Vous êtes sur la page 1sur 4

17/01/2021 (10) «Les Poings dans les poches», esprits frappés - Culture / Next

CINÉMA(/CINEMA,58) + MUSIQUE(/MUSIQUE,59)

+ LIVRES(/LIVRES,60) + SCÈNES(/THEATRE,28)

+ ARTS(/ARTS,99964) + IMAGES(/IMAGES,100296)

+ LIFESTYLE(/VOUS,15) + MODE(/MODE,99924)

+ BEAUTÉ(HTTPS://WWW.LIBERATION.FR/BEAUTE,100215)

+ FOOD(/FOOD,100293)

CRITIQUE

«LES POINGS DANS


LES POCHES»,
ESPRITS FRAPPÉS
Par Elisabeth Franck-Dumas (https://www.liberation.fr/auteur/12314-
elisabeth-franck-dumas)
— 12 juillet 2016 à 19:31

Le premier film de Marco Bellocchio,


sombre tableau d’une famille décadente
et incestueuse, ressort en version
restaurée dans les salles ce mercredi.

https://next.liberation.fr/cinema/2016/07/12/les-poings-dans-les-poches-esprits-frappes_1465802 1/4
17/01/2021 (10) «Les Poings dans les poches», esprits frappés - Culture / Next

Alessandro, le cadet au regard qui tue. Photo Ad Vitam

Ce vieux monde croulant, cette jeunesse qui étouffe. C’est aujourd’hui,


un peu partout. Et c’est 1965, un peu partout. Même dans la petite ville
de Bobbio, en Italie, où Marco Bellocchio, 26 ans, vient tourner son
premier film, les Poings dans les poches, dans la maison de sa mère. La
demeure est un personnage du film : c’est «la villa» décatie d’une famille
bourgeoise en voie de déclassement rapide. Les murs sont graffités
dehors, et ploient sous les portraits d’ancêtres dedans : il y en a partout,
sur chaque centimètre carré de mur. Les graffitis, ce sont peut-être les
enfants eux-mêmes qui les ont faits, une bande de dégénérés incestueux
et malades - de polio, d’épilepsie - à qui il manque un père, diraient les
psys. «Ils sont tous malades à la villa», dit-on d’eux à la ville. Il y a
Augusto (Marino Mase), le frère aîné à la beauté tranchante qui a un
travail, une fiancée, et va voir les putes. Il y a Giulia (Paola Pitagora), la
seule fille, qui écrit des lettres anonymes à la fiancée d’Augusto
et entretient un rapport SM avec Alessandro, le cadet. Il y a Leone (Pier
Luigi Troglio), épileptique et sans doute demeuré, qui comme les fous dit

https://next.liberation.fr/cinema/2016/07/12/les-poings-dans-les-poches-esprits-frappes_1465802 2/4
17/01/2021 (10) «Les Poings dans les poches», esprits frappés - Culture / Next

le vrai, mais parle très peu. Et donc Alessandro (Lou Castel), dit «Ale»
ou «Sandro», sorte de James Dean qui serait passé à l’action, laissant
froidement exploser sa colère rentrée.

Du haut du clocher de la ville, il embrasse la vallée d’un regard, avec ces


honnêtes gens qui vont à la messe, et rumine ces vers : «Condamné à
consumer ta jeunesse /dans ce pays de sauvages.» D’Alessandro, il faut
toujours regarder les mains : il serre les poings pour ne pas frapper sa
vieille mère aveugle, et boxe devant ses yeux morts. Du bout de ses
doigts, il la poussera dans un précipice. Du bout de ces mêmes doigts, il
enfoncera sous l’eau la tête de son frère Leone pour le noyer. Il est filmé
tantôt comme un saint, visage tourné vers la lumière sur fond d’orgue
d’Ennio Morricone, tantôt en contre-plongée inquiétante, montrant le
cinglé qu’il est - «un crypto-nazi», dit aujourd’hui de lui Bellocchio.

Dans cette copie restaurée, les noirs et blancs explosent, rendant au film
sa beauté plastique hyper léchée. Et si l’expressionnisme semble parfois
un peu daté, les relations familiales sont rendues avec une telle subtilité
qu’on l’oublie vite. Lors d’un dîner, par exemple, tableau de dynamiques
familiales en panne qui confine au chef-d’œuvre, où les moindres détails,
ces gouttes de café versées dans une soucoupe comme une aumône au
frère cadet sont autant de bombes à retardement. Lors aussi de cette
séquence dans un night-club, chorégraphiée au millimètre sur une
musique jazzy de jeunes gens modernes, où chaque plan, dans sa
manière d’associer les gestes des danseurs à la position du frère cadet,
dit combien il est isolé, irrécupérable, absent, même à son époque. Qui,
aujourd’hui, oserait faire ce film en regardant Sandro avec autant
d’humanité ? Le profond malaise qu’on ressent à sa vision, et qui naît
non seulement de ses crimes mais aussi de leur approbation tacite par
les autres, fait entrevoir la stupeur qu’il a provoquée à l’époque. Pier
Paolo Pasolini parla de «cinéma de poésie» et fit la distinction avec le
«cinéma d’essai» de Bernardo Bertolucci, qui venait de réaliser, un an
auparavant, Prima della Rivoluzione. Deux pierres blanches dans
l’histoire du cinéma italien, qui ne se contentèrent pas de refléter leur
époque, mais l’annoncèrent.

https://next.liberation.fr/cinema/2016/07/12/les-poings-dans-les-poches-esprits-frappes_1465802 3/4
17/01/2021 (10) «Les Poings dans les poches», esprits frappés - Culture / Next

Elisabeth Franck-Dumas (https://www.liberation.fr/auteur/12314-elisabeth-


franck-dumas)

Les poings dans les poches de Marco Bellocchio avec Lou Castel, Paola Pitagora, 1 h 45.

https://next.liberation.fr/cinema/2016/07/12/les-poings-dans-les-poches-esprits-frappes_1465802 4/4

Vous aimerez peut-être aussi