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D e r ni er numéro
spore.cta.int
IA
Te c h n o l o g i e n u m é r i q u e
COMMENT L’INTELLIGENCE
ARTIFICIELLE TRANSFORME
L’AGRICULTURE
Le développement agricole et agroalimentaire analysé et déchiffré
Briefings de
Bruxelles sur le
développement
Sensibiliser la communauté du
développement ACP-UE depuis 2007 aux
défis agricoles et ruraux d’aujourd’hui
www.bruxellesbriefings.net
Les Briefings de Bruxelles sont une initiative du CTA et de ses partenaires :
la Commission européenne (DG DEVCO), le Secrétariat ACP, le Comité des
Ambassadeurs ACP et la confédération CONCORD.
SOMMAIRE
ÉDITORIAL
N°195 Le dernier numéro de Spore
TENDANCES
4 | Retour sur l’héritage
et l’influence de Spore
– un héritage durable
ENTREPRENEURIAT Michael Hailu, directeur du CTA
8 | À Sainte-Lucie, des jeunes champions
du champignon
9 | Le prêt- à-manger séduit à Cotonou Cet éditorial de Spore est le dernier que j’écris.
Mon mandat de directeur du CTA s’achève en effet
SMART TECH & INNOVATION fin février 2020. Malheureusement, ce numéro est
10 | Du crowdfunding pour les producteurs aussi le dernier d’un magazine publié pendant
ivoiriens
11 | L’apprentissage automatique 34 ans sans interruption : avec la fin de l’accord de
pour des conseils en agronomie Cotonou entre l’UE et les pays ACP, le cadre
financier et légal dans lequel opérait le CTA, et donc Spore, se termine.
AGRICULTURE Pendant les dix ans où j’ai été directeur du CTA, j’ai rencontré
CLIMATO-INTELLIGENTE d’innombrables partenaires qui me disaient apprécier particulièrement
12 | Relancer le café de qualité Spore, une précieuse source d’information pour leur travail. Le
pour les producteurs du Zimbabwe
13 | Des sols restaurés par des intrants bio magazine a joué un rôle important dans l’échange de connaissances et
le partage de diverses opinions, tout en faisant découvrir aux lecteurs
INTERVIEWS les évolutions les plus récentes dans le domaine de l’agriculture.
14 | Edward Mabaya : “La numérisation Spore a servi de base à la conception de nouveaux programmes
est un processus complémentaire” d’enseignement et de matériels de formation et a contribué à la
16 | Parmesh Shah : Pour des technologies
agroalimentaires de rupture création de nouvelles activités entrepreneuriales et entreprises, tout en
permettant à de nombreux lecteurs de se tenir au courant de l’actualité
17 | Dossier
agricole. Des agents de vulgarisation qui ont accédé à des postes à
responsabilités m’ont dit avoir tout autant apprécié Spore lorsqu’ils
Technologie : l’intelligence artificielle travaillaient sur le terrain que depuis que leurs fonctions sont davantage
transforme l’agriculture axées sur le conseil et la prise de décisions.
Spore a été un magazine respecté pour les perspectives et les
29 | Agribusiness
innovations qu’il a fait découvrir, ainsi que pour sa contribution
à l’échange de bonnes pratiques entre praticiens des pays ACP.
Pour beaucoup de lecteurs, le magazine fait partie du paysage de
DÉBOUCHÉS COMMERCIAUX l’agriculture. Ces dernières années, avec l’arrivée d’une version
30 | Au Nigeria, la révolution des graines
de caroube
numérique du magazine, nous avons veillé à proposer les articles dans
31 | Une herbe locale à la place du plastique divers formats. Nous voulions que Spore soit accessible à un public plus
en Ouganda jeune et davantage adepte du numérique, sans pour autant négliger
notre lectorat traditionnel.
SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES Il n’est pas toujours évident de mesurer l’impact profond d’une
32 | Au Kenya, une ferme-école en lien
avec le marché publication sur une longue période, mais nous savons que Spore
33 | Des fermes verticales pour des revenus est reconnu et apprécié pour la qualité de son journalisme agricole
en hausse dans les pays ACP et pour la possibilité offerte à un réseau de
correspondants francophones et anglophones de publier des
34 | FINANCE & ASSURANCE
Crédit : des partenariats d’avenir
reportages et des témoignages du terrain. Grâce à nos tribunes
mensuelles, nous avons stimulé le partage de points de vue
36 | COMMERCE & MARKETING d’organisations respectées. Enfin, nos interviews exclusives ont permis
Échanges intra-africains : à des experts de haut niveau et à des praticiens de l’agriculture et de
tendances et opportunités l’agroalimentaire de faire connaître leurs opinions et idées.
Je suis sûr que vous serez beaucoup à regretter notre magazine. Au
38 | LEADERS EN AGRIBUSINESS
Isaac Sesi : “Soyez persévérant, le CTA, nous nous réjouissons d’avoir participé à des débats critiques sur
succès ne se construit pas en un jour” des thèmes clés en rapport avec la transformation agricole, par le biais
de cette publication. Spore laisse un héritage durable.
40 | PUBLICATIONS Ce fut un honneur et un privilège pour moi d’avoir été associé à
Spore pendant si longtemps.
44 | OPINION
PHOTO DE COUVERTURE : © NICOELNINO/ALAMY STOCK PHOTO & PERRINE POTHIER/INTACTILE DESIGN SPORE 195 | 3
TENDANCES
I N N O VAT I O N E T I M PA C T
Retour sur
l’héritage et
l’influence de Spore
En 34 ans de publication, Spore s’est installé dans le paysage agricole
comme une référence au service d’une transformation durable. Dans
ce dernier article Tendances, nous revenons sur l’héritage légué par le
magazine phare du CTA et son évolution d’un simple bulletin technique
à une publication exhaustive en ligne et sur papier.
Susanna Cartmell-Thorp
À
son apogée, la version papier de magazine aussi, passant d’un bulletin Nigeria, en citant un article spécifique
Spore était distribuée à plus de fournissant des conseils de production sur un projet au Kenya, présenté dans
60 000 abonnés (organisations agricole à une publication offrant une le numéro de juin/juillet 2012 (n° 159).
et individus) des pays ACP et touchait couverture approfondie des sujets et L’information l’a aidé à concevoir son
un lectorat encore plus vaste. En 2015, enjeux qui concernent l’agrobusiness projet de recherche visant à permettre
une évaluation indépendante affirmait et l’agriculture durable et sont cruciaux aux petits agriculteurs d’utiliser plus
que “le magazine Spore a amélioré les pour la transformation de l’agriculture. efficacement et sûrement les pesticides.
connaissances et compétences de ses “Le contenu de Spore est riche et varié. “Ce projet en cours aura un impact
lecteurs du monde entier. Les nouvelles J’aime en particulier le Dossier qui traite positif sur les utilisateurs de ces subs-
connaissances acquises ont augmenté d’un problème de manière rigoureuse tances chimiques, car il encouragera les
à long terme leurs compétences et leur et détaillée et donne ainsi beaucoup bonnes pratiques agricoles et améliorera
effet s’est propagé bien au-delà des d’informations, ce qui favorise chez le la santé des agriculteurs”, soulignait le
bénéficiaires directs puisque la plupart lecteur une réflexion plus générale sur chercheur.
partagent le magazine, souvent avec plus les enjeux agricoles”, expliquait ainsi
1 500
de cinq personnes”. Souleymane Nacro, chercheur à l’Insti-
D’abord publié sous la forme d’un bul- tut de l’environnement et de recherches
letin à partir de 1986, Spore a été lancé en agricoles du Burkina Faso, lors d’un
individus et organisations du
anglais et français trois ans après la créa- atelier de lecteurs de Spore en 2015.
Sud-Kivu, en RDC, recevaient Spore
tion du CTA. Pour son premier numéro, L’étude menée à l’époque a montré que
en 2014, contre 100 en 2010, après
l’objectif affiché du bimensuel était le Spore servait à de multiples usages : pour
que le CTA a noué un partenariat
suivant : “Plutôt que de promouvoir le diffuser connaissances et améliora-
de diffusion avec Proximédias Libres
CTA, Spore vise à favoriser une diffusion tions pratiques des méthodes agricoles,
aussi large que possible d’informations comme activateur de nouvelles entre-
pertinentes pour le monde agricole, afin prises d’agrobusiness. En 2010, le numéro de juin/juillet
de fertiliser les idées et de les faire ger- “Je vous écris pour vous indiquer à 2010 de Spore (n° 147) comprenait un
mer. C’est de cette manière terre-à-terre quel point votre publication m’a inspiré court article sur un élevage de cailles en
que Spore espère participer au processus et guidé dans mes recherches”, déclarait plein essor au Cameroun. L’information
du développement rural.” dans un message au CTA John Gushit, a attiré l’attention de Thomas Munyoro,
En trois décennies, la vision mondiale chargé de cours à la Faculté des sciences un policier kényan à la retraite et leader
du développement agricole a évolué. Le naturelles de l’Université de Jos, au de l’ONG 2010 Strategic Self-Help Group.
4 | SPORE 195
© EDOUARD SANGO/MEDIAPROD
Pendant 34 ans, Spore a fourni aux petits
producteurs des pays ACP des informations
sur les derniers développements en agriculture Soutenir la passion journalistique
afin de les aider à augmenter leur productivité
et leurs revenus. Correspondant de longue date de Spore, je peux dire que le
soutien du CTA m’a permis de devenir journaliste agricole. Il y a
plus de 20 ans, j’ai suivi une première formation en radio pour être
Le retraité a fait circuler l’article au sein correspondant sur les dossiers de ressources des radios rurales (RRRP). Cela m’a
de la fédération nationale des produc- permis de faire des reportages sur l’agriculture en Afrique et le rôle des petits
teurs agricoles du Kenya. “Mes collègues agriculteurs dans la culture, la transformation et la commercialisation des produits
et moi-même élevions des lapins, mais, alimentaires. C’est ainsi que j’ai développé des programmes radio qui ont été diffusés
comme ils attrapaient toutes sortes de gratuitement dans toute l’Afrique. Ces programmes étaient souvent partagés sur
maladies, nous explorions d’autres acti- cassettes et CD-Rom au sein des clubs d’agriculteurs. Certains d’entre eux m’ont
vités”, se rappelle-t-il. L’article de Spore dit que ces informations leur avaient permis de diagnostiquer les maladies de leurs
les a conduits à trouver à Nairobi un cultures et animaux et de chercher des traitements. Il s’agissait d’une aide de poids
producteur de cailles pour les approvi- lorsque leur accès à des conseillers en vulgarisation était limité.
sionner en poussins et leur permettre Lorsque les RRRP ont cessé d’être produits, ma longue association avec le CTA
de créer une entreprise de vente d’œufs m’a donné l’occasion de devenir correspondant pour Spore. Cette expérience a
de caille, très demandés pour leurs pro- été très instructive et m’a permis de combiner des recherches scientifiques en
priétés médicinales. Thomas Munyoro agriculture, des récits d’agriculteurs, la vérification et l’analyse des faits et une
est vite devenu propriétaire de plus de certaine créativité. La couverture de conférences majeures parrainées par le CTA
100 cailles pondeuses et son entreprise et la rédaction d’articles sur le travail du CTA dans les pays ACP ont également
a prospéré. affûté mes compétences en écriture et permis aux agriculteurs de partager leurs
expériences avec un vaste public. Ce travail – qui a été publié en ligne et sur papier,
Élargir la portée de Spore dont des organes de presse internationaux comme Inter Press Service – a amélioré
En tant qu’institution modeste mais mon profil professionnel. J’ai ainsi été invité à arbitrer les grands prix 2018 et 2019
dotée d’un large mandat, le CTA a de la Fédération internationale du journalisme agricole (FIJA), et en juillet 2019 j’ai
noué des partenariats intelligents avec reçu une bourse de la FIJA conçue pour offrir un perfectionnement professionnel,
des organisations d’agriculteurs, des une formation au leadership et des opportunités de réseautage à des journalistes
organismes gouvernementaux, des agricoles des pays en développement.
réseaux de recherche, des groupes de
jeunes et de femmes et des représen- Busani Bafana
tants du secteur privé. Des partenariats ›
SPORE 195 | 5
TENDANCES
› stratégiques ont aussi participé à la TIC en agriculture et à la valeur ajoutée toujours un allié précieux dans mon
diffusion de Spore, en particulier pour aux produits agricoles rend le secteur travail de conseiller du gouvernement…
élargir la portée de sa version imprimée. agricole congolais de plus en plus et me permet de me tenir au courant des
Le magazine peut s’enorgueillir d’avoir attractif pour les jeunes et stimule leur derniers développements en matière
touché des endroits où d’autres ont eu intérêt pour l’agriculture.” d’agriculture.”
du mal à conquérir un lectorat, tel le Suite à ce succès, le CTA a développé En 2006, pour les 20 ans du magazine,
Sud-Kivu, en République démocratique un partenariat au Cameroun avec le l’équipe de rédaction a retrouvé certains
du Congo (RDC), une région fortement journal mensuel La Voix du Paysan/ des lecteurs qui avaient manifesté leur
affectée par les conflits armés pendant The Farmers’ Voice, qui distribuait Spore intérêt pour Spore en 2001, à l’occasion
la période 1998-2003 et où les commu- gratuitement. C’est ainsi qu’entre 2010 d’une enquête de lectorat. Tibi Guissou,
nications sont restées difficiles même et 2013 le nombre d’abonnés recevant microbiologiste à l’institut d’agriculture
des années plus tard. Spore est passé de 3 000 à plus de 7 500. INERA, a indiqué qu’il citait fréquem-
Malgré les connexions Internet Les enquêtes de lectorat au Cameroun ment Spore dans ses articles pour des
faibles ou mauvaises au Sud-Kivu, le ont montré que le magazine fournissait magazines spécialisés. “Contrairement
CTA a conclu un accord de distribu- à plus de 50 % des personnes inter- à d’autres publications trop axées sur un
tion de Spore avec Proximédias Libres, rogées des informations utiles sur le sujet unique, l’approche de Spore est plus
une entreprise locale disposant d’un développement agricole et rural dans le multidisciplinaire”, expliquait le cher-
bon réseau de partenaires. Avant le monde entier et dans les pays voisins. cheur. Pour le Dr Frank E. Lawrence, un
lancement du partenariat en 2010, Par ailleurs, environ 16 % ont bénéficié écologiste de Jamaïque, “Spore est l’une
Spore ne comptait que 100 abonnés au des renseignements techniques propo- des sources les plus utiles pour trouver
Sud-Kivu. En 2014, ils étaient 1 500, sés et 10 % des références et adresses des informations sur les moyens d’aider
des individus, mais aussi des ONG, des utiles. En Ouganda, une enquête de et de motiver les petits producteurs”.
églises, des clubs de radio, des écoles lectorat semblable a fourni de nom- Ces dernières années, pour répondre
et des services gouvernementaux. Les breux exemples d’activités spécifiques aux demandes d’un public plus axé sur
magazines étaient envoyés à la capitale inspirées par Spore, en particulier sur le numérique et attirer un lectorat plus
régionale, Bukavu, et distribués par les pratiques après récolte, le biogaz, jeune, les articles étaient publiés en
autobus, motocyclette et pirogue, cer- la culture fruitière, la pisciculture et la ligne, en plus de la version papier trimes-
tains exemplaires étant aussi diffusés production légumière. trielle. Le contenu numérique augmenté
par des stations de radio et des églises. propose un plus grand nombre d’articles
“Je suis un lecteur assidu de votre Évoluer avec son temps publiés sur le site web de Spore, un bul-
magazine, il nous apporte beaucoup, à Spore a toujours privilégié l’interaction letin bimensuel et une présence active
moi et à ma petite communauté d’étu- avec ses lecteurs et l’échange d’idées. sur les réseaux sociaux. Depuis 2017,
diants”, a fait part Arsène Birindwa, un Dans le numéro de décembre 2012/ Spore est aussi disponible sous forme
lecteur de la région. “Je suis convaincu janvier 2013 (n° 161), un lecteur écri- d’ePub sur les principales plateformes
que la sensibilisation à l’utilisation des vait ainsi : “Votre magazine a été et est d’e-lecture (Amazon, Apple et Google).
50 000 89 %
63 %
30 000
30 600
27 884 Un matériel de plaidoyer en faveur de changements dans mon domaine
20 000
22 654 43 %
10 000
11 881 Un outil pour promouvoir mon travail auprès d’un large public
6 000 33 %
6 | SPORE 195
À son apogée, les exemplaires papier de Spore
étaient distribués à 60 000 abonnés des pays ACP.
© KUDZANAI CHIMHANDA/CTA
Talash Huijbers, une jeune
entrepreneuse, a été très repris :
“Avez-vous mangé des insectes
aujourd’hui au déjeuner de
Huijbers sont deux des remarquables les rendements ont augmenté jusqu’à
l’#AGRF2019 ? Excellente entrepreneurs présentés dans Spore. 100 % (voir Au Kenya, une ferme-école en
présentation sur l’#économie Nous aurions aussi pu citer Ngabaghila lien avec les marchés).
Chatata, de Thanthwe Farmers
circulaire de @HuijbersTalash (https://tinyurl.com/tyyqcb6). En Des adieux chaleureux à nos lecteurs
favorisant les approches d’AIC, C’est avec beaucoup de tristesse que
et sur l’utilisation d’#insectes Ngabaghila Chatata a transformé sa l’équipe de Spore prend acte de la fin
pour l’#alimentation du bétail.” ferme horticole en centre d’agroentre- de l’aventure du magazine. Les articles
prises qui sert annuellement archivés continueront à être accessibles
d’incubateur pour plus de 3 000 jeunes en ligne. L’actuelle équipe de rédaction
En tant qu’équipe de rédacteurs et petits agriculteurs et produit toute et ses correspondants ACP sont fiers
et d’éditeurs, nous nous sommes fait l’année plus de 100 tonnes de fruits et d’avoir contribué à écrire l’histoire de
l’écho du dynamisme de jeunes entre- légumes de grande qualité pour appro- Spore, publié des articles sur un aussi
preneurs comme ceux-ci. L’interview visionner les hôtels et supermarchés vaste éventail de sujets et travaillé en
d’Isaac Sesi, dans la section Leaders du Malawi. Ce numéro présente aussi le réseau avec de nombreux partenaires
en agribusiness de ce numéro, reflète parcours de Rodgers Kirwa, un Kényan et organisations. Nous vous remercions,
bien l’énergie et l’enthousiasme des de 28 ans, qui utilise les profits de ses vous, nos lecteurs : sans votre soutien et
jeunes pour transformer l’agriculture. récoltes pour proposer, au sein de sa intérêt pour les informations proposées
En partageant cette interview sur ferme-école iAgribiz Africa Model par Spore, le magazine n’aurait pas existé
LinkedIn, Isaac Sesi a reçu plus de 250 Farm, des formations à plus de 2 000 aussi longtemps. Spore s’arrête mais
réactions en une semaine. Lui et Talash agriculteurs locaux, grâce auxquelles lègue à tous un héritage durable. ■
SPORE 195 | 7
ENTREPRENEURIAT
IMPORTATION ALIMENTAIRES
Natalie Dookie
P
our alléger la facture des impor-
tations de fruits et légumes de
Sainte-Lucie et remédier au
taux de chômage élevé des jeunes dans
la région, le philanthrope Peter Dillon
a fondé en 2014 Marquis River Farm,
une coopérative gérée par des jeunes.
En plus de fournir les terres et le capital
nécessaires pour lancer la coopérative,
Peter Dillon et son épouse Patie ont
formé 15 jeunes hommes et femmes
© JO BOXALL
sans emploi à pratiquer l’agriculture
de manière rentable. La coopérative
est basée sur un modèle de participa- Une coopérative gérée par des jeunes vend
tion aux bénéfices et de gestion par jusqu’à 900 kg de champignons par semaine à
les travailleurs. Les profits nets sont Sainte-Lucie.
répartis de trois manières : rembour-
sement du prêt de démarrage sans betterave. Par ailleurs, Marquis River
intérêt, alimentation des économies de Farm a récemment commencé à pro-
l’exploitation, et partage des bénéfices duire un extrait d’algues liquide à partir
entre les travailleurs. 680-907 kg/semaine de sargasse, une algue présente dans la
Peter Dillon a créé la marque Simply région et qui constitue une nuisance
Mushrooms afin de réduire les importa- de champignons sont vendus pour la vie côtière. Avec une production
tions de champignons. Le pays en achète par Marquis River Farm d’engrais à base d’algues de 1 360 litres
en effet pour 0,19 million d’euros par an. par mois, l’exploitation est en bonne
Aux débuts de sa production en 2014, pressions environnementales dues au voie vers l’autosuffisance.
la demande locale était de 205-227 kg climat tropical”, explique Peter Dillon. “Ce projet est rentable, mais il est
par semaine, contre 680-907 kg par “Installés à proximité les uns des aussi durable, modulable et évolutif, ce
semaine aujourd’hui. Les variétés culti- autres et sur des fondations solides, les qui le rend facile à mettre en œuvre. La
vées sont le champignon de Paris blanc conteneurs sont également résistants substitution des importations agricoles
(40 %), le champignon de Paris brun aux ouragans. Les climatiseurs sont s’accompagne de nombreux avantages,
ou cremini (40 %) et le champignon alimentés par l’énergie solaire, ce qui comme des économies de devises
portobello (10 %). Simply Mushrooms a fait baisser la facture d’électricité de étrangères et une hausse de l’emploi,
vend principalement aux restaurants, l’exploitation de 8 000 EC$ (2 704 €) à en particulier dans les régions rurales
aux hôtels et aux ménages privés, ainsi 4 000 EC$ (1 352 €) par mois.” et pour les jeunes et les femmes”,
qu’aux supermarchés locaux. Depuis Les trois tonnes de déchets générés par justifie-t-il. Le philanthrope cherche
2018, Sainte-Lucie a cessé d’importer la production de champignons sont uti- désormais des investisseurs pour repro-
des champignons. lisées comme compost pour cultiver des duire ce modèle de coopérative en vue
“Les champignons sont cultivés légumes-feuilles et des micropousses, de produire des champignons bio à
dans des conteneurs réfrigérés équipés comme de la roquette et des pousses Antigua-et-Barbuda, Grenade et Saint-
de climatiseurs, ce qui les protège des de pois, de radis, de moutarde et de Vincent-et-les-Grenadines. ■
8 | SPORE 195
TRANSFORMATION
Inoussa Maïga
À
Cotonou, Africa Foods Mill, l’en- il a décroché un prix de la Chambre de rentrer en contact avec une société qui
treprise d’Aldred Dogue (23 ans), commerce du Bénin, accompagné de pourra me fournir des emballages qui
commercialise des légumes frais 500 000 FCFA et d’une aide à travers un valoriseront au mieux mes produits”,
nettoyés, découpés et surgelés prêts pour cabinet comptable pendant six mois. En assure-t-il.
emploi dans une vingtaine de supermar- 2018, il s’est vu décerner le prix Anzisha Dans un avenir proche, Africa
chés. “Mes clients sont surtout des gens d’une valeur de 7 500 USD (6 800 €). Foods Mill espère mobiliser environ
qui travaillent, qui font leurs courses Avec ces aides matérielles et techniques, 280 000 USD (253 600 €) pour l’instal-
dans les supermarchés et qui ont un cer- il espère faire prochainement construire lation de son usine. “Actuellement, nous
tain pouvoir d’achat”, dit Aldred Dogue. sa propre usine. faisons presque tout manuellement, donc
“J’ai commencé avec la carotte, le Aldred Dogue ne perd pas de vue les le rendement n’est pas encore à la hau-
haricot vert et le chou. J’ai réalisé des défis qui lui restent à relever. “Je n’ai teur de la demande. Je veux aussi pouvoir
prototypes de produits que je suis allé pas encore l’emballage que je souhaite commencer à transformer les fruits
proposer à des supermarchés. À mes avoir. Quand je compare avec des pro- comme la mangue, l’ananas en fruits
débuts, je transformais à peine 200 kilos duits importés, je trouve que ce n’est séchés et en jus”, explique Aldred Dogue.
par mois”, explique-t-il. pas encore ça. L’objectif est de pouvoir Il ambitionne ainsi d’entrer sur le marché
Deux ans après son lancement en nigérian avec ses légumes dans les cinq
2017, Africa Foods Mill transforme Fondée par Aldred Dogue, l’entreprise Africa prochaines années. “J’ai prévu d’acquérir
chaque mois près de deux tonnes de Foods Mill travaille avec 300 petits des camions frigorifiques pour cela. Et
légumes achetés auprès d’environ producteurs pour fournir les supermachés en au bout de 8-10 ans je répliquerai mon
300 petits agriculteurs regroupés dans légumes prêts à être cuisinés. modèle dans d’autres pays.” ■
quatre coopératives. “Nous avons un
contrat. Je suis un client régulier pour
ces agriculteurs. On s’entend sur un
prix qui les arrange et qui m’arrange”,
indique Aldred Dogue.
En parallèle de ses études en nutrition
et technologies alimentaires à l’Univer-
sité d’Abomey-Calavi, Aldred Dogue
travaillait avec des agriculteurs, qui lui
ont demandé de les aider à réduire leurs
pertes post-récolte. “J’ai fait une étude
de marché et j’ai réalisé qu’il y avait un
potentiel pour des légumes prêts pour
emploi”, explique le jeune entrepreneur,
© ADONIS DOGUE/AFRICA FOODS MILL
SPORE 195 | 9
SMART TECH & INNOVATION
© SEEKEWA
B O N S D ’A C H AT
Du crowdfunding
pour soutenir
les producteurs
En Côte d’Ivoire, la plateforme Seekewa
propose à des consommateurs de soutenir
financièrement des petits producteurs en
échange de prix d’achat de leurs récoltes
avantageux.
Sophie Reeve et Vincent Defait Des consommateurs ou des organisations soutiennent des agriculteurs
ivoiriens via la plateforme de crowdfunding Seekewa.
E
n Côte d’Ivoire, une plateforme communautaire permet à partenariats avec des fournisseurs qui nous font des prix de
des consommateurs et des organisations internationales gros très avantageux”, explique Fréderic Zamblé, directeur
de financer à taux zéro des agriculteurs, en échange de général de Seekewa.
prix d’achat de leurs récoltes inférieurs à ceux du marché. À Brihiri, dans le sud du pays, Sanogo Awa et son mari culti-
Fondée par les frères Frédéric et Serge Zamblé, l’entreprise vaient une parcelle de riz, trop petite pour vivre correctement.
aide des petits producteurs à créer un profil sur la plateforme, “J’avais besoin d’étendre mon champ d’un hectare”, dit-elle.
détaillant leur projet et leurs besoins matériels et financiers. Seekewa lui a permis de mobiliser les fonds nécessaires à
Les investisseurs achètent des bons d'achat pour un l’achat d’une parcelle en plus et de bénéficier d’un suivi
montant minimum de 25 USD (22,85 €), convertis pour améliorer sa productivité. “J’ai plus de bénéfices
en points. Seekawa utilise ensuite les crédits obte- 102 et je peux aider à mon tour ma communauté.”
nus pour financer des biens (machettes, engrais, projets ont été
etc.) et services (formation, conseils), donnés financés en Des bons d’achat pour une école ou un hôpital
gratuitement aux agriculteurs. Les producteurs Côte d’Ivoire via Entre 2018 et 2019, Seekewa a financé 102 pro-
ont jusqu’à 12 mois pour les rembourser. Les Seekewa jets individuels pour un montant de 80 000 €
points sont rétrocédés au contributeur si le projet levés auprès d’une cinquantaine de particuliers
ne parvient pas à réunir la somme demandée. et des organisations comme l’assureur ASCOMA, la
Seekewa a d’abord démarché les coopératives du pays. Compagnie ivoirienne d’électricité, la coopération alle-
Lorsqu’un producteur est intéressé, un enquêteur Seekewa se mande, l’Organisation internationale pour les migrants. Un
rend sur place pour évaluer ses besoins et le potentiel retour contributeur a le choix, depuis peu, de faire bénéficier une
sur investissement à travers l’analyse des sols, l’évaluation des école ou hôpital, par exemple, de la récolte d’un agriculteur
compétences de l’agriculteur, la facilité d’accès à sa parcelle, financé par ses bons d’achat. Il n’est donc pas nécessaire de
la présence d’un point d’eau ou d’un dispositif d’irrigation, etc. séjourner en Côte d’Ivoire pour profiter de Seekewa.
“L’enquêteur utilise notre application, Seekewa Insight, qui Seekewa emploie sept personnes et cinq contractuels. “Nos
comprend un questionnaire, pour établir le profil et les com- deux principales sources de revenus sont les remises obtenues
pétences des agriculteurs. Pour qu’un projet soit éligible, il faut auprès de nos grossistes pour les achats des équipements et les
qu’il soit porté par un agriculteur qui en a les compétences. marges réalisées lors de la revente des récoltes”, détaille Serge
Nous nous assurons que le projet est faisable techniquement et Zamblé.
sera rentable économiquement”, indique Serge Zamblé, pré- L’objectif est, d’ici 2021, de financer au moins 1 500 projets et
sident de Seekewa. La start-up s’engage à racheter leur récolte de fournir en produits frais au moins 10 000 ménages en Côte
aux agriculteurs – riz, tomate, piment, aubergine et oignon – d’ivoire. “Nous pensons étendre nos activités la même année
pour la vendre à un prix avantageux aux contributeurs. au Bénin, au Nigeria et au Burkina Faso. D’ici cinq ans, nous
Avec les sommes collectées, la start-up achète les biens et voulons être le premier fournisseur de produits alimentaires
services dont ont besoin les agriculteurs. “Nous avons des frais en Afrique de l’Ouest”, ambitionne l’entrepreneur. ■
10 | SPORE 195
APPRENTISSAGE AUTOMATIQUE Appli
Des conseils agricoles et de Poissons surveillés
UNE SOCIÉTÉ KÉNYANE de
D
le pH, la teneur en oxygène et la
epuis 2016, Apollo Agriculture Des appels à réponse vocale interac- concentration de nitrates. Des valeurs
soutient de petits producteurs de tive (IVR) préenregistrés fournissent des limites sont fixées pour chaque
maïs kényans grâce à des services conseils agricoles élaborés par l’équipe capteur et le pisciculteur est averti
regroupés de financement, d’assurance, d’agronomes d’Apollo Agriculture via les automatiquement par e-mail ou
de conseil et d’accès aux intrants. Pour téléphones des agriculteurs. Un centre SMS en cas d’anomalie. Les données
recevoir un prêt d’Apollo Agriculture, les d’appels gratuit est aussi disponible. peuvent aussi servir à déterminer le
agriculteurs envoient un message gra- Alfred Ayoko, cultivateur de maïs et rythme de croissance des poissons
tuit à un code USSD. L’entreprise utilise de haricots, a ainsi pu sauver son maïs et suivre la productivité de son
ensuite les données collectées par des lors d’une invasion de légionnaires d’au- exploitation.
agents de terrain et l’imagerie satellitaire tomne en 2018. “Quand les chenilles ont
pour déterminer la localisation et la taille commencé à dévorer notre production
de l’exploitation et créer un profil unique en triple vitesse, Apollo Agriculture nous
pour chaque agriculteur. Les données, a fourni des conseils sur la façon de gérer Vulgarisation
traitées par apprentissage automatique, ce ravageur par des pratiques simples
permettent à Apollo Agriculture d’éva- telles que les cultures intercalaires [plan- Des conseils à portée
luer automatiquement la solvabilité de tation de haricots au sein des cultures
l’agriculteur. Dès l’approbation du prêt, principales de maïs]”, se souvient-il. “De de main
celui-ci prend livraison de ses intrants plus, l’entreprise a agi rapidement pour
financés chez le fournisseur agroali- nous faciliter l’accès aux pesticides [via AU ZIMBABWE, l’application mobile
mentaire le plus proche. De plus, une un prêt complémentaire] de ses firmes Kurima Mari fournit aux agriculteurs
assurance couvre chaque prêt contre partenaires afin de juguler la propaga- des informations sur les avantages
d’éventuelles pertes de rendement. tion de l’insecte.” D’après lui, les appels et les inconvénients des différentes
vocaux ont comblé le vide laissé par les variétés de culture et des différents
© APOLLO AGRICULTURE
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AGRICULTURE CLIMATO-INTELLIGENTE
MÉTHODES DURABLES
Tonderayi Mukeredzi
D
ans l’est du Zimbabwe, le pro- nous avons eu beaucoup de mal à relan- d'autres régions productrices, comme la
gramme de formation AAA cer la production de café, mais, grâce à Colombie et Porto Rico.
Sustainable Quality™ (2017- TechnoServe, nous avons découvert des D’après Yann De Pietro, en charge du
2021), mis en œuvre par Nespresso avec méthodes de production respectueuses développement durable et du numé-
l’entreprise TechnoServe, permet aux de l’environnement”, poursuit l’agricul- rique chez Nespresso, seuls 3 % des
petits producteurs de café d’améliorer teur. Selon lui, la production des petits caféiculteurs suivaient plus de la moitié
quantitativement et qualitativement caféiculteurs s’élève à 30 tonnes, contre des bonnes pratiques agricoles au début
leurs récoltes en adoptant des pratiques 10 tonnes en 2018. du projet. Au terme de la formation dis-
de gestion durable des terres comme “Avant, je transportais d’énormes sacs pensée en 2017 et 2018, la production de
l'agroforesterie. à dos contenant du produit à pulvéri- café de qualité destiné à l’exportation est
“Avant, nous épandions les engrais ser sur des cultures”, rapporte Miriam passée de 26 à 51 %. L’entreprise aurait
de manière aléatoire, mais nous avons Mwarazi, membre du groupe de caféi- acheté 20 tonnes de café aux petits
appris de nouvelles méthodes de nutri- cultrices Batanai. “On nous a appris les producteurs en 2018. “Ce projet ne se
tion du sol, notamment l’utilisation de techniques et les principes de la lutte contente pas de stimuler la production
compost”, explique David Muganyura, intégrée contre les nuisibles, notamment de quelques-uns des meilleurs cafés au
qui cultive du café depuis 30 ans sur l’utilisation de pièges à insectes. Je ne me monde, il crée aussi de nouvelles oppor-
une parcelle de deux hectares. Sous le sers donc plus des pulvérisateurs, qui tunités économiques dans des zones
couvert de bananiers, ses plants de café sont nocifs pour l’environnement.” La rurales du pays durement frappées par la
conservent un taux d’humidité suffisant technique de culture en terrasses a pro- crise”, affirme William Warshauer, PDG
et sont à l’abri des températures trop éle- tégé les parcelles contre les glissements de TechnoServe.
vées. “Pendant de nombreuses années, de terrain et l’érosion. “Nous avons aussi Par ailleurs, “nous avons créé, à
appris à utiliser le paillage, qui maintient l’échelon des groupes, des pépinières
Les caféiculteurs zimbabwéens utilisent de le taux d’humidité de nos cultures.” d’espèces d’ombre et d’espèces indi-
nouvelles méthodes durables de caféiculture Même s’il n’implique pas de contrat, gènes adaptées aux conditions locales”,
pour augmenter leur production de café. la participation au programme AAA explique Midway Bhunu, en charge de la
permet aux produc- coordination du programme Nespresso
teurs de vendre leur Zimbabwe Reviving Origins chez
café à Nespresso pour TechnoServe. “Ces espèces apportent
un prix plus élevé de l’ombre et cohabitent sans problème
s’ils pratiquent l’agri- avec les plants de café pendant les lon-
culture durable. Par gues périodes de sécheresse, lorsque
ailleurs, l’entreprise les précipitations sont insuffisantes et
devrait affecter plus de que les agriculteurs n’ont pas accès à
9 millions d'euros au l’irrigation.” Les 17 pépinières préparées
programme Reviving permettront de planter 5 000 arbres
Origins (“Revitaliser d'ombrage au début de la saison des
© TONDERAYI MUKEREDZI
12 | SPORE 195
Muraille verte RÉSILIENCE
Contre la
désertification
Des sols restaurés
UNE MURAILLE D’ARBRES longue
de 8 000 km est en cours de
par des intrants bio
construction à travers une bonne
vingtaine de pays, du Sénégal à Des petits producteurs kényans bénéficient d’une
Djibouti, pour tenter de freiner formation aux bonnes pratiques de gestion des sols
l’avancée de la désertification du
Sahara. Dix ans après le lancement et à l’utilisation d’intrants 100 % biologiques. Résultat :
du projet, la muraille est réalisée à une résilience acrue au changement climatique.
hauteur de 15 %, avec 11,4 millions
d’arbres plantés rien qu’au Sénégal.
Au Burkina Faso, au Mali et au Niger,
© JAMES KARUGA
plus de deux millions de semences Sophie Reeve
de plus de 50 essences ont été mises
A
en terre. Cette barrière végétale
devrait stabiliser le sol et retenir u Kenya, des producteurs de
son humidité, ralentir les effets haricots, de café, de riz, de maïs
desséchants et abrasifs du vent, et et de fruits utilisent des intrants
créer un microclimat permettant des biologiques abordables pour améliorer la
cultures dans les zones proches des santé des sols et leur résilience au chan-
arbres. “C’est un mur d’espoir, un mur gement climatique. Ces intrants sont
de vie”, affirme Almoustapha Garba, composés de matières biodégradables,
ancien ministre de l’Environnement comme des extraits d’algues et de végé-
du Niger. taux, qui contribuent à équilibrer le pH
des sols, à améliorer le maintien de l’hu-
midité des sols et à stimuler leur fertilité. KOFAR envisage d’étendre ses formations
Depuis 2016, plus de 20 000 agri- et la vente de ses produits à tout le Kenya
Maïs culteurs ont suivi une formation aux et à l’ensemble de l’Afrique de l’Est.
bonnes pratiques de gestion des sols et
Variétés résistantes à l’utilisation de ces intrants biologiques. des stimulateurs de croissance et des
Cette initiative a permis aux producteurs oligoéléments essentiels spécifiques,
à la sécheresse de bananes et de café de doubler leurs qui améliorent la santé des végétaux et
rendements. Les producteurs de hari- diminuent leur stress.
LES AGRICULTEURS éthiopiens cots, de riz et de maïs ont enregistré une “Ce qui me motive dans mon travail,
abandonnent progressivement augmentation d’au moins 40 % de leurs c’est de voir que des petits exploitants
les anciennes variétés de maïs, rendements après une saison d’utilisa- qui dépendent totalement de l’agricul-
qui supportent mal la sécheresse, tion d’engrais biologiques. ture peuvent améliorer leurs revenus,
et cultivent une nouvelle variété Ces intrants ont été mis au point par mais aussi de savoir que ceux qui ont
résistante à ce facteur climatique. la start-up kényane KOFAR, en collabo- utilisé nos produits peuvent consommer
Le BH661 est une variété hybride ration avec l’Université du Texas et des des aliments plus sains et plus sûrs”,
développée par l’Institut éthiopien instituts de recherche kényans. Le K-Tiba explique Francescah Munyi, fondatrice
de recherche agricole (EIAR). Lors (régénérant) est un biostimulant du sol de KOFAR.
d’expérimentations, la variété utilisé pour remédier aux effets néfastes L’utilisation accrue de ces intrants
BH661 a montré une augmentation de l’utilisation continue d’intrants incite les agriculteurs à abandonner les
de 10 % du rendement en grains chimiques et stimuler la croissance engrais chimiques, ce qui contribue à
sur exploitation, une production des cultures en diminuant la teneur en diminuer les émissions d’oxydes nitreux,
de biomasse plus élevée et une sodium dans la zone racinaire. Un autre un gaz à effet de serre. “Avant, j’utilisais
réduction de 34 % de la verse (état produit, Tawi Plus, est un traitement sept sacs d’engrais chimique par saison”,
des tiges inclinées vers le sol) par foliaire qui augmente la teneur des végé- s’exclame Joseph Munene, un riziculteur.
rapport aux variétés précédentes. taux en hydrates de carbone et améliore “Je n’en utilise plus qu’un aujourd’hui !”
“Les conséquences de la sécheresse les rendements. Un flacon de 120 ml de KOFAR envisage d’étendre ses forma-
pourraient être moins graves grâce Tawi Plus coûte 1 200 KES (10,46 €). Il tions et la vente de ses produits à tout
à la variété BH661”, espère Sequare contient des souches de varech, une le Kenya et à l’ensemble de la région de
Regassa, un agriculteur local. algue très riche en nutriments, ainsi que l’Afrique de l’Est. ■
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INTERVIEWS
E D W A R D M A B AYA
“La numérisation
est un processus
complémentaire”
Directeur du développement de l'agro-industrie à la Banque africaine
de développement, Edward Mabaya analyse la mise à l’échelle des projets
de numérisation dans le secteur alimentaire africain.
Susanna Cartmell-Thorp
Pourquoi la numérisation est-elle si im- de soleil, de terre et d’eau. Ce qui est nou-
14 | SPORE 195
© BANQUE AFRICAINE DE DÉVELOPPEMENT
SPORE 195 | 15
INTERVIEWS
PA R M E S H S H A H
Susanna Cartmell-Thorp
ment et à contrôler ainsi une plus grande de rupture qui seront testées auprès de
part des marchés et de la chaîne de valeur. 100 000 agriculteurs dans le cadre de pro-
De même, malgré un bon niveau d’inclu- jets soutenus par la Banque mondiale.
sion financière dans l'ensemble en Afrique, Pour l’instant, nous nous attachons à
l’offre de services de crédit et d’assurance instaurer un climat de confiance entre
est encore peu développée, car le continent tous les acteurs de la plateforme afin de
dépend toujours des modèles “physiques” faciliter durablement l’incubation de
Parmesh Shah explique comment la Banque d’inclusion financière (des banques, par start-up. Notre choix s’est porté sur le
mondiale soutient les plateformes numériques opposition aux services bancaires mobiles Kenya, car ce pays est déjà un carrefour
pour connecter un million de producteurs kényans. ou en ligne). Enfin, une très grande par- de la fintech innovante. Pourtant, les
tie des données recueillies ne sont pas nombreuses entreprises innovantes dans
Comment les solutions numériques “converties” très rapidement en services de l’écosystème financier kényan ne sont pas
peuvent-elles faciliter la transformation des conseil pour les petits exploitants. Lorsque encore reliées au secteur de l’agriculture.
systèmes alimentaires africains ? tous ces obstacles seront levés, l’Afrique
Les solutions numériques peuvent sera en mesure de transformer ses sys- Le travail en partenariat est un défi
faciliter cette transformation à quatre tèmes alimentaires. majeur dans le secteur de la numérisation de
niveaux : la productivité, les marchés, l’agriculture. Le récent rapport CTA/Dalberg
l’inclusion financière et l’offre de services La Banque mondiale soutient les sur le sujet a proposé un modèle d'alliance
de données. Pour de nombreux produits innovations kényanes les plus prometteuses mondiale pour tenter de résoudre ce problème.
de base, la productivité de l’Afrique ne dans le secteur de l’agritech avec l’objectif Quelle est la position de la Banque mondiale ?
représente qu’un tiers de la productivité de réunir un million d’agriculteurs kényans Nous approuvons pleinement les
moyenne dans le monde. Ceci s’explique sur une plateforme numérique d’ici trois ans. principales recommandations formu-
surtout par l’accès limité aux principaux N’est-ce pas trop ambitieux ? lées dans ce rapport sur la numérisation
intrants ainsi qu’aux services, encore Dans les 45 comtés du Kenya, nous met- de l’agriculture. Ce secteur ne peut en
assurés de manière très traditionnelle. tons en œuvre deux projets qui ont pour effet pas se développer en l’absence
Cependant, les solutions numériques objectif d’améliorer la productivité et la d’une vaste coalition d’acteurs désireux
peuvent changer la donne en contribuant rentabilité de l’agriculture, au bénéfice d’un de mettre tout en œuvre pour soutenir
à réduire cet écart de productivité. million d’agriculteurs. Début 2019, nous l’innovation. Cette alliance créera un éco-
Par exemple, beaucoup de produits de avons participé au Disruptive Agriculture système propice au développement des
base sont originaires d’Afrique, mais rap- Technology Knowledge Challenge, en tant technologies agricoles de rupture et de
portent peu au continent, faute d’agrégation que partenaires. Nous avons regroupé sur l’agriculture numérique. Au Kenya, nous
suffisante. En facilitant et en accélérant une même plateforme des innovateurs travaillons à la création de cette alliance
la communication des prix, les solutions numériques et des acteurs kényans de pour comprendre comment elle pourrait
numériques aident les communautés de l’ensemble du secteur de l’agritech, ce qui fonctionner et en valider la faisabilité. ■
16 | SPORE 195
Dossier
COMMENT
L’INTELLIGENCE
ARTIFICIELLE
TRANSFORME
L’AGRICULTURE
À une époque où le monde doit produire plus avec moins
de ressources, l’intelligence artificielle peut contribuer à
transformer l’agriculture dans le monde entier.
ANALYSE
A G R I C U LT U R E D I G I T A L E
L’apprentissage
automatique s’installe
dans les exploitations
La capacité des équipements agricoles à
analyser, prédire et conseiller les producteurs
via une variété d’applications d’intelligence
artificielle offre à l’Afrique le potentiel
d’atteindre la sécurité alimentaire.
“
Le concept de l’intelligence arti- peuvent de plus en plus, avec l’aide toutefois peu de sources de données
ficielle (IA) est que les machines d’experts en sciences des données et fournissant ce type d’informations de
sont capables d’effectuer des des grosses entreprises technologiques, masse à grande échelle, voire aucune.
tâches d’une manière présumée intel- bénéficier des capacités prédictives de L’accord signé en 2018 par l’Union
ligente. Ces processus leur permettent l’IA et de l’apprentissage automatique africaine avec le programme Copernicus
de fonctionner automatiquement, de pour accéder aux financements et assu- de la Commission européenne permet
raisonner et d’apprendre par elles- rances, prévoir les rendements et lutter aux scientifiques africains d’avoir accès
mêmes”, explique Claudia Ayin, une contre les ravageurs et maladies, afin à des données satellitaires gratuites en
consultante indépendante du secteur d’exploiter des fermes durables plus libre accès. Toutefois, l’utilisation des
des TIC. L’apprentissage automa- profitables et “intelligentes”. données satellitaires pour prédire les
tique – machine learning, en anglais conditions météorologiques n’est pas
– est l’aspect de l’IA qui permet aux Une affaire de données chose facile. IBM, par exemple, traite les
ordinateurs d’apprendre de manière La disponibilité des données est données issues de satellites multiples
autonome, autrement dit “la branche essentielle. Par exemple, l’incertitude en utilisant une plateforme décision-
de l’IA qui peut traiter de grands climatique augmente les risques pour nelle pour l’agriculture appelée Watson,
ensembles de données et laisser les les agriculteurs. L’assurance récolte et qui vise à combiner analyse prédic-
machines apprendre par elles-mêmes bétail est un élément déterminant de tive, IA, données météorologiques et
sans programmation explicite”, la résilience au climat, et les données capteurs de l’Internet des objets pour
ajoute-t-elle. sont cruciales pour les assureurs qui donner aux agriculteurs des renseigne-
Selon l’entreprise de recherche ont besoin de connaître les probabilités ments sur le labourage, la plantation,
MarketsandMarkets, la part de l’IA dans de mauvaises récoltes, les prêteurs qui la pulvérisation et la récolte. Chaque
le marché agricole en 2018 est estimée veulent se renseigner sur les risques de satellite fournit une image numérique
mondialement à 545 millions d’euros défauts de paiement et les négociants à différents intervalles, qu’il s’agisse
et devrait atteindre 2,4 milliards en qui doivent savoir quelles sont les de végétation, de couverture aqueuse
2025. Dans les pays ACP, les agriculteurs régions en surplus ou déficit. Il existe et du sol, de températures à la surface ›
18 | SPORE 195
© ATLASAI
AgriPredict : des conseils automatisés pour les petits producteurs zambiens
Un outil de gestion des risques AgriPredict a adapté la plateforme pour permettre aux
© AGRIPREDICT
et des catastrophes basé sur agriculteurs d’y accéder aisément. Les informations sont facilement
l’intelligence artificielle (IA) aide les disponibles via des services web, des téléphones portables basiques
agriculteurs zambiens à faire face (USSD et SMS), des smartphones (Android et iOS) et des tablettes,
aux sécheresses, aux nuisibles et ainsi que des chatbots (agent de conversation automatique) sur les
aux maladies. réseaux sociaux. “La plateforme est conçue par des agriculteurs,
En Zambie, la plateforme pour des agriculteurs”, affirme Mwila Kangwa. Il est prévu d’inclure
web et mobile AgriPredict à la plateforme des fonctionnalités vocales et visuelles pour
AgriPredict utilise l’apprentissage permet aux agriculteurs de surmonter les obstacles liés au manque de maîtrise du numérique.
automatique pour diagnostiquer recevoir un diagnostic à partir “AgriPredict me permet de faire des économies en me disant
les maladies animales et de photos d’une plante/d’un quelle maladie affecte mes tomates. Avant, je devais employer
végétales à partir de photos animal suspecté d’être malade, un agronome à temps plein pour m’aider à gérer l’exploitation,
prises par les agriculteurs sur voire des options de traitement, mais depuis que j’utilise AgriPredict j’ai pu supprimer totalement
leur téléphone portable. ainsi que les coordonnées du ce poste de dépenses”, explique l’agricultrice Yunike Phiri.
négociant agricole le plus proche. Le développement de la plateforme a été possible grâce au
L’outil peut aussi, à travers l’apprentissage automatique, prédire soutien de l’agence d’aide au développement SNV Netherlands
l’arrivée d’un ravageur ou d’une maladie, ainsi que fournir des Development Organisation à un projet pilote axé sur les chaînes de
prévisions météorologiques. valeur de la tomate et du maïs en Zambie. Lancé en octobre 2018,
AgriPredict a été fondé après que le légionnaire d’automne et le projet, qui implique 22 000 agriculteurs de la province de l’Est, a
Tuta absoluta, un ravageur qui s’attaque aux tomates, ont entraîné organisé des séances de formation à l’utilisation de l’appli ainsi que
des pertes significatives pour les agriculteurs zambiens en 2016. des visites de terrain, et a collecté le feedback des agriculteurs. Une
“Il n’existait aucun outil pour aider les agriculteurs à atténuer, campagne médiatique intitulée “#coolfarmers” est aussi en cours
prévenir ou même lutter contre ces risques”, souligne Mwila pour promouvoir la technologie et renforcer l’intérêt des jeunes.
Kangwa, PDG d’AgriPredict. Maduka Emmanuel
SPORE 195 | 19
ANALYSE
› des mers et des terres ou de condi- de manioc en bénéficieront cette année nécessite pas d’accès à Internet pour
tions climatiques. En utilisant divers dans sept comtés kényans. “Les outils fonctionner.
algorithmes et techniques d’IA, IBM numériques font de plus en plus par-
rassemble tous les points de données tie intégrante de l’identification, du Le pari de l’IA
pour créer une image plus précise et contrôle, de la formation et de la prise Afin de fournir des informations
utilisable d’une ferme. “Chaque satellite de décision dans la lutte contre les d’ordre économique et agricole aux
décrit une portion d’une exploitation, maladies et ravageurs mondiaux des agriculteurs de toute l’Afrique, l’en-
mais aucun n’en donne une représen- cultures”, souligne David Hughes. treprise AtlasAI – qui vise à répondre
tation réelle. Avec l’IA, nous fusionnons Un nouvel outil d’IA qui peut prédire aux besoins en données économiques
toutes ces images pour obtenir un la croissance des cultures et contribuer et renseignements commerciaux dans
tableau complet”, explique Kommy à protéger les denrées alimentaires les pays en développement – utilise
Weldemariam, responsable scientifique vitales de l’augmentation des tempéra- une technologie intégrant information
pour IBM Research-Afrique. tures vient compléter Nuru. Il recourt satellitaire, IA et données de terrain
aux données d’un satellite de l’ONU de grande qualité. AtlasAI génère des
Protéger les cultures recueillant les informations concernant données pour tous les pays africains et
“Des centaines de millions d’agri- les disponibilités en eau, sur une décen- travaille avec des organisations au ser-
culteurs africains souffrent déjà des nie, et les utilise avec les prédictions vice des gouvernements et agriculteurs
effets du changement climatique”, météorologiques pour déterminer la de nombreux pays : “Nous utilisons
indique David Hughes, entomologiste productivité des cultures. des technologies d’IA et des données
à l’Université d’État de Pennsylvanie, D’après David Hughes, dans les pays satellitaires de pointe pour fournir
et chef du projet qui a créé Nuru, un à faibles revenus manquant de capital des données granulaires, précises et
outil Android conçu pour diagnosti- humain expert en sciences agricoles évolutives sur les réalisations de l’agri-
quer les maladies des cultures, même dans les exploitations, l’IA pourrait culture dans l’ensemble du continent”,
sans connexion Internet. Développé servir à briser le cercle de la pauvreté. explique Marshall Burke, professeur à
par l’unité PlantVillage de cette uni- Créée en août 2018 à Yaoundé, au l’Université de Stanford et l’un des trois
versité et par l’Institut international Cameroun, l’entreprise Agrix Tech uti- cofondateurs d’AtlasAI.
d’agriculture tropicale, Nuru est utilisé lise aussi l’IA pour aider les agriculteurs Par exemple, les petits agriculteurs ne
dans plusieurs pays africains. Comme à lutter contre ravageurs et maladies. peuvent emprunter, ni s’assurer et sont
au Kenya, en collaboration avec l’ONG Grâce à une application pour téléphone souvent désavantagés dans les milieux
Self Help Africa, pour diagnostiquer les portable, les agriculteurs peuvent scan- commerciaux non compétitifs. Des pro-
maladies du manioc dues aux acariens ner une feuille de la culture infectée. blèmes qu’AtlasAI cherche à résoudre
et virus, et aussi pour identifier les L’appli consulte alors une bibliothèque en utilisant l’IA et les bonnes sources de
invasions de légionnaires d’automne d’IA pour analyser la question et offrir données : “Parce qu’elles disposent de
dans le maïs. Des conseils d’experts – des recommandations de traitement données précises et peu coûteuses sur
essentiellement gouvernementaux ou par texto ou message vocal, dans une les petits agriculteurs, les entreprises
du CGIAR et de la FAO – sont envoyés langue locale africaine adaptée, pour peuvent concevoir des produits et ser-
hors ligne en langue locale (actuelle- ceux qui ne savent pas lire. Selon vices répondant à leurs besoins”, ajoute
ment en swahili, français, twi, hindi et Adamou Nchange Kouotou, fondateur Marshall Burke.
anglais). Cet outil est encore en période et PDG d’Agrix Tech, l’appli atteint un Passer de l’offre de produits à celle de
de bêta-test, mais 28 000 cultivateurs taux de précision de 99 % et surtout ne services gérés localement et intégrant
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Avec l’apprentissage profond, l’IA L’équipement agricole peut être En analysant les données satellitaires L’IA permet aux créanciers d’évaluer
fournit des prévisions météorologiques coordonné avec des capteurs, des et de terrain, l’IA est utilisée pour les risques de crédit pour les
à court terme et des prévisions drones ou des satellites pour optimiser prédire/estimer les rendements au producteurs et de prévoir un éventuel
climatiques à long terme. les performances et les services. niveau de l’exploitation et du pays. défaut de paiement.
20 | SPORE 195
© HELLO TRACTOR
une analyse agricole avancée et l’IA,
voilà ce qu’a réussi Hello Tractor, une
start-up étatsunienne basée au Nigeria
et au Kenya. Au lancement de Hello
Tractor en 2014, son produit phare était
un tracteur à deux roues abordable,
de très faible puissance, équipé d’une
technologie de surveillance. En janvier
2017, Hello Tractor a fait le choix de se
concentrer davantage sur son applica-
tion que sur les tracteurs. Cette approche
s’est révélée payante puisqu’elle lui a
permis de conquérir 75 % des importa-
tions commerciales privées de tracteurs
au Nigeria, d’accéder à cinq marchés
africains par le biais de partenariats stra-
tégiques et de transformer la vie de plus
de 250 000 agriculteurs.
En partenariat avec IBM, Hello Tractor
teste désormais un outil analytique et
décisionnel de pointe qui touche tout
l’écosystème de la mécanisation. Leurs
ensembles de données sont stockés dans
une blockchain, puis utilisés par des
sociétés semencières et d’engrais ainsi
que des entreprises financières pour En ayant recours à l’IA, la plateforme de Hello Tractor fournit aux agriculteurs des informations
accéder à des informations non filtrées pertinentes et actualisées afin d’augmenter leurs rendements.
et en temps réel sur les fermes. “Grâce
à l’IA et à la blockchain, les agriculteurs
membres de la plateforme Hello Tractor nous pouvons appliquer l’apprentissage Services et Google – qui travaillent dans
accèdent à des informations pertinentes automatique pour prédire quand les l’ensemble du continent africain et en
et opportunes pour augmenter leurs agriculteurs devraient recevoir leurs partenariat avec des entreprises plus
rendements, les propriétaires de parcs services de tracteurs et aussi exploiter modestes ainsi que des agriculteurs
de tracteurs reçoivent des renseigne- ces données pour élaborer des conseils pour créer des solutions fondées sur l’IA
ments pour gagner temps et argent et sur les types d’intrants à utiliser et leurs pertinentes à l’échelle locale. “L’IA nous
les banques obtiennent des informa- périodes d’application.” offre la possibilité d’augmenter les ren-
tions pour améliorer leurs pratiques de dements et revenus et de diminuer les
souscription et leur gestion des porte- Tenir compte du contexte africain pertes”, explique Isaac Sesi, cofondateur
feuilles”, explique Jehiel Oliver, PDG Nombreux sont les acteurs du sec- de Sesi Technologies, une entreprise
de Hello Tractor. “Plus précisément, teur privé – IBM, Deloitte, Amazon Web en agrotechnologie qui développe des ›
SPORE 195 | 21
ANALYSE
Comment
particulier parce qu’elles peuvent com- les images hors réseau.
22 | SPORE 195
INTERVIEW
Amrote Abdella : améliorer la productivité
grâce à l’agriculture basée sur les données
Tiana Cline
© MICROSOFT @4AFRIKA
artificielle (IA) dans le secteur agricole mondial souligne que seuls 22 % des
en Afrique ? professionnels de l’IA dans le monde sont
Bon nombre de solutions des femmes. Comment combler ce fossé ?
d’agrotechnologie visent à rapprocher les L’évolution doit avoir lieu dans les écoles et
agriculteurs des sources de financement, au plan culturel afin d’encourager les jeunes
de l'information et des ressources. Ce filles à choisir des filières scientifiques,
Amrote Abdella,
rapprochement est essentiel car peu technologiques et d'ingénierie. Microsoft s'y
directrice régionale
d’agriculteurs des zones rurales sont emploie à travers des initiatives telles que de Microsoft
connectés et affiliés à une banque, ce qui DigiGirlz et WISE4Afrika, qui forment les @4Afrika, prône une
entrave leur accès à des produits tels que jeunes filles aux compétences numériques et transformation
l’assurance et les intrants agricoles. Avec leur proposent un mentorat. En juin 2019, numérique plus
nos partenaires, nous concentrons nos Microsoft a aussi organisé son premier large et rapide sur le
efforts sur l’utilisation de l’intelligence hackathon LEAP (Partenariat de prêts en continent africain.
artificielle et l’Internet des objets (IdO), afin faveur de l’éducation en Afrique), lors duquel
que l’agriculture basée sur les données 32 développeuses kényanes ont imaginé des
augmente la productivité agricole. solutions agrotechnologiques. L’équipe
lauréate, The BugSlayers, a utilisé Microsoft AI
Comment faire en sorte que des Africains pour prévoir l’arrivée de ravageurs et de
mettent au point des solutions d’IA qui maladies. L’application peut également
répondent aux besoins de l’Afrique ? prévoir les périodes de récolte, mettre en
D’après le rapport sur La digitalisation de contact les agriculteurs et les acheteurs et
l’agriculture africaine du CTA et de Dalberg, suivre les principales activités agricoles.
en dépit des quelque 400 solutions Depuis lors, les créatrices ont intégré le
agrotechnologiques déjà en place, 90 % du programme de stages 4Afrika, où elles
marché demeure inexploité. L’utilisation de affinent le logiciel avant son lancement sur le
ces solutions par les agriculteurs du marché.
continent dépend de l’utilité de la solution,
de son prix abordable et de sa disponibilité. Quels sont les impacts espérés de la
Premièrement, il faut développer les collaboration entre Microsoft et l’Alliance
compétences numériques dans l’agriculture. pour une révolution verte en Afrique (AGRA)
Ensuite, il faut un environnement propice, sur l'intelligence artificielle ?
notamment à travers des politiques et des Notre partenariat s'appuie sur le
infrastructures d’appui à la numérisation de transfert de connaissances et le
l’agriculture. Notre projet FarmBeats adopte développement d’écosystèmes, afin de
une approche intégrée qui propose des contribuer à l'optimisation des terres et à
technologies solaires peu coûteuses et des la sécurité alimentaire. L’accent sera mis
solutions à large bande alternatives telles sur le renforcement de l’agriculture de
que les espaces blancs télévisuels, qui précision basée sur les données à travers
utilisent des fréquences libres du spectre l'utilisation de l’IA et de l’analyse du big
télévisuel pour générer une large bande data, sur l’amélioration des compétences
rapide et étendue dans les zones reculées. numériques dans l’agriculture à travers des
Enfin, la recherche et le développement programmes de contenu numérique et de
dans l’espace agrotechnologique sont stages, et enfin sur l’action en faveur de
essentiels afin de stimuler l’innovation et le l’élaboration de politiques nationales de
partage des connaissances. numérisation.
SPORE 195 | 23
REPORTAGE
OUGANDA
Bob Koigi
E
n Ouganda, une nouvelle technologie associe
intelligence artificielle (IA) et apprentissage
automatique pour détecter les maladies du
bétail avant leur déclaration, connecter à distance
les fermiers aux services vétérinaires et surveiller
les mouvements des animaux pour prévenir les
vols. Cette innovation, appelée Jaguza Luganda, est
une puce équipée d’un capteur et connectée à un
lecteur d’identification par radiofréquence (RFID)
ainsi qu’aux téléphones portables ou ordinateurs
des utilisateurs ; 18 000 puces Jaguza ont été ins-
tallées depuis 2016.
Fixé à l’oreille des animaux, ce dispositif peut
être détecté par le lecteur RFID jusqu’à 300 mètres.
Si la ferme est trop vaste, une antenne ou un radar
sont installés pour élargir la zone de couverture.
Grâce au capteur intelligent, la puce contrôle des
informations vitales sur les animaux – varia-
tions de température, schémas d’alimentation et
stades reproductifs – et peut détecter les maladies
48 heures avant leur déclaration, ce qui permet
d’organiser des soins médicaux en temps oppor-
tun. Les renseignements sur la santé des animaux
sont synchronisés et stockés sur une plateforme
en nuage. “Jaguza peut détecter et contrôler les
aspects sanitaires en surveillant l’alimentation,
l’abreuvement, le repos, la fertilité, la température
et d’autres paramètres”, affirme Ronald Katamba,
créateur de Jaguza. “Nous l’utilisons pour anti-
ciper les problèmes et fournir aux éleveurs des
recommandations sur la manière dont ils peuvent
préserver la santé de leurs bovins et améliorer l’ef-
ficacité de leurs fermes. Nous constatons déjà une
© JAGUZA
24 | SPORE 195
Cette technologie peut aussi suivre les mou-
© JAGUZA
vements du bétail et alerter les éleveurs par
messagerie mobile lorsque les animaux vaga-
bondent au-delà des limites des fermes. “Jaguza
apprend les schémas de déplacement d’une vache
à partir des données du capteur. Nous les utilisons
pour développer des modèles d’apprentissage auto-
matique et des algorithmes TensorFlow”, poursuit
Ronald Katamba. La technologie est aussi efficace
pour réduire les vols, très répandus en Ouganda. En
2018, Charles Walugembe, à la tête d’un troupeau
de 180 bovins dans le nord du pays, a pucé une cin-
Le bétail est suivi quantaine de ses vaches. “Nous dépensons presque
par des drones la moitié des gains provenant de notre bétail pour
équipés de payer des gardes armés afin de surveiller nos vaches
capteurs et pour investir dans d’autres méthodes de protec-
thermiques et des tion comme les clôtures, mais nous perdons tout
puces fixées à de même nos animaux. Depuis que nous utilisons
l’oreille des Jaguza, je peux suivre leurs mouvements depuis
animaux. n’importe quel endroit et nous n’avons plus eu
aucun cas de bêtes manquantes”, confie l’éleveur.
Gestion des appareils mobiles Les puces et capteurs de Jaguza sont fixés à une oreille de
En complément, il existe l’application mobile l’animal pour collecter des informations vitales sur sa santé.
Jaguza Livestock, à laquelle sont inscrits 85 vétéri-
naires disponibles pour répondre aux questions des équipés de caméras haute définition et de capteurs
éleveurs. Des informations sur les bonnes pratiques thermiques. Ces drones, connectés aux téléphones
de gestion du bétail sont fournies par l’appli, acces- des éleveurs grâce à un système nuagique, sur-
sible sur les appareils portables sous Android et IOS veillent la température des animaux et alertent
et dans différentes langues. De plus, la technologie les propriétaires en cas de maladie. Il suffit alors
est accessible hors ligne grâce à un code USSD – qui de quinze minutes pour dénombrer les animaux
sert à transmettre des informations basiques sur le d’un grand troupeau. “Notre système de drones
réseau mobile. Plus de 1 250 utilisateurs ont télé- se fonde sur des caméras intelligentes utilisant
chargé l’application pour accéder aux informations l’IA et la reconnaissance faciale pour identifier les
sur le bétail, et les dispositifs de capteurs et l’appli animaux individuels en temps réel. Les caméras
ont attiré des éleveurs de l’extérieur de l’Ouganda – contrôlent la présence des animaux sur les fermes
des Fidji, du Mozambique et de la Namibie. et envoient des informations en temps réel au télé-
L’appli offre aussi une option de tenue de registre, phone portable et à l’ordinateur de l’éleveur. Il y a
visant à rationaliser l’élevage, qui permet à l’agri- deux signaux, l’un rouge qui indique que la vache
culteur d’enregistrer ses gains et dépenses. Dan est malade ou introuvable et l’autre vert qui signale
Kisitu, qui élève du bétail depuis 15 ans, s’est inscrit que l’animal va bien”, explique-t-il.
sur Jaguza en 2017 pour surveiller ses 40 vaches. Il Malgré tout, “les drones sont encore interdits en
a ainsi réussi à lutter contre des maladies courantes Ouganda malgré les nombreux avantages qu’ils
comme la fièvre aphteuse, la peste bovine et la thei- offrent aux citoyens ordinaires. Nous commu-
lériose bovine, et a utilisé l’appli Jaguza pour tenir ses niquons en permanence avec le gouvernement
registres, ce qui lui a permis de réduire ses dépenses. pour réorienter les politiques et faire reconnaître
“Je dépensais beaucoup d’argent pour les services ces technologies émergentes et nous investissons
vétérinaires et médicaments. En plus de recevoir des dans l’amélioration de la connectivité Internet
alertes sur la santé de mes vaches avant que leur état pour favoriser l’adoption de ces innovations”,
s’aggrave, j’ai réussi à diminuer mes dépenses en ali- indique l’entrepreneur, qui a reçu une autorisa-
ments et suppléments jusqu’à 50 % grâce à la tenue tion spéciale du chef des autorités militaires de
de registre électronique qui me permet de voir où je l’aviation civile.
dépense trop”, précise Dan Kisitu. La start-up est aussi membre du réseau
AgriHack du CTA, qui propose aux jeunes agri-
Élargissement de la technologie grâce preneurs du secteur numérique des opportunités
à des capteurs sur drones de renforcement de leurs capacités, et a figuré
Pour répondre aux besoins des gros éleveurs parmi les finalistes du concours Pitch AgriHack de
qui ont du mal à surveiller la santé de chacune de 2016. En 2019, elle a remporté le premier prix du
leurs vaches, Ronald Katamba utilise des drones concours. ■
SPORE 195 | 25
REPORTAGE
SÉNÉGAL
En Afrique,
SOWIT pixélise l’agriculture
Une jeune start-up a recours à la télédétection et à l’intelligence
artificielle pour aider les producteurs à optimiser leurs rendements.
Vincent Defait
A
vec Hamza Rkha Chaham et Hamza
Bendahou, l’agriculture de demain n’est pas
seulement affaire de semis, d’engrais et d’ir-
rigation, mais aussi d’algorithmes et d’intelligence
artificielle (IA). Cofondateurs de la start-up SOWIT,
qui fournit “des systèmes d'aide à la décision per-
mettant aux agriculteurs africains d'optimiser leurs
opérations de manière efficiente et durable”, les
jeunes entrepreneurs entendent exploiter la puis-
sance de la télédétection – drones et satellites – et
du big data pour combler le déficit d'informations
agronomiques sur le continent.
Fondée en 2017 et basée en France, au Maroc et
au Sénégal, SOWIT fournit des outils de prises de
décision en faisant appel à des technologies de
pointe. Présente dans 15 pays d’Afrique, l’entre-
prise a recours à des mesures de terrain, des images
satellitaires et d’autres, plus précises, prises par des
drones. La combinaison des trois, alliée à des algo-
rithmes, permet d’anticiper des besoins en eau et
en intrants ou de déterminer le meilleur moment
pour récolter.
26 | SPORE 195
“Nous recueillons des informations comme la d’atteindre une définition de plusieurs millions de
réflectance – comment la lumière reflète sur les pixels par hectare. Donc une quantité d’informa-
plantes et combien les plantes en ont absorbé –, tions permettant d’affiner les prévisions. “Le temps
l’architecture de la plante, sa taille, etc. Cet ensemble et l’échelle sont nos principaux obstacles”, souligne
d’éléments recueillis va être lié à l’ensemble d’élé- Faisal Mohamed Ali, directeur des opérations du
ments du terrain de la manière la plus intelligente. groupe DAL Agriculture. “Avec les drones, nous
L’objectif est que le lien entre les mesures et la réa- savons ce qui se passe [dans les champs] et nous
lité du terrain soit fiable”, explique Hamza Rkha pouvons intervenir rapidement.”
Chaham.
“Avec les drones, nous savons
Des drones pour davantage de précision
Au Soudan, SOWIT intervient auprès de produc- ce qui se passe [dans les
teurs de luzerne, une plante fourragère importante
pour l’alimentation du bétail et une culture centrale champs] et nous pouvons
pour l’économie du pays dans la mesure où elle
rapporte des devises étrangères. Les producteurs intervenir rapidement.”
doivent composer avec des coûts élevés d’achat
d’engrais, tous importés. “Notre opérateur va suivre Ce genre de services est abordable pour les grands
producteurs. Ils le sont moins pour les petits agri-
© GIACOMO RAMBALDI
culteurs, en général à la tête de petites parcelles.
En Éthiopie, SOWIT intervient donc auprès de
l’Agence de transformation agricole (Agricultural
Transformation Agency, ATA) et du ministère de
l’Agriculture dans un projet porté par le CTA. En août
2019, la start-up a ainsi formé six pilotes de drones et
six analystes de données. Les autorités éthiopiennes
prévoient ensuite de déployer ce genre de services
auprès des coopératives du pays. “Les images et les
vidéos permettront des analyses et une interpré-
tation agronomiques des champs et de la santé des
cultures, ce qui facilitera les interventions en temps
opportun”, explique Techane Adugna, directeur du
cluster Commercialisation agricole à l’ATA. Par ail-
leurs, “l’utilisation de drones va aider à créer un lien
direct avec le marché pour les agriculteurs, en collec-
tant des informations en temps réel de leurs champs
et en les partageant avec de potentiels acheteurs”.
SPORE 195 | 27
NIGERIA
© FOODLOCKER
Oluyinka Alawode
F
oodlocker, un groupement nigérian de grossistes en
produits alimentaires et en épicerie, utilise l’apprentis-
sage profond (une branche de l’intelligence artificielle,
IA) pour prévoir la demande en produits agricoles et en biens
de consommation. L’apprentissage profond fait appel à plu-
sieurs couches d’algorithmes, appelés “réseaux neuronaux”,
et à de grandes quantités de données afin de permettre à des
ordinateurs de résoudre des problèmes complexes : plus ces
algorithmes apprennent, plus les ordinateurs sont performants.
Lancée en 2017, Foodlocker évalue, avec l’apprentissage
profond et par l’intermédiaire de sa plateforme de commerce
en ligne, la demande de ses clients (transformateurs de pro-
duits alimentaires, exportateurs, hôtels, restaurants, bars et
détaillants) en riz, igname, légumineuses, volaille, condiments,
huiles de cuisson, céréales, boissons, etc. L’entreprise offre gra- L’entreprise nigériane Foodlocker utilise l’IA pour prévoir la demande en
tuitement, via les téléphones mobiles et des agents de terrain, produits agricoles et aider les agriculteurs à déterminer ce qu’ils doivent
ces informations aux petits exploitants agricoles qui travaillent produire, en quelles quantités et à quelle période.
avec elle, et les aide à circonscrire les incertitudes concernant ce
qu’ils doivent produire, en quelles quantités et à quelle période. production et se sentent davantage encouragés à produire.”
De plus, les agriculteurs reçoivent de Foodlocker des garanties Foodlocker récupère les produits frais récoltés dans les fermes
d’achat qui précisent les quantités et les tarifs des marchandises. et les livre aux grands acheteurs qui ont passé des précom-
“J’ai commencé en produisant 100 kg de poulet pour Foodlocker”, mandes. Foodlocker fournit aussi des services logistiques et des
se souvient Emperor, un aviculteur. “Aujourd’hui, la demande infrastructures d’entreposage frigorifique, et soumet les produits
frôle 1,8 tonne par mois. Pour y répondre, j’ai étendu mon activité des petits exploitants à une transformation primaire les rendant
et conclu des partenariats avec d’autres agriculteurs.” aptes à être vendus à d’autres acheteurs par l’intermédiaire de la
“L’apprentissage profond nous permet d’anticiper et de prévoir plateforme de commerce en ligne de l’entreprise, entre autres.
la demande, mais aussi d’établir les plannings de production, “Étant donné la périssabilité des aliments et les difficultés
d’influencer les programmes de production des petits exploi- posées par les infrastructures en Afrique, l’apprentissage pro-
tants et d’effectuer des achats rationnels afin de répondre à la fond nous confère un réel avantage par rapport aux entreprises
demande attendue”, explique Jennifer Okoduwa, cofondatrice qui se contentent de faire du commerce en ligne”, ajoute Jennifer
de Foodlocker. Pour les grands acheteurs de denrées et de pro- Okoduwa. “Notre objectif est de passer des actuels 600 petits
duits alimentaires, l’apprentissage profond permet à Foodlocker exploitants fournisseurs à plus de 20 000 fournisseurs d’ici à dix
de garantir la régularité des prix et la disponibilité de produits de ans”, conclut-elle.
bonne qualité. En septembre 2019, Foodlocker a remporté le prix Pitch
“Nous fournissons également des intrants, l’accès à des varié- AgriHack, catégorie Analyse de données, décerné par le CTA.
tés à haut rendement ainsi qu’une aide à l’agrandissement par En plus d’une subvention de 10 000 €, Foodlocker bénéficiera
le biais de nos partenaires”, poursuit Jennifer Okoduwa. “Les d’un soutien technique qui l’aidera à mieux exploiter l’IA et à
agriculteurs subissent ainsi moins de pertes, augmentent leur développer ses activités. ■
28 | SPORE 195
Agribusiness
DÉBOUCHÉS SYSTÈMES
COMMERCIAUX AGROALIMENTAIRES
Les femmes rurales révolutionnent Au Kenya, une ferme-école
le commerce des graines de caroube en lien avec le marché
En Ouganda, une herbe locale pour Même sans terres, leurs revenus
réduire la consommation de plastique agricoles augmentent
30 32
34 36 38
DÉBOUCHÉS COMMERCIAUX
Emmanuel Maduka
A
u Nigeria, l’entreprise LifePro conservation, dues à certaines méthodes En 2018, l’équipe de LifePro a obtenu
Food Mills, basée à Akure, dans artisanales de transformation, ont tou- 7,5 millions de NGN (19 000 €) de finan-
le sud-ouest du pays, trans- jours empêché la commercialisation de cement grâce à l’événement I-Startup
forme les caroubes africaines en graines ces graines riches en calcium. Southwest Demo Day organisé par le
séchées nourrissantes et les vend à un D’où la création, par Adebowale Premier Hub Innovation Center à Akure.
prix abordable. LifePro, qui collabore Oparinu et Emmanuel Maduka, de l’en- Cela lui a permis de construire une
avec des agricultrices pour produire treprise LifePro Food Mills en 2018. “Nous usine, d’acheter des équipements pour
750 kg de graines de caroube transfor- collaborons avec 20 femmes vivant en maximiser la capacité de production et
mées par mois, écoule son produit sous zone rurale, que nous surnommons nos de prendre contact avec davantage de
la marque “Hiru” dans plus de 50 points ‘championnes Hiru’. Nous leur ensei- femmes rurales.
de vente (surtout des supermarchés) gnons des méthodes hygiéniques pour Dans l’État d’Ondo, Funmilayo
dans le pays, ainsi que sur les marchés prétraiter les graines de caroube, que Faponda est devenue une championne
britannique et américain. nous leur achetons à un prix attractif pour Hiru. Auparavant, elle produisait des
Les caroubes proviennent d’une plante finaliser la transformation dans notre graines de caroube et travaillait comme
indigène cultivée pour ses gousses, dont usine”, explique Adebowale Oparinu. femme de ménage pour compléter ses
les graines sont broyées et fermentées “Ces femmes gagnent entre 13,50 et revenus. “Je suis tellement heureuse de
pour être transformées en assaison- 22,50 € par jour selon leur capacité de travailler avec eux [LifePro]”, dit-elle.
nement dans les soupes et les ragoûts. production. Notre objectif est de rendre “Mes revenus stables me permettent de
Leur forte odeur et leur faible durée de autonomes 200 femmes d’ici 2020.” manger correctement et d’acheter tout
Afin de répondre aux demandes de ce dont j’ai besoin. Je vends ma produc-
LifePro Food Mills transforme des caroubes l’entreprise, les agricultrices “cham- tion à un meilleur prix et, même si ma
africaines en graines séchées nourrissantes pionnes” ont fait passer leur production production augmente beaucoup, j’ai la
et les vend sous la marque “Hiru”. de 80 à 240 kg par semaine. La start-up garantie de tout vendre.”
leur enseigne comment
750 kg
© EMMANUEL MADUKA
13,50-22,50 €
déshydrateur de pompe
à chaleur, afin d’obtenir
un produit séché ou de la C’est ce que gagnent les
poudre. Conditionnées dans agricultrices chaque jour
des pochettes de 200 g avec
une durée de conservation En plus de nouveaux produits à base
d’un an, les graines sont de graines de caroube, LifePro travaille
vendues 850 NGN (2,08 €) au lancement, d’ici deux ans, d’un cube
et sont livrées gratuitement de bouillon breveté. Adebowale Oparinu
aux clients à Abuja, Akure, espère aussi étendre ses activités au
Ibadan et Lagos. marché ghanéen en 2020. ■
30 | SPORE 195
PA I L L E S É C O L O G I Q U E
L
utter contre l’usage excessif de
pailles en plastique et fournir aux
petites productrices d’Ouganda une
nouvelle source de revenus en exploitant
une plante locale : telle est l’ambition de
l’entreprise Our Roots Africa.
Lancée en mars 2019, l’entreprise
a déjà vendu auprès de restaurants,
d’hôtels et de particuliers quelque
10 000 pailles biodégradables faites à
partir d’une herbe sauvage – Luseke
grass. Près de 200 agricultrices – 20 au
centre de production, 180 qui récoltent
l’herbe – complètent ainsi leurs reve-
nus en fournissant cette herbe coupée
à Our Roots Africa. “Notre intention est
d’avoir un impact sur les revenus quoti-
diens des femmes”, explique Nakawuki
Stella Lukwago, l’une des six employés
de l’entreprise basée à une quarantaine 200 agricultrices complètent leurs revenus en
de kilomètres à l’ouest de la capitale la majorité des femmes rurales vit avec fournissant à l’entreprise Our Roots Africa une
Kampala. moins d’un dollar par jour. C’est le cas herbe nécessaire à la fabrication de pailles.
Our Roots a formé les femmes à d’Atim Harriet, qui gagne 5 000 shil-
sélectionner les herbes, dont le centre lings ougandais (1,25 €) par journée de l’entreprise.“Nous avons des commandes
est creux, et à les ramasser sans les collecte. “Avant de rejoindre ce projet, la de restaurants du Brésil, du Royaume-
abîmer. Au centre de production, l’herbe vie était difficile. Je souffrais beaucoup Uni et d’Allemagne”, affirme Nakawuki
est ensuite triée par taille (pour en faire du fait des obligations ménagères”, dit Stella Lukwago. Our Roots ambitionne
des mélangeurs ou des pailles), lavée, l’agricultrice qui peut désormais mieux d’obtenir la certification FairTrade afin
lissée et bouillie pour la désinfecter. Les subvenir aux besoins de sa famille. de pénétrer le marché européen. L’UE a
pailles sont ainsi produites deux fois par “Nous nous assurons que les femmes en effet interdit les pailles en plastique
semaine. ont aussi suffisamment de temps pour non réutilisables à partir de 2021.
La qualité de l’herbe varie selon sa cultiver pour leur famille”, précise “D’ici cinq ans, nous ambitionnons de
provenance. Ainsi, les pailles prove- Nakawuki Stella Lukwago. travailler avec un millier d’agricultrices.
nant du district de Masaka peuvent être Pour l’heure, le coût de transport de Notre rêve est de faire de l’herbe Luseke
réutilisées, tandis que celles obtenues à l’herbe reste un obstacle majeur pour une nouvelle culture commerciale sur le
partir d’herbe des districts de Lwengo, la petite entreprise. De plus, beau- marché international”, confie Nakawuki
Rukungiri et Kabale ne sont utilisables coup d’agriculteurs préfèrent brûler les Stella Lukwago. Our Roots effectue
qu’une fois. buissons pour préserver leurs champs, aussi des tests dans un jardin afin de
D’après Nakawuki Stella Lukwago, les ignorant que l’herbe Luseke peut être déterminer les meilleures conditions de
agricultrices gagnent entre 20 et 50 USD une source de revenus supplémentaires. production de l’herbe. L’étape suivante
(entre 18,30 € et 45 €) par mois en plus, Un paquet de 25 pailles est vendu consistera à cultiver l’herbe Luseke à
ce qui est considérable dans un pays où 6 USD (5,45 €) sur le site web de grande échelle. ■
SPORE 195 | 31
SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES
FORMATION GRATUITE
A
u Kenya, plus de 2 000 petits
producteurs ont reçu une for-
mation et un accompagnement
technique sur la production de cultures
à forte valeur ajoutée, la constitution de
coopératives et les subtilités de la négo-
ciation des prix. Le tout, gratuitement.
Les formations sont dispensées par
iAgribiz Africa Model Farm, une ferme-
école du comté de Nandi, dans l’ouest du
pays, créée en 2018 par Rodgers Kirwa,
27 ans, sur les bénéfices de ses propres
récoltes. Les formations ont permis aux
agriculteurs locaux d’augmenter leurs Les stagiaires d’iAgribiz apprennent à former des coopératives et à produire des cultures à forte valeur ajoutée.
rendements jusqu’à 100 %.
Trois serres ont été installées sur le
93 482 €
demi-hectare d’iAgribiz pour la démons- agriculture locaux et les met en contact
tration et la présentation de différentes avec des programmes de bourses dans
pratiques, telles que la production bio- des pays comme la Chine et Israël. Les générés en ventes alimentaires
logique, les cultures intercalaires et la stagiaires et les agriculteurs sont encou- sur 3 ans
technique d’irrigation goutte-à-goutte. ragés à visiter les marchés locaux pour
Les petits exploitants peuvent égale- identifier les cultures qui seront en
300
ment se familiariser avec les qualités demande au moment de la récolte et ainsi
nutritionnelles des cultures horticoles à éviter les pertes post-récolte. “Les agri-
forte valeur ajoutée, comme le brocoli, le culteurs ont très longtemps cultivé leurs fermes verticales ont été construites
piment et la laitue, et apprendre à diver- terres sans comprendre quels étaient les depuis 2016
sifier les cultures de base courantes, telles besoins des marchés, c’est pourquoi les
que le maïs et les haricots. marchés doivent désormais être le point
“La plupart des petits exploitants agri- de départ de leurs recherches”, soutient Les stagiaires d’iAgribiz apprennent
coles ne se servent pas des techniques Rodgers Kirwa. aussi à former des coopératives afin
agricoles ou ne fréquentent pas les ins- En effectuant un stage iAgribiz en d’accroître leur pouvoir de négociation
tituts de recherche agricole afin d’élargir 2018, Pierra Nyaruai a appris que les lors de la vente de leurs produits. Par
leurs connaissances”, souligne Rodgers cultures intercalaires de ses brocolis, ailleurs, iAgribiz met les coopératives
Kirwa. Son objectif, avec iAgribiz, était de choux, poivrons et épinards peuvent en relation avec des fournisseurs d’in-
convaincre les agriculteurs des avantages améliorer la fertilité des sols et la lutte trants afin qu’elles bénéficient de prix
que présentent des techniques comme les contre les ravageurs, ainsi qu’augmenter réduits sur les intrants et les conseils
serres et l’irrigation goutte-à-goutte pour les niveaux de production. Depuis, ses agricoles. À l’avenir, Rodgers Kirwa
les aider à maintenir une production et à rendements ont augmenté de 20 % et ses prévoit de créer des fermes modèles
générer des revenus tout au long de l’année. revenus de 3 %. “Avant de cultiver quoi partout au Kenya, en plus de celles à
Cette ferme modèle propose aussi des que ce soit, je me renseigne sur l’état du Kiambu (province centrale) et d’Eldoret
stages de 3 à 4 mois à des étudiants en marché”, ajoute-t-elle. (vallée du Rift). ■
32 | SPORE 195
C U LT U R E S V I V R I È R E S
Peter Wamboga-Mugirya
P
lus de 880 femmes de bidonvilles d’activité. “Comme elles ne possèdent notre propre atelier de fabrication
ougandais pratiquent l’agricul- pas de terres, nous leur apprenons à de fermes verticales et une ferme de
ture verticale pour produire des construire des fermes verticales, moins démonstration dans le district de Mityana
cultures vivrières, comme des hari- dépendantes du sol, et à cultiver des (nord-ouest de Kampala)”, annonce
cots, aubergines, nakatti (légume vert plantes à l’aide de l’irrigation goutte- Lilian Nakigozi.
courant dans le centre de l’Ouganda), à-goutte”, explique Lilian Nakigozi, De plus, les femmes apprennent à faire
pois, épinards et tomates. Après avoir cofondatrice de Women Smile Uganda. du compost à partir de déchets urbains
été organisées en groupes et avoir reçu L’ONG a commencé ses activités dans biodégradables. Pour ce processus de lom-
une formation pratique de l’ONG locale les bidonvilles de Katanga, à Kampala, bricompostage, les femmes mélangent des
Women Smile Uganda, ces femmes ont en constituant des groupes de 20, déchets de papier, de la bouse de vache, des
déjà généré des ventes de produits pour 30 ou 50 femmes. Depuis 2016, Women déchets de cuisine, des vers de terre et de
une valeur de 93 482 € en trois ans Smile Uganda a fait construire plus de l’eau, puis mettent cette matière dans des
300 fermes verticales par bidons où elle se décompose en 10-15 jours.
l’organisation Community L’engrais est mélangé à de la terre et déposé
Innovations Hub, en utili- dans les caisses en bois des fermes ver-
sant des structures en bois ticales, où sont plantées les cultures.
à assemblage simple qui Celles-ci mettent jusqu’à trois mois pour
peuvent accueillir 50 et arriver à maturité et sont achetées, pour
100 kg de produits par saison. la plupart, par un grossiste spécialisé dans
“Nous avons deux saisons de les produits frais du marché de Kalerwe,
culture par an. Nous renfor- au nord de Kampala. “Nous récoltons
çons la capacité des femmes 5-10 sacs de légumes par mois, soit un
à augmenter elles-mêmes la minimum de 60 sacs par an”, comptabilise
production des fermes ver- Maureen Nalunga, présidente du groupe de
ticales car l’intérêt pour ce Twekembe, à Katwe, le plus grand de tous.
système grandit sans cesse”, “Nos membres sont heureuses des change-
souligne-t-elle. Une équipe ments positifs dans leurs vies.”
de 15 personnes accomplit “En novembre, nous lancerons une
un travail de vulgarisation ferme verticale à Kisenyi, le bidonville
auprès des femmes. le plus étendu de Kampala”, annonce
Chaque groupe paie une la dirigeante de l’ONG. “Des réfu-
cotisation et reverse 5 % de giées somaliennes seront au nombre
ses ventes à Women Smile des bénéficiaires. Actuellement, nous
Uganda. “Avec les sommes ouvrons notre dernière succursale dans
épargnées, nous allons créer la ville d’Arua, dans la région du Nil du
nord-ouest, près de la République du
© WOMEN SMILE UGANDA
SPORE 195 | 33
FINANCE & ASSURANCE
CRÉDIT ET FINANCEMENT
Des solutions
tournées vers
l’avenir
En Afrique, les petits exploitants agricoles peinent à obtenir
des crédits ou des prêts qui leur permettraient d’accroître
leur production. L’une des solutions réside dans des partenariats
avec les institutions financières.
Helen Castell
E
n Afrique, les petits exploitants d’identification nationale et d’adresse porte ses fruits au Ghana, où le Fonds
agricoles peinent à obtenir des numérique, qui attribue à chaque lieu et pour le développement des exporta-
crédits ou des prêts qui leur per- propriété un code d’adresse unique pour tions, du commerce, de l’agriculture et
mettraient d’accroître leur production. aider les agriculteurs (et d’autres acteurs) de l’industrie, financé par le gouverne-
L’une des solutions réside dans des par- à accéder aux services financiers offi- ment, a imposé un taux de 2,5 % sur les
tenariats avec les institutions financières. ciels, précise Buddy Buruku. Désormais, prêts octroyés par les banques commer-
Les gouvernements ont le pouvoir les grandes entreprises agroalimentaires ciales, qui ont à leur tour été autorisées à
et la responsabilité d’améliorer l’accès doivent accélérer le passage des paie- imposer un taux pouvant atteindre 12 %,
des petits exploitants au financement ments en espèces vers les paiements garantissant ainsi une marge de 9,5 %
agricole, affirme Jerry Parkes, respon- numériques. Selon Buddy Buruku, ces pour couvrir les risques de crédit.
sable général d’Injaro Investments, un efforts de numérisation devraient être Jerry Parkes estime que les banques
gestionnaire de fonds d’impact axé sur entrepris en premier lieu par les grandes de développement, les fondations et
l’agriculture. C’est aussi à eux, dit-il, agences gouvernementales, telles que le les autres bailleurs de fonds devraient
d’investir dans le développement des Conseil du cacao du Ghana, qui est habi- également investir davantage d’argent à
chaînes de valeur agricoles et de mobi- lité à appliquer des directives politiques des taux préférentiels dans des fonds de
liser les ressources du secteur privé, des sur la numérisation des paiements. financement mixte axés sur l’agricul-
institutions financières, des donateurs ture, en particulier ceux dont la durée de
et des ONG. Buddy Buruku, consul- Tirer parti des taux préférentiels vie est plus longue, tout en subvention-
tant en services financiers numériques Avant d’accorder des prêts aux petits nant des outils d’atténuation des risques
auprès du groupe de réflexion de la producteurs agricoles, les banques comme les assurances et en finançant
Banque mondiale – Consultative Group commerciales doivent emprunter l’assistance technique en faveur des
to Assist the Poor –, explique que les à des taux très élevés dans certains agriculteurs. Simon Schwall, PDG de la
gouvernements devraient également se pays. Cependant, si les gouvernements société d’assurance agricole OKO, aime-
faire les champions de la numérisation accordaient aux banques des prêts rait que les bailleurs de fonds s’associent
afin de s’associer, le cas échéant, à des subventionnés à des taux dits “préféren- davantage à des start-up prometteuses,
entreprises agroalimentaires du secteur tiels”, les banques seraient en mesure de en leur accordant une aide financière
privé. prêter davantage aux agriculteurs tout en au démarrage ou un financement leur
Le gouvernement du Ghana fait par- réalisant des bénéfices, affirme Andrew permettant de se développer dans des
tie de ceux qui sont sur la bonne voie, Ahiaku, responsable de l’agribusiness à domaines qui ne sont pas encore com-
depuis la mise en place d’un système la Fidelity Bank Ghana. Cette approche mercialement viables.
34 | SPORE 195
© SMARTMONEY INTERNATIONAL
Pour Michael Spencer, PDG de SmartMoney International, les institutions financières doivent nouer des relations de travail plus étroites avec les communautés rurales.
Les régulateurs financiers devraient Le potentiel des partenariats besoins et contraintes uniques des mar-
aussi adopter une approche plus souple Le développement de solutions de chés ruraux est de détacher du personnel
et plus réactive en matière d’innovation financement de la chaîne de valeur est dans les communautés rurales pendant
dans le domaine du financement agricole. également favorisé par des partenariats une longue période, de recruter et former
Par exemple, lorsque l’ACRE (initialement multi-acteurs impliquant des intervenants les membres de ces communautés et
Kilimo Salama) a commencé à regrouper tels que des banques, des institutions d’établir des partenariats avec eux.
les assurances et les semences et à les financières multilatérales, des sociétés Selon Andrew Ahiaku, les organisations
vendre par l’intermédiaire de négociants coopératives d’épargne et de crédit, des paysannes devraient également être plus
agricoles kényans, sa méthode de distri- fournisseurs de services d’assurance, des proactives dans leur travail avec les agré-
bution n’a pas été approuvée par l’autorité fournisseurs d’intrants, des acheteurs de gateurs, ce qui permettrait de réduire les
de réglementation des assurances du produits et des organisations paysannes coûts pour les institutions financières qui
Kenya. Le régulateur a toutefois autorisé travaillant en “circuit fermé”, estime Stella fournissent des services aux agriculteurs.
le déploiement du projet pilote à plus Ndirangu, spécialiste en inclusion finan- À titre d’exemple, la Fidelity Bank Ghana
grande échelle et a ensuite entrepris de cière chez ACRE Africa. Selon elle, de tels est actuellement en pourparlers en vue
modifier la politique (voir l’article de Spore partenariats permettraient aux agricul- de soutenir 40 000 petits exploitants en
intitulé Rendre l’assurance indicielle rentable). teurs de bénéficier de solutions financières mettant en relation un distributeur d’in-
Les régulateurs tanzanien et rwandais ont pour obtenir les meilleurs intrants et de trants avec des organisations paysannes
également répondu au travail de lobbying solutions de gestion des risques pour amé- par l’intermédiaire d’agrégateurs et en les
de l’ACRE visant à supprimer les taxes sur liorer leur production. accompagnant jusqu’à la dernière étape
l’assurance récolte afin de la rendre plus Les banques commerciales et les four- du processus. Il déclare : “Grâce à ce par-
abordable. nisseurs de microfinancement pourraient tenariat, le distributeur d’intrants a réduit
La mise en place de réglementations atteindre les petits exploitants des zones ses prix, la banque a baissé ses taux et les
permettant aux entreprises privées de rurales à un coût plus abordable en créant risques ont été largement atténués. Ces
tester leurs innovations à petite échelle conjointement un réseau de points de partenariats sont indispensables.”
dans un environnement contrôlé vente qui leur permettrait de se procurer Aider les petits exploitants agricoles
encouragerait aussi l’innovation, estime tous les produits, selon Simon Schwall. à tirer parti des solutions de crédit et de
Simon Schwall. L’adoption de solutions Michael Spencer, PDG de SmartMoney financement dont ils ont besoin pour
agrotechniques pour desservir les zones International, considère pour sa part se développer constitue un défi à mul-
les plus difficiles d’accès permettrait que nouer des relations de travail plus tiples facettes pour lequel il n’existe pas
aux banques commerciales de réduire étroites avec les communautés rurales de solution facile. Toutefois, avec plus de
le coût des crédits octroyés aux petits serait profitable pour toutes les organi- coopération et d’innovation et sous l'im-
exploitants, ce qui les encouragerait à sations impliquées dans le financement pulsion d'un leadership et d'un soutien
en accorder davantage, ajoute Andrew agricole. Selon lui, la seule façon de créer accrus des gouvernements, de formidables
Ahiaku. des produits financiers tenant compte des perspectives se profileront à l’horizon. ■
SPORE 195 | 35
COMMERCE & MARKETING
MARCHÉS ALIMENTAIRES
Sophie Reeve
U
ne population plus nombreuse, développement (BAD), le commerce au “commerce agricole africain dans un
une urbanisation croissante et intra-africain ne représentait que 17,6 % environnement en mutation”. Antoine
une classe moyenne en plein du total des exportations africaines en Bouët, coresponsable du Programme
essor : autant de facteurs qui expliquent 2017 et les produits agricoles seule- “Mondialisation et marchés” à l'Institut
l’augmentation de la demande ali- ment 20,7 % du total des exportations international de recherche sur les poli-
mentaire et une plus grande diversité intra-africaines en 2016. tiques alimentaires (IFPRI), y a présenté
de produits et d’aliments transformés Il est donc nécessaire de renforcer les conclusions de l’Africa Agriculture
en Afrique. En conséquence, la valeur les échanges commerciaux et l’inté- Trade Monitor 2019 (AATM), une initiative
du marché alimentaire africain devrait gration au niveau régional, comme cela conjointe de l'IFPRI et du CTA. Selon
augmenter jusqu’à 900 milliards d'eu- a été souligné lors du 58e Briefing l'AATM, les produits de base repré-
ros, d’ici à 2030. Toutefois, selon les de Bruxelles sur le développement sentent toujours la grande majorité des
estimations de la Banque africaine de (https://tinyurl.com/wuaszxw) consacré exportations agricoles africaines, les-
quelles ne sont donc pas suffisamment
diversifiées pour garantir la résilience
© FREDRICK OMONDI
36 | SPORE 195
© TRAVELPIXS/ALAMY STOCK PHOTO
En Afrique, la classe moyenne et urbaine émergente demande davantage de produits alimentaires transformés.
commerce, tels que l’harmonisation des référence à la ZLECA, lors de la récente mettre des agripreneuses en contact
normes pour la création d’un marché réunion de l'AWIEF qui avait pour thème avec des investisseurs et réseaux
unique et un niveau élevé d'intégration Enhancing impact: digitalisation, investment potentiels. “La plateforme renforcera la
des politiques nationales, soutenu par and intra-African trade (Un impact accru capacité des femmes et des jeunes du
des mécanismes d’application judi- : numérisation, investissement et com- continent à se lancer dans le commerce
ciaire, ont été identifiés comme ayant merce intra-africain). transfrontalier des produits agricoles,
contribué au succès de la politique et à contribuer ainsi à la croissance
agricole commune de l’UE. L’exemple économique”, affirme Chris Kiptoo,
de la PAC pourrait ainsi être utilisé pour “L’Afrique doit absolument secrétaire principal du ministère du
documenter les politiques commer- Commerce du Kenya.
ciales régionales de l'Afrique, d’après
développer ses Selon Akinwumi Adesina, pré-
Alan Matthews du Trinity College
Dublin en Irlande.
échanges commerciaux sident de la BAD, les investissements
dans les projets et les infrastructures
SPORE 195 | 37
LEADERS EN AGRIBUSINESS
ISAAC SESI
"Soyez persévérant,
le succès ne se
construit pas
en un jour"
Sesi Technologies met à disposition des agriculteurs africains des
technologies abordables pour les aider à accroître leur productivité
et à réduire leurs pertes. Entretien avec son cofondateur, Isaac Sesi.
S
esi Technologies a vu le jour dans
le cadre d’un projet de recherche à
l’Université des sciences et techno-
logies Kwame Nkrumah, au Ghana. Isaac
Sesi, ingénieur électricien, a été recruté
pour aider la nouvelle équipe à développer
un hygromètre pour céréales à bas coût,
appelé GrainMate. Il a ensuite réalisé que
cet appareil pouvait être commercialisé.
38 | SPORE 195
© SESI TECHNOLOGIES
GrainMate est un humidimètre qui permet aux
producteurs de mesurer avec précision
l’humidité de leurs grains avant le stockage afin
de diminuer les pertes post-récolte.
“L’IA devrait
faire partie des
programmes
scolaires et les jeunes
filles devraient être
encouragées et
incitées à choisir ces
filières.”
peuvent faire dans leur communauté
en travaillant dans ces secteurs, la
Le CTA organise un concours similaire, le
Pitch AgriHack, ouvert aux jeunes entrepre-
“Les obstacles
décision de se lancer dans l’IA suivra
naturellement.
neurs. Quelle est, selon vous, l’importance de
ces compétitions, y compris pour ceux qui ne
obligeront les
Ma passion pour les STEM m’a amené décrochent pas la récompense ? jeunes à réfléchir à
à cofonder la Nsesa Foundation, une Le prix en argent ne représente qu’une
organisation sans but lucratif qui entend petite partie des bénéfices potentiels la façon dont nous
susciter une révolution de l’innovation pour les participants. En effet, beau-
en Afrique et encourager les jeunes coup offrent aussi des formations et construisons des
Africains à relever les défis à l’aide des des services de mentorat, et essaient
sciences et de la technologie. Depuis de connecter les finalistes à un réseau choses, élaborons
2013, nos programmes ont formé des de contacts qui peuvent les aider. Mais
centaines d’étudiants et atteint plus de l’importance de ces aspects ne peut être des solutions et
300 000 personnes à travers le monde. quantifiée et, si on la prend au sérieux,
dépasse largement le prix en espèces développons la
Vous avez récemment été l’un des deux
lauréats du prix GoGettaz Agripreneur du
que l’on peut espérer remporter. Pour
nous, par exemple, la publicité générée résilience de ces
secteur agroalimentaire. Selon vous, pour-
quoi votre innovation a-t-elle enthousiasmé
par l’événement s’est traduite par de
nouveaux clients. Je conseillerais donc
solutions.”
le jury ? aux participants de ne pas se focaliser
La concurrence était rude, mais je uniquement sur les prix, mais de saisir d’innover en Afrique, on se heurte à de
pense que le jury a été séduit par notre toutes les opportunités offertes par ces nombreux obstacles et difficultés, mais
promesse d’utiliser la technologie pour concours. ceux-ci obligeront les jeunes à réfléchir
éliminer la pauvreté et la faim, car à la façon dont nous construisons des
l’alimentation est un enjeu majeur. Vous faites partie d’un nouveau groupe choses, élaborons des solutions et déve-
Nous explorons des business models de jeunes Africains innovants qui stimulent loppons la résilience de ces solutions dès
innovants pour rendre la technologie la transformation de l’agriculture africaine. le départ. On nous apprend à progresser,
accessible aux petits exploitants, à un Néanmoins, votre génération est confrontée quels que soient les défis, ce qui nous
prix abordable, par exemple en leur à de nombreux défis urgents. Comment cela donne confiance dans notre capacité à
permettant d’acquérir l’humidimètre affecte-t-il votre vision de l’avenir ? vaincre les obstacles. Nous savons qu’en
GrainMate contre des céréales, plutôt J’ai l’impression que les enjeux aux- tant qu’Africains nous sommes en mesure
que de payer en espèces. Nous sommes quels nous sommes confrontés nous de créer des solutions pour les surmonter.
aussi en train de lancer une fabrique offrent une chance de faire la différence Cela demande plus de travail, mais c’est
locale qui crée des emplois pour les et d’accélérer le changement, et je trouve tellement moins amusant quand tout se
jeunes et les femmes. cela passionnant. Lorsqu’on essaie fait facilement ! ■
SPORE 195 | 39
PUBLICATIONS
D I A R I ÉTO U G AY E
Les femmes
entrepreneurs sont
un levier de croissance
Directrice de la stratégie et des opérations de la Banque mondiale
pour l’Afrique, Diariétou Gaye revient sur les conclusions d’un rapport
sur le potentiel de l’entrepreneuriat féminin sur le continent.
40 | SPORE 195
Agribusiness
Entrepreneuriat féminin
Nouvelle génération
Des obstacles identifiés, un potentiel à libérer
Le déploiement de la digitalisation se
Les femmes sont un levier de croissance économique, mais heurte à plusieurs défis spécifiques
encore faut-il leur donner leur chance. Voici, en substance, ce dans la zone ACP. Cette note, résumant
que soutient le rapport de la Banque mondiale intitulé Les le récent atelier du CTA “Dynamiser
bénéfices de la parité, publié en mars 2019. les connaissances pratiques pour
Ce rapport sur les contraintes sexospécifiques affectant les améliorer l’agrobusiness de nouvelle
choix et performances des femmes entrepreneurs apporte génération dans les pays ACP par la
un éclairage nouveau en examinant comment les normes digitalisation”, passe en revue ces
sociales, les réseaux et les décisions prises au sein des foyers défis : environnement politique, accès
contribuent à la réussite des entreprises. Ou à leur échec. En au financement pour se lancer puis se
l’occurrence, les femmes sont désavantagées. En se fondant développer, accès à des données fiables
sur les données d’enquêtes sur les foyers et les entreprises sur la clientèle potentielle, les sols et les
de 14 pays, le rapport trace des caractéristiques communes cultures, recrutement de compétences
aux obstacles barrant la route aux femmes entrepreneurs : droits coutumiers limitant spécifiques tant pour l’aspect technique
l’accès aux terres, égalité des droits insuffisamment garantie par la loi, patriarcat, (exemple : pilote de drone) que
formation plus faible, moindre accès aux réseaux et à l’information… pour le marketing, la gestion, l’appui
Côté recommandations, le rapport préconise des programmes de formation qui commercial.
encouragent les femmes à agir avec un état d’esprit entrepreneurial, un soutien aux
femmes avec des mécanismes d’épargne, l’injection de subventions conséquentes en Relever les défis des start-up digitales
espèces pour les femmes propriétaires d’entreprise dans le cadre de concours de business dans l'agrobusiness
plan. Il est aussi important, parmi d’autres mesures politiques, d’éliminer les contraintes Par W. Krop, V. Pilgrim et P. Neate
légales à l’égalité femme-homme et de renforcer les droits fonciers des femmes. CTA, 2019, 8 p.
Alors que les Africaines sont plus nombreuses que dans n’importe quelle autre région Pour télécharger le PDF :
du monde à se lancer dans l’entrepreneuriat, il serait temps que leur potentiel profite à https://tinyurlcom/y2fe3klq
tous, à commencer par elles.
SPORE 195 | 41
PUBLICATIONS
AGROÉCOLOGIE
Les technologies
doivent servir
une transition sociale
En visant une performance économique, Mémento pour l’évaluation de l’agroécologie.
Yanne Boloh
42 | SPORE 195
Commerce
La force des réseaux marchands féminins
Les femmes contribuent de façon centraux que les hommes. L’analyse de ces relations d’affaires dans la
significative à l’économie alimentaire filière du riz confirme que les activités des femmes sont limitées par
de l’Afrique de l’Ouest : elles parti- la structure même du réseau commercial qui impose une division iné-
cipent activement à la production, à la gale du travail. Les différences de genre sont particulièrement visibles
valorisation et à la vente des produis parmi les acteurs qui possèdent à la fois un fort enracinement local et
agricoles. Ce rapport du secrétariat des liens d’affaires plus étendus.
de l’OCDE, rédigé en partenariat avec Pour promouvoir l’entrepreneuriat féminin, les politiques de dé-
le Club du Sahel et de l’Afrique de veloppement doivent donc s’appuyer sur les réseaux dans lesquels
l’Ouest, illustre les opportunités du figurent les femmes. Le rapport préconise de renforcer le capital so-
commerce alimentaire pour répondre cial de ces dernières en encourageant la multiplication des relations
aux défis de l’urbanisation, mais d’affaires au sein même de la communauté où elles vivent, relations
aussi et surtout met en lumière les ancrées dans la culture locale, synonyme de solidarité et de protec-
contraintes rencontrées par les femmes. Les auteurs se sont penchés tion contre les incertitudes du commerce dans la région. Les auteurs
sur l’organisation du commerce du riz dans la zone du Dendi (Bénin, notent aussi que le champ de la promotion économique féminine est
Niger, Nigeria). Ils s’appuient sur une méthodologie encore peu cou- fragmenté et ils recommandent une meilleure coordination des ini-
rante – l’analyse des réseaux sociaux (social network analysis) – et tiatives, un effort de concertation qui passe par le renforcement des
cartographient les relations d’affaires entre près de 2 000 entrepre- échanges informels comme formels entre experts des organisations
neurs. Dans cet exemple, aucune variable n’est plus discriminante que (États, organisations internationales, ONG). ■
le genre : les hommes sont plus éduqués et ont un revenu cinq fois
supérieur à celui des femmes. Ces différences se traduisent par un
moindre accès aux services financiers et à une moindre mobilité, tant Femmes et réseaux marchands en Afrique de l’Ouest
sociale que spatiale, pour les femmes. Ces dernières occupent une Par M. Trémolières et O. J. Walther (dir.)
position plus périphérique dans les réseaux, sont moins nombreuses, Éditions de l’OCDE, 2019, 52 p.
possèdent moins de partenaires commerciaux, jouent moins le rôle ISBN : 978-92-6444-854-4
d’intermédiaire et sont moins bien connectées aux acteurs très Pour télécharger le PDF : https://tinyurl.com/yxemp8s4
Accès au marché
Au Samoa, l’importance de la famille
Dans les Îles Samoa, l’organisation Par ailleurs, l’organisation forme et aide de jeunes agriculteurs, organise
Women in Business Development des marchés agricoles nocturnes, fournit des solutions numériques aux
Incorporated (WIBDI) est passée producteurs pour accéder aux marchés, soutient la production d’huile
d’une approche axée sur les femmes vierge de noix de coco bio vendue, entre autres, à la chaîne The Body Shop.
à une démarche impliquant tous les L’exemple de WIBDI a donné l’occasion au CTA de mettre en place
membres de leur famille. Le but : l’atelier “Dynamiser
les connaissances pratiques pour rendre l’agri-
réussir à commercialiser des produits culture accessible aux femmes dans
les pays ACP”, présenté dans ce
haut de gamme sur les marchés lo- document. Ça marche : dans un pays de 200 000 habitants, la voie
caux et mondiaux. privilégiée pour des produits à haute valeur ajoutée exportables est
WIBDI part du principe que les l’agriculture biologique, à laquelle se sont convertis 796 familles qui
femmes et les familles vulnérables cultivent 33 000 hectares, cinq entreprises de transformation et quatre
sont capables de prendre en main leur villages totalement bio. ■
destin et de contribuer à la vie économique de leur village et de leur
pays en générant des revenus et en créant des emplois. L’approche
centrée sur la famille postule que chaque membre a un rôle à jouer Une approche axée sur la famille pour des marchés agricoles fructueux
dans l’exploitation agricole, dans la sécurité alimentaire et la bonne Par T. Apa, I. Boto, C. Addison et al.
nutrition de la famille. Pour WIBDI, tout commence par les femmes, ce CTA, 2019, 8 p.
qui suppose que leurs époux les soutiennent. Pour télécharger le PDF : https://tinyurl.com/yxlnl8yr
SPORE 195 | 43
OPINION
44 | SPORE 195
RUPERT SCOFIELD
L’indispensable complémentarité
de solutions non virtuelles
des femmes. De plus, des initiatives ont nettement moins de chances que
Rupert Scofield,
président, PDG et comme FarmDrive démocratisent l’ac- les hommes de posséder des terres. Et
cofondateur de FINCA cès aux prêts et aux services financiers, comme les agricultrices sont rarement
International en veillant à ce que les petits exploitants propriétaires de titres fonciers, il leur
puissent demander un prêt, obtenir une manque les garanties nécessaires pour
cote de solvabilité en temps réel, gérer avoir accès aux prêts et aux finance-
Les solutions numériques dans le leur portefeuille et accéder à des ana- ments bancaires.
secteur agricole ont des implications lyses de données approfondies à partir Pour aider les femmes, les outils
considérables pour les femmes en de leur téléphone. Pour les agricultrices numériques doivent s’accompagner
Afrique. africaines, ce modèle alternatif d’éva- de solutions complémentaires non
Ignitia, une société faisant partie de luation de la solvabilité de FarmDrive virtuelles. C’est ce que font de nom-
l’initiative FINCA Ventures, fournit des peut changer la donne. breuses entreprises sociales. Meridia,
prévisions météorologiques très précises Ceci dit, les outils numériques à eux par exemple, s’emploie à rendre la pro-
et accessibles, qui aident les 95 % de petits seuls ne suffisent pas pour développer priété foncière plus équitable au Ghana
producteurs dépendants de l’agriculture les agroentreprises de femmes à grande et au Malawi en associant technolo-
pluviale à prévoir les phénomènes clima- échelle, s’ils ne tiennent pas compte gie de géolocalisation et validation de
tiques tropicaux. Ignitia travaille avec six des nombreux obstacles auxquels sont documents juridiques. En Zambie, Good
opérateurs de réseau mobile en Afrique confrontées les agricultrices. Le princi- Nature Agro, une société dans laquelle
de l’Ouest, leur donnant ainsi accès à pal étant le niveau inégal d’instruction a investi FINCA Ventures, propose des
100 millions d’abonnés. Les prévisions – tant financière que numérique – entre services de vulgarisation qui triplent
sont envoyées aux abonnés via des mes- les sexes. Selon l’Union internationale les revenus nets des petits exploitants,
sages (SMS) faciles à lire, utilisables sans des télécommunications, l’Afrique est tout en collectant des statistiques sur les
smartphone et compréhensibles par des le seul continent où l’écart numérique agriculteurs à l’aide de l’outil de gestion
personnes peu instruites. entre les hommes et les femmes s’est des données agricoles Smallholdr.
Les paiements mobiles et les pos- creusé depuis 2013. Pour développer les agroentreprises
sibilités de financement basées sur le Les femmes font aussi face au pro- de femmes, il ne suffit donc pas de
numérique peuvent aussi aider les petits blème des droits fonciers locaux. Alors leur offrir une solution numérique. Il
exploitants. D’après une étude de 2016, que celles-ci sont surreprésentées dans faut aussi remédier aux obstacles aux-
les services de paiement mobile au le secteur agroalimentaire, les agroentre- quels elles sont confrontées, en termes
Kenya contribuent à la réduction de la prises détenues par des femmes sont d’adoption et d’utilisation d’un produit
pauvreté, en particulier dans les ménages rares : moins de 15 % des propriétaires ou service, aux défis tout au long de la
dirigés par une femme, tout en élargis- de terres agricoles sont des femmes. chaîne de valeur, ou aux obstacles systé-
sant le choix d’activité professionnelle En Afrique subsaharienne, les femmes miques dans la société en général. ■
Sondage
Autres débats
Les solutions numériques suffisent-elles
Visitez les pages Opinion sur
pour développer les agroentreprises de femmes ? le site de Spore pour lire l'avis
d'un troisième spécialiste sur
le sujet. Un nouveau débat est
Oui 71 % mis en ligne tous les mois.
Non 29 % https://spore.cta.int/fr/opinions
SPORE 195 | 45
“Ça a été vraiment satisfaisant de travailler
pour Spore. J’espère que le site web restera
accessible parce que les articles sont très
instructifs, éducatifs et seront très pertinents/
utiles aux lecteurs pour des années. Je suis
ravi d’y avoir contribué – merci énormément
à tous.”
Oluyinka Alawode (correspondant Spore), Nigeria
EPUBs de Spore
Spore est désormais disponible en format EPUB sur Apple iTunes. Tous les numéros de Spore, dont le plus récent, sont accessibles
sur https://tinyurl.com/v4zr5zf. Vous pouvez aussi lire Spore sur Google Books à l’adresse https://play.google.com/store/books/author?id=CTA
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46 | SPORE 195
SPORE 195 | III
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