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LIBÉRATION | MERCREDI 10 SEPTEMBRE 2008

LHC fonctionne comme une sorte dont l’existence théorique remonte aux
de scalpel surpuissant, découpant la ma- années 60, mais qui a toujours, depuis,
tière en «morceaux» de 10-18 mètre, auprès échappé aux physiciens, par défaut de
desquels les atomes semblent gigantes- puissance de leurs machines. Logique,
ques. Les physiciens espèrent ainsi décou- alors, que la première mission du LHC soit
vrir de nouvelles particules, susceptibles de le découvrir.
de dissiper les mystères qui se sont accu- Si ce gibier de choix constitue la première
mulés ces dernières années. cible de la machine, les physiciens espè-
Cibles. A l’aide d’une douzaine de particu- rent aller bien plus loin. Comprendre
les élémentaires et de quatre interactions pourquoi l’antimatière semble avoir dis-
fondamentales (gravitation, nucléaire paru de l’univers, alors qu’elle surgit à pa-
forte et faible, électromagné-
tisme) les physiciens reconsti- Le LHC fonctionne comme une sorte de
tuent certes toutes les structu- scalpel surpuissant, découpant la
res macroscopiques connues, matière en «morceaux» de 10-18 mètre,
du grain de sable à la galaxie en auprès desquels les atomes semblent
passant par la pâquerette. Mais gigantesques.
ce modèle, mille fois validé en
laboratoire, se révèle tragiquement in- rité avec la matière de chaque collision de
complet, puisqu’il n’explique même pas particule. Découvrir si, oui ou non, l’espa-
comment les particules élémentaires de ce-temps se limite aux quatre dimensions
matière acquièrent leur masse… Sauf en classiques, ou si d’autres dimensions spa-
invoquant un mystérieux «boson de Higgs», tiales se cachent aux tréfonds de la ma-
tière, comme le postulent les théories les
plus à la mode. Progresser vers la résolu-
tion de l’énigme la plus fondamentale de
la physique depuis Einstein: est-il possible
d’unifier les quatre interactions fonda-
mentales en une seule théorie, et ainsi de
comprendre le big bang lui-même? Pour
l’instant, la seule chose que les physiciens
peuvent en dire, c’est que leurs théories
s’écroulent à son contact, débouchant sur
un «instant zéro, souvent maquillé en origine,
une vision naïve qui ne fait que souligner notre
ignorance», souligne Spiro.
«Quête historique». Le LHC, c’est donc
aussi de la culture puisqu’il s’agit, selon le
physicien, «de notre rapport au monde, de
poursuivre une quête historique de l’huma-
nité, entamée dès l’antiquité, et qui vient em-
piéter sur les croyances et les mythes». Dans
cette quête, cette expérience constitue,
souligne-t-il, «une étape indispensable dont
on attend beaucoup».
• SYLVESTRE HUET
Même pas peur du trou noir
Vendredi 5 septembre, le Cern communiquait sur la
sécurité du LHC. Et son directeur général, Robert
Aymar, affirmait : «Le LHC est sûr et l’idée qu’il puisse
présenter un risque relève de la pure fiction.»
Une réponse claire à une inquiétude exprimée depuis
dix ans, sur la possibilité de formation de micro-trous
noirs au cours des collisions. Fondée sur une
interprétation erronée (ou malhonnête) de travaux de
physiciens, elle a servi de base à des tentatives de
fermer le LHC, par un procès aux Etats-Unis et, cet été,
auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.
Le Tevatron, aux Etats-Unis, avait été confronté au
même débat lors de son démarrage. Vendredi, tout en
rappelant l’argumentaire des physiciens et la confiance
qu’ils méritent, Libération pointait un problème : la
lecture du principe de précaution, tel qu’il est rédigé, qui
permet deux interprétations, et donc deux décisions :
stop ou go.
S.H.

Technologie: les limites repoussées

Accélérateurs, détecteurs et outils de traitement des données n’ont jamais été aussi puissants.

L
es scientifiques se rangent parfois Bourrés de capteurs en tous genres, équi-
à l’adage de ma grand-mère : pés d’une électronique durcie aux radia-
«Faut c’qu’y faut.» En d’autres termes, tions, ils sont censés repérer le passage de
inutile d’espérer titiller les énergies tous les débris de collisions. On y trouve
du big-bang ou sonder l’intimité de la des matériaux étranges – comme ces
matière avec des bouts de ficelle. Le LHC tungstates de plomb aussi denses que le
est un monstre de technologies, dont cer- fer mais transparents comme le verre,
taines trouvent là une occasion de dépas- venus directement d’une usine militaire
ser toutes les limites que les budgets ou la russe, installée au nord du cercle polaire,
pusillanimité des décideurs ordinaires leur où l’on préparait la guerre des étoiles con-
imposent. Cet immense anneau, de 27 ki- tre les Etats-Unis. Le tout assemblé avec
lomètres, enterré sous cent mètres de terre une précision diabolique, parfois au mi-
(en moyenne) cumule ainsi les records. cron près.
En son sein, un tube à vide – plus vide que «Fermes de PC». Pourtant, toute cette
celui qui règne entre les planètes du sys- technologie serait vaine sans l’électroni-
tème solaire – où les physiciens injecte- que de tri, pour éliminer 99,9% des don-
ront simultanément 3000 «paquets» de nées issues des 800 millions de collisions
cent milliards de proton, soit deux nano- par seconde. Et sans la capacité informati-
grammes d’hydrogène, par jour. Ces pro- que nécessaire pour analyser l’équivalent
tons vont circuler à 99,999 999 1% de la vi- d’une pile de 20 kilomètres de cédéroms
tesse de la lumière et parcourront plus de produits par an. Lorsque le LHC a été
11000 tours d’anneau à la seconde. conçu, les physiciens savaient que les su-
Ce niveau d’énergie jamais atteint sup- percalculateurs, même dix ans plus tard,
pose des technologies sans égales. Le LHC ne sauraient répondre à leurs besoins.
est constitué de près de 10000 aimants su- C’est de cette impasse qu’est sortie l’une
praconducteurs en niobium-titane. Refroi- des innovations majeures de la décennie
dis à -271,3°C, tout près du zéro absolu, par en informatique: les grilles de calculs. Elles
un système cryogénique à hélium super- Derniers mettent en relation des «fermes» de PC, où
fluide, ce qui en fait le congélateur le plus réglages du les micro-ordinateurs sont littéralement
froid du système solaire. Ces aimants gui- collisionneur mis en batterie par centaines et même par
dent les trajectoires des protons, accélérés de particules. milliers, afin d’offrir une puissance de cal-
par des appareils à radiofréquence. PHOTOS CERN cul phénoménale, utilisable depuis n’im-
Contraints par les dimensions du tunnel porte quel coin du globe par Internet.
préexistant, les ingénieurs européens, en L’inventivité sociale à l’œuvre dans les col-
particulier ceux du centre de Saclay du laborations de scientifiques responsables
Commissariat à l’énergie atomique, ont eu de ces détecteurs n’est pas moindre. Atlas
l’audace de pousser à des limites extrêmes regroupe ainsi 1800 physiciens et ingé-
les technologies à leur disposition. Un pari nieurs, de 34 pays et 150 laboratoires. Le
risqué – devant lequel les ingénieurs amé- tout fonctionne à la démocratie, au vote,
ricains avaient d’ailleurs renâclé – mais fi- sans obligations juridiques. «Le dernier do-
nalement gagné. maine communiste du monde», confiait un
Cathédrales. Accélérer les protons n’est chercheur en rigolant.
toutefois que la première étape de l’expé- Le seigneur des anneaux doit toutefois son
rience. Il faut ensuite enregistrer et étu- surnom à son statut crépusculaire: il sera
dier les myriades de particules qui vont le dernier de sa catégorie. Les limites phy-
jaillir de leurs chocs. C’est l’objet des dé- siques de son concept font qu’il n’aura pas
tecteurs, au centre desquels s’opère la de successeur de son genre. Les physiciens
jonction des protons. Véritables cathé- devront recourir à d’autres architectures
drales technologiques, installés dans des – des collisionneurs en ligne droite – pour
cavernes où l’on logerait une église, ils continuer leur exploration. Au Cern? C’est
exhibent des dimensions monstrueuses. la conviction des Européens, s’ils main-
Les deux principaux (Atlas et CMS) affi- tiennent leur avance technologique.
chent 7000 et 12000 tonnes sur la balance. • S.H.