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Pascal Delorme

Jilani Djellalil

La transformation
digitale

Saisir les opportunités


du numérique
pour l’entreprise
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établissements I’auteur, de
Grands-Augustins, 75006son Paris).
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pie à usage collectif sans autori- Centre français d’exploitation du
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L. 122-5, 2° et 3° a), d’une part, que les « copies ou reproductions strictement
réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective »
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et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et
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réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective »
sans le consentement de I’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est
et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et
illicite » (art. L. 122-4).
d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constitue-
sans le consentement de I’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est
rait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du
illicite » (art. L. 122-4).
Code de la propriété intellectuelle.
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constitue-
rait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du
Code de la propriété intellectuelle.
table des matières

Introduction 1
Partie 1
Comprendre pour agir : les enjeux clés du digital

1   Les révolutions du digital 7

2   Marketing et engagement 17
Quelques données sur le digital 17
Vers une société organisée autour de l’information
et de la donnée 18
Les nouveaux consommateurs 19
La nouvelle consommation 33
L’excellence dans le commerce 35
Le marketing dans tous ses états 39
Changer son business model 49

3   L’expérience client 53
La concurrence des canaux est dépassée 53
Construire une expérience client autour des usages 56
Une stratégie mobile réussie 58

4   Innovations et technologies 63
No limit ! 63
« Innovate, don’t duplicate ! » 65
Les nouvelles nouvelles technologies 71

5   Les ruptures à l’œuvre : exemples parlants 85


VIII  La transformation digitale

Partie 2
Conduire la transformation digitale

6   Prendre ses marques 95


Des bouleversements sans précédent 95
Et pourtant 100
Les business models bougent 103
Comprendre le processus de déclin pour l’éviter 106
Un redressement digital : Starbucks Coffee 110
Les ingrédients du succès 113
Quel modèle de changement ? 118

7   Un modèle pour construire et piloter


la transformation digitale 125
Pour une approche globale de la transformation digitale 125
L’environnement 131
Le customership 136
L’activité 145
Le membership 158
Culture et règles 162
L’organisation digitale 169
Le leadership 174
Partie 3
Que fait-on lundi ?
Environnement : mesurer l’avancement du virage digital
de l’entreprise et surveiller celui des concurrents 182
1. Leadership : incarner l’accélération digitale 184
2. Culture et règles : structurer son ouverture digitale 189
3. Membership : instituer la « mixité digitale » 193
4. Activité : consolider le socle technique digital 195
5. Customership : comprendre son écosystème client 198
Conclusion 201
Lexique 205
Index des entreprises 207
Index général 211
Introduction

L e digital est une matière vivante. Sa rapidité d’évolution met à rude


épreuve les entreprises, tant les constantes de temps des technologies
(la célèbre loi de Moore entre autres) et celles des organisations (c’est-à-
dire ce qui a trait à l’humain) sont éloignées. Pour autant, la vitesse
d’adoption des nouveaux usages par les utilisateurs et les consommateurs
est, elle, très rapide car les nouveaux acteurs du digital ont à cœur d’in-
venter une expérience et des usages accessibles au plus grand nombre (les
tablettes ont conquis les seniors plus rapidement et efficacement que
les PC).
Le graphique ci-dessous indique le délai nécessaire pour atteindre
50 millions de foyers équipés. L’accélération est vertigineuse. C’est là un des
premiers enjeux du digital : minimiser le nombre des entreprises (et encore
plus des êtres humains ; mais ce n’est pas ici notre propos) qui resteront à la
traîne, sur le bord de la route ou disparaîtront tout simplement.

Années
38
40

35

30

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Le délai pour atteindre 50 millions de foyers équipés


2  La transformation digitale

Beaucoup de choses sont faites, dans le digital, pour « exclure », à


commencer par le jargon utilisé, souvent des anglicismes, présenté schéma-
tiquement ci-dessous (un lexique des termes utilisés et leur définition figure
en fin d’ouvrage).

Un extrait du vocabulaire digital

Nous nous attacherons, tout au long de cet ouvrage, à éclairer les tenants
et les aboutissants des évolutions sans précédent auxquelles sont confron-
tées les entreprises et dont la révolution digitale est la matrice.
Notre ambition est de donner au lecteur les clés pour les comprendre, les
démystifier et évaluer les impacts pour l’entreprise, en particulier, ou son
secteur d’activité.
Notre objectif est simple : proposer dans un ouvrage accessible, destiné
aux dirigeants d’entreprises de taille moyenne ou grande, un modèle pour
passer à l’acte et engager une transformation digitale indispensable pour
préparer l’entreprise aux évolutions majeures des marchés, sous les effets
cumulés des nouveaux comportements des consommateurs, des nouveaux
Introduction   3

usages, des nouveaux modes de consommation, des business models associés


et, bien sûr, des évolutions technologiques.
Nous développons nos analyses et nos propositions en trois parties.
La première partie vise à décrire les bouleversements digitaux avec le
souci d’expliciter les changements qui sont à l’œuvre et le potentiel de trans-
formation sous-tendu, non pas dans l’espoir utopique de « prédire » un
avenir, mais pour donner des clés de lecture. Nous avons volontairement
focalisé notre analyse sur la transformation qui agit sur l’interaction entre
l’entreprise et ses marchés. Une autre transformation moins « glamour »,
mais tout aussi importante, est à l’œuvre dans l’amélioration de l’efficacité
au sens très large du fonctionnement de l’entreprise (mieux collaborer,
simplifier, prédire et anticiper, accélérer…). Cette transformation se situe
plus dans l’amélioration continue de l’existant que dans les approches
« futuristes » à l’œuvre dans la première.
La deuxième partie porte sur la transformation digitale à proprement
parler, qui possède les caractéristiques de toutes les transformations à ceci
prêt qu’elle est plus large, plus profonde et des plus délicates à conduire. Il
nous fallait proposer, avec un modèle global, simple et robuste, les compo-
santes nécessaires à l’élaboration d’une trajectoire. Plusieurs exemples sont
présentés.
La troisième partie propose une série de chantiers à lancer en priorité,
même si chaque situation reste spécifique, dès lundi prochain !
Partie 1
Comprendre pour agir :
les enjeux clés du digital

L a révolution digitale actuelle n’est pas la première que connaissent nos


sociétés. L’arrivée d’Internet en 1995-1998 a bouleversé la donne,
essentiellement en matière de distribution, puisque la plupart des projets
visaient à créer un site web et à développer les ventes en ligne, à commencer
par les industries les plus en pointe comme le voyage (Expedia s’est lancée
en 1996 comme filiale de Microsoft).
Aujourd’hui, l’arrivée des mobiles puis des objets connectés, la présence
du réseau n’importe où et n’importe quand, la prolifération des capteurs et
des téraoctets qu’ils génèrent permettent d’imaginer, souvent à court terme,
des services presque sans limite.
Nous allons nous attacher dans cette première partie à décrire de la
manière la plus concrète possible les éléments constituant ce que beaucoup
désignent comme « la transformation digitale ». C’est probablement plus
une transition vers un nouvel état où tout sera digital : on ne parlera alors
plus de marketing digital, d’expérience digitale ou de technologies digitales,
mais simplement d’une nouvelle ère où la connexion et l’interaction perma-
nentes seront pour les consommateurs et les utilisateurs un vécu quotidien.
Nous donnerons pour chacun de ces éléments des exemples concrets
d’usages pour le client ou l’utilisateur : tous ces progrès technologiques, par
ailleurs fascinants, n’ont d’intérêt que pour l’homme.
Mieux vivre, gagner et choisir son temps, mieux travailler, améliorer le
plaisir et la qualité de vie, connaître le monde et ses habitants, mais aussi
développer les entreprises et la présence française dans cette révolution sont
les véritables enjeux de la transformation digitale.
1
Les révolutions du digital

B eaucoup de publications, de communications, de tables rondes, de


séminaires et de conférences ont été conduits sur les sujets du digital
en prenant de nombreux points de vue :
• Celui du consommateur d’abord, car c’est lui le vrai arbitre, faiseur de
réussites extraordinaires et d’échecs cuisants. Il est, plus que jamais, doté
de pouvoirs considérables sur lesquels nous reviendrons.
• Celui des marques confrontées à une évolution du marketing et des
conversations avec les contacts1 (surfeurs anonymes du web, bloggeurs,
fans, prospects, clients, ambassadeurs, détracteurs…).
• Celui du directeur marketing dont le rôle se transforme pour aller vers
plus de temps réel, de data et de technologies : le marketing temps réel et
synchronisé2.
• Celui du CDO (Chief Digital Officer), nouvelle position, généralement
de niveau Comex, qui traduit la volonté de certains grands groupes de
constituer une organisation dédiée au digital, au croisement du
marketing, de la relation client, des technologies et de la DRH.
• Celui, enfin, du DSI (directeur des systèmes d’informations) dont
le rôle doit également évoluer profondément au moment où une part
dominante des investissements informatiques va se concentrer sur les
technologies de l’expérience client, activés par les directions marketing
ou le CDO.
Le point de vue du personnel en frontline est rarement intégré dans ces
communications. Pourtant, nous pouvons apprendre beaucoup de leur
expérience car ils sont généralement d’une génération native du digital et
participent à l’expérience omnicanal. Leur point de vue doit être une source

1. Dans cet ouvrage, nous utiliserons le terme générique de « contact » pour qualifier un indi-
vidu dont le statut peut varier d’une simple trace web (souvent mémorisée au travers d’un
cookie) jusqu’à l’ambassadeur fidèle d’une marque. Le contact peut être un suspect (pros-
pect non identifié), un prospect identifié, un client, un fan, un bloggeur, un suiveur ou
encore un collaborateur de l’entreprise.
2. Marco Tinelli, Marketing synchronisé, Eyrolles, 2012.
8  La transformation digitale

précieuse d’invention et d’ajustement millimétré de l’expérience consom-


mateur… sans pour autant aller jusqu’à l’holacratie et la révolution mana-
gériale de Zappos conduite par son CEO Tony Hsieh en 2014, déjà tentée
par le passé.
Le digital peut (presque) tout changer pour quatre raisons essentielles :
–– l’explosion de la capacité des réseaux ;
–– l’enrichissement et les moyens économiques considérables des leaders
du web ;
–– les nouveaux business models ;
–– la puissance des réseaux sociaux.
La capacité des réseaux (web, Wifi, 4G, BLE…) et la capacité informa-
tique embarquée « à bord » de l’être humain explosent. L’iPhone a une
capacité de calcul équivalente à celle de la NASA lors du premier programme
APOLLO. Cela permet d’imaginer des services utiles et qui font sens
puisque présents où et quand l’utilisateur en a besoin.
Les moyens économiques considérables des leaders du web (les « big
four » ou GAFA pour Google, Amazon, Facebook et Apple) leur permettent
de soutenir un rythme de croissance organique et externe très important
(3,2 milliards de dollars pour l’acquisition en 2014 de Google Nest incluant
Tony Fadel, ancien d’Apple et père du programme iPod), qui génère le plus
fort taux d’obsolescence connu dans l’histoire des technologies. Au-delà des
GAFA, des acteurs comme Spotify ou Netflix poursuivent, pour l’un la
révolution entamée par iTunes et repensent, pour le second, l’expérience
VOD en créant un acteur mondial proposant plus de 50 millions de chaînes
de télévision différentes, comme le proclame son fondateur, grâce aux algo-
rithmes de personnalisation et en levant d’importantes capacités de produc-
tion (séries) visant un marché mondial.
Les nouveaux business models sont facilités et amplifiés par le digital ;
certains sont particulièrement adaptés au contexte économique et social
que nous vivons :
–– le passage de la propriété à l’usage : voiture, location d’électroménager
chez Intermarché sur le site uzit.eu ;
–– l’abonnement : CVS Care mark pour s’abonner à ses prescriptions
médicales sur le site info.cvscaremark.com ;
–– le partage ou l’échange : le covoiturage (www.blablacar.com ou
123envoiture.com), le logement (www.airbnb.fr) avec lequel son fonda-
teur Brian Chessy pourrait bien devenir le premier milliardaire de l’éco-
Les révolutions du digital   9

nomie collaborative, le troc de travaux de bricolage chez Castorama


(www.lestrocheures.fr) et bien d’autres produits/services ;

Figure 1.1 – « Les troc heures » ou le troc de travaux chez Castorama

–– le « croud everything »1 :
–– la co-création constitue une disruption crédible pour les métiers de
l’intellect, comme le conseil ou la création publicitaire. Difficile,
en effet, pour une organisation de garantir que les talents indispen-
sables à une mission donnée sont bien présents dans l’entreprise.
Pour le Super Bowl 2013, c’est au travers d’un concours sur Poptent
(www.poptent.com), un site de croud creation vidéo, que Danone a
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

choisi sa création diffusée sur l’espace publicitaire américain le plus


onéreux de l’année ;
–– la co-construction recouvre toutes les implications possibles du client
dans le développement du produit ou du service. Cette approche
est souvent apparentée à la notion de plateforme2 où son opérateur

1. Cette expression regroupe l’utilisation du pouvoir des foules dans tous les domaines
comme le financement, la créativité (agences de pub), le développement logiciel (logiciel
libre), le calcul scientifique (mise à disposition des capacités de calcul de mon ordinateur),
la météorologie (adhésion volontaire à un programme de captation de données), la santé,
l’éducation…
2. Nicolas Colin et Henri Verdier, L’âge de la multitude, Armand Colin, 2e édition, 2015.
10  La transformation digitale

propose les moyens technologiques et l’audience permettant au


client de configurer ses services (App Store) ou vendre ses produits
(marketplace). Les deux exemples les plus commentés restent Apple
et Amazon. Apple a créé l’App Store où l’utilisateur configure son
smartphone en choisissant ses applications, réussissant la prouesse
d’offrir un système contrôlé, fermé, mais ouvert du point de vue
de l’utilisateur. Amazon, avec sa place de marché lancée en 2003,
propose tous les services permettant à un commerçant de monter sa
propre boutique en ligne, bénéficiant ainsi de l’immense audience
d’Amazon. Cela représente 39 % de l’activité de la place de marché
dix ans après sa création ;
–– la gratuité conditionnelle :
–– la gratuité des applications destinées aux particuliers ou aux entre-
prises (Evernote, Basecamp, Mailchimp…) dont les fonctionnalités
avancées ne sont accessibles que moyennant un abonnement mensuel
ou annuel ;
–– le freemium, initialisé par les jeux sur mobile (in-app purchase chez
Apple ou in-app billing chez Google), qui permet d’attirer le joueur,
puis d’installer la dépendance avant de facturer des contenus virtuels
nécessaires à la progression dans le jeu.
La puissance des réseaux sociaux facilite le croud everything, mais
laisse imaginer d’autres modes d’assemblage de talents pour les entre-
prises telles que nous les connaissons aujourd’hui, pour concevoir et
produire des biens et des services : c’est la notion d’entreprise étendue sur
laquelle nous reviendrons lorsque nous aborderons les changements dans
le leadership et le management. Avant de transformer plus avant les
modes de fonctionnement des entreprises, le digital transforme dès à
présent les modes de recrutements et de sourcing des collaborateurs
(LinkedIn, Facebook, Qapa…).
Le tableau 1.1 récapitule ce que le digital a changé ou va changer.
Les révolutions du digital   11

Tableau 1.1 – Les domaines touchés par la transformation digitale

Demain (déjà)

Les business models Freemium, usage plus que propriété, partage, location,
abonnements… tout pour baisser le coût apparent des
services.

Le périmètre business des « Innovation came from the fringe »1. Les concurrents
entreprises et des secteurs changent (par exemple Google/Apple pour les
d’activité constructeurs automobile ou les assureurs), les cloisons
entre BtoB et BtoC tombent, la « coopétition » devient
incontournable.

Les écosystèmes qui Impossible de réussir seul, d’attirer tous les talents,
entourent l’entreprise de se transformer de l’intérieur, de développer
(concurrents, partenaires, l’innovation frugale : l’entreprise étendue concerne
fournisseurs…) tous les domaines et pas seulement les partenariats
de production (sous-traitants, fournisseurs).

La collaboration Les outils sociaux permettent de faire tomber les


intra-entreprises barrières des silos internes aux entreprises et de
valoriser dans l’entreprise les réseaux de chacun.

Le sourcing des talents Rôle central des réseaux sociaux pour des approches
et le recrutement très qualitatives. Sollicitation des talents de manière
ponctuelle : le « slashing » (du caractère « / » : passer
d’un job à l’autre). Multiplication des managers de
transition ou des consultants indépendants en réseau.

Le plan marketing Le marketing devient temps réel et synchronisé2.


Le travail sur la marque et son contenu persiste,
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’intelligence marketing se développe, la connexion au


consommateur, le pricing et l’animation commerciale
s’automatisent.

La connexion client La connexion aux contacts quels qu’ils soient, la vision


360° et la mise en place de la conversation avec le
consommateur H24, 7/7, 365J.

1. « L’innovation vient de la périphérie », Bertrand Petit, Think Tank Innocherche, URGENT :


Changez de business model !, Éditions Kawa, 2014.
2. Marco Tinelli, Marketing synchronisé, Eyrolles, 2012.
12  La transformation digitale


La distribution Disparition du cloisonnement entre virtuel et physique :
les objets connectés, la réalité augmentée sont des
technologies qui permettront de créer une expérience/
immersion continue dans l’univers des marques.

L’expérience et les services Tous les produits seront des services. Ils utiliseront les
smartphones comme orthèse. L’intelligence embarquée
et la contextualisation permettront à tous de bénéficier
de ces nouveaux usages ; les courbes d’adoption seront
réduites au minimum.

Les mécanismes de pricing Le consommateur est doté de technologies qui entrent


et de promotions en compétition avec celles des entreprises (dans le
voyage, les comparateurs de prix et autres trackers
face au yield management). Vers le real time pricing
en fonction de multiples paramètres marché et client
(analogie RTB - Real Time Bidding).

La reconnaissance Le donnant-donnant devient la règle, en particulier sur


de la loyauté client les données dont le consommateur comprend et utilise
la valeur. Le client devient une composante du service
(co-construction, parrainage, networking social). Sa
loyauté n’est plus celle du seul consommateur mais
celle d’une partie prenante.

La communication La marque devient un média car Internet est le plus


et le contenu de marque grand des titre-média (prolifération de l’information).
La marque doit produire et distribuer de l’information
à des audiences ciblées. Elle peut divertir, inspirer,
éduquer, convaincre son audience.

La construction « On ne nettoie pas le web, on l’alimente ! »1


de la réputation Combiner la veille à la construction d’un réseau
d’ambassadeurs prêts à soutenir la marque. Progresser
vers une plus grande empathie et humilité/authenticité
des marques. Le digital revisite la lovebrand.

1. Christophe Ginisty, « Le nettoyage du web : le vrai du faux », www.ginisty.com, 3 février


2013.
Les révolutions du digital   13

Le tableau 1.2 résume les clés que nous allons détailler dans le premier
chapitre.

Tableau 1.2 – Les clés du digital

Leadership,
Business Expérience
culture Technologie
& marketing client
& orga
Enjeux Nouveaux Expérience Vision. Vision moyen
consommateurs. omni-canal. Learning by terme.
Nouvelles Expérience doing. Qualité.
consommations. augmentée. Cooperation, Créer les
Nouvelles Personnalisation coopétition. passerelles entre
valeurs de et co- Cross- les legacy.
marque. construction. everything. Responsive
Marketing design.
de la connexion. Data equity.
Risques/ Perdre Insatisfaction, Tétanisation. Pic
menaces le contact. infidélité. Fossé d’investissements.
Nouvelles Réputation générationnel. Dépendances.
intermédiations. écornée. Retards.
Focus prix. Fossé métier/IT.
Opportunités Développer Allier excellence, Centrage Se forger
le CA, réduire plaisir et client (pour une vision.
les coûts. humanité. de vrai). Simplifier.
Engager Développer les Attirer, Être à l’écoute,
les clients. ambassadeurs. brasser essayer,
Renouveler la Étonner et conserver apprendre
communication. le plus souvent (toutes) et avancer.
possible. les diversités.
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Nous ne sommes plus en 2000. Internet n’est plus seulement un nouveau


canal de distribution. Pour les entreprises et l’économie dans son ensemble,
le digital bouleverse en profondeur :
–– le pouvoir et le rôle des acteurs économiques ;
–– les business models au sens très large ;
–– les mécanismes de création de valeur au sens de la proposition qui est
destinée à des clients ;
–– les rapports de force et les positions.
14  La transformation digitale

Tout ceci à un rythme jamais égalé : la loi de Moore applicable aux tech-
nologies de l’information se généralise aux business eux-mêmes grâce au
poids que prennent ces technologies dans la chaîne de valeur d’un nombre
toujours plus important de services.
Même si le digital est une source de simplification, d’amélioration de
l’efficacité des processus internes et externes et, par voie de conséquence, de
réduction des prix de revient, c’est la top line que le digital touche radicale-
ment au travers de l’évolution du consommateur et de la consommation,
du marketing, de la relation aux marques, avant tout en créant des produits
et services irrésistibles !
Le digital accroît considérablement le pouvoir du consommateur (nous
y reviendrons). Les stratégies de conversations puis de connexions doivent
permettre le dialogue entre les marques et les consommateurs. L’expérience
des contacts (bien avant d’être clients) joue un rôle essentiel dans la création
et la consolidation de l’attachement.
Le cœur de notre propos se situe dans la définition et la mise en œuvre
de la transformation digitale de l’entreprise. Pour repositionner l’entreprise
dans l’ère digitale, la conduite du changement doit aborder les questions de
culture, de leadership, de talents et d’organisation. Probablement touche-
t-on là à la dimension essentielle de la transformation : celle qui fait de la
transformation digitale un sujet global que la direction générale doit
impulser, promouvoir, suivre avec détermination et passion.
Enfin, la créativité technologique des start-up, les capacités écono-
miques considérables accumulées par les grands noms américains et asia-
tiques entretiennent un rythme effréné d’innovation et de développe-
ment de nouveaux services. Ce rythme est souvent un véritable challenge
pour les DSI. Dans le quatrième chapitre, nous nous attacherons à saisir à
la fois :
–– les enjeux des technologies digitales pour les entreprises et les consom-
mateurs ;
–– les challenges technologiques du digital pour le DSI.
Les révolutions du digital   15

Le digital va tout changer


Il n’y a pas une, mais des révolutions digitales selon le point de vue que l’on
prend : celui du consommateur, des marques ou des acteurs de la transfor-
mation interne aux entreprises (DM, CDO et DSI), sans oublier la frontline
clients.
Quatre raisons essentielles confèrent au digital son pouvoir de transformation :
–– l’explosion de la capacité des réseaux ;
–– l’enrichissement et les moyens économiques considérables des leaders
du web ;
–– les nouveaux business models ;
–– la puissance des réseaux sociaux.
Ainsi, le digital a changé ou va changer :
–– les business models ;
–– le périmètre business des entreprises et des secteurs d’activités ;
–– les écosystèmes qui entourent l’entreprise (concurrents, partenaires,
fournisseurs…) ;
–– la collaboration intra-entreprises ;
–– le sourcing des talents et le recrutement ;
–– le plan marketing ;
–– la connexion client ;
–– la distribution ;
–– l’expérience et les services ;
–– les mécanismes de pricing et de promotion ;
–– la reconnaissance de la loyauté client ;
–– la communication et le contenu de marque ;
–– la construction de la réputation.
Nous allons aborder les aspects marketing de cette révolution, son impact
sur l’engagement et l’expérience client et enfin les mécanismes d’innovation
et les technologies qui sous-tendent cette transformation, ou plutôt cette
transition vers une réalité digitale banalisée.
2
Marketing et engagement

Quelques données sur le digital


Commerce
• Les Français ont réalisé plus de 600 millions de transactions en ligne sur
l’année 2013 pour un montant de 51,1 milliards d’euros. Le montant
total des ventes s’affiche en hausse de 13,5 % sur un an, alors que le
nombre de transactions, lui, a bondi de 17,5 %.
• Le nombre de cyberacheteurs français s’est élevé en 2013 à 33,8 millions.
• Le nombre moyen de cyberacheteurs par site continue de décroître. Il est
passé de 769 en 2006 à 245 en 2013 (138 000 sites marchands).
• Le panier moyen poursuit, lui aussi, sa baisse avec – 17 % entre 2006
et 2013 (euro constant 2006 de 90,20 euros à 75,50 euros).
• En France, seuls 5 % des web-acheteurs ont réalisé leur premier achat il y
a moins d’un an, contre 21 % en 2012, souligne l’étude, montrant que le
pays atteint un palier en termes de croissance du e-commerce1 :
–– en termes de fréquence d’achat en ligne, la France se situe en queue
de classement : 17 % des web-acheteurs sont actifs au moins une fois
par semaine, contre 76 % des Chinois, 40 % des Anglais et 36 % des
Allemands ;
–– si en 2013, 36 % des consommateurs sur Internet achetaient en ligne
au moins une fois par mois, ils étaient 44 % à le faire en 2012 ;
–– ces web-acheteurs sont intéressés par la livraison gratuite (80 %), le
retour gratuit (53 %) et réclament même étonnamment de pouvoir…
rapporter l’objet en magasin (49 %) ;
–– sur les réseaux sociaux, les internautes recherchent en priorité – et
ce n’est pas une surprise – des reductions (46 %) et des avis clientèle
(33 %). Ces deux chiffres sont en hausse.

1. Étude du cabinet Price Waterhouse Coopers réalisée sur 15 000 web-acheteurs de 15 pays,
février 2014.
18  La transformation digitale

Flux de données
L’Internet poursuit sa course effrénée au volume de données échangées
(selon des formats toujours plus variés et non structurés). Et ces chiffres
précèdent les 50 milliards d’objets connectés annoncés pour 2020 ! Ainsi,
toutes les 60 secondes, on peut comptabiliser :
–– 331 000 tweets publiés ;
–– 2,46 millions de contenus partagés sur Facebook ;
–– 112 millions d’e-mails envoyés ;
–– 2,4 millions de recherches Google ;
–– 72 heures de vidéos déposées sur YouTube et 8 333 vidéos partagées
sur Vine ;
–– 1,4 million de Gigaoctets de données transférées ;
–– 1 839 nouveaux utilisateurs web mobile ;
–– 56 451 applications downloadées sur les stores ;
–– 400 710 displays publicitaires ;
–– 80 nouveaux avis sur TripAdvisor ;
–– 216 000 nouvelles photos partagées sur Instagram et 347 222 sur
­WhatsApp.

Vers une société organisée autour


de l’information et de la donnée
Nous vous proposons un petit détour par l’histoire et la philosophie pour
rappeler l’ampleur des transformations de société que sous-tend le digital.
En voyant la transformation des mécanismes de création de valeur et la
multiplication dans nos vies d’informations et de données, certains
prédisent que l’avènement de l’ère de la donnée pourrait correspondre à un
nouveau capitalisme !
Marketing et engagement   19

« La richesse des « Toute la vie des « Toute la vie des

Guy Debord 1967


Karl Marx 1867

Alexandre Lacroix 2013


sociétés dans sociétés dans sociétés dans
lesquelles règne lesquelles règnent lesquelles règnent
le mode de les conditions les conditions
production modernes de contemporaines
capitaliste production de production
s’annonce comme s’annonce comme s’annonce comme
une immense une immense une immense
accumulation de accumulation de accumulation
marchandises. » spectacles. » d’informations. »

Production driven Consumer driven Data driven


Manufacturing Marketing produit Marketing temps réel
puis clients Contacts
Conversations
Plateformes
Source : Philosophie Magazine, octobre 2013.

Figure 2.1 – Un nouveau capitalisme de la donnée ?

A minima, attendons-nous à une profonde transformation des processus


associés à la mise en adéquation de l’offre et de la demande se traduisant par
un nouveau marketing (nous y reviendrons plus loin) et des impacts
majeurs pour les sociétés émergées, émergentes, développées et déclinantes
(nouveaux pouvoirs et nouvelle démocratie, nouveaux médias, élites
malmenées, nouvelle école, protection de la vie privée, monétisation des
données, nouvelle médecine…).
Nous nous limiterons ici aux sujets liés aux entreprises.
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Les nouveaux consommateurs


Difficile de dire quel est, du digital ou de la crise économique profonde,
généralisée et durable, l’événement qui a le plus façonné le comportement
du consommateur ces dernières années. Une chose est sûre : les comporte-
ments ont profondément changé et les segmentations du passé n’ont plus
aucune réalité aujourd’hui. Tout a changé vers un état plus complexe et
probablement plus instable que par le passé, rendant l’élaboration d’une
stratégie commerciale et marketing des plus difficiles.
« On mesure l’intelligence d’un individu à la quantité d’incertitudes
qu’il est capable de supporter. » Cette citation attribuée au grand ­philosophe
20  La transformation digitale

Emmanuel Kant résume bien un des postulats de notre ouvrage. Nous le


développerons dans la partie sur la transformation elle-même : les organisa-
tions ne peuvent espérer conduire le changement pour aller de la situation
actuelle à une situation cible identifiée. C’était la conduite du changement
des années 1990-2000 ! La seule attitude possible est d’engager une trans-
formation continue en créant les mécanismes et les conditions de la perpé-
tuelle adaptation. Celle-ci est beaucoup plus compliquée que la courbe
traditionnelle du changement, en forme de cloche inversée, avec certes, au
milieu, la « vallée du désespoir », mais aussi une situation cible ou toutes les
ressources sont alignées avec le nouvel environnement.

Refuser de voir et Avancer sur une nouvelle


de prendre en compte voie, motiver son entourage
le changement et gérer le changement
(énergie renouvelée)

Déni Engagement
Temps

Résistance Exploration

Empêcher que le Essayer les changements


changement ne possibles (créativité,
s’applique à soi Déclic résolution de problèmes, etc.)

Figure 2.2 – La courbe du changement

Dans ces conditions, risquons-nous quand même à mieux cerner les


caractéristiques de ces nouveaux consommateurs, sachant qu’une des
premières tendances est probablement une plus grande miscibilité entre les
différents profils que nous sommes (presque) tous et un rapport bouleversé
au temps et à l’espace : acheteurs, militants, habitants de la planète, amis,
employés, parents, enfants…
Analysons six thèmes remarquables liés aux nouveaux consommateurs :
• Le phénomène des tribus.
• L’être permanent.
• La personnalisation.
Marketing et engagement   21

• L’horizontal.
• Le consommateur média.
• Plus loin dans la prise de contrôle par le consommateur.

Le phénomène des tribus


Analysés par Seth Godin dans son célèbre ouvrage1, les comportements
tribaux ont connu un développement fulgurant avec la démocratisation des
réseaux sociaux. À commencer par le premier d’entre eux, Facebook, créé
il y a plus de dix ans.
Contrairement à ce que pensent les générations qui n’ont connu que
tardivement ces phénomènes et ont du mal à les comprendre et à se les
approprier, les activités en réseaux révèlent et amplifient des attitudes
foncièrement humaines, dont l’accomplissement de soi et la recherche de
plaisirs :
–– moi et ma tribu : « Un groupe n’a besoin que de deux choses pour
constituer une tribu : un intérêt et une façon de communiquer » (Seth
Godin) ;
–– me mesurer aux autres ;
–– partager ;
–– m’améliorer et progresser ;
–– célébrer.
Progressivement, la nature des échanges entre les membres d’un réseau
a évolué :
–– moins de texte et plus d’images, se traduisant par le succès d’applica-
tions comme Snapchat ou Instagram ;
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–– moins de publications manuelles et plus de publications automatisées


dans le cadre de l’utilisation d’applications qui fournissent des fonction-
nalités sociales : Foursquare et le partage de sa localisation, RunKeeper
ou Nike+ et le partage de ses performances sportives ;
–– le développement des fils d’actualités filtrés (« curated ») par les amis et
les relations et publiés sur son propre fil Twitter ou LinkedIn (Scoop.it,
Flipboard).

1. Seth Godin, Tribes : We Need You to Lead Us, Éditions Portfolio, 2008.
22  La transformation digitale

Facebook

YouTube

Qzone

Google+

Sina Weibo

Twitter

LinkedIn

VK

Ren Ren

Instagram

Friendster

Tumblr

Pinterest

FourSquare

Vine

MySpace

Orkut

SnapChat

Path

Tuenti

Bebo

Source : Comscore et Wikipedia, création Jeremy Waite pour AdobeSocial.

Figure 2.3 – Les réseaux sociaux

Aujourd’hui, la fréquence d’utilisation des grands réseaux comme Face-


book semble baisser, en particulier chez les jeunes, mais reste nettement
supérieure à celle des réseaux dits professionnels comme LinkedIn et
Viadeo. On comptabilise plus de 20 minutes de connexion quotidienne
pour Facebook. Plusieurs explications sont avancées :
Marketing et engagement   23

–– les parents des jeunes s’étant inscrits sur Facebook, ces derniers se
dirigent vers des réseaux plus discrets comme les messageries instanta-
nées (WhatsApp, Wechat…) ou Snapchat ;
–– les membres les plus jeunes semblent segmenter leur présence sociale
entre la notoriété matérialisée par le nombre d’amis sur Facebook et des
réseaux plus proches et privés gérés sur les messageries instantanées.
En puisant dans la réserve des marques, en les sélectionnant, en les agen-
çant, en les combinant, nous créons notre style, nous stylisons notre vie.
Nous utilisons les marques à notre disposition pour créer notre système
singulier de différenciation et de reconnaissance par nos tribus.
La figure 2.4 modélise le réseau professionnel LinkedIn d’un des auteurs
incluant 8 sous-groupes.
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Figure 2.4 – La représentation graphique d’un réseau professionnel LinkedIn

Le cas Harley-Davidson
Harley-Davidson, créée en 1903, est une marque mythique et emblématique
des États-Unis. Le Harley Owners Group (HOG) est créé en 1983. Il compte
aujourd’hui plus de 800 000 adhérents dans le monde entier. C’est une des
meilleures réussites en matière de création de communauté de marque. Les
adhérents reconnaissent à une très large majorité :
24  La transformation digitale

– l’attractivité et la sélectivité du club ;


– la fierté de l’appartenance ;
– l’intérêt des opérations exclusives ;
– le focus sur l’expérience client ;
– la spontanéité et le dynamisme de la communauté ;
– l’utilité des partages d’expérience.
Mais, comme le mentionne Seth Godin, le phénomène de communauté
précède les réseaux sociaux (HOG a été créé bien avant la page Facebook de
Harley-Davidson). Pour que la communauté se construise et qu’elle perdure,
il faut un partage authentique de valeurs fortes et des intérêts communs : c’est
indéniablement le cas des bikers Harley-Davidson. Espérer construire une
communauté sur la seule relation à une marque est illusoire, quelle que soit la
force de la marque.

L’être permanent
Contrairement aux autres outils de communication (dont le téléphone fixe
historique), avec la généralisation du mobile, trois phénomènes viennent
transformer notre relation au monde :
–– l’ubiquité : nous sommes connectés et joignables partout ;
–– la permanence : nous sommes connectés et joignables tout le temps ;
–– l’individualité : notre mobile nous identifie de manière unique (phéno-
mène renforcé avec l’implantation de la reconnaissance biométrique sur
l’iPhone 5S et les smartphones Samsung et LG).
Cet état de fait présente déjà des dangers d’addiction chez les enfants et
les adultes, voire de phobie en cas de perte ou d’indisponibilité (la « nomo-
phobie »).
En termes marketing, comme l’indique Jean-Marie Dru de TBWA,
nous sommes passés, non seulement au 360°, mais également au 365J,
rendant quasi impossible le marketing moderne sans automatisation (nous
y reviendrons plus loin).
Évidemment, cette surexposition provoque des rejets, comme le montre
la journée sans mobile (lancée par Phil Morso en France) ou les règles impo-
sées par les parents à la maison pour préserver des instants de « vraie
présence » les uns aux autres.
Marketing et engagement   25

La personnalisation
Depuis longtemps, le sujet de la personnalisation est présent dans les straté-
gies marketing des entreprises – en fait, avec l’arrivée à maturité des outils
CRM. Seulement voilà : le digital, une nouvelle fois, a tout changé.
La gestion de la relation client est apparue bien avant le développement
massif d’Internet, au moins comme canal de vente. Les programmes de
mise en œuvre d’une relation client, souvent associés à la mise en œuvre
d’une solution progicielle, n’ont pas toujours donné les résultats attendus.
Soyons clairs, les trois seuls domaines de progrès notoires apportés par ces
solutions CRM sont :
–– la gestion de l’efficacité des forces de vente (premier domaine de déve-
loppement de logiciel comme Siebel™) ;
–– la gestion de la vision 360° des centres d’appel et le suivi des événements
de relation ;
–– la gestion des programmes de fidélité.
L’arrivée du commerce électronique, du e-marketing puis de la
gestion des contacts sur l’ensemble des canaux et réseaux sociaux, et ce
bien avant un acte d’achat (inbound marketing), a enfin fourni à la
gestion de la relation client les moyens d’exprimer pleinement son
potentiel et d’accroître significativement le chiffre d’affaires et la marge
par client. Pourquoi ?
Les raisons suivantes peuvent, sans hésitation, être mentionnées.
• De manière générale, l’intelligence programmable des outils de mise en
relation permet de dérouler des scénarios fins et segmentés de conversa-
tions avec les contacts sans connaissance/identification a priori des clients
ni intervention humaine :
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–– c’est la fin (enfin presque !) des débats sur les identifiants clients, les
critères pertinents de segmentation, la collecte et les achats de données
socio-démo, la collecte des données RFM1. Ce qui est ciblé, ce sont
les cookies et autres traces laissées par un contact, pas l’identité du
contact en tant que telle : une révolution !
–– la conversation peut s’appliquer à un nombre de plus en plus impor-
tant de contacts sans risque d’explosion des coûts marketing.

1. Initiales de Récence (date du dernier achat), Fréquence (fréquence des achats) et Montant
(montant moyen sur une période donnée). C’est une méthode de segmentation souvent
utilisée en marketing direct.
26  La transformation digitale

• La collecte de plus en plus massive de données permettra de construire


des outils prédictifs plus pointus qui viendront améliorer l’efficacité et le
fameux ROI des actions marketing et commerciales et faciliter la mise en
œuvre automatisée du scénario d’interaction, trouvant le juste équilibre
entre une conversation régulière avec les contacts et la surpression
entraînant le rejet de toute action par le contact.
• L’omni-canal, c’est-à-dire le déplacement du consommateur dans un
nuage permanent de connexion à la marque et donc une interpénétration
entre le digital et le physique, permet de démultiplier la nature des
données accumulées sur les contacts (lors des fameux « touchpoints ») et
de créer de nouvelles perspectives :
–– en matière de description des comportements : par exemple en
combinant géolocalisation, horaires et informations recherchées ;
–– en matière de pertinence des réponses et propositions de valeur faites
aux consommateurs en utilisant intelligemment les données et les
comportements mentionnés ci-dessus.
Mais le CRM doit faire face à de nouveaux défis :
–– la multiplication des typologies et des formats de données (big data) et
la difficulté conceptuelle à en construire une vision intégrée ;
–– la prise en compte de l’ensemble des contacts de la marque (prospects,
fans, ambassadeurs…) et non plus seulement des clients ;
–– la capacité à gérer durablement des contacts anonymes qui ne sont
connus qu’au travers des traces laissées lors des différentes interactions
fixes et mobiles ;
–– à l’opposé, la nécessité de gérer la peur des consommateurs de l’intru-
sion des marques dans leur vie privée ;
–– le temps réel qui s’imposera de plus en plus dans la relation interactive
et personnalisée entre les marques et les consommateurs ;
–– la fin programmée des fameux « cookies ».
Il est clair que la gestion de la relation est ainsi totalement réinventée,
tant en matière marketing qu’en matière technologique :
• Le rôle du marketing client évolue vers un rôle d’architecte de la relation
à même de définir une stratégie de contact et de proposition commer-
ciale vertueuse entre collecte et utilisation des données pour éviter la
noyade, la non-pertinence, voire le rejet d’une partie des consomma-
teurs.
Marketing et engagement   27

• Les sujets technologiques deviennent très pointus :


–– la logique du « learning by doing » est devenue incontournable et
nécessite une très grande agilité de la part des DSI ;
–– le dialogue qui doit s’instaurer entre le marketing client architecte de la
relation et la DSI architecte des solutions IT (Information technology)
est le vrai challenge des entreprises moyennes et grandes ; les petites
structures ont pour elles de pouvoir facilement mélanger les genres ;
–– l’avènement du « programmatic adverstising » préfigure une convergence
de l’utilisation de la donnée à des fins de personnalisation (CRM) ou de
publicité grâce, entre autres, aux plateformes DMP (data management
platforms).
Ainsi, la collecte de données et l’engagement d’une conversation avec les
contacts constituent le premier élément de personnalisation de la relation.
Mais à l’ère digitale, la personnalisation peut aller beaucoup plus loin.

Le cas New Balance


Le cas New Balance est exemplaire. À contre-courant de la fabrication chinoise
de produits déployés massivement, New Balance a fait le choix de la proximité
et de la personnalisation, Nike ayant, lui, fait le choix de créer un écosystème
digital complet. La production est faite à 100 % aux États-Unis pour l’offre,
très avancée, de personnalisation des chaussures :
– 30 % plus chères à produire, mais par des méthodes d’assemblage quatre fois
plus productives : 8 heures par chaussure il y a dix ans, 3 heures aujourd’hui ;
– chaussures à la demande : 9 parties personnalisables, 26 couleurs de cuir et
5 couleurs de tissu ;
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– livraison à J+2.

Le cas Nectar & Pulse


La start-up Nectar & Pulse élabore un guide touristique personnalisé (vieille
vision de l’industrie de la distribution du voyage). L’utilisateur compose son
guide en assemblant des conseils, des profils proposés pour les différentes
capitales : entrepreneurs, amoureux, DJ, surfeurs, musiciens, frequent flyers…

Une exemple également très parlant, déjà abordé, est celui de l’App Store
d’Apple qui a permis de proposer un smartphone s’appuyant sur un système
d’exploitation très fermé (iOS), avec tous les avantages liés à la maîtrise de
28  La transformation digitale

l’évolutivité (parfois doctrinaire), tout en élaborant l’outil technologique le


plus ouvert du marché puisque chaque iPhone est différent et peut être
personnalisé à l’infini. Derrière l’App Store, se cache l’idée de plateforme
qui, par certains côtés, représente le concept le plus abouti en matière de
personnalisation : la co-construction. Finalement, je laisse un certain
nombre de paramètres ouverts dans mon objet ou mon logiciel et je laisse le
client contribuer à la « construction » de son propre produit/service. Il
existe un nom (anglais bien sûr) pour décrire le consommateur qui
co-construit : on l’appelle le tasksummer.
La plus sophistiquée des personnalisations reste la contextualisation qui
consiste à intégrer dans l’interaction de l’application avec l’utilisateur, pour
n’importe quel service ou n’importe quelle fonctionnalité, les valeurs corres-
pondant aux « when, where, with who, why, what weather… ».

L’horizontal
Il y a eu le e-business (Expédia, Amazon, Ebay…) puis le me-business
(Google, Facebook, Twitter…). Andreas Weigend (ex-Chief Scientist
d’Amazon) parle, lui, désormais de we-business : une relation nouvelle et
imbriquée entre consommateurs et entreprises. De quoi s’agit-il ?
La toute première et principale conséquence des technologies qui ont
soutenu le développement des réseaux sociaux (Facebook, LinkedIn,
Viadeo…) concerne la réduction drastique des « coûts » de transaction de la
relation horizontale entre un très grand nombre de « pairs ».
En économie, c’est Oliver Williamson (prix Nobel 2009) qui initie le
courant théorique lié aux coûts de transaction qui postule que toute tran-
saction économique engendre des coûts préalables à leur réalisation. Pour
limiter ces coûts, les agents économiques peuvent être amenés à rechercher
des arrangements institutionnels alternatifs permettant de minimiser ces
coûts pour simplifier les organisations hiérarchiques et l’entreprise.
Si les réseaux sociaux et les nouvelles formes de sourcing et de collabora-
tion qu’ils permettent s’avèrent plus efficaces pour réduire les coûts de tran-
saction que la hiérarchie et l’entreprise, nous sommes alors à l’aube d’une
organisation du travail, si ce n’est totalement, dans tous les cas beaucoup
plus horizontale qu’aujourd’hui.
À l’horizontale, la distinction entre fournisseurs, partenaires, entreprises
et clients est beaucoup plus ténue (c’est déjà un peu le cas dans les petites
entreprises comparées aux grands groupes). Les échanges entre ces diffé-
Marketing et engagement   29

rents agents économiques doivent idéalement provoquer une juste rémuné-


ration de la valeur créée par chacun.
Le we-business, c’est cette nouvelle manière de collaborer et d’échanger
des services à valeur ajoutée et les rémunérations associées. Dans cette
optique, il est bon de constater que des acteurs comme Google ou Amazon
n’ont de cesse de se positionner aux interfaces de ces nouvelles collabora-
tions en maximisant la valeur qu’ils peuvent capter :
–– Google a vampirisé le marché de la publicité par sa préemption de la
recherche et maintenant de la data ;
–– Amazon a monétisé son trafic en louant sa puissance et son savoir-faire
en matière d’exploitation informatique (lancement d’Amazon Web
Services en 2002, 1er acteur du cloud computing en 2013) et son audience
en développant les services de marketplace. Dans ce modèle, son activité
de commerçant passe progressivement au second plan.

Le consommateur média
Commençons par quelques chiffres sur le leader mondial des avis,
aujourd’hui focalisé sur le tourisme, TripAdvisor :
–– plus de 10 % des touristes dans le monde passent par TripAdvisor pour
la préparation de leur voyage ;
–– 260 millions de visiteurs uniques par mois ;
–– plus de 200 millions d’avis collectés à fin 2014.
Le débat sur la qualité et la fiabilité des avis n’a pas empêché son essor,
tant le volume d’avis pour un hôtel donné est important (exemple : Apos-
trophe Hôtel à Paris 6e - 392 avis fin 2013).
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Cette domination a très fortement contribué à la pénétration de la réser-


vation en ligne (en particulier de l’actionnaire de TripAdvisor, Expedia, qui
a su maintenir l’indépendance de sa filiale et de la marque) et à la forte
intermédiation de la distribution hôtelière (passée des agences physiques
aux agences en ligne) qui coûte très cher en commissions aux hôteliers.
Donnons deux autres exemples de la prise de parole des consommateurs
impactant lourdement les marques :
• Dans l’affaire de la viande de cheval Findus & Picard, deux marques
fortement impactées ont réagi tardivement et de manière jugée
inappropriée par beaucoup d’observateurs au regard des nouvelles règles
de la communication horizontale entre pairs : Findus en apportant un
30  La transformation digitale

démenti (« On ne nettoie pas le web, on l’alimente »1), Picard en faisant


intervenir son président, inconnu médiatiquement et d’une génération
mal adaptée aux réseaux.
• En mai 2013, Abercrombie décide de supprimer les tailles au-dessus du
38. Le lien est immédiatement fait avec la déclaration du CEO Mike
Jeffries en 2006 : « Dans chaque lycée, il y a des ados cools et popu-
laires, et puis des ados pas aussi cools. Pour le dire franchement, nous
recherchons les ados cools. Nous visons les ados séduisants, avec du
chien et beaucoup d’amis. Beaucoup de gens n’ont rien à faire dans nos
vêtements. » Un internaute crée à son tour la polémique en distribuant
des vêtements Abercrombie à des personnes sans-abri. Sa vidéo a été
visionnée par plus de 8 millions de personnes.
Chaque individu doté d’un smartphone peut émettre de l’information
écrite, visuelle ou sonore, ou la réémettre. Il pourra avec la 4G et la 4K jouer
au reporter en diffusant en temps réel sur les réseaux des « reportages »
d’une grande qualité vidéo… Malheureusement, ce n’est pas le standard
vidéo qui fait le journaliste et tous les avis ne sont pas bons à prendre. Les
réseaux sociaux ont joué un rôle essentiel dans le lancement et l’organisa-
tion des manifestations du printemps arabe. La prochaine fois, les repor-
tages seront diffusés sur la toile avant même que les forces de l’ordre n’aient
pu détruire le smartphone !
Il y a encore peu de temps, une lutte sans merci se déployait entre les
partisans de la recherche « statistique » (les moteurs de recherche au
premier rang desquels Google et Bing) et ceux de la recherche affinitaire
(Facebook, TripAdvisor…) pour lesquels l’avis de quelques amis est plus
digne de foi et pertinent que les algorithmes de classement. Mais le face-à-
face s’estompe dans la mesure où les logiques de présentation de Google
tiennent de plus en plus compte des data collectées sur l’internaute. C’est
le cas de la récente version de l’algorithme de classement de Google
« Hummingbird » qui est plus sémantique mais prend également en
compte plus de données individuelles.
Ce n’est donc pas nouveau, mais les capacités décuplées d’information, de
soutien ou de dénigrement des marques par le consommateur engagent un
dialogue de vérité ou la réalité de l’expérience du client doit être alignée avec
le discours marketing de la marque. C’est bien entendu plus vrai pour les

1. Christophe Ginisty, « Nettoyage du web : le vrai du faux », www.leblogducommunicant2-0.com,


février 2013.
Marketing et engagement   31

entreprises de services où il est si facile de perdre un client, faute de l’avoir


bien traité lors d’un dysfonctionnement ou d’une crise que pour celles
commercialisant des produits (les compagnies aériennes et ferroviaires le
savent bien). Mais cette distinction a-t-elle encore vraiment un sens ?

Plus loin dans la prise de contrôle par le consommateur


Le consommateur prend progressivement conscience du volume de
données collectées lors de ses transactions ou de ses déplacements via son
smartphone, lors de ses surfs sur le web ou l’utilisation d’objets connectés
comme ceux de WithingsTM. Cette prise de conscience peut se traduire par
deux réactions opposées :
–– une réaction d’opposition et de rejet, comme lors de la révélation du
programme PRISM de la NSA. Après tout, la mise en place de caméras
de vidéosurveillance dans les villes françaises a donné lieu à un tout autre
débat que celui sur les cookies et autres fonctionnalités plus masquées
d’iOS ou Androïd ;
–– une réaction plus intéressée de recherche de contrôle, voire de moné-
tisation de ces données : c’est les débats autour du VRM (Vendor Rela-
tionship Management). Approfondissons ce dernier sujet.
Selon Doc Searls, l’un des auteurs de « The ClueTrain Manifesto »
(www.cluetrain.com) et récent auteur d’un livre1 sur le VRM, nous allons
passer d’une « économie de l’attention » à une « économie de l’intention ».
Dans le premier cas, ce sont les marques qui cherchent à capter l’intérêt
des contacts. Nous verrons plus loin que même si le marketing bascule du
« outbound » au « inbound », ce sont les marques qui prennent l’initiative de
la sollicitation et de son contenu (cf. le ZMOT de Google).
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Dans le cas de l’économie de l’intention, ce sont les consommateurs qui


vont exprimer et développer leurs intentions d’achat et les sujets d’intérêt
(passions, hobbies…) sur lesquels ils sont prêts à être interpellés par les
marques. Les marques n’auront plus la primeur de l’initiative de la relation ;
il y aura un rééquilibrage du rapport de force, entre les deux, matérialisé au
travers de la connaissance et du pouvoir de soutien ou de détraction. Le
consommateur aura à sa main :
–– le degré de partage de ses données ;

1. Doc Searls, The Intention Economy : When Customers Take Charge, Harvard Business School
Press, 2012.
32  La transformation digitale

–– son niveau d’exposition aux informations sur les marques ;


–– son implication dans des dispositifs d’achats collectifs ;
–– son implication comme ambassadeur d’une marque.

Cons-acteur
Conseil
Test Association de
consommateurs

Place de marché

Vendeurs/
Talents/Experts
entreprises Acteurs
Écosystème
existants
VRM (éditiques,
(tiers de routeurs,
confiance) solution
Échange logicielles)
Connaissance
Achat
RFP’s

Services à la
Consommateurs Pouvoir public personne

Figure 2.5 – L’écosystème VRM

Mais le VRM, qui est un concept déjà ancien (Harvard, septembre


2006), a du mal à prendre de l’ampleur :
–– il est difficile de trouver un modèle économique pour des outils rendant
plus difficile la vie des marques sans que le consommateur soit disposé
à payer ;
–– les normes d’échange ne sont pas définies ;
–– les marques ne veulent pas d’un nouvel intermédiaire ;
–– les moteurs de recherche et les réseaux sociaux qui accumulent les
données ne souhaitent pas partager le pouvoir et vivent sur une ligne
de crête délicate entre protection des données personnelles et modèle
économique basé sur les marques (publicité).
Marketing et engagement   33

La nouvelle consommation
Après avoir analysé les transformations des comportements du consomma-
teur, attachons-nous à comprendre les grandes évolutions de la consomma-
tion. Une étude conduite par Ipsos1 fin 2013 montre le décalage qui se
creuse entre le marketing encore massivement déployé par les grandes
marques et les agences (en particulier au travers du média TV et de la grande
distribution) et la réalité de l’opinion des consommateurs :
• « Le modèle consommatoire qui inspire la pensée marketing voudrait que
le consommateur ait un intérêt pour les programmes de télévision et pour
la publicité, qu’il soit attiré par les grandes marques de produits, qu’il ait de
plus en plus de marques préférées, qu’il ait envie de dépenser, qu’il prenne
plaisir à faire ses courses et qu’il privilégie, pour ce faire, l’hypermarché. »
• En réalité, seuls 16 % des consommateurs adhèrent à ce modèle. Une
très large majorité est soit indifférente (34 %), soit s’y oppose (24 %), ou
fait preuve de lucidité et n’adhère plus aux plaisirs de la société de
consommation (26 %).
Le cas de l’hypermarché est de ce point de vue emblématique :
• Avant le déploiement du Drive, le hard-discount a pris environ 1 % de
part de marché annuelle de 1990 à 2005 : les deux promesses étant le prix
et la simplicité/rapidité (moins d’assortiment).
• Le Drive fait gagner du temps à l’achat avec un assortiment bien plus
large : la progression du Drive se fait en parallèle d’une chute du hard
discount pourtant paradoxale en temps de crise.
• Malgré cela, certaines enseignes parlent encore de « réenchantement
de l’hypermarché » alors qu’il est loin le temps de la fascination des
consommateurs pour la nouvelle abondance au sortir de la guerre et que
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

seules comptent, pour la plupart des consommateurs, l’efficacité et la


rapidité de ces courses devenues calvaires.
Est-ce pour autant la fin des marques ? Évidemment Non.
Selon la même étude, les Français aiment les marques :
–– ils les considèrent innovantes à 72 % ;
–– elles leur donnent envie et sont sérieuses à 64 % ;
–– elles font plaisir (63 %).

1. Etude Ipsos « Publicité & Opinion » pour Australie, novembre 2013.


34  La transformation digitale

Mais, et c’est là que le bât blesse :


–– elles sont, pour 61 % des consommateurs, banales ;
–– elles donnent moins d’envie que par le passé (46 % d’accord contre
45 % pas d’accord) ;
–– elles apportent moins de plaisir (45 % contre 42 %).
Résultat : 69 % des interrogés estiment qu’en cas de disparition, ils ne
regretteront pas le plaisir qu’elles apportent dans le processus d’achat. Bien
entendu, il est délicat de faire la part entre les évolutions conjoncturelles
liées à la situation de crise et des évolutions plus structurelles. Notons qu’au
regard de la durée de(s) crise(s), la notion d’évolution conjoncturelle est
discutable. Après tout, à l’échelle de temps de l’entreprise, ces évolutions
conjoncturelles peuvent entraîner des transformations et des déclassements
structurels.
Que peuvent et doivent devenir les marques dans cette nouvelle donne ?
Le seul changement irréversible, c’est celui du gain de pouvoir des
consommateurs. Inutile de rêver, le temps des marques incontournables,
subtil mélange entre rêve et solution, vecteur identitaire et garantie de
qualité et de sérénité, utiles aux actionnaires et aux consommateurs est
révolu. S’ouvre une ère où les marques peuvent conserver une réelle attrac-
tivité, mais au prix d’un travail de détail en permanence avec tous les
contacts… sans que rien ne soit définitivement acquis car sur le web rien ne
disparaît. C’est le phénomène de « longue trace ».
Ainsi, si les consommateurs deviennent des médias, si la principale
information qu’ils diffusent concerne leur expérience de marque, la marque
devient ce que les gens vivent et disent. Ainsi, l’expérience et la relation
client sont au cœur de l’image de marque. Comme nous le verrons plus
loin, dans les erreurs commises par ceux qui ont dirigé des entreprises, qui
ont raté une évolution majeure de leur marché, l’erreur de représentation
de la réalité est probablement la plus importante. Il en va de même pour
l’expérience et la relation client : le risque majeur consiste à se projeter une
vision idéalisée du client, plutôt que les éléments factuels.
Mettre le client au centre est souvent douloureux, voire parfois humi-
liant. À la grande époque du redressement de British Airways, le CEO
demande à un cinéaste de filmer chaque semaine une douleur client à
Londres-Heathrow. Tous les lundis, le Comex démarre par la projection de
ce film très court puis le cinéaste se retire sans faire aucun commentaire. Les
douleurs clients deviennent alors vite celles du Comex !
Marketing et engagement   35

Prenons un exemple plus proche de nous avec le dispositif de « la voix du


client » chez Leroy Merlin. 500 correspondants du service client dans les 140
points de ventes pour une plus grande proximité et une réponse en 48 heures
maximum : une boucle courte et locale vertueuse pour le consommateur (proxi-
mité) et pour les collaborateurs de Leroy Merlin (je comprends et je m’améliore).

L’excellence dans le commerce


Toutes ces nouveautés n’ont de sens que si elles accroissent chiffre d’affaires et
marge. Le cœur du sujet reste donc le commerce avec ou sans « e- » comme préfixe.
Contrairement au multicanal qui voyait se juxtaposer les canaux avec une
connaissance client partagée, l’omnicanal croise les expériences pour créer des
parcours innovants ou chaque canal se complète : le magasin point de retrait
du web, le mobile source d’expérience augmentée dans le magasin… Mais
c’est avant tout la victoire du digital comme continuum d’interaction entre
les canaux : nous baignons en permanence dans une atmosphère IP qui assure
le lien et l’intelligence de nos parcours et de nos expériences.
La consommation de linéaire devient circulaire. Le tableau ci-dessous
montre bien la cohabitation des canaux dans les parcours.
100 %
8

90 % 22 21
24
27
37
80 % 42
46
41 56
70 %

76 78
60 % 80
83

53
50 %
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

66
57 65
40 %
57
100 % Offline
50
30 %
45 Processus
51 39 d'achat panaché
20 % 100 % Online
25 22 20
10 % 18
15
16
13 11 9 8
6 5
0% 2 2 2 2
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Pr

Figure 2.6 – Le mix des canaux en fonction des produits ou services


36  La transformation digitale

Le premier secteur à avoir développé le online est le transport de passa-


gers (vols et trains). Après 15 ans de présence en ligne, le pur offline a
presque disparu et le pur online ne représente « que » 51 % des ventes mais
bien entendu les délais de mutation se sont considérablement accélérés
depuis 1995-2000. Tout le monde s’accorde néanmoins à dire que le
physique a encore de beaux jours devant lui.
La figure 2.7 montre aussi une belle imbrication des canaux dans les diffé-
rentes étapes du processus d’achat (marché américain mars 2014). Même si le
site web domine encore le closing de la vente, le mail n’a pas dit son dernier mot !

Website (e-commerce) 32 % 21 % 42 % 5%
Email Marketing 15 % 49 % 30 % 6%
Search Marketing 43 % 30 % 17 % 10 %
Social media (not paid) 38 % 44 % 4% 14 %
Online display advertising 42 % 35 % 5% 18 %
Social display advertising 40 % 33 % 4% 23 %
Print advertising 37 % 33 % 6% 24 %
Direct mail 19 % 32 % 20 % 29 %
Mobile application 17 % 32 % 20 % 31 %
Radio 26 % 22 % 4% 48 %
TV 33 % 12 % 5% 49 %
SMS text messaging 13 % 18 % 12 % 57 %

Greeter - Influencer - Closer - N/A -


creates awareness generates interest gets the sale do not use

Source : Experience Marketing Services

Figure 2.7 – Le rôle des médias dans le commerce

La difficulté du e-commerce (nos acteurs locaux le vivent tous les jours)


réside dans le fait qu’un des quatre GAFA relève chaque jour un peu plus la
barre en matière de commerce en ligne.
Que faut-il retenir du cas Amazon1 ?
• Everything from A to Z : à l’origine d’Amazon, son fondateur Jeff Bezos
a d’abord eu l’intuition de ce qui allait être théorisé plus tard sous le
terme de « longue traîne »2 : si la courbe des ventes suit une courbe
logarithmique entre best-seller et introuvable, il y a beaucoup d’argent
à faire en vendant peu cher un très grand nombre de produit (iTunes,
Netflix et bien d’autre suivront).

1. Brad Stone, Amazon : la boutique à tout vendre, First, 2014.


2. Chris Anderson, Long Tail: Why the Future of Business is Selling Less of More, Hachette Books,
2008.
Marketing et engagement   37

• Contrairement aux contenus digitaux, Amazon commercialise essentiel-


lement des produits physiques qu’il faut stocker et expédier : le deuxième
concept, associé dès le début à Amazon, est l’excellence du stockage et de
la logistique.
• La fiabilité du site et du processus de vente et d’après-vente fut vite
indiscutable, conférant à Amazon un savoir-faire et une réputation en
matière de développement de plateforme et d’exploitation d’infra-
structure qui lui permettront de devenir la première marketplace et le
numéro 1 mondial du cloud (avant les leaders de l’IT comme IBM ou
Microsoft).
• Le site lui-même n’a rien de sexy, mais des nouveautés qui procurent
chacune un vrai saut qualitatif en matière d’expérience client appara-
issent régulièrement, à un rythme savamment entretenu :
–– Le « 1-Click ordering » et la possibilité d’aller encore plus loin avec le
récent brevet sur l’expédition avant la commande !
–– Le « No question asked » qui impose au commerce en ligne des condi-
tions très généreuses en matière de retour, ce qui n’est pas sans poser
problème aux acteurs de moindre taille.
–– La forfaitisation des frais d’expédition (Premium en France à 49 euros
par an et livraison en 24 heures), service déficitaire compensé par une
plus grande fréquence d’achats (+ 40 %).
–– Le « Personalized recommendations engine - AMABOT », d’abord
basé sur les cookies et le profil de l’internaute, maintenant sur les
big data et les profils conso accumulés procurant un vrai plaisir
au consommateur qui peut goûter la pertinence et l’intérêt des
suggestions.
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–– Le «  Amazon wish list bookmark button  » qui est maintenant complété


par une fonctionnalité de reconnaissance d’objets sur les applica-
tions mobiles Amazon. Comme nous le confiait Gérard Brémond
(Président de Pierre&Vacances-Center Parcs) : « la première étape
pour Pierre&Vacances consiste à ce que mon catalogue se retrouve
sur la table basse du salon ». Vingt ans plus tard, Amazon invente
la version digitale en permettant d’identifier sur le web (bouton)
ou chez un ami (application) un objet ou un livre qui m’intéresse
et que je peux stocker dans ma liste d’envies ou commander. Le
rêve de tout commerçant est en marche : transformer le monde en
supermarché !
38  La transformation digitale

–– Un pricing de plus en plus dynamique1… sur des critères de plus en


plus opaques !
• La commercialisation de ses savoir-faire de distributeur grâce à l’offre
marketplace et de ceux d’opérateur technologique au travers de l’offre
web-services et cloud.
La difficulté réside également (et surtout) dans l’inefficience économique
du modèle commerçant puisque la (faible) marge (quand elle existe)
d’Amazon est générée par les revenus de la marketplace et du cloud. À ce jour,
les e-commerçants n’ont pu suivre Amazon que sur l’offre de place de marché
avec des succès mitigés. Il paraît donc impossible d’offrir une telle générosité
de services (et de prix parfois) dans un modèle de commerçant pur.
Enfin, le dernier paramètre est celui de la taille, mais sur celui-ci, Amazon
pourrait bien être battu par un acteur… le « eBay » chinois Taobao :
–– 100 milliards de dollars de revenus ;
–– 1 800 millions de visiteurs uniques par mois ;
–– 80 % du marché CtoC chinois ;
–– 50 % du marché BtoC.
Faut-il en conclure que face à ces géants, la bataille est perdue ?
Probablement pas, à condition de se battre avec ses propres armes et non
avec celles d’Amazon :
• Difficile à battre en tant que distributeur généraliste, Amazon peut l’être
sur la plupart de chacune de ses catégories.
• Les marques possédant une empreinte dans le monde physique
(boutique, showroom…) peuvent construire une expérience omnicanal
procurant davantage de plaisir à consommer et adossée à un plus fort
niveau de réassurance.
• Les opérateurs de services (l’hôtellerie par exemple) peuvent construire
des parcours où l’usage de leurs applications par les clients se traduira par
un degré de personnalisation et de reconnaissance beaucoup plus
important que pour les clients ayant choisi de passer par les distribu-
teurs : je peux, par exemple, paramétrer mes attributs en matière
d’éclairage (LEDS), de son et d’image (ma musique est sur iPhone ou sur
Samsung…) dans ma chambre d’hôtel.

1. Prix adaptés jusqu’à 2,5 millions de fois par jour selon le cabinet Profitero sur des critères
comme l’utilisation d’un PC ou d’un Mac…
Marketing et engagement   39

• Dans tous les cas, il s’agit d’être authentique et conforme aux valeurs de
la marque sans chercher à mimer les partis pris des leaders du digital.
Prenons l’exemple de la FNAC. Les attributs intimes de la marque
FNAC sont : agitateur d’idées, les fondateurs, je lis ma BD… sans
l’acheter, les essais comparatifs du Lab et la passion des vendeurs…
avant le commissionnement des fabricants. Que retrouve-t-on de ces
attributs sur Fnac.com ? Amazon s’est approprié le « no question
asked » ; Which ? en Angleterre, montre la voie des tests en ligne pour
aller au-delà des comparateurs de prix.

Le marketing dans tous ses états

Bonne nouvelle : tout ou presque peut-être réinventé dans le marketing :


ses missions, son positionnement et ses moyens.

Tableau 2.1 – Le marketing réinventé

Demain (déjà)
Connaissance client Connaissance contacts et utilisateurs
Tendances marchés Tendances marchés et technologies
Design produit Design expérience utilisateur
Branding Communautés
Publicité Conversation
Agences Écosystème de partenaires
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Pricing et promotion Dynamic pricing


Campagnes marketing Marketing automatisé
Vendeurs Facilitateurs
Service de relation client Réseau social
Multicanal (fluidité entre les canaux) Omnicanal (le client digital-
connected cross-canal)
Segmentation client (socio-démo, RFM…) Traces d’inconnus et big data
Projet systèmes d’informations Learning by doing
Personnalisation Contextuel et prédictif
40  La transformation digitale

Il nous faut inventer un nouveau marketing : celui de la relation.


• L’intérêt pour le consommateur ne se limite plus au client et à ses achats,
mais à l’ensemble des contacts collectés sur les différents points d’interaction.
• Le marketing de la relation, c’est un marketing qui n’est plus ponctuel,
mais continu.
• Il allie le fonctionnel (répondre aux usages, enchanter l’expérience) et le
symbolique.
• Il s’attache à la preuve et favorise la communication horizontale.
• Il aligne les valeurs et le positionnement corporate, la communication et
les actes de la marque.
Philippe Moati insiste : « Le caractère ponctuel et anonyme de la tran-
saction laisse place à une relation à la fois plus dense et plus épaisse, riche en
interactions, qui s’inscrit dans la durée et conduit à une co-production de
l’objet échangé qui ne pré-existe pas dans sa forme définitive à l’établisse-
ment de la relation. »1

Moins de produit seul, plus d’expérience


Vous pensez peut-être, et à juste titre, que l’iPhone est un produit et c’est
même le succès le plus fulgurant qu’ait connu un objet depuis l’après-
guerre. C’est indéniable. Steve Jobs se méfiait énormément des focus
groupes car les innovations de rupture ne viennent jamais des clients. Pour
autant, quand Apple a réinventé le smartphone, il ne l’a pas conçu comme
un produit seul, mais comme « une expérience » : le doigt comme pointeur,
les applications, la musique connectée, les photos partagées… En compa-
raison l’écosystème audio d’Apple avec Airplay et la télécommande Remote
est loin de bénéficier de la même attention car encore trop conçue comme
une solution technologique.
Mais la notion d’expérience et de service qui prévalait au digital voit son
rôle s’élargir :
–– le consommateur devient partie prenante dans les phases amont de
conception et de finalisation des offres et d’amélioration de celles exis-
tantes ;
–– sa contribution vient enrichir l’offre pour lui et pour les autres consom-
mateurs ;

1. Philippe Moati, La nouvelle révolution commerciale, Odile Jacob, 2011.


Marketing et engagement   41

–– en partageant des situations bien réelles où son produit-service est


impliqué, il donne corps à l’utilité et à la valeur émotionnelle de son
offre ;
–– il imagine de nouveaux domaines d’applications ou de nouvelles manières
d’utiliser son offre : en vous aidant à progresser il se valorise et vous valo-
rise comme marque humble, à l’écoute et qui n’a pas la science infuse ;
–– il peut jouer un rôle actif dans l’assistance auprès des autres utilisateurs.
Il est intéressant de pousser le concept de marque dans la logique colla-
borative jusqu’à en faire un intermédiaire universel. Laurent Habib écrit à
ce sujet : « Les marques vont devenir les intermédiaires par lesquels nous
passerons pour définir nos besoins, accéder à des bouquets de services
personnalisés, réunir les prestataires nécessaires, nous mettre en relation
avec d’autres consommateurs pour partager nos expériences, suivre l’évolu-
tion de notre consommation et évaluer notre satisfaction par rapport aux
objectifs fixés (la notion de « résultat » devenant déterminante dans le
succès des offres) »1.
Cette définition donne de la marque une image positive et incontour-
nable. De quoi satisfaire la majorité des directeurs marketing.
Kevin Roberts2 ajoute : « À l’ère ancienne du néomarketing, tout tour-
nait autour de votre produit. Aujourd’hui, tout tourne autour de la maîtrise
de la communication émotionnelle, pas de la manipulation, dans l’établis-
sement et le maintien de relations, et autour de la seule question que vous
posent les consommateurs : comment allez-vous améliorer ma vie ?
Répondre à cette question à une valeur inestimable. »

« Brand connection »
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Jean-Noël Kapferer donne une définition très pragmatique de la marque :


« La marque est le point d’ancrage de toutes les impressions positives et
négatives formées par l’acheteur au fil du temps ».
Nous avons entrepris de voir dans quelle mesure l’utilité et les rôles joués
par les marques sont ou seront transformés par le digital.

1. Laurent Habib, La Force de l’immatériel, Puf, 2012.


2. Kevin Roberts, Lovemarks, Powerhouse Books, 2005.
42  La transformation digitale

Tableau 2.2 – Le digital, facteur d’ajustement des promesses de marques

Identité de marque Impacts du digital

Vecteur identitaire et social Moins de modèle, plus de consommateurs


(amplifié par leur potentiel et statut de média)
Beauté et utilité La perfection est accessible et fait encore rêver le
consommateur (Apple bien sûr, mais même les
gâteaux peuvent être beaux, comme :
http://leclairdegenie.com !)
Styliser sa représentation Paradoxal mais réel : la marque propose et laisse
extérieure et sa vie : respecter les de la marge de manœuvre aux clients pour sa
codes tout en personnalisant son personnalisation
image
Garantie de qualité, d’expérience Les avis et la communication horizontale sont,
in fine, les seuls arbitres
Moindre risque de déconvenue, Moindre importance quand le zéro défaut
de se tromper devient un standard (électronique grand
public…)
Facilité de choix Les limites de l’abondance et de la recherche
Google : je demande conseil à mes amis
Tagguer l’expérience tout au long L’expérience client 360/365j devient le cœur de
du cycle de vie promesse
Marqueur sociétal et éthique, Puissant mais dangereux : attention au durable/
donner du sens responsable/green « washing »

Alors, faut-il croire Sean Moffitt et Mike Dover qui ont développé le
concept de Wikibrand, marque collaborative qui succède à la Lovebrand,
marque « aspirationnelle » qui associe histoire et expérience originale ?
Oui, probablement en partie. Le consommateur veut participer et co-pro-
duire, mais il n’a pas que ça à faire et il adore zapper. Gageons que les
marques qui sauront développer le bon niveau d’écoute et de contribu-
tion du consommateur pourront conserver un degré raisonnable et suffi-
sant de fascination.
Pour entretenir la fascination, la marque doit se voir comme un média.
Face à la masse d’informations disponibles pour les consommateurs (dont
celles qu’ils produisent eux-mêmes car ils sont aussi des médias), la marque
doit produire et distribuer son information.
Marketing et engagement   43

Elle doit le faire pour que la qualité de son information améliore son
ranking et son attractivité sur les moteurs de recherche et autres compara-
teurs de prix :
–– le développement de la recherche sémantique (Facebook graph, nouvel
algorithme Google…) intensifie encore cette nécessité ;
–– l’écosystème de Google nécessite de bien gérer son empreinte Google
car tout est pris en compte : j’apparais mieux sur Google Maps si j’ai
un compte Google+ ; comment influencer l’auto-complete du champ
de recherche ou le contenu du knowledge graph affiché sur la droite de
la page de résultat ?
Elle doit le faire car les informations disponibles sur une marque
prolifèrent et ne sont pas toutes bienveillantes !
Elle doit être à la fois un média « broadcast » et un média ciblé car elle
peut accumuler de plus en plus d’informations sur les comportements,
goûts et intérêts de ses contacts.
Elle doit enfin emboîter le pas des nouvelles formes de consommation
média :
–– l’information chaude (dernière dispo en magasin, promo flash…) ;
–– le fil d’info continue (à l’écoute du monde…) ;
–– les différents supports et formats (mobile, réseaux sociaux, vidéo, anima-
tion, jeu…) ;
–– l’événementiel (retransmission d’un défilé…) ;
–– l’approfondissement (white paper…)…
Dans les exemples souvent cités, il y a celui de Redbull et de sa Brand
Content Factory. Le positionnement de boisson énergétique a naturelle-
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ment conduit Redbull à s’impliquer dans le sponsoring des sports


extrêmes puis à développer et produire des compétitions visant les perfor-
mances extrêmes (concours de plongeons par exemple). Le cas Redbull est
néanmoins un cas à part dans l’univers du brand content pour deux
raisons :
–– la production de contenu vidéo sur les sports de l’extrême est devenue
un business à part entière : Redbull comblait en cela un besoin mal servi
des médias (il n’y en a pas beaucoup !) ;
–– la nature de l’événement et le travail fait par Redbull autour du saut de
Felix Baumgartner (campagne Stratos) ont constitué un sommet d’émo-
tion et de rêve pour le monde entier.
44  La transformation digitale

Figure 2.8 – Repousser les limites : l’homme supersonique

Outside In : le marketing BtoB lui aussi doit changer


Ainsi, le marketing s’éloigne du push intrusif pour aller vers le pull : c’est
l’inbound marketing. Intéressons-nous ici au cas du marketing BtoB : le
brand content, les réseaux sociaux et l’inbound marketing y connaissent un
fort développement.
D’après une étude de la FEVAD1, le canal web est très largement utilisé
par les acheteurs professionnels pour la préparation des achats :
–– 95 % utilisent les sites Internet des fournisseurs, 71 % les newsletters
ou e-mails ;
–– 51 % les comparateurs de prix ;
–– 26 % les blogs, forums ou réseaux.
87 % des entreprises (et 65 % des professionnels) commandent sur
Internet (32 % de façon exclusive) : plus l’entreprise est petite plus Internet
est exclusif. 51 % continuent à consulter le catalogue papier (en hausse de
9 points vs. 2009 !). Concernant le suivi des commandes, elles sont 53 % à
utiliser Internet et 29 % le font par téléphone.

1. Baromètre Fevad 2013 sur le comportement d’achat des entreprises en collaboration avec
CCM Benchmark.
Marketing et engagement   45

L’Internet mobile (mobiles ou tablettes) n’est encore utilisé que par 15 %
des professionnels. Catalogues, visites en showroom et visite d’un commer-
cial sont de moins en moins souvent utilisés, même s’ils restent encore très
présents :
–– catalogues : 33 % moins souvent vs. 22 % plus souvent ;
–– commercial : 52 % vs. 9 % ;
–– showroom : 52 % vs. 15 %.
Ainsi les principaux enjeux du marketing BtoB évoluent progressive-
ment vers une logique où « on ne vend plus, c’est le client qui achète » :
• Adieu le push, vive le pull : on doit intéresser le client et l’attirer par du
contenu (blog, livres blancs, catalogues, reportage, interview, support,
témoignages…) et des conversations (Twitter pour le support client,
LinkedIn pour les portails et communautés métiers…).
• Divertir et éduquer avant de vendre : pour intéresser, il faut étonner et
divertir.
• On ne parle pas de ses produits… tout de suite : penser douleurs et solu-
tions plutôt que produit.
• On doit penser et agir comme un éditeur : nouveau et pas simple : je suis
un média.
• Qui dit éditeur et média dit nouvelles ressources et nouvelle culture : en résumé,
très éloigné du marketing produit et de la culture publicitaire classique.
• On fonctionne en temps réel : de la vision 360° à la vision 365 jours.
Ces nouveaux enjeux ont de nombreux impacts pour les équipes marke-
ting en premier lieu, mais pas uniquement :
–– ré-allocation des ressources : réorienter les dépenses marketing… mais
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

sur des supports à la fois plus soft et simple à piloter (ROIstes) ;


–– changer l’équipe ou la former : les réseaux sociaux ont entre 4 et 10 ans ;
–– s’adapter au temps réel : faire de la nouveauté en permanence, mesurer
le bruit social, réagir vite ;
–– intégrer le mobile : penser multidevices et responsive design ;
–– susciter des conversations autour de la marque et non sur la marque.
Ainsi le processus commercial et marketing BtoB digitalisé peut-être
schématisé comme sur la figure 2.9.
46  La transformation digitale

Identification
leads
Capture Développement
données Définition Négociation
partie- Qualification approche Closing
prenante commerciale Fidélisation
Capture
données lead

Lead capture Approfondissement Closing

Data leads Enrichissement Données CRM


Data clients data

Cycle de fidélisation

Figure 2.9 – Le processus commercial et marketing BtoB

Source : Inbound Marketing Funnel Do’s and Don’ts par Aaron Aders. Digital relevance™, février 2013.

Figure 2.10 – Le TOFU, le MOFU et le BOFU


Marketing et engagement   47

À chaque étape doivent correspondre des contenus de natures diffé-


rentes afin de captiver en amont pour mieux conclure la vente en aval : c’est
le TOFU (Top of the funnel), MOFU (Middle of the funnel) et BOFU
(Bottom of the funnel).
On peut donc prédire une convergence de plus en plus forte des
processus commerciaux et marketing du BtoC et du BtoB. C’est déjà très
avancé pour l’immatériel comme le software en mode SAAS.
Le tableau ci-dessous reprend une comparaison des attributs clés des
processus commerciaux BtoB et BtoC.

Tableau 2.3 – BtoB vs. BtoC

Utilisateurs / acheteurs BtoC Utilisateurs / acheteurs BtoB Impacts digital

Collecte de datas sur le


Décideurs Individu Plusieurs personnes besoins ET les individus partie
prenante

Gestion continue de contact,


Délai de décision Court/transaction Long/négociation contenu et consulting vs.
coupons

Étapes dans la Aucune (mais longue Plusieurs étapes Créer des RDV dans la gestion
décision recherche) des contacts

Coût du produit/ Très bon ROI de


Faible - moyen Élevé l’automatisation
service

Prix négocié ou Vraie différence mais


Définition du prix Prix au détail apparition des freemium
contractuel (software)

Recherche/comparaison Recherche/collecte Contenu et présence sur les


Utilisation d’Internet
des prix d’informations/évaluation r reseaux pour l’inbound

Google avec son concept de ZMOT (Zero Moment of Truth, extrapolé


du FMOT, First Moment of Truth de Procter & Gamble) offre un cadre
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

unifié aux approches BtoC & BtoB en pointant la bataille essentielle de


tous les commerçants : le moment où le client ayant reçu un stimulus va
entrer en recherche d’informations et d’avis avant même de solliciter le
commerçant.
Ainsi, la relation client enchaîne un nombre de plus en plus important
de moments de vérité. Le nombre de moments de vérité tout au long du
parcours client augmente et, heureusement ou malheureusement selon le
cas, le dernier moment de vérité remet, au moins partiellement, les comp-
teurs à zéro.
48  La transformation digitale

Figure 2.11 – Google et le ZMOT

Prenons l’exemple de l’achat d’une voiture : un internaute se renseignant


sur Autolib est peut-être un parisien qui s’interroge sur la nécessité de posséder
une voiture plutôt que de basculer sur l’usage avec Autolib. Le constructeur
automobile doit pouvoir rentrer en conversation avec ce contact. À l’autre
bout de la chaîne, et ce phénomène est bien connu des marques, les commen-
taires postés par les clients sur les réseaux sociaux fournissent une mine d’in-
formations à celui qui se renseigne avant de venir en succursale.
Parler à un client potentiel bien en amont de l’achat suppose d’utiliser
une gamme beaucoup plus large de contenus, de média et de tonalités de
communication. Il s’agit ainsi de divertir, d’inspirer, d’éduquer, d’assister et
de convaincre. Sur ces cinq dimensions, près de 30 typologies de contenu
peuvent être activées afin d’engager le consommateur.
Rater ces moments de vérité c’est arriver souvent après la bataille. Or, les
outils utilisés par l’acheteur BtoB ou le consommateur convergent :
–– réseaux sociaux : Facebook ou Twitter pour le consommateur, LinkedIn,
Pinterest ou slideshare pour l’acheteur ;
–– moteurs de recherche ;
–– blogs ;
–– comparateurs de prix.
Marketing et engagement   49

Changer son business model


Nous l’avons vu en introduction de cette première partie, le digital favorise
le développement de nouveaux (enfin presque) business models dont certains
font écho à la période économique difficile que nous vivons :
–– le passage de la propriété à l’usage ;
–– l’abonnement ;
–– le partage ou l’échange ;
–– le « croud everything » ;
–– la « gratuité » conditionnelle.
L’entreprise se doit de revisiter son portefeuille d’offres et de services
pour évaluer l’impact et les opportunités générés par ces nouveaux
modèles.
Mais, la remise en cause doit aller plus loin. En effet, les innovations de
rupture sont souvent issues d’industries différentes1, les technologies digi-
tales (en particulier le smartphone) jouant le rôle de passerelle entre deux
univers.
Prenons deux exemples :
• La voiture connectée qui, par la collecte des données détaillées de
conduite, permet aux constructeurs automobiles de construire des
offres d’assurance d’un nouveau genre, moins basées sur l’historique
de sinistralité (en possession des assureurs) que sur la modélisation du
profil de conduite.
• Google qui par l’acquisition de Nest couplée à son savoir-faire en intel-
ligence artificielle, modèles prédictifs et gestion des données, vient
percuter de plein fouet les acteurs historiques de la domotique et de la
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maison intelligente (Schneider, Somfy…).


Tous les acteurs de la disruption se posent la question suivante : sachant
que le consommateur possède la capacité de mesure (capteurs), de calcul
(processeur) et de connexion du smartphone (le consommateur
« augmenté »), comment puis-je d’une part amplifier la profondeur et l’in-
telligence des services et des produits que je lui procure et d’autre part
dérouler une interaction dans laquelle tout ce qui peut être interpolé pour
lui simplifier la vie est en place ?

1. Bertrand Petit, Changez de business model, Éditions Kawa, 2014.


50  La transformation digitale

Il faut raisonner en dehors des limites actuelles du business (« Innovation


came from the fringe »), ce que peuvent faire des nouveaux entrants, changer
la mission de l’entreprise.
Il est utile ici de rappeler le célèbre livre Blue Ocean Strategy1 qui donnait
les clés pour conduire des stratégies de création de nouveaux marchés
« bleus ». Malheureusement, il n’était pas toujours facile de passer du livre à
la pratique. Or, le digital procure aux entreprises les moyens de dérouler des
stratégies « océan bleu » efficacement :
• Analyser l’innovation frugale et les modèles low cost, qui sont des sources
utiles d’inspiration.
• Grâce à la « clé » du consommateur augmenté, explorer des offres ou des
compétiteurs alternatifs en dehors des marchés existants est une chose
devenue accessible.
• Observer les mouvements stratégiques des leaders, par exemple Nike+ :
athlètes professionnels, pratiquants réguliers, entraînement chez soi,
bien-être… « If you have a body you are an athlete ».
• Analyser la chaîne de valeur fournisseurs/acheteurs/utilisateurs, souvent
transformée par le digital.
• Explorer des produits ou services additionnels sur les offres existantes
(Schneider ou SEB).
• Analyser le contenu émotionnel et fonctionnel du secteur et penser
simplification.
• Ne pas raisonner uniquement court terme, penser aux tendances à
moyen et long termes et anticiper leur mise en pratique (ou préparer le
terrain) :
–– objets connectés et big data ;
–– personnalisation et contextualisation…

1. W. Chan Kim, Renée Mauborgne, Stratégie océan bleu, Pearson, 2010.


Marketing et engagement   51

Le marketing dans tous ses états


Certains voient dans la révolution digitale actuelle une nouvelle ère du
capitalisme : après le développement des usines (les produits de grande
consommation) puis celle du consommateur (l’avènement du marke-
ting), voici celle de l’information et de la donnée (la personnalisation
et le temps réel). Les changements à l’œuvre nous paraissent tirés par
5 grands phénomènes :
• Les nouveaux consommateurs
–– Le phénomène des tribus : analysés dans son célèbre ouvrage par Seth
Godin les comportements tribaux ont connu un développement
fulgurant avec la démocratisation des réseaux sociaux.
–– L’être permanent, l’ubiquité : nous sommes connectés et joignables
partout ; Permanence : nous sommes connectés et joignables tout le
temps ; Individualité : notre mobile nous identifie de manière unique.
–– La personnalisation : avec les data, une nouvelle ère de la gestion de la
relation client s’est ouverte.
–– L’horizontal : après le e-business puis le me-business (d’après Andreas
Weigend), voici le we-business : une relation nouvelle et imbriquée
entre consommateurs et entreprises.
–– Le consommateur est un media : chaque individu doté d’un
smartphone peut émettre de l’information écrite, visuelle ou sonore,
ou la transmettre. Il pourra avec la 4G et la 4K jouer au reporter en
diffusant en temps réel sur les réseaux des « reportages ».
–– Aller plus loin dans la prise de contrôle par le consommateur : le
consommateur prenant conscience de la valeur de ces données pourra
chercher à les monétiser.
• La nouvelle consommation : entre crise et évolution sociétale, la
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consommation se transforme. Le digital constitue souvent un accélérateur


comme ce fut le cas avec le low cost.
• L’excellence dans le commerce : les leaders du commerce en ligne, tel
Amazon, définissent les nouveaux standards, mais l’omnicanal recèle un
vrai potentiel pour les acteurs du commerce physique.
• Le marketing dans tous ses états : moins de produit seul, plus
d’expérience. Sans sonner la fin des lovebrands, l’expérience constitue une
part de plus en plus importante de la marque. Outside in : le marketing
BtoB lui aussi doit changer.
52  La transformation digitale

• Changer son business model : toutes les entreprises où presque vont devoir


revisiter leur business à l’aune des nouveaux modes de consommation :
–– le passage de la propriété à l’usage ;
–– l’abonnement ;
–– le partage ou l’échange ;
–– le « croud everything » ;
–– la « gratuité » conditionnelle.
3
L’expérience client

La concurrence des canaux est dépassée


Première certitude : la part des clients parcourant le web après une envie
ou un stimulus (ZMOT de Google) pour s’informer et comparer est en
forte croissance. Chez Darty, 80 % des visiteurs qui rentrent dans un
magasin se sont auparavant rendus sur le site Internet. Aux États-Unis,
selon une étude Forester, les ventes en magasins influencées par le online
croissent plus vite que les ventes online.

2014
Ventes Online 8%
Ventes Offline influencées par le Online 41 %
Ventes Offline non influencées par le Online 51 %

$1,812
$1,780
$1,741 $1,771
$1,723
$1,672

$1,552 $1,660
$1,429
$1,206 $1,320
$1,103

$202 $226 $252 $278 $304 $327

2011 2012 2013 2014 2015 2016

Figure 3.1 – La part des ventes offline influencées par Internet


aux Ètats-Unis
54  La transformation digitale

Deuxième certitude : le digital a gagné ou va gagner la bataille du canal


d’interaction universel. La faute en revient au smartphone : grâce à lui, le
consommateur va naviguer en permanence dans une atmosphère IP ou son
smartphone et les objets communiqueront pour offrir une expérience
nouvelle et exclusive. Ainsi, le monde devient un supermarché et je profite
d’une expérience sans couture entre ma maison, mon bureau, les espaces
publiques, les galeries commerciales et les magasins.
Même si, nous l’avons vu plus haut, une part prépondérante des achats
se fait avec un mix de canaux online et offline, il reste difficile de prédire ce
que deviendront les lieux physiques mono ou multimarques :
–– des showrooms où je pourrai prendre rendez-vous pour une démonstra-
tion personnalisée que j’aurai pris soin de préparer en ligne ;
–– des points de collecte partagés entre plusieurs marques et gérés par des
leaders de la logistique (y compris Amazon) ;
–– des centres de services pour me faciliter la compréhension du produit et
répondre à toutes mes questions.
La mise en place d’une expérience sans couture entre les différents
canaux et grandement facilitée par le « port » permanent du smartphone
sur soi, par la généralisation des espaces connectés (4G, protocole dédié aux
objets connectés comme celui de la start-up française Sigfox, technologies
de localisation indoor, Beacon…). Mais aussi par le cloud qui permet de
transporter (rendre accessible) les data entre les devices et dans tous les lieux
où se situe le consommateur. A contrario, la logique du « couteau suisse »
n’est pas la bonne : la force des applications reste leur simplicité et leur utili-
sation possible sans manuel ni temps d’apprentissage. L’avènement du
responsive design est là pour rappeler l’importance du design et du beau et
la force de l’explicite.
Les cinq grands enjeux du digital in store sont :
–– améliorer l’expérience shopping et traiter les « irritants » (tout ce qui fait
renoncer à un achat) ;
–– renforcer l’attractivité en injectant du « fun », du ludique et de l’im-
prévu (étonner : « Unexpected shopping » SoOuest d’Unibail) ;
–– susciter la fierté d’appartenance à la marque en impliquant l’interne (en
particulier les vendeurs) ;
–– s’adapter en permanence à l’évolution des usages facilitée par l’arrivée de
nouvelles fonctionnalités et de nouvelles technologies ;
L’expérience client   55

–– segmenter la présence physique entre le vaisseau amiral (« flagship ») et


le point de retrait ou de distribution automatisé (dont l’expérience doit
aussi être travaillée) pour optimiser le retour sur investissement dans le
physique.
Voici une liste non exhaustive d’exemples de fonctionnalités pouvant
être offertes à l’utilisateur en magasin :
–– s’orienter dans le lieu de vente ;
–– simplifier et éclairer le choix avant l’achat (parcourir le catalogue d’offres
et de services, découvrir, tester, configurer et interagir avec les produits
et services, rendre le repérage de l’offre plus facile) ;
–– être conseillé ;
–– rendre les prix plus lisibles et accessibles et comparer les prix ;
–– découvrir l’univers de la marque, se divertir ;
–– étonner par la personnalisation ;
–– partager ses choix ou ses interrogations avec des amis, parrainer ;
–– payer rapidement, quel que soit le mode de paiement ;
–– tracer les commandes, retirer un achat quelque soit le mode de livraison ;
–– coupler l’achat avec le programme de fidélité et le compte client ;
–– bénéficier d’opérations promotionnelles et de couponing ;
–– consulter l’historique d’achats ;
–– être conseillé sur un achat additionnel ;
–– souscrire à de nouveaux services ;
–– accéder rapidement au SAV.
Mais, c’était avant ce que prépare Apple avec l’arrivée d’Angela
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Ahrendts ! Le lancement d’Apple Pay et son taux d’usage lors du black


Friday 20141 (5 % des porteurs d’iPhones 6 et 6+) promet une belle
montée en puissance. En ayant su négocier avec les acteurs du paiement
(VISA, Mastercard…) des conditions de collaboration confortables (le
prix à payer pour qu’Apple n’abandonne pas définitivement la norme NFC
qui était encore absente de l’iPhone 5 ?), Apple est bien parti pour
« cracker » le paiement sur mobile. Ceci viendrait conforter sa position

1. « Aux Etats-Unis, le Black Friday, qui se tient chaque année le vendredi suivant Thanksgiving,
fait figure de tradition nationale et représente un temps fort commercial majeur. Lancée dans les
années 1970, ces promotions monstres occasionnent une véritable cohue, parfois proche de
l’émeute, dans les magasins d’outre-Atlantique. » (Source : Huffington Post, 18 janvier 2015).
56  La transformation digitale

d’acteur incontournable s’agissant d’installer de nouveaux usages ou de


prévenir les acteurs historiques d’une disparition programmée (comme ce
fut le cas avec les majors musicales quand Apple imposa iTunes pour lutter
contre le piratage).
Ne nous y trompons pas : on ne peut pas opposer le physique, source
d’expériences émotionnelles intenses, et le virtuel ou tout serait factice et
fade. L’expérience digitale est vraie : elle procure plaisir, émotion, envie. Le
partage sur les réseaux entre « amis » n’est pas une pale imitation des rela-
tions amicales, c’est autre chose. Personne ne l’explique mieux que Michel
Serres : « Vous vous moquez de nos réseaux sociaux et de notre emploi
nouveau du mot « ami ». Avez-vous jamais réussi à rassembler des groupes si
considérables que leur nombre approche celui des humains ? N’y a-t-il pas
de la prudence à se rapprocher des autres de manière virtuelle pour moins
les blesser d’abord ? Vous redoutez sans doute qu’à partir de ces tentatives
apparaissent de nouvelles formes politiques qui balaient les précédentes
obsolètes. »
Prenons le cas de la musique en streaming. Quoi de plus satisfaisant que
de faire profiter un ami d’un disque ou d’un artiste que l’on vient de décou-
vrir ? Avant, il fallait lui remettre le CD avec une petite pastille de couleur
pour lui permettre de le repérer et espérer le retrouver un jour ! Aujourd’hui,
sur Deezer ou Spotify, le partage est un geste simple et naturel et il concerne
non seulement des albums, mais aussi des listes de lecture que je prends
plaisir à constituer et à partager. Pourquoi revenir au CD ou à l’achat sur
iTunes ?

Construire une expérience client autour des usages


Il est possible d’adapter la célèbre pyramide de Maslow hiérarchisant les
besoins essentiels de l’homme en une nouvelle pyramide de la relation client
digitale. Rien ne change, bien entendu, sur les fondamentaux : il faut bien
faire son travail avant de pouvoir espérer conquérir plus d’intimité avec les
clients.
Étape importante, celle du traitement des insatisfactions et des douleurs :
l’innovation ne part jamais de la solution mais toujours des problèmes et
des services insatisfaits… au bémol prêt de l’innovation de rupture qui, elle,
propose aux consommateurs un produit ou un service qu’il n’aurait jamais
imaginé. Nous nous souvenons d’une discussion avec un dirigeant de la
L’expérience client   57

SNCF à qui nous commentions l’universalisation des systèmes d’exploita-


tion (en l’occurrence Windows) pour tous les terminaux. L’innovation
viendrait du passage de la sphère privée à la sphère publique (phénomène
largement accompli depuis puisque nous en sommes au « BYOD : Bring
your own device » @ work). Il avait rétorqué : « Si nous avions demandé aux
clients ce qu’ils penseraient de rouler à 300 km/h sur des rondelles d’acier
d’un mètre de diamètre ils auraient tous fui en hurlant ! »
L’étape de personnalisation et de contextualisation était présente à l’ère
du CRM mais prend, comme nous l’avons vu précédemment (cf. les
nouveaux consommateurs), une toute autre dimension avec le digital.
Viennent ensuite la participation active du consommateur et la
co-construction. Là aussi, les focus groupes existent depuis longtemps,
mais la participation dont nous parlons va bien au-delà : le client est partant,
la marque doit faire preuve d’humilité et de courage.
Enfin, l’objectif ultime du big data : constituer des algorithmes permet-
tant d’anticiper les besoins ou les réactions clients et de présenter une
marque intelligente procurant des services qui facilitent vraiment la vie des
gens. D’aucuns diront que les algorithmes ne datent pas d’hier et qu’à
l’époque du CRM déjà les vendeurs de solutions nous promettaient un fort
degré d’intelligence injectée dans l’interaction client. Mais, comme nous le
dit l’économiste Erik Brynjolfsson, « il s’écoule en moyenne 7 ans pour
qu’une promesse devienne une réalité exploitable ». Nous y voici et ce n’est
que le début : un robot a déjà défié un joueur de Ping-Pong1 et certains sont
déjà capables de jouer au foot en équipe…
Pour autant que les big data soient abordées sans le niveau de compé-
tences requis, il s’en suivrait des erreurs ridicules, voire blessantes entraî-
nant un dénigrement de la pratique. Il faut une vraie intelligence marketing
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et business et du bon sens pour passer des analyses mathématiques des data
scientists aux décisions commerciales et business.

1. www.youtube.com/watch?v=_mbdtupCbc4
58  La transformation digitale

Anticiper
les besoins
et développer
le prédictif

Engager les contacts


dans les réseaux et
co-construire

Connaître les clients et personnaliser la relation

Réduire et bien traiter les insatisfactions et les douleurs

Fournir une offre produit ou un service au client de bonne qualité,


à un prix pertinent

Figure 3.2 – La pyramide de Maslow de la relation client digitale

Bien entendu, les technologies favorisent l’innovation mais les vrais


changements viennent des usages. Chez Innocherche, nous nous efforçons
de comprendre l’évolution des usages, en particulier en analysant leur
propagation d’un écosystème (le commerce) à un autre (la santé ou l’éduca-
tion). Notre conviction : « Innovation came from the fringe. » C’est en créant
les passerelles, facilitées par les technologies et leur adhérence à l’être
humain, que les évolutions des usagers se propagent. Nous ne comprenons
pas (au bémol près, probablement, de la maîtrise de la vie privée) que ce que
nous pouvons faire sur Amazon, nous ne pourrions pas le faire pour notre
mutuelle ou la Sécurité sociale.
Le problème réside dans la différence de vitesse de propagation entre les
technologies (loi de Moore…) et les usages, liés aux organisations humaines.
Ainsi, le vrai sujet de la transformation digitale est celui des usages et non
des technologies.

Une stratégie mobile réussie


Le jour où Google a abandonné sa volonté de concurrencer directement
Microsoft sur le PC (à l’exception du browser Chrome) pour se tourner vers
la création d’un système d’exploitation pour smartphone, Google a pris une
de ses meilleures décisions stratégiques. Avec plus de la moitié des smart-
phones équipés (grâce aussi à la percée de Samsung) et un quasi-monopole
L’expérience client   59

sur les smartphones low cost, Google s’est taillé une place de choix dans
l’univers de la connectivité mobile.
Avec Android comme cœur du système, Google va pouvoir déployer sa
stratégie d’objets connectés depuis la maison (acquisition de Nest), dans les
espaces ouverts (Google Maps) et jusqu’au magasin (Google Wallet). La
maîtrise des parcours clients entre online et offline sera monétisée au travers
du métier central publicitaire de Google. En créant un lien entre les données
générées par les recherches en ligne et celles utilisées pour le paiement ou le
couponing en magasin, Google peut prétendre capter une partie de la valeur
du « Drive to Store ». Aujourd’hui, Google ne capte, en effet, que 10 % du
marché publicitaire.
Le mobile est tout aussi stratégique pour Apple ou Facebook. Le premier
compte bien construire une expérience connectée inégalée où l’iPhone
jouerait le rôle de hub entre les différents objets moyennant des protocoles
maison. C’est l’arrivée de Beacon (basé sur le format BLE-Bluetooth Low
Energy) comme protocole de communication courte distance et de NFC
pour les usages très courte distance comme le paiement. Le second poursuit
la focalisation de sa stratégie sur les usages mobiles (rachat de WhatsApp
pour 19 milliards de dollars pour préserver le « reach » auprès des jeunes –
450 millions sur WhatsApp). Au vu du profil de l’action en 2014 (+ 37 %),
la focalisation semble réussir à Facebook.
Il ne fait aucun doute que le mobile doit se trouver au cœur d’une stra-
tégie digitale :
–– bon nombre d’usages n’ont de sens qu’en situation de mobilité (ceux
associés aux parcours web to store, une partie significative des usages
« sociaux »…) ;
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

–– dans l’expérience omnicanal, le smartphone permet le passage de


contexte et de données d’un canal à l’autre (sur combien de sites de
grandes marques peut-on utiliser le mobile pour sauvegarder le fruit de
ses recherches en ligne et l’emporter avec soi en magasin ?) ;
–– avec le développement des objets connectés, le smartphone devient la
télécommande ou le hub universel.
Mais comment élaborer la bonne stratégie ?
60  La transformation digitale

Digitaliser des pratiques et usages existants


Comme le dit Éric Carreel, le fondateur de Withings, s’agissant des objets
connectés, la technologie doit s’effacer devant des usages et des pratiques
insérées dans la vie quotidienne des consommateurs. C’est le cas de
Withings Aura™ qui permet de mieux gérer ses endormissements et ses
réveils en se substituant au réveil matin et à la lampe de chevet. Il en est de
même pour les applications mobiles : Foursquare a dû introduire le check-in
automatique car, après la période de découverte, les utilisateurs abandon-
naient ce geste qui n’était pas inscrit dans leurs pratiques courantes.

Ultra-contextualiser
Pour bien s’insérer dans les usages et pratiques et durer, l’ultra contextuali-
sation est le facteur clé de réussite. Que deviennent mon application et ses
services si je tiens compte de toutes les données disponibles issues des
capteurs, des données clients collectées sur le smartphone et les autres
devices ou lors de mes passages sur le web, des interactions avec d’autres
smartphones ou objets connectés ?

Faire simple
Attention à la tentation du couteau suisse. Le nombre d’applications par
utilisateur est limité et le nombre d’écrans et d’interactions par application
aussi.

Apprenant
Plus je progresse dans l’utilisation de mon application, plus celle-ci s’adapte
à mes usages. La personnalisation se fait naturellement sans effort de ma
part pour renseigner la machine afin qu’elle devienne plus intelligente (ce
qui est parfois qualifié de « machine learning »).
Le jeu en vaut-il la chandelle ? Oui, si l’on en croit les statistiques qui
indiquent que le taux de conversion sur le mobile est dix fois supérieur à
celui du web. 70 % des recherches sur mobile sont suivies d’actions.
L’expérience client   61

Enchanter le client
Nous le savons tous, le combat digital/physique est dépassé : le digital est
présent partout et tout au long des parcours clients de plus en plus nombreux
et diversifiés. Grâce aux smartphones et au cloud, le consommateur/utilisa-
teur peut interagir en permanence. On ne peut non plus/pas opposer le
physique, source d’expériences émotionnelles intenses et le virtuel où tout
serait factice et fade. L’expérience digitale est différente mais vraie (a fortiori
pour les plus jeunes générations).
Ainsi, les cinq grands enjeux du digital in store sont :
• Améliorer l’expérience shopping et traiter les “irritants”.
• Renforcer l’attractivité en injectant du “fun”, du ludique et de l’imprévu.
• Susciter la fierté d’appartenance à la marque en impliquant l’interne.
• S’adapter en permanence à l’évolution des usages facilitée par l’arrivée de
nouvelles fonctionnalités et de nouvelles technologies.
• Segmenter la présence physique entre le vaisseau amiral (« flagship ») et
le point de retrait.
En s’appuyant sur une pyramide de Maslow adaptée au digital, il est
possible de définir les nouveaux usages et de coller au mieux aux attentes
et aux promesses qu’il suscite (souvent au travers de parallèles avec d’autres
secteurs d’activités). Aucun doute n’est possible sur la place centrale que le
mobile doit occuper dans une stratégie digitale : des usages lui sont propres
(et sont probablement plus addictifs que ceux de l’Internet fixe). Dans un
univers omnicanal et connecté, il permet le passage de contexte et joue le
rôle de télécommande ou de hub universel.
Mais comment élaborer la bonne stratégie ?
• Digitaliser des pratiques et usages existants.
• Ultra-contextualiser.
• Faire simple.
• Concevoir une application apprenante.
4
Innovations et technologies

N ous l’avons vu précédemment, s’agissant de culture et de leadership,


tout va se jouer dans la capacité de l’entreprise et de ses dirigeants à
développer un leadership équilibré entre convictions et doutes, autorité et
écoute, en établissant les canaux de communication permettant d’identifier
et de remonter les faits contradictoires à la représentation du réel.
Ce même état d’esprit va permettre de créer de l’innovation utile qui
propose des usages simples et plaisants, voire amusants : « design for emotion »1.
Dans la mise en place du e-billet pour TGV, le nouvel outil de contrôle
avait du mal à s’installer dans les pratiques du contrôleur. De nombreuses
raisons à cela, mais la plus importante a été identifiée en filmant et chrono-
métrant le contrôle : l’essentiel des 50 secondes nécessaires en moyenne au
contrôle était dû à la recherche du billet par le client. Les contrôleurs redou-
taient un geste de contrôle qui devenait plus long que la recherche du billet :
c’était pour eux la durée maximum à ne pas dépasser.

No limit !
Devant la déferlante des superlatifs, il est devenu de bon ton de critiquer le
bien-fondé de l’extraordinaire révolution digitale en arguant – ce qui n’est
pas dénué de vérité – que ce ne serait pas la première fois dans l’histoire du
capitalisme que les effets escomptés seraient moindres ou plus lointains
qu’annoncés par les consultants et autres digital champions.
Dans une interview très intéressante donnée à « Enjeux Les Echos » en
mars 2014 sur son livre2, l’économiste américain Erik Brynjolfsson présente
sa vision : « Aujourd’hui, la puissance de calcul des ordinateurs couplée à la
démultiplication des réseaux est en train de produire un phénomène simi-
laire, à une échelle encore inédite : la mécanisation du travail cognitif.
Ce qui laisse augurer une nouvelle ère de prospérité. On en voit les

1. Aaron Walter, Design émotionnel, Eyrolles, 2011.


2. Erik Brynjolfsson, Andrew Mcafee, The Second Machine Age – Work, Progress, and Prosperity
in a Time of Brilliant Technologies, w.w. Norton & Company, 2014.
64  La transformation digitale

b­ albutiements avec l’apparition de technologies qui, il y a cinq ans encore,


relevaient de la science-fiction : voiture sans conducteur, commande vocale
de smartphones, télédiagnostic médical, autoremplissage de documents,
automates qui répondent aux questions au téléphone ou en ligne, logiciels
capables de rédiger des articles simples de résultats sportifs ou boursiers, ou
de battre nos meilleurs étudiants au jeu Jeopardy. […] Jusqu’ici, la diffusion
des technologies de l’information a été une révolution à bas bruit qui affec-
tait nos vies à la marge et qui, en effet, dans le business, ne se traduisait
guère en gains de productivité. Mais aux États-Unis, ceux-ci ont recom-
mencé à croître depuis les années 1990. Comme l’ont montré nos travaux,
il faut cinq à sept ans en moyenne aux entreprises pour digérer la techno-
logie et adapter leur organisation et leur processus pour en tirer profit. […]
Gain de productivité et distribution des revenus sont désormais décorrélés.
Une poignée d’entreprises, d’applications, de livres ou de spectacles peuvent
très vite prendre quasiment tout le marché et leurs dirigeants et auteurs
gagner des milliards, tandis que les suivants – dont les œuvres, produits ou
services sont à peine moins bons – se partagent des miettes. Ce régime de
distribution se généralise à mesure que l’économie numérique gagne de
nouveaux secteurs et accentue les écarts de revenus. Facebook vient d’offrir
19 milliards de dollars pour acheter WhatsApp, soit 290 millions par
salarié. Pour Instagram en 2012, c’était 70 millions par salarié. À comparer
aux 24 millions par salarié payés par Google pour YouTube. La Britannique
J. K. Rowling, l’auteur à succès des Harry Potter, est le premier écrivain
devenu milliardaire dans l’histoire de l’édition, etc. ».
Il poursuit en analysant l’effet dévastateur des machines sur le travail
routinier et le fait que chaque nouvelle reprise économique et moins créa-
trice d’emploi que la précédente d’où la course de l’homme contre les
machines…
Pour nous, aucun doute n’est possible. Cette évolution est une révolu-
tion… et certaines entreprises n’en retireront que les miettes.
Innovations et technologies   65

« Innovate, don’t duplicate ! »


L’innovation ouverte : un pléonasme dans le monde des usages et des tech-
nologies digitales.
Qu’est-ce que l’innovation ouverte (« open innovation ») ? C’est d’abord
l’utilisation de connaissances et de savoirs internes et externes dans un
échange sans cesse renouvelé. Ces échanges stimulent l’innovation interne
et permettent d’étendre les domaines d’impact et les marchés de l’entre-
prise. L’entreprise doit utiliser des idées internes et externes à son organisa-
tion et à son marché « naturel ». C’est le cas, bien entendu, du logiciel libre
qui a démontré à plusieurs reprises une capacité d’innovation supérieure
aux acteurs établis et en place (UNIX™, Firefox™, Tomcat™, bases de
données NoSQL…). Elle est, certes, délicate à mettre en œuvre par les
grandes entreprises qui doivent accepter une certaine perte de contrôle des
processus d’innovation.
L’exemple le plus abouti est bien entendu celui de la Silicon Valley où se
mêlent les géants (Google, Facebook…) et leur écosystème, les start-up, les
business angels qui préparent et anticipent les rapprochements entre géants
et start-up, les universités prestigieuses et les chercheurs. Les idées, l’argent,
l’expérimentation et le « scale up », tout est réuni pour passer rapidement de
l’idée à la fortune. Il n’en reste pas moins que 42 dollars par utilisateur
WhatsApp, alors que les jeunes (fuel de Facebook) sont peut-être déjà en
train de partir vers une autre application, c’est beaucoup !
Lorsque l’on interroge les consommateurs sur l’innovation, les trois
composantes de l’innovation les plus citées sont :
–– l’utilité ;
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

–– la proximité ;
–– l’interactivité.
Pour autant innovation et invention ne sont pas la même chose : Bob
McDonald ex-CEO de Procter & Gamble disait : « Pour nous, innover
n’est pas inventer. L’innovation, c’est la transformation d’une idée
nouvelle en satisfaction client et, in fine, en revenus et en profits. Si une
idée ou une technologie ne peut pas être commercialisée, ce n’est pas une
innovation ».
L’innovation n’est pas non plus (qu’) une affaire de moyens ; les dépenses
de R&D des grandes firmes pharmaceutiques sont passées de 15 milliards
66  La transformation digitale

de dollars en 1995 à 45 milliards en 2009. Pourtant le nombre de médica-


ments lancés chaque année a chuté de 44 % depuis 1997. Steve Jobs décla-
rait : « Innovation has nothing to do with how many R&D dollars you have.
When Apple came up with the Mac, IBM was spending at least 100 times more
on R&D. It’s not about money. It’s about the people you have, how you’re led,
and how much you get it. »1
Quelques idées simples pour insuffler un esprit d’innovation dans son
entreprise2, que l’on peut résumer en une seule : organiser la sérendipité, ce
sens du hasard qui fait germer des idées :
• Moins pénaliser les échecs. Tout le monde adhère à cette idée, mais
combien l’appliquent ?
• Organiser la compétition interne avec l’interne et l’externe : pas de
distinction hiérarchique (personne n’a le monopole des idées), « spin
off », acquisition, licences, alliances, foire aux idées, soutien aux proto-
types (« learning by doing »)…
• Offrir ressources et soutien aux innovateurs dans l’entreprise :
–– favoriser le bottom-up ;
–– viser l’impossible et chercher à concilier l’inconciliable (comme le vrai
low cost qui vise mieux et moins cher) ;
–– accepter des profils différents venus de l’extérieur et des associations
internes contre nature ;
–– développer l’esprit commercial et d’entreprise des ingénieurs et la
culture technologique des marketeurs ;
–– laisser le débat éclore.
• Créer les conditions de rapprochement entre entités et personnes
n’ayant pas vocation à collaborer : la comptabilité avec le marketing,
l’usine avec le service client, la frontline avec la R&D, la direction avec
tout le monde.
• Encourager le partage des idées en interne et en externe, en particulier
sur les réseaux avec la nécessité de contenir le risque d’espionnage
économique.
• Il ne peut pas y avoir autant d’innovants que de salariés, mais l’équipe qui
anime doit pouvoir impliquer et compter sur potentiellement tous les
collaborateurs : l’innovation est l’affaire de tous.

1. Fortune mazagine, 1998.


2. Inspiré de Ben Jones, Chief Technology Officer d’AKQA (source : www.petitweb.fr).
Innovations et technologies   67

Exemple de Service Factory & TGV Lab


TGV a fait la preuve de sa capacité d’innovation : Voyages-sncf.com, déve-
loppement d’un métier de distributeur en partenariat avec Expédia, déve-
loppement d’IdTGV, full ticketless (aucun document de voyage nécessaire).
Mais TGV n’arrivait pas à innover dans les services. Inventer oui, mais pas
innover au sens d’une invention qui rencontre un marché et un modèle
économique au moins équilibré entre charges et recettes.
Pour isoler la réalité des coûts, chaînage toujours complexe dans une
entreprise où se succèdent une multitude de prestataires de services internes,
la SNCF a créé les conditions d’une péréquation entre services rentables et
non rentables en créant Services Factory. Au DG de Services Factory d’inté-
grer ce critère dans le développement du portefeuille de services TGV et de
favoriser les partenariats potentiellement capitalistiques. TGV décide en
2009 de créer Services Factory, une filiale à 100 % qui reprendra progressi-
vement tous les services TGV (bagages à domicile, Espace TGV Family,
auto-train, Junior & Cie…). En parallèle et afin de favoriser l’innovation,
TGV lance TGV Lab pour répondre aux enjeux suivants :
–– renforcer sa réactivité en matière de développement de services ;
–– développer davantage son agilité au cœur de sa stratégie d’innovation ;
–– expérimenter tous les nouveaux projets à destination des clients et
usagers ou pour améliorer les conditions de travail au quotidien.
Les objectifs sont simples :
–– 2 à 4 projets d’expérimentation par an validés en Comex ;
–– 6 mois maximum avant la première expérimentation client ;
–– 200 000 euros de budget par sujet.
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Cette approche est un outil formidable d’incitation à l’innovation et à la


vitesse en contournant les silos verticaux. Il reste à trouver le bon scénario
de passage à grande échelle. Enfin, il est utile de mentionner quelques prin-
cipes simples, nécessaires, jamais suffisants pour encourager et libérer l’es-
prit d’innovation :
• Ne pas étouffer l’innovation par la logique de ROI (sans aller jusqu’à
Amazon qui n’a que très rarement fait du résultat). Le digital est souvent
une affaire d’audience et d’adhésion… Les ventes, la satisfaction, le
parrainage et la fidélité se chargent du payback.
• Pour autant, créer un certain niveau de frugalité dans les moyens (en parti­
culier marketing) pour insuffler du système D peut s’avérer fort utile.
68  La transformation digitale

• Laisser un droit à l’erreur… mais pas 2 fois.


• Écouter les clients et le personnel en frontline pour réduire les douleurs et
simplifier, tout en sachant que l’innovation (i) ne vient jamais des focus
group, (ii) vient rarement d’acteurs de votre propre industrie, (iii) émerge
souvent au travers de transpositions intelligentes entre secteurs, écosys-
tèmes ou usages clients.
Un des sujets critiques des grandes entreprises : comment et quand
assumer la cannibalisation des business existants, que ce soient les
réseaux de distribution ou l’offre elle-même (les offres mobiles low cost
des opérateurs en place probablement lancées trop tard face à Free ou
Ouigo lancé trop tôt ?).
• Impossible d’être certains du succès auprès du consommateur :
–– lui laisser des marges de manœuvre : co-construire ;
–– être dans une logique de plateforme, l’auberge espagnole du digital :
tout le monde peut contribuer à la valeur globale ;
–– faire, comme Amazon, de l’A/B (voire A/B/C/D/E !) testing1 entre
différentes options d’ergonomie, de services, de slogans…

Simple et frugal
De nos jours, les grandes réussites en matière d’innovation sont souvent la
combinaison de quatre facteurs (figure 4.1).

1. « Le test A/B (ou A/B testing) est une technique de marketing qui consiste à proposer


plusieurs variantes d’un même objet qui diffèrent selon un seul critère (par exemple, la
couleur d’un emballage) afin de déterminer la version qui donne les meilleurs résultats
auprès des consommateurs. C’est une technique particulièrement employée dans la commu-
nication en ligne où il est maintenant possible de tester auprès d’un échantillon de personnes
plusieurs versions d’une même  page web, d’une même application mobile, d’un
même e-mail ou d’une bannière publicitaire afin de choisir celle qui est la plus efficace et de
l’utiliser à large échelle ». (Source Wikipedia).
Innovations et technologies   69

Simple Digital

Low
Frugal
cost

Figure 4.1 – Les quatre facteurs de l’innovation

Il ne s’agit pas pour nous de rentrer dans le détail des concepts aussi
riches que le business low cost1, la simplicité ou l’innovation frugale2. Nous
pouvons néanmoins identifier des passerelles entre ces différents concepts
pour mieux décrire les pistes de l’innovation à l’origine d’une transforma-
tion digitale réussie.
Navi Radjou, Jaideep Prabhu et Simone Ahuja énoncent six principes
qui définissent l’innovation frugale :
–– rechercher les opportunités dans l’adversité ;
–– faire plus avec moins ;
–– penser et agir de manière flexible ;
–– viser la simplicité ;
–– intégrer les marges et les exclus ;
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–– suivre son cœur.

L’innovation est fragile


En 2001, 3M embauche Jim McNerney, ancien de GE, qui importe les
techniques de gestion Six Sigma qu’il a la mauvaise idée d’appliquer aux
processus d’innovation. En 2005, la part des revenus provenant de

1. Michel Santi, Véronique Nguyen, Le business model du low cost, Eyrolles, 2012.
2. Navi Radjou, Jaideep Prabhu, Simone Ahuja, L’innovation Jugaad. Redevenons ingénieux !,
Diateino, 2013.
70  La transformation digitale

nouveaux produits était tombée de 30 % à 21 %. 3M était passé de la


première à la 7e place dans le classement des entreprises les plus innovantes
établi par le Boston Consulting Group.
Il est facile de tuer l’innovation, très difficile de la faire perdurer (même
Apple a du mal… et Google a arrêté la règle des 20 % en 2013)1.
Le livre Stratégie océan bleu2 est un plaidoyer pour l’innovation et pour la
topline, publié au moment où beaucoup d’entreprises se battaient sur l’opti-
misation et la « bottom line » (en particulier en ayant recours à la main-
d’œuvre à bas coût). Il encourage et démontre, exemples à l’appui, que
presque tous les marchés peuvent être repensés en conférant à celui qui
engage la transformation une position sans réelle concurrence et donc avec
de fortes marges à la clé… au moins pour un temps.

Innovation et nouvelles technologies


En établissant son indice de l’innovation par les TIC3 le CEFRIO retient les
constats suivants :
• Un nombre limité d’entreprises ont effectué des innovations majeures
au cours des douze derniers mois en ce qui concerne leurs produits et
services, leurs procédés, leurs stratégies de commercialisation ou leur
structure organisationnelle.
• Ces différents types d’innovation sont fortement corrélés, à l’exception
de l’innovation organisationnelle. Ce constat met en lumière le fait que
les innovations sont de plus en plus systémiques.
• Le portrait de l’usage des TIC (technologies de l’information et de la
communication) dans les entreprises et organisations révèle que la
majorité d’entre elles font un usage limité des technologies, à l’exception
d’outils de base tels que le courriel ou les logiciels bureautiques. La
nouvelle vague du digital (mobilité, plateformes collaboratives, informa-
tique en nuage, etc.) n’est pas l’apanage de la majorité.
• Pourtant, les organisations les plus innovatrices sont de fortes utilisatrices
des TIC. La taille et le secteur d’activité n’apparaissent pas comme des

1. Chaque collaborateur de Google pouvait consacrer 20 % de son temps à des projets person-
nels ou refusés par sa hiérarchie.
2. W. Chan Kim, Renée Mauborgne, Stratégie océan bleu, Pearson, 2010.
3. Indice de l’innovation par les TIC. Une initiative Cefrio avec la collaboration du Cigref,
mars 2013.
Innovations et technologies   71

déterminants essentiels de la capacité à innover. Grandes comme petites,


les entreprises qui utilisent intensivement les TIC accroissent leurs
capacités d’innovation.
• L’effet important vient de l’intensité d’utilisation, pas simplement de la
présence de la technologie dans l’entreprise.
• Les modifications significatives à l’organisation, ou changements organi-
sationnels, sont également un facteur significatif pour innover et tirer
profit de l’innovation ; dans une moindre mesure, la culture d’expéri-
mentation et l’appétence au risque contribuent aussi significativement à
l’innovation.
• Les investissements physiques n’influencent pas significativement
l’innovation.

Les nouvelles nouvelles technologies


Cela fait bien longtemps que nous entendons parler de nouvelles technolo-
gies alors que les technologies de l’information ont plus de 50 ans : premier
ordinateur IBM en 1952, premier mini-ordinateur en 1973, Apple II en
1977, apparition de l’IBM PC en 1981, bouleversement avec le lancement
du Macintosh par Apple en 1984, premier iPod fin 2001, premier iPhone
Edge début 2007, première tablette iPad début 2010.
Puisqu’elles sont nouvelles en permanence, il est important de se foca-
liser, non pas sur les technologies elles-mêmes, mais sur des familles de
technologies qui engendrent une rupture radicale dans les usages. En effet,
le consommateur arrive avec ses technologies, qu’elles soient dans son
smartphone ou sur ses différents clouds. Il pressent que dans l’expérience et
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les services proposés, les marques intégreront les éléments qu’il apporte
pour enrichir et personnaliser l’offre : c’est déjà le début de la co-construc-
tion. Prenons deux exemples :
• Si je possède Evernote™1 sur ma tablette, je souhaite que les documents
(notice, factures, contrats…) me soient fournis au format et intégrés
dans Evernote.
• Si je possède une Dropbox, celle-ci doit m’être proposée par défaut
lorsque je souhaite sauvegarder des documents partageables entre mes
différents devices (des photos par exemple).

1. Outil de saisie de notes et de capture d’informations.


72  La transformation digitale

Avec cette clé de lecture (deux technologies sont dans le même groupe si
elles engendrent la même famille d’usage). Il est possible de regrouper les
ruptures technologiques en cinq grandes catégories :
–– la puissance de traitement ;
–– l’extension des devices ;
–– les capteurs et les data associés ;
–– l’analytics et le prédictif ;
–– la nouvelle fabrication.

La puissance personnelle de traitement mobile et la connectivité


apparaissent comme sans limite (le cloud et l’ubiquité)
Le mobile a bien délivré la promesse de pénétration attendue. En 2014, le
Terrien moyen a passé 147 minutes par jour devant l’écran de son smartphone,
113 minutes devant la télévision et 108 minutes devant son ordinateur.
En parallèle de la montée en puissance des smartphones, l’ubiquité est
devenue un dû pour les individus. C’est le www revisité :
–– What We Want ;
–– When We Want ;
–– Where We Want.
Le cloud, les technologies de communication courte et moyenne
distance, la 4G, les relais indoor engendrent, aujourd’hui, une connexion
quasi universelle, permettant toutes les combinaisons de dialogues entre les
devices (dont les smartphones), les objets connectés et le cloud.
Le taux de conversion sur le mobile est dix fois supérieur à celui du web
et 70 % des recherches sur mobile sont suivies d’actions. En étant plus
contextualisée (www), l’utilisation du mobile se traduit plus rapidement en
actions concrètes. Les options ont toujours existé chez TGV, leur utilisation
a explosé sur le mobile car c’était devenu un usage utile dans le contexte de
préparation d’un voyage avec des amis.
Le taux de croissance de la pénétration des smartphones ralentit (pour
les plus onéreux), d’où l’arrivée d’autres objets connectés personnels comme
les montres, les bracelets ou les lunettes. Leur adoption par les consomma-
teurs reste encore à démontrer.
Le bien-être et la santé vont investir le smartphone avec de nouveaux
capteurs (glycémie pour Apple ?). Globalement, la multiplication des
Innovations et technologies   73

capteurs intégrés restera un axe fort de développements car ces derniers


produisent des données sources de nouveaux business.
L’arrivé de la reconnaissance biométrique valide l’usage personnel et
ouvre la voie au portefeuille et au paiement sécurisé (déjà en œuvre sur
l’iPhone 6), ce qui assurera un traçage complet des parcours clients entre
online et offline, de la recherche jusqu’au paiement. Le calcul du ROI des
actions commerciales de bout en bout devient accessible pour les directions
marketing.
La prise de conscience des impacts sur la vie privée et du flot considé-
rable de données transmises par les smartphones va être comparée par les
individus à la valeur ajoutée/simplification des usages engendrés par ces
mêmes flux de données. Certains prédisent la monétisation par les
consommateurs de leurs données. Certes, mais les gens « n’ont pas que ça
à faire ». Ce pourrait être le rôle d’un tiers de confiance qui a du mal à
émerger (cf. le décollage maintes fois annoncé du VRM). La collecte des
données a des effets collatéraux, parfois imprévisibles. Aux États-Unis,
des compteurs d’électricité intelligents collectaient des informations sur
la consommation permettant le relevé automatique et le pilotage de la
consommation. Cette base a été piratée par des cambrioleurs pour déduire
l’occupation des logements !
Pour terminer sur une note plus technique encore, de gros enjeux d’ar-
chitecture se jouent autour de la notion de hub qui devient la tour de
contrôle des échanges de données entre tous les objets connectés (dont le
smartphone) : le cloud, le smartphone ou l’espace dans lequel nous évoluons
(la maison, le magasin ou la voiture par exemple). De manière générale,
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l’histoire des technologies s’écrit comme une course entre bande passante
des réseaux et puissance de calcul et de stockage des devices. Ainsi, les archi-
tectures ont évolué entre centralisation et répartition : le cloud est un acte de
centralisation, les Apps un acte de décentralisation. Dans la littérature sur
les réseaux d’objets connectés, certains imaginent des objets connectés
autonomes capables de déclencher des microactions ciblées sur la base des
data collectées en temps réel. Nous verrons bien.
74  La transformation digitale

L’extension des devices à l’infini : les objets connectés


Les objets connectés sortent des garages pour offrir de vrais usages utiles aux
individus :
• on prévoit 50 milliards d’objets connectés en 2020 ;
• le succès de Withings, leader et spécialiste français de la santé et du
bien-être, est avéré ;
• Sigfox, la start-up toulousaine dirigée par Ludovic Le Moan, poursuit
une belle progression à l’international, et a remporté un joli contrat
nommé Fastprk. Grâce à l’opérateur réseau Micronet, et en collabora-
tion avec la société espagnole Worldsensing, Sigfox a assuré la connec-
tivité de plus 11 000 capteurs dans Moscou pour permettre de donner,
via une application mobile, un maximum d’informations sur l’état du
stationnement en temps réel dans la capitale Russe.
Nous sommes au début de la courbe de maturation de ce marché. Il faut
s’engager prudemment et ne pas utiliser des technologies immatures.
Expectations Internet of Things
Natural-Language Question Answering
Speech-to-Speech Translation Wearable User Interfaces
Autonomous Vehicles Consumer 3D Printing
Cryptocurrencies
Smart Advisors
Complex-Event Processing
Data Science Big Data
Prescriptive Analytics
In-Memory Database Management Systems
Neurobusiness Content Analytics
Biochips

Affective Computing Hybrid Cloud Computing


Smart Robots Gamification Speech Recognition
Augmented Reality
3D Bioprinting Systems Consumer Telematics
Machine-to-Machine
Volumetric and Holographic Displays Communication 3D Scanners
Software-Defined Anything Services
Quantum Computing
Mobile Health Enterprise 3D Printing
Human Augmentation Monitoring
Quantified Self
Brain-Computer Interface Activity Streams
Connected Home In-Memory Analytics
Cloud Computing
NFC Gesture Control
Virtual Personal Assistants Smart Workspace Virtual Reality
Digital Security
Bioacoustic Sensing
As of July 2014
Innovation Peak of Trough of Plateau of
Trigger Inflated Disillusionment Slope of Enlightenment Productivity
Expectations
Time
Plateau will be reached in:
obsolete
less than 2 years 2 to 5 years 5 to 10 years more than 10 years before plateau

Source Gartner : Hype Cycle for Emerging Technologies, 2014.

Figure 4.2 – La courbe de maturité des technologies


Innovations et technologies   75

Figure 4.3 – Les étapes de la connexion

Donnons ici quelques conseils simples pour se lancer dans une première
phase d’utilisation d’objets connectés :
• L’objet doit rester simple, le smartphone enrichit l’expérience.
• L’écosystème de son objet doit être bien intégré : l’interopérabilité et l’in-
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terconnexion de l’objet doivent être pensées en amont, de même que son


évolutivité (mises à jour régulières…). Il faut raisonner usage et insérer la
nouvelle expérience connectée dans son offre et ses processus (deuxième
lancement de Smartdrop d’Évian1).

1. « évian, filiale du groupe Danone, en collaboration avec l’agence BETC et Joshfire ont
développé un petit boîtier qui permet de commander les bouteilles d’eau en un simple
clic. Ce service de livraison de packs de bouteilles à domicile est en phase d’étude depuis
2012 en région parisienne. Concrètement, cet objet connecté en forme de goutte d’eau est
doté d’un écran LED et fonctionne en Wifi. L’utilisateur est invité à sélectionner la taille
et la quantité de bouteilles ainsi que la date et le créneau horaire pour la livraison. Les
commandes sont transmises à un service de gestion baptisé Évian chez vous. » (Source :
www.webdesobjets.com)
76  La transformation digitale

• Être crédible et fiable sur la protection des données personnelles et


anticiper les changements réglementaires. Un seul exemple : en août
2014, un hacker chinois a réussi à prendre le contrôle d’un babyphone
au Texas.
• Ne pas oublier les basiques du hardware comme la gestion de l’auto-
nomie de la batterie ou la gestion des incidents de communication.
Notons enfin que la France est bien placée sur ce sujet avec des marques
visibles comme Withings (Aura, Smart Body Analyser) ou SEB (Nutricook
connect™ la cocote intelligente). L’usine digitale a recensé 50 objets
connectés français1.

Figure 4.4 – Les objets connectés français

Les capteurs et les data associés


L’iPhone 6, équipé d’iOS 8, intègre des fonctionnalités santé et bien-être
avec de nouveaux capteurs révolutionnaires (y compris dans les écouteurs).
La règle des 3V posée par Gartner permet de distinguer le big data et la
business intelligence classique : Volume, Vitesse (fréquence à laquelle les
données sont générées, capturées et partagées), Variété :
• Volume : selon IBM 95 % des données hébergées par les disques durs
et les serveurs ont été collectées au cours de ces deux dernières années ;

1. « 50 Objets connectés français », L’Usine Digitale, www.usine-digitale.fr, 19 mars 2014.


Innovations et technologies   77

• Vitesse : toutes les minutes : 331 000 tweets publiés, 112 millions


d’e-mails envoyés, 72 heures de vidéo déposée sur YouTube, 1,4 million
de Gigaoctets de données transférées.
• Variété : traces web et réseaux sociaux, capteurs smartphones, géolocali-
sation, machine to machine, photos, vidéos…
Il est à noter que les formats média (photos, vidéo, audio) et les contenus
« instantanés » (messageries, Snapchat…) sont ceux en plus forte crois-
sance… La 4G devrait accroître le partage photo/vidéo.
En 2013, la « vie » personnelle d’un Européen (services gratuits,
impact sur l’économie…) vaudrait 600 euros et 3 fois plus en 2020
selon le BCG.
Mais les data sont avant tout, et à ce stade, l’affaire des quatre grands
(GAFA) qui sont à même de proposer une vraie valorisation au travers
d’expériences uniques, stimulantes et permettant de tolérer la capta-
tion :
• Le rachat de Nest par Google est là pour permettre de combiner les
thermostats « intelligents » avec les données de vies personnelles captées
par le smartphone.
• L’expérience Google Maps est amplifiée par les données du smartphone
(agenda, historique, vitesse de déplacement…), la présence dans
Google+, etc.
• Le savoir-faire d’Amazon en matière de prédictif n’est plus à démontrer
(À quand l’expédition réalisée avant la commande !).
• L’utilisation du Socialgraph™ de Facebook à des fins commerciales ou
pour du recrutement.
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Les logiques business qui se cachent derrière l’utilisation des données


par les GAFA sont très différentes :
• Celles d’Apple et d’Amazon sont structurées autour de la vente de
produits.
• Celles de Google et de Facebook tournent autour de la publicité : la
notion de services gracieux est au cœur de leurs modèles :
–– Google est le plus extrême avec près de 173 services gratuits : de
Gmail à Google search en passant par Google Maps ou YouTube ;
–– Facebook a une approche plus qualitative et veut transformer chaque
abonné en « hub » de communication ;
78  La transformation digitale

Les tickets d’entrées technologiques et surtout les réflexions en matière


de marketing et d’expérience client sont importants. Nous y reviendrons
dans le chapitre consacré à la transformation, mais le big data est un
domaine prometteur qui justifie une démarche par petit pas adossée à une
vision d’ensemble de l’architecture marketing et IT.
Le risque de pointer des interprétations aberrantes de données est fort.
Certaines conséquences dommageables pourraient venir contrarier le déve-
loppement de leur usage (souvenons-nous des procès pour violation de la
vie privée par des porteurs de cartes de fidélité de chaînes hôtelières ou de
compagnies aériennes : c’était bien avant le big data !).
Reste le sujet de l’équilibre entre intelligence des services et respect de la
vie privée, entre utilité et addiction. Sur l’un comme sur l’autre des sujets, le
point d’équilibre n’est pas trouvé. Des voix s’élèvent sur les dangers de l’ad-
diction et des vidéos sur YouTube brocardent les adolescents privilégiant
leur téléphone à leurs amis. L’actualité nous rapporte régulièrement des
détournements de données au détriment de la vie privée des individus (en
particulier les effets dévastateurs de certains réseaux sociaux d’adolescents).
Mais terminons ce survol rapide de la problématique des données par un
exemple positif d’utilisation. En Côte d’Ivoire, Orange a extrait et « anony-
misé » 5 mois de données de communication sur le territoire et mis cette
base de données à disposition des chercheurs, dans un challenge interna-
tional sur des idées utiles de traitement. 26 universités ont répondu à l’appel
et l’opérateur a reçu 1 000 pages de documents. Le Grand Prix a été attribué
à une solution destinée à améliorer la communication lors des épidémies.
D’autres chercheurs ont apporté des recommandations sur l’allongement
des lignes de bus à Abidjan ou des éclaircissements sur la répartition des
différentes communautés sur le territoire.

L’analytics, les algorithmes et le prédictif


« La révolution des big data n’est pas technologique mais elle concerne la
manière dont les entreprises s’organisent », écrit Kilian Bazin1. Ce nouveau
traitement des données implique deux révolutions culturelles : la fin de la
moyenne, pour adopter une approche atomique et la fin des questions
présupposées. « C’est une approche différente : il faut partir des données,
les observer, voir quelles questions émergent en lisant les courbes et ensuite

1. CXO de Captain Dash et cofondateur des Data Tuesday.


Innovations et technologies   79

trouver des réponses. On commence par l’observation ». 700 smartphones


pour calculer l’inflation et remplacer l’indice des prix (Premise data Corpo-
ration : www.premise.com) :
–– une appli sur 700 mobiles dans 25 villes ;
–– chaque collecteur géolocalisé prend des photos de produits ;
–– chaque individu touche 5 à 15 cents par photo ;
–– chaque individu en effectue jusqu’à 250 par jour ;
–– les données sont compilées et analysées ;
–– 700 personnes = 2 à 3 millions de données par jour.
Ce sujet fait couler beaucoup d’encre et excite les convoitises de
nombreux fournisseurs de hardware et de software. Il n’est pas facile de
distinguer parmi ce déluge d’informations les éléments utiles pour les rela-
tions avec les clients.
Un de nos anciens clients nous confiait se sentir comme au début du
CRM. Les promesses sur la connaissance clients, son impact sur le dévelop-
pement du business, voire l’automatisation du marketing étaient déjà très
prometteuses. La réalité fut bien différente et de nombreux projets CRM
ne délivrèrent pas les bénéfices attendus.
Même si les exemples que nous avons donnés sont bien réels, ils relèvent
de l’expérimentation. Pour nous, l’accumulation de données recouvre, pour
les entreprises, deux utilisations principales :
–– l’amélioration de l’efficacité marketing par une meilleure adaptation
de l’offre (pression, fréquence, contenu, format) aux cibles et une plus
grande efficacité (coût/résultat) dans la génération de « leads » ;
–– la création de parcours et d’expériences clients fortement contextua-
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lisés et personnalisés en fonction des données accumulées auparavant et


celles captées lors de l’interaction avec le contact.
Pour autant de vraies différences existent entre la Business Intelligence et
le big data :
–– tous les domaines de l’entreprise, en particulier celui du commerce, sont
touchés ;
–– la déstructuration des données devient la règle et non l’exception ;
–– les formats média (photos, vidéos, audio) ont vocation à prendre de
l’ampleur tant les « posts » sur les réseaux sociaux sont souvent centrés
autour d’une photo ou d’une vidéo (au-delà de ceux spécialisés comme
Instagram ou Snapshot) ;
80  La transformation digitale

–– l’écriture reste néanmoins très présente, en particulier sur les sites d’avis tel
que TripAdvisor, et nécessite la mise en place d’outils d’analyse sémantique ;
–– une part très importante de ces données est issue d’acteurs tiers avec
qui le sujet de la monétisation deviendra critique (cf. le débat sur le
reach (niveau de viralité d’un post) qualifié sur Facebook). La maîtrise
des points de contact client avec la marque, associée à une stratégie
de collecte des données sur ces points, s’avère donc essentielle pour
préserver un coût acceptable des data.
Bien entendu, de telles masses de données ne pouvaient être traitées sans
de nouvelles technologies qui ont permis l’éclosion des Facebook et autres
Twitter. Pour optimiser les temps de traitement sur des bases de données
gigantesques, plusieurs solutions peuvent être utilisées :
–– des bases de données NoSQL (comme MongoDB, Cassandra ou
Redis…) qui implémentent des systèmes de stockage plus performants
que le traditionnel SQL pour l’analyse de données en masse ;
–– des infrastructures de serveurs pour distribuer les traitements sur des
centaines, des milliers de nœuds. C’est ce qu’on appelle le traitement
massivement parallèle. Le framework Hadoop est sans doute le plus
connu d’entre eux. Il combine le système de fichiers distribué HDFS, la
base NoSQL HBase et l’algorithme MapReduce ;
–– le stockage des données en mémoire (Memtables) plutôt que sur disques
permet d’accélérer les temps de traitement des requêtes ;
–– enfin, d’innombrables outils de visualisation sous des formats très
variés (cartes, charts, data…), et leurs algorithmes associés, permettent
d’analyser, de comprendre et de restituer sous formes intelligibles des
grandes quantités de données.
Innovations et technologies   81
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Figure 4.5 – Exemples d’outils de cartographie1

1. Source : http://selection.datavisualization.ch.
82  La transformation digitale

Figure 4.6 – Exemples d’outils graphes


Innovations et technologies   83

La nouvelle fabrication : 3D printing, mouvement « maker »


et usine 4.0
Le digital ne se contente plus de l’immatériel. Avec un scanner 3D sur son
smartphone et une imprimante également 3D, n’importe qui peut copier une
statuette ou un objet et en faire une copie, plus ou moins réussie, dans des
matières de plus en plus variées (beaucoup de plastiques et de résines, des
métaux, du papier, des algues et même de la nourriture comme les pâtes !).
Chris Anderson1 voit dans le mouvement Maker une nouvelle révolution
industrielle : « La grande opportunité du mouvement Maker est la possibilité
d’être à la fois petit et mondial. À la fois artisanal et innovant. À la fois high-tech
et low cost. La possibilité de commencer petit et de devenir gros. Et surtout, de
créer le genre de produits que le monde désire sans le savoir encore, parce que
ces produits s’inscrivent mal dans l’économie de masse du modèle ancien ».
Quel progrès !
• Il existe aujourd’hui dans le monde près d’un millier de « makerspaces » – des
établissements de production partagés (Techshop™, Etsy™, MakerBot,
Shapeways, Quirky…) et plus de 150 FabLabs dans le monde.
• Des produits génériques, comme la carte électronique Arduino™, ont
été vendus à plus d’un million d’unités.
Son langage de programmation est simple et elle possède de nombreuses
entrées/sorties : on peut en faire un programmateur d’arrosage de jardin
connecté à Internet ou un outil de simulation de présence dans son appar-
tement.
À moyen terme, toutes les informations produites par l’ensemble des
acteurs de la chaîne de valeur (concepteurs, personnel de production,
sous-traitants, transporteurs, consommateurs, organismes de recyclage…)
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seront utilisées pour améliorer le produit… mais aussi l’usine d’où il sort.
Il est ainsi intéressant de constater que le digital, en connectant l’usine et
le client (en tout cas ses usages) fournit de nouvelles raisons de rapprocher
les usines des marchés… à l’opposé du mouvement de déplacement de la
production vers des pays à faibles coûts salariaux.
À suivre… Ces technologies, et d’autres plus éloignés de notre propos,
sont détaillés dans une étude McKinsey de mai 2013.2

1. Chris Anderson, Makers, la nouvelle révolution industrielle, Pearson, 2012.


2. « Disruptive technologies: Advances that will transform life, business, and the global
economy », McKinsey Global Institute, mai 2013.
84  La transformation digitale

No limit !
Même s’il est parfois de bon ton de critiquer les superlatifs utilisés pour
cette révolution qui n’en serait pas une, nous sommes de ceux qui pensons,
comme l’économiste américain Erik Brynjolfsson, que nous entrons dans
une nouvelle ère qui, malgré toutes les turbulences qu’elle entraîne, devrait
nous conduire à une nouvelle ère de prospérité.
Il faut pour cela innover ; même si bon nombre d’innovations ne sont pas
de rupture, mais plus une remise en cause et une amélioration de la manière
de faire et de servir. Dans cette trajectoire les technologies jouent un rôle
central.
Nous proposons de regrouper les technologies (qui sont nouvelles depuis
bien longtemps !) selon la règle suivante : deux technologies sont dans le
même groupe si elles engendrent la même famille d’usage.
Avec cette clé de lecture, il est possible de regrouper, pour les analyser les
ruptures technologiques en cinq grandes catégories :
• La puissance de traitement : La puissance personnelle de traitement
mobile et la connectivité apparaissent comme sans limite (le cloud et
l’ubiquité).
• L’extension des devices à l’infini : les objets connectés.
• Les capteurs et les data associés.
• L’analytics, les algorithmes et le prédictif.
• La nouvelle fabrication : 3D printing, mouvement « maker » & Usine 4.0.
5
Les ruptures à l’œuvre : exemples parlants

L e tableau ci-après donne un aperçu des disruptions intervenant sur un


grand nombre de secteurs d’activités touchant de grandes et de petites
entreprises fournissant des produits ou des services à des marchés plus ou
moins matures. Il est très probable que personne n’est où ne sera épargné
car ces approches et ces technologies s’appliquent à tout et à tous et peuvent
rapidement déstabiliser les positions établies pour créer de nouveaux
leaders.
Tableau 5.1 – Disruptions et secteurs d’activités

Exemple de
↑ up / ↓ down Exemples de nouveaux usages Nouvelles technologies
marques
Deezer, ↑ Deezer, Spotify Plaisir de partager simplement la Amélioration de la qualité avec
Spotify, ↓ iTunes menacé ? musique que j’aime avec mes amis : le débit
iTunes radio création et partage de playlist, Immersion sociale totale : Partage
… Plaisir de découvrir et d’écouter sans smartphone à smartphone
engagement
Musique en Moteur d’intelligence artificielle pour
streaming proposer des artistes à l’écoute (The
Echo Nest)
86  La transformation digitale

Ergonomie incomparable à la
manipulation de CD
Possibilité d’écouter ce qu’écoute mon
voisin dans le métro
General Motors ↑ Google, Apple Voiture bourrée de capteurs Capteurs embarqués et voiture
Toyota ↓ Garmin, Tom- Assurance personnalisée connectée ou
Voiture
Renault Tom ? Aide à l’amélioration de la conduite Intégration du/des smartphone(s)
PSA Conduite automatique à bord
Airbnb ↑ Airbnb, Propriété → location → partage → Plateforme d’échange
Couchsurfing Couchsurfing échange Visite 3D
Jerevedunemaison ↓ Hôtellerie ? Plaisir de découvrir des logements plus Surveillance et engagement des
… personnels marques
Hôtellerie
Bénéficier d’un niveau de confort Avis sur les biens et les locataires
inaccessible en location
Un appartenant de 30 m2 pour le prix
d’une chambre d’hôtel

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Amazon ↑ Amazon Privé Kindle
FNAC ↓ Libraires Ma bibliothèque avec moi Kobo
Carrefour Ma librairie avec moi Tablettes
Livre … Business
Exportation numérique des passages
surlignés
Partage des passages les plus surlignés
Titres de presse ↑ YouTube 7 milliards de reporters (et d’espions…) Smartphone 4K
écrite ↓ TV Généralistes 100 heures de vidéos déposées sur Avec la 4G et les premiers
Pure players YouTube chaque minute smartphones 4K chaque individu
digitaux GoPro veut devenir un média pourra produire et diffuser des
(Newsweek, Slate, Beaucoup de blogs ont plus d’audience films à un standard meilleur que
Mediapart…) que les médias écrits, certains ont plus la TV actuelle
Presse et TV
Blogs (Mashable, d’influence
Techcrunch, The Comment qualifier l’information et
Corner…) valoriser l’analyse à l’ère du continu
Curateurs (Chaînes en continu et Twitter) ?
(Flipboard,
Scoopit…)
Facebook ↑ Images et vidéos Pour ces 10 ans Facebook affiche une Mobile, Mobile, Mobile
Instagram ↓ Texte légère décroissance chez les adolescents Combinaison des capteurs
Pinterest au profit de Twitter ou Ask et des réseaux (au-delà de la
Réseaux Twitter Alors que Facebook permet de gérer géolocalisation)
sociaux LinkedIn son « image » publique et de tester
Viadeo sa popularité d’autres permettent
… une communication plus fermée
Les ruptures à l’œuvre : exemples parlants   87

(Snapshot…)


Nikon ↑ GoPro, Kodak tué par le numérique Convergence des capteurs
Canon smartphones Convergence mobile/appareil photo Flux montant à haut débit avec
GoPro ↓ Compacts Convergence Reflex/camera la 4G
Photographie
Nokia professionnelle La technologie tirée par les
et films
Sony Le streaming montant (me too many) mobiles (marché de masse)
Leica avec la 4G Frontière pro/masse qui
… s’estompe
AXA ↑ Comparateurs, Nouvelles solidarités Smartphones
MAAF constructeurs Assurance mensualisée Capteurs médicaux
Assurance BNP automobiles, Économie horizontale Télédiagnostic
Direct Assurance nouvel entrant ? Croud everything
… ↓ Assureurs ? Assurance on demand
88  La transformation digitale

AXA ↑ Objets L’Inde réinvente le domaine de la santé Smartphones


CVS-Caremark connectés, avec plus de préventif, de self-care et de Capteurs corporels
Embrace (Nepal) smartphones, télédiagnostic, Technologies sous-cutanées
Winner of télédiagnostic « Wearable technologies » (les technos a
Santé
entrepreneurial ↓  Hopital de porter sur soi)
design for extreme jour ?
affordability
(Stanford)
King.com Ltd ↑ Smartphones, Cloud Gaming 4G/4K
(Candy Crush) réseau Multi-joueurs synchrone 4G Nouveau processeur graphique
Jeux
Gameloft ↓ Consoles
EA

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Walmart ↑ Drive, livraison Préparation de plus en plus poussée Objets connectés et Beacon
Amazon J+1 Immersion digitale Indoor (BLE)
Carrefour ↓ Hyper, Livraison E-wallet / e-payment Geoloc Indoor
Distribution Zara J+3 Reconnaissance d’objet (Amazon)
FNAC
Paypal

Schneider ↑ Inbound Brand content (notoriété) et marketing Objets connectés = digitalisation
Evernote marketing, réseaux content (engagement contacts) de mes produits
Salesforce sociaux, Réseaux sociaux films (YouTube, Open electronic : Arduino
… services Dailymotion…), images (Pinterest,
↓ Oubound Instagram…), infographies (Pinterest,
BtoB
marketing, Blogs…), présentations (Slideshares…)
commerciaux, Mouvement maker
produits Plus de services
La distinction des usages BtoC et BtoB
s’estompe
Les ruptures à l’œuvre : exemples parlants   89
90  La transformation digitale

Si la transformation digitale n’est pas l’affaire de quelques-uns mais


concerne l’ensemble de l’économie (y compris les services publics qui ne
sont pas l’objet de notre livre), des exemples d’entreprises industrielles,
dont le produit, pour certaines, paraît très éloigné des préoccupations digi-
tales ont su se réinventer et conquérir des avantages compétitifs majeurs :
c’est le cas de Nike, SEB et Schneider (abordé en deuxième partie).

Nike : « If you have a body you are an athlete »


Nike invente le capteur, l’application puis le bracelet permettant de mesurer,
suivre et partager ses performances sportives (d’abord pour les coureurs
puis par extension à d’autres sports) : Nike fuel. Mais Nike ne s’arrête pas là
et poursuit la construction de son écosystème autour des sportifs avec
récemment (en 2013) le lancement d’une application sur Xbox Kinect™
pour s’entraîner chez soi (coach virtuel).1
L’intérêt pour la marque est de créer un écosystème de marque, un accès
à une connaissance client sans précédent, un engagement client plus fort.

SEB
SEB a présenté au CES de Las Vegas en 2014 NutriCook® Connect, la
première cocotte connectée, après Actifry™ la friteuse (presque) sans huile
ou Cookéo™, le multicuiseur intelligent. Rodolphe Roux, responsable
digital de SEB, identifiait cinq piliers du digital chez SEB :
• « Le contenu : il s’agit de raconter de belles histoires ».
• « La médiatisation : autour du display et de la performance. Au total, le
groupe a 30 millions de visiteurs uniques par an sur les 180 sites de ses 23
marques dans 83 pays ».
• « Le e-business : le groupe démarre dans la vente en ligne avec
100 millions de dollars de chiffre d’affaires dans ce secteur ».
• « L’e-réputation ».
• « Le numérique : il s’agit de faire émerger des initiatives digitales pour
accompagner les produits d’aujourd’hui et de demain. On ne peut pas
avoir raison tout seul. Il faut planter des graines dans toutes les orga-
nisations en entretenant des contacts directs avec les personnes clés du
groupe et de l’écosystème ».

1. Coach virtuel – film de démonstration sur www.akqa.com.


Les ruptures à l’œuvre : exemples parlants   91

Terminons le cas SEB par une citation de Thierry de La Tour d’Artaise,


son CEO : « Dans les années 2005, nous avons pris un tournant majeur :
réfléchir d’abord à l’usage. Nous avons recruté des spécialistes de l’agroali-
mentaire, des anthropologues, des chefs cuisiniers, associé étroitement la
R&D, le marketing, le design… Parallèlement, nous multiplions les parte-
nariats avec les universités, les centres de recherche comme le CEA… Et, en
2011, nous avons aussi lancé SEB Alliance, notre fonds d’investissement
dans des start-up technologiques. C’est un écosystème très ouvert qui nous
permet d’innover sans cesse, d’inventer une friteuse sans huile ou presque,
un aspirateur silencieux, un Cookeo™ aux recettes préprogrammées doté
d’une entrée USB… Nous ne sommes qu’au début d’une ère où le digital va
tout transformer de fond en comble. »1
Nous aborderons d’autres exemples dans la deuxième partie de cet
ouvrage. Nous les avons choisis pour montrer que le digital s’applique à
tout et que rien n’est impossible. Pour autant, nous croyons fortement à la
valeur d’authenticité : le digital est une occasion unique d’incarner les
valeurs de la marque et de la société.
Quand une marque/entreprise, forte de son patrimoine, invente un
digital qui résonne avec ses valeurs aux yeux de ses clients, alors ces marques
ne doivent pas craindre l’arrivée de nouveaux entrants pure players.

1. Interview, Les Échos, avril 2013.


Partie 2
Conduire la transformation
digitale
6
Prendre ses marques

Des bouleversements sans précédent


La transformation digitale est un changement stratégique, global, complexe
et radical. Elle recèle de nombreux défis, mais aussi des paradoxes qu’il va
falloir gérer :
–– l’ouverture de l’entreprise sur son écosystème ;
–– une nouvelle gouvernance ;
–– l’entreprise organique plutôt que hiérarchique ;
–– le management plus démocratique pour favoriser l’innovation ;
–– le leadership ;
–– le changement permanent ;
–– l’entrepreneuriat interne ;
–– la bonne gestion des énergies ;
–– la cohésion ;
–– la fluidité de la communication ;
–– l’engagement des collaborateurs et la place de l’individu ;
–– les tribus au sein de l’entreprise ;
–– la diversité…
Convaincus que cette transformation, pour inéluctable qu’elle soit, est
porteuse de développement et d’espoir, nous considérons qu’elle doit être
conduite pour être ambitieuse et joyeuse.
Afin d’aider les entreprises à garder le bon cap pendant ces changements
prometteurs, nous lui proposons un modèle simple, global, d’inspiration
systémique pour imaginer et structurer sa transformation digitale. Ce
modèle est basé sur un fondement sociologique et méthodologique
robuste ; il est ouvert et a vocation à évoluer.
Qui mieux que Michel Serres1, philosophe, historien des sciences et péda-
gogue hors pair, a expliqué les tenants et les aboutissants de la révolution qui

1.  Michel Serres, Petite Poucette, Le Pommier, 2012.


96   la transformation digitale

se dessine sous nos yeux depuis plus d’une décennie et dont la matrice est
constituée par les technologies digitales ? Essayons de résumer son propos qui
explique l’apparition d’un nouveau monde dominé par le codage et le digital
en général.
L’ordinateur présente une solution originale dans le couple support-mes-
sage qui a été transformé trois fois dans l’histoire de l’humanité.
La première fois, dans les millénaires avant J.-C., l’homme était encore
au stade oral. Le support matériel était le corps humain et le message était la
voix. Avec l’arrivée de l’écriture, le support se déplace du corps sur le papier
et le message se déplace du langage à l’écriture. Il s’ensuit deux révolutions
aux impacts gigantesques grâce à des innovations d’une portée extraordi-
naire.
Avec l’écriture :
–– le droit oral devient écrit, le serment devient la signature, la parole
devient un acte ;
–– la politique et les classes sociales se transforment avec l’arrivée des scribes
et des experts ;
–– les Grecs anciens créent la géométrie, socle technologique de toutes les
sciences dites dures ;
–– la monnaie devient le troc, rendant les échanges plus faciles et le déve-
loppement du commerce ;
–– le monothéisme, religion du livre, naît et connaît un développement
rapide…
Toutes ces innovations se sont conjuguées pour marquer une étape
majeure de l’histoire des hommes.
La deuxième fois, ce fût bien plus tard, au XVe siècle, grâce à Johannes
Gutenberg.
Avec l’imprimerie, la deuxième transformation du support-message ne
voit pas encore le changement du support matériel qui reste le papier mais
du processus industriel d’élaboration du message sur le papier. Elle induit
des changements et des innovations dont le spectre est comparable à celui
de ceux survenus à l’époque de l’antiquité :
–– le commerce avec les premiers traités de comptabilité et les premières
institutions bancaires ;
–– la religion avec l’arrivée de la réforme ;
Prendre ses marques   97

–– la politique avec les premiers systèmes démocratiques après la république


grecque ;
–– la science expérimentale, deuxième révolution en ce qui concerne les
sciences ;
–– l’éducation avec tous les traités de pédagogie de la Renaissance…
Avec l’ordinateur et le web, le couple support-message en est à son troi-
sième avatar. Michel Serres nous indique que, si nous vivons une période de
basculement, les crises que nous connaissons déjà assez bien et que nous
allons vivre ont été déjà vécues, dès lors que nous avons compris « la loi des
trois états ». Nous pouvons les lire à travers le même prisme et les change-
ments se feront dans les mêmes domaines :
–– le droit ;
–– la politique ;
–– le commerce ;
–– la religion ;
–– les sciences ;
–– la pédagogie ;
–– l’éducation…
Avec le développement somme toute récent de l’informatique, les défis
et les enjeux, mais aussi les opportunités qui se présentent à nos sociétés
sont d’une ampleur équivalente. L’obsolescence de certains modèles et
systèmes est déjà visible dans tous les domaines : éducation, recherche,
travail, commerce, géopolitique…
Pourquoi et comment ?
Michel Serres décrit le père Michel Montaigne qui dans sa librairie
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

déclarait : « Je préfère une tête bien faite à une tête bien pleine. » Avant
l’écriture, la connaissance, c’était le savoir par cœur. L’homme a été libéré
d’un poids : celui de la mémoire. « Sa tête a changé. »
Avec l’ordinateur, notre tête change encore et nous assistons à l’externa-
lisation de la connaissance humaine et de ses trois facultés : la mémoire,
l’imagination et la raison. Elle se trouve devant nous, dans cette machine
qui peut recevoir, conserver et accéder à des volumes croissants de données.
Elle possède ses propres capacités de résolution de diagnostic et de résolu-
tion de problèmes et nous relie aux autres.
Ainsi « Petite Poucette » tient maintenant, entre ses mains, un nouvel
espace (GPS…), un nouvel accès à l’information (Wikipedia…),
98   la transformation digitale

un nouvel accès aux plusieurs milliards d’autres internautes dans le monde


(réseaux sociaux…)…
Bref, un nouveau monde, un monde de savoirs, d’interactions, de
conversations et de relations.
Ces ruptures, rappelées ici de façon très rapide, ont été des périodes de
crise avec des moments de grandeur et de décadence. Celles que nous vivons
actuellement le seront encore davantage, tout simplement parce que le
nombre d’humains qu’elles concernent est sans commune mesure.
L’écrivain et philosophe Alain Finkielkrault, conscient que la « techno-
logie façonne les comportements », déclare n’avoir aucune confiance dans
« les digital natives »1 et ne pense à eux « qu’avec un sentiment d’inquiétude
et de compassion ». Rien de moins.
Nous ne partageons pas cette vision pessimiste, même si nous sommes
conscients des risques encourus, et préférons nous placer sous de meilleurs
auspices en appelant à un « optimisme actif et vigilant ». La révolution
digitale sera une opportunité pour ceux qui décideront de la prendre à
bras-le-corps et un calvaire plus ou moins long et douloureux pour ceux
qui ignoreront l’ampleur des changements qu’elle induit et tarderont à
sonner le rassemblement.
Le xxe siècle nous a appris à ne plus nous étonner de la disparition rapide
et inattendue d’entreprises majeures qui faisaient partie du paysage écono-
mique mondial depuis des décennies. Beaucoup d’entre nous ont connu
quelques moments de « sidération ». Et pourtant Eiji Toyoda, le fondateur
de Toyota, ne déclarait-il pas : « Je ne connais pas d’entreprise dont le
business puisse durer plus de 50 ans ».
Le changement s’invitait donc déjà dans les stratégies long terme des
entreprises. Avec la révolution digitale, il n’est plus question de long terme.
Tout se conjugue au présent.
Un article paru dans l’Usine digitale2 recense les 50 start-up qui peuvent
« tuer votre business ». Beaucoup d’entre elles sont déjà connues à l’échelle
globale. Le titre est alarmant et pourtant ne traduit qu’une réalité qu’il faut
se hâter de regarder en face.

1.  L’auteur désigne ainsi les personnes ayant grandi enfants avec le web et les nouvelles techno-
logies de l’information et de la communication.
2.  « 50 start-up qui peuvent tuer votre business », www.usine-digitale.fr, 11 décembre 2013.
Prendre ses marques   99

Il ressort de cette analyse sans concession que tous les secteurs d’activités
sont touchés, comme le prédit Michel Serres. Nous donnerons ici quelques
exemples. Combien le lecteur connaît-il de ces acteurs qui partent à l’abor-
dage sans complexe ? Les « tribus » de ces attaquants sont nommées, comme
au temps des barbares, et nous verrons plus loin la portée de ce terme qui a
sa noblesse.

Tableau 6.1 – Quelques disrupteurs

Ce service redéfinit la gestion des flottes automobiles


autour de la centralisation et du libre-service. Le système,
qui utilise un boîtier connecté installé dans le véhicule,
signale si la voiture est disponible ou non, enregistre
Local l’identité de l’emprunteur, pour un usage à la demande.
Il préfigure une gestion de parc de véhicules autonomes,
Motion les principaux paramètres des véhicules pouvant être
contrôlés à distance.
TRIBU BetterCar (Carbox), Autolib’ (Bolloré)
UNE MENACE POUR le transport public, la
manutention
Le Smart lock d’August est une serrure numérique qui
se contrôle à distance via une app smartphone. Il permet
d’allouer des codes d’accès, permanents ou temporaires,
à différentes personnes, et de visualiser l’historique des
August accès, grâce à un journal des entrées et sorties. August
concurrence les industriels de la sécurité et peut servir de
garant aux assureurs.
TRIBU Chipolo, The tile
UNE MENACE POUR la sécurité, les assurances
L’Américain est devenu l’un des monstres de jeu en ligne.
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Sa particularité ? Proposer des jeux gratuits,


principalement sur Facebook. Son modèle économique
est celui de la vente de publicités et d’object virtuels au
sein de ses jeux. à l’instar d’« Angry Birds » sur mobile,
Zynga « Farmville » et « Mafia War », par leur simplicité, ont
attiré une population peu tentée par les jeux sur console.
Le modèle de jeu social, entre « amis », séduit aussi.
TRIBU Rovio, Kobojo, PrettySimple
UNE MENACE POUR les jeux vidéo, les industries
culturelles, les services

100   la transformation digitale


Apparu en 2011, Filpboard agrège des contenus
éditoriaux de sites web et de réseaux, qu’il présente sous
forme de magazine personnalisé à lire sur tablette et
smartphone. Ce service intègre des publicités. Ainsi,
Flipboard il valorise le temps d’attention des utilisateurs, tout en
donnant à la publicité la force qu’elle a sur le papier.
TRIBU Pulse (LinkedIn), Google Newsstand
UNE MENACE POUR les médias, la communication,
la publicité
Née en avril 2009, c’est l’une des premières plateformes
de financement collaboratif (crowdfunding). Avec
plus de 850 millions de dollars investis dans plus de
50 000 projets par 5 millions de personnes, Kickstarter a
Kickstarter ouvert la voie de l’innovation à la multitude.
TRIBU KissKissBankBank, Ulule, My Major Company,
My Pharma Company, WiSeed, lndiegogo
UNE MENACE POUR les biens d’équipement et de
la maison, l’industrie du divertissement
Airbnb permet à des particuliers de louer une chambre
ou leur appartement à d’autres particuliers. Plus de
9 millions de touristes ont utilisé la plateforme, qui met à
disposition 500 000 logements dans 192 pays. Le service
Airbnb repose sur la confiance. Outre les hôtels, Airbnb menace,
comme Facebook, de s’interfacer entre les fournisseurs
d’équipement et services pour la maison… et leurs clients.
TRIBU TripAdvisor, 9flats, Wimdu, House Trip
UNE MENACE POUR le tourisme, la domotique

Et pourtant
Selon une étude récente1 (1 500 personnes interrogées online d’entreprises
de toute taille dans 106 pays) :
–– 79 % des entreprises sont conservatrices (14 %) ou débutantes (65 %) dans
le digital ;
–– 6 % sont très agressives dans l’adoption des nouvelles technologies mais
sans véritable vision d’ensemble centrée sur les usages clients (« Fashio-
nistas ») ;
–– 15 % ont défini et exécutent une vision digitale (« Digirati ») ;

1. « MIT Sloan management Review School », Cap Gemini consulting, octobre 2013.
Prendre ses marques   101

–– 78 % pensent que la transformation digitale sera un sujet critique des


deux prochaines années ;
–– seulement 37 % ont présenté la transformation digitale en tant qu’ob-
jectif inscrit dans l’agenda du PDG ;
–– 64 % proclament que le rythme de progression technologique dans leur
organisation est trop lent ;
–– et s’agissant des obstacles à la transformation :
–– 40 % déclarent que le manque d’urgence (au moins perçu) est le
principal obstacle ;
–– manque de vision : 36 % déclarent que les hauts dirigeants partagent
leur vision ;
Une grille de maturité a préalablement été élaborée1.

FASHIONISTAS DIGIRATI
• Many advanced digital features • Strong overarching digital vision
(such as sociatl, mobile) in silos • Good governance
• No overarching vision • Many digital initiatives
• Underdeveloped coordination generating business value in
• Digital culture may exist in silos measurable ways
• Strong Digital culture
Digital intensity

BEGINNERS CONSERVATIVES
• Management skeptical of the • Overarching digital vision exists,
business value fo advanced but may be underdeveloped
digital technologies • Few advanced digital features,
• May carry out some experimentaion though traditional digital
• Immature digital culture capabilities many be mature.
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• Strong digital governance


across silos
• Taking active steps to build
digital skills and culture

Transformation management intensity

Figure 6.1 – La grille de maturité


Plus récemment, la deuxième édition du baromètre de la transformation
numérique de l’usine nouvelle2 indique si les grandes entreprises ont lancé
des initiatives, les industriels sont encore, en majorité, « bloqués à l’ère

1.  MIT for Digital Center for Digital Business et Cap Gemini Consulting, 2011.
2.  « Les entreprises françaises et le numérique », L’Usine nouvelle, 16 octobre 2014.
102   la transformation digitale

informatique », cantonnant le numérique aux applications informatiques


de production :
–– 27 % des répondants n’ont pas de responsable de la transformation digi-
tale ;
–– 68 % considèrent le digital comme une solution de sauvegarde de don-
nées ou de gestion de documents
–– 20,4 % seulement ont un projet ou une solution big data.
Steve Balmer1 déclarait, il n’y a pas si longtemps :
• « Google n’est pas une véritable entreprise. C’est un château de cartes. »
• « Il ne peut y avoir dans Facebook une technologie supérieure à ce qu’une
douzaine de développeurs peuvent réécrire en deux ans. »
Il convient à chacun de se préserver de la myopie stratégique, même si
nous devons évidemment considérer la personnalité haute en couleurs et
provocatrice de Steve Balmer. Un dirigeant de ce rang s’adresse, quand il
s’exprime, autant au marché qu’à ses équipes, dont il se doit de maintenir la
motivation et la fierté d’appartenance à l’entreprise.
Prenons le cas emblématique de l’industrie musicale, historiquement
construite sur plusieurs piliers solides :
–– coûts de production élevés offrant des barrières à l’entrée difficiles à
franchir ;
–– rentabilité élevée grâce à une technologie bien maîtrisée ;
–– contrefaçon quasi impossible (vinyle) ;
–– principe de renouvellement avec le principe du Hit parade ;
–– promotion gratuite grâce à la radio ;
–– nombre limité de labels en compétition.
L’arrivée du digital, conjuguée à un manque de vision et de réaction,
a vu toutes les digues céder. La technologie et ses nouveaux utilisateurs
ont mis à mal des maillons essentiels de la chaîne de valeur de cette
industrie : la promotion et la distribution. La dématérialisation a offert
des possibilités de reproduction à l’infini pour un coût marginal et de
distribution facilitée grâce aux progrès des techniques de compression
de données. Elle a également permis la gratuité de l’accès aux biens
culturels dont la quantité est en accroissement constant.

1.  Co-fondateur et CEO de Microsoft.


Prendre ses marques   103

Avec l’accroissement des flux d’échange, c’est la notion même d’œuvre qui
évolue avec les techniques de transformation (compilation, sampling…).
La littérature sur le déclin de l’industrie musicale ne manque pas et nous
sommes, pour notre part, convaincus que la révolution digitale continuera
à être un accélérateur de déclin dans un grand nombre de cas.
Il nous fallait donc nous intéresser au processus de déclin « générique »,
si l’on peut dire, afin d’en donner la meilleure lecture possible au lecteur.
Nous y reviendrons donc.

Les business models bougent


Nous l’avons déjà évoqué, les nouveaux business models facilités et amplifiés
par le digital sont de sérieux perturbateurs. Certains sont particulièrement
adaptés au contexte économique et social que nous vivons et constituent des
incitations fortes pour :
–– le passage de la propriété à l’usage (voiture, location d’électroménager
chez Boulanger via sa filiale www.lokeo.fr) ;
–– l’économie du partage (comme le Drive partagé chez Auchan moyen-
nant 3 euros de bon d’achat) ;
–– la recommandation CtoC : lorsque l’on vous dit que Volvo fait des voi-
tures sûres, vous avez 42 % plus de chances d’acheter cette voiture si
c’est un ami proche qui vous le dit, 18 % si c’est un ami plus éloigné,
7 % si c’est une simple relation et 5 % si c’est la marque elle-même qui
vous le dit1 ;
–– les échanges horizontaux : des exemples comme Unilever (Yunomi) et
Leroy-Merlin (Du côté de chez vous) illustrent bien ce besoin.
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1.  Quality Time de Jaap Favier, ancien dirigeant de Forrester et fondateur de « The Small
Circle » (www.thesmallcircle.com).
104   la transformation digitale

Figure 6.2 – Yunomi, un exemple de plateforme d’échanges horizontaux

Figure 6.3 – « Du côté de chez vous », un exemple de plateforme


d’échanges horizontaux
Prendre ses marques   105

L’industrie automobile connaît des difficultés et une forme de désaffec-


tion qui perdure :
–– la durée de vie moyenne est de 8,1 ans en 2013 alors qu’elle n’était que
de 6,8 en 1991 ;
–– l’acheteur d’une voiture neuve a 52,5 ans en moyenne ;
–– 50 % des voitures neuves n’ont pas été achetées par des particuliers en
2013.
Les modèles et les mouvements qui poussent vers le partage ou l’usage
plutôt que la propriété (covoiturage1, location entre particuliers2) accen-
tuent encore les menaces sur le modèle économique des constructeurs.
Le secteur de l’énergie est également concerné. Dans une interview à la
commission de régulation de l’énergie, Jean-Pascal Tricoire (PDG de
Schneider) décrivait très clairement les enjeux de l’intelligence dans les systèmes
énergétiques : « Résoudre le défi énergétique demande une injection massive
d’intelligence, d’automation et de communication dans le réseau, d’où l’émer-
gence nécessaire des « Smart Grids », qui combinent une production et une
consommation plus intelligentes et des mécanismes de « Demand Response »
pour assurer l’équilibre entre les deux. Cependant, le réseau intelligent ne résout
rien. Le réseau sera « smart » si son écosystème l’est : pas de Smart Grids sans
Smart Buildings, Smart Homes ou Smart data centers, etc. L’investissement
sera payé par les économies réalisées ».
Avec l’acquisition en janvier 2014, pour 3,2 milliards de dollars de Nest,
start-up californienne créée en 2011 par deux anciens directeurs d’Apple,
spécialisée dans les thermostats intelligents, Google se donne les moyens
d’être un acteur incontournable de la maison intelligente, point de passage
obligé pour la gestion intelligente de l’énergie.
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À l’inverse, pour la souplesse de pilotage des éclairages LED, les outils


grand public, comme les smartphones ou les tablettes, permettent à Schneider
des applications de paramétrage pour les installateurs et pour les utilisateurs
finaux. Un bel exemple de décloisonnement des secteurs (Énergie ↔ Digital)
et de transformation des business models (BtoB ↔ BtoC).
La production est également concernée. Sur la côte Est des États-Unis,
General Electric a investi 170 millions de dollars dans une toute nouvelle
usine. Sur 18 600 mètres2, 400 salariés dotés de tablettes tactiles pour piloter

1. www.covoiturage.fr
2. www.drivy.com
106   la transformation digitale

assemblage, maintenance et approvisionnements produisent 25 à 50 batteries


Durathon™ par semaine. Ces accumulateurs, vendus plus de 15 000 euros
pièce, servent d’alimentation de secours à des hôpitaux, des antennes de télé-
phonie mobile, etc. Les capteurs qui équipent ces batteries surveillent et
renvoient toute une série de données directement à l’usine où elles sont analy-
sées, grâce aux technologies « analytics » vues précédemment, pour repérer les
éventuels défauts de conception ou de fonctionnement et anticiper les inter-
ventions de maintenance.

Comprendre le processus de déclin pour l’éviter


Paul Valéry l’a joliment dit : « L’avenir n’est plus ce qu’il était. » En effet, il
s’accélère et nous voyons des entreprises puissantes, parfois séculaires passer
du leadership aux grandes difficultés, voire s’effondrer sous nos yeux :
• Kodak, bien qu’il ait déposé les premiers brevets pour la photo
numérique, a raté ce tournant historique.
• Intel, qui dominait le marché des PC avec 85 % de part de marché, n’a
pas réussi à dépasser 1 % d’équipement des téléphones mobiles.
• Après Motorola, qui n’a pas cru à la téléphonie numérique, Nokia, qui avait
ravi sa domination à Motorola, n’a pas vu venir la vague du smartphone.
• Après avoir inventé le Walkman, Sony s’est focalisé sur le contenu (films
et musique) et a raté le numérique et l’iPod.
• BlackBerry, qui a été le premier à permettre les mails en mobilité, n’a pas
su transposer son clavier pour le surf sur Internet.
• Oracle et SAP ont cru trop tardivement à l’essor du SAAS pour les
grandes entreprises et « laissé un boulevard » à Salesforce.
Nous proposons au lecteur de disséquer le processus du déclin à la
lumière des travaux de Jim Collins1. Dans le cadre d’une étude remarqua-
blement structurée, il cherche à identifier les causes récurrentes d’échec et
les facteurs explicatifs communs. La question est simple et primordiale :
pourquoi certaines entreprises déclinent quand d’autres résistent ?
Selon lui, « Toute organisation est vulnérable, aussi formidable soit-elle.
Quoi que vous ayez accompli, quelle que soit la puissance que vous ayez
acquise, vous n’êtes pas à l’abri du déclin. Il n’existe aucune loi de la nature
qui voudrait que les plus puissants demeurent forcément au sommet… ».

1.  Jim Collins, Ces géants qui s’effondrent,  Pearson, 2012.


Prendre ses marques   107

Fort de cette conviction, il s’est livré à l’observation d’une soixantaine de


sociétés dans plus de 30 secteurs, parmi lesquelles se trouvent des grands
noms comme Motorola ou Bank of America. Son approche repose princi-
palement sur la mise en contraste, c’est-à-dire une comparaison entre les
entreprises qui réussissent et celles qui échouent. Toujours, il recherche à
savoir ce qui les différencie.
Même s’il souligne que les mécanismes de déclin sont plus difficiles à
comprendre que ceux de la réussite, son travail lui permet de définir cinq
stades qui caractérisent les étapes types par lesquelles les entreprises ont
tendance à passer sur le chemin de l’abîme. Ces stades peuvent se chevau-
cher en partie et le temps passé sur un stade peut être plus ou moins long
selon les entreprises.
Les observations ont permis de définir 5 stades dans le processus de déclin.
Stade 3
Déni du risque
et du danger

Stade 2 Stade 4
Quête Salut à tout prix
indisciplinée du
« toujours
plus »

Stade 5
Capitulation
insignifiance ou
mort

Stade 1
Hubris né de la
réussite
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Figure 6.4 – Les stades du processus de déclin

Stade 1 : Hubris né de la réussite : « L’entreprise perd en lucidité et en


rigueur. Forte de son succès, elle développe peu à peu une forme d’arro-
gance et une mauvaise compréhension de ses points forts et de ses points
faibles. Les décisions des dirigeants perdent peu à peu de leur pertinence ».
Stade 2 : Quête indisciplinée du toujours plus : « Dans une sorte
d’ivresse du succès, l’entreprise cesse de faire preuve de créativité disciplinée
pour sombrer dans la démesure, l’investissement désordonné et l’illusion de
la croissance rapide ».
108   la transformation digitale

Stade 3 : Déni du risque et du danger : « Alors que les signaux d’alerte


se multiplient mais que les résultats sont encore bons, l’entreprise refuse de
voir la réalité en face et se montre incapable de réagir comme il le faudrait ».
Stade 4 : Salut à tout prix : « Le déclin commence à devenir visible, la
question est de savoir comment les dirigeants réagiront. Ce stade est capital,
car c’est la dernière étape avant que la situation ne devienne irrattrapable ».
Stade 5 : Capitulation, insignifiance ou mort : « Le cinquième stade peut
être celui de « la mort et de l’insignifiance », stade dont on ne peut plus revenir ».
Jim Collins considère que « les entreprises peuvent trébucher sévère-
ment et reprendre pied… Ce sont les organisations qui sont responsables
de leur déclin et, la plupart du temps, la guérison est entre leurs mains … ».
Plus l’entreprise avance dans les différents stades, plus elle consomme
des ressources. L’espoir s’épuise peu à peu et le cône des possibles se referme.
Il nous presse donc de nous mobiliser le plus tôt possible en stade 1,2 ou 3,
avec suffisamment de moyens pour sortir du processus de déclin en préci-
sant que, si c’est évidemment plus compliqué, il est encore possible d’en-
rayer le déclin en stade 4 mais que nulle entreprise n’est revenue du stade 5.
Le stade 4 est donc à observer avec attention car il s’agit du stade de tous
les dangers, mais où l’espoir est encore permis.

Stade 5
Redressement
et renouveau

Stade 3
Déni du risque
et du danger

Stade 4
Salut à tout prix
Stade 2
Quête
indisciplinée du
« toujours
plus »

Stade 1
Hubris né de la
réussite

Figure 6.5 – Le stade 4 stratégique


Prendre ses marques   109

Le déclin n’est donc pas une fatalité. Il suppose, a minima, une grande
lucidité individuelle et collective, une bonne interprétation des signaux
faibles ou forts et, bien sûr de l’humilité. Il faudra également beaucoup
d’énergie, mais aussi adopter les comportements adéquats, eu égard à la
difficulté de la situation.

Tableau 6.2 – L’alternative

Comportements pouvant contribuer


Comportements caractérisant
à enrayer la spirale descendante
et perpétuant le stade 4
de stade 4
Placer ses espoirs dans des stratégies Formuler des changements stratégiques
hasardeuses : incursions désordonnées dans fondés sur des preuves empiriques et des
de nouvelles technologies, de nouveaux analyses stratégiques et quantitatives, au
marchés, de nouvelles activités, souvent lieu de faire des paris au petit bonheur
à grand renfort de fanfare et trompettes. la chance.
Rechercher une grosse acquisition qui Comprendre que deux entreprises qui
changera les règles du jeu (souvent sur vont mal ne feront jamais une entreprise
la base de prétendues synergies qui restent formidable. N’envisager que les
à démontrer) pour transformer l’entreprise acquisitions stratégiques qui amplifient
d’un seul coup. les points forts avérés.
Céder à la panique et engager des actions Recueillir les faits, réfléchir et puis agir
désespérées qui risquent de mettre l’entreprise (ou pas) avec calme et détermination ;
encore plus en péril, consommant de la ne jamais engager d’actions qui
trésorerie et érodant sa puissance financière. mettront en péril l’avenir de l’entreprise.
Se lancer dans un programme de changement Identifier ce qui fait le cœur
radical, une révolution, pour transformer des compétences de l’entreprise et doit
ou bouleverser radicalement tous les aspects être résolument conservé et ce qui doit
de l’entreprise, mettant du même coup être changé, en capitalisant et éliminant
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en danger les atouts clés de celle-ci ou les les points faibles.


abandonnant purement et simplement.
Faire miroiter un avenir radieux Se concentrer sur les performances,
aux collaborateurs pour compenser les laissant les résultats tangibles se faire
mauvais résultats. les avocats d’une nouvelle orientation.
Détruire la dynamique de l’entreprise avec Créer la dynamique avec une série de
des restructurations chroniques et/ou une bonnes décisions très bien exécutées qui
série de grandes décisions incohérentes. se renforcent les unes les autres.
Chercher le leader-sauveur en ayant tendance Chercher un dirigeant rigoureux,
à sélectionner un visionnaire venu de en privilégiant la promotion interne
l’extérieur qui galvanisera l’entreprise. d’un collaborateur qui a démontré ce
dont il est capable.
110   la transformation digitale

Nous n’évoquons pas le déclin pour apporter une contribution à l’an-


goisse ambiante, mais pour aider à identifier les postures du leadership
pouvant mettre les entreprises en position de déployer à temps les bonnes
actions.
Le digital est un facteur d’accélération des retournements et de consolida-
tion des positions : les investissements pour créer des offres disruptives ne
sont pas colossaux et le passage à grande échelle peut se faire très rapidement.
Prenons le cas de l’assurance. L’historique de sinistralité et la taille des
grands assureurs sont, à juste titre, considérés comme des barrières à l’en-
trée fortes : la première pour déployer une plus grande péréquation et
piloter les provisions ; la seconde pour définir une tarification ajustée des
offres. Mais combien de temps ces barrières tiendront-elles ? Les capteurs
intégrés dans la voiture ou le smartphone adossé à des algorithmes prédic-
tifs peuvent rendre la prévision des comportements de risques futurs plus
précis que l’historique de sinistres. Il devient donc possible d’imaginer
des polices d’assurances mensuelles variables en fonction du comporte-
ment.

Un redressement digital : Starbucks Coffee


« We are just getting started and only beginning to see the benefits of the conver-
gence of our retail, CPG, and social and digital media initiatives. »1
Howard Schultz2, fondateur de Starbucks Coffee, a décidé en 2008, à la
surprise générale, de reprendre les rênes de son entreprise après une inter-
ruption de huit ans, dans un contexte de dégradation économique, trente
ans après sa création.
Le nombre de clients et le panier moyen par client diminuaient, ce qui
provoquait l’effondrement des ventes et de la cotation boursière. L’entre-
prise avait dû supprimer 12 000 postes et fermer 600 boutiques.
Le diagnostic d’Howard Schultz est alors simple, global et systémique :
« Starbucks s’est écartée de sa voie et l’expérience client s’est banalisée. » Il décide
de revenir aux fondamentaux : « Procurer aux gens un troisième lieu, cocon

1.  Howard Schultz, www.mobilepaymentstoday.com, mars 2013.


2.  Howard Schultz, Comment Starbucks a sauvé sa peau sans perdre son âme, Éditions Télé-
maque, 2011.
Prendre ses marques   111

confortable, entre le bureau et la maison où ils peuvent se requinquer, se récon-


forter, savourer un bon café… tout en restant reliés/connectés aux autres. »
L’entreprise a connu un travail en profondeur, des décisions stratégiques
radicales, une réorganisation profonde, le développement à marche forcée
du digital en support d’innovations dans la relation client et la relation
employés (nommés partenaires). Les partenaires et les clients ont été au
centre de cette véritable révolution.
Dans ce plan de transformation de trois ans, tout a été accompli, non
seulement en préservant les valeurs de l’entreprise, mais en réinvestissant
dans celles-ci :
–– esprit d’entreprenariat ;
–– créativité ;
–– curiosité ;
–– audace ;
–– place accordée à l’expression et l’initiative des collaborateurs ;
–– qualité du café ;
–– conditions de sa culture et des impacts positifs de cette dernière sur
les populations : « le bon équilibre entre profits et esprit social ».
Howard Schultz considère que le client ne vient pas chez Starbucks
uniquement pour la qualité du café et la façon de le préparer et de le servir,
même si ce point est fondamental. Les constats et actions portent sur un
ensemble de points.

Information et formation
Le 26 février 2008, 7 100 salons de café Starbucks sont fermés pendant trois
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heures. Les clients se voient annoncer la fermeture temporaire de l’établisse-


ment. Motif : « re-formation » des baristas à l’art de servir un parfait nespresso.

Romantisme et spectacle
Si le passage aux machines à expresso automatiques a permis de réels gains
de productivité, il a fait disparaître le côté spectacle de la préparation.

Interaction entre les acteurs et les spectateurs


La hauteur des nouvelles machines crée une sorte de barrière entre le barista
et le client et réduit les échanges entre eux.
112   la transformation digitale

Expérience sensorielle complète


Le passage à l’emballage sous vide, pour disposer de grains facilement torré-
fiés, a provoqué la perte de « l’arôme ambiant » qui est le plus puissant
signal non verbal dans les boutiques. De plus, les clients n’ont plus le
plaisir de voir les baristas puiser le café frais dans les boîtes pour le moudre
sous leurs yeux.

Chaleur et ambiance
Les boutiques ont perdu « l’âme des temps anciens » et l’ambiance du café
de quartier. Elles sont aseptisées et stéréotypées. La passion des partenaires
pour le produit n’est plus une « évidence visible ».

Le cas Starbucks
Dans ce roman industriel qui fait fi de la crise, une transformation digitale
d’une exceptionnelle ambition a été conduite. Jugeons sur pièce (chiffres
2012) :
••Opérationnel :
––100 000 téléchargements de l’application mobile/semaine ;
––3 milliards de dollars encaissés à l’aide de la carte de fidélité ;
––900 000 heures économisées sur les temps d’attente pour les transactions
par carte et mobile, soit 10 secondes par transaction (application mobile
incluant commande et paiement) ;
––50 000 idées d’innovation soumises par les clients ;
––30 % de transactions prépayées.
••Paiement mobile :
––7 millions d’utilisateurs actifs ;
––3 millions de paiement/semaine ;
––20 % des transactions sur carte de fidélité réalisées sur mobile.
••Réseaux sociaux :
––94 % des utilisateurs Facebook sont des fans de Starbucks Coffee ou ont
un ami qui est fan ;
––34,8 millions de visiteurs sur le site web et les applications mobile ;
––54 millions de fans sur Facebook ;
––3.4 millions de followers sur Twitter ;
––900 000 followers sur Instagram.
Prendre ses marques   113

••Expérience client en magasin :


––50 000 idées soumises par les clients ;
––accès en magasin à des contenus digitaux premium (New York Times, The
Economist, The Wall Street journal…) ;
––accès en magasin à des contenus digitaux locaux ;
––accès en magasin à des contenus relatifs au magasin (newsletter…).
L’entreprise a également bénéficié de la conjugaison de plusieurs éléments
déterminants :
••Leadership fort de son patron.
••Vision claire en forte rupture.
••Collaboration entre trois acteurs clés :
––le CDO - Chief Digital Officer
––le CIO - Chief Information Officer
––le CMO - Chief Marketing Officer
••Détermination absolue dans le plan de redressement de trois ans.
••Cohésion du personnel.
••Engagement des collaborateurs.
••Qualité de la relation interne et externe.

Les ingrédients du succès


Avant de travailler sur le déclin, Jim Collins, toujours avec la même ratio-
nalité, avait décrypté le succès1. Un travail méticuleux de cinq ans sur un
échantillon de 1 435 entreprises soigneusement sélectionnées parmi
celles qui n’étaient pas des entreprises hors du commun à leur création,
mais des entreprises ordinaires qui ont su, après un parcours souvent
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

banal, trouver le chemin de l’excellence en se transformant. Les entre-


prises retenues ont vu leurs résultats passer de bons à excellents et les ont
maintenus pendant quinze ans au moins. Les entreprises les plus remar-
quables de cet échantillon affichaient parfois des résultats cumulatifs de
leurs actions de 6,9 fois le marché sur la période d’observation, alors que
General Electric en était à 2,8. Elles ont été comparées à un groupe
n’ayant pas enregistré de telles performances afin de rechercher les facteurs
essentiels de différenciation.

1.  Jim Collins, De la performance à l’excellence, Pearson, 2006.


114   la transformation digitale

Tableau 6.3 – Groupes d’entreprises

Entreprises excellentes Entreprises de comparaison directe


Abbot Upjohn
Circuit City Silo
Fannie Mae Great Western
Gillette Warner-Lambert
Kimberly Clark Scott Paper
Kroger A&P
Nucor Bethlehem Steel
Philip Morris RJ Reynolds
Pitney Bowes Addressograph
Walgreens Eckerd
Wells Fargo Bank of America
Entreprises de comparaison continue
Burroughs
Chrysler
Harriss
Hasbro
Rubbermaid
Teledyne

Nous précisons préalablement au lecteur que ces travaux, dont les


concepts découlent tous de déductions empiriques, datent de 2001 et que
l’échantillon ne concerne que des entreprises américaines. Les grandes
entreprises de technologie et les grandes plateformes en particulier, ne figu-
raient pas dans l’échantillon car elles ne répondaient pas aux critères retenus.
Jim Collins précise qu’il leur faudrait attendre une dizaine d’années pour les
intégrer dans le périmètre d’une actualisation de l’étude. Ses travaux n’op-
posent pas ancienne et nouvelle économie, ils décrivent simplement les
étapes du passage de la performance à l’excellence. Il nous semble que ce
canevas présente un intérêt tout fait à remarquable pour inspirer une trans-
formation digitale et nombre des principes mis en évidence conservent leur
parfaite utilité et une troublante actualité.
La conclusion de Jim Collins est résolument optimiste : « Ce travail de
cinq années a fait émerger de nombreuses notions, certaines surprenantes et
parfaitement contraires à la sagesse ; une monumentale conclusion ressort
néanmoins : nous pensons que pratiquement n’importe quelle entreprise
peut spectaculairement améliorer sa taille et ses résultats, peut-être même
passer au stade de l’excellence, si elle applique consciencieusement le
canevas que nous avons mis à jour. »
Prendre ses marques   115

!
CÉE
PER

RASSEMBLEMENT DES FORCES …

Affrontement
Leader de D’abord qui, Concept du Culture de la Catalyseurs
de la brutalité
niveau 5 ensuite quoi hérisson discipline technologiques
des faits

Personnel discipliné Pensée disciplinée Action disciplinée

VOLANT

Figure 6.6 – Un canevas pour le succès

Le leadership de niveau 5
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Le leader de niveau 5 ne défraie pas la chronique et ne court pas les plateaux


de télévision. Il est, selon Collins, un mélange paradoxal d’humilité, de
discrétion de volontarisme, d’audace et d’ambition. Son ego est bien cana-
lisé et sert toujours une grande ambition toujours collective. Ils savent
préparer leur succession et mettent un point d’honneur à le faire pour que
le succès perdure après eux.
116   la transformation digitale

GRAND PATRON DE NIVEAU 5


Niveau 5 Edifie une excellence durable grâce à un mélange
paradoxal d’humilité sur le plan personnel et de
volonté sur le plan professionnel.

DIRIGEANT EFFICACE
Niveau 4 Catalyse l’engagement et la poursuite vigoureuse
d’une vision claire et incontestable en stimulant des
niveaux de résultats plus élevés.

CHEF COMPETENT
Niveau 3 Organise personnel et ressources en vue de la
poursuite réelle et efficace d’objectifs
prédéterminés.

MEMBRE ACTIF DE L’EQUIPE


Niveau 2 Met efficacement ses capacités individuelles au
service de la réalisation d’un ensemble d’objectifs et
de travaux au sein d’un groupe de travail.

INDIVIDU HAUTEMENT CAPABLE


Niveau 1 Apporte une contribution productive grâce à son
talent, son savoir, ses compétences et de bonnes
méthodes de travail.

Figure 6.7 – Les cinq niveaux de leadership

D’abord qui… ensuite quoi


L’approche des dirigeants d’excellence peut sembler contre-intuitive. Ils
font passer les hommes avant la stratégie. Une fois la meilleure équipe
constituée, éventuellement diminuée des membres qui ne peuvent y avoir
leur place, la vision et la stratégie seront développées.
Les entreprises dites de comparaison optent souvent pour le modèle dit
du « génie aux mille auxiliaires ». Le dirigeant « génial » fait mettre en œuvre
sa vision par une équipe très compétente.

L’affrontement de la brutalité des faits (sans perdre la foi)


Les dirigeants d’excellence ont fait adopter au sein de leurs entreprises le
paradoxe de Stockdale : une foi inébranlable dans la capacité à parvenir
au succès et, dans le même temps, une grande lucidité qui permet d’af-
fronter les faits dans leur réalité la plus dure. Cela a permis le développe-
ment d’une culture de l’écoute et de la vérité et un goût pour le débat
franc et animé.
Prendre ses marques   117

Le concept du hérisson (la simplicité à l’intérieur des trois cercles)


Ce concept simple et efficace traduit une profonde intelligence des trois
dimensions dont il constitue l’intersection. Ce point majeur pour les entre-
prises d’excellence traduit notamment le fait que la spécialisation dans un
domaine donné ne garantit ni le leadership, ni la performance.

LA OÙ ON CE QUI
PEUT ÊTRE PASSIONNE
LE MEILLEUR LE PLUS

CE QUI FAIT TOURNER


LE MOTEUR
ÉCONOMIQUE
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Figure 6.8 – Le concept du hérisson

Une culture de la discipline


Si toutes les entreprises ont une culture et certaines une discipline, les
entreprises d’excellence possèdent une culture de la discipline. Elle
permet aux dirigeants de s’exonérer de la « surveillance » et du « contrôle »
d’individus responsables pour se concentrer sur le pilotage du système.
Elle suppose une forte adhésion du corps social et est aux antipodes de
toute forme de tyrannie.
118   la transformation digitale

Cette culture de la discipline, conjuguée à un esprit entrepreneurial


partagé, est un marqueur très fort de performance.

Des catalyseurs technologiques


La technologie est envisagée au regard de sa pertinence vis-à-vis du
concept du hérisson qui a été mis en œuvre. Si elle est utile, elle sera
adoptée rapidement et de façon créative dans une position d’early
adopter. Les innovations sont donc observées avec sérénité sans scepti-
cisme ni emballement.

Le volant
Il s’agit de représenter l’inertie relative à tout lancement d’un changement.
Il faut tourner le volant plusieurs fois en commençant lentement et en
respectant bien les phases. Au bout d’un moment, tout le monde pousse le
volant : l’inertie est vaincue. En marche vers l’excellence.

Quel modèle de changement ?


La France est un pays friand de méthodes, modèles, théories.
En matière de conduite du changement, un modèle en particulier a fait
l’objet d’une promotion importante en France : la carte sociodynamique
des acteurs1.

1.  Fauvet, Herbemont et César, « La sociodynamique ».


Prendre ses marques   119

Synergie Triangle d’or

De
ga
ge ch
n ire
S’e s

critui tiens
s
que
Prend Militants
I’initiative

So
è re
op
Co

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it a
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H

Irreductibles
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té r
S’ in

Opposants
Ne prend
pas
I’initiative
Passifs
u Insatisfaits
oo
Pe p a s é
g “grognons”
ga
en

Antagonisme
Conciliant Résistant Opposant Irréconciliant

Se soumet Cherche à gagner

Figure 6.9 – La carte sociodynamique des acteurs

Le site www.laconduiteduchangement.com donne des définitions des


différents acteurs que nous reprenons ici :
• « Les acteurs passifs, qui sont en quelque sorte la majorité silencieuse.
Ils ne sont pas à l’initiative du projet et n’ont pas pris part à sa construc-
tion sous une forme ou sous une autre. Cependant compte tenu de leur
nombre, ils peuvent très vite faire pencher la balance en faveur ou en
défaveur du projet. »
• « Les insatisfaits ou les grognons. Ils sont reconnaissables par les
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récriminations contre le projet. Toutefois, leur opposition ne se traduit


pas par des actions véritables. Leur résistance au changement n’est pas
très importante. »
• « Les opposants sont plus antagonistes que synergiques et demeurent
sensibles au rapport de force institué, contrairement aux irréductibles.
Ces individus ont tendance à s’incliner dès qu’ils se sentent en inféri-
orité. »
• « Les irréductibles, que l’on appelle encore « révoltés », sont des per-
sonnes à l’antagonisme très fort. Ils sont la branche dure de l’opposition
au projet et ne s’engageront jamais aux côtés du manager en charge du
projet de changement. Tout perdre est préférable à l’aboutissement du
120   la transformation digitale

projet. Leur offrir une porte de sortie est souvent un moyen diploma-
tique de leur permettre de rentrer dans le rang sans perdre la face ni renier
leurs idées. »
• « Les hésitants ont besoin de victoires rapides, d’éléments témoignant
du succès imminent du projet pour le soutenir. Leur implication reste
faible à moyenne sans cela. »
• « Les militants (ou encore les engagés) développent une grande éner-
gie pour s’impliquer dans le projet. Sur la carte, cela se traduit par un
niveau de synergie élevé. Sevrés d’objectifs, de directives, d’arguments
et de dates butoirs, ils constituent un soutien au projet. Attention, mal
canalisé, leur engagement peut se transformer en une forme d’in-
tolérance qui repoussera les hésitants, par exemple, et déstabilisera le
projet. »
• « Les soutiens critiques sont les éléments les plus précieux à la disposi-
tion des porteurs du projet. Fauvet, Herbemont et César ont d’ailleurs
appelé ce groupe d’acteurs le « triangle d’or » car ils demeurent impli-
qués, créatifs, et constructifs. Ces personnes sont celles qui alerteront le
chef de projet s’il va dans le mur et qui chercheront des solutions alterna-
tives pour réussir le changement. »
• « Les acteurs déchirés sont enfin des individus à la fois antagonistes et
très synergiques qui apprécient l’organisation à laquelle ils appartien-
nent. Opposés au changement, ils développeront des trésors d’ingénios-
ité pour convaincre leur entourage de la menace que représente ce projet,
qu’ils vivent d’ailleurs assez mal. »
La sociodynamique propose des recommandations dans la mise en
œuvre de stratégies avec les acteurs identifiés comme des alliés1. Même si la
tendance naturelle est d’essayer de convaincre ses opposants quitte à
s’épuiser, les experts de la sociodynamique proposent des recommanda-
tions pour consolider les relations avec les alliés afin de faciliter le change-
ment :
–– bien identifier les alliés par point d’application au moyen de la carte des
partenaires ;
–– accepter les alliés comme ils sont, avec leurs humeurs, leurs critiques et
même leurs attitudes passagères de rupture ;
–– soutenir les alliés avec du jeu commun et un crédit d’intention en utili-
sant les leviers nombreux qu’offre la synergie ;

1.  Jean-Christian Fauvet et Yves Jaunet, «  La lettre de la sociodynamique », avril 2006.


Prendre ses marques   121

–– rechercher l’alliance avec le plus grand nombre d’acteurs quel que soit
leur niveau d’expertise, d’autorité ou de pouvoir ;
–– investir sur la ligne hiérarchique ;
–– faire preuve de jeu personnel ;
–– consacrer aux alliés l’essentiel de ses efforts et de son temps ;
–– veiller à ce qu’il soit payant d’appartenir à l’alliance et coûteux d’en être
exclu ;
–– mettre les alliés à contribution leur demandant des efforts ;
–– rester attentif au terrain car rien n’est acquis.
Largement développée en France, la sociodynamique a accompagné
l’informatisation des entreprises, le développement des ERP, les change-
ments organisationnels et les restructurations. Dans tous ces cas, la desti-
nation du changement était connue. Il fallait trouver le moyen
d’embarquer le maximum de passagers à bord et faire en sorte que le
navire arrive à bon port et que le voyage ne soit pas coûteux pour l’entre-
prise.
Cette approche qui a connu un engouement certain et que nous avons
personnellement utilisée utilement, est-elle toujours adaptée pour entre-
prendre une transformation digitale ?
Stéphane Richard1, PDG d’Orange, estime que les collaborateurs
connaissent souvent, avant qu’on les leur propose, les outils du digital car
ils les ont adopté avant l’entreprise. Ainsi, ils ont de l’avance sur elle et
deviennent demandeurs et moteurs du changement.
Nous sommes en phase avec cette assertion et nous ajoutons que
jusque-là, ils en étaient la « cible » et il fallait concevoir et mettre en œuvre
des stratégies pour venir à bout de leurs résistances. Aujourd’hui, ils
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

challengent leur management pour l’obtenir et chacun compte sur eux


pour contribuer et innover.
Les challenges sont nombreux, comme nous avons pu le voir déjà, mais
il nous semble qu’il faut encore évoquer ici : la détermination du bon
rythme pour les transformations à conduire et la « libération » d’espaces »
pour les collaborateurs et les groupes et les tribus avec qui il faudra colla-
borer et dont il faudra susciter la création.
Kurt Lewin, auteur de référence en conduite du changement, a intro-
duit le concept de « dynamique de groupe » en psychologie sociale. Ses

1.  Stéphane Richard, Numériques, Grasset, 2014.


122   la transformation digitale

travaux mettent en évidence qu’il est plus aisé de faire changer des individus
constitués en groupe que des individus pris séparément. Il appréhende le
groupe comme un système en état « quasi stationnaire ». Cet état, stable en
apparence, ne serait en fait qu’un état maintenu en équilibre dans un champ
dynamique de forces opposées, les unes favorables au changement (moteurs)
et les autres à la stabilité (freins).
Le changement d’état d’équilibre s’opère alors de deux façons :
–– soit en augmentant l’intensité ou le nombre de forces motrices, favo-
rables au changement (cf. position 2 sur le schéma ci-après) ;
–– soit en diminuant l’intensité des forces restrictives au changement ou
forces pour la stabilité (cf. position 3 sur le schéma ci-après).

Lewin propose un modèle de changement en trois phases :


1.  Phase de décristallisation des normes : elle correspond à l’abandon
des comportements et des attitudes habituelles et à la création d’une
motivation à changer. Cette phase est rendue possible par la discussion
en groupe (remise en cause des normes du groupe).
2.  Phase de déplacement : elle donne lieu à un changement par la
réduction des forces de résistance que représente l’attachement aux
normes. Il s’agit d’une phase de transition où l’on expérimente les
nouvelles pratiques.
3.  Phase de cristallisation : elle repose sur l’intégration de nouvelles
habitudes.
Cette décomposition est très intéressante car elle montre les limites de
certaines approches traditionnelles pour appréhender la transformation
digitale dont chacun comprend ici qu’il s’agit d’un changement global qui
est tout à la fois :
–– culturel ;
–– stratégique ;
–– structurel ;
–– pratique.
Prendre ses marques   123

Niveau de
production
Diminution des
forces restrictives
pour attteindre la
situation souhaitée

Forces restrictives Augmentation des


forces propulsives
pour attteindre la
situation souhaitée

Forces propulsives

Situation actuell
(relativement stable)

Avant le Après le Après le


changement changement changement
Position 1 Position 2 Position 3

Figure 6.10 – Modèle de Kurt Lewin

Ajoutons qu’il s’agit par ailleurs d’un changement qui ne propose pas de
partir d’un point A vers un point B, mais vers un point d’interrogation, tant
les forces qui s’exercent dans l’environnement des entreprises ont gagné en
intensité et en imprédictibilité. Le changement est devenu permanent et
l’objectif est avant tout d’offrir à l’entreprise agilité stratégique et flexibilité
opérationnelle. Si l’on adhère au modèle de Lewin, le mouvement cristalli-
sation-décristallisation devient donc une constante de l’organisation et
même une compétence si l’on en croit Peter Senge1 pour qui le changement
est une discipline à part entière dans l’entreprise : la cinquième discipline.2

1.  Peter Senge, La danse du changement. Maintenir l’élan des organisations apprenantes, Éditions
First, 1999.
2.  Peter Senge, La Cinquième Discipline. L’Art et la manière des organisations qui apprennent,
Éditions First, 1992.
7
Un modèle pour construire et piloter
la transformation digitale

Pour une approche globale


de la transformation digitale

Il y a plusieurs approches de la transformation digitale. Chacune privilégie un


point de vue, une approche, des solutions. Elles présentent toutes un intérêt.
Il semble admis que la révolution digitale est plus qu’une révolution tech-
nologique. C’est une révolution industrielle, économique, sociologique et
humaine qui a instauré ses règles et les impose désormais. Elle doit donc être
observée comme telle et conduite comme telle dans les entreprises.
Nous avons cherché à proposer au lecteur une vision différente, une
approche simple et robuste qui colle au plus près à ce que nous pensons de
la transformation majeure à engager et qui modifie déjà les stratégies et les
organisations de tous les acteurs économiques.
Les concepts développés sont empruntés à Éric Berne, psychiatre améri-
cain et père de l’analyse transactionnelle. Ils permettent de percevoir l’en-
treprise comme un champ de forces et d’énergies et leur intérêt réside
notamment dans la bonne prise en compte des problématiques de :
–– leadership ;
–– dynamique de groupe ;
–– gouvernance ;
–– valeurs ;
–– cohérence ;
–– gestion de l’énergie interne et collective ;
–– gestion dynamique et adaptative des nouvelles frontières de l’entre-
prise...
126   la transformation digitale

Eric Berne1 propose, avec la théorique organisationnelle de Berne ou


TOB, issue de sa très longue observation, un modèle à la fois simple et puis-
sant dont la lecture nous a été simplifiée par l’ouvrage de notre ami François
Vergonjeanne2. Nous reprendrons ici ses explications et illustrations.
La TOB est basée sur des concepts simples :
–– l’environnement ;
–– l’activité ;
–– les frontières externes et internes ;
–– les frontières majeures et mineures ;
–– le leadership ;
–– le membership (les collaborateurs).
Activité

Environnement

Leadership

Membership

Figure 7.1 – Le schéma de la TOB

L’organisation exerce une ou plusieurs activités et est séparée de son


environnement par une frontière dite Frontière Majeure Externe (FME).
La seconde Frontière Majeure est Interne (FMI), elle sépare le Leadership
du Membership. Le leadership est une fonction ou un rôle. Elle désigne,

1.  Il publie dans la totale indifférence « The structure and Dynamics of Organizations and
Groups ». Ce concept est repris plus tard par Elliot M. Fox qui synthétise cet ouvrage sous la
forme du schéma de Fox.
2.  François Vergonjeanne, Coacher groupes et organisations, InterEditions, 2010.
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    127

non pas le leader de l’organisation, mais l’ensemble des personnes en


position de leadership, le leader étant défini comme celui qui est suivi
quand il s’exprime ou encore celui qui prend des initiatives. C’est littéra-
lement le sens éthymologique du verbe to lead en anglais : le leader est
celui qui mène et qui est suivi. Ses initiatives sont ensuite suivies ou soute-
nues par les personnes qui constituent le Membership.
Il existe plusieurs frontières mineures (fmi) à l’intérieur du Leadership et
du Membership ; elles reflètent de façon plus fine la dynamique interne de
l’organisation.

Frontière Frontière
majeure externe mineure interne
(FME) (fmi)

Frontière
majeure interne
(FMI)

Énergie pour exercer l’activité = A


Énergie pour gérer la FME = FME A + FME + FMIs + fmis = K (constante)
Énergie pour gérer les FMIs = FMI
Énergie pour gérer les fmis = fmis
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Figure 7.2 – L’équation de la cohérence

Les frontières sont plus ou moins poreuses selon l’activité, la culture,


l’épisode de son histoire que l’entreprise est en train de vivre… Dans tous
les cas, il faut éviter l’asphyxie et limiter l’entropie.
128   la transformation digitale

FME trop poreuse


Illustration : l’entreprise a largement recours à l’intérim.
Les directeurs opérationnels se plaignent régulièrement de la
forte rotation qui désorganise la production.

FME trop imperméable


Illustration : l’entreprise consacre beaucoup de temps à éviter les
intrusions, à sécuriser son règlement intérieur et la fuite des « initiés »
(seuls les paranoïaques survivront » - Andy Grove CEO Intel)
FMI trop imperméable
Illustration : un staff de direction très fermé (« La Firme »).

FMI trop poreuse


Illustration : « Y-a-t-il un pilote dans l’avion ? »

Fmi poreuse
Illustration : les rôles sont mal répartis dans l’organisation.

Figure 7.3 – Quelques situations particulières

Les différentes frontières peuvent se franchir de diverses façons : embauche,


démission, promotion, licenciement, départ en retraite, intrusion…
La représentation d’un groupe ou d’une organisation est plus ou moins
complexe.
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    129

Plusieurs forces actives ou potentielles s’exercent selon les frontières.

PRESSION COHESION COHESION AGITATION

Figure 7.4 – Les forces en présence

À ce stade, nous souhaitons développer le concept de cohérence dans les


organisations tel que le traite Eric Berne en intégrant l’énergie développée
par l’ensemble des acteurs du système.
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Il pose ainsi les éléments de son équation de la cohérence :


–– l’énergie développée pour exercer l’activité (A) ;
–– l’énergie développée pour « défendre » ou gérer les différentes frontières
de l’organisation FME, FME, fmi ;
–– la somme de ces énergies est une constante (K) ;
A + FME + FMI + fmi = K

L’énergie circule au sein de l’organisation au gré des événements internes


ou externes et de leur bonne gestion par le management.
130   la transformation digitale

Le groupe de combat Le groupe en compétition interne


100 100
90 90
80 80
70 70
60 60
50 50
40 40
30 30
20 20
10 10

Activité Frontière Frontière Frontière Activité Frontière Frontière Frontière


Énergie Énergie
(Fmi ) Majeure Majeure mineure (Fmi ) Majeure Majeure mineure
Externe Interne interne Externe Interne interne
(FME) (FMI) (Fmi ) (FME) (FMI) (Fmi )

Le groupe en activité Le groupe en crise de leadership


100
100
90
90
80
80
70
70
60
60
50
50
40
40
30
30
20
20
10
10

Activité Frontière Frontière Frontière


Énergie Activité Frontière Frontière Frontière
( Fmi ) Majeure Majeure mineure Énergie
(Fmi ) Majeure Majeure mineure
Externe Interne interne
(FME) (FMI) (Fmi ) Externe Interne interne
(FME) (FMI) (Fmi )

Figure 7.5 – Quelques situations

Les actions sur les frontières Majeures Externes ou Internes sont


conduites dans le cadre de processus dit processus relationnels externe ou
interne qui sont repris dans le cadre du schéma de d’Elliot Fox1 utilisé
lorsque la représentation du groupe est trop complexe. Il distingue :
–– l’autorité du groupe ;
–– les membres du groupe ;
–– le travail du groupe.

1.  Elliot M. Fox synthétise en 1975, dans un article intitulé « Eric Berne’s Theory of Organiza-
tions », les travaux de celui-ci parus dans son ouvrage The Structure and Dynamics of Organi-
zations and Groups.
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    131

Nous proposons au lecteur une version adaptée du schéma de Fox dans


laquelle nous avons rajouté la dimension client au schéma initial avec le
« Customership » qui désigne plus globalement clients et prospects.

CULTURE
LEADERSHIP MEMBERSHIP ACTIVITÉ CUSTOMERSHIP
& RÈGLES

Chaîne de valeur
VALEURS Compétences
HISTOIRE

Attentes
n ts
LOGIQUE me Activités et
te l
DE TRANSFOR-
p o r a va i actifs stratégiques
MATION m tr
Co a u
USAGES
EXPERIENCE CLIENT
MODES DE
CONSOMMATION
O

JE
B

CT
IFS
ORGANISATION
& MOYENS

GOUVERNANCE Cœ u r
sible
DIGITALE ex ten
TRIBUS
In

SAVOIR-FAIRE
le

ac

ÉTIQUETTE
ga

he

N
u

CARACTÈRE T IO

Fr

VA
e

O
I NN
Ouverte

ENVIRONNEMENT

Figure 7.6 – Modèle pour la transformation digitale

Afin d’aider le lecteur à comprendre puis imaginer sa transformation


digitale, les contenus de chacune des dimensions seront illustrés. Bien
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

évidemment, il s’agit d’un modèle générique qui ne demande qu’à être


enrichi et adapté à chaque entreprise.

L’environnement
Amazon a été créée il y a 20 ans et s’est implantée en France il y a 12 ans déjà.
En passe de devenir le premier libraire en France, d’après XERFI, sa domina-
tion ne s’est pas faite en un jour. Or, ce n’est que depuis un ou deux ans que
Darty, FNAC, Espaces culturels Leclerc, commencent à mieux résister. Ils
ont enfin compris qu’être digital, c’est être un acteur de l’économie digitale.
Ainsi, KOBO (la liseuse de FNAC) est devenue une alternative reconnue face
à la KINDLE d’Amazon.
132   la transformation digitale

Bien sûr, cela n’allait pas de soi. La révolution digitale est issue d’une contre-
culture radicale, notamment avec l’open source, qui porte des revendications
politiques, sociologiques et économiques, derrière des options technologiques.
Dans le film de Luchini Visconti, Le Guépard, Tancrede Falconeri,
neveu du comte de Salina, s’investit dans la révolution Garibaldienne
puis rejoint l’armée régulière. Il est conscient que le changement est
nécessaire pour sauvegarder une partie des privilèges de l’aristocratie et
prononce une réplique culte : « Pour que tout reste comme avant, il faut
que tout change ».
Le web a réduit le monde en abolissant les frontières, mais il a aussi
changé le temps qui avait une autre « valeur » et était plus long. Le
monde du web est d’une surprenante rapidité et la contre-culture s’est
imposée. Les entreprises doivent devenir sensitives et, comme Tancrede
Falconeri, épouser le mouvement, non pas pour conserver des positions
mais pour continuer à exister et s’imposer ou s’imposer pour continuer
à exister.
Comprendre le web n’est pas qu’une affaire de technologie. Faut-il
rappeler que Mark Zuckerberg est diplômé en psychologie et que Steve Jobs
était avant tout un génie du design intransigeant et visionnaire ? C’est une
affaire de sensibilité, d’enthousiasme, de disruption, de culture, de vision
du monde, de compétences…

S’inspirer des champions du digital


Picasso professait : « L’art commence par l’imitation. » Avant d’imiter, il
faut observer, mais en s’assurant d’avoir chaussé les bonnes lunettes. Trop
d’initiatives digitales ont été conduites dans les entreprises françaises avec
une approche tendancielle pour s’accaparer des outils sans remise en cause
parce que sans conscience. Il était parfaitement louable d’équiper les forces
commerciales de tablettes sans préalablement revisiter le cœur de l’activité,
mais il faut également observer et sentir son environnement. Il est de plus
en plus disruptif, mais il offre des opportunités de création de valeur pour
qui en a l’ambition et qui a compris que c’est, pour citer le général de Gaulle
parlant du Plan, une « ardente obligation ».
Les champions du digital offrent un retour d’expérience précieux. Mais,
qu’on ne s’y trompe pas, leur succès phénoménal, tant les barrières qu’ils ont
érigées à l’entrée sont hautes, ne les protège pas des difficultés. Ils l’ont compris
mieux que quiconque, multipliant les acquisitions pour des prix pharaoniques.
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    133

Les ingrédients de leur succès ont été :


–– la volonté de changer les choses ;
–– une forme de radicalité dans leur approche du business ;
–– une culture de l’ouverture ;
–– l’enthousiasme et un très fort sentiment d’appartenance ;
–– la disruption ;
–– l’innovation inachevée ;
–– l’open innovation ;
–– le culte du design ;
–– la scalabilité ;
–– la ritualisation ;
–– la captation de valeur créée par l’utilisateur, grâce à une connaissance
intime de celui-ci, et plus généralement par l’internaute.
À l’heure où vous nous lisez, Amazon a sans doute sorti son Fire Phone
pour rivaliser avec Apple et Google. Il permet de faire des achats d’un
« simple coup d’œil ». Son application Firefly peut identifier une centaine
de millions d’objets et les proposer à la vente via Amazon. L’opération ne
prendrait pas plus d’une seconde. Cet appareil révolutionnaire peut égale-
ment projeter des hologrammes et devrait accroître significativement l’in-
tensité concurrentielle sur ce marché.
Les champions du digital sont pour la plupart des digital natives, mais les
industries traditionnelles peuvent et doivent s’en inspirer. Celles qui l’on
fait ont accompli un chemin considérable. La bonne interprétation de ce
qui se passe et l’ambition qu’aura l’entreprise de « s’établir » fera qu’elle
verra la consolidation de son business model ou la déconstruction de sa
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

chaîne de valeur et l’affaiblissement de sa position. Cela suppose une


surveillance permanente de l’environnement selon des processus et des
techniques avérées qui peuvent emprunter au cycle du renseignement mili-
taire mis en œuvre dans les processus d’intelligence économique ou qui les
enrichissent lorsqu’ils existent déjà dans l’entreprise.
Cela suppose également la mise en œuvre d’une véritable politique
éditoriale pour établir et surveiller son empreinte digitale.
134   la transformation digitale

Profiter de l’externalité positive


Les champions du digital ont su capter ce qui constitue la puissance du web
pour établir des positions dominantes en utilisant de façon magistrale ce que la
théorie économique désigne sous le terme d’externalité positive. Wikipedia en
donne la définition suivante : « L’externalité caractérise le fait qu’un agent
économique crée, par son activité, un effet externe en procurant à autrui, sans
contrepartie monétaire, une utilité ou un avantage de façon gratuite, ou au
contraire une désutilité, un dommage sans compensation. De la sorte, un agent
économique se trouve en position d’influer consciemment ou inconsciemment
sur la situation d’autres agents, sans que ceux-ci soient parties prenantes à la
décision : ces derniers ne sont pas forcément informés et/ou n’ont pas été
consultés et ne participent pas à la gestion de ses conséquences par le fait qu’ils
ne reçoivent (si l’influence est négative), ni ne paient (si l’influence est positive)
aucune compensation. En résumé : « Tout coûte, mais tout ne se paie pas ». Les
externalités positives (ou économies externes) désignent les situations où un
acteur est favorisé par l’action de tiers sans qu’il ait à payer. Nous reviendrons
plus loin sur l’App Store, bel exemple d’externalité positive.

S’adapter au marketing et à la communication digitale


Il y a encore quelques années, l’achat d’espace publicitaire sur le web s’effec-
tuait directement entre l’annonceur, ou son agence, et un éditeur (proprié-
taire de site(s) web). L’ensemble des espaces publicitaire d’un éditeur était
communément appelé « inventaire » et les annonceurs offraient des
« impressions ». Avec la multiplication du nombre d’éditeurs, un stock très
important d’espaces publicitaires s’est développé.
C’est pour cette raison que les Ad Networks ont été créés. Constitués
d’un ensemble de sites regroupés dans le cadre d’une offre plus ou moins
homogène, ils achètent en gros aux éditeurs, créent des packages d’espaces
publicitaires invendus et les proposent à la vente. Là encore, le nombre
d’Ad Networks a explosé et il devenait particulièrement compliqué de
savoir à qui acheter les « inventaires » au meilleur prix.
C’est ainsi qu’est né un nouveau business model, les Ad Exchanges, sorte
de « marché » où l’on se connecte pour réaliser ses achats et ses ventes.
Toutefois, les annonceurs n’achètent plus, cette fois-ci, des impressions
mais de l’audience. Les Ad Exchanges ont un fonctionnement assez proche
d’un marché. Côté acheteurs, les choses sont assez simples. Les DSP
(Demand Side Plateforms), servent de loges pour accéder au « marché ».
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    135

Côté vendeurs en revanche, on trouve de multiples acteurs (éditeurs, régies


intégrées, régies mandatées, Ad Networks…) et les SSP (Sell-Side Plate-
forms) qui, comme les DSP, permettent d’accéder au « marché » et d’opti-
miser la vente d’espaces publicitaires.

Acxiom Datvantage Nugg.ad Ezakus

Google Bluekai Exelate Krux Audience Science Eyeota Windows

PlayStation
Omnicom Group Publicis Fullsix Group IPG Next Idea Havas WPP Aegis Media
Lycos
Amazon

Skype
Double clik Nelads ExoClick Weborama AFFlight
Cadremploi.fr
Acer
Affilinet Illyx Waffiliation Shop Mediafilliation

Firefox
Kayak Public Idées Commission Google Display/ Effiliation
Affiz Adserver TF1 Publicité OpenX Hi média
junction Network
SpotXchange Rightmedia BittAds Android
Bing Ads NetAffiliation Facebook Yahoo
networking Advertising Amaury médias Facebook Exchange Opera software AdECN
Zanox Hi media Pubdigitale Clicmanager.fr Doubleclick for Lagardère Figaro medias
Yahoo Microsoft Advertising LinkedIn
Orange Millenialmedia Microsoft TradeDoubler publishers Publicité
Exchange
Advertising AdCloud
iAd, Lagardère AOL Abc média
eBay Advertising Orange Ad Market
Reactivpub.com Publicité Free
Wanadoo
SFR
The Trade Desk Adconion PubMatic DataXu MediaMath Triggit Turn
Orange
Efficient Frontier Sociomantic Appnexus Advertising.com Dfpi by Google
AOL
NetADge Rubicon Google Admeld ValueClick media Invite media AD Portal Webgains
Dell

France
Francité Télécom
DreamWorks Microsoft Hotmail Gmail by Google YouTube Disney Dailymotion Instagram Activision

Twitter Zynga Facebook Outlook.com Ubisoft Yahoo AOL Nintendo Electronic Arts
Samsung

Orange
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Explorer
KGB Deals Groupon Bon-privé Foursquare ClubDeal Google others
Dealissime Pages Jaunes Irvingsocial MyFab Letrader.fr Dealgroop Make the price
Numericable
MSN

Payza Liberty Reserve Visa Mastercard HiPay


Aurore Safari
E-Gold Moneybookers OK Pay Carte bleue PayPal Neteller Google Wallet 4 étoiles

Google
Voila

Bouygues
Ge Edge Sales force Maxifier ComScore Mediaplex Weborama Télécom
OpenX Yahoo Web Analytics Nielsen Phorm Double click
Indeed
Adobe AdTechn DoubleVerify Google Analytics Omniture Emediate AdTruth 24/7 media Sony

Figure 7.7 – La cartographie des acteurs du marketing digital


136   la transformation digitale

À titre d’illustration, nous proposons cet inventaire1 et une classification


des principaux acteurs intervenant sur le marché français (figure 7.7). Il
nous est apparu plus simple d’adopter une terminologie anglo-saxonne
pour le classement des acteurs.
Lorsqu’un internaute consulte une page Internet, les vendeurs mettent aux
enchères leurs « audiences » sur la plateforme sur laquelle les acheteurs intéressés
peuvent enchérir. Celui qui remporte l’enchère peut alors diffuser son message
publicitaire à la bonne audience et au bon moment. L’ensemble est entièrement
automatisé et l’échange s’effectue en moins de 120 millisecondes.

Le customership

Comprendre les enfants du digital


Rien à voir avec une classe d’âge. Il s’agit de notre aventure collective sur le
web et nous avons l’âge de notre expérience avec un nouveau média qui a
dilaté l’espace et nous ouvre sans cesse de nouveaux horizons.

Ils veulent être utiles


Leur contribution a été simplement formidable. Des centaines de millions
d’internautes ont mis à disposition et partagé une quantité d’information
faramineuse sur les sujets les plus variés, mettant à mal certaines industries,
en particulier celles de l’entertainment. Les données à exploiter semblent
innombrables et le phénomène de data curation (regroupement, sélection,
éditorialisation et partage de contenus jugés les plus pertinents par type de
requête) permet des consultations quasi « infinies » selon les thèmes.

Ils ont soif d’échange et de partage et construisent la confiance


Dans un univers longtemps et encore qualifié de « vide juridique », ils ont
su créer une forme de « confiance des foules » avec le développement des
activités de notation (TripAdvisor…). Qui, aujourd’hui, passe une transac-
tion sur eBay avec un vendeur dont le ranking est mauvais ? Qui réserve
encore un hôtel autrement que par l’intermédiaire d’un site de réservation

1.  Inspiré d’une présentation Google.


Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    137

(Expedia, Booking, Hotels, TabletHotels…) ? Qui sélectionnerait un hôtel


qui a reçu des commentaires défavorables sur ces mêmes sites ?
Un mode de relation basé sur la confiance et l’égalité (peer to peer) s’est
instauré et structuré peu à peu.

Ils sont rebelles et irrévérencieux


Chacun sait le rôle, déjà évoqué, des réseaux sociaux dans les printemps arabes.
Si les luttes restent encore à mener, un progrès considérable a été accompli par le
défi lancé aux autorités par des citoyens qui ont pu et su s’organiser, se coor-
donner, prendre conscience de la force et de la légitimité de leur action et s’en-
courager sans cesse. Pour la première fois dans leur histoire, leur voix a pesé
davantage que la voie de l’autorité qui a perdu son pouvoir symbolique et capi-
tulé. Mais les institutions politiques ne sont pas les seules cibles. Il en va de
même pour les icônes modernes. La chanteuse Madonna a dû essuyer sur les
réseaux sociaux les foudres de fans auxquels elle aurait manqué de respect à la
suite d’un concert jugé trop court à Paris. Elle a dû présenter prestement ses plus
plates excuses. Sur quel média pensez-vous qu’elle l’a fait ?

Ils sont libres


L’accroissement de la puissance dont dispose l’utilisateur, conjuguée à la
multiplicité des devices (tablette, iPod…) et des points d’accès aux contenus
ont fait de ce dernier un être dont l’agilité et la vélocité sont renforcées par
les multiples possibilités de « rebonds et d’échappements » que lui offrent
les hyperliens. Capter son attention devient une véritable science basée sur
les traces qu’il laisse. L’objectif est d’identifier les moments les plus propices.
Seth Godin est allé plus loin en lançant le concept de Permission marketing1
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qui consiste à solliciter la permission de l’internaute avant de lui adresser


une publicité.

Ils sont joueurs


Les grandes plateformes sont celles qui l’ont le mieux compris en offrant un
niveau d’interactivité important et une sollicitation de l’internaute (avis,
recommandation, like…), mais aussi en construisant une véritable expé-
rience client qu’elle pourra étudier en vue de personnaliser son offre. L’in-
ternaute aime jouer le jeu lorsqu’il est séduit.

1.  Seth Godin, Permission marketing, Maxima, 2e édition, 2011.


138   la transformation digitale

Les industries plus traditionnelles doivent, quant à elles, relever le défi


de l’adaptation et de la personnalisation des offres à relever.

Ils ont soif de découverte et de savoir


Manuel Castells1 s’est intéressé de près à cette Galaxie Internet en agitation
permanente en rappelant « l’omniprésence du fait communication chez
l’homme » et en évoquant à sa manière la fracture numérique : « Elle ne
sépare pas tant ceux qui ont un accès à Internet que ceux qui n’en ont pas,
mais ceux qui savent quoi en faire culturellement de ceux pour qui ce n’est
qu’un écran d’annonces accompagné de passe-temps ludiques. »
Les enfants du digital sont tout à la fois nos clients et prospects, nos
partenaires, nos fournisseurs, nos collaborateurs et nous sommes nous-
mêmes des enfants du digital.

S’initier aux comportements tribaux


Nicolas Colin et Henri Verdier2 ont lancé le concept de « multitude » et
citent Hérodote (Histoires IV,46) très à propos.
« Hérodote décrit un peuple redouté, les Scythes, qui a maintenu une
société horticole-nomade différente des empires sédentaires du berceau de
la civilisation… Ces hordes errantes, sans ville ni territoire fixe, ne purent
jamais être localisées et, de ce fait, ne purent jamais être mises en situation
défensive ou conquises. Elles préservèrent leur autonomie par le mouve-
ment, donnant l’impression aux observateurs extérieurs d’être toujours
présentes et prêtes à l’attaque, même quand elles étaient absentes… Bien
que le pouvoir ne fût pas pour eux une question d’occupation spatiale, leur
territoire gardait une frontière flottante. Ils erraient, s’appropriaient terre et
butin selon leurs besoins au gré de leur déplacement et constituèrent ainsi
un empire invisible… Il était extraordinairement rare que les Scythes se
fissent prendre en position défensive. Si les termes de l’engagement ne leur
convenaient pas, ils avaient toujours la possibilité de rester cachés, ce qui de
fait empêchait l’ennemi de décider du théâtre des opérations. »
Ils ajoutent : « La force de barbares, ce n’était ni le nombre, ni la disci-
pline, ni la stratégie, mais la mobilité, l’imprévisibilité et surtout, une
conception différente du monde et des valeurs. »

1.  Manuel Castells, La galaxie Internet, Fayard, 2002.


2.  Nicolas Colin et Henri Verdier, L’âge de la multitude, Armand Colin, 2e édition, 2015.
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    139

Seth Godin décrit les tribus de façon réjouissante et en appelle à elles


pour nous mener.
Nous ne manquons pas d’outils pour aider à la création, l’animation,
l’amplification du travail et à l’amélioration des tribus auxquelles nous
décidons d’appartenir.
Wikipedia est sans doute l’exemple le plus abouti et peu de personnes
savent que quelques milliers de personnes seulement (environ 5 000)
contribuent à l’écriture de la majorité des articles. Jimmy Wales1 a su les
connecter et mettre à leur disposition des principes, des standards et des
outils pour travailler, communiquer entre eux, avec lui et avec l’extérieur.
Certaines sont et resteront inconnues du grand public sans que cela ne les
gêne le moins du monde. Les tribus existent pour elles-mêmes.
Empruntons deux exemples à Seth Godin.
« CrossFit comme une tribu de fans de remise en forme, presque fous,
qui un jour donné exécuteront une routine comme celle-ci : quinze pompes
suivies d’une traction, suivie de treize pompes suivies de cinq tractions
suivies de neuf pompes suivies de onze tractions suivies de trois pompes
suivies de treize tractions suivies d’une pompe suivie de quinze tractions.
Il y a des cours de certification dans tout le pays et toutes les places sont
toujours vendues des semaines ou des mois à l’avance. Un nombre croissant
de centres d’entraîneurs certifiés ouvrent des clubs de gym dans le monde
entier. Chaque centre trouve des membres pour la tribu CrossFit et tous les
centres sont coordonnés par le site Web Central. La tribu CrossFit est forte et
continue à se renforcer. Et c’est en grande partie le résultat du travail de Greg
Glassman, aussi connu sous l’alias Coach. Coach a créé la tribu CrossFit, à
partir de rien, en a inspiré, et raffiné les règles. Sans Coach, pas de tribu. »
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

1.  Cofondateur de Wikipedia.


140   la transformation digitale

Figure 7.8 – La tribu CrossFit

« Patientslikeme.com : Voici une tribu qui semble dépourvue de leader.


Elle rassemble plus de sept mille personnes malades qui échangent tous les
détails sur leur diagnostic et leur état de santé. Les membres du groupe
construisent une base de données de plus en plus importante sur l’expérience
qu’ils ont des traitements de la maladie de Parkinson et d’autres maladies débi-
litantes. Et ils se soutiennent les uns les autres avec enthousiasme et se récon-
fortent, chemin faisant… Ils s’encouragent mutuellement, et cela d’autant
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    141

mieux que personne ne peut évaluer mieux qu’eux ce qu’ils traversent. Mais les
fondateurs de patientslikeme.com sont néanmoins des leaders. Ils ont créé une
tribu qui voulait désespérément communiquer et ils ont donné à leurs membres
les moyens pour le faire. Ils ont resserré les liens de la tribu. C’est aussi du
leadership. »

Figure 7.9 – Patientslikeme.com

Se connecter étroitement au client


Leroy Merlin, un des leaders de la distribution pour l’aménagement de la
maison et le bricolage, a bien compris les attentes du consommateur
omnicanal. Le web est devenu le point de contact majeur de l’enseigne :
–– dispositifs ciblés en fonction de la météo ou des « grands temps de
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

bricolage » comme le déménagement ou l’emménagement ;


–– interaction permanente avec les clients en mode projet sur les plate-
formes ou les réseaux sociaux pour apporter des réponses en temps réel
à leurs questions ou avis ;
–– continuum pour des projets déclarés en ligne et qui seront instruits en
magasin par des collaborateurs qui doivent s’immerger dans l’écosys-
tème digital de l’entreprise.
142   la transformation digitale

Figure 7.10 – La communauté Leroy Merlin


Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    143

L’enseigne a conduit une transformation digitale ambitieuse1 qui a permis :


–– l’amélioration de la performance commerciale grâce à une offre élargie
de produits, de services et d’outils innovants, tout au long du parcours
cross-canal de « l’habitant » grâce au social shopping et au web-to-store et
avec le développement d’outils d’aide à la conception, du up sell, du cross
sell, de l’expérience cross-canal.
–– l’ancrage local avec l’intégration des magasins et des collaborateurs et la
valorisation des communautés clients locales ;
–– un travail sur l’engagement des clients autour de la marque pour
construire une entreprise plus ouverte et plus participative, sans être
intrusive en fédérant des communautés d’habitants. Elle fait la promo-
tion du partage de projets, valorise les contributions grâce à des solu-
tions de co-création et de gamification, des concours, la participation à
des panels et à des notations.

Connecter les clients entre eux


Début 2015, la start-up française Blablacar2 (150 collaborateurs, pas moins
de 8 millions de membres) a levé 100 millions d’euros pour son développe-
ment. Elle se positionne comme le leader du covoiturage et son business
model répond au sacro-saint commandement du « repeatable and scalable »3.
Sa plateforme – la société préfère parler d’une marketplace – lui permet
des scénarios stratégiques très ouverts allant de la diversification à la focali-
sation. Elle semble avoir opté, à ce jour, pour cette dernière voie avec une
stratégie ambitieuse. Blablacar revendique déjà plusieurs implantations à
l’international (Londres, Moscou, Barcelone, Milan…) et s’intéresse
sérieusement à la Turquie, au Brésil et à l’Inde.
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Les critères déterminants pour l’implantation dans un nouveau pays


sont simples :
–– population totale dépassant 50 millions d’habitants ;
–– distances à parcourir allant de 200 à 400 km ;
–– bonne pénétration du mobile et des réseaux sociaux.

1.  Source : Business Lab.


2.  www.blablacar.com est un site de covoiturage.
3.  « Reproductible et évolutif » (nous ne connaissons pas de véritable équivalant de scalable en
français).
144   la transformation digitale

À ce jour, seules la France et l’Espagne proposent des services payants.


Frédéric Mazella1, le président, explique le basculement du modèle d’an-
nonces gratuites vers le modèle de réservation en ligne, dans lequel Blablacar
perçoit une commission de 10 %, par la masse critique. Au lancement d’un
pays, l’offre faible qui fonctionne sur un modèle d’annonces implique une
négociation entre le conducteur et le passager pour le calage de l’horaire de
départ. Ce sont donc les adhérents qui font la transaction et font peu à peu
le marché de Blablacar et plus globalement du covoiturage dans leur pays.
Le succès de Blablacar lui permet d’avoir comme principale concur-
rent… la SNCF.
Et pour cause : la start-up transporte l’équivalent de 1 500 TGV par
mois, soit 600 000 passagers2. Frédéric Mazella relève encore la barre en
annonçant qu’à fin 2014, compte tenu de sa croissance, sa société « devrait
transporter autant de passagers que l’Eurostar, soit environ 900 000 passa-
gers par mois ! ».
Il faut préciser qu’à l’inverse, le premier concurrent de la SNCF est
également le covoiturage. Il n’était donc pas étonnant que l’entreprise ferro-
viaire, qui a toujours ses antennes largement déployées pour les sujets digi-
taux, rachète en septembre 2013 123envoiture.com, autre plateforme de
covoiturage, qui a enregistré, comme ses concurrents, des records de visites
et d’inscrits durant les grèves. La SNCF a d’ailleurs offert de rembourser les
trajets des bacheliers sur 123envoiture.com durant la dernière grève de
juin 2014.
Même si certains peuvent estimer que Blablacar « pervertit » le système
collaboratif avec son modèle payant, nous pensons, pour notre part, que la
société contribue pleinement à son développement.
Rappelons la définition qu’en donne Wikipedia : « La consommation
collaborative désigne un modèle économique où l’usage prédomine sur
la propriété : l’usage d’un bien, service, privilège, peut être augmenté par
le partage, l’échange, le troc, la vente ou la location de celui-ci. »

Suivre leurs conversations


Le Café des Délices est devenu le « Café des Arnaques » sans rien voir venir.
C’est un lieu emblématique de Sidi Bou Saïd, lieu éminemment touristique

1.  Entretien (source : YouTube).


2.  Source : Buzz Média Orange-Le Figaro.
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    145

et fort prisé des touristes. On y passe des soirées délicieuses avec une vue
imprenable sur le port de Sidi Bou Saïd et la baie de Carthage qui a vu partir
le fameux et très disruptif général Hannibal Barca vers l’Espagne où il a
formé une armée pour traverser les Alpes avec des éléphants et défaire Rome
sur ses propres terres pendant près de dix ans. Un émule des Scythes, à n’en
pas douter.
La direction du Café des Délices a cru que le réel succès de son établisse-
ment pouvait justifier une augmentation des tarifs sans précédent et un
comportement de plus en plus cavalier avec sa clientèle. La réaction fut
brutale, durable et… digitale. Une véritable bataille orchestrée sur Face-
book. Touristes et locaux confondus l’ont rebaptisé « Café des Arnaques ».
Des groupes de réflexion ont été organisés pour mettre au point des actions.
Il était, à titre d’exemple, demandé aux membres de cette nouvelle tribu,
qui entendait laver l’affront fait à la clientèle, de se rendre dans l’établisse-
ment, d’y prendre place avant de se lever en groupe, sans commander, pour
quitter le lieu. Il va sans dire que l’évaluation TripAdvisor en a été impactée
avec les conséquences sur l’image de marque et les ventes.
Rappelons qu’en France, le boycott est rigoureusement interdit mais les
applications se développent. Ivan Prado, créateur, de www.buycott.com
souhaite « transformer des millions de gens en activistes amateurs »1. Le
principe est simple : des informations sont données sur les entreprises qui
fabriquent les produits dont les codes barres sont scannés grâce au smart-
phone durant les courses. L’application indique si l’achat est conforme au
code éthique du consommateur. Il ne s’agit pas de boycotter un produit en
ne l’achetant pas, mais de « répertorier les pratiques des sociétés agroali-
mentaires » pour organiser la cohérence entre le budget achat du consom-
mateur et ses principes.
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L’activité
L’activité de l’entreprise s’entend au sens générique. Nous entendons par
activité les domaines d’activités industrielles, les processus qui les portent et
constituent la chaîne de valeur et les actifs stratégiques qui intègrent bien
les données et les systèmes afférents.

1.  « Buycott : une application pour faire des courses responsables », www.lefigaro.fr, 22 juin
2014.
146   la transformation digitale

Nicolas Colin et Henri Verdier1 citent l’exemple d’un grand patron qui


leur confie sa perplexité et pose la question de la valeur : « Les internautes
sont de plus en plus imprévisibles. Ils se comportent comme une volée de
moineaux qui s’abattent sur les arbres de manière imprévisible. Le
problème, c’est que tout le monde veut nous vendre les arbres ». La ques-
tion qui se pose ici est celle de la valeur de l’activité de l’entreprise, mais
aussi celle de la captation de la valeur créée dans le monde du web. Google
et Amazon ne vivent-ils pas de nos empreintes digitales ; il s’agit là du cœur
de leur activité.
Les entreprises du secteur traditionnel peuvent également capter cette
valeur. Reprenons l’exemple spectaculaire d’Apple que nous avons déjà
évoqué. En partant d’un téléphone ultra-innovant (iPhone), la société a su
créer une plateforme d’applications pour ses clients qui a généré plus de
bénéfices en 2012 que la vente du téléphone lui-même.
Elle a ouvert cette plateforme à des développeurs externes non rému-
nérés qui ont la possibilité de publier leurs applications sur l’App Store et de
les mettre en vente. Apple prélève un pourcentage sur la vente à des clients
qu’elle a fédéré autour de son téléphone et de sa plateforme et a créé un
nouvel actif stratégique qui lui permet de développer des stratégies nouvelles
en renforçant l’écosystème de son système propriétaire.
La concurrence avec Microsoft n’est plus qu’un souvenir et Apple est
désormais ailleurs, dans l’économie de la contribution, malgré un système
propriétaire qu’elle a protégé en prenant l’offensive. Apple a compris qu’il y
a plus d’innovation et de puissance à l’extérieur de l’organisation qu’à l’inté-
rieur et que, dans cette économie de la contribution, les individus sont
davantage intéressés par la contribution que par la rémunération, d’où le
nombre relativement important d’applications gratuites dans l’App Store.
Elle a su capter les moineaux et les orienter vers l’arbre en profitant du
formidable relais de croissance que représente l’interne mobile. Externalité
positive !
Ikea l’a également compris en nouant un partenariat avec un site
d’échange de services entre particuliers. Si le montage des meubles est pour
vous un obstacle à l’achat, vous serez orienté vers ces amateurs. L’enseigne a
donc recours au web et entre dans l’économie de la contribution en proté-
geant son modèle de meuble en kit et sa proposition de valeur. Au-delà de la
technologie, elle intègre, au sein même de son processus de vente, une

1.  Nicolas Colin et Henri Verdier, L’âge de la multitude, Armand Colin, 2e édition, 2015.
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    147

logique de plateforme qui agrège ses produits et des services connexes


qu’elle ne souhaite pas développer en interne. Le coût est nul, mais la satis-
faction du client est améliorée. Le client devient un prescripteur et le fait
savoir sur les réseaux sociaux sur lesquels Ikea a pris soin de mesurer les
impacts de son initiative.

Redéfinir sa chaîne de valeur


Les acteurs économiques vivent depuis longtemps dans un monde industriel
où les chaînes de valeur ont été « éclatées ». Lorsqu’IBM a cédé son activité
PC à Lenovo, cela faisait bien longtemps que le groupe ne fabriquait plus ses
puces, pas plus d’ailleurs qu’il ne fabriquait ses PC. La conclusion était donc
logique : après l’éclatement de la chaîne de valeur, sa disparition.
Avec le développement des normes et des standards de production de
façon accrue depuis les années 1980, des concurrents compétents et compé-
titifs, au regard des coûts internes globaux, sont apparus sur tel ou tel
segment de la chaîne de valeur, invitant les grandes entreprises à bien définir
ce qui constitue le cœur de leur proposition de valeur. Le phénomène s’ob-
serve dans la quasi-totalité des secteurs d’activité et a donné lieu à des vagues
successives de sous-traitance, d’externalisation, d’offshore, de nearshore…
Avec la baisse des coûts de transaction, l’accessibilité de l’information, le
client entre dans la danse en participant à la conception ou à la production
du bien ou service et à son évaluation.
Les possibilités d’adaptation à un monde déconstruit1 existent bien sûr
et ont été étudiées.
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1.  Jean-Marie Ducreux, René Abate, Nicolas Kachaner, Le grand livre de la stratégie, Eyrolles,
2009.
148   la transformation digitale

L’ORCHESTRATEUR L’INTÉGRATEUR

Complète
M

Marques grand public Solutions industrielles

Chaîne de valeur

LE DÉSINTERMÉDIATEUR LE MAÎTRE D’UN CHAÎNON

Partielle

M
Lien direct Réintégration Savoir Standards Échelle Actifs

M MARCHÉ Faible Contrôle Fort

Figure 7.11 – Les rôles dans un monde déconstruit

• L’orchestrateur : Les fonctions non critiques sont confiées à des sous-trai-


tants spécialisés qui les réalisent pour un coût inférieur et les fonctions cri-
tiques sont conservées. L’entreprise fédère un ensemble d’activités et
d’intervenants autour d’un projet ou d’une solution industrielle.
• L’intégrateur : Tous les maillons de la chaîne sont maîtrisés et contrôlés
et presque totalement intégrés.
• Le maître d’un chaînon : La maîtrise d’un ou plusieurs maillons de la
chaîne de valeur a été acquise par une stratégie de volume (domination
par les coûts) ou par une stratégie de différenciation.
• Le désintermédiateur : Une bonne connaissance de l’environnement et
du client a permis l’organisation de couples produits/marché simples et
efficaces.
Quel que soit l’environnement, le métier, le modèle, l’entreprise doit
être consciente de ce qui fait et fera sa force sur son marché et le défendre.
On peut opter pour un modèle en connaissance de cause. Pour un modèle
de type concept du hérisson ou pour faire tout autre choix, mais comme
IBM, il est dangereux d’en subir un par manque de vision ou de réactivité.
Comme nous l’avons déjà mentionné, le digital constitue un facteur
d’accélération. Par la réduction des coûts de transaction, il permet des
modèles de collaboration hier trop coûteux, dont ceux qui impliquent les
distributeurs et les clients.
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    149

Le cœur extensible
Prenons deux exemples dans des secteurs voisins : le transport et l’hôtel-
lerie. La dépendance vis-à-vis des sites de réservation s’est construite avec
l’inversement progressif d’un rapport de force entre l’amont (recherche et
conception du produit-service) et l’aval (distribution).
Les sites de réservation en ligne, comme Expedia, ont investi la filière du
transport aérien avec une offre axée sur la recherche du meilleur prix sur un
marché fragmenté à forte intensité concurrentielle. La bonne qualité de
l’expérience utilisateur sur le maillon de la distribution online a été acquise
par la performance du comparateur et la réputation des transporteurs. Elle
a permis de prospérer et de passer une alliance objective avec les utilisateurs
internautes dont le nombre croissant a inversé le rapport de force avec les
acteurs de l’aval qui portent tous les risques et supportent tous les investis-
sements. Une fois la plateforme en place, elle peut offrir d’autres services au
sein de sa même filière, se positionner comme l’acteur incontournable grâce
au comparateur. Le « price taker » est devenu le « price maker » et a investi
d’autres filières, comme l’hôtellerie. La logique est la même : capter le client
et l’essentiel de la valeur produite.
À l’évidence, les filières ont sous-estimé la menace que représentaient ces
nouveaux entrants qui ont été considérés comme des canaux d’acquisition
additionnels et ils ont tardé à réagir. Les écarts culturels et technologiques,
le poids des organisations et des systèmes dits « legacy », le déficit d’esprit
entrepreneurial… n’ont pas aidé à rattraper le retard.
A contrario, la SNCF s’est lancée très tôt dans le digital et a fait de
Voyages-sncf.com une plateforme, sur laquelle on peut réserver une
voiture, un vol ou un hôtel. Certes la SNCF agit sur un secteur qui a été
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

jusque-là protégé ; elle n’en suit pas moins la même logique. Sa plate-
forme a fait du transporteur ferroviaire historique un voyagiste à part
entière qui se paie le luxe d’être un comparateur. Comme Apple, la SNCF,
a construit, à partir d’un produit traditionnel un actif stratégique (l’en-
semble des données transporteur) qui lui offre un champ stratégique plus
large.
150   la transformation digitale

Figure 7.12 – Voyages-sncf.com

Il est crucial de bien connaître ses actifs stratégiques, sa proposition de


valeur et ce qui en fait l’essence pour travailler sur la notion de cœur
extensible.
Ainsi, la SNCF a lancé iDTGV, une structure dédiée aux seuls inter-
nautes avec une offre adaptée sur les prix pour lutter contre le low cost
aérien sur des destinations bien précises, mais aussi contre la voiture.
Mais iDTGV, 5 millions de clients à ce jour, constitue aussi un labora-
toire d’innovation interne qui tente de réenchanter la relation client avec
des pratiques qui tranchent avec celles du réseau commercial classique
(ambiances spécifiques dans les rames, remboursement automatique en
cas de retard, participation des clients au choix et test des menus à
bord…). Le succès a permis d’aller plus loin dans l’élaboration d’un vrai
modèle low cost avec Ouigo. Nous voyons bien là pointer cette notion de
cœur extensible : de Voyages-sncf.com à iDTGV (distribution Internet
exclusive) à Ouigo.
Mais la fin de l’histoire est loin d’être écrite. Capitaine Train
(www.capitainetrain.com), un site de vente de billets de train, est arrivé.
« Juste des billets de train. Pas de voyage en avion. Pas de location de voiture.
Pas de séjour en hôtel. Pas de publicité. »
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    151

Ce nouvel acteur spécialisé, dont l’activité a démarré doucement en


mars 2011, propose à ses clients d’acheter des billets de train « le plus
simplement du monde » et au meilleur prix. Son business model est basé
exclusivement sur les commissions des transporteurs (SNCF et
Deutsche Bahn à ce jour) et non, comme le mentionne sa profession de
foi, « sur la fourniture de temps de cerveau disponible ». L’objectif
recherché est de permettre la transaction la plus rapide possible avec un
processus épuré et une ergonomie optimisée. Le discours commercial
est agressif : « Nous allons chercher nos prix au même endroit que les
transporteurs. Pas de surcoût, pas de frais cachés. Vous ne trouverez
jamais moins cher ailleurs. »
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Figure 7.13 – Capitaine Train et la simplicité

Le web est un monde d’une agilité et d’une fluidité surprenantes où


aucune position n’est définitivement acquise. Les moineaux peuvent
quitter l’arbre en toute liberté et par le plus simple des moyens : le surf.
152   la transformation digitale

De son côté, l’industrie hôtelière subit aussi la pression des « maîtres


d’un chaînon » que sont tous les sites de réservation en ligne (Booking,
Hotels…) et se retrouve dans une forme de dépendance vis-à-vis de ceux-ci.
Une entrée réussie sur l’aval de la chaîne de valeur de l’industrie hôtelière
devenue fortement dépendante peut préparer les sites de réservation à une
stratégie d’intégration amont. En clair, le rachat d’hôtels ou de chaînes
hôtelières.
Par ailleurs, la concurrence avec des sites qui offrent de nombreux
produits alternatifs ne fait qu’accroître son intensité :
–– échange de maison ou d’appartements : www.homelink.com offre plus
de 28 000 appartements par an dans 72 pays ;
–– location entre particuliers : www.airbnb.com représente à lui seul
10 millions de nuitées réservées dans 34 000 villes et 192 pays.
Si l’industrie hôtelière n’a pas su encore, à notre connaissance, se trans-
former véritablement en plateforme pour offrir des produits et services
connexes (transports…), elle n’a pas dit son dernier mot et travaille de
façon intense sur l’expérience client. Elle dispose d’un véritable trésor que
constituent les données sur tous ses clients et innove.
Ainsi, le groupe Four Seasons propose une « expérience sommeil » avec
un lit totalement personnalisable en quelques minutes grâce à un système
de matelas innovant développé avec un grand fabricant. Sont également
proposés trois niveaux de fermeté, différents types d’oreiller et des côtés de
lit aménageables. Les réglages du client sont « connus » et peuvent ainsi
suivre le client dans ces voyages dans les hôtels du groupe équipés de ce
nouveau lit. Il est invité à consulter la liste des hôtels et resorts qui en sont
équipés. Four Seasons se voit donc depuis de nombreuses années comme
« un spécialiste du sommeil ». À l’occasion de la journée mondiale du
sommeil le 14 mars 2014, Four Seasons a organisé des chats sur Twitter
avec des experts du sommeil et offre des informations et conseils pour
mieux dormir sur Twitter, Instagram et Facebook.
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    153
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Figure 7.14 – Four Seasons, spécialiste du sommeil


154   la transformation digitale

Plus intéressant encore, ce nouveau lit est mis en vente, ainsi que les
oreillers et les différents linges de lit afin que les clients puissent dormir
aussi bien chez eux qu’à l’hôtel. Quand les fabricants de lits deviendront-ils
des hôteliers ?
Dans les deux cas que nous venons d’évoquer, une innovation a été un
moteur qui a amélioré l’agilité stratégique de l’entreprise et a permis le
développement d’un cœur extensible.
L’extension de la gamme des produits et services offerts à une clientèle
connue constitue un développement du cœur extensible de toutes les plate-
formes. Dans un secteur industriel traditionnel, les ruptures et la mise en
place d’un cœur extensible sont d’autant plus envisageables que cinq types
de barrières classées dans un ordre croissant d’importance sont plus ou
moins franchissables1 :
• Inertie : les clients ne s’accommodent pas du statu quo.
• Mise en œuvre technique : elle peut être surmontée en utilisant le porte­
feuille technologique existant et accessible.
• Écosystème : la barrière peut être surmontée sans altération de l’envi-
ronnement de l’entreprise.
• Nouvelles technologies : la nouvelle technologie peut altérer la concur-
rence.
• Modèle d’entreprise : il n’est pas nécessaire d’adopter la structure de
coût des acteurs traditionnels.
En revisitant ces barrières, mesurons à quel point la révolution digitale,
s’appuyant sur les aspirations des internautes, a favorisé le franchissement
de certaines d’entre elles. On peut évidemment penser à toute l’industrie de
l’entertainment et des loisirs qui ont été les premières touchées, mais toutes
les entreprises sont menacées à court ou à long terme. Dans ce contexte,
une entreprise menacée se doit de créer sa propre rupture, comme Four
Seasons. Les GAFA prendront tous les espaces qu’ils peuvent prendre.
Google est devenu un comparateur et il suffit de taper « Vol Paris Genève »
comme nous l’avons fait pour obtenir ce qui suit. Quid de la réaction des
spécialistes (Opodo, Kayak…) ?

1.  « Pleins feux sur les ruptures », Harvard Busines Review, février-mars 2014.
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    155

Figure 7.15 – Google distributeur

Les technologies comme levier de transformation


et de développement
L’investissement dans les technologies est un passage obligé pour devenir
véritablement une entreprise digitale et ainsi capter de la valeur et de la
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croissance et se protéger des externalités négatives du web.


Leur déploiement rapide et massif doit :
–– étendre une culture technologique nouvelle ;
–– améliorer l’exécution en fluidifiant les opérations ;
–– enchanter l’expérience client ;
–– fluidifier les relations en interne avec les collaborateurs, comme en
externe avec les internautes ;
–– développer la « sensitivité » ;
–– favoriser l’agilité stratégique ;
–– faciliter le développement de partenariats et d’alliances nouvelles.
156   la transformation digitale

Jeff Bezos explique sa vision de la technologie dans une lettre aux action-
naires d’Amazon (extrait) :
« Si vous consultez un manuel récent d’architecture logicielle, vous trou-
verez peu de choses que nous n’appliquons pas chez Amazon. Nous utili-
sons les systèmes transactionnels de haute perfor­mance, le rendu complexe
et la mise en cache d’objets, les flux de travaux et les files d’attente, l’intelli-
gence économique et l’analyse de données, l’apprentissage et la reconnais-
sance de motifs, les réseaux de neurones et les prises de décision probabilistes
et encore maintes autres techniques plus diverses les unes que les autres. Et
bien que nos systèmes se fondent sur les résultats les plus récents de la
recherche en informatique, ça n’a pas toujours été suffisant : nos architectes
et ingénieurs ont dû conduire leurs propres travaux de recherche dans des
directions encore in­ explorées par le monde académique. Nombre de
problèmes auxquels nous sommes confrontés n’ont pas de solution toute
faite. Nous devons donc, non sans plaisir, inventer des approches nouvelles.
[...]
Tous ces efforts consacrés à la technologie auraient bien peu d’impor-
tance si nous isolions cette technologie aux confins d’une sorte de départe-
ment de R&D. Mais telle n’est pas notre approche. La technologie irrigue
toutes nos équipes, tous nos processus, notre façon de prendre des dé­cisions
et l’approche de l’innovation dans tous nos métiers. La technologie est
profondément intégrée à toutes les activités d’Amazon. [...]
Ces techniques ne sont pas mises en œuvre en vain – c’est grâce à elles
que nous gagnons de l’argent. Nous vivons dans une période d’augmenta-
tion extraordinaire de la bande passante dis­ponible, de l’espace disque et de
la puissance de traitement. Tout cela va continuer d’être de moins en moins
cher de plus en plus vite. Nous avons dans nos équipes certains des experts
tech­nologiques les plus compétents du monde. Ils nous aident à relever des
défis qui sont à l’extrême limite de ce qu’il est possible de faire aujourd’hui.
Comme nous l’avons discuté à de nombreuses reprises, nous avons la
conviction inébranlable que les intérêts de long terme de nos actionnaires
sont parfaitement alignés avec les intérêts de long terme de nos clients. »1
La compréhension, le goût et la maîtrise de la technologie sont donc au
cœur d’un avantage compétitif nouveau à construire et/ou à défendre. Ils
doivent s’accompagner des évolutions culturelles qui la sous-tendent et

1.  Traduction. Source : « La transition numérique au cœur de la stratégie d’entreprise », étude
financée par La Poste et la Caisse des dépôts et consignations, réalisée par The Family.
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    157

enrichir tous les métiers, tous les processus et toutes les fonctions de l’entre-
prise, des fonctions opérationnelles aux fonctions de support. La mise en
place de logiques de réseaux internes à l’entreprise ou externes, avec des
partenaires, devient alors le vecteur d’une porosité créatrice et consubstan-
tielle au monde du web.
Citons, à titre d’exemple, le partenariat entre Amazon et Netflix qui loue
les services d’Amazon Web Services, géant du cloud computing, alors que le
groupe possède lui-même un service concurrent de Netflix pour la diffu-
sion de vidéos en streaming.
Si la coopétition est un concept au succès très relatif dans l’économie
traditionnelle, c’est une réalité dans l’économie digitale. Grâce aux techno-
logies. Elles permettent également le passage au statut de plateforme avec la
monétisation de données recueillies de façon innombrable et transmises
grâce à l’interconnexion des systèmes et à la mise disposition de ressources
souvent et en partie gratuites pour favoriser l’amorçage.
Il n’est de position dominante dans le web sans développement d’une
plateforme. Pour les entreprises du secteur traditionnel, il peut se heurter à
des obstacles bien connus en matière de système d’information qui consti-
tuent déjà des obstacles pour le développement de l’agilité de l’organisa-
tion :
–– vétusté ;
–– modularité faible ;
–– stratification historique ;
–– manque d’ouverture ;
–– déficit de compétences pour l’évolution.
Il faut y ajouter la problématique complexe de la prise en compte des
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données personnelles. Plusieurs acteurs qualifiés de tiers de confiance


offrent des solutions. Nous donnons ici la définition de la fédération natio-
nale des tiers de confiance : « Le Tiers de Confiance Numérique est un
acteur du développement de la confiance dans le monde numérique. Il
intervient dans la protection de l’identité, des documents, des transactions
et de la mémoire numérique. Il engage sa responsabilité juridique dans les
opérations qu’il effectue pour le compte de son client. Le Tiers de Confiance
Numérique est reconnu par ses pairs. Il doit être membre d’un ordre, d’une
association ou d’une fédération disposant d’une charte et d’un comité
d’éthique. Le Tiers de Confiance Numérique est intègre, transparent et
respecte une stricte confidentialité. Il garantit son interopérabilité avec les
158   la transformation digitale

autres Tiers de Confiance Numérique. Il doit démontrer sa capacité de


continuité de service au-delà de sa propre existence »
Pour aller plus loin, de nouveaux acteurs permettent, en mode cloud, à
certains métiers ou filières de gagner en flexibilité et en agilité. L’entreprise
peut, en dehors de son système d’information, y développer des ressources
ouvertes mises à disposition des utilisateurs grâce à des API et avoir recours
aux contributions des développeurs internautes ou des développeurs appar-
tenant à d’autres entreprises selon des partenariats à créer en mode open
innovation :
• Santé : API Eligible rend possible, pour les acteurs santé, l’accès à des
solutions innovantes grâce à une intégration réussie avec les systèmes de
leurs partenaires.
• Banque : Simple (ex-BankSimple) enrichit l’expérience client de ses
partenaires en offrant une interface optimisée web et mobile pour les
services bancaires.

Le membership
Comme nous l’avons vu, la cohésion est un facteur essentiel. Ses ciments sont :
–– la confiance ;
–– le respect de la « promesse » ;
–– la bonne régulation des processus relationnels internes et externes.

David Maister1 a décrit les quatre dimensions de la confiance :


• La crédibilité correspond souvent à un savoir-faire ou une expertise pro-
fessionnelle.
• La fiabilité représente la probabilité, à travers des actions mesurées dans
le temps, qu’une personne ou qu’une organisation tienne ses engage-
ments.
• L’intimité touche à l’émotionnel et ouvre, ou non, selon le ressenti, la
possibilité d’aborder les sujets les plus variés avec l’interlocuteur.
• Les motivations personnelles représentent le niveau des intérêts personnels
dans la relation ; elles peuvent réduire le « quotient de confiance » lorsque les
motivations personnelles sont fortes par rapport à l’intérêt commun.

1.  David Maister, The Trusted Advisor, Free Press, 2001.


Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    159

La promesse est ainsi évoquée par François Vergonjeanne1 : « En arrivant à


son poste, le leader doit s’engager et faire des promesses : “Ensemble, nous
irons dans cette direction pour atteindre tel but.” Puis, il s’avance dans la
direction indiquée. Si la direction est bonne, les preuves et le succès arrivent.
Sinon, il va commencer à susciter la défiance et renforcer les inclinations indi-
viduelles divergentes. Des preuves naît la cohésion : la promesse est tenue. »

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Figure 7.16 – Une dynamique de la confiance


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La révolution digitale pose un problème particulier au management.


Stéphane Richard2 l’évoque en expliquant comment le Membership
pousse désormais au changement digital qu’il vit déjà pleinement en
dehors de l’entreprise. Le changement émerge de la base et il est néces-
saire d’élargir cette base en se tournant vers l’extérieur pour intégrer de
nouveaux talents.

1.  François Vergonjeanne, Coacher groupes et organisations, InterEditions, 2010.


2.  Stéphane Richard, Numériques, Grasset, 2014.
160   la transformation digitale

Pour ne pas subir la bataille pour les talents digitaux, et ce ne sera pas
une mince affaire, il faut être reconnue comme une destination digitale
c’est-à-dire une organisation où les conditions sont réunies pour que
­s’expriment dans la durée l’innovation digitale et une culture d’ouverture
dans toutes ses fonctions et dans tous ces domaines d’actions : marketing,
technologies, commerce et service client, mais aussi ressources humaines…
Banalité que de le rappeler, mais comment embarquer dans une démarche
de transformation sans que le top management s’exprime sur la vision. Et
pourtant cette étape manque souvent pour deux raisons essentielles :
–– certaines entreprises séparent encore les sachants des exécutants ;
–– il est difficile de définir la cible d’une transformation digitale qui pour-
rait s’apparenter à un processus continu d’évolution.
La formulation doit pouvoir exprimer les changements attendus en interne :
–– organisation ;
–– mode de fonction ;
–– principes de collaboration ;
–– mesure du succès individuel et collectif ;
–– performance opérationnelle.
Et en externe :
–– périmètre et ambition business ;
–– connexion clients ;
–– partenaires ;
–– cas inspirants ;
–– concurrents.
Mais le digital permet aussi de nouveaux modes de recrutement avec le
rôle incontournable pris par les réseaux sociaux, et en particulier LinkedIn,
Facebook et Viadeo.
Avec Graphsearch, Facebook permet de rechercher un candidat non
seulement sur les attributs renseignés de son profil, mais sur les traces lais-
sées par chaque membre Facebook :
–– essentiellement aux états-Unis ou pour les « cols bleus » à ce stade ;
–– sur 5 millions de candidats aux états-Unis, 16 % se manifestent via
leurs profils Facebook ;
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    161

–– gap recrute ses vendeurs sur Facebook. Quoi de plus efficace que de
proposer à une personne qui suit plusieurs marques de vêtements et qui
adore converser sur son réseau social préféré sur les dernières tendances
de la mode de travailler comme vendeur chez Gap ?
LinkedIn (330 millions de membres en 2014 et 187 millions de visi-
teurs uniques par mois), dont 60 % des utilisateurs sont des salariés qui
ne cherchent pas un job, développe à grande vitesse des services de plus en
plus sophistiqués destinés aux entreprises… et aux chasseurs de têtes.
Ces derniers ont à faire face de plus en plus à des concurrents 100 %
digitaux.
QAPA1 s’est lancé avec succès dans l’intermédiation du marché du recru-
tement en permettant la mise en relation directe de l’employeur qui a mis
en ligne une annonce avec des mots clés soigneusement sélectionnés et de
candidats qui mettent en ligne leur CV. Un algorithme de pertinence
permet de faire un tri puis adresse régulièrement à l’employeur les CV
correspondant à sa recherche et fait les relances nécessaires. Le coût pour
l’employeur (quelques dizaines d’euros par CV transmis) est sans commune
mesure avec les honoraires des cabinets de recrutement : quelques milliers,
voire dizaine milliers d’euros selon les profils et la nature du recrutement
(recrutement sur vivier ou chasse directe).
Qapa.fr est le site d’emploi qui connaît la plus forte croissance en
France avec une progression du trafic de 43 % d’un mois sur l’autre2 et
180 000 nouveaux candidats de tous secteurs qui s’inscrivent chaque mois sur
www.qapa.fr pour trouver un emploi. Le système de mise en relation entre
candidats et recruteurs basé sur le « matching » a séduit plus de 2 millions de
candidats et présente plus de 90 000 offres d’emplois. De quoi constituer une
belle plateforme.
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1. www.qapa.com
2.  Nielsen-Médiamétrie février 2014 - mars 2014
162   la transformation digitale

Figure 7.17 – Qapa.fr

Culture et règles
Si le mot culture est souvent un « mot-valise », Eric Berne la définit de façon
très restrictive, ce qui nous facilite bien les choses. Elle comprend :
–– l’étiquette : ensemble des us, coutumes et des traditions comporte-
mentales à adopter pour faciliter son intégration. L’étiquette intègre les
valeurs du groupe et est plus ou moins rigide ;
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    163

–– le caractère : capacité de l’organisation à accepter des écarts par rapport


à l’étiquette. Le caractère définit le niveau de tolérance ;
–– la technique : ensemble des savoirs, savoir-faire et savoir être collectifs.

L’étiquette : les enfants du digital bousculent


Nous reproduisons ici des extraits d’un texte lumineux1 de Steve Yegge, un
ancien collaborateur d’Amazon passé chez Google et qui livre, six ans après
son intégration, un « rapport d’étonnement » qui est une véritable note
stratégique. Visionnaire et détonnant !
« J’ai travaillé six ans et demi chez Amazon. J’ai maintenant la même
ancienneté chez Google. Une chose m’a immédiatement frappé à propos de
ces deux entreprises et cette impression n’a fait que se renforcer de jour en
jour : Amazon fait tout mal et Google fait tout bien. Bien sûr, c’est une
généralisation abusive.
Elle n’en reste pas moins vraie. C’est frappant. Probablement y a-t-il à
peu près une centaine de manières différentes de comparer les deux entre-
prises : Google est supérieure à tous points de vue à l’exception de trois, si je
ne m’abuse. J’ai même réalisé un jour une feuille de calcul à ce sujet, mais le
service juridique de Google m’a interdit de la montrer à qui que ce soit – en
revanche, le service des ressources humaines l’a adorée…
[…]
La dernière chose que Google fait moins bien qu’Amazon, ce sont
les plateformes. Nous ne comprenons pas les plateformes. Nous ne les
saisissons pas. Certains d’entre vous le font, mais vous êtes la minorité. J’ai
réalisé cela non sans douleur au long des six dernières années. J’espérais que
la pression concurrentielle de Microsoft, d’Amazon et, plus récemment, de
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Facebook provoquerait une prise de conscience collective et nous inciterait


à réaliser des API universelles. Non à notre façon, ni avec modération, mais
de la même façon qu’Amazon : d’un coup, pour de vrai, sans tricher, en
faisant de ce chantier notre priorité numéro 1…
Une application n’a aucune utilité sans une plateforme. Ou, pour être
exact et plus précis, une application sans plateforme sera toujours
supplantée par une application similaire adossée à une plateforme.
Google+ est un exemple éloquent de notre échec total dans la compré-
hension des plateformes, depuis le sommet de l’organisation (salut Larry,

1.  La traduction française de ce texte est disponible sur www.colin-verdier.com


164   la transformation digitale

Sergey, Eric, Vic, ça va ?) jusqu’au plus modeste de ses collaborateurs


(salut toi). Aucun d’entre nous ne saisit les plateformes. La règle d’or des
plateformes, c’est «Mangez comme votre chien». La plateforme Google+
est un pathétique rattrapage…
Google+ est une réaction de faiblesse, un exemple éloquent de pensée de
court terme, fondée sur l’idée erronée selon laquelle Facebook a du succès
parce qu’ils ont réalisé une belle application. Or, ce n’est pas la raison pour
laquelle ils ont du succès. Facebook a du succès parce qu’ils ont réalisé une
constellation d’applications en laissant les autres faire le travail…
Nous sommes en train d’essayer de prédire ce que les gens veulent et de
le réaliser pour eux. Or c’est impossible. Impossible de le faire vraiment.
Impossible de le faire de façon fiable. Il y a eu quelques personnes dans le
monde, dans toute l’histoire de l’informatique, qui ont réussi à le faire de
façon fiable.
Steve Jobs était l’une d’entre elles. Nous n’avons pas de Steve Jobs ici
chez Google. Je suis désolé, mais nous n’en avons pas…
Facebook me courtise, il me serait très facile de les rejoindre. Mais je me
sens chez moi chez Google, donc j’insiste pour que nous ayons cette petite
discussion de famille, même si c’est désagréable…
Et aussi comprenez-moi bien au sujet de Google+. Les gens de Google+
sont loin d’être les seuls coupables. C’est culturel. Ce que nous vivons en
interne, c’est une guerre, avec une minorité de rebelles défendant les plate-
formes et forcément perdants face à l’empire des développeurs d’applica-
tions, bien mieux armés…
Mais quand nous expliquons que nous savons concevoir des applica-
tions pour satisfaire tout le monde, et croyez-moi j’entends ça beaucoup
par ici, nous nous méprenons complètement. Vous pouvez attribuer ça à
l’arrogance, à la naïveté, à plein de choses – peu importe car, au final, c’est
bien de stupidité qu’il s’agit…
Honnêtement, je ne sais pas comment conclure. J’ai dit à peu près tout
ce que j’étais venu vous dire aujourd’hui. Écrire ce billet m’a pris six ans.
Pardonnez-moi si je n’ai pas été très gentil ou si j’ai fait des erreurs en
évoquant certaines applications, certaines équipes ou certaines personnes,
ou encore si, en réalité, nous faisons plein de choses en matière de plate-
formes et que le seul problème est que ni moi ni personne parmi les gens
que je connais n’en ont entendu parler. Je suis désolé. Il faut nous mettre au
travail dès à présent, et faire les choses bien. »
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    165

Combien d’entreprises tolèrent-elles une telle sortie (le texte intégral


compte une dizaine de pages) ?

Le caractère : une denrée rare ?


Il fallait du caractère à Steve Yegge, mais il fallait surtout du caractère à
Google. Les enfants du digital sont libres et les entreprises doivent l’accepter
si elles veulent conserver les talents et profiter de leur implication. Qui l’a
mieux compris que Google ?
Jack Welch, le mythique Président de General Electric, raconte un
mauvais souvenir. II assiste au pot de départ en retraite d’un ouvrier lors
d’une visite dans une usine du groupe. Celui-ci s’avance et lui explique,
narquois, qu’il a payé pendant 30 ans pour avoir ses bras et que pour le
même prix il aurait pu avoir sa tête. L’entreprise était-elle prête à l’en-
tendre pendant l’activité de cet ouvrier ? Avait-elle assez de caractère ?
Pour progresser sur ce point, il faudra intégrer des profils différents de
ceux naturellement attirés et développés au sein des entreprises de taille
importante :
–– gourous du digital ;
–– geeks ;
–– entrepreneurs.
Il n’est pas facile d’intégrer ces collaborateurs dans de grandes organisa-
tions. Bien entendu, ceux-ci peuvent être sollicités en tant que consultants
mais une transformation digitale ne peut pas être conduite que de l’extérieur.
Pour immerger l’entreprise dans un écosystème digital, il est possible de
s’inspirer des organisations de Recherche & Développement. Cet écosys-
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tème peut prendre plusieurs formes :


–– fond d’investissement dans des start-up ;
–– connexion à l’enseignement et à la recherche académique ;
–– filialisation des activités de e-commerce ;
–– lab utilisant des acteurs externes, des acteurs internes dédiés et du temps
partiel des collaborateurs des organisations digitales…
C’était une des principales raisons de la filialisation des activités d’e-­
commerce de TGV (Voyages-sncf.com) : le double décalage de la filiale et
de la joint-venture avec le leader mondial de la distribution de voyages en
ligne (Expedia) a fait du canal web de TGV un acteur de l’Internet et du
tourisme entraînant un degré d’innovation et une croissance inaccessible
166   la transformation digitale

par la simple création d’une division web au sein de la direction des ventes
de TGV. En termes managériaux, cette configuration a attiré des talents du
web : les jeunes collaborateurs rejoignaient Voyages-sncf.com pour travailler
dans le web avec le risque assumé de les voir partir, pas chez Air France ou la
Société Générale, mais dans des start-up ou des pure players web.
La filialisation est une réponse parmi d’autres, mais le détourage qui, au
moins dans un premier temps et dans des conditions à ajuster selon les
contextes, permet l’attractivité nous paraît une étape incontournable.

Figure 7.18 – Un institut de design à Stanford

La technique : des compétences nouvelles à acquérir


Le schéma ci-dessous reprend les six changements perturbateurs de la
révolution digitale et les compétences clés pour adresser ces changements.1

1.  Anna Davies, Devin Fidler, Marina Gorbis, « Future work skills 2020 », Institute for the
Future Phoenix, avril 2011.
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    167

Figure 7.19 – Changements digitaux et compétences clés

Intéressons-nous aux dix compétences clés pour la main-d’œuvre du


futur1 telles qu’elles sont décrites dans les travaux de l’Institut du futur de
l’université de Phoenix aux États-Unis :
1.  Capacité de compréhension  : Appréhender et comprendre la
signification profonde et l’importance de ce qui est exprimé par un être
humain. Elle peut être assimilée à la pensée critique (usage juste de la
raison).
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2.  Intelligence interpersonnelle : Comprendre autrui (ses pensées, ses


sentiments) et agir efficacement sur lui en situation d’interaction. Elle
peut être assimilée au savoir être.
3.  P ensée adaptive : Créer de nouveaux schémas de pensée adaptés aux
contextes et aux situations en perpétuelle mutation. La propension à
penser et à proposer des solutions et des réponses au-delà de ce qui est
connu de tous ou basé sur les règles.

1.  Anna Davies, Devin Fidler, Marina Gorbis, « Future work skills 2020 », Institute for the
Future Phoenix, avril 2011.
168   la transformation digitale

4.  Compétences interculturelles : Pouvoir opérer dans divers contextes


culturels dans une perspective de mondialisation et de diversité
culturelle et ethnique. Cela va au-delà des aptitudes linguistiques.
5.  Pensée informatique : Traduire de grandes quantités de données dans des
concepts abstraits. Comprendre des raisonnements basés sur les données.
6.  Nouvelle culture média : Comprendre, évaluer de façon critique et
produire du contenu qui utilise de nouvelles formes de média (culture
du remix et du mashup) pour communiquer.
7.  Interdisciplinarité : Comprendre, évaluer et utiliser des concepts et des
notions en provenance de et à travers plusieurs disciplines. L’intérêt est
de parvenir à un but commun en confrontant des approches différentes
d’un même problème.
8.  Gestion de la charge cognitive : Chercher, filtrer, sélectionner et
comprendre de grandes quantités d’information (signaux forts et
faibles). Cela passe par la maximisation du fonctionnement cognitif en
utilisant une variété d’outils et de techniques.
9.  Collaboration virtuelle : Capacité à travailler de façon productive par
l’engagement contributif et transparent dans une équipe virtuelle.
Le Figaro Économie1 rappelle les difficultés récurrentes des entreprises à
recruter des ressources compétentes, malgré la mauvaise situation de l’em-
ploi. L’incapacité à faire coïncider l’offre à la demande pour les postes
concernés serait responsable d’un surcoût de 2 milliards d’euros à l’échelle
nationale. Le digital est évidemment concerné au premier chef. Même s’il
faut parfois considérer avec circonspection les chiffres annoncés par les
cabinets d’études américains, tout le monde s’accorde sur la tension qui
règne sur le recrutement de certains profils indispensables à l’essor du digital
dans les grands groupes :
–– un tiers seulement des 4,4 millions de postes de data analysts nécessaires
en 2015 devraient être pourvus2 ;
–– en 2015, 90 % des jobs nécessitent des compétences dans les techno­
logies de l’information ;
–– marketing scientifique : plus de 700 000 postes devraient s’ouvrir en
Europe à l’horizon 2017.

1.  « La mauvaise gestion des compétences coûte cher aux entreprises », Le Figaro Économie,
www.lefigaro.fr, 22 avril 2014.
2.  Étude MIT-Cap Gemini Consulting : « The Digital Advantage: How digital leaders outper-
form their peers in every industry », 2012.
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    169

L’organisation digitale
La révolution digitale est déjà passée et les nouvelles « nouvelles » technologies
(web sémantique, Internet des objets…) annoncent encore des innovations
majeures qu’il faudra intégrer. Le temps est à la transformation permanente
depuis plusieurs années. Le digital en accélère le niveau d’urgence, le rythme et
le nombre d’itérations nécessaires pour rester dans la course. Elle suppose une
connexion et une compréhension intime du web et l’import, au sein de l’entre-
prise, de tout ce qui fera sa force et sa singularité dans le futur.
Pour y parvenir, la veille, sous toutes ses formes, est évidemment indis-
pensable, mais non suffisante, il faut s’ouvrir pour se nourrir de toute
l’énergie et de l’activité du web qui ne demande qu’à circuler. La Frontière
Majeure Externe (FME) doit se « perméabiliser » sans compromettre son
intégrité, notamment pour permettre l’open innovation.
Cette ouverture peut demander, ou non selon les cas, l’ajustement de
principes de sécurité parfois portés au pinacle dans certains secteurs. Elle
doit s’accompagner d’une véritable activité politique pour s’imposer,
guidée par le développement d’une forme de sensitivité qu’ont parfois du
mal à développer certaines industries traditionnelles.
Ce ne sont pas les activités qui sont en cause, mais plutôt le poids de
schémas de management trop longtemps tournés vers l’interne et le main-
tien d’une forme de statu quo rassurante, alors même que la création de
valeur se fait à l’extérieur de l’organisation, là ou les gens s’activent, créent,
échangent… sur le web.
Il faut admettre au préalable que l’ouverture d’une organisation n’est
pas naturelle mais chaque organisation trouvera sa propre voie pour y
parvenir en s’appuyant sur ses collaborateurs qui sont tous des enfants du
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digital et font preuve à titre individuel d’une remarquable agilité sur le web.

Piloter par les processus


Le web est un monde nouveau, peuplé de plus de trois milliards d’indi-
vidus, qui se réinvente sans cesse et qui est marqué par :
–– la vélocité ;
–– la densité ;
–– la créativité ;
–– la fluidité ;
–– le partage ;
170   la transformation digitale

–– la complexité ;
–– la transparence.
Être en phase avec cet environnement nécessite une agilité et une flexibi-
lité qui ne peut être acquise que par la maîtrise parfaite de tous ses processus
et par un pilotage serré de ceux-ci. Michel Raquin et Hugues Morley-Pegge1
(Will Be Group), sont des ardents défenseurs du pilotage par les processus.
Lorsqu’on observe le fonctionnement de beaucoup d’entreprises organisées
par fonction, notamment lorsqu’elles atteignent une certaine taille, on
constate que la chaîne des différentes activités qui concourent à assurer au
client la prestation attendue n’est pas maîtrisée.
En effet, chacun, dans sa propre « sphère » de responsabilité s’efforce de
bien faire sans pour autant se sentir coresponsable de la prestation servie au
client. Cela est d’autant plus vrai que bien souvent chaque contributeur,
au-delà de sa propre activité, n’a pas connaissance et donc conscience de
celles des autres contributeurs.
Nos organisations en silos ne sont pas adéquates pour assurer de manière
stable et durable la prestation attendue par le client. Le pilotage par les
processus devient alors une réponse. C’est remettre le client au centre des
préoccupations en confiant à quelqu’un (le pilote de processus) une respon-
sabilité transversale pour :
–– assurer de manière permanente la maîtrise des chaînes d’activités, donc
des processus ;
–– les améliorer en coordonnant les différents contributeurs (améliora-
tions, optimisations, reconstruction des processus) dans un souci d’ali-
gnement avec la stratégie de l’entreprise.
À une organisation par fonction, on ajoute, avec le pilote de processus,
une organisation matricielle ».

Real time : l’ajustement des processus pour être


Customer centric
L’armée de terre française se doit de renouveler une grande partie de ses
effectifs tous les trois ans et a développé une stratégie digitale de recrute-
ment particulièrement ambitieuse et efficace.

1.  Michel Raquin, Hugues Morley-Pegge, Piloter par les processus, Éditions Maxima, 2e édition,
2013.
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    171

Elle réalise pas moins de 10 000 recrutements par an sur un effectif de


100 000 membres en raison du fort nombre de contractuels (72 %) dans
ses effectifs et a dépassé le real time pour s’engager dans le futur time. Sa
stratégie de recrutement repose fortement sur le web avec un coût de recru-
tement allant de 100 à 800 euros selon le niveau de qualification.
Elle anticipe en permanence avec un horizon à 3 ans et se projette déjà
sur le web sémantique et le 3.0. Les générations recrutées actuellement (Y et
Z) sont les premières dont les pères n’ont pas fait le service militaire. Cette
période n’est donc plus une période de référence évoquée au sein des
familles auxquelles ils appartiennent. L’armée « débusque » donc ses futures
recrues là où elles se trouvent : sur le web1. Le recours à tous les réseaux
sociaux (Twitter, Pinterest, Google+ …) est constant, avec notamment une
présence H24 sur Facebook. Connaissant bien sa cible et son caractère
« impatient et zappeur », l’armée de terre a adapté ses processus pour lui
offrir des réponses immédiates à ses questions sur la tranche horaire
8 h 00-20 h 00. On y parle d’une « astreinte Facebook ».
Une politique éditoriale dynamique, vivante, adaptée à la situation est
développée pour être en permanence au courant des sujets d’intérêt. Un pilo-
tage serré avec des indicateurs basés sur des systèmes de traceur permettent de
mesurer le niveau d’audience des articles mis en ligne.
Pierre&Vacances (40 millions de visiteurs uniques et 100 millions de
visiteurs), comme la plupart des acteurs du tourisme surinvestit sur le web
depuis plusieurs années. L’entreprise considère le digital comme un facteur
de performance et a mis en place un processus « d’agilité et de performance »
qui repose sur une segmentation fine de ses 7 millions de clients pour un
meilleur suivi. Les « insights » consommateur sont analysés par une équipe
média importante pour faire les arbitrages entre les actions pull et push. Les
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

équipes se doivent d’accompagner efficacement et en real time cette


communication positive que constitue « le rituel des pieds »2 pour parfaire
l’expérience client.
Une war room Réseaux sociaux, en lien avec les directeurs de site, a été
constituée avec un objectif de réagir sur les expériences clients probléma-
tiques dans l’heure et apporter des réponses aux problèmes. La direction
générale est régulièrement contactée sur son compte twitter et c’est toute
l’entreprise qui a fait sa mue pour devenir un service client global.

1. www.sengager.fr
2.  Photos des doigts de pied en éventail sur la plage sur les réseaux sociaux.
172   la transformation digitale

Les tribus à l’intérieur de l’organisation


Seth Godin prend un exemple chez Microsoft : « Mich Matthews est la
vice-présidente senior du central Marketing Group de Microsoft. Bill Gates
et Steve Balmer se reposent sur elle pour le marketing de Microsoft depuis
près de dix ans. Vous n’avez jamais entendu parler de Mich. Elle n’est ni un
pontife, ni une personnalité itinérante. Non, elle dirige au sein même de
Microsoft une tribu de milliers de personnes qui conçoit et élabore le
marketing de la société. Cette tribu écoute Mich, la respecte et la suit. L’at-
tention que lui accorde cette tribu interne est un privilège bien mérité et
une responsabilité précieuse. »
Nous avons tous en tête l’exemple d’un cadre, de plus ou moins haut
niveau, qui ne se fait pas forcément beaucoup remarquer. Il a la confiance
de son équipe et de ses dirigeants et on le suit toujours.
En encourageant le développement des tribus en interne et en leur donnant
les moyens, l’entreprise a beaucoup à gagner de la création de ses nouveaux
espaces d’échange et de collaboration. Axa est un leader qui l’a parfaitement
compris et suit l’activité de ces « communautés » d’une façon très sérieuse.

Figure 7.20 – Les communautés Axa

L’entreprise organique plutôt que hiérarchique


Nous avons vu plus tôt l’importance de « l’horizontal » ; la théorie écono-
mique permet d’imaginer des organisations du travail où l’entreprise n’a
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    173

plus le rôle central qu’elle détient aujourd’hui. Si c’est vrai à l’échelle des
entreprises, ça l’est, a fortiori, à l’échelle des organisations.
Les technologies créent des passerelles entre les secteurs d’activité et les
écosystèmes et elles en créeront entre les silos historiques des organisations.
C’est ainsi qu’Olivier Charbonnier1 évoque les « entreprises latérales » et
cite deux modèles :
–– l’intermédiation « qui valorise la création de valeur hors les murs à
orchestrer à partir des réseaux sociaux » ;
–– l’excubation « qui encourage l’éclosion de start-up accolées au lieu
de faire la révolution en interne ». Il s’agit bien de créer les externa-
lités nécessaires au développement de l’innovation de rupture.
Il sera intéressant de suivre la transformation drastique et militante de
Tony Hsieh, fondateur de Zappos, qui supprime tous les postes de mana-
gers et opte pour l’holacratie. L’e-marchand de chaussures a décidé
d’adopter une organisation totalement agile. Exit les managers. Le travail
est effectué par des équipes auto-organisées. Sûrement extrême et inappli-
cable aux grandes entreprises, mais à coup sûr riche d’enseignements.
Quel rôle peut encore jouer le manager dans ce type d’organisation ?
À l’exclusion, au moins partielle, des managers de proximité chez qui
perdure la nécessité de garantir la bonne exécution des tâches (mais avec
plus de prise d’autonomie selon l’esprit du Lean), l’attitude du manager
doit être moins directive pour aller vers l’influence et la transmission.
Accenture évoque le « stewardship » : un coaching rapproché où il s’agit plus
de transférer les valeurs d’engagement, de service client, d’exemplarité,
d’authenticité que de micro-manager les collaborateurs. Il a aussi un rôle
important à jouer dans la réduction de la complexité et de « l’infobésité »
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galopante. Un peu comme la curation de l’information par les bloggeurs et


autres « Topics » Scoop.it.
Il est parfaitement naturel que les réticences au changement soient
sérieuses. Trouver les moyens de débloquer la situation où les enjeux de
pouvoir et de territoire (la sécurisation de son job prévaut) implique que la
direction générale soit la plus à même d’impulser la transformation digitale
en profondeur.
Loin de nous l’idée de formuler des solutions toutes faites qui s’adaptent à
tous les contextes. Le digital est aussi une affaire d’authenticité. Il était pour la

1.  Olivier Charbonnier, Sandra Enlart, à quoi ressemblera le travail demain ?, Dunod, 2013.
174   la transformation digitale

SNCF logique de constituer une filiale au format d’une agence de voyage : les
modèles économiques prévalaient à cette création car le voyage venait d’un
monde intermédié où les distributeurs jouaient un rôle essentiel (toutefois
bien moindre dans le ferroviaire que dans l’aérien par exemple).
Mais la filiale a aussi des inconvénients :
–– elle génère du frottement et peut amplifier les luttes de pouvoir et les
logiques de territoire ;
–– selon la configuration, elle peut créer des surcoûts structurels.
Pour autant, elle permet :
–– une meilleure visibilité sur le modèle économique ;
–– la capacité de nouer des partenariats capitalistiques et de créer ainsi un
écosystème agile ;
–– l’attractivité de profils différents et l’incubation d’une culture moins
mainstream.

Le leadership
La littérature sur le leadership est très abondante. Éric Berne distingue deux
catégories de leadership (il est important de faire la distinction entre
leadership et leader). Il en fait une fonction dans l’entreprise et distingue
deux catégories :
• Le leadership historique.
• Le leadership actuel.
Le leadership historique intègre :
–– le leader primal qui a créé l’entreprise et l’a structurée ;
–– le leader éphémère, un leader qui est décédé et auquel il est fait encore
référence car il a marqué l’histoire ;
–– le leader actuel, en fonction.
Le leadership actuel intègre :
–– le leader responsable qui possède « le titre » et la légitimité au sein de
l’entreprise par sa nomination et sa place dans l’organigramme ;
–– le leader effectif sur lequel nous reviendrons ;
–– le leader psychologique qui est très influent dans la structure au sein de
laquelle il jouit d’une grande reconnaissance.
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    175

Ces trois fonctions peuvent être cumulées par une même personne à un
instant donné de la vie de l’entreprise.
Le manager gère, le leader inspire et entraîne. Le thème du leadership est
fondamental pour entreprendre un changement et a fortiori une transfor-
mation digitale.
Le leader se distingue par ses qualités professionnelles et relationnelles.
• Qualités professionnelles :
–– comprendre et répondre à son environnement ;
–– avoir une vision ;
–– partager sa vision ;
–– capter les signaux faibles.
• Qualités relationnelles :
–– singularité ;
–– authenticité.
Pour Seth Godin1 : « Le top management recherche maintenant des
leaders. Il veut des hérétiques pour créer le changement avant que le chan-
gement ne leur tombe dessus… Pas de leader sans tribu, pas de tribu sans
leader ». Il considère que le leader peut et se doit d’améliorer l’efficacité de
sa tribu en :
–– « transformant l’intérêt commun en un objectif guidé par la passion et
un désir de changement ;
–– fournissant les outils permettant aux membres de consolider leur com-
munication ;
–– influençant la tribu pour lui permettre de développer et d’attirer de
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nouveaux membres ».
Il précise que « la plupart des leaders ne se concentrent que sur le troi-
sième procédé. Une tribu plus grande serait en quelque sorte meilleure alors
que les deux premiers ont toujours plus d’impact ».
Les réseaux sociaux publics ou d’entreprise offrent aux leaders des
moyens considérables de démultiplication. Martin Luther, qui a défié l’au-
torité du pape au début du XVIe siècle et lancé son fameux « Tout homme,
une bible à la main est pape » s’est déclaré « soumis à la seule autorité reli-
gieuse de la Bible ». Il crée alors le protestantisme qui s’est développé et qui

1.  Seth Godin, Tribus, nous avons besoin de vous pour nous guider, Diateino, 2009.
176   la transformation digitale

changera les cours de la civilisation occidentale grâce, notamment, à l’inno-


vation de rupture d’un certain Johannes Gutenberg : l’imprimerie à carac-
tères mobiles et en alliage.
Tentons le parallèle : tout internaute, un ordinateur, une tablette ou un
smartphone en mains, est un leader. Des noms de bloggeurs célèbres vous
viennent en tête ?
Revenons sur le leadership effectif. Il regroupe toutes les personnes dont les
décisions prennent effet à un moment donné. Il peut inclure parfois un grand
nombre d’individus qui veillent à ce que l’entreprise ou l’organisation fonc-
tionne et se développe. Il a la capacité, en s’appuyant ou non sur des experts, de
détecter dans son environnement ce qui est stratégique et peut mettre en péril la
survie de l’entreprise ou de l’organisation. Il a compris que ces éléments évoluent
avec le temps et en décode la dynamique d’évolution. Pour devenir un leader
effectif ou être membre du leadership effectif, le leader responsable se doit donc
de maîtriser les éléments stratégiques de son environnement.
Le cas du redressement de Starbucks constitue un cas rare et très média-
tisé de retour du leader primal (historique) dans le leadership actuel. La
tribu Starbucks attendait son leader et il ne l’a pas déçue. Mais, il a égale-
ment réussi à élargir le leadership effectif en démultipliant les responsabi-
lités et en gardant une grande proximité avec tous ses collaborateurs.
Le leader sait et doit incarner, réchauffer, la marque tout le temps et
partout. Richard Branson1 est certainement un des maîtres en la matière.
D’autres dirigeants l’ont fait avec leur propre style. Souvenons-nous du
célèbre, toujours très attendu et désormais regretté « One More Thing » de
Steve Jobs.

Les employés d’abord, les clients ensuite


Vineet Nayar, PDG de HCL Technologies, une des plus grosses entreprises
indiennes de technologies, s’est lancé dans une transformation radicale et
particulièrement efficace de son entreprise pour la projeter dans une
nouvelle dimension. Ses efforts et ceux de tous collaborateurs ont été
couronnés de succès (chiffres pour la période 2005-2009) :
–– 70  % des contrats remportés face à des grands de l’industrie IT mondiale  ;
–– nombre de clients multiplié par 5 ;

1.  Fondateur de Virgin qui a développé des activités dans plusieurs domaines, notamment le
transport aérien.
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    177

–– nombre de démissions divisé par 2 ;


–– niveau de satisfaction des employés augmenté de 70 % ;
–– CA multiplié par 3 ;
–– résultat multiplié par 3.
Vineet Nayar a reçu une récompense prestigieuse remise par le CEBIT
en 2011 : le titre de « Leader in the Digital Age Award ». Et pourtant, de
nombreux doutes ont présidé à ce projet qui ne vise pas à mettre le client et
ses préoccupations au centre de l’entreprise, mais le collaborateur. Le libellé
de son programme de transformation est d’ailleurs étonnant : « Employees
first, customers second »1.
Alors que HCL Technologies a perdu du terrain, après avoir exercé un
leadership remarqué, l’idée du déclin commence à devenir envisageable,
malgré la croissance. L’entreprise recule simplement parce qu’elle n’avance
plus assez vite. Lorsque Nayar prend ses fonctions, après avoir refusé une
première fois le poste, ses convictions sont simples et fortes sur la seule issue
qui s’offrait à ses yeux, l’accélération :
• « Dans toute industrie de service, la valeur est créée dans l’interaction
entre le collaborateur et le client. »
• « En associant des collaborateurs engagés et un management respons-
able, une entreprise peut créer de la valeur en grande quantité pour elle-
même et ses clients. »
• « Dans les entreprises traditionnelles, la zone de création de valeur est
enterrée profondément à l’intérieur de la hiérarchie bien que ce soit là où
les personnes créent le plus de valeur pour l’entreprise. »
• « Les dirigeants doivent arrêter de se considérer comme la seule source de
changement. Il faut résister à l’obsession de répondre à chaque question
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ou de donner une solution à chaque problème et commencer à se poser


les questions sur soi-même, envisager les autres comme une source de
changement et transmettre la responsabilité de la croissance de l’entre-
prise à une nouvelle catégorie de leaders. »
Conscient que son modèle d’organisation trop traditionnel, de type
« contrôle-commande », est un frein au développement, il renverse la table
pour partager la responsabilité avec les collaborateurs et élimine les nombreux
blocages ou goulots d’étranglement décisionnels qui nécessite des arbitrages
de type « Main de Dieu » qui font croître et prospérer une technostructure

1.  Vineet Nayar, Les employés d’abord, les clients ensuite, Diateino, 2011.
178   la transformation digitale

qui ne fait que rendre plus difficile le travail de ceux qui sont dans la « zone de
création de valeur » qui regroupent les collaborateurs et les clients.
Tout son travail a eu pour objectif de libérer cette zone de création valeur
et de l’étendre en inversant la pyramide organisationnelle :
–– les employés d’abord ;
–– les clients ensuite ;
–– la direction… en dernière position.
Il lui fallait, au préalable, exposer et partager une vision :
• L’industrie est dominée par des géants américains (IBM, EDS, Accenture)
alors que le top 5 des sociétés indiennes, HCL compris, se contente de
1 % du marché.
• Les clients, souvent engagés dans des contrats de dix ans, souhaitent
reprendre le contrôle (nouveau mode de collaboration, transparence,
flexibilité et « attention » de la part de leurs prestataires…).
Il lui fallait aussi exposer une ambition :
• Les géants américains se partagent les 200 premières entreprises du
G1000.
• Il faut se focaliser sur les 800 autres en portant les efforts sur la valeur
apportée au client plutôt que sur le volume d’affaire réalisé avec eux.
C’est le principe de « value-centricity » qui s’accompagne de nouveaux
critères de la valeur délivrée.
En avril 2007, The Economist écrit : « Le cinquième plus grand sous-trai-
tant indien, HCL Technologies, rend de plus en plus nerveux IBM et les
autres mutinationales. »1
Les employés de HCL, comme les clients, ont été invités à s’exprimer sur
un portail de valeur pour émettre des suggestions et lancer des projets et
Vineet Nayar a partagé ses propres responsabilités dans la transformation,
notamment grâce au portail U&I (Vous et Moi) où il invite ses collabora-
teurs à lui faire des suggestions de solutions pour des problèmes qu’il se pose.
Il ira encore plus loin avec le partage de la responsabilité de la définition
et de l’évaluation de la stratégie et la redéfinition de son propre rôle de PDG
en se posant les questions les plus sincères sur sa propre valeur ajoutée dans
le processus. Ainsi, les trois cents directeurs ayant la responsabilité d’éla-

1.  « Hungry Tiger, Dancing Elephant : How India is changing IBM’s World », The Economist,
4 avril 2007.
Un modèle pour construire et piloter la transformation digitale    179

borer des plans stratégiques pour leurs zones ou domaines les ont-ils postés,
enregistrements audio à l’appui, sur le portail MyBlueprint afin de les
partager avec les huit mille managers. L’idée étant d’aller vers une évalua-
tion peer to peer plutôt que top-down. Cette transparence nouvelle a eu pour
effet direct l’amélioration de la qualité des travaux produits, chacun se
sachant lu et écouté par un grand nombre, et la création de relations
nouvelles et fructueuses entre pairs. Les employés ont eu la possibilité de
formuler des commentaires sur MyBlueprint et les contributions étaient
bien plus pertinentes que ce qui était proposé dans les évaluations de fin
d’année.
Ce que nous devons retenir de cette formidable transformation pour
conduire la transformation digitale, c’est que la transparence a créé de la
confiance qui a créé une dynamique de changement qui a créé de la valeur.
Dans son projet de transformation, la transparence a été, pour Vineet
Nayar, un élément essentiel de fabrication de la confiance :
–– les objectifs sont connus de chaque membre de l’organisation qui peut
évaluer sa contribution à l’atteinte de ceux-ci ;
–– l’engagement de chaque partie prenante est plus aisé à mesurer ;
–– pour la génération Y, la transparence est une donnée de base, habituée
qu’elle est à échanger sur les réseaux en toute liberté ; elle n’attend pas
d’en faire moins au sein de son entreprise ;
–– dans une économie du savoir où les clients partagent l’information sur
leur entreprise avec leurs prestataires et fournisseurs pour s’améliorer,
comment ceux-ci pourraient-ils expliquer qu’ils ne le font pas eux-
mêmes avec leurs collaborateurs ?
Partie 3
Que fait-on lundi ?

N ous avons proposé dans le chapitre précédent un modèle pour con-


struire la roadmap digitale. Il est destiné aux entreprises n’ayant pas, à
ce jour, de roadmap digitale ou à celles souhaitant compléter les trajectoires
qu’elles ont élaborées.
Nous savons d’expérience que l’action est la seule bonne réponse à l’in-
connu, à l’angoisse et à un immobilisme parfois fatal. Parce que la mise en
mouvement et l’action révéleront des pistes, des solutions préalablement
inenvisageables, mais aussi des femmes et des hommes. Nous savons égale-
ment que certains voudront agir sans attendre et qu’ils se demanderont,
compte tenu de la complexité et de la radicalité de la transformation à lancer,
par où commencer. C’est à eux que nous avons pensé en écrivant ce chapitre.
Ainsi, nous proposons quelques actions immédiates. Cette liste ne peut,
bien entendu, être prise à la lettre et doit être adaptée à chaque contexte
spécifique. Mais, elle nous semble un bon point de départ pour la lecture et
le diagnostic des situations particulières.
Afin de favoriser la meilleure compréhension du lecteur, ces actions ont
été classées selon les cinq dimensions du modèle que nous avons proposé au
chapitre précédent :
1.  Leadership
2.  Culture et règles
3.  Membership
4.  Activité
5.  Customership
182   La transformation digitale

ENVIRONNEMENT : Mesurer l’avancement


du virage digital de l’entreprise et surveiller
celui des concurrents
Comme toute transformation, rien ne sert de l’entamer sans se donner les
moyens de mesurer les progrès. Quels indicateurs mettre en place lundi
prochain pour mesurer ma progression vers le digital ?
Les indicateurs vont dépendre de nombreux facteurs, parmi lesquels :
–– mon secteur d’activité BtoB ou BtoC ;
–– mon point de départ et l’état d’avancement de la concurrence ;
–– mes priorités intrinsèquement liées à ma situation propre : je peux
vouloir avancer dans l’omnicanal car je suis sur le point d’engager un
programme de rénovation de mes magasins ou accélérer l’e-commerce
pour ouvrir de nouveaux pays ;
–– l’ampleur du chantier technologique relatif au degré de finalisation des
chantiers legacy (dont l’ERP), à la récence des architectures (plus au
moins orientées services) et, de manière générale, au degré d’obsoles-
cence de mon patrimoine applicatif ;
–– les enjeux liés au capital humain (courbe d’ancienneté, diversité, dispa-
rité entre pays, contexte social…).
Les indicateurs d’avancement doivent, si possible, mesurer :
–– les réalisations tangibles ;
–– la réduction des freins et des barrières à la transformation digitale ;
–– les éléments « hard » : généralement quantitatifs comme la croissance du
CA ou de la marge, le taux de conversion… ;
–– les éléments « soft » : tous les éléments associés au facteur humain qui
peuvent être qualitatifs et quantitatifs ;
–– le niveau d’engagement des clients quantifiable ayant un impact indirect
sur le développement des volumes….
Chaque indicateur doit être présenté en valeur et en croissance.

Réalisations tangibles
• Part de vente en ligne.
• ARPU : revenu moyen par utilisateurs.
• Audience (totale et visiteurs uniques) par device, taux de conversion, churn.
• Engagement client sur les réseaux sociaux.
Que fait-on lundi ?   183

• Profils des contacts (nombre et profondeur).


• Nombre de partenariats.
• Degré de convergences des solutions PIM (Product Information
Management), DAM (Digital Asset Management) et e-commerce.
• Nombre de services disponibles (API).
• Durée de développement des derniers services en ligne.
• Volume de données collectées.

Réduction des freins et des barrières


• Engagement des salariés dans la démarche digitale (mesure au sein du
baromètre de la DRH).
• Développement du collaboratif au sein de l’entreprise.
• Diversité des talents recrutés (analyse A, B, C des profils sur des critères
comme l’origine sociale, le genre, le niveau d’études, le parcours entre
grandes et petites entreprises, salarié et/ou entrepreneur…).
• Circulation des profils digitaux au sein de l’entreprise (durée des postes
occupés en dehors des organisations digitales par rapport à la durée totale
dans l’entreprise).
• Part des budgets informatiques consacrés au digital, part des budgets
internes et externes consacrés au digital (quel que soit le format, licence
ou loyer d’usage, jours x hommes…).
• Innovation : part des produits et services proposés qui n’existaient pas il
y a 6 mois, 1 an, 3 ans et taux composite.
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Deux actions immédiates

• Introduire un onglet focus digital dans le tableau de bord.


• Construire des indicateurs, s’ils n’existent pas :
–– indicateur sur le business : taux de ventes en ligne ;
–– indicateur clients : % de clients connus (clients connus/visiteurs
uniques si possible tous canaux y compris boutiques) ;
–– indicateur sur l’innovation : part des produits et services offerts
inexistants il y a 1 an ;
–– indicateur sur l’IT : nombre de services (API) publiés.
184   La transformation digitale

1. Leadership : incarner l’accélération digitale

Créer les conditions pour l’apprentissage


et la mise en mouvement des organisations
Nous l’avons mentionné à maintes reprises. Plus que jamais, les organisa-
tions doivent créer les conditions de la remise en question, de l’apprentis-
sage et de la mise en mouvement des équipes. La nouvelle ère digitale est
irréversible car elle s’appuie sur un changement d’échelle de la capacité des
technologies et une accélération de la conversion d’avancées technologiques
en usages réels pour les individus. Sans nous épargner au passage nombre de
ratages et de déchets qui iront rejoindre les poubelles des fausses bonnes
idées. Ce n’est certainement pas une raison pour ne pas agir !
La mise en œuvre d’un processus de transformation nécessite plus que la
simple volonté, voire même la vision du dirigeant. Elle doit pouvoir s’appuyer
sur l’adhésion du top management qui pourra conduire, à son tour, en pre-
mière ligne, le changement au sein des équipes. Nous ne disons pas ici que ce
processus doit être purement top-down. Bien au contraire. Nous l’avons large-
ment développé dans la deuxième partie, mais les enjeux nécessitent en pre-
mier lieu l’adhésion du Top 100 dans les grandes entreprises.
Pou ce faire, nous préconisons plusieurs démarches complémentaires
dont la mise en œuvre et la « mise en scène » seront liées au contexte propre
à chaque entreprise.

« Embarquer » le top management


Celui-ci doit pouvoir, tout à la fois, développer un collectif autour des
enjeux de la transformation digitale en « donnant envie », mais aussi
produire une matière stratégique immédiatement utilisable et activable à
l’issue d’un séminaire. Fondés sur l’expérience, nous pouvons identifier les
composants essentiels suivants :

Préparer un séminaire
Un séminaire se prépare ! Bien en amont (6 à 8 semaines avant), soumettre
au top management de la « matière à réflexion » sur les grandes tendances et
les disruptions constatées ou identifiables dans des industries ne se limitant
(surtout !) pas à la sienne.
Souvenez-vous : « Innovation came from the fringe. »
Que fait-on lundi ?   185

Conduire des ateliers


Il s’agit de conduire des ateliers (ou mini-ateliers) afin de confronter, de
manière inattendue, différentes organisations de l’entreprise aux questions
que soulèvent les changements du digital (de société, de consommation, de
business model, d’usages, de valeurs, de désintermédiation… ) :
• Conduire des ateliers avec les plus jeunes (une trentaine de personnes de
la génération Y ou Z) et les faire travailler sur leur approche disruptive de
leur industrie (cf. le célèbre « Destroy your business » (DYB) conduit par
Jack Welch1 en 1999).
• Synthétiser la matière ainsi élaborée sous forme de questions stratégiques
débattues une première fois en comité de direction. Il doit pouvoir garder
un coup d’avance.
• Le séminaire venu, proposer au groupe de travailler un premier jour
sur ces questions stratégiques en utilisant des techniques d’animation
propres à favoriser la créativité et la cross-fertilisation collective.
• Travailler le deuxième jour sur des scénarios macros intégrant une
rupture, au moins partielle, des business models en place (la gamme
d’offres, la distribution, le marché, les services, le pricing, le low cost…).

Jouer sur les symboles


La plupart des leaders emblématiques ont une forte sensibilité aux symboles
et les utilisent pour affirmer leur volonté, confirmer le passage à une
nouvelle ère, déstabiliser ou tout simplement pour donner envie. La trans-
formation digitale se prête bien à cet usage. Citons quelques exemples de
symboles utiles :
• La signature d’un accord de partenariat emblématique dans le digital
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avec un concurrent (la joint-venture Voyages-sncf.com / Expédia) ou


des acteurs du web (citons l’accord Novartis-Google sur les lentilles
de contact intelligentes pour traiter des maladies comme le diabète
ou ­l’accord entre Axa et Withings sur les données de santé et de bien-
être).
• La création d’un poste au Comex : CDO Chief Digital Officer (voir
ci-après), CCO Chief Customer Officer en charge de l’expérience
client au sens très large, et donc en particulier l’omni-channel et le self-
care.

1.  Président de General Electric de 1981 à 2001.


186   La transformation digitale

• La filialisation des activités de commerce en ligne ou de gestion de la


­relation clients (Hello Bank ! chez BNP Paribas, CRM services ou
­Voyages-sncf.com) ou des programmes de fidélité multimarques comme
ceux de Kraft-Unilever et P&G-Nestlé.
• La nomination d’un(e) administrateur(trice), figure du digital ou plus
précisément/utilement de la transformation digitale d’un grand groupe.
• L’implication dans des investissements de recherche, des écosystèmes
de start-up comme Cap Digital ou NUMA en France, dans des
programmes académiques en partenariat avec les universités et les
grandes écoles.

Faut-il créer un incubateur ou un fonds d’investissement ?


Ces derniers temps, nombreuses sont les entreprises qui se sont lancées dans
la création d’un fond jouant souvent les rôles de financeur et d’incubateur
(Orange et Publicis doté de 300 millions d’euros, SFR développement ou
Blue Orange de GDF Suez). La réussite n’est pas nécessairement au rendez-
vous pour plusieurs raisons :
• Les start-up ne sont pas friandes d’investisseurs industriels au début de
leur développement. Outre le risque de cadrage trop fort des domaines
de développement, tant en terme de produits/services que de marchés,
une arrivée prématurée d’un tel investisseur réduit mécaniquement la
valorisation potentielle de la start-up.
• Une entreprise a une vocation d’industrielle avant d’être un investisseur
financier. Pour que les prises de participation d’un fond corporate soient
pertinentes, il faut donc que la stratégie industrielle que sous-tendent ces
investissements soit parfaitement articulée avec la stratégie de l’entre-
prise. Sans quoi, la valeur ajoutée de l’entreprise envers la start-up reste
limitée. Comme expliqué précédemment, une entreprise n’est pas forcé-
ment le meilleur investisseur financier.
Nous sommes donc prudents sur la mise en place de telles organisations.
Dans tous les cas, elles ne nous paraissent pas devoir faire partie des actions
à lancer aux prémices de la transformation digitale.

Faut-il nommer un CDO (Chief Digital Officer) ?


Nous ne sommes généralement pas convaincus du bien-fondé d’aborder la
transformation en entreprise par l’organisation. C’est le plus sûr moyen de
Que fait-on lundi ?   187

pointer les enjeux de pouvoir avant même toute réflexion sur le fond straté-
gique. Pour autant, il n’en est pas moins vrai que dans le cas du digital, la
question d’un porteur clairement identifié se pose. Pourquoi ?
• Le digital est un sujet qui combine généralement au moins trois organi-
sations différentes dans l’entreprise :
–– le marketing ;
–– la relation client et la distribution (toute organisation qui traite de
l’expérience client) ;
–– l’informatique ;
–– sans parler des directions opérationnelles qui managent le personnel
au contact des clients et qui ont un rôle très important à jouer en tant
qu’ambassadeur-acteur des parcours omni-canal.
• Il n’est pas facile, dans ces conditions, de faire avancer des sujets néces-
sairement transversaux : le profil de directeur de projet ou de programme
ne suffit pas toujours.
• Pour articuler la transformation digitale, il faut, a minima :
–– produire de la veille articulée autour des métiers de l’entreprise ;
–– développer l’écosystème à l’origine de l’open innovation ;
–– tester, apprendre, développer et accélérer ;
–– mettre à bord les métiers et « dealer » avec eux ;
–– définir et conduire la feuille de route des systèmes d’informations ;
–– définir et piloter l’évolution des expériences clients ;
–– mesurer l’impact et itérer ;
–– créer et animer la communauté des numériques, diffuser dans les
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directions, attirer de nouveaux talents.


Il apparaît ainsi utile de définir un poste de CDO en charge du digital,
au moins dans la phase de décollage :
• Idéalement, il est membre du Comex : toute autre appartenance
(marketing, DSI…) introduirait un biais.
• Ce profil est difficile à dénicher car il doit être à l’aise en marketing client
et en technologie. Il doit avoir de l’expérience, de l’autorité et la légiti-
mité suffisante pour évoluer au sein du Comex et construire la collabora-
tion avec les métiers.
• Il possède son propre réseau qui viendra enrichir et renforcer la présence
de l’entreprise dans l’univers digital.
188   La transformation digitale

La difficulté réside donc souvent dans la recherche du bon profil et dans


la mise en place du juste équilibre entre :
–– le CDO « trop en dehors » qui développe de la notoriété et des inno-
vations souvent trop génériques (la page Facebook et ses fans…) et
manquant d’authenticité dans son ajustement avec l’expérience de
marque et les business models en place ;
–– le CDO « manquant de pouvoirs et de muscles » qui finit par se retrouver
coincé dans les contingences du « business as usual ». Certaines entre-
prises sont passées par cette étape. C’était acceptable il y a cinq ans.
Aujourd’hui, le temps manque pour un tel détour.
La question de créer un poste Comex de CCO (Chief Customer Offi-
cer) en charge de l’expérience client, au sens très large, peut se poser (cer-
tains groupes américains ont fait le pas). Un des avantages d’une telle
démarche (vs. celle de création d’une position de CDO au Comex) réside
dans l’ancrage du digital dans la réalité client. Ce rôle permet d’éviter un
risque fréquent associé à la position de CDO : celui d’un dirigeant « à
coté », n’ayant pas de véritable impact P&L direct, le commerce digital res-
tant dans les Business Units, ni d’impact client mesurable. Il risque de limi-
ter rapidement son empreinte aux technologies, en concurrence directe et
stérile avec le DSI ou CIO. Le CCO qui peut être une émanation naturelle
du marketing va devoir, au contraire, retravailler l’expérience client et sera
directement évalué sur des critères clients comme la satisfaction, l’engage-
ment et la fidélité impactant directement les « vrais » chiffres. Il est ainsi
possible d’articuler un rôle de CCO central et des directeurs marketing en
business units plus focalisés sur les produits et les marchés.

Quatre actions immédiates

• Organiser un séminaire du top 100 : mini-ateliers avec le top 100, sémi-


naire des moins de 30 ans, restitution/débat Comex, séminaire de un ou
deux jours.
• Installer un (une) administrateur(trice) en charge d’un comité digital
ad hoc au sein du conseil.
• Arbitrer entre CCO et CDO et lancer le recrutement interne et externe.
• Identifier et nouer, selon son secteur d’activité, des partenariats avec des
start-up. Donnant-donnant : innovation en échange de développement
commercial.
Que fait-on lundi ?   189

2. Culture et règles :
structurer son ouverture digitale

Ouvrir davantage l’entreprise, créer les conditions


de la « coopétition » et raisonner plateforme
S’il est bien une certitude dans un monde où beaucoup de choses sont
remises en cause, c’est le fait que la réussite isolée des entreprises est
devenue impossible. Même les GAFA rachètent l’innovation à tour de
bras.
Revenons sur l’open innovation, un concept largement développé
dans la littérature depuis les travaux fondateurs de Henry Chesbrough1.
Ce sujet qui connaît un engouement grandissant n’est, en réalité, pas si
nouveau.
Rappelons simplement que l’open innovation est le fruit d’un change-
ment de paradigme qui voit s’opposer ou coexister deux approches et leurs
principes :

L’innovation fermée
• L’investissement en R&D est l’Alpha et l’Omega de la réussite.
• Les entreprises doivent générer leurs propres idées et les développer seules
pour rentabiliser les investissements et acquérir un avantage compétitif.
• Les processus d’innovation doivent être contrôlés en interne et la
propriété intellectuelle doit être défendue férocement pour ne pas être
dépossédée d’un actif immatériel.
• L’entreprise met l’innovation sur le marché et en assure le suivi.
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• …

L’open innovation
• Il n’est pas nécessaire d’être à l’origine de l’innovation pour en tirer profit.
L’efficacité du business model prime sur la date de mise sur le marché. Il
faut se mettre en posture plutôt qu’essayer d’imaginer l’avenir.

1.  Henry Chesbrough, Open innovation : the new imperative for creating and profiting from
technology, Harvard Business Review Press, 2005.
190   La transformation digitale

• Le gisement de solutions est inépuisable dès lors qu’on ouvre l’entreprise


sur l’extérieur. D’autres acteurs ont déjà produit l’effort de recherche et
développé les solutions. La diversité des acteurs fait la force des solutions.
• La valorisation de la PI (propriété intellectuelle) prime sur la propriété
elle-même (vendre ou acheter plutôt que garder pour soi et ne dével-
opper qu’en interne). Voir sur des business émergents comme la voiture
électrique, créer le marché compte plus que de le dominer. Citons Elon
Musk fondateur de Paypal, Space X et Tesla qui disait le 12 juin 2014 :
« Hier encore, il y avait dans notre maison mère de Palo Alto1, un mur sur
lequel étaient affichés tous les brevets Tesla en notre possession. Ce n’est
désormais plus le cas. Ils ont été enlevés, dans l’esprit du mouvement
open source, afin que la technologie de la voiture électrique puisse
progresser. Tesla Motors a été créé pour accélérer l’émergence de modes
de transport durables. Si nous libérons la voie de la création de véhicules
électriques performants, mais que nous laissons un terrain miné par la
protection intellectuelle derrière nous pour ralentir la concurrence, nous
agissons de manière contraire à notre objectif. Tesla n’engagera pas de
poursuites judiciaires à l’encontre de qui voudrait, de bonne foi, utiliser
notre technologie. »
Billy Joy2 résume la problématique dans un style très direct : « No matter
who you are, most of the smartest people work for someone else. »
Les frontières des entreprises innovantes sont devenues poreuses et per-
mettent des interactions avec l’extérieur. Pour améliorer ses projets exis-
tants, on n’hésite ainsi plus à utiliser des connaissances venant de l’extérieur
(licences, brevets…).
Prenons l’exemple de la maison connectée ou intelligente. Nombreux
sont les acteurs qui se positionnent dans ce qui semble une version très
enrichie de la bonne vieille domotique qui a eu beaucoup de mal à décoller,
à l’exception remarquable de SOMFY™ :
–– le distributeur et les « commercialisateurs » d’électricité qui se préparent
à utiliser le compteur connecté ;
–– Philipps™ et ses éclairages de plus en plus intelligents ;
–– Schneider™, Legrand™ et bien d’autres positionnés sur les réseaux
basses tensions connectés ;
–– SOMFY™ ;

1.  Il s’agit du siège de Tesla.


2.  Cofondateur de Sun Micro Systems.
Que fait-on lundi ?   191

–– et le dernier venu Nest™ racheté plus de 3 milliards de dollars par


Google en 2013.
Nous avons souvent coutume de dire que la première question de tout
plan stratégique doit être : « Est-ce que Google va s’intéresser à mon
business ? ». Google s’intéresse donc à la maison et au potentiel intrinsèque
des données collectées par les objets de Nest™ (un thermostat qui apprend
votre comportement et qui pilote en conséquence le chauffage). Qui va
gagner ? La bataille est globale, il y aura peut-être des vainqueurs locaux ?
Encore que dans la cartographie par exemple, Google maps est un vain-
queur global.
Doit-on s’allier à Google ? Le veut-il ? Quelle alliance créer en riposte
aux développements de Google ? Comment préempter le maximum de
valeur dans les usages connectés de la maison de demain ?
Toutes ces questions sont extrêmement délicates et illustrent bien
l’importance de raisonner ouvert et de mettre sur la table toutes les
options, mêmes les plus surprenantes. Citons encore l’alliance SNCF-­
Expédia avec Voyages-sncf.com pour valoriser l’audience captée par
TGV… et vendre au passage le concurrent d’Eurostar sur Paris-Londres.
Il vaut parfois mieux partager une part du gâteau que d’être exclu de la
dégustation.
L’alliance que viennent de signer Novartis et Google sur les lentilles
« intelligentes » est de ce point de vue exemplaire. C’est également une des
premières fois que Google signe un partenariat avec un acteur de cette taille.
Cela prouve que même des acteurs dominants peuvent trouver de la valeur
dans une alliance.
Et vous, quelle valeur pouvez vous échanger avec d’autres acteurs de
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votre écosystème, d’autres industries ou des technologies ?


Cette approche ouverte a son pendant en matière de système d’infor-
mation : le concept de plateforme déjà présenté. Ce principe de concep-
tion et de développement de systèmes d’informations ouverts a permis à
Amazon de développer son offre de marketplace très tôt dans son histoire.
C’est la logique du SDK ou de « l’Embedded » : publier les modalités
d’interactions avec ses propres technologies pour encourager des dévelop-
pements tiers autour de sa plateforme. Ainsi, la réflexion stratégique
autour des partenariats et de la co-construction trouve-t-elle sa traduc-
tion dans la réflexion autour des architectures informatiques de nouvelles
générations.
192   La transformation digitale

Dernier sujet que nous aborderons sur le thème de la collaboration : la


capitalisation avec les démarches d’innovation issues des pays émergents.
Vraie chance pour les groupes globaux : la capacité de cross-fertiliser les
démarches de création issues des pays émergents et développés. Nous ne
reviendrons pas sur ce thème abordé précédemment, mais il est souvent
surprenant de constater que l’enrichissement des pratiques intercontinen-
tales, en particulier avec l’Inde, est loin d’être installée et systématique.

Quatre actions immédiates

• Définir les contours des écosystèmes au sein desquels agit l’entreprise.


C’est souvent plus compliqué qu’il n’y paraît. En effet, pour être bien fait,
ces écosystèmes doivent nécessairement intégrer de nouveaux acteurs pas
encore totalement dedans mais plus tout à fait dehors.
• Donner des rôles concrets autour du digital et de l’innovation à des
collaborateurs issus de pays ayant rejoint récemment le marché global
(l’Afrique et la mobilité par exemple) et les émergents (Chine, Inde,
Amérique latine). Dans ce cas, l’entreprise a la chance de bénéficier
d’une présence globale.
• Faire l’exercice des opportunités de partenariats avec les GAFA, essentiel-
lement sur le « white space », comme Novartis et les lentilles intelligentes.
Ces acteurs du numérique ont trop de sujets pour les prendre tous, seuls
et de front. Un partenariat peut leur permettre d’avancer sur un sujet
qu’ils jugent moins prioritaire pour eux, mais que vous pouvez accélérer
avec eux.
• Lancer un concours d’idées en interne et en externe type hackathon sur,
à titre exemple, le développement des services autour du produit ou le
passage à un business model de type usage.
Que fait-on lundi ?   193

3. Membership : instituer la « mixité digitale »


Nous avons souvent coutume de penser que le digital accroît le fossé entre les
générations et de nous convaincre qu’après 35 ans, point de salut. Oui et non.
Oui, dans la mesure où de nombreux usages sont développés par et pour
les plus jeunes, dont certains ne sont pas encore de vrais consommateurs
capables d’intéresser les entreprises. Cela dépend bien sûr des marques.
Non, dans la mesure où s’agissant de la transformation digitale dans les
grands groupes, celle-ci ne peut être conduite et portée par des collabora-
teurs trop juniors car, nous l’avons vu, la dimension managériale et le lea-
dership sont très importants pour donner du sens, passer à l’acte et
embarquer efficacement et durablement les équipes.
Pour autant, la transformation digitale doit s’appuyer sur la connexion
entre les générations au sein des entreprises. Comme nous l’avons vu plus haut,
avec notre proposition d’un séminaire du top management, l’implication des
plus jeunes est primordiale pour générer, sans trop de censure, des nouveaux
business models et pour confronter les dirigeants à la génération montante.
Cette confrontation doit rester constructive et peut se faire, si nécessaire et
dans certains cas, de manière anonyme, « intermédiée » par un consultant.
La confrontation aux jeunes générations à l’extérieur de l’entreprise peut
se faire de différentes façons :
• De façon classique, en conduisant des enquêtes qualitatives se focalisant
particulièrement sur les nouvelles générations ; que ce soit en BtoB (les
nouveaux acheteurs, les nouveaux chefs d’entreprises) ou en BtoC (les
jeunes consommateurs). Toutes les marques doivent s’assurer de rester
connectées et ne pas se cantonner à une expérience vieillissante car les
© Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

plus jeunes décident et zappent rapidement.


• Il est aussi possible d’institutionnaliser une relation en identifiant en
interne et en externe un groupe régulièrement sollicité sur des tendances
du marché ou sur les initiatives prises ou à prendre par l’entreprise. À titre
d’exemple, il est très instructif de solliciter les jeunes générations sur les
enjeux de data privacy et l’utilisation de ces données par les marques dans
un but plus ou moins lucratif. On y découvrira la faible appréhension des
jeunes vis-à-vis de la collecte massive de données, en particulier par des
marques qui n’ont, soi-disant, pas d’intention lucrative, mais seulement la
volonté de mieux personnaliser le service. Google est dans ce cas, car la
plupart de ses services (Gmail, Google Maps…) sont gratuits.
194   La transformation digitale

La « connexion » aux nouvelles générations permettra d’éviter les erreurs


et les poncifs du genre :
–– «… ils s’en lasseront » : cf. Facebook devient le portail du web en concur-
rence avec Yahoo ;
–– « … ça ne marchera jamais » : cf. Instagram ;
–– « … ça leur passera » : cf. Snapchat ;
–– « … ils sont trop individualistes » : cf. les réseaux sociaux comme
nouvelle forme d’engagement dans la société.

Quatre actions immédiates

• Créer un groupe de trentenaires au sein de l’entreprise qui se réunit régu-


lièrement et est sollicité par le top management sur certains sujets. C’est
le G30 chez Axa France, ou c’est le cas d’une jeune consultante présente
au Comité de Direction de la Plateforme digitale chez Accenture.
• Monter un partenariat avec une école informatique (pas forcément pres-
tigieuse) pour insuffler une vision presque « naïve » des nouvelles tech-
nologies et de leurs usages dans l’entreprise.
• Encourager l’activité des jeunes collaborateurs sur les réseaux sociaux de
type LinkedIn avec la création de groupes ad hoc. Il est recommandé de
bien modérer la confidentialité des informations en commençant par
sensibiliser les salariés.
• Collaborer avec des think tanks disruptifs pour « secouer » les neurones
des dirigeants ; citons à titre d’exemple The Family1 et ses séminaires
« Les barbares attaquent… ».

1.  « Les barbares attaquent » par The Family fondée par Alice Zagury, Oussama Amar et
­Nicolas Colin.
Que fait-on lundi ?   195

4. Activité :
consolider le socle technique digital
Loin de nous l’idée de placer la solution technologique avant la définition
des premières étapes de la stratégie digitale : nouveaux business models,
transformation du marketing, de l’expérience client et des usages. Pour
autant, le digital introduit des besoins essentiels parfois assez résistants aux
décisions stratégiques. Ce sont ces développements que nous souhaitons
présenter ici car ils nous semblent faire partie des sujets à démarrer dès lundi
prochain. Nous ferons cette présentation de la façon la plus accessible
possible et nous assumons de paraître outrageusement simplificateur aux
yeux des spécialistes des architectures et technologies digitales.
Nous avons identifié quatre domaines d’actions sur le court terme qui
concernent :
–– les nouvelles architectures ;
–– les plateformes e-commerce ;
–– les applications e-commerce ;
–– les data.
La mise en place des nouvelles architectures dites services est un préa-
lable indispensable au développement « propre » du commerce en ligne, a
fortiori de l’omnicanal. Ces services, dénommés API, normalisent les
échanges et les ordres d’exécution entre différentes applications. À titre
exemple, une architecture de services normalisés ne possédera qu’une appli-
cation autorisée à mettre à jour les avis clients au travers d’un service (API)
de mise à jour des avis. Simple sur le papier, la mise en place de ces architec-
tures nécessite un travail approfondi dont l’ampleur croit avec l’ancienneté
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et la diversité du patrimoine applicatif de l’entreprise. Ce travail d’architec-


ture et sa mise en œuvre faciliteront le développement et parfois le foison-
nement de nouveaux services clients digitaux.
Souvent, pour les grandes entreprises globales, le développement des
plateformes e-commerce s’est fait de manière décentralisée et sur des plate-
formes hétérogènes dont certaines ne sont plus maintenues ou ont changé
de propriétaire. Il s’agit des outils de gestion du référentiel produit (PIM) et
de gestion des objets digitaux (DAM). Avec la base client, ces deux référen-
tiels sont la colonne vertébrale de tout développement digital. La mise en
œuvre de référentiels centralisés et partagés est une étape indispensable à
tout déploiement qui se paye, au moins en partie, sur les gains liés au ­partage
196   La transformation digitale

des objets digitaux (vidéos, images, sons…) avec la baisse des coûts de créa-
tion et d’achat.
Il en va de même, dans un deuxième temps, des applications e-com-
merce. À supposer que des applications existent déjà, ce qui est souvent le
cas, la convergence nécessite une réflexion plus approfondie qui ne peut
trouver sa place qu’après une réflexion stratégique portant a minima sur les
questions suivantes :
• Comment s’articule le online et le physique par pays et jusqu’où adapter
l’expérience aux usages locaux parfois très différents ?
• Y a-t-il des pays exclusivement e-commerce, au moins à l’ouverture. Si
oui, ont-ils une application spécifique ?
• Comment mettre en scène la montée en puissance de l’expérience
client sur le web et le multidevices ?
• Quelle déclinaison dans les pays ?
Enfin, le vaste sujet des data et la manière de le traiter. Si l’on entend
par big data le déluge de données, sous des formats très variés, généré par
les traces laissées par le surf sur Internet (sites et réseaux sociaux), les nom-
breux capteurs inclus dans nos chers smartphones et tablettes et, de
manière générale, toutes les traces d’échanges entre objets connectés (les
transactions avec ou sans contact, les identifications lors de passages dans
des lieux physiques…), il apparaît utile de mettre en œuvre une démarche
progressive visant à :
–– chercher le sens que l’on veut donner à sa démarche big data pour l’en-
treprise et pour le consommateur ;
–– apprendre par l’expérimentation avant de construire des « cathédrales ».
Les applications des big data sont pour la plupart encore à inventer.

Nous proposons de retenir les principales applications suivantes :


• Améliorer l’efficacité marketing (ciblage, promotions, pricing…).
• Enrichir la connaissance des clients (qui peuvent rester anonymes) afin
d’adapter l’offre produits et services.
• Engager le client dans la relation à la marque pour le connaître, le fidéliser,
développer les ambassadeurs et prévenir les rumeurs.
• Accroître les capacités de décision et de pilotage des activités de l’entre-
prise.
• Développer une relation client omnicanal pertinente et personnalisée.
Que fait-on lundi ?   197

Donner du sens au big data, c’est se fixer des priorités entre ces différents
domaines de contribution et… apprendre en testant.
Mais il y a un revers à ces démarches : leur durée. Dans des industries
où les systèmes d’informations « legacy » sont plutôt issus de développe-
ments spécifiques (et non de progiciels) comme la banque et l’assurance
ou le transport et le tourisme, ces délais peuvent être très longs en ne
bénéficiant pas de la vitesse de l’éditeur externe de solutions progicielles
(les ERP par exemple). Il faut alors construire la démarche en deux
temps :
–– faire des développements agiles, en parallèle des systèmes « legacy » pour
activer des « options » permettant le développement du digital (en béné-
ficiant par exemple des capacités récentes de traitement des données
issues des technologies big data) ;
–– entamer en parallèle l’évolution des systèmes « legacy » avec la difficulté
de projeter les besoins à au moins trois ans.

Cinq actions immédiates

• En préalable aux lancements des chantiers technologiques, clarifier les


rôles et responsabilités sur les architectures digitales omnicanal (PIM,
DAM, CRM, e-commerce) entre la DSI et les organisations digitales
existantes ou à venir.
• Lancer un état des lieux des architectures legacy et définir une trajectoire
de transition, par étapes, vers une architecture orientée services (cette
action étant clairement du ressort de la DSI).
• Lancer un état des lieux des catalogues produits et de la gestion de
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contenu digital sur l’ensemble du groupe. Définir, sur cette base, une
trajectoire de convergence de la nomenclature produit (PIM) et digitale
(DAM) respectueuse des priorités business (BU, Pays, marques…).
• Lancer une analyse des données stratégiques présentes dans le système
d’information. Les moments de vérité clients perdus faute d’outil de
collecte (que ce soit online ou dans les magasins/points de contacts)
doivent être identifiés afin de lancer le chantier data par la structuration
et l’enrichissement des données « propriétaires » qui seront résolument
« smart » avant d’être « big ».
• Mettre en place des cycles de développements court terme afin de se
doter d’options pour accélérer dans le digital.
198   La transformation digitale

5. Customership :
comprendre son écosystème client
L’amélioration de la « loyauté du client » et de « l’intimité client » emprunte
différentes voies non exclusives. Dans les environnements contraints, que
toutes les entreprises connaissent actuellement, la réduction des coûts est
plus que jamais de mise au moment même où le client attend la même
« attention » à n’importe quel point de contact avec l’entreprise :
–– call centers ;
–– sites web ;
–– boutiques en ligne ;
–– boutiques physiques ;
–– applications mobiles :
–– réseaux sociaux…
Les consommateurs ont pris du pouvoir, et parfois le pouvoir, au point
d’organiser des campagnes digitales de boycott (pratique rigoureusement
interdite en France).
Avec l’avènement des réseaux sociaux, de nouveaux systèmes d’influence
et de recommandation se mettent en place. Chaque consommateur devient
donc un prescripteur au mieux, un « basher » au pire et est beaucoup plus
écouté par ses pairs consommateurs que tous les canaux de communication
que les marques ont mis en place.
Les entreprises n’étaient pas préparées à ce nouveau rapport de force qui
met chaque jour plus à mal le modèle de communication dit « broadcast »
dans lequel une marque envoie un message à destination d’une cible qui a
des moyens d’interactions faibles.
L’image de la marque, longtemps fonction de l’importance du budget
communication et publicité, est de plus en plus fonction de l’interaction de
la marque avec ses clients (expérience client) à laquelle on peut appliquer un
facteur multiplicatif qui serait la communication que font les clients, entre
eux, sur la marque. Nous parlons donc de conversations entre la marque et
son client et de conversations entre les clients eux-mêmes. Ces conversations
bénéficient de lieux et de temps étendus, grâce au web, pour se développer.
Si les choses ont changé avec les possibilités offertes par le web et ses
plateformes, mais aussi grâce à un mouvement sociétal de fond chez les
consommateurs qui peuvent se montrer de plus en plus exigeants et
défiants, il est donc temps de passer d’une organisation Brand Centric à une
Que fait-on lundi ?   199

organisation Customer Centric. Elle doit mettre en œuvre plusieurs canaux


d’interaction avec les clients. Cette mutation interpelle toutes les fonctions
de l’entreprise et doit absolument intégrer les éléments suivants :
–– les internautes ont de la valeur à apporter aux marques et des belles réus-
sites d’open innovation incluant les clients ont vu le jour, comme chez
Lego qui est certainement un précurseur en la matière ;
–– le parcours du client digital est radicalement différent du client classique
(s’il existe encore !).
Pour être complet, ce mouvement doit s’accompagner d’une connais-
sance intime de ce que nous définissons comme l’écosystème client. Nous
entendons par là toute organisation ou type d’organisation qui tend à fédé-
rer le client autour d’une problématique ou d’un but. Elle peut être favo-
rable ou défavorable à l’entreprise.
Notre lecteur est désormais familier du concept de tribus. Il s’agit de les
débusquer et de les « apprivoiser ».

Quatre actions immédiates

• Identifier les « tribus externes » gravitant autour de l’offre produits-­


services/marchés de l’entreprise (blogs, forum…) et suivre leur activité.
• Organiser un World Café en interne sur les attentes digitales des clients.
• Créer des communautés internes produits-services selon ses marchés et
les faire fonctionner dans un mode digital.
• Les ouvrir sur le web pour en faire des communautés élargies qui pour-
ront prendre leur autonomie.
Conclusion

C haque entreprise, industrie, économie a ses spécificités, ses rythmes,


ses contraintes, sa culture et ses règles. Le degré d’urgence et la menace
de disruption digitale au sein des différents secteurs ne sont pas les mêmes,
mais nous avons essayé de le montrer : tous sont concernés.
Le digital est probablement l’un des changements les plus larges et les
plus profonds qu’aient connus nos sociétés. La révolution qui porte son
nom n’annonce pas un futur, c’est un présent vers lequel il faut se hâter d’al-
ler. Pour les entreprises « établies », certaines ruptures sont déjà parfois irré-
versibles.
La combinaison des forces à l’œuvre peut apparaître redoutable et elle
l’est :
• L’irruption de compétiteurs inédits dans leurs profils et leurs motivations
qui éclairent d’une transparence nouvelle les propositions de valeur des
acteurs en place. Nous songeons aux plateformes, aux sites de compara-
ison de prix, mais aussi aux acteurs très déterminés comme Free qui a
« délié » l’achat du mobile de l’offre téléphonie proprement dite avec les
conséquences que l’on sait chez les concurrents.
• L’évolution radicale de modèles basés sur la propriété au profit de modèles
basés sur la location, le partage, sans oublier le modèle contributif qui se
développe très régulièrement.
• Les changements dans la nature de la demande et des attentes d’un client
de plus en plus mobile et qui a besoin d’une « reconnaissance » se tradui-
sant par la personnalisation des services qui lui sont rendus et des offres
qui lui sont proposées, sans compter dans certains cas une certaine forme
« d’émotion ».
• La dynamique du « winner takes all » dont jouissent les acteurs qui ont
su prendre une avance décisive dans l’accumulation et le traitement de
données. Ils bénéficient d’une meilleure connaissance du client ou du
prospect (rationalisation de la performance des opérations par la
qualité de la relation client, amélioration de l’expérience offerte au
client et optimisation de la performance commerciale par le ciblage des
offres).
202   La transformation digitale

• Le développement de solutions digitales « clés en main » offertes notam-


ment par les grandes plateformes qui, de la boutique en ligne à la logis-
tique en passant par le pricing dynamique, permettent un démarrage
rapide de nouveaux entrants qui peuvent se concentrer sur l’optimisation
de leur proposition de valeur.
Si chaque entreprise est à un stade plus ou moins avancé de sa prise de
conscience de l’urgence digitale, l’incompréhension, la perplexité et parfois
l’inquiétude sont largement perceptibles. Elles ne doivent pas être des fac-
teurs d’immobilisme ou de tétanie ; elles doivent être « recyclées » car, dans
le même temps, les acteurs ont devant eux une formidable opportunité de
se transformer de façon durable, pérenne et profitable. Plus que jamais,
l’expression « Crisis are opportunities » trouve son sens.
Bien entendu, c’est une affaire de leadership et de capacité d’entraîne-
ment, mais cela ne suffit pas. Il faut être capable d’articuler une vision, une
trajectoire et, plus que tout, une mise en mouvement.
Comme chez les Scythes, c’est le mouvement qui doit primer. Il fera
l’agilité stratégique, la robustesse organisationnelle et l’efficacité opéra-
tionnelle. Cela nécessitera quelques ajustements de culture et de pos-
ture :
–– les étapes et la destination finale ne sont pas toujours connues à l’avance ;
–– le ROI global ne peut être calculé (ou il l’est très difficilement) à
l’avance ;
–– il ne s’agit pas de figer un mode de fonctionnement comme dans le
cadre d’un projet ERP, mais au contraire de l’ouvrir et de le fluidifier ;
–– la notion de core model n’existe pas ou est nettement moins prégnante ;
–– le temps de réalisation doit être court ;
–– les compétences manquent souvent ;
–– il n’y a pas de release annuelle : des évolutions fonctionnelles et techno-
logiques disruptives s’enchaînent à un rythme incessant.
Et pourtant, la transformation digitale peut être une formidable aven-
ture à vivre pour tous. Rappelons le cas de Starbucks Coffee et d’autres qui
l’ont vécue intensément.
C’est pourquoi, nous sommes résolument optimistes et convaincus
qu’une fois le mouvement lancé, des changements profitables et irréver-
sibles seront à portée de main car le voyage sera riche d’enseignements et
d’expériences.
Conclusion   203

Mais attention ! Les premières victoires sont décisives, il faut les préparer
méthodiquement en adaptant les approches et les trajectoires aux contextes
des entreprises :
–– « hard » (les marchés, la rentabilité, la compétition…) ;
–– « soft » (les femmes et hommes en place, la culture, l’histoire récente et
plus ancienne, la raison d’être, les marques, la nature de la relation aux
clients…).
Au terme de cet ouvrage, nous remercions le lecteur pour son attention
et nous souhaitons sincèrement à toutes les entreprises, et particulièrement
celles du secteur dit traditionnel, de réussir une transformation digitale,
chacune à sa manière et selon ses moyens, qui leur permettra de se consoli-
der, de se développer et de se réinventer.
LEXIQUE

4K : Résolution d’écran avec 4 fois le nombre de pixels du full HD.


 LE  : Bluetooth Low Energy. Nouvelle version moins gourmande de blue-
B
tooth candidate à la communication courte distance des objets connectés
et des smartphones.
Comex : Comité Exécutif.
CRM  : Customer Relationship Management (Gestion de la relation client).
Curation : Création et partage de veille d’information.
DAM : Digital Asset Management.
Device : PC, smartphone, Tablettes, Objets connectés.
DRH : Directeur des Ressources Humaines.
DSI : Directeur des Systèmes d’Information.
Expédia : Leader mondial du voyage en ligne.
Foursquare : Partage d’informations géolocalisées.
 ackathon : Événement où des développeurs se réunissent pour faire de
H
la programmation informatique collaborative, sur plusieurs jours.
Holacratie : Imaginée en 2001 par Brian Robertson au sein de sa société
éditrice de l­ogiciels Ternary Software, l’holacratie est la déclinaison organi-
sationnelle du lean management. L’entreprise s’organise autour des tâches à
effectuer et non autour des personnes qui s’y attèlent. Les intitulés de poste
disparaissent, les salariés se voient assigner plusieurs rôles, chacun doté
d’objectifs. Le plus souvent, ils appartiennent donc à plusieurs équipes.
Innocherche : Réseau de veille innovation pour dirigeants qui, sous
forme d’association loi 1901, réunit des professionnels qui s’intéressent
spécifiquement aux évolutions des usages et leurs conséquences pour
toute entreprise, en interne sur les modes de management et en externe
sur les business models.
Instagram : Partage de photographies.
LinkedIn : Réseau social professionnel.
206   La transformation digitale

NAS  : Network Attached Storage. Solution de stockage individuelle


connectée au réseau domestique.
Nike+ : Écosystème d’aide aux sportifs en réseau – if you have a body you
are an athlete.
 mni-canal : Contrairement au multicanal qui voyait se juxtaposer les
O
canaux avec une connaissance client partagée, l’omni-canal croise les
expériences pour créer des parcours innovants ou chaque canal se com-
plète (le magasin point de retrait du web, le mobile source d’expérience
augmentée dans le magasin).
PIM : Product Information Management.
 FM : Méthode de segmentation marketing basée sur la récence de
R
l’achat, sa fréquence et son montant.
RTB : Allocation en temps réel d’un espace publicitaire online (ban-
nières) à un annonceur donné et pour un prix fixé par enchère.
RunKeeper : Application de coaching sportif.
SAAS : Software As A Service.
Scoop.it : Application leader de curation d’informations.
SDK : Software Development Kit.
Sérendipité : La sérendipité est, à l’origine, le fait – pour une découverte
scientifique ou une invention technique – d’être ou d’avoir été faite de
façon inattendue ou accidentellement, à la suite d’un concours de cir-
constances fortuit ; et ceci souvent dans le cadre d’une recherche orien-
tée vers un autre sujet.
Slashing : Anglissisme désignant une pratique visant à tenir plusieurs
emplois en parallèle, généralement souhaité afin de multiplier les expé-
riences (génération Y).
Snapchat : Application de partage instané et limité dans le temps d’une
photo.
TIC : Technologies de l’information et des télécommunications.
Twitter : Réseau social de messages courts de 140 caractères.
VRM  : Vendor Relationship Management. Outils symétrique du CRM
(Customer ­Relationship Management) visant à donner aux clients la
maîtrise de leurs relations aux marques (dont le sujet des données per-
sonnelles).
Index des entreprises

123envoiture.com 144 CrossFit 139


CVS-Caremark 88
A
D
Abercrombie 30
Accenture 173 Danone 9
Airbnb 86, 100, 152 Darty 53, 131
Amazon 8, 10, 36, 77, 87, 89, 131, 133, Deezer 56, 86
156, 157, 163, 191 Deutsche Bahn 151
Android 59 Direct Assurance 88
Apple 8, 10, 27, 59, 105, 133, 146, 149, Dropbox 71
150
Apple Pay 55
Air France 166 E
Armée de terre 170 Espaces culturels Leclerc 131
Auchan 103 Evernote 71, 89
August 99 Expédia 5, 29, 67, 137, 149, 165, 185
Autolib 48
Axa 88, 172, 185, 194 F
Facebook 1, 8, 22, 59, 77, 87, 152, 164,
B 171, 188, 160, 194
Bank of America 107 Findus 29
Bank Simple 158 Flipboard 21, 100
Blablacar 143, 144 FNAC 39, 87, 89, 131
BlackBerry 106 Four Seasons 152, 153
BNP 88 Foursquare 21
BNP Paribas 186 Free 201
Booking 137, 152
Boulanger 103 G
British Airways 34 Gameloft 88
Gap 161
GDF Suez 186
C
General Electric 69, 105, 113, 165
Canon 88 General Motors 86
Capitaine Train 150, 151 Google 8, 43, 47, 48, 58, 77, 105, 133,
Carrefour 87, 89 146, 154, 155, 163, 164, 165, 171,
Castorama 9 191, 193
Cluetrain 31 GoPro 88
208   La transformation digitale

H Nokia 88, 106


Novartis 191
Harley-Davidson 23
Novartis-Google 185
HCL Technologies 176 ,178
NSA 31
Hotels 137, 152
O
I
IBM 147, 178 Opodo 154
IDTGV 150 Oracle 106
Ikea 146 Orange 78, 121, 186
Instagram 21, 87, 152, 194
Intel 106 P
iTunes 56, 86 Patientslikeme.com 140, 141
Paypal 89, 190
K Philipps 190
Kayak 154 Picard 29
Kickstarter 100 Pierre&Vacances 171
King.com 88 Pinterest 87, 171
Kodak 106 Poptent 9
Procter & Gamble 65
L PSA 86
Publicis 186
Leads 79
Le Figaro 168 Q
Legrand 190 QAPA 161, 162
Leica 88 Qapa.fr 162
Lenovo 147
Leroy Merlin 35, 104, 141, 142 R
LinkedIn 87, 160, 194
Redbull 43
Local Motion 99
Renault 86
Lokeo 103
RunKeeper 21
M S
MAAF 88
Salesforce 89, 106
Microsoft 146, 163, 172
SAP 106
Motorola 106, 107
Schneider 89, 105, 190
Scoop.it 21
N
SEB 76, 90
Nectar & Pulse 27 SFR 186
Nest 49, 105, 191 Sigfox 54, 74
Netflix 157 Snapchat 21, 194
New Balance 27 SNCF 57, 144, 149, 150, 165, 174, 191
Nike 90 Société Générale 166
Nike+ 21, 50 SOMFY 190
Nikon 88 Sony 88, 106
Index des entreprises   209

Space X 190 W
Spotify 56, 86
Walmart 89
Starbucks 110, 176
WhatsApp 59
Sun Micro Systems 190
Will Be Group 170
T Withings 31, 60, 76, 185

TabletHotels 137 X
Tesla Motors 190 XERFI 131
Toyota 86
TripAdvisor 29 Y
Twitter 87, 152, 171 Yahoo 194
Yunomi 104
U
Z
Unilever 103
Zappos 8, 173
V Zara 89
Zynga 99
Viadeo 87, 160
Volvo 103
Voyages-sncf.com 67, 185
Index Général

B M
BOFU (Bottom of the funnel) 47 Marketing 33
Business models 11 Marketing BtoB 44
Marketing digital 135
C me-business 28
Chaîne de valeur 148 Membership 127
Collaboration intra-entreprises 11 MOFU (Middle of the funnel) 47
Connexion client 11
Croud everything 9
P
Crowdfunding 100 Plan marketing 11
Customership 131 Pricing 12

D R
Drive 33 Réputation 12
Réseaux sociaux 22
E
e-business 28
S
Sourcing 11
F Stratégie océan bleu 50
Freemium 10
T
H Théorique organisationnelle de Berne
Hard-discount 33 126
Hérisson (concept du) 117 TOFU (Top of the funnel) 47
Hypermarché 33
W
I we-business 28, 29
Innovation frugale 69 Wikibrand 42

L Z
Leadership 127 ZMOT (Zero Moment of Truth) 47, 48
Lovebrand 42

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