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SAINT PAUL AU CONCILE DE TRENTE

Bernard Sesboüé

Centre Sèvres | « Recherches de Science Religieuse »

2006/3 Tome 94 | pages 395 à 412


ISSN 0034-1258
DOI 10.3917/rsr.063.0395
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SAINT PAUL AU CONCILE DE TRENTE
Bernard SESBOÜÉ s.j.

L e décret du concile de Trente sur la justification, promulgué le


15 janvier 1547 en sa sixième session à la fin de la première période
conciliaire, constitue le meilleur exemple pour étudier la manière dont le
concile se réfère à l’enseignement de Paul. Le thème lui-même était
éminemment paulinien. Les Réformateurs s’appuyaient avec prédilec-
tion sur la doctrine de l’épître aux Romains. Le concile entendait montrer
à son tour que la doctrine de la justification par la grâce moyennent la foi
est une doctrine tout simplement chrétienne, parce que paulinienne ;
elle est donc aussi pleinement catholique, à condition que l’on respecte la
réponse de la liberté humaine et que l’on n’oublie pas que la grâce de la
justification passe par les sacrements. L’on sait d’ailleurs que bien des
Pères à Trente partageaient pour une part l’expérience spirituelle de
Luther. On ne doit jamais oublier que le grand rédacteur de ce décret, à
travers ses quatre projets successifs, fut Seripando, maître général de
l’ordre des Augustins auquel Luther avait appartenu, qui deviendra plus
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tard en tant que Cardinal l’un des modérateurs du concile en sa dernière
période.
La référence tridentine à saint Paul ne fait pas de différence entre les
strates diverses du corpus attribué à l’apôtre : épîtres certainement
authentiques, le cas spécial de Colossiens et d’Éphésiens, les pastorales,
l’épître aux Hébreux. On tiendra donc compte ici de l’ensemble des
références pauliniennes per modum unius, tout en constatant que les
citations de Romains, de 1 et 2 Corinthiens et de Galates sont particulière-
ment fréquentes. Mais le concile reconnaît la même autorité à tous les
textes canoniques. Il ne fait pas non plus du « paulinisme » : il cite aussi
les autres documents du Nouveau Testament, évangiles, épîtres et corpus
johannique.
Par héritage paulinien du concile on doit entendre deux choses : d’une
part, évidemment les citations et réminiscences de certaines formules des
lettres pauliniennes, ainsi que diverses allusions ; d’autre part et à un
niveau peut-être plus profond, la mise en œuvre d’une problématique
authentiquement paulinienne. C’est ce qui doit être montré.

RSR 94/3 (2006) 395-412


396 B. SESBOÜÉ

Je propose donc un parcours rapide en deux temps du décret de Trente


sur la justification 1. En terminant, j’apporterai quelques confirmations et
compléments venus des autres décrets doctrinaux du concile.

I. L’exposé général de l’économie du salut et de la justification


de tous les hommes (ch. 1-4)
Dans sa présentation de la doctrine de la justification, le concile
introduit son propos concernant la première justification du pécheur
adulte par l’exposé de la présupposition globale de la justification dans le
cadre de l’Économie générale du salut (ch. 1-4). Ces quatre premiers
chapitres sont profondément pauliniens et méritent une grande atten-
tion. Le premier décrit l’état de l’humanité pécheresse radicalement
impuissante à parvenir au salut :

1. Le premier chapitre

Ch. I : Impuissance de la nature et de la Loi à justifier les hommes.


En premier lieu, le saint concile déclare que, pour avoir une intelligence
exacte et authentique de la doctrine de la justification, il faut que chacun
reconnaisse et confesse que, tous les hommes ayant perdu l’innocence dans
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la prévarication d’Adam, devenus impurs et (comme dit l’Apôtre) enfants de
colère par nature (Ep 2,3) comme cela a été exposé dans le décret sur le péché
originel, ils étaient à ce point esclaves du péché (Rm 6,20) et sous le pouvoir
du diable et de la mort que non seulement les païens par la force de la
nature, mais aussi les Juifs, par la lettre même de la loi de Moïse, ne

1. Par hypothèse cette étude se contente de l’analyse du texte final. Le temps m’a
manqué pour recourir systématiquement aux actes du concile et l’espace réservé à
cet article ne permettait pas de le faire, car il y faudrait sans doute une thèse. Nous
disposons en effet, grâce aux soins de Massarelli, Secrétaire du concile, et de son
équipe de tachygraphes, des conférences données par les théologiens pour prépa-
rer les débats, des échanges entre les évêques et de l’évolution du texte à travers ses
quatre rédactions successives. Les quelques sondages entrepris (par exemple dans
le premier discours d’exposition du sujet dû à Salmeron, cf. Concilium Tridentinum.
Diariorum, Actorum, Espistularum, Tractatuum nova collectio, ed. Societas Goerresiana
[Görresgesellschaft], Tome V 2, Herder, Fribourg en Brisgau, 1911, pp. 265-272)
montrent que la doctrine paulinienne et en particulier celle de Galates et de Romains
est au premier plan des préoccupations.
AU CONCILE DE TRENTE 397

pouvaient se libérer ou se relever de cet état, même si le libre arbitre n’était


aucunement éteint en eux, bien qu’affaibli et dévié dans sa force 2.

Si Paul parle de justification, c’est parce que l’humanité entière est


enfermée dans l’injustice selon l’enseignement de Romains 1-2. Le
concile reprend à son compte, avec plus de sobriété mais avec la même
rigueur, l’affirmation centrale de la grande fresque paulinienne brossée
au début de cette épître avec l’idée de la colère divine qui se révèle contre
toute impiété. Cette inspiration est d’autant plus nette qu’il exprime
l’universalité de l’humanité à travers les catégories pauliniennes du Juif et
du païen. Tous les hommes, c’est-à-dire l’humanité considérée dans son
universalité, se trouvent dans une incapacité radicale à se libérer de la
servitude du péché dans laquelle la prévarication d’Adam les a enfermés.
Cette universalité embrasse aussi bien les païens qui ne peuvent prendre
appui pour se justifier « sur la force de la nature » que les Juifs qui ne
peuvent se libérer en observant « la lettre de la Loi de Moïse » (cf. Rm
3,20). Comme le dit Paul, « il n’y a pas de différence : tous ont péché et
sont privés de la grâce de Dieu » (Rm 3,23). A son exemple, le concile fait
d’abord méthodologiquement abstraction de la personne du Christ. On
peut résumer ainsi la pointe du texte : « Hors du Christ, tous les hommes,
païens et Juifs, sont enfermés sans appel dans le péché » 3. Ceci doit être
souligné, malgré l’absence de citations formelles de Rm 1-2. Notons
cependant la mention des hommes « esclaves du péché », reprise de Rm
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6,20 et le lien suggéré par le concile entre Rm 1-2 et Rm 5, avec l’évocation
de la « prévarication d’Adam ».
Cette affirmation, qui occupe la quasi-totalité du texte, est mise pour
finir en tension avec une autre : néanmoins l’humanité pécheresse garde
une capacité radicale à être libérée, car le libre arbitre humain n’est
nullement « éteint », bien qu’il soit « affaibli et dévié en sa force ». Cette
dernière affirmation a une pointe anti-luthérienne, se réfère aux débats
du temps sur le libre- et le serf-arbitre et s’exprime avec les termes de la
tradition augustinienne. Peut-elle se fonder dans le message paulinien ?
Non formellement quant à la lettre, mais substantiellement oui quant au
fond. En effet, si l’humanité pécheresse ne peut « se libérer » par ses
propres forces, c’est bien parce qu’elle a perdu la liberté au sens évangé-

2. Cf. Les Conciles œcuméniques, t. II-2 : Les décrets de Trente à Vatican II, éd. Alberigo
Cerf, Paris, 1994, p. 1367.
3. Dans sa rédaction le concile se tient également près des documents magisté-
riels antérieurs (Indiculus de Célestin, concile d’Orange), mais ce n’est pas le lieu ici
de détailler ces sources.
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lique du terme et que sa situation pécheresse est un véritable esclavage


(cf. Rm 6,6 et 11,26 citant Is 59,20). Paul est bien le héraut de la liberté
chrétienne : « C’est pour que nous soyons vraiment libres que le Christ
nous a libérés. [...] Frères, vous avez été appelés à la liberté » (Ga 5,1 et
13). Sans doute la précision apportée sur le libre arbitre « affaibli et
dévié » mais non « éteint » n’est pas dans saint Paul, mais elle se déduit du
simple fait que si l’homme peut encore être libéré après le péché, c’est
parce qu’il a toujours en lui ce qui fait l’homme, c’est-à-dire un libre
arbitre 4. Luther de son côté n’a jamais voulu professer le déterminisme
de l’homme au mal.

2. Le deuxième chapitre

Après ce premier temps, à la fois logique et historique, le concile pose


le second temps de l’économie divine avec la venue du Christ envoyé pour
sauver l’humanité :

Ch. II : L’Économie et le mystère de la venue du Christ (De dispensatione et


mysterio adventus Christi)
D’où il arriva que le Père céleste, Père des miséricordes et Dieu de toute
consolation (2 Co 1,3), envoya aux hommes le Christ Jésus, son Fils, annoncé
et promis aussi bien avant la Loi qu’au temps de la Loi à de nombreux saints
Pères, lorsque vint cette bienheureuse plénitude des temps (cf. Ga 4,4), afin
que, d’une part, il rachète les Juifs sujets de la loi (Ga 4,5) et que, de l’autre, les
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païens, qui ne poursuivaient pas de justice, atteignent la justice (Rm 9,30) et que
tous reçoivent l’adoption filiale (cf. Ga 4,5). C’est lui que Dieu a établi victime
propitiatoire par son sang moyennant la foi (Rm 3,25) pour nos péchés, non
seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier (1 Jn 2,2).

La référence scripturaire, et majoritairement paulinienne, est ici cons-


titutive du texte, qui disparaît presque derrière la multitude des citations
et expressions dont il est tissé. Les catégories de l’Économie historique du
salut en constituent le schème unificateur. Bien d’autres allusions peu-
vent être soulignées. Le titre même du chapitre contient plusieurs termes

4. Ici le débat avec les luthériens est surtout de l’ordre du vocabulaire : en langage
catholique le libre arbitre est la donnée anthropologique qui permet à l’homme de
choisir ; le langage luthérien ne nie pas cette donnée de base. S’il parle de
serf-arbitre, c’est parce que, sans la grâce du Christ, cette capacité de choix reste
dans l’esclavage du péché. Le langage catholique exprime la chose en distinguant
libre arbitre humain et liberté chrétienne. Cela dit, on ne saurait nier la divergence
entre les deux confessions concernant la gravité des conséquences du péché
originel sur le libre arbitre humain.
AU CONCILE DE TRENTE 399

clés du vocabulaire paulinien, sinon dans l’original, du moins dans la


traduction de la Vulgate utilisée par le concile. L’expression De dispensa-
tione et mysterio a sans doute été suggérée par Éphésiens 3,9 « Hé oikonomia
tou msyteriou », que la Vulgate traduit « dispensatio sacramenti » 5. On sait
l’équivalence fréquente entre sacramentum et mysterium dans la vulgate.
L’adventus (qui traduit parousia dans la vulgate) doit ici se comprendre de
l’incarnation, comme en 2 Th 2,1.
La mention du « Père céleste » ou « Père des cieux », fréquente chez
Matthieu, est ici développée par l’expression de 2 Corinthiens 1,3 : « Père
des miséricordes et Dieu de toute consolation ». Il est permis de relier la
formulation suivante : « envoya aux hommes le Christ Jésus, son Fils » à la
mention qui vient peu après : « lorsque vint la plénitude des temps »,
comme une double référence à Galates 4,4 : « Quand est venue la pléni-
tude des temps, Dieu a envoyé son Fils ... ». On retrouve d’ailleurs la
mention de la plénitude des temps en Éphésiens 1,10.
La séquence suivante « annoncé et promis, aussi bien avant la Loi qu’au
temps de la Loi, à beaucoup de saints Pères » est un écho de Hé 1,1 :
« Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux
Pères par les Prophètes, Dieu ... ». Annonce et promesse ont pris corps à
travers diverses dispositions historiques, désignées ici par la mention
« avant la loi et du temps de la Loi », césure typiquement paulinienne. Le
concile pense certainement à la promesse faite à Abraham, figure dont on
sait le rôle joué dans le thème de la foi en Galates et en Romains.
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Devant la situation sans issue de l’humanité, la miséricorde de Dieu a
donc pris une initiative absolument gratuite, en envoyant son Fils pour
sauver à la fois les Juifs et les païens, objet de la même miséricorde. Les
expressions qui les concernent les uns et les autres sont pauliniennes :
Galates 4,5 pour les Juifs, et Romains 9,30 pour les païens. L’alternance
des vocabulaires, venue des textes cités eux-mêmes, montre combien le
concile passe facilement de l’idée de rédemption (« racheter les Juifs ») à
l’idée de justification (« faire atteindre la justice aux païens ») 6. Les deux

5. Cf. F. CAVALLERA, « Le décret du concile de Trente sur la justification », BLE


1948, p. 21.
6. Il n’est pas inutile de préciser que le langage des catholiques et celui des
protestants ne sont pas les mêmes à propos de ces deux concepts. Les premiers
appellent plus généralement rédemption ce qui concerne l’économie générale du
salut et réservent le terme de justification aux situations personnelles, alors que les
seconds parlent de justification dans les deux cas. Cette différence explique la
méprise de Barth dans son jugement sur le concile de Trente : il n’a pas tenu
compte de ces quatre premiers chapitres où le terme de justification est peu présent.
400 B. SESBOÜÉ

termes se trouvent également rassemblés dans le contexte de Romains


3,24—28, dont le verset 25 (« victime propitiatoire par son sang moyen-
nant la foi » 7) est cité en « montage » avec 1 Jn 2,2, qui porte également
le terme de propitiation. L’incise « moyennant la foi » n’appartenait pas à
la citation dans le schéma précédent. Elle a été introduite à la demande
des Pères.
Pour les Juifs comme pour les païens, le don de la justification ne se
réduit pas à la dimension libératrice du péché ; il comporte aussi le don
éminemment positif de « l’adoption filiale », expression qui fait revenir le
lecteur au contexte de Galates 4,4-5. Au-delà de la somme impression-
nante de ces citations, on peut dire que le mouvement du texte reproduit
une structure de pensée profondément paulinienne.

3. Le troisième chapitre

Ch. III. Ceux qui sont justifiés par le Christ


Mais, bien que lui soit mort pour tous (2 Co 5,15), tous cependant ne
reçoivent pas le bienfait de sa mort, mais ceux-là seulement auxquels le
mérite de la Passion est communiqué. En effet, de même qu’en toute vérité
les hommes ne naîtraient pas injustes s’ils ne naissaient de la descendance
issue corporellement d’Adam, puisque, quand ils sont conçus, ils contac-
tent une injustice personnelle par le fait qu’ils descendent corporellement
de lui, de même ils ne seraient jamais justifiés s’ils ne renaissaient pas dans
le Christ, puisque, grâce à cette renaissance, leur est accordée par le mérite
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de sa passion la grâce par laquelle ils deviennent justes. Pour ce bienfait
l’apôtre nous exhorte à toujours rendre grâce au Père qui nous a rendus dignes
d’avoir part à l’héritage des saints dans la lumière et nous a arrachés à la puissance
des ténèbres et transférés dans le Royaume de son Fils bien–aimé, en qui nous avons
la rédemption et la rémission des péchés (Col 1,12-14).

Ce chapitre opère un passage du côté objectif de la justification au côté


subjectif du justifié, c’est-à-dire au mode de communication de la justifi-
cation. Il s’inscrit toujours dans la perspective paulinienne de l’histoire
du salut. Il contient trois grandes affirmations : 1. Le Christ est mort pour
tous (2 Co 5,15) ; 2. Le mérite de cette mort et de la passion du Christ ne
sauve que ceux à qui il est communiqué ; 3. La justification est un transfert
d’héritage et de solidarité.
Le texte tridentin construit son parallèle entre Adam et le Christ sur
celui de Romains 5 et de 1 Corinthiens 15,22. On y retrouve la même

7. Trente emploie le terme propitiatorem alors que la vulgate disait propitiationem,


cf. F. Cavallera, art. cit., p. 25.
AU CONCILE DE TRENTE 401

logique du « de même que ... de même ». Dans les deux cas la proposition
principale exprime la solidarité nouvelle établie avec le Christ par la
nouvelle naissance, tandis que la solidarité pécheresse en Adam lui est
rapportée de manière subordonnée et reçoit d’elle l’authentique lumière
d’une révélation ordonnée au salut. Paul est également commenté par
Paul avec la longue citation de Col 1,12-14 sur le transfert d’héritage, le
passage des ténèbres à la lumière et l’entrée dans le Royaume.
Cette matrice paulinienne est interprétée dans le cadre de la théologie
augustinienne du péché originel, qui insiste sur la transmission physique
de celui-ci. Le point de vue de la communication relève de la théologie
scolastique, alors que la problématique paulinienne en restait à la logique
universelle du rapport entre péché et salut. En cela Trente va au-delà de
saint Paul en intégrant des préoccupations venues de la tradition. Mais
cette application aux cas personnels de l’antinomie paulinienne entre
Adam et le Christ est un développement légitime de la visée paulinienne.

4. Le quatrième chapitre

Ch. IV : Esquisse d’une description de la justification de l’impie. Son mode dans


l’état de grâce
Ces mots esquissent une description de la justification de l’impie, comme
étant un transfert de l’état dans lequel l’homme naît fils du premier Adam
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à l’état de grâce et d’adoption des fils de Dieu (cf. Rm 8,23) par le second
Adam (cf. 1 Co 15,45), Jésus-Christ, notre Sauveur. Après la promulgation
de l’Évangile, ce transfert ne peut se faire sans le bain de la régénération ou
le désir de celui-ci, selon ce qui est écrit : Nul ne peut entrer dans le Royaume de
Dieu s’il ne renaît pas de l’eau et de l’Esprit Saint (Jn 3,5).

Ce nouveau chapitre complète le précédent avec lequel il ne formait


primitivement qu’un tout. Il explicite le parallèle entre naissance en
Adam et renaissance en Christ avec la référence au baptême. La mention
du premier et du second Adam reprend les expressions de 1 Corinthiens
15,45. L’idée de transfert vient du texte de Colossiens qui vient d’être cité.
La formule de « l’adoption des fils de Dieu » renvoie cette fois à Romains
8,23. Le texte de 1 Jean 3,5 est le lieu traditionnel de l’affirmation de la
nécessité du baptême : il s’imposait donc ici. Mais l’épître aux Romains
comporte elle aussi une ample théologie du baptême au chapitre 6. Le
texte continue avec beaucoup de cohérence à inscrire son enseignement
dans la même logique et la même structure de l’histoire du salut selon
saint Paul.
402 B. SESBOÜÉ

II. La justification personnelle du pécheur (ch. 5-9)


Le concile change ici de point de vue : il passe du côté de Dieu au côté
de l’homme, pour analyser le devenir existentiel de la justification. Une
même conviction parcourt les nouveaux chapitres : la priorité absolue est
à la grâce, mais la coopération de la liberté humaine, agissant toujours
sous la grâce, est exigée. La section culmine dans le chapitre 7 analysant la
nature et la structure de la justification à partir du schème des causes.

1. Les chapitres 5 et 6 : la préparation à la justification

Au chapitre 5 le concile inaugure un traitement de l’Écriture tout


différent. Jusqu’à présent les textes scripturaires faisaient corps avec la
trame des affirmations, au point de ne pouvoir en être séparés. Le
discours s’inscrivait spontanément dans les structures du Nouveau Testa-
ment et de saint Paul en particulier. Dans ce chapitre le contenu doctrinal
est exprimé pour lui-même sans référence à l’Écriture. Celle-ci n’inter-
vient que dans un deuxième temps, à la fin de la rédaction et à titre
d’illustrations et de dicta probantia. Les deux types de paroles gardent alors
un rapport extrinsèque l’un à l’autre. C’est toute l’Écriture qui est
appelée à témoigner, dans le désordre pourrait-on dire, en fonction du
contenu formel de telle ou telle sentence. Ainsi au ch. 6 tous les actes du
sujet en devenir de justification (foi, crainte, espérance, ouverture à
l’amour) sont illustrés chacun par une formule scripturaire. Mais comme
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le concile avait beaucoup débattu autour du « commencement
d’amour », supprimant puis rajoutant successivement cette mention,
celle-ci a été oubliée dans la série des textes scripturaires qui devaient
illustrer chacun des actes du pécheur en voie de justification. Cette petite
erreur trahit exactement la méthode des dicta probantia.
La question du rapport à l’Écriture et à saint Paul doit donc être posée
non pas au niveau littéraire des citations, mais à celui de la structure
doctrinale elle-même. La problématique conciliaire prend ici une dis-
tance assez nette avec Paul. En effet, l’idée même d’une analyse de la
justification faite du côté du sujet est étrangère aux perspectives pauli-
niennes ; or c’est elle qui est désormais au premier plan de la préoccupa-
tion conciliaire à travers une analyse délibérément technique et scolasti-
que. De plus, le vocabulaire a subi des glissements sémantiques portant
sur les concepts principaux du fait d’une évolution culturelle multisécu-
laire. De ces glissements le concile n’avait pas une conscience réfléchie.
C’est pourquoi la confrontation des affirmations de Trente sur la justifi-
cation du pécheur à leur fondement scripturaire ne peut être opéré de
AU CONCILE DE TRENTE 403

manière immédiate. Elle met en cause le rapport de deux problématiques


dans leur totalité.
La question qui se pose ici est celle de savoir si l’articulation proposée
par le concile entre l’initiative de la grâce de Dieu et la réponse de la
liberté humaine respecte les affirmations fondamentales de Paul en la
matière. Le concile fait en effet appel au terme de « coopération »
particulièrement heurtant pour une oreille luthérienne. Mais sa position
est « dialectique », en ce sens que l’activité requise de l’homme dans la
justification est toujours l’activité d’une passivité authentique à l’appel de
Dieu. Le don est totalement gratuit et ne tient compte d’aucun mérite
antérieur de l’homme. Cet enseignement correspond au « Laissez-vous
réconcilier avec Dieu » (2 Co 5,20) de Paul. Mais à cette étape du proces-
sus la grâce qui « pousse et aide » le pécheur sur la route de la justice, et
qui comprend la prédication de la foi, n’est pas encore la grâce qui habite
au cœur de l’homme. Cette dialectique avait bien été mise en lumière
naguère par Louis Bouyer 8. Elle a fait l’objet d’une clarification dans la
récente Déclaration luthéro-catholique sur la doctrine de la justifica-
tion 9.
Cela dit, le chapitre 6 garde encore de précieuses traces de la première
manière conciliaire de procéder. La « foi qu’ils entendent prêcher »
renvoie à Romains 10,17 et l’affirmation que Dieu justifie l’impie « par sa
grâce, au moyen de la rédemption qui est dans le Christ Jésus » est une
citation de Romains 3,24.
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2. Le chapitre 7 : La nature et les causes de la justification

Le chapitre 7 est souvent considéré comme le sommet du décret. Il


analyse l’instant même de la justification, c’est-à-dire le moment où se
noue l’acte par lequel le pécheur est fait ami de Dieu. L’attention revient
alors sur Dieu, en tant qu’il est le seul auteur de la justification. Le
chapitre non seulement donne une définition de la justification, mais
encore il développe son ontologie qu’il exprime à travers la métaphysique
des causes selon un schème aristotélico-thomiste très élaboré. Le but de
ce schème, sous son abstraction, est de manifester que Dieu est l’auteur
de la justification de l’homme selon la totalité des points de vue envisa-
gés : il en est à la fois la cause finale (« la gloire de Dieu et du Christ », la
cause efficiente (« Dieu qui lave et sanctifie gratuitement »), la cause

8. Louis BOUYER, Du protestantisme à l’Église, Cerf, Paris, 1954, p. 54.


9. Déclaration commune de la Fédération luthérienne mondiale et de l’Église catholique-
romaine sur la Doctrine de la justification, Augsbourg, 31 oct. 1999, no 19-21.
404 B. SESBOÜÉ

méritoire (sa passion sur le bois de la croix), la cause instrumentale (le


baptême, « sacrement de la foi »), la cause formelle enfin (« la justice de
Dieu, non pas celle par laquelle il est juste lui-même, mais celle par
laquelle il nous fait justes »). Cette litanie des causes exprime dans son
langage spéculatif la priorité absolue de l’agir divin. De A jusqu’à Z Dieu
est la cause unique de la justification de l’homme. La seule cause non
mentionnée, la cause matérielle et purement passive, renvoie à l’homme
justifié.
Ce schéma non seulement respecte parfaitement, mais aussi accentue
par son explicitation même la logique paulinienne de la justification par
la grâce seule. Mais il est clair qu’il ne permettait pas une référence
immédiate à l’Écriture. Une telle systématisation est étrangère au langage
de Paul. Néanmoins, l’horizon de la réflexion reste scripturaire, comme
le montre un certain nombre de citations ou d’allusions empruntées à
Paul et inscrites dans la trame du texte, selon la première manière de
procéder du concile. L’homme justifié, d’ennemi qu’il était, devient ami,
et « héritier, en espérance de la vie éternelle » (Tt 3,7) ; un montage de
Romains et d’Éphésiens illustre la cause méritoire : « alors que nous étions
ennemis » (cf. Rm 5,10), « à cause du grand amour dont il nous a aimés »
(Ep 2,4) ; par la justification, nous sommes « renouvelés par une transfor-
mation spirituelle de notre esprit » (Ep 4,23) ; la charité de Dieu est
répandue dams les cœurs (cf. Rm 5,5) ; mais surtout, puisque la justifica-
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tion a lieu quand notre cœur est envahi par l’amour de Dieu, le concile
cite le verset, controversé à l’époque, de Galates 5,6 : « la foi qui opère par
la charité ». Le concile s’est gardé de lui faire appel dans les chapitres sur
l’accès à la justification, il l’utilise au terme du chapitre qui la rapporte
exclusivement à Dieu et présente la charité comme un don de l’Esprit. La
foi qui justifie est une foi qui comporte la charité.

3. Le chapitre 8 : l’homme est justifié par la foi et gratuitement

Ces réflexions amenaient nécessairement le concile à donner une


interprétation des versets de Romains 3,21-24 (et aussi 28), qui étaient au
cœur du débat sur la justification au XVIe siècle. L’Église comprend
l’expression paulinienne « l’homme est justifié par la foi » en ce sens que
la foi est du côté de l’homme le commencement de son salut et qu’elle en est
le fondement et la racine. Ce fondement est exclusif de toute œuvre. C’est
un fondement permanent sur lequel se construit l’organisme de la
justification. De même, l’homme est justifié « gratuitement », parce que
AU CONCILE DE TRENTE 405

« rien de ce qui précède la justification, foi ou œuvres, ne mérite 10 la


grâce de cette justification ». La foi est ici justement opposée aux œuvres,
parce qu’elle n’est pas une œuvre, mais un don de Dieu 11.
Que penser aujourd’hui de l’interprétation tridentine de ce texte
décisif ? Elle s’avance sur le terrain ambigu de la confrontation terme à
terme entre l’enseignement conciliaire et la formule paulinienne. Or la
problématique, en ce qui concerne le côté subjectif de la justification est
différente de part et d’autre, ce qui rejaillit sur le sens même donné au
terme de foi.
Si l’on prend un tant soit peu de recul, on doit reconnaître que le
vocabulaire paulinien comporte deux formes : la forme de l’épître aux
Romains, où la foi est considérée comme comprenant la confiance et
l’amour, ce qui permet à Paul de parler de la foi comme seule exigence du
côté de l’homme. Sur ce point l’exégèse conciliaire ne rend pas la pensée
de Paul en Romains. Son expression même trahit une certaine gêne. Pour
l’apôtre la foi n’est pas seulement le commencement ou le fondement de
la justification. Car pendant toute sa vie « le juste par la foi » « vivra par la
foi » (jeu de mots sous-jacent à la formule de Rm 1,17). La foi est donc le
tout de la justification.
Mais Paul emploie aussi le langage de la trilogie foi, espérance, charité, en
particulier dans le grand éloge de la charité en 1 Corinthiens 13. Il se trouve
que la tradition protestante s’est référée au langage de Romains, tandis
que la tradition catholique s’est inscrite dans celui de Corinthiens, en
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développant la thématique des trois vertus théologales, solidaires entre
elles dans la justification. C’est une différence de langages, non une
divergence dans la foi. Ces deux langages sont également légitimes, parce
qu’également pauliniens. L’erreur de Trente est sans doute d’avoir inter-
prété Romains 3,21-24 en fonction de la grille d’1 Corinthiens 13, sans
prendre le soin de le dire. Il suffisait pour cela de montrer que même dans
Romains, la foi dont parle Paul est toujours une foi vive où la charité est
engagée.

10. Le concile dit ici promeretur et non meretur. En langage technique il exclut le
mérite de condigno, mais ne se prononce pas sur le mérite au sens large de congruo.
M. VILLER avait déjà remarqué cette nuance, Cours Viller, Ad instar manuscripti, San
Miguel, Argentine, 1956, t. I, p. 284. Un commentateur protestant A. OBERMANN a
relevé également la chose, cf. E. Schillebeeckx, « Aperçu nouveau sur le décret
tridentin touchant la justification », Concilium 5, 1966, pp. 165-168.
11. Cf. le commentaire de ce texte donné par L. BOUYER, Du protestantisme à
l’Église, op. cit., p. 55.
406 B. SESBOÜÉ

Pour le concile la foi entre dans deux binômes oppositionnels qu’il ne


faut pas confondre, alors que pour Paul elle n’entre que dans un seul. Le
premier est celui de la foi et de la charité et le second celui de la foi et des
œuvres. Sur le premier binôme le langage de Trente n’est pas conforme à
celui de Romains, alors que sa doctrine est en fait paulinienne, car le
concile aurait très bien admis de dire que la justification s’accomplit
complètement par la foi vive, formée par la charité. Pour le second
binôme, Trente reprend tout à fait le langage de Paul et exclut les œuvres
de la justification tout aussi bien que lui. Chez l’un comme chez l’autre le
couple grâce-foi fonctionne de la même façon.
*
* *
La démonstration peut s’arrêter ici en ce qui concerne ce décret, bien
que les chapitres suivants concernant la vie de l’homme justifié (ch. 10-
13), le recouvrement de la justification (ch. 14-15) et la question du
mérite (ch. 16) puissent être également invoqués. On y rencontre 37
citations ou allusions à la littérature paulinienne, sur 64 références
scripturaires.
Il est enfin remarquable que le texte de l’épître de Jacques, objet des
controverses de l’époque : « Vous voyez que l’homme est justifié par les
œuvres et non par la foi seule » (2,24) est cité au ch. 10 du décret
conciliaire, traitant de la croissance de la justification et non au ch. 8,
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quand le concile commente la formule de la justification par la foi et de
manière gratuite. Le concile a évité soigneusement de le faire intervenir
comme un contrepoids dans son interprétation de la formule pauli-
nienne de Romains 3,21-24. Les œuvres ne sauraient donc « coopérer » à
la première justification, mais une fois la justification accomplie, elles
contribuent dans la grâce à la croissance d’une justice qui les exige, parce
qu’elle les rend possibles. Le commentaire de la sentence de Jacques 2,24
se prolonge au cours du ch. 11 sur l’observation des commandements. De
même, la conclusion du décret parlant du mérite, bourré de citations
pauliniennes, développe la conviction qu’en récompensant nos mérites
Dieu couronne ses propres dons.

III. Paul dans les autres décrets dogmatiques de Trente


Je me contenterai maintenant de sondages dans quelques autres dé-
crets dogmatiques de Trente, en vue de vérifier la fidélité structurelle de
Trente à l’enseignement paulinien.
AU CONCILE DE TRENTE 407

1. Le péché originel (session 5, 17 juin 1546)

Si le décret sur la justification constitua le chef-d’œuvre du concile de


Trente, celui sur le péché originel apparaît plutôt comme son parent
pauvre. Ce décret fut discuté en grande hâte et le débat fit émerger
beaucoup de contradictions entre les Pères, selon leurs tendances préfé-
rentielles, augustinienne pour les uns (insistant sur l’aspect matériel, la
concupiscence) et scolastique pour les autres (mettant le péché dans son
aspect formel de culpabilité et de rupture avec Dieu). Pour cette raison le
péché originel ne sera pas défini. Le concile ne fera pas de « doctrine »
sur le sujet, mais se contentera de cinq canons qui reprennent au plus
près les formules des conciles occidentaux anciens de Carthage et
d’Orange et en proposent une édition un peu plus développée sur le
problème clé de savoir ce qui reste du péché originé après le baptême.
N’oublions pas que tel était alors le débat avec les Réformateurs, alors que
tous convergeaient spontanément dans une théologie augustinienne du
péché originel opposée au pélagianisme. D’ailleurs, ces canons, qui ne
faisaient pour l’essentiel que reprendre une doctrine passée, apparurent
très décevants aux contemporains.
L’enseignement de Trente est dominé par la lecture que fait Romains
5,12 des données de la Genèse sur la transgression d’Adam (canon 1, cf. la
parakoè de Rm 5,18) et de ses conséquences, tant pour lui que pour
l’humanité. Mais d’autres textes scripturaires, à dominante paulinienne,
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sont aussi cités.
Les canons 2 et 4 citent formellement Romains 5,12, selon la version de
la vulgate, c’est-à-dire avec le in quo, considéré comme un relatif et non au
sens du eph’hô grec, qui veut dire du fait que : « Par un seul homme le
péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et ainsi la mort a
passé dans tous les hommes, tous ayant péché en lui » 12. Nous avons là
un cas, assez rare, où une parole conciliaire oblige à lire un texte d’Écri-
ture dans un sens déterminé. L’intention est plus manifeste dans la
citation du canon 4, avec la formule englobante : « Car on ne peut pas
comprendre autrement ce que dit l’Apôtre [... = Rm 5,12], si ce n’est
comme l’a toujours compris l’Église catholique répandue en tous lieux ».
Le concile canonise en quelque sorte un argument de tradition interpré-
tant en ce sens le verset paulinien. L’Église y lit l’affirmation de la
transmission du péché originel.

12. Il n’y a pas à reprendre ici les argumentations bien connues du P.S. LYONNET.
408 B. SESBOÜÉ

Mais le concile n’oblige pas à la lecture latine de Romains 5,12 : Seri-


pando lui-même ne la recevait pas. St. Lyonnet estime pour sa part que
l’interprétation de Rm 5,12 qui respecte le eph’hô demeure fidèle à
Trente, parce que la causalité première revient toujours à Adam 13. Le
concile n’entre pas dans le détail des argumentations augustiniennes sur
ce verset et n’oblige pas non plus à leurs interprétations.
Dans le canon 2 il se contente de justifier à partir du verset de Paul
l’existence du péché originel originé, c’est-à-dire l’universalité de l’état
de péché dans lequel se trouve l’humanité. Comme dans le verset pauli-
nien, la pointe du texte tridentin se situe au niveau de ce péché originé et
non au niveau de la prévarication d’Adam, dont la présupposition va de
soi.
Le canon 4 se préoccupe du cas des petits enfants, encore innocents de
tout péché personnel, mais déjà solidaires du péché originel. L’argument
reprend alors rapidement celui de saint Augustin : l’Église baptise tou-
jours « pour la rémission des péchés » selon l’Écriture, or sa tradition lui
a fait couramment baptiser les petits enfants qui ne sont pas encore
capables de pécher. C’est donc qu’ils participent à un péché dont ils ont
besoin d’être purifiés. C’est dans cette visée précise que Romains 5,12 est
à nouveau cité, en raison de l’universalité de son affirmation « tous ayant
péché en lui ». Cette universalité englobe les petits enfants. Cette préci-
sion était évidemment étrangère à la pensée de Paul. Mais son texte peut
être appliqué à ce cas à bon escient.
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Le canon 3 porte sur la nécessité du baptême et exprime, avec citations
scripturaires à l’appui, une théologie de la rédemption : celle-ci est due
aux mérites de l’unique médiateur, Jésus-Christ « devenu pour nous
justice, sanctification et rédemption » (1 Co, 1,30). Ce texte est le seul qui
soit intégré à l’argumentation, tandis que trois autres textes viendront
illustrer en finale l’affirmation conciliaire (Ac 4,12 ; Jn 1,29 ; Ga 3,27).
Le canon 5 affirme enfin vigoureusement que l’élément formel du
péché originel est enlevé et appuie cette affirmation sur Romains (6,4, 8,11
et 8,17), versets qui décrivent la vie du baptisé et du justifié. Mais l’élé-
ment matériel, c’est-à-dire la concupiscence, demeure « que l’apôtre
appelle quelquefois “péché” » (cf. Rm 7,14.17.20), mais que l’Église
catholique comprend non pas au sens où elle « serait vraiment et propre-
ment péché chez ceux qui sont nés de nouveau, mais parce qu’elle vient

13. Cf. St. LYONNET, Le péché originel en Rom 5,12 et le concile de Trente, Inst. Bibl.
Pont. Rome, 1961.
AU CONCILE DE TRENTE 409

du péché et qu’elle incline au péché ». Car cette concupiscence n’a plus


le caractère formel de péché dans les régénérés.
C’est ici que le concile prend la distance la plus grande par rapport à la
lettre paulinienne. Apparemment, il fait une lecture édulcorée du voca-
bulaire paulinien. Nous sommes ici dans un cas semblable à l’interpréta-
tion de la formule selon laquelle « l’impie est justifié par la foi et gratui-
tement ». Le problème est sémantique. Il est clair que le concept de
péché a évolué et a été précisé par seize siècles de tradition et que l’emploi
paulinien est beaucoup plus global. Les Réformateurs pouvaient donc
s’appuyer légitimement sur le langage de Paul dans leur conception du
péché. Les uns et les autres ne mettaient pas la même chose sous le même
mot. La polémique de l’époque n’a pas permis de clarifier ce qui apparaît
aujourd’hui en grande partie comme un simple problème de vocabu-
laire.
Deux conclusions peuvent être tirées de ce décret hâtif. D’abord la
préoccupation majeure du concile concerne le péché originel originé. Le
péché d’Adam en lui –même, qui n’était contesté par personne à l’épo-
que, appartient à la présupposition globale de l’exposé. Sans doute entre
les textes de l’Écriture et le concile la curiosité sur le cas d’Adam a-t-elle
considérablement progressé. Les Pères de Trente supposaient tous l’his-
toricité humaine pure et simple du récit de la Genèse. Leur appropriation
des textes bibliques reste celle des Pères : le langage symbolique de
l’affirmation doctrinale est inséparable pour eux de ses représentations
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historicisantes. L’affirmation biblique « bouchait » en quelque sorte le
trou de leur ignorance scientifique. Mais cette historicité ne fait nulle-
ment l’objet de leurs affirmations formelles. Étant donné leur situation
culturelle et historique, il n’y avait personne pour se demander ni pour
leur demander si l’affirmation doctrinale du péché d’Adam était solidaire
de sa représentation ou non. De ce fait, ils n’ont pas pu se prononcer sur
ce point. Le concile de Trente ne pouvait donc pas avoir l’intention
d’enseigner ni de définir le monogénisme.
Ce n’est qu’ensuite et bien plus tard que la théologie de l’Église a essayé
de s’appuyer sur ces canons pour estimer que l’affirmation doctrinale du
péché d’Adam était inséparable d’un monogénisme historique au sens
empirique du terme 14. Il aura fallu une maturation lente, trop lente, de
la théologie et du magistère pour en venir à reconnaître que l’Adam
théologique de Genèse, qui représente toute l’humanité, n’a pas à être

14. Ce fut encore la réponse d’Humani Generis en 1950.


410 B. SESBOÜÉ

cherché quelque part au cours de l’évolution des espèces et de l’homini-


sation.
La seconde conclusion est qu’il n’y a dans le décret tridentin, au niveau
des affirmations formelles, rien de plus que dans Romains 5,12. Le concile
s’exprime dans la représentation spontanée qui vient de l’Écriture. « À
notre avis, écrit A. Vanneste, pour le théologien moderne, la question de
l’historicité d’Adam reste en quelque sorte la même après l’étude du
décret du concile de Trente qu’avant. [...] L’apport du concile au pro-
blème qui préoccupe nos contemporains reste donc plutôt indirect » 15.
La même question pourrait être posée au sujet du parallèle paulinien
entre les deux Adam. Sa pertinence suppose-t-elle l’existence empirique
du premier Adam ? La réponse courante des exégètes est non. Le concile
de Trente ne pouvait pas se poser une telle question.

2. Les sacrements

Il est difficile de continuer des analyses du même type à propos des


décrets conciliaires sur les sacrements. La référence scripturaire s’y
trouve beaucoup plus réduite, de même que les citations pauliniennes.
Cela n’est pas très étonnant, si l’on pense que la problématique retenue
pour le septénaire sacramentel est très marquée par les déterminations
de la tradition ecclésiale. Cette référence n’est pas nulle pour autant : les
textes se rapportant à l’institution des sacrements sont bien entendu cités,
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mais ils ne donnent pas lieu à une argumentation comme dans les cas
précédents.
Le décret consacré aux sacrements en général, au baptême et à la
confirmation ne comporte pas de texte de doctrine mais seulement des
canons. À propos des sacrements en général on ne rencontre aucune
citation scripturaire ; sur le baptême le concile se contente de se rappor-
ter à Jean 3,5 : « Si l’on ne renaît pas de l’eau et de l’Esprit Saint, ... ».
Le concile a consacré trois décrets à l’eucharistie, le premier l’étudiant
comme sacrement, le second traitant de la communion sous les deux
espèces, et le troisième l’abordant comme sacrifice. Le premier fait
évidemment référence aux péricopes d’institution et cite plusieurs fois le
texte clé de 1 Corinthiens 11, 24-29. Mais il s’agit de la seule référence
paulinienne. Le second, voulant prouver que la communion sous les deux
espèces n’est pas nécessaire pour la participation à l’eucharistie évoque

15. A. VANNESTE, « Le décret de Trente sur le péché originel », N.R.T. 87, 1965,
pp. 716-717.
AU CONCILE DE TRENTE 411

les versets de Jean 6, où Jésus ne parle que de son corps. Paul n’est invoqué
que pour illustrer le pouvoir de l’Église sur les sacrements (1 Co 4,1 et 1
Co 11,34). Le troisième décret, consacré au sacrifice de la messe, fait une
référence spéciale à Hébreux 7, qui met en scène le Christ comme grand-
prêtre, revient à 1 Corinthiens 11, 23-29, et cite enfin 1 Corinthiens 10, 14-22
dans le but de prouver le caractère sacrificiel de l’eucharistie, puisque le
chrétien ne peut pas boire à la fois à la coupe du Seigneur et à la coupe
sacrificielle des démons. Le document utilise aussi volontiers diverses
expressions tirées de l’Écriture, mais généralement séparées de leur
contexte.
Pour la pénitence et l’extrême-onction la référence aux textes pauli-
niens est rare et se réduit le plus souvent à quelques expressions usuelles.
Le décret sur le sacrement de l’ordre, doctrinalement très relié à celui sur
le sacrifice de la messe, fait toujours référence à Hébreux et cite 2 Timothée
1,6-7 où Paul invite son disciple à se souvenir de la grâce reçue par
l’imposition des mains. Il invoque globalement l’enseignement de Paul
(ch. 4), en référence à 1 Corinthiens 12, pour affirmer que dans l’Église
tous ne sont pas prophètes, ni apôtres, ni docteurs. Pour le mariage le
concile cite Éphésiens 5,25-32.
Comme on le voit, cette moisson est faible. La distance prise par
rapport à l’enseignement de Paul est infiniment plus grande que pour la
justification. Le concile se contente en fait de fonder l’institution des
sacrements dans les textes scripturaires les plus usuels.
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*
* *
Que conclure de ce parcours contrasté ? Il faut bien distinguer les
différents cas. La doctrine des sacrements ne peut pas prétendre à un
enracinement paulinien précis. Le décret sur le péché originel nous met
en présence d’une décision dogmatique sur l’interprétation de Romains
5,12. Cette « définition », assez rare, reste très prudente et ne tire qu’une
conséquence doctrinale concernant la transmission du péché originel.
On a vu que le concile n’ajoutait rien aux affirmations de Paul sur le
péché d’Adam et laissait une large liberté à l’analyse exégétique de la
péricope.
Le cas le plus intéressant est évidemment celui de la doctrine de la
justification qui entend se référer avec rigueur et précision à l’enseigne-
ment paulinien. Trente se veut aussi paulinien sur ce terrain que les
luthériens. Cependant, son rapport à Paul n’est jamais exclusif : ce qui fait
autorité à ses yeux, c’est la totalité du témoignage du Nouveau Testament.
412 B. SESBOÜÉ

Le concile sait ainsi rapporter avec justesse la parole de Jacques. D’autre


part, son rapport à l’Écriture est porté par la tradition ecclésiale de
l’Occident et en particulier par la doctrine de saint Augustin. Mais au
XVIe siècle cet aspect des choses ne faisait pas difficulté. Il n’est pas inutile
de citer la formule déjà célèbre de Harnack sur le décret tridentin sur la
justification :

Le décret sur la justification, pour être une œuvre artificielle, n’en est pas
moins, à bien des points de vue, un excellent travail ; à tel point qu’on peut
se demander si la Réforme se serait développée, si ce décret avait été rendu
au concile du Latran, au début du siècle, et était réellement passé dans la
chair et le sang de l’Église 16.

Le récent accord doctrinal sur la justification confirme aujourd’hui


que catholiques et luthériens peuvent se rencontrer dans l’interprétation
de saint Paul. ¶
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16. A. von HARNACK, Dogmengeschichte, III, p. 711 ; cité par H. Küng, La justifica-
tion, DDB, Paris, 1965, p. 132.

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