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LANGUES ET CULTURES
COMME OBJETS ET COMME AVENTURES
véritable intérité entre elles. Or déjà le concept manque, occulté par celui
dʼidentité qui sépare et stabilise. Donc, peu de place pour lʼengendrement
réel des langues et cultures, véritable aventure plurielle mais comparable.
Toutefois, elle ne peut pas lʼêtre tant que cultures et langues ne sont pas
traitées en distinguant et en conjuguant ce qui leur est particulier, général
et singulier.
Pour y parvenir, on est contraint de recourir à lʼhistoire comme genèse
des langues et des cultures. Sans ce recours, on ne peut découvrir comment,
nées des circonstances, cultures et langues se structurent, se composent, font
système. La prise de conscience de ce passage de lʼhistorique au systémi-
que ne se fait pas facilement. Elle sʼest cependant accélérée, délivrant des
perspectives précieuses, dont les trois principales, selon J. Demorgon, sont
les suivantes : 1) dʼabord, les antagonismes construisent les oscillations de
lʼadaptation humaine émergente à travers langues et cultures ; 2) ensuite
les secteurs dʼactivités, religieux, politique, économique, informationnel,
sʼassocient diversement, à travers leurs rivalités, construisant… 3) de gran-
des formes de société : communautaire-tribale, royale-impériale, nationale-
marchande, informationnelle-mondiale. Langues et cultures participent à
ces inventions qui retentissent profondément en elles.
Seul ce contexte dʼensemble permettra dʼengager lʼenseignement-
apprentissage des langues et cultures « au cœur de lʼétrange aventure
humaine ».
Introduction
La relation entre langue(s) et culture(s) est liée aux acteurs humains de
chacune des sociétés singulières, mais celles-ci sont de moins en moins
les essais atomiques auxquels les Allemands étaient tout à fait opposés.
Certains Français critiquaient aussi cette reprise, mais ils nʼétaient pas
les plus nombreux. Par contre, les Allemands de la recherche étaient très
mobilisés et montraient du doigt la passivité de Français qui pourtant se
présentaient souvent eux-mêmes comme des modèles dʼopposition poli-
tique. À travers cette critique, les Allemands entendaient souligner à quel
point, eux, aujourdʼhui, adhéraient vraiment à une culture de la liberté et
sʼopposaient à lʼautorité.
Un tel exemple conduit à se poser des questions : « Que sont les cultures
et comment fonctionnent-elles ? Elles le font de façon antagoniste et cʼest
nous qui les simplifions de manière caricaturale. Cʼest ainsi que la culture
politique française nʼest pas simple culture dʼopposition à lʼÉtat. Le citoyen
français est aussi très content dʼavoir un État prestigieux qui le représente.
Les Français veulent à la fois bénéficier de lʼÉtat et pouvoir le critiquer.
Cʼest dʼailleurs lʼune des situations à partir desquelles nombre dʼétrangers
repèrent, là, ce qui leur apparaît comme une certaine « hypocrisie » dans la
conduite des Français.
La culture est ainsi un véritable complexe. Ceux qui en sont les « por-
teurs » ne la comprennent pas toujours mieux que les étrangers. Une compré-
hension supérieure ne peut être obtenue quʼà travers un long et régulier tra-
vail. Celui-ci doit être dʼordre communicatif mais aussi coopératif et même
compétitif, développant ainsi la possibilité de contestations mutuelles.
ment selon les moments, et même simultanément dans des lieux différents.
Cependant, il y a eu problème, et lʼon sʼen aperçoit chaque fois que lʼune des
trois perspectives prétend ignorer ou combattre les deux autres. Il serait sage
de voir que le maintien de cet antagonisme ternaire est une précaution par
rapport à la complexité du réel dans laquelle nous devons être capables de
vivre et dʼagir ensemble.
Après son repas, le citoyen américain se dispose à fumer, habitude des indiens amé-
ricains, en brûlant une plante cultivée au Brésil, soit dans une pipe venue des indiens
de Virginie, soit au moyen dʼune cigarette venue du Mexique ; sʼil est assez endurci,
il peut même essayer un cigare qui nous est venu des Antilles en passant par lʼEs-
pagne. Tout en fumant, il lit les nouvelles du jour, imprimées en caractères inventés
par les anciens sémites, sur un matériau inventé en Chine, par un procédé inventé en
Allemagne. En dévorant les comptes-rendus des troubles extérieurs, sʼil est un bon
citoyen conservateur, il remerciera un Dieu hébreu, dans un langage indo-européen,
dʼavoir fait de lui un américain cent pour cent. 8
Le second exemple montre que même la sagesse populaire accède,
aujourdʼhui, à cette prise de conscience :
Ton Christ est juif, ta voiture est japonaise, ta pizza est italienne et ton couscous algé-
rien, ta démocratie est grecque, ton café est brésilien, ta montre est suisse, ta chemise
est indienne, ta radio est coréenne, tes vacances sont turques, tunisiennes ou maro-
caines, tes chiffres sont arabes, ton écriture est latine ; et tu reproches à ton voisin
dʼêtre un étranger !
Comme troisième exemple, voici un cas ordinaire dʼintérité alimentaire
américaine en restauration rapide, cité par Diamond :
Poulet, de Chine, pommes de terre originaires des Andes, ou maïs, du Mexique, le
tout relevé de poivre noir des Indes, et accompagné dʼune tasse de café, dʼorigine
éthiopienne.
dʼy substituer les trois liens : des antagonismes, des secteurs dʼactivités et
des formes de société. Nous allons le découvrir ci-après.
Ainsi, le véritable macrosociologique est celui, non pas des sociétés, mais
des grandes problématiques humaines, des secteurs dʼactivités, des grandes
formes de société. Il dépasse donc largement le mésosociologique des socié-
tés singulières et des États.
La reconnaissance de lʼétendue et de la profondeur produites par la
perspective macrosociologique permet de mieux comprendre, par exemple,
les deux grandes Guerres mondiales. Elles ont été telles, dans leur horreur,
parce que cʼétait au plan de leurs formes de sociétés différentes que les
sociétés sʼopposaient. Des royaumes ou des empires et, ensuite, leurs
caricatures, les dictatures fascistes, sʼopposaient à des sociétés nationales
marchandes qui se construisaient dans une perspective démocratique. Or
ces nations-marchandes différaient fondamentalement des empires. Elles
avaient, en effet, produit le renversement de lʼassociation du religieux et du
politique contrôlant lʼéconomie et lʼinformation, caractéristique des empires,
et mis à sa place la nouvelle association plus dynamique et stimulante entre
économie et information.
Ce nouvel éclairage de lʼhistoire humaine commence à peine à se met-
tre en place. Il aura fallu de nombreux travaux, tels que ceux de Georges
Dumézil, historien des religions, qui a étudié les épopées et les panthéons des
peuples indo-européens. Il a constaté que ces sociétés étaient construites sur
une hiérarchie de valeurs avec, au sommet « le religieux », en dessous « le
politique », et plus en dessous encore, « lʼéconomie » 10.
10. G. Dumézil, Mythe et épopée, I, II, III, Paris, Gallimard, Quarto, 1995.
En guise de conclusion
Lʼenseignement-apprentissage des langues et cultures est soumis à des
volontés multiples, diverses, et même opposées. Le problème est alors de
Jacques DEMORGON
Université de Reims
e-mail : j.demorgon@wanadoo.fr
Voir sur Internet : soit « interculturel », soit « Demorgon »