Vous êtes sur la page 1sur 48

INNOVATION ET IMPACT INTERVIEW AGRI-FINANCE

Retour sur l’héritage Edward Mabaya : Des solutions d’avenir


et l’influence de Spore “La numérisation agricole est pour le crédit et le financement
un processus complémentaire”

D e r ni er numéro

N°195 | Décembre 2019 - Février 2020

spore.cta.int

IA

Te c h n o l o g i e   n u m é r i q u e

COMMENT L’INTELLIGENCE
ARTIFICIELLE TRANSFORME
L’AGRICULTURE
Le développement agricole et agroalimentaire analysé et déchiffré
Briefings de
Bruxelles sur le
développement
Sensibiliser la communauté du
développement ACP-UE depuis 2007 aux
défis agricoles et ruraux d’aujourd’hui

www.bruxellesbriefings.net
Les Briefings de Bruxelles sont une initiative du CTA et de ses partenaires :
la Commission européenne (DG DEVCO), le Secrétariat ACP, le Comité des
Ambassadeurs ACP et la confédération CONCORD.
SOMMAIRE

ÉDITORIAL
N°195 Le dernier numéro de Spore
TENDANCES
4 | Retour sur l’héritage
et l’influence de Spore
– un héritage durable
ENTREPRENEURIAT Michael Hailu, directeur du CTA
8 | À Sainte-Lucie, des jeunes champions
du champignon
9 | Le prêt- à-manger séduit à Cotonou Cet éditorial de Spore est le dernier que j’écris.
Mon mandat de directeur du CTA s’achève en effet
SMART TECH & INNOVATION fin février 2020. Malheureusement, ce numéro est
10 | Du crowdfunding pour les producteurs aussi le dernier d’un magazine publié pendant
ivoiriens
11 | L’apprentissage automatique 34 ans sans interruption : avec la fin de l’accord de
pour des conseils en agronomie Cotonou entre l’UE et les pays ACP, le cadre
financier et légal dans lequel opérait le CTA, et donc Spore, se termine.
AGRICULTURE Pendant les dix ans où j’ai été directeur du CTA, j’ai rencontré
CLIMATO-INTELLIGENTE d’innombrables partenaires qui me disaient apprécier particulièrement
12 | Relancer le café de qualité Spore, une précieuse source d’information pour leur travail. Le
pour les producteurs du Zimbabwe
13 | Des sols restaurés par des intrants bio magazine a joué un rôle important dans l’échange de connaissances et
le partage de diverses opinions, tout en faisant découvrir aux lecteurs
INTERVIEWS les évolutions les plus récentes dans le domaine de l’agriculture.
14 | Edward Mabaya : “La numérisation Spore a servi de base à la conception de nouveaux programmes
est un processus complémentaire” d’enseignement et de matériels de formation et a contribué à la
16 | Parmesh Shah : Pour des technologies
agroalimentaires de rupture création de nouvelles activités entrepreneuriales et entreprises, tout en
permettant à de nombreux lecteurs de se tenir au courant de l’actualité

17 | Dossier
agricole. Des agents de vulgarisation qui ont accédé à des postes à
responsabilités m’ont dit avoir tout autant apprécié Spore lorsqu’ils
Technologie : l’intelligence artificielle travaillaient sur le terrain que depuis que leurs fonctions sont davantage
transforme l’agriculture axées sur le conseil et la prise de décisions.
Spore a été un magazine respecté pour les perspectives et les

29 | Agribusiness
innovations qu’il a fait découvrir, ainsi que pour sa contribution
à l’échange de bonnes pratiques entre praticiens des pays ACP.
Pour beaucoup de lecteurs, le magazine fait partie du paysage de
DÉBOUCHÉS COMMERCIAUX l’agriculture. Ces dernières années, avec l’arrivée d’une version
30 | Au Nigeria, la révolution des graines
de caroube
numérique du magazine, nous avons veillé à proposer les articles dans
31 | Une herbe locale à la place du plastique divers formats. Nous voulions que Spore soit accessible à un public plus
en Ouganda jeune et davantage adepte du numérique, sans pour autant négliger
notre lectorat traditionnel.
SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES Il n’est pas toujours évident de mesurer l’impact profond d’une
32 | Au Kenya, une ferme-école en lien
avec le marché publication sur une longue période, mais nous savons que Spore
33 | Des fermes verticales pour des revenus est reconnu et apprécié pour la qualité de son journalisme agricole
en hausse dans les pays ACP et pour la possibilité offerte à un réseau de
correspondants francophones et anglophones de publier des
34 | FINANCE & ASSURANCE
Crédit : des partenariats d’avenir
reportages et des témoignages du terrain. Grâce à nos tribunes
mensuelles, nous avons stimulé le partage de points de vue
36 | COMMERCE & MARKETING d’organisations respectées. Enfin, nos interviews exclusives ont permis
Échanges intra-africains : à des experts de haut niveau et à des praticiens de l’agriculture et de
tendances et opportunités l’agroalimentaire de faire connaître leurs opinions et idées.
Je suis sûr que vous serez beaucoup à regretter notre magazine. Au
38 | LEADERS EN AGRIBUSINESS
Isaac Sesi : “Soyez persévérant, le CTA, nous nous réjouissons d’avoir participé à des débats critiques sur
succès ne se construit pas en un jour” des thèmes clés en rapport avec la transformation agricole, par le biais
de cette publication. Spore laisse un héritage durable.
40 | PUBLICATIONS Ce fut un honneur et un privilège pour moi d’avoir été associé à
Spore pendant si longtemps.
44 | OPINION

PHOTO DE COUVERTURE : © NICOELNINO/ALAMY STOCK PHOTO & PERRINE POTHIER/INTACTILE DESIGN SPORE 195 | 3
TENDANCES

I N N O VAT I O N E T I M PA C T

Retour sur
l’héritage et
l’influence de Spore
En 34 ans de publication, Spore s’est installé dans le paysage agricole
comme une référence au service d’une transformation durable. Dans
ce dernier article Tendances, nous revenons sur l’héritage légué par le
magazine phare du CTA et son évolution d’un simple bulletin technique
à une publication exhaustive en ligne et sur papier.

Susanna Cartmell-Thorp

À
son apogée, la version papier de magazine aussi, passant d’un bulletin Nigeria, en citant un article spécifique
Spore était distribuée à plus de fournissant des conseils de production sur un projet au Kenya, présenté dans
60 000 abonnés (organisations agricole à une publication offrant une le numéro de juin/juillet 2012 (n° 159).
et individus) des pays ACP et touchait couverture approfondie des sujets et L’information l’a aidé à concevoir son
un lectorat encore plus vaste. En 2015, enjeux qui concernent l’agrobusiness projet de recherche visant à permettre
une évaluation indépendante affirmait et l’agriculture durable et sont cruciaux aux petits agriculteurs d’utiliser plus
que “le magazine Spore a amélioré les pour la transformation de l’agriculture. efficacement et sûrement les pesticides.
connaissances et compétences de ses “Le contenu de Spore est riche et varié. “Ce projet en cours aura un impact
lecteurs du monde entier. Les nouvelles J’aime en particulier le Dossier qui traite positif sur les utilisateurs de ces subs-
connaissances acquises ont augmenté d’un problème de manière rigoureuse tances chimiques, car il encouragera les
à long terme leurs compétences et leur et détaillée et donne ainsi beaucoup bonnes pratiques agricoles et améliorera
effet s’est propagé bien au-delà des d’informations, ce qui favorise chez le la santé des agriculteurs”, soulignait le
bénéficiaires directs puisque la plupart lecteur une réflexion plus générale sur chercheur.
partagent le magazine, souvent avec plus les enjeux agricoles”, expliquait ainsi

1 500
de cinq personnes”. Souleymane Nacro, chercheur à l’Insti-
D’abord publié sous la forme d’un bul- tut de l’environnement et de recherches
letin à partir de 1986, Spore a été lancé en agricoles du Burkina Faso, lors d’un
individus et organisations du
anglais et français trois ans après la créa- atelier de lecteurs de Spore en 2015.
Sud-Kivu, en RDC, recevaient Spore
tion du CTA. Pour son premier numéro, L’étude menée à l’époque a montré que
en 2014, contre 100 en 2010, après
l’objectif affiché du bimensuel était le Spore servait à de multiples usages : pour
que le CTA a noué un partenariat
suivant : “Plutôt que de promouvoir le diffuser connaissances et améliora-
de diffusion avec Proximédias Libres
CTA, Spore vise à favoriser une diffusion tions pratiques des méthodes agricoles,
aussi large que possible d’informations comme activateur de nouvelles entre-
pertinentes pour le monde agricole, afin prises d’agrobusiness. En 2010, le numéro de juin/juillet
de fertiliser les idées et de les faire ger- “Je vous écris pour vous indiquer à 2010 de Spore (n° 147) comprenait un
mer. C’est de cette manière terre-à-terre quel point votre publication m’a inspiré court article sur un élevage de cailles en
que Spore espère participer au processus et guidé dans mes recherches”, déclarait plein essor au Cameroun. L’information
du développement rural.” dans un message au CTA John Gushit, a attiré l’attention de Thomas Munyoro,
En trois décennies, la vision mondiale chargé de cours à la Faculté des sciences un policier kényan à la retraite et leader
du développement agricole a évolué. Le naturelles de l’Université de Jos, au de l’ONG 2010 Strategic Self-Help Group.

4 | SPORE 195
© EDOUARD SANGO/MEDIAPROD
Pendant 34 ans, Spore a fourni aux petits
producteurs des pays ACP des informations
sur les derniers développements en agriculture Soutenir la passion journalistique
afin de les aider à augmenter leur productivité
et leurs revenus. Correspondant de longue date de Spore, je peux dire que le
soutien du CTA m’a permis de devenir journaliste agricole. Il y a
plus de 20 ans, j’ai suivi une première formation en radio pour être
Le retraité a fait circuler l’article au sein correspondant sur les dossiers de ressources des radios rurales (RRRP). Cela m’a
de la fédération nationale des produc- permis de faire des reportages sur l’agriculture en Afrique et le rôle des petits
teurs agricoles du Kenya. “Mes collègues agriculteurs dans la culture, la transformation et la commercialisation des produits
et moi-même élevions des lapins, mais, alimentaires. C’est ainsi que j’ai développé des programmes radio qui ont été diffusés
comme ils attrapaient toutes sortes de gratuitement dans toute l’Afrique. Ces programmes étaient souvent partagés sur
maladies, nous explorions d’autres acti- cassettes et CD-Rom au sein des clubs d’agriculteurs. Certains d’entre eux m’ont
vités”, se rappelle-t-il. L’article de Spore dit que ces informations leur avaient permis de diagnostiquer les maladies de leurs
les a conduits à trouver à Nairobi un cultures et animaux et de chercher des traitements. Il s’agissait d’une aide de poids
producteur de cailles pour les approvi- lorsque leur accès à des conseillers en vulgarisation était limité.
sionner en poussins et leur permettre Lorsque les RRRP ont cessé d’être produits, ma longue association avec le CTA
de créer une entreprise de vente d’œufs m’a donné l’occasion de devenir correspondant pour Spore. Cette expérience a
de caille, très demandés pour leurs pro- été très instructive et m’a permis de combiner des recherches scientifiques en
priétés médicinales. Thomas Munyoro agriculture, des récits d’agriculteurs, la vérification et l’analyse des faits et une
est vite devenu propriétaire de plus de certaine créativité. La couverture de conférences majeures parrainées par le CTA
100 cailles pondeuses et son entreprise et la rédaction d’articles sur le travail du CTA dans les pays ACP ont également
a prospéré. affûté mes compétences en écriture et permis aux agriculteurs de partager leurs
expériences avec un vaste public. Ce travail – qui a été publié en ligne et sur papier,
Élargir la portée de Spore dont des organes de presse internationaux comme Inter Press Service – a amélioré
En tant qu’institution modeste mais mon profil professionnel. J’ai ainsi été invité à arbitrer les grands prix 2018 et 2019
dotée d’un large mandat, le CTA a de la Fédération internationale du journalisme agricole (FIJA), et en juillet 2019 j’ai
noué des partenariats intelligents avec reçu une bourse de la FIJA conçue pour offrir un perfectionnement professionnel,
des organisations d’agriculteurs, des une formation au leadership et des opportunités de réseautage à des journalistes
organismes gouvernementaux, des agricoles des pays en développement.
réseaux de recherche, des groupes de
jeunes et de femmes et des représen- Busani Bafana
tants du secteur privé. Des partenariats ›

SPORE 195 | 5
TENDANCES

› stratégiques ont aussi participé à la TIC en agriculture et à la valeur ajoutée toujours un allié précieux dans mon
diffusion de Spore, en particulier pour aux produits agricoles rend le secteur travail de conseiller du gouvernement…
élargir la portée de sa version imprimée. agricole congolais de plus en plus et me permet de me tenir au courant des
Le magazine peut s’enorgueillir d’avoir attractif pour les jeunes et stimule leur derniers développements en matière
touché des endroits où d’autres ont eu intérêt pour l’agriculture.” d’agriculture.”
du mal à conquérir un lectorat, tel le Suite à ce succès, le CTA a développé En 2006, pour les 20 ans du magazine,
Sud-Kivu, en République démocratique un partenariat au Cameroun avec le l’équipe de rédaction a retrouvé certains
du Congo (RDC), une région fortement journal mensuel La Voix du Paysan/ des lecteurs qui avaient manifesté leur
affectée par les conflits armés pendant The Farmers’ Voice, qui distribuait Spore intérêt pour Spore en 2001, à l’occasion
la période 1998-2003 et où les commu- gratuitement. C’est ainsi qu’entre 2010 d’une enquête de lectorat. Tibi Guissou,
nications sont restées difficiles même et 2013 le nombre d’abonnés recevant microbiologiste à l’institut d’agriculture
des années plus tard. Spore est passé de 3 000 à plus de 7 500. INERA, a indiqué qu’il citait fréquem-
Malgré les connexions Internet Les enquêtes de lectorat au Cameroun ment Spore dans ses articles pour des
faibles ou mauvaises au Sud-Kivu, le ont montré que le magazine fournissait magazines spécialisés. “Contrairement
CTA a conclu un accord de distribu- à plus de 50 % des personnes inter- à d’autres publications trop axées sur un
tion de Spore avec Proximédias Libres, rogées des informations utiles sur le sujet unique, l’approche de Spore est plus
une entreprise locale disposant d’un développement agricole et rural dans le multidisciplinaire”, expliquait le cher-
bon réseau de partenaires. Avant le monde entier et dans les pays voisins. cheur. Pour le Dr Frank E. Lawrence, un
lancement du partenariat en 2010, Par ailleurs, environ 16 % ont bénéficié écologiste de Jamaïque, “Spore est l’une
Spore ne comptait que 100 abonnés au des renseignements techniques propo- des sources les plus utiles pour trouver
Sud-Kivu. En 2014, ils étaient 1 500, sés et 10 % des références et adresses des informations sur les moyens d’aider
des individus, mais aussi des ONG, des utiles. En Ouganda, une enquête de et de motiver les petits producteurs”.
églises, des clubs de radio, des écoles lectorat semblable a fourni de nom- Ces dernières années, pour répondre
et des services gouvernementaux. Les breux exemples d’activités spécifiques aux demandes d’un public plus axé sur
magazines étaient envoyés à la capitale inspirées par Spore, en particulier sur le numérique et attirer un lectorat plus
régionale, Bukavu, et distribués par les pratiques après récolte, le biogaz, jeune, les articles étaient publiés en
autobus, motocyclette et pirogue, cer- la culture fruitière, la pisciculture et la ligne, en plus de la version papier trimes-
tains exemplaires étant aussi diffusés production légumière. trielle. Le contenu numérique augmenté
par des stations de radio et des églises. propose un plus grand nombre d’articles
“Je suis un lecteur assidu de votre Évoluer avec son temps publiés sur le site web de Spore, un bul-
magazine, il nous apporte beaucoup, à Spore a toujours privilégié l’interaction letin bimensuel et une présence active
moi et à ma petite communauté d’étu- avec ses lecteurs et l’échange d’idées. sur les réseaux sociaux. Depuis 2017,
diants”, a fait part Arsène Birindwa, un Dans le numéro de décembre 2012/ Spore est aussi disponible sous forme
lecteur de la région. “Je suis convaincu janvier 2013 (n° 161), un lecteur écri- d’ePub sur les principales plateformes
que la sensibilisation à l’utilisation des vait ainsi : “Votre magazine a été et est d’e-lecture (Amazon, Apple et Google).

Nombre de personnes recevant Spore Comment les lecteurs utilisent Spore

60 000 64 833 Une source d’information sur les tendances actuelles


dans l’agribusiness et l’agriculture durable

50 000 89 %

40 000 Une source d’inspiration pour mon travail

63 %
30 000
30 600
27 884 Un matériel de plaidoyer en faveur de changements dans mon domaine
20 000
22 654 43 %

10 000
11 881 Un outil pour promouvoir mon travail auprès d’un large public

6 000 33 %

2015 Abonnés Utilisateurs Abonnés


2019 au magazine papier du site web à la newsletter 20 % 40 % 60 % 80 %
SOURCE : CTA, 2019 SOURCE : CTA, 2018

6 | SPORE 195
À son apogée, les exemplaires papier de Spore
étaient distribués à 60 000 abonnés des pays ACP.

Une approche transformatrice


La mise en lumière de l’impact et
de l’innovation en agriculture est un
axe essentiel des articles de Spore, qui
s’articule autour de trois domaines
thématiques cruciaux pour la transfor-
mation agricole : l’entrepreneuriat, la
numérisation pour l’agriculture et l’agri-
culture intelligente face au climat (AIC).
Pour compléter les analyses approfon-
dies, de courts articles thématiques,
reportages et interviews sont rédigés
par un réseau de correspondants ACP.
Plusieurs de ces correspondants (voir
l’encadré) ont reçu le soutien du CTA
tout au long de leur parcours journalis-
tique et dans les médias, y compris par
des formations à la diffusion radio et à la
presse écrite.
Si les lettres sur papier ont disparu,
les réseaux sociaux de Spore sont très
utiles pour interagir avec lecteurs et
collaborateurs.

Le tweet sur la présentation de

© KUDZANAI CHIMHANDA/CTA
Talash Huijbers, une jeune
entrepreneuse, a été très repris :
“Avez-vous mangé des insectes
aujourd’hui au déjeuner de
Huijbers sont deux des remarquables les rendements ont augmenté jusqu’à
l’#AGRF2019 ? Excellente entrepreneurs présentés dans Spore. 100 % (voir Au Kenya, une ferme-école en
présentation sur l’#économie Nous aurions aussi pu citer Ngabaghila lien avec les marchés).
Chatata, de Thanthwe Farmers
circulaire de @HuijbersTalash (https://tinyurl.com/tyyqcb6). En Des adieux chaleureux à nos lecteurs
favorisant les approches d’AIC, C’est avec beaucoup de tristesse que
et sur l’utilisation d’#insectes Ngabaghila Chatata a transformé sa l’équipe de Spore prend acte de la fin
pour l’#alimentation du bétail.” ferme horticole en centre d’agroentre- de l’aventure du magazine. Les articles
prises qui sert annuellement archivés continueront à être accessibles
d’incubateur pour plus de 3 000 jeunes en ligne. L’actuelle équipe de rédaction
En tant qu’équipe de rédacteurs et petits agriculteurs et produit toute et ses correspondants ACP sont fiers
et d’éditeurs, nous nous sommes fait l’année plus de 100 tonnes de fruits et d’avoir contribué à écrire l’histoire de
l’écho du dynamisme de jeunes entre- légumes de grande qualité pour appro- Spore, publié des articles sur un aussi
preneurs comme ceux-ci. L’interview visionner les hôtels et supermarchés vaste éventail de sujets et travaillé en
d’Isaac Sesi, dans la section Leaders du Malawi. Ce numéro présente aussi le réseau avec de nombreux partenaires
en agribusiness de ce numéro, reflète parcours de Rodgers Kirwa, un Kényan et organisations. Nous vous remercions,
bien l’énergie et l’enthousiasme des de 28 ans, qui utilise les profits de ses vous, nos lecteurs : sans votre soutien et
jeunes pour transformer l’agriculture. récoltes pour proposer, au sein de sa intérêt pour les informations proposées
En partageant cette interview sur ferme-école iAgribiz Africa Model par Spore, le magazine n’aurait pas existé
LinkedIn, Isaac Sesi a reçu plus de 250 Farm, des formations à plus de 2 000 aussi longtemps. Spore s’arrête mais
réactions en une semaine. Lui et Talash agriculteurs locaux, grâce auxquelles lègue à tous un héritage durable. ■

SPORE 195 | 7
ENTREPRENEURIAT

IMPORTATION ALIMENTAIRES

À Sainte-Lucie, des jeunes champions


du champignon
Des technologies de contrôle de la température et des techniques agricoles
durables ont permis à la coopérative Marquis River Farm de substituer
aux importations de champignons une production nationale.

Natalie Dookie

P
our alléger la facture des impor-
tations de fruits et légumes de
Sainte-Lucie et remédier au
taux de chômage élevé des jeunes dans
la région, le philanthrope Peter Dillon
a fondé en 2014 Marquis River Farm,
une coopérative gérée par des jeunes.
En plus de fournir les terres et le capital
nécessaires pour lancer la coopérative,
Peter Dillon et son épouse Patie ont
formé 15 jeunes hommes et femmes

© JO BOXALL
sans emploi à pratiquer l’agriculture
de manière rentable. La coopérative
est basée sur un modèle de participa- Une coopérative gérée par des jeunes vend
tion aux bénéfices et de gestion par jusqu’à 900 kg de champignons par semaine à
les travailleurs. Les profits nets sont Sainte-Lucie.
répartis de trois manières : rembour-
sement du prêt de démarrage sans betterave. Par ailleurs, Marquis River
intérêt, alimentation des économies de Farm a récemment commencé à pro-
l’exploitation, et partage des bénéfices duire un extrait d’algues liquide à partir
entre les travailleurs. 680-907 kg/semaine de sargasse, une algue présente dans la
Peter Dillon a créé la marque Simply région et qui constitue une nuisance
Mushrooms afin de réduire les importa- de champignons sont vendus pour la vie côtière. Avec une production
tions de champignons. Le pays en achète par Marquis River Farm d’engrais à base d’algues de 1 360 litres
en effet pour 0,19 million d’euros par an. par mois, l’exploitation est en bonne
Aux débuts de sa production en 2014, pressions environnementales dues au voie vers l’autosuffisance.
la demande locale était de 205-227 kg climat tropical”, explique Peter Dillon. “Ce projet est rentable, mais il est
par semaine, contre 680-907 kg par “Installés à proximité les uns des aussi durable, modulable et évolutif, ce
semaine aujourd’hui. Les variétés culti- autres et sur des fondations solides, les qui le rend facile à mettre en œuvre. La
vées sont le champignon de Paris blanc conteneurs sont également résistants substitution des importations agricoles
(40 %), le champignon de Paris brun aux ouragans. Les climatiseurs sont s’accompagne de nombreux avantages,
ou cremini (40 %) et le champignon alimentés par l’énergie solaire, ce qui comme des économies de devises
portobello (10 %). Simply Mushrooms a fait baisser la facture d’électricité de étrangères et une hausse de l’emploi,
vend principalement aux restaurants, l’exploitation de 8 000 EC$ (2 704 €) à en particulier dans les régions rurales
aux hôtels et aux ménages privés, ainsi 4 000 EC$ (1 352 €) par mois.” et pour les jeunes et les femmes”,
qu’aux supermarchés locaux. Depuis Les trois tonnes de déchets générés par justifie-t-il. Le philanthrope cherche
2018, Sainte-Lucie a cessé d’importer la production de champignons sont uti- désormais des investisseurs pour repro-
des champignons. lisées comme compost pour cultiver des duire ce modèle de coopérative en vue
“Les champignons sont cultivés légumes-feuilles et des micropousses, de produire des champignons bio à
dans des conteneurs réfrigérés équipés comme de la roquette et des pousses Antigua-et-Barbuda, Grenade et Saint-
de climatiseurs, ce qui les protège des de pois, de radis, de moutarde et de Vincent-et-les-Grenadines. ■

8 | SPORE 195
TRANSFORMATION

Cotonou séduit par des légumes frais


prêts à être cuisinés
En s’attaquant à un problème de pertes post-récolte, le jeune Aldred Dogue a
découvert le marché des légumes prêts à l’emploi. Son entreprise Africa Foods
Mill répond à une demande croissante.

Inoussa Maïga

À
Cotonou, Africa Foods Mill, l’en- il a décroché un prix de la Chambre de rentrer en contact avec une société qui
treprise d’Aldred Dogue (23 ans), commerce du Bénin, accompagné de pourra me fournir des emballages qui
commercialise des légumes frais 500 000 FCFA et d’une aide à travers un valoriseront au mieux mes produits”,
nettoyés, découpés et surgelés prêts pour cabinet comptable pendant six mois. En assure-t-il.
emploi dans une vingtaine de supermar- 2018, il s’est vu décerner le prix Anzisha Dans un avenir proche, Africa
chés. “Mes clients sont surtout des gens d’une valeur de 7 500 USD (6 800 €). Foods Mill espère mobiliser environ
qui travaillent, qui font leurs courses Avec ces aides matérielles et techniques, 280 000 USD (253 600 €) pour l’instal-
dans les supermarchés et qui ont un cer- il espère faire prochainement construire lation de son usine. “Actuellement, nous
tain pouvoir d’achat”, dit Aldred Dogue. sa propre usine. faisons presque tout manuellement, donc
“J’ai commencé avec la carotte, le Aldred Dogue ne perd pas de vue les le rendement n’est pas encore à la hau-
haricot vert et le chou. J’ai réalisé des défis qui lui restent à relever. “Je n’ai teur de la demande. Je veux aussi pouvoir
prototypes de produits que je suis allé pas encore l’emballage que je souhaite commencer à transformer les fruits
proposer à des supermarchés. À mes avoir. Quand je compare avec des pro- comme la mangue, l’ananas en fruits
débuts, je transformais à peine 200 kilos duits importés, je trouve que ce n’est séchés et en jus”, explique Aldred Dogue.
par mois”, explique-t-il. pas encore ça. L’objectif est de pouvoir Il ambitionne ainsi d’entrer sur le marché
Deux ans après son lancement en nigérian avec ses légumes dans les cinq
2017, Africa Foods Mill transforme Fondée par Aldred Dogue, l’entreprise Africa prochaines années. “J’ai prévu d’acquérir
chaque mois près de deux tonnes de Foods Mill travaille avec 300 petits des camions frigorifiques pour cela. Et
légumes achetés auprès d’environ producteurs pour fournir les supermachés en au bout de 8-10 ans je répliquerai mon
300 petits agriculteurs regroupés dans légumes prêts à être cuisinés. modèle dans d’autres pays.” ■
quatre coopératives. “Nous avons un
contrat. Je suis un client régulier pour
ces agriculteurs. On s’entend sur un
prix qui les arrange et qui m’arrange”,
indique Aldred Dogue.
En parallèle de ses études en nutrition
et technologies alimentaires à l’Univer-
sité d’Abomey-Calavi, Aldred Dogue
travaillait avec des agriculteurs, qui lui
ont demandé de les aider à réduire leurs
pertes post-récolte. “J’ai fait une étude
de marché et j’ai réalisé qu’il y avait un
potentiel pour des légumes prêts pour
emploi”, explique le jeune entrepreneur,
© ADONIS DOGUE/AFRICA FOODS MILL

qui a commencé en achetant à ces pro-


ducteurs leurs légumes invendus pour
les transformer.
Aldred Dogue compte déjà plusieurs
distinctions nationales et internatio-
nales. En août 2017, soit trois mois
après le lancement d’Africa Foods Mill,

SPORE 195 | 9
SMART TECH & INNOVATION

© SEEKEWA
B O N S D ’A C H AT

Du crowdfunding
pour soutenir
les producteurs
En Côte d’Ivoire, la plateforme Seekewa
propose à des consommateurs de soutenir
financièrement des petits producteurs en
échange de prix d’achat de leurs récoltes
avantageux.

Sophie Reeve et Vincent Defait Des consommateurs ou des organisations soutiennent des agriculteurs
ivoiriens via la plateforme de crowdfunding Seekewa.

E
n Côte d’Ivoire, une plateforme communautaire permet à partenariats avec des fournisseurs qui nous font des prix de
des consommateurs et des organisations internationales gros très avantageux”, explique Fréderic Zamblé, directeur
de financer à taux zéro des agriculteurs, en échange de général de Seekewa.
prix d’achat de leurs récoltes inférieurs à ceux du marché. À Brihiri, dans le sud du pays, Sanogo Awa et son mari culti-
Fondée par les frères Frédéric et Serge Zamblé, l’entreprise vaient une parcelle de riz, trop petite pour vivre correctement.
aide des petits producteurs à créer un profil sur la plateforme, “J’avais besoin d’étendre mon champ d’un hectare”, dit-elle.
détaillant leur projet et leurs besoins matériels et financiers. Seekewa lui a permis de mobiliser les fonds nécessaires à
Les investisseurs achètent des bons d'achat pour un l’achat d’une parcelle en plus et de bénéficier d’un suivi
montant minimum de 25 USD (22,85 €), convertis pour améliorer sa productivité. “J’ai plus de bénéfices
en points. Seekawa utilise ensuite les crédits obte- 102 et je peux aider à mon tour ma communauté.”
nus pour financer des biens (machettes, engrais, projets ont été
etc.) et services (formation, conseils), donnés financés en Des bons d’achat pour une école ou un hôpital
gratuitement aux agriculteurs. Les producteurs Côte d’Ivoire via Entre 2018 et 2019, Seekewa a financé 102 pro-
ont jusqu’à 12 mois pour les rembourser. Les Seekewa jets individuels pour un montant de 80 000 €
points sont rétrocédés au contributeur si le projet levés auprès d’une cinquantaine de particuliers
ne parvient pas à réunir la somme demandée. et des organisations comme l’assureur ASCOMA, la
Seekewa a d’abord démarché les coopératives du pays. Compagnie ivoirienne d’électricité, la coopération alle-
Lorsqu’un producteur est intéressé, un enquêteur Seekewa se mande, l’Organisation internationale pour les migrants. Un
rend sur place pour évaluer ses besoins et le potentiel retour contributeur a le choix, depuis peu, de faire bénéficier une
sur investissement à travers l’analyse des sols, l’évaluation des école ou hôpital, par exemple, de la récolte d’un agriculteur
compétences de l’agriculteur, la facilité d’accès à sa parcelle, financé par ses bons d’achat. Il n’est donc pas nécessaire de
la présence d’un point d’eau ou d’un dispositif d’irrigation, etc. séjourner en Côte d’Ivoire pour profiter de Seekewa.
“L’enquêteur utilise notre application, Seekewa Insight, qui Seekewa emploie sept personnes et cinq contractuels. “Nos
comprend un questionnaire, pour établir le profil et les com- deux principales sources de revenus sont les remises obtenues
pétences des agriculteurs. Pour qu’un projet soit éligible, il faut auprès de nos grossistes pour les achats des équipements et les
qu’il soit porté par un agriculteur qui en a les compétences. marges réalisées lors de la revente des récoltes”, détaille Serge
Nous nous assurons que le projet est faisable techniquement et Zamblé.
sera rentable économiquement”, indique Serge Zamblé, pré- L’objectif est, d’ici 2021, de financer au moins 1 500 projets et
sident de Seekewa. La start-up s’engage à racheter leur récolte de fournir en produits frais au moins 10 000 ménages en Côte
aux agriculteurs – riz, tomate, piment, aubergine et oignon – d’ivoire. “Nous pensons étendre nos activités la même année
pour la vendre à un prix avantageux aux contributeurs. au Bénin, au Nigeria et au Burkina Faso. D’ici cinq ans, nous
Avec les sommes collectées, la start-up achète les biens et voulons être le premier fournisseur de produits alimentaires
services dont ont besoin les agriculteurs. “Nous avons des frais en Afrique de l’Ouest”, ambitionne l’entrepreneur. ■

10 | SPORE 195
APPRENTISSAGE AUTOMATIQUE Appli
Des conseils agricoles et de Poissons surveillés
UNE SOCIÉTÉ KÉNYANE de

financement par téléphone technologie a conçu l’appli mobile


“Samaki” (“poisson” en swahili) pour
aider les pisciculteurs à surveiller l'état
de leurs étangs et à recueillir des
Au Kenya, une société de technologie financière fait appel données pour la tenue des registres
à l’apprentissage automatique, à la télédétection et les prélèvements quotidiens. Ces
données sont communiquées en
et à la technologie mobile pour fournir des conseils temps réel aux pisciculteurs, sur leur
et financements sur mesure. téléphone. La société Upande est
spécialisée dans la conception de
capteurs connectés et de caméras
qui surveillent les principaux
Bob Koigi paramètres de l’eau des étangs,
dont le niveau et la température,

D
le pH, la teneur en oxygène et la
epuis 2016, Apollo Agriculture Des appels à réponse vocale interac- concentration de nitrates. Des valeurs
soutient de petits producteurs de tive (IVR) préenregistrés fournissent des limites sont fixées pour chaque
maïs kényans grâce à des services conseils agricoles élaborés par l’équipe capteur et le pisciculteur est averti
regroupés de financement, d’assurance, d’agronomes d’Apollo Agriculture via les automatiquement par e-mail ou
de conseil et d’accès aux intrants. Pour téléphones des agriculteurs. Un centre SMS en cas d’anomalie. Les données
recevoir un prêt d’Apollo Agriculture, les d’appels gratuit est aussi disponible. peuvent aussi servir à déterminer le
agriculteurs envoient un message gra- Alfred Ayoko, cultivateur de maïs et rythme de croissance des poissons
tuit à un code USSD. L’entreprise utilise de haricots, a ainsi pu sauver son maïs et suivre la productivité de son
ensuite les données collectées par des lors d’une invasion de légionnaires d’au- exploitation.
agents de terrain et l’imagerie satellitaire tomne en 2018. “Quand les chenilles ont
pour déterminer la localisation et la taille commencé à dévorer notre production
de l’exploitation et créer un profil unique en triple vitesse, Apollo Agriculture nous
pour chaque agriculteur. Les données, a fourni des conseils sur la façon de gérer Vulgarisation
traitées par apprentissage automatique, ce ravageur par des pratiques simples
permettent à Apollo Agriculture d’éva- telles que les cultures intercalaires [plan- Des conseils à portée
luer automatiquement la solvabilité de tation de haricots au sein des cultures
l’agriculteur. Dès l’approbation du prêt, principales de maïs]”, se souvient-il. “De de main
celui-ci prend livraison de ses intrants plus, l’entreprise a agi rapidement pour
financés chez le fournisseur agroali- nous faciliter l’accès aux pesticides [via AU ZIMBABWE, l’application mobile
mentaire le plus proche. De plus, une un prêt complémentaire] de ses firmes Kurima Mari fournit aux agriculteurs
assurance couvre chaque prêt contre partenaires afin de juguler la propaga- des informations sur les avantages
d’éventuelles pertes de rendement. tion de l’insecte.” D’après lui, les appels et les inconvénients des différentes
vocaux ont comblé le vide laissé par les variétés de culture et des différents
© APOLLO AGRICULTURE

agents de vulgarisation, moins présents types de bétail, et sur les services


en raison de restrictions budgétaires. financiers. Les exploitants y trouvent
Benjamin Njenga, cofondateur aussi les coordonnées des négociants,
et directeur d’exploitation d’Apollo ce qui simplifie leur accès aux
Agriculture, explique que l’approche marchés. Depuis 2016, plus de 10 000
numérique de son entreprise a permis agriculteurs et 1 000 agents de
de réduire le coût du travail exigé pour vulgarisation se sont abonnés à cette
atteindre les agriculteurs, mais aussi application. Kurima Mari est également
d’en toucher un plus grand nombre une boîte à outils pour les agriculteurs,
en un laps de temps plus court. Apollo avec notamment des tutoriels. Ces
Agriculture commence à étendre ses outils complètent les services offerts
L’apprentissage automatique, l’imagerie activités à d’autres cultures, notamment par les agents de vulgarisation.
satellitaire et des processus numériques la pomme de terre et le sorgho, et conclut L'application est disponible en anglais,
permettent à Apollo Agriculture de fournir des des partenariats avec de nouvelles orga- en shona et en ndébélé, afin de faciliter
intrants, des conseils et des assurances aux nisations afin d’améliorer l’accès aux l’accès des communautés agricoles de
agriculteurs. marchés pour les agriculteurs. ■ l’ensemble du pays.

SPORE 195 | 11
AGRICULTURE CLIMATO-INTELLIGENTE

MÉTHODES DURABLES

Relancer le café de qualité


pour les producteurs du Zimbabwe
Des agriculteurs adoptent des techniques de gestion des terres durables et respectueuses
de l’environnement afin de relancer la production de café et de développer de meilleurs
moyens d’existence.

Tonderayi Mukeredzi

D
ans l’est du Zimbabwe, le pro- nous avons eu beaucoup de mal à relan- d'autres régions productrices, comme la
gramme de formation AAA cer la production de café, mais, grâce à Colombie et Porto Rico.
Sustainable Quality™ (2017- TechnoServe, nous avons découvert des D’après Yann De Pietro, en charge du
2021), mis en œuvre par Nespresso avec méthodes de production respectueuses développement durable et du numé-
l’entreprise TechnoServe, permet aux de l’environnement”, poursuit l’agricul- rique chez Nespresso, seuls 3 % des
petits producteurs de café d’améliorer teur. Selon lui, la production des petits caféiculteurs suivaient plus de la moitié
quantitativement et qualitativement caféiculteurs s’élève à 30 tonnes, contre des bonnes pratiques agricoles au début
leurs récoltes en adoptant des pratiques 10 tonnes en 2018. du projet. Au terme de la formation dis-
de gestion durable des terres comme “Avant, je transportais d’énormes sacs pensée en 2017 et 2018, la production de
l'agroforesterie. à dos contenant du produit à pulvéri- café de qualité destiné à l’exportation est
“Avant, nous épandions les engrais ser sur des cultures”, rapporte Miriam passée de 26 à 51 %. L’entreprise aurait
de manière aléatoire, mais nous avons Mwarazi, membre du groupe de caféi- acheté 20 tonnes de café aux petits
appris de nouvelles méthodes de nutri- cultrices Batanai. “On nous a appris les producteurs en 2018. “Ce projet ne se
tion du sol, notamment l’utilisation de techniques et les principes de la lutte contente pas de stimuler la production
compost”, explique David Muganyura, intégrée contre les nuisibles, notamment de quelques-uns des meilleurs cafés au
qui cultive du café depuis 30 ans sur l’utilisation de pièges à insectes. Je ne me monde, il crée aussi de nouvelles oppor-
une parcelle de deux hectares. Sous le sers donc plus des pulvérisateurs, qui tunités économiques dans des zones
couvert de bananiers, ses plants de café sont nocifs pour l’environnement.” La rurales du pays durement frappées par la
conservent un taux d’humidité suffisant technique de culture en terrasses a pro- crise”, affirme William Warshauer, PDG
et sont à l’abri des températures trop éle- tégé les parcelles contre les glissements de TechnoServe.
vées. “Pendant de nombreuses années, de terrain et l’érosion. “Nous avons aussi Par ailleurs, “nous avons créé, à
appris à utiliser le paillage, qui maintient l’échelon des groupes, des pépinières
Les caféiculteurs zimbabwéens utilisent de le taux d’humidité de nos cultures.” d’espèces d’ombre et d’espèces indi-
nouvelles méthodes durables de caféiculture Même s’il n’implique pas de contrat, gènes adaptées aux conditions locales”,
pour augmenter leur production de café. la participation au programme AAA explique Midway Bhunu, en charge de la
permet aux produc- coordination du programme Nespresso
teurs de vendre leur Zimbabwe Reviving Origins chez
café à Nespresso pour TechnoServe. “Ces espèces apportent
un prix plus élevé de l’ombre et cohabitent sans problème
s’ils pratiquent l’agri- avec les plants de café pendant les lon-
culture durable. Par gues périodes de sécheresse, lorsque
ailleurs, l’entreprise les précipitations sont insuffisantes et
devrait affecter plus de que les agriculteurs n’ont pas accès à
9 millions d'euros au l’irrigation.” Les 17 pépinières préparées
programme Reviving permettront de planter 5 000 arbres
Origins (“Revitaliser d'ombrage au début de la saison des
© TONDERAYI MUKEREDZI

les origines”) sur cinq pluies en novembre/décembre. Il a aussi


ans. L’objectif est de été proposé aux agriculteurs des ateliers
soutenir la produc- sur les techniques de récolte et de trans-
tion de café de qualité formation, afin qu’ils produisent le café
au Zimbabwe et dans de qualité recherché par Nespresso. ■

12 | SPORE 195
Muraille verte RÉSILIENCE

Contre la
désertification
Des sols restaurés
UNE MURAILLE D’ARBRES longue
de 8 000 km est en cours de
par des intrants bio
construction à travers une bonne
vingtaine de pays, du Sénégal à Des petits producteurs kényans bénéficient d’une
Djibouti, pour tenter de freiner formation aux bonnes pratiques de gestion des sols
l’avancée de la désertification du
Sahara. Dix ans après le lancement et à l’utilisation d’intrants 100 % biologiques. Résultat :
du projet, la muraille est réalisée à une résilience acrue au changement climatique.
hauteur de 15 %, avec 11,4 millions
d’arbres plantés rien qu’au Sénégal.
Au Burkina Faso, au Mali et au Niger,

© JAMES KARUGA
plus de deux millions de semences Sophie Reeve
de plus de 50 essences ont été mises

A
en terre. Cette barrière végétale
devrait stabiliser le sol et retenir u Kenya, des producteurs de
son humidité, ralentir les effets haricots, de café, de riz, de maïs
desséchants et abrasifs du vent, et et de fruits utilisent des intrants
créer un microclimat permettant des biologiques abordables pour améliorer la
cultures dans les zones proches des santé des sols et leur résilience au chan-
arbres. “C’est un mur d’espoir, un mur gement climatique. Ces intrants sont
de vie”, affirme Almoustapha Garba, composés de matières biodégradables,
ancien ministre de l’Environnement comme des extraits d’algues et de végé-
du Niger. taux, qui contribuent à équilibrer le pH
des sols, à améliorer le maintien de l’hu-
midité des sols et à stimuler leur fertilité. KOFAR envisage d’étendre ses formations
Depuis 2016, plus de 20 000 agri- et la vente de ses produits à tout le Kenya
Maïs culteurs ont suivi une formation aux et à l’ensemble de l’Afrique de l’Est.
bonnes pratiques de gestion des sols et
Variétés résistantes à l’utilisation de ces intrants biologiques. des stimulateurs de croissance et des
Cette initiative a permis aux producteurs oligoéléments essentiels spécifiques,
à la sécheresse de bananes et de café de doubler leurs qui améliorent la santé des végétaux et
rendements. Les producteurs de hari- diminuent leur stress.
LES AGRICULTEURS éthiopiens cots, de riz et de maïs ont enregistré une “Ce qui me motive dans mon travail,
abandonnent progressivement augmentation d’au moins 40 % de leurs c’est de voir que des petits exploitants
les anciennes variétés de maïs, rendements après une saison d’utilisa- qui dépendent totalement de l’agricul-
qui supportent mal la sécheresse, tion d’engrais biologiques. ture peuvent améliorer leurs revenus,
et cultivent une nouvelle variété Ces intrants ont été mis au point par mais aussi de savoir que ceux qui ont
résistante à ce facteur climatique. la start-up kényane KOFAR, en collabo- utilisé nos produits peuvent consommer
Le BH661 est une variété hybride ration avec l’Université du Texas et des des aliments plus sains et plus sûrs”,
développée par l’Institut éthiopien instituts de recherche kényans. Le K-Tiba explique Francescah Munyi, fondatrice
de recherche agricole (EIAR). Lors (régénérant) est un biostimulant du sol de KOFAR.
d’expérimentations, la variété utilisé pour remédier aux effets néfastes L’utilisation accrue de ces intrants
BH661 a montré une augmentation de l’utilisation continue d’intrants incite les agriculteurs à abandonner les
de 10 % du rendement en grains chimiques et stimuler la croissance engrais chimiques, ce qui contribue à
sur exploitation, une production des cultures en diminuant la teneur en diminuer les émissions d’oxydes nitreux,
de biomasse plus élevée et une sodium dans la zone racinaire. Un autre un gaz à effet de serre. “Avant, j’utilisais
réduction de 34 % de la verse (état produit, Tawi Plus, est un traitement sept sacs d’engrais chimique par saison”,
des tiges inclinées vers le sol) par foliaire qui augmente la teneur des végé- s’exclame Joseph Munene, un riziculteur.
rapport aux variétés précédentes. taux en hydrates de carbone et améliore “Je n’en utilise plus qu’un aujourd’hui !”
“Les conséquences de la sécheresse les rendements. Un flacon de 120 ml de KOFAR envisage d’étendre ses forma-
pourraient être moins graves grâce Tawi Plus coûte 1 200 KES (10,46 €). Il tions et la vente de ses produits à tout
à la variété BH661”, espère Sequare contient des souches de varech, une le Kenya et à l’ensemble de la région de
Regassa, un agriculteur local. algue très riche en nutriments, ainsi que l’Afrique de l’Est. ■

SPORE 195 | 13
INTERVIEWS

E D W A R D M A B AYA

“La numérisation
est un processus
complémentaire”
Directeur du développement de l'agro-industrie à la Banque africaine
de développement, Edward Mabaya analyse la mise à l’échelle des projets
de numérisation dans le secteur alimentaire africain.

Susanna Cartmell-Thorp

Pourquoi la numérisation est-elle si im- de soleil, de terre et d’eau. Ce qui est nou-

© BANQUE AFRICAINE DE DÉVELOPPEMENT


portante pour l'agriculture ? veau avec la numérisation, c'est que nous
L'agriculture est au cœur du développe- pouvons fournir des solutions à moindre
ment économique du continent africain. coût, plus rapidement et plus efficace-
Une grande partie de la population vit de ment que jamais aux petits agriculteurs.
l’agriculture et, malgré l’énorme poten- Les solutions numériques servent donc de
tiel de production agricole, la facture catalyseur et il convient de ne pas perdre
des importations africaines de produits de vue que la numérisation ne remplace
transformés atteint encore 50 milliards pas nos activités antérieures, mais qu'elle
de dollars (45 milliards d'euros) par an constitue un processus complémentaire.
environ. Cependant, d’ici 2030, la valeur
de ses marchés alimentaires devrait Quels sont les principaux défis à relever
atteindre quelque 1 000 milliards de dol- pour mettre à l'échelle les solutions nu-
lars (900 milliards d'euros). mériques afin qu’elles aient un impact ? Et
Ainsi, même si l'Afrique n'a pas comment faire ? La start-up Investiv a reçu le soutien de la BAD
encore réalisé sa révolution verte, elle est Les perspectives offertes par cet éven- afin d'adopter des technologies lui permettant
bien placée pour tirer parti de la révolu- tail de solutions innovantes apportent d'augmenter sa productivité.
tion de la numérisation. Ces dernières une bouffée d'air frais au secteur agricole,
années, le développement de la connec- qui semble faire face depuis toujours aux supplémentaires dont l’Afrique a besoin
tivité Internet et la pénétration de la problèmes de la faible productivité, des pour transformer son agriculture.
téléphonie mobile ont progressé plus ravageurs, des maladies et aujourd’hui du La plupart de ces solutions sont pour
rapidement qu’ailleurs dans le monde changement climatique. Selon le rapport l’instant encore testées à l’échelle pilote.
et les innovations se multiplient sur le du CTA et de Dalberg Advisors sur La Il nous faut des projets qui peuvent être
continent. Le contexte actuel offre une digitalisation de l'agriculture africaine, on mis rapidement à l’échelle. Et ici, les
chance unique d’exploiter cette dyna- dénombrait en 2018 au moins 365 solu- défis sont nombreux. Le rapport met
mique et d’utiliser cette nouvelle ère tions d’agriculture TIC et numériques sur en exergue certains d’entre eux mais
du numérique pour faire en sorte que le le continent, utilisées par quelque 32 mil- j’aimerais souligner deux problèmes
secteur agricole alimente le développe- lions de petits exploitants agricoles. Ce clés : le manque de fonds et l’absence de
ment de l’Afrique. sont des chiffres impressionnants pour plateforme à grande échelle.
L'agriculture n’a pas fondamentale- quelque chose de relativement nouveau, Concernant le manque de fonds,
ment changé : les cultures ont toujours mais on est encore loin des centaines de chaque révolution nécessite des finan-
besoin d’engrais, de semences de qualité, millions de petits exploitants agricoles cements pour que les changements et

14 | SPORE 195
© BANQUE AFRICAINE DE DÉVELOPPEMENT

Edward Mabaya explique comment la BAD aide


les gouvernements et le secteur privé à introduire
les innovations soient diffusés à grande partager les informations et les données les solutions numériques dans la chaîne de valeur
échelle. La plupart des projets TIC et et permettre à l'agriculteur d'en profiter agricole et à les mettre à l’échelle.
numériques sont mis en œuvre par des au maximum. Il faut aussi éviter que les
petites et moyennes entreprises (PME) qui mêmes informations soient recueillies à sur les solutions numériques pour l’agri-
ont développé des solutions numériques chaque fois qu’un agriculteur s’abonne à culture africaine, dont la mise en œuvre
uniques qui semblent applicables. Mais une application. Ces plateformes à grande n’en est qu’aux premiers stades. L’utili-
pour qu’un plus grand nombre d’agricul- échelle doivent donc être interopérables, té de ce rapport réside dans le fait qu’il
teurs puissent en bénéficier et les utiliser, c’est-à-dire permettre l’échange d’in- cartographie le paysage de l’agriculture
il faut que le projet se développe et soit mis formations – et leur utilisation – entre numérique en Afrique – qui fait quoi, où
à l’échelle sur une très courte période, ce différents produits ou systèmes. Les gou- et à quelle échelle. Avant, la plupart des
qui nécessite des fonds importants. Les vernements ont un rôle unique à jouer acteurs du secteur ne disposaient que
institutions de financement du dévelop- dans le développement de ces plate- d'informations très limitées. Aujourd'hui,
pement, telles que la Banque africaine de formes à grande échelle. Toute nouvelle avec toutes ces informations sur les ac-
développement, ont un rôle clé à jouer à application ou tout nouvel outil utile aux teurs, les outils et les défis à relever, il est
cet égard. C’est la raison pour laquelle nous agriculteurs peut y être intégré. Toute mise beaucoup plus facile de concevoir des
avons récemment lancé l'initiative phare à l’échelle est impossible tant que la seule projets dans différents pays.
Digital Solutions for African Agriculture chose qui intéresse un projet, c’est de Je suis ravi d'avoir fait partie de l'équipe
(Solutions numériques pour l'agriculture conserver ses informations sans les par- qui a revu ce rapport, utilisé aujourd’hui
africaine), qui aidera les gouvernements et tager. Répétons-le : la mise à l’échelle de comme manuel de référence par de
le secteur privé à introduire et développer solutions numériques nécessite absolu- nombreuses institutions qui travaillent
des solutions numériques tout au long de ment la création de plateformes à grande dans le domaine de l'agriculture numé-
la chaîne de valeur agricole. échelle pour produire l’impact transfor- rique. Ce rapport a été un document
En ce qui concerne les plateformes à mateur nécessaire sur tout le continent. utile pour mon équipe de la Banque
grande échelle, la plupart des PME sou- africaine de développement, notamment
haitent développer leurs propres bases de Comment le récent rapport CTA/ pour sensibiliser les gouvernements aux
données, conserver le plus d'informations Dalberg sur la numérisation alimentera- nombreuses possibilités offertes par la
possible sans les partager, et monétiser t-il les travaux de la Banque africaine numérisation. Nous utilisons le rapport
ces données. Cependant, nous savons de développement dans le domaine de la dès les premières phases de la conception
que la mise à l'échelle exige une plate- numérisation ? des projets et je pense que nous conti-
forme suffisamment intégrée car il faut Ce rapport a été publié au moment du nuerons à l'utiliser comme un document
que les différentes applications puissent lancement de notre programme phare de référence clé. ■

SPORE 195 | 15
INTERVIEWS

PA R M E S H S H A H

Pour des technologies


agroalimentaires de
rupture
Expert mondial principal pour les emplois agricoles et les moyens de subsistance
en milieu rural à la Banque mondiale, Parmesh Shah analyse le rôle des solutions
numériques dans l’amélioration des systèmes agroalimentaires africains.

Susanna Cartmell-Thorp

producteurs à se regrouper plus rapide- nous a permis d’identifier des solutions


© SUSANNA CARTMELL-THORP

ment et à contrôler ainsi une plus grande de rupture qui seront testées auprès de
part des marchés et de la chaîne de valeur. 100 000 agriculteurs dans le cadre de pro-
De même, malgré un bon niveau d’inclu- jets soutenus par la Banque mondiale.
sion financière dans l'ensemble en Afrique, Pour l’instant, nous nous attachons à
l’offre de services de crédit et d’assurance instaurer un climat de confiance entre
est encore peu développée, car le continent tous les acteurs de la plateforme afin de
dépend toujours des modèles “physiques” faciliter durablement l’incubation de
Parmesh Shah explique comment la Banque d’inclusion financière (des banques, par start-up. Notre choix s’est porté sur le
mondiale soutient les plateformes numériques opposition aux services bancaires mobiles Kenya, car ce pays est déjà un carrefour
pour connecter un million de producteurs kényans. ou en ligne). Enfin, une très grande par- de la fintech innovante. Pourtant, les
tie des données recueillies ne sont pas nombreuses entreprises innovantes dans
Comment les solutions numériques “converties” très rapidement en services de l’écosystème financier kényan ne sont pas
peuvent-elles faciliter la transformation des conseil pour les petits exploitants. Lorsque encore reliées au secteur de l’agriculture.
systèmes alimentaires africains ? tous ces obstacles seront levés, l’Afrique
Les solutions numériques peuvent sera en mesure de transformer ses sys- Le travail en partenariat est un défi
faciliter cette transformation à quatre tèmes alimentaires. majeur dans le secteur de la numérisation de
niveaux : la productivité, les marchés, l’agriculture. Le récent rapport CTA/Dalberg
l’inclusion financière et l’offre de services La Banque mondiale soutient les sur le sujet a proposé un modèle d'alliance
de données. Pour de nombreux produits innovations kényanes les plus prometteuses mondiale pour tenter de résoudre ce problème.
de base, la productivité de l’Afrique ne dans le secteur de l’agritech avec l’objectif Quelle est la position de la Banque mondiale ?
représente qu’un tiers de la productivité de réunir un million d’agriculteurs kényans Nous approuvons pleinement les
moyenne dans le monde. Ceci s’explique sur une plateforme numérique d’ici trois ans. principales recommandations formu-
surtout par l’accès limité aux principaux N’est-ce pas trop ambitieux ? lées dans ce rapport sur la numérisation
intrants ainsi qu’aux services, encore Dans les 45 comtés du Kenya, nous met- de l’agriculture. Ce secteur ne peut en
assurés de manière très traditionnelle. tons en œuvre deux projets qui ont pour effet pas se développer en l’absence
Cependant, les solutions numériques objectif d’améliorer la productivité et la d’une vaste coalition d’acteurs désireux
peuvent changer la donne en contribuant rentabilité de l’agriculture, au bénéfice d’un de mettre tout en œuvre pour soutenir
à réduire cet écart de productivité. million d’agriculteurs. Début 2019, nous l’innovation. Cette alliance créera un éco-
Par exemple, beaucoup de produits de avons participé au Disruptive Agriculture système propice au développement des
base sont originaires d’Afrique, mais rap- Technology Knowledge Challenge, en tant technologies agricoles de rupture et de
portent peu au continent, faute d’agrégation que partenaires. Nous avons regroupé sur l’agriculture numérique. Au Kenya, nous
suffisante. En facilitant et en accélérant une même plateforme des innovateurs travaillons à la création de cette alliance
la communication des prix, les solutions numériques et des acteurs kényans de pour comprendre comment elle pourrait
numériques aident les communautés de l’ensemble du secteur de l’agritech, ce qui fonctionner et en valider la faisabilité. ■

16 | SPORE 195
Dossier

COMMENT
L’INTELLIGENCE
ARTIFICIELLE
TRANSFORME
L’AGRICULTURE
À une époque où le monde doit produire plus avec moins
de ressources, l’intelligence artificielle peut contribuer à
transformer l’agriculture dans le monde entier.
ANALYSE

A G R I C U LT U R E D I G I T A L E

L’apprentissage
automatique s’installe
dans les exploitations
La capacité des équipements agricoles à
analyser, prédire et conseiller les producteurs
via une variété d’applications d’intelligence
artificielle offre à l’Afrique le potentiel
d’atteindre la sécurité alimentaire.

Tiane Cline AtlasAI intègre des informations satellitaires et


l’IA pour fournir des données sur les résultats
agronomiques, tels que pour le maïs au Kenya.


Le concept de l’intelligence arti- peuvent de plus en plus, avec l’aide toutefois peu de sources de données
ficielle (IA) est que les machines d’experts en sciences des données et fournissant ce type d’informations de
sont capables d’effectuer des des grosses entreprises technologiques, masse à grande échelle, voire aucune.
tâches d’une manière présumée intel- bénéficier des capacités prédictives de L’accord signé en 2018 par l’Union
ligente. Ces processus leur permettent l’IA et de l’apprentissage automatique africaine avec le programme Copernicus
de fonctionner automatiquement, de pour accéder aux financements et assu- de la Commission européenne permet
raisonner et d’apprendre par elles- rances, prévoir les rendements et lutter aux scientifiques africains d’avoir accès
mêmes”, explique Claudia Ayin, une contre les ravageurs et maladies, afin à des données satellitaires gratuites en
consultante indépendante du secteur d’exploiter des fermes durables plus libre accès. Toutefois, l’utilisation des
des TIC. L’apprentissage automa- profitables et “intelligentes”. données satellitaires pour prédire les
tique – machine learning, en anglais conditions météorologiques n’est pas
– est l’aspect de l’IA qui permet aux Une affaire de données chose facile. IBM, par exemple, traite les
ordinateurs d’apprendre de manière La disponibilité des données est données issues de satellites multiples
autonome, autrement dit “la branche essentielle. Par exemple, l’incertitude en utilisant une plateforme décision-
de l’IA qui peut traiter de grands climatique augmente les risques pour nelle pour l’agriculture appelée Watson,
ensembles de données et laisser les les agriculteurs. L’assurance récolte et qui vise à combiner analyse prédic-
machines apprendre par elles-mêmes bétail est un élément déterminant de tive, IA, données météorologiques et
sans programmation explicite”, la résilience au climat, et les données capteurs de l’Internet des objets pour
ajoute-t-elle. sont cruciales pour les assureurs qui donner aux agriculteurs des renseigne-
Selon l’entreprise de recherche ont besoin de connaître les probabilités ments sur le labourage, la plantation,
MarketsandMarkets, la part de l’IA dans de mauvaises récoltes, les prêteurs qui la pulvérisation et la récolte. Chaque
le marché agricole en 2018 est estimée veulent se renseigner sur les risques de satellite fournit une image numérique
mondialement à 545 millions d’euros défauts de paiement et les négociants à différents intervalles, qu’il s’agisse
et devrait atteindre 2,4 milliards en qui doivent savoir quelles sont les de végétation, de couverture aqueuse
2025. Dans les pays ACP, les agriculteurs régions en surplus ou déficit. Il existe et du sol, de températures à la surface ›

18 | SPORE 195
© ATLASAI
AgriPredict : des conseils automatisés pour les petits producteurs zambiens
Un outil de gestion des risques AgriPredict a adapté la plateforme pour permettre aux
© AGRIPREDICT

et des catastrophes basé sur agriculteurs d’y accéder aisément. Les informations sont facilement
l’intelligence artificielle (IA) aide les disponibles via des services web, des téléphones portables basiques
agriculteurs zambiens à faire face (USSD et SMS), des smartphones (Android et iOS) et des tablettes,
aux sécheresses, aux nuisibles et ainsi que des chatbots (agent de conversation automatique) sur les
aux maladies. réseaux sociaux. “La plateforme est conçue par des agriculteurs,
En Zambie, la plateforme pour des agriculteurs”, affirme Mwila Kangwa. Il est prévu d’inclure
web et mobile AgriPredict à la plateforme des fonctionnalités vocales et visuelles pour
AgriPredict utilise l’apprentissage permet aux agriculteurs de surmonter les obstacles liés au manque de maîtrise du numérique.
automatique pour diagnostiquer recevoir un diagnostic à partir “AgriPredict me permet de faire des économies en me disant
les maladies animales et de photos d’une plante/d’un quelle maladie affecte mes tomates. Avant, je devais employer
végétales à partir de photos animal suspecté d’être malade, un agronome à temps plein pour m’aider à gérer l’exploitation,
prises par les agriculteurs sur voire des options de traitement, mais depuis que j’utilise AgriPredict j’ai pu supprimer totalement
leur téléphone portable. ainsi que les coordonnées du ce poste de dépenses”, explique l’agricultrice Yunike Phiri.
négociant agricole le plus proche. Le développement de la plateforme a été possible grâce au
L’outil peut aussi, à travers l’apprentissage automatique, prédire soutien de l’agence d’aide au développement SNV Netherlands
l’arrivée d’un ravageur ou d’une maladie, ainsi que fournir des Development Organisation à un projet pilote axé sur les chaînes de
prévisions météorologiques. valeur de la tomate et du maïs en Zambie. Lancé en octobre 2018,
AgriPredict a été fondé après que le légionnaire d’automne et le projet, qui implique 22 000 agriculteurs de la province de l’Est, a
Tuta absoluta, un ravageur qui s’attaque aux tomates, ont entraîné organisé des séances de formation à l’utilisation de l’appli ainsi que
des pertes significatives pour les agriculteurs zambiens en 2016. des visites de terrain, et a collecté le feedback des agriculteurs. Une
“Il n’existait aucun outil pour aider les agriculteurs à atténuer, campagne médiatique intitulée “#coolfarmers” est aussi en cours
prévenir ou même lutter contre ces risques”, souligne Mwila pour promouvoir la technologie et renforcer l’intérêt des jeunes.
Kangwa, PDG d’AgriPredict. Maduka Emmanuel

SPORE 195 | 19
ANALYSE

› des mers et des terres ou de condi- de manioc en bénéficieront cette année nécessite pas d’accès à Internet pour
tions climatiques. En utilisant divers dans sept comtés kényans. “Les outils fonctionner.
algorithmes et techniques d’IA, IBM numériques font de plus en plus par-
rassemble tous les points de données tie intégrante de l’identification, du Le pari de l’IA
pour créer une image plus précise et contrôle, de la formation et de la prise Afin de fournir des informations
utilisable d’une ferme. “Chaque satellite de décision dans la lutte contre les d’ordre économique et agricole aux
décrit une portion d’une exploitation, maladies et ravageurs mondiaux des agriculteurs de toute l’Afrique, l’en-
mais aucun n’en donne une représen- cultures”, souligne David Hughes. treprise AtlasAI – qui vise à répondre
tation réelle. Avec l’IA, nous fusionnons Un nouvel outil d’IA qui peut prédire aux besoins en données économiques
toutes ces images pour obtenir un la croissance des cultures et contribuer et renseignements commerciaux dans
tableau complet”, explique Kommy à protéger les denrées alimentaires les pays en développement – utilise
Weldemariam, responsable scientifique vitales de l’augmentation des tempéra- une technologie intégrant information
pour IBM Research-Afrique. tures vient compléter Nuru. Il recourt satellitaire, IA et données de terrain
aux données d’un satellite de l’ONU de grande qualité. AtlasAI génère des
Protéger les cultures recueillant les informations concernant données pour tous les pays africains et
“Des centaines de millions d’agri- les disponibilités en eau, sur une décen- travaille avec des organisations au ser-
culteurs africains souffrent déjà des nie, et les utilise avec les prédictions vice des gouvernements et agriculteurs
effets du changement climatique”, météorologiques pour déterminer la de nombreux pays : “Nous utilisons
indique David Hughes, entomologiste productivité des cultures. des technologies d’IA et des données
à l’Université d’État de Pennsylvanie, D’après David Hughes, dans les pays satellitaires de pointe pour fournir
et chef du projet qui a créé Nuru, un à faibles revenus manquant de capital des données granulaires, précises et
outil Android conçu pour diagnosti- humain expert en sciences agricoles évolutives sur les réalisations de l’agri-
quer les maladies des cultures, même dans les exploitations, l’IA pourrait culture dans l’ensemble du continent”,
sans connexion Internet. Développé servir à briser le cercle de la pauvreté. explique Marshall Burke, professeur à
par l’unité PlantVillage de cette uni- Créée en août 2018 à Yaoundé, au l’Université de Stanford et l’un des trois
versité et par l’Institut international Cameroun, l’entreprise Agrix Tech uti- cofondateurs d’AtlasAI.
d’agriculture tropicale, Nuru est utilisé lise aussi l’IA pour aider les agriculteurs Par exemple, les petits agriculteurs ne
dans plusieurs pays africains. Comme à lutter contre ravageurs et maladies. peuvent emprunter, ni s’assurer et sont
au Kenya, en collaboration avec l’ONG Grâce à une application pour téléphone souvent désavantagés dans les milieux
Self Help Africa, pour diagnostiquer les portable, les agriculteurs peuvent scan- commerciaux non compétitifs. Des pro-
maladies du manioc dues aux acariens ner une feuille de la culture infectée. blèmes qu’AtlasAI cherche à résoudre
et virus, et aussi pour identifier les L’appli consulte alors une bibliothèque en utilisant l’IA et les bonnes sources de
invasions de légionnaires d’automne d’IA pour analyser la question et offrir données : “Parce qu’elles disposent de
dans le maïs. Des conseils d’experts – des recommandations de traitement données précises et peu coûteuses sur
essentiellement gouvernementaux ou par texto ou message vocal, dans une les petits agriculteurs, les entreprises
du CGIAR et de la FAO – sont envoyés langue locale africaine adaptée, pour peuvent concevoir des produits et ser-
hors ligne en langue locale (actuelle- ceux qui ne savent pas lire. Selon vices répondant à leurs besoins”, ajoute
ment en swahili, français, twi, hindi et Adamou Nchange Kouotou, fondateur Marshall Burke.
anglais). Cet outil est encore en période et PDG d’Agrix Tech, l’appli atteint un Passer de l’offre de produits à celle de
de bêta-test, mais 28 000 cultivateurs taux de précision de 99 % et surtout ne services gérés localement et intégrant

Utilisation de l’IA dans l’agriculture


Les petits producteurs des pays ACP bénéficient de plus en plus des capacités prédictives de l’IA et de l’apprentissage automatique.

Prévisions Équipement agricole Prévoir/estimer Accès au financement


météorologiques automatisé les rendements et à l’assurance


€ €
€ €

Avec l’apprentissage profond, l’IA L’équipement agricole peut être En analysant les données satellitaires L’IA permet aux créanciers d’évaluer
fournit des prévisions météorologiques coordonné avec des capteurs, des et de terrain, l’IA est utilisée pour les risques de crédit pour les
à court terme et des prévisions drones ou des satellites pour optimiser prédire/estimer les rendements au producteurs et de prévoir un éventuel
climatiques à long terme. les performances et les services. niveau de l’exploitation et du pays. défaut de paiement.

20 | SPORE 195
© HELLO TRACTOR
une analyse agricole avancée et l’IA,
voilà ce qu’a réussi Hello Tractor, une
start-up étatsunienne basée au Nigeria
et au Kenya. Au lancement de Hello
Tractor en 2014, son produit phare était
un tracteur à deux roues abordable,
de très faible puissance, équipé d’une
technologie de surveillance. En janvier
2017, Hello Tractor a fait le choix de se
concentrer davantage sur son applica-
tion que sur les tracteurs. Cette approche
s’est révélée payante puisqu’elle lui a
permis de conquérir 75 % des importa-
tions commerciales privées de tracteurs
au Nigeria, d’accéder à cinq marchés
africains par le biais de partenariats stra-
tégiques et de transformer la vie de plus
de 250 000 agriculteurs.
En partenariat avec IBM, Hello Tractor
teste désormais un outil analytique et
décisionnel de pointe qui touche tout
l’écosystème de la mécanisation. Leurs
ensembles de données sont stockés dans
une blockchain, puis utilisés par des
sociétés semencières et d’engrais ainsi
que des entreprises financières pour En ayant recours à l’IA, la plateforme de Hello Tractor fournit aux agriculteurs des informations
accéder à des informations non filtrées pertinentes et actualisées afin d’augmenter leurs rendements.
et en temps réel sur les fermes. “Grâce
à l’IA et à la blockchain, les agriculteurs
membres de la plateforme Hello Tractor nous pouvons appliquer l’apprentissage Services et Google – qui travaillent dans
accèdent à des informations pertinentes automatique pour prédire quand les l’ensemble du continent africain et en
et opportunes pour augmenter leurs agriculteurs devraient recevoir leurs partenariat avec des entreprises plus
rendements, les propriétaires de parcs services de tracteurs et aussi exploiter modestes ainsi que des agriculteurs
de tracteurs reçoivent des renseigne- ces données pour élaborer des conseils pour créer des solutions fondées sur l’IA
ments pour gagner temps et argent et sur les types d’intrants à utiliser et leurs pertinentes à l’échelle locale. “L’IA nous
les banques obtiennent des informa- périodes d’application.” offre la possibilité d’augmenter les ren-
tions pour améliorer leurs pratiques de dements et revenus et de diminuer les
souscription et leur gestion des porte- Tenir compte du contexte africain pertes”, explique Isaac Sesi, cofondateur
feuilles”, explique Jehiel Oliver, PDG Nombreux sont les acteurs du sec- de Sesi Technologies, une entreprise
de Hello Tractor. “Plus précisément, teur privé – IBM, Deloitte, Amazon Web en agrotechnologie qui développe des ›

“Parce qu’elles disposent de


Suivi des plants Gestion du bétail
et du sol données précises et peu coûteuses
sur les petits agriculteurs, les
entreprises peuvent concevoir des
produits et services répondant à
Des algorithmes analysent des données Des capteurs équipés d’IA peuvent leurs besoins.”
collectées par des drones/satellites, des détecter les maladies du bétail, mettre les
capteurs et des téléphones pour éleveurs en contact avec des vétérinaires
surveiller la santé des plants et du sol. et alerter sur les mouvements du troupeau.

SPORE 195 | 21
ANALYSE

› solutions matérielles et logicielles pour PlantVillage Nuru


PlantVillage Nuru
les entreprises agricoles et fermiers
africains. “Il est toutefois indispensable XxxNuru utilise l'IA pour diagnostiquer les maladies virales et dues aux acariens
que ces outils d’IA soient développés dans le manioc, et le légionnaire d'automne dans le maïs.
en tenant compte du contexte de l’agri-
culture locale en Afrique pour garantir
leur pertinence et leur applicabilité aux
systèmes agricoles africains, ce qui exige 1. Scanner
que les Africains soient à l’avant-garde PlantVillage Nuru est
du développement de ces outils.” une appli mobile qui
utilise la caméra du
Microsoft soutient, à travers son
téléphone pour scanner
initiative 4Afrika, la transformation les feuilles à la recherche
numérique de l’agriculture africaine. de maladies. 2. Analyser
“Nous pensons que les avancées tech- PlantVillage Nuru
utilise Tensorflow,
nologiques pourraient engendrer une
l’outil d'apprentissage
importante croissance économique et automatique de
avoir un impact social considérable, en Google, pour analyser

Comment
particulier parce qu’elles peuvent com- les images hors réseau.

SOURCE: PLANTVILLAGE, 2019


bler des lacunes infrastructurelles qui
ont jusqu’à présent empêché les gens — ça —
marche
de s’inscrire dans l’économie formelle
et d’accéder aux services essentiels en 4. Prédire
Afrique”, estime Amrote Abdella, direc- Lorsque le téléphone est
hors réseau, les
trice régionale de Microsoft 4Afrika.
développeurs situent le
lieu et la propagation des
maladies et nuisibles à
“L’IA nous offre la partir des données
3. Agir
enregistrées.
i Si un plant est touché,
possibilité d’augmenter l’appli mettra en évidence
les zones problématiques
les rendements et les et proposera des
informations sur les
mesures à prendre.
revenus et de diminuer
les pertes.”
Source: PlantVillage, 2019
En collaboration avec l’universitaire espère maintenant toucher 300 millions chaînes d’approvisionnement et les vies
kényan Felix Musau, Microsoft a contri- d’agriculteurs d’Afrique subsaharienne des petits agriculteurs.”
bué à développer AGIN, un service d’ici 2020. Le CTA encourage aussi les jeunes
mobile et basé sur sa plateforme en nuage Microsoft 4Afrika collabore aussi avec développeurs à adopter l’analyse de
Azure, qui connecte les agriculteurs à Tulaa, une start-up offrant des solutions données et l’IA. Lors de l’édition 2019
des services de crédit indispensables. Ils commerciales aux agriculteurs africains. du Pitch AgriHack, un prix spécial
peuvent, sur leurs téléphones portables, Tulaa utilise la technologie et l’argent pour l’“analyse de données” a ainsi été
recueillir des informations telles que la mobiles pour permettre aux exploita- décerné.
taille, l’emplacement, la composition tions d’épargner et d’emprunter afin L’avenir de l’agriculture repose sur les
du sol et les cultures d’une exploitation. d’acheter des intrants et des conseils données et davantage d’automatisation.
Grâce aux outils intégrés d’IA et d’ap- agronomiques et de commercialiser Grâce aux solutions innovantes utilisant
prentissage automatique d’Azure, AGIN leurs cultures à la récolte. Grâce au labo- l’IA et développées par des Africains,
aide alors les agriculteurs à établir ratoire d’IA PopUp de 4Afrika au Kenya, les petits agriculteurs du continent
leur profil de crédit, ce qui leur permet Microsoft a aidé Tulaa à intégrer l’ap- vont pouvoir prendre des décisions
d’obtenir de petits crédits et des lignes prentissage automatique à son modèle plus intelligentes s’appuyant sur les
de financement qu’ils peuvent utiliser pour évaluer la solvabilité financière. données, devenir proactifs, rendre leur
sans jamais entrer dans une banque. “L’IA et l’apprentissage automatique activité profitable et cultiver pour l’ave-
AGIN a offert ses services à plus de offrent des opportunités sans précédent nir. “Nous n’en sommes qu’au début de
140 000 agriculteurs kényans et facilité pour toucher des millions d’agriculteurs la révolution de l’IA”, prédit Tom Ilube,
pour plus de 1,3 million de dollars US beaucoup plus efficacement qu’avant”, futurologue et fondateur de l’Académie
(1,2 million d’euros) par mois de tran- affirme Hillary Miller-Wise, PDG de africaine des sciences au Ghana. “Si
sactions, dont des prêts et assurances. Tulaa. “Chez Tulaa, nous commençons l’Afrique doit faire partie du futur, nous
Après avoir reçu le soutien financier et juste à réaliser les perspectives qu’ouvre devons définir les algorithmes qui nous
technique de Microsoft 4Afrika, AGIN cette technologie pour transformer les diront à quoi ressemblera l’avenir.”  ■

22 | SPORE 195
INTERVIEW
Amrote Abdella : améliorer la productivité
grâce à l’agriculture basée sur les données
Tiana Cline

Quels sont les progrès de l’intelligence Un rapport de 2018 du Forum économique

© MICROSOFT @4AFRIKA
artificielle (IA) dans le secteur agricole mondial souligne que seuls 22 % des
en Afrique ? professionnels de l’IA dans le monde sont
Bon nombre de solutions des femmes. Comment combler ce fossé ?
d’agrotechnologie visent à rapprocher les L’évolution doit avoir lieu dans les écoles et
agriculteurs des sources de financement, au plan culturel afin d’encourager les jeunes
de l'information et des ressources. Ce filles à choisir des filières scientifiques,
Amrote Abdella,
rapprochement est essentiel car peu technologiques et d'ingénierie. Microsoft s'y
directrice régionale
d’agriculteurs des zones rurales sont emploie à travers des initiatives telles que de Microsoft
connectés et affiliés à une banque, ce qui DigiGirlz et WISE4Afrika, qui forment les @4Afrika, prône une
entrave leur accès à des produits tels que jeunes filles aux compétences numériques et transformation
l’assurance et les intrants agricoles. Avec leur proposent un mentorat. En juin 2019, numérique plus
nos partenaires, nous concentrons nos Microsoft a aussi organisé son premier large et rapide sur le
efforts sur l’utilisation de l’intelligence hackathon LEAP (Partenariat de prêts en continent africain.
artificielle et l’Internet des objets (IdO), afin faveur de l’éducation en Afrique), lors duquel
que l’agriculture basée sur les données 32 développeuses kényanes ont imaginé des
augmente la productivité agricole. solutions agrotechnologiques. L’équipe
lauréate, The BugSlayers, a utilisé Microsoft AI
Comment faire en sorte que des Africains pour prévoir l’arrivée de ravageurs et de
mettent au point des solutions d’IA qui maladies. L’application peut également
répondent aux besoins de l’Afrique ? prévoir les périodes de récolte, mettre en
D’après le rapport sur La digitalisation de contact les agriculteurs et les acheteurs et
l’agriculture africaine du CTA et de Dalberg, suivre les principales activités agricoles.
en dépit des quelque 400 solutions Depuis lors, les créatrices ont intégré le
agrotechnologiques déjà en place, 90 % du programme de stages 4Afrika, où elles
marché demeure inexploité. L’utilisation de affinent le logiciel avant son lancement sur le
ces solutions par les agriculteurs du marché.
continent dépend de l’utilité de la solution,
de son prix abordable et de sa disponibilité. Quels sont les impacts espérés de la
Premièrement, il faut développer les collaboration entre Microsoft et l’Alliance
compétences numériques dans l’agriculture. pour une révolution verte en Afrique (AGRA)
Ensuite, il faut un environnement propice, sur l'intelligence artificielle ?
notamment à travers des politiques et des Notre partenariat s'appuie sur le
infrastructures d’appui à la numérisation de transfert de connaissances et le
l’agriculture. Notre projet FarmBeats adopte développement d’écosystèmes, afin de
une approche intégrée qui propose des contribuer à l'optimisation des terres et à
technologies solaires peu coûteuses et des la sécurité alimentaire. L’accent sera mis
solutions à large bande alternatives telles sur le renforcement de l’agriculture de
que les espaces blancs télévisuels, qui précision basée sur les données à travers
utilisent des fréquences libres du spectre l'utilisation de l’IA et de l’analyse du big
télévisuel pour générer une large bande data, sur l’amélioration des compétences
rapide et étendue dans les zones reculées. numériques dans l’agriculture à travers des
Enfin, la recherche et le développement programmes de contenu numérique et de
dans l’espace agrotechnologique sont stages, et enfin sur l’action en faveur de
essentiels afin de stimuler l’innovation et le l’élaboration de politiques nationales de
partage des connaissances. numérisation.

SPORE 195 | 23
REPORTAGE

OUGANDA

Des vaches “pucées”


pour être mieux surveillées
En associant des puces et capteurs à une application mobile qui recense les services
vétérinaires et des drones équipés de capteurs thermiques, les éleveurs surveillent
et protègent mieux leur bétail.

Bob Koigi

E
n Ouganda, une nouvelle technologie associe
intelligence artificielle (IA) et apprentissage
automatique pour détecter les maladies du
bétail avant leur déclaration, connecter à distance
les fermiers aux services vétérinaires et surveiller
les mouvements des animaux pour prévenir les
vols. Cette innovation, appelée Jaguza Luganda, est
une puce équipée d’un capteur et connectée à un
lecteur d’identification par radiofréquence (RFID)
ainsi qu’aux téléphones portables ou ordinateurs
des utilisateurs ; 18 000 puces Jaguza ont été ins-
tallées depuis 2016.
Fixé à l’oreille des animaux, ce dispositif peut
être détecté par le lecteur RFID jusqu’à 300 mètres.
Si la ferme est trop vaste, une antenne ou un radar
sont installés pour élargir la zone de couverture.
Grâce au capteur intelligent, la puce contrôle des
informations vitales sur les animaux – varia-
tions de température, schémas d’alimentation et
stades reproductifs – et peut détecter les maladies
48 heures avant leur déclaration, ce qui permet
d’organiser des soins médicaux en temps oppor-
tun. Les renseignements sur la santé des animaux
sont synchronisés et stockés sur une plateforme
en nuage. “Jaguza peut détecter et contrôler les
aspects sanitaires en surveillant l’alimentation,
l’abreuvement, le repos, la fertilité, la température
et d’autres paramètres”, affirme Ronald Katamba,
créateur de Jaguza. “Nous l’utilisons pour anti-
ciper les problèmes et fournir aux éleveurs des
recommandations sur la manière dont ils peuvent
préserver la santé de leurs bovins et améliorer l’ef-
ficacité de leurs fermes. Nous constatons déjà une
© JAGUZA

amélioration de 35 % de la production animale sur


les fermes de nos clients.”

24 | SPORE 195
Cette technologie peut aussi suivre les mou-

© JAGUZA
vements du bétail et alerter les éleveurs par
messagerie mobile lorsque les animaux vaga-
bondent au-delà des limites des fermes. “Jaguza
apprend les schémas de déplacement d’une vache
à partir des données du capteur. Nous les utilisons
pour développer des modèles d’apprentissage auto-
matique et des algorithmes TensorFlow”, poursuit
Ronald Katamba. La technologie est aussi efficace
pour réduire les vols, très répandus en Ouganda. En
2018, Charles Walugembe, à la tête d’un troupeau
de 180 bovins dans le nord du pays, a pucé une cin-
Le bétail est suivi quantaine de ses vaches. “Nous dépensons presque
par des drones la moitié des gains provenant de notre bétail pour
équipés de payer des gardes armés afin de surveiller nos vaches
capteurs et pour investir dans d’autres méthodes de protec-
thermiques et des tion comme les clôtures, mais nous perdons tout
puces fixées à de même nos animaux. Depuis que nous utilisons
l’oreille des Jaguza, je peux suivre leurs mouvements depuis
animaux. n’importe quel endroit et nous n’avons plus eu
aucun cas de bêtes manquantes”, confie l’éleveur.

Gestion des appareils mobiles Les puces et capteurs de Jaguza sont fixés à une oreille de
En complément, il existe l’application mobile l’animal pour collecter des informations vitales sur sa santé.
Jaguza Livestock, à laquelle sont inscrits 85 vétéri-
naires disponibles pour répondre aux questions des équipés de caméras haute définition et de capteurs
éleveurs. Des informations sur les bonnes pratiques thermiques. Ces drones, connectés aux téléphones
de gestion du bétail sont fournies par l’appli, acces- des éleveurs grâce à un système nuagique, sur-
sible sur les appareils portables sous Android et IOS veillent la température des animaux et alertent
et dans différentes langues. De plus, la technologie les propriétaires en cas de maladie. Il suffit alors
est accessible hors ligne grâce à un code USSD – qui de quinze minutes pour dénombrer les animaux
sert à transmettre des informations basiques sur le d’un grand troupeau. “Notre système de drones
réseau mobile. Plus de 1 250 utilisateurs ont télé- se fonde sur des caméras intelligentes utilisant
chargé l’application pour accéder aux informations l’IA et la reconnaissance faciale pour identifier les
sur le bétail, et les dispositifs de capteurs et l’appli animaux individuels en temps réel. Les caméras
ont attiré des éleveurs de l’extérieur de l’Ouganda – contrôlent la présence des animaux sur les fermes
des Fidji, du Mozambique et de la Namibie. et envoient des informations en temps réel au télé-
L’appli offre aussi une option de tenue de registre, phone portable et à l’ordinateur de l’éleveur. Il y a
visant à rationaliser l’élevage, qui permet à l’agri- deux signaux, l’un rouge qui indique que la vache
culteur d’enregistrer ses gains et dépenses. Dan est malade ou introuvable et l’autre vert qui signale
Kisitu, qui élève du bétail depuis 15 ans, s’est inscrit que l’animal va bien”, explique-t-il.
sur Jaguza en 2017 pour surveiller ses 40 vaches. Il Malgré tout, “les drones sont encore interdits en
a ainsi réussi à lutter contre des maladies courantes Ouganda malgré les nombreux avantages qu’ils
comme la fièvre aphteuse, la peste bovine et la thei- offrent aux citoyens ordinaires. Nous commu-
lériose bovine, et a utilisé l’appli Jaguza pour tenir ses niquons en permanence avec le gouvernement
registres, ce qui lui a permis de réduire ses dépenses. pour réorienter les politiques et faire reconnaître
“Je dépensais beaucoup d’argent pour les services ces technologies émergentes et nous investissons
vétérinaires et médicaments. En plus de recevoir des dans l’amélioration de la connectivité Internet
alertes sur la santé de mes vaches avant que leur état pour favoriser l’adoption de ces innovations”,
s’aggrave, j’ai réussi à diminuer mes dépenses en ali- indique l’entrepreneur, qui a reçu une autorisa-
ments et suppléments jusqu’à 50 % grâce à la tenue tion spéciale du chef des autorités militaires de
de registre électronique qui me permet de voir où je l’aviation civile.
dépense trop”, précise Dan Kisitu. La start-up est aussi membre du réseau
AgriHack du CTA, qui propose aux jeunes agri-
Élargissement de la technologie grâce preneurs du secteur numérique des opportunités
à des capteurs sur drones de renforcement de leurs capacités, et a figuré
Pour répondre aux besoins des gros éleveurs parmi les finalistes du concours Pitch AgriHack de
qui ont du mal à surveiller la santé de chacune de 2016. En 2019, elle a remporté le premier prix du
leurs vaches, Ronald Katamba utilise des drones concours. ■

SPORE 195 | 25
REPORTAGE

SÉNÉGAL

En Afrique,
SOWIT pixélise l’agriculture
Une jeune start-up a recours à la télédétection et à l’intelligence
artificielle pour aider les producteurs à optimiser leurs rendements.

Vincent Defait

A
vec Hamza Rkha Chaham et Hamza
Bendahou, l’agriculture de demain n’est pas
seulement affaire de semis, d’engrais et d’ir-
rigation, mais aussi d’algorithmes et d’intelligence
artificielle (IA). Cofondateurs de la start-up SOWIT,
qui fournit “des systèmes d'aide à la décision per-
mettant aux agriculteurs africains d'optimiser leurs
opérations de manière efficiente et durable”, les
jeunes entrepreneurs entendent exploiter la puis-
sance de la télédétection – drones et satellites – et
du big data pour combler le déficit d'informations
agronomiques sur le continent.
Fondée en 2017 et basée en France, au Maroc et
au Sénégal, SOWIT fournit des outils de prises de
décision en faisant appel à des technologies de
pointe. Présente dans 15 pays d’Afrique, l’entre-
prise a recours à des mesures de terrain, des images
satellitaires et d’autres, plus précises, prises par des
drones. La combinaison des trois, alliée à des algo-
rithmes, permet d’anticiper des besoins en eau et
en intrants ou de déterminer le meilleur moment
pour récolter.

Moins de données, de meilleures prédictions


Au Maroc, où SOWIT est le mieux implantée,
Abdelaziz Mernissi, un producteur de blé, d'orge
et d’olive dans la région du Saïss, témoigne : “Le
manque d’information au moment d’aborder les de ses cultures, un calcul de ses besoins en engrais,
opérations principales de production m’a empêché ainsi que des informations en temps réel sur l’état
de tirer le meilleur d’une saison qui a connu plus de de son champ. La start-up a aussi aidé l’agriculteur
500 mm de pluie bien répartie”, en 2018. Par ailleurs, à définir les différents leviers d’optimisation de sa
poursuit le producteur, “dans certains endroits de récolte : date des semis, quantité précise d’engrais à
la parcelle, le rendement était de 6 tonnes par hec- épandre, irrigation à ajuster selon le stress hydrique
tare tandis qu’il n’était que de 1 tonne par hectare observé… Au final, Abdelaziz Mernissi a ainsi pu
à d’autres endroits”. Après avoir cartographié son économiser 33 kg d’engrais par hectare et gagner
champ, SOWIT a analysé les données collectées et 3 quintaux de rendement, soit un gain de plus de
fourni à l’agriculteur une analyse détaillée de l’état 700 MAD (65,74 €) par hectare.

26 | SPORE 195
“Nous recueillons des informations comme la d’atteindre une définition de plusieurs millions de
réflectance – comment la lumière reflète sur les pixels par hectare. Donc une quantité d’informa-
plantes et combien les plantes en ont absorbé –, tions permettant d’affiner les prévisions. “Le temps
l’architecture de la plante, sa taille, etc. Cet ensemble et l’échelle sont nos principaux obstacles”, souligne
d’éléments recueillis va être lié à l’ensemble d’élé- Faisal Mohamed Ali, directeur des opérations du
ments du terrain de la manière la plus intelligente. groupe DAL Agriculture. “Avec les drones, nous
L’objectif est que le lien entre les mesures et la réa- savons ce qui se passe [dans les champs] et nous
lité du terrain soit fiable”, explique Hamza Rkha pouvons intervenir rapidement.”
Chaham.
“Avec les drones, nous savons
Des drones pour davantage de précision
Au Soudan, SOWIT intervient auprès de produc- ce qui se passe [dans les
teurs de luzerne, une plante fourragère importante
pour l’alimentation du bétail et une culture centrale champs] et nous pouvons
pour l’économie du pays dans la mesure où elle
rapporte des devises étrangères. Les producteurs intervenir rapidement.”
doivent composer avec des coûts élevés d’achat
d’engrais, tous importés. “Notre opérateur va suivre Ce genre de services est abordable pour les grands
producteurs. Ils le sont moins pour les petits agri-

© GIACOMO RAMBALDI
culteurs, en général à la tête de petites parcelles.
En Éthiopie, SOWIT intervient donc auprès de
l’Agence de transformation agricole (Agricultural
Transformation Agency, ATA) et du ministère de
l’Agriculture dans un projet porté par le CTA. En août
2019, la start-up a ainsi formé six pilotes de drones et
six analystes de données. Les autorités éthiopiennes
prévoient ensuite de déployer ce genre de services
auprès des coopératives du pays. “Les images et les
vidéos permettront des analyses et une interpré-
tation agronomiques des champs et de la santé des
cultures, ce qui facilitera les interventions en temps
opportun”, explique Techane Adugna, directeur du
cluster Commercialisation agricole à l’ATA. Par ail-
leurs, “l’utilisation de drones va aider à créer un lien
direct avec le marché pour les agriculteurs, en collec-
tant des informations en temps réel de leurs champs
et en les partageant avec de potentiels acheteurs”.

Les petits producteurs aussi


Que ce soit au Maroc, au Sénégal ou en Éthiopie,
SOWIT travaille avec des petits producteurs via des
coopératives ou des institutions étatiques. Pour
l’heure, le coût de services recourant à l’IA est en
effet rédhibitoire pour la majorité des agriculteurs
africains. “Tout est question d’économie d’échelle”,
résume Giacomo Rambaldi, coordonnateur senior
de programmes ICT4Ag au CTA et coauteur avec
Hamza Rkha Chaham du rapport Des drones à
l’horizon – Transformer l’agriculture en Afrique, sur
SOWIT utilise la ces producteurs sur la saison et les renseigner sur la lequel l’UA s’est basée pour recommander l’usage
télédétection et des période de fertilisation et de récolte, leur dire quelle des drones à ses États membres, début 2018. “La
algorithmes pour quantité exacte d’engrais il faut épandre et où il faut technologie drone et l’IA peuvent être déployées
aider les l’épandre de manière à optimiser le rendement”, auprès des petits producteurs qui travaillent sur la
agriculteurs à explique Hamza Rkha Chaham. même culture sur des surfaces continues. Concevoir
estimer les besoins Pour cela, les images satellitaires, limitées à les conseils à base de technologie drone en tant que
en eau et en quelques pixels par hectare, ne permettent que de partie d’autres services (crédit, mécanisation, etc.)
intrants, ainsi que le prendre en compte l’hétérogénéité des parcelles. offerts par des coopératives ou des entreprises en
moment opportun Les images de drones, prises sous le couvert nua- agribusiness à leurs membres est aussi une option
pour la récolte. geux et à une fréquence plus élevée, permettent gagnant-gagnant.” ■

SPORE 195 | 27
NIGERIA

L’intelligence artificielle pour


adapter l’offre à la demande
Une start-up nigériane fait appel à l’intelligence artificielle pour garantir
des débouchés aux petits exploitants agricoles et améliorer les pratiques
d’approvisionnement des grands acheteurs.

© FOODLOCKER
Oluyinka Alawode

F
oodlocker, un groupement nigérian de grossistes en
produits alimentaires et en épicerie, utilise l’apprentis-
sage profond (une branche de l’intelligence artificielle,
IA) pour prévoir la demande en produits agricoles et en biens
de consommation. L’apprentissage profond fait appel à plu-
sieurs couches d’algorithmes, appelés “réseaux neuronaux”,
et à de grandes quantités de données afin de permettre à des
ordinateurs de résoudre des problèmes complexes : plus ces
algorithmes apprennent, plus les ordinateurs sont performants.
Lancée en 2017, Foodlocker évalue, avec l’apprentissage
profond et par l’intermédiaire de sa plateforme de commerce
en ligne, la demande de ses clients (transformateurs de pro-
duits alimentaires, exportateurs, hôtels, restaurants, bars et
détaillants) en riz, igname, légumineuses, volaille, condiments,
huiles de cuisson, céréales, boissons, etc. L’entreprise offre gra- L’entreprise nigériane Foodlocker utilise l’IA pour prévoir la demande en
tuitement, via les téléphones mobiles et des agents de terrain, produits agricoles et aider les agriculteurs à déterminer ce qu’ils doivent
ces informations aux petits exploitants agricoles qui travaillent produire, en quelles quantités et à quelle période.
avec elle, et les aide à circonscrire les incertitudes concernant ce
qu’ils doivent produire, en quelles quantités et à quelle période. production et se sentent davantage encouragés à produire.”
De plus, les agriculteurs reçoivent de Foodlocker des garanties Foodlocker récupère les produits frais récoltés dans les fermes
d’achat qui précisent les quantités et les tarifs des marchandises. et les livre aux grands acheteurs qui ont passé des précom-
“J’ai commencé en produisant 100 kg de poulet pour Foodlocker”, mandes. Foodlocker fournit aussi des services logistiques et des
se souvient Emperor, un aviculteur. “Aujourd’hui, la demande infrastructures d’entreposage frigorifique, et soumet les produits
frôle 1,8 tonne par mois. Pour y répondre, j’ai étendu mon activité des petits exploitants à une transformation primaire les rendant
et conclu des partenariats avec d’autres agriculteurs.” aptes à être vendus à d’autres acheteurs par l’intermédiaire de la
“L’apprentissage profond nous permet d’anticiper et de prévoir plateforme de commerce en ligne de l’entreprise, entre autres.
la demande, mais aussi d’établir les plannings de production, “Étant donné la périssabilité des aliments et les difficultés
d’influencer les programmes de production des petits exploi- posées par les infrastructures en Afrique, l’apprentissage pro-
tants et d’effectuer des achats rationnels afin de répondre à la fond nous confère un réel avantage par rapport aux entreprises
demande attendue”, explique Jennifer Okoduwa, cofondatrice qui se contentent de faire du commerce en ligne”, ajoute Jennifer
de Foodlocker. Pour les grands acheteurs de denrées et de pro- Okoduwa. “Notre objectif est de passer des actuels 600 petits
duits alimentaires, l’apprentissage profond permet à Foodlocker exploitants fournisseurs à plus de 20 000 fournisseurs d’ici à dix
de garantir la régularité des prix et la disponibilité de produits de ans”, conclut-elle.
bonne qualité. En septembre 2019, Foodlocker a remporté le prix Pitch
“Nous fournissons également des intrants, l’accès à des varié- AgriHack, catégorie Analyse de données, décerné par le CTA.
tés à haut rendement ainsi qu’une aide à l’agrandissement par En plus d’une subvention de 10 000 €, Foodlocker bénéficiera
le biais de nos partenaires”, poursuit Jennifer Okoduwa. “Les d’un soutien technique qui l’aidera à mieux exploiter l’IA et à
agriculteurs subissent ainsi moins de pertes, augmentent leur développer ses activités. ■

28 | SPORE 195
Agribusiness

DÉBOUCHÉS SYSTÈMES
COMMERCIAUX AGROALIMENTAIRES
Les femmes rurales révolutionnent Au Kenya, une ferme-école
le commerce des graines de caroube en lien avec le marché

En Ouganda, une herbe locale pour Même sans terres, leurs revenus
réduire la consommation de plastique agricoles augmentent

30 32

FINANCE & COMMERCE & LEADERS EN


ASSURANCE MARKETING AGRIBUSINESS
Des solutions tournées Échanges commerciaux "Soyez persévérant, le
vers l’avenir intra-africains : succès ne se construit
tendances et opportunités pas en un jour"

34 36 38
DÉBOUCHÉS COMMERCIAUX

CHAMPIONNES DES HARICOTS

Au Nigeria, le commerce des graines


de caroube révolutionné
Une start-up de transformation alimentaire développe le potentiel d’une culture locale
nourrissante et bon marché, tout en offrant aux femmes rurales l’accès à un marché fiable.

Emmanuel Maduka

A
u Nigeria, l’entreprise LifePro conservation, dues à certaines méthodes En 2018, l’équipe de LifePro a obtenu
Food Mills, basée à Akure, dans artisanales de transformation, ont tou- 7,5 millions de NGN (19 000 €) de finan-
le sud-ouest du pays, trans- jours empêché la commercialisation de cement grâce à l’événement I-Startup
forme les caroubes africaines en graines ces graines riches en calcium. Southwest Demo Day organisé par le
séchées nourrissantes et les vend à un D’où la création, par Adebowale Premier Hub Innovation Center à Akure.
prix abordable. LifePro, qui collabore Oparinu et Emmanuel Maduka, de l’en- Cela lui a permis de construire une
avec des agricultrices pour produire treprise LifePro Food Mills en 2018. “Nous usine, d’acheter des équipements pour
750 kg de graines de caroube transfor- collaborons avec 20 femmes vivant en maximiser la capacité de production et
mées par mois, écoule son produit sous zone rurale, que nous surnommons nos de prendre contact avec davantage de
la marque “Hiru” dans plus de 50 points ‘championnes Hiru’. Nous leur ensei- femmes rurales.
de vente (surtout des supermarchés) gnons des méthodes hygiéniques pour Dans l’État d’Ondo, Funmilayo
dans le pays, ainsi que sur les marchés prétraiter les graines de caroube, que Faponda est devenue une championne
britannique et américain. nous leur achetons à un prix attractif pour Hiru. Auparavant, elle produisait des
Les caroubes proviennent d’une plante finaliser la transformation dans notre graines de caroube et travaillait comme
indigène cultivée pour ses gousses, dont usine”, explique Adebowale Oparinu. femme de ménage pour compléter ses
les graines sont broyées et fermentées “Ces femmes gagnent entre 13,50 et revenus. “Je suis tellement heureuse de
pour être transformées en assaison- 22,50 € par jour selon leur capacité de travailler avec eux [LifePro]”, dit-elle.
nement dans les soupes et les ragoûts. production. Notre objectif est de rendre “Mes revenus stables me permettent de
Leur forte odeur et leur faible durée de autonomes 200 femmes d’ici 2020.” manger correctement et d’acheter tout
Afin de répondre aux demandes de ce dont j’ai besoin. Je vends ma produc-
LifePro Food Mills transforme des caroubes l’entreprise, les agricultrices “cham- tion à un meilleur prix et, même si ma
africaines en graines séchées nourrissantes pionnes” ont fait passer leur production production augmente beaucoup, j’ai la
et les vend sous la marque “Hiru”. de 80 à 240 kg par semaine. La start-up garantie de tout vendre.”
leur enseigne comment

750 kg
© EMMANUEL MADUKA

ramollir les gousses (en


les plongeant dans de l’eau
bouillante) et en extraire de haricots transformés sont
manuellement les graines. produits chaque mois par
LifePro Food Mills réduit LifePro Food Mills
ensuite la teneur en eau
des graines au moyen d’un

13,50-22,50 €
déshydrateur de pompe
à chaleur, afin d’obtenir
un produit séché ou de la C’est ce que gagnent les
poudre. Conditionnées dans agricultrices chaque jour
des pochettes de 200 g avec
une durée de conservation En plus de nouveaux produits à base
d’un an, les graines sont de graines de caroube, LifePro travaille
vendues 850 NGN (2,08 €) au lancement, d’ici deux ans, d’un cube
et sont livrées gratuitement de bouillon breveté. Adebowale Oparinu
aux clients à Abuja, Akure, espère aussi étendre ses activités au
Ibadan et Lagos. marché ghanéen en 2020. ■

30 | SPORE 195
PA I L L E S É C O L O G I Q U E

En Ouganda, une herbe locale pour


réduire la consommation de plastique
Des femmes rurales bénéficient d’un revenu supplémentaire en récoltant une herbe locale
qu’elles vendent à une start-up. Qui avec celle-ci fabrique des pailles biodégradables.

© OUR ROOTS AFRICA


Grace Musimami et Vincent Defait

L
utter contre l’usage excessif de
pailles en plastique et fournir aux
petites productrices d’Ouganda une
nouvelle source de revenus en exploitant
une plante locale : telle est l’ambition de
l’entreprise Our Roots Africa.
Lancée en mars 2019, l’entreprise
a déjà vendu auprès de restaurants,
d’hôtels et de particuliers quelque
10 000 pailles biodégradables faites à
partir d’une herbe sauvage – Luseke
grass. Près de 200 agricultrices – 20 au
centre de production, 180 qui récoltent
l’herbe – complètent ainsi leurs reve-
nus en fournissant cette herbe coupée
à Our Roots Africa. “Notre intention est
d’avoir un impact sur les revenus quoti-
diens des femmes”, explique Nakawuki
Stella Lukwago, l’une des six employés
de l’entreprise basée à une quarantaine 200 agricultrices complètent leurs revenus en
de kilomètres à l’ouest de la capitale la majorité des femmes rurales vit avec fournissant à l’entreprise Our Roots Africa une
Kampala. moins d’un dollar par jour. C’est le cas herbe nécessaire à la fabrication de pailles.
Our Roots a formé les femmes à d’Atim Harriet, qui gagne 5 000 shil-
sélectionner les herbes, dont le centre lings ougandais (1,25 €) par journée de l’entreprise.“Nous avons des commandes
est creux, et à les ramasser sans les collecte. “Avant de rejoindre ce projet, la de restaurants du Brésil, du Royaume-
abîmer. Au centre de production, l’herbe vie était difficile. Je souffrais beaucoup Uni et d’Allemagne”, affirme Nakawuki
est ensuite triée par taille (pour en faire du fait des obligations ménagères”, dit Stella Lukwago. Our Roots ambitionne
des mélangeurs ou des pailles), lavée, l’agricultrice qui peut désormais mieux d’obtenir la certification FairTrade afin
lissée et bouillie pour la désinfecter. Les subvenir aux besoins de sa famille. de pénétrer le marché européen. L’UE a
pailles sont ainsi produites deux fois par “Nous nous assurons que les femmes en effet interdit les pailles en plastique
semaine. ont aussi suffisamment de temps pour non réutilisables à partir de 2021.
La qualité de l’herbe varie selon sa cultiver pour leur famille”, précise “D’ici cinq ans, nous ambitionnons de
provenance. Ainsi, les pailles prove- Nakawuki Stella Lukwago. travailler avec un millier d’agricultrices.
nant du district de Masaka peuvent être Pour l’heure, le coût de transport de Notre rêve est de faire de l’herbe Luseke
réutilisées, tandis que celles obtenues à l’herbe reste un obstacle majeur pour une nouvelle culture commerciale sur le
partir d’herbe des districts de Lwengo, la petite entreprise. De plus, beau- marché international”, confie Nakawuki
Rukungiri et Kabale ne sont utilisables coup d’agriculteurs préfèrent brûler les Stella Lukwago. Our Roots effectue
qu’une fois. buissons pour préserver leurs champs, aussi des tests dans un jardin afin de
D’après Nakawuki Stella Lukwago, les ignorant que l’herbe Luseke peut être déterminer les meilleures conditions de
agricultrices gagnent entre 20 et 50 USD une source de revenus supplémentaires. production de l’herbe. L’étape suivante
(entre 18,30 € et 45 €) par mois en plus, Un paquet de 25 pailles est vendu consistera à cultiver l’herbe Luseke à
ce qui est considérable dans un pays où 6 USD (5,45 €) sur le site web de grande échelle. ■

SPORE 195 | 31
SYSTÈMES AGROALIMENTAIRES

FORMATION GRATUITE

Au Kenya, une ferme-école


en lien avec le marché
Dans l’ouest du pays, un centre de formation local dispense des conseils techniques
sur les meilleures pratiques et permet aux petits producteurs de mieux comprendre
le fonctionnement du marché.

© IAGRIBIZ AFRICA MODEL FARM


James Karuga

A
u Kenya, plus de 2 000 petits
producteurs ont reçu une for-
mation et un accompagnement
technique sur la production de cultures
à forte valeur ajoutée, la constitution de
coopératives et les subtilités de la négo-
ciation des prix. Le tout, gratuitement.
Les formations sont dispensées par
iAgribiz Africa Model Farm, une ferme-
école du comté de Nandi, dans l’ouest du
pays, créée en 2018 par Rodgers Kirwa,
27 ans, sur les bénéfices de ses propres
récoltes. Les formations ont permis aux
agriculteurs locaux d’augmenter leurs Les stagiaires d’iAgribiz apprennent à former des coopératives et à produire des cultures à forte valeur ajoutée.
rendements jusqu’à 100 %.
Trois serres ont été installées sur le

93 482 €
demi-hectare d’iAgribiz pour la démons- agriculture locaux et les met en contact
tration et la présentation de différentes avec des programmes de bourses dans
pratiques, telles que la production bio- des pays comme la Chine et Israël. Les générés en ventes alimentaires
logique, les cultures intercalaires et la stagiaires et les agriculteurs sont encou- sur 3 ans
technique d’irrigation goutte-à-goutte. ragés à visiter les marchés locaux pour
Les petits exploitants peuvent égale- identifier les cultures qui seront en

300
ment se familiariser avec les qualités demande au moment de la récolte et ainsi
nutritionnelles des cultures horticoles à éviter les pertes post-récolte. “Les agri-
forte valeur ajoutée, comme le brocoli, le culteurs ont très longtemps cultivé leurs fermes verticales ont été construites
piment et la laitue, et apprendre à diver- terres sans comprendre quels étaient les depuis 2016
sifier les cultures de base courantes, telles besoins des marchés, c’est pourquoi les
que le maïs et les haricots. marchés doivent désormais être le point
“La plupart des petits exploitants agri- de départ de leurs recherches”, soutient Les stagiaires d’iAgribiz apprennent
coles ne se servent pas des techniques Rodgers Kirwa. aussi à former des coopératives afin
agricoles ou ne fréquentent pas les ins- En effectuant un stage iAgribiz en d’accroître leur pouvoir de négociation
tituts de recherche agricole afin d’élargir 2018, Pierra Nyaruai a appris que les lors de la vente de leurs produits. Par
leurs connaissances”, souligne Rodgers cultures intercalaires de ses brocolis, ailleurs, iAgribiz met les coopératives
Kirwa. Son objectif, avec iAgribiz, était de choux, poivrons et épinards peuvent en relation avec des fournisseurs d’in-
convaincre les agriculteurs des avantages améliorer la fertilité des sols et la lutte trants afin qu’elles bénéficient de prix
que présentent des techniques comme les contre les ravageurs, ainsi qu’augmenter réduits sur les intrants et les conseils
serres et l’irrigation goutte-à-goutte pour les niveaux de production. Depuis, ses agricoles. À l’avenir, Rodgers Kirwa
les aider à maintenir une production et à rendements ont augmenté de 20 % et ses prévoit de créer des fermes modèles
générer des revenus tout au long de l’année. revenus de 3 %. “Avant de cultiver quoi partout au Kenya, en plus de celles à
Cette ferme modèle propose aussi des que ce soit, je me renseigne sur l’état du Kiambu (province centrale) et d’Eldoret
stages de 3 à 4 mois à des étudiants en marché”, ajoute-t-elle. (vallée du Rift). ■

32 | SPORE 195
C U LT U R E S V I V R I È R E S

Des fermes verticales


pour des revenus en hausse
En Ouganda, des groupes de femmes marginalisées, sans terres, pratiquent
une agriculture verticale et le lombricompostage afin d’augmenter les revenus
et la sécurité alimentaire dans la capitale.

Peter Wamboga-Mugirya

P
lus de 880 femmes de bidonvilles d’activité. “Comme elles ne possèdent notre propre atelier de fabrication
ougandais pratiquent l’agricul- pas de terres, nous leur apprenons à de fermes verticales et une ferme de
ture verticale pour produire des construire des fermes verticales, moins démonstration dans le district de Mityana
cultures vivrières, comme des hari- dépendantes du sol, et à cultiver des (nord-ouest de Kampala)”, annonce
cots, aubergines, nakatti (légume vert plantes à l’aide de l’irrigation goutte- Lilian Nakigozi.
courant dans le centre de l’Ouganda), à-goutte”, explique Lilian Nakigozi, De plus, les femmes apprennent à faire
pois, épinards et tomates. Après avoir cofondatrice de Women Smile Uganda. du compost à partir de déchets urbains
été organisées en groupes et avoir reçu L’ONG a commencé ses activités dans biodégradables. Pour ce processus de lom-
une formation pratique de l’ONG locale les bidonvilles de Katanga, à Kampala, bricompostage, les femmes mélangent des
Women Smile Uganda, ces femmes ont en constituant des groupes de 20, déchets de papier, de la bouse de vache, des
déjà généré des ventes de produits pour 30 ou 50 femmes. Depuis 2016, Women déchets de cuisine, des vers de terre et de
une valeur de 93 482 € en trois ans Smile Uganda a fait construire plus de l’eau, puis mettent cette matière dans des
300 fermes verticales par bidons où elle se décompose en 10-15 jours.
l’organisation Community L’engrais est mélangé à de la terre et déposé
Innovations Hub, en utili- dans les caisses en bois des fermes ver-
sant des structures en bois ticales, où sont plantées les cultures.
à assemblage simple qui Celles-ci mettent jusqu’à trois mois pour
peuvent accueillir 50 et arriver à maturité et sont achetées, pour
100 kg de produits par saison. la plupart, par un grossiste spécialisé dans
“Nous avons deux saisons de les produits frais du marché de Kalerwe,
culture par an. Nous renfor- au nord de Kampala. “Nous récoltons
çons la capacité des femmes 5-10 sacs de légumes par mois, soit un
à augmenter elles-mêmes la minimum de 60 sacs par an”, comptabilise
production des fermes ver- Maureen Nalunga, présidente du groupe de
ticales car l’intérêt pour ce Twekembe, à Katwe, le plus grand de tous.
système grandit sans cesse”, “Nos membres sont heureuses des change-
souligne-t-elle. Une équipe ments positifs dans leurs vies.”
de 15 personnes accomplit “En novembre, nous lancerons une
un travail de vulgarisation ferme verticale à Kisenyi, le bidonville
auprès des femmes. le plus étendu de Kampala”, annonce
Chaque groupe paie une la dirigeante de l’ONG. “Des réfu-
cotisation et reverse 5 % de giées somaliennes seront au nombre
ses ventes à Women Smile des bénéficiaires. Actuellement, nous
Uganda. “Avec les sommes ouvrons notre dernière succursale dans
épargnées, nous allons créer la ville d’Arua, dans la région du Nil du
nord-ouest, près de la République du
© WOMEN SMILE UGANDA

Congo et du Soudan du Sud.” Women


Les fermes verticales aident Smile Uganda ambitionne d’enrôler
880 femmes sans terre en Ouganda jusqu’à 3 500 femmes d’ici à 2023, et de
à produire jusqu'à 100 kg de produits leur permettre d’obtenir des microcré-
par saison. dits auprès d’institutions financières. ■

SPORE 195 | 33
FINANCE & ASSURANCE

CRÉDIT ET FINANCEMENT

Des solutions
tournées vers
l’avenir
En Afrique, les petits exploitants agricoles peinent à obtenir
des crédits ou des prêts qui leur permettraient d’accroître
leur production. L’une des solutions réside dans des partenariats
avec les institutions financières.

Helen Castell

E
n Afrique, les petits exploitants d’identification nationale et d’adresse porte ses fruits au Ghana, où le Fonds
agricoles peinent à obtenir des numérique, qui attribue à chaque lieu et pour le développement des exporta-
crédits ou des prêts qui leur per- propriété un code d’adresse unique pour tions, du commerce, de l’agriculture et
mettraient d’accroître leur production. aider les agriculteurs (et d’autres acteurs) de l’industrie, financé par le gouverne-
L’une des solutions réside dans des par- à accéder aux services financiers offi- ment, a imposé un taux de 2,5 % sur les
tenariats avec les institutions financières. ciels, précise Buddy Buruku. Désormais, prêts octroyés par les banques commer-
Les gouvernements ont le pouvoir les grandes entreprises agroalimentaires ciales, qui ont à leur tour été autorisées à
et la responsabilité d’améliorer l’accès doivent accélérer le passage des paie- imposer un taux pouvant atteindre 12 %,
des petits exploitants au financement ments en espèces vers les paiements garantissant ainsi une marge de 9,5 %
agricole, affirme Jerry Parkes, respon- numériques. Selon Buddy Buruku, ces pour couvrir les risques de crédit.
sable général d’Injaro Investments, un efforts de numérisation devraient être Jerry Parkes estime que les banques
gestionnaire de fonds d’impact axé sur entrepris en premier lieu par les grandes de développement, les fondations et
l’agriculture. C’est aussi à eux, dit-il, agences gouvernementales, telles que le les autres bailleurs de fonds devraient
d’investir dans le développement des Conseil du cacao du Ghana, qui est habi- également investir davantage d’argent à
chaînes de valeur agricoles et de mobi- lité à appliquer des directives politiques des taux préférentiels dans des fonds de
liser les ressources du secteur privé, des sur la numérisation des paiements. financement mixte axés sur l’agricul-
institutions financières, des donateurs ture, en particulier ceux dont la durée de
et des ONG. Buddy Buruku, consul- Tirer parti des taux préférentiels vie est plus longue, tout en subvention-
tant en services financiers numériques Avant d’accorder des prêts aux petits nant des outils d’atténuation des risques
auprès du groupe de réflexion de la producteurs agricoles, les banques comme les assurances et en finançant
Banque mondiale – Consultative Group commerciales doivent emprunter l’assistance technique en faveur des
to Assist the Poor –, explique que les à des taux très élevés dans certains agriculteurs. Simon Schwall, PDG de la
gouvernements devraient également se pays. Cependant, si les gouvernements société d’assurance agricole OKO, aime-
faire les champions de la numérisation accordaient aux banques des prêts rait que les bailleurs de fonds s’associent
afin de s’associer, le cas échéant, à des subventionnés à des taux dits “préféren- davantage à des start-up prometteuses,
entreprises agroalimentaires du secteur tiels”, les banques seraient en mesure de en leur accordant une aide financière
privé. prêter davantage aux agriculteurs tout en au démarrage ou un financement leur
Le gouvernement du Ghana fait par- réalisant des bénéfices, affirme Andrew permettant de se développer dans des
tie de ceux qui sont sur la bonne voie, Ahiaku, responsable de l’agribusiness à domaines qui ne sont pas encore com-
depuis la mise en place d’un système la Fidelity Bank Ghana. Cette approche mercialement viables.

34 | SPORE 195
© SMARTMONEY INTERNATIONAL
Pour Michael Spencer, PDG de SmartMoney International, les institutions financières doivent nouer des relations de travail plus étroites avec les communautés rurales.

Les régulateurs financiers devraient Le potentiel des partenariats besoins et contraintes uniques des mar-
aussi adopter une approche plus souple Le développement de solutions de chés ruraux est de détacher du personnel
et plus réactive en matière d’innovation financement de la chaîne de valeur est dans les communautés rurales pendant
dans le domaine du financement agricole. également favorisé par des partenariats une longue période, de recruter et former
Par exemple, lorsque l’ACRE (initialement multi-acteurs impliquant des intervenants les membres de ces communautés et
Kilimo Salama) a commencé à regrouper tels que des banques, des institutions d’établir des partenariats avec eux.
les assurances et les semences et à les financières multilatérales, des sociétés Selon Andrew Ahiaku, les organisations
vendre par l’intermédiaire de négociants coopératives d’épargne et de crédit, des paysannes devraient également être plus
agricoles kényans, sa méthode de distri- fournisseurs de services d’assurance, des proactives dans leur travail avec les agré-
bution n’a pas été approuvée par l’autorité fournisseurs d’intrants, des acheteurs de gateurs, ce qui permettrait de réduire les
de réglementation des assurances du produits et des organisations paysannes coûts pour les institutions financières qui
Kenya. Le régulateur a toutefois autorisé travaillant en “circuit fermé”, estime Stella fournissent des services aux agriculteurs.
le déploiement du projet pilote à plus Ndirangu, spécialiste en inclusion finan- À titre d’exemple, la Fidelity Bank Ghana
grande échelle et a ensuite entrepris de cière chez ACRE Africa. Selon elle, de tels est actuellement en pourparlers en vue
modifier la politique (voir l’article de Spore partenariats permettraient aux agricul- de soutenir 40 000 petits exploitants en
intitulé Rendre l’assurance indicielle rentable). teurs de bénéficier de solutions financières mettant en relation un distributeur d’in-
Les régulateurs tanzanien et rwandais ont pour obtenir les meilleurs intrants et de trants avec des organisations paysannes
également répondu au travail de lobbying solutions de gestion des risques pour amé- par l’intermédiaire d’agrégateurs et en les
de l’ACRE visant à supprimer les taxes sur liorer leur production. accompagnant jusqu’à la dernière étape
l’assurance récolte afin de la rendre plus Les banques commerciales et les four- du processus. Il déclare : “Grâce à ce par-
abordable. nisseurs de microfinancement pourraient tenariat, le distributeur d’intrants a réduit
La mise en place de réglementations atteindre les petits exploitants des zones ses prix, la banque a baissé ses taux et les
permettant aux entreprises privées de rurales à un coût plus abordable en créant risques ont été largement atténués. Ces
tester leurs innovations à petite échelle conjointement un réseau de points de partenariats sont indispensables.”
dans un environnement contrôlé vente qui leur permettrait de se procurer Aider les petits exploitants agricoles
encouragerait aussi l’innovation, estime tous les produits, selon Simon Schwall. à tirer parti des solutions de crédit et de
Simon Schwall. L’adoption de solutions Michael Spencer, PDG de SmartMoney financement dont ils ont besoin pour
agrotechniques pour desservir les zones International, considère pour sa part se développer constitue un défi à mul-
les plus difficiles d’accès permettrait que nouer des relations de travail plus tiples facettes pour lequel il n’existe pas
aux banques commerciales de réduire étroites avec les communautés rurales de solution facile. Toutefois, avec plus de
le coût des crédits octroyés aux petits serait profitable pour toutes les organi- coopération et d’innovation et sous l'im-
exploitants, ce qui les encouragerait à sations impliquées dans le financement pulsion d'un leadership et d'un soutien
en accorder davantage, ajoute Andrew agricole. Selon lui, la seule façon de créer accrus des gouvernements, de formidables
Ahiaku. des produits financiers tenant compte des perspectives se profileront à l’horizon. ■

SPORE 195 | 35
COMMERCE & MARKETING

MARCHÉS ALIMENTAIRES

Échanges commerciaux intra-africains :


tendances et opportunités
De nouvelles mesures politiques, les zones de libre-échange et de nombreux projets
numériques transforment les échanges régionaux de produits alimentaires en Afrique
et offrent de nouveaux débouchés aux acteurs de la chaîne de valeur agricole.

Sophie Reeve

U
ne population plus nombreuse, développement (BAD), le commerce au “commerce agricole africain dans un
une urbanisation croissante et intra-africain ne représentait que 17,6 % environnement en mutation”. Antoine
une classe moyenne en plein du total des exportations africaines en Bouët, coresponsable du Programme
essor : autant de facteurs qui expliquent 2017 et les produits agricoles seule- “Mondialisation et marchés” à l'Institut
l’augmentation de la demande ali- ment 20,7 % du total des exportations international de recherche sur les poli-
mentaire et une plus grande diversité intra-africaines en 2016. tiques alimentaires (IFPRI), y a présenté
de produits et d’aliments transformés Il est donc nécessaire de renforcer les conclusions de l’Africa Agriculture
en Afrique. En conséquence, la valeur les échanges commerciaux et l’inté- Trade Monitor 2019 (AATM), une initiative
du marché alimentaire africain devrait gration au niveau régional, comme cela conjointe de l'IFPRI et du CTA. Selon
augmenter jusqu’à 900 milliards d'eu- a été souligné lors du 58e Briefing l'AATM, les produits de base repré-
ros, d’ici à 2030. Toutefois, selon les de Bruxelles sur le développement sentent toujours la grande majorité des
estimations de la Banque africaine de (https://tinyurl.com/wuaszxw) consacré exportations agricoles africaines, les-
quelles ne sont donc pas suffisamment
diversifiées pour garantir la résilience
© FREDRICK OMONDI

des échanges. Le coût des exportations


sur les marchés africains et inter-
nationaux est par ailleurs élevé. Les
données clés présentées dans l'AATM et
analysées par l’AGRODEP – un réseau
africain d'analystes des politiques
commerciales – seront utilisées pour
informer les décideurs politiques et les
acteurs de la chaîne de valeur sur les
possibilités d’investissement dans le
commerce régional.

Les leçons à tirer des success stories


Ce Briefing a aussi été l’occasion de
présenter les principales initiatives
politiques visant à aider l’Afrique à
relever les défis des échanges commer-
ciaux régionaux, dont la mise en place
de la Zone de libre-échange continen-
tale africaine (ZLECA). Lancé en juillet
2019, cet accord devrait stimuler le
commerce intrarégional dans un mar-
ché africain de 1,2 milliard d'habitants,
mais il faut d’abord relever les défis
des mesures non tarifaires, des procé-
La ZLECA devrait considérablement stimuler les échanges commerciaux dans un marché africain dures douanières et des infrastructures
de 1,2 milliard d'habitants. de transport. D'autres facteurs liés au

36 | SPORE 195
© TRAVELPIXS/ALAMY STOCK PHOTO
En Afrique, la classe moyenne et urbaine émergente demande davantage de produits alimentaires transformés.

commerce, tels que l’harmonisation des référence à la ZLECA, lors de la récente mettre des agripreneuses en contact
normes pour la création d’un marché réunion de l'AWIEF qui avait pour thème avec des investisseurs et réseaux
unique et un niveau élevé d'intégration Enhancing impact: digitalisation, investment potentiels. “La plateforme renforcera la
des politiques nationales, soutenu par and intra-African trade (Un impact accru capacité des femmes et des jeunes du
des mécanismes d’application judi- : numérisation, investissement et com- continent à se lancer dans le commerce
ciaire, ont été identifiés comme ayant merce intra-africain). transfrontalier des produits agricoles,
contribué au succès de la politique et à contribuer ainsi à la croissance
agricole commune de l’UE. L’exemple économique”, affirme Chris Kiptoo,
de la PAC pourrait ainsi être utilisé pour “L’Afrique doit absolument secrétaire principal du ministère du
documenter les politiques commer- Commerce du Kenya.
ciales régionales de l'Afrique, d’après
développer ses Selon Akinwumi Adesina, pré-
Alan Matthews du Trinity College
Dublin en Irlande.
échanges commerciaux sident de la BAD, les investissements
dans les projets et les infrastructures

Tirer parti des technologies


intracontinentaux et numériques seront essentiels pour
promouvoir la mise en place de plate-
numériques stimuler la coopération formes de paiement numérique pour
“L’Afrique doit absolument déve- le commerce africain et l’émergence
lopper ses échanges commerciaux entre les pays du continent.” d’entrepreneurs du numérique. Pour
intracontinentaux et stimuler la coo- promouvoir les possibilités de com-
pération entre les pays du continent”, a merce, la Banque ne se contente plus
souligné Irene Ochem, fondatrice et C’est lors de l'AWIEF qu’a été lancé d’investir dans les infrastructures
PDG de l'African Women Innovation #VALUE4HERConnect (https://tinyurl. physiques – routes, ports et aéroports –
and Entrepreneurship Forum (AWIEF), com/yx4hpdk6), une plateforme mais finance aussi à présent la création
un événement annuel qui vise à mettre numérique qui vise à aider les femmes de structures numériques pour ren-
en avant la montée en puissance des entrepreneurs à exploiter les possibili- forcer les liens entre les pays africains.
créatrices d’entreprise et des innova- tés offertes par la ZLECA. La plateforme “Nous avons ainsi financé le réseau
trices en Afrique. “Il faut donc examiner mise en place conjointement par le transsaharien à fibre optique, qui relie
le rôle que les femmes pourraient jouer CTA et l'AWIEF compte déjà plus de le Nigeria, le Niger, le Tchad à l'Algé-
dans le processus”, a-t-elle expliqué, en 400 membres. Elle a pour vocation de rie”, indique Akinwumi Adesina. ■

SPORE 195 | 37
LEADERS EN AGRIBUSINESS

ISAAC SESI

"Soyez persévérant,
le succès ne se
construit pas
en un jour"
Sesi Technologies met à disposition des agriculteurs africains des
technologies abordables pour les aider à accroître leur productivité
et à réduire leurs pertes. Entretien avec son cofondateur, Isaac Sesi.

© AMERICAN ASSOCIATION FOR THE ADVANCEMENT OF SCIENCE


Susanna Cartmell-Thorp

S
esi Technologies a vu le jour dans
le cadre d’un projet de recherche à
l’Université des sciences et techno-
logies Kwame Nkrumah, au Ghana. Isaac
Sesi, ingénieur électricien, a été recruté
pour aider la nouvelle équipe à développer
un hygromètre pour céréales à bas coût,
appelé GrainMate. Il a ensuite réalisé que
cet appareil pouvait être commercialisé.

En tant qu’entrepreneur, quel est le princi-


pal enseignement que vous souhaitez parta-
ger avec les aspirants entrepreneurs ?
Je conseillerais surtout aux jeunes de
se concentrer sur un objectif précis, de
s’y tenir et d’être persévérants, car le Isaac Sesi veut autonomiser les agriculteurs
succès ne se construit pas en un jour. appropriées et d’avoir la motivation africains grâce à des technologies abordables.
Aujourd’hui, les jeunes semblent pres- nécessaire pour la rendre économique-
sés et, s’ils n’obtiennent pas de résultats ment viable.
rapidement, ils passent à autre chose. À de l’ingénierie et des mathématiques
une époque, je dirigeais trois entreprises Un rapport de 2018 du Forum écono- (STEM) ainsi que de l’IA devrait faire
en même temps et je me sentais vrai- mique mondial sur les inégalités entre les partie des programmes scolaires et les
ment épuisé ; je m’éparpillais. Je devais sexes souligne que seulement 22 % des pro- jeunes filles devraient être encouragées
me partager entre ces trois sociétés et la fessionnels de l’intelligence artificielle (IA) et incitées à choisir ces filières. Une fois
croissance se faisait attendre. J’ai donc sont des femmes. Que faut-il changer pour qu’elles commenceront à s’intéresser
décidé de me concentrer uniquement réduire cet écart ? aux disciplines STEM et à réaliser le
sur Sesi Technologies, car j’avais l’im- Tout commence à l’école. L’appren- potentiel de l’IA, et qu’elles prendront
pression de disposer des compétences tissage des sciences, de la technologie, conscience de la différence qu’elles

38 | SPORE 195
© SESI TECHNOLOGIES
GrainMate est un humidimètre qui permet aux
producteurs de mesurer avec précision
l’humidité de leurs grains avant le stockage afin
de diminuer les pertes post-récolte.

“L’IA devrait
faire partie des
programmes
scolaires et les jeunes
filles devraient être
encouragées et
incitées à choisir ces
filières.”
peuvent faire dans leur communauté
en travaillant dans ces secteurs, la
Le CTA organise un concours similaire, le
Pitch AgriHack, ouvert aux jeunes entrepre-
“Les obstacles
décision de se lancer dans l’IA suivra
naturellement.
neurs. Quelle est, selon vous, l’importance de
ces compétitions, y compris pour ceux qui ne
obligeront les
Ma passion pour les STEM m’a amené décrochent pas la récompense ? jeunes à réfléchir à
à cofonder la Nsesa Foundation, une Le prix en argent ne représente qu’une
organisation sans but lucratif qui entend petite partie des bénéfices potentiels la façon dont nous
susciter une révolution de l’innovation pour les participants. En effet, beau-
en Afrique et encourager les jeunes coup offrent aussi des formations et construisons des
Africains à relever les défis à l’aide des des services de mentorat, et essaient
sciences et de la technologie. Depuis de connecter les finalistes à un réseau choses, élaborons
2013, nos programmes ont formé des de contacts qui peuvent les aider. Mais
centaines d’étudiants et atteint plus de l’importance de ces aspects ne peut être des solutions et
300 000 personnes à travers le monde. quantifiée et, si on la prend au sérieux,
dépasse largement le prix en espèces développons la
Vous avez récemment été l’un des deux
lauréats du prix GoGettaz Agripreneur du
que l’on peut espérer remporter. Pour
nous, par exemple, la publicité générée résilience de ces
secteur agroalimentaire. Selon vous, pour-
quoi votre innovation a-t-elle enthousiasmé
par l’événement s’est traduite par de
nouveaux clients. Je conseillerais donc
solutions.”
le jury ? aux participants de ne pas se focaliser
La concurrence était rude, mais je uniquement sur les prix, mais de saisir d’innover en Afrique, on se heurte à de
pense que le jury a été séduit par notre toutes les opportunités offertes par ces nombreux obstacles et difficultés, mais
promesse d’utiliser la technologie pour concours. ceux-ci obligeront les jeunes à réfléchir
éliminer la pauvreté et la faim, car à la façon dont nous construisons des
l’alimentation est un enjeu majeur. Vous faites partie d’un nouveau groupe choses, élaborons des solutions et déve-
Nous explorons des business models de jeunes Africains innovants qui stimulent loppons la résilience de ces solutions dès
innovants pour rendre la technologie la transformation de l’agriculture africaine. le départ. On nous apprend à progresser,
accessible aux petits exploitants, à un Néanmoins, votre génération est confrontée quels que soient les défis, ce qui nous
prix abordable, par exemple en leur à de nombreux défis urgents. Comment cela donne confiance dans notre capacité à
permettant d’acquérir l’humidimètre affecte-t-il votre vision de l’avenir ? vaincre les obstacles. Nous savons qu’en
GrainMate contre des céréales, plutôt J’ai l’impression que les enjeux aux- tant qu’Africains nous sommes en mesure
que de payer en espèces. Nous sommes quels nous sommes confrontés nous de créer des solutions pour les surmonter.
aussi en train de lancer une fabrique offrent une chance de faire la différence Cela demande plus de travail, mais c’est
locale qui crée des emplois pour les et d’accélérer le changement, et je trouve tellement moins amusant quand tout se
jeunes et les femmes. cela passionnant. Lorsqu’on essaie fait facilement ! ■

SPORE 195 | 39
PUBLICATIONS

D I A R I ÉTO U G AY E

Les femmes
entrepreneurs sont
un levier de croissance
Directrice de la stratégie et des opérations de la Banque mondiale
pour l’Afrique, Diariétou Gaye revient sur les conclusions d’un rapport
sur le potentiel de l’entrepreneuriat féminin sur le continent.

© SARAH FARHAT/WORLD BANK


Vincent Defait

Ce rapport a révélé de nouvelles preuves des


contraintes qui pèsent sur les femmes
entrepreneurs. Qu’avez-vous trouvé qui
n’était pas connu jusqu’à présent ?
D’abord, le rapport montre qu’il y
a plus de femmes entrepreneurs en
Afrique que dans le reste du monde. En
revanche, on remarque que le niveau
de profits généré par les entreprises
dirigées par des femmes est inférieur de
34 % à celui des entreprises dirigées par
un homme. On s’est intéressé en parti-
culier à la République démocratique du
Congo : dans un couple avec l’homme
et la femme dirigeant des entreprises
différentes mais dans le même secteur,
la femme engendre moins de profits que Pour Diariétou Gaye, de la Banque mondiale, il
son mari. Par ailleurs, en moyenne, les nous avons offert à un groupe de faut offrir aux femmes la possibilité d’exercer
entreprises gérées par les hommes ont femmes une formation commerciale leur rôle dans l’économie d’un pays.
six fois plus de capital que celles gérées traditionnelle, et à un autre une forma-
par des femmes. C’est une contrainte tion axée sur les compétences sociales et qu’aujourd’hui elle a une entreprise de
majeure. Enfin, les femmes ont tendance affectives (soft skills). La différence était traiteur pour des évènements familiaux
à souvent se lancer dans les affaires dans extraordinaire. Celles qui ont suivi cette ou pour certaines activités du gouver-
des secteurs saturés : la restauration, la formation soft skills voient leurs béné- nement. La différence entre Leïla et une
coiffure, la vente de légumes ou de fruits, fices augmenter de 40 %, tandis que autre est qu’elle a pu bénéficier de ce
etc. Ceci a pour effet de limiter leurs celles ayant suivi la formation commer- genre de formation à l’entrepreneuriat et
revenus. À l’origine, il y a une différence ciale n’obtiennent pas d’augmentation au leadership.
de niveau d’éducation et de compé- significative de leurs bénéfices. Elles
tences. Les femmes n’ont pas accès aux ont appris comment prendre des initia- Le rapport comprend une série de portraits
mêmes opportunités de formation. tives, être proactives et persévérer. Le de femmes entrepreneurs. À laquelle vous
rapport présente l’exemple, au Togo, de identifiez-vous le plus ?
Pourtant, certaines femmes entrepreneurs Leïla. Elle vendait de la nourriture sur la Il y a Leïla dont je viens de parler, mais
sortent du lot. À quoi cela tient-il ? route, mais voulait devenir restauratrice. aussi Akouélé qui avait une petite bou-
Le premier facteur est lié à la forma- Après avoir suivi la formation, elle a fait tique de location de robes de mariage au
tion. Nous avons fait une expérience : croître sa micro-entreprise à tel point Togo. Après la formation, elle a diversifié

40 | SPORE 195
Agribusiness
Entrepreneuriat féminin
Nouvelle génération
Des obstacles identifiés, un potentiel à libérer
Le déploiement de la digitalisation se
Les femmes sont un levier de croissance économique, mais heurte à plusieurs défis spécifiques
encore faut-il leur donner leur chance. Voici, en substance, ce dans la zone ACP. Cette note, résumant
que soutient le rapport de la Banque mondiale intitulé Les le récent atelier du CTA “Dynamiser
bénéfices de la parité, publié en mars 2019. les connaissances pratiques pour
Ce rapport sur les contraintes sexospécifiques affectant les améliorer l’agrobusiness de nouvelle
choix et performances des femmes entrepreneurs apporte génération dans les pays ACP par la
un éclairage nouveau en examinant comment les normes digitalisation”, passe en revue ces
sociales, les réseaux et les décisions prises au sein des foyers défis : environnement politique, accès
contribuent à la réussite des entreprises. Ou à leur échec. En au financement pour se lancer puis se
l’occurrence, les femmes sont désavantagées. En se fondant développer, accès à des données fiables
sur les données d’enquêtes sur les foyers et les entreprises sur la clientèle potentielle, les sols et les
de 14 pays, le rapport trace des caractéristiques communes cultures, recrutement de compétences
aux obstacles barrant la route aux femmes entrepreneurs : droits coutumiers limitant spécifiques tant pour l’aspect technique
l’accès aux terres, égalité des droits insuffisamment garantie par la loi, patriarcat, (exemple : pilote de drone) que
formation plus faible, moindre accès aux réseaux et à l’information… pour le marketing, la gestion, l’appui
Côté recommandations, le rapport préconise des programmes de formation qui commercial.
encouragent les femmes à agir avec un état d’esprit entrepreneurial, un soutien aux
femmes avec des mécanismes d’épargne, l’injection de subventions conséquentes en Relever les défis des start-up digitales
espèces pour les femmes propriétaires d’entreprise dans le cadre de concours de business dans l'agrobusiness
plan. Il est aussi important, parmi d’autres mesures politiques, d’éliminer les contraintes Par W. Krop, V. Pilgrim et P. Neate
légales à l’égalité femme-homme et de renforcer les droits fonciers des femmes. CTA, 2019, 8 p.
Alors que les Africaines sont plus nombreuses que dans n’importe quelle autre région Pour télécharger le PDF :
du monde à se lancer dans l’entrepreneuriat, il serait temps que leur potentiel profite à https://tinyurlcom/y2fe3klq
tous, à commencer par elles.

Les bénéfices de la parité. Libérons le potentiel de l’entrepreneuriat féminin en Afrique Alimentation


Par Banque mondiale, 2019, 206 p.
Pour télécharger le PDF : https://tinyurl.com/y6249hn8 Impact économique
Le nouvel indicateur de la FAO qui mesure
la prévalence de l’insécurité alimentaire
son activité. Elle a commencé à vendre Comment espérez-vous que ce rapport est sans appel : un quart de l’humanité
des accessoires comme des voiles et des soit utilisé ? est actuellement concerné. La faim
gants, à vendre les vêtements au lieu de Il nous faut d’abord, en interne, en progresse dans presque toutes les sous-
seulement les louer, et elle a ouvert un faire un élément de notre stratégie. régions d’Afrique. Les fléchissements
deuxième magasin au Bénin. Tout est L’autonomisation des femmes est au économiques fragilisent de façon
basé sur l’innovation, la diversification cœur de la stratégie de la Banque mon- disproportionnée la sécurité alimentaire
et l’investissement. diale en Afrique. Ce genre d’études nous dans les pays où les inégalités sont les
Dès qu’on offre aux femmes la pos- aide à donner un sens à, par exemple, plus marquées ; 52 des 65 pays les plus
sibilité de développer de nouvelles nos stratégies de pays ou de région. Cela impactés au monde sont fortement
perspectives au-delà de leur simple fait partie de nos discussions avec les tributaires des exportations et/ou des
activité, elles réussissent. Lors de la for- chefs d’État et les ministres des Finances. importations de produits de base. La FAO
mation, par exemple, l’un des exercices Par ailleurs, quand les filles terminent propose des pistes d’action dans son
consiste à examiner ensemble ce qui a été leur éducation secondaire, cela crée une nouveau rapport sur l’état de la sécurité
fait la veille de façon proactive ou réac- dynamique différente. Il faut considérer alimentaire et de la nutrition dans le
tive. Les discussions de groupe aident à les femmes entrepreneurs comme un monde.
comprendre ce qu’être proactive signifie, levier de croissance d’un pays. C’est l’angle
mais contribue aussi à réfléchir sur soi- du développement que nous adoptons L’état de la sécurité alimentaire
même. Une fois que nous constatons dans notre travail avec les autorités d’un et de la nutrition dans le monde 2019
que ces formations fonctionnent, nous pays ou d’une région. C’est simple : si les Par FAO, FIDA, OMS et al.
l’évoquons avec les gouvernements. Ce femmes n’ont pas la possibilité d’exercer FAO, 2019, 32 p.
programme, par exemple, est en place leur rôle dans l’économie d’un pays, c’est ISBN : 978-92-5131-601-6
ou en cours de mise en œuvre dans plus la moitié d’une population qui ne travaille Pour télécharger le PDF :
de dix pays. pas et n’est pas productive. ■ https://tinyurl.com/y4a7kv3a

SPORE 195 | 41
PUBLICATIONS

AGROÉCOLOGIE

Les technologies
doivent servir
une transition sociale
En visant une performance économique, Mémento pour l’évaluation de l’agroécologie.

environnementale et sociale, Méthode pour évaluer ses effets


et les conditions de son développement
l’agroécologie permet une transformation Par L. Levard, M. Bertrand et P. Masse

en profondeur. GTAE, AgroParisTech, Cirad et IRD, 2019, 133 p.


Pour télécharger le PDF :
https://tinyurl.com/y5oc7c36

Yanne Boloh

Le concept d’agroécologie s’appuie à à la portée des pays ACP, comme l’il-


la fois sur les savoirs traditionnels et les lustrent les expériences de l’ONG
technologies les plus modernes pour Agronomes et vétérinaires sans fron-
que l’agriculture assure sa performance tières (AVSF) à Madagascar (diffusion
à la fois sur les trois aspects écono- des techniques en cascade par des pay-
mique, environnemental et social. Elle sans relais), au Togo (champs-écoles) et
impose une réelle transition en profon- au Honduras (dynamiser des processus
deur, comme l’expliquait en 2018 la FAO locaux d’innovation). L’analyse croi-
dans son document Les 10 éléments de sée de ces expériences, proposée par
l’agroécologie, guider la transition vers des sys- Teatske Bakker, Laurent Dietsch et Claire Les dispositifs d’appui aux transitions
tèmes alimentaires et agricoles durables. Les Ruault, montre que mieux connaître agroécologiques : du transfert de
ONG AgriSud, AVSF, CARI et GRET se sont les dimensions sociales en jeu dans les technologies à la dynamisation de processus
d’ailleurs constituées en Groupe de travail processus de changement est primordial locaux d’innovation
sur les transitions agroécologiques et ont pour améliorer l’efficacité, la pertinence Par T. Bakker, L. Dietsch et C. Ruault
produit cette année, avec d’autres par- et l’efficience des dispositifs d’appui aux AVSF, 2019, 28 p.
tenaires comme AgroParisTech, le Cirad transitions agroécologiques. Pour télécharger le PDF :
et l’IRD, un mémento pour évaluer ses Des données très précises sont aussi https://tinyurl.com/yyvtmb7w
effets et les conditions de son développe- nécessaires pour fiabiliser les prises
ment. Outre l’adaptation de la méthode de décision. Or, en Afrique, expliquent
“étude diagnostic” à l’agroécologie, le Jean-Philippe Tonneau et ses collègues
groupe de travail propose des fiches très du Cirad, les informations géospatiales
détaillées pour l’évaluation agroenviron- ne sont pas suffisamment utilisées.
nementale (de la mesure du rendement à Les infrastructures, la formation et les
la régulation des bioagresseurs en passant compétences manquent, mais surtout
par la santé des sols et la séquestration du les besoins restent mal formalisés et
carbone…) et pour l’évaluation socio-éco- l’offre technologique, impulsée par les
nomique (autonomisation des femmes, pays industrialisés, est peu adaptée aux
sécurité nutritionnelle, attractivité de caractéristiques des agricultures afri-
l’agriculture pour les jeunes…), dont les caines. L’accès aux données satellitaires
critères montrent l’ampleur des transfor- à haute résolution spatiale (jusqu’à dix
mations possibles. Les repères proposés mètres) est pourtant facilité par des ini- L’information géospatiale au service
dans le document facilitent l’analyse des tiatives internationales, mais le goulet de l’agriculture africaine
résultats et des effets des interventions d’étranglement reste le volume de don- Par J.-P. Tonneau, A. Bégué, L. Leroux et al.
sur le terrain. nées à traiter qui exige des équipements, Cirad, Perspectives n° 51, 2019, 4 p.
Relever le défi de la transition des compétences sophistiquées et une Pour télécharger le PDF :
agroécologique est incontestablement bonne connexion Internet. ■ https://tinyurl.com/y5q2lmfq

42 | SPORE 195
Commerce
La force des réseaux marchands féminins
Les femmes contribuent de façon centraux que les hommes. L’analyse de ces relations d’affaires dans la
significative à l’économie alimentaire filière du riz confirme que les activités des femmes sont limitées par
de l’Afrique de l’Ouest : elles parti- la structure même du réseau commercial qui impose une division iné-
cipent activement à la production, à la gale du travail. Les différences de genre sont particulièrement visibles
valorisation et à la vente des produis parmi les acteurs qui possèdent à la fois un fort enracinement local et
agricoles. Ce rapport du secrétariat des liens d’affaires plus étendus.
de l’OCDE, rédigé en partenariat avec Pour promouvoir l’entrepreneuriat féminin, les politiques de dé-
le Club du Sahel et de l’Afrique de veloppement doivent donc s’appuyer sur les réseaux dans lesquels
l’Ouest, illustre les opportunités du figurent les femmes. Le rapport préconise de renforcer le capital so-
commerce alimentaire pour répondre cial de ces dernières en encourageant la multiplication des relations
aux défis de l’urbanisation, mais d’affaires au sein même de la communauté où elles vivent, relations
aussi et surtout met en lumière les ancrées dans la culture locale, synonyme de solidarité et de protec-
contraintes rencontrées par les femmes. Les auteurs se sont penchés tion contre les incertitudes du commerce dans la région. Les auteurs
sur l’organisation du commerce du riz dans la zone du Dendi (Bénin, notent aussi que le champ de la promotion économique féminine est
Niger, Nigeria). Ils s’appuient sur une méthodologie encore peu cou- fragmenté et ils recommandent une meilleure coordination des ini-
rante – l’analyse des réseaux sociaux (social network analysis) – et tiatives, un effort de concertation qui passe par le renforcement des
cartographient les relations d’affaires entre près de 2 000 entrepre- échanges informels comme formels entre experts des organisations
neurs. Dans cet exemple, aucune variable n’est plus discriminante que (États, organisations internationales, ONG). ■
le genre : les hommes sont plus éduqués et ont un revenu cinq fois
supérieur à celui des femmes. Ces différences se traduisent par un
moindre accès aux services financiers et à une moindre mobilité, tant Femmes et réseaux marchands en Afrique de l’Ouest
sociale que spatiale, pour les femmes. Ces dernières occupent une Par M. Trémolières et O. J. Walther (dir.)
position plus périphérique dans les réseaux, sont moins nombreuses, Éditions de l’OCDE, 2019, 52 p.
possèdent moins de partenaires commerciaux, jouent moins le rôle ISBN : 978-92-6444-854-4
d’intermédiaire et sont moins bien connectées aux acteurs très Pour télécharger le PDF : https://tinyurl.com/yxemp8s4

Accès au marché
Au Samoa, l’importance de la famille
Dans les Îles Samoa, l’organisation Par ailleurs, l’organisation forme et aide de jeunes agriculteurs, organise
Women in Business Development des marchés agricoles nocturnes, fournit des solutions numériques aux
Incorporated (WIBDI) est passée producteurs pour accéder aux marchés, soutient la production d’huile
d’une approche axée sur les femmes vierge de noix de coco bio vendue, entre autres, à la chaîne The Body Shop.
à une démarche impliquant tous les L’exemple de WIBDI a donné l’occasion au CTA de mettre en place
membres de leur famille. Le but : l’atelier “Dynamiser
les connaissances pratiques pour rendre l’agri-
réussir à commercialiser des produits culture accessible aux femmes dans
les pays ACP”, présenté dans ce
haut de gamme sur les marchés lo- document. Ça marche : dans un pays de 200 000 habitants, la voie
caux et mondiaux. privilégiée pour des produits à haute valeur ajoutée exportables est
WIBDI part du principe que les l’agriculture biologique, à laquelle se sont convertis 796 familles qui
femmes et les familles vulnérables cultivent 33 000 hectares, cinq entreprises de transformation et quatre
sont capables de prendre en main leur villages totalement bio. ■
destin et de contribuer à la vie économique de leur village et de leur
pays en générant des revenus et en créant des emplois. L’approche
centrée sur la famille postule que chaque membre a un rôle à jouer Une approche axée sur la famille pour des marchés agricoles fructueux
dans l’exploitation agricole, dans la sécurité alimentaire et la bonne Par T. Apa, I. Boto, C. Addison et al.
nutrition de la famille. Pour WIBDI, tout commence par les femmes, ce CTA, 2019, 8 p.
qui suppose que leurs époux les soutiennent. Pour télécharger le PDF : https://tinyurl.com/yxlnl8yr

SPORE 195 | 43
OPINION

Les solutions numériques


suffisent-elles pour développer
les agroentreprises de femmes ?
C H E R N AY J O H N S O N

Un fort potentiel mais pas la panacée


La numérisation des services contribue propose des crédits. Elle tire profit de sa
à remédier à l’insuffisance de productivité sphère d’influence et de l’utilisation de
Chernay Johnson,
en Afrique. Selon un rapport publié par le données alternatives pour proposer aux
Engagement Manager,
Cenfri et insight2impact CTA, 390 solutions numériques actives ont agriculteurs abonnés des crédits dont la
été identifiées comme contribuant à une lourdeur des processus et les coûts sont
augmentation de 73 % de la productivité réduits par rapport à des services finan-
des agriculteurs et de 37 % de leurs revenus. ciers traditionnels. Par ailleurs, en matière
En Afrique, la numérisation des entre- Par exemple, au Kenya, DigiFarm soutient d’insur-tech (technologies d’assurance),
prises agricoles pourrait contribuer la mise au point de services qui aident les les recherches menées par le Cenfri ont
à assurer des moyens de subsistance petits exploitants à augmenter leur pro- montré que les agriculteurs malaisiens,
durables sur le continent, en particulier ductivité et leurs revenus. La plateforme, mexicains et singapouriens ont bénéfi-
pour les agricultrices. qui vise l’inclusion des femmes au sein des cié de contrats intelligents qui limitent
Avec l’arrivée de nouveaux acteurs agroentreprises, a atteint plus d’un mil- les coûts de la fourniture de micro-as-
économiques dans le secteur agroentre- lion d’agriculteurs, dont 43 % de femmes surances à travers l’automatisation des
preneurial africain, les plateformes (Mastercard Foundation, 2019). Autre processus de remboursement. L’Afrique
numériques gagnent en visibilité. La exemple : Farmerline, qui utilise des outils pourrait s’inspirer de ces applications.
récente étude publiée par insight2impact de communication mobile pour autonomi- Les solutions numériques peuvent
explore le paysage et l’influence grandis- ser les petits exploitants ghanéens en leur contribuer à une plus grande inclusion
sante des plateformes numériques en fournissant des informations régulières économique. Cependant, il convient de
Afrique subsaharienne (ASS). Les 3 % et essentielles sur les prix du marché, les demeurer prudent face aux risques iné-
de ces plateformes qui opèrent dans le modèles météorologiques et les techniques dits auxquels les femmes sont confrontées
secteur agricole contribuent matériel- agricoles, aide les producteurs à optimiser dans ce secteur. Généralement, les femmes
lement à l’inclusion économique des leurs rendements. Cette application mobile peinent à avoir accès aux terres agricoles,
agricultrices. À titre d’exemple, Trotro a été mise à la disposition de 200  000 petits elles sont mal représentées au sein des
Tractor – un service ghanéen de type exploitants en Afrique de l’Ouest. Non systèmes de coopératives et les ressources
“Uber” pour les tracteurs – permet aux seulement elle les informe, mais elle financières permettant de mettre en place
agricultrices de solliciter plus librement assure également le suivi de leurs inter- des programmes d’inclusion des femmes
des services de labour et de bénéficier ventions à travers des sondages. L’initiative dans les entreprises agricoles sont difficiles
d’un meilleur accès que celui que leur a démontré son influence positive sur la à obtenir. Ces difficultés ont contribué à
offrent les structures de coopératives tra- productivité des femmes au sein des entre- creuser sans relâche les écarts de salaires
ditionnelles, au sein desquelles les idées prises agricoles. entre les femmes et les hommes dans le
reçues culturelles font souvent passer les Les services financiers numériques secteur agricole. Des études de cas montrent
besoins des agriculteurs avant ceux des peuvent aider les agricultrices à mieux que les solutions numériques adaptées aux
agricultrices. De plus, les plateformes gérer les risques qui menacent leur besoins des femmes ont un rôle central
numériques du secteur agricole africain subsistance. Les plateformes de numé- à jouer dans la lutte contre ces inégalités.
proposent des services financiers tels risation pour l’agriculture (D4Ag) ont Toutefois, nous sommes tous conscients
que le crédit, l’épargne et l’assurance aux démontré leurs bienfaits pour les agricul- des risques que seules les femmes courent
agriculteurs du réseau, ce qui permet à trices, à travers la fourniture de services dans ce secteur, ainsi que de l’absence de
ceux-ci de mieux gérer les risques asso- financiers adaptés. À titre d’exemple, la solution miracle pour parvenir à l’égalité
ciés à leurs activités quotidiennes. plateforme numérique MFarm au Kenya entre les femmes et les hommes. ■

44 | SPORE 195
RUPERT SCOFIELD

L’indispensable complémentarité
de solutions non virtuelles
des femmes. De plus, des initiatives ont nettement moins de chances que
Rupert Scofield,
président, PDG et comme FarmDrive démocratisent l’ac- les hommes de posséder des terres. Et
cofondateur de FINCA cès aux prêts et aux services financiers, comme les agricultrices sont rarement
International en veillant à ce que les petits exploitants propriétaires de titres fonciers, il leur
puissent demander un prêt, obtenir une manque les garanties nécessaires pour
cote de solvabilité en temps réel, gérer avoir accès aux prêts et aux finance-
Les solutions numériques dans le leur portefeuille et accéder à des ana- ments bancaires.
secteur agricole ont des implications lyses de données approfondies à partir Pour aider les femmes, les outils
considérables pour les femmes en de leur téléphone. Pour les agricultrices numériques doivent s’accompagner
Afrique. africaines, ce modèle alternatif d’éva- de solutions complémentaires non
Ignitia, une société faisant partie de luation de la solvabilité de FarmDrive virtuelles. C’est ce que font de nom-
l’initiative FINCA Ventures, fournit des peut changer la donne. breuses entreprises sociales. Meridia,
prévisions météorologiques très précises Ceci dit, les outils numériques à eux par exemple, s’emploie à rendre la pro-
et accessibles, qui aident les 95 % de petits seuls ne suffisent pas pour développer priété foncière plus équitable au Ghana
producteurs dépendants de l’agriculture les agroentreprises de femmes à grande et au Malawi en associant technolo-
pluviale à prévoir les phénomènes clima- échelle, s’ils ne tiennent pas compte gie de géolocalisation et validation de
tiques tropicaux. Ignitia travaille avec six des nombreux obstacles auxquels sont documents juridiques. En Zambie, Good
opérateurs de réseau mobile en Afrique confrontées les agricultrices. Le princi- Nature Agro, une société dans laquelle
de l’Ouest, leur donnant ainsi accès à pal étant le niveau inégal d’instruction a investi FINCA Ventures, propose des
100 millions d’abonnés. Les prévisions – tant financière que numérique – entre services de vulgarisation qui triplent
sont envoyées aux abonnés via des mes- les sexes. Selon l’Union internationale les revenus nets des petits exploitants,
sages (SMS) faciles à lire, utilisables sans des télécommunications, l’Afrique est tout en collectant des statistiques sur les
smartphone et compréhensibles par des le seul continent où l’écart numérique agriculteurs à l’aide de l’outil de gestion
personnes peu instruites. entre les hommes et les femmes s’est des données agricoles Smallholdr.
Les paiements mobiles et les pos- creusé depuis 2013. Pour développer les agroentreprises
sibilités de financement basées sur le Les femmes font aussi face au pro- de femmes, il ne suffit donc pas de
numérique peuvent aussi aider les petits blème des droits fonciers locaux. Alors leur offrir une solution numérique. Il
exploitants. D’après une étude de 2016, que celles-ci sont surreprésentées dans faut aussi remédier aux obstacles aux-
les services de paiement mobile au le secteur agroalimentaire, les agroentre- quels elles sont confrontées, en termes
Kenya contribuent à la réduction de la prises détenues par des femmes sont d’adoption et d’utilisation d’un produit
pauvreté, en particulier dans les ménages rares : moins de 15 % des propriétaires ou service, aux défis tout au long de la
dirigés par une femme, tout en élargis- de terres agricoles sont des femmes. chaîne de valeur, ou aux obstacles systé-
sant le choix d’activité professionnelle En Afrique subsaharienne, les femmes miques dans la société en général. ■

Sondage
Autres débats
Les solutions numériques suffisent-elles
Visitez les pages Opinion sur
pour développer les agroentreprises de femmes ? le site de Spore pour lire l'avis
d'un troisième spécialiste sur
le sujet. Un nouveau débat est
Oui 71 % mis en ligne tous les mois.

Non 29 % https://spore.cta.int/fr/opinions

SPORE 195 | 45
“Ça a été vraiment satisfaisant de travailler
pour Spore. J’espère que le site web restera
accessible parce que les articles sont très
instructifs, éducatifs et seront très pertinents/
utiles aux lecteurs pour des années. Je suis
ravi d’y avoir contribué – merci énormément
à tous.”
Oluyinka Alawode (correspondant Spore), Nigeria

“Le contenu – c’est brillant. Spore a suscité


des discussions et des changements.”
Talot, secrétaire général de PROMODEV, Haïti

“Les changements insufflés par Spore s’inscrivent dans le


temps parce qu'ils n'ont pas eu un impact uniquement sur
moi, mais sur beaucoup, beaucoup de personnes.”
James Rubakisibo, coordinateur national,
Rwandese Health Environment Project Initiative

ACCÉDER À SPORE EN 2020


Le contenu de Spore reste en ligne spore.cta.int

EPUBs de Spore
Spore est désormais disponible en format EPUB sur Apple iTunes. Tous les numéros de Spore, dont le plus récent, sont accessibles
sur https://tinyurl.com/v4zr5zf. Vous pouvez aussi lire Spore sur Google Books à l’adresse https://play.google.com/store/books/author?id=CTA

Si vous voulez faire part de commentaires sur Spore, n’hésitez pas à le faire : spore@cta.int

Reproduire Spore
• Pour un usage non commercial, les articles de Spore peuvent être librement reproduits sans les photos à condition de mentionner la source.
Merci d’envoyer une copie de la parution.
• Pour toute reproduction à des fins commerciales, demandez l’autorisation préalable.

SPORE est le magazine trimestriel du Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA). Le CTA est régi par l’Accord de Cotonou entre le groupe des pays
d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et l’Union européenne et est financé par l’UE • CTA, Postbus 380, 6700 AJ Wageningen, Pays-Bas • Tél. : +31 317 467 100 •
Fax : +31 317 460 067 • E-mail : cta@cta.int • Site Web : www.cta.int • DIRECTEUR DE LA PUBLICATION ET PRÉSIDENT DU COMITÉ DE RÉDACTION : Michael Hailu
• DIRECTRICE DE LA RÉDACTION : Anne Legroscollard • COMITÉ DE RÉDACTION : Stéphane Gambier, Isolina Boto, Benjamin Addom, Piet Visser, Toby Johnson •
RÉDACTION : Rédactrice en chef : Susanna Cartmell-Thorp, WRENmedia, Fressingfield, Eye, Suffolk, IP21 5SA (RU) • Rédacteur de la version française : Vincent Defait,
New Delhi, Inde • CONTRIBUTEURS : C. Addison (CTA), O. Alawode (Nigeria), Y. Boloh (France), H. Castell (RU), T. Cline (Afrique du Sud), V. Defait (Ouganda), N. Dookie
(Trinité-et-Tobago), O. Frost (RU), ISO Translation and Publishing (Belgique), I. Maïga (Burkina Faso), J. Karuga (Kenya), B. Koigi (Kenya), K. Lohento (CTA), E. Maduka
(Nigeria), D. Manley (France), T. Mukeredzi (Zimbabwe), G. Musimami (Ouganda), T. Penrhys-Evans (RU), S. Reeve (RU), B. Videt (CTA), P. Wamboga-Mugirya (Ouganda)
• DESIGN : Vita, Italie • MAQUETTE : T. Paillot, P. Pothier, intactile DESIGN, France • IMPRESSION : Pure Impression, France • © CTA 2019 - ISSN 1011-0054

46 | SPORE 195
SPORE 195 | III
Le contenu de Spore
reste disponible en ligne
Priorité à l'agribusiness Des interviews exclusives
et l'innovation avec des experts

Davantage Des reportages


d'analyses de terrain

Le développement agricole, chaque jour, à portée de clic

SMARTPHONE TABLETTE ORDINATEUR

www.spore.cta.int

Vous aimerez peut-être aussi