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ARTICLES THÉMATIQUES 

: HYPERTENSION

Recommandations sur l’hypertension artérielle


Jacques Amar
, Isabelle Mulazzi
, Laurence Perez
, Thierry Brillac

Résumé
La pratique médicale est à l’heure des recommandations. Elles sont le vade-mecum auquel s’accroche le praticien
désireux de donner à son patient des soins en accord avec les données d’une science balisée désormais par les
essais randomisés. Elles sont le médiateur incontournable pour envisager le transfert dans la pratique quotidienne
d’essais thérapeutiques difficiles à décrypter du fait de leur nombre, des fausses questions qui les fondent parfois
et des demi-vérités qu’on leur extirpe souvent.

Introduction
Les recommandations françaises de 2005 sur l’hypertension artérielle (HTA) étaient bâties pour être des
recommandations de bonne pratique.1 Les recommandations européennes de 2007 sur l’HTA se voulaient à
l’avant-garde de la connaissance.2 L’ajustement, rédigé en 2009 3 du texte de 2007, est un retour aux
fondamentaux. Nous allons envisager ces évolutions, résumées dans les «box» qui émaillent le texte des
recommandations européennes de 2009, en prenant en référence le texte de la Haute autorité de santé 2005.

Évaluation des patients : voler vers la simplicité


Priorité à la clinique
Les recommandations françaises de 2005 et européennes de 2007 s’accordaient – c’est heureux – sur l’intérêt de
l’interrogatoire et de l’examen pour diagnostiquer la maladie cardiovasculaire.

Les divergences apparaissaient dans la recherche des facteurs de risque associés et de l’atteinte infraclinique des
organes cibles. Les recommandations françaises de 2005 étaient assez sobres : elles insistaient sur les facteurs de
risque modifiables : tabac, dyslipidémie et diabète et l’atteinte infraclinique de deux organes : le cœur et le rein.
Pour envisager ces différents points, le praticien avait recours à l’interrogatoire, à l’exploration biologique de
l’anomalie lipidique, à l’électrocardiogramme et à la recherche d’une protéinurie.

Les recommandations européennes de 2007 envisageaient une vaste gamme d’examens complémentaires centrés
sur l’étude de la paroi vasculaire : mesure de la rigidité aortique par la vitesse de l’onde du pouls carotide
fémorale, mesure de l’épaisseur intima-média, dépistage des plaques, etc.

En 2009, le texte mentionne toujours l’intérêt dans l’absolu de disposer de marqueurs apportant une information
indépendante à la prédiction du risque cardiovasculaire global. Cependant, au-delà de cette remarque
consensuelle mais de faible portée pratique, aucun marqueur vasculaire précis n’est mis en exergue. Seuls sont
explicitement proposés en routine, comme dans les recommandations françaises de 2005 :

l’usage de l’électrocardiogramme pour dépister une atteinte cardiaque ;

la recherche d’une protéinurie ;


le dosage de la créatinine plasmatique pour envisager une attente rénale.

Ce revirement conduit à analyser l’utilité pratique d’une évaluation du risque cardiovasculaire global dans la prise
en charge de l’hypertension artérielle.

Au premier rang du bénéfice procuré par cette approche, il y a l’intérêt mnémotechnique et pédagogique. Le
praticien est incité à dépister les facteurs de risque modifiables et à rechercher des atteintes infracliniques telles
que l’insuffisance rénale, la fibrillation auriculaire ou l’ischémie myocardique silencieuse, dont la prise en charge
est associée à une amélioration du pronostic. Ainsi, la découverte d’une protéinurie ou d’une insuffisance rénale
conduit à l’utilisation préférentielle de bloqueur du système rénine angiotensine aldostérone (SRAA) ou à l’usage
de diurétique. De même, la mise en évidence de séquelles de nécrose myocardique va inciter à l’utilisation de
bêtabloquants, à la prescription d’inhibiteurs d’enzyme de conversion (IEC) en présence d’une dysfonction
systolique ventriculaire gauche et va conduire à situer l’intérêt d’une revascularisation. Il est bien clair que
l’acquisition d’un marqueur comme l’épaisseur intima-média ou la vitesse de l’onde du pouls n’a pas, pour le
moment, de conséquences thérapeutiques. De fait, il est sans doute plus efficient de concentrer l’attention du
praticien sur les éléments dont l’acquisition modifie directement la prise en charge.
C’est clairement l’esprit des recommandations françaises de 2005. Au-delà de l’intérêt scientifique, qu’apportait
concrètement l’évaluation plus précise du risque cardiovasculaire global proposée par les recommandations
européennes de 2007 ? Peu de choses.

Contrairement aux recommandations sur la dyslipidémie, les recommandations sur l’HTA (françaises,
européennes ou américaines) sont avant tout fondées sur une logique de «chiffre» où le risque global impacte
peu sur la stratégie thérapeutique. Quel que soit le risque global, on propose une prise en charge si la pression
artérielle reste supérieure ou égale à 140/90 mmHg. Le risque global n’intervient qu’à la marge. Ainsi, il est
proposé dans les recommandations françaises de 2005 d’installer une combinaison d’hypotenseurs dans le mois
qui suit l’initiation de la monothérapie chez les patients à haut risque et après un mois chez les sujets à risque
faible ou modéré. La nuance est si subtile qu’elle n’est peut-être audible que de la petite frange des spécialistes de
l’hypertension artérielle attentifs à la sémantique. Ce faible impact du risque global dans la stratégie thérapeutique
de l’HTA est soutenu par les résultats des essais randomisés. A niveau de risque cardiovasculaire global équivalent
– c’est-à-dire à probabilité égale de faire une maladie cardiovasculaire dans les dix ans –, la prise en charge varie
profondément selon la nature de la maladie : de fait, il n’y a pas de traitement antihypertenseur du haut risque.
Ainsi, en post-AVC les bloqueurs du SRAA, les IEC comme les ARAII (antagoniste des récepteurs de l’angiotensine
II), ont échoué à démontrer un effet protecteur. L’étude TRANSCEND (Telmisartan assessment study in ACE
intolerant subjects with cardiovascular disease),4 pourtant conduite contre placebo, n’a pas montré d’effet
bénéfique d’un ARAII chez des patients à haut risque intolérants aux IEC. A l’inverse, la classe des ARAII a montré
un effet protecteur rénal chez les patients diabétiques atteints de néphropathie avec protéinurie.

Il n’y a pas de traitement antihypertenseur du haut risque.

Ainsi, les recommandations européennes de 2009 semblent avoir pris acte de la faible efficience d’une évaluation
très précise du risque global, fondée sur une étude extensive des marqueurs de risque et de l’atteinte des organes
cibles et se tournent vers une approche plus simple en accord avec l’esprit des recommandations françaises de
2005.

Initiation du traitement : ôter le I du basic ?

Initiation du traitement
(Box 3 : adapté des recommandations européennes sur l’HTA de 2009)

Il semble raisonnable d’initier un traitement après une période adaptée de suivi de mesures hygiéno-
diététiques chez les patients ayant une hypertension de grade 1 à risque faible ou modéré. Cette période
d’observation sous mesures diététiques peut être raccourcie en présence d’une HTA plus sévère ou chez des
patients à plus haut risque.
Il n’y a pas d’argument pour traiter les patients ayant une PA normale haute (130-139/80-89 mmHg) en dehors
de la démonstration faite d’une installation retardée de l’HTA.
Il n’y a pas d’argument pour proposer l’installation d’un traitement chez les diabétiques ayant une PA normale
haute. Il semble cependant prudent d’installer un traitement antihypertenseur chez les diabétiques ayant une
PA normale haute s’il existe une atteinte infraclinique, en particulier une microalbuminurie ou une protéinurie.
Les preuves sur l’intérêt d’un traitement antihypertenseur chez les patients normotendus ayant des
antécédents de maladie cardiovasculaire sont controversées.

Il apparaît prudent de traiter précocement avant l’installation d’une atteinte des organes cibles.

Les recommandations françaises de 2005 excluaient de leur champ d’application les patients normotendus et ne
prenaient donc pas position sur l’intérêt d’un traitement chez des patients dont la pression artérielle de
consultation était < 140/90 mmHg. Les recommandations européennes de 2009, après l’excursion de 2007, les
rejoignent sur cette ligne et se focalisent sur les patients ayant une pression artérielle ≥ 140/90 mmHg. Le seul
bémol émis du bout du stylo concerne les diabétiques. L’intérêt d’un traitement chez le normotendu diabétique à
pression normale haute est envisagé en présence d’une microalbuminurie. Cette exception est argumentée par les
études montrant l’intérêt des IEC et plus récemment des ARAII pour prévenir – de façon assez limitée d’ailleurs –
l’apparition d’une albuminurie.

Au passage, dans cette box statuant sur l’initiation du traitement antihypertenseur, les niveaux de preuve apportés
par les études HOPE (Heart outcomes prevention evaluation study investigators)5 et EUROPA (European trial on
reduction of cardiac events with perindopril in stable coronary artery disease investigators)6 sont mis en cause : il
a été souligné le caractère controversé de l’intérêt des traitements antihypertenseurs chez les patients indemnes
d’hypertension et ayant des antécédents de maladie cardiovasculaire. A qui s’adresse cette phrase elliptique ?
L’exégèse du paragraphe qui traite du sujet dans le corps des recommandations est peu contributive. Cependant,
il est peu vraisemblable que cette prise de position vise les niveaux de preuve obtenus avec les IEC, les
bêtabloquants et les ARAII chez les patients insuffisants cardiaques coronariens avec fraction d’éjection basse. Elle
cible plus probablement les patients coronariens inclus dans les études HOPE et EUROPA. Rappelons que l’étude
HOPE a inclus des patients diabétiques à haut risque et/ou coronariens (la majorité en postinfarctus). L’étude
EUROPA a inclus des patients coronariens en majorité en postinfarctus. Dans ces deux études, les patients étaient
inclus indépendamment du statut tensionnel et étaient tirés au sort pour recevoir un IEC ou un placebo. Ces deux
études ont montré une amélioration du pronostic cardiovasculaire chez les patients affectés au traitement par
IEC. Cependant, aucune de ces études n’a exigé d’évaluation de la fonction systolique ventriculaire gauche. De ce
fait, compte tenu de la proportion de patients en situation de postinfarctus qui y étaient inclus, il est difficile de
déterminer dans ces résultats positifs, ce qui revient à la baisse de la pression artérielle, à l’effet potentiel de l’IEC
sur l’athérome ou à l’effet documenté de l’IEC (cf. les études TRACE (Trandolapril cardiac evaluation),7 AIRE
(Acute infarction ramipril efficacy)8 et SAVE (Survival and ventricular enlargement trial 9) sur la mortalité des
patients en postinfarctus ayant une fraction d’éjection ventriculaire gauche réduite.

A cet égard, les études QUIET (Quinapril ischemic event trial)10 et PEACE (Prevention of events with angiotensin
converting enzyme inhibition)11 répondent à la question. Ces deux études ont été conduites chez les patients
coronariens indemnes d’altération de la fonction systolique ventriculaire gauche. Les sujets ont été randomisés
entre l’IEC et le placebo. Dans ces conditions, l’IEC n’a pas montré de bénéfice. Les recommandations
européennes de 2010 paraissent, là aussi, avoir modifié leur grille de lecture des essais et le «I» du BASIC chez le
coronarien stable indemne de dysfonction systolique ventriculaire gauche semble donc remis en question.

Cible de la pression artérielle : tout le monde en rang derrière le 14/9 ?

Cible de la pression artérielle


(Box 4 : adapté des recommandations européennes sur l’HTA de 2009)

Chez tous les patients, il existe des preuves suffisantes pour recommander d’abaisser la pression artérielle en
deçà de 140/90 mmHg, à l’exception des sujets âgés où ce seuil n’a jamais été testé dans des essais
randomisés.
L’objectif de 130/80 mmHg chez les diabétiques proposé par les précédentes recommandations de 2007 n’est
pas fortement supporté par des preuves. De même, pour les patients ayant des antécédents cardiovasculaires.
Il existe des preuves de faible niveau tirées d’analyses, a posteriori d’essais randomisés, suggérant la présence
d’une courbe en J des événements cardiovasculaires lorsque la pression artérielle est ramenée à un niveau
< 120/75 mmHg. Une courbe en J est peu probable pour des pressions artérielles à ce seuil, excepté peut-être
pour des patients athéroscléreux.
La cible proposée est 130-139/80-89 mmHg en se rapprochant des valeurs les plus basses de cet intervalle.

Revirement important
Ce revirement opéré en 2010 par rapport au texte de 2007 est en effet important. En 2007, l’objectif de 130/80
mmHg était proposé pour tous les patients à haut risque cardiovasculaire. En 2009, l’objectif est ramené à 140/90
mmHg, indépendamment du niveau de risque. De plus, l’attention est attirée sur la présence d’une courbe en J.
Pour mémoire, rappelons qu’en 2005 les recommandations françaises proposaient 130/80 mmHg chez le
diabétique, 150 mmHg de PA systolique ou une réduction relative de 20 mmHg pour les patients âgés dont la
pression artérielle de départ était très élevée et 140/90 mmHg pour le reste des hypertendus.

Comment interpréter ce virage européen pris à grande vitesse (2 ans) ?


Les grands essais qui ont jalonné depuis 2007 le champ des hypotenseurs ont été les études ACCOMPLISH
(Avoiding cardiovascular events through combination therapy in patients living with systolic hypertension),12
HYVET (Hypertension in the very elderly trial),13 ADVANCE (Action in diabetes and vascular disease : Preterax and
Diamicron MR controlled evaluation),14 PROFESS (Prevention regimen for effectively avoiding second strokes),15
ONTARGET (Ongoing telmisartan alone and in combination with ramipril global endpoint),16 TRANSCEND 4 et
plus récemment ACCORD (Action to control cardiovascular risk in diabetes).17 Globalement, dans les deux études
conduites chez l’hypertendu, ACCOMPLISH12 et HYVET,13 les bras qui ont expérimenté la pression artérielle la plus
basse ont aussi été ceux qui ont eu le meilleur pronostic. Quatre études ont exploré l’impact des hypotenseurs
indépendamment du niveau de pression artérielle : les études ONTARGET16 et TRANSCEND 4 chez le patient à
haut risque, l’étude PROFESS15 en post-AVC et les études ADVANCE14 et ACCORD17 chez le diabétique. Dans ces
études, la baisse de la pression artérielle n’a pas été systématiquement associée à une amélioration du pronostic.

L’étude ADVANCE14 était une étude randomisée contre placebo conduite chez les diabétiques. Elle a
démontré une amélioration du pronostic surtout rénal dans le bras actif où la pression artérielle a été la plus
basse argumentant l’intérêt d’un contrôle tensionnel strict chez le diabétique.

L’étude ACCORD17 était une étude randomisée comparant deux cibles de pression artérielle systolique (< 140 et
< 120 mmHg) chez les diabétiques. L’étude montrait une diminution non significative du critère primaire (décès
cardiovasculaire, accident vasculaire cérébral ou infarctus du myocarde) dans le bras le plus strict. Comme cela a
été souligné par les auteurs, l’interprétation de l’étude est rendue difficile par un déficit de puissance, en effet le
taux d’événements observé était la moitié du taux d’événements prévus pour avoir une probabilité de 94% de
mettre en évidence une différence de 20% du pronostic.

L’étude ONTARGET16 était une étude randomisée conduite chez les patients à haut risque comparant trois
stratégies : IEC, ARAII ou la combinaison des deux. Elle n’a pas montré de bénéfice sur le critère primaire dans
le bras affecté à la combinaison IEC + ARAII où la baisse de la pression artérielle a été la plus importante. Au
contraire, un surcroît d’événements rénaux a été observé.
L’étude TRANSCEND 4 est une étude opposant un ARAII à un placebo chez des patients à haut risque
intolérants aux IEC. Il n’a pas été mis en évidence de différence significative de pronostic entre le bras actif et
le placebo malgré la baisse de la pression artérielle.
En post-AVC, l’étude PROFESS15 a été récemment rapportée. Il faut l’inscrire dans le contexte d’une étude plus
ancienne concernant le post-AVC : l’étude PROGRESS (Perindopril protection against recurrent stroke study).

L’étude PROGRESS18 suggérait l’importance d’une baisse ample de la pression artérielle pour prévenir le risque
de récidive d’AVC. Cette étude ne faisait que suggérer car son design rendait toute interprétation définitive
délicate. Cette étude incluait les patients en post-AVC indépendamment de la présence d’une hypertension
artérielle. Ils étaient orientés par l’investigateur, selon des critères dont il n’avait pas à rendre compte, soit vers
une monothérapie par IEC, soit vers une bithérapie associant IEC et diurétique. A partir de là, les patients
étaient tirés au sort en référence au choix de l’investigateur vers l’IEC ou le placebo ou bien vers la
combinaison IEC + diurétique et son placebo. Les patients choisis pour la bithérapie et tirés au sort pour
recevoir le traitement actif ont expérimenté une baisse ample de la pression artérielle de l’ordre de 12 mmHg
et en parallèle une réduction très significative du risque de récidive d’AVC de 47%. Les patients choisis pour la
monothérapie et tirés au sort pour recevoir le traitement actif par IEC ont eu une réduction modeste de la
pression artérielle de l’ordre de 4 mmHg et n’ont pas vu leur risque de récidive d’AVC se réduire
significativement.

Qu’est-ce qui a fait le succès de PROGRESS bithérapie ? La sélection des patients par les investigateurs, la
combinaison IEC et diurétique ou l’amplitude de la baisse de la pression artérielle ? Il est impossible de trancher.
Cependant, l’étude PROFESS nous donne une piste. En effet, en accord avec les données de PROGRESS
monothérapie, les patients en post-AVC, placés sous sartan seul, ont expérimenté une baisse de la pression
artérielle modeste de 4 mmHg et en parallèle n’ont pas vu leur risque de récidive diminuer de façon significative.
Ainsi, dans cette population en post-AVC, une baisse ample de la pression artérielle pourrait-elle s’avérer
nécessaire pour réduire le risque de récidive.

Prévention secondaire de la maladie coronaire


Chez ces patients en prévention secondaire de la maladie coronaire, les niveaux de preuve n’ont pas
fondamentalement changé depuis 2007. Les études QUIET10 et PEACE11 avaient montré, chez des patients
coronariens stables indemnes de dysfonction systolique ventriculaire gauche, qu’il n’y a pas de bénéfice à
attendre d’une diminution systématique de la pression artérielle par un IEC. Cependant, il n’y avait pas non
plus d’effet délétère à craindre. Cela a été particulièrement montré dans l’étude QUIET10 comparant quinapril
et placebo. Les patients inclus avaient une pression artérielle aux environs de 120/80 mmHg et le pronostic
des patients tirés au sort pour recevoir l’IEC n’a pas été altéré par la baisse de la pression artérielle qu’ils ont
supportée.

Les études ACTION ((Coronary disease trial investigating outcome with nifedipine GITS)19 et l’analyse en sous-
groupe des patients coronariens inclus dans l’étude HOT Hypertension optimal treatment ),20 n’ont pas
démontré de bénéfice à faire baisser la PA en deçà de 140/90 mmHg avec un protocole à base d’inhibiteur
calcique.

Il est difficile de discuter de l’étude CAMELOT (Comparison of amlodipine vs enalapril to limit occurrences of
thrombosis)21 en termes de morbi-mortalité, l’étude démontrant essentiellement les effets antiangineux de
l’amlodipine.
Choix des antihypertenseurs : tous égaux en première intention
(Box 5 : adapté des recommandations européennes sur l’HTA de 2009)

Aucune des cinq grandes classes d’antihypertenseurs ne diffère vraiment dans sa capacité à réduire la
pression artérielle.

Aucune preuve ne montre que ces cinq grandes classes diffèrent dans leur capacité à protéger contre les
événements cardiovasculaires. Toutes ces classes sont donc utilisables pour l’initiation et la poursuite du
traitement antihypertenseur.

Il est important de disposer du plus grand nombre de classes d’antihypertenseurs possibles compte tenu :
du faible taux de contrôle obtenu en monothérapie ;
du fait que la baisse de la pression artérielle par elle-même est à l’origine de l’amélioration du pronostic.

Chacune des classes d’antihypertenseurs disponibles a des contre-indications et des effets favorables
spécifiques à certaines situations. Le classement en médicament de première, seconde et troisième intention
n’a pas de justification scientifique.
On dispose d’une nouvelle classe d’antihypertenseurs : les inhibiteurs directs de la rénine. Les inhibiteurs de
l’endothéline pourraient aussi dans le futur être utiles dans la prise en charge des hypertensions réfractaires.

Les recommandations européennes de 2009 se rapprochent des recommandations françaises de 2005. En effet,
ces deux textes ne départagent pas les cinq grandes classes : bêtabloquant, IEC, inhibiteur calcique, ARAII et
diurétique. A l’image des recommandations françaises, elles refusent de mettre à l’index les bêtabloquants en tant
que traitement de première intention comme le proposaient les recommandations anglaises.

Au rang des innovations, les recommandations européennes mentionnent les inhibiteurs de la rénine dont le chef
de file est l’aliskiren. Elles suggèrent l’intérêt potentiel des inhibiteurs de l’endothéline comme traitement adjuvant
dans l’HTA réfractaire. A cet égard, une étude randomisée récemment parue22 a souligné le risque de rétention
hydrosodée associée à leur usage, ce qui devrait être un important facteur limitant.

Choix de la combinaison

Combinaisons d’antihypertenseurs
(Box 6 : adapté des recommandations européennes sur l’HTA de 2009)

Les preuves s’accumulent démontrant que la grande majorité des hypertendus sont redevables de
combinaisons d’antihypertenseurs pour parvenir au contrôle de leur pression artérielle.
La stratégie adéquate est d’associer au traitement initial, une seconde molécule à moins que la première ait
été mal tolérée ou n’ait amené aucun effet en termes de baisse de la pression artérielle.
La combinaison de deux antihypertenseurs pour l’initiation du traitement pourrait être intéressante, en
particulier chez les patients à haut risque chez lesquels un contrôle rapide de la pression artérielle pourrait
être bénéfique.
Lorsque cela est possible, l’usage de combinaisons fixes doit être préféré en raison de la simplification du
traitement qu’elle procure avec un avantage attendu en termes d’observance.

Parmi les bithérapies synergiques, celles qui ont démontré un bénéfice en termes de morbi-mortalité
cardiovasculaire sont les combinaisons IEC + diurétique, ARAII + diurétique, diurétique + inhibiteur calcique
(ICA) ou IEC + ICA. La combinaison ARAII + ICA est aussi rationnelle et efficace. Ces combinaisons sont à
recommander en priorité.
La combinaison bêtabloquant + diurétique a démontré un bénéfice sur le pronostic cardiovasculaire.
Cependant, elle favorise le développement du diabète et devrait être évitée sauf raison précise chez les
patients prédisposés. L’association IEC + ARAII n’amène pas de bénéfice spécifique et est associée à une
incidence accrue d’effets indésirables. Son intérêt chez les patients avec néphropathie et protéinurie demande
à être confirmé dans des études évaluant des critères «durs».

Dans 15 à 20% des cas la bithérapie est insuffisante. Lorsqu’une trithérapie est requise la combinaison la plus
rationnelle semble être un bloqueur du SRAA, un inhibiteur calcique et un diurétique.
Abandon d’un dogme
C’est là un paragraphe-clé car le maniement des combinaisons est au cœur de la stratégie d’utilisation du
traitement antihypertenseur.

Les recommandations européennes de 2009 sur les combinaisons font très clairement le choix de la combinaison.
Elles prônent l’abandon de la monothérapie séquentielle et du dogme de la monothérapie initiale ; elles
s’inscrivent avec netteté en faveur des associations fixes ; elles désignent des bithérapies préférentielles qui
reprennent pour l’essentiel le schéma de la HAS 2005 (figure 1). Elles mettent cependant à l’index la bithérapie
bêtabloquant et diurétique chez les patients avec syndrome métabolique. Concernant les trithérapies, elles
proposent une combinaison de référence associant bloqueur du système rénine angiotensine, inhibiteur calcique
et diurétique.

Figure 1
Bithérapie synergique selon la Haute autorité de santé (HAS) 2005
ARAII : antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II.

IEC : inhibiteur d’enzyme de conversion.

ICA : inhibiteurs calciques.

Choix de la combinaison
Comme le souligne le texte de la recommandation, la très grande majorité des patients requiert une combinaison
d’antihypertenseurs pour parvenir au contrôle. L’abandon du dogme de la monothérapie initiale se fonde avant
tout sur cette évidence. De plus, les experts européens s’appuient sur une analyse a posteriori – analyse de
circonstance – de l’étude VALUE (Valsartan antihypertensive longterm use evaluation)23 suggérant l’intérêt d’un
contrôle précoce de la pression artérielle. Cette justification est fragile. Cependant, au-delà de l’argumentaire,
cette recommandation fait une brèche dans ce dogme de la monothérapie initiale qui contribue sans doute à
laisser certains de nos hypertendus au seuil du contrôle.

La recommandation européenne s’appuie sur une évidence de bon sens qui repose cependant sur peu de
preuves. La qualité de vie de nos patients et leur observance pourraient être améliorées si le nombre de pilules à
ingérer était réduit. Les combinaisons fixes apporteraient un début de solution. Dans le contexte français, on peut
ajouter qu’elles peuvent aussi contribuer à réduire le coût direct de l’ordonnance pour l’hypertendu à haut risque.
Cet argument n’est pas anodin pour nos patients aux revenus les plus modestes.

Choix de certaines combinaisons fixes


Les experts européens désignent les combinaisons IEC + diurétique, ARAII + diurétique, ARAII + ICA,
ICA + diurétique, IEC + ICA comme les bithérapies électives et maintiennent à l’index la bithérapie
bêtabloquant + diurétique. Quels sont les niveaux de preuve soutenant ces choix ?

La stratégie IEC + ICA est argumentée par les résultats des études ACCOMPLISH12 et ASCOT (Anglo-
Scandinavian cardiac outcomes trial)24 démontrant une supériorité sur le pronostic cardiovasculaire chez des
hypertendus cumulant les facteurs de risque par rapport respectivement à la combinaison IEC + diurétique et
bêtabloquant + diurétique.
La stratégie ICA + diurétique est argumentée à la marge par l’amélioration de critères secondaires dont
l’infarctus du myocarde en comparaison de la combinaison ARAII + diurétique chez les hypertendus à haut
risque inclus dans l’étude VALUE25 (à noter que dans cette étude le critère primaire n’était pas
significativement différent entre les deux stratégies).
La stratégie ARAII + diurétique est argumentée par les résultats de l’étude LIFE (Losartan intervention for
endpoint reduction in hypertension)26 en comparaison de la bithérapie bêtabloquant + diurétique chez des
hypertendus avec hypertrophie ventriculaire gauche électrique.
La stratégie ARAII + ICA est argumentée selon la recommandation par son caractère rationnel et efficace.

L’association IEC + ARAII est récusée : l’étude ONTARGET,16 conduite chez le patient à haut risque, a montré
l’absence de bénéfice à attendre d’une telle stratégie avec, au contraire, un effet délétère rénal. La
recommandation européenne rappelle le faible niveau de preuve dont dispose le double blocage du système
rénine angiotensine chez les patients néphropathes. En effet, la fiabilité des données fondant l’étude
COOPERATE (Combination treatment of angiotensin II receptor blocker and angiotensin-converting-enzyme
inhibitor in non-diabetic renal disease), seule étude suggérant le bénéfice clinique de cette stratégie, a été
directement mise en cause et l’étude retirée de la revue.27

La mise à l’index de la combinaison bêtabloquant + diurétique se maintient.

La recommandation européenne reconnaît à la combinaison bêtabloquant et diurétique la démonstration d’une


réduction de la morbidité et de la mortalité. Cependant, elle l’accuse d’augmenter le risque de diabète. Après avoir
pesé ces deux évidences, la recommandation la met au ban chez les patients à risque de maladie métabolique.
Cette position n’est pas partagée par la recommandation française de 2005. A ce jour, il n’existe pas d’étude
d’intervention démontrant, sous bêtabloquant + diurétique, une augmentation du risque de diabète envisagé
comme critère primaire. L’assertion défendue par les recommandations européennes repose sur des études
d’observation et l’analyse de critères secondaires. Ensuite, quelle est la signification d’une augmentation de la
glycémie sous bêtabloquant en termes de risque cardiovasculaire ? L’augmentation du risque de macro-
angiopathie chez les patients diabétiques n’est pas discutable : il est doublé ou triplé par rapport à des sujets non
diabétiques. A l’inverse, il est peu discutable qu’un contrôle strict de la glycémie n’améliore pas de façon décisive
le risque d’infarctus du myocarde (cf. les études UKPDS (United Kingdom rospective diabetes study),28
ACCORD,29 ADVANCE,30 VADT (Veterans affairs diabetes trial.31 Ainsi, l’élévation de la glycémie n’est pas le facteur
causal de la maladie coronaire du diabétique et, par ailleurs, l’augmentation de la glycémie chez le diabétique est
un marqueur du risque d’événements cardiovasculaires mais pas un acteur de ce risque. On peut donc
s’interroger sur la signification pronostique d’une augmentation de la glycémie sous bêtabloquant et diurétique et
sur la pertinence de leur mise à l’index.

Hypertension artérielle du sujet âgé

Traitement antihypertenseur chez le sujet âgé


(Box 7 : adapté des recommandations européennes sur l’HTA de 2009)

Le bénéfice relatif des antihypertenseurs est le même chez les sujets âgés comme chez les sujets plus jeunes.
Il n’y a pas de preuve pour désigner une classe d’antihypertenseurs privilégiée chez les patients âgés comme
c’était déjà le cas chez les patients plus jeunes.

Il n’y a pas de preuve pour un intérêt du traitement antihypertenseur chez les patients dont la pression
artérielle est < 160 mmHg. Cependant, le sens commun suggère d’initier le traitement lorsque la pression
artérielle est ≥ 140 mm Hg avec le souci d’éviter l’iatrogénie.

Après 80 ans, nous disposons depuis 2007 de l’étude HYVET. Cependant, cette étude, dans la mesure où elle a
été conduite chez des octogénaires en très bonne condition, peut difficilement être généralisée à des patients
âgés fragiles. La décision de traiter une hypertension artérielle après 80 ans doit être prise sur une base
individuelle et le traitement soigneusement surveillé.

Mise en perspective d’HYVET


Depuis la parution des recommandations françaises de 2005, un nouveau niveau de preuve dans la prise en
charge de l’hypertendu âgé a été apporté par l’étude HYVET.13 Les recommandations européennes remettent en
perspective sa portée. Avant HYVET, la méta-analyse, conduite par François Gueyffier chez les patients de plus de
80 ans inclus dans les essais randomisés, avait suggéré un effet bénéfique du traitement sur le risque d’AVC et un
effet délétère sur la mortalité totale. L’étude HYVET a étudié l’impact du traitement hypotenseur chez
l’hypertendu après 80 ans. L’étude a été arrêtée prématurément en raison d’une réduction de mortalité dans le
bras traité (critère secondaire). Lorsque l’étude a été arrêtée, il a été observé une réduction non significative des
accidents vasculaires cérébraux (critère primaire). L’étude HYVET n’apporte donc pas de preuve décisive en plus
de la méta-analyse déjà publiée.

Concernant la mortalité, au-delà de la limite méthodologique importante que revêt une conclusion portant sur un
critère secondaire, l’applicabilité de l’étude HYVET est modeste car elle a inclus des octogénaires en très bonne
forme et il est difficile de généraliser son résultat aux hypertendus fragiles vivant en institution. De fait, à l’image
des recommandations françaises, les recommandations européennes soulignent l’intérêt du traitement
antihypertenseur chez les patients âgés mais avec le souci d’éviter l’iatrogénie et la nécessité d’adapter pour cela
les objectifs de pression artérielle.

Inhibiteur calcique et diurétique en première intention ?


La recommandation européenne ne fait pas mention des inhibiteurs calciques et des diurétiques comme
traitement de première intention de l’HTA du sujet âgé. Cela contraste avec la position adoptée par les
recommandations françaises qui reposait sur les résultats des études SHEP (Systolic hypertension in the elderly
program)32 et SYS-TEUR (Systolic hypertension in Europe) 33 (tableau 1). Ces deux études étaient conduites chez
des patients âgés porteurs d’une HTA systolique pure. Il s’agissait dans les deux cas d’études randomisées contre
placebo. Dans l’étude SHEP, le placebo était opposé à de faibles doses de diurétiques, éventuellement combinés à
un bêtabloquant. Dans l’étude SYS-TEUR, le placebo était comparé à un inhibiteur calcique de la famille des
dihydropyridines, éventuellement combiné à un IEC. Dans ces deux études, une réduction de l’ordre de 40% des
AVC et de 30% des infarctus était observée dans le bras actif. Depuis lors, l’étude HYVET a argumenté l’intérêt du
diurétique en première intention éventuellement associé à l’IEC. Ainsi, ce nouveau niveau de preuve ne semble pas
de nature à remettre en cause la recommandation HAS 2005. En pratique, les recommandations françaises de
2005, bâties pour permettre à la pratique médicale de s’appuyer sur les niveaux de preuve les plus solides de
l’époque, ont bien résisté à l’épreuve du temps. Elles restent en 2010 un outil de référence. Cependant, l’arrivée
d’une nouvelle classe d’antihypertenseurs, la floraison des associations fixes, les contraintes économiques qui
s’exercent sur la prescription, la stagnation du taux de contrôle de l’hypertension artérielle chez les patients les
plus à risque imposent des ajustements et des innovations. Espérons que cette évolution nécessaire soit conduite
dans la continuité de l’esprit des recommandations précédentes. ■
Tableau 1
Choix du traitement antihypertenseur basé sur des essais contrôlés, en cas de situations
particulières
IEC : inhibiteur d’enzyme de conversion ; IR : insuffisance rénale ; NYHA : New York heart association ; ARAII :
antagoniste des récepteurs de l’angiotensine II.

Implications pratiques
> Le retour de balancier opéré en 2009 par les experts européens vers le 140/90 mmHg est justifié
par l’arrivée d’études ne montrant pas globalement de bénéfice à faire baisser la pression artérielle
chez des patients à haut risque indépendamment de leur statut d’hypertendus. Les
recommandations européennes se réalignent de fait sur les recommandations françaises de 2005
qui ne s’étaient pas aventurées sur ces sentiers non balisés.

> Concernant les patients diabétiques, l’étude ADVANCE14 publiée en 2008 plaide plutôt pour
l’intérêt d’un contrôle tensionnel strict. Ce résultat s’inscrit dans la continuité des résultats des
études HOT,20 UKPDS 34 et l’étude d’intervention multifactorielle danoise.35 Les résultats de l’étude
ACCORD17 sont d’interprétation difficile du fait d’un manque de puissance. Considérés dans leur
ensemble, ces résultats ne semblent pas de nature à modifier la recommandation française de
2005 proposant comme cible thérapeutique une pression artérielle < 130/80 mmHg.

Auteurs
Jacques Amar
Pôle cardiovasculaire et métabolique

Hôpital Rangueil

CHU, 31000 Toulouse

France

Isabelle Mulazzi
Département universitaire de médecine générale

Faculté de médecine

31000 Toulouse

France

Laurence Perez
Pôle cardiovasculaire et métabolique

Hôpital Rangueil

CHU, 31000 Toulouse

France

Thierry Brillac
Département universitaire de médecine générale

Faculté de médecine

31000 Toulouse

France

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