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Une semaine, pas plus...

Une comédie de Clément Michel

JUIN 2011
Enregistrement SACD : 221620

Clément MICHEL
58 avenue Simon Bolivar 75019 Paris
06.72.91.50.58 – michel.cle@orange.fr
Une semaine, pas plus...
Comédie en trois actes

Le décor
Le salon d’un appartement.
Un canapé à l’avant scène. Une table et deux chaises, fond de scène.
Côté cour avant scène, une porte qui mène vers la chambre.
Côté jardin fond de scène, un petit meuble au coin d’une porte qui mène
à la cuisine.
Au fond, la porte d’entrée.

Les personnages
Paul, 32 ans
Sophie, 28 ans
Martin, 32 ans

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ACTE 1

Scène 1
Paul et Sophie

Le matin.
Assis sur son canapé, pas bien réveillé, Paul est au téléphone.

PAUL (au téléphone) - ... Ça va devenir très compliqué, je me connais, ça va devenir très
compliqué, très, très compliqué.

Une jeune fille jolie sort de la chambre et entre dans le salon. Elle aussi semble se réveiller, elle
est d’ailleurs encore dans son grand t-shirt de nuit. C’est Sophie. Elle s’arrête pour embrasser
Paul.

SOPHIE - Ça va mon chou ?

PAUL - Ça va ma biche ?

Elle part en s’étirant, côté jardin, vers la cuisine. C’est l’amour fou.
Paul reprend sa conversation en parlant un peu plus bas.

PAUL (au téléphone) - Je peux plus la supporter, mais plus du tout. C’est physique. Je
peux plus. Quand je la vois, j’ai envie de lui casser la gueule et ça se fait pas. Enfin, je
veux dire, si ça se fait mais c’est pas bien... Hein, c’est pas bien ?... De lui casser la
gueule, ce serait pas bien ? ... C’est ce que je pensais : ce serait pas bien... Tout
m’insupporte, tout ! Par exemple, cette manière qu’elle a, tous les matins, de bailler et
de sourire, sa bouteille d’eau au bout de la main, ça me rend dingue...

Sophie réapparaît, côté jardin, en baillant et souriant, sa bouteille d’eau à la main. Elle lui sourit,
lui aussi. Elle sort. Il soupire.

PAUL (au téléphone) - Je ne peux pas dire que je la supporte plus. En fait, c’est plus
simple, je la hais, et ça m’ennuie parce que c’est justement la personne que j’aimais y a
encore un mois... Et ba je sais pas, d’un coup comme ça. Je ne me suis pas réveillé en
me disant aujourd’hui je vais lui casser la gueule, mais presque. Il faut que je trouve une
solution et vite parce que là, ça va devenir très compliqué. Je me connais, ça va devenir
très compliqué, très, très compliqué...

SOPHIE (off depuis la chambre) - Paul tu raccroches ?

PAUL (Au téléphone) - Je te laisse, la conne m’appelle. Oh, ça y est, je parle mal d’elle, j’aime
pas ça.

Sophie revient dans le salon.

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SOPHIE - Allez raccroche

PAUL (au téléphone) - Bon, je t’embrasse Martin.

SOPHIE - Dis lui que je l’embrasse.

PAUL (au téléphone) - Sophie t’embrasse. D’accord, je te tiens au courant.

Paul pose son portable et regarde Sophie avec un sourire de circonstance.

SOPHIE -T’es pire qu’une nana, une vraie pipelette.

PAUL - C’était Martin.

SOPHIE - Martin, Martin, Martin, y en a que pour lui.

PAUL - C’est mon ami.

SOPHIE - Y a des fois, je me demande si tu préfèrerais pas vivre avec lui qu’avec moi.

PAUL - Mais non... Qu’est-ce que tu vas chercher ?

SOPHIE - On dirait qu’on vit à trois dans cet appartement.

PAUL - Pourquoi tu dis ça ? T’es jalouse ?

SOPHIE - Pas du tout, mais ça se dose l’amitié, ça peut vite être envahissant dans un couple un
ami.

PAUL - Ba oui, c’est le principe d’un ami, c’est envahissant, sinon on appelle ça un copain.

Paul va vers la cuisine avec sa tasse.

SOPHIE - N’empêche qu’il faut être vigilant. C’est comme ces couples qui hébergent un ami.
Tu peux être sûr qu’ils se séparent en moins d’un mois.

Il sort de la cuisine.

PAUL - Ah bon ?

SOPHIE - Un ménage à trois, ça ne peut pas marcher. Il y en a toujours un qui craque et qui
s’en va.

PAUL - T’es sûr de ça ?

SOPHIE - Sûre.

PAUL - T’es géniale !

SOPHIE - Quoi ?

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PAUL - Tu viens de me donner une... Rien.

SOPHIE - Pourquoi je suis géniale ?

PAUL - Parce que, parce que... C’est fou ça, on peut plus dire comme ça sans raison à sa petite
femme : « t’es géniale ». C’est interdit ? Non. Alors si j’ai envie de dire, t’es géniale, je dis t’es
géniale.

Il embrasse Sophie ne comprend pas bien, mais elle apprécie la fougue de son fiancé.

SOPHIE - Je t’aime.

Paul sourit bêtement. Sophie attend la réponse adéquate.

SOPHIE - Je t’aime.

Paul sourit bêtement. Sophie attend la réponse adéquate.

SOPHIE - Je t’aime. Et toi ?

PAUL - T’es Géniale !

Scène 2
Martin et Paul

Plus tard. Martin, jeune homme habillé classique et bien rasé, est assis sur le canapé de Paul.
Il a l’air de souffrir légèrement. Paul sort de la cuisine. Il a deux verres à la main. Il rejoint son
ami, un peu gêné et lui tend un verre d’eau.

PAUL - Tu préfères pas de l’eau qui pique ?

MARTIN - Surtout pas, pas de piquant... (Il a mal) Aïe.

PAUL - Tu veux vraiment pas me dire ce que tu as ?

MARTIN - C’est rien, c’est que j’ai mal quand je, quand je suis assis.

PAUL - Mets-toi debout.

MARTIN - J’ai mal quand même.

PAUL - T’as mal où exactement ?

Martin est embarrassé.

MARTIN - En bas.

PAUL - En bas ? En bas par rapport à quoi... ?

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MARTIN - Bon écoute, j’ai un début d’hémorroïdes.

Paul reste muet et impassible, il est entre la crise de rire et la contrariété face à la souffrance de
son ami. Ce silence s’éternise. Un ange passe.

MARTIN - J’ai mal au cul voilà.

PAUL (très neutre) - Ah.

MARTIN - Ça va passer, je vais pas rentrer dans les détails...

PAUL - Non.

MARTIN - ... mais ça se soigne très bien.

PAUL - Tant mieux.

MARTIN - Bref, on parle d’autre chose.

PAUL - Oui.

MARTIN - Qu’est-ce qui t’arrive ?

PAUL - Comme je te l’ai dit. Je ne pense plus qu’à ça. Je veux qu’elle dégage.

MARTIN - Mais, je ne comprends pas. Ça t’est venu d’un coup comme ça ?

PAUL - Presque.

MARTIN - T’as rencontré une autre fille ?

PAUL - Non, même pas. J’en peux plus, c’est comme ça.

MARTIN - Ça fait pas longtemps que vous habitez ensemble pourtant ?

PAUL - Quatre mois.

MARTIN - T’es sûr que c’est pas un coup de tête, une impulsion. En ce moment, elle t’énerve
ou c’est toi qui es un peu irritable, c’est des trucs normaux ça.

PAUL - Mais non, elle m’adore, j’ai rien à lui reprocher. Elle est toujours aussi sympa, sexy,
gentille... C’est ça qui est terrible.

MARTIN - Oui, c’est dur. Vivement que tu te trouves une débile moche avec un gros cul.
Pourquoi tu lui dis pas tout simplement de partir ?

PAUL - Je peux pas. C’est impossible, je ne pourrai pas lui dire.

MARTIN - Pourquoi ?

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PAUL - Martin, pour quitter quelqu’un, il faut une composante très particulière et en totale voie
de disparition chez l’homme qui s’appelle le courage et en tant qu’homme, je n’ai pas cette
composante. Tu comprends ? Pourtant, j’ai essayé, j’ai répété devant ma glace un discours de
rupture, mais je n’y arriverai pas.

MARTIN - Ça donnait quoi ?

PAUL - De quoi ?

MARTIN - Ton discours de rupture.

PAUL - Un truc classique.

MARTIN - Vas-y fais-le moi. Je te dirai ce que je pense.

PAUL - Mais non.

MARTIN - Vas-y, ça va te faire un entraînement et puis je te donnerai mon avis.

PAUL - C’est ridicule et puis qu’est-ce qui fait de toi un spécialiste du discours de rupture.

MARTIN - Je te rappelle que Cécile et moi, on s’est séparés, il y a dix mois.

PAUL - Oui, mais c’est pas toi qui l’a quittée, c’est elle.

MARTIN - Justement, je me souviens très bien de tout ce qu’elle m’a dit.

PAUL - Oui, mais t’as perdu 11 kilos, ta bonne humeur et ton sens de l’humour tout ça en moins
de dix jours.

MARTIN - Justement, maintenant je sais exactement ce qu’il ne faut pas dire pour ne pas trop
faire souffrir l’autre. Je t’écoute.

PAUL - Tu vas voir, c’est très, très classique, rien d’original. Un discours de... De rupture. (Il se
lève pour lire son discours) Sophie... J’ai besoin de te dire que, voilà en fait, je n’ai pas envie de te
mentir. Je ne t’aime plus. En fait non, c’est plus compliqué que ça et c’est même pire, je ne peux
plus supporter de te voir soir et matin, matin et soir. Chaque fois que tu souris, j’ai envie de te
gifler, enfin en tout cas de te taper fort à un endroit qui te ferait très mal. Ne m’en veux pas, mais
cette nuit encore, j’ai rêvé que tu te faisais écraser par un camion très gros. Oui Sophie, il était
vraiment très, très gros ce camion, c’était peut-être le plus gros camion de l’histoire des camions
qui ont déjà écrasé quelqu’un en ayant pour résultat immédiat la mort de cette personne. Ne
m’en veux pas, mais quand je me suis réveillé et que j’ai réalisé que ce n’était qu’un rêve, je me
suis senti très triste, un peu comme le chauffeur du camion qui t’avait écrasé, sauf que lui,
Sophie, il était triste parce qu’il t’avait arraché les deux bras et aussi un peu la tête, tandis que
moi, Sophie, j’étais triste parce que tu étais bien vivante et à côté de moi dans notre lit. Chère
Sophie, tu vois, ne m’en veux pas, mais je pense que c’est mieux qu’on se sépare. Évidemment,
j’espère de tout cœur qu’on pourra rester des amis.

Martin est totalement scotché. Paul se rassoit tranquillement.

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PAUL - T’en penses quoi ?

MARTIN - Je pense qu’effectivement, c’est bien si vous vous séparez.

PAUL - Tu vois, c’est ce que je te disais, je ne l’aime plus.

MARTIN - Oui, oui, maintenant j’en suis sûr.

PAUL - Tu vas m’aider à la faire partir d’ici?

MARTIN - Et toi, pourquoi tu pars pas ?

PAUL - Parce que c’est chez moi.

MARTIN - Sophie aussi, c’est chez elle. Vous avez emménagé ensemble et vous partagez le
loyer, non ?

PAUL - Oui, mais heu, je me suis installé avant elle. J’étais là avant.

MARTIN - Je me souviens du déménagement, vous êtes arrivés ensemble.

PAUL - Pas exactement. Si tu te souviens bien, on a d’abord rentrer mes meubles...

MARTIN - Paul...

PAUL - Ma chaise. Et ensuite les siens. Je sais, c’est pas grand-chose, mais c’est comme pour
les jumeaux. Y en a toujours un qui arrive avant l’autre et bien moi, je suis l’aîné des jumeaux,
c’est moi qui suis arrivé le premier. Donc, je reste là, c’est mon droit d’aînesse.

MARTIN - (lisant le discours) « Arracher » : Deux R.

PAUL - Bon, tu vas m’aider à la faire partir oui ou non ?

MARTIN - T’as une idée ?

PAUL - Justement, la conne, enfin Sophie, m’a, sans le savoir, soufflé elle-même la solution, la
recette parfaite pour la faire partir. (Très fier) Tu vas venir t’installer ici

MARTIN - Pardon ?

PAUL - Tu vas venir t’installer chez nous.

MARTIN - Je ne comprends pas.

PAUL - Tu vas venir vivre ici, en colocation pour quelque temps.

MARTIN - Mais heu, avec vous ? Enfin je veux dire, on va vivre tous les trois ?

PAUL - C’est ça. Et au bout d’un moment, d’après elle un mois maximum...

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MARTIN - Combien ?! Un mois ?!!!

PAUL - Non, non, quinze jours, quatorze, douze, douze. Bref, au bout d’une grosse semaine ou
d’un week-end prolongé, elle va péter un plomb, parce que forcément, la promiscuité a ses
limites et elle va me dire, je la connais : « Paul, je n’en peux plus, c’est lui ou moi ». Et c’est à
ce moment-là, que moi Paul, faible, lâche et sournois à la fois, je lui répondrai : c’est lui, c’est à
dire toi. Parce que dans l’histoire, lui c’est toi.

MARTIN - Oui, oui, ça j’avais compris.

PAUL - Je suis content que ça te plaise. Tu veux t’installer quand ?

MARTIN - Ah oui, mais non. Ça va être pas possible.

PAUL - Pourquoi ?

MARTIN - Parce que j’ai ma vie, mon appartement, plein de boulot. Je ne vais pas dormir sur
ton canapé pendant une grosse semaine.

PAUL - Grosse semaine, grosse semaine... Si ça se trouve, ce sera une toute petite semaine, une
semaine de quatre jours.

MARTIN - Même. Et puis, supposes que j’accepte, qu’est-ce que tu vas raconter à Sophie pour
lui faire croire que je dois m’installer chez vous ? Hein ?

PAUL - Je sais pas. Je lui dirai que tu supportes plus la déco de chez toi ou que t’as peur d’un
voisin qui te harcèle sexuellement...

MARTIN - Quoi ?

PAUL - Je sais pas, je vais trouver...

MARTIN - Ah non, ça tu sais pas.

PAUL - Oui, mais je trouverai.

MARTIN - C’est pas une solution, c’est pas comme ça qu’on termine une histoire. C’est pas
sain ni pour toi ni pour elle.

PAUL - Mais j’ai aucune envie que ce soit sain, j’ai envie qu’elle s’en aille. J’ai envie d’arrêter
de rêver du gros camion, tu comprends. En plus, je te l’ai pas dit tout à l’heure, mais cette nuit, le
camion, et bien ils étaient deux et énormes ! Ils sont arrivés l’un en face de l’autre et elle, elle
était au milieu de la route, c’était...

MARTIN - Oui, oui j’ai compris. N’y pense plus.

PAUL - ... En plus, ils allaient quand même très, très vite, trop vite et y en avait un, le rouge, il
avait pas fait son contrôle technique et du coup, les freins ne fonctionnaient pas bien et elle...

MARTIN - Ça va, j’ai compris, arrête avec tes camions. Je sais ce qu’on va faire.

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PAUL - Tu vas être bien, je t’assure.

MARTIN - Je t’ai dit, c’est non.

Martin se met en position de discours comme Paul, tout à l’heure. Il n’est pas très à l’aise.

MARTIN - Tu vas voir, c’est tout bête. Je vais te faire un beau discours net, limpide, efficace.
Et tu verras que la rupture n’empêche pas l’élégance. (Il se lance) Sophie... (un temps) Sophie...
(un temps plus long) Sophie...

Un temps encore plus long encore pendant lequel Martin sourit bêtement.

PAUL - Pour l’instant, j’aime pas.

MARTIN - ... Ma petite Sophie... Pourquoi ? Comment ? Je ne sais pas, mais c’est ce soir que
j’ai envie de te prouver à quel point, je te respecte et à quel point tu es une personne rare...

PAUL - J’ai un troisième camion qui vient de démarrer.

MARTIN (soupire et poursuit) - ... Soyons adultes, soyons cohérents, soyons grands. Puisque
nous n’avons pas réussi notre histoire d’amour, réussissons notre rupture. Sophie, si je te quitte,
c’est parce que je n’ai pas envie que notre couple pourrisse, moisisse, se détériore jusqu’au point
de ne plus être qu’un grand rien. Pars tranquille Sophie, nous sommes saufs, nous sommes
vivants.

Cette fois-ci, c’est Paul qui est totalement scotché par son ami. Martin se rassoit doucement sur le
canapé. Ils se regardent et restent silencieux un petit moment tous les deux.

PAUL - Bon, tu viens quand ?

MARTIN - Je t’ai dit, c’est non. Essaye au moins de lui parler. Je suis sûr ça va très bien se
passer. Je dois y aller.

PAUL - Bon courage pour ton, enfin tes...

MARTIN - Merci. T’es sympa, tu le gardes pour toi.

Martin sort.

Scène 3
Paul et Sophie

Plus tard. Paul est endormi sur le canapé. Il parle dans un rêve agité.

PAUL (murmure) - Le camion, le camion... Tout écrasé, du sang partout, la tête est
arrachée... Oh oui, c’est sa tête, c’est sa tête, elle n’est plus posée sur son corps. Où est
son corps ? Où est sa tête ?

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Sophie entre dans l’appartement. Elle pose sa veste, son sac. Elle a une mauvaise mine. Elle
aperçoit Paul qui continue de s’agiter dans son rêve étrange. Elle le regarde un instant,
s’agenouille auprès de lui et lui passe la main sur le front pour le réveiller calmement. Il se réveille
et sursaute quand il la voit.

PAUL - Ah ! T’es là ?!

SOPHIE - Ça va pas ?

PAUL - Si, si ça va.

Encore en sueur, il s’assoit sur le canapé et reprend ses esprits.

SOPHIE - Tu faisais un cauchemar ?

PAUL - Pas du tout, je rêvais d’un gros camion qui t’écrasait. Oui, je faisais un cauchemar. Ça
va toi ?

SOPHIE - Bof.

PAUL - Ça me fait bizarre de te voir avec la tête sur les épaules. Ça te change, mais ça te va
bien, ça te va très bien.

SOPHIE - Un verre d’eau ?

Sophie va dans la cuisine. Il commence à répéter très discrètement son discours de rupture.

PAUL (tout bas, en imitant Martin) - Sophie... Sophie... Sophie...

Sophie revient.

SOPHIE - Tout va bien ? T’as l’air bizarre.

PAUL - Oui, oui ça va. C’est juste qu’il faut que je te quelque chose, enfin que je te parle d’un
truc qui me...

SOPHIE - Moi aussi.

PAUL - Toi aussi, ça te...

SOPHIE - Moi aussi, il faut que je te parle de quelque chose.

PAUL - Ah bon ?

SOPHIE - Oui. Mais vas-y, excuses-moi je t’ai interrompu.

PAUL - Non, non, toi d’abord.

SOPHIE - Non, non vas-y.

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PAUL - Très bien.

Paul sourit sans parler, il ne sort pas un mot. Il ne sait pas comment s’y prendre.
C’est long, très long. Il la regarde, il sourit... Ce petit numéro s’éternise. Sophie s’étonne puis
s’impatiente.

SOPHIE - Je vais peut-être commencer, en fait.

PAUL - Oui commence, t’as raison.

SOPHIE - Bon alors voilà, je ne vais pas y aller par quatre chemins. Je me suis fait virer.

PAUL - Ah merde.

SOPHIE - Je me suis fait renvoyer. La librairie ne marche pas très fort, ils sont obligés de se
séparer d’un des employés. Comme j’étais à l’essai, forcément, c’est moi qui part.

PAUL - Ah merde.

SOPHIE - Tout ça pour te dire que je vais m’activer pour trouver un nouveau poste, mais je
risque d’être à la maison plus souvent que d’habitude.

PAUL - Ah merde.

SOPHIE - Je sais que par rapport au fait que tu travailles ici, c’est contrariant, mais tu peux me
faire confiance, je serai discrète. Évidemment, financièrement, ça risque d’être un peu dur, mais
j’ai confiance en moi, et puis surtout j’ai confiance en nous.

PAUL - Ah merde.

Paul s’assoit, liquéfié. Elle vient l’embrasser.

SOPHIE - Heureusement que je t’ai. Qu’est-ce que tu voulais me dire ?

PAUL - Sophie... (un temps) Sophie... (un temps) Sophie... ... Ma petite Sophie... Martin va venir
habiter ici, chez nous. On va vivre en colocation. Une sorte de ménage à trois, ça va être terrible.

SOPHIE - Quoi ?

PAUL - Martin va venir s’installer ici.

SOPHIE - Combien de temps ?

PAUL - Beaucoup. Enfin le temps qu’il faudra pour que tu, pour qu’il...

SOPHIE - Mais enfin pourquoi ?! C’est franchement pas le moment.

PAUL - Sophie, Martin a perdu sa mère ce matin. Il me demande de l’aide, je lui donne.

Sophie est bouleversée par cette nouvelle. Paul la prend dans ses bras, pas fier de son mensonge.

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SOPHIE - Oh mon dieu. Comment c’est arrivé ?

PAUL - Écrasée par un camion, un accident épouvantable.

SOPHIE - Oh mon dieu, quelle horreur, mais quelle horreur... C’est affreux, c’est affreux,
c’est...

PAUL - Affreux. La tête d’un côté qui roule, le corps de l’autre qui... Pardon, excuse-moi, je...

SOPHIE - Quelle horreur, mais quelle horreur !

PAUL - En plus, à cause du contrôle technique, y a eu un...

SOPHIE - Quoi ?

PAUL - Non, rien.

Sophie s’assoit sur le canapé, elle encaisse le coup.

SOPHIE - Quand est-ce qu’il arrive ici ?

PAUL - Très vite.

SOPHIE - Je sais pas quoi dire . Quelle horreur, le pauvre, c’est... Tu m’excuses, je vais prendre
une douche, je vais m’allonger un peu, je me sens pas bien. Ça fait une journée un peu difficile.

PAUL - Oui, ça nous fait une grosse journée.

Sophie sort côté chambre.


Paul reste tout seul dans le salon. Il est très calme, encore sous le choc de son énorme mensonge.

PAUL (avec une petite voix timide) - Bien, bien, bien, bien... Donc ça s’est fait...

Il se jette sur son portable et compose un numéro.

PAUL (au téléphone) - Réponds Martin, réponds Martin, réponds...

Il enfile sa veste et s’approche de la porte côté chambre.

PAUL - Sophie, je vais chez Martin, je vais voir comment il va. À tout à l’heure.

SOPHIE (off) - À tout à l’heure.

Paul sort de l’appartement.

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Scène 4
Sophie et Martin

Plus tard.
Le salon est vide. On sonne à la porte. Sophie sort de la chambre. Elle va ouvrir, c’est Martin.

SOPHIE - Martin.

Il est tout sourire et entre. Elle le regarde, bouleversée et le serre très fort dans ses bras. Martin ne
comprend pas bien. Au bout d’un moment, elle le lâche, mais le regarde avec toute la misère du
monde, sans rien dire. Martin se sent assez mal à l’aise au milieu du salon.

SOPHIE - Martin.

MARTIN - Sophie

SOPHIE - Je sais pas quoi te dire.

MARTIN - Ba heu... Bonjour ?

SOPHIE - Comment tu te sens ?

MARTIN - Ça va. Et toi ?

SOPHIE - Je sais pas comment tu fais pour être debout.

MARTIN - ...

SOPHIE - Paul m’a dit pour...

MARTIN - Pour ?

SOPHIE - Pour...

MARTIN - J’étais sûr qu’il ne pourrait pas s’en empêcher.

SOPHIE - C’est affreux, c’est épouvantable, c’est... J’ai pas de mots.

MARTIN - Oui, bon ba ça va. Je lui avais de dit de garder ça pour lui, il est pénible.

SOPHIE - Dis pas ça. Comment tu veux qu’il garde quelque chose comme ça pour lui? C’est
pas possible de garder ça pour soi et puis c’est pas bien. On va t’aider, on est là pour t’aider, il
faut qu’on en parle, il faut que tu nous en parles.

MARTIN - T’es mignonne Sophie, mais j’ai pas spécialement envie de parler de ça.

SOPHIE - Je me doute que c’est tout récent, que c’est trop violent mais il faudra que ça sorte et
tu peux compter sur nous pour t’aider.

MARTIN - J’aime autant me débrouiller tout seul, ça va passer.

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SOPHIE - Qu’est-ce que tu vas faire ?

MARTIN - Pour l’instant, j’ai un traitement qui soulage, qui apaise. J’espère que ça va suffire et
que ça va s’arranger assez vite.

SOPHIE - J’ai pas de conseil à te donner mais heu... J’ai un ami à qui c’est arrivé aussi y a trois
ans et heu, il a eu l’impression très vite que ça allait mieux et en fait un an après, ça n’allait plus
du tout. T’aurais vu l’état dans lequel il était, je t’assure, c’était pas beau à voir.

MARTIN (inquiet) - Ah bon ?

SOPHIE - Ah oui. Une loque.

MARTIN (inquiet) - Une loque ? Il avait mal, il souffrait ?

SOPHIE - C’est pas qu’il souffrait, c’est qu’il avait plus le goût à rien, complètement déprimé.

MARTIN - Bon arrête, tu commences à me faire peur.

SOPHIE - C’est surtout dans la tête que ça se passe.

MARTIN - Pas seulement. Paul n’est pas là ?

SOPHIE - Vous avez dû vous croiser, il est allé chez toi.

MARTIN - Ah bon, qu’est ce qu’il voulait ?

SOPHIE - Savoir comment tu allais.

MARTIN - J’aurais pas dû lui dire, je le savais. Il va m’en parler matin et soir. Je crois que j’ai
oublié mon portable chez vous ce matin. T’as rien trouvé ?

SOPHIE - Non. T’es venu chez nous ce matin?

MARTIN - Oui.

SOPHIE - Pourquoi ? Je suis bête, pour lui annoncer cette terrible nouvelle ?

MARTIN - Voilà.

SOPHIE - C’est vrai que ce ne sont pas des choses faciles à dire au téléphone.

MARTIN - Voilà.

Martin passe sa main à l’intérieur du canapé et trouve son téléphone.

MARTIN - Voilà, il est là. Onze appels en absence de Paul... (Il s’interrompt à cause d’une douleur
passagère) Aïe.

SOPHIE - Assis-toi, assis-toi.

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MARTIN - Ça vient d’un coup, mais après ça passe.

SOPHIE - Tu veux un truc à boire, de l’eau gazeuse ?

MARTIN - Surtout pas.

SOPHIE - Tu viens quand alors ?

MARTIN - ...

SOPHIE - T’as préparé tes affaires ?

MARTIN - Mes affaires ?

Son téléphone vibre.

MARTIN - Excuses-moi. C’est mon père. Bon, je vais le prendre, sinon, il va me harceler.

SOPHIE - Mets-toi dans notre chambre pour lui parler, tu seras mieux.

MARTIN - Non, c’est bon. (Au téléphone) Oui, papa, désolé, j’ai pas eu le temps de te rappeler,
en plus j’avais perdu mon portable... Oui, je l’ai retrouvé puisque j’ai décroché... Ça va, ça va...
Et toi, tout va bien ? Bof ? (Il soupire en l’écoutant) Mais ne noircis pas le tableau, ça va
s’arranger. Oui, on se voit bientôt, je te laisse, je dois y aller.

Sophie est surprise devant cette conversation si anodine. Martin raccroche et soupire gentiment.

MARTIN - Il est lourd en ce moment mon père. Faut pas vieillir.

SOPHIE - Ba oui mais là...

MARTIN - Ah je t’assure, il est toujours à se plaindre que ça va pas, au moins ma mère... Aïe...
Si au moindre pépin, tu t’effondres, t’imagine le jour où tu as une grosse galère ?

SOPHIE - Qu’est-ce que tu appelles une grosse galère ?

Scène 5
Sophie, Martin et Paul

Paul entre, très essoufflé.

PAUL (À Martin) - Ah t’es là ? (À Sophie) Ah, t’es là aussi ? En fait, vous êtes là tous les deux ?
Tu réponds jamais à ton portable ?!

MARTIN - Je l’avais oublié ici.

PAUL - Ah c’est pour ça.

Paul sourit, reprend son souffle et soudain, réalise le danger. Il panique.

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PAUL - Et vous êtes là depuis combien de temps ? Tous les deux, ici, à vous parler ? Hein ?
Vous êtes là depuis combien de temps ? Vous vous êtes parlé d’ailleurs ? Vous avez parlé ?
Vous avez parlé beaucoup ? Vous avez parlé de quoi ? Vous avez parlé de qui ? Répondez
putain !

MARTIN - Je suis là depuis assez de temps pour savoir que Sophie est au courant. Enfin que tu
lui as dit pour...

PAUL - Pour ?

MARTIN - Tu sais bien, mes...

PAUL - Tes ? (Il comprend) Oui bien sûr, tes, oh la la oui... Ah d’accord, bien sûr oui, tu parles
de ça, évidemment. (À Sophie) Et toi, t’es au courant ?

SOPHIE - Forcément, tu me l’as dit tout à l’heure.

PAUL - Oui, oui je m’en souviens... Je t’ai dit quoi exactement ?

SOPHIE - Paul, à quoi tu joues ? Arrête. Je sais que t’es perturbé toi aussi, mais c’est vraiment
douloureux pour tout le monde, surtout pour Martin.

MARTIN - Oui c’est vrai, surtout pour moi. Encore que là, ça va plutôt pas mal.

SOPHIE - L’accident, le camion... Tu m’as raconté, tu vas pas recommencer avec les détails, je
le supporterai pas une deuxième fois.

MARTIN - Tu lui as parlé, ça y est ?

PAUL - Hein ?

Martin s’approche de Sophie. Paul est comme paralysé.

MARTIN (à Sophie) - Le camion, la tête, les bras... Il t’a tout balancé.

SOPHIE (au bord de l’évanouissement) - Ah non pas les bras, il m’avait pas dit pour les bras...

MARTIN - Ah pardon.

SOPHIE - Je me sens pas très bien.

MARTIN - Moi aussi je me sens pas très bien.

PAUL - Moi non plus.

MARTIN - Et donc, tu lui as dit ça comme ça ?

PAUL - Heu...

MARTIN - Tu t’y attendais ?

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SOPHIE - Non, bien sûr que non.

MARTIN - Ça a dû te faire un choc terrible ?

SOPHIE - Oui, mais moins qu’à toi.

MARTIN - Je suis un peu moins concerné quand même.

SOPHIE - Y a une seule chose dont Paul ne m’a pas parlé, c’est la cérémonie. Elle a lieu quand
la cérémonie ?

MARTIN - Qu’est-ce que tu dis ?

PAUL - Rien, elle dit rien.

SOPHIE - L’enterrement, c’est quand ?

MARTIN - L’enterrement ?

SOPHIE - De ta maman.

PAUL - C’est pas le moment.

MARTIN - De ma maman ?

PAUL - On en parle plus tard.

SOPHIE - En tout cas, tu restes le temps que tu voudras ici.

MARTIN - Hein ? ... Non...

SOPHIE - On va bien s’occuper de toi.

PAUL - On va être très bien tous les trois, on va être très bien.

Noir

18
ACTE 2

Scène 1
Paul, Martin et Sophie

Le lendemain. Le salon est toujours en désordre.


La porte d’entrée s’ouvre. Paul laisse entrer Martin avec un sac et une valise.
Martin fait la tête et pose ses valises au milieu du salon. Il soupire de dépit.
Paul referme la porte et le rejoint, avec son sourire un peu gêné.
Un temps.

MARTIN - Je te déteste.

PAUL - Tu vas être bien.

MARTIN - Je te déteste.

PAUL - Tu vas être bien.

MARTIN - La prochaine fois que tu dis ça...

Sophie sort de la chambre.

SOPHIE - Tu vas être bien.

PAUL - J’arrête pas de lui dire.

SOPHIE - Tu es chez toi, d’accord ?

MARTIN - Merci. Mais tu sais, je vais pas vous embêter longtemps.

SOPHIE - Tu nous embêtes pas.

PAUL - Bien sûr que non.

SOPHIE - Pose tes affaires, mets-toi à l’aise. Je t’ai fait de la place pour tes vêtements dans mon
armoire, tu pourras les ranger quand tu veux.

MARTIN - Ah non, mais je vais tout laisser dans ma valise, c’est plus simple.

SOPHIE - Tu fais comme tu veux, mais il faut vraiment que tu te sentes chez toi.

PAUL - Oui, tu n’hésites pas à nous envahir, t’es là pour ça, enfin, je veux dire, tu fais comme
chez toi. Sophie, une eau gazeuse ? Martin ? Non pas de piquant...

Paul va dans la cuisine. Martin et Sophie restent tous les deux. Silence.

19
SOPHIE - Alors, cette identification du corps, ça s’est bien passé ?

MARTIN - Cette identification du... ?

Paul revient avec deux verres d’eau.

PAUL - L’identification du corps de ta maman broyée par un trente tonnes où nous sommes
allés cet après-midi après avoir récupéré ton sac.

SOPHIE - C’était pas trop dur ?

PAUL - Sophie !

SOPHIE - Enfin bien sûr que c’était dur, je suis bête, excuses-moi, je... Ça a été ?

MARTIN - C’était...

PAUL - Super... fort. C’était super fort.

SOPHIE - Et l’enterrement, c’est quand ?

Les deux garçons ne savent pas bien et se regardent bêtement sans répondre.

SOPHIE - L’enterrement ?

PAUL - Martin ?

MARTIN - C’est bientôt.

SOPHIE - Tu me diras, dès que tu sais. Je serai là évidemment.

MARTIN - Évidemment.

PAUL - Ça risque d’ être compliqué quand même pour que Sophie vienne à l’enterrement de ta
maman.

SOPHIE - Pourquoi ?

PAUL - Ça risque d’être assez loin cet enterrement, Sophie.

SOPHIE - Aucun problème.

PAUL - Ça risque d’être assez dur cet enterrement, Sophie.

SOPHIE - Aucun problème.

PAUL - Ça risque d’être assez... cet enterrement, Sophie.

SOPHIE - Aucun problème.

20
PAUL - Si justement. Il y a un problème. Hein Martin ?

MARTIN - Oui. (Un temps) C’est quoi ?

PAUL - Ça va être compliqué pour que Sophie aille à l’enterrement de ta maman.

MARTIN - C’est sûr.

SOPHIE - Pourquoi ?

PAUL - N’en veux pas à son père, mais celui-ci a préféré n’inviter personne à l’enterrement.
Même sa grand-mère n’a pas été invitée. C’est ça Martin ?

MARTIN - C’est ça.

SOPHIE - Quoi ?

PAUL - Je suis comme toi Sophie, je trouve que c’est un petit peu particulier mais apparemment
son père veut que ce soit vraiment très, très intime, en comité très, très restreint.

MARTIN - C’est ça, je n’ai le droit qu’à une seule personne et j’ai choisi Paul pour
m’accompagner. C’est un peu comme mon témoin d’enterrement.

Paul joue le mec ému et touché par ce geste.

SOPHIE - C’est très étrange. Je ne juge pas bien sûr, mais je trouve ça très particulier.

PAUL - C’est ça, c’est le mot, c’est très particulier, comme ton père.

MARTIN - C’est ça. D’après lui, ça va nous aider à, à, à... (En panne d’inspiration, il se tourne vers
Paul) Comment il a dit déjà ?

PAUL - Comment il a dit ? Il a dit très exactement, je m’en souviens très bien... C’est une très
belle phrase d’ailleurs... Il a dit, ça va nous aider à redémarrer. Ce qui n’est pas facile à faire.

MARTIN - Surtout après un accident de camion.

Un silence où chacun se recueille. Martin se lève et se dirige côté chambre.

PAUL - Tu vas où ?

MARTIN - Aux toilettes, c’est possible ?

PAUL - Ah oui, rapport à tes...

MARTIN - Rapport à rien du tout, j’ai envie de pisser, je vais pisser c’est tout.

PAUL - Bien sûr Martin.

SOPHIE (très condescendante) - On te l’a dit, tu es chez toi.

21
Martin soupire discrètement et sort.

SOPHIE - Il est fou son père. Depuis quand on distribue des cartons d’invitation pour aller dans
les enterrements ? Martin, il aura certainement envie d’avoir beaucoup de monde autour de lui,
ce jour-là, d’être très entouré. T’es pas d’accord ?

PAUL - Si, si, mais je serai là moi, je l’entourerai si tu veux.

SOPHIE - Je vais lui dire à son père ce que j’en pense. Je vais lui dire texto, je comprends votre
douleur d’avoir perdu votre femme, mais il ne faut exclure personne de votre deuil, ni de celui de
votre fils, au contraire, il faut le partager. (Elle aperçoit le téléphone portable de Martin) c’est le
portable de Martin, je vais l’appeler tout de suite son père.

PAUL - Je t’interdis ! Ça va pas ou quoi, t’es malade ? Tu ne vas quand même pas appeler un
vieil homme que tu ne connais pas pour l’engueuler alors que sa femme vient de se faire écraser
par un camion ! T’es pas bien ?!

SOPHIE - T’as raison, je suis horrible, je sais plus ce que je dis. Mais c’est Martin qui me
perturbe. Tu le trouves comment toi ?

PAUL - Bien, il est bien.

SOPHIE - Oui, moi aussi, je le trouve bien... Ça m’inquiète.

PAUL - Ça t’inquiète ?

SOPHIE - Sa mère s’est fait écraser par un camion et on a l’impression qu’il a perdu son chat.

PAUL - Il a un chat ?

SOPHIE - Ce que je veux dire, c’est que je ne le trouve pas très triste. Je le trouve plus contrarié
qu’effondré.

PAUL - Tu trouves ?

SOPHIE - Ah oui.

PAUL - Tu sais, j’ai passé la journée avec lui et il a ses hauts et ses bas.

SOPHIE - J’espère.

PAUL - Ah oui. Y a eu des bas qui étaient vraiment bas. Des bas bas.

SOPHIE - Tu me rassures. Non parce qu’avec son air à peine triste, j’ai mal pour lui. Je
préfèrerais le voir effondré, je serai rassuré.

PAUL - Je comprends, je comprends.

SOPHIE - Tu sais avec cet air blafard et vaseux qu’ont les gens qui souffrent.

22
PAUL - Je vois très bien, mais ça va venir, ça va venir.

SOPHIE - Tu crois ?

PAUL - Mais oui. Et puis s’il n’arrive pas à être effondré, on l’aidera. On lui rappellera les
circonstances horribles de l’accident, les bras, la tête, y avait une jambe aussi je crois... Tu verras
ça va aller. Il y a un moment où il va être au fond du trou et je sens que ce moment n’est pas loin.

SOPHIE - Tu crois ?

PAUL - J’en suis sûr, Sophie, j’en suis sûr. Il va l’extérioriser son deuil, il va le sortir. J’en fais
une affaire personnelle.

SOPHIE - C’est bien ce que tu fais, c’est très bien. C’est courageux et élégant.

PAUL - Je l’aide, c’est mon ami. C’est tout.

Martin revient.

SOPHIE (condescendante) - Ça va ?

MARTIN - Oui.

SOPHIE - Bon, je vais vous laisser, je vais faire le tour des librairies. Courage, on est là.

Sophie sort.

MARTIN - Ma propre mère décapitée par un trente tonnes ? T’es un malade, t’es un vrai
malade !

PAUL - En attendant, aide-moi à la faire partir d’ici. T’es là pour ça. Le plus vite elle me quitte,
le plus vite, tu me quittes.

MARTIN - Qu’est-ce que tu veux que je fasse ?

PAUL - Déjà, il faut que tu sois crédible.

MARTIN - C’est à dire ?

PAUL - C’est à dire que ta mère s’est fait écraser par un camion et on a l’impression qu’elle a
perdu son chat.

MARTIN - Qu’est-ce qui est arrivé à Pipoune ?

PAUL - Ce que je veux dire, c’est que t’es pas assez triste, c’est Sophie elle-même qui me l’a
fait remarquer. On va se faire démasquer. Elle voulait appeler ton père pour lui demander
pourquoi il ne t’aidait pas à évacuer ton deuil au lieu de faire un enterrement V.I.P.

MARTIN - Tu peux me rappeler qui a eu cette idée géniale d’enterrement privé ?

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PAUL - N’empêche qu’il faut que tu sois triste, effondré, au bout du rouleau...

MARTIN - Je ferai comme je peux. Bon je vais faire un tour, j’étouffe ici.

Martin enfile son blouson.

PAUL - Ah non, c’est pas possible.

MARTIN - Pourquoi, c’est pas possible ?

PAUL - Il faut que tu restes ici. T’es obligé.

MARTIN - Quoi ?

PAUL - Tu peux pas sortir maintenant. Il faut que tu sois là quand Sophie va revenir.

MARTIN - Pourquoi ?

PAUL - Qu’est-ce que je vais lui dire quand elle va rentrer ? Martin n’est pas là, il est allé se
promener tranquillement. C’est pas crédible. Je te rappelle que pour Sophie, t’es en plein deuil,
t’es complètement renfermé sur toi-même, tu es venu ici parce que tu ne supportais plus de te
retrouver tout seul, tu ne veux plus bouger, ni voir personne, tu es capable de faire n’importe
quoi. T’es au bout du rouleau, au fond du trou...

Paul n’entend pas Sophie qui revient dans l’appartement. Elle l’écoute accabler Martin.

PAUL - T’es une épave, une loque, un rien du tout... T’es une merde mon pote, une merde...

Paul aperçoit Sophie qui le regarde, complètement médusée.

PAUL (À Martin) - ... Hein ? C’est ça que tu te dis ? C’est ça que tu te penses de toi en
ce moment ? Il faut que tu arrêtes d’être négatif, faut que tu sortes la tête de l’eau.

SOPHIE - J’ai oublié mon portable.

Elle récupère son portable discrètement dans le salon.

SOPHIE - Tu sortais ?

MARTIN - Non.

SOPHIE - Tu as froid ?

MARTIN - Non.

SOPHIE - C’est parce que je te vois avec ton blouson sur le dos.

MARTIN - Non. Ah oui...

PAUL - C’est sa mère qui lui a offert ce blouson, alors forcément...

24
SOPHIE - Forcément tu te sens bien dedans.

PAUL - Forcément.

SOPHIE - En sécurité, protégé, abrité...

PAUL - Entouré...

Martin fait une moue irrésistible pour exprimer la douleur, digne d’un pitoyable comédien.
Il cache sa tête dans ses mains.

MARTIN (jouant les pleurs) - Maman...

Sophie articule tout bas un « ça va pas ? » à Paul. Celui-ci fait signe non, et mime les hauts et les
bas. Sophie, rassurée, sort « sur la pointe des pieds ». Martin sort sa tête de ses mains.

MARTIN - Ça y est, elle est partie ? Je peux reprendre une attitude normale ?

PAUL - Oui, oui. Tu vois, c’était bien ce que tu as fait. La tête dans les mains, ça marche bien
ça. Là, on avance dans le bon sens.

MARTIN - Oui, oui je me suis senti très naturel. (Il pose son blouson et soupire un grand coup).
Une semaine, pas plus.

PAUL (acquiesce) - Une semaine, pas plus.

Paul prend les bagages de Martin.

Scène 2
Paul, Martin et Sophie

Le soir. Après le dîner. L’ambiance est morbide. Le silence s’éternise.

SOPHIE - Tu es sûr que tu ne veux vraiment rien manger ?

Paul fixe Martin.

MARTIN - Sûr.

SOPHIE - Paul, tu reprends quelque chose ?

PAUL - Un dernier petit dessert avec plaisir.

Sophie va dans la cuisine.

MARTIN - C’est vraiment une connerie ton truc, je suis mort de faim.

PAUL - Tu peux pas avoir de l’appétit, t’es en deuil. Faut être cohérent.

25
MARTIN - Pas le droit de sortir de la journée, pas le droit de manger le soir ; si tu veux, je tue
ma mère pour que ça fasse plus vrai.

PAUL - On n’en est pas là, mais je retiens ta proposition. (Paul tend un croûton à Martin) Tiens,
prends toi un petit croûton. Tu te feras un petit sandwich cette nuit.

Sophie revient.

SOPHIE - Martin, tu es sûr que tu ne veux pas un petit dessert, une petite compote ?

Martin fait non de la tête.

SOPHIE - Un petit yaourt ?

Martin fait non de la tête.

SOPHIE - Une petite glace ?

MARTIN - Ah une petite glace...

Paul lui fait les gros yeux, alors Martin fait non de la tête.

SOPHIE - Il faudra que tu forces à manger, tu peux pas te laisser dépérir. C’est pas une solution.
En tout cas, avec Paul, on ne te laissera pas faire.

PAUL - Certainement pas. Bon si tu la prends pas, je veux bien la dernière petite glace. Elle est
à quoi ?

SOPHIE - Chocolat

PAUL - (à Martin) Chocolat ! Ta préférée !

Martin se lève et sort côté chambre.

SOPHIE - Il est pas très bien ce soir.

PAUL - Je te l’avais dit.

SOPHIE - C’est dur.

PAUL - C’est dur.

SOPHIE - Vous avez fait quoi ?

PAUL - Rien.

SOPHIE - Vous n’êtes pas sortis ?

PAUL - Non, tu t’en doutes.

26
SOPHIE - Ça lui ferait du bien de sortir à Martin.

PAUL - Je sais bien Sophie, je sais bien, mais j’ai eu beau insister, il n’a rien voulu savoir : « je
ne veux plus bouger, ni voir personne, je suis capable de faire n’importe quoi... ». Voilà à quoi
j’ai eu droit toute la journée. Je trouve qu’il en met du temps à s’en remettre.

SOPHIE - Sa mère est morte hier.

PAUL - Déjà ? Ça file hein... Ça va, tu tiens le coup toi ?

SOPHIE - Pour ?

PAUL - Cette colocation. Le fait que Martin soit encore chez nous. C’est pas trop difficile à
supporter ?

SOPHIE - Il est arrivé à midi aujourd’hui, je me doutais qu’il serait encore là ce soir.

PAUL - C’est drôle, tu te rappelles de l’heure exacte à laquelle il est arrivé. Ça y est, t’en peux
plus ?

SOPHIE - Pourquoi tu dis ça ?

PAUL - Tu viens de me dire « Il est arrivé à midi », c’est que ça t’a marqué. C’est pas anodin.

SOPHIE - Je sais qu’il est arrivé à midi, c’est tout.

PAUL - Oui, mais c’est significatif. Tu comptes les heures.

SOPHIE - Pas du tout.

PAUL - Attends Sophie, c’est pas un reproche, au contraire. Je vais même te dire, à ta place, ça
fait longtemps que j’aurai quitté l’appartement. Ah oui. Honnêtement, je suis pas fier de
t’imposer cette situation. Je sais pas comment tu fais. Je te trouve remarquable, remarquable et
endurante.

SOPHIE - Imagine toi à sa place, tu serais content de pouvoir compter sur ton ami en cas de
coup dur.

PAUL - Bien sûr, mais reconnais qu’il s’est carrément imposé chez nous et que c’est pas facile à
gérer, surtout pour toi. C’est pas du tout ton ami à la base Martin. Tu serais tout à fait dans ton
droit de me dire : « écoute Paul, j’en peux plus, c’est Lui ou Moi ! ».

SOPHIE - C’est Lui ou Moi ? Je serais surtout affreuse et détestable.

PAUL - Pas du tout. Tu serais simplement une victime qui craque et qui appelle au secours.

SOPHIE - Tu veux autre chose ?

PAUL - Je voudrais qu’on ne triche pas, je voudrais qu’on se dise tout. Je préfère que tu me
dises clairement « Paul, j’en peux plus, je vais partir... » plutôt que de...

27
SOPHIE - Non, mais tu veux un café, une tisane ?

PAUL - Non merci, j’ai fini.

Sophie retourne à la cuisine au moment où Martin revient.


Paul se met à parler très fort pour que Sophie entende.

PAUL - Pas de problème, Martin. C’est tout à fait normal que tu veuilles te reposer.
Évidemment qu’on va te laisser dormir sur le canapé.

MARTIN - Qu’est-ce qu’il te prend ?

PAUL - Je te dis que ça ne pose aucun problème ni pour moi ni pour Sophie que tu te couches
maintenant.

MARTIN - J’ai pas du tout envie de me coucher à neuf heures du soir. En plus j’ai un énorme
dossier à terminer pour demain.

PAUL - Je te dis que c’est bon, n’insiste pas ! Bien sûr que c’est contraignant, mais c’est comme
ça, et si l’un de nous ne l’accepte pas, qu’il quitte cet endroit immédiatement !

Sophie revient avec une tasse.

SOPHIE - Qu’est-ce qu’il te prend de crier comme ça, t’es pas bien ?

PAUL - On va aller dans notre chambre, Martin n’ose pas te demander, mais il voudrait aller se
coucher.

SOPHIE - Maintenant ?

PAUL - Sophie, ça te dérange ?

SOPHIE - Non, bien sûr que non. Aucun problème. Évidemment Martin.

MARTIN - Non, non, mais c’est bon. Je suis pas fatigué.

PAUL - Regarde le. Il vient de me dire tout bas « Je sais que c’est une situation invivable pour
un couple et que ça risque de le faire exploser à tout moment, mais j’aimerais bien me coucher
maintenant sur votre canapé, je ne me sens pas très bien ». Sophie, ça te dérange ?

SOPHIE - Non, bien sûr que non. Aucun problème. Évidemment Martin. De toutes façons, je
suis morte... Pardon. Je suis exténuée, j’ai fait au moins dix librairies dans la journée.

MARTIN - Tu cherchais quel livre ?

SOPHIE - Non, je cherchais du travail.

MARTIN - Avant de me lancer dans la finance, j’ai failli travailler dans l’édition.

SOPHIE - Ah bon, je ne savais pas.

28
Paul fait des allers-retours à la cuisine pour débarrasser.

MARTIN - Si, si. Le fait même de m’imaginer entouré de bouquins m’a toujours plu.

SOPHIE - T’as regardé dans notre chambre, je commence à avoir une belle bibliothèque. Ils
sont dans un désordre pas possible. Je prends plus le temps de les classer c’est dommage,
j’aimais bien les avoir par ordre alphabétique.

MARTIN - Moi c’est pareil, j’adore classer. Je trouve ça génial de retrouver un bouquin, de
pouvoir vérifier que tu as tel ou tel livre.

SOPHIE - Alors que Paul, dès qu’il en prend un, il le repose en haut de la pile, tu trouves jamais
celui que tu cherches.

PAUL - Oui mais tu trouves souvent celui que tu ne cherchais pas. Du coup, tu redécouvres un
livre dont tu avais totalement oublié l’existence. Chacun sa vision du plaisir.

SOPHIE - Jolie manière de justifier que tu es bordélique.

PAUL - Je suis pas bordélique, c’est toi qui es maniaque.

SOPHIE - Je suis ordonnée, c’est pas pareil.

PAUL - Non, t’es maniaque.

MARTIN - Y a que les bordéliques qui trouvent que l’ordre c’est un truc de maniaque.

SOPHIE - Exactement. Merci Martin, ça me fait plaisir, j’ai l’impression de m’entendre.

PAUL - Forcément, il est maniaque lui aussi.

MARTIN - Non, je suis ordonné, je tiens ça de ma mère. Ma mère, elle range tout, elle classe
tout, elle met des étiquettes partout, c’est comme un jeu pour elle, elle adore ça. Je suis sûr que là
si je l’appelle, elle est en train de classer ou de ranger un truc, je suis sûr.

PAUL - Je crois pas.

MARTIN - Ah si, je suis sûr.

PAUL - Non Martin, je crois pas.

MARTIN - Tu paries ? Je l’appelle...

Il sort son portable.

PAUL - Ne fais pas ça Martin.

MARTIN - Tu vas voir...

PAUL - Martin !

29
MARTIN - Ça sonne...

PAUL - Martin, donne-moi ce téléphone !!! Martin, donne-moi immédiatement ce téléphone !

PAUL - Ta mère ne répondra plus Martin.

Paul le désarme et le prend dans ses bras. Martin plonge sa tête dans ses mains.

MARTIN (jouant les pleurs) - Maman...

PAUL - Sophie, on va laisser Martin se coucher.

SOPHIE - On va t’aider à déplier le canapé. Je vais te chercher des draps.

Sophie va dans la chambre. Paul n’est pas fier, Martin reste interdit.

PAUL - Je sais ce que tu vas me dire : tu me détestes ?

MARTIN - Non.

PAUL - Ah bon ?

MARTIN - Je te hais.

PAUL - Ah oui.

MARTIN - Tu m’interdis de sortir, tu m’interdis de manger et maintenant tu me fais dormir sur


une biscotte d’un mètre carré, c’est beaucoup.

PAUL - C’est vrai, c’est beaucoup. Au fait, ça va mieux tes...

MARTIN - Merci, j’y pensais plus ! Il faut juste que je dorme sur le ventre, sur le dos, ça me fait
trop mal.

Sophie revient avec des draps et un oreiller.

SOPHIE - Sur ce canapé, il faut que tu te dormes sur le dos, sur le ventre, ça va te faire très mal.
Dors bien Martin.

MARTIN - Merci Sophie.

PAUL - Dodo, mon poto.

MARTIN - Merci Paulo.

Ils l’embrassent et vont dans leur chambre. Martin se retrouve tout seul. Il prend son gros dossier
de boulot. Paul revient dans le salon.

PAUL - Je suis désolé, mais on voit la lumière du salon en dessous de notre porte.

30
MARTIN - Et ?

PAUL - Pour quelqu’un qui est censé vouloir dormir, ce n’est pas crédible.

MARTIN - Oui, mais j’ai un gros dossier à finir.

Paul lui file une mini lampe de poche et éteint la lumière. La pièce est dans le noir.

MARTIN - Je te déteste.

PAUL - Toi aussi. Dors bien.

Scène 3
Paul et Sophie

Matin.
Martin range son lit et le salon, il va dans la cuisine, ressort de la cuisine avec du café. Il est
habillé, impeccable. Sophie sort de la chambre.

SOPHIE
Bonjour, ça va ?

MARTIN
Oui, super... (Il reprend une mine triste) Enfin, oui ça va... Tu veux un café ?

SOPHIE
Merci.

Paul entre.

SOPHIE - Humm, il est bon ton café.

PAUL - J’ai pas fait le café, je viens de me lever.

MARTIN - C’est moi qui ai fait le café.

PAUL - C’est toi ?

MARTIN - Oui.

PAUL - C’est vrai? C’est toi Martin ?!!

MARTIN - Oui. Tu en veux ?

PAUL - Non, merci. Sophie, je m’excuse pour tout ça. Je suis vraiment désolé.

SOPHIE - Désolé de quoi ?

Paul s’assoit sur sa chaise, il se retrouve sur le dossier de Martin.

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PAUL - Ca y est, on n’est plus chez nous. Martin, je savais que tu serais un peu envahissant
mais pas à ce point-là.

SOPHIE - Il a juste posé son dossier sur ta chaise.

PAUL - « Il a juste posé son dossier sur ma chaise » ? T’appelles ça « juste posé son dossier sur
ma chaise » ? Et tu vas aussi me dire qu’il a juste fait le café ? Sophie, tu comprends pas. On est
envahi. C’est presque un viol. En gros, il est dans la dynamique du « Je fais comme je veux, ici,
c’est chez moi ». C’est ça Martin ?

SOPHIE - Paul... C’est normal, on lui as dit « tu es chez toi ».

PAUL - Ah, c’est normal ? Pardon. Alors si c’est normal, j’ai rien dit. Excuses-moi Martin.
Continue, fais comme chez toi, on t’accueille à bras ouvert et toi, pour nous remercier, tu
démolis notre intérieur. Aucun problème.

SOPHIE - Qu’est-ce que tu racontes ?

PAUL - J’essaie de protéger notre couple, enfin si c’est pas trop tard et toi, tu trouves ça
« normal ». Faudra pas venir te plaindre quand ça va péter en lui et toi.

SOPHIE - Quand ça va péter entre lui et moi ?

PAUL - Sophie, c’est inévitable. Je vois bien que tu te sens mal bien depuis qu’il est arrivé.

SOPHIE - Pardon? Martin ne l’écoute pas, il dit n’importe quoi.

PAUL - Sophie, je te connais, tu es au bord de la rupture.

SOPHIE - N’importe quoi.

PAUL - Tu sais, en tant qu’auteur, je connais un peu les gens, la nature humaine, la psychologie.

SOPHIE - Paul, t’es pigiste pour un magasine agricole.

PAUL - Ne sois pas méprisante.

SOPHIE - Je ne suis pas méprisante, mais y a jamais eu besoin d’être psychologue pour écrire
sur les tracteurs ?

PAUL - Tu m’aurais jamais parlé comme ça avant l’intrusion de Martin dans notre vie. En fait,
tu n’as qu’une envie, c’est claquer la porte.

SOPHIE - Claquer la porte ? Tu dis n’importe quoi.

Martin se lève sur la pointe des pieds et enfile son manteau.

MARTIN - Je vous laisse. À ce soir.

PAUL - À ce soir ?!!! À ce soir ?!!! C’est ça que tu viens de dire: « à ce soir ?!!! » ?

32
MARTIN - Heu oui, « à ce soir ».

PAUL - T’es pas gêné quand même !

SOPHIE - Pourquoi ?

PAUL - « À ce soir » ?!!! « À ce soir » ?!!! (À Sophie) Ça te choque pas toi ? Je sais pas, on est là
ce soir ?

SOPHIE - Oui.

PAUL - Oui, oui, oui... Mais si on n’avait décidé de ne pas être là ce soir, c’est raté. Martin nous
oblige à être là ce soir, il nous impose notre programme de la soirée. Les gens sont... Pourquoi
vous me regardez comme ça ?

SOPHIE - T’es bizarre.

PAUL - C’est Martin qui chamboule tout notre programme et voilà que c’est moi qui suis
bizarre. C’est un peu fort de café quand même.

SOPHIE - Pourquoi tu parles comme ça ?

PAUL - Je parle comment ?

SOPHIE - Le verbe chambouler, l’expression « c’est un peu fort de café »... Tu parles comme
un retraité, tu me fais flipper.

PAUL - Je parle normalement. Je vais me chercher une crêpe dentelle dans le garde-manger, tu
veux quelque chose ? Une Ricoré, une citronnade ? J’ai une envie de boudoir moi...

Paul va dans la cuisine.

MARTIN - Bon, faut vraiment que j’y aille. Ah ce... À tout à l’heure ?

SOPHIE - Tu vas où ?

MARTIN - Au travail.

SOPHIE - Tu reprends le travail ? Déjà ? C’est rapide.

MARTIN - C’est rapide ?

SOPHIE - Tu as même pas encore enterré ta maman. Tu n’as pas voulu prendre tes congés
décès ?

Paul revient.

PAUL - Il a peut-être pas eu le droit. Ils sont pas commodes dans sa boite.

SOPHIE - Paul, c’est pas une question d’être commode ou pas. C’est la loi, il y a droit.

33
PAUL - Je sais pas Sophie, je sais pas. Ne m’engueule pas, j’y suis pour rien.

SOPHIE - Je t’engueule pas.

PAUL - Tu vois, tu continues à m’agresser.

SOPHIE - Je t’agresse pas. (À Martin) Je l’agresse ?

PAUL - On peut dire que c’est une réussite ce ménage à trois ! En même pas 24 heures, on ne
peut plus supporter tous les deux. On s’engueule même sur les congés payés.

SOPHIE - Décès.

PAUL - Décès ?

SOPHIE - Tu as dit les congés payés, c’est les congés décès.

PAUL - Tu vois, on n’est plus d’accord sur rien. La présence de Martin commence à nous faire
du tort.

SOPHIE - Du tort ?

PAUL - Oui Sophie, du tort. Mais crois-moi, il finira par partir, si c’est pas cette année, ce sera
l’année prochaine.

SOPHIE (en rigolant) - Qu’est-ce que tu racontes ? Il va pas passer l’année ici.

PAUL - On ne sait pas Sophie, On ne sait pas.

SOPHIE - Je serai parti avant lui.

PAUL - Ah bon, quand ça ?

SOPHIE - Quoi ?

PAUL - Tu pars quand ?

SOPHIE - C’est une façon de parler.

PAUL - (Déçu) Ah.

SOPHIE - Tu veux que je m’en aille ?

PAUL - Sophie...

Paul se lève et revient vers elle aussitôt.

PAUL - Au fait, je n’écris pas que sur les tracteurs mais sur toute sorte d’engin agricole : aussi
bien les moissonneuses que les bétaillères ou les herses rotatives.

34
Paul sort.

SOPHIE - Je suis désolée, je ne sais pas ce qui lui prend.

MARTIN - C’est rien. Au fait, j’ai oublié de te dire hier, mais j’ai un copain libraire qui cherche
quelqu’un, il va t’appeler de ma part.

SOPHIE - C’est vrai ? Génial !

MARTIN - Attends, y a rien de fait, t’emballes pas.

SOPHIE - Non, non, je m’emballe pas, mais merci de penser à moi.

MARTIN - Bon, j’y vais. (Tout doucement) À ce soir.

Elle sourit, amusée. Il sort.

Scène 4
Paul, Martin et Sophie

Mardi soir. Après le dîner. Sophie sort de la cuisine et rejoint Paul et Martin.

SOPHIE - C’était vraiment délicieux ! Bravo Martin !

MARTIN - Merci.

SOPHIE - Et t’as toujours pas faim ?

MARTIN - Heu...

PAUL - Bah non.

MARTIN - Bah non.

SOPHIE - Tu savais que Martin cuisinait aussi bien ?

PAUL - Pas du tout.

SOPHIE - Au fait, c’est toi qui a changé le joint du robinet de la cuisine ?

PAUL - Le joint du robinet de la cuisine ? Non.

MARTIN - Non, c’est moi. Avant de faire les courses pour le dîner, je suis passé au magasin de
bricolage. Paul a raison, je suis un peu maniaque. Cette nuit, ça goûtait dans l’évier. Je me suis
permis.

SOPHIE - Cuisinier, bricoleur ! On va te garder longtemps si tu continues comme ça ! On s’y


met ?

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MARTIN - D’accord.

PAUL - Vous faîtes quoi ?

SOPHIE - Martin m’a proposé de m’aider à classer tous mes livres. Je suis trop contente.
(À Martin) On y va ?

MARTIN - Oui.

PAUL - Non !... Pas tout de suite. Il faut que je vois quelque chose avec Martin, pour
l’enterrement.

SOPHIE - Ah ça y est la date est fixée ?

PAUL - Oui, c’est demain.

MARTIN - Très bien.

PAUL - Je lui ai écrit un discours pour sa maman, je préfèrerais lui lire seul à seul.

SOPHIE - Je comprends, je vous laisse. Je commence alors.

Sophie va dans la chambre.

PAUL - On a un problème.

MARTIN - Ah bon ?

PAUL - Oui.

MARTIN - Grave ?

PAUL - Ça va pas du tout.

MARTIN - T’as encore rêvé du camion ?

PAUL - Non, la dernière fois, c’était une ensileuse...

MARTIN - Une ?

PAUL - Une ensileuse, une faucheuse-hacheuse si tu préfères, en fait c’est une machine qui...
Mais c’est pas ça le problème.

MARTIN - C’est quoi le problème ?

PAUL - Toi.

MARTIN - Moi ?

PAUL - Oui toi.

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MARTIN - Ah bon ? Qu’est-ce que j’ai fait de mal ?

PAUL - Ça fait deux jours que tu es là maintenant.

MARTIN - Oui.

PAUL - Tu laisses jamais traîner tes affaires par terre, on n’a jamais eu une seule chasse d’eau
pas tirée, quand on se lave les dents après toi, le lavabo brille. Le salon est impeccable. Pour ce
qui est du bruit, t’es tellement discret que c’est comme si tu n’étais pas là. Au niveau des tâches
ménagères, je ne voudrais pas t’accabler, mais tu as fait les courses deux fois en deux jours, tu
n’as même pas demandé qu’on te rembourse. Et alors, la bouffe, j’ose à peine en parler parce que
là, ça dépasse la mesure. De mémoire, Sophie et moi n’avons jamais aussi bien mangé en quatre
mois de vie commune.

MARTIN - T’exagères, j’ai juste improvisé vite fait un petit plat hier soir.

PAUL - Risotto aux cèpes et fondant au chocolat, j’appelle pas ça un petit plat Martin, c’était
tout simplement délicieux et exceptionnel. Et alors, ce soir !... Tu peux me rappeler le nom du
plat qu’on vient de manger ce soir ? J’arrive même pas à le citer.

MARTIN (pas fier de lui) - Des paupiettes de filet mignon à la mozzarella.

PAUL - Des paupiettes de filet mignon à la mozzarella...

MARTIN - ... Avec un filet d’huile d’olive.

PAUL - Avec un filet d’huile d’olive. Tu te rends compte de ce que tu fais ? T’es en train de
distribuer du bonheur, c’est pas bien Martin.

MARTIN - T’exagères.

PAUL - Attends, j’ai pas fini. Y a pas que les repas qui sont problématiques, y a ton attitude en
général et ta personnalité en particulier. T’es facile à vivre ! T’es très facile à vivre. En
communauté, t’es même un atout. Bref, c’est totalement impossible de ne pas t’aimer. Je vais
même te dire pire : t’es un mec bien, t’es un mec vraiment bien Martin.

MARTIN - C’est ça que tu penses de moi. Je suis désolé.

PAUL - Moi aussi, je suis désolé. En tout cas, va falloir que tu changes de comportement et vite.
Sinon, on va droit dans le mur. Va falloir qu’on bosse un peu. Bon, on récapitule, c’est quoi tes
défauts ? T’es drôle (Martin n’est pas convaincu) si t’es drôle, c’est pas la folie, mais t’es drôle,
t’as de l’esprit. T’es sympa, facile à vivre, ordonné, excellent cuisinier, beau mec... Non, on va
dire élégant, discret. Et alors nouveauté depuis tout à l’heure, bricoleur. Monsieur bricole.
Monsieur est censé casser l’harmonie d’un couple mais au lieu de ça, Monsieur fait des travaux,
Monsieur répare l’appartement dès qu’on a le dos tourné.

MARTIN - C’était un juste un petit joint.

PAUL - Juste un petit joint.

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MARTIN - En silicone translucide.

PAUL - On commence par un petit joint et après c’est l’engrenage !... En silicone translucide...
Passons. L’idée c’est que tu sois sinistre, triste, chiant, désagréable, moche et con. Ça te va ?

MARTIN - Oui.

PAUL - Par exemple, tout à l’heure en rentrant. Sophie t’a demandé comment ça allait, et bien
maintenant, tu l’envoies chier. Tu fais la gueule. Bon, on essaye, je fais Sophie : « Alors Martin
ça va aujourd’hui ? Tu te sens comment ? »

MARTIN - Ça va, ça va mieux.

PAUL - Non, non et non !

MARTIN - Ah oui, je suis bête. Pardon.

PAUL - Je recommence. « Alors Martin ça va aujourd’hui ? Tu te sens comment ? »

MARTIN - Je me sens pas bien, j’en ai marre.

PAUL - Tu peux y aller un peu plus. Tu peux pousser le curseur, sinon Sophie, elle part pas
avant Noël. « Alors Martin ça va aujourd’hui ? Tu te sens comment ? »

MARTIN - Mal, je me sens mal ! Laisse-moi !... Merde !

PAUL - Oui, c’est pas ta nature. T’es un vrai gentil toi. Bon je te montre. Vas-y pose-moi la
question.

MARTIN - « Alors Martin ça va aujourd’hui ? Tu te sens comment ? »

PAUL – Tu vas me faire chier longtemps avec tes questions ?! Tu vas me saouler tous les jours à
la même heure ?!!!

MARTIN - Excuse-moi, c’est toi qui m’a demandé de faire...

PAUL - Pourquoi tu t’arrêtes ?! On continue, on répète là...

MARTIN - Ah oui pardon. Je savais pas si t’étais dans le test ou pas.

PAUL - Si, on bosse là. Continue, vas-y, fais Sophie... Parle-moi de ce que tu veux, parle-moi
de, des bouquins par exemple.

MARTIN - ... « J’ai lu un super roman, il faudra que je te le prête, tu me diras ce que tu en
penses ? »

PAUL - « Tu crois que j’ai envie de lire en ce moment. Je suis venu ici parce que ma mère est
morte, qu’elle ressemble à un steack tartare, pas pour écouter une merdeuse qui se croit à
l’académie française. Tu prends ton marque-page et tu dégages. Quelle merdeuse celle-là ! » Et
tu me la montres du doigt quand tu dis ça. « Quelle merdeuse celle-là ! ». Tu parles d’elle à la

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troisième personne, bien méprisant. Le type impossible à vivre qui ne supporte plus personne. Et
tu peux même péter en fin de phrase aussi. Ça, ça va la tuer.

MARTIN - Ah non, ça je pourrai pas.

PAUL - Mais si Martin, il faut que tu te fasses violence, sinon on s’en sortira jamais.

MARTIN - Tu t’en sortiras jamais, pas on ! T’as qu’à la quitter et la foutre dehors ! C’est tes
histoires !

PAUL - Tu vois quand tu veux. C’est bien ça ! T’as vu le ton que t’as eu là, c’est comme ça
qu’il faut que tu fasses. Bon, autre chose. Regarde comme t’es assis, t’es bien droit, t’es propre
sur toi, t’es impeccable. Ça va pas ça. Il faut que tu tiennes mal, t’enlèves tes pompes, tu te
vautres sur le canapé. Elle a horreur de ça Sophie. Vas-y essaye, tiens toi mal.... Oui... Encore,
encore... (Martin essaie tant bien que mal d’être négligé)... C’est pas ta nature non plus. Je te
montre. Tu te mets là comme ça, bien vulgaire, bien lourdingue. Fais un effort, c’est pas
compliqué !

MARTIN - C’est bientôt fini le cours particulier ?!

PAUL - Non. Dernière chose qui ne va pas. Tu ne peux pas partir à 8 heures et demie le
matin et rentrer à sept heures et demie le soir, c’est pas possible.

MARTIN - Ba oui, mais je travaille la journée.

PAUL - Ça c’est un vrai problème.

MARTIN - Je sais que c’est un truc qui t’a toujours semblé bizarre, mais nous sommes quand
même assez nombreux à partager ce problème.

PAUL - C’est pas contraignant.

MARTIN - Si, si je t’assure, ça l’est.

PAUL - Non, c’est pas contraignant pour Sophie et moi. T’es très facile à supporter, t’es pas là
de la journée.

MARTIN - Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Je peux pas m’arrêter de travailler pendant une
semaine.

PAUL - Pose tes congés décès.

MARTIN - Paul, quelles congès décès ?

PAUL - Ah oui, c’est vrai.

Un silence. Paul le regarde, plein de sous entendus.

MARTIN - J’aime pas quand tu fais cette tête.

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PAUL - J’ai rien dit.

MARTIN - Justement, c’est pire quand tu dis rien.

Nouveau silence.

MARTIN - Hors de question que je pose mes vacances pour passer une semaine ici. Hors de
question !

PAUL - Mais je te demanderais jamais d’utiliser tes vacances pour ça, t’es malade, je suis pas
comme ça. Au niveau R.T.T, t’es comment ?

MARTIN - C’est non !

PAUL - Comment veux-tu que Sophie veuille partir d’ici ? Elle te trouve super et elle a raison.
Je te l’ai dit, en communauté, t’es un héros. Il manquerait plus que tu lui trouves du boulot.

Martin se décompose. Sophie entre doucement. Paul enchaîne faussement ému.

PAUL - « ... Pars tranquille Maman, nous sommes saufs... Nous sommes vivants ! »

SOPHIE - Pardon, je t’ai interrompu.

PAUL - Je terminais à l’instant. Et tu vois, tu pourras même faire des gestes comme ça, pour
balayer le ciel, comme pour lui dire au revoir. Ça te va Martin ? Ça rend honneur à ta maman ?

MARTIN - C’est magnifique.

SOPHIE - Ça avait l’air... J’ai sorti tous les livres, on peut s’y mettre si tu veux. Au fait Paul,
Martin t’a dit pour son ami qui tient une librairie.

PAUL - Non, il m’a pas dit. C’est quoi cette histoire ?

MARTIN - C’est rien.

SOPHIE - Ah non, c’est pas rien. Martin a un ami qui tient une librairie et qui veut me
rencontrer pour remplacer une employée qui part en congé maternité. En gros, Martin m’a peut-
être trouvé du boulot. C’est génial non ?

PAUL - Ah, oui c’est bien ça, bravo Martin !

SOPHIE - Je suis trop contente.

PAUL - Bah oui.

MARTIN - Attends Sophie, c’est pas fait du tout et puis c’est pas vraiment un ami. C’est plus
une relation, pas très proche, assez éloignée même. Je te l’ai dit, il faut surtout pas t’emballer.

SOPHIE - Je sais, je sais, mais quand même c’est génial non ?

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PAUL - Ah oui, c’est une bonne nouvelle.

SOPHIE - Tu viens m’aider à classer les bouquins?

MARTIN - J’arrive.

Sophie repart dans la chambre. Martin n’ose pas affronter le regard de Paul.
Un temps. Finalement, il regarde Paul très contrarié.

MARTIN - Qu’est-ce qu’il faut que je fasse ?

PAUL - Ce que n’importe quel mec normal ferait : tu pisses sur la cuvette, tu te cures le nez, tu
pètes à table, t’arrêtes de faire la bouffe, tu commandes des pizzas, tu ranges pas tes affaires, tu
nous réveilles la nuit, tu bouches les chiottes et puis t’oublies pas que t’es en deuil et que ça te
met de très mauvaise humeur, de très, très mauvaise humeur.

MARTIN - Et pour mon ami libraire ?

PAUL - Tu lui as recommandé Sophie ? Tu lui décommandes.

SOPHIE (off) - Martin, tu viens m’aider ?

PAUL - Et évidemment, pour ce qui est de tes sautes d’humeur, ça prend effet immédiatement.

Sophie revient.

SOPHIE - Martin, tu viens?

MARTIN (se lance) - Non, j’ai pas envie.

SOPHIE - Tu veux plus m’aider ?

MARTIN - Non ! Finalement j’ai pas envie !!!

SOPHIE - Comme tu veux.

Sophie repart vers la chambre. Paul l’encourage discrètement. Martin se vautre sur le canapé.

MARTIN - Ça m’emmerde de ranger tes bouquins, je suis pas ton chien !!!

SOPHIE - Qu’est-ce que tu as ?

PAUL - Ba oui, qu’est-ce qu’il te prend ?

MARTIN - J’ai plus envie voilà. J’ai autre chose à faire ! (Il imite Paul) « Quelle merdeuse celle-
là ! » (Paul lève son pouce pour le féliciter)

SOPHIE - Qu’est-ce que tu dois faire ?

MARTIN - Je vais boucher les chiottes !

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PAUL - Martin, enfin...

MARTIN - « Quelle merdeuse celle-là ! »

SOPHIE - Qu’est-ce qui lui prend ?

PAUL - J’en sais rien Sophie, j’en sais rien.

MARTIN - « Quelle merdeuse celle-là ! ».

PAUL - Mais enfin Sophie, fais quelque chose, c’est odieux, réagis !

MARTIN - « Quelle merdeuse celle-là ! ».

SOPHIE - Tu veux qu’on te laisse tranquille ?

MARTIN - Ah t’en veux de la pizza, et ba tu vas en bouffer de la pizza ! On va en bouffer de la


pizza ! Croyez-moi !!

SOPHIE - Quelle pizza ? De quoi il parle ? Je comprends rien !!!

PAUL - Il explose, ça nous pendait au nez !

MARTIN - Oh que je suis de mauvaise humeur !!! Oh que je suis en colère !!!!

SOPHIE - Il veut une pizza, c’est ça Martin ? Tu veux une pizza ?

MARTIN - « Quelle merdeuse celle-là ! » « Quelle merdeuse celle-là ! »

PAUL - Il me fait peur Sophie, il me fait peur ! Réagis !

SOPHIE - Bon, je vais en bas acheter une pizza, je reviens tout de suite.

PAUL - Elle est allée acheter une pizza ?

Sophie sort.

Scène 5
Paul, Martin et Sophie

PAUL - Voilà ! Très bien Martin ! Allez viens avec moi, on se dépêche, elle va remonter !

Paul fonce dans la cuisine. On entend la vaisselle se casser.

MARTIN - Qu’est-ce que tu fais ?!! T’es en train de péter ta vaisselle ?! T’es complètement
malade !

Paul sort de la cuisine.

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PAUL - TU pètes ma vaisselle. TU es complètement malade. Moi je fais rien du tout ! Allez, le
salon, on met tout en l’air ! On se dépêche, elle va revenir. Aide moi !!

Paul met le foutoir partout dans son salon.

MARTIN - T’es complètement malade.

PAUL - Bon maintenant les livres ! Allez, ça c’est toi, c’est ton rayon.

MARTIN - Hein ?

PAUL - C’est pas toi qu’a dit « Le fait même de m’imaginer entouré de bouquins m’a toujours
plu ». Vas-y, c’est le moment ! Allez vite, elle va remonter !!!

MARTIN - Non, les livres, je pourrai pas. En plus, on doit tout classer.

Paul entre dans la chambre. Martin ne le suit pas. Un livre lui arrive en plein dessus.

MARTIN - Non, tu peux pas faire ça, c’est pas bien ! C’est interdit d’abîmer des livres, c’est
totalement immoral !

Paul balance plusieurs livres. Martin est blême. Il ramasse les livres, les caresse et les soigne.
Paul revient.

PAUL - À toi. Dépêche-toi, allez courage !

MARTIN - Je peux pas. Je veux bien boucher l’évier ou uriner dans la douche, mais ça je ne
peux pas.

PAUL - Pense à ta mère, pense à mon camion, pense à cette semaine qui va s'achever... Allez
balance.

Martin entre dans la chambre et ressort et entre à nouveau. Paul l’encourage. Il attend... jette un
tout petit livre arrive tout doucement.

PAUL - J’appelle pas ça balancer...

Martin en lance un autre un peu plus fort.

PAUL - Voilà, t’as fait le plus dur. C’est le premier qu’est difficile, après ça vient tout seul.

Martin en balance un autre puis un autre... Tandis que Paul jubile, Martin se lâche et balance tout
dans le salon !

PAUL - Voilà... Voilà... Très bien... Voilà...

MARTIN - (off) Celui-là, je peux pas, c’est son préféré.

PAUL - Balance... Balance !

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Sophie entre avec une pizza et voit le livre valser. Elle reste interdite face à ce « champ de
batailles ».

SOPHIE - Qu’est-ce qui s’est passé ?

Les livres continuent d’arriver dans le salon. Paul montre du doigt la chambre.

SOPHIE - Qu’est-ce qu’il fait ?

PAUL - Il est comme fou.

Elle ramasse un livre, et va poser sa pizza dans la cuisine. Elle revient, décomposée.

SOPHIE - La vaisselle aussi ? C’est lui ?

Paul acquiesce.

SOPHIE - C’est vrai ? C’est toi Martin ?

Martin sort de la chambre.

SOPHIE - Martin, c’est toi ?

MARTIN - ...

PAUL - Tu peux me croire, il a retourné l’appartement, il est comme fou, je te dis. Ingérable.

SOPHIE - Martin, c’est vrai ?

PAUL - C’était inévitable, je t’avais dit qu’il était instable et que ça allait mal se passer. Tu peux
partir d’ici Sophie, je comprendrais...

Sophie s’approche de Martin.

SOPHIE - C’est toi qui a fait tout ça ?

Martin acquiesce, mort de trouille. Elle lui parle tout doucement et très gentiment.

SOPHIE - C’est bien, c’est très bien.

Martin et Paul n’y comprennent rien.

SOPHIE - Je me demandais quand ça allait arriver. Je suis rassurée, je suis tellement contente.
C’est super Martin, c’est super.

Elle l’enlace très chaleureusement. Les deux garçons se regardent, plus qu’interrogatifs.

PAUL (nerveusement et tout doucement) - Heu... Excuse-moi, il faut que tu m’expliques une chose
Sophie. Je suis en train de te dire que Martin a ruiné notre appartement et tu es rassurée ?

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Elle acquiesce.

PAUL - Tu es même contente ?

Elle acquiesce.

PAUL - Question bête. Pourquoi ?

SOPHIE - C’est un cas d’école. Martin est en train d’évacuer sa douleur, il est vivant ! La veille
de l’enterrement, il explose. C’est formidable. Après sa période de mutisme, il commence enfin
sa phase d’expulsion et de rejet... Il s’exprime. C’est formidable.

PAUL - Donc le fait qu’il ait pété la moitié de la vaisselle, ruiné tes bouquins de la lettre A à la
lettre C et que la douche soit sur le point d’être remplie de poils de cul, c’est pareil, tu prends ça
comme une bonne nouvelle ?

SOPHIE - C’est formidable. Il est sur le bon chemin, il est vivant ! Faut que ça sorte, faut qu’il
évacue. (À Martin) Martin, tu te sens comment ?

MARTIN - Laisse-moi tranquille conasse ! Tu prends ton marque-page et tu dégages.

SOPHIE - C’est bien, c’est très bien. Je suis contente.

MARTIN - « Quelle merdeuse celle-là ! »

SOPHIE - Je suis contente.

MARTIN - « Quelle merdeuse celle-là ! »

SOPHIE - Je suis très contente.

Paul est dégoûté, Sophie emballée et Martin décontenancé.

Scène 6
Paul, Sophie et Martin

Lendemain soir.
Sophie et Paul sont tous les deux assis sur le canapé. Des couverts et des assiettes en plastiques.
Martin sort de la cuisine avec une pizza dans son plastique. Il la pose sur la table.

MARTIN - Voilà.

PAUL - Encore une pizza ! Comme hier donc.

MARTIN - Et comme demain !

Martin va dans la chambre. Sophie et Paul face à cette pizza peu appétissante.

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PAUL - C’est infect.

SOPHIE - Il allait pas nous faire des petits plats tous les soirs.

PAUL - Personne le force à cuisiner.

SOPHIE - Si ça lui fait plaisir. Et puis t’exagères, elle est pas si mauvaise cette pizza.
D’habitude tu adores le surgelé.

PAUL - Oui, mais d’habitude le surgelé, ça se met dans le four.

Martin sort de la chambre et va dans la cuisine.

MARTIN - Vous pouvez la fermer un peu. Ça me...

SOPHIE - Bien sûr. Excuse-nous.

PAUL - Martin s’il te plaît !! On a déjà été gentil de te laisser notre chambre !

SOPHIE - Laisse le, tu vois bien qu’il envoie un SOS, il se comporte comme un bébé. Il est
dans sa phase de régression. Il expulse, c’est très bien, il est en plein stade anal.

PAUL - Tu penses qu’il va chier dans nos draps ?

Martin sort de la cuisine.

MARTIN - Faudra refaire des courses, y a plus rien à boire dans cette baraque !

SOPHIE - Bien sûr.

PAUL - Au fait Martin, c’est toi qui a cassé le pommeau de la douche ?

MARTIN - Non.

PAUL - Si !

MARTIN - Ah, oui, c’est moi.

PAUL - Je t’ai pas dit Sophie, Martin a décidé de ne plus se laver du tout.

MARTIN - Ah non !

PAUL - Ah si.

MARTIN - Ah bon ?

PAUL - Ah oui. Tu m’as dit, je ne me lave plus jusqu’à nouvel ordre et si je ne sens pas bon,
c’est comme ça. Tu fais ce que tu veux avec ton hygiène, mais t’étais pas obligé de priver de
douche tous les habitants de cet appartement.

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SOPHIE - Il était foutu ce pommeau, j’en rachèterai un demain. Ça va, t’es bien installé dans
notre chambre, t’es mieux ?

Martin les rejoint et se vautre sur le canapé.

MARTIN - Oh, non il est pourri votre plumard ! Et puis votre déco, elle est à chier, ça me
déprime !

SOPHIE - Au fait, j’ai eu aucune nouvelle de ton ami le libraire. Tu voudrais pas le relancer.

MARTIN - Je vais voir ce que je peux faire.

PAUL - Martin, tu m’as pas dit que tu lui avais présenté une autre copine, beaucoup plus
compétente que Sophie, je reprends tes mots, et qu’il l’avait embauchée, non ?

MARTIN - Heu... Oui, je suis désolé Sophie. En fait, je lui ai parlé de deux amies et heu...

SOPHIE - C’est pas grave. Tu sais quoi ? C’est un signe. Ça fait un moment que je me demande
si je suis vraiment faite pour ce boulot, si j’aime vraiment ça. C’est comme tous ces bouquins, de
le voir en vrac, ça m’a pas bouleversée finalement. Je crois que je m’attache trop aux objets. En
fait, je me sens libérée. Tu viens de me rendre un grand service Martin, merci.

PAUL (énervé) - Oui, merci Martin ! D’ailleurs, si tu veux péter les plaques électriques, fais toi
plaisir ! On aime bien manger froid aussi !! Ça va nous libérer ! Désolé, mais je peux pas avaler
ça, c’est immonde. Je te débarrasse ?

SOPHIE - Non, je termine.

Paul va dans la cuisine. Sophie et Martin restent tous les deux.

SOPHIE - Ça va ? Tu te sens comment ?

MARTIN - Ça va.

SOPHIE - Il est un peu dur avec toi Paul, non ? Il a dû mal avec la colocation. Faut qu’il se
détende un peu, il est assez odieux. Tu trouves pas ?

MARTIN - C’est parce que je me suis imposé chez vous, c’est pas facile pour lui.

SOPHIE - Tout va bien, je t’assure. Si on peut plus rendre service à un ami. En tout cas, je te
trouve vraiment très courageux. Et puis, je sais bien que tes sautes d’humeur, tes coups de folie,
c’est passager. Tu es un petit garçon qui a perdu sa maman et qui a besoin de s’exprimer, c’est
bouleversant. Tu me rappelles mon ex.

MARTIN - Il avait perdu sa mère lui aussi ?

SOPHIE - Non. Une fois, il a perdu son passeport. Évidemment, c’est pas comparable...

MARTIN - C’est autre chose.

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SOPHIE - T’es sensible comme lui.

MARTIN - Peut-être.

SOPHIE - T’es une vraie découverte pour moi, je te voyais pas aussi bourré d’humanité, de
tendresse, aussi écorché. Paul, c’est quelqu’un de terre-à-terre, il est aussi brut que ses tracteurs.
On n’est pas dans la nuance. Alors qu’avec toi, on est vraiment dans l’ambiguïté, dans le doute,
dans la fragilité. Pareil que mon ex... Ça te gêne que je te dise ça ?

MARTIN - Pas du tout, mais en général, c’est préférable de ressembler au futur qu’à l’ex d’une
fille... (soudain très gêné) Je sais pas pourquoi j’ai dit ça, pardon...

SOPHIE - T’excuses pas.

Elle s’approche de lui. Ils s’embrassent.

SOPHIE - On est dans la merde, non ?

MARTIN - Tu n’as pas idée à quel point.

Noir

48
ACTE 3
Scène 1
Sophie, Martin et Paul

Le matin.
Sophie et Martin sur le canapé. Silence. Paul sort de la cuisine et les rejoint avec du café.

PAUL - Café ? ... Tout le monde a bien dormi ?

SOPHIE - Oui.

MARTIN - Oui.

PAUL - Tu t’es pas levée cette nuit pour aller voir Martin?

SOPHIE (toute rouge) - Pardon?

PAUL - Cette nuit, t’es pas allée dans la chambre voir Martin? Il me semble que je vous ai
entendus.

SOPHIE - Tu nous as entendus ?

PAUL - Je dormais, mais il me semble vous avoir entendu discuter, non ?

SOPHIE - Oui, c’est ça, on a discuté.

MARTIN - On a parlé aussi. On a surtout discuté, mais on a parlé aussi.

SOPHIE - C’est vrai, on a parlé aussi.

PAUL (à Martin) - Tu dormais pas ?

SOPHIE - En fait, Martin s’est réveillé en pleine nuit, il pleurait.

PAUL - Tu pleurais ? Pourquoi tu pleurais ?

SOPHIE - Paul... Martin pleurait comme un bébé qui veut sa maman.

PAUL - Et toi, et donc toi, tu t’es levée pour lui donner le sein ?

SOPHIE - Voilà... Mais non, t’es bête !

MARTIN - Oui, t’es bête !

PAUL - Oui, je suis bête !

SOPHIE - Mais non, on a parlé, c’est tout.

49
PAUL - C’était bien ?

SOPHIE - De quoi ?

PAUL - Votre discussion.

SOPHIE - Oui, très bien.

MARTIN - Très, très bien. Vraiment.

SOPHIE - Ça n’a pas duré longtemps, mais c’était très bien.

MARTIN - Ça a duré un petit peu quand même ?

SOPHIE - Pas longtemps.

MARTIN - Ah bon ?

SOPHIE - Oh, non pas longtemps.

MARTIN - Ah.

SOPHIE - Et toi, t’as bien dormi ? Tu as fait de beaux rêves ?

PAUL - Oui. De très beaux rêves.

MARTIN - Ah bon ? Pas de camion ?

PAUL - Non, pas de camion.

SOPHIE - C’est quoi « pas de camion » ?

PAUL - C’est rien. Depuis l’accident de la maman de Martin, je rêve parfois de camions qui...

SOPHIE - Ah, c’est pour ça que je t’entends depuis trois semaines, en train de crier des choses
complètement folles. : « Sa tête a roulé sous la voiture, elle est arrachée...». Je comprends mieux
maintenant, c’est pour ça.

PAUL - C’est pour ça, oui.

SOPHIE - Pourtant y a trois semaines, sa mère était encore vivante.

PAUL - Tu veux dire que j’aurais fait un rêve prémonitoire ?

SOPHIE - J’en sais rien.

PAUL - Ça fait peur. Bon, je vais réparer la douche.

Paul sort.

50
Scène 2
Sophie et Martin

Sophie et Martin, un peu mal à l’aise, ils se sourient.

SOPHIE - Pour hier soir, je...

MARTIN - Tu ?

SOPHIE - Je pense que c’est pas bien.

MARTIN - Je pense comme toi. Je pense que c’est très mal.

SOPHIE - Je suis rassurée qu’on pense la même chose.

MARTIN - Moi aussi.

Ils se regardent et s’embrassent passionnément.

SOPHIE - C’est vraiment pas bien.

MARTIN - Oui, c’est vraiment très mal.

Ils s’embrassent à nouveau.

SOPHIE - Grâce à toi, j’ai compris que j’avais plus envie d’être avec Paul. Je vais le quitter.

MARTIN - C’est génial ! Faut que tu lui dises !

SOPHIE - Je ne pourrai pas.

MARTIN - Pourquoi ?

SOPHIE - Martin, pour quitter quelqu’un, il faut une composante très particulière et en totale
voie de disparition chez la femme qui s’appelle la cruauté, et en tant que femme, je n’ai pas cette
composante. Tu comprends ? Je suis incapable de briser le cœur de quelqu’un.

MARTIN - Tu vas pas t’y mettre toi aussi !

SOPHIE - Hein ?

MARTIN - Il faut vous parler maintenant tous les deux !

SOPHIE - Martin, tu te rends pas compte ? Paul t’accueille à bras ouvert, il te laisse sa maison,
son lit parce que t’es en plein deuil. Il fait preuve d’une générosité et d’un dévouement hors
norme et moi je lui annonce que je le quitte ?

MARTIN - Générosité, dévouement, si on veut. Paul, il va être soulagé que tu le quittes, il va


être très content.

51
SOPHIE - Très content ?

MARTIN - Non, pas très content, mais il va apprécier ta franchise et ton honnêteté.

SOPHIE - Justement le quitter parce que j’ai couché avec son meilleur ami, je ne pense pas qu’il
prenne ça comme une preuve d’honnêteté.

MARTIN - Ah non mais ça, tu lui dis pas, surtout pas. Je m’en occuperai... Plus tard.
Pour l’instant, tu dois juste quitter cet appartement.

SOPHIE - Je ne vais pas quitter cet appartement. Ici, c’est chez moi.

MARTIN - Paul aussi, c’est chez lui. Vous avez emménagé ensemble et vous partagez le loyer,
non ?

SOPHIE - Oui, mais regarde, tout est à moi ici. Y a pas un meuble à lui.

MARTIN - Sophie...

SOPHIE - À part sa chaise de merde... Je sais ce qu’on va faire ! T’as prévu de rester encore
combien de temps chez nous ?

MARTIN - Je vais bientôt partir. Pourquoi ?

SOPHIE - Paul, il n’en peut plus de cette cohabitation. Si tu restes encore ici, il va craquer et il
finira par partir. Qu’est-ce que t’en penses ?

MARTIN - En fait, vous êtes deux malades Paul et toi.

Un petit temps.

MARTIN - Ça a duré un petit peu quand même cette nuit ?

SOPHIE - Oui, oui.

Scène 3
Sophie, Martin et Paul

Paul entre, sur le point de les voir.

PAUL - La douche est réparée.

SOPHIE - J’y vais.

Sophie sort. Paul la suit du regard. Ils se sourient l’un à l’autre, complices sans le savoir.

PAUL - Elle est belle quand même ? Non ?

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MARTIN - Oui. (Un temps) Paul, il faut que je te parle d’un truc.

PAUL - Depuis que tu es là, je la trouve complètement changée. Non ?

MARTIN - Je sais pas.

PAUL - Plus épanouie. Non?

MARTIN - Peut-être. Paul, il faut vraiment que je te parle d’un truc.

PAUL - Elle partira jamais d’ici, j’en suis sûr.

MARTIN - Moi aussi.

PAUL - Elle te l’a dit ?

MARTIN - Oui enfin non, mais justement, c’est de ça que je veux te parler. (Un temps) Comme
tu le sais, je viens de vivre une semaine un peu compliquée émotionnellement.

PAUL - Ah bon ?

MARTIN - C’est pas tous les semaines qu’on enterre sa mère vivante.

PAUL - Comment elle va d’ailleurs ?

MARTIN - Ma mère ? Elle va très bien.

PAUL - Elle est pas au courant ?

MARTIN - Qu’elle est morte ? Non, je lui ai pas dit.

PAUL - T’as raison, c’est mieux.

MARTIN - Oui, je pense. Bref, tu vas peut-être m’en vouloir, mais au final, tout le monde va y
trouver son compte, surtout toi. C’est pas facile à dire, je sais pas par où commencer...

PAUL - T’embêtes pas, j’ai tout compris.

MARTIN - Ah bon ?

PAUL - Je sais exactement ce que tu vas me dire.

MARTIN - Je pense pas.

PAUL - Si. C’est par rapport à Sophie ?

MARTIN - Oui.

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PAUL - T’es odieux, elle t’aime bien. Tu casses l’appartement, elle t’aime bien. Tu nous piques
notre lit, elle t’aime bien. Tu balances ses livres, elle t’aime bien. Faudrait vraiment être aveugle
ou idiot pour ne pas comprendre.

MARTIN - C’est sûr.

PAUL - Pourtant, tu t’es donné du mal pour lui déplaire.

MARTIN - J’ai fait exactement comme tu m’as dit. Je suis désolé, j’avais pas du tout prévu que
ça se passe comme ça. M’en veux pas.

PAUL - T’en vouloir ?! Mais tu plaisantes. C’est la meilleure idée que j’ai jamais eu de te faire
venir ici. Au moins maintenant, je suis fixé.

MARTIN - Je suis content que tu le prennes comme ça.

PAUL - Je sais à quel point Sophie est amoureuse de moi.

MARTIN - Oui. (Un temps) Qu’est-ce que tu as dit ?... À quel point Sophie est amoureuse de... ?

PAUL - De moi.

MARTIN - De moi ?

PAUL - Non de moi, pas de toi. Il faut vraiment qu’elle m’aime profondément pour avoir
supporté la semaine qu’on vient de passer. Grâce à toi, j’ai compris que je tenais à elle comme
un fou. Et pourtant, j’ai douté. Je vais même te dire, tu vas rire... À un moment donné, je me suis
demandé si, si... Non, c’est idiot, tu vas te moquer de moi.

MARTIN - Mais non, vas-y.

PAUL - D’accord, mais tu ris pas.

MARTIN - Promis.

PAUL - Je me suis demandé si elle n’était pas tombée amoureuse de toi.

MARTIN - De moi ?

PAUL - Oui, de toi.

Ils rigolent tous les deux.

PAUL - Je suis bête hein ?

MARTIN - Oui, t’es bête.

PAUL - Je suis pas jaloux, mais si t’étais pas mon meilleur ami, je me serai posé des questions.

MARTIN - Faut pas.

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PAUL - Je sais, mais vous êtes devenus tellement complices tous les deux!

MARTIN - Pas spécialement.

PAUL - Ah si !

MARTIN - Ah bon ?

PAUL - Ah oui !

MARTIN - Ah bon ?

PAUL - Ah oui. Tu peux pas savoir comme ça me fait plaisir de vous savoir proches tous les
deux.

MARTIN - Quand on peut faire plaisir.

Martin se décompose.

PAUL - Qu’est-ce qu’il t’arrive ? T’es tout pâle d’un coup.

MARTIN - Ah bon ?

PAUL - Ah oui, t’es tout blanc.

MARTIN - Ah bon ?

PAUL - T’es malade ?

MARTIN - Ah bon ?

PAUL - Non, c’est une question : t’es malade ?

MARTIN - Non.

PAUL - C’est toi qu’avait raison quand tu m’as dit que c’était peut-être un coup de tête, une
impulsion de vouloir la quitter.

MARTIN - Oui, mais attention, je ne connaissais pas bien Sophie à l’époque.

PAUL - Qu’est-ce que ça change ?

MARTIN - Ça change tout. Je viens de passer une semaine ici. Je comprends


maintenant ta souffrance quotidienne. Sophie est invivable.

PAUL - Invivable ?

MARTIN - Tu dois la quitter. Pardon de te le dire, mais elle te bouffe, pire que ça, elle
te vide, de l’intérieur !

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PAUL - C’est marrant ce que tu dis, ça me rappelle un rêve que je faisais avec une ex, je la
vidais comme une truite, je lui enlevais la tête, j’avais du sang plein les mains...

MARTIN - Justement, tu veux passer toute ta vie à rêver d’un poids lourd qui décapite ta
fiancée ?!

PAUL - C’est fini tout ça. Cette nuit, j’ai rêvé de Sophie sur un vélo en pleine campagne, elle
devant, moi derrière sur le porte-bagages, il n’y avait aucun camion dans les parages.

MARTIN - Fais attention de pas te précipiter. Tu vas peut-être t’en mordre les doigts de ne pas
la quitter.

PAUL - Non vraiment. On va dire à Sophie que tu te sens mieux. Tu peux rentrer chez toi. Je te
libère... Ça n’a pas l’air de te faire plaisir ?

MARTIN - Si, si bien sûr. Je suis content de rentrer chez moi, tu penses.

PAUL - Et puis maintenant que tout est rentré dans l’ordre, par pitié, va prendre une douche. Tu
dois en avoir marre de sentir l’abribus.

MARTIN - L’abribus ?

PAUL - L’endroit où on attend le bus.

MARTIN - Je sais ce que c’est qu’un abribus, mais tu es sûr qu’on dit de quelqu’un qu’il sent
l’abribus.

PAUL - Quand il sent mauvais oui, on dit ça, pas quand il sent bon. (Il se lève) Tu
reprends un café ?

MARTIN - Un double oui.

Paul va dans la cuisine. Martin reste seul sonné.

Scène 4
Martin, Sophie et Paul

Entre Sophie.

SOPHIE - Alors ? Vous vous êtes parlé ?

MARTIN - Heu, oui, enfin...

SOPHIE - Et...

MARTIN - Et justement...

Paul revient avec une tasse pour Martin et les rejoint sur le canapé.
Martin se retrouve au milieu des deux.

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PAUL - (Il tend une tasse à martin) Tiens. Tu lui as dit ? (à Sophie) - Il t’a dit ? On a eu une petite
discussion tous les deux.

SOPHIE - Ah oui ?

PAUL - Martin s’est confié à moi.

SOPHIE - Il s’est confié à toi, c’est à dire ?

PAUL - Martin a pris une grande décision, il rentre chez lui.

SOPHIE - Ah bon ?!

PAUL - Oui.

SOPHIE (à Martin) - Tu rentres chez toi ?

MARTIN - Heu...

SOPHIE - Pourquoi ? T’es pas bien ici ? Avec tout ce qu’on a fait pour toi, c’est ta façon de
nous remercier.

PAUL - Martin se sent mieux, il va ranger ses affaires, rentrer chez lui et nous, on va récupérer
notre chambre, c’est tout. Je sais que tu vas regretter sa cuisine.

SOPHIE - Pas seulement. Tu es sûr que c’est pas un peu tôt pour rentrer chez toi ?

PAUL - Au contraire, c’est le moment idéal. Il a eu le temps de se ressourcer ici et maintenant, il


est temps qu’il reprenne sa vie. L’amitié, tu sais Sophie, c’est un juste dosage. Trop de temps ici,
ce ne serait pas lui rendre service.

SOPHIE - Certainement. Mais toi, Martin qu’est-ce que tu en penses ? Parce qu’il ne faut pas
que tu sentes obligé de partir.

PAUL - Mais il ne se sent pas obligé de partir, Sophie.

SOPHIE - Je ne sais pas, je me pose la question.

PAUL - Mais moi, je sais et je te donne la réponse. Je ne suis pas du tout en train de le mettre
dehors. Je te mets dehors Martin ?

Martin ne répond toujours pas. Sophie et Paul le regardent comme un malade.

SOPHIE - Je suis désolée, mais moi, je le trouve pas encore tout à fait bien.

PAUL - Si, il est bien. Il est très bien. (Sophie en doute) Sophie, t’exagères, il est quand même
bien depuis quelques jours.

SOPHIE - Ça me paraît quand même très risqué et très précipité de le lâcher dans la nature
comme ça.

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PAUL - Mais personne ne lâche personne. Martin veut rentrer chez lui, Martin rentre chez lui.
On ne va quand même pas lui interdire de rentrer chez lui ?

SOPHIE - Bien sûr que non. Je veux juste être certaine que Martin rentre chez lui de son plein
gré et qu’il ne s’y sent pas forcé.

PAUL - Bon, Martin aide-moi parce que là... Est-ce que oui ou non, tu veux rentrer chez toi ?

Un temps. Paul et Sophie sont suspendus à cette réponse.

PAUL - Martin ?... Est-ce que oui ou non, tu veux rentrer chez toi ?

MARTIN (tout doucement, un peu gêné) - Non. Je préfèrerai rester un petit peu ici.

PAUL - Tu vois !... (À Martin) Qu’est-ce que tu viens de dire là ?

SOPHIE - Tu vois, qu’est-ce que je te disais !

PAUL - Martin, qu’est-ce qui t’arrive ?

SOPHIE - Il lui arrive qu’il veut rester encore un peu chez nous, c’est tout.

PAUL - Mais non, c’est impossible.

SOPHIE - La preuve que si.

PAUL - Martin, enfin, dis quelque chose...

SOPHIE - Oui Martin, on t’écoute.

Silence. Martin est acculé. Il se lance.

MARTIN - Je sais que ma présence ici est un peu contraignante pour vous, mais Sophie a
raison. Je crois que c’est un peu tôt pour rentrer chez moi.

SOPHIE - C’est évident. Une semaine, c’est rien. C’est trop dangereux de le laisser partir. Tu
penses à sa mère, tu penses au camion ?

PAUL - Justement, je ne pense qu’à ça et je ne comprends pas. Hein Martin ?! Je ne comprends


pas !!! Ta mère, le camion... Martin ?!! Ta mère, le camion... Martin ?!!

Martin plonge sa tête dans ses mains.

MARTIN (jouant les pleurs) - Maman...

SOPHIE - Paul, doucement. Sois gentil. Martin, tu veux un verre d’eau ?

Martin acquiesce. Sophie va dans la cuisine.

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PAUL (doucement) - Qu’est-ce que tu me fais là ? À quoi tu joues ?!!! Je te rappelle que ta mère
est vivante, que tout ça est bidon. Hé oh, réveille-toi, c’était pour de faux. À quoi tu joues ?

Martin ne répond pas. Sophie revient et lui tend un verre d’eau gazeuse.

PAUL - Il préfère de l’eau plate !

SOPHIE - Elle est plate.

Paul boit le verre d’eau cul sec.

PAUL - Un autre !

Sophie retourne dans la cuisine.

PAUL - Je vais tout lui dire : ta mère, le camion, tout.

MARTIN - T’es sûr qu’elle va te quitter sur le champ.

PAUL - Au contraire, elle sera touchée par mon geste.

MARTIN - Elle comprendra surtout que tu as voulu la quitter. Remarque, c’est ce que tu
voulais.

PAUL - Oui, mais j’ai changé d’avis. Alors maintenant, tu rentres chez toi ! Je vais tout lui dire.

Sophie revient avec son verre d’eau.

SOPHIE - Tu veux me dire quoi ?

PAUL - Que...

MARTIN - Bah vas-y, dis lui.

PAUL - Effectivement peut-être que c’est mieux si Martin reste encore un peu ici.

SOPHIE - Je crois aussi.

PAUL - Un jour ou deux...

MARTIN - ou trois.

PAUL - ou trois.

SOPHIE - On va bien s’occuper de toi ici, tu vas voir. Hein Paul ?

PAUL - Oui, bien sûr.

SOPHIE - On va être très bien tous les trois, on va être très bien.

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Scène 5
Paul, Martin et Sophie

Plus tard. La porte d’entrée s’ouvre. (Même image que l’Acte2, scène1) Paul laisse entrer Martin
avec une nouvelle valise qu’il pose au milieu de la pièce. Paul referme la porte.

PAUL - Je te déteste.

MARTIN - Ça va bien se passer.

PAUL - Je te déteste.

MARTIN - Ça va bien se passer.

PAUL - La prochaine fois que tu dis ça...

Sophie sort de la chambre.

SOPHIE - Ça va bien se passer.

MARTIN - J’arrête pas de lui dire.

Sophie va dans la cuisine.

PAUL - J’ai compris ! Tu me fais une blague c’est ça ? Tu te venges ? Tu me fais payer cette
semaine. C’est ça, hein ?... Bien joué, rien à dire. À ta place, j’aurais fait pareil.

Martin va dans la chambre. Paul s’approche et chuchote devant la porte.

PAUL - Tu sais que tu m’as bien eu.

Martin sort de la chambre avec son autre valise. Sophie revient dans le salon.

SOPHIE - Qu’est-ce que tu fais ?

PAUL - Martin s’en va.

SOPHIE - Ah bon ?

MARTIN - Non, pas du tout.

PAUL - Ah bon ?

MARTIN - Si je reste encore un peu ici, il faut pas non plus exagérer. Je vous rends
votre chambre.

SOPHIE - C’est comme tu veux.

PAUL - Donc tu pars pas ? Pourquoi ?!!

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SOPHIE - Paul, on va pas revenir là-dessus tous les jours. Martin reste ici jusqu’à temps que ça
aille mieux. C’est si difficile à comprendre ?

PAUL - Oui justement, figure-toi que c’est très difficile à comprendre.

MARTIN - Au fait, je ne vous ai pas dit. Je ne travaillerai pas de la semaine.

PAUL - Plus personne ne bosse ici, ça devient n’importe quoi cette maison. Tu t’es fait
renvoyer ?

MARTIN - Non, j’ai posé mes congés décès.

SOPHIE - Tu as bien fait.

PAUL - Tes congés décès ?

MARTIN - Oui mes congés décès.

PAUL - Martin, quels congés décès ?!

SOPHIE - Paul... (à Martin) Tu vas passer la semaine ici à te reposer ?

MARTIN - Oui, en quelque sorte.

SOPHIE - C’est bien.

PAUL - Tu veux dire que tu vas être là du matin au soir toute la semaine chez nous ?

MARTIN - Oui, c’est ça.

SOPHIE - C’est très bien, ça va te faire du bien.

MARTIN - J’espère. Bon, je vais chercher le reste de mes affaires.

Martin va dans la chambre. Paul est décomposé.

SOPHIE - Tu le trouves comment ?

PAUL - Chiant, il est chiant.

SOPHIE - T’exagères, il fait des efforts.

PAUL - Des efforts ?

SOPHIE - Oui, il se rend compte que rester ici pendant une durée indéterminée n’est facile pour
personne. Il s’adapte, c’est élégant.

PAUL - Quand tu dis une durée indéterminée, ça veut dire quoi exactement ? Il compte rester
combien de temps ?

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SOPHIE (chuchotant) - Je crois qu’il en sait rien, il est perdu. Mais je vais te dire franchement, je
le vois pas nous quitter avant l’hiver.

PAUL - L’hiver ? Sophie, on est fin mai.

SOPHIE - Je sais. On est sur des bases de passer Noël ensemble.

PAUL - Noël ?!! Tous les trois ?!... Je serai parti avant lui.

SOPHIE - Ah bon, quand ça ?

PAUL - Quoi ?

SOPHIE - Tu pars quand ?

PAUL - C’est une façon de parler.

SOPHIE - (Déçue) Ah.

PAUL - Tu veux que je m’en aille ?

SOPHIE - Paul...

Un temps.

SOPHIE - Ça va pas, t’as l’air contrarié ?

PAUL - Non.

SOPHIE - Le fait que Martin reste là, chez nous. C’est trop dur à supporter ?

PAUL - Pourquoi tu me demandes ça ?

SOPHIE - Je te trouve blême d’un coup.

PAUL - Ça doit être la pizza surgelée d’hier, j’ai pris froid.

SOPHIE - Tu vois, t’es contrarié.

PAUL - C’est que je ne vois pas pourquoi il reste ici. Sophie, tu ne peux pas comprendre, mais il
n’y a plus aucune raison qu’il reste ici, aucune.

SOPHIE - Et sa mère ?

PAUL - Sa mère justement, elle est... Comment te dire... Sa mère, elle est...

Entre Martin.

MARTIN - Laisse ma mère où elle est Paul. Je crois qu’elle a assez souffert comme ça.

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Scène 6
Paul, Martin et Sophie

Le soir. Après le dîner. L’ambiance est morbide. Le silence s’éternise (même image que l’acte 2
scène 2). Cette fois-ci, c’est Paul qui boude.

SOPHIE - T’es sûr que tu ne veux rien manger ?

PAUL - Sûr.

SOPHIE - Martin, tu reprends quelque chose ?

MARTIN - Un dernier petit dessert avec plaisir.

SOPHIE - Ça fait plaisir de te voir avec de l’appétit.

Sophie va dans la cuisine.

PAUL (doucement) - C’est minable. Ta vengeance est minable.

MARTIN (souriant) - Tu veux pas un petit croûton?

Sophie revient et propose des desserts à Martin.

SOPHIE - Un petit yaourt ? Une petite compote ? Une petite glace ?

PAUL - Ah oui une glace...

MARTIN - Désolé, j’ai pris la dernière. Chocolat, ma préférée...

Paul va s’asseoir sur le canapé.


Silence.
Paul sent le portable de Martin qui vibre et le sort de sa poche. Il le tend à Martin.

PAUL - C’est le tien. C’est ton père.

Martin le prend et s’assoit à côté de Paul.

MARTIN - Oui Papa... Ah c’est toi maman, ça va et toi ? ...

Tous s’arrêtent net, figés. Grand silence et grand moment de solitude qui s’éternise.

MARTIN (une toute petite voix) - ... Je te rappelle maman...

Un temps qui dure. Un silence qui pèse.

SOPHIE (très calme) - Vous pouvez m’expliquer ce qu’il se passe ?

Aucun des deux ne peut répondre. Ils sont tétanisés.

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SOPHIE - Paul, tu peux m’expliquer ce qu’il se passe ? Martin, tu peux m’expliquer ce qu’il se
passe ?

Silence.

SOPHIE (À Martin) - Ta mère est vivante ? (À Paul) Sa mère est vivante ?

PAUL (À Sophie) - Sa mère est vivante ?!!! (À Martin) Ta mère est vivante ?!!!

SOPHIE - Paul, je t’en prie, fais pas celui qui n’est au courant de rien.

PAUL - Mais enfin Sophie, je t’assure que... Mais t’es un monstre Martin ! T’es un monstre ! Ta
mère est vivante ?!!! Comment t’as pu nous faire ça ?!!!

SOPHIE - Et l’enterrement, le cimetière, tu n’y étais pas? Paul ?

PAUL - Quelle nouvelle ! Quelle nouvelle ! Je suis sonné !

SOPHIE - Et l’identification du corps de sa maman broyée par un trente tonnes, tu n’y étais pas
non plus ? Paul ?!

PAUL - Quelle nouvelle ! Quelle bonne nouvelle ! Pour ta mère surtout !

SOPHIE - Tu te fous de moi ?

MARTIN - Non, Paul dit la vérité, il n’est pas au courant que ma mère n’est pas morte, j’ai tout
inventé.

SOPHIE (à Paul) - C’est vrai ?

PAUL (totalement perdu) - Je...

MARTIN - Tout est faux. Je sais que c’est minable ce que j’ai fait, mais je n’ai rien trouvé de
mieux pour venir m’installer ici.

SOPHIE - Pourquoi tu voulais t’installer ici?

MARTIN - Pour être avec toi et je ne regrette rien.

PAUL - Mais qu’est-ce que tu racontes toi ?

MARTIN (à Sophie) - Ça m’a permis d’être sûr de mes sentiments pour toi. C’était un risque à
prendre et je l’assume pleinement.

PAUL - Mais qu’est-ce qu’il raconte ?

MARTIN - Maintenant, compte tenu de cette affreuse supercherie, je comprendrai que tu ne


veuilles plus jamais entendre parler de moi.

PAUL - Je comprends rien.

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MARTIN - Je suis le seul et unique responsable de cette situation Sophie, responsable de mon
amour pour toi.

PAUL - Quoi ?!!!

MARTIN - Je peux partir ou rester ici, je ferai ce que tu voudras.

PAUL - Tu vas partir et puis vite ! Hein Sophie ?

SOPHIE - Tu as tué ta mère pour moi ?

PAUL - Il te dit qu’elle est pas morte. Personne n’a tué personne. C’est une supercherie, une
énorme escroquerie.

SOPHIE - Cette énorme escroquerie comme tu dis, c’est la plus belle preuve d’amour que je
n’ai jamais reçue.

PAUL - On nage complètement dans l’eau de rose, ça devient n’importe quoi ! Qu’est-ce qui
vous prend tous les deux ?

MARTIN - Paul n’y est pour rien, ne lui en veux pas, il croyait vraiment à la mort de ma mère...

PAUL - Pas du tout. Il ment sur toute la ligne, c’est moi qui ai tout inventé pour qu’il s’installe
ici. Tu te souviens, tu m’as parlé de ces couples qui hébergent un ami et qui explosent. Tu m’as
dit « Un ménage à trois, ça n’existe pas, ça ne peut pas marcher. Il y en a toujours un qui craque
et qui s’en va ». Tu t’en souviens ? Et bien, c’est exactement ce que j’ai fait, je l’ai fait forcé à
venir ici, pour que tu craques et que ça te fasse fuir.

SOPHIE - Pour que ça me fasse fuir ? Tu veux que je parte de chez moi ?

PAUL - Je voulais, mais j’ai plus du tout envie que tu partes maintenant, plus du tout. Je veux
qu’on reste tous les deux, chez nous. Je veux que Martin rentre chez lui, qu’il aille voir sa
maman pour être sûr que tout va bien. Je veux que tu me pardonnes. Voilà ce que je veux.
Qu’est-ce que tu en penses ?

SOPHIE - Je sais pas. Qu’est-ce que t’en penses toi ? Hier, tu veux que je parte, aujourd’hui tu
veux que je reste. C’est compliqué, non ? Et toi Martin, qu’est-ce que t’en penses ?

Martin est muet.

SOPHIE (à Martin) - Tu dis plus rien ? Il t’a forcé à venir ici ? C’est vrai ?

MARTIN - Oui, enfin c’est...

SOPHIE - Je croyais que tu avais tué ta mère pour moi ?

MARTIN - Je croyais que tu voulais quitter Paul pour être avec moi.

PAUL - Pardon ? Mais qu’est-ce qu’il raconte ?

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MARTIN - Que tu voulais qu’il craque à son tour à cause de moi et qu’il quitte cet
appartement ? Je ne l’ai pas inventé ça?

SOPHIE - Non, ça tu ne l’as pas inventé.

PAUL - Tu veux que je parte de chez moi ?

SOPHIE - Je voulais, mais j’ai plus du tout envie maintenant.

Paul est rassuré. Sophie les regarde tous les deux.

SOPHIE - C’est moi qui vais partir d’ici, je préfère. Finalement, j’avais raison : « Un ménage à
trois, ça ne peut pas marcher. Il y en a toujours un qui craque et qui s’en va ».

Elle enfile son manteau et quitte l’appartement, sereine.


Les deux garçons restent sans voix et s’assoient sur le canapé. Ils se regardent, sonnés, presque
« complices ».

PAUL - Elle est partie là ?

MARTIN - Ah oui, là, elle est partie.

PAUL - Partie, partie ?

MARTIN - Ah oui, partie, partie.

Un temps.

MARTIN - Tu m’en veux ?

PAUL - ...

MARTIN - Quand on y pense, tu m’as fait venir ici il y a une semaine, pour faire partir Sophie.

PAUL - Et ?

MARTIN - Et bien ça fait très exactement une semaine que je suis là et Sophie vient de partir.

PAUL - Et ?

MARTIN - Tu me dis pas merci ?

Noir

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