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THÈME 2.

LE MOT
Le mot est reconnu par la plupart des linguistes comme l’unité de base de la
langue. Mais le problème de l’identification du mot est un problème très compliqué.
Le mot est une unité fondamentale de la langue. Pourtant la définition du mot se
heurte à de grandes difficultés, ce qui entraîne 1’apparition, à côté du terme
traditionnel «mot» de toute une série d’autres termes tels que «vocable», «lexème»,
«sémantème», «monème», etc.

Les caractéristiques phonétiques et grammaticales du mot français


Pour saisir l’importance de la lexicologie, il vaut la peine de réfléchir sur nos
capacités de manipulation lexicale. Chaque locuteur d’une langue possède des
milliers de mots. Certains de ces mots sont utilisés tous les jours, mais d’autres
n’apparaissent pas dans la bouche ou sous le stylo qu’une ou deux fois par année.
Tout mot présente une unité sémantique, phonique et grammaticale. Chaque
mot, porteur d’un sens particulier, a en même temps son propre aspect phonique, ses
propres significations lexicale et grammaticale. Le lexique et la grammaire sont
intimement liés l’un à l’autre. Le sens du mot dépend souvent de ses liens
grammaticaux avec les autres mots. Ainsi les verbes intransitifs devenus transitifs
reçoivent un complément d’objet direct et changent de sens. Comparez: rentrer à la
maison, rentrer la récolte, sortir de la maison, sortir un mouchoir.

Caractéristiques phonétiques du mot français

Les mots français sont caractérisés par leur brièveté. Certains se réduisent à un
seul phonème. Il s’agit surtout de mots non autonomes (ai, eu, on, est, etc.), les mots
autonomes à un phonème étant exclusivement rares (an, eau). Par contre, les
monosyllabes sont très nombreux dans ces deux catégories de mots (le, les, des, qui,
que, mais, main, nez, bras, monte, parle, etc.). Ces monosyllabes sont parmi les mots
les plus fréquents.
Le français possède naturellement des mots à plusieurs syllabes : toutefois il y a
visiblement tendance à abréger les mots trop longs auxquels la langue semble
répugner (métropolitain  métro, stylographe  stylo, piano-forte  piano,
automobile  auto, météorologie  météo ; cf. aussi avion qui s’est substitué à
aéroplane, pilote à aviateur).
Chaque mot, porteur d’un sens lexical a son aspect phonique et sa
caractéristique grammaticale.
Certains phonéticiens français, tel que Pierre Passy, Jean Marouseau
soutiennent qu’il n’y a aucun fait matériel qui marque la limite entre les mots
français. Ce qui frappe lorsqu’on compare le mot français à celui d’autres langues
(comme, par exemple, à l’ukrainien) c’est l’affaiblissement de l’accent d’intensité du
mot individuel dans la chaîne parlée.
En règle générale, tout mot français isolé porte l’accent sur la dernière syllabe.
Si les mots ukrainiens gardent habituellement leur accent tonique dans le discours, les
mots français subissent une désaccentuation dans la chaîne parlée. L’accent
rythmique tombe en français sur la dernière syllabe du dernier mot d’un groupe
rythmique (terme de Tcherba), qui forme un tout sémantique. Pourtant les mots
français forment une chaîne ininterrompue grâce aux liaisons et aux enchaînements.
Cette diffusion du mot dans la phrase s’explique en partie par l’existence large
des mots courts. La majeure partie des mots français a une ou deux syllabes. La
plupart des syllabes sont ouvertes. Il existe certains faits quand même qui
maintiennent le sentiment d’un caractère individuel du mot français dans la chaîne
parlée :
1) le mot garde son accent quand il a reçu l’accent émotionnel ou affectif. Cet
accent porte sur la première syllabe du mot, si ce dernier commence par une
consonne (par exemple: «misérable», «malheureux») et sur la seconde syllabe, si le
mot commence par une voyelle (par exemple: «épouvantable») ;
2) le mot garde son accent quand il commence à avoir l’accent logique qui
marque toujours l’opposition entre les deux termes. Par exemple: il faut se soumettre
ou se démettre.
L’accent logique s’emploie souvent dans l’enseignement, dans les conférences.
D’après J. Marouseau, l’accent logique ou l’accent d’insistance frappe toujours la
première syllabe du mot dans le groupement des mots. Par exemple: Tous étaient
venus. Nous étions tous là. Etes-vous tous d’accord?
Dans les phrases françaises le mot constituant un groupe rythmique et portant
l’accent logique peut être déplacé au cours de la chaîne parlée. Par exemple:
«l’arbre» et «le bel arbre». Il en est de même pour les phrases: Je donne. Donne-le-
moi. Les mots qui entrent dans le groupement peuvent devenir inaccentués, si le sens
de la phrase le demande. Quand on s’arrête, on le fait sur le mot qui porte de
l’importance.
Ainsi, on peut dire que le mot français peut être délimité phonétiquement
quand il reçoit l’accent logique ou émotionnel dans la chaîne parlée et dans le
système de la langue d’après l’accent qu’il porte sur la dernière syllabe.

Caractéristiques grammaticales du mot français

On distingue dans le discours des propositions, des groupes de mots, des mots.
Mais le mot se prête aussi à une analyse. Certains mots sont visiblement formés de
plusieurs éléments (par exemple, travaill-eur, jeun-esse, re-lire), dont les uns
expriment le contenu lexical du mot (travail, jeune, lire), les autres les formes
grammaticales des mots (-eur, -esse, re-). Ces parties constituantes de mot s’appellent
morphèmes (du grec «morphe» qui veut dire «forme»). Les morphèmes n’ont pas
d’existence indépendante et ne se dégagent qu’à l’intérieur du mot. Un morphème est
une partie indivisible du mot.
La partie du mot qui exprime son contenu lexical ou la signification
fondamentale du mot s’appelle radical ou racine dans le cas où le radical ne se
décompose pas lui-même en morphèmes.
Les parties qui s’ajoutent au radical en lui communiquant des significations
accessoires s’appellent affixes (préfixes et suffixes).
Un petit nombre de mots ne s’analysent pas en parties constituantes, ce sont
des mots simples, tels que: jour, nuit, père, mère, ici, là, etc. Les mots formés à l’aide
des affixes s’appellent mots dérivés, ceux qui se composent de deux ou plusieurs
mots s’appellent mots composés.
Du point de vue lexico-grammatical les mots se subdivisent en plusieurs
classes qu’on appelle «parties du discours». Les parties du discours se distinguent par
leur signification lexicale, par leurs indices grammaticaux et par leur fonction dans
une proposition.
Indépendamment de leur répartition en parties du discours, de leur valeur
lexicale, tous les mots peuvent être divisés sous un autre rapport en deux groupes:
a) mots indépendants ou autonomes, généralement mots lexicologiques pleins,
qui désignent des concepts des choses, des indices, des actions et qui peuvent être
termes d’une proposition et même former à eux seuls une proposition: L’homme est
mortel. Paul fait ses études. La sœur de Paul chante bien. Oui. Possible ;
b) mots dépendants, mots outils, qui, dans une proposition, sont rattachés aux
mots indépendants et expriment les rapports entre les choses et leurs indices, ou bien
les catégories grammaticales des autres mots : La chambre de mon ami. Il part avant
moi.
En français il n’y a pas de limites fixes entre les mots lexicologiques pleins,
indépendants et les mots à valeur lexicale réduite, mots outils, les uns passent à la
catégorie des autres.
Par exemple : Il passe avant moi. Il passe avant. Il le fait pour vous. Les pour
et les contre.

Les rapports du mot et de la notion

Ainsi, le mot est un des éléments essentiels de la langue qui se trouve en liaison
étroite avec la chose qu’il représente ou bien avec le concept. Mais le concept et le
mot ne se correspondent pas exactement. Par exemple, le sens du mot rose comporte,
outre le concept du rose, les caractéristiques grammaticales, telles que le substantif,
les catégories du genre et du nombre, et les déterminations. Le concept logique de
rose ne possède pas de catégories grammaticales.
La valeur lexique du mot peut être polysémiques. Par exemple, l’ensemble
phonique de v e r peut servir de signe à plusieurs concepts: vert (couleur entre le bleu
et jaune), vers (assemblage de mots rythmés d’après la quantité des syllabes ,), verre
(substance minérale fabriquée, transparente), ver (animal pluricellulaire de forme
allongée, n’ayant aucune partie dure), ou vers (préposition qui indique la direction
d’un mouvement).
Le sens lexique du mot peut être lié à la forme grammaticale du mot à raison de
quoi tous les mots se groupent en classes lexico-grammaticales (parties du discours).
Les concepts ne peuvent pas se grouper de telle manière (en parties du
discours) et ne peuvent pas être polysémiques.
La valeur lexique du mot peut être liée avec des émotions, des sentiments de
l’homme et avoir une valeur affective. Par exemple: affreux, terrifiant, magnifique,
chic, splendide. Les concepts sont toujours rationnels, neutres. La même notion peut
être exprimée par un certain nombre de mots synonymiques. Par exemple, la notion
de житло peut être rendue par les synonymes: la maison, la demeure, l’habitation,
le séjour, le domicile, la résidence, un abri, le nid, le foyer. Mais la notion logique ne
peut pas avoir de synonymes, aussi bien que de valeur stylistique, ce qui est propre
aux mots.
Les concepts expriment seulement les qualités des choses du monde réel. Le
concept peut être exprimé par le groupement de mots: pomme de terre, pot-au-feu.
Les concepts qui sont le résultat de travail, de généralisation et d’abstraction
sont propres à tous les hommes, à toutes les nations, à toutes les langues, tandis que la
valeur des mots et le sens de ces derniers sont purement national et spécifique de
chaque langue. Les mots ont une valeur générale. Ils servent de supports au
mécanisme de la pensée, à l’abstraction, à la généralisation. Tous les mots sont
abstraits dans une certaine mesure. Entre les mots il existe des degrés d’abstraction.
Ainsi, le mot table est plus concret que le mot meuble.
Le mot concret peut désigner le concept général, par exemple, «L’egoїste ne
pense qu’à soi-même», «L’homme est mortel», et une notion particulière, par
exemple, «Montrez-moi l’homme dont vous m’avez parlé». Dans le premier cas
l’homme s’applique à n’importe quel individu.
Dans le deuxième cas l’homme est moins concret que le premier, mais plus
abstrait que, par exemple dans la phrase «Un homme s’approcha».
Dans ce cas ce mot ne dit rien sur ses qualités, sa profession ou ses
occupations.
Dans le vocabulaire français il y a des mots très abstraits dont la valeur
sémantique coïncide avec le discours respectif. Ce sont les substantifs, tels que:
chose, pièce; les verbes: avoir, être; la préposition – de.
On peut noter aussi les conjonctions: que, et; les mots-outils qui marquent
seulement les rapports qui sont plus abstraits que les mots lexicaux. Les plus abstraits
parmi les mots autonomes sont les pronoms qui servent seulement à indiquer les
objets, leurs qualités sans les dénommer. Même les noms propres qui désignent les
notions individuelles (Pierre, Rose) comportent un certain degré d’abstraction, parce
que le même nom propre peut s’appliquer non seulement à plusieurs individus, mais
s’appliquer à une personne, à une plante et à un animal. Cette capacité des noms
propres les rend plus abstraits.

Les fonctions des mots

Compte tenu de ce qui a été susmentionné, la grande majorité des mots est
susceptible d’exprimer des notions ou concepts, ce qui permet de dire que ces
vocables remplissent la fonction rationnelle ou notionnelle.
Cette fonction du mot est directement liée à une autre faculté du mot, celle de
nommer, de désigner les objets. Cette faculté du mot constitue la fonction nominative
du mot.
Certains mots servent à traduire les passions, les sentiments humains, l’attitude
du sujet parlant envers ce qu’il dit. Dans ce cas on dit que le mot a également une
fonction expressive ou affective (aimer, détester, formidable etc.).
Tous les mots et toutes les expressions se distinguent par les fonctions exercées
dans telle ou telle langue. La plupart des noms autonomes, tels que les substantifs, les
adjectifs qualificatifs, les adverbes, les verbes ont la fonction nominative et aussi
rationnelle (notionnelle). C’est-à-dire que cette catégorie des mots peut non
seulement nommer les objets, mais aussi les indiquer.
Parmi les mots exprimant des notions et ayant une fonction rationnelle, il faut
citer tels que les noms propres désignant les lieux géographiques (Paris, Kharkiv) et
ceux qui désignent les notions uniques dans leur genre (le soleil, la terre, la lune).
Il y a des mots autonomes qui n’expriment pas les notions et dont la fonction
est uniquement celle de nommer (fonction nominative). Ce sont les noms propres de
personnes et d’animaux (Pierre, César). Ce sont aussi les pronoms (qui, certain,
celui, celle). Il y a des mots autonomes qui expriment à la fois les fonctions
rationnelles et expressives Ce sont: le mouchard, le flic, le fasciste, le rouge, le blanc.
Parmi les mots non autonomes remplissant uniquement la fonction expressive
viennent se placer toutes sortes d’interjections: Ha! Pouf! Et bien! Oh la-la! Nom de
Dieu! Les mots non autonomes ou les noms-outils n’exercent point les fonctions
propres aux mots indépendants, quoiqu’ils soient caractérisés par la fonction
rationnelle, mais d’autre nature.
Leur fonction est de rétablir les rapports existant entre les notions et les
jugements et elle peut être nommée fonction de relation.
A ces mots se rapportent les vocables: les prenons relatifs, les verbes
auxiliaires copules, les conjonctions, les prépositions.
Aussi bien que les mots qui précisent et déterminent les notions: l’article, les
adjectifs possessifs et démonstratifs. Ces mots remplissent la fonction de préposition
ou de détermination.
Il faut signaler à part les termes modaux qui n’expriment pas de notions, mais
l’attitude des gens ou des sujets parlants envers ce qu’ils disent. Ce sont les mots, tels
que: peut-être, probablement, évidemment, bien sûr etc. Cette catégorie des mots
remplit la fonction d’attitude. Les mots qui remplissent cette fonction reçoivent des
nuances subjectives.
Les mots français en remplissant la fonction nominative peuvent représenter
l’objet, son sens par sa forme phonique. Dans ce cas, on dit qu’entre «le signifié» et
«le signifiant» il existe une fonction de corrélation, par exemple, tic-tac, grou-grou.
Mots motivés et immotivés
Le mot peut désigner une chose, une qualité, une action, un phénomène
quelconque par un son ou un ensemble de sons choisis arbitrairement à l’origine. Il
est à noter que le terme «arbitrairement» est conventionnel. Il veut dire que le lien du
mot et de la chose n’est déterminé ni par la nature des sons, ni par le caractère du
concept.
On distingue deux types de signes, deux types d’ensembles formés du
signifiant et du signifié : les uns sont fondés sur un lien intrinsèque entre signifiant et
signifié, les autres sont purement conventionnels. Par conséquent on peut constater
que le mot est motivé si sa forme interne est apparente, si elle se laisse facilement
expliquer. Dans le cas contraire le mot n’est pas motivé, il est immotivé, non motivé,
arbitraire. Ainsi, les unités lexicales sont motivées quand le nom de tel ou tel objet
coïncide à sa forme.
On peut distinguer plusieurs types de motivation, dont le premier: la motivation
phonique (naturelle) et la seconde – la motivation interlinguistique (relative) qui, à
son tour, comprend: la motivation morphologique, la motivation phraséologique et la
motivation sémantique.
Motivation phonique. Il y a deux types de motivation phonique. Le premier est
une imitation directe des sons ou des bruits par des sons : brouhaha (bruit confus qui
s’élève d’une foule ; le brouhaha d’une gare, d’une conversation, d’une séance
parlementaire), coasser (en parlant de la grenouille ou du crapaud), croasser (en
parlant du corbeau, de la corneille), croquer (broyer entre ses dents en faisant un bruit
sec ; croquer un bonbon, un fruit vert), glouglou fam. (bruit d’un liquide s’échappant
d’une bouteille, d’un conduit), tic-tac (d’une montre), etc. Tous ces mots s’appellent
des onomatopées.
Le deuxième type de motivation phonique représente les cas où il n’y a pas
d’imitation directe des sons par des sons, où les sons représentent des impressions
sensorielles autres qu’acoustiques. Ce type de motivation est une expressivité
phonique que l’on trouve le plus souvent dans la poésie, et surtout dans les œuvres
des poètes symbolistes (Verlaine, Rimbaud, Mallarmé dans la littérature française,
Térian et Siamanto dans la littérature arménienne). Donc, le phénomène n’est pas
purement linguistique, mais plutôt littéraire et psychique au sens le plus large de ces
mots.
Motivation morphologique. Les mots à structure morphologique apparente sont
motivés morphologiquement. Ce sont les mots dérivés et composés dont la forme
interne est transparente et facilement perceptible. Le mot voyageur est motivé, car il
se compose du mot-racine voyage et du suffixe –eur à l’aide duquel se forment des
noms d’agent. De même élevage est composé de élever et le suffixe –age. Ajoutons
encore adoration, ameublement, coudoyer, égaliser, exclusion, impunément,
précisément, rougeâtre, soluble etc. Voilà quelques exemples de dérivés préfixaux
dans lesquels la motivation morphologique est clairement visible : antinational,
coprésident, hypertension, inégale, mécontent, souligner, surcharge etc. La structure
des mots composés est aussi transparente que celle des dérivés, et la motivation
morphologique est évidente : brise-glace, chasse-neige, chou-fleur, clairsemé,
électrochimie, nouveau-né, porte-avions, portefeuille, sourd-muet etc.
Il faut remarquer que la motivation morphologique n’est pas toujours absolue.
Parfois elle est relative ou entièrement effacée sur le plan synchronique. Le sens
étymologique des composants ayant subi avec le temps des changements, il en résulte
la démotivation du mot dont le sens actuel ne s’explique plus à partir de ces parties
composantes. On est en présence d’un décalage entre l’étymologie et la signification
courante du mot. Le composé beaucoup n’est plus perçu par les locuteurs comme
l’union de beau et coup. De même embonpoint (état d’un corps bien en chair, un peu
gras) vient de en bon point dont le sens étymologique est « en bonne santé, en bon
état, de bonne apparence physique ».
Ajoutons que ce ne sont pas tous les mots dérivés ou composés qui sont
morphologiquement motivés. Souvent le sens actuel du mot ne se déduit pas de ses
éléments composants, c’est-à-dire il n’est pas transparent. Bien que le morphème
racine soit le même dans les séries des dérivés suivants, on ne trouve pas d’affinités
sémantiques entre eux : prendre, apprendre, comprendre, entreprendre, surprendre ;
mettre, commettre, démettre, permettre, promettre etc. De même, le sens de chacun
des composés tels que basse-cour (cour, bâtiment d’une ferme où l’on élève la
volaille et les lapins), coq-à-l’âne (passage sans transition et sans motif d’un sujet à
un autre) etc. ne reflète pas l’ensemble des acceptions des mots-racines à partir
desquels le mot est formé. Donc, on est en présence du processus de démotivation, de
décalage entre le sens étymologique des éléments composants et le sens réel du mot
dans l’époque actuelle dû à l’oubli de la signification primitive du morphème ou à
son emploi métaphorique.
Motivation sémantique. La motivation sémantique est le résultat d’un emploi
figuré du sens propre du mot. En ce cas-là nous dirons que le mot est sémantiquement
motivé dans son sens dérivé. C’est une transposition instantanée. On perçoit une
similitude, un trait de ressemblance, ou on évoque un rapport quelconque, et la
transposition s’effectue spontanément : une feuille d’arbre et une feuille de papier, la
racine d’un arbre et la racine du mal, un homme sourd et une sourde irritation, etc.
Les noms de certains animaux en sont aussi la preuve, quand on les emploie
par une sorte d’analogie qui existe entre l’animal et l’homme. Un individu à l’esprit
borné, incapable de rien comprendre est appelé âne, un homme rusé est un renard,
une personne cruelle, impitoyable est un tigre etc. Dans ces exemples c’est l’emploi
métaphorique qui fournit le lien sémantique.
Quand on dit « Au musée nous avons admiré un magnifique Renoir » ou « Il
joue du Chopin », c’est déjà l’emploi métonymique qui crée le rapport.
Grâce à ces emplois métaphoriques et métonymiques les mots cités ci-dessus
deviennent sémantiquement motivés.
Motivation phraséologique. Une locution phraséologique est motivée si son
sens global découle de ses parties composantes. Dans le cas contraire elle est
immotivée. Comparez les locutions à pas de velours (à pas muets), au beau milieu,
c’est à prendre ou à laisser, courir à toutes jambes, être dans une misère noire qui
sont motivées, et agir de concert (agir en accord), être né coiffé (avoir de la chance),
avoir du front (être impertinent, être insolent), prendre (mettre) des gants, fam. (agir
avec ménagement, avec précaution) qui ne sont pas phraséologiquement motivées. Il
y a aussi des cas intermédiaires, comme laver son linge sale en famille (régler ses
différends entre soi, sans témoin), faire d’une mouche un éléphant (exagérer
démesurément), être un sot en trois lettres (être trop bête), etc.
Au cours du développement sémantique des mots, on oublie peu à peu leur
motivation qui s’efface, et les mots motivés à l’origine peuvent devenir avec le temps
immotivés. Donc, les mots s’appellent immotivés quand le nom de l’objet ne coïncide
pas à sa forme.
L’effacement de la motivation est un processus graduel et continuel. Voilà
pourquoi les mots plus anciens sont dans la plupart des cas les plus immotivés.
Les formes et le rythme de la démotivation dépendent de la structure de la
langue. Dans le français moderne la démotivation est un processus particulièrement
actif. Ainsi, on cesse de voir l’association entre les mots «dentelle» et «dent»,
«lunettes» et «lune», le «chauffeur» n’est plus celui qui chauffe, aussi bien que «le
tailleur» n’est plus celui qui taille. De la même manière on a oublié le sens
étymologique du mot «capable» qui est dérivé du mot latin «caput» = tête. La
démotivation touche aussi les groupements phraséologiques. Ainsi, le phraséologisme
«chemin de fer» est immotivé à l’heure actuelle, parce que les chemins ne sont plus
en fer, mais en acier. Le sens étymologique du mot peut être reconstitué au moyen
d’une analyse historique.
En français la démotivation résulte des facteurs suivants:
1. L’évolution phonétique qui détruit les liens étymologiques entre les mots.
Voilà pourquoi, dans le français moderne le sentiment de la parenté étymologique a
disparu dans la conscience linguistique des sujets parlants. On n’a plus de sentiment
de l’origine commune entre les mots: «le pain» et «le panier», «la maison» et «le
ménage», «poisson» et «pêcher», «pied» et «piège», etc.
2. Les emprunts savants au latin et la formation des doublets étymologiques ont
contribué à l’effacement d’un sentiment de la communauté génétique entre les mots
de même origine. Ainsi, nous ne sentons plus l’origine commune entre les mots
«mur» et «maturité», «vrai» et «vérité», «seul» et «solitude». Dans le français
moderne les mots immotivés prédominent même parmi les dérivés. Le savant célèbre
Ulmann dans son «Précis de sémantique française» soutient la thèse que le
vocabulaire français reste essentiellement arbitraire.
À l’état actuel de la langue la plupart des mots se présentent non motivés,
l’indice caractéristique de la chose étant oublié. Certains linguistes donnent à cet
indice le nom de la «forme interne du mot».
La partie de la linguistique qui étudie l’origine des mots, leur signification
première et les modifications phonétiques et sémantiques que le mot subit au cours du
développement de la pensée et de la langue, s’appelle étymologie. Comme la forme
interne du mot est souvent oubliée, l’esprit lui cherche une autre forme interne en
rapprochant les mots d’après leur impression auditive. Ce phénomène porte le nom
d’étymologie populaire. Par exemple, en français moderne l’expression «jour
ouvrable» est considérée par un grand nombre de français comme «jour où l’on ouvre
les magasins».
A cause du rapprochement du mot «ouvrable» avec le verbe «ouvrir» et non
avec le verbe «ouvrer», mot vieilli, dérivé de «operare» qui veut dire «travailler».
L’étymologie populaire atteint très souvent les mots étrangers, mots savants en
modifiant légèrement leur forme dans la prononciation et dans l’écriture. Par
exemple, le mot emprunté à l’anglais «country danse» (danse rustique) devient
«contredanse», etc. L’étymologie populaire est, bien entendu, une étymologie fausse,
fondée non sur le rapprochement des concepts, mais sur celui de l’audition. Pourtant
elle témoigne de la tendance de notre esprit à motiver la forme du mot, à expliquer
l’incompréhensible par le compréhensible.

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