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« Vas-tu me dévorer ? »

En février 1910, un jeune Russe de vingt-trois ans,


Sergeï Pankejeff, vient consulter Freud. Il souffre d’une
« névrose » extrêmement grave qui le handicape jusque
dans les gestes les plus simples de la vie quotidienne.
Sa cure, qui va durer plusieurs années, déchaînera
la passion des psychanalystes et rendra ce patient
immédiatement célèbre sous le nom de « l’homme
aux loups ». Écrit alors que Freud est en pleine rivalité
avec Jung, ce livre est surtout l’analyse d’un des rêves
les plus importants de l’histoire de la psychanalyse,
qui débouche sur la thématique de la castration et
sur la reconstitution magistrale d’une scène – réelle
ou non – à laquelle Pankejeff, alors âgé de dix-huit
mois, aurait assisté et que Freud nommera plus tard
« scène primitive » : le coït de ses parents, événement
incompréhensible sur le moment et source après coup
d’une terreur archaïque…
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L’homme aux loups


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sigmund freud
aux éditions payot & rivages

Les incontournables :
Cinq leçons sur la psychanalyse, suivi de : Contribution
à l’histoire du mouvement psychanalytique
Psychopathologie de la vie quotidienne
Totem et tabou
Introduction à la psychanalyse
Malaise dans la civilisation
Les grands textes théoriques :
Trois essais sur la théorie sexuelle
Au-delà du principe de plaisir
Psychologie des foules et analyse du moi, suivi de :
Psychologie des foules (Gustave Le Bon)
Le Moi et le Ça
Pulsions et destins des pulsions
L’Inconscient
Deuil et mélancolie
Pour introduire le narcissisme
L’amour de transfert et autres textes sur le transfert
et le contre-transfert
Inhibition, symptôme et angoisse
La Répétition. Mémoire et compulsion
Essais de psychanalyse
Les cas cliniques :
Cinq psychanalyses
Dora. Fragment d’une analyse d’hystérie
Le Petit Hans, suivi de : Sur l’éducation sexuelle des enfants
L’Homme aux rats. Un cas de névrose obsessionnelle,
suivi de : Nouvelles Remarques sur les psychonévroses
de défense
Le Président Schreber. Un cas de paranoïa
(Suite en fin d’ouvrage)
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Sigmund Freud

L’homme aux loups


D’une histoire
de névrose infantile

Traduit de l’allemand
par Olivier Mannoni

Préface de Frédérique Debout


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Retrouvez l’ensemble des parutions


des Éditions Payot & Rivages sur
payot-­rivages.fr

Conception graphique de la couverture : Sara Deux


Illustration : © Costa/ Leemage

titre orignal :
Aus der Geschichte einer infantilen Neurose
(1918)

Conseiller scientifique : Gisèle Harrus-Révidi

© Éditions Payot & Rivages, Paris,


2010, 2020 pour la présente édition

ISBN : 978-2-228-92576-1
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préface

Une figure mythique


de la psychanalyse
par Frédérique Debout

Exceptionnel, le cas de l’homme aux loups


l’est à plus d’un titre. Il s’agit d’une des analyses
les plus longues et les plus difficiles entreprises
par Freud, mais également d’une de celles qui
apportèrent le matériel le plus riche à la théorie
psychanalytique. Histoire singulière dans l’his-
toire de la psychanalyse, car nous avons accès à
une somme de documents sur la vie de l’homme
et non pas seulement sur le cas. La durée de ce
traitement, extraordinaire pour l’époque, fut
de quatre ans et demi, à raison d’une séance
quotidienne. À l’époque, Freud effectuait ses
psychanalyses en quelques mois. En com­­
paraison, le traitement de Dora dura onze
semaines  1; celui de l’«homme aux rats», onze

1.  Voir Sigmund Freud, Dora. Fragment d’une analyse


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8 / L’homme aux loups

mois  1; quant au «petit Hans», Freud ne le vit


qu’une fois et l’analyse du président Schreber
se fonde sur son autobiographie.
Témoin d’une époque où la psychanalyse se
constituait comme science de l’inconscient et
comme mouvement scientifique, Sergeï Panke­
­jeff, surnommé par ses analystes  2 «l’homme
aux loups», est une des figures mythiques de la
psychanalyse.

Un patient mythique

Patient, «collaborateur  3» de Freud, star mys­­


­­té­­­rieuse et énigmatique: Sergeï Pankejeff aurait
pu être un personnage de roman. Son histoire
parle à tous, dans une étrange familiarité, et ce,
malgré les années de distance. Les nombreux
discours des psychanalystes à vouloir l’élucider

d’hystérie, Paris, Payot, coll. «Petite Bibliothèque Payot»,


2010.
1.  Voir Sigmund Freud, L’Homme aux rats. Un cas de
névrose obsessionnelle, Paris, Payot, coll. «Petite Biblio-
thèque Payot», 2010.
2.  Ruth Mack Brunswick (1897-1946) fut la seconde
analyste de Sergeï Pankejeff, qui s’adressa à elle en 1926,
sur le conseil de Freud, avec lequel il était toujours en
contact. Le surnom, partie importante des motifs qui ont
rendu Pankejeff célèbre dans les milieux psychanaly-
tiques, fut donc attribué dans l’après-coup de la première
analyse. Jamais Freud ne l’utilise dans son texte.
3.  C’est en tout cas ainsi qu’il se considérait quand il se
présenta à Ruth Mack Brunswick…
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Préface / 9

ne sont parvenus qu’à l’obscurcir. En appro-


fondissant le mystère, la psychanalyse a fait
naître un destin, un mythe à l’entrecroisement
de l’inconscient individuel et de l’inconscient
collectif. Entretenu un temps (1919-1925) par
le mouvement psychanalytique, Pankejeff
consen­­­­tit à des interviews, écrivit ses Mémoires,
mais conserva longtemps l’anonymat, à l’abri
derrière son célèbre surnom. Il a créé le «buzz»
autour de lui tout au long de sa vie. Figure
floue, quasi hallucinatoire du patient par excel-
lence de la psychanalyse, il continue, encore
aujourd’hui, de stimuler les recherches.
Sergeï Pankejeff est né, selon le calendrier
julien alors en usage, le soir de Noël en Ukraine.
Son père, jeune encore, propriétaire terrien,
membre du parti libéral, exerçait la profes­
­sion  d’avocat à Odessa. Il faisait partie de la
riche bourgeoisie russe que la révolution d’Oc­
­­tobre  décimera. Suite au suicide de sa sœur
aînée,  séductrice et préférée de son père lors
d’un  voyage en 1906, Sergeï part  1 lui aussi en
voyage et commence à prendre plaisir à peindre.
De retour à Odessa, hésitant à étudier les
sciences naturelles  2, il décide d’entreprendre à
Saint-Pétersbourg des études de droit qu’une

1.  Il fait d’ailleurs le même voyage que sa sœur.


2.  Sa sœur était elle-même passionnée de sciences natu-
relles et s’était construit un laboratoire. C’est dans ce
cadre qu’elle s’était procuré le mercure qu’elle avala pour
mettre fin à ses jours.
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10 / L’homme aux loups

dépres­­sion l’empêche de mener à bonne fin.


Son père, alors traité par le psychiatre allemand
Emil Kraepelin pour des accès maniaco-dépres­
­sifs, se suicide deux ans plus tard, par overdose
de véronal  1. Avant sa mort, il avait décidé de le
lui faire consulter et celui-ci avait posé le diag­­
nostic d’une psychose maniaco-dépressive. Il
est par ailleurs juste de souligner que Kraepelin
recon­­­nut quelques années plus tard, auprès de
son patient, s’être trompé dans son diagnostic.
À l’aube du xxe  siècle, la psychiatrie alle-
mande s’inspirait essentiellement du Maître de
Munich (ainsi Kraepelin était-il surnommé),
avec l’apparition de la démence précoce  2, puis
de la psychose maniaco-dépressive, dont l’im-
portance ira croissant dans un durcissement de
son système classificatoire des maladies men­­­
tales. À l’époque, le psychiatre classait les symp­
­­­tômes et observait l’évolution, mais il n’était
pas question pour lui d’«écouter» les malades.
Quant à l’origine des troubles du patient, elle
n’était à rechercher que dans sa constitution
(rôle de l’hérédité), voire dans son caractère
moral. Ni la société, ni son milieu, ni sa famille

1.  Notons bien que, dans ses Mémoires, l’homme aux


loups ne fait aucunement mention d’une telle prémédi-
tation. Ce père souffrait d’insomnies et prenait réguliè-
rement du véronal pour parvenir à dormir.
2.  Cette pathologie identifiée par Kraepelin faisait l’objet
de vives discussions au sein de la communauté psychia-
trique. En 1908, Eugen Bleuler propose de l’abandonner
au profit de la schizophrénie.
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Préface / 11

ne pouvaient être tenus pour responsables.


C’est à ce moment-là que Freud découvre que
les symptômes ont un sens, qu’ils sont à inter-
préter comme un langage que le thérapeute ne
peut saisir qu’à partir de l’inconscient. Freud
ne traite pas les maladies, mais les malades. Ce
que retrace le cas de l’homme aux loups, c’est
donc aussi la naissance de ce nouvel espace de
parole offert aux malades et à partir duquel
s’engage une redéfinition du soin et de la
folie.  Par cet effort d’entendre la parole des
malades, Freud fait entrer la psychiatrie dans
une ère nouvelle: celle des sciences du vivant,
ouvrant la possibilité de soigner les malades
mentaux.
Le sanatorium où Kraepelin fera séjourner
Sergeï n’est pas un «asile de fous», plutôt une
maison de repos pour riches excentriques. Les
activités visant à distraire ce gotha crépuscu-
laire ne manquent pas: promenades à la cam­­
pagne, soirées dansantes, bains, massages, cours
de peinture ou de photographie occupent les
journées. Durant les quatre mois qu’il passe à
Munich, Sergeï, jusqu’alors inhibé et timide,
n’a qu’une seule préoccupation: gagner l’amour
de Thérèse, infirmière au sanatorium et aperçue
à son arrivée, déguisée en Turque à l’occasion
du bal masqué du personnel. Elle résiste,
arguant de la nécessité de se consacrer à sa
fille, Elsa, et à sa vocation d’infirmière. La
mère de Sergeï, espérant un meilleur parti pour
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12 / L’homme aux loups

son fils, condamne cette liaison  1. Sergeï rompt


en 1909, de manière impulsive, le regrettant
immédiatement. Après avoir contracté une
blennorragie, il vient consulter Freud en 1910,
encouragé par son médecin, Leonid Droznes,
pionnier de la psychanalyse russe  2 que sa mère
l’avait encouragé à consulter. Ce n’est qu’en
mars 1911 qu’il parviendra à arracher à Freud
l’autorisation de rechercher Thérèse. Freud avait
interprété sa rupture avec elle comme «une
fuite devant la femme» et donné son accord de
principe pour qu’il la retrouve. Il est de règle,
au cours d’une analyse, qu’aucune décision
«majeure», c’est-à-dire susceptible d’en­­­­gager
de manière irréversible la vie du patient, ne
soit prise. Alors Sergueï l’épousera… une fois
son analyse terminée et après avoir reçu la

1.  Sans doute faudrait-il considérer le rôle central qu’a


toujours joué sa mère pour l’homme aux loups. Même si
Freud parle de l’identification inconsciente à sa mère et
même si Ruth Mack Brunswick reconnaît que cette iden-
tification est centrale dans la genèse de sa maladie, les
analystes se sont surtout penchés sur la relation qu’il a pu
entretenir avec son père. Rappelons tout de même que
c’est auprès d’elle que Sergeï retourne vivre après avoir
rompu avec Thérèse, qu’il invoque toujours la présence
de sa mère à la maison pour ne pas se remarier, et que
c’est elle aussi qui l’amènera à consulter le Dr Droznes.
2.  Qu’en aurait-il été de lui si, plutôt que venir ren­­
contrer Freud, il avait choisi l’autre option envisagée par
son médecin: faire un tour du monde? Comme nous l’en-
seigne Sophocle dans Œdipe roi, le destin naît toujours au
croisement des chemins…
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Préface / 13

bénédiction de Freud! Histoire d’amour roma-


nesque, rythmée par la psychanalyse et la
relation au père Freud, histoire tragique aussi,
qui s’achèvera en 1938, quand Thérèse se sui­­
cidera au gaz.
Sans la psychanalyse, reconnaît l’homme aux
loups à la fin de ses Mémoires, «jamais [il
n’aurait] pu supporter tout cela». Individu bien
réel, «l’homme aux analystes  1» est devenu un
analysant professionnel. Ce patient «auquel la
psychanalyse doit tant» commence sa carrière
d’analysant en 1910 par sa rencontre avec le
père de la psychanalyse.
1914: fin de l’analyse avec Freud le jour de
l’assassinat de François-Ferdinand, un des élé­­
ments déclencheurs majeurs de la Première
Guerre mondiale.
Octobre 1917: la révolution bolchevique
s’étend sur toute la Russie. Odessa est en proie
à la guerre civile et occupée par les Allemands
et les Autrichiens, puis, en 1918, par les Fran­
­çais, les Anglais, les Polonais, avant que l’armée
Rouge n’y fasse son entrée. La dévaluation et
les changements de régimes finissent de ruiner
Sergeï Pankejeff qui rejoint Thérèse à Fribourg-
en-Brisgau, au chevet d’Elsa, sa fille, mourante.
L’ex-nabab russe, maintenant exilé sans emploi,

1.  Voir Michel Schneider, «L’homme aux analystes»,


préface à Karin Obholzer, Entretiens avec l’homme aux
loups. Une psychanalyse et ses suites, Paris, Gallimard,
1981.
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14 / L’homme aux loups

rend visite à Freud en 1919. Ce dernier lui


remet un exemplaire dédicacé de L’Homme
aux loups, publié en 1918, et organise à l’in-
tention de «ce patient qui avait apporté une si
belle contribution à l’analyse» une collecte
auprès des analystes viennois. Chaque année,
pendant six ans, la collecte sera répétée. Entre-
temps, Pankejeff trouve un emploi modeste
dans une compagnie d’assurances et Freud lui
propose gratuitement une nouvelle tranche
d’analyse pour parachever le traitement entre­
­pris quelques années auparavant  1.
Et cependant, durant l’été 1926, Sergueï
éprouve le besoin de reprendre une analyse.
Sur le conseil de Freud, il s’adresse en octobre
à Ruth Mack Brunswick  2. Il est alors fort
préoccupé par ses plaintes corporelles et hypo-
condriaques en lien avec l’apparence de son
nez  3. L’analyse révélera une problématique

1.  Il est probable que les dons de Freud ont contribué à


rendre Pankejeff dépendant de lui, faisant de l’homme
aux loups un patient professionnel. L’analyse était devenue
pour celui-ci un métier, non pas en tant qu’analyste, mais
en tant qu’analysant. C’est en tout cas à cette période qu’il
commença a entretenir des relations ambiguës avec le
monde analytique, qui nourrit sa mégalomanie.
2.  Ruth Mack Brunswick, «Supplément à l’“Histoire
d’une névrose infantile”» (1926), Revue française de psy­­
chanalyse, xxxv, 1, 1971.
3.  Sans doute faut-il rappeler que Freud avait subi en
1923 sa première opération du cancer; elle fut suivie de
trente-deux autres qui firent des seize dernières années de
sa vie un véritable martyre. Sergeï commença quant à lui
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Préface / 15

psychotique en lien avec des résidus de trans-


ferts non résolus. Il est troublant de lire qu’en
1919, pour Freud, l’homme aux loups était
«guéri». La psychanalyse a révolutionné les
critères de guérison et de normalité en les
dissociant d’une absence de symptôme. La
«gué­­rison» en analyse est indéfinissable. C’est
probablement pour cette raison que Brunswick,
plus prudente que Freud, admit ne pas com­­
prendre comment le processus de guérison peut
intervenir, déclarant qu’il «est impossible de
prévoir si le patient, bien portant depuis un an
et demi, demeurera comme tel». Elle attri-
buait  sa bonne santé à ses capacités sublima-
toires. L’histoire nous montrera néanmoins que
l’homme aux loups, en dépit de ses efforts
sublimatoires (peinture, dessin, etc.), n’en avait
pas terminé de ses pérégrinations psychanaly-
tiques… En 1927, il rencontre Muriel Gardiner,
alors jeune psychanalyste en formation, pour
parler de Freud, de peinture, de littérature.
Le mois de mars 1938, le plus sombre de
l’Autriche  1, fut aussi le plus dramatique de sa
vie. Avec l’Anschluss débutent les persécutions

à penser à son nez après l’arrivée de sa mère à Vienne en


1923; elle avait alors une verrue noire sur le nez qui
la  préoccupait beaucoup (voir Muriel Gardiner [éd.],
L’Homme aux loups par ses psychanalystes et par lui-même,
op.  cit.). Thérèse présentait la même marque au même
endroit et sa sœur Anna se plaignait de sa peau et de son
manque de beauté avant de se suicider.
1.  Le chancelier autrichien démissionne; le 11 mars, les
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16 / L’homme aux loups

antisémites et Thérèse, qui se sentait de moins


en moins bien, se suicide le 31  mars en ne
laissant aucune explication à son geste  1, mais
en prenant la précaution, par testament, de
confier Sergueï aux bons soins de la servante
d’une actrice qui habitait le même immeuble
qu’eux. Touchée par sa détresse, Muriel Gar­­
diner va s’employer à lui procurer un visa de
sortie pour rejoindre Ruth Mack Brunswick à
Paris. À son retour à Vienne, Albin, un ami de
Muriel Gardiner, tint le rôle de psychothéra-
peute de soutien auprès de lui et lui envoya
régulièrement des colis de vivres, perpétuant
ainsi la tradition initiée par Freud. À l’époque,
elle tenta aussi de faire publier divers articles
de Pankejeff, sans succès, et elle l’encouragea
alors à publier ses Mémoires.

troupes allemandes envahissent l’Autriche et désormais le


sort du pays sera lié à l’Allemagne hitlérienne.
1.  Barbro Sylwan, «À propos des mémoires de l’homme
aux loups», Revue française de psychanalyse, xxxv, 1,
1971. Ce serait la mise à jour du roman familial de Thérèse
par les persécutions nazies qui serait à l’origine de son
suicide. Autre hypothèse suggérée par l’homme aux loups
dans ses Mémoires: Thérèse se serait identifiée incons-
ciemment à Anna, qui elle aussi se plaignait de son peu de
beauté. Nous ne saurons jamais vraiment expliquer le lien
conduisant du suicide d’Anna à celui de Thérèse.
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Préface / 17

Un tournant dans le mouvement


psychanalytique
1910: début de l’analyse de Sergeï Pankejeff
et naissance de l’association internationale de
psychanalyse. Cette «histoire de névrose infan­
­tile» ne peut être comprise que située dans le
contexte polémique où elle prit forme. Freud
l’inscrit d’ailleurs lui-même dès les premières
lignes  1. En 1909, les conférences de Worcester,
aux États-Unis, ont permis à la psychanalyse
de se diffuser mondialement. Freud était alors
accompagné de Ferenczi et de Jung. Il avait
apporté «la peste  2» sur le Nouveau Continent,
séduisant même les plus réfractaires. Mais il
s’exposait aussi désormais à la «horde des fils»,
animée du désir de tuer le père…
En 1911, Alfred Adler quitte la Société psy­­
chanalytique de Vienne. Il est suivi l’année sui­­
vante par Wilhelm Stekel. En 1913, la rupture

1.  Dès la première note de bas de page, Freud place la


rédaction de son texte (octobre 1914) dans le cadre de la
controverse avec Jung. Il entend y définir ce qui relève de
la psychanalyse et ce qui s’en distingue. Dans Contribution
à l’histoire du mouvement psychanalytique, qui date aussi
de 1914, il affirme la paternité de la psychanalyse. Voir
Sigmund Freud, Cinq leçons sur la psychanalyse (1910),
suivi de Contribution à l’histoire du mouvement psychana­
lytique (1914), nouv. éd., Paris, Payot, coll. «Petite Biblio-
thèque Payot», 2010.
2.  «Ils ne savent que nous leur apportons la peste»,
aurait-il dit à ses deux compagnons lors de la traversée
vers l’Amérique.
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18 / L’homme aux loups

avec Jung, le «dauphin», est effective, laissant


Freud très affecté. Ces dissensions ont en com­­
­­mun d’avoir pour origine la remise en cause de
la sexualité infantile et du complexe d’Œdipe
qui la structure. Comme Freud, Adler et Jung
s’intéressent à la religion, aux mythes et au
socius, mais pour y contester le rôle du sexuel.
Peu après la défection de Jung, Freud écrit à
Ernest Jones: «Celui qui promettra à l’hu-
manité de la délivrer de l’embarrassante sujé­
­tion sexuelle, quelque sottise qu’il puisse dire,
sera considéré comme un héros.» Ses prévi-
sions se révéleront exactes: dès janvier 1914, le
British Medical Journal qualifie la conversion
de Jung de «retour à une plus saine conception
de la vie  1».
C’est dans ce contexte très polémique que
Freud peut donc écrire dans L’Homme aux
loups: «Ce qui est en cause, c’est donc la signi-
fication de l’élément infantile  2.» Le débat sous-
tendant la publication de cette «histoire de
névrose infantile» s’inscrit dans l’importance
à  accorder aux facteurs infantiles et comme
réponse à Jung. L’analyse de Freud porte en
grande partie sur un seul problème: les trau-
matismes et les fantasmes du patient appar-
tiennent-ils à une époque très reculée de sa vie

1.  Il est intéressant de noter à quel point le sexuel,


confondu à tort avec la génitalité, soulève aujourd’hui
toujours autant de résistances et d’opposition.
2.  Infra, p. 122.
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Préface / 19

ou s’agit-il de fantasmes plus tardifs ayant été


rejetés dans le passé? La scène primitive obser­
­­vée à dix-huit mois par Sergeï est ici décisive.
Mais au-delà de Jung, ce texte est aussi l’oc-
casion pour Freud d’un débat avec lui-même  1.
Ce récit fait ressortir les discussions entre les
deux hommes et confronte les interprétations.
Freud démontre également, pour la première
fois, qu’il y a dans l’adulte la présence d’un
enfant qui tente sans cesse de se faire entendre.
«Je suis prêt à affirmer que toute névrose d’un
adulte se construit sur sa névrose infantile, mais
que celle-ci n’est pas toujours d’une intensité
suffisante pour être remarquée et reconnue
en  tant que telle  2.» Cette remarque fait de
L’Homme aux loups un chaînon majeur de la
théorie freudienne  3.

1.  Nicolas Abraham, Maria Torok, «Le mot magique


de l’homme aux loups. Incorporation, hystérie interne et
cryptonymie», Revue française de psychanalyse, xxxv, 1,
1971.
2.  Infra, p. 195-196.
3.  Comme le souligne Ernest Jones dans sa biographie
de Freud, la période qui couvre la cure de l’homme aux
loups, durant la Première Guerre mondiale, est particuliè-
rement intense et féconde. Trois textes fondamentaux
sont ainsi écrits en 1915: «Le refoulement», «L’incons-
cient» et «Pulsions et destins des pulsions», qui s’ap-
puient beaucoup sur cette «histoire de névrose infantile»
et qui ouvrent la voie à la seconde topique et à la seconde
théorie des pulsions.
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20 / L’homme aux loups

Le statut du récit,
la validité scientifique

La scientificité des récits cliniques (et, par


extension, celle de la psychanalyse) a été contes­
­­­tée dès l’origine de la psychanalyse. Jung, Adler
et, plus tard, Otto Rank ne furent ni les premiers
ni les derniers! À la lecture du texte de Freud,
on ne peut qu’être frappé par les nombreuses
précautions et incertitudes qui l’émaillent.
Freud hésite, tâtonne et ne refuse aucune inter-
prétation des faits rapportés par Sergueï Pan­­
kejeff, aussi surprenantes soient-elles. Il est
contraint par son patient de le suivre. Ce qu’il
pensait n’être qu’une confirmation de ses avan­
­cées introduit un décalage avec ce qu’il croyait
démontrer. Le style, souvent plus interrogatif
qu’affirmatif, comme dans une adresse à Jung,
renforce l’idée que Freud n’est pas le créateur
de ce qu’il met au jour, mais seulement le
révélateur  1.

1.  Jung affirmait que les fantasmes traumatiques pré­­


tendument infantiles n’étaient en fait que «rajoutés en
fraude» à l’âge adulte. Freud doit se défendre d’accusa-
tions graves parce que Jung et Adler, en première ligne
des «adversaires», l’accusent de falsifier en infligeant à
l’analysant ses propres fantasmes. La confusion perdure
encore en 1926, quand Otto Rank suggère que le rêve de
l’homme aux loups est en réalité un rêve de Freud, qui
aurait mis en scène par projection ses disciples préférés du
moment, les membres du Comité dont une photographie
était accrochée dans son cabinet. La polémique enflera
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Préface / 21

L’origine même de la névrose d’adulte de


Pankejeff porte à polémique. La mort de sa
sœur, Anna, fut-elle, comme il le laisse entendre,
à l’origine de la dépression qui devait le
conduire quatre ans plus tard chez Freud, ou
bien est-ce, comme l’écrit ce dernier, la blen-
norragie contractée à l’âge de dix-huit ans et
réduite par des moyens drastiques? Les deux
versions, celle de Freud et celle du patient, ne
coïncident pas. Sur ce point, le cas de l’homme
aux loups est unique. C’est la seule fois où un
thérapeute demande à un patient de confirmer
par écrit la vérité des informations révélées,
mais c’est aussi la seule fois où le point de vue
du patient sur les interprétations faites pendant
la cure est publié  1. Cette scène originaire cor­­
respond-elle à une observation ou à un fantasme
primitif   2?
Alors, quelle interprétation choisir? La ques­
­­­tion n’est pas anecdotique, car elle recouvre un
débat essentiel: les récits de cas font-ils part

tellement que Freud en viendra à demander à Sergueï


Pankejeff d’attester par écrit de la véracité de ce rêve, ce
qu’il fera dans une lettre datée du 6  juin de la même
année!
1.  Bien après la publication du cas, Pankejeff contestera
les interprétations de Freud au sujet de la réalité de la
scène primitive.
2.  Question abordée dans les Trois essais sur la théorie
sexuelle (1905), dans «Sur les théories sexuelles infantiles»
(1908), ou encore dans Introduction à la psychanalyse
(1916).
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22 / L’homme aux loups

d’une réalité matérielle, ou sont-ils écrits afin


d’étayer la théorie? La psychanalyse peut-elle
être vérifiée? Le coefficient d’incertitude dans
le rappel du passé – vécu ou fantasmé –, raconté
par celui qui l’a vécu ou par ceux auxquels il
s’est confié, est tel que l’on peut se demander
si, à vouloir cerner la réalité des faits, on ne
court pas en définitive après un fantasme ou
une illusion. La question soulevée par les récits
psychanalytiques de cas est celle de la vérité:
quel est le statut de celle-ci? La vérité est-elle
celle des faits ou celle des discours sur les faits?
Le génie de Freud est de faire un pas de côté  1:
après tout, réalité ou fantasme, la question
n’est pas là. Il est possible que la scène primitive
ne soit que la construction après coup, dérivée
de l’observation d’un coït animal et transposée
par analogie aux parents. Ce qui peut être trau-
matique, ce n’est pas la réalité du coït parental,
mais l’inscription de sa représentation dans
l’inconscient.

L’analyse a-t‑elle une fin   2?

Une cure initiale très longue, puis des cures


à répétition: le cas de l’homme aux loups pour­

1.  C’est même la caractéristique intrinsèque de la


psychanalyse. En faisant un pas de côté face à l’hystérie
des neurologues, Freud crée la psychanalyse.
2.  D’un point de vue clinique et technique, Freud intro­
­duit ici la question de la réaction thérapeutique négative,
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Préface / 23

­rait bien être le symbole du caractère poten-


tiellement interminable de la cure analytique.
En 1914, Freud pensait avoir «guéri» son
patient et posa très vite une date de fin à
l’analyse. Se méfiant des cures qui ronronnent,
il tentait d’évaluer cliniquement si anticiper la
fin de l’analyse avait un impact sur la «guérison
du patient  1». Des commentateurs dirent que
cette cure était un échec essentiellement parce
que Freud n’avait pas suffisamment analysé le
transfert de son patient, alors que d’autres y
virent la preuve clinique de l’impasse que
constituait le traitement psychanalytique des
psychoses.
Même si la question du transfert est un des
sujets qui préoccupent Freud au moment de la
cure de l’homme aux loups  2, le récit ne se
concentre pas sur cette question. On a dit qu’il
n’avait pas pu dépasser la réalité du transfert
avec son patient. Sans doute n’est-ce pas faux.
On pourrait d’ailleurs arguer a posteriori que
Freud avait le sentiment indistinct que cette
cure pouvait être sans fin et que, pour cette
raison, il a daté la fin de l’analyse, peut-être de
manière un peu défensive. Conjectures… L’in­

sur laquelle il reviendra en 1937 dans «Analyse avec fin et


analyse sans fin».
1.  Application concrète de ce que Freud disait de la
résistance dans Cinq leçons sur la psychanalyse, op. cit.
2.  Les textes constituant «la technique psychanaly-
tique» et qui sont centrés sur la question du transfert ont
été publiés en 1912, 1914 et 1915.
24 / L’homme aux loups

térêt de cette analyse, dont Freud ne nous rend


ici volontairement que partiellement compte,
est de renouveler la définition du soin, de la
guérison, et d’interroger le but que se fixe tout
thérapeute prenant en charge des malades.
L’histoire de Sergeï Pankejeff enseigne que la
psychanalyse, loin de pouvoir et de vouloir gué­­
­­­rir, ne peut être que le cheminement d’un
individu vers une prise en soin de lui-même.

Séduction, domination
et émancipation

Avant la rencontre avec Thérèse, digne d’un


roman dont il resta captif, Sergeï Pankejeff
fait  mention de plusieurs aventures toujours
empreintes d’irrépressibilité pulsionnelle, d’im-
pulsivité et d’inconstance. Les femmes choisies,
substituts de sa sœur qui se refusait à lui  1, sont
toutes de condition sociale inférieure (des
domestiques) et le séduisent à l’occasion d’une
posture gestuelle renvoyant à la soumission (à
genoux, à frotter le sol) et qui est signifiante,
compte tenu des origines sociales et du contexte
socio-politico-économique de l’époque  2. La

1.  Voir infra, p. 67.


2.  Il serait d’ailleurs intéressant de reprendre la ques­
­tion de la domination féminine à partir de l’histoire de
Sergeï (notamment les figures féminines qui prirent soin
de lui: sa mère, la nania, la gouvernante anglaise en
conflit avec la mère, sa sœur, Thérèse elle aussi en conflit

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