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PAUL ET L'EXPÉRIENCE DU CHRIST

Jean-Pierre Lémonon

S.E.R. | « Études »

2004/5 Tome 400 | pages 637 à 649


ISSN 0014-1941
DOI 10.3917/etu.005.0637
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Religions et Spiritualités

Paul
et l’expérience du Christ

J EAN -P IERRE L ÉMONON

Avec le Christ, je suis un crucifié (Ga 2,19)

P
1. Aujourd’hui, on dis- AUL est une figure fascinante de l’Eglise apostolique ;
tingue volontiers entre les
Lettres authentiques de son parcours exceptionnel surprend : le persécuteur de
Paul (Romains, les deux la communauté chrétienne est devenu persécuté pour
Lettres aux Corinthiens,
Galates, Philippiens, Philé- annoncer la foi au « Fils de Dieu qui [l’] a aimé et s’est livré
mon, 1 Thessaloniciens) et
les Lettres qui proviennent pour [lui] » (Ga 2, 20b). Aucun membre de la première com-
de ses disciples (Colossiens, munauté chrétienne n’est aussi bien connu que Paul. Sept
Ephésiens) ou de chrétiens
de la troisième génération lettres émanant de lui nous sont parvenues. En outre, des dis-
qui se sont placés sous son
ciples plus ou moins directs de l’apôtre se sont placés sous son
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patronage (1 et 2 Timo-
thée ; Tite ; 2 Thessaloni- patronage 1 ; ils manifestent ainsi l’autorité reconnue à Paul au
ciens). Certains exégètes
attribuent Colossiens à sein de certaines communautés chrétiennes. Dans la deuxième
Paul. Sur cette question de
l’authenticité, voir Ray- partie des Actes des Apôtres, l’auteur de ce livre célèbre avec
mond E. Brown, Que sait- enthousiasme Paul comme celui qui, de manière définitive, a
on du Nouveau Testament ?,
Bayard, 2000, p. 39-55 ; ouvert « aux nations 2 la porte de la foi » (Ac 14, 27) 3. Enfin, la
451-464.
communauté chrétienne a accordé à « l’apôtre des nations »
2. Le terme ethnos est sou-
vent traduit par « païen » ; (Rm 11, 13) une place originale dans sa règle de foi, le canon
or, ce terme n’apparaît biblique, puisque ses lettres constituent une grande partie du
dans son sens actuel qu’au
IV e siècle. Il est préférable Nouveau Testament.
de parler de « nation » plu-
tôt que de païen, mot qui Il ne faut pas s’étonner que l’interprétation de la théo-
résonne de manière néga- logie de Paul fût au cœur de nombre de débats au cours de
tive.
3. Les Actes des Apôtres sont
l’histoire de l’Eglise. En effet, la pensée de Paul n’est pas tou-
écrits vers les années 85 par jours facile à comprendre, car l’apôtre s’exprime souvent à tra-

Université Catholique de Lyon.

Études - 14, rue d’Assas - 75006 Paris - Mai 2004 - N° 4005 637
vers des formules denses et quelque peu obscures au premier l’auteur du 3ème évangile,
dénommé ordinairement
abord. Déjà l’auteur de la 2 e Lettre de Pierre notait, non sans Luc. Tout en se faisant par-
humour : « Dans les lettres de Paul, il se trouve des passages fois l’écho fort juste de la
pensée de Paul, dans les
difficiles dont les gens ignares et sans formation tordent le discours qu’il attribue à
Paul, cet auteur développe
sens » (2P 3,16). Dans ces réflexions consacrées à l’expérience d’abord sa propre pensée.
que Paul eut du Christ et à l’essence de la vie chrétienne Aussi, pour parler de la
théologie de Paul, il est
selon l’apôtre, nous essaierons notamment de comprendre plus prudent de s’en tenir
aux seules Lettres de Paul.
quelques-unes de ces formules qui parfois font difficulté au
lecteur des Lettres de Paul.
Dans un premier temps, nous nous remettrons en
mémoire l’itinéraire de Paul ; en effet, son histoire l’a influencé
dans sa compréhension du mystère du Christ. La prédication
de la croix, dont l’apôtre a perçu le vrai sens à Damas, sera
au cœur de notre deuxième partie. Nous serons alors à même
de percevoir comment Paul exprime les fruits de la mort
du Christ pour les hommes. Nous nous arrêterons, enfin,
sur quelques textes où Paul célèbre la vie du croyant qui,
sous l’impulsion de l’Esprit, se laisse imprégner pleinement
par le Christ : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ
qui vit en moi » (Ga 2, 20a) — formule oratoire ou cœur
de l’existence chrétienne ?

Une expérience
Un changement radical s’est produit dans la vie de Paul, tous
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les chrétiens 4 ont pu en entendre parler (Ga 1, 13). Paul 4. Paul n’emploie pas ce
terme ; selon les Actes des
s’acharnait contre les disciples du Christ Jésus, estimant qu’il Apôtres, c’est à Antioche
devait combattre l’Eglise de Dieu ; or, sur la route de Damas, sur l’Oronte que, pour la
première fois, les disciples
la rencontre du Ressuscité bouleversa sa vie à un point tel de Jésus reçurent ce nom
(Ac 11, 26b), vraisembla-
que Paul contribua ensuite, plus que quiconque, à enraciner blement vers l’an 40.
la foi chrétienne dans une grande partie du monde romain.
5. Paul fonda des commu-
Grâce à son activité et à celle de ses collaborateurs, des nautés à Antioche de Pisi-
die, Lystre, Derbé... (voir
communautés chrétiennes naquirent en Asie Mineure 5, en Ac 13, 13-14, 20). Bien qu’il
Macédoine et en Achaïe. séjournât plusieurs années
à Ephèse, Paul n’est pas
Tout en transformant radicalement son rapport au l’initiateur du christianis-
me dans cette ville, mais il
Christ et aux disciples de celui-ci, à aucun moment Paul ne y permit l’approfondisse-
pensa qu’il rompait avec la tradition d’Israël. Au contraire, il ment de la foi au Christ
(Ac 18, 18-20, 1 ; 20, 17-
plaça sa venue à la foi chrétienne et à la mission qui en décou- 38). La fondation des com-
munautés de Colosses, de
lait sous le patronage du Deutéro-Isaïe et de Jérémie, pro- Laodicée et de Hiérapolis
phètes particulièrement ouverts aux nations. Dans l’Epître aux est l’œuvre d’Epaphras, un
fidèle compagnon de Paul
Galates, Paul donne la raison profonde de sa transformation : (Col 1, 7 ; 2, 1 ; 4, 13).

638
Dieu lui a manifesté sa bienveillance et a « révélé [en lui] son
Fils, afin qu’il [l’] annonce parmi les nations » (Ga 1, 15-16).
Son changement n’est compréhensible qu’à la lumière de
l’action gracieuse que le Dieu d’Israël exerça à son égard.
L’homme qui faisait « des progrès dans le judaïsme » et débor-
dait de zèle « pour les traditions de ses pères » (Ga 1, 14) com-
prend son erreur. Dieu lui révéla son Fils, c’est-à-dire lui
dévoila le vrai sens du crucifié. Car, en vertu même de la tra-
dition d’Israël, qui affirmait la malédiction de celui qui est
pendu au bois (Dt 21, 23, cité en Ga 3,13), la croix apparaissait
à Paul comme le signe même de la réprobation de Jésus par
Dieu. Or, contrairement aux convictions de Paul, tandis qu’il
était encore attaché aux traditions de ses pères, le Christ pendu
6. Nous avons développé le au bois n’est pas maudit ; au contraire, il est source de béné-
sens que Paul donne à
l’expérience de Damas diction pour toutes les nations 6. Par le crucifié s’accomplit la
dans « Paul et l’expérience
spirituelle comme lieu de promesse faite à Abraham : « L’Ecriture, prévoyant que Dieu
l’élaboration de la théolo- justifierait les païens par la foi, a annoncé d’avance à Abraham
gie », dans L’Expérience spi-
rituelle, lieu philosophique cette bonne nouvelle : toutes les nations seront bénies en toi »
et théologique, Travaux et
conférences du Centre (Ga 3, 8 citant Gn 12, 3). Ceux qui entrent dans la démarche
Sèvres 24 (35 bis, rue de même d’Abraham, caractérisée par la foi, « sont bénis avec
Sèvres - 75006 Paris), 1992,
p. 77-96. Abraham, le croyant » (Ga 3, 9).

L’universalité du message de la foi


7. Sur le sens de ce terme- Jusqu’alors, Paul avait cru que la justification 7 relevait des
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clef de la pensée paulinien-
ne, voir p. 77. œuvres de la Loi 8, telles qu’il les comprenait à la lumière des
8. Sur le sens de cette traditions des Pères. Désormais, Paul s’en remet totalement
expression, voir note 18. à l’initiative de Dieu, qui manifeste son amour par le crucifié
et invite à l’accueil de celui-ci par la foi. Une expression
résume avec bonheur ce don radical de Dieu : « la foi de Jésus
9. Sur la justification de Christ ». En effet, « l’homme n’est pas justifié par les œuvres
cette traduction littérale,
voir J.-P. Lémonon, Les de la Loi, mais seulement par la foi de Jésus Christ » (Ga 2, 16).
Epîtres de Paul, II. De manière heureuse, les auteurs de la Traduction Œcumé-
Romains-Galates, Bayard-
Novalis, Paris-Outremont, nique de la Bible ont restitué à l’expression grecque pistis Ièsou
1996, p. 192. Fort souvent,
les traducteurs rendent Christou sa traduction littérale : « la foi de Jésus Christ 9 », tout
pistis Ièsou Christou par en rappelant le sens profond de l’expression 10. Certes, la foi a
« la foi en Jésus Christ »,
appauvrissant ainsi le sens Jésus Christ pour objet. Mais, surtout, le Christ est sujet de
de l’expression grecque.
la foi, au sens où la foi de Jésus Christ exprime la fidélité,
10. Traduction Œcumé-
nique de la Bible, Le Cerf- l’obéissance de celui-ci à son Père. La foi que le Christ com-
Société biblique française, munique au croyant est d’abord cette attitude profonde de
Paris-Pierrefitte, 1988,
p. 2806, note b. remise de soi à Dieu le Père.

639
Sur le chemin de Damas, Paul a expérimenté la bien-
veillance de Dieu qui, gracieusement, lui a révélé son Fils et
le sens de la croix. Dès lors, sa compréhension de la réalité
humaine est changée ; en Ph 3, il exprime de manière remar-
quable sa nouvelle attitude d’esprit : « A cause de lui [le Christ]
j’ai tout perdu et je considère tout cela comme ordures afin
de gagner Christ, et d’être trouvé en lui, non plus avec une
justice à moi, qui vient de la Loi, mais avec celle qui vient
par la foi du Christ » (Ph 3, 8-9). Paul ne renie en rien
son appartenance à Israël, mais, illuminé par l’expérience
de Damas, il considère que rien ne compte en comparaison
de Christ. De manière pathétique, Paul exprime sa souf-
france lorsqu’il constate que ses frères n’ont pas accueilli
comme lui la parole libératrice du Christ : « Oui, je souhaite-
rais être anathème, être moi-même séparé du Christ pour
mes frères, ceux de ma race selon la chair » (Rm 9, 3). Le
refus d’une partie d’Israël, incompréhensible à vue humaine
et source de douleur, Paul l’interprète à la lumière de la misé-
ricorde et de la fidélité de Dieu manifestées à travers toute
l’histoire d’Israël : « Si, en effet, leur mise à l’écart [de ses
frères selon la chair] a été la réconciliation du monde, que
sera leur réintégration, sinon le passage de la mort à la
vie ? » (Rm 11, 15).
L’apôtre rattache avec soin à l’expérience de Damas sa
perception de l’universalité du message de la foi. Il est très pos-
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sible que l’apôtre n’ait pas perçu immédiatement toutes les
conséquences de la mort du Christ. Cependant, lorsque
vers 54, vingt ans environ après l’événement de Damas, il écrit
aux Galates, Paul affirme que sa reconnaissance du crucifié et
son appel à la mission sont concomitants (Ga 1, 15-16a) ; tout
en remettant à leur juste place les œuvres de la Loi, il est invité
à proclamer l’Evangile aux nations.
Avant d’écrire les lettres qui ont laissé une trace dans
l’histoire, Paul a été un serviteur de la Parole, allant de ville
en ville pour y proclamer l’Evangile de Dieu, au prix parfois
de grandes souffrances (2Co 11, 23b-33). En un second temps,
les lettres confirment la première proclamation et aident
les disciples à la mettre en œuvre dans leur vie quotidienne ;
dans les Lettres qu’il adresse aux communautés, Paul affermit
les croyants dans la foi en tenant compte des difficultés
concrètes qu’ils rencontrent. Par sa prédication première,

640
tout comme par ses lettres renforçant et explicitant celle-ci,
Paul s’efforce de faire partager sa conviction du salut offert
à tous à travers la mort et la résurrection de Jésus Christ.

La double filiation du Christ


Paul n’a point laissé de résumé explicite de sa première prédi-
cation ; cependant, grâce à quelques passages des lettres, nous
connaissons les points fondamentaux de celle-ci. Au cœur
11. Ce terme est une trans- du kérygme 11 de l’apôtre sont la mort et la résurrection du
cription du grec kèrugma ;
il désigne la prédication de Christ, ainsi que les conséquences de celles-ci pour les
l’Evangile par les apôtres et hommes : « Nous ne voulons pas, frères, vous laisser dans
l’Eglise primitive.
l’ignorance au sujet de ceux qui dorment, afin que vous ne
soyez pas dans la tristesse comme les autres, qui n’ont pas
d’espérance » (1Th 4, 13).
A l’aide d’une confession de foi reçue probablement à
Antioche, Paul exprime aux Corinthiens le rôle fondateur du
mystère pascal : « Je vous ai transmis en premier lieu ce que
j’avais moi-même reçu : Christ est mort pour nos péchés, selon
les Ecritures. Il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour,
selon les Ecritures. Il est apparu à Céphas, puis aux Douze »
(1Co 15, 3-5). Ensuite, Paul ajoute les noms d’autres témoins
des apparitions, montrant qu’il considère la manifestation du
Christ sur le chemin de Damas comme une apparition pascale
(1Co 15, 8). La primauté mentionnée par Paul (« en premier
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lieu ») n’est pas d’ordre chronologique, elle est constitutive, car
elle exprime la source de la foi chrétienne. La conformité aux
12. Pour Paul, comme Ecritures 12 est essentielle, car elle permet de reconnaître la
d’ailleurs pour toute la
première communauté continuité de l’histoire du salut et la fidélité de Dieu à
chrétienne, les Ecritures l’Alliance au cœur même de la nouveauté chrétienne.
évoquent la tradition fon-
datrice d’Israël, en particu- Vers 50-51, dans la 1ère Lettre qu’il écrit aux Thessa-
lier la Torah et les pro-
phètes. Les Ecrits (Livres loniciens venus des nations à la foi en Christ, Paul rappelle le
de sagesse et Livres poé- contenu de sa prédication et l’accueil qu’ils firent à celle-ci :
tiques) commencent à
recevoir aussi aux alen- « Vous vous êtes tournés vers Dieu en vous détournant des
tours du 1er siècle un statut
spécifique ; les premiers idoles, pour servir le Dieu vivant et véritable et pour attendre
chrétiens recourent volon- des cieux son Fils qu’il a ressuscité des morts, Jésus, qui nous
tiers aux Psaumes.
arrache à la colère qui vient » (1Th 1, 9-10). Selon son habi-
tude, Paul situe la prédication chrétienne à partir de l’histoire
du Dieu d’Israël. A la manière des prophètes d’Israël, l’apôtre
presse les païens de s’attacher au Dieu vivant et véritable. Ce
Dieu n’a pas laissé son Fils, le crucifié, au pouvoir de la mort.

641
Désormais, la fidélité au Christ est placée sous le signe d’une
tension, d’une attente, car tout a déjà été donné, et pourtant
tout est encore à accomplir 13. 13. Cette tension s’exprime
à travers le vocabulaire de
Paul n’a pas fondé la communauté des chrétiens de Paul (justification, sanctifi-
Rome ; il a pourtant le devoir de s’adresser aux « saints par cation, salut). Sur celui-ci,
voir p. 76-78.
appel » qui sont à Rome, car il a reçu « la grâce d’être apôtre
pour conduire à l’obéissance de la foi... les nations » dont
font partie les Romains (Rm 1, 5-6). Pour être entendu des
Romains, Paul ouvre la Lettre en mettant en avant une confes-
sion de foi qu’il a lui-même reçue de ceux qui l’ont précédé :
« Cet Evangile, qu’il [Dieu] avait déjà promis par ses prophètes
dans les Ecritures saintes, concerne son Fils, issu selon la
chair de la lignée de David, établi selon l’Esprit Saint, Fils de
Dieu avec puissance par sa Résurrection d’entre les morts,
Jésus Christ notre Seigneur » (Rm 1, 2-4). Afin de souligner
l’unité du dessein de Dieu, Paul choisit une confession de foi
qui inscrit avec force le Christ dans la continuité de l’histoire
d’Israël. L’Evangile de Dieu concerne son Fils ; il a été promis
par les prophètes. Quelle que soit leur origine, les chrétiens
doivent se considérer comme héritiers de l’histoire d’Israël.
Cette confession met en valeur la double filiation de Jésus, fils
de David, fils de Dieu. Pour qualifier cette dernière, Paul a
recours à une expression qui peut prêter à malentendu. En
effet, l’apôtre ne signifie pas que Jésus aurait été établi fils de
Dieu lors de sa résurrection d’entre les morts, ce serait
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contraire à sa pensée ; mais, dans cet événement, Jésus, dont la
faiblesse était apparue sur la croix, a reçu du Père la puissance :
il a été fait Seigneur.

La croix, une proclamation déroutante


Entre la confession de foi de l’Epître aux Romains, formu-
lée par des chrétiens venus du judaïsme, et le résumé du
kérygme aux nations, indiqué en 1Th 1, 9-10, se manifeste une
différence d’accent, selon que la proclamation est destinée à
des Juifs ou aux nations. Pour les premiers, Paul a grand souci
de souligner la continuité qui existe entre les Ecritures et
l’Evangile ; pour les seconds, il n’ignore point ce trait essen-
tiel à la foi chrétienne, mais il n’oublie pas que les nations
doivent aussi se détourner des idoles pour accueillir le
Dieu vivant et vrai.

642
Néanmoins, que les destinataires de l’Evangile soient
Juifs ou Grecs, la véritable difficulté, lors de l’annonce de
l’Evangile, provient de la proclamation du crucifié. La croix
avait dressé Paul contre les disciples de Jésus ; or, sa proclama-
tion comme Bonne Nouvelle comporte toujours un caractère
provocant. A Corinthe et ailleurs, des membres de la commu-
nauté chrétienne jettent quelque voile sur la croix, craignant
14. Les confessions de foi de rebuter ceux auxquels ils s’adressent 14. Malgré les obstacles
les plus courantes de
l’Eglise primitive évoquent que rencontre la proclamation de la croix du Christ, Paul
la mort du Christ sans la place au centre de sa prédication — il le rappelle avec force
mentionner la croix ; sur
cette difficulté inhérente aux Corinthiens. Pour celui qui ne reçoit pas l’Evangile,
à certains groupes chré-
tiens dès les origines, voir la croix est synonyme de folie, elle est scandale ; pour le
Michel Gourgues, Le Cru- croyant, elle exprime la sagesse de Dieu : « Nous, nous prê-
cifié, Bellarmin-Desclée,
Montréal-Tournai, 1989, chons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les
p. 11-25.
nations, mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs,
il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu » (1Co 1,
23-24). Dt 21, 23 explique bien comment la croix ne peut être
que scandale pour les Juifs. Aux yeux des nations, outre
l’horreur qui découle de la vue de l’homme agonisant, la croix
est un supplice indigne d’un homme libre ; elle est bonne
pour l’esclave en fuite ou révolté que l’on méprise et qui
cependant inspire la peur.
Le paradoxe de la croix du Christ ne prend sens que
pour celui qui a accepté de s’y conformer ; elle relève d’une
expérience, celle même du salut, la remise de soi à un autre. Il
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s’agit d’une « sagesse qui n’est pas de ce monde, ni des princes
de ce monde » ; c’est la sagesse de Dieu dévoilée par l’Esprit
avec les biens qui accompagnent sa reconnaissance (1Co 2,
9-10). Paul invite les Corinthiens « à ne pas réduire à néant la
croix du Christ » en s’attachant à la sagesse du discours, et non
à l’annonce de l’Evangile (1Co 1, 17b). L’apôtre comprend
d’autant mieux le dégoût qu’inspire la croix, que lui-même a
connu ce sentiment à son égard. Pourtant, il fait de la croix le
cœur de son Evangile, car elle est le signe de la force inouïe de
l’amour de Dieu à l’égard des hommes.
Aussi l’assurance des hommes face au jugement ne pro-
vient-elle pas des mérites qu’ils pourraient présenter, elle
repose sur l’amour de Dieu qui s’est manifesté à travers la
croix du Christ : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ?
Lui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour
nous tous, comment, avec son Fils, ne nous donnerait-il pas

643
tout ? Qui accusera les élus de Dieu ? Dieu justifie ! » (Rm 8,
31-33). L’allusion à la ligature d’Isaac par la mention du
« propre fils » (Rm 8, 32) est d’autant plus précieuse qu’au
I er siècle, si l’on en croit le témoignage du Targum 15, le com- 15. Le Targum, traduction,
est un terme qui désigne
mentaire de Gn 22 fait à la synagogue ne met pas au premier un corpus littéraire qui a
plan la figure d’Abraham, mais bien plutôt celle d’Isaac, perçu pris corps à partir des tra-
ductions en araméen, sou-
comme celui qui entre librement dans son sacrifice. Isaac a le vent paraphrasées, faites
dans le cadre de la liturgie
souci que le sacrifice qu’il fait de sa vie soit parfait ; rien ne de la synagogue. Le Tar-
lui est imposé. Pour Paul, amour et liberté sont au cœur de gum du Pentateuque est
particulièrement ancien.
la mort du Christ : « Ma vie présente dans la chair, je la vis Le récit de la ligature est
une interprétation fort ori-
dans la foi du Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour ginale du texte de Gn 22.
moi » (Ga 2, 20b). Voir Targum du Penta-
teuque. I. Genèse, tr. Roger
Venus des nations, les chrétiens de Galatie 16 ont Le Déaut, Sources chré-
tiennes 245, Le Cerf, 1978,
accueilli avec joie le message de la croix, inséparable de la p. 214-222.
résurrection ; ils ont pleinement accepté la prédication de Paul, 16. Il s’agit du pays galate,
qui fait de la foi du Christ la source de la justification. Or, peu plutôt que de la province
romaine de Galatie. La
après le passage de l’apôtre, sous la pression de judaïsants 17 se région est à situer au nord
de l’Asie mineure, à proxi-
réclamant sans doute de Jacques de Jérusalem, les Galates sont mité du Pont et de la
tentés de donner aux œuvres de la Loi 18 une valeur salutaire ; Bithynie.

ils sont prêts à faire un retour en arrière, à renoncer à la liberté 17. On désigne sous ce
nom des chrétiens, en
chrétienne, comme jadis Pierre le fit à Antioche (Ga 2, 11-14). général d’origine juive, exi-
geant des Grecs la pra-
Ce revirement provoque la colère de Paul. S’ils agissaient ainsi, tique intégrale de la Loi
les Galates rendraient vaine la croix du Christ (Ga 2, 21), mosaïque ; les judaïsants
estimaient que l’observa-
car seul le Christ justifie. tion de celle-ci était indis-
pensable au salut.
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18. Les œuvres de la Loi,
Réalité et attente du salut une manière d’accomplir
un certain nombre d’obli-
gations de la Loi, en ayant
Paul a reçu de la première communauté chrétienne l’affirma- dans l’idée que ces obliga-
tions sont source de salut ;
tion de la valeur salutaire de la mort du Christ ; il partage plei- Paul les oppose à la foi de
nement cette conviction (Rm 6, 3), comme le manifestent les Jésus Christ et à l’écoute de
la foi.
confessions de foi ou résumés de prédication que nous avons
rappelés. L’apôtre ne peut pas évoquer Jésus Christ notre
Seigneur et ses liens avec le Dieu d’Israël sans proclamer aus-
sitôt les conséquences de l’histoire du Christ pour les croyants :
« C’est pour que nous soyons vraiment libres que le Christ
nous a libérés » (Ga 5, 1).
La foi au salut né du mystère pascal est au cœur de
la prédication de l’Eglise primitive, mais une incertitude
demeure quant à la date de la réalisation plénière de la com-
munion au Christ. Quand, dans la 1 ère Lettre aux Thessa-
loniciens, Paul évoque l’attente de Jésus « qui arrache [les

644
croyants] à la colère qui vient » (1Th 1, 10), il est convaincu
qu’il fera partie du groupe de ceux qui seront encore en vie au
moment de la venue du Christ (1Th 4, 15). Au fur et à mesure
que les années passent, Paul réalise de mieux en mieux que le
temps de la persévérance sera plus long qu’il n’escomptait.
Tout en étant bien conscient que la mort et la résurrection du
Christ ont ouvert une ère décisive dans l’histoire du salut,
l’apôtre souligne la tension qui s’instaure entre ce qui est déjà
réalisé et ce qui est attendu : « Si nous avons été totalement
unis, assimilés à sa mort, nous le serons aussi à sa
Résurrection » (Rm 6, 5). Pour Paul, l’introduction dans la
mort du Christ est une affaire du passé ; le croyant est désor-
mais vivant pour Dieu en Jésus Christ. Le don de la vie est une
réalité actuelle, et pourtant une plénitude est à attendre que
seule la foi fait espérer : « Nous croyons que nous vivrons aussi
avec lui » (Rm 6, 8). Conscient de ce que Dieu a déjà accompli
en Christ pour l’humanité, Paul, plein de confiance, exprime
une telle tension avec sérénité : « Si, en effet, quand nous étions
ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la
mort de son Fils, à plus forte raison, réconciliés, serons-nous
sauvés par sa vie » (Rm 5, 10).

Justification, sanctification, salut


Paul n’est pas un théologien qui systématiserait ses idées et son
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vocabulaire ; ce dernier n’est pas toujours homogène. Cepen-
dant, nous pouvons relever un vocabulaire assez typé quand
l’apôtre exprime l’itinéraire que réalisent les croyants à partir
de leur accueil de la mort et de la résurrection du Christ. Trois
termes — justification, sanctification, salut — caractérisent les
différents temps de l’existence chrétienne.
Par son sang, le Christ a réalisé la justification, la récon-
ciliation des hommes avec le Père : « En ceci Dieu prouve son
amour pour nous. Christ est mort pour nous, alors que nous
étions encore pécheurs. Et puisque, maintenant, nous sommes
justifiés par son sang, à plus forte raison serons-nous sauvés
par lui de la colère » (Rm 5, 8-9). Bien que le vocabulaire de la
justification soit central dans la pensée de Paul, il laisse place
néanmoins à d’autres langages pour exprimer les effets libéra-
teurs de la mort du Christ. A côté de la justification, nous trou-
vons aussi la réconciliation, la délivrance (rédemption), le

645
pardon, l’expiation ; Paul fait ainsi appel à des traditions scrip-
turaires variées pour dire l’inimaginable. La justification
insiste sur la gratuité et la communication qui s’établit entre
Dieu et les hommes. Le terme comporte un caractère juri-
dique, tout comme la réconciliation qui exprime l’harmonie
retrouvée. La délivrance (Rm 3, 24) implique l’existence d’un
lien personnel entre celui qui libère et ceux qui sont délivrés,
ainsi que le caractère onéreux de l’acte ; elle évoque l’histoire
même d’Israël : sortie d’Egypte, retour en Judée après l’exil à
Babylone. La libération du péché suppose le pardon ; le
pécheur pardonné connaît alors un nouveau rapport avec
Dieu et avec ses frères. En lien avec le rite du grand Pardon
qui en apparaissait comme une figure, l’expiation en Christ
exprime le caractère sacrificiel et liturgique (Rm 3, 25).
Le Christ ouvre un temps nouveau dans les rapports entre
Dieu et les croyants ; désormais, ces derniers, devenus fils
adoptifs, sont libres et capables d’interpeller Dieu en criant :
Abba (Rm 8, 15).
Pour ceux qui ont été justifiés, libérés, il s’agit encore
d’être arrachés à la colère qui vient ; ils seront alors sauvés.
Cette colère est celle qui, lors du jugement, se manifeste
à l’égard des pécheurs. La mort du Christ a introduit une
rupture définitive dans l’histoire des rapports que l’huma-
nité entretient avec Dieu ; les fils adoptifs doivent cependant
encore attendre le salut, car ils ne sont pas libérés définiti-
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vement. Le vocabulaire du salut évoque une idée de plénitude
et d’irrévocabilité.
Le temps qui s’étend entre la justification et le salut est
celui de la sanctification : « De même que vous avez mis vos
membres comme esclaves au service de l’impureté et du
désordre qui conduisent à la révolte contre Dieu, mettez-les
maintenant comme esclaves au service de la justice qui
conduit à la sanctification » (Rm 6, 19) ; ou encore, aux mêmes
Romains : « Vous portez les fruits qui conduisent à la sanctifi-
cation, et leur aboutissement, c’est la vie éternelle » (Rm 6, 22).
Les croyants sont d’ailleurs qualifiés par Paul de « saints »
(Rm 1, 7). Cette sainteté n’est pas une qualité que l’homme
obtiendrait par son comportement, ses actes — ce qui serait
contraire à la pensée de Paul ; le croyant est saint par appel,
par vocation, il prend place dans un peuple de saints. La
sainteté qui prend corps dans ce temps qui s’étend de la

646
justification au salut n’est pas reçue une fois pour toutes ;
aussi l’apôtre adresse-t-il de multiples appels aux membres
des communautés qu’il a fondées, afin qu’ils se montrent
dignes de l’appel reçu.
En rythmant par des temps différents l’histoire des
hommes, Paul ne veut pas suggérer, bien entendu, que l’action
du Christ ne présenterait pas un effet décisif, il met en
valeur le dynamisme de la vie chrétienne et la responsabi-
lité du croyant qui peut se laisser conduire par l’Esprit ou
refuser cette inspiration.

Une vie sous la mouvance de l’Esprit


La conformité avec le Christ constitue pour Paul l’idéal de la
vie chrétienne ; il souhaite que tous les croyants puissent dire
avec lui : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en
moi » (Ga 2, 20a). Paul propose aux chrétiens de faire une
expérience analogue à la sienne : il ne s’agit pas tant de saisir le
Christ, que de se laisser saisir par celui-ci (Ph 3, 12). Il invite
volontiers les destinataires de ses Lettres à être ses imitateurs. Il
n’a pas quelque qualité particulière à mettre en avant, mais il
veut être imité comme lui-même imite le Christ (1Co 11, 1).
Cela est rendu possible à ceux qui, par le Christ, sont devenus
fils adoptifs et qui vivent sous l’impulsion de l’Esprit.
Le croyant, libéré du péché par la mort du Christ, est
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entraîné à sa suite : « Car, en mourant, c’est au péché qu’il [le
Christ] est mort une fois pour toutes ; vivant, c’est pour Dieu
qu’il vit. De même, vous aussi : considérez que vous êtes morts
au péché et vivants pour Dieu en Jésus Christ » (Rm 6, 10-11).
Cette vie est possible depuis que « le Christ a libéré [les
hommes] de la loi du péché et de la mort » (Rm 8, 2). Afin de
pouvoir dire, comme Paul : « C’est le Christ qui vit en moi »
(Ga 2, 20a), le croyant doit se laisser guider par l’Esprit. En
effet, il ne marche pas « sous l’empire de la chair [...], mais
sous l’empire de l’Esprit » (Rm 8, 5). L’homme sous l’emprise
de la chair est livré à ses seules forces ; bien plus, il se laisse
guider par tout ce qui, en lui, le conduit à se replier sur lui-
même et à refuser la vie en Christ. La mort du Christ a ouvert
un temps où l’homme justifié peut, « par l’Esprit », faire
mourir « ce comportement charnel » (Rm 8, 13b), et ainsi
vivre en vérité. La filiation divine se manifeste par une vie

647
conduite par l’Esprit, car les croyants ont reçu « un Esprit qui
fait d’[eux] des fils adoptifs et par lequel [ils crient] : Abba,
Père » (Rm 8, 15). L’Esprit fait vivre dès maintenant dans
l’intimité de Dieu, car l’œuvre de Dieu, c’est de faire des
croyants des fils adoptifs (Ga 4, 7).
Paul exprime avec force l’opposition radicale entre la
chair et l’Esprit à l’aide du parallèle antithétique qu’il trace en
19
19. Dans l’anthropologie
paulinienne, la chair est
Ga 5, 19-23. Les œuvres de la chair conduisent à la séparation non seulement la caracté-
de l’homme d’avec Dieu, d’avec les autres, et à la division en ristique de la faiblesse
humaine, mais elle désigne
lui-même ; l’agapè (la charité), fruit unique de l’Esprit, ouvre, aussi l’homme comme
capable de se laisser saisir
au contraire, à la communion et à l’unité. Le croyant, fils par le péché, et donc
adoptif de Dieu, rejoint alors, en fait, dans sa vie quotidienne l’esclavage.

ce qu’il est en droit depuis qu’il a été plongé dans la mort du


Christ : « Puisque nous vivons par l’Esprit, marchons aussi
sous l’impulsion de l’Esprit », écrit Paul aux Galates (Ga 5,
24b). Cette exhortation laisse percevoir l’inquiétude de Paul,
car les Galates sont prêts à renoncer à la vie sous l’impulsion
de l’Esprit, donnée par la foi du Christ, et à se laisser guider
par les œuvres de la Loi.

L’appartenance au corps du Christ


Quand, à un moment dramatique de leur histoire, Paul apos-
trophe avec véhémence les Galates, il se garde bien de les inter-
peller individuellement. Comme l’indique le début de la
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Lettre, il adresse son appel à des communautés de croyants :
« Paul, apôtre [...] et tous les frères qui sont avec moi aux
Eglises de Galatie » (Ga 1, 1-2). Cette adresse dévoile l’expres-
sion d’une conviction fondamentale de Paul : la vie en Christ
suppose, certes, un engagement personnel, mais elle ne peut
se vivre qu’en communauté. Pour exprimer cette réalité et sa
source, Paul parle du « corps du Christ », et chaque croyant est
membre pour sa part de ce corps (1Co 12, 27). En effet, le
Christ ramène à l’unité les membres divers de ce corps, « car
nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit en un seul
corps, Juifs ou Grecs, esclaves ou hommes libres, et nous avons
tous été abreuvés d’un seul Esprit » (1Co 12, 12-13). Le corps
unique dans lequel ont été plongés les Corinthiens est le corps
du Christ mort et ressuscité 20 ; ces quelques versets de la 20. Voir notre ouvrage,
L’Esprit Saint, éd. de l’Ate-
1 ère Lettre de Paul aux Corinthiens résument parfaitement ce lier, 1998, p. 96-97.
que Paul développe dans la Lettre aux Romains (Rm 6, 1-11).

648
La communauté chrétienne, fondée dans l’œuvre du
dernier Adam (1Co 15, 45 ; Rm 5, 12-21), est ouverte à tous les
hommes ; elle rassemble en son sein des personnes de condi-
tions diverses. En elle, déjà, l’humanité apparaît comme récon-
ciliée ; faut-il encore que cette communion soit vécue en
vérité ! Dans la Lettre aux Galates, Paul exprime avec force
cette utopie communautaire : « Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ;
il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme
et la femme ; car tous vous n’êtes qu’un en Jésus Christ »
(Ga 3, 28). La communauté est le lieu par excellence où l’on
peut voir se dessiner la figure de l’humanité réconciliée par la
mort et la résurrection du Christ.
En proposant la parole de la Croix, Paul invite les
croyants à faire une expérience analogue à la sienne. L’écoute
de la foi fait surgir une communauté guidée par l’Esprit. La
proclamation de l’Evangile est source de réconciliation pour
une humanité divisée et pourtant en attente d’unité. « Car, ce
qui importe, ce n’est ni la circoncision, ni l’incirconcision,
mais la nouvelle création » (Ga 6, 15). Quelle que soit son ori-
gine culturelle, l’homme est fait par la foi du Christ « création
nouvelle » ; il est introduit dans un monde nouveau où l’Esprit
est son guide. Là est le principe même de la liberté chrétienne
à laquelle Paul fut tant attaché et pour laquelle il souffrit :
« Oui, libre à l’égard de tous, je me suis fait l’esclave de tous,
pour en gagner le plus grand nombre. J’ai été avec les Juifs
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comme un Juif [...] avec ceux qui sont sans loi comme si j’étais
sans loi — alors que je ne suis pas sans loi de Dieu, puisque
Christ est ma loi » (1Co 9, 19-21). Paul propose aux croyants
de « porter les fardeaux les uns des autres » afin d’accomplir
ainsi « la loi du Christ » (Ga 6, 2) crucifié par solidarité avec
une humanité pécheresse.

JEAN-PIERRE LÉMONON

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