité),

-politique (sécurité, indépendance),

-militaire (approvisionnement des armées),

-diplomatique (relations avec les fournisseurs),

-sociale (inégalité et conflit).

La transition énergétique n’est donc pas simple, bien au contraire. Elle a en effet une dimension
sociopolitique forte dans la mesure où elle réoriente les modes de production, de distribution
et de consommation. L’acceptabilité sociale voudrait que les consommateurs soient prêts à
changer de comportement en achetant des produits moins polluants. Cette réorientation
conduirait potentiellement à une réorganisation plutôt décentralisée des nouvelles filières
énergétiques (solaire, éolienne, géothermique…), avec l’arrivée de nouveaux acteurs : -
nouveaux usagers, - ONG, - plate-forme collaboratrice, - producteur d’électricité, - start-up …
Aux réseaux centralisés, se substitueraient progressivement des réseaux moins hiérarchisés,
latéraux, locaux et régionaux.

Au-delà de ce scenario, force est de constater que l’économie numérique est énergivore. Le
fichier numérique qui transporte une information traverse des milliers de kilomètres via des
câbles sous-marins qui sont en tension électrique, et si vous le conserver sur le cloud, le fichier
se retrouve stocker dans un centre de données qui est branché et climatisé 24 h sur 24 h. A Ces
câbles et big data, il faut ajouter les antennes, les relais électriques, les satellites …

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L’emprunte énergétique des TIC est donc conséquente. Ainsi, on estime que ce secteur
représente 10% de la consommation électrique mondiale, avec 45% du côté des utilisateurs et
55% du côté de la production des équipements, et que son bilan énergétique est le suivant : les
technologies numériques représentent presque 4% des émissions mondiales de gaz à effets de
serre, et ce chiffre risque de passer à 8% en 2025 compte tenu de la diffusion des produits
numériques, notamment du côté des BRIC et des pays en développement. Sur ce plan, on peut
envisager une solution analogue à celle qui concerne le secteur de l’automobile. En effet, en
UE les constructeurs automobiles sont contraints de s’aligner sur une norme lors de la
fabrication des véhicules neufs - la moyenne des émissions de CO2 ne doit pas dépasser 95 g
par km -, sinon ils sont exposés à des amendes. La même chose peut être faite aux fabricants
des produits connectés sur plusieurs paramètres : la moyenne d’emprunte carbone des
Smartphones ne devrait pas dépassée tant de grammes de CO2, les fabricants devraient garantir
une réparabilité de leurs appareils pendant au moins cinq ans, incorporer 25% ou 50% de
produits recyclés dans la composition de leurs matériels à tel ou tel horizon. Ces obligations
sont nécessaires pour dépasser les bonnes intentions et les injonctions adressées au seul
consommateur à qui on cache les impacts environnementaux du numérique.

La connexion entre ces deux secteurs et celui de l’automobile est révélatrice des ambivalences
de la transition énergétique. Dans différents sommets internationaux (Rio en 1992, Paris en
2015, Glasgow en 2021) de nombreux engagements non contraignants ont été pris par les Etats,
mais les avancées sont timides. Des pays comme la Chine, l’Inde, l’Australie … n’hésitent pas
à exploiter de nouvelles mines de charbon. La conquête de nouveaux gisements de pétrole et
de gaz se poursuit. En 2014, le mix énergétique reposait à 80% sur les énergies fossiles : en
2019, la situation n’a pas véritablement changé : charbon (38%), gaz (23%),
pétrole…L’énergie nucléaire certes ne rejette pas lesdits gaz, mais il y a un gros bémol : la
question du stockage des déchets nucléaires. Or, le développement de ces secteurs nécessite le
recours à des ressources minières, le cobalt, le lithium…, mais aussi à ce qu’on appelle les
terres rares (le tableau suivant en donne des exemples), ressources indispensables dans la
fabrication et le fonctionnement des voitures électriques et hybrides, des tablettes, des PC, des
Smartphones…, mais aussi des éoliennes, des panneaux photovoltaïques, etc. Et pour le
moment, la Chine est le grand producteur d’une large partie de ces métaux.

Ressource Utilisation industrielle


Béryllium Télécoms et électronique, industrie spatiale,
nucléaire civil et militaire
Cobalt Portables, ordinateurs, véhicules hybrides,
aimants
Germanium Photovoltaïque, fibres optiques, catalyse,
optique infrarouge
Indium Puces électroniques, écrans LCD
Holmium Lasers, composés supraconducteurs
Lutécium Emetteur de rayons bêta
Yttrium Piles à combustible, aimants
Graphite Véhicules électriques, aérospatiale
Silicium métal Circuits intégrés, isolateurs électriques
Tantale Condensateurs miniaturisés, superalliages

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Souvent, on présente la voiture électrique comme un produit « propre », décarboné. Certes, ce
genre de véhicule a des atouts en termes de lutte contre la pollution locale et sonore (bruit),
néanmoins sa contribution dans la lutte contre le réchauffement climatique est discutable.

D’une part, en amont l’exploitation et la transformation des terres rares mobilisent beaucoup
d’eau, exigent l’utilisation de produits chimiques, du mercure…, ce qui donne lieu à des
externalités négatives locales et régionales (pollution des ruisseaux, des nappes phréatiques,
des écosystèmes avoisinants…) : chassée par la porte, la pollution revient par la fenêtre !

D’autre part, il faut s’interroger sur l’origine de l’énergie qui alimente la voiture électrique :
pour le moment le mix énergétique est dominé par le pétrole, le charbon, le gaz naturel, les
biocarburants : chassée par…

Enfin, en aval se pose la question du recyclage du produit lors de la fin de son cycle de vie et
de ses liens avec l’économie circulaire. Or, pour le moment les efforts en R&D n’ont pas
accouchés de solutions viables.

C’est dire que le basculement vers une « économie verte » entraîne incontestablement une
refonte des relations interentreprises et intersectorielles. Dans le secteur automobile, la position
de certains acteurs comme les firmes qui opèrent dans la mécanique, la sidérurgie, la
métallurgie…, est de nature à s’affaiblir face à des acteurs comme les fabricants de batterie,
les fournisseurs d’énergie renouvelable, ceux qui opèrent dans les TIC…En outre, d’autres
acteurs risquent d’être déstabilisés, comme les garagistes, les vendeurs de pièces de rechange,
les distributeurs….Le basculement est de nature à mettre dessous-dessus les positions des
acteurs, mobilise également des mécanismes d’incitation (dans le domaine fiscal par exemple),
la mise en place d’une infrastructure appropriée (les bornes de rechange par exemple), de
nouvelles réglementations…Cet exemple montre donc que la transition énergétique n’est pas
un long fleuve tranquille, elle est multidimensionnelle et donc n’est pas à l’abri de tensions
diverses. Et de nouvelles perspectives innovatrices (fusion nucléaire, hydrogène) pourraient
dans les années à venir changer la donne.

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