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2008/3 - Tome 71
pages 371 à 405
ISSN 0003-9632
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« L’Incarnation change tout »
Merleau-Ponty critique de la « théologie explicative » 1
E M M A N U E L D E S A I N T AU B E RT
CNRS, ENS, Archives Husserl
5. Dans les dernières années, il se plonge même dans l’œuvre du théologien protestant
Karl Barth, comme l’indiquent les feuillets EM1 [144]v, [4]v(3), et [7](B). Nos références aux
manuscrits déposés à la Bibliothèque Nationale précisent entre crochets la numérotation du
classement établi par la B.N., éventuellement suivie, entre parenthèses, de la pagination manus-
crite de Merleau-Ponty, le tout étant précédé, s’il y a lieu, par la pagination de la version édi-
tée. La lettre « v » à la suite du numéro de classement d’un feuillet indique qu’il est fait réfé-
rence au verso de ce dernier.
6. « Volumes suivants sur amour, sur religion, sur politique » (PM-ms [222]). « J’ai au
contraire toujours pensé que la Prose du Monde aurait une seconde partie sur le catholicisme »
(lettre à Sartre du 8 juillet 1953, Le Magazine Littéraire, n° 320, avril 1994, p. 74 ; repris dans
Parcours deux 1951-1961, Lagrasse, Verdier, 2000, p. 145).
« L’Incarnation change tout » 373
INCARNATION ET MYSTÈRE
l’homme et de Dieu. Comme s’il était essentiel au mystère, non pas de repré-
senter mais d’exprimer et de relier, d’exprimer les contradictions de
l’homme, dans un corps à corps avec « la présence et l’action de Dieu », où
le sens est inséparable de son inscription corporelle.
Il nous faut « entrer corps et âme dans une vie énigmatique », dans « quel-
ques mystères, où l’homme contemple l’image agrandie de sa propre condi-
tion ». Cette proposition audacieuse introduit une logique projective bien
différente de celle qui soutient ordinairement le dieu des philosophes: Dieu
n’est plus ici une image agrandie de notre positivité fantasmée (un dieu
habillé du pouvoir, de l’avoir et du savoir de l’homme tirés à l’infini en étant
dégagés de la finitude de nos capacités corporelles), il devient, par
l’Incarnation, une expression agrandie de notre négativité réelle. Par
l’Incarnation, les mystères religieux et Dieu lui-même deviennent à l’image
de l’homme, mais sans que ce soit ici un renversement voltairien, car Dieu
est ainsi revêtu d’une condition que l’homme ne parvient pas à reconnaître
et à assumer. Comme s’il avait fallu un Dieu incarné pour apprendre à
l’homme ce qu’il est, et l’aider à le vivre. Comme s’il avait fallu un Dieu char-
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Le Dieu dont il est question est traversé par les paradoxes mêmes de cette
Fin 1955 ou début 1956, dans le cadre du volume qu’il dirige sur Les
Philosophes célèbres, Merleau-Ponty rédige une préface au chapitre consacré
aux philosophes chrétiens, et l’intitule sobrement « Christianisme et philoso-
phie » 22. Comme il l’avoue lui-même, son propos est moins une introduction
aux textes qui le suivent qu’une réflexion personnelle qui lui tient à cœur 23.
Merleau-Ponty part du différend classique sur la notion et l’existence d’une
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19. Cf. p. ex. L’Otage, in Théâtre, tome II, édition revue et augmentée, Paris, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade », 1965, p. 273 : « Dieu n’est pas au-dessus de nous, mais au-des-
sous. » On retrouve le motif claudélien du Dieu « au-dessous » jusque dans la préparation iné-
dite de la préface de Signes, dernier texte rédigé et publié du vivant de Merleau-Ponty. Cf.
S(Préf)-ms [7](3), [17](11).
20. Cf. p. ex. l’Épître aux Philippiens, 2, 6-8.
21. Aussi le mystère n’est-il pas seulement réintroduit parce que la position de survol du
dieu des métaphysiques philosophiques et théologiques laisse la place à cet empiétement d’une
transcendance faite chair dont l’homme devient en retour comme un sacramental. Le mystère
n’est pas seulement réintroduit par l’Incarnation, comme un événement qui, introduisant Dieu
dans l’histoire, introduirait une historicité en Dieu – comme si l’Incarnation changeait bruta-
lement sa nature. Car l’Incarnation exprime elle-même autre chose, qui la précède : « il y a
comme une sorte d’impuissance de Dieu sans nous (…) Dieu n’est pas au-dessus de nous, mais
au-dessous ». Il n’est pas venu singer la négativité de l’homme, mais l’exprimer… parce que
c’est la sienne. L’Incarnation exprime la négativité de l’homme, qui exprime celle de Dieu, de
sorte que l’homme contemple dans les mystères chrétiens l’image agrandie de ce en quoi il est,
dans sa chair, à l’image de Dieu.
22. S(pnp), p. 176-185.
23. « Il va sans dire que ces lignes n’engagent que leur signataire, et non pas les collabora-
teurs chrétiens qui ont bien voulu lui donner leur concours. Ce serait mal le reconnaître que
de créer la moindre équivoque entre leur sentiment et le sien. Aussi ne donne-t-il pas ceci
comme une introduction à leur pensée. Ce sont plutôt des réflexions et des questions qu’il ins-
crit, pour les leur soumettre, en marge de leurs textes. » (S(pnp), p. 184-185).
24. Cf. « La notion de philosophie chrétienne », in Bulletin de la Société française de
Philosophie, séance du 21 mars 1931.
« L’Incarnation change tout » 379
« que la philosophie n’est pas chrétienne dans son essence » 25. Cette négation
repose à ses yeux sur une conception domaniale de la philosophie contre
laquelle il s’est toujours battu, qui soumet par avance l’histoire au principe
de « l’immanence philosophique » 26. La position de Merleau-Ponty est sans
équivoque: il y a « assurément une philosophie chrétienne » 27. Elle est même
radicale: la philosophie chrétienne ne serait pas un courant parmi d’autres,
elle contiendrait « tout ce qui s’est pensé en Occident depuis vingt siècles ».
Pour comprendre cette radicalité au-delà de sa dimension rhétorique, il
faut approfondir l’orientation donnée par la toute première phrase de cette
préface : « La confrontation avec le christianisme est une des épreuves où la
philosophie révèle le mieux son essence. » 28 Pour Merleau-Ponty, le refus
de la notion et de l’existence d’une philosophie chrétienne est en partie
motivé par une attitude fondamentale, intellectuelle et existentielle, où la
défense principielle du territoire philosophique contre tout empiétement
repose sur l’illusion de l’auto-suffisance de l’entendement et, partant, sur la
façon dont nous concevons et vivons l’union de l’âme et du corps. « Passé un
certain point de maturité, d’expérience ou de critique, ce qui sépare ou réu-
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nit les hommes n’est pas tant la lettre ou la formule finale de leurs convic-
« Mais la difficulté n’est pas plus grande – et pas autrement résolue – que celle
d’admettre la distinction que l’entendement fait entre l’âme et le corps, et par
ailleurs, leur union substantielle: il y a l’entendement, et ses distinctions sou-
veraines, et il y a l’homme existant, l’entendement aidé de l’imagination et
joint à un corps, que nous connaissons par l’usage de la vie parce que nous
sommes cet homme, et les deux ordres sont un seul parce que le même Dieu
est garant des essences et fondement de notre existence. Notre dualité se
reflète et se dépasse en lui comme celle de son entendement et de sa volonté.
Nous ne sommes pas chargés de comprendre comment. » 31
« Pourtant ce concordat est instable. Si vraiment l’homme est enté sur les deux
ordres, leur connexion se fait aussi en lui, et il doit en savoir quelque chose. » 32
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Dans une admiration répétée pour l’entreprise de Blondel 35, « pour qui
la philosophie était la pensée s’apercevant qu’elle ne peut “boucler”, repé-
rant et palpant en nous et hors de nous une réalité dont la conscience philo-
sophique n’est pas la source » 36, Merleau-Ponty écrit encore: « Il faut avouer
que la foi dévoile certains côtés de l’être, que la pensée, qui les ignore, ne
“boucle” pas, et que les “choses non vues” de la foi et les évidences de la rai-
son ne se laissent pas délimiter comme deux domaines. » 37 Il y a une dimen-
sion naturelle de foi inscrite dans les fondements de notre rapport au monde
et à autrui, dimension essentielle d’une intelligence incarnée, de sorte que
la foi ne relève pas d’abord d’une attitude spécifiquement religieuse. Jusque
dans les manuscrits les plus tardifs, l’ontologie phénoménologique de
Merleau-Ponty creuse sous l’idéalité pour dégager cette foi qui est du ressort
de la chair et qui contribue à nous dévoiler l’être.
Dans cette reprise personnelle de la problématique de la raison et de la
foi, la préface de 1956 distribue les auteurs en deux camps opposés. D’un
gressive différenciation intérieure qui est aussi celle de la chair. Sur un plan
38. Ibid.
39. Et c’est sans doute l’un des progrès de la pensée de Merleau-Ponty par rapport à celle
de Gabriel Marcel: dire « Je suis mon corps » n’est encore qu’une étape de la sortie du dualisme,
en assumer toute la vérité ne laisse même plus la marge de poser cette affirmation.
40. S(pnp), p. 180.
« L’Incarnation change tout » 383
terme en l’homme, l’autre en Dieu; l’un dans l’inertie du corps, l’autre dans
l’agilité de l’esprit ; l’un dans l’obscurité de la foi, l’autre dans la clarté de la
raison ; l’un dans l’affectif, l’autre dans le cognitif… et ainsi de suite, tant
notre intelligence blessée est avide de se replier dans la fausse sécurité de ces
dualismes impénitents qui ont balisé l’histoire de la pensée, et en font encore
aujourd’hui toute l’actualité. Et c’est bien par le concept de chair que
Merleau-Ponty voudrait faire marcher ensemble les termes de ces diverses
contradictions.
Dans l’autoportrait offert par la communication sur Machiavel de 1949 41,
Merleau-Ponty se caractérise comme un « penseur difficile et sans idole » 42,
qui s’attelle à la difficulté qu’il y a à penser et vivre l’unité de la chair, diffi-
culté devant laquelle capitule une idolâtrie qui se définit par là même.
L’idole, objet matériel ou système d’idées, est construite comme un corps
de substitution recomplété où toute contradiction a été magiquement effa-
cée, où la tension et les menaces du désir ont été résorbées, où les enjeux et
les angoisses de notre vie relationnelle connaissent une résolution qui nous
dispense d’avoir à les vivre dans le vertige de la liberté. Un corps maniable
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fait homme, il faut être un peu plus et un peu moins qu’homme. » (EP, p. 63) Merleau-Ponty
commentera cette clôture du discours inaugural au Collège de France dans une lettre adressée
à Sartre : « j’ai essayé de dire que l’équivoque, c’est la mauvaise philosophie, et que la bonne
philosophie est une ambiguïté saine, parce qu’elle constate l’accord de principe et la discor-
dance de fait du soi, des autres et du vrai, et qu’elle est la patience qui fait marcher ensemble
tout cela, tant bien que mal. (…) De cette philosophie-là, on n’a pas à montrer qu’elle est pos-
sible, puisqu’elle est l’homme même comme être paradoxal, incarné et social. » (lettre à Sartre
du 8 juillet 1953, Le Magazine Littéraire, n° 320, avril 1994, p. 76 ; repris dans Parcours deux
1951-1961, op. cit., p.148-149).
45. EP, p. 49-50. Merleau-Ponty semble ici oublier l’apport décisif, et plus ancien, du
judaïsme dans la lutte contre l’idolâtrie ou la contestation des faux dieux.
46. S(HoAdv), p. 287.
47. S(HoAdv), p. 307.
48. Chaps (février 1958), p. 298 dans l’édition de Parcours deux 1951-1961, op. cit. (passage
absent de l’édition d’Envoyez la petite musique…, Paris, Grasset & Fasquelle, 1984).
49. Il dénonce aussi la philosophie que certains chrétiens ont élaborée pour étayer ou défen-
dre leur position théologique. Cette philosophie chrétienne, dans les faits, s’est montrée pri-
sonnière d’une ambivalence qui trahit en partie l’authentique apport du christianisme: Merleau-
Ponty lui reproche de « faire de l’existentialisme pratiquement tout en gardant l’essentialisme
en réserve » (NMS [79]). « Laporte : la pensée de Descartes, c’est la pensée chrétienne (je ne
dirais pas chrétienne, car la question est de savoir si le christianisme s’exprime spéculativement
« L’Incarnation change tout » 385
dans l’ontologisme, s’il n’en est pas à certains égards la dénonciation) – mais certainement : le
malaise où nous met Descartes c’est le malaise où nous met la philosophie chrétienne telle
qu’elle s’est développée en fait, i.e. comme compromis entre l’essentialisme et l’existentia-
lisme. » (NMS [78]).
50. S(Berg), p. 239.
386 Emmanuel de Saint Aubert
cette âme et l’âme “forme du corps” d’Aristote, on ne voit pas comment peut se faire la jonc-
tion. “La forme est éternellement sauve, elle ne peut même pas être menacée.” (…) Or, c’est
un fait qu’il peut y avoir dans l’âme une “volonté de se perdre”. Et de même le salut de l’âme,
si elle est la “forme du corps”, n’est rien que la conservation d’une hiérarchie naturelle, le fonc-
tionnement normal d’un mécanisme métaphysique. Comment prétendre que la notion chré-
tienne de salut se ramène à cette bonne santé, la vie religieuse à cette hygiène ? Nous aurons
donc à refondre nos catégories. » (EtAv, p. 39-40/103-104).
56. Cf. LEIBNIZ, Essais de théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l’homme et l’ori-
gine du mal, Gerhardt, VI.
57. NT, p. 264, octobre 1959.
58. NTontocart [128]v(2), début 1961.
59. Mexico II [178], début 1949.
388 Emmanuel de Saint Aubert
n’envisage jamais Dieu sans demeurer centrée sur les conditions présentes
de l’homme vivant.
« Si l’on entre dans la computation de l’imaginaire, il faut avouer que “l’en-
semble eût pu être très supérieur à ce qu’il est”. Personne ne fera que la mort
de quelqu’un soit une composante du meilleur monde possible. Mais ce ne
sont pas seulement les solutions de la théodicée classique qui sont fausses, ce
sont ses problèmes qui n’ont pas de sens (…). Il ne s’agit pas ici du monde
conçu ou de Dieu conçu, mais du monde existant et de Dieu existant, et ce
qui en nous connaît cet ordre-là est au-dessous de nos opinions et de nos énon-
cés. Personne ne fera que les hommes n’aiment pas leur vie, si misérable
qu’elle soit. Ce jugement vital met la vie et met Dieu en deçà des accusations
comme des justifications. » 60
60. S(Berg), p. 239-240, mai 1959. Merleau-Ponty s’inspire ici de BERGSON, Les deux sour-
ces de la morale et de la religion, Paris, PUF, 88e édition, 1958, p. 223-224, 277-278.
61. « Il est dans le grand ordre qu’il y ait quelque petit désordre » (LEIBNIZ, Essais de théo-
dicée, Gerhardt, VI, p. 262), « Et ne faut-il pas le plus souvent qu’un peu de mal rende le bien
plus sensible, c’est-à-dire plus grand ? » (ibid., p. 109), « une imperfection dans la partie peut
être requise à une plus grande perfection dans le tout » (ibid., p. 377), etc. « J’eus l’occasion
dans mes voyages de conférer avec (…) le célèbre M. Arnauld, à qui je communiquai même un
dialogue (…) où je mettais déjà en fait que Dieu ayant choisi le plus parfait de tous les mondes
possibles, avait été porté par sa sagesse à permettre le mal qui y était annexé, mais qui n’empê-
chait pas que, tout compté et rabattu, ce monde ne fût le meilleur qui pût être choisi. » (pré-
face des Essais de théodicée, Gerhardt, VI, p. 43).
62. S(Clau), p. 395, mars 1955.
« L’Incarnation change tout » 389
désir qui ont traversé les abîmes de l’homme. Elle est nouvelle par rapport
aux solutions grecques : « Il n’est plus question pour l’homme de se retirer
du monde à la manière stoïcienne, ou de reconquérir à la manière socrati-
que la pureté et la sincérité par l’exercice de l’intelligence. » 63 Il ne s’agit
plus de quitter le monde ou de reconquérir un paradis perdu, de se retour-
ner vers l’origine dans la reconstruction volontariste d’un état supralapsaire,
moral ou intellectuel. La seule ouverture est de se tenir dans l’obscurité de
notre condition en y entrant corps et âme, jusqu’à y discerner une issue pos-
sible, qui ne sera pas celle de l’évidence d’entendement.
« L’Incarnation change tout. (…) Le monde cesse d’être comme un défaut dans
le grand diamant éternel. (…) Comme si le Dieu infini ne se suffisait plus,
comme si quelque chose bougeait en lui, comme si le monde et l’homme, au
lieu d’être une inutile déchéance de la perfection originaire, devenaient les
moments nécessaires d’une perfection plus grande. (…) Il se passe quelque
chose, le monde n’est pas vain, il y a quelque chose à faire. (…) “Heureuse
faute qui a mérité d’avoir un tel Rédempteur.” (…) Omnia cooperantur in
bonum, etiam peccata. » 64
mais autre chose, – parce qu’il est transcendant justement, il n’est pas un moyen de faire diffé-
rer la justice jusqu’après la mort – un moyen de faire patienter les pauvres… » (ChRe,
p. 26/297).
67. « La religion est valable en ceci qu’elle réserve la place de l’étrange et qu’elle sait que
notre sort est énigmatique. Toutes les solutions qu’elle donne de l’énigme sont incompatibles
avec notre condition monstrueuse. Comme interrogation, elle est fondée à condition qu’elle
reste sans réponse. Elle est un des modes de notre folie et notre folie nous est essentielle. Quand
on met au centre de l’homme, non pas l’entendement content de soi, mais une conscience qui
s’étonne d’elle-même, on ne peut pas annuler le rêve d’un envers des choses, ni réprimer l’in-
vocation sans paroles de cet au-delà. » (S(Mont), p. 256-257, 1947). « À ce point, la religion cesse
d’être une construction conceptuelle, une idéologie, et rejoint l’expérience de la vie interhu-
maine. (…) La religion fait partie de la culture, non comme dogme, ni même comme croyance,
comme cri. » (SNS(MétaHo), p. N169/G118, 1947).
68. EP, p. 47-48.
69. EP, p. 46.
70. EP, p. 49-50.
« L’Incarnation change tout » 391
L’extrait que nous venons de lire, daté de 1946, est le tout premier texte
de Merleau-Ponty évoquant le Dieu caché d’Isaïe. On retrouve ensuite ce
motif régulièrement, notamment dans la préparation inédite du cours sur
la dialectique de 1956 73, et jusque dans les feuillets les plus tardifs du pro-
jet ontologique inédit Être et Monde, lequel annonce à plusieurs reprises
vouloir développer une opposition entre Pascal et Leibniz, à la faveur de
Pascal : « Le Dieu caché contre la logique de Leibniz » 74, « Contre ce Dieu
leibnizien, mettre en valeur le Dieu caché » 75, etc. Cette opposition, chez
Merleau-Ponty, n’est pas du tout celle d’une pure absence (de Dieu) à une
pure présence, mais celle de la présence charnelle (qui n’est jamais totale,
qui implique une dialectique de présence et d’absence) à la présence intel-
lectuelle (qui possède la chose dans l’évidence). « Si Dieu est Dieu, non une
idole, il faut qu’il soit caché, présence d’une absence. » 76 Les mêmes leçons
sur Pascal de 1956 affirment un peu plus loin: « Non pas possession intellec-
tuelle : Dieu est en vérité caché » 77, mais accessible à la foi – « il faut, pour
être valable, que la pensée de Dieu soit foi et non pas évidence » 78. Et cette
foi n’est pas le fait d’un pur esprit : si Dieu existe, écrit Merleau-Ponty, « la
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pensée de Dieu doit être le fait de l’homme entier » 79. Dieu est donc caché
73. Où Merleau-Ponty fait d’ailleurs référence au fameux ouvrage de Lucien Goldmann sur
Pascal et Racine, Le dieu caché : étude sur la vision tragique dans les Pensées de Pascal et
dans le théâtre de Racine, Paris, Gallimard, 1955.
74. EM3 [256], avril ou mai 1960.
75. EM3 [244] (26), avril ou mai 1960.
76. Dial-T&C [241] (5), cours du 19 mars 1956.
77. Dial-T&C [248], cours du 16 avril 1956.
78. Dial-T&C [246] (3), cours du 16 avril 1956.
79. Ibid.
80. Dial-T&C [248], cours du 16 avril 1956.
« L’Incarnation change tout » 393
avec son corps, ou bien Dieu est encore une idole). Dans le registre merleau-
pontien, ontologique et non théologique, l’être est « sensible au cœur » : on
le rejoint par sa chair – ou bien l’être est encore un objet –, on le rejoint par
« cette ouverture à l’être qui est la foi perceptive » 81 et ceux qui vont jusqu’à
lui par le désir « savent tout ce qu’il y a à savoir » 82.
« Pascalien dès l’adolescence, avant d’avoir lu Pascal » 83, Merleau-Ponty
investit la fameuse distinction entre esprit de géométrie et esprit de finesse :
« La finesse non sentiment vague, mais perception (…). C’est un ordre quasi-
perceptif. » 84 Ainsi annexée à la perception, la finesse pascalienne se retrouve
dotée des vertus de celle-ci, qui manquent aux pensées de survol. Elle est
étrangère au recul de l’intelligence objectivante, et le sens auquel elle accède
n’est pas possédé dans la clôture d’une représentation. La finesse, insiste
Merleau-Ponty, n’est pas pour autant du côté de l’immanence passive du res-
senti (elle n’est pas une « finesse émotionnelle », un « sentiment vague » 85),
car elle possède les vertus intrusives et l’assurance du corps percevant, sa
capacité à « pénétrer vivement et profondément » 86, à endurer l’inachève-
ment du visible pour accéder, à travers lui, à l’invisible dont il est prégnant.
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« Dieu n’est pas plus du côté de l’infini de grandeur que de l’infini de peti-
tesse: l’infini de grandeur, c’est l’univers “muet”, le “silence éternel des espa-
ces infinis”. Cet être plein, sans parole, inhabité, sans homme, ce n’est nulle-
ment Dieu. Le ciron serait aussi bien Dieu. Dieu est le milieu ({infinissable})
où se dessinent ces deux ouvertures indéfinies, le plein où se creusent les deux
“vides” (…) infini qualitatif, saisi au centre même du fini (*) [(*) s’abîmer,
non s’élever], et non dans le mauvais infini qui le borde des deux côtés. » 92
sibilités finies), il est toujours envisagé sur fond de possibles (la possibilité
LA PROFONDEUR DE DIEU
Dieu existe ou n’existe pas, si la proposition Dieu existe est correcte ou incor-
recte, que de savoir ce que l’on entend par Dieu, ce qu’on veut dire en par-
lant de Dieu. » 93 Les philosophes se sont parfois perdus dans leur obsession
de prouver l’existence ou la non existence de Dieu, pour mieux différer la
question de savoir ce qu’il pourrait être, question qui nous renvoie tôt ou
tard à ce que nous sommes. Leurs trouvailles métaphysiques ont ainsi par-
ticipé à une subtile évacuation de Dieu, « le supposant sans vouloir le regar-
der, cherchant en lui des raisons de ne pas le regarder » 94. Merleau-Ponty,
quant à lui, ne suppose jamais l’existence de Dieu, mais trouve en l’homme
des raisons de le regarder… pour mieux percevoir l’homme lui-même. Un
Dieu qui n’est pas en plein ce que l’homme serait en creux.
Dans son discours inaugural au Collège de France, Merleau-Ponty évo-
que ce Dieu qui n’est pas d’abord « force » et « qui est du côté des hommes » ;
« pénétré » de négativité, il n’est pas « la plénitude de l’être » des ontologies
cartésienne et sartrienne ; il « s’est comme rompu » et présente « une cas-
sure » 95. Cette description, qui porte ici officiellement sur « l’intuition de
Dieu chez Bergson » 96, est décidément récurrente dans l’œuvre de Merleau-
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est cause du monde, avant le monde, est éminemment tout ce que le monde
Merleau-Ponty poursuit :
« D’un autre côté : l’être c’est d’abord (et en quelque mesure à jamais) la
nature, l’homme, le créé et on va à Dieu par voie négative. “Faiblesse” de Dieu
– La création n’est pas seulement un sous-produit de l’essence infinie ou de
l’être nécessaire. L’être ce n’est pas Dieu seul, c’est Dieu créateur du monde,
et donc le monde aussi, c’est Dieu avec le monde. Deus artifex et non Dieu
du 7e jour. Le monde n’est pas le meilleur possible, ni le seul possible. Il est
et conditionne toute évaluation que nous puissions porter sur lui.
Connaissance et Histoire ne sont pas vain redoublement. Dieu n’est pas telle-
ment cause et derrière nous que terme et devant nous. (…) Le plérôme à réa-
liser, – (qui donc n’est ni le monde ni Dieu seul). Pas de plénitude primor-
diale de l’Être. » 109
ture de l’Être, ΣιγÐ – car « l’être de Dieu est pour nous abîme » – avant de
décréter qu’il était « aussi vain de sonder cet abîme-là que de penser l’espace
de l’âme et la profondeur du visible » 120. Contre toute clôture fétichiste de
l’absolu, qui ne remplit celui-ci que pour le rendre impénétrable, contre la
prestidigitation de cet absolu – philosophique ou théologique – qui nous
donne des raisons décisives de ne plus chercher l’absolu, la pensée de
Merleau-Ponty se forge et se maintient, « s’enfonçant dans cette dimension
(…) de l’Être abyssal que Descartes a ouverte et aussitôt refermée » 121.
L’inépuisable désir de l’inépuisable est si brûlant que les systèmes de la cla-
rification refoulante – théologiques ou athées, peu importe – se donnent les
moyens de se soustraire à son vertige en colmatant les brèches. Ce faisant,
ils en gardent toujours quelques traces au fond d’eux-mêmes… et c’est ce
que Merleau-Ponty s’efforce de montrer dans son scénario cartésien.
Dans le même esprit, les inédits commentent un passage des Réponses
aux premières objections, où Descartes aborde la question de la connaissance
que nous pouvons avoir de Dieu en la comparant avec notre vision de la
mer 122. « Le parallèle Dieu-la mer, l’infini-l’indéfini : c’est une sorte de per-
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« Cet infini-là (…) appartient pour moi à la chose visible ou à la mer non moins
qu’à Dieu. Car, que ce soit en un certain genre ou en tous genres, la richesse
n’est pas moindre, elle est en tous cas inépuisable. (…) On dit qu’on voit la
mer parce qu’il y a en elle cette infinité charnelle, cet invisible. De même, on
dit qu’on voit Dieu l’Être parce qu’il y a en lui cette infinité charnelle. » 126
absolu substantialiste et tout avatar d’une subjectivité absolue 128, qui renie
le dieu explicatif des philosophes comme étant une projection et un passage
à la limite de la folie de la conscience. Mais si Merleau-Ponty procède ainsi,
c’est aussi et avant tout parce que son intention – l’intention habituelle d’une
« critique des idoles » – est de réveiller un autre sens de l’absolu, et un autre
rapport à lui 129. Une autre attente de l’absolu, et le sens même de cette
attente. Sans conclure sur l’existence ou le mode d’existence de cet absolu
– car, sur ce point, dans la situation purement philosophique qui est la
sienne, comme l’avoue l’Éloge de la philosophie, « il n’en sait rien » 130. Un
absolu dont l’image en nous n’est pas d’abord inscrite dans les capacités posi-
tives d’un pur esprit, mais est exprimée en creux par l’attente qui anime
notre chair – « L’investissement par le corps, écrit Merleau-Ponty, est voca-
tion à un absolu… » 131, et cet investissement est le fait d’un « désir
absolu » 132. Bien loin de certaines caricatures que l’on a pu faire à son sujet,
notamment celle du relativisme mou d’une philosophie de l’ambiguïté, cette
pensée est tourmentée par la dimension tragique de l’homme: par la recher-
che de ce qui en nous recherche l’absolu, mais aussi de ce qui en nous le
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128. Cf. p. ex. VI2, p. 127. Ou encore l’Introduction à l’ontologie de l’automne 1958, EM1
[128].
129. La philosophie, pour Merleau-Ponty, est bien une forme d’ouverture à l’absolu, mais
sans jamais être savoir absolu. « La philosophie n’est pas accès à l’absolu par connaissance. Elle
est (indissolublement) dévoilement des phénomènes, présence de l’absolu. » (PNPH, p. 279,
début 1961) « La philosophie, c.-à-d. l’accès à l’absolu, semble être essentiellement expérience,
c.-à-d. entrée dans les phénomènes, prendre part à leur maturation, à l’expérience. » (PNPH,
p. 293, début 1961) Elle ouvre un accès à l’absolu, qui n’est ni le seul (cf. Natu1, p. 72, 1957)
ni le plus direct (cf. S(Préf), p. 31, sept. 1960). Quelques semaines avant sa mort, dans un der-
nier manifeste pascalien, Merleau-Ponty revendique « une philosophie qui veut être philosophie
en étant non-philosophie (…) une “philosophie négative” (au sens de “théologie négative”), qui
s’ouvre [un] accès à l’absolu, non comme “au-delà”, second ordre positif, mais comme [un]
autre ordre qui exige l’en-deçà, le double, n’est accessible qu’à travers lui – la vraie philosophie
se moque de la philosophie » (PNPH, p. 275).
130. EP, p. 47.
131. Natu3, p. 348/[74]v, cours du 31 mars 1960.
132. S(HoAdv), p. 290.
« L’Incarnation change tout » 403
Chaps : entretien avec Madeleine Chapsal du 17 février 1958, in Madeleine CHAPSAL, Les écri-
vains en personne, Paris, Julliard, 1960, p. 145-163 ; repris dans Envoyez la petite musi-
que…, Paris, Grasset & Fasquelle, 1984, p. 79-98; LGF, « Le livre de poche, Biblio essais »,
1987, p. 88-98; repris dans Parcours deux 1951-1961, Lagrasse, Verdier, 2000, p. 285-301.
[177]
ChRe : « Christianisme et ressentiment », compte rendu de la traduction française de L’Homme
du ressentiment de Max Scheler, in La Vie intellectuelle, 7e année, nouvelle série, tome
XXXVI, 10 juin 1935, p. 278-306 ; repris dans Parcours 1935-1951, Lagrasse, Verdier,
1997, p. 9-33. [5]
DESC : notes de lecture et notes de travail inédites sur et autour de Descartes. B.N., volume
XXI. [228] DESC-DerPap, DESC-DerPap’: notes de lecture et notes de travail inédites sur
et autour de Descartes, retrouvées parmi les derniers papiers, que Merleau-Ponty avait
extraites du volume précédent pour préparer la fin du cours de 1961 sur L’ontologie car-
tésienne et l’ontologie d’aujourd’hui, B.N., volumes XIX et XXI. [229]
Dial-T&C : Textes et commentaires sur la dialectique (cours du lundi, au Collège de France,
janvier-avril 1956), notes de préparation de Merleau-Ponty, inédites. B.N., volume XIV.
[162]
EM : Être et Monde (inédit, B.N., volume VI); EM1 : essentiellement automne 1958, quelques
feuillets de mars 1959 [186]; EM2: diverses séquences de travail réparties sur l’année 1959
[199] ; EM3 : essentiellement avril-mai 1960, quelques réécritures en octobre 1960 [210]
EP : Éloge de la philosophie. Leçon inaugurale faite au Collège de France, le jeudi 15 janvier
1953, Paris, Gallimard, 1953 ; repris dans Éloge de la philosophie et autres essais, Paris,
Gallimard, « Idées », 1965, p. 9-79 ; « Folio essais », 1989, p. 13-69 (nous citons cette édi-
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OE : L’Œil et l’Esprit (juillet-août 1960), Paris, Gallimard, 1964 ; « Folio essais », 1985 (nous
citons cette édition). [211] ; OE-ms : notes de lecture, notes de préparation et différentes
versions manuscrites inédites de L’Œil et l’Esprit (printemps et été 1960, essentiellement
juillet-août). B.N., volume V. [212]
OntoCart : L’ontologie cartésienne et l’ontologie d’aujourd’hui (cours du jeudi, au Collège de
France, janvier-avril 1961), notes de préparation de Merleau-Ponty. B.N., volume XIX.
Transcription et annotations par Stéphanie Ménasé, dans Notes de cours 1959-1961, Paris,
Gallimard, 1996, p. 163-244 et 390-392. [224]; NTontocart: notes de travail inédites accom-
pagnant la préparation du cours (décembre 1960 – avril 1961) [225] ; NTfinOntoC : notes
de travail inédites accompagnant la préparation de la fin du cours, retrouvées dans les der-
niers papiers (décembre 1960 – avril 1961) [226]
PM : La prose du monde (1950-1951, surtout été 1951 ; quelques réécritures beaucoup plus tar-
dives). B.N., volume III. Texte établi et présenté par Claude Lefort, Paris, Gallimard, 1969.
[112]; PM-ms : notes de lecture, notes de travail, esquisses et plans relatifs à la préparation
de La prose du monde (documents inédits, diverses séquences de travail, de 1950 à 1959
voire 1960). B.N., volume III. [113]
PNPH : Philosophie et non-philosophie depuis Hegel (cours du lundi, au Collège de France,
de janvier à début mai 1961), notes de préparation de Merleau-Ponty. B.N., volume XX.
Texte établi et présenté par Claude Lefort dans Textures, n° 8-9, 1974, p. 83-129, et n° 10-
11, 1975, p. 145-173 ; repris dans Notes de cours 1959-1961, op. cit., p. 275-352. [227]
PPCP: « Le primat de la perception et ses conséquences philosophiques », Bulletin de la Société
française de Philosophie, 41e année, juillet-septembre 1947, p. 119-135, discussion p. 135-
153 (séance du 23 novembre 1946) ; repris dans Le primat de la perception et ses consé-
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Résumé : Merleau-Ponty s’est toujours intéressé aux rapports complexes entre christianisme,
philosophie et théologie. Ses écrits, publiés ou inédits, opposent régulièrement « la nou-
veauté du christianisme » – comme expérience de l’homme, comme attitude religieuse, et
jusque dans sa conception de Dieu – à une théologie dite « explicative », qui ne parvien-
drait pas à penser cette nouveauté, voire la trahirait. Accusée d’importer le Dieu des phi-
losophes, cette théologie expliquerait Dieu et expliquerait par Dieu pour mieux se passer
des mystères de l’homme, des dimensions tragiques de sa condition, manquant ainsi para-
doxalement une négativité qui est le lieu même où s’ouvre l’attitude religieuse. Dans cette
confrontation originale, Merleau-Ponty transpose sa propre lutte contre certains philoso-
phes et mobilise les axes essentiels de sa pensée: ses conceptions de l’homme et de l’être,
une anthropologie de la chair perceptive et désirante, une ontologie de l’être inachevé et
inépuisable.
Mots-clés : Philosophie. Christianisme. Dieu. Chair. Incarnation. Mystère.
Abstract: Merleau-Ponty was always interested in the complex relationship between christia-
nity, philosophy and theology. His writings, published or unpublished, regularly contrast
« the novelty of Christianity » — as experience of man, as religious attitude, and inclu-
ding its conception of God — with a so-called « explanatory » theology, which would not
manage to think this novelty, might even betray it. Charged with importing the God of
the philosophers, this theology would explain God and explain by God in order to bypass
the mysteries of man, the tragic dimensions of its condition, thus paradoxically missing
a negativity which is the very place where the religious attitude unfolds. In this original
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