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Les jeux du vendredi soir

Mario Paul Ahues Blanchait

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Édité par WMBOOKS
15 rue des docteurs Charcot
42100 Saint-Étienne - FRANCE

Édition spéciale - 30 ANS EN FRANCE – 2019

Imprimé en France

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PERSONNAGES
LAURA, 37 ans, femme de caractère, fait ac-
cepter ses propositions et ses points de vue,
a épousé
GEORGES, 40 ans, hôte de la soirée, sûr de lui,
généreux, mais se fâche facilement,
HÉLÈNE, 40 ans, très discrète, se permet de
critiquer, garde toujours son calme, a
épousé
JEAN, 50 ans, comptable, incarne la mesure, la
prudence, la courtoisie.
VÉRONIQUE, 35 ans, très désinvolte, ne craint
pas se ridiculiser, parle fort, boit en excès, a
épousé
MICHAËL, 40 ans, extraverti, blagueur, fait
très jeune,
CLÉMENTINE, 30 ans, la bonne, efficace mais
naïve, a peur de tout, deviendra Christine,
CÉLINE, 65 ans, mère de Laura, plutôt osée
pour son âge.

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DÉCOR
Le salon chez Laura et Georges. Style bour-
geois, une table, un chariot-bar, porte de la
maison à droite, cuisine à gauche.

HISTORIQUE
La pièce originale en espagnol, intitulée Juegos
en día viernes et écrite sous le nom de plume Al-
berto Solano, fut créée le 27 août 1980 à l'oc-
casion du 3e Festival universitaire de théâtre
organisé par l'Association culturelle universi-
taire (ACU) à Santiago du Chili. Un mois plus
tard, l'auteur prit l'avion pour la France pays
où il resta trois années. En février 1989, dé-
buta sa carrière d’enseignant-chercheur en
analyse numérique à l'Université de Saint-
Étienne. Il se retira trente ans plus tard. Cette
pièce fut adaptée en français par l'auteur qui
ajouta les rôles de CLÉMENTINE et CÉLINE et
fut créée le 13 juin 1998 dans la commune Le-
Chambon-Feugerolles en salle Vachon.

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DISTRIBUTION DES RÔLES LORS DES CRÉATIONS

RÔLE au Chili (1980) en France (1998)

LAURA V. Celis A-M. Chargelègue

GEORGES E. Rosselot J C. Clavier

HÉLÈNE M. Villanueva S. Champier

JEAN P. Felmer A. Largillier

VÉRONIQUE M. Zucker R. Pabion

MICHAËL J. Yoma F. Rodriguez

CLÉMENTINE M. Kendjra

CÉLINE M. Faux

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SCÈNE I
Aujourd'hui

RÉGIE – Pleins feux


CÉLINE – (Boit un café.) Clémentine !
CLÉMENTINE – (Arrive de la cuisine.) Madame
n'est pas partie ?
CÉLINE – Comment voulez-vous que je parte
s'il n'y a plus de trains.
CLÉMENTINE – Il n'y a plus de trains ? (Réflé-
chit un moment.) Ah oui, ils sont en grève !

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CÉLINE – (Ironique.) Mais quelle perspicacité,
ma fille ! Eh oui ! Vendredi 4 décembre :
jour de grève !
CLÉMENTINE – (Réalisant qu'on est vendredi.) Ce
n'est pas possible ! Merde, merde, merde !
CÉLINE – Vous ne vous sentez pas bien ?
CLÉMENTINE – Excusez-moi, Madame.
CÉLINE – Ma fille n'est pas encore rentrée ?
CLÉMENTINE – Non, Madame, pas encore.
Elle est partie faire des courses pour ce soir
et il y a beaucoup de monde dans les maga-
sins. Elle doit être rentrée pour 8 heures.
(Hésite.) Madame…
CÉLINE – Oui, Clémentine ?
CLÉMENTINE – Madame, puis-je vous poser
une question ?
CÉLINE – Quelle question, Clémentine ?
CLÉMENTINE – Est-ce que votre fille est au
courant…
CÉLINE – Au courant de quoi.

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CLÉMENTINE – Je veux dire… Est-ce qu'elle
sait que vous resterez à la maison ce soir ?
CÉLINE – Non. Pourquoi ?
CLÉMENTINE – Pour rien, Madame, pour
rien.
CÉLINE – Je n'ai pas le droit de rester chez ma
fille un jour de plus ?
CLÉMENTINE – Ce n'est pas ça, Madame, ex-
cusez-moi.
CÉLINE – Après tout, je ne viens que trois ou
quatre fois dans l'année, non ? Et je vais
vous rappeler une chose, Clémentine. Cette
maison était la mienne. C'est mon cadeau
de mariage pour ma fille aînée.
CLÉMENTINE – Oui, Madame, vous avez rai-
son. (Ne bouge pas et réfléchit l'air gênée.)
CÉLINE – Qu'est-ce qui vous arrive ? Ça vous
gêne que je ne rentre pas chez moi aujour-
d'hui ?
CLÉMENTINE – C'est que… Ah ! J'entends
Madame arriver. Excusez-moi. (Repart vers
la cuisine.)

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CÉLINE – Je ne vois pas la différence entre re-
partir ce soir ou demain matin.
LAURA – (Très excitée, revenant du supermarché, très
étonnée.) Maman ! Mais qu'est-ce que tu fais
là ?
CÉLINE – (Montre sa tasse de café.) Ça se voit,
non ? Je prends un café.
LAURA – Mais tu as raté ton train, maman ! Il
est 8 heures moins 10 !
CÉLINE – Non, ma fille. C'est le train qui m'a
ratée.
CLÉMENTINE – (Revenant de la cuisine.) Les
cheminots sont en grève, Madame.
LAURA – (Perdue.) Mais alors, comment on va
faire…
CÉLINE – Quoi ? Tu ne vas pas me dire, toi
aussi, que ça te gêne si je pars demain ! Clé-
mentine m'a déjà joué sa petite comédie.
J'avoue que votre attitude n'est pas des plus
agréables… Y a-t-il un problème pour que
je ne m'en aille que demain matin ?

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LAURA – (Essaie de paraître naturelle.) Non, bien
sûr que non, maman. Le seul problème,
c'est que… (On entend sonner à la porte.) Zut !
Ça y est, ils sont là ! (Sort vers la porte d'entrée.)
CÉLINE – Ah… Je comprends. Vous avez des
invités !
CLÉMENTINE – Oui, Madame, comme
chaque premier vendredi du mois.
CÉLINE – Chaque premier vendredi du mois ?
Qu'est-ce que ça veut dire ?
CLÉMENTINE – Ça veut dire, Madame, que
chaque premier vendredi du mois il y a des
invités.
CÉLINE – (Ironique.) Quelle magnifique expli-
cation ! Vous auriez pu être enseignante,
ma fille !
CLÉMENTINE – Madame va sans doute vous
expliquer tout très clairement. Quant à moi,
Monsieur et Madame me donnent la soirée
libre !
CÉLINE – Comment ça ? Ils ont des gens à la
maison et ils vous donnent l'après-midi ?

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CLÉMENTINE – Non, Pas l'après-midi mais le
soir, Madame.
CÉLINE – (Fâchée, se lève.) Bon ! Je vais me re-
tirer dans ma chambre. Enfin, dans la
chambre d'amis ! Bonne nuit. (Sort vers les
chambres.)
CLÉMENTINE – Bonne nuit, Madame. Oh là
là… Ça promet ! (Part vers la cuisine.)
LAURA – (Arrive suivie de Jean et Hélène.) Instal-
lez-vous, je vous en prie. Georges et les
autres ne vont pas tarder. Je reviens tout de
suite. (Part vers les chambres.)
JEAN – Alors sa mère est là ! Je me demande
ce que nous pourrons faire…
HÉLÈNE – Tu penses, comme moi, que la soi-
rée est gâchée, n'est-ce pas ?
JEAN – Je pense plutôt qu'elle n'aura pas lieu,
tout simplement.
HÉLÈNE – Georges va se mettre dans une co-
lère !
JEAN – Surtout que, en plus, il ne supporte pas
sa belle-mère… Enfin, on verra…

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HÉLÈNE – Et si on téléphonait à Véronique
et Michaël pour qu'ils ne viennent pas ?
JEAN – Laissons Laura gérer la situation. On
en discutera avec elle. La voilà !
LAURA – Pas moyen de la faire partir ! Elle ne
veut même pas aller au cinéma. Et puis, de
toute façon, la dernière séance finit à mi-
nuit. Ça ne nous arrange pas vraiment.
HÉLÈNE – Et qu'est-ce qu'on va faire… ?
LAURA – Qu'est-ce que tu veux que je fasse !
Je ne peux pas la mettre dehors non ? Et je
n'ai pas d'excuse pour lui proposer de pas-
ser la nuit à l'hôtel.
JEAN – Bien sûr que non, Laura. Hélène et
moi, nous pensons que peut-être, il serait
plus prudent…
HÉLÈNE – Parce que c'est vrai que la dernière
fois nous nous sommes quittés à 4 heures
du matin.
LAURA – Et si on le faisait avec elle ? Bien sûr !
Je lui expliquerais tout et nous l'inviterions
à nous rejoindre. Qu'est-ce que vous en
pensez !

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JEAN – Je ne trouve pas ton idée… quad
très… prudente, Laura.
HÉLÈNE – Jean a raison, Laura. Je ne pense
pas que ta mère trouvera ça… décent. Le
mieux c'est de reporter cette… soirée au
mois prochain.
LAURA – Mais non ! Et je vais dire aussi à Clé-
mentine de rester. Ce sera une soirée inou-
bliable !
HÉLÈNE – Je ne suis pas d'accord, Laura,
mais, si tu veux… Je n'oublierai jamais ce
premier vendredi soir où nous nous
sommes rencontrés pour…
LAURA – (L'interrompt.) Moi aussi, je me sou-
viens parfaitement. Le jeu consistait à ra-
conter des blagues… (Elle rit.) Quel chan-
gement, non ?
HÉLÈNE – Nous avions le trac. Nous vous re-
cevions pour la première fois… (À Jean.) Tu
te souviens ?
JEAN – Bien sûr que je me souviens. Nous
étions tous morts de peur, n'est-ce pas ?
LAURA – Oui… La première soirée…

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HÉLÈNE – Depuis bientôt cinq ans… C'est
vraiment incroyable !
JEAN – Aujourd'hui nous célébrons peut-être
notre vendredi numéro 50, qui sait !
LAURA – Tu aurais bien aimé numéroter les
réunions, Jean. Et pourquoi pas faire
quelque chose de spécial à l'occasion des
nombres premiers, par exemple. Cela t'a
bien réussi, la comptabilité !
HÉLÈNE – Ne te moques pas de lui. Tu sais
bien qu'il s'amuse tout le temps avec les ma-
thématiques. Moi, je n'y comprends rien.
Rien du tout. En tout cas ce n'est pas par
hasard que l'entreprise réussit comme elle
réussit ! Avec un comptable comme Jean…
LAURA – Bien sûr, Hélène. Et puis, je ne me
moque pas de lui. Je l'admire, c'est tout. Et
toi, tu l'adores, n'est-ce pas ? Quel couple
magnifique vous faites !
HÉLÈNE – Pourquoi dis-tu ça ? Aussi magni-
fique que toi et Georges, non ?
LAURA – Georges est un amour d'homme,
Hélène. Le mari parfait ! N'est-ce pas,
Jean ?
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JEAN – Pardon ?
LAURA – Je disais que, toi aussi, tu trouves que
Georges est… parfait !
JEAN – Oui… Enfin… Comme nous tous,
non ? (Prend un magazine et le feuillette d'un air
distrait.)
LAURA – Bien sûr. Nous sommes trois
couples de rêve. Parce que vous n'allez pas
me dire que Véronique et Michaël ne s'en-
tendent pas à merveille !
HÉLÈNE – Je trouve que Michaël est un
homme charmant… Quoi que, pour être
franche, je n'aime pas trop quand… Enfin,
bon, tu sais… il se laisse aller à… Il me fait
peur, parfois.
LAURA – Peur ? (Pause brève. À Jean.) Toi aussi,
tu as peur de Michaël, Jean ? Moi, je le
trouve magnifique. Dynamique, entrepre-
nant, séduisant…
JEAN – Séduisant… ou séducteur… ?
LAURA – Ne dis pas ça, Jean. Bien sûr, par rap-
port à toi… Toujours si prudent, si retenu.
(À Hélène.) Tu as un mari très… mesuré,

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Hélène. J'imagine qu'il n'est pas toujours
comme ça… !
HÉLÈNE – Ne dis pas de bêtises, Laura. Jean
est un homme très affectueux. N'est-ce pas,
mon Chéri ?
JEAN – (Regarde l'heure comme s'il n'avait pas en-
tendu.) Où sont passés les autres ! Il est déjà
presque 9 h ! Je ne supporte pas qu'ils nous
fassent attendre comme ça ! On avait dit à
8 h, comme toujours.
LAURA – Ne t'inquiète pas, Jean. Georges et
Michaël sont en train de terminer le rapport
dont tu as fait la première partie. Tu sais
bien qu'ils doivent le rendre lundi. Après,
Georges allait déposer Michaël chez lui
pour qu'il prenne Véronique… et sa nou-
velle voiture, bien entendu…
HÉLÈNE – Ils attendent que Véronique fi-
nisse de se maquiller, sans doute… Elle met
toujours un temps fou à se maquiller !
LAURA – Tu n'es pas comme elle, bien sûr…
(À Jean.) Hélène est toujours rapide, tou-
jours efficace… Je l'imagine dans tes bras,

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son cœur qui bat… et elle, toujours effi-
cace… N'est-ce pas, Jean ?
JEAN – (Rigolant.) Tu as l'air bien excitée, ce
soir, Laura. Tu ferais bien de te calmer un
petit peu… Surtout si ta mère reste avec
nous…
LAURA – Ma mère ! Il va falloir je lui ex-
plique… tout avant que Georges n'arrive !
HÉLÈNE – Tâche d'être claire et discrète à la
fois, Laura. Puisqu'elle ne peut pas s'échap-
per… Essayons que la soirée ne tourne pas
au scandale…
LAURA – Ne te fais pas de souci, ma Chérie.
Tu verras comme elle va… s'amuser. Je
vous offre à boire, pendant que je lui parle.
Clémentine ! Clémentine !
CLÉMENTINE – (Arrivant.) Madame ?
LAURA – Qu'est-ce que vous faites ce soir ?
CLÉMENTINE – Ce soir ? Rien, Madame. Je
suppose que je pourrais disposer, dans
quelques minutes, quand Monsieur et vos
invités seront arrivés. Pourquoi cette ques-
tion, Madame ?

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LAURA – Ça vous dirait de rester avec nous ce
soir ?
CLÉMENTINE – Que voulez-vous dire… par-
là, Madame ?
LAURA – Je veux dire que nous vous invitons
à vous joindre à nous, ce soir…
CLÉMENTINE – Pour…
LAURA – Oui, ma fille, pour ça.
CLÉMENTINE – Et Madame, votre mère ?
LAURA – Elle nous rejoindra, elle aussi.
CLÉMENTINE – Ce n'est pas possible, Ma-
dame ! Comment voulez-vous… Ah non,
Madame. Pas ça. (Après un bref silence, se rap-
pelant de son patron.) Et Monsieur… ?
LAURA – Monsieur ?
CLÉMENTINE – Il ne sera pas d'accord pour
que je reste… J'en suis sûre, Madame.
LAURA – Mais si, Clémentine, il sera d'accord.
Ne vous inquiétez pas pour Georges, ma
fille. Et j'insiste…

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CLÉMENTINE – Dans ce cas, Madame.
LAURA – Très bien. Dans ce cas, apportez-
nous à boire tout de suite.
CLÉMENTINE – Bien, Madame. (Repart.)
LAURA – J'arrive. J'en ai pour cinq minutes.
(Sort.)
JEAN – Je me demande pourquoi ils n'arrivent
toujours pas.
HÉLÈNE – Et moi, je me demande si nous ne
devrions pas partir.
JEAN – Tu n'as plus envie de jouer ?
HÉLÈNE – Tu appelles toujours ça jouer ?
CLÉMENTINE – (Pousse un chariot.) Que dési-
rez-vous boire, Messieurs-dames ?
HÉLÈNE – Un petit verre de blanc, s'il vous
plaît.
JEAN – Servez-moi un pastis, s'il vous plaît.
CLÉMENTINE – (Sert les verres et entend du bruit.)
Monsieur est arrivé ! J'ai une peur bleue.

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HÉLÈNE – Je vous comprends parfaitement,
Clémentine… !
GEORGES – (Arrivant.) Quel plaisir de te revoir
Hélène ! Salut, Jean ! Comment vas-tu ?
JEAN – Ça va, Georges, Ça va. Alors, le rap-
port ?
GEORGES – Tout est fait, mon Cher. Nous
avons complété ta partie avec nos résultats
à nous et il est prêt pour le rendre lundi, tel
que nous l'avions promis. Pas de soucis à
nous faire.
JEAN – Parfait. Alors, Michaël et Véronique
sont là ?
GEORGES – Ils arrivent dans un moment. Vé-
ronique n'était pas encore prête quand j'ai
déposé Michaël.
HÉLÈNE – Pas de quoi s'étonner !
GEORGES – Laura, aussi, elle est en retard ?
(Silence général, gêné.)
HÉLÈNE – Désolés de te décevoir, Georges,
mais…

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GEORGES – Elle n'est pas encore rentrée ?
JEAN – Ce n'est pas ça, non.
HÉLÈNE – (Solennelle.) Laura est avec sa mère.
GEORGES – Avec sa mère ! Elle n'est donc pas
partie cette… ?
CLÉMENTINE – (Coupant.) Les trains sont en
grève, Monsieur. Elle ne peut pas partir ce
soir.
GEORGES – Mais alors… Comment ferons-
nous ?
HÉLÈNE – Laura a décidé d'inviter ta belle-
mère… à participer au jeu.
GEORGES – Mais… ce n'est pas possible… !
CLÉMENTINE – Et moi aussi, j'y suis invitée,
Monsieur.
GEORGES – Vous aussi ? Je vais remettre les
choses dans l'ordre. Attendez-moi cinq mi-
nutes. (Part.)
CLÉMENTINE – (On entend sonner.) Les voilà !
Excusez-moi, je vais ouvrir. (Sort.)

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Véronique entre suivie de Michaël.
VÉRONIQUE – (Extravertie, coquette.) Nous
voilà ! Eh oui, mon cher Jean, nous arri-
vons, enfin. (Très posée.) Je suis vraiment na-
vrée d'être arrivés si tard. C'est de ma faute.
HÉLÈNE – On s'y attendait, ma Chérie !
MICHAËL – Bonsoir ! Comment vas-tu, ma
petite Hélène ?
Ils s'embrassent les uns les autres.
VÉRONIQUE – Laura et Georges ne sont pas
là ?
MICHAËL – (Sur le ton de la blague.) Ils sont sans
doute en train de se disputer dans leur
chambre.
HÉLÈNE – Tu te trompes, Michaël.
MICHAËL – Ah bon ? Alors qu'est-ce qui se
passe ?
JEAN – Laura est avec sa mère…
MICHAËL – Sa mère est là ?

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VÉRONIQUE – Ce n'est pas vrai ! Et elle va
rester ce soir à la maison ?
HÉLÈNE – Oui, c'est ça le pire.
VÉRONIQUE – Comment ça, le pire ! Au con-
traire. Ce sera encore plus excitant que d'ha-
bitude !
HÉLÈNE – Tu ne sais pas ce que tu dis, Véro-
nique.
JEAN – Tu sais ? Clémentine est invitée, elle
aussi.
MICHAËL – Clémentine aussi ? Non, je ne le
savais pas. Nous aussi, nous avons une pe-
tite surprise… !
JEAN – Quelle petite surprise ?
VÉRONIQUE – (Tout excitée.) Vous allez voir…
MICHAËL – Clémentine ! Faites entrer Made-
moiselle !
CLÉMENTINE – (Arrivant.) Je suis désolée,
Monsieur, mais Mademoiselle est partie.
JEAN – (Étonné.) Qui est partie ?

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VÉRONIQUE – Agnès. Elle venait avec nous.
JEAN – Agnès ?
HÉLÈNE – (Comme l'écho de Jean, plus doucement.)
Agnès…
JEAN – Mais comment as-tu osé… !
MICHAËL – (Avec perfidie.) Ça te dérange
qu'elle soit venue ?
HÉLÈNE – (Fâchée.) Quelle importance, puis-
qu'elle est partie.
VÉRONIQUE – Elle n'a pas eu le courage de
rester. Tant pis pour elle.
MICHAËL – De toute façon, elle était déjà as-
sez fatiguée au bureau.
JEAN – (Très mécontent.) Vous étiez au bureau
avec elle ?
MICHAËL – Oui. Pourquoi ?
JEAN – Pourquoi était-elle avec vous, dis-moi.
(Le ton monte.) Pourquoi l'as-tu fait venir au
bureau !

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MICHAËL – Elle est notre secrétaire, non ?
Agnès nous a parfaitement aidé à… finir
le… rapport.
JEAN – D'accord, d'accord. Mais pourquoi
l'as-tu invitée à cette soirée. Ça n'a pas de
sens ! Je ne vous comprends pas. Laura in-
vite sa mère, elle demande à la bonne de
rester et toi, tu fais venir Agnès… !
HÉLÈNE – (Se lève.) Partons, Jean, partons.
JEAN – Attends, attends. Ne nous précipitons
pas. Après tout, Agnès est partie.
VÉRONIQUE – Moi, je trouve très excitant que
Clémentine joue avec nous, vous n'êtes pas
d'accord ? Et puis, avec la mère de Laura…
Ce sera une expérience… collective !
HÉLÈNE – Nous n'avons jamais invité qui
que ce soit à nos soirées ! Je ne vois pas
pourquoi…
MICHAËL – (Conciliateur.) Allons, ma belle Hé-
lène ! De quoi as-tu peur…
HÉLÈNE – Ce n'est pas ça.

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VÉRONIQUE – Hélène, ma Chérie… Tu ne
vas pas nous abandonner, n'est-ce pas ?
MICHAËL – (À Hélène.) Au fait, as-tu des nou-
velles à nous donner ?
HÉLÈNE – Des nouvelles ? Qu'est-ce que tu
veux dire ?
MICHAËL – Je me souviens que la dernière
fois, tu mourrais d'envie de nous donner
des… nouvelles. (Montre avec ses mains le
ventre d'une femme enceinte.)
HÉLÈNE – Ah… Oui, tu as raison. Eh bien,
non. Je n'ai aucune nouvelle à te donner.
VÉRONIQUE – On dirait que Jean est complè-
tement pris par ses responsabilités profes-
sionnelles.
JEAN – Véronique, tu peux garder ton opinion
pour toi, d'accord ? Que voulez-vous
boire ?
VÉRONIQUE – Ah, pour moi, quelque chose
de très… fort !

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MICHAËL – (Admirant le chariot.) Regardez-
moi ça ! Laura est une maîtresse de maison
exceptionnelle !
VÉRONIQUE – C'est pour moi que tu dis ça,
mon Chéri ? Ce n'est pas la peine. Tout le
monde sait que tu es fasciné par la généro-
sité de Laura. N'est-ce pas ?
HÉLÈNE – Et comme Michaël ne manque pas
de générosité non plus…
JEAN – Mais qu'est-ce que vous racontez ! Vé-
ronique et Michaël forment un couple mo-
dèle. C'est du moins ce que Michaël nous a
toujours fait croire.
MICHAËL – Du calme, du calme, mon cher
Jean. Vous êtes tous très impulsifs ce soir.
Même Hélène se fait entendre ! Qu'est-ce
qui se passe ?
LAURA – (Triomphante.) Ce qui se passe, mon
cher Michaël ? Eh bien, je peux te dire que
cette soirée sera inoubliable ! Ce sera notre
meilleure soirée ! Je vous ai préparé un jeu
sensationnel…
VÉRONIQUE – (À Hélène et Jean.) Ah bon ?
Vous êtes au courant, vous ?
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HÉLÈNE – Absolument pas.
LAURA – C'est une surprise pour tout le
monde !
JEAN – Eh oui ! Surtout pour sa mère…
CÉLINE – (Arrivant.) Parfaitement ! Bonsoir,
je suis la mère de Laura… (S'interrompt brus-
quement lors qu'elle remarque Michaël.) Fran-
çois ? Quelle surprise ! Mais que fais-tu ici ?
Personne ne comprend.
GEORGES – (Revenant.) Je vous présente ma
belle-mère.
CÉLINE – (À Laura.) Ma Chérie, tu aurais pu
me dire que François serait là… J'aurais été
rassurée…
GEORGES – François ? Vous vous trompez,
ma chère Céline. Je vous présente Michaël
Descombes et Jean Laporte, mes associés.
Véronique, la femme de Michaël et Hélène,
la femme de Jean. Je suis sûr que vous ne
vous êtes jamais rencontrés avant ce soir.
CÉLINE – (Fait les bonjours, Michaël à la fin.)
Bonsoir, Michaël. Excusez-moi de vous

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avoir pris pour quelqu'un d'autre… (Lui
serre la main.)
MICHAËL – (Un peu gêné.) Ça n'est pas grave.
Enchanté, Madame Faure.
CÉLINE – Oh ! Vous pouvez m'appeler Cé-
line. Si ça ne vous gêne pas, bien entendu…
MICHAËL – Si ça vous plaît… Céline.
CÉLINE – (Riant.) Et comment !
GEORGES – (À Michaël.) Et… notre surprise ?
Où est-elle ?
MICHAËL – (S'exprimant aussi avec les mains.)
Elle s'est envolée !
GEORGES – Elle est partie ?
Michaël fait oui de la tête et Véronique lève ses
épaules.
GEORGES – Bon. Alors… merci à tous d'être
venus. Installez-vous bien. Tout est prêt
pour commencer ?
HÉLÈNE – Vous ne faites pas venir Clémen-
tine ?

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LAURA – Elle viendra, elle viendra, un peu
plus tard.
JEAN – Tu nous expliques les règles du jeu ?
LAURA – Tout de suite, Jean.
GEORGES – C'est le jeu dont tu m'as parlé
l'autre jour ?
VÉRONIQUE – Ah non ! Je déteste les jeux de
hasard. Pourquoi ne pas répéter le jeu de la
dernière fois ?
GEORGES – C'est vrai. Mais pour qu'Hélène se
déshabille on a gâché une bouteille de
whisky !
HÉLÈNE – C'est vrai. Je n'en avais pas envie.
Je ne vois pas pourquoi tu me le reproches,
maintenant.
MICHAËL – Surtout que Jean ne pouvait plus
se contenir, n'est-ce pas ?
JEAN – Je préfère changer de jeu. Je veux en-
tendre ce que Laura a à nous proposer.
LAURA – D'abord, je vous remplis les verres…
GEORGES – Laisse-moi faire. (Fait la tournée.)
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LAURA – Très bien. Vous verrez que c'est très
simple. Ce petit sac contient des morceaux
de papier sur lesquels on a écrit un sujet.
Chacun tirera au hasard un papier et devra
nous raconter une expérience intime sur le
sujet qu'il a eu.
VÉRONIQUE – Quel horreur ! Je déteste ra-
conter des histoires. Quand on se met à ra-
conter des choses, on finit toujours par des
mensonges.
LAURA – Ah non ! Nous devons promettre de
dire la vérité. Toute la vérité et rien que la
vérité…
JEAN – Tu ne trouves pas ça un peu… dange-
reux ?
MICHAËL – Peut-être pour toi, oui. Quant à
moi, je n'ai rien à vous cacher. Je peux vous
dévoiler ma vie sans aucune réserve !
HÉLÈNE – Nul n'en doute…
CÉLINE – Je n'en dirais pas autant… Michaël.
êtes-vous sûrs de pouvoir tout nous racon-
ter ? Absolument tout ? Je ne vous crois
pas, excusez-moi.

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MICHAËL – Bien sûr que si… Sauf si Véro-
nique…
VÉRONIQUE – Moi ? Ce n'est pas moi qui
t'empêcherais de raconter ta vie, mon
Chéri…
LAURA – Alors ?
VÉRONIQUE – D'accord. Mais nous promet-
tons que nous raconterons des expériences
vraies.
GEORGES – Une autre tournée et on com-
mence ! (Ressert.)
Chacun tire un papier.
LAURA –Jean, Hélène, Michaël, Véronique,
maman, Georges et moi.
JEAN – Et Clémentine ?
LAURA – Elle interviendra d'une autre ma-
nière. C'est une surprise.
CÉLINE – Encore une surprise ! Quelle imagi-
nation !

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Chacun lit son papier, Laura, Véronique et Michaël
sont un peu ivres, Georges de mauvais caractère, Jean
et Hélène, sobres.
LAURA – J'espère que vous êtes tous satisfaits
de votre sujet. Très bien. Voyons qui com-
mence… Je propose que Véronique soit la
première !
VÉRONIQUE – Moi ? Tu es complètement
folle, ma fille ! Pourquoi pas toi ? C'est ton
idée, non ?
GEORGES – Ne vous énervez pas. C'est moi
qui vais commencer. Vous n'aurez pas à
vous disputer.
HÉLÈNE – En voilà un qui est content de son
petit papier…
JEAN – Qu'est-ce que tu as eu, Georges ?
GEORGES – (Lit son papier.) Réussite finan-
cière.
JEAN – Le hasard a bien fait les choses ! Ce
sujet te sied à merveille !
MICHAËL – Et toi, tu ne peux pas t'empêcher
de faire l'éloge de Georges, n'est-ce pas ? Je

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trouve ça… déplacé, mon cher Jean, pour
ne pas dire dégouttant. Tu vois ce que je
veux dire ?
VÉRONIQUE – Michaël, ne recommence pas,
mon Chéri. Tu ne retiens jamais rien… La
dernière fois que tu as commencé avec ça,
tout s'est très mal terminé, souviens-toi…
LAURA – Oui, tu vas nous gâcher la soirée.
GEORGES – Alors vous ne voulez pas que je
vous raconte mes réussites financières…
MICHAËL – Jean préférerait que tu nous
parles de lui, peut-être.
HÉLÈNE – Arrête, Michaël. Si tu tiens à te
moquer de Jean, alors c'est moi qui vais
commencer.
VÉRONIQUE – (Ironique.) Mm… Et de quoi
vas-tu nous parler, Hélène ?
HÉLÈNE – (Lisant son papier.) D'un amour im-
possible.
CÉLINE – (Insidieuse.) Ah ! Si j'avais eu ce su-
jet ! J'aurais pu vous raconter… François…

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LAURA – Maman, je t'en prie. C'est le sujet
d'Hélène, pas le tien.
GEORGES – Peut-être, voulez-vous échanger
le vôtre contre celui d'Hélène ?
MICHAËL – Ah non ! Désolé. Cela n'est pas
dans les règles. Chacun doit parler de ce
qu'il a eu.
CÉLINE – Ne vous en faites pas, Michaël. Je
ne l'échangerai pas. Voulez-vous que je
commence ?
LAURA – Mais non, maman, s'il te plaît !
GEORGES – Qu'est-ce qu'il dit votre papier,
Céline ?
CÉLINE – (Lisant son papier.) Un grand voyage.
Un sujet parfait pour un jour sans trains !
Enfin ! Qui va donc parler le premier ?
LAURA – Hélène !
HÉLÈNE – Si vous ne voulez pas m'en-
tendre…
MICHAËL – Mais si, Hélène. Vas-y, nous
sommes toutes ouïes…

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HÉLÈNE – Très bien. (Prend son temps, rêveuse.)
C'était l'hiver 76. Vous vous souvenez… ?
JEAN – Tu ne vas quand même pas leur racon-
ter…
VÉRONIQUE – (Coupant au bon moment.) Laisse-
la parler, Jean. Puisqu'elle le veut…
Pause longue.
CÉLINE – Nous vous écoutons, Hélène.
HÉLÈNE – Jean et moi, nous nous connais-
sions à peine…
JEAN – Hélène !
HÉLÈNE – C'était au mois de novembre. Les
cours avaient commencé depuis un mois.
Un nouvel étudiant était arrivé dans notre
classe. Il venait du Canada…
VÉRONIQUE – (Comme si elle se souvenait soudai-
nement.) Oui… ! Je me souviens de lui. Un
grand blond, plutôt mince, mais très bien
fait. Il avait du mal à s'exprimer en français,
n'est-ce pas ?
HÉLÈNE – Oui, c'est lui.

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Pause.
GEORGES – Alors ? Que s'est-il passé… avec
ce Canadien ?
HÉLÈNE – Rien. Il a été, pour moi, un
amour… impossible. Voilà tout.
MICHAËL – Alors ma petite Hélène ? Nous
devons croire que rien ne s'est passé avec
ton ami Canadien ?
VÉRONIQUE – On ne dirait pas, ma Chérie…
Tu nous caches quelque chose…
CÉLINE – Allez-y, ma fille ! Racontez-nous
votre expérience bilingue… !
HÉLÈNE – Vous voulez, vraiment, savoir ce
qui s'est passé… ? Nous sommes sortis en-
semble… une fois.
JEAN – Hélène, tu ne crois pas que ça suffit ?
VÉRONIQUE – Mais qu'est-ce que tu as à l'en-
quiquiner comme ça ! Nom d'un chien !
Continue, ma Chérie.
JEAN – Tais-toi, Véronique. Et toi aussi, Hé-
lène. Ça suffit. Son histoire s'arrête là !

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CÉLINE – Quel caractère, Jean ! Vous êtes un
vrai macho !
MICHAËL – Qui l'aurait dit ! Tu vois, Hélène ?
Monsieur le comptable n'aime pas les
comptes…
JEAN – Pourquoi dis-tu ça ? Tu fais mieux que
moi, maintenant ? Pourquoi ne demandes-
tu pas à Véronique de raconter votre vie in-
time, hein ? C'est peut-être que nous n'en
avez aucune, c'est ça ?
MICHAËL – Et pourquoi ne pas raconter la
tienne, mon cher Jean. À moins que tu ne
préfères que ce soit Georges qui nous la ra-
conte ?
GEORGES – (Très agressif.) Qu'est-ce que ça si-
gnifie ?
MICHAËL – Que tu ne dois pas à Monsieur le
comptable que ta réussite financière, mais
bien d'autres choses…
GEORGES – Comme si tu n'avais rien obtenu,
toi ! Tu veux nous faire croire que tu n'as
pas profité de… la situation ? Mais ta nou-
velle voiture, mon hétéro, tu ne l'aurais pas
eue sans mon… « aide » !
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CÉLINE – (Très énergiquement.) Georges ! Arrê-
tez ! (Très théâtrale.) Laissez-moi vous racon-
ter un beau voyage qui vous fera rêver…
MICHAËL – Vous ne voulez pas entendre la
suite, Céline ?
CÉLINE – Et vous ne voulez pas que je leur
raconte mon voyage, Michaël ? Le connais-
sez-vous, peut-être ?
Ils sont tous ivres, sauf Hélène et Jean.
VÉRONIQUE – Allez-y, Céline, nous mour-
rons d'envie de savoir les détails intimes de
ce voyage… N'est-ce pas, mon Chéri ?
Vous étiez sans doute avec… quelqu'un…
CÉLINE – J'étais avec François, ma Chérie…
Sur un bateau… Nous traversions la Médi-
terranée pour gagner la Corse… C'était l'au-
tomne 89…
Pause.
VÉRONIQUE – Alors ?
CÉLINE – Alors cet homme, qui se tenait à
une certaine distance de moi, s'est approché

40
pour me remercier de tout ce que je faisais
pour lui… et pour elle…
HÉLÈNE – Pourquoi parlez-vous d'elle ?
C'était qui elle ? Vous n'étiez pas seuls, tous
les deux ?
CÉLINE – Non, ma Chérie, nous étions trois
sur le bateau. Trois êtres humains étrange-
ment unis…
GEORGES – On a du mal à vous comprendre,
Céline.
LAURA – Il n'y a rien à comprendre. Maman a
fait ça pour calmer la situation. Comme ça,
Hélène n'a pas eu à nous dire ce qui s'est
passé vraiment avec son ami du Canada.
Donnons la parole à Véronique.
VÉRONIQUE – (Lit son papier.) Un bal inou-
bliable.
HÉLÈNE – Vu comme tu danses, tu n'auras
pas grand-chose à nous dire, j'en suis sûre.
VÉRONIQUE – Tu te trompes. Je vais te mon-
trer de quoi je suis capable. Un peu de mu-
sique, Georges ? (Se lève pour danser.) Si Laura
n'y voit pas d'inconvénient…

41
LAURA – Il s'agit de raconter une histoire in-
time et vraie, sur un bal inoubliable. On ne
t'a pas demandé de te donner en spectacle !
Ils dansent de manière provocante, mais Laura coupe
la musique.
RÉGIE – Fin de la musique
LAURA – Ça suffit. Raconte-nous ton bal. On
pourra danser après, si vous voulez.
JEAN – On n'a pas laissé Georges nous racon-
ter son expérience financière. C'est ton
tour, Georges.
GEORGES – La vérité ? Je n'ai rien à vous dire.
Ce papier était, peut-être, destiné à toi, Jean.
MICHAËL – Oui, c'est clair ! Nous nous
sommes tous trompés de papier, n'est-ce
pas Hélène ?
HÉLÈNE – Je m'en vais. Tu viens avec moi,
Jean ?
MICHAËL – (Ivre, prend Hélène par le bras.) At-
tends, Hélène. Écoute… Tu verras comme
c'est intéressant.

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HÉLÈNE – (Se dégage.) Laisse-moi tranquille.
MICHAËL – (À Georges.) C'est toi Georges qui
a préparé les sujets ?
GEORGES – Qu'est-ce qui te fait croire que ça
a pu être moi ? Tu n'aimes pas ton sujet ? Il
te dérange ?
MICHAËL – Absolument pas, mon vieux.
Veux-tu réellement que je parle, mon cher
Georges ? Sache que mon petit papier
s'intitule « Un homme dans ma vie ». Sans
doute, t'était-il destiné…
CÉLINE – Vous tenez vraiment à recommen-
cer, Michaël. N'oubliez pas que je n'ai pas
fini mon… voyage.
MICHAËL – Cela n'est égal, maintenant, ma
chère Céline. C'est mon tour et vous allez
tous m'entendre. Es-tu prêt, Georges ?
Veux-tu t'asseoir ? Ou tiens-tu à m'écouter
debout ?
GEORGES – Ne recommence pas, entendu ?
HÉLÈNE – (À Jean.) Partons, Jean, partons
maintenant.

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LAURA – Clémentine ! Venez vite !
Clémentine entre et se place derrière Georges.
MICHAËL – (Avec ostentation, lentement.) Il était
une fois trois associés… Ou plutôt… deux
associés.
GEORGES – Arrête, Michaël.
MICHAËL – Pourquoi, Georges ? Laura a bien
voulu qu'on joue à ce jeu. Tu voulais depuis
longtemps que je raconte… Georges et
Jean, n'est-ce pas, Laura ? Dis que c'est de
moi que tu veux l'entendre, Laura… ?
GEORGES – Tais-toi ou tu vas le regretter, Mi-
chaël…
MICHAËL – Des menaces… ?
HÉLÈNE – (Crie désespérée.) Arrêtez, je vous en
prie ! Pourquoi veux-tu en parler ! Pour-
quoi !
GEORGES – Je sais pourquoi. Mais tu te
trompes. (Furieux.) Pour la dernière fois, je
te demande d'arrêter !

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MICHAËL – Tu as peur, n'est-ce pas ? Tu as
vraiment peur… Regardez-le… comme il
transpire… La sueur froide, Georges ? Tu
trembles ? Tu ne veux pas que je dévoile…
tes… tes rapports… interdits ?
GEORGES – (Sortant un revolver de sa poche il le
dirige contre Michaël.) Arrête !
CÉLINE – Georges, s'il vous plaît. Vous nous
faites peur ! Rangez cette arme !
CLÉMENTINE – Je ne peux pas, Madame ! Je
ne peux pas ! (Essaie de reprendre le revolver sans
distraire les autres personnages.)
JEAN – Arrête Michaël. Excuse-toi auprès de
Georges. Et toi, lâche cette arme. On ne
joue pas avec ça.
GEORGES – (Ironique, violent.) Bien sûr. On ne
joue pas avec ça. Alors cet imbécile peut se
permettre de dire n'importe quoi ? Je dois
tout accepter sans rien dire ? Tu ne te rends
pas compte de ce qu'il insinue !
JEAN – Écoute, Georges…
MICHAËL – Oui ! Écoute, Georges. Écoute ce
que Jean va dire… Vas-y Jean ! C'est quoi,

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au fait, ton petit papier ? Une journée très
particulière ?
GEORGES – (Très fort.) Je te dis d'arrêter ou…
CLÉMENTINE – (Poussant le bras de Georges.)
Non !
Georges tirer sur Jean et Jean est blessé à mort.
HÉLÈNE – Jean !
RÉGIE – Noir

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SCÈNE 2
Tout de suite après

RÉGIE – Pleins feux


Personne n'a bougé, tout le monde se met à l'aise.
Jean est le Commissaire.
COMMISSAIRE – (Se lève, sort un carnet et lit.)
Monsieur Jean Laporte, 46 ans, comptable
de la société Berger-Descombes-Laporte,
est mort à 22 h 15 environ, le vendredi 4
décembre 1992, au cours d'une réunion
entre amis, chez Monsieur et de Madame
Berger. L'arme n'a pas été retrouvée.
(Pause.) Extraordinaire… C'est vraiment
très curieux.
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MICHAËL – Pourquoi dites-vous ça, Mon-
sieur le Commissaire ? C'est un accident
que nous regrettons tous.
COMMISSAIRE – Un accident, bien sûr… Et
extrêmement regrettable, comme vous le
dites si bien. Oui… (À Laura.) Madame…
(Lit.) Berger, n'est-ce pas ?
LAURA – Oui, Monsieur.
COMMISSAIRE – Madame Berger, êtes-vous
satisfaite de la reconstitution que nous ve-
nons de faire ?
LAURA – Difficile à dire, Monsieur le Com-
missaire. Je suppose que oui. Enfin, je veux
dire que les choses se sont passées à peu
près comme cela. Ceci dit, Jean ne s'est pas
toujours comporté comme vous l'avez fait,
mais, d'une manière générale, je suis d'ac-
cord avec la reconstitution.
COMMISSAIRE – Madame… (Lit.) Des-
combes. Avons-nous omis un détail impor-
tant ?
VÉRONIQUE – (Sans intérêt, démolie par le
meurtre.) Non, Monsieur, je suppose que
non. De toute façon, quelle importance !
48
Jean est mort et nous n'y pouvons rien,
non ?
COMMISSAIRE – Il est mort, oui… Sans aucun
doute… (Plus dynamique, toujours ironique.)
Un jeu assez bizarre que le vôtre. Vous
vous rencontrez pour faire ces jeux tous les
vendredis, n'est-ce pas ?
GEORGES – Non, Monsieur. Le premier ven-
dredi du mois, sauf exception.
COMMISSAIRE – Oui, excusez-moi. Vous me
l'aviez déjà dit. Le premier vendredi du
mois. Et vous n'aviez jamais… disons…
dépassé les limites ?
HÉLÈNE – Non, Monsieur, jamais. Je ne
comprends pas ce qui est arrivé ce soir.
Comment… (Pleure.)
GEORGES – Moi aussi, je suis consterné, Mon-
sieur le Commissaire. Je n'arrive pas à croire
que…
COMMISSAIRE – (À Georges.) Que Monsieur
Laporte soit mort. Oui, je vous comprends,
Monsieur Berger. Vous avez été très… tou-
ché par les insinuations de Monsieur Des-
combes.
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GEORGES – Ça a été une agression sans rai-
son. Michaël m'accusait d'une façon si
odieuse, que…
COMMISSAIRE – Oui, oui, je comprends. En-
fin… je crois comprendre. (À Michaël.) Et
pourquoi l'avez-vous fait, Monsieur Des-
combes ?
MICHAËL – On jouait, Monsieur. On jouait,
et puis, je me suis laissé aller… J'ai voulu
inventer une histoire sordide entre Georges
et…
COMMISSAIRE – Une histoire sordide, oui. Et
bien entendu, sans fondements…
MICHAËL – Bien sûr, sans fondements. Que
voulez-vous insinuer…
COMMISSAIRE – Moi ? Rien, Monsieur Des-
combes, rien. Vous êtes arrivés, votre
femme et vous, accompagnés par… (Lit.)
Mademoiselle Agnès Colbert, secrétaire de
votre entreprise. C'est bien ça, non ?
MICHAËL – Oui, Monsieur le Commissaire.
Georges et moi lui avions dit de venir ce
soir.

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COMMISSAIRE – S'agit-il d'une pratique… or-
dinaire, Monsieur Descombes ?
MICHAËL – Qu'est-ce que vous voulez dire
par là ?
COMMISSAIRE – Invitiez-vous votre secré-
taire à ce genre de soirée régulièrement ?
GEORGES – Non, Monsieur le Commissaire.
C'était la première fois que nous l'invitions.
COMMISSAIRE – Et pourtant elle n'a pas
voulu rester…
VÉRONIQUE – Elle avait peur, Monsieur le
Commissaire, j'en suis sûre.
COMMISSAIRE – Pourquoi dites-vous cela,
Madame Descombes ?
VÉRONIQUE – Enfin… je veux dire… c'est la
seule raison que je vois, Monsieur le Com-
missaire…
CLÉMENTINE – Madame Descombes a rai-
son, Monsieur le Commissaire. Quand
Agnès (Se corrige vite.) Pardon ! Quand Ma-
demoiselle Colbert attendait dans le hall

51
d'entrée, elle m'a dit qu'elle ne voulait pas
participer à…
COMMISSAIRE – Continuez, Mademoiselle
Argoud.
CLÉMENTINE – Qu'elle voulait partir au plus
vite. Elle n'a même pas voulu passer au sa-
lon.
COMMISSAIRE – Avait-elle sa voiture, Made-
moiselle Argoud ?
CLÉMENTINE – Je n'en sais rien, Monsieur le
Commissaire.
MICHAËL – Non, Monsieur le Commissaire.
Elle est venue avec nous, dans ma voiture.
COMMISSAIRE – Nous devons donc supposer
qu'elle est repartie à pied.
HÉLÈNE – Pourquoi à pied, Monsieur le
Commissaire. Elle a pu prendre un bus ou
un taxi.
COMMISSAIRE – Impossible, Madame La-
porte, matériellement impossible…
CLÉMENTINE – Ils sont en grève !

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COMMISSAIRE – En effet, aucun moyen de
transport n'a fonctionné depuis hier à 16 h.
HÉLÈNE – Elle a donc fait du stop. Elle n'a
pas pu rentrer à pied. D'ici à son quartier il
y a au moins…
COMMISSAIRE – Vous connaissez son
adresse, Madame Laporte ?
HÉLÈNE – (Gênée.) Je ne connais pas son
adresse exacte, Monsieur le Commissaire,
mais Jean m'avait expliqué qu'elle habi-
tait… enfin… très loin d'ici.
COMMISSAIRE – Il faudra bien l'interroger…
GEORGES – Interroger Agnès ? Elle n'est pas
restée une seule minute chez nous, ce soir.
COMMISSAIRE – Disons plutôt, que vous ne
l'avez pas remarquée…
CÉLINE – Vous n'allez pas nous faire croire
que Mademoiselle… (Se retourne vers
Georges.)
GEORGES – Colbert…

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CÉLINE – Ah, oui. Que Mademoiselle Colbert
se cachait dans la maison, non ? Pourquoi
l'aurait-elle fait ?
COMMISSAIRE – Oui, j'avoue que ce serait
quelque chose d'assez extraordinaire. (À
Clémentine.) Êtes-vous certaine qu'elle soit
partie, Mademoiselle Argoud ?
CLÉMENTINE – Je ne peux pas le jurer. J'ai
refermé la porte quand elle a quitté la mai-
son, c'est tout.
COMMISSAIRE – Qu'est-ce que vous en pen-
sez, Madame Faure ?
CÉLINE – Que voulez-vous que je vous dise.
Je comprends à peine ce qui nous est arrivé.
COMMISSAIRE – C'est bien la première fois
que vous participez à ces…
CÉLINE – Oui, Monsieur le Commissaire, la
première fois. J'allais rentrer ce soir, mais
avec la grève des trains…
COMMISSAIRE – Oui, bien sûr, la grève des
trains… Quelle coïncidence, non ?
LAURA – Qu'est-ce que vous voulez insinuer ?

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COMMISSAIRE – Rien du tout, Madame Ber-
ger. Mais, sans cette grève, Madame Faure
serait partie, n'est-ce pas ? (À Céline.) Par-
lez-moi de François, Madame Faure. Vous
avez confondu Monsieur Descombes avec
une personne prénommée François, non ?
CÉLINE – Oh non ! Cela faisait partie du jeu.
De mon jeu à moi. Je devais faire croire aux
autres que j'avais rencontré Monsieur Des-
combes lors d'une croisière. J'ai tout in-
venté. Tout inventé !
LAURA – Dis la vérité, maman, s'il te plaît.
Maintenant ce n'est plus un jeu.
GEORGES – Qu'est-ce que ça veut dire ?
MICHAËL – Oui, Monsieur le Commissaire,
Madame Faure et moi, nous nous connais-
sons depuis longtemps.
GEORGES – Vous vous connaissez ? Ce n'est
pas vrai…
COMMISSAIRE – Où vous êtes-vous rencon-
trés, Madame Faure ? Ici, dans cette mai-
son ?
LAURA – Non, pas dans cette maison.

55
GEORGES – (À Laura.) Mais où, alors ? Pour-
quoi ? Comment ça se fait que tu sois au
courant de tout ?
VÉRONIQUE – (Pour défendre Laura.) Elle est
bien sa fille, non ? Pourquoi ne serait-elle
pas au courant.
GEORGES – Qu'est-ce que tu en sais, toi ?
VÉRONIQUE – La vérité, Georges… La vé-
rité, tout simplement.
LAURA – Alors parle, maman, parle une fois
pour toutes. Ils l'auraient appris, tôt ou
tard…
VÉRONIQUE – Oui, bien sûr… tôt ou tard.
Allez-y Céline, soyez courageuse…
CÉLINE – Je recevais Michaël, ou plutôt Fran-
çois, chez moi, quand Laura me rendait vi-
site.
GEORGES – Et alors ?
VÉRONIQUE – Et alors ça leur permettait de
se rencontrer…

56
CÉLINE – Oui, c'est bien ça. Laura m'avait fait
croire que tout était fini avec François, je
veux dire Michaël, depuis longtemps et c'est
pour ça que j'ai été très… troublée de le re-
trouver ici, ce soir.
COMMISSAIRE – Vous n'avez jamais été au
courant de cette relation, Monsieur Ber-
ger ?
GEORGES – Jamais… jamais… Je ne peux pas
le croire…
MICHAËL – Tout est fini, Georges, depuis
longtemps. Ça a été… tu sais…
VÉRONIQUE – Moi, je l'ai toujours su… et
gardé pour moi. Ça fait tellement mal
d'être… trahie.
COMMISSAIRE – Madame Berger, votre rela-
tion avec Monsieur Descombes, est-elle en
rapport avec notre affaire ?
LAURA – Quoi ? En rapport avec la mort de
Jean ?
MICHAËL – (Agressif.) Oui, avec la mort de
Jean. Tu ne comprends donc pas ? Avec le

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jeu de ce soir, avec l'entrée de Clémentine
juste au moment où…
CLÉMENTINE – Je n'y suis pour rien, Mon-
sieur le Commissaire. J'aurais dû avoir ma
soirée libre.
COMMISSAIRE – Mais vous ne l'avez pas eue
et vous avez accepté de rester ce soir à la
maison.
CLÉMENTINE – Je n'avais jamais participé à
ces jeux. Je vous le jure !
COMMISSAIRE – Et pourtant vous avez joué
un rôle tout à fait décisif, dans cet « acci-
dent »…
GEORGES – Elle a voulu m'empêcher de tirer
sur Michaël. Ce n'est pas la peine de l'inter-
roger.
HÉLÈNE – C'est trop facile de dire ça… Trop
facile. Si elle n'avait pas été là, Jean ne serait
pas mort.
GEORGES – C'est absurde ce que tu dis, Hé-
lène. C'est un accident et Clémentine n'y est
pour rien.

58
COMMISSAIRE – C'est une façon de voir les
choses, Monsieur Berger, en effet, mais pas
la seule.
HÉLÈNE – Avez-vous une autre explication,
Monsieur le Commissaire ?
COMMISSAIRE – Il n'est pas exclu que Made-
moiselle Argoud, au lieu de vouloir proté-
ger Monsieur Descombes, ait voulu dévier
le tir pour qu'il atteigne votre mari !
CLÉMENTINE – (Fond en larmes.) Ce n'est pas
vrai ! Ce n'est pas vrai…
LAURA – Calmez-vous, Clémentine, ce ne
sont que des suppositions. Il faut que vous
gardiez votre calme.
GEORGES – vient de vous le dire. Vous n'avez
rien à craindre. Cette affaire ne vous con-
cerne pas.
CLÉMENTINE – Des suppositions, oui ! C'est
ce que vous dites, vous. Vous avez beau ré-
péter que tout ça ne me concerne pas, mais
si ça continue comme ça, Monsieur le Com-
missaire va finir par tout savoir !
MICHAËL – Tais-toi, idiote !

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COMMISSAIRE – Expliquez-vous, Mademoi-
selle.
CLÉMENTINE – Je n'ai rien fait, Monsieur le
Commissaire. J'ai obéi aux instructions de
Madame, c'est tout. Je voudrais qu'on me
laisse partir.
COMMISSAIRE – Des instructions de Ma-
dame ? Quelles instructions, Mademoiselle
Argoud ?
CLÉMENTINE – Je… Je ne me souviens plus !
CÉLINE – Nous avons du mal à vous croire,
ma petite. À moins que vous ne soyez de-
venue amnésique. Qu'est-ce qu'elle vous a
dit, ma fille. C'est quelque chose de grave ?
HÉLÈNE – Qu'est-ce que Laura vous a dit,
Clémentine !
CLÉMENTINE – (À Laura, se plaignant.) Ma-
dame m'avait dit que la police ne s'en mêle-
rait pas…
GEORGES – Tu lui avais dit ça ? Mais, pour-
quoi as-tu eu l'idée de lui parler de la po-
lice ? Tu avais prévu que la police arrive-
rait ? (Pause.) Réponds-moi, Laura !

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COMMISSAIRE – Laissez votre femme tran-
quille, Monsieur Berger. Nous reviendrons
sur cet aspect de l'accident dans un mo-
ment, à propos du revolver, voyez-vous ?
GEORGES – À propos du revolver ?
COMMISSAIRE – Il a bien disparu, non ? Quel-
qu'un s'est empressé de le cacher, avant que
je n'arrive, n'est-ce pas ? C'est d'ailleurs le
point le plus délicat de cette enquête.
GEORGES – Je l'ai laissé sur cette table, Mon-
sieur le Commissaire, et quand Laura et moi
sommes revenus après vous avoir télé-
phoné, il n'était plus là. Je ne vois pas qui a
pu le faire disparaître, franchement…
COMMISSAIRE – Madame Laporte. Je devrai
vous poser quelques questions qui vous pa-
raîtront… comment dirais-je… indiscrètes.
Mais mon métier et les circonstances
m'obligent à le faire.
HÉLÈNE – Je vous écoute, Monsieur le Com-
missaire.
COMMISSAIRE – Êtes-vous au courant de la
relation entre Monsieur Descombes et Ma-
dame Berger ?
61
HÉLÈNE – (Hésite à répondre.) Euh…
COMMISSAIRE – Répondez, s'il vous plaît,
Madame Laporte.
HÉLÈNE – Oui, Monsieur, j'étais au courant
de cette relation depuis le début. Je suis dé-
solée pour toi, mais tu l'as bien cherché,
après tout.
GEORGES – (Effondré.) Qu'est-ce que j'ai cher-
ché, moi ? Vous dites n'importe quoi ! C'est
un cauchemar tout ça. Je n'arrive pas à…
C'est toujours comme ça, non ? Le mari, le
dernier à le savoir…
COMMISSAIRE – (À Hélène.) Donc, votre mari
le savait, lui aussi. Mais, comment a-t-il pu
le savoir…
GEORGES – Ils se racontaient tout, ces deux-
là ! Qu'est-ce qu'il t'a dit d'autre hein ? Vas-
y, Hélène, parle !
HÉLÈNE – C'est vrai ce que Georges a dit.
Jean me racontait tout à propos de nos…
amis. Jean était un mari très… exemplaire.
Quand on voit les couples d'aujourd'hui…
(S'effondre.)

62
COMMISSAIRE – Votre vie… intime, Madame
Laporte, se déroulait-elle dans… l'harmo-
nie ?
HÉLÈNE – Ni mieux ni pire que nos amis.
Nous avions nos disputes, c'est normal.
Mais Jean gardait toujours son calme. Il
était très respectueux de moi… enfin, de
tout le monde.
COMMISSAIRE – Vous n'accordez donc au-
cune valeur aux accusations de Monsieur
Descombes ?
MICHAËL – Bien sûr que non, Monsieur le
Commissaire. On vous l'a déjà dit.
COMMISSAIRE – Ma question était adressée à
Madame Laporte, Monsieur. Veuillez me
répondre, Madame Laporte.
GEORGES – (Outré en criant.) Pourquoi laisses-
tu planer ce doute ? C'est inadmissible ce
que tu fais !
LAURA – (Comme si elle découvrait soudain, les in-
tentions d'Hélène.) Oui, mon Chéri, mainte-
nant que Jean est mort, elle n'a pas peur de
se ridiculiser… Elle sera capable de tout
pour nous détruire. C'est bien ça que tu
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veux, n'est-ce pas, ma petite Hélène ? Re-
gardez-la, Monsieur le Commissaire. Peu
importe que son mari soit mort… elle jouit
comme une gamine… elle ne veut que nous
faire du mal…
VÉRONIQUE – Méfie-toi, Hélène. Cela peut se
retourner contre toi… On ne sait jamais…
HÉLÈNE – Je n'ai rien à cacher, moi. Je me
suis parfaitement aperçue de ton plan,
Laura. Un jeu macabre dont personne ne
pourrait s'échapper. Je me suis rendu
compte, dès le début, que ça finirait mal,
très mal. Mais jamais je n'aurais pensé que
vous seriez capable de tuer Jean.
COMMISSAIRE – Un crime prémédité, Ma-
dame Laporte ?
GEORGES – Tu as perdu la raison, Hélène. Tu
veux nous accuser d'un meurtre comme si
de rien n'était.
MICHAËL – Georges a raison, Hélène. Réflé-
chis à ce que tu dis. Cela peut nous coûter
très cher…

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HÉLÈNE – Cela nous coûte déjà assez cher !
Rien que pour cacher vos affaires pour-
ries…
COMMISSAIRE – Des affaires pourries, Ma-
dame Laporte ?
MICHAËL – (Furieux.) Tais-toi immédiate-
ment, tu m'entends ?
HÉLÈNE – C'est bien ce que tu voudrais,
n'est-ce pas. Mais non, Michaël… Non.
Vous allez m'entendre, maintenant. (Tend
l'arme au Commissaire.) Voici le revolver,
Monsieur le Commissaire.
CLÉMENTINE – Madame !
LAURA – Calmez-vous, Clémentine.
HÉLÈNE – (Avec du calme.) Vous vous-êtes
bien occupés de laisser toutes nos em-
preintes sur le revolver n'est-ce pas ?
Comme cela, personne ne peut être vrai-
ment tenu pour responsable.
CÉLINE – (Essayant de prendre la situation en
main.) Monsieur le Commissaire, Madame
Laporte est beaucoup trop perturbée par la

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mort de son mari. Il ne faut pas la prendre
au sérieux. Je vous prie de l'excuser.
CLÉMENTINE – Madame Faure a raison,
Monsieur le Commissaire. Il ne faut pas que
vous croyiez que… !
COMMISSAIRE – Mesdames, calmez-vous, je
vous en prie. (À Hélène.) Pourquoi avez-
vous caché le revolver, Madame Laporte.
HÉLÈNE – J'avais peur qu'on le fasse dispa-
raître, Monsieur le Commissaire. Et puis…
Il faut que vous sachiez que Georges ne
voulait pas qu'on appelle la police.
GEORGES – Tu es complètement dingue, Hé-
lène ! Il faut te faire soigner !
LAURA – Quand l'accident s'est produit, Mon-
sieur le Commissaire, nous avons eu du mal
à réaliser ce qui s'était passé, vous compre-
nez ? Personne ne savait si Jean était mort
ou… Enfin, il nous a fallu un certain temps
pour… réagir… Mais nous n'avons jamais
hésité à prévenir la police. Jamais !
MICHAËL – Laura a raison, Monsieur. Nous
avons téléphoné à la police dès que nous
avons pu.
66
VÉRONIQUE – Je voudrais partir, Monsieur le
Commissaire. Je suis fatiguée, je n'en peux
plus.
GEORGES – Nous sommes tous épuisés,
Monsieur le Commissaire. Il est presque 4
h du matin.
COMMISSAIRE – Je comprends, Mesdames et
Messieurs, mais tout ceci n'est pas facile à
accepter… Mais je n'ai plus de questions à
vous poser.
VÉRONIQUE – Dieu merci !
HÉLÈNE – Quelles sont vos conclusions,
Monsieur le Commissaire ? Peut-on les sa-
voir ? Peut-être, voulez-vous nous quitter
sans rien nous dire ?
COMMISSAIRE – Je vais vous dire ce que j'en
pense, Mesdames et Messieurs. (Prend son
temps.) Cet accident, comme vous l'appelez,
n'en est pas un.
Tous protestent, sauf Hélène.
COMMISSAIRE – Il s'agit, pour moi, d'un
crime. Un crime que vous avez conçu avec

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préméditation. Avec intelligence, certes,
mais surtout avec de la haine…
GEORGES – C'est absurde ! Comment pou-
vez-vous prétendre que j'ai tué Jean délibé-
rément.
COMMISSAIRE – Je ne parlais pas de vous,
Monsieur Berger.
LAURA – Mais de qui, alors ! Personne ici
n'avait de raison pour tuer Jean !
COMMISSAIRE – Le jeu de ce soir, c'est bien
vous, Madame Berger, qui l'avez… préparé,
n'est-ce pas ?
MICHAËL – Arrêtez, Monsieur le Commis-
saire, entre proposer un jeu et assassiner
quelqu'un, il y a quand même une diffé-
rence, non ?
COMMISSAIRE – Je ne suis point de votre avis,
Monsieur Descombes.
HÉLÈNE – Vous avez tout compris, n'est-ce
pas, Monsieur le Commissaire ?
VÉRONIQUE – Tais-toi, Hélène, tais-toi…

68
HÉLÈNE – (Très satisfaite.) Allez-y, Monsieur le
Commissaire. Nous vous écoutons.
COMMISSAIRE – Que pensez-vous du scéna-
rio suivant : Madame Berger, avec la com-
plicité de sa mère, Monsieur Descombes,
son amant et Mademoiselle Argoud, sous
l'apparence d'un jeu, a tout organisé pour
que, ce soir, les comptes soient définiti-
vement réglés.
LAURA – (Hors d'elle.) Ça a été un accident,
Monsieur le Commissaire, un accident !
Georges, dis-lui que c'est un accident, dis-
lui… (S'effondre.)
COMMISSAIRE – Votre relation avec Mon-
sieur Descombes, est loin d'être terminée,
n'est-ce pas, Madame Berger ? Ce que
Monsieur Descombes a insinué sur votre
mari n'est pas une calomnie, n'est-ce pas,
Madame Berger ?
CÉLINE – Vous êtes fou !
COMMISSAIRE – Non, Madame Faure. C'est
de vous que la folie s'est emparée. N'est-ce
pas Madame Berger ?

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LAURA – Vous dites n'importe quoi, Monsieur
le Commissaire.
COMMISSAIRE – Madame Berger, je suis per-
suadé que vous avez tout prévu. Un jeu ma-
cabre permettant de dévoiler la vérité.
Votre vérité… et celle des autres. Votre
mère se compromet à dénoncer votre
amant, votre amant à dénoncer votre mari
et Mademoiselle Argoud à dévier le tir
contre Monsieur Laporte. Quelle précision,
Mademoiselle Argoud ! Je vous engagerais
volontiers dans mon service, si vous n'étiez
pas complice de meurtre. Voilà mon avis,
mes chers amis. Voilà mon avis. Quelque
chose à rajouter, Madame Berger ?
LAURA – Des preuves, Commissaire ! Vous ne
les aurez jamais, vous m'entendez ! Jamais !
Aucun personnage ne répond au Commissaire dans
la réplique qui suit.
COMMISSAIRE – Et vous, avez-vous quelque
chose à dire, Monsieur Berger ? (Pause.) Ma-
dame Descombes ? (Pause.) Monsieur Des-
combes ? (Pause.) Madame Faure ? (Pause.)
Madame Laporte ? (Pause.) Mademoiselle
Argoud ?

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CLÉMENTINE – (Avec énergie.) J'ai quelque
chose à dire, Monsieur le Commissaire.
COMMISSAIRE – Je vous écoute.
Pause longue.
Tous éclatent de rire.
CLÉMENTINE – (À Jean.) Tu as été magni-
fique, Jean ! (L'embrasse et lui donne un papier
qu'elle sort de son tablier.
Jean s'éloigne pour le lire sans être vu.
CLÉMENTINE – (Aux autres.) Un vrai com-
missaire, n'est-ce pas ? (Enlève son tablier.)
J'en ai marre de jouer toujours la bonne de
la maison. Cela fait trois fois que vous me
donnez ce rôle. La prochaine fois je refuse-
rai de mettre ce tablier ridicule !
CÉLINE – Il faut dire que tu as été parfaite,
Christine, une vraie bonne à tout faire !
VÉRONIQUE – Ah oui, tout à fait convain-
cante !
LAURA – Vous savez bien que Christine adore
le théâtre. Donnez-lui un rôle et elle le

71
jouera à la perfection. N'est-ce pas, ma pe-
tite sœur ? (L'embrasse.) Merci d'être venue,
et merci pour tout !
CÉLINE – Merci à toi, ma Chérie. Ça a été sen-
sationnel, comme tu l'avais promis !
VÉRONIQUE – (Regardant sa montre.) Quel hor-
reur, 4 h passées. Je tombe de sommeil…
(À Michaël.) On s'en va, Michaël ?
MICHAËL – Oui, ma Chérie, nous partons
tout de suite. Merci Georges pour cette ex-
cellente soirée. Surtout merci à toi, Laura.
C'était parfait !
Clémentine apporte les manteaux de Véronique et
Michaël.
VÉRONIQUE – (Met son manteau.) N'oubliez
pas que la prochaine fois, c'est chez nous !
HÉLÈNE – Ne t'inquiète pas, Véronique, nous
serons là… Et à l'heure ! N'est-ce pas,
Jean ?
JEAN – (N'a pas bougé, ni réalisé que la soirée est
finie.) Désolé de vous décevoir, mais l'inter-
rogatoire n'est pas fini…

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VÉRONIQUE – Mais si, Jean. On avait dit
qu'on arrêterait après l'explication du crime,
non ?
HÉLÈNE – Oui, Chéri. Nous sommes tous fa-
tigués. Nous avons encore une demi-heure
de route à faire. Partons, maintenant.
MICHAËL – Hélène a raison, Jean. Il est très
tard. Laura et Georges n'attendent que
notre départ pour aller se coucher.
GEORGES – Excuse-moi, Jean, mais je suis
épuisé ! (À Laura.) Toi aussi, n'est-ce pas
Chérie ?
LAURA – À vrai dire, Jean… j'aimerais bien al-
ler me coucher. J'espère pouvoir m'endor-
mir tout de suite.
VÉRONIQUE – (À Céline.) Et vous qui prenez
le train en fin de matinée ! C'est bien ça,
non ?
CÉLINE – Oui, nous partons par le train de
midi. Je ne sais pas comment on va faire
pour se réveiller.

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JEAN – Vous voulez tous partir ! Le jeu est ter-
miné, n'est-ce pas ? Tu t'es bien amusé, Mi-
chaël ?
MICHAËL – (Trivialement.) Tout comme toi,
mon vieux, je l'espère. Alors, on s'en va ?
JEAN – Non. On reste.
HÉLÈNE – Chéri…
JEAN – J'ai dit : On reste !
MICHAËL – Mais qu'est-ce qui t'arrive, Jean.
Pourquoi te mets-tu dans cet état ?
JEAN – Dans quel état veux-tu que je sois, Mi-
chaël ? Hein ? Réponds-moi ?
MICHAËL – Qu'est-ce qui ne t'a pas plu ? Je
ne comprends pas ce qui t'arrive.
JEAN – Tu ne comprends pas, hein ? Toi qui
as toujours tout compris ?
MICHAËL – C'est très simple, mon vieux.
JEAN – Arrête de m'appeler mon vieux !

74
CHRISTINE – (À Jean, avec complicité.) Jean, est-
ce que tu me permets d'aller dans ma
chambre ?
JEAN – Bien sûr, Christine, tu peux aller dans
ta chambre. Et merci encore.
Christine sort.
VÉRONIQUE – Bien sûr, Christine, elle, tu la
laisses partir. Avec des remerciements, en
plus…
JEAN – Tais-toi !
HÉLÈNE – Jean… Pourquoi laisses-tu partir
Christine ? Pourquoi pas les autres ? (S'ef-
fondre.) Partons, Jean… Partons. Je t'en
prie !
CÉLINE – Jean, quels sont les services…
JEAN – Occupez-vous de vos affaires, Ma-
dame ! (À Michaël.) Alors, Michaël ? J'at-
tends ta réponse.
MICHAËL – Quelle réponse ? (Amicalement.)
Écoute, Jean. Nous avons peut-être trop
bu, tu ne te sens pas bien. Si tu veux, je peux
vous ramener chez vous dans ma voiture…

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JEAN – (Avec sarcasme.) Ah oui ! Dans ta nou-
velle voiture !
VÉRONIQUE – (Très susceptible.) Si tu ne veux
pas venir avec nous, Jean…
JEAN – Tu ne comprends rien, Véronique. (À
Michaël.) Alors, avec quel argent as-tu
acheté cette voiture ? Peut-on le savoir ?
Ou dois-je poser cette question à Agnès ?
Agnès a tout compris dans le bureau cet
après-midi, n'est-ce pas ? Vous lui avez tout
expliqué… Très bien expliqué, n'est-ce
pas ? Comme ça, vous croyez pouvoir réus-
sir votre petite manœuvre, c'est ça ?
GEORGES – Arrête Jean. Ce n'est pas ça.
JEAN – Bien sûr, bien sûr, ce n'est pas ça.
VÉRONIQUE – De quoi tu parles, Jean…
JEAN – Alors, Michaël, tu lui expliques ?
(Pause.) Non ? Très bien. Je vais vous dire
ce qui se cache derrière tout ça. (Ironique, ri-
dicule.) Un audit fait par un cabinet indépen-
dant. On dit comme ça, non ? Indépen-
dant… Il a constaté de graves irrégularités
dans la comptabilité de Berger-Descombes-
Laporte. Il en ressort clairement que le
76
comptable de ladite société est responsable
d'un nombre important de malversations…
GEORGES – C'est fini, oui ?
CÉLINE – (Essaie de reprendre le contrôle.) Jean,
écoute. Georges et Michaël ne sont pas ca-
pables de te faire ça… Ils sont tout autant
responsables que… nous tous, d'ailleurs.
JEAN – C'est vrai ? Vous en êtes sûre, Céline ?
Posez-leur la question vous-même ! Pour-
quoi Agnès, n'a pas voulu rester, hein ?
Pourquoi ? Je vais vous dire pourquoi. Pour
me faire comprendre que le tour était joué !
(Leur montre le document en l'agitant en l'air.)
Mais elle a donné une copie du rapport à
Christine et c'est ici que vous me tuez !
Regard complice et abattu entre Georges et Michaël.
CÉLINE – Jean, soyez gentil et partez avec Hé-
lène. Michaël est d'accord pour vous rame-
ner, profitez-en.
HÉLÈNE – Oui, Jean. Partons. Tu es trop fa-
tigué. Et moi aussi. Je veux que nous par-
tions tout de suite. D'accord ? Nous pour-
rons récupérer la voiture pendant le week-
end. N'est-ce pas Laura ?
77
LAURA – Bien sûr. Revenez quand vous vou-
drez. Nous serons à la maison. Avec toute
cette neige…
JEAN – (Songeur, dramatique, mais sans excès.) Il
fait froid, n'est-ce pas ? Très froid… Un
temps très difficile à supporter… Très dif-
ficile à supporter… (Se reprend in crescendo.)
Tout n'est pas fini. Vous n'allez pas m'évin-
cer aussi facilement. Je ne meurs pas aussi
facilement. Christine, tu es là ?
CHRISTINE – (De l'intérieur.) Oui, Jean, je suis
là !
JEAN – (Aux autres, dans le salon.) Maintenant,
vous allez voir !
RÉGIE – Noir
GEORGES – Je vais vérifier les fusibles.
JEAN – Non ! Que personne ne bouge ! Vous
m'entendez ? Personne !
CÉLINE – Arrêtez ce jeu, s'il vous plaît !
RÉGIE – Coup de feu

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SCÈNE 3
15 ans plus tôt

RÉGIE – Pleins feux, musique très fort


CÉLINE – (Assise, boit un café.) Christine ! (Pas
de réponse.) Christine !
CHRISTINE – (Répond du côté des chambres.) Oui,
maman ?
CÉLINE – Viens baisser la musique ! Elle est
trop fort !
CHRISTINE – J'arrive, maman, une seconde !
CÉLINE – (Regarde sa montre.) 4 h 50 !

79
CHRISTINE – (Arrivant.) Qu'est-ce que tu
veux ?
CÉLINE – Mets la musique moins fort, s'il te
plaît. Je n'ose pas toucher à ces appareils
modernes.
Christine baisse le volume de la musique.
RÉGIE – Musique à volume très bas.
CHRISTINE – Ça va, comme ça ? (Pause.)
Quelle heure est-il ? Laura n'est pas encore
rentrée ?
CÉLINE – Il est presque 5 h. Elle a dû rencon-
trer quelqu'un à la sortie du cinéma.
CHRISTINE – Peut-être est-elle allée avec
quelqu'un au cinéma. Elle t'avait dit quelque
chose ?
CÉLINE – Tu penses toujours que ta sœur sort
avec quelqu'un. Tu te marieras sûrement
avant Laura.
CHRISTINE – Tu veux savoir quelque chose ?
Samedi dernier, tu te rappelles ? J'étais avec
Laura chez Véronique, sa copine…

80
CÉLINE – Oui, je sais. Celle qui est un peu…
(Fait le signe de détraquée.)
CHRISTINE – Ne dis pas ça, maman ! Elle est
très agréable. Alors, veux-tu savoir ce qui
s'est passé ?
CÉLINE – Qu'est-ce qui s'est passé chez Vé-
ronique. Raconte-moi.
CHRISTINE – C'était une soirée dansante.
CÉLINE – Mm ! Une soirée dansante ! (Sur le
ton d'un faux reproche.) Et vous ne m'aviez
rien dit !
CHRISTINE – Maman ! Veux-tu entendre la
suite, oui ou non ? (Pause.) Véronique avait
invité deux amis.
CÉLINE – Deux amis ? (Pause.) Et alors ?
CHRISTINE – (Timidement.) Je crois que j'ai plu
à l'un d'eux.
CÉLINE – Ah bon ? Comment le sais-tu ?
CHRISTINE – (Coquette.) Comme ça.
CÉLINE – Mais, il a dû, quand même, te dire
quelque chose, non ?
81
CHRISTINE – Non. Il a très peu parlé… Mais
nous avons dansé ensemble.
CÉLINE – Vous avez dansé ensemble. (Attend
la suite.)
CHRISTINE – Oui. Nous avons dansé en-
semble… plusieurs fois. (Pause.) En fait, de-
puis que je suis arrivée, il n'a dansé qu'avec
moi. Tu vois ?
CÉLINE – Et Laura, qu'est-ce qu'elle en dit ?
CHRISTINE – Elle le trouve charmant.
CÉLINE – Charmant. Ah bon. Aussi charmant
que tu le trouves ?
CHRISTINE – Non, maman ! Ne t'inquiète
pas. Laura ne s'intéresse pas à Jean.
CÉLINE – Ah ! Il s'appelle Jean.
CHRISTINE – Oui, Jean Laporte. Il vient d'ob-
tenir son diplôme d'expert-comptable.
CÉLINE – Mm ! Expert-comptable. Et com-
ment pense-t-il gagner sa vie ?

82
CHRISTINE – Il voudrait être indépendant,
s'associer des amis. Mais, pour l'instant, il
cherche un emploi.
CÉLINE – Et l'autre, qu'est-ce qu'il fait ?
CHRISTINE – L'ami de Véronique ? C'est là
que Laura intervient…
CÉLINE – Laura ? Tu ne vas pas me dire
qu'elle est tombée amoureuse de l'autre ! Tu
as une imagination débordante, Christine !
Absolument débordante. Tiens ! La voilà !
(Complice.) On va finir par savoir…
LAURA – (Arrivant.) Le film était super ! Bon-
jour, maman. (À Christine.) Tu aurais dû ve-
nir avec moi.
CHRISTINE – Je ne voulais pas t'importu-
ner…
LAURA – (Étonnée.) M'importuner ?
CÉLINE – Tu sais que Christine n'aime pas al-
ler au cinéma. Elle préfère soirées dan-
santes, paraît-il…
LAURA – Tu as parlé à maman de la soirée
chez Véronique ! Rien de pire que d'avoir

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une petite sœur ! Alors ? Que me reste-t-il à
lui apprendre ? Tu lui as sans doute parlé
de…
CHRISTINE – Je n'ai pas dit son nom. Dis-lui,
maman, que je n'ai pas dit son nom !
CÉLINE – Elle m'a dit tout simplement que
vous avez rencontré deux hommes char-
mants. J'ai compris, après un long récit, que
l'un s'appelle Jean et que Christine s'est em-
paré de lui toute la soirée.
LAURA – C'est vrai. Et qu'est-ce que tu sais
d'autre ? Ou plutôt, de l'autre ?
CÉLINE – Et bien… Il semblerait…
LAURA – Il semblerait qu'il m'intéresse ! C'est
bien ça ? (Pause.) Il a un regard si intense. Et
ses mains…
CÉLINE – Arrêtons-nous aux mains, s'il te
plaît, je crois avoir compris.
LAURA – Je voudrais l'inviter pour samedi
prochain. Est-ce que tu es d'accord ?
CHRISTINE – Et moi ? Je pourrai inviter Jean,
n'est-ce pas ?

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LAURA – Vous entendez quelque chose,
vous ? (Va monter la musique.)
CÉLINE – (À Laura.) Attends, Laura. Dis-moi
d'abord, ce que fait ton ami, comment il
s'appelle… Tu sais que je n'ai aucune mé-
moire, et comme il va commencer à venir
chez nous…
LAURA – (Rêveuse.) Il s'appelle…Il s'appelle…
François !
Les trois femmes sont radieuses.
RÉGIE – Musique à plein volume et noir

RIDEAU

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