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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Édition
Séverine Cuzin

assistée de
Nora Schott

Correction
Service de lecture-correction Larousse

Conception graphique de l’ouvrage


Henri-François Serres Cousine

Fabrication
Nicolas Perrier

Composition et photogravure
Maury

Iconographie
Nathalie Lasserre

© Larousse 1986 pour la première édition

© Larousse/VUEF 2001 pour la présente édition

ISBN : 2-03-505 031-1

Dépôt légal : octobre 2001

Les droits de reproduction des illustrations sont réservés en notre comptabilité pour
les auteurs ou ayants droit dont nous n’avons pas trouvé les coordonnées malgré
nos recherches et dans les cas éventuels où des mentions n’auraient pas été spéci-
fiées.

« Toute représentation ou reproduction, intégrale ou partielle, faite sans le


consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite »
(article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle). Cette représentation ou
reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon
sanctionnée par l’article L.335-2 du Code de la propriété intellectuelle. Le Code de la
propriété intellectuelle n’autorise, aux termes de l’article L.122-5, que les copies ou
les reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées
à une utilisation collective d’une part, et, d’autre part, que les analyses et les courtes
citations dans un but d’exemple ou d’illustration.
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Rédacteurs
Ont contribué à la nouvelle édition

sous la direction de
Jean-Loup PASSEK

Michel BAPTISTE (technique)

Luciano BARISONE (cinéma portugais)

Mehmet BASUTÇU (cinéma turc)

Nicole BRENEZ (cinéma expérimental)

Matthieu DARRAS (cinéma chinois et d’Asie du sud est)

Michel DEMOPOULOS (cinéma grec)

Jean A. GILI (cinéma italien)

Raphaël MILLET (cinéma africain, arabe, iranien, israélien)

Paulo Antonio PARANAGUA (cinéma espagnol et sud-américain)

Jean-Loup PASSEK (cinéma russe et d’Europe de l’Est)

Daniel SAUVAGET (économie, cinéma français, belge, allemand et scandinave)

Christelle TAILLIBERT (documentaire)

Max TESSIER(cinéma japonais)

Pascal VIMENET (cinéma d’animation)

Christian VIVIANI (cinéma anglo-saxon)

Ont contribué à la première édition Lorenzo CODELLI Dominique NOGUEZ

Peter COWIE Costa OLIVEIRA


Sous la direction de
Michel DEMOPOULOS Paulo Antonio PARANAGUA
Jean-Loup PASSEK
Attila DORSAY Jean-Loup PASSEK
assisté de
Olivier EYQUEM Philippe PILARD
Michel CIMENT
Abbas FAHDEL Marie-Claire QUIQUEMELLE
Claude Michel CLUNY
Don FAINARU Dominique RABOURDIN
Jean-Pierre FROUARD
Jacques FRAENKEL Jean RADVANYI
Secrétariat de rédaction
Jacqueline BRISBOIS Jean-Pierre FROUARD Claude ROCLE
Jack GAJOS Lucien ROHMAN
Rédacteurs
Gérard ALAUX Alain GARSAULT Jean-Charles SABRIA
Barthélémy AMENGUAL Jean A. GILI Daniel SAUVAGET
Michel BAPTISTE Bertrand GIUJUZZA Franz SCHMITT
Olivier BARROT Jean-Marie GUINOT Michel SINEUX
Raphaël BASSAN Philippe HAUDIQUET
Agostin SOTTO
Mehmet BASUTÇU Michael HENRY
Georges STROUVÉ
Robert BENAYOUN Jean-Pierre JEANCOLAS
André TALMA
Régis BERGERON Martine JOUANDO
Max TESSIER
Jean-Pierre BERTHOMÉ Khemais KHAYATI
Claudine THORIDNET
Claude BEYLIE Petr KRAL
Christian VIVIANI
Anne-Marie BIDAUD Éric KRISTY
Eva ZAORALOVA
Michel BOUJUT Fabien LABOUREUR
Hachemi ZERTAL
Jean-Loup BOURGET Francis LACASSIN
Nous tenons également à remercier Piet Hein Honig et
Patrick BRION René LALOUX Hanns-Georg Rodek qui ont très aimablement prêté leur
concours à l’élaboration de ce dictionnaire ainsi que Mes-
Freddy BUACHE Raymond LEFÈVRE
dames Catherine Arnaud, Malika Bérak, Nelly Grangé-
Anne-Marie CATTAN Gérard LEGRAND Cabane, Nicole Karoubi, Colette Kouchner, Nathalie

Jacques LEVY Kristy, Axelle Leenhardt, Emmanuelle Lépine, Catherine


Paul CHEVILLARD
Ruelle, Michèle Sarrazin, Janine Sartres, Hélène Tersac,
Michel CHION André MARTIN Messieurs Costas Assimacopoulos, Gilles Ciment, Valde-
Raymond CHIRAT Marcel MARTIN mar Dos Santos Marques, Olivier Garcia, Michel Grapin,
Sylvain Laboureur, Christian Leclère, Jérôme Leenhardt,
Michel CIMENT Alain MASSON
Vittoho Martinelli, Rafg as-Sbban, Marc Silvera, Claude
Claude Michel CLUNY Henri MICCIOLO Soulé, Stéphane Watelet, JoséXavier.
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Préface

SPECTATEUR, CE VOYAGEUR IMMOBILE, qu’il soit cinéphile ou téléphile, a de nos jours, plus que jamais, besoin
d’une boussole et d’un carnet de route. Le territoire est devenu trop vaste et trop divers. Il est néces-

LE saire non seulement


petits chemins
travailler
d’explorer les voies royales de l’aventure
vicinaux qui cachent des trésors plus secrets. Les nouveaux
en équipe, sans jamais oublier qu’ils doivent l’essentiel
cinématographique
historiens doivent
de leur savoir aux défricheurs
mais aussi tous les
donc désormais
solitaires, aux
Georges Sadoul et aux Jean Mitry qui leur ont transmis cette soif de connaissances et ce besoin d’analyse sans
lesquels l’écrivain de cinéma n’est qu’un échotier superficiel et peu fiable. Un dictionnaire du cinéma ne sau-
rait par conséquent ressembler à un répertoire, qui, de toute façon, ne pourrait prétendre à l’exhaustivité, ni à
une accumulation de jugements péremptoires, qui ne renverraient qu’à l’imaginaire partisan de leurs auteurs.
L’idéal serait bien que chacun des collaborateurs d’un tel ouvrage mette son point d’honneur à communiquer
aux lecteurs son propre savoir sans pour autant surévaluer l’importance du domaine où s’exerce ce savoir. Le
cinéma, n’étant pas un art figé, ne peut éternellement suivre certaines « échelles de valeur » qui lui ont été
appliquées par les pionniers de la critique. Cet art du mouvement est aussi un art « en mouvement », influencé
par l’air du temps, les climats politiques, sociaux, économiques, psychologiques, voire oniriques, et nullement
insensible aux modes esthétiques et aux codes de la morale. Par ailleurs, les grands films sont loin d’être tou-
jours ceux qui n’ont pas rencontré leur public, et l’aval des spectateurs n’est pas non plus un critère de qualité,
loin s’en faut. La rigueur la plus efficace n’empêchera jamais les erreurs de s’infiltrer, car le recul n’est que relatif
et la sensibilité de celui qui écrit partiale de nature. Nous revendiquons donc le droit à l’erreur comme faisant
partie des règles du jeu. Mais nous souhaitons également éviter tout jugement qui ne tienne compte des cor-
rections apportées par le temps et l’évolution des moeurs et des formes.

Comme Henri Langlois, nous pensons qu’il faut « sauver » tous les films, y compris ceux qui nous apparaissent
aujourd’hui comme médiocres, afin de préserver une éventuelle remise en question dans l’avenir. Les films
dépourvus de valeur artistique sont en effet parfois précieux pour le sociologue, qui peut ainsi prendre le pouls
d’une époque dans la représentation la moins sophistiquée qu’elle donne d’elle-même. Mais les limites mêmes
d’un dictionnaire obligent au choix, à la sélection. L’historien dans ce domaine doit apprendre la modestie tout en
s’imposant comme règle essentielle de faire partager sa propre passion. Un dictionnaire de cinéma n’est rien s’il
n’aiguise pas la curiosité de ceux qui le consultent. Il n’est rien non plus s’il ne parvient pas à rendre contagieux
cet esprit d’enthousiasme, cette ouverture sur le monde et aussi cette lucidité à l’égard des pouvoirs de l’image.
Il devrait en conséquence tempérer les effets nocifs du sectarisme et de cette publicité dévoyée que l’on appelle
le « matraquage ».

Un dictionnaire dont l’ambition serait d’être la mémoire vivante du cinéma se doit donc de privilégier le ren-
seignement. Il doit aussi se livrer plutôt qu’à la polémique à l’analyse – même subjective – des courants et des
oeuvres.

Parmi tous ceux qui ont aimé le cinéma, parmi tous ceux qui ont cherché à propager autour d’eux cette passion,
une place privilégiée doit être réservée aux « éveilleurs ». Avouons notre dette particulière à trois d’entre eux. Les
deux premiers, André Bazin et Jean-Louis Bory, critiques, essayistes, quoique fort différents l’un de l’autre, ont su
poser des questions au cinéma, faire en sorte que le lecteur s’interroge à son tour et devienne ainsi un amateur
à la fois éclairé, exigeant et fondamentalement curieux lui aussi. Le troisième – auquel personnellement je dois
beaucoup – est un combattant de l’ombre. Jean-Louis Cheray pendant de nombreuses années a animé avec une
sympathie chaleureuse les « mardis » du Studio Parnasse à Paris. Il a formé toute une génération de cinéastes et de
critiques. Mais son plus beau mérite aura été sans doute d’avoir formé toute une génération de spectateurs. C’est à
ces « éveilleurs », ces hommes de passion communicative, ces hommes DEBOUT que nous dédions ce dictionnaire.

JEAN-LOUP
PASSEK
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Avant-propos

dictionnaire général du cinéma se doit On remarquera donc l’étendue d’un souci d’informa-
de répondre aujourd’hui à un besoin de tion portant bien au-delà des limites acceptées par les

Un
universités,
plient,
plus en plus manifeste,
où les chaires
aussi bien que par le public
de cinéma
exprimé par les
se multi-
des amateurs.
ouvrages
les meilleurs
qu’il est loisible
dictionnaires
de consulter,
anglo-américains.
font d’ailleurs l’impasse, à peu d’exceptions
y compris par
Lesquels
près, sur ce
qui ne relève ni de la production des pays occidentaux
La « civilisation de l’image » qui s’est imposée au
ni de la période classique russe et soviétique (la seule
monde moderne a reconnu l’art du film comme un art « ouverture » récente de ces dictionnaires concerne
majeur, d’abord nourri de ceux qui l’avaient précédé le Japon). Or, une volonté, plus que jamais logique,
depuis des siècles, puis les enrichissant à son tour et de satisfaire à une connaissance comparée du cinéma
même, parfois, assurant le relais de quelque tradition considéré comme un art, de ses origines à nos jours, ne
– animation, opéra chinois... –, ou, hélas, contribuant pouvait que prévaloir pour la conception, l’organisa-
à leur effacement, comme en témoigne la disparition tion et la rédaction du présent ouvrage.
progressive du théâtre rural en Inde... La conception
Il importait de rompre avec une habitude de mépris,
du présent ouvrage ne pouvait être en conséquence
ou d’ignorance (mais, en matière de connaissance, n’y
qu’internationale, au sens le plus large, et encyclopé-
a-t-il pas réversibilité, à l’évidence, de ces facteurs ?),
dique dans ses entrées, afin de satisfaire à des interro-
qui pèse sur des productions parfois aussi anciennes
gations complémentaires et d’offrir à la recherche les
que l’art même du film ou qui ne se sont au contraire
indispensables orientations historiques, techniques,
développées qu’après l’accès à l’indépendance des im-
économiques ou esthétiques sur l’art et l’industrie du
menses territoires coloniaux. La reconnaissance de ces
film dans le monde, des origines de la prise de vues à
nombreuses cinématographies – d’Australie, du Brésil,
l’année même de sa publication.
de l’Egypte, de l’Inde, du Maroc ou de la Thaïlande... –,
Aussi les entrées concernent-elles les hommes qui saisies à travers l’histoire, les données économiques,
font le cinéma – cinéastes, opérateurs, inventeurs, esthétiques ou sociologiques, se devait d’exclure l’à-
musiciens, scénaristes, décorateurs... ; les studios et peu-près, de récuser la surenchère ou la dépréciation
les firmes de production ; les acteurs (en mettant en artificielles. Aussi un nombre important d’artistes,
valeur l’impact qu’ils ont pu avoir sur la sensibilité ou la d’hommes de cinéma, qui ont participé au développe-
mythologie sociale de leur temps) ; les réglementations ment du 7e art dans le monde, qu’ils soient chinois ou

qui gèrent ou étranglent ou protègent... ; les « genres » ivoiriens, argentins ou portugais, grecs ou cinghalais,

dont le succès s’est imposé dans la durée, et dont l’évo- polonais ou finlandais, ont-ils ici leur place, à leur rang.

lution, éthique ou technique, se doit d’être analysée : Le refus de ce qui est différent a commencé de céder

western, musical, thriller, catastrophe, péplum, science- sous la poussée des festivals, des manifestations, des

fiction, dessin animé... Il appartenait également à un programmes d’art et essai, éveillant l’intérêt du public.

ouvrage de cette nature et de cette ambition de faire le Il nous est apparu primordial d’aider à une telle évolu-

point, historique et technique, sur les aspects multiples tion, donc à l’accueil des cinémas à venir, par l’informa-

de la « mécanique » et de l’exploitation cinématogra- tion comparée, commentée, situant sans préjugé et les

phiques, sur les appareils, les procédés (procédés op- hommes et les oeuvres.

tiques, sonores, couleur, trucages, procédés de copie Le film, en effet, est comme toute création le produit
et de conservation, acoustique et formats...). Ce sont d’une culture et d’un moment. Combien de cinéastes
les jalons de l’histoire technique du film, les progrès qui sont nés dans une entité depuis longtemps disparue,
ont permis son extraordinaire évolution esthétique et l’Autriche-Hongrie, et combien peu de cinéastes polo-
sociologique. Une attention particulière a été donnée à nais, par exemple, ont eu la chance de naître et de vivre
cette part essentielle du livre, rédigée dans un langage dans une Pologne libre ? À partir de 1932, la plupart des
que nous espérons clair, accessible au non-initié, et créateurs ont dû fuir devant le nazisme. Cet apport des
néanmoins d’une constante précision. cultures d’Europe centrale à la créativité, à la richesse
du cinéma américain est considérable. Au contraire, on et l’argumentation de chacun des rédacteurs d’un ou-
le verra dans ces pages, l’influence « hollywoodienne » vrage qui n’a pas été conçu comme un palmarès, mais
sur les pays d’Amérique latine a le plus souvent été comme un livre de référence s’ouvrant aussi largement
négative. En Chine, les guerres, puis le terrorisme idéo- que possible à une curiosité « plurielle », qu’il s’agisse
logique ont mutilé la carrière de tous les grands ac- du cinéma des pionniers d’hier ou du cinéma en train
teurs, de tous les cinéastes importants. Si peu de temps de se faire, ici même et dans le monde entier, sous les
qu’il ait duré, le néoréalisme, ce « mouvement » qui aspects les plus divers. On s’est efforcé d’en définir les

n’en était pas un, au sens d’école théorisante, a joué, limites comme les originalités, de faire connaître et

longtemps encore après sa disparition, un rôle réno- comprendre les différences sans les ériger pour autant

vateur (ou d’incitation) dans les pays les plus éloignés. en valeurs absolues.

De curieuses interactions ont eu lieu, d’autres se font L’ampleur du panorama ainsi dessiné fait, par voie
jour encore. Des formes de récit cinématographiques de conséquence, que les rapports et les perspectives
se recopient ; d’autres, en Asie ou dans les ateliers de peuvent paraître nouveaux. Si les cinémas d’Europe
l’underground, sont soudain capables de nous étonner. occidentale, et le cinéma américain, demeurent large-
Cette diversité, ces rapports ont été pris en compte. ment dominants, le lecteur verra qu’ils ne sont pas iso-
L’économie générale du livre propose donc un équi- lés au coeur d’un monde « indéchiffrable » jusqu’alors
libre nouveau des valeurs sans, nous l’avons souhaité et ignoré, qu’il s’agisse de l’Amérique latine ou de l’Orient
nous y avons veillé, discrimination ni démagogie. Sans, C’est dans le respect de ces réalités que nous avons
non plus, nous le croyons, trop d’insuffisances. travaillé.

Pourtant, la connaissance du cinéma, art nouveau, Une entreprise de cette nature ne peut citer ses
industrie récente, demeure entachée d’incertitudes, sources : on trouvera donc une orientation bibliogra-
sinon d’erreurs. Que d’oeuvres perdues et détruites, et phique en fin d’ouvrage, classée en fonction des en-
que de films plus que difficilement accessibles ! Plus trées. Écrire cependant que l’histoire du film ou que les
on ouvre le champ de l’intérêt, plus les zones d’ombre travaux les plus connus sont des modèles de fiabilité
s’étendent. Priorité des brevets, exactitude des géné- scientifique équivaudrait, rappelons-le, à une politesse
riques, intégrité des copies, état civil des personnes, il de pure forme. Témoignages et sources se contredisent
n’est rien qui ne fasse problème. Nous sommes bien à l’envi et charrient inlassablement les mêmes erreurs.
éloignés du terrain balisé de la littérature. L’archivage Le présent dictionnaire n’en est sans doute pas exempt,
est, comme la conservation des films, presque par- et nous sommes par avance reconnaissants au lecteur
tout aléatoire. Bien peu d’oeuvres ont été sauvées des qui prendrait la peine de nous les signaler.
productions indiennes et de celles du Japon pour les
Une remarque encore, qui a trait à la finalité même de
années antérieures à la Seconde Guerre mondiale... On
cet ouvrage.
comprendra que nous ayons partout préféré la pru-
Si, à son stade primitif, le cinéma eut la chance d’être
dence là où les documents font défaut.
adopté et popularisé par les forains, et par ailleurs, lit-
Afin d’assurer (dans ces conditions d’inconfort « histo- téralement colporté à mesure qu’il enregistrait l’événe-
rique ») un maximum d’entrées biofilmographiques, on ment – l’actualité – grâce à ses propres opérateurs, il ne
s’est efforcé de restreindre raisonnablement l’ampleur parvint pas aisément à se faire admettre au rang des
des articles consacrés aux sujets pour lesquels le lec- arts. « Art de saltimbanque » : il resta ainsi longtemps
teur, même non spécialiste, dispose déjà de travaux, marqué, pour les meilleurs esprits, en dépit de la cau-
de vulgarisation ou de référence. Le plus « connu » tion ou de la collaboration (heureuse ou malheureuse)
n’est donc pas privilégié. Qui, d’ailleurs, feindrait de de personnalités parfois prestigieuses. Dans plusieurs
croire que le succès du jour gage le futur ? Mais aussi, pays, il passa pour une émanation des pouvoirs infer-
qui n’est porté à voir un rapport direct de la longueur naux ou plus simplement pour le repaire de gens de
d’un article à l’importance de l’oeuvre ? Le principe n’est mauvaises moeurs. Il reste un objet de suspicion pour
ni tout à fait faux, ni tout à fait vrai. Des inconnus du tout pouvoir politique autoritaire. Nous ne sommes
grand public ont souvent joué un rôle de premier plan ; pas certains que toutes les réticences, que toutes les
d’autre part, bien des oeuvres ne répondent plus à leur incompréhensions soient tombées aujourd’hui encore.
niveau de réputation. Il convenait donc de pondérer Mais la réprimande fameuse : « perdre son temps à
lignage et opinions, tout en respectant la sensibilité lire ! » n’aurait-elle pas disparu des comportements –

DICTIONNAIRE DU CINÉMA
si elle en a disparu effectivement – que parce qu’on de la vision de Faure, de celle d’André Malraux, de Bela
croit que les enfants ne lisent plus ? Ils voient des films Balázs ou d’Eisenstein. Car ils furent parmi les premiers
– et la télévision. Nous aimerions qu’ils apprennent à
à concevoir et à situer le cinéma, dans son apparte-
voir le cinéma avec l’émerveillement des lecteurs de
nance à une culture, à une réalité sociale, économique
Jules Verne autrefois, ou avec celui d’un Élie Faure face
et politique, en tant qu’oeuvre à part entière se devant
à la naissance d’un art nouveau, le film, le seul des arts
inventés depuis quelque deux mille ans et qui vient de fonder, techniquement et esthétiquement, ses lois

de fêter son premier siècle. S’il est une dette de l’esprit propres.

qu’on doive avouer, qu’on doive revendiquer ensemble


en signant cet ouvrage, c’est bien à l’égard de la leçon, LECOMITÉDE RÉDACTION

DICTIONNAIRE DU CINÉMA
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

À l’attention du lecteur

ENTRÉES BIOGRAPHIQUES est en régression, mais on n’a pas cru devoir modifier
l’usage. On s’est cependant efforcé de limiter à des indi-
Les biographies sont classées naturellement au pa-
cations essentielles (voyelles longues , , ) les signes
tronyme usuel. Le ou les prénoms et le patronyme
dont le lecteur n’a pas l’habitude ; les voyelles sont à
d’origine sont indiqués entre parenthèses ainsi que
peu près équivalentes en prononciation aux voyelles
les dates et lieux de naissance et éventuellement de
anglaises, langue qui donne d’ailleurs des noms arabes
décès. On remarquera entre crochets les réserves qu’il
une transposition plus fidèle à l’oreille pour ce qui n’est
convient de signaler [?] quant à l’exactitude des rensei-
pas le Maghreb (Muhammad au lieu de Mohamed).
gnements obtenus. Les modifications apportées par
l’histoire récente à la toponymie et aux nationalités ont JAPON. Les noms japonais obéissaient à un usage qui

été mises en évidence. Il n’est pas indifférent, et il est voulait que le patronyme précédât le prénom (Mizo-

même parfois essentiel, de pouvoir situer les hommes guchi Kenji ou Kurosawa Akira par exemple). Cet usage

dans leur contexte historique, linguistique ou poli- se perd au profit du mode de présentation occiden-

tique. Pour la Grande-Bretagne, on a précisé l’appar- tal, que nous avons adopté. Dans les notices biogra-

tenance à l’Écosse, à l’Irlande (ou à l’Ulster), au pays de phiques, le prénom figure donc entre parenthèses à la

Galles ; les États sont indiqués pour l’Australie et l’Inde, suite du patronyme. La translittération choisie est celle

les provinces pour le Canada et la Chine ; l’abréviation qui est en usage universellement. Les voyelles longues
sont repérables grâce à un tiret (, , ). Il convient de
des États selon la liste ci-après suit toujours le nom des
savoir que le u doit être lu ou et que le g est toujours
localités sises aux États-Unis ; d’une manière géné-
dur.
rale, on s’est efforcé d’éviter les sources de confusion,
quitte à noter, si nécessaire, les États du Brésil ou les HONGRIE. Les noms hongrois obéissent, en ce qui
préfectures du Japon. Enfin, on s’est attaché à souligner concerne la place du patronyme et du prénom, à la
l’appartenance aux différentes nationalités soviétiques même règle que les noms japonais.
(Azerbaïdjan, Géorgie, Ukraine, Estonie, Ouzbékistan,
etc.) ou aux groupes linguistiques et culturels d’Asie et TITRES DE FILMS
d’Afrique (hindi, malayalam, wolof...). Les titres des films étrangers, qu’ils apparaissent dans le
corps des articles ou dans les filmographies, sont traités
TRANSLITTÉRATION DES NOMS ET à partir des règles suivantes :
TITRES DE FILMS
– le titre français en usage (c’est-à-dire adopté lors de
La translittération des noms a tenu compte du souci
la sortie « commerciale » du film) est toujours employé
du lecteur de retrouver aisément ceux que l’usage a
prioritairement ; il est suivi, dans le texte (s’il n’y a pas
imposés, mais que des systèmes récents transforment de filmographie ou s’il n’y est pas repris), du titre origi-
parfois radicalement. nal entre parenthèses et de l’année de sortie du film ;

URSS. Les noms russes sont classés selon l’ancienne – si le titre de la version française n’a pas prévalu ou se
graphie, la translittération nouvelle figurant cependant révèle inutile, le titre original est seul utilisé (ex. : Sta-
entre crochets. En revanche, le système recommandé zione Termini ; La dolce vita) ;
par l’Organisation internationale de normalisation a été
– si, faute d’exploitation, un titre français n’a jamais été
adopté pour les titres des films.
reconnu, on a conservé le titre original pour les lan-
CHINE. Les noms et les titres chinois sont transcrits gues suivantes, considérées comme les plus usuelles :
selon la méthode pinyin, mais le particularisme pré- anglais, allemand, espagnol, italien et portugais ;
senté par Hongkong crée quelques distorsions à cette
– pour les autres langues, une traduction littérale est
règle.
proposée et signalée par des guillemets anglais [“ ”] (qui
PAYS ARABES. Les noms et les titres arabes présentent évitent de prendre le titre pour une « citation » ou de le
souvent de notables différences selon les ouvrages considérer comme usuel). Le lecteur ne doit cependant
consultés. La francisation traditionnelle au Maghreb attribuer à ces guillemets qu’une valeur indicative : ils
signalent moins une affirmation qu’une réserve. Il nous En cas de production étrangère ou de coproduction,
a semblé important, en effet, de ne pas créer de confu- les noms des pays concernés sont indiqués au moyen

sion entre une équivalence littérale et un titre passé de lettres-code.

dans l’usage. Il arrive cependant que la fréquence avec Les téléfilms n’apparaissent dans un article que
laquelle un film apparaît dans les histoires du cinéma lorsqu’ils ont eu une importance particulière dans la
et les ouvrages de référence, ou avec laquelle il est carrière du cinéaste ou de l’acteur cité. Les filmogra-
projeté dans les festivals et les rétrospectives, confère phies complètes excluent donc (sauf exceptions) les
au titre français, à défaut de la reconnaissance d’une films conçus pour une diffusion à la télévision et qui
exploitation commerciale, une valeur définitive, auquel n’auraient pas connu ultérieurement d’exploitation en

cas les guillemets anglais sont abandonnés. salle de cinéma.

FILMOGRAPHIES DATATION DES FILMS

Lorsqu’une filmographie est complète au dernier film Il est souvent très délicat de dater un film. Il faut choisir
entre la date du début ou de la fin de tournage, celle du
cité, le signe apparaît en fin d’article, lorsque tous
copyright, celle des premières projections privées, des
les films sont inclus dans le texte. Lorsque le signe
présentations corporatives ou de gala, enfin celle de la
n’apparaît pas, la filmographie est sélective.
première projection publique en salle. Nous avons opté
Dans les articles consacrés aux cinéastes, tout film cité pour cette dernière. Il peut arriver cependant que la
l’est sous son titre français, suivi, entre parenthèses, de sortie d’un film soit retardée pour des raisons diverses
son titre original et de sa date de sortie dans son pays (décès, censure, événements historiques ou politiques
d’origine. Dans les autres articles biographiques, seul ou tout simplement faute de distribution immédiate).

le titre français apparaît (s’il existe ou si l’équivalence Dans le cas où l’écart entre la finition et l’exploitation

littérale s’impose), suivi entre parenthèses du nom du commerciale du film dépasse deux années, les deux

réalisateur et de la date de sortie du film dans son pays dates sont signalées (la date de fin de tournage est indi-

d’origine. Pour connaître le titre original d’un film, il suf- quée par l’abréviation RÉ).

fit donc de se reporter à l’article consacré au cinéaste Rappelons l’incertitude et la fragmentation des don-
cité. Nous avons voulu éviter l’un des inconvénients nées d’archives de l’histoire du cinéma. Si, pour cer-
majeurs que l’on rencontre dans de nombreux diction- tains pays, des renseignements fiables peuvent être
naires anglo-américains, qui, d’une part, n’indiquent aujourd’hui obtenus, pour d’autres, l’absence de docu-

pas toujours le titre original des films cités et, d’autre ments précis nous a conduits à suivre les sources exis-

part, omettent le nom des cinéastes dans les filmogra- tantes à défaut de pouvoir toujours les vérifier.

phies d’acteurs ou de techniciens. Articles sur l’histoire des cinématographies nationales

Une barre oblique (/) séparant les titres de films signifie L’astérisque (*) indique une entrée dans le dictionnaire
que le film cité a été connu sous deux titres différents, à l’ordre alphabétique.
soit deux titres dans la langue du pays producteur
d’origine, soit deux titres dans deux langues différentes PALMARÈS
s’il s’agit d’une coproduction internationale ou encore Les palmarès des principaux prix et festivals sont re-
de deux marchés différents. groupés page.
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Abréviations

Abréviations usuelles
ADAPT Adaptation INT Interprète, acteur

ANIM Film d’animation LM Long métrage

ASS Assistant MM Moyen métrage

CHOR Chorégraphe chorégraphie MONT Montage

CM Court métrage
MUS Musique, musicien

CO En collaboration/
PH Directeur de la photo,
coréalisation/coscénario/
chef opérateur, photographie
cophotographie...
PR Production, producteur
COMM Commentaire
RÉ Réalisation, réalisateur
COUL Couleur

SC Scénario, scénariste
DA Dessin animé

DEC Décor, décorateur TH Théâtre

DIAL ou D Dialogue, dialoguiste ASS/RÉ Assistant réalisateur

DOC Documentaire VF Version française

D’AP D’après, adapté de VO Version originale

Abréviations des états et district des États-Unis


(Ala.) Alabama (Ga.) Géorgie

(Alaska) Alaska (Haw.) Hawaii

(Ariz.) Arizona (Idaho) Idaho

(Ark.) Arkansas (Ill.) Illinois

(Ca.) Californie (Ind.) Indiana

(N.C.) Caroline du Nord (Iowa) Iowa

(S.C.) Caroline du Sud (Kans.) Kansas

(Colo.) Colorado (Ky.) Kentucky

(Conn.) Connecticut (La.) Louisiane

(N.D.) Dakota du Nord (Maine) Maine

(S.D.) Dakota du Sud (Md.) Maryland

(Del.) Delaware (Mass.) Massachusetts

(D.C.) Distr. de Columbia (Mich.) Michigan

(Fla.) Floride (Minn.) Minnesota


(Miss.) Mississippi (Pa.) Pennsylvanie

(Mo.) Missouri (R.I.) Rhode Island

(Mont.) Montana (Tenn.) Tennessee

(Nebr.) Nebraska
(Tex.) Texas
(Nev.) Nevada
(Utah) Utah
(N.H.) New Hampshire
(Vt.) Vermont
(N.J.) New Jersey
(Va.) Virginie
(N.Y.) New York
(W.Va.) Virginie-Occid.
(N.Mex.) Nouveau-Mexique

(Ohio) Ohio (Wash.) Washington

(Okla.) Oklahoma (Wis.) Wisconsin

(Oreg.) Oregon (Wyo.) Wyoming

Abréviations des noms de pays


AFRS Afrique du Sud ESP Espagne

ALB Albanie US États-Unis

ALG Algérie ETH Éthiopie

ALL Allemagne FIN Finlande

ARG Argentine FR France

AUSTR Australie GB Grande-Bretagne

AUT Autriche GR Grèce

BEL Belgique HK Hongkong

BOL Bolivie HONG Hongrie

BR Brésil INDE Inde

BULG Bulgarie INDON Indonésie

CAM Cameroun IRL Irlande

CAN Canada ISR Israël

CHIL Chili IT Italie

CHINE Chine JAM Jamaïque

CR Costa Rica JAP Japon

CDI Côte-d’Ivoire KOW Koweït

DAN Danemark LIB Liban

EG Égypte MAD Madagascar

EQU Équateur MAL Malaisie

DICTIONNAIRE DU CINÉMA
MALI Mali RFA Rép. féd. d’All.

MAR Maroc ROUM Roumanie

MAUR Mauritanie SEN Sénégal

MEX Mexique SRL Sri Lanka

NIC Nicaragua SUE Suède

NOR Norvège SUI Suisse

NZ Nouvelle-Zélande SYR Syrie

PAK Pakistan TCH Tchécoslovaquie

PAN Panamá THAI Thaïlande

PAR Paraguay TUN Tunisie

PB Pays-Bas TUR Turquie

PER Pérou URSS Union soviétique

PH Philippines URUG Uruguay

POL Pologne VEN Venezuela

POR Portugal VIET Viêt-nam

RDA Rép. démocr. all. YOUG/YU Yougoslavie

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AAES (Erik), décorateur danois (Nordby Gabriele
a Salvatores (Marrakech Express, Topaze en 1933. Malgré l’accueil chaleu-
1899 - Charlottenlund 1966). 1989 ; Strada blues, 1990 ; Mediterraneo, reux du public et de la critique, d’Arrast se
Assistant décorateur à la Nordisk Film 1991 ; Puerto Escondido, 1992 ; Nirvana, voit éloigné de Hollywood par des produc-
Kompagni et au Folkteatret à Copen- 1997) et Giovanni Veronesi (Per amore teurs avec qui il entrait souvent en conflit.
hague, il collabore avec Sven Gade à Ber- solo per amore, 1994 ; Il barbiere di Il tourne The Three Cornered Hat (1934)
lin de 1920 à 1922, puis vient en France, Rio, 1996). Désormais associé au suc- en Espagne d’après Alarcón. Après la
où il se lie avec les meilleurs réalisateurs cès de nombreux films (Nel continente guerre, il s’installe sur la Côte d’Azur, où il
de l’époque : Alberto Cavalcanti (Yvette, nero, M. Risi, 1993 ; E’ arrivata la bufera, meurt vingt ans plus tard, oublié de tous.
1927 ; En rade, id. ; la P’tite Lili, 1928) et D. Luchetti, id. ; Il toro, C. Mazzacurati,
Jean Renoir (la Petite Marchande d’allu- id. ; Camere da letto, S. Izzo, 1997 ; Matri- ABBAS (Khwaja Ahmad), cinéaste in-
mettes, 1928), pour lesquels il invente moni, C. Comencini, 1998 ; Il testimone dien (Panipat, Pendjab [auj. Haryana],
un univers décoratif baigné d’une poésie dello sposo, P. Avati, id. ; Concorrenza 1914 - Bombay 1987).
sans afféterie. De retour dans son pays, il sleale, E. Scola, 2001), il réussit à impo- D’abord journaliste de cinéma au Bom-
travaille avec Carl Dreyer (Dies irae/ Jour ser une personnalité généreuse d’homme bay Chronicle, il fonde l’Association théâ-
de colère, 1943 ; Ordet, 1955), retrouve extraverti à la façon méridionale. Parallè- trale du peuple indien (IPTA), qui monte
Cavalcanti à Vienne en 1956 pour son lement, il s’implique dans l’écriture, parti- des pièces et produit des films à préoc-
adaptation de Brecht (Maître Puntila et cipant aux scénarios de In barca a vela cupations sociales. Marqué par l’agita-
son valet Matti, 1956), puis épaule les contromano (S. Reali, 1997) et Figli di tion de masse de son temps, influencé
deux chefs de file du nouveau cinéma par Upton Sinclair et John Steinbeck, il se
Annibale (D. Ferrario, 1998).
danois : Palle Kjaerulff-Schmidt (Week- veut socialiste sans parti. Tous ses films,
End, 1962) et, surtout, Henning Carlsen ABBADIE D’ARRAST (Harry d’), cinéaste sans cesser d’être des mélodrames,
(la Faim, 1966), qui lui offre l’occasion américain (Buenos Aires, Argentine, 1897 - abordent des thèmes sociaux ou poli-
d’achever sa carrière sur une superbe Monte-Carlo 1968). tiques (la famine, l’enfance abandonnée,
recréation d’atmosphère (Christiania, la D’origine française basque, élève au l’irrigation, les luttes de libération natio-
capitale de la Norvège en 1890). lycée Janson-de-Sailly à Paris, Harry nale), mais aucun n’a obtenu le succès
d’Abbadie d’Arrast, l’un des plus brillants de ceux qu’il a écrits pour Raj Kapoor :
AATON CAMÉRA
auteurs de comédies cinématogra- ‘ le Vagabond ’ (1951), ‘ Monsieur 420 ’
phiques à Hollywood dans les années 20, (1955), ‘ Dans l’ombre de la nuit ’ (1957)
ABATANTUONO (Diego), acteur italien
a connu une carrière météorique. Il arrive ou Bobby (1978). Langue : hindi.
(Milan 1955).
à Los Angeles en 1922, travaille avec Films ‘ les Enfants de la terre ’ (Dharti
Très célèbre en Italie où il fait figure de
Chaplin sur l’Opinion publique (1923), Ke Lal, 1946) ; ‘ l’Enfant perdu ’ (Munna,
star, Abatantuono provient du cabaret où
il a exercé ses talents dans le groupe des puis devient son assistant pour la Ruée 1954) ; ‘ l’Étranger ’ (Pardesi, 1957 ; co-
« Chats de la ruelle des miracles ». À par- vers l’or (1925). Il suit Adolphe Menjou prod. avec Mosfilm [URSS]) ; ‘ le Rêve et
tir de 1976, il tourne dans une vingtaine à la Paramount et signe en 1927 un la Cité ’ (Gyarah Hazaar Ladkiyan, 1962) ;
de comédies populaires qui lui valent un contrat de quatre films pour cette com- ‘ Bombay en pleine nuit ’ (Bombai Raat Ki
succès considérable malgré la médiocrité pagnie. Ce sont des comédies de moeurs Bahon Mein, 1968) ; ‘ Sept Indiens ’ (Saat
des films. Pressentant ses qualités de élégantes, brillantes, au rythme nerveux Hindustani, 1969) ; ‘ Deux Gouttes d’eau ’
comédien, Pupi Avati lui donne sa vraie et à la photographie chatoyante. On y (Do Boond Pani, 1971) ; The Naxalites
chance en 1986 avec Regalo de Natale, sent l’influence de Lubitsch et du Cha- (1980).
suivi en 1987, d’Ultimo minuto aux côtés plin de l’Opinion publique. Après ce carré
d’Ugo Tognazzi. Repéré également par d’as (Service for Ladies, A Gentleman of ABBOTT (George), cinéaste américain
Luigi Comencini (Un garçon de Calabre Paris, Serenade, 1927 ; The Magnificent (Forestville, N. Y., 1887 - Miami Beach, Fla.,
[Un ragazzo di Calabria], 1987), il devient Flirt, 1928), il tourne encore Dry Martini 1995).
un acteur fétiche pour Giuseppe Berto- (1928), Raffles (non crédité et terminé par Son activité d’auteur et de metteur en
lucci (Strana la vita, 1988 ; I cammelli, id.) George Fitzmaurice), Laughter en 1930, scène à Broadway est très novatrice : On
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Your Toes (1936) élargit le rôle du ballet, ‘ABD AS-SALAM (Shadi), cinéaste égyp- ABEL (Alfred), acteur allemand (Leipzig
Pal Joey (1940) invente un ton effronté, tien (Alexandrie 1930 - Le Caire 1986). 1879 - Berlin 1937).
On the Town (1944) modernise l’image Diplômé en architecture (Beaux-Arts du Après divers métiers, il se consacre au
de la ville. Ces trois comédies musicales Caire), il s’oriente vers le cinéma : as- théâtre et, dès 1913, au cinéma sous
inspireront Hollywood. Le film de Paul sistant décorateur (Cléopâtre, de Man- l’impulsion d’Asta Nielsen. Parmi les
Fejos, Broadway (1929), doit son pathos kiewicz) ; directeur artistique (Pharaon, nombreux films qu’il a tournés, on ne peut
de Kawalerowicz ; Lutte pour la survie, guère retenir que ses collaborations avec
au livret dont Abbott est le coauteur. Il
de Rossellini, film de la RAI). Réalise la Fritz Lang (Docteur Mabuse, Metropo-
réalise lui-même Why Bring That Up ?
Momie (al-Mumiya‘, 1969), dont la sobre lis) et avec Murnau (la Terre qui flambe,
(1929) et l’adaptation de trois pièces qu’il
beauté et le regard porté sur l’Égypte Phantom, les Finances du grand-duc). Il
a montées : Too Many Girls (1940) et, en
étonnent. Primé plusieurs fois, le film y a imposé un personnage élégant et dis-
collaboration avec Stanley Donen, Pique-
attend dix ans une sortie bâclée au Caire. tingué, toujours plein de dignité et d’hu-
Nique en pyjama (The Pajama Game,
Directeur du Centre expérimental du film manité et souvent condamné à être la vic-
1957) et Damn Yankees (1958). dès sa création (1968), il y enseigne et time des méchants. On l’a vu aussi dans
pratique une conception exigeante du l’Argent de L’Herbier et dans le pamphlet
ABBOTT (William, dit Bud), [Asbury Park, cinéma : le Paysan éloquent (al-Fallah antimilitariste la Mort invisible de Mikhaïl
N. J., 1895 - Los Angeles, Ca., 1974] et COS- al-fa i, 1970, CM), les Armées du soleil Doubson. Il a réalisé lui-même trois films :
TELLO (Louis Francis Cristillo, dit Lou), [Pa- (Juyush ash-Shams, 1975), la Chaise Narkose (1929), Glückliche Reise (1933)
terson, N. J., 1906 - Beverly Hills, Ca., 1959], (Kursi Tut’Amnakh Amun adh-dhahabi, et Alles um eine Frau (1935), où l’on dé-
acteurs américains. 1982). cèle l’influence des grands maîtres avec
Abbott, le faire-valoir, est maigre et
lesquels il a travaillé, Murnau et Lang.
intraitable ; Costello, le bouffon, gros et ABDRACHITOV (Vadim) [Vadim Jusupovi
niais. Rodé au théâtre et à la radio, leur Abdrašitov], cinéaste soviétique (Kharkov, ABERRATION.
comique se fonde sur des situations ab- Ukraine, 1945). Défaut susceptible d’affecter l’image
Diplômé en 1967 de l’Institut technique
surdes et une folle mécanique verbale. fournie par un objectif : aberration chro-
de chimie de Moscou, il travaille d’abord
Buck Privates (A. Lubin, 1941) et Pardon matique, aberration de sphéricité, etc.
dans une usine d’électronique puis
My Sarong (E. C. Kenton, 1942) sont ( OBJECTIFS.)
aborde le cinéma au début des années
de grands succès du box-office. Deux
1970. Élève de Mikhail Romm et Lev ABOULADZÉ (Tenguiz) [Tengiz Evgen’evi
Nigauds contre Frankenstein (Abbott and
Koulidjanov, il réalise en 1974 son film Abuladze], cinéaste soviétique (Koutaisi,
Costello Meet Frankenstein de Charles de diplôme ‘ Arrêtez Potapov ’ (Ostanovite Géorgie, 1924 - Tbilissi 1994).
Barton, 1948) leur ouvre une voie nou- Potapova). On remarque dans ses films Avec son ami Revaz Tchkheidze, dont
velle, celle de la parodie ; une longue suivants, dont les scénarios sont écrits en la carrière se confondra avec la sienne
série s’ensuivra. collaboration avec Aleksandr Mindadze, jusqu’en 1956, il étudie à l’Institut théâ-
un non-conformisme évident et une pro-
tral de Tbilissi, puis au VGIK de Moscou
‘ABD AL-WAHHAB (Fatin), cinéaste égyp- pension à décrire la réalité sociale sans
(sous la houlette de Mikhail Romm et de
tien (1913-1972). masques ni mensonges : La Parole est
Sergueï Youtkevitch). Leur diplôme de
Assistant dès 1934 aux récents studios à la défense (Slovo dlja zašity, 1976),
fin d’études est un documentaire sur un
Mir du Caire, il y réalise en 1948 son pre- le Tournant (Povorot, 1978), ‘ la Chasse
grand compositeur géorgien : Dimitri Ara-
mier film, Nadiya. Le succès de ‘ la Maison aux renards’ (Ohota na lis, 1980), le Train
kichvili (Dimitrij Arakišvili, 1952). Quatre
hantée ’ (Bayt al-’achbah, 1951) incite les s’est arrêté (Ostanovilsja poezd, 1982), le
ans plus tard, ils cosignent un moyen
producteurs à exploiter l’acteur comique Défilé des planètes (Parad planet, 1984),
métrage, l’Âne de Magdana (Lurdža Mag-
Isma’il Yasin. Une fois dégagé de ces Plioumboum (Pljumbum ili opasnaja igra,
dany), dont les qualités de fraîcheur et de
films en série, ‘Abd Al-Wahhab s’oriente 1986), le Valet/le Domestique (Sluga,
sensibilité sont les signes avant-coureurs
1989), Armavir (id., 1991), Pièce pour un
vers une comédie de moeurs souvent d’une renaissance du cinéma géorgien,
passager (Pjesa dlja passažira, 1995),
heureuse, même si elle doit sacrifier aux dont ils seront effectivement, l’un comme
le Temps du danseur (Vremja tancora,
conventions, chant, danse et star system. l’autre, les principaux artisans. Abouladze
1997).
S’il rappelle Niyazi Muafa, il a plus d’iro- poursuit sa carrière en tournant désor-
nie et d’élégance. Ses satires narquoises mais seul ‘ les Enfants d’une autre’ (užie
ABE (Yutaka), cinéaste japonais (préf. de
d’une société satisfaite et crédule (‘ Ma deti, 1958) puis ‘ Moi, grand-mère, Iliko
Miyagi 1895 - Tokyo 1977).
femme est PDG ’ [Imra’ati mudir’am], Durant un long séjour (de 1912 à 1925) et Illarion ’ (Ja, babuška, Iliko i Illarion,

1965) ou ses comédies légères à la René à Hollywood, il suit des cours d’acteur, 1963). En 1968, il réalise un film poétique

travaille avec Sessue Hayakawa et tient et symbolique, l’Incantation ou la Prière


Clair (‘ le Fantôme de ma femme ’ [‘ Ifritu
de petits rôles, sous le nom de Jack (Mol’ba), qui se réfère à l’oeuvre du poète
mra’ati], 1968) lui confèrent une place
Abe, dans des films de Thomas Ince, national Važa Pšavela. Après le docu-
particulière dans les cinémas arabes. Il
Cecil B. De Mille et d’autres. De retour mentaire ‘ Un musée sous le ciel ’ (Muzej
a signé plusieurs sketches et 53 longs
au Japon, il tourne de très nombreuses pod otkrytym nebom, 1972), il tourne
métrages, dont ‘ Mademoiselle Hanafi ’
comédies à la Lubitsch, parmi lesquelles ’Un collier pour ma bien-aimée’ (Ožerel
(al-Anisa anafi, 1954), ‘ la Treizième
son plus grand succès, maintes fois re- dlja moej ljubimoj, 1973) puis l’Arbre du
Épouse ’ (az-Zawja ath-thalitha’achar,
pris, ‘ la Femme qui toucha les jambes ’ désir (Drevo želanija, 1976), une para-
1961), ‘ les Trois Cavaliers ’ (al-Fursan
(Ashi ni Sawatta Onna, 1926). Il réalise bole philosophique qui dépeint avec brio
ath-thalatha, id.), ‘ Renvoyé du paradis ’
environ cinq films par an pendant les et sympathie l’âme populaire géorgienne.
(aridu al-Firdaws, 1964), ‘ Terre de men-
années suivantes, dont plusieurs de En 1987, il obtient le Prix spécial du jury
songe ’ (Aru an-nifaq, 1968), ‘ Sept Jours à Cannes pour Repentir (Pokajanie, 1986
tendance nationaliste comme ‘ le Ciel en
au paradis ’ (Sab’atu ayyam fi aj-Janna, flammes ’ (Moyuru Ozora, 1940) ou ‘ le [RÉ 1984]), violente satire contre la dic-
1969), ‘ les Mensonges d’Ève ’ (Akadhibu Bouquet des mers du Sud ’ (Nankai no tature en général et celles de Staline et
Hawwa, 1970), ‘ le Fiancé de ma mère ’ Hanataba, 1942). Malgré les purges de Beria en particulier, dont le retentisse-
(Kha ib mama, 1971) et ‘ les Lumières de l’après-guerre, il poursuivra sa carrière ment fut considérable en URSS et qui
la ville ’ (Awa al-madina, 1972). jusqu’en 1961. apparut ensuite dans tous les pays du

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

monde comme l’un des films marquants représentatif, non objectif) va passer dès sont les premières oeuvres du Suédois
de la perestroïka de Gorbatchev. les années 20 pour la quintessence du Viking Eggeling et des Allemands Hans
cinéma, pour le cinéma le plus pur. Richter, Walter Ruttmann et Oskar Fis-
ABRAHAM (Fahrid Murray, dit F. Murray), C’est qu’il fait, dans son dépouillement, chinger. Dans ses Opus, Ruttmann —
acteur américain (Pittsburgh, Pa., 1939). ressortir deux caractères plus spécifiques qui fut sans doute le premier des quatre
Quand F.M. Abraham obtint l’oscar pour à montrer une oeuvre terminée, en 1921
encore du cinéma : l’un d’être un art du
sa création magistrale du tragique Salieri, — utilise peinture sur verre, dessins et
rythme visuel, l’autre d’être un art de la
rongé de jalousie et de remords, dans découpages, tandis que Eggeling filme
lumière. Autre paradoxe : cette probléma-
Amadeus (M. Forman, 1984), beaucoup des formes d’abord dessinées sur rou-
tique du cinéma pur, qui prétend libérer
se sont demandé d’où il sortait. Il avait ce- leaux (Diagonale Symphonie, sans doute
le cinéma de ce qui n’est pas essentiel-
pendant une carrière cinématographique finie en 1924). Les deux autres vont élar-
lement lui et donc de la tutelle des autres
et théâtrale conséquente : il avait débuté gir techniques et perspectives : tandis
arts (et qui consiste en fait à l’écarter du
en 1971 et avait déjà joué les seconds que Richter (Rythmus 21, 23 et 25, après
roman ou de la peinture figurative pour le
couteaux dans Scarface (B. De Palma, 1924) fait, dans Filmstudie (1926), de
rapprocher de la musique), est d’abord
1983). Depuis, dans le Nom de la rose (J.- l’abstraction avec des objets concrets —
une problématique de peintres et ne peut
J. Annaud, 1986) ou dans le Bûcher des comme parfois Gance dans la Roue
se dissocier du grand mouvement qui,
vanités (B. De Palma, 1990), il a continué
entre 1908 et 1914, fait sortir de l’ère de la (1921-1923) —, Fischinger, retrouvant
d’afficher la même discrétion et le même
représentation la peinture d’un Kandinsky, le souci des Castel, Scriabine, Baranoff-
talent. Au milieu de prestations toujours Rossiné et autres créateurs de pianos
d’un Mondrian, d’un Delaunay... ou d’un
inventives, même si le rôle relève du cli- optiques, s’intéresse aux rapports des
Arnaldo Ginna. Car le coréalisateur en
ché (sombre traître, très souvent, comme
1910, avec Bruno Corra son frère, du pre- formes abstraites avec la musique (Stu-
dans Last Action Hero, John McTiernan,
mier film abstrait a peint dès 1908 deux dien, 1929-1934). Après la montée du
1993), retenons le mystérieux professeur
toiles non figuratives. Cherchant à créer nazisme, tous deux émigrent aux États-
d’escrime de Par l’épée (By the sword,
des thèmes chromatiques qui soient au Unis, y fécondant un cinéma expérimen-
J. P. Kagan, 1993), figure d’abord sombre tal où les films abstraits existent déjà
tableau abstrait ce qu’un thème musical
puis émouvante, et toujours discrète,
est à un simple accord, les frères Corra- (H20, de Ralph Steiner, 1929 ; Rhythm in
comme F. Murray Abraham lui-même.
dini fabriquent d’abord un piano chroma- Light, de Mary Ellen Bute, 1936 ; Fantas-
tique (dont les 28 touches correspondent magoria I, de Douglas Crockwell, 1938).
ABRIL (Victoria Merida Rojas, dite Victoria),
à 28 ampoules colorées). L’insuccès de À ce moment-là, les oeuvres abstraites ou
actrice espagnole (Madrid 1959).
cette tentative les conduit au cinémato- semi-abstraites sont surtout faites, on l’a
Depuis son apparition mémorable en
graphe, et ils réalisent entre 1910 et 1912 vu, en Allemagne (où, en outre, Moholy
baigneuse nue dans la Fille à la culotte
des sortes de ballets de formes colorées Nagy filme en 1930 son modulateur lu-
d’or (V. Aranda, 1979), elle n’a cessé d’in-
directement peints sur la pellicule (ce que minocinétique dans Jeu de lumière noir,
carner à l’écran les brunes brûlantes et
fait, semble-t-il, de son côté, en 1911, blanc, gris), en France (Man Ray, Léger,
désirables (la Hora Bruja, J. de Armiñan,
l’Allemand Hans Stoltenberg). Un autre Duchamp, Chomette), en Angleterre (Len
1985 ; Attache-moi, P. Almodovar, 1990).
peintre, Léopold Survage, avec un point Lye, Blakeston et Bruguière, McLaren),
Mais, outre sa sensualité naturelle, qu’elle
de départ musicaliste du même genre, en Italie (Corrado d’Errico, Veronesi)
sait bien mettre en valeur, elle possède
peint entre 1912 et 1914 une centaine et en Pologne (Szczuka, Franciszka et
l’étoffe d’une comédienne sensible, parti-
de cartons destinés à donner, filmés un Stefan Thermerson). La situation change
culièrement douée pour les rôles drama-
par un, des Rythmes colorés. La guerre après 1940 : excepté Hains, La Villeglé,
tiques (Mater amatisima, Josep A. Sal-
fait échouer son projet. En 1915, paral- Hy Hirsch, Mitry, Breer et les lettristes en
got, 1980). Grande vedette en Espagne
lèlement à la conception de Vita futurista France ou Kubelka en Autriche, la plu-
(Padre nuestro, Francisco Regueiro,
(réalisé par Ginna), qui comprend, entre part des cinéastes utilisant l’abstraction
1985 ; La noche más hermosa, M. Gu-
autres, un passage semi-abstrait de jeux travaillent au Canada (McLaren) ou aux
tiérrez Aragón, id. ; Amantes, V. Aranda,
de lumière et, croit-on, un passage peint États-Unis (Grant, Harry Smith, Belson,
1991 ; Talons aiguilles, P. Almodovar,
sur la pellicule, les futuristes publient le les frères Whitney, Tony Conrad, Paul
id. ; Kika, id., 1993 ; Nadie hablará de
manifeste la Cinématographie futuriste, Sharits), du moins avant le renouveau
nosotras cuando hayamos muerto, Agus-
dont plusieurs propositions — « sympho- expérimental européen des années 70-
tín Díaz Yanes, 1995 ; Libertarias, V.
nies de couleurs, de lignes », « drames 80. Les nouvelles problématiques
Aranda, 1996 ; Entre les jambes/Entre las
d’objets », « reconstructions irréelles du (cinéma structurel ou minimal, cinéma
piernas, Manuel Gómez Pereira, 1999),
corps humain », « équivalences linéaires, élargi), qui font porter en quelque sorte
elle tourne aussi régulièrement en France
plastiques, chromatiques (...) de senti- l’abstraction sur le processus filmique
(la Lune dans le caniveau, J.-J. Beineix,
1983 ; Une époque formidable, G. Jugnot, ments, de poids, d’odeurs », « drames lui-même, l’étendent à presque tous les
de lettres humanisées » , « drames géo- films expérimentaux et rendent alors
1991 ; Casque bleu, id., 1994 ; Gazon
métriques » — annoncent bon nombre plus difficile la distinction entre cinéma
maudit, J. Balasko, 1995 ; la Femme du
des créations futures du cinéma abstrait. abstrait et cinéma non abstrait, déjà dé-
cosmonaute, Jacques Monnet, 1998 ;
Mon père, ma mère, mes frères et mes D’autres sont également sur cette piste : passée dans les années 20 par la com-

soeurs, Charlotte de Turckheim, 1999). le Russe El Lissitzky, le Hongrois Vilmos plexité d’oeuvres mixtes : Ballet méca-
Huszar, l’Anglais Duncan Grant et l’Alle- nique de Léger (1924) ou Emak Bakia
ABSTRAIT (cinéma). mand Werner Graeff, ces deux derniers de Man Ray (1927). C’est qu’il est divers
Toute forme de cinéma qui délaisse peu travaillant sur des rouleaux. Mais aucun degrés dans la non-figurativité et divers
ou prou l’aptitude de l’image à représen- n’aboutit alors et, comme les films futu- moyens d’y atteindre : radicalement, en
ter (voire simplement à évoquer) des ristes ont disparu, les seuls fragments de filmant des cartons monochromes et en
êtres ou des objets reconnaissables. cinéma abstrait antérieurs aux années 20 obtenant des clignotements, ou même,
Paradoxalement — car c’est ce pouvoir qui subsistent aujourd’hui sont quelques sans caméra, en faisant alterner pellicule
mimétique, accru par le mouvement, qui plans filmés dans des miroirs déformants vierge et amorce noire, voire en utilisant
avait paru à ses premiers spectateurs la par Abel Gance en 1915 (la Folie du le seul faisceau du projecteur (Kubelka,
principale vertu du cinématographe —, Dr Tube). En fait, les plus anciens films Conrad, Iimura, McCall). Ou bien en fai-
le cinéma abstrait (ou non figuratif, non entièrement abstraits que nous ayons sant paraître des dessins abstraits filmés

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

image par image (Eggeling), obtenus par recours à un support littéraire est une de l’islam honnête et solide, il se verra
ordinateur (Whitney) ou directement tra- constante du film égyptien, et Abu Sayf y confier en Iraq une superproduction histo-
cés sur la pellicule (Lye). Mais on peut souscrit en travaillant à partir de romans rique, al-Qadisiyya (1981). Mais son clas-
aussi — comme Mondrian passant peu ou d’oeuvres théâtrales, de scénarios sicisme demeure ouvert, dans le cadre
à peu des arbres et de la mer de Dom- commandés à des écrivains, notamment de son public. Avec plus de complexité
burg à des oppositions de verticales et à Nagib Mafu. L’importance consentie et de conviction que Barakat, il a mis en
d’horizontales pures — partir du concret aux dialogues sous-tend une oeuvre par lumière le statut de la femme égyptienne ;
pour fixer ce que celui-ci porte d’abstrait ailleurs attentive aux pouvoirs expressifs il a su dégager l’érotisme des séquences
ou pour brouiller ses apparences. La pre- de l’image et aux ressources offertes par de danse qui l’isolaient et le déviaient,
mière voie va des cadrages appliqués à le son et le montage, sans pour autant en en suggérant la force et le rôle par le
ne garder que les formes géométriques rompre avec les habitudes du public regard, le recadrage, voire la musique.
d’un mur ou les taches de couleur régu- oriental. Il a véritablement imposé le réalisme,
lières d’une frondaison jusqu’au cinéma Mais, cinéaste de studio par goût, et les thèmes sociopolitiques sont nom-
pur, qui, dans la Roue de Gance, chez Abu Sayf exige des reconstitutions mi- breux dans son oeuvre, miroir humaniste
Chomette, dans les derniers Dulac et nutieuses (les halles du Caire pour le (mais non privé d’humour) de l’Égypte
les premiers Ivens, ne fait que mettre en Costaud), réalistes et parfois d’une réelle contemporaine. Esthétiquement, il s’est
rythme, par le montage, des objets ou des beauté plastique (Le porteur d’eau est nourri de Fritz Kramp, du meilleur Ahmad
êtres identifiables. La seconde voie ne mort). L’exactitude est chez lui le premier Badrakhan, du réalisme poétique fran-
nous fait pas moins entrer en coquetterie élan de l’imagination. Décors, gestes, çais (préfigurant au Caire le néoréalisme
avec le monde, puisque (chez Brakhage, encore à venir), réussissant un mariage
costumes, graffiti sont étudiés avec soin.
par exemple) ce sont des vues tout à fait Sa direction d’acteurs s’emploie à rendre souvent heureux du verbe et de l’image.
figuratives que perturbent, pour retrouver crédibles des vedettes dans des rôles Il a produit ou coproduit une grande part
la diaprure d’une vision préconceptuelle, et des caractères populaires, humbles, de ses films.
la sur- ou la sous-exposition, les filtres, le voire comiques. Fatin amama, Sana Films : ‘ Dans mon coeur à jamais ’
flou, l’accéléré, le filé, le zoom brusque, Gamil (la soeur sacrifiée dans le Com- (Da’ iman fi qalbi, 1946) ; ‘ le Vengeur ’ (al-
la surimpression, le négatif, le filmage mencement et la Fin), Su‘ad Husni, Farid Muntaqim, 1947) ; les Aventures d’Antar
image par image ou l’intervention directe Shawqi, entre autres, doivent beaucoup et Abla (Mughamarat ‘ Antar wa’Abla,
sur la pellicule. C’est peut-être que le à cette exigence d’authenticité souvent 1948) ; ‘ Rue du Polichinelle ’ (Shari‘ al-
cinéma est inévitablement lié au monde ignorée dans les studios cairotes. Dès Bahlawan, 1949) ; ‘ le Faucon ’ (as-Saqr,
visible. À condition d’admettre que le vi- lors s’affirmait un réalisme ouvert sur des 1950) ; ‘ L’amour est scandaleux ’ (al-
sible n’est qu’un équilibre de l’esprit entre mondes cachés : trafics des mandataires Hubb bahdhala, 1951) ; ‘ Ton jour vien-
la sensation brute qu’il élabore et l’intelli-
des halles ; trafics de protections autour dra ! ’ (Lak yum ya zalim, id.) ; ‘ le Contre-
gible auquel il aspire. Le cinéma abstrait,
d’un arriviste (Le Caire 30), aux expres- maître Hassan ’ (al’-ust‘a asan, 1952) ;
qui explore ces deux invisibilités, trouve
sions de la exualité féminine en butte ’Raya et Sekkina ’ (Raya‘ wa Sakina,
là sa réelle justification.
aux interdits (‘ Jeunesse d’une femme ’, 1953) ; le Monstre (al-Wahsh, 1954) ;
1956) ou aux bons plaisirs de l’homme ‘ Jeunesse d’une femme ’ (‘la Sangsue’)
ABU SAYF (ala), cinéaste égyptien (Le
(la Seconde Épouse, avec Su’ad Husni et [Shabab imra’a, 1956] ; le Costaud (al-Fu-
Caire 1915 - id. 1996).
Sana Gamil). tuwwa, 1957) ; ‘ l’Oreiller vide ’ (al-Wisada
Il poursuit tout d’abord des études com-
Ainsi le cinéma égyptien se trouve-t- al-Khaliyya, id.) ; ‘ Nuit sans sommeil ’ (La
merciales ; après un début aux usines
il porté, sur un terrain dramatique neuf anam, id.) ; ‘ Voleur en vacances ’ (Mujrim
textiles Mir, passionné par le cinéma,
et riche, à une critique violente ou pleine fi ijaza, 1958) ; ’l’Impasse‘ (at-Tariq al-
il réussit à se faire affecter aux studios
Mir créés par le même groupe bancaire d’humour (le Procès 68). C’était une des masdud, id.) ; ‘ C’est ça l’amour ’ (Hadha
conditions d’un renouveau que parut huwwa al-ubb, id.) ; Je suis libre (Ana
grâce à Niyazi Muafa. Au cours de son
apprentissage de monteur, il rencontre d’abord cautionner le régime nassérien, urra, id.) ; Entre ciel et terre (Bayna as-

Wafiqa Abu-Gabal, qu’il épouse ; elle et Abu Sayf va diriger l’Organisme géné- sama’ wa al-ar, 1959) ; ‘ Splendeur de
ral du cinéma de 1963 à 1965. Il y a, de l’amour ’ (Law’a al-hubb, 1960) ; ‘ les Filles
sera la monteuse de la plupart de ses
films. Après un voyage de formation en fait, dans le Commencement et la Fin de l’été ’ (al-Banat wa as-sayf, sketch,
Europe (1939), il devient assistant réa- (1960) une vision mélodramatique mais id.) ; le Commencement et la Fin ou Mort
lisateur de Kamal Salim sur la Volonté. sociologiquement précise, de la fragilité parmi les vivants (Bidaya wa nihaya,
Son premier film, en 1946, est un re- de cette petite bourgeoisie ambitieuse id.) ; ‘ N’éteins pas le soleil ’ (La tut’fi‘ ash-
make de Waterloo Bridge (M. LeRoy), et et sans ressources d’où sont issus, pour shams, 1961) ; ‘ Lettre d’une inconnue ’
une grande part, les « Officiers libres » (Risala min imra’a majhula, 1962) ; ‘ Pas
le succès lui vient assez vite avec une
oeuvre inspirée par les figures de Antar qui renversèrent la monarchie (1952). de temps pour l’amour ’ (La waqt lil-ubb,
et Abla, inusables héros de la produc- Mais l’ironie du Procès 68 (adapté d’une 1963) ; Le Caire 30 (al-Qahira thalathin,
tion égypto-libanaise. Mais, en adaptant pièce de Lutfi al-Khuli) fut mal reçue par 1966) ; la Seconde Épouse (az-Zawja
très librement Thérèse Raquin, de Zola, le pouvoir au lendemain de la défaite de ath-thaniyya, 1967) ; le Procès 68 (al-Qa-
sous le titre ‘ Ton jour viendra ’ (1951), et 1967. Jusqu’au Porteur d’eau est mort diyya 68, 1968) ; ‘ Trois Femmes ’ (Tha-
avec ‘ le Contremaître Hassan ’ (1952), (1978), élégie sur la mémoire au coeur lath nisa‘, sketch, 1969) ; ’Une certaine
il amorce l’orientation fondamentale même du vieux Caire, et dont la sensi- douleur‘ (Shay’un min al-’adhab, id.) ;
à laquelle il sera fidèle : le réalisme. Si bilité et la tonalité sont uniques dans les l’Aube de l’islam (Fajr al-Islam, 1970) ;
ses précurseurs sont bien Kamal Salim cinémas arabes, l’oeuvre marque, sinon les Bains de Malatili ou Une tragédie
ou Muammad Karim, on peut discerner un temps d’arrêt, du moins une chute égyptienne (Hammam al-Malatiti, 1973) ;
dans ses origines modestes (il est né de qualité thématique et stylistique (les ’le Menteur‘ (al Kadhdhab, 1975) ; ’Pre-
dans le quartier très populaire de Bulaq), Bains de Malatili ; le Menteur), liée sans mière Année d’amour‘ (Sana ula ubb,
comme dans la découverte du réalisme doute au revirement du pouvoir dans ses sketch, 1976) ; ’Dans un océan de miel‘
poétique français de Carné et de Renoir, rapports avec le cinéma ( Égypte). (Wa saqa’at fi bar min al-’asal, id.) ; Le
les vraies sources de son esthétique et Sa carrière, qui est une leçon de pro- porteur d’eau est mort (as-Saqqa’ mat,
de ses intentions. Habilement, il impose fessionnalisme, lui vaut aujourd’hui la ré- 1977) ; al-Qadisiyya (1981) ; l’Empire de
une mutation, non pas une rupture. Le putation d’un maître. Auteur d’une Aube Satan (al-Bidaya, 1988).

4
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

ACADEMY AWARD OSCAR ACHTERNBUSCH (Herbert), écrivain et 25 mètres environ. Si le son se propa-
cinéaste allemand (Munich 1938). geait dans la salle comme il se propage
ACADEMY OF MOTION PICTURE ARTS D’abord peintre, il a écrit depuis 1969 une en plein air, où l’intensité sonore reçue
AND SCIENCES. dizaine de livres (romans et nouvelles) et varie en sens inverse du carré de la dis-
Association américaine fondée en des pièces de théâtre. À partir de 1974 tance à la source ( SON), le spectateur
1927 et comptant en 1980 plus de (le Sentiment d’Andechs [Der Andech- du dernier rang, 5 fois plus éloigné du
3 000 membres, admis sur invitation (réa- ser Gefühl, produit par Schlöndorff]), il haut-parleur, recevrait une intensité so-
lisateurs, producteurs, acteurs, directeurs écrit, produit, réalise, interprète et dis- nore 25 fois (5 x 5) inférieure à celle reçue
de la photographie, décorateurs, mon- tribue au moins un film par an, généra- par le spectateur du premier rang. C’est
lement dans des conditions matérielles évidemment inacceptable.
teurs, compositeurs, scénaristes, etc.).
dérisoires. C’est une oeuvre parfaitement Heureusement, le son se propage dif-
Surtout connue par le fait qu’elle décerne
originale, centrée sur l’artiste dans ses féremment selon que l’on se trouve en
annuellement les Oscars, cette associa-
relations avec la société, sur ses rap- plein air ou à l’intérieur d’un local. Dans le
tion contribue également à la définition
ports à la Bavière, aussi, et sur une sorte second cas, compte tenu des réflexions
des standards techniques du cinéma. En
de désir de fin du monde. Le tragique sur les parois, il peut parvenir à l’audi-
particulier, la courbe Academy, déter-
est souvent travesti en bouffonnerie, et teur selon plusieurs trajets différents
minée au début des années 40 à partir l’humour — toujours présent — peut être
(figure 1).
d’une statistique portant sur un certain placé dans la lignée du grand cabarettiste
On distingue :
nombre de salles américaines, sert de munichois Karl Valentin, seule influence
référence quasi universelle pour la pro- — le son direct,
explicitée. Achternbusch excelle dans la
jection des films à piste sonore optique : provocation, notamment contre la réfé- — les sons réfléchis, qui parviennent

la bande sonore de ces films est élaborée rence bavaroise (la Guerre de la bière à l’auditeur après une ou plusieurs ré-

[Bierkampf, 1976] ou le Nègre Erwin flexions sur les parois.


— notamment aux niveaux du mixage et
de l’établissement du négatif son — en [Der Neger Erwin, 1980]), dans la para- En plein air, l’auditeur ne recevrait évi-

faisant l’hypothèse que la courbe de ré- bole visionnaire (son évocation d’une demment que le seul son direct. Dans
Bavière prise dans les glaces de Salut la le local, les sons réfléchis ajoutent leur
ponse des salles ( BANDE PASSANTE) sera
Bavière [Servus Bayern, 1977]), le pam- intensité sonore à celle du son direct, et
conforme à la courbe Academy. Cette
phlet antireligieux (le Jeune Moine [Der on conçoit qu’il est ainsi possible d’homo-
conformité est assurée dans la salle
junge Mönch, 1978]) – ce qui lui valut généiser les intensités sonores reçues
appartenant à l’Academy elle-même,
quelques problèmes avec la censure en par les différents spectateurs. Jouer sur
en sorte qu’on peut aussi bien définir la
1983 avec Das Gespenst. En 1982, il pré- les réflexions pose cependant un certain
courbe Academy comme la courbe de
sente le Dernier Trou (Das letzte Loch), nombre de problèmes, parfois ardus, qui
réponse de cette salle de référence.
qui exprime l’obsession de l’exécution de constituent toute la difficulté de l’acous-
six millions de juifs tout en prolongeant tique des locaux.
ACCÉLÉRÉ.
ses semi-confessions sur ses rapports La réverbération. Le son direct et les
Truquage rendant les mouvements plus
avec les femmes. Ses variations provo- sons réfléchis ne parviennent pas à l’au-
rapides sur l’écran qu’ils ne le sont à la
catrices sur la période nazie et les crimes diteur au même instant ni avec la même
prise de vues. ( EFFETS SPÉCIAUX, TI- de guerre sont au centre des principaux intensité. Le son direct parvient le pre-
RAGE.) films qu’il réalise ensuite, de la Médaillée mier, puisqu’il suit le trajet le plus court.
olympique (Die Olympia Siegerin, 1983) Les sons réfléchis parviennent avec d’au-
ACCESSOIRISTE. à Hades (1994). Un individualisme for- tant plus de retard que leur trajet est plus
Technicien chargé de fournir et de pré- cené dans la volonté d’expression et la long. Et, plus ils parviennent tard, plus
parer les accessoires de décors, et éven- modestie de ses budgets le conduisent à
leur intensité est faible, puisque plus tard
tuellement de les entreposer. faire des films quelque peu désordonnés, signifie trajet plus long et réflexions mul-
théâtraux et narcissiques, parfois très
tiples sur des parois qui sont toujours plus
ACHARD (Marcel), écrivain et scénariste inventifs, généralement peu structurés. ou moins absorbantes.
français (Sainte-Foy-lès-Lyon 1899 - Paris On lui doit aussi le scénario du film de
Plaçons-nous alors dans la salle, pen-
1974). Herzog, Coeur de verre (1976).
dant l’émission d’un son. Si les parois
Auteur dramatique, il collabore entre 1935 Autres films : la Traversée de l’Atlan-
étaient totalement absorbantes, l’auditeur
et 1950 à de nombreux films, qui gardent tique à la nage (Die Atlantikschwimmer,
ne percevrait que le son direct. En réalité,
un charme après avoir obtenu du suc- 1975) ; le Comanche (Der Komantsche,
les sons réfléchis ajoutent leur intensité
cès : Mayerling (A. Litvak, 1936), l’Alibi 1979) ; Der Depp (1982) ; le Fantôme
(figure 2). L’idéal est, bien entendu, que
(P. Chenal, 1937), Gribouille et Orage (Das Gespenst, id.) ; Rita Ritter (id.) ;
l’intensité globale soit la même en tous
(M. Allégret, 1938), l’Étrange Monsieur Der Wanderkrebs (1984) ; Blaue Blumen
les points de la salle.
Victor (J. Grémillon, id.), Félicie Nanteuil (1985) ; Die Föhnforscher (id.) ; Heilt Hit-
Faisons maintenant cesser brutale-
ler ! (1986) ; Punch Drunk (id.) ; Wohin ?
(M. Allégret [RÉ, 1942], 1945), Madame
ment l’émission du son. Avec des parois
(1988) ; Mix Wix (1989) ; Hick’s Last Stand
de (Max Ophuls, 1953). Il avait travaillé totalement absorbantes, l’intensité so-
(1990) ; Niemandsland (1991) ; I Know
avec Lubitsch (la Veuve joyeuse, 1934)
the Way to the Hofbraühaus (1992) ; Ich nore reçue par l’auditeur cesserait tout
et avec Del Ruth pour la version fran- aussi brutalement. En réalité, l’auditeur
bin da ich bin da (1993) ; En route pour
çaise de Folies-Bergère (1935). Après va continuer à entendre, pendant un
le Tibet ! (Ab nach Tibet ! id.) ; Hades
Jean Choux (1931), il porte lui-même sa certain temps, les sons réfléchis qui lui
(1994) ; Picasso in München (1996) ;
pièce Jean de la Lune à l’écran (1949). Neue Freiheit - keine Jobs (1997). parviennent plus tard que le son direct.
On lui doit aussi, en tant que réalisateur, C’est le phénomène de la réverbération.
la Valse de Paris (1950). ACOUSTIQUE. (Comme l’intensité des sons réfléchis est
Dans un cinéma de taille moyenne, le d’autant plus faible qu’ils parviennent plus
ACHROMATIQUE. spectateur du premier rang se trouve tard, la courbe de décroissance de l’inten-
Se dit d’un objectif corrigé de l’aberration typiquement à 5 mètres environ du sité sonore reçue a toujours l’allure de la
chromatique. ( OBJECTIFS.) haut-parleur, et celui du dernier rang à courbe de la figure 2.)

5
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Pour caractériser le certain temps évo- Les critères sont par conséquent moins sion produites par les deux sons. On voit
qué ci-dessus, les acousticiens mesurent sévères pour les grandes salles que pour aisément (figure 3) que le résultat est
le temps de réverbération du local, défini les petites.) Dans les salles récentes cor- extrêmement variable selon les cas et
par convention comme la durée néces- rectement conçues et réalisées, cet idéal que les intensités sonores sont suscep-
saire pour que l’intensité sonore ne soit est respecté. tibles aussi bien de s’additionner (sons
plus que le millionième de l’intensité (Dans les édifices religieux, le temps en phase) que de se retrancher (sons en
initiale. En fait, cette convention n’est de réverbération est souvent très long. opposition de phase).
pas très réaliste, car les sons réfléchis Cela résulte de la conception même de Cela peut donner lieu à deux phéno-
cessent d’être audibles bien avant que ces édifices. La parole d’une seule per- mènes distincts.
leur intensité soit tombée aussi bas : le sonne doit pouvoir être entendue par un Lorsqu’une paroi, que nous quali-
temps de réverbération perçu est nette- auditoire important. La seule méthode fierons d’« émettrice », réfléchit un son
ment inférieur au temps de réverbération consiste à utiliser au maximum la ré- vers la paroi opposée, qui le réfléchit à
conventionnel. (Pour mesurer le temps flexion des sons, d’où l’emploi de la pierre son tour vers la paroi émettrice, il peut
de réverbération, on fait émettre par le lisse ou du marbre et le recours fréquent se faire que le son revenant sur la paroi
haut-parleur un son continu que l’on inter- à des surfaces concaves, puisque les lois émettrice soit en phase avec le son émis
rompt brutalement. Un micro placé dans de la réflexion des sons sont les mêmes par celle-ci (figure 4). Ce phénomène
le local est relié à un enregistreur rapide que celles de la lumière. Le temps de peut se produire, a priori, pour toutes les
de niveau sonore, qui fournit la courbe de réverbération élevé oblige l’orateur à une fréquences telles que la distance entre
la figure 2.) certaine lenteur d’élocution pour que les parois soit un multiple entier de la lon-
Le temps de réverbération est un élé- syllabes ne se chevauchent pas, et il ex- gueur d’onde. (Pour la notion de longueur
ment capital de l’acoustique d’un local. plique par ailleurs le caractère particulier d’onde, PHÉNOMÈNES PÉRIODIQUES.) Pour
Tout message sonore (parole, musique, de la musique liturgique.) ces fréquences propres (sous-entendu :
etc.) est en effet une suite de sons. Si l’un Le temps de réverbération caractérise propres au local, car elles dépendent des
de ces sons parvient à notre oreille alors la durée nécessaire pour que les diverses dimensions de ce dernier), il y a renfor-
que les sons réfléchis du son précédent absorptions étouffent le son. Or, l’absorp- cement, puisque les sons sont en phase,
sont encore audibles, le message perçu tion des parois, ou des revêtements de de l’intensité sonore reçue. En pratique,
sera confus, voire inintelligible. paroi, varie avec la fréquence ( SON). dans les salles de cinéma, le phénomène
Une écoute satisfaisante demande Le temps de réverbération varie donc lui- se manifeste surtout pour les plus basses
donc que le temps de réverbération ne même avec la fréquence. des diverses fréquences possibles. Et
soit pas trop long. Les valeurs indiquées ci-dessus cor- l’expérience montre que ces fréquences
Il ne doit pas non plus être trop court. respondent aux fréquences moyennes, sont généralement suffisamment basses
Un temps de réverbération très court celles où l’on trouve l’essentiel du son (typiquement : vers 30 à 40 Hz) pour que
signifie en effet qu’il n’y a pratiquement utile. Aux fréquences basses, on trouve le phénomène ne soit pas gênant, car il
pas de sons réfléchis. Or, c’est grâce aux généralement des valeurs plus élevées. est noyé dans les autres imperfections de
sons réfléchis que l’on peut homogénéi- L’écho. On confond parfois réverbéra- la restitution de ces fréquences.
ser les intensités sonores perçues par les tion et écho. En réalité, il y a écho lorsqu’il En certains points de la salle, le hasard
différents auditeurs. En outre, sinon sur- s’écoule au moins un dixième de seconde peut faire que, pour certaines fréquences
tout, l’absence de sons réfléchis donne entre l’arrivée du son direct et l’arrivée du (variables d’ailleurs d’un point à l’autre),
l’impression d’un son sourd. Quiconque son réfléchi : l’auditeur perçoit alors deux un nombre particulièrement élevé des
assiste à l’exécution en plein air (véri- sons distincts, phénomène fréquent en différents sons qui parviennent au spec-
tablement en plein air, c’est-à-dire sans montagne. Compte tenu de la vitesse du tateur lui parviennent en phase — ou, au
qu’un mur de fond de scène ne réflé- son (plus de 330 m/s), cela implique une contraire, en opposition de phase. En ces
chisse les sons) d’une oeuvre musicale différence de longueur des trajets d’au points, il y a alors renforcement notable
conçue pour l’exécution en salle sent bien moins 33 mètres. L’écho ne peut donc (ou, au contraire, affaiblissement notable)
qu’« il manque quelque chose ». éventuellement se rencontrer que dans des fréquences considérées. Lorsqu’on
Tout cela suggère la notion d’un temps les grandes salles. (Si c’est le cas, il est se déplace dans la salle, l’intensité so-
de réverbération idéal. En réalité, ce évidemment impératif de recouvrir de nore perçue peut ainsi varier, pour cer-
temps idéal dépend de la nature du mes- matériaux fortement absorbants la paroi taines fréquences, dans un rapport allant
sage sonore, ce qui complique d’ailleurs qui donne lieu à écho.) parfois jusqu’à 1 à 10. Ce phénomène, à
singulièrement la conception des salles Les résonances. Tout son peut être peu près inévitable (on peut seulement
polyvalentes. La parole demande un considéré ( SON) comme une superpo- s’efforcer de le limiter), est d’autant plus
temps de réverbération (conventionnel) sition de sons simples dont chacun pro- gênant qu’il se manifeste surtout dans les
inférieur à la seconde, valeur au-delà de voque (figure 3a) une variation périodique fréquences moyennes, les plus significa-
laquelle le discours devient vite confus, de la pression de l’air de part et d’autre de tives pour la compréhension du message
sauf à parler lentement et distinctement. la valeur moyenne de cette pression. sonore.
Jazz et musique de chambre s’accom- Lorsque l’un de ces sons simples On qualifie de résonance, même si
modent bien d’un temps un peu plus long parvient à l’auditeur par deux trajets dif- c’est souvent abus de langage, les phé-
(de 1 à 1,5 s) ; orchestre, opéra, choeurs, férents (compte tenu des réflexions sur nomènes qui renforcent, pour certaines
admettent un temps encore plus long les parois), l’auditeur reçoit en fait deux fréquences, l’intensité sonore perçue. Il
(de 1,5 à 2,5 s). S’agissant des salles sons, décalés dans le temps l’un par s’agit généralement des phénomènes
de cinéma, où il faut restituer correcte- rapport à l’autre en fonction de la diffé- décrits aux paragraphes précédents. Il
ment la parole, le temps de réverbéra- rence des temps de parcours. Selon peut s’agir d’un temps de réverbération
tion idéal se situe entre 0,8 seconde pour cette différence, ces deux sons peuvent particulièrement élevé pour telle ou telle
les petites salles et 1 seconde pour les être en phase (figure 3b) ou bien dépha- fréquence. Il peut s’agir d’une résonance
grandes salles. (Toutes choses égales sés (figure 3c), un cas particulier de au sens strict, comme cela se rencontre
par ailleurs, le temps de réverbération déphasage étant (figure 3d) l’opposition assez couramment dans les apparte-
croît avec les dimensions de la salle, de phase. (Sur ces notions, PHÉNOMÈNES ments, où les vitrages « entrent en réso-
puisque le trajet et, donc, le temps de par- PÉRIODIQUES.) L’auditeur perçoit évidemment nance » pour certaines fréquences, par
cours des sons réfléchis sont allongés. la combinaison des variations de pres- exemple au passage d’un camion.

6
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

L’acoustique des cinémas. Dans tout local se caractérise par son temps de « ACTION ! ».
une salle de cinéma, deux types de sons réverbération. Équivalent anglais de « partez ! ».
peuvent être émis : Le son porté par le film contient déjà
une certaine réverbération : celle du local ACTORS STUDIO.
— le son d’écran, émis par le ou les
où il a été enregistré. Cette réverbération, École d’art dramatique fondée à New
haut-parleurs situés derrière l’écran ;
s’ajoutant à celle de la salle de projection, York en 1947 par Elia Kazan, Robert
— le son d’ambiance (CinémaScope,
doit être aussi faible que possible sous Lewis et Cheryl Crawford. Son influence
70 mm, Dolby Stéréo), émis par des haut-
peine de conduire à une réverbération considérable allait marquer le théâtre et
parleurs implantés sur les murs latéraux
globale excessive. Les parois des studios le cinéma américains de l’après-guerre.
et en fond de salle.
de prise de vues ou de prise de son sont Elle prolonge le travail accompli pen-
La diffusion du son d’ambiance est
donc toujours traitées de façon à réduire dant les années 30 par le Group Theatre
beaucoup moins critique que celle du son
le temps de réverbération. (Si le son doit (dirigé par Lee Strasberg et Harold Clur-
d’écran. S’agissant de ce dernier, il faut
sembler provenir d’un local réverbérant, man), lui-même héritier des leçons de
homogénéiser autant que possible le ni-
ou bien l’on modifie l’acoustique du studio Stanislavski et du Théâtre d’Art de Mos-
veau sonore dans toute la zone d’implan-
grâce à des panneaux réfléchissants, ou cou. À partir de 1951, Lee Strasberg en
tation des sièges, en maintenant le temps
bien l’on utilise un artifice électronique.) assure la direction et s’identifie à l’école,
de réverbération en dessous de la se-
en particulier après 1960, lorsque Kazan
conde. Ces deux exigences sont quelque Lorsque l’on tourne en son direct dans
prend du champ. L’Actors Studio forme
peu contradictoires : la première implique des décors réels, et notamment dans
les comédiens à partir de la fameuse
des parois réfléchissantes, la seconde des appartements réels, on récupère par
Méthode, entraînement intensif basé
des parois relativement absorbantes. contre la réverbération — souvent impor-
sur la recherche de l’acte pour exprimer
tante — de ce décor. Pour cette raison,
En raison de l’absorption par la mo-
l’émotion, sur la solitude publique, sur la
l’ingénieur du son, responsable de l’intel-
quette, par le rembourrage des sièges mémoire affective et sur l’utilisation des
ligibilité de ce qu’entendent les specta-
et surtout par le public, le sol est peu objets pour retrouver des sentiments
teurs, est souvent réticent vis-à-vis de
réfléchissant. (L’absorption par le public enfouis. La Méthode permet d’atteindre
ce mode de tournage. D’autant plus réti-
varie... avec l’affluence. La moquette per- des moments de réalisme intense et
cent que, s’il est aujourd’hui relativement
met d’avoir dans tous les cas un sol peu excelle dans la peinture de la confusion
facile d’éclairer un appartement, il est
réfléchissant.) Pour renvoyer le son vers des sentiments. L’Actors Studio s’est
difficile d’en modifier l’acoustique. (Nous
les spectateurs, on se sert presque tou- trouvé lié aux meilleurs dramaturges
n’avons mentionné que la réverbération.
jours de la partie avant du plafond, qui américains (Tennessee Williams, Arthur
Il faut aussi penser, par exemple, aux
doit donc rester réfléchissante. La partie Miller, William Inge, Edward Albee). Des
fréquences propres, sensiblement plus
arrière du plafond et les parois latérales
metteurs en scène y ont collaboré régu-
élevées dans un petit appartement que
sont, par contre, rendues absorbantes, lièrement (Arthur Penn, Martin Ritt, Mike
dans une salle de cinéma. Il faut enfin
de façon à maîtriser le temps de réverbé- Nichols). Elia Kazan, par son prestige, y
penser aux bruits divers : rue, apparte-
ration. Quant à la paroi de fond de salle,
ments voisins, survol des avions, etc.) a attiré toute une génération d’appren-
elle est toujours l’objet d’un traitement tis comédiens, qu’il a à son tour fait tra-
En fait, tout dépend de la nature du film.
acoustique soigné, tant pour éviter une
Si l’authenticité de la scène est primor- vailler dans ses films. Marlon Brando en
réflexion vers l’avant des sons d’écran
diale, on conservera (ou on s’efforcera reste l’élève le plus célèbre aux côtés
que pour assurer un bon isolement de la
de James Dean, Montgomery Clift, Paul
de conserver) le son direct. Sinon, il sera
cabine.
parfois préférable, voire indispensable, Newman, Rod Steiger, Elli Wallach,
On ne procède pas nécessairement Joanne Woodward, Lee Remick, Ben
de reconstituer le son en studio.
à des calculs acoustiques préliminaires Gazzara, Steve McQueen, mais l’impact
poussés. On s’inspire des règles ci-des- de l’Actors Studio se fait sentir encore
ACRES (Birt), inventeur et cinéaste bri-
sus, et on se contente généralement, de nos jours puisque les jeunes stars du
tannique (Richmond, Va., 1854 - Londres
pour traiter les parois (au moins les parois nouveau cinéma américain (Robert De
1918).
latérales), de les recouvrir de tissu ou de Niro, Dustin Hoffman, Al Pacino, Harvey
Il est considéré comme le pionnier du film
moquette, ce qui signifie ( SON) qu’on se Keitel) sont passés par ses rangs. Ce la-
documentaire. D’abord fabricant d’ins-
préoccupe assez peu de l’absorption des boratoire, toujours actif, a essaimé dans
truments d’optique et photographiques,
fréquences basses, même si les faux pla- le monde : on enseigne la Méthode aussi
il s’associe avec Robert W. Paul, en
fonds, d’usage courant, absorbent plus bien en Californie qu’en Europe.
février 1895. En mars, il filme la Course
ou moins ces fréquences. Dans les salles de bateaux Oxford-Cambridge (Oxford-
petites ou moyennes et sans balcons, ACTUALITÉS (ou presse filmée).
Cambridge Boat Race) et, trois mois plus
qui sont aujourd’hui la règle, cette pra- tard, le Derby d’Epsom (The Derby). Le Court métrage d’information et de docu-
tique conduit facilement, compte tenu de mentation relatant les faits et événements
25 mai 1895, Acres et Paul déposent le
l’expérience acquise par les architectes récents dans les domaines les plus di-
brevet d’un appareil de prise de vues, le
spécialisés dans l’aménagement des vers : politique, économique, culturel...
Theatrograph : caméra à manivelle, plus
cinémas, à un résultat satisfaisant. (Par légère que le Kinétoscope d’Edison. Ils Comparables dans leur conception et
contre, si l’on fait l’économie d’un traite- leur finalité à la presse écrite, les actua-
fabriquent aussi un projecteur. Ce ma-
ment des parois, le résultat peut ne pas lités cinématographiques étaient éditées
tériel est présenté à la Société royale
être satisfaisant du tout.) Dans les salles à intervalles réguliers et courts (hebdo-
de photographie de Londres, le 14 jan-
de grandes dimensions ou présentant madaires ou bihebdomadaires), et pro-
vier 1896.
une architecture complexe (balcons, par jetées en salle avant le grand film. S’ins-
exemple), il convient d’étudier préalable- ACTINISME. crivant dans le processus de déclin du
ment l’acoustique par le calcul ou par des Capacité d’une lumière à impressionner court métrage, ayant perdu de leur crédit
simulations sur maquette. la pellicule : les pellicules n’étant pas éga- auprès des spectateurs et des exploitants
L’acoustique des locaux. Ce qui a été lement sensibles à toutes les radiations, de salle, fortement concurrencées par
exposé au long des paragraphes anté- certaines lumières sont plus actiniques la télévision, les actualités cinématogra-
rieurs se transpose sans difficulté au cas que d’autres. ( RAPIDITÉ, TEMPÉRATURE phiques françaises devinrent magazine
de n’importe quel local. En particulier, DE COULEUR, ÉCLAIRAGE.) avant de disparaître en 1980.

7
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Les actualités sont nées avec le cinéma ADAM (Jean-François), cinéaste français souvent en elle que l’intelligent faire-va-
(la Sortie des usines Lumière, 1894). Les (Paris 1938 - id. 1980). loir de Chaplin dans Un roi à New York
premiers reporters, Promio, Doublier, Assistant (Truffaut, Melville, Varda), ac- (1957) : c’est oublier que la plupart des
Mesguisch, parcourent le monde alors teur et metteur en scène de théâtre, il réa- films où elle est apparue étaient intéres-
que Georges Méliès tourne en studio des lise en 1970 M comme Mathieu. Le Jeu sants, ou valaient au moins par sa pré-
du solitaire (1976) et Retour à la bien-ai- sence (la Treizième Heure [H. French,
actualités reconstituées. Mais c’est en
mée (1979) révèlent sous une trame poli- 1952], Secrets d’alcôve [le sketch de
1908 que paraît le premier hebdomadaire
cière la même quête d’un souvenir fuyant, G. Franciolini, 1954], l’Île du bout du
d’actualités filmées, le Pathé-Journal, qui,
la même fascination pour la pathologie monde [E. T. Gréville, 1959], les Deux
sous l’emblème du coq chantant, sera
du sentiment amoureux. Acteur dans son Visages du Dr Jekyll [T. Fischer, 1960],
distribué dans de nombreux pays. Moins
dernier film, il joue également dans Passe le Diabolique Dr Mabuse [Fritz Lang, id.],
de deux ans après, Gaumont-Actualités,
ton bac d’abord (M. Pialat, 1979). Il se les Menteurs [E. T. Gréville, 1961], l’Édu-
Éclair-Journal et Éclipse-Journal verront
suicide à 42 ans. cation sentimentale [A. Astruc, 1962]).
le jour. Essentiellement foraines dans les
Après 1965, fixée à Londres, elle se
premiers temps, les projections cinéma- ADAM (Ken), décorateur britannique (Ber- consacre au théâtre et ne reparaît guère
tographiques s’installeront progressive- lin, Allemagne, 1921). au cinéma que comme « guest star »
ment dans des salles spécialisées. Il émigre en Grande-Bretagne à l’âge de (Zeta One, Michael Cort, 1971).
C’est une bande d’actualités Pathé de treize ans et fait des études d’architec-
ture à la London University. Après avoir ADDINSELL (Richard), musicien britan-
1909 présentant une quadruple exécution
été pilote dans la RAF pendant la guerre, nique (Londres 1904 - id. 1977).
capitale qui sera à l’origine de la censure
il entre dans le cinéma, d’abord comme Son oeuvre prolifique s’est partagée entre
cinématographique. Mais, avec l’instau-
dessinateur, puis il devient directeur artis- le théâtre, le cinéma et la télévision. Il en
ration du système de projection pour avis
tique et enfin chef décorateur (à partir de est à ses débuts lorsque Korda lui com-
aux représentants du ministère de tutelle,
1959). Fortement marqué par l’expres- mande l’illustration musicale de l’Invin-
la presse filmée souffrira plus de l’auto-
sionnisme de sa jeunesse (en particulier cible Armada (1937). Il s’impose avec
censure que du contrôle gouvernemental. par le Cabinet du Dr Caligari, R. Wiene, Goodbye Mr. Chips (S. Wood, 1939),
Après la guerre de 1914, au cours de 1919), travaillant à partir de dessins très Gaslight (T. Dickinson, 1940) et connaît
laquelle sera créé le Service cinémato- stylisés, il privilégie l’imagination et le la célébrité pour son Concerto de Varso-
graphique de l’armée (avec les opéra- théâtral. On peut le considérer comme vie, entendu dans Dangerous Moonlight
teurs mobilisés), comme après la Se- le véritable auteur de la série des James (Brian Desmond Hurst, 1940). Ses parti-
conde Guerre mondiale, les éditeurs de Bond, dont il conçoit décors et machines. tions remarquées sont ensuite celles de
presse filmée tenteront de résoudre leurs Kubrick remarque James Bond 007 contre L’esprit s’amuse (N. Coward et D. Lean,
graves difficultés par de nombreuses Dr No (1962) et l’engage sur Docteur Fo-
1945), les Amants du Capricorne
lamour (1963), pour lequel il imagine
mais brèves fusions. Leur indépendance (A. Hitchcock, 1949), le Beau Brummel
et construit la fameuse salle de guerre.
retrouvée, et jusqu’en 1969, cinq jour- (C. Bernhardt, 1954), le Prince et la Dan-
On lui doit aussi l’étonnant labyrinthe du
naux seront édités : les Actualités fran- seuse (L. Olivier, 1957), l’Homme qui
Limier (1972) de Joseph L. Mankiewicz.
çaises (dont 51 p. 100 sont propriété de aimait la guerre (Ph. Leacock, 1962).
Considéré comme l’un des grands déco-
l’État), Fox-Movietone, Éclair-Journal,
rateurs contemporains, il a collaboré avec ADDISON (John), compositeur britan-
Pathé-Journal et Gaumont-Actualités. Jacques Tourneur (Rendez-vous avec la nique (West Chobham 1920 - Bennington,
Maisons d’édition de presse écrite et peur, 1957), John Ford (Inspecteur de Vt, États-Unis, 1998).
filmée se ressemblent fort : les docu- service, 1959), Robert Aldrich (Trahison
Compositeur pour le cinéma depuis 1950.
ments recueillis dans le monde entier par à Athènes, id.), Lewis Gilbert (Moonraker,
Sa musique néo-classique, sombre ou al-
les correspondants ou envoyés spéciaux 1979), Bruce Beresford (Crimes du coeur,
lègre, semble réfractaire à toute influence
sont montés sous la responsabilité d’un 1986), Nicholas Meyer (The Deceivers,
contemporaine : il n’est pas étonnant
directeur en chef. Les actualités sont 1988), John Frankenheimer (Dead Bang,
qu’il ait aussi bien réussi son pastiche du
1989), Andrew Bergman (The Freshman,
suivies de magazines et de sujets com- XVIIIe siècle pour Tom Jones (T. Richard-
1990) et excelle dans la reconstitution
pensés ou publicitaires. Enfin, de nom- son, 1963) qui lui vaut un Oscar. Il reste
historique. Oscar en 1975 pour Barry
breuses copies sont tirées et louées à un lié à l’explosion du cinéma des jeunes
Lyndon de Stanley Kubrick.
tarif établi selon le nombre d’entrées et gens en colère et plus spécialement à
l’ancienneté des actualités. Tony Richardson pour qui il sut être à loi-
ADAPTATEUR.
Malgré l’aide financière de l’État et des sir sobre et émouvant (la Solitude du cou-
Auteur d’une adaptation.
accords de coopération, le déclin engen- reur de fond, 1962) ou épique et ironique
ADAPTATION. (la Charge de la brigade légère, 1968).
dré par l’avènement de la télévision sera
Transposition pour un film d’une oeuvre On retiendra également sa participation
irréversible. Après avoir racheté leurs
conçue dans un but différent. atypique mais intéressante à l’Homme à
concurrents, les deux derniers journaux,
la tête fêlée (I. Kerschner, 1966) et celle,
Gaumont et Pathé, n’éditeront plus que
ADDAMS (Dawn), actrice britannique (Fe- vive et brillante, à Guêpier pour trois
des magazines avant de disparaître en
lixtowe 1930 - Londres 1985). abeilles (J.L. Mankiewicz, id.).
1980, laissant aux historiens 80 années Très jeune, elle se partage entre la
d’archives cinématographiques, à la fois ADDITIF.
Grande-Bretagne, l’Inde et Hollywood,
source d’études (socio-historiques) et de où elle débute comme figurante MGM Synthèse additive, méthode de restitu-
films de montage d’un intérêt souvent (1950). Remarquée dans la Tunique tion des couleurs consistant à superposer
remarquable. (H. Koster, 1953), elle est lancée comme sur l’écran plusieurs images colorées.
vedette sexy par Preminger (La lune était ( COULEUR, PROCÉDÉS DE CINÉMA EN
ACUTANCE. bleue, 1953) et poursuit dès lors une COULEURS.) Tireuse additive, tireuse où
Capacité d’une pellicule à fournir une carrière internationale. Sa sensualité pi- la lumière employée pour le tirage de la
image localement contrastée des détails, quante se nuance aisément de distinction copie est obtenue par recombinaison de
donc une image avec des détails lisibles. et, le cas échéant, d’émotion. On ne voit trois faisceaux colorés distincts obtenus

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

par division du faisceau blanc fourni par Quartet (J. Ivory, id.) ; Tout feu, tout Élancé, athlétique, séduisant, il sait se
la lampe. ( ÉTALONNAGE.) flamme (J.-P. Rappeneau, 1982) ; Anto- montrer exigeant sur ses interprétations
nieta (C. Saura, 1983) ; l’Été meurtrier et ne semble jamais être prisonnier
ADDY (Wesley), acteur américain (Omaha, (Jean Becker, id.) ; Subway (Luc Besson, d’un stéréotype. Il incarne successive-
Nebr., 1913 - Danbury, Conn., 1996). 1985) ; Ishtar (Elaine May, 1987) ; Toxic ment le héros d’origine modeste dans
Venu au cinéma en 1951 après plusieurs Affair (Philomène Esposito, 1993) ; Dia- ‘ Sergueï Lazo ’ (Sergej Lazo, Aleksandr
années de théâtre (Hamlet, Roméo et bolique (Jeremiah Chechik, 1996 – re- Gordon, 1968), un jeune veuf qui sait
Juliette, Antigone, Candida), sa forma- make du film de Clouzot). faire taire sa douleur dans ‘ Sentiments ’
tion classique confère un relief particulier (Almantas Grikiavicius, 1970), Edmond
aux personnages, le plus souvent haïs- ADLER (E. Maurice, dit Buddy), producteur le fils illégitime du Roi Lear (G. Kozint-
sables et insidieusement menaçants, qu’il américain (New York, N. Y., 1906 - Los An- sev, 1971), le révolutionnaire convaincu
interprète. Robert Aldrich, en particulier, geles, Ca., 1960). de Ce doux mot : liberté (Jalakiavicius,
exploite habilement son port rigide, sa Sous contrat à la Columbia (1947-1954), 1973). Il devait se montrer à son avan-
mine sévère, son élocution précise et gla- il connaît un succès retentissant avec tage dans ‘ les Ennemis ’ (Vragi, Rodion
cée dans En quatrième vitesse (1955), Tant qu’il y aura des hommes (F. Zinne- Nakhapetov, 1977), ‘ Sans abri ’ (Ztraceny
Tout près de Satan (1959), Quatre du mann, 1953). En 1956, il succède à Darryl domov, Grikiavicius, id.) et surtout dans
Texas (1963) et Pas d’orchidées pour F. Zanuck à la tête de la production de la Fiancée (G. Reisch et Gunther Rüc-
Miss Blandish (1971). Durant dix ans, il la 20th Century Fox. Ses adaptations de ker, RDA, 1980), De la vie des estivants
travaille exclusivement pour ce metteur pièces ou romans à succès (Arrêt d’auto- (N. Goubenko, id.), où il incarne un va-
en scène, puis avec John Frankenheimer bus [J. Logan, 1956], South Pacific [id., cancier insolite au charme très tchékho-
(l’Opération diabolique, 1966), Richard 1958], l’Auberge du sixième bonheur vien, ‘ la Joie de Matveï ’ (Matveeva ra-
Fleischer (Tora ! Tora ! Tora !, 1970), [M. Robson, id.], etc.) lui ont valu le Irving dost‘, Irina Poplavskaia, 1986) et Un Dieu
Sidney Lumet (Network, 1976 ; le Verdict, Thalberg Award (1956) et le Cecil B. De rebelle (P. Fleischmann, 1990).
1982), et enfin James Ivory qui lui confie, Mille Award (1957).
en 1979, le rôle du patriarche puritain des ADORÉE (Jeanne de La Fonte, dite Renée),
Européens. ADLON (Percy), cinéaste allemand (Mu- actrice française (Lille 1898 - Tujunga, Ca.,
nich 1935). États-Unis, 1933).
ADJANI (Isabelle), actrice française (Gen- D’abord acteur de théâtre puis réalisa- Artiste de cirque, danseuse aux Folies-
nevilliers 1955). teur de télévision, il débute au cinéma Bergère, une tournée la conduit aux
Née d’un père algérien d’origine turque avec une adaptation réussie des souve- États-Unis en 1920. Elle s’oriente vers
et d’une mère allemande, elle figure pour nirs de la gouvernante de Marcel Proust le cinéma, où sa très grande beauté et
la première fois dans un film à l’âge de Céleste (1981). Les Cinq Derniers Jours sa grâce délicate en font vite une jeune
quatorze ans. En 1972, elle entre à la (Fünf letzte Tage, 1982) est un émouvant première demandée. Après son succès
Comédie-Française, et tient son premier hommage à Sophie Scholl, membre du dans la Grande Parade (K. Vidor, 1925),
grand rôle à l’écran dans une comédie groupe de résistants antinazis « la Rose la MGM lui donne souvent comme par-
de Claude Pinoteau, la Gifle (1974). Elle blanche ». L’étonnante actrice Marianne tenaires Lon Chaney (l’Oiseau noir,
incarne Adèle Hugo dans le film de Fran- Sägebrecht est pour une bonne part à T. Browning, 1926), John Gilbert (The
çois Truffaut, Histoire d’Adèle H. (1975), l’origine du succès international de Bag- Show, id., 1927) ou Ramon Novarro
où, dans un registre hyperexpressif, elle dad Café (Out of Rosenheim, 1987). Le (Chanson païenne, W. S. Van Dyke,
compose un personnage de femme dé- réalisateur l’avait déjà choisie pour le 1929). Après le Chanteur de Séville
chirée, poursuivant jusqu’au désespoir et rôle principal de Sugarbaby (Zuckerbaby, (Ch. Brabin, 1930), sa santé précaire
la folie un amant indifférent. Sa beauté, la confine dans un sanatorium, où elle
1984) et lui restera fidèle pour Rosalie
son interprétation passionnée l’imposent fait ses courses (Rosalie Goes Shopping, s’éteint discrètement, minée par la tuber-
très vite comme une des comédiennes 1989). Le succès de Bagdad Café permet culose.
les plus douées de sa génération. Évo- à son auteur de se fixer en Californie, où
luant entre cinéma d’auteur et cinéma il travaille en indépendant, souvent pour ADORF (Mario), acteur allemand (Zurich,
grand public, elle alterne des rôles dra- des télévisions allemandes. Il réalise suc- Suisse, 1930).
matiques et des personnages plus légers. Il étudie en Allemagne et joue sur scène
cessivement Salmonberries (id., 1991),
Mais qu’elle incarne des jeunes filles dé- où, face à Leonard Steckel, il se révèle
filmé dans le cadre très particulier du
lurées, des héroïnes romantiques ou pos- dans Maître Puntila et son valet Matti de
Grand Nord (en Alaska), puis Younger
sédées, des femmes énigmatiques, elle Brecht. Il trouve ses premiers rôles im-
and Younger (1993), Eat your Heart out
s’engage totalement et intensément dans portants devant la caméra dans les trois
(1997), In der Glanzvollen Weit des Hotel
l’acte de jouer. Téchiné dans Barocco 08-15 (P. May, 1954-55). Puis il tourne
Adlon (1997), Hawaiian Gardens (2001).
(1976), Claude Miller dans Mortelle Ran- régulièrement dans son pays et en Italie.
Réalisateur de documentaires, il a notam-
donnée (1983), Bruno Nuytten dans Ca- Films : Les SS frappent la nuit
ment consacré un film à son oncle, Louis
mille Claudel (1988) où elle campe avec (R. Siodmak, 1957) ; la Fille Rosemarie
Adlon, acteur et latin lover hollywoodien.
énergie et inspiration le rôle-titre, Patrice (R. Thiele, 1958) ; À cheval sur le tigre
Chéreau dans la Reine Margot (1994) ont ADMINISTRATEUR. (L. Comencini, 1961) ; Lulu (R. Thiele,
su mieux que d’autres sans doute mettre Administrateur général, technicien chargé 1962) ; La visita (A. Pietrangeli, 1964) ;
en valeur ses dons d’actrice et contribuer des problèmes administratifs du tournage Major Dundee (S. Peckinpah, 1965) ;
à son statut de star – une star devenue d’un film. ( GÉNÉRIQUE.) Opération San Gennaro (D. Risi, 1966) ;
attentive à son image et au style de ses l’Affaire Matteotti (F. Vancini, 1973) ; la
apparitions à l’écran. ADOMAÏTIS (Regimantas) [Regimantas Faille (P. Fleischmann, 1975) ; l’Honneur
Autres films : Faustine ou le Bel Été Vajtekovi Adomajtis], acteur soviétique perdu de Katharina Blum (V. Schlön-
(N. Companeez, 1972) ; le Locataire d’origine lituanienne (Chiaoulaï 1937). dorff, id.) ; Fedora (B. Wilder, 1978) ;
(R. Polanski, 1976) ; Violette et François Acteur de théâtre (il joua notamment le Tambour (Schlöndorff, 1979) ; Lola,
(J. Rouffio, 1977) ; Driver (W. Hill, 1978) ; le rôle de Franz dans les Séquestrés une femme allemande (R. W. Fassbin-
Nosferatu, fantôme de la nuit (W. He- d’Altona de Sartre), il se fait remarquer der, 1981) ; la Côte d’amour (Charlotte
rzog, id.) ; les Soeurs Brontë (A. Téchiné, à l’écran dès 1965 dans Personne ne Dubreuil, 1982) ; Amerika, rapports de
1979) ; Possession (A. Zulawski, 1981) ; voulait mourir de Vitautas Jalakiavicius. classe (J. M. Straub et D. Huillet, 1984) ;

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Vado a riprendermi il gatto (Giuliano Bia- les dialectes régionaux et les langages AGENCE POUR LE DÉVELOPPEMENT
getti, 1987) ; Der Teufels Paradies (Vadim hybrides des mass media. La Grande RÉGIONAL DU CINÉMA (ADRC)
Glowna, id.) ; Une nuit italienne (Una notte Guerre (Monicelli, 1959) et la Grande EXPLOITATION/AIDESÉLECTIVE
italiana, Carlo Mazzacurati, id.) ; Gioco di Pagaille (L. Comencini, 1960) traitent des
societa (N. Loy, 1989) ; les Enfants de AGFACOLOR.
deux catastrophes nationales d’un point
Bronstein (J. Kawalerowicz, 1990) ; Café Nom de marque de deux procédés suc-
de vue démystificateur ; les Camarades
Europa (Franz X. Bogner, id.) ; Abissinia cessifs de cinéma en couleurs proposés
(Monicelli, 1963) aborde avec humour les
(Francesco Martinotti, 1993) ; Amigo mio par la firme allemande Agfa : un procédé
débuts du syndicalisme ; l’Armée Bran- additif sur film gaufré ; un procédé sous-
(J. Meerapfel et Alcides Chiesa, id.) ; Ros-
caléone (Monicelli, 1966) se moque du tractif, inversible (1936), puis négatif-po-
sini (Helmut Dietl, 1997) ; Smilla (B. Au-
gust, id.). Moyen Âge. Pour Dino Risi, ils écrivent sitif (1939), qui fut le précurseur des pro-
de féroces comédies politiques et de cédés professionnels actuels ( PROCÉDÉS

ADRIAN (Adrian Adolph Greenberg, dit moeurs : les Monstres (1963), Fais-moi DE CINÉMA EN COULEURS).

Gilbert A.), costumier américain (Nauga- très mal, mais couvre-moi de baisers !
tuck, Conn., 1903 - New York, N. Y., 1959). AGIT-PROP.
(1968), Moi, la femme (1971), Au nom
Après avoir travaillé pour le music-hall, Abréviation russe de « agitation et pro-
du peuple italien (id.), le Fou de guerre
il est engagé en 1926 par Cecil B. De pagande », forgée aux premiers jours
(1985). Pour Ettore Scola, ils composent
Mille. En 1928, il entre à la MGM, où il va de la révolution soviétique pour désigner
un diptyque historique et social sur les dé-
s’affirmer comme l’un des artistes les plus toute activité artistique militante (théâtre,
ceptions de leur génération : Nous nous cinéma, musique, peinture) destinée à
originaux de sa spécialité. Il est bientôt le
sommes tant aimés (1974), la Terrasse provoquer une action psychologique et
couturier de prédilection de nombreuses
grandes vedettes, et notamment de (1980), où Age est également acteur. intellectuelle immédiate sur le public.
Greta Garbo, qui lui inspire ses créations Au cinéma, les agitki sont des films, le
les plus audacieuses (la Reine Christine, AGEE (James Rufus Agee, dit James), plus souvent de court métrage, conçus
Anna Karenine, le Roman de Marguerite scénariste américain (Knoxville, Tenn., pour appuyer directement une campagne
Gautier), mais il « habille » également 1909 - New York, N. Y., 1955). d’incitation politique, militaire, sociale,
Joan Crawford, Norma Shearer, Carole Poète, romancier, coauteur, avec le pho- sanitaire. On les compare à des tracts, à
Lombard, Jean Harlow et Janet Gaynor, tographe Walker Evans, d’un célèbre des fables mimées, aux affiches-bandes
qui deviendra son épouse. Sa renommée dessinées que Maïakovski composait
ouvrage sur les petits paysans du Sud :
était telle qu’une robe qu’il avait créée chaque jour pour les vitrines de la ROSTA
Louons maintenant les grands hommes
pour Joan Crawford dans Captive de (Agence télégraphique russe). Les films-
(Let Us Now Praise Famous Men), il tient
Clarence Brown en 1932 s’est vendue à slogans sont bâtis sur le modèle de
durant les années 40 la rubrique cinéma
500 000 exemplaires... En 1943, il entre l’exposé et de la causerie ; ils font grand
de Time et de Nation. Il y dénonce les
dans une semi-retraite et fonde sa propre usage d’intertitres parfois très longs. Les
conventions et l’irréalisme de la pro- films à sujet sont bâtis sur le modèle des
maison de couture.
duction hollywoodienne, réclamant des oeuvres dramatiques ; ils empruntent aux
AÉRIEN. films qui fassent appel à la liberté et genres traditionnels : mélodrame, aven-
Image aérienne, image réelle mais non l’imagination du spectateur. Il en trouve ture, merveilleux, burlesque. La portée
matérialisée sur un écran. ( OPTIQUE l’exemple le plus achevé dans l’oeuvre de politique de leur affabulation est faible et
GÉOMÉTRIQUE, EFFETS SPÉCIAUX.) John Huston, à laquelle il consacre une reste très dépendante du texte des car-
tons. Entre 1918 et 1921, une soixantaine
importante étude. Après avoir rédigé le
AFOCAL. d’agitki sont reproduits. Conçus par des
commentaire et les dialogues du Petit
Système optique afocal, système optique scénaristes d’occasion (parfois même
Noir tranquille (S. Meyers, 1949), il col-
n’ayant pas de foyers. ( OPTIQUE GÉO- hostiles au régime), tournés en hâte par
labore avec Huston au scénario final de
MÉTRIQUE.) des artisans, ils n’ont, à de très rares ex-
The African Queen (1952), classique de ceptions près, dues à des cinéastes pro-
AGE (Agenore Incrocci, dit), scénariste ita- l’anti-épopée, où son sens de la déri- fessionnels, aucune valeur artistique et
lien (Brescia 1919). sion, son non-conformisme, son respect guère de valeur politique. Les agitki sont
Auteur de sketches comiques pour la des valeurs fondamentales et son goût essentiellement diffusés par les trains et
radio avant et après la guerre, chan- bateaux de propagande : les trains Lé-
notoire pour les boissons fortes trouvent
teur occasionnel, il rencontre en 1947 nine (1918), Révolution d’Octobre (1919),
leur expression naturelle dans le per-
l’écrivain Furio Scarpelli dans le fertile Cosaque rouge (1920), le bateau Étoile
sonnage de Charlie Allnutt (Humphrey
milieu des journaux satiriques romains rouge (1919). Alexandre Medvedkine a
Bogart), ivrogne pusillanime régénéré
(d’où jaillissent de nombreux tandems ressuscité l’agit-prop entre 1930 et 1934.
par l’amour d’une vieille fille. En 1952,
de scénaristes : Vittorio Metz et Mar-
cello Marchesi, Ruggero Maccari et il écrit The Bride Comes to Yellow Sky,
AGOSTINI (Philippe), chef opérateur et
Ettore Scola, etc.). Depuis Totò cerca un des deux épisodes du film Face to cinéaste français (Paris 1910).
casa (Steno et M. Monicelli, 1949), ils Face (B. Windust et J. Brahm). Peu avant Assistant à partir de 1933, il devient chef
écrivent ensemble et avec d’autres de sa mort, il adapte la Nuit du chasseur, opérateur en 1941 et signe ses plus belles
nombreuses comédies populaires soit unique réalisation de Charles Laugh- images pour Autant-Lara (Douce, 1943 ;
pour Totò, soit pour des vedettes de ton, fable initiatique sur l’innocence et le Sylvie et le Fantôme, 1946), Bresson
variétés : Renato Rascel (L’eroe sono io péché qui contient certaines des images (les Anges du péché, 1943 ; les Dames
de C. L. Bragaglia, 1951), Aldo Fabrizi du bois de Boulogne, 1945), Carné
les plus intenses et les plus poétiques
(Rome-Paris-Rome [Signori in carrozza] (les Portes de la nuit, 1946), Grémillon
jamais consacrées à l’enfance.
de L. Zampa, id.), Alberto Sordi (Bravis- (Pattes blanches, 1949), Ophuls (le Plai-
Son roman A Death in the Family,
simo, de L. F. D’Amico, 1955). Le suc- sir [le Modèle], 1952) ou Dassin (Du rififi
cès international du Pigeon (M. Monicelli, porté à la scène en 1960, a fait l’objet chez les hommes, 1955). Il réalise aussi
1958) leur permet de créer des scénarios d’une adaptation cinématographique de nombreux films à caractère religieux
plus audacieux, souvent inspirés de leurs sous le titre All the Way Home (Alex et, pour la TV, les scénarios de sa femme
expériences, de leurs recherches sur Segal, 1963). Odette Joyeux. Autres réalisations : le

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Naïf aux 40 enfants (1957), le Dialogue 1935), il a prouvé dès The Great Gar- La légitimité de ces aides publiques
des carmélites (CO R. P. Bruckberger, rick (J. Whale, 1937) qu’il excellait dans repose sur des principes de développe-
1960), Rencontres (1962), la Soupe aux la comédie : Madame et son clochard ment culturel, le soutien à la recherche
poulets (1963). (N. Z. McLeod, 1938), et dans la compo- et à l’innovation (indispensables à toute
sition : Juarez (W. Dieterle, 1939). C’est industrie culturelle) à la défense d’une ex-
AGRESTI (Alejandro), cinéaste argentin dans ce registre qu’Hitchcock le dirige pression nationale, à la coopération entre
(Buenos Aires, 1961). le cinéma et d’autres secteurs (éducatifs,
dans sa meilleure prestation, le juge de
Formé de manière éclectique, aussi bien sociaux).
la Loi du silence (1953). Il se consacre au
à la télévision qu’au Super 8, il tisse des
théâtre depuis les années 60. Auteur d’un
liens avec des producteurs hollandais dès AÏMANOV (Chaken) [Šaken Kenžetaevi
livre de souvenirs : A Proper Job (1969).
son premier long métrage expérimental, Ajmanov], cinéaste soviétique (Baïan-
El hombre que ganó la razón (1983). El AIDES AU CINÉMA. Aoul, Kazakhstan, 1914 - Moscou 1970).
amor es una mujer gorda (1987) révèle à Si les États se sont impliqués dans les af- Neveu du chanteur Kali Beïjanov, il entre
la fois une personnalité et un talent mul- d’abord à l’Institut pédagogique de Semi-
faires du cinéma à des dates variables, ils
tiformes, avec un goût prononcé pour les palatinsk puis se consacre au théâtre, où
sont tous intervenus dans l’application de
virtuosités de la caméra, qu’il manie lui- il s’impose bientôt comme un des grands
règles de sécurité, ainsi que pour des rai-
même. Installé aux Pays-Bas, il réunit les acteurs de son temps (il est spécialisé
sons de protection des moeurs (contrôle
inquiétudes d’une génération argentine notamment dans le répertoire shakes-
et censure) et bien entendu pour des rai-
grandie sous la dictature militaire et les pearien). Il se tourne vers le cinéma au
sons fiscales. L’histoire révèle que des
recherches des jeunes cinéastes euro- début des années 50. Il est l’interprète du
gouvernements sont allés plus loin, met-
péens en quête d’une écriture filmique en célèbre barde populaire Djamboul dans le
tant en place de véritables politiques de
phase avec leurs contemporains. Boda film homonyme (E. Dzigan, 1953). Puis,
soutien à la création ou au développe-
secreta (1988) confirme cette double passant à la réalisation, il devient l’un
ment de l’industrie cinématographique.
inspiration. Avec des hauts et des bas, des chefs de file du cinéma kazakh : le
Certains régimes ont considéré le
il tourne plusieurs films à l’ancrage plus Poème d’amour (Poema o ljubvi, 1954 ;
cinéma comme un puissant instrument
nettement européen : Luba (1990), Eve- CO : K. Gakkel), Notre cher docteur (Naš
de développement, voire de propagande.
ryone Wants to Help Ernst (1991), Mo- milyj doktor, 1958), l’Appel de la chan-
Les pays totalitaires n’ont pas manqué son (Pesn’zovet, 1961), le Trompeur
dern Crimes (1992), A Lonely Race (id.),
avant de revenir à ses origines, avec El de soutenir une production nationale, imberbe (Bezborodyj obmanik, 1965),
acto en cuestión (1993) et Buenos Aires pour des raisons de politique intérieure la Terre des ancêtres (Zemlija otcov,
et, éventuellement, pour diffuser à l’étran- 1966), l’Ange en calotte (Angel v tjube-
viceversa (1996) et La cruz (1997). Le
vent en emporte autant (El viento se lle- ger une image positive. L’URSS et l’Ita- tejke, 1968), la Fin de l’ataman (Konec
véo que, 1998) triomphe aussi bien à San lie mussolinienne, suivies plus tard par atamana, 1970).
Sebastián qu’à Chicago, Une nuit avec l’Allemagne nazie et, après la Seconde
Sabrina Love (Una noche con Sabrina Guerre mondiale, par les pays du bloc AIMÉE (Nicole Françoise Dreyfus, dite
Love, 1999) bénéficie de la présence de socialiste ont mis en place des systèmes Anouk), actrice française (Paris 1932).
Cecilia Roth* en tête d’affiche : les films étatiques plus ou moins purs selon les Fille de comédiens, elle étudie le théâtre
d’Agresti obtiennent enfin une meilleure époques. et la danse en France et en Angleterre.
distribution et un succès d’estime. À l’époque contemporaine, plusieurs Son premier grand rôle est une occasion
manquée : la Fleur de l’âge (M. Carné,
pays européens, dont la France en pre-
AGUETTAND (Lucien Aguettand-Blanc, 1947), qui ne sera jamais achevé, mais
mier lieu, ont développé progressivement
dit Lucien), décorateur français (Paris Jacques Prévert lui offre une nouvelle
un soutien public à l’industrie cinémato-
1901 - Nogent-sur-Marne 1989). première chance avec les Amants de
graphique dans ses différentes branches.
Il travaille pour Copeau et Jouvet avant Vérone (A. Cayatte, 1949), qui fait d’elle
Il s’agissait à l’origine de réinjecter dans
de venir au cinéma en 1927. Chez Pa- une vedette. Le Rideau cramoisi (A. As-
l’économie du cinéma des sommes pro-
thé-Natan de 1930 à 1935, il dirige le truc, 1953), les Mauvaises Rencontres
venant de prélèvements parafiscaux
service décoration de Pathé-Cinéma de (id., 1955), Montparnasse 19 (J. Becker,
spécifiques (taxe sur les billets d’entrée,
1941 à 1948. Sa carrière se prolonge 1958), la Tête contre les murs (G. Franju,
par exemple). Ces aides à l’industrie,
jusqu’au milieu des années 60, jalonnée 1959) ou les Dragueurs (J. P. Mocky, id.)
purement économiques à l’origine, se
de quelques belles réussites : Poil de imposent d’elle une image quasi imma-
sont accrues et diversifiées, faisant naître
carotte (J. Duvivier, 1932), les Deux Or- térielle, celle d’un amour idéal, fragile et
des aides essentiellement qualitatives
phelines (M. Tourneur, 1933), le Dernier obstiné. La dolce vita (F. Fellini, 1960) et
et culturelles. Les critères de subven-
Milliardaire (R. Clair, 1934), l’Équipage Lola (J. Demy, 1961) révèlent une Anouk
tion s’étendent ainsi du reversement
(A. Litvak, 1935), Koenigsmark (M. Tour- Aimée différente, en qui s’incarnent aussi
aux entreprises calculé proportionnelle-
neur, id.), le Joueur d’échecs (J. Dréville, bien la sensualité blasée que la confiance
ment aux apports antérieurs effectués au
1938), Derrière la façade (G. Lacombe aveugle dans le Destin. Les années qui
fonds provenant des prélèvements sur
et Y. Mirande, 1939), Nous les gosses suivent la trouvent en Italie, où elle inter-
les recettes, jusqu’à des subventions à prète l’épouse névrosée dans Huit et
(L. Daquin, 1941), Germinal (Y. Allégret,
fonds perdu attribuées sur des critères demi (Fellini, 1963). Après son immense
1963).
de qualité ou d’innovation – c’est le cas succès dans Un homme et une femme
AHERNE (Brian), acteur britannique en France où l’intervention va de l’avance (C. Lelouch, 1966) et un rôle énigmatique
(King’s Norton, 1902 - Venice, Fla., États- sur recettes destinée à de nouvelles pro- dans Un soir un train (A. Delvaux, 1968),
Unis, 1986). ductions jusqu’aux primes versées aux sa carrière chaotique se transporte aux
Après une carrière théâtrale précoce, il salles dites d’art et essai. Dans la quasi- États-Unis, où elle interprète le Rendez-
débute au cinéma en Angleterre, puis totalité des pays d’Europe occidentale ont vous (S. Lumet, 1969), Justine (G. Cukor,
s’établit aux États-Unis en 1933. Jeune été adoptées des mesures de soutien aux id.) et Model Shop (J. Demy, id.), retrou-
premier dans Cantique d’amour / le cinématographies nationales, à l’inverse vant dans ce dernier film son personnage
Cantique des cantiques (R. Mamoulian, des États-Unis où les fonds publics ne de Lola, vieilli et désabusé. Après une
1933), Fontaine (The Fountain [J. Crom- sont pas sollicités, sauf indirectement absence des écrans de sept ans, elle
well], 1934) ou Sylvia Scarlett (G. Cukor, (technique de l’abri fiscal). change à nouveau d’image de marque,

11
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

en particulier dans le Saut dans le vide Naissance d’une nation de Griffith, tourné (Ana, 1967) n’est pas sans rappeler
(M. Bellochio, 1979), où elle incarne les dans son studio Reliance-Majestic, puis Gorki, et Fleur céleste (Göce çiçek
frustrations d’une vieille fille toute vouée dans le très coûteux Intolérance, film pour 1972) recherche les racines d’une culture
à son frère, et dans la Tragédie d’un lequel il crée une nouvelle société au sein populaire préislamique. Sa trilogie, la
homme ridicule de Bertolucci (1981), où de la Triangle, la Wark Production. À la Bru (Gelin, 1973), les Noces (Dü ggün,
elle est mariée à d’Ugo Tognazzi. En suite de ce grave échec financier, Harry 1974) et la Dette (Diyet, 1975), qui traite
1983, elle interprète le Général de l’ar- Aitken quitte la Triangle, qui elle-même du choc vécu par la paysannerie émigrée
mée morte (L. Tovoli) puis, de Claude sera liquidée en 1918. Le studio d’Aitken à la grande ville, est d’une importance
Lelouch Viva la vie (1984) et Un homme deviendra par la suite une annexe de la capitale. Néanmoins, son insuccès a
et une femme : vingt ans déjà (1986). Columbia. condamné Akad à l’inactivité profession-
On la retrouve ensuite fugitivement dans nelle depuis 1976.
Ruptures (Christine Citti, 1993), les Mar- AÏTMATOV (Tchinguiz) [ingiz Ajtmatov],
mottes (Elie Chouraqui, 1993) et Prêt- écrivain soviétique d’origine kirghize AKAN (Tark), acteur turc (Istanbul 1948).
à-porter (R. Altman, 1994). Elle a été (Cheker 1928). Il fait ses premiers pas au cinéma en
notamment l’épouse de Nico Papatakis, D’abord vétérinaire puis traducteur en 1971, après avoir gagné un concours or-
Pierre Barouh et Albert Finney. kirghiz de romans russes, il fait partie ganisé par un magazine populaire. On lui
depuis 1957 de l’Union des écrivains confie alors, durant de longues années,
AIMOS (Raymond Caudurier, dit), acteur d’URSS et publie des nouvelles et des ro- des rôles de jeune premier traditionnel
français (La Fère 1889 - Paris 1944). mans que la jeune génération du cinéma dans de nombreux films sans importance.
Jusqu’à sa mort, mal expliquée, sur les kirghiz adaptera avec empressement Au moment où son étoile commençait à
barricades de la Libération, il a voué son et vénération. Il est notamment l’auteur pâlir, il choisit de s’investir dans des com-
existence au cinéma. Le muet l’utilise de Djamilia (publié dans la revue Novy positions plus ambitieuses, sous la direc-
abondamment, le parlant consacre son Mir en 1958 et porté à l’écran par Irina tion des meilleurs cinéastes du pays. L’un
accent faubourien et son allure dégin- Poplavskaia onze ans plus tard), le Pre- des acteurs les plus accomplis de sa gé-
gandée : Justin de Marseille (M. Tour- mier Maître (1961 ; film de A. Mikhalkov- nération, il est l’interprète des principaux
neur, 1935), la Bandera (J. Duvivier, Kontchalovski en 1965), le Champ de la films turcs qui ont été sélectionnés par
id.), la Belle Équipe (id., 1936), Quai des mère (1963 ; film de Gennadi Bazarov en les festivals internationaux, distribués en
brumes (M. Carné, 1938), Ils étaient neuf 1967), Adieu Goulsary ! (1966 ; film de salle ou diffusés par les télévisions, dans
célibataires (S. Guitry, 1939), le Déser- Sergueï Ouroussevski intitulé le Pas de les pays étrangers : le Troupeau (Sürü,
teur (L. Moguy, id.), Monsieur La Sou- l’amble en 1968), le Bateau blanc (1970 ; Y. Güney et Z. Ökten, 1978), le Sacrifice
ris (G. Lacombe, 1942), Lumière d’été film de Bolot Chamchiev en 1975), Chien (Adak, A. Ylmaz, 1979), Yol (Y. Güney
(J. Grémillon, 1943). Son emploi de titi tacheté courant au bord de la mer (1977). et Gören, 1981), les Nuits de couvre-
lui apporta une incontestable popularité. Parmi les autres adaptations cinémato- feu (Karartma Geceleri, Yusuf Kurçenli,
graphiques de ses romans, il faut citer 1990), le Voyageur (Yolcu, B. Sabuncu,
AITKEN (Harry E.), producteur et dis- Chaleur torride (L. Chepitko, 1963, 1993), la Lettre (Mektup, A. Özgentürk,
tributeur américain (Waukesha, Wis., d’après l’OEil du chameau), la Pomme 1997), la Tempête d’automne (Eylül
1870 - Chicago, Ill., 1956). rouge (T. Okeev, 1975), les Cigognes Frtnas, A. Ylmaz, 1999).
Cet industriel joue un rôle de premier plan précoces (Chamchiev, 1979).
à l’époque des Nickelodeons et de la lutte AKERMAN (Chantal), cinéaste belge
contre le « trust » Edison. Il crée avec AKAD (Lütfi Ömer), cinéaste turc (Istanbul (Bruxelles 1950).
John Freuler une société de distribution 1916). Chantal Ackerman (à l’état civil) fréquente
dès 1906, puis en 1911 une société de Comptable, puis chef de production chez l’INSAS en 1967-68, puis tourne dès
production à New York, Majestic Pictures, Erman Film, la MGM turque, il parvient à 1968 son premier court métrage, Saute
qui s’étendra grâce à de nouveaux stu- réaliser son premier film en 1948 : Frap- ma ville, dont elle interprète l’unique
dios ouverts à Hollywood ; le premier film pez la putain (Vurun Kahpeye). Avec un rôle. On sent poindre, dans ce film lou-
de la Majestic bénéficie de la participation sens du récit cinématographique tout foque, son penchant pour l’autobiogra-
de Mary Pickford, puis, en 1913, après un nouveau dans le cinéma turc, il devient phie et le narcissisme. Aux États-Unis,
regroupement avec la Reliance de Bau- vite le chef de file de la génération des en 1971, elle découvre les travaux des
mann et Kessel, D.W. Griffith est recruté cinéastes qui remplacent les vieux rou- cinéastes expérimentaux qui influencent
comme directeur. En 1912 Aitken préside tiers issus du théâtre. Il aborde tous les son premier long métrage, Hôtel Monte-
la Mutual Film Corporation, créée sur une genres – le film policier avec un brin de rey (1972). Je, tu, il, elle (1974) se fait
grande échelle pour distribuer les films « réalisme poétique » : Au nom de la remarquer par son langage épuré dans
des sociétés indépendantes parmi les- loi (Kanun Namna, 1952), la Ville qui lequel le temps réel, brut, non découpé,
quelles Gaumont, Solax, Eclair et Majes- tue (Öldüren Sehir, 1953), le Tricycle se substitue aux codes habituels de la
tic, et qui aura Chaplin sous contrat en (3 Tekerlekli Bisiklet, 1962) ; le film de dramaturgie. Avec Jeanne Dielman,
1916. Aitken, Baumann et Kessel quittent constat social : le Mouchoir blanc (Beyaz 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles
la Mutual et réorganisent leurs sociétés Mendil, 1955) ; le film d’essai de mise en (1975), Akerman filme trois jours de la
au sein de la Triangle Film Corporation, scène originale : Zümrüt (1958), le Quai vie d’une ménagère, prostituée d’occa-
constituée en 1915 avec l’aide du groupe des solitaires (Yalnzlar Rhtm, 1959) ; sion, de manière quasi documentaire.
Rockefeller. La Triangle, dont le slogan le film d’époque : Au feu ! (Yangn Var, News From Home (1977), monté avec
est « The Greatest Pictures by the Grea- 1960) ; le documentaire : la Forêt, don de des plans tournés jadis aux États-Unis,
test Moviemakers », réunit la Fine Arts, Dieu (Tanrnn Bagss Orman, 1963) ; rompt avec certaines conceptions de
appartenant à Aitken et dirigée par Grif- même la comédie et le musical. La Loi ses débuts. Dans sa première véritable
fith, la Kaybee, appartenant à Baumann et des frontières (Hudutlarin Kanunu, 1966) fiction, les Rendez-Vous d’Anna (1978),
dirigée par Thomas Ince, et la Keystone, et le Fleuve (Irmak, 1972) sont d’âpres elle approfondit sa réflexion sur l’enraci-
appartenant à Kessel et dirigée par Mack dénonciations de problèmes sociaux. nement culturel. Quatre ans de silence
Sennett. Aitken et la Fine Arts ont notam- La Légende du mouton noir (Kzlrmak- forcé, après l’échec de divers projets, la
ment sous contrat Lilian Gish, Douglas Karakoyun, 1967) est la mise en scène conduisent à concevoir un film différent
Fairbanks, Allan Dwan, Owen Moore, su- très réussie d’un conte populaire réécrit des précédents, symphonique, éclaté :
pervisés par Griffith. Aitken investit dans par le poète Nazim Hikmet. La Mère Toute une nuit (1982), où l’émotion tient

12
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

lieu de personnage principal. Après les ALAOUIE ou ‘ALAWIYA (Burhan), cinéaste populaire socialiste décrète la nationali-
Années 80 (1983), elle participe au film libanais (Arnun 1941). sation des salles et la création de l’Entre-
à sketches Paris vu par... vingt ans après Après des études cinématographiques à prise cinématographique d’État ; en 1952
(1984) puis tourne The Golden Eighties l’INSAS de Bruxelles de 1968 à 1973, il re- sont inaugurés les studios de Tirana
avec Delphine Seyrig (1986), Histoires constitue dans son premier long métrage, Albanie nouvelle (Shqiperia e Re). Les
d’Amérique (1988), Nuit et jour (1991), avec une rigueur documentariste et une premières années sont réalisés docu-
Contre l’oubli (CM, 1992), le Déména- réelle intensité dramatique, le massacre mentaires et actualités. La production
gement (MM, 1992), D’Est (1993) où d’un village arabe par les Israéliens, en de longs métrages débute en 1953 avec
elle filme l’Europe de l’Est, la Russie, la 1956 : Kafr Kassem (Kafr Qasim, 1974). la coproduction soviéto-albanaise réali-
Pologne et l’Ukraine de façon très per- Il réalise en collaboration Il ne suffit pas sée par Serge Youtkevitch*, Skanderbeg
sonnelle, Portrait d’une jeune fille des que Dieu soit avec les pauvres (1976), (primé à Cannes en 1954 pour la réalisa-
années 60 à Bruxelles (1994), Un divan documentaire consacré, sous l’égide de tion), évocation à grand spectacle de la
à New York (1996). Cette même année l’UNESCO, à l’architecte Hasan Fati. lutte menée par le héros national Georges
1996, son inclination à l’autobiographie La Rencontre (Bayrut al-liga’, 1982) té- Castriota (dit Skanderbeg) contre l’enva-
se concrétise une nouvelle fois dans un moigne, d’une manière distanciée mais hisseur ottoman au XVe siècle ; une autre
auto-portrait qu’elle intitule Chantal Aker- émouvante, du drame du Liban. Ce qui coproduction avec l’URSS est réalisée en
man par Chantal Akerman. En 1999, Sud lui fait découvrir un nouveau style épisto- 1959 par Kristaq Dhamo et Youri Oze-
se penche sur les circonstances du lyn- laire pour traiter des questions libanaises rov : la Tempête (Futuna), épopée de la

chage d’un Noir par trois jeunes Blancs dans Lettres d’un temps de guerre I et II guerre de Libération.

dans le sud des États-Unis. Elle signe (Rasaïl min zaman Al-Harb, 1986 et Min Le premier long métrage spécifique-
encore la Captive en 2000, une adap- zaman Al-Harb, 1988). ment albanais est Tana, de Kristaq
tation très personnelle d’un chapitre de Dhamo (1957), sur la collectivisation des
ALASSANE (Mustapha), cinéaste nigérien campagnes, suivi de Debatik, de Hysen
la fresque de Proust, À la recherche du
(N’Dongou 1942). Hakani (1961), sur la résistance des
temps perdu.
Autodidacte, il apprend un peu de tech- enfants pendant l’Occupation. La pro-
nique à Niamey avec Jean Rouch, puis duction, limitée à un film annuel environ
AKINS (Claude), acteur américain (Nelson,
s’initie, au Canada, à l’animation auprès jusqu’en 1965, s’accroît peu à peu (six
Ga., 1918 - Altadena, Los Angeles, Ca.,
de Norman McLaren. Le Piroguier (1962) en 1974 et dix en 1975) et atteint une
1994).
et la Pileuse de mil (1962) sont les pre- moyenne de cinq longs métrages par an ;
Il débute au théâtre et fait sa première
miers dessins animés d’Afrique noire. une production de dessins animés a éga-
apparition à Broadway en 1951, dans The
Ils sont suivis de la Bague du roi Koda lement débuté au milieu des années 70 ;
Rose Tattoo. Sa carrure massive, son
(1963), la Mort de Gandji (1965) et Bon la télévision produit de son côté des films
physique typé lui valent d’être engagé
voyage Sim (1966). Alassane tourne et des feuilletons.
pour un rôle de « dur » dans Tant qu’il y
des courts métrages documentaires,
aura des hommes (F. Zinnemann, 1953). Le nombre des salles, qui était de
des fables (al-Barka le conteur / Deela,
Il poursuit assidûment dans cette voie, 17 en 1944, s’élevait à 76 en 1964 ; en
adapté de la tradition orale des griots
créant de mémorables silhouettes de 1975, on recensait environ 450 unités de
[1971]) et des parodies à intention sati-
brutes naïves, loquaces et avinées dans projection, y compris les salles fixes et
rique. F. V. V. A. — initiales de femmes,
Collines brûlantes (S. Heisler, 1956), les unités mobiles ; le nombre de spec-
villa, voiture, argent — est son premier
Rio Bravo (H. Hawks, 1959), Comanche tateurs, qui ne dépassait pas 150 000
long métrage (1972). Toula ou le Génie
Station (B. Boetticher, 1960), etc. Passé avant la Libération, s’est élevé en 1975 à
des eaux (id.) veut, à travers une lé-
du troisième couteau au second plan, vingt millions pour une population d’envi-
gende, « attirer l’attention sur le problème
il change de registre et tient des rôles ron deux millions et demi d’habitants, soit
angoissant de la sécheresse ». Avec
colorés mais attachants dans Les ma- une fréquentation moyenne relativement
Samba le grand (1978), il aborde la tech-
raudeurs attaquent (S. Fuller, 1962), À forte (8).
nique de la marionnette animée. Kokoa
bout portant (D. Siegel, 1964), l’Indien Le cinéma albanais est fondé sur les
(1985) s’inspire d’un conte traditionnel.
(C. Reed, 1970), Alerte à la bombe principes idéologiques et esthétiques du
(J. Guillermin, 1972), avant de devenir réalisme socialiste : il est « socialiste et
ALAZRAKI (Benito), cinéaste mexicain
la vedette de la série L’aventure est au révolutionnaire par son contenu, national
(Mexico 1923).
bout du chemin (Movin’On), où il incarne par sa forme ». La production repose sur
Racines (Raíces, 1953), son premier
un « routier sympa ». Parmi ses autres le travail collectif, à la fois dans la concep-
film — quatre épisodes sur l’univers
films, on peut également citer Ouragan tion (il est tenu compte des demandes du
misérable des Indiens, dont le réalisme
sur le Caine (E. Dmytryk, 1954), Porgy public quant aux thèmes à traiter) et dans
tranche avec l’idéalisation jusqu’alors
and Bess (O. Preminger, 1959), Procès mise en scène par Fernandez et Figueroa la réalisation (les films sont présentés aux
de singe (S. Kramer, 1960), Les marau- — s’avère le précurseur peu conscient collectifs de création et à des échantillons
deurs attaquent (S. Fuller, 1962). d’un cinéma indépendant au Mexique. de public avant leur sortie). Les traits
fondamentaux des films sont : « l’esprit
Sa carrière ultérieure, tout à fait commer-
AKUTAGAWA (Hiroshi), acteur japonais prolétarien », « la position de classe »,
ciale et conformiste (mélodrames, films
(Tokyo 1920 - id. 1981). « le rôle du héros positif », « le reflet
d’horreur destinés au marché national),
Fils du célèbre écrivain Akutagawa Ryû- de l’optimisme et du pathos révolution-
démontre que le mérite de Racines était
nosuke (Rashômon). Avant tout acteur de naire des masses ». Les thèmes traités
surtout dû à Manuel Barbachano Ponce,
théâtre très connu au Japon, il interprète le producteur, et à Carlos Velo, le coscé- concernent avant tout « la lutte de Libéra-
quelques rôles marquants au cinéma nariste. Parmi ses autres films, on peut tion nationale » et « l’édification socialiste
après 1950, notamment dans : ‘ Eaux citer Café Colón (1958), El toro negro du pays ». La formation des jeunes tra-
troubles ’ (T. Imai, 1953), ‘ Là d’où l’on voit vailleurs du cinéma est assurée par des
(1959), Balún Canán (1976).
les cheminées ’ (H. Gosho, id.), ‘ les Oies leçons théoriques et pratiques données
sauvages ’ (S. Toyoda, id.), ‘ le Pousse- ALBANIE. à l’Institut supérieur des arts et dans les
Pousse ’ (H. Inagaki, 1958), ‘ Nuit et La production albanaise semble avoir été studios.
Brouillard du Japon ’ (N. Oshima, 1960), inexistante avant la Libération (1944). En Les réalisateurs les plus importants
et ‘ Dodes’kaden ’ (A. Kurosawa, 1970). 1947, le gouvernement de la République semblent être Kristaq Dhamo : Tana

13
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

(1957), les Premières Années (1965), le Banco di Roma (organisme lié au Vati- du ciel (J. Huston, 1958) ; et toujours
Matins de guerre (Mengjeze lufte, 1971), can), devient rapidement une des plus dans la comédie : la Petite Maison de thé
les Sillons (Brazdat, 1973) ; Dimiter Ana- grosses entreprises italiennes de produc- (Daniel Mann, 1956), les Arpents verts
gnosti : le Commissaire de la lumière tion de films. Homme à tout faire, Alberini (Green Acres, feuilleton télévisé, Richard
(CO V. Gjika, Kamisari i oritës, 1966), les met en scène certains des films produits L. Bare, 1965-1969). Il mène aussi une
Plaies anciennes (Plage te vjetra, 1969), par la société, notamment en 1905 La carrière de chanteur. Son fils a joué un
les Vertes Montagnes (Malet me blerim presa di Roma, premier film à sujet de la moment sous le nom d’Eddie Albert Jr.
mbuluar, 1971), la Fille des montagnes cinématographie italienne, une oeuvre en
(Cuca e maleve, 1974), Dans notre mai- costumes, longue déjà de 250 mètres et ALBERTAZZI (Giorgio), acteur et cinéaste
son (1979) ; Viktor Gjika : les Chemins évoquant l’assaut des Piémontais à Porta italien (Fiesole 1925).
blancs (Rrugete bardha, id.), l’Affronte- Pia et la prise de Rome en 1870. Le film Interprète de théâtre, il apparaît au ci-
ment (Perballimi, 1976), En toute saison inaugure le filon historique et nationaliste néma dans Lorenzaccio (Raffaello Pacini,
(1980). Une fable de jadis (1988) montre si prolifique dans la cinématographie ita- 1952) et à la télévision (acteur, réalisa-
que Dimiter Anagnosti est une valeur lienne muette. Après 1910, Alberini est teur). Il est connu surtout pour le rôle qu’il
sûre. À signaler, Avril brisé de Cujtim progressivement écarté du rôle essen- tient dans l’Année dernière à Marienbad
Cashku (1986) d’après le roman d’Ismaïl tiel qui avait d’abord été le sien dans la (A. Resnais, 1961). Il a signé, mis en
Kadaré et l’adaptation d’un autre roman société primitive et il n’assume plus que scène et interprété une adaptation de la
du même auteur, le Général de l’armée la fonction de directeur technique de la Gradiva de Jensen en 1970. Depuis, il
morte. Cines. se consacre principalement au théâtre.
Dans les années 90, on le retrouve en-
ALBATROS. ALBERS (Hans), acteur allemand (Ham- core au générique de Tutti gli anni una
Société de production française créée en bourg 1891 - Munich 1960). volta l’anno (G. Lazotti, 1994), Crimine
1922 et dirigée par Alexandre Kamenka D’abord actif dans le cirque, le music-hall contro crimine (A. Florio, 1998), Briganti
(1888-1969). Cette firme prit en fait la et l’opérette, il vient au cinéma en 1924, (P. Squitieri, 1999) et Tutta la conos-
suite de la Société Ermolieff, fondée en parallèlement à sa carrière théâtrale (il cenza del mondo (E. Puglielli, 2001).
1920 par Ermolieff et Kamenka, et qui fait partie du Deutsches Theater de Max
s’était établie dans des studios à Mon- Reinhardt en 1926-1928), avec un per- ALBICOCCO (Jean Gabriel), cinéaste fran-
treuil (Seine-Saint-Denis), avec l’aide sonnage de jeune premier dynamique et çais (Cannes 1936 – Rio de Janeiro, Brésil,
de Pathé. Privilégiant au départ les enjoué, aventureux et gaillard, une sorte 2001).
films tournés ou joués par des émigrés de Douglas Fairbanks local. On le voit Fils du chef opérateur Quinto Albicocco,
russes (Volkoff, Tourjansky, Protazanov, dans de nombreux films muets (la Danse dont il partage le goût pour une image
Mosjoukine, Nathalie Lissenko, Nicolas de mort [U. Gad, 1912], Ein Sommer empreinte d’afféterie, il est assistant de
Rimsky), Kamenka n’en produisit pas Nachtstraum [Hans Neumann, 1925], Dassin pour Celui qui doit mourir (1956),
moins certains films des grands metteurs Eine Dubarry von Heute [A. Korda, 1926], puis réalise quelques discutables adap-
en scène français de l’époque comme Prinzessin Olala [Robert Land, 1928]). tations littéraires : la Fille aux yeux d’or
Marcel L’Herbier (Feu Mathias Pascal, Remarqué dans Asphalt (J. May, 1929) (1961), Un rat d’Amérique (1962), le
1925), René Clair (Un chapeau de paille et l’Ange bleu (Sternberg, 1930), il tourne Grand Meaulnes (1967), le Coeur fou
d’Italie, 1928) ou Jacques Feyder (les dans les années 30 et 40 sous la direc- (1969), le Petit Matin (1971).
Nouveaux Messieurs, 1929). tion de Carl Froelich (la Nuit est à nous,
1929), Richard Eichberg (Der Greifer, ALCORIZA (Luis), cinéaste et scénariste
ALBERINI (Filoteo), producteur et cinéaste 1930), Kurt Gerron (Der weisse Dämon, mexicain (Badajoz, Espagne, 1921 - Cuer-
italien (Orte 1865 - Rome 1937). 1932), Robert Siodmak (Quick, id.), Gus- navaca, Mexique, 1992).
Pionnier du cinéma italien, Alberini in- tav Ucicky (Au bout du monde, 1933), Fils d’un couple de comédiens espagnols,
vente en 1894 le Kinetografo, appareil Karl Hartl (l’Or, 1934), Fritz Wendhausen il s’installe au Mexique au lendemain de
pour la prise de vues, le tirage et la pro- (Peer Gynt, id.), Herbert Selpin (Sergent la guerre civile. Il débute lui aussi comme
jection des images animées. Cet appa- Berry, 1938 ; Carl Peters, 1942), Helmut acteur de théâtre et de cinéma : une quin-
reil, breveté en 1895, voit son champ Käutner (la Paloma, 1944), mais c’est zaine de rôles, de La torre de los suplicios
d’application réduit à néant par l’appari- avec le rôle-titre des Aventures fantas- (R. J. Sevilla, 1940) au Grand Noceur
tion en Italie du Cinématographe Lumière tiques du baron de Münchhausen (J. von (L. Buñuel, 1949). Il apprend le métier de
(printemps 1896). Alberini poursuit ses Baky, 1943) qu’il obtient son plus grand scénariste auprès de l’Américain Norman
recherches et met au point diverses in- succès. Ayant su garder ses distances Foster et participe à l’écriture de plus de
ventions, notamment, en 1914, un sys- vis-à-vis du nazisme, et toujours très po- cinquante films entre 1946 et 1960. Il est
tème de prise de vues panoramique, que pulaire, il poursuivra sa carrière après la notamment le collaborateur de dix films
Guazzoni utilise en 1919 pour le tournage guerre dans une vingtaine de films, dont mexicains de Buñuel, dont Los olvidados
de Clemente VII e il sacco di Roma. Actif deux réalisés par lui-même. (1950), El (1953) et l’Ange exterminateur
également dans le domaine commercial, (1962). Lassé de voir ses projets édul-
Alberini ouvre une salle de projection ALBERT (Edward Albert Heimberger, dit corés par les tâcherons d’une industrie
à Florence en 1901, puis, à Rome, en Eddie), acteur américain (Rock Island, Ill., déjà complètement sclérosée, il passe
1904, le Moderno (il s’agit vraisembla- 1908). à la mise en scène avec Los jóvenes
blement de la première salle construite Du théâtre, il passe au cinéma en 1938, (1961). À contre-courant de la débâcle
en dur spécialement pour le cinéma). En avec l’adaptation d’une pièce qu’il avait du cinéma mexicain, il s’impose avec
décembre 1904 (ou en août 1905), il se jouée à Broadway : Brother Rat (William Tlayucan (1962), Pêcheurs de requins
lance dans la production en fondant avec Keighley). Son physique ordinaire et (Tiburoneros, 1963) et Toujours plus
Sante Santoni le premier établissement la mobilité de ses traits le désignent loin (Tarahumara, 1965) comme un réa-
italien de manufacture cinématogra- pour des emplois secondaires, dans lisateur original et incisif. Il procède dans
phique, Alberini et Santoni. Cette société de petites comédies, à la Warner. Un ces trois films à une véritable redécou-
devient, en 1906, la S. A. Cines, dont les amour désespéré (W. Wyler, 1952) le verte de la réalité nationale, celle de la
studios, porte San Giovanni à Rome, se- fait remarquer dans un rôle dramatique. province, puis des pêcheurs, et enfin des
ront actifs jusqu‘à la fin des années 30. La Il brille ensuite dans le même registre : Indiens, sans les artifices traditionnels ou
Cines, société par actions soutenue par Attaque (R. Aldrich, 1956), les Racines l’idéalisation des Fernandez et Figueroa.

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Plutôt qu’une influence de Buñuel, il y de nulle part (P. Chenal, 1937), Un carnet ALDO (Aldo Graziati, dit G. R.), chef opé-
révèle une identité de vues, une même de bal (J. Duvivier, id.), Drôle de drame rateur italien (Scorze 1905 - Albara di Pia-
volonté de subversion, le goût de l’insolite (M. Carné, id.), le Château des quatre niga, Padoue, 1953).
et du sarcasme, le recours à l’érotisme obèses (Ivan Noé, 1939), le Colonel Cha- Venu très jeune en France, Aldo a
libérateur. À la différence de son aîné, il bert (René Le Hénaff, 1943). d’abord travaillé comme photographe de
se montre davantage intégré à son pays plateau : ses photos de films français des
d’adoption, plus attentif à l’insertion des ALCY (Charlotte Faës, dite Jehanne d’), ac- années 30 comptent parmi les meilleures
personnages dans le paysage et dans un trice française (Vaujours 1865 - Versailles du genre. Après la guerre, ayant suivi
contexte social précis. Il dévoile l’envers 1956). en Italie le tournage de la Chartreuse
du décor de prospérité d’Acapulco et de Venue à Paris vers 1888 pour tenter de Parme (Christian-Jaque), il se fixe à
Mexico et révèle sans complaisance les Rome en 1948 et devient rapidement un
sa chance, elle rencontre le directeur
laissés-pour-compte du système, dans des chefs opérateurs les plus recherchés.
du théâtre Robert-Houdin, qui s’appelle
Paraíso (1970) et Mecánica nacional Son exceptionnel sens plastique, son
Georges Méliès. Lorsque celui-ci se
(1972). Il s’oriente ensuite vers la fable, goût des cadrages précis, sa maîtrise des
passionne pour le cinéma naissant, elle
avec Presagio (1975), écrit en collabo- éclairages contrastés sont mis au service
participe aussitôt aux courtes bandes où
ration avec Gabriel García Márquez, et de cinéastes comme Visconti (La terre
fleurissent les trucages (le Voyage dans
Las fuerzas vivas (1975), dont l’action se tremble, 1948), De Sica (Miracle à Milan,
la Lune, 1902) et s’épanouit la poésie.
situe à l’époque de la révolution mexi- 1951 ; Umberto D, 1952 ; Stazione Ter-
Plus tard, lorsque le magicien est oublié,
caine. Il a réalisé également Amor y sexo mini, 1953), Genina (la Fille des marais,
elle l’épouse (1925) et l’aide à vendre
(1964), El gángster (1965), Divertimento 1949 ; Histoires interdites, 1952), Soldati
des jouets gare Montparnasse. On les
(1967), La puerta (1968), El oficio más (la Provinciale / la Marchande d’amour,
antiguo del mundo (1970), El muro del retrouve, on leur rend hommage. Seule
1953). Il collabore avec Brizzi à la pho-
silencio (1974), A paso de cojo (1978), Lo survivante de cette époque fabuleuse, la
tographie d’Othello de Welles (1952). En
que importa es vivir (1985), Dia de difun- première vedette du cinéma français se
1953, il retrouve Visconti pour Senso.
tos (1987), des sketches de Antología del consacre jusqu’à sa mort au culte de son
D’emblée, il se révèle un maître dans l’uti-
miedo (1968) et Fe, esperanza y caridad mari.
lisation de la couleur : un accident d’auto-
(1974).
mobile interrompt brutalement sa carrière
ALDA (Alan), acteur américain (New York,
(Senso sera terminé par Robert Krasker
ALCOTT (John), chef opérateur britan- N. Y., 1936).
et Giuseppe Rotunno).
nique (Londres 1931 - Cannes, France, Fils de l’acteur Robert Alda (New york,
1986). N. Y., 1914 - Los Angeles, Ca., 1986), ALDRICH (Robert), cinéaste américain
Son nom reste associé à celui de Stanley Alan Alda est lui-même acteur de théâtre, (Evanston, R. I., 1918 - Los Angeles, Ca.,
Kubrick : après son travail sur la photo- de cinéma, de télévision, auteur, pro- 1983).
graphie additionnelle de 2001, l’Odys- ducteur et metteur en scène. Il fait ses Venu à Hollywood en 1941, il est engagé
sée de l’espace (1968), le cinéaste lui débuts sur scène à l’âge de seize ans par la RKO comme simple employé à la
fit constamment confiance. C’est donc à à Barnesville en Pennsylvanie, accom- production, et gravit de façon tradition-
lui que l’on pense en évoquant la lumière
pagne son père en Europe, où il fait des nelle les échelons de la profession, deve-
glacée et terrifiante d’Orange mécanique
apparitions sur les scènes romaines et à nant employé sur les scripts, puis admi-
(1971) ou de Shining (1980) ou encore les
la télévision. Sa célébrité exceptionnelle nistrateur délégué et enfin assistant (de
légendaires clairs-obscurs dus à la bougie
aux États-Unis vient surtout de la reprise Milestone, Renoir, Wellmann, Chaplin et
de Barry Lyndon (1975). Le prestige de
pour la télévision de M*A*S*H*, dont surtout Polonsky et Losey). Scénariste
cette collaboration le fit solliciter par les
il met en scène un épisode. Il apparaît et producteur d’une série télévisée, c’est
États-Unis. Il faut cependant reconnaître
au cinéma, notamment dans : la Guerre le succès de celle-ci qui lui permet de
que, pour être toujours aussi compétent,
des bootleggers (R. Quine, 1970), Satan réaliser (après un galop d’essai inédit en
son travail y était plus anonyme, comme
mon amour (P. Wendkos, 1971), Même France) son premier film personnel : la
dans le Policeman (D. Petrie, 1980) ou
heure, l’année prochaine (R. Mulligan, vedette en est d’ailleurs Dan Duryea, déjà
Sens unique (R. Donaldson, 1987), son
1978), California Hotel (H. Ross, id.), la vedette de la série en question. Aldrich
dernier film, que le réalisateur dédie à sa
essaie d’y rompre la grisaille TV au profit
mémoire. Mais on peut avoir une bonne Vie privée d’un sénateur (J. Schatzberg,
de recherches d’angle et de chocs spec-
idée de sa facilité d’adaptation en com- 1979). Il est également scénariste de ce
taculaires. En outre, World for Ransom,
parant l’aspect quasi documentaire de film, ainsi que de Four Seasons (1981) et
film d’aventures à médiocre budget (dont
Under Fire (R. Spottiswoode, 1983) à de Sweet Liberty (1986), dont il a assuré
le titre sonne comme un défi), indique le
l’enluminure chatoyante de Greystoke la mise en scène. Les récents développe-
type d’action où Aldrich sera toujours à
(H. Hudson, 1984). ments de sa carrière (Betsy’s Wedding,
l’aise (d’où les échecs répétés dans la
1990, où il se dirige lui-même derrière
ALCOVER (Pedro Antonio Alcover, dit comédie de cet homme plein d’humour) :
l’oeil de la caméra) font d’Alan Alda un
Pierre), acteur espagnol (Châtellerault, le récit picaresque, voire éclaté, plutôt
artiste boulimique, soucieux d’accéder
France, 1893 - Paris 1957). que l’intrigue bien ficelée. S’il aborde le
au statut d’auteur complet de ses pro-
Il ne semble pas avoir jamais sollicité thriller, c’est toujours en éliminant les
ductions. Sous la direction de Woody
sa naturalisation. Sorti du Conservatoire éléments de compréhension analytique
Allen, il s’impose définitivement comme
pour entrer à la Comédie-Française, que le genre avait hérités malgré tout du
un acteur brillant et subtil dans Crimes et policier : le spectacle l’intéresse plus que
c’est un colosse à la figure énergique qui
délits (1989), Meurtre mystérieux à Man- le suspense. Pendant trois ou quatre ans,
devient vite un des « poids lourds » du
hattan (1993) et surtout Tout le monde dit Aldrich va s’affirmer par des films d’aven-
cinéma français : Champi-Tortu (J. de
Baroncelli, 1921), Feu Mathias Pas- “I Love You” (1996). Il rappelle, sans l’imi- tures dont l’outrance délibérée va de pair
cal (M. L’Herbier, 1925), puis l’Argent ter, Cary Grant dont il retrouve par instant avec une ambition cosmique qui culmi-
(id., 1929) le sacrent grand premier la vivacité et la causticité. On le voit éga- nera dans En quatrième vitesse, où un
rôle. Pourtant, le parlant le tient un peu lement dans Flirter avec les embrouilles récit médiocre se transforme en allégorie
à l’écart : la Petite Lise (J. Grémillon, (David O. Russell, id.) et dans Mad City de la condition humaine à l’ère atomique.
1930), Liliom (F. Lang, 1934), l’Homme (Costa-Gavras, 1997). L’influence formelle d’Orson Welles est

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

flagrante dans ces films. Plus coté que Films : The Big Leaguer (1953) ; Alerte Austerlitz (A. Gance, 1960), la Princesse
le précédent aux yeux de certains cri- à Singapour (World for Ransom, 1954) ; de Clèves (J. Delannoy, 1961) et dans
tiques, le Grand Couteau (qui dénonce Bronco Apache (Apache, id.) ; Vera les grandes productions internationales
la corruption d’Hollywood) pèche par un Cruz (id.) ; En quatrième vitesse (Kiss comme Topkapi (J. Dassin, 1964), Lady L
excès de lourdeur dans la dramaturgie, Me Deadly, 1955) ; le Grand Couteau (P. Ustinov, 1965), Mayerling (T. Young,
en contraste avec l’extrême liberté de ton (The Big Knife, id.) ; Feuilles d’automne 1968) ou Soleil rouge (id., 1971), aussi
de Vera Cruz (où Aldrich n’est nullement (Autumn Leaves, 1956) ; Attaque (At- bien que dans des oeuvres plus originales
pris au dépourvu par le Scope-couleur). tack !, id.) ; Racket dans la couture (The comme Deux Hommes en fuite de Losey
Cette lourdeur théâtrale formera plus Garment Jungle, 1957 : film terminé et (1970), la Truite (id., 1982), l’État des
tard chez Aldrich un mélange instable et signé par Vincent Sherman) ; Trahison choses (W. Wenders, id., photo en noir
insoluble avec son goût pour les effets à Athènes (The Angry Hills, 1959) ; Tout et blanc), Wundkanal (Thomas Harlan,
de montage et surtout les plans assenés près de Satan (Ten Seconds to Hell, 1984), A Strange Love Affair (Eric Kuy-
comme autant de provocations aux ins- id.) ; El perdido (The Last Sunset, 1961) ; per et Paul Verstraeten, 1985), Esther (A.
tants de tension extrême. Sodome et Gomorrhe (Sodom and Go- Gitai, id.), les Ailes du désir (Wenders,

Dès 1955, les ennuis commencent morrah / Sodoma e Gomorra, 1962 ; CO l987), Berlin-Jérusalem (Gitai, l989). Il a

pour Aldrich. Éliminé du tournage de Rac- Sergio Leone) ; Qu’est-il arrivé à Baby photographié plus de cent films et réalisé

ket dans la couture, il essaie à la fois de la Jane ? (What Ever Happened to Baby lui-même un documentaire d’art, l’Enfer

réalisation itinérante en Europe, avec des Jane ?, id.) ; Quatre du Texas (Four of de Rodin (1958). Il a mis au point (avec

résultats plutôt décevants, et de l’auto- Texas, 1963) ; Chut, chut, chère Charlotte Georges Gérard) le procédé Transflex,
(Hush... Hush Sweet Charlotte, 1965) ; le système analogue à la transparence mais
production : El perdido est malheureuse-
Vol du Phénix (The Flight of the Phoenix, utilisant la projection frontale sur un écran
ment un film inégal, une sorte de western
1966) ; les Douze Salopards (The Dirty spécial en billes de verre. Perfection-
inversé (au profit d’une rêverie roman-
Dozen, 1967) ; le Démon des femmes niste de l’éclairage (il parlait toujours de
tique) sur un scénario de Dalton Trumbo.
(The Legend of Lylah Clare, 1968) ; Faut- « lumière juste »), il a écrit un très beau
Ce n’est qu’en 1963 qu’Aldrich se relance
il tuer Sister George ? (The Killing of Sis- livre sur son métier Des lumières et des
commercialement, avec Qu’est-il arrivé à
ter George, id.) ; Trop tard pour les héros ombres (1984).
Baby Jane ?, récital de monstres sacrés
où une sorte d’attendrissement tempère (Too Late the Hero, 1970) ; Pas d’orchi-
dées pour Miss Blandish (The Grissom ALEKAN-GÉRARD (PROCÉDÉ) EFFETS
une horreur grand-guignolesque. La
Gang, 1971) ; Fureur apache (Ulzana’s SPÉCIAUX
même frénésie dérape vers l’absurde
dans Douze Salopards, film voulu antibel- Raid, 1972) ; l’Empereur du Nord (Em-
ALEKSANDROV (Grigori Mormonenko, dit
liciste par son auteur mais où la violence peror of the North Pole, 1973) ; Plein la
Grigori) [Grigorij Vasil’evi Aleksandrov],
gueule (The Mean Machine / The Longest
quasi gratuite entretient une ambiguïté cinéaste soviétique (Iekaterinbourg [auj.
difficilement supportable. L’incontestable Yard, 1974) ; la Cité des dangers (Hustle,
Sverdlovsk] 1903 - Moscou 1983).
1975) ; l’Ultimatum des trois mercenaires
succès des deux films permettra à Aldrich Il débute comme décorateur et costu-
d’être, pendant quelques années, le seul (Twilight’s Last Gleaming, 1977) ; Bande
mier au théâtre local et, en 1921, devient
producteur-réalisateur américain à pos- de flics (The Choirboys, id.) ; Un rabbin
acteur au premier théâtre ouvrier du Pro-
au Far West (The Frisco Kid, 1979) ; Deux
séder ses propres studios. letkult à Moscou. Il rencontre Eisenstein,
Filles au tapis (All the Marbles, 1981).
Pendant toute cette période, Aldrich n’a dont il sera le collaborateur pendant une
pas dissimulé ses options libérales (anti- dizaine d’années. Dans la Grève (Staka,
ALEA GUTIÉRREZALEA (TOMÁS)
racistes, notamment) et sa haine d’une 1925) et le Cuirassé Potemkine (Brone-
certaine hypocrisie qui affecte aussi bien ALEKAN (Henri), chef opérateur français nosec Potemkin, id.), il est assistant réa-
l’Amérique que Hollywood même. À partir (Paris 1909-Boulogne-sur-Seine 2001). lisateur (et acteur) ; pour Octobre (Okt-
de 1968, le metteur en scène exaspère Après des études aux Arts et Métiers jabr’, 1927) et la Ligne générale (Staroe i
(sur des matériaux d’un intérêt variable) et à l’Institut d’optique, il devient assis- Novoe, 1929), il devient coréalisateur. En
les contradictions de son style, en même tant opérateur ou cameraman (de 1928 1930, en route pour les États-Unis avec
temps qu’il souligne son goût, d’une à 1940) de divers directeurs de la pho- Eisenstein et Tissé, il participe à Paris
part, pour les brutes viriles (l’Empereur tographie (Périnal, Toporkoff, Kelber, avec eux à la réalisation d’un court mé-
du Nord), d’autre part, pour les vieilles Shüfftan), puis chef opérateur (1941). Il trage impressionniste, Romance senti-
actrices, éventuellement homosexuelles acquiert une immédiate célébrité dès la mentale, dont la responsabilité lui revient
(Faut-il tuer Sister George ?). Il pra- Libération en signant la photographie de plus qu’à Eisenstein. Puis il est coauteur
tique les collages les plus audacieux (la quelques-uns des plus grands films de de ¡ Que viva México ! (1931-32), célèbre
séquence finale du Démon des femmes l’époque : la Bataille du rail (R. Clément, fresque historique restée inachevée.
est à cet égard exemplaire), et sa ten- 1946), la Belle et la Bête (R. Clément et Sa carrière personnelle débute en
dance au grotesque (au sens hugolien du J. Cocteau, id.), les Maudits (R. Clément, 1934 avec les Joyeux Garçons (Veselye
terme) se déploie dans des films pleins 1947), les Amants de Vérone (A. Cayatte, rebjata), comédie musicale (sur une par-
de bruit et de fureur, toujours plus sacca- 1949). La précision et la sensibilité de ses tition fameuse de Dounaïevski) et bur-
dés même dans les plans longs, comme images sont remarquables tout autant lesque qui fait figure d’archétype (avec le
s’ils n’étaient plus composés que de mor- dans le style documentaire (la Bataille du Bonheur, de Medvedkine, alors occulté)
ceaux choisis (auxquels ne manquent rail) que dans le raffinement poétique (la d’une tradition nationale de comédie lé-
même pas de rares et précieux instants Belle et la Bête), mais il ne s’est jamais gère d’où l’influence américaine n’est pas
de tendresse : la Cité des dangers). Évo- livré à des recherches esthétisantes. La absente. Dans la même veine, il réalise
cation de plus en plus directe du déclin de qualité de son travail éclate non seule- ensuite le Cirque (Cirk, 1936) puis Volga
la société américaine (Aldrich est issu de ment dans les films de Clément mais Volga (1938) et la Voie lumineuse (Svetlyj
la grande bourgeoisie) mais aussi du cré- aussi dans ceux de Carné (la Marie du put’, 1940) : la vedette de ces quatre films
puscule de ce cinéma dont le cinéaste, port, 1950 ; Juliette ou la Clé des songes, est Lioubov Orlova, sa femme, une co-
formé au croisement de la routine et de 1951) et d’Yves Allégret (Une si jolie pe- médienne pleine de dynamisme et d’hu-
la modernité, aura été l’un des derniers tite plage, 1949 ; la Meilleure Part, 1956). mour ; ces films ne sont pas seulement
grands témoins. En 1977, il a été réélu Il se révèle un maître de la couleur, des divertissements mais aussi des sa-
président de la Directors Guild. comme il l’avait été du noir et blanc, dans tires de la bureaucratie, voire du racisme

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

(le Cirque). Après la guerre il renoue, ALEXANDROV (Grigori) ALEKSANDROV ALGÉRIE (Barr al-Djaza’ir).
mais avec un moindre succès, avec cette En 1962, il n’existe aucune infrastruc-
inspiration drolatique et farfelue dans le ALEXEIEFF (Alexandre), cinéaste et des- ture de production, sinon les studios de
Printemps (Vesna, 1947). La période de sinateur français d’origine russe (Kazan télévision de la capitale. Avant l’indé-
la guerre froide est marquée dans son 1901 - Paris 1982). pendance, le parc de salles se limitait
oeuvre par un film politique, Rencontre Fixé en France en 1921, il travaille comme à quelque 350 salles pour la diffusion
sur l’Elbe (Vstrea na El’be, 1949), vision décorateur et costumier pour Gaston des films européens et américains, dont
engagée des relations soviéto-améri- Baty, Louis Jouvet, Georges Pitoëff et certains évoquaient l’exotisme du bled,
caines. Puis il revient au genre musical les Ballets russes, et comme illustrateur des oasis, sans effleurer les réalités. Si
avec une biographie, Glinka (Kompozitor de livres. Bon graveur et admirateur de le fameux opérateur des frères Lumière,
Glinka, 1952) et deux films « expérimen- l’Idée, de Bartosch, il se tourne vers le Félix Mesguich*, natif d’Alger, filme un
taux » , D’homme à homme (elovek cinéma en 1930 avec une invention ori- programme de scènes vues en 1899, si
ginale et féconde, l’écran d’épingles, qu’il
eloveku, 1958) et Souvenir russe (Russ- Camille de Morlhon tourne dès 1911 les
met en oeuvre avec sa collaboratrice et
kij suvenir, 1960). En 1966, il tourne premières fictions dans le Sud algérien
épouse Claire Parker. Il s’agit d’un pan- (En mission, la Belle Princesse et le mar-
Lénine en Suisse, un documentaire. En
neau (1,30 m × 1 m) percé de quelque chand, l’Otage, Pour voir les mouquères),
1979, il signe une version de ¡ Que viva
500 000 trous dans lesquels sont enga- Feyder*, lui, doit rompre avec Gaumont
Mexico ! à partir du matériel original resti-
gées autant d’épingles mobiles, qui,
tué par les Américains. pour tourner, dans le Hoggar, une partie
éclairées en lumière oblique, donnent sui- de l’Atlantide (1921). L’Algérie n’est qu’un
ALERME (André), acteur français (Dieppe vant leur émergence toutes les nuances décor, ou un sujet de documentaires réali-
1877 - Montrichard 1960). du noir au blanc, le tout étant filmé image sés pour le Gouvernement général. C’est,
par image selon le principe de l’anima-
Dans Amour et Carburateur (Pierre Co- à partir de 1957, à un autre documenta-
lombier, 1925), il apparaît pour la pre- tion. De 1932 à 1934, il réalise avec ce risme (celui du combat) que sont formés,
mière fois à l’écran en petit-bourgeois procédé Une nuit sur le mont Chauve,
avec le concours du cinéaste français
coléreux et vaniteux. Il évite rarement illustration visuelle de Moussorgski, un
René Vautier*, les premiers opérateurs
chef-d’oeuvre d’imagination et d’atmos-
cet emploi (Nord Atlantique [M. Cloche, et cinéastes algériens du Front de libéra-
phère fantastiques. Suivant le même pro-
1939]), mais Feyder sait gonfler sa sil- tion nationale (FLN) autour de Tébessa,
cédé, il réalise encore, au Canada, En
houette (Pension Mimosas, 1935 ; la puis à Tunis, Belgrade, Prague... Après
passant (1943), d’après une chanson po-
Kermesse héroïque, id.). Des comédies la guerre, Ahmed Rachedi* et Mohamed
pulaire, puis, en France, le Nez, d’après
de Guitry (le Blanc et le Noir, 1931) aux Lakhdar Hamina* vont réaliser avec peu
Gogol (1963), Tableaux d’une exposition
fantaisies prévertiennes (l’Arche de Noé de moyens les premiers films algériens,
(1972) et Trois Thèmes (1980), d’après
[Henry Jacques, 1947]), il a fait preuve marqués par le souci de témoigner :
Moussorgski, ainsi que le prologue du
d’une constante autorité : la Dame de l’Aube des damnés, de Rachedi (1965),
film d’Orson Welles, le Procès (1962), et
chez Maxim’s (A. Korda, 1933), Paradis ou d’exalter la lutte populaire pour la libé-
des illustrations pour une édition du Doc-
perdu (A. Gance, 1940), la Comédie du ration : le Vent des Aurès, de Lakhdar
teur Jivago. Il s’est aussi consacré, dès
bonheur (M. L’Herbier, 1942), Lettres Hamina (1966), parfois sous forme de
les années 30, au cinéma publicitaire, où
d’amour (C. Autant-Lara, id.), le Baron fresque assez romanesque : la Nuit a
il a réalisé des chefs-d’oeuvre grâce à un
fantôme (S. de Poligny, 1943), Pour une peur du soleil, de Mustafa Badie (1965),
autre procédé de son invention, la totali-
nuit d’amour (E. T. Gréville, 1947). coproduit par la télévision (RTA) et le
sation (principe du « pendule composé »,
Centre national du cinéma (CNC). Ce
repris par Étienne Raïk), permettant des
ALESSANDRINI (Goffredo), cinéaste ita- dernier est absorbé en 1967 par l’Office
trucages raffinés et inventifs, ainsi qu’une
lien (Le Caire, Égypte, 1904 - Rome 1978). national pour le commerce et l’industrie
grande poésie visuelle (Fumées, Pure
Assistant de Blasetti (1929-30) pour Sole cinématographiques (ONCIC), auquel est
Beauté, Sève de la terre). Son écran
et Terra madre, il travaille ensuite à Hol- dévolu le monopole de production et de
d’épingles a notamment été utilisé et
lywood au doublage des films MGM. Re- distribution. Mais l’Office des actualités
adapté à la couleur par Jacques Drouin
venu en Italie, il dirige la version italienne algériennes (1965-1974), notamment, bé-
et Bretislav Pojar dans l’Heure des anges
d’un film de Wilhelm Thiele : La segretaria néficie de nombreuses dérogations avant
(1986). Un écran d’épingles est conservé
privata (1931). Il passera de la comédie d’être, lui aussi, absorbé par l’ONCIC.
aux Archives du film à Bois-d’Arcy.
brillante (Seconda B, 1934) à la biogra- Pourtant, depuis 1978, la production est
phie picaresque (Caravaggio / Il pittore dominée par la RTA. La volonté de cen-
ALFA (Joséphine Alfreda Bassignot, dite
maledetto, 1941), mais aussi au film de Michèle), actrice française (Gujan-Mestras tralisation et de coordination s’applique
propagande fasciste (Giarabub, 1942 ; difficilement. La fonctionnarisation n’as-
1911 - Le Vésinet 1987).
Noi vivi, id. ; Addio, Kira !, id.). Cinéaste La scène lui apporte plus de satisfactions sure pas un dynamisme nécessaire. Le
quasi officiel du régime depuis Luciano que l’écran, mais, pendant l’Occupa- taux d’importation, âprement disputé, a
Serra, pilota (1938), auquel avait colla- tion, elle est l’une des vedettes les plus pu être ramené à un niveau assez bas
boré Vittorio Mussolini, il fait sa rentrée employées. Auparavant, elle n’avait fait (de 450 films en 1962 à 110 en 1979)
en 1947 avec Furia, que suit en 1948 le que de la figuration : on l’entrevoit dans sans pour autant donner un coup de fouet
Juif errant (L’Ebreo errante), fable antira- des films tournés à Berlin ; toutefois, le à la production nationale. Les studios et
ciste d’une grande dignité et d’une cer- Corsaire (M. Allégret, 1939), dont elle doit moyens mis en place à Alger et Oran as-
taine qualité artistique, primée à Venise la être l’héroïne et que la guerre interrompt, surent, sauf pour les traitements du film
même année. En 1951, il entreprend les lui permet de jouer le premier rôle de et le sous-titrage, une relative autonomie
Chemises rouges (Camicie rosse), film nombreux films entre 1940 et 1944 : le à une production encore peu nombreuse
qui sera terminé par le jeune Francesco Dernier des six (G. Lacombe, 1941), Le (5 LM pour l’ONCIC en 1979). Les an-
Rosi (1952). Après s’être occupé de pavillon brûle (J. de Baroncelli, id.), le Lit nées de guerre et de l’immédiat après-
production, Alessandrini n’est revenu au à colonnes (R. Tual, 1942), le Comte de guerre privilégient le court métrage, film
cinéma que dans les années 60, comme Monte-Cristo (R. Vernay, 1943), le Secret militant, documentaire, de montage ; puis
acteur de second plan pour quelques de Mme Clapain (A. Berthomieu, id.). Puis la fiction relaie le témoignage dans des
films (La Celestina, Lizzani, 1965). Il avait le silence, ou peu s’en faut (Premières films à sketches (l’Enfer à dix ans, 1969)
été marié brièvement à Anna Magnani. Armes [R. Wheeler, 1950]). ou des productions lourdes, en couleurs :

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

l’Opium et le Bâton (Thala [Rachedi, scénario est trop souvent la part faible ALLÉGRET (Catherine), actrice française
1970]). Ce cinéma ne satisfait pas abso- des films, les techniciens ont de grandes (Paris 1946).
lument un désir de participation critique qualités, notamment des chefs opéra- Fille d’Yves Allégret et de Simone Signo-
à l’élaboration d’une société algérienne teurs comme Rachid Merabtine, Youssef ret, elle suit brièvement le cours René
nouvelle. Les héros quasi anonymes de Saharaoui, Noureddine Adel. Un curieux Simon avant de débuter au théâtre de
la guerre (le Vent des Aurès) sont deve- particularisme a valu à la production de l’Atelier sous la direction d’André Bar-
nus les jeunes gens de l’Obstacle (CM sacq. Elle vient au cinéma avec Com-
la télévision d’accéder à un rang égal en
de Mohamed Bouamari*, 1966) en butte partiment tueurs (Costa-Gavras, 1965).
qualité (et en audience à l’étranger avec
aux interdits de la tradition, frères aînés Parmi ses rôles, les plus marquants sont
un film comme Noua) à celle de la pro-
du titi algérois de Omar Gatlato (Merzaq ceux qu’elle tient dans Smic, smac, smoc
duction lourde. On décèle d’autre part
Allouache*, 1976), ou des marginaux : (C. Lelouch, 1971), le Dernier Tango à
une extrême prudence quant au choix
le Charbonnier (al-Fahham, 1972), de Paris (B. Bertolucci, 1972) et Vincent,
des sujets abordés, ce qui n’est pas
Bouamari ; les Nomades (ar-Ruhhal), de François, Paul et les autres (C. Sautet,
sans freiner un cinéma peu porté à faire
Sid Ali Mazif* (1975). Aussi le cinéma 1974). Elle s’est fait remarquer par sa
des films neutres ou à vocation simple-
algérien développe-t-il concurremment spontanéité pleine de désinvolture et par
ment mercantile, alors que les structures
deux courants complémentaires. À l’ana- sa vivacité d’esprit. Elle se produit aussi
lyse du passé, dont Abdellaziz Tolbi paraissent privées, depuis 1979, d’un
(parfois également comme auteur) au
réussit un sobre poème épique, Noua moteur capable de relancer les projets
café-théâtre, au music-hall et à la télé-
(1972), Lakhdar Hamina une fresque de l’ONCIC, ce qui est doublement dom-
vision.
flamboyante, Chronique des années de mageable à l’Algérie, bien placée parmi
braise (Palme d’Or à Cannes en 1975), les jeunes nations. Scindée en deux ALLÉGRET (Marc), cinéaste français (Bâle,
ou Lamine Merbah une belle reconstitu- structures de production et de distribution Suisse, 1900 - Paris 1973).
tion fondée sur l’arrivée des réfugiés d’Al- (ENAPROC et ENADEC), l’activité ciné- Fils du pasteur Élie Allégret, il passe
sace-Lorraine après la défaite de 1870 et matographique s’en est trouvée affaiblie. longtemps, à tort, pour le neveu d’André
leur mainmise sur l’Ouarsenis (les Déra- Le retour à une structure unique (CAAIC) Gide. C’est en accompagnant l’écrivain
cinés [Beni-Hendel], 1976), répondent n’a cependant guère permis à la produc- dans son périple africain qu’il tourne son
des oeuvres en prise sur le quotidien : tion de s’épanouir, d’autant plus que la premier film, le Voyage au Congo. Plus
l’évolution des campagnes (le Peuplier situation politique en Algérie à partir des tard, il lui consacrera encore un long por-
[Min quib as-Saf-saf ], de Moussa Had-
années 90 n’est évidemment pas favo- trait : Avec André Gide. Il travaille d’abord
dad, 1972) ; la résurgence des féodalités
rable au développement d’une industrie avec Robert Florey, puis sa longue car-
ou des privilèges (les Bonnes Familles,
comme celle du 7e Art. Les cinéastes rière de réalisateur habile et commercial,
de Djaffar Damardji [1973], produit par
algériens continuent, pour certains à tour- commencée avec Mam’zelle Nitouche
le parti [FLN], ou l’Héritage, de Bouamari
ner. Cela n’est parfois pas sans difficulté. et la Petite Chocolatière, se place sous
[1974]). Les deux films consacrés par
Certains y arrivent et construisent une le double signe du dosage et de la dé-
Mohamed Ifticène à la jeunesse, Gorine
oeuvre cohérente, tel Mohamed Chouikh couverte. Dosage des genres, maîtrise
(1971) et Jalti (1980), produits par la RTA,
avec la Citadelle (1989), Youcef (1993) et d’un ton qui le fait évoluer sur cette ligne
révèlent les failles d’une société qui n’a
étroite et périlleuse qui sépare le drame
pas encore équilibré modernisme et tra- l’Arche du désert (1997). D’autres émer-
réaliste de la comédie volontiers funam-
dition. La délinquance juvénile y est inter- gent, à l’instar de Nadir Moknèche, avec
bulesque. Lac aux dames en 1934, En-
prétée par des garçons pris dans la rue, le Harem de Madame Osmane (1999).
trée des artistes en 1938 (évocation du
sans espoir et sans attaches. Le cinéma Lorsque le réalisateur souhaite plus par-
monde des étudiants au Conservatoire de
algérien n’a pas oublié ses origines et ticulièrement librement aborder la situa-
Paris, avec Louis Jouvet dans le rôle d’un
manifeste la volonté de témoigner, aussi tion politique et sociale de l’Algérie des
maître qu’on dit proche de ce qu’il était
près que possible, du quotidien, du vécu : années 90, et notamment la thématique
dans la vie) illustrent cette finesse qui fit
Haddad, Merbah, Tolbi, ont eux aussi de l’asile politique, il tourne alors essen-
la réputation du cinéaste. Découverte,
recours à des interprètes non profes- tiellement à l’étranger, comme Abdelkrim
celle de nombreuses Futures Vedettes
sionnels (peut-être parce que les auteurs Bahloul (la Nuit du destin, 1997) ou Karim
(titre d’un film qu’il réalise en 1955), qui
algériens sont, d’abord, issus du théâtre :
Traïdia (les Diseurs de vérité, 2000). font, sous sa direction attentive, les pre-
Keltoum, Rouiched, Hassan al-Hassani).
miers pas d’une carrière souvent brillante.
Mohamed Chouikh* et Mohamed Zinet* ALLASIO (Marisa), actrice italienne (Turin
Ainsi, dans les années 30, fait-il débuter
sont aussi, quant à eux, occasionnelle- 1936).
Simone Simon, merveilleuse Puck de Lac
ment des cinéastes. D’autre part, des Ayant débuté comme figurante à quinze
aux dames ; avant Vadim (qui est son
noms nouveaux apparaissent, dont celui
ans, elle devient vedette dès 1955 avec
d’une romancière, Assia Djebar, venue assistant de 1947 à 1956), il consacre
des films comme la Chasse aux maris
à la caméra (la Nouba des femmes du Brigitte Bardot dans En effeuillant la mar-
(Ragazze d’oggi de L. Zampa) et l’excel-
mont Chenoua, 1977 ; la Zerda et les guerite (1956). Dans ses derniers films, il
lent Pauvres mais beaux (D. Risi, 1956).
Chants de l’oubli, 1982), de Mehdi Charef met le pied à l’étrier à des débutants, tels
Elle incarne la jeune fille sans préjugés, Alain Delon (dans Sois belle et tais-toi,
(le Thé au harem d’Archimède, 1985), de
éprise d’indépendance et faussement 1958) ou Jean-Paul Belmondo (dans Un
Mohamed Chouikh* (la Citadelle, 1988 ;
rouée, avec un charme physique éclatant drôle de dimanche, id.).
Youcef, 1993) ou de Mohamed Rachid
et une réelle sensibilité d’actrice. Sauf
Benhadj (la Rose des sables [Louss], La personnalité de Marc Allégret a
1989 ; Touchia, 1993). pour une incursion dans le péplum (Sous marqué les meilleures de ses comé-
le signe de la croix, G. Brignone, 1956), dies. En revanche, elle s’efface dans les
Il est remarquable que le cinéma égyp-
tien n’a eu aucune influence sur le déve- elle ne s’évadera pas de ce personnage, nombreuses adaptations romanesques
loppement d’un art souvent assez proche dont le succès culmine dans Marisa la qui jalonnent son oeuvre jusqu’au Bal du
du réalisme de l’âge d’or soviétique mais civetta (M. Bolognini, 1957), Carmela e comte d’Orgel (1970), son dernier film : il
dont le lyrisme, le ludisme, l’invention una bambola (Gianni Puccini, 1958) et n’est plus là qu’un technicien froid, certes
(chez Allouache*, Zinet*, Lallem) sont surtout Venise, la lune et toi (D. Risi, id.). consciencieux, mais dépourvu d’origina-
souvent imprévisibles et singuliers. Si le Peu après, elle abandonne l’écran. lité.

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Films : Voyage au Congo (DOC, gèreté qu’il était « le plus sartrien des réa- diant de Prague introduisit à l’écran un
1927) ; le Blanc et le Noir (CO R. Florey, lisateurs français » , parce qu’il a adapté thème qui allait devenir une obsession
1931) ; les Amants de minuit (CO : A. Ge- dans les Orgueilleux (1953, avec Gérard du cinéma allemand, écrit Siegfried Kra-
nina, id.) ; Mam’zelle Nitouche (id.) ; la Philipe et Michèle Morgan) un scénario cauer* dans son De Caligari à Hitler :
Petite Chocolatière (1932) ; Fanny (id.) ; du philosophe existentialiste, et parce un intérêt profond et effrayant pour les
Lac aux dames (1934) ; l’Hôtel du Libre qu’on a cru retrouver dans ses meilleurs fondements mêmes de l’être. » Et Lotte
Échange (id.) ; Zouzou (id.) ; Sans famille films un écho de ce pessimisme désa- H. Eisner souligne, dans l’Écran démo-
(id.) ; les Beaux Jours (1935) ; Sous les busé auquel une imagerie simplificatrice niaque, que « l’histoire, empreinte de
yeux d’Occident (1936) ; les Amants réduisait la pensée de Sartre dans les mysticisme, est celle du redoutable
terribles (id.) ; Aventure à Paris (id.) ; années 50. En fait, sa vision du monde double qui hantait déjà le romantisme
Gribouille (1937) ; la Dame de Malacca est plus celle de Pierre Mac Orlan ou de allemand ».
(id.) ; Orage (1938) ; Entrée des artistes Julien Duvivier que celle illustrée par la De son côté, Max Reinhardt tourne à
(id.) ; le Corsaire (1939) ; Parade en sept Nausée ou les Chemins de la liberté. Corfou avec sa troupe l’Île des bienheu-
nuits (1941) ; l’Arlésienne (1942) ; la Belle Après 1953, la carrière d’Yves Allé- reux (Die Insel der Seeligen, 1913), fête
Aventure ([RÉ : 1942] ; 1945) ; Félicie gret oscille entre une générosité militante galante et pantomime érotique où gam-
Nanteuil ([RÉ : 1942] ; 1945) ; les Petites qui lui sied mal (la Meilleure Part, 1956 ; badent nymphes et dieux, plus en quête
du quai aux Fleurs (1944) ; Lunegarde Germinal, 1963) et l’écho de ses anciens de luxure que de spiritualité. L’Autre
(1946) ; Petrus (id.) ; Jusqu’à ce que mort succès (Oasis, 1954, première produc- (Der Andere, 1913), de Max Mack, sur
s’ensuive (Blanche Fury ; GB, 1947) ; tion française en CinémaScope ; la Fille le thème du double, le Golem (1914),
Maria Chapdelaine (1950) ; Blackmailed de Hambourg, 1958). de Paul Wegener et Henrik Galeen*, et
(GB, 1951) ; Avec André Gide (DOC, Films Tobie est un ange (1941) ; les Homunculus (id., 1916), de Otto Rippert*,
1952) ; la Demoiselle et son revenant Deux Timides ([RÉ 1941], 1943) ; la marquent pour longtemps l’ancrage de la
(id.) ; Julietta (1953) ; Eterna femmina production dans la manière expression-
Boîte aux rêves ([RÉ 1943], 1945) ; les
[I Cavalieri dell ‘illusione] et L’amante niste.
Démons de l’aube (1946) ; Dédée d’An-
di Paride (IT, 1955) ; Futures Vedettes vers (1948) ; Une si jolie petite plage « C’est avec ce film que j’ai pénétré
(id.) ; l’Amant de lady Chatterley (id.) ; En (1949) ; Manèges (1950) ; Les miracles plus profondément dans le domaine du
effeuillant la marguerite (1956) ; L’amour n’ont lieu qu’une fois (1951) ; Nez de cinéma pur, déclare Paul Wegener à pro-
est en jeu (1957) ; Sois belle et tais-toi cuir (1952) ; les Sept Péchés capitaux pos du Golem. Tout y dépend de l’image,
(1958) ; Un drôle de dimanche (id.) ; les [la Luxure] (id.) ; la Jeune Folle (id.) ; les d’un certain flou où le monde fantastique
Affreux (1959) ; les Démons de minuit Orgueilleux (1953) ; Mam’zelle Nitouche du passé rejoint le monde du présent. Je
(CO Charles Gérard, 1961) ; les Pari- (1954) ; Oasis (1955) ; la Meilleure Part me rendis compte que la technique de la
siennes (1962) ; l’Abominable Homme (1956) ; Méfiez-vous fillettes (1957) ; photographie allait déterminer la destinée
des douanes (1963) ; le Bal du comte Quand la femme s’en mêle (id.) ; la du cinéma. La lumière, l’obscurité jouent
d’Orgel (1970). Fille de Hambourg (1958) ; l’Ambitieuse au cinéma le rôle que jouent le rythme et
(1959) ; Chien de pique (1961) ; Terreur la cadence en musique. »
ALLÉGRET (Yves), cinéaste français (As- sur la savane [Konga Yo] (DOC, 1962) ; Jusqu’à la fin de la guerre, la produc-
nières-sur-Seine 1905 - Jouarre Pontchar- Germinal (1963) ; Johnny Banco (FR-IT- tion allemande reste dominée par la com-
train 1987). pagnie danoise Nordisk. C’est pour lutter
ALL, 1967) ; l’Invasion (1970) ; Orzowei
Le frère de Marc Allégret est un marginal contre la concurrence étrangère que le
(1975) ; Mords pas on t’aime (1976).
du groupe surréaliste, lié aux trotskistes. gouvernement encourage le regroupe-
Membre du groupe Octobre, avec lequel ALLEMAGNE. ment de l’industrie cinématographique
il effectue la tournée de 1933 à Lenin- La première manifestation du cinéma al- nationale. Cette volonté donnera nais-
grad et à Moscou, longtemps assistant lemand se situe en 1895 au Jardin d’hiver sance à la création, fin 1917, de l’Univer-
(d’Alberto Cavalcanti, de Jean Renoir, de de Berlin, avec le Bioscope des frères sum Film Aktiengesellschaft, autrement
son frère Marc), il dirige des courts mé- Skladanowsky, quelques mois avant la dit : l’UFA*, qui jouera un rôle capital dans
trages et des films publicitaires pendant projection publique des frères Lumière l’histoire de cinéma allemand sous la di-
les années 30. Son premier long métrage à Paris. Jusqu’en 1910, pourtant, l’Alle- rection du producteur Erich Pommer*.
(Tobie est un ange, 1941) est détruit dans magne n’aura pas d’industrie cinéma- Longtemps membre de la troupe de
un incendie. Sa véritable carrière d’auteur tographique. Cinémas ambulants et Max Reinhardt, le Berlinois Ernst Lu-
commence à la Libération. théâtres affichent des films italiens, fran- bitsch* est pourtant moins sensible que
Entre 1945 et 1949, il réalise plusieurs çais et américains auxquels on peut ajou- les autres cinéastes allemands à son
longs métrages (interprétés par Simone ter les premières tentatives nationales influence, humour juif oblige. Madame du
Signoret, qui est alors son épouse et dont de Franz Porten, Kurt Stark ou Oskar Barry (1919), avec Pola Negri*, comme
il a une fille, elle-même actrice sous le Messter*. Parallèlement, des metteurs Anne Boleyn (1920) feront de lui le spé-
nom de Catherine Allégret) qui sont le en scène de théâtre avant-gardiste, tel cialiste de l’Histoire chatoyante et roman-
meilleur de son oeuvre. Il y retrouve le que Max Reinhardt*, manifestent intérêt cée en costumes d’époque. Le premier
réalisme noir de l’avant-guerre, la déses- et curiosité pour le nouvel art balbutiant. connaîtra un triomphe à New York, for-
pérance des ports et des cafés enfumés, À la tête de la firme Projektion-AG Union, çant le blocus établi par les pays vain-
l’implacable pouvoir de l’argent, l’hypocri- Paul Davidson fait appel à l’actrice da- queurs à l’encontre de la production alle-
sie d’une société qui piétine la jeunesse noise Asta Nielsen*, qui deviendra la pre- mande. À la suite de Lubitsch, d’autres
et la beauté. Solidement charpentés par mière star des productions germaniques. réalisateurs se lancent à leur tour dans
le scénariste Jacques Sigurd, ses films Notamment dans Engelein (1913), qu’elle le grand spectacle. C’est le cas tout spé-
sont alors rigoureux, précis dans les tourne sous la direction de son mari, da- cialement de Dimitri Buchowetzki*, dont
détails du décor ou la mise en place des nois lui aussi, Urban Gad*. le Danton (1921), inspiré du drame de
personnages secondaires. Les prémices du cinéma expres- Georg Büchner, manifeste une dramatur-
Ce sont ces qualités mêmes, figées sionniste. Venu du théâtre, l’acteur Paul gie en crescendo jusqu’aux plans ultimes
en poncifs, qui oblitèrent la suite de sa Wegener* réalise en 1913 l’Étudiant de de la montée à l’échafaud. Le cas aussi
production, inégale et généralement dé- Prague, en collaboration avec le metteur de Richard Oswald* dans Lucrèce Borgia
cevante. On a dit de lui avec quelque lé- en scène danois Stellan Rye*. « L’Étu- (1922), d’Arthur von Gerlach* (Vanina,

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

id.), ou d’Arzen von Cserépy* (Fridericus nier des hommes (1924) développeront expression de son art : par l’équilibre
Rex, id.). la symbolique de ce visionnaire qui mul- plastique entre décor et tragédie. Metro-
Wiene et Murnau. Mais c’est le Ca- tipliait les angles de prise de vues pour polis (1927), fable apocalyptique dans la
binet du Dr Caligari (1919), de Robert mieux saisir « la réalité submergée par le ville-usine du futur, systématise encore
Wiene*, d’après l’histoire de Carl Meyer rêve ». Après l’accueil triomphal du Der- un peu plus la stylisation géométrique.
et Hans Janowitz, qui va symboliser à nier des hommes aux États-Unis, Murnau Suivront les Espions (1927-28), M le Mau-
lui seul la naissance d’un cinéma allant sera invité par la Fox et partira pour Hol- dit (1931), son premier film parlant, avec
au-delà de la fausse réalité. Film-mani- lywood en 1927. Il y réalisera notamment Peter Lorre*, et le Testament du Dr Ma-
feste de l’expressionnisme, Caligari en l’Aurore (1927), grand chant fluide dans buse (1933). Peu après, Lang choisira
marque aussi les limites : décors styli- lequel il oppose mélodiquement la ville à l’exil (plutôt que d’accepter la direction du
sés, maquillages outranciers des acteurs la campagne, et Tabou (1931), tourné à cinéma allemand que lui offre Goebbels)
(Werner Krauss* dans le rôle du Dr Cali- Tahiti en collaboration avec Robert Fla- et commencera sa carrière américaine.
gari et Conrad Veidt* dans celui du som- herty*, où il invente la fiction documen- Autrichien, comme Fritz Lang, Georg
nambule). taire, mêlant étroitement fantastique et Wilhelm Pabst* a toujours soigné lui aussi
« Ici, écrit Jean Mitry, les décors ne réalisme. ses effets de lumière et de clair-obscur.
stylisent plus. Ils créent un univers discor- Fritz Lang et G. W. Pabst. Marquées Dans la Rue sans joie (1925), tableau
dant qui accuse le déséquilibre mental du par les séquelles de la guerre, les an- de la vie à Vienne pendant l’inflation, il
héros : les rues contrefaites, les maisons nées 20 voient se multiplier déchirements donne ses lettres de noblesse au mélo-
de travers, les ombres et les lumières, sociaux et difficultés économiques. Le drame social et au réalisme de tendance
qui s’opposent en de violentes taches climat d’insécurité et d’inquiétude qui en libertaire. Le film s’attirera les foudres
blanches et noires peintes à même le découle influencera, comme il se doit, de maintes censures de par le monde
décor, participent de la ligne brisée... On l’inspiration des cinéastes. Et Fritz Lang*, et sera largement mutilé. Greta Garbo*
voit quels sont les buts de l’expression- fils d’un architecte viennois, plus que tout devait y trouver son premier grand suc-
nisme : traduire symboliquement, par les autre. Il va en effet mêler son attirance cès à l’écran. De même, dans les Mys-
lignes, les formes ou les volumes, la men- pour le fait divers réaliste et sa concep- tères d’une âme (1926), Loulou (1929)
talité des personnages, leur état d’âme, tion du monde, selon laquelle l’homme ou Journal d’une fille perdue (id.), Pabst
leur intentionnalité aussi, de telle façon n’échappe jamais à son destin. Déjà, témoigne de son intérêt pour la psycha-
que le décor apparaisse comme la tra- en 1919, avec les Araignées, abracada- nalyse et le rêve. Une lourde sensualité,
duction plastique de leur drame. » brante suite d’aventures, se profilait le une inquiétante poésie contribuent à don-
Caligari, au demeurant, restera sans thème du surhomme. Tandis que dans ner à Loulou son intensité dramatique
vraie postérité. Wiene lui-même tentera les Trois Lumières (1921), écrit en colla- incomparable. Inspiré de deux pièces
de prolonger le caligarisme dans ses boration avec son épouse Thea von Har- de l’écrivain Frank Wedekind, le film se
films suivants : Genuine (1920), Raskol- bou*, Lang inscrivait sur l’écran le combat confond désormais avec son interprète,
nikov (1923) et les Mains d’Orlac (1924). allégorique et délirant de l’ombre et de la Louise Brooks*. Le cinéaste retrouve une
Seul, Paul Leni* dans le Cabinet des lumière. tonalité voisine dans l’Opéra de quat’sous
figures de cire (1924), sur un scénario de Avec le Docteur Mabuse (1921-22), (1931), d’après Brecht et Weil, parabole
Henrik Galeen, reprendra la leçon à son Lang met en scène un être maléfique qui provocante sur un air de bastringue qui
compte. Dans Torgus (1920), de Hans règne sur la masse par l’hypnose et la tourne à la fête noire et prophétique.
Kobe, et dans De l’aube à minuit (Von terreur. Écoutons-le : « La toile de fond Dans Quatre de l’infanterie (1930),
Morgens bis Mitternachts, id.) de Karl de ce film était le présent d’alors, les an- son premier film sonore, et dans la Tra-
Heinz Martin, l’expressionnisme devient nées qui suivirent immédiatement la Pre- gédie de la mine (1931), c’est la préoc-
synonyme d’atmosphères oppressantes mière Guerre mondiale. Les hommes de cupation réaliste qui domine une fois
et de stylisations déformantes. Dans le cette époque devaient, pour la première encore, ainsi que le message social et
second Golem (1920), Wegener ressus- fois, affronter une situation qui leur était le pacifisme. « La Tragédie de la mine,
cite le robot d’argile des légendes rab- inconnue : l’inflation. Ce fut une période déclare cependant Pabst, a des ten-
biniques dans les décors de l’architecte d’incertitude, d’hystérie et de corruption dances plus politiques que sociales ; il
Hans Pölzig. Particulièrement féconde, effrénée. Je m’inspirai, consciemment, exalte le rapprochement du peuple fran-
l’année 1921 verra apparaître des d’épisodes réellement survenus en Alle- çais et du peuple allemand ; il démontre
oeuvres aussi essentielles que Nosferatu magne et ailleurs... Au début du film, l’inanité des frontières. Chacun y parle
le Vampire de Friedrich Wilhelm Murnau*, je montrai en des images rapides des sa propre langue et il n’y a qu’une seule
chef-d’oeuvre du réalisme fantastique, et combats de rues et de barricades sem- version pour les deux pays. » Cela mérite
le Rail, de Lupu Pick*, sur un scénario de blables à celles qui se dressèrent dans d’être souligné, car dans la production
Carl Meyer, où tout est dit par l’image et une Allemagne qui avait perdu la guerre... de l’époque dominent les films revan-
l’image seule. Sur cet arrière-plan, j’ai voulu placer le chards exaltant les grandeurs et servi-
C’est Nosferatu (tourné en décors natu- supercriminel, l’homme qui prépare ses tudes du patriotisme, et donc préparant
rels) qui apportera à Murnau la consécra- méfaits quasi scientifiquement avant de le terrain au cinéma national-socialiste.
tion internationale. Beaucoup plus qu’un les exécuter en personne ou de les faire C’est notamment le cas de la Dernière
simple film de terreur, le chef-d’oeuvre exécuter par d’autres avec une précision Compagnie (1930), de Kurt Bernhardt,
du cinéma vampirique, que brandira en mathématique. Il contrôle les membres consacré à un épisode de la campagne
son temps le surréalisme naissant, est de son organisation par la terreur. Le de Prusse de Napoléon, de Montagnes
une épure admirablement mise en scène. Dr Mabuse, qui dit lui-même : « Je suis en flammes (1931) et du Rebelle (1932),
La forme hideuse du comte Orlok, alias la loi », est le criminel parfait, le grand tous les deux de Luis Trenker* (spécia-
Nosferatu (l’acteur Max Schreck), avance montreur de marionnettes. Il est en lutte liste des aventures en haute montagne),
lentement de la profondeur d’un plan ouverte avec les institutions sociales avec la collaboration, pour le premier film,
jusqu’à nous. Le Maître approche et son existantes, il est le grand joueur qui joue de Karl Hartl et, pour le second, de Kurt
souffle glacé annonce une autre peste en Bourse avec l’argent, avec l’amour et Bernhardt. L’action du Rebelle se situe
sur le monde. Par la suite, d’autres films avec le destin des hommes. » au Tyrol, en 1809, alors que d’ardents
de Murnau tels que la Terre qui flambe Dans les Nibelungen (1924), film en patriotes tentent de résister aux troupes
(1922), le Fantôme (id.) et surtout le Der- deux parties, Lang atteint à la plus haute de Napoléon et souhaitent réaliser l’unité

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

de l’Allemagne. Par son sujet comme vers de petits artisans tourmentés par les reportage cinématographique une forme
par son style, le film de Trenker (qui sera soucis d’argent, à travers des tragédies artistique et une construction adéquate,
très apprécié du Führer) ouvrira la voie burlesques, dont les plus marquantes se énonce-t-elle dans un texte théorique :
à la future production du cinéma nazi, nomment : les Mystères d’un salon de l’architecture du film, le rythme du mon-
mélange de « sentimentalisme alpestre, coiffure (Mysterien eines Frisiersalons, tage, une utilisation particulière du son et
de nationalisme exacerbé et d’héroïsme 1922), Der Sönderling (1929), Donner, la qualité de la prise de vues. »
légendaire » (Courtade et Cadars). À ce Blitz und Sonnenschein (1936). Plus tard, Leni Riefenstahl tentera de
genre appartient de plein droit la Lumière Cinéma et idéologie nazie. L’année se justifier. « Mon film, dira-t-elle évo-
bleue (1932), de Leni Riefenstahl*, primé 1933 marque l’arrivée de Hitler au pou- quant le Triomphe de la volonté, n’est
à Venise, qui vaudra à l’auteur-interprète voir. Dès lors, la mainmise du parti natio- qu’un document. J’ai montré ce dont tout
de devenir la cinéaste attitrée du nouveau nal-socialiste sur le cinéma va s’exercer le monde alors était témoin ou entendait
régime. tant sur le plan administratif qu’écono- parler. Et tout le monde en était impres-
La révolution du parlant. À partir des mique. Le ministère du Reich à l’Infor- sionné. Je suis celle qui a fixé cette im-
années 30, le cinéma allemand connaît mation et à la Propagande est confié à pression, qui l’a enregistrée sur pellicule.
un net fléchissement qualitatif. Le par- Joseph Goebbels, dont la première tâche Et c’est sans doute à cause de cela qu’on
lant règne désormais sans partage dans sera d’encourager les films « aux ten- m’en veut : pour l’avoir saisie, mise en
les studios berlinois. La vogue des films dances raciales pures ». Le Jeune Hit- boîte... Ce film ne contient aucune scène
musicaux et des opérettes façon UFA se lérien Quex (1933), du Bavarois Hans reconstituée. Tout y est vrai. C’est de
développe : le Chemin du paradis (1930), Steinhoff*, constitue la première oeuvre l’histoire. Un pur film historique... »
de Wilhelm Thiele*, la Guerre des valses de combat du nouveau régime. Au-delà Karl Ritter*, lui, va se faire le spé-
(1933), de Ludwig Berger*... Quelques de son idéologie, le film applique à la fois cialiste des histoires édifiantes de sol-
oeuvres d’exception vont néanmoins af- les leçons du cinéma réaliste allemand dats : Permission sur parole (Urlaub auf
firmer la révolution du parlant. Outre M et du cinéma de propagande soviétique. Ehrenwort, 1937), Pour le mérite (1938),
le Maudit ou l’Opéra de quat’sous déjà Le véritable but du film (selon Courtade Kadetten (1941), ou de la propagande
cités : l’Ange bleu (1930), avec Marlène et Cadars) : « Fanatiser une jeunesse anticommuniste : Guépéou (GPU, 1942).
Dietrich* et Emil Jannings*, d’après le à laquelle on propose un idéal, une vie Cinéaste officiel s’il en fut, Veit Harlan*
roman de Heinrich Mann, permettra à meilleure et, surtout, une responsabilité se fait connaître avec Crépuscule (1937).
Josef von Sternberg*, de retour d’Hol- politique. Combien de jeunes Allemands Mais son oeuvre la plus célèbre reste le
lywood, de développer sa symbolique ont-ils dû prendre comme exemple ce Juif Süss (1940), avec Werner Krauss,
troublante et cruelle à travers les per- Quex qui leur ressemblait tant, et mourir prototype du film antisémite qui connut
sonnages de Lola-Lola et du professeur à leur tour, dix ans plus tard, au nom de un triomphe. « Particulièrement recom-
Unrath. De la même époque, en 1931, il l’Allemagne éternelle ! Pour la première mandé », par la propagande officielle,
convient de citer encore quelques adap- fois dans l’histoire du cinéma, un grand « pour sa valeur politique et artistique »,
tations d’oeuvres littéraires ou théâtrales : film de propagande s’adressait ainsi di- le film eut une première mondiale à Ve-
Sur le pavé de Berlin de Phil Jutzi*, autre rectement à des moins de vingt ans. Par nise en septembre 1940, en présence du
drame des bas-fonds, adapté du livre l’entremise de Baldur von Schirach, le réalisateur et de ses interprètes. Par la
d’Alfred Döblin, Jeunes Filles en uniforme chef des Jeunesses hitlériennes, c’était suite, Veit Harlan, comme Leni Riefen-
de Carl Frölich* et Leontine Sagan*, Au- tout l’appareil du parti et du gouverne- stahl, tentera de se justifier en amoin-
tour d’une enquête, de Robert Siodmak*, ment qui patronnait l’entreprise... » drissant la signification de son film. Avec
et Émile et les détectives, de Gerhardt Steinhoff sera un des plus fidèles le Grand Roi (1942), Harlan entame la
Lamprecht*. Ventres glacés (1932), de propagandistes du IIIe Reich, en même veine d’exaltation du passé germanique
Slatan Dudow*, sur un scénario de Ber- temps qu’un cinéaste authentique, ainsi à travers le portrait de Frédéric II, « grand
tolt Brecht*, modèle quasi unique du qu’en témoigneront les films suivants, précurseur de l’unité allemande, qui, seul
cinéma prolétarien allemand, est une consacrés à la foi inébranlable des grands et sûr de lui, trouve la force de vaincre ».
oeuvre d’agit-prop mise en musique par hommes : la Lutte héroïque (1939) et le Au même genre appartiennent Bis-
Hans Eisler*. « Pour la première fois dans Président Krüger (1941), interprétés tous marck (1940), de Wolfgang Liebenei-
l’histoire du film allemand, note Dudow, les deux par Emil Jannings. La première ner*, Friedrich Schiller (id.), de Herbert
on montrait des ouvriers sur la toile et production UFA projetée sur les écrans de Maisch*, ou Der Höhere Befehl (1935),
on exposait leurs besoins, leurs soucis, l’Allemagne nazie, en présence du nou- de Gerhard Lamprecht.
mais aussi leur combat pour une vie meil- veau chancelier, sera l’Aube (Morgenrot, Drames paysans (Friesennot, 1935,
leure. » 1933), de Gustav Ucicky*, épopée d’un de Peter Hagen), opérettes (Premiere,
Quelques années auparavant, une sous-marin pendant la Première Guerre 1937, de Geza von Bolvary*, avec Zarah
poignée de films expérimentaux ont été mondiale. Le même réalisera par la suite Leander*) et films d’évasion exotique
réalisés en marge de la production cou- le Maître de poste (1940), qui marqua le (Kautschuk, 1938, de Eduard von Bor-
rante de l’UFA et de la Tobis. En parti- début du déferlement des bobines alle- sody*) sont mis eux aussi au service de
culier les oeuvres de Walter Ruttmann* : mandes sur les écrans français. Égérie la propagande. Pabst lui-même, de retour
Berlin, symphonie d’une grande ville du régime, actrice et réalisatrice, Leni dans son pays, tourne deux oeuvres de
(1927), dont le montage met en valeur Riefenstahl va mettre son talent au ser- circonstance : les Comédiens (1941) et
la « musique optique », et la Mélodie vice des grandes célébrations du Reich. Paracelse (1943). Production de pres-
du monde (1929). Mais également les Entre les spectacles qu’elle nous montre tige en Agfacolor réalisée pour le vingt-
ombres chinoises des Aventures du du congrès de Nuremberg (le Triomphe cinquième anniversaire de l’UFA, les
prince Ahmed (1924-1926), de Lotte Rei- de la volonté, 1935) ou des jeux Olym- Aventures fantastiques du baron de Mün-
niger*, voire les recherches picturales de piques de Berlin (les Dieux du stade, chhausen (1943), de Josef von Baky*,
Hans Richter* et de Viking Eggeling* : 1938), et l’idéologie qui les inspire, restera une apothéose sans lendemain.
Rythm 21 (1921-22). Il faut aussi réserver l’adéquation est parfaite. Ici, la mise en L’après-guerre. En 1945, le cinéma
une place à part à Karl Valentin*, qui, de scène sublime le réel en un vaste mou- allemand entre dans le néant. La plupart
1913 à 1941, poursuivit une oeuvre grin- vement symphonique. « Le metteur en des studios et de nombreuses infras-
çante et sarcastique. Metteur en scène, scène a essentiellement quatre choses tructures ont été détruites, les structures
scénariste et interprète, il recrée un uni- à sa disposition pour donner à un simple économiques anéanties. La production

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

redémarre en zone d’occupation sovié- a besoin de nouvelles libertés. Liberté à de la chasse aux sorcières. L’Allemagne
tique dès 1946, les autorités militaires l’égard des conventions habituelles de la en automne (Deutschland im Herbst,
ayant favorisé la création de la DEFA profession. Liberté à l’égard de l’influence 1978), film collectif de Kluge, Schlöndorff,
dans les studios de l’ancienne UFA à de l’associé commercial. Libération de la Fassbinder et d’autres, est un témoi-
Postdam-Babelsberg. C’est ainsi que tutelle exercée par les groupes d’intérêts. gnage à chaud sur le climat politique en
Staudte* peut tourner Les assassins sont Nous avons des idées concrètes intellec- RFA en octobre 1977, entre les obsèques
parmi nous, sorti en salles dès novembre tuelles, formelles et économiques en ce de Hans Martin Schleyer et celles de
1946. Staudte, Erich Engel, Gerhard qui concerne la production du nouveau Baader et de ses compagnons. Parmi le
Lamprecht, Slatan Dudow, Kurt Maetzig*, cinéma allemand. Nous sommes prêts à grand nombre d’oeuvres de qualité des
relancent ainsi le cinéma à l’Est, tandis en supporter les risques économiques. années 70, il faut citer d’abord celles de
que les Alliés occidentaux favorisent la Le vieux cinéma est mort. Nous croyons Werner Herzog, cinéaste visionnaire, qui
relance à l’Ouest, notamment avec Erich au nouveau. » traque, de film en film, l’indicible et ses
Pommer*, revenu en Allemagne tout Le déclin économique et artistique de démons nocturnes, à travers des per-
d’abord sous l’uniforme américain. l’industrie cinématographique allemande sonnages en proie au désarroi métaphy-
ne facilitera pourtant pas le renouvelle- sique : Aguirre, la colère de Dieu (1972),
— ALLEMAGNE DE L’OUEST. ment de la profession. Le boom ciné- l’Énigme de Kaspar Hauser (1974), Coeur
Après la constitution de la RFA (Répu- matographique des années 50 a trop de verre (1976), la Ballade de Bruno
blique fédérale allemande), en 1949, longtemps exclu la jeune génération. La (1977), Nosferatu fantôme de la nuit
l’industrie cinématographique redémarre faillite est totale. Il faudra attendre 1965 et (1979) et Woyzeck (id.). « Je me sens
lentement à l’Ouest. Erich Pommer, de la création du Comité du jeune cinéma al- près de Büchner et de Hölderlin, dit-il.
retour en Allemagne, organise l’Inter- lemand pour que les débutants aient une D’une certaine manière, je pense renouer
national Film AG et les studios Bavaria chance de réaliser leur premier long mé- avec la grande culture allemande, rom-
à Munich. D’autres studios sont édifiés trage. La télévision sera pour beaucoup pue par le cataclysme de la guerre... Mes
à Hambourg et Tempelhof. Quelques dans l’émergence d’un cinéma autre. Les personnages appartiennent à la même
oeuvres ici et là échappent à l’insigni- chaînes régionales se mettent à prospec- famille. Ce sont des rebelles désespérés,
fiance. Elles appartiennent à la lignée ter et bientôt à subventionner les talents solitaires. Ils savent leur révolte vouée
des Trümmerfilme (films des ruines) : nouveaux. Gouvernement fédéral puis à l’échec ; pourtant ils continuent sans
le Dernier Pont (1954), et le Général du Länder apportent une maigre contribution, relâche, blessés, de plus en plus seuls,
diable (1955), tous les deux de Helmut relayés par un Office d’encouragement jusqu’à la folie. » Rainer Werner Fass-
Käutner* ; Un homme perdu (1951), de au cinéma. Premiers bénéficiaires : les binder, qui a commencé, lui, à exprimer
Peter Lorre* ; l’Amiral Canaris (1954), frères Schamoni* (Es [Ulrich Schamoni], son exhibitionnisme homosexuel dans
d’Alfred Weidenmann* ; Les SS frappent 1965, et La chasse au renard est fermée des mélodrames kitsch, établit de plus en
la nuit (1957), de Robert Siodmak ; Rose- [Schonzeit für Fuchse, Peter Schamoni], plus avec l’Histoire une relation charnelle
marie (1958), de Rolf Thiele ; les Demi- 1966) ; Volker Schlöndorff* (les Désarrois et sexuelle. Sa fascination-répulsion pour
Sel (1956) et Tötenschiff (1959), de de l’élève Törless, id.) ; Alexander Kluge* le nazisme le mène à une représentation
Georg Tressler, ou encore le Pont (1959), (Anita G., id.) ; Jean-Marie Straub (Chro- allégorique et féminine de l’histoire du
de Bernhard Wicki*... Dans les studios de nique d’Anna-Magdalena Bach, 1967) ; IIIe Reich. « Dans son autoreprésentation,
Munich, Fritz Lang tourne un remake du Peter Fleischmann* (Scènes de chasse dit-il, ce régime a beaucoup de choses à
Tigre du Bengale et du Tombeau hindou en Bavière, 1969) ; Rudolph Thome* (So- voir avec la mise en scène. » Parmi ses
(1958-59). Il achève son cycle mabusien leil rouge, id.) ; Werner Schroeter* (la Mort principaux films : Tous les autres s’ap-
avec le Diabolique Dr Mabuse (1960). de Maria Malibran, 1971) ; Rainer Werner pellent Ali (1973), Effi Briest (1974), le
Retour sans lendemain, au demeurant. Fassbinder* (les Larmes amères de Petra Droit du plus fort (1975), le Rôti de Satan
Le nouveau cinéma allemand. von Kant, 1972) ; Werner Herzog* (Les (1976), Roulette chinoise (id.), Despair
C’est en 1962, lors du festival annuel nains aussi ont commencé petits, 1970) ; (1978), le Mariage de Maria Braun (1979),
d’Oberhausen, que 26 jeunes cinéastes Wim Wenders* (l’Angoisse du gardien de la Troisième Génération (id.), Lili Marleen
publient un manifeste qui peut être but avant le penalty, 1971). Ignorés dans (1980). Wim Wenders, cinéaste des dé-
considéré comme l’acte de naissance leur propre pays et souvent en butte à rives et de l’errance, est sans doute plus
du nouveau cinéma allemand. Il mérite l’incompréhension de leurs compatriotes, que tout autre la conscience d’une géné-
d’être cité : « L’effondrement du cinéma le combat pour l’existence d’un cinéma ration en quête de son identité. Impré-
traditionnel allemand retire enfin sa base national a créé entre eux des liens qui gnés de mythologie américaine, ses per-
économique à une tournure d’esprit que ne gomment nullement leurs différences. sonnages sont en perpétuel déplacement
nous refusons. De ce fait, le nouveau Dans le vide laissé par leurs aînés, ils ont dans une Allemagne où tout rappelle le
cinéma allemand a une chance de vivre. peu à peu forgé les instruments de leur drame du nazisme. « Une Allemagne,
Les courts métrages de jeunes auteurs, survie, créant souvent leurs propres mai- dit-il, où des âmes mortes errent dans
réalisateurs et producteurs ont remporté sons de production. La liberté à l’égard un supermarché. » Il a lui-même produit
au cours de ces dernières années un des pratiques traditionnelles du cinéma et distribué (via la Filmverlag, fondée en
grand nombre de prix dans les festivals commercial, garantie par les subventions 1970) ses premiers films, et notamment
internationaux et ils ont été reconnus par publiques, a rendu possible une multipli- sa fameuse trilogie : Alice dans les villes
la critique internationale. Ces oeuvres cité de sujets et de styles. (1973), Faux Mouvement (1975) et Au fil
et leur succès montrent que l’avenir du Diversité du cinéma allemand des du temps (id.).
cinéma allemand est entre les mains de années 70 et 80. L’Honneur perdu de Palme d’or à Cannes en 1979, le Tam-
ceux qui ont prouvé qu’ils parlaient un Katharina Blum (1975), de Schlöndorff, bour, de Volker Schlöndorff, d’après le
nouveau langage cinématographique. d’après le roman homonyme de Hein- livre de Günther Grass, est à ce jour le
De même que dans d’autres pays, en rich Böll, va prendre figure de symbole. seul film allemand contemporain à avoir
Allemagne aussi le court métrage est Pareillement, le Second Éveil (1977), de dépassé les trois millions de spectateurs
devenu l’école et le champ d’expérimen- Margarethe von Trotta*, Vera Romeyke dans son propre pays. De leur côté, Wer-
tation du long métrage. Nous proclamons n’est plus ici (1976), de Max Willutzki*, ou ner Schroeter et Hans Jürgen Syberberg*
notre volonté de créer le nouveau long le Couteau dans la tête (1978), de Rein- poursuivent une thématique très person-
métrage allemand. Ce nouveau cinéma hard Hauff*... ont montré le mécanisme nelle. Le premier dans des allégories

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

sociales et mystiques telles que le Règne (Herbstmilch, 1988), Christian Wagner vra dans la même voie avec deux autres
de Naples (1978) et Palerme ou Wolfs- avec le Dernier chemin de Waller (Wal- réussites : Rotation (1949), critique de
bourg (1980), le second dans des ora- lers letzter Gang, 1988), Uwe Janson l’attentisme de beaucoup d’Allemands
torios historico-métaphysiques : Louis II, avec les Chemins de la survie (Verfolgte sous Hitler, et Pour le roi de Prusse/ le
requiem pour un roi vierge (1972), Karl Wege, 1989). Parallèlement l’école do- Sujet (1951), brillante satire de l’esprit
May (1974) et Hitler, un film d’Allemagne cumentaire allemande s’enrichit chaque prussien d’obéissance passive. Caracté-
(1977). Dans ce dernier film, s’adressant année de travaux remarquables, diffusés ristiques aussi sont Mariage dans l’ombre
à la marionnette Hitler, il s’exprime ainsi : pour l’essentiel à la télévision. (1947), de Kurt Maetzig* et l’Affaire Blum
« Tu as anéanti Berlin et Vienne... Tu La crise du cinéma en Allemagne fé- (1948), d’Erich Engel*, qui s’inspirent
nous a pris les couchers de soleil de Cas- dérale. À la fin des années 80, le cinéma tous deux de faits authentiques pour
par David Friedrich... Tout le reste, tu l’as d’Allemagne fédérale traverse une crise dénoncer l’antisémitisme. Mais la figure
occupé et contaminé. Tout : l’honneur, la qui plonge ses racines dans les rapports la plus importante de cette période est
fidélité, la vie rustique, l’ardeur au travail, avec le public. Les plus gros budgets vont celle de Slatan Dudow*, qui témoigne
le cinéma, la dignité, la patrie... Mes féli- à quelques rares films visant le marché avec force et talent sur l’Allemagne en
citations !... » international (comme ceux de Wolfgang ruines (Notre pain quotidien, 1949) et sur
Bientôt, une deuxième vague de Petersen) et à des oeuvres de compromis la condition de la femme dans la nouvelle
jeunes cinéastes est à l’oeuvre, déve- entre cinéma et téléfilm. Les principaux société (Destins de femmes, 1952).
loppant une inspiration souvent dirigée auteurs n’occupent plus les mêmes posi- Ces quatre pionniers d’une nouvelle
contre l’establishment, ne faisant en cela tions qu’à la fin des années 70. Kluge et cinématographie sont des vétérans du
que suivre l’exemple de leurs prédé- Kotulla tournent rarement et ont été tentés théâtre ou du cinéma. La République
cesseurs immédiats. Parmi les plus ori- par la télévision ; Wenders, un des porte- démocratique allemande est créée en
ginaux : Hans Noever* (la Femme d’en drapeaux de la modernité internationale, octobre 1949, mais la circulation restera
face, 1978), Helma Sanders-Brahms* (Al- tourne plus souvent à l’étranger qu’en libre entre les deux Allemagnes jusqu’en
lemagne, mère blafarde, 1979), Herbert Allemagne, de même que Herzog dont 1961 : des cinéastes de l’Ouest (Gerhard
Achternbusch* (Servus Bayern, 1977 ; le les rapports avec la tradition allemande Lamprecht*, Paul Verhoeven*, Arthur
Jeune Moine, 1978), Robert Van Acke- deviennent schématiques ; d’autres Maria Rabenalt*) viennent tourner à la
ren* (la Pureté du coeur, 1980), Marga- croient trouver le salut dans l’émigration DEFA ; mais d’autres, comme Staudte et
rethe von Trotta (les Soeurs, 1981), Percy ou des projets européens en devenir. Les Engel s’établissent définitivement en Ré-
Adlon* (Céleste, 1984). plus marginaux (Achternbusch, Rosa von publique fédérale. En septembre 1952,
Trop jeunes les uns et les autres pour Praunheim, Ulrike Ottinger) ont des diffi- au plus fort de la guerre froide, une confé-
avoir vécu le nazisme, ils sont cependant cultés croissantes à faire connaître leurs rence des cinéastes convoquée par le
trop vieux pour n’en avoir pas subi le travaux et ne peuvent retrouver l’itinéraire parti communiste (SED) met l’accent sur
traumatisme et pour ne pas traîner der- d’un Schroeter ou d’un van Ackeren. la nécessité d’un engagement politique
rière eux cette espèce de faute originelle C’est aussi le cas des cinéastes militants plus poussé, d’une plus précise attention
qui semble les habiter. D’où une série des années 70. à la forme et aux problèmes du mouve-
de films inaugurée en 1976 par Kotulla ment ouvrier. De ces recommandations
avec La mort est mon métier, et qui trai- — RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE ALLE- naît une vague de films historiques
tera des rapports avec les générations MANDE (Deutsche Demokratische Repu- consacrés aux grands leaders proléta-
précédentes : Mon père (Mein Vater, blik). riens du passé, d’August Bebel et Karl
1982) de Fritz Poppenberg, le Pays des C’est dans la zone soviétique d’occupa- Liebknecht à Ernst Thälmann, ainsi qu’à
pères, le pays des fils (Land der Väter, tion qu’ont été tournés les premiers films la résistance populaire au nazisme (Plus
Land der Söhne, 1989) de Nico Hoff- allemands de l’après-guerre, d’abord fort que la nuit [1954] de Dudow). L’obli-
mann ; de la culpabilité des nazis et des sous la forme d’un journal d’actualités, gation faite aux cinéastes de se confor-
sympathisants : Martha Jellneck (1989) Der Augenzeuge (le Témoin), dès février mer aux principes du réalisme socialiste
de Kai Wessel, À bas les Allemands (Nie- 1946, sous la direction de Kurt Maetzig, conduit à un académisme qui contraste
der mit den Deutschen, 1985) de Dietrich auteur également de deux documentaires avec la vivacité et la diversité de style
Schubert, le Dernier trou (1981) d’Herbert de circonstance : Berlin en reconstruction des films des débuts. Cette évolution est
Achternbusch ; du sort des juifs : David et Unité parti socialiste-parti communiste. parallèle à celle qui se produit alors en
(1979) de Peter Lilienthal, Malou (1981), Cette activité débutante trouve bientôt sa URSS : le nombre des films diminue de
Au pays de mes parents (Im Land meiner forme juridique définitive avec la création, 12 en 1949 à 6 en 1952 et 1953 (avant de
Eltern, 1982) de Jeanine Meerapfel et de le 17 mai 1946, sous le contrôle des auto- remonter à la trentaine dans les années
nombreux autres titres parmi lesquels il rités soviétiques, de la DEFA (Deutsche 60). Les grands sujets idéologiques sont
faut retenir une série de remarquables Film Aktien Gesellschaft), dont les privilégiés.
films destinés aux enfants, dont les En- membres fondateurs allemands, parmi La mort de Staline (1953) va rapide-
fants du n° 67 (Die Kinder aus N° 67, lesquels Maetzig, sont des vétérans de ment nuancer la ligne ainsi établie : un
1979-80) d’Usch Barthelmess-Weller et la production. dégel idéologique et artistique (d’ailleurs
Werner Meyer. Cinéma et propagande. Dès le début, assez bref) est visible aussi bien dans la
Beaucoup de jeunes réalisateurs se on met l’accent sur l’urgence de la déna- thématique que dans l’esthétique. C’est
détournent des voies tracées par les zification des esprits et de la participation ainsi que Gerhard Klein, un nouveau
grands noms du cinéma d’auteur pour à un nouvel ordre social. Ce qu’illustre venu très doué qui mourra prématuré-
se consacrer à la comédie (Doris Dör- fort bien le premier film de fiction produit ment en 1970, réalise deux films qui font
rie, Pia Frankenberg, Christian Rateuke) par la DEFA, Les assassins sont parmi sensation par leur ton néoréaliste sur des
ou aux genres favorisés par la demande nous, de Wolfgang Staudte* (1946), dé- thèmes empruntés à la vie quotidienne :
des chaînes de télévision (policiers par nonciation des complices masqués du Romance berlinoise (Eine Berliner Ro-
exemple). Néanmoins la réussite de Hei- génocide nazi. Ce film remarquable a le manze, 1956) et Carrefour Schönhauser
mat de Reitz a encouragé certains de mérite d’assurer la continuité du cinéma (Berlin - Ecke Schönhauser, 1957) ; Hei-
leurs collègues désireux d’oeuvrer dans allemand en renouant avec une tradition ner Carow, autre débutant prometteur,
le réalisme historique et social : Joseph démocratique, tout en héritant de l’esthé- montre la même liberté de ton et d’allure
Vilsmaier avec le Lait de l’automne tique expressionniste. Staudte poursui- dans Ils l’appelaient Amigo (Sie nannten

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

ihn Amigo, 1959) ; c’est aussi l’époque où films résolument neufs, par le thème et régime de la RDA a permis de connaître
sont réalisées quatre coproductions avec le style, comme le Troisième (E. Günther, avec plus de vingt ans de retard une série
la France : les Aventures de Till l’Espiègle 1971) et la Légende de Paul et Paula de films interdits en décembre 1965, et
de Gérard Philipe*, les Sorcières de (Die Legende von Paul und Paula, de réalisés par Frank Beyer*, Kurt Maetzig*,
Salem de Raymond Rouleau*, les Misé- Heiner Carow, 1972) ; c’est à ce moment Jürgen Böttcher, Egon Günther*, Gerhard
rables de Le Chanois* et la Rabouilleuse que se situe la petite révolution suscitée Klein, Hermann Zschoche et quelques
de Daquin*. par la vision critique de Konrad Wolf sur autres, qui étaient en train d’élaborer une
Mais la principale révélation de ces les rapports entre l’art et le pouvoir dans nouvelle forme de réalisme, contempo-
années, c’est Konrad Wolf* avec Lissy son Homme nu sur le stade, et c’est Wolf raine et critique, comme dans certains
(1957), et surtout Étoiles (1959), qui aura encore (et encore d’après un scéna- pays voisins. Les nouvelles conditions
un grand retentissement international : rio de Kohlhaase) qui donnera le film le ont permis en 1990 et 1991 à plusieurs
Wolf va désormais dominer la produc- plus controversé, mais le plus populaire, cinéastes de mener à bien des projets
tion de la RDA de toute la stature d’une de ces dernières années, Solo Sunny irréalisables auparavant. C’est le cas, par
thématique profondément engagée dans (1979), peinture lucide et chaleureuse de exemple, de Herwig Kippig (né en 1948)
la contemporanéité, par exemple avec le la jeune génération à travers le person- avec le Pays derrière l’arc-en-ciel (Das
Ciel partagé (1964), sur les drames indi- nage d’une chanteuse pop. Land hinter dem Regenbogen), un film
viduels engendrés par la construction du Malgré bon nombre de réussites baroque et métaphorique sur la RDA, de
mur de Berlin, et l’Homme nu sur le stade (notamment : la Fiancée de Günter Frank Beyer, avec le Soupçon (Der Ver-
(1974), sur la nécessaire liberté de la Reisch* et Gunther Rücker, 1980 ; Der dacht), d’Egon Günther (passé à l’Ouest
création artistique : avec une conscience Aufenthalt de Frank Beyer, 1982) et en 1978), qui revient à Babelsberg tour-
critique toujours en éveil, ce cinéaste certaines oeuvres de réalisateurs talen- ner Stein, sur l’émigration intérieure en
apparaît comme le père spirituel des tueux comme Roland Gräf, Horst See- 1968, ou de Helmut Dziuba, qui traite
auteurs les plus responsables de la RDA. man, Lothar Warnecke, Joachim Kunert, dans ses films pour enfants des sujets
Cependant, dès 1958, une autre confé- Siegfried Kühn, Rolf Kirsten, Hermann auparavant tabous. Dans les derniers
rence des cinéastes avait marqué la fin Zschoche, Rainer Simon (dont le film la mois d’existence de la RDA, Coming out
du nouveau cours institué timidement Femme et l’Étranger [Die Frau und der (Heiner Carow, 1989), sur l’homosexua-
après la mort de Staline : pendant toutes lité, et le Joueur de piano (Der Tangos-
Fremde] remporte — ex aequo avec
les années 60, la production de fiction Wetherby du britannique David Hare — le pieler, Roland Gräf, 1990) annonçaient
va stagner quelque peu, malgré les dé- Grand Prix du festival de Berlin en 1985), peut-être cette libération.
buts d’autres cinéastes de talent (Frank la production de l’Allemagne de l’Est n’est Les difficultés du cinéma d’auteur.
Beyer*, Egon Günther*) et de deux scé- pas encore parvenue à percer de manière Dans le régime d’économie libérale, et
naristes inspirés (Wolfgang Kohlhaase et significative sur la scène internationale. avec la privatisation de la DEFA, les
Ulrich Plenzdorf), tandis que le documen- Une certaine lourdeur bureaucratique et cinéastes de l’Est qui ont obtenu leur
taire connaît un épanouissement spec- une indiscutable pesanteur idéologique liberté d’auteur sont logés à la même
taculaire grâce à des auteurs qui renou- peuvent expliquer cette trop lente matu- enseigne que leurs collègues de l’Ouest.
vellent le genre en l’ouvrant, avec une ration que ne parviennent pas à accélérer La contrainte économique pèse sur les
grande lucidité dans la problématique, d’estimables réussites comme la Maison projets malgré le maintien des divers
sur la vie quotidienne filmée dans un style au bord du fleuve (Das Haus am Fluss, systèmes (souvent régionaux) de l’aide
proche du cinéma vérité (Karl Gass, Jür- Roland Gräf, 1985) ou le Rendez-vous publique. Certains font des films (et des
gen Böttcher, Gitta Nickel). La rigueur du de Travers (Treffen in Travers, 1989) du téléfilms) selon ces règles nouvelles
contrôle idéologique se traduit par l’inter- débutant Michael Gwisdek. pour eux (Gräf, Beyer, Helke Misselwitz,
diction de plusieurs films, dont les Cher- Siegfried Kuhn, par exemple, ou l’acteur
cheurs de soleil (1958) de Konrad Wolf. — ALLEMAGNE UNIFIÉE. Michael Gwisdek, passé à la réalisation),
Quelques années plus tard, alors même La chute du Mur de Berlin, à la fin de d’autres ne peuvent mener à bien leurs
que prenait forme un cinéma narratif en l’année 1989, c’est-à-dire la fin de la projets. Quant aux cinéastes de l’Ouest,
prise avec les réalités de la société et un RDA et la première étape de l’unifica- ils tentent, depuis le relatif déclin des an-
réalisme proche de ce qu’on pouvait ob- tion, ont eu immédiatement des effets nées 1980, de donner un second souffle
server dans certains pays amis, un diktat sur le cinéma. Ces événements histo- au cinéma d’auteur et n’ont que peu de
politique de décembre 1965 interdit une riques et leurs conséquences (sociales, prise sur le marché (si l’on excepte les
série de films qui venaient d’être tournés culturelles, psychologiques) ont donné auteurs de comédies comme Doris Dör-
ou qui étaient au montage — ou même lieu à une série de remarquables docu- rie et quelques cas particuliers comme
déjà dans les salles comme Traces de mentaires. Leurs auteurs sont d’abord Joseph Vilsmaier*).
pierres de Frank Beyer*. C’est le blocage des cinéastes de l’Est. Andreas Voigt, Une nouvelle génération de jeunes,
d’un courant cinématographique lucide et qui avait filmé auparavant les manifes- nés aux environs de 1960, tend à s’impo-
contemporain, et un coup d’arrêt, parfois tations de l’automne à Leipzig, signe la ser dans les années 1990 : le non-confor-
momentané, à la carrière de plusieurs Dernière Année du Titanic (Letztes Jahr miste Christoph Schlingensief, le rusé et
cinéastes : Frank Beyer, Kurt Maetzig*, Titanic), Petra Tschörner Berlin/Prenz- distant Detlev Buck, Dani Levy et Sönke
Egon Günther*, Gerhard Klein, Jürgen lauer Berg, Jürgen Böttcher* le Mur (Die Wortman dont les premiers films sont
Böttcher*, Hermann Zschoche, Frank Mauer), sur la mort et le démontage du d’originales comédies, Christian Wagner,
Vogel, Günther Stahnke, tous âgés de mur édifié en 1961. On peut citer encore Niko Brücher, Jan Schütte, Mathias Al-
moins de trente-cinq ans (sauf Maetzig). Sybille Schönemann, une collaboratrice lary, Nico Hoffman, Romuald Karmakar
La timide ouverture du cinéma est- de la DEFA emprisonnée en 1984, qui (Der Totmacher, 1995), Peter Lichtefeld
allemand. Il faudra attendre 1971 et le réalise un film-enquête sur les lieux de (Zugvögel, 1998), Didi Danquart (Viehjud
8e congrès du SED pour voir disparaître son procès et de sa détention, le Temps Levi, 1999), Angela Schanelec (Mein
certains interdits : « Il n’y a aucun tabou verrouillé (Verriegelte Zeit, 1990). Des langsames Leben, 2000). Il faut ajouter à
pour les artistes qui se tiennent ferme- cinéastes de l’Ouest participent à ce ce renouvellement constant quelques ci-
ment sur le terrain du socialisme », pro- mouvement : Peter Fleischmann*, Ulrike néastes issus de l’immigration turque, de
clame Erich Honecker, secrétaire du Ottinger*, et d’autres, tous attentifs aux Tewfik Baser à Thomas Arslan. Comme
parti. Dès lors, on voit se multiplier les ratés de l’unification allemande. La fin du c’est le cas en France, les nouveaux ci-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

néastes réalisent un ou deux films à petits ALLEN (Irwin), cinéaste et producteur de Quoi de neuf, Pussycat ? et l’emmène
budgets sans toujours avoir la possibi- américain (New York, N. Y., 1916 - Malibu, en Europe, lui confiant même un petit rôle
lité de s’affirmer dans d’autres films. La Ca., 1991). auprès de Peter Sellers. Il joue ensuite
situation de leurs aînés, à l’exception de Après avoir travaillé dans le journalisme, à le neveu de James Bond dans Casino
réalisateurs comme Schlöndorff ou Wen- la radio et dirigé une agence de publicité, Royale, qu’il remanie aussi. Mais ce doc-
ders, et de ceux qui sont partis travailler il se spécialise au début des années 50 teur pour scénarios a d’autres ambitions :
aux États-Unis (Wolfgang Petersen, Ro- dans des films semi-documentaires sur il écrit une pièce de théâtre, Don’t Drink
land Emmerich, Carl Schenkel, Uli Edel, le monde naturel qu’il dirige et produit : the Water, qui triomphera à Broadway, un
voire Percy Adlon), ne présente aucun Cette mer qui nous entoure (The Sea scénario original et il commence à colla-
caractère d’amélioration depuis les an- Around Us, 1953), l’Histoire de l’humanité borer au New Yorker.
nées 1984-85. Probablement grâce aux (The Story of Mankind, 1957). Dans les Il se fraye un chemin dans le cinéma
aides régionales et à un service public de années 60, il s’oriente vers le film d’aven- par une opération de détournement : il
la télévision très décentralisé, la tradition tures et la science-fiction : le Sous-Marin remonte et commente très librement, en
du documentaire reste très vivante en Al- de l’Apocalypse (Voyage to the Bottom of une sorte de collage, un film chinois en
lemagne, et en constant renouvellement : the Sea, 1961), Cinq Semaines en bal- provenance de Hongkong, s’appropriant
Rolf Schübel*, Harun Farocki*, Hartmuth lon (Five Weeks in a Balloon, 1962). Au le matériau brut et le réinventant : c’est

Bitomsky, Helga Reidemeister, Pepe début des années 70, il produit des films- Lily la Tigresse (What’s Up, Tiger Lily ?,

Danquart et Didi Danquart, Andres Veiel, catastrophes spectaculaires, aux effets 1966), dont il n’a tourné que quelques

Harald Rumpf, Viola Stephan, et les spé- spéciaux très soignés, qui remportent un plans, mais qui déjà participe de son
immense succès populaire : l’Aventure imaginaire. Puis il entreprend de conqué-
cialistes issus de l’ex-RDA comme Volker
du Poséidon (R. Neame, 1972) et la Tour rir la scène avec sa deuxième pièce de
Koepp*, Barbara et Winfried Junge.
infernale (J. Guillermin, 1974). théâtre, Play It Again, Sam, 1969 (histoire
ALLEN (Corey), acteur et cinéaste améri- d’un amoureux timide qui demande des
ALLEN (Lewis), cinéaste américain d’ori- tuyaux au fantôme d’Humphrey Bogart)
cain (Cleveland, Ohio, 1934).
gine britannique (Wellington, Shropshire, et l’écran avec sa première mise en
Après avoir incarné le persécuteur de
1905 - Manchester, 2000). scène, Prends l’oseille et tire-toi (Take
James Dean dans la Fureur de vivre
Acteur de théâtre à Londres, puis à New the Money and Run, id.), commentaire
(N. Ray, 1955), il joue d’autres petites
York, il arrive à Hollywood en 1941 pour burlesque de la délinquance. L’univers de
gouapes au sourire angélique dans Tra-
étudier la technique à la Paramount. Le Woody Allen est déjà défini pratiquement,
quenard (id., 1958), Propriété privée
succès de son premier film, la Falaise il ne lui reste qu’à s’épanouir et à s’appro-
(L. Stevens, 1960), Doux Oiseau de jeu-
mystérieuse (The Uninvited, 1943), le fondir. Il apprend son métier et progresse
nesse (R. Brooks, 1962) et les Liaisons
prédispose aux ambiances tourmen- techniquement de Bananas (1971) à Tout
coupables (G. Cukor, id.), où il séduit
tées, qu’il recrée sans originalité, mais ce que vous avez toujours voulu savoir
Claire Bloom pour le bénéfice de ses
avec compétence et efficacité : l’Invisible sur le sexe sans jamais oser le deman-
amis. Il passe alors à la réalisation : les
Meurtrier (The Unseen, 1945, sur un sujet der (Everything You Always Wanted to
Exploits érotiques de Pinocchio (Pinoc-
de Raymond Chandler), Une âme perdue Know About Sex but Were Afraid to Ask,
chio, 1971), Un cocktail explosif (Thun-
(So Evil My Love, 1948). Il s’oriente en- 1972) et Woody et les Robots (Sleeper,
der and Lightning, 1977), Avalanche (id.,
suite vers les films de gangsters : Un pru- 1973), passant du pamphlet politique au
1978).
neau pour Joe (A Bullet for Joey, 1955), fantasme sexuel outrancier jusqu’à la
pour enfin, depuis 1960, se consacrer à science-fiction parodique. Il évolue aussi
ALLEN (Dorothea Carothers Allen, dite
la TV. de la direction bâclée et de l’image incer-
Dede), monteuse américaine (Cleveland,
taine jusqu’à une plastique dominée, une
Ohio, 1923).
ALLEN (Allen Stewart Konigsberg, dit meilleure direction d’acteurs, un niveau
Elle commence comme grouillot à la Co- Woody), comédien, auteur et cinéaste supérieur du scénario. Lorsqu’il vient à
lumbia puis travaille sur le montage-son
américain (New York, N. Y., 1935). Paris tourner Guerre et Amour (Love and
avant de devenir assistante monteuse. C’est le comique majeur des vingt der- Death, 1975), qui reste l’un de ses films
C’est Robert Wise qui lui donne son pre- nières années. Ayant dépassé le statut préférés, il est déjà devenu maître de son
mier emploi de chef monteuse sur le Coup d’amuseur numéro un, il accédera petit langage et de ses ambitions. Love and
de l’escalier (1959). Considérée comme à petit au panthéon des auteurs philo- Death, comédie sur la peur de la mort,
l’une des monteuses les plus créatrices sophes les plus originaux de son époque. révèle des soucis métaphysiques et intel-
du cinéma américain, elle travaille surtout lectuels qui anticipent sur ce qui sera sa
Cet autodidacte de quartier devient
avec des cinéastes résidant à New York trilogie autobiographique.
vite un intellectuel néophyte et apprend
et joue un rôle important en collaborant à monnayer ses gags (50 par semaine Annie Hall (1977) ouvre la chronique
à des oeuvres au montage très élaboré. pour 100 dollars), qui lui permettent de d’un écrivain de Manhattan et le carnet
La forme finale des films d’Arthur Penn, s’inscrire à l’université, puis au collège intime de Woody, récapitulant sa liaison
qui tourne une grande quantité de pel- de New York, dont il se fait exclure très adulte, cathartique, avec Diane Keaton
licule, lui doit en particulier beaucoup promptement. À dix-neuf ans, il vend ses (qui partagea sa vie au sortir de son di-
depuis Bonnie and Clyde (1967). Elle a gags à NBC, se marie et entre en ana- vorce amical avec sa seconde épouse,
aussi monté des films de Rossen (l’Arna- lyse. Son don inné pour la rédaction des Louise Lasser). Woody s’exprime ici sur
queur, 1961), Kazan (America America, one-liners (plaisanteries en une seule tous les sujets, et assume enfin pleine-
1963), Paul Newman (Rachel, Rachel, ligne) lui fait gagner jusqu’à 1 500 dollars ment cette personnalité d’homme équi-
1968 ; l’Affrontement, 1984), Roy Hill par semaine ; il écrit des sketches pour libré, capable de plaire aux femmes et
(Abattoir 5, 1972), Lumet (Serpico, 1973 ; le Show of Shows de Sid Caesar, que de conduire une morale libératrice, non
Un après-midi de chien, 1975), Warren rédigent aussi Mel Brooks, Neil Simon machiste, face aux ambiguïtés de son
Beatty (Reds, CO Craig McKay, 1981), et Carl Reiner. Devenu soliste de caba- métier, le show-business, intégrant har-
James Bridges (Mike’s Murder, CO Jeff ret, il se produit dans les universités, à la monieusement son passé à son avenir.
Gourson, 1984), Robert Redford (Mila- télévision et en tournée. En 1964, le pro- Après une expérience transitoire, celle
gro, CO Jim Miller, 1988), Juste Cause ducteur Charles Feldman le voit au Blue d’Intérieurs (Interiors, 1978), film entiè-
(Arne Glimcher, 1995). Angel, lui demande de récrire le scénario rement tragique où Allen, cédant à son

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

admiration pour Ingmar Bergman, renon- délits (Crimes and Misdemeanors), en (id., 1971) ; Tout ce que vous avez tou-
çait momentanément à toute comédie, il 1990 Alice où Mia Farrow tient (pour la jours voulu savoir sur le sexe sans ja-
prolonge son auto-examen dans Manhat- troisième fois sous sa direction) un rôle mais oser le demander (Everything You
tan (1979), hommage qu’il rend à sa ville majeur et en 1991 Ombres et brouillard Always Wanted to Know About Sex but
favorite, hors de laquelle il ne peut vivre. (Shadows and Fog). Ces trois derniers Were Afraid to Ask, 1972) ; Woody et les

Stardust Memories (1980) est un nou- films témoignent d’une inspiration qui ne robots (Sleeper, 1973) ; Guerre et amour
cesse de se renouveler et de s’élargir. (Love and Death, 1975) ; Annie Hall (id.,
vel acte d’indépendance de Woody, pro-
Crimes et délits, sans doute l’expérience 1977) ; Intérieurs (Interiors, 1978) ; Man-
pos fortement individualisé d’un humo-
la plus aboutie, assombrit la légèreté de hattan (id., 1979) ; Stardust Memories
riste qui découvre les limites de l’humour
dans une vie moyennement engagée. Allen dans une intrigue aux fils multiples (id., 1980) ; Comédie érotique d’une nuit

Woody Allen change définitivement l’ap- dont l’un, fait nouveau, est criminel. Alice d’été (Midsummer Night’s Sex Comedy,

préciation qu’on avait avant lui de l’acteur a recours au merveilleux (une exquise 1982) ; Zelig (id., 1983) ; Broadway Danny
séquence de lévitation) et à la conscience Rose (id., 1984) ; la Rose pourpre du
comique présumé innocent, sexuelle-
humanitaire (le visage obsédant d’une fil- Caire (The Purple Rose of Cairo, 1985) ;
ment inadéquat, tout comme il prétend
lette indienne, aveugle et souriante, clôt Hannah et ses soeurs (Hannah and Her
percer à jour les raisons profondes du
le film). Ombres et brouillard évite moins Sisters, 1986) ; Radio Days (id., 1987) ;
comique, ses limites morales, sa fonction
bien la référence culturelle malgré une September (id., id.) ; Une autre femme
thérapeutique et son niveau libérateur.
recréation plastique saisissante de l’uni- (Another Woman, 1988) ; New York Sto-
En 1982, dans un divertissement berg-
vers noir et blanc de l’expressionnisme. ries (épisode : OEdipus Wrecks, 1989) ;
mano-shakespearien, Comédie érotique
Maris et femmes (Husbands and Wides, Crimes et délits (Crimes and Misdemea-
d’une nuit d’été (Midsummer Night’s Sex
1992) revient à une intrigue conjugale et nors, id.) ; Alice (id., 1990) ; Ombres et
Comedy), il replace son univers dans les
new-yorkaise, dans un style faussement brouillard (Shadows and Fog, 1991) ;
vents coulis de ces étés luxuriants où la
brouillon qui emprunte à la défunte nou- Maris et femmes (Husbands and Wives,
magie hante de nuit les frondaisons, ridi-
velle vague. Mais l’intérêt du film dépasse 1992) ; Meurtre mystérieux à Manhat-
culisant les humains au travers de leurs
largement ce sympathique pastiche : il tan (Manhattan Murder Mystery, 1993) ;
vertiges. En professeur pédant, José Fer-
s’agit d’une des réussites les plus mor- Coups de feu sur Broadway (Bullets
rer joue le rôle de ces raseurs tournebou-
dantes, peut-être les plus douloureuses, Over Broadway, 1994) ; Don’t Drink the
lés qu’incarnait chez Bergman un Gunnar
d’Allen dans le terrain de l’introspection. Water (TV 1995) ; Maudite Aphrodite
Bjornstrand, et Woody celui d’un Merlin
Le cinéaste, au sommet de ses moyens, (Mighty Aphrodite, id.) ; Tout le monde
bricoleur mâtiné de savant excentrique,
s’y affirme comme un directeur d’acteurs dit “I Love You” (Everyone Says “I Love
dont les gadgets capricieux jouent parfois
de haute volée : Sydney Pollack et Judy You”, 1996) ; Harry dans tous ses états
avec la voyance. Zelig (1983), qui reçoit
Davis y campent un inoubliable, drôle et (Deconstructing Harry, 1997) ; Celebrity
un accueil triomphal, est une réflexion sur
touchant, couple quadragénaire à la dé- (1998) ; Accords et désaccords (Sweet
le cinéma, un conte borgésien où Woody
rive. Ce film, que certains ont reçu comme and loowdown, 1999) ; Escrocs mais pas
Allen invente de toutes pièces un person-
un psychodrame, voit également la fin trop (Small Time Crooks, 2000) ; Curse of
nage historique imaginaire et s’amuse à
de la collaboration, tant artistique que the Jade Scorpion (2001).
parodier les médias de l’avant-guerre,
sur un canevas digne d’un canular piran- conjugale, avec Mia Farrow. C’est Diane
ALLGEIER (Sepp), chef opérateur alle-
dellien, mêlant l’ubiquité à la psychana- Keaton qui la remplace dans Meurtre
mand (Fribourg-en-Brisgau 1895 - Ebnet
lyse et à l’amour triomphant. Broadway mystérieux à Manhattan (Manhattan Mur-
1968).
Danny Rose (1984) marque un retour à der Mystery 1993) : Allen semble vouloir
Tôt spécialisé (son nom apparaît au gé-
l’esprit comique de ses premiers films. retrouver alors ses qualités d’« entertai-
nérique d’un film sur le ski dès 1913), il
Allen y campe un personnage d’impre- ner » et signe une comédie policière qui
travaille sous la direction d’Arnold Fanck
sario miteux impliqué dans le monde des est sans doute sa plus grande réussite
à partir de 1920 (Das Wunder des Sch-
gangsters. purement comique depuis longtemps.
neeschuhs). Il fait partie de la fameuse
La comédie est également mordante et
D’une activité intense, il signe en 1985 école Fanck, avec notamment Angst,
dévastatrice dans l’éblouissant Coups de
la Rose pourpre du Caire (The Purple Benitz et Schneeberger, et collabore à
feu sur Broadway (Bullets over Broadway
Rose of Cairo) où en décrivant la passion onze films du pionnier du film de mon-
1994) : ce mélange inattendu de film de
amoureuse d’une serveuse de bar pour tagne, dont la Montagne sacrée (1926),
gangsters et de pochade broadwayenne
un personnage de l’écran (et l’acteur qui Tempête sur le Mont-Blanc (1930) et Un
se charge en plus d’une réflexion grave
interprète le rôle) il mélange avec habi- Robinson (1940). Il travaille également
et souvent amère sur la créativité et l’in-
leté l’onirique et le réel. Dans la lignée avec Luis Trenker dans les années 30.
tégrité artistique. Woody Allen apparaît
d’Intérieurs, on retrouve une parenté Sous les nazis, il est fréquemment solli-
maintenant comme un cinéaste majeur
bergmanienne, voire tchékhovienne dans cité pour des films de guerre se déroulant
Hannah et ses soeurs (Hannah and her qui allie une pensée profonde et origi-
dans un cadre montagneux, et il participe
Sisters, 1986) une chaleureuse saga nale à une forme d’une rare élégance.
à plusieurs oeuvres de propagande. Il est
familiale, September (id., 1987) un huis- Certains lui ont cependant reproché de
célèbre pour sa collaboration au Triomphe
revenir à un comique plus superficiel et
clos à six personnages à la recherche de la volonté (L. Riefenstahl, 1935), où il
traditionnel avec Escrocs mais pas trop
d’eux-mêmes et des autres, Une autre dirige dix-huit opérateurs et vingt assis-
(Small Time Crooks, 2000) qui lui a per-
femme (Another Woman, 1988) une tants. Après la guerre, il se consacre au
satire douce- amère de la psychanalyse. mis de renouer avec la faveur du public
documentaire et à la télévision, ne colla-
Entre deux oeuvres d’une souriante gra- américain.
borant qu’à un film de fiction : Grenzsta-
vité, Woody Allen tourne des films plus Woody Allen a joué également comme tion 58 (Harry Hasso, 1951).
légers comme Radio Days (id., 1987) où acteur dans Tombe les filles et tais-toi
il accumule une suite de saynètes em- (H. Ross, 1972), tiré de sa propre pièce ALLGOOD (Sara), actrice britannique
buées de nostalgie « rétro » ou comme Play It Again, Sam, le Prête-Nom (M. Ritt, (Dublin, Irlande, 1883 - Los Angeles, Ca.,
OEdipus Wrecks l’un des épisodes de New 1976) et Scènes de ménage dans un 1950).
York Stories (id., 1989, les deux autres centre commercial (P. Mazursky, 1990). À la scène, Sara Allgood créa le très
épisodes étant réalisés par Scorsese et Films Prends l’oseille et tire-toi (Take grand rôle de Junon et le paon de Sean
Coppola). En 1989, il réalise Crimes et the Money and Run, 1969) ; Bananas O’Casey, entourée de la troupe du pres-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

tigieux Abbey Theatre irlandais qu’elle et les acteurs principaux de la chronique, notamment dans Du burlesque à l’opéra
avait intégré en 1904. Elle reprit son rôle par souci d’authenticité et pour briser les (H. Koster, 1946) et Vive l’amour
dans la version cinématographique, Juno codes du spectacle. Malheureusement, (Ch. Walters, 1947). La MGM, qui dé-
and the Peacock, curieusement confiée à le traitement cinématographique n’est termine sa carrière, fait d’elle l’une des
Hitchcock (1930). C’est sous la direction pas toujours au niveau des ambitions vedettes les plus populaires aux États-
de celui-ci qu’elle avait débuté à l’écran affichées ; les films d’Allio souffrent d’une Unis dans les années 50. L’allègre ingé-
l’année précédente, dans le rôle de la sécheresse qui trahit la difficulté du pas- nue se change en fille sage (les Quatre
mère de l’héroïne criminelle de Chantage sage de l’interrogation sur le langage à un Filles du docteur March, M. LeRoy, 1949)
(un film australien dans lequel elle joua langage différent. ou en femme honnête mais charmante
en 1918, Just Peggy, reste très obscur). Après 1976, René Allio prend l’initia- (les Trois Mousquetaires, G. Sidney,
Elle gagna les États-Unis au début de la 1948), voire piquante (Drôle de meurtre,
tive de décentraliser son activité dans la
Seconde Guerre mondiale et s’y affirma région marseillaise, où il fonde un atelier D. Weis, 1953). Dans le drame, inébran-
une admirable actrice de composition. de production. Le film Retour à Marseille lable compagne d’un homme éprouvé (le
Son grand rôle fut celui de la mère inépui- (1980) illustre ce repli sur la province qui Cirque infernal, R. Brooks, 1953 ; la Tour
sable et courageuse de Qu’elle était verte des ambitieux, R. Wise, 1954), elle sou-
est aussi redécouverte d’un cinéma po-
ma vallée (1941, J. Ford). Mais on ne tient le courage de James Stewart dans
pulaire, simplement narratif et fondé sur
saurait oublier la gardienne de prison peu Un homme change son destin (S. Wood,
le métier de comédiens professionnels.
commode du très drôle Roxie Hart (1942, 1949) et deux films d’Anthony Mann,
Films : la Meule (CM, 1963) ; la Vieille
W. Wellman), la logeuse bienveillante Romance inachevée (1954) et Strategic
Dame indigne (1965) ; l’Une et l’Autre
mais soupçonneuse de Jack l’éventreur Air Command (1955). Du film de J. Ne-
(1967) ; Pierre et Paul (1969) ; les Cami-
(1944, J. Brahm), la gouvernante ami- gulesco, Les femmes mènent le monde
sards (1972) ; Rude Journée pour la reine
donnée de la Folle Ingénue (1946, E. Lu- (1954) aux Amants de Salzbourg (D. Sirk,
(1973) ; Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé
bitsch) et de nombreuses figures de do- 1957), son exemplaire abnégation ne se
ma mère, ma soeur et mon frère... (1976) ;
mestique stylée mais maternelle qu’elle dément pas. Après Stranger in My Arms
Retour à Marseille (1980) ; l’Heure ex-
a estampillées de sa silhouette rebondie (H. Käutner, 1959), elle ne fera guère
quise (MM, 1981) ; le Matelot 512 (1985) ;
qui est devenue si familière. qu’un bref retour à l’écran (They Only Kill
Portrait de Jean Vilar (TV, 1987) ; Un
Their Masters, James Goldstone, 1972 ;
ALLIBERT (Jean-Louis), acteur français médecin des lumières (TV, 1988) ; Transit
New York ne répond plus [New York
(Paris 1897 - id. 1980). (1991) ; Marseille, ou la vieille ville indigne
Blackout], Eddy Matalon, CAN-FR-GB,
Dès 1922, il joue à l’Atelier. L’année sui- (1994). 1978). Sa vivacité dans la comédie, son
vante, il apparaît sur les écrans : Paris aisance, la spontanéité de son sourire et
ALLOUACHE (Merzaq), cinéaste algérien
(R. Hervil, 1924), le Juif errant (Luitz- la gentillesse de sa voix lui permettent
Morat, 1926). Il silhouette avec esprit le (Alger [auj. al-Djaza’ir] 1944).
de composer une figure résolue et ver-
Diplômé de l’IDHEC en 1967, stagiaire à
copain envieux du Million (R. Clair, 1931) tueuse, mais malicieuse et sympathique.
et devient l’Aramis des Trois Mousque- l’ORTF, chargé ensuite d’une campagne

taires (H. Diamant-Berger, 1932). Guitry de ciné-bus au moment de la révolution ALMEIDA (Acácio de), chef opérateur por-
l’emploie à diverses reprises, ainsi que agraire (1971-72). Il tourne Omar Gat- tugais (Souto [Beira Alta] 1938).
lato (id., 1976), scènes quotidiennes d’un
Lacombe dans Jeunesse (1934), et Re- Il est en 1964 l’assistant de Jean Rabier
noir l’enrôle dans la Marseillaise (1938). jeune Algérien comme les autres, puis les sur les Îles enchantées de Carlos Vilar-
Comédien d’une finesse extrême et d’une Aventures d’un héros (id., 1978), sur un debó puis travaille avec João Moreira,
grande discrétion, il poursuit sa carrière mode ludique. Mais l’Homme qui regar- Elso Roque, Augusto Cabrita. Il signe
jusqu’en 1977, où on l’aperçoit dans le dait les fenêtres (al-Rajul al-ladhi yanzuru sa première prestation comme directeur
Passé simple de Michel Drach. ila al-nafidha, 1982) est le portrait presque de la photographie en 1967 (Sete Balas
strindbergien d’un bibliothécaire devenu para Selma d’Antonio de Maredo) et
ALLIO (René), cinéaste français (Marseille fou. En 1988, il réalise Un amour à Paris devient au cours des années 70 et 80 le
1924 - Paris 1995). et, après les émeutes qui ont lieu en Algé- plus grand magicien (avec Elso Roque)
Peintre de formation, puis décorateur rie cette même année, tourne en vidéo de la lumière portugais. Il a travaillé no-
de théâtre, il est associé comme scé- un film au titre évocateur, l’Après-octobre tamment avec António Da Cunha Telles
nographe au travail de Roger Planchon (1989). En 1994, il signe Bab el Oued City (O Cerco, 1969 ; Pandora, 1993), João
au Théâtre de la Cité à Villeurbanne à qui évoque avec brio la situation troublée Cesar Monteiro (Qui court après les sou-
partir de 1957. Il aborde le cinéma en de l’Algérie au début des années 90 et liers d’un mort meurt nu-pieds, 1970 ;
1959 avec un film d’animation qu’il des- en 1996 Salut cousin. En 1998, il tourne Chemins de traverse, 1977 ; Silvestre,
sine pour la représentation scénique des Alger-Beyrouth, pour mémoire, histoire 1981 ; A Flor do Mar, 1986), Manoel de
Âmes mortes de Gogol, puis réalise un d’une Française qui, de retour à Beyrouth Oliveira (le Passé et le Présent, 1971),
court métrage en 1963. qu’elle avait quittée en 1975 au début de Alberto Seixas Santos (Brandos Cos-
La pratique d’Allio est fondée sur un la guerre civile, rencontre Rachid, un jour- tumes, 1974 ; Mal, 1999), Antonio Reis
rare respect du cinéma, qui l’amène naliste algérien. Merzaq Allouache est et Margarida Cordeiro (Tras-os-Montes,
à sans cesse théoriser sa propre dé- aussi réalisateur de documentaires dont : 1975 ; Ana, 1982 CO E. Roque ; Désert
marche. Ses trois premiers films pro- l’Après Octobre (Doc, 1988) ; la Voix du rose, 1988), Rui Simões (Deus, Pátria,
cèdent d’une réflexion sur le réalisme à ramadan (Doc, 1991) ; Jours tranquilles Autoridado, 1975), António Campos
partir des thèses de Bertolt Brecht (dont en Kabylie (1994). (Histoires sauvages, 1978 ; Terra Fria,
il adapte la nouvelle la Vieille Dame 1992), Paulo Rocha (l’Île des amours,
indigne). Après 1968, il tente d’intégrer ALLYSON (Ella Geisman, dite June), actrice CO E. Roque et K. Okasaki, 1982), João
l’histoire à une approche de plus en plus américaine (Bronx, N. Y., 1917). Botelho (Conversa ácabada, 1981 ; Un
politique du réel, au nom de la reconquête Modeste comédienne à Broadway, elle adieu portugais, 1985), Raul Ruiz (le
de la mémoire populaire et d’un retour à est engagée par Arthur Freed avec plu- Territoire, id. ; la Ville des pirates, 1983 ;
la région opposé au centralisme de l’État. sieurs acteurs de Best Foot Forward, l’Île au trésor, 1985 ; Combat d’amour en
Moi, Pierre Rivière..., en 1976, participe pour le film qu’en tirera Edward Buz- songe, 2000), Alain Tanner (Dans la ville
encore de cette démarche et y ajoute la zell (1943). Débutant dans Girl Crazy blanche, 1982 ; Une flamme dans mon
volonté de recruter sur place les figurants (N. Taurog, 1943), elle chante et danse coeur, 1987), Christine Laurent (Vertiges,

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

1984), Jacques Rozier (Maine-Océan, escucha, CO Jorge Ulla, 1988). À titre ALONZO (John A.), chef opérateur améri-
id.), Jose Fonseca e Costa (Ballade de la posthume paraît un recueil d’écrits, Cine- cain (Dallas, Tex., 1934).
plage des chiens, 1986), Jorge Silva Melo mania (1992), préfacé par Scorsese. C’est l’un des chefs opérateurs les plus
(Agosto, id.), Fiorella Infascelli (La Mas- représentatifs des années 70 et 80. On a
chera, 1988), Marion Hänsel (Maestro, ALMIRANTE MANZINI (Italia), actrice ita- beaucoup vanté et imité la manière dont
1989), Nadine Trintignant (Fugueuses, lienne (Tarente 1890 - São Paulo, Brésil, il a recréé le style photographique des
1995), Teresa Villaverde (Os mutantes, 1941). années 40 à l’aide de couleurs raffinées
1998), Valeria Sarmiento (l’Inconnu de Après des débuts au théâtre, elle appa- dans Chinatown (R. Polanski, 1974) et
Strasbourg, 1998), Mario Camus (La ciu- raît à l’écran en 1911 dans Gerusa- dans Adieu ma jolie (D. Richards, 1975).
dad de los prodigios, 1999). lemme liberata, de Guazzoni. La noto- Mais en fait son style est très varié et
riété lui vient dès 1914 grâce au rôle de
s’adapte facilement à celui du film ou du
ALMENDROS (Nestor), chef opérateur Sophonisbe dans Cabiria, de Pastrone. réalisateur. Avec Martin Ritt, il a créé un
français d’origine espagnole (Barcelone, Actrice aux allures nobles et au port de ton élégiaque et sans ostentation, faisant
Catalogne, 1930 - New-York, 1992). tête majestueux, elle est le prototype de
grand usage des extérieurs (Sounder,
Il découvre le cinéma au ciné-club de Bar- l’héroïne dannunzienne, de la femme
1972 ; Conrack, 1974 ; Norma Rae, 1979 ;
celone et rejoint en 1948 son père exilé à partagée entre la tentation et le renon-
Cross Creek, 1983). Mais on lui doit aussi
La Havane. Il y étudie les lettres et la phi- cement sublime, entre l’artifice des ap-
des pastels délicats (Harold et Maude,
losophie et réalise quelques films d’ama- parences et la violence souterraine des
H. Ashby, 1971), des éclats baroques
teur, dont Una confusión cotidiana (1949) passions. Il poeta e la donna, Sul limite
aux couleurs saturées (Scarface, B. De
avec Thomas Gutiérrez Alea. Il suit les della follia, Amazzone macabra, La figlia
Palma, 1984) ou un hyperréalisme tran-
cours de Hans Richter à New York, puis della tempesta, Voluttà di morte (tous de
chant (Point limite zéro, R. Sarafian,
ceux du Centro Sperimentale, à Rome en 1916), Maternità (1917), Ironia della vita
1971). Ensuite, son style est devenu plus
1956. De retour à New York, il y réalise (id.) sont autant de films qui expriment
anonyme (Potins de femmes, H. Ross,
58-59 (1959), avant de regagner Cuba le goût décadent et mélodramatique de
1989), même s’il reste de temps à autre
après la chute de Batista pour y réali- l’époque. En 1918, elle interprète son film
capable d’un projet original (la froideur de
ser ou éclairer une vingtaine de courts le plus célèbre, Femina, de Genina, dans
Affaires privées, Mike Figgis, 1990).
métrages documentaires. Il s’exile à nou- lequel elle incarne une femme fatale qui
veau en 1961 et s’installe en France, où détruit l’inspiration d’un jeune sculpteur.
ALOV (Aleksandr) [Aleksandr
son film Gente en la playa (1961), interdit En 1919, elle fonde sa propre maison
Aleksandrovi Alov], cinéaste soviétique
par la bureaucratie cubaine, lui permet de production, la Manzini Film, mais les
(Kharkov, Ukraine, 1923 - Riga 1983).
de se lier avec les réalisateurs de la Nou- oeuvres réalisées n’atteignent pas le suc-
Élève de l’Institut national de cinéma
velle Vague. Il va s’imposer comme l’un cès des films précédents. Après quelques
de Moscou (VGIK) dans la classe d’Igor
des chefs opérateurs les plus doués de titres de moindre intérêt comme Hedda
Savtchenko, il est assistant de ce réalisa-
sa génération par les succès de la Col- Gabler (1919) de Pastrone, L’orizzon-
teur pour Tarass Chevtchenko (1951) et,
lectionneuse (É. Rohmer, 1967) et More tale (id.) de Righelli, La statua di carne
après la mort de celui-ci (1950), termine
(B. Schröder, 1969). Sa carrière se par- (1921) et L’arzigogolo (1924) de Mario
le film en compagnie de son camarade
tage depuis entre la France, où il dirige Almirante, elle abandonne le cinéma en
d’études Vladimir Naoumov, avec lequel
la photographie des films de Rohmer, 1926. Émigrée au Brésil, elle connaît
il fera constamment équipe par la suite.
Schröder ou Truffaut (l’Enfant sauvage, jusqu’à sa mort un certain succès sur les
Leur première réalisation commune,
1970), et les États-Unis, où il a obtenu scènes brésiliennes.
aux studios de Kiev, Jeunesse inquiète
de grands succès avec les Moissons du
(’Trevožnaja molodost ‘, 1954), est une
ciel (T. Malick, 1978), film pour lequel il ALMODÓVAR (Pedro), cinéaste espagnol
oeuvre typique du dégel consécutif à la
a reçu l’Oscar, ou Kramer contre Kramer (Calzada de Calatrava, Mancha, 1949).
mort de Staline, dans la mesure où elle
(R. Benton, 1979). C’est par excellence Il pratique divers métiers tout en écrivant
des récits qu’il tourne lui-même en Super- remet en question les clichés optimistes
l’homme des tournages en extérieurs
8. L’un de ses premiers longs métrages, du réalisme socialiste. Pavel Kortcha-
réels : il sait tirer le meilleur parti des
le Labyrinthe des passions (Laberinto de guine (Pavel Koragin, 1956), d’après le
éclairages naturels, et son exigence plas-
tique ne sacrifie jamais l’authenticité de la pasiones 1982), donne la clé de ses films roman de Nicolas Ostrovski Et l’acier fut

lumière. Son travail en studio pour Perce- à venir, mélodrames insolites et convul- trempé, déjà adapté par Donskoï, est une

val le Gallois (Rohmer, 1979) est moins sifs où il met la provocation et l’humour puissante fresque épique sur la guerre

convaincant, et l’on peut préférer les noir au service de la pathologie des sen- civile où l’on peut déceler l’influence

superbes images inspirées des peintres timents : Dans les ténèbres (Entre tinie- de Savtchenko. Après ces brillantes

du XVIIIe siècle dans la Marquise d’O blas, 1983), Qu’est-ce que j’ai fait pour démonstrations de dynamisme juvénile,
(id., 1976) ou les glauques profondeurs mériter ça ! (¿ Que he hecho yo para on note dans le Vent (Veter, 1959) une

de la Chambre verte (F. Truffaut, 1978). merecer esto ?, 1984), Matador (1986), sensible évolution vers une recherche

Très actif, il signe ensuite les prises de son chef-d’oeuvre, la Loi du désir (La ley plastique, où le combat difficile des pre-
vues des films suivants : le Dernier métro del deseo, id.). Après un détour par la miers komsomols se trouve transfiguré
(Truffaut, 1980), le Choix de Sophie (A. comédie sophistiquée : Femmes au bord en poème visuel par le raffinement des
Pakula, 1982), Pauline à la plage (Roh- de la crise de nerfs (Mujeres al borde de images. Cette tendance au formalisme de
mer, id.), Vivement dimanche (Truffaut, un ataque de nervios, 1988), il est revenu la nouvelle vague soviétique (qui va écla-
1983), les Saisons du coeur (Benton, à son inspiration première dans Attache- ter au grand jour dans le premier film de
1984), la Brûlure (M. Nichols, 1985), Billy moi ! (Atame !, 1989), Talons aiguilles Tarkovski, l’Enfance d’Ivan), met simulta-
Bathgate (Benton, 1991). Il a publié avec (Tacones lejanos, 1991), Kika (1993), nément en oeuvre les ressources de l’im-
Un homme à la caméra (1980) un pas- la Fleur de mon secret (La flor de mi pressionnisme et de l’expressionnisme ;
sionnant document sur son métier. Il a secreto, 1995), En chair et en os (Carne elle est sensible aussi dans Paix à celui
également réalisé deux documentaires tremula, 1997), Tout sur ma mère (Todo qui vient au monde (Mir vhodjašemu,
critiques sur Cuba : Mauvaise conduite sobre mi madre, 1999). Il est également 1961), qui évoque le dernier jour de la
(Improper Conduct/Conducta impro- le producteur de Acción mutante (Alex de guerre parmi les soldats russes en Alle-
pria, CO Orlando Jiménez Leal, 1984) la Iglesia, 1992), de El espinazo del dia- magne et obtient le prix spécial du jury
et Personne ne voulait entendre (Nadie blo (Guillermo del Toro, 2001). à la Mostra de Venise. En 1962, Alov et

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Naoumov réalisent un téléfilm d’après Après avoir essuyé le refus d’une s’élabore une réflexion sur les images
l’écrivain progressiste américain Albert douzaine de réalisateurs, sa chance produites par la culture américaine qu’Alt-
Maltz, la Pièce de monnaie (Moneta). fut d’accepter le scénario de M*A*S*H* man regarde d’un oeil critique en débus-
Leur film suivant, Une anecdote stupide (1970), que lui propose le producteur quant mythes et stéréotypes.
(Skvernyj anekdot, 1966, d’après Dos- Ingo Preminger. Palme d’or au festival Libéral mais résolument antiroman-
toïevski), n’ayant pas reçu l’agrément des de Cannes (1970), le film connaît un tique, Altman peint des personnages qui
autorités, vraisemblablement à cause de triomphe public qui permet à Altman de défendent leur intégrité face à un milieu
sa satire de la bureaucratie, n’est pas capitaliser sur son succès et de tourner hostile, que ce soit John McCabe ou
distribué avant 1987. Dans la Fuite (Beg, quinze films en dix ans avec une audace Popeye arrivant dans une ville qui rejette
1971), ils adaptent de manière assez et une invention constantes. Il incarne les étrangers, ou les amants traqués de
académique le roman de Boulgakov, la mieux que personne le renouvellement Nous sommes tous des voleurs pendant
Garde blanche, sur les heurs et malheurs des sujets et des styles que connaît la Dépression, ou le héros de Quintet
des émigrés ; puis ils montrent plus de Hollywood à la fin des années 60, mais poursuivant son errance solitaire après
verve dans la Légende de Till l’Espiègle lorsque le vent du conservatisme recom- avoir échappé à une société rigide gou-
(Legenda o Tile, 1976) d’après Charles mence à souffler, Altman persiste dans la vernée par le jeu, ou encore les Trois
De Coster. Enfin, on leur doit une super- voie qu’il s’est tracée, refuse de céder au Femmes prisonnières du cauchemar
production historique, Téhéran 43 (1980), conformisme ambiant et, après Nashville climatisé de la Californie. Bien que les
et l’adaptation d’un roman de Iouri Bon- (1975), sommet de sa réputation, se voit films d’Altman adoptent les tons les plus
darev, le Rivage (Bereg, 1983). de plus en plus contesté par la critique et divers (héroï-comique, lyrique, satirique,
abandonné par le public. Sa carrière n’en réaliste), on peut néanmoins reconnaître
ALTERNATIF. est pas moins, à ce jour, l’une des plus deux veines majeures dans son oeuvre.
Tireuse alternative, tireuse dans laquelle singulières et des plus riches du cinéma La première, qui va de M*A*S*H* à Dr T
les films sont entraînés par un méca- américain contemporain. Il a réussi à per- et les femmes en passant par Nashville
nisme d’avance intermittente. ( TIRAGE sévérer, malgré les obstacles, en formant et Un mariage, privilégie la satire sociale,
LABORATOIRE.) une équipe unie, s’entourant d’acteurs le grouillement des personnages et se
fidèles et de collaborateurs qui, au gré caractérise par une certaine sécheresse
ALTMAN (Robert), cinéaste américain des tournages, remplissent les fonctions que l’on a pu reprocher au cinéaste. La
(Kansas City, Mo., 1925). les plus diverses. Il y a donc une troupe seconde (That Cold Day in the Park,
Sa très forte personnalité a marqué le Altman, et la souplesse de ses produc- Images, Trois Femmes, Quintet, Coo-
cinéma américain des années 70. Mais tions lui a permis de réduire les coûts de kie’s Fortune) accorde à l’imaginaire, au
les vicissitudes de sa carrière ne lui ont fabrication, donc les risques d’échec. Au mythe, une place prépondérante. Mais
permis de s’épanouir pleinement qu’à début des années 80, désabusé tempo- la richesse des films interdit toute sépa-
l’âge de 45 ans. Si son nom a pu être rairement par l’industrie hollywoodienne, ration tranchée, et la force d’Altman est
associé à ceux de Scorsese ou Coppola, il se tourne vers la mise en scène d’opéra précisément de mener de front l’explo-
il n’appartient pas en fait à la même géné- et de théâtre. Il réalise un film d’après ration du psychisme et la peinture d’une
ration, et il a mené sa carrière en solitaire. une de ses productions (Reviens, Jimmy société. Ainsi Popeye est à la fois un
Fils aîné d’un courtier d’assurances, il est Dean, reviens), où il dynamise l’espace, commentaire sur un mythe populaire, une
élève chez les jésuites (sa mère est une survolte ses comédiennes, atteint à une fable sur l’Amérique et un conte oedipien
catholique convertie). Après avoir obtenu fluidité de style faisant ainsi oublier l’ori- sur la recherche du père.
son diplôme d’ingénieur mathématicien à gine scénique de l’oeuvre. Streamers Si les premiers films du réalisateur ne
l’université du Missouri, il entre à la Wen- opère le même travail de concentration font montre d’aucune originalité particu-
tworth Military Academy et est mobilisé spatiale en enfermant six personnages lière, comme si Altman avait voulu, plus
à la fin de la Seconde Guerre mondiale dans une chambrée à l’époque de la tard, se servir d’eux comme exemples à
dans l’US Air Force, où il pilote des bom- guerre du Viêt-nam. Secret Honor va plus ne pas suivre, en revanche son cinéma se
bardiers. Rendu à la vie civile, il écrit des loin encore dans l’ascétisme scénique : signale, à partir de That Cold Day in the
scénarios, des articles de journaux, des un seul personnage dans un décor Park et M*A*S*H*, mais surtout Brewster
pièces radiophoniques, mène une vie de unique. Un Nixon à la fois bouffon et pa- McCloud, par une très grande invention
bohème à New York et s’occupe même thétique se fait l’avocat de lui-même. On formelle. Chaque film est marqué par l’ex-
de tatouage de chiens. De retour à Kan- retrouve le Altman sarcastique, fustigeur ploration d’un décor : les villages en bois
sas City, il réalise entre 1947 et 1956 de son époque, tout comme dans The de John McCabe et de Popeye, les salles
une vingtaine de films industriels, puis Utterly Monstrous Mind-roasting Summer de jeu de California Split, l’astrodrome de
part pour Hollywood, ce qui lui permet of O. C. and Stiggs, une variation sur des Houston (Brewster McCloud), Nashville,
de tourner, en 1957, son premier film, personnages proches de la bande dessi- la ville glacée de Quintet, le camp de
The Delinquents, suivi de The James née. En 1985, le cinéaste vient travailler Buffalo Bill et les Indiens, Los Angeles et
Dean Story. Leur insuccès le conduit en France où il adapte pour l’écran une les studios de cinéma dans The Players,
à travailler pour la télévision, où Alfred pièce The Laundromat, histoire de deux les bas-fonds de Kansas City dans le film
Hitchcock l’engage ; il tourne deux épi- femmes qui passent la nuit dans une la- du même titre ou Dallas, ville/gynécée
sodes d’Alfred Hitchcock presents : The verie automatique. dans Dr T. et les femmes. L’utilisation fré-
Young One (1957) et Together (1958). Il Les films d’Altman sont référentiels. quente de la Panavision, combinée avec
réalise ensuite de nombreux autres feuil- Le cinéaste est conscient de travailler les effets de zoom et de téléobjectif, à la
letons jusqu’en 1963, date à laquelle il à l’intérieur d’une tradition culturelle, et fois élargit et aplatit l’espace, brisant les
constitue à Westwood (Los Angeles) sa ses oeuvres sont autant de commentaires effets de réalité et produisant un senti-
propre compagnie, Lions Gate Films, qui et de variations sur les genres tradition- ment d’instabilité. Le recours à de nom-
restera active pendant toute la décennie nels : film de guerre (M*A*S*H*), western breuses pistes sonores crée volontaire-
suivante. Deux films, Countdown (1968) (John McCabe, Buffalo Bill et les Indiens), ment une confusion, un « chaos fertile »,
et That Cold Day in the Park (1969) sont à film de gangsters (Nous sommes tous selon l’expression de Robert Benayoun,
nouveau des échecs commerciaux, bien des voleurs, Kansas City), policier (le relayé par une direction d’acteurs où
que le second annonce par son thème et Privé), science-fiction (Quintet), musical l’improvisation semble se donner libre
sa forme ses oeuvres majeures. (Nashville, Un couple parfait), etc. Ainsi cours. La multiplication des personnages

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

secondaires tout comme la présence d’un ser que celle-ci est toujours contrebalan- obscurs et les compositions oppressives
commentaire (conférencier de Brewster cée par un humanisme presque renoirien de l’expressionnisme. Le film noir lui doit
McCloud, émission de radio de Nous qui aime à trouver à chacun ses raisons. ainsi quelques-uns de ses joyaux : Il
sommes tous des voleurs, haut-parleur Sans étiquette littéraire, Prêt-à-porter, marchait dans la nuit (A. Werker, 1948),
de M*A*S*H*, chansons de Leonard qu’Altman portait en lui depuis longtemps, Marché de brutes (A. Mann, id.), Incident
Cohen dans John McCabe, thème musi- montre bien que le malentendu n’est pas de frontière (id., 1949), Association crimi-
cal joué par plusieurs instruments dans le dissipé : la critique (américaine particuliè- nelle (Joseph H. Lewis, 1955). À la MGM,
Privé) achèvent de créer un sentiment de rement) est dure envers cette magnifique sa collaboration avec Minnelli (du Père de
distanciation. Obsédé par la fragmenta- symphonie loufoque sur le sujet de la futi- la mariée à la Femme modèle) est cou-
tion comme par les phénomènes de dé- lité. Plus encore qu’un film sur le monde ronnée par un Oscar en 1951 (pour le bal-
doublement ou de schizophrénie, Altman de la couture, Prêt-à-porter est une ré- let final d’Un Américain à Paris), mais on
n’en est pas moins également préoccupé flexion sur la vanité des choses : logique, mesure mieux son apport dans les der-
par la recherche d’une explication globale Altman y prend ses aises envers un scé- niers films d’Alan Dwan (Quatre Étranges
du monde (voir Quintet) comme struc- nario prétexte et valorise une riche gale- Cavaliers, 1954 ; le Bagarreur du Ten-
ture ludique. Après les succès mitigés rie de personnages à laquelle des acteurs nessee, 1955 ; Deux Rouquines dans la
de Quintet, Un couple parfait et Health littéralement inspirés et arrachés à leur bagarre, 1956), où ses raffinements de
(dont la distribution restera confiden- routine donnent une humanité contrastée miniaturiste et sa palette élégiaque trans-
tielle), Popeye, production ambitieuse et et chatoyante. Désormais revenu dans cendent les contraintes de budgets très
originale financée par Disney, se révèle le giron hollywoodien, Altman n’en garde modestes. Il a également signé la pho-
incapable de redorer le blason d’Altman pas moins son insolence de franc-tireur : tographie de plusieurs films de Brooks,
auprès des financiers. Il s’oriente alors il alterne un élégant produit commercial dont Elmer Gantry le Charlatan (1960). Il
vers le théâtre et filme à peu de frais cer- (Gingerbread Man, remonté contre sa est l’auteur de deux ouvrages techniques
taines de ses mises en scène (Reviens, volonté), la chronique intimiste (le savou- réputés, Painting With Light et Photogra-
Jimmy Dean, reviens). Il s’installe en Eu- reux Cookie’s Fortune) et la fresque sati- phy and Lighting in General.
rope et sa retraite n’est qu’apparente ; en rique (Dr T. et les femmes). Le parcours
obstiné et rigoureux d’Altman nous ren- ALTON (Robert Alton Hart, dit Robert),
fait, il n’arrête pas de travailler : théâtre,
voie finalement à notre propre versatilité chorégraphe et cinéaste américain (Ben-
opéra, télévision, vidéo, cinéma... À partir
et à notre inconstance. nington, Vt., 1906 - Los Angeles, Ca., 1957).
de situations volontiers minimalistes —
Films : The Delinquents (1957) ; D’abord danseur et chorégraphe de
par exemple dans les séquences mon-
The James Dean Story (CORE George théâtre, il règle au cinéma des danses
trant le président Nixon seul dans son
W. George, id.) ; Countdown (1968) ; That d’ensemble brillantes et des numéros indi-
bureau (Secret Honor) ou une ménagère
Cold Day in the Park (1969) ; M*A*S*H*, viduels raffinés (L’amour vient en dansant
dans une laverie automatique (The Laun-
(id., 1970) ; Brewster McCloud (id., id.) ; [You’ll Never Get Rich, Sidney Lanfield,
dromat) —, il continue à expérimenter
John McCabe (McCabe and Mrs. Miller, 1941], Ziegfeld Follies [V. Minnelli, 1946]
avec l’espace et les acteurs : ainsi Base-
1971) ; Images (id., 1972) ; le Privé (The ou Parade de printemps [Ch. Walters,
ments, téléfilm prestigieux et austère à
Long Goodbye, 1973) ; Nous sommes 1948]). La variété de son talent éclate
partir de deux courtes pièces d’Harold
tous des voleurs (Thieves Like Us, 1974) ; dans le Pirate (V. Minnelli, 1948), Show
Pinter, peut se prévaloir d’une distribution
California Split (id., id.) ; Nashville (id., Boat (G. Sidney, 1951), mais surtout la
brillante (John Travolta, Linda Hunt). De
1975) ; Buffalo Bill et les Indiens (Buf- Belle de New York (Ch. Walters, 1952) et
temps à autre, un film de cinéma éclot,
falo Bill and the Indians or Sitting Bull’s Appelez-moi Madame (W. Lang, 1953).
obstinément fidèle au style du réalisa-
History Lesson, 1976) ; Trois Femmes Il réalise Chanson païenne (Pagan Love
teur, et passe dans une indifférence polie
(Three Women, 1977) ; Un mariage (A Song, 1950), sans grand brio.
(Beyond Therapy, Fool for Love).
Wedding, 1978) ; Quintet (id., 1979) ; Un
Tout à coup, sans qu’Altman ait remis ÁLVAREZ (Santiago), cinéaste cubain (La
couple parfait (A Perfect Couple, id.) ;
en question sa démarche rigoureuse, The Havane 1919 - id. 1998).
Health (id.) ; Popeye (id., 1980) ; Reviens,
Player le remet en selle. Formellement Après des études de philosophie, lettres
Jimmy Dean, reviens (Come Back to
éblouissante (le film s’ouvre sur un plan et histoire à Cuba et aux États-Unis, il
the Five and Dime, Jimmy Dean, Jimmy
acrobatique d’une longueur interminable adhère au parti communiste en 1942. Il
Dean, 1982) ; Streamers (1983) ; Secret
alors que la bande-son ironise sur les entre à l’Institut cubain de l’art et de
Honor (1984) ; Fool for Love (1985) ; The
grands plans-séquences de l’histoire l’industrie cinématographiques dès sa
Laundromat (id.) ; O. C. and Stiggs (id.) ;
du cinéma), cette satire mordante du création (1959). Il y est responsable des
Beyond Therapy (id., 1987) ; Aria (un des
cinéma, à laquelle la profession participe Actualités latino-américaines hebdoma-
six épisodes, id.) ; Basements (The Dumb
en masse, doit son succès à ces céré- daires depuis 1960. Responsable du
Waiter, MM et The Room, MM, id.) ; Vin-
monies d’auto-flagellation que Hollywood cent et Theo (Vincent and Theo, TV, département de court métrage (1961-
aime à accomplir de temps à autre. The 1990) ; Black and Blue (vidéo, 1991) ; The 1967), puis vice-président de l’ICAIC, et
Player lui permet de s’atteler très vite Player (1992) ; Short Cuts (1993) ; Prêt- enfin haut fonctionnaire du ministère de
à Short Cuts qui, bien que malmenant la Culture (1976), il est élu député de l’As-
à-porter (id., 1994) ; Kansas City (1996) ;
sérieusement les nouvelles de Ray- Jazz 34 (id.) ; Gingerbread Man (The Gin- semblée nationale du pouvoir populaire.
mond Carver, est bien accueilli à cause gerbread Man, 1998) ; Wild Card (id.) ; Il est le maître du documentaire cubain,
de l’engouement dont bénéficie l’écri- Cookie’s Fortune (id. 1999) ; Dr. T. et les l’école de la réalité par laquelle passent
vain. Cette vaste fresque, qui prend ses femmes (Dr. T. and the Women, 2000). systématiquement tous les cinéastes du
distances par rapport à l’anecdote pour pays, ce qui est censé contribuer à leur
s’attacher aux personnages, est une des ALTON (Jack Aldan, dit John), chef opé- connaissance de la société et à leur for-
grandes oeuvres chorales du cinéaste : rateur américain (Sopron, Hongrie 1901 - mation politique. Álvarez est aussi un de
il y confirme un talent unique pour épin- Santa Monica, Ca., 1996). ceux qui ont su transformer les carences
gler un comportement quasi caricatural Débutant comme caméraman à la Para- matérielles et techniques en point de dé-
en le faisant basculer en une fraction de mount en 1928, il travaille en Europe, puis part pour la recherche de solutions esthé-
seconde dans une compassion sincère. en Argentine jusqu’en 1937. Il est révélé tiques originales, notamment grâce au
On attend d’Altman une forte dose de par la Brigade du suicide (A. Mann, 1948), montage, qu’il assure personnellement,
méchanceté, voire de cruauté, sans réali- où il recrée en extérieurs réels les clairs- avec minutie. Le caractère militant ou di-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

dactique de son cinéma exclut cependant sursis (C. Reed, 1947), Première Désil- AMBROSIO (Arturo), producteur italien
l’emphase. Le commentaire en voix off lusion (C. Reed, 1948), la Salamandre (Turin 1869 - Rome 1960).
est réduit au minimum, voire supprimé. d’or (R. Neame, 1950), la Boîte magique Après des études de comptable, Ambro-
Lui est substitué le contrepoint ou la com- (J. Boulting, 1951), Mandy (A. Mac- sio abandonne son emploi pour ouvrir,
plémentarité de l’image et d’une musique kendrick, 1952), Trois Dames et un As en 1902, un petit commerce de matériel
choisie avec pertinence. Ainsi, les six (R. Neame, id.), l’Homme au million (id., photographique. Le succès est rapide ;
minutes de Now (1965), contre le racisme 1953), l’Épopée dans l’ombre (Shake en 1904, Ambrosio possède plusieurs
aux États-Unis, s’appuient sur une chan- Hands With the Devil, M. Anderson, magasins à Turin et à Milan ; parmi ses
son interprétée par Lena Horne. Hanoi, 1959), la Lame nue (id., 1961), le Deu- employés figure l’opérateur Giovanni
Mardi 13 (1967) utilise des textes de José xième Homme (C. Reed, 1963). Vitrotti et parmi ses clients Roberto Ome-
Martí, héros de l’indépendance cubaine, gna. À l’incitation de ce dernier, Ambro-
datant de 1889. Le réalisateur se sert AMADORI (Luis Cesar), cinéaste argentin sio s’intéresse au cinéma et commence
également d’intertitres succincts ou de (Pescara, Italie, 1903 - Buenos Aires 1977). à produire les films documentaires que
phrases en surimpression, au graphisme Grâce à son expérience de la scène et Omegna tourne un peu partout en Italie.
soigné. Il fait appel à un matériel de base des revues musicales, il devient un des En 1905, Vitrotti, Omegna et Ambrosio
fort hétérogène : photos de presse, re- principaux artisans de l’époque dorée réalisent divers films d’actualités et même
portages télévisuels, stock-shots, carica- de l’industrie argentine. Il s’exile en Es- quelques films comiques. Devant les exi-
tures. Le collage est un des procédés ap- pagne, après la chute de Perón (1955). gences techniques, Ambrosio transforme
pliqués avec intention et liberté. Le choc une partie de sa villa de Turin en studios
Parmi ses films : Maestro Levita (1938),
des images n’empêche pas le lyrisme, de tournage : plateaux dans les jardins,
El canillita y la dama (id.), Madreselva
l’ironie, la pudeur ; l’émotion ne neutra- laboratoires dans les caves. Ces instal-
(id.), Soñar no cuesta nada (1941), Car-
lise pas la réflexion. Alvarez réconcilie la lations constituent les premiers studios
men (1943), Madame Sans-Gêne (1945),
pédagogie intrinsèque au film militant et italiens. À la fin de 1905 ou au début de
Albéniz (1947), Dios se lo pague (1948),
au documentaire avec intelligence et sen- 1906 (la date est incertaine) est fondée la
Me casé con una estrella (1951), Una
sibilité artistiques. Il alterne animation et société Arturo Ambrosio &Cie. Sont
muchachita de Valladolid (1958), La Vio-
prises de vues documentaires dans Los engagés des comédiens et des techni-
letera (id.), ¿ Donde vas, Alfonso XII ?
dragones de Ha Long (1976). El sueño ciens ; parmi eux se trouve Luigi Maggi,
(id.), La casta Susana (1962).
del pongo (1970) constitue une incursion un typographe qui dirigeait la compa-
isolée dans la fiction, à partir d’un récit gnie théâtrale amateur de la Bourse du
AMATO (Giuseppe Vasaturo, dit Giu-
de l’écrivain péruvien José María Argue- travail. Les films réalisés en 1906 sont
seppe), producteur et cinéaste italien
das. Lorsque l’ICAIC en a les moyens, bien accueillis par le public ; la société
(Naples 1899 - Rome 1964).
Álvarez a recours à la couleur, au format se développe et de nouveaux studios
Acteur (films tournés à Naples), il devient
panoramique, à l’utilisation simultanée sont construits. En avril 1907, l’Ambrosio
bientôt l’assistant de Rex Ingram (Mare
de plusieurs caméras ; mais ses films &Cie se transforme en société par ac-
Nostrum, 1926). De 1932 à la guerre,
deviennent alors plus conventionnels et tions avec l’appui financier de la Banque
il produit trente mélodrames ou films
plus longs (De America soy hijo y a ella commerciale de Turin. Grâce à cette
comiques, dirigés notamment par Mario
me debo, 1972, sur le voyage de Castro consolidation, Ambrosio se lance dans
Bonnard (Cinque a zero, 1932), Camerini
au Chili, dure 195 min). une politique conquérante, qui donne ses
(Il cappello a tre punte, 1935 ; Grands Ma-
Films : Escambray (1961) ; Muerte al fruits à partir de 1908. Des studios en-
gasins, 1939), Blasetti (la Farce tragique,
invasor (id., CORE : T. Gutiérrez Alea) ; core plus grands sont édifiés. Ambrosio
1941 ; Quatre Pas dans les nuages, id.).
Ciclón (1963) ; Now (1965) ; Cerro Pelado se spécialise dans les documentaires, les
Il fait débuter à la mise en scène son ac-
(1966) ; Hanoi, Martes 13 (1967) ; Hasta drames, les reconstitutions historiques ;
teur favori, Vittorio De Sica, avec Roses
la victoria siempre (id.) ; L. B. J. (1968) ; par contre, il ne s’intéresse pas aux films
écarlates (1940) qu’il codirige. Il produit
79 Primaveras (1969) ; El sueño del comiques. Le développement se poursuit
plus de vingt films après la guerre, de dans les années 10 ; l’Ambrosio constitua
pongo (1970) ; ¿ Como, por qué y para
grands succès, comme le Petit Monde
qué se asesina a un general ? (1971) ; De alors avec l’Itala, également à Turin, et la
de Don Camillo (J. Duvivier, 1952) ou Cines à Rome, une des structures por-
America soy hijo y a ella me debo (1972,
des oeuvres moins commerciales comme tantes de l’industrie cinématographique
LM) ; El tigre saltó y mató, pero morirá...
Onze Fioretti de François d’Assise italienne. Ambrosio fait figure de précur-
morirá (1973) ; Abril de Viet-nam en el
(R. Rossellini, 1950), Umberto D (V. De seur en demandant aux divers collabora-
Año del Gato (1975) ; Luanda ya no es
de San Pablo (1976) ; Maputo : meridiano Sica, 1952) et également sept films qu’il teurs d’un film une meilleure préparation
novo (id.) ; Morir por la patria es vivir (id.) ; dirige lui-même, parmi lesquels Malia artistique et culturelle. En 1908, il confie
Los dragones de Ha Long (id.) ; Mi her- (1946), Yvonne la nuit (1949), Morte di un à Luigi Maggi le soin de porter à l’écran
mano Fidel (1977) ; El octubre de todos bandito (1961). les Derniers Jours de Pompéi ; le succès
(id.) ; La guerra necesaria (1980) ; Biogra- du film incite le producteur à poursuivre
fia de un carnaval (1983) ; Los antipodas AMBIANCE (1). dans la voie des oeuvres ambitieuses.
de la victoria (1986) ; Brascuba (1987) ; Lumière d’ambiance, lumière destinée à Sont ainsi réalisés : Nerone (1909), La
Historia de una plaza (1989). combler l’ombre créée par les lumières regina di Ninive (1910), Il granatiere
de base. ( ÉCLAIRAGE.) Roland (1911), Nozze d’oro (id.), tous
ALWYN (William), musicien britannique de Luigi Maggi ; Lo schiavo di Cartagine
(Northampton 1905 - South Wold 1985). AMBIANCE (2). (1910) de Roberto Omegna, La figlia di
Ancien étudiant de l’Académie royale Sons d’ambiance, bruits durables dans Jorio (1911) de Edoardo Bencivenga. En
de musique, il débute en 1936 avec les lesquels baigne une scène : vent, pluie, 1910, la société Ambrosio obtient la col-
nombreux courts métrages de l’école ressac des vagues, etc. ( BRUITAGE.) laboration du poète Guido Gozzano et en
documentariste anglaise et de la pro- Voie d’ambiance, voie sonore qui porte, 1911 celle de Gabriele D’Annunzio, dont
duction de guerre. D’une filmographie dans les procédés de stéréophonie, les sept livres sont portés à l’écran. Ambrosio
impressionnante (45 CM et MM, 81 LM), sons « d’ambiance » destinés aux haut- fait débuter au cinéma de grands acteurs
on retient surtout : l’Honorable M. Sans- parleurs implantés en fond de salle. de théâtre comme Ermete Novelli, Ar-
Gêne (S. Gilliat, 1945), Huit Heures de ( STÉRÉOPHONIE.) mando Falconi et surtout Eleonora Duse

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

(Cenere, Febo Mari, 1916). En 1912, il ouvertes (Porte aperte, 1990), les Enfants AMES (Preston), décorateur américain
fait construire des studios plus vastes volés (Il ladro di bambini, 1991), Lamerica (1905 - Los Angeles, Ca., 1983).
encore que les précédents ; on y tourne (1993), confirment la rigueur de son ap- Le meilleur de la carrière de Preston
une nouvelle version des Derniers jours proche du langage cinématographique. Ames s’est déroulé entre 1945 et 1965
de Pompéi (M. Caserini, 1913). L’âge Fasciné par la science et les sujets de à la MGM. Son goût pour les formes
d’or se termine : à partir de 1919, les société, Amelio inscrit sa réflexion dans la arrondies, les couleurs chatoyantes et
difficultés surgissent, et, malgré la pro- continuité du cinéma politique italien. En l’exotisme s’est particulièrement épanoui
duction de quelques oeuvres importantes 1998, il réalise Mon frère (Così ridevano), dans la comédie musicale et tout spé-
(Theodora, Leopoldo Carlucci, 1919 ; La l’histoire de deux frères siciliens émigrés cialement auprès de Vincente Minnelli.
nave, Gabriellino D’Annunzio, 1920), Cette collaboration lui valut deux Oscars :
à Turin et en 2000 l’Honneur des armes
la société Ambrosio est emportée, en Un Américain à Paris (1951), avec son
(L’onore delle arme).
1923, par la faillite de l’Union cinémato- délicieux Paris de carte postale, et Gigi
graphique italienne. Le producteur cesse AMERICAN [American Film Manufactu- (1958), où il s’inspirait, cette fois, des
alors presque toute activité et, après un ring Co.], caricatures de Sem. Mais il faut mention-
passage à la Scalera Film de 1939 à ner aussi la lande écossaise de studio
société de production américaine fondée
1943 comme directeur de production, il de Brigadoon (1954), verte et trouée de
par John R. Freuler et Harry Aitken en
se retire définitivement. Arturo Ambrosio kilts chamarrés, l’Arabie de pacotille de
1910 avec, à l’origine, deux points d’an-
est une des figures les plus marquantes Kismet (1955), avec ses minarets dorés
crage à Chicago et le troisième à Niles
de la cinématographie italienne muette ; ou rose bonbon, ou encore, dans un re-
en Californie. Un studio fut construit en
il représente le producteur qui, à l’instar gistre plus dramatique, le fauteuil-trône
1912 à Santa Barbara (Ca.). En 1915,
d’un Pathé, d’un Gaumont, d’un Zukor, rouge sang de Robert Mitchum dans
l’American était constituée par diverses
d’un Goldwyn, a fait passer le cinéma du Celui par qui le scandale arrive (1960).
unités de production et par des socié-
stade artisanal au stade de grande indus- Pour Charles Walters, il recréa un cirque
tés associées, chacune d’entre elles se
trie du spectacle. mythique (la Plus belle fille du monde,
spécialisant dans un certain type de films
1962) et un Far West aux coloris écla-
AMECHE (Dominic Felix Amici, dit (Beauty, Flying A, American Star Feature,
tants (la Reine du Colorado, 1964). Parmi
Don), acteur américain (Kenosha, Wis., Clipper Star Feature, Signal, Mustang).
ses derniers travaux, témoignant d’une
1908 - Scottsdale, Ariz., 1993). En 1921, l’American cessa ses activités.
volonté remarquable de renouvellement,
D’origine italienne, imposé avec Ramona on retiendra surtout l’astrodôme de Hous-
(H. King, 1936), il incarne durant une AMERICAN FILM INSTITUTE,
ton transformé en microcosme grouillant
dizaine d’années les jeunes premiers organisme américain fondé à Washing-
pour Brewster McCloud (1970) de Robert
sérieux et discrets, pimentés souvent ton, D. C., en 1967 et dirigé depuis cette
Altman.
d’une touche de fantaisie. Citons l’Amour date par George Stevens Jr. Son objectif
en première page (T. Garnett, 1937), est essentiellement de préserver l’héri- AMFITHEATROF (Daniele), compositeur
l’Incendie de Chicago (H. King, 1938), tage cinématographique des États-Unis américain d’origine russe (Saint-Péters-
la Folle Parade (id., id.), la Baronne de et d’assurer la promotion de l’art filmique bourg 1901 - Rome, Italie, 1983).
minuit (M. Leisen, 1939) et surtout les dans ce pays. Parmi les principales acti- Il fait ses études musicales à Rome et
rôles d’Alexander Bell dans Et la parole vités de l’AFI, on notera la conservation y signe la musique de La signora di tutti
fut (The Story of Alexander Graham Bell, des copies, la publication d’importants (Max Ophuls, 1934). Émigré aux États-
I. Cummings, id.), de d’Artagnan dans ouvrages référentiels et d’une revue Unis en 1937, il y compose notamment
les Trois Louf’quetaires (A. Dwan, id.) et mensuelle American Film, ainsi que la les musiques de : la Fidèle Lassie (Fred
du pécheur en sursis dans Le ciel peut répartition de subventions accordées M. Wilcox, 1943), Days of Glory (J. Tour-
attendre (E. Lubitsch, 1943). Il poursuit aux jeunes cinéastes. De l’AFI dépend neur, 1944), Lettre d’une inconnue
ensuite une carrière discrète et retrouve également le Center for Advanced Film (Max Ophuls, 1948), la Porte du diable
une certaine notoriété au début des Studies, une école de formation située à (A. Mann, 1950), Salomé (W. Dieterle,
années 80 : Un fauteuil pour deux (Tra- 1953), Désirs humains (F. Lang, 1954),
Greystone (Ca.).
ding Places, John Landis, 1983), Cocoon le Procès (M. Robson, 1955), la Dernière
(Ron Howard, 1985), Parrain d’un jour (D. AMERICAN SOCIETY OF CINEMATOGRA- Chasse (R. Brooks, 1956), la Diablesse
Mamet, 1988), Cocoon, le retour (Daniel PHERS (ASC), en collant rose (G. Cukor, 1960) et Major
Petrie, id.), Old Ball Hall (Jackson Hun- association américaine de directeurs de Dundee (S. Peckinpah, 1965).
sicker, 1990), Oscar (J. Landis, 1991), la photographie, fondée en 1919. (Cine-
Corrina, Corrina (Jessie Nelson, 1994). AMIDEI (Sergio), scénariste italien (Trieste,
matographer est le synonyme, en moins
Autriche-Hongrie, 1904 - Rome 1981).
officiel, de Director of photography.) Son
AMELIO (Gianni), cinéaste italien (Catan- Figurant et assistant à Turin sur la série
esprit est celui d’un club : on y entre par
zaro 1945). Maciste (G. Brignone, 1925-26), il arrive
cooptation, et les membres font suivre
D’abord collaborateur de revues de ci- en 1936 à Rome où il écrit plusieurs films
leur nom, au générique, de la mention
néma et animateur de ciné-clubs, il de- historiques et de cape et d’épée, comme
« A. S. C. ». Y compris les membres as-
vient l’assistant de De Seta et de Liliana Pietro Micca (A. Vergano, 1938), La fan-
sociés, choisis dans les professions en
Cavani. Après quelques courts métrages, ciulla di Portici (M. Bonnard, 1940), Don
rapport direct avec la prise de vues, l’ASC
il réalise son premier long métrage, la Fin César de Bazan (R. Freda, 1942), et trois
compte environ 300 membres, pour la
du jeu (La fine del gioco) en 1971. La Cité films de F. M. Poggioli, dont les mélo-
du soleil (La città del sole, 1973), inspiré plupart américains. (Depuis sa fondation, drames Jalousie (1942) et Il cappello da
du livre de Tommaso Campanella, révèle elle a admis en son sein cinq directeurs prete (1944). Après la guerre, il écrit avec
un cinéaste original à l’écriture très élabo- de la photographie — dont G. Cloquet Fellini deux des grands films néoréa-
rée. Ses autres films, Bertolucci secondo et N. Almendros — du cinéma français.) listes de Rossellini : Rome ville ouverte
il cinema (reportage sur le tournage de L’ASC édite un mensuel, American Cine- (1945) et Paisà (1946) ; avec Zavattini,
1900, 1975), La morte al lavoro (1978), Il matographer (P. O. Box 2230, Hollywood, entre autres, il brosse la chronique de
piccolo Archimede (1979), Droit au coeur California 90028). Il existe un équivalent l’Italie libérée dans Sciuscià (De Sica,
(Colpire al cuore, 1982), I velieri (1983), I britannique : la British Society of Cinema- 1946) ; avec Brancati, il fait la satire de la
ragazzi di via Panisperna (1988), Portes tographers (BSC). corruption fasciste dans les Années dif-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

ficiles (L. Zampa, 1948). En 1950, avec ANALOGIQUE. la Vitagraph et, en 1905, collabore avec
Dimanche d’août (L. Emmer), il crée la Se dit d’un système d’enregistrement, Porter à la réalisation de Raffles, the
comédie à sketches enchaînés, que lui et de traitement, de transmission ou de dif- Amateur Cracksman. En 1907, il fonde
d’autres exploiteront souvent. Auteur de fusion où les informations (son, image avec George K. Spoor la Essanay (S and
films sur le fascisme et la résistance pour vidéo) sont traduites par des variations A), pour laquelle il écrit, produit, réalise et
Lizzani (Chronique des pauvres amants, continues et proportionnelles aux gran- interprète près de 400 westerns. Il crée,
d’après Pratolini, 1954), Rossellini (le deurs physiques, par opposition où ces en 1908, le personnage auquel il reste

Général Della Rovere, 1959), il invente informations sont traduites par des gran- identifié : Broncho Billy, héros naïf dont
deurs numériques. ( NUMÉRIQUE.) la maladresse (Anderson est lui-même
plusieurs personnages comiques et
piètre cavalier) et le physique disgra-
amers pour Alberto Sordi : Fumo di Lon-
ANAMORPHOSE. cieux sont rachetés par la sincérité et la
dra (A. Sordi, 1966), Detenuto in attesa di
Procédé qui consiste à comprimer les bonté d’âme. Devenu la première star du
giudizio (N. Loy, 1971), Un bourgeois tout
images dans le sens horizontal. Anamor- genre, Anderson continue d’exploiter ce
petit petit (M. Monicelli, 1977), le Témoin
phoseur, anamorphique ou anamorpho- héros avec succès durant sept années,
(J.-P. Mocky, 1978). En 1981, il adapte
tique, se dit d’un dispositif optique réali- dans des films comme : Broncho Billy’s
plusieurs récits de Charles Bukowski pour
sant aussi bien l’anamorphose à la prise Redemption, Broncho Billy’s Heart, The
Marco Ferreri (Conte de la folie ordinaire) de vues (compression horizontale selon Reward of Broncho Billy, etc. En 1911,
et meurt la même année, avant de voir la un coefficient donné) que la « désana- il crée la série des « Snakeville Come-
fin du tournage de son ultime scénario (la morphose » à la projection (expansion dies », avec Ben Turpin et, en 1912, pour-
Nuit de Varennes, d’Ettore Scola). horizontale) égale à la compression lors suivant dans la veine burlesque, dirige
de la prise de vues. Ce procédé est em- Augustus Carney dans la série « Alkali
AMO (Antonio del Amo Algara, dit Anto- ployé au cinéma pour les films en « Ciné- Ike ». En 1918, il tourne son dernier film :
nio del), cinéaste espagnol (Valdelaguna maScope » (coefficient d’anamorphose Shootin’Mad, et, après avoir revendu ses
1911 - Madrid 1991). optique de 2) et en vidéo 16/9 (coefficient parts dans la Essanay, achète un théâtre
Critique, il collabore aux revues Popu- d’anamorphose de 1,33 ou 4/3). à New York. L’insuccès de son entre-
lar Films et Nuestro cinema. Pendant la prise le ramène à Hollywood, où William
guerre civile, il tourne des documentaires ANCONINA (Richard), acteur français S. Hart l’a depuis peu supplanté. Il aban-
pour les républicains, et notamment pour (Paris 1953). donne le cinéma en 1920.
le parti communiste. Après quelques an- D’abord électricien, il décide, après une
nées d’ostracisme, il n’arrive à faire car- période de chômage, de chercher seul de ANDERSON (Frances Margaret Anderson,
rière qu’au prix de l’adaptation au confor- petits rôles au théâtre et au cinéma. Son dite Judith), actrice américaine d’origine
misme et à l’obscurantisme de rigueur physique de jeune loubard le destinera australienne (Adélaïde, Australie-Méridle,
durant les années d’apogée du national- naturellement à camper des personnages 1898 - Santa Barbara, Ca., 1992).

catholicisme. Auteur notamment de Cua- louches ou marginaux dans des films po- Après une brève carrière de jeune pre-
liciers. Après le Bar du téléphone (Claude mière, elle s’illustre à Broadway dans
tro mujeres (1947), Día tras día (1951)
Barrois, 1980) et Inspecteur la Bavure le répertoire tragique (Shakespeare,
et Sierra maldita (1954), il unit ensuite
(C. Zidi, 1981), c’est dans le Choix des O’Neill) et se révèle au cinéma sous les
sa carrière à celle de Joselito, enfant-
armes (A. Corneau, id.) qu’il impose son traits de la gouvernante de Rebecca
chanteur typique de cette époque (de El
caractère fragile et imprévisible, à la vio- (A. Hitchcock, 1940). Ce personnage
pequeño ruiseñor, 1956, à El secreto de
lence sous-jacente. Sa prestation dans hanté et morbide inaugure une longue
Tommy, 1963). Il enseigne et écrit sur le
Tchao Pantin (C. Berri, 1983) lui vaut la succession de femmes tourmentées
cinéma.
consécration auprès d’un large public évoluant au bord du crime et de la folie :
ainsi que deux Césars. Suivent, entre la tante et rivale de Gene Tierney dans
AMORCE (1).
autres, Paroles et musique (Elie Chou- Laura (O. Preminger, 1944), la mère cou-
Longueur de film sans images, en début
raqui, 1984) et Police (M. Pialat, 1985). pable de la Vallée de la peur (R. Walsh,
et fin de chaque bobine comportant des
Après les échecs critiques et publics de 1947) et des Furies (A. Mann, 1950),
indications d’identification du film et de la
Zone rouge (R. Enrico, 1986) et du Môme l’Hérodiade de Salomé (W. Dieterlé,
bobine. En début, permet le chargement
(A. Corneau, id.), il tourne Lévy et Goliath 1953). À compter des années 50, elle es-
correct du film dans le projecteur, en fin,
(G. Oury, 1987), son premier rôle résolu- pace ses apparitions : les Dix Comman-
sert de protection à la bobine. ment comique puis partage avec Jean- dements (C. B. De Mille, 1956), la Chatte
Paul Belmondo la tête d’affiche d’Itiné- sur un toit brûlant (R. Brooks, 1958), Un
AMORCE (2).
raire d’un enfant gâté (C. Lelouch, 1988) homme nommé Cheval (E. Silverstein,
En amorce, se dit d’un personnage ou
et retrouve Elie Chouraqui dans Miss 1970), et tourne tardivement son premier
d’un objet cadré en bord de champ, au
Missouri (1990). En 1997, il remporte un film australien, Inn of the Damned (Terry
tout premier plan, de telle sorte que sa grand succès dans la comédie de Tho- Bourke) en 1974. Elle a été nommée en
partie vue soit clairement interprétée mas Gilou : la Vérité si je mens ! suivie en 1960 « Dame Commander of the British
comme « amorçant » sa partie non vue. 2001 de La Vérité si je mens ! 2. Empire ».
( SYNTAXE.)

ANDERSON (Max Aronson, dit ANDERSON (Lindsay), cinéaste bri-


AMPEX. G[ilbert] M.), « Broncho Billy », acteur et tannique (Bangalore, Mysore, Inde,
Nom de marque du premier magnétos- cinéaste américain (Pine Bluff, Ark., 1882 - 1923 - Saint-Saud-Lacoussière, France,
cope apparu sur le marché. Ampexer, Pasadena, Ca., 1971). 1994).
terme vieilli pour enregistrer sur magné- Acteur de music-hall et modèle, il débute Fils d’un officier de l’armée des Indes, il
toscope. ( MAGNÉTOSCOPE.) à l’écran en 1902 (The Messenger Boy’s suit des études à Oxford, puis est mobilisé
Mistake) avant d’incarner un des trois aux Indes à la fin de la Seconde Guerre
ANAGLYPHES. hors-la-loi du premier (?) western de mondiale. De retour à Oxford, il prend une
Méthode de photographie et de cinéma l’histoire du cinéma : l’Attaque du Grand part importante à la naissance de la revue
en relief utilisant deux images en cou- Rapide (Edwin S. Porter, 1903), dont il Sequence (1946). Les autres rédacteurs
leurs complémentaires, généralement écrit aussi l’argument. Il poursuit sa car- en sont Gavin Lambert, Penelope Hous-
rouge et vert. ( RELIEF.) rière de comédien chez Edison, puis à ton et Peter Ericson. Jusqu’en 1952

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

(dernier numéro dirigé par Anderson et 70, ne saurait cependant être réduite à Orca (1977), La boutique de l’orfèvre
Karel Reisz), la revue défendra les thèses ses longs métrages. (The Jeweller’s Shop, 1989), Pinocchio
d’un cinéma engagé, proche des réalités et Gepetto (The New Adventure of Pinoc-
sociales, mais aussi art à part entière. ANDERSON (Maxwell), scénariste et dra- chio, 2000).
Anderson y exprime son admiration pour maturge américain ( Atlantic City, N. J.,
des cinéastes comme Jean Vigo, John 1888 - Stamford, Conn., 1959). ANDERSON (Paul Thomas), cinéaste amé-
Ford, Humphrey Jennings. Il poursuit sa Auteur d’une trentaine de pièces à suc- ricain (Studio City, Ca. 1970).
carrière journalistique par des critiques cès et lauréat du Prix Pulitzer, la Grande Né dans le milieu du spectacle, Paul Tho-
dans The Times et The Observer et des Guerre lui fournit, en 1924, le thème de mas Anderson est entré tôt dans la car-
articles de fond dans Sight and Sound. What Price Glory ? Cette comédie drama- rière de cinéaste. Après un court métrage
En 1956, il y publie un article intitulé : tique, célèbre pour la crudité de ses dia- remarqué dans le film collectif Cigarettes
« Stand up ! Stand up ! » dans lequel il logues, connaît une vogue considérable and Coffee (id., 1993), c’est en 1996 qu’il
attaque le cinéma conformiste de l’Esta- et inspire jusqu’à la fin des années 30 réalise son premier long métrage, Syd-
blishment et plaide pour un cinéma libre une abondante série de films mettant en ney, qui sortira l’année suivante sous le
(free cinema), personnel et critique. À la scène des couples d’amis aux tempéra- titre Hard Eight. Mais ce sont surtout deux
même époque, il programme au Natio- ments antagonistes et querelleurs (cf. films extrêmement ambitieux et originaux,
nal Film Theatre (la Cinémathèque de Une fille dans chaque port [H. Hawks, qu’il a écrits et produits, qui ont attiré l’at-

Londres) des séances de jeunes réali- 1928], et les tandems Victor McLaglen- tention sur lui. Boogie Nights (id., 1997)

sateurs originaux, britanniques ou étran- Edmund Lowe, Clark Gable-Spencer décrivait l’industrie du cinéma porno-
gers, sous le titre Free Cinema. Tracy et James Cagney-Pat O’Brien). graphique des années 70 avec une ten-
Maxwell Anderson s’est fréquemment in- dresse surprenante, à travers une multi-
Depuis 1948, il réalise lui-même des
téressé aux destins et tourments de cer- plicité de personnages et d’intrigues sur
courts métrages ; d’abord en amateur
taines grandes figures féminines de l’His- une durée de presque trois heures. Cette
(Meeting the Pioneers, 1948), puis pour
toire, comme Marie Stuart, Élisabeth Ire, structure kaléidoscopique est également
des petites productions indépendantes,
Anne Boleyn et Jeanne d’Arc. Scénariste celle de Magnolia (id., 1999), bouillonnant
notamment : Wakefield Express (1953),
ou coscénariste de À l’Ouest rien de et virtuose, mais également d’une sen-
O Dreamland (id.), Thursday’s Children
nouveau (L. Milestone, 1930), Pluie (id., sibilité frémissante, qui reçut l’Ours d’or
(1954, CO Guy Brenton), Foot and Mouth
1932), Death Takes a Holiday (M. Lei- à Berlin.
(1955), Green and Pleasant Land (id.),
sen, 1934), Jeanne d’Arc (V. Fleming,
Every Day Except Christmas (1957).
1948) et le Faux Coupable (A. Hitchcock, ANDERSSON (Roy), cinéaste suédois (Gö-
Il signe également des réalisations à la
1957), une douzaine de ses pièces ont teborg 1943).
télévision (en particulier des épisodes de
été portées à l’écran, dont : What Price Chef opérateur, puis assistant réalisateur
la série Robin des Bois en 1957) et met
Glory ? par Raoul Walsh (1926) et John (notamment de Bo Widerberg), il dirige
en scène au théâtre les pièces de l’avant-
Ford (1952) ; Saturday’s Children, par son premier long métrage en 1970, sur
garde anglaise, dont John Osborne.
Gregory La Cava (1929), William Mc le thème des amours d’adolescents Une
En 1963, il tourne son premier long histoire d’amour suédoise (En kärlekshis-
Gann (Maybe It’s Love, 1935) et Vincent
métrage le Prix d’un homme (This Spor- toria). Contrairement à ce premier essai,
Sherman (1940) ; Mary of Scotland, par
ting Life), dans lequel Richard Harris in- Giliap (1975) est un échec commercial,
John Ford (Marie Stuart, 1936) ; la Vie pri-
carne un mineur amoureux d’une femme et l’auteur (scénariste, chef opérateur,
vée d’Élisabeth d’Angleterre, par Michael
(Rachel Roberts) et qui connaît une gloire monteur en même temps que réalisateur)
Curtiz (1939) ; The Eve of St. Mark, par
éphémère en devenant champion de – après avoir été contraint par la censure
John M. Stahl (1944) ; Key Largo, par
rugby. Après The White Bus (MM, 1967) de laisser inachevé son film Quelque
John Huston (1948) ; Mauvaise Graine,
et Raz Dwa Trzy (The Singing Lesson, chose est arrivé (Någonting her hänt) qui
par Mervyn LeRoy (1956) et Anne of
id.), son film If... (1968), violente critique traitait du mystère de l’apparition du virus
the Thousand Days, par Charles Jarrott
des « high schools » , remporte la palme HIV, renonce au cinéma jusqu’en 1991,
(1969).
d’or au festival de Cannes en 1969 et année où il tourne Härling är jorden. Neuf
fait scandale en Angleterre ; l’Establish- ANDERSON (Michael), cinéaste britan- ans plus tard, il est primé au Festival de
ment, que Lindsay Anderson a déjà pas- nique (Londres 1920). Cannes avec son quatrième long mé-
sablement égratigné dans ses articles, Engagé aux studios d’Elstree en 1935 trage, un film d’auteur original Chansons
supporte mal de se voir bafoué par une comme simple employé, il est succes- du deuxième étage (Sångar från andra
révolte estudiantine. Il devra attendre sivement acteur, assistant (notamment våningen, 2000).
cinq ans avant de tourner le Meilleur des d’Anthony Asquith et de Peter Ustinov),
mondes possibles (O Lucky Man, 1973), directeur de production (Ceux qui servent ANDERSSON (Birgitta, dite Bibi), actrice
chronique voltairienne de l’ascension et en mer, de Noël Coward et David Lean, suédoise (Stockholm 1935).
de la chute d’un ambitieux dans le monde 1942), puis coréalisateur avec Ustinov Elle n’était encore qu’une adolescente
des affaires. Suivent, en 1975, In Cele- de Private Angelo (1949). Il s’impose lorsqu’elle apparut pour la première fois à
bration (avec Alan Bates), parlant à nou- ensuite, aussi bien en Grande-Bretagne l’écran dans un film publicitaire tourné par
veau des mineurs, en 1982, Britannia qu’aux États-Unis, comme un cinéaste au Ingmar Bergman pendant une grève de
Hospital, satire au vitriol de l’establish- style soigné et impersonnel. Son impo- studios en 1951. Son intention était alors
ment et, en 1987, les Baleines du mois sante filmographie révèle qu’il a abordé de se consacrer en priorité au théâtre.
d’août (The Whales of August), adap- les genres les plus divers : les Briseurs Effectivement, elle fera une grande car-
tation d’une pièce de théâtre de David de barrages (The Dam Busters, 1954), le rière sur les planches, notamment sous la
Berry dont l’intérêt principal réside dans Tour du monde en 80 jours (Around the direction d’Ingmar Bergman. Elle jouera
un casting surprenant (Bette Davis, Lilian World in 80 Days, 1956), 1984 (d’après Schehadé, Strindberg, Hjalmar Bergman,
Gish, Vincent Price, Ann Sothern). Ses G. Orwell, 1957), la Lame nue (The Tchekhov, Shakespeare, Genet, Anouilh,
films illustrent bien les engagements poli- Naked Edge, 1961), le Secret du rap- Albee, Arthur Miller, Tennessee Williams,
tiques et esthétiques de Lindsay Ander- port Quiller (The Quiller Memorandum, Molière, Marcel Aymé, avec un succès
son. L’action de ce polémiste, l’un des 1966), les Souliers de saint Pierre (The constant. Sa blondeur et sa délicatesse
hommes les plus prestigieux du monde Shoes of the Fisherman, 1968), Jeanne, ingénue l’imposent pareillement à l’écran.
du spectacle britannique des années 60- papesse du Diable (Pope Joan, 1972), Bergman lui demande d’interpréter la

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

compagne fidèle du baladin dans le Sep- / Un’ estate in quattro / L’isola (F. Van- (id.), Karin la schizophrène d’À travers le
tième Sceau (1957), puis un double rôle cini, id.) ; la Lettre du Kremlin (J. Huston, miroir (1961). Les années 60 lui donnent
dans les Fraises sauvages (id.) : l’amour 1970) ; le Lien (I. Bergman, 1971) ; ’Un quelques occasions de se mettre en va-
de jeunesse du professeur Isak Borg homme de l’autre monde‘ (elovek s dru- leur, principalement dans les Amoureux
(Victor Sjöström) et l’autostoppeuse qui goj storony, Youri Egorov, id.) ; Scènes (1964) de Mai Zetterling et dans les films
prend le vieil homme en pitié pendant son de la vie conjugale (I. Bergman, 1973) ; de son époux d’alors, Jorn Donner (Un
voyage à Lund. On la retrouve dans Au la Rivale (Sergio Gobbi, 1974) ; After dimanche de septembre, 1963 ; Aimer,
seuil de la vie (1958), le Visage (id.), l’OEil the Fall (B. Cates, id.) ; Il pleut sur San- 1964 ; Ici commence l’aventure, 1965 ;
du Diable (1960) et surtout dans Persona tiago (H. Soto, 1975) ; Blondy (S. Gobbi, Anna, 1969). Elle accepte certaines pro-
(1966), où, face à Liv Ullmann, elle est 1976) ; ’Jamais je ne t’ai promis un jar- positions à l’étranger, tourne avec Sidney
une étonnante Anna, l’infirmière qui a la din de roses‘ (I Never Promised You a Lumet, revient au théâtre et se voit offrir à
garde de l’actrice malade. En tournant Rose Garden, Anthony Page, 1977) ; An nouveau par Bergman un rôle marquant :
avec Vilgot Sjöman (la Maîtresse, 1962), Enemy of the People (George Schaefer, celui d’Agnès, l’agonisante de Cris et
en tentant de faire une carrière internatio- 1978) ; l’Amour en question (A. Cayatte, Chuchotements (1972). Harriet An-
nale (la Bataille de la vallée du Diable de id.) ; Quintet (R. Altman, 1979) ; Airport dersson est passée du registre des ado-
Ralph Nelson en 1966, la Lettre du Krem- 80-Concorde Airport 79-the Concorde, lescentes délurées à celui des femmes
lin de John Huston en 1970, Jamais je ne D. Lowell Rich, id.) ; Twee Wrouwen inquiètes, écartelées entre leur désir et
t’ai promis un jardin de roses d’Anthony (George Sluizer, id., PB) ; ‘ Interdit aux leur devoir social. Elle a représenté pour
Page en 1977), on sent qu’elle cherche à enfants ’ (Barnförbjudet, Marie-Louise de les spectateurs une certaine modernité à
échapper à l’univers bergmanien. Peine Geer Bergenstråhle, id.) ; la Révolution la suédoise sans pour autant rester pri-
perdue. On se souvient plus d’elle dans des confitures (E. Josephson, 1980) ; ‘ Je sonnière de son image de marque (Fanny
Une passion (1969), le Lien (1971) ou rougis ’ (V. Sjöman, 1981) ; ’Une colline et Alexandre, Bergman, 1982).
Scènes de la vie conjugale (1973) que sur la face sombre de la Lune‘ (Berget
Films : ‘ Quand la ville dort ’ (Medan
dans le Viol ou Blondy. Le cinéma n’a på månens baksida, Lennart Hjulström,
staden sover, Lars-Erik Kjellgren, 1950) ;
jamais effacé en elle la passion théâtrale 1983) ; les Corbeaux (Svarte fugler, Lasse ‘ Deux escaliers sur la cour ’ (Två trappor
(elle fut en 1975 une remarquable Viola Glomm, NOR, id.) ; Exposed (id., James
över gården, G. Werner, id.) ; ‘ le Char-
dans la Nuit des rois de Shakespeare au Taback, id.) ; ‘ le Dernier Été ’ (Sista
lot de Mme Andersson ’ (Anderssonskans
leken, Jon Lindström, 1984) ; ‘ Demain ’
Théâtre royal de Stockholm, dans une Kalle, Rolf Husberg, id.) ;’les Cavaliers
(Husmenna, Julia Rosma, FIN, 1986) ; le
mise en scène de... Bergman). de la route‘ (Motorkavaljerer, Elof Ahrle,
Festin de Babette (G. Axel, 1987) ; Los
Films : Dum-Bom (N. Poppe, 1953) ; 1951) ; ’le Boeuf et la Banane‘ (Biffen och
duenos del silencio (Carlos Lemos, ARG,
’Une nuit au château de Glimminge‘ (En bananen, R. Husberg, id.) ;’Mon nom est
id.) ; Fordringsägare (Stefan Bohm, Keve
natt på Glimmingehus, T. Wickman, Puck‘ (Puck heter jag, Schamyl Bauman,
Hjelm, John O. Olsson, 1988) ; Il sogno
1954) ; le Trésor d’Arne (G. Molander, id.) ;’la Maison de la folie‘ (Dårskapens
della farfalla (M. Bellocchio, 1994) ; ‘ le
id.) ; ’Une fille sous la pluie‘ (A. Kjel- hus, H. Ekman, id.) ;’Divorce‘ (G. Molan-
Songe ’ (Drømspel, Unni Straume, id.) ;
lin, 1955) ; Sourires d’une nuit d’été der, id.) ;’le Sous-Marin 39‘ (Ubåt 39, H.
‘ I rollerna tre ’ (Christina Olofson, 1996) ;
(I. Bergman, id.) ; ‘ Entrée privée ’ (Egen Faustman, 1952) ; ’l’Esprit de contra-
‘ Shit Happens ’ (Det blit aldrig som tänkt
ingång, H. Ekman, 1956) ; le Dernier diction‘ (Molander, id.) ; Sabotage (Eric
sig, Måns Herngren, Hannes Holm,
Couple qui court (A. Sjöberg, id.) ; le Jonsson, id.) ; Monika (I. Bergman,
2000). .
Septième Sceau (I. Bergman, 1957) ; 1953) ; la Nuit des forains (id., id.) ; Une
‘ On demande villa pour l’été ’ (Sommar- leçon d’amour (id., 1954) ; ’Hop ! là ! ‘
ANDERSSON (Harriet), actrice suédoise
nöje sökes, H. Ekman, id.) ; les Fraises (Hoppsan !, Stig Olin, 1955) ; Rêves de
(Stockholm 1932).
sauvages (I. Bergman, id.) ; ‘ Tu es mon femmes (I. Bergman, id.) ; Sourires d’une
Elle avait fait du cabaret à Stockholm et
aventure ’ (Du är mitt äventyr, Stig Olin, nuit d’été (id., id.) ; ’les Enfants de la nuit‘
joué quelques rôles modestes à l’écran
1958) ; Au seuil de la vie (I. Bergman, (Nattbarn, Gunnar Hellström, 1956) ; ’le
— notamment dans l’Esprit de contra-
id.) ; le Visage (I. Bergman, id.) ; ‘ le Jeu Dernier Couple qui court ’ (A. Sjöberg,
diction de Gustav Molander en 1952
de l’amour ’ (Den kära leken, Kenne Fant, — quand Ingmar Bergman lui proposa id.) ; ‘ la Petite Fée de Solbakken ’ (Syn-
1959) ; ‘ Jour de noces ’ (Bröllopsdagen, d’incarner l’héroïne de Monika (1953). növe Solbakken, G. Hellström, 1957) ;
K. Fant, 1960) ; l’OEil du Diable (I. Berg- Elle y campe une jeune prolétaire à l’éro- ‘ le Commandant de la flotte ’ (Flottans
man, id.) ; ‘ Carnaval ’ (Karneval, Lenart tisme agressif qui va conduire au déses- överman, S. Olin, 1958) ; ‘ la Femme à la
Olsson, 1961) ; ‘ la Nuit des otages ’ poir un amoureux trop naïf. La femme peau de léopard ’ (Kvinna i leopard, Jan
(Nasilje na trgu, Leonardo Bercovici ; fatale auréolée de glamour se métamor- Molander, id.) ; ‘ Crime au paradis ’ (Brott i
YU, id.) ; ‘ le Jardin des plaisirs ’ (A. Kjel- phose ici en garce des faubourgs pour paradiset, L. E. Kjellgren, 1959) ; ‘ Nuit de
lin, id.) ; ‘ Pan ’ / ‘ L’été est court ’/l’Amour un résultat identique. Harriet Andersson noces ’ (Hääyö / En bröllopsnatt, E. Blom-
sous le soleil de minuit (B. Henning Jen- fait sensation dans cette interprétation berg, id.) ; ‘ Barbara et les hommes ’ (Bar-
sen, 1962) ; ‘ la Maîtresse ’ (V. Sjöman, fortement naturaliste. Elle devient ainsi bara, F. Wisbar, 1961) ; Á travers le miroir
id.) ; Toutes ses femmes (I. Bergman, l’une des toutes premières actrices berg- (I. Bergman, id.) ; Siska (A. Kjellin, 1962) ;
1964) ; ‘ Nuit de juin ’ (Juninatt, Lars Eric maniennes. Quelques prestations à la ‘ Rêve de bonheur ’ (Lyckodrömmen,
Liedholm, 1965) ; l’Île (A. Sjöberg, 1966) ; scène (le Canard sauvage d’Ibsen sous Hans Abramson, 1963) ; Un dimanche de
Ma soeur, mon amour (Sjöman, id.) ; Per- la direction du même Bergman en 1954, septembre (J. Donner, id.) ; Toutes ses
sona (I. Bergman, id.) ; la Bataille de la le Journal d’Anne Frank de Goodrich et femmes (I. Bergman, 1964) ; les Amou-
vallée du Diable (R. Nelson, id.) ; Scusi, Hackett sous celle d’un autre réalisateur reux (M. Zetterling, id.) ; Aimer (J. Don-
lei e favorevole, o contrario ? (A. Sordi, de cinéma, Molander, en 1955), mais ner, id.) ; ’le Pont de lianes‘ (S. Nykvist,
id.) ; le Viol (J. Doniol-Valcroze, 1967) ; surtout une suite de rôles dans des films 1965) ; Ici commence l’aventure (J. Don-
les Filles (M. Zetterling, 1968) ; ‘ les Pal- bergmaniens. Elle est successivement ner, id.) ; ’Que ne ferait-on pas pour ses
miers noirs ’ (L. M. Lindgren, id.) ; ‘ His- l’écuyère de la Nuit des forains (1953), amis ? ‘ (För vänskaps skull, H. Abram-
toire d’une femme ’ (Storia di una donna, la jeune fille frigide tentée par Lesbos son, id.) ; le Serpent (Ormen, id., 1966) ;
L. Bercovici ; IT, 1969) ; ’Pense à un d’Une leçon d’amour (1954), le modèle Stimulantia (épisode Elle et lui, J. Don-
nombre‘ (P. Kjaerulff-Schmidt, id.) ; Une de Rêves de femmes (1955), Petra la ner ; PR, 1965-1967) ; M 15 demande
passion (I. Bergman, id.) ; Violenza al sole soubrette de Sourires d’une nuit d’été protection (S. Lumet, id.) ; Chassé-Croisé

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

(J. Donner, id.) ; Sophie de 6 à 9 (H. Carl- Lady, P. Rosen, 1930), avant d’abandon- sketch entièrement construit sur la faculté
sen, id.) ; les Filles (M. Zetterling, 1968) ; ner définitivement le cinéma. de suggestion des mots et des images.
’J’aime, tu aimes‘ (Jag älskar, du älskar, Dans O Homem do Pau-Brasil (1981),
Stig Björkman, id.) ; ’l’Amour sans uni- ANDRADE (Joaquim Pedro de), cinéaste Joaquim Pedro de Andrade revient aux
forme‘ (Oberman, Hans Embach, id.) ; brésilien (Rio de Janeiro 1932 - id. 1988). modernistes avec Oswald de Andrade
Pour la conquête de Rome (R. Siodmak, Après des études de physique, il suit (1890-1954) [précisons qu’aucun des
id.) ; Anna (J. Donner, 1970) ; ’Dans le des stages de cinéma en France, en Andrade cités n’appartient à la même
ruban de la mer‘ (I havsbandet, Bengt La- Grande-Bretagne, aux États-Unis (au- famille]. Il s’agit d’une biographie très par-
gerkvist, 1971) ; Cris et Chuchotements près des frères David et Albert Maysles). ticulière du père spirituel du tropicalisme,
(I. Bergman, 1972) ; le Jour où le clown Il s’intéresse d’abord au documentaire et l’auteur du Manifeste anthropophagique
pleura (J. Lewis, id., inachevé) ; ’le Nou- consacre ses premiers courts métrages étant interprété simultanément par deux
veau-né‘ (Bebek, Barbro et Gunes Kara- au sociologue Gilberto Freyre (O Mestre acteurs, dont une femme... Andrade est,
buda, 1973) ; ’Monnismanie 1995‘ (Mon- de Apipucos, 1959) et au poète Manuel au Brésil, un cas extrême d’exigence et
nismanien 1995, Kenne Fant, 1975) ; Bandeira (O Poeta do Castelo, id.). Il d’originalité.
’Deux Femmes‘ (Två kvinnor ; épisode aborde la fiction, marqué par le constat
le Mur blanc, S. Björkman, id.) ; Hempas social, comme l’ensemble du Cinema ANDRÉ (Marcel), acteur français (Paris
bar (Lars G. Thelesman, 1977) ; Linus Novo naissant : Couro de Gato (1960) 1885 - id.1974).
(V. Sjöman, 1979) ; La Sabina (José Luis est le portrait des gosses d’un bidonville Il sait nuancer ses rôles à l’écran tout
Borau, id.) ; Fanny et Alexandre (I. Berg- de Rio, qui chassent les chats pour faire en les maintenant dans une sobriété
man, 1982) ; ’Un Casanova suédois‘ des tambourins avec leur peau. Mais le convaincante. Berlin et Hollywood l’at-
(Raskenstam, Gunnar Hellström, 1983) ; contraste est saisissant entre ce petit film tirent : le Procès de Mary Dugan (M. de
’Nuits d’été‘ (Sommarkväller på jorden, d’une poésie sobre et les autres sketches Sano, 1929), Tumultes (R. Siodmak,
G. Lindblom, 1987) ; ‘ l’Arme étincelante ’ de Cinco Vezes Favela (1962), schéma- 1932). Son rôle ambigu dans Baccara (Y.
(Blankt Vapen, Carl-Gustav Nykvist, tiques et caricaturaux, auxquels il fut ulté- Mirande, 1936) donne la mesure de son
1990 ; ‘ Au-delà du ciel ’ (Høyere enn him- rieurement intégré. Garrincha, Alegria do talent. Cocteau l’emploie sur scène et au
melen, Berit Nesheim, 1994) ; il sogno Povo (1963), sur un footballeur, participe studio : la Belle et la Bête (1946), les Pa-
della farfalla (M. Bellocchio, id.) ; ’Happy de cette découverte d’une nouvelle géo- rents terribles (1949). Il a l’art d’imprimer
end ’ (Christina Olofson, 1999) ; Gossip graphie humaine chère au Cinema Novo : son cachet à de brèves apparitions : la
(Colin Nutley, 2000). le stade révèle les émotions et violences Vérité sur Bébé Donge (H. Decoin, 1952),

réfrénées, tandis que les politiciens capi- Thérèse Raquin (M. Carné, 1953).
ANDONOV (Métodi), cinéaste bulgare talisent la victoire brésilienne à la Coupe
(Kališe 1932 - Sofia 1974). ANDREANI (Gustave Sarrus, dit Henri),
du monde. O Padre e a Moça (1966) sou-
Après des études à l’Académie d’Art cinéaste français (La Garde-Freinet
ligne l’originalité de l’auteur et les liens
Dramatique de Sofia, il tourne son pre- 1872 - Paris 1936).
privilégiés qu’il entretient désormais avec
mier film la Chambre blanche (Bjalata Secrétaire de Charles Pathé, il est ensuite
la littérature brésilienne, ici de Carlos
staja) en 1968 qui rompt avec les sujets acteur dans les scènes à trucages de
Drummond de Andrade. La passion d’un
conventionnels approuvés par le régime Gaston Velle, dont il devient assistant ; il
jeune curé et d’une fille dans un village
politique puis Il n’y a rien de plus beau collabore ensuite avec Zecca (Messaline,
est traitée avec pudeur et lyrisme.
que le mauvais temps (Njama ništo po- 1910). Devenu producteur, il réalise des
Premier film du Cinema Novo à rem-
hubavo ot lošoto vreme, 1971). Mais c’est films d’inspiration biblique (Moïse sauvé
porter un succès public appréciable
la Corne de chèvre (Kozijat rog, 1972) des eaux, 1911 ; Absalon, 1912 ; la Fille
(c’est, il est vrai, une de ses rares comé-
qui lui assure une solide réputation parta- de Jephté et la Reine de Saba, 1913).
dies), Macunaíma (1969) n’hésite pas à
gée avec celle de l’écrivain et scénariste Son Siège de Calais (1911) est apprécié
intégrer le comique des chanchadas si
Nikolai Haitov. Il meurt prématurément en pour le décor et les mouvements de figu-
méprisées des spectateurs cultivés. Ve-
1974 après avoir réalisé le Grand ennui ration. Plus tard viennent adaptations de
dette du genre, l’acteur noir Grande Otelo
(Goljamata skuka, 1973) privant son pays romans (l’Autre Aile [1924], inspirée de
y est un des interprètes du rôle-titre du
d’un cinéaste original et peu conformiste. Canudo) et drames d’espionnage. Il parti-
roman parodique du moderniste Mario cipe au tournage de Napoléon (A. Gance,
ANDRA (Fern Edna Andrews, dite Fern), de Andrade (1893-1945). Aventures 1927).
actrice américaine (Watseka, Ill., 1893 - du héros sans caractère d’un Brésil qui
Aiken, S.C., 1974). veut se civiliser, caustique et mythique, ANDREEV (Boris) [Boris Fëdorovi
Après avoir interprété quelques rôles Macunaíma rompt avec le réalisme en Andreev], acteur soviétique (Saratov
dans son pays natal, elle part à Vienne faveur du tropicalisme, vague de fond qui 1915 - Moscou 1982).
suivre les cours de Max Reinhardt. Elle ébranla la culture brésilienne de la fin des Grand, massif, il est utilisé tout d’abord
est active de 1917 à 1927 dans le cinéma années 60, aussi bien au cinéma qu’en comme l’archétype du héros soviétique
allemand, à la fois comme actrice, pro- musique ou au théâtre. Os Inconfidentes populaire : à la fois simple, optimiste,
ductrice et même, parfois, réalisatrice. (1972) s’inspire d’une conspiration contre foncièrement patriote et inébranlable
Elle est notamment remarquable dans le pouvoir colonial au Minas Gerais au dans ses convictions. Il joue le rôle d’un
Genuine (1920) et Die Nacht der Königin XVIIIe siècle. Ce n’est pas l’imagerie conducteur d’engins dans la comédie
Isabeau (id.), deux films de Robert Wiene, patriotique de l’Inconfidência Mineira qui kolkhozienne d’Ivan Pyriev les Trac-
et dans le Cauchemar de Za-la-vie (Der intéresse l’auteur, mais la réflexion sur toristes (1939), d’un mineur dans Une
Traum der Za-la-vie, E. Ghione, 1924), les rapports des intellectuels et du pou- grande vie (id.) de Leonid Loukov, du co-
suite expressionniste des aventures voir, une recherche aussi de la vérité saque Dovbnia dans Bogdan Khmelnitski
feuilletonesques de la série Za-la-mort). (coproducteur, la RAI le diffusa sous (1941) d’Igor Savtchenko. On le retrouve
Parmi ses autres films, citons encore le titre La congiura). Guerra Conjugal matelot dans Moi, marin de la mer Noire
Die Liebe ist der Frauen Macht (Georg (1974) adapte des contes ironiques de (Ja, ernomorec, 1944) d’Aleksandr
Bluen, 1924) et Funkzauber (R. Oswald, Dalton Trevisan. Nettement plus réussi Matcheret, ordonnance dans Rencontre
1927). De retour aux États-Unis à la fin est l’épisode réalisé pour Contos Eróti- sur l’Elbe (1949) de Grigori Aleksandrov.
des années 20, elle ne fera plus que de cos (tourné en 1977) : le héros de Vereda Dans la Chute de Berlin (M. Tchiaoureli,
brèves apparitions à l’écran (The Lotus Tropical fait l’amour avec des pastèques, 1950), le soldat qui hisse le drapeau

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

rouge sur le Reichstag, c’est lui. Après puscule des aigles, de John Guillermin Night of the Demon / Curse of the Demon
Une grande famille (I. Kheifits, 1954), il (1966) avec James Mason et George (J. Tourneur, 1957) ; The Fearmakers
est choisi par Dovjenko pour le Poème Peppard. Depuis, sa carrière n’a cessé (id., 1958) ; l’Île enchantée (A. Dwan, id.) ;
de la mer, que réalisera en 1958 la veuve de péricliter. Elle ne tourne plus que des Première Victoire (Preminger, 1965) ; le
du cinéaste disparu. Youlia Solntseva lui films de second plan : Soleil rouge (T. Dernier Nabab (E. Kazan, 1976).
demandera deux fois encore (les Années Young, 1971), le Choc des Titans (D.
de feu, 1961 ; la Desna enchantée, 1964) Davis, 1980). ANDREWS (Harry), acteur britannique
d’être l’interprète des ultimes scénarios (Tonbridge 1911 - Salehurst, Sussex 1989).
de Dovjenko. Ses rôles deviennent plus ANDREWS (Dana), acteur américain (Col- Après une belle carrière théâtrale, il vient
nuancés, plus riches. Il tourne notam- lins, Miss., 1909 - Los Alamitos, Ca., 1992). tardivement au cinéma dans les Bérets
ment dans ‘ Cruauté ’ (Žestokost‘, 1959) Sans avoir été véritablement une star, il rouges (T. Young, 1953). Il se confirme
de Vladimir Skouibine, Thomas Gordeiev a l’une des filmographies les plus impres- comme l’un des meilleurs seconds rôles
(id.) de Mark Donskoï, ’la Route du port‘ sionnantes de tous les comédiens de sa anglais dans des films comme Moby
(1962) de Gueorgui Danelia, la Tragédie génération. Entre 1940 et 1958, il a tourné Dick (J. Huston, 1956), Sainte Jeanne
optimiste (1963) de Samson Samso- dans quelques-uns des films les plus (O. Preminger, 1957), Barabbas (R.
nov, ’les Enfants de Vaniouchine‘ (1973) importants d’Otto Preminger, Jacques Fleischer, 1962), Cléopâtre (J. L. Man-
d’Evgueni Tachkov, ’les Aventures d’un Tourneur, Fritz Lang, Allan Dwan, William kiewicz, 1963), Tout ou Rien (C. Donner,
retraité‘ (1980) de Salomon Chouster. Wellman, Lewis Milestone, William Wyler 1964), la Colline des hommes perdus (S.
et John Ford. Jean Renoir et Elia Kazan Lumet, 1965), Modesty Blaise (J. Losey,
ANDREJEW ou ANDREIEV (André), déco- ont fait également appel à lui. Sa pré- 1966), la Charge de la brigade légère (T.
rateur français d’origine russe (Saint-Pé- sence, sa gravité, l’intensité et la sobriété Richardson, 1968), le Piège (J. Huston,
tersbourg 1887 - Loudun 1966). de son jeu, plus qu’un physique excep- 1973) ou Mort sur le Nil (J. Guillermin,
Décorateur de théâtre pour Stanislavski à tionnel, avaient de quoi retenir l’attention 1978).
Moscou et Max Reinhardt à Berlin, il vient de ces cinéastes.
au cinéma avec Raskolnikov (R. Wiene, ANDREWS (Julia Elizabeth Wells, dite
Preminger le mit au centre de quatre de
1923). Toujours en Allemagne, il crée Julie), actrice américaine (Walton-on-
ses meilleurs films : Laura et Mark Dixon
les décors de Thérèse Raquin (J. Fey- Thames, Grande-Bretagne, 1935).
détective, avec Gene Tierney ; Crime pas-
der, 1928), Loulou (G. W. Pabst, 1929) Née dans le monde du spectacle, elle
sionnel et Femme ou Maîtresse. Dans les
et l’Opéra de Quat’sous (id., 1931) avant débute sur scène à douze ans, et, en
deux premiers, il est policier, mais c’est
de suivre Pabst en France, où ils font 1954, conquiert Broadway avec une pro-
un emploi auquel il donne toujours beau-
ensemble Don Quichotte (1933). La puis- duction britannique importée, The Boy
coup d’ambiguïté. Jacques Tourneur,
sance de ses décors, partagés entre réa- Friend. Chanteuse mieux qu’agréable,
dont il était l’ami personnel, l’utilise dans
lisme et expressionnisme, a fait de lui un actrice d’une remarquable justesse, elle
un western (le Passage du canyon), dans
des grands décorateurs internationaux. doit laisser à Audrey Hepburn le rôle prin-
un film fantastique (Night of the Demon,
Parmi ses autres films, il convient de cipal de My Fair Lady (G. Cukor, 1964),
une de ses rares incursions dans le
citer : Nuits moscovites (A. Granowsky, qui avait été pour elle un triomphe à la
genre) et dans un film d’espionnage (The
1934) ; Mayerling (A. Litvak, 1936) ; le scène. Elle débute à l’écran dans Mary
Fearmakers). Fritz Lang en fait un jour-
Golem (J. Duvivier, id.) ; la Citadelle du Poppins (R. Stevenson, 1964), dans un
naliste dans la Cinquième Victime et un
silence (M. L’Herbier, 1937) ; Tarakanowa rôle plaisant et par moments émouvant
romancier dans l’Invraisemblable Vérité,
(F. Ozep, 1938) ; L’assassin habite au 21 qui lui apporte d’emblée une célébrité
ses deux derniers films américains. Dwan
(H.-G. Clouzot, 1942) ; le Corbeau (id., mondiale. La même année, elle interprète
lui donna le rôle du marin de son avant-
1943) ; Anna Karénine (J. Duvivier, GB, une comédie satirique d’Arthur Hiller : les
dernier film, Enchanted Island, d’après
1948) ; Alexandre le Grand (R. Rossen, Jeux de l’amour et de la guerre. Elle se
Melville. Sa filmographie est aussi riche
1956, US). partage quelques années encore entre
en westerns (l’Étrange Incident, de Well-
les comédies musicales à succès plus ou
man) et, surtout, en films de guerre (le
ANDRESS (Ursula), actrice allemande moins justifié : la Mélodie du bonheur (R.
Commando de la mort, de Milestone).
(Berne, Suisse, 1936). Wise, 1965), Millie (G. Roy Hill, 1967),
Après 1958, sa carrière décline lente- Star ! (Wise, 1968) et des rôles plus dra-
Elle fait ses débuts dès 1953 dans les stu-
ment. On ne le voit plus que dans des
dios romains, mais, malgré quelques figu- matiques (Hawaii de G. Roy Hill, 1966)
rations, elle attire plus l’attention par son rôles secondaires et à la télévision. On dont elle s’acquitte parfois fort bien (le
mariage avec le comédien et réalisateur eut cependant la surprise de le retrouver Rideau déchiré, d’A. Hitchcock, id). Sa
John Derek (en 1957) que par ses pre- égal à lui-même dans le Dernier Nabab vraie nature lui sera et nous sera révélée
de Kazan, dont il avait déjà interprété par son second mari, Blake Edwards, qui
mières interprétations. La révélation —
éclatante — lui vient près de dix années Boomerang, près de trente ans aupara- en 1970 fait d’elle la vedette de Darling
vant. Lili : fausse candeur et féminité sou-
après ses débuts avec le premier des
James Bond, James Bond 007 contre Dr Films : le Cavalier du désert (W. dain agressive sous les apparences du
No (1962), sous la direction de Terence Wyler, 1940) ; la Route du tabac (J. Ford, charme bourgeois n’altèrent en rien les
Young et aux côtés de Sean Connery. 1941) ; l’Étang tragique (J. Renoir, id.) ; qualités de la chanteuse et de la comé-
Son maillot de bain extrêmement réduit et Boule de feu (H. Hawks, 1942) ; l’Étrange dienne. Mais elle n’est guère reparue
son fusil-harpon lui valent alors quelques Incident (W. Wellman, 1943) ; Laura (O. ensuite que dans trois films d’Edwards,
rôles plus ou moins déshabillés. Adroi- Preminger, 1944) ; Crime passionnel (id., le parodique Top Secret (1974), Elle
tement utilisée par Robert Aldrich avec 1945) ; State Fair (W. Lang, id.) ; le Com- (1979), S.O.B. (1981) et dans Little Miss
Anita Ekberg, Frank Sinatra et Dean Mar- mando de la mort (L. Milestone, 1946) ; Marker (1980) de Walter Bernstein, avant
tin dans Quatre du Texas (1963), on se le Passage du canyon (J. Tourneur, d’étonner son public dans un double rôle
souvient surtout d’elle en déesse du feu id.) ; les Plus Belles Années de notre vie charmant et ambigu : celui de Victor,
dans She (1965) de Robert Day, de ses (W. Wyler, id.) ; Boomerang (E. Kazan, Victoria dans le film homonyme de Blake
scènes d’amour avec Belmondo dans 1947) ; Femme ou Maîtresse (Preminger, Edwards (1982). Il lui donne un rôle en
les Tribulations d’un Chinois en Chine de id.) ; Mark Dixon détective (id., 1950) ; retrait dans l’Homme à femmes (1983) :
Philippe de Broca (1965), et de la per- la Cinquième Victime (F. Lang, 1956) ; elle est la psychiatre qui écoute la confes-
sonnalité qu’elle affirmait dans le Cré- l’Invraisemblable Vérité (F. Lang, id.) ; sion de Burt Reynolds. Mais, dans l’auto-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

biographique That’s Life (1986), elle se essais, la Pierre qui flotte (CM, 1971) et le Attention les yeux (G. Pirès, 1976), Un
trouve investie du rôle pivot : une femme Rouge, le rouge et le rouge (CM, 1972). éléphant ça trompe énormément (Y.
mûre, peut-être atteinte d’un cancer, qui Il aborde le long métrage en 1975 avec le Robert, id.), Je vais craquer (F. Leter-
cache son angoisse pour faire face aux Fils d’Amr est mort. Après le Grand Pay- rier, 1980), Viens chez moi, j’habite chez
névroses infantiles d’un mari qui refuse sage d’Alexis Droeven (1981), il signe une copine (P. Leconte, 1981), Le Père
de vieillir. Épanouie, émouvante, d’une Mémoires (DOC, MM, 1985) et Australia Noël est une ordure (J.-M. Poiré, 1982),
dignité blessée qui ne lui fait jamais igno- (1989). le Mariage du siècle (Philippe Galland,
rer l’humour, Julie Andrews donne là, 1985), le Grand Chemin (Jean-Loup Hu-
peut-être, son interprétation la plus belle. ANDRIOT (Camille, dite Josette), actrice bert, 1987), les Baisers de secours (Ph.
Si elle se tire remarquablement bien d’un française (1886-1942). Garrel, 1989), Maman (R. Goupil, 1990),
mélodrame dangereux qui reprend le Elle est la seule actrice d’action du cinéma Après après-demain (Gérard Frot-Cou-
thème de la maladie (Duo pour une so- français muet. Jusqu’à son retrait (1919), taz, id.), le Petit Prince a dit (Ch. Pascal,
liste, A. Mikhalkov-Kontchalovski, 1986), elle interprète une soixantaine de films 1992), Aux petits bonheurs (M. Deville,
on est en droit de regretter le manque exclusivement pour Éclair. Remarquée 1993), Pas très catholique (Tonie Mars-
d’inspiration de Tchin-Tchin (G. Saks, pour ses qualités sportives (équitation, hall, 1994), Enfants de salaud (id., 1996),
1990), morne adaptation de François Bil- natation, cyclisme, acrobatie) par Victorin les Bidochon (Serge Korber, 1996), la
letdoux qui ne vaut que par le charme de Jasset, elle avait débuté dans ses séries Cible (Pierre Courrege, 1996), l’Homme
l’actrice et sa complicité avec Marcello de films d’aventures : les Nick Carter de ma vie (Stephane Kurc, 1999).
Mastroianni. (1908-1909), les Zigomar (1911-1913).
Sous la direction de ce cinéaste et ANGELETTI (Pio), producteur italien
ANDREX (André Jaubert, dit), acteur fran- de ses successeurs, elle devient la très (Rome 1929).
çais (Marseille 1907 - id. 1989). populaire interprète de Protéa dans une Assistant de Carlo Ponti, directeur de pro-
C’est l’un des plus fidèles compagnons série de cinq films : Protéa (1913), l’Auto duction pour Clemente Fracassi, organi-
de Fernandel, qu’il accompagne du Coq infernale (1914), la Course à la mort sateur général à la Fair Film de Cecchi
du régiment (Maurice Cammage, 1933) (1915), les Mystères du château de Mal- Gori, il fonde en 1969 avec Adriano De
à la Bourse et la Vie (J.-P. Mocky, 1965). mort (6 épisodes, 1917), Protéa intervient Micheli (Galatina, Lecce, 1934) la Dean
Sa voix fait merveille dans les opérettes, (1919). Film. Premiers succès : Une poule, un
et il sait habilement camper des voyous train... et quelques monstres (D. Risi,
à l’accent chantant. Angèle (M. Pagnol, ANDRIOT (Lucien), chef opérateur français 1969), Drame de la jalousie (E. Scola,
1934), Un carnet de bal (J. Duvivier, (Paris 1897-Los Angeles, Ca., 1979). 1970). Tous deux se spécialisent dans la
1937), l’Etrange Monsieur Victor (J. Gré- Toute sa carrière s’est déroulée aux comédie satirique avec vedettes : Gass-
millon, 1938), l’Entraîneuse (A. Valentin, États-Unis. Pendant la guerre, il se joint man, Tognazzi, Giannini, Ornella Muti.
id.), Circonstances atténuantes (J. Boyer, aux Français qui y travaillent et photo- Leurs auteurs maison, comme Dino Risi
1939). Renoir, qui l’avait employé dès graphie les films d’Albert Capellani (The (Parfum de femme, 1974) et Ettore Scola,
Toni (1935), lui donne un rôle sympa- Feast of Life, 1916) et de Léonce Perret obtiennent des réussites internationales.
thique dans la Marseillaise (1938). Il (Lafayette We Come !, 1919). Il ne revient Ils signent également des coproductions
figure aussi dans Manon (H.-G. Clouzot, pas en France et collabore à Hollywood avec le Canada : Cher Papa (Risi, 1979)
1949). avec des réalisateurs notoires : Tod ou la France : la Terrasse (Scola, 1980).
Browning, Walsh (The Loves of Carmen, En 2000, il produit encore Quello che le
ANDREYOR (Yvette Roye, dite Yvette), 1927 ; la Piste des géants, 1930), Garnett ragazze non dicono de Carlo Vanzina.
actrice française (Paris 1891 - id. 1962). (Prestige, 1932), Van Dyke, Vidor, Ma-
Ses débuts au théâtre après le Conser- moulian, Renoir (l’Homme du Sud, 1945 ; ANGELI (Anna-Maria Pierangeli, dite Pier),
vatoire se situent en Belgique, puis elle le Journal d’une femme de chambre, actrice italienne (Cagliari, Sardaigne,
entre chez Gaumont, y rencontre Louis 1946) et René Clair (Dix Petits Indiens, 1932 - Los Angeles, Ca., 1971).
Feuillade, qui, dès 1911, la fait paraître 1945). Un film didactique consacré à l’éveil des
dans d’innombrables films aux titres sentiments chez les adolescents, De-
doucement romanesques. Elle figure en ANÉMONE (Anne Bourguignon, dite), ac- main, il sera trop tard de Léonide Moguy
bonne place dans Juve contre Fantômas trice française (Paris 1950). (1949), et surtout Teresa de Fred Zinne-
(1913) et dessine surtout une ingénue Très jeune, elle joue dans un des pre- mann (1951), où elle interprète la petite
contrastant avec Musidora dans Judex miers films de Philippe Garrel, Anémone épouse de guerre d’un G. I., révèlent Pier
(1917), suivi de la Nouvelle Mission de (1968), puis se forme au théâtre dans Angeli : un fin et doux visage, une per-
Judex (1918). Elle tient ensuite des rôles la troupe de Robert Hossein. En 1975, sonnalité vulnérable et émouvante. Elle
importants dans des films de Fescourt : elle fonde un café-théâtre, La Veuve se fixe alors à Hollywood et épouse le
Mathias Sandorf (1920) et la Nuit du 13 Pichard et rejoint la troupe du Splendid comédien Vic Damone. Au cours d’une
(1921) ; de Germaine Dulac : Âme d’ar- en 1979. Sa gouaille, son répertoire de brève carrière, peu de films (sur les 31
tiste (1925), et de Robert Péguy. Mariée grande nunuche ou de naïve catastro- qu’elle tourne) savent mettre en évidence
à l’acteur Jean Toulout, elle continue sa phique lui offrent des compositions un sa sensibilité inquiète. Outre ceux de
carrière théâtrale. Un de ses derniers peu trop sur mesure. Avec Péril en la Moguy et de Zinnemann, on peut citer :
rôles muets lui fut proposé par René Clair demeure (M. Deville, 1985), elle aborde Miracle à Tunis (R. Brooks, 1951), Le
(les Deux Timides, 1929). Sans l’igno- enfin un autre registre, rassurant ceux qui diable fait le troisième (The Devil Makes
rer tout à fait, le parlant ne lui accorde voyaient en elle une nouvelle Arletty. À Three [A. Marton], 1952), Marqué par la
plus que des apparitions insignifiantes la suite de son personnage relativement haine (R. Wise, 1956) et Sodome et Go-
jusqu’en 1946. complexe de Pas très catholique (Tonie morrhe (R. Aldrich, 1962). Elle se suicide
Marshall, 1994), son image évolue avec à l’âge de 39 ans.
ANDRIEN (Jean Jacques), cinéaste belge des films tels que Marquise (Vera Bel-
(Verviers 1944). mont, 1997, second rôle), Lautrec (Roger ANGELO (Jean Barthélemy, dit Jean), ac-
Il étudie le cinéma à l’INSAS de Bruxelles Planchon, 1998) ou le Cri de la soie (Yvon teur français (Paris 1888 - id. 1933).
en compagnie d’André Delvaux, réa- Marciano, 1996). Il entre en 1903 chez Sarah Bernhardt et,
lise un premier court métrage en 1970 Autres films : la Maison (G. Brach, à ce titre, joue dans le film la Reine Eli-
(L’babou) qui sera suivi de deux autres 1970), l’Incorrigible (Ph. de Broca, 1975), zabeth (L. Mercanton, 1912), qui obtient

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

un triomphe aux États-Unis. Ses débuts sait brasser dans un même mouvement c’est là chose rare ». Cet encouragement
devant la caméra remontent à 1908 (dans de caméra diverses composantes du et la censure qu’il affronte aux États-Unis
l’Assassinat du duc deGuise). Son phy- récit. Cette ambition pourrait conduire à la (son film The Love That Whirls est détruit
sique, son jeu net le favorisent. Sa créa- confusion ou à l’intellectualisme abscons en 1949 par Kodak pour cause de nudité)
tion dans l’Atlantide est restée célèbre si elle n’était portée par une intelligence l’amènent à se fixer à Paris. Il y tourne
tant pour la version muette (J. Feyder, lucide et par une constante exigence for- la Lune des lapins (1950), qui ne sera
1921) que pour le film parlant (G. W. melle.
achevé qu’en 1972. Des deux projets
Pabst, 1932). Jean Epstein (les Aven- On retrouve cette liturgie très person-
entrepris avec les danseurs de Roland
tures de Robert Macaire, 1925), Jean nelle qui n’est pas sans évoquer cer-
Petit, le Jeune Homme et la Mort, d’après
Renoir (Nana, 1926), Henri Fescourt taines règles de tragédie grecque dans
Cocteau, et les Chants de Maldoror, il ne
(Monte-Cristo, 1929) savent l’apprécier Alexandre le Grand (Omegalexandros,
réalise que le premier en 1951. Les jar-
et, dans Surcouf (Luitz-Morat, 1925), il 1981), fable moraliste et amère sur un
dins de la Villa d’Este à Tivoli lui inspirent
montre beaucoup de brio. bandit justicier, figure quasi légendaire
un petit divertimento bleu-vert, Eaux
vénérée par le peuple, qui devient, par
ANGELOPOULOS (Theodoros, dit Theo), intransigeance et radicalisation, tyran d’artifice (1953). En 1954, rentré à Los
cinéaste grec (Athènes 1935). mégalomane, et dans le Voyage à Cy- Angeles, il entame Inauguration of the
Après des études de droit puis un bref thère (Taxidi sta Kythira, 1984) où, à Pleasure Dome (version finale : 1966),
passage à Paris, il suit en 1962 les cours travers l’histoire d’un vieux combattant rituel érotico-mythologique à la manière
de l’IDHEC. De 1964 à 1967, il est cri- communiste de la guerre civile exilé en de ceux qu’organisait au début du siècle
tique cinématographique au quotidien URSS et qui à son retour dans la mère Aleister Crowley dans son abbaye sici-
Allagi. Un long métrage entrepris en 1965 patrie s’aperçoit qu’il n’y a plus de place lienne (à laquelle Anger, passionné de
avec le groupe de musiciens pop For- ni pour lui ni pour ses idéaux, le cinéaste magie, consacre un documentaire en
mix Story ne pourra jamais être achevé. s’interroge sur les rapports du temps, de 1955). Il salue le début de l’« ère du Ver-
Quand Angelopoulos parvient en 1970 à l’histoire et de la mémoire. Il réalise en
seau », avec Scorpio Rising (1962-1964),
persuader un jeune producteur (George 1986 l’Apiculteur (O melissokomos) avec
tourné à Brooklyn dans un milieu de mo-
Papalios) de financer son premier film, Marcello Mastroianni, d’un style plus réa-
tards, entre documentaire et fiction. C’est,
il n’a encore réalisé qu’un seul court liste et plus intimiste, en 1988 Paysage
par son montage et la pop music qui le
métrage : l’Émission (I ekpombi, 1968). dans le brouillard (Topio stin omichli), ad-
scande, une sorte d’hymne à la violence.
La Reconstitution (Anaparastassi) provo- mirable voyage initiatique et poétique de
deux enfants en quête d’un lien paternel Le 26 octobre 1967, il publie dans The
quera une certaine surprise en rempor-
tant en 1970 le grand prix de Salonique. et affectif, en 1991 le Pas suspendu de la Village Voice un faire-part annonçant sa

À travers l’intrigue pseudo-policière du cigogne (To meteoro vima tou pelargou mort. On lui vole en Californie une par-

récit — un émigré, à son retour d’Alle- avec Mastroianni, à nouveau, et Jeanne tie du Lucifer Rising qu’il est en train de
magne, est assassiné dans un village Moreau) et, en 1995, le Regard d’Ulysse tourner. Il monte à Londres ce qu’il en
retiré de l’Épire par sa femme et l’amant (To vlemma tou Odyssea), splendide dé- reste, sur une musique de Mick Jagger,
de celle-ci —, on remarque un style et rive à travers les Balkans d’un cinéaste sous le titre Invocation of My Demon
une démarche idéologique dont l’origina- d’origine grecque qui tente de retrouver le Brother (1969). Tout en réunissant ses
lité tranche sur le conformisme du cinéma premier film mythique tourné à l’aube du principales oeuvres dans un « Cycle de la
grec de l’époque. Le fait divers retient siècle par les frères Manakias. Angelo- lanterne magique », il y achève aussi, en
moins l’attention du metteur en scène que poulos confronte mythes antiques et réa-
1974, la 1re partie d’un nouveau Lucifer
l’enquête qu’il déclenche, ainsi que ses lité contemporaine, une réalité saisie dans
Rising.
implications sociologiques individuelles sa complexité et sa souffrance, brode de
et collectives. subtiles variations sur l’exil tant extérieur
ANGLE.
qu’intérieur et « donne à voir » par de
Ses trois oeuvres successives : Jours Grand angle, abrév. fam. de objectif à
longs plans, à la fois amples et lents, la
de 36 (Imerestou 36, 1972), le Voyage grand angle de champ. ( OBJECTIFS.)
complexité de cet enchevêtrement de
des comédiens (O thiassos, 1975) et les
populations balkaniques qui conduit le
Chasseurs (I kynighi, 1977) apparaissent ANGST (Richard), chef opérateur suisse
personnage central, nommé A (et incarné
comme une vaste trilogie sur l’histoire de (Zurich 1905 - Berlin, RFA, 1984).
par Harvey Keitel), jusqu’à la ville martyre
la Grèce contemporaine. S’appuyant sur Il débute en 1927 comme collaborateur
de Sarajevo. En 1998 il reçoit la Palme
une forme de pensée à la fois dialectique des films d’Arnold Fanck (en compagnie
d’or à Cannes pour l’Éternité et un jour
et didactique héritée de Brecht, Angelo- de Sepp Allgeier et Hans Schneeber-
(Mia eoniotita ke mia mera).
poulos fouille la mémoire collective de ger) et a paru longtemps se cantonner
ses compatriotes afin d’en extraire une
ANGÉNIEUX OBJECTIFS dans le documentaire (de montagne et/
leçon politique et sociale. Il nie les procé-
ou exotique). Ce n’est qu’en 1954 qu’il
dés courants du récit filmique, se refuse ANGER (Kenneth), cinéaste expérimental renonce à ses activités de globe-trotter
à ce que le spectateur s’identifie à un américain (Santa Monica, Ca., 1932).
pour diriger la photo de films de fiction si-
quelconque héros ou épouse incondition- Il est sans doute, avec Andy Warhol, le
gnés Harald Braun ou Kurt Hoffmann. En
nellement une thèse préalablement éta- plus célèbre des cinéastes underground.
1958, il est engagé (à la suite du décès
blie. Il privilégie le choix d’un petit groupe Petit-fils d’une habilleuse de cinéma, il
social représentatif par rapport à la notion de F. A. Wagner) pour le Tigre du Ben-
est très tôt fasciné par Hollywood, dont
de masse et utilise avec virtuosité les gale et le Tombeau hindou, de Fritz Lang.
il célébrera les turpitudes dans son récit
richesses et les possibilités techniques Il s’acquitte de cette tâche avec une belle
Hollywood Babylone (Pauvert, 1959).
du plan séquence, parce que sa lon- Son premier film important et public est sensibilité à la couleur, qu’on retrouve
gueur permet de subtiles variations sur Fireworks (1947). Interprétée par lui- dans le Divin Marquis (Cy Enfield, 1969),
le rapport espace-temps, autorise même même, cette histoire semi-onirique est en collaboration avec Heinz Pehlke.
parfois le télescopage de deux moments sans doute la première transcription
historiques distincts, en éclairant de ma- directe, au cinéma, de fantasmes homo- ANGULAIRE.
nière imprévue ou évidente, le passage sexuels sadomasochistes. Cocteau dira Grand angulaire, syn. fam. de grand
du mythe à la réalité... En bref, le cinéaste du film qu’« il touche le vif de l’âme et que angle.

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

ANHALT (Edward), scénariste américain 1893), les disques et le fusil chronopho- Drawing puis en 1906 Humorous Phases
(New York, N. Y., 1914 – Pacific Palisades, tographique d’Étienne-Jules Marey (de of Funny Faces, où une main dessine
Ca., 2000). 1882 à 1893). En 1888, Émile Reynaud des graffiti qui aussitôt prennent vie sur
Venu au cinéma après s’être occupé de fait breveter une nouvelle invention : le l’écran. Il signe l’année suivante le mer-
la naissante TV en couleurs, il a eu une Théâtre optique. Celui-ci, utilisé publique- veilleux The Haunted Hotel, film live inté-
activité de producteur associé (notam- ment de 1892 à 1900 au musée Grévin, grant des objets animés, modèle de ce
ment avec Stanley Kramer) assez consi- permet pour la première fois de projeter qu’on appelait alors le mouvement amé-
dérable. Il a cosigné notamment le scé- sur un écran des spectacles animés en ricain. En Europe, l’Espagnol Segundo
nario de Panique dans la rue (E. Kazan, couleurs de plus de cinq minutes. Ce sont de Chomon, célébré par la suite pour
1950), qui lui vaut un Oscar, l’Homme les Pantomimes lumineuses qu’Émile sa virtuosité technique, réalise en 1902
à l’affût (E. Dmytryk, 1952), le Bal des Reynaud dessine et peint lui-même. un premier film d’animation en volume,
maudits (id., 1958), Becket (P. Glenville, Un Bon Bock (1888) ou Pauvre Pierrot Choque de trenes. Il récidive avec El
1964 : autre Oscar), l’Étrangleur de Bos- (1891) sont relayés par ses photoscé- Hotel Electrico (1905), qui préfigurerait
ton (R. Fleischer, 1968), Jeremiah John- nographies d’acteurs : les clowns Footit The Haunted Hotel de Blackton. En 1908,
son (S. Pollack, 1972). et Chocolat enregistrés en 1896. Louis il explore la technique de la plastiline
Lumière, qui, en mettant au point le Ciné- avec le Sculpteur moderne. On lui doit
ANIMATION. matographe, clôt la préhistoire du cinéma plus d’une centaine de films, tous genres
Au cours du XXe siècle, plusieurs défi- et inaugure son histoire, a repris à Rey- confondus.
nitions sont proposées. La plus aboutie naud son idée d’utiliser des bandes perfo- Presque au même moment et simul-
semble due à André Martin : « Le terme rées et souples assurant une projection à tanément aux découvertes abstraites de
d’animation définit toute composition de mouvement continu sans flou ni sautille- Wassily Kandinsky, Arnaldo Ginna, l’un
mouvement visuel procédant d’une suc- ment, mais il la perfectionne en inventant des protagonistes italiens du mouve-
cession de phases calculées, réalisées un système de griffes qui en contrôlent ment futuriste naissant, réalise plusieurs
et enregistrées image par image [...], l’entraînement mécanique. Cependant, le oeuvres animées et abstraites peintes
quel que soit le système de représenta- principe existant en germe dans les Pan- directement sur pellicule (Accordo di
tion choisi [...], quel que soit le moyen de tomimes lumineuses est celui, fondateur, colore, Canto di primavera, les Fleurs...,
reproduction employé [...], quel que soit du principe du cinéma d’animation : ces en 1908-1910 environ). Il fait écho à
enfin le procédé de restitution du mouve- images ne sont pas des représentations la conviction de Baudelaire que « les
ment. » Ce procédé, dit « de l’image par du réel, elles n’ont rien — contrairement parfums, les couleurs et les sons se
image », fondé sur le passage à l’enre- aux premiers films des frères Lumière — répondent ». À partir de 1908 aussi, le
gistrement d’un maximum de 24 images de naturaliste. Au lieu d’enregistrer un cinéma d’animation connaît une évolution
différentes par seconde de projection, est mouvement du réel, ce cinéma crée de décisive sous l’impulsion du caricaturiste
à la base même du principe cinématogra- toute pièce une représentation. français Émile Cohl. Après avoir vu, en
phique. Reposant, dans son processus Cette préhistoire permet d’identifier la 1907, The Haunted Hotel de Blackton, il
de conception, sur un aller-retour entre présence de deux origines continentales présente au Théâtre du Gymnase à Paris
fixité et cinétisme, le cinéma d’animation (Europe et États-Unis). Elle dévoile les son premier dessin animé, Fantasmago-
pourrait bien être la machine manquante, trois affluents fondateurs des esthétiques rie (août 1908). Très bien accueilli par le
entre Marey et Lumière — désignée indi- internationales du cinéma d’animation : public, il inaugure pour la première fois,
rectement par Jean-Luc Godard : la ma- 1. Les recherches techniques elles- avec le personnage du Fantoche, une
chine qui se situerait entre mouvement mêmes ; 2. Le spectacle de tradition po- série. Celle-ci, par son insurpassable
figé (préhistoire) et mouvement réglé pulaire ; 3. L’histoire des arts plastiques. qualité, fait de l’animation un art majeur.
(cinéma). Sur un plan esthétique, sa Elle démontre que, dès le départ, le Inventeur également du flip-book, Émile
souche serait celle de la fantasmagorie champ esthétique n’est nullement réduit Cohl explore en deux ans les multiples
(préhistoire) et ses réalisations renouve- à la seule source graphique. possibilités du cinéma d’animation :
lées rejoueraient toujours cette « scène D’origine controversée selon les pa- marionnettes, papier découpé, volumes
primitive ». Les débuts de son histoire ramètres retenus (principe de base ou animés, images colorisées. Son succès
coïncideraient avec la fin de la préhistoire support de la pellicule ou déclinaison l’entraîne aux États-Unis dès 1912 où il
du cinéma (Hervé-Joubert Laurencin). durable), le cinéma d’animation naît avec travaille au développement du person-
La préhistoire du cinéma réunit toutes le cinéma si l’on prend pour étalon le sup- nage de Snookums (Zozor en France).
les expressions de l’analyse du mouve- port de la pellicule. L’Anglais Arthur Mel- Ses films l’ont précédé sur le territoire
ment : la plaque animée du Néerlandais bourne Cooper (1874 -1961), en réalisant américain dès 1909. L’Américain Winsor
Christiaan Huygens (1659) et ses décli- le premier film d’animation sur pellicule, McCay, qui vient de prendre connais-
naisons ultérieures à transformation, les Matches Appeal (1899), ouvrirait donc sance des films de Blackton, découvre
fantasmagories et spectacles de projec- son histoire (Giannalberto Bendazzi). cette année-là ceux de Cohl. On mesure
tions lumineuses de Philidor puis de Ro- Cette histoire pionnière commence à la fois l’extraordinaire et rapide « pas-
bertson (fin XVIIIe), le Thaumatrope des simultanément en Europe et aux États- sage de témoins » dans ces années
docteurs anglais Fitton et Paris (1825), Unis et se déploie essentiellement dans décisives et le rôle majeur que jouent
le Phénakistiscope du Belge Joseph Pla- deux directions : graphique et plastique. les caricaturistes dans cette naissance
teau avec disques sur verre (1828-1832), Dès la première décennie du XXe siècle, du cinéma d’animation : Blackton vient
les lanternes de salon des fabricants la plupart des techniques que dévelop- du New York World, Cohl du Charivari,
Lapierre avec plaques en chromolitho- pera ultérieurement le cinéma d’anima- McCay du New York Herald . Déjà célèbre
graphies passées en boucle (de 1848 au tion existent. Les successeurs de Cooper pour sa fantastique bande dessinée Little
début du XXe), les vues stéréoscopiques sont James Stuart Blackton, Segundo de Nemo — l’une des premières à paraître
de Cook et Bonelli (1867), le Praxinos- Chomon, Émile Cohl et Winsor McCay, en couleurs —, Winsor McCay décide de
cope du Français Émile Reynaud avec mais aussi les peintres Arnaldo Ginna et l’adapter à l’écran. Premier dessin animé
ses douze miroirs où se reflètent des Leopold Survage. Le caricaturiste Stuart de celui-ci et première adaptation d’une
bandes de dessins (1876), les instanta- Blackton (1875-1941), d’origine anglaise, bande dessinée dans l’histoire du cinéma
nés et séries photographiques de l’An- naturalisé américain très jeune, réalise d’animation, Little Nemo est montré à
glais Eadweard Muybridge (de 1877 à dès 1900 l’historique The Enchanted partir d’avril 1911. Sa partie animée est

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

colorisée manuellement. Grand moment se groupe avec le studio de Charley à partir de 1920, Walter Elias Disney qui
de l’extravagance et de l’imaginaire fou, Bowers (du Chicago Tribune) pour tour- commence, contrairement à ses prédé-
le film préfigure les grandes féeries musi- ner les aventures de Mutt et Jeff, deux cesseurs caricaturistes, dans la réclame
cales américaines des années 40. Empê- héros de bandes dessinées. Bowers de- publicitaire (Kansas City Film and Com-
ché par son éditeur de réutiliser le per- viendra à partir des années 20 l’un des pany). Il fonde à Kansas City, en 1922,
sonnage de Little Nemo, Winsor McCay grands artisans du burlesque américain, avec son frère Roy, Laugh-o-Gram-Films,
n’en continue pas moins dans la voie mêlant savamment prise de vues réelles studio qui produira, avant de faire faillite
tracée (Comment opère un moustique, et tournages en volumes animés (Pour l’année suivante, un court métrage de
1912). En 1914, à New York, Winsor épater les poules, 1925). John Randolph série prototype, mêlant la prise de vues
McCay crée avec Gertie le Dinosaure les Bray, quant à lui, crée les studios d’ani- réelles et le dessin animé, Alice in Won-
prémices du spectacle interactif : l’anima- mation de la Paramount, avec le person- derland.
teur, sur scène, s’adresse à Gertie qui, nage du fermier Al Falfa de Paul Terry. Il L’entre-deux-guerres à l’échelle
sur l’écran, exécute ses ordres. Le Nau- est surtout l’employeur puis le producteur mondiale. Parallèlement au foudroyant
frage du Lusitania (1918), reconstitution de Max et Dave Fleischer. Ceux-ci, après développement américain s’affirme, à la
documentaire animée de l’incident qui fit avoir inventé en 1915 le Rotoscope (bre- même époque, une expérience euro-
entrer en guerre les États-Unis, préfigure veté en 1917), créent une première série péenne et asiatique plus artisanale,
les actuelles reconstitutions télévisuelles de films (Out of the Inkwell) à partir de conditionnée par des contextes culturels
animées de catastrophes. L’oeuvre 1919 qui inaugurent le règne d’une des et politico-économiques nationaux diver-
constitue l’apogée du travail de Winsor premières grandes stars de l’animation : gents. Seuls les États-Unis et l’URSS,
McCay – qui prend place parmi les fonda- Koko le Clown, directement sorti de son pour des raisons économiques diamétra-
teurs du cartoon. encrier pour envahir les tables d’anima- lement opposées, vont prendre en
Seconde génération. Les années de tion, dans un mélange débridé d’image compte le cinéma d’animation dans les
guerre et la destruction massive du tissu par image et de prises de vues directes. industries nationales du cinéma. Si aux
industriel européen pénalise l’Europe La même année 1919, le dessinateur États-Unis le cinéma d’animation semble
au profit des États-Unis : au sortir de la Otto Messmer met au monde, avec la être voué au genre du dessin animé, en
Première Guerre mondiale, la suprématie collaboration du producteur Pat Sulli- Europe et en Asie le cinéma d’animation
américaine dans le cinéma d’animation van, l’autre star de l’animation : Félix le se tourne vers la diversification plastique
s’esquisse puis s’affirme progressive- Chat. Son style, d’une rare élégance, est et l’expérimentation. Les années 20 et
ment. Les premiers studios organisés d’une invention prolixe et audacieuse. La 30 sont celles, en Allemagne, en France,
sont ceux de Raoul Barré (fin 1913) puis série existera jusqu’à la mort de Sullivan en Grande-Bretagne et en URSS, d’un
de John Randolph Bray (1914). Le Raoul en 1932. Koko le Clown et Félix le Chat, bouillonnement culturel auquel le cinéma
Barré Studio naît de la Biograph Com- dans des genres différents, symbolisent d’animation est sensible. Sous l’influence
pany appartenant à Edison et réunit, un à eux seuls l’orientation suivie dès ce des mouvements expressionnistes et for-
court laps de temps, quelques-uns des moment par le cinéma d’animation amé- malistes dans le théâtre et le cinéma, et
futurs pionniers du cartoon (Gregory La ricain : focalisée par la caractérisation des mouvements abstraits dans les arts
Cava, Frank Moser, Pat Sullivan). Sur- du personnage héroïsé, elle est celle du plastiques (Kandinsky, Klee, Malevitch,
tout, il invente la perforation standard des star-system. Son esthétique est définie Mondrian), le cinéma d’animation cherche
feuilles de dessin, qui évite les « sauts » par un jeu véloce de contrastes du noir sa voie. L’esthétique européenne du noir
dans la succession des images. Puis et blanc où la densité de masses oppo- et blanc dans l’animation est liée à ces
John Randolph Bray (venue de Life, Puck sées et fluides domine. Le star-system a influences, notamment expressionnistes.
et du Brooklyn Eagle), initialement stimulé une logique dévorante. Il crée le besoin En Allemagne, ce phénomène, qui prend
par les créations de Winsor McCay, est et son absorption : les années 20 sont, corps autour de pionniers abstraits liés au
remarqué pour The Artist’s Dream (1913) aux États-Unis, celles d’une course folle mouvement du Bauhaus (Julius
par le producteur français Charles Pathé, pour parvenir à imposer au spectateur Pinschewer, Vikking Eggeling, Hans
alors dominant aux États-Unis. Sa com- le personnage le plus séducteur. Dès Richter, Walter Ruttmann, Oskar Fischin-
mande de six films à John Randolph Bray 1921, les frères Fleischer créent le Max ger), est manifeste. Il tend à définir une
permet à ce dernier de créer les Bray Stu- Fleischer Studio. Il va devenir le studio nouvelle esthétique, totalité expressive
dio (1914). Bray axe ses efforts sur l’inno- américain dominant jusqu’à la veille de de sons et d’images en mouvement, en
vation technique pour rationaliser et ac- la Seconde Guerre mondiale, se posant, relation avec les nouvelles sociétés in-
célérer la production des dessins animés. stylistiquement, en héritier de la carica- dustrialisées. Ce courant produit ses pre-
Son alliance avec l’animateur Earl Hurd ture et donnant naissance, dans un pre- miers films d’animation abstraits à partir
le rend codétenteur du brevet de celui-ci : mier temps à la mythologique Betty Boop, de 1921 (Richter, Rythmus 21 ; Ruttmann,
invention capitale, le cellulo, ou cell, va au chien Bimbo puis plus tard au Popeye Lichtspiel opus I) et exerce une influence
peu à peu permettre la transformation du d’Isidore Sparber, Seymour Kneitel et durable sur les recherches formelles du
dessin animé en industrie. Une première Dave Tendlar, d’après Elzie Segar. Il XXe siècle. Bien que rigoriste et exigeant
application du procédé est utilisée dans est bien difficile de suivre à partir de là dans sa poursuite de la ligne pure, il en-
Bobby Bump (1915). Il permet d’effectuer et à la trace tous les embranchements tretient un rapport d’échange avec le ci-
un traçage à la gouache sur des feuilles de la filiation américaine de l’image par néma : Walter Ruttmann réalise un tru-
translucides. Le décor, qui jusque-là de- image. Paul Terry, séparé des Fleischer, quage dans les Niebelungen de Fritz
vait être redessiné à chaque dessin, dé- se lance dans les Fables d’Ésope (1921) Lang, Jean Renoir fait appel à la figure
sormais indépendant, s’en trouvera bien- puis dans les Terrytoons (où débuta Tex féminine de cette avant-garde, Lotte Rei-
tôt révolutionné. Les innovations de Bray Avery), qui furent dès lors développés par niger, pour introduire dans la Marseillaise
se poursuivront jusqu’en 1920, date de la Mannie Davis et George Gordon (1930). une séquence de silhouettes animées.
création d’un premier système industriel Du syndicat de presse William Hearst et Lotte Reiniger, directement issue de l’ex-
de mise en couleurs de l’image animée de la King Features naissent les aven- périence expressionniste de Max Rein-
(Brewster Color), malheureusement peu tures de Krazy Kat (par Frank Moser et hardt, réalise le troisième long métrage
fiable. En quatre ans, les studios amé- Bill Nolan), qui connurent des rebondis- de l’histoire (compte tenu des exception-
ricains se multiplient. Ils sont, en 1918, sements jusque dans les années 30... nels la Guerre et le rêve de l’enfant, de
près d’une dizaine. En 1915, Raoul Barré Dans ce contexte d’émulation apparaît, l’Espagnol Segundo de Chomon, 1916 et

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

El Apostol — le Dictateur —, de l’Argentin sais, il réalise le Messager de la lumière enfants du poète Samuel Marchak. Le
Quirino Cristiani, 1917) : les Aventures du (1938), film publicitaire qu’admire Renoir, film tente de réunir le principe d’Eisens-
prince Achmed (1926). Oskar Fischinger, les Passagers de la Grande Ourse (1939- tein (construction narrative) et la moder-
dont le travail sur les rythmes de couleur 42), inspiré du poème de Victor Hugo nité picturale et cinématographique (les
le rapproche de certaines théories de Plein ciel, puis le Marchand de notes avant-gardes plasticiennes). Le travail
Kandinsky (Komposition in Blau, 1934), (1943). En Grande-Bretagne, le cinéma formel est mis sur un pied d’égalité avec
exportera cette expérience aux États- d’animation se développe plutôt alors de celui de la narration. Le film joue d’une
Unis après son départ de l’Allemagne manière insulaire. La personnalité la plus approche très élaborée de la typographie
nazie, dont l’avènement porte un coup marquante est l’ancien peintre de vitraux qui l’apparente à certaines expériences
mortel à l’animation abstraite. Cette expé- d’église, reconverti producteur dans les lettristes. L’avènement de la doctrine du
rience de l’avant-garde allemande trouve années 30, Anson Dyer, qui contribue réalisme socialiste, à partir de 1932,
des échos et des prolongements dans notamment à la série Philips Philm écarte brutalement l’expérience abstraite
plusieurs pays. En France d’abord, où les Phables. Le cinéma d’animation anglais et internationaliste au profit d’une logique
courants surréalistes et abstraits ré- est aussi attiré par le film de silhouettes. nationaliste et beaucoup plus convention-
pondent par les oeuvres cinématogra- Mais la Grande-Bretagne se distingue nelle. Elle établit paradoxalement une
phiées de Man Ray, Marcel Duchamp surtout par une expérience de mécénat parenté esthétique entre le cinéma d’ani-
(Anemic Cinema, 1926) et Fernand Léger d’État alors unique au monde, qui entre mation soviétique et le cartoon américain.
(le Ballet mécanique, 1924). En France en résonance indirecte, sur un plan es- Redéfini pour s’adresser principalement
encore, qui accueille l’un des proches de thétique, avec celle de l’avant-garde alle- aux enfants et adoptant, comme aux
Lotte Reiniger et ami de Bertolt Brecht, mande : la General Post Office Film Unit, États-Unis, des formes graphiques arron-
Berthold Bartosch, qui y réalise, d’après créée par le producteur John Grierson dies, il n’en produit pas moins, sous la
les gravures de Frans Masereel, l’Idée (1933). GPO Film Unit devient assez na- houlette du nouveau directeur du studio
(1931), une oeuvre noir et blanc unique, turellement jusqu’à la guerre un carrefour d’État Soyouzdetmultfilm (1936),
lyrique et poétique, d’une grande finesse où se croisent plusieurs réalisateurs Alexandre Ptusko, plusieurs chef-
esthétique. Le film est interdit à la diffu- d’animation européens (dont Lotte Reini- d’oeuvres. Après avoir signé le Nouveau
sion. La France accueille aussi un ci- ger). Parmi ceux-ci, Len Lye (origine : Gulliver (1935), premier long métrage
néaste russe et un immigré soviétique : Nouvelle-Zélande) et Norman McLaren noir et blanc d’animation soviétique en
Ladislas Starevitch puis Alexandre (origine : Écosse). Tous deux font leurs prise de vues réelles, marionnettes et
Alexeiff. Ladislas Starevitch, documenta- premières armes en territoire anglais. Len plastiline, intéressante relecture politique
riste pionnier en Russie, donne au ci- Lye, après avoir réalisé Tusalava (1929), de Swift, Ptusko récidive avec la Petite
néma d’animation français son premier film d’animation « primitif », développe à Clef d’or (1939), d’après Tolstoï réécri-
long métrage noir et blanc avec son partir de 1935 un procédé d’animation vant Pinocchio. Sur le continent asia-
adaptation du Roman de Renart en ma- picturale directe sur pellicule (A Colour tique, au Japon et en Chine, l’expérience
rionnettes animées (1930, sortie 1941). Box). Norman McLaren, ébloui par Fis- américaine déteint. Les premiers dessins
Alexandre Alexeieff, arrivé en France en chinger, travaille aussi sans caméra animés vus par les futurs pionniers japo-
1921, très admiratif de l’Idée, imagine lorsqu’il réalise Love on The Wing (1938), nais sont ceux de l’Américain John Ran-
d’animer des eaux-fortes et y parvient dessiné directement sur pellicule - qui dolph Bray. Cependant, à l’instar de tout
après avoir inventé un nouvel outil de réa- rend au passage hommage au trait épuré le cinéma nippon, le cinéma d’animation,
lisation, l’écran d’épingles, dont il tire Une d’Émile Cohl. La révolution formaliste se qui fait son apparition en 1915, divise sa
nuit sur le mont Chauve (1933), qui fait manifeste aussi en URSS où l’avant- production entre sujets modernes (gen-
l’admiration d’André Malraux. La France garde soviétique répond contradictoire- kaï-geki) et sujets anciens (jidaï-geki),
connaît, parallèlement à ces apports ex- ment à l’avant-garde allemande. Après inspirés des pièces classiques du théâtre
térieurs, plusieurs expériences indivi- l’interruption provoquée par la révolution kabuki et du chambara (film de sabre).
duelles ou artisanales : Lortac fonde un de 1917, le cinéma d’animation connaît Seitaro Kitayama, le premier, réalise plu-
studio à Montreuil (1919) et collabore une renaissance puis un développement sieurs films à l’encre de Chine sur papier
avec Émile Cohl à des films humoris- dans le sillage de la grande poussée (la Boîte aux lettres espiègles, 1918). En
tiques. Benjamin Rabier, O’Gallop (créa- créatrice qui touche les arts. De 1924 à 1921, il fonde le premier studio. Le peintre
teur de Bibendum), Albert Mourlan (au- 1929 on dénombre une moyenne de dix Junichi Terauchi introduit un nuancier de
teur d’un long métrage détruit dans un courts métrages par an. Deux tendances gris mettant en scène des contes popu-
incendie), font des incursions remar- prédominent. L’une, héritage de la carica- laires liés au chambara (la Nouvelle Épée
quées dans le cinéma d’animation. André ture, se reconvertit dans la vignette sati- de Hanahekonai, 1917). Très vite aussi,
Rigal et Jean Image s’illustrent dans des rique et politique : le dessinateur la culture du chiyo-gami (papier japonais
films de bons sentiments. Alain Saint- Alexandre Buskin charge capitalisme et traditionnel transparent) s’immisce dans
Ogan collabore avec Jean Delaurier dans clergé (les Jouets soviétiques, 1924). le cinéma d’animation, sous formes dé-
les années 30. Anthony Gross et Hector L’autre, proche des artistes expérimen- coupées, et Noburo Ofuji, admirateur de
Hoppin, d’origine anglaise, réalisent à taux, joue de la sobriété des matériaux Lotte Reiniger, réalise la Baleine (1927)
Paris la Joie de vivre (1934), allégorie in- disponibles (N. Kodotaev, Z. Komissa- puis la Station de contrôle (1930), sono-
dustrielle. Jean Painlevé produit avec la renko, Y. Merkulov, Chine en flammes et risé. Wagaro Arai, héritier de cette tech-
complicité du sculpteur René Bertrand un 1905-1925, 1925). Plusieurs animateurs nique, poursuit ce travail avec l’Hameçon
remarquable Barbe-Bleue en plastiline utilisent les rapports du noir et blanc de d’or (1939) et Une fantaisie de Mme But-
(1938). Mais une personnalité au style manière dynamique, inventive et mo- terfly (1940). Yasuji Murata adopte le cel-
profondément personnel domine cette derne. Ainsi Youri Zeliabouski réalise-t-il lulo américain et réalise plus de trente
période : Paul Grimault. Fondateur avec la Patinoire (1927), très expressif, ou Da- films caricaturaux de 1927 à 1935, parmi
André Sarrut du premier studio français niel Tserkès, scénographe de Meyerhold, lesquels l’Os de poulpe (1927). Dès le
internationalement reconnu, Les Gé- Senka l’Africain (1927). Mais le film pré- début des années 30 cependant, l’in-
meaux (1936), il y conçoit, avec le pre- dominant de la période, chef-d’oeuvre de fluence des conflits politiques est pré-
mier groupe d’animateurs réguliers fran- dextérité et d’invention, demeure Poste sente dans les sujets retenus par les réa-
çais, de purs joyaux d’une animation (1929), du peintre Michael Zechanowsky, lisateurs japonais. À Pero le ramoneur
précise et délicate. Après quelques es- en papier découpé, adapté d’un récit pour (1930), réalisé par Yoshitsuga Tanaka

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

pour la propagande du mouvement ou- domine Willis O’Brien qui, après avoir Stephen Bosustow qui fonde l’UPA
vrier, s’opposent, à partir de 1933, des réalisé quelques films en volume animé (United Productions of America) dont le
films aux thèmes nationalistes et milita- dans les années 10, est unanimement travail novateur se développera après
ristes. Kenzo Masaoka, connu pour être reconnu avec ses truquages animés de guerre. Parallèlement, les frères Fleis-
le premier réalisateur d’un film d’anima- The Lost World (1925) et surtout de King- cher poursuivent leur ascension : en
tion parlant (Force, Femmes et les Che- Kong (1933). Côté dessin animé, entre 1923, leur studio compte 16 personnes et
mins du monde, 1932), se voit ainsi 1922 et 1927, Walt Disney s’affirme. Il demeure familial. En 1924, ils réalisent
contraint avec sa petite société de satis- crée le personnage d’Oswald, The Lucky les premiers films sonorisés et synchroni-
faire la propagande de guerre. Et Mitsuyo Rabbit puis s’en fait voler le copyright par sés avec le système Phonofilm (Oh
Seo, son assistant, réalise les Troupes Charles Mintz. De retour à Kansas City, il Mabel). Mais des dissensions familiales
d’assaut du singe Sankichi (1935), inspiré imagine en 1928 le personnage d’une entraînent, à la fin des années 20, une
du conflit nippo-chinois, puis Momotaro, souris, Mortimer, que dessine Ub Iwerks. modification de statut de leur studio, dont
le marin divin (1944), premier long mé- Très vite devenue Mickey Mouse, elle va l’effet sera primordial dans leur future
trage d’animation nippon qui exalte la connaître le succès que l’on sait. Plane faillite : en 1927, Paramount devient dis-
force guerrière japonaise. Bien que le ci- Crazy, Gallopin’Gaucho et surtout Steam- tributeur et financeur de leurs films et les
néma des frères Lumière soit connu en boat Willie (novembre 1928), premier dessaisit de tous droits sur ceux-ci. Ré-
Chine (Shanghai) dès 1896, le cinéma dessin animé sonore, synchrone et musi- pondant à la révolution du parlant, Betty
d’animation n’y pénètre que vers cal, vont consacrer la gloire de Mickey. Boop (1930) puis Popeye (1933), provo-
1915. Les premiers films vus par les En 1928, le studio compte 6 personnes. cateurs et grinçants à souhait et dans la
quatre frères pionniers du cinéma d’ani- Mickey devient une mascotte populaire. note des meilleures comédies musicales
mation chinois — Wan Laiming, Wan Dès 1930, paraissent les premières de l’époque, obtiennent les faveurs du
Guchan, Wan Jichuan et Wan Chao- bandes dessinées consacrées à Mickey. public, malgré les tentatives de la cen-
chen — sont surtout les premiers films Cette même année, le merchandising, sure puritaine, et les gardent jusqu’en
des frères Fleischer. À eux quatre, tout en apparu précédemment à petite échelle 1941. À partir de 1936, les films des Fleis-
devenant décorateurs pour le cinéma de avec le personnage de Félix le Chat, se cher passent à la couleur. Les réalisa-
prise de vues réelles, ils réinventent le développe dans la stratégie de ventes teurs s’installent par la suite à Miami, en
principe du cinéma d’animation et réa- des dessins animés. De 1928 à la fin de Floride, et se lancent dans le long mé-
lisent leur première oeuvre, inspirée de la carrière de Mickey à l’écran (1953), trage avec les Voyages de Gulliver (1939)
Koko le Clown, Tumulte dans l’atelier 121 courts métrages voient le jour. puis Douce et Criquet s’aimaient d’amour
(1926), suivi par la Révolte des sil- L’émergence et le triomphe du sonore tendre (1941), qui scelle la faillite de leur
houettes en papier (1930). Dans les an- poussent Walt Disney dans plusieurs di- studio. De leur côté, les studios fondés à
nées 30, leur cinéma, toujours sous in- rections. Sous l’impulsion du compositeur la Universal par Walter Lantz (1927) —
fluence du cartoon américain, et et chef d’orchestre Carl Stalling, les stu- futur père du provocant et insolent pivert
notamment des premiers Mickey, oscille dios produisent dès l’année suivante la Woody Woodpecker (1940) — mettent au
entre des contes animaliers (la Cigale et série des Sillies Symphonies. Puis, après point Oswald le Lapin, de Bill Nolan.
la Fourmi, 1932) et des films d’inspiration avoir acquis une exclusivité sur le droit Hugh Harman et Rudolph Ising, fonda-
patriotique (Compatriote, réveille-toi, d’exploitation du procédé technicolor, le teurs des Looney Tunes et des Merrie
1932) dirigés contre l’agression nippone studio produit le premier court métrage Melodies, sont eux à l’origine du studio de
de Shanghai. Ils réalisent leur premier animé en couleurs, Flowers and Trees la Warner (1934), où le producteur Leon
dessin animé sonore (la Danse du cha- (1932). Deux ans plus tard, le studio Schlesinger réunit une équipe exception-
meau, 1935) tout en réfléchissant aux compte 187 employés. Walt Disney nelle, dont Chuck Jones, Tex Avery, Friz
apports respectifs des cinémas d’anima- risque tous les bénéfices du studio dans Freleng, Robert Clampett, Robert Can-
tion américain, soviétique et allemand, la réalisation du premier long métrage de non, Frank Tashlin. Ils créent une galerie
essayant de définir la spécificité chinoise. dessin animé en couleurs, Blanche-Neige animalière suractive : Bugs Bunny, Daffy
Shanghai occupée par les Japonais (1937). Après avoir frôlé la faillite, il l’em- Duck, Sylvestre et Speedy Gonzales, le
(1937), ils se réfugient à Wuhan, où ils porte : l’empire Disney est né. En 1940, duo sadomasochiste du coyote des
réalisent plusieurs films de résistance alors que le studio récidive en éditant sables et de l’oiseau Mimi, etc. Aux stu-
(Affiches de la guerre de résistance). coup sur coup, dans les nouveaux stu- dios MGM, qui lancent les Happy Harmo-
Wuhan occupée à son tour, Wan Laiming dios de Burbank, les longs métrages Pi- nies de Harman et Ising en 1934, s’ouvre,
et Wan Guchan se retranchent dans la nocchio puis Fantasia (dont l’argument sous Fred Quimby, une unité brillante, où
concession française où ils parviennent de départ est dessiné par Oskar Fischin- travaillent William Hanna, Friz Freleng et
avec une nouvelle équipe de 70 per- ger, qui se brouille ensuite avec Disney), Milt Gross. Dans les années 40, ils déve-

sonnes, en 22 mois, à réaliser le premier 1600 employés sont désormais au travail. loppent la série des Tom et Jerry, dirigée
long métrage noir et blanc de dessin Cette année-là, les enquêtes d’opinion par Bill Hanna et Joe Barbera, et ac-
animé chinois, la Princesse à l’éventail de commencent à basculer en faveur de cueillent un temps le météorique Tex
fer (1941). Inspiré du Voyage en Occi- Walt Disney contre les frères Fleischer. Avery, maître incontesté du dessin animé

dent, dont l’influence est notoire dans En une décennie, le dessin animé s’est paroxystique.

toute l’histoire des arts de la scène totalement industrialisé, standardisant À la veille de la Seconde Guerre mon-
chinois, et malgré certaines imperfections toutes les spécialités. Mais 1941 va être diale, le cinéma d’animation présente
techniques, le film, d’une grande origina- aussi l’année de la crise centrale de l’em- un profil mature : progression des struc-
lité graphique, cultive adroitement l’allu- pire en construction. Les cadres du pre- tures de production, évolution vers le son
sion distancée au conflit en cours en mier noyau se révoltent, à la fois contre et la couleur, innovation technologique
s’appuyant sur la mythologie chinoise, et les conditions de travail et contre les croissante, développement de longs
annonce l’éclosion d’un style chinois. contraintes graphiques. Ces dissidents métrages, diversification des genres et
Durant cette période, le cinéma d’anima- sont Art Babbitt, Wladimir Williams, Tytla, des esthétiques, affirmation d’écoles et
tion aux États-Unis s’emballe : dévelop- John Hubley, Stephen Bosustow, Dave de styles nationaux, essaimage interna-
pement des truquages et création de mul- Hilberman et Walt Kelly. Une grève de tional.
tiples personnages aujourd’hui associés grande ampleur touche le studio. Une L’après-guerre confirme ce diagnos-
à l’âge d’or hollywoodien. Côté truquage, sécession s’ensuit, sous l’impulsion de tic et se déroule dans le contexte de par-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

tition entre les deux grands blocs Est et riques de célèbres films (Carmen Jones, Grande-Bretagne. La porosité entre
Ouest : l’avènement de plusieurs démo- d’Otto Preminger ; Vertigo, d’Alfred Hitch- le continent américain et l’Europe est
craties populaires en Europe de l’Est cock, etc.). UPA symbolise par ailleurs de plus en plus patente. L’accélération
provoque une prise en compte étatique une économie de réalisation que la télé- des échanges est précisément symbo-
du cinéma d’animation. Plusieurs réalisa- vision impose simultanément et souvent lisée par l’arrivée de George Dunning à
teurs prennent désormais figures - toute pour le pire. Mais UPA, au-delà de ce Londres, en 1956, où il crée une filiale
chronologie historique mise à part — de rapport de subordination au tube catho- d’UPA. Lors de son arrivée, le paysage
« pères fondateurs » (Walt Disney aux dique, exerce une influence dans tout le de l’animation anglaise est dominé par le
États-Unis, Norman McLaren au Canada, bloc anglo-saxon et y produit un effet gra- couple John Halas et Joy Batchelor. D’ori-
John Halas en Grande-Bretagne, Paul phique. D’autres affluents suivent leurs gine hongroise, John Halas, qui fonde
Grimault en France, Jiri Trnka en Tché- cours, un peu à l’écart de ce tohu-bohu. le premier grand studio anglais (1940),
coslovaquie, les frères Wan en Chine) ou Lou Bunin, d’origine russe et empreint de se réclame du Bauhaus. Réalisateur du
deviennent des figures emblématiques culture européenne, après avoir collaboré premier long métrage de dessin animé
internationales (Alexandre Alexeieff, Len avec Vincente Minnelli (Ziegfeld Follies, en couleurs anglais, l’excellent Animal
Lye, Norman McLaren). D’une certaine 1945), entreprend de 1948 à 1951 un Farm (1954), d’après le roman de George
façon, le territoire nord-américain devient Alice au pays des merveilles en prise Orwell, John Halas est aussi à l’origine
le réceptacle de la totalité de ces expé- de vues réelles et poupées animées, des premières séries télévisuelles ani-
riences, à la fois patrie du cartoon et lieu que Walt Disney tente d’empêcher. Ray mées anglaises ainsi que parmi les
d’élection de multiples recherches plas- Harryhausen, ancien assistant de Willis premiers promoteurs de l’animation par
tiques qui expliquent l’éclosion ultérieure O’Brien, s’illustre magistralement dans ordinateur. Son studio a été le ferment
du cinéma « underground ». Au sortir de des effets spéciaux en volume animé de nombreux talents (Derek Lamb, Peter
la guerre, le « paysage de l’animation » (Jason et les Argonautes, 1963). Et plu- Földes, Alison de Vere, Geoff Dunbar).
confirme la suprématie américaine, et sieurs expérimentaux ouvrent des voies Quant à George Dunning, avec son film
néanmoins apparaît en pleine évolution. insoupçonnées : Mary Ellen Bute, proche peint sur verre, l’Homme volant (1962),
Aux États-Unis, si Walt Disney, malgré de Fischinger, prolonge ses approches il bouleverse plusieurs règles, leçon qu’il
l’accident de 1941, amplifie sa conquête abstraites ; Robert Breer, après avoir reprend en partie dans son oeuvre la plus
économique, imposant, avec ses cé- travaillé en France, poursuit ses expé- célèbre, le long-métrage le Sous-marin
lèbres longs métrages (de Bambi, 1942 à riences aux États-Unis (Blazes, 1961), jaune (1968). Peter Földes est l’autre
Robin des bois, 1973), ses documentaires et Stan VanDerBeek devient le chantre figure majeure de l’époque dont les pre-
pseudo-véristes et ses parcs d’attraction, du cinéma « underground » dont il popu- mières réalisations, inspirées par Bacon
une esthétique toujours plus mièvre, Tex larise le terme. Norman McLaren, après et Sutherland (Animated Genesis, 1951 ;
Avery, UPA et différents auteurs tentent un bref passage à New York (1939-1941) A Short Vision, 1954), jouent sur des sug-
d’explorer d’autres voies. Tex Avery, avec au cours duquel il amplifie son approche gestions graphiques élégantes et méta-
ses films à la vélocité échevelée, non- directe de la pellicule, repart pour le Ca- morphiques. En 1956, il sera le premier
sensiques et mimodramatiques, introduit nada. à explorer le champ des recherches sur
dans le monde bien-pensant du cartoon Canada. En 1941, John Grierson fait ordinateur.
un sarcasme hilarant (Red Hot Riding en effet appel à lui pour fonder la section France. Le Petit Soldat (1947), de Paul
Hot, 1943 ; Swing Shift Cindarella, 1945 ; animation du tout nouvel Office national Grimault, d’un charme funambulesque
King Size Canary, 1947). UPA travaille du film (ONF). Cet acte de naissance, et d’une irrévérence digne de son ami
à une rupture graphique qui délaisse le voulu par un État, est en rupture absolue et scénariste Jacques Prévert, introduit
style arrondi au profit de l’énergie et de avec l’empirisme qui a présidé jusque- dans le cinéma d’animation français le
la liberté des esquisses préparatoires, là à la naissance du cinéma d’anima- réalisme poétique et installe son réalisa-
rejette le fini chromatique et s’interroge tion. Par sa personnalité et sa richesse teur au rang international. Toujours avec
sur l’usure du splastick dans le cartoon. créative, Norman McLaren devient ainsi Jacques Prévert, qui subvertit le conte
Une série symbolise cette tentative : Mis- le père fondateur du cinéma d’animation d’Andersen, Paul Grimault se lance à
ter Magoo, de Pete Burness (1949). Puis canadien. Parfait symbole du work in partir de 1947 dans l’aventure du premier
Gerald McBoing Boing (1951) de Bobe progress dans le cinéma, il est issu des long-métrage de dessin animé en cou-
Cannon, Oscar cette même année, et sources de celui-ci et d’une modernité qui leurs français, la Bergère et le Ramoneur.
Rooty Toot Toot (1952) de John Hubley l’apparente à Klee et à Tanguy. Son mini- Le film est présenté en 1953 dans une
amplifient la rupture. Ce dernier incarne malisme, parfois sans caméra ni appareil version tronquée par son ancien associé
au mieux la naissance d’un cinéma d’au- d’enregistrement, en fait un architecte du André Sarrut. Paul Grimault la récuse et
teur américain, essentiellement attentif langage cinématographique. Ses oeuvres ne parvient à en donner la version défi-
aux intentions plastiques. Réhabilitant le incontournables — la Poulette grise nitive, le Roi et l’Oiseau, qu’en 1980. Le
seul trait, jouant des couleurs en à-plat (1947), Begone Dull Care (1949), Voisins film devient, peu de temps après, un film-
ou pour leur débordement des formes, (1952), Around is Around (1952), Blinkity culte, toujours rediffusé depuis. Durant
faisant du son le matériau déclencheur Blank (1955) — introduisent tour à tour ces trente-cinq années de pérégrinations,
de sa création, John Hubley avec Moon- de nouvelles approches du pastel animé, Paul Grimault fonde un nouveau studio
bird (1960) ou The Hole (1963), où l’on de la peinture sur pellicule, du stop-mo- (1951) qui révèle une nouvelle généra-
entend ses amis Dizzie Gillespie et tion amélioré (pixillation), de la stéréosco- tion de réalisateurs : Jacques Colombat,
George Mathews dialoguer autour de la pie et de la gravure directe sur pellicule. Jean-François Laguionie et Ihab Sha-
bombe atomique, en donne la mesure. Réalisateur tout autant que passeur, il ker (cinéaste égyptien). Parallèlement à
De même l’adaptation du Coeur révéla- favorise au sein de l’ONF la transmission l’activité de Paul Grimault se développent
teur d’Edgar Poe, produit par Bosustow de sa passion et fait venir par exemple dans les années 50 et 60 d’autres ini-
et réalisé par Ted Parmelee, situe l’enjeu Alexandre Alexeieff qui « enseigne » son tiatives. André Martin et Michel Boschet
du déplacement narratif : du comique, écran d’épingles. À ses côtés se forme fondent un nouveau studio (1959), qui
le cinéma d’animation passe au registre une école canadienne moderne regrou- produit notamment la Joconde, d’Henri
d’épouvante. Une parenté existe entre pant notamment Evelyne Lambart, René Gruel (1958). Le peintre Robert Lapou-
ces inventions et le travail graphique ré- Jodoin, Jean-Paul Ladouceur, Grant jade, admiré de Jean-Paul Sartre, aborde
volutionnaire de Saul Bass pour les géné- Munro et George Dunning. de manière originale l’animation à partir

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

de 1960 (le Sourire vertical, 1972), ainsi Victor Kubal va jouer un rôle analogue à Image, Étienne Raïk. Gyula Macskássy,
que René Laloux, qui collabore peu de celui de Jií Trnka. qui suivit comme Halas l’enseignement
temps après avec le dessinateur Roland URSS. L’animation soviétique, très du peintre Sandor Bortnyik, adepte du
Topor. L’animation française, qui vit influencée par le Disney le plus acadé- Bauhaus, est le principal représentant du
l’éclosion de petites unités de production mique, ne sort guère des fables édifiantes pays dans l’après-guerre avec le Diamant
artisanales et connaît un épanouissement de style l’Antilope d’or ou la Reine des et le Petit Coq (1951), le Crayon et la
stylistique, est riche aussi de plusieurs neiges, qui tiennent du livret de ballet offi- Gomme (1959).
apports étrangers : Alexandre Alexeieff ciel. Le Petit Cheval bossu (1947) — au Bulgarie. Alexander Denkov, peintre
poursuit ses réalisations (le Nez, 1963), texte totalement versifié —, d’Ivan Iva- et illustrateur d’origine pragoise, est le
et les Polonais Walerian Borowczyk, Jan nov-Vano, devenu responsable du studio principal artisan du renouveau du cinéma
Lenica et Piotr Kamler ainsi que l’Amé- Soyouzdetmultfilm, rencontre un certain d’animation bulgare après-guerre avec
ricain Jules Engel entament une activité succès public. deux courts métrages de caricature (Un
remarquée sur le territoire. Yougoslavie. La Yougoslavie, terre malade, le Petit Voleur, 1946). Après des

Italie. Hormis les oeuvres, en grande de passage où existait une tradition de la débuts difficiles au sein de la nouvelle

partie détruites par la guerre, du réalisa- caricature et dont le cinéma d’animation industrie cinématographique d’État, l’ani-

teur abstrait, ami d’Henri Langlois, Luigi avait connu une première expression liée mation bulgare trouve une expression
à l’école soviétique (années 20), doit la originale, faite de tradition nationale et
Veronesi, dont subsistent les Films no 4
renaissance du genre à Fadil Hadzi. Di- populaire, avec deux réalisateurs : Todor
et no 6 (1941), le cinéma d’animation ita-
recteur d’un périodique satirique, il réalise Dinov (Marko le héros, 1955) et Donio
lien connaît des tentatives timides avec
la Grande Rencontre (1949), moquerie Donev (Duo, 1961).
le premier long métrage de dessin animé
en couleurs, I Fratelli Dinamite, de Nino politique, puis fonde, avec un appui gou- Roumanie. Le seul nom de Ion
Pagot (1947) et auquel participe le futur vernemental, le studio de la Duga Film. Popescu-Gopo s’impose. Auteur du pre-
créateur de la Linea, Osvaldo Cavandoli. Après des débuts tâtonnants, la Duga mier film d’État, l’Abeille et le Pigeon
Film cède la place à partir de 1956 à (1951), ses films oscillent entre la fonction
Un second long métrage est réalisé par
Zagreb Film qui, pour des raisons écono- moralisatrice qu’ils devaient implicitement
Anton Gino Domeneghi, la Rosa di Bag-
miques, encourage un principe d’anima- jouer et une maestria épigrammatique
dad (1949). Tous deux tentent de s’éloi-
tion limitée. Proches du style d’UPA, les et humoristique (Courte histoire, 1956 ;
gner des canons américains. Cependant
premiers films du studio touchent un pu- Homo sapiens, 1960 ; Hallo, Hallo, 1962).
une initiative de la télévision (la RAI), en
blic international. Dušan Vukoti en réa- Chine. La révolution de 1949 boule-
inaugurant sa rubrique Carosello, va per-
lise le premier, Un robot turbulent. Puis verse le cinéma d’animation naissant.
mettre l’émergence d’une génération de
le journaliste et écrivain Vatroslav Mimica Sous la direction du caricaturiste et
réalisateurs actifs.
obtient le Prix du Festival de Venise avec peintre Te Wei et du jeune intellectuel
Tchécoslovaquie. Jií Trnka, le père
l’Homme seul (1958). Enfin Vlado Kristl, Jin Xi, un groupe de 22 personnes forme
fondateur du cinéma d’animation tchèque,
exilé, rentre au pays et se joint à l’équipe un premier studio à Changchun avant
est à lui seul une symbolisation de l’évolu-
avec qui il réalise notamment Peau de d’intégrer, l’année suivante, Shanghai. Le
tion du cinéma d’animation après-guerre. chagrin (1960). L’équipe réunie à Zagreb plus jeune des frères Wan, Wan Chao-
Son itinéraire le prédestine à prendre sa Film de 1957 à 1964 est connue sous le chen rejoint cette équipe. Le nouveau
place dans cet inventif concert. Peintre et
nom de « première école de Zagreb ». régime décide d’apporter une attention
décorateur, ayant étudié l’art des marion- Son cinéma minimaliste annonce le tra- spéciale au cinéma d’animation, qu’il ima-
nettes, il fonde un studio d’animation dès gique et l’incommunicabilité de la fin du gine utiliser à l’intention de la jeunesse.
1945 et y réalise ses premiers dessins siècle dans les Balkans. Dès 1953, le studio de Shanghai est en
animés dont plusieurs précèdent le style
Pologne. Comme son histoire, le ci- mesure de réaliser, sous la direction de
épuré et moderne d’UPA. Mais, plus inté- néma d’animation polonais est tourmenté Jin Xi, son premier film en couleurs (les
ressé par les marionnettes, Jií Trnka en
depuis ses origines, qui sont toujours Petits Héros). Graphisme, chromatisme
définit en quelques années une scénogra- négligées : dès 1917, Féliks Kueskowski et fluidité du mouvement sont de grande
phie très personnelle, référencée à l’héri- réalise le Flirt des chaises. Après-guerre, qualité et impressionnent les critiques du
tage des peintures votives de Bohême du son principal protagoniste est le poète et Festival de Cannes lors de la projection
Sud. Ses récits lyriques et dramatiques, réalisateur Zenon Wasilewski, qui fonde de Pourquoi le corbeau est noir, de Qian
pantomimiques, où dominent les com- un studio et réalise le film de marion- Jianjun et Li Keruo (1955). Entre 1954 et
positions originales de Václav Trojan, nettes À l’époque du roi Krakus (1947). 1956, Wan Laiming puis Wan Guchan
sont inspirés de contes populaires et de Deux groupes émergent ensuite : le stu- rejoignent leur cadet. Le studio compte
légendes classiques et font de ses mises dio de Bielsko-Biala, spécialisé dans le dès cette époque plus de 200 employés.
en scène des chefs-d’oeuvre de mouve- dessin animé et le studio de odz, spécia- Wan Guchan, avec Zhu Bajie mange la
ments sculptés. Il réalise le premier long lisé dans la marionnette. Dans ce dernier, pastèque (1958), introduit une technique
métrage de marionnettes animées en Wlodimierz Haupe et Halina Bielinska de figures découpées, inspirées de la
couleurs, l’Année tchèque (1947), avant réalisent le premier long métrage polo- culture traditionnelle. Plusieurs réalisa-
d’être promu, par la nouvelle Démocratie nais d’animation, Janosik (1954). La Po- tions du début des années 60, politique-
populaire, directeur du studio nationalisé logne a surtout donné naissance à deux ment marquées, n’en sont pas moins
(jusqu’en 1965). Internationalement re- auteurs, Walerian Borowczyk et Jan Le- d’une grande qualité esthétique. C’est le
connu, Trnka impose un style et permet nica, que leur amour pour le surréalisme cas du Pont de l’Armée rouge (1964), de
la réunion de multiples talents qui vont a réunis pour Il était une fois (1957) et la Qian Yunda. D’autres genres font éga-
constituer l’« école tchèque » : Hermina Maison (1958), deux hommages à Miró et lement leur apparition, plus tournés vers
Tyrlová, Jirí Brdecka, Zdenek Miler, Kámil Max Ernst respectivement. la seule préoccupation esthétique, tel les
Lhotak, Eduard Hofman... Ses disciples Hongrie. En Hongrie aussi, l’histoire Têtards à la recherche de leur maman
les plus connus sont Bretislav Pojar, qui du cinéma d’animation est ancienne. (1960), de Te Wei et Kian Jajun, qui met
perpétue la tradition de la marionnette Elle commence avec István Kato (1914). en scène le lavis chinois. Quant au Dra-
animée, et Karel Zeman, dont l’invention Avant-guerre, plusieurs talents impor- gon sculpté (1958), de Wan Chaochen, il
est proche des premiers truquistes. En tants quittent le pays et s’installent à est réalisé en marionnettes. Le deuxième
Slovaquie, le dessinateur et réalisateur l’étranger : George Pal, John Halas, Jean long-métrage de dessin animé en cou-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

leurs, le Roi des singes bouleverse le la Corée du Sud — apparaît comme un Giulio Gianini (la Pie voleuse, 1964), son
palais céleste (1961-1964), de Wan Lai- espace de sous-traitance exploité par les cinéma d’animation s’est enrichi des ta-
ming, confirme les grandes qualités de grands studios américains et européens lents d’Osvaldo Cavandoli, célèbre pour
l’animation chinoise. Mais la Révolution depuis les années 70. Quant à l’Afrique, les jeux métamorphiques de sa Linea
culturelle entraîne une longue fermeture qu’elle soit du Nord ou continentale, le (1969), ou encore de Guido Manuli, le
du studio de Shanghai. cinéma d’animation y apparaît disséminé, Tex Avery italien (Incubus, 1985). C’est
Ce développement des cinémas natio- à la recherche d’une image, peut-être aussi le cas de l’Allemagne où le cinéma
naux et d’une production internationale depuis les années 80, et ne laissant en- d’animation, après avoir longtemps fait
est légitimé par la création, en 1960, du trevoir ici ou là que les promesses d’une figure d’absent, se manifeste avec plus
premier Festival international de cinéma expression identitaire future, notamment de vigueur depuis les années 80 avec
d’animation à Annecy. en Égypte (Ihab Shaker), en Tunisie, au des oeuvres de jeunes auteurs, souvent

La fin du XXe siècle est paradoxale. Maroc, en Algérie, au Niger (Moustapha à mi-chemin du minimalisme et de l’allé-

Tandis que le tiers et le quart monde ac- Alassane), au Liberia, en Zambie et en gorie : Raimund Krumme (Équilibristes,

cèdent artisanalement au cinéma d’ani- Afrique du Sud (où le travail de William 1986). Jochen Kuhn, par son expérience
mation et en rejoue ses temps héroïques, Kentridge se révèle seul à bénéficier plastique contemporaine audacieuse et
un précipité d’esthétiques exprime le d’une aura internationale méritée). irrévérencieuse (la Confession, 1990),
bouleversement planétaire, une crise du Un précipité d’esthétiques, souvent prend langue avec le cinéma expérimen-
modèle graphique unique s’esquisse et contradictoires, met en exergue une in- tal. Le Portugal, malgré quelques tenta-
les technologies déplacent les modes tense activité internationale et fait écho tives anciennes, fait figure de nouveau
de captation et de réalisation, remet- aux bouleversements du monde, notam- venu dans une Europe où les frontières
tant en cause les supports de visionne- ment à l’abolition du bloc Est-Ouest. Le tendent à s’estomper. Depuis les années
ment. Dans un contexte de concurrence cinéma d’animation semble procéder 90, oeuvre une génération de jeunes réa-
accrue, trois grands blocs économiques à un vaste « recyclage » de formes où lisateurs aux talents prometteurs : Abi
émergent : l’Amérique du Nord, le Japon cohabitent modernisme, maniérisme, ba- Feijo se fait connaître par les Brigands
et l’Europe, où se multiplie l’apparition roque, art brut et tradition classique — dé- (1993, Cartoon d’or 1995), qui prend
de festivals spécialisés. En Amérique finition de la postmodernité. La France y pour sujet un épisode de la répression
du Nord, l’émergence de compagnies est sensible. Si la tradition et le travail des salazariste et le traite par un graphisme
concurrentes à la Disney (Dreamworks) auteurs semblent y perdurer (René La- suggestif proche des univers de la gra-
annonce à la fois la fin d’un monopole loux, Jean-François Laguionie, Jacques vure. Il est aussi l’auteur de Clandestin
économique et souligne le véritable dé- Colombat, Michel Ocelot, André Lindon (2001), réalisé avec la collaboration de
placement de nature opéré vers 1984 : pour son magnifique et isolé long mé- l’ONF Canada. La Nuit (1999), de Regina
The Walt Disney Company est désormais trage l’Enfant invisible, Manuel Otero...) Pessoa, inaugure une technique de gra-
une industrie du loisir international qui pi- et entraîner l’apparition de talents nou- vure sur plâtre, et l’Histoire du chat et de
lote « une cité des automates » (Umberto veaux (Patrick Bokanowski, Florence la Lune, de Pedro Serrazina (1995), s’ins-
Eco). Dans ce contexte général, l’acte Miailhe avec son remarquable Shehera- pire des dessins d’Hugo Pratt. Les Pays-
créateur pur apparaît de plus en plus fra- zade, chorégraphie de pastel sec...) ainsi Bas, plus à l’écart, semblent compter les
gile et menacé. que de studios actifs et créateurs (La Fa- points mais n’en connaissent pas moins
Si plusieurs pays d’Amérique latine brique, Folimage), la production nationale un essor vigoureux depuis les années 70-
possèdent des histoires qui, individuel- est cependant dominée par l’absence 80. Son cinéma d’animation rassemble
lement, ont pu s’exprimer dès les an- d’une figure de proue et l’hégémonie du notamment le polémiste Gerrit Van Dijk
nées 20 ou 30 (Argentine, Brésil, Cuba, tout-télévisuel. Mais elle demeure terre (CubeMENCube, 1975), le plasticien
Mexique), la majorité d’entre eux accè- d’accueil de cinéastes étrangers qui s’ins- satirique Evert de Beijer (les Caractères,
dent timidement au cinéma d’animation crivent, souvent avec force, dans sa pro- 1986) ou la féministe d’origine française
dans les années 70-80 (Colombie, Nica- duction : l’Italien Luigi Toccafondo (le Cri- Monique Renault (Pas à deux, en coréali-
ragua, Venezuela, Uruguay, Pérou, Chili, minel, 1982 ; Pinocchio, 1999), le Russe sation avec Gerrit Van Dijk, 1989 ; Donna
etc.). Influencé esthétiquement et tech- Iouri Tcherenkov (la Grande Migration, é mobile, 1994). La figure emblématique
niquement soit par le cartoon américain, 1995) ou encore le Hollandais Michaël demeure Paul Driessen, ancien collabo-
soit par les films cubains, il est majoritai- Dudok de Wit (le Moine et le Poisson, rateur de George Dunning, maintes fois
rement caractérisé par un travail de cari- 1998). Les pays voisins font générale- primé pour ses films malicieux et actifs.
cature aux résonances parfois politiques. ment écho à cette tendance. La Belgique En remontant plus au nord, l’URSS de-
En Orient, la situation est plus contrastée, — dont la figure principale demeure venue Russie symbolise la mutation en
certains pays accédant de manière auto- Raoul Servais — est très active, révèle de cours. Aux côtés des réalisateurs incon-
nome au cinéma d’animation, d’autres jeunes talents telle Florence Henrard (Lili tournables qui ont fait toute la richesse
dépendant de la division internationale et le Loup, 1996) et inaugure, au début du cinéma d’animation soviétique des
du travail. Par exemple, le cinéma iranien des années 80, un dynamique festival à années 70-80, tel Fedor Khitrouk, dont le
(auquel sont liés les noms de son fonda- Bruxelles. La Suisse s’inscrit également premier film était d’inspiration néoréaliste
teur Jefa Tejaratchi, et d’un de ses suc- dans ce rapport, consacrant l’oeuvre in- (Histoire d’un crime, 1961), tel le grand
cesseurs, Nooredin Zarrinkelk), le cinéma contournable d’Ernest et Gisèle Ansorge, poète visionnaire Iouri Norstein (le Conte
israélien (dont Ytzhak Yoresh a été le qui introduisent une technique délicate de des contes, 1984) ou tel encore son
principal représentant), ceux de Turquie, sable animé (Alunissons, 1970). Elle ras- camarade Andrei Khrjanovski, il faudrait
d’Inde, de Thaïlande (très peu dévelop- semble, depuis les années 70, plusieurs pouvoir évoquer la profusion d’inventions
pés), ou d’Hong Kong ont pris leur essor réalisateurs originaux, dont Claude Luyet esthétiques dont ont fait preuve alors
à partir des années 70 sur la base de (Question d’optique, 1986) et Georges de nombreux réalisateurs d’Ukraine, de
traditions culturelles nationales. D’autres Schwizgebel (78 Tours, 1985). Et l’Italie Géorgie, d’Estonie (Rein Raamat, Priit
pays, tels le Vietnam ou la Corée du tente de s’affirmer, bon an mal an, dans Pärn, Avo Paistik) et d’autres Répu-
Nord, construisent un cinéma d’animation le domaine. Après avoir eue ses heures bliques. La nouvelle Russie inaugure une
dans les années 50-60, sous l’influence de gloire avec l’humoriste grinçant Bruno ère où, aux gloires des deux décennies
de l’URSS. Un troisième bloc de pays — Bozzetto ou les films stylisés, presque passées, viennent s’ajouter le cinéma
parmi lesquels Taiwan, les Philippines, héraldiques, d’Emmanuel Luzzatti et tragi-comique de Garri Bardine (le Loup

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gris et le Petit Chaperon rouge, 1990), pour Tango (1980), travail novateur basé années 70 dans la voie d’une plastiline
désopilante allégorie de plastiline du sur un principe de répétition obsédant et criarde, cocasse et revendicatrice (Baby-
conte de Perrault, et le cinéma tragique sur un jeu avec les photogrammes. Son lon, 1985). Au début des années 90, Nick
d’Alexandre Petrov (le Vieil Homme et succès international l’incite à s’installer Park devient célèbre avec ses person-
la Mer, 1999), d’une éblouissante dex- aux États-Unis dans les années 80. Piotr nages de Wallace et Gromit. Paul Berry
térité picturale, malgré son académisme. Dumala et ses univers noirs et cruels puis Barry Purves entament successive-
Faisant écho à cette explosion d’expé- (le Petit Chaperon noir, 1983 ainsi que ment une collaboration avec Tim Burton
riences, la Hongrie, la Bulgarie et la You- son remarquable Franz Kafka, 1991). aux États-Unis.
goslavie ont connu aussi une production La Tchécoslovaquie, également cas à États-Unis. Les années 70-80 sont
diversifiée. La Hongrie s’illustre avec les part, joue un rôle international essentiel celles à la fois du triomphe économique
oeuvres, un temps maniéristes et de por- dans les tentatives de redéfinition esthé- des majors et d’une panne d’inspiration
tée tragique, de Sandor Reisenbüchler tique de la fin du siècle. Après la dispari- du cinéma produit par celles-ci. Alors
(le Temps des barbares, 1970 ; Panique, tion de Trnka, les années 70 sont celles que s’estompe la figure contestataire de
1978), ainsi que celles d’Ottó Foky, d’une crise au sein du studio d’État. C’est Ralph Bakshi (Fritz The Cat, 1972 ; le
György Kovásznai, Jószef Nepp, Béla alors qu’apparaît le très singulier Jan Seigneur des anneaux, 1978), les expé-
Vajda (Mouvement perpétuel, 1980) ou Švankmajer, lié au seul courant surréa- riences notables se situent surtout du
de Csaba Varga (le Vent, 1985). En Bul- liste encore actif et dont le travail dans côté des « indépendants » : Bob Mitchell,
garie, deux réalisateurs aux visions notoi- le cinéma d’animation ne représente Dale Case (Further Adventures of Uncle
rement pessimistes retiennent l’attention qu’une fraction de l’oeuvre. Admirateur Sam, 1971), Frank Mouris (Frank Film,
dans les années 70-80 : l’excellent des- de Poe, de Carroll ou de Goethe, son 1973), Jane Aaron (Remains to be seen,
sinateur Henri Kulev, dont le trait hanté apport tranche radicalement avec l’héri- 1983) ou encore Michael Sporn (Docteur
ensorcelle le spectateur (Hypothèse, tage tchèque. Reconnu d’abord pour les De Soto, 1984). Mais la figure la plus re-
1976 ; Labyrinthe, 1984) et le Premier Possibilités du dialogue (1982) puis pour connue de cette mouvance, à mi-chemin
Grand prix bulgare au festival d’Annecy, son long-métrage Alice (1988), tous deux entre majors et indépendants, est Will
Boyko Kanev (Un monde pourri, 1986), Grands Prix du festival d’Annecy, maître Vinton, maître de la plastiline colorée,
dont le propos allégorique et distancié est du ready made cinématographique, il récompensé par un Oscar pour Closed
basé sur une technique de silhouettes de apparaît désormais comme la figure dis- Monday (1974) et réalisateur du premier
papier froissé aux couleurs tendres. crète par qui est advenu un renouveau long métrage de plastiline, les Aventures
Dans la deuxième école de Zagreb en stylistique en Grande-Bretagne (les de Mark Twain (1984), d’après le célèbre
Yougoslavie s’affirment le caricaturiste frères Quay) puis aux États-Unis (Henry écrivain américain. Cependant, dans les
Nedeljko Dragi pour son hallucinant Sellick, Tim Burton). Ce nouveau style années 90, un double mouvement se
Dompteur de chevaux sauvages (1966), emprunte à la fois aux sources de ce sur- produit : des indépendants farouches et
Boris Kolar, au graphisme facétieux réalisme sarcastique et de l’expression- caustiques, tel le féroce caricaturiste Bill
(Boomerang, 1962), et le décorateur nisme allemand. Parallèlement, plusieurs Plympton, se révèlent (l’Impitoyable lune
Zlatko Bourek, spécialiste des sabbats réalisateurs poursuivent des itinéraires de miel, 1998). Et, surtout, Henri Seylick,
médiévaux à la Bosch (De brouillard et solitaires, héritiers de l’ancienne tradi- sous la direction de Tim Burton, réalise
de boue, 1964 ), également illustrateur tion : Jii Barta (le Joueur de flûte, 1985) l’Étrange Noël de Monsieur Jack (1993),
des chants folkloriques de Slavonie (la ou le caricaturiste Pavel Koutsky. avec la collaboration de l’Anglais Paul
Ronde des prétendants, 1966). Il inspire Grande-Bretagne. Dès le début des Berry — rupture thématique et esthétique
visiblement l’exquis Temps des vampires années 60, le pays réunit une école dans l’histoire américaine, à l’opposé
(1970) de Nikola Majdak. Pendant la brouillonne et irrévérencieuse (Bob des trois dogmes disneyens : anthropo-
même période, au studio Néoplanta Film Godfrey, Alison de Vere, Jimmy Mura- morphisme, rondeur, bidimensionnalité,
de Novi Sad, Borislav Sajtinac, dessina- kami — célèbre pour son long métrage et pourtant produit sous les auspices du
teur humoristique collaborateur pendant anti-nucléaire, Wend The Wind Blows, groupe Disney. « Renouant avec l’es-
deux ans à Hara-Kiri, exerce son ironie 1987 —, Richard Williams). Les années prit artisanal de la vieille Europe », Tim
et son goût pour l’absurde avec Tout ce 70-80 sont celles de sa maturation puis Burton s’y réessaiera en invitant Barry
qui vole n’est pas oiseau (1969), la Jeune de sa révélation internationale. Outre Purves pour les effets spéciaux de Mars
Mariée (1971) et Don Quichotte (1972). le cartoon féministe et acide de Joanna Attacks (1996). Les majors tentent d’inté-
La Pologne fait figure de cas à part dans Quinn (Girls Night Out, 1987) ou moderne grer à leurs productions les esthétiques
le bloc socialiste. Le réalisme socialiste, (Mark Baker, The Hill Farms, 1988), le nouvelles créées par les indépendants.
après les événements de 1956, n’y est nouveau style anglais, vif, ironique, direct, Canada. Après la disparition de Nor-
pas imposé. Ce qui permet de com- inquiet, rénove l’esthétique. Les frères man McLaren à la fin des années 80,
prendre l’influence exercée par les films Quay, admirateurs de Jan Švankmajer, le cinéma d’animation, relativement à
de Jan Lenica et de Walerian Borowczyk. cultivent un néo-surréalisme empreint l’écart du bouleversement international,
Ainsi l’« école polonaise » regroupe-t-elle d’une culture Mitteleuropa, parfois proche apparaît partagé entre un courant ico-
des auteurs radicaux aux propositions sti- du volume de l’art brut. Colin Batty et Paul noclaste et un courant iconique. Le pre-
mulantes : Miroslaw Kijowicz (les Cages, Berry se font connaître pour l’Homme au mier, représenté par les oeuvres nova-
1966) développe une réflexion sur l’op- sable, d’après Hoffmann (1991), dont les trices de la native américaine Caroline
pression. Daniel Szczechura (le Fauteuil, marionnettes de bois renouent avec les Leaf (le Mariage du hibou, 1974, sable
1963) livre une satire du carriérisme. expressions anguleuses et les perspec- animé ; Entre deux soeurs, 1991, peinture
Jerzy Kucia, cinéaste de l’intériorité (l’As- tives démesurées de l’expressionnisme animée), de Co Hoedeman (l’Ours reni-
censeur, 1974 ; la Parade, 1987) est dit allemand. Barry Purves, baroque et pré- fleur, 1992, éléments découpés et 3D),
le « Bresson du cinéma d’animation ». cieux, s’illustre dans des chefs-d’oeuvre de Paul Driessen, cité pour son oeuvre
D’autres réalisateurs aux univers très incisifs de marionnettes animées, pro- hollandaise, ou de Pierre Hébert, qui se
personnels retiennent l’attention dans les vocateurs, tels Next (1989), hommage réclame notamment de Len Lye (la Plante
dernières décennies : Witold Gierz et ses à l’oeuvre de Shakespeare, Screen Play humaine, 1996), interroge le statut de
films peints à l’huile (le Rouge et le Noir, (1992) inspiré du théâtre Nô, ou Achilles l’image. Le second, représenté par les
1963 ; le Cheval, 1967) ; Zbigniew Rybc- (1995), délibérément homosexuel. Peter oeuvres du natif indien Ishu Patel (Para-
zynski, Grand Prix du festival d’Annecy Lord et Nick Park s’engagent dès les dise, 1985) ou par celles du cartoonist Ri-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

chard Condie (The Big Snit, 1985) ou de désormais sur des palettes graphiques, des mouvements apparents en autorisant
Marv Newland (Hooray ! For Sanbdbox tel le Français Michaël Gaumnitz (Éluard un enchaînement de séries d’images
Land, 1984) tend à sacraliser l’image ou 101 poèmes, 1995 ; Claude Monet, fixes de plus en plus longues.
à renouer avec une vieille imagerie. Dans peintre, 1997), articulant au rythme des Le Thomatrope du docteur John
ce contexte partidaire, l’oeuvre de Fré- algorithmes, métamorphose des formes, Ayton Paris (1825-26) ne permet que
déric Back, plus consensuelle quoique des couleurs et des sons. Tel encore le de confondre deux images complémen-
écologiste, parvient à se détacher de son Français Benoît Razzi, auteur d’effets taires, tracées sur les deux faces d’un
héritage européen et de celui d’UPA, tout d’animation 3 D, collaborateur de Raoul disque tournant autour d’un fil. Exploitant
en conservant une source impression- Servais sur Papillons de nuit (1998, les apports de la stroboscopie, Joseph
niste et naturaliste et à innover par un Grand prix du Festival d’Annecy) ou tel le Plateau et Simon Stampfer (1832) tirent
remarquable traitement des crayons de Japonais Yoichiro Kawaguchi, se récla- un mouvement de 16 à 24 images à tra-
couleurs sur acétate (l’Homme qui plan- mant du computer art, avec son extraor- vers les créneaux du disque du Phéna-
tait des arbres, 1987). dinaire oeuvre morphogénétique, Océan kistiscope reflété dans un miroir. En dis-
Il est probable que la Chine, dont le ci- (1987). À cette donne nouvelle, distincte posant les images successives sur une
néma de prise de vues réelles s’est forte- du cinéma et du cinéma d’animation bande et en les plaçant dans un tambour
ment manifesté fin XXe début XXIe siècle, dans ses principes de conception, vient crénelé, le zootrope de William George
fera preuve du même dynamisme dans répondre la prolifération de tous les nou- Horner portera jusqu’à 50 images.
le cinéma d’animation. Certains signes veaux supports qui, débordant la limite Pour éviter la brutalité optique des
avant-coureurs ont pu le laisser supposer des écrans traditionnels de cinéma et de procédés stroboscopiques, Émile Rey-
dans les années 80, où une utilisation déli- télévision — des écrans géants à ceux naud va compenser optiquement le
cate de la technique traditionnelle du lavis des ordinateurs jusqu’aux applications passage d’une image à l’autre avec un
ou de l’encre de Chine a été renouvelée miniaturisées des jeux vidéo —, sont prisme rotatif pour donner un mouve-
dans les films de Hu Jinqing (l’Huître et désormais les nouveaux espaces des ment enchaîné aux délicates figurines du
la Bécasse, 1985 ; l’Épouvantail, 1987), technologies du numérique. Praxinoscope (1828) ou du Praxinoscope
de Te Wei (Feeling from Mountain and théâtre (1882), qui, grâce à des person-
Water, 1988) ou de Ah Da (les Trois ANIMATION (techniques de l’). nages tracés sur fond noir, les situe en
Bonzes, 1980 ; Trente-six caractères Au XIXe siècle apparaissent des tech- surimpression sur un décor reflété par un
chinois, 1986). Il est certain qu’en ce niques d’images animées qui ne sont plus miroir.
début de XXIe siècle, le Japon fait figure obtenues par des procédés mécaniques Le film comme support d’images.
de talentueux et original challenger. Le mais à partir de la production d’une sé- Reynaud échappe enfin au piège des
remarquable et sardonique Yoji Kuri, aux quence d’images statiques disposées disques et des tambours et aux cycles
gags féroces et post-surréalistes, sou- en fonction du temps. La mise au point répétés de mouvements en fixant sur
vent proches de l’esprit concis des haïkaï de ces techniques achève la préhistoire une bande souple et perforée progressi-
(le Zoo humain, 1960 ; Au fou, 1966), a des spectacles optiques : trois mille ans vement déroulée un nombre indéfini de
fait beaucoup pour initier un cinéma indé- d’images aériennes, d’ombres féeriques, poses successives (jusqu’à 700), tracées
pendant. Celui-ci, dans les années 80, de miroirs magiques ou de projections et colorées à la main. C’est le Théâtre op-
s’est peu à peu imposé mondialement, mécanisées. Lorsque les images ani- tique : Un bon bock (1889), Clown et ses
dans son credo dramatique avec le bou- mées se dotent de moyens mécanisés chiens (1890) sont ainsi les premiers films
leversant Tombeau des lucioles (1988) (verres à tirettes, chromatoscope à rota- d’animation de l’histoire de l’art ; le dispo-
ou épique et fantastique avec les lyriques tion, etc.), commence un art instrumental sitif du Théâtre optique résout à la fois
Mon voisin Totoro (1989) ou Porco Rosso inédit : le cinéma d’animation. Que les sé- le problème de la projection, du film, de
(1994) du créateur du studio indépendant ries de phases distinctes, statiques soient la fixation d’un nombre indéfini d’images
Ghibli, Hayao Miyazaki. composées grâce à des moyens photo- successives, en bref, celui du spectacle

Dans ce contexte mouvant et proli- cinématographiques, vidéoélectriques de projection d’images animées.

férant, où l’animation est devenue une ou informatiques, cet art de l’image par La chronophotographie. La photogra-
expression artistique à part entière et fait image marque l’apparition d’une relation phie, en se généralisant, va supplanter la
parfois office de laboratoire du septième de l’individu à son environnement et des production graphique des séries de posi-
art, est apparue l’image de synthèse. Elle capacités d’analyse et de synthèse des tions des personnages. Mais, la saisie
vient remettre en cause ou brouiller les phénomènes dynamiques. Ainsi va se photographique instantanée n’étant pas
frontières d’un territoire déjà complexe, confirmer un mariage des sciences et encore réalisée, c’est à partir de poses
proposant aux systèmes de représenta- des arts que Riccotto Canudo n’appellera successives que cette synthèse va être
tion analogiques que sont peinture, pho- de ses voeux que bien plus tard, et qui, tentée (bioscope de Antoine Jean Fran-
tographie et cinéma la substitution d’un dans notre civilisation « mécanisée », ne çois Claudet (1852), Kinematoscope de
autre, reposant sur une simulation désor- va plus cesser de provoquer l’intérêt des Coleman Sellers (1863).
mais numérique de lois physiques, ma- générations d’ingénieurs, de créateurs et Avec le Kineograph de Thomas Linnett
thématiques et biologiques. Les majors de dramaturges visuels. apparaît une forme de livre que Guten-
américains tentent d’absorber les fruits Découverte de l’image par image. berg n’avait pas prévue. Populaires vers
de cette expérience déjà vieille de plus Rejoignant une observation de John 1897 sous le nom de flip book ou de
de vingt ans, en misant, par exemple, sur Locke sur le cercle de feu produit lorsque feuilletoscope, les photos successives
le travail de l’Américain John Lasseter. Le l’on fait tourner un charbon ardent (1739), regroupées en carnet glissent sous les
succès de ses premiers courts métrages Peter Mark Roget a présenté à la Royal doigts comme un paquet de cartes à
(Luxo Jr, 1987, nominé aux Oscars), Academy, en 1824, un mémoire consacré jouer en reproduisant le mouvement.
empreints de l’héritage comique du car- aux effets de la persistance rétinienne sur La mise au point de la photographie
toon, l’ont encouragé à réaliser sous la perception des objets mouvants. L’ère instantanée va étendre les capacités
l’égide de LucasFilm, dans cette même de la synthèse du mouvement visuel va de saisie, d’analyse et de synthèse des
technique, les longs métrages Toy Story s’ouvrir sur une floraison de jouets op- images en mouvement. Une nouvelle
(1995), 1001 Pattes (1998) et Toy Story tiques à lecture directe qui exploreront étape de l’évolution des arts visuels
2 (1999). Europe et Japon s’investissent les caractéristiques de la persistance des s’engage avec l’apparition des méthodes
aussi. Peintres vidéographes travaillent images rétiniennes et de la perception chronophotographiques, qui, à partir de

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

1882, vont proposer une nouvelle famille tif des 4 ou 5 images assurant la transi- cundo de Chomón réalise, avec El hotel
de documents irréfutables qui traduisent tion de la disparition ou de la métamor- eléctrico (1905), le premier film d’objets
l’idée de temps en termes d’espaces. phose : les substitutions sont renforcées et de personnages vivants (cheveux, vê-
Leurs positions condensées ou enchevê- par une transition dans le mouvement tements, meubles, etc.), immédiatement
trées ne participent plus à l’unité, du point ou par le maintien calculé de quelques repris par James Stuart Blackton dans
de vue instauré par la Renaissance : mouvements flous (le Tonnerre de Jupi- Hôtel hanté (1907) ainsi que par l’Ameri-
Jules Janssen, Étienne-Jules Marey, ter, Méliès, 1903) pour arriver à de véri- can Mutoscope and Biograph dans Mister
Eadweard James Muybridge ou Thomas tables animations par prise continue de Hurry Up of New York (1907) et The Tired
Eakins exploiteront différents dispositifs 4 ou 6 images successives : Jack and Tailor’s Dream (id.). De la réalisation de
(plaque mobile, plaque fixe pour saisie the Beanstalk (Edison, 1902) ; Check ces premiers films vont progressivement
stroboscopée, batterie d’appareils à dé- to Order (American Mutoscope and se dégager différentes techniques éco-
clenchements successifs et finalement Biograph, 1903) — en tirant des mou- nomiques et expéditives, autorisant une
film) qui fragmentent en positions succes- vements inexplicables ; le Locataire dia- production solitaire, et des applications
sives les mouvements d’êtres vivants ou bolique (Méliès, 1909), qui annonce les plus ou moins plastiques ou sculpturales,
mécaniques. animations en « stop motion » de Norman que l’on retrouvera à chaque nouveau
Le cinématographe. En 1888, Marey McLaren. Lorsque le cinéma devient un départ de style national ou de créateurs
met au point son chronophotographe à art industriel (de 1906 à 1911), les réa- indépendants, qu’il s’agisse de la nais-
plaque mobile. George Eastman propose lisateurs exploitent toutes les capacités sance de l’Office du film au Canada en
des bobines de papier négatif qui vont gé- de rupture et d’accélération (les Effets 1940, ou des styles européens vers la fin
néraliser les observations et les commu- d’une valse lente, G. Velle, 1903) à un des années 50.
nications visuelles fondées sur des séries haut niveau de virtuosité instrumentale, Animation d’objets et de person-
indéfinies des photogrammes. Dès ces parcourant dans le même film toutes les nages en volume. Stop motion, ou pixi-
premières réussites se confirme l’impor- cadences de tournage de 18 images par lation. À partir de ces quelques oeuvres,
tance des capacités d’analyse et de syn- seconde à 1 image pour 3 secondes de il se développera une forme de création
thèse des images animées, par opposi- réalité, tels Onésime horloger et Onésime scénographique et de dramatisation, pre-
tion à la simple reproduction des images et le Nourrisson (1912) réalisé par Jean mière forme de cinéma image par image
d’enregistrement que va bientôt imposer Durand pour Gaumont. en trois dimensions posant tous les pro-
le Cinématographe des frères Lumière Le cinéma image par image. Toute blèmes de l’animation par mouvement ar-
et qui domineront, pendant presque un extraction discontinue d’images ins- rêté. Le mouvement arrêté consiste à dis-
siècle, la conception et la production tantanées prises à temps régulier d’un poser objets ou personnages dans une
réaliste des imageries dynamiques du phénomène lent accélère ce dernier à position donnée, à prendre l’image, à les
cinéma et de la télévision. la projection. Dès 1864, Louis Ducos du replacer ou à les déformer pour reprendre
Partisans d’un visionnement individuel Hauron proposait d’appliquer ce principe une autre image.
du spectacle cinématographique, Tho- à des instantanés successifs séparés Afin, d’abord, de réaliser ce que McLa-
mas Alva Edison réalise un Mutoscope par des délais réguliers afin de mettre ren appellera plus tard la « pixilation »,
(1895) qui, en bloquant successivement en évidence la croissance des plantes mais que pratique déjà Émile Cohl (les
les plaquettes cartonnées portant des ou la construction des édifices. En 1897, Chaussures matrimoniales, 1909) avec
images photographiques et fixées sur William Kennedy Laurie Dickson réalise un plan de chaussures qui marchent
une couronne tournante, restitue le mou- une accélération de la reconstruction toutes seules, les meubles de Mobilier
vement photographié. du Star Theatre de Broadway en pre- fidèle (Cohl, 1910), ou les ciseaux, fils et
Reynaud met au point un Photo-scéno- nant une image toutes les demi-heures tissus dans les Quatre Petits Tailleurs (id.,
graphe (1895) animant par projection des et Robert William Paul brutalise, par un id.), et cela jusqu’à Renaissance (1963)
séries de photos coloriées à la main et tournage réduit presque à l’image par de Walerian Borowczyk. Ce procédé ne
qui, tournées à 16 images par seconde, image, le trajet de On a Run Away Motor cessera de réapparaître dans des pas-
doivent être réduites à 4 par seconde, Car Through Picadilly Circus (1898). Dès sages truqués des films de Mack Sen-
étant donné le système de déroulement 1902, Lucien Buhl construit un disposi- nett ou de Hal Roach, voire de fonder les
manuel. tif filmant image par image le dévelop- petits films fantastiques de Willy O’Brien
Ici commence une exploitation de la pement d’une colonne de botrylles. Ces (The Lost World, 1925), ou d’être exploité
structure chronophotographique du film. méthodes de l’accéléré deviendront une dans quelques oeuvres de McLaren : Two
Elle va encourager des formes de trai- approche indispensable du cinéma de Bagatelles (1952), les Voisins (id.), Il était
tement arbitraire et irréaliste de la prise recherche dans les années 20 et 30 (Ber- une chaise (1957), dans lesquels des ani-
de vues cinématographique, formes que nard Lyot, MacMath, Jean Commandon). mateurs s’immobilisent eux-mêmes dans
pratiqueront les écoles française, amé- Procédé d’observation, le tournage de des positions successives, changent de
ricaine et britannique de films à trucs à non-reproduction des phénomènes, en position et d’équilibre pour chaque image,
partir de 1898. tendant vers l’image par image, va deve- aboutissant à la projection d’un mouve-
Alors que le spectacle cinémato- nir un moyen dynamique de composition ment continu image après image.
graphique naît avec Georges Méliès, scénographique, graphique et plastique. Films de marionnettes. Ce qui est
aux effets proprement photochimiques En 1895, Edison, qui n’était pas encore réalisé en décor réel avec des person-
de la magie noire (surimpression, mul- capable de tourner image par image nages vivants provisoirement immobilisés
tiples expositions, cache/contre-cache, à 1 image près, parvient à animer par dans une position donnée peut être plus
cadres composites) va s’ajouter toute blocs de plusieurs images successives facilement réglé, dans un décor miniature
une gamme de trucs fondés sur la suc- certains passages de The Execution of soigneusement éclairé, avec des marion-
cession des images. Le procédé de l’arrêt Mary Queen of Scots. Léon Gaumont fait nettes dont les articulations métalliques
sur image (stopper le déroulement du breveter en 1900 un procédé de tournage sont suffisamment souples pour pouvoir
film et reprendre le tournage en assu- image par image de cartes et de schémas être disposées dans des attitudes suc-
rant une immobilité parfaite de la caméra animés. Cette méthode assure la prise cessives exigées par l’animation image
permet de provoquer des apparitions ou d’une image pour un tour de manivelle, par image et suffisamment rigide pour
des disparitions) sera progressivement « one tour, one picture » ; on l’appellera conserver la position pendant toute la
perfectionné par un contrôle plus atten- longtemps le mouvement américain. Se- durée de prise de vues d’une phase de

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

mouvement (inutile de dire que le pied Modification par additions succes- style de construction fournira aux créa-
fixé d’un personnage doit être solidement sives. Le dessin qui se fait (en procédant teurs individuels des années 40 et 50 un
vissé au sol, pour éviter à la marionnette par addition successive pour chaque moyen d’échapper aux lourdes tech-
des écarts de position non contrôlés, et image prise) a été une des attractions pri- niques dépersonnalisantes du dessin
l’immobilité du décor rigoureusement mitives du cinéma d’animation graphique animé sur cellulo en réalisant et en déco-
maintenue, pour éviter des effets de trem- (Cohl, Blackton, etc.). Carmen d’Avino a rant tous les moindres éléments de leurs
blement de terre involontaires). poussé cette technique jusqu’à métamor- films, participant ainsi à tous les débuts
Segundo de Chomón donne des mou- phoser son modèle par additions succes- des nouvelles tendances techniques et
vements acrobatiques à ses Vêtements sives (The Big O, 1958) pour finalement expressives. Aussi bien à l’ONF du Ca-
cascadeurs (1908) et, dans la Liquéfac- recouvrir une pièce entière, puis tout un nada avec René Jodoin (Square Dance,
tion des corps durs (1909), déforme pro- paysage de rochers image par image : 1944), Grant Munro (The Man on the
gressivement à coups de poing des man- Room (1960) ; A Trip (1961) ; Stone So- Flying Trapèze, 1950), George Dunning
nequins soutenus par des carcasses de nata (1962). et Colin Low (Cadet Rousselle, 1946) ou
fil de fer. Émile Cohl dans les Locataires Modification par changement global. Norman McLaren (Rythmetic, 1956 ; le
d’à côté (1909) et Soyons sportifs (id.) L’écran d’épingles. Illustrateur et gra- Merle, 1958), qu’en France, avec Henri
anime des marionnettes schématiques veur, Alexandre Alexeieff, impressionné Gruel (Martin et Gaston, 1953 ; Gitanos
de bois pour donner le mouvement à de par la matière massive ou brumeuse et Papillons, 1954 ; Monsieur Tête, CO
vraies poupées dans le Tout Petit Faust définie par Berthold Bartosch dans l’Idée J. Lenica,1959), Walerian Borowczyck et
(1910) et le Petit Chantecler (id.). (1932), met au point avec Claire Parker Jan Lenica (Il était une fois, 1957 ; la Mai-

En 1909, le Polonais Ladisav Stare- un procédé original d’animation : l’écran son, 1958), Giulio et Emanuele Luzzati
d’épingles. Dans un cadre, un million de (Histoire des paladins de France, 1960 ;
vitch, commençant par animer des in-
pointes d’épingles situées chacune dans la Pie voleuse [la Gazza ladra], 1964) et
sectes morts, perfectionne dans L’amour
une alvéole accrochent des lumières laté- Jean François Laguionie (la Demoiselle
se venge (1912) la mécanique des ma-
rales comme autant de pointes de cadran et le Violoncelliste, 1965 ; l’Arche de Noé,
rionnettes afin d’obtenir une animation
solaire. Comme elles coulissent, on peut 1967), on assiste au renouveau plastique
excellente ; le Roman de Renard (1932)
égale en cela, par les foules fastueuses les enfoncer ou au contraire les amener de l’animation des années 60.

du Russe Aleksandr Ptouchko, le Nou- à sortir de l’écran. Plus elles dépassent, La même technique permet l’anima-
veau Gulliver (1934). La méthode semble plus les traits d’ombre croisés sont fon- tion d’objets minces ou de minuscules
au point avec les Funny Face Comedies cés pour arriver à un noir profond. Au allumettes (les Beaux Arts mystérieux,
contraire, si on les enfonce totalement, Cohl, 1910). Dans le cas de films à per-
de Red Seal (Cracked One, 1924), qui
combinent le changement de position et l’absence d’ombre laisse apparaître le sonnages, l’animation de silhouettes
d’attitude avec un remplacement image fond de l’écran blanc. plates et articulées simplifie le contrôle
par image de phases successives pour Ainsi s’anime la gravure, point par de la permanence des protagonistes
les touches ou des parties de visage, point, selon une technique qui, en ce qui découpés, permet de soigner la qualité
technique composite que George Pal concerne le façonnage du velours métal- anthropomorphique des mouvements :
amènera à un sommet de virtuosité cari- lique, tient du modelage de l’écran et de Omelette fantastique (1909) ; les Douze
caturale et spectaculaire dans Pirate du la gravure quant au fonctionnement des Travaux d’Hercule (id.) ; les Peintres néo-
ciel (1934) et En parade (1936). La per- ombres : Une nuit sur le mont Chauve impressionnistes (1910) de Cohl.
fection de ses maquettes et de ses anima- (1934) ; En passant (1943) ; le Nez (1963). Variante de cette forme : les silhouettes
tions le conduira à devenir l’un des pion- Déplacements d’éléments décou- animées britanniques de Paul Armstrong
niers des trucages, des effets spéciaux et pés. Le déplacement imperceptible de (1910), qui consistent à donner le mou-
de la production des films fantastiques et morceaux de matériaux plats (bristols, vement image par image à des décou-
d’anticipation, tel Destination Lune (I. Pi- feuille de métal léger, bouts de verres, pages articulés placés sur un fond trans-
chel, 1950), et à diriger le Monde merveil- galets, etc.) permet de composer des parent éclairé par-dessous et, surtout, les
leux des frères Grimm pour le Cinérama tableaux que l’on forme en déplaçant des ombres chinoises de Lotte Reiniger (le
(1962). Citons enfin l’école tchèque avec éléments constitutifs pour chacune des Cercueil volant, 1921 ; les Aventures du
Karel Zeman (la série des M. Prokouk), prises de vues successives. Ce procédé prince Ahmed, LM, 1926) en collabora-
Bretislav Pojar (Un verre de trop, 1954, plonge encore dans la préhistoire de l’ani- tion avec Berthold Bartosch.
le Petit Parapluie, 1957, et le Lion et la mation puisque, dès 1903, de Chomón Il faut également retenir plusieurs
Chanson, 1959), Jirí Trnka avec ses donne le mouvement à des lettres décou- variations d’éléments plats ou de sil-
courts et longs métrages. pées en fixant les états successifs par houettes articulées : le papier découpé
Emploi de la pâte à modeler, ou groupes de 5 ou 6 images, la prise de « en phases », où le personnage est des-
claymation. Par rapport à la raideur du vues d’une image pour un tour de mani- siné et colorié sur du papier, phase après
pantin articulé appelé « marionnette », qui velle n’étant pas encore mise au point. phase, puis découpé et fixé sur cellulo,
véhicule inévitablement une impression Edison (The Whole Dam Family and the méthode qui permet d’approcher l’élasti-
de manipulation, de « jeu à la poupée » Dam Dog, 1905) et l’American Mutos- cité dans le mouvement du dessin animé,
et qui, dans son souci de faire vrai reste cope and Biograph (Wanted a Nurse, tout en préservant une certaine liberté
1906) suivent de peu cette innovation.
limité au point de vue plastique, la tech- graphique (la Planète sauvage, de René
nique de la pâte à modeler retrouve une Dans Jones Meets Skinflint, des pro- Laloux, 1973), les « marionnettes plates »
souplesse et une apparente spontanéité, ductions Edison (1905), apparaît une de Bretislav Pojar (Histoire du petit chat,
ainsi que des possibilités de transforma- main découpée, déplacée image par 1960 ; l’Orateur Billards, 1962) et Iouri
tion et d’invention qui font le charme du image au milieu des lettres ; un coeur et Norstein (le Conte des contes, 1978), qui,
dessin animé (The Great Cognito, 1982). des microbes s’agitent dans The Love en gardant les avantages du relief ou des
Microbe de l’AM B (1907). matières animées, bénéficient des facili-
Animation par changement d’états.
Si l’animation consiste à modifier la dispo- Cohl se lance dans l’animation des élé- tés de stabilité et de déplacement d’une
sition d’éléments distincts dans le champ ments découpés dans Affaires de coeur animation sur plan horizontal.
de l’image saisie par la caméra, elle peut (1909) et le Binettoscope (1910). Fondus enchaînés et pastels ani-
également être obtenue en modifiant les Technique économique aux débuts més. En 1945, McLaren entreprend deux
états plastiques successifs d’un tableau. des films d’animation caricaturaux, ce films : C’est l’aviron et Là-haut sur ces

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

montagnes, réalisés dans une manière sept phases d’expression de la lune. En personnage entre une partie fixe (parfois
sombre, les motifs se détachant en clair 1900, dans The Enchanted Drawing, pendant plusieurs secondes) inscrite
sur des fonds nocturnes. Dans le premier, Blackton insère par arrêt sur l’image des sur un calque stationnaire et une partie
composé d’un effet de zoom continu, il séries de 2 à 4 phases d’expression de mobile (bras, jambe, tête) tracée sur un
enchaîne toutes les positions succes- personnages pour aboutir dès 1906 aux calque et bientôt un cellulo convenable-
sives par des fondus de 5 à 8 images. enchaînements, substitutions et dépla- ment repéré mécaniquement et changé
Dans le second, influencé par la peinture cements encore pétrifiés de Humourous pour chaque image. Cherchant toujours
en mouvement des films d’Alexeieff, il en- Phases of Funny Phases, suivi de Light- à mieux dissocier les éléments consti-
chaîne des états graphiques successifs ning Sketches (1907) et The Magic Foun- tutifs de l’image (personnages, décors,
faisant courir des lumières sur le dos des tain Pen (1909). effets), Barré, dans la série des Grouch
collines et laissant apparaître des détails Mais c’est l’animateur français Cohl qui, Chaser, utilise des matériaux transpa-
du paysage, renforçant toujours plus avec le Cauchemar du Fantoche (1908) rents. D’abord, des plaques de verre
l’animation d’effets graphiques, flammes, et Fantasmogorie (id.), démontre du pre- pour tracer des effets spéciaux, image
émergence d’objets architecturaux dans mier coup la puissance expressive et la par image, sous la caméra : fumée de
A Little Phantasy On a 19th Century Pain- vitalité dynamique du dessin animé, en cigare ou jets de liquide, éléments du
ting (1946) et la Poulette grise (1947). donnant à ce genre ses premiers chefs- premier plan permettant au personnage
Les effets de halo sont tracés et effacés d’oeuvre. L’oeuvre de Cohl appartient de passer derrière un arbre sans que sa
verticalement afin que la poussière tombe encore à l’univers graphique des dessins disparition doive être dessinée image par
naturellement, en prenant une image pour rire « fin de siècle ». Travaillant seul, image. C’est aux studios Barré que Bill
après chaque modification. il utilise toutes les techniques expéditives Nolan utilisera dès 1915 des décors en
Animation de matières brutes. de synthèse du mouvement graphique bande qui défilent sous la présentation
Quelques animateurs tracent d’un cou- image par image (dessin complété trait image par image d’un cycle de phases de
teau précis des formes et même des figu- par trait, animation d’éléments découpés, personnages marchant (horizontalement
rines dans un baquet de matières brutes : animation d’objets et phases graphiques ou verticalement) ; brevetée par Bray et
peinture, taches liquides ou amas pou- successives). Earl Hurd en 1915, la technique du cel-
dreux (sol, couleur, sable). La création d’un cinéma dessiné dont lulo, en se généralisant, va permettre une
Robert Lapoujade tire de ces matières toutes les phases graphiques sont des- organisation industrielle du dessin animé
des formes de stylisation inédites (Prison, sinées revient à Winsor McCay. Il a fallu américain (Studio Bray, Paul Terry). Elle
1962 ; Vélodrame, 1963 ; Trois Portraits pour cela donner une première solution va faciliter la répartition, sur un plus grand
d’un oiseau qui n’existe pas, id.), et Piotr au repérage et à la superposition parfaite nombre de collaborateurs, du poids de
Kamler, des dentelles de personnages des phases successives à l’étape du la création de toutes les phases succes-
et de décor... Eliott Noyes façonne des dessin puis du tournage. L’utilisation de sives de mouvement. Une telle organisa-
figures d’un tracé expéditif (Sandman, feuilles coupées à angle droit et bloquées tion, rigoureuse, du travail va encourager
1973) et Caroline Leaf des scènes sim- par des équerres résout le problème la création des grands ateliers des an-
plifiées dramatiquement situées dans des (Little Nemo, 1911 ; Story of a Mosquito, nées 30, la mise au point de personnages
décors détaillés (The Street, 1977). 1912), mais oblige à tout animer : per- centraux, véritables vedettes internatio-
sonnages et décors (Gertie the Dinosaur, nales d’un très grand nombre de courts
Le dessin animé. Toute l’histoire du
1914). John Randolph Bray choisit un métrages, soutenir la mise au point d’un
film d’animation alterne entre l’exploita-
tion des méthodes expéditives et indi- système de croix de repérage emprunté à style plastique et caricatural qui dominera
la technique de l’imprimerie en couleurs. le dessin animé et le cinéma d’animation
viduelles d’animation par déplacement,
Vers 1914, Raoul Barré, puis Bray vont pendant un demi-siècle.
modification, remodelage image par
image des motifs (premières origines résoudre ce problème fondamental en Pendant quelque temps, cependant,
au début du siècle, multiplication des soumettant tous les éléments dessinés Barré, Pat Sullivan et Otto Mesmer (pour
créateurs individuels et des écoles natio- à une perforation mécanique correspon- Felix the Cat) resteront fidèles à l’ani-
nales dans les années 40 et 50) et les dant à des règles à ergots qui assurent mation sur papier, sauvegardant ainsi
techniques du dessin animé, qui, elles, une mise en place identique de tous les les qualités de contraste et de simplifi-
en exigeant une organisation concertée éléments de l’animation (décors, phases cation graphique qu’imposait ce disposi-
du travail, une spécialisation des tâches, de mouvement, détail de premier plan) à tif, et qu’accentuait encore un tournage
autorisent des niveaux de productivité qui toutes les étapes de préparation, de réa- sur pellicule positive. Ainsi s’est établi un
permettent une fabrication régulière et lisation des phases ou du tournage sur style particulier de dessin animé noir et
suffisamment importante pour tenir une table de prise de vues. blanc propre à l’école de New York des
place industrielle et commerciale dans le Les premiers dessins animés sont années 20, qui, de Barré à Mesmer et
flot des communications visuelles (séries tracés sur papier et tournés sur table aux frères Fleischer de Out of the Inkwell,
de courts métrages des années 20 et transparente éclairée par-dessous. Le exploreront un style de cinéma dessiné
30), Blanche-Neige et les sept nains décor et les personnages ne doivent pas propre à un univers graphique et typo-
(W. Disney, 1937), longs métrages d’ani- s’enchevêtrer ; il faut donc animer les per- graphique dans lequel l’encrier, la plume,
mation des années 40 ou 70, séries télé- sonnages dans les espaces que le décor l’encre noire et la main du dessinateur se
visées des années 60. laisse libre. Ainsi s’explique la mise en disputent les premiers rôles.

Il fallait que, dans son histoire, le page aérée du dessin animé noir et blanc La composition et la réalisation de
puissant moyen d’inscription visuelle en des années 20. Parfois un élément de films d’animation destinés à être distri-
mouvement qu’est le cinéma d’animation décor doit être retracé sur chaque phase bués entre un grand nombre de collabo-
rencontre le dessin et surtout le dessin d’animation (ligne d’horizon, plancher ou rateurs artistiques exigent des méthodes
humoristique. En 1895, Edison convoque porte qui s’ouvre)... de préconception et de planification pré-
Blackton, le fameux caricaturiste du New Très vite, l’immensité de la tâche re- cises (surtout si l’on s’attaque à un long
York Evening World, pour lui faire exé- quise par la création d’un cinéma dessiné métrage de dessin animé ou à des séries
cuter un « dessin express » en prise de conduit les réalisateurs à trouver des de programmes destinés à la télévision).
vues accélérée. En 1901, Love by the moyens de réduire la quantité de tra- D’abord, une planification spatiale,
Light of the Moon (AM B) introduit, par vail. Barré met au point le « Slash Sys- qui définit les caractéristiques des per-
une glissière dans un décor nocturne, tem », qui divise la représentation d’un sonnages et des décors, décrit l’action

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

scénique graphique et plastique à travers Nouvelles méthodes électroniques chaîne de production photomécanique et
des croquis successifs de plus en plus et informatiques. Pendant plus de des modes de réalisation encore artisa-
soignés et détaillés (« scénarimage », 80 ans, l’aspect de l’animation était guidé naux.
ou story board), puis précise les échelles par le développement de techniques Traitement et synthèse informa-
de plan, les champs d’action, les entrées manuelles ou mécaniques de production tique des images animées. Le cou-
et les sorties des personnages sur les d’images en mouvement et des procé- plage, à partir des années 50, du tube
décors. dures de synthèse chronographique qui cathodique et de l’ordinateur provoque
Ensuite, une planification temporelle n’ont pas varié depuis Reynaud. Mais, en l’apparition d’un nouveau système de
qui transforme le synopsis en scénario entrant dans un âge informatique de la création visuelle : l’image numérique. La
minuté puis en partition géométrique indi- commande mécanisée, du traitement, de saisie de toutes les valeurs visuelles et
quant sur des bandes horizontales super- la synthèse et de l’animation automati- leur transcription en train de pulsion élec-
posées et découpées en secondes le sée, la position technologique et l’horizon tronique binaire aboutissent à une struc-
détail des actions, des pantomimes, des expressif du cinéma image par image se turation des données sous forme de ma-
dialogues, des effets sonores et musi- trouvent considérablement déplacés. trice numérique. Ainsi, toutes les images
caux en mettant en évidence les nuances Automatisation des dispositifs pho- saisies aboutissent à des tableaux de
de mouvement en fonction du temps. tomécaniques. Dès les années 40 ap- chiffres qui définissent l’image à un point
paraît une classe nouvelle de technique près. Tout tableau de chiffres donne une
De ces tables de minutage seront
tirées, lors de la réalisation de l’anima- image par image recourant à des auto- image. D’autre part, ces tableaux stoc-
tion, les feuilles d’exposition qui porteront mates, qui, lorsque les paramètres de kés dans une mémoire numérique sont
sur des feuillets verticaux les détails de mouvement ont été précisés, engagent, infiniment remodelables par inclusion,
poursuivent et achèvent dynamiquement
superposition des cellulos, de mise en suppression ou calcul ; ils ouvrent la voie
le tracé d’une figure correspondant à leur
place sur le plateau de la table de prise à une création d’images et d’oeuvres
domaine d’évolution.
de vues, de passage dans la caméra ou continuellement variables (voir déjà les
de mouvement de tournage, en accor- Avec son Cam System, John Withney jeux vidéo). Bientôt, un cinéma interac-
dant une ligne pour chaque image du film. contrôle, avec un ordinateur analogue, tif (1984) va s’opposer à un audiovisuel
les trajets successifs d’éléments généra- classique d’oeuvres fixées et définitives et
Vient alors le moment de produire
teurs élémentaires (points, traits, cercles,
l’animation proprement dite sur des docu- d’exploitation par présentations ou diffu-
courbes) pour produire des traînées lu-
ments : fonds, calques d’animation, cellu- sions répétitives.
mineuses, des enchevêtrements et des
los portant tous les mêmes perforations Avec l’apparition des traitements ana-
semis de formes, des animations de
de repérage afin de conserver une posi- logiques graphiques et plastiques de la
flous et d’incandescences (Film Exercise,
tion définitive aux éléments à toutes les vidéo des années 60 et 70 (art vidéo, vi-
1943-44 ; Catalog, 1961) : origines de
phases de la préparation, de la réalisation déoclips musicaux) et de l’image informa-
toute une esthétique abstraite, luministe
graphique, et du tournage. tique (militaire dans les années 60, indus-
et hypnotique qui a caractérisé les ima-
Aux premiers croquis libres du réalisa- trielle et architecturale des années 70,
geries de science-fiction et publicitaires
teur et des chefs animateurs qui donnent généralisée, scénographique et ludique
des années 70. En enregistrant image
des silhouettes intenses et expressives des années 80), le cinéma d’animation
par image les parcours de pendules com-
du personnage succèdent des tracés plus perd son ancien privilège de création syn-
posés dont ils modifiaient les rapports de
précis, qui constitueront des extrêmes thétique d’image et de mouvement, qui
jambage pour chaque image, Alexeieff et
d’animation. Des assistants d’animation l’opposait traditionnellement au courant
Claire Parker ont donné le mouvement à
fourniront les phases intermédiaires né- imitatif et documentaire de la prise de
des formes périodiques (Fumée, 1952 ;
cessaires à une recomposition graphique vues directe cinématographique ou de la
Sève de la terre, 1955).
du mouvement (les « intervalles ») à rai- transmission vidéo en direct. À partir de
La précision et la répétabilité infaillible
son de 16 images par seconde pour le 1965 se développe un champ de créa-
des contrôles informatiques permettent
cinéma muet et de 24 ou 25 images par tion d’images animées artificielles qui
de régler les trajectoires de tournages
seconde pour le cinéma sonore et la télé- ne répond plus seulement aux principes
de maquettes. La même banque de
vision. de discontinuité image par image qui
données assure le déplacement d’un
Ensuite, chacun des dessins est traçage au trait sur un écran cathodique définissaient jusqu’à présent le cinéma
tracé sur cellulo avec des encres ou des et le déplacement électromécanique d’animation. Maintenant, le contrôle de
gouaches de couleur (traçage) puis les d’une maquette suivant les mêmes lignes l’image est réalisé à un point d’image
différentes plages cernées par le dessin d’évolution, une superposition du véhi- près ; si la définition technique du cinéma
sont remplies de couleurs sur la face cule, des effets de flammes, d’explosion, d’animation demeure toujours un art de
inverse du cellulo (gouachage) afin de l’animation d’un ciel constellé d’étoiles. composition visuelle dynamique fondé
s’imposer dynamiquement sur les décors Le contrôle informatique des animations, sur le contrôle d’une succession d’élé-
(fonds) grâce à leur opacité. des superpositions de combinaisons, ments distincts, l’animation doit ajouter
Avec l’apparition du cinéma sonore d’inclusions cache-contre-cache a renou- à l’unité du cadre (système de construc-
(Western Electric, 1920-1922), les stu- velé le style et le réalisme des trucages tion image par image) celle du point
dios Walt Disney décident de produire des films épiques, ou de science-fiction d’image (comme dans l’écran d’épingles
des courts métrages accompagnés par (2001 : l’Odyssée de l’espace de Stan- d’Alexeieff), de nouvelles possibilités de
une bande son, avec Steamboat Willie ley Kubrick, 1968, et des films de la série contrôle fonctionnel sur des ensembles
(1928) et la série Silly Symphony à partir Star Wars, 1977, ou Star Trek, 1979) en de points ou d’images successives, ra-
de 1929. Cette série va d’ailleurs accroître redonnant une importance accrue aux fales de déplacements sur banc de prise
la complexité de la planification tempo- superproductions spectaculaires. de vues automatisé ; elle peut surtout ma-
relle en imposant des structures lyriques Les progrès du transfert de l’image nipuler des ensembles d’unités distinctes,
et métriques à une animation visuelle vidéo sur films, le recours à la production instrumentalement, en temps réel, sans
désormais renforcée par des bruitages, d’effets sur des systèmes de télévision à passer par un enregistrement image par
des effets sonores, un accompagnement haute définition et les progrès constants image différé (simulation, contrôle ges-
musical et des séquences de danse ou de l’image informatique vont obliger le tuel de l’animation, recours à des fonc-
d’exécution instrumentale. cinéma d’animation à abandonner la tions câblées, etc.).

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Par rapport à la création naturelle plus complexes telles que l’animation des ANKJERSTJERNE (Johan), chef opéra-
d’images manuelles, la réalisation décors, celle des personnages à partir teur danois (Randers 1886 - Copenhague
d’images animées informatiques exige des « model sheets » créés par l’auteur. 1959).
la maîtrise de méthodes complexes de Puis il est devenu théoriquement pos- Il est l’une des figures majeures de l’âge
description et de manipulation des objets d’or du cinéma danois. Son sens de
sible d’exécuter la totalité des opérations
visuels, puisqu’il faut décrire les images l’éclairage et des contrastes lui confère
conduisant à la réalisation intégrale d’un
mathématiquement et organiser les don- une place de choix parmi les grands pion-
dessin animé au moyen de l’ordinateur,
nées, les mots et les instructions suivant niers de l’image. Il travailla notamment
c’est l’option « zéro papier » utilisant des
les règles des langages informatiques avec August Blom (Atlantis, 1913) et Ben-
logiciels spécifiques et performants tels
pour communiquer avec l’image mise sur jamin Christensen qui lui doit beaucoup
que Tic Tac Toon. Mais cette option ren-
machine : mais les progrès du codage pour la renommée de la Sorcellerie à tra-
qui permettent d’archiver les images, contre des réticences, les créateurs et
vers les âges (1921).
la transparence croissante des pro- les animateurs ne sont pas encore très
grammes, le recours de commandes inte- à l’aise pour dessiner sur une tablette à ANNABELLA (Suzanne Charpentier, dite),
ractives directes (manche à balai, boule digitaliser. actrice française (Paris 1907 - Neuilly-sur-
roulante, etc.) laissent prévoir un accès Seine 1996).
Animation 3D. On qualifie d’animation
beaucoup plus aisé à ces procédés de La future interprète du film de René Clair
« 2D » une animation traditionnelle des-
création. D’autre part, la réduction des ta- est effectivement née un 14 juillet et
sinée en deux dimensions. L’association
bleaux à des primitives visuelles (points, elle n’a que dix-huit ans lorsque Gance,
des images traditionnelles et des images
lignes, zones, formes élémentaires), la frappé par la photogénie de son visage
de synthèse (générées par ordinateur)
reconstitution des attributs visuels offrent lumineux, la choisit pour interpréter Vio-
ont donné naissance à l’infographie.
un renouvellement complet des pro- line, personnage nimbé de poésie, de
blèmes et activités de composition et de La puissance des ordinateurs a permis son Napoléon (1927). Après cet impor-
dynamique. de calculer et d’animer dans l’espace des tant tournage, Grémillon lui confie un rôle
Engagée sur des représentations de images en volume, ou trois dimensions intéressant dans Maldone (1928). Ce
cartographie militaire ou des schématisa- « 3D », à partir de dessins en 2D et des sont toutefois les débuts du parlant qui
tions mécaniques, ergonomiques, élec- techniques de l’infographie. L’associa- lui apportent la chance en lui offrant les
troniques, pédagogiques, la visualisation tion de ces techniques a rendu possible héroïnes gracieusement sentimentales
informatique sur console graphique va, la réalisation intégrale d’un programme du Million (1931) et de Quatorze Juillet
à partir des années 70, encourager les (1933), deux films de René Clair. Elle
d’animation 3D en images de synthèse.
applications artistiques, notamment avec acquiert vite une réputation européenne
En 1990, Fantôme réalise, en France,
les variations esthétiques sur des formes qui lui permet de transférer dans les stu-
une première série les Fables géomé-
mathématiques développées par Whitney dios berlinois son image de jeune fille au
triques, (50 épisodes de 2mn30) puis en
(Arabesque, 1975) puis par Larry Cuba, sourire tendre, aux gestes effarouchés,
1995 Toy Story (Walt Disney). De très
à partir de constructions périodiques à la voix timide : Autour d’une enquête
nombreux programmes sont réalisés en
dont on fait varier toutes les valeurs. Ce (R. Siodmak, H. Chomette, 1931), Pa-
style de création informatique commandé mélangeant les deux techniques, 2D pour ris-Méditerranée (Joe May, 1932). Elle
par les langages de programmation va les décors et 3D pour les personnages. tourne en Hongrie un de ses meilleurs
étendre le champ de composition abs- L’évolution très rapide de logiciels (3D films : Marie légende hongroise (P. Fejos,
traite en perfectionnant les possibilités studio Max, Maya, XSI, ...) offre une infi- 1932), et c’est un Italien, Carmine Gal-
de contrôle des points, grilles de points, nité de possibilités aux créateurs. Ils sont lone, qui lui fait retrouver le Paris des fau-
zones d’images et des totalités du champ également employés pour la création de bourgs (Un soir de rafle, 1931). Première
de visualisation : KC Knowlton des Bell jeux. Les réseaux haut débit peuvent per- incursion à Hollywood en 1934, mais Ca-
Telephone Laboratories Beflix (1964) ; ravane (E. Charell) n’est pas un succès.
mettre de travailler sur un même projet
Explor (1970), dont Lilleau Schwartz ti- Sa carrière en France jusqu’en 1937 va
depuis des sites différents, ce qui favorise
rera Pixilation, Gogoplex, Olympiad. passer du rire aux larmes, du drame à la
les coproductions internationales et réduit
Déjà les synthétiseurs numériques comédie : Un fils d’Amérique (C. Gallone,
les temps d’exécution.
permettent de créer à partir de fonctions 1932), Mademoiselle Josette ma femme
La capture du mouvement est une
câblées des dispositifs fonctionnant en (A. Berthomieu, 1933), les Nuits mos-
technique qui consiste à enregistrer les covites (A. Granowski, 1934). Elle force
temps réel. Bill et Louise Elra, Woddy et
Steina Vasulka, Dan Saudin, en produi- mouvements d’un comédien et à les re- un peu son talent en acceptant des com-
sant des traitements immédiats de l’image porter sur l’animation d’un personnage en positions dramatiques qui la confirment
devant un public (reprise de balayage, 3D. Il est possible d’animer des person- dans son vedettariat mais qui semblent la
manipulation de zones d’images, pas de nages de synthèse en temps réel à partir gêner et où elle paraît plus souvent figée
numérisation variable, tissage de lignes de l’enregistrement des mouvements de que touchante : l’Équipage (A. Litvak,
et de blocs de couleurs), retrouvent l’es- main d’un marionnettiste ou d’animer la 1935), Veille d’armes (M. L’Herbier, id.),
prit du cinéma abstrait des années 20 et bouche d’une marionnette à partir de la Anne-Marie (R. Bernard, 1936), la Cita-
30 (Fishinger, McLaren). delle du silence (L’Herbier, 1937). Dans
capture du mouvement des lèvres d’un
Techniques numériques. Jusqu’à la la Bandera (1935), Duvivier lui fait tenir
comédien. Des systèmes de capture
fin des années 80, l’informatique consis- un contre-emploi, mais le rôle est court.
utilisant plusieurs caméras, jusqu’à 16,
tait essentiellement en une assistance C’est alors le départ pour les États-Unis,
peuvent permettre de créer des dépla-
technique aux travaux d’animation (Des- où elle rencontre Tyrone Power (elle avait
cements de marionnettes de synthèse.
sins animés assistés par ordinateur). précédemment épousé Jean Murat). Elle
Ces techniques évoluent en permanence
L’ordinateur a, dans un premier temps, participe aux essais en couleurs de la
et s’adaptent aux besoins spécifiques
été utilisé pour l’organisation de la pré- Baie du Destin d’Harold Schuster (1937)
production, la conception des décors, la demandés par les réalisateurs, et cela et se fait diriger par Sjöström dans Sous
réalisation de travaux jusqu’alors exé- d’autant plus facilement que la puissance la robe rouge (id.). Entre une comédie : la
cutés manuellement (traçage, mise en des ordinateurs de type PC ou Mac per- Baronne et son valet (W. Lang, 1938), et
couleurs) puis pour réaliser des tâches met d’utiliser ces logiciels en réseau. un film de prestige : Suez (A. Dwan, id.),

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

elle revient à Paris le temps de paraître d’obtenir plusieurs Césars. Il réussit en l’actrice. Cependant, de temps à autre,
dans Hôtel du Nord (M. Carné, id.), mais 1986 la gageure d’adapter le Nom de la celle-ci sait se faire remarquer dans des
son interprétation est vivement critiquée. rose, roman policier théologique et mé- rôles intéressants (ainsi le Retour du
La guerre et l’Occupation la fixent aux diéval, érudit et labyrinthique d’Umberto soldat d’Alan Bridges, Lookin’to Get out
États-Unis ; elle y apparaît dans des films Eco. Coproduction germano-italienne, de Hal Ashby, I Ought to Be in Pictures
de propagande. En 1945, ayant rompu le film remporte le César du meilleur d’Herbert Ross en 1982, Paiement Cash
avec Tyrone Power, elle est victime film étranger en 1987. Il tourne ensuite de J. Frankenheimer en 1986 ou A Tiger’s
d’une cabale. Après 13, rue Madeleine l’Ours (1988), qui remporte un très grand Tale de Peter Douglas en 1987). Elle se-
(H. Hathaway, 1947), elle revient en succès international et adapte en 1991 conde Walter Matthau et Jack Lemmon
France où on l’a un peu oubliée et y joue l’Amant de Marguerite Duras. En 1995, il dans une série à succès (Grumpy Old
de temps en temps dans des films à ten- réalise les Ailes du courage sur l’épopée Men Club, 1993 et Grumpier Old Men,
dance mélodramatique comme Éternel à travers les Andes du pilote de l’Aéro- 1995) mais c’est surtout dans l’Enfer du
Conflit (G. Lampin, 1948). Elle s’éloigne postale, Guillaumet. Ce moyen métrage dimanche (O. Stone, 1999) qu’elle crée
encore une fois de son pays, s’installe en tourné avec une caméra IMAX 3 D fut une sensation : riche beauté fanée, por-
Espagne, où elle paraît dans quelques présenté à New York sur l’écran géant tée sur les petits chiens et l’alcool, elle
histoires qui ne laissent pas grand souve- (de 26 mètres sur 33) du Sony IMAX de tombe le masque face à Al Pacino dans
nir, puis elle se tait. Dans les années 30, Broadway. En 1997 il présente Sept ans une scène d’émotion sobre et mémo-
celle qui avait choisi son pseudonyme en au Tibet. rable.
lisant Edgar Poe a réussi à donner de la
jeune Française une image sentimentale ANNENKOV (Georges), créateur de cos- ANNONCE.
qui garde encore du charme. Servie par tumes français d’origine russe (Petropa- Annonce faite à voix haute, en début de
un visage émouvant, gênée par une voix vlovsk-[Kamtchatka] 1891 - Paris 1974). prise, des principales informations de la
grêle, elle a souffert d’être une midinette L’essentiel de sa carrière est consacré claquette. ( REPIQUAGE.)

égarée dans de lourdes productions. au théâtre, d’abord en URSS, puis en


France, où il s’exile au milieu des an- ANOUILH (Jean), auteur dramatique et
ANNAKIN (Ken), cinéaste britannique (Be- nées 20. Au cinéma, il aurait contribué dialoguiste français (Bordeaux 1910 - Lau-
verley 1914). au Faust de F. W. Murnau (1926), mais sanne, Suisse, 1987).
Après divers métiers, Ken Annakin vient c’est en France qu’il s’impose. Peintre Employé dans la célèbre agence Damour,
au cinéma durant la guerre, comme as- et portraitiste, il excelle à créer des cos- il travaille sur des films publicitaires avec
sistant opérateur puis comme réalisateur tumes dont la stylisation souligne l’accord Jean Aurenche, Jacques Prévert, Paul
avec Holiday Camp (1947). Il devient intime entre décor et sujet : Mademoiselle Grimault, mais c’est le théâtre qui le pas-
bientôt l’un des réalisateurs les plus sûrs Docteur (G. W. Pabst, 1937), Mayerling sionne. Sa première pièce est montée en
et les plus prolifiques de l’industrie ciné- (A. Litvak, id.), Nuits de feu (M. L’Her- 1932, et il devient secrétaire du théâtre
matographique anglo-américaine. Parmi bier, id.), Tarakanowa (F. Ozep, 1938), de Louis Jouvet. De 1936 à 1939, il écrit
plus de trente longs métrages, on peut le Drame de Shanghai (Pabst, id.), la des dialogues de films avec Aurenche, et,
citer : Miranda (1948) ; la Femme du Duchesse de Langeais (J. de Baron- en 1943, il met en scène une adaptation
planteur (The Planter’s Wife, 1952), avec celli, 1942), Pontcarral, colonel d’Em- de sa pièce le Voyageur sans bagages.
Claudette Colbert et Jack Hawkins ; Qui pire (J. Delannoy, id.), l’Éternel Retour Il signera huit ans plus tard sa deuxième
perd gagne (Loser Takes All, 1956), écrit (id., 1943), Patrie (L. Daquin, 1946), la mise en scène de cinéma : Deux Sous de
et produit par Graham Greene ; les Ro- Symphonie pastorale (Delannoy, id.), la violettes. Bien qu’il se consacre essen-
binsons des mers du Sud (Swiss Family Chartreuse de Parme (Christian-Jaque, tiellement au théâtre, il collaborera à sept
Robinson, 1960) ; V. I. P. (Very Important 1948). Pour Max Ophuls, sur qui il a films de 1947 à 1960, dont Monsieur Vin-
Person, 1961) ; Ces merveilleux fous publié en 1962 un passionnant livre de cent (M. Cloche, 1947), Pattes blanches
volants dans leurs drôles de machines souvenirs, il crée les habits de poupées (J. Grémillon, 1949), le Chevalier de la
(Those Magnificent Men in Their Flying de la Ronde (1950), les « filles de tous nuit (Robert Darène, 1954) et la Mort de
Machines, 1965) ; la Bataille des Ar- draps » du Plaisir (1952), les variations Belle (É. Molinaro, 1961).
dennes (Battle of The Bulge, id.) ; l’Appel en noir et blanc de Madame de... (1953)
de la forêt (Call of the Wild, 1972) ; Paper et la parade superbement colorée de Lola ANSCHÜTZ (Ottomar), photographe alle-
Tiger (1975). Montès (1955). Il a publié un autre livre mand (1846 - 1907).
de souvenirs : En habillant les vedettes Sans doute originaire de Lissa (Leszno)
ANNAUD (Jean-Jacques), cinéaste fran- (1951). en Posnanie. Précurseur du cinéma,
çais (Juvisy-sur-Orge 1943). dans la lignée des travaux de Muybridge
Après avoir fait l’école de Vaugirard ANN-MARGRET (Ann-Margret Olsson, et Marey, il s’intéresse à l’analyse et à
(1962) et l’IDHEC (1964), Jean-Jacques dite), actrice américaine d’origine sué- la synthèse du mouvement. Il est surtout
Annaud se lance dans la confection de doise (Valsjobyn, 1941). connu pour son Tachyscope (ou Tachys-
films publicitaires ; il en tourne 400 entre Elle débute comme ingénue romantique kop) électrique ou Électrotachyscope
1966 et 1976. Son premier long métrage, dans Milliardaire pour un jour de Frank (1889), amélioration d’un Tachyscope
la Victoire en chantant (FR-RFA-CDI, Capra en 1961. George Sidney ayant mis légèrement antérieur. Dans cet appareil,
1976), parabole très caustique sur le co- en valeur, dans Bye Bye Birdie (1963), présenté au public berlinois du 19 au
lonialisme, obtient l’Oscar du meilleur film ses talents de chanteuse et de danseuse, 21 mars 1887, 24 photographies sur verre
étranger à Hollywood en 1977 (et il est son dynamisme et son sens de l’humour, représentant les phases successives d’un
alors reprogrammé sous le titre : Noirs et et la Chatte au fouet (Kitten With a Whip, mouvement cyclique étaient montées à la
Blancs en couleur). Poursuivant dans la 1964), de Douglas Heyes, exhibé sa sen- périphérie d’une roue métallique de grand
voie de la satire politico-sociale, Annaud sualité, elle est vouée depuis lors à jouer diamètre : un contact électrique déclen-
brosse, dans Coup de tête (1979), une les vamps caricaturales (Tommy, K. Rus- chait une impulsion lumineuse au pas-
certaine mentalité provinciale encline sell, 1975), dans des comédies musicales sage de chaque vue derrière la fenêtre
aux pires injustices. La Guerre du feu ou non. Une sensibilité profonde apparaît d’observation, immobilisant ainsi cette
(1981), film sans dialogues d’après le dans ses rôles dramatiques (Ce plaisir vue pour l’oeil. En 1884, il avait réalisé
roman fameux de Rosny aîné, l’impose qu’on dit charnel, M. Nichols, 1971). Aux un projecteur Tachyscope à deux roues,
sur le marché international et lui permet États-Unis, la meneuse de revue éclipse portant respectivement les vues paires

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

et impaires, un mécanisme de Croix de série des Frau Wirtin en 1969-1973 —, ment démocratique de Raúl Alfonsín, il
Malte faisant avancer une roue pendant même lorsqu’il atteint un budget plus assume la direction de l’Institut National
que l’autre était immobilisée. confortable : Treize Femmes pour Casa- du Cinéma (1983-1989) et impulse avec
nova (Casanova and Company, 1977). succès le renouvellement et la promotion
ANSCOLOR PROCÉDÉS DE CINÉMA EN En 1981, il réalise en Autriche Der Boc- du cinéma argentin. Ensuite, il crée l’Uni-
COULEURS kerer sur le nazisme et la guerre vus par versité du cinéma à Buenos Aires (1991),
un petit bourgeois de Vienne. Six années devenue le berceau des jeunes réalisa-
ANSTEY (Harold Macfarlane Anstey, dit plus tard, il renoue avec les thèmes tradi- teurs argentins, dont la vitalité surprend
Edgar), cinéaste, producteur et théori- tionnels, produisant et réalisant une bio- les festivaliers et la critique internationale.
cien britannique (Watford 1907 - Londres graphie de Johann Strauss : Der König
1987). ohne Krone. ANTIREFLETS.
Spécialisé dans le cinéma documentaire Couche antireflets, très fine couche
et le film industriel, il réalise, en 1933, ANTHONY (Joseph Deuster, dit Joseph), transparente déposée à la surface d’une
Unchartered Waters et, en 1934, Eskimo cinéaste américain (Milwaukee, Wis., lentille pour diminuer la lumière réfléchie
Village, puis il assure le montage sonore 1912 - Hyannis, Mass., 1993). par cette surface. ( OPTIQUE ONDULA-
de Granton Trawler (J. Grierson, 1934). Acteur de théâtre (1935-1954), il tient TOIRE.)
Il signe en tant que réalisateur (Housing aussi quelques rôles à l’écran, dans la
Problems, 1935 [CO A. Elton] ; Enough to Source de feu (Irving Pichel et Lansing ANTOINE (Léonard André), cinéaste fran-
Eat ?, 1936) ou producteur (Advance De- C. Holden, 1935), l’Ombre de l’introu- çais (Limoges 1858 - Le Pouliguen 1943).
mocracy, 1939) quelques documentaires vable (W. S. Van Dyke II, 1941) et Joe De 1914 à 1922, le fondateur du Théâtre-
à préoccupations sociales. Mais Anstey, Smith, American (R. Thorpe, 1942). De Libre se voit confier par la SCAGL (So-
par ailleurs critique à The Spectator 1947 à 1954, il se produit régulièrement ciété cinématographique des auteurs
(1941-1946) et à la BBC (1946-1949), est à la télévision, puis se consacre à la mise et gens de lettres) et Pathé le soin de
surtout connu pour son inlassable activité en scène théâtrale (The Rainmaker ; The tourner neuf films. Ceux-ci s’appuient
de producteur et d’animateur (Shell Film Lark ; A Clearing in the Woods ; Wines- soit sur des romans célèbres de Dumas
Unit, 1934-1935 ; March of Time, 1936- burg, Ohio ; The Best Man ; Rhinoce- (les Frères corses, 1916), de Coppée (le
1938 ; ministère de l’Information, pendant ros ; Mary, Mary, etc.). Pour ses débuts Coupable, 1917), de Hugo (Quatre-Vingt-
les années de guerre ; et British Trans- de réalisateur, il dirige Burt Lancaster Treize, réalisé en 1914 et sorti en 1920,
ports, où il supervise Journey into Spring et Katharine Hepburn dans l’adapta- CO A. Capellani ; et les Travailleurs de la
[1957] et Terminus [1961]). tion de The Rainmaker (le Faiseur de
mer, 1918) ou de Zola (la Terre, 1921),
pluie, 1956). Il poursuit dans une veine soit sur des pièces connues de Sandeau
ANSWER PRINT. essentiellement théâtrale, centrée sur (Mademoiselle de La Seiglière, 1920)
Locution anglaise pour copie zéro. (Voir la performance d’acteur, et dirige Shir-
ou de Daudet (l’Arlésienne, 1922). En
ce mot.) ley Booth dans la Meneuse de jeu (The
rupture totale avec les habitudes ciné-
Matchmaker, 1958), puis Dean Martin et
matographiques d’alors, il entraîne ses
ANTAMORO (Giulio), cinéaste italien Shirley MacLaine dans En lettres de feu
interprètes hors des studios. Il les met en
(Rome 1887 - id. 1945). (Career, 1959) et Il a suffi d’une nuit (All in
contact direct avec la nature : la Corse
D’origine aristocratique, Antamoro com- a Night’s Work, 1961). Après le tournage,
ou la Provence, ou avec les rues et les
mence à travailler à la Cines en 1910. en Italie, de l’Arsenal de la peur (La città
faubourgs peu connus de Paris, ou les
Il tourne les premiers films comiques de prigioniera, 1962), il revient au théâtre.
fait jouer au bord des canaux du Nord.
Ferdinand Guillaume (Polidor), notam- En 1972, il signe Tomorrow, d’après
ment Pinocchio (1911). Il dirige aussi des Ainsi tourne-t-il en Belgique, en 1920,
William Faulkner.
mélodrames avec les grandes actrices l’Hirondelle et la Mésange, qui est refusé

du moment, Hesperia, Leda Gys, Diana par Pathé ; les rushes ont été retrouvés
ANTIHALO.
Karenne, Fernanda Negri Pouget. Toute- et montés par Henri Colpi (1983). Parmi
Couche antihalo, couche absorbant la lu-
fois, c’est dans le domaine du film d’ins- les comédiens, il glisse d’authentiques
mière, incorporée aux films négatifs pour
piration religieuse qu’il donne le meilleur paysans ou de véritables marins qui
éviter la formation d’une image parasite
de lui-même. Si Frate Francesco (1926) contribuent à donner aux films un accent
par réflexion des rayons lumineux sur la
et Antonio di Padova (1931) sont des face dorsale du film. ( FILM.) de forte vérité. Trop en avance pour son
oeuvres simplement estimables, Christus époque, incompris et déçu, Antoine se
(1916), en revanche, doit être considéré ANTÍN (Manuel), cinéaste argentin (Las retire vite du combat et se borne à tenir
comme un classique du genre, aussi Palmas, prov. du Chaco, 1926). la critique cinématographique du Journal.
bien par l’importance des moyens mis en Il est l’auteur le plus intellectuel et le
plus littéraire du nuevo cine. À l’excep- ANTOINE (André Paul), scénariste français
oeuvre (une partie du film fut tournée en
tion de Los venerables todos (1962), (Paris 1892 - id. 1982).
Palestine et en Égypte) que par l’intensité
remarquable étude des mentalités pré- Fils d’André Antoine à qui il rend hom-
du sentiment religieux.
facistes restée inédite, ses premiers films mage dans son livre Antoine père et fils,
ANTEL (Franz), cinéaste allemand d’ori- s’inspirent de l’oeuvre de Julio Cortázar : journaliste, auteur dramatique, il aborde
gine autrichienne (Vienne 1913). La cifra impar (1961, d’après Lettres à le cinéma en collaborant au Miracle des
Ancien assistant opérateur, puis chargé maman), Circe (1963), Intimidad de los loups (R. Bernard, 1924). En 1928, il réa-
de production sous le IIIe Reich, il ne Parques (1964). Il quitte les méandres lise en collaboration avec Robert Lugéon
devient réalisateur qu’en 1948. Il tourne du fantastique quotidien et de l’intimisme un documentaire : Chez les mangeurs
beaucoup, principalement des comédies pour mettre en scène un classique de d’hommes. Son activité est considérable ;
(dont le remake du Congrès s’amuse la littérature gauchesque (Don Segundo il travaille pour Max Ophuls (la Tendre
[Der Kongress tanzt], 1955) et des films Sombra, 1970), la biographie du plus Ennemie, 1936 ; Sans lendemain, 1940 ;
d’aventures (le Trésor des SS [Schusse controversé des patriarches de la nation De Mayerling à Sarajevo, id.), J. Duvi-
im Morgengrauen], 1959). Depuis la fin (Rosas, 1971) et un voyage lyrique à vier (le Golem, 1936), Christian-Jaque
des années 60, il tourne (parfois sous le travers la pampa sur les traces de l’écri- (Barbe-Bleue, 1951), J. Renoir (French
pseudonyme de François Legrand) des vain Guillermo E. Hudson (Allá lejos y Cancan, 1955). L’Inévitable Monsieur
comédies sexy fort médiocres — dont la hace tiempo, 1977). Sous le gouverne- Dubois (P. Billon, 1943) et le Carrefour

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

des enfants perdus (L. Joannon, 1944) et au Cheikh blanc (F. Fellini, 1952). Point, puis à l’angoisse policière de Blow
ont connu le succès. Après une dizaine de courts métrages, Up. Ce sont les progrès successifs d’un
il tourne Chronique d’un amour en 1950, effacement : souvenons-nous que Blow
ANTON (Karel), cinéaste allemand d’ori- début d’une filmographie relativement Up s’achève, s’évanouit sur la répétition
gine austro-hongroise (Brünn, [auj. Brno, peu abondante, héritière pour une part du d’un simulacre : échange de balles imagi-
Tchécoslovaquie], 1898 - Berlin 1979). néoréalisme dans ses constats d’échecs naires à quoi répondra le plan-séquence
Auteur prolifique — près de cent films —, sociaux (les Vaincus — interdit en France techniquement admirable de champs/
il mène une carrière partagée entre la jusqu’en 1963... — ou le Cri) et de l’in- contre-champs dans le hall de l’hôtel
Tchécoslovaquie, où le film Tonischka terrogation pavésienne sur la solitude de Venise (Identification d’une femme) :
(1930) le fait connaître (il s’agit du pre- et l’incommunicabilité (Femmes entre mais il semble alors que, dans le no
mier film sonore de ce pays), l’Alle- elles, L’avventura). C’est ce dernier titre man’s land esthétisant où nous sommes
magne, où il se fait prénommer Karl, se qui vaut à Antonioni la notoriété en 1960, parvenus, ni le portrait ni son modèle ne
spécialise dans l’opérette et la comédie, comme il marque une rupture par rapport nous proposent plus d’identification ; la
tourne un Croiseur Sébastopol (Weisse aux motivations psychologiques tradition- réalité humaine des protagonistes s’est
Sklaven, 1938) de facture antisoviétique, nelles et à l’argumentation dramaturgique elle-même dissipée... Antonioni célèbre,
assiste Hans Steinhoff pour le Président des films précédents. Par le jeu de la dis- d’une certaine manière, l’impossible inno-
Krüger (1941), et la France, où de Karl parition d’une femme sur une île, et qui cence, que l’Occident a perdue. Mais il y
il devient Charles et réalise entre 1932 demeure inexpliquée — dissolution, écla- a beaucoup de naïveté dans l’approche
et 1936 quelques divertissements ano- tement de la réalité qu’on retrouvera dans
de la Chine (dans le film qu’il réalise pour
dins (il devait revenir curieusement dans Blow Up, Zabriskie Point, voire la fuite de la RAI), et trop d’artifices dans Profes-
les studios français en 1948 pour signer l’objectif à la fin de Profession : reporter sion : reporter. Le « nouveau sentiment
le scénario de Barry [R. Pottier]). —, Antonioni accuse l’indicible qui sépare
de la réalité » (pour citer Alberto Moravia)
les êtres et se détache d’un temps logique
ANTONELLI (Laura), actrice italienne (Pola qui sous-tend son oeuvre depuis le Cri et
du récit. Ainsi, le Cri (avec Alida Valli,
[auj. Pula], Yougoslavie, 1941). L’avventura, explore d’abord un espace-
Betsy Blair et Steve Cochran), qui peut
Venue au cinéma (1968) après quelques temps où l’individu dans sa solitude tient
paraître directement issu de Gente del
films publicitaires pour la RAI, elle se la place prééminente. C’est ce qui fait que
Po par la voie du compromis néoréaliste,
voit imposer une classification sexy qui la trilogie (L’avventura, la Nuit, l’Éclipse),
est-il à la fois aboutissement et transition.
répond à son charme mais limite ses dans laquelle passent aussi les visages
Si on excepte la scène finale, la caméra
possibilités. Égarée dans des entreprises de Jeanne Moreau et d’Alain Delon, pos-
y approche la liberté d’écrire sans avoir à
faussement intellectuelles comme Vénus sède un pouvoir d’émotion sous le gla-
se justifier à mesure, sans définir arbitrai-
en fourrure, de Max Dillman (Massimo çage nocturne de l’image, une fascination
rement cette part de l’être qui demeure
Dallamano) [Le malizie di Venere/Venere (d’aucuns parlent plutôt de mystification)
secrète, fragile, immergée dans son es-
nuda, 1975, RÉ 1969], elle a plus de suc- qui s’exerça en dépit des huées reçues,
pace et sa solitude. C’est cet espace que
cès dans ses rôles secondaires des Ma- en 1960, au festival de Cannes, jusqu’à
s’efforcent de cadrer l’Éclipse, la Nuit, le
riés de l’an II (J.-P. Rappeneau, 1970) ou une date récente. Un désarroi se décèle
Désert rouge : tout y est en relation, et
de Docteur Popaul (C. Chabrol, 1972). En pourtant chez le cinéaste, comme si, à
tout y est obstacle, clôture, solitude...
tête du box-office italien avec Ma femme la dissolution du réel, il ne parvenait plus
La fortune de ces films est due pour
est un violon... sexe (P. Festa Campa- à opposer une invention créatrice (Iden-
une part à ce qu’ils correspondent alors
nile, 1971) et surtout Malicia (S. Sam- tification d’une femme). Les formes, les
à un phénomène de sensibilité : l’incom-
pieri, 1973), films faits sur mesure pour êtres se seraient-ils vidés de tout pou-
municabilité, la déshumanisation de la
sa beauté à la fois innocente et sen- voir, échappant à la saisie poétique, par
vie, l’agression du monde (si visuelle
suelle, elle prouve ses qualités variées effacement, comme la caméra, à la fin de
dans le Désert rouge), que regardent,
dans les sketches de Sexe fou (D. Risi, Profession : reporter, échappe inexplica-
impuissants, Monica Vitti ou Marcello
1973) et dans une amusante composition blement, par un travelling dans l’espace,
« d’époque » : Mon Dieu, comment suis- Mastroianni, et, jusqu’au sentiment poi-
à la chambre abandonnée ? À l’évidence,
je tombée si bas ? (L. Comencini, 1974). gnant de l’effacement du réel, David
Antonioni est un cinéaste de la solitude.
Elle soutient dignement un rôle écrasant Hemmings dans Blow Up. Le néoréa-
Son univers nocturne, déserté, et qu’ha-
dans l’Innocent (L. Visconti, 1976). Mais lisme, assez paradoxalement, a fait le
bite le silence, où les paroles inutiles,
une sorte de nonchalance prévaut dans lit du nouveau mal de vivre hérité, après
l’effondrement des valeurs occidentales, convenues et dérisoires ne retiennent
sa carrière, où elle dilapide en quelque
aucune dérive de s’accomplir, a su reflé-
sorte sa gentillesse et sa séduction : les de Sartre, ou de Pavese, dont Antonioni
ter un monde qui, pour une part, est aussi
Monstresses (L. Zampa, 1977), Mi faccio adapte le roman Femmes entre elles.
le nôtre. Et rien n’est jamais vulgaire, ni
la barca (S. Corbucci, 1981), les Derniers Alors que, en 1967, comme à l’avant-
garde d’une génération nouvelle, Marco démagogique, ni dramatiquement exa-
Monstres (D. Risi, 1982), la Vénitienne
Bellocchio s’en prend, dans les Poings géré dans son oeuvre. C’est un cinéma
(M. Bolognini, 1987), L’avaro (Tonino
dans les poches, à ce qui survit des va- de la « sous-conversation », ainsi que l’on
Cervi, 1990).
leurs condamnées, Antonioni s’oriente a défini les romans de Nathalie Sarraute.

ANTONIONI (Michelangelo), cinéaste ita- — avec, il est vrai, une incomparable Intellectuel et lyrique à la fois, Antonioni

lien (Ferrare 1912). élégance — vers l’exploration intimiste occupe, face à cette réelle impasse, une

Après des études à Ferrare, puis Bologne d’une faillite de civilisation que le Désert place bien particulière. L’importance qu’il
(sciences économiques), il se consacre rouge amorce, puis que Zabriskie Point, accorde à l’esthétique est différente, dans
au journalisme. Parti pour Rome en 1939, tourné aux États-Unis pour la MGM, veut sa nature même, du raffinement de Vis-
il collabore à la revue Cinema. Il est en- traduire par une gestuelle proche des conti, du baroque ironique de Fellini ; son
voyé en tant qu’assistant stagiaire auprès attitudes et des représentations naïves sens de la réalité a pris, très tôt, ses dis-
de Carné, qui réalise les Visiteurs du soir. d’une jeunesse en attente de révolte. On tances par rapport à De Sica, à Lattuada.
Il entreprend en 1943 son premier essai, voit ainsi l’esthète désenchanté, sauf, Après plusieurs années d’inactivité pour
Gente del Po (CM documentaire) ; mais peut-être, de son propre poème visuel, raisons de santé, il revient au cinéma
c’est comme scénariste qu’il participe à glisser de la mystérieuse Avventura à avec l’appui de Wim Wenders (Par-delà
Chasse tragique (G. De Santis, 1948) l’explosion répétitive qui conclut Zabriskie les nuages, 1995).

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Films CM — Gente del Po (1943- AOYAMA (Shinji), cinéaste japonais (Kita- buts ; Coeur de Tonnerre (Thunderheart)
1947) ; N. U. (Nettezza urbana, 1948) ; Kyushu 1964). reprend ce que le réalisateur a appris
L’amorosa menzogna (1949) ; Supersti- Dès ses études à l’université de Rikkyo, dans le film précédent pour le réutiliser
zione (id.) ; Sette canne un vestito (id.) ; où il suit les cours du professeur Hasumi, à chaud dans un thriller original. On peut
La funivia del Faloria (1950) ; La villa dei il commence à réaliser des films en regretter que dans Blink (id., 1993), bon
mostri (id.) ; Uomini in più (id.) ; LM — 8 mm. Devenu assistant réalisateur, il a film policier, Apted se contente à nouveau
Chronique d’un amour (Cronaca di un l’occasion de travailler avec Kiyoshi Kuro- de ne jouer que sur son savoir-faire. Ainsi
amore, 1950) ; les Vaincus / Nos fils (I sawa*, et sur certaines productions étran- dans Mesures d’urgence (Extreme Mea-
vinti, 1952) ; la Dame sans camélias (La gères tournées au Japon (Cold Fever, sures, 1996) ou dans Le monde ne suffit
de Fridrik Fridiksson* ; Visage écrit, de pas (The World Is Not Enough, 1999),
signora senza camelie, 1953) ; Suicides
Daniel Schmid). Par ailleurs, passionné somptueuse aventure de James Bond
manqués (Tentato suicidio), épisode de
de cinéma, il collabore à certaines revues qu’Apted emballe avec compétence et
l’Amour à la ville (L’amore in città, id.) ;
comme Esquire Japan, ou Cahiers du une certaine élégance.
Femmes entre elles (Le amiche, 1955) ;
cinéma Japon. C’est en 1995 qu’il tourne
le Cri (Il grido, 1957) ; L’avventura (id.,
son premier film (en vidéo), Ce n’est pas ARAGÓN GUTIÉRREZARAGÓN(MANUEL)
1960) ; la Nuit (La notte, 1961) ; l’Éclipse
dans le manuel (Kyokasho ni nai), suivi
(L’eclisse, 1962) ; le Désert rouge (De-
de films de cinéma qui l’imposeront peu ARAKELIAN (Hagop), maquilleur français
serto rosso, 1964) ; I tre volti (épisode : Il
à peu dans les festivals internationaux : (Ekaterinodar [auj. Krasnodar], Russie,
provino, 1965) ; Blow Up (id., GB, 1966) ;
Helpless (1996), Deux Voyous (Chim- 1894 - Boulogne-Billancourt 1977).
Zabriskie Point (id., US, 1970) ; Chung
pira, 1996), Wild Life (id., 1997), Une En France depuis 1921, il suit l’ensei-
kuo, la Chine (Chung kuo, Cina, 1972) ;
obsession (Tsumetai chi, 1998), et Shady gnement de Chakatouny. Devenu chef
Profession : reporter (Il reporter, 1975) ;
Grove (1999), variations personnelles et maquilleur en 1933, il exerce ses talents
le Mystère d’Oberwald (Il mistero di Obe- décalées sur des genres en crise, comme dans près de 150 films, en particulier sous
rwald, TV tourné en vidéo, 1980) ; Iden- le film de yakuza. Mais c’est avec Eureka la direction de Gance (J’accuse, la Vénus
tification d’une femme (Identificazione di (id., présenté en compétition à Cannes en aveugle, Napoléon, Austerlitz), Grémillon
una donna, 1982) ; Par-delà les nuages 2000), long (3h37) film en cinémaScope (Pattes blanches, l’Étrange Madame X),
(Al di là delle nuvole, co W. Wenders, et noir et blanc, sorte de road-movie ini- Carné (les Portes de la nuit), Melville (les
1995). tiatique basé sur un traumatisme menant Enfants terribles), Vadim (Et Dieu créa
à une régénération des personnages, la femme), mais son chef-d’oeuvre est le
ANTONUTTI (Omero), acteur italien qu’Aoyama va réellement s’imposer sur masque de la Bête porté par Jean Marais
(Udine 1935). la scène internationale. Il tourne ensuite dans la Belle et la Bête de Jean Cocteau
En 1977, Padre padrone, des frères Ta- un documentaire sur l’écrivain Kenji Na- (1946).
viani, révèle dans un rôle de père des- kagami (Roji-E/Vers l’allée, 2000), avant
potique un acteur de plus quarante ans un nouveau film de fiction, le Désert de la ARANDA (Vicente), cinéaste espagnol
qui s’était consacré jusque-là presque lune (Tsuki no sabaku, 2001). (Barcelone, Catalogne, 1926).
exclusivement au théâtre dans la com- Il se trouve lié à l’école dite de Barcelone,
pagnie du Teatro Stabile de Gênes : son APTED (Michael), cinéaste britannique dont l’esthétisme raffiné est nouveau
répertoire allait de Shakespeare à Brecht (Aylesbury, Buckinghamshire, 1941). dans le cinéma péninsulaire : Fata Mor-
en passant par Goldoni, Ibsen, Sartre, Après des études à Cambridge, il tra-
gana (1965) est une des oeuvres les plus
O’Neill, Miller. L’entente avec les Taviani vaille pour Granada TV, puis s’oriente
représentatives et les plus abouties de
se poursuit avec la Nuit de San Lorenzo vers le cinéma. Triple Écho (id., 1973)
ce courant. Il aborde ensuite des genres
(1982), Kaos (1984), Good Morning avec Glenda Jackson et Oliver Reed, sur
plus commerciaux, soit le fantastique, soit
Babylonia (1987). Doté d’une forte pré- un scénario de R. Chapman, était pro-
l’érotique : Las crueles (1969), La novia
sence physique qui lui permet d’exceller metteur. Depuis, Apted a signé de nom-
ensangrentada (1972), Clara es el pre-
breux films, réalisés en Grande-Bretagne
dans les figures autoritaires ou tutélaires cio (1974), puis, avec davantage de rigu-
ou aux États-Unis : Stardust (1974), le
non privées de tendresse, Antonutti est eur, la transsexualité, dans Cambio de
Piège infernal (The Squeeze, 1977), Aga-
dirigé par de nombreux cinéastes italiens sexo (1976). Il porte enfin à l’écran, avec
tha (1979), Nashville Lady (Coal Miner’s
(Quartetto Basileus, F. Carpi, 1982 ; Mio talent, la Fille à la culotte d’or (La mucha-
Daughter, 1980), biographie romancée de
figlio non sa leggere, F. Giraldi, 1984 ; La cha de las bragas de oro, 1979), d’après
Loretta Lynn, vedette de la country music,
visione del Sabba, M. Bellocchio, 1988 ; Juan Marsé, incursion d’un écrivain fran-
qui valut à Sissy Spacek un Oscar d’in-
Una storia semplice, E. Greco, 1991 ; Ge- quiste dans son passé, Asesinato en el
terprétation, Gorky Park (1983), P’tang,
nesis, E. Olmi, 1994 ; Un héros ordinaire, Comité Central (1982), d’après Manuel
Bang, Kipperbang (1984), ou Class Ac-
M. Placido, 1995 ; La frontiera, F. Giraldi, Vázquez Montalbán, film policier ironi-
tion (1990). Le succès de Gorilles dans
1996 ; La terza luna, M. Ballinelli, 1997 ; quement teinté de politique, et À coups
la brume (Gorillas in the Mist, 1988), pro-
Kaos II, P. et V. Taviani, 1998 ; Sulla de crosse (Fanny Pelopaja, 1984), por-
duction honorable et bien ficelée qui rend
spiaggia e di là dal molo, G. Fago, 1999) trait d’une jeune loubarde et d’un policier
justice à Sigourney Weaver, fait de lui un
et étrangers (Alexandre le Grand, T. An- corrompu. Il tourne ensuite Tiempo de si-
spécialiste des « véhicules » pour stars :
gelopoulos, 1980 ; Mattosa, Willi Herman, lencio (1986), El Lute-Camina o revienta
ainsi, Nell (id., 1994), produit par Jodie
id. ; El Sur, V. Erice, 1983 ; Bankomatt, Foster, où l’actrice joue avec conviction (1987), Demain je serai libre (El Lute II-
Herman, 1988 ; El Dorado, C. Saura, id.) ; le rôle d’une sauvageonne. En fait, Apted Mañana sere libre, 1988) Si te dicen que
le Maître d’escrime (P. Olea, 1992), Fari- n’a pas abdiqué toute ambition. On le cai (1989), Amantes (1991), El amante
nelli (G. Corbiau, 1994), la Génèse (E. voit quand, en 1992, il réalise deux films bilingüe (1993), Intruso (id.), Libertarias
Olmi, id.), Un eroe Borghese (M. Placido, complémentaires sur un même sujet, la (1996), La mirada del otro (1998), Celos
1995), Tierra del fuego (M. Littin, 1997). condition des Indiens dans l’Amérique (1999) et Locura de amor (2001), qui font
On l’a vu aussi à la télévision dans l’adap- moderne : Incident à Oglala (Incident at de lui non seulement un des plus proli-
tation des Mains sales réalisée par Elio Oglala), produit par Robert Redford, est fiques réalisateurs de l’Espagne contem-
Petri (1978) et dans Giuseppe Verdi de un documentaire où Apted retrouve les poraine, mais aussi l’un des plus respec-
Renato Castellani (1983). qualités qui le caractérisaient à ses dé- tés.

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

ARATA (Ubaldo), chef opérateur italien ARAVINDAN (Govindan), cinéaste indien Will B. Good), notamment The Red Mill
(Ovada 1895 - Rome 1947). (Kottayam, Kerala, 1935 - Trivandrum, avec Marion Davies et Special Delivery
Assistant opérateur à l’Aquila Film de 1991). avec Eddie Cantor. Il mourut dans l’oubli.
Turin dès 1911, Arata commence sa Après des études scientifiques, il touche
carrière de chef opérateur en 1915, au à la peinture et au dessin, à la musique ARC.
temps du muet (nombreux films avec et à la dramaturgie. Il réalise son pre- Arc électrique, puissante décharge élec-
trique émettant une grande quantité de
Righelli, Almirante, Negroni), et son acti- mier film en 1974, Uttarayanam, qui est
vité se poursuit sans interruption jusqu’à remarqué, puis Kanchana Seetha (1977), lumière, jaillissant entre deux électrodes

sa mort : il travaille alors au Cagliostro de ’le Chapiteau’ (Thampu, 1978), enfin, peu écartées. Arc à charbons, arc élec-

en 1979, ‘ le Croquemitaine ’(Kummatty) trique entre deux électrodes en graphite.


Gregory Ratoff. C’est un opérateur d’un
Lampe à arc, source lumineuse où l’arc
grand professionnalisme, qui sait parfai- et Estheppan. La vie d’un cirque pauvre
se forme, dans une enceinte étanche
tement adapter son style aux différents ci- (Thampu), l’apparition d’un personnage
(lampe xénon, lampe HMI). ( SOURCES
néastes avec lesquels il collabore. Parmi errant (Kummatty) sont des approches
DE LUMIÈRE, PROJECTION.)
ses oeuvres les plus marquantes, on subtiles de l’enfance et du quotidien que
peut citer : Rails (M. Camerini, 1929), Je l’auteur sait rendre sensibles sans faire
ARCADY (Alexandre), cinéaste français
t’aimerai toujours (id., 1933), La signora appel aux acteurs professionnels. Avec
(Alger 1947).
di tutti (Max Ophuls, 1934), Passaporto Esthappan, film plus ambitieux, le ci-
Successivement acteur, réalisateur à la
rosso (G. Brignone, 1935), Aldebaran néaste nous donne une autre fable sur la
télévision, metteur en scène et directeur
(A. Blasetti, id.), Luciano Serra pilota réalité et le mythe dans le monde indien.
de théâtre à Suresnes, ce fils de rapa-
(G. Alessandrini, 1938), Tosca (Carlo ‘ Crépuscule ’ (Pokkuveyil, 1981) révèle
triés réalise son premier long métrage
Koch, 1941), Carmen (Christian-Jaque, le monde intérieur d’un adolescent sou-
en 1979, le Coup de sirocco, chronique
1943-1945), Rome ville ouverte (Rossel- mis à la fascination de la musique. Plu-
douce-amère de la petite bourgeoisie
lini, 1945). sieurs fois primé, Aravindan, auteur du
pied-noir au moment des rapatriements.
subtil Chidambaram en 1985, puis de Il
Toujours fidèle à son acteur Roger Hanin,
ARATAMA (Michiyo), actrice japonaise était une fois un village (Oridathu, 1987),
il obtient un grand succès commercial
(Nara 1930). Marattam (TV, 1988) et Unni (INDE-US,
avec le Grand Pardon (1982), sur la mafia
Elle débute au cinéma en 1951 et joue le 1990), est, avec Gopalakrishnan notam-
juive et ses parrains. Le Grand Carnaval
plus souvent des personnages d’épouse ment, un des cinéastes indépendants
(1983), fresque à gros budget sur le dé-
ou de mère typiquement japonaises, représentatifs du Sud (films parlés en
barquement allié, en Afrique du Nord, clô-
exprimant des sentiments de pureté mo- malayalam). En 1990, il réalise ce qui
ture sa trilogie sur la saga des Français
rale et de fidélité. Elle est, entre autres, sera sa dernière oeuvre, Vasthuhara.
d’Algérie. Habile à tracer des portraits
la femme du héros idéaliste Kaji dans
chaleureux et à décrire des ambiances
la Condition de l’homme (M. Kobayashi, ARBUCKLE (Roscoe, dit Fatty), acteur amé-
pittoresques, il n’échappe pas toujours
1959-1961, film en trois parties). Mais ricain (San Jose, Ca., 1887 - New York, N. Y.,
à la convention tant dans ses scénarios
elle reste aussi l’interprète d’Ichikawa 1933).
que dans la mise en scène. Après l’échec
(le Brasier, 1958), Naruse (Iwashigumo, C’était le gros homme jovial des comé-
commercial de Hold-up (1985), comé-
id.), Ozu (l’Automne de la famille Kohaya- dies Keystone de Mack Sennett, où il
die policière à gros budget réalisée pour
gawa / Dernier Caprice, 1961) ou encore débuta en 1909. Il fut longtemps l’égal de
Jean-Paul Belmondo, il tourne en 1986
de Masaki Kobayashi (Kwaidan, 1964 ; Charles Chaplin et dirigeait ses propres
Dernier Été à Tanger puis l’Union sacrée
Pavane pour un homme épuisé, 1968). films. Il tourna avec Mabel Normand, Ford
(1989), Pour Sacha (1991), le Grand Par-
Sterling, Chester Conklin, Chaplin lui-
don II (1992) et Dis moi oui (1995).
ARAU (Alfonso), acteur et cinéaste mexi- même, et surtout engagea le jeune Bus-
cain (Mexico 1932). ter Keaton, qui apparut à ses côtés dans
ARCALLI (Franco Orcalli, dit Kim), mon-
Il a une formation classique de comédien treize films et qui le considérait comme
teur, scénariste et cinéaste italien (Rome
et danseur, incluant l’étude de la panto- son maître. Son obésité innocente et son
1928 - id. 1978).
mime à Paris. Il joue notamment dans sens de la malice, sa gaieté homérique
Il collabore à la mise en scène des pre-
des films d’Alberto Isaac (El rincón de et la légèreté surprenante de ses gam- miers films de Tinto Brass : Chi lavora
las vírgenes, 1972 ; Tívoli, 1974). Il passe bades en firent longtemps un roi du muet, è perduto (1964) et ça ira, il fiume della
à la mise en scène avec des comédies à Hollywood, où il créa la Comique Film rivolta (1965). Il monte ou supervise le
comme El Aguila Descalza (1969), où il Corporation fondée avec Joe Schenck montage de cinquante films, devenant un
interprète un double rôle, et Calzonzín en 1917, jusqu’au moment où un scan- technicien original et recherché. Au ni-
inspector (1973), inspirée par une bande dale fameux le fit tomber dans une dis- veau du scénario comme à celui du mon-
dessinée et par Gogol. Mojado Power grâce fatale. Au cours d’une partie don- tage, sa collaboration fondamentale avec
(1979), une comédie musicale sur les née à San Francisco chez l’acteur Lowell Bertolucci (le Conformiste, 1971 ; le Der-
Chicanos, vise déjà le public des États- Sherman, la jeune actrice Virginia Rappe nier Tango à Paris, 1972 ; 1900, 1976 ; La
Unis, où le film a été tourné. Le succès ar- mourut d’une péritonite. La colonie hol- luna, 1979) n’est qu’une partie de son tra-
rive finalement avec la saga d’une famille lywoodienne étant très puritaine, on cria vail créatif pour des cinéastes différents,
mexicaine bouleversée par la Révolution, à l’orgie, et Arbuckle fut accusé de viol et d’Antonioni à Bolognini, en passant par
les Épices de la passion (Como agua de meurtre. D’un seul coup, le physique Samperi, Giraldi ou Liliana Cavani.
para chocolate, 1991), adaptation du plantureux de Fatty devint un symbole
best-seller de son épouse Laura Esqui- d’obscénité, et l’acteur fut mis au ban de ARCAND (Denys), cinéaste canadien (Des-
vel, plus ou moins redevable du réalisme l’industrie. Il fut pourtant acquitté par trois chambault, Québec, 1941).
magique popularisé par García Márquez jurys, qui conclurent à l’injustice flagrante Après des études d’histoire à l’univer-
et Isabel Allende. En 1994, il signe Walk du procès et à son innocence, mais le sité de Montréal, il travaille à l’ONF, où
in the Clouds (les Vendanges de feu), mal était fait. Ce fut, selon l’expression il réalise de nombreux courts métrages.
puis Morceaux choisis (Picking Up the fameuse, « le jour où les rires s’arrê- En 1969-70, il dirige On est au coton, long
Pieces, 2000), une grosse farce avec tèrent ». Grâce à l’intervention secrète de métrage polémique sur les travailleurs du
Woody Allen en tête d’affiche et souffre- Keaton, Arbuckle dirigea plusieurs films textile dans les usines du sud du Québec,
douleur. sous le nom de William B. Goodrich (ou qui met en évidence non seulement les

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

rapports d’exploitation, mais aussi la rela- mak, id.), les Portes de la nuit (Carné, ensuite progressivement des studios,
tion entre ces rapports et le conflit entre 1946), Le silence est d’or (R. Clair, 1947), interprète la secrétaire de James Stewart
francophones et anglophones. Le film est les Parents terribles (J. Cocteau, 1949), dans Autopsie d’un meurtre (O. Premin-
retenu plusieurs années par la direction Rendez-vous de juillet (J. Becker, id.), ger, 1959) et fait une de ses dernières ap-
de l’ONF, rare cas de censure dans le Justice est faite (A. Cayatte, 1950), Ger- paritions notables à l’écran dans Grease
cinéma canadien. Dans la même veine vaise (R. Clément, 1956), Sait-on jamais (Randal Kleiser, 1978).
de films documentaires et polémiques, (R. Vadim, 1957), Une vie (A. Astruc,
il réalise ensuite un autre très long mé- 1958), Pickpocket (R. Bresson, 1959), les ARDITI (Pierre), acteur français (Paris
trage consacré à l’histoire récente de la Tontons flingueurs (G. Lautner, 1963). 1944).
province : Québec : Duplessis et après... Formé par Tania Balachova, il débute
(1971-72). Après cette date, Denys Ar- ARCHIVES DU FILM. au théâtre chez Marcel Maréchal en
cand met en scène trois films de fiction, Service du Centre national de la ciné- 1965. Rossellini en fait son Blaise Pas-
dont le réalisme appuyé entretient des matographie auquel incombent la cal en 1972 et, au cours des années
liens étroits avec l’évolution du Québec conservation et le catalogue des films 1970, il apparaît dans d’autres réalisa-
contemporain : la Maudite Galette (1972), cinématographiques. ( DÉPÔT LÉGAL, tions télévisuelles et dans quelques films
Réjeanne Padovani (1973) et Gina CONSERVATION DES FILMS.) comme l’Amour violé (1978) de Yannick
(1975). En 1984 il signe le Crime d’Ovide Bellon, poursuivant parallèlement une
Plouffe, en 1986 le Déclin de l’empire ARDANT (Fanny), actrice française (Sau- carrière sur les planches. Sa rencontre
américain qui remporte un large succès mur 1949). avec Alain Resnais en 1979 est décisive :
Après des études universitaires elle dé- après Mon oncle d’Amérique, il enchaîne
international, Jésus de Montréal en 1988,
De l’amour et des restes humains en bute sur les planches en 1974, avant de film sur film et retrouve le cinéaste pour
1994 et Stardom (id.) en 2000. se consacrer essentiellement au cinéma trois autres titres dont Mélo qui lui vaut le
à partir de 1979 (les Chiens, A. Jessua). César du meilleur second rôle masculin
ARCHIBUGI (Francesca), cinéaste italienne Son physique très piquant lui ouvre une en 1987. S’il aime se définir comme « un
(Rome 1960). carrière cinématographique aussi riche comédien généraliste », on lui confie plus
Après des études au Centro Sperimen- que variée : les Uns et les autres (Cl. Le- de rôles graves : musicien trahi en amour
tale puis à l’École de Bassano créée par louch, 1981), la Femme d’à côté (F. Truf- et en amitié (Mélo, A. Resnais, 1986),
Ermanno Olmi, Francesca Archibugi réa- faut, id.), La vie est un roman (A. Resnais, haut fonctionnaire inquiétant (Agent
lise des courts métrages de fiction dans 1983), Vivement dimanche (Truffaut, trouble, J.-P. Mocky, 1987), que d’em-
les années 82-84. Elle étudie ensuite id.), Benvenuta (A. Delvaux, id.), Un plois comiques (Vanille-fraise, G. Oury,
la technique de l’écriture cinématogra- amour de Swann (V. Schlöndorff, 1984), 1989). En 1991, Nelly Kaplan lui offre le
phique dans l’atelier de Furio Scarpelli et l’Amour à mort (Resnais, id.), l’Été pro- rôle central de Plaisir d’amour. En 1993, il
obtient en 1986 le prix Solinas pour l’un chain (N. Trintignant, 1985), les Enragés remporte un grand succès dans le double
de ses scénarios. Mignon est partie (Mi- (P. W. Glenn, id.), Desiderio (Anna-Maria film d’Alain Resnais Smoking / No Smo-
gnon é partita, 1988), son premier long Tato, id.), Conseil de famille (Costa-Ga- king, 1993), ainsi qu’en 1997 dans On
métrage, obtient un succès justifié grâce vras, 1986), le Paltoquet (M. Deville, id.), connaît la chanson du même réalisateur.
à la description pleine de sensibilité d’un Mélo (Resnais, id.), la Famille (E. Scola,
groupe d’enfants au moment du passage 1987), Pleure pas my love (Tony Gatlif, ARDREY (Robert), écrivain et scénariste
à l’adolescence. Suivent alors Dans la 1988), Trois Soeurs (M. von Trotta, id.), américain (Chicago, Ill., 1908 - Kalkbaay,
soirée (Verso sera, 1990), comédie nos- Australia (J. J. Andrien, 1989), Aventures Le Cap, rép. d’Afrique du Sud, 1980).
talgique avec Marcello Mastroianni et de Catherine C. (Pierre Beuchot, 1990), On oublie souvent que cet essayiste
Sandrine Bonnaire la Grande Citrouille (Il Afraid of the Dark (Mark Peploe, 1991), la célèbre, dont les livres (l’Impératif terri-
grande cocomero, 1993) qui analyse un Femme du déserteur (Michal Bat-Adam, torial, 1966 ; le Contrat social, 1970) ont
cas d’épilepsie enfantine liée à un trau- 1992), le Colonel Chabert (Yves Angelo, influencé toute une génération par leurs
matisme psychologique, les Yeux fermés 1994), Pédale douce (Gabriel Aghion, théories sociobiologiques, fut auparavant
(Con gli occhi chiusi, 1995), mélodrame 1995), Ridicule (Patrice Leconte, 1996). un scénariste coté à Hollywood. Après
passionnel situé à Sienne au début du des études en sciences naturelles et en
siècle, L’albero delle pere (1998), qui ARDEN (Eunice Quedens, dite Eve), actrice anthropologie à l’université de Chicago,
brosse l’histoire dramatique de deux américaine (Mill Valley, Ca., 1912 - Los An- il est encouragé par Thornton Wilder à
enfants confrontés à la toxicomanie de geles, Ca., 1990). écrire des pièces pour Broadway dans les
leur mère, Domani (2000), qui évoque D’abord artiste de music-hall, elle crée années 30. Dès le début des années 40,
le destin croisé des habitants d’un petit dans Pension d’artistes (G. La Cava, il travaille à Hollywood et signe des scé-
village touristique italien secoué par un 1937) un personnage vite populaire, narios où domine le sens du romanesque
tremblement de terre. auquel elle restera longtemps attachée. et de l’aventure, tels Passion immortelle
Observatrice plutôt que participante, elle (Song of Love, C. Brown, 1947), les Trois
ARCHIMBAUD (Antoine), ingénieur du commente et démystifie les actions des Mousquetaires (G. Sidney, 1948), Ma-
son français (Aubervilliers 1902 - Paris protagonistes. Ses aphorismes caus- dame Bovary (V. Minnelli, 1949), Quentin
1974). tiques tombent comme des couperets, Durward (R. Thorpe, 1955), l’Aventurier
Avec W. R. Sivel et J. de Bretagne, il avec un sens aigu de l’à-propos. Elle du Rio Grande (R. Parrish, 1959), les
est un des premiers et des plus connus est la confidente avertie, la compagne Quatre Cavaliers de l’Apocalypse (Min-
parmi les chefs opérateurs du son fran- expérimentée, trop lucide pour se laisser nelli, 1962).
çais. Il a été associé à plusieurs di- aller à l’émotion. On la voit notamment
zaines de films, dont un grand nombre dans la Danseuse des Folies Ziegfeld ARENA (Maurizio di Lorenzo), acteur et ci-
d’oeuvres classiques telles que la Petite (R. Z. Leonard, 1941), l’Entraîneuse fa- néaste italien (Rome 1933 - Casal Palocco,
Lise (J. Grémillon, 1930), les Croix-de- tale (R. Walsh, id.), puis dans la Reine de Rome, 1979).
bois (R. Bernard, 1932), les Misérables Broadway (Ch. Vidor, 1944), le Roman De Bellezze in motoscooter (C. Cam-
(id., 1934), la Belle Équipe (J. Duvivier, de Mildred Pierce (M. Curtiz, 1945). pogalliani, 1953) à Pauvres mais beaux
1936), Pépé le Moko (id., 1937), Drôle En 1948, elle lance une série radiopho- (D. Risi, 1956), et aux nombreuses farces
de drame (M. Carné, id.), le Puritain nique, Our Miss Brooks, qu’elle transpose estivales suivantes, il perfectionne son
(J. Musso, 1938), Mollenard (R. Siod- avec succès à la télévision. Elle s’éloigne personnage de jeune fanfaron et séduc-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

teur romain, qu’il exploite et autocritique conventionnelle. Son immense succès films muets. Au début du parlant, on se
en même temps dans les deux films révèle un public pour le film national et contente de relier des numéros musicaux
dirigés par lui-même : Il principe fusto suscite de multiples vocations. Dans son entre eux (Ídolos de la radio, Eduardo
(1960), Gli altri, gli altri e noi (1967). À sa sillage, El último malón (Alcides Greco, Morera, 1934) et le public est tout heu-
décadence comme acteur de genre dans 1916), évoquant une révolte indienne, reux de retrouver ses idoles. Ensuite,
des petits films correspond sa renom- dénote un certain souci d’authenticité. Ferreyra s’inspire du tango pour porter
mée inattendue de guérisseur miraculé, L’Autrichien Max Glucksmann, nouveau sa mythologie populaire à l’écran. Les
vénéré après sa mort. maître de la maison Lepage, produit rapports entre musique et cinéma s’ap-
aussi bien des documentaires que des profondissent. Les titres de films copient
ARGENTINA (Magdalena Nile del Rio, dite films de fiction et met sur pied un grand ceux des chansons, et vice versa. Les
Imperio), actrice espagnole d’origine ar- circuit d’exploitation s’étendant au Chili hommes passent d’un domaine à l’autre,
gentine (Buenos Aires 1906). et à l’Uruguay. L’Italien Federico Valle* sans solution de continuité, tel Manuel
Une des vedettes les plus populaires du produit lui aussi beaucoup de documen- Romero* (Los muchachos de antes no
cinéma espagnol de la première moitié taires, les premières actualités régu- usaban gomina, 1937 ; Tres anclados
du siècle, elle est mariée au metteur en lières et des films de fiction, incorporant en Paris, 1938). Deux poètes du tango
scène Florian Rey, pour qui elle interprète les techniques d’animation à El apóstol apportent leur contribution au cinéma :
La hermana San Sulpicio (deux versions, (1917), satire du président Yrigoyen. Homero Manzi* en tant que scénariste et
1927 et 1934), El novio de mamá (1934), L’actualité politique fait irruption encore Enrique Santos Discépolo en tant qu’in-
les grands succès Nobleza baturra dans Juan sin ropa (Héctor Quiroga et terprète et réalisateur (plusieurs films). La
(1935) et Morena clara (1936), Carmen Georges Benoît, 1919), où l’on perçoit les radio et le théâtre fournissent le renfort
la de Triana (1938), La canción de Aixa échos de la répression contre les anar- dont a besoin une industrie prospère, qui
(1939), La cigarra (1948). Elle joue aussi chistes, connue sous le nom de Semaine suscite des imitations au Chili et ailleurs.
dans L’amour chante (R. Florey, 1930), tragique. Resaca (Atilio Lipizzi, 1916) se Puis cette mythologie populaire se fige,
Cinopolis (José María Castellvi, 1931), rattache plutôt au cinéma américain, tan- et on s’oriente vers une sophistication
Su noche de bodas (L. Mercanton, id.), dis que l’oeuvre isolée de Roberto Guidi censée gagner le public des classes
Melodiá de arrabal (L. J. Gasnier, 1932),
(Mala Yerba, 1920 ; Escándalo a media- moyennes. Francisco Mugica est le spé-
Tosca préparée par Jean Renoir (Carl
noche, 1923) exprime une exigence in- cialiste des comédies à l’eau de rose
Koch, 1940), Goyescas (B. Perojo, 1942),
tellectuelle et formelle restée sans suite. (Margarita, Armando y su padre et Así
Bambú (J. L. Saenz de Heredia, 1945).
C’est à une sensibilité intuitive qu’on doit es la vida, 1939), Luis Cesar Amadori* le
Petite virtuose du chant et de la danse,
les trouvailles et réussites de José Agus- principal artisan au service de Mentasti,
elle se métamorphose d’Aragonaise en
tín Ferreyra*, la personnalité la plus créa- et Luis Saslavsky* le calligraphe zélé
Gitane ou en Cubaine selon les besoins
tive du muet et du début des années 30, d’un croissant artifice. Le bandonéoniste
d’un cinéma qui affectionne les stéréo-
dont la carrière commence en 1915. Lucas Demare* traite des épisodes de
types. Sa carrière finit avec quelques
L’avènement du parlant tue la plu- l’histoire nationale selon une épique wes-
films en Argentine, puis des rôles mineurs
part des fragiles cinématographies latino- ternienne (La guerra gaucha, 1942). Mais
(Con el viento Solano, Mario Camus,
américaines. Pour l’Argentine, en re- les deux réalisateurs les plus personnels
1965 ; Tata mia, J.L. Borau, 1986).
vanche, cette révolution technique signifie et les plus doués de cette période sont
le démarrage d’une forte expansion, dis- Mario Soffici* (Prisioneros de la tierra,
ARGENTINE.
putant le marché de langue espagnole au 1939), chantre d’une Argentine profonde
Le cinématographe Lumière est présenté
concurrent américain. Ferreyra réalise le en détresse, et Leopoldo Torres Ríos*
pour la première fois à Buenos Aires le
premier film parlant, Muñequitas porteñas (La vuelta al nido, 1938), tourné vers un
18 juillet 1896. Le Belge Henri Lepage
(1931). Le succès de Tango (Luis Moglia réalisme urbain et se vantant à juste titre
importe et diffuse des bandes. Son em-
Barth, 1933), un défilé d’orchestres et de n’avoir jamais filmé des « téléphones
ployé, le Français Eugène Py, enregistre
de chanteurs, désigne la voie suivie par blancs ».
les premières prises de vues locales (La
bandera argentina, 1897), des actualités les nouveaux producteurs et consolide La prospérité ne dure guère plus d’une
ou documentaires. La première salle fixe la Argentina Sono Film que vient de fon- dizaine d’années, cependant. Après la
est inaugurée dans la capitale en 1900. der Angel Mentasti*. Los tres berretines Seconde Guerre mondiale, le Mexique
Eugenio Cardini réalise la première ten- (Enrique T. Susini, 1933) ouvre la produc- supplante l’Argentine sur le marché his-
tative de fiction (Escenas callejeras, tion de sa rivale, la compagnie Lumiton, pano-américain. Le lent déclin est dû
1901), et Py illustre une série de chan- qui bâtit des studios selon le modèle hol- autant à la sclérose esthétique qu’à la fra-
sons à partir de 1907. La formule de toute lywoodien. Entre 1932 et 1942, le nombre gilité économique. La volonté d’internatio-
une suite de films de fiction est trouvée de longs métrages passe de 2 à 56, re- nalisation du cinéma argentin accentue
par l’Italien Mario Gallo, avec El fusila- cord jamais plus égalé. Lors de l’apogée le mimétisme envers les modèles domi-
miento de Dorrego (1908). Il s’inspire du de l’industrie argentine, quatre mille tech- nants : le parler populaire est abandonné
film d’art français et italien et fait appel niciens et comédiens s’affairent dans une au profit d’une langue neutre, sans les
à des comédiens de théâtre reconnus, trentaine de studios. La municipalité de accents ni les expressions du Río de la
pour mettre en scène des reconstitutions Buenos Aires institue des prix à la qua- Plata ; on adapte Ibsen, Tolstoï, Strind-
historiques de plus en plus grandioses, lité, premier signe d’un intérêt officiel. Le berg, plutôt que de s’inspirer des oeuvres
telles La revolución de Mayo (1910) et secret du succès semble être : tango et ou des réalités nationales. Le public se
La batalla de Maipú (1913) avec la par- Libertad Lamarque*, principal atout d’un détourne de ces pâles copies. Or, toute
ticipation d’un régiment de grenadiers. star-system florissant (Luis Sandrini, Tita la machinerie de production est dépen-
L’industriel Julio Raul Alsina construit Merello, Pepe Arias, Nini Marshall, Mirtha dante des distributeurs et des circuits
le premier studio (1909) et exploite la Legrand, Mecha Ortiz). La chanson de d’exploitation, liés traditionnellement
même veine (Facundo Quiroga, 1912). Buenos Aires connaissait son âge d’or ; aux cinémas étrangers. Les producteurs
Nobleza gaucha (Eduardo Martínez de Carlos Gardel* tourne à Joinville et à New nationaux n’ont pas investi dans les mé-
la Pera, Ernesto Gunche et Humberto York. Les orchestres typiques étaient canismes de commercialisation, restant
Cairo, 1915) contient des observations déjà souvent le clou du spectacle ciné- en fin de compte à la merci des intermé-
parallèles intéressantes sur la campagne matographique dans la capitale du Río diaires, contrairement à ce qui se passe
et la métropole, en dépit d’une intrigue de la Plata, lorsqu’ils accompagnaient les au Mexique. Le gouvernement du géné-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

ral Perón, si fertile en interventions éta- recourent aux films historiques et folklo- du thriller (Tiempo de revancha, Adolfo
tiques, démontre n’avoir pas de politique riques ou aux adaptations littéraires, voire Aristarain*, 1981).
cinématographique d’ensemble. Les aux films d’art (le cinéma documentaire Le retour à la démocratie et la ges-
mesures adoptées (projection obligatoire de Jorge Preloran* étant un cas à part). tion de Manuel Antín à la tête de l’Institut
de films nationaux à partir de 1944, limita- D’autres partent pour l’étranger, comme national du cinéma (1983-89) stimulent la
tion des importations de films étrangers, Humberto Ríos (Eloy, 1968, au Chili ; Al production, les débuts de jeunes réalisa-
facilités de crédits souvent empreintes grito de este pueblo, 1971, en Bolivie), teurs et la promotion des films argentins à
de favoritisme) s’avèrent des palliatifs qui Alejandro Saderman (documentariste à l’étranger. Le meilleur symbole du reten-
maintiennent plus ou moins quantitative- Cuba), Hugo Santiago* ou Eduardo de tissement obtenu reste l’Oscar attribué à
ment la production, mais n’en freinent pas Gregorio*. Les débutants libérés du car- l’Histoire officielle (Luis Puenzo*, 1986),
la chute qualitative. can de l’intimisme sont peu nombreux un des nombreux titres qui évoquent les
Deux débutants se détachent alors : (Leonardo Favio*, Raúl de la Torre*). Un meurtrissures de la dictature militaire.
Hugo del Carril* et Leopoldo Torre Nils- courant underground, expérimental, se Parmi les nouveaux metteurs en scène,
son*. Après le renversement de Perón développe timidement, avec Miguel Bejo on peut citer Bebe Kamin (Los chicos de
(1955), la chute de la production s’accen- (La familia unida espera la llegada de la guerra, 1984), Carlos Sorín (La pelí-
tue. Le marasme est tel que plusieurs Hallowyn, 1971), Edgardo Cozarinsky* cula del rey, 1985), Raúl Tosso (Geró-
cinéastes continuent leur carrière en et Julio Ludueña (La civilización está nima, id.), Alberto Fischerman (Los días
Espagne, voire à Hollywood, tel Hugo haciendo masa y no quiere oir, 1973). La de junio, id.), le provocateur Jorge Polaco
Fregonese*. De même que l’échec de la radicalisation politique, qui traverse aussi (Diapasón, id.), Miguel Pereira (La deuda
Vera Cruz au Brésil, la crise favorise cer- bien la gauche que le péronisme, abou- interna, 1987), Alejandro Agresti* (El
taines prises de conscience. tit à un courant de cinéma clandestin, se amor es una mujer gorda, id.), Gustavo
L’essor du nuevo cine argentin. Une réclamant des précédentes expériences Mosquera (Lo que vendrá, id.), Marcelo
génération différente s’exprime d’abord d’Ivens*, Santiago Alvarez* et Birri. Céspedes et Carmen Guarini (Buenos
au sein des ciné-clubs et des revues L’Heure des brasiers (Solanas* et Ge- Aires, crónicas villeras, DOC, 1988),
comme Gente de cine (1951) et Cuader- tino*, 1968) est le prototype d’un certain Jeanine Meerapfel (La amiga, 1989),
nos de cine (1954). L’année 1956 voit cinéma militant, auquel se rattache Ge- Eduardo Mignona (Flop, 1990), Javier
naître une Association de cinéma expé- rardo Vallejo*. Le cinéma politique trouve Torre (Las tumbas, 1991), Tristán Bauer
rimental, une Association de réalisa- encore d’autres partisans, comme Jorge (Después de la tormenta, id.), Marcelo
teurs de courts métrages et l’Institut Cedrón (Operación Masacre, 1972, écrit Piñeyro (Tango feroz, 1993), Lita Stantic
de cinéma de l’université du Litoral, de en collaboration avec Rodolfo Walsh) et (Un muro de silencio, id.), Alberto Lecchi
Santa Fé, sous la direction de Fernando Raimundo Gleyzer*. (Perdido por perdido, 1993), et le photo-
Birri*. Une nouvelle loi du cinéma et la La courte période de libéralisation graphe Juan Carlos Desanzo passé avec
création de l’Institut national du cinéma politique, sous des gouvernements péro- succès à la réalisation (Eva Per n, 1996).
(1957) relancent la production indépen- nistes (1973-74), permet l’explosion sur Entre eux et les vétérans Ayala et Olivera,
dante de courts et longs métrages, sous les écrans d’une créativité diversifiée que on trouve encore Maria Luisa Bemberg*
le gouvernement Frondizi. Le festival de souligne une hausse de la fréquentation (Camila, 1985), Alejandro Doria (Darse
Mar del Plata (1958) contribue à la dif- (un marché de 50 millions de spectateurs) cuenta, 1983), Solanas de retour d’exil,
fusion internationale de ce qu’on appelle et de la production (40 longs métrages et Eliseo Subiela* (Hombre mirando al
le nuevo cine argentin. Torre Nilsson en par an, contre une moyenne de 29 durant sudeste, 1985), l’une des révélations ma-
est une sorte de frère aîné. Fernando les années 1955-1970). Les films mili- jeures de la décennie. Une nouvelle loi
Ayala* appartient à sa génération. Parmi tants jusqu’alors interdits sortent en salle. du cinéma est adoptée (1994), tandis que
les jeunes cinéastes qui arrivent à vaincre D’autres, réalisés selon des conceptions le festival international de Mar del Plata
les obstacles et à s’exprimer avec talent, plus classiques, les rejoignent par le cou- renaît de ses cendres, entre paillettes et
on peut citer : l’ancien directeur de Cua- rage du propos (La Patagonia rebelde, flonflons (1996). À Buenos Aires, un autre
dernos de cine, Simón Feldman (El nego- Héctor Olivera*, 1973 ; Quebracho, festival, davantage centré sur le cinéma
ción, 1959) ; l’intimiste David José Kohon Ricardo Wulicher, id.). D’autres encore indépendant (1999), essaye bientôt de
(Prisioneros de una noche, 1960 ; Tres portent à l’écran des oeuvres littéraires lui damer le pion. La contestation de la
veces Ana, 1961) ; José Martinez Suarez, latino-américaines (La tregua, Sergio politique erratique menée sous la double
s’inspirant d’un roman de David Viñas Renan, 1974 ; Los gauchos judíos, Juan présidence maffieuse de Carlos Menem
(Dar la cara, 1962) ; Daniel Cherniasvsky, José Jusid*, 1975). On élabore une nou- (1989-1999) s’appuie sur un renouveau
qui tourne un scénario de l’écrivain Au- velle loi du cinéma qui s’attaque aux de la cinéphilie (exprimée par la longévité
gusto Roa Bastos* (El terrorista, 1962) ; blocages de la distribution et de l’exploi- de la revue El amante, 1992) et sur l’éclo-
l’ironique Rodolfo Kuhn* ; le très intellec- tation et soutient la production indépen- sion d’une très jeune génération de réa-
tuel Manuel Antín* ; l’inclassable René dante. Tout cela s’écroule brutalement lisateurs, formés par une exceptionnelle
Mugica* et le comédien Lautaro Murua*, avec le retour en force des militaires au floraison d’écoles de cinéma, auxquels se
dont le passage à la mise en scène ap- pouvoir (1976). La répression, mortelle joignent des metteurs en scène plus âgés
porte la révélation la plus surprenante. pour certains, incite à l’exil. La production (Garage Olimpo, Marco Becchis, 1999 ;
Le nuevo cine marque aussi les débuts retombe au niveau le plus bas (15 longs Silvia Prieto, Martin Rejtman, 1999). La
du chef opérateur Ricardo Aronovich*. métrages en 1977). Elle ne remonte à fondation Universidad del Cine, créée par
Tantôt politique, tantôt psychologique (ou une trentaine de films que pour s’installer Manuel Antin (1991), n’hésite pas à s’im-
encore introspective), cette éclosion im- dans la médiocrité. Les quelques nou- pliquer directement dans la production de
plique un renouvellement du regard des veaux cinéastes poursuivant leur travail, ses étudiants (Moebius, signé par Gus-
cinéastes argentins, une plongée dans sous une censure étouffante, doivent se tavo Mosquera et ses élèves, 1996 ; Sale
les couches diverses de leur société. contenter de films retenus, ambigus, ou Époque/Mala época, quatre sketches de
La crise politique et la dictature d’illustrer la littérature nationale (Saverio Nicolas Saad, Mariano De Rosa, Salva-
militaire (1966) estompent la progres- el cruel, Wulicher, 1977 ; les entretiens de dor Roselli et Rodrigo Moreno, 1998).
sion de cette production indépendante et Borges para millones, id., 1978 ; El poder Les résultats sont tout à fait hétérogènes,
diversifient les voies empruntées. Face de las tinieblas, Mario Sábato, 1979) ou puisqu’ils oscillent entre l’expérimentation
aux difficultés et à la censure, certains encore d’emprunter les codes classiques la plus austère et les formules commer-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

ciales remises au goût du jour. La fraî- audi : diminutif de auditorium ( BANDE fondu (faire un) : s’éclipser discrète-
cheur et l’apparente insouciance formelle SONORE), a permis de trancher le doulou- ment.
de certains films n’évitent pas toujours la reux problème du pluriel. frimant : acteur de complément. (Le
superficialité et même le maniérisme (ils bada (porter le) : assumer la responsa- radical de ce terme est passé dans l’argot
sont bien les contemporains du Dogma bilité d’une faute professionnelle. commun : frimer, frimeur.)
danois). Cependant, le premier titre gamelle : tout projecteur.
barbouille : maquillage.
emblématique de la nouvelle généra-
bécane : après avoir longtemps dési- glingue : clou.
tion, Pizza, birra, faso (Bruno Stagnaro
gné l’enregistreur sonore, est maintenant grenouille : graphique actualisé quoti-
et Israel Adrien Caetano, 1997), ouvre
utilisé pour la caméra. diennement par le directeur de produc-
rapidement la voie à davantage d’acuité
bible : exemplaire du découpage tech- tion, qui rend compte de l’avancement du
sociale (Mundo grå, Pablo Trapero, 1999)
nique appartenant au réalisateur. film : plans, cachets, pellicule...
et psychologique (La ciénaga, Lucrecia
bidon : tout ce qui est factice et dont guette-le-chèque : technicien plus
Martel, 2000, primé à Berlin), doublée
seule l’apparence importe (whisky bidon, préoccupé par son salaire que par son
d’une dramaturgie originale. D’ores et
revolver bidon). travail. C’est l’anagramme phonétique
déjà, au tournant du siècle, l’Argentine
bijoute : meuble ou valise de range- de la phrase rituelle : « Check the gate »
suscite l’espoir de la virtuelle Internatio-
ment de l’accessoiriste. (Vérifiez la fenêtre) prononcée à la fin de
nale des indépendants, qui s’épaulent
boîte (c’est dans la) : indique que le chaque plan dans une équipe américaine.
mutuellement de Sundance à Rotterdam,
plan est tourné. hausse-mioche : tout ce qui peut contri-
avec une indéniable efficacité.
bouffer (le trait) : dépasser l’horaire buer à pallier la petite taille d’un acteur ou
technicien (cube...).
ARGENTO (Dario), cinéaste et scénariste prévu.
italien (Rome 1940). cacheton : salaire quotidien d’un ac- henri : désigne un crucifix (par analogie
Fils du producteur Salvatore Argento, teur. avec « I. N. R. I. »).
d’abord critique au Paese sera, il colla- caillou : objectif. kilo : abrév. de kilowatt. Un cinq kilo est
bore à plusieurs scénarios, dont celui un projecteur de 5 kilowatts.
cale bastaing : petite cale débitée sur
d’Il était une fois dans l’Ouest de Ser- lily : charte de couleurs filmée à chaque
un bastaing.
gio Leone. Il réalise son premier film fin de plan, qui sert de référence pour éta-
cale sifflet : demi-cale bastaing, cou-
en 1969 : l’Oiseau au plumage de cris- lonner le tirage. ( ÉTALONNAGE.)
pée en biais.
tal (L’uccello dallo piume di cristallo), un lorraine : planche.
clap : claquette. ( REPIQUAGE.)
« thriller-spaghetti » teinté de sadisme.
loubarde (ou loupiote) : lampe.
Suivront, dans le même style, le Chat à coletard : champ de la caméra.
mamma : coupe-flux (métallique, en
neuf queues (Il gatto a nove code, 1971) complexe : construction en studio d’un
tulle ou en Vitrex). Du nom de son inven-
et Quatre Mouches de velours gris (Quat- ensemble de lieux communiquant entre
teur : Chemamma, chef électricien.
tro masche di velluto grigio, id.), puis eux, permettant un passage continu de
la caméra. mimile : projecteur de un kilowatt (mille
un film historique, Le cinque giornate
watts).
(1973). Argento se lance ensuite dans le confiture : gelée inflammable utilisée
pour simuler, entretenir ou propager les nègre : panneau noir sur lequel on
film d’horreur, plus ou moins parodique,
feux. écrit le texte d’un comédien à la mémoire
avec les Frissons de l’angoisse (Profondo
défaillante.
rosso, 1975), Suspiria (1977), Inferno crabe : comédien. On dit aussi : clown,
(1979), Ténèbres (Tenebrae, 1983), Phe- comique. parlant (un) : rôle de figuration avec

nomena (1985), Opera (1987), Trauma texte.


darrack : marteau de machiniste.
(1993), ponctués de stridences musicales péloche : pellicule.
docucu (péjor.) : film documentaire tra-
caractéristiques. Il poursuit dans cette ditionnel. pelure : film positif laqué employé pour
veine avec le Syndrôme de Stendhal (La les trucages par transparence ou par pro-
dolly (américanisme) : chariot sur
sindrome di Stendhal, 1996), le Fantôme jection frontale. ( EFFETS SPÉCIAUX.)
pneu équipé d’un bras de grue pneuma-
de l’Opéra (Il fantasma dell’opera, 1998), ringard (péjor.) : comédien se canton-
tique pour petits mouvements verticaux.
et Nonhosonno (2000). Sa fille Asia est nant dans un emploi très conventionnel.
( MOUVEMENTS D’APPAREIL.)
actrice et réalisatrice. roulante : restaurant mobile pour les
douceur (faire une petite) : améliorer
la qualité photographique d’un gros plan tournages en extérieur.
ARGOT.
de visage. salade : toute végétation rapportée
L’argot de cinéma n’est pas d’une ri-
drapeau : grand coupe-flux ( ÉCLAI-
dans un décor.
chesse telle qu’elle mette le profane à
RAGE) monté sur pied. silhouette : entre l’acteur de complé-
l’écart du discours du cinéaste. Il tend
face : matériel d’éclairage placé autour ment et le comédien, la silhouette a un
d’ailleurs à tomber en désuétude, sans
de la caméra et qui éclaire donc le sujet rôle muet, suffisamment important pour
doute parce que son usage pourrait être
de face. être choisie par le metteur en scène.
pris comme une référence à une tradi-
fatal : évoque les mots interdits par sombreros (les [...] vont voler bas) :
tion plus ou moins rejetée. On lui préfère
superstition : corde, four, ficelle... indique, lorsqu’une faute professionnelle
donc les altérations d’apparence plus
a été commise, que l’on va en chercher
moderne, telles que le diminutif (projo fausse teinte ! : annonce qu’un nuage
le responsable.
pour projecteur, électro pour électricien, est en train d’occulter la lumière du soleil.
machino pour machiniste, pano pour sorbonne : atelier de décoration d’un
feuille : 1o planche de contre-plaqué
panoramique, etc.) ou l’américanisme studio.
destinée à l’installation d’un plancher ;
(dolly, clap, etc.). 2o châssis de bois entoilé dont l’assem- soulager (la lumière) : réduire la puis-

On peut néanmoins citer quelques blage, en studio, forme les parois du sance de l’éclairage, en général pendant

mots ou locutions clefs qui permettent de décor. les répétitions.

passer pour initié. (Les étymologies sont fil : désigne les cordes et ficelles dont volet : coupe-flux métallique.
souvent évidentes, parfois incertaines, la superstition interdit de prononcer le zinc : caméra démodée ou en mauvais
parfois cocasses.) nom sur un lieu de tournage. état.

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

L’argot de projectionniste est très cinéma, il est l’un des interprètes de Les années 60. Ses premiers films sont des
limité. En dehors de caillou, loubarde, Russes arrivent... les Russes arrivent, comédies légères : Un chien qui rap-
péloche, projo, déjà cités, on retiendra : de Norman Jewison. Sa carrière est un porte (J. Choux, 1931), ou des adapta-
cul-de-bouteille (péjor.) : objectif de mélange de films relativement ambitieux : tions de comédies de boulevard : Mais
qualité médiocre. Le coeur est un chasseur solitaire (The n’te promène donc pas toute nue (CM de
Heart Is a Lonely Hunter, 1968) de Robert L. Joannon, id.). Elle tournera ainsi une
chrono : partie purement mécanique
Ellis Miller, Petits Meurtres sans impor- soixantaine de films dont beaucoup sont,
du projecteur (moteur, entraînements,
tance (Little Murders, 1971), qu’il dirige à juste titre, depuis longtemps oubliés,
couloir, débiteurs, etc.), à l’exclusion de
lui-même, Big Trouble (J. Cassavetes, par exemple : Enlevez-moi (L. Perret,
la lanterne, de l’objectif, etc. Ce terme
1986) et de comédies où l’humour juif 1932), Une idée folle (Max de Vaucor-
très employé remonte au début du siècle,
triomphe : Catch 22 (M. Nichols, 1970), beil, 1933), le Voyage de M. Perrichon
d’après le nom de marque Chronopho-
les Anges gardiens (Richard Rush, 1974), (Jean Tarride, 1934), Amants et Voleurs
tographe des projecteurs Gaumont de
Schmock ! (Fire Sale, A. Arkin, 1977). Il (R. Bernard, 1935), la Garçonne (Jean
l’époque.
est en 1990 l’interprète de Coupé de ville de Limur, 1936), mais aussi trois films de
toile : écran. (Plus usité dans l’argot
(Joe Roth) et de Havana (S. Pollack). Sacha Guitry : Faisons un rêve (1937),
commun — « se payer une toile » : aller
les Perles de la Couronne (id.), Désiré
au cinéma — que dans l’argot de métier.)
ARKOFF (Samuel Z.), producteur et dis- (id.). Dans ces films (qui sont l’équivalent
Contrairement à une légende bien éta- tributeur américain (Fort Dodge, Iowa, à l’écran de ce qu’elle joue au théâtre),
blie, sunlight (pour projecteur d’éclairage) 1918). elle se signale par son dynamisme et sa
n’appartient pas à l’argot des métiers du Avec James H. Nicholson, il fonde l’Ame- verve, créant des caractères populaires
cinéma. rican International Pictures en 1955 pleins de truculence, mais exempts de
quand disparaissent les studios spé- vulgarité, qui lui vaudront, sous la plume
ARISTARAIN (Adolfo), cinéaste argentin cialisés dans la série B. Alimentée en d’un critique, le qualificatif ambigu d’« im-
(Buenos Aires 1943). films par Roger Corman, l’AIP prospère pératrice des faubourgs », hommage sin-
Il possède un solide métier, appris pen- en conquérant le public adolescent et cère à l’espèce de noblesse altière et à la
dant plusieurs années d’assistanat, en le marché des drive-in, alors dédaignés liberté souveraine qu’elle confère à tous
Argentine, puis en Espagne (notamment par les Major Companies. Gestionnaire ses personnages.
auprès de Mario Camus). Son premier rigoureux, habile vendeur, S. Z. Arkoff
long métrage, La parte del león (1978) Pension Mimosas (J. Feyder, 1935) est
exploite successivement des formules
révèle d’emblée son attirance pour le film le premier film important dans lequel elle
inédites (science-fiction, cycle E. A. Poe,
noir et pour une efficacité narrative sans apparaît, mais c’est avec Hôtel du Nord
comédies de plage, Hell’s Angels, etc.)
complexe vis-à-vis de Hollywood. Après (M. Carné, 1938) qu’elle s’impose défini-
qui reflètent les rites ou les aspirations de
La playa del amor (1979) et La discoteca tivement dans le personnage inoubliable
la sous-culture californienne. Il a présidé
del amor (1980), deux commandes, il de la péripatéticienne amie de Louis Jou-
l’AIP jusqu’en 1979, date de son absorp-
signe le Temps de la revanche (Tiempo vet : prenant « atmosphère » pour une
tion par Filmways.
de revancha, 1981), thriller enlevé et injure, elle lance, grâce à Henri Jeanson,

métaphore sur l’oppression imposée par une réplique qui vaut tout autant par son
ARLEN (Richard Cornelius Van Mattimore,
la dictature militaire, où il retrouve son accent parigot que par le talent du dia-
dit Richard), acteur américain (Charlottes-
interprète favori, Federico Luppi, figure loguiste, et qui est certainement la plus
ville, Va., 1898 - Los Angeles, Ca., 1976).
emblématique de toute une époque. En- fameuse et la plus souvent citée de l’his-
Journaliste sportif avant de faire ses
suite, il tourne Últimos días de la víctima toire du cinéma. Dans Le jour se lève
débuts à l’écran en 1920 et de conquérir
(1982), sur le même registre, et entame (Carné, 1939), elle est la collaboratrice
un statut de vedette avec In the Name
une carrière espagnole avec la série télé- écoeurée et révoltée du sadique dresseur
of Love (H. Higgin, 1925), il est vite spé-
visée Las aventuras de Pepe Carvalho de chiens Jules Berry et l’héroïne d’une
cialisé dans des rôles très physiques,
(1983-85), d’après Manuel Vázquez et tourne dans de nombreux westerns. brève liaison avec l’ouvrier Jean Gabin.
Montalbán. Après l’échec d’une produc- La période culminante de sa carrière se Avec ces deux oeuvres majeures, elle a
tion américaine (Deadly, 1987), il revient situe dans les années 30. On se souvient définitivement campé son personnage
en Argentine et s’en remet brillamment de lui dans quelques-uns des meilleurs spécifique, celui d’une femme libre et
grâce à Un lieu dans le monde (Un lugar films de William Wellman : les Ailes forte, qui ne croit ni à Dieu ni à Diable,
en el mundo, 1992), portrait collectif d’une (1927) ; Ladies of the Mob (1928), où il et encore moins aux hommes, mais qui
génération meurtrie et désenchantée par se trouve entraînée dans leurs histoires
est un gangster aux côtés de Clara Bow ;
le retour à la démocratie, brossé avec la les Mendiants de la vie (id.), avec Louise et leurs drames par son insatiable besoin
netteté et la générosité d’un western clas- Brooks et Wallace Beery ; The Man I Love d’amour, amour pur ou vénal. Pourtant,
sique. Ensuite, les aventures de La ley (1929), où il est boxeur ; Dangerous Pa- elle garde au coeur un côté fleur bleue
de la frontera (1995) et le puissant psy- radise (1930). Howard Hawks en fit en qui la fait se donner à qui lui plaît sans
chodrame familial Martin (Hache) [1997] 1932 le rival d’Edward G. Robinson dans réticence ni fausse honte ; c’est ainsi
semblent se jouer des distances entre les le Harpon rouge. Il continua par la suite qu’elle raille « ceux qui parlent tellement
deux rives de l’Atlantique, comme Arista- une carrière régulière d’acteur de second de l’amour qu’ils n’ont pas le temps de
rain lui-même. plan. le faire ». Et sa silhouette fait désormais
partie du décor, avec ses étroites jupes
ARKIN (Alan), acteur et réalisateur améri- ARLETTY (Léonie Bathiat, dite), actrice fendues sur la cuisse et ses impossibles
cain (New York, N. Y., 1934). française (Courbevoie 1898 - Paris 1992). bibis ou son célèbre boa d’Hôtel du Nord.
Après des études d’art dramatique, il D’origine auvergnate et populaire (père Parmi ses derniers films de l’avant-guerre
devient chanteur et guitariste, enregistre mineur en Auvergne, puis ajusteur dans figurent aussi deux oeuvres mineures
des disques pour enfants et écrit des la région parisienne), elle exerce divers mais qui ne sont pas moins savoureuses
nouvelles de science-fiction. Il débute en métiers (secrétaire, mannequin, girl de par leur drôlerie débridée (avec, en
1959 à Broadway, où il travaille avec Mike revue) avant de débuter au théâtre en prime, la truculente présence de Michel
Nichols, Elaine May, Dustin Hoffman. En 1920 comme actrice comique, puis au Simon) : Fric-Frac (Maurice Lehman,
1966, il fait ses premiers pas dans la mise cinéma en 1930, et de mener parallèle- 1939), d’après la pièce d’Édouard Bour-
en scène — toujours à Broadway. Pour le ment ces deux activités jusque dans les det, dans laquelle elle venait de faire un

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

triomphe au théâtre, et Circonstances at- la Chaleur du sein (Jean Boyer, id.) ; dans la maison (A Man About the House,
ténuantes (Jean Boyer, 1939), deux films Tempêtes (Bernard-Deschamps, 1940) ; 1947). Il se consacre après 1955 à la télé-
où elle peut épanouir sans contrainte Boléro (J. Boyer, 1942) ; la Femme que vision.
sa ravageuse désinvolture et sa verve j’ai le plus aimée (Robert Vernay, id.) ;
gouailleuse, tout comme dans Madame l’Amant de Bornéo (Jean-Pierre Fey- ARMAT (Thomas), inventeur américain,
Sans-Gêne (Roger Richebé, 1941). deau et René Le Hénaff, id.) ; Gibier de pionnier du cinéma (Fredericksburg, Va.,
potence (R. Richebé, 1951) ; l’Amour 1866 - Washington, D. C., 1948).
La grande comédienne qui sommeille
Madame (G. Grangier, 1952) ; Mon curé En 1894-95, partiellement en associa-
en elle va se réveiller dans ses deux
chez les pauvres (H. Diamant-Berger, tion avec Charles Francis Jenkins, il mit
personnages les plus accomplis, imagi-
nés par Jacques Prévert et animés par 1956) ; Vacances explosives (Christian au point, après plusieurs tentatives, un
Stengel, 1957) ; le Passager clandestin projecteur dénommé Phantoscope (ou
Marcel Carné, Dominique des Visiteurs
(Ralph Habib, 1958) ; Et ta soeur (Maurice Fantoscope), qui assurait l’avance inter-
du soir (1942) et Garance des Enfants
Delbez, id.) ; Maxime (H. Verneuil, id.) ; mittente du film grâce à une came du type
du paradis (1945) : si jamais l’expres-
Un drôle de dimanche (M. Allégret, id.) ; Demenÿ. Conçu pour projeter les films du
sion beauté du diable a pu s’appliquer
la Gamberge (N. Carbonnaux, 1962) ; les Kinetoscope d’Edison, cet appareil donna
à une actrice, c’est bien à elle dans son
Petits Matins (J. Audry, id.) ; la Loi des lieu à des représentations publiques à
personnage de complice du démoniaque
hommes (Charles Gérard, id.) ; le Voyage Atlanta dès septembre 1895. En 1896,
Jules Berry, figure séduisante et ambi-
à Biarritz (G. Grangier, id.) ; Tempo di pris de court par l’apparition du Cinéma-
guë qui sème le trouble dans le coeur
des hommes et déclenche un drame tout Roma (D. de La Patellière, 1963). tographe Lumière, Edison passa un ac-
cord avec Armat pour commercialiser le
en cherchant à prévenir les irrésistibles
ARLISS (George Augustus Andrews, dit Phantoscope sous le nom de « Vitascope
effets de son pouvoir maléfique. Quant à
George), acteur britannique (Londres d’Edison » dont la première publique a
Garance, elle incarne la vérité toute nue,
1868 - id. 1946). lieu à New York le 23 avril. Un conflit
sans manières mais sans impudeur, tan-
Il débute très tôt au théâtre, fondant sa juridique, à propos de brevets, opposa
dis que son coeur bat en secret pour le
propre compagnie, et à 18 ans il joue ses ensuite Armat à Edison et à la Biograph
mime Baptiste, qui ne sait pas saisir sa
propres pièces. En 1895, il épouse Flo- jusqu’à ce que, finalement, il se joigne à
chance ; et le plan final de ce film est cer-
rence Montgomery, qui sera souvent sa eux lors de la formation de la Motion Pic-
tainement la plus belle image d’elle que
partenaire à l’écran et à la scène. Une tures Patent Company.
le cinéma ait jamais donnée. Ces deux
triomphale tournée américaine lui vaut
personnages reflètent symboliquement
des propositions cinématographiques. ARMENDÁRIZ (Juan Ramón Armendáriz
les deux aspects complémentaires de sa
En 1921, il tourne The Devil (E. Goul- Barrios, dit Montxo), cinéaste espagnol
personnalité de comédienne, et peut-être
ding) et la première version de Disraeli (Olleta, Navarre, 1949).
de femme : la séduction de la beauté phy-
(Henry Kolker). Sa prestation dans la Découvert par le producteur Elías Que-
sique et la limpidité de l’âme.
version parlante du même sujet (Alfred rejeta, il débute dans le documentaire,
À la Libération, ses imprudentes fré-
E. Green, 1929) lui rapporte un Oscar. décrivant des traditions et des paysages
quentations allemandes pendant l’Occu-
Il tourne volontiers plusieurs versions de basques : Carboneros de Navarra (1981)
pation lui valent de sérieux ennuis : deux
ses succès de la scène : The Man Who annonce le sujet de son premier long mé-
ans d’une sorte de résidence surveillée
Played God (d’Harmon Weight en 1922 trage, Tasio (1984), où il excelle à évo-
en province. Mais, dès 1947, elle fait par-
et de John Adolphi en 1932), la Déesse quer l’écoulement du temps et la dignité
tie de la distribution d’un film de Carné
rouge (The Green Goddess) de Sidney d’un labeur en marge des critères de ren-
qui restera malheureusement inachevé,
Olcott en 1923 et d’Alfred E. Green en tabilité contemporaine (le charbon végé-
la Fleur de l’âge. Ce réalisateur lui reste
1930. Théâtral jusqu’à l’extrême, il joue tal). Pudeur devant des personnages au
encore fidèle en l’engageant pour l’Air
avec malice et distinction de nombreux bord de la marginalité, mise en scène
de Paris (1954), qui sera le dernier film
rôles historiques : Alexander Hamilton économe et fluide, avec une caméra
important d’une carrière dont la période
(John Adolphi, 1931), Voltaire (id., 1933), souvent en mouvement, caractérisent
d’après-guerre s’avère décevante par la
Rothschild (The House of Rothschild) encore 27 heures (27 horas, 1986) et
banalité de la plupart des films où elle
(A. Werker, 1934) ou Cardinal Richelieu Lettres d’Alou (Las cartas de Alou, 1990).
figure, parmi lesquels : Portrait d’un as-
(Rowland V. Lee, 1935). Peu cinémato- Le premier a toujours pour cadre le Pays
sassin (Bernard Roland, 1949), le Père
graphique, son jeu plaisamment daté est basque, avec une jeunesse en proie à la
de Mademoiselle (M. L’Herbier, 1953), drogue et à la violence politique. Le se-
un témoignage sur l’art de la comédie en
le Grand Jeu (R. Siodmak, 1954), Huis
Angleterre, à l’époque victorienne. En cond élargit son regard à l’ensemble de
clos (J. Audry, id.) et le Jour le plus long
1937, il revient dans son pays où il tourne l’Espagne, portant sur l’écran, pratique-
(PR D. Zanuck, 1962). En 1962, elle a
encore Dr. Syn (R. W. Neill), avant de se ment pour la première fois, le drame de
un accident oculaire qui la conduit à une retirer. Il est le père du cinéaste Leslie l’immigration d’origine africaine. Il signe
quasi-cécité et met pratiquement fin à sa
Arliss. Il a écrit deux volumes autobio- ensuite Historias del Kronen (1995),
carrière.
graphiques, en 1927 Up the Years, in Secrets du coeur (Secretos del coraz n,
Autres films : la Douceur d’aimer Bloomsbury, et en 1940 My Ten Years in 1997), un regard pudique sur l’enfance,
(René Hervil, 1930) ; la Belle Aventure the Studios. et enfin Silencio roto (2001), évocation
(R. Schünzel, 1932) ; Un soir de réveillon des maquis antifranquistes pendant la
(K. Anton, 1933) ; Je te confie ma femme ARLISS (Leslie Andrews, dit Leslie), ci- Seconde Guerre mondiale.
(René Guissart, id.) ; la Guerre des néaste et scénariste anglais (Londres
valses (L. Berger, id.) ; le Vertige (Paul 1901 - id. 1987). ARMENDÁRIZ (Pedro), acteur mexicain
Schiller, 1935) ; la Fille de Mme Angot Fils du fameux comédien George Arliss, il (Mexico 1912 - Los Angeles, Ca., 1963).
(Jean Bernard-Derosne, id.) ; Aventure est d’abord scénariste à partir de 1932 et Une des principales vedettes mascu-
à Paris (M. Allégret, 1936) ; le Mari rêvé passe à la réalisation en 1941 avec The lines du cinéma mexicain à l’époque de
(Roger Capellani, id.) ; Messieurs les Farmer’s Wife (CO Norman Lee). Suivent sa grande expansion. Il est notamment
ronds-de-cuir (Y. Mirande, 1937) ; Aloha entre autres l’Homme en gris (The Man l’interprète favori d’Emilio Fernández, qui
ou le Chant des îles (L. Mathot, id.) ; Si in Grey, 1943), Romance d’amour (Love lui imprime une allure hiératique, dans
tu m’aimes / Mirages (Alexandre Ryder, Story, 1944), le Masque aux yeux verts une dizaine de rôles, dont Flor silvestre et
1938) ; le Petit Chose (M. Cloche, id.) ; (The Wicked Lady, 1945) et Un homme María Candelaria (1943), La perla (1945),

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et Enamorada (1946). Il joue aussi pour En 1957 le studio d’Erevan devient (M. Champreux, id.), Dédé (R. Guissart,
Bracho (Distinto amanecer, 1943), Bus- Armenfilm. Au début des années 60 un 1934), la Dame aux camélias (F. Rivers,
tillo Oro (La loca de la casa, 1950), souffle frais s’empare du cinéma armé- id.), Battements de coeur (H. Decoin,
Buñuel (El bruto, 1952), Gavaldón (La nien. Henrik Malian* et Frounzé Dovla- 1939), Jéricho (H. Calef, 1945), l’Idiot
escondida, 1956). Le succès le conduit tian représentent une nouvelle tendance (G. Lampin, 1946), les Chouans (Calef,
à Hollywood et en Europe, mais sa car- plus ouverte sur le monde extérieur id.), le Silence est d’or (R. Clair, 1947),
rière internationale est moins significa- même si le rapport au sacré, le recours Clochemerle (P. Chenal, 1948), Occupe-
tive, à l’exception peut-être de trois films aux anciennes traditions, la fidélité aux toi d’Amélie (C. Autant-Lara, 1949), Ni vu,
de John Ford : Dieu est mort (1947), le paysages austères et majestueux, le ni connu (Y. Robert, 1958).
Massacre de Fort Apache (1948) et le Fils mélange harmonieux de l’humour et
du désert (1949). Il se suicide en 1963 du sérieux sont toujours présents dans ARMSTRONG (Gillian), cinéaste austra-
en apprenant qu’il est atteint d’un cancer. la plupart des oeuvres. En 1968, Ser- lienne (Melbourne, 1950).
guei Paradjanov* un Arménien devenu Elle est la première femme à signer
ARMÉNIE Géorgien de Tbilissi mais très fidèle à un long métrage australien depuis les
Si l’on sait que dans la Géorgie voisine une mythologie arménienne qu’il magni- années 30. En effet My Brilliant Career
la première séance cinématographique fiera dans ses films nimbés de poésie (1979), habile adaptation du roman au-
a lieu à Tiflis en 1896 où l’on projette symbolique et parfois même surréelle tobiographique de Miles Franklin, avec
quelques bandes des frères Lumière, tourne Sayat Nova à Armenfilm. Dans un Judy Davis dans le rôle principal, la
l’appartition du cinéma en Arménie domaine différent, celui du documentaire conduit sur les voies de la renommée.
est beaucoup plus floue. En 1907 des expérimental, Artavazd Pelechian pro- Après Starstruck (1982), elle partage
Russes sont venus tourner des films d’ac- pose une nouvelle approche du monde ses activités entre Hollywood (Mrs Sof-
tualité, en 1915 le premier long métrage à qui nous entoure en inventant un langage fel, 1984 ; Fires Within, 1991 ; les Quatre
thème arménien est mis en scène... mais poétique situé au-delà de l’action et du Filles du Dr March [Little Women], 1994)
en Russie. Il faudra attendre l’arrivée du récit. Plusieurs cinéastes rompent avec et l’Australie (High Tide, 1987 ; The Last
pouvoir soviétique, la nationalisation des les sujets d’antan, plus ou moins imposés Days of Chez Nous, 1991). Elle a éga-
quelques salles existant en Arménie et par l’idéologie dominante, et écornent les lement réalisé plusieurs documentaires
enfin la création en 1923 du Groskino tabous auxquels on n’osait et ne pouvait (Not Just a Pretty Face, 1983 ; Hard to
arménien pour qu’apparaissent les pre- s’attaquer pendant le stalinisme : Souren Handle, 1986).
miers embryons d’un cinéma national. Babaïan, Haroutioun Khatchatourian, Ara
L’homme qui va être pendant plus de Vahouni, Rouben Ghevokiants, David ARNCHTAM (Lev) [Lev Oskarovi

trente ans le porte- drapeau du cinéma Safarian, Edmond Kheussaian, Bagrat Arnštam], cinéaste soviétique (Iekateri-

arménien se nomme Amo Bek-Nazarov*. Hovhannessian, Roman Balaian, Aghassi noslav [auj. Dniepropetrovsk] 1905 - Mos-

Ancien acteur, fondateur d’un studio à Aivazian. À l’étranger les cinéastes d’ori- cou 1979).

Erevan en 1921, Bek-Nazarov va signer gine arménienne affirment leur talent : Après des études musicales au conser-

Atom Egoyan* au Canada, Don Aska- vatoire de Leningrad, il collabore en tant


les plus beaux fleurons du 7e Art armé-
rian en Allemagne, Richard Sarafian aux que musicien au théâtre Meyerhold en
nien (Namous, premier film de fiction,
États-Unis, Henri Verneuil (né Malakian), 1924 et devient acteur. En 1929, Ko-
1925 ; Chor et Chorchor, première comé-
die, 1926 ; Zareh, id ; Khas-pouch, 1927 ; Serge Avedikian, Jacques Kedabian, zintsev et Trauberg font appel à lui afin

Pepo, premier film sonore, 1935 ; David- Arby Ovanessian, Edouard Sarxian en de superviser le son de leur film Seule

Bek, 1944). Tout en restant étroitement France. (1931), puis Youtkevitch l’engage dans
les mêmes fonctions pour son film Mon-
inféodés à l’idéologie du gouvernement
ARMIÑÁN (Jaime de), cinéaste et scéna- tagnes d’or (id.), dont il est également le
soviétique de l’époque – notons que la
riste espagnol (Madrid 1927). coscénariste, ainsi que pour le film suivant
plupart des apprentis-cinéastes vont faire
Auteur dramatique, puis scénariste pro- de Youtkevitch (et Ermler), Contre-Plan
leurs études à Moscou – les thèmes des
lifique pour la télévision, il débute au ci- (1932). Il commence sa carrière de réali-
films arméniens sont néanmoins forte-
néma de manière médiocre, en mettant sateur avec un film délicat et sensible, les
ment imprégnés d’une culture nationale
en scène Marisol dans Carola de día, Amies (Podrugi, 1936) et poursuit dans la
séculaire.
Carola de noche (1969). Ses meilleures même veine avec les Amis (Druz’ja [CO
Une culture que ne désavouera pas
réussites constituent des approches V. Eissymont], 1938). Son oeuvre la plus
totalement Rouben Mamoulian, un expa-
assez lucides de la condition féminine en célèbre est Zoïa (Zoja, 1944), émouvante
trié célèbre venu chercher la gloire à Hol-
Espagne : Mi querida señorita (1971) et biographie d’une héroïne de guerre. Il a
lywood à la fin des années 20.
Al servicio de la mujer española (1978). été actif jusque dans les années 60, et
Dans le sillage de Bek-Nazarov des au-
Citons aussi El amor del capitán Brando on lui doit encore un Glinka (1947) et un
teurs s’imposent tels Patvakan Barkhou-
(1974), Jo, papá ! (1975), Nunca es tarde Roméo et Juliette (Romeo i Dzul’etta,
darian (Kikos, 1933), Artachès Hai-Artian
(1977), El nido (1980), En septiembre 1954) moins inspirés.
(Karo, 1937), Amassi Martirossian (les
(1982), Stico (1984), la Hora bruja (1985),
Diplomates mexicains, 1931). Un autre ARNHEIM (Rudolf), théoricien américain
Mi General (1986) et Al otro lado del túnel
nom marque l’éclosion du cinéma armé- d’origine allemande (Berlin 1904).
(1994).
nien : Ivan Perestiani à la fois acteur, met- Diplômé de psychologie expérimentale
teur en scène, scénariste. S’il a exercé ARMONTEL (Roland), acteur français (Vi- de l’université de Berlin, il élabore dans
son influence essentiellement en Russie moutiers 1904 - Paris 1980). son livre Film als Kunst (le Film en tant
et en Géorgie, il a également aidé la ciné- C’est aux côtés de Max Linder qu’il dé- qu’art, 1932) une esthétique inspirée par
matographie arménienne naissante, tour- bute, alors qu’il n’est qu’un enfant, mais la Gestalttheorie : il y formule le principe
nant notamment ses propres films pour le c’est au temps du cinéma parlantqu’il fait que l’oeuvre d’art visuelle n’est pas une
compte d’une compagnie privée montée véritablement carrière. C’est un second simple « imitation » de la réalité mais
par des Arméniens. rôle original, discret, fin comédien dans « la transformation des caractéristiques
Le cinéma arménien a été et reste un de nombreux films des années 30, 40 observées en formes d’expression ».
cinéma de la mémoire. La perception et 50, notamment les Gaietés de l’esca- Cette transformation s’effectue par les
souvent grave et tragique de la vie est dron (M. Tourneur, 1932), les Misérables éléments différenciateurs (cadrage, mon-
liée au souvenir persistant du génocide. (R. Bernard, 1933), Touchons du bois tage, éclairage, absence de son et de

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couleur), qui sont les moyens formateurs de la Créature (Revenge of the Crea- En 1968, elle retrouve Jean Renoir pour
spécifiques du cinéma. Très marqué par ture, 1955), qui introduisent un nouveau un sketch de son Petit Théâtre (rôle de
le cinéma muet (surtout soviétique), il monstre dans le bestiaire du cinéma ; l’épouse délaissée du Roi d’Yvetot). Avec
intégrera par la suite le son au nombre Tarantula (id. 1955) ; l’Homme qui rétrécit son compagnon, le cinéaste Bernard
de ces moyens formateurs (voix off, (The Incredible Shrinking Man, 1957), le Paul, qui la dirigera en guest star dans
monologue intérieur, effets subjectifs). Il plus achevé. Leurs qualités — densité, Dernière Sortie avant Roissy (1977), elle
travaille à Rome, puis émigre aux États- précision, sérieux — se retrouvent dans se lance dans le syndicalisme. Elle a
Unis en 1940 (naturalisé en 1946). Il y certains de ses autres films de genre : fait également du théâtre et de la télévi-
poursuit une oeuvre théorique abondante, le Salaire du diable (Man in the Sha- sion. La carrière est une chose, a-t-elle
en particulier dans ses ouvrages Art and dow / Pay the Devil, 1958), avec Jeff déclaré, mais il importe d’abord de réus-
Visual Perception (1954) et Visual Thin- Chandler, ou la Souris qui rugissait (The sir sa vie. On la retrouve en 1984 dans
king (1969). Historiquement datée (réti- Mouse That Roared, GB, 1959), avec Ronde de nuit (Jean-Claude Missiaen),
cences à l’égard du son) et quelque peu Peter Sellers. Depuis 1960 environ, il tra- puis avec Jean Marboeuf dans Voir l’élé-
formaliste (dissociation de la forme et du vaille presque uniquement à la télévision phant (1990) et Temps de chien (1996),
fond), la théorie d’Arnheim est cependant en tant que producteur. Philippe Leriche dans les Années cam-
une précieuse contribution à la définition pagne (1992), Brigitte Roüan dans Post
de la spécificité filmique. ARNOLD (Malcolm), musicien britannique coïtum animal triste (1997), Claude Fa-
(Northampton 1921). raldo dans Merci pour le geste (2000).
ARNOLD (August), inventeur et indus- Il obtient l’Oscar pour le Pont de la rivière
triel allemand (Werfen, Autriche-Hongrie, Kwai (D. Lean, 1957). Il s’est également ARNOUX (Alexandre), romancier, critique
1898). rendu célèbre pour la marche solidement et scénariste français (Digne 1884 - Paris
Son nom est indissociable de celui de rythmée de l’Auberge du sixième bonheur 1973).
Robert Richter. Passionnés de méca- (M. Robson, 1958). On peut citer parmi Collaborateur du Mercure de France et
nique et de cinéma, Arnold et Richter se ses compositions les plus marquantes : le des Nouvelles littéraires, il se passionne
lancèrent dès 1917, sous le sigle « Arri » Mur du son (Lean, 1952), la Nuit où mon pour le cinéma et devient rédacteur en
obtenu par la réunion des premières destin s’est joué (The Night My Number chef de Pour vous, l’un des deux grands
lettres de leurs noms, dans la fabrication Came Up [Leslie Norman], 1955), Hold- hebdomadaires de cinéma de l’avant-
de tireuses puis d’autres matériels desti- up en plein ciel (M. Robson, id.), Tra- guerre. Il a publié Cinéma en 1929 et en
nés à l’industrie cinématographique, no- pèze (C. Reed, 1956), Une île au soleil 1946 une édition augmentée du même
tamment des tables de montage. Ils sont (R. Rossen, 1957), la Clé (Reed, 1958), ouvrage sous le titre Du muet au parlant,
surtout connus pour l’Arriflex (1937), la les Racines du ciel (J. Huston, id.), les souvenirs d’un témoin. « Le cinéma, y
première caméra dotée de la visée reflex. Fanfares de la gloire (R. Neame, 1960), écrit-il, n’est qu’une résurrection de l’art
( CAMÉRA.) L’Arriflex et ses descendantes le Lion (J. Cardiff, 1962), les Héros de primitif. Voilà son honneur et sa gloire. »
(40 000 exemplaires fabriqués) ont été Telemark (A. Mann, 1965). Comme scénariste, on lui doit notamment
et demeurent diffusées dans le monde Maldonne (J. Grémillon), l’Atlantide, Don
entier. L’Arriflex existe en version 16 mm ARNOUL (Françoise Gautsch, dite Fran- Quichotte et le Drame de Shanghai (G. W.
depuis 1951. çoise), actrice française (Constantine [auj. Pabst), la Charrette fantôme (J. Duvivier)
Qacentina], Algérie, 1931). et Premier de cordée (L. Daquin). Il fut
ARNOLD (Gunther Edward Arnold Schnei- Née d’un père officier et d’une mère membre de l’académie Goncourt.
der, dit Edward), acteur américain (New comédienne, elle vient en métropole au
York, N. Y., 1890 - Encino, Ca., 1956). lendemain de la guerre et s’inscrit au ARNOUX (Robert), acteur français (Lille
De 1915 à 1919, il interprète de courts cours d’art dramatique Andrée Bauer- 1899 - Paris 1964).
films d’action pour Essanay avant de se Thérond. Ses débuts à l’écran remontent De formation classique (il fut le cama-
consacrer au théâtre. Il revient au cinéma à 1949 dans l’Épave, de Willy Rozier : un rade de conservatoire de Charles Boyer
en 1932 et tourne en 24 ans quelque rôle très déshabillé, qui lui vaut la célé- et Pierre Blanchar), il tourne au début du
150 films, dans lesquels son physique brité. Elle enchaîne sur une comédie de parlant de nombreux films pour la UFA :
massif et son autorité semblent le vouer Jean Boyer, Nous irons à Paris. On la Le congrès s’amuse (E. Charell, 1931),
aux brasseurs d’affaires et aux politi- cantonne quelque temps dans des rôles Tumultes (R. Siodmak, 1932), ainsi que
ciens véreux. Il est le juge Porphyre dans de fille perdue ou de gamine perverse : le pour la Paramount : la Perle (René Guis-
Remords / Crime et Châtiment (J. von Fruit défendu, les Compagnes de la nuit, sart, id.). On le voit dans Liliom (F. Lang,
Sternberg, 1935), tient dans Diamond Jim le Dortoir des grandes, la Rage au corps, 1934), Jeunesse (G. Lacombe, id.).
(A. E. Sutherland, id.) le rôle du politicien Secrets d’alcôve... En 1955, dans French Gréville l’engage pour Remous (1935)
« Diamond » Jim Brady, dans Sutter’s Cancan de Jean Renoir, elle est la petite et Marchand d’amour (id.). Son phy-
Gold (J. Cruze, 1936) celui du conqué- blanchisseuse de la butte Montmartre sique s’étant ensuite beaucoup alourdi,
rant californien John Sutter, et incarne le que Danglard (Jean Gabin) transforme il campe les rondeurs avec humour et
visage de la corruption menaçante dans en vedette du cancan : un rôle à sa me- compose des rôles de profiteurs et de
deux films de Capra : Monsieur Smith sure, d’autant qu’elle avait fait des études mercantis : Voici le temps des assassins
au Sénat (1939) et l’Homme de la rue de danse. On la voit l’année suivante, de (J. Duvivier, 1956), la Traversée de Paris
(1941). nouveau, aux côtés de Gabin, en ser- (C. Autant-Lara, id.).
veuse de Restoroute, dans Des gens
ARNOLD (Jack), cinéaste américain (New sans importance d’Henri Verneuil, puis en ARONOVICH (Ricardo), chef opérateur
Haven, Conn., 1912 - Woodland Hills, Ca., créature de Vadim, dans Sait-on jamais argentin (Buenos Aires 1930).
1992). (1957). Elle est une séduisante espionne Il est d’abord associé au nuevo cine ar-
Après une carrière d’acteur sur la scène dans le diptyque la Chatte (1958), La gentin. Après quelques courts métrages
et à l’écran, il réalise pour Universal, de chatte sort ses griffes (1959). Par la suite, (à partir de 1956), il signe en effet la photo
1955 à 1958, cinq films de science-fiction on ne lui confiera guère que des rôles de Los de la mesa diez (Simon Feldman,
majeurs : le Météore de la nuit (It Came conventionnels de femme enfant, excep- 1960), puis devient le proche collabo-
From Outer Space, 1953) ; l’Étrange tion faite de quelques prestations intel- rateur de Rodolfo Kuhn, David Kohon
Créature du lac noir (Creature From the ligentes chez Pierre Kast (la Morte-Sai- et Manuel Antín. Aussi à l’aise dans le
Black Lagoon, 1954) et la Revanche son des amours, Vacances portugaises). réalisme dur et précis (les Fusils, de Ruy

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Guerra, en 1964, au Brésil) que dans la ARRABAL (Fernando), dramaturge et ci- Révolte du boucher, la Coquille et le Cler-
recréation stylisée d’une ville imaginaire néaste espagnol (Melilla, Maroc espagnol, gyman, le Maître de Ballantrae, etc.) dont
que Borges inspira à son compatriote 1932). un seul sera porté à l’écran : la Coquille
Hugo Santiago (Invasión, 1968), il s’im- Créateur du théâtre panique, drama- et le Clergyman, par Germaine Dulac, en
pose comme un des grands cameramen turge inventif et insolite, il met en scène 1928. Mais Artaud ne put en contrôler
latino-américains. Ruy Guerra fait appel à quelques films, Viva la muerte (1971), la réalisation comme il l’aurait souhaité,
lui pour tourner en France Tendres Chas- J’irai comme un cheval fou (1973), l’Arbre et ce qui aurait pu être, avant le Chien
seurs (1969). Sa palette y fait merveille de Guernica (1975), mêlant les obses- andalou et l’Âge d’or, le premier film
pour évoquer le pouvoir de l’imaginaire, sions autobiographiques au drame de authentiquement surréaliste ne fut qu’un
comme le démontrera encore sa photo l’Espagne de la guerre civile. Les tra- film d’avant-garde parmi d’autres. On
splendide de Providence (A. Resnais, casseries de la censure, d’un côté ou de peut aussi trouver certaines traces de ses
1977). Il vit en France depuis 1969 et l’autre des Pyrénées, expliquent peut- idées sur le cinéma dans son adaptation
a participé à de nombreux films, parmi être une surévaluation critique hâtive : du Moine, d’après Lewis, et par les pho-
lesquels le Souffle au coeur (L. Malle, s’agit-il d’un après-surréalisme ou de tos qu’il fit réaliser selon ses indications
1971), l’Attentat (Y. Boisset, 1972), Clair son exploitation plus superficielle que (en 1931). Il reste aussi quelques articles
de femme (Costa-Gavras, 1979), Missing significative ? En 1982, il signe un film (dont une étude sur les Marx Brothers pu-
(id., 1982), Hanna K (id., 1983), le Bal pour enfants avec Mickey Rooney dans bliée en 1932 dans la NRF). Finalement,
(E. Scola, id.) et la Famille (id., 1987), le rôle principal (l’Empereur du Pérou). c’est dans quelques-uns des 23 films qu’il
Mécaniques célestes (Fina Torres, 1994), a interprétés de 1924 à 1935 que l’on
Cinéaste inclassable, il restera l’auteur de
Lumière noire (Med Hondo, 1994), Désiré quelques fulgurances lyriques, violentes, peut le mieux évaluer sa contribution à
(Bernard Murat, 1996), El impostor (Ale- érotiques, voire scatologiques, à ranger l’histoire du cinéma : Napoléon, d’Abel
jandro Maci, ARG 1997), le Radeau de dans la catégorie des « curiosa » cinéma- Gance, en 1927 (il est un inoubliable
la Méduse (Iradj Azimi, 1998), le Temps Marat) ; la Passion de Jeanne d’Arc
tographiques.
retrouvé (R. Ruiz, 1999). (C. Dreyer, 1928) ; Verdun, visions d’his-
ARRÊT SUR L’IMAGE. toire (L. Poirier, id.) ; l’Argent (M. L’Her-
ARQUETTE (Patricia), actrice américaine Truquage de laboratoire qui « arrête » le bier, 1929) ; Tarakanova (R. Bernard, id.) ;
(Chicago, Ill.,1968). mouvement en reproduisant un certain l’Opéra de quat’sous (G. W. Pabst, 1931,
Patricia Arquette s’est affirmée comme
nombre de fois la même image. ( EF- vers. franç.) ; Liliom (F. Lang, 1934) ; Lu-
une des actrices préférées du public
FETS SPÉCIAUX.) crèce Borgia (A. Gance, 1935).
de sa génération. Son interprétation de
la fuyarde de True Romance (T. Scott, ARRI BL CAMÉRA ART ET ESSAI.
1992) a certainement beaucoup fait pour Cette appellation s’applique en France à
cela : son talent et son énergie y étaient ARRIETA (Adolfo), cinéaste espagnol (Ma- ce qu’on peut considérer comme la partie
en évidence. Mais des films de grande drid 1942). la plus culturelle du cinéma, et, au-delà
qualité sont venus étoffer un physique Peintre, il tourne chez lui le Crime de la de la qualité, la « niche » de la recherche
de poupée dont elle sait jouer : blonde toupie (1965-66), où l’on trouve déjà le et de l’innovation en matière de cinéma.
ou brune, elle le fait contraster avec un ton de réalisme transfiguré, inspiré de C’est devenu un label qui s’applique
engagement physique presque athlétique Cocteau, qui sera celui de ses premiers aux salles de cinéma et qui déclenche
(Rangoon, J. Boorman, 1995), elle le dé- films français, l’Imitation de l’ange (1967), une aide de l’État. Appellation propre à
double (deux rôles dans Lost Highway, le Jouet criminel (1970) et le Château la France (à l’étranger, on se contente
D. Lynch, 1997), elle le pousse au bord de Pointilly. Avec les Intrigues de Syl- généralement de parler de « cinéma
de la caricature (la femme fatale de The via Couski (1974), il brosse une fresque d’art » – sauf en Italie, où au contraire,
Hi-Lo Country, S. Frears, 1999) ou vers vive et pailletée des milieux marginaux c’est « l’essai » qui est revendiqué), l’art
la plus grande fragilité (À tombeau ou- de Saint-Germain-des-Prés. À l’image et essai a produit un ensemble de règle-
vert, M. Scorsese, 2000). Sa soeur aînée de Tam Tam (1975), où les invités d’une ments, de mesures incitatives et de sub-
Rosanna (Recherche Susan désespéré- fête attendent en vain un jeune homme, ventions dont bénéficient les distributeurs
ment, S. Seidelman, 1985 ; After Hours, son cinéma est un cinéma de l’attente (du et les salles diffusant le cinéma d’auteur,
M. Scorsese, id. ; le Grand Bleu, L. Bes- grand amour) et, tout de même, de l’ap- les films novateurs, les classiques du
son, 1988 ; Too Much Flesh, J.-M. Barr, parition : l’ange, dans les premiers films, cinéma, des films issus des cinématogra-
2000) et ses deux frères David (la série ou le pompier de Flammes (1977-78). phies nationales les moins diffusées, et
des Scream, de W. Craven) et Alexis sont Rentré en Espagne, il tourne Grenouilles des oeuvres diverses au potentiel com-
également acteurs. (1983), la Gata (1989), Merlin (1990). mercial limité (court métrage, documen-
taire).
ARQUILLIÈRE (Alexandre), acteur français ARRIFLEX CAMÉRA, ARNOLD (AUGUST),
(Boën-sur-Lignon 1870 - Saint-Étienne L’art et essai est aussi un mouvement
RICHTER (ROBERT)
1953). interne à l’exploitation, qui a fait naître un
Acteur de théâtre, il se réclame d’Antoine groupement de salles dont l’origine re-
ART (FILM D’) DOCUMENTAIRE, FILM
et de Gémier ; vedette de cinéma, il doit monte à la fin des années 20, aux salles
D’ART)
tout à Victorin Jasset, qui le popularise d’avant-garde parisiennes : le Vieux Co-
sous les traits de Zigomar. Zigomar, roi ART DIRECTOR GÉNÉRIQUE) lombier de Jean Tedesco, le Studio des
des voleurs (1911), Zigomar contre Nick Ursulines d’Armand Tallier, le Panthéon
Carter (1912) et Zigomar Peau d’anguille ARTAUD (Antonin), poète, acteur, homme de Pierre Braunberger, le Studio 28 de
(1913) brodent à partir de feuilletons les de théâtre et scénariste français (Marseille Jean Mauclaire, l’OEil de Paris de Jean
éternels combats du bien et du mal. Taillé 1896 - Ivry-sur-Seine 1948). Vallée, connues pour leur programma-
en force, l’oeil rusé, la mèche rebelle, Chez Artaud, le cinéma est une préoc- tion de films expérimentaux, de films sur-
excellent dans les personnages frustes, cupation constante, mais sans que ses réalistes, de films rejetés par les salles
il va connaître le succès avec son rôle de projets arrivent à se concrétiser. Il sera « normales » et (déjà) de films considé-
la Souriante Madame Beudet (G. Dulac, acteur pour des motifs essentiellement rés comme des classiques par les anima-
1923). On le voit encore en 1939 dans la alimentaires. Dès 1924-25, il écrit des teurs des premiers ciné-clubs*. En 1955,
Fin du jour (J. Duvivier). scénarios (les Dix-Huit Secondes, la sous l’impulsion d’Armand Tallier et des

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

critiques de cinéma, notamment Jean- et un éblouissant débit dans un rôle s’ils sont parfois combinés avec ces der-
der et Roger Régent, qui avaient créé en d’employée dure au coeur de midinette niers) : c’est ce que filme la caméra qui
1950 le Cinéma d’essai (destiné à ouvrir — personnage qui sera souvent le sien. est lui-même truqué. Leur responsabilité
un marché à des films qui n’avaient pas Elle devient une actrice recherchée, mais incombe soit à l’accessoiriste, soit (dans
été retenus par les distributeurs), cinq son contrat lui fait alterner les productions les cas plus compliqués) à un technicien
salles parisiennes créent l’AFCAE (As- de routine et les grands films comme spécialisé, en liaison éventuellement
sociation française des cinémas d’art et l’Extravagant Monsieur Deeds (F. Capra, avec le chef décorateur ou le chef opé-
essai). Le mouvement s’étend lentement 1936), où elle remporte un triomphe per- rateur.
et joue un rôle important dans la diffusion sonnel et s’impose comme une grande Les innombrables artifices employés
des films de cinéastes étrangers comme comédienne. On la trouve au générique dans le cinéma peuvent pour l’essentiel
Kurosawa, Mizoguchi, Bergman, Satya- de grands films comme : Vie facile (M. se classer en trois grandes catégories.
jït Ray, et des nouveaux cinéastes fran- Leisen, 1937), Vous ne l’emporterez pas
Les trucages météorologiques. Pour
çais (A. Resnais, C. Marker, A. Varda, avec vous (F. Capra, 1938) et Monsieur
le brouillard (ou la fumée, que l’image ne
J. Rouch, E. Rohmer) ou étrangers (polo- Smith au Sénat (id., 1939). Mais elle est
distingue pas du brouillard), on peut faire
nais, tchèques, brésiliens, britanniques, aussi une Calamity Jane séduisante et
appel aux machines à brouillard. Quand
italiens). haute en couleur dans Une aventure de
il s’agit de créer de vastes nappes, leur
L’art et essai s’institutionnalise en Buffalo Bill (C. B. De Mille, 1937). En fait,
principe consiste à vaporiser un mélange
1961 grâce à la volonté du ministère de le drame lui réussit aussi bien que la co-
d’huile et de pétrole chauffé par résis-
la Culture d’encourager ce type de salles médie, comme le prouve sa création de
tance électrique. On obtient une émission
prenant des risques économiques. Les Bonnie, la chorus-girl perdue parmi les
de gouttelettes microscopiques, pulsée
avantages consentis vont évoluer avec le aviateurs, dans Seuls les anges ont des
par ventilation, éventuellement refroidie
temps, au gré des réformes souhaitées ailes (H. Hawks, 1939). Peut-être aucun
à la neige carbonique si la nappe doit
par l’administration. La mesure essen- film n’a mieux montré l’étendue de ses
stagner au sol. Ce procédé efficace, peu
tielle, et la plus constante, consiste en possibilités que l’étrange et obsédant film
polluant, non nocif, est malheureusement
une subvention — il s’agit en fait d’une de F. Borzage, Le destin se joue la nuit
bruyant. Dans le cas de champ réduit, ou
prime calculée d’après la qualité de la (1937), qui la fait passer de l’angoisse à
en intérieur, on utilise un simple appareil
programmation de chaque salle candi- la comédie, puis au drame. Les années
pour l’enfumage des abeilles, alimenté
date. L’association française a constitué 40 la confinent souvent dans des wes-
en encens.
en 1955, avec notamment la Guilde créée terns agréables, mais mineurs. La comé-
en Allemagne dès 1953 (Gilde deutscher die reste cependant son fort (Plus on est Le réchauffement brutal d’un corps

Filmkunstheater) et des salles belges et de fous, G. Stevens, 1943), même si elle à très basse température, tel l’anhy-
suisses, la Confédération internationale vire quelquefois au drame (la Justice des dride carbonique solidifié, provoque un
des cinémas d’art et essai (CICAE), qui hommes, id., 1942). Elle dessine une su- intense dégagement de vapeur capable
ne réunit, hors des deux pays fondateurs perbe silhouette de vieille fille saisie par lui aussi de simuler le brouillard. On peut
qu’un nombre très limité d’exploitations. l’amour dans la Scandaleuse de Berlin tout simplement précipiter cet anhydride
(B. Wilder, 1948) et se montre convain- dans des récipients d’eau chaude, mais
ARTHUR (George Brest, dit George K.), ac- cante en épouse discrète, secrètement on maîtrise alors mal le volume émis, et
teur britannique (Aberdeen, Écosse, 1899 - troublée par l’Homme des vallées per- les sources sont trop ponctuelles. Des
New York, N. Y., 1986). dues (G. Stevens, 1953). machines, qui combinent la production de
Après avoir joué dans quelques films vapeur et la distribution d’anhydride dans
anglais, il gagne Hollywood, où il tient ARTHUYS (Philippe), musicien et cinéaste un système de ventilation, autorisent des
de petits emplois, par exemple dans Hol- français (Paris 1928). effets prolongés et parfaitement dirigés.
lywood (J. Cruze, 1923), le Prince étu- Après des études musicales, il travaille Parfois, on se contente de répandre sur
diant (E. Lubitsch, 1927), ou dans trois au Groupe de recherches musicales de le sol de l’air liquide, mais la basse tem-
oeuvres de King Vidor, la Grande Parade l’ORTF avec Pierre Schaeffer et Pierre pérature de celui-ci (– 183 °C) rend son
(1925), Bardelys le Magnifique (1926) Henry. Il écrit des musiques de films : emploi aléatoire.
et Mirages (1928). Il a un rôle impor- Paris nous appartient (J. Rivette, 1961),
On peut enfin avoir recours aux pro-
tant dans la naissance de The Salvation les Carabiniers (J.-L. Godard, 1963), les
duits chimiques. Le tétrachlorure de
Hunters (Sternberg, 1925), dont il est la Camisards (R. Allio, 1972), le Vent des
titane, qui produit de la fumée en acca-
vedette. Son visage poupin et ses mines Aurès, Chronique des années de braise,
parant l’humidité de l’air, n’est plus uti-
éberluées lui valent de former avec Karl Vent de sable et la Dernière Image (M.
lisé, du fait de sa toxicité, que dans les
Dane un duo dans une série de films co- Lakhdar Hamina, 1966, 1975, 1982 et
cas où le personnel n’est pas en contact
miques (Rookies de Sam Wood, 1927). Il 1986). Il passe à la réalisation avec : la
avec le produit. Mais il existe un nombre
se retire en 1935. Cage de verre (CO Jean-Louis Lévi-Al-
impressionnant de fumigènes, de toutes
varès, 1965), sur l’holocauste juif ; Des
couleurs et densités, qui sont d’ailleurs
ARTHUR (Gladys Georgianna Greene, dite Christs par milliers (1969), sur la violence
plutôt employés pour la fumée que pour
Jean), actrice américaine (New York, N. Y., du monde (en polyvision) ; Et courir de
le brouillard.
1905 - Carmel, Ca., 1991). plaisir (1974), sur les courses automo-
Fille d’un photographe, elle commence En studio, pour la neige qui chute, on
biles (en polyvision) ; Noces de sève
très jeune à poser. Remarquée, elle ob- (1979), parabole antinucléaire. Simulta- a longtemps utilisé la plume broyée, les
tient en 1923 un contrat à la Fox. Après nément, il a collaboré comme réalisateur céréales, le plâtre, projetés depuis les
huit ans d’utilités à Hollywood, lassée, et/ou musicien à des spectacles très di- passerelles. Le polystyrène expansé et
elle revient à New York, pour travailler vers (théâtre, ballet, cirque). le polyuréthanne remplacent aujourd’hui
au théâtre. Deux ans plus tard, elle est ces matériaux, causes d’allergies. Les
de retour à Hollywood avec un modeste ARTIFICES. fins flocons plastiques sont projetés (à
contrat à la Columbia. Après deux films Les artifices, qui sont souvent des trucs la main par l’accessoiriste, ou par des
sans intérêt, Toute la ville en parle de caractère artisanal, forment une caté- rampes distributrices couplées à des
(J. Ford, 1935) impose définitivement gorie à part dans les effets spéciaux dans souffleries) devant des ventilateurs ins-
« la voix la plus sexy du cinéma », un la mesure où ils ne reposent pas sur des tallés en hauteur. Plus les sources sont
sens peu commun du rythme comique effets d’optique ou de laboratoire (même nombreuses, meilleur est l’effet.

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

En extérieur, on peut soit procéder copiques ; lorsque l’arme doit transper- comblés avec des matières légères :
comme ci-dessus, soit (si la température cer le corps, on fixe sous les vêtements, poudre, liège, balsa, plâtre expansé, etc.
s’y prête) se servir d’un canon à neige, où avant le tournage, sur une plaque métal- Ce dispositif peut être complété par des
des pains de glace sont broyés en fines lique sanglée au corps, la réplique de la poches en plastique remplies d’essence
particules entraînées par une puissante pointe qui est découverte ensuite par le et de gazole, si l’on recherche un effet de
ventilation. mouvement de chute. bombe incendiaire.
D’autres systèmes utilisent la mousse Pour les flèches et couteaux lancés, Si les destructions d’édifices ont pour
d’extincteur projetée par un ventilateur. on fixe au point d’impact, sur un bouclier cause une explosion ou un bombarde-

Pour la neige déposée, les particules métallique revêtu d’une matière amortis- ment, elles s’opèrent avec les dispo-
plastiques, légères, ne conviennent pas sante, un fil invisible, sur lequel on pro- sitifs combinés explosion-fumée-feu.

dans toutes les circonstances (vent, pulse, par élastique, soit une flèche faite Les parties devant rester intactes sont

déplacement de véhicules, etc.). Pour d’un tube, soit un couteau évidé en son construites en matériaux résistants ; les
milieu. On peut aussi tourner le plan à parties à détruire sont fabriquées à par-
créer l’illusion d’un tapis de neige, on leur
l’envers ; le projectile, fiché dans un bloc tir de matériaux légers et fragiles (tels
préfère alors le sable blanc, le plâtre, le
de balsa ou de plastique dissimulé sous le plâtre expansé ou le polystyrène ex-
sel. Plus onéreuse, la mousse d’extinc-
le vêtement, est vivement tiré en arrière pansé), et elles sont précassées là où
teur est réservée aux cas où la neige
par un fil invisible. elles doivent se briser.
doit épouser certains contours. Pour les
vêtements et les petits accessoires, on Le tir des armes à feu légères (pisto- Si elles sont dues à d’autres causes
se sert de bombes givrantes pour sapins lets, fusils, mitraillettes) s’effectue avec (heurts avec un véhicule, secousses sis-
de Noël. Pour les gros volumes, on a des cartouches à blanc. Pour écarter le miques, etc.), les parties devant s’effon-

recours au plâtre allégé et... à la peinture danger présenté par la bourre de la car- drer sont construites (toujours en maté-

blanche. Dans tous les cas, l’effet peut touche, on soude un déchiqueteur à l’in- riaux légers) en équilibre précaire, et elles

être amélioré par addition de particules térieur du canon. Il existe, dans la plupart sont soit maintenues par des électroai-

scintillantes (mica broyé, etc.). des calibres, des cartouches en plastique mants qu’on cesse d’alimenter le moment

suffisamment chargées pour faire fonc- venu, soit repoussées par de très faibles
La pluie est généralement créée par
tionner des armes automatiques. charges explosives.
des lances à eau (souvent celles des
Pour les armes à feu lourdes (canons, Pour les destructions d’automobiles et
pompiers) dirigées vers le haut afin que
autres véhicules, on utilise également la
les jets retombent en pluie. Après avoir mortiers, etc.), on dispose une charge de
combinaison explosion-fumée-feu, mais
arrosé le sol, on dispose les lances en poudre noire dans le canon, avec une
de sérieuses précautions doivent être
profondeur, aux limites du champ de la mise à feu par détonateur électrique.
prises pour limiter les effets de l’explo-
caméra, en privilégiant le premier plan. Il L’impact d’une balle sur un corps est
sion. Il faut neutraliser les serrures et
existe aussi un matériel spécialisé, com- facilement simulé par l’explosion d’un
fermer les portes avec du ruban adhésif,
posé de pommes d’arrosage montées sur détonateur noyé dans une poche de sang
ouvrir les fenêtres, éventuellement percer
de très hauts pieds métalliques. factice, fixé à un bouclier anatomique dis-
le plancher, démonter ou scier les parties
En studio, on dispose au-dessus du simulé sous le vêtement. On utilise aussi
dont l’artifice suggérera l’arrachement.
décor un réseau de tubes qui évacuent des gélules contenant du sang factice et
Les incendies sont réalisés par enflam-
l’eau par des arroseurs issus du matériel une pastille noire, projetées par un fusil
mage de réservoir contenant du gazole,
d’incendie. Pour la pluie vue à travers une pneumatique, la pastille qui vient se coller
auquel on peut ajouter des produits
fenêtre, on emploie un cadre de dimen- faisant illusion d’orifice.
chimiques pour modifier la coloration.
sions réglables : l’eau, issue d’un tube Les impacts au sol ou sur décor font
Pour les feux de surfaces réduites, on
supérieur percé d’orifices, est recueillie eux aussi appel aux détonateurs, enter-
utilise des rampes alimentées par des
par une gouttière qui permet un fonction- rés et recouverts de poussières, noyés
bouteilles de gaz. On dispose aussi de
nement en circuit fermé. dans le plâtre d’un mur, dissimulés sous
gelées à combustion lente et chaude,
Le vent est bien entendu créé par des l’écorce d’un arbre.
dont on enduit les accessoires et décors
ventilateurs, lesquels existent en toutes Pour les rafales au sol, on préfère
à brûler. Les feux de cheminée sont simu-
dimensions. Pour les effets de vents vio- enterrer de longs tuyaux de plastique, lés par la combinaison de rampes à gaz
lents sur de larges surfaces, il n’est pas percés d’orifices aux points d’impact et
et de bûches factices en plâtre.
de meilleur effet que le survol de la scène reliés à une bouteille d’air comprimé. La
Les objets factices. Le trucage est
par un hélicoptère. brusque décharge provoquée par l’ouver-
utilisé pour fabriquer la réplique d’un
Selon l’intensité désirée, les éclairs ture de la bouteille projette la terre, mêlée
objet ou d’un élément de décor rare, ou
sont simulés soit par un projecteur muni de poussières et matériaux légers, don-
d’un maniement difficile, voire dange-
d’un obturateur très rapide, soit par un nant l’illusion parfaite d’une longue et
reux. Il est aussi utilisé lorsque l’objet
arc électrique mis brièvement en court- puissante rafale.
risque d’être détruit ou doit l’être. Pour
circuit. Les impacts sur vitre, en particulier de ces fabrications, assurées sous la direc-
Les effets de cataclysmes, de trem- voiture, se font en projetant, au fusil à air tion du chef décorateur, on a longtemps
blements de terre, de raz de marée sont comprimé, des gélules contenant de la utilisé le moulage en plâtre (expansé ou
généralement réalisés sur maquettes. vaseline, de la poudre métallique et une non), le carton-pâte, le bois de balsa, le
Les trucages d’accessoires et de pastille noire. latex. Très léger, fragile, le bois de balsa
décors. Dans le domaine des armes Les explosions de bombes, mines, (auquel on peut donner l’apparence des
blanches, la lame du poignard, montée obus, grenades sont de véritables explo- autres bois) sert à la fabrication des
sur ressort, rentre dans le manche dès sions. L’astuce consiste à neutraliser meubles, portes et fenêtres destinés à
l’impact avec le corps, protégé par un l’effet destructeur pour ne conserver que être détruits ; l’assemblage étant fait à
bouclier anatomique. On peut coupler l’effet spectaculaire. On prépare des cra- la colle et à la cheville (c’est-à-dire sans
le ressort avec un piston qui projette du tères au fond desquels on dispose des pièce métallique), la dislocation est sans
sang factice, ou accrocher au bouclier sortes de marmites blindées contenant risque. Le latex, travaillé par moulage,
une poche remplie de sang qui cède à une charge de poudre noire, un flacon permet de réaliser des masques minces
la pression de la pointe. Les armes de fragile de tétrachlorure de titane et un qui laissent transparaître la mobilité du
grandes dimensions ont des lames téles- détonateur. Les cratères sont ensuite visage.

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Facilement maîtrisées, bon marché, est née, le Prisonnier de Zenda, Re- geants de la Transamerica et fonde Orion
se pliant à toutes les exigences de la becca) et Alexander Korda (la Vie privée Pictures. Les recettes marquent un déclin
mise en scène, les matières plastiques d’Henry VIII, Elephant Boy, les Quatre croissant, qu’aggrave l’échec retentis-
dominent aujourd’hui la fabrication des Plumes blanches, le Voleur de Bagdad) sant de la Porte du paradis de Michael
objets factices. Chacune a ses propres marquent l’histoire de la UA durant les Cimino, tentative mal venue pour res-
qualités, souvent combinables : légèreté, années 30, apportant à celle-ci un renom taurer le prestige du western. C’est dans
souplesse, friabilité, transparence, etc. considérable. Pourtant, l’insuffisance ces conditions qu’en mai 1981 la MGM
Elles peuvent être travaillées par moulage chronique des programmes (18 films en rachète la firme, marquant une nouvelle
(mousse de polyuréthanne, résines) ou 1939, soit à peine un tiers de l’effectif des
et cruciale étape dans son histoire.
par sculpture et sciage (polystyrène ex- « majors ») et de sévères luttes internes
pansé). Tout, ou presque, peut être ainsi contraignent la firme à adopter une nou- ARVANITIS (Yorgos), chef opérateur grec
reproduit : denrées alimentaires qui ré- velle politique. À partir de 1945, la UA, (Dilofon 1941).
sistent au temps et à la chaleur, meubles investissant systématiquement dans la Il débute dans la prise de vues dès 1959
qui se brisent, flacons qui éclatent, murs série B, devient le havre de producteurs et se voit confier la charge de directeur
polis ou rugueux, rochers, arbres, lam- comme Sol Lesser, Hunt Stromberg ou
de la photographie sur un long métrage
padaires, sculptures, masques, etc. Le Frank et Maurice King. Les grands films
en 1966. Collaborateur fidèle de Theo
plâtre expansé reste toutefois toujours (le Journal d’une femme de chambre,
Angelopoulos il a parfaitement su rendre
utilisé dans les cas où l’ininflammabilité et Henry V, la Rivière Rouge) se raréfient, et
l’atmosphère et la lumière souhaitées par
le poids sont indispensables au trucage. la fin des années 40 s’accompagne d’une
le plus grand cinéaste grec dans tous
Quant aux vitres à casser, elles sont réa- dramatique récession.
ses films de la Reconstitution (1970) à
lisées en verre médical, si fin et fragile En 1951, Arthur B. Krim et Robert S.
que son bris est sans danger. (Autrefois, l’Éternité et un jour (1998). Il a également
Benjamin rachètent 50 p. 100 du capital
elles étaient faites en plaques de sucre travaillé avec Jean-Jacques Andrien
de la compagnie et, en 1955 et 1956,
fondu. Le sucre fondu, peu transparent, (le Fils d’Amr est mort, 1975 ; Australia,
acquièrent les parts de Chaplin et de
n’est plus employé que pour les vitres 1989), Michael Cacoyannis (Iphigénie,
Mary Pickford. Le succès de La lune était
d’aspect ancien.) 1977), Jules Dassin (Cri de Femmes,
bleue (1953) et les avantages consen-
1978), Stavros Tsiolis (Une aussi longue
tis aux indépendants suscitent alors un
ARTIFICIELLE. absence, 1985), Pandelis Voulgaris (les
spectaculaire redressement économique.
Lumière artificielle, appellation conven- Années de pierre, id.), Fotos Lambrinos
Des films comme la Comtesse aux pieds
tionnelle (quand on s’intéresse à la tem- (Doxobus, 1987), Bernard Giraudeau
nus, Othello, Marty, la Nuit du chasseur,
pérature de couleur de la lumière) pour (l’Autre, 1990), Volker Schloendorff (The
le Grand Couteau, l’Homme au bras d’or,
désigner la lumière émise par les lampes
l’Ultime Razzia, le Roi et quatre reines, Voyager, 1991), Bertrand Van Effenterre
à incandescence de studio. ( TEMPÉRA-
Un Américain bien tranquille sont le sym- (Poisson lune, 1993), Marco Bellochio (Il
TURE DE COULEUR, SOURCES DE LUMIÈRE.)
bole d’une nouvelle conception, destinée sogno de la farfalla, 1994), Agnieska Hol-
à avoir une influence profonde et durable land (Total Eclipse, 1995), Eric Heuman
ARTISTES ASSOCIÉS (United Artists).
sur la structure de la production améri- (Port-Djema, 1996), Radu Mihaileanu
Fondée en 1919 par Chaplin, Fairbanks,
caine. Les années 50 sont marquées par (Train de vie,, 1997), Jonathan Nossiter
Griffith et Mary Pickford, la United Artists
l’approche réaliste de sujets tabous, l’arri- (Signs and Wonders, 1999), Catherine
occupe une place particulière dans l’his-
vée d’une nouvelle génération de réali- Breillat (Romance, 1998 ; À ma soeur,
toire des major companies américaines.
sateurs formés à la télévision, au contact
Dès l’origine, elle est animée par la 2001).
du direct. Le cinéma d’auteur se donne
volonté de privilégier les créateurs, en
ici les moyens concrets d’exister. Les ARZNER (Dorothy), cinéaste américaine
octroyant à ceux-ci un droit de contrôle
années 60 voient la position de la firme (San Francisco, Ca., 1897 - La Quinta, id.,
artistique et commercial. Optant pour une
se conforter, grâce à l’apport de parte-
structure légère, elle renonce, à l’origine, 1979).
naires fidèles : Billy Wilder, Stanley Kra- D’abord monteuse (la Caravane vers
à se doter de salles et de plateaux, et ne
mer, la Mirish Corporation. Cette période
participe pas au financement des films l’Ouest, J. Cruze, 1923), puis scénariste,
est marquée par les succès d’Exodus, la
qu’elle distribue. Contrairement à ses Dorothy Arzner est devenue cinéaste en
Garçonnière, les Misfits, West Side Story,
rivales, elle ne pratique pas la vente en 1927. Étant la seule femme active dans
la Grande Évasion et les débuts des sé-
bloc (block-booking) de sa production. la profession dans le Hollywood de l’âge
ries James Bond et la Panthère rose. En
Conçue par des artistes au sommet de d’or, elle a immanquablement éveillé l’at-
1967, la firme est absorbée par la Tran-
leur gloire, cette politique de prestige tention. Malheureusement, souvent, son
samerica Corporation et, en 1973, obtient
s’avère, en pratique, d’une application travail ne diffère guère de celui d’un arti-
la distribution, aux États-Unis, des films
délicate. La firme distribue d’abord les san anonyme (Get Your Man, 1927 ; The
MGM pour une période de dix ans. De
productions de ses fondateurs : le Lys de Wild Party, 1929 ; Sarah and Son, 1930 ;
nouveaux réalisateurs affluent : Woody
Brooklyn, le Signe de Zorro, Robin des
l’Inconnue du palace [The Bride Wore
Allen, Martin Scorsese, Miloš Forman ;
Bois, l’Opinion publique, etc., limitant l’ap-
Red], 1937). Parfois, l’un de ses films se
port extérieur à quelques titres soigneu- et la UA, fidèle à sa vocation, soutient
des projets risqués (Nous sommes tous singularise par son thème ou ses person-
sement choisis (Salomé de Nazimova,
des voleurs, Gros Plan, Stay Hungry). nages (la Phalène d’argent [Christopher
The Salvation Hunters de Sternberg).
Des productions commercialement sûres Strong, 1933], où Katharine Hepburn est
Mais, face aux exigences des bailleurs de
comme Avanti ou The Missouri Breaks excellente en aviatrice suicidaire), mais la
fonds et aux pratiques monopolistes de
se révèlent souvent des déceptions com- mise en scène ne se met pas au diapa-
ses rivales, elle doit, dès 1926, acquérir
merciales, les principaux succès venant son. Son meilleur film reste l’Obsession
des salles, ouvrir des succursales et faire
appel à d’autres indépendants, tels Ho- de productions marginales, d’inspirations de Mme Craig (Craig’s Wife, 1936), saisis-

ward Hughes, Hal Roach, Gloria Swan- très diverses, comme le Dernier Tango à sant portrait d’une folie domestique, bien
son. Trois partenaires ambitieux : Samuel Paris, Vol au-dessus d’un nid de coucou interprétée par Rosalind Russell. Elle se
Goldwyn (Stella Dallas, Street Scene, Ils et Rocky, à l’audience internationale. retire en 1943, après avoir tourné First
étaient trois, Rue sans issue, le Cavalier En 1978, l’équipe Krim-Benjamin quitte Comes Courage (avec Merle Oberon
du désert), David O. Selznick (Une étoile la UA à la suite d’un conflit avec les diri- dans le rôle principal).

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

ASA (initiales de American Standard As- homme a conquis les coeurs, et les films vanche du Sicilien (Johnny Cool, 1963)
sociation). suivants d’Ashby, tous plus personnels, est une fort bonne « série noire » dirigée
Indice de rapidité des films. ( RAPIDITÉ.) ont souffert de ce voisinage envahissant. avec un rythme et une efficacité nulle-
La Dernière Corvée (The Last Detail, ment indignes de Don Siegel. Mais la
ASANO (Tadanobu), acteur japonais (préf. 1973), où la tendresse s’abritait derrière réussite de Johnny Cool tient plus, peut-
de Kanagawa, 1973). un langage de charretier poète, était plus être, à l’excellent roman de John McPart-
L’un des acteurs de type « jeune pre- poignant, et Shampoo (id., 1975), portrait land, à l’adaptation de Joseph Landon, à
mier » les plus en vue du cinéma japonais au vitriol d’une Californie argentée, plus la photo en noir et blanc de Sam Leavitt
contemporain, T. Asano a joué dans un pénétrant. Retour (Coming Home, 1978), et à l’interprétation de Henry Silva qu’au
grand nombre de films depuis ses débuts quelque peu bancal, essayait bravement talent du réalisateur. La même année,
en 1990 (le Poisson rouge qui tape du de renouveler le mélodrame, parfois avec son Beach Party, produit par American
pied/ Bataashi kingyo, de Joji Matsuoka). succès (le suicide, tant décrié, de Bruce International, ne témoigne pas même de
Il est essentiellement l’interprète de films Dern). Bienvenue Mister Chance (Being ces qualités. Après avoir dirigé quelques
de jeunes réalisateurs, tels Hirokazu There, 1979) rend hommage à la person- beach films pour la jeunesse, il s’est à
Kore-eda* (Maboroshi, 1995 ; Distance, nalité de Peter Sellers, grâce à une mise nouveau essentiellement consacré à la
2001), Shinji Aoyama* (Helpless, 1996), en scène lumineuse et précise : Ashby, télévision.
Sogo Ishii* (le Labyrinthe des rêves, comme souvent, s’y mettait au service
1997 ; Electric Dragon, 2000), Makoto d’un acteur, par le truchement d’un brillant ASIE CENTRALE (Cinémas d’)
Tezuka (l’Idiote/Hakuchi, 1999), Shunji scénariste (l’écrivain Jerzy Kozinski). Son Le cinéma se heurte pendant de nom-
Iwai (Picnic, 1996), Shinya Tsukamoto « grand » film est peut-être En route pour breuses années dans les régions orien-
(Gemini, 1999), ou Satoshi Isaka (Focus, la gloire (Bound for Glory, 1976), qui tales de l’Empire russe à des handicaps
1996). Il apparaît également dans un rôle dépeignait l’odyssée de Woody Guthrie très importants, qui vont freiner son essor,
de samourai du Tabou, de N. Oshima*, dans l’Amérique de la dépression avec un à un sous-développement économique

et dans le film expérimental de Christo- souffle épique sans défaillance. et social, à la préeminence de la religion

pher Doyle, Away with Words (1999). (T. musulmane longtemps hostile à ce mode
Autres films : Second Hand
Asano est également peintre et dessi- Hearts / The Hamster of Happiness (1981 de représentation humaine, à l’impor-

nateur, et se produit dans un groupe de [RE 1978]) ; Lookin’to Get Out (1982) ; tance du mode de vie rural et du noma-

rock). Rolling Stones (id., id.) ; The Slugger’s disme. Le nouveau pouvoir soviétique va

Wife (1985) ; Huit Millions de façons de s’efforcer peu à peu de faire tomber ces
ASANOVA (Dinara), cinéaste soviétique mourir (Eight Million Ways to Die, 1986). obstacles et se servira du cinéma avant
(Frounze, Kirghizie, 1942 – Mourmansk, tout comme un moyen de propagande
1985) ASHCROFT (Dame Peggy), actrice britan- idéologique. Aussi dans les premiers
Entrée au VGIK en 1962 elle est assis- nique (Croydon 1907 - Londres 1991). temps les films tournés en Asie Centrale
tante de Larissa Chepitko sur le tournage Grande dame de la scène britannique sont le fait de réalisateurs russes qui
de Chaleur torride (1963), signe en 1969 dès ses débuts en 1927, Dame Peggy a ont pour mission première de former les
son film de diplôme (Rudolfio) et réalise été avare de sa personne au cinéma. Au jeunes cadres intellectuels autochtones
plusieurs longs-métrages pour le compte vu de l’excellence de ses rares interpréta- et d’imposer la doctrine du parti commu-
des studios Lenfilm, s’interéssant tout tions, il est permis de le regretter. Après niste, au mépris parfois des traditions
particulièrement aux problèmes psycho- avoir campé une mémorable fermière culturelles fort éloignées des modèles
logiques et moraux de la jeunesse : le Pi- taciturne et secrètement tourmentée par occidentaux. La russification ne s’impose
vert n’a pas mal à la tête (Ne bolit olova la chair dans un des épisodes les plus pas toujours d’elle-même. Les fronts de
u djatla, 1974), Une clef strictement réjouissants des Trente-neuf marches résistance sont nombreux. On notera que
personnelle (Klju bez prava peredai, (A. Hitchcock, 1935), elle ne tournera que les rôles féminins durant les années 20
1977), les Durs à cuire (Patsanij, 1983), trois films avant de se faire plus présente sont tenus par des actrices non natio-
Ma douce, ma chérie, mon amour, mon à partir de 1968. Cette année-là, elle fut nales car l’interdit traditionnel qui oblige
unique (Milyj dogoroj, ljubimyj edins- pour Joseph Losey une des tantes excen- les femmes à ne pas s’exhiber en public
tvenny), 1984). Sa mort prématurée sur- triques et troubles de Mia Farrow dans est respecté (l’actrice ouzbek Nourkhon
vient en 1985. Un film lui a été consacré Cérémonie secrète. Depuis, on retien- qui bravera cet interdit sera assassinée
par Igor Alimpiev : Je vous aime tous dra des apparitions marquées par son en 1929 par des activistes islamistes).
beaucoup (Oen vas vseh ljublju, 1987). art précis, sa diction parfaite et son élé- Jusqu’à l’arrivée du parlant, tandis que
gante petite silhouette dans Un dimanche s’organisent peu à peu les structures de
ASC AMERICAN SOCIETY OF comme les autres (J. Schlesinger, 1971) production (le trust Ouzbekgoskino est
CINEMATOGRAPHERS) ou Hullabaloo Liver Georgie and Bon- créé en 1925, la Kinofabrika d’Achkhabad
nie’s Picture (J. Ivory, 1979). A 77 ans, [Turkmenistan] en 1926), le premier ci-
ASHBY (Hal), cinéaste américain (Ogden, elle obtint l’Oscar du second rôle pour sa néma s’ouvre à Douchanbe (Tadjikistan)
Utah, 1929 - Malibu, Ca., 1988). superbe création de vieille dame fanée, en 1927, une succursale de Vostokkino
Coursier, assistant monteur puis monteur aventureuse et intérieurement boulever- sort à Alma-Ata (Kazakhstan) un journal
recherché (Oscar pour Dans la chaleur sée, qui est en fait le personnage central filmé (les Dernières nouvelles en 1929).
de la nuit, N. Jewison, 1967), Hal Ashby de la Route des Indes (D. Lean, 1984). La plupart des oeuvres réalisées sont des
est devenu cinéaste avec une comédie On lui demanda à la suite de ce succès documentaires. En 1931 le premier film
grinçante, le Propriétaire (The Landlord, quelques créations discrètes qu’elle exé- de fiction tourné par un réalisateur ouz-
1970), qui définissait bien ses qualités : cuta avec un métier consommé. bek apparaît (la Montée [Pod’em] de Nabi
ironie, humour, précision, tendresse, Ganiev). Six ans plus tard seulement sort
souplesse de la direction d’acteur. ASHER (William), cinéaste américain le premier film parlant ouzbek (le Serment
L’immense succès de Harold et Maude (1919). [Kljatva] d’Aleksandr Oussoltsev-Garf).
(Harold and Maude, 1971) l’a paradoxale- Production à petit budget, Leather Gloves En 1938 Amangueldy de Moïshe Levine
ment desservi : une mise en scène super- (1948), son premier film, est réalisé en tourné par Lenfilm est considéré comme
ficielle y étouffait finalement le scénario collaboration avec Richard Quine. Il le premier film de fiction kazakh. En 1939
acide de Colin Higgins. Mais l’histoire passe ensuite plusieurs années à la TV Nikolaï Dostal (le Jardin) [Sad] et Kamil
d’amour de la septuagénaire et du jeune puis revient au cinéma en 1957. La Re- Iarmatov (Les amis se retrouvent) [Dru-

71
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

zja vstreajutsja vnov’] donnent le coup nouvelles menaces (drogue, mafia). Le ASPHÉRIQUE.
d’envoi du cinéma de fiction tadjik. style est également en rupture avec celui Se dit des lentilles ayant une surface de
En 1941 sont construits les studios de leurs aînés, plus incisif, plus violent, révolution mais non sphérique. (Les len-
de cinéma d’Alma- Ata qui fusionneront parfois soumis aux influences du cinéma tilles cylindriques, dont la surface n’est
en novembre de la même année avec européen occidental, voire américain. La pas de révolution, ne sont pas asphé-
Mosfilm et Lenfilm. La guerre oblige les vague mercantile n’épargne pas pourtant riques.) [ OBJECTIFS.]

studios russes à se délocaliser à Alma- les maisons de production qui se vou-


Ata (80 % de la production soviétique y draient indépendantes mais qui doivent ASQUITH (Anthony), cinéaste britannique
verra le jour entre 1941 et 1944). D’autres compter avec les difficultés financières (Londres 1902 - id. 1968).
studios sont évacués vers Tachkent en et une certaine instabilité politique dans Ce fils d’un ancien Premier ministre (son
Ouzbekistan et Douchanbe au Tadjikis- plusieurs régions. père, lord Herbert Asquith, a tenu les
tan, ceux de Kiev iront à Achkhabad au Les obstacles surmontés, certains rênes du gouvernement de 1908 à 1916)
Turkemnistan (c’est dans cette ville que cinéastes parviennent néanmoins à tour- est britannique jusqu’à la caricature. Les
Mark Donskoï réalisera l’Arc-en-ciel). ner vaille que vaille les films qu’ils portent photos nous le montrent fin, élégant et
En 1948 un tremblement de terre détruit en eux et dont les sujets brillent souvent aristocratique. Ses films nous le font
les studios d’Ahkhabad (reconstruits en par leur originalité, leur poésie. Ainsi imaginer tranquille et flegmatique. Il est
1953). Tous les grands noms du cinéma se sont imposés au Kazakhstan Eldor sans doute quelque peu responsable de
soviétique se sont croisés en Asie Cen- Ourazbaev, Ermek Chinarbaev, Talgat la réputation de grisaille qui fut pendant
trale pendant la période de guerre (Bar- Temenov, Rachid Nougmanov, Kalybek longtemps celle du cinéma anglais. L’es-
net, Donskoï, Eisenstein, Poudovkine, Salykov, Ardak Amirkulov, Serik Apry- thétisme gracieux de ses films muets (Un
Koulechov, Vertov) et cet afflux d’artistes mov, Darejan Omirbaev, en Ouzbekistan, cottage à Dartmoor, 1930 ; Tell England,
va permettre aux cinéastes locaux d’enri- Kamara Kamalova, Djakhonguir Faïziev, 1931) est mesuré et méticuleux. Mais il
chir leur expérience. Malheureusement Zoulficar Moussakov, Rachid Malikov, en dissipera ces tendances pour préférer un
l’essor des Républiques d’Asie Centrale Kirghizie Kadyrjan Kydyraliev, Aktan Ab- éclectisme qui est peut-être un manque
est freiné par le malthusianisme stalinien. dykalikov, Bakyt Karagulov, au Tadjikis- de personnalité. Non qu’il n’y ait rien de
Entre 1945 et 1955 seulement 19 longs tan Margarita Kassymova, Davlat Khou- bon dans sa filmographie. Mais il n’y a
métrages sont entrepris et la plupart diri- donazarov, Bakhtyar Khoudoynazarov, rien de solide ni de consistant, et l’on
gés par des metteurs en scène russes. Bako Sadykov, au Turkmenistan Kho- trouve souvent de bonnes raisons de
Seuls Ganiev et Larmatov parviendront djakouli Narliev, Khalmamed Kakabaev, faire partager ses réussites par quelqu’un
à s’exprimer. Khodjadourdy Narliev, Ousman Saparov. d’autre : par exemple Pygmalion (1938),
Ce n’est qu’après la mort de Staline et son meilleur film, est avant tout de George
ASKOLDOV (Aleksandr) [Aleksandr Bernard Shaw (l’auteur de la pièce), de
seulement à l’orée des années 60 que le
cinéma se développe. Choukhrat Abbas- Iakovlevi Askoldov], cinéaste soviétique Leslie Howard (qui cosigna la mise en
sov (Tu n’es pas orphelin [Ty ne sirota] (Moscou 1937). scène) et de Wendy Hiller (l’actrice princi-
1962 Tachkent ville du pain [Taškent, Diplômé du Cours supérieur de réalisa- pale). Asquith ne semble qu’avoir installé
tion en 1965. Son premier film, la Com- la caméra bien en face des acteurs, pour
gorod hlebnyj] 1968), Ali Khamraev (les
Cigognes blanches, blanches [Belye, missaire (Komisar, 1967), d’après le récit leur permettre de rendre hommage à un
belye aisty], 1966) en Ouzbekistan, Bou- de Vassili Grossman Dans la ville de Ber- texte exceptionnel. Après tout, grâces
lat Mansourov (la Compétition [Sostjaza- ditchev, strictement interdit (sous l’accu- lui soient rendues pour ce manque de
nie], 1963) au Turkmenistan donnent le sation de « propagande sioniste »), ne prétention. Car cette réserve, proche
sera libéré qu’en 1987 et acclamé comme
ton. parfois de la somnolence, n’entame en
un chef-d’oeuvre. Écarté du cinéma pen-
Ces metteurs en scène sont bientôt re- rien le charme suranné de l’Écurie Wat-
dant vingt ans, Askoldov s’est consacré
joints par Bolot Chamchiev et Tolomouch son (1939), de l’Étranger (1943), de
à la mise en scène de théâtre musical
Okeev en Kirghizie, Elier Ichmoukha- l’Homme fatal (1944), de Winslow contre
expérimental.
medov en Ouzbekistan. En Occident le le roi (1948), de la Femme en question
film d’Andreï Mikhalkov-Kontchalovski le (1950), de Il importe d’être constant
ASLAN (Krikor Aslanian, dit Grégoire),
Premier Maître (1965) attire l’attention (1951) ou de Doctor’s Dilemma (1959),
acteur français (Constantinople [auj.
des critiques et du public sur des régions où brillent Laurence Olivier, Michael Red-
Istanbul] 1908 - Ashton, près de Helston,
alors pratiquement inconnues des ciné- grave, Robert Donat, James Mason ou
Grande-Bretagne, 1982).
philes (ici la Kirghizie) et sur un écrivain Dirk Bogarde. Accordons, pour être hon-
Surnommé Coco, il joue d’abord les
(Tchinguiz Aïtmatov) dont l’oeuvre inspi- nête, un peu plus d’attention à la solide
boute-en-train dans l’orchestre Ray Ven-
rera nombre de metteurs en scène. et judicieusement grise adaptation de
tura et participe ainsi à des films musi-
Le cinéma s’organisera progressive- Terence Rattigan, l’Ombre d’un homme
caux : Feux de joie (J. Houssin, 1938),
ment et la production dans chaque répu- (1951), où Michael Redgrave trouve son
Tourbillon de Paris (H. Diamant-Berger,
blique se stabilisera de 1970 à 2000. À meilleur rôle, et reconnaissons aussi que
1939). La guerre et l’exil influent sur sa
côté des films plus novateurs, on note le chaos psychanalytique de La nuit est
carrière, qui devient internationale et
l’importance des grandes fresques his- mon ennemie (1959) accroche l’attention.
s’appuie sur des réalisateurs impor-
toriques en costume, des mélodrames Mais préservons dans un silence pudique
tants : Welles (Mr. Arkadin, 1955), Das-
sentimentaux qui rappellent un certain ses derniers films où même son élégance
sin (Celui qui doit mourir, 1956), Huston
cinéma indien ou égyptien. semble s’être évanouie.
(les Racines du ciel, 1958), Losey (les
Si la production reste modeste au Criminels, 1960), Mankiewicz (Cléopâtre, Films : Shooting Stars (CO
Turkmenistan, au Tadjikistan, en Kirghi- 1963), Edwards (le Retour de la panthère A. V. Bramble, 1928) ; Un cri dans le
zie, elle se développe en Ouzbekistan rose, 1975). Il a également tourné avec métro (Underground, id.) ; The Runaway
et surtout au Kazakhstan où de jeunes Autant-Lara (Occupe-toi d’Amélie, 1949) Princess (1929) ; Un cottage à Dartmoor
réalisateurs délaissant les traditions et Claude Berri (Mazel Tov ou le Mariage, (A Cottage on Dartmoor, 1930) ; Tell
épiques ou orientalistes s’attaquent à des 1968). England (CO Geoffrey Barkas, 1931) ;
sujets contemporains, n’hésitant pas à Dance, Pretty Lady (id.) ; Lucky Number
recourir à la controverse, à la critique des ASPECT RATIO. (1933) ; la Symphonie inachevée (Unfi-
déviances du régime, à l’exposition des Locution anglaise pour format (2). nished Symphony, 1934, vers. britann.

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

du film de Willi Forst : Leise flehen meine ASSISTANT. mouvements et aux jeux qui qualifient ce
Lieder) ; Moscow Nights (1935, vers. bri- Personne chargée d’assister un tech- dénouement. C’est la mission des chan-
tann. du film franç. d’A. Granowsky : Nuits nicien : assistant réalisateur, assistant sons et des danses de traduire les figures
moscovites) ; Pygmalion (CO Leslie Ho- opérateur, assistant monteur. ( GÉNÉ- de ce marivaudage. Parfois couronnés
ward, 1938) ; l’Écurie Watson (French Wi- RIQUE, MONTAGE, TOURNAGE.) Premier par un grand final collectif où les héros
thout Tears, 1939) ; Freedom Radio / The assistant réalisateur, ou premier assis- trouvent pourtant un rôle bien individua-
Voice in the Night (1940) ; Quiet Wedding tant, technicien chargé de la préparation lisé, les numéros musicaux comportent
(id.) ; Cottage to Let (1941) ; Uncensored matérielle du tournage. ( TOURNAGE, au moins deux duos, l’un plus fantaisiste
(1942) ; l’Étranger (The Demi-Para- GÉNÉRIQUE.) et plus rythmique, l’autre sentimental
dise / Adventure for Two, 1943) ; Plongée et langoureux, rapprochant les gestes
ASSOCIATION DE LUTTE CONTRE LA magnétiques d’Astaire des hésitations et
à l’aube (We Dive at Dawn, id.) ; Welcome
PIRATERIE AUDIOVISUELLE (ALPA) des abandons de Ginger Rogers. Astaire
to Britain (CO Burgess Meredith, id.) ; Two
PIRATERIE AUDIOVISUELLE
Fathers (1944) ; l’Homme fatal (Fanny by bénéficie toujours d’un ou deux solos,
où son invention fait merveille : sur une
Gaslight / Man of Evil, id.) ; le Chemin des ASTAIRE (Frederick Austerlitz, dit Fred),
idée de pantomime, un accessoire ou un
étoiles (The Way to the Stars/Johnny in acteur, danseur et chorégraphe américain
instrument de musique, il développe une
the Clouds, 1945) ; While the Sun Shines (Omaha, Nebr., 1899 - Los Angeles, Ca.,
foule de variations narratives, invente
(1947) ; Winslow contre le roi (The Wins- 1987).
des images et des rythmes jusqu’à un
low Boy, 1948) ; la Femme en question Il apprend à danser pour suivre l’exemple
paroxysme élégant et emporté. Il reven-
(The Woman in Question / Five Angles de sa soeur Adele, avec laquelle il va for-
dique toute la responsabilité de ces mor-
on Murder, 1950) ; l’Ombre d’un homme mer, dès l’âge de sept ans, un duo de
ceaux étincelants, dont il continuera par
(The Browning Version, 1951) ; Il importe music-hall. Passé l’adolescence, ils se
la suite d’orner chacun de ses films. Mais
d’être constant (The Importance of Being produisent dans des comédies musicales
la chorégraphie des numéros où il appa-
Earnest, 1952) ; The Net / Project M-7 de Gershwin ou de Kern, chez Ziegfeld
raît ne lui appartient pas moins, Hermes
(1953) ; The Final Test (id.) ; Évasion ou Shubert ; ils incarnent généralement
Pan, le chorégraphe en titre, n’ayant servi
(The Young Lovers / Chance Meeting, des personnages dépourvus de magie
que de répétiteur, et n’ayant été chargé
1954) ; Carrington V. C. / Court-Martial romanesque, et une trace distincte de
que du réglage des évolutions des
(id.) ; Ordre de tuer (Orders to Kill, 1958) ; cette allure subsistera dans le couple
choeurs. Les prises de vues, en particulier
The Doctor’s Dilemma (1959) ; La nuit Astaire-Rogers ; leurs danses lient sou-
les longs plans spacieux, semblent aussi
est mon ennemie (Libel, id.) ; les Des- vent la virtuosité au comique, parfois au
devoir beaucoup à l’influence du dan-
sous de la millionnaire (The Millionairess, burlesque : il faudra le cinéma pour don-
seur, qui les affectionnera tout au long
1960) ; Two Living, One Dead (1961) ; ner sa portée à l’invention d’Astaire. La
de sa carrière. Cette série de danses et,
rumeur attribue d’ailleurs le mérite du duo
Sept Heures avant la frontière (Guns
en particulier, les pas de deux ont une
à Adele plutôt qu’à Fred ; mais la jeune
of Darkness, 1962) ; Hôtel International importance historique considérable : ils
femme abandonne la scène en 1932,
(The V. I. P’s, 1963) ; An Evening With montrent comment la séduction et la
après The Band Wagon. Seule vedette
the Royal Ballet (CO Anthony Havelock passion, la pudeur et l’abandon peuvent
de la Joyeuse Divorcée, Fred ne se satis-
Allan, id.) ; la Rolls-Royce jaune (The Yel- trouver une forme directement chorégra-
fait pas de l’accueil qu’on fait à la pièce
low Rolls-Royce, 1964). phique. La danse d’un couple cesse d’être
et décide d’accepter les offres qui lui
viennent de Hollywood. un ornement : plein exercice du corps,
ASSAYAS (Olivier), cinéaste français (Paris elle se fait en même temps expression
Il est commode de diviser l’oeuvre ciné-
1955). immédiate du sentiment. C’est la voie que
matographique d’Astaire en trois parties.
Ancien critique de cinéma, collaborateur suivra toujours la comédie musicale. Mais
Après l’imparfaite tentative du Tourbillon
au scénario de deux films de Téchiné, Astaire, entouré par une troupe fidèle de
de la danse, où il joue son propre rôle,
Rendez-vous et le Lieu du crime, il réalise comédiens loufoques, manifeste aussi
mais n’influence pas la chorégraphie,
peu après Désordre (1986), qui inaugure son style d’acteur : légèrement ironique,
c’est d’abord la période RKO (1933-
une série d’oeuvres romantiques atta- il n’adhère guère à son personnage mais
1939). Astaire tourne alors dix films, où
chées à décrire le malaise des individus, traduit ses émotions par une suite de mi-
il joue des rôles de danseur, à l’exception
des familles, des groupes de jeunes. Sou- miques nettes et discrètes ; par contraste,
d’Amanda qui fait de lui un psychanalyste.
vent attachés à la description de fractures ses gestes de danseur se chargent d’une
Carioca n’est qu’une ébauche de la for-
familiales et réalisés sous la lointaine plénitude lyrique.
mule ; Demoiselle en détresse substitue
influence de Truffaut et de Téchiné, ses De 1940 à 1943, la carrière d’Astaire
Joan Fontaine à la partenaire habituelle,
films sont probablement parmi les plus traverse une période indécise. Lassitude
et Roberta donne du schéma ordinaire
représentatifs de l’évolution du film et du et crainte de la routine incitent Ginger
une version affaiblie. Mais, pour le reste,
scénario dans le cinéma français de son Rogers et lui à mettre fin à leur associa-
ces films comportent le même argument
époque : l’Enfant de l’hiver (1988), Paris tion professionnelle. Absent des studios
et la même définition esthétique. Entre
s’éveille (1991), Une nouvelle vie (1993), Fred Astaire et Ginger Rogers s’esquisse pendant un an, Astaire tourne ensuite
l’Eau froide (1994), Irma Vep (1997), une complicité qu’on devine amoureuse, Broadway qui danse, qui contient un solo
HHH-Portait de Hou Hsiao-Hsien (DOC, en dépit de quelque attachement qui remarquable de verve et de précision, et
id.), les Destinées sentimentales (2000). semble retenir ailleurs la jeune femme. surtout un duo avec Eleanor Powell, som-
Il est le fils de Jacques Rémy (Jacques Un sentiment commun de la fantaisie ou met de la virtuosité d’Astaire comme dan-
Rémy Assayas, 1911-1981), scéna- du romanesque les unit, lui, entreprenant seur de claquettes. Tandis que les formes
riste et également réalisateur (trois films et vif, elle, plus rêveuse et plus réser- qu’il a adoptées dès les années 30 s’im-
tournés en Amérique latine pendant la vée, plus tendre aussi et plus charnelle. posent progressivement à tout le genre
guerre, dont le Moulin des Andes (1943) Comme cette intrigue se déroule dans un musical, leur initiateur reste cependant
tourné avec des acteurs français). monde allégé par l’irréalité des décors et passif. Ce n’est pas faute de renouvel-
la folle logique des dialogues, le public ne lement dans son style chorégraphique,
ASSISTANAT. doit pas douter de l’heureuse issue des mais les occasions manquent, les produc-
Fonction d’assistant. ( ENSEIGNEMENT quiproquos qui séparent les amoureux, teurs regardant toujours vers le passé.
DU CINÉMA.) mais prendre garde à la manière, aux Malgré son budget modeste, Swing

73
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Romance est pourtant un succès, et les tif à l’espace, aux objets et à sa parte- Ralph Murphy, id.), il subsiste en accep-
rencontres avec Rita Hayworth (L’amour naire (qu’elle se nomme Ginger Rogers, tant n’importe quel métier.
vient en dansant et Ô toi, ma charmante) Lucille Bremer, Rita Hayworth, Eleanor
ne manquent pas de saveur, la perfection Powell, Judy Garland ou Cyd Charisse) : ASTI (Adriana), actrice italienne (Milan
stylistique du danseur contrastant avec il invente toujours. 1933).
la vivacité d’une partenaire brillante mais Sa carrière théâtrale, commencée
Films : le Tourbillon de la danse (Dan-
moins soumise que lui aux règles de la en 1951, est parallèle à celle que lui vaut
cing Lady, R. Z. Leonard, 1933) ; Carioca
tradition. Ici ou là, un solo esquisse des sa voix chaude et moelleuse dans le
(Flying Down to Rio, Thornton Freeland,
gestes plus modernes, moins élégants doublage de vedettes hollywoodiennes.
id.) ; la Joyeuse Divorcée (M. Sandrich,
et plus brisés. Mais Astaire doit jouer le Visconti lui donne son premier rôle ciné-
1934) ; Roberta (W. Seiter, 1935) ; le
second rôle dans un film de Bing Crosby matographique dans Rocco et ses frères
Danseur du dessus (Sandrich, id.) ; En
(L’amour chante et danse), et The Sky’s (1960) ; après des apparitions dans Ac-
suivant la flotte (id., 1936) ; Sur les ailes
the Limit est un grave échec. cattone (P. P. Pasolini, 1961) et le Dé-
de la danse (G. Stevens, id.) ; l’Entrepre-
sordre (F. Brusati, 1962), elle interprète
La troisième période est essentielle- nant Monsieur Petrov (Sandrich, 1937) ;
la troublante tante du jeune protagoniste
ment celle de la MGM, si l’on ne tient Demoiselle en détresse (Stevens, id.) ;
de Prima della rivoluzione (B. Bertolucci,
pas compte des adieux au film musical Amanda (Sandrich, 1938) ; la Grande Fa-
1964). Souvent mal utilisée (comédies
que constitue la Vallée du bonheur, ni randole (H. C. Potter, 1939) ; Broadway
érotiques), elle sait créer des person-
de quelques rôles dans des films non qui danse (N. Taurog, 1940) ; Swing Ro-
nages ambigus : par exemple, dans le
musicaux (le seul qui mérite d’être rap- mance (Second Chorus [Potter], 1941) ;
Fantôme de la liberté (L. Buñuel, 1974)
pelé reste le diplomate décontracté de L’amour vient en dansant (You’ll Never
ou même dans Caligula (T. Brass, 1980).
l’Inquiétante Dame en noir). En 1944, Get Rich, Sidney Lanfield, id.) ; L’amour
On la retrouve dans les années 90 au gé-
Arthur Freed engage Astaire, qui danse chante et danse (Sandrich, 1942) ; Ô toi,
nérique de films tels Una vita non violenta
dans Ziegfeld Follies, puis dans Yolanda ma charmante (W. Seiter, id.) ; l’Aventure
(D. Emmer, 1999), mais aussi de diffé-
et le voleur des numéros pleins de nou- inoubliable (The Sky’s the Limit, Edward
rentes productions françaises comme le
veauté. Les films qu’il tourne alors sous H. Griffith, 1943) ; Yolanda et le voleur
Cri de la soie (Y. Marciano, 1996), Mange
la direction de Walters lui offrent ses meil- (V. Minnelli, 1945) ; Ziegfeld Follies (id.,
ta soupe (M. Amalric, 1997), ou Nag la
leurs rôles de comédien et contiennent 1946) ; la Mélodie du bonheur (S. Heis-
bombe (J.-L. Milesi, 1999).
des danses fort variées, parfois appuyées ler, id.) ; Parade de printemps (Ch. Wal-
sur des trucages. Les solos de Parade ters, 1948) ; Entrons dans la danse (id.,
ASTIGMATISME.
de printemps et de la Belle de New York 1949) ; Trois Petits Mots (Three Little
Une des aberrations susceptibles d’affec-
comptent parmi les mieux construits. Words, R. Thorpe, 1950) ; Maman est à
ter l’image fournie par un objectif. ( OB-
Ceux de Mariage royal (la danse au pla- la page (Let’s Dance, N. McLeod, id.) ;
JECTIFS.)
fond) et de Drôle de frimousse (la corrida Mariage royal (S. Donen, 1951) ; la Belle
sans taureau) donnent la mesure de son de New York (Walters, 1952) ; Tous en ASTOR (Rolande Risterucci, dite Junie),
imagination gestuelle, tandis que, dans scène (Minnelli, 1953) ; Papa longues actrice française (Marseille 1911 - Sainte-
la Belle de New York, une danse d’une jambes (J. Negulesco, 1955) ; Drôle de Magnance 1967).
admirable simplicité lui offre l’occasion frimousse (Donen, 1957) ; la Belle de Longue fille flexible à la chevelure lourde
de définir son art poétique. Des duos lui Moscou (R. Mamoulian, id.) ; le Dernier et aux yeux troublants, elle prend plaisir
permettent de retrouver Ginger Rogers Rivage (S. Kramer, 1959) ; Mon séduc- à incarner des personnages pervers ; l’un
(Entrons dans la danse) mais surtout de teur de père (The Pleasure of His Com- d’eux lui vaut en 1937 le prix Suzanne-
mettre en valeur, par sa retenue et sa pany, G. Seaton, 1961) ; l’Inquiétante Bianchetti (Club de femmes, de Jacques
rigueur, la souplesse de Cyd Charisse Dame en noir (R. Quine, 1962) ; la Vallée Deval). Sa diction sèche la sert au
(Tous en scène, la Belle de Moscou). du bonheur (F. F. Coppola, 1968) ; Midas mieux : Adrienne Lecouvreur (M. L’Her-
Tous en scène est d’ailleurs un véritable Run (Alf Kjellin, 1969) ; la Tour infernale bier, 1938), l’Éternel Retour (J. Delannoy,
hommage à sa figure et lui permet de (J. Guillermin, 1974) ; Hollywood Hol- 1943). Un rôle comique (Adémaï aviateur,
montrer toutes ses possibilités. Car, ce lywood (G. Kelly, 1976) ; The Amazing J. Tarride, 1934), quelques espionnes au
qui étonne dans ces derniers films, c’est Dobermans (Byron Shudnow, 1977) ; grand coeur et la vertueuse épouse de
la souplesse et l’exactitude avec laquelle Un taxi mauve (Y. Boisset, id.) ; le Fan- Du Guesclin (Bertrand de La Tour, 1949).
Astaire se prête aux exigences de choré- tôme de Milburn (Ghost Story, John Irvin, Elle est émouvante dans les Bas-Fonds
graphes aussi résolument modernes que 1981). (J. Renoir, 1937), mais l’après-guerre la
Kidd ou Loring, dont les grands numéros néglige et, devenue exploitante de salle,
l’incitent à trouver dans son langage cho- ASTHER (Nils), acteur américain d’ori- elle fonde l’Astor sur les Grands Boule-
régraphique des formes nouvelles, dans gine suédoise (Copenhague, Danemark, vards à Paris et assure la direction du
son corps des images inédites. 1897 - Stockholm 1981). Rio-Opéra. Elle trouve la mort dans un
Ce n’est pas que le style d’Astaire ait Il débute au Danemark et en Suède, accident de voiture.
changé. Nul plus que lui n’a été fidèle à puis va à Hollywood, via l’Allemagne et
lui-même. Il ne compose guère d’autre l’Angleterre. À la MGM, il joue avec Lon ASTOR (Lucille Vasconcellos Langhanke,
rôle que celui d’un danseur de claquettes, Chaney (Ris donc, paillasse, H. Brenon, dite Mary), actrice américaine (Quincy, Ill.,
plus très jeune, un peu petit, un peu 1928), avec Joan Crawford (les Nouvelles 1906 - Woodland Hills, Ca., 1987).
chauve. Sa danse restera toujours maîtri- Vierges, H. Beaumont, id.), ou avec Greta Un concours de beauté fit débuter au
sée. Il chantera avec facilité et précision, Garbo (The Single Standard, J. S. Ro- cinéma cette actrice de quatorze ans,
mais à mi-voix, avec un phrasé délicat, bertson, 1929). Sa création la plus mémo- aux traits délicats d’ingénue préraphaé-
sans trace de passion. Le personnage rable est celle de l’énigmatique seigneur lite (Sentimental Tommy, puis The Beg-
garde donc une parfaite unité. Mais il se de la guerre dans le Thé amer du général gar Maid, 1921). Ses traits harmonieux
révèle beaucoup moins étroit qu’on n’y a Yen (F. Capra, 1933). Sa carrière décroît la font remarquer par John Barrymore,
sans doute pensé dans les années les ensuite, et après quelques films bon qui l’impose pour partenaire dans Beau
moins fécondes de sa carrière. Avec des marché dont les meilleurs sont Barbe- Brummell (H. Beaumont, 1924), puis
règles chorégraphiques parfaitement dé- Bleue (E. G. Ulmer, 1944) et le Sérum qu’elle retrouve dans Don Juan (A. Cros-
terminées, il reste en effet toujours atten- de longue vie (Man in Half Moon Street, land, 1926). Par ailleurs, forte d’une

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

solide expérience radiophonique, Mary débuts au cinéma en 1958 (Otorasan (id., 1985), un témoignage sur l’apartheid
Astor est naturellement sollicitée par le dai hanjo). Il tourne dans des films très en Afrique du Sud, le Cri de la liberté (Cry
parlant. Sans jamais devenir une vedette, divers, notamment chez Susumu Hani* Freedom, 1987). Académique, Attenbo-
elle fut toujours une actrice de grand ta- (Bwana Toshi/Bwana Toshi no uta, rough cinéaste évite soigneusement les
lent, s’acquittant avec la même justesse 1965), Heinosuke Gosho (Maman et ses chocs, quel que soit le sujet qu’il traite :
d’un rôle ingrat dans l’épouse hypocrite onze enfants/Kaachan to juichinin no ainsi, ce dernier film aborde le problème
de la Belle de Saigon (V. Fleming, 1932) kodomo, 1966), et Hiroshi Teshigahara de l’apartheid avec une prudence qui
et d’un rôle sympathique dans Dodsworth (le Plan déchiqueté/Moetsukita chizu, ne froisse personne. La famille Chaplin
(W. Wyler, 1936), où elle irradie le 1968). Mais c’est à partir de 1969 qu’il le choisit sans doute pour ces qualités :
charme et la sérénité. Les années n’enta- interprète un personnage qui va le mar- c’est avec sa bénédiction officielle qu’il
ment en rien ses possibilités. Trop âgée quer à vie, celui de « Tora-San » (« M. porte à l’écran Chaplin (id., 1992), hagio-
pour le rôle, elle est cependant une inou- Tigre »), d’abord créé à la télévision, dans graphie scrupuleuse mais indigente qui
bliable Brigid O’ Shaughnessy, pleine de la série ultra populaire de la Cie Sho- passe à côté de la véritable complexité
duplicité, névrosée et ravageuse, dans le chiku, C’est dur d’être un homme (Otoko du personnage (et de sa grandeur). Fina-
Faucon maltais (J. Huston, 1941). Dans wa tsuraiyo !), qui ne comptera pas moins lement, on le préfère quand il se confine
le Grand Mensonge (E. Goulding, 1941), de 48 épisodes, au rythme d’un ou deux au « mélofive o’clock », digne et distin-
qui lui vaut un Oscar (« best supporting films par an, de 1969 à 1995, en général gué, comme dans les Ombres du coeur
actress »), elle tient bravement tête à dirigés par le réalisateur « maison », Yoji (Shadowlands, 1993) plutôt que lorsqu’il
Bette Davis. Discrète et effacée, elle est à Yamada. Au travers de ce personnage reconstitue pompeusement la jeunesse
nouveau parfaite dans le rôle de la mère un peu ahuri de vagabond mythique, tou-
d’Ernest Hemingway dans le Temps d’ai-
dans le Chant du Missouri (V. Minnelli, jours en rupture de ban, affublé d’un cos-
mer (In Love and War, 1997). En 1999 il
1944). Si on la voit moins souvent dans tume populaire et d’un drôle de chapeau,
signe encore Grey Owl. Mais on a tou-
les années 50, ses créations attestent Atsumi incarne en fait les aspirations de
jours plaisir à le retrouver comme acteur,
que l’actrice, intelligente et vive, est ca- liberté du Japonais moyen. Sa disparition
malgré une tendance au cabotinage,
pable de se renouveler avec brio : elle sera une catastrophe pour la Shochiku,
en « mégalomane-papy gâteau », dans
sait, en effet, incarner la« grande dame dont le succès régulier de Tora-San au
Jurassic Park et dans le Monde perdu
du théâtre » brève et tranchante de box-office assurait la survie économique.
(S. Spielberg). Il a été annobli en 1976.
Young Blood Hawke (D. Daves, 1964) et
la vieille dame rongée de secrets dans ATTENBOROUGH (sir Richard), acteur,
ATWILL (Lionel), acteur américain (Croy-
Chut, chut, chère Charlotte (R. Aldrich, réalisateur et producteur britannique
don, Grande-Bretagne, 1885 - Pacific Pali-
1965). Son secret, c’est peut-être d’avoir (Cambridge 1923).
sades, Ca., 1946).
préféré les bons rôles aux premiers rôles. Il débute en 1942 dans Ceux qui servent
Après une carrière théâtrale en Angle-
Elle a écrit son autobiographie, My Story en mer de David Lean et Noël Coward
terre, il part pour les États-Unis, où il
(suivie de Life on Film), puis quelques et interprète une trentaine de rôles de
débute au cinéma en 1918. Révélé par
romans. second plan dans les dix-sept années
Docteur X et Masques de cire de Michael
qui suivent. Il s’associe en 1959 avec le
Curtiz, il doit à son port majestueux et
ASTRUC (Alexandre), essayiste, romancier réalisateur Bryan Forbes pour créer une
sévère, ainsi qu’à son accent anglais, les
et cinéaste français (Paris 1923). maison de production qui lui offre ses pre-
emplois d’aristocrate (le Cantique des
Célèbre par un article publié en 1948 miers rôles vraiment intéressants, ceux
cantiques, R. Mamoulian, 1933), d’officier
dans l’Écran français (« Naissance d’une du briseur de grève obstiné dans le Si-
(la Femme et le Pantin, J. von Sternberg,
nouvelle avant-garde : la caméra-stylo »), lence de la colère (G. Green, 1960) et de
1935), de policier (la Marque du vampire,
où il salue dans le cinéma un moyen l’ancien militaire-cambrioleur de Hold-Up
à Londres (B. Dearden, id.). Il atteint la T. Browning, id. ; le Fils de Frankenstein,
d’expression autonome et neuf, compa-
R. V. Lee, 1939) ou de « savant fou ».
rable à la peinture ou au roman, il aborde notoriété internationale en jouant l’organi-
sateur de la Grande Évasion (J. Sturges, Il travailla surtout dans les genres popu-
la réalisation par le biais de films expéri-
1963) et trouve ses meilleurs rôles dans laires : policier, fantastique, ou science-
mentaux. En 1953, son moyen métrage
la Canonnière du Yang-Tsé (R. Wise, fiction, toujours avec la plus grande
le Rideau cramoisi (adapté de Barbey
1966), Un amant dans le grenier (The conscience.
d’Aurevilly et couronné par le prix Louis-
Delluc) le rapproche d’un cinéma roma- Bliss of Mrs. Blossom, Joseph McGrath,
AUBER (Marie-Claire Cahen de Labzac,
nesque, soucieux de la vérité des êtres et 1968), le Magot (S. Narizzano, 1971) et
surtout l’Étrangleur de la place Rillington dite Brigitte), actrice française (Paris 1928).
de leur insertion dans un cadre soigneu-
(R. Fleischer, id.), où il est le psycho- Débutant au théâtre peu après la guerre,
sement dessiné, qu’il illustre ensuite dans
elle apparaît dans Les amoureux sont
les Mauvaises Rencontres (1955) puis pathe du titre. Dans Brannigan (Douglas
Hickox, 1975), il oppose sa placidité de seuls au monde (aussi sorti sous le titre
dans quelques films périphériques de la
Noir sur blanc, H. Decoin, 1948), Ven-
Nouvelle Vague : Une vie (1958), la Proie flic londonien aux méthodes du shérif
John Wayne ; dans les Joueurs d’échecs detta en Camargue (J. Devaivre, 1949) et
pour l’ombre (1961), l’Éducation senti-
(S. Ray, 1977, Inde), il incarne le pouvoir fait partie de la jeune équipe de Rendez-
mentale (1962), et deux remarquables
colonial anglais, manipulant les potentats vous de juillet de Jacques Becker. C’est
moyens métrages, le Puits et le Pen-
locaux pour le profit de l’Empire britan- une des actrices élégantes du cinéma
dule (1963), Évariste Galois (1967, [RÉ
nique. Il a débuté dans la réalisation avec français de l’époque, qui peut interpré-
1964]). Citons encore la Longue Marche
(1966). Après l’échec de Flammes sur un musical grinçant et antimilitariste : Ah ! ter les ingénues et les femmes frivoles

l’Adriatique (1968), Astruc se consacre Dieu, que la guerre est jolie ! (Oh ! What et que l’on sollicite aussi dans le registre

à la télévision, au journalisme et à la lit- a Lovely War !, 1969), qui a été suivi par de la comédie. On la voit également dans

térature. des oeuvres plus ternes : les Griffes du le film de Hitchcock tourné en France, la
lion (Young Winston, 1972), Un pont trop Main au collet. Sa carrière connaît une
ATSUMI (Kiyoshi), acteur japonais (? loin (A Bridge Too Far, 1977) et le curieux éclipse après 1956, jusqu’aux années
1928 - Tokyo 1996). et peu convaincant Magic (id., 1978, US). 1990, où on la retrouve à la télévision
Après s’être produit dans les théâtres po- Il tourne en Inde une superproduction sur ainsi que dans un petit rôle de l’Homme
pulaires d’Asakusa, à Tokyo, et comme Gandhi (1982), qui le couvre d’Oscars, au masque de fer de Randall Wallace
acteur comique à la télévision, il fait ses un divertissement musical, A Chorus Line (1998).

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

AUBERT (Louis), distributeur et produc- Grieux cynique et veule à souhait, succès avant de débuter au cinéma (comme scé-
teur français (Mayenne 1878 - Les Sables- qui le pousse sur le devant de la scène. nariste-dialoguiste de Mission à Tanger
d’Olonne 1944). Dès ses premiers films, il semble ainsi d’André Hunebelle en 1949), se prétend
Ce pionnier mérite mieux que le seul voué aux personnages douteux, et on « orfèvre en imbécillité » et justifie ses
souvenir de l’aphorisme ironique qu’on peut penser que cette étiquette abusive a dialogues par une connaissance directe
lui prête : « Le cinéma, c’est le tiroir- fait du tort à sa carrière en le tenant injus- du parler contemporain acquise dans les
caisse ! » Il fonde, en 1909, la Compagnie tement à l’écart de tous les grands films rues de Paris ou au zinc des bistrots :
générale cinématographique (qui devien- des années 50. Sa filmographie se révèle « Le métier de dialoguiste ne s’apprend
dra Société des Établissements Louis Au- en effet particulièrement décevante alors pas. La réussite vient peut-être de savoir
bert) et distribue des films français et des qu’il a une carrière théâtrale brillante, où écouter les gens. Le dialogue est une es-
films importés d’Italie et du Danemark, il a montré une sensibilité et une intelli- pèce de vérité des mots à l’intérieur d’une
puis investit dans la Société des grands gence rares. Parmi les quelques films situation. » En réalité, sa culture littéraire
films populaires. Il devient producteur et valables à son actif, il faut citer Justice est solide, la filiation qui le relie à Céline
crée un studio à Joinville en 1914, pos- est faite (A. Cayatte, 1950) et la Fête à est incontestable, et il est sans doute
sède un circuit d’exploitation à Paris et Henriette (J. Duvivier, 1952). Les auteurs moins innocent qu’il n’aime le paraître :
en province (vingt salles dans les années de la Nouvelle Vague ne feront pas beau- volontiers conservateur, pessimiste, on
1920), distribue les productions de la coup appel à lui, sauf Astruc (l’Éducation l’a dit « anarchiste de droite », et on l’a vu
UFA, et devient président de la Chambre sentimentale, 1962) et Kast (Vacances prendre des positions publiques résolu-
syndicale de la cinématographie fran- portugaises, 1963). Il reprend alors, au- ment réactionnaires.
çaise (1926). C’est aussi à lui qu’on doit, tour de 1968, une activité théâtrale avec
Outre les quelque 120 films qu’il a dia-
en 1929, la présentation en France du Roger Planchon (il sera un remarquable
logués, notamment pour Gilles Grangier
Chanteur de jazz de Al Jolson. La même Tartuffe) avant de retrouver ses habi-
(Gas-Oil, 1955), Denys de La Patellière
année sa société fusionne avec la Franco tuels personnages négatifs, auxquels il
(les Grandes Familles, 1958 ; Un taxi pour
Film (fondée en 1927 par Edouard Cor- confère une solide présence : Décembre
Tobrouk, 1961), Henri Verneuil (Un singe
niglion-Molinier, Léonce Perret et Robert (M. Lakhdar Hamina, 1972), les Guichets
en hiver, 1962 ; Mélodie en sous-sol,
Hurel). Cette société absorbera dès du Louvre (M. Mitrani, 1974), Souvenirs
1963 ; le Corps de mon ennemi, 1976 ;
1930 la Gaumont, donnant naissance à d’en France (A. Téchiné, 1975), Sept
les Morfalous, 1984), Georges Lautner
la GFFA – Gaumont-Franco-Film-Aubert Morts sur ordonnance (J. Rouffio, id.), le
(les Barbouzes, 1965 ; le Professionnel,
qui disparaîtra en 1938. Louis Aubert, qui Juge Fayard dit « le Shérif » (Y. Boisset,
1981), Philippe de Broca (l’Incorrigible,
avait posé en principe qu’« un film est une 1976), le Bon Plaisir (F. Girod, 1984). Mi-
1975 ; Tendre Poulet, 1978 ; le Cava-
marchandise », a eu la prescience du rôle chel Auclair offre l’exemple frappant d’un
leur, 1979), Robert Enrico (Pile ou Face,
du cinéma comme industrie et comme excellent comédien à qui la routine de la
1980), Claude Miller (Garde à vue, 1981 ;
média. production n’a pratiquement jamais offert
Mortelle Randonnée, 1983) ou Yves
de rôles à la mesure de son talent.
Boisset (Canicule, 1984), Michel Audiard
AUBRY (Anne-Marie-José Bénard, dite Cé-
réalise neuf films entre 1968 et 1974. Le
cile), actrice française (Paris 1929). AUDI.
choix des titres (Faut pas prendre les en-
Sorte d’apparition météorique révélée Abrév. de auditorium.
fants du bon Dieu pour des canards sau-
par Clouzot (Manon, 1949), mignotée
AUDIARD (Michel), scénariste, dialoguiste vages en 1968, Elle boit pas, elle fume
par Christian-Jaque (Barbe-Bleue, 1951),
et cinéaste français (Paris 1920 - Dourdan pas, elle drague pas mais elle cause en
elle propose soudain à la société d’après-
1985). 1970, Comment réussir dans la vie quand
guerre en proie aux difficultés socio-
Il est le grand inclassable du cinéma on est con et pleurnichard en 1974) situe
économiques une image adolescente
commercial français depuis 1950, son l’ambition de huit d’entre eux : des co-
de l’amour fou, une sensuelle incitation
importance se mesurant à la dimension médies à la fois faciles et vulgaires qui
à brûler la vie. Fugitive annonciatrice du
des caractères qui composent son nom visent, et atteignent, le public populaire
« phénomène Bardot », dont la carrière
sur les affiches. Il n’a écrit qu’un petit au point d’être parmi les films les plus fré-
a tourné court, elle donne naissance à
nombre de scénarios originaux, mais il quemment repris à la télévision nationale.
l’ingénue perverse, qui effraiera les stu-
a marqué d’une patte immédiatement Le neuvième, Vive la France ! (1974), est
dios américains. Elle épouse ensuite le
reconnaissable d’innombrables répliques un pamphlet associant des documents
fils du Glaoui de Marrakech et en divorce.
prononcées à l’écran par Jean Gabin, d’archives à un commentaire polémique,
Elle est l’auteur de contes et de feuille-
Lino Ventura, Annie Girardot ou Jean- film sans doute personnel, mais anachro-
tons pour la TV, dans lesquels apparaît
Paul Belmondo. Honni par les tenants de nique dans sa démarche et son propos,
son fils, Medhi.
la Nouvelle Vague, il a donné pourtant à antigaulliste après la mort de G. Pompi-
AUCLAIR (Michel Vladimir Vujovi, dit la fonction spécifiquement française de dou, et qui n’eut pas de succès.
Michel), acteur français (Coblence, Alle- dialoguiste un relief dont témoignent la Michel Audiard était également roman-
magne, 1922 - Saint-Paul-en-Forêt 1988). fréquence et la violence des polémiques cier.
Entré au Conservatoire de Paris en 1940, suscitées par le style Audiard. Moins ri-
il débute bientôt au théâtre de l’OEuvre goureux que ceux de Jean Aurenche et AUDIARD (Jacques), scénariste et cinéaste
sous la direction de Barrault, Rouleau et Pierre Bost, moins caustiques et moins français (Paris 1950).
Bertheau. Il devient vite un des jeunes brillants que ceux d’Henri Jeanson, ses Fils du scénariste Michel Audiard *, il est
premiers de sa génération en jouant Mus- dialogues ont une aisance, pas toujours tout d’abord associé aux travaux de son
set, Claudel et Cocteau. En 1945, Jac- exempte de démagogie ni de mots gra- père, puis il prend progressivement son
queline Audry lui propose un rôle dans les tuits, qui les adapte à la personnalité du autonomie, collaborant avec des jeunes
Malheurs de Sophie ; l’année suivante, comédien leur donnant vie à l’écran : les cinéastes tels que Bruno Bayen (Swing
c’est au tour de Cocteau pour la Belle et colères sont taillées à la mesure de Jean troubadour, 1980), Gérard Mordillat (Vive
la Bête. Puis on le retrouve sous la direc- Gabin, la gouaille virile et le clin d’oeil sont la sociale, 1983) ou Édouard Niermans
tion de Clément dans les Maudits (1947) dosés pour J.-P. Belmondo. (Poussière d’ange, 1986). L’adaptation
— un rôle de gestapiste —, et sous celle Audiard, qui a exercé de nombreux d’un roman policier pour Claude Miller
de Clouzot, en vedette cette fois, dans métiers (coureur cycliste, soudeur à l’arc, (Mortelle Randonnée, 1982), bien que
Manon (1949), où il incarne un Des opticien, porteur de journaux, journaliste) cosignée par Michel Audiard, laisse

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

apparaître des caractéristiques que l’on d’Olivia (Olivia, 1951) et des romans de la photographie et fréquente l’École du
retrouvera dans son premier film de réa- Colette (Gigi, 1949 ; Minne, l’Ingénue film documentaire. Il obtient en 1971
lisateur douze ans plus tard. Il est encore libertine, 1950 ; Mitsou, 1956), qui sont la son diplôme de directeur de la photo à
en 1985-1992 scénariste pour Denys meilleure part de son oeuvre, témoignent l’École danoise du cinéma, réalise de
Granier-Deferre, Josiane Balasko, Ariel plus d’une sensibilité décorative qui sacri- nombreux films publicitaires, courts mé-
Zeitoun, Élisabeth Rappeneau, ainsi que fie à la mode Belle Époque des années 50 trages et programmes divers pour la télé-
pour Jean-Jacques Andrien (Australia), que d’une personnalité affirmée. Après vision, travaille comme chef opérateur en
et Jérôme Boivin (Baxter et Confessions la Caraque blonde (1953), elle adapte Suède avec plusieurs réalisateurs dont
d’un barjo). En 1994, il présente avec Huis clos de Jean-Paul Sartre (en 1954), Jörn Donner. Il tourne son premier long
succès son premier film écrit et réalisé tourne la Garçonne (1957), l’École des métrage en 1978 : Lune de miel (Hon-
d’après un roman policier retraité de cocottes (1958), le Secret du chevalier ning måne). Très populaire dans son
manière très personnelle : Regarde les d’Éon (1960), les Petits Matins (1962), la pays pour s’être attaché à décrire avec
hommes tomber. En 1996, il écrit et réa- pièce Soledad de sa soeur Colette Audry sensibilité le domaine des enfants et des
lise Un héros très discret, porté par la sous le titre Fruits amers (1967) et le Lis adolescents : Zappa (id., 1983), le Monde
même ambiguïté thématique, la même de mer (d’après A. Pieyre de Mandiar- de Buster (Busters verden, 1984, d’après
densité narrative, mais dans un contexte gues, 1969). La plupart de ses films sont sa propre série télévisée), Twist and
très différent évoquant l’immédiate après- dialogués par Pierre Laroche, son mari. Shout (Tro, håab og koerlighed, 1984). Il
guerre. acquiert une réputation internationale en
AUER (Mischa Ounskovski, dit Mischa), remportant la Palme d’or à Cannes et un
AUDIO (du latin audio, j’entends). acteur américain d’origine russe (Saint-Pé- Oscar à Hollywood pour Pelle le conqué-
Se dit des bandes magnétiques, ou des tersbourg 1905 - Rome, Italie, 1967). rant (Pelle erobreren, 1988). Ingmar
cassettes, conçues pour l’enregistrement Acteur de théâtre assez obscur, il débute Bergman lui confie en 1990 le scénario
des sons et non pour l’enregistrement à l’écran en 1928 et révèle ses dons de ce qui deviendra les Meilleures Inten-
des images. comiques au cours des années 30 : My tions (Den goda viljan), qui n’est autre
Man Godfrey (G. La Cava, 1936), Vous que l’histoire des parents du cinéaste
AUDITORIUM. ne l’emporterez pas avec vous (F. Capra, suédois : une mise en scène qui lui per-
Studio insonorisé et traité acoustique- 1938). Il allait dès lors faire merveille met de remporter une deuxième Palme
ment destiné soit à l’enregistrement (voix, dans des compositions bouffonnes et d’or. Il devient ensuite un spécialiste des
bruitages, musiques) soit au mixage des excentriques, dont se détachent le faux coproductions européennes tournées en
bandes son des films ou programmes faux prince russe d’Hellzapoppin (H. C. langue anglaise et visant le marché inter-
audiovisuels. Potter, 1941) et le dresseur de puces de national comme la Maison des esprits
L’acoustique des auditoriums de Mr. Arkadin (O. Welles, 1955). Il est mort (The House of Spirits, 1996), Jerusa-
mixage film doit permettre de simuler en Europe, où, depuis 1949 (Au diable la lem (1996) ou Smilla (Smilla’s Sense of
l’écoute dans une salle de cinéma. célébrité !, film de Steno et Monicelli dont Snow, 1997), ou une nouvelle adaptation
il est la vedette), sa silhouette famélique des Misérables (1998) — qui sont suivies
AUDRAN (Colette Dacheville, dite Sté- et ses yeux exorbités étaient devenus d’un film tourné en Suède En sang för
phane), actrice française (Versailles 1932). assez familiers. Il a tourné au total dans Martin (2000).
Élève de Tania Balachova et Michel Vi- près de soixante films de très inégale
told, découverte par Claude Chabrol, elle valeur, mais où ses apparitions (à partir AUGUST (Joseph H.), chef opérateur amé-
tient un petit rôle dans les Cousins (1959) de 1937) sont inoubliées. ricain (Idaho Springs, Colo., 1890 - Los
avant de se révéler dans les Bonnes Angeles, Ca., 1947).
Femmes (1960) puis de paraître en ve- AUGER (Claudine Oger, dite Claudine), Assistant opérateur de Thomas Ince dès
dette dans une quinzaine de films de ce actrice française (Paris 1942). 1911, il devient chef opérateur l’année
réalisateur, devenu son mari ; on retiendra Élue Miss France en 1958, elle est au suivante et éclaire avant 1920 nombre de
ses prestations dans les Biches (1968), Conservatoire l’élève de Robert Manuel. films de Reginald Barker ou W. S. Hart.
la Femme infidèle (1969), le Boucher Appelée au TNP par Jean Vilar, elle y Dans les années 20, il collabore réguliè-
(1970), les Noces rouges (1973), Vio- joue Molière et Giraudoux, puis devient rement avec Wellman, Hawks ou Ford.
lette Nozière (1978), le Sang des autres au cinéma l’interprète de Jean Cocteau Parmi ses meilleures réussites parlantes,
(1984), Poulet au vinaigre (1985) ou (le Testament d’Orphée, 1960), d’Henri on trouve Ceux de la zone (1933) et
Betty (1992) où, grâce à la qualité de son Decoin (le Masque de fer, 1962), de Pierre Comme les grands (1934) de F. Bor-
jeu, elle met beaucoup d’intelligence et Étaix (Yoyo, 1965). Devenue « James zage, Sylvia Scarlett (G. Cukor, 1935),
une séduction un peu froide, dure et dis- Bond girl » auprès de Sean Connery dans Quasimodo (1939) et le Portrait de Jen-
tante. Elle a tourné aussi avec Buñuel (le Opération Tonnerre (T. Young, 1965), un nie (1949) de Dieterle, et douze films de
Charme discret de la bourgeoisie, 1972), film de la très populaire série issue des Ford, dont le Mouchard (1935) et Marie
Sautet (Vincent, François, Paul et les romans d’espionnage de Ian Fleming, Stuart (1936).
autres, 1974), Fuller (Au-delà de la gloire, bien utilisée par Alain Jessua dans Jeu
1979), Kast (le Soleil en face, 1980), Ta- de massacre (1967), elle poursuit une AUMONT (Jean-Pierre Salomons, dit Jean-
vernier (Coup de torchon, 1981), Gabriel carrière internationale sans cependant Pierre), acteur français (Paris 1909 - Saint-
Axel, qui lui offre un superbe rôle dans le accéder au rang de star : L’arcidiavolo Tropez 2001).
Festin de Babette (1987), et Alexandre (E. Scola, 1966), Triple Cross (T. Young, Né dans une famille où les comédiens
Rockwell (Sons, 1989). id.), Un peu de soleil dans l’eau froide sont à l’honneur autant que les écrivains,
(J. Deray, 1971), Un papillon sur l’épaule tout le dispose à s’épanouir dans le milieu
AUDRY (Jacqueline), cinéaste française (id., 1978), Fantastica (G. Carle, 1980), théâtral. Après le Conservatoire, il a la
(Orange 1908 - Poissy 1977). les Exploits d’un jeune don Juan (G. Min- chance d’être remarqué par Louis Jouvet
Longtemps scripte puis assistante (de gozzi, 1986). et de débuter à la Comédie des Champs-
Pabst, Delannoy, Lacombe et Ophuls), Élysées. Au même moment, il entre dans
elle réalise en 1943 son premier court AUGUST (Bille), cinéaste danois (Brede les studios avec une courte apparition
métrage, les Chevaux du Vercors, et 1948). dans Jean de la Lune (J. Choux, 1931).
en 1945 son premier long métrage (les Après des études d’architecture, il se Dès lors, il va se manifester avec régula-
Malheurs de Sophie). Ses adaptations rend à Stockholm en 1967 où il étudie rité sur la scène et sur l’écran. Favorisé

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

par un physique avenant, d’une juvéni- AUMONT (Michel), acteur français (Paris par l’impatience de la Nouvelle Vague et
lité extrême et qu’il saura garder long- 1936). les pressions économiques.
temps, il incarne le garçon sain, sportif Venu du théâtre, il est présent sur les Aurenche construisant, Bost dialo-
et sympathique pour qui la comédie écrans seulement depuis 1972 et se voit guant, c’est une oeuvre commune de plus
vaut mieux que le drame. Grâce à Marc proposer de nombreux seconds rôles. de trente films qui s’édifie ainsi, principa-
Allégret, il obtient un rôle en or en 1934 Il tourne beaucoup, interprétant le plus lement mise en scène par Autant-Lara :
dans Lac aux dames ; la même année souvent des personnages d’autorité et en Sylvie et le Fantôme (1946), le Diable
lui apporte les rôles du jeune ouvrier de particulier des policiers. Il démontre pour- au corps (1947), Occupe-toi d’Amélie
Dans les rues (V. Trivas) et d’un préten- tant des capacités tout autres dans des (1949), l’Auberge Rouge (1951), le Blé
dant de Maria Chapdelaine (J. Duvivier). films comme La vie continue de Moshe en herbe (1954), le Rouge et le Noir (id.),
Il devient ensuite timide professeur de Mizrahi (1981) ou Un dimanche à la cam- la Traversée de Paris (1956), En cas de
piano (les Yeux noirs de V. Tourjansky, pagne de Tavernier (1984). Enfin béné- malheur (1958) ; par Delannoy : la Sym-
1935), aviateur séducteur (l’Équipage phonie pastorale (1946), Dieu a besoin
ficiaire d’un rôle de premier plan, il se
d’A. Litvak, id.), cosaque au large sourire des hommes (1950) ; par Clément : Au-
montre à son avantage dans l’ambiance
(Tarass Boulba d’A. Granowsky, 1936), delà des grilles (1949), Jeux interdits
très ambiguë de Cours privé (P. Granier-
aspirant amoureux (la Porte du large de (1952), Gervaise (1956), Paris brûle-t-il ?
Deferre, 1986) comme il le sera plus tard
M. L’Herbier, id.), jeune ingénieur voué (1966). L’Horloger de Saint-Paul (B. Ta-
dans un film très différent, Au Petit Mar-
au suicide (le Messager de R. Rouleau, vernier, 1974), qui les réunit après une
guery (Laurent Bénégui, 1995). On l’a vu
1937). Ces personnages aimables sont éclipse de six ans, est aussi le dernier film
également dans Mado (C. Sautet, 1976),
heureusement suivis de compositions de Pierre Bost. Aurenche, qui a encore
Poussière d’ange (Édouard Niermans,
plus singulières : le laitier moqueur de signé sans son complice une quinzaine
1986), les Années sandwiches (Pierre
Drôle de drame (M. Carné, 1937), l’amant de films, en particulier pour Autant-Lara,
Boutron, 1988).
trop lâche de Hôtel du Nord (id., 1938), continue seul cette nouvelle carrière,
le poilu de la Grande Guerre (le Déser- notamment avec Tavernier : Que la fête
AUREL (Jean), cinéaste français (Rasvo-
teur de L. Moguy, 1939) et le bagnard commence (1975), le Juge et l’Assassin
litza, Roumanie, 1925 - Paris 1996).
de Chéri-Bibi (L. Mathot, 1938). La (1976), Coup de torchon (1981), et Pierre
Formé à l’IDHEC, réalisateur de courts
guerre lui fait rejoindre les Forces fran- Granier-Deferre : l’Étoile du Nord (1982).
métrages, puis scénariste, notamment
çaises libres, et les films qu’il peut tour- [ BOST.]
pour René Clair (Porte des Lilas) et
ner alors sont américains et font oeuvre
Jacques Becker (le Trou). Ses six pre- AURIC (Georges), musicien français (Lo-
de propagande : Assignment in Brittany
miers films (deux films de montage et dève 1899 - Paris 1983).
(J. Conway, 1943), The Cross of Lorraine
quatre comédies) sont réalisés avec la Après des études au Conservatoire de
(T. Garnett, id.). Dorénavant, il va pour-
collaboration de l’écrivain Jacques Lau- Paris, il suit des cours de composition à
suivre une carrière internationale : aux
rent (Cecil Saint-Laurent). la Schola cantorum. Il est un des fonda-
États-Unis (Sheherazade [W. Reisch,
Films : 14-18 (DOC, 1963) ; la Bataille teurs du groupe des Six, et ses mélodies,
1946], l’Atlantide [Gregg Tallas, 1948])
de France (DOC, 1964) ; De l’amour sa musique de ballet et de film le font
et en France, où il apparaît plus ou moins
(1965) ; Lamiel (1967) ; Manon 70 (1968) ; connaître. On remarque la composition
longtemps dans les films de F. Villiers,
les Femmes (1969) ; Êtes-vous fiancée syncopée, imitative du coeur, du Sang
son frère (Hans le Marin, 1949). Guitry lui
à un marin grec ou à un pilote de ligne ? d’un poète, de Cocteau (1931), lequel lui
fait revêtir la pourpre cardinalice (Si Ver-
(1970) ; Comme un pot de fraises (1974) ; confie avec bonheur encore presque tous
sailles m’était conté, 1954). Il avait paru
Staline (DOC, 1984). ses films, dont la Belle et la Bête (musique
auparavant dans une comédie musicale
primée à Cannes en 1946). Son inspi-
(Lili, Ch. Walters, 1953). En 1958, c’est
AURENCHE (Jean), scénariste français ration parodique, élégiaque et toujours
un film de corsaires : John Paul Jones,
(Pierrelatte 1903). élégante accompagne sans surcharge
maître des mers (John Paul Jones,
Scénariste et réalisateur de films publi- aussi bien À nous la liberté (R. Clair,
J. Farrow) ; plus tard, un film de guerre
citaires au début des années 30 (il y 1931) que l’Éternel Retour (J. Delannoy,
inattendu : Un château en enfer (S. Pol-
emploie Jean Anouilh, Paul Grimault ou 1943), Moulin Rouge (J. Huston, 1953)
lack, 1969). Enfin, son rôle dans la Nuit
Max Ernst), il coréalise aussi deux courts ou Lola Montès (Max Ophuls, 1955), que
américaine (F. Truffaut, 1973) et celui de
métrages avec Pierre Charbonnier en le Mystère Picasso (H.-G. Clouzot, 1956).
Des journées entières dans les arbres,
Membre de l’Institut (1962), président
1933 : Pirates du Rhône et Bracos de So-
qu’il avait créé à la scène (M. Duras,
de l’Académie du cinéma, il a publié des
logne. Il devient vite un scénariste coté,
1977), parachèvent son abondante car-
souvenirs : Quand j’étais là (Paris, 1979).
rière artistique parfois décevante (la Java participe à l’Affaire Lafarge (P. Chenal,
1938), Hôtel du Nord (M. Carné, id.) et
des ombres, Romain Goupil, 1983). On AURIOL (Jean Huyot, dit Jean George), cri-
le rencontre encore dans les années 90 est associé à tous les films de Claude
tique français (Paris 1907 - Chartres 1950).
dans de petits rôles (Jefferson à Paris, Autant-Lara à partir de 1937, signant pa-
Cinéphile exigeant, lucide, raffiné,
J. Ivory, 1995). Il a prolongé sa carrière rallèlement les scripts de plusieurs courts
J. G. Auriol fonda en 1928 chez Corti les
en exploitant ses dons d’auteur drama- métrages d’animation pour Paul Grimault cahiers Du cinéma, devenus peu après la
tique et d’écrivain (Souvenirs provisoires, (1943 et 1944). En 1943, il commence,
Revue du cinéma, éditée chez Gallimard.
1957 ; la Pomme de mon oeil, 1969 ; le avec Douce d’Autant-Lara, une collabo- S’y élabora une critique non conformiste,
Soleil et les Ombres, 1976 ; Il fait beau ration de trente ans avec Pierre Bost (il tranchant avec bonheur sur la routine
mais ne le répétez pas, 1980 ; Dis-moi a participé quatre ans plus tôt à l’Héritier de l’époque. On relève au sommaire les
d’abord que tu m’aimes, 1986). Marié des Montdésir d’A. Valentin). L’équipe noms de Brunius, Louis Chavance, Paul
d’abord avec l’actrice Blanche Montel, Aurenche-Bost va devenir pour de lon- Gilson, mais aussi ceux de Gide, Sou-
il épousa Maria Montez qui mourut pré- gues années le symbole d’une certaine pault, Drieu La Rochelle, Fabre-Luce,
maturément, puis Marisa Pavan. Sa fille, qualité du cinéma français, solidement Eisenstein, toute l’intelligentsia rassem-
Tina Aumont, s’est fait remarquer dans charpenté et ne laissant nulle place à l’im- blée. La revue eut 29 numéros. En 1946,
diverses productions. Il reste le sym- provisation ; une conception qui permet- Auriol lança une deuxième série, avec
bole d’une certaine jeunesse de l’avant- tra les plus grands films d’Autant-Lara, pour collaborateurs Bazin, Doniol-Val-
guerre, fraîche, optimiste et étourdie. Clouzot ou Clément avant d’être balayée croze, Lo Duca, etc. À la mort d’Auriol,

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

les Cahiers du cinéma prirent le relais. duit et dirige en 1917 le premier d’une In the Wake of the Bounty (1933). Forty
Ce journaliste de talent fut aussi quelque série de films comiques ruraux qui feront Thousand Horsemen (1941), récit d’une
temps scénariste, notamment de Marcel recette, d’après les sketches à succès de des dernières grandes charges de l’his-
L’Herbier (l’Épervier, Forfaiture) et Max Steve Rudd. Par ailleurs, Frank Hurley, toire, lance la carrière de Chips Rafferty*,
Ophuls (Divine). explorateur et chef opérateur de guerre, principal acteur de l’après-guerre. Son
tourne en Nouvelle-Guinée un docu- dernier film, Jedda (1955), aborde pour
AURTHUR (Robert Alan), scénariste et mentaire de grande valeur, Pearls and la première fois le problème aborigène
cinéaste américain (New York, N. Y., 1922 - Savages (1921). Raymond Longford, lui, au cinéma.
id. 1978). continue sur sa lancée, un des seuls à ne Par ailleurs, les années 40 voient
Auteur de romans et de pièces, il écrit des pas sacrifier sa créativité au leurre des l’émergence d’un mouvement documen-
scripts pour la TV et tire de l’un d’eux le productions commerciales. Ses meilleurs tariste important avec des cinéastes
scénario de l’Homme qui tua la peur (M. films sont sans doute On Our Selection comme Damien Parer (Kokoda Front
Ritt, 1957). Après les scripts de l’Homme (1919), sa propre version des sketches Line). Ce mouvement se poursuit après
aux colts d’or (E. Dmytryk, 1959) et Lilith de Rudd, et The Sentimental Bloke la guerre avec, par exemple, The Back
(R. Rossen, 1964), très marqués par la (1920), description de situations fami- of Beyond (1954) de John Heyer. Mais
psychanalyse, on lui doit encore ceux lières à la classe ouvrière, et, désormais, entre la fin de la guerre et 1960, l’Aus-
de Grand Prix (J. Frankenheimer, 1966), un classique. tralie est surtout un terrain de prédilec-
Mon homme (Daniel Mann, 1968) et Que Vers 1925, le cinéma est une des tion pour les producteurs étrangers qui
le spectacle commence (B. Fosse, 1979), formes les plus populaires de divertisse- ont découvert ses espaces, son climat et
ainsi que la réalisation d’un unique film : ment dans le pays. Mais les contrats des ses techniciens. C’est alors que l’Anglais
l’Homme perdu (The Lost Man, 1969). distributeurs avec les firmes hollywoo- Harry Watt* tourne la Route est ouverte
diennes laissent peu de place aux films (1946) et Eureka Stockade (1949), et que
AUSTRALIE. locaux, le fameux « quota des 5 p. 100 » Ralph Smart signe Bush Christmas pour
L’Australie est un des pays pionniers du qui impose la projection de 5 p. 100 de la Rank (1946). Quant aux producteurs
cinéma. Le premier de ses films qui nous films non américains par an aux distri- locaux, ils ne financent que trop souvent,
soit parvenu, The Melbourne Cup, de buteurs n’étant qu’un alibi du gouverne- dans l’espoir d’une distribution à l’étran-
Maurice Sestier, date de 1896 et inau- ment. ger, de pâles copies du cinéma améri-
gure une forte tradition documentaire. En cain. Il faut toutefois mentionner Into the
En dépit de ces difficultés et de la
outre, dès 1901, William Booth et J. H. Straight (1949) et Three in One (1956) du
pauvreté du matériel local, c’est au plus
Perry tournent un des premiers films socialiste Cecil Holmes, trilogie sur la vie
profond de la Dépression que sont jetées
épiques religieux, Soldiers of the Cross, australienne et sans doute le meilleur film
les bases du cinéma parlant australien.
sous l’égide de l’Armée du salut. de l’époque.
Des semi-monopoles de production et
Les documentaires sur les abori- de distribution apparaissent : c’est la C’est avec le mouvement progressiste
gènes d’Australie centrale de l’anthro- grande époque des studios Cinesound des années 60 que le cinéma australien
pologiste sir Richard Baldwin sont déjà qui, dans le cadre du groupe Australasian sort de sa léthargie. Encouragés par
d’une grande qualité d’images, tandis Films, produisent la majorité des films de une intelligentsia qui réclame l’établisse-
que The Story of the Kelly Gang de l’époque, assurés de leur distribution par ment d’un cinéma national, de nouveaux
Charles Tait (1906), superproduction très les circuits de l’Union Theatres. Dirigé par cinéastes apparaissent qui font fi de l’imi-
convaincante pour l’époque, est consi- Ken G. Hall, Cinesound expérimente ou tation américaine. Les courts métrages
dérée comme étant peut-être le premier invente de nouvelles techniques, réunit australiens recueillent de plus en plus
long métrage mondial (66 min). Le suc- les meilleurs cinéastes, techniciens et de prix dans les festivals internationaux,
cès de ce film est à l’origine de la vague acteurs. Les films mis en scène par Hall des coopératives de production et de dis-
de production des années suivantes. La sont surtout des comédies comme On tribution comme la Sydney UBU School
brousse, les villes naissantes, les for- Our Selection (1932), une autre version montrent la voie de la distribution indé-
çats, les pionniers sont les principaux à succès des fameux sketches, ou des pendante et favorisent les expériences
thèmes de films qui, tournés à la hâte, mélodrames comme The Silence of the les plus avant-gardistes, tandis que le
pour un profit rapide, sont pour la plu- Dean Maitland (1934), avec Frank Hurley mouvement documentariste se poursuit
part de pauvre qualité. Le producteur comme chef opérateur. avec des cinéastes tels que Ian Dunlop.
Cozens Spencer, cependant, attire les En 1937, l’Union Theatres cesse de Le tournant des années 70-80 :
meilleurs talents, des chefs opérateurs distribuer des films australiens dans le vers un cinéma identitaire. Mais c’est
Tasman, Ernest et Arthur Higgins à la cadre des 5 p. 100 et les remplace par en 1970, avec la création de l’Australian
première star, Lottie Lyell, qui fut aussi des films anglais. En 1940, Cinesound Film Development Corporation (devenue
la coscénariste de nombreux films, sans doit fermer ses portes, laissant un vide Australian Film Commission), et celle de
oublier Raymond Longford*. Acteur, puis énorme dans cette industrie bourgeon- l’Experimental Film Fund, que ce que l’on
cinéaste et producteur, Longford émerge nante mais fragile, qu’achèveront la appelle le nouveau cinéma australien
comme le seul vrai talent de cette époque. guerre puis la prise de contrôle des deux prend son essor. Subventions ou prêts de
Le rythme et le parti pris de réalisme d’un principaux circuits de distribution par des l’AFC sont octroyés pour la réalisation de
de ses premiers films, The Romance of compagnies américaines. scénarios « commercialement viables »
Margaret Catchpole (1911), en sont une Charles Chauvel*, cinéaste et produc- et au « contenu nettement australien » :
preuve flagrante. teur indépendant, continuera pourtant ces conditions ont donné aux longs mé-
La concurrence américaine. Face jusqu’en 1955 une carrière commencée trages une marque de fabrique souvent
aux films américains et européens qui en 1925 avec Moth of Mombi. Naïf avec controversée.
inondent déjà le marché, la compétition des traits de génie, Chauvel luttera toute Les premiers films australiens des an-
est serrée. La Première Guerre mondiale sa vie contre l’invasion hollywoodienne nées 70 sont des comédies qui reflètent
élimine la compétition européenne mais et mourra en 1958, ruiné par les distribu- non seulement la libération des moeurs,
fait de l’Australie un marché sur mesure teurs. Ses films, où le pire voisine avec phénomène de l’époque, mais aussi une
pour les productions hollywoodiennes. le meilleur, reflètent parfaitement sa per- réaction contre une censure d’un autre
L’industrie locale subit alors sa première sonnalité. Découvreur d’acteurs, il donne âge (The Naked Bunyip, John B. Murray,
crise. Malgré tout, Beaumont Smith pro- sa première chance à Errol Flynn dans 1970). Malgré le succès commercial de

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

ces comédies, les cinéastes vont petit à ground, Fred Schepisi* fait éclater la font alterner le suspense, les drames
petit abandonner ce genre, ou l’enrichir violence traumatisante, pour les Austra- psychologiques et des sujets réels ou
considérablement, comme Bruce Beres- liens, de son très beau film The Chant of imaginaires.
ford* avec Don’s Party (1976) – une veil- Jimmie Blacksmith (1977) où se révèle la Parallèlement l’Australie continue de
lée électorale dans un milieu de gauche –, culpabilité de l’homme blanc vis à vis des produire un grand nombre de courts mé-
pour trouver dans le passé d’autres aborigènes. On retrouve paysages ur- trages et de documentaires. Le mouve-
sources d’inspiration, plus dignes de bains et passé plus proche dans Caddie ment documentariste (Dennis O’Rourke,
l’identité australienne qu’ils recherchent. de Donald Crombie (1975), et Newsfront Ian Dunlop, Curtis Lévy, Gary Kildea,
Avec le plus célèbre des films de cette de Phil Noyce (1977). John Duigan avec David Bradbury, Conolly et Anderson)
époque Pique-nique à Hanging Rock Mouth to Mouth (1977) continue à abor- n’a en effet jamais connu d’interruption
(1975), et grâce au talent de Peter Weir*, der le temps présent avec le problème même aux moments les moins favorables
les Australiens découvrent qu’ils ont à des jeunes sans emploi. de l’histoire cinématographique de l’Aus-
nouveau un cinéma dont ils peuvent être À partir de 1981, l’aide gouvernemen- tralie.
fiers. Ils préfèrent à l’image naturaliste tale prend la forme d’abattements fiscaux, La querelle entre un cinéma d’auteur et
des buveurs de bière, la vision élégante le « 10 BA ». Il en découle une augmen- un cinéma commercial continue comme
que leur renvoie Peter Weir, même si en tation immédiate et importante du nombre dans le reste du monde, agravée toute-
contrepoint demeure la brutalité mysté- de films produits, dont malheureusement fois par le fait que l’Australie n’ayant que
rieuse de l’environnement. Les rapports la qualité laisse bien souvent à désirer. 16 millions d’habitants et étant un pays de
de l’homme à une nature hostile ne Le « 10 BA » durera jusqu’en 88-89, pour langue anglaise, la tentation est grande
cessent de hanter le cinéma australien. être remplacé par la Film Financing Cor- de ne produire des films qu’en songeant
Deux cinéastes étrangers illustreront poration, un fonds de financement aussi au marché américain.
mieux que quiconque cette réalité austra- controversé aujourd’hui que l’a été le
lienne. Le canadien Ted Kotcheff*, dans « 10 BA » ces dernières années. Grâce AUTANT-LARA (Claude Autant, dit
Réveil dans la terreur (1971), brosse au maintien d’une aide au cinéma, une Claude), cinéaste français (Luzarches
une description en forme de cauchemar nouvelle génération est venue rejoindre 1901 - Antibes 2000).
du séjour d’un jeune instituteur dans les metteurs en scène les plus célèbres Son père est l’architecte Édouard Autant,
une petite agglomération aux confins dont beaucoup, comme Peter Weir, Fred sa mère la comédienne Louise Lara,
du désert, tandis que Nicholas Roeg*, Schepisi, Bruce Beresford, George Miller, vedette du Théâtre-Français, qui refuse
dans Walkabout (1970), transcende Gillian Armstrong, Phil Noyce tournent de s’associer aux manifestations chau-
l’angoisse grâce à son héros aborigène, de plus en plus régulièrement aux États- vines organisées pendant la Première
qui nous fait découvrir une harmonie pos- Unis. Guerre mondiale et doit s’exiler en Angle-
sible entre l’homme et le désert. Avec la À l’instar de John Duigan (Winter of Our terre avec son fils. Claude Autant-Lara
nature omniprésente dans tant de films Dreams, 1981), les cinéastes abordent découvre le cinéma en 1919 en travaillant
australiens, on assiste à une reprise des de plus en plus des thèmes contempo- comme décorateur pour Marcel L’Her-
thèmes chers aux premiers cinéastes : le rains et urbains : ainsi Paul Cox (Lonely bier. Dans les années qui suivent, il colla-
« bush », les grands espaces, la valeur Hearts, 1981 ; Man of Flowers, 1983), bore avec Fernand Léger, Mallet-Stevens
rédemptrice du travail à la campagne que Carl Schultz (Good Bye Paradise, 1981 ; et Alberto Cavalcanti dans ce véritable
l’on oppose à l’influence corruptrice des Careful, He Might Hear You, 1982) et Ken atelier que L’Herbier a réuni autour de lui.
villes. Sunday Too Far Away (Ken Han- Cameron (Monkey Grip, 1981). Le Sud- Après avoir réalisé deux courts mé-
nam, 1975), The Last of the Knucklemen Est asiatique est évoqué dans Far East trages expérimentaux (dont Construire
(Tim Burstal, 1978) décrivent avec plus de John Duigan (1981) et l’Année de tous un feu, où il emploie pour la première fois
de réalisme que les premiers cinéastes la les dangers de Peter Weir (1982). Parmi l’objectif anamorphique du professeur
vie rude des tondeurs de moutons dans les autres films marquants on peut citer Chrétien — qui sera, 25 ans plus tard, à
une station éloignée, ou celle des mi- encore Annie’s Coming out (Gill Brealy, l’origine du CinémaScope commercialisé
neurs à la limite du désert. The Irishman 1983), Bliss (Ray Lawrence, 1985), Fran par la 20th Century Fox), il passe deux
(Donald Crombie, 1977), We of the Never (Glenda Hambley, 1984), High Tide ans à Hollywood, où il tourne la version
Never (Igor Auzins, 1981), The Man From (G. Armstrong, 1986) et Unfinished Bu- française de films américains, de Buster
Snowy River (George Miller, 1981), tiré siness (Bob Ellis, 1985). A Street to Die Keaton notamment. En 1933, il réalise
du célèbre poème de Banjo Patterson, de Bill Bennett (1985) nous rappelle que son premier long métrage personnel, une
appartiennent à la même veine d’ins- les Australiens se sont aussi battus au adaptation de Ciboulette à laquelle colla-
piration. Des convicts (Journey Among Viêt-nam, tandis que Backlash, du même bore Jacques Prévert. Francis de Crois-
Women, Tom Cowan, 1977) aux bandits réalisateur, est un autre regard sur les set, l’auteur du livret de l’opérette initiale,
des grands chemins (Mad Dog Morgan, rapports d’une prisonnière aborigène et proteste dans la presse et déchaîne une
Philippe Mora, 1975), les mythes et la de la police. Malcolm (Nadia Tass, 1985), polémique où le jeune cinéaste donne la
réalité australienne se confondent jusqu’à Young Einstein (Yahoo Serious, 1985) mesure de sa verve insolente. Le film est
Mad Max (1978) et Mad Max 2 (1981) de et Emerald City (Michael Jenkins, 1988) mutilé par ses producteurs, et la carrière
George Miller et Crocodile Dundee (Peter semblent vouloir renouveler le genre de son auteur connaît une longue éclipse.
Faiman, 1986). des comédies australiennes. Shame Même s’il a dirigé un film à Londres
Jusqu’au début des années 80, les (Steve Jodrell, 1986), Calme Blanc (Phil en 1936, même s’il a servi de nègre à
cinéastes vont largement puiser dans Noyce, 1987), Ghosts of the Civil Dead Maurice Lehmann en dirigeant pour lui,
le passé en adaptant des romans clas- (John Hillcoat, 1987), Un cri dans la nuit à la veille de la guerre, trois films qu’il ne
siques : The Getting of Wisdom (Beres- (F. Schepisi, 1987), Sweetie (J. Cam- signe pas, c’est seulement sous l’Occu-
ford, 1977), My Brilliant Career (Gillian pion*, 1988), la Preuve (Proof, Jocelyn pation qu’il amorce véritablement son
Armstrong, 1978). Ils s’inspirent aussi Moorhouse, 1991), The Adventures of oeuvre avec trois films, interprétés par
d’événements historiques : Breaker Mo- Priscilla, Queen of the Desert (Stephen Odette Joyeux, qui sont à la fois d’un cal-
rant (Beresford, 1979), un épisode de Elliot, 1994), Shine (Scott Hicks, 1996), ligraphe habile à reconstituer une esthé-
la guerre des Boers, Gallipoli (P. Weir, Romeo + Juliet (Baz Luhrman, id.), l’In- tique fin de siècle alors fort prisée, et d’un
1980), la tragédie des Dardanelles. Après terview (The interview, Craig Monohan, moraliste féroce qui ne ménage pas les
avoir tourné en 1975 The Devil’s Play- 1998), Moulin Rouge (Luhrman, 2001) classes possédantes. Douce (1943) est

80
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

de ce double point de vue une manière de chronique par des prises de position poli- AUTOBLIMPÉ (franglais d’après blimp).
chef-d’oeuvre, qui met le doigt sur l’hypo- tiques d’extrême droite. Se dit d’une caméra comportant, par
crisie de la famille jugée comme une insti- Films : Fait divers (CM, 1923) ; construction, un blimp incorporé. ( CA-
tution étouffante et maléfique, sur un fond Construire un feu (CM, 1928 [RÉ 1926]) ; MÉRA.)
d’opposition de classes, caricaturée dans Ciboulette (1933) ; My Partner Mister
la célèbre visite de Marguerite Moreno à Davis (GB, 1936) ; l’Affaire du courrier AUTOMATE.
« ses » pauvres. de Lyon (CO M. Lehmann, 1937) ; le Accessoire de cabine de projection, par-

Les mêmes qualités d’écriture et de Ruisseau (CO Lehmann, 1938) ; Fric- fois incorporé au projecteur, sur lequel
Frac (CO Lehmann, 1939) ; le Mariage l’opérateur peut programmer l’exécution
causticité font, en 1946 et 1947, le succès
de Chiffon (1942) ; Lettres d’amour automatique de tâches telles que la fer-
et le scandale du Diable au corps (d’après
(id.) ; Douce (1943) ; Sylvie et le Fan- meture des rideaux de scène, l’éclairage
Raymond Radiguet, avec Gérard Philipe
tôme (1946) ; le Diable au corps (1947) ; de la salle, etc. ( PROJECTION.)
et Micheline Presle). Les incidents et les
polémiques qui entourent la présentation Occupe-toi d’Amélie (1949) ; l’Auberge
AUTOSILENCIEUX.
du film à Bruxelles et sa sortie en France Rouge (1951) ; les Sept Péchés capi-
Caméra autosilencieuse, caméra ne
en accentuent la dimension pacifiste et taux, sketch l’Orgueil (1952) ; le Bon
comportant pas de blimp incorporé, mais
antimilitariste, et confèrent à son auteur Dieu sans confession (1953) ; le Blé en
conçue pour que son bruit soit à peu près
une image de cinéaste de combat, anar- herbe (1954) ; le Rouge et le Noir (id.) ;
inaudible. ( CAMÉRA.)
chisant, contempteur des valeurs patrio- Marguerite de la nuit (1956) ; la Traversée
tiques et religieuses, qui le marque pour de Paris (id.) ; En cas de malheur (1958) ;
AUTRICHE.
une quinzaine d’années. le Joueur (id.) ; la Jument verte (1959) ;
L’histoire du cinéma autrichien est mal
Pendant douze ans (le temps de la les Régates de San Francisco (1960) ;
connue, brouillée par les événements his-
le Bois des amants (id.) ; Vive Henri IV,
IVe République, dont il est peut-être le ci- toriques (fin de l’Empire austro-hongrois
vive l’amour (1961) ; le Comte de Monte
néaste emblématique), Autant-Lara réa- en 1919, annexion par l’Allemagne nazie,
Cristo (id.) ; Tu ne tueras point (1963
lise plus de dix films, certes inégaux, mais 1938-1945), rendue parfois confuse par
[RÉ 1961]) ; le Meurtrier (id.) ; le Magot
jamais indifférents. Ce sont rarement des la carrière de cinéastes et d’acteurs nés
de Josefa (id.) ; le Journal d’une femme
brûlots dévastateurs, mais leur impact sur en Autriche sans y avoir jamais tourné
en blanc (1965) ; Nouveau Journal d’une
la société française est décuplé par les de films, souvent confondue avec cer-
femme en blanc / Une femme en blanc
controverses, voire les interdictions, qui tains chapitres de l’histoire du cinéma
se révolte (1966) ; le Plus Vieux Métier du
entourent la sortie de l’Auberge Rouge, allemand : la communauté de langue a
monde, un sketch (1967) ; le Franciscain
une farce jovialement anticléricale, ou du non seulement suscité de nombreuses
de Bourges (1968) ; les Patates (1969) ;
Blé en herbe, une adaptation du roman coproductions, mais de tout temps attiré
Gloria (1977).
de Colette jugée immorale par les cercles artistes et techniciens vers Berlin.
conservateurs qui font bannir le film de Le cinéma a fait son apparition à
AUTEUIL (Daniel), acteur français (Alger,
plusieurs grandes villes, déchaînant Vienne dès 1896, en présence de l’empe-
Algérie, 1950).
débats juridiques et procès à propos de reur. On commence à tourner des films
Après avoir passé la majeure partie de
la censure des maires. En 1956, la Tra- en 1908, et, en 1911-1912, Alexander
son enfance dans le milieu du spectacle
versée de Paris (un des premiers films à Joseph Sascha Kolowrat-Krakowsky, un
(son père était chanteur d’opéra), il entre
évoquer les petits côtés de la France oc- comte autrichien qui avait épousé la fille
au cours Florent. Il fait ses débuts au T.
cupée, à rebours de l’imagerie héroïque d’un industriel américain, fonde la Sascha
N. P., puis joue pendant deux ans dans la
qui sera de mise dans les années sui- Film, embauche notamment le jeune Karl
comédie musicale Gospel (1972). Gérard
vantes) et, en 1958, En cas de malheur Freund* et crée des actualités cinémato-
Pirès lui offre son premier rôle au cinéma
sont encore deux de ses films majeurs, graphiques. À la veille de la guerre, les
dans l’Agression (1975). Menant paral-
Jean Gabin y composant deux images écrivains les plus représentatifs ont déjà
lèlement deux carrières (à la scène et à
complémentaires du bourgeois fascinant travaillé pour le cinéma : Hoffmansthal,
l’écran), il participe aux productions de
et honni. Grillparzer, Arthur Schnitzler, ou encore
Claude Zidi (dont les Sous-doués et leurs
Dans les dernières années 50, Autant- nombreuses suites) et d’Édouard Moli- Felix Dörmann qui s’investit dans la pro-
Lara est violemment pris à partie par les naro : Pour cent briques, t’as plus rien duction. C’est dans des films autrichiens
tenants d’une jeune critique qui s’épa- (1982), l’Amour en douce (1984), Palace que débutent Fritz Kortner*, Liane Haid,
nouira avec la Nouvelle Vague. Traité de (1985). Mais c’est dans les emplois plus Friedrich Feher*, Fern Andra*, Lilian
« faux martyr » parce qu’il se plaint de ne dramatiques qu’il donne le meilleur de Harvey*, qui ne vont pas tarder à aller
pouvoir tourner, pendant la guerre d’Algé- son talent, mélange d’angoisse et de chercher la gloire à Berlin. De même, des
rie, le film sur l’objection de conscience violence (le Paltoquet, M. Deville, 1986). techniciens comme le réalisateur Paul
qui lui tient à coeur, et de « cinéaste Son interprétation d’Ugolin dans Jean de Czinner*, venu de Hongrie (Inferno est
bourgeois » par de jeunes turcs qui lui Florette et Manon des sources (C. Berri, tourné à Vienne en 1920), Karl Grüne*
reprochent une esthétique dépassée et la 1986) l’impose comme une nouvelle (alors acteur), Wilhelm Thiele*, Gustav
part trop belle qu’il donne aux scénarios « gueule » du cinéma français. Il tourne Ucicky*, Richard Oswald*, Rudolf Mei-
et aux dialogues de ses collaborateurs ensuite notamment Quelques jours avec nert, Julius von Borsody s’initient au ci-
attitrés, Jean Aurenche et Pierre Bost, moi (C. Sautet, 1988), Romuald et Juliette néma en Autriche avant de se rendre à
il n’en continue pas moins à tourner un (C. Serreau, 1989), Lacenaire (F. Girod, Berlin, comme bien d’autres Autrichiens
grand nombre de films mineurs, où ne 1990), Un coeur en hiver (C. Sautet, auront fait plus directement (Joe May*,
se retrouve que par brefs éclats le sou- 1992), Ma saison préférée (A. Téchiné, Pabst*, Carl Mayer*, Otto Rippert*, puis
venir de ce ton sarcastique qui avait fait 1993), la Séparation (Ch. Vincent, 1994), Billy Wilder*, Fred Zinnemann*, etc. sans
sa rare originalité. En 1961, il dirige en la Reine Margot (P. Chéreau, id.), Une oublier Fritz Lang*, qui a écrit plusieurs
Yougoslavie, avec mille difficultés, son femme française (R. Wargnier, 1995), scénarios à Vienne).
Objecteur, que ses producteurs français, l’Enfant de la nuit (A. Téchiné, 1996), le Les années 20 sont favorables aux stu-
sous la pression de l’armée, l’obligent à Huitième Jour (Jaco van Dormael, id.), le dios viennois, visités par des étrangers
rebaptiser Tu ne tueras point. Au cours Bossu (Philippe de Broca, 1997), Sade comme Jacques Feyder* (Das Bildnis
des années 1980, le cinéaste défraye la (B. Jacquot, 2000). [l’Image], 1924). Max Linder*, qui y tourne

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

en 1924 son dernier film, Robert Wiene* années 1975-1980 pour voir s’affirmer 1952), etc. De 1937 à 1942, il occupe
pour les Mains d’Orlac, Carl Fröhlich* un véritable mouvement d’auteurs dans les premières places au box-office (il fait
dont Pabst est alors l’assistant. Cette po- le pays même, avec notamment Axel partie des dix top moneymakers), avant
litique d’internationalisation correspond Corti*, Antonis Lepeniotis, grec d’origine, d’être plus ou moins supplanté par son
aussi à une brève période où l’Autriche Jörg A. Eggers, allemand fixé à Vienne, rival Roy Rogers.
tente de rivaliser avec les films histo- l’Arménien Mansur Madavi, le documen-
riques allemands et américains. Mihaly tariste Bernhard Frankfurter, et Robert AUVI-NON-STOP.
Kertesz* (futur Michael Curtiz), Laszlo Dornhelm qui tournera aux États-Unis Nom de marque d’un dérouleur sans fin,
Vajda* et Sandor Korda*, venus de Hon- She dances alone (1980). de grande capacité, pour appareil de pro-
grie en 1919, s’illustrent dans une série On découvre alors : Valie Export, réa- jection. ( PROJECTION.)

de films à grands spectacles : Samson et lisatrice venue du cinéma expérimental


Dalila, de Korda, Sodome und Gomorrhe AVAILABLE LIGHT (« lumière dispo-
(Adversaires invisibles [Unsichtbare Ge-
(ou le Sixième Commandement), le nible »).
gner], 1977), Franz Novotny, également
Jeune Médard, l’Esclave-reine, tous trois Locution anglaise pour lumière naturelle.
issu de l’avant-garde avec Exit-nur keine
de Kertesz qui sera bientôt appelé à Hol- Panik (1980), le canadien John Cook
lywood. AVAKIAN (Aram), cinéaste et monteur
avec (la Lenteur de l’été [Langsammer
américain (New York, N. Y., 1926 - id. 1987).
Hors des grands studios, de petites Sommer], 1977) et l’Étuve (Schwitzkas-
Après des études à Yale et à la Sor-
sociétés produisent à Graz, à Innsbruck ten, 1981), Peter Patzak avec Kassbach
bonne, il travaille comme monteur à la
ou à Salzbourg des films montagnards et (1978), Titus Leber avec Schubert (Feind
télévision américaine puis au cinéma. Il
régionalistes tandis que d’autres captent bin ich eingezogen, 1977) et Anima
a une prédilection pour le montage frag-
les événements de l’actualité pour les (1981), l’acteur passé à la réalisation
menté, sophistiqué, au point d’avoir sans
traduire à l’écran : la mort du Kronprinz, Maximilian Schell* avec Geschichten aus
doute influencé le style de certains films
l’affaire du colonel Redl (datant de 1913 dem Wiener Wald (Histoires de la forêt
auxquels il a collaboré. En effet, Lilith
mais révélée par le journaliste E.E. Kisch viennoise, 1979).
en 1924), ou la condamnation de Sacco (R. Rossen, 1964), Mickey One (A. Penn,
Le renforcement des aides publiques, à
1965), Big Boy (F. F. Coppola, 1967)
et Vanzetti. La crise s’abat très vite sur le partir de 1980, et l’implication de la télévi-
se distinguent des autres films de leurs
cinéma autrichien. sion ont favorisé l’affirmation du talent de
auteurs par un rythme visuel très particu-
En 1927, il est au plus bas, et « Sas- personnalités déjà expérimentées : Axel
lier. Les caractéristiques d’Aram Avakian
cha », le plus ambitieux de ses produc- Corti* et sa trilogie Welcome in Vienna
comme monteur se retrouvent dans le
teurs, meurt en décembre. Cette même (1981-86), Christian Berger (Raffl, 1984,
premier film qu’il a dirigé, Au bout du che-
année voit pourtant la réalisation d’un Hanna en mer [Hanna Monster Liebling],
min (End of the Road, 1970), d’après le
film significatif qui réunit Willi Forst* et 1989) par ailleurs chef-opérateur réputé,
roman de John Barth. Moins personnelles
Marlene Dietrich* : Café Electric, de Gus- ou Michael Haneke, qui après une car-
sans être plus réussies se révèlent ses
tav Ucicky. Willi Forst est de ceux qui rière à la télévision a réalisé trois films ex-
oeuvres suivantes, Flics et Voyous (Cops
illustreront dès l’avènement du parlant la ceptionnels : le Septième Continent (Der
comédie légère et le film musical, spé- and Robbers, 1973) et Fric-Frac rue des
siebente Kontinent, 1988), Benny’s video
cialités viennoises qui s’affirmeront dans Diams (11, Harrowhouse, 1974).
(1992) et 71 fragments d’une chronologie
les années 30 et se perpétueront après du hasard (71 fragments einer Chrono-
AVANCE SUR RECETTES.
la guerre. logie des Zufalls, 1994). Des cinéastes
L’avance sur recettes constitue l’élément
Après l’Anschluss, les autorités nazies plus jeunes se sont révélés, comme Milan
majeur de l’aide sélective à la production
mettent en place de nouvelles structures Dor : Malambo (1984), Pink Palace, Pa-
de films français.
sous la dépendance de la UFA dans le radise Beach, 1990 ; Maria Knilli : Lieber
Comme sa dénomination l’indique, le
but d’empêcher toute expression patrio- Karl (1981), Follow me (1988) ; Wolfram
mécanisme de l’avance sur recettes mis
tique autrichienne tout en préservant la Paulus : Heidenlöcher (1986), (les En-
en place en 1953 consiste à avancer des
spécificité de l’art de l’Ostmark, le charme fants de choeur [Die Ministranten], 1990
fonds pour la production des films rete-
et l’élan viennois. D’où les Wiener Blut (Tu me rendras fou [Du bringst mich noch
nus, le remboursement devant s’effec-
et Operette, les vies de musiciens, les um], 1994) ; l’acteur-réalisateur Paulus
tuer par prélèvement d’un pourcentage
comédies utilisant le populaire acteur Manker : Schmutz (1985) (la Nuit de Wei-
local Hans Moser, et les films du monta- convenu des recettes réalisées par les
ninger [Weiningers Nacht], 1989 (l’OEil du
gnard Luis Trenker*. Mais aussi des films films quand ils sont mis en exploitation. Si
typhon [Das Auge des Taifin], 1993) ; An-
de propagande, tels Heimkehr (Ucicky, les recettes sont insuffisantes pour assu-
dreas Gruber : Shalom General (1989),
1941) ou l’antisémite Wien 1910 (E.W. rer un remboursement complet, la frac-
Hasenjagd [l’Espace de la grâce], 1994).
Emo, 1943). tion non remboursée de l’avance reste
En 2001, la Pianiste de Michael Haneke
acquise au producteur. Les avances sont
Dans les années 50, Willi Forst*, Franz remporte le prix d’interprétation mascu-
versées par le CNC sur les crédits du
Antel* et les Marischka* s’inscrivent dans line et le prix d’interprétation féminine au
Compte de soutien, également abondés
la tradition de légèreté. La série des Sissi festival de Cannes.
par le budget général de l’État depuis
est un énorme succès international et
AUTRY (Gene), acteur américain (Tioga, 1982.
les acteurs autrichiens s’exportent bien :
Romy Schneider*, Oskar Werner*, Maria Tex., 1907 - Studio City, Ca., 1998). L’octroi des avances est décidé par le
et Maximilian Schell*, Helmut Berger*. Lancé par Will Rogers, ce cow-boy ministre de la Culture après avis d’une
La permanence des intérêts soviétiques chantant, de 1934 à 1954, galope sur commission dont il désigne les membres
à Vienne aura permis à Cavalcanti* et à son cheval Champion pour Republic ou titulaires. Depuis 1953, la procédure
Louis Daquin* de tourner des films dif- Columbia. Prude, chevaleresque et bien d’avance sur recettes s’est considéra-
férents, et plus tard, aux environs de mis, il incarne sa propre personne, figure blement affinée. La commission est com-
1960, quelques cinéastes autrichiens artificielle et mièvre, dans des westerns posée de deux collèges : l’un examine
nés en Autriche (B. Wicki*, Alf Brustel- indifférents au lieu et à l’époque : Colo- les projets de premiers films, le second
lin*, Herbert Vesely*) contribueront à la rado Sunset (G. Sherman, 1939), Melody se prononce sur les autres projets. Les
naissance d’une « Nouvelle Vague » en Ranch (Joseph Santley, 1940), Blue collèges peuvent accorder une aide à la
Allemagne. Mais il faudra attendre les Canadian Rockies (George Archainbaud, réécriture des scénarios. Quarante à cin-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

quante films par an sont produits grâce à des jeux de miroirs. Entre 1924 et 1930, (1985), Festa di Laurea (id.), Regalo di
l’avance sur recettes. la deuxième avant-garde est dadaïste et Natale (1986), Ultimo minuto (1987),
surréaliste. René Clair (Entr’acte), Man Sposi (CORE Luciano Mannuzzi, C. Bas-
AVANT-GARDE. Ray, Marcel Duchamp, Luis Buñuel (Un telli, F. Farina, Antonio Avati, id.), Histoire
Historiens et théoriciens du cinéma chien andalou, l’Âge d’or), Jean Pain- de garçons et de filles (Storia di ragazzi
désignent sous ce nom des réalités dif- levé en France, Adrian Brunel en Angle- e ragazze, 1989), Bix (1991), Fratelli e
férentes : la première avant-garde est terre, Hans Richter, Moholy-Nagy en sorelle (1992), Magnificat (1993), L’amico
l’école française des années 20, soit un Allemagne, Charles Dekeukeleire en Bel- d’infanzia (id.), Dichiarazione d’amore
courant esthétiquement novateur au sein gique, Robert Florey aux États-Unis, font (1994), L’arcano incantatore (1996), Fes-
d’un cinéma commercial ; la deuxième et passer dans leurs films, presque toujours tival (id.), le Témoin du marié (Il testimone
la troisième avant-gardes sont internatio- de court métrage, l’esprit négateur, les dello sposo , 1997), La via degli angeli
nales ; elles produisent un cinéma expéri- provocations sociales, les blasphèmes, la (1999) un mélodrame romantique dans
mental, marginal, étranger aux structures déraison, l’onirisme, l’érotisme, la logique la campagne bolognaise puis I cavalieri
du cinéma industriel. de l’inconscient — thèmes et valeurs sub- che fecero l’impresa (2000), l’entreprise
La première avant-garde (1920- versives dont Tristan Tzara pour dada et de cinq chevaliers au XIIIe siècle pour
1925) a reçu d’Henri Langlois l’appella- André Breton pour le surréalisme sont rapporter le linceul du Christ au roi de
tion d’impressionnisme français, qui tra- alors les hérauts. France.
duit excellemment le goût du plein air, la La troisième avant-garde (1927-
touche divisionniste, les jeux de lumière AVERBAKH (Ilja) [Il’ja Aleksandrovi
1930) est documentaire. Influencée par
et d’ombre ainsi que le poudroiement ka- Averbah], cinéaste soviétique (Leningrad
le ciné-oeil de Dziga Vertov et la rationa-
léidoscopique des images de cette école. 1934 - Moscou 1986).
lité du Bauhaus, elle pose sur le monde
Après des études de médecine, il suit le
Celle-ci rêve d’abord (essentiellement réel un regard neuf, poétique et souvent
cours supérieur de scénario et de réali-
avec Abel Gance) de faire du cinéma un politique. Elle s’attache au collectif, filme
sation ; il travaille aux studios Lenfilm
art radicalement neuf, un langage visuel les capitales, les grands rassemblements
depuis 1967. Il débute comme réalisa-
planétaire destiné aux masses et prépa- humains. Ruttmann (Berlin, symphonie
teur et scénariste en 1968 : le Degré de
rant une civilisation nouvelle, puis elle d’une grande ville), Joris Ivens (Borinage,
risque (Stepen‘ riska), puis Drame de la
se replie sur un compromis : ménager Zuiderzee), Vigo (À propos de Nice),
vieille vie (Drama iz starinnoj žizni, 1971).
le grand public et le commerce du film Richter (Inflation), Siodmak (les Hommes
Il est révélé à l’étranger par un film d’une
sans capituler sur le plan de l’invention le dimanche), Jay Leyda (A Bronx Mor-
finesse psychologique attachante et qui
artistique. René Clair le dit : « La prin- ning) portent témoignage sur un monde
doit beaucoup à l’excellent scénario d’Ev-
cipale tâche du réalisateur consiste à en crise. La troisième avant-garde produit
gueni Gabrilovitch : Monologue (Mono-
introduire, par une sorte de ruse, le plus en Grande-Bretagne l’école documenta-
log, 1973). Ses autres films appartiennent
grand nombre de thèmes purement vi- riste anglaise (1929-1940) et inspire en
à la même veine intimiste : Lettres d’au-
suels dans un scénario fait pour contenter Italie le meilleur des ciné-clubs universi-
trui (užie pis’ma, 1976), Déclaration
tout le monde. » Marcel L’Herbier, Abel taires fascistes (CineGUF, 1934-1941).
d’amour (Ob’jasnenie v ljubvi, 1978), la
Gance, Louis Delluc, Germaine Dulac, Elle resurgira avec le néoréalisme italien,
Voix (Golos, 1982).
Jean Epstein explorent systématique- le free cinema anglais des années 50 et,
ment, parfois avec un réel génie, toutes dans les années 60, avec les différents AVERY (Fred Avery, dit Tex), cinéaste d’ani-
les possibilités visuelles, symboliques, courants du cinéma direct. mation américain (Dallas, Tex, 1908 - Bur-
dramatiques, rythmiques du film en direc-
bank, Ca., 1980).
tion de la photogénie (la subjectivité ren- AVATI (Giuseppe, dit Pupi), cinéaste italien
Maître incontesté du cartoon paroxys-
due visible), d’une poésie d’esthète et de (Bologne 1938).
tique, spécialiste des gags d’exagéra-
la musique silencieuse. On leur a repro- Avec son frère Antonio (qui fondera la
tion et d’agression, son importance est
ché leur mépris du sujet et leur mépris AMA Film), il produit, écrit et dirige un
considérable, bien qu’il fût longtemps
du public (en fait, ils croient souvent très des premiers films « régionaux » : Bal- demeuré mystérieux dans le milieu du
fort en leurs scénarios grandiloquents ou samus l’uomo di Satana (1968), comédie dessin animé, où son existence même
puérils), leur esprit bourgeois, leur obses- grotesque et féerique. Après des farces était mise en doute (on croyait à un prête-
sion de la littérature, leur indifférence aux grinçantes (La mazurka del barone della
nom). Il est finalement reconnu dans les
réalités sociales du moment. Gance par santa e del fico fiorone, 1974 ; Bordella, années 50, devient l’objet de nombreuses
sa démesure, Delluc par son américa- 1975), il dirige deux excellentes oeuvres études et se voit consacrer des hom-
nisme, Clair par son populisme ironique du fantastique moderne, inspirées par mages rituels à la télévision. Né à Dallas,
restent ceux qui ont le mieux su concilier des légendes du Pô : la Maison des fe- Texas, comme l’indique son surnom, Tex
qualité artistique et audience universelle. nêtres qui rient (La casa dalle finestre che Avery a débuté en 1930 en animant les
La deuxième avant-garde a plusieurs ridono, 1976) et les Étoiles dans le puits Fables d’Ésope de Charles Mintz, en tra-
visages. Entre 1921 et 1926, elle est pic- (Le strelle nel fosso, 1978). Ses premiers vaillant ensuite chez Harrison et Gould
turale. En Allemagne, elle s’efforce de succès populaires sont dus à deux feuille- sur Krazy Kat, puis avec Walter Lantz
retrouver au cinéma l’abstraction lyrique tons autobiographiques et ironiques pour sur la série Oswald le Lapin, enfin aux
et le rythme pur que les arts plastiques la TV : Jazz Band (1978), Cinema ! ! ! studios de la Warner chez Léon Schlesin-
(du cubisme et du futurisme au simul- (1979). ger, où, avec Chuck Jones, Bob Clampett
tanéisme et au suprématisme) ont déjà En double version pour le cinéma et et Ben Hardaway, il contribua à l’inven-
conquis. Avec Viking Eggeling, Hans la TV, il a dirigé Aidez-moi à rêver (Aiu- tion de la superstar des Looney Tunes,
Richter, Walter Ruttmann, Oskar Fischin- tami a sognare, 1981), un musical nos- Bugs Bunny. Tex, un géant borgne hilare
ger, elle anime la peinture et la fait deve- talgique (chorégraphies de Hermes qui s’adonnait aux farces, créa aussi le
nir. En France, cette recherche demeure Pan) qui se déroule en Émilie pendant chien Droopy, lugubre et balbutiant, chiot
concrète, figurative. Fernand Léger, la dernière guerre, à l’arrivée des Améri- minuscule qui s’oppose (à la manière de
Man Ray, Jean Grémillon, Henri Cho- cains. Il signe ensuite Dancing Paradise Buster Keaton) à des troupeaux de mou-
mette prennent leurs matériaux dans le (1982), Zeder (1983), la Balade inou- tons voraces, à des bandes de hors-la-loi,
monde réel et les soumettent aux trans- bliable (Una gita scolastica, 1984), Une à des taureaux furieux, ou à son propre
figurations de la lumière, de la vitesse, saison italienne (Noi tre, id.), Impiegati double.

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

À la Warner, il contribue également à in the Big City, 1978) et dans la Formule le Prince du Jutland (Prince of Jutland,
l’élaboration du canard Daffy Duck, du (The Formula, 1980). Après une comé- 1993), coproduction européenne d’initia-
pingouin Chilly Willy, de l’écureuil fou die, les Voisines (The Neighbours, 1982), tive britannique et Laila la pure (Laila den
Screwy Squirrel et de l’imbécile Elmer il poursuit sa carrière avec la saga des rene, 2001).
Fudd. Ses pas le conduisent encore à Karaté Kid et un Rocky V (1990).
la Universal, la Paramount et à la MGM AXELROD (George), scénariste et réalisa-
sous Fred Quimby, enfin aux studios pu- AVIV (Nurith), chef opératrice israélienne teur américain (New York, N. Y., 1922).
blicitaires Cascade, où se termine sa car- (Tel Aviv 1945). Auteur de comédies de théâtre à succès,

rière. Devenu légendaire parmi les autres Photographe de presse en Israël il fait porter sa satire sur les fantasmes

animateurs, énormément copié, il a posé puis diplômée de l’IDHEC à Paris en érotiques de la petite bourgeoisie (The
sa marque sur un style de récit à base 1967. Chef-opératrice de nombreux réa- Seven Year Itch) ou sur les ambitions
de répétitions folles, de changements de lisateurs (cinéma et TV) dont René Féret des cols blancs (Will Success Spoil Rock
taille colossaux (le canari géant, le pyg- (Histoire de Paul), René Allio (Moi, Pierre Hunter ?), il illustre sur le mode burlesque

mée demi-portion, histoires rituelles de Rivière...), Agnès Varda (Daguerréo- les quiproquos engendrés par un chan-

puces et d’éléphants), d’obsessions de types, L’une chante l’autre pas, Jane B. gement de sexe (Goodbye Charlie) ; ces
par Agnès V.) et, en Israël, Amos Gitai trois pièces seront plus tard portées à
vacarme ou d’insomnie, de boulimies
(Journal de campagne, Berlin-Jérusa- l’écran. Au cinéma, il prend pour cible un
extraordinaires (Billy Boy), de fixations
lem), elle coréalise avec Eglal Errera le monde régi par le principe de représen-
sexuelles délirantes centrées sur des
long métrage documentaire Kafr Qara, tation : publicité politique, prostitution de
créatures de contes de fées (Cendrillon,
(ISR, 1988), puis Makom, Avoda (LM luxe, spectacle. Ses scénarios, mêlant,
le Petit Chaperon rouge, devenues pro-
DOC, 1997), sur un village coopératif à la mode des années 60, causticité chic
vocantes bombes sexuelles), toutes attri-
agricole où les habitants israéliens tra- et romantique (Diamants sur canapé,
buées au même loup libidineux. Il a créé
vaillaient la terre avec les Palestiniens du B. Edwards, 1961), sont centrés sur un
le Long isnt it ?, gag reposant sur le pas-
village voisin, jusqu’à ce qu’un des Israé- thème privilégié : la confusion, qui peut
sage interminable d’un objet oblong de-
liens soit assassiné sans que l’on puisse naître d’une manipulation psychologique
vant l’écran, mystifié les projectionnistes
découvrir le meurtrier. En conséquence, (Un crime dans la tête, J. Frankenheimer,
en dessinant des poils directement sur
les habitants décident de ne plus em- 1962) ou d’une brutale irruption de la fic-
pellicule ; et, dans sa dérision des fables
ployer les Palestiniens, mais recourent tion dans la réalité (Deux Têtes folles,
édifiantes de gentilles créatures de la
à de la main-d’oeuvre étrangère, notam- R. Quine, 1964, d’après la Fête à Hen-
forêt ou de gnomes cordonniers, il a su
ment thaïlandaise. Nurith Aviv révèle par riette de Duvivier ; Comment tuer votre
s’imposer comme l’anti-Disney définitif.
là une dimension méconnue de la vie en femme, id., 1965). Dans la même veine,
Son oeuvre est relativement courte :
Israël. George Axelrod a écrit, produit et réalisé
environ 130 films longs de 5 à 8 minutes,
deux films : Lord Love a Duck (1966)
mais il garde les proportions d’un maître
AWASHIMA (Chikage), actrice japonaise et The Secret Life of an American Wife
satiriste absurde digne d’Edward Lear (Tokyo 1924). (1968).
ou de Kafka. Son univers de contrastes Elle débute au cinéma en 1950, à la
aberrants mène au vertige des infinis. Shochiku. Une des meilleures actrices AYALA (Fernando), cinéaste et produc-
En un sens, ce gagman pascalien, qui, de l’après-guerre, elle est l’interprète de teur argentin (Gualeguay, Entre Ríos,
comme Stirner, a fondé sa cause sur le plusieurs cinéastes importants, dans des 1920 - Buenos Aires 1997).
rien, a dépassé le cadre des courts mé- Issu de l’industrie traditionnelle, il fait des
rôles très divers. Parmi les plus intéres-
trages burlesques pour passer à l’Histoire débuts (Ayer fue primavera, 1954 ; Los
sants, retenons ceux de Eaux troubles
comme un poète visionnaire à la Benja- tallos amargos, 1957) porteurs d’espoirs,
(T. Imai, 1953) ; Printemps précoce (Y.
min Péret ou à la W. C. Fields. Ozu, 1956, où elle est l’épouse de Ryo confirmés par El jefe (1958), portrait d’un
Ikebe), et surtout Relations matrimoniales caudillo latino-américain. El candidato
AVILDSEN (John G.), cinéaste américain
(S. Toyoda, 1955, où elle est la geisha), (1959), écrit comme le précédent par le
(Chicago, Ill., 1936).
film pour lequel elle obtient le prix d’inter- romancier David Viñas, est moins réussi.
Formé dans la publicité écrite et filmée,
prétation féminine au Japon. Associé à Héctor Olivera (Argentinisima,
il est, à partir de 1964, assistant, chef 1969 ; La Patagonia rebelde, 1973 ; La
opérateur, etc., tout en réalisant, pro- AXE. nona, 1979), Ayala fonde l’importante
duisant, photographiant, montant ses Bobines d’un même axe, bandes décou- maison de production Aries. Il est consi-
propres films. Joe, c’est aussi l’Amérique pées dans un même axe de pellicule déré pendant un temps comme l’auteur
(Joe, 1970) surprend par l’acuité du por- vierge, ayant mêmes références et même de transition (avec Torre Nilsson) entre
trait, autant que par la rugosité du style, sensibilité. le vieux cinéma argentin et le nuevo cine
et lui vaut un gros succès. Avildsen, qui (Paula cautiva, 1963). Il préfère finale-
s’appuie déjà sur l’acteur — ici Peter AXEL (Gabriel Axel Mørch, dit Gabriel), ment une ligne commerciale plus confor-
Boyle —, ne cesse ensuite de se mettre cinéaste danois (Aarhus 1918). miste. À l’issue de la dictature militaire, il
au service de vedettes : Jack Lemmon Études dramatiques à Copenhague, réussit assez bien à décrire l’ambiance
dans Sauvez le tigre (Save the Tiger, acteur dans la troupe de Louis Jouvet déliquescente d’une époque caractérisée
1973), Sylvester Stallone, qui en a écrit le (1945-1950). Il tourne de nombreux films par la corruption et l’argent facile dans
scénario, dans Rocky (id., 1976), qui lui pour la télévision au Danemark et en Plata dulce (1982), El arreglo (1983) et
vaut un Oscar, Marlon Brando et George France. Au cinéma, depuis 1955, auteur Pasajeros de una pesadilla (1984).
C. Scott dans la Formule (The Formula, d’une vingtaine de films, dont une saga
1980), le jeune Ralph Maccio dans le Mo- médiévale, la Mante rouge (Den roede AYKROYD (Daniel Edward, dit Dan), acteur
ment de vérité (The Karate Kid, 1984) et kappe, 1968) et de pochades libertines : américain d’origine canadienne (1953 Ot-
ses suites The Karate Kid II (1986), The le Marquis sadique (Jeg en marki, 1967), tawa).
Karate Kid III (1989). Il devient d’ailleurs le Joujou chéri (Det kaere legetoej, 1968). L’un des plus brillants représentants de
le spécialiste des « suites » (Rocky V, Il a acquis une réputation internationale toute une génération de comédiens éclos
1990). Il perd ainsi toute force et toute avec le Festin de Babette (Babettes gaes- dans le sérail télévisuel du Saturday
originalité, excepté dans un mélodrame tebud, 1987, Oscar du meilleur film étran- Night Live, Dan Aykroyd y créa, avec son
incongru : Slow Dancing (Slow Dancing ger). Il réalise ensuite Christian (1989) et complice John Belushi, les personnages

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récurrents des Blues Brothers. Leur po- il tourne son premier long métrage, de la femme à barbe, 1964 ; la Grande
pularité était telle qu’on décida de leur Mektoub, histoire d’un jeune médecin Bouffe, 1973 ; Y’a bon les blancs, 1988).
consacrer un film entier (The Blues Bro- casablancais qui, de passage à Tan- Il est le collaborateur régulier de Luis G.
thers, J. Landis, 1980) : Aykroyd en fut ger, voit sa femme être enlevée par des Berlanga, depuis Plácido (1961) jusqu’à
naturellement l’interprète et le co-scéna- ravisseurs mystérieux. Avec Ali Zaoua la Vaquilla (1985), et de Carlos Saura,
riste, avec le succès que l’on sait. Aupa- (Lm, 2000), allant avec grande sensibi- entre Peppermint frappé (1967) et la Cou-
ravant, il avait déjà tourné quelques films lité à la rencontre des gamins des rues sine Angélique (1973), exception faite de
moins marquants, dont une participation de Casablanca, Nabil Ayouch s’affirme Stress es tres, tres (1968). Désabusé,
à 1941 (S. Spielberg, 1979). Depuis, il a comme l’un des plus prometteurs des un peu misogyne, voire misanthrope,
beaucoup tourné dans des comédies au nouveaux cinéastes marocains de la fin c’est par un humour caustique et parfois
trait large qui n’ont pas laissé de traces du XXe siècle. noir qu’il se fait reconnaître au départ,
durables : S.O.S. Fantômes (I. Reitman, dans ses collaborations avec Ferreri et
1984) et sa suite (1989) ou encore Dra- AYRES (Agnès Hinkle, dite Agnès), actrice Berlanga. Il fait montre avec Saura d’un
gnet (Tom Mankiewicz, 1985) ne repré- américaine (Carbondale, Ill., 1896 - Los registre plus nuancé et, surtout, du sa-
sentent que le haut du panier. Il tourne Angeles, Ca., 1940). voir-faire nécessaire à la structuration
deux films par an en moyenne. Il se gas- Après des courts métrages comiques à de scénarios plus complexes. Il travaille
pille car Un fauteuil pour deux (J. Lan- la Essanay, Agnès Ayres connut la célé- aussi à d’autres films italiens : Il mafioso
dis, 1983) lui a donné l’occasion d’une brité en 1921 quand, dans le Cheikh (The (A. Lattuada, 1962). Il est l’auteur de La
création comique beaucoup plus fine et Sheik, de George Melford), elle éveillait corte de Faraón (J. L. García Sanchez,
Miss Daisy et son chauffeur (B. Beres- la concupiscence de Rudolph Valentino. 1985), de l’Année des lumières (El año
ford, 1989) a prouvé qu’il pouvait jouer Sa collaboration la plus suivie fut celle de las luces, Fernando Trueba, 1986), du
dans un registre plus grave. On en trouve avec Cecil B. De Mille, qui la dirigea très Vol de la colombe (El Vuelo de la paloma,
une confirmation tardive dans Chez les souvent : The Affairs of Anatol (1921), J. L. García Sanchez, 1989), de ¡ Ay Car-
heureux du monde (T. Davies, 2000) les Dix Commandements (1923), entre mela ! (Saura, 1990), de Belle Époque
où Aykroyd est un potentat new-yor- autres. En 1926, elle reprit son rôle au- (F. Trueba, 1992), de Tirano Bande-
kais vulgaire et cynique. Un rôle discret près de Valentino dans le Fils du cheikh ras (J.L. García Sánchez, 1993), de La
mais bien ciselé qui laisse une marque (G. Fitzmaurice), mais sa carrière finit Celestina (Gerardo Vera, 1996), de La
plus profonde que la morne tentative de avec le muet. Elle tenta un retour en 1937 niña de tus ojos (F. Trueba, 1998) et de
renouveler le succès d’antan avec Blues dans Âmes à la mer (H. Hathaway), mais la Langue des papillons (La lengua de las
Brothers 2000 (J. Landis, 1999). Au cours mourut quelques années plus tard d’une mariposas, José Luis Cuerda, 1999).
des années 90 où il tourna peu, il incarna hémorragie cérébrale.
également Mack Sennett dans Chaplin AZEMA (Sabine), actrice française (Paris
(R. Attenborough, 1993). AYRES (Lew), acteur américain (Minnea- 1949).
polis, Minn., 1908 - Los Angeles, Ca., 1996). Ancienne élève d’Antoine Vitez au
AYMÉ (Marcel), écrivain et scénariste fran- Il débute à l’écran en 1928 (il est le par- Conservatoire, elle commence une car-
çais (Joigny 1902 - Paris 1967). tenaire de Greta Garbo dans le Baiser de rière théâtrale et obtient quelques rôles
Auteur pour qui l’imaginaire prend son Jacques Feyder), mais doit sa célébrité au cinéma (la Dentellière, C. Goretta,
vol à partir du réalisme le plus terre à à un seul film : À l’ouest rien de nouveau 1977 ; On n’est pas des anges... elles
terre, il fait ses débuts en 1933 en écri- (L. Milestone, 1930), où il incarne un non plus, Michel Lang, 1981). Mais c’est
vant les dialogues de son roman la Rue soldat pacifiste. Cantonné ensuite dans Alain Resnais qui lui offre, avec La vie est
sans nom (P. Chenal). Le même cinéaste des rôles secondaires (à l’exception de un roman (1983), l’occasion de révéler
lui confie encore ceux de Crime et Châti- Vacances de G. Cukor en 1938) ou des ses talents de comédienne. Son jeu vif et
ment (1935) et des Mutinés de l’Elseneur serials (Dr. Kildare), il reste populaire léger dans Un dimanche à la campagne
(1936). Par la suite, il va dialoguer des jusqu’en 1941 ; se déclarant objecteur (B. Tavernier, 1984) lui vaut le César de
adaptations (le Voyageur de la Toussaint, de conscience, il refuse, quand la guerre la meilleure actrice. Fidèle à ses comé-
L. Daquin, 1943), travailler sur des sujets mondiale éclate, de porter l’uniforme et diens, Resnais lui offre l’Amour à mort
originaux (Papa, Maman, la Bonne et se voit boycotté par les studios. Néan- (1984) et Mélo (1986), et plus tard dans
Moi, J.-P. Le Chanois, 1955) ou fournir la moins, s’étant engagé dans un service Smoking/No smoking (1993) où, en com-
caution de ses propres oeuvres : la Belle médical, il se distingue sous le feu et pagnie de Pierre Arditi, elle assure de
Image (C. Heymann, 1951), le Passe-Mu- retrouve dès 1946 le chemin de l’écran. nombreux rôles à transformations, puis
raille (J. Boyer, id.), la Table aux crevés Il n’y tiendra cependant plus que des em- en 1997 On connaît la chanson. Elle est
(H. Verneuil, 1952), le Chemin des éco- plois épisodiques (Johnny Belinda, J. Ne- l’interprète principale de Zone rouge (R.
liers (M. Boisrond, 1959), la Jument verte gulesco, 1948 ; Tempête à Washington, Enrico, 1986) et joue notamment dans
(C. Autant-Lara, id.), sans qu’aucun de O. Preminger, 1962). En 1976, il produit, la Puritaine (J. Doillon, 1986), la Vie et
ces films retrouve le ton si particulier des photographie et dirige un documentaire rien d’autre (B. Tavernier, 1989), Trois
récits. Seuls Autant-Lara, Aurenche et de 150 minutes, Altars of the World, où Années (Fabrice Cazeneuve, 1990). Aux
Bost le restituent grâce à l’amertume de se reflète sa conception mystique de la antipodes de l’univers de Resnais, elle
la Traversée de Paris (1956). non-violence et qui fait suite à Altars of tourne aussi dans des comédies telles
the East, documentaire en cinq parties que Le bonheur est dans le pré (E. Chati-
AYOUCH (Nabil), cinéaste marocain (Paris tourné en 1955 d’après son propre livre. liez, 1995), le Schpountz (G. Oury, 1999),
1969). Divorcé de Lola Lane, il avait été de 1934 la Bûche (Danièle Thompson, 1999).
Après des débuts en tant que directeur à 1941 l’époux de Ginger Rogers.
de production dans les films publicitaires AZMI (Shabana), actrice indienne (Bom-
dès 1989, il devient réalisateur en 1992 et AZCONA (Rafael), scénariste espagnol bay 1952).
tourne près d’une cinquantaine de spots (Logroño 1926). Son père est le grand poète urdu Kaifi
pour le Maroc, l’Afrique noire et les dépar- Caricaturiste et romancier, son travail Azmi ; sa mère, une célèbre comédienne
tements d’outre-mer. En 1993, il réalise pour l’écran commence auprès de Marco (Shaukat Azmi). Elle étudie l’art drama-
son premier court métrage, Hertzienne Ferreri (El pisito, 1958), un des réalisa- tique à l’Institut de Poona et se voit offrir
Connection, puis un deuxième en 1997, teurs auxquels il reste attaché (El coche- un premier rôle important par Shyam Be-
Vendeur de silence. La même année, cito, 1960 ; le Lit conjugal, 1963 ; le Mari negal dans ‘ la Graine ’ (1973). Elle tourne

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

plusieurs autres films sous la direction du productions internationales : Madame raît notamment dans le Passage du Rhin
même cinéaste : ‘ l’Aube ’ (1975) ; ‘ Un vol Sousatzka (J. Schlesinger, 1988), la Nuit (A. Cayatte, 1960), Un taxi pour Tobrouk
de pigeons ’ (1978) ; Mandi (1983) ; Sus- bengali (Nicolas Klotz, id.), la Cité de la (D. de La Patellière, 1961), la Métamor-
man (1986). Elle se partage entre les films joie (R. Joffé, 1992) In Custody (Ismail
phose des cloportes (P. Granier-Deferre,
d’auteurs : les Joueurs d’échecs (S. Ray, Merchant, 1993).
1977), ‘ Pourquoi Albert Pinto se met en 1965), Paris au mois d’août (id., 1966), Le

colère ? ’ (Albert Pinto Ko Gussa Kyon AZNAVOUR (Shahnour Varenagh Azna- facteur s’en va-t-en guerre (C. Bernard-
Ata Hai, Saeed Mirza, 1980), les Ruines vourian, dit Charles), chanteur-composi- Aubert, id.), Folies bourgeoises (C. Cha-
(M. Sen, 1984), la Traversée (Paar, Gau- teur et acteur français (Paris 1924). brol, 1976), le Tambour (V. Schlöndorff,
tam Ghose, id.), Genesis (Sen, 1986), Chanteur dès son plus jeune âge, il mène 1979), Qu’est-ce qui fait courir David ? (É.
Pestonjee (Vijaya Mehta, 1988), ‘ Sou- à partir de 1956 (Une gosse sensass, de Chouraqui, 1982), Viva la vie (C. Lelouch,
dain, un jour ’ (Sen, 1989), Sati (Aparna R. Bibal) une double carrière d’acteur aux
1984), Mangeclous (Moshe Mizrahi,
Sen, id.) Patang (Ghose, 1993) et les rôles inégaux et de chanteur-compositeur
1988), Maestro (Marion Hänsel, 1989),
films à vocation populaire : Amar Akbar d’audience internationale. La Tête contre
les Années campagne (Philippe Leriche,
Anthony (Manmohan Desai, 1978), Arth les murs, de Franju, lui vaut un prix d’inter-
(Mahesh Bhatt, 1982), Masoon (Shekhar prétation en 1959, mais son meilleur rôle 1992), Pondichéry, dernier comptoir des

Kapoor, 1982), Godmother (Vinay Shukla, reste celui que lui offre François Truffaut Indes (Bernard Favre, 1997), le Comé-
1999). Elle tourne également dans des dans Tirez sur le pianiste (1960). Il appa- dien (C. de Chalonge, 1997).

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BAAROVA (Ludmila Babková dite Lida),
b
Cesar Monteiro, Jean-Claude Guiguet ou lant quelques rôles de composition dans
actrice tchécoslovaque (Prague 1914 – Paul Vecchiali. Elle prête son concours ‘ la Révolte ’ (Mjatež, Semen Timochenko,
Salzbourg, Autriche, 2000). à de nombreux jeunes cinéastes notam- 1929), ‘ le Complot des morts ’ (Zagovor
Très active en Tchécoslovaquie et en ment Bernie Bonvoisin (les Démons mertvyh, 1930), ‘ le Retour de Nathan
Allemagne au cours des années 30, elle de Jésus, 1997), Laurent Bouhnik, Mi- Becker ’ (Vozvrašenie Nejtana Bekkera,
apparaît dans Okénko (V. Slavinsky, chel Couvelard, veillant à préserver sa B. Chpis et R. Milman, 1932), ‘ le Premier
1933), Barcarole (G. Lamprecht, 1935), personnalité d’interprète à la fois distante Peloton ’ (Pervyi vzod, V. Korch-Sabline,
Patriotes (K. Ritter, 1937), Virginité et subtile dans l’expression. id.) et ‘ Deux fois né ’ (Dvaždy roždennyj,
(Vavra, id.), l’Été flamboyant (Ohnivé léto, Édouard Archanski, 1934). Sa création
BABENCO (Héctor), cinéaste brésilien du rôle de Tchapaiev dans le film homo-
F. Cap et V. Krska, 1939), la Fille en bleu
d’origine argentine (Buenos Aires 1946).
(Divka v modrém, Vavra, 1940), l’Amante nyme (1934) de Sergueï et Gueorguï
Il tourne le documentaire O Fabuloso Fit-
masquée (id., id.), la Turbine (id., 1941). Vassiliev le hisse au sommet de la célé-
tipaldi (1972), remonté et signé par son
Impliquée dans une relation amoureuse brité : il devient alors l’archétype du héros
producteur Roberto Farias. Il débute dans
avec Josef Goebbels, qui se voit contra- révolutionnaire, combattant convaincu et
la fiction par le portrait d’un bohème, O
riée par ordre d’Hitler (lequel ira jusqu’à fin stratège. Dans les Amies (L. Arnch-
Rei da Noite (1975), être amoral et soli-
interdire en Allemagne la diffusion des tam, 1936), il reprend plus ou moins son
taire. Lúcio Flávio, o Passageiro da Ago-
films de Baarova), elle fuit d’abord dans rôle de Tchapaiev, mais il apparaît en es-
nia (1977), vu par cinq millions de Bré-
son pays natal en 1938, puis en Italie pion dans la Défense de Tsaritsyne (Obo-
siliens, expose la collusion entre police
en 1941. On lui prête au cours de ces rona Caricyna, S. et G. Vassiliev, 1942).
et criminels et l’utilisation politique des
années tumultueuses diverses activités On le voit encore dans ‘ les Invincibles ’
escadrons de la mort. Pixote, la loi du
d’espionnage antinazi. Poggioli l’invite (S. Guerassimov et M. Kalatozov, 1942),
plus faible (Pixote, a Lei do Mais Fraco,
à tourner Un chapeau de prêtre (1944). l’Actrice (Aktrisa, L. Trauberg, 1943), His-
1980), sur les mineurs délinquants, glisse
Elle retourne à nouveau à Prague après toire d’un homme véritable (A. Stolper,
du constat vers l’introspection. Babenco
la guerre — ville où elle fut emprisonnée 1948), la Grande Force (F. Ermler, 1950),
emprunte des codes classiques, mais
pendant plus d’un an pour ses amitiés Jeunesse inquiète (Alov et Naoumov,
explore l’âpre ambiance urbaine avec
antérieures avec le régime du IIIe Reich 1954), Annouchka (B. Barnet, 1959),
efficacité. En 1985, il réalise le Baiser de
— puis revient tourner en Italie quelques ‘ Ivan Rybakov ’ (B. Ravenskih, 1961),
la femme araignée (O Beijo da Mulher
films dont Gli amanti di Ravello (F. De ‘ la Fuite de M. McKinley ’ (M. Chveitzer,
Aranha) qui rencontre un succès interna-
Robertis, 1951) et les Vitelloni (F. Fellini, tional, en 1987, Ironweed – la Force d’un 1975).
1953). destin (Ironweed) et en 1990 En liberté Il a tourné en tant que réalisateur : ‘ les
dans les champs du Seigneur (At Play in Champs natals ’ (Rodiye polja, 1945) et
BABE (Fabienne), actrice française (Paris
the Fields of the Lord), ces deux derniers ‘ Histoire de l’« Invincible » ’ (Povest’ o
1962).
aux États-Unis. Après une longue mala- « Neistovom », 1947).
On la remarque en 1985 dans Hurle-
die Babenco revient à la Mar del Plata
vent, de Rivette, une année seulement BABURAO PAINTER PAINTER
de sa jeunesse pour y filmer un récit en
après ses débuts à l’écran, puis dans partie autobiographique, écrit en colla-
Fatherland de K. Loach (1986). Après boration avec l’écrivain argentin Ricardo BAC (André), chef opérateur français (Paris
quelques films notamment en Suisse Piglia : Coeur allumé (Corazón iluminado/ 1905 - id. 1989).
en 1988 (Zanzibar de Christine Pascal Coração iluminado, 1998). D’abord reporter photographe, chef
et All out de Thomas Koerfer), elle est opérateur depuis 1945, il participe (en
l’inoubliable protagoniste du Bar des rails BABOTCHKINE (Boris) [Boris Andreevi collaboration avec Page, Douarinou et
de Cédric Kahn (1991) et elle intervient Babokin], acteur et cinéaste soviétique Pecqueux) au tournage du reportage de
dans une série de films qui lui confèrent (Saratov 1904 - Moscou 1975). Jean Grémillon sur la Normandie mar-
une image d’actrice exigeante, voire Acteur de théâtre, il interprète à la char- tyre, le 6 Juin à l’aube (1946), puis signe
intellectuelle, sous la direction de João nière du cinéma muet et du cinéma par- la photo, toujours très élaborée dans sa
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simplicité, de nombreux courts métrages pendant la longue agonie de Bogart, qui BACALOV (Luis Enrique), musicien italien
et de quelques films importants : le mettra fin, en 1957, à douze années de d’origine argentine (San Martín, Buenos
Point du jour (L. Daquin, 1949), Noces mariage, jalonnées par quatre films en Aires, 1933).
de sable (A. Zwoboda, id.), Occupe-toi commun). Le mélodrame Écrit sur du Pianiste classique en Amérique du Sud
d’Amélie (C. Autant-Lara, id.), l’Auberge vent tempère légèrement cette image, et en Espagne, il commence à travailler
Rouge (id., 1951), le Dialogue des car- estompe son relief, privilégie une certaine dans le cinéma italien en 1959, sous le
mélites (P. Agostini et R. P. Bruckberger, vulnérabilité, sans altérer pour autant pseudonyme de Luis Enriquez, pour des
1960), la Guerre des boutons (Y. Robert, la distinction, la drôlerie et le tempéra- petites comédies : La banda del buco
1962). Il a travaillé jusqu’au milieu des ment très direct de la comédienne. Ces (Mario Amendola, 1960) ; I due della
années 60. films mettent plus en valeur une forte legione (Lucio Fulci, 1962). Suivant le
personnalité qu’une actrice (c’est ainsi sillage de Ennio Morricone, il compose
BACALL (Betty Joan Perske, dite Lauren), que Hawks la caractérisait, lucidement). des partitions riches en contrastes et
actrice américaine (New York, N. Y., 1924). Et c’est encore à ce titre, en survivante marquées par les rythmes tropicaux, soit
À dix-neuf ans, Lauren Bacall vient pour des films comiques (La congiuntura,
gouailleuse des années 40, qu’elle a
d’entamer une modeste carrière théâ- E. Scola, 1964 ; Lo scatenato, Franco
animé à la scène Cactus Flower et Ap-
trale (Johnny 2 × 4 ; Franklin Street), Indovina, 1967), soit pour des westerns
plause (version musicale de Eve, qui lui
lorsque la femme de Howard Hawks, (El Chuncho, D. Damiani, 1967), ou
a valu le Tony). Après son dernier grand
« Slim », la remarque en couverture du des drames (À chacun son dû, E. Petri,
rôle, celui de l’émouvante veuve qui vit
Harper’s Bazaar. Le réalisateur la prend 1967 ; L’amica, A. Lattuada, 1969 ; La
un amour en demi-teintes avec un « gun-
personnellement sous contrat. Il voit en rosa rossa, F. Giraldi, 1974). Avec la mu-
man » malade de cancer dans le Dernier
elle une « nouvelle Dietrich, plus cha- sique nostalgique de la Cité des femmes
des géants, le cinéma continue de faire
leureuse », et la prépare à devenir la (F. Fellini, 1980), il devient en quelque
appel à elle mais pour des rôles de com-
partenaire de Humphrey Bogart dans le sorte l’héritier de Nino Rota. Il compose
plément. Intelligente, Lauren Bacall les
Port de l’angoisse. Il l’aide à exploiter ou en 1988 une musique évocatrice du
accepte de bonne grâce et s’acquitte de
acquérir tous les traits caractéristiques XVIIIe siècle pour La maschera de Fiorella
sa tâche avec l’élégance et le profession-
de la femme hawksienne (esquissée par Infascelli. Il signe encore de nombreuses
nalisme qui sont depuis longtemps asso-
Louise Brooks, Joan Crawford, Carole bandes originales dans les années 90,
ciés à son nom. En raison de son image,
Lombard et Jean Arthur) : allure légère- dont celles de la Trève (F. Rosi, 1996),
les rôles d’éditrice mondaine (Misery) ou
ment androgyne, démarche féline, timbre La frontiera (F. Giraldi, id.), Panni sporchi
de chroniqueuse de mode (Prêt-à-por-
grave. Bacall gagne, par mimétisme, (M. Monicelli, 1999), Milonga (E. Greco,
ter) ne lui posent aucun problème. Mais
l’insolence nécessaire à son rôle. Dans 1999), Il cielo cade (A. et A. Frazzi, 2000),
on la voit parfois dans des emplois plus
l’atmosphère romantique, nonchalante et et deux films de Claudia Florio, La regina
inhabituels (Mr. North). Elle a publié une
quasi musicale d’un film où les combats degli scacchi (1999) et Il gioco (2000).
autobiographie (Lauren Bacall, par moi-
politiques ont vite été relégués au second
même), en 1978 et un livre de mémoires BACH (Charles Joseph Pasquier, dit), ac-
plan, Bogart et Bacall se livrent une des
(Maintenant), en 1995. teur français (Fontanil 1882 - Nogent-le-
joutes amoureuses les plus envoûtantes
des années 40 (« If you want anything, Films : le Port de l’angoisse Rotrou 1953).

all you have to do is whistle »). L’actrice (H. Hawks, 1944) ; Agent secret (H. Shu- Créateur de la chanson la Madelon, fon-

atteint d’emblée son sommet, et fixe d’un mlin, 1945) ; Two Guys from Milwaukee dateur du théâtre phonographique, pre-

coup le registre, relativement étroit, où (D. Butler, cameo, 1946) ; le Grand Som- mier comique au Châtelet, Bach consti-
meil (Hawks, id.) ; les Passagers de la tue avec Laverne un duo comique très
elle évoluera.
nuit (D. Daves, 1947) ; Key Largo (J. Hus- populaire. Il met au point avec la com-
Car son abattage, si réjouissant encore
ton, 1948) ; la Femme aux chimères plicité d’Henry Wulschleger, son metteur
dans le Grand Sommeil, se révèle bientôt
(M. Curtiz, 1950) ; le Roi du tabac (id., en scène attitré, un bonhomme têtu et
un piège. Il force les réalisateurs à dé-
id.) ; Comment épouser un millionnaire bonasse, matois et rusé, qui célèbre les
ployer autour du personnage bacallien un
(J. Negulesco, 1953) ; Les femmes joies de la caserne en poussant la chan-
réseau d’affrontements virils hors duquel
sonnette. Il reste fidèle jusqu’en 1949 à ce
elle ne peut guère jouer qu’un rôle déco- mènent le monde (id., 1954) ; la Toile
d’araignée (V. Minnelli, 1955) ; l’Allée personnage dans une vingtaine de films :
ratif ou, dans l’immédiat après-guerre,
l’Affaire Blaireau (Henry Wulschleger,
tenir l’emploi de garce froide, plus propice sanglante (W. Wellman, id.) ; Écrit sur du
1931), En bordée (id., id.), Tire-au-flanc
à Joan Crawford, Bette Davis et Barbara vent (D. Sirk, 1957) ; la Femme modèle
(id., 1933), Sidonie Panache (id., 1935)
Stanwyck. Delmer Daves (les Passagers (Minnelli, id.) ; The Gift of Love (Negu-
et un populaire Mon curé chez les riches
de la nuit) et John Huston (Key Largo) lesco, 1958) ; Aux frontières des Indes
(J. Boyer, 1939), d’après Clément Vautel.
ne renouvelleront donc pas l’exploit de (North West Frontier, J. L. Thompson,
Hawks, et Bacall devra attendre le Mi- 1959) ; Shock Treatment (D. Sanders,
BACHELET (Jean), chef opérateur français
chael Curtiz de la Femme aux chimères 1964) ; Une vierge sur canapé (R. Quine,
(Azans 1894 - Cannes 1977).
pour triompher dans un rôle de mante id.) ; Détective privé (J. Smight, 1966) ;
Opérateur d’actualités et de films en Rus-
religieuse exploitant à nouveau tout son le Crime de l’Orient-Express (S. Lumet, sie pour Gaumont et Khanjonkov (1912-
potentiel dramatique. 1974) ; le Dernier des géants (D. Siegel, 1914), chef opérateur de quelques-uns
Après ce bref retour au film noir, elle 1976) ; Health (R. Altman, 1979) ; The des premiers films de Renoir (la Fille
s’oriente vers la comédie (Comment Fan (Edward Bianchi, 1981) ; Rendez- de l’eau, Marquita, la Petite Marchande
épouser un millionnaire, Les femmes vous avec la mort (M. Winner, 1988) ; d’allumettes), il se fait connaître par ses
mènent le monde), qui lui fait arborer le Mr. North (Danny Huston, id.) ; Une étoile images raffinées et poétiques. Il travail-
visage d’une femme adulte, accomplie et pour deux (A Star for Two, Jim Kaufman, lera encore pour Renoir (Tire-au-flanc,
sûre d’elle-même. Déliée, suprêmement 1990) ; Misery (R. Reiner, id.) ; Prêt-à- 1928 ; Madame Bovary, 1934 ; le Crime
élégante, mondaine sans afféterie, elle porter (R. Altman, 1994) ; Leçons de de M. Lange, 1936 ; la Règle du jeu,
laisse toujours deviner le tempérament séduction (The Mirror Has Two Faces, 1939, CO), pour Grémillon (la Petite Lise,
d’une lutteuse fière de ses prérogatives B. Streisand, 1996) ; My Fellow Ameri- 1930), Daquin (Nous les gosses, 1941),
(la Femme modèle, son film le plus cans (Peter Segal, id) ; le Jour et la nuit Guitry (le Destin fabuleux de Désirée
accompli dans ce registre, sera tourné (Bernard-Henri Levy, 1997). Clary, 1942), au cours d’une féconde

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carrière qui s’étend jusqu’au milieu des et d’une rare fraîcheur, gagne en fluidité. BACON (Lloyd), acteur et cinéaste amé-
années 50. Primé aux Oscars comme le film précé- ricain (San José, Ca., 1890 - Burbank, Ca.,
dent, Grand Prix du Festival d’Annecy, 1955).
BACHHAN (Amitabh), acteur indien (Alla- Acteur de théâtre puis de cinéma (notam-
L’homme qui plantait des arbres (1987),
habad, Uttar Pradesh, 1942). ment à la Mutual, où il rejoint Charlie Cha-
d’après le récit de Jean Giono, confirme
Il obtient son premier rôle en 1969, dans plin en 1918, et à la Triangle, en 1919),
cette tendance et consacre la renommée
Saat Hindustani de Khwaja Ahmad il dirige de 1921 à 1926 quelques films
internationale du cinéaste. Une dimen-
Abbas, où il interprète le rôle d’un poète. pour Mack Sennett et Lloyd Hamilton puis
sion épique et humaniste ainsi qu’un tra-
Il devient médecin humaniste dans entre à la Warner. Il a réalisé quelque
vail chromatique vibrant, d’une grande
Anand d’Hrishikesh Mukherjee l’année cent films en tous genres, dont un Moby
suivante. Sa popularité croît dans le pu- richesse formelle, organise le récit. Le
Dick avec John Barrymore (1930), des
blic, et il est la grande star des années 70 style de Frédéric Back, dès lors, se carac-
policiers à tendance sociale (San Quen-
et 80, rassemblant autour de son nom les térise par une modification constante de
tin, 1937) et des comédies loufoques
suffrages des spectateurs en quête de l’image tout entière et par une très grande
pour Red Skelton (le Marchand de bonne
héros : Zanjeer (Prakash Mehra, 1973) ; fluidité de la lumière. En 1993, il retrouve humeur, 1949) ou Lucille Ball (Miss Grain
Sholay (Ramesh Sippy, 1975) ; Deewar l’histoire du Canada avec le Fleuve aux de sel, 1949 ; En plein cirage, 1950). Mais
(Yash Chopra, id.) ; Kabhie Kabhie (id., grandes eaux (le Saint-Laurent). Tout il est surtout connu pour avoir signé le
1976) ; Amar Akbar Anthony (Manmohan en réutilisant ses principes précédents, Fou chantant interprété par Al Jolson, qui
Desai, 1977) ; Trishul (Y. Chopra, 1978) ; il tend vers le documentaire et un certain consacra le succès du cinéma sonore, et
Mugaddar Ka Sikandar (Prakash Mehra,
didactisme écologiste, mais il parvient à comme réalisateur de 42e Rue, film voué
id.) ; Mr. Natwarlal (Rakesh Kumar,
recréer la force et la beauté historiques aux chorégraphies de Busby Berkeley
1979) ; Naseeb (Desai, 1981) ; Coolie (id.,
du fleuve avec une imagerie qui dit la vio- dans le cadre approprié d’un music-hall.
1983) ; Inquilab (T. Rama Rao, 1984) ;
lence et l’âpreté de la lutte pour la survie. C’est d’ailleurs à ce registre de la comé-
Mard (Desai, 1985) ; Ajooba, le prince
die musicale scintillante, voire froufrou-
noir (Shashi Kapoor et Guennadi Vassi-
BACK LIGHT. tante, que Lloyd Bacon, metteur en scène
liev, 1989) ; Agneepath (Mukul S. Anand,
Locution anglaise pour décrochage ou constamment populaire, devait peut-être
1990) ; Hum (id., 1991) ; Khuda Gawah
contre-jour. se vouer avec le plus de prédilection.
(id., 1992).
Sa direction, qualifiée par d’aucuns de
BACKUS (James Gilmore Backus, dit fluide, est en fait assez plate et sert seu-
BACK (Frédéric), cinéaste canadien (Sarre-
Jim), acteur américain (Cleveland, Ohio, lement les numéros dansés, réglés par
bruck, Allemagne, 1924).
1913 - Santa Monica, Ca., 1989). d’autres (Gold Diggers of 1937). Parti-
Après des études à l’école des Beaux-
C’est un vétéran de la scène, de la cularité encore plus manifeste dans ses
Arts de Rennes, sous la direction du
films d’après-guerre, dont plusieurs sont
peintre impressionniste Mathurin Mé- radio et du music-hall lorsqu’il débute au
supportables, mais uniquement grâce
heut, il s’installe au Canada en 1948. À cinéma dans Easy Living (J. Tourneur,
aux numéros dansés et à la conviction
Montréal, il enseigne d’abord à l’école 1949). C’est lui qui, dans les années 50,
d’agréables interprètes (Janet Leigh dans
du meuble et à l’école des Beaux-Arts, prête sa voix au grommeleur Mr. Magoo,
réalise des verrières pour différents édi- Walking My Baby Back Home, Jane Rus-
mais son rôle le plus connu est celui du
fices, puis entre, en 1952, à la société sell dans The French Line).
père trop faible de James Dean dans la
Radio Canada, nouvellement créée, où Films : le Fou chantant (The Singing
Fureur de vivre (N. Ray, 1955). On l’a vu
il conçoit des illustrations, des maquettes Fool, 1928) ; Honky Tonk (1929) ; Moby
aussi dans M (J. Losey, 1951), Bas les
et des effets visuels pour les émissions Dick (1930) ; Office Wife (id.) ; 42e Rue
masques (R. Brooks, 1952), Mademoi-
éducatives, tout en s’initiant à la pein- (42nd Street, 1933) ; Prologues (Footlight
selle Gagne-Tout (G. Cukor, id.), Johnny
ture sur verre. En 1968, Radio Canada Parade, id.) ; Wonder Bar (1934) ; Tête
Cool (W. Asher, 1963), Que vienne la nuit
s’adjoint un studio d’animation et Back chaude (Frisco Kid, 1935) ; Chercheuses
(O. Preminger, 1967) ou Peter et Elliott le d’or de 1937 (Gold Diggers of 1937,
entame une carrière de réalisateur qui va
se partager entre deux grandes périodes. Dragon (D. Chaffey, 1977). 1936) ; Femmes marquées (Marked
La première, jusqu’en 1978, nous vaudra Woman, 1937) ; le Révolté (San Quen-
BACLANOVA (Olga), actrice américaine
des films pour enfants inspirés de vieilles tin, id.) ; Un meurtre sans importance (A
légendes canadiennes d’un graphisme d’origine russe (Moscou 1899 - Vevey, Slight Case of Murder, 1938) ; Boy Meets
assez conventionnel influencé par UPA : Suisse, 1974). Girl (id.) ; Menaces sur la ville (Racket
Abracadabra (1970) avec Graem Ross, Sa carrière cinématographique débute Busters id.) ; Terreur à l’Ouest (The Okla-
Inon ou la conquête du feu (1971), ou en 1914 en Russie (Symphonie d’amour homa Kid, 1939) ; Brother Orchid (1940) ;
la Création des oiseaux (1972). Avec et de mort, de V. Tourjansky en 1914 ; Affectionately Yours (1941) ; The Sulli-
Illusion ? (1975) puis surtout Tout-Rien Celui qui reçoit des gifles, d’A. Ivanov- vans (J’avais cinq fils, 1944) ; Miss Grain
(1978), qui dénoncent les dégâts de l’ur- Gaï en 1917), mais elle profite d’une de sel (Miss Grant Takes Richmond,
banisme et la destruction de la nature, tournée aux États-Unis pour s’y fixer en 1949) ; le Marchand de bonne humeur
l’écologiste qui sommeille en lui se ré- 1923. Elle y joue les filles perdues ou les (The Good Humour Man, 1950) ; En plein
veille annonçant une importante évolu- cirage (The Fuller Brush Girl, id.) ; Call
cruelles exotiques dans le Roi de Soho
tion. L’artiste se rebelle contre la violence Me Mister (1951) ; Walking My Baby Back
(M. Stiller, 1928), les Damnés de l’océan
infligée à nos milieux de vie et cherche à Home (1953) ; French line (The French
(J. von Sternberg, id.) et plusieurs films
l’exprimer dans son travail. Il s’écarte de Line, 1954).
de R. V. Lee (Trois Coupables [Three
la technique traditionnelle en dessinant
Sinners], 1928 ; The Wolf of Wall Street,
aux crayons de couleurs sur des feuilles BACRI (Jean-Pierre), acteur et scénariste
1929 ; le Démon des tropiques [A Dan-
d’acétate dont le recto mat rappelle le français (Castiglione [Algérie] 1951).
grain du papier. Avec Crac ! (1981) qui gerous Woman], id.). Le parlant, auquel On connaît ses activités théâtrales, d’ac-
dépeint la société québécoise à travers sa carrière ne résistera pas, lui apporte teur puis d’auteur, mais le cinéma l’em-
la saga d’une chaise à bascule, il signe pourtant son rôle le plus fameux, celui de ploie depuis 1979, tout d’abord dans une
son premier film à tendance naturaliste. l’infidèle Cléopâtre dans la Monstrueuse série de rôles secondaires, parmi lesquels
Son graphisme, d’une grande élégance Parade (T. Browning, 1932). certains exploitent ses origines de pied-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

noir (films d’Alexandre Arcady). Il accède deux beaux films, le Traîneau (A szánkó, BADRAKHAN (Ahmad), cinéaste égyptien
à des personnages plus complexes avec 1955) de Mihály Szemes et Un amour (Alexandrie 1909 - Le Caire 1969).
Diane Kurys (Coup de foudre, 1983) et du dimanche (Bakaruhában, 1957) Il appartient à la vague de techniciens,
surtout Escalier C de Jean-Charles Tac- d’Imre Fehér. Son nom reste associé à producteurs, décorateurs auxquels les
chella (1985), mais il reste souvent dans quelques-unes des oeuvres les plus per- nouveaux studios Mi???, créés en 1934
un univers proche du théâtre : Mes meil- sonnelles du cinéma français : Rendez- au Caire, ont assuré une formation pro-
leurs copains, de J.- M. Poiré (1989), Cui- vous de minuit (R. Leenhardt, 1961), les fessionnelle en Europe avant de leur
sine et dépendances, de Philippe Muyl confier l’ambitieux programme de produc-
Mauvais Coups (F. Leterrier, id.), Kriss
(1993), tiré de la pièce dont il est l’auteur tion de la firme. Dès son retour de Paris,
Romani (J. Schmidt, 1963), Un roi sans
avec Agnès Jaoui, avec qui il est asso- Badrakhan devient premier assistant de
divertissement (Leterrier, id.), Playtime
cié dans l’écriture théâtrale et cinéma- Fritz Kramp sur Widad (1936), musical
(J. Tati, 1967). Il a également travaillé
tographique. Le couple est responsable d’une belle rigueur plastique, avec, en
avec Zinnemann (Et vint le jour de la ven-
de l’adaptation remarquable de la pièce vedette, Umm Kulthum. La carrière du
geance, 1964), Nelly Kaplan (la Fiancée
d’Alan Ayckbourne pour le film Smoking/ cinéaste épouse les genres mis en va-
du pirate, 1969), Dassin (la Promesse de
No smoking réalisé par Resnais, avec leur par les studios Mi???, et d’abord le
l’aube, 1970), Carné (les Assassins de
qui la collaboration se poursuit pour musical, auquel il s’efforce d’assurer une
On connaît la chanson. Dans un genre l’ordre, 1971). qualité dramatique et visuelle (les prises
qui, aux yeux de certains, n’est qu’une de vues sont souvent très soignées) : ‘ la
BADGER (Clarence), cinéaste américain
modernisation intelligente des traditions Chanson de l’espoir ’ (Nashid al-amal) en
(San Francisco, Ca., 1880 - Sydney, Austra-
du boulevard sans qu’on puisse en nier 1936 avec Umm Kulthum, ‘ Un petit rien
lie, 1964).
les qualités, on doit au couple la pièce de rien ’ (Chuya min al-chuya) en 1939
Un air de famille, filmée par Klapisch en Après des études au Boston Polytechnic avec Nagat ‘Ali et, en 1944, un autre
1997, et le scénario du Goût des autres Institute, il entre dans le journalisme, puis succès avec Farid et Ismahan al Atrash,
(Agnès Jaoui, 2000). Acteur très sollicité, écrit des scénarios pour Mack Sennett à ‘ Victoire de la jeunesse ’ (Intiar ash-
il est apprécié dans On connaît la chan- la Triangle-Keystone en 1915. Très vite, shabab). La faiblesse des scénarios et
son, le Goût des autres, ainsi que dans il passe à la mise en scène, tourne des les exigences du box-office vont incliner
Place Vendôme (Nicole Garcia, 1998), films de deux bobines où il infléchit le Badrakhan à des compromis de moins en
Kennedy et moi (Sam Karmann, 1999) – style burlesque de Sennett vers un genre moins heureux. S’il reste un des meilleurs
bien qu’il ait parfois tendance à surjouer de comédie plus sophistiquée : c’est là professionnels de son époque, il ne par-
(Didier, d’Alain Chabat, 1997). qu’apparaissent, notamment, Gloria vient pas à donner un style ni une cohé-
Swanson et Bobby Vernon. En 1918, il sion à une oeuvre qui compte une bonne
BACSÓ (Péter), cinéaste hongrois (Kassa quarantaine de titres, dont quelques
entre au service de Samuel Goldwyn.
[auj. Kosie, Tchécoslovaquie] 1928). machines historico-patriotiques : Mustafa
Pendant les années 20, il sera un auteur
Scénariste pendant une quinzaine Kemal (1952), ou ‘ Dieu est avec nous ’
de comédies parmi les plus réputés.
d’années (notamment pour Anna [1958] (Allah ma’na, 1954). Son ultime succès,
D’une oeuvre abondante, mal connue et
et Deux Mi-Temps en enfer [1961] de Sayyid Darwish (1968), et Nadiya, qu’il
souvent disparue, il faut distinguer Hands
Zoltán Fábri), il signe sa première mise tourne avant sa mort, n’ont plus la qualité
Up (1926) avec Raymond Griffith sur fond
en scène en 1963 : En été c’est simple de ses premiers films.
de guerre de Sécession, dont les gags
(Nyáron egyszer). Très attaché à décrire
ne sont point indignes du Mécano de la
de façon souriante (Cyclistes amoureux BADRAKHAN (‘Ali), cinéaste égyptien (Le
[Szerelmes biciklisták], 1965 ; l’Été sur « General », et It (1927) avec Clara Bow, Caire 1946).
la colline [Nyár a hegyen], 1967) ou plus fort brillante comédie de moeurs autour Fils du précédent et son assistant sur ses
dramatique (À bout portant [Fejlövés], d’une jeune fille des années folles. En deux derniers films. Diplômé de l’Institut
1968) les problèmes de la jeunesse, il sait 1940, il prend sa retraite et s’exile en du cinéma du Caire (1967), assistant
aussi manier la satire politique (le Témoin Australie. de Yusuf Chahin sur le Choix, et le Moi-
[A tanu], 1969) et évoquer avec acuité neau, il réalise son premier film en 1971 :
certains aspects conflictuels du monde BADHAM (John), cinéaste américain d’ori- ‘ l’Amour qui fut ’ (al-ubb al-ladhi kan),
ouvrier (Rompre le cercle [Kitörés], 1971 ; gine britannique (Luton 1939). puis al-Karnak, en 1975, inspiré par les
Temps présent [Jelenid], 1972 ; le Der- Après une bonne expérience à la télévi- répressions politiques sous Nasser. Il a
nier Élan [Harmadik nekifutás], 1973). Il sion, John Badham a débarqué dans le épousé l’actrice Su’ad usni, qu’on re-
est l’auteur de plusieurs comédies telles cinéma de manière tonitruante avec la trouve également dans Shafiqa wa Ma-
que le Raseur rasé (Forró vizet a ko- Fièvre du samedi soir (Saturday Night twali (1979), film « en costumes » assez
paszra, 1972) ou Parlons plutôt d’amour Fever, 1977). Il a ensuite confirmé sa superficiel, et dans une comédie amère,
(Ki beszél itt szerelemrl ?, 1979). En réputation de technicien sans réellement les Gens de la haute (Ahl al-qimma,
1985 il réalise Quelle heure est-il Réveille faire montre d’ambition. On retiendra un 1982), aux côtés de Nur as-Sharif. Cette
matin ? (Hány az óra vekker ùr ?), puis Ti- bon thriller Tonnerre de Feu (Blue Thun- satire de la société cairote ne manque
tanie, Titanie ou la Nuit des doublures (Ti- der, 1978) et un mélo médical assez ni d’humour noir ni de vigueur. La faim
tania, Titania avagy a dublörök ejszakáju, (Al Gu’, 1986), adapté du roman de
réussi, C’est ma vie après tout (Who’s
1988), la Fiancée de Staline (Sztálin N. Mafu, malgré les beaux décors de
Life is it, after all ?, 1979), qui valait
menyasszonya, 1990), Live Show (1992), Salah Marii, demeure en deçà de l’oeuvre
surtout par l’interprétation de Richard
le Retour du témoin (Megint tanú, 1995), et des espoirs attendus.
Dreyfuss et John Cassavetes. Le duo
Jobards et gangsters (Balekok és bandi-
d’acteurs est une formule qui lui réus-
tak, 1996). BAE Chang-ho [PAE Chang-ho], cinéaste
sira souvent. On prend plaisir à suivre le coréen (Taegu, province du Kyongsang
BADAL (János, puis Jean), chef opérateur vieux et le jeune flic (Richard Dreyfuss et du Nord, 1953).
français d’origine hongroise (Budapest Emilio Estevez) dans Étroite Surveillance Diplômé en gestion des entreprises, étu-
1927). (Stakeout, 1990) mais la suite (Another diant de la faculté de commerce de l’uni-
Après ses études à l’École du cinéma de Stakeout, 1993) était plus convenue. Les versité de Yonse, il tourne plusieurs films
Budapest de 1947 à 1951, il s’expatrie années 90 ont d’ailleurs vu Badham som- en 8 mm tout en poursuivant ses études.
en 1957, ayant affirmé son talent dans brer progressivement dans l’anonymat. En 1978 il part au Ghana comme repré-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

sentant de la firme automobile Hyundai. Il BAGUE. qui provoque de violentes réactions au


opte pour le cinéma au début des années Bague allonge, bague intercalée entre sein de l’armée et du parti, entraînant
80 et devient l’assistant de Lee Chang-ho. l’objectif et la caméra pour filmer de très l’interdiction du film et la condamnation
En 1982, son premier film, Les gens d’un près. ( OBJECTIFS.) Bague intermé- de son scénariste rendue publique par un
bidonville (Khobangdongne Saramdûl), diaire, dispositif mécanique permettant article du Journal de l’armée qui réveille
remporte un succès populaire et critique. d’utiliser des objectifs sur une caméra. les douloureux souvenirs de la Révolu-
Bae Chang-ho y décrit de façon quasi tion culturelle et entraîne une vaste cam-
documentaire des personnes démunies, BAHGAT (Nihad), décorateur et peintre
pagne d’opinion. Depuis, Bai Hua a conti-
égyptien (Le Caire 1944).
vivant à la marge de la société coréenne. nué d’écrire. Au printemps 83, sa pièce
Il étudie le décor scénique (université
Sur le même ton réaliste, suivent Des de théâtre la Hallebarde d’or du roi de Wu
américaine du Caire). D’abord accessoi-
hommes de fer (Ch’olindul, id.), Les et l’épée du roi de Yue (Wuwang jinge,
riste, il devient ensuite décorateur, enfin
fleurs équatoriales (Chokdo-ui Kkot, Yuewang jian) a été jouée à Pékin. En
directeur artistique, créant avec un goût
1983), La chasse à la baleine (Koraesa- 1988, il adapte pour le cinéma une nou-
très sûr les cadres les plus étranges ou les
nyang, 1984), Il faisait doux cet hiver-là velle de l’écrivain taiwanais Bai Xianyong
plus simples : Pension Miramar (K. ash-
(Kuhae Kiouln ttattuthaettne, id.), La dont Xie Jin tire le film les Derniers Aristo-
Shaykh, 1969), ‘ la Peur ’ (S. Marzuq,
nuit bleue et profonde (Kip’ko p’uun pam, crates (Zuihou de guizu, 1989).
1972), le Moineau (Y. Chahin, 1973),
id.) et La chasse à la baleine II (1985).
Alexandrie, pourquoi ? (id., 1978), ‘ la Son frère jumeau, Ye Nan (Chen
Hwang Chini (id., 1986), où il fait davan-
Mosquée ’ (al-Akmar, de Hisham Abu al- Zuohua, dit), est également écrivain et
tage preuve de formalisme, marque une
Nar, id.) et ‘ Café Mawardi ’ (Qahwa al- scénariste. En 1962, il collabore avec Xi
rupture. Avec Tendre Jeunesse (Kippun
Mawardi, id., 1982). Il a consacré un court Nong au scénario de ‘ la Bataille navale
uri cholmun nal, 1987) et Bonjour, Dieu ! métrage au peintre Sayf Wali (ar-Rila). de 1894 ’ (Jiawu fengyun de Lin Nong).
(Annyonghaseyo hananim, 1988), il es-
En 1979, il écrit le scénario de Aolei Yilan
saie de parvenir à son style cinématogra- BAHLOUL (Abdelkrim), cinéaste algérien de Tang Xiaodan en deux épisodes et de
phique propre, en combinant un réalisme (Rebahia 1950).
‘ Une forêt au bout du monde ’ (Lühai tia-
de documentariste et une exigence d’écri- Après des études de lettres, il suit les
nya de Shu Shi). En 1980, ‘ Nuit pluvieuse
vain. Grâce à Le rêve (Kk’um, 1990), un cours de l’IDHEC et fait ses premiers pas
à Bashan ’ (Bashan yeyu de Wu Yigong
drame historique, il s’impose comme l’un de réalisateur à la télévision française.
— sous la supervision du Wu Yonggang).
des réalisateurs les plus talentueux de sa Il réalise, en 1975, un premier court
génération. Après l’Escalier du paradis métrage, la Cellule (CM), puis en 1978
BAILLIE (Bruce), cinéaste expérimental
(Ch’on’ guk-ui kyedan, 1992), le Jeune la Cible (CM). En 1984, A. Bahloul signe
américain (Aberdeen, S. D., 1931).
Homme (1994) et Love Story (1995) son premier long métrage, le Thé à la
Après avoir étudié le cinéma à l’université
constituent ses meilleures oeuvres. Il y menthe, puis en 1991 Un vampire au pa-
de Minnesota, puis à Londres, il réalise à
développe son thème de prédilection : radis, et en 1996 les Soeurs Hamlet. Avec
San Francisco son premier film On Sun-
la recherche d’une humanité perdue par la Nuit du destin (1997), sur un scénario
days (1960-61). Ce portrait d’une jeune
le biais de l’amour et des émotions. En coécrit avec Pascal Bonitzer, il évoque la
Chinoise émigrée est, dit-il, « un mélange
1999, il réalise Mon coeur (Jung). tentation du retour dans son pays d’un
de documentaire et de fiction ». Tels se-
vieil Algérien installé à Paris.
ront ses principaux films : Mass (1964),
BAFFLE.
BAI HUA (Chen Youhua, dit), écrivain, dédié aux Indiens Sioux et structuré
Grande plaque rigide, comportant au
poète et scénariste chinois (Xinyang, comme une messe, avec Introït et Gloria,
voisinage de son centre un trou derrière
Henan, 1930). Castro Street (1966), « film en forme de
lequel on fixe un haut-parleur, destinée
Il commence à écrire au lycée. À moins de rue », ou Valentin de las Sierras (1968).
à améliorer le rendement de ce haut-
17 ans, il s’engage dans l’armée commu- Quixote (1964-65) est un bon exemple de
parleur. Ce terme est parfois employé,
niste. À partir de 1949, il s’affirme comme ce réalisme lyrique. Il passe ensuite à un
improprement, pour enceinte acoustique.
écrivain et publie poèmes et nouvelles registre plus grave (et plus abscons) avec
( HAUT-PARLEUR.) Le mur THX est une
ainsi que deux scénarios : ‘ le Convoi ’ Quick Billy (1971). Il avait fondé Canyon
forme de baffle ou d’écran acoustique qui
(Shanjian lingxiang mabang lai, Wang Cinema (1961), principal lieu du film ex-
a pour rôle d’améliorer le rendu sonore
Weiyi, 1954) et ‘ l’Escadron tibétain ’
aux fréquences basses. périmental en Californie.
(Zangmin qibingdui). Condamné comme
droitier en 1957, il traverse ensuite près BAINTER (Fay), actrice américaine (Los
BAGHDADI (Maroun), cinéaste libanais
de vingt ans d’obscurité (il réussit néan-
(Beyrouth 1950 - id. 1993). Angeles, Ca., 1891 - id. 1968).
moins à publier une pièce de théâtre en
Journaliste au Liban alors qu’il est en- Elle débute au cinéma à plus de quarante
1962, qui est alors primée) et c’est seu-
core étudiant, il vient à Paris et se forme ans, après une longue carrière théâtrale,
lement après la chute de la « bande des
à l’IDHEC. Il tourne avec des moyens se spécialisant dans les rôles de mère de
quatre » qu’il peut à nouveau donner sa
minimes un premier film sur le conflit famille à la vertu solide, voire empesée.
mesure comme un écrivain prolifique qui
libanais, Beyrouth, ya Beyrouth, qui est Soeur de Katharine Hepburn dans Pour
touche à tous les domaines. Il écrit en
le brouillon de Petites Guerres (1982), un baiser (G. Stevens, 1937), épouse de
particulier plusieurs scénarios de films :
le film qui le révèle au public. Il tourne Thomas Mitchell dans Place aux jeunes
‘ l’Aurore ’ (Shuguang, Shen Fu, 1979),
ensuite en France l’Homme voilé (1987), (L. McCarey, id.), épouse de Claude
sur les luttes fratricides qui ont déchiré
inspiré des mêmes événements, puis Rains et courtisée par Donald Crisp dans
le parti communiste dans les années 30 ;
Hors la vie (1991) qui évoque la situation Filles courageuses (M. Curtiz, 1939),
‘ Ce soir, les étoiles brillent ’ (Jinye xing-
des otages. Le style percutant de ce film guang canlan, Xie Tieli, 1980), où il s’ins- mère de Danny Kaye dans la Vie secrète
l’amène à tourner la Fille de l’air (1993) pire de ses souvenirs de jeune soldat de Walter Mitty (N. Z. McLeod, 1947),
d’après un fait divers authentique. Il est pendant la guerre civile ; ‘ la Princesse elle reçoit un Oscar (« best supporting
mort accidentellement à Beyrouth où ré- Paon ’ (Kongxue gongzhu), d’après une actress ») pour l’Insoumise (W. Wyler,
sidait sa famille. Il a également travaillé légende du Yunnan, une région où il a 1938), où elle est la tante de Bette Davis,
pour la télévision française à partir de vécu de nombreuses années ; et surtout et joue son dernier rôle dans la Rumeur
1988. ‘ Amour amer ’ (Kulian, Peng Ning, 1981) (id., 1962).

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

BAISHO (Mitsuko), actrice japonaise (préf. id., 1959) ; Jin Yuji (Wang Jiayi, 1960) ; BAKER (Carroll), actrice américaine
d’Ibaragi, 1946). le Prunus d’hiver (Dongmei, Wang Yan, (Johnstown, Pa., 1931).
Elle débute avec sa soeur aînée Chieko 1961). Désignée en 1956 comme l’une Après des débuts comme danseuse
dans la troupe Kagekidan de la Shochiku des cinq comédiennes les plus appré- de night-clubs, un passage par l’Actors
en 1965, avant de passer aux studios en ciées du public, elle est nommée, l’année Studio et quelques pièces à Broadway,
1967, où elle interprète des femmes de suivante, vice-présidente de l’Associa- c’est George Stevens qui la fait sérieu-
tempérament dans plusieurs films, dont tion des cinéastes. Élue à trois reprises sement débuter à l’écran en 1956 dans
le Baladin aveugle (1977), de Kaneto député à l’Assemblée nationale populaire Géant (elle était fugitivement apparue en
Shindo. Elle apparaît dans Kagemusha avant la révolution culturelle, elle devient 1953 dans Easy to Love de Ch. Walters).
(1980), et dans Rêves (1990), d’Akira Ku- membre du comité de la Conférence La notoriété lui arrive avec Baby Doll
rosawa, mais ce sont ses rôles de femme consultative politique. Elle est l’auteur de (1956). Sous la direction d’Elia Kazan,
énergique dans les films de Shohei Ima- Notes sur l’interprétation cinématogra- elle obtient un gros succès personnel,
mura qui la révèlent à l’étranger : La phique (1979). Bai Yang reste appréciée autant, semble-t-il, pour des raisons de
Vengeance est à moi (1979 ; Eijanaika, surtout pour son naturel, sa réserve et scandale (les allusions sexuelles y sont
1981 ; la Ballade de Narayama, 1983 ; la qualité de ses interprétations. En cin- innombrables et parfaitement explicites)
Zegen, 1987 ; l’Anguille, 1997). M. Baisho quante ans de vie artistique, elle a été la que pour son talent propre. La suite de
est également l’interprète de nombreux vedette d’une trentaine de films et d’une sa carrière n’allait pas confirmer ce coup
autres films, dont ceux de Sogo Ishii quarantaine de pièces de théâtre. d’éclat. Tout juste peut-on citer deux rôles
(Crazy Family, 1984), Tatsumi Kumashiro à contre-emploi dans deux westerns de
BAJON (Filip), cinéaste polonais (Pozna, John Ford, la Conquête de l’Ouest (1962)
(Love Letter/Koibumi, 1985), Nobuhiko
1947). et les Cheyennes (1964). Dans les Ambi-
Obayashi (la Fille qui parcourt le temps,
Diplômé en droit, il étudie à l’école supé- tieux (E. Dmytryk, 1964), elle personnifie
1997), ou Jun Ichikawa (la Berceuse de
rieure de cinéma de odz. Après quelques une star dans laquelle il était bien difficile
Tokyo/Tokyo Yakyoku, 1997).
essais à la TV : ‘ le Retour ’ (Powrót, 1976), de ne pas reconnaître Jean Harlow, avant
‘ le Record du monde ’ (Rekord wiata, d’interpréter la biographie de la même
BAI YANG (Yang Chengfang, dite), actrice
1977), ‘ le Pays vert ’ (zielona ziemia, actrice sous la direction de Gordon Dou-
chinoise (Pékin 1920 - Shanghai 1996).
1978), il se fait connaître par son premier glas (Harlow, la blonde platine, 1965).
À l’âge de onze ans, elle tient son premier
long métrage de cinéma Aria pour un ath- Son dernier film notable est un policier du
rôle dans Nouveaux Chagrins dans le pa-
lète (Aria dla atlety, 1979). Les oeuvres même Gordon Douglas : Sylvia (1965).
lais (Gugong xinyuan, Hou Yao, 1932).
suivantes ont conforté la place impor- Elle tourne à partir de 1966 plusieurs
Puis elle se fait connaître au théâtre, en
tante qu’il occupe parmi les metteurs en films peu convaincants en Italie et en
particulier dans la Dame aux camélias
scène polonais des années 70-80 : 1901, Espagne, et on ne la retrouve au géné-
(Chahua nü, 1934). Mais c’est son rôle
enfants en grève (Wizja lokalna, 1901, rique d’un film américain qu’en 1977 (Bad
dans le film Carrefour (Shizi jietou, Shen
1980), ‘ la Pendalette ’ (Wahadeko, T.V., [Andy Warhol’s Bad], de Jed Johnson).
Xiling, 1937), aux côtés de Zhao Dan,
1981), Une limousine Daimler-Benz (Li- En 1987, elle tourne aux côtés de Meryl
qui la révèle au grand public, à moins
muzyna Daimler-Benz, 1982), ‘ Engage- Streep Ironweed – la Force d’un destin
de dix-sept ans. Pendant la guerre, elle
ment ’ (T.V. 1984), ‘ le Magnat ’ (Magnat, d’Héctor Babenco et en 1997 aux côtés
se consacre principalement au théâtre
1987), ‘ Bal à la station Koluszki ’ (Bal na de Michael Douglas dans The Game de
au Yunnan et au Sichuan, ce qui lui vaut
dworcu w Koluszkach, 1989). Mieux vaut David Fincher.
d’être couronnée l’une des quatre meil-
être belle et riche (Lepiej by pi¸ekna i bo-
leures comédiennes de Chongqing.
gota, 1993), Poznán 56 (1996), l’Avant- BAKER (Joséphine), danseuse, chanteuse
À cette époque, elle joue également
printemps (Przedwionie, 2001). et actrice française d’origine américaine
dans trois films : Fils et Filles de Chine
(Saint Louis, Mo., 1906 - Paris 1975).
(Zhonghua ernü, Shen Xiling, 1939) ; Dix BA KOBHIO (Bassek), cinéaste camerou- La triomphante étoile de la Revue nègre
Mille Lis de ciel (Changkong wanli, Sun nais (Yaoundé 1957). présentée à Paris en 1925, au corps ma-
Yu, 1940) ; Jeune Chine (Qingnian Zhon- Né de parents instituteurs, il ambitionne gnifique, à la voix mélodieuse, possédée
gguo, Su Yi, id.). De retour à Shanghai, tout d’abord de devenir écrivain et reçoit par le démon du rythme et de la danse,
après la guerre, elle revient au cinéma et, à dix-neuf ans un prix pour la meilleure est sollicitée par le cinéma dès 1926 (elle
comme elle est très célèbre, elle est en- nouvelle de langue française au Came- tourne dans un court métrage : la Folie
gagée par les studios gouvernementaux roun. Inscrit à l’université de Yaoundé, du jour). L’année suivante, elle fait partie
malgré ses sympathies avouées pour les il obtient une maîtrise de sociologie puis de la Revue des revues. Elle ne retrouve
communistes. Elle tourne, en 1947, pour un DEA de philosophie. Parallèlement à pas sur l’écran ses succès de la scène,
la compagnie progressiste Kunlun, deux ses études, il devient assistant réalisateur d’où sa brève filmographie : un film avec
films dont elle est la vedette incontes- dès 1977 et travaille aux côtés de Claire Gabin : Zouzou (M. Allégret, 1934), un
tée : Huit Mille Lis de lune et de nuages Denis pour son film Chocolat (1987). autre tourné par E. T. Gréville (Princesse
(Baqianli lu yun he yue, Shi Dongshan) et Après un documentaire en 1988, Fes- Tam-Tam, 1935), et un rôle épisodique
les Larmes du Yangtsé (Yijiang chunshui tac, il tourne en 1991 son premier long dans Fausse Alerte (J. de Baroncelli,
xiang dong liu, Cai Chusheng et Zheng métrage, Sango Malo, sélectionné au 1945 [RÉ 1940]).
Junli), en deux parties, qui eut un succès Festival de Cannes dans la section « Un
exceptionnel. En 1948, elle se réfugie à certain regard », filmant l’arrivée dans BAKER (Roy Ward), cinéaste anglais
Hong Kong où elle joue dans des films une campagne retirée d’un jeune maître (Londres 1916).
progressistes comme Crémation (Huo d’école progressiste, voire libertaire aux Il est assistant à partir de 1934. De 1947 à
zang, Zhang Junxiang, 1948). Revenue yeux des parents. Dans le Grand Blanc 1967, ses films relèvent de la production
en Chine, elle poursuit sa carrière : Le- de Lambaréné (1995), il met en scène la commerciale de qualité, sauf Troublez-
vons-nous et demain (Tuanjie qilai dao vie africaine du Dr Albert Schweitzer et moi ce soir (Don’t Bother to Knock), film
mingtian, Zhao Ming, 1951) ; Pour la paix l’opposition que celui-ci a progressive- policier nerveux, tourné aux États-Unis
(Weile heping, Zuo Lin, 1956) ; le Sacri- ment rencontrée sur le terrain à la fin de en 1952, avec Marilyn Monroe et Richard
fice du nouvel an (Zhufu, Sang Hu, id.) sa vie. À côté de son travail de cinéaste, Widmark, Atlantique latitude 41° (A Night
d’après une nouvelle de Lu Xun ; Le prin- Ba Kobhio poursuit sa création littéraire et to Remember, 1958), transposition dense
temps règne partout (Chun man renjian, publie régulièrement. de l’histoire du Titanic, et le Cavalier noir

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

(The Singer Not the Song, 1961), qui Clés de la citadelle (A Prize of Arms, Cliff BALABANOV (Alekseï), cinéaste russe
mêle l’homosexualité à la critique de la Owen, id.) ; Eva (Losey, id.) ; À la fran- (Sverdlovsk 1959).
religion. Après 1967, il se partage entre çaise (R. Parrish, 1963) ; Zoulou (Zulu, Après un documentaire : Nastia et Iegor
les feuilletons télévisés et les films fantas- Endfield, 1964, également coprod.) ; les (1990), il rejoint les studios Lenfilm et fait
tiques ou de science-fiction pour la plu- Sables du Kalahari (Sands of the Kalahari des débuts très remarqués en adaptant
part, produits par la Hammer, auxquels le [id.], 1965, également coprod.) ; Dingaka les Jours heureux de Samuel Beckett
classicisme de son style apporte sérieux (James Uys, id.) ; Accident (id., Losey, (SastLivye dni, 1991) et le Château de
et profondeur : les Monstres de l’espace 1967) ; Trois Milliards d’un coup (Rob- Franz Kafka (Zamok, 1994).
(Quatermass and the Pit, 1967), Docteur bery, P. Yates, id., également coprod.) ; En 1996 il signe le troisième (et le meil-
Jekyll and Sister Hyde (id., 1971), Asylum leur) épisode (Trofim) d’un film en hom-
la Fille au pistolet (M. Monicelli, 1968) ;
(id., 1972). mage aux frères Lumière l’Arrivée d’un
Where’s Jack ? (J. Clavell, id., également
coprod.) ; The Games (M. Winner, 1970) ; train (Pribytije pojesda) et coréalisé par
BAKER (sir Stanley), acteur britannique
Zorro (id., D. Tessari, 1975). Vladimir Khotinenko, Dmitri Meskhiev
(Ferndale, pays de Galles, 1928 - Malaga, et Aleksandr Khvan. Son film suivant le
Espagne, 1976).
BAKSHI (Ralph), cinéaste américain d’ori- Frère (Brat, 1997) introduit un nouveau
Fils de mineur, il débute au cinéma en
gine russe (New York, N. Y., 1939). personnage des temps modernes : le che-
1943 dans un rôle d’adolescent (Under-
À l’École d’art industriel de Manhat- valier-tueur dans un récit qui donne un ta-
cover) et entre dans la troupe théâtrale
tan, où il accomplit ses études, il mani- bleau assez cru de la crise morale traver-
du Birmingham Repertory en 1945. Dès sée par la Russie d’après — perestroika.
feste un vif intérêt pour le dessin. Il est
1949, on lui propose surtout des rôles Dans Des monstres et des hommes (Pro
d’abord engagé par la CBS en tant que
de militaires ou d’aventuriers qui corres- urodov i ljudej 1998) Balabanov aborde
dessinateur de maquettes pour films
pondent à sa large carrure et à l’aspect un dans un style rappelant l’univers photo-
peu « brute » de son visage. Il commence publicitaires, puis il fonde en 1971, avec
graphique de la fin du XIXe siècle les rap-
Steve Krantz, la Bakshi-Krantz Anima-
à échapper à cette spécialisation lorsque ports de classe sado-masochistes vus à
Laurence Olivier lui demande d’incarner tion Steve Krantz Productions, pour la-
travers un prisme d’amoralité très esthé-
Henri Tudor, duc de Richmond, vainqueur quelle il tourne, d’après la BD de Robert
tique. En 1999 le Frère 2 (Brat 2) donne
de la fameuse bataille de Bosworth (Ri- Crumb, son premier long métrage (Fritz
une suite aux aventures plus cyniques
chard III, 1956). Mais c’est Joseph Losey le Chat [Fritz the Cat], 1972), véritable
que romantiques d’un antihéros de notre
qui l’impose définitivement comme acteur bombe dans l’univers du dessin animé :
époque.
de premier plan en révélant l’étendue de sexualité, drogue, etc., tous les mythes
son registre. Il est l’« inspecteur » de l’En- de la contre-culture, alors à la mode, se BALASKO (Josiane), actrice, scénariste et
quête de l’inspecteur Morgan (1959), le donnent rendez-vous dans un domaine cinéaste française (Paris 1952).
gangster évadé des Criminels (1960), le demeuré jusque-là assez prude. Bakshi Après des cours d’art dramatique, elle
romancier déchu d’Eva (1962) et le pro- expérimente, par la suite, diverses tech- entre dans la troupe du Splendid en
fesseur d’université dilettante d’Accident niques comme le mélange de dessin et 1975. Très vite, elle participe à l’élabora-
(1967). Stanley Baker avait accédé au de prises de vues réelles dans Flipper tion des pièces et écrit plusieurs scénarios
vedettariat international lorsque la mala- City (Heavy Traffic, 1973), l’adjonction pour le cinéma : Retour en force (Jean-
die l’emporta brusquement, peu après le de bandes d’actualités aux plans dessi- Marie Poiré, 1980), l’Année prochaine si
tournage d’une série télévisée adaptée tout va bien (Jean-Loup Hubert, 1981).
nés (les Sorciers de la guerre [Wizards],
du roman de Richard Llewellyn, Qu’elle C’est avec sa participation d’actrice et de
1977) ou la reprise sous forme graphique
était verte ma vallée. Stanley Baker, qui scénariste dans Les hommes préfèrent
de scènes tournées en vidéo avec des
avait été anobli quelques mois avant sa les grosses (J.-M. Poiré, 1981) qu’elle
acteurs (le Seigneur des anneaux [Lord
mort (sir Stanley Baker), produisit éga- impose son personnage d’anti-sex-sym-
of the Rings], 1978), d’après l’oeuvre de
lement le film de Peter Collinson, L’or se bol rondelet, goguenard et dévastateur, à
Tolkien. Ensuite, il réalise American Pop
barre (The Italian Job, 1969). la répartie et à l’émotion toujours prêtes.
(1981), Tygra, la glace et le feu (Fire and
Films : Undercover (Serguei Nolban- Continuant à écrire et à jouer pour le
Ice, 1982), Cool World (1992).
kov, 1943) ; All Over the Town (Derek théâtre, participant aux adaptations de
Twist, 1949) ; Home to Danger (T. Fisher, ses pièces au cinéma, elle s’essaie, sans
BAKY (Josef von), cinéaste allemand
1951) ; Lili Marlene (A. Crabtree, id.) ; convaincre, à la réalisation en 1985 avec
(Zombor, Autriche-Hongrie, 1902 - Mu-
Capitaine sans peur (R. Walsh, id.) ; la Sac de noeuds, tourne son second film
nich 1966).
Mer cruelle (Ch. Frend, 1953) ; les Bérets en 1987, les Keufs, puis Ma vie est un
Après avoir travaillé dans la distribution
rouges (T. Young, id.) ; l’Enfer au-des- enfer (1991), Gazon maudit (1995) qui
de films, il devient l’assistant de Geza
sous de zéro (Hell Below Zero, M. Rob- remporte un vif succès public — elle en
von Bolvary et passe à la réalisation en
son, 1954) ; Les bons meurent jeunes est également l’interprète principale avec
1936. À la fin de la guerre, il a dirigé neuf
(The Good Die Young, L. Gilbert, id.) ; les Victoria Abril — et Un grand cri d’amour
films, dont plusieurs « musicaux » et le
Chevaliers de la Table ronde (R. Thorpe, (1998).
célèbre les Aventures fantastiques du
id.) ; Richard III (L. Olivier, id.) ; Hélène Autres films : le Locataire (R. Po-
baron de Münchhausen (Münchhausen,
de Troie (R. Wise, 1956) ; Alexandre lanski, 1976), Dites-lui que je l’aime
1943), produit pour le 25e anniversaire
le Grand (R. Rossen, id.) ; Child in the (C. Miller, 1977), les Petits Câlins (J.-
de l’UFA. Grande fantaisie en couleurs,
House (C. Endfield, id.) ; Train d’enfer M. Poiré, 1978), les Bronzés (P. Leconte,
le film a poursuivi sa carrière au-delà de
(Hell Drivers, id., 1957) ; Jeunesse délin- id.), Clara et les chics types (Jacques
quante (Violent Playground, B. Dearden, 1945 ; il a été restauré en 1979 par la fon- Monnet, 1981), le Maître d’école
1958) ; Sea Fury (Endfield, id.) ; l’Enquête dation Murnau. Josef von Baky a tourné (C. Berri, id.), Papy fait de la résistance
de l’inspecteur Morgan (J. Losey, 1959) ; de nombreux films dans l’Allemagne (J.-M. Poiré, 1983), Trop belle pour toi
Trahison à Athènes (R. Aldrich, id.) ; les d’Adenauer, dont Petite Maman (Das (Bertrand Blier, 1989), Tout le monde
Criminels (The Criminal, Losey, 1960) ; doppelte Löttchen, 1950), le Maître de n’a pas eu la chance d’avoir des parents
les Canons de Navarone (The Guns of poste (Dunja, 1955), les Frénétiques (Die communistes (Jean-Jacques Zilbermann,
Navarone, J. Lee Thompson, 1961) ; So- Frühreifen, 1957), et Avouez, docteur 1993) Absolument fabuleux (Gabriel
dome et Gomorrhe (Aldrich, 1962) ; les Corda (Gestehen Sie, Dr Corda !, 1958). Aghion, 2001).

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

BALÁZS (Herbert Bauer, dit Béla), écrivain l’asynchronie. La caméra est créatrice, occupa les mêmes fonctions en 1936) et
et théoricien hongrois (Szeged 1884 - Bu- utilisée par un créateur qui guide l’oeil Ealing. En effet, en 1938, il prend le com-
dapest 1949). et les sens du spectateur. Poète autant mandement des studios d’Ealing, charge
Poète, romancier, dramaturge, librettiste que théoricien, Balázs a un sens très fort qu’il assurera pendant vingt ans et qui lui
(pour Béla Bartók), il passe, comme son de la formule suggestive : « les oiseaux permettra d’être à l’origine de nombreux
ami György Lukács, de l’idéalisme au poètes » (le montage) ; « l’oeil flaire »; films d’humour célèbres dans le monde
marxisme, dont il est le premier en date « les images ne se conjuguent pas » entier sous le label école d’Ealing. En
des théoriciens du cinéma. En 1908, il pu- (elles restent au présent) ; « le spectateur 1951, Balcon est nommé président du
blie une Esthétique de la mort et en 1909 danse » (ses points de vue varient) ; « le British Film Institute Experimental Fund
des Fragments d’une philosophie de l’art ; son ne porte pas d’ombre » (non spatial, il (qui deviendra le BFI Production Board).
en 1914, il se porte volontaire et fait la peut être déporté). Balázs tient le cinéma Ce fonds expérimental aidera des réalisa-
guerre comme caporal. Auteur de plu- pour un art de masse et il s’est toujours teurs débutants tels que Kevin Brownlow,
sieurs films aujourd’hui perdus (Obistos, attaché à sa fonction politique et sociale : Jack Gold, Don Levy, Robert Vas, Ken
1917 ; Sphinx, 1918), il participe en 1919 « Le cinéma, qui est l’art du voir, ne doit Russell, Ridley Scott, Peter Watkins, Ste-
à la révolution hongroise. Condamné à pas rester entre les mains de ceux qui ont phen Frears, etc. En 1959, il devient pro-
mort après l’écrasement de la république beaucoup à cacher. » ducteur indépendant et se maintient à la
des Conseils, sauvé au dernier moment, Films (comme scénariste) : les tête de Bryanston Films et de British Lion.
il se réfugie en Autriche. À Vienne, il re- Aventures d’un billet de dix marks (Die Il est anobli en 1948 (sir Michael Balcon).
prend ses activités cinématographiques, Abenteuer eines Zehnmarkscheines, En 1969, il publie son autobiographie, A
qu’il poursuivra en Allemagne, où il s’ins- B. Viertel, 1926) ; 1 + 1 = 3 (F. Basch, Lifetime in Films.
talle en 1926. À Berlin, il se consacre au 1926) ; Madame Wünscht Keine Kinder Films : The Lodger (A. Hitchcock,
théâtre d’agit-prop, collabore avec Erwin (A. Korda, id.) ; Doña Juana (P. Czinner, 1926) ; l’Homme d’Aran (R. Flaherty,
Piscator et Max Reinhardt, prend une 1927) ; Narkose (A. Abel, 1929) ; l’Opéra 1934) ; Les Trente-Neuf marches
part active à l’implantation d’un cinéma de quat’sous (Die Dreigroschenoper, (A. Hitchcock, 1935) ; Vive les étudiants
prolétarien et d’avant-garde. Il est jour- G. W. Pabst, 1931) ; la Lumière bleue
(J. Conway, 1938) ; Convoy (P. Tenny-
naliste, critique, scénariste. Il adhère au (Das blaue Licht, Leni Riefenstahl, 1932) ;
son, 1940) ; Next of Kin (T. Dickinson,
parti communiste en 1931 et doit émi- Quelque part en Europe (Valahol Euro-
1942) ; San Demetrio-London (C. Frend,
grer en URSS dès la prise de pouvoir pa’Ban, G. Radvanyi, 1947).
1943) ; Painted Boats (C. Crichton,
par Hitler. De 1933 à 1945, il est profes- 1944) ; Au coeur de la nuit (Crichton,
BALÁZSOVITS (Lajos), acteur hongrois
seur à l’Institut supérieur du cinéma de Cavalcanti, Hamer, Dearden, 1945) ; La
(Nagykanizsa 1946).
Moscou (VGIK). Il rentre en Hongrie en route est ouverte (H. Watt, 1946) ; À cor et
Il obtient le diplôme de l’École supérieure
1945, fonde et dirige l’Institut hongrois du à cri (C. Crichton, 1947) ; Nicholas Nick-
des arts dramatiques et du cinéma de
cinéma. Il enseigne à Prague, Varsovie, leby (A. Cavalcanti, id.) ; Il pleut toujours
Budapest en 1968. Encore étudiant, il
Rome. En mars 1949, il reçoit le prix Kos- le dimanche (R. Hamer, id.) ; l’Aventure
débute au théâtre et au cinéma et y fait
suth. Depuis 1960, un studio expérimen- sans retour (C. Frend, 1948) ; Noblesse
montre d’une assurance hautaine, d’un
tal de Budapest porte son nom. oblige R. Hamer, 1949) ; Passeport pour
tempérament dominateur qui n’excluent
L’oeuvre théorique de Balázs n’est pas Pimlico (H. Cornelius, id.) ; Whisky à gogo
pas l’expression d’une vibrante intériorité.
organisée en système. Elle est faite de (A. Mackendrick, id.) ; l’Homme au com-
Il est lancé par Jancsó dans Ah ! ça ira
l’examen méthodique de toutes les res- plet blanc (id., 1951) ; De l’or en barres
(1969) et se retrouve en vedette sous sa
sources — virtuelles ou réelles, pressen- (C. Crichton, id.) ; Quand les vautours
direction dans Agnus Dei (1971), Psaume
ties ou vérifiées — du cinéma, illustré ne voleront plus (H. Watt, id.) ; Mandy
rouge (1972), Pour Électre (1975), Vices
d’exemples chaque fois que possible. (A. Mackendrick, 1952) ; la Mer cruelle
privés, vertus publiques (1976), Rhap-
L’Homme visible (1924), premier ouvrage (The cruel Sea, C. Frend, 1953) ; Tueurs
sodie hongroise (1979), la Saison des
de l’auteur qui en récusera bientôt la de dames (A. Mackendrick, 1955) ; Dun-
monstres (1987), Dieu marche à recu-
dimension souvent utopique, devance kerque (Dunkirk, Leslie Norman, 1958) ;
lons (1991), la Valse du Danuble bleu
étonnamment la pensée de McLuhan. le Bouc émissaire (R. Hamer, 1959).
(1991). Il travaille aussi avec Sándor Sára
Balázs dénonce notre civilisation de (la Pierre lancée, 1969), János Rózsa
l’imprimé, de l’écrit et prophétise, rendue BALDI (Gian Vittorio), cinéaste et produc-
(les Adorables, 1970), András Kovács
possible par le cinéma, une civilisation teur italien (Bologne 1930).
(Course de relais, 1971) et Márta Mé-
de l’image, du visible, qui redonnera son Après des études au Centro sperimentale
száros (Marie, 1969 ; Pleurez pas, jolies
rôle social au langage du corps et de la de Rome, il dirige sept courts métrages
filles, 1970).
physionomie, à la voix et à la formation ethnographiques et d’analyse sociale,
tactile de la personnalité. Pour Balázs, le BALCON (sir Michael), producteur britan- dont Il pianto delle zitelle (1958), Luciano
film est un art figuratif. Les trois moteurs nique (Birmingham 1896 - Hartfield, East (1960), La casa delle vedove (id.), qui
fondamentaux de son langage visuel sont Sussex, 1977). obtiennent de nombreux prix, et participe
le cadrage et l’angle (« à travers l’angle Après un bref passage dans l’industrie avec l’épisode La prova d’amore à l’en-
de prise de vues, le regard devient juge- et la publicité, Balcon aborde la produc- quête collective Les femmes accusent (Le
ment ou sentiment »), le gros plan (situé tion cinématographique en s’associant à italiane e l’amore, 1961) conçue par Za-
hors de l’espace, il suscite la microphy- Victor Saville et à Graham Cutts, ce der- vattini. Il organise un circuit de distribution
sionomie et ses microdrames), et le mon- nier signant la réalisation de Woman to pour les documentaires et fonde en 1962
tage (qui rythme le récit et la pensée du Woman (1923). [À noter que l’assistant sa maison de production, la Idi Cinemato-
film). Ces trois principes valent pour le réalisateur, scénariste et décorateur de grafica, qui produit des premières oeuvres
son comme pour la couleur, qui ne sont ce film n’est autre qu’Alfred Hitchcock.] et des films difficiles comme Chronique
pas des compléments à l’image mais C’est pour Balcon le début d’une car- d’Anna-Magdalena Bach (J. M. Straub,
des faits centraux, non des perfection- rière qui comptera quelque 350 films, 1967), Trio (G. Mingozzi, 1968), Journal
nements réalistes mais des facteurs de produits principalement pour les socié- d’une schizophrène (N. Risi, 1969), Por-
transfiguration. Le cadrage les élabore, le tés Gainsborough (qu’il fonda en 1928), cherie (P. P. Pasolini, 1970). Son premier
gros plan les isole et les grandit, le mon- Gaumont-British (dont il fut le directeur de long métrage, Luciano, una vita bruciata
tage les articule dans le synchronisme ou production en 1932), MGM-British (où il (1967 [RÉ 1963]), développe le même

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

thème que le court métrage, chronique Adepte de la versatilité, elle joue à BALINT (András), acteur hongrois (Pécs
de la vie violente d’un voyou de la ban- nouveau sous la direction de George 1943).
lieue romaine. Avec Fuoco ! (1968), il Pearson dans Blinkeyes (1926) mais ce Diplômé en 1965 de l’École supérieure
approfondit sa recherche d’un nouveau n’est qu’une pâle imitation de ses succès des arts dramatiques et du cinéma de
réalisme, à partir d’un fait divers. La notte passés. Budapest, il débute au théâtre à Pécs,
dei fiori (1972) et le Dernier Jour d’école Tenace, elle tente de changer à nou- puis joue à Budapest, où il est décou-
avant les vacances de Noël (L’ultimo vert par István Szabó, qui le lance avec
veau de registre, apparaît dans Cham-
giorno di scuola prima delle vacanze di l’Âge des illusions (1965) et lui assure
pagne d’Hitchcock en 1928 et se glisse
Natale, 1975) montrent une certaine sté- une immédiate popularité. Il lui confie la
même à la fin des années 20 dans le rôle
rilité stylistique dans sa démarche entre vedette de plusieurs de ses films : Père
d’une vamp. En 1935, après avoir fondé
fiction dramatique et vérité documentaire. (1966), Un film d’amour (1970), 25, rue
la Betty Balfour Production, elle propose
En 1988 il tourne ZEN -Zona Espansione des Sapeurs (1973) et Contes de Buda-
un remake de Squibs qui ne séduit plus
Norte. En 2000, il réalise Il temporale pest (1977). Simultanément, il travaille
le public. Elle laisse alors le cinéma pour
(Nevrijeme), un mélodrame situé pendant avec Jancsó (Ah ! ça ira, 1969 ; Psaume
revenir au théâtre.
la guerre de Bosnie. rouge, 1972), Máriássy (Imposteurs,
1969), Kovács (Course de relais, 1971),
BALIBAR (Jeanne), actrice française (Paris
BALDWIN (Alexander Rae Baldwin III, dit Johannes Schaaf (Trotta, 1972), Fábri (la
1968).
Alec), acteur américain (Amityville, N.Y., Phrase inachevée, 1975), Krisztina Deák
Une ou deux apparitions discrètes à
1958). (le Livre d’Esther [Eszterkönyv], 1990),
Fort d’une expérience théâtrale déjà l’écran et, presque aussitôt, quelques
Judith Elek (l’Éveil, 1994). Il fait preuve
rôles majeurs, dont un à la télévision (ce
conséquente, il débute au cinéma en d’élégance et de caractère dans chacune
1987. Sa prestance et son physique de qui est rare dans sa carrière) : le départ de
de ses compositions.
séducteur lui valent un succès rapide qui sa carrière d’actrice vive et complexe est

a occulté quelque peu un vrai talent so- profondément marqué par Comment je BALL (Lucille), actrice américaine (Celoron,
lide. Il tenait tête avec conviction à Sean me suis disputé... (A. Desplechin, 1996),
N. Y., 1911 - Los Angeles, Ca., 1989).
Connery dans À la poursuite d’Octobre suivi du moyen métrage de Mathieu Ama- Elle débute à Broadway dans l’opérette
rouge (J. McTiernan, 1990) ou à Al Pa- lric Mange ta soupe (1997). Bien que Rio Rita et à Hollywood comme « Gold-
cino et Jack Lemmon dans Glengarry marquée par l’image légèrement intel- wyn Girl » dans des revues musicales.
(Glengarry Glenn Ross, James Foley, lectualisante que lui confèrent ces pre- La RKO la cantonne dans des seconds
1992). Paradoxalement, c’est dans des miers personnages, bientôt confirmée rôles, le plus souvent comiques (Pension
rôles à la vulgarité appuyée (Malice, par ses rôles chez Assayas (Fin août, d’artistes, G. La Cava, 1937 ; Panique à
H. Becker, 1993) ou franchement tour- début septembre) et Jean-Claude Biette l’hôtel, W. Seiter, 1938 — avec les Marx
mentés (la Jurée, [The Juror], Brian Gib- (Trois Ponts sur la rivière), elle élargit Brothers) jusqu’à Dance Girl Dance
son, 1996) que ses réelles qualités appa- son registre en tournant des comédies (D. Arzner, 1940). Tournant pour la MGM,
raissent. Il a été marié à Kim Basinger qui apportent au cinéma français un ton la Paramount ou la Columbia avec Red
qui a été sa partenaire (la Chanteuse et relativement nouveau : Dieu seul me voit Skelton ou Bob Hope pour partenaires,
le milliardaire, G. Marshall, 1991 ; Guet- (Bruno Podalydès, 1998), et ça ira mieux elle se spécialise dans le splapstick et
apens, R. Donaldson, 1994). Trois de ses demain (Jeanne Labrune, 2000). Elle est la comédie burlesque. Rares sont ses
frères, Stephen, William et Daniel, sont alors de plus en plus sollicitée, notam- emplois dramatiques : l’Impasse tragique
également acteurs. (H. Hathaway, 1946), Des filles dis-
ment par Benoît Jacquot, Raoul Ruiz et
Jacques Rivette (Va savoir) pour la seule paraissent (D. Sirk, 1947), Easy Living
BALFOUR (Elizabeth dite Betty), actrice
année 2001. (J. Tourneur, 1949). Elle tourne ensuite
britannique (Londres 1903 – Weybridge, notamment deux films de Lloyd Bacon :
Surrey, 1979). Miss Grain de Sel (1949) et En plein
BALIN (Mireille), actrice française (Monte-
Elle monte sur les planches dès l’âge de cirage (1950), puis à partir de 1951 se
Carlo 1911 - Paris 1968).
11 ans et s’impose dans des spectacles
Ancien mannequin de belle et grande al- produit avec son mari Desi Arnaz dans
très populaires qui allient des numéros
lure, elle personnifie pendant une dizaine un show télévisé (I Love Lucy), le pre-
de chant en cockney, des pirouettes exé-
d’années la femme fatale, dont elle fixe mier à ne pas être enregistré en direct,
cutées sous les yeux ravis des specta-
deux portraits fascinants comme parte- qui connaît une popularité et une longé-
teurs et de petits sketches retraçant des
naire de Jean Gabin dans Pépé le Moko vité exceptionnelles. Le couple interprète
scènes caractéristiques de la vie londo- la Roulotte du plaisir (V. Minnelli, 1954),
(J. Duvivier, 1937) et Gueule d’amour
nienne. Elle remporte en 1921 un suc- se consacre ensuite à la société Desilu
(J. Grémillon, id.). C’est Pabst qui l’avait
cès immense à l’écran dans Squibs de Productions, qui rachète les studios RKO
découverte et imposée dans Don Qui-
George Pearson où elle joue le person- en 1958 et produit des émissions pour la
chotte (1933), où elle jouait le rôle de
nage d’une fleuriste de Picadilly, bavarde, télévision (The Lucy Show). Les retours
grossière, agressive mais également très Dulcinée auprès de Chaliapine. Naples
épisodiques de l’actrice au cinéma se
sentimentale, rôle qu’elle avait déjà inter- au baiser de feu (A. Genina, 1937) lui
sont soldés par le désastre de la super-
prété au théâtre. donne comme partenaire Tino Rossi, qui,
production musicale Mame (Gene Saks,
durant quelques années, sera également
Le film donne lieu à de mutliples ava- 1974).
tars : Squibs wins the Calcutta Sweep son partenaire dans la vie. De nouveau

(1922), The Wee Mc Gregor’s Sweetheart sous la direction de Genina, elle participe BALLARD (Lucien), chef opérateur améri-
(id.), Squibs MP (1923), Squibs’s Honey- en 1939 au film le Siège de l’Alcazar, cain (Miami, Okla., 1904 - Rancho Mirage,
moon (id.). La Gaumont invite la jeune à la gloire de la cause franquiste, puis Ca., 1988).
comédienne à venir en France où elle retrouve ses rôles de vamp dans Macao Il fait ses classes entre 1930 et 1935, sous
se voit offrir des rôles aux antipodes du l’enfer du jeu (J. Delannoy, 1942 [RÉ la férule de Josef von Sternberg, dont
personnage de Squibs : dans plusieurs 1939]) et Dernier Atout (J. Becker, 1942). il est l’assistant opérateur pour Coeurs
films de Louis Mercanton : Monte-Carlo, À la fin de la guerre, éloignée des studios, brûlés (1930), la Femme et le Pantin
1925, la Petite Bonne du Palace (1926), malade, elle abandonne le cinéma, où (1935), Remords / Crime et Châtiment
Croquette (1927), elle se transforme en Gréville lui avait offert un rôle plus nuancé (id.) et Sa Majesté est de sortie (1936).
femme sophistiquée. dans Menaces (1940). De ce prestigieux parrainage, Ballard a

95
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

gardé le sens des nuances subtiles, du verre (P. Newman, 1987), Susie et les campagne (R. Bresson, 1951), le Plaisir
sfumato impalpable et du clair-obscur Baker Boys (Steve Kloves, 1989), la Liste (Max Ophuls, 1952).
menaçant. Ces qualités sont en évidence noire (Guilty by Suspicion, Irwin Winkler,
dans l’Obsession de Mme Craig (Dorothy 1990), Malina (W. Schroeter, id.), Dracula BALSAM (Martin), acteur américain (New
Arzner, 1936) et surtout dans Blind Alley (F. Coppola, 1992), le Temps de l’inno- York, N. Y., 1919 - Rome, Italie, 1996).
(Ch. Vidor, 1939), un des classiques de cence (M. Scorsese, 1994) et la Légende Membre de l’Actors Studio, il s’illustre à
la série B. Les années 40 et son mariage de Bagger Vance (R. Redford, 2000). la scène sous la direction d’Elia Kazan,
avec Merle Oberon allaient faire de lui qui le fait débuter à l’écran dans Sur les
un spécialiste du gros plan satiné et des BALLING (Erik), cinéaste danois (Nyborg quais, en 1954. Son physique carré, sa
ambiances « gothiques ». Jack l’éven- 1924). robustesse placide l’amènent à jouer le
treur (J. Brahm, 1944), Notre cher amour Il remplace en 1952 Ole Palsbo (mort plus souvent des hommes de confiance,
(This Love of Ours [W. Dieterle], 1946) en cours de tournage) pour le film Nous des professionnels dévoués et sûrs :
ou Tentation (Temptation, I. Pichel, 1947) sommes de pauvres pécheurs. Puis il le détective Arbogast dans Psychose
sont de parfaits exemples de cet art. Plus signe notamment Adam et Ève (Adam (A. Hitchcock, 1960), un conseiller de
brillant encore, Berlin Express (J. Tour- og Eva, 1953), Kispus (1956), Qivitoq la Maison-Blanche dans Sept Jours en
neur, 1948) emprunte parfois la nudité de (id., tourné au Groenland), le Poète et sa mai (J. Frankenheimer, 1964), un officier
la lumière néoréaliste. Progressivement, muse (Poeten og Lillemor, 1959), la Foi, dans Aux postes de combat (J. B. Harris,
son style se décante et Baïonnette au l’Espérance et la Sorcellerie (Tro, Hab og 1965), un directeur de compagnie ferro-
canon (S. Fuller, 1951) ou Return of the Trolddom, 1960), la Chère Famille (Den viaire dans le Crime de l’Orient-Express
Texan (D. Daves, 1952) sont traités dans Kaere familie, 1962), À l’enseigne du (S. Lumet, 1974), un journaliste dans
un blanc et noir lumineux, mais sec et Ciel-de-Lit (2 × 2 im himmelbett, 1965), les Hommes du Président (A. J. Pakula,
sobre. Enfin, Raoul Walsh, dans l’Esclave 1976). Il reçoit un Oscar (« Best suppor-
Frappe le premier Freddy (Sla forst
libre (1957) et Un roi et quatre reines (id.), ting actor ») pour A Thousand Clowns de
Frede, 1966) — une parodie de James
perçoit en Ballard un coloriste émouvant Fred Coe en 1965. On le retrouve en 1986
Bond —, Annie Cat (1967) — une comé-
et dépourvu d’afféteries. Sa collaboration dans Second Serve d’Anthony Page et en
die musicale —, C’était un samedi soir
avec Sam Peckinpah exaltera cet aspect 1991 dans les Nerfs à vif (M. Scorsese).
(Det var en Lørdag aften, 1968), avant
de sa personnalité et Ballard deviendra
de connaître dans son pays un durable
le peintre privilégié du crépuscule des BÁN (Frigyes), cinéaste hongrois (Kassa
succès populaire avec les aventures de
cow-boys : Coups de feu dans la Sierra [auj. Košice, Tchécoslovaquie]1902 - Buda-
la Bande à Olsen (13 films entre 1968 et
(1962), la Horde sauvage (1969), Junior pest 1969).
1982).
Bonner (1972). Feuilles rougies, prairies S’intéressant très tôt au cinéma, Bán ne
dorées, neiges bleutées, petits matins peut y faire ses premiers pas qu’en 1934,
BALOGUN (Ola), cinéaste nigérian (Aba
gris créent dans 100 Dollars pour un après un long détour par le théâtre. Il tra-
1945).
shérif (H. Hathaway, 1969) et dans Will vaille alors comme directeur de produc-
Après des études à Lagos, Dakar, Caen
Penny, le Solitaire (T. Gries, 1968), une tion, assistant, monteur et scénariste. Le
et à l’IDHEC (1968), il obtient un poste
inoubliable atmosphère de fin du monde. premier de ses 33 films, comme ceux qui
à l’université d’Ife au Nigeria. Il dirige le
suivront, lui vaut les faveurs du public :
Centre audio-visuel du musée de Lagos.
BALLHAUS (Michael), chef opérateur alle- Mátyás, redresseur de torts (Mátyás ren-
En 1972, il tourne Alpha, son premier
mand (Berlin 1935). det csinál, 1939). Au cours d’une carrière
film, sur le thème de l’exil. Un des rares
Il se fait connaître en 1968-1970 en col- bien remplie, Bán sait aborder tous les
cinéastes africains à travailler régulière-
laborant à des films de cinéma et de télé- genres. Mais c’est à Un lopin de terre
ment, il signe quinze films entre 1972 et
vision dirigés par quelques représentants (Talpalatnyi föld, 1948), un vigoureux
1980 (dont la moitié de courts métrages).
du jeune cinéma allemand, Vesely ou les drame paysan réalisé après la nationa-
L’insertion du cinéma dans la vie africaine
frères Schamoni. Travaillant essentielle- lisation du cinéma hongrois, qu’il doit sa
et la nécessité de communiquer avec le
ment à Munich, il devient entre 1970 et notoriété. Par la suite, il va insuffler vie à
public le préoccupent, d’où son atten-
1978 le chef opérateur de plusieurs films quelques pages mémorables de l’histoire
tion aux possibilités du musical. Citons
importants de Fassbinder, où il excelle nationale, évoquant tour à tour la noble
dans la froide représentation des intéri- Ajani Ogun (1975), Muzik Man (1976),
figure du Dr Semmelweis, les luttes du
eurs bourgeois et petits-bourgeois (les Black Goddess (1978), et puis l’excellent prince Rákóczi et celles des Jacobins
Larmes amères de Petra von Kant, 1972 ; Money Power (1982), satire de la corrup- hongrois.
le Droit du plus fort, 1975 ; Maman Kus- tion. Cinéaste indépendant, il fonde en
ter s’en va au ciel, id.). On lui doit aussi 1974 l’Afrocult Foundation Ltd, société BANCROFT (Anna Maria Italiano, dite
les images, plus brillantes, de Bolwieser de production et d’action culturelle. La Anne), actrice américaine (New York, N. Y.,
(1977) ; Despair (1978), le Mariage de langue parlée est l’uruba. 1931).
Maria Braun (1979), du même Fassbin- Après une brève carrière à la télévision
der. Il s’adapte également à des réalisa- BALPÉTRÉ (Antoine), acteur français (Lyon new-yorkaise, elle signe un contrat avec
teurs aussi différents que Peter Stein (les 1898 - Paris 1963). la Fox et débute à l’écran dans Troublez-
Invités, [Sommergaste] 1976) et Rudolf Massif et pourvu d’une belle voix de tra- moi ce soir (R. Baker, 1952). Durant deux
Thome (Made in Germany and USA, gédien, il est un des acteurs favoris de ans, elle joue le plus souvent les utilités,
1974) et tourne ensuite avec, notam- Cayatte : Justice est faite (1950), Nous tournant avec un bonheur variable dans :
ment, Peter Lilienthal, Jeanine Meerap- sommes tous des assassins (1952), le le Trésor du Guatemala (Treasure of the
fel, Walter Bockmayer, Peer Raben. Mar- Dossier noir (1955). Après un séjour Golden Condor) et les Gladiateurs [De-
tin Scorsese l’invite aux États-Unis pour glorieux à l’Odéon, il entre à la Comé- metrius and the Gladiators] (D. Daves,
signer les images de After Hours (1985), die-Française en 1934 ; ses démêlés 1953 et 1954), The Raid (H. Fregonese,
la Couleur de l’argent (1986), la Dernière avec la maison de Molière consécutifs 1954) et Gorilla at Large (Harmon Jones,
Tentation du Christ (1988), les Affran- à l’épuration qui l’en chasse sont relatés id.). Redevenue indépendante, elle tra-
chis (1990), le Temps de l’innocence dans son livre Comédies chez Molière. vaille sous la direction d’Anthony Mann
(1993). On lui doit également les prises Il s’est fait apprécier dans le Corbeau (la Charge des Tuniques bleues, 1955),
de vues de Mort d’un commis voyageur (H.-G. Clouzot, 1943), la Main du diable Jacques Tourneur (Night-fall, 1957) et
(V. Schlöndorff, 1985), la Ménagerie de (M. Tourneur, id.), le Journal d’un curé de Allan Dwan (la Ville de la vengeance,

96
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

id.), sans parvenir pour autant à se trou- similaire dans la Rafle (1928) et dans rémanente (ou superficielle), des informa-
ver un registre précis. Après cinq années l’Assommeur (1929). Dans les Dam- tions audio, vidéo ou informatiques (data)
chaotiques et frustrantes, elle rompt avec nés de l’océan (1928), il lui conserve le sous forme analogique* ou numérique*.
Hollywood et se révèle à Broadway grâce même caractère, bien que le film ne soit Ces bandes sont constituées d’un sup-
à Two for the Seesaw, qui marque le pas un policier. Par la suite la carrière de port souple en polyester ou mylar (initiale-
début d’une fructueuse association avec Bancroft se partage entre le film noir : ment en triacétate ou PVC) sur lesquelles
William Gibson et Arthur Penn. En 1959, les Anges aux figures sales (M. Curtiz, adhère un dépôt d’oxydes magnétiques
le trio remporte un nouveau triomphe 1938), À chaque aube je meurs (W. Kei- (oxydes de fer, chrome, cobalt, ...), soit
avec The Miracle Worker. ghley, 1939), et le western : la Chevau- au moyen d’un liant (colle dont le sol-
Elle fait un retour en force à l’écran chée fantastique (J. Ford, 1939), les Tu- vant s’évapore en cours de fabrication),
dans l’adaptation de cette pièce, un des niques écarlates (C. B. De Mille, 1940). soit par dépôt ou métallisation sous vide
films les plus intenses et les plus lyriques Il sait même étoffer les silhouettes par (bandes numériques).
de Penn (1962). À trente ans, elle réa- son humanité : l’Extravagant Mr. Deeds
Ces bandes initialement conditionnées
lise enfin son potentiel et trouve là son (F. Capra, 1936).
en bobines (bandes magnétiques audio
personnage. Sa seconde carrière fait lisses ou perforées 16 et 35 mm pour le
BANC-TITRE.
d’elle une femme à poigne : éducatrice, cinéma et la télévision) le sont aujourd’hui
Ensemble constitué d’une table, géné-
médecin (Frontière chinoise, J. Ford, en cassettes. Elles sont caractérisées
ralement horizontale, mobile, dans son
1966), avocate (Viol et Châtiment [Lips- par leur destination (audio ou vidéo,
plan, selon deux axes perpendiculaires
tick], Lamont Johnson, 1976), danseuse analogique ou numérique), leur largeur
sur laquelle sont placés les documents
(le Tournant de la vie, H. Ross, 1977) (¼ pouce, ½ pouce, 6,25 mm, 1 pouce,
à tourner, et d’un support de caméra qui
ou comédienne (Elephant Man, David ...), leur longueur ou parfois leur épais-
peut s’éloigner ou se rapprocher selon un
Lynch, 1980), elle possède les qualités seur, leur durée, chaque procédé ayant
troisième axe fixe, perpendiculaire à ceux
et le tempérament nécessaires à la réus- une vitesse de défilement particulière et
de la table.
site sociale. Elle n’en paie pas moins son leur nature (cassette audio 3,81mm, cas-
tribut à des stéréotypes toujours vivaces : BANDE. sette beta SP, cassette beta-numérique
la névrose (le Mangeur de citrouille, ou digi beta, ...).
Double bande, forme sous laquelle se
J. Clayton, 1964), l’abandon (le Lauréat, présente un film sonore lorsque l’image
M. Nichols, 1967) ou le suicide (Frontière BANDE PAROLE.
et le son sont portés par deux bandes dis-
chinoise) sanctionnent fréquemment son Bande sonore comportant uniquement
tinctes. ( BANDE SONORE.)
non-conformisme. Dans ses conquêtes les dialogues d’un film, à l’exclusion
comme dans ses malheurs, celle qui fut de tout autre son. ( BANDE SONORE,
BANDE ANNONCE.
la Marie-Madeleine du Jésus de Nazareth Bande annonce ou film annonce, film très MIXAGE.)

de Zeffirelli (1977) reflète ainsi les ambi- court qui fait partie du « matériel publi-
BANDE PASSANTE.
valences des années 60, qu’elle prend en citaire normal » accompagnant un long
Plage ou intervalle de fréquence enregis-
charge et parvient à tourner à son avan- métrage. Initialement uniquement destiné
trée ou restituée par un système audio
tage. Actrice éminemment moderne, ce à être projetée en salles, cette bande est
ou vidéo. En audio, la bande passante
sont en effet les genres les plus datés — aujourd’hui également disponible en cas-
est comparée au spectre audible (20 Hz -
aventures orientales (Frontière chinoise), sette vidéo, en DVD et peut être consul-
20 kHz). En vidéo, la bande passante est
ou confrontation mélodramatique entre tée, via Internet, sur les sites des produc-
le principal paramètre qui influe sur la
deux femmes, à la mode des années 40 teurs ou des distributeurs du film.
définition (résolution) du système.
(le Tournant de la vie) — qui mettent le
plus en valeur son acidité, son expressi- BANDE CACHE. La bande passante d’un système est

vité et son allant. Sa première réalisation, Bande, avançant d’un cran à chaque caractérisée par sa courbe de réponse
changement de plan, interposée sur le ou fonction de transfert, faisant appa-
Fatso (1980), une comédie à l’italienne,
faisceau lumineux des tireuses sous- raître le gain (amplification) ou l’atté-
produite sous l’égide de son mari Mel
tractives pour régler la lumière de tirage. nuation (pertes) d’un circuit, exprimé
Brooks et avec les complices habituels de
( ÉTALONNAGE.) en décibels en fonction de la fréquence
ce dernier, se signale en revanche par un
( DÉCIBELS). L’échelle des fréquences
humour et un sentimentalisme des plus
BANDE CODE. est limitée à 20 kHz en audio mais at-
épais. Elle apparaît ensuite dans Night
Bande, avançant d’un cran à chaque teint plusieurs MHz en vidéo analogique
Mother (Tom Moore, 1986), 84 Charing
changement de réglage, qui commande ( FRÉQUENCE).
Cross Road (David Jones, 1987), Torch
sur les tireuses additives le réglage de la En audio, selon les systèmes d’enre-
Song Trilogy (Paul Bogart, 1990), Week-
lumière de tirage. ( ÉTALONNAGE.)
end en famille (J. Foster, 1996), Suncha- gistrement, pour des raisons techniques,
ser (M. Cimino, id.) et dans De grandes la bande passante est ou se trouve limi-
BANDE INTERNATIONALE.
espérances (Great Expectations, Alfonso tée. C’est le cas pour les pistes photogra-
Bande sonore magnétique, comportant
Cuaron, 1998). phiques analogiques des copies 35 mm
plusieurs pistes où sont enregistrés sépa-
où la bande passante était limitée à 8 kHz
rément les différents éléments sonores
BANCROFT (George), acteur américain pour les enregistrements mono (sans ré-
d’un film (paroles, effets, musique),
(Philadelphie, Pa., 1882 - Santa Monica, duction de bruit de fond*), 12 kHz pour
confectionnée en vue de la fabrication
Ca., 1956). les enregistrements « Dolby-Stereo »
de versions en langues étrangères.
Ayant débuté au théâtre, auquel il revien- ( STÉRÉOPHONIE).
( BANDE SONORE, DOUBLAGE, MIXAGE.)
dra dans les années 30, il se tourne tar- La bande passante de la chaîne de
divement vers le cinéma (1921). Dès The BANDE LISSE. reproduction sonore a été standardisée
Pony Express (J. Cruze, 1925), il incarne Bande magnétique non perforée. au début des années 40 pour les salles
un bandit. Jouant sur ses traits expressifs ( BANDE MAGNÉTIQUE, REPIQUAGE.) de cinéma du monde entier sur la base
et tourmentés, et sur sa puissante car- d’une étude menée par l’Academy of Mo-
rure, Sternberg fait de lui, dans les Nuits BANDE MAGNÉTIQUE. tion Picture Arts and Sciences, appelée
de Chicago (1927), le premier archétype Bande sur laquelle il est possible d’enre- tout naturellement « Courbe Academy »
du gangster à l’écran. Il lui donne un rôle gistrer, par des variations de l’aimantation (d’où le nom donné à l’époque). Cette

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

courbe a été aujourd’hui améliorée, mais DAT*). Les projections en double bande rel* (en principe, le même) enregistré sur
le principe de la courbe de réponse nor- permettent de reproduire la bande sonore les bandes image et son.
malisée pour les salles de cinéma et les du film, en cours de réalisation (montage) Les autres éléments sonores, brui-
auditoriums de mixage film du monde ou définitive, avant l’établissement des tages, post-synchronisation ou doublage,
entier reste un critère de conservation de copies d’exploitation, pour des présen- entrant dans la composition des bandes
la qualité sonore dans toutes les salles tations. À de très rares exceptions près, sonores, sont enregistrés en auditorium
de cinéma. les enregistrements analogiques ont dis- ou par recopie d’éléments sonores (sono-
paru au stade de l’enregistrement et de thèques, ou musiques).
BANDE PILOTE. la post-production, ils ne restent utilisés, Les bandes musique sont générale-
Bande qui défile dans les tireuses en dans quelques cas, que pour ces projec- ment enregistrées dans des auditoriums
synchronisme avec le film à copier et qui tions double bande en salle de vision*.
ou studio musique spécialement pour la
commande l’avance de la bande cache. Élaboration de la bande sonore. bande son du film, sur un support numé-
( ÉTALONNAGE.) La bande sonore d’un film comporte rique multipistes destiné à être mixé avec
trois catégories de son : les paroles, les les autres éléments sonores issus du
BANDE POCHETTE. effets et ambiances et les musiques. montage.
Variante de la bande cache. ( ÉTALON- Tous ces sons peuvent être enregistrés En studio musique, les enregistre-
NAGE.) en direct lors du tournage, provenir de ments sont établis sur support numé-
sonothèques ou être enregistrés ultérieu- rique, soit sur des magnétophones nu-
BANDE RYTHMO. rement en auditorium, après le tournage,
Bande projetée en synchronisme avec mériques multipistes, jusqu’à 48 pistes
durant les travaux de post-production du
sur une même bande lisse, soit sur des
les images du film, donnant l’indication film.
équipements utilisant des disques durs
du temps écoulé, en secondes, depuis
Les sons directs sont enregistrés lors pour stocker les informations.
la première image de la bobine projetée.
des prises de vues, simultanément avec
Cette information, défile horizontalement La synchronisation se fait, au montage,
l’enregistrement des images dans la ca-
à l’écran, en dessous des images du film à partir de codes temporels enregistrés
méra film ou électronique. D’autres sons
dans les auditoriums lors des travaux de systématiquement sur les bandes ou les
peuvent également être enregistrés sur disques.
mixage. Pour les travaux de doublage
les lieux de tournage.
ou de postsynchronisation, cette bande Le mixage est une opération très im-
Les sons témoins, il s’agit de sons
rythmo est remplacée par la bande syn- portante pour la réalisation de la bande
directs mais dont la qualité ne sera pas
chro comportant le texte qui doit être son. Elle consiste à mélanger ensemble
suffisante pour être incorporés à la bande
joué par les comédiens de doublage les différents sons enregistrés sur un
sonore, en raison du bruit de fond élevé
( BANDE SYNCHRO). grand nombre de pistes distinctes lors du
sur le lieu de tournage, de mauvaises
montage son*. Cette opération est réa-
conditions de prise de son, ou autre.
BANDE SONORE ou BANDE-SON. lisée en auditorium de mixage sur une
Support matériel sur lequel sont enregis- Les sons seuls, sont enregistrés console de mixage. Les consoles utili-
lorsqu’il n’est pas possible d’enregistrer sées pour le mixage des films sont numé-
trés les éléments sonores d’un film. Par
des sons directs, en raison des conditions riques et automatisées, elles conservent
extension, ces éléments, tels qu’ils sont
de prise de vues, comme l’éloignement en mémoire le réglage des commandes
perçus par le spectateur.
du micro en raison d’un plan large. Les (variation de niveau et principaux fil-
BANDE SONORE. comédiens rejouent alors la scène qui trages) tout au long du film. Ces réglages
De même que film désigne aussi bien le vient d’être tournée, mais sans enregis- pourront, ensuite, être reproduits et mo-
support matériel d’une oeuvre que l’oeuvre trement image, pour permettre d’enregis- difiés à tout moment lors de l’écoute du
inscrite sur ce support, bande sonore (ou trer les voix dans de bonnes conditions. mixage du film. Les consoles de mixage
bande-son) est une expression à double Ces sons seuls seront synchronisés avec comportent souvent plus de cent voies,
sens, qui peut désigner : les images enregistrées précédemment, et permettent de mixer (mélanger) entre
lors du montage. On peut également pro- elles les pistes par groupe correspondant
– le ou les supports matériels sur les-
céder à l’enregistrement de sons seuls
quels sont enregistrés les éléments so- aux catégories de sons. Chaque piste
pour faciliter les opérations de montage, ou groupe de pistes, correspondant à un
nores d’un film ;
même si les sons directs semblent satis- même son, est affecté à une voie de la
– ces éléments en eux-mêmes, tels
faisants. console qui permettra d’en contrôler le
qu’ils sont perçus par le spectateur.
Le silence plateau est caractéristique niveau au moyen d’un potentiomètre et la
Bande sonore d’un film. S’agissant
de l’ambiance sonore du lieu de tournage. tonalité au moyen de filtres. Chaque piste
d’un film achevé, le support matériel du Un enregistrement de ce « silence » sera ou groupe de pistes pourra être dirigée
son dépend des cas.
établi, pour « boucher » des blancs dans vers une ou plusieurs voies de reproduc-
Pour les copies d’exploitation stan- la bande des sons directs. tion dans la salle (en général, trois voies
dards, c’est la piste sonore optique Pour les sons enregistrés sur place, d’écran et deux voies d’ambiance). Le
inscrite à côté de l’image de type ana- l’emploi de magnétophones numériques mixage s’effectue souvent en plusieurs
logique, numérique ou sous forme d’un portables utilisant des cassettes s’est étapes successives, les voix, puis les
code temporel. ( PROCÉDÉS DU CINÉMA généralisé. L’emploi de magnétophones effets et ensuite les musiques. À partir de
SONORE.) bande lisse de type Nagra a été aban- l’ensemble de ces voies équilibrées les
Pour les projections en double bande, donné progressivement au cinéma de- unes vis-à-vis des autres, on procédera
ainsi nommées parce que leur projec- puis le début des années 90. Le défile- au mixage final qui correspondra à la
tion nécessite le défilement simultané de ment de la caméra et du magnétophone bande sonore définitive du film. Comme
deux éléments indépendants, l’un pour est asservi à partir d’un quartz sur chaque il existe plusieurs possibilités de diffusion
l’image, l’autre pour le son, la bande son équipement, ce qui permet aux deux en analogique (mono ou multicanal) ou
peut être enregistrée soit sur bande ma- bandes image et son de défiler parfai- en numérique avec des nombres de ca-
gnétique perforée, de même largeur que tement en synchronisme, sans aucune naux différents, il est souvent procédé à
le film image (son analogique), soit, en liaison entre eux. La synchronisation un mixage final par système de reproduc-
numérique, sur des disques durs ou des entre ces bandes est ensuite réalisée à tion (Dolby SR, Dolby numérique SR-D,
bandes magnétiques lisses (en cassettes partir de la claquette* ou du code tempo- DTS et SDDS). Le mixage d’un long mé-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

trage en multicanal peut prendre jusqu’à Il est donc rare que la bande sonore d’un né en 1956 et qui a produit depuis cette
cinq semaines. film constitue en elle-même un ensemble date près de 500 films. Leurs conditions
Les bandes sonores en mono (un seul susceptible d’être écouté de façon auto- de réalisation demeurent peu profes-
canal de reproduction) sont devenues nome. C’est cependant le cas dans les sionnelles jusqu’à la fin des années 70
très rares pour les films de long métrage. films musicaux, tournés et construits et, enfin, l’implantation de studios et de
L’enregistrement sur un support analo- sur une musique préexistante. (On peut laboratoires d’État (Film Development
gique (film perforé 16 ou 35mm) est de- aussi citer certains cas limites, comme Corporation Studio), qui suppléent les
venu exceptionnel dans le cinéma, sauf Son nom de Venise dans Calcutta désert moyens d’infortune auxquels on recourt
pour des projections de présentation en de Marguerite Duras, conçu à partir de la depuis 1959. D’abord influencé par les
salle de vision avant achèvement du film. bande sonore, déjà entièrement réalisée, films bengalis de Calcutta et le succès
de India Song.) de Pather Panchali de Satyajit Ray, la
Une fois le mixage final réalisé, on pro-
production se voit dominée et réduite à
cède à son enregistrement sur un sup-
BANDE SYNCHRO. peu de chose par celle de Lahore (Pakis-
port numérique, bandes magnétiques ou
Film, portant le texte à dire, projeté sous tan occidental). Il n’y a aucune école de
disques selon les procédés.
l’écran, en synchronisme avec le film cinéma ; les films sont produits et tournés
À partir de ces enregistrements sera
portant les images, lors d’un doublage par des amateurs et recopient les clichés
établi le négatif son pour le tirage des co-
ou d’une postsynchronisation. ( DOU- et schémas indiens des années 40 — ou,
pies d’exploitation, qui comportera systé-
BLAGE.) au mieux, s’inspirent de Ray : Sutorang
matiquement une piste analogique (piste
de Subhash Duta (1964) ; ‘ la Femme et
optique) en Stéréo ainsi que de un à trois BANDERAS (José Antonio Domínguez la rivière ’ (Nadi o nari) de Sadek Khan
procédés numériques de reproduction Banderas, dit Antonio), acteur espagnol (1965). Cette même année, réagissant
sonore en salle (Dolby SR-D*, DTS* et (Málaga, 1960). contre la dominante pakistanaise, Sala-
SDDS*). Après une courte expérience théâtrale, huddin tourne, sur un thème de folksong
Pour les films dont la bande sonore est Almodóvar le fait débuter sur l’écran dans local, Roopban, dont le succès inespéré
en mono, le nombre de pistes à mixer est Labyrinthe des passions (1982). Il devient et considérable incite la production à
ramené à une vingtaine au maximum et l’une des figures préférées du réalisateur mettre en coupe réglée le folklore ben-
les opérations de mixage s’en trouvent à la mode, puisqu’il joue dans Matador gali, mais sans recherches de formes ni
largement simplifiées. (1986), la Loi du désir (id.), Femmes de langage. C’était pourtant l’indication
Son direct et postsynchronisation. au bord de la crise de nerfs (1988) et d’une volonté d’émancipation nationale.
En France, les cinéastes travaillent de Attache-moi ! (1989). Son magnétisme La guerre de sécession de 1971 va ins-
préférence en son direct, c’est-à-dire de jeune premier lui vaut d’être sollicité pirer nombre de films, aussi médiocres
avec le son capté au tournage. En Ita- aussi par Carlos Saura (Los zancos, que ceux de la production précédente, à
lie, au contraire, les films sont presque 1984), José Luis García Sánchez (La l’exception de quelques titres : ‘ Ces onze
toujours postsynchronisés : les voix sont corte de Faraón, 1985), Vicente Aranda hommes ’ (Ora egarojon) de Shashi Na-
enregistrées après coup, en studio, selon (Si te dicen que caí, 1989), et d’enta- zrul Islam et ‘ Dans les flammes de l’aube ’
la méthode employée pour le doublage. mer une carrière internationale, avec le (Arunodoyer agnishakhi) de Dutta (1972),
A priori, le son direct présente l’avan- Voleur d’enfants (G. Amelio, 1991), The ou Dhirey bahe Meghna de Alamgir Kabir
tage de conserver l’authenticité du son. Mambo Kings (Arnold Glimcher, 1991), la (1973). Ce dernier, en 1978, propose
Maison des esprits (Bille August, 1993), avec Rupali Shaikatey un constat ro-
Play back.Pour les films musicaux, on
Desperado (Robert Rodriguez, 1994), mancé des luttes pendant les années 60.
a recours au play back : le son, préalable-
Assassins (R. Donner, 1995), Excès de La thématique paraît se diversifier, et
ment enregistré, est diffusé sur le lieu de
confiance (Never Talk to Strangers, Peter l’État pratique une politique d’aide à la
tournage et il commande le mouvement
Hall, 1996), Evita (A. Parker, 1997), Two qualité. Les quelque 85 millions de Ben-
des acteurs.
Much (F. Trueba, 1996), The Mask of galis, en 1981, disposaient de près de
Version internationale. Pour réaliser
Zorro (Martin Campbell, 1998), Spy Kids 300 salles, y compris les établissements
une version dans une autre langue que
(R. Rodriguez, 2001), le Tombeau (The saisonniers, soit environ 130 000 sièges,
celle du tournage, une « version interna-
body, Jonas Mc Cord, id.). ce qui assure la rentabilité d’une produc-
tionale » (V.I.) est établie au moment du
tion aux coûts relativement bas, mais
mixage. Cette V.I. comporte les éléments
BANDO (Tsumasaburo, dit Bantsuma), encore artisanale par bien des aspects,
effets et musique de la bande son du pro-
acteur japonais (Tokyo 1901 - Kyoto 1953). comme en témoigne encore la Maison
gramme.
L’une des vedettes masculines les plus tragique (Surja digal bari), réalisé en
Bande sonore du film. On appelle populaires de son époque, il fut, avec 1979 par Masi ud-Din Shaker et Shaykh
bande sonore, ou bande-son, la conti- Matsunosuke Onoe et Denjiro Okochi, le Niamat Ali, film qui traite de la corruption.
nuité et la somme des éléments sonores prototype du samouraï depuis le muet,
du film tels qu’ils résultent du mixage et en particulier dans les films de Shozo BANIONIS (Donatas) [Donatas Juozovi
perçus par le spectateur. Un léger abus Makino, ou de sa propre compagnie Banionis], acteur soviétique (Kaunas, Li-
de terme conduit à parler de « bande fondée en 1924. Durant sa carrière, qui tuanie, 1924).
sonore originale » pour des disques ou s’étale sur trente ans, de 1923 à sa mort, Acteur de théâtre renommé, il est lancé
des cassettes qui reproduisent en fait il tourne plus de cent films, le plus connu à l’écran par Vitautas Jalakiavicius, qui
uniquement la musique du film et non restant sans doute le Pousse-pousse, de lui offre le rôle d’un président de soviet
les dialogues ou les bruits. La publica- Hiroshi Inagaki (1943), dont un remake rural dans Personne ne voulait mourir
tion discographique de bandes sonores fut réalisé par le même metteur en scène (1965). Il est ensuite un des membres
complètes, avec les paroles et les bruits, en 1958, avec Toshiro Mifune. de l’expédition Nobile au pôle Nord dans
est encore assez rare. De toute façon, le la Tente rouge (M. Kalatozov, 1971), le
terme de bande sonore prête à contes- BANGLADESH. duc d’Albany dans le Roi Lear (G. Kozint-
tation, car il sous-entend une indépen- La partition de l’Inde en 1947 fait que sev, 1971), Goya et Beethoven dans les
dance des éléments sonores, qui feraient le Bengale oriental devient le Pakistan films homonymes de Konrad Wolf (1971)
comme un « bloc » face à l’image. Or, ces oriental jusqu’à la sécession et l’acces- et Horst Seeman (1976), deux produc-
éléments sont perçus par le spectateur sion à l’indépendance. Ces phases histo- tions de la RDA. Mais c’est Tarkovski
en fonction de leur rapport avec l’image. riques conditionnent le sort d’un cinéma qui l’impose à l’attention internationale

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

en lui confiant le rôle principal de Solaris vaut dans l’Homme qui en savait trop confesión (1909), Locura de amor (1910),
(1973). On le voit ensuite dans la Fuite (A. Hitchcock, 1934) — rôle repris, lors du Don Pedro el Cruel (1911), Los amantes
de Mister McKinley (M. Chveitzer, 1975), remake, par James Stewart — ou le Lei- de Teruel (1912), La madre (id.), Amor
Maman, je suis en vie (K. Wolf, 1977), cester de l’Invincible Armada (W. K. Ho- andaluz (1913), La malquerida (1914),
les Centaures (V. Jalakiavicius, 1978), la ward, 1937) ; sa diction et son métier Sangre y arena (1916), Juan José (1917),
Floraison du seigle non semé (Cvetenie lui valent d’être le Choeur dans Henry V La sombra del polaco (1918), Fuerza y
nesejanoj roži, Marionas Gedris, 1979). (L. Olivier, 1944). Pourtant, sa notoriété nobleza (id.), la Gitane blanche (Los ar-
s’est perdue dans trop de films et de lequines de seda y oro, 1919), El judío
BANKHEAD (Tallulah), actrice américaine rôles secondaires : Bozambo (Z. Korda, polaco (1920), El relicario (1933). Son
(Huntsville, Ala., 1903 - New York, N. Y., 1935), Wings of the Morning (H. Schus- frère, l’opérateur Ramón de Baños (Bar-
1968). ter, 1937) ; l’Auberge de la Jamaïque celone 1890 - id. 1980), collabore à la plu-
Cette héritière d’une riche famille sudiste, (A. Hitchcock, 1939). part de ses films, sauf pendant la courte
devenue actrice par goût du paradoxe, période où il travaille au nord du Brésil
est un phénomène essentiellement théâ- BANKS (Mario Bianchi, dit Monty), acteur (1911-1914). Bons techniciens, les frères
tral, qui n’a que rarement trouvé à l’écran et cinéaste américain d’origine italienne Baños fréquentent tous les genres (feuil-
un véhicule à la hauteur de sa person- (Cesano 1897 - Arona 1950). letons, espagnolades, comédies, tragé-
nalité explosive. En 1918, elle avait déjà Venu aux États-Unis à dix-sept ans avec dies, épisodes historiques), la théâtralité
tourné deux films (When Men Betray, un numéro de danseur acrobatique, il et le statisme de la caméra typiques du
d’Ivan Abramson, et Thirty a Week, de débute à Hollywood dans les films de cinéma primitif n’empêchant pas l’adhé-
Harry Beaumont), sans grand succès. « Fatty » Arbuckle, où il joue aux côtés sion enthousiaste des spectateurs.
Elle s’expatria à Londres qui lui fit une de ce dernier les rôles de souffre-dou-
légende de monstre sacré du théâtre leur. Il dirige bientôt ses propres courts BANTON (Travis), costumier américain
anglo-saxon. Plus glamoureuse que métrages comiques. Il s’installe en Angle- (Waco, Tex., 1894 - Los Angeles, Ca., 1958).
belle, élégante, extravagante, auréolée terre en 1928, y épouse la comédienne Avec Adrian, le grand costumier d’Hol-
de gloire, elle réapparaît à l’écran en Gracie Fields et y réalise une vingtaine lywood. Sa carrière, bien entamée dès
1928, en Angleterre (His House in Order de films, dans lesquels il joue aussi à le muet, trouve sa consécration avec les
et A Woman’s Law). Il était inévitable que l’occasion. La guerre et sa nationalité ita- toilettes fiévreuses qu’il imagine pour
Hollywood, à ce moment avide de talents lienne l’obligent à regagner les États-Unis Marlene Dietrich, dirigée par Josef von
scéniques, lui fasse un pont d’or. Hélas, en 1940. Il y tourne un médiocre dernier Sternberg dans Morocco (1930), X 27
la Paramount, où elle était sous contrat, film : Quel pétard ! (Great Guns, 1941) (1931), Shanghai Express (1932), Blonde
la distribua dans de sombres mélodrames avec Laurel et Hardy. Connu aussi sous Vénus (id.), l’Impératrice rouge (1934)
où son tempérament flamboyant eut peu le nom de Montague Banks, il revint finir et surtout dans la Femme et le Pantin
l’occasion de s’embraser. Pourtant, son sa vie en Italie. (1935). Le meilleur de son travail, il le fit
premier film, Tarnished Lady (G. Cukor, à la Paramount. Dans les années 40, à la
1931), brillant et amusant malgré un scé- BANKY (Vilma Lonchit, dite Vilma), actrice 20th Century Fox et à l’Universal, il devint
nario lacrymal, laissait bien augurer de américaine d’origine hongroise (Nagyro- plus anonyme, ne se singularisant qu’ex-
l’avenir. Par manque d’imagination, on god [auj. Budapest] 1898 - Los Angeles, ceptionnellement (Lettre d’une inconnue,
en fit un décalque de Marlene Dietrich. Ca., 1991). Max Ophuls, 1948).
Tallulah, elle-même peu enthousiaste, Samuel Goldwyn lui fait quitter l’Europe
laissa sa carrière aller à vau-l’eau, dans pour Hollywood ; elle y joue son premier BAQUET (Maurice), acteur français (Ville-
des productions peu inspirées comme rôle face à Ronald Colman, dans l’Ange franche-sur-Saône 1911).
My Sin (G. Abbott, 1931), The Cheat (id., des ténèbres, mélodrame de George Membre du Groupe Octobre avec Pré-
1931), le Démon du sous-marin (Marion Fitzmaurice (1925). Mais elle est sur- vert en 1934-35, vedette du Châtelet, il
Gering, 1932), Thunder Below (Richard tout connue pour trois films : l’Aigle noir sait combiner tout au long des années
Wallace, id.) ou Faithless (H. Beaumont, (C. Brown, 1925, d’après Pouchkine), où les joies du violoncelle et les plaisirs
id. ; pour la MGM). Si bien qu’en 1933 elle elle dispute victorieusement Doubrovski de la montagne avec cette fantaisie
quitta Hollywood pour Broadway, où elle (Rudolph Valentino) à Catherine II (Louise sympathique qui fait le charme de ses
fit quelques-unes des grandes créations Dresser) ; le Fils du Cheikh (G. Fitzmau- apparitions dans le Crime de M. Lange
du théâtre américain et scandalisa cer- rice, 1926), également avec Valentino, (J. Renoir, 1936), Hélène (J. Benoît-Lévy,
tains par ses fantaisies imprévisibles. Le où elle est la danseuse Yasmin ; enfin, id.), la Mort du cygne (id., 1937), les Bas-
cinéma ne fit plus appel à elle qu’occa- Barbara, fille du désert (H. King, id.) avec Fonds (Renoir, id.), l’Alibi (P. Chenal, id.),
sionnellement. Mais, en la voyant en jour- Ronald Colman. Pour mémoire, elle était Gueule d’amour (J. Grémillon, id.), Der-
naliste, sophistiquée et acide échouée apparue en 1925 aux côtés de Max Lin- nier Atout (J. Becker, 1942), Premier de
dans Lifeboat (A. Hitchcock, 1944), ou der dans le Roi du cirque (Der Zirkuskö- cordée (L. Daquin, 1944), Adieu Léonard
en tsarine de fer, vulnérable aux beaux nig) de Émile-Édouard Violet (et M. Lin- et Voyage surprise (P. Prévert, 1943 et
officiers, dans Scandale à la cour (O. Pre- der) et sera dirigée par Victor Sjöström 1947), les Aventures des Pieds Nickelés
minger, 1945), on peut regretter que le en 1930 dans A Woman to Love. Mariée (Marcel Aboulker, 1948), Bibi Fricotin
cinéma soit passé à côté de ce person- spectaculairement à Rod La Rocque en (Marcel Blistène, 1951). Confiné dans
nage exceptionnel. Elle apparaît briève- 1927, elle met fin à sa carrière en 1932. des petits rôles de comédies, il change
ment dans Main Street to Broadway de de style à l’occasion, comme dans Z de
Tay Garnett (1953). BAÑOS (Ricardo de), cinéaste espagnol Costa-Gavras (1969).
(Barcelone, Catalogne, 1882 - id. 1939).
BANKS (Leslie), acteur britannique (West Il est un des pionniers du cinéma en Ca- BARA (Margit), actrice hongroise (Cluj [auj.
Derby 1890 - Londres 1952). talogne. Ancien employé de Gaumont à Cluj-Napoca] Roumanie, 1927).
Il commence jeune, et d’abord au théâtre, Paris, il s’associe à Alberto Marro, fonda- Elle débute au théâtre dans sa ville na-
une carrière anglo-américaine. Puis il ap- teur de Hispano Film (1906). Il tourne un tale, puis s’installe à Budapest en 1955
paraît, inquiétant et mémorable, en comte grand nombre de reportages, quelques et entreprend simultanément une car-
Zaroff, dans le film devenu classique de zarzuelas et plusieurs films de fiction, rière au cinéma. Elle est révélée par le
Schoedsack et Pichel (les Chasses du notamment Don Juan Tenorio (1908 ; film d’Imre Fehér, Un amour du dimanche
comte Zaroff, 1932). Sa distinction pré- une autre version en 1922), Secreto de (1957), une des oeuvres marquantes du

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

renouveau hongrois : sa beauté et son ro- était prête à considérer toute proposition à Paris Vera Barsoukov, apparut encore
mantisme, dans cette touchante histoire de retour à l’écran. dans des productions mineures de Karl
d’un amour malheureux, restent inou- Anton (Monsieur Albert, 1932) et Alexis
bliables. Le miracle ne se reproduira pas BARAKAT (Henry), cinéaste égyptien (Le Granowsky (les Aventures du roi Pau-
(ni pour le cinéaste ni pour elle) malgré Caire 1914 - id. 1997). sole, 1933), puis se retira discrètement
ses prestations de grande qualité sous Il s’initie à la production, puis au montage de la vie du spectacle.
la direction de Máriássy (Contrebandiers, (avec Amad Badrakhan), et à la réalisa-

1958 ; Imposteurs, 1969), Ranódy (Danse tion (avec Amad Gallal), avant d’entre- BARATIER (Jacques Baratier de Rey, dit
macabre, 1957), Makk (la Maison au pied prendre une carrière facile et régulière : Jacques), cinéaste français (Montpellier
du roc, 1958), Kovács (‘ Averse ’, 1961 ; quelque soixante films depuis 1941, dont 1918).
une large part de musicaux souvent pro- D’abord auteur de courts métrages (dont
Jours glacés, 1966), Szemes (‘ Doux et
amer ’ [Édes és keser] 1967). Depuis duits au Liban avec des vedettes de la Désordre, 1949, sur Saint-Germain-des-
chanson tels Fayruz et Farid al-Arash, Prés, Métier de danseur, 1953, et Paris,
le début des années 70, elle abandonne
sans jamais dépasser les conventions du la nuit, 1956, CO Jean Valère), il tourne
peu à peu le cinéma.
genre. Une brève tentative de réalisme son premier grand film en Tunisie en
BARA (Theodosia Goodman, dite Theda), (Hassan et Naïma / asan wa Na’ïma, 1957 : Goha le simple, sur un scénario
actrice américaine (Cinncinati, Ohio, 1958) favorable à une révision du statut de Georges Schéhadé. Cinéaste ambi-
1890 - Los Angeles, Ca., 1955). de la femme (la Porte ouverte / al-Bab tieux, Baratier travaillera par la suite avec
On est bien en peine de parler de la lé- al-maftu 1963) aboutit à marquer une Audiberti (la Poupée, 1962), Arrabal
gendaire Theda Bara, dans la mesure où, date avec le Péché (al-aram, 1965). (Piège, 1969), Christiane Rochefort (la
de sa riche carrière, ne semble subsis- Mieux que dans le précédent et trop Décharge, 1970, film sur les bidonvilles,
ter que A Fool There Was (Frank Powell, romanesque Appel du courlis (Da ‘wa remanié plus tard sous le titre la Ville-Bi-

1915). Celle qui a été la première vamp al-karawan, 1959), la réalité rurale et la don, 1976). Il a exprimé un humour très
condition féminine y sont traitées sans personnel dans l’Or du duc (1965). Aucun
cinématographique nous est plus connue
emphase et dans un milieu ignoré des de ses films n’a rencontré de succès
par ses photos que par ses films : on la
studios : une jeune paysanne qu’un de commercial, à l’exception peut-être de
voit, l’oeil charbonneux et fixe, plus ou
ses maîtres a violée accouche dans un Dragées au poivre (1963). « Le cinéma,
moins couverte de perles et de pierre-
champ, pendant la récolte. Cette figure déclare Baratier, a toujours été pour moi
ries, languide, sur des peaux de bêtes,
devenue archétypale doit beaucoup à une aventure plus qu’un métier. » Il réa-
à proximité d’un squelette ou d’un crâne.
la sensibilité et à la mesure de Fatin lise en 1986 l’Araignée de satin.
À juger de A Fool There Was, ses pres-
amama, qui rompait avec l’habituel jeu
tations cinématographiques semblent
théâtral du film égyptien ; mais la mise en BARATTOLO (Giuseppe), producteur ita-
assez primitives et, vues avec le recul,
scène, cette fois maîtrisée, confère au lien (Naples 1881 - Rome 1949).
bien sages. Néanmoins, ce mythe fabri-
drame, dont le rude arrière-plan agraire D’abord actif dans le secteur de la distri-
qué de toutes pièces par le producteur
est esquissé sans démagogie ni trop bution, Barattolo fonde en 1913 la société
William Fox reste exemplaire d’un certain
de naïveté, une certaine grandeur. Si de production Barattolo-Giomini-Panella,
Hollywood. Theodosia Goodman de Cin-
le Péché s’avère un classique, la noto- qui devient l’année suivante la Caesar
cinnati devint Theda Bara (anagramme
riété de Barakat se révèle ambiguë, trop Film. Le succès de cette maison est lié
d’Arab Death), née sur les rives du Nil,
entachée d’un savoir-faire commercial aux films tournés avec Francesca Ber-
de l’union d’un artiste français et d’une
complaisant. La plus grande part de sa tini, la première grande diva du cinéma
princesse arabe, investie de pouvoirs
filmographie est constituée de divertis- italien. Pour elle, Barattolo crée même en
occultes, cause du suicide de nombreux
sements et comédies musicales, dont on 1918 la Bertini Film, filiale de la Caesar.
hommes du monde. Cette publicité bien
peut rappeler ’Chant immortel‘ (Lah nal- Afin de résoudre les problèmes de pro-
montée fit son effet et, pendant cinq ans,
khulud, 1952), ’ Chaînes de soie ‘ (Salasil duction nés au lendemain de la guerre,
Theda Bara jouit d’un succès ravageur.
min harir, 1962), Safarbalek (1967), ’ le Fil Barattolo est à l’origine de l’Union ciné-
Malgré quelques tentatives pour adoucir
fin ‘ (al-Khaït ar-rafi, avec Fatin amama, matographique italienne, trust constitué
son personnage (les Deux Orphelines,
1971) et ’Ni diable ni ange‘ (Lastu shay- en 1919 par le regroupement des prin-
H. Brenon, 1915), Roméo et Juliette
tanan wola malakan, avec Nur as-Sharif, cipales sociétés italiennes. La faillite de
[Romeo and Juliet], J. Gordon Edwards,
1980). l’UCI en 1923 est largement imputable
1916), c’était la vamp que le public ré- à la politique peu avisée du producteur.
clamait. Il serait intéressant de découvrir BARANOVSKAÏA (Vera) [Vera Ferodovna Avec les débuts du film sonore, Barat-
les vastes productions que Raoul Walsh Baranovskaja], actrice soviétique (Moscou tolo relance la Caesar Film (1931-1934)
(Carmen, 1915 ; la Reine des Césars, 1885 - Paris 1935). et produit quelques titres marquants
1916) ou J. Gordon Edwards, grand-père Formée par le théâtre d’Art de Moscou, (notamment des oeuvres de Palermi). En
de Blake Edwards (Under Two Flags, élève de Stanislavski, elle n’avait joué 1938, la Caesar Film est absorbée par
1916 ; Cléopâtre [Cleopatra], 1917 ; la que des rôles sans grand relief à l’écran la Scalera Film, pour laquelle Barattolo
Rose de sang [The Rose of Blood], id. ; (sous la direction de Bontch-Tomatche- devient directeur de production. Il est à
Madame du Barry, 1918 ; Salomé, id. ; le vski, Tatichtchev et Leo Mour) quand l’origine de la fondation, en 1942, des stu-
Démon femelle [The She-Devil], 1919 ; elle fut appelée par Vsevolod Poudov- dios Scalera de Venise.
le Chant de la sirène [The Sirene Song], kine pour incarner l’héroïne principale
id.), lui confectionnaient, et dont quelques de la Mère (1926), d’après l’oeuvre de BARBACHANO PONCE (Manuel), pro-
photos attestent l’éclat. Theda Bara Gorki. Ce rôle puissant — l’éveil de la ducteur mexicain (Mérida, Yucatán, 1924
épousera le cinéaste Charles Brabin (qui conscience de classe chez une humble – Mexico 1994).
l’avait dirigée en 1919 dans Kathleen Ma- femme du peuple — devait la marquer Initiateur d’un timide courant indépen-
vourneen) et verra peu à peu sa carrière profondément. Dans un registre assez dant, en marge de l’industrie tradition-
décliner. En 1926, elle apparaît une fois proche, elle tourna la Fin de Saint-Péters- nelle (sclérosée, mais encore puissante),
encore — la dernière — dans un court bourg (1927), du même Poudovkine, et, il a produit notamment Raíces (B. Ala-
métrage, Madame Mystery de Hal Roach, après avoir quitté l’URSS en 1929, Telle zraki, 1953), Toro (C. Velo, 1956), Naza-
où elle se parodie. Cependant, jusqu’à est la vie (1929), du cinéaste sudète Carl rin (L. Buñuel, 1958), Sonatas (J. A. Bar-
sa mort, elle avait laissé entendre qu’elle Junghans. Elle se fit appeler à Prague et dem, 1959), El gallo de oro (R. Gavaldón,

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

1964), Pedro Páramo (C. Velo, 1966), mancier français (Perpignan 1909 - Fort de Films : Esa pareja feliz (CO L. G. Ber-
Frida, naturaleza viva (P. Leduc, 1984), Montrouge 1945). langa, 1951) ; Cómicos (1953) ; Felices
Tequila (Rubén Gámez, 1992) et plu- Robert Brasillach est le critique littéraire Pascuas (1954), Mort d’un cycliste
sieurs films de J.H. Hermosillo parmi les- en titre de l’Action française quand il pu- (Muerte de un ciclista, 1955), Grand’Rue
quels Maria de mi corazón (1979), Doña blie en 1935, avec son beau-frère Maurice (Calle Mayor, 1956), la Vengeance (La
Herlinda y su hijo (1984), La tarea (1990), Bardèche, une Histoire du cinéma (chez venganza, 1958), Sonatas (1959), A las
La tarea prohibida (1992). Complice de Denoël), rééditée, avec de nombreuses cinco de la tarde (1960) ; Los inocentes
Zavattini lors de ses séjours latino-amé- additions et modifications, en 1943, 1948 (1962) ; Une femme est passée (Nunca
ricains, Barbachano est un cas assez et 1953. Le plus grand mérite de ce livre, pasa nada, 1963) ; les Pianos méca-
rare de producteur resté fidèle à ses pre- de grande audience à l’époque, contes- niques (1965) ; El último día de la guerra
mières inquiétudes. table sur bien des points – en particulier (1969) ; Variétés (1971) ; l’Île mystérieuse
par un antisémitisme virulent appliqué au (CO H. Colpi, 1972) ; La corrupción de
BARBARO (Umberto), scénariste, critique monde du cinéma – est d’être l’un des Chris Miller (id.) ; El poder del deseo
et théoricien italien (Acireale 1902 - Rome
tout premiers à avoir une ambition aussi (1976) ; El puente (1977) ; les Sept Jours
1959).
universelle. Lors de la première publica- de janvier (Siete días de enero, 1978) ;
Également dramaturge et romancier, il
tion de leur ouvrage, les deux auteurs l’Avertissement (Predupreždenie, BULG,
réalise un long métrage, Ultima nemica
avaient tout juste vingt-six ans. URSS, RDA, 1982) ; Lorca, mort d’un
(1937), la même année qu’il est nommé
poète (Lorca, muerte de un poeta, six
professeur au Centro sperimentale de BARDEM (Juan Antonio), cinéaste espa- épis., TV, 1988), El joven Picasso (TV,
Rome, où l’influence de son enseigne- gnol (Madrid 1922). 1993), Resultado final (1998).
ment, appuyé sur l’étude des films ou des Fils d’un couple de comédiens, il suit des
textes de Eisenstein, Koulechov, Balázs, études d’ingénieur puis de cinéma. Il est BARDOT (Brigitte), actrice française (Paris
est sensible. À partir de 1945 et jusqu’en frappé par la découverte du néoréalisme 1934).
1948, il dirige la revue Bianco e nero, ap- italien, qui guide ses premiers pas dans Issue de la « bonne bourgeoisie » (ce qui
portant au néoréalisme une théorisation la mise en scène. Alors que le national- lui sera reproché quand elle effarouchera
parallèle, sans cesser de prolonger ses sa classe d’origine), elle étudie la danse
catholicisme domine encore le cinéma
réflexions sur les problèmes du langage dès l’enfance et fait un peu de théâtre.
espagnol, il est un des premiers, avec
cinématographique, les rapports de l’art
Luis García Berlanga, à essayer d’ouvrir Ayant posé pour des journaux féminins
au marxisme, le rôle du film documentaire
une brèche dans le système étroitement (1950), elle débute à l’écran en vedette
(il a réalisé quelques CM, dont, en colla-
contrôlé par le franquisme. Ensemble, dès son deuxième film, dont l’audience
boration avec Roberto Longhi, un Car- est aussi modeste que le budget. Mais,
ils réalisent Esa pareja feliz (1951) ;
paccio, 1947, et un Caravaggio, 1948). Il
ensuite, Bardem collabore au scénario remarquée par Marc Allégret et le produc-
écrit pour Giuseppe De Santis le scénario
de Bienvenue Mr. Marshall et Novio a teur Raoul Lévy, elle devient une valeur
de Chasse tragique (1948), où il imbrique
la vista (Berlanga). Le premier film dont commerciale : en 1956, quand Et Dieu
avec efficacité les données sociopoli-
il est l’auteur complet, Cómicos (1953), créa la femme (premier film de Vadim,
tiques et le mécanisme dramatique. Il a
en partie autobiographique, démontre son premier mari) provoque un scandale
pu croire que le néoréalisme serait l’ex-
des qualités, confirmées par Mort d’un et la rend célèbre. C’est la fulgurante ap-
pression d’un lyrisme national à l’image
cycliste (1955) et Grand’Rue (1956), qui parition d’une sensualité juvénile et sans
de l’âge d’or soviétique. Mais l’importance
lui valent une consécration internationale. complexes. D’entrée de jeu, « B. B. »
qu’il accorde au langage, au scénario, à
L’activité de Bardem s’exerce également (comme on l’appelle déjà) occupe, nue
l’esthétique lui vaut une audience réelle.
sur d’autres plans : cofondateur de Obje- et bronzée, toute la longueur du Scope.
Il a incité à la traduction de textes étran-
tivo (1953), une des premières revues En fait, elle a été invitée en Italie et
gers essentiels (Poudovkine, Balázs,
spécialisées indépendantes, il anime en Grande-Bretagne avant même d’être
Eisenstein), et publié lui-même plusieurs
aussi les Conversations de Salamanque fameuse en France. Ses coiffures sau-
ouvrages, dont : Soggetto e sceneggia-
(1955), rassemblant tous ceux qui en- vages, sa moue, son sourire et son allure
tura (Rome 1948) ; Il film e il rinarcimento
tendent transformer le cinéma espagnol ; lui ont drainé un public disparate, où les
marxista dell’arte (Rome 1960) ; Servitu
il préside la maison de production Uninci lycéens côtoient des intellectuels che-
e grandezza del cinema (Rome 1962) ; Il
lorsqu’elle produit Viridiana (L. Buñuel, vronnés : Jean Cocteau, Simone de Beau-
mestiere del critico (Milan, id.).
1961). Il est arrêté plusieurs fois pour son voir, Marguerite Duras lui consacrent des
appartenance au parti communiste. Mal- articles. Sa renommée mondiale boule-
BARBERA (Joseph, dit Joe), producteur
gré cela, il se fait élire au syndicat officiel. verse les canons reçus à l’époque en ma-
et cinéaste d’animation américain (New
Ses premiers films révèlent une capacité tière de séduction. Son indépendance de
York, N. Y., 1911).
d’observation sociale, gauchie par une comportement y ajoute une aura de per-
Entré en 1937 dans les studios d’anima-
démarche trop « cérébrale », voire didac- versité qu’elle n’a pas cherchée. Incar-
tion de la MGM, il s’associe avec William
Hanna pour réaliser à partir de 1940 la tique, qui le porte à l’emphase. Les crois- nation sans vrai précédent de la femme-

série fantastiquement populaire des Tom santes difficultés rencontrées pour mener enfant, elle suscite des hargnes égales

et Jerry, qui leur vaudra sept Oscars. Ils à bien ses projets le font rechercher des aux admirations, mais ses imitatrices
coproductions internationales ou tourner sont innombrables. Pendant une dizaine
deviennent leurs propres producteurs en
1955 et quittent la MGM en 1957 pour à l’étranger, le résultat se révélant sou- d’années, le mot bardolâtrie ne sera pas
produire la série des Loopy the Loop vent médiocre. Figé dans une conception excessif pour désigner cet état d’esprit
puis des séries télévisées de plus en plus académique du cinéma, sa progressive diffus, non sans oppositions, aggravées
médiocres, fondées sur la standardisa- désinvolture compromet même ses com- du fait que la foule fait peur à cette anti-
tion, puis l’usage des ordinateurs d’image pétences techniques. Les sujets sociopo- vamp. Elle essaie de se réconcilier avec
pour l’animation (les Pierrafeu [The litiques choisis après la mort de Franco la « morale » (Babette), et Louis Malle
Flintstones], Yogi Bear, etc.) [ HANNA.] ne suffisent pas à lui faire remonter cette tente de démythifier son ascension (Vie
pente (El puente et les Sept Jours de privée) : c’est peine perdue. La comé-
BARDÈCHE (Maurice), écrivain français janvier), il ne fait plus alors qu’illustrer dienne connaît ses limites : souvent tou-
(Dun-sur-Auron 1908 - Canet-Plage 1998) laborieusement la ligne de réconciliation chante (par instinct), peu douée pour le
et BRASILLACH (Robert), journaliste et ro- nationale du PCE. drame, elle ne manque ni de fantaisie ni

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

d’humour, et sa grâce éclaire encore ses rond, id.) ; le Repos du guerrier (Vadim, cinéma de Moscou (classe de Koule-
films les plus médiocres. Dans d’autres 1962) ; Vie privée (L. Malle, id.) ; le Mépris chov). D’abord acteur dans le film de
conditions de production, elle aurait sans (J.-L. Godard, 1963) ; Une ravissante Koulechov, les Aventures extraordinaires
doute pu déployer un abattage dont ses idiote (E. Molinaro, 1964) ; Dear Brigitte de Mister West au pays des Bolcheviks
shows à la TV ont témoigné. Trop fré- (H. Koster, 1965 : « guest star ») ; Viva (1924), où il joue un rôle de cow-boy
quemment dirigée par des cinéastes Maria (Malle, id.) ; À coeur joie (S. Bour- dans un style délibérément excentrique,
qu’elle n’inspirait pas (sauf Vadim, quel- guignon, 1967) ; Histoires extraordinaires ainsi que dans le premier film de Fédor
quefois Boisrond, plus tard Deville), elle (sketch William Wilson, Malle, 1968) ; Ozep, Miss Mend (1926), dont il est éga-
a visiblement préféré son existence à sa Shalako (E. Dmytryk, id.) ; les Femmes lement coscénariste et coréalisateur, on
carrière. Elle a su prendre en 1973 une (J. Aurel, 1969) ; l’Ours et la Poupée l’aperçoit brièvement dans la Fièvre des
retraite bien calculée (après Don Juan (M. Deville, 1970) ; les Novices (Guy Ca- échecs, de Poudovkine (1925).
73, où elle incarne... Don Juan, et Coli- saril, id.) ; Boulevard du rhum (R. Enrico, Il devient réalisateur à part entière
not Trousse-Chemise) et elle n’y a mis 1971) ; les Pétroleuses (Christian-Jaque, avec la Jeune Fille au carton à chapeau
aucune prétention. Elle a proposé une id.) ; Don Juan 1973 (Vadim, 1973) ; l’His- (Devuška s korobkoj, 1927), qui est déjà
nouvelle silhouette de la jeune femme toire très bonne et très joyeuse de Colinot une manière de chef-d’oeuvre par sa vi-
vouée à l’air et au soleil, porteuse d’un Trousse-Chemise (N. Companeez, id.). vacité, sa tendresse et sa drôlerie. Voilà
érotisme candide dans sa provocation, où aussi un exemple type des comédies
ce qui subsiste des anciens fétichismes BARKER (Reginald), cinéaste américain légères qui se multiplient pendant la pé-
se déleste d’une noirceur démodée. d’origine britannique (Bothwell, Écosse, riode de la NEP : l’action prend pour pré-
1886 - Los Angeles, Ca., 1945).
Cette libération de l’image a annoncé la texte la crise du logement, mais elle est
D’abord acteur, une tournée théâtrale
libération des moeurs, même si les géné- centrée sur un billet de loterie gagnant et
l’amène aux États-Unis en 1910. Acteur
rations suivantes ne s’y sont pas recon- sur les amours de la jeune fille en ques-
et assistant pour D. W. Griffith, il débute
nues. Il reste de ses films (seul Et Dieu tion. On trouve déjà dans cette comédie
dans la réalisation en 1913. Selon Kevin
créa la femme fait peut-être exception) alerte et amusante la poésie et l’humour
des morceaux choisis narrant l’histoire Brownlow, il réalise en fait « bon nombre qui feront le prix des grands films de Bar-
des meilleurs films attribués à Thomas
d’un corps, d’un visage et donc d’une net ; le film est plein de situations déso-
Ince » : la Colère des dieux (The Wrath of
âme, qui sont ceux-là et nuls autres. Bien pilantes et de trouvailles visuelles qui
the Gods, 1914) ; le Gondolier de Venise
loin d’être, comme on l’a dit, un fantasme font mouche : ainsi l’héroïne se pique au
(The Italian, 1915) ; le Lâche (The Co-
du supposé inconscient collectif (l’imagi- doigt en cousant et, comme son amou-
ward, id.). Son plus grand titre de gloire
nation populaire ne travaille de nos jours reux suce la goutte de sang qui perle,
est d’avoir dirigé de grands acteurs du
que sur un modèle déjà fourni), l’effigie à elle se pique à la lèvre et lui tend une
muet dans de grands succès, notamment
laquelle elle s’est absolument identifiée, bouche gourmande. Moscou en octobre
William S. Hart dans le Serment de Rio
quitte à l’abandonner ensuite, ne porte (Moskva v Oktjabre, 1927), un des films
Jim / la Capture de Rio Jim (The Bar-
que son nom. Aussi survit-elle dans la de commande réalisés pour le dixième
gain, 1914) et Charles Ray dans le Lâche
mémoire non comme une star tradition- anniversaire de la révolution, est le récit
(1915). Il dirige aussi, souvent, Renée
nelle, ni comme le sex-symbol qu’en fit la mouvementé des combats menés par les
Adorée, entre 1923 et 1926. Dès le par-
publicité, mais comme un emblème très bolcheviques pour s’assurer le contrôle
lant, il passera aux petites productions
particulier de la fascination cinématogra- de Moscou ; son style est d’un réalisme
pour s’éloigner définitivement des studios
phique. quasi documentaire.
en 1935.
Films : le Trou normand (J. Boyer, Barnet revient à la comédie avec la
1952) ; Manina, la fille sans voiles (W. Ro- Maison de la place Troubnaïa (Dom na
BARNES (George), chef opérateur améri-
zier, id.) ; les Dents longues (D. Gélin, Trubnoj, 1928), où le côté social est plus
cain (1893 - Los Angeles, Ca., 1953).
1953) ; le Portrait de son père (A. Ber- marqué sans que la vigueur satirique en
Il se maria sept fois, notamment avec
thomieu, id.) ; Si Versailles m’était conté souffre : ce sont les nouveaux riches de
Joan Blondell. C’est l’un des maîtres de
(S. Guitry, 1954) ; Un acte d’amour (A. Li- la NEP qui subissent le feu de la critique
sa profession. D’une carrière extrême-
tvak, id.) ; Haine, Amour et Trahison ([Tra- parce qu’ils ne respectent pas les droits
ment riche, retenons ses collaborations
dita], M. Bonnard, id.) ; le Fils de Caroline syndicaux des travailleurs ; naturelle-
avec Henry King (The Winning of Bar-
chérie (Jean Devaivre, 1955) ; Futures ment, tout finit bien pour la sympathique
bara Worth, 1926 ; le Brigand bien-aimé,
Vedettes (M. Allégret, id.) ; Rendez-vous 1939 ; Stanley and Livingstone, id.) ou héroïne du film, indûment chassée par sa
à Rio ([Doctor at sea], Ralph Thomas, patronne, laquelle est mise en demeure
avec Alfred Hitchcock (Rebecca, 1940) ;
id.) ; les Grandes Manoeuvres (R. Clair, d’appliquer la loi. La mise en scène est
la Maison du Dr Edwardes, 1945), où
id.) ; Hélène de Troie (Helen of Troy, extrêmement brillante (agilité de la ca-
son art raffiné et volontiers décoratif s’est
R. Wise, 1956) ; la Lumière d’en face méra, rapidité du montage) et elle four-
épanché avec bonheur. Avec Jane Eyre
(G. Lacombe, id.) ; Cette sacrée gamine mille de gags spécifiquement filmiques
(R. Stevenson, 1944), il a peut-être atteint
(M. Boisrond, id.) ; les Week-ends de (accéléré, rétroversion, etc.).
le sommet de son art, dans la manière
Néron (Mi figlio Nerone, S. V. Steno, id.) ; des gravures et des eaux-fortes roman- La Débâcle (Ledolom, 1931), d’un tout
En effeuillant la marguerite (M. Allégret, tiques anglaises. Il a également travaillé autre ton, illustre directement la cam-
id.) ; Et Dieu créa la femme (R. Vadim, avec Fred Niblo, King Vidor, Clarence pagne de dékoulakisation alors en cours.
id.) ; La mariée est trop belle (P. Gas- Brown, Frank Capra, Ernst Lubitsch, Dans un village, les koulaks refusent de
pard-Huit, id.) ; Une Parisienne (Bois- Raoul Walsh, Allan Dwan, Frank Bor- livrer leur blé, puis tuent un komsomol
rond, 1957) ; les Bijoutiers du clair de zage, Fritz Lang, Robert Siodmak, Billy et le vieux paysan qui allait les dénon-
lune (Vadim, 1958) ; En cas de malheur Wilder et Cecil B. De Mille ; il est à l’ori- cer : les villageois, scandalisés par ces
(C. Autant-Lara, id.) ; la Femme et le Pan- gine de la carrière de Gregg Toland. crimes, se rangent unanimement aux
tin (J. Duvivier, 1959) ; Babette s’en va-t- côtés des représentants locaux du parti
en guerre (Christian-Jaque, id.) ; Voulez- BARNET (Boris) [Boris Vasil’evi Barnet], communiste. Ce beau film, injustement
vous danser avec moi ? (Boisrond, id.) ; cinéaste soviétique (Moscou 1902 - Riga, méconnu, est loin de n’être qu’une oeuvre
la Vérité (H.-G. Clouzot, 1960) ; la Bride Lettonie, 1965). de circonstance et de combat, car Barnet
sur le cou (Vadim, 1961) ; les Amours Après des études de physique, il est un y transcende le didactisme politique par
célèbres (sketch Agnès Bernauer, Bois- temps boxeur, puis élève de l’Institut du une approche nuancée des personnages,

103
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

positifs ou négatifs, et par une mise en du charme et du dynamisme, Concert des 1971 ; Atlantic City, 1980), et Schlöndorff
scène qui ne trahit rien de son talent maîtres de l’art ukrainien (Koncert maste- (le Tambour, 1979, le Faussaire, 1981).
affirmé : admirables images de la cam- rov ukrainskogo iskusstva, 1952), Liana En 1963, elle réalise un court métrage,
pagne sous la neige, effets de montage (Ljana, 1955) et le Poète (Poet, 1957), il Afrique de la légende, et, pour la télévi-
métaphoriques à la manière de Poudov- semble chercher à retrouver son inspira- sion, Trente Ans d’histoire (1965).
kine. Ce n’est pas diminuer les mérites de tion de l’avant-guerre, mais les résultats
Barnet que de déceler l’influence qu’a pu sont assez décevants : il est marqué, BARONCELLI (Jacques de Baroncelli-Ja-
avoir sur lui le réalisateur de Tempête sur lui aussi, par les effets stérilisants de la von, dit Jacques de), cinéaste français
l’Asie, pour lequel il a joué comme acteur difficile période que traverse le cinéma (Bouillargues 1881 - Paris 1951).
dans ce film (1929) et aux côtés duquel il soviétique. Il y a plus de brio et d’inven- Après avoir tâté du journalisme, ce des-
a figuré dans le Cadavre vivant de Fédor tion dans le Lutteur et le Clown (Borec I cendant d’une noble famille du Midi opte
Ozep (1928). Kloun, id., CO Konstantin Youdine), qui dès 1915 (la Maison de l’espion), et défi-
se situe dans le milieu du cirque au début nitivement, pour le cinéma. C’est l’un des
Et puis c’est Okraina (1933), reconnu
du siècle et décrit avec justesse et sym- réalisateurs prisés du muet, tant pour
comme l’un des plus beaux films sovié-
pathie la vie des gens du voyage. On lui la probité de ses adaptations (Champi-
tiques, une réussite merveilleusement
doit encore Annouchka (Annuška, 1959), Tortu, 1919 ; Ramuntcho, 1919 ; le Père
délicate et tendre, traitée dans un style
Alenka (id., 1962) et la Halte (Polustanok, Goriot, 1921 ; la Légende de soeur Béa-
plus réaliste que précédemment (c’est
1963), où il n’est plus que l’ombre de lui- trix, 1923) que pour le charme de ses
son premier film parlant) mais littérale-
même ; en 1959 est finalement exploité évocations maritimes (Pêcheur d’Islande,
ment transfigurée par des images d’une
un film qu’il avait réalisé en 1940, le Vieux 1924). Mais il s’essaye également au
lumineuse beauté et par la présence de
Jockey (Staryj naezdnik). mélodrame (Roger-la-Honte, 1922 ;
la radieuse Elena Kouzmina dans le rôle
En 1959, il écrivait : « Je ne suis pas Nêne, 1923) à l’épopée héroïque (Veille
principal, celui de la fille d’un cordonnier
un homme de théories mais je prends la d’armes, 1925) et au drame bourgeois (la
de village qui tombe amoureuse d’un
matière de mes films dans la vie. Bien Femme et le Pantin, 1929). Le parlant le
jeune Allemand prisonnier (l’action se
ou mal, j’ai toujours essayé de montrer sollicite en des genres trop divers : Crain-
situe durant la Grande Guerre) travaillant
l’époque contemporaine, l’homme vrai quebille (1934), Michel Strogoff (1936),
dans l’atelier de son père, au grand scan-
des temps soviétiques. Mais ce n’est pas Belle Étoile (1938), l’Homme du Niger
dale du vieil homme, tandis qu’éclate la
facile (...) Pour moi, j’aime les choses (1940), la Duchesse de Langeais (1942),
révolution de février et que les bolche-
drôles dans un drame, et les éléments les Mystères de Paris (1943), Fausse
viques entreprennent leur action. On
tragiques dans la comédie. » (Cité par Alerte (1945 [RÉ 1940])... Son fils Jean
retient du film les timides tête-à-tête de
Georges Sadoul.) La conscience d’un (1914-1998) époux de la comédienne
Marika et de l’Allemand, scènes pleines
idéal difficilement accessible et de la diffi- Sophie Desmarets a écrit plusieurs livres
de gentillesse et d’humour, mais aussi la
culté de l’exprimer, c’est peut-être ce qui (Gilbert, 1945 ; le Disgracié, 1947 ; les
vigoureuse évocation du contexte de la
l’a conduit au suicide en 1965. Chevaliers de la lune, 1950 ; l’Hispano
guerre et de la révolution ; si le style est
blanche, 1988) et a été de 1953 à 1983
simple, il est pourtant rehaussé par de
BARON (Auguste), ingénieur français, critique cinématographique au journal Le
nombreux effets de montage métapho-
pionnier du cinéma (Paris 1855 - Neuilly- Monde.
riques qui montrent que le cinéaste reste
sur-Seine 1938).
fidèle à lui-même. C’est le cas aussi dans
Il est l’auteur de très nombreuses in- BAROUX (Lucien), acteur français (Tou-
son film suivant, Au bord de la mer bleue
ventions techniques et fait notamment louse 1888 - Hossegor 1968).
(U samogo sinego morja, 1936), dont
breveter entre 1896 et 1900 les quatre Sa bonhomie le voue aux emplois d’un
l’action se passe dans un kolkhoze de pê-
premiers procédés de synchronisation comique mi-ému, mi-réjoui. Peu de muet,
cheurs : on y retrouve la délicieuse Kouz-
absolue de cinéma sonore et parlant mais l’essor dès 1930. Yves Mirande lui
mina ; ici encore, les images sont d’une
(dont, en 1898, un Graphonoscope (ou réserve de nombreux rôles de premier
réelle splendeur plastique à l’unisson du
Graphoscope), qui inspira plus tard le plan (Baccara, 1936), Café de Paris
lyrisme du montage et de la musique.
Chronophone Gaumont, et, en 1899, un (1938), Derrière la façade (CO G. La-
Une nuit de septembre (No’ v sent- combe, 1939). Sacha Guitry en fait le
Cinématorama animé, en couleurs et par-
jabre, 1939) est le portrait d’un mineur confident de Louis XV (Remontons les
lant). Il présente en 1899 devant l’Acadé-
de choc inspiré par la figure de Stakha- Champs-Élysées, 1938) et le sacre roi de
mie des sciences le film d’une actrice en
nov : c’est une oeuvre sévère où le thème France (Napoléon, 1955). Il sait jouer un
train de chanter. Ces inventions ne purent
du sabotage soutient un propos didac- malheureusement être commercialisées rôle attendri (le Mioche, L. Moguy, 1936)
tique, mais les images sont toujours très et en restèrent au stade expérimental. aussi bien que doux-amer (Feu de paille,
soignées. Durant les hostilités, Barnet Auguste Baron n’en poursuivit pas moins J. Benoît-Lévy, 1940). Il finit évêque co-
réalise deux courts sujets pour le maga- ses recherches dans divers domaines casse (le Diable et les Dix Commande-
zine Cinéjournal de guerre : le Courage (photographie aérienne, électricité, avia- ments, J. Duvivier, 1962).
(Mužestvo, 1941) et Une tête sans prix tion, matériel militaire) et, vers la fin de
(Bescennaja golova, 1942) ainsi qu’une BARRAULT (Jean-Louis), acteur français
sa vie, fit breveter l’Hélio-glyptographe,
comédie restée inédite : Un brave garçon/ procédé de cinéma en relief. (Le Vésinet 1910 - Paris 1994).
les Hommes de Novgorod (Slannyj malyj/ Engagé à l’Atelier par Dullin en 1931, il
Novgorodcy, 1943). Après la guerre, il BARON (Suzanne), chef monteuse fran- s’y voit confier ses premières mises en
signe deux films qui n’ont pas fait date : çaise (Nice 1927). scène cinq ans plus tard. En 1935, il
Une fois, la nuit (Odnaždy no‘ju, 1945) Elle compose de la musique concrète rencontre Étienne Decroux, qui l’initie
et Pages de la vie (Stranicy žizni, 1948, avec Pierre Schaeffer et Pierre Henry. au mime, se lie avec Artaud et le groupe
CO A. Matcheret), ainsi qu’un film d’es- Mais la notoriété lui vient grâce à son tra- surréaliste et fait ses débuts au cinéma. Il
pionnage, Personne ne le saura / l’Exploit vail de montage de grande qualité pour poursuivra dès lors deux carrières, l’une
de l’éclaireur / l’Exploit de l’agent secret certains films de Tati (les Vacances de au théâtre en compagnie de Madeleine
(Podvig razvedika, 1947), récit des aven- M. Hulot, 1953 ; Mon oncle, 1958), Rossif Renaud, qu’il épouse en 1940 et avec qui
tures mouvementées d’un agent sovié- (Mourir à Madrid, 1962), Rouch (les Fils il fonde six ans plus tard la Compagnie
tique en territoire russe occupé. Avec Un de l’eau, 1951), Malle (le Feu follet, 1963 ; Renaud-Barrault, l’autre au cinéma dont
été prodigieux (Šedroe leto, 1951), qui a Viva Maria, 1965 ; le Souffle au coeur, il se désintéressera peu à peu après les

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Enfants du paradis. Il est pourtant l’un amour en Allemagne, 1983). On l’aper- 1999) remet au goût du jour les cartes
des premiers à utiliser des projections çoit en Mme Verdurin vue par Schlöndorff postales de Rio, sur un rythme de comé-
cinématographiques dans sa mise en (Un amour de Swann, 1984). En 1985 die romantique.
scène du Christophe Colomb de Paul elle est l’interprète principale de Vaude-
Claudel (1953). ville de Jean Marboeuf, en 1987 du Jupon BARRETO (Luiz Carlos), producteur et chef

Son physique dicte ses emplois : rouge (Geneviève Lefebvre), en 1988 de opérateur brésilien (Sobral, Ceará, 1929).
Prisonnières (Charlotte Silvera), l’OEuvre Ancien photographe de presse, il est l’au-
sa maigreur, son regard enflammé le
condamnent aux étudiants faméliques, au noir (A. Delvaux) et Jésus de Mon- teur de l’argument de l’Attaque du train

bohèmes de préférence, aux puritains illu- tréal (D. Arcand), en 1991 de Marie Curie postal (R. Farias, 1962) et le directeur de

minés ou aux grands hommes consumés (M. Boisrond ; T.V.) et l’Amour nécessaire la photographie de deux oeuvres fonda-

par un feu dévorant (Bonaparte, Berlioz, (F. Carpi) et en 1993 de la Prochaine Fois mentales du Cinema Novo : Sécheresse

Dunant, Louis XI !). Dans ses meilleurs le feu (id.). (N. Pereira dos Santos, 1963) et Terre en

rôles, c’est avec son corps qu’il joue et transes (G. Rocha, 1967). Devenu pro-
BARRE DE SEPARATION. ducteur, il est l’homme clé de la Difilm,
c’est de lui qu’on se souvient, passant du
Intervalle, normalement opaque, sépa- la maison de distribution fondée par les
numéro de mime admirablement expres-
rant deux images successives sur un film. nouveaux cinéastes, obtenant les plus
sif des Enfants du paradis (repris dans le
Est plus généralement appelée « inter- grands succès au box-office : Dona Flor
Dialogue des carmélites) aux contorsions
image ». et ses deux maris (1976), mis en scène
grimaçantes d’Opale dans le Testament
du docteur Cordelier. Et puis il y a Krantz, par son fils Bruno Barreto, vu par dix mil-
BARRETO (Bruno), cinéaste brésilien (Rio
le tueur de bouchers de Drôle de drame, lions de personnes, a battu les records de
de Janeiro 1955).
où Barrault utilise toutes ses ressources, fréquentation des films brésiliens, n’étant
Fils des producteurs Lucy et Luiz Car-
vocales, faciales et gestuelles, pour don- devancé que par les Dents de la mer
los Barreto, il grandit dans le milieu du
ner une manière de quintessence de son (S. Spielberg, 1975), avec plus de douze
Cinema Novo, tourne des courts mé-
art. millions de spectateurs au Brésil. Embra-
trages depuis sa prime adolescence et
filme, l’entreprise mixte dont cet ancien
Principaux films : les Beaux Jours débute dans la profession alors qu’il a à
stratège du Cinema Novo possède les
(M. Allégret, 1935) ; Sous les yeux peine dix-sept ans. Tati, a garota (1972)
rares actions privées, favorise une cer-
d’Occident (id., 1936) ; Un grand amour s’inspire d’un récit d’Anibal Machado, A
de Beethoven (A. Gance, id.) ; Jenny taine concentration de la production.
estrela sobe (1974) adapte un roman
(M. Carné, id.) ; Mayerling (A. Litvak, id.) ; Barreto se situe parmi les grands pro-
de Marques Rebelo. La troisième adap-
Mademoiselle Docteur (G. W. Pabst, ducteurs, à côté de Oswaldo Massaini,
tation littéraire, Dona Flor et ses deux
1937) ; les Perles de la Couronne Jarbas Barbosa, Alvaro Pacheco, Walter
maris (Dona Flor e seus dois maridos,
(S. Guitry et Christian-Jaque, id.) ; Clark. Il a produit (seul ou avec d’autres),
1976), d’après Jorge Amado, avec la star
Drôle de drame (Carné, id.) ; le Puritain notamment, des oeuvres de Joaquim
du petit écran Sonia Braga dans le rôle-
(J. Musso, 1938) ; Mirages (A. Ryder, Pedro de Andrade, Glauber Rocha, Car-
titre, bat tous les records des films bré-
id.) ; Orage (M. Allégret, id.) ; l’Or dans la los Diegues, Nelson Pereira dos Santos,
siliens dans leur propre pays et obtient
montagne (Max Haufler, Suisse, 1939) ; Bruno Barreto, Eduardo Escorel, Roberto
une large distribution à travers le monde.
Montmartre-sur-Seine (G. Lacombe, Santos, Walter Lima Jr, ainsi que de son
Contrairement à ses mentors des années
1941) ; le Destin fabuleux de Désirée second fils, Fabio Barreto (O quatrilho,
60, Bruno Barreto n’a aucune prétention
Clary (S. Guitry, 1942) ; la Sympho- 1995).
de langage, ni d’engagement particulier
nie fantastique (Christian-Jaque, id.) ; avec son propos : son unique souci est
l’Ange de la nuit (A. Berthomieu, 1944) ; BARRETO (Victor Lima), cinéaste et scé-
d’échafauder une narration efficace, qui
nariste brésilien (Casa Branca, São Paulo,
les Enfants du paradis (Carné, 1945) ; semble couler de source, à l’image des
1906 - Campinas, id., 1982).
la Part de l’ombre (J. Delannoy, id.) ; le classiques de Hollywood. Cependant, il
Il est le plus prestigieux réalisateur de la
Cocu magnifique (E. G. de Meyst, 1947) ; n’arrive pas à retrouver le succès avec
D’homme à hommes (Christian-Jaque, Vera Cruz (1949-1954), cette tentative
Gabriela (Gabriela, cravo e canela,
de transplantation du modèle des studios
1948) ; la Ronde (M. Ophuls, 1950) ; le 1982), nouvelle incarnation de la sensua-
hollywoodiens qui se solda par un fiasco
Dialogue des carmélites (R. P. Bruckber- lité féminine dépeinte par le romancier
artistique et financier. Il s’initie au cinéma
ger et P. Agostini, 1960) ; le Miracle des de Bahia, interprétée toujours par Sonia
loups (A. Hunebelle, 1961) ; le Testament au début des années 40, en tournant des
Braga, mais avec les moyens plus consé-
courts métrages. Suivent deux documen-
du docteur Cordelier (J. Renoir, id.) ; la quents d’une production internationale (la
Grande Frousse (J. P. Mocky, 1964) ; MGM). Il est moins à l’aise avec la mar- taires : Painel (1951), sur une peinture

Chappaqua (C. Rooks, US, 1967), la Nuit ginalité urbaine (Amor bandido, 1978), murale de Portinari, et Santuário (1952,

de Varennes (E. Scola, 1982). serait-elle basée sur le dramaturge Nel- primé à Venise l’année suivante), sur

son Rodrigues (O beijo no asfalto, 1980), les statues religieuses de l’Aleijadinho.


BARRAULT (Marie-Christine), actrice fran- sauf à emprunter un registre plus expres- Un long métrage, O Cangaceiro (1953),
çaise (Paris 1944). sionniste (Romance da empregada, seul succès critique et public de la Vera
Après le cours Simon et le Conser- 1987). Il entame ensuite une carrière aux Cruz, prétend élever le banditisme du
vatoire, elle passe deux saisons au États-Unis, sans parvenir à sortir du lot Nordeste au niveau d’un mythe cinéma-
Théâtre de France sous la direction de (A Show of Force, 1990 ; Carried away, tographique, à force de chevauchées
son oncle Jean-Louis Barrault. Révélée 1996 ; Pur et dur/One Tough Cop, 1998). et d’action inspirées du western, d’une
par Éric Rohmer (Ma nuit chez Maud, Ses derniers films brésiliens, sans doute abondante musique folklorique, mais
1969) dans un rôle de jeune femme fer- plus ambitieux, peinent à obtenir une dif- sans référence sociale, géographique ou
vente et rigoriste où elle apporte quelque fusion plus large, malgré les ponts tendus historique permettant de situer le phé-
chose de brûlant et glacé à la fois, elle vers le public étranger, américain notam- nomène. Victime de son propre succès,
est lancée par le succès de Cousin, cou- ment : Quatre jours en septembre (O que Lima Barreto ne mène plus à son terme
sine (J. C. Tacchella, 1975). Elle tourne é isso, companheiro, 1997), d’après Fer- que A Primeira Missa (1961), tristement
avec André Delvaux (Femme entre chien nando Gabeira, transforme les guérilleros académique. Son scénario Quelé do
et loup, 1979), Woody Allen (Stardust en personnages de thriller, tandis que Pajéu a été repris et mis en scène par
Memories, 1980) et Andrzej Wajda (Un Bossa-Nova et vice-versa (Bossa Nova, Anselmo Duarte en 1970.

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

BARROS (José Leitão de), cinéaste portu- (John Guillermin, Bryan Forbes, Guy chose d’envoûtant. On n’oublie pas non
gais (Lisbonne 1896 - id. 1967). Hamilton, Terence Young) mais, à par- plus ses apparitions dans le Portrait de
Peintre, journaliste, auteur de pièces de tir de 1965, une partie importante de sa Jennie (W. Dieterle, 1949), Deux Mains la
théâtre, il se joint en 1918 au groupe de carrière s’effectue aux États-Unis. Il est nuit (R. Siodmak, 1945) ou The Secret of
la Lusitania Film. Il introduit le cinéma amené le plus souvent à composer les Convict Lake (M. Gordon, 1951). Dans le
parlant au Portugal en tournant en 1931 musiques « mémorisables » de produc- Procès Paradine (1948), Alfred Hitchcock
la Severa (A Severa) et anime le mou- tions à gros budget (Un lion en hiver, a fait d’elle le souffre-douleur terrorisé de
vement qui conduira à la création de la A. Harvey, 1968 ; Boom, J. Losey, id. ; son époux, le juge (Ch. Laughton).
Tóbis Portuguesa. Parmi ses autres films, Macadam Cowboy, J. Schlesinger, 1969 ;
il convient de citer : Maria do Mar (1930) King Kong, J. Guillermin, 1976), sans trop BARRYMORE (John Sidney Blythe Barry-
et Lisboa, Crónica Anedótica (id.), deux se soucier des nuances. Un James Bond more, dit John), acteur américain (Phila-
essais documentaires de grande qualité, digne de ce nom ne se conçoit pas sans delphia, Pa., 1882 - Los Angeles, Ca., 1942).
les Pupilles de M. le Recteur (As Pupilas lui (de Goldfinger, G. Hamilton, 1964 Pendant son adolescence, il essaie
do Senhor Reitor, 1935), Marie Coqueli- à Tuer n’est pas jouer The Living Day- d’échapper à la tradition familiale en
cot (Maria Papoila, 1937), la Véranda des ligths, John Glen, 1987). Au cours des devenant dessinateur dans un journal,
rossignols (A Veranda dos Rouxinóis, années 80 on voit son nom apparaître et aussi en contractant un alcoolisme qui
1939), Ala-arriba (1942), Inês de Cas- au générique de Peggy Sue s’est mariée ne fera que s’aggraver avec les années.
tro (1945), Camoens (Camões, 1946) et (F. F. Coppola, 1986) mais sa collabo- Toutefois il débute à Broadway en 1903
Tempête merveilleuse (Vendaval Mara- ration à Out of Africa (S. Pollack, 1984) et devient le membre le plus illustre de la
vilhoso, 1949). aura des répercussions plus profondes. « famille royale », notamment grâce à ses
En effet, les accords symphoniques de créations shakespeariennes (Richard III
BARROS (Luiz de), cinéaste et producteur Barry enveloppent à ravir les frémisse- en 1920, Hamlet en 1922). Il avait débuté
brésilien (Rio de Janeiro 1893 – id. 1981). ments des amoureux Meryl Streep et à l’écran dès 1913, non sans succès,
Il est l’un des réalisateurs les plus proli- Robert Redford. Depuis cette réussite en se faisant remarquer dans son éton-
fiques de toute l’histoire du cinéma bré- John Barry est souvent sollicité pour nante interprétation de Docteur Jekyll et
silien : entre 1914 (A Viuvinha, inédit) accompagner des histoires romantiques Mr. Hyde (J. S. Robertson, 1920), pour la-
et 1977 (Ele, Ela, Quem ?), sa filmogra- comme les Amants du nouveau monde quelle il refusa le secours du maquillage,
phie approche la centaine de titres. À (The Scarlet Letter, R. Joffé, 1995) ou Au passant d’une personnalité à l’autre par
l’époque du muet, il tourne aussi bien des coeur de la tourmente (Swept from the sa seule expressivité (et par des éclai-
mélodrames urbains ou ruraux que des Sea, Beeban Kidron, 1998). Quelle que rages habiles). Il joua aussi dans l’un
comédies légères ou des actualités (il a soit la qualité du film, l’engagement et la des derniers films d’Albert Parker (Sher-
été parfois son propre chef opérateur). sincérité du musicien, malgré quelques lock Holmes, 1922) avant d’interpréter
Le protagoniste de Perdida (1915) était facilités, paraissent incontestables. le rôle-titre de Beau Brummel (H. Beau-
joué par Leopoldo Froes, principale ve-
mont, 1924), le capitaine Achab (The Sea
dette masculine du théâtre de l’époque. BARRYMORE (Ethel Mae Blythe, dite
Beast, Millard Webb, 1926) et Don Juan,
Il fait à l’occasion une incursion dans les Ethel), actrice américaine (Philadelphia,
film doté d’une partition sonore (A. Cros-
adaptations de classiques de la littérature Pa., 1879 - Beverly Hills, Ca., 1959).
land, 1926), et dont la première à Los
romantique, très prisées alors (Ubirajara, Soeur de Lionel et de John, issus tous
Angeles est un triomphe pour le procédé
1919, d’après José de Alencar) et dans trois du plus célèbre couple du théâtre
Vitaphone... et pour lui. Mais le parlant est
les films érotiques « réservés aux mes- new-yorkais de l’époque (Maurice Barry-
sans doute arrivé trop tard pour cet acteur
sieurs » (Depravação, 1926 ; Messalina, more [Herbert Blythe] et Georgiana
au regard magnétique et à l’admirable
1930). Il signe le premier film brésilien Drew), elle débute sur les planches à
gestuelle, qui devait cependant beaucoup
entièrement sonorisé, Acabaram-se os quinze ans avec son oncle John Drew et
à sa voix. De plus, quatre mariages, qui
Otários (1929), début d’un duo comique devient vedette de Broadway en 1900. La
furent autant d’échecs, et de nombreuses
populaire, Genésio Arruda et Tom Bill. Il « première dame du théâtre américain »
aventures entretenaient autour de lui
devient spécialiste de la comédie musi- aborde sans complexe le cinéma en 1914
une atmosphère de scandale. Excellent
cale, bientôt figée dans les conventions et l’abandonne en 1919 pour n’y revenir
dans Grand Hôtel (E. Goulding, 1932) ou
de la chanchada, dont le tournage est qu’en 1933 dans une entreprise fami-
dans les Invités de huit heures (G. Cukor,
souvent bâclé en quelques jours. Mais liale : Raspoutine et sa cour (R. Boles-
lawski), qui lui vaut un grand succès per- 1933), il joue son propre rôle transposé
ses projets plus sérieux (O Cortiço, 1946,
sonnel (John est le prince Yousoupov et dans Train de luxe (H. Hawks, 1934)
d’après un roman d’Aluízio de Azevedo),
Lionel est Raspoutine). Elle retourne au mais ne peut voir aboutir un projet de
ses films à la gloire des militaires brési-
Hamlet en couleurs (1933), car ses trous
liens (Por um Céu de Liberdade, 1961) théâtre puis réapparaît à l’écran dans un
film expérimental de Clifford Odets, Rien de mémoire se multiplient. Dans Roméo
ne valent pas mieux. Il a publié un livre
qu’un coeur solitaire (1944) ; dès lors, elle et Juliette (G. Cukor, 1936), il interprète
de souvenirs anecdotiques (Minhas
entame une seconde carrière (le film lui Mercutio et surclasse toute la distribution.
Memórias de Cineasta, éd. Artenova et
a valu un Oscar [« best supporting ac- Mais un film autobiographique, The Great
Embrafilme, Rio de Janeiro, 1978).
tress »]). Elle jouera les mères abusives Profile (W. Lang, 1940), sonne le glas de
BARRY (John), musicien britannique (York (la Rose du crime, G. Ratoff, 1947) ou sa célébrité tumultueuse, dont la déca-
1933). angoissées (le Fils du pendu, F. Bor- dence est le sujet de son ultime film, Play-
Il débute par le jazz, en dirigeant une zage, 1948) et les vieilles bourgeoises mates (D. Butler, 1941). Ainsi s’acheva,
petite formation, The John Barry Seven. infirmes victimes de sombres machina- bouclée sur elle-même, une carrière
Ses premières partitions pour le cinéma, tions (Kind Lady, J. Sturges, 1951) ou inextricablement mêlée à la vie privée
au début des années 60, en portent la au contraire énergiquement vouées à de l’acteur, qui a tourné au total dans
marque. Le succès vient très vite, puisque la défense de la bonne cause (Bas les cinquante films. Il a été le père de deux
dès 1961 John Barry est amené à compo- masques, de Richard Brooks, en 1952, acteurs (malheureux) : Diana Barrymore
ser la musique du deuxième James Bond, l’un de ses derniers et meilleurs rôles) (issue de son mariage avec la poétesse
Bons Baisers de Russie (T. Young, 1963). avec la même conviction proche de l’ou- Michael Strange [Blanche Delrichs]) et
Il travaille avec les cinéastes britanniques trance, mais justifiée par la certitude de John « Drew » Barrymore Jr (né de son
à succès, dans les genres les plus divers sa présence dramatique, qui a quelque mariage avec l’actrice Dolores Costello).

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

BARRYMORE (Lionel Blythe, dit Lio- millon, il crée avec Lazare Meerson les oeuvre qui semble perdu, est tombé dans
nel), acteur américain (Philadelphia, Pa., décors de l’Argent (M. L’Herbier, 1929), un regrettable oubli.
1878 - Van Nuys, Ca., 1954). du Martyre de l’obèse (P. Chenal, 1933),
L’aîné des trois Barrymore était sans doute de Yoshiwara (Max Ophuls, 1937), de BARTA (Jii), cinéaste tchèque (Prague
le plus doué pour le cinéma. Il fut en tout l’Honorable Catherine (L’Herbier, 1943). 1948).
cas le premier à en saisir l’importance : On lui doit en outre la réalisation, en Considéré comme l’un des principaux

après ses débuts au théâtre, où il devint 1952, d’un unique film : le Rideau rouge. héritiers de la tradition de la marionnette

vedette en 1900, et un voyage en Europe, animée introduite par Jii Trnka, Barta,
BARSACQ (Léon), décorateur français après un diplôme obtenu aux Arts et Mé-
il entra à la Biograph dès 1909. Interprète
de Griffith, il fut aussi souvent son coscé- (Feodosiya [anc. Theodosia, ou Kaffa] tiers de Prague (1975), a collaboré dès

nariste. En 1924, il se fixa à Hollywood. 1906 - Paris 1969). 1978 au studio de courts métrages de

Partenaire attitré de Pearl White, puis de Après l’École des arts décoratifs à Paris, Prague (Kratky Film Praha), fondé par le
il obtient un diplôme d’architecte et de- maître. Outre quelques courts métrages
Greta Garbo, il saura adapter son jeu au
vient, de 1931 à 1938, assistant d’André qui expérimentent et mêlent éléments
parlant. Il enchante par un double rôle :
Andrejew, Jean Perrier, Robert Gys et, découpés, objets, marionnettes et vues
celui surtout de la vieille Mrs. Mandelip
entre autres, André Barsacq son frère. Il réelles, traitant de façon parabolique de
dans les Poupées du diable (T. Brow-
signe en collaboration les beaux décors la civilisation humaine (Projet, 1981 ; le
ning, 1936). Son masque puissant et
de la Marseillaise (J. Renoir, 1938) et Monde disparu des gants, 1982 ; la Bal-
sa présence despotique lui vaudront de
assiste encore Trauner, réduit à la clan- lade du bois vert, 1983), on lui doit un pre-
vieillir sans difficulté dans des rôles de
destinité, pour les maquettes de Lumière mier long métrage, Krysar (le Joueur de
composition, même lorsque (après 1938)
d’été (J. Grémillon, 1943) et des Enfants flûte, 1985), qui l’a fait remarquer interna-
il ne pourra plus jouer que dans un fau-
du paradis (M. Carné, 1945). Dès les tionalement à partir de 1988. Adapté du
teuil de paralytique. Son cabotinage ne
Mystères de Paris (J. de Baroncelli, 1943) Joueur de flûte d’Hamelin, le film déploie
fut dès lors que la rançon d’une vigueur
s’affirment les traits qui caractériseront une esthétique qui emprunte à la fois
et d’une intelligence intactes, servies par
son oeuvre : la maîtrise dans la fusion à l’imagerie du Moyen Âge, à l’expres-
une diction aussi admirable que celle de
des éléments empruntés au réel avec la sionnisme allemand et au cubisme. Qua-
son frère John. Monstre sacré dans toute
fantaisie propre du décorateur, la finesse torze marionnettes de bois, taillées à la
la force du terme, il fut aussi homme de
avec laquelle les décors établissent une serpe, évoluent dans des décors tortueux
radio, peintre et graveur, compositeur
atmosphère, un goût particulier enfin et inquiétants, proposant une vision du
de musique et écrivain (il est notamment
pour les difficultés de la reconstitution monde plus moraliste que celle de Trnka.
l’auteur de We Barrymores, 1951). Il avait
d’époque. Ces traits trouvent leur expres-
dirigé quelques films muets, dont Life’s
sion idéale dans une longue collaboration BARTAS (Sharunas), cinéaste lituanien
Whirlpool (1917) avec sa soeur Ethel en
avec René Clair dont il décore tous les (Siauliai 1964)
vedette. Il reçut un Oscar en 1931 pour A
films (sauf le sketch de la Française et Après avoir étudié au VGIK de Moscou,
Free Soul de Clarence Brown.
l’Amour), depuis Le silence est d’or (1947) il tourne deux documentaires (Tofala-
Films (env. 250 films) : Friends ria, 1985 ; À la mémoire d’un jour passé
jusqu’aux Deux Pigeons (1962). Autres
(D. W. Griffith, 1912) ; Judith de Bétu- [Praejusios dienos atminimui], 1990) et
films : Boule-de-Suif (Christian-Jaque,
lie (id., 1914) ; The Exploits of Elaine impose une manière de filmer toute nou-
1945), l’Idiot (Georges Lampin, 1946),
(L. Gasnier, 1915, et les suites de ce long les Dernières Vacances (R. Leenhardt, velle et particulièrement originale dès son
serial) ; America (D. W. Griffith, 1924) ; 1948), Pattes blanches (J. Grémillon, premier long métrage : Trois Jours (Trys
The Temptress (F. Niblo, 1926) ; Sadie 1949), le Château de verre (R. Clément, dienos, 1991). Partisan d’une écriture
Thompson (R. Walsh, 1928) ; Mata Hari 1950), Violettes impériales (R. Pottier, minimaliste où l’observation, le silence,
(G. Fitzmaurice, 1932) ; Grand Hotel 1952), Bel Ami (L. Daquin, 1955), les Dia- la lenteur des actions comme photo-
(E. Goulding, id.) ; les Invités de huit boliques (H.-G. Clouzot, id.), les Aven- graphiées au maximum de leur tension
heures (G. Cukor, 1933) ; l’Île au trésor tures de Till l’Espiègle (G. Philipe, 1956), significative remplacent le plus souvent
(V. Fleming, 1934) ; David Copperfield Pot-Bouille (J. Duvivier, 1957), Phèdre les variations narratives, Bartas donne
(Cukor, 1935) ; la Marque du vampire (P. Jourdan, 1968). Son livre le Décor de « à voir » et n’explique que l’essentiel.
(T. Browning, id.) ; le Roman de Margue- film a été publié en 1970. Contemplatif, quasi abstrait parfois, il
rite Gautier (Cukor, 1937) ; Capitaines distrille à petites touches un univers très
courageux (V. Fleming, 1937) ; Vous ne BARSKAÏA (Margarita Aleksandrovna personnel qui est là plus pour tarauder
l’emporterez pas avec vous (F. Capra, Tchardinina-Barskaïa, dite Margarita) l’esprit que pour satisfaire sa curiosité.
1938) ; Depuis ton départ (J. Cromwell, [Margarita Barskaja], cinéaste soviétique Le Corridor (Koridorius, 1995), Few of us
1944) ; Duel au soleil (K. Vidor, 1947) ; (Bakou, Azerbaïdjan, 1901 - Moscou 1937). (1996), The House (1997) et Freedom
Key Largo (J. Huston, 1948) ; Main Street Elle débute comme actrice en 1925, tient (2000) accentuent chaque fois plus cette
to Broadway (T. Garnett, 1953 : confor- des rôles de second plan dans des films tendance à cerner l’indicible.
mément à la tradition familiale, il y tient géorgiens et ukrainiens. Elle est l’héroïne
son propre rôle). du premier film de Dovjenko : le Petit BARTHELMESS (Richard Semler Barthel-
Fruit de l’amour (1926). Le cinéma de- mess, dit Richard), acteur américain (New
BARSACQ (André), décorateur, metteur venu parlant, elle se spécialise, comme York, N. Y., 1895 - Southampton, N. Y.,
en scène de théâtre et cinéaste français scénariste et puis cinéaste, dans le 1963).
d’origine russe (Feodosiya [anc. Theodo- film pour enfants. On lui doit un insolite Fils d’une célèbre actrice qui l’oriente vers
sia, ou Kaffa], Russie, 1909 - Paris 1973). chef-d’oeuvre, les Souliers percés (Rva- le théâtre, Richard Barthelmess s’est fait
Formé à l’école de Dullin et de Copeau, nye bašmaki, 1933), qui recrée remar- vite remarquer par Alla Nazimova, dont il
cofondateur du théâtre des Quatre-Sai- quablement l’atmosphère des quartiers devient le partenaire cinématographique :
sons, directeur de l’Atelier à partir de populaires de Hambourg au moment où War Brides (H. Brenon, 1916). Sa car-
1940, où il montera notamment Anouilh, le nazisme, pénétrant dans les écoles, rière n’a pas tardé à prendre de l’ampleur,
Marcel Aymé, Félicien Marceau et de divise et fait s’affronter les enfants eux- dès que D. W. Griffith lui confie le rôle du
nombreuses pièces du répertoire, il a fait mêmes. Barskaïa acclimate dans le ci- doux missionnaire chinois du Lys brisé
quelques incursions — remarquées — néma sonore le grand style soviétique du (1919). Toutes les caractéristiques de
dans le cinéma : assistant de Jean Gré- montage. Ce film, comme le reste de son Barthelmess sont déjà en évidence :

107
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

douceur et retenue du jeu, intensité du Anna Karenine (C. Brown, 1935), le Petit chitecture) puis se consacre au cinéma à
regard, grâce de la gestuelle. Son succès Lord Fauntleroy (J. Cromwell, 1936) ou partir de 1918 (documentaires divers [Oc-
est foudroyant et il devient l’un des ac- Capitaines courageux (V. Fleming, 1937). cupation de la Rhénanie, 1925], scien-
teurs les plus populaires du muet. Après Sa carrière, ralentie après 1940, s’inter- tifiques et pédagogiques) à Vienne puis
une autre prestation pour Griffith, dans rompt en 1951 avec St. Benny the Dip à Berlin. Il s’y fait un ami, Bertolt Brecht,
À travers l’orage (1920), où il est subor- (E. G. Ulmer). alors peu connu. Il devient le collabora-
donné à Lillian Gish, il devient son propre teur de Lotte Reiniger pour la réalisation
producteur et met sur pied l’adaptation BARTLETT (Hall), cinéaste et scénariste des films d’ombres chinoises qui sont la
d’un roman de Joseph Hergesheimer, américain (Kansas City, Mo., 1922 - Los spécialité de cette animatrice : les Aven-
Tol’able David (1921), que dirige Henry Angeles, Ca., 1993). tures du Prince Ahmed (1926), la Chasse
King. Son interprétation de l’adolescent Après des études à Yale, il s’occupe de au bonheur (1930), où il tient même un
David, confronté à la Nature et aux forces production : Navajo (1952) est un docu- rôle aux côtés de Jean Renoir. Il s’ins-
du Mal, est un triomphe absolu. Il se spé- mentaire de long métrage couvert de talle ensuite à Paris, où il poursuit ses
cialisera avec beaucoup de bonheur dans récompenses. Ambitieux dans quelques- recherches et réalise l’Idée (1931), un
des drames ruraux où son naturel et sa uns de ses sujets produits par sa société moyen métrage animant des gravures de
spontanéité s’expriment pleinement. Bar- (The Caretakers, 1963, sur les hôpitaux Frans Masereel, sur une partition d’Arthur
thelmess est différent des autres acteurs psychiatriques), il a réalisé avec Jules Honegger, selon une technique qui anti-
du muet par son jeu discret et d’une inten- Bricken un bon western pacifiste, le Pays cipe sur la multiplane de Walt Disney en
sité intérieure peu commune (Soul Fire, de la haine (Drango, 1957), qui doit beau- travaillant, par superpositions de plaques
J.S. Robertson, 1925 ; Ramsom’s Folly, coup à la photo noir et blanc de James de verre, la profondeur de champ et une
S. Olcott, 1926 ; The Patent Leather Kid, Wong Howe. Il se lance ensuite dans des transparence opalescente. Ce beau film,
A. Santell, 1927 ; The Drop Kick, M. Webb, affaires variées, dont une au moins est un à l’esthétique expressive et raffinée,
id. ; The Noose, J.F. Dillon, 1928). Ces grand succès commercial malgré sa niai- n’est pas seulement un pamphlet contre
qualités lui assureront un victorieux pas- serie intrinsèque : Jonathan (Jonathan l’exploitation et la répression des mou-
sage au parlant, dont il sera aussi une Livingston Seagull, 1973). Il a épousé vements populaires et un cri d’espoir
des vedettes les plus populaires jusqu’en l’actrice Rhonda Fleming. en la victoire de l’idée démocratique sur
1933. Il devient l’interprète d’élection la force brutale. Son apport esthétique,
des mélodrames sociaux de la Warner BARTLETT (Richard), acteur et cinéaste à la fois expressionniste par le serti de
Bros : comptable honnête, dans le Sud américain (né en 1925 ?). ses traits ou métaphysique par le traite-
des spéculations cotonnières (Ombres Il fait ses débuts en 1954 avec un petit ment de la lumière, a nourri aussi bien le
vers le Sud, M. Curtiz, 1932), médecin film de série B, Silent Raiders (avec Earle cinéma d’Alexandre Alexeieff que celui,
à la carrière difficile, qui se sacrifie pour Lyon), qu’il produit, écrit, dirige et inter- plus tardivement, de Norstein.
son frère (Alias the Doctor, M. Curtiz et prète. Il entre à l’Universal international,
L. Bacon, 1932), héros obscur détruit et presque tous ses films sont interprétés BARUA (Pramathesh Chandra), cinéaste
par la société du premier après-guerre par Jock Mahoney. À l’exception de I’ve et acteur indien (Gauripur, Assam, 1903 -
(Héros à vendre, A. Wellman, 1933). Lived Before, qui traite de la réincarnation Calcutta, Bengale, 1951).
Mais son interprétation la plus belle reste (1956), il s’agit de westerns. Deux sont Authentique prince, fils du maharaja de
celle de l’ancien pilote désenchanté de sortis en France, Joe Dakota (id., 1957) Gauripur, il se lance, après un voyage
The Last Flight (W. Dieterle, 1931), admi- et l’Héritage de la colère (Money, Women en Europe, dans le cinéma, à la fin du
rable peinture sur le vif de la génération and Guns, 1959), dont l’originalité et la muet. Il réalise, entre 1930 et 1949, une
perdue. Malheureusement, sa popularité qualité étaient très évidentes. Au début quinzaine de films (bengalis) : quelques
décroît à mesure que son physique se des années 60, quand la télévision a rem- comédies et surtout des drames roman-
marque, et il ne tourne bientôt plus que placé la série B, Richard Bartlett s’est tout tiques. Il est le scénariste et l’acteur
des productions de second rayon. Mais naturellement reconverti, toujours dans principal de la plupart de ses films. Les
Howard Hawks, qui l’avait dirigé dans un son genre préféré, le western. meilleurs sont ceux qu’il réalise dans les
de ses plus grands succès, la Patrouille années 30 pour la compagnie New Thea-
de l’aube (1930), exige sa présence BARTOLINI (Elio), scénariste, cinéaste et tres. Citons Illusion (Maya, 1936), Libé-
dans le rôle du pilote tourmenté par sa écrivain italien (Conegliano Veneto 1922). ration (Mukti, 1937), Autorité (Adhikar,
lâcheté passée dans Seuls les anges ont Avec Antonioni, il collabore à trois ana- 1938), Rajat Jayanti (1939), la Vie (Zin-
des ailes (1939). C’est un personnage lyses du désespoir existentiel : le Cri dagi, 1940), Shesh Uttar / Jawab (1942).
secondaire ; Barthelmess a vieilli. Mais (1957), l’Avventura (1960), l’Éclipse Son oeuvre la plus célèbre est Devdas
la magie est intacte : il provoque un mé- (1962). Il écrit encore sept films, dont (1935), histoire de deux amants séparés
lange de mépris et de compassion qui est un drame sur la résistance contre le fas- par des différences de classe. Barua joue
le signe du très grand acteur qu’il est tou- cisme : Il carro armato dell’8 settembre dans la version bengali, Saigal dans la
jours. D’autres emplois de complément (G. Puccini, 1960), une curieuse adap- version hindi. Une version tamoul est
suivront. Pourtant Barthelmess se retire tation de Pirandello : Liola (A. Blasetti, réalisée en 1936. Bimal Roy en fait un
définitivement en 1942. 1964), et une oeuvre autobiographique remake en 1955. Les chansons originales
sur la crise idéologique d’un ex-partisan : jouissent encore d’une grande popularité.
BARTHOLOMEW (Frederick LLewellyn, dit les Saisons de notre amour (F. Vancini,
Freddie), acteur britannique (Harlesden 1966). Dans sa première réalisation, BARZMAN (Ben), scénariste et roman-
1924 - Sarasota, Fla., 1992). L’altro Dio (1975), il aborde l’éclatement cier américain (Toronto, Ontario, Canada,
Il interprète encore tout enfant deux films d’une famille ouvrière. Il approfondira ce 1911 - Santa Monica, Ca., 1989).
en Grande-Bretagne avant 1932, mais thème dans son enquête pour la RAI : Après avoir travaillé au Federal Theatre
rencontre la gloire aux États-Unis avec le Ragazze di un paese con fabbrica (1980). et collaboré à plusieurs spectacles syn-
rôle-titre de David Copperfield (G. Cukor, dicaux, il écrit pour Joseph Losey l’apo-
1935). Ses boucles brunes et sa minceur BARTOSCH (Berthold), cinéaste français logue antiraciste du Garçon aux cheveux
gracile le vouent aux rôles de petits aris- d’origine austro-hongroise (Polaun, Bo- verts (1948) et adapte pour Edward
tocrates et feront de lui durant quelques hême, 1893 - Paris 1968). Dmytryk Christ in Concrete, une para-
années une des vedettes les plus popu- Le jeune Bartosch fréquente l’Académie bole sur l’injustice sociale (Donnez-nous
laires de la MGM dans des films comme des beaux-arts de Vienne (peinture et ar- aujourd’hui, 1949). Porté sur les « listes

108
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

noires », il s’associe, en Angleterre puis troisième long métrage, Au revoir étran- BASS (Saul), dessinateur et cinéaste amé-
en France, à d’autres exilés, comme gère (Lebewohl Fremde, 1991), tourné ricain (New York, N. Y., 1920 - Hollywood,
Jules Dassin (Celui qui doit mourir, 1956) sur un îlot de la mer du Nord – sont les Ca., 1996).
ou Losey (Un homme à détruire, 1952 ; principaux thèmes de son cinéma, qui Venu du dessin publicitaire, il crée en
Temps sans pitié, 1957 ; l’Enquête de 1946 une société de dessin appliqué
marie avec élégance le réalisme social à
l’inspecteur Morgan, 1959). Après s’être au cinéma : films publicitaires et sur-
la fiction. Après ce film qui concourt pour
égaré dans la superproduction pour Sa- tout génériques. Il fait de cette dernière
la Palme d’or à Cannes, T. Baer n’aura
muel Bronston (le Cid, A. Mann, 1961, ou branche une spécialité, qu’il révolutionne
plus la possibilité de réaliser ses projets.
la Chute de l’Empire romain, id., 1964), par son style graphique quasi abstrait,
Il se consacre depuis à l’enseignement
il est retourné aux sujets engagés avec où le défilé des noms est subordonné à
du cinéma, dans les universités turques
l’Attentat (Y. Boisset, 1972). l’image choc. Ce style épuré et vif établit
et allemandes. une résonance avec ce qui venait simul-
BASE (1). tanément de naître aux studios d’anima-
Lumière de base ou effet, lumière princi- BASEVI (James), décorateur et créateur tion UPA. Sa collaboration avec Premin-
pale d’éclairage d’un plan, créant l’effet d’effets spéciaux américain d’origine bri- ger (Carmen Jones, 1954 ; l’Homme au
de lumière, cohérent avec le décor, qui tannique (Plymouth 1890). bras d’or, 1955 ; Sainte Jeanne, 1957 ;
assure à l’image son impact dramatique. Il arrive à Hollywood en 1924 et débute Bonjour tristesse, 1958 ; Autopsie d’un
( ÉCLAIRAGE.) comme décorateur à la MGM, pour qui il meurtre, 1959 ; Exodus, 1960 ; Tempête
travaille sur la Grande Parade (K. Vidor, à Washington, 1962 ; le Cardinal, 1963),
BASE (2). Hitchcock (Sueurs froides, 1958 ; la Mort
1925) ou la Tentatrice (F. Niblo, 1926). De
Socle spécial permettant de fixer la ca- aux trousses, 1959), Wise (West Side
1930 à 1937, il crée des effets spéciaux,
méra lorsqu’il n’est pas possible d’instal- Story, 1961), Dmytryk (la Rue chaude,
en particulier le fameux tremblement de
ler un pied (caméra au ras du sol, en haut 1962), Frankenheimer (Opération diabo-
terre dans San Francisco (W. S. Van
d’une échelle, etc.). [ MOUVEMENTS lique et Grand Prix, 1966) a été efficace et
D’APPAREIL.] Nom donné aux projecteurs Dyke, 1936) et les trucages de Hurricane
parfois éclatante. Collaborateur au préde-
dans une cabine de projection double (J. Ford, 1938). Il dirige ensuite le dépar-
signing de Psychose (Hitchcock, 1960),
poste : base 1 et base 2 ou base x et tement décoration de la 20th Century Fox
il s’est attribué le mérite de la célèbre
base y pour les projecteurs de gauche et et conclut sa carrière sur deux réussites : séquence du meurtre sous la douche. Il
de droite (en regardant l’écran). À l’est d’Éden (E. Kazan, 1955) et la Pri- a réalisé quelques documentaires et un
sonnière du désert (1956), de Ford, qui lui film de science-fiction, Phase IV (1974).
BASEHART (Richard), acteur américain
avait déjà confié huit de ses films.
(Zanesville, Ohio, 1914 - Los Angeles, Ca., BASSERMANN (Albert), acteur allemand
1984). BASINGER (Kim), actrice américaine (Mannheim 1867 - océan Atlantique 1952).
Il débute sur scène à Broadway en Présent sur la scène théâtrale depuis
(Athens, Ga., 1953).
1938. Lauréat du prix de la critique new- 1890, il se rend à Berlin en 1909 et de-
Lauréate d’un concours de beauté à dix-
yorkaise, il est remarqué par Hollywood. vient vite célèbre (il fait partie de la troupe
sept ans, puis mannequin, la télévision
Après avoir interprété le psychopathe d’Il de Max Reinhardt entre 1909 et 1915).
la révèle en 1976 dans la série « Drôles
marchait dans la nuit (A. Werker, 1948), Au cinéma, il est le principal protagoniste
de dames », avant de commencer une
le Robespierre démoniaque du Livre d’un des plus anciens films de l’école
carrière cinématographique en 1980
noir (A. Mann, 1949) et le suicidaire de allemande, l’Autre (Der Andere, Max
Quatorze Heures (H. Hathaway, 1951), il (Hard Country, de David Greene, 1981). Mack, 1913). Partenaire d’Asta Nielsen
tourne indifféremment en Amérique ou en Elle tourne avec des réalisateurs sou- dans la version de Loulou due à Leopold
Europe, faisant preuve d’un rare éclec- vent intéressants : Irvin Kershner, Blake Jessner (1923), il tourne dans Lucrèce
tisme dans le choix de ses rôles : il a été Edwards, Robert Altman, Robert Benton. Borgia (R. Oswald, 1922), la Femme du
le fou de La strada (F. Fellini, 1954), le La comédienne ne parvient pas toujours pharaon (E. Lubitsch, id.) et de nombreux
voleur novice de Il bidone (1955), Ishmael à faire oublier le statut de sex-symbol films muets allemands et autrichiens. Le
dans Moby Dick (J. Huston, 1956), Ivan dans lequel on la cantonne trop sou- cinéma parlant le confirme dans sa po-
dans les Frères Karamazov (R. Brooks, sition de vedette (films d’Oswald, Siod-
vent : Jamais plus jamais (I. Kershner,
1958), le Führer dans Hitler (S. Heisler, mak, A. Korda, Lamprecht), mais il quitte
1982), où elle est une James Bond girl,
1962). l’Allemagne lorsque les nazis prennent
Neuf Semaines et demie (9 1/2 Weeks,
le pouvoir. En France, en Suisse, il a,
Adrian Lyne, 1984), porno soft, avec
BAER (Tevfik), cinéaste turc (Çankr hélas, rarement l’occasion de jouer. Aux
1951). Mickey Rourke, Sans pitié (No Mercy,
États-Unis, en revanche, de 1939 à 1946,
Après des études d’art graphique et Richard Pearce, 1986), J’ai épousé une
il tourne beaucoup, mais ne se voit offrir
photographique en Turquie, il poursuit extraterrestre (My Stepmother is an alien, que des rôles secondaires : Il était une
sa formation à l’Académie des beaux- R. Benjamin, 1988), Sang chaud pour fois (G. Cukor, 1941), Madame Curie
arts de Hambourg. Il s’affirme comme meurtre de sang-froid (Final Analysis, (M. LeRoy, 1943), Since You Went Away
l’un des plus talentueux auteurs de sa Phil Joanou, 1991). Seuls, Robert Alt- (J. Cromwell, 1944). Après un dernier rôle
génération avec deux films réalisés en man (Fool for Love, 1985, Pret-à-porter, dans les Chaussons rouges, en Grande-
Allemagne fédérale, où il réside depuis Bretagne (M. Powell et E. Pressburger,
1994) et surtout Blake Edwards (l’Homme
1980. Dans 40 m2 d’Allemagne (40 Me- 1948), il s’établit à Zurich et se voit ac-
qui aimait les femmes, 1983, et Boire et
trekare Almanya, 1986) et Adieu au faux caparé par le théâtre. En 1952, il meurt
déboires, 1986) ont varié son registre.
paradis (Yanl Cennete Elveda, 1989), d’une crise cardiaque dans l’avion qui le
Après une éclipse, elle est revenue en
il fait preuve de précision et de rigueur ramenait de New York en Europe.
fascinante call-girl hollywoodienne au
esthétique dans la mise en scène de la
visage de Veronica Lake dans L.A. Confi-
vie des femmes turques immigrées en BASSET (Marie-Louise, dite Gaby), actrice
R. F. A. ; la profondeur psychologique de dential (C. Hanson, 1997) qui lui a valu française (Varenne-Saint-Sauveur 1902).
ses personnages émerge sous un regard un Oscar du second rôle. Je rêvais de De 1925 à 1933, elle partage la vie de
juste et sobre. La solitude et l’isolement l’Afrique (H. Hudson, 2000) la remet au Jean Gabin, dont c’est la première
– qui imprègnent particulièrement son premier plan, mais le film est médiocre. épouse. Frange sur le front et voix aci-

109
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

dulée, elle interprète alors des soubrettes tolstjaka, 1966) et une belle version du de bout en bout stupéfiante, tour à tour
délurées. Aux côtés de Gabin, elle joue Joueur (Igrok, 1972) de Dostoïevski, où il attendrissante et terrifiante. Cette tex-
dans Chacun sa chance (H. Steinhoff, tient le rôle principal. ture contrastée, ainsi que la maturité de
1930) et plus tard apparaît en tenant des l’âge, lui siéent particulièrement : elle
seconds rôles dans Touchez pas au grisbi BATALOV (Nikolaï), acteur soviétique sait en même temps faire haïr le person-
(J. Becker, 1954), Voici le temps des as- (Moscou 1899 - id. 1937). nage qu’elle incarne et susciter la com-
sassins (J. Duvivier, 1956), Maigret tend Élève du studio du théâtre d’Art de passion. Plus que sa création facile de
un piège (J. Delannoy, 1958), Archimède Moscou dès 1916, puis acteur dans ce Molly Brown dans Titanic (J. Cameron,
le clochard (G. Grangier, 1959), Rue des même théâtre à partir de 1924, il débute 1997), nous retiendrons Diabolique (id.,
prairies (D. de La Patellière, id.) ; elle tient simultanément au cinéma dans le film de Jeremiah Chechick, 1996), où elle réin-
aussi un rôle pittoresque dans Feu de science- (et politique-) fiction de Prota- vente avec brio le commissaire de police
paille (J. Benoît-Lévy, 1940). zanov, Aélita (1924). Mais c’est sa per- incarné jadis par Charles Vanel dans le
formance dans le rôle de Pavel Vlassov film de H.-G. Clouzot, Primary Colors
BATAILLE (Sylvia Maklès, dite Sylvia), ac- de la Mère de Poudovkine (1926) qui lui (M. Nichols, 1997), où elle incarne avec
trice française (Paris 1908 - id. 1993). vaut la célébrité par la sensibilité et l’in- bagout la conseillère lesbienne d’un
Des films excellents conservent l’image telligence de son jeu : il impose dès lors candidat à la Maison-Blanche, et surtout
de cette jolie brune, sensible et prête à un type de héros familier, issu du peuple Dolores Claiborne (id., Taylor Hackford,
glisser dans la mélancolie : le Crime de et porteur des valeurs de la société nou- 1995), mélodrame féminin dans lequel
monsieur Lange (J. Renoir, 1936), Jenny velle. Il n’est pas moins remarquable dans elle joue une femme de ménage fruste et
(M. Carné, id.), l’Affaire du courrier de le rôle du mari de Trois dans un sous-sol taciturne, peut-être criminelle, dans une
Lyon (M. Lehmann et C. Autant-Lara, d’Abram Romm (1927), brillante comé- prestation imposante digne de Barbara
1937), les Gens du voyage (J. Feyder, die sur le thème du ménage à trois. Il est Stanwyck ou de Joan Crawford.
1938), l’Enfer des Anges (Christian- encore en vedette dans le Chemin de la
Jaque, 1939). De Vous n’avez rien à vie de Nikolaï Ekk (1931), où il incarne BATES (Alan), acteur britannique (Al-
déclarer ? (L. Joannon, 1937) à Ils étaient avec beaucoup de conviction un éduca- lestree, Derbyshire, 1934).
cinq permissionnaires (P. Caron, 1945 teur partisan de méthodes nouvelles pour Fils de musiciens classiques, il étudie
[RÉ 1940]), il y a des titres fâcheux, mais la réhabilitation sociale des enfants aban- à l’Académie royale d’art dramatique et
rien ne peut ternir son souvenir dans donnés après la guerre civile. On le verra participe au renouveau du théâtre anglais
Une partie de campagne (Renoir, 1946 encore dans quelques films, dont Hori- en jouant, au Royal Court de Londres, la
[RÉ 1936]) ni sa discrète apparition dans zon (L. Koulechov, 1932) et Trois Cama- pièce célèbre de John Osborne, la Paix
les Portes de la nuit (Carné, 1946). Elle rades (Tri tovariša, Semen Timochenko, du dimanche. Il débute au cinéma sous
fut l’épouse du psychanalyste Jacques 1935). Il est apprécié à la fois pour sa la direction de Tony Richardson dans
Lacan. décontraction souriante et sa vigueur dra- l’adaptation d’une autre pièce d’Osborne :
matique. le Cabotin (The Entertainer). Il partage
BATALOV (Alekseï [Aleksej Vladimirovi
ensuite ses activités entre la scène et
Batalov]), acteur et cinéaste soviétique BATCHEFF (Pierre), acteur français d’ori- l’écran. Son interprétation d’employé
(Vladimir 1928). gine russe [Petr Baev] (Harbin [ancienne-
modeste dans Un amour pas comme les
Né dans une famille d’acteurs (il est le ment Karbin], Mandchourie, 1901 - Paris
autres (J. Schlesinger) lui vaut un prix au
neveu de Nikolaï Batalov), il étudie au 1932).
festival de Berlin. Il connaît un triomphe
studio-école du théâtre d’Art de Moscou Débutant à Genève avec les Pitoëff, il
dans la pièce d’Harold Pinter, The Care-
(1946-1950) puis joue dans ce même vient vite au cinéma (1924), pour lequel
taker, qu’il rejoue d’ailleurs en 1964 dans
théâtre (1950-1953). Il débute au cinéma il interprète quelque 25 films en huit
une adaptation cinématographique de
en 1954 dans Une grande famille de ans : Feu Mathias Pascal (M. L’Herbier,
Clive Donner. Excellent acteur de com-
Iossif Kheifits et s’impose rapidement 1925), le Joueur d’échecs (R. Bernard,
position, il a interprété les personnages
comme vedette dans d’excellents films : 1927), Napoléon (A. Gance, id.), les
les plus divers, jouant avec sa présence
il tient le rôle de Pavel Vlassov (le même Deux Timides (R. Clair, 1929), Baroud
physique ou au contraire avec un masque
qu’avait tenu son oncle trente ans aupa- (R. Ingram, 1933). En dépit d’une brillante
ravant) dans la Mère de Donskoï (1956), expressif, égaré, tourmenté : un employé
carrière de jeune premier, il est ouvert à
puis il marque de sa personnalité Quand arriviste et sans scrupules (Tout ou rien,
toutes les recherches et on le connaît
passent les cigognes (M. Kalatozov, C. Donner), un jeune inspecteur d’ensei-
surtout pour son interprétation dans Un
1957), la Dame au petit chien (I. Khei- gnement, amoureux de la nature (Love,
chien andalou (L. Buñuel, 1928). Son sui-
fits, 1960) et surtout Neuf Jours d’une de K. Russell, où il bravait le tabou du nu
cide interrompt un projet avec les frères
année (M. Romm, 1962). Il compose des masculin à l’écran), un romancier timide
Prévert.
personnages tout à la fois introvertis et (Zorba le Grec, M. Cacoyannis), un soldat
pathétiques, exprimant sans grandilo- anglais devenu le souverain des fous (le
BATCHELOR (Joy), productrice et cinéaste
quence les blessures de l’âme comme les Roi de coeur, Ph. de Broca), un berger
d’animation britannique (Watford 1914 -
crises de la raison. On le voit encore dans philosophe (Loin de la foule déchaînée,
Londres 1991)
nombre de films, dont la Fuite (Alov et J. Schlesinger), un fermier confronté au
HALAS (John).
Naoumov, 1971), l’Étoile du merveilleux drame de la mésalliance (le Messager,
bonheur (Zvezta plenitel’nogo sast’ja, BATES (Kathleen Bates, dite Kathy), actrice J. Losey), Rudi von Stamberg, homme de
Vladimir Motyl, 1975), Moscou ne croit américaine (Memphis, Tenn., 1948). main de Bismarck (Royal Flash, R. Les-
pas aux larmes (Moskva slezam ne verit, Jeune actrice de théâtre, Kathy Bates ter), un pensionnaire de clinique psychia-
Vladimir Menchov, 1979) et le Week-end débute au cinéma en 1971 dans Taking trique (le Cri du sorcier, J. Skolimowski),
(Igor Talankine, 1989). off (M. Forman). Mais bien qu’elle ait été un mécène pervers (Quartet, J. Ivory), un
Assistant réalisateur de Très cher hu- continuellement occupée, tant à la scène officier amnésique (le Retour du soldat,
main (Kheifits, 1958), il passe lui-même à qu’à l’écran, ce n’est qu’en 1990 qu’elle A. Bridges).
la mise en scène avec une remarquable se fait véritablement remarquer dans Films : le Cabotin (T. Richard-
adaptation de Gogol, le Manteau (Šinel‘, Misery (id., Rob Reiner), qui lui vaut un son, 1960) ; Whistle Down the Wind
1960), puis avec une comédie truculente Oscar : sa création de vieille fille obèse, (B. Forbes, 1961) ; Un amour pas comme
d’après Iouri Olecha, les Trois Gros (Tri fan d’un écrivain qu’elle séquestre, est les autres (J. Schlesinger, 1962) ; le Deu-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

xième Homme (C. Reed, 1963) ; The Ca- Après les groupes de pompiers et parmi lesquels Ivan Mosjoukine (la Vie
retaker (C. Donner, id.) ; Tout ou rien (id., de policiers, l’intervention des Bathing dans la mort [Žizn v smerti], 1914) et Vera
1964) ; Zorba le Grec (M. Cacoyannis, Beauties, ces « poupées excentriques » Kholodnaïa (le Chant de l’amour triom-
id.) ; Georgy Girl (S. Narizzano, 1966) ; (J. Mitry), trouve sa logique dans le style phant [Pesn‘ toržestvajušej ljubvi], 1915,
le Roi de coeur (Ph. de Broca, 1967) ; même des comédies de Mack Sennett, Vie pour vie [Žizn na Žizn], 1916).
Loin de la foule déchaînée (Schlesinger, « ces poèmes fantaisistes où des clowns,
id.) ; l’Homme de Kiev (J. Frankenheimer, des baigneuses, une automobile, un BAUGÉ (André), chanteur et acteur fran-

1968) ; Love (K. Russell, 1969) ; les Trois petit chien, un pot de lait, le ciel, la terre çais (Toulouse 1893 - Clichy-la-Garenne
Soeurs (L. Olivier, 1970) ; le Messager et quelque explosif sont les éléments 1966).
(J. Losey, 1971) ; A Day in the Life of Joe interchangeables dont chaque combi- Ex-premier baryton de l’Opéra-Comique,

Egg (Peter Nedak, 1972) ; l’Impossible naison provoque le rire et l’émerveille- vedette de nombreux opéras, opéras-

Objet (Frankenheimer, 1973) ; Butley ment » (R. Clair), où « l’absurbe devient comiques et opérettes sous le pseudo-

(H. Pinter, 1974) ; A Profile of Greekness la source intarissable d’une bouffonnerie nyme de Grillaud, il joue dans l’un des
poétique » (J. Mitry). premiers films parlants français, La route
(M. Theodorakis [MM, narrateur du com-
est belle (R. Florey, 1930), puis interprète
mentaire], id.) ; Royal Flash (R. Lester,
BATTEUR. de nombreux films musicaux. (Pendant
1975) ; In Celebration (L. Anderson, id.) ;
Mécanisme batteur, mouvement bat- la Seconde Guerre mondiale, il fonde les
la Femme libre (P. Mazursky, 1978) ; le Cri
teur employé pour l’avance intermittente Concerts populaires André Baugé.) On le
du sorcier (J. Skolimowski, id.) ; Very Like
du film dans les caméras « banc-titre » vit également dans : la Fleur des Indes
a Whale (A. Bridges, 1979) ; The Rose
( BANC-TITRE), les tireuses optiques (Théo Bergerat, 1921), la Ronde des
(M. Rydell, 1980) ; Nijinsky (H. Ross, id.) ;
( TRUCA) ou les caméras équipant les heures (A. Ryder, 1931), le Roman d’un
Quartet (J. Ivory, 1981) ; le Retour du sol-
imageurs pour le transfert sur pellicule jeune homme pauvre (A. Gance, 1935).
dat (A. Bridges, 1982) ; The Wicked Lady
des fichiers numériques image ( IMA-
(M. Winner, 1983) ; Dr. Fischer of Geneva
GEURS). BAUMER (Jacques), acteur français (Paris
(Michael Lindsay-Hogg, 1984) ; Duo pour
Pour assurer un positionnement pré- 1885 -Montchauvet 1951).
une soliste (A. Mikhalkov-Kontchalovski,
cis et parfaitement identique des images Il aborde tard le cinéma après avoir rem-
1987) ; l’Irlandais (A Prayer for a Dying,
enregistrées successivement avec une porté de nombreux succès dans le réper-
Mike Hodges, id.) ; We Think the World of
grande stabilité (fixité), ce système com- toire boulevardier. Sa création dans Ce
You (Colin Gregg, 1989) ; Force majeure
porte deux contre-griffes solidaires du cochon de Morin (G. Lacombe, 1932) lui
(Pierre Jolivet, 1989) ; Mister Frost (Phi-
couloir de la caméra dans lesquelles permet d’imposer sa dégaine rageuse, sa
lippe Setbon, 1990) ; Dr. M. (C. Chabrol,
viennent s’engager les perforations de voix incisive et son autorité. Tour à tour
id.) ; Hamlet (F. Zeffirelli, id.) ; Shuttle-
la pellicule. Un système de cadre animé fonctionnaire servile : Mollenard (R. Siod-
cock (Andrew Paddington, 1991) ; Secret
d’un mouvement de va-et-vient (d’où le mak, 1938), commissaire avisé : Café de
Friends (Dennis Potter, id.).
nom de batteur) assure l’engagement des Paris et Derrière la façade (Y. Mirande
perforations dans les contre-griffes et leur et G. Lacombe, 1938 et 1939), juge
BATES (Florence Rabe, dite Florence),
dégagement pour l’avancer d’une image. hypocrite : les Inconnus dans la maison
actrice américaine (San Antonio, Tex.,
(H. Decoin, 1942), notaire louche : le Co-
1888 - Burbank, Ca., 1954).
BAUER (Evgueni) [Evgenij Francevi lonel Chabert (René Le Hénaff, 1943), il
Elle est l’un des plus brillants seconds
Bauer], cinéaste russe (Moscou 1865 - Cri- campe même à l’occasion Clemenceau :
rôles hollywoodiens, encore qu’elle
mée 1917). Entente cordiale (M. L’Herbier, 1939).
débute à l’âge de cinquante ans ! On la
Homme de vaste culture, familier des
remarque pour sa saisissante compos-
cercles littéraires et artistiques, il est BAUR (Henri, dit Harry), acteur français
tition de riche douairière dans Rebecca
l’un des premiers dans son pays à croire (Montrouge 1880 - Paris 1943).
(A. Hitchcock, 1940). Elle poursuit sa S’il est un acteur à qui s’appliquent exac-
au cinéma comme moyen d’expression
belle carrière jusqu’en 1953, donnant tement les termes de monstre sacré, c’est
spécifique et, à ce titre, est justement
profondeur et fantaisie à ses silhouettes bien Harry Baur. De bonne formation
considéré comme l’une des personnali-
inoubliables dans le Masque de Dimitrios théâtrale, lauréat du Conservatoire de
tés les plus riches et les plus originales
(J. Negulesco, 1944), l’Intrigante de Sara- Marseille, il arrive à occuper rapidement
du cinéma prérévolutionnaire. Éclec-
toga (S. Wood, 1945), le Journal d’une tique, exubérant, esthète (il sait imaginer une place de premier plan sur les scènes
femme de chambre (J. Renoir, 1946) ou des décors raffinés et créer une atmos- parisiennes. Tant que le cinéma reste
Chaînes conjugales (J. L. Mankiewicz, phère), il signe ses premiers films en muet, il ne lui accorde qu’une attention
1949). 1913. Quoique tenté parfois par la farce limitée mais participe tout de même à un
et la comédie, il affectionne surtout les film marquant comme l’Âme du bronze
BATHING BEAUTIES (ou Bathing Girls. En (H. Roussell, 1918) ou notoire, comme
mélodrames brûlants d’un réalisme cré-
français : « jolies baigneuses »). le dernier film de Sarah Bernhardt : la
pusculaire et fataliste qui dérivent parfois
Jeunes femmes en costume de bain de Voyante (L. Abrams, 1923). L’avènement
jusqu’aux rives du fantastique mystique.
fantaisie laissant le genou nu, qui appa- Ce prince de la décadence a notamment du parlant le propulse tout à coup au fir-
raissaient à tout moment et surtout sans tourné K le bossu (Strašnaja mest’gor- mament. Il n’en descendra plus. Duvivier,
raison dans les films burlesques de Mack dont il est l’une des vedettes fétiches, lui
buna K, 1913), Gloire sanglante (Kro-
Sennett des années 1916-17. De nom- vavaja slava, id.), le Crépuscule d’une donne le rôle de sa vie dans David Golder
breuses stars débutèrent comme bathing âme féminine (Sumerki ženskoj duši, id.), (1931), qui lui permet de jouer toute la
beauty : Marie Prévost, Phyllis Haver, l’Enfant de la grande ville (Ditja bol’šogo gamme de ses émotions : de la tendresse
Sally Eilers, Jacqueline Logan, Gloria goroda, 1914), le Châtiment (Vozmezdie, à la fureur, de la haine à la résignation.
Swanson, Carole Lombard... 1915), les Abîmes de l’âme humaine Puis il lui réserve des compositions très
C’est en remarquant que les journaux (eloveeskie bezdny, 1916), la Reine de étudiées dans la Tête d’un homme (1933),
honorent plus une jolie femme que le l’écran (Koroleva ekana, id.), Mensonge où il campe un commissaire Maigret très
président des États-Unis et après avoir (Lož, id.), le Tocsin (Nabat, 1917), le Roi proche du modèle. Il se montre émouvant
assisté à un concours de maillots de bain de Paris (Korol’Pariža, id.), le Révolution- dans Poil de carotte (1932), pittoresque
que Mack Sennett eut l’idée de créer les naire (Revoljucioner, id.). Il a été éga- dans Golgotha (1935), inquiétant dans
Bathing Beauties. lement un grand découvreur d’acteurs le Golem (1936), mais laisse percer un

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

peu trop son métier dans Un carnet de bal premiers acteurs à paraître dans les pro- sapeva troppo, 1963), Six Femmes pour
(1937). Il joue en effet de toute son âme, ductions de la Continental : l’Assassinat l’assassin (Sei donne per l’assassino,
mais aussi de tous ses tics, que les gros du Père Noël (Christian-Jaque, 1941) et 1964) et la science-fiction : Terrore nello
plans mettent par trop en évidence : ses Péchés de jeunesse (M. Tourneur, 1941), spazio (1965). D’autres tarissent vite,
rides se creusent, ses joues tremblent ; et qui va être son chant du cygne dans les comme l’adaptation de roman-photo :
puis, sa voix se fait insinuante, sifflante, studios français. Annoncé à grand fracas, Danger Diabolik (Diabolik, 1968). Quatre
hurlante et tonitruante pour se briser dans son départ pour tourner à Berlin Sympho- constantes dans ces oeuvres inégales :
des sanglots selon des besoins de l’ac- nie d’une vie (Symphonie eines Lebens, le raffinement de la mise en scène et de
tion. Il cabotine beaucoup, avec une vir- H. Bertram, 1943) est abondamment l’image (Bava resta son propre opéra-
tuosité éblouissante, une sorte de génie. commenté. Son retour va s’envelopper teur), le goût des thèmes et des symboles
Son pouvoir sur le public est grand, sur- de mystère. Dénoncé, les persécutions psychanalytiques (inceste, castration,
tout après sa prise de possession du rôle racistes s’abattent sur lui. Torturé par la etc.), l’érotisme savant et compliqué, le
de Jean Valjean dans les trois films que Gestapo, mis au secret, Harry Baur n’est penchant pour le sadisme et la morbidité,
Raymond Bernard tire en 1934 des Misé- relâché qu’agonisant déjà. Il meurt sans qui domine au point qu’il a engendré un
rables. Il tourne beaucoup (il paraît dans que la lumière ait jamais été complè- film entier : la Baie sanglante (L’ecologia
six films en 1937), avec une prédilection tement faite sur sa fin dramatique, à la del delitto / Reazione a catena, 1971).
marquée pour les productions d’atmos- mesure des rôles qu’il affectionnait, de Après cette date, la modestie de Bava
phère slave. Marchand de blé opulent et ces géants battus par le destin, comme l’a poussé à s’effacer derrière des sujets
redoutable des Nuits moscovites (A. Gra- celui que Gance voulut magnifier dans imposés et ses derniers films répètent les
nowsky, 1934), il devient l’année suivante Un grand amour de Beethoven (1936) premiers : la Maison de l’exorcisme (La
sous la direction de Pierre Chenal le juge et auquel Harry Baur prêta son masque casa dell’esorcismo, 1975), Shock (id.,
Porphyre de Crime et Châtiment, prétexte ravagé. 1977). Il a fait en Europe et aux États-
à un étonnant numéro d’acteur avivé en- Unis de nombreux émules, dont Dario
BAUTISTA (Aurora), actrice espagnole (Vil-
core par la réplique que lui donne Pierre Argento et son propre fils Lamberto Bava.
lanueva de los Infantes, Valladolid, 1926).
Blanchar. En 1935 encore, le voici maître
Vedette assez populaire, au talent plu- BAXTER (Anne), actrice américaine (Michi-
d’hôtel d’un grand établissement, blessé
tôt irrégulier, elle a interprété notamment gan City, Ind., 1923 - New York, N.Y. 1985).
dans son amour-propre (les Yeux noirs,
Locura de amor (Juan de Orduña, 1948), Petite-fille de l’architecte Frank Lloyd
V. Tourjansky). S’emparant du rôle prin-
Pequeñeces (id., 1949) et Agustina de Wright, élevée à New York, elle est à
cipal de Tarass Boulba (A. Granowsky,
Aragón (id., 1950), Condenados (Mur Oti, onze ans l’élève de Maria Ouspenskaya
1936), il s’y dépense sans compter, ne
1953) ; Sonatas (J. A. Bardem, 1959) ; et débute à Broadway deux ans plus
ménageant ni outrance de jeu, ni raffine-
Teresa de Jesus (de Orduña, 1961) ; La tard. Elle apporte à l’écran (1940) un
ment de maquillage. 1937 le transforme
tía Tula (Miguel Picazo, 1964) ; El de-
en maître de poste que sa fille fait souffrir métier sans faille dans des emplois de
recho de nacer (Tito Davison, 1966, au
(Nostalgie, Tourjansky) ; enfin le Patriote jeunes premières ; mais, plus charmante
Mexique) ; Extramuros (Picazo, 1985) ;
(M. Tourneur) et la Tragédie impériale que jolie, elle ne réussit pas à s’imposer
Divinas palabras (J.L. García Sánchez,
(M. L’Herbier) lui procurent en 1938 deux parmi les stars. Sa candeur révélera peu
1987) ; Amanece, que no es poco (José
personnages à sa taille : le tsar Paul Ier, à peu une rouerie qui, pour le rôle de la
Luis Cuerda, 1988).
un fou que la raison d’État fait abattre par jeune vedette capable d’évincer Bette
son meilleur ami, et Raspoutine, dont la Davis dans Ève, lui vaut une deuxième
BAVA (Mario), cinéaste italien (San Remo
fin est, somme toute, analogue. Tous ces nomination à l’Oscar (après celle du Fil
1914 - Rome 1980).
drames sur fond de clochers à bulbes et du rasoir). Elle tourne fréquemment avec
Fils d’un célèbre chef opérateur du muet,
d’isbas enneigées, avec accompagne- de grands metteurs en scène dans des
il devient lui-même, après des études aux
ment de balalaïka, ne l’empêchent pas films de prestige, mais sa carrière décline
Beaux-Arts, chef opérateur en 1943 ; la
de camper avec son autorité magistrale au fil des années 50 en dépit d’une assu-
qualité de ses images et de ses trucages
des premiers rôles de boulevard. Ainsi rance de plus en plus affirmée. En 1961,
le fait remarquer. Il est ensuite assistant
est-il chirurgien dans Cette vieille canaille elle abandonne pour de longs mois Hol-
et cinéaste de seconde équipe. Ayant
(A. Litvak, 1933), financier vindicatif dans lywood et choisit de vivre dans le bush
terminé, à ce titre, la Bataille de Mara-
Samson (M. Tourneur, 1936), procureur australien, expérience dont elle tirera un
thon (J. Tourneur, 1959), il peut réaliser
dans le Président Haudecoeur (J. Dré- livre (Intermission : a True Story) publié
le Masque du démon (La maschera del
ville, 1940). Seuls les rôles à tendances en 1976. Dans les années 70, elle re-
demonio, 1960). Sur un canevas clas-
comiques lui réussissent moins : ni Un nonce pratiquement à l’écran et reprend
sique, tiré d’une nouvelle de Gogol, par
homme en or (J. Dréville, 1934) ni Paris (1971) au théâtre un rôle tenu par Lauren
le soin du décor, le souci des éclairages,
(J. Choux, 1936) ne sont convaincants, Bacall, dans Applause, comédie musi-
le traitement du noir et blanc, les mou-
et sa lourde composition du Levantin Vol- cale basée sur Ève : c’est celui-là même
vements d’appareil, par l’érotisme lié à
pone (M. Tourneur, 1941), accentuée par que tenait Bette Davis dans le film tourné
Barbara Steele, il apporte au cinéma
l’emploi d’un faux nez, est pénible et labo- vingt et un ans plus tôt.
fantastique une forme neuve et donne
rieuse. Il reste à l’aise pour camper des une impulsion déterminante au courant Principaux films : l’Étang tragique
aventuriers de grand style, pour donner européen du genre. Puis, dans le champ (J. Renoir, 1941) ; la Splendeur des
de la saveur et une certaine ambiguïté à du cinéma populaire, il oeuvre dans une Amberson (O. Welles, 1942) ; les Cinq
une figure de forban dans les Hommes veine déjà ouverte, le péplum : Hercule Secrets du désert (B. Wilder, 1943) ;
nouveaux (L’Herbier, 1936), une verve contre les vampires (Ercole al centro della J’avais cinq fils (L. Bacon, 1944) ; Scan-
puissante et de la violence contenue à terra, 1961) ; le fantastique : le Corps et dale à la cour (O. Preminger, 1945) ; le
son capitaine Mollenard (R. Siodmak, le Fouet (La frusta e il corpo, 1963) ; le Fil du rasoir (E. Goulding, 1946) ; la Ville
1938). Viennent la guerre et l’Occupa- western : La strada per Fort Alamo (1965, abandonnée (W. Wellman, 1948) ; Ève
tion, qui le surprennent et le mettent sur sous le pseud. John M. Old), et l’espion- (J. L. Mankiewicz, 1950) ; la Loi du silence
la défensive. Craignant qu’on ne le soup- nage : Operazione paura (1966). Ou bien (A. Hitchcock, 1953) ; la Femme au gardé-
çonne d’être juif, il tente de jouer au plus il découvre des veines nouvelles que l’on nia (F. Lang, id.) ; les Forbans (J. Hibbs,
fin avec les Allemands. On le voit aux exploite, comme le thriller fantastique : la 1955) ; les Dix Commandements
réceptions collaboratrices, il est l’un des Fille qui en savait trop (La ragazza che (C. B. De Mille, 1956) ; Infamie (Russell

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Birdwell, id.) ; Cimarron (A. Mann, 1960) ; BAZIN (André), critique français (Angers quoi le cinéma rend la vie : « Pour la pre-
la Rue chaude (E. Dmytryk, 1962), 1918 - Bry-sur-Marne 1958). mière fois, l’image des choses est aussi
« guest star » dans les Tontons farceurs Se destinant à l’enseignement, Bazin étu- celle de leur durée et comme la momie
(J. Lewis, 1965) ; Jane Austen in Manhat- die aux écoles normales de La Rochelle du changement. » Tout ce qui est filmé
tan (J. Ivory, TV, 1980). et de Versailles, puis à l’École normale a été. Fasciné, Bazin parle du réalisme
supérieure de Saint-Cloud (où il fonde un ontologique du cinéma. Il n’ignore pas
BAXTER (Feodora Forde, dite Jane), actrice groupe Esprit) ; il se tourne vers la critique toutefois que le réalisme n’est pas donné,
britannique d’origine allemande (Brake et la pédagogie du cinéma (à la Maison qu’il est à faire. Dès 1944, il distingue le
1909 - Londres 1996). des lettres dès 1942, à l’IDHEC en 1943, réalisme technique (photographique) du
Cette célèbre actrice de la scène bri- à Travail et Culture à partir de 1945). Il réalisme stylistique (forme et contenu).
tannique a fait quelques apparitions au anime conférences, cours, stages, débats Si l’apport essentiel du cinéma est le
cinéma : The Constant Nymph (B. Dean, de ciné-clubs. Le journalisme le requiert. réalisme, ce sentiment de réalité dont il

1933), We Live Again (R. Mamoulian, Critique au Parisien libéré, il devient un persuade le spectateur, tout ce qui va à

1934). Elle a poursuivi sa carrière à la rédacteur essentiel de l’Écran français, son encontre est suspect. Bazin rejette
d’Esprit, de la Revue du cinéma, de Ra- les morcellements du montage si pro-
scène et à la télévision.
dio-cinéma (aujourd’hui Télérama). En pice aux trucages et aux manipulations
BAXTER (Warner), acteur américain (Co- 1951, avec Doniol-Valcroze et Lo Duca, et privilégie le plan en continuité et en

lumbus, Ohio, 1889 - Beverly Hills, Ca., il fonde les Cahiers du cinéma, qu’il dirige profondeur de champ : le plan-séquence.
1951). jusqu’à sa mort. Cela lui vaut d’être tenu Vers la fin des années 60, la critique gau-

Après une brève expérience théâtrale, — abusivement — pour le père spirituel chiste, dans une lecture réductrice et sou-
de la Nouvelle Vague, qui a hérité de sa vent sectaire, ne veut trouver chez Bazin
il fait ses débuts à l’écran en 1918 et
passion exigeante du film, mais guère de qu’idéalisme bourgeois, naïvetés chré-
devient une vedette romantique du
sa lucidité généreuse. tiennes, obsessions, mysticisme, esprit
muet. Il est le premier Gatsby du cinéma
Étrangement pour un militant, Bazin de réaction. Pourtant, Bazin peut paraître
(H. Brenon, 1926) et obtient l’Oscar pour
est convaincu, dès 1943, « que l’on ne le théoricien prophétique du cinéma diffé-
son interprétation dans In Old Arizona
rent : en libérant le plaisir des exigences
(R. Walsh, 1929). Parmi ses très nom- saurait modifier la qualité des films en
dramaturgiques ; en impliquant le spec-
breux films, citons le western mélodra- éduquant préalablement le goût du pu-
blic, mais que c’est au contraire la qualité tateur dans une relation active à l’écran ;
matique The Squaw Man (C. B. De Mille,
de ces films qui peut l’éduquer ». Il ne en déliant l’espace et la durée des servi-
1931) et le musical 42e Rue (L. Bacon,
tudes de l’anecdote.
désespère pas du grand public, loin de
1933). Il prête au héros de Je n’ai pas tué
là (« son goût de la compétence » si effi-
Lincoln (J. Ford, 1936) ses qualités habi- BÉART (Emmanuelle), actrice française
cient dans le domaine du sport pourrait
tuelles : distinction et pathétique. (Saint-Tropez 1965).
jouer dans celui du cinéma), mais il croit
Fille du chanteur-compositeur Guy Béart,
BAYE (Nathalie), actrice française (Main- à la nécessité d’une élite agissante et
elle débute au cinéma dans Demain les
même à la fonction positive du snobisme.
neville 1948). mômes (Jean Pourtalé, 1976), mais elle
Après des études de danse et de théâtre, Bazin n’a pas édifié de système
tourne peu jusqu’à Premiers désirs (David
elle débute dans la Nuit américaine esthétique. Il n’est pas un théoricien,
Hamilton, 1984) et Un amour interdit
(1973) de Truffaut, qui la reprendra dans moins encore un dogmatique, mais un
(Jean-Pierre Dougnac, id.). C’est Manon
éveilleur. Un film, même mauvais, lui
l’Homme qui aimait les femmes (1977), des Sources (C. Berri, 1986) qui la révèle
puis dans la Chambre verte (1978). est l’occasion de développer des hypo-
au grand public et lui permet de mener
thèses historiques ou sociologiques, de
Elle a été appréciée dans la Gueule ou- habilement sa carrière en veillant à l’équi-
réfléchir aux voies de la création. Il éta-
verte (M. Pialat, 1974), puis dans Mado libre entre cinéma d’auteur et cinéma dit
blit sa démarche sur le paradoxe, attitude
(C. Sautet, 1976), Sauve qui peut (la vie) commercial : les Enfants du désordre
féconde si le paradoxe est, dialectique-
de J.-L. Godard (1980), Une semaine (Y. Bellon, 1989), la Belle Noiseuse (J. Ri-
ment, le vrai qui semble faux. Partant de
de vacances (B. Tavernier, id.), la Pro- vette, 1991), J’embrasse pas (A. Téchiné,
l’aspect le plus contradictoire d’un film,
vinciale (C. Goretta, 1981), Une étrange id.), Un coeur en hiver (C. Sautet, 1992),
il en démontre la nécessité esthétique.
affaire (P. Granier-Deferre, id.), le Retour l’Enfer (C. Chabrol, 1994), Une femme
Le Journal d’un curé de campagne, les
de Martin Guerre (Daniel Vigne, 1982), française (R. Wargnier, 1995), Nelly et
Parents terribles sont d’autant plus du ci-
la Balance (Bob Swaim, id.), J’ai épousé M. Arnaud (C. Sautet, id.), Voleur de vie
néma qu’ils respectent scrupuleusement
une ombre (Robin Davis, 1983), Notre (Yves Angelo, 1998), le Temps retrouvé
l’un la lettre de l’oeuvre littéraire, l’autre
histoire (Bertrand Blier, 1984), Rive (R. Ruiz, 1999), les Destinées sentimen-
la substance théâtrale de la pièce. Il fait
droite, rive gauche (Philippe Labro, id.), tales (O. Assayas, 2000), la Répétition
l’éloge du cinéma impur. Il devance l’ana- (Catherine Corsini, 2001).
Détective (J.-L. Godard, 1985), le Neveu lyse structurale en justifiant les défauts
de Beethoven (P. Morrissey, id.), Lune ou les anomalies des chefs-d’oeuvre, BEATLES (les), groupe de musique pop
de miel (Patrick Jamain, id.), En toute aussi indispensables que les qualités à britannique, qui se produit en tant que tel
innocence (A. Jessua, 1988), la Baule- leur fonctionnement global. Catholique, de 1962 à 1970.
les-Pins (D. Kurys, 1990), Gioco al mas- prosélyte dès vingt ans du personnalisme Il se compose de quatre musiciens origi-
sacro (D. Damiani, id.), Un week-end sur selon Emmanuel Mounier, Bazin a logi- naires de Liverpool : Ringo Starr [Richard
deux (N. Garcia, id.), The Man Inside quement développé une critique spiritua- Starkey] (né en 1940), John Lennon (né
(Bobby Roth, id.), la Voix (P. Granier- liste : dans la réalité du monde, il veut voir en 1940 - New York, N. Y., 1980), Paul
Deferre, 1992), la Machine (F. Dupeyron, « le côté pile de la face de Dieu ». McCartney (né en 1942), George Harris-
1994). Elle excelle dans Vénus Beauté Quelques grands thèmes confèrent à son (né en 1943). Acteurs dans Quatre
(Institut) (Tonie Marshall, 1999) puis se sa pensée critique toute sa cohérence. Garçons dans le vent (1964) et Au se-
tourne vers la comédie avec Ça ira mieux Pour Bazin, l’origine photographique du cours ! (1965) de Richard Lester, Magical
demain (Jeanne Labrune, 2000), Barnie film fonde la nouveauté et la fascina- Mystery Tour, qu’ils réalisent eux-mêmes
et ses petites contrariétés (Bruno Chiche, tion du cinéma. La photo est une sorte (1967), et Let It Be [DOC] de Michael Lin-
2000) et Absolument fabuleux (Gabriel de duplicata — certes imparfait — du say Hogg (1970). Ils inspirent le dessin
Aghion, 2001). monde, un reflet pétrifié dans le temps à animé construit autour de leurs chan-

113
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

sons : le Sous-Marin jaune, de George didat à la présidence dans À cause d’un BEAULIEU CAMÉRA
Dunning (1968). Chacun des membres assassinat (A. J. Pakula, 1974). Il change
joue par la suite dans divers films : BEAUMONT (Harry), cinéaste américain
de registre avec plus ou moins de bon-
Starr (Candy, Christian Marquand, id. ; (Abilene, Kans., 1888 - Santa Monica, Ca.,
heur, selon les cinéastes qui le dirigent.
200 Motels, Franck Zappa, 1971), etc. ; 1966).
Il produit Shampoo (dont il est co-scéna-
Lennon (Comment j’ai gagné la guerre, Débute comme metteur en scène en
riste) et s’y donne un rôle frisant l’auto-
R. Lester, 1967), Harrisson (The Concert 1915, après avoir été acteur. Il est amené
dérision (H. Ashby, 1975). Avare de ses
for Bangla Desh, Paul Swimmer, 1972), à travailler jusqu’en 1948, date de sa re-
Mc Cartney (Rendez-vous à Broad Street prestations, Beatty préfère peut-être la traite cinématographique, pour plusieurs
[Give My Regards to Broad Street], Peter production et la réalisation : après le Ciel grands studios (Essanay, Fox, Metro,
Webb, 1984). Sous la direction de Lester, peut attendre (Heaven Can Wait, 1978), Warner, MGM). Se détachent au sein
les Beatles donnent le meilleur d’eux- large succès public qu’il dirige, il réalise, d’une fructueuse carrière The Gold Dig-
mêmes. C’est Lennon qui possède la per- gers (1923), Beau Brummell (1924) avec
en 1981, une ambitieuse biographie du
sonnalité la plus forte du groupe. Dès sa John Barrymore, Babbitt (id.), The Broad-
journaliste communiste John Reed, qu’il
rencontre en 1966 avec l’artiste d’avant- way Melody (1929) et surtout deux films
interprète également : Reds, film dont la
garde Yoko Ono (qu’il épouse en 1969), joués par Joan Crawford, les Nouvelles
forme originale entremêle fiction et témoi-
il décide de prendre ses distances avec Vierges (Our Dancing Daughters, 1928)
gnages. En 1990, Dick Tracy prend pour et Dance, Fools, Dance (1931), qui sont
l’image que l’industrie donne de lui et de
ses amis. Le couple réalise, entre 1969 et héros le plus célèbre menton en galoche un reflet fidèle de l’Amérique enfiévrée
1972, une quinzaine de films expérimen- de l’histoire de la B.D. : le détective Dick de la prohibition et du charleston, mais
taux dont on peut retenir Imagine (1971), Tracy ; Beatty y travaille l’aspect visuel en aussi — pour le second film — du krach
qui illustre, par une foule d’inventions recherchant les équivalents des à-plats de 1929.
plastiques, les morceaux de l’album du de la bande d’origine. En 1998, il réalise
même nom. John Lennon est assassiné à BEAUREGARD (Edgar Denys Nau de
le corrosif Bulworth (id.), satire politique
New York en 1980. Beauregard, dit Georges de), producteur
curieuse plus que vraiment réussie.
français (Marseille 1920 - Paris 1984).
BEATON (Cecil), costumier britannique Autres rôles : l’Ange de la violence Avec À bout de souffle (1960) de Jean-Luc
(Londres 1904 - Broad Chalke 1980). (J. Frankenheimer, 1962) ; Promise Her Godard, il devient pour dix ans le produc-
Il débute en 1927 et s’affirme comme Anything (A. Hiller, 1966) ; le Gentleman teur attitré de la Nouvelle Vague. Demy
un grand spécialiste de l’époque edwar- de Londres (Kaleidoscope, J. Smight, (Lola, 1961), Rozier (Adieu Philippine,
dienne. On fera donc appel à lui pour ha- 1962), Melville (Léon Morin, prêtre, id. ;
id.) ; Dollars (R. Brooks, 1971) ; la Bonne
biller à l’écran des pièces d’Oscar Wilde, le Doulos, 1963), Agnès Varda (Cléo de 5
Fortune (M. Nichols, 1975) ; Ishtar (Elaine
tel Un mari idéal (A. Korda, 1947). C’est à 7, 1962), Schoendoerffer (la 317e Sec-
May, 1987) ; Bugsy (id., B. Levinson,
un homme au goût irréprochable, mais tion, 1964), Rivette (la Religieuse, 1966)
1991) ; Love Affair (Glenn Gordon Caron,
dont le travail méticuleux a tendance à et Rohmer (la Collectionneuse, 1967) lui
1994), Potins mondains (Town and doivent le vrai départ de leur carrière,
jouer les vedettes : si Vincente Minnelli
(Gigi, 1958 ; Mélinda, 1970) a su le maîtri- Country, Peter Chelsom, 2001). mais il a aussi produit Chabrol, Grangier
ser, George Cukor (My Fair Lady, 1964) ou Françoise Sagan, et surtout six autres
s’est, en revanche, laissé submerger par BEAUDINE (William), cinéaste américain films de Godard, du Petit Soldat (1960) à
son invention envahissante. (New York, N. Y. 1892 - Los Angeles, Ca., Numéro deux (1975). Il a été également
1970). le producteur des films de Bardem, Mort
BEATTY (Henry Warren Beaty, dit Warren), En 1909, il entre dans les studios new- d’un cycliste (1955) et Grand’Rue (1956).
acteur et cinéaste américain (Richmond,
yorkais de la Biograph, où il est succes-
Va., 1937). BECCE (Giuseppe), compositeur allemand
sivement assistant de D. W. Griffith, Dell
Frère cadet de l’actrice Shirley MacLaine, d’origine italienne (Lonigo 1877 - Berlin
Anderson et Marshall Neilan. Sa carrière
il poursuit des études à New York. Kazan 1973).
lui confie, aux côtés de Natalie Wood, un prolifique de réalisateur débute en 1915 Après ses études en Italie, puis à Berlin,
rôle d’adolescent étouffé par les conven- avec la série comique Ham et Bud. Son où il devient chef d’orchestre et compo-
tions, passionné, malheureux : la Fièvre impressionnante filmographie comporte siteur de symphonies, d’opéra et d’opé-
dans le sang (1961). Puis il est le gigolo plus de 300 titres, dont l’immense majo- rettes, il est un des premiers à écrire
italien séduisant Vivien Leigh dans le rité est maintenant tombée dans l’oubli pour le cinéma muet, tout d’abord à la
Visage du plaisir (The Roman Spring of (la quantité l’a toujours emporté sur la demande d’Oskar Messter*. En 1913, il
Mrs. Stone, id.), d’après T. Williams, seul écrit la musique de Richard Wagner, de
qualité, l’homme d’affaires ayant toujours
film du metteur en scène de théâtre José William Wauer et Carl Froelich, dans le-
pris le dessus sur l’artiste). Artisan à
Quintero. On voit en Beatty un succes- quel il interprète le rôle du grand compo-
tout faire du cinéma familial et commer-
seur de Dean, de Brando. Son charme, siteur décédé vingt ans plus tôt. Intégré à
cial, il eut pourtant le privilège de diriger
sa jeunesse, une aura de solitude (Lilith la UFA en 1918, il devient une des gloires
de R. Rossen, 1964 ; Mickey One de Mary Pickford dans la Petite Annie (Little du studio et il crée des musiques pour les
A. Penn, 1965) compensent des tics Annie Rooney, 1925) et surtout dans les films les plus divers, dont les Trois Lu-
pris à ces modèles. Sa composition de Moineaux (Sparrows, 1926), considéré mières de Lang, le Dernier des hommes
tueur psychopathe (Clyde Barrow), avec comme son meilleur film avec Penrod et Tartuffe de Murnau, Der steinerne
Faye Dunaway, dans Bonnie and Clyde and Sam (1931). W. C. Fields a éga- Reiter de Fritz Wendhausen, Am Rande
(A. Penn, 1967) lui vaut l’Oscar du meilleur der Welt de Karl Grune. Aux débuts du
lement contribué à le tirer de l’oubli en
acteur. Il déclare alors prendre réellement nazisme, il participe au film de propa-
jouant sous sa direction Parade et Rire
conscience des exigences de son métier. gande Hans Westmar (Franz Wenzler,
(The Old-Fashioned Way, 1934). L’éton-
Il affronte Liz Taylor dans Las Vegas... un 1933) et il est notamment le compositeur
nante abondance de cette oeuvre ne se
couple (The Only Game in Town, G. Ste- attitré des films de Luis Trenker – il écrit
vens, 1970), devient l’hirsute, inattendu limita pas à l’activité cinématographique, aussi pour Leni Riefenstahl (la Lumière
et convaincant John McCabe d’Altman puisque Beaudine a dirigé près de bleue), qu’il retrouvera pour Tiefland en
(1971) et enquête sur la mort d’un can- 200 émissions pour la télévision. 1945. Habile à capter les formes popu-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

laires qu’il intègre à un cadre classique trise — jusque dans le ton adopté (propre médiens sont portés par cet état de grâce
académique, il collabore à des documen- à chaque film et à chaque genre) — que Simone Signoret, éternelle Casque
taires exaltant les thèmes à la mode sous qu’ils sont vraiment uniques. Si on veut d’or, évoque dans ses souvenirs.
les nazis et à de très nombreux films de bien admettre que Dernier Atout, qu’il Touchez pas au grisbi (1954) inaugure
fiction. Il composa encore de nombreuses tourne en 1942, souffre du flou que les
la veine série noire à la française, au
musiques de films de 1949 à la fin des contraintes de l’Occupation ont imposé
rythme détendu, avec le souci d’humani-
années 50. à son scénario (une intrigue policière
ser les héros d’un roman d’Albert Simonin
située dans une Amérique latine conve-
BECH (Lili Beck Magnussen, dite Lili), ac- (qui collabore au scénario), et la révéla-
nue), ou qu’Ali Baba et les quarante
trice danoise (1885-1939). tion d’un Jean Gabin pesant et précis, qui
voleurs, réalisé au Maroc en 1955, est
Elle débute dans son pays natal (les inaugure là sa seconde carrière après dix
une oeuvre de commande mineure dans
Morphinomanes [Morfinisten, 1911] de sa filmographie, tous les exégètes de années difficiles.
L. von Kohl) puis rencontre Victor Sjös- Becker ont pu s’accorder au moins pour Arsène Lupin est une fantaisie Belle
tröm, qu’elle épouse. Elle tourne alors voir en lui le plus français des cinéastes Époque, décorative, d’un humour déli-
sous la direction de son mari (le Jardi- français, le plus attentif à une approche cieux. Montparnasse 19, projet ophulsien
nier, 1912 ; les Enfants de la rue, 1914 ; du réel qui ne doit rien à la tradition noire que Jacques Becker dut reprendre à son
Therese, 1916) et sous celle de Mauritz de l’avant-guerre, ni au goût italien dont compte après la mort de l’auteur de Lola
Stiller (les Masques noirs, 1912 ; la Vam- il est contemporain, mais qui est totale Montès, délaisse la fresque facile au pro-
pire, id. ; l’Enfant, 1913 ; l’Oiseau de la reconstruction à partir d’une observation fit d’une réflexion sur la solitude qui ne
tempête, 1914 ; les Ailes, 1916), les pre- fine de l’époque (la sienne, ou une Belle
fut guère comprise à la sortie du film, en
mières oeuvres importantes du cinéma Époque de convention dont il explore les
suédois. Elle retourne au Danemark en 1958.
deux faces contradictoires dans Casque
1916 après son divorce. Enfin, le Trou (sorti en 1960 quelques
d’or et les Aventures d’Arsène Lupin).
semaines après la mort de son auteur)
En 1943, Goupi Mains Rouges est
BECKER (Harold), cinéaste américain (New est le second grand film de Jacques Bec-
la description d’une communauté pay-
York, N. Y., 1950). ker — film sur l’univers carcéral (il s’agit
sanne, aux frontières d’un fantastique
Sa carrière a commencé en Angleterre
noir que Becker maîtrise et refuse au de l’affrontement de cinq hommes qui
et s’est développée aux États-Unis.
profit d’une série de portraits chaleureux préparent une évasion dans le huis clos
Harold Becker se fit d’abord remarquer
(Fernand Ledoux, Robert Le Vigan) bros- d’une cellule), épure de mise en scène
avec Taps (id., 1981), peinture corrrosive
sés à contre-courant de l’imagerie du dont la rigueur rejoint celle des meilleurs
d’une école militaire qui put un temps le
retour à la terre des années Pétain. Fal- films de prison hollywoodiens, mais em-
faire prendre pour un auteur ; c’est plutôt
balas, au contraire, peint le monde de la preint de chaleur humaine, l’ultime mes-
son aptitude à fixer sur la pellicule une
haute couture parisienne avec sensibilité sage de Becker moraliste.
forte création de George C. Scott qui pa-
et rigueur (Becker ne condamne pas ses
raît maintenant intéressante. Malice (id., Films : Le commissaire est bon enfant
personnages, la mort de Raymond Rou-
1993) était un bon thriller à rebondisse- (MM., 1935) ; Le gendarme est sans pitié
leau à la fin est bouleversante comme
ments où brillaient Nicole Kidman et Alec (MM, id.) ; l’Or du Cristobal (terminé par
une injustice), avec aussi des notations
Baldwin. C’est en collaborant avec Al Jean Stelli, 1939) ; Dernier Atout (1942) ;
de réalisme fugitives et fortes.
Pacino que Becker a donné le meilleur de Goupi Mains Rouges (1943) ; Falbalas
lui-même : City Hall (id., 1995), bien écrit La même attention aux menus détails
(1945) ; Antoine et Antoinette (1947) ;
et bien joué, et surtout Mélodie pour un unit, d’Antoine et Antoinette à Rue de
Rendez-Vous de juillet (1949) ; Édouard
meurtre (Sea of Love, 1989), autre thril- l’Estrapade, les quatre comédies qui
et Caroline (1951) ; Casque d’or (1952) ;
ler, réellement sulfureux, qui sortit l’acteur composent, ensemble, la chronique la
Rue de l’Estrapade (1953) ; Touchez pas
de quatre années d’inactivité forcée et plus juste et la plus tendre de l’après-
au grisbi (1954) ; Ali Baba et les quarante
ouvrait la voie à ses grandes créations guerre. Sauf celui de Rendez-Vous de
juillet (dû à la collaboration de Jacques voleurs (id.) ; les Aventures d’Arsène
de maturité.
Becker et de Maurice Griffe), qui a une Lupin (1957) ; Montparnasse 19 (1958) ;
BECKER (Jacques), cinéaste français (Paris réelle épaisseur romanesque, les scéna- le Trou (1960).
1906 - id. 1960). rios en sont extrêmement ténus, simples
Né d’un père français et d’une mère écos- prétextes à des variations sentimentales BECKER (Jean), cinéaste français (Paris
saise, il est élevé dans la grande bour- délicatement dessinées. Casque d’or 1933).
geoisie intellectuelle parisienne : c’est (1952), qui rompt la série des comédies Fils de Jacques Becker. Il a débuté
chez les Cézanne qu’il est présenté à au présent, est l’un des plus beaux films comme assistant et signé trois films
Jean Renoir, en 1924, et dans l’entourage jamais produits en France. À partir d’un policiers dont la vedette était Jean-
immédiat de l’auteur de la Grande Illusion moment de la chronique des bas-fonds Paul Belmondo : Un nommé La Rocca
(film dans lequel il tient un petit rôle) qu’il parisiens (l’authentique affrontement, (1961), Échappement libre (1964) et
apprend son futur métier. Figurant dans pour une belle, de deux voyous de bar- Tendre Voyou (1966) et une comédie
le Bled (1929), puis assistant de Boudu rière en 1902), Becker donne la vie à une farfelue : Pas de caviar pour tante Olga
sauvé des eaux (1932) à la Marseillaise galerie de personnages dont la justesse
(1965). Après avoir oeuvré dans le film
(1938), il est coréalisateur de La vie est à psychologique prend constamment le pas
publicitaire pendant plusieurs années,
nous (1936), dont il aurait dirigé l’épisode sur la composante folklorique. L’époque
il est revenu au cinéma avec deux suc-
paysan avec Gaston Modot. Simultané- est plus évoquée cette fois que recons-
cès commerciaux, dus essentiellement
ment, il réalise (avec Pierre Prévert) deux tituée, mais avec une grande vérité (au-
moyens métrages adaptés de Courteline. à l’impact publicitaire de l’actrice choisie
tour du vieil artisan incarné par Gaston
pour interpréter le rôle principal : Isabelle
Le volume de l’oeuvre personnelle de Modot notamment) qui fait sourdre dans
Jacques Becker n’est pas à la mesure le drame crapuleux toute la mémoire du Adjani pour l’Été meurtrier (1983) et Va-

de son importance : treize films seule- peuple de Paris. Le style est fluide, la nessa Paradis pour Élisa (1995). En 1999

ment entre 1942 et 1959. Mais ces films caméra épouse le rythme de l’émotion il connaît le succès avec les Enfants du
attestent de telles qualités de clarté, de (dans la séquence de la guinguette, par marais, film teinté de nostalgie puis signe
mesure, ils témoignent d’une telle maî- exemple, ou au bord de la Marne), les co- en 2001 Un crime au paradis.

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

BECKERMANN (Ruth), cinéaste autri- Sergent York (1941), la Rivière rouge jeunesse (R. Brooks, 1962) lui vaut un
chienne (Vienne 1952). (1948) ; on le voit dans des rôles secon- Oscar (« best supporting actor »).
Tout au long de son oeuvre documentaire daires de cow-boy pittoresque dans di- Principaux films : la Dernière Rafale
exceptionnelle, cette cinéaste viennoise vers films et séries télévisées. (W. Keighley, 1948) ; la Maison dans
tente d’établir des liens entre le passé l’ombre (N. Ray, 1952) ; Bas les masques
et le présent, expliquant la culture poli- BEERY (Wallace), acteur américain (Kansas (R. Brooks, id.) ; Douze Hommes en
tique contemporaine à travers une minu- City, Mo., 1885 - Los Angeles, Ca., 1949). colère (S. Lumet, 1957) ; le Coup de
tieuse introspection de l’histoire. Dans Sa carrière hollywoodienne commence l’escalier (R. Wise, 1959) ; The Oscar
son premier long métrage, Wien Retour vers 1913, après des débuts au cirque. (R. Rouse, 1966) ; Firecreek (Vincent
(Retour à Vienne, 1985), le journaliste Son physique n’est pas exactement celui Mac Eveety, 1968).
communiste autrichien Franz Weintraub d’un jeune premier. Il joue donc les brutes
témoigne de la Vienne judaïque de son et les personnages hauts en couleur. BEHI (Ridha [al-Bahi]), cinéaste tunisien
enfance puis de son entrée dans le mou- Antipathique pour commencer, il sert de (Kairouan 1947).
vement ouvrier. Dans Die papierene faire-valoir à des personnages beaucoup Études de lettres à Tunis, de sociolo-
Brücke (Pont de papier, 1987), la réalisa- plus distingués que le sien : Douglas gie et d’ethnographie à Paris. Initié au
trice explore l’histoire des Juifs d’Europe Fairbanks dans The Mollycoddle (V. Fle- cinéma par l’actif ciné-club de Kairouan
centrale à travers un voyage dans le sou- ming, 1920) ou Robin des bois (A. Dwan, dès 1964, il écrit des scénarios (Sous
venir de ceux qui ont connu la Shoah. 1922, où il est Richard Coeur de Lion), la pluie de l’automne, Ahmed Kechine,
Elle poursuit cette réflexion dans Nach Rudolph Valentino dans les Quatre Cava- 1968) et se fait remarquer par un court
Jerusalem (Vers Jérusalem, 1990), un liers de l’Apocalypse (R. Ingram, 1921) métrage, Seuils interdits (1972). Son pre-
film mosaïque sur les différentes identités ou Buster Keaton dont il est le rival dans mier long métrage traite également de la
d’Israël, illustrées à travers diverses ren- les Trois Âges, en 1923. Mais il plaît au mutation socioculturelle que provoque le
contres survenues sur la route qui relie public, devient une vedette considérable, tourisme : Soleil des hyènes (ash-Shams
Tel Aviv à Jérusalem. L’excellent Jenseits et l’on se met à construire des films pour wa adh-dhiba’, 1978). Il réalise des docu-
des Krieges (À l’Est de la guerre, 1996) lui. Son âge d’or se situe entre 1927 mentaires pour le Koweit, puis Les anges
enregistre dans un style proche de la et 1940. Dans les Mendiants de la vie ont froid l’hiver (el-Malaïka) en 1983 et
vidéo amateur les réactions des visiteurs (1928), William Wellman lui donne son la Mémoire tatouée en 1986. Il aborde la
d’une exposition viennoise consacrée emploi type : Oklahoma Red, le chef question palestinienne à travers la révolte
aux crimes de la Wehrmacht. Dans Ein d’une bande de clochards, qui cache un des Pierres dans Chronique des nuits en-
flüchtiger Zug nach dem Orient (Fugue coeur d’or sous une apparence de brute. soleillées (Waqai‘ al Layali al Mushmisa,
orientale, 1999), la cinéaste adopte un À la fin du film, il se sacrifie pour assurer 1990), grande production tuniso-pales-
style beaucoup plus léché pour partir en le bonheur de Louise Brooks, qu’il aime tino-hollandaise. En 1994, il signe Les
Égypte, sur les traces d’Élisabeth, impé- en secret. L’année suivante, dans son hirondelles ne meurent pas à Jérusalem.
ratrice d’Autriche rebelle, qui effectua premier film parlant, Chinatown Nights,
deux voyages dans ce pays à la fin du Wellman fait de lui à nouveau un chef de BEINEIX (Jean-Jacques), cinéaste français
xxe siècle. Avec Homemad(e) (2000), bande régénéré par l’amour de Florence (Paris 1946).
elle propose une exploration de Vienne, Vidor. Dès lors, à peu près systémati- Forgé par l’assistanat auprès de réali-
plongeant dans les racines de l’ancien quement, Wallace Beery va se trouver sateurs comme R. Clément, C. Berri ou
quartier du textile. confronté à des personnages fragiles, C. Zidi, et par le court métrage (le Chien
des jeunes femmes ou des enfants. En de M. Michel), il adapte, en 1981, un
BEERY (Noah), acteur américain (Smith- 1930, il est convict dans Big House de roman policier de Delacorta, Diva, qui
ville, Mo., 1882 - Los Angeles, Ca., 1945). George W. Hill, Pat Garrett dans Billy met en scène les aventures modernes
Frère aîné de Wallace Beery, acteur de the Kid de King Vidor (id.), boxeur déchu d’un postier, d’une cantatrice, et de divers
théâtre, puis de cinéma, spécialisé dans protecteur d’un enfant dans le Champion marginaux. Le film obtient un tardif mais
les rôles de méchants, souvent des (du même Vidor en 1931, avec Jackie vif écho auprès des spectateurs qui y re-
agents d’autorité sadiques : délégué aux Cooper). En 1932, il est industriel dans connaissent l’esthétique des années 80 et
affaires indiennes (la Race qui meurt [The Grand Hôtel d’Edmund Goulding, puis un en font un film-culte. Il peaufine, à la limite
Vanishing American], George B. Seitz, lutteur allemand ridiculisé par une femme du maniérisme, ce parti pris dans la Lune
1925), sergent de la Légion (Beau Geste, dans Une femme survint (1932) de John dans le caniveau (1983). Il attend 1986
H. Brenon, 1926), gardien de prison (les Ford. En 1934, il est l’admirable Pancho pour adapter un troisième roman noir,
Damnés du coeur, C. B. De Mille, 1929). Villa de Viva Villa d’Howard Hawks et 37°2 le matin (d’après Philippe Djian) qui
Au cours de sa prolifique carrière, on peut Jack Conway, et le rival de George Raft obtient un véritable succès auprès d’un
encore citer le Signe de Zorro (F. Niblo, dans The Bowery, de Raoul Walsh. Après large éventail de spectateurs, en attente
1920), le Loup des mers (The Sea Wolf, l’Île au trésor (V. Fleming, 1934), Au ser- d’un romantisme aux couleurs du temps.
George Melford, id.), The Dove (R. West, vice de la loi (J. von Sternberg, 1939), la Roselyne et les lions (1989) en revanche
1927), l’Arche de Noé (M. Curtiz, 1929), qualité de ses films va vraiment décliner, ne trouvera pas son public. En 1992, il
les Quatre Plumes blanches (M. C. Coo- mais non sa popularité jusqu’à sa mort réalise I.P. 5, l’île aux pachydermes avec
per, E. B. Schoedsack et L. Mendes, id.), en 1949. Yves Montand dans son dernier rôle, puis
Lady Lou (She Done Him Wrong, L. Sher- en 2000 Mortel Transfert.
man, 1933). BEGLEY (Edward James, dit Ed), acteur
américain (Hartford, Conn., 1901 - Los BEK-NAZAROV (Amo Ivanovi Bek-Na-
BEERY Jr (Noah), acteur américain (New Angeles, Ca., 1970). zarov / Beknazarjan, dit Amo), acteur et
York, N. Y., 1913 - Tehachapi, Ca., 1994). Venu de la radio locale, très populaire à la cinéaste soviétique arménien (Erivan
Fils de Noah Beery et neveu de Wallace TV, il a incarné avec une belle constance 1892 - Moscou 1965).
Beery, il est d’abord enfant acteur à la à l’écran (depuis Boomerang d’E. Kazan, Il débute comme acteur en 1915 dans
fin du muet (le Signe de Zorro, F. Niblo, 1947) des personnages antipathiques, ’Enver Pacha, traître de la Turquie‘, de
1920). Il commence sa véritable carrière que son masque accentué et son pré- Vladimir Gardine, et apparaît dans plu-
en 1939 avec Seuls les anges ont des coce vieillissement rendent intéressants. sieurs films de Vesselovski, Svetlov,
ailes de Howard Hawks, réalisateur avec Son rôle de démagogue cruel, corrompu Gromov et Evgueni Bauer. Après l’ins-
lequel il tournera nombre de films dont et faussement rusé dans Doux Oiseau de tauration du pouvoir soviétique, il sera le

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

fondateur de la cinématographie armé- seriamente la salud, 1996) de Manuel des frères Lumière. En 1904, Louis Van
nienne et l’un des animateurs — avec Gómez Pereira. Elle a mis en scène Goitsenhoven inaugure le cinéma perma-
Ivan Perestiani notamment — de la ciné- Cómo ser mujer y no morir en el intento nent dans la capitale. En 1906, le docteur
matographie géorgienne. En Géorgie, il (1991). Decroly tourne le premier film du cru. Le
tourne ‘ Au pilori ’ (U pozornogo stolba, véritable précurseur du cinéma belge est
1924), ‘ les Trésors disparus ’ (Propavšie BEL GEDDES (Barbara Geddes Schreiver, le Français Alfred Machin*, alors employé
sokroviša, id.), ‘ Natella’ (id., 1926). Na- dite Barbara), actrice américaine (New chez Pathé*. Ce dernier, à l’opposé de
mous / l’Honneur (Namus, 1926) est le York, N. Y., 1922). Gaumont*, préfère envoyer ses réali-
premier long métrage de fiction arménien. Plus active au théâtre et à la télévision sateurs sur place, travailler avec des
L’année 1927 est une année faste pour qu’au cinéma, où elle débute en 1947 équipes locales, plutôt que de diffuser à
le cinéaste qui signe également ‘ Zare ’ avec The Long Night de Litvak, elle n’en outrance les oeuvres de la mère patrie de
(id.) et la ciné-comédie ‘ Chor et Chor- sait pas moins interpréter avec beaucoup par le monde. Cette politique empêche
chor ’ (Šor i Šoršor). Parmi les films ulté- de clarté et de sensibilité des person- le cinéma belge de se créer une tradition
rieurs de Bek-Nazarov, il faut citer ‘ Khas- nages féminins réservés, plus sympa- filmique authentique, à l’instar de ses voi-
Pouch ’ (Has-Puš, 1927), le documentaire thiques que séduisants : Panique dans sins suédois ou danois. Machin reste en
‘ la Terre de Nairi ’ (Strana Nairi, 1931), le la rue (E. Kazan, 1950), Sueurs froides Belgique de 1912 à 1914 et y réalise une
célèbre et très populaire Pepo (id., 1935), (A. Hitchcock, 1958) ou Millionnaire de vingtaine de films, dont Histoire de Minna
‘ Zanguezour ’ (Zangezur, 1938) ‘ David- cinq sous (M. Shavelson, 1959). Elle Claessens, premier long métrage du pays
Bek ’ (id., 1944) et ‘ la Fille de l’Ararat ’ tient avec aisance un rôle de première (1912). La Fille de Delft et Maudite soit
(Devuška Araratskoj doliny, 1950). importance dans Tendresse (G. Stevens, la guerre, deux films de 1913, ont été
1948), film qui lui permet d’obtenir un sauvés. Dans le premier, un mélodrame,
BELAFONTE (Harold George, dit Harry), Oscar (« best supporting actress »), et on note un emploi très novateur du mon-
chanteur et acteur américain (New York, Caught (Max Ophuls, 1949). tage alterné. Maudite soit la guerre, film
N. Y., 1927). prémonitoire, est terminé en septembre
Il passe son enfance à la Jamaïque, dont BELGIQUE. 1913 ; il est bloqué jusqu’en juin 1914 par
son père est originaire, puis s’engage Quelques points sont à préciser lorsqu’on son producteur que les prises de position
dans l’US Navy (1944). En 1952, il est aborde cette cinématographie. La Bel- pacifistes de Machin effarouchent.
devenu l’un des chanteurs noirs les plus gique, comme le Canada, est un pays
De l’immédiat après-guerre
en vogue des cabarets et music-halls biculturel, où se côtoient Wallons et Fla- jusqu’au milieu des années 20, aucune
américains, introducteur notamment mands. La proximité de la France attire oeuvre marquante n’est réalisée. Mais le
de rythmes antillais. Il débute à l’écran à elle, depuis les origines du 7e art, ac- pays se dote d’infrastructures. Hippolyte
en 1953 et Preminger l’engage comme teurs, techniciens et cinéastes (Jacques De Kempeneer installe de vastes stu-
vedette masculine de Carmen Jones Feyder*, Charles Spaak*, Fernand Le- dios à Machelen en 1921 et y invite les
(1954). Malgré ses dons manifestes, sa doux*, Raymond Rouleau*, etc.). Si de Français Julien Duvivier* et Jacques de
carrière ultérieure au cinéma se limitera purs Flamands comme Dekeukeleire* et Baroncelli*. De nombreux documentaires
à quelques films seulement, dont Une île Storck* ont dû souvent utiliser le français et quelques films à scénario voient égale-
au soleil (R. Rossen, 1957), le Monde, la dans leurs films, la tradition flamande ment le jour dans ces années-là. C’est à
Chair et le Diable (R. Mac Dougall, 1959) imprègne toutefois fortement les men- cette époque que débutent le marquis de
et le Coup de l’escalier (R. Wise, 1959). talités. Ces diverses interpénétrations Wavrin (Au coeur de l’Amérique du Sud,
Tout en poursuivant à la scène et par le culturelles donnent, tout de même, un 1924) et Gaston Schoukens (Monsieur
disque sa fabuleuse carrière, Belafonte caractère d’unité – ou du moins certains mon chauffeur, 1926), respectivement
s’associera avec Sidney Poitier vers 1970 traits communs – au cinéma belge. Il ne pionniers du film ethnographique et du
pour produire des films entièrement joués nous a donc pas semblé utile de faire une film de fiction.
et réalisés par des Noirs, où il apparaît étude différenciée de chaque zone. La
En 1927 apparaissent les premiers
quelquefois. Les années 90 ont vu re- présence de références picturales, allant
cinéastes belges authentiques : Charles
naître en lui l’intérêt pour le cinéma : il est de Bosch et Bruegel à Paul Delvaux et
saisissant en mafieux dans Kansas City Dekeukeleire* et Henri Storck*. Ce
Magritte en passant par Félicien Rops
sont des avant-gardistes qui s’orientent
(R. Altman, 1995) et en bourgeois raciste et James Ensor, l’attachement à la terre,
dans White Man (White Man’s Burden, ensuite vers le documentaire. Com-
le goût du fantastique marquent cette
Desmond Nakano, id.). bat de boxe (1927), Impatience (1928),
cinématographie ; par ailleurs, le jeu des
Histoire de détective (1929) et Flamme
acteurs l’éloigne, jusqu’à une période
BELÉN (María del Pilar Cuesta Acosta, dite blanche (1930), films expérimentaux très
récente, de la réussite au niveau de la
Ana), actrice et cinéaste espagnole (Ma- radicaux, utilisant l’alternance du néga-
fiction. Le cinéma belge s’impose surtout
drid 1950). tif et du positif, le montage rapide, etc.,
par le documentaire, l’essai formaliste et
Elle débute à l’écran alors qu’elle est classent leur auteur, Charles Dekeuke-
le film sur l’art.
encore adolescente (Zampo y yo, Luis leire, parmi les maîtres du genre. Son
La préhistoire du cinéma compte effacement historique est dû au fait qu’il
Lucía, 1964), et mène une carrière à la
fois de chanteuse et de comédienne. Sa deux Belges dans ses rangs. Étienne échappe aux classifications : ses films,
popularité et sa beauté ne l’empêchent G. Robert (dit Robertson) met au point en qui ne sont ni abstraits ni dadaïstes,
pas de choisir ses rôles avec une certaine 1797 le Phantascope, genre de lanterne se trouvent marginalisés par les ortho-
exigence, comme en témoignent Sonám- magique qui autorise les ombres pro- doxes de tout poil. Plus éclectique, à
bulos (1977) et Démons dans un jardin jetées à changer de forme par des em- ses débuts, Henri Storck subit l’influence
(1982) de Manuel Gutiérrez Aragón, La bryons de mouvements. Joseph Plateau du surréalisme et de Flaherty*. Après
colmena (1982) et La casa de Bernarda conçoit, lui, en 1832, le Phénakistiscope, quelques films tournés dans le format
Alba (1987) de Mario Camus, La corte de dans lequel un disque, pourvu de fentes 9,5 mm en 1927-28, il réalise une série
Faraón (1985) et Divinas palabras (1987) permettant de voir des images dessinées, d’essais poétiques et impressionnistes :
de José Luis García Sánchez, La pasión donne l’illusion du mouvement. Images d’Ostende (1929), Sur les bords
turca (1994) et Libertarias (1996), tous C’est le 1er mars 1896 qu’a lieu la pre- de la caméra (1932), Une idylle à la plage
les deux de Vicente Aranda, L’amour nuit mière projection publique du cinémato- (1931). Le document social (Histoire du
gravement à la santé (El amor perjudica graphe ; au programme : quelques bandes soldat inconnu, 1932 ; Borinage [coau-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

teur : Joris Ivens*], 1933, peut-être le 1944), et poursuit dans le même esprit ment des films militants : S.O.S. Fonske
premier film belge engagé politiquement), avec Baraque no 1 (1945). (Robbe De Hert, 1968), Mort d’un homme
et les films sur l’art (Regards sur la Bel- Après la guerre, il y a une brève sandwich (De Hert et Henderickx, 1971).
gique ancienne, 1936) vont se partager flambée créatrice qui concerne surtout Même si cela peut paraître curieux dans
sa carrière. Ce sont en général des courts le court métrage : Storck, De Boe conti- ce pays de documentaristes, cette tradi-
métrages. Il n’est guère présomptueux de nuent, de nouveaux cinéastes comme tion du film de combat était pratiquement
comparer ce courant documentariste des Paul Haesaerts* (De Renoir à Picasso, inexistante dans le cinéma belge, à l’ex-
années 30 au mouvement britannique du 1949 ; Un siècle d’or, 1953, etc.) qui intro- ception de Borinage de Storck et Ivens et
GPO. OEuvre dans laquelle le cinéaste duit la critique comparative dans le film de Combattre pour nos droits de Frans
fait un parallèle entre les hommes et les sur l’art, Luc De Heusch* (Perséphone, Buyens (1960-61). Un film produit selon
paysages qui ont jadis inspiré les peintres 1951 ; Fête chez les Hamba, 1955, etc.), les nouveaux critères, Jeudi on chantera
et leurs incarnations actuelles, Thèmes esprit curieux et éclectique proche d’un comme dimanche de Luc De Heusch
d’inspiration, de Dekeukeleire (1938), Storck, Lucien Deroisy, Émile Degelin (1967), nous parle de problèmes quoti-
est, par exemple, primé à Venise. André (Bruges, 1953) apparaissent. Degelin et diens dans les milieux ouvriers ; peut-être
Cauvin inaugure une nouvelle voie dans Deroisy réalisent par la suite des longs la sensibilité de Fugitive Cinéma n’a-t-elle
le domaine du film sur l’art en appliquant métrages assez remarqués : respective- pas laissé De Heusch insensible !
les potentialités du langage filmique (gros ment Si le vent te fait peur (1960), atta- Les années 60 et 70 voient enfin se
plans, mouvements de caméra, etc.) à chante chronique intime dont le sujet frise réaliser, dans des films de fiction bien
l’analyse d’oeuvres picturales : l’Agneau l’inceste, et les Gommes (1959), adapta- construits et portés par d’authentiques
mystique et Memling (1938). Par la suite, tion intelligente du roman homonyme de scénarios, cette appétence des Belges
Cauvin s’oriente vers le film ethnogra- Robbe-Grillet. Mais le véritable premier pour le fantastique. Outre les films de Del-
phique (Congo, terre d’eaux vives, 1939 ; film belge de fiction, digne de ce nom, vaux (l’Homme au crâne rasé, 1966 ; Un
Bwana Kitoko, 1955, etc.), dont il est un est Les mouettes meurent au port (1955), soir un train, 1968 ; Rendez-Vous à Bray,
spécialiste avec Gérard De Boe (Kisantu, conçu par trois jeunes cinéastes anver- 1971 ; Benvenuta, 1983), qui mettent
1939 ; Yangambi, 1943, etc.). À côté de sois : Rik Kuypers, Ivo Michiels et Roland en jeu un fantastique intériorisé, proche
ces bandes, le film expérimental se porte Verhavert. Fondé sur un canevas policier de celui des romantiques allemands, on
également bien : la Perle d’Henri d’Ursel (les dernières heures d’un criminel tra- peut citer à la rigueur ceux d’Harry Kümel
et Georges Hugnet (1929), Fleurs meur- qué), ce film, à la plastique expression- (par ex. Monsieur Hawarden, 1968 ; les
tries de Roger Livet et René Magritte niste, renouvelle le genre d’une manière Lèvres rouges, 1970 ; Malpertuis, 1972)
(1929), Monsieur Fantômas d’Ernst peu orthodoxe. ou Michaella d’André Cavens (1968), et
Moërman (1937) en sont les plus notoires Vers cette époque, le cinéma com- Chronique d’une passion de Roland Ve-
exemples. mence à être pris au sérieux en Belgique. rhavert (1972).
Entre les deux guerres, le cinéma Le festival de Bruxelles tente, en 1947, de Grâce aux cinq festivals de cinéma
de fiction est essentiellement représenté concurrencer Cannes, encore embryon- expérimental organisés par la Cinéma-
par deux hommes : Gaston Schoukens naire, et Venise, marqué par son passé. thèque royale à Knokke-Le-Zoute depuis
et Jan Vanderheyden. Le premier est un En 1963, une subvention à la production 1949, le mouvement underground s’est
touche-à-tout qui donne dans des genres est accordée par l’État ; des commis- montré très vivace en Belgique. Citons
populaires : mélodrame (Tu ne sauras ja- sions de sélection se forment (en 1964 aussi Roland Lethem, qui oeuvre volon-
mais, 1927), drame patriotique (les Croix pour le côté flamand, en 1967 pour la tiers dans la subversion anarchisante (les
de l’Yser, 1938) et comédies loufoques partie francophone) : cette politique res- Souffrances d’un oeuf meurtri, 1967 ; la
(En avant la musique, 1935 ; Bossemans semble au système français de l’avance Fée sanguinaire, 1968 ; le Sexe enragé,
et Copenolle 1938). Vanderheyden reste sur recettes. Des écoles de cinéma sont 1969, etc.), ainsi que les films de Marcel
surtout l’homme d’un seul film : Filasse fondées au début des années 60 : l’IAD Broodthaers (la Clef des champs, 1958),
(De Witte, 1934), qu’il coréalise avec (Institut des arts de diffusion), l’INSAS de Patrick Hella (les Caméléons, 1967),
Willem Benoy. Cette histoire d’un Poil de (Institut national supérieur des arts du de Jos Pustjens (Essentieel, 1964),
carotte flamand possède un sens extra- spectacle et des techniques de diffusion) de Marc Ghens et Jean-Noël Gobron
ordinaire de l’authenticité pour l’époque : et le RITCS, son homologue flamand. (Screentest for Eurydice, 1974), de Boris
décors naturels, acteurs non profes- Toutes choses qui autorisent de pro- Lehman* (Couple, regards, positions,
sionnels, régionalisme, etc. Par la suite, fondes mutations. En 1966, l’Homme au 1983), de Jan Decorte (Hedda Gabler,
Vanderheyden ne retrouvera jamais cette crâne rasé d’André Delvaux*, premier film id.)...
manière de faire. En 1936, Dekeukeleire à bénéficier de l’aide de l’État, est remar- Pour l’animation, à côté des produc-
élabore un long métrage de fiction, le qué dans de nombreux festivals et foca- tions des studios Belvision, qui ont pro-
Mauvais OEil, dans lequel il tente de res- lise sur son auteur l’intérêt de la critique duit notamment des Asterix, Lucky Lucke,
tituer la survivance de certaines supersti- internationale. En 1975, Jeanne Dielman, Tintin, mentionnons les travaux de Raoul
tions en milieu rural flamand. 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles, Servais* (Goldframe, 1969 ; Pegasus,
L’occupation allemande n’est guère attire l’attention sur sa réalisatrice, Chan- 1973 ; Harpya, 1978 ; Taxandria, 1995)
favorable à l’épanouissement du cinéma tal Akerman*. et ceux de Gérard Frydman (Scarabus,
en Belgique ; on peut difficilement y réa- Mais, dès 1960, le cinéma belge com- 1973) qui renouent avec une certaine
liser des longs métrages. Storck tourne mence à s’affirmer : cette année-là est iconographie surréaliste. L’animation
la difficulté en proposant des projets tourné Déjà s’envole la fleur maigre de belge a connu une notoriété internatio-
pour quatre courts métrages, auxquels Paul Meyer, film qui décrit les conditions nale avec les longs métrages de Picha
il en ajoute un cinquième, Noces pay- de vie misérables de la main-d’oeuvre (Tarzoon, la honte de la jungle, 1975, et
sannes, qui doit articuler le rythme des étrangère. Cette veine filmique se pour- le Chaînon manquant, 1979). Robbe De
saisons inclus dans les autres parties ; suit avec la création, en 1964, à l’initiative Hert, après son ambitieux film de com-
ainsi Symphonie paysanne, son oeuvre de Paul De Vree, du groupe indépen- bat, le Filet américain (1978), réalise un
la plus lyrique, voit le jour (1942-1944). À dant Fugitive Cinéma, également actif remake de l’oeuvre de 1934, De Witte
la Libération, Émile De Meyst termine un aux Pays-Bas. Robbe De Hert et Guido (1980), puis une comédie populaire, les
film sur la Résistance, entrepris pendant Henderickx se joignent bientôt à Paul Costauds (1984) ; Thierry Zeno donne
l’Occupation (Soldats sans uniforme, De Vree. Le groupe produit essentielle- dans un cinéma expérimental provoca-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

teur (Vase de noces, 1974, Des morts, munautés flamande et francophone se Garbo en Amérique, le Torrent (The Tor-
coréalisé avec Jean-Pol Ferbus et Do- sont dotées chacune d’un fonds d’aide rent, 1926), il faut noter, dans une oeuvre
minique Garny, 1978). Des cinéastes au cinéma. L’une collabore le plus sou- abondante, Upstage (id.), Man, Woman
de talent comme Maurice Rabinowicz vent avec les Pays-Bas et parfois la and Sin (1927), Bellamy Trial (1929),
(le Nosférat, 1974 ; Une page d’amour, Grande-Bretagne, l’autre avec la France, Young Man of Manhattan (1930). Pen-
1977) ou Jean-Jacques Andrien* (Le fils voire la Suisse. C’est ainsi que tournent dant les années 30, il travaille essentielle-
d’Amr est mort, 1975 ; le Grand Paysage beaucoup de cinéastes : Freddy Copens, ment comme producteur à la Paramount.
d’Alexis Droeven, 1980) n’ont pas réussi Robbe De Hert, Stijn Coninx, Marc-
à atteindre une grande renommée hors Henri Wajnberg (Just Friends, 1993), le BELLAMY (Margaret Philpott, dite Madge),
de leurs frontières. chef-opérateur Charlie Van Damme (le actrice américaine (Hillsboro, Tex., 1900 -
Joueur de violon, 1994), Henri Xhon- Upland, Ca., 1990).
Le renouveau du cinéma belge. De
neux (Marquis, 1989), Jean-Pierre et Luc Au cours d’une carrière qui s’étend
nouveaux venus apparaissent : Chris
Dardenne* qui obtiennent la Palme d’or de 1920 à 1935, elle joua surtout les
Vermorkhen (Io sono Anna Magnani,
à Cannes en 1999 pour Rosetta, Lucas jeunes filles bien éduquées, innocentes
1980), Annick Leroy (Berlin de l’aube
Belvaux (Parfois trop d’amour, 1991-93), et douces, dans de nombreux films tels
à minuit, 1981), Mary Jimenez (21 h
J.-P. Toussaint, Dominique Deruddere, The Riddle Woman (Edward José, 1920),
12, piano bar, id.), Marc Didden (Brus-
Marian Handwerker, Mary Mandy, Yves Hail the Woman (J.G. Wray, 1921),
sels by Night, 1984), Gérard Corbiau (le
Hanchar, Alain Berliner (Ma vie en rose, Lazybones (F. Borzage, 1925), Bertha
Maître de musique, 1989 ; l’Année de
1997), Yvan Lemoine, Harry Cleven, the Sewing Machine Girl (I. Cummings,
l’éveil, 1991), Jaco Van Dormael (Toto
Frank Van Passel – mais la plupart se 1926), The Telephone Girl (H. Brenon,
le héros, 1991 ; le Huitième Jour, 1997).
plaignent de la surveillance tâtillonne à 1927), White Zombie (Victor Halperin,
La tradition du documentaire reste vi-
laquelle ils doivent se soumettre vis-à-vis 1932). Mais il semble que ses rôles les
vace : Manu Bonmariage (Allo police,
des autorités de chaque communauté plus convaincants sont ceux de Lorna
1987, les Amants d’Assise, 1991, Keufs
attentive au respect de la langue et des Doone de Maurice Tourneur en 1922 et
dans la ville, 1995), Thierry Michel (Hôtel
références. La culture est devenue l’af- du Cheval de fer de John Ford en 1924.
particulier, 1985, Gosses de Rio, 1990,
Zaïre : le cycle du serpent, 1992), Jean- faire des Communautés, la « belgitude »
est fractionnée, le cinéma belge, en quête BELLAMY (Ralph), acteur américain
Jacques Andrien (Mémoires, 1984, Aus-
d’identité (et de marché) depuis toujours (Chicago, Ill., 1904 - Santa Monica, Ca.,
tralia, 1989), etc. Le film sur l’art devient
a éclaté au cours des années 1990. Et 1991).
plus sophistiqué avec Thierry Zeno,
comme auparavant, un réalisateur qui D’abord acteur de théâtre, la première
Marcel Broodthaers, Thierry Knauff, Éric
parvient à faire un film de long métrage partie de son abondante carrière lui ré-
Pauwels, mêlant parfois documentaire et
tous les trois à cinq ans s’estime privilé- serve des rôles de jeune premier et de
fiction, ou recherches subjectives comme
gié. souffre-douleur comique. Il est le rival
dans Permeke (Patrick Conrad et Henri
infortuné de Gary Cooper dans Soir de
Storck*,1985). La Belgique reste un bas-
BELL (Marie-Jeanne Bellon-Downey, noces (K. Vidor, 1935), de Cary Grant
tion du film d’avant-garde, expérimental,
dite Marie), actrice française (Bègles dans Cette sacrée vérité (L. McCarey,
surréaliste, égocentrique : Boris Leh-
1900 - Neuilly-sur-Seine 1985). 1937) et la Dame du vendredi (H. Hawks,
mann, Philippe Simon, Roland Lethem,
Elle entre en 1921 à la Comédie-Fran- 1940), le détective myope qui poursuit
Olivier Smolders, Noël Godin, Sammy
çaise, dont elle va devenir une des inlassablement la Femme aux cigarettes
Slingerbaum, Jean Bucquoy, Patrick Van
grandes sociétaires. Le muet lui propose blondes (T. Garnett, 1939). Il tourne sous
Antwerpen.
des évocations historiques : Madame Ré- la direction de Frank Capra (Amour dé-
La production de longs métrages de
camier (Gaston Ravel, 1928). Le parlant fendu, 1932), John Ford ( Air Mail, id.),
fiction recherche le succès populaire.
la consacre vedette à part entière dès La Raoul Walsh (Wild Girl, id.) et, dès 1933,
Après Hector (1988) et Koko Flanel
nuit est à nous (H. Roussell et C. Froe- apparaît en vedette dans des séries
(1990) réalisés autour du personnage
lich, 1930). Elle tourne beaucoup sans B. En 1940, il tient le rôle d’Ellery Queen
d’Urbanus, le comique le plus populaire
bien choisir ses films mais peint de façon dans quatre épisodes de la série homo-
des pays néerlandophones, Stijn Coninx, nyme (le personnage se transformant, en
romantique l’héroïne d’Un carnet de bal
réalise une grande fresque historique et conformité avec son image, en détective
(J. Duvivier, 1937). Feyder lui confie le
sociale, Daens (1992), Robbe De Hert, gaffeur). À partir des années 50, il aban-
double rôle de la blonde et de la brune du
après Blueberry Hill (1988), réalise Du- donne les rôles comiques et se consacre
Grand Jeu (1934), et Jacqueline Audry
pont et Dupont tournent un film (Jans-
celui de la Garçonne (1937). C’est un principalement au théâtre (rôle de Fran-
sen en Janssen draaien een film, 1990),
monstre sacré dont Visconti se souvien- klin D. Roosevelt dans Sunrise at Campo-
Yves Hanchar tourne la Partie d’échecs
dra dans Sandra (1965) et Jean-Claude bello) et à la TV, faisant ses plus notables
(1993), avec Catherine Deneuve. Des Brialy dans les Volets clos (1973). apparitions à l’écran dans Condamné au
écrivains sont passés à la réalisation : silence (O. Preminger, 1955), les Pro-
Hugo Claus (le Sacrement,, 1990), Jean- BELL (Monta), cinéaste américain fessionnels (R. Brooks, 1966), Rosema-
Philippe Toussaint* (Monsieur, 1989, la (Washington, D. C., 1891 - Los Angeles, ry’s Baby (R. Polanski, 1968) et Pretty
Patinoire, 1999). Marion Hansel* tourne Ca., 1958). Woman (Gary Marshall, 1990).
en différents pays d’Europe depuis Dust Après des débuts dans le journalisme (en
(1984), et, dans des genres différents, particulier au Washington Herald), il se lie BELLI (Agostina Magnoni, dite Agostina),
Jaco Van Dormael * (Toto le héros, 1991) à Hollywood avec Charlie Chaplin. Il joue actrice italienne (Milan 1947).
et Gérard Corbiau* se sont fait connaître un rôle dans le Pèlerin (1923), puis est C’est grâce à une petite annonce de
bien au-delà des frontières. En 1992, un monteur sur l’Opinion publique (id.). C’est Carlo Lizzani, qui recherchait en 1968
film à très petit budget, C’est arrivé près ce film ainsi que l’oeuvre de Lubitsch qui des inconnues pour son film Bandits à
de chez vous, de Rémy Belvaux et Benoît vont l’influencer durablement. À la War- Milan, qu’elle fait ses débuts au cinéma.
Poelvoorde, associés au Français André ner, et surtout à la MGM, il dirige en par- La même année, Yves Boisset lui donne
Bonzel n’a pas connu de suite malgré son ticulier des comédies qui sont parmi les un petit rôle dans Cran d’arrêt (1970).
succès. plus remarquables des années 20 avec Ensuite, elle tourne régulièrement :
Depuis l’évolution des institutions celles de Harry d’Abbadie d’Arrast et Mimi Métallo blessé dans son honneur
du pays vers le fédéralisme, les com- Jean de Limur. Outre le premier film de (L. Wertmuller, 1970), Barbe-Bleue (Blue-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

beard, E. Dmytryk, 1972), et, jusqu’en blissements psychiatriques. Les respon- surtout au théâtre qu’elle se produit, dans
1974, une série de films italiens qui n’ont sables du système médico-social sont la les années soixante. Soeur cadette de
pas dépassé les frontières de la pénin- cible de Fous à délier ; mais ce film, conçu Yannick Bellon, elle joue dans deux films
sule. Alain Robbe-Grillet fait d’elle l’une comme non-directif, reflète la poésie tra- de cette dernière, où elle tient l’un des
des héroïnes de son Jeu avec le feu gique qui, plus que le discours, est le premiers rôles, Quelque part quelqu’un
(1975) et, surtout, Dino Risi lui confie don majeur de ce cinéaste singulier, don (1972) et Jamais plus toujours (1976), et
dans Parfum de femme (1974), aux côtés qu’on retrouve dans les meilleurs mo- où elle incarne une figure mélancolique
de Vittorio Gassman, le plus piquant de ments de la Marche triomphale, mise en contemporaine. Loleh Bellon était mariée
ses personnages. Le succès est écla- carnaval de l’éternelle nostalgie fasciste : à l’écrivain Claude Roy.
tant. Mais, malgré une nouvelle rencontre un carnaval aux résonances proches de
avec Risi et Vittorio Gassman (la Carrière celles des premières oeuvres, la famille et BELLON (Yannick), cinéaste française
d’une femme de chambre, 1976), dans le l’Église ayant cédé la place à la caserne. (Bayonne 1924).
rôle d’une star des années 40, le cinéma Soeur de Loleh Bellon. Élève de l’IDHEC,
Polémiste et satiriste, mais non pas
ne lui propose qu’avec parcimonie des d’une façon négative, Bellocchio a pris elle mène parallèlement une carrière
interprétations intéressantes. le parti d’exprimer la révolte des uns (le de monteuse et de cinéaste. Assis-

saut dans le vide de la jeunesse et des tante de Nicole Védrès pour Paris 1900
BELLOCCHIO (Marco), cinéaste italien (1948), elle réalise des courts métrages
exclus), la médiocrité des autres, avec
(Plaisance 1939). remarqués, parmi lesquels : Goémons
un lyrisme, une âpreté, une ironie remar-
Il accomplit ses études dans des établis- (1948, grand prix du documentaire à
quables.
sements religieux. Après la faculté de Venise en 1949), Colette (1950), Varso-
Films : les Poings dans les poches
philosophie, il s’inscrit à l’académie des vie quand même (1954), les Hommes
(I pugni in tasca, 1966) ; La Chine est
Filodrammatici (Milan), puis au Centro oubliés (1957), Zaa le petit chameau
proche (La Cina è vicina, 1967) ; la
sperimentale (Rome), dont il est diplômé. blanc (1960). Son premier long métrage
Contestation (Amore e rabbia, épisode
Il parachève sa formation à Londres est émouvant : Quelque part quelqu’un
Discutiamo, discutiamo !, 1969) ; Paola
(School of Fine Arts). Après quelques (1972).
(collectif, id.) ; Vive le 1er Mai rouge ! (Viva
courts métrages, il réalise les Poings dans
il 1o maggio rosso, CO, id.) ; Au nom du Chacun de ses films se fonde sur une
les poches (1966), dont le retentissement
Père (Nel nome del Padre, 1971) ; Viol en intention : la Femme de Jean (1974) est
en Italie et ailleurs est considérable. La
première page (Sbatti il mostro in prima une réflexion sur le couple, Jamais plus
destruction d’une famille bourgeoise par
pagina !, 1972) ; Tre storie, et Nessuno toujours (1976) explore le souvenir. Le
le fils cadet (interprété par Lou Castel),
o tutti (collectifs dirigés avec Stefano féminisme inspire l’Amour violé (1978),
lui-même tué par une crise d’épilepsie,
Rulli, Silvano Agosti et Sandro Petraglia, le cancer l’Amour nu (1981). La Triche
fait l’effet d’une bombe dans une nation
1974) [une partie est diffusée sous le titre (1984) aborde l’homosexualité par le
qui ne prévoit pas ou ne veut pas imagi-
Fous à délier] (Matti da slegare, 1975)] ; biais du film policier et les Enfants du
ner le processus de dissolution et de vio-
la Marche triomphale (Marcia trionfale, désordre (1989) traite le problème de
lences qui la menace. Buñuel lui-même
1976) ; la Mouette (Il gabbiano, 1977) ; la l’adolescence délinquante. En 1992, elle
est étonné par cette rage froide. Le ton de
Machine cinéma (La macchina cinema, signe l’Affût.
Bellocchio, sa mise en scène rigoureuse
sont en rupture totale avec le néoréa- collectif TV avec Agosti, Rulli et Petra-
BELMONDO (Jean-Paul), acteur français
lisme. Il ne préserve rien : son héros ado- glia, 1978) ; le Saut dans le vide (Salto
(Neuilly-sur-Seine 1933).
lescent, justicier naturellement dément à nel vuoto, 1979) ; les Yeux, la bouche (Gli
Fils du sculpteur Paul Belmondo et d’une
force de logique, est-il vraiment « dan- occhi e la bocca, 1982) ; Henri IV (Enrico
mère artiste peintre. Après une scolarité
nunzien », ainsi qu’il le définissait dans IV, 1984) ; le Diable au corps (Il diavolo
turbulente (école de la rue Henri-Bar-
une lettre à Pasolini ? Avec La Chine est in corpo, 1986) ; la Sorcière (La visione
busse, École alsacienne, lycée Louis-le-
proche, Bellocchio s’en prend cette fois del Sabba, 1987) ; Autour du désir (La
Grand), marquée par la découverte de la
aux prurits révolutionnaires et sexuels de condanna, 1990) ; Il sogno de la farfalla
boxe, qu’il pratiquera longtemps en ama-
la bourgeoisie provinciale, tandis que Au (1994) ; Sogni infranti (DOC, 1995), Il
teur, il est tenté par la carrière d’acteur
nom du Père attaque de front, avec une principe di Homburg (1997), La religione
et passe une audition peu concluante
vigueur satirique et expressive éclatante, della storia (DOC, 1998), la Nourrice (La
devant André Brunot. Après avoir débuté
la foi italienne et son tombeau, l’Église : balia, 1999).
sur scène dès 1950 avec une tournée
l’enseignement des bons pères a porté
BELLON (Loleh), actrice française dans les hôpitaux de Paris (rôle du Prince
des fruits vénéneux. Ce qui fait ces films
(Bayonne 1925 - Paris 1999). de la Belle au bois dormant), il prépare
implacables, c’est l’acuité de l’analyse
Elle étudie le théâtre avec Julien Ber- le Conservatoire chez Raymond Girard
qui les provoque, et l’efficacité d’un style
theau et Tania Balachova, puis débute et passe le concours d’entrée en 1951. Il
capable de détourner le mélodrame,
à la scène en 1944 et au cinéma en en sortira le 1er juillet 1956, plébiscité par
d’élever assez la satire pour la décanter
1945. Reconnue en 1949, année où elle ses camarades de promotion contre le
de toute démagogie. Il adopte une ligne
obtient le prix des Jeunes Comédiens, jury, qui ne lui décernera qu’un premier
fidèle aux positions du parti communiste
italien et tournera pour lui deux films col- elle est pleinement révélée par le Point accessit pour Amour et piano de Feydeau
du jour de Louis Daquin (1949), où elle et un second accessit pour les Fourberies
lectifs : Paola (sur des squatters en Ca-
crée un personnage de fille de mineur de Scapin.
labre), et Vive le 1er Mai rouge !, signant
par ailleurs un sketch intitulé ’Discutons, d’une simplicité et d’une vérité convain- Son ascension sera rapide,
discutons‘ (1969), dans lequel étudiants cantes. Loleh Bellon reste fidèle à ce puisqu’en 1960 il devient du jour au len-
et professeurs pratiquent la sacro-sainte cinéaste pour le Parfum de la dame en demain une star grâce à son interpréta-
contestation à la mode du moment. Viol noir (id.) et Maître après Dieu (1951), tion de Michel Poicard dans À bout de
en première page est un film de moindre avec la même présence émouvante et souffle, qui révèle en même temps au
portée, et Bellocchio se consacre surtout discrète, avant de tenir un rôle modeste public le critique et cinéaste Jean-Luc
à un long travail, mené en collaboration mais marquant dans Casque d’or (J. Bec- Godard. Parmi ses apparitions à l’écran
avec des spécialistes, sur la réinsertion ker, 1952). On l’a voit encore dans le avant cette date charnière, deux titres
d’aliénés mentaux dans la société (Tre Bel Âge (1960) et la Morte-Saison des sont à retenir : À double tour (C. Cha-
storie), et à la peinture sans fard des éta- amours (1961) de Pierre Kast, mais c’est brol, 1959) où, par sa présence, il vole la

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

vedette aux têtes d’affiche, et Classe tous alternativement policier ou gangster, l’Animal (C. Zidi, 1977) ; Flic ou Voyou
risques (C. Sautet, 1960). simultanément voyou, séducteur, anar- (G. Lautner, 1979) ; le Guignolo (id.,
Né avec la Nouvelle Vague, dont il est chiste, redresseur de torts. Faux margi- 1980) ; le Professionnel (id., 1981) ; l’As
l’une des mascottes, Belmondo modifie nal, il incarne en réalité certaines valeurs des as (Oury, 1982) ; le Marginal (Deray,
l’image traditionnelle du jeune premier. simplistes et conservatrices d’ordre, de 1983) ; les Morfalous (Verneuil, 1984) ;
Par son physique et par sa technique de virilité agressive, voire de muflerie bon Joyeuses Pâques (Lautner, 1984) ; Hold-
jeu, il permet le mélange des genres. Il enfant, dont l’efficacité cathartique sur up (Alexandre Arcady, 1985) ; le Solitaire
aborde la tragédie comme la comédie son public paraît peu contestable si l’on (J. Deray, 1987) ; Itinéraire d’un enfant
avec une désinvolture où se mêlent in- en juge par le succès de Docteur Popaul, gâté (Lelouch, 1988) ; l’Inconnu dans la
dissociablement le cynisme et la sincé- l’Héritier, l’Animal, Flic ou Voyou, le Gui- maison (Lautner, 1992) ; les Cent et Une
rité, composantes d’un certain nouveau gnolo ou le Professionnel. Nuits (A. Varda, 1995) ; les Misérables
romantisme, rose ou noir, qu’annonçait Auteur d’une autobiographie, Trente (Lelouch, id.) ; Désiré (B. Murat, 1996) ;
un Laurent Terzieff, dans les Tricheurs Ans et vingt-cinq films, Belmondo a été Une chance sur deux (P. Leconte, 1998) ;
(M. Carné, 1958), où figurait déjà Bel- de 1963 à 1966 président du Syndicat Peut-être (C. Klapisch, 1999), Amazone
mondo. Il semble d’ailleurs pouvoir tout des acteurs français. En 1987 puis en (de Broca, 2000), les Acteurs (B. Blier,
jouer et, jusqu’en 1963, il est sollicité 1990, il remonte sur les planches dans 2000).
pour collaborer, en France, mais aussi Kean et Cyrano de Bergerac (mise en
scène de R. Hossein). BELMONT (Charles), acteur et cinéaste
en Italie, avec des cinéastes alors aussi
français (Courbevoie 1936).
prestigieux qu’Alberto Lattuada (la No- Films : À pied, à cheval et en voiture
Après des études dramatiques, il débute
vice, 1960), Peter Brook (Moderato can- (Maurice Delbez, 1957) ; Sois-belle et
comme acteur au théâtre, puis au cinéma,
tabile, id.), Mauro Bolognini (La viaccia, tais-toi ! (M. Allégret, 1958) ; Un drôle
en particulier sous la direction de Claude
id.), Vittorio De Sica (La ciociara, id.), de dimanche (id., id.) ; les Copains du
Chabrol dans les Bonnes Femmes (1960)
Philippe de Broca (Cartouche, 1961), dimanche (Henri Aisner, id.) ; les Tri-
et surtout les Godelureaux (1960), où il
Jean-Pierre Melville (Léon Morin, prêtre, cheurs (M. Carné, id.) ; Mademoiselle
est la victime impuissante d’un Brialy
id. ; le Doulos, 1963 ; l’Aîné des Ferchaux, Ange (Geza Radvanyi, 1959) ; Charlotte
satanique. Puis il passe à la réalisation :
id.). L’étendue de son registre est telle et son Jules (CM, J.-L. Godard, id.) ; À
l’Écume des jours (1968), adaptation de
qu’on le compare alors à Humphrey double tour (C. Chabrol, id.) ; Classe tous
Boris Vian ; Rak (1972), sobre évoca-
Bogart, James Dean, James Cagney, risques (C. Sautet, 1960) ; les Distractions
tion du drame intime d’une cancéreuse ;
Jean Gabin, Michel Simon ! Un physique (Jacques Dupont, id.) ; la Française et
Pour Clémence (1977), portrait d’un
unique qui met en cause les canons du l’amour ([sketch l’Adultère] ; H. Verneuil,
jeune couple en crise ; Histoires d’A (CO
charme et de la beauté, des rôles qui sou- id.) ; À bout de souffle (Godard, id.) ; la
Marielle Issartel, 1974), pamphlet pour
lignent une fragilité existentielle contras- Novice (A. Lattuada, id.) ; Moderato can-
l’avortement libre.
tant avec une vitalité anarchique font de tabile (P. Brook, id.) ; La ciociara (V. De
Belmondo une étoile unique, un acteur Sica, id.) ; Léon Morin, prêtre (J.-P. Mel- BELSON (Jordan), cinéaste expérimental
charismatique. ville, 1961) ; La viaccia (M. Bolognini, id.) ;
américain (Chicago, Ill., 1926).
Mais, peu à peu, cette spontanéité Une femme est une femme (Godard, id.) ; Il reçoit une formation de peintre aux
créatrice sera cultivée trop systémati- les Amours célèbres ([sketch du Duc de
Beaux-Arts et à l’université de Californie.
quement par l’acteur, qui paraît de plus Lauzun], M. Boisrond, id.) ; Un nommé Son oeuvre est intimement liée à l’esprit
en plus soucieux de n’en conserver que La Rocca (Jean Becker, id.) ; Cartouche de la côte Ouest (jazz, drogues, orienta-
l’extériorité et de la figer en image de (P. de Broca, id.) ; Un singe en hiver (Ver- lisme) : des formes abstraites, cycliques
marque. Sa cote lui permet d’intervenir de neuil, 1962) ; le Doulos (Melville, 1963) ; s’y offrent souvent à la méditation (Man-
plus en plus aux divers niveaux de la pro- la Mer à boire (R. Castellani, id.) ; Peau dala, 1953). De 1957 à 1959, Belson col-
duction des films, dont les artisans (scé- de banane (Marcel Ophuls, id.) ; Dragées labore aux Vortex Concerts, spectacles
naristes, dialoguistes, réalisateurs) sont au poivre (J. Baratier, id.) ; l’Aîné des musico-lumino-cinématographiques or-
choisis par affinités, et plus pour pérenni- Ferchaux (Melville, id.) ; l’Homme de Rio ganisés par le compositeur Henry Jacobs
ser des modèles ayant fait leurs preuves (de Broca, id.) ; Échappement libre (Jean à l’observatoire Morrison de San Fran-
sur le public que pour explorer des voies Becker, 1964) ; Cent Mille Dollars au so- cisco. À partir d’Allures (1961) et de Re-
nouvelles ou élargir son registre. Pierrot leil (Verneuil, id.) ; la Chasse à l’homme Entry (1964), ses préoccupations spiri-
le Fou (J.-L. Godard, 1965) constitue, (E. Molinaro, id.) ; Week-end à Zuydcoote tuelles (yoga, teilhardisme) lui inspirent
de ce point de vue, la dernière audace (Verneuil, id.) ; Par un beau matin d’été une série de films cosmiques et, selon
de l’acteur. Dix ans plus tard, l’échec de (J. Deray, id.) ; Pierrot le Fou (Godard, le mot en vogue, planants, où l’abstrac-
Stavisky (A. Resnais, 1974) semblera 1965) ; les Tribulations d’un Chinois en tion géométrique s’associe aux formes
le conforter dans sa volonté de se tenir Chine (de Broca, id.) ; Paris brûle-t-il ? figuratives : Phenomena (1965), Samadhi
à l’écart de toute nouvelle entreprise (R. Clément, 1966) ; Tendre Voyou (Jean (1967), Momentum (1969), Cosmos
expérimentale. Son attitude sera par- Becker, id.) ; Casino Royale (J. Hus- World (1970), Meditation (1971), Chakra
fois critiquée à cet égard et ses activités ton, cameo, 1967) ; le Voleur (L. Malle, (1972), Light (1973), Cycles (1975),
de producteur (Cerito films) comparées id.) ; Ho ! (R. Enrico, 1968) ; le Cerveau Music of the Spheres (1977), Synchroni-
négativement à celles de son rival Alain (G. Oury, 1969) ; la Sirène du Mississi- city Suite (1980), The Astronaut’s Dream
Delon. Belmondo se veut vedette popu- ppi (F. Truffaut, id.) ; Un homme qui me (1981), Moonlight (1981), Apollo (1982)
laire et travaille régulièrement depuis plaît (C. Lelouch, id.) ; Borsalino (Deray, Thoughtforms (1987).
1964 avec des cinéastes (Philippe de 1970) ; les Mariés de l’an II (J.-P. Rappe-
Broca, Henri Verneuil, Georges Lautner) neau, id.) ; le Casse (Verneuil, id.) ; Doc- BELUSHI (John), acteur américain
et des comédiens (la « bande à Bébel ») teur Popaul (Chabrol, id.) ; la Scoumoune (Chicago, Ill., 1949 - Los Angeles, Ca.,
qui l’aident à broder les variantes d’un (J. Giovanni, id.) ; le Magnifique (de 1982).
stéréotype, résultante souriante mais Broca, 1973) ; l’Héritier (Philippe Labro, Propulsé au sommet de la popularité par
aseptisée des quelques rôles majeurs id.) ; Stavisky (A. Resnais, 1974) ; l’Incor- le spectacle télévisé « Saturday Night
qui auront fait son personnage dans les rigible (de Broca, 1975) ; Peur sur la ville Live » et son prolongement cinématogra-
premières années de sa carrière (Classe (Verneuil, id.) ; l’Alpagueur (Labro, 1976) ; phique, The Blues Brothers (J. Landis,
tous risques, Cartouche, le Voleur) : le Corps de mon ennemi (Verneuil, id.) ; 1980), John Belushi n’a guère eu le temps

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

de sortir de la caricature grossière et pro- BEN bAMMAR (Tarak), producteur tuni- volontiers des atmosphères troubles à
vocante qu’il s’était dessinée. Il avait déjà sien (Tunis 1949). la limite du fantastique superficiel, et ne
tenu un rôle excessif et mémorable de Après des études d’économie à l’univer- dédaigne pas paraître devant l’objectif.
pilote déjanté dans 1941 (S. Spielberg, sité de Georgetown, il rentre en Tunisie et On peut citer le Cri de la chair (1962),
1979) et celui d’une brute d’un acabit s’intéresse au cinéma. Il crée une société le Concerto de la peur (id.), l’Enfer sur
voisin dans le western En route vers le de prestations de services avec deux la plage (1966), Joe Caligula (1969 [RÉ
Sud (J. Nicholson, 1978). Sa mort brutale studios, à Monastir et El Kantaoui, qui 1966]), Frustration (1971)... Il a réalisé
d’une overdose l’a, en quelque sorte, my- accueilleront des superproductions amé- quelques films aux États-Unis, notam-
thifié mais il faut bien reconnaître que sa ricaines comme la Guerre des étoiles, les ment Flesh and Fantasy (1967) et Ra-
filmographie n’est guère exaltante. Son Aventuriers de l’arche perdue (Steven cism (1972).
frère, le comédien James Belushi, qui, Spielberg) ou Jésus de Nazareth (Franco
jusque-là, s’était tenu dans son ombre, Zeffirelli). Il passe lui-même à la produc- BEN BARKA (Souhayl), cinéaste marocain
s’affirma alors comme un jeune premier tion avec La Traviata (Franco Zeffirelli), (Tombouctou, AOF [auj. Mali], 1942).
léger et parfois dramatique (Oublier Pa- Deux heures moins le quart avant Jésus- Il fait ses études au Maroc, puis en Ita-
lerme, F. Rosi, 1990). Christ (Jean Yanne), Pirates (Roman lie ; il est licencié en sociologie et diplômé
Polanski). du Centro sperimentale de Rome. Sorti
BEMBERG (María Luisa), cinéaste argen- Avec sa société Carthago Films, il major de sa promotion, Ben Barka tra-
tine (Buenos Aires 1923 - id. 1995). produira des films de Chabrol, Comen- vaille avec Pasolini (l’Évangile selon
Issue d’une famille aisée, elle écrit le scé- cini, Arcady ou Henri Verneuil (Mayrig, Matthieu, 1964 ; OEdipe roi, 1967). Après
nario de Crónica de una mujer (Raúl de d’excellents courts métrages pour la
588 rue Paradis) et sera à l’origine du
la Torre, 1970), après être passée par le tournage du Collier perdu de la colombe RAI, il tourne au Maroc les Mille et Une
théâtre. Pour mieux maîtriser la problé- Mains (1972), oeuvre inégale mais dont
(Nacer Khémir), d’Écran de sable, pre-
matique qui lui tient à coeur, elle passe les qualités critiques et plastiques sont
mier film de Randa Chahal Sabbag, et de
à la mise en scène. Son premier long évidentes, ainsi que dans La guerre du
l’Autre (Bernard Giraudeau).
métrage, Momentos (1980), et Señora de pétrole n’aura pas lieu (1975). Si, dans
nadie (1981) montrent d’emblée une at- BENAVENTE (Jacinto), dramaturge espa- un contexte peu favorable, son orienta-
tention particulière aux personnages et à gnol (Madrid 1866 - id. 1954). tion ambitieuse risque l’échec (Noces de
l’univers féminins, qu’elle cherche à fouil- Écrivain de la « génération de 98 », prix sang, 1977), son rôle de producteur n’est
ler dans leur densité psychologique. Sans Nobel, il s’intéresse de près au cinéma. Il pas, d’autre part, sans importance. En
abandonner ce point de vue, elle élargit fonde une maison de production et met 1985, il signe Amok. 1990 voit le retour
néanmoins son registre et prend ses en scène La madona de las rosas (1919) de Ben Barka avec une superproduction
distances vis-à-vis de l’intimisme avec et Más allá de la muerte (1924). Ses tournée dans les studios de Leningrad :
Camila (1983), champion au box-office oeuvres, souvent portées à l’écran, ont la Bataille des trois rois ou les Tambours
argentin, romantique évocation du XIXe s. donné lieu à deux coproductions franco- de feu.
à travers l’amour interdit entre une jeune espagnoles réalisées en 1922 par Benito
fille de l’aristocratie et un prêtre. Le suc- Perojo : Pour toute la vie et Au-delà de BENDIX (William), acteur américain (New
cès l’amène à faire appel à des vedettes la mort. Citons encore la Mal-Aimée (La York, N. Y., 1906 - Los Angeles, Ca., 1964).
d’autres pays, sans pour autant renoncer malquerida), dirigée au Mexique par Emi- Apparu dans un film de la Vitagraph à
à une inspiration personnelle. Miss Mary lio Fernández, avec Pedro Armendariz et cinq ans, il fait beaucoup de théâtre çà et
(1986), avec Julie Christie, revient sur les Dolores del Rio (1949). là avant d’aborder Broadway (1939). Sa
origines du péronisme. Moi, la pire de carrière à Hollywood depuis 1942 repose
toutes, Yo, la peor de todas (1991), avec BENAYOUN (Robert), écrivain et cinéaste d’abord sur sa célébrité à la scène, à la
Assumpta Serna et Dominique Sanda, français (Port-Lyautey [auj. Kenitra], radio, puis à la TV. Il joue les vilains (la
remémore de manière stylisée et brillante Maroc, 1926 - Paris 1996). Clé de verre, S. Heisler, 1942) aussi bien
Sor Juana Inés de la Cruz, après l’essai Il rejoint le surréalisme en 1948 et fonde que les policiers, son physique massif
que lui consacra Octavio Paz. Enfin, De la revue l’Âge du cinéma avec Ado Kyrou pouvant exprimer la brutalité comme la
eso no se habla (1993), avec Marcello en 1950. Il écrit et dirige Paris n’existe naïveté. Outre la Belle et la Brute (The
Mastroianni, montre María Luisa Bem- pas (1969) puis Sérieux comme le plai- Hairy Ape, 1944) d’Alfred Santell et The
berg toujours en mouvement, puisqu’elle sir (1975), où il renoue avec le filon de la Babe Ruth Story (1948) de Roy Del
aborde les mystères de la passion avec, comédie américaine nonsensique, dont Ruth, ses prestations les plus remar-
pour la première fois, une certaine dose il est un fervent admirateur et défenseur. quables restent le marin blessé de Life-
d’humour. Critique notamment à Positif, on lui doit boat (A. Hitchcock, 1944) et le prétendu
aussi des essais : le Dessin animé après enquêteur militaire qui se révèle être une
BEN ‘AMMAR (‘Abdel-Latif), cinéaste tuni- Walt Disney (1961), John Huston (1966), rusée fripouille dans ça commence à
sien (Tunis 1943). l’Érotique du surréalisme (1965), Bon- Veracruz (D. Siegel, 1949).
Après des études à l’IDHEC, il devient jour monsieur Lewis (1972), Alain Res-
cameraman de reportage (1965-1968), nais (1980), le Regard de Buster Keaton BENE (Carmelo), acteur et cinéaste italien
assistant dans les Aventuriers (R. Enrico, (1982). (Lecce 1937).
1967), puis assistant réalisateur dans Venu du théâtre, il est Créon dans l’OEdipe
Justine (G. Cukor, 1969). Après Une si BENAZERAF (José), cinéaste français (Ca- roi de Pasolini, en 1967 ; l’année sui-
simple histoire (1970) et des courts mé- sablanca, Maroc, 1922). vante, il réalise et interprète Notre-Dame
trages, dont Kairouan (1973), il s’affirme Soft, puis hard avec moins de succès des Turcs (Nostra signora dei turchi), prix
avec Sejnane [Sijnan] (1974), qui évoque et de conviction peut-être, il semble au- spécial du Jury à Venise (1968). Cette
la force des traditions et l’éveil du syndi- jourd’hui dépassé par une nouvelle géné- adaptation du roman homonyme dont
calisme à la fin de la Régence de Tunis. ration du cinéma érotique sans se réfu- il est aussi l’auteur révèle l’inspiration
On retrouve la même clarté classique, gier pour autant, comme un Max Pécas, baroque d’un esprit à la fois agressif et
une égale attention portée aux sensa- dans la vulgarité troupière. Ambitieux et séduisant, rêvant le massacre historique
tions dans ’Aziza ’ (1980), portrait d’une provocateur, il se réclame d’abord de de la population d’Otrante par les Otto-
jeune femme seule dans une société mal Samuel Fuller et de Jean-Luc Godard. Il mans. Aucun des films suivants n’a re-
préparée à son évolution moderniste. tourne quelques strip-tease réussis, joue trouvé la veine inventive du premier, sauf,

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

peut-être, Don Giovanni (1970), dans leur infructueuse (The Night Visitor, 1971), cet d’une grande âme (The Making of the
abandon complaisant aux confus effets homme modeste et lucide s’éloigne des Mahatma, 1995), Thumzi (1996), Sardari
décoratifs et aux excès psychédéliques studios pour se consacrer à l’enseigne- Begum (1997), Samar (1999).
sur des thèmes un peu trop littéraires — ment du cinéma.
qu’il s’agisse de Capricci (1969), de Sa- BENGELL (Norma), actrice et cinéaste bré-
lome (1972) ou de Un Hamlet de moins BENEDETTI (Paolo [Paulo]), producteur silienne (Rio de Janeiro 1935).
(Un Amleto di meno, 1974), qu’il inter- et chef opérateur brésilien d’origine ita- Elle débute au cinéma dans des chan-
prète également. lienne (Italie 1863 - Rio de Janeiro 1944). chadas : O Homem do Sputnik (Carlos
Pionnier du muet, il débute à Barbacena Manga, 1959), ou des comédies : Mul-
BENEDEK (Lázsló, dit Laslo), cinéaste (Minas Gerais) comme exploitant, vers heres e Milhões (Jorge Ileli, 1961),
américain d’origine hongroise (Budapest 1909. Bricoleur de génie, il fait des expé- mais obtient sa consécration dans des
1907 - New York 1992). riences avec le son, le sous-titrage et la rôles dramatiques : la Plage du désir
Après avoir étudié la médecine et la psy- couleur. Après avoir tourné des actuali- (R. Guerra, 1962) et la Parole donnée
chanalyse à Vienne, Benedek devient tés, il met en scène la troisième version (A. Duarte, 1962). Profitant de la réper-
assistant opérateur à la UFA et à la Terra cinématographique de l’opéra O Guarany cussion de ces derniers, elle ébauche
(Berlin), puis opérateur et assistant du de Carlos Gomes (1912), et Um Transfor- une carrière en Italie (Il mafioso [A. Lat-
producteur Joe Pasternak, qu’il accom- mista Original (1915). À Rio de Janeiro, il tuada], 1962), puis revient au Brésil, répé-
pagne en 1933 à Vienne. Il se retrouve devient l’opérateur de trois films de Vitto- tant ses succès précédents avec le Jeu
ensuite en France, où il écrit des scéna- rio Capellaro (O Cruzeiro do Sul, 1917 ; de la nuit (W. H. Khouri, 1964). Depuis,
rios pour une firme anglaise. En 1937, il Iracema, 1918 ; O Garimpeiro, 1920), puis elle a notamment joué dans des films des
gagne les États-Unis. Il y travaille comme le propriétaire d’un important laboratoire cinéastes marginaux Julio Bressane (O
monteur à la MGM. Un temps scénariste et le producteur attentif de plusieurs films, Anjo Nasceu, 1969) et Rogério Sganzerla
au Mexique, il regagne Hollywood, où il dont A Gigolete (Vittorio Verga, 1924) (O Abismo, 1978), de Glauber Rocha
devient producteur associé de quelques et surtout Barro Humano (A. Gonzaga, (l’Âge de la Terre, 1980), d’Ana Carolina
musicaux auprès de Pasternak, qui pro- 1928), grâce auquel l’équipe de la revue Teixeira Soares (Mar de Rosas, 1977)
duit son premier film, le Brigand amou- Cinearte peut mettre ses idées en pra- et de Jorge Duran (A cor do seu des-
reux (The Kissing Bandit, 1948), avec tique. Il assura toujours avec compétence tino, 1986). En 1987 elle met en scène
Frank Sinatra. La Brigade des stupéfiants la prise de vues de ses productions. son premier long métrage : Eternamente
(Port of New York, 1949), petit policier Pagu, suivi de O Guarani (1996).
réalisé dans un style semi-documentaire, BENEGAL (Shyam), cinéaste indien (Hyde-
attire d’abord l’attention sur Benedek, rabad, Andhra Pradesh, 1934). BENIGNI (Roberto), acteur et cinéaste ita-
mais ce sont ses oeuvres suivantes, fort Fondateur du ciné-club de Hyderabad, lien (Castiglion Fiorentino 1952).
peu conformistes et produites par Stan- diplômé en économie, vétéran du film Doué d’un physique de caoutchouc et
ley Kramer, qui le rendent célèbre. Mort publicitaire (600 films), il est un des repré- d’une volubilité surréaliste, Roberto Beni-
d’un commis voyageur (Death of a Sales- sentants les plus en vue de la nouvelle gni mène de front cabaret et télévision
man, 1951), peinture amère des rêves et vague indienne. Refusant les stéréotypes avant de tourner son premier film sous
des désillusions d’un Américain moyen, du cinéma hindi, découvreur et excellent la direction de Giuseppe Bertolucci (Ber-
adaptation d’une pièce d’Arthur Miller directeur d’acteurs, il tient néanmoins à linguer ti voglio bene, 1977). On le voit
et film fondé sur des retours en arrière, toucher un vaste public, réalisant des alors dans Pipicacadodo (Chiedo asilo,
assume intelligemment son origine théâ- films qui, évitant toute recherche formelle M. Ferreri, 1979), Il Pap’occhio (Renzo
trale. Dans l’Équipée sauvage (The Wild trop marquée, s’appuient sur des situa- Arbore, 1980), Il minestrone (S. Citti,
One, 1954), Benedek sonde les mentali- tions authentiques de conflits sociaux : 1981), Down By Law (J. Jarmush, 1986),
tés d’une petite ville américaine troublée la tyrannie des propriétaires ruraux (’la La voce della luna (F. Fellini, 1990),
par l’irruption, le temps d’un week-end, Graine‘ [Ankur], 1973) ou la révolte contre Night on Earth (Jarmush, 1992), le Fils
de deux bandes de jeunes motards, et cette oppression (‘ l’Aube ’ [Nishant], de la Panthère Rose (B. Edwards, 1993).
donne un témoignage social aux accents 1975), la difficile installation d’une coo- Passé à la réalisation en 1982 avec Tu
prophétiques. Il fixe aussi un archétype : pérative laitière
en milieu rural (‘ le Barat- mi turbi, il a connu un immense succès
celui du motard vêtu de cuir noir, inter- tage ’ [Manthan], 1976). Le thème de l’hu- en Italie avec Non ci resta che piangere
prété par Marlon Brando. Sur sa lancée, miliation de la femme, déjà très présent (1984, CO Massimo Troisi), le Petit
il signe la Révolte des Cipayes (Bengal dans ces films, est ensuite traité spécifi- Diable (Il piccolo diavolo,, 1989), Johnny
Brigade, id.). Moins connu, Des enfants, quement : ‘ le Rôle ’ (Bhumika, id.), por- Stecchino (1992) et, surtout, le Monstre
des mères et un général (Kinder, Müt- trait d’une actrice de cinéma, qu’incarne (Il mostro, 1994). Avec beaucoup d’ironie
ter und ein General, 1955), produit par Smita Patil, tentant d’assumer sa vie ; ‘ le Benigni déclara : « Plutôt que d’être le
Erich Pommer et tourné en Allemagne, Talisman ’ (réalisé en hindi [Kondura] et Groucho Marx italien, je préférerais être
n’est pas indigne de ses prédécesseurs. en telugu [Anugraham], 1977), destruc- l’Anna Magnani suisse. » En 1998 il reçoit
À travers l’histoire d’un groupe d’écoliers tion d’une jeune femme par l’oppression le Prix spécial du jury à Cannes pour La
fanatisés qui veulent aller au combat et religieuse ; ‘ Un vol de pigeons ’ (Junoon, vie est belle (La vita è bella) qui rencontre
que leurs mères cherchent en vain à 1978) retrace la révolte des cipayes en un grand succès international et obtient
arracher à la mort, Benedek brosse un 1857, tandis que Kalyug (1980) évoque un double Oscar à Hollywood (meilleur
tableau intimiste de l’Allemagne à la veille l’aliénation et la corruption du monde des film étranger et meilleur acteur pour sa
de la défaite, sans souci de dédouaner affaires à travers la rivalité impitoyable propre prestation).
qui que se soit. Malgré la générosité de de deux familles appartenant au milieu
leur inspiration, les films suivants, Affair in industriel des grandes villes. Benegal BENING (Annette), actrice américaine
Havana (1957), Malaga / Moment of Dan- tourne ensuite ‘ l’Ascension ’ (Aarohan, (Topeka, Kan., 1958).
ger (GB, 1959), Recours en grâce (FR, 1982), Mandi (1983), deux documen- Élégante, souriante, irrésistiblement juvé-
1960), Namu the Killer Whale (1966), le taires, l’un sur Nehru (id.), l’autre sur le nile, Annette Bening fut une inattendue
Commando intrépide (The Daring Game, cinéaste Satyajit Ray (1985), Trikaal (id.), (mais très séduisante) Mme de Merteuil
1968), sont beaucoup plus faibles. Be- Susman (1986), le Septième Cheval du dans Valmont (M. Forman, 1989). Dès
nedek n’arrive pas à trouver un second soleil (Suraj Ka Satvan Godha, 1992), 1990, sa création, également remar-
souffle et, après une dernière tentative Mammo (1994), Mahatma : la Naissance quable, dans les Arnaqueurs (S. Frears)

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

attestait non seulement de son talent mais Depuis son premier rôle important devint vite la vedette la mieux payée de
de sa finesse de jugement dans le choix (Kopfstand, Madame, Christian Rischert, la capitale du cinéma. Dramatiquement
de ses rôles. Célèbre dans la presse du 1966), il tourne principalement avec ses limitée, elle eut le coup de génie d’intro-
coeur pour avoir transformé le célibataire amis Geissendörfer (Perahim, 1974) ou duire dans ses interprétations lacrymales
et don Juan endurci Warren Beatty (son Schlöndorff (l’Honneur perdu de Katha- un recul ironique et un perpétuel clin d’oeil
partenaire dans Bugsy, 1991, B. Levin- rina Blum, 1975 ; le Tambour, 1979). Sa au public. On ne croyait pas beaucoup
son) en mari modèle et en papa poule, carrière internationale débute avec Berg- à ses personnages de fille mère, mais
elle tourne relativement peu. On regrette man (l’OEuf du serpent, 1977, suivi de on venait voir la belle actrice aux yeux
que la groupie « new age » qu’elle incarne De la vie des marionnettes, 1980), et il pétillants de malice, à la ligne élégante et
dans Mars Attacks ! (T. Burton, 1996) soit apparaît notamment dans Clair de femme aux toilettes mirobolantes. Souvent peu
trop peu à l’écran. Mais American Beauty (Costa Gavras, 1979) et le Dernier métro convaincantes, ses créations sont toutes
(id., Sam Mendes, 1999) lui accorde une (F. Truffaut, 1980). Parlant français, cependant irrésistiblement séduisantes.
belle revanche, même si c’est dans un résidant en Suisse, il travaille avec des Aux sombres mélodrames réalisés sans
emploi ingrat d’épouse coincée : son cinéastes du cru : Soutter (l’Amour des humour par Paul L. Stein (Born to Love,
sens de la comédie et de la caricature y femmes, 1981) ou Goretta (la Mort de
1931) ou Archie Mayo (Bought, id.), on
sont intacts. Mario Ricci, 1983). Il est le père d’Anne
préférera ceux de Gregory La Cava et de
Bennent, née en 1963, qui, enfant, a
George Cukor, qui, mieux que personne,
BENJAMIN (Richard), acteur et cinéaste tourné plusieurs films en Allemagne, et
ont compris Constance Bennett. Dans
américain (New York, N. Y., 1938). de David Bennent, né en 1966, qui sera le
Bed of Roses (La Cava, 1933) ou dans
Marié à Paula Prentiss. Débutant comme héros du Tambour de Schlöndorff.
Rockabye (G. Cukor, 1932), la comédie
jeune premier (Goodbye Columbus,
s’empare du drame et l’actrice y jette tous
1969, de Larry Peerce), il s’est spécialisé BENNETT (Herman Brix, dit Bruce), acteur
ses feux. Son meilleur film reste l’émou-
dans les compositions de « jeune cadre américain (Tacoma, Wash., 1909).
vant What Price Hollywood ? (Cukor,
dynamique » stupide et suffisant : Jour- Sa carrière, après quelques petits rôles,
nal intime d’une femme mariée (F. Perry, commence en 1934 lorsqu’on engage 1932), où elle fut, sans ironie, convain-

1970), The Marriage of a Young Stockbro- cet ancien champion olympique pour cante et juste en serveuse de restaurant
ker (Lawrence Turman, 1971), Portnoy concurrencer Johnny Weissmuller, dont propulsée au firmament du cinéma. À par-
et son complexe (Portnoy’s Complaint, les Tarzan font la fortune de la MGM. The tir de 1933, sa popularité bat de l’aile : La
1972) d’Ernest Lehman. Il reprendra l’em- New Adventures of Tarzan sont réalisées Cava lui confie un rôle brillant mais bref,
ploi longtemps après dans Harry dans par Edward Krull et W. F. McGaugh en dans Benvenuto Cellini (The Affairs of
tous ses états (W. Allen, 1997). Après 1935. Ayant jusque-là tourné sous son Cellini, 1934). Le Couple invisible (1937),
deux films sympathiques : Où est passée vrai nom, il entreprend une seconde car- sa suite Fantômes en croisière (1939)
mon idole ? (My Favorite Year, 1981), et rière à partir de 1940 sous celui de Bruce et Madame et son clochard (1938), tous
les Moissons du printemps (Racing With Bennett : Plus on est de fous (G. Ste- de Norman Z. McLeod, lui assurent un
the Moon, 1984), il poursuit une carrière vens, 1943), le Trésor de la Sierra Madre regain de célébrité et lui permettent de
assez pâle de metteur en scène : Haut (J. Huston, 1948), Strategic Air Com- faire ce qu’elle fait de mieux : jouer la co-
les flingues (City Heat, id.), Une baraque mand (A. Mann, 1955). médie. Mais, après, elle ne joue plus que
à tout casser (The Money Pit, 1986), les des rôles de complément, dont certains
Deux Sirènes (Mermaids, 1990), Made in BENNETT (Robert Compton-Bennett, dit très réussis : la rivale de Garbo dans la
America (1993), Mrs Winterbourne (id., Compton), cinéaste britannique (Tun- Femme aux deux visages (Cukor, 1941),
1996). bridge Wells 1900 - Londres 1974). la belle-mère de Lana Turner dans Ma-
Décorateur, puis monteur pour Alexan- dame X (David Lowell Rich, 1966), son
BENLYAZID (Farida), cinéaste marocaine der Korda (1932), il réalise quelques films
dernier film. Liée aux noms de La Cava
(Tanger 1948). éducatifs pour l’armée (1939) et signe
et de Cukor, et à la période 1930-1933,
Après des études de lettres et de cinéma son premier et meilleur long métrage de
Constance Bennett fut la comédienne de
à Paris, elle s’oriente vers la production fiction, le Septième Voile (The Seventh
la comédie américaine naissante.
et produit, dès 1978, Une brèche dans Veil), en 1945. Le succès de ce drame
le mur de Jillali Ferhati. En 1979, elle romantique teinté de freudisme lui vaut
BENNETT (Enid), actrice américaine d’ori-
s’oriente parallèlement vers l’écriture de de diriger trois films à Hollywood, dont les
gine australienne (York, Australie, 1893 -
scénarios, notamment avec Poupées de Mines du roi Salomon (King Solomon’s
Malibu, Ca., 1969).
roseaux, toujours pour Jillali Ferhati. Une Mines, 1950 ; CO Andrew Marton). Re-
Venue aux États-Unis au cours de la Pre-
dizaine d’années plus tard, elle passe venu en Grande-Bretagne, il y réalise une
mière Guerre mondiale avec une troupe
enfin à la réalisation avec son premier dizaine de films impersonnels jusqu’en
de comédiens de théâtre, elle s’établit à
long métrage de fiction, Une porte sur 1965 et travaille beaucoup pour la TV.
Hollywood et devient peu à peu une ac-
le ciel (1988). Poursuivant son travail de
trice de renom à l’écran grâce à Thomas
scénariste, elle est à l’origine, en 1993, BENNETT (Constance), actrice américaine
Ince. Son rôle le plus célèbre est celui de
de l’un des plus gros succès du box-of- (New York, N. Y., 1904 - Fort Dix, N. J.,
Lady Marian dans le Robin Hood d’Allan
fice marocain, À la recherche du mari de 1965).
Dwan en 1922, où elle a pour partenaire
ma femme, tourné par Mohamed Abder- Après des commencements hasardeux,
durant lesquels quelques succès (Pou- Douglas Fairbanks. Elle épousa le réali-
rahmane Tazi. En 1999, Farida Benlya-
pées de théâtre, E. Goulding, 1925) ne sateur Fred Niblo et l’aida, dit-on, dans la
zid réalise son deuxième long métrage,
l’empêchent pas de préférer filer le parfait préparation et la réalisation de Ben-Hur
Ruses de femmes, dans lequel elle ques-
amour avec le millionnaire Phillip Plant (1926). Parmi ses autres films, on peut
tionne plus vivement encore sur la place
ou le marquis de la Falaise de Coudray, citer The Girl Glory (R. W. Neill, 1917),
des femmes dans la société marocaine.
elle revient à Hollywood aux débuts du The Vamp (Jerome Storm, 1918), The
BENNENT (Heinrich August, dit Heinz), parlant, bien décidée à se défendre. Avec Virtuous Thief (F. Niblo, 1919), Hairpins
acteur allemand (Atsch 1921). une ténacité et un sens du spectacle (id., 1920), The Courtship of Miles Stan-
Acteur de théâtre, très actif à la télévi- hérités de son père, le célèbre acteur de dish (Frederick Sullivan, 1923), l’Aigle
sion depuis 1954, il semble plus sélectif théâtre Richard Bennett, elle discuta ses des mers (F. Lloyd, 1924), A Woman’s
dans ses apparitions sur grand écran. contrats avec une alacrité proverbiale et Heart (Phil Rosen, 1926).

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

BENNETT (Joan), actrice américaine (Pali- (Billy le Menteur, 1963 ; Loin de la foule titre de Masoch de Franco Brogi Taviani.
sades, N. J., 1910 - White Plains, N. Y., déchaînée, 1967 ; Yanks, 1979). Très actif dans les années 80, il affirme
1990). véritablement sa personnalité à partir
Fille d’un célèbre ménage de comédiens, BENNY (Benjamin Kubelsky, dit Jack), ac- de 1989 en devenant, sous la direction
elle fait sa première apparition à la scène teur américain (Waukegan, Ill., 1894 - Los de metteurs en scène de sa génération
Angeles, Ca., 1974). ou de cinéastes confirmés, une des fi-
à quatre ans et, en 1915, participe avec
Après quinze ans de music-hall, il débute gures emblématiques du cinéma italien
sa famille au tournage d’un mélodrame,
au cinéma dans Hollywood Revue of 1929 contemporain. Doté d’un physique atta-
The Valley of Decision. Elle s’éloigne de
(Charles F. Reisner, 1929), mais c’est la chant et d’un tempérament complexe, il
la scène et des écrans (où se font rapi-
radio qui consacre sa célébrité à partir donne toute sa mesure avec Gabriele
dement connaître ses soeurs Constance
de 1932, puis la TV dès 1955. Il reprend Salvatores (Marrakech Express, 1989 ;
et Barbara) et débute vraiment dans Bull-
le plus souvent dans ses films le person- Strada blues, 1990), Silvio Soldini (l’Air
dog Drummond (F. Richard Jones, 1929).
nage odieux de suffisance et de pingrerie paisible de l’Occident, 1990 ; Un’anima
Jeune première mondaine, blonde et
qu’il peaufine à la radio. Toutefois, on le divisa in due, 1993 – film qui lui vaut le
élégante dans Disraeli (Alfred E. Green,
remarque davantage dans Artistes et Mo- prix d’interprétation masculine au festi-
1929), Moby Dick (L. Bacon, 1930) et
dèles (R. Walsh, 1937), Charley’s Aunt val de Venise ; Le acrobate, 1998), Paolo
Doctor’s Wives (F. Borzage, 1931), elle
(A. Mayo, 1941), George Washington et Vittorio Taviani (les Affinités électives,
révèle un mordant sans apprêt dans Wild
Slept Here (W. Keighley, 1942) et surtout 1994), Michele Placido (Un héros ordi-
Girl et For Me and My Gal (R. Walsh,
To Be or Not to Be (E. Lubitsch, id.), où naire, 1994 ; Del perduto amore, 1997),
1932), une vivacité étonnamment mo-
il « fait à Shakespeare ce que les Alle- Giacomo Campiotti (Comme deux croco-
derne dans les Quatre Filles du docteur
mands ont fait à la Pologne ». diles, 1995), Daniele Luchetti (La scuola,
March (G. Cukor, 1933). Ces réussites
1995), Antonio Capuano (Pianese Nun-
alternent avec des tentatives infruc- BENOÎT-LÉVY (Jean), cinéaste français zio quattordici anni a maggio, 1996), Pas-
tueuses dans la comédie loufoque, avant (Paris 1888 - id. 1959). quale Pozzessere (Testimone a rischio,
sa prise sous contrat par le producteur Son activité, qui commence en 1920 (il 1996), Mimmo Calopresti (Mots d’amour,
Walter Wanger, qui l’aide à imposer un est en 1922 directeur artistique du pre- 1998), Marco Bellocchio (la Nourrice,
personnage nouveau, plus sophistiqué. mier film de Jean Epstein, Pasteur), est 1999), Carlo Mazzacurati (La lingua del
Délicieux et romantique, la Femme aux à double face. D’une part, son travail de santo, 2000). En 1999, Fabrizio Bentivo-
cigarettes blondes (T. Garnett, 1939) documentariste (inauguré au cours des glio fait des débuts prometteurs dans la
marque sa métamorphose en brune et années 20 par des films pédagogiques mise en scène avec un moyen métrage,
son passage à un registre plus unifor- réalisés en collaboration avec des asso- Tipota, un récit suspendu entre rêve et
mément dramatique. Sous la direction ciations à buts sociaux et philanthro- réalité.
de Fritz Lang, elle joue la prostituée piques) et d’éducateur l’amène pendant la
cockney de Chasse à l’homme (1941), guerre à enseigner le cinéma à New York BENTLEY (Thomas), cinéaste britannique
tient le rôle-titre de la Femme au portrait puis à occuper en 1946 de hautes fonc- (Londres 1880 - id. 1951).
(1944), dont elle tourne une variante réa- tions à l’UNESCO. Il laisse ainsi de nom- Il se rend célèbre dès l’époque du muet
liste dans la Rue rouge (1945). Volontiers breux courts métrages (notamment sur la en se faisant une spécialité des adapta-
fatale, un rien perverse, acide et ironique, danse) et des écrits (le Cinéma d’ensei- tions de Dickens : Oliver Twist (1912),
elle connaît ses meilleurs moments dans gnement et l’Éducation, les Grandes Mis- David Copperfield (1913), les Aventures

l’univers feutré et trouble du film noir au- sions du cinéma). D’autre part, il réalise de M. Pickwick (The Adventures of Mr.

quel se rattachent aussi la Femme sur la des films que le public accueille favora- Pickwick, 1921). Il tourna même trois

plage (J. Renoir, 1946), le Secret derrière blement : Peau de pêche (CO Marie Eps- versions de la Maison d’antiquités (The
tein), Âmes d’enfants (1928, CO M. Eps- Old Curiosity Shop, 1914, 1921, 1934).
la porte (F. Lang, 1948) et les Désem-
tein), la Maternelle (1933, CO M. Epstein) Au sein d’une abondante filmographie,
parés (Max Ophuls, 1949). Avec les an-
d’après le roman de Léon Frapié, Itto on retient surtout : Milestone (1916),
nées 50, elle passe progressivement à
(1935, CO M. Epstein), Hélène (1936), The American Prisoner (son premier film
des rôles de mère plus effacés : le Père
la Mort du cygne (1937), Altitude 3200 parlant, 1929) ; Young Woodley (1930),
de la mariée (V. Minnelli, 1950), There’s
(1938), Feu de paille (1940). Hobson’s Choice (1931), Those Were the
Always Tomorrow (D. Sirk, 1956). Elle
Days (1934), Old Mother Riley’s Circus
connaît ensuite une longue éclipse ci-
BENSHI (litt. « homme parlant »). (son dernier film, 1941).
nématographique. Elle se consacre au
Nom donné au Japon aux commentateurs
théâtre et à la télévision et remporte un
des films muets, qui résumaient ou para- BENTON (Robert), cinéaste et scénariste
succès durable dans la série de Dan Cur-
phrasaient à leur guise l’action et lisaient américain (Waxahachie, Tex., 1932).
tis, Dark Shadows, dont elle tourne aussi Collaborateur technique de la revue
les intertitres pour un public souvent anal-
une médiocre adaptation filmée. En 1977, Esquire, coauteur, avec David Newman,
phabète. La popularité des benshi était
Dario Argento la fait participer en « guest- telle que les spectateurs venaient parfois d’une comédie musicale sur Superman,
star » à Suspiria. plus pour eux que pour voir les films. La ce qui l’amène à travailler au scénario du
transition du muet au parlant, autour de film de Richard Donner, il écrit, avec le
BENNETT (Richard Rodney), musicien bri- même Newman, les scénarios de Bonnie
1930, donna lieu à des incidents violents,
tannique (Broadstairs, Kent, 1936). and Clyde (A. Penn, 1967) et du Reptile
à cause de la résistance des benshi.
Il débute au cinéma en 1956 (Song of (J. L. Mankiewicz, 1970). Son premier film
the Clouds, MM, John Armstrong). Ses BENTIVOGLIO (Fabrizio), acteur italien comme réalisateur, Bad Company (id.,
meilleures créations allient le sens de la (Milan 1957). 1972), célèbre, sur un mode picaresque,
mélodie prégnante au goût pour les so- Après avoir suivi les cours du Piccolo les hors-la-loi, et contribue à démythifier
norités modernes. Au sein d’une oeuvre Teatro de Milan, Fabrizio Bentivoglio les héros de western. Le chat connaît
abondante et variée, on remarque une connaît un début de carrière brillant sur l’assassin (The Late Show, 1977), pro-
nette prédilection pour les films de Losey les planches aux côtés d’acteurs aussi duit par Robert Altman, est encore fondé
(l’Enquête de l’inspecteur Morgan, 1959 ; réputés que Romolo Valli, Giorgio De sur des personnages d’originaux. Cette
Cérémonie secrète, 1968 ; Deux Hommes Lullo, Mario Scaccia. Parallèlement, il oeuvre fait revivre de façon humoristique
en fuite, 1970) ou de John Schlesinger travaille au cinéma dès 1979 avec le rôle- les poncifs du film noir. Privé du support

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

des genres, dans Kramer contre Kramer BERBER (Anita), actrice et danseuse alle- du Seigneur (H. Babenco, id.). Après
(Kramer Vs. Kramer, 1979), il sacrifie mande (Dresde 1899 - Berlin–Kreuzberg quelques insuccès, on perd quelque peu
sujet et style à la sensibilité du moment, 1928) sa trace dans des films assez obscurs
connaît un premier et très gros succès Idôle de la bohême berlinoise de l’après- dont peu sortent des États-Unis ou même
comme cinéaste, et se voit décerner guerre, Anita Berber « prêtresse de la du petit écran ; seule exception, The Gin-
plusieurs Oscars. Désormais installé, il danse érotique » connut une réputation gerbread Man (R. Altman, 1997) où il tient
filme avec savoir-faire, mais sans relief sulfureuse sur les écrans allemands un rôle épisodique.
particulier la Mort aux enchères (Still of avant de mourir à vingt-neuf ans seule-
the Night, 1982), les Saisons du coeur ment d’une overdose. Joueuse, cocaï- BERENSON (Marisa), actrice américaine

(Places in the Heart, 1984), Nadine (id., nomane, alcoolique, bisexuelle, elle fut (New York, N. Y. 1947).

1987), Billy Bathgate (id., 1990), Un une pionnière en matière d’érotisation Petite-fille d’Elsa Schiaparelli, une des

homme presque parfait (Nobody’s Fool, de la danse et donc objet de curiosité et grandes créatrices de la haute-couture,
de scandale. Elle s’associe à la fin des petite-nièce de l’historien d’art Bernard
1994) ou l’agréable l’Heure magique
années 10 au réalisateur Richard Oswald Berenson, elle commence une carrière
(Twilight, 1998) qui n’est pas sans rappe-
qui lui offre des rôles de pêcheresse, de prometteuse dans la mode où sa beauté
ler Le chat connaît l’assassin.
prostituée, de corruptrice qu’elle inter- insolite et fragile séduit. Attirée par le

BENVENUTI (Leo), scénariste italien (Flo- prète en parfaite adéquation avec le cli- cinéma (on l’aperçoit dans Mort à Venise

rence 1923 - Rome 2000). mat étrange obsédant, ambigü des sujets de Visconti en 1971 et dans Cabaret de

Il débute en écrivant une série de farces traités comme Dida Ibsens Geschichte Bob Fosse en 1972) elle reçoit de Stan-
pour Macario, dirigées par Carlo Borghe- (1918, inspiré du Marquis de Sade), ou ley Kubrick un rôle marquant dans Barry
sio (Come persi la guerra, 1947 ; Come Cauchemars et hallucinations (1919). Lyndon (1975). Pendant de nombreuses
En 1922 Fritz Lang lui demande de se années elle ne se verra plus offrir de
scopersi l’America, 1949). Dès 1955, il
travaille presque toujours en tandem substituer à l’actrice principale dans les prestations aussi nobles. On la retrouvera
scènes et danse du Docteur Mabuse. dans des oeuvres (hélas pour elle) moins
avec le scénariste Piero De Bernardi.
Elle apparaît ensuite dans quelques prestigieuses SOB (B. Edwards, 1980), la
Ils se spécialisent dans la satire sociale
productions en costumes : Lucrezia Bor- Tête dans le sac (Gérard Lauzier, 1984),
(Guendalina, A. Lattuada, 1957 ; Arran-
gia (R. Oswald, 1922), Die Drei Marien l’Arbalète (S. Gobbi, id.), Flagrant désir
giatevi, M. Bolognini, 1960 ; Fantozzi,
und der Herr von Marana (R. Schünzel, (C. Faraldo, 1986), Perfume Over the
L. Salce, 1975), travaillent avec bonheur
id.), Wien, die Stadt der Lieder (Alfred Cyclone (David Irving, 1990), Chasseur
pour Valerio Zurlini (les Jeunes Filles de
Deutsch-German, 1923), Eine Walzer blanc, coeur noir (C. Eastwood, 1990), le
San Frediano, 1954 ; la Fille à la valise,
von Strauss (Max Neufeld, 1925) avant Grand Blanc de Lambarené (Bassek ba
1961), écrivent des comédies virulentes
d’achever prématurément son extrava- Kobhio, 1995).
pour Pietro Germi (Serafino, 1968 ; Al-
gante et météorique carrière.
fredo Alfredo, 1972) et pour Mario Moni-
BERESFORD (Bruce), cinéaste australien
celli (Mes chers amis, deux films, 1975
BEREMÉNYI (Géza), cinéaste hongrois (Sydney 1940).
et 1982 ; I Picari, 1987). En collaboration
(Budapest 1946). Cinéaste prolifique, aux thèmes natio-
avec Golfiero Colonna et Franco Rossi,
Romancier, dramaturge, scénariste (Ro- naux, il a incarné l’explosion du nouveau
Benvenuti a signé son unique mise en
mantika, 1972, et Cher voisin, 1979, de cinéma australien : en 1972, il a déjà
scène : Calypso (1959), un documentaire
Z. Kezdi-Kovacs ; Le diable bat sa femme, participé à une centaine de courts mé-
exotique. Dans les dernières années de
1977, de Ferenc András ; Temps sus- trages, en Australie, à la Nigerian Film
sa vie, il signe encore les scénarios de Unit ou au British Film Institute. Conteur
pendu, 1983, de Peter Gothar), il tourne
nombreuses comédies populaires, dont
en 1985 son premier film les Disciples (A avant tout, ses films vont de la satire mor-
Viaggio di nozze (1995) et Gallo cedrone
tanitványok), et signe trois ans plus tard dante, mais sans intolérance et parfois
(1998) de Carlo Verdone, mais aussi Fac-
Eldorado/le Prix de l’or (Eldorádo), qui douloureuse, des composantes de la vie
ciamo paradiso (M. Monicelli, 1995), Fan- australienne (The Adventures of Barry
remporte le prix européen du cinéma puis
tozzi - Il ritorno (N. Parenti, 1996), Metal- McKenzie, 1972 ; Don’s Party, 1976 ; The
la Tournée (A Turné, 1993).
meccanico e parrucchiera in un turbine di Club, 1981 ; Puberty Blues, 1982, The
sesso e di politica (L. Wertmüller, 1996), BERENGER (Tom), acteur américain Fringe Dwellers, 1986) au règlement de
Finalmente soli (U. Marino, 1997), Teste (Chicago, Ill., 1950). comptes avec l’époque victorienne (The
di cocco (U.F. Giordani, 2000) et Ogni Il fait du théâtre à New York avant de Getting of the Wisdom, 1977 ; Breaker
lasciato è perso (P. Chiambretti, 2001). sillonner les États-Unis en jouant le rôle Morant, 1980). Aux États-Unis il perd sa
de Stanley Kowalski dans Un tramway personnalité en réalisant successivement
BÉRARD (Christian), peintre, décorateur et nommé désir de Tennessee Williams. le Roi David (King David, 1985), Crimes
créateur de costumes français (Paris 1902 - La Sentinelle des maudits (The Sentinel, de coeur (Crimes of the Heart, 1986),
id. 1949). M. Winner, 1976) marque ses débuts à Aria (un épisode, 1987), Son alibi (Her
Peintre de formation, il travaille à la l’écran. Après une série de rôles secon- Alibi, 1988), Miss Daisy et son chauffeur
scène avec Jouvet, Barrault, Balanchine daires, il atteint la notoriété grâce au (Driving Miss Daisy 1989), qui remporte
ou Massine, avec Jean Cocteau sur- sergent psychopathe de Platoon (1986) l’Oscar du meilleur film en 1990, Mister
tout, qui l’entraîne dans son aventure d’Oliver Stone. Costa-Gavras fera de lui Johnson (id., id.), la Robe noire (Black
cinématographique. Dans la Belle et la le fermier fasciste de la Main droite du Robe, 1991), Rich in Love (1992), Un
Bête (1946), il mêle l’imagerie propre du diable (1988), avant qu’Alan Rudolph ne Anglais sous les tropiques (A Good Man
poète aux lumières empruntées de Ver- le sorte du registre des personnages anti- in Africa, 1993), Silent Fall (1994), Last
meer ou Doré. En 1948, ce sont encore pathiques en lui faisant jouer un détective Dance (1996), Paradise Road (1997),
le « baroquisme élégamment maîtrisé » déjanté dans l’Amour poursuite (1990), Double Jeopardy (1990).
(C. Beylie) de l’Aigle à deux têtes, le une comédie policière dans laquelle la
décor unique de la Voix humaine (réa- voix enrouée de Berenger, son regard BERGEN (Candice), actrice américaine
lisé en Italie par R. Rossellini), et en 1949 humide et sa démarche nonchalante font (Beverly Hills, Ca., 1946).
la « roulotte » bohème des Parents ter- merveille. Il apparaît ensuite dans The Fille du ventriloque Edgar Bergen, man-
ribles. Les décors d’Orphée (1950) s’ins- Field (J. Sheridan, id.), Sliver (Ph. Noyce, nequin, elle débute par un rôle très fort,
pirent de ses maquettes. 1993) ou En liberté dans les champs dans le Groupe (S. Lumet, 1966), sans en

126
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

retrouver plus tard l’équivalent. Digne et la tradition de l’opérette viennoise, qu’il du Péché suédois (id.), du jeune auteur
froide comme une star d’autrefois, dans avait déjà illustrée en 1926 avec Rêve de rebelle du Quartier du corbeau (id.) et
le mystère (Jeux pervers, Guy Green, valse (Ein Walzertraum) et en 1933 avec de l’officier déserteur d’Elvira Madigan
1968), dans l’aventure la plus sordide la Guerre des valses (Walzerkrieg). Ses (1967). Son physique agréable, sa sen-
(Soldat bleu, R. Nelson, 1970) ou la plus travaux ultérieurs sont peu nombreux : sibilité et son air romantique lui valent
romanesque (la Chevauchée sauvage, coréalisation avec Michael Powell et Tim d’être constamment demandé tant au
R. Brooks, 1975), elle semble entrete- Whelan du Voleur de Bagdad (1940), réa- théâtre qu’au cinéma, même s’il n’obtient
nir une distance à l’égard de ses rôles, lisation en France d’un film de ballet, Bal- qu’un seul grand rôle hors de Suède,
sauf dans Merci d’avoir été ma femme lerina (1949), et collaboration au scénario dans les Aventuriers (The Adventurers,
(A. J. Pakula, 1979), où elle paraît ne du film à la gloire de l’homme politique 1970) de Lewis Gilbert. Son interpréta-
pas jouer mais être elle-même. On l’a Stresemann (Alfred Braun, 1956). Il se tion la plus approfondie est celle qu’il a
vue également dans Vivre pour vivre retira du cinéma pour exploiter une bras- donnée du chanteur itinérant injustement
(C. Lelouch, 1967), Ce plaisir qu’on dit serie à Luxembourg. condamné à mort dans le Joe Hill (1971)
charnel (M. Nichols, 1971), le Lion et le de Widerberg. Il tourne ensuite notam-
Vent (J. Millius, 1975) et dans Gandhi BERGER (Nicole), actrice française (Paris
ment Giliap (Roy Andersson, 1976),
(R. Attenborough, 1983), Stick, le justicier 1935 - Rouen 1967).
Ciel brouillé (Brusten Himmel, I. Thulin,
de Miami (B. Reynolds, 1985). Elle est Interprète de Julietta (M. Allégret, 1953),
1982), ‘ Une colline sur la face sombre
aussi journaliste et photographe. elle est révélée par le Blé en herbe (1954)
de la lune ’ (Berget på måncens baksida,
de Claude Autant-Lara, où elle incarne
Lennart Hjulström, 1983), ‘ les Enfants du
BERGER (Helmut Steinberger, dit Helmut), une Vinca très fidèle à Colette. Mais
dimanche ’ (Söndagsbarn, Daniel Berg-
acteur autrichien (Bad Ischl 1944). c’est Helmut Kaütner qui, lui confiant
man, 1992).
Ayant débuté dans de petits rôles aux stu- dans Ein Mädchen aus Flandern (1955)
dios de Munich et de Rome, il est décou- le rôle d’une jeune fille belge amoureuse
BERGMAN (Ingmar), cinéaste suédois
vert par Luchino Visconti, qui l’emploie d’un soldat allemand pendant la Grande
(Uppsala 1918).
dans son sketch des Sorcières (1967) Guerre, met le mieux en évidence sa
Fils d’un pasteur luthérien et d’une mère
et surtout dans les Damnés (1969). Il se personnalité fragile et obstinée, son
dominatrice d’origine wallonne, Ing-
fait apprécier ensuite dans deux films du jeu discret et frémissant. Nicole Berger
mar Bergman grandit dans une famille
même réalisateur : Ludwig /le Crépus- tourne ensuite avec Gérard Philipe, Jules
très stricte, où l’on considère la bonne
cule des dieux (il interprète le rôle du Dassin, Jean-Pierre Mocky et surtout
roi ; 1972) et Violence et Passion (1975), conduite et le refoulement des instincts
François Truffaut (Tirez sur le pianiste,
ainsi que dans le Jardin des Finzi-Contini comme autant de vertus. Rien d’étonnant
1960). Après une longue absence, elle
(V. De Sica, 1970). De nombreux réalisa- que sa soeur Margareta et lui-même se
réapparaît dans la Permission de Melvin
teurs italiens (Florestano Vancini, Mas- réfugient dans un univers imaginaire :
Van Peebles (1968) avant d’être victime
simo Dallamanno, Umberto Lenzi, Ser- d’un accident de la route. ensemble, ils achètent des bouts de
gio Grieco, Duccio Tessari, Tinto Brass, films pour le projecteur familial et ils
Maurizio Liverani, etc.) ainsi que Joseph BERGER (Senta), actrice autrichienne construisent un théâtre de marionnettes.
Losey (Une Anglaise romantique, 1975), (Vienne 1941). Bergman n’a pas vingt ans lorsqu’il quitte
Sergio Gobbi, Larry Peerce et Marvin Elle débute au cinéma très jeune, en ses parents pour s’installer à Stockholm.
Chomsky l’ont fait tourner dans des films 1957, après avoir suivi quelques cours Dès lors, il se consacre au théâtre univer-
de moindre intérêt. Il retrouve, en 1994, de danse et de théâtre et apparaît dans sitaire et c’est à cette époque, vers la fin
le personnage de Louis II de Bavière de nombreux films allemands, dont le des années 30 et le début des années 40,
dans Ludwig 1881 de Fosco et Donatello Brave Soldat Švejk (Axel von Ambes- qu’il se lie d’amitié avec certains de ceux
Dubini. Il ne doit pas être confondu avec ser, 1960) et Das Wunder des Malachias qui devaient par la suite dominer le ci-
Helmut Berger (né à Graz en 1949), (B. Wicki, 1961). Après Sherlock Holmes néma suédois de leur influence, comme
acteur dans des films autrichiens, alle- et le collier de la mort, tourné par Terence Erland Josephson et Vilgot Sjöman.
mands et suisses et réalisateur à partir Fisher en Allemagne (coréalisé par Frank En 1942, à la suite de la première
de 1987 : Toi, moi aussi (Du mich auch). Witherstein, 1962), elle est la vedette de
d’une de ses pièces, la Mort de Punch,
nombreux films d’aventures réalisés dans
Bergman est invité à se joindre à l’équipe
BERGER (Ludwig Bamberger, dit Lud- divers pays d’Europe et elle participe à
de scénaristes de la Svensk Filmindus-
wig), cinéaste allemand (Mayence 1892 - quelques productions américaines. Ayant
tri, où il passe deux ans à remanier des
Schlangenbad 1969). fondé en 1965 une société de production,
scénarios tout en continuant à écrire
Formé par l’opéra et le théâtre shakes- elle produit les films de son mari et asso-
pour la scène des pièces que la critique
pearien, il aborde le cinéma en 1920, réa- cié Michael Verhoeven, Couples (1967).
accueille d’ailleurs favorablement. Pour-
lisant l’Alcade de Zalamea (Der Richter Par la suite, elle apparaît dans des rôles
tant, Bergman ne tarde pas à se rendre
von Zalamea). Sa réputation de spécia- secondaires et dans quelques oeuvres de
compte que, s’il doit jouer un rôle au
liste de films distractifs s’établit bientôt télévision.
théâtre, ce ne sera pas en tant qu’auteur,
avec le Verre d’eau (Das Spiel der Köni-
mais bien plutôt en insufflant la vie aux
gin / Ein Glas Wasser, 1923) et Cendrillon BERGGREN (Thommy), acteur suédois
(Der verloren Schuh, id.). Ayant réalisé (Mölndal 1937). oeuvres d’autrui, et en leur apportant

sept films et écrit plusieurs scénarios, il Élevé à Göteborg, il veut d’abord être l’originalité de son imagination créatrice.

est engagé à Hollywood (1927-1930), marin, mais s’inscrit dans un cours privé Par la suite, Bergman ne devait jamais
dirigeant notamment Maurice Chevalier d’art dramatique. Il fait déjà du théâtre cesser de travailler pour le théâtre, ne
dans Playboy of Paris (1930) ainsi que depuis sept ans quand il débute à l’écran fût-ce que par intermittence. Dans les an-
dans la version française du même film dans la Nacre (Pärlemor, 1961, mis en nées 50, par exemple, il monte au moins
(le Petit Café) et Jeanette MacDonald scène par Torgny Anderberg). Il tourne deux nouvelles pièces tous les hivers au
dans The Vagabond King (1930). De re- avec Harriet Andersson le premier long théâtre municipal de Malmö, s’attirant
tour en Allemagne, il ne tourne que deux métrage de Jörn Donner, Un dimanche les louanges de la critique internatio-
films musicaux, émigre en 1933, réalisant de septembre (1963). Mais c’est Bo Wi- nale pour ses mises en scène d’Ibsen,
Pygmalion aux Pays-Bas (1937) et Trois derberg qui lui donne sa vraie chance Strindberg, Molière, Shakespeare et Ten-
Valses en France (1939) — ce film dans en lui confiant les rôles du jeune amant nessee Williams.

127
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Les mois d’été, il les réserve au tour- La carrière suédoise de Bergman épurée, une thématique plus appronfon-
nage de ses films ; lorsqu’on connaît le manque pourtant de se trouver freinée die, un cadre infiniment moins flamboyant
caractère et la personnalité des oeuvres par la critique, qui vilipende la Nuit des au service d’une pensée inquiète et dé-
de cette période, on peut supposer quelle forains, analyse cinglante, voire désespé- chirée : Bergman semble bien réconcilier
rigueur exigea leur réalisation. rée, du désir, du sentiment de culpabilité la forme et le fond. Il délaisse la forme
Plus qu’aucun autre réalisateur, et de ce qu’il y a de plus vulnérable chez symphonique pour le quatuor à cordes.
I. Bergman aura été marqué par son l’homme. Grâce au prix spécial du Jury Sa trilogie (À travers le miroir, les Com-
enfance. Son premier scénario, Tour- décerné à Cannes, en 1955, à Sourires muniants et le Silence, trois films réali-
ments, porté à l’écran par Alf Sjöberg, le d’une nuit d’été, une comédie rococo où sés entre 1960 et 1962) lui permettra de
plus grand cinéaste suédois de l’époque, le cinéaste sait se montrer à la fois char- régler définitivement ses comptes avec
repose sur un souvenir personnel : la ter- meur et féroce à la manière d’un Beau- son éducation religieuse. En cessant de
reur inspirée par l’un de ses professeurs marchais, Bergman retrouve les faveurs se préoccuper de la place de l’Homme
— le Caligula du film —, dont il avait subi de ses juges et parvient à mettre sur dans l’univers pour considérer celle de
les brimades à Stockholm. Évocation pied un projet qu’il caressait depuis long- l’artiste dans la société, Bergman se
fidèle de l’atmosphère qui régnait alors temps : le Septième Sceau (1957). Le fait l’interprète d’auteurs contemporains
dans son pays, de l’angoisse et du déses- Septième Sceau, allégorie anxieuse sur comme Antonioni, Robbe-Grillet ou Bec-
poir de l’intelligentsia devant la neutralité la vie et la mort, c’est le Faust de Berg- kett, comme lui persuadés que l’être hu-
suspecte de la Suède, Tourments était en man. S’il est un film dans lequel s’expri- main est parvenu à un stade critique de
même temps un portrait saisissant d’un ment tout à la fois sa conception affective son évolution et que l’apathie du monde
psychopathe : le maître incarné par Stig et intellectuelle de Dieu et son intuition moderne n’est que le reflet d’un certain
Järrel. d’un éventuel holocauste nucléaire — la désenchantement.
peste médiévale symbolisant la menace Le tournage de Persona, en 1965,
L’année suivante (en 1945), la Svensk
que la guerre froide faisait alors peser sur devait réunir Bergman, maintenant éta-
Filmindustri donne à Bergman l’occasion
de diriger son premier film, Crise, adapté le monde —, c’est bien celui-là. bli dans l’île désolée de Fårö, dans la
d’une pièce danoise et dont le héros, Le Septième Sceau devait en outre éta- Baltique, et l’actrice norvégienne Liv
comme dans tous ses premiers films, est blir solidement sur la scène internationale Ullmann, qui marqua du sceau de sa
un alter ego à peine déguisé de l’auteur, une remarquable troupe d’acteurs, dont personnalité l’oeuvre de cette période.
qui par son truchement exprime ses ap- Max von Sydow, Gunnar Björnstrand, Autour d’elle, et souvent avec Max von
préhensions, son anxiété, ses aversions Bibi Andersson et Gunnel Lindblöm. Par Sydow, Bergman élabore en effet une
ou ses aspirations personnelles. Irrémé- ailleurs, pendant les années 50, Berg- série de drames âpres et violents (l’Heure
diablement coupé de son environnement, man reste également fidèle à une même du loup, la Honte, Une passion), que Per-
l’être humain se trouve constamment équipe technique : l’opérateur Gunnar sona surpasse cependant par la maîtrise
en conflit avec l’autorité sous quelque Fischer, le décorateur P. A. Lundgren et de sa réalisation : plus complexe dans
forme qu’elle se manifeste, et alors qu’il le compositeur Erik Nordgren, pour ne sa structure, puisqu’il entremêle avec vir-
n’a pas même le moyen de croire en citer que ceux-là. tuosité le rêve et l’imaginaire, le film doit
une puissance supérieure. Si Bateau Le succès éclatant remporté par le également beaucoup à l’interprétation de
pour les Indes (1947) et Prison (1949, le Septième Sceau permet à Bergman de Bibi Andersson et de Liv Ullmann. C’est
premier film entièrement écrit et réalisé réaliser coup sur coup quatre films im- certainement aussi, de toute l’oeuvre de
par Bergman) sont parfaitement repré- portants : les Fraises sauvages (1957), Bergman, le film le plus profondément
sentatifs de cette période, les deux der- tout d’abord, avec l’ancien metteur en marqué par la psychanalyse : manifes-
niers films de la décennie (la Soif et Vers scène Victor Sjöström devenu pour tement influencé par Jung, Persona traite
la joie) témoignent en revanche d’une l’occasion son interprète principal. Pour en effet du transfert de personnalité et
préoccupation nouvelle chez Bergman, cette approche lucide et bienveillante des conflits entre la persona (le masque
qui aborde le thème du couple engagé de l’entrée dans la vieillesse, avec son extérieur) et l’alma (l’image de l’âme inté-
dans une guerre sans merci. Prisonniers cortège de regrets et de récriminations, rieure).
l’un de l’autre, les amants de Bergman l’auteur fait une nouvelle fois appel à En 1970, Bergman cède à la tentation
se livrent un combat au corps à corps, ses souvenirs d’enfance. C’est ensuite de tourner un film en langue anglaise :
une joute oratoire impitoyable et qui n’est un exercice d’apparence plus documen- le Lien, avec Elliott Gould. Malgré le jeu
pas sans rapport avec les empoignades taire, Au seuil de la vie (1958), qui dis- bouleversant de Bibi Andersson, le film
domestiques chères à Strindberg. sèque avec une précision quasi chirurgi- sera un échec commercial. À l’inverse,
Les années 50 permettent à Bergman cale les réactions de trois femmes dans Cris et Chuchotements (1973), halluci-
de s’affirmer. Dès le début de la décen- une maternité. Pour être campé dans le nante étude en noir et rouge des der-
nie, c’est dans les îles situées au large de [**INTER**]XIXe siècle, le Visage (1958) niers jours de la vie d’une femme atteinte
Stockholm qu’il tourne deux éclatantes n’en met pas moins en scène un certain d’un cancer et du comportement de ses
histoires d’amour qui exaltent à la fois les Vogler (Max von Sydow), un magicien soeurs, est l’oeuvre d’un Bergman souve-
splendeurs de l’été suédois et les feux qui n’est évidemment autre que Bergman rain. Reprenant une idée qu’il avait déjà
éphémères de la passion : Jeux d’été lui-même, l’amuseur qui gagne sa vie en exploitée en 1964 lorsqu’il montait Hedda
(1951), qu’illumine le jeu de Maj-Britt charmant son public tout en s’exposant à Gabler pour le théâtre, Bergman choi-
Nilsson, et Monika (1953), où s’épanouit ses sarcasmes. La Source (1960), enfin, sit de faire évoluer ses acteurs dans un
la sexualité de Harriet Andersson. Deux deuxième incursion de Bergman dans décor des plus saisissants, dont la cou-
thèmes désormais s’entrecroiseront, se le Moyen Âge, est une histoire cruelle leur purpurine évoque irrésistiblement le
succéderont, se chasseront l’un l’autre : de viol, de meurtre et de vengeance en ventre maternel.
le premier, méditatif et philosophique, forme de ballade du temps jadis. Il ne faut pas longtemps à Bergman
analysera l’angoisse d’un monde qui En 1960, Bergman semblait avoir pour prendre conscience de l’impact de
s’interroge sur Dieu, le Bien et le Mal et, atteint l’apogée de son art. Cependant, la télévision. C’est ainsi qu’il avait réalisé
d’une façon plus générale, le sens de la au cours des années suivantes, son style dès 1969 le Rite pour le petit écran. En
vie ; le second, caustique, brillant et sa- se modifiera sensiblement. Le cinéaste 1973, il choisit de tourner pour la télé-
tirique, brode de subtiles variations sur aborde en effet une période apparem- vision Scènes de la vie conjugale : six
l’incommunicabilité au sein du couple. ment plus austère. Une technique plus épisodes de cinquante minutes chacun,

128
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

qu’il monte simultanément en une ver- (Nattvardsgästerna, 1963) ; le Silence barmaid de Docteur Jekyll et Mr. Hyde
sion cinématographique de trois heures. (Tystnaden, id.) ; Toutes ses femmes / À (1941). Elle alterne dès lors systémati-
Cette peinture des aspects tout à la fois propos de toutes ses femmes (För att inte quement les rôles pervers et vertueux,
tragiques et ridicules du mariage bour- tala om alla dessa kvinnor, 1964) ; Per- passant de l’Intrigante de Saratoga aux
geois trouve une immense audience en sona (id., 1966) ; Stimulantia (épisode : Cloches de Sainte-Marie, de la Maison
Scandinavie, de même que l’admirable Daniel, 1967) ; l’Heure du loup (Vargtim- du Dr Edwardes aux Enchaînés, d’Arc de
production télévisée de la Flûte enchan- men, 1968) ; la Honte (Skammen, id.) ; triomphe à Jeanne d’Arc. Elle révèle son
tée. Face à Face (1975) devait rencontrer le Rite (Riten, 1969), Une passion (En côté noir dans la Proie du mort, Docteur
un succès moindre, Bergman y donnant passion, id.) ; Mon île Fåro [DOC] (Fåro Jekyll et Mr. Hyde, Arc de triomphe et les
l’impression d’enfoncer des portes déjà dokument, 1970) ; le Lien (Beröringen / Amants du Capricorne, qui tissent autour
grandes ouvertes. The Touch, 1971, SUE-US) ; Cris et Chu- d’elle des univers piégés, en font la vic-
En 1976, l’humiliation d’un scandale chotements (Viskningar och rop, 1972) ; time de longs cauchemars, une hédoniste
fiscal monté de toutes pièces pousse Scènes de la vie conjugale (Scener ur apathique, vouée à la déchéance.
Bergman à s’exiler à Munich, où il réalise ett äktenskap, 1973) ; la Flûte enchantée À l’inverse, Pour qui sonne le glas, la
l’OEuf du serpent pour Dino De Lauren- (Trollfljöten, 1975) ; Face à face (Ansikte Maison du Dr Edwardes et les Cloches
tiis, ambitieuse reconstitution du Berlin de mot ansikte, 1976) ; l’OEuf du serpent de Sainte-Marie éclairent le pôle positif
l’immédiat après-guerre. Ce film fait écho (Das Schlangenei / The Serpent’s Egg, du personnage bergmanien, en célèbrent
au désarroi et aux préoccupations de son 1977, ALL-US) ; Sonate d’automne (The l’idéalisme et le caractère solaire, qui
auteur, tout comme De la vie des marion- Autumn Sonata, 1978, GB-NOR) ; Mon séduisait Selznick. (Notons ici la passion
nettes (1980), dans lequel s’expriment île Fårö (Fårö dokument, 1979, [DOC] de Bergman pour Jeanne d’Arc, figure clé
l’impuissance et le sentiment d’échec 1979) ; De la vie des marionnettes (Aus qu’elle incarnera deux fois à la scène et
d’un individu persécuté par la société. dem Lebender Marionetten, 1980) ; autant à l’écran.)
Dans Sonate d’automne (1978), il offre à Fanny et Alexandre (Fanny och Alexan-
Refusant le partage entre la noirceur
Ingrid Bergman son plus beau rôle : celui der, 1982), Après la répétition (After the
gothique et un angélisme sans nuance,
d’une pianiste de concert opposée à sa Rehearsal, 1983) ; le Visage de Karin
Casablanca et les Enchaînés assument
fille (Liv Ullmann) dans un duel verbal qui (Karin Ansikte, 1983-1985, CM), En pré-
avec une subtilité plus européenne l’in-
la conduit à affronter tout un passé d’égo- sence d’un clown (Larmar Och Gör Sig
décision morale du personnage berg-
ïsme. En 1982, Bergman tourne Fanny Till, 1998).
manien. L’héroïne est ici écartelée entre
et Alexandre, qu’il présente comme sa
deux antagonistes masculins, déraci-
dernière création pour le grand écran. BERGMAN (Ingrid), actrice suédoise (Stoc-
née, jetée dans un contexte cosmopolite
De fortes notations autobiographiques kholm 1915 -Londres 1982).
trouble. Elle est le jouet de forces qui la
éclairent rétrospectivement les thèmes Ingrid Bergman débute à dix-sept ans au
dépassent, la protagoniste ambivalente
de son oeuvre : la fascination pour le Théâtre royal de Stockholm, où elle dé-
de drames historiques, où l’égoïsme et la
monde des acteurs, la crainte des inter- croche rapidement des rôles de premier
raison politique ne sont jamais clairement
dits religieux, la complicité avec l’univers plan. Prise sous contrat par la Svensk-
distincts, où sacrifice ne signifie plus né-
féminin, la découverte de la mort..., le tout filmindustri en 1933, elle fait sa première
cessairement rédemption.
inscrit dans le cadre d’une grande famille apparition à l’écran dans ‘ le Comte de
Munkbro ’ et s’impose comme vedette À la fin des années 40, Ingrid Bergman
d’Uppsala — ville natale du cinéaste —
dès son cinquième film, ‘ Du côté du est l’actrice européenne la plus populaire
au début du [**INTER**]XXe s. et vu à
soleil ’. Elle cultive les genres les plus di- d’Hollywood. Moins mythique que ses
travers le regard d’un enfant de douze
vers, avec une préférence marquée pour rivales immédiates, Garbo et Dietrich, sa
ans — plausible alter ego du cinéaste. Il
la comédie sentimentale et le mélodrame, malléabilité, son goût de la composition,
publie en 1987 un remarquable ouvrage
qui exaltent son aura de jeune première un contact suivi avec le théâtre (elle rem-
autobiographique : Laterna magica.
fraîche et spontanée. Dès 1935, elle est porte un Tony pour Joan of Lorraine) lui
Films : Crise (Kris, 1946) ; Il pleut sur
considérée comme une des découvertes ont permis d’acquérir une indépendance
notre amour (Det regnar på vår kärlek,
les plus prometteuses du cinéma suédois considérable.
id.) ; Bateau pour les Indes / l’Éternel
Mirage (Skepp till Indialand, 1947) ; Mu- et mène l’essentiel de sa première car- La période Rossellini s’ouvre en 1949

sique dans les ténèbres (Musik i mörker, rière sous l’égide de Gustav Molander, sur un « scandale » retentissant, déri-

1948) ; Ville portuaire (Hamnstad, id.) ; la qui la dirige dans le Visage d’une femme soire, qui révèle les liens affectifs entre

Prison (Fängelse, 1949) ; la Soif / la Fon- et Intermezzo. Ingrid Bergman et le public américain.

taine d’Aréthuse (Törst, id.) ; Vers la joie Alerté sur sa réputation, David O. Selz- Jetée de force dans une nouvelle car-
(Till glädje, 1950) ; Cela ne se produirait nick l’appelle à Hollywood en 1939, pour rière, l’actrice va s’essayer avec le réa-
pas ici (Sånt händer inte här, id.) ; Jeux lui faire tourner, aux côtés de Leslie lisateur à explorer des lignes narratives
d’été (Sommarlek, 1951) ; l’Attente des Howard, un fidèle remake de ce der- plus ouvertes. Pourtant, les films de cette
femmes (Kvinnors väntan, 1952) ; Mo- nier film. Pygmalion ambitieux, éminent période (dont trois relatent, curieusement,
nika / Un été avec Monika / Monika et le découvreur d’actrices, il mise avec intel- la désagrégation d’un couple) constituent
désir (Sommaren med Monika, 1953) ; la ligence sur son image établie : naturel, moins une réfutation de la mythologie
Nuit des forains (Gycklarnas afton, id.) ; probité, pureté, énergie. L’essai s’avère hollywoodienne d’Ingrid Bergman qu’une
Une leçon d’amour (En lektion i kärlek, concluant. Ingrid Bergman s’établit à dénaturation de celle-ci. Tous exploitent,
1954) ; Rêves de femmes (Kvinnodröm, Hollywood, où sa carrière se poursuivra en effet, son récent passé cinématogra-
1955) ; Sourires d’une nuit d’été (Som- durant six ans, modelée de façon directe phique : la tentation de la sainteté, dans
marnattens leende, id.) ; le Septième ou occulte par Selznick, et largement Europe 51, renoue avec l’inspiration de
Sceau (Det sjunde inseglet, 1957) ; les influencée par le curieux mélange de Jeanne d’Arc, l’enfer conjugal de Strom-
Fraises sauvages (Smultronstället, id.) ; romantisme et de puritanisme propre au boli et la Peur avec les épreuves de Han-
Au seuil de la vie (Nära livet, 1958) ; le producteur d’Autant en emporte le vent. tise et des Amants du Capricorne. Mais
Visage (Ansiktet, id.) ; la Source (Jung- Ingrid Bergman s’insurge cependant très le jeu de l’actrice, toujours très construit,
frukällan, 1960) ; l’OEil du diable (Djävu- tôt contre les goûts et les exigences de s’accommode mal des méthodes d’un
lens öga, id.) ; À travers le miroir (Såsom son mentor. Elle réclame des rôles plus réalisateur en quête d’un incertain com-
i en spegel, 1961) ; les Communiants âpres, dont le premier est celui d’Ivy, la promis entre naturalisme et drame bour-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

geois. Il se dessèche, trahit une tension, Capricorne (Hitchcock, 1949) ; Stromboli les numéros musicaux de films le plus
une tendance inédite à l’hystérie. (R. Rossellini, 1950) ; Europe 51 (id., souvent réalisés par d’autres. Si son
Au terme de cette parenthèse de six 1952) ; Nous les femmes (id., 4e épi- invention purement chorégraphique ne
ans, Ingrid Bergman fait son retour avec sode, 1953) ; Voyage en Italie (id., 1954) ; brille guère, son style cinématographique
Anastasia, un véhicule fait sur mesure Jeanne au bûcher (id., id.) ; la Peur (id., est extraordinaire : dans sa période War-
pour exploiter toutes les facettes de son id.) ; Elena et les hommes (J. Renoir, ner (1933-1939), il lie la force imagina-
talent. Les films qui suivent n’auront ni le 1956) ; Anastasia (A. Litvak, id.) ; Indiscret tive et l’exactitude formelle ; la continuité
lyrisme, ni la noirceur, ni la fantaisie de (S. Donen, 1958) ; l’Auberge du sixième visuelle n’entrave ni la liberté des prises
années 40 (dont l’Intrigante de Saratoga bonheur (Inn of the Sixth Happiness, de vues (plongées verticales, immenses
offre un bizarre et réjouissant cocktail). M. Robson, id.) ; Aimez-vous Brahms ? mouvements d’appareil) ni la verve sen-
Bergman rattrape le temps perdu, l’ac- (Litvak, 1961) ; la Rancune (B. Wicki, suelle ; le goût Arts déco de la géométrie
trice cède la place à la star internationale. 1964) ; la Rolls-Royce jaune (A. Asquith, et des kaléidoscopes se combine avec
Dans son jeu, elle souligne volontiers le id.) ; Stimulantia (épisode : ’le Collier‘, une vision du monde unanimiste et po-
trait, et sera désormais presque toujours Molander, 1967) ; A Walk in the Spring puliste. Mais les budgets alloués à ces
trop bonne (l’Auberge du sixième bon- Rain, G. Green, 1970) ; Fleur de cactus divagations rythmiques ne tardent pas
heur), trop mondaine et malheureuse (Ai- (Cactus Flower, G. Saks, id.) ; From the à diminuer, et Berkeley rejoint la MGM,
mez-vous Brahms ?) ou trop piquante (In- Mixed-up Files of Mrs. Basil E. Frankwei- où il s’exprime de manière plus souple
discret, Elena et les hommes). A Walk in ler (F. Cook, 1973) ; le Crime de l’Orient- et moins exubérante, mais parfois avec
the Spring Rain et Fleur de cactus s’effor- Express (S. Lumet, 1974) ; Nina (V. Min- un charme irrésistible (Minnie from Trini-
ceront tardivement de la faire descendre nelli, 1976) ; Sonate d’automne (Ingmar dad dans la Danseuse des Folies Zieg-
de son piédestal, où Vincente Minnelli Bergman, 1978). feld). Capable de se plier aux exigences
la fera remonter avec Nina, hommage délicates du musical moderne (Place au
BERGNER (Elisabeth Ettel, dite Elisabeth),
nostalgique à l’âge d’or hollywoodien qui rythme), il préside aux débuts de Gene
actrice britannique (naturalisée en 1938)
essuiera un total échec commercial. Kelly (Pour moi et ma mie), mais se voit
d’origine autrichienne (Drohobycz, Au-
En 1978, Ingrid Bergman, retournant reprocher sa prodigalité par l’équipe d’Ar-
triche-Hongrie [auj. Drogobytch, URSS],
en Suède onze ans après le tournage thur Freed et supporte mal l’affectivité de
1897-Londres 1986).
de Stimulantia, trouve enfin avec Sonate Judy Garland. À la fin de sa carrière, il re-
Après des études d’art dramatique au
d’automne son meilleur rôle depuis la trouve l’occasion de créer des spectacles
Conservatoire de Vienne, elle fait des
fin de la période Selznick. S’exposant grandioses (la Première Sirène). Parmi
débuts remarqués à Zurich en 1919, puis
avec un rare courage au regard scruta- ses mises en scène, il faut surtout et très
joue les pièces du répertoire à Vienne,
teur d’Ingmar Bergman, elle y dessinera curieusement souligner un film... policier
Munich et Berlin (Deutsches Theater de
avec sa complicité un personnage riche (Je suis un criminel).
Max Reinhardt). Fuyant le régime hitlé-
de nuances et d’ambiguïtés, sans doute Films : — Chorégraphie : Whoopee !
rien, elle se réfugie en 1933 en Grande-
l’une des créations les plus contrôlées et (Thornton Freeland, 1930) ; Kiki (Samuel
Bretagne et séjourne aux États-Unis
les plus émouvantes de sa carrière. Elle Taylor, 1931) ; Palmy Days (E. Suther-
pendant la Seconde Guerre mondiale.
a également fait quelques prestations land, id.) ; le Roi de l’arène (The Kid
Célèbre au théâtre, elle n’a pas trouvé
remarquées à la télévision, dont l’inter- From Spain, L. McCarey, id.) ; 42e Rue
au cinéma les rôles qui auraient pu lui
prétation du rôle de Golda Meir dans le (42nd Street, L. Bacon, 1933) ; les Cher-
donner l’occasion de devenir une vedette
film homonyme de Alan Gibson (1981). cheuses d’or de 1933 (Gold Diggers of
de l’écran. Mais sa féminité brûlante et
Films : ‘ le Comte de Munkbro ’ (Munk- 1933, M. LeRoy, id.) ; Prologues (Foot-
l’expressivité de son jeu convenaient par-
brogreven, Edvin Adolphson et S. Vallen, light Parade, Bacon, id.) ; Roman Scan-
faitement à l’inspiration Kammerspiel des
1935) ; ’les Récifs‘ (Bränningar, Ivar Jo- dals (F. Tuttle, id.) ; Wonder Bar (Bacon,
premiers films de son mari le cinéaste
hansson, id.) ; Swedenhielms (G. Molan- 1934) ; Fashions of 1934 (W. Dieterle,
Paul Czinner, qui ont contribué à sa
der, id.) ; ’la Nuit de la Saint-Jean‘ / Amour id.) ; Dames (R. Enright, id.) ; In Caliente
juste réputation de comédienne : À qui la
défendu (Valborgsmässoafton, G. Edg- (Bacon, id.) ; Stars Over Broadway
faute ? (Nju, 1924), Der Geiger von Flo-
ren, id.) ;’ Du côté du soleil ‘ (På Solsi- (W. Keighley, id.) ; les Chercheuses d’or
renz (1926), Liebe (1927), Fräulein Else
dan, Molander, 1936) ; Intermezzo (id., de 1937 (Gold Diggers of 1937, Bacon,
(1929), Ariane (1932), Der Träumende
id.) ; Dollar (id., 1938) ; le Visage d’une 1936) ; The Singing Marine (R. Enright,
Mund (id.). Ni Catherine the Great (1934),
femme (En Kvinnas ansikte, id., id.) ; les 1937) ; Varsity Show (W. Keighley, id.) ;
Escape Me Never (1935), As You Like
Quatre Compagnes (Die Vier Gesellen, Gold Diggers in Paris (Enright, 1938) ;
it (1936), également dirigés par Czin-
C. Froehlich, id.),’ Une seule nuit ‘ (En Broadway Serenade (R. Z. Leonard,
ner — ses films anglais —, ni son seul
enda natt, Molander, 1939) ; la Rançon 1939) ; la Danseuse des Folies Ziegfeld
film américain Paris Calling (E. L. Marin,
du bonheur (Intermezzo : A Love Story, (Ziegfeld Girl, R. Z. Leonard, 1941) ; Lady
1942), pas plus qu’une production tardive
G. Ratoff, id.) ; Quand la chair est faible Be Good (N. Z. McLeod, id.) ; Born to
en Allemagne, Die glückliche Jahre der
(Juninatten, Per Lindberg, 1940) ; la Fa- Sing (Edward Ludwig, 1942) ; Girl Crazy
Thorwalds (W. Staudte, 1962), ne lui ont
mille Stoddard (Adam Had Four Sons, (N. Taurog, 1943) ; les Heures tendres
permis de confirmer ses possibilités.
Ratoff, 1941) ; la Proie du mort (Rage in (Two Weeks With Love, R. Rowland,
Heaven, W. S. Van Dyke, id.) ; Docteur BERKELEY (William Berkeley Enos, dit 1950) ; Call Me Mister (Bacon, 1951) ;
Jekyll et Mr. Hyde (V. Fleming, id.) ; Casa- Busby), cinéaste et chorégraphe américain Two Tickets to Broadway (James V. Kern,
blanca (M. Curtiz, 1943) ; Pour qui sonne (Los Angeles, Ca., 1895 - Palm Springs, id., id.) ; la Première Sirène (Million Dollar
le glas (S. Wood, id.) ; Hantise (G. Cukor, 1976). Mermaid, LeRoy, 1952) ; le Joyeux Pri-
1944) ; les Cloches de Sainte-Marie (Leo Fils de gens du spectacle, il devient ac- sonnier (Small Town Girl, Leslie Kardos,
McCarey, 1945) ; Swedes in America teur et metteur en scène de théâtre et 1953) ; Easy to Love (Charles Walters,
(I. Lerner, DOC, id.) ; la Maison du Dr Ed- se spécialise dans les danses. Il monte id.) ; Rose Marie (LeRoy, 1954) ; la Plus
wardes (A. Hitchcock, id.) ; l’Intrigante de des grands spectacles pour J. J. Shu- Belle Fille du monde (Billy Rose’s Jumbo,
Saratoga (S. Wood, 1945 [RÉ 1943]) ; bert et Flo Ziegfeld. Attiré à Hollywood Walters, 1962).
les Enchaînés (Hitchcock, 1946) ; Arc de par Samuel Goldwyn, il y transpose son — Réalisation : She Had to Say
triomphe (L. Milestone, 1948) ; Jeanne goût de la magnificence. Il règle et met Yes (CO George Amy, 1933) ; les Cher-
d’Arc (V. Fleming, id.) ; les Amants du en scène, imaginant décors et costumes, cheuses d’or de 1935 (Gold Diggers of

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

1935, 1935) ; Bright Lights (id.) ; I Live Films : Esa pareja feliz (1951, CO sobres, populaires, les thèmes de Berlin
For Love (id.) ; Stage Struck (1936) ; The J. A. Bardem) ; Bienvenue Mr. Mars- n’en sont pas moins variés ; écrits avec
Go-Getter, (1937) ; Hollywood Hotel (id.) ; hall (Bienvenido Mr. Marshall, 1952) ; beaucoup de délicatesse, ils s’accordent
Men Are Such Fools (1938) ; Garden of Novio a la vista (1953) ; Los gancheros au parler quotidien, mais l’allègent et
the Moon (id.) ; Caprice d’un soir (Comet (1955) ; Calabuig (Calabuch, 1956) ; Los l’aèrent.
Over Broadway, id.) ; Je suis un criminel jueves, milagro (1957) ; Plácido, (1961) ;
(They Made Me a Criminal, 1939) ; Place les Quatre Vérités (sketch : la Mort et le BERLING (Charles), acteur français (Saint-
au rythme (Babes in Arms, id.) ; Fast and Bûcheron, 1962) ; le Bourreau (El ver- Mandé 1958).
Furious (id.) ; En avant la musique (Strike dugo, 1963) ; la Boutique / Las pirañas Venu du théâtre – qu’il n’abandonnera
Up the Band, 1940) ; Forty Little Mothers (1967) ; Vivan los novios ! (1971) ; Gran- pas malgré une intense activité cinéma-
(id.) ; Blonde Inspiration (1941) ; Débuts deur nature (1973) ; la Carabine nationale tographique à partir de 1994 –, il s’affirme
à Broadway (Babes on Broadway, id.) ; (La escopeta nacional, 1977) ; Patrimoine dans un film tourné en Belgique mais peu
Pour moi et ma mie (For Me and My Girl, national (Patrimonio nacional, 1980) ; diffusé, Just Friends (Marc Henri Wajn-
1942) ; Banana Split (Gang’s All Here, Nacional III (1982) ; La vaquilla (1985) ; berg, 1993), dans Couples et amants
1943) ; Cinderella Jones (1946) ; Match Moros y cristianos (1987) ; Todos a la cár- de John Lvoff (1994) et surtout dans
d’amour (Take Me Out to the Ball Game, cel (1993) ; Paris Tombuctú (1999). Petits Arrangements avec les morts de
1949). Pascale Ferran (id.). Il touche un large
BERLEY (André Obrecht, dit André), acteur public grâce au rôle principal de Ridicule
BERLANGA (Luis García), cinéaste espa- français (Paris 1890 - id. 1936). de P. Leconte puis confirme sa finesse et
gnol (Valence 1921). Son embonpoint et sa jovialité ré- son talent dans des films généralement
Diplômé de l’Institut de cinéma de Ma- jouissent, sa force contenue effraie. En exigeants vis-à-vis des interprètes : Love,
drid, il est un des premiers, avec Bardem, 1928, il est l’un des juges de la Passion etc. (Marion Vernoux, 1996), Nettoyage
à essayer de sortir le cinéma espagnol de Jeanne d’Arc (C. Dreyer). Il part pour à sec (Anne Fontaine, 1997), Ceux qui
des ornières imposées par le franquisme. Hollywood y interpréter des versions fran- m’aiment prendront le train (P. Chéreau,
C’est en collaboration qu’ils débutent çaises parlantes : Si l’empereur savait ça 1998), l’Ennui (C. Kahn, id.), les Desti-
dans la mise en scène (Esa pareja feliz, (J. Feyder, 1930), Big House (P. Fejos,
nées sentimentales (O. Assayas, 2000),
1951). Bienvenue Mr. Marshall (1952) id.), Buster se marie (C. Autant-Lara,
la Comédie de l’innocence (R. Ruiz, id.),
révèle le penchant de Berlanga pour 1931). De retour, il tourne beaucoup pour
Les Âmes fortes (R. Ruiz, 2001).
l’humour. La naïveté de villageois, vite la Paramount de Joinville. À son actif, ses
déçus, qui attendent leur salut d’une délé- créations dans les Aventures du roi Pau- BERMAN (Pandro Samuel), producteur
gation américaine lui donne l’occasion de sole (A. Granowsky, 1933), le Martyre américain (Pittsburgh, Pa., 1905 - Beverly
brosser une série de caractères simples, de l’obèse et les Mutinés de l’Elseneur Hills, Ca., 1996).
mais justes. Il écrit plusieurs scénarios (P. Chenal, 1933 et 1936). Fils d’un dirigeant de l’Universal, il se
qui n’obtiennent pas d’autorisation de
consacre très vite à la production. Il tra-
tournage ; Los jueves, milagro (réalisé en BERLIN (Israël Isidore Baline, dit Irving),
vaille à la RKO de 1931 à 1940, puis à
1957) est bloqué pendant quatre ans par compositeur et parolier américain d’ori-
la MGM. Dans l’un et l’autre cas, il est à
la censure et modifié. Cependant, une gine russe (Temoun, Sibérie, 1888 - New
l’origine d’un très grand nombre de suc-
situation matérielle aisée lui permet de York, N. Y., 1989).
cès artistiques. Cukor, La Cava, Minnelli
choisir l’inactivité prolongée plutôt que Sa famille émigre aux États-Unis dès
ou Richard Brooks lui doivent certains de
les compromis, contrairement à Bardem. 1893. Avant la Première Guerre mon-
leurs plus beaux films. Et puis il produit
Plácido (1961) marque le début d’une diale, il soumet ses chansons à l’influence
à la RKO tous les films de Fred Astaire
fructueuse collaboration avec le scéna- de rythmes venus du ragtime (son grand
et Ginger Rogers. Il sait allier un grand
riste Rafael Azcona, auquel il reste fidèle. succès Alexander’s Ragtime Band date
sens commercial à un goût très sûr et il
L’humour se fait désormais grinçant, le de 1911). Mais ses plus grandes réus-
a la grande intelligence de laisser s’expri-
rire dissimule à peine un pessimisme sites sont des mélodies simples sur des
mer librement les créateurs qui travaillent
profond. La charité, valeur chrétienne par paroles banales. La franchise de ses
pour lui. En témoignent notamment : Syl-
excellence, s’y trouve mise au pilori. Le musiques convient particulièrement à
Bourreau (1963) est une nouvelle réus- Astaire : le Danseur du dessus (M. San- via Scarlett (G. Cukor, 1935), Pension

site, mettant face à face le vieux comé- drich, 1935 ; la chanson Cheek to Cheek), d’artistes (G. La Cava, 1937), Graine de
dien José Isbert et le jeune Italien Nino Suivez la flotte (id., 1936), Amanda (id., violence (R. Brooks, 1955), la Croisée
Manfredi, celui-ci succédant à celui-là 1938), Parade de printemps (Ch. Wal- des destins (Cukor, 1956), Doux Oiseau
dans les basses besognes, malgré son ters, 1948). Cette facilité élégante peut de jeunesse (R. Brooks, 1962).
aversion pour la violence, afin d’obtenir réunir Astaire et Crosby : L’amour chante
un logement. Grandeur nature (1973), et danse (Sandrich, 1942 ; Oscar pour la BERNARD (Armand), acteur français (Paris
1893 - id. 1968).
tourné en France, est plus obsession- chanson White Christmas) et la Mélo-
die du bonheur (S. Heisler, 1946). Dans Sa solide formation classique le fait débu-
nel, plus introspectif dans son étude de
l’onanisme, et l’auteur s’y montre moins à Noël blanc (M. Curtiz, 1954), Crosby ter au cinéma en 1917. La faveur du pu-
l’aise. Avec la Carabine nationale (1977), souligne d’ailleurs à merveille la douceur blic lui est acquise et il triomphe en 1921

il revient aux personnages multiples, à des enchaînements et le lyrisme retenu avec son interprétation de Planchet, le
la farce comme arme de critique (dans des chansons. Appelez-moi Madame valet de d’Artagnan (les Trois Mousque-
ce cas, envers la bourgeoisie et les di- (W. Lang, 1953) contient des morceaux taires d’Henri Diamant-Berger). Le suc-
gnitaires franquistes), et retrouve là son plus inventifs (You’re Just in Love) et cès va s’accroître avec le parlant, où sa
savoir-faire et sa meilleure inspiration, confirme la virtuosité avec laquelle Ber- voix grave et ses mines compassées le
ce que ne confirme pas pourtant son film lin joue avec le folklore local. En 1938 cantonnent dans un comique funèbre :
suivant, Patrimoine national. Berlanga se la Folle Parade (H. King) et en 1954 la Tumultes (R. Siodmak, 1932), Les dieux
déclare anarchiste, sans avoir toutefois Joyeuse Parade (W. Lang) composent s’amusent (R. Schünzel, 1935), Michel
d’activité politique appréciable. Il reste un véritable florilège de son oeuvre. Per- Strogoff (J. de Baroncelli, 1936), les Dis-
néanmoins attaché à la comédie, même sonnage légendaire, il apparaît dans This parus de Saint-Agil (Christian-Jaque,
lorsqu’il aborde les déchirements de la Is the Army (Curtiz, 1943) pour chanter 1938), Raphaël le Tatoué (id., 1939),
guerre civile (La vaquilla, 1985). une de ses chansons. Faciles à retenir, Souvenirs perdus (id., 1950).

131
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

BERNARD (Guy), musicien français 1915, jouant aux côtés de Sarah Bern- Marmaille (1935), qui esquive la sensible-
(Chauny 1907 - Vallauris 1979). hardt Jeanne Doré, écrit par son père. rie d’un roman d’Alfred Machard ; Mon-
L’un des plus prolifiques parmi les com- Il entre chez Gaumont, devient l’assis- sieur Coccinelle (1938), satire acide de
positeurs français de musique de film, tant de Feyder pour le Ravin sans fond la petite bourgeoisie débouchant sur une
il s’est surtout illustré, au lendemain de (1917) sur un scénario de Tristan Ber- poésie ironique ; enfin, un film méconnu,
la guerre, dans le court métrage. On lui nard. Jusqu’en 1924, il continue à travail- Tempête (1940), mélo de grand style où
doit la célèbre partition imitant le galop ler sur les comédies paternelles (le Petit se côtoient Arletty, Dalio et Stroheim.
d’un cheval de Naissance du cinéma de Café avec M. Linder, 1919). Le succès Bernard-Deschamps reste un cinéaste
Roger Leenhardt (1946). Suivront entre d’estime et de fréquentation couronne non négligeable, quoique de second plan.
autres, pour le même cinéaste : Du char- le Miracle des loups (1924). Le Joueur
bon et des hommes (1951), Victor Hugo d’échecs (1927), Tarakanova (1929) ex- BERNHARDT (Kurt [aux États-Unis : Cur-
(id.), François Mauriac (1954), Corot ploitent cette veine du drame historique. tis]), cinéaste allemand (Worms 1899 - Pa-
(1965), Monsieur Ingres (1966) et, en En 1930, Pathé-Natan l’engage et lui fait cific Palisades, Ca., 1981).
long métrage, les Dernières Vacances tourner ses oeuvres les plus populaires : Après avoir débuté dans son pays (Das
(1948). Guy Bernard a travaillé aussi Faubourg Montmartre (1931), Tartarin de letzte Fort, 1928 ; l’Énigme / la Femme
pour Georges Rouquier (le Sel de la terre, Tarascon (1934), surtout les Croix de bois que l’on désire [Die Frau nach der Mann
1950), Alain Resnais (Guernica, id.), Mar- (1932) et l’épopée hugolienne des Misé- sich sehnt, 1929], avec Marlene Dietrich ;
got Benaceraf (Reveron, 1958 ; Araya, rables (1934), composée en triptyque. la Dernière Compagnie [Die letzte Kom-
1959), Marc Allégret (Julietta, 1953), etc. Il hésite ensuite entre drames et comé- panie, 1930], le Rebelle [Der Rebel, CO :
Il est l’auteur d’un ballet : Algues. dies, entre le Coupable (1937) et J’étais L. Trenker, 1932] ; le Tunnel [Der Tunnel,
une aventurière (1938), entre Amants et vers. franç. et allem., 1933]), il tourne en
BERNARD (Paul), acteur français (Ville- Voleurs (1935) et Marthe Richard (1937). Angleterre le Vagabond bien-aimé (The
neuve-sur-Lot 1898 - Paris 1958). Peu avant la guerre, il tourne Cavalcade Beloved Vagabond, 1936) et en France
Le théâtre, abordé en 1920, lui offre des d’amour et les Otages (1939). Il inter- l’Or dans la rue (1934), Carrefour (1938),
rôles d’adolescents écrits par Bataille, rompt ses activités pendant l’Occupation Nuit de décembre (1939). À Hollywood, il
Guitry ou Deval. Sur les écrans du muet et retrouve le chemin des studios en 1946 réalise des drames extravagants comme
(les Mystères de Paris, Charles Burguet, (Un ami viendra ce soir) sans retrouver le la Voleuse (A Stolen Life, 1946) et Mé-
1922), il ne trouve guère de rôles à sa succès passé. lodie interrompue (Interrupted Melody,
mesure, non plus que dans la première 1955) ou des films noirs comme La mort
décennie du cinéma parlant. Pour un rôle BERNARD-AUBERT (Claude), cinéaste n’était pas au rendez-vous (Conflict,
remarquable (Pension Mimosas, J. Fey- français (Durtal 1930). 1945) et le Mur des ténèbres (High Wall,
der, 1935), ou un personnage plaisant Reporter cameraman en Indochine puis 1948). La Possédée (Possessed, 1947)
(Mon père avait raison, S. Guitry, 1936), il correspondant de guerre, il a mis cette et la Belle du Pacifique (Miss Sadie
doit s’acquitter de beaucoup de besognes expérience au service de plusieurs de Thompson, 1953) confirment son goût
alimentaires. 1940, l’exode, son séjour ses films, dont Patrouille de choc (1957), pour les singularités de la passion. Il di-
dans le Midi vont jouer pour lui. Grémillon début qui lui vaut des ennuis avec la cen- rige Ronald Reagan dans Million Dollar
lui confie le rôle du châtelain de Lumière sure, et plus tard Le facteur s’en va-t-en Baby (1941), Dick Powell dans Happy
d’été (1943), et il trace de cet homme au guerre (1966) et Charlie Bravo (1980), qui Go Lucky (1943), Lana Turner dans la
passé trouble et aux passions perverses se présentent comme des messages ré- Veuve joyeuse (The Merry Widow, 1952)
un portrait saisissant qui va le cantonner solument pacifistes. Il attaque par ailleurs et Stewart Granger dans Beau Brummel
dans des personnages qui ne seront pas le racisme dans les Tripes au soleil (1959) (1954). Mais son talent égale trop rare-
toujours aussi nuancés. Gangster de et Les lâches vivent d’espoir (1961), l’in- ment ses ambitions.
Voyage sans espoir (Christian-Jaque, tolérance dans les Moutons de Praxos
1943), il est aussi le traître classique dans (1962), et l’Affaire Dominici (1973), tous BERNHARDT (Henriette-Rosine Bernard,
le Bossu (J. Delannoy, 1944) et Roger la films aux intentions louables. Depuis dite Sarah), actrice française (Paris 1844 -
Honte (A. Cayatte, 1946) ou l’espion d’Un 1976, il a également réalisé de nombreux id. 1923).
ami viendra ce soir (R. Bernard, 1946). films, cette fois pornographiques, mais « Reine de l’attitude et princesse du
Il assassine dans Panique (J. Duvivier, sous le pseudonyme anagrammatique geste », la « Voix d’or », comme on
1947), Fort de la solitude (R. Vernay, de Burd Tranbaree. En 1988, il fait une l’appelle encore, a marqué une longue
1948), L’échafaud peut attendre (A. Va- rentrée timide sur les écrans avec Adieu époque par ses interprétations, ses
lentin, 1949) ; il trahit dans les Maudits je t’aime. tournées tumultueuses, son faste de
(R. Clément, 1947) et il combine de directrice, sa magnificence et ses extra-
louches activités dans Sombre Dimanche BERNARD-DESCHAMPS (Dominique Des- vagances. Par sa volonté, aussi, et par
(J. Audry, 1948) et Prélude à la gloire champs, dit), cinéaste français (Bordeaux l’amour de son art, qui lui firent surmonter
(G. Lacombe, 1950). Grémillon lui fait 1892 - Paris 1966). les disgrâces de l’âge et de la maladie. Le
rencontrer un autre châtelain inquiétant Il arrive au cinéma par la voie scientifique cinéma (elle était apparue dès 1900 dans
(Pattes blanches, 1949) après que Bres- et collabore aux travaux de Henri Chré- le Duel d’Hamlet de Clément Maurice et
son lui eut confié le rôle masculin des tien, notamment sur le procédé Hyper- avait joué en 1908 dans la Tosca, film qui
Dames du bois de Boulogne (1945) dont gonar, ancêtre du CinémaScope. Ses ne fut jamais projeté, et en 1912 dans la
il a su doser le mélange de politesse gla- débuts dans la réalisation datent de 1919 Dame aux camélias, de H. Pouctal) lui
cée, de muflerie élégante et d’amour pas- (la Nuit du 11 septembre). Deux ans plus est redevable d’avoir incité Zukor à pro-
sionné. La maladie l’oblige à restreindre tard, avec les mêmes acteurs, Séverin duire le film la Reine Élisabeth (Queen
son activité ; on le voit une dernière fois Mars et Gaby Morlay, il tourne l’Agonie Elizabeth, L. Mercanton, 1912), tourné à
en lord anglais sadique dans Rue des des Aigles. Les deux films (le premier Londres. Le producteur américain avait
Bouches peintes (R. Vernay, 1955). ayant été retenu par la censure) sortiront compris qu’en se réclamant d’un nom
sur les écrans en 1922. Peu abondantes mondialement connu il pouvait lancer le
BERNARD (Raymond), cinéaste français mais variées, ses oeuvres parlantes ont film de long métrage et conquérir le mar-
(Paris 1891 - id. 1977). un tour original : le Rosier de Mme Hus- ché américain. Spéculation heureuse. En
Fils de l’écrivain Tristan Bernard, il dé- son (1932), où les personnages de Mau- 1913, Sarah Bernhardt tourne Adrienne
bute dans le spectacle comme acteur en passant sont traités en marionnettes ; la Lecouvreur (L. Mercanton et H. Desfon-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

taines), en 1915 Jeanne Doré (id.), en tival de Venise et un Oscar à Hollywood) BERROYER (Jacky), scénariste et acteur
1917 Mères françaises (id.), et c’est pen- furent plus convaincants. Son premier français (Reims 1946).
dant la réalisation de la Voyante (Léon long métrage, le Vieil Homme et l’Enfant Journaliste, romancier, il écrit le scénario
Abrams, 1923) qu’elle meurt sans avoir (en 1967, avec Michel Simon), rencontre très original des Arcandiers, en collabora-
pu terminer son rôle. un très grand succès commercial et cri- tion avec le réalisateur (Manuel Sanchez,
tique. Suivirent d’autres films à caractère 1991), puis collabore à Lune froide, de
BERNSTEIN (Elmer), musicien américain Patrick Bouchitey (1991) et à les Gens
semi-autobiographique (comme le pre-
(New York, N. Y., 1922). normaux n’ont rien d’exceptionnel de
mier) mais d’ambition plus limitée, qu’il
Il reste l’un des compositeurs les plus Laurence Ferreira Barbosa (1993), qui
interpréta souvent lui-même : Mazel Tov
remarquables de Hollywood. Il a fait lui permet de créer un premier person-
ou le Mariage (1968), le Pistonné (1970),
ses études à la Juilliard School, puis à nage décisif au cinéma. Son allure gé-
le Cinéma de papa (id.), Sex-Shop
l’université de New York. Encouragé par nérale, son élocution non travaillée, son
Aaron Copland, il donne des récitals, tra- (1972), le Mâle du siècle (1975). Il réalise
air naïf et faussement naïf – on ne sait
vaille pour Glenn Miller pendant son ser- ensuite la Première Fois (1976), Un mo- pas toujours – intéressent de nombreux
vice militaire puis pour Norman Corwin à ment d’égarement (1977), Je vous aime cinéastes pour des rôles de comparses,
la radio (NBC). À Hollywood, où il est actif (1980), le Maître d’école (1981), et Tchao comme Chabrol dans Rien ne va plus
dès 1951, il introduit des orchestrations Pantin (1983, avec Coluche). Changeant (1997). Bonitzer lui confie le rôle principal
plus légères et plus modernes. Deux par- de registre et de budget, il tourne Jean d’Encore (1996), où il excelle, de même
titions l’imposent, pour les Dix Comman- de Florette (1986) et Manon des sources que dans Je ne vois pas ce qu’on me
dements de Cecil B. De Mille (1956) et (id.) d’après l’oeuvre de Marcel Pagnol trouve (Christian Vincent, 1997) sur un
surtout pour l’Homme au bras d’or d’Otto qui obtiennent un très large succès public scénario de sa plume. Il a aussi adapté
Preminger (1955), film qui utilise le jazz un de ses romans pour Tempête dans un
tout comme Uranus (1991), adaptation
de façon dramatique probablement pour verre d’eau, tourné en partie aux États-
du roman de Marcel Aymé, Germinal
la première fois à l’écran. Outre de grands Unis, mais réalisé avec moins de réussite
(1993), d’après l’oeuvre d’Émile Zola ou
succès populaires comme ses mélodies par Arnold Backus.
Lucie Aubrac (1997), qui sont un peu les
pour les Sept Mercenaires (J. Sturges,
films symptomatiques, dans leur genèse,
1960) et Cent Dollars pour un shérif BERRY (John [Jack]), cinéaste américain
leur promotion et leur succès public, des
(H. Hathaway, 1969), il faut noter son (New York, N. Y., 1917 - Paris, France,
efforts faits par le cinéma français pour
travail exemplaire pour Robert Mulligan 1999).
(Du silence et des ombres, 1962 ; Une reconquérir le marché : gros budget, ac- Acteur depuis l’enfance, engagé au Mer-
certaine rencontre, 1963 ; le Sillage de la teurs (voire chanteurs) populaires, réfé- cury Theater, assistant de Billy Wilder
violence, 1965) et John Frankenheimer rences socio-historiques, emprunts à la pour Assurance sur la mort (1944), il
(le Prisonnier d’Alcatraz, 1962 ; Les para- grande littérature. Comme producteur ou dirige à partir de 1946 des films inégaux
chutistes arrivent, 1969). Toujours très coproducteur, on lui doit notamment Tess mais où peu à peu s’affirme un talent,
actif, il a beaucoup oeuvré depuis 1970 (1979), de Roman Polanski, l’Ours (1988) comme le prouvent Casbah (id., 1948) et
pour faire connaître le patrimoine musical et l’Amant (1992) de Jean-Jacques An- surtout Menaces dans la nuit (He Ran All
hollywoodien. Après une relative retraite naud (d’après le roman de Marguerite the Way, 1951). Porté sur la « liste noire »
consacrée à l’enseignement et à la re- Duras), l’Homme blessé (où il est éga- en 1950, il réalise le documentaire The
cherche, il revient, inchangé, avec des Hollywood Ten destiné à soutenir les Dix
lement acteur, 1983) et la Reine Margot
réussites remarquables, toujours proches d’Hollywood, puis s’exile en France, où
(1994) de Patrice Chéreau, Gazon mau-
du jazz, jouant tantôt sur les rythmes syn- il réalise plusieurs films commerciaux
dit (1995) de Josiane Balasko. En 2001 il
copés (les Arnaqueurs, S. Frears, 1990), (le meilleur étant ça va barder, en 1955,
produit le Vicaire de Costa-Gavras.
tantôt sur des mélodies plus « bluesy » avec Eddie Constantine), et à Londres,
(Mad Dog and Glory, J. Mc Naughton, où il monte des spectacles de théâtre.
BERRIAU (Simone Bossis, dite Simone),
1993). Après quelques tentatives infructueuses
actrice française de théâtre et de cinéma
(À tout casser, FR, 1968), il fait sa vraie
et productrice (Touques 1896 - Paris 1984).
BERNSTEIN (Leonard), musicien américain rentrée à l’écran aux États-Unis avec un
L’une des reines de Paris dans les an-
(Lawrence, Mass., 1918 - New York, N. Y., film sensible et élégant, entièrement joué
nées 30, cette amie de Colette et de
1990). par des Noirs : Claudine (1974). Il signe
Plus connu comme chef d’orchestre (il fut Cécile Sorel est la maîtresse en titre du ensuite deux autres films : Thieves (1977)
à la tête du New York Philharmonic de pacha de Marrakech, puis l’épouse (suc- et The Bad News Bears Go to Japan
1957 à 1970) et comme compositeur de cessivement) du colonel Berriau et du (1978) puis réalise en France Voyage à
symphonies, de ballets et d’une messe, Dr Schröder, enfin la compagne du dra- Paimpol (1985) et Il y a maldonne (1988).
Leonard Bernstein a néanmoins écrit maturge boulevardier et cinéaste Yves A Captive in the Land (1991) aborde le
deux comédies musicales pour Broad- Mirande. Elle débute à l’Opéra-Comique problème de la communicabilité entre
way, On the Town (1944) et West Side dans Pelléas et Mélisande. Elle est aussi deux hommes que tout sépare (langue,
Story (1957), qui furent adaptées à Hol- la directrice du théâtre Antoine depuis culture, idéologie) et qui sont contraints
lywood respectivement en 1949 et 1961 1943 et l’interprète d’une quinzaine de de lutter ensemble pour survivre.
et devinrent des classiques du genre. Sa films, sous la direction de Claude Autant-
seule partition pour l’écran fut pour Sur BERRY (Jules Paufichet, dit Jules), acteur
Lara (Ciboulette, 1933), Jean Benoît-
les quais (1954). français (Poitiers 1883 - Paris 1951).
Lévy (Itto, 1935, CO Marie Epstein), Yves
Il débute très jeune au théâtre à Paris
Mirande (À nous deux madame la vie,
BERRI (Claude Langman, dit Claude), (Antoine, Ambigu, Mathurins, Nouveau-
1937 ; Café de Paris, 1938, CO G. La-
cinéaste, acteur et producteur français tés) puis à Bruxelles (Galeries Saint-Hu-
combe) et surtout Max Ophuls (Divine,
(Paris 1934). bert), où il reste douze ans, acquérant sur
Ses quelques petits rôles au cinéma et à 1935, et la Tendre Ennemie, 1936, ses la scène, essentiellement dans un réper-
la télévision n’avaient pas beaucoup fait deux meilleurs rôles). Elle a été égale- toire boulevardier, l’extraordinaire métier
parler de lui. Ses débuts comme réali- ment la coproductrice et la directrice artis- qui lui vaudra de tourner près d’une cen-
sateur (son court métrage le Poulet, en tique des Mains sales (Fernand Rivers, taine de films en vingt ans. Son premier
1963, lui apporta une distinction au fes- 1951). contact avec le cinéma, en 1911, dans

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

le Cromwell d’Henri Desfontaines, s’était qu’à l’écran. Il était vraiment une bête Grand Soir, 1976), Daniel Schmid (Cette
avéré décevant parce que le muet ne lui de théâtre et la comédie légère lui doit nuit ou jamais, 1972 ; la Paloma, 1974 ;
permettait pas de s’exprimer entièrement, beaucoup, mais il a su prouver aussi qu’il les Ombres des anges, 1975 ; Violanta,
et ce n’est qu’en 1928 qu’il fera ses véri- était capable, quand des rôles prestigieux 1977 ; Hécate, 1982 ; le Baiser de Tosca,
tables débuts dans un petit rôle de l’Ar- lui étaient offerts, de transcender en lui- 1984 ; Jenatsch, 1987), Thomas Koerfer
gent, pourtant encore muet, de L’Herbier. même le boulevardier impénitent pour (le Directeur du cirque de puces, 1974),
Il est aussitôt absorbé par la production créer des figures exceptionnelles par leur mais aussi de Jean-Marie Straub (Othon,
sonore et tourne chaque année plusieurs séduction ambiguë et leur insolence hau- 1969 ; Leçons d’histoire, 1972 ; Fortini
films en poursuivant de front une intense taine. Cani, 1977), Jean-Luc Godard (Sauve
activité théâtrale. Parmi ses premiers qui peut, la vie, 1980), Patrice Chéreau
films, on peut citer, à titre indicatif, Mon BERRY (Richard), acteur français (Paris (l’Homme blessé, 1983), Éric Rohmer
coeur et ses millions (A. Berthomieu, 1950). (les Nuits de la pleine lune, 1984), André
1931), Arlette et ses papas (Henry Rous- De 1972 à 1980, il est pensionnaire à la Téchiné (Rendez-vous, 1985), Jacques
sell, 1934), Jeunes Filles à marier (Jean Comédie-Française. Après des débuts Rivette (Hurlevent, id.), A. Téchiné (les
Vallée, 1935), Et moi j’te dis qu’elle t’a à l’écran dans la Gifle (1974) de Claude Innocents, id.), Louis Malle (Au revoir les
fait d’l’oeil (Jack Forrester, id.). Il s’impose Pinoteau, sa silhouette s’étoffe (Mon pre- enfants, id., et Milou en mai, 1990).
rapidement grâce à son abattage et à son mier amour, Elie Chouraqui, 1978 ; Un
dynamisme, à son extraordinaire pré- assassin qui passe, Michel Vianey, 1981 ; BERTHEAU (Julien), acteur français (Alger,
sence faite d’aplomb imperturbable, d’in- l’Homme fragile, Claire Clouzot, id. ; le 1910 - 1995).
solence souveraine et d’ironie ravageuse, Crime d’amour, G. Gilles, 1982). Jacques Comme bien des comédiens de sa géné-
grâce aussi à son verbe intarissable et à Demy lui donne le rôle d’un prolétaire ration, il a toujours accordé la priorité au
son célèbre jeu de mains. dans son film chanté Une chambre en théâtre (dans le cadre de la Comédie-
ville (1982). La même année, il remporte Française, en particulier) plutôt qu’au
Tout cela rend inoubliable, dans le
un succès populaire dans la Balance de cinéma. Il apparaît à l’écran dans le col-
Crime de M. Lange (J. Renoir, 1936), le
Bob Swaim et obtient le rôle principal du lectif du film militant de Renoir La vie est
personnage de Batala, patron imprimeur
Jeune Marié de Bernard Stora (1983) à nous, puis dans plusieurs films des an-
escroc qui mène en bateau un naïf écri-
et de la Trace de Bernard Favre. On nées de guerre, dont Un seul amour réa-
vain (René Lefèvre), usant d’une psycho-
le voit ensuite dans le Grand Carnaval lisé par Pierre Blanchar. Le premier grand
logie à la fois révoltante, désarmante et...
(Alexandre Arcady, id.), l’Addition (Denis rôle qu’on lui confie, celui de Raboliot
séduisante ! Après cette première grande
Amar, 1984), la Garce (Christine Pascal, (Jacques Daroy), est sans lendemain et
prestation, le comédien revient à ses
id.), Urgence (Gilles Béhat, 1985), Spé- il semble pratiquement condamné à des
rôles habituels de bourreau des coeurs ou
cial Police (Michel Vianey, id.), Lune de personnages de policiers, de juges et de
de filou sympathique dans de nombreux
miel (Patrick Jamain, id.), l’Union sacrée notables. Il a curieusement incarné deux
films commerciaux dont on ne peut guère
(A. Arcady, 1989), Migrations (A. Petrovi, fois à l’écran Napoléon, dans le Comte de
sauver que Rigolboche (Christian-Jaque,
1989 [1994]), Pour Sacha (id., 1991), Le Monte-Cristo (R. Vernay, 1955) et dans
1936), le Mort en fuite (A. Berthomieu,
Petit Prince a dit (Ch. Pascal 1992), Un Madame Sans-Gêne (Christian-Jaque,
id.), l’Habit vert (R. Richebé, 1937), le
grand cri d’amour (J. Balasko, 1998). 1961). C’est sans doute Buñuel qui, tout
Voleur de femmes (A. Gance, 1938).
en exploitant parfois cette image acquise
Et puis viennent deux grands titres de
BERT (Camille Bertrand, dit Camille), ac- à l’écran, a obtenu de lui ses interven-
Carné qui suffiraient à assurer sa place
teur français (Orléans 1880 - Paris 1970). tions les plus marquantes : le commis-
dans l’histoire du cinéma : Le jour se lève
Il débute en 1909 et interprète de très saire de Cela s’appelle l’aurore, l’évêque
(1939) et les Visiteurs du soir (1942).
nombreuses bandes chez Gaumont du Charme discret de la bourgeoisie, le
Dans ces personnages (le sadique dres- avant 1914. Henri Pouctal utilise son jeu préfet du Fantôme de la liberté, le juge
seur de chiens et le Diable venu sur la sobre et sa physionomie énergique pour de Cet obscur objet du désir – auquel il
Terre), il révèle l’ampleur et la maîtrise Travail (1919). Jean Choux lui confie un faut ajouter l’étonnant maître d’hôtel de
de son talent : la crapulerie la plus cy- rôle important dans la Vocation d’André la Voie lactée.
nique dans le premier film (ainsi dans la Carrel (1925). Il joue ensuite des traîtres :
scène où il essaie d’attendrir Gabin en le Joueur d’échecs (R. Bernard, 1927), BERTHOMIEU (André), cinéaste français
s’inventant une paternité mensongère à des financiers : David Golder (J. Duvivier, (Rouen 1903 - Vineuil-Saint-Firmin 1960).
l’égard de la jeune fille que son interlo- 1931), des médecins généreux : les Deux Il aborde la mise en scène en 1928 avec
cuteur courtise) mais également le côté
Orphelines (M. Tourneur, 1933), des mili- Pas si bête, dont il est également le scé-
grand seigneur dans le second film (sa
taires : le Grand Jeu (J. Feyder, 1934), nariste. Son oeuvre abondante (plus de
soudaine apparition, dans un somptueux
des aristocrates : les Bas-Fonds (J. Re- 60 films) touche à tous les genres. Il dirige
costume médiéval, au milieu de l’orage). noir, 1937) ou, pourquoi pas ?, un vieil de grands acteurs (Michel Simon, Jules
Dans ces deux oeuvres, le saltimbanque Alsacien dans Paix sur le Rhin (J. Choux, Berry, Fernandel, Bourvil) dans des films
cède la place à un comédien grandiose, 1938). commerciaux généralement peu inspirés.
le baratineur intarissable devient l’inter- Quelques comédies, tournées au début
prète inspiré des remarquables textes de BERTA (Renato), chef opérateur suisse de sa carrière, échappent pourtant à la
Prévert. (Bellinzona 1945). médiocrité, comme le Mort en fuite (1936)
Malheureusement, après ces som- Il étudie au Centro sperimentale de et surtout Mon ami Victor (1931), avec
mets, il va retomber dans la production Rome, puis travaille à la télévision suisse Pierre Brasseur et René Lefèvre, film in-
la plus banale, à quelques exceptions italienne. À partir de 1968, il devient classable qui préfigure l’âpreté du cinéma
près : la Symphonie fantastique (Chris- le collaborateur attitré des principaux français des années 40.
tian-Jaque, 1942), Marie-Martine (Albert représentants du « nouveau cinéma »
Valentin, 1943), le Voyageur de la Tous- suisse : Alain Tanner (Charles mort ou BERTIN (Pierre Dupont, dit), acteur fran-
saint (L. Daquin, id.). Quasiment jusqu’à vif, 1969 ; la Salamandre, 1971 ; le Mi- çais (Lille 1891 - Paris 1984).
son dernier souffle, il dilapidera ainsi son lieu du monde, 1974 ; Messidor, 1978), Il abandonne la médecine pour le théâtre,
talent avec l’évident plaisir de se donner Claude Goretta (Pas si méchant que ça, qui l’occupera sa vie durant. Le cinéma lui
en représentation, poussant le caboti- 1975), Michel Soutter (Repérages, 1977), confie quelques rôles intéressants dans
nage jusqu’au grand art, tant à la scène Francis Reusser (Vive la mort, 1969 ; le les années 1930, dans la Petite Choco-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

latière (Marc Allégret) ou Faisons un rêve tant en 1976, âgée de 84 ans, dans 1900 et à Alberto Moravia (le Conformiste,
(Sacha Guitry). Sa vocation sera celle de Bertolucci. 1971) le sujet de ses films suivants, Ber-
des comparses absents du devant de l’af- tolucci les amplifie et les décale jusqu’à
fiche mais immédiatement reconnus du BERTO (Juliet), actrice française (Grenoble rendre visuellement sensible, par la seule
public ; sa diction et ses mimiques un peu 1947 - Paris 1990). mise en scène, la recherche d’identité qui
forcées et son goût pour les personnages Elle débute très jeune au théâtre, puis meut ses héros : décors pris comme des
originaux l’orientent vers les composi- se consacre au cinéma (une quaran- coulisses mobiles, topographie qui trans-
tions de maladroits, ridicules, pompeux. taine de films depuis 1966), en particulier forme en lieux imaginaires aussi bien le
Ses admirateurs se souviennent notam- avec Jean-Luc Godard, qui la découvre Paris du milieu des années 30 qu’une pe-
ment de sa prestation dans Mademoiselle et l’impose dans Deux ou Trois Choses tite bourgade paysanne de l’Émilie. Dans
que je sais d’elle (1967), la Chinoise (id.) la Stratégie de l’araignée, en particulier,
Béatrice de Max de Vaucorbeil (1943),
du sous-préfet du Corbeau de Clouzot et Week-end (id.). Dès lors, elle marque Bertolucci réussit pleinement la fusion
de nombreux films de sa spontanéité, d’une personnalité en équilibre instable.
(1943), ou de l’instituteur de Knock de
de son tempérament de révoltée, de son Le succès de scandale du Dernier Tango
Guy Lefranc (1951). Dans sa filmogra-
humour sans complexes. Elle épanouit sa à Paris (1972 ; avec Marlon Brando et
phie figurent aussi Orphée de Cocteau,
personnalité avec Jacques Rivette dans
le Diable boiteux de Guitry, et une sur- Maria Schneider) fait oublier que ce beau
Out one (1974 [RÉ 1971]) et Céline et film, centré sur deux interprètes omni-
prenante apparition avec Chabrol dans
Julie vont en bateau (1974), mais aussi
les Bonnes Femmes. Comme Madeleine présents, est lié aux films antérieurs et
avec Alain Tanner (le Milieu du monde, comporte même à leur égard une légère
Renaud, avec qui il fut marié quelques
1974), Joseph Losey (Monsieur Klein,
années, il a toujours privilégié sa carrière ironie (le personnage de Léaud). Ce suc-
1976). Elle a aussi tourné avec Glauber
théâtrale au détriment du cinéma. cès ouvre à Bertolucci la possibilité d’une
Rocha (Claro, 1975) avant de réaliser superproduction : 1900. Avec un courage
BERTINI (Elena Seracini Vitiello, dite Fran- avec Jean-Henri Roger Neige (1981) et dans la provocation qui n’est pas si fré-
Cap Canaille (1983). En 1986, elle signe
cesca), actrice italienne (Florence 1892 - quent, il entreprend de narrer sa vision
Havre et apparaît dans Un amour à Paris
Rome 1985). personnelle de l’histoire du communisme
(M. Allouache, 1988 RÉ 1986).
Autour de Francesca Bertini se développa italien et de la société rurale entre 1900
le phénomène des divas qui caractérise et la Libération. Malgré un long travail de
BERTOLUCCI (Bernardo), cinéaste italien
le cinéma italien pendant les années 10. préparation (deux ans), une interprétation
(Parme 1941).
De toutes les actrices du temps, Fran- all stars (avec Burt Lancaster en hom-
Fils du poète et critique Attilio Bertolucci,
cesca Bertini est la plus célèbre, la plus mage accentué au Guépard de Visconti)
poète lui-même dès son adolescence, il
adulée : ses quelque 90 films réalisés et la splendeur de la réalisation, ce film
s’intéresse très tôt au cinéma amateur.
pour l’essentiel entre 1909 et 1921 (après spécifiquement bertoluccien par ses fan-
Étudiant à l’université de Rome, il ren-
cette date, elle n’apparaît plus que très tasmes et aussi par son formalisme subit
contre Pasolini, qui lui offre d’être son
rarement à l’écran) lui valent une répu- un retentissant échec commercial, et ce
assistant sur Accatone (1961). L’année
tation internationale et des cachets miro- d’autant qu’il est saboté aux États-Unis.
suivante, il dirige son premier film, La
bolants : le producteur Barattolo, pour qui Depuis lors, La luna et, à un moindre
commare secca (c’est-à-dire la Mort),
elle travaille, crée même pour elle la Ber- degré, la Tragédie d’un homme ridicule
sur un scénario qu’il a écrit avec Pasolini
tini Film en 1918. Ayant débuté dans des sont venues apporter la preuve que cet
mais que celui-ci n’a pu tourner. Aussi le
rôles secondaires au théâtre à Naples, « enfant prodige » du cinéma italien savait
vrai début de Bertolucci est-il Prima della
elle est remarquée par un cinéaste de élargir sa palette d’auteur. Le cinéaste se
rivoluzione (1964). Bien qu’encombrée
Pathé Italia. Venue à Rome, elle est lance ensuite dans des superproductions
de rhétorique et nourrie d’influences
engagée par la société Film d’art italien- tournées aux quatre coins de la planète
disparates, cette oeuvre met pour la
Pathé, elle passe ensuite à la Cines, à la qui lui valent une grande réputation inter-
première fois l’accent sur le dilemme
Celio (Baldassarre Negroni impose défi- nationale. Le Dernier Empereur (1987,
de l’intellectuel italien, à la fois commu-
nitivement la jeune actrice dans des films Oscar du meilleur film à Hollywood)
niste et pétri de culture, révolutionnaire
comme Idillio tragico, La maestrina, La raconte la vie mouvementée de Pu Yi,
et conservateur. Avec une force éton-
madre, La bufera), puis à la Caesar Film dernier occupant de la Cité interdite de
nante, Bertolucci y pose des principes
de Barattolo en 1915. Elle tourne alors le Pékin. Un thé au Sahara (1990), d’après
qu’il n’abandonnera plus, même s’il les
célèbre Assunta Spina (G. Serena, 1915). le roman de Paul Bowles, suit l’itinéraire
retouche ensuite : certes, principes tout
Parmi ses très nombreux films, on peut d’un couple d’Américains fascinés par la
instinctifs (le film est aussi le début d’une
citer La signora dalle camelie (G. Serena, autoanalyse qui prendra peut-être fin solitude du désert africain et qui finissent
1915), Odette (G. De Liguoro, 1916), avec La luna), mais qui doivent beaucoup par y trouver l’un la mort, l’autre l’amour.
La donna nuda (R. L. Roberti, 1918), la à la cinéphilie. D’où la prédominance Little Buddha (1993) évoque, des États-
Serpe (id., 1919), Amore di donna (id., des plans longs et surtout l’apologie de Unis au Tibet, la réincarnation du Buddha
1920). En 1930, elle est sous la direction la lumière, qui agit dans le film comme dans le corps d’un enfant de Seattle. Un
de Marcel L’Herbier la Femme d’une nuit. un élément unificateur du récit (de type peu de la profonde originalité du cinéaste
Aussi à l’aise dans les rôles de vamp que littéraire). D’où, aussi, la mise en scène, se perd dans ces films à gros budget.
dans les personnages populaires, Fran- dont Bertolucci se montre d’emblée l’un Aussi, sans doute soucieux de revenir à
cesca Bertini a marqué profondément la des maîtres, avec référence explicite à des oeuvres plus personnelles, Bertolucci
cinématographie italienne ; sa place est l’opéra, surtout à Verdi. Prima est salué se réenracine en Italie avec Beauté volée
d’autant plus éminente que l’on sait main- avec enthousiasme par une poignée de (1996), un hymne à la féminité naissante
tenant qu’elle participait étroitement à la critiques, tant à Cannes qu’à Venise. réalisé dans la campagne toscane, et
réalisation des films qu’elle interprétait. On peut passer sur Partner (1968), que avec Shandurai (1998), une étrange his-
Devenue comtesse Cartier, elle aban- Bertolucci regarde lui-même comme une toire d’amour entre un pianiste anglais et
donne le cinéma très tôt. Lorsque Vis- erreur due à un excès d’introspection, une domestique africaine dans un somp-
conti la sollicite pour un come-back dans sans recul par rapport aux particula- tueux appartement romain de la place
le rôle de la mère, dans Sandra (1965), rismes d’une époque (alors que Prima les d’Espagne.
l’ancienne diva demande l’impossible : transcendait). Demandant à Jorge Luis Films : La commare secca (1962) ;
cent millions de lires... On la reverra pour- Borges (la Stratégie de l’araignée, 1970) Prima della rivoluzione (1964) ; La via del

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

petrolio (DOC en 3 épisodes, TV, 1966) ; Il gile, tourné dans le Sud algérien à par- dans beaucoup de ses films : La ricotta
canale (CM DOC, 1966) ; Partner (1968) ; tir d’une étude ethnographique de Jean (1963), OEdipe roi (1967), Théorème
Agonie (Agonia : 2e sketch du film collectif Duvignaud, allie la rigueur dénonciatrice (1968), où elle joue le rôle de la servante
la Contestation [Amore e rabbia], 1969) ; à une poésie solaire, rare dans le cinéma miraculée, les Contes de Canterbury
la Stratégie de l’araignée (La strategia del français. Son oeuvre évolue ensuite vers (1972). Elle lui dédie un livre et lui voue
ragno, 1970) ; le Conformiste (Il confor- un cinéma moins personnel : Paulina un culte après sa mort. Sa personnalité
mista, 1971) ; La salute è malata / I poveri 1880 (1972), On s’est trompé d’histoire impérieuse et sa voix tragique s’imposent
muoiono prima (DOC, 1971) ; le Dernier d’amour (id.), Docteur Françoise Gailland dans une série de personnages forts :
Tango à Paris (Ultimo tango a Parigi, FR- (1976), l’Imprécateur (1977), Interdit aux Reazione a catena (M. Bava, 1971), la
IT, 1972) ; 1900 (Novecento, 1976) ; La moins de 13 ans (1982), Aujourd’hui, Grande Bourgeoise (M. Bolognini, 1974),
luna (id., 1979) ; la Tragédie d’un homme peut-être (1991). Allonsanfan (P. et V. Taviani, id.), la
ridicule (La tragedia di un uomo ridicolo, Mouette (M. Bellocchio, 1977) ; ces per-
1981) ; le Dernier Empereur (The Last BESSON (Luc), cinéaste et producteur sonnages culminent avec la femme sa-
Emperor/L’Ultimo Imperatore, 1987) ; français (Paris 1959). dique et fasciste de 1900 (B. Bertolucci,
Un thé au Sahara (The Sheltering Sky, Jeune stagiaire en mise en scène et 1976). Son activité d’actrice et d’écrivain
1990) ; Little Buddha (id., 1993) ; Beauté régie, il rencontre l’acteur Pierre Jolivet pour le théâtre et la radio (une pièce sur
volée (Stealing Beauty, 1996) ; Shandurai avec lequel il écrit et produit le Dernier Mae West), sa production journalistique
(L’assedio/Besieged, 1998). Combat (1981), fable de science-fiction et polémique deviennent de plus en
post-apocalyptique, film-gageure en plus prééminentes par rapport à de trop
BERTOLUCCI (Giuseppe), cinéaste italien scope noir et blanc, sans dialogue, au rares apparitions cinématographiques :
(Parme 1947). budget très réduit, mais dont l’efficacité Un papillon sur l’épaule (J. Deray, 1978),
D’abord assistant et scénariste de son et l’imagination emportent l’adhésion. Noyade interdite (P. Granier-Deferre,
frère aîné Bernardo, Giuseppe Bertolucci En 1985, la Gaumont lui confie de gros 1987), Jenatsch (D. Schmid, id.), Jane
tourne son premier film sur le plateau de moyens et des stars (Isabelle Adjani et B. par Agnès V. (A. Varda, 1988, Dames
ABCinema (1975). Il réalise ensuite Ber- Christophe Lambert, qui obtiendra le galantes (J.-C. Tachella, 1990), la Ribelle
linguer ti voglio bene (1977), film dans César du meilleur acteur) pour une su- (Aurelio Grimaldi, 1993), Con gli occhi
lequel il révèle Roberto Benigni, Une perproduction, sur un scénario de Jolivet, chiusi (F. Archibugi, 1994), Un eroe bor-
femme italienne (Oggetti smarriti, 1979), Subway, chronique de la vie de margi- ghese (M. Placido, 1995), À ma soeur !
Panni sporchi (1980), Effetti personali naux peuplant le monde souterrain du (Catherine Breillat, 2001).
(1983), Segreti segreti (1985), Tutto métro. Le film, hésitant entre réalisme et
Benigni (1986), Strana la vita (1987), I onirisme, à la limite du clip, remporte un BETTY BOOP.
cammelli (1988), Amori in corso (1989), succès public mais déçoit les admirateurs Héroïne de dessins animés créée en
le Dimanche de préférence (la Domenica de la première heure. En 1986, il coécrit 1932 par Max et Dave Fleischer pour le
specialmente, co Ricky Tognazzi, G. Tor- et produit Kamikaze, réalisé par Didier tout premier talkartoons de la Paramount,
natore, Francesco Barilli, Marco Tullio Grousset. Deux ans plus tard, Besson, à l’aube du parlant, elle fut pendant la Dé-
Giordana, 1990), Una vita in gioco (1992), en réalisant le Grand Bleu, provoque à pression la star incontestée de l’animation
Troppo sole (1994). Il signe ensuite Il la fois les réticences d’une partie de la avec Popeye. Née avec Koko le Clown et
pratone del casilino (1996), Ferdinando critique et déchaîne l’enthousiasme d’un le chien Bimbo, elle symbolisait la flapper
(1998, téléfilm), puis Il dolce rumore della public adolescent qui fait de ce poème à poitrine plate, mêlant sarcastiquement
vita (1999), l’histoire d’une jeune femme sur l’ivresse des profondeurs marines Louise Brooks, Clara Bow, Ruby Keeler
qui recueille un nouveau-né abandonné une sorte de film-culte des années 80. Il et Joan Crawford. On lui prêta, parodiée
et fait croire qu’il s’agit de son propre réalise en 1990 Nikita, en 1991 Atlantis, par Mae Questel, la voix de Helen Kane,
fils, et L’amore probabilmente (2001), le en 1994 Léon, en 1997 le Cinquième Élé- la boop a doop girl. Mimétique, elle chan-
voyage initiatique d’une jeune actrice de ment et en 1999, il amorce une évolution tait avec Cab Calloway et Louis Arms-
vingt ans à la découverte de l’amour. avec Jeanne d’Arc alors même que les trong, dansait le hulé, imitait Mae West
films qu’il produit visent toujours un public et Maurice Chevalier. Mais cette créature
BERTRAND (Paul), décorateur français jeune et populaire : Taxi (G. Pirès, 1998), suggestive et érotique, qui se mêlait aux
(Chalon-sur-Saône 1915 - Saint-Tropez Taxi 2 (G. Krawczyck, 2000), Yamakasi bébés, aux grandpapas lubriques et aux
1994). (Julien Séri et Ariel Zeitoun, 2001). petits chiens, scandalisait l’Amérique du
Après des débuts dans la publicité, il Hays Office. Après avoir été modifiée,
devient assistant d’Alexandre Trauner BEST SUPPORTING ACTOR (ACTRESS). banalisée, elle fut finalement censurée en
et signe ses premiers décors pour Marc Meilleur(e) acteur (actrice) de second 1935 et les frères Fleischer s’en tinrent
Allégret : Félicie Nanteuil (1945 [RÉ plan. Cette dénomination est notamment à Popeye.
1942]), l’Arlésienne (1942), les Petites employée lors du palmarès des Oscars
du quai aux Fleurs (1944). Son sens aigu d’Hollywood pour désigner le comédien BEUCHOT (Pierre), cinéaste français (Les
de la reconstitution réaliste incite Louis ou la comédienne qui dans un film ne Pavillons-sous-Bois 1938).
Daquin à faire appel à lui pour les Frères figurent pas en tête de la distribution mais Il débute dans le cinéma en 1964 en
Bouquinquant (1947) et le Point du jour se sont fait remarquer par l’éclat de leur tant qu’assistant réalisateur. Il collabore
(1949). Pour René Clément, ce sont les performance dans un rôle secondaire ou ainsi à une vingtaine de films auprès de
Maudits (1947), Jeux interdits (1952), de composition. cinéastes tels que Jean-Daniel Pollet,
Gervaise (1956) et Plein Soleil (1960). Il Georges Rouquier, Jean-Paul Rappe-
a également collaboré à plusieurs films BETAMAX MAGNÉTOSCOPE neau, André Téchiné, Alexandre Astruc,
d’Alexandre Astruc et de Marcel Carné. etc. Parallèlement, il s’essaye à la réali-
BETTI (Laura Trombetti, dite Laura), actrice sation dès 1968, avec Paul Nizan, le prix
BERTUCELLI (Jean-Louis), cinéaste fran- et chanteuse italienne (Bologne 1934). d’une révolte : bien que commandité par
çais (Paris 1942). Elle s’affirme à la fin des années 50 dans l’ORTF, ce film ne sera jamais diffusé et
De formation scientifique et musicale, le cabaret intellectuel. Fellini la découvre reste inédit à ce jour. Sa carrière de réa-
ingénieur du son, il travaille pour la télévi- dans la faune romaine snob qu’il porte à lisateur s’inscrit avant tout dans le genre
sion et réalise des courts métrages entre l’écran dans La dolce vita (1960). Amie documentaire. Son oeuvre se caractérise
1964 et 1969. En 1970, Remparts d’ar- et collaboratrice de Pasolini, elle apparaît par une forte empreinte littéraire, laquelle

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

se traduit tout d’abord par la réalisa- la Dame de Malacca de Marc Allégret BEZZERIDES (Albert Isaac, dit A. I.), scé-
tion de différents portraits d’hommes de (1937), Les miracles n’ont lieu qu’une fois nariste et romancier américain d’origine
lettres : Stig Dagerman (1989), Robert de Yves Allégret (1951), même s’il y fait arménienne (1908).
Walser (1997), Léopold Sédar Senghor, également preuve de plus de profession- Ses romans décrivent un microcosme
entre deux mondes (1997), Francis nalisme que de personnalité. social ou ethnique : milieu des routiers
Ponge (1999), ou encore Sade en procès dans The Long Haul, porté à l’écran par
(1999). D’ailleurs, dans nombre de ses BEYER (Frank), cinéaste allemand (Nobitz Raoul Walsh (Une femme dangereuse,
autres films, on retrouve cette culture de 1932). 1940), ou marché des fruits californiens
prédilection dans la construction même Il étudie l’art de la mise en scène à dans The Red of My Blood, qu’il adapte
de ses sujets. Ainsi, il conçoit Cézanne l’école du cinéma de Prague à partir pour Jules Dassin (les Bas-Fonds de
par Rilke (1983), sur la base des écrits de 1952. Assistant d’Hans Müller et de Frisco, 1949). Réalisme et romantisme
de l’écrivain à propos de l’exposition Kurt Maetzig, il signe en 1957 son pre- se marient avec le même bonheur dans
des oeuvres du peintre néoréaliste au mier long métrage Zwei Mütter, qui est ses adaptations de G. Butler (la Maison
Salon d’automne de 1907. Lascaux par son diplôme de fin d’études. Très mar- dans l’ombre, N. Ray, 1952), de Van
Georges Bataille (1981) nous présente qué par la guerre, le nazisme, les camps Tilburg Clark (Track of the Cat, W. Well-
les fresques préhistoriques à travers un man, 1954) ou de Mickey Spillane (En
de concentration, il s’impose peu à peu
texte du grand écrivain. Le Temps détruit
comme l’un des cinéastes les plus per- quatrième vitesse, R. Aldrich, 1955).
(1985) raconte la « drôle de guerre » à sonnels de la République démocratique
travers les lettres de trois soldats. La BIANCHETTI (Suzanne), actrice française
allemande et réalise notamment : Fünf
Seconde Guerre mondiale, un autre (Paris 1889 - id. 1936).
Patronenhülsen (1960), Königskinder
des sujets qu’il privilégie, est au coeur Alliant une émouvante sensibilité à une
(1962), Nu parmi les loups (Nackt unter
de quatre de ses films : le Printemps de sorte de grâce majestueuse, elle passe
Wölfen, 1963), Karbid und Sauerampfer
l’Elbe (1995), Hôtel du Parc (1992) et Les des rôles de Française au grand coeur :
(1964), la Trace des pierres (Spur der
temps obscurs sont toujours là (1998) Trois Familles (Henri Devarennes, 1917),
Steine, 1966), interdit à sa sortie et dif-
– une fiction et un documentaire sur la Verdun, visions d’histoire (L. Poirier,
fusé seulement en 1990, Rottenknechte
collaboration –, et enfin Compagnons se- 1928), à ceux de souveraines : Marie-
(1970), Die Sieben Affären der Doña Jua-
crets (1996), une fiction mettant en scène Antoinette dans le Napoléon d’Abel
nita (1973), Jacob le Menteur (Jakob der
des personnages de résistants. Parmi les Gance (1927) et le Cagliostro de Richard
Lügner, 1975) d’après le roman de Jurek
autres films de fiction qu’il signe au cours Oswald (1929), Eugénie dans Violettes
Becker, Das Versteck (1977), Geschlos-
de sa carrière, mentionnons Requiem impériales (H. Roussell, 1924 et 1932) et
(1972), le Monde désert (1984), et surtout sene Gesellschaft (1978), Der Aufenthalt
Marie-Louise dans Madame Sans-Gêne
Aventure de Catherine C. (1990) avec (1982), Bockshorn (1984), l’Effraction /
(L. Perret, 1925). Elle fut très demandée
Fanny Ardant, récompensé au Festival le Casse (Der Bruch, 1988), le Soupçon
par Jacques de Baroncelli dans les an-
de Saint Sébastien. (Der Verdacht, 1991), le Dernier Sous-
nées 20 : Flipotte (1920), le Père Goriot
marin (Das letzte U-Boot, 1993). Après la
(1921), le Rêve (1921).
BEVILACQUA (Alberto), cinéaste, scéna- chute du Mur de Berlin, il réalise plusieurs
Son mari, le critique René Jeanne,
riste et écrivain italien (Parme 1934). téléfilms, dont un sur les conséquences
fonde à sa mort le prix qui porte son nom,
Il collabore aux scénarios de films fan- de la réunification (Das grosse Fest,
récompensant le talent d’une jeune ac-
tastiques et comiques : Terrore nello 1992) et signe en 1996 Nicolaikirche.
trice.
spazio (M. Bava, 1965), Anastasia mio
fratello (Steno [pseudonyme de Stefano BEYZAI (Bahram), cinéaste et dramaturge
BIANCO E NERO.
Vanzina], 1973). Ses deux premiers iranien (Téhéran 1938).
Revue italienne de cinéma, fondée (en
films en tant que metteur en scène sont Après des études de lettres, il enseigne
1937) et dirigée par Luigi Chiarini (1900-
tirés de ses romans à succès : La califfa aux Beaux-Arts de Téhéran. Il réalise
1975), assisté de Umberto Barbaro
(1971) et Questa specie d’amore (1972), quelques courts métrages dont le Voyage
(1902-1959). Organe du Centro speri-
deux drames d’amour sur toile de fond (Safar, 1972). L’Averse (Ragbar, 1972),
mentale di cinematografia fondé à Rome
politique. Attenti al buffone ! (1975) est son premier long métrage, est remarqué
en 1935, et se situant d’emblée sur un
une parabole grotesque sur la lutte des pour le portrait d’un instituteur extérieur plan scientifique et pluridisciplinaire, elle
classes, efficacement interprétée par au milieu où il exerce ; ce film exprime intéresse à l’étude du cinéma artistes,
Nino Manfredi. Le rose di Danzica (1979) déjà le thème essentiel de l’Étranger et critiques, littérateurs, philosophes, psy-
se voulait film historique aux ambitions le Brouillard (Gharibeh va meh, 1974), chologues, pédagogues, sociologues,
viscontiennes. Il tourne en 1985 La donna
oeuvre très influencée par le cinéma de cinéastes de renom. Elle publie, la pre-
della meraviglie.
Mizoguchi et de Kurosawa. L’incom- mière en Europe, les travaux de tous
municabilité, la poésie métaphorique les grands théoriciens et esthéticiens de
BEYDTS (Louis), musicien français (Bor-
des légendes et une esthétique parfois l’époque, soviétiques et marxistes notam-
deaux 1895 - id. 1953).
appuyée caractérisent une oeuvre qui, ment (Poudovkine, Eisenstein, Balázs,
Élève de André Messager et Reynaldo
dans le Corbeau (Kalagh, 1977), re- Timochenko, Moussinac) et réussit la
Hahn, il s’inspire du premier pour la
cherche d’identité un peu proustienne, ou gageure d’être, malgré le régime fasciste,
partition de Deburau, de Sacha Guitry
(1951), avec qui il collabore dès son l’Averse, peut faire preuve d’intimisme. La l’une des plus importantes revues spécia-
Pasteur (1935), année où il signe aussi Ballade de Tara (Taraneh Tara, 1979) est lisées du monde. Elle cesse de paraître
la musique de la Kermesse héroïque suivie par la Mort de Yazdgerd (Margué en 1943 du fait de la guerre mais renaît
de Jacques Feyder. Il garde le goût des Yazdagerd, 1980), retenue, semble-t-il, en 1947. Chassé en 1952 par certaines
films en costumes, pour lesquels l’élé- par la censure à cause de son prétexte pressions politiques de la démocratie
gance parodique ou dramatique de son historique. En 1985, Beyzai tourne Bashu chrétienne, Chiarini fonde un « sosie »
talent sait convenir : Pontcarral, colonel le petit étranger (Bashu, gharibe-ye kut- de Bianco e Nero : la Rivista del cinema
d’Empire (J. Delannoy, 1942), le Colonel chek) en 1988 Un autre temps peut-être italiano, qui ne vit que quatre ans. Depuis
Chabert (René Le Hénaff, id.), le Diable (Shayao Vaghti digar) en 1992 les Voya- ce départ, Bianco e Nero, toujours très
boiteux (S. Guitry, 1948), etc. Citons en- geurs (Mosaferan), et en 2000 Tuer le estimable, a perdu beaucoup de son ori-
core, avec Feyder, la Loi du Nord (1942), chien (Sag-Khoshee). ginalité.

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

BIBERMAN (Herbert J.), cinéaste, produc- del (P. Schulman, 1979), Tout feu tout 1998 ; Domani, 2001), Giuseppe Piccioni
teur et scénariste américain (Philadelphie, flamme (J.-P. Rappeneau, 1982), Fado (Fuori dal mondo, 1999), Fabrizio Ben-
Pa., 1900 - New York, N. Y., 1971). majeur et mineur (R. Ruiz, 1994), Marion tivoglio (Tipota, 1999), Davide Maderna
Après une longue activité théâtrale, il (M. Poirier, 1996). (Questo è il giardino, 1999), Mimmo Calo-
signe en 1935 son premier film (One Way presti (Je préfère le bruit de la mer, 2000),
Ticket), qui sera suivi de Meet Nero Wolf BIETTE (Jean-Claude), cinéaste français Francesca Comencini (Le parole di mio
(1936) et de The Master Race (1939), (Paris 1942). padre, 2001). Spécialiste des atmos-
mais doit bientôt se limiter à des entre- Ancien critique de cinéma, collabora- phères urbaines qu’il photographie dans
prises de faible budget comme scénariste teur de Pasolini dans les années 60, il des tons d’ocre ou de bleu acier, Bigazzi
ou coproducteur. En 1947, il refuse de té- réalise quatre courts métrages en Italie a collaboré aussi avec des cinéastes plus
moigner devant la Commission des acti- (1966-1968) puis deux en France (1970- âgés comme Maurizio Nichetti (Luna e
vités antiaméricaines. En 1950, il fait par- 1972). Le Théâtre des matières (1977), l’altra, 1996) ou Gianni Amelio dont il a
tie des Dix d’Hollywood, est condamné son premier film, répudie tout effet esthé- magnifiquement éclairé Lamerica (1994)
à six mois de prison pour « outrage au tique et psychologique — une règle qu’il et Mon frère (1999). Toujours prêt à
Congrès ». Mis au ban d’Hollywood, appliquera dans ses films ultérieurs, tous prendre des risques, Bigazzi s’est essayé
il réalise en 1954, dans des conditions réalisés avec des petits budgets. Il est au noir et blanc avec les films de Daniele
très précaires, le Sel de la terre (Salt of souvent question de théâtre dans ses Ciprì et Franco Maresco, Lo zio di Broo-
the Earth), drame puissant, délibérément films, et les mystères de l’intrigue sont klyn (1995) et Totò che visse due volte
didactique, qui dénonce les conditions de autant de fausses pistes dans des récits
(1998), films auxquels il a donné un réa-
vie des mineurs au Nouveau-Mexique. qui font confiance aux dialogues : Loin de
lisme d’eaux-fortes expressionnistes.
Boycotté en Amérique (où il ne sera Manhattan (1981), le Champignon des
distribué qu’en 1965), le film impose le Carpates (1988), Chasse gardée (1993), BIGELOW (Kathryn ou Kathie), cinéaste
nom de Biberman grâce à son succès Trois ponts sur la rivière (1999). américaine (New York, N.Y. 1952).
en Europe. Force est de reconnaître que Ancien peintre apprécié, Kathryn Bigelow
ses qualités ne se retrouvent pas dans BIFORMAT. aurait pu rester confinée dans un cinéma
Esclaves (Slaves, 1969), dernière tenta- Se dit des caméras ou des projecteurs
confidentiel ou militant. Elle a opté pour
tive du cinéaste : l’analyse idéologique acceptant deux formats (1) de film : ca-
un cinéma populaire, qu’elle enrichit, à
n’y est pas approfondie et l’esthétique, méra 16/35, projecteur 35/70, projecteur
défaut de le subvertir, par un travail de
assez factice. d’amateur 8/Super 8, etc. ( PROJEC-
scénario très approfondi. En effet, de
TION.)
ses premières expériences, elle a gardé
BICKFORD (Charles), acteur américain
l’habitude de collaborer de près à l’écri-
(Cambridge, Mass., 1889 - Los Angeles, BIGAS LUNA (José Juan), cinéaste espa-
ture de ses films, qui offrent souvent une
Ca., 1967). gnol (Barcelone, Catalogne, 1946).
étoffe psychologique dense. Plus que
Venu du théâtre, il est la vedette de Dy- Il débute dans le long métrage avec Ta-
dans Near Dark (1987), dont les afféte-
namite (C. B. De Mille, 1929) et donne tuaje (1976), un récit policier. Ses deux
ries avaient touché une certaine critique
la réplique à Garbo dans Anna Christie films suivants, Bilbao (1978) et Caniche
intellectuelle américaine, c’est dans Blue
(C. Brown, 1930). Mais il s’impose surtout (1980), soulèvent l’enthousiasme bien
Steel (id., 1990), remarquable polar au
dans des rôles de composition, où son exagéré de la jeune critique péninsulaire,
féminin, que l’on prend la mesure de son
visage vieilli contraste avec son autorité par leur recours à un fétichisme vague-
originalité. Dans Extrême limite (Point
généreuse ou têtue : Crime passionnel ment pervers. Il tourne Reborn (1981)
Break, 1991), Bigelow se colletait à un
(O. Preminger, 1945), la Femme sur la aux États-Unis puis Lola (1985), Angustia
univers (les surfers) et, un genre (le thril-
plage (J. Renoir, 1946), Duel au soleil (1987), les Vies de Loulou (Las edades
de Lulú, 1990), Jambon, jambon (Jamón, ler) dominés par une certaine idée de la
(K. Vidor, 1947), les Démons de la liberté
jamón, 1992), Macho (Huevos de oro, virilité : elle s’acquittait avec panache des
(J. Dassin, id.), Johnny Belinda (J. Ne-
1993), la Lune et le téton (la Teta y la aspects les plus spectaculaires et grâce
gulesco, 1948), le Mystérieux Dr Korvo
luna, 1994), la Femme de chambre du à une direction d’acteur très fine (Keanu
(Preminger, 1950), Une étoile est née
Titanic (1997) et Volavérunt (1999). L’ins- Reeves et Patrick Swayze), atteignait
(G. Cukor, 1954), les Grands Espaces
piration paillarde de ses derniers films lui une certaine vérité humaine. En 1995,
(W. Wyler, 1958), le Vent de la plaine
a valu un certain succès. elle signe Strange Days (id.), intéressant
(J. Huston, 1960), Days of Wine and
thriller futuriste, et en 2000 The Weight of
Roses (B. Edwards, 1962).
BIGAZZI (Luca), chef opérateur italien Water qui entremêle deux intrigues mys-
BIDEAU (Jean-Luc), acteur suisse (Genève (Milan 1958). térieuses, l’une contemporaine et l’autre
1940). Formé au sein du groupe milanais Indi- historique.
En 1959, il quitte sa ville natale pour en- gena, Luca Bigazzi est certainement le
trer au Conservatoire d’art dramatique de chef opérateur le plus doué de sa géné- BILLON (Pierre), cinéaste français (Paris
Paris. Il travaille ensuite dans plusieurs ration. Très lié à Silvio Soldini – les deux 1906 - id. 1981).
théâtres, puis retourne au pays en 1968. Il hommes débutent ensemble en 1983 Il débute à la fin du muet dans l’ombre
obtient un petit emploi dans Charles, mort avec Paesaggio con figure –, il signe la de Gaston Ravel, puis en 1931 et 1932
ou vif (A. Tanner, 1969) mais a le rôle photographie de tous les films du cinéaste, travaille à Berlin à la réalisation de ver-
principal dans James ou pas (M. Sout- Giulia in ottobre (1984), l’Air paisible de sions françaises des films d’Anny Ondra.
ter, 1970), dans la Salamandre (Tanner, l’Occident (1990), Un’anima divisa in due De 1934 (la Maison dans la dune) à 1957
1971) et dans les Arpenteurs (Soutter, (1993), Le acrobate (1997), Pain tulipes (Jusqu’au dernier), il poursuit une car-
1972). Ces oeuvres, qui témoignent de la et comédie (2000), Ieri (2001). Bigazzi est rière ininterrompue de metteur en scène
naissance d’un nouveau cinéma suisse devenu en quelques années la référence consciencieux et sans génie. Bon tech-
romand, assurent sa notoriété, confirmée d’une certaine école de jeunes cinéastes nicien, il est appelé par Jean Cocteau
par ses compositions dans l’Invitation italiens : il travaille avec Mario Martone pour tourner Ruy Blas, d’après Victor
(C. Goretta, 1972), Belle (A. Delvaux, (Mort d’un mathématicien napolitain, Hugo (1948, avec Jean Marais). Il a dirigé
1973), Projection privée (F. Leterrier, 1992 ; l’Amour meurtri, 1995), Pasquale Raimu dans son dernier film (l’Homme
id.), Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000 Pozzessere (Testimone a rischio, 1996), au chapeau rond, 1946, d’après Dostoïe-
(Tanner, 1976), Et la tendresse, bor- Francesca Archibugi (L’albero delle pere, vski).

138
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

BINI (Alfredo), producteur italien (Li- en 1909, celui de Biograph Company tern und Morgen (Harald Braun, 1947),
vourne 1926). ou, plus couramment, Biograph ou AB). et il tourne encore une trentaine de films
Organisateur de productions théâtrales Après une période d’âpre concurrence, jusqu’en 1959. En 1966, il apparaît dans
et cinématographiques, il produit son pre- la Biograph et l’Edison Company se lient une des premières oeuvres révélatrices
mier film en 1960 : le Bel Antonio (M. Bo- pour former la Motion Picture Patents du jeune cinéma allemand, Schönzeit für
lognini). Il fait débuter des cinéastes origi- Company (MPPC) et tenter d’enrayer Füchse (Peter Schamoni). Il a réalisé un
naux comme Pasolini (Accatone, 1961), l’extension des nouvelles sociétés indé- film en 1955 : Rosenmontag.
Ugo Gregoretti (I nuovi angeli, 1962), pendantes. Les studios de la Biograph
Mario Missiroli (La bella di Lodi, 1963) étaient situés au 11 East 14th Street à BIRKIN (Jane), actrice et chanteuse britan-

et finance les efforts pasoliniens plus New York. Parmi les plus célèbres réali- nique (Londres 1946).
sateurs attachés à la Biograph, il faut citer Elle débute au cinéma dans deux rôles
anticonformistes comme Comizi d’amore
essentiellement D. W. Griffith (qui tourne courts, mais remarqués : le Knack, de
(1965), Des oiseaux petits et gros (1966),
son premier film les Aventures de Dolly Richard Lester (1965) et, surtout, Blow-
Notes pour une Orestie africaine (1976,
en 1908) et Mack Sennett. Up, d’Antonioni (1967), où sa nudité fut
RÉ 1970). Ses grands succès com-
appréciée avant même l’humour et la gra-
merciaux s’inscrivent dans le droit fil de Mais la Biograph avait aussi su s’atta-
vité dont elle fera preuve par la suite. Sa
l’érotisme exotique : Bora Bora (Ugo cher les services des premières grandes
rencontre avec Serge Gainsbourg (elle
Liberatore, 1968), Il dio serpente (Piero vedettes de l’écran : Mary Pickford, les
avait été l’épouse du compositeur John
Vivarelli, 1971), Il Decamerone nero (id., soeurs Gish et la Biograph Girl Florence
Barry) est déterminante : il lui écrit des
1972). Lawrence. Quand Griffith quitte la com-
chansons et interprète avec elle Slogan
pagnie, une période de déclin s’ensuit et
BINOCHE (Juliette), actrice française (Paris de Pierre Grimblat en 1969, Cannabis de
s’achève sur la dissolution en 1915.
Pierre Koralnik en 1969 et la fait tourner
1964).
Elle débute au théâtre à l’âge de 16 ans BIOGRAPHE INVENTION DU CINÉMA dans Je t’aime moi non plus, en 1975. Sa

(le Malade imaginaire de Molière, Henri IV carrière est une alternance de films plus

de Pirandello) puis, après une brève ap- BIOSCOPE INVENTION DU CINÉMA ou moins érotiques : Don Juan 1973
(R. Vadim, 1973), et ambitieux : le Mou-
parition à la télévision, se consacre au
BIPACK. ton enragé (M. Deville, 1974), Sérieux
cinéma. Après avoir interprété des rôles
Se dit des procédés de prise de vues où comme le plaisir (R. Benayoun, 1975),
secondaires, notamment dans Je vous
deux films distincts défilent simultané- Sept Morts sur ordonnance (J. Rouffio,
salue Marie (1985) de Jean-Luc Godard
ment dans la caméra. ( PROCÉDÉS DE id.). L’échec commercial et artistique
et la Vie de famille (id.) de Jacques
CINÉMA EN COULEURS.) de Catherine et Cie (M. Boisrond, 1975)
Doillon, elle accède au vedettariat avec
lui fait réduire nettement son rythme de
Rendez-vous (id.) d’André Téchiné. Elle
BIRAUD (Maurice), acteur français (Paris tournage. On la retrouve cependant avec
sait se faire rare à l’écran, préférant se
1922 - id. 1982). des ambitions nouvelles dans trois films
préserver pour mieux se donner aux réa-
Parallèlement à une carrière radiopho- de Jacques Doillon : la Fille prodigue
lisateurs qu’elle choisit, comme Philip
nique, il interprète, à ses débuts à l’écran, (1981), la Pirate (1984) et Comédie !
Kaufman avec qui elle tournera l’Insoute-
de nombreux rôles mineurs, avant d’être (1987), dans deux films de Jacques Ri-
nable légèreté de l’être (1988) et surtout
remarqué dans Un taxi pour Tobrouk (D. vette : l’Amour par terre (1984) et la Belle
Léos Carax dont elle sera l’interprète de de La Patellière, 1961). Il a joué dans un Noiseuse 1991), la Femme de ma vie
prédilection dans Mauvais sang (1986) et certain nombre de films (surtout policiers) (Régis Wargnier, 1986), Soigne ta droite
dans les Amants du Pont-Neuf (1991). On de Georges Lautner (l’OEil du monocle, (J.-L. Godard, 1987) et Daddy Nostalgie
la retrouve ensuite dans Fatale (L. Malle, 1962 ; la Grande Sauterelle, 1967 ; Fleur (B. Tavernier, 1990). Agnès Varda lui
1992), Trois couleurs : Bleu (K. Kies- d’oseille, id.). Citons encore, avec des rend un hommage sensible dans Jane B.
lowski, 1993), Trois couleurs : Blanc (id., rôles également typés : Le cave se re- par Agnès V. (1988) et Kung-fu Master
1994), le Hussard sur le toit (J.-P. Rap- biffe (G. Grangier, 1961), les Aventures (id.).
peneau, 1995), Un divan à New York de Salavin (P. Granier-Deferre, 1963), le
(Ch. Ackerman, id.), le Patient anglais qui Gitan (J. Giovanni, 1975), Un dimanche BIRO (Lajós), scénariste et dramaturge
lui vaut un Oscar hollywoodien (A. Min- de flics (M. Vianey, 1983). Il a travaillé hongrois (Heves 1880 - Londres 1948).
ghella, 1997), Alice et Martin (A. Téchiné, pour la télévision (Retour à Cherchell, Plusieurs de ses pièces sont adaptées
1998), la Veuve de Saint-Pierre (P. Le- A. Cayatte, 1983, est sa dernière appa- à l’écran à l’époque du muet : Paradis
conte, 2000), Code inconnu (M. Haneke, rition à l’écran). défendu (E. Lubitsch, 1924), Une mo-
2000), Chocolat (Lasse Hallström, 2001). derne Du Barry (A. Korda, 1926), Hôtel
BIRGEL (Wilhelm Maria, dit Willy), acteur Impérial (M. Stiller, 1927). Quittant Hol-
BIOGRAPH — allemand (Cologne 1891 - Dübendorf, lywood, il accompagne Alexander Korda
1. Appareil de projection américain qui Suisse, 1973). en Grande-Bretagne et participe aux plus
fut utilisé pour la première fois en public Formé par le théâtre classique, il débute ambitieuses productions de la London
le 12 octobre 1896, à l’Olympia Music au cinéma en 1933 et devient le princi- Films : la Vie privée d’Henry VIII (Korda,
Hall de New York. Pour le distinguer d’un pal jeune premier du cinéma de l’ère 1933) ; la Vie privée de Don Juan (id.,
appareil français homonyme breveté en nazie : vingt-deux grands rôles de 1935 1934) ; le Mouron rouge (The Scarlet Pim-
1894, on le nomma American Biograph. à 1945. Vedette de films d’aventures pernel, Harold Young, 1935) ; Bozambo
L’opérateur de D. W. Griffith, Billy Bitzer, tels Verräter (K. Ritter, 1936) ou Congo- (Z. Korda, id.) ; Alerte aux Indes (id.,
avait commencé sa carrière comme pro- Express (E. von Borsody, 1939) et de mé- 1938) ; les Quatre Plumes blanches (id.,
jectionniste en utilisant le Biograph. lodrames signés Detlef Sierck (Douglas 1939) ; le Voleur de Bagdad (M. Powell,
2. Société de production américaine Sirk), il participe à quelques films très 1940).
fondée le 27 décembre 1895 par William nationalistes : les Frontaliers (V. Tour-
K. L. Dickson, Herman Casler, Harry jansky, 1940), Kameraden (Hans Schwei- BIROC (Joseph), chef opérateur américain
Marvin et Elias Koopman (d’abord appe- kart, 1941),... Reitet für Deutschland (New York, N. Y., 1903 - Los Angeles, Ca.,
lée American Mutoscope Company, la (A. M. Rabenalt, id.). Sa popularité se 1996).
société prit, en 1899, le nom d’American maintient après la guerre, grâce à Erich Il filme la libération de Paris. On lui doit
Mutoscope and Biograph Company, puis, Pommer et au très habile Zwischen Ges- la photographie du premier film en relief :

139
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Bwana le diable (Bwana Deuil, Arch Obo- BISON (Bison Life Motion Pictures), zer en rapporte 20 000 mètres de pelli-
ler, 1953). En dehors de Bye Bye Birdie société de production américaine fon- cule, utilisés par Griffith dans plusieurs
(G. Sidney, 1963), l’Amour en quatrième dée en mai 1909 par Adam Kessel Jr., films, et d’abord Coeurs du monde (1918).
vitesse (id., 1964) avec Elvis Presley, Charles Bauman et Fred Balshofer. Après 1919 et le tournage du Lys brisé,
le Détective (G. Douglas, 1968) et la D’abord établie dans le New Jersey à Griffith aura d’autres opérateurs, notam-
Tour infernale (J. Guillermin, 1974), on Coytesville, la compagnie émigra ensuite ment Hendrik Sartov, avec qui Bitzer col-
le remarque surtout comme directeur de à Edendale en Californie et se spécialisa laborera pour À travers l’orage (1920), les
la photographie de la plupart des films dans le tournage des westerns. Un ac- Deux Orphelines (1922), la Rose blanche
de Robert Aldrich, notamment Attaque cord passé avec le Wild West Show des (1923), Pour l’Indépendance (1924), ou

(1956), Chut, chut, chère Charlotte frères Miller, 101 Ranch, eut comme ré- Karl Struss (CO pour l’Éternel Problème,
sultat la transformation du nom de Bison 1928) et le Lys du faubourg (1929). Bitzer
(1965), le Vol du phénix (1966), Faut-il
tuer Sister George ? (1968), le Démon en Bison 101. En 1912, la compagnie cessa bientôt toute activité et devint plus
fusionna avec d’autres (et notamment la tard bibliothécaire au Museum of Modern
des femmes (id.), Pas d’orchidées pour
IMP de Carl Laemmle) : cet amalgame Art de New York. Il y écrivit des notes au-
miss Blandish (1971), la Cité des dangers
donna naissance à l’Universal. tobiographiques, publiées en 1973 sous
(1975).
le titre : B. Bitzer — His Story.
BISSET (Jacqueline Frazer Bisset, dite Jac-
BIRRI (Fernando), cinéaste argentin (Santa
queline), actrice britannique (Weybridge BIXIO (Cesare Andrea), musicien italien
Fé 1925).
1944). (Naples 1896 - Rome 1978).
Formé au Centro sperimentale de Rome,
Modèle à dix-huit ans, elle débute Particulièrement actif pendant les an-
il subit l’influence du néoréalisme italien.
comme figurante dans le Knack de Les- nées 30, Bixio est le premier compositeur
Il fonde et dirige l’Institut de cinéma de
ter en 1965. Sa sensualité contraste italien à travailler pour le cinéma sonore :
l’université du Litoral, à Santa Fé (1956),
avec son visage marmoréen, sa douceur en 1930, il signe la musique de La can-
dont le rôle pionnier se fait sentir aussi
et son énergie avec sa distinction hau- zone dell’amore de Righelli, premier film
bien en Argentine qu’au Brésil (dans les
taine. Une émouvante fragilité affleure parlant italien. Par la suite, il écrit de
documentaires aux origines du Cinema
dans ses meilleurs rôles : Fureur sur nombreuses partitions, notamment pour
Novo). Avec ses élèves, il tourne des
la plage (H. Hart, 1968), le Détective Brignone, Palermi, Mattoli, Camerini.
dizaines de courts métrages et le moyen
(G. Douglas, id.), Bullitt (P. Yates, id.), Bixio est également connu comme auteur
métrage Tire dié (1959) date dans l’éclo- Satan mon amour (The Mephisto Waltz, de chansons, lesquelles contribuèrent
sion du nuevo cine, précurseur du cou- P. Wendkos, 1971), la Nuit américaine au succès de certains films, comme le
rant de témoignage social qui mène aux (F. Truffaut, 1973). Elle joue ensuite dans fameux Parlami d’amore Mariù, que De
films militants de Solanas et Getino. Il de grosses productions, où elle ne livre Sica interprétait dans Les hommes, quels
dépasse le constat avec Los inundados qu’une part de son talent : le Crime de mufles ! (1932) de Camerini.
(1962), long métrage de fiction fortement l’Orient-Express (S. Lumet, 1974). Elle
sous-tendu par une enquête documen- produit et interprète en 1981 Riches et BJÖRK (Anita), actrice suédoise (Tällberg
tée, et le drame d’une famille paysanne célèbres de George Cukor. En 1984 elle 1923).
frappée par l’inondation n’exclut pas un tourne Au-dessous du volcan (J. Huston), Elle suit les cours du Théâtre royal de
humour bien tempéré. Birri contribue à la en 1989 Scenes From the Class Struggle Stockholm et partage sa carrière entre
critique du cinéma argentin traditionnel, in Beverly Hills (Paul Bartel), en 1990 la scène, l’écran et la télévision. Pour la
alors sur le déclin : « Un cinéma qui se l’Orchidée sauvage (Wild Orchid, Zalman majeure partie du public international,
fait le complice du sous-développement, King), en 1993 les Marmottes (Elie Chou- elle reste à jamais Mademoiselle Julie,
dit-il, est un sous-cinéma. » Solanas et raqui), en 1995 la Cérémonie (C. Cha- l’héroïne du film du même nom qu’Alf
Getino prolongent cette mise en cause brol), en 1998 la Courtisane (Dangerous Sjöberg a tiré en 1951 de la pièce de
à travers leur Manifeste pour un tiers Beauty, Marshall Herkovitz). Strindberg et qui a reçu le grand prix de

cinéma. Parmi les courts métrages de Cannes. Anita Björk, dont l’extérieur ré-
BITZER (Johann Gottlob Wilhelm Bitzer, servé cache un tempérament passionné
Birri, on peut citer La Primera fundación
dit Billy), chef opérateur américain (Rox- et volontaire, est heureusement présente,
de Buenos Aires (1959), Buenos días
bury [auj. Boston], Mass., 1870 - Los An- quoique de façon moins spectaculaire,
Buenos Aires (1960), La Pampa gringa
geles, Ca., 1944). dans plusieurs autres grandes produc-
(1963), Castagnino, Diario Romano
Électricien de profession, cameraman-re- tions : le Chemin du ciel (A. Sjöberg,
(1966). En Italie, il tourne le long métrage
porter à Cuba pendant la guerre (1898), 1942) ; Femme sans visage (G. Molan-
d’avant-garde Org (1978), assez éloigné
il entre à la Biograph dès 1906 et y ren- der, 1947) ; l’Attente des femmes (I. Berg-
de ses choix esthétiques antérieurs, et le
contre Griffith. De 1908 à 1919, il sera man, 1952) ; les Gens de la nuit (Night
documentaire Rafael Alberti, un retrato
l’opérateur de tous ses films, tirant un people, N. Johnson, 1954) ; les Époux /
del poeta por Fernando Birri (1983). De
parti extraordinaire de ressources rudi- la Vie conjugale (Giftas, A. Henrikson,
retour en Amérique latine, il signe Remi-
mentaires (caméra à manivelle, emploi 1955) ; la Charrette fantôme (A. Matts-
tente : Nicaragua (1984), Mi hijo el Che
rarissime de la lumière artificielle) et col- son, 1958) ; les Amoureux (M. Zetterling,
(DOC, 1985), Un señor muy viejo con laborant de façon capitale à la réussite 1964) ; Adalen 31 (B. Widerberg, 1969) ;
unas alas enormes (à Cuba, d’après Gar- artistique ambitionnée par Griffith, qu’il l’Héritage (A. Breien, 1979) ; la Persécu-
cía Márquez, 1988) et Diario de Macondo s’agisse de Naissance d’une nation, d’In- tion (id., 1981). Elle avait épousé l’écri-
(DOC, 1989). Il a dirigé l’École interna- tolérance ou du Lys brisé. Sa franchise vain Stig Dagerman.
tionale de cinéma et télévision de San plastique et son instinct du cadrage ont
Antonio de los Baños (Cuba, 1987-1990). assuré une fascination durable à des BJÖRNSTRAND (Gunnar), acteur suédois
Depuis, devenu une sorte de patriarche films matériellement usés. Il a mis au (Stockholm 1909 - id. 1986).
itinérant du nouveau cinéma latino-amé- point les premières techniques du contre- Comédien polyvalent, il est un de ceux,
ricain, Birri a tourné notamment Che ¿ jour (1909) et peut-être suggéré à Griffith dans sa génération, qui résistent le mieux
muerte de la utopía ? (1997) et El siglo l’invention du gros plan. Il est vain de vou- aux années. Björnstrand a travaillé prati-
del viento (1999), ce dernier en collabo- loir distinguer, entre les deux hommes, quement sur toutes les grandes scènes
ration avec l’écrivain uruguayen Eduardo vu leur entente à ce niveau d’innovation. de Suède (il a suivi le même cours d’art
Galeano. Envoyé en 1917 sur le front français, Bit- dramatique qu’Ingrid Bergman au Théâtre

140
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

royal de Stockholm et a commencé à burn dans The Grass Is Singing (1981) studios à l’air libre au sommet d’un buil-
faire du cinéma en 1931). Mais sa répu- qui semblent avoir le mieux servi son ding et y tournent des reconstitutions de
tation repose surtout sur sa collabora- talent. Au cours des années 80, on la re- faits divers (crimes, etc.), où Blackton est
tion avec Ingmar Bergman, dont il fait la trouve notamment dans Can She Bake a aussi interprète. En 1898, au moment de
connaissance en 1941, à l’occasion d’une Cherry-Pie ? (H. Jaglom, 1983), Invaders l’affaire de Cuba, d’où s’ensuit la guerre
production théâtrale en milieu étudiant. Il From Mars (Tobe Hooper, 1986), Night hispano-américaine, il invente le film de
joue dans une douzaine de films de Berg- Angel (Dominique Othenin-Girard, 1990), propagande (Tearing Down the Spanish
man, de Il pleut sur notre amour (1946) à Miror, Miror (Maria Sargenti, id)., Child- Flag) puis s’essaie à la fiction policière
Fanny et Alexandre (1982). Il s’y montre ren of the Night (Tony Randel, 1992), The (Raffles, 1905), à l’adaptation de drames
aussi doué pour la comédie (l’Attente des Trust (J. Douglas Kilmore, 1993). shakespeariens (1908), aux scènes de
femmes ; Une leçon d’amour ; Sourires la vie réalistes (1908). Il lance la mode
d’une nuit d’été) que pour les scénarios BLACKBURN (Maurice), musicien cana- des comédies en deux ou trois bobines
plus graves : le Septième Sceau, où il dien (Montréal, Québec, 1914 - id. 1988). et, en 1915, écrit et dirige une fiction paci-
est en quelque sorte le Sancho Pança Un des premiers compositeurs enga- fiste sur l’invasion possible de New York
de Don Quichotte (Max von Sydow) ; le gés à l’Office national du film. Il écrit la par une armée étrangère (The Battle Cry
Visage ; À travers le miroir ; le Rite. Mais musique de nombreux films québécois : of Peace). Dès 1910, le développement
sa prestation la plus accomplie, et la plus Jour après jour, de Clément Perron de la Vitagraph est tel que Blackton doit
éprouvante, est sûrement celle qu’il a (1962), À tout prendre, de Claude Jutra inaugurer le système de la supervision
faite dans les Communiants, le portrait (1963), Mourir à tue-tête, d’Anne-Claire (par ses soins, de films produits et dirigés
par Bergman d’un pasteur doutant de sa Poirier (1979). Mais il s’est imposé dès A par d’autres). En marge de la Vitagraph,
foi dans une petite paroisse suédoise. Phantasy (1948-1953), une collaboration Blackton invente la technique du dessin
fructueuse avec Norman McLaren, pour animé image par image (1906-07) : Hu-
Björnstrand a également travaillé avec
lequel il va étudier la musique aléatoire morous Phases of a Funny Face (1906),
succès pour d’autres réalisateurs scan-
à Paris en 1953 ou s’intéresser au son l’Hôtel hanté (The Haunted Hotel, id.), le
dinaves, notamment pour Mai Zetterling
gravé sur la pellicule. En résulte la mu- Stylo magique (The Magic Fountain Pen,
dans les Amoureux, Jan Troell dans les
sique d’oeuvres telles que Blinkity Blank 1907). Il fonde en 1915 la Motion Picture
Feux de la vie et Vilgot Sjöman dans Ma
(1955), Lignes verticales (1960) et Pas Board of Trade (la future AMPPA). Enfin,
soeur, mon amour.
de deux (1968). il crée le Motion Picture Magazine. Pion-
Films : Nuit au port (Natt i hamn,
nier en tous genres, Blackton garde une
Hampe Faustman, 1943) ; Tourments
BLACK MARIA. importance historique considérable. (Son
(A. Sjöberg, 1944) ; Vous qui entrez ici (I
Studio construit pour Edison à West Moïse en cinq bobines fit sensation en
som här inträden, A. Mattsson, 1945) ; Il
Orange (Edison National Historic Site, 1910.) Jusqu’en 1926, la Vitagraph reste
pleut sur notre amour (I. Bergman, 1946) ; N. J.), de fin 1892 à février 1893, sur florissante, mais elle est absorbée cette
le Sacrifice du sang (Midvinterblot, Gösta les plans de son chef de laboratoire même année par Warner. Lors de la crise
Werner, id.) ; Soldat Boum (L. E. Kjellg- W. K. Laurie Dickson. Hangar revêtu (1929), Blackton perd toute sa fortune. Il
ren, 1948) ; l’Attente des femmes (Berg- de toile goudronnée, monté sur pivot et devient fonctionnaire, puis directeur de
man, 1952) ; la Nuit des forains (id., rail circulaire pour capter au maximum production d’une firme obscure, l’Anglo-
1953) ; Une leçon d’amour (id., 1954) ; la lumière solaire par des pans de toit American Film Company.
Rêves de femmes (id., 1955) ; Sourires mobiles, il est peint en noir et peut as-
d’une nuit d’été (id., id.) ; le Septième surer une obscurité parfaite. Dickson y BLAIER (Andrei), cinéaste roumain (Buca-
Sceau (id., 1957) ; les Fraises sauvages photographie les premières bandes sur rest 1933).
(id., id.) ; le Visage (id., 1958) ; l’OEil du pellicule Eastman perfectionnée, pour Il termine en 1956 ses études à l’Institut
diable (id., 1960) ; À travers le miroir (id., les programmes du Kinetoscope dont la supérieur d’art cinématographique de
1961) ; les Communiants (id., 1963) ; commercialisation se développe : scènes Bucarest en réalisant le moyen métrage
la Robe (V. Sjöman, 1964) ; les Amou- de luttes, scènes bouffonnes, jongleurs ‘ l’Heure H ’ (Ora H). Après quelques
reux (M. Zetterling, id.) ; Ma soeur, mon et même une scène d’incendie. Ces films autres essais (‘ Ce fut mon ami ’ [Era prie-
amour (Sjöman, 1966) ; les Feux de la vie primitifs font de Black Maria le lieu d’une tenul meu], 1963 ; ’la Maison inachevée‘
(J. Troell, id.) ; Persona (Bergman, id.) ; la « révolution qui donna naissance au ci- [Casa neterminat], 1964), il s’impose
Honte (id., 1968) ; le Rite (id., 1969) ; Face néma » (J. Deslandes). Les images sont à l’attention internationale en signant
à face (id., 1976) ; Sonate d’automne (id., prises à la cadence de 40 par seconde. une oeuvre d’une profonde finesse psy-
1978) ; Fanny et Alexandre (id., 1982). Le catalogue des sujets du Kinetos- chologique sur les problèmes de l’ado-
cope s’enrichit rapidement, d’autant que lescence : les Matins d’un garçon sage
BLACK (Karen Ziegler, dite Karen), actrice (Dimineile unui baiat cuminte, 1967).
Dickson, avant de quitter Edison pour la
américaine (Park Ridge, Ill., 1942). Biograph Company en 1895, avait, paral- Devenu l’un des meilleurs représen-
Après quelques petits rôles (Easy Rider lèlement, entrepris avec succès des tour- tants du cinéma roumain, il aborde des
de Hopper en 1962 ; Big Boy de Cop- nages en extérieurs, techniques poursui- genres divers (‘ Puis naquit la légende ’
pola en 1967), elle s’impose dans Cinq vies après son départ. Le nom du studio [Apoi s-a nascut legenda], 1969 ; ‘ la
Pièces faciles (B. Rafelson, 1970), où vient de sa relative analogie avec les Forêt perdue ’ [Pdurea pierdut], 1972 ;
elle incarne la petite amie sensuelle et fourgons cellulaires qu’on désignait ainsi. ‘ Cartes postales illustrées avec des fleurs
naïve de Jack Nicholson, qui lui donnera des champs ’ [Illustrate cu flori de cîmp],
un rôle analogue dans sa première réa- BLACKTON (James Stuart), cinéaste amé- 1974), s’efforce de transcrire en images
lisation : Vas-y, fonce (1971). Elle joue ricain (Sheffield, Grande-Bretagne, 1875 - le roman de Zaharia Stancu, parabole sur
des personnages assez semblables dans Los Angeles, Ca., 1941). la condition humaine, dans À travers les
Gatsby le Magnifique (J. Clayton, 1974), Journaliste à New York, il impressionne cendres de l’Empire (Prin cenusa Impe-
Nashville (R. Altman, 1975), le Jour du Edison par ses croquis, dont l’inven- riului, 1976), signe ‘ Des pas vers le ciel ’
fléau (J. Schlesinger, id.) et Complot de teur tire un film : Blackton, the Evening (Trepte spre cer, 1977) et ‘ Calamité ’
famille (A. Hitchcock, 1976) ; mais c’est World Cartoonist (1896). Blackton achète (Urgia, CO I. Demian, id.) puis aborde la
Ivan Passer dans Né pour vaincre (1971), alors un Kinetoscope et fonde (1897) la satire (‘ Tout pour le football ’ [Totul pen-
la Loi et la Pagaille (1974) et le Désir et Vitagraph (associé à Albert E. Smith et tru fotbal], 1978). Après le succès d’une
la Corruption (1975), puis Michael Rae- à William T. Rock). Ils installent leurs série télévisée de 33 épisodes, ‘ Lumière

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

et ombres ’ (Lumini i umbre), revient au BLAIR (Betsy Roger, dite Betsy), actrice BLANCHAR (Pierre Blanchard, dit Pierre),
cinéma avec ‘ la Nuit blanche ’ (Intunericul américaine (New York, N. Y., 1923). acteur français (Philippeville [auj. Skikda,
alb, 1983), ‘ Faits divers ’ (Fapt divers, Après avoir joué dans la Fosse aux ser- Algérie] 1892 - Paris 1963).
1984), ‘ Ris donc, c’est la vie ! ’ (Rîdei pents (A. Litvak, 1949) et dans le Mystère Après le Conservatoire, il mène de front,
ca-n vioà, id.), ‘ les Grandes Vacances ’ de la plage perdue (J. Sturges, 1950), dès 1921, une double carrière théâtrale
(Vacana cea mare, 1988), ‘ le Moment elle obtient le grand prix d’Interprétation et cinématographique qui fait de lui un
de la vérité ’ (Momentul devarului, 1992), féminine au festival de Cannes pour sa jeune premier différent des autres, plus
‘ Croix de pierre ’ (crucea de piatra, 1994). performance dans Marty (Delbert Mann, intellectuel mais aussi plus profondément
1955), où elle formait un couple inattendu romantique. Ses films muets marquants
BLAIN (Gérard), acteur et cinéaste français avec Ernest Borgnine. Aussitôt Bardem sont Jocelyn (L. Poirier, 1922), le Joueur
(Paris 1930 - id. 2000). lui offre le rôle de la vieille fille dans d’échecs (R. Bernard, 1927) ou le Capi-
Il commence sa carrière dès 1943 comme Grand’Rue (1956) et Antonioni la place taine Fracasse (A. Cavalcanti, 1929).
figurant à l’écran et au théâtre, mais n’ob- sur l’itinéraire de son personnage déses- L’avènement du parlant va révéler la
tient ses premiers vrais rôles qu’en 1954 péré du Cri (1957). Épouse de Gene Kelly singularité de sa personnalité et imposer
(les Fruits sauvages d’Hervé Bromberger puis de Karel Reisz. son jeu, marqué par une diction empha-
et Avant le déluge d’André Cayatte, Voici tique, un regard impérieux, nourri de tics
BLANC (Dominique), actrice française et d’effets, néanmoins très cinématogra-
le temps des assassins, 1956, de Julien
(Lyon 1962).
Duvivier, aux côtés de Jean Gabin et de phique et manifestant un sens aigu de la
Elle se révèle dans Milou en mai de
Danièle Delorme). En 1958, il joue dans composition intérieure. Après les Croix
L. Malle (1989) après quelques années
les Mistons, premier film de François de bois (R. Bernard, 1932), il se fait une
d’un parcours classique avec, parallè-
Truffaut, puis, en Italie, les Jeunes Maris spécialité — partagée avec Harry Baur
lement à son activité théâtrale, des se-
(1958), de Mauro Bolognini. Il incarne la — du transfert à l’écran des héros de la
conds rôles au cinéma sous la direction
jeunesse de l’après-guerre dans le Beau littérature. À son Saint-Avit de l’Atlantide
de Régis Wargnier, Marco Pico, C. Cha-
Serge (C. Chabrol, 1959) et les Cousins (G. W. Pabst, 1932) succèdent ainsi un
brol (Une affaire de femmes, 1988), Ber-
(id., id.), tous deux avec Jean-Claude Raskolnikov halluciné dans Crime et
nard Cohn (Natalia, 1989). Elle affirme sa
Brialy. En Italie, Carlo Lizzani lui confie Châtiment (P. Chenal, 1935), Mathias
personnalité dans Plaisir d’amour (Nelly
la composition du Bossu de Rome (1960) Pascal dans l’Homme de nulle part (id.,
Kaplan, 1991), l’Affût (Yannick Bellon,
puis le rôle principal de Traqués par la 1937), Hermann dans la Dame de pique
1992), et plus encore dans le rôle-titre
(F. Ozep, id.) ou Nikitine dans le Joueur
Gestapo (1961). Hollywood l’appelle : de Faut-il aimer Mathilde ? (Edwin Baily,
dans Hatari (1962), il est le « petit brun (G. Lamprecht et L. Daquin, 1938). Les
1993) – un premier film qui lui doit beau-
années 30 le voient aussi avorteur borgne
révolté et violent » que l’on retrouve sou- coup. Bien que moins en vue et de plus
dans Un carnet de bal (J. Duvivier, 1937),
vent dans l’oeuvre de Hawks. Mais ce qui en plus sollicitée par la télévision, elle
espion interlope dans Mademoiselle
pourrait être pour Blain le grand départ tourne notamment dans Voilà (M. Piccoli,
Docteur (G. W. Pabst, id.) ou condamné
dans la carrière le déçoit profondément. 1997), Ceux qui m’aiment prendront le
clamant son innocence dans l’Affaire du
Son métier d’acteur le laisse insatisfait. train (P. Chéreau, 1998), Allah bénit mon
courrier de Lyon (M. Lehmann et C. Au-
En 1971, il passe de l’autre côté de la ca- voyage (E. Baily, 2001).
tant-Lara, 1937) et l’Étrange Monsieur
méra : les Amis, film simple et courageux,
Victor (J. Grémillon, 1938).
est bien accueilli par la critique. On le rap- BLANC (Michel), acteur et cinéaste fran-
çais (Courbevoie 1952). Pendant l’Occupation, Jean Delannoy
proche de Bresson, un des cinéastes qu’il
Issu du café-théâtre (équipe du Splendid), lui donne un rôle populaire avec Pontcar-
admire. Toujours scénariste de ses films,
ce petit homme frêle à l’humour nerveux ral, colonel d’Empire, (1942). Il a, de plus,
il interprète aussi le rôle principal dans
et vindicatif apparaît dans plusieurs films l’occasion de s’essayer à la réalisation.
le Pélican (1974). En 1975, il réalise Un
(la Meilleure Façon de marcher, C. Mil- Respectivement adaptés de Tourgue-
enfant dans la foule. En règle générale, il
ler, 1976 ; le Locataire, R. Polanski, id.), niev et Balzac, Secrets (1943) et Un seul
tourne avec des moyens peu importants
avant de connaître la popularité avec les amour (id.) ne convainquent guère, mais
et sans comédiens très connus (excep-
Bronzés (P. Leconte, 1978). Voué à des confirment les ambitions d’un homme exi-
tion faite pour Un second souffle, 1978,
emplois comiques, il tourne beaucoup, geant et honnête. Président du Comité de
avec Robert Stack). Ces quelques films
notamment avec Patrice Leconte (Viens libération du cinéma, il dit le commentaire
lui donnent une place particulière dans
chez moi, j’habite chez une copine, du film collectif sur la Libération de Paris
le cinéma français. Le Rebelle, en 1980,
1981). Il réalise son premier film en 1984, (1944), qu’il présentera dans les pays
confirme sa maîtrise, son souci d’indé-
Marche à l’ombre, qui remporte un très alliés. Après le Bossu (Delannoy, 1944),
pendance, et sa persévérance dans
grand succès public, tout comme Grosse Patrie (L. Daquin, 1946), la Symphonie
le choix des sujets (l’homosexualité, la
Fatigue (1994). Sa carrière amorce un pastorale (Delannoy, 1946) et Docteur
quête filiale et paternelle, un anarchisme
tournant avec Tenue de soirée (B. Blier, Laennec (M. Cloche, 1949), sa carrière
non intellectuel) de même que Pierre et
1986), qui lui vaut le prix d’interprétation cinématographique connaît une éclipse
Djemila (1987), sobre histoire d’un amour
à Cannes pour son étonnante compo- de près de dix ans, qu’il consacre au
contrarié entre un apprenti géomètre de sition d’un Français moyen basculant théâtre. Sa dernière apparition dans le
17 ans et une toute jeune fille d’origine dans l’homosexualité, et Monsieur Hire Monocle noir (G. Lautner, 1961) pastiche
algérienne. En 1995 il présente Jusqu’au (P. Leconte, 1989) d’après Simenon. On avec humour les tics bien connus de cet
bout de la nuit et en 1999 Ainsi soit-il où la le retrouve ensuite notamment dans Ura- acteur singulier qui incarne — ô ironie !
révolte prend la forme d’un émouvant tes- nus (C. Berri, 1990) et Merci la vie (Ber- — un nostalgique d’Hitler. L’actrice Domi-
tament. En 1976, Wim Wenders lui avait trand Blier, 1991). Il réalise (et interprète), nique Blanchar est sa fille.
confié l’interprétation d’un des rôles prin- en 1994, Grosse fatigue, qui remporte un
cipaux de l’Ami américain. Il avait repris vif succès public et en 1999 Mauvaise BLANCHE (Francis), acteur français (Paris
de temps à autre le chemin des studios passe. Devenu un acteur très populaire, 1921 - id. 1974).
comme acteur : la Flambeuse (Rachel il est également au générique de pro- Fils d’acteur, il fréquente très tôt les
Weinberg, 1980), Poussière d’ange ductions internationales : Prêt-à-porter milieux du théâtre. Il commence sa car-
(Edouard Niermans, 1987), Natalia (Ber- (R. Altman, 1994), le Monstre (R. Beni- rière au cabaret, à l’âge de dix-sept ans,
nard Cohn, 1989). (RÉ : ) gni, id.). après des études secondaires brillantes.

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Son pessimisme foncier l’empêchera nos (Chulas Fonteras, 1976 ; Del Mero la vie (Tempi nostri, 1954) et surtout en
de s’engager dans une carrière univer- corazón, 1979), aux Serbes de Californie lançant le couple Sophia Loren-Marcello
sitaire que ses dons lui permettaient. Il (Ziveli : Medicine for the Heart, 1987). Cé- Mastroianni dans deux comédies brillam-
préférera improviser sa vie, comme son lébrant la vie sous toutes ses formes avec ment enlevées : Dommage que tu sois
métier, sous le signe d’un dilettantisme un entrain dionysiaque, il chante les ver- une canaille (Peccato che sia una cana-
amusé et parfois subversif. Il abordera tus et la saveur de l’ail (Garlic Is As Good glia, 1955), la Chance d’être femme (La
d’ailleurs toutes les formes d’expression As Ten Mothers, 1980). C’est l’ail qui par- fortuna di essere donna, id.). En 1959, il
du spectacle, avec le même bonheur, fume les chaussures de Werner Herzog inaugure, avec Nuits d’Europe (Europa
mais aussi la même désinvolture : music- que le réalisateur allemand mange en di notte, suivi en 1961 de Io amo tu ami),
hall, théâtre, radio, télévision. Il joue, public (Werner Herzog Eats His Shoe, un genre qui obtient immédiatement
avec Pierre Dac dans les années 50, 1980). Il suit le même Herzog en Amé- un grand succès, celui du film enquête
un rôle un peu comparable à celui des rique du Sud pour filmer le tournage de sur la vie nocturne de grands cabarets
goons britanniques, dont Peter Sellers Fitzcarraldo (A Burden of Dreams, 1982). internationaux. En 1966, il réalise le très
est issu, avec la longue série des feuille- personnel Moi, moi, moi... et les autres
tons Malheur aux barbus et Signé Furax. BLASETTI (Alessandro), cinéaste italien (Io, io, io... e gli altri), film dans lequel il
Il est l’auteur d’innombrables textes de (Rome 1900 - id. 1987). dresse en quelque sorte le bilan de ses
chansons, de monologues, de dialogues Après avoir été employé de banque et expériences passées. Depuis cette date,
de pièces de théâtre et de films. Sa par- conduit à terme des études de droit, Bla- Blasetti a réalisé quelques films mineurs
ticipation au cinéma des années 50 à 70 setti se lance dans le journalisme militant et s’est ensuite consacré à des travaux
est quantitativement impressionnante. pour prendre la défense du cinéma italien pour la télévision, notamment des antho-
Souvent auteur secondaire de ses per- et pour affirmer la nécessaire renaissance logies de films comiques (L’arte di far
sonnages dans des oeuvres de qualité d’une industrie moribonde. D’abord colla- ridere, 1976) et de films de science-fiction
très inégale signées par d’autres, il a borateur du quotidien L’Impero, il fonde (Racconti di fantascienza, 1978). En plus
traversé tout le cinéma comique et sati- en 1926 Lo Schermo, revue de culture d’un demi-siècle d’activité, Blasetti s’est
rique français. Sa composition du com- cinématographique qui devient en 1928 montré, sans conteste, un des cinéastes
mandant nazi, dans Babette s’en va-t-en Cinematografo. Blasetti crée également italiens les plus productifs : doté d’un
guerre, auprès de Brigitte Bardot, restera en 1928 Lo Spettacolo d’Italia, un autre solide métier, apte à sentir l’évolution du
emblématique de son art de la compo- hebdomadaire à vocation plus large que goût du public avec lequel il a toujours
sition, dont la loufoquerie peut basculer le précédent. Avec les lecteurs de Cine- maintenu un contact intelligent, il s’appa-
dans la dérision grinçante. Principales matografo, il fonde une coopérative de rente aux cinéastes hollywoodiens de la
apparitions à l’écran : Tire-au-flanc (Fer- production, l’Augustus, grâce à laquelle il grande époque : son univers personnel
nand Rivers, 1950), Minuit quai de Bercy va pouvoir passer à la mise en scène : à ne s’impose pas au premier abord mais
(Christian Stengel, 1953), Ah ! les belles partir d’un sujet d’Aldo Vergano, il tourne sous-tend toute l’oeuvre d’un fil continu.
bacchantes (Jean Loubignac, 1954), les en 1928 Sole. Le succès du film lui ouvre Surnommé « le metteur en scène en
Motards (Jean Laviron, 1959), Babette la possibilité de travailler pour la société bottes » (il apparaît dans Bellissima de
s’en-va-t-en guerre (Christian-Jaque, id.), la plus puissante du moment, la Cines, Visconti et dans Une vie difficile de Risi),
les Tontons flingueurs (G. Lautner, 1963). de Pittaluga. Devenu, à partir de 1930, un Blasetti s’impose avec sa forte personna-
Il a écrit également un certain nombre de cinéaste apprécié de la critique et du pu- lité comme un homme de spectacle aux
scénarios, parmi lesquels : L’assassin est blic, il apparaît beaucoup sur les écrans qualités évidentes, même si aucun de ses
à l’écoute (Raoul André, 1948), Une fille et se montre à l’aise dans les grandes films ne le place vraiment au niveau des
à croquer (id., 1951). Francis Blanche a reconstitutions historiques comme dans plus grands. Nul doute, toutefois, que,
aussi cosigné les dialogues de la Grande les films à thèmes contemporains ; il al- dans les années 30 et au début des an-
Bouffe (M. Ferreri, 1973) et réalisé, en terne aussi drames et comédies et tourne nées 40, il soit avec Camerini le meilleur
1962, Tartarin de Tarascon. même quelques films fortement marqués cinéaste italien.
par l’atmosphère fasciste. Parmi les films
BLANK (Les), cinéaste américain (Tampa, réalisés de 1930 à 1943, on peut citer Ne- BLAVETTE (Charles), acteur français (Mar-
Fla., 1935). rone (1930) avec Ettore Petrolini, Terra seille 1902 - Suresnes 1967).
Dans la riche tradition du documentaire madre (1930), La tavola dei poveri (1932) L’année de ses débuts (1934) lui est
américain, l’oeuvre de Les Blank occupe avec Raffaele Viviani, 1860 (1933), Vec- bénéfique : il obtient le rôle principal de
une place à part. Formé par le cinéma chia guardia (1935), un des rares films Toni (J. Renoir, 1935) et campe deux sil-
industriel et éducatif, Blank a très vite axé consacrés aux circonstances de l’arrivée houettes typiques (Joffroi et Angèle de
son travail sur la nourriture et la musique, au pouvoir des fascistes, puis Aldebaran Marcel Pagnol). Comédien chaleureux et
deux éléments essentiels de la culture. (id.), Ettore Fieramosca (1938), Retros- sincère, on le remarque tout particulière-
Dédaignant tout propos didactique, les cena (1939), Un‘ avventura di Salvator ment dans la Femme du boulanger (Pa-
courts métrages de Les Blank refusent le Rosa (1940), la Couronne de fer (La gnol, 1938), Remorques (J. Grémillon,
commentaire et adoptent une démarche corona di ferro, 1941), la Farce tragique 1941 [RÉ 1939-40]), la Fille du puisatier
ethnographique. Dès ses débuts, il s’inté- (La cena delle beffe, 1941), Quatre Pas (Pagnol, 1940). Renoir ne l’oublie pas :
resse aux poulets (Running Around Like dans les nuages (Quattro passi fra le La vie est à nous (1936), la Marseillaise
a Chicken With Its Head Cut Off, 1960) et nuvole, 1942). Grâce à ce dernier film, (1938), le Déjeuner sur l’herbe (1959) ;
à Dizzie Gillespie (1964). Il fait le portrait Blasetti se prépare à prendre le tournant ni Pagnol : Regain (1937), le Schpountz
des chanteurs de blues Lightnin ’ Hopkins de l’après-guerre et à participer, certes de (1938), Naïs (1946), Manon des sources
(The Blues According to Lightnin ’ Hop- manière mineure, au courant néoréaliste. (1953) ; et il figure dans Quai des Or-
kins, 1968) et Mance Lipscomb (A Well Dans cette perspective, il réalise Un jour fèvres (H.-G. Glouzot, 1947), l’Eau vive
Spent Life, 1971), du chanteur de rock dans la vie (Un giorno nella vita, 1946). (François Villiers, 1958) et Une aussi
Leon Russell (A Poem Is a Naked Per- Après le médiocre Fabiola (id., 1949) et longue absence (H. Colpi, 1961).
son, 1974) et du violoniste Tommy Jarrell quelques années d’incertitude créatrice,
(Sprout Wings and Fly, 1983). Il s’attache Blasetti retrouve une seconde jeunesse BLECH (Hans Christian), acteur allemand
aux danseurs de polka (In Heaven There en tournant deux films à sketches très (Darmstadt 1915 - Munich 1993).
Is No Beer, 1984), à la culture cajun (Dry appréciés du public Heureuse Époque Acteur de théâtre, il fait ses débuts au ci-
Wood, 1972 ; Hot Pepper, id.), aux chica- (Altri tempi, 1952) ; Quelques pas dans néma à Berlin-Est en 1948 (l’Affaire Blum

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

[Affäre Blum] d’Erich Engel) et devient grand bourgeois, de truand, de ganache Cocu magnifique (Il magnifico cornuto,
célèbre dans le rôle de Pazek de la série et de cabot solennel. Michel Audiard et A. Pietrangeli, 1964) ; les Barbouzes
des 08/15, trois films de Paul May (1954- Jean Yanne le prennent comme mascotte (Lautner, 1965) ; l’Étranger (Lo straniero,
55). Il fait une grande carrière théâtrale dans presque tous leurs films. On est en L. Visconti, 1967) ; Nos héros réussiront-
et, le cinéma allemand de l’époque ne droit de préférer ses interprétations plus ils à retrouver leur ami mystérieusement
pouvant lui convenir, il tourne peu. Ses nuancées chez Robin Davis (Ce cher disparu en Afrique ? (Riusciranno i nostri
plus grandes créations sont celles de Victor), Alain Corneau (Série noire) ou eroi a ritrovare l’amico misteriosamente
l’Enclos (A. Gatti, 1961) et de la Rancune récemment Luigi Comencini (Eugenio). scomparso in Africa ?, E. Scola, 1968) ;
(B. Wicki, 1964). À partir de 1970, ses Bernard Blier a deux enfants : Brigitte Mon oncle Benjamin (E. Molinaro, 1969) ;
activités théâtrales se déroulent surtout et Bertrand, devenu romancier et cinéaste le Distrait (P. Richard, 1970) ; le Grand
à Munich, et il apparaît dans les films de (il a dirigé son père dans Si j’étais un Blond avec une chaussure noire (Y. Ro-
plusieurs nouveaux cinéastes : la Lettre espion, Calmos et Buffet froid). Bernard bert, 1972) ; Tout le monde il est beau,
écarlate (W. Wenders, 1972), Faux Mou- Blier a obtenu en 1973 le prix Balzac, au tout le monde il est gentil (J. Yanne, id.) ;
vement (id., 1975), Winterspelt (Eberhard théâtre, pour son rôle dans le Faiseur. Moi, y en a vouloir des sous (id., 1973) ;
Fechner, 1977), le Couteau dans la tête Ce cher Victor (Robin Davis, 1975) ; Mes
Films : Trois, six, neuf (R. Rouleau,
(R. Hauff, 1978), le Huitième jour (The 8th chers amis (Amici miei, Monicelli, id.) ;
1937) ; Gribouille (M. Allégret, id.) ; Alti-
Day, Reinhard Münster, 1990). Calmos (Bertrand Blier, 1976) ; le Corps
tude 3 200 (J. Benoît-Lévy et M. Epstein,
1938) ; Entrée des artistes (M. Allégret, de mon ennemi (Verneuil, id.) ; Nuit d’or
BLIER (Bernard), acteur français (Buenos (S. Moati, 1977) ; Série noire (A. Cor-
id.) ; Hôtel du Nord (M. Carné, id.) ; Le
Aires, Argentine, 1916 - Paris 1989).
jour se lève (id., 1939) ; l’Enfer des Anges neau, 1979) ; Buffet froid (Bertrand Blier,
Fils d’un biologiste de l’Institut Pasteur et
(Christian-Jaque, id.) ; Premier Bal (id., id.) ; Eugenio (L. Comencini, 1980) ; Mes
né au cours d’une mission de ce dernier
1941) ; l’Assassinat du Père Noël (id., chers amis, numéro 2 (M. Monicelli,
en Amérique du Sud, Bernard Blier fait
id.) ; la Symphonie fantastique (id., 1942) ; 1982) ; Pourvu que ce soit une fille (id.,
ses études au lycée Condorcet. Rêvant
le Mariage de Chiffon (C. Autant-Lara, 1986) ; Je hais les acteurs (G. Krawczyk,
de devenir comédien, il s’inscrit au cours
id.) ; la Nuit fantastique (M. L’Herbier, id.) ; id.) ; Mangeclous (Moshe Mizrahi, 1988) ;
de Raymond Rouleau et de Julien Ber-
Carmen (Christian-Jaque [RÉ : 1943], les Possédés (A. Wajda, id.), Migrations
theau, est recalé à trois reprises à l’exa-
1945) ; Marie-Martine (A. Valentin, id.) ; (A. Petrovi, 1989 [1994]).
men d’entrée au Conservatoire, avant
les Petites du quai aux Fleurs (M. Allé-
d’être enfin admis, grâce aux encourage- BLIER (Bertrand), cinéaste et romancier
gret, 1944) ; Seul dans la nuit (Christian
ments de Louis Jouvet. Déjà le cinéma le
Stengel, 1945) ; Messieurs Ludovic (J.- français (Boulogne-Billancourt 1939).
réclame : en 1937, il débute dans Trois,
Fils de l’acteur Bernard Blier, il débute
P. Le Chanois, 1946) ; le Café du Cadran
six, neuf de Raymond Rouleau et Gri-
(Jean Gehret, 1947) ; Quai des Orfèvres comme assistant de Christian-Jaque
bouille de Marc Allégret. Au théâtre, on le
(H.-G. Clouzot, id.) ; Dédée d’Anvers et Denys de La Patellière. Il tourne de
voit dans Mailloche et l’Amant de paille.
nombreux documentaires avant d’être
Marcel Carné lui confie le rôle de l’éclu- (Y. Allégret, 1948) ; D’homme à hommes
(Christian-Jaque, id.) ; les Casse-Pieds reconnu par la critique et le public, en
sier d’Hôtel du Nord, en 1938. La même
(J. Dréville, id.) ; l’École buissonnière (Le 1962, grâce à une enquête sociologique
année, il est de l’équipe d’Entrée des
Chanois, 1949) ; Monseigneur (Roger filmée : Hitler, connais pas, où des jeunes
artistes aux côtés du « patron » Jouvet.
Richebé, id.) ; l’Invité du mardi (J. Deval, Français, interrogés sur le nazisme,
Pendant la guerre, démobilisé, il accu-
1950) ; la Souricière (H. Calef, id.) ; Ma- révèlent leur ignorance d’un moment
mule les rôles de composition, à l’écran
nèges (Y. Allégret, id.) ; les Anciens de de l’histoire que la mémoire collective a
(le plus pittoresque étant celui du neveu
Saint-Loup (G. Lampin, id.) ; Souvenirs occulté. Après une période consacrée à
ahuri de Marie-Martine, auquel Saturnin
perdus (Christian-Jaque, id.) ; Sans lais- l’écriture, interrompue seulement par la
Fabre intime de tenir sa bougie... droite !)
ser d’adresse (Le Chanois, 1951) ; la Mai- réalisation d’un film de genre (Si j’étais un
et à la scène (Mamouret, Mademoiselle
son Bonnadieu (Carlo Rim, id.) ; Agence espion, 1967), il accède à la notoriété en
de Panamá). En 1947, il s’impose dans
matrimoniale (Le Chanois, 1952) ; Je l’ai adaptant son propre roman les Valseuses
le rôle du pianiste paumé de Quai des
été trois fois (S. Guitry, 1953) ; Avant le (1974), qui révèle deux comédiens : Gé-
Orfèvres, de H.-G. Clouzot (de nouveau
déluge (A. Cayatte, 1954) ; le Dossier rard Depardieu et Patrick Dewaere. Il
avec Jouvet). Ses prestations contras-
noir (id., 1955) ; les Hussards (A. Joffé, poursuit ensuite une double carrière, litté-
tées de Dédée d’Anvers (un mauvais
id.) ; Mère Courage (Mutter Courage und raire et cinématographique. Après l’échec
garçon), Manèges (un mari minable) et
ihre Kinder, W. Staudte, non achevé, relatif de Calmos (1976) et avant ceux de
l’École buissonnière (un jeune instituteur
id.) ; Crime et Châtiment (Lampin, 1956) ; la Femme de mon pote (1983) et de Notre
aux idées d’avant-garde) achèvent de lui
l’Homme à l’imperméable (J. Duvivier, histoire (1984), il connaît trois succès
valoir la notoriété. Sa rondeur bonasse
1957) ; Retour de manivelle (D. de La Pa- critiques et publics avec Préparez vos
et parfois inquiétante sera utilisée, dans
les années 50, par Jean-Paul Le Cha- tellière, id.) ; les Misérables (Le Chanois, mouchoirs (1978), qui obtient un Oscar

nois (Sans laisser d’adresse, Agence 1958) ; Sans famille (A. Michel, id.) ; les aux États-Unis, Buffet froid (1979) et

matrimoniale, les Misérables, où il campe Grandes Familles (La Patellière, id.) ; Ma- Beau-Père (1981), adapté de son roman
un convaincant Javert), Georges Lam- rie-Octobre (Duvivier, 1959) ; la Grande homonyme. Il signe en 1986 Tenue de

pin (les Anciens de Saint-Loup, Crime Guerre (La grande guerra, M. Monicelli, soirée, en 1989 Trop belle pour toi qui
et Châtiment), André Cayatte (Avant le id.) ; Archimède le clochard (G. Gran- remporte le prix spécial du jury au Fes-
déluge, le Dossier noir), Julien Duvivier gier, id.) ; le Bossu de Rome (Il Gobbo, tival de Cannes et le César du meilleur
(l’Homme à l’imperméable, Marie-Oc- C. Lizzani, 1960) ; Arrêtez les tambours film, en 1991 Merci la vie, en 1993, Un,
tobre) et bien d’autres, de Sacha Guitry (G. Lautner, id.) ; le Président (H. Verneuil, deux, trois, soleil, en 1995 Mon homme,
à Berthomieu. Son physique à la Gino id.) ; Vive Henri IV, vive l’amour (Autant- en 2000 les Acteurs, avec une pléiade de
Cervi attire l’attention des Italiens, qui Lara, 1961) ; Le cave se rebiffe (Grangier, vedettes et de nombreux clins d’oeil. Le
l’emploient habilement dans la Grande id.) ; le Septième Juré (G. Lautner, 1962) ; cinéma de Bertrand Blier est celui d’un
Guerre (M. Monicelli) et le Bossu de Germinal (Y. Allégret, 1963) ; les Cama- moraliste désabusé, mais tonique, qui ne
Rome (C. Lizzani). Il continuera par la rades (I compagni, Monicelli, id.) ; Cent dédaigne pas de recourir à la provoca-
suite à se partager entre la France et l’Ita- Mille Dollars au soleil (H. Verneuil, id.) ; tion, au cynisme, voire à l’absurde pour
lie, alternant avec aisance les rôles de les Tontons flingueurs (Lautner, id.) ; le traduire sa vision grinçante du monde.

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

BLIMP (mot anglais). Holger-Madsen), Un mariage pendant la Door Fancy, elle publie un roman passa-
Caisson insonorisant, adaptable à une révolution (Et Revolutionsbryllup, 1914), blement autobiographique en 1972, sans
caméra de façon à rendre son bruit inau- Pro Patria (id.), Tu dois aimer ton pro- abandonner le cinéma ; on la voit encore
dible. ( CAMÉRA[**/INTER**].) BLIMPER(FRAN- chain (Du skal elske din naeste, 1915), dans le Champion (F. Zeffirelli, 1979)
GLAIS D’APRÈS BLIMP) ADAPTER UN BLIMP À UNE CAMÉRA. Pour l’honneur de son pays (For sit lands et dans Opening Night (J. Cassavetes,
baere, id.), la Fin du monde (Verdens un- 1978).
BLIN (Roger), acteur français (Neuilly-sur- dergang, 1916), la Favorite du Mahara-
Seine 1907 - Evecquemont 1984). djah (Maharajaens yndlingshustru, 1919), BLOOM (Patricia Claire Blume, dite Claire),
Sa carrière est essentiellement théâtrale. le Pasteur de Vejlby (Praesten i Vejlby, actrice britannique (Londres 1931).
Très influencé par Antonin Artaud, il est 1920). Actrice à Oxford à quinze ans, elle dé-
un des metteurs en scène français les bute à l’écran en 1948 (dans The Blind
plus importants et a contribué à rénover BLOMBERG (Erik), cinéaste finlandais Goddess d’Harold French) et devient
le théâtre contemporain. Son nom est en (Helsingfors [auj. Helsinki] 1913 - Kuusjoki, mondialement célèbre quand Chaplin la
outre lié à celui de Samuel Beckett. Au ci- 1996). choisit pour sa partenaire de Limelight
néma, il a fait quelques apparitions dans Acclamé pour sa brillante saga lapone (1952) ; la même année, elle est enga-
les films de ses amis : l’Alibi (P. Chenal, le Renne blanc (Valkoinen peura, 1952), gée à l’Old Vic Theater. Le reste de sa
1937), Entrée des artistes (M. Allégret, Blomberg a commencé sa carrière en carrière cinématographique, partagée
1938), les Visiteurs du soir (M. Carné, 1935 comme cameraman, producteur et entre l’Europe et Hollywood, ne comptera
1942), Adieu Léonard (P. Prévert, 1943), réalisateur de courts métrages. Comptent longtemps qu’un autre rôle mémorable :
Douce (C. Autant-Lara, id.), Orphée aussi au nombre de ses longs métrages : les Liaisons coupables de George Cukor,
(J. Cocteau, 1950) ; et son seul rôle en ’Quand on est amoureux‘ (Kun on tunteet, en 1962. Comédienne un peu statique,
vedette est celui que lui a confié Edmond 1954) et ’les Fiançailles‘ (Kihlaus, id.) ; elle ne peut donner sa mesure qu’aux
T. Gréville dans Pour une nuit d’amour mais c’est le Renne blanc qui atteste sa mains d’un directeur de premier ordre.
(1947). Il a publié dans la première Revue parfaite maîtrise de l’éclairage et de la Parmi ses autres films : l’Homme de Ber-
du cinéma de remarquables études, en bande musicale, chaque fois que l’hé- lin (C. Reed, 1953), Alexandre le Grand
particulier sur King Vidor et Murnau. roïne, une splendide jeune femme, se (R. Rossen, 1956), Richard III (L. Olivier,
métamorphose en renne pour conduire id.), les Frères Karamazov (R. Brooks,
BLISTÈNE (Marcel Blitstein, dit Marcel), les hommes à leur perte. Le film a obtenu 1958), les Corps sauvages (T. Richard-
cinéaste français (Paris 1911 - Paris 1991). des prix à Cannes et à Karlovy Vary ; il est son, 1959), la Maison du diable (R. Wise,
Son premier film est Étoile sans lumière remarquablement interprété par Mirjami 1963), l’Espion qui venait du froid (M. Ritt,
(1945), dont la vedette est Édith Piaf, et il Kuosmanen, l’épouse aujourd’hui dispa- 1965), Charly (R. Nelson, 1968), l’Homme
dirige Françoise Rosay, Simone Signoret, rue du cinéaste. tatoué (J. Smight, 1969), la Maison de
Paul Meurisse dans Macadam (1946), poupée (J. Losey, 1973), l’Île des adieux
supervisé par Jacques Feyder. Il réalise BLONDELL (Rose Joan Blondell, dite (F. Schaffner, 1977), Sammmy et Rosie
ensuite des films souvent conventionnels, Joan), actrice américaine (New York, N. Y., s’envoient en l’air (S. Frears, 1987),
voire quelque peu rudimentaires (Bibi Fri- 1906 - Santa Monica, Ca., 1979). Crimes et délits (W. Allen, 1989). Elle fut
cotin, 1951), mais on se souvient néan- L’avènement du parlant la fait passer de l’épouse de Rod Steiger et s’est remariée
moins parfois de Rapide de nuit (1948), la scène à l’écran. Vedette de la War- en 1990 avec l’écrivain Philip Roth.
du Sorcier du ciel (1950), de Cet âge est ner dans les années 30, elle incarne
sans pitié (1952), du Feu dans la peau, une jeune femme moderne et familière, BLUE (James), cinéaste américain (Tulsa,
coproduit avec l’Italie (1954), de Gueule aussi neuve par rapport aux ingénues Okla., 1930 - New York, N. Y., 1980).
d’ange (1955), de Sylviane de mes nuits que par rapport aux vamps. Gironde et Diplômé de l’université d’Oregon
(1956) et des Amants de demain (1958). délurée, elle provoquera même l’hosti- (théâtre), il entre à l’IDHEC (1956-1958).
lité des ligues de décence : Convention Ses premiers courts métrages réalisés
BLOM (August), cinéaste danois (Copen- City (A. Mayo, 1933). Sa présence sen- pour la Société algérienne de production
hague 1869 - id. 1947). suelle convient aux films musicaux : les cinématographique révèlent un grand
Chanteur à l’Opéra de Copenhague, Chercheuses d’or de 1933 (M. LeRoy, documentariste (Amal, l’Endormi, le
il se lie avec Ole Olsen, qui l’attire vers 1933), Prologues (L. Bacon, id.) et surtout Menuisier). Son seul long métrage, les
le cinéma. Il écrit quelques scénarios Dames (R. Enright, 1934), où elle donne Oliviers de la justice, sur le problème de
et interprète plusieurs petits films avec la sérénade... à des sous-vêtements la colonisation en Algérie, obtient le prix
Oda Alstrup. En 1910, il prend la succes- masculins ! Sa franche aménité, sous de la Critique à Cannes en 1962. Qu’il
sion de Viggo Larsen à la direction artis- des dehors cyniques, humanise plus d’un travaille pour l’United States Information
tique de la Nordisk. Pionnier inventif du âpre drame : Night Nurse (W. Wellman, Agency (Evil Wind Out, The March, etc.),
cinéma danois, il est avec Holger Mad- 1931), La foule hurle (H. Hawks, 1932) et qu’il enseigne à l’UCLA ou à l’université
sen, Urban Gad, Benjamin Christensen et des films policiers comme l’Ennemi public Rice, ou qu’il interprète le rôle principal de
A. W. Sandberg l’une des personnalités (Wellman, 1931). Son sens du tempo et Sam Houston’s Retreat (B. Huberman,
les plus remarquables du cinéma euro- ses mimiques calculées lui permettent de 1980), James Blue n’a cessé d’affirmer,
péen pendant les années 10. On lui doit réussir dans la comédie (The Greeks Had non sans courage politique, sa passion et
également la découverte de l’actrice Asta a Word for Them, L. Sherman, 1932) et son intérêt sans cesse renouvelés pour
Nielsen, qui apparaît pour la première fois de créer des personnages pittoresques l’homme, et ce quelle que soit la nature
à l’écran dans un de ses films : Devant (M. Dodd part pour Hollywood, T. Garnett, de ses réalisations — documentaires ou
la porte de la prison (Ved faenglets port, 1937). Elle évolue dès lors vers des rôles fictions —, qui comportent toujours une
1911). Il est notamment le réalisateur de de composition, comme dans le Retour structure dramatique solide.
Hamlet (1910) tourné au château même de Topper (Topper Returns, R. Del Ruth,
d’Elseneur, la Traite des blanches (Den 1941) ou le Lys de Brooklyn (E. Kazan, BLUE (Monte), acteur américain (Indiana-
hvide slavehandel, id.), la Danseuse (Bal- 1945), puis vers des emplois secon- polis, Ind., 1890 - Milwaukee, Wis., 1963).
letdanserinden, 1911), le Chancelier noir daires : la Blonde explosive (F. Tashlin, Il est engagé comme cascadeur et figu-
(Den sorte Kansler, 1912), l’Ensorceleuse 1957), le Kid de Cincinnati (N. Jewison, rant par Griffith qui l’emploie entre autres
(Af elskovs naade, 1913), Atlantis (id.), 1965), qui démontrent qu’elle conserve dans Intolérance (1916) ou les Deux
Intrigue amoureuse (Elskovsleg, id., CO tout son abattage. Sous le titre de Center Orphelines (1922). Les années 20 font

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

de lui une vedette et on le voit dans le de Mary dans la Foule (1928). Après son BODARD (Mag), productrice française
Remorqueur « Chief » (W. S. Van Dyke, divorce, elle tourne peu : The Squaw Man (Turin, Italie, 1916).
1924), Comédiennes (E. Lubitsch, id.), (C. B. De Mille, 1931), La traviesa moli- Elle fonde Parc Film en 1961 et « règne »
les Surprises de la T. S. F. (id., 1926), nera (1934) d’Harry d’Abbadie d’Arrast, sur le cinéma français de la décennie
ou dans Ombres blanches (R. Flaherty qu’elle épouse en 1940. en produisant Jacques Demy (les Para-
et W. S. Van Dyke, 1928). Il incarne pluies de Cherbourg, 1964 ; les Demoi-
aussi Deburau dans The Lover of Camille BOBINE. selles de Rochefort, 1967 ; Peau d’Âne,
(H. Beaumont, 1924), d’après Guitry. Sa Pièce de révolution, constituée d’un 1970), Michel Deville (Benjamin, 1968 ;
carrière va décliner dès l’avènement du noyau cylindrique et de deux flasques Bye bye Barbara, 1969 ; l’Ours et la
parlant. circulaires (fixes ou démontables), sur la- Poupée, 1970 ; Raphaël ou le Débau-
quelle on enroule les films. Par extension, ché, 1971), Robert Bresson (Au hasard
BLYTH (Ann), actrice américaine (Mt. Balthazar, 1966 ; Mouchette, 1967 ; Une
le fragment d’une copie d’exploitation qui
Kisco, N. Y., 1928). femme douce, 1969), Agnès Varda (le
résulte du fractionnement de cette copie
Avant de débuter à Hollywood, en 1944, Bonheur, 1965 ; les Créatures, 1966),
en parties susceptibles de prendre place
elle a fait de la radio, de l’opéra et du Alain Resnais (Je t’aime, je t’aime, 1968),
sur une bobine de capacité standardisée
théâtre à Broadway et en tournée. Chan- Jean-Luc Godard (Deux ou trois choses
(autrefois 300 m, aujourd’hui 600 m).
teuse et comédienne, sa carrière se dis- que je sais d’elle, 1967 ; la Chinoise, id.),
tingue par une alternance de films musi- André Delvaux (Un soir, un train, 1968 ;
BOCKMAYER (Walter), cinéaste et scéna-
caux et non musicaux. C’est ainsi qu’on Rendez-vous à Bray, 1971), Maurice
riste allemand (Fehrbach 1948).
la voit avec Donald O’Connor dans Chipp Pialat (l’Enfance nue, 1969). Par la suite,
Habilleur dans un théâtre, il s’associe
Off the Old Block (Charles Lamont, 1944) elle crée Cinémag en 1975 et se tourne
en 1970 à son collègue Rolf Bührmann
et avec Howard Keel dans Rose Marie vers la télévision où son activité est aussi
(Mayence 1942) pour faire du cinéma en
(M. LeRoy, 1954) et Kismet (V. Minnelli, prestigieuse avec notamment Nina Com-
Super 8. Ils réalisent ensemble un dessin
1955). Elle sut également être une jeune paneez (Un ours pas comme les autres,
animé, des films expérimentaux et des
première touchante et convaincante dans 1977 ; les Dames de la côte, 1980 ; le
longs métrages qui, souvent gonflés en
le Roman de Mildred Pierce (M. Curtiz, Chef de famille, 1981 ; Deux amies d’en-
16 mm, les font peu à peu connaître —
1945), les Démons de la liberté (J. Das- fance, 1983).
en particulier grâce aux travestissements
sin, 1947) ou Tempête sur la colline
provocants d’oeuvres célèbres (Carmen,
(D. Sirk, 1951), et l’héroïne sympathique BODROV (Sergueï) [Sergej Bodrov], scé-
la Traviata) et des mythes hollywoodiens
de films d’aventures très enlevés comme nariste et cinéaste soviétique (Smakova,
(Gay West). Leur premier film profession-
Le monde lui appartient (R. Walsh, 1952) 1948).
nel, Jane sera toujours Jane (Jane bleibt Entré au V.G.I.K. de Moscou en 1971
avec Gregory Peck ou la Perle noire
(R. Thorpe, 1953). Elle a renoncé au Jane, 1977), est le curieux portrait d’une dans le département des scénarios, il en
cinéma après Pour elle, un seul homme vieille femme qui se prétend l’épouse de sort diplômé en 1974 et écrit plusieurs
(Curtiz, 1957). Tarzan. Il est suivi d’une comédie, amère sujets de films qui seront portés à l’écran
et ironique, sur le rêve de l’Amérique, par Edouard Gavrilov, Pëtr Todorovski,
BLYTHE (Elizabeth Blythe Slaughter, dite Coeurs enflammés (Flammende Herzen, Evgueni Guerassimov, Boulat Gabitov,
Betty), actrice américaine (Los Angeles, id.), puis, en 1980, de Looping et en 1982 Gueorgui Danelia, Khalmamed Kaka-
Ca., 1893 - Woodland Hills, id., 1972). de Kiez qu’ils ont écrit et réalisé en col- baev, Ivan Vassiliev tout en écrivant des
Elle débute en 1918 dans les studios de laboration comme les précédents. En textes littéraires (ses nouvelles publiées
la Vitagraph, connaît rapidement la célé- 1987, il signe seul Geierwally (Bührmann dans la revue Krokodil seront réunies en
brité, notamment après avoir obtenu le en étant le producteur). 1981 sous le titre Autoportrait dans un
rôle titre de Queen of Sheba (J.G. Ed- corridor (Aftoportret v koridori). Il débute
wards, 1921). On la retrouve à l’affiche BODANZKY (Jorge), cinéaste et chef opé- comme metteur en scène en 1984 : ‘ Le
de très nombreux films muets, parmi les- rateur brésilien (São Paulo 1942). jus de l’herbe a le goût du miel ’ (Sladkij
quels Over the Top (Wilfrid North, 1918), D’abord photographe et réalisateur de sok vnutri travy, CO Amambek Alpiev) et
Nomads of the North (David M. Hartford, courts métrages documentaires, il passe réalise en 1986 ‘ Je te hais ! ’ (Ja tibja ne-
1920), Mother O’Mine (F. Niblo, 1921), au long métrage avec Os Caminhos de navisu !). Son oeuvre suivante les Ama-
The Spitfire (W.C. Cabanne, 1924), She Valderez (CO Hermano Penna, 1971). teurs (Neprofessionaly, 1985-87) le fait
(G.B. Samuelson, en Grande-Bretagne, remarquer. Il signe ensuite ‘ Je te hais ’
Ses principaux films, Iracema et Gitirana,
1925), Glorious Betsy (A. Crosland, tournés en 1974 et 1975, en collaboration (Ja tebja nenavižu, 1986), la Liberté c’est
1928). Elle franchit avec douceur le cap le Paradis (S.E.R., 1989), ‘ Joueurs de
avec le scénariste et cinéaste Orlando
du parlant (The Scarlet Letter, R.G. Vi- cartes ’ (Katala, 1990), Je voulais voir les
Senna, restent longtemps interdits. Le
gnola, 1934 ; Maria Walewska, C. Brown, anges (Ja hotela uvidet’ angelov, 1992),
constat documentaire s’y trouve structuré
1937), jouant alors des rôles secon- Roi blanc, Dame rouge (Belyj korol’,
de manière expressive et la fiction y favo-
daires. On la remarque une ultime fois 1993), Prisonnier du Caucase (Kavkazski
rise l’improvisation des acteurs. En re-
dans la séquence du bal de My Fair Lady plennik, 1996), The Quickie (aux États-
vanche, Os Mucker (1978), coréalisé par
de George Cukor en 1964. Unis, 2001).
Wolf Gauer, fiction classique évoquant
une secte religieuse du XIXe siècle, est
BOARDMAN (Eleanor), actrice américaine BODY (Gabor), cinéaste hongrois (Buda-
(Philadelphie, Pa., 1898 - Santa Barbara, nettement moins convaincant, de même pest 1946 - id. 1985).
Ca., 1991). que Jari (1980), reportage sur l’Amazonie Études de philosophie (thèse sur « la si-
Modèle chez Kodak pour des films pu- livrée aux multinationales. Terceiro Milê- gnification filmique »). Diplômé de l’École
blicitaires, elle est remarquée par King nio (1981), long parcours de cette même supérieure de cinéma et TV de Budapest
Vidor, qui lui fait tourner la Sagesse région en compagnie d’un sénateur de avec Souvenir d’Amérique (Amerikai
des trois vieux fous (1923). Devenue sa l’opposition, est plus réussi. Il signe aussi anzix, 1975), essai expérimental sur les
femme, elle participe à la plupart de ses Amazônia, o último Eldorado (1982) et photos de la guerre de Sécession. Nar-
films muets (Fraternité, 1925 ; Bardelys le Igreja dos Oprimidos (1986). Sa fille Laís cisse et Psyché (Psyché I-II, 1980) est
Magnifique, 1926) ; mais on retient sur- Bodanzky débute dans la mise en scène une fable poétique nourrie de mythes an-
tout sa très riche interprétation du rôle avec Bicho de sete cabeças (2000). tiques. Chant nocturne du chien (Kutya éji

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

dala, 1983) raconte le voyage initiatique original, il trouve enfin sa voie avec Sept (id.) de Claude Goretta, les Uns et les
d’un pasteur en incluant Super-8 et vidéo, Hommes à abattre (Seven Men From Autres (1981) et Édith et Marcel (1983)
techniques dans lesquelles Body a réa- Now, id.) : « Peut-être le meilleur western de Claude Lelouch.
lisé de nombreux films expérimentaux. que j’ai vu depuis la guerre », écrit alors
André Bazin. BOGAERT (Lucienne), actrice française
BOEHM (Sydney), scénariste et pro- d’origine belge (Caudry 1892 - Montrouge
C’est le premier d’un cycle de wes-
ducteur américain (Philadelphie, Pa., 1983).
terns interprétés par Randolph Scott,
1908 - Woodland Hills, Ca., 1990). Son talent raffiné s’affirme dans de
écrits le plus souvent par Burt Kennedy,
Journaliste de 1930 à 1945, il signe son courtes scènes qu’elle rend fascinantes :
qui distillent les vertus du classicisme
premier film en 1947 : le Mur des té- celle, entre autres, de la droguée de Mai-
mais en les décantant jusqu’à l’abstrac-
nèbres (C. Bernhardt, 1948). Ensuite, ses gret tend un piège (J. Delannoy, 1958).
tion : l’Homme de l’Arizona (The Tall T.,
meilleurs scénarios sont ceux de wes- Avec les Dames du bois de Boulogne
1957) ; Décision at Sundown (id.) ; l’Aven-
terns ou de films noirs aux constructions (1945), Bresson lui fournit un rôle dont
turier du Texas (Buchanan Rides Alone,
efficaces mais sans véritable originalité. elle fait vibrer toutes les résonances
1958) ; la Chevauchée de la vengeance
On lui doit surtout le script de Règle- grâce à sa voix feutrée et métallique.
(Ride Lonesome, 1959) ; le Courrier de
ments de comptes (F. Lang, 1953), mais Le théâtre garde ses préférences et, de
l’Or (Westbound, id.) ; Comanche Station
aussi de solides films pour Rudolph Maté, Copeau à Jouvet et Dullin, les souve-
(1960). Autant de variations sur le motif
Hugo Fregonese et Henry Hathaway. Il nirs qu’elle y laisse sont inoubliables ; à
du double itinéraire, géographique et
est inactif depuis l’Enquête (G. Douglas, l’écran, en trente ans, elle n’apparaît que
moral : obsédé par une idée fixe (la ven-
1965) et Violence à Jéricho (A. Laven, dans treize films.
geance, la justice), le héros mesure en
1967).
chemin la relativité de sa cause, renonce
BOGARDE (Derek Van den Bogaerde, dit
à l’usage de la violence et trouve une
BOESE (Eduard Hermann Boese, dit Carl), Dirk), acteur britannique (Londres 1921 -
sérénité désespérée dans une solitude
cinéaste allemand (Berlin 1887 - id. 1958). id. 1999).
désormais sans rémission. Avec une pré-
Introduit dans les studios berlinois dès Originaire des Pays-Bas, mais élevé
cision de géomètre, le cinéaste traite les
1912, il fait ses premières mises en dans le Sussex chez un père critique d’art
situations archétypales du genre, comme
scène en 1918 avec Der Fluch des Nori et une mère actrice, Dirk Bogarde révèle
les péripéties d’une partie de poker, où
(avec Hans Albers) et Chopin (avec très tôt des dons pour la comédie en
les rapports de force et les motivations
Conrad Veidt). Réalisateur prolifique, il jouant des saynètes domestiques, dont il
complexes des joueurs comptent plus
dirige 72 films muets en 12 ans, parmi rend compte dans son autobiographie. Il
que l’enjeu avoué, souvent dérisoire. étudie l’art dramatique au Royal College
lesquels le Golem (CO Paul Wegener,
1920), Die Tanzerin Barberina (1921), un Sous l’apparente impassibilité du re- of Arts. Après la guerre, qu’il fait en Bir-
des trois Maciste tournés en Allemagne gard perce une ironie tragique que l’on re- manie et à Java, ses débuts au théâtre
par Bartolomeo Pagano (Maciste und trouve dans la Chute d’un caïd (The Rise sont difficiles et son ascension lente, en
die chinesische Truhe, 1923), le Dernier and Fall of Legs Diamond, 1960). Boetti- dépit des conseils et de la protection de
Fiacre de Berlin (Die letzte Groschke von cher y confirme sa maîtrise de l’espace son aîné, Noel Coward. Ses premiers
Berlin, 1926). Toujours aussi productif, et et de l’ellipse, en prenant pour modèle succès à la scène lui valent d’être pris
oeuvrant dans les genres les plus divers, les tout premiers films de gangsters. Parti sous contrat à la Rank, où on le cantonne
il tourne plus de 80 films parlants de 1930 tourner au Mexique pour un documen- longtemps, en raison de son physique
à 1957. Sous Hitler, il dirige des comédies taire sur son ami le torero Carlos Arruza, agréable et de son élégance, dans les
sentimentales, des films de guerre et de il y reste sept ans (le film Aruzza tourné rôles de beau jeune homme, notamment
nombreux films musicaux. Après 1945, il au prix de grandes difficultés de 1963 à avec la série des Doctor..., dont il fut l’un
se signale essentiellement par son film 1967 sera de plus gelé jusqu’en 1971) et des protagonistes. Le Cavalier noir, de
sur l’Allemagne en ruine, Beate (1948). traverse une longue série d’épreuves qu’il Roy Ward Baker, annonce pourtant déjà
a décrites dans When in Disgrace. De un changement d’emploi significatif ; c’est
BOETTICHER (Oscar Boetticher Jr., dit retour à Hollywood, il s’associe à Audie l’ambiguïté sexuelle et l’animalité subtile-
Budd), cinéaste américain (Chicago, Ill., Murphy et tourne en Arizona Qui tire le ment inquiétante de sa personnalité qui
1916). premier ? (A Time for Dying, 1971 [RÉ sont soudain mises en valeur dans cet
Fasciné par la tauromachie au point 1969]), où il désacralise avec une ala- étrange western, intimiste et homosexuel.
de devenir matador professionnel au crité teintée d’amertume les mythes de Évolution plus nette encore avec Victim
Mexique, il débute au cinéma comme l’Ouest. Il est aussi l’auteur de l’histoire (1961) de Basil Dearden, film policier par
conseiller technique sur Arènes san- qui a inspiré Sierra torride (D. Siegel, ailleurs classique, auquel son rôle d’ho-
glantes (R. Mamoulian, 1941). Il signe 1970). Il achève sa trilogie sur la tauro- mosexuel traqué confère une épaisseur
une dizaine de séries B sans prétention machie en réalisant enfin (en 16 mm et et une morbidité certaines. L’année sui-
à la Columbia et à la Monogram — ses en vidéo) My Kingdom for (1986 [sortie en vante, il est le partenaire de Judy Garland,
onze premiers films sont signés Oscar vidéo], RÉ 1976-1985). dans le film l’Ombre du passé (1962), qui
Boetticher — avant de réaliser la Dame fixe sur la pellicule des numéros qu’il
et le Toréador (The Bullfighter and the BOFFETY (Jean), chef opérateur français avait effectués sur scène avec elle dans
Lady, 1951), dont une version intégrale (Chantelle 1925 - Paris 1988). un certain nombre de shows théâtraux.
reconstituée sera effectuée en 1984 à Il n’est pas seulement le directeur de la Mais la véritable et définitive éclosion du
l’U.C.L.A. [Los Angeles]. Il dirige Audie photo attitré de Claude Sautet depuis les personnage Bogarde intervient en 1963,
Murphy, Robert Ryan, Rock Hudson Choses de la vie (1969) ; on lui doit éga- avec la rencontre conjuguée de Joseph
dans de nombreux westerns et films lement les images brillantes de la Rivière Losey et d’Harold Pinter. Ce n’est pas sa
d’aventures à la Universal : l’Expédition du hibou (1961) et les Grandes Gueules première rencontre avec Losey, puisqu’il
du Fort King (Seminole, 1953), Révolte (1965) de Robert Enrico, Yoyo (1965) de a déjà tourné sous sa direction, en 1954,
au Mexique (Wings of the Hawk, id.). Sa Pierre Étaix, Je t’aime, je t’aime (1968) dans La bête s’éveille. La réussite artis-
passion des arènes lui inspire le Brave et d’Alain Resnais, Nous sommes tous tique totale de The Servant le comble
la Belle (The Magnificent Matador, 1955). des voleurs (1974) et Quintet (1979) de au point qu’il décide de se consacrer au
Après Le tueur s’est évadé (The Killer Is Robert Altman, Un papillon sur l’épaule cinéma d’auteur. Il tournera encore trois
Loose, 1956), un thriller modeste mais (1978) de Jacques Deray, la Dentellière fois avec Losey : dans Pour l’exemple, il

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

tient le rôle complexe, mais non ambigu, de musique de chambre. Ce rôle renou- il aligne une impressionnante série de
de l’officier chargé d’assurer la défense velle même la palette de son interpréta- rôles de gangsters, à l’ombre de comé-
du soldat déserteur que l’on va fusiller ; il tion, dans la mesure où il le dégage des diens confirmés comme Edward G. Ro-
fait, dans Modesty Blaise, une composi- surenchères en morbidité que certains binson, James Cagney et George Raft.
tion étonnante d’exhibitionnisme déses- films, dans la filiation de The Servant, lui Taillés sur un modèle uniforme, ses per-
péré. Dans Accident, enfin, son adhésion faisaient endosser, tel Portier de nuit de sonnages sont de simples repoussoirs,
à l’univers de Pinter et Losey est telle qu’il Liliana Cavani. Parmi ses projets avortés, dépourvus de la dimension tragique à
peut jouer la passivité presque absolue notons le rôle du détective Harry Dickson laquelle peuvent encore prétendre les
pour restituer l’ambiguïté, la complexité, et celui du marquis de Sade, deux autres héros gangstériens d’un cinéma guetté
la contradiction de son personnage, ainsi projets non aboutis avec Alain Resnais. par le code de censure : le second cou-
que les blancs d’une écriture, celle de Films : Quartet (sketch de H. French, teau est nécessairement un perdant, un
Pinter, qui fonctionne davantage sur le 1948) ; Police sans armes (B. Dearden, lâche (les Anges aux figures sales et The
non-dit que sur l’exprimé. Par un jeu à ce 1950) ; la Femme en question (A. As- Roaring Twenties, 1938), un psycho-
point intériorisé, Bogarde nous convainc quith, id.) ; Rapt (Ch. Crichton, 1952) ; pathe. Borné, irrécupérable, sa minceur
que la fonction de l’acteur est celle d’un They Who Dare (L. Milestone, 1953) ; lui confère un statut symbolique : il est le
médium, d’un prisme entre l’oeuvre et le La bête s’éveille (J. Losey, 1954) ; Tou- déchet d’une société malade (Rue sans
spectateur, oeuvre qu’il donne à sentir bib or not toubib (Doctor in the House, issue). Bogart s’acquitte sans éclat de sa
par un comportement fait d’une sorte de R. Thomas, id.) ; Intelligence Service tâche.
passivité hantée. Deux autres films sont à (M. Powell, 1957) ; le Bal des adieux Quelques films lui permettent d’échap-
inscrire au palmarès de sa période britan- (Ch. Vidor et G. Cukor, 1960) ; l’Ange per à une lassante stéréotypie. On le voit
nique, davantage pour la performance de pourpre (N. Johnson, id.) ; le Cavalier à l’occasion en procureur (Femme mar-
l’acteur, d’ailleurs, que pour l’achèvement noir (R. Baker, 1961) ; la Victime (Dear- quée), en directeur de prison compréhen-
intrinsèque d’oeuvres qui n’ont pas la per- den, id.) ; l’Ombre du passé (The Lonely sif (l’École du crime), en as de l’aviation
sonnalité de celles de Losey ; Darling, de Stage / I Could Go on Singing, R. Neame, (Courrier de Chine). Après des incursions
John Schlesinger, où il a pour partenaire 1963) ; The Servant (Losey, 1963) ; Pour sans conséquence dans le mélo (Victoire
Julie Christie ; il y effectue quelques varia- l’exemple (id., 1964) ; Darling (J. Schle- sur la nuit), la comédie (M. Dodd part pour
tions subtiles, à la limite de la préciosité, singer, 1965) ; Modesty Blaise (Losey, Hollywood) et le film d’horreur (le Retour
sur le modèle magistralement mis au 1966) ; Accident (id., 1967) ; Chaque soir du Dr X), il commence à sortir du moule
point dans The Servant, incarnation du à neuf heures (J. Clayton, id.) ; l’Homme imposé avec Une femme dangereuse : là
Mal dans son expression la plus cynique ; de Kiev (J. Frankenheimer, 1968) ; Ah encore, un rôle de faire-valoir (il y est le
Chaque soir à neuf heures de Jack Clay- Dieu ! que la guerre est jolie ! (R. Atten- frère camionneur de George Raft) mais
ton, où sa passivité équivoque contribue borough, 1969) ; les Damnés (L. Visconti, inscrit dans un contexte documenté, et
à épaissir un climat fantastique suscité id.) ; Mort à Venise (id., 1971) ; le Ser- porteur d’une problématique plus réaliste
par les intermittences de l’inconscient. pent (H. Verneuil, 1973) ; Portier de nuit et plus riche (R. Walsh, 1940).
Cette série de réussites exception- (L. Cavani, 1974) ; Providence (A. Res- Un an plus tard, Bogart est amené à
nelles a haussé Dirk Bogarde au rang nais, 1977) ; Despair (R. W. Fassbinder, remplacer George Raft dans la Grande
de star internationale. La collaboration 1978) ; The Vision (Norman Stone, 1987) ; Évasion, qui marque une étape plus déci-
avec Losey étant épuisée, l’acteur noue Daddy Nostalgie (B. Tavernier, 1990). sive encore. Roy Earle, gangster vieilli et
une relation également privilégiée avec désillusionné, est en effet le premier de
Luchino Visconti, pour lequel il tournera BOGART (Humphrey DeForest Bogart, dit ses personnages à posséder une épais-
deux films : les Damnés et Mort à Venise. Humphrey), acteur américain (New York, seur humaine. Ni héros ni méchant, mais
Il est vraisemblable que sa brouille avec N. Y., 1899 - Beverly Hills, Ca., 1957). doublement naïf pour adhérer au code
Losey lui a fait surestimer, relativement Originaire de la bourgeoisie new-yor- désuet de la pègre et croire à l’amour
et dans l’absolu, son travail avec Vis- kaise (son père était chirurgien, sa mère d’une jeune fille pure, il est avant tout vic-
conti. Les Damnés marque comme une illustratrice), Humphrey Bogart débute time de son passé, un passé qui lui colle
banalisation de son personnage, dont le comme régisseur de théâtre en 1918. Le si lourdement à la peau qu’il ne peut s’en
magnétisme paraît gommé par une pro- producteur William A. Brady l’oriente vers délivrer que dans la mort.
duction tapageuse, en dépit d’excellentes une carrière d’acteur, qui se limitera long- Après avoir clos symboliquement sur
scènes. Dans Mort à Venise, le rôle tota- temps à l’emploi de jeune premier chic cette note fataliste la saga gangstérienne
lement passif de spectateur attribué à Bo- et blasé. En 1929, la Fox l’engage pour des années 30, Bogart rejoint son temps.
garde dans le rôle d’Aschenbach n’a rien un an et le met à l’essai dans les genres Mais, si le criminel a épuisé une grande
de commun avec ces médiums irradiants les plus divers : film d’aventures (A Devil partie de son charme, le cinéma améri-
inventés par Pinter et Losey. Aschenbach With Women), de prison (Up the River) cain n’en est pas encore à prôner l’enga-
n’est plus un homme qui meurt, mais une ou d’aviation, comédie militaire (Women gement collectif. Une figure intermédiaire
illustration qui n’a jamais accédé à la vie. of All Nations), western. Bilan hétéroclite, surgit donc : le détective privé, qui n’est
Après Mort à Venise, Bogarde espace que n’améliorent guère de brefs pas- ni gangster ni policier, mais un peu des
ses apparitions. Deux films dominent sa sages à la Universal, à la Columbia et à la deux. Ce chantre du scepticisme viril va
filmographie des cinq dernières années : Warner. Bogart retourne donc à la scène. prendre, avec le Faucon maltais, les traits
Providence d’Alain Resnais et Despair En 1935, il remporte son premier suc- de Sam Spade, personnage créé en 1929
de R. W. Fassbinder. Ce dernier film, par cès avec The Petrified Forest de Robert par Dashiell Hammett, et dont les deux
son ambition tant au plan du contenu qu’à E. Sherwood, où il tient le rôle du gangs- précédentes aventures cinématogra-
celui de la forme, a pu faire croire à l’ac- ter Duke Mantee. La vedette de cette phiques n’avaient eu aucun succès. Sous
teur que son rôle atteindrait en ambiguïté pièce policière à prétention allégorique, la direction de Huston, Bogart, métamor-
et en complexité les niveaux de The Ser- Leslie Howard, sollicitée par la Warner phosé, devient en 1941 le premier privé
vant... Sa performance reste en réalité pour en tourner l’adaptation, exige que moderne de l’écran : caustique, intransi-
bridée par l’esthétisme et l’hermétisme Bogart soit également engagé. geant, farouchement indépendant, il est
de l’entreprise, alors que Providence tient À 37 ans, l’acteur renonce au théâtre capable de sacrifier la femme qu’il aime
toutes ces promesses et utilise aussi sa pour entamer une prolifique carrière de par respect d’une morale qui n’appartient
voix admirable comme un instrument second plan. À raison de six films par an, qu’à lui. Indifférent aux pressions de la

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loi comme à celles de la pègre, c’est un composantes traditionnelles de l’aventu- With Women (I. Cummings, id.) ; Women
homme désintéressé, solitaire, vigilant, rier, Key Largo, les Ruelles du malheur, of All Nations (R. Walsh, 1931) ; Big City
qui se défie des grands principes, et plus la Femme à abattre et Bas les masques Blues (M. LeRoy, 1932) ; la Forêt pétrifiée
encore de ses semblables. inscrivent Bogart dans le contexte moral (A. Mayo, 1936) ; Guerre au crime (Bul-
La guerre projette Bogart dans des uni- de l’après-guerre et en font le porte-pa- lets or Ballots, W. Keighley, id.) ; la Lé-
vers cosmopolites et divisés. Dans Griffes role des valeurs démocratiques : Bogart gion noire (Mayo, 1937) ; la Révolte (San
jaunes, Casablanca et le Port de l’an- y lutte contre la corruption, la peine de Quentin, L. Bacon, id.) ; le Dernier Round
goisse, une bizarre constellation de per- mort, le syndicat du crime, défend la (M. Curtiz, id.) ; Rue sans issue (W. Wyler,
sonnages l’entoure, quêtant ses faveurs. liberté de la presse, illustre, infatigable, id.) ; Monsieur Dodd part pour Hollywood
Mais il continue à n’agir qu’à sa guise. une éthique de l’endurance quotidienne. (T. Garnett, id.) ; le Mystérieux Docteur
Héros volontiers immobile, il s’accorde, L’acteur s’éloigne à l’occasion de sa Clitterhouse (A. Litvak, 1938) ; les Anges
en cette ère de patriotisme forcené, un mythologie et de ses domaines de pré- aux figures sales (Curtiz, id.) ; Victoire
droit à la réflexion et au cynisme, ses dilection. Le Violent en fait un scéna- sur la nuit (E. Goulding, 1939) ; Terreur à
seuls garants de liberté. riste désenchanté et ténébreux ; African l’Ouest (Bacon, id.) ; The Roaring Twen-
Queen (qui lui vaut l’Oscar), un alcoo- ties (Walsh, id.) ; la Caravane héroïque
Walsh avait donné à Bogart son huma-
lique grincheux, transformé en héros par (Curtiz, 1940) ; Une femme dangereuse
nité, Huston une morale ; Curtiz, dans
l’amour d’une bigote (1952) ; Ouragan sur (Walsh, id.) ; la Grande Évasion (id.,
Casablanca (1943), lui ajoutera son aura
le Caine, un officier névrosé et suicidaire ; 1941) ; The Wagons Roll at Night (R. En-
romantique en le lançant à la recherche
Sabrina, l’héritier d’une grande famille. right, id.) ; le Faucon maltais (J. Huston,
de son passé et à la redécouverte d’un
id.) ; Échec à la Gestapo (All through
amour perdu. Au-delà du doute et de La Comtesse aux pieds nus nous le
the Night, V. Sherman, 1942) ; le Caïd
l’amertume, au-delà de la neutralité à montre définitivement en retrait : survi-
vant de l’âge d’or hollywoodien, narrateur (L. Seiler, id.) ; Griffes jaunes (Huston,
quoi le porte son tempérament, le per-
confident et témoin de l’ascension d’une id.) ; Casablanca (Curtiz, 1943) ; Convoi
sonnage bogartien doit trouver une raison
vers la Russie (Action in the North Atlan-
d’agir. C’est sur ce schéma moral que se star piégée par un amour impossible.
L’échec commercial du film de Man- tic, Bacon, id.) ; Remerciez votre bonne
fondent également les intrigues de Pas-
étoile (Thank Your Lucky Stars, D. Butler,
sage to Marseille, Key Largo et, dans une kiewicz, jugé à l’époque « trop littéraire »,
id.) ; Sahara (id., Z. Korda, id.) ; le Port
moindre mesure, le Port de l’angoisse, le ramène à des rôles plus convention-
de l’angoisse (H. Hawks, id.) ; La mort
où l’action cède le pas à un délectable nels, dont le dernier, Plus dure sera la
n’était pas au rendez-vous (C. Bernhardt,
marivaudage inspiré au jour le jour par chute, conclura sa carrière, en 1956, sur
1945) ; le Grand Sommeil (Hawks, 1946) ;
l’alchimie du couple Bogart-Bacall. (Les une note appropriée.
Two Guys From Milwaukee (D. Butler,
deux comédiens se marieront en 1945, Celui qui avait été si longtemps confiné
id.) ; En marge de l’enquête (J. Cromwell,
quelques mois après le tournage, et joue- à un unique et peu glorieux emploi avait
1947) ; la Seconde Madame Carroll (The
ront encore côte à côte dans le Grand atteint dans son jeu un rare degré de plé-
Two Mrs. Carrolls, Peter Godfrey, id.) ;
Sommeil, les Passagers de la nuit et Key nitude et d’élégance. Ses personnages
les Passagers de la nuit (D. Daves, id.) ;
Largo.) connaissaient le prix qu’il faut payer pour
Always Together (F. de Cordova, id.) ;
La paix ramène Bogart au film noir. En être libre. Pragmatiques, ils savaient, le
Key Largo (Huston, 1948) ; le Trésor de la
1946, il incarne dans le Grand Sommeil moment venu, se dépouiller de leur cy-
Sierra Madre (id., id.) ; les Ruelles du mal-
un autre privé légendaire : Philip Marlowe. nisme, s’engager sans ostentation dans
heur (N. Ray, 1949) ; Tokyo Joe (S. Heis-
Personnage plus élégant et romantique une aventure sentimentale, politique ou
ler, id.) ; Pilote du diable (Chain Lightning,
que Sam Spade, qui éprouve un plaisir idéologique, qui prenait toujours l’allure
id., 1950) ; le Violent (N. Ray, id.) ; la
aristocratique à frôler quotidiennement d’un combat : vertu classique qui figure
Femme à abattre (B. Windust — repris
la mort dans des « allées ténébreuses ». sans doute parmi les plus belles que le
par R. Walsh, 1951) ; Sirocco (C. Bern-
Même s’il n’exprime qu’en partie la vision cinéma américain ait exprimées.
hardt, id.) ; The African Queen (Huston,
de Raymond Chandler, le héros organise Au regard du stoïcisme goguenard
1952) ; Bas les masques (R. Brooks, id.) ;
ici sa vie comme un jeu dont il fixe lui- dont il jouait avec une saisissante écono-
le Cirque infernal (id., 1953) ; Plus fort
même les règles à mesure qu’il avance, mie de moyens devant les caméras d’un
que le diable (Huston, 1954) ; Ouragan
sans se laisser troubler par les violences Hawks, d’un Curtiz, d’un Mankiewicz ou
sur le Caine (E. Dmytryk, id.) ; Sabrina
qui l’assaillent. L’âge l’incline à prendre d’un Huston, on peut juger avec une rela-
(B. Wilder, id.) ; la Comtesse aux pieds
ses distances : il agit essentiellement par tive sévérité ses autres prestations des
nus (J. L. Mankiewicz, id.) ; la Cuisine
la parole et la réflexion et semble, par- années 30 et 40.
des anges (Curtiz, 1955) ; la Maison des
delà l’action et la direction complice de De tous les acteurs de sa génération otages (W. Wyler, id.) ; la Main gauche du
Huston, se regarder lui-même. Devenu et de tous les durs de la Warner, Bogart Seigneur (Dmytryk, id.) ; Plus dure sera la
mythique, Bogart croise de plus en plus fut, en effet, l’un des plus lents à percer. chute (M. Robson, 1956).
souvent des ombres de son passé, vi- Mais la lenteur du démarrage fut rapi-
vantes répliques de ce qu’il fut : le Grand dement compensée par la densité et la BOGDANOVICH (Peter), cinéaste améri-
Sommeil le lance à la poursuite d’un variété croissante de ses rôles à partir de cain (Kingston, N. Y., 1939).
homme qui pourrait être le Rick de Casa- 1941. Si les années de guerre occupent Enfant prodige du théâtre « off Broad-
blanca ; Key Largo (1948) le confronte une place privilégiée, grâce à la trilogie way », journaliste de cinéma à Esquire,
à un gangster qui ressemble comme un Faucon maltais - Casablanca - le Port de auteur de monographies sur d’illustres
frère au Duke Mantee de la Forêt pétri- l’angoisse, l’après-guerre permit à l’ac- cinéastes (Lang, Dwan et Ford, à qui il
fiée ; le Trésor de la Sierra Madre, vision teur de conférer à ses rôles sa maturité consacrera en 1971 un documentaire,
nihiliste et grinçante du Faucon maltais, propre et d’y investir une capacité sou- Directed by John Ford), il débute à l’écran
en fait un desperado dévoré par la pas- veraine à l’understatement, à laquelle la comme assistant (non crédité) de Roger
sion du lucre. génération des années 60 sera particuliè- Corman (les Anges sauvages, 1966).
Devenu son propre producteur en rement réceptive. En 1968, il donne son premier et meil-
1949 (à la tête de la Santana Pictures), Films (filmographie complète à par- leur film, la Cible (Targets), avec Boris
Bogart s’essaie à des rôles de plus en tir de 1941) : Life (T. Vale, 1920, CO) ; Karloff. Il rencontre en 1971 le succès
plus divers. Tandis que Tokyo Joe et Broadway’s Like That (CM, M. Roth, avec la Dernière Séance (The Last Pic-
Sirocco exploitent, médiocrement, les 1930) ; Up the River (J. Ford, id.) ; A Devil ture Show), regard nostalgique (en noir

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et blanc) sur une petite ville américaine le Cuisinier, le voleur, sa femme et son BOISROUVRAY (Albina du), productrice
des années 50. Ses films ultérieurs, amant (P. Greenaway, 1989), Après la française (Neuilly-sur-Seine 1942).
On s’fait la valise, Docteur (What’s Up guerre (J.-L. Hubert, id.), Dames galantes Elle fonde Albina Production en 1971 et
Doc ?, 1972), la Barbe à papa (Paper (J.C. Tacchella, 1990), la Reine blanche produit Robert Bresson (Quatre Nuits
Moon, 1973), Daisy Miller (1974), Enfin (Jean-Loup Hubert, 1991), Une époque d’un rêveur, 1972), Jean-Louis Bertucelli
l’amour (At Long Last Love, 1975) et Nic- formidable (G. Jugnot, id.), Ville à vendre
(Paulina 1880, id.), Marguerite Duras
kelodeon (1976), ne sont que de mala- (Mocky, 1992), Confessions d’un barjo
(Jaune le soleil, id.), Pascal Thomas (les
droits pastiches des différents auteurs (Jérôme Boivin, id.), l’Accompagnatrice
Zozos, 1973 ; Confidences pour confi-
qu’il admire, où la prétention le dispute (C. Miller, id.), la Lumière des étoiles
dences, 1979), André Delvaux (Belle,
à un humour douteux. Leur succès de mortes (Charles Matton, 1994), le Sou-
snobisme s’étant dissipé, Bogdanovich a rire (Miller, id.), Saraka Bô (Denis Amar, 1973), François Leterrier (Projection pri-

dirigé en 1979 Jack le Magnifique (Saint 1996) et la Vérité si je mens ! (T. Gilou, vée, id.), Pierre Tchernia (les Gaspards,
Jack), fable cynique et mélancolique sur id.), Comme une bête (Patrick Schul- 1974), Alain Corneau (France société
le vieillissement des aventuriers, puis mann, 1998), Combat de fauves (Benoit anonyme, id. ; Police Python 357, 1976),
en 1981 Et tout le monde riait (They All Lamy, 1998). Andrzej ulawski (L’important c’est d’ai-
Laughed), une assez morne comédie Sa fille Romane Bohringer (Pont- mer, 1975), Pierre Granier-Deferre (Une
avec Audrey Hepburn, ainsi que Mask Sainte-Maxence, 1973), actrice révélée femme à sa fenêtre, 1976), Christopher
(1985) avec la chanteuse Cher dans le par les Nuits fauves (Cyril Collard, 1992), Frank (Josepha, 1982). En 1984, c’est
rôle principal. En 1988, il signe Illegally s’est illustrée dans des films de Martine la grande aventure de Fort Saganne
Yours, en 1990 Texasville (suite de la Dugowson (Minna Tannenbaum, 1994), (A. Corneau).
Dernière Séance) puis Noises off (1992) Agnieszka Holland (Total éclipse, 1995),
et The Thing called Love (1993). Bigas Luna (la Femme de chambre du BOISSET (Yves), cinéaste français (Paris
Titanic, 1997), Solveig Dommartin (Il suf- 1939).
BÖHM (Karl Heinz), acteur allemand firait d’un pont, 1998). Élève de l’IDHEC, un temps critique
(Darmstadt 1927).
spécialisé dans le film de tradition hol-
Acteur de théâtre, fils du chef d’orchestre BOIS (Curt), acteur et cinéaste allemand
lywoodienne, coauteur en 1961 (avec
Karl Böhm, il fait ses débuts au cinéma (Berlin 1901 - id. 1991).
en 1952 (la Mandragore, d’A. M. Ra- Jean-Pierre Coursodon) de Vingt Ans de
On lui confie de nombreux rôles d’enfants
benalt) et devient célèbre aux côtés de dès 1908. Après quoi le cabaret et l’opé- cinéma américain, il est simultanément
Romy Schneider dans la série des Sissi rette (en Allemagne, Hongrie et Suisse) le assistant de Claude Sautet ou de Ric-
(E. Marischka) en 1955-1957. On le voit requièrent. À partir de 1925, Reinhardt et cardo Fredda.
dans de nombreux films représentatifs de Piscator le font jouer dans des rôles prin- Il débute dans la réalisation en 1968
la production allemande de l’époque, puis cipaux. Son exil aux États-Unis (1933- avec Coplan sauve sa peau, film d’aven-
il tourne en Grande-Bretagne, en parti- 1950) lui permet d’entamer une carrière tures tourné en Turquie. Depuis, il signe
culier dans le Voyeur, sa création la plus théâtrale à Broadway. En 1952, on le re-
régulièrement des oeuvres de facture
marquante au cinéma (M. Powell, 1960), trouve au Berliner Ensemble ; en 1959, au
classique, généralement fondées sur
et aux États-Unis : les Quatre Cavaliers Schiller-Theater (Berlin-Ouest) ; en 1961,
des scénarios mi-politiques, mi-poli-
de l’Apocalypse (V. Minnelli, 1962). Par au Burgtheater de Vienne. Il joue concur-
ciers. En 1972, l’Attentat (avec Michel
la suite, il fait de la mise en scène d’opéra remment dans une vingtaine de films,
Piccoli) évoque l’affaire Ben Barka.
et, se consacrant au théâtre, n’apparaît dont la Princesse aux huîtres (E. Lu-
plus qu’exceptionnellement à l’écran, bitsch, 1919), la Papillon d’or (M. Curtiz, L’année suivante, R. A. S. est un des

dans des films conventionnels. À noter, 1926), Casablanca (id., 1943), Caught premiers films français de fiction qui se
cependant, ses interprétations (entre (Max Ophuls, 1949), Maître Puntila et réfère explicitement à la guerre d’Algé-
1972 et 1975) dans Effi Briest, Martha, le son valet Matti (A. Cavalcanti, 1956), Das rie. En 1975, Dupont Lajoie (avec Jean
Droit du plus fort, Maman Küsters s’en va Spukschloss im Spessart (K. Hoffmann, Carmet) bouscule la bonne conscience
au ciel, de Fassbinder. 1960), Ganovenehre (W. Staudte, 1966), et les fantasmes racistes d’une société
La barque est pleine (Das Boot ist voll, française dont la représentation à l’écran
BOHRINGER (Richard), acteur français Markus Imhoof, 1981), les Ailes du désir reste pourtant trop convenue. C’est dans
(Paris 1941). (W. Wenders, 1987). Le cinéma lui a l’action pure (Folle à tuer, en 1975, avec
Il débute comme auteur dramatique, trop rarement offert des rôles dignes de
Marlène Jobert) que Boisset manifeste le
scénariste et chanteur. Sa carrière au son immense prestige de comédien de
plus évidemment son talent de conteur,
cinéma commence à la fin des années théâtre. Il s’est essayé à la mise en scène
son style tendu, rapide, efficace, débar-
70. Son physique puissant le destine à en 1932 (Scherben bringen Glück) et en
interpréter des personnages violents et rassé des personnages porte-thèses et
1955 (Ein Polterabend, en RDA).
imprévisibles. Le public le découvre dans des discours adventices qui alourdissent
le Dernier Métro (F. Truffaut, 1980), la BOISROND (Michel), cinéaste français ses films plus délibérément idéologiques.
Boum (C. Pinoteau, id.) et surtout Diva (Châteauneuf-en-Thymerais 1921). Films : Coplan sauve sa peau (1968) ;
(J.-J. Beineix, 1981). Depuis il tourne cinq Longtemps assistant, de René Clair no- Cran d’arrêt (1970) ; Un condé (id.) ; le
ou six films par an, parmi lesquels on tamment, il fait illusion lors de ses débuts, Saut de l’ange (1971) ; l’Attentat (1972) ;
peut citer Cap Canaille (J. Berto, 1983), dirigeant Brigitte Bardot dans des comé- R. A. S. (1973) ; Dupont Lajoie (1975) ;
J’ai épousé une ombre (R. Davis, id.), le dies plaisamment frivoles (Cette sacrée
Folle à tuer (id.) ; le Juge Fayard, dit « le
Destin de Juliette (Aline Issermann, id.), gamine, 1956 ; Une Parisienne, 1957).
Shérif » (1977) ; Un taxi mauve (id.) ; la
l’Addition (Denis Amar, 1984), qui lui vaut Avant la Nouvelle Vague, les débutants
Clé sur la porte (1978) ; la Femme flic
le César du meilleur second rôle. Suivent étaient si rares que la critique saluait
(1980) ; Allons z’enfants (1981) ; Espion
Subway (L. Besson, 1985), le Pactole chaque premier film comme un petit
(J.-P. Mocky, id.), Péril en la demeure lève-toi (1982) ; le Prix du danger (1983) ;
événement. Mais la suite de sa carrière
(M. Deville, id.), Kamikaze (Didier Grous- s’aligne sur le cinéma le plus commercial Canicule (1984) ; Bleu comme l’enfer

set, 1986), le Paltoquet (M. Deville, id.), des années 60, comédies de boulevard (1986) ; la Travestie (1988) ; Radio-Cor-
Agent trouble (J.-P. Mocky, 1987), le tournées à la commande, sans person- beau (1989) ; la Tribu (1991) ; Enquête
Grand chemin (Jean-Loup Hubert, id.), nalité. réservée (1995).

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

BOISSON (Christine), actrice française nisme allemand, entre la peinture du situent vers 1904. L’exploitation cinéma-
(Salon de Provence 1956). XVIIIe siècle et le cauchemar. À partir des tographique se stabilise vers 1913. Dès
On la voit subrepticement dans des films années 90, il fait preuve d’une sensibi- cette époque, le pionnier Luis Castillo se
de Michel Deville (le Mouton enragé, lité exacerbée aux jeux cinétiques de la consacre aux documentaires de com-
1973), Just Jaeckin (Emmanuelle, id.), lumière, à la diffraction et à la subjectivité mande. Les débuts d’un cinéma de fiction,
Dominique Delouche (Divine, 1975) mais d’objectifs de caméra qu’il fait fabriquer resté très sporadique jusqu’à nos jours,
son premier grand rôle, elle le doit à pour « sculpter » l’image (la Plage, 1991 ; portent les traces de la forte présence in-
Jacques Bral dans Extérieur nuit (1979). Au bord du lac, 1993). dienne dans le pays, tout comme la litté-
Eclectique, refusant de se laisser enfer- rature indigéniste de l’époque. Le premier
mer dans un certain cinéma marginal ou BOLES (John), acteur américain (Green- long métrage, La profecía del lago (José
intellectuel mais évitant tout autant d’ali- ville, Tex., 1895 - San Angelo, id., 1969). Maria Velasco Maidana, 1923), fut inter-
gner des prestations stéréotypées dans Fils d’un banquier, il abandonna ses dit, car il mettait en scène une dame de
des films à vocation strictement commer- études médicales pour la carrière d’ac- la haute société amoureuse d’un Indien.
ciale, elle poursuit une carrière originale teur. Après avoir été affecté à divers ser- Corazón aymara (Pedro Sambarino,
avec Francis Reusser (Seuls, 1980) et vices de renseignements en Allemagne, 1925) a comme protagoniste une jeune
Michelangelo Antonioni (Identification en Bulgarie et en Turquie au cours de Indienne persécutée par ses proches.
d’une femme, 1981) puis successivement la Première Guerre mondiale, il devient La gloria de la raza (1926), né de la
avec Gilles Béhat (Rue Barbare, 1983), acteur, joue (et chante) à Broadway et rencontre entre Castillo et l’archéologue
Philippe Garrel (Liberté la nuit, id. ; Paris interprète quelques films muets avant Arturo Posnansky, évoque l’ancienne ci-
vu par... Vingt ans après, 1984), Tony de s’imposer — notamment par sa voix vilisation aymara. Wara-Wara (J. M. Ve-
Gatlif (Rue du Départ, 1985), Suzanne chaude et bien calée — comme « leading lasco Maidana, 1929), à la réalisation
Schiffman (le Moine et la sorcière, 1986), man » romantique dans de nombreuses duquel participent plusieurs intellectuels,
Daniel Schmid (Jenatsch, id.), Uri Bar- productions des années 30. Parmi ses raconte une légende sur la fin de l’Empire
bash (Dreamers, 1987), Magali Clément meilleurs films, il faut citer le Dernier Aver- inca. Seul le documentaire présente une
(la Maison de Jeanne, id.), Yves Boisset tissement (P. Leni, 1929), The Desert certaine continuité en Bolivie, surtout
(Radio Corbeau, 1988), Frank Landron Song (R. Del Ruth, id.), The King of Jazz après l’avènement du parlant, qui com-
(Un amour de trop, 1990), Giovanna (John Murray Anderson, 1930), Fran- plique les données techniques. Le tour-
Gagliardo (Chaleur étouffante [Caldo kenstein (J. Whale, 1931), Back Street
nage relativement intense d’actualités est
suffocante], 1991), D. Van Cauwelaert (J.M. Stahl, 1932), Stella Dallas (K. Vidor,
plus ou moins patronné par le pouvoir. Le
(les Amies de ma femme, 1992), Élie 1937), Fight for Your Lady (Ben Stoloff,
principal événement de la première moi-
Chouraqui (les Marmottes, 1993), Olivier id.), Romance in the Dark (H.C. Potter, tié du siècle, ainsi enregistré, est à l’ori-
Assayas (Une nouvelle vie, id.), Tonie id.), Sinners in Paradise (J. Whale, 1938), gine du premier film sonore bolivien, La
Marshall (Pas très catholique, 1994). Thousands Cheers (G. Sidney, 1943). guerra del Chaco (Luis Bazoberry, 1936),
long métrage redistribué encore 22 ans
BOÎTE. DANS LA BOÎTE. BOLESAWSKY (Richard), cinéaste amé-
plus tard sous le titre El Infierno verde.
ricain d’origine polonaise [pseud. de
C’est aussi le documentaire qui permet à
BOITEL (Jeanne), actrice française de Bolesaw Ryszard Srzednicki] (Varsovie,
Jorge Ruiz et à Augusto Roca de devenir
théâtre et de cinéma (Paris 1904 - id. 1987). Russie, 1889 - Los Angeles, Ca., 1937).
des professionnels et de fonder Bolivia
Pensionnaire de la Comédie-Française Formé à l’école de Stanislavski (auquel
Films (1947) ; en trente ans, ils produisent
pendant vingt ans, puis sociétaire, elle a il a consacré un essai), il quitte la Russie
une centaine de titres (longs, moyens et
joué tous les grands rôles du répertoire. après la révolution d’Octobre pour couvrir
courts métrages confondus), dont Vuelve
Au cinéma, on l’a vue dans une trentaine comme opérateur d’actualités la cam-
Sebastiana (Ruiz et Roca, 1953), tourné
de films, dont l’Aiglon (V. Tourjanski, pagne de l’armée polonaise sur la Vistule.
dans une communauté indienne mena-
1931), Chotard et Cie (J. Renoir, 1933), Émigré aux États-Unis, il joue un rôle his-
cée de disparition, et La Vertiente (Ruiz,
Remous (E. T. Gréville, 1935) et quatre torique déterminant en ouvrant un cours
1958), le scénario de Oscar Soria* mêlant
films de Sacha Guitry : Remontons les où il est le premier à divulguer l’ensei-
document et fiction. Le gouvernement na-
Champs-Élysées (rôle de la Pompadour), gnement de Stanislavski : il compte Lee
tionaliste de Paz Estenssoro crée l’Institut
Si Versailles m’était conté (Mme de Sévi- Strasberg au nombre de ses élèves. Le
bolivien du cinéma (1953), responsable
gné), Napoléon (Mme de Dino), Si Paris succès de ses mises en scène à Broad-
d’un essor régulier de courts métrages
nous était conté (Mme Geoffrin et Sarah way le mène à Hollywood, où la MGM lui
contribuant à la découverte par l’image
Bernhardt). Dernière apparition dans Mai- confie des films historiques de prestige,
d’une réalité nationale méconnue. Parmi
gret tend un piège, de Jean Delannoy, tels Raspoutine et sa cour (Rasputin and
les 150 titres réalisés en trois ans, Bolivia
en 1958. the Empress, 1933). Il dirige Greta Garbo
se libera reprend le matériel enregistré
dans le Voile des illusions (The Painted
BOKANOWSKI (Patrick), cinéaste expéri- pendant la révolution populaire triom-
Veil, 1934) d’après Somerset Maugham ;
mental français (Alger 1943). phante de 1952. L’IBC forme quelques
Charles Laughton et Fredric March dans
De 1963 à 1970, il étudie la photographie, techniciens et s’associe aux producteurs
les Misérables (id., 1935) ; Marlene Die-
l’optique et la chimie avec le peintre Henri indépendants, mais comprend mal les
trich et Charles Boyer dans le Jardin
Dimier, auquel il consacrera en 1984 un besoins d’une cinématographie pauvre
d’Allah (The Garden of Allah, 1936), Joan
film passionnant (la Part du hasard). Avec lorsqu’il acquiert un matériel lourd.
Crawford dans la Fin de Mme Cheyney
deux courts métrages (la Femme qui se (The Last of Mrs. Cheyney, 1937). Plus C’est dans son cadre que débute Jorge
poudre, 1970-1972 ; Déjeuner du matin, modeste, moins solennel, Théodora de- Sanjinés. Les militaires, de retour au pou-
1973-1975) et un long métrage, l’Ange vient folle (Theodora Goes Wild, 1936) voir en 1965, lui confient la responsabi-
(1977-1982), où il mêle, au banc-titre et reste un classique de la comédie lou- lité de l’IBC, puis décident de le fermer
à certains effets d’animation, le filmage foque. définitivement après la répercussion
d’acteurs réels et des éléments peints, et de son premier long métrage : Ukamau
sur des musiques électroacoustiques de BOLIVIE. (1966). Le cinéaste poursuit sa pratique
sa femme Michèle, il impose d’emblée un La première projection publique aurait eu d’un cinéma politique (l’un des plus réus-
des univers les plus étranges qui soient, lieu à La Paz, le 21 juin 1897. Les pre- sis d’Amérique latine) ; il doit néanmoins
entre la Divine Comédie et l’expression- mières prises de vues locales connues se s’exiler après le tournage du Courage du

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

peuple (1971). Son chef opérateur Anto- sur le port, le soir, est une aussi belle tra- naturale (1969) ; Metello (id., 1970) ; Bubu
nio Eguino et son scénariste Soria dé- duction des pages d’Italo Svevo que les de Montparnasse (Bubù, 1971) ; Imputa-
fendent un cinéma engagé socialement, jeux, les regards, les silhouettes sous le zione di omicidio per uno studente (1972) ;
mais dans les limites imposées désor- soleil le sont des ténèbres qui montent la Grande Bourgeoise (Fatti di gente per-
mais à la liberté d’expression. Chuquiago dans le coeur d’Agostino, le jeune héros bene, 1974) ; Liberté, mon amour (Libera,
(A. Eguino, 1977) reçoit un accueil po- de Moravia, lorsqu’il découvre avec la amore mio, 1975 [RÉ 1973]) ; Vertiges
pulaire qui semble justifier leur choix, Mi sexualité l’aventure de sa mère. Si les (Per le antiche scale, id.) ; l’Héritage
socio (Paolo Agazzi, 1982) est un assez thèmes sont d’autant plus proches de (L’eredità Ferramonti, 1976) ; Gran bollito
attachant roadmovie sentimental à tra- ceux de Pasolini que ce dernier fut scé- (1977) ; Dove vai in vacanza ? (un sketch
vers le haut plateau. Cependant, le nou- nariste de Marisa la civetta (1957), dans [Sarò tutta perte], 1978) ; la Dame aux
veau seuil atteint par la répression après les Garçons (adaptation de son roman camélias (FR, 1980) ; la Vénitienne (La
le coup d’État de 1980 remet en ques- Ragazzi di vita), le Bel Antonio et ça c’est venexiana, 1986) ; Mosca addio (1987) ;
tion ces expériences prometteuses. Au passé à Rome, la tonalité, la manière de Gli Indifferenti (1988) ; La villa del venerdi
cours des années 80-90, ce sont néan- Bolognini sont indéniablement originales ; (1991) ; il adapte pour la TV la Chartreuse
moins deux réalisateurs qui maintiennent un charme, aussi, éclatant dans le film de Parme (FR, 1982).
le flambeau de la production bolivienne délicieux qu’est Mademoiselle de Mau-
(Amargo mar, A. Eguino, 1984, La na- pin, d’après Théophile Gautier. À partir de BOLT (Robert), scénariste anglais (Sale
cion clandestina, 1989 et Para recebir el 1969, il confie presque toujours la photo 1924 - Petersfield, Hampshire, 1995).
canto de los pájaros, 1994, tous deux de à Ennio Guarnieri. Aux blancs et noirs raf- Auteur de théâtre, il écrit pour David Lean
Sanjinés). Le Fondo de Formento Cine- finés succède le colorisme, et Bolognini le scénario de Lawrence d’Arabie (1962),
matográfico, créé par une loi du cinéma lui accorde une valeur quasi picturale, au Docteur Jivago (1965), la Fille de Ryan
(1991), favorise l’apparition de jeunes point (qu’on lui reproche naturellement) (1970). Il signe le scénario de Un homme
metteurs en scène : Jonás y la ballena de composer ses plans jusqu’à faire son- pour l’éternité (F. Zinnemann, 1966). Il a
rosada (Juan Carlos Valdivia, 1994), ger aux vedutti, à Renoir, aux peintres écrit et réalisé Lady Caroline Lamb (id.,
Cuestión de fe (Marcos Loayza, 1995), macchiaioli (Metello), à Degas et Manet 1972).
Sayari (Mela Márquez, id.), El triángulo (Bubu). Il demeure fidèle aux adaptations
del lago (Jorge Mauricio Calderón, 1999). BOLTANSKI (Christian), plasticien et ci-
littéraires, mais leur confère toujours un
La Cinémathèque bolivienne fait à La Paz néaste français (Paris 1944).
ton bien à lui, mariant un esthétisme
un travail remarquable dans un contexte Explorant les formes du souvenir, de la
(moins viscontien qu’on ne l’a dit) à une
particulièrement ingrat puisqu’une majo- trace et du témoignage, Christian Bol-
vision pessimiste et âpre. L’héritage,
rité de la population n’a jamais eu accès tanski intègre naturellement la photogra-
où il dirige Burt Lancaster et Dominique
au grand écran. phie et le cinéma à son oeuvre. Il s’en sert
Sanda, plus encore que Bubu (d’après
d’abord comme de composantes dans
Charles-Louis Philippe) ou Metello, et
BOLOGNINI (Mauro), cinéaste italien (Pis- ses installations (la Vie impossible de
avec plus de force, insère les person-
toia 1922 - Rome 2001). Christian Boltanski, 1968), puis réalise en
nages dans une trame historique sociale
Après des études d’architecture et un 1969, avec l’aide de Jean-Claude Valésy
et morale. C’est le cinéma, bien sûr iné-
passage au Centro sperimentale (Rome), et Alain Fleischer, une série de films auto-
gal, d’un peintre des choses, splendides
il devient assistant de Luigi Zampa, puis nomes et fulgurants traités comme des
ou misérables, et de la solitude, égo-
travaille en France avec Jean Delannoy lambeaux de cauchemar : l’Homme qui
tiste ou malheureuse. Bolognini a paral-
(la Minute de vérité, 1952) et Yves Allé- tousse, l’Homme qui lèche, Tout ce dont
lèlement signé des mises en scène de
gret (Nez de cuir, id.). Après un dernier je me souviens, Comment pouvons-nous
théâtre et surtout d’opéra.
assistanat sur un film de Zampa (Pro- le supporter ?, Derrière la porte. En 1971,
cesso alla città, 1952), il réalise Ci tro- Films : Ci troviamo in galleria (1953) ; Essai de reconstitution des 45 jours qui
les Amoureux (Gli innamorati, 1955) ; La
viamo in galleria en 1953, où il découvre précédèrent la mort de Françoise Guiniou
la jeune Sophia Loren. Son deuxième vena d’oro (id.) ; Guardia, guardia scelta, décrit avec un minimalisme rigoureux le
film (il dément avoir réalisé D’Artagnan, brigadiere e maresciallo (1956) ; Marisa désespoir d’une femme entraînant ses
chevalier de la Reine [I Cavalieri della la civetta (1957) ; les Jeunes Maris (Gio- enfants dans sa dépression suicidaire. Le
regina], 1955) annonce les thèmes et la vani mariti, 1958) ; Arrangiatevi (1959) ; traitement du récit par la litote lui permet
tonalité d’une grande part de son oeuvre : les Garçons (La notte brava, id.) ; le Bel d’évoquer en même temps la claustration
les Amoureux sont une préface aux films Antonio (Il bell’Antonio, 1960) ; ça s’est d’Anne Frank (Boltanski s’est inspiré de
des années 60 des Garçons à la Corrup- passé à Rome (La giornata balorda, id.) ; son Journal), l’oppression féminine ordi-
tion — avant que Bolognini s’égare dans La viaccia (id., 1961) ; Quand la chair naire, la société de consommation et le
des films à sketches sans grand intérêt. succombe (Senilità, 1962) ; Agostino (id., mythe de Médée. Sur un motif similaire
Il y a pourtant dans cet ensemble, à quoi id.) ; la Corruption (La corruzione, 1963) ; d’appartement mais cette fois vidé de
collaborèrent Moravia, Pasolini, Pratolini, La mia signora (épisodes I miei cari et ses habitants, l’Appartement de la rue de
des chefs opérateurs excellents (Leonida Luciana, 1964) ; les Poupées (Le bam- Vaugirard (1973), grâce à des effets de
Barboni, Armando Nannuzzi, par ex.), bole [épisode Monsignor Cupido], 1965) ; hors champ et de décalage entre image
une vision très personnelle, particulière I tre volti (épisode Gli amanti celebri, et son, interroge les techniques de des-
à Bolognini, à partir d’oeuvres littéraires id.) ; Mademoiselle de Maupin (Madami- cription elles-mêmes.
très différentes signées de Pasolini, gella di Maupin, 1966) ; La donna è una
Moravia, Svevo, Brancati. Dissolution, cosa meravigliosa (épisodes La balena BOLVARY (Geza-Maria von), réalisateur
folie, corruption et solitude — Mastroianni bianca et Una donna dolce, dolce [RÉ hongrois d’origine allemande (Budapest
dans le rôle du bel et impuissant Antonio 1964], id.) ; les Ogresses (Le fate [épi- 1897 - Altenbeuern, RFA, 1961).
— sont le lot de personnages plus ambi- sode Fata Elena], id.) ; les Sorcières (Le Figurant, puis acteur à la Starfilm de
gus, moins frustes (même dans ça s’est streghe [épisode Senso civico], 1967) ; Budapest, il s’impose très vite et signe
passé à Rome) que leurs frères aînés du Arabella (id.) ; L’amore attraverso i se- son premier film en 1920. Dès 1924, il
néoréalisme. Antonioni, Fellini, Bolognini coli (épisode Notti romane, id.) ; Capric- travaille pour des firmes de Munich. En
sont revenus au travail en studio, avec cio all’italiana (épisodes Perchè ? et La 1930, artisan réputé, il s’impose d’emblée
des films qui imposent un univers noc- gelosa, 1968) ; Ce merveilleux automne comme l’un des maîtres de la comédie
turne, une autre réalité. La fin de Senilità (Un bellissimo novembre, id.) ; L’assoluto musicale allemande en dirigeant Willi

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Forst : Deux Coeurs, une valse (Zwei (Danelia et Talankine, 1960). En 1952, il BONDI (Beulah Bondy, dite Beulah), actrice
Herzen im 3/4 Takt). Une centaine de reçoit le titre d’« Artiste du peuple » pour américaine (Chicago, Ill., 1888 - Woodland
titres suivront, souvent des opérettes qui ses prestations impressionnantes dans Hills, Ca., 1981).
triomphent devant le grand public : les des incarnations historiques (le poète Elle a trente ans d’expérience de la
Joyeuses Commères de Vienne (Die lus- ukrainien Chevtchenko, le dramaturge scène lorsqu’elle débute au cinéma dans
tigen Weiber von Wien, 1931, avec Willi Ivan Franko) ou des personnages hors Scènes de la rue (K. Vidor, 1931). À côté
Forst), Abschiedswalzer (id., et vers. fr. du commun (Othello) : on peut estimer de nombreuses commères pittoresques,
la Chanson de l’adieu, CO A. Valentin), que son jeu est hyperdramatisé et qu’il elle incarne les vertus familiales dans
Premiere (1937, avec Zarah Leander), exploite trop les schémas du héros posi- deux films de Capra : Monsieur Smith au
Charme de Bohême (Zauber der Bo- tif, mais il a toujours une forte présence Sénat (1939) et La vie est belle (1947)
heme, id., avec Martha Eggerth et Jan sur l’écran. ainsi que la bouleversante vieille dame
Kiepura), la Chauve-Souris (Die Fleder- de Place aux jeunes (L. McCarey, 1937).
En 1959, il passe simultanément à la
maus, 1945, avec Willy Fritsch), Fritz und Elle ne se consacre plus après 1963 qu’à
mise en scène avec un film qui a un grand
Friederike (1952), Mein Leopold (1955). la scène et à la télévision.
retentissement en URSS et à l’étranger,
le Destin d’un homme (Sud’ba eloveka),
BON. BONFANTI (Antoine), chef opérateur du
d’après le roman de Cholokhov, où il oc-
« Bon pour le son ! », « Bon pour son français (Ajaccio 1923).
cupe le centre d’une fresque historique
l’image ! », expressions consacrées par Il a enregistré et mixé le son d’à peu près
retraçant les malheurs et l’héroïsme du
lesquelles, en fin de prise, l’ingénieur du tout ce qui compte dans le cinéma fran-
peuple russe pendant la Seconde Guerre
son et le chef opérateur annoncent que, çais depuis 1945, date à laquelle il com-
mondiale. Cette oeuvre dramatique, réa-
pour ce qui les concerne, ils sont satis- mence à apprendre son métier comme
faits de la prise. Sur la feuille tenue par lisée dans un style quelque peu expres- stagiaire à la perche sur la Belle et la Bête
sionniste, reçoit le grand prix du festival
la scripte, le numéro des prises jugées de Jean Cocteau. Considéré comme l’un
de Moscou et un prix Lénine l’année sui-
bonnes est cerclé (cercler la prise). des pionniers du son direct en décors na-
vante : Bondartchouk fait figure d’artiste turels, soucieux de l’authenticité absolue
BOND (Ward), acteur américain (Denver, officiel. C’est ainsi qu’il obtient d’impor- du son, il aime surtout construire l’univers
Colo., 1903 - Dallas, Tex., 1960). tants moyens pour tourner les quatre sonore d’un film du tournage au mixage.
Découvert par John Ford, il débute époques de Guerre et Paix d’après Tols- Sa filmographie comprend des centaines
dans Salute (1929) et devient l’un des toï (Vojna i mir : I. Andrei Bolkonski, 1966 ; de titres (environ cent vingt long mé-
membres attitrés et typés de la compa- II. Natacha Rostova, id. ; III. 1812, 1967 : trages, le double de courts) et se carac-
gnie de répertoire fordienne : Vers sa IV. Pierre Bezoukov, id.), entreprise térise par des collaborations marquantes
destinée (1939), les Raisins de la colère considérable par son ampleur matérielle avec Chris Marker (depuis Description
(1940), la Route au tabac (1941), la Pour- et son lyrisme plastique où il joue le rôle d’un combat, 1956), Alain Resnais (de-
suite infernale (1946), l’Homme tranquille de Pierre, témoin des bouleversements puis Hiroshima, 1958), Jean-Luc Godard
(1952), la Prisonnière du désert (1956). causés par l’invasion napoléonienne. (depuis le sketch la Paresse, 1963),
En 1957, le cinéaste, dont il est un des Ces succès lui valent des offres étran- Paul Vecchiali, André Delvaux, Bernardo
proches, lui confie son propre rôle dans gères : il tourne ainsi en Italie un Waterloo Bertolucci, Amos Gitaï... Il faudrait citer
L’aigle vole au soleil. Acteur de complé- (1970) spectaculaire ; (il était déjà apparu encore Robert Bresson, René Vautier,
ment dans de nombreux westerns et films hors d’URSS comme acteur dans les Joris Ivens, Mario Ruspoli, Jean Cayrol,
policiers à petit budget des années 30, il Évadés de la nuit (R. Rossellini, 1960) Jacques Rivette, Agnès Varda, Jean-Da-
tourne notamment sous la direction de niel Pollet, William Klein, Philippe Garrel,
et la Bataille de la Neretva (V. Bulajic,
Michael Curtiz (les Conquérants, 1939), Yann Le Masson, Bruno Muel, Marguerite
1969). Au cours des années 70, son
Jean Renoir (l’Étang tragique, 1941), Duras, Armand Gatti, Raoul Ruiz... Té-
jeu devient plus nuancé, plus intério-
Howard Hawks (Sergent York, id., et Rio moin engagé, militant, il participe au col-
risé : son interprétation d’Oncle Vania
Bravo, 1959), Raoul Walsh (Gentleman lectif SLON et aux groupes Medvedkine
(A. Mikhalkov-Kontchalovski, 1971) est
Jim, 1942), Nicholas Ray (la Maison (1967-1974), on peut d’ailleurs le voir, à
tout à fait remarquable par sa finesse et
dans l’ombre, 1952, et Johnny Guitare, cette époque, filmé par Michel Desrois
sa retenue. Il a joué encore, sous la direc-
1954), terminant sa carrière à la télévi- dans Lettre à mon ami Pol Cèbe (1970).
tion d’Igor Talankine, dans le Choix du
sion comme vedette de la série Wagon On n’oubliera pas non plus le mixage
but (Vybor celi, 1975) et le Père Serge
Train (la Grande Caravane). de films mythiques tels Octobre à Paris
(Otec Sergij, 1978), ainsi que dans deux
de Jacques Panijel (1962) ou la Société
films qu’il a lui-même réalisés : Ils ont
BONDARTCHOUK (Sergueï) [Sergej du spectacle de Guy Debord (1972). Il
combattu pour la patrie (Oni sražalis’za
Fëdorovi Bondaruk], acteur et cinéaste a transmis son savoir-faire d’artiste du
soviétique (Beloz’orka, Ukraine, 1920 - rodinu, 1975), épopée guerrière, d’après
son partout en France et dans le monde
Cholokhov, conçue dans une perspective
Moscou 1994). (l’INSAS à Bruxelles, l’EICTV à Cuba)
Il fréquente l’école de théâtre de Rostov- antihéroïque, et la Steppe (Step‘, 1977),
en Algérie, Tunisie, Angola, au Mexique,
sur-le-Don à partir de 1937, se trouve adaptation assez terne de Tchekhov. En
Chili, Mozambique, Pérou, Venezuela.
sous les drapeaux de 1942 à 1946 puis 1982-83, il tourne les Cloches rouges

entre cette même année à l’Institut du (Krasnye kolokola), film en deux parties BONI (Carmela Bonicatti, dite Carmen),
cinéma de Moscou (faculté des acteurs, (le Mexique en flammes [Meksika v ogne] actrice italienne (Rome 1903 - Paris 1963).
classe de Guérassimov), et c’est comme et J’ai vu la naissance d’un monde nou- Entrée dans le cinéma à l’âge de seize
acteur qu’il débute dans la Jeune Garde veau [Ja videl roždenie novogo mira]) ans, elle fait d’abord carrière sous le
(S. Guérassimov, 1948). Il obtient très d’après les livres de John Reed. Bon- nom de Katty Boni avant de devenir
tôt de nombreux rôles en vedette grâce dartchouk est professeur au VGIK ; il est célèbre sous le nom de Carmen Boni.
à sa silhouette puissante et à son jeu marié à la comédienne Irina Skobtseva et Confinée dans des rôles secondaires à
très dense : le Chevalier à l’étoile d’or père de Natalia Bondartchouk, actrice et l’ombre des actrices célèbres du début
(Raïzman, 1951), Tarass Chevtchenko réalisatrice, fille de sa première femme, des années 20, elle impose peu à peu
(I. Savenko, id.), le Roman inachevé l’actrice Inna Makarova. En 1985, il met – gracieux sourire et yeux profonds – une
(Ermler, 1955), la Cigale (Samsonov, en scène Boris Godounov, en interprétant personnalité attachante de femme épa-
id.), Othello (Youtkevitch, 1956), Serioja lui-même le rôle-titre. nouie. Active aussi bien en Italie qu’en

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Allemagne ou en France (elle épousera de la décennie, et lui permet de recevoir autour du microphone pour le protéger
plus tard l’acteur français Jean Rigaux), son second César. En 1986, elle est la des effets du vent et éviter, ou limiter, des
elle est l’hégérie d’Augusto Genina, qui Puritaine (J. Doillon), puis retrouve Mau- bruits parasites dans l’enregistrement.
la dirige dans de nombreux films jusqu’au rice Pialat pour Sous le soleil de Satan, En studio, on dispose devant le micro un
début du parlant (La moglie bella, 1924 ; d’après Bernanos (1987). Elle tourne écran en tissu fin pour éviter d’entendre le
Il focolare spento, 1925 ; L’ultimo Lord, ensuite notamment les Innocents (A. Té- souffle du comédien.
1926 ; Addio giovinezza, id. ; Scampolo, chiné, 1987), Quelques jours avec moi
1928 ; Quartier latin, 1929 ; la Femme (C. Sautet, 1988), Monsieur Hire (P. Le- BOONE (Richard), acteur américain (Los
en homme, 1931 ; Ne sois pas jalouse, conte, 1989), Peaux de vache (Patricia Angeles, Ca., 1917 - St Augustine, Fla.,
1932). Dans certains de ces films, che- Mazuy, id.), Dans la soirée (Verso sera, 1981).
veux courts et beauté androgyne, elle Francesca Archibugi, 1991), Prague (Ian Membre de l’Actors Studio, il a tourné
n’est pas sans rappeler Louise Brooks. Sellar, id.), le Ciel de Paris (Michel Bena, sous la direction d’Elia Kazan Man on a
Au cours des années 20, elle est dirigée id.), la Peste (L. Puenzo, 1992), Jeanne Tightrope (1953) et l’Arrangement (1969),
en Allemagne par des cinéastes comme la Pucelle (J. Rivette, 1994), les Cent et mais reste essentiellement l’un des durs
Geza von Bolvary, Robert Land, Franz Une Nuits (A. Varda, 1995), la Cérémonie les plus colorés et les plus convaincants
Seitz, Wladimir Strijewsky, Karl Grüne. (C. Chabrol, id.), Secret Défense (J. Ri- des années 50. Il débute dans Okinawa
Lors d’un séjour en Italie, elle tourne vette, 1998) ), Au coeur du mensonge (L. Milestone, 1951) et tourne le Renard
aussi dans La grazia d’Aldo De Benedetti (C. Chabrol, 1999), Est, Ouest (R. War- du désert (H. Hathaway, id.), le Gaucho
(1929). En 1930, Mario Camerini la dirige gnier, id.) puis un film grand public, le pre- (J. Tourneur, 1952), Vicki (Harry Horner,
dans La riva dei bruti, tourné dans les stu- mier taillé sur mesure pour elle : Made- 1953), Tempête sous la mer (Robert
dios de la Paramount à Joinville. Son acti- moiselle (Philippe Lioret, 2001). D. Webb, id.) et la Tunique (H. Koster,
vité se ralentit considérablement au cours id.) avant d’affronter Kirk Douglas dans
des années 30 et elle fait ses dernières BONNARD (Mario), cinéaste et acteur ita- l’Homme qui n’a pas d’étoile (K. Vidor,
apparitions dans le Comte de Monte- lien (Rome 1889 - id. 1965). 1955). Devenu vedette grâce aux séries
Cristo de Robert Vernay en 1942 et dans C’est comme comédien que Mario Bon- TV Medic (1954-1956) et Have Gun, Will
D’homme à homme de Christian-Jaque nard commence sa carrière cinéma- Travel (1957-1963), il change de registre
en 1948. Elle meurt à Paris en 1963, ren- tographique en 1907 dans l’Otello de pour incarner le général Sam Houston
versée par une automobile. Mario Caserini. Pendant les années 10 dans Alamo (J. Wayne, 1960) et le com-
et les années 20, Bonnard est un des pagnon d’armes de Charlton Heston dans
BONITZER (Pascal), scénariste et cinéaste acteurs les plus appréciés de l’écran le Seigneur de la guerre (F. Schaffner,
français (Paris 1946). italien, figure de dandy ou d’amoureux 1965), campe des personnages hauts
Ancien critique de cinéma, il collabore au alangui dans le plus pur style décadent en couleur dans Rio Conchos (G. Dou-
scénario du film d’Allio sur Pierre Rivière... de l’époque : Ma l’amor mio non muore glas, 1964) et Hombre (M. Ritt, 1967),
(1976), et travaille sur de nombreux films (M. Caserini, 1913), Colei che tutto soffre puis retrouve des emplois familiers avec
de Téchiné (les Soeurs Brontë, le Lieu du (A. Palermi, 1914), L’amor tuo li redime la Lettre du Kremlin (J. Huston, 1970), le
crime, les Innocents, les Voleurs...). Sa (Caserini, 1915), La falena (C. Gallone, Dernier des géants (D. Siegel, 1976) et le
réputation d’auteur passablement intel- 1916), Passano gli Unni (Caserini, id.), Grand Sommeil (M. Winner, 1978).
lectuel a été vite établie par sa collabora- La via del peccato (Palermi, 1924). En
tion aux films de Rivette, dont Hurlevent, 1917, Bonnard aborde la mise en scène BOORMAN (John), cinéaste britannique
la Bande des quatre, la Belle Noiseuse, et conduit de front les deux activités (Shepperton 1933).
Jeanne la Pucelle, Secret défense, avec jusqu’en 1924, date à laquelle il cesse de Le réalisateur anglais le plus brillant et le
Benoît Jacquot (les Mendiants) ou Raul paraître à l’écran. À l’aise dans tous les plus original de sa génération. Comme
Ruiz (Généalogies d’un crime). À la fin genres, Bonnard fait preuve d’un solide ses compatriotes John Schlesinger, Ken
des années 90, il évolue vers une plus métier plus que d’une personnalité artis- Russell et l’Américain Richard Lester,
grande simplicité, par exemple avec le tique très affirmée. Il signe toutefois en Boorman fit ses premières armes à la
scénario de Lumumba de Raoul Peck, et 1942-43 deux comédies, où la finesse télévision (BBC). D’ascendance protes-
surtout avec deux comédies, qui, certes, d’observation dans l’analyse d’un milieu tante (écossaise et hollandaise) et fils
se déroulent dans des milieux intellec- populaire annonce le néoréalisme (Avanti du propriétaire d’un pub près des stu-
tuels, mais qui abordent avec ironie des c’è posto, Campo de‘ fiori). Parmi les dios de Shepperton, il est élevé chez les
situations classiques : Encore (1996) et soixante films réalisés jusqu’en 1962, on jésuites. Il travaille dans une teinturerie,
Rien sur Robert (1999). Enseignant à peut retenir les titres suivants : Il fauno di puis s’essaie à la critique de cinéma pour
la FEMIS, il a exercé une influence sur un journal féminin et pour la radio. Après
marmo (1919) ; I promessi sposi (1923) ;
de nombreux nouveaux réalisateurs des Trois Hommes en habit (Tre uomini in son service militaire, il devient assistant
années 90. frak, 1932) ; Il feroce Saladino (1937) ; monteur à la télévision en 1955, dans

Il conte di Bréchard (1938) ; La gerla di diverses stations de province. C’est en


BONNAIRE (Sandrine), actrice française papà Martin (1940) ; Phryné courtisane 1963 à Bristol qu’il s’impose, en produi-
(Clermont-Ferrand 1967). d’Orient (Frine cortigiana d’Oriente, sant une série de portraits documentaires
Adolescente sans histoire, elle n’a que 1953) ; Hanno rubato un tram (1955) ; d’une demi-heure (Citizen 63) dont il di-
seize ans lorsque Maurice Pialat la dé- rige quelques épisodes (un homme d’af-
les Derniers Jours de Pompéi (Gli ultimi
couvre et lui offre le premier rôle de À nos faires, une lycéenne, un savant). L’année
giorni di Pompei, CO S. Leone, 1959) ;
amours (1983, César du meilleur espoir suivante, il retrace la vie d’un couple de
Gastone (1960).
féminin). Son naturel, son physique de Bristol (The Newcomers). Sa réputation
sauvageonne et sa force lumineuse sur- BONNETTE (1). grandissante lui permet de réaliser son
prennent et séduisent la critique et le Lentille convergente, placée devant un premier film, Sauve qui peut (1965), dans
public. Elle tourne aussitôt quatre films, objectif pour filmer de près. ( OBJEC- le sillage de Quatre Garçons dans le vent
dont Blanche et Marie (Jacques Renard, TIFS.) de Richard Lester avec les Beatles. Boor-
1985) et Police (M. Pialat, 1985). Sa per- man travaille, lui, avec un groupe moins
formance exceptionnelle dans Sans toit BONNETTE (2). connu, le Dave Clark Five, mais il par-
ni loi (A. Varda, 1985) la place définiti- Accessoire, en tissu très fin, en mousse vient à donner un ton personnel à cette
vement au premier rang des révélations ou en fourrure synthétique que l’on place oeuvre de commande. Comme ses films

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

suivants, Sauve qui peut est l’histoire toire de Merlin, d’Arthur, de Lancelot et des instruments d’optique (Léo observe
d’une quête. Un couple traverse l’Angle- de Perceval. Il recrée un Moyen âge ima- le monde avec des jumelles, le héros du
terre pour trouver refuge dans une île. ginaire où se conjuguent les influences Point de non-retour et ceux de Délivrance
Il découvre à la fin de son voyage que barbares, orientales et gothiques, mêle sont sans cesse épiés à leur insu, la
sa fuite a servi de sujet à une campagne les tons comique, épique et lyrique en un jeune fille de l’Hérétique circule, par ses
publicitaire. brassage shakespearien et approfondit visions, à travers le temps et l’espace).
La rencontre de Lee Marvin lui ouvre sa recherche d’un itinéraire spirituel qui Cette oeuvre devient ainsi une réflexion
les portes de Hollywood. Il y dirige son conduit ses héros, d’épreuve en épreuve, sur le cinéma et, au centre de la plupart
second film, le Point de non-retour à une meilleure connaissance d’eux- des films, on retrouve un manipulateur,
(1967), variation brillante sur un thème mêmes. La Forêt d’émeraude (1985) un magicien, un Merlin l’Enchanteur, qui
connu : l’histoire d’un gangster décidé à transpose dans le Brésil contemporain contrôle les destinées et qui n’est autre

se venger de son meilleur ami qui lui a un thème cher au western. Un ingénieur que le réalisateur lui-même.

pris sa femme et sa part de butin. Avec un américain voit son fils de sept ans dispa- Films : Sauve qui peut (Catch Us if
sens visuel étonnant (qui reste une des raître dans la jungle amazonienne. Dix you Can, 1965) ; le Point de non-retour
marques distinctives de Boorman tout au ans plus tard, il le retrouve dans une tribu (Point Blank, US, 1967) ; Duel dans le
long de sa carrière), le film devient une indienne. Réflexion sur le rapport entre Pacifique (Hell in the Pacific, US, 1968) ;
fable sur l’Amérique contemporaine, l’in- les cultures, recherche d’une réconcilia- Léo le Dernier (Leo the Last, 1970) ; Déli-
dividu luttant en vain contre une société tion de l’homme avec la pensée mythique, vrance (Deliverance, US, 1972) ; Zardoz
anonyme qui feint de le laisser agir pour nouvelle odyssée d’un homme trouvant (id., 1974) ; l’Exorciste II : l’Hérétique
mieux le manipuler. Avec Duel dans le son identité, la Forêt d’émeraude s’inscrit (Exorcist II, The Heretic, US, 1977) ; Ex-
Pacifique (1968), Boorman, qui aime les dans la continuation logique de la carrière calibur (id., 1981) ; la Forêt d’émeraude
défis, s’attache à retracer les rapports de du metteur en scène. Il en est de même, (The Emerald Forest, 1985) ; la Guerre
deux officiers, un Japonais et un Amé- malgré les apparences, d’oeuvres plus à sept ans (Hope and Glory, 1987) ; Tout
ricain, abandonnés sur une île déserte intimistes comme la Guerre à sept ans et pour réussir (Where the Heart is ? 1990) ;
à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Tout pour réussir, qui nous ramènent au I Dreamt I Woke up (1991) ; Rangoon
Variation sur les rapports du maître et de ton de la fable que Boorman avait déjà (Beyond Rangoon, 1995) ; Two Nudes
l’esclave, le film, presque dépourvu de brillamment abordé dans Léo, le dernier. Bathing (MM, id.) ; The General (id.,
dialogue, témoigne d’un sens de la nature Si Beyond Rangoon applique une mise 1998) ; TheTailor of Panama (id., 2001).
quasi tellurique, le cinéaste jouant des en scène ample et virtuose à une formule
BOOTH (Margaret), monteuse américaine
sons et des couleurs pour évoquer une plus conventionnelle, le Général revient à
un sujet irlandais, au noir et blanc et à un (Los Angeles, Ca., 1898).
situation proche du théâtre de l’absurde.
C’est à la MGM que se déroule l’essentiel
Ce sens du théâtre et de la stylisation traitement sobre. Mais Boorman ne conti-
de sa carrière. Elle monte plusieurs films
se retrouve dans Léo le dernier (1970), nue jamais dans la voie que l’on prévoit :
muets de Stahl (1924-1927), puis des
allégorie brechtienne sur un prince exilé en effet TheTailor of Panama adapte
bandes de Robert Z. Leonard (la Cour-
(Marcello Mastroianni) à Londres, frappé avec brio et humour un roman de John Le
tisane, 1931 ; Strange Interlude, 1932),
d’atrophie émotionnelle et qui reprend Carré en approfondissant la tradition du
Sidney Franklin, Victor Fleming (Bombs-
goût à la vie au contact de la commu- film d’espionnage.
hell, 1933). Les Révoltés du « Bounty »
nauté jamaïcaine qui habite dans sa rue Le cinéma de Boorman se nourrit de
(Frank Lloyd, 1935) lui valent de concou-
à Notting Hill. Cette oeuvre, la plus ambi- paradoxes. Issu de la télévision, il en est
rir pour l’Oscar. Elle y déploie toute une
tieuse, la plus révélatrice et sans doute la presque la négation esthétique et ac-
rhétorique, complexe mais discrète :
plus accomplie de Boorman, est un échec corde à l’image une place prépondérante.
séquences d’action au montage court,
commercial. Elle précède son plus grand Bien qu’elle soit tributaire du film de genre
gros plans qui intègrent les personnages
succès public, Délivrance (1972), équipée (gangster, science-fiction, horreur), son
à l’environnement dramatique, ellipses
de quatre citadins partis sur une rivière oeuvre est marquée au sceau d’une forte
temporelles, séquences romantiques dé-
des Appalaches et qui apprennent à leurs personnalité, qui impose à chaque fois sa
pourvues de dialogue, effets de contraste
dépens que la nature ne correspond pas vision propre. Britannique, il tourne le dos
saisissants mais isolés. C’est le triomphe
à leurs aspirations romantiques. Tourné à la tradition réaliste et psychologique de
du montage « invisible » du spectateur
en Irlande, où réside le cinéaste, Zardoz ce pays et – comme Michael Powell – pri-
moyen. Elle monte encore le Roman de
(1974) est un récit de science-fiction écrit vilégie la fantaisie et l’imaginaire. Il sait
Marguerite Gautier (Cukor, 1937), puis
par Boorman : oeuvre complexe, où l’uto- aussi se faire américain avec, dans le
devient chef du département montage de
pie est soumise à une critique rigoureuse Point de non-retour et Délivrance, un sens la MGM, de 1939 à 1968. Jusqu’en 1976,
qui dévoile les structures d’oppression de la violence, du rythme et de la texture affichant l’éclectisme cher aux monteurs
gouvernant notre société. que peuvent lui envier bien des réalisa- hollywoodiens, elle travaille sur des films
L’incompréhension du public et d’une teurs d’outre-Atlantique. Comme Stanley aussi différents que Nos plus belles an-
grande partie de la critique conduit Kubrick – mais, à la différence de ce der- nées (Pollack, 1973), exemple de cinéma
Boorman à accepter de tourner la suite nier, plus proche de Jung que de Freud –, académique bien dans la tradition MGM,
de l’Exorciste : l’Hérétique (1977). Mais Boorman est un cinéaste de l’imaginaire, et l’âprement réaliste Fat City (Huston,
il transforme cette commande en une fasciné par les mythes et les rêves, se 1972).
oeuvre personnelle, en un thriller méta- livrant à une réflexion sur le devenir des
physique qui abandonne les effets de civilisations. Il y a en lui un romantique BOOTH (Thelma Booth Ford, dite Shirley),
grand-guignol du film de Friedkin en et en même temps un humoriste qui actrice américaine (New York, N. Y., 1907 -
faveur de la recherche poétique d’une prend ses distances envers la folie des North Chatham, Mass., 1992).
réconciliation entre la magie et la science hommes et leurs aspirations. Ses films, Elle s’est surtout illustrée à la scène, dans
au coeur de l’Afrique. Excalibur (1981) comme ses héros, sont porteurs d’une le drame, la comédie et le musical, et à
se présente comme une synthèse de la grande énergie et, entre la première et la télévision, grâce à la populaire série
poétique boormanienne. Influencé dès le la dernière image, de profondes transfor- Hazel. Tardive, sa carrière cinématogra-
plus jeune âge par les récits arthuriens, mations s’accomplissent, le monde et les phique se limite à cinq films : Reviens,
qui ne cesseront d’irriguer ses films, le êtres changent considérablement. Boor- petite Sheba (1952), mélodrame réaliste
réalisateur s’attaque directement à l’his- man aime jouer sur le rôle du regard et de Daniel Mann où elle recrée un de ses

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

rôles théâtraux les plus célèbres ; Main (1964), Angélique et le Roy (1965), l’In- BORGMANN (Hans Otto), musicien alle-
Street to Broadway (T. Garnett, 1953) ; domptable Angélique (1967), Angélique mand (Hanovre 1901 - Berlin 1977).
Romance sans lendemain (Daniel Mann, et le sultan (id.). Après des études classiques à Berlin, il
1954) ; la Meneuse de jeu (J. Anthony, est de 1928 à 1945 compositeur et direc-
1958), d’après la comédie de Thornton BORELLI (Lyda), actrice italienne (Rivarolo teur musical à la UFA. Ayant commencé
Wilder qui inspirera Hello, Dolly ; Vague Ligure, Gênes, 1884 - Rome 1959). par des comédies musicales, il a travaillé
de chaleur (Daniel Mann, 1958). Après ses débuts sur les planches en sur plus de cent films. Il est l’auteur, en
1901, Lyda Borelli connaît une rapide particulier, de la musique des films les
BORATTO (Caterina), actrice italienne renommée : elle joue aux côtés de Eleo- plus célèbres de l’époque nazie : le Jeune
(Turin 1916). nora Duse puis de Ruggero Ruggeri. Hitlérien Quex (H. Steinhoff, 1933), Ein
Célèbre dès son premier film (Vivere de D’allure sophistiquée, maigre, alanguie, Mann will nach Deutschland (P. Wege-
Guido Brignone, 1937), Caterina Boratto Lyda Borelli impose une silhouette de ner, 1934), l’Or (K. Hartl, id.), le Grand
a eu une carrière à éclipses : de 1938 à Roi (V. Harlan, 1942), et la Ville dorée
femme avant même de commencer à
1942, un contrat la conduit à Hollywood, (id., id.)... Avec Herbert Windt, Norbert
faire du cinéma. En 1913, elle est enga-
où elle demeure inactive ; de même, elle Schultze et Wolfgang Zeller, il est un des
gée par la Gloria Film pour interpréter
ne tourne rien de 1943 jusqu’au début grands responsables du style musical de
le rôle de protagoniste dans Ma l’amor
des années 60. Elle retrouve alors, grâce l’époque. Il a continué à composer après
mio non muore de Mario Caserini. Le
à Fellini, des rôles significatifs dans Huit la guerre, en particulier pour des films de
succès est immédiat et, au cours d’une
et demi (1963) et dans Juliette des es- Veit Harlan.
carrière cinématographique assez brève
prits (1965). Sa beauté nostalgique et
(elle cessera de tourner en 1918 à la
son charme ont également inspiré Dino BORGNINE (Ernest), acteur américain
suite de son mariage avec l’industriel Vit-
Risi (Il tigre, 1967 ; Dernier Amour, 1978), (Hamden, Conn., 1917).
torio Cini), Lyda Borelli va de triomphe
Pollack (Un château en enfer, 1969) et Il débute sur scène dans Harvey (1948)
en triomphe et impose définitivement
Pasolini (Salò, 1976). et à l’écran dans China Corsair (R. Na-
un personnage féminin particulièrement
zarro, 1951), The Whistle at Eaton Falls
BORAU (José Luis), cinéaste et producteur représentatif du goût de l’époque : son
(R. Siodmak, id.). Longtemps cantonné
espagnol (Saragosse 1929). jeu emphatique, tarabiscoté, ses attitudes dans des rôles de brute sadique, Tant
Il débute dans le long métrage par des toujours proches de l’état de pâmoison en qu’il y aura des hommes (F. Zinnemann,
films de commande : Brandy (1963), un font une actrice géniale ou ridicule, selon 1953), Vera Cruz (R. Aldrich, 1954), Un
western, et Crimen de doble filo (1964), le point de vue que l’on adopte. Parmi ses homme est passé (J. Sturges, 1955), il
un policier, puis devient un producteur contributions les plus représentatives, on incarne dans Marty (Delbert Mann, 1955)
indépendant actif. Après Hay que matar peut citer : La donna nuda (1914) de Car- un boucher new-yorkais amoureux d’une
a. B. (1973), il réalise le meilleur de ses mine Gallone, Rapsodia satanica (1915) timide institutrice. Cette composition inat-
films : Furtivos (1975), drame complexe de Nino Oxilia ; trois films de Gallone, La tendue lui vaut un Oscar à Hollywood
d’un personnage en butte à l’oppres- falena (1916), Malombra (id.) et La storia et un prix d’interprétation au festival de
sion familiale et sociale. Borau cherche dei tredici (1917) ; Madame Tallien (1916) Cannes. Il retrouve un emploi voisin dans
à conjurer la crise du cinéma par des de Mario Caserini et Enrico Guazzoni, The Catered Affair (R. Brooks, 1956),
coproductions internationales, cadre Carnevalesca (1917) de Amleto Palermi, inspiré, comme Marty, d’une pièce de
dans lequel il tourne La Sabina (1979), Il dramma di una notte (id.) de Caserini. Paddy Chayefsky. Las des rôles plus sté-
dérapant vers le pittoresque facile. Il réa- réotypés auxquels le voue son physique
lise ensuite Rio abajo (1984), Tata mía BORGES (Jorge Luis), écrivain argentin marqué, il se tourne vers la télévision
(1986), Niño nadie (1996) et Leo (2000). (Buenos Aires 1899 - Genève 1986). et remporte un Emmy pour le feuilleton
Parallèlement, il a ajouté de nouvelles L’auteur de Fictions pratique la critique McHale’s Navy. Il doit à Robert Aldrich
cordes à son arc, celles d’auteur et édi- de films, notamment dans la revue Sur son retour au cinéma et ses meilleures
teur, prolongeant ainsi un long magistère. (1931-1944). Il « écrit en vain des scé- créations récentes : le Vol du phénix
narios pour le cinéma », dont deux, (1966), les Douze Salopards (1967), le
BORDERIE (Raymond Borderie, dit Ber- Démon des femmes (1968), l’Empereur
cosignés par Adolfo Bioy Casares, sont
nard), cinéaste français (Paris 1924 - id. du Nord (1973) et la Cité des dangers
publiés : Los orilleros et El paraíso de los
1978). (1975). Parmi ses autres interprétations,
creyentes (1955). Touché par l’épique du
Fils du producteur Raymond Borderie, il citons celles de Johnny Guitare (N. Ray,
western et du film noir, le cinéma consti-
s’illustre dans tous les genres populaires 1954), l’Homme de nulle part (D. Daves,
tue pour lui une véritable école du récit.
du cinéma français des années 50 et 60. 1956), les Vikings (R. Fleischer, 1958),
Son goût de la stylisation, le choix de
Il aborde, sans complexe aucun, le film la Horde sauvage (S. Peckinpah, 1969),
moments significatifs, l’ellipse, l’énumé-
policier humoristique dans la série des Willard (Daniel Mann, 1971), la Loi et
ration, la discontinuité narrative peuvent
« Lemmy Caution » avec Eddie Constan- la Pagaille (I. Passer, 1974), le Convoi
être rapprochés du montage cinémato-
tine : la Môme Vert-de-Gris (1952), Les (Peckinpah, 1978).
graphique. L’oeuvre de Borges a inspiré
femmes s’en balancent (1953), Lemmy
directement des cinéastes aussi divers
pour les dames (1961), À toi de faire BORGSTRÖM (Hilda), actrice suédoise
que Torre Nilsson, René Mugica, Hugo
mignonne (1963) et dans celle des « Go- (Stockholm 1871 - id. 1953).
rille » avec Lino Ventura (Le Gorille vous Santiago (scénario original), Bertolucci. À Au théâtre, elle fut une des grandes inter-
salue bien, 1957), puis Roger Hanin (la la mode en Argentine après sa consécra- prètes d’Ibsen et de Strindberg, mais son
Valse du Gorille, 1959), avant de s’atta- tion européenne, son magnifique réper- répertoire englobe aussi bien Molière et
quer à un autre genre en vogue : le film toire d’histoires commence à être plate- Lessing que Feydeau, Schnitzler, Mau-
de cape et d’épée (les Trois Mousque- ment porté à l’écran par ses compatriotes gham et O’Neill. Au cinéma, elle est choi-
taires, 1961 ; le Chevalier de Pardaillan, Ricardo Luna (Los orilleros, 1975), Héc- sie par Victor Sjöström pour incarner ses
1962). Après Rocambole (id.), il réalise tor Olivera (El muerto, 1975) et Carlos toutes premières héroïnes (Un mariage
la série des « Angélique », une sorte de Hugo Christensen (A Intrusa, 1979, au secret, 1912 ; Un conte estival, id. ; le Flirt
feuilleton à la fois érotique et pseudo- Brésil). La télévision s’en est également d’été de lady Marion, 1913 ; Ingeborg
historique qui connut un large succès servi, notamment avec El sur (C. Saura, Holm, id. ; Ne jugez pas, 1914). En 1921,
public : Angélique, marquise des Anges 1991) et Emma Zunz (B. Jacquot, id.). elle retrouve Sjöström à la fois comme

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

metteur en scène et comme partenaire couvent [Interno di un convento], 1978 ; (Salt Lake City, Utah, 1894 - Los Angeles,
dans la Charrette fantôme : elle est en les Héroïnes du mal, 1979 ; l’Armoire [un Ca., 1962).
effet l’épouse infortunée de David Holm épisode du film Collections privées, id.] ; Très tôt attiré par le théâtre, Frank Bor-
personnifié par Sjöström lui-même. Dès Lulu, 1980 ; Docteur Jekyll et les femmes, zage se rend à vingt ans à Hollywood,
lors, elle poursuit avec talent une carrière 1981 ; l’Art d’aimer, 1983 ; Emmanuelle 5, où il tient bientôt des rôles importants
bien remplie, accompagnant ainsi pen- 1986 ; Cérémonie d’amour, 1988). dans des films de Thomas Ince. Dès
dant près de quarante ans l’évolution du 1916, il réalise des westerns dont il est
cinéma suédois. On la voit notamment BORREMANS (Guy), technicien et cinéaste également l’interprète. Son premier grand
dans ’Simon de Backabo‘ (Simon i Bac- canadien (Dinant, Belgique, 1934). succès date de 1920, avec Humoresque,
kabo, E. G. Edgren, 1934), Un crime (Ett Il s’installe au Canada en 1951. D’abord d’après un roman de Fanny Hurst. « On
brott, Anders Henrickson, 1940), Che- photographe de presse, puis employé à trouve dans Humoresque des analyses
vauchée nocturne (G. Molander, 1942), l’ONF, il est directeur de la photographie psychologiques qui sont parmi les plus
l’Empereur du Portugal (Kejsaren af Por- d’un grand nombre de films (fiction ou aiguës du cinéma. La première partie du
tugalien, Molander, 1944), ’la Sorcière‘ cinéma direct) réalisés au Québec depuis film, traitant la vie d’une famille juive dans
(Flickan och djävulen, H. Faustman, 1960, notamment des films d’Arthur La- le ghetto de New York, contient d’admi-
id.),’le Festin‘ (Banketten, H. Ekman, mothe (les Bûcherons de la Manouane, rables passages de véritable caractéri-
1948), Eva ou Sensualité (Molander, id.) 1962, et la série TV Carcajou ou le Péril sation. » (Peter Milne, in Motion Picture
et’la Fille du troisième rang‘ (Flickan från blanc en 1972-1974). Directing, New York, 1922.)
tredje raden, Ekman, 1949). En 1960, Guy Borremans réalise la Ce texte contemporain signale lucide-
Femme-image, court métrage poétique ment l’importance historique de Borzage,
BOROWCZYK (Walerian), cinéaste polo- sur le désir et l’amour, influencé par le qui a su avec quelques autres (De Mille,
nais (Kwilcz 1923). surréalisme et l’avant-garde française. Lubitsch, le Chaplin de l’Opinion publique,
Il étudie la peinture à l’académie des
etc.) acclimater au cinéma l’art (venu du
beaux-arts de Cracovie, puis il se BORSODY (Eduard von), cinéaste autri-
théâtre et de la littérature) de la carac-
consacre à la lithographie. Il crée alors chien (Vienne 1898 - id. 1970).
térisation, de la nuance psychologique.
des affiches de cinéma pour Film Polski, Ancien officier, il est introduit dans les
En même temps, Milne souligne ce qui,
puis se consacre à la réalisation de courts milieux du cinéma par son frère Julius,
allant d’ailleurs dans le même sens, res-
métrages, où il entremêle avec beaucoup décorateur, et travaille de 1919 à 1932
tera une constante de Borzage, plusieurs
de bonheur l’animation et les collages. En comme opérateur. Monteur et assistant
fois notée au cours de sa longue car-
collaboration d’abord avec Jan Lenica (Il réalisateur, il réalise son premier film en
rière : l’attention méticuleuse aux détails.
était une fois [By ‘ l sobie raz...], 1957 ; 1937-38 : Brillanten. Il touche le public
Enfin, la description d’un milieu marginal,
les Sentiments récompensés [Nagro- le plus large avec deux films d’aventures
alliée à la sentimentalité de Fanny Hurst,
dzone uczucia], id. ; la Maison [Dom], écrits en collaboration avec Ernst von Sa-
préfigure une grande partie de l’oeuvre
1958), puis seul, il s’impose comme un lomon : Marajo, la lutte sans merci (Kauts-
à venir, l’évocation tendre et romantique
animateur imaginatif, plein de surprises chuck, 1938) et Congo-Express (Kongo
des humbles, des déshérités.
et d’incongruités (les Astronautes, 1959 ; Express, 1939). Son film l’Épreuve du
les Jeux des anges, 1964). Désormais On citera d’abord ce charmant chef-
temps (Wunschkonzert, 1940) est un des
établi en France, à Paris, il signe en 1966 d’oeuvre qu’est l’Heure suprême (1927),
grands succès commerciaux de l’époque.
son premier court métrage entièrement qui met en scène le Paris de 1914-
Après la guerre, il est metteur en scène
joué Rosalie, suivi par Gavotte (1967) et 1918, un Paris de fantaisie, petit monde
de théâtre en Autriche, puis de télévi-
Diptyque (id.). Puis il confectionne, avec d’égoutiers et de « filles » vivant dans
sion (1965-1968) et dirige des dizaines
plusieurs dessins animés réalisés anté- des mansardes à la fois misérables et
d’oeuvres mineures dont sept « Heimat-
rieurement, un long métrage d’animation complètement idéalisées. Les protago-
film », Liane la sauvageonne (Liane,
cruel et presque sadique s’il n’était par- nistes (Charles Farrell et Janet Gaynor) y
das Mädchen aus dem Urwald, 1956) et
fois drolatique, le Théâtre de Monsieur et défient tranquillement, sans provocation,
Traumrevue, son dernier film (1959). Il
Madame Kabal (1967). Il aborde le film les convenances sociales et religieuses
a écrit dix-huit scénarios, dont ceux de
de fiction en mariant l’insolite, l’absurde et jusqu’à la mort elle-même. Les mêmes
ses principaux titres, et le Mozart de Karl
et l’ingénuité (Goto, l’île d’amour, 1969), interprètes reparaissent dans l’Ange de
Hartl (1942).
détourne un drame romantique en l’adap- la rue (1928), dont le cadre est une Italie
tant à son univers à la fois féroce et am- BORY (Jean-Louis), écrivain français (Mé- non moins fantaisiste, avec pour acteurs
bigu (Blanche, 1972). La recherche d’un réville 1919 - id. 1979). du drame des gens du cirque (donc des
certain esthétisme pictural très flatteur Passionné par le cinéma, ses articles marginaux), des « filles » encore. Comme
pour les yeux l’entraîne dans des entre- dans Arts (1961-1966), le Nouvel Obser- dans l’Heure suprême, il s’y manifeste
prises d’abord séduisantes, puis de plus vateur (1966-1979), ses interventions à une religiosité à la fois superstitieuse
en plus discutables. Il croit donner à l’éro- la radio tendent à défendre avec brio et et méfiante à l’égard de l’Église qu’on
tisme ses lettres de noblesse (Contes im- générosité les maudits, à aider à la com- retrouvera fréquemment chez Borzage
moraux, 1974), aborde par le biais du fan- préhension des jeunes auteurs, des ciné- (par ex. dans : l’Adieu au drapeau, 1932 ;
tastique la zoophilie (la Bête, 1975), se mas inconnus et des différences. Plaidant Ceux de la zone, 1933 ; Chirurgiens
refait une santé surréaliste en Pologne en pour un « cinéma debout » contre « un 1939 ; le Cargo maudit, 1940 ; The Mortal
adaptant un roman de Stefan eromski, cinéma couché », il récuse les tabous Storm, id.). Il faut mentionner encore la
l’Histoire d’un péché (Dzieje grzechu, académiques ou moraux, mais son pro- Femme au corbeau (1928 aussi), avec
id.), tente d’illustrer par des images trop gressisme n’exclut pas la défense de Charles Farrell et Mary Duncan, dont il
luxueuses la Marge (1976), le roman de la forme ni même de l’esthétisme. Son ne resterait plus qu’une version incom-
Pieyre de Mandiargues, puis s’enferme audience auprès d’un public très divers plète. Mais, sans rien renier de son ro-
dans une formule où la somptuosité des est indéniable. Il a publié Questions au mantisme, Borzage allait trouver dans
images et l’évidente volonté de contes- cinéma (1973) et réuni ses chroniques en le contexte historique des années 30,
ter tous les tabous sexuels avec un sens sept volumes. crise économique, chômage, montée
habile de la provocation ne parviennent du nazisme et autres totalitarismes, un
plus à masquer la complaisance dans BORZAGE (Frank Borzaga dit Frank), matériau fertile. Il n’est à cet égard que
le scabreux ou le pervers (Intérieur d’un cinéaste américain d’origine italo-suisse de comparer à l’Heure suprême le film

157
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

l’Adieu au drapeau (d’après l’Adieu aux Le déclin relatif de Borzage à la fin sire (id.) ; Secrets (id., 1924) ; Sa vie (The
armes d’Hemingway). On croit plus à l’Ita- de sa carrière (les motifs de son inacti- Lady, 1925) ; Daddy’s Gone a-Hunting
lie de la Première Guerre mondiale qu’au vité entre le Fils du pendu et China Doll (id.) ; Si les hommes pouvaient (Wages
Paris du « septième ciel », différence due ne sont pas entièrement éclaircis ; il est for Wives, id.) ; Notre héros (Lazybones,
partiellement au parlant, partiellement possible que l’alcool y eût une part) ne id.) ; The Circle (id.) ; Giboulées conju-
sans doute à la source de l’adaptation, doit pas faire oublier qu’il fut l’un des plus gales (The First Year, 1926) ; The Dixie
mais aussi, semble-t-il, à la conscience importants réalisateurs de la fin du muet Merchant (id.) ; Early to Wed (id.) ; la Ro-
que les risques d’un nouveau conflit al- et des années 30, avec un style qui lui turière (Marriage License ?, id.) ; l’Heure
laient augmentant. Et cette supériorité de était propre mais adapté au système de suprême (7th Heaven, 1927) ; l’Ange de
l’Adieu au drapeau dans la crédibilité est production hollywoodien : intrigues insé- la rue (Street Angel, 1928) ; la Femme au
d’autant plus frappante que l’interpréta- rant un intérêt romantique dans un cadre corbeau (The River, 1929) ; l’Idole (Lucky
tion d’Helen Hayes est fort inférieure à réaliste et marqué socialement, produc- Star, id.) ; They Had to See Paris (id.) ;
celle de Janet Gaynor. tion soignée dans les moindres détails Song o’My Heart (1930) ; Liliom (id.) ;
Les brillantes réussites de Borzage des décors et des costumes, direction Young as You Feel (1931) ; Doctor’s
sont au même titre que les comédies d’acteurs simultanément méticuleuse Wives (id.) ; Bad Girl (id.) ; After Tomorrow
loufoques de La Cava ou de Leisen une et inspirée. Il a su en particulier faire (1932) ; Jeune Amérique (Young Ame-
réaction directe à la Dépression. Ceux de exprimer par des interprètes féminines à rica, id.) ; l’Adieu au drapeau (A Farewell
la zone met en scène une fois encore des l’apparence fragile une force et une déter- to Arms, id.) ; Secrets (id., 1933) ; Ceux de
marginaux et participe d’une sorte d’anar- mination pathétiques et inébranlables qui la zone (Man’s Castle, id.) ; Et demain ?
font d’elles des héroïnes. Capables d’al- (Little Man, What Now ?, 1934) ; Comme
chisme poétique qu’on retrouve à la
même époque dans Zoo in Budapest de ler jusqu’au sacrifice d’elles-mêmes et à les grands (No Greater Glory, id.) ; Made-

Rowland V. Lee (1933), également avec la mort, telles sont en effet Janet Gaynor moiselle Général (Flirtation Walk, id.) ;

Loretta Young, en France dans l’Atalante dans l’Heure suprême et l’Ange de la rue, Sur le velours (Living on Velvet, 1935) ;

de Jean Vigo. Il faut surtout mettre en Loretta Young dans Ceux de la zone, Gail Bureau des épaves (Stranded, id.) ; Ship-

relief ce qu’on peut appeler la trilogie alle- Russell dans le Fils du pendu, Margaret mates Forever (id.) ; Désir (Desire, 1936) ;

Sullavan surtout dans Trois Camarades Betsy (Hearts Divided, id.) ; la Lumière
mande de Borzage : Et demain ? (1934),
et The Mortal Storm. Il a été le poète verte (Green Light, 1937) ; Le destin se
d’après Hans Fallada, trace un sombre
joue la nuit (History Is Made at Night, id.) ;
tableau (physique et moral) de la répu- du couple. Ses meilleures oeuvres fré-
la Grande Ville (The Big City / The Skys-
blique de Weimar ; le « petit homme » missent d’une spiritualité qui est difficile
craper Wilderness id.) ; Trois Camarades
auquel fait allusion le titre original est à définir, car elle puise à des sources lit-
(Three Comrades, 1938) ; l’Ensorceleuse
l’exact équivalent européen de l’« homme téraires assez troubles (Lloyd C. Douglas
(The Shining Hour, id.) ; Mannequin (id.,
oublié » dont Roosevelt promet au même pour Chirurgiens), mais dont le caractère
id.) ; Disputed Passage (1939) ; le Cargo
moment de s’occuper. Dans Trois Cama- syncrétique et nébuleux n’en diminue ni
maudit (Strange Cargo, 1940) ; The Mor-
rades (1938), on devine déjà une manière l’évidente sincérité, ni l’indéniable origina-
tal Storm (id.) ; Flight Command (1941) ;
d’idéalisation, voire de culte de la mort lité, ni l’attrait qu’elle continue à exercer
Chagrins d’amour (Smilin‘ Through, id.) ;
comme échappatoire à d’insolubles pro- sur le spectateur.
The Vanishing Virginian (1942) ; Sept
blèmes sociaux. The Mortal Storm, enfin, Films : That Gal of Burke’s (1916) ;
Amoureuses (Seven Sweethearts, id.) ; le
met explicitement en cause l’idéologie et Mammy’s Rose (coréal. James Douglas,
Cabaret des étoiles (Stage Door Canteen,
la pratique nazies, leur opposant à la fois id.) ; Life’s Harmony (coréal. Lorimer
1943) ; la Soeur de son valet (His Butler’s
l’arbre de vie, éternel symbole d’espé- Johnston, id.) ; The Silken Spider (id.) ;
Sister, id.) ; Till We Meet Again (1944) ;
rance, et le refuge de l’espace blanc de The Code of Honor (id.) ; Nell Dale’s Men
Pavillon noir (The Spanish Main, 1945) ;
la neige et de la mort, expression d’une Folks (id.) ; The Forgotten Prayer (id.) ;
Magnificent Doll (1946) ; Je vous ai tou-
révolte passionnée mais désespérée. The Courtin’ of Calliope Clew (id.) ; Nug-
jours aimé (I’ve Always Loved You, id.) ;
D’autres titres des années 30 sont plus get Jim’s Pardner (id.) ; The Demon of
le Bébé de mon mari (That’s My Man,
traditionnels dans leur propos. Citons Fear (id.) ; Land o’Lizards / Silent Shelby
1947) ; le Fils du pendu (Moonrise, 1948) ;
avant tout Le destin se joue la nuit (1937), (id.) ; Immediate Lee / Hair Trigger Casey
China Doll (1958) ; Simon le pêcheur (The
qui mêle avec virtuosité les registres de la (id.) ; Enchantment (id.) ; The Pride and
Big Fisherman, 1959).
tendresse, de l’humour et de l’émotion, la the Man (id.) ; Dollars of Dross (id.) ; la
séduction des apparences et la mise à nu Petite Châtelaine (Wee Lady Betty, 1917, BOS (Johanna dite Annie), actrice néerlan-
de leur caractère trompeur. coréal. Charles Miller) ; Au pays de l’or daise (Amsterdam 1886 – Leiden 1975).
Ailleurs, cependant, Borzage se (Flying Colors, id.) ; le Piège (Until They Elle se fait petit à petit un nom dans le
montre sensible aux prestiges hollywoo- Get Me, id.) ; The Atom (1918) ; la Fille cinéma de son pays natal, dont la pro-
diens de la haute société, des décors et du ranch (The Gun Woman, id.) ; le Pre- duction assez féconde est exportée à
des toilettes de luxe. Il en est ainsi dans mier Pas (Shoes that Danced, id.) ; In- l’époque en Allemagne, en Autriche, en
des mélodrames comme Sur le velours nocent’s Progress (id.) ; A Honest Man France et en Angleterre, en interprétant
(1935) ou l’Ensorceleuse (1938), dans (id.) ; Society for Sale (id.) ; Who Is to des rôles très éclectiques dans des films
une comédie sophistiquée comme Désir Blame ? (id.) ; The Ghost Flower (id.) ; produits par Mauritz Binger son « décou-
(1936), qui est un cas limite, puisque Lu- The Curse of Iku (id.) ; Toton (1919) ; Pru- vreur ». De 1915 à 1920 elle devient
bitsch en assura la production et la super- dence of Broadway (id.) ; Ceux que les une petite star du cinéma néerlandais et
vision. On considère en général que, à dieux détruiront (Whom the Gods Des- obtient un triomphe dans Une Carmen
partir des années 40, Borzage n’a fait que troy, id.) ; la Roturière (Ashes of Desire, du Nord (Een Carmen van het Noroden,
se survivre ou se répéter, que ses films id.) ; Humoresque (id., 1920) ; The Duke 1919), adaptation actualisée de l’oeuvre
soient devenus commerciaux, ou qu’il of Chimney Butte (1921) ; Pour faire for- de Mérimée qui lui apporte des critiques
n’ait pas su adapter son style à l’évolution tune (Get-Rich-Quick Wallingford, id.) ; élogieuses notamment des Américains
du cinéma, ce qui est un peu contradic- le Repentir (Back Pay, 1922) ; Billy Jim qui voient en elle une « superbe silhouette
toire. On excepte habituellement le Fils (id.) ; Un père (The Good Provider, id.) ; qu’elle sait utiliser et mouvoir à son avan-
du pendu (1949), dont le pessimisme et Valley of Silent Men (id.) ; The Pride of tage et dont les cheveux courts révèlent
le fatalisme sont caractéristiques à la fois Palomar (id.) ; The Nth Commandment un visage sexy et très attirant ». Mais les
du Borzage et du film noir des années 40. (1923) ; Children of Dust (id.) ; Age of De- années 20 ne lui seront guère favorables

158
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

et elle est peu à peu évincée du haut de femme mûrie, aux traits sévères, dotée loguiste sur des films comme Croisières
l’affiche jusqu’à être totalement oubliée. d’une singulière aura tragique : Sous le sidérales (A. Zwoboda, 1942), Dernier
signe du scorpion (P. et V. Taviani, 1969), Atout (J. Becker, id.), Madame et le Mort
BOSE (Debaki Kumar), cinéaste et scé- Metello (M. Bolognini, 1970), Vertiges (L. Daquin, 1942), ou Patrie (id., 1946), il
nariste indien (Akalpoush, Bengale, (id., 1975), Violenta (D. Schmid, 1997), se consacre ensuite presque exclusive-
1898 - Calcutta 1971). Chronique d’une mort annoncée (F. Rosi, ment à une collaboration de trente ans
Écrivain, journaliste, dévot et nationaliste, 1986), l’Enfant de la lune (El nno de la avec Aurenche. Il a également travaillé
il écrit son premier scénario pour Dhiren luna, Agustin Villaronga, 1989). sans son compère favori à une douzaine
Ganguly et interprète le rôle principal de de films comme coscénariste ou dialo-
ce film muet : ’Flammes de chair‘ (Kama- BOSETTI (Roméo), cinéaste et acteur fran- guiste. Parmi eux : Les jeux sont faits
ner Aagun, 1928). Entre 1929 et 1960, çais (Chiari, Italie, 1879 - Suresnes 1948). (J. Delannoy, 1947) ; le Château de verre
il réalise une quarantaine de films. Leur Enfant de la balle, il fait ses premières (R. Clément, 1950) ; la P... respectueuse
spiritualité, l’emploi raffiné de la musique armes dans le cirque et le music-hall dès (M. Pagliero et Ch. Brabant, 1952) ; Une
et des chants ont largement contribué l’âge de dix ans. Il débute comme acteur fille nommée Madeleine (A. Genina,
à l’émergence d’un cinéma bengali de chez Pathé vers 1906 avec d’autres 1954) ; OEil pour oeil (A. Cayatte, 1957),
qualité. Ses meilleurs films datent de camarades du monde du spectacle, tel Pantalaskas (P. Paviot, 1959) ou Quelle
l’époque où il a travaillé pour la com- André Deed. Il tourne ensuite chez Gau- joie de vivre ! (R. Clément, 1961 ; CO
pagnie New Theatres, de 1930 à 1935, mont, sous la direction d’Alice Guy, et L. Benvenuti et P. de Bernardi). Son
puis de 1937 à 1940. Citons : Chandidas réalise également de nombreux sketches roman Monsieur Ladmiral va bientôt
(1932), inspiré par la vie d’un saint poète imaginés par Feuillade dans ses films ; sa mourir a été porté à l’écran par Bertrand
du [**INTER**]XVIe siècle ; ‘ le Dévot ’ connaissance du cirque lui permet d’ac- Tavernier sous le titre Un dimanche à la
(Puran Baghat, 1933), en hindi, qui fut un complir des prouesses. En 1908, il entre- campagne. [ AURENCHE.]
succès dans toute l’Inde ; Seeta (1934), prend, comme metteur en scène, la série
premier film indien envoyé au festival de des Calino, dont il est également l’inter- BOSUSTOW (Stephen), producteur amé-
Venise ; Sonar Sansar / Sunchra Sansar prète. Bientôt il abandonne ses presta- ricain d’animation (Victoria, Colombie
(1936) ; Vidyapathi (1937), sur la vie d’un tions d’acteur pour se consacrer unique- britannique, Canada, 1911 - Los Angeles,
autre saint poète ; ’la Danseuse‘ (Nartaki, ment à la réalisation. En 1911, il passe à Ca., 1981).
1940), sur le thème de la chair et de l’es- la Lux Film, où il met en scène la succes- Son importance historique, parfois
prit ; Kavi (1949) ; Pathik (1953). sion des Rosalie et des Patouillard. Il éla- contestée, vient de ce qu’il a fondé en
bore ensuite, pour la firme Éclair, la série 1945 l’United Productions of America
BOSÈ (Lucia), actrice italienne (Milan des Casimir (1912-1914). Blessé pendant (UPA), qui révolutionna le domaine de
1931). la Grande Guerre, cet auteur comique ne l’image animée en même temps qu’en
Élue « Miss Italie » dans un concours parvient pas à se recycler dans le cinéma Europe naissaient l’école tchèque et
de beauté, elle est pressentie pour tenir d’après-guerre. On ne le retrouve plus, au Québec celle de McLaren. D’ori-
le rôle vedette de Riz amer, mais on lui par la suite, que comme acteur de com- gine canadienne, Bosustow débute en
préfère Silvana Mangano. Par compen- plément dans de nombreux films. 1932 avec Ub Iwerks dans la série Flip la
sation, le réalisateur Giuseppe De San- Grenouille (Flip the Frog) puis avec Wal-
tis l’engage dans Pâques sanglantes BOSSAK (Jerzy), cinéaste polonais (Ros- ter Lantz en 1934. C’est alors qu’entrant
(1950), et la même année Michelangelo tov-sur-le-Don, Russie, 1910 - Varsovie chez Walt Disney il devient animateur
Antonioni dans son premier long métrage 1989). (sur Blanche-Neige, Bambi et Fantasia)
Chronique d’un amour. « L’irruption de Critique de cinéma, il est au cours des et porte la moustache de son employeur,
cette actrice au coeur de notre cinéma- années 30 l’un des animateurs du groupe dont il adopte les méthodes, sinon le style.
thèque imaginaire, écrit Freddy Buache, Start qui réunit les cinéphiles de Var- Profitant de la grève qui, en 1941, para-
fut un foudroiement parce qu’elle retrou- sovie. Pendant la guerre, il est l’un des lysa la plus fameuse usine de cartoons
vait par la caméra d’Antonioni la magie organisateurs de l’avant-garde cinéma- de l’histoire du cinéma, il coordonne les
des divas en même temps que les sorti- tographique de l’armée polonaise ; il est différentes tendances qui y couvaient et
lèges de Louise Brooks. » Avec cette der- opérateur au front. Coauteur (avec Alek- qui, rejetant à la fois le style en O cher à
nière, elle entretient en effet une certaine sander Ford) du documentaire Maïda- « l’oncle Walter » et son industrialisation
ressemblance, accentuée par la coiffure, nek (1944) et du montage d’actualités la à outrance, réclamaient un renouvelle-
le sourire triste, la clarté du regard. Dans Bataille de Kolobrzeg (1945), il est, après ment total de l’esthétique : réduction vo-
les années 50, Lucia Bosè tournera une la Libération, codirecteur de l’entreprise lontaire de la palette et adoption de cou-
quinzaine de films de valeur inégale, Film Polski, responsable de Polska Kro- leurs franches, aplatissement du décor,
les meilleurs étant signés à nouveau De nika Filmowa (actualités), professeur à schématisation des personnages et de
Santis (Onze heures sonnaient, 1952) et l’École supérieure de cinéma de ód, leur gestuelle. Des artistes comme John
Antonioni (la Dame sans camélias, 1953), directeur artistique du groupe de pro- Hubley, Pete Burness, Art Babbitt, Jules
Francesco Maselli (Gli sbandati, 1955), duction Kamera (1957-1968) et auteur Engel, Paul Julian mettent au point la
Juan Antonio Bardem (Mort d’un cycliste, de très nombreux documentaires, parmi nouvelle stylisation qui allait connaître un
en Espagne, 1955) et Luis Buñuel (Cela lesquels : La paix vaincra (Pokoj Zwy- immense succès. Auprès d’eux, figurent
s’appelle l’aurore, en France, 1956), les ciezy swiat, 1951 ; CO J. Ivens) ; Nous Ted Parmelee, Gene Deitch, Tee Hee,
pires : Mario Bonnard ou Glauco Pelle- le jurons ! ( Slubujemy !, id.) ; Retour à Bill Hurtz, Zachary Schwartz, Dave Hil-
grini. Alain Resnais utilise son beau vi- la vieille ville (Powrót na Stare Miasto, berman, Ernest Pintoff, Bill Melendez.
sage en effigie dans Toute la mémoire du 1952) ; Requiem pour 500 000 morts (Re- Liée d’emblée à la Columbia, l’UPA, que
monde (1956). Après son mariage avec le quiem dla 500 000, 1963). lancent un film sur la soudure dans les
torero Luis Miguel Dominguin, elle aban- chantiers maritimes, Sparks and Chips
donne le cinéma, ne consentant qu’une BOST (Pierre), écrivain et scénariste fran- Get the Blitz, un tract rooseveltien, Hell-
brève apparition dans le Testament çais (Lasalle 1901 - Paris 1975). Bent for Election, et un film syndical Bro-
d’Orphée de Jean Cocteau (1960). Elle Auteur de romans et de pièces, il débute therhood of Man, travaille pour l’armée et
n’y reviendra qu’à partir de 1969, avec le au cinéma avec les dialogues de l’Héri- la télévision, produit des films industriels
Satyricon de Fellini (un rôle de matrone). tier des Montdésir (A. Valentin, 1940), ou didactiques qu’encadrent ses deux
Sa deuxième carrière nous révèle une sur un scénario de Jean Aurenche. Dia- plus populaires créations, Mr. Magoo de

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Pete Burness et Gerald McBoing Boing entre 1907 et 1911. Il battit les records dont les images d’archives sont confron-
de Robert Cannon. En 1953, les sorties de fréquentation d’alors avec une satire tées à la vie du Berlin de l’année 2000 :
successives de Unicorn in The Garden, politique, Paz e Amor (1910). Konzert im Freien.
de Bill Hurtz puis du Coeur révélateur
(The Tell-Tale Heart), d’après Poe et où BOTELHO (João), cinéaste portugais (La- BOUAMARI (Mohamed), cinéaste algérien
James Mason faisait une inquiétante voix mego 1949). (environs de Sétif [auj. Stif] 1941).
de narrateur, symbolisent l’avènement Graphiste, illustrateur de livres, anima- Autodidacte, l’UNEF lui accorde une
d’un renouveau animé aux États-Unis. teur de ciné-club, critique de cinéma, bourse pour un séjour de formation en
Il semble qu’on ait un peu surestimé la il réalise en 1978 un premier court France aux métiers de plateau (TV). En
part créatrice de Bosustow qui fut surtout métrage, Alexandre e Rosa (CO Jorge 1965, il regagne Alger et devient assis-
un organisateur hors pair, un actionnaire Alves da Silva), puis, en 1981, Conversa tant à l’ONCIC et pour l’OAA, où il tra-
astucieux et le gérant avisé de cette en- Acabada (id.), qui évoque la rencontre vaille avec Lakhdar Hamina, d’abord (non
treprise collective extrêmement prolixe en de deux grands poètes nationaux, Fer- crédité sur le Vent des Aurès, 1966), puis
idées neuves. Après une brève floraison nando Pessoa et Mário de Sá Carneiro. avec Costa-Gavras (Z, 1969) et Bertu-
de longs métrages centrés sur le person- Ses films successifs – Un adieu portugais celli (Remparts d’argile, 1970). Il réalise
nage fétiche de Mr. Magoo (les Aventures (Um Adeus Português, 1985), où pour la des courts métrages intéressants, puis le
d’Aladin, le Noël de Mr. Magoo), l’UPA, à première fois on parle des guerres colo- Charbonnier (al-Fam, 1972), remarqué
partir de 1958, s’éparpilla en productions niales ; Este Tempo/Hard Times (Tem- par la critique. Avec l’Héritage (1974) et
individuelles : Storyboard Productions, pos Difíceis, 1988, d’après Dickens) sur Premier Pas (1980), qui posent pourtant
Playhouse Pictures, Fine Arts Produc- la lutte des classes dans le Portugal mo- la question de l’émancipation féminine, le
tions, Brandon Films, Pintoff Productions, derne ; O Ar/No Dia de Meus Anos (1992, cinéaste a perdu beaucoup de l’originalité
etc. L’une des grandes victoires de Bo- épisode de la série Os Quatros Elemen- de ses débuts.
sustow fut, cependant, de contraindre tos), Ici sur la terre (Aqui na Terra, 1993)
Walt Disney à plagier la révolution de et Tres Palmeras (1994), trois variations BOUCHER (Victor), acteur français (Rouen
l’UPA, lorsqu’il produisit Toot, Whistle, sur le thème de la paternité ; Trafic (Tra- 1877 - Paris 1942).
Plunk and Boom (1953). Ce fut l’une de fico, 1998), comédie cynique sur le chaos Sa vie durant, il triomphe à la scène grâce
ses dernières satisfactions. politique et social du Portugal contem- à l’efficacité comique d’un jeu qui com-
porain – lui apportent un renom interna- bine l’hésitation du débit à l’autorité du
BOSWORTH (Hobart Van Zandt Bosworth, tional. Profondément lié à la culture por- geste. Maurice Tourneur, dès 1913, lui
dit Hobart), acteur, producteur, scénariste tugaise, au présent de son pays, dont il fait reprendre à l’écran un de ses rôles
et cinéaste américain (Marietta, Ohio, devient un lucide interprète, Botelho est favoris (la Petite Chocolatière). Le par-
1867 - Glendale, Ca., 1943). un cinéaste qui soigne les détails et la lant lui permet d’honorer mieux encore
Il apparaît dans les premières années composition du plan, en donnant à ses Bourdet, Croisset, Flers et Caillavet : les
du XXe siècle comme acteur de théâtre images un sens poétique, souvent allu- Vignes du seigneur (R. Hervil, 1932), le
à Broadway mais doit abandonner les sif et métaphorique. En 2001, il réalise Sexe faible (R. Siodmak, 1933), l’Habit
planches après avoir temporairement Quem És Tu ? vert (R. Richebé, 1937), le Bois sacré
perdu... sa voix. Il commence en 1909 (L. Mathot, 1940). Guitry lui réserve une
une carrière au cinéma en tournant pour BÖTTCHER (Jürgen), cinéaste allemand apparition dans Faisons un rêve (1937)
la Selig In the Sultan’s Power. Attaché (Frankenberg, 1931). et un bon sketch de Ils étaient neuf céli-
à cette compagnie, il est à la fois scé- D’abord peintre, il fait tardivement des bataires (1939).
nariste, réalisateur et acteur. Il fonde en études de cinéma à l’école de Babels-
1913 sa propre compagnie et signe la berg en RDA et travaille aux actualités BOUCHEZ (Élodie), actrice française (Mon-
même année un long métrage ambitieux, cinématographiques et sur des documen- treuil-sous-Bois 1973).
The Sea Wolf, où il se retrouve des deux taires. Il réalise un film de fiction en 1966 Elle accède très vite à des rôles majeurs :
côtés de la caméra. Sa carrière se pour- Jahrgang 45, sur la jeunesse de RDA dès 1992, avec Christine Lipinska dans
suit tout au long des années 10 et des (Génération 45) ; tourné de manière non le Cahier volé et, en 1994, avec Téchiné
années 20 : Joan the Woman (C.B. De académique, dans le décor de la vraie dans les Roseaux sauvages. Elle exprime
ville et de la vie réelle, avec des acteurs les qualités de son âge dans le Plus Bel
Mille, 1916), Behind the Door (Irvin Willat,
1919), The Sea Lion (R.V. Lee, 1921), professionnels et non professionnels, Âge (Didier Haudepin, 1995) et À toute
My Best Girl (S. Taylor, 1927), mais il est ce film est immédiatement interdit par vitesse (Gaël Morel, 1996). À son per-
encore actif dans la première décennie le parti au pouvoir. Il sera véritablement sonnage ambigu des Raisons du coeur
du cinéma parlant (Grande Dame d’un achevé par son auteur, puis présenté (Markus Imhoof, 1997) succède l’Isabelle
jour, F. Capra, 1933 ; Steamboat Round au public seulement après la chute du de la Vie rêvée des anges (Erik Zonca,
the Bend, J. Ford, 1935) et ce jusqu’en Mur. On découvre alors qu’il représentait 1998), qui triomphe à Cannes. Elle reste
1942 (Sin Down, 1942, son dernier film). (avec quelques films signés par Maetzig, quelque peu enfermée dans son person-
Beyer, Günther et autres Klein) un poten- nage, et tente d’y échapper avec Jean-
BOTELHO (Alberto et Paulino), cinéastes tiel de rénovation du cinéma est-allemand Marc Barr dans Lovers (1999) et dans
et chefs opérateurs brésiliens. étouffé dans l’oeuf. Too much flesh (J.-M. Barr et Pascal Ar-
Ces deux frères, pionniers du cinéma, Sous surveillance, il réalisera une nold, 2000). Elle a aussi tourné avec Gra-
photographes de presse, deviennent longue série de documentaires tout en ham Guit dans les Kidnappeurs (1998),
opérateurs d’actualités, puis de films de reprenant son oeuvre de peintre (sous le Siegfried dans Louise/Take 2 (1998), de
fiction, pendant la belle époque (1907- nom de Strawalde). En 1990, il présente nouveau avec Gaël Morel dans Tu seras
1911) où le cinéma brésilien connut avec succès le Mur (Die Mauer), film sur un homme (2000), avec Olivier Dahan
un essor remarquable. Paulino, l’aîné, le Mur – objet et symbole – le plus sobre dans le Petit Poucet (2001), Abdellatif
tourna des reconstitutions de faits divers et le plus profond, et film-symptôme sur Kechiche dans la Faute à Voltaire (2001).
dont le public était friand, comme A Mala l’événement et sur le sens de la chute du
Misteriosa (1910) ou O Crime de Paula Mur de Berlin. Et, dix ans plus tard seule- BOUCLE (1).
Matos (1913). Alberto filma de nom- ment, un autre documentaire, qui reprend Courbe ménagée, dans le circuit du film,
breuses chansons illustrées, très popu- un projet de 1981 inachevé sur le monu- entre les débiteurs (qui font avancer le
laires, produites par Francisco Serrador ment à Marx et Engels de Berlin-Est, et film à vitesse constante) et le dispositif

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

d’avance intermittente. ( CAMÉRA, PRO- ceux d’Halfaouine. En 2001, il préside le Desert Victory (DOC, 1943), Fame is the
JECTION, INVENTION DU CINÉMA.) FESPACO. Spur (1947) et la Course au soleil (Run
for the Sun, 1956), transposition des
BOUCLE (2). BOUGIE (1). Chasses du comte Zaroff dans le repaire
Courte séquence projetée en boucle. Ancienne unité d’intensité lumineuse. africain de nazis en fuite, qui ne manque
Pour différents travaux de post-produc- ( PHOTOMÉTRIE.) ni de conviction ni de force. Dans les an-
tion (son) ou pour le tirage d’éléments nées 70, ils ont encore signé quelques
film de courte longueur (bande annonce, BOUGIE (2). comédies légères ou burlesques.
publicité), la fin de la séquence est collé Effet de bougie ÉCLAIRAGE.

à son début pour constituer une boucle. BOULY (Léon Guillaume), ingénieur fran-
En post-production, les systèmes numé- BOUISE (Jean), acteur français (Le Havre çais (1872-1932).
riques permettent de créer des boucles 1921 - Lyon 1989). Il est l’auteur, en 1892 et 1893, de bre-
par simple programmation de l’adresse Il est l’un des grands seconds rôles du vets et d’appareils dénommés « ciné-
cinéma français, omniprésent depuis le matographe », destinés à l’analyse et
de début et de fin de la séquence, sans
milieu des années 60. Passé d’abord par à la synthèse du mouvement. Le terme
aucune intervention sur le support phy-
le théâtre, il rencontre son premier succès cinématographe est donc apparu deux
sique. Le nom est resté. ( DOUBLAGE.)
public à l’écran avec Z (Costa-Gavras, bonnes années avant la présentation
BOUDRIOZ (Robert), cinéaste français 1969). Son jeu retenu et nuancé le des- du Cinématographe Lumière. Mais c’est
(Versailles 1887 - Paris 1949). tine à des rôles en demi-teinte, où il se l’appareil Lumière qui le rendit célèbre.
De 1907 à 1922, il écrit, pour Pathé, révèle souvent inquiétant. Citons, parmi
quelque 350 scénarios. Réalisateur chez tant d’autres, ses apparitions dans les BOUQUET (Carole), actrice française (Paris
Éclair à partir de 1917, il aborde tous Choses de la vie (C. Sautet, 1970), Du- 1957).
les genres avec la même aisance dans pont Lajoie (Y. Boisset, 1975), M. Klein Ancienne élève du Conservatoire, dans la
le récit et le même brio dans la mise en (J. Losey, 1976), Anthracite (Édouard classe d’Antoine Vitez, elle est remarquée
scène. Révélé par l’Âtre (avec Charles Niermans, 1980), le Dernier Combat par Luis Bnuel qui l’engage pour Cet
Vanel, 1922), il s’affirme encore dans (L. Besson, 1983), Subway (id., 1985), obscur objet du désir en 1977. Sa beauté
Tempêtes (avec Mosjoukine, id.), l’Éper- Jenatsch (D. Schmid, 1987), l’OEuvre au (qu’on dira froide), son regard grave et
vier (1925) et Vivre (1928). À la venue du noir (A. Delvaux, 1988) et Nikita (L. Bes- son allure élégante séduisent Bertrand
parlant, il doit se consacrer à des adap- son, 1990). Blier (Buffet froid, 1979), avant qu’elle
tations commerciales comme l’Anglais devienne James Bond’s girl dans Rien
tel qu’on le parle (d’après T. Bernard, BOULANGER (Daniel), écrivain, scénariste que pour vos yeux (John Glen, 1981).
1931), le Grillon du foyer (d’après Dic- et acteur français (Compiègne 1922). Dès lors, elle enchaîne des rôles de
kens, 1933), l’Homme à l’oreille cassée C’est l’un des meilleurs scénaristes révé- beauté fatale et glacée, notamment dans
(d’après E. About, 1935). lés par la Nouvelle Vague, et un dialo- Mystère (Carlo Vanzina, 1983), Nemo
guiste incisif qui peut cerner en quelques (Arnaud Sélignac, 1984) et Rive droite,
BOUGHEDIR (Ferid), critique et cinéaste mots un personnage. Parmi ses films : rive gauche (Ph. Labro, id.). Jean-Fran-
tunisien (Hammam-lif 1944). les Jeux de l’amour (P. de Broca, 1960), çois Stévenin lui donne, dans Doubles
Après des études de lettres françaises, il le Farceur (id., 1961), Cartouche (id., Messieurs (1986), l’occasion d’un per-
poursuit des études de cinéma à l’univer- id.), l’Homme de Rio (id., 1963), la Vie sonnage de femme plus imprévisible
sité de Paris-III. Formé au cinéma comme de château (J. P. Rappeneau, 1966), le et passionnée que le stéréotype qu’elle
assistant-réalisateur avec Alain Robbe- Roi de coeur (de Broca, 1967), le Voleur incarne habituellement. Elle partage avec
Grillet et Arrabal. Rentré à Tunis, il est (L. Malle, id.), le Diable par la queue (de Depardieu et Josiane Balasko la tête d’af-
critique de cinéma dans divers journaux Broca, 1969), l’Affaire Dominici (C. Ber- fiche dans Trop belle pour toi (B. Blier,
et enseignant à l’université. Refusant les nard-Aubert, 1973), la Menace (A. Cor- 1989), rôle qui lui vaut le César de la meil-
clichés dans lesquels la critique occiden- neau, 1977), le Cheval d’orgueil (C. Cha- leure actrice. On la retrouve ensuite dans
tale et sa cinéphilie enferment les ciné- brol, 1980). Il ne dédaigne pas devenir Donne con le gonne (Francesco Nuti,
matographies du sud, il tente de s’ériger acteur de temps à autre, se montrant 1992), Grosse fatigue (M. Blanc, 1994),
en porte-parole d’un cinéma peu connu. excellent notamment dans Tirez sur le D’une femme à l’autre (A Business Affair,
Il commence à filmer en amateur les fes- pianiste de Truffaut. Charlotte Brandström, id.), Lucie Aubrac
tivals de Ouagadougou et de Carthage (Claude Berri, 1997), Un pont entre deux
avant de consacrer un film au cinéma afri- BOULTING (John), [Bray 1913 - Sunning- rives (G. Depardieu, 1999).
cain, Caméra d’Afrique (1983). Suit dans dale 1985] et Roy [Bray 1913], cinéastes et
la même veine Caméra arabe (1987). producteurs britanniques. BOUQUET (Michel), acteur français (Paris
Son premier long métrage, Halfaouine, Frères jumeaux, ils ont fondé en 1937 leur 1926).
l’enfant des terrasses (Asfour stah, 1990), commune maison de production, Charter Grand acteur de théâtre, il avoue le pré-
est un succès à la fois critique et commer- Film, et ne se sont séparés que pendant la férer au cinéma en dépit d’une filmogra-
cial sans précédent dans le cinéma tuni- guerre, l’un dirigeant un film pour la RAF, phie importante en quantité, sinon tou-
sien. Halfaouine est un quartier populaire l’autre des films pour l’armée de terre. En jours en qualité. Mais ses interventions
de Tunis que le cinéaste dépeint avec 1958, ils sont engagés ensemble par la personnelles sont constamment remar-
verve et sensualité. C’est aussi l’éveil British Lion Films. De leur oeuvre abon- quables, sa seule apparition pouvant
trouble d’un adolescent qui découvre sa dante, assez anonyme (et où générale- conférer un instant de grâce aux films les
sexualité. Sa puberté naissante attise ment le film produit par l’un est réalisé par plus médiocres. Il interrompt ses études
son inquiétude d’être partagé entre le l’autre) ne se détachent que, de John : à quinze ans, travaille comme apprenti
monde des hommes, qui l’attire, et celui Journey Together (1945), le Gang des boulanger, employé de banque, avant de
des femmes, qui le protège encore. Un tueurs (Brighton Rock, 1947, pour sa fi- suivre les cours de Maurice Escande, qui
été à la goulette (1995) est une fresque délité à l’esprit de G. Greene), Ultimatum le menèrent au Conservatoire d’art dra-
sur les hommes et la nourriture, le métis- (Seven Days to Noon, 1950) et la Boîte matique. Il figure dans de nombreux films
sage de trois communautés, arabe, juive magique (The Magic Box, 1951), biogra- à partir de 1947, mais ce n’est que dans
et chrétienne, tournée dans le quartier de phie assez fantaisiste d’un pionnier du les années 60 qu’il s’impose dans des
la goulette avec les mêmes acteurs que cinéma ; de Roy : Thunder Rock (1942), personnages complexes, énigmatiques

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

et ambigus dont il s’est fait une spécia- drame sous Napoléon (1921) ; Faust et réalisé plusieurs documentaires, Big
lité, notamment dans les films de Claude (1922, essai en relief). Cities Blues (sur les blues, à Chicago), In
Chabrol. Motion the Baraka Tape (sur le poète noir
Films : les Amitiés particulières (J. De- BOURGOIN (Jean-Serge [signe parfois Leroy Jones ou Imanu Baraka) ; puis, en
lannoy, 1964) ; Le tigre se parfume à la Serge, Yves ou Georges]), chef opérateur 1981, un reportage sur les activistes noirs
français (Paris 1913). américains en Irlande du Nord : Belfast :
dynamite (C. Chabrol, 1965) ; Lamiel
Après l’école de cinéma de la rue de Black and Green et en 1989 un nouveau
(J. Aurel, 1967) ; la Route de Corinthe
Vaugirard, il devient assistant opérateur reportage sur le tournage du film de Spike
(Chabrol, id.) ; La mariée était en noir
de Kruger, Bachelet, Matras. Devenu Lee (Making « Do the Right Thing »). Il a
(F. Truffaut, 1968) ; la Femme infidèle
chef opérateur sous le pseudonyme de fondé la revue Chamba Notes consacrée
(Chabrol, 1969) ; la Sirène du Mississi-
Yves Bourgoin, qu’il conservera jusqu’en au cinéma noir et aux cinémas du tiers
ppi (Truffaut, id.) ; Un condé (Y. Boisset,
1950, il se distingue plus particulièrement monde.
1970) ; le Dernier Saut (E. Luntz, id.) ;
dans les films en noir et blanc. Parmi
la Rupture (Chabrol, id.) ; Juste avant
ses meilleures réussites : la Marseillaise BOURRAGE.
la nuit (Chabrol, 1971) ; l’Humeur vaga-
(J. Renoir, 1938) ; Goupi Mains rouges Engorgement intempestif du circuit du
bonde (Luntz, 1972) ; l’Attentat (Boisset,
(J. Becker, 1943) ; la Boîte aux rêves film dans la caméra. ( CAMÉRA.)
id.) ; le Serpent (H. Verneuil, 1973) ; Deux
(Y. Allégret, 1945 [RÉ 1943]) ; Dédée
Hommes dans la ville (J. Giovanni, id.) ;
d’Anvers (Y. Allégret, 1948) ; Manèges BOURVIL (André Raimbourg, dit), acteur
France société anonyme (A. Corneau,
(id., 1950) ; Justice est faite (A. Cayatte, français (Petrot-Vicquemare 1917 - Paris
1974) ; le Jouet (Francis Veber, 1976) ;
1950) ; Mr. Arkadin (O. Welles, 1955) ; 1970).
l’Ordre et la Sécurité du monde (Claude
Mon oncle (J. Tati, 1958) ; Orfeu Negro Son pseudonyme est emprunté au petit
d’Anna, 1978) ; Poulet au vinaigre (Cha-
(M. Camus, 1959) ; Germinal (Y. Allégret, village de Bourville, entre Dieppe et Fé-
brol, 1985) ; Toto le héros (Jaco van Dor-
1963). camp, où il passe son enfance. Fils de
maël, 1991), Comment j’ai tué mon père cultivateurs, on le destine à une carrière
(Anne Fontaine, 2001).
BOURGUIGNON (Serge), cinéaste français d’instituteur ou de garçon boulanger. Mais
(Maignelay 1928). il est passionné de musique, se produit
BOURDELLE (Thomy Charles Bourdel, dit
Diplômé de l’IDHEC, il réalise à par- très jeune dans les bals de campagne,
Thomy), acteur français (Paris 1892 - Tou-
tir de 1952 des documentaires, courts fait son service militaire dans la fanfare
lon 1972).
métrages et films diffusés dans les cir- du 2e régiment d’infanterie et participe,
Il débute à l’écran en 1922 dans Jocelyn
cuits de conférences. Le court métrage à la veille de la guerre, aux « crochets »
de Léon Poirier, cinéaste avec lequel il
le Sourire, tourné en Birmanie, est ré- de Radio-Paris, où il obtient un prix. Mar-
tournera de nombreux films, entre autres
compensé à Cannes en 1959. Il fait des qué par ses origines paysannes dans sa
la Brière (1925), Verdun, visions d’histoire
débuts remarqués dans le long métrage démarche, son accent, son rire « bête »,
(1928), Caïn (1930), l’Appel du silence
de fiction en 1962 avec les Dimanches de il joue volontiers les benêts, les idiots de
(1936), Soeurs d’armes (1937), Brazza
Ville-d’Avray, qui ne recueille pas l’unani- village. Son imitation de Fernandel dans
(1940, où il est en outre assistant met-
mité critique, mais rencontre cependant Ignace lui vaut quelque succès et il opte,
teur en scène), la Route inconnue (1949).
le succès, notamment aux États-Unis. Il après la démobilisation, pour le cabaret.
Son physique massif, austère, bien fait
tourne à Hollywood un western, la Ré- Il débute Chez Carrère, en 1942, sous
pour les rôles de dur ou d’officier supé-
compense (The Reward, 1965), qui est le pseudonyme qui lui restera. Il fait rire
rieur, sera utilisé dans des films tels que
considéré comme un échec. De retour la France entière avec la chanson « Elle
Fantômas (P. Fejos, 1932, rôle de Juve), vendait des cartes postales et puis aussi
en France, il dirige Brigitte Bardot dans
Quatorze Juillet (R. Clair, 1933), les Trois des crayons... », qui sera reprise dans
À coeur joie (1967) puis disparaît des cir-
Mousquetaires (H. Diamant-Berger, id., son premier film, la Ferme du pendu, un
cuits cinématographiques courants.
rôle de Porthos), l’Homme à l’oreille mélodrame « paysan » de Jean Dréville
cassée (R. Boudrioz, 1935). Il tient son BOURNE (Saint Clair), cinéaste américain (1945). On l’entend alors à la radio dans
dernier rôle dans la Tête contre les murs (New York, N. Y., 1943). des émissions de Jean-Jacques Vital et
de Georges Franju (1959). Il fut quelque Un des pionniers de la génération actuelle de Francis Blanche, il s’affirmera un peu
temps exploitant de cinéma à Dijon. des cinéastes noirs américains indépen- plus tard dans l’opérette (la Bonne Hô-
dants. Il fait ses premières expériences tesse, la Route fleurie) et au théâtre (le
BOURGEOIS (Gérard), cinéaste français de réalisation au sein du Black Journal Bouillant Achille, de Paul Nivoix). Pendant
(Genève, Suisse, 1874 - Paris 1944). sur la chaîne de télévision NET. Entre dix ans, on ne le verra guère à l’écran que
Acteur, puis directeur de théâtre, il devient 1968 et 1972, il y réalise de nombreux dans le même rôle d’« imbécile heureux »
directeur artistique de la Société Lux en documentaires, sur l’Islam (The Nation of de sous-Adémaï, sous des défroques
1908, puis cinéaste et scénariste à partir Common Sense), les activistes noirs sur de laveur de carreaux (Par la fenêtre),
de 1911. Malgré une très importante pro- les campus (Black Student Movement), de brave gendarme (le Roi Pandore) ou
duction (mélodrames sociaux, films histo- par exemple. En 1972, il crée sa propre de valet de comédie (Planchet dans les
riques et sérials), on lui reconnaît un seul maison de production et de distribution et Trois Mousquetaires). Pourtant, Bourvil
chef-d’oeuvre : les Victimes de l’alcool produit son premier long métrage, film do- n’est « pas si bête » qu’on le voudrait, et
(1911), film réaliste de 1 000 mètres à la cumentaire plus personnel que les précé- gagne ses galons de vrai comédien avec
technique élaborée, tourné pour Pathé et dents : Let the Church Say Amen (1973), Clouzot (l’amoureux transi de Miquette et
signé B. Gérard. Il tourne en 1923-1925 sur le rôle de l’Église noire contemporaine sa mère) et Guitry (le gardien de musée
une série de films avec l’acteur et réalisa- face aux autres religions et à l’oppression de Si Versailles m’était conté). Il s’essaie
teur allemand Harry Piel (l’Homme sans qui pèse sur la communauté noire améri- même au drame avec Seul dans Paris. En
nerfs, Face à la mort, Zigano). caine. Le film ayant été sélectionné dans 1956, c’est la rencontre au sommet avec
Films : Un drame sous Richelieu de nombreux festivals, Saint Clair Bourne Jean Gabin et Louis de Funès, dans le
(1908) ; Cadoudal (1911) ; Nick Winter devient en quelque sorte le porte-parole rôle du trafiquant de marché noir, un peu
(serial, id.) ; les Victimes de l’alcool (id.) ; du mouvement indépendant noir à l’exté- pleutre, un peu hâbleur, où se reconnaît
la Conquête du bonheur (1912) ; Chéri- rieur des États-Unis. Après avoir produit le Français moyen, de la Traversée de
Bibi (id.) ; Protea II-III-IV (1914-1917, un long métrage de fiction réalisé par Paris, qui lui vaut un grand prix d’Interpré-
serial) ; Christophe Colomb (1917) ; Un Woodie King (The Long Night), il a produit tation au festival de Venise. « Le rire dans

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

la qualité, c’est ce que je voudrais pouvoir id.) ; les Arnaud (id., 1967) ; les Cracks (Safaih min dhahab, 1988) décrivent avec
faire », déclare-t-il. Il y parviendra durant (Joffé, 1968) ; la Grande Lessive (Mocky, force le déracinement d’un intellectuel
la décennie suivante, avec des person- id.) ; Gonflés à bloc (Those Daring Young qui, après avoir purgé sa peine — Nouri
nages plus étoffés dans la Jument verte Men in their Jaunty Jalopies, Ken Anna- Bouzid a passé 5 ans en prison pour
de Claude Autant-Lara, Fortunat et les kin, GB, 1969) ; le Cerveau (Oury, id.) ; appartenance à un groupe politique —,
Culottes rouges d’Alex Joffé, un double l’Étalon (Mocky, id.) ; l’Arbre de Noël (The ne retrouve plus sa femme, ne comprend
rôle dans Tout l’or du monde de René Christmas Tree, Terence Young, GB, id.) ; plus ses enfants, son pays, sa religion.
Clair, et surtout ses prestations insolites, le Cercle rouge (J.-P. Melville, 1970) ; le Bezness (id., 1991), surnom des jeunes
presque surréalistes (pilleur d’église, pro- Mur de l’Atlantique (M. Camus, id.). gigolos qui vendent leurs charmes aux
fesseur contestataire, sexologue en rup- étrangers, brosse le portrait d’une jeu-
ture de ban) chez Jean-Pierre Mocky : Un BOUT-À-BOUT. nesse aux prises avec les effets pervers
drôle de paroissien, la Grande Frousse, Bande obtenue en collant bout-à-bout, du tourisme. Les films de Bouzid bravent
la Grande Lessive, l’Étalon. Il prouve qu’il dans l’ordre du découpage, les prises re- les tabous que vit mal le Maghreb, la tor-
peut jouer aussi les affreux (Thénardier tenues pour le montage. ( MONTAGE.) ture et l’homosexualité.
dans les Misérables, version 1957), les
BOUT D’ESSAI BOVY (Berthe), actrice française d’origine
pauvres types (le Miroir à deux faces),
— 1. Pour juger sur l’écran l’aptitude d’un belge (Liège 1887 - Montgeron 1977).
les forestiers au grand coeur (les Grandes
comédien ou d’une comédienne à inter- Sociétaire notoire du Théâtre-Français,
Gueules). Ce qui ne l’empêche pas de
préter tel rôle d’un film en préparation, on sa carrière cinématographique s’étale
persister dans son emploi habituel, sous
filme parfois un bout d’essai de quelques sur de longues années sans aligner
la houlette de Gérard Oury (le Corniaud,
minutes, généralement en leur faisant beaucoup de titres. Elle participe au plus
la Grande Vadrouille, le Cerveau). Son
jouer une scène caractéristique ou non célèbre des films réalisés par la société
meilleur rôle sera sans doute l’avant-der-
du film. (Certains de ces documents ont des frères Lafitte, le Film d’Art : l’Assas-
nier, inattendu, celui du commissaire Mat-
aujourd’hui une valeur anecdotique cer- sinat du duc de Guise (Ch. Calmettes
tei, impassible et obstiné, dans le Cercle
taine, tels les bouts d’essais interprétés et A. Le Bargy, 1908), où elle incarne
rouge de Jean-Pierre Melville. Pour la
par Paulette Goddard, Lucille Ball, etc., Catherine de Médicis. D’autres suivent
première fois, au générique, il porte son
pour l’attribution du rôle de Scarlett d’Au- et, en 1921, André Antoine lui fait jouer
prénom : André Bourvil. Terrassé par un
tant en emporte le vent.) la Terre. Le parlant l’ignore jusqu’en
cancer, il meurt quelques jours avant la
2. On tourne également des bouts 1938. Elle s’impose alors dans le Joueur
sortie de ce pénultième film.
d’essai à des fins plus techniques : pour (G. Lamprecht et L. Daquin, 1938). Son
Films : la Ferme du pendu (J. Dréville,
juger des qualités d’une nouvelle pelli- jeu intelligent est parfois gâté par sa trop
1945) ; Pas si bête (A. Berthomieu, 1947) ;
cule, pour apprécier tel développement parfaite connaissance de la scène : le Dé-
Blanc comme neige (Berthomieu, 1948) ;
particulier envisagé pour le film, pour serteur (L. Moguy, 1939), Boule-de-Suif
Par la fenêtre (G. Grangier, id.) ; le Coeur
choisir les objectifs, etc. (Christian-Jaque, 1945), les Dernières
sur la main (Berthomieu, 1949) ; Miquette
3. À l’époque du noir et blanc, il n’était Vacances (R. Leenhardt, 1948), l’Armoire
et sa mère (H.-G. Clouzot, 1950) ; le Roi
pas facile d’apprécier exactement, à la volante (Carlo-Rim, 1949).
Pandore (Berthomieu, id.) ; le Rosier de
prise de vues, la façon dont la scène fil-
madame Husson (J. Boyer, id.) ; Garou
mée serait traduite sur la pellicule. Après BOW (Clara Gordon Bow, dite Clara),
Garou le passe-muraille (Boyer, 1951) ; actrice américaine (New York, N. Y.,
avoir tourné, on procédait alors souvent à
Seul dans Paris (H. Bromberger, 1952) ;
l’enregistrement d’un bout d’essai d’envi- 1905 - Los Angeles, Ca., 1965).
le Trou normand (Boyer, id.) ; Cent Née à Brooklyn dans la pauvreté, inculte,
ron un mètre de longueur, qu’un assistant
Francs par seconde (Boyer, id.) ; les Trois instinctive, son avènement à Hollywood
développait immédiatement dans un bac
Mousquetaires (A. Hunebelle, 1953) ; Si fut un changement dont on mesure
à développement sommaire. L’examen
Versailles m’était conté (S. Guitry, 1954) ; mal l’importance. Dans une mythologie
du fragment de négatif ainsi obtenu per-
Cadet Rousselle (Hunebelle, id.) ; Pois- féminine dominée par les stéréotypes
mettait d’apprécier si l’image noir et blanc
son d’avril (G. Grangier, id.) ; le Fil à la européens (Garbo, Theda Bara, ou
serait bien lisible. Le développement des
patte (G. Lefranc, 1955) ; les Hussards même Gloria Swanson), elle apporta un
films en couleurs étant beaucoup trop
(A. Joffé, id.) ; la Traversée de Paris érotisme bon enfant, sans complexes,
complexe pour être effectué de façon
(C. Autant-Lara, 1956) ; le Chanteur de fleurant le maïs et la tarte aux pommes.
artisanale sur le lieu de tournage, cette
Mexico (R. Pottier, id.) ; Sérénade au Louise Brooks, Joan Crawford, Jean Har-
pratique a disparu.
Texas (id. 1958) ; les Misérables (J.-P. Le low ou Marilyn Monroe n’auraient sans
Chanois, id.) ; Un drôle de dimanche BOUZID (Nouri), cinéaste et scénariste doute pas pu naître si Clara Bow ne les
(Marc Allégret, id.) ; le Miroir à deux faces tunisien (Sfax 1945). avait précédées. Ses cheveux frisés, que
(A. Cayatte, id.) ; le Chemin des écoliers Après avoir fait de l’assistanat à la télévi- l’on devine roux, ses yeux pétillants, ses
(M. Boisrond, 1959) ; Fortunat (Joffé, sion tunisienne, il suit une formation ciné- formes rebondies ont introduit dans le ci-
1960) ; le Capitan (Hunebelle, id.) ; Tout matographique à l’INSAS, en Belgique. néma américain ce quelque chose qu’on
l’or du monde (R. Clair, 1961) ; le Tra- De retour en Tunisie, il devient l’assis- appela « It », du nom de son film le plus
cassin (Joffé, id.) ; les Culottes rouges tant de plusieurs cinéastes nationaux et populaire. Sous la férule et le doigté d’un
(id., 1962) ; le Jour le plus long (id.) ; les étrangers tels qu’Abdeltif Ben Ammar, réalisateur de comédie tel Clarence Bad-
Bonnes Causes (Christian-Jaque, 1963) ; Rida Behi, Festa Campanile, Hemmings ger, elle fut, en effet, pleine de sel et de
Un drôle de paroissien (J.-P. Mocky, avant de réaliser son premier long mé- poivre dans It (1927), Red Hair (1928), ou
id.) ; le Magot de Joséfa (Autant-Lara, trage, l’Homme de cendres (Rih essed, Three Week-ends (id.), petite employée
id.) ; la Cuisine au beurre (G. Grangier, 1986). À la veille du mariage organisé au coeur d’artichaut qui veut arriver par
id.) ; la Grande Frousse / la Cité de l’in- par ses parents, Hachemi se remémore tous les moyens. Victor Fleming dans
dicible peur (Mocky, 1964) ; le Corniaud le passé où ressurgit un pénible accident Mantrap (1926), puis William A. Wellman
(G. Oury, id.) ; Guerre secrète (Christian- dont a été victime aussi son ami Farfat : dans les Ailes (1927) et dans Ladies of
Jaque, 1965) ; la Grosse Caisse (Joffé, Ameur, leur maître d’apprentissage, les a the Mob (1928) lui confièrent des rôles
id.) ; les Grandes Gueules (R. Enrico, id.) ; violés. Ce souvenir va les habiter et pose plus subtils, quoique toujours pimentés
la Grande Vadrouille (Oury, 1966) ; Trois le problème de la tradition, de la morale d’érotisme, dont elle s’acquitta honora-
Enfants dans le désordre (L. Joannon, familiale et de la liberté. Les Sabots en or blement. Parmi ses autres interprétations

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

des années 20, on peut également men- à la légende grâce à la série interminable dienne anglaise, Pat Paterson, et son
tionner The Plastic Age (W. Ruggles, dévolue au personnage nommé Hopa- grand succès aux côtés de Claudette
1925), My Lady of Whims (D.M. Fitzge- long Cassidy. Il crée le héros justicier, Colbert (elle aussi française d’origine),
rald, id.), Dancing Mothers (H. Brenon, grand, blond, habillé de noir et monté dans Mondes privés de Gregory La Cava
1926), Rough House Rosie (F.R. Strayer, sur un cheval blanc nommé Topper. Le (1935). Il prendra en 1942 la nationalité
1927), The Wild Party (H. Blaché, 1929). succès du premier film en 1935 sera le américaine, après avoir créé l’année
Une crise personnelle coïncida avec le point de départ d’une série de 66 films précédente la French Research Founda-
parlant, ce qui fit croire qu’elle n’était pas et d’un nombre incalculable d’épisodes tion de Los Angeles. Sa carrière se par-
prête pour le nouveau procédé. Mais Fille pour la télévision. William Boyd s’identi- tagera dorénavant entre les deux côtés
de feu (Call Her Savage, John Francis fiera à Hopalong Cassidy aux yeux de la de l’Atlantique. Ses activités sont alors
Dillon, 1932) et Hoopla (F. Lloyd, 1933) jeunesse américaine jusqu’en 1948. Sur- multiformes. Le théâtre le requiert, avec,
prouvèrent qu’elle était toujours elle- nommé « Bill » Boyd de 1930 à 1935, il entre autres, les Mains sales (à Broad-
même. Ses angoisses secrètes et ses deviendra ensuite « Hoppy ». way, en 1948), Kind Sir (en 1953), et une
problèmes de poids eurent raison de sa tournée internationale de trois ans pour
carrière, malgré les rumeurs persistantes BOYD (William Millar, dit Stephen), acteur le Don Juan aux enfers de G. B. Shaw.
d’un éventuel retour. Véritable actrice de anglo-américain d’origine irlandaise (Glen Son intérêt pour la télévision naissante lui
cinémathèque, puisque c’est là qu’il faut Gormley, Irlande, 1928 - Los Angeles, Ca., fait fonder en 1951, avec Dick Powell et
aller pour la découvrir, l’oubli injuste dans 1977). David Niven, la Four Star Television, pour
lequel les difficultés de la conservation Il débute sur scène à dix-huit ans à l’Uls- qui il interprétera nombre d’émissions, en
des films la plongent ne doit pas nous ter Theatre Group. Il entreprend une car- particulier dans la série The Rogues, où il
cacher qu’elle occupe une des premières rière cinématographique à Londres avec devient à l’occasion réalisateur. Charles
places dans une galerie de la femme hol- Un alligator appelé Daisy (An Alligator Boyer se donne la mort dans sa maison
lywoodienne. Elle avait épousé l’acteur Named Daisy), de John Lee Thompson, de Phoenix, deux jours après celle de la
de westerns Rex Bell, qui fut gouverneur 1955, et l’Homme qui n’a jamais existé
femme dont il avait partagé l’existence
du Nevada. de Ronald Neame (1956). Puis, après un
durant 44 ans. Leur unique enfant s’était
bref crochet par la France, où il tourne
suicidé treize ans plus tôt.
BOX (Muriel Baker, dite Muriel), cinéaste, sous la direction de Vadim les Bijoutiers
Curieusement, l’image que nous gar-
scénariste et productrice britannique (To- du clair de lune (1958), avec Brigitte Bar-
dons de lui nous parvient réfractée par
lworth 1905 - Londres 1991). dot, il atteint provisoirement une certaine
la connaissance que nous avons de son
Elle collabore aux travaux de celui qui notoriété grâce au rôle de Messala qu’il
image américaine, et le « French lover »
fut jusqu’en 1969 son mari, le scénariste tient dans le Ben Hur de William Wyler
idolâtré des foules pourrait nous faire ou-
et producteur Sydney Box (Beckenham, (1959). Il participe encore à quelques
blier le comédien souvent subtil et discret,
1907), notamment pour le Septième oeuvres à grand spectacle, la Chute
dont la carrière témoigne, globalement,
Voile (C. Bennett, 1945), puis elle réa- de l’Empire romain (A. Mann, 1964), la
d’une assez belle perspicacité dans le
lise treize films qui, à défaut d’originalité, Bible (J. Huston, 1966), avant de som-
choix des rôles. Le mot qui s’impose pour
ont le mérite d’être particulièrement soi- brer dans les emplois de composition des
le décrire, c’est bien sûr celui de distinc-
gnés, dont The Happy Family (1952), Au films de série internationaux : les Colts
tion. Rien de forcé dans son aisance,
Coin de la rue (Street Corner, 1953), le au soleil (P. Collinson, 1973), Lady Dra-
de voyant dans son élégance ; même
Vagabond des îles (The Beachcomber, cula (F. J. Gottlieb, 1976). Signalons une
lorsqu’il lui arrive de jouer les minables ou
1954), Simon and Laura (1955), l’Étran- exception de qualité, son interprétation
— plus souvent — les mauvais garçons,
ger amoureux ( A Passionate Stranger, du rôle principal d’Esclaves, de Herbert
ce n’est jamais sans éveiller un sentiment
1957), Cri d’angoisse (Subway in the Sky, Biberman (1969).
de déplacement, dont il joue avec habi-
1959), Too Young to Love (1960), Rattle
BOYER (Charles), acteur français natura- leté. Il n’y a donc pas à s’étonner que ses
of a Simple Man (1964).
lisé américain (Figeac 1897 - Phoenix, Ariz., rôles les moins intéressants soient aussi

1978). ceux où il glisse avec élégance dans les


BOX-OFFICE.
Encouragé par le comédien Raphaël Du- eaux de la meilleure société : duc de Val-
Cette expression (qui désigne d’abord,
flos, il se rend à Paris après ses études lombreuse dans le Capitaine Fracasse
en anglais, le guichet où l’on vend les
secondaires à Toulouse et suit simulta- (1928), prince hongrois dans l’Épervier
billets d’entrée puis, par extension, la
nément les cours de philosophie en Sor- (1933), marquis Yorisaba dans la Bataille
recette d’un film ou d’un spectacle en
bonne (il obtiendra une licence) et ceux (1934), archiduc Rodolphe dans Mayer-
général) est devenue synonyme de pal-
de Duflos et Maurice Escande au Conser- ling (1935) ou Napoléon dans Maria Wa-
marès des valeurs commerciales. Ainsi,
vatoire d’art dramatique. Firmin Gémier, lewska (1937). À ces rôles sans surprise,
on parle couramment des films (ou des
qui met en scène les Jardins de Murcie, on peut préférer l’anarchiste saisi par
comédiens) « champions au box-office ».
le remarque et lui demande de remplacer l’amour, dans le trop méconnu Bonheur
L’inflation défavorisant les films anciens
au pied levé son jeune premier, malade. (1934), le général russe valet de chambre
dans ce genre de comparaison, le box-
Boyer ne s’interrompra plus de jouer, au de Tovaritch (1937), film dans lequel il se
office n’a qu’une valeur limitée dans le
théâtre (S. Guitry, P. Benoit, C. Farrère, parodie avec infiniment d’ironie, ou les
temps ; les comparaisons fondées sur les
H. Bernstein, etc.) comme au cinéma, où voyous qu’il joue avec autorité et finesse,
nombres d’entrées sont plus fiables.
il débute en 1920 dans l’Homme du large de Liliom (1933). Dans Casbah (1938),
BOYD (William), acteur américain (Hen- de L’Herbier. L’avènement du parlant il parvient même à faire oublier Pépé le
drysburg, Ohio, 1895 - South Laguna l’exile à Hollywood, puis en Allemagne, Moko interprété par Jean Gabin, à force
Beach, Ca., 1972). où (le doublage n’étant pas encore au de charme et d’insolence.
Après quelques rôles dans des produc- point) il interprète les versions françaises Par la porte d’or (1941) marque un
tions des années 20 : les Bateliers de la de films tournés en plusieurs langues. tournant dans sa carrière : Boyer y ex-
Volga (C.B. De Mille, 1926), le Roi des Cette activité perd vite sa raison d’être, pose l’envers de son image et incarne
rois (id., 1927 ; il y incarne Simon de Cy- mais Boyer, adopté par les studios amé- un gigolo européen qui voit s’effriter ses
rène), Two Arabian Knights (L. Milestone, ricains et immensément populaire aux belles apparences et joue cyniquement
id.), le Lys du faubourg (D.W. Griffith, États-Unis, s’y fixe définitivement, après les séducteurs pour gagner son entrée
1920), il acquiert une célébrité confinant son mariage en 1934 avec une comé- aux États-Unis. Audace d’autant plus fas-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

cinante que le film prétend mêler intime- US) ; Hantise (G. Cukor, 1944, US) ; Coup BOYLE (Peter), acteur américain (Philadel-
ment fiction et réalité et qu’au moment de foudre (Together Again [Ch. Vidor], phie, Pa., 1933).
du tournage Boyer attend lui-même sa id.) ; Agent secret (H. Shumlin, 1945, US) ; Il fait ses commencements à la scène
naturalisation américaine. Il cultive cette la Folle Ingénue (E. Lubitsch, 1946, US) ; au début des années 60 et connaît le
ambiguïté dans Hantise (1944), où il est Vengeance de femme (Z. Korda, 1948, succès à l’écran avec son interpréta-
un mari inquiétant et charmeur, ou dans US) ; Arc de Triomphe (L. Milestone, id., tion du héros fascinant et borné de Joe,
The Thirteenth Letter (1951), remake du US) ; The Thirteenth Letter (O. Premin- c’est aussi l’Amérique (J. G. Avildsen,
Corbeau de Clouzot : il y incarne l’insoup- ger, 1951) ; la Première Légion (D. Sirk, 1970). On le voit ensuite dans Votez
çonnable auteur des lettres meutrières. McKay (M. Ritchie, 1972), The Friends
id., US) ; Thunder in the East (Ch. Vidor,
Il trouve en 1953 son plus beau rôle de of Eddie Coyle (P. Yates, 1973), Fran-
id.) ; Sacré Printemps (The Happy Time,
l’après-guerre avec le général de Ma- kenstein Junior (M. Brooks, 1974), le
R. Fleischer, 1952, US) ; Madame de...
dame de..., tout d’affectueuse ironie et Pirate des Caraïbes (J. Goldstone, 1976),
(M. Ophuls, 1953) ; Nana (Christian-
de dignité, et il est excellent dans deux F. I. S. T. (N. Jewison, 1978), Superman
Jaque, 1955) ; la Toile d’araignée (V. Min-
films de Minnelli. Il ralentit considérable- (R. Donner, id.), Têtes vides cherchent
nelli, id., US) ; la Chance d’être femme
ment son activité avec les années 60 coffres pleins (W. Friedkin, id.), Hardcore
(A. Blasetti, id., IT) ; Paris-Palace Hôtel
mais nous livre encore deux créations (P. Schrader, 1979), où il est un privé dé-
(H. Verneuil, 1956) ; le Tour du monde
admirables : celle du baron Raoul dans sabusé, Outland (P. Hyams, 1981), Ham-
en 80 jours (M. Anderson, id., US) ; Une
le Stavisky de Resnais (1974), victime met (W. Wenders, 1982), Walker (Alex
Parisienne (M. Boisrond, 1957) ; les Bou- Cox, 1987), Double détente (W. Hill,
consentante et obstinément aveugle d’un
caniers (A. Quinn, 1958, US) ; Maxime
de ces séducteurs qu’incarnait Boyer 1988), Solar Crisis (R. Sarafian, 1990),
(H. Verneuil, id.) ; Fanny (J. Logan, 1961, Born to Be Wild (John Gray, 1995).
quarante ans plus tôt, et celle du comte
US) ; les Démons de minuit (M. Allégret
Sanziani dans Nina (1976), où, réuni une
dernière fois à Minnelli et Ingrid Bergman, et C. Gérard, id.) ; Adorable Julia (A. Wie- BOYTLER ( Arcady), cinéaste mexicain

il fait avec eux de poignants adieux à un dermann, 1962, ALL) ; les Quatre Cava- d’origine russe (Moscou 1895 - Mexico

certain cinéma. liers de l’Apocalypse (V. Minnelli, id., US) ; 1965).


le Grand-Duc et l’Héritière (Love is a Ball, Après une expérience théâtrale auprès de
Films : l’Homme du large (M. L’Her-
D. Swift, 1963, US) ; le Coup de l’oreiller Stanislavski et de Meyerhold, il contribue
bier, 1920) ; Chantelouve (G. Monca et
(A Very Special Favor, M. Gordon, 1965, à l’émergence d’au moins trois genres
R. Panzini, 1921) ; l’Esclave (Monca,
prolifiques du cinéma mexicain : Mano
1922) ; le Grillon du foyer (R. Boudrioz, US) ; Comment voler un million de dollars
a mano (1932) met en scène des pay-
1927) ; la Ronde infernale (Luitz-Morat, (W. Wyler, 1966, US) ; Paris brûle-t-il ?
sans ; La mujer del puerto (1933, coréal.
id.) ; le Procès de Mary Dugan (M. de (R. Clément, id.) ; Casino Royale (J. Hus-
R. Sevilla), d’après Maupassant, a pour
Sano, 1929 ; VF de The Trial of Mary ton, K. Hugues, R. Parrish, V. Guest et
protagoniste une femme de faible vertu,
Dugan, US) ; le Capitaine Fracasse J. McGrath, 1967, GB) ; Pieds nus dans le
sur le point de commettre un inceste sans
(A. Cavalcanti, id.) ; Révolte dans la prison parc (G. Saks, id., US) ; Folies d’avril (The
le savoir ; enfin, Así es mi tierra et Aguila
(P. Féjos, 1930 ; VF de The Big House de April Fools, S. Rosenberg, 1969, US) ; la
o sol (1937) imposent, avec talent, la po-
G. Hill, US) ; Barcarolle d’amour (H. Rous- Folle de Chaillot (B. Forbes, id., GB) ; le
pularité du comique Cantinflas. Il tourne
sell et Carl Froelich, id. ; VF de Brand in Rouble à 2 faces (E. Périer et A. Lisa, id., aussi d’autres drames et aventures : El
der Oper, ALL) ; The Magnificent Lie (Ber- ESP) ; les Horizons perdus (Ch. Jarrott, tesoro de Pancho Villa et Celos (1935) ;
thold Viertel, id.) ; Tumultes (R. Siodmak, 1973, US) ; Stavisky (A. Resnais, 1974) ; El capitán aventurero (1938) ; Amor pro-
1932 ; VF de Stürme der Leidenschaft, Nina (Minnelli, 1976, US). hibido (1944).
ALL) ; I. F. 1 ne répond plus (K. Hartl, id. ;
VF de : F. P. 1 antwortet nicht, ALL) ; BOYER (Jean), cinéaste français (Paris BOZZETTO (Bruno), cinéaste et produc-
le Revenant (The Man From Yesterday, 1901 - id. 1965). teur italien (Milan 1938).
Viertel, id.) ; la Belle aux cheveux roux Ses premiers films, dans les années 30, Il dessine et anime en 1958 son premier
(J. Conway, id., US) ; l’Épervier (L’Her- sont pour la plupart des versions fran- essai en 8 mm, Tapum, la storia delle
bier, 1933) ; Moi et l’Impératrice et The çaises de films produits parallèlement armi, qui obtient des prix dans des festi-
Only Girl (F. Holländer et Paul Martin, id. ; à des versions allemandes — souvent vals internationaux (comme beaucoup de
VF et v. angl. de : Ich und die Kaiserin, ses CM suivants). Avec l’animateur bri-
des adaptations de pièces de boule-
ALL) ; Liliom (F. Lang, 1934) ; la Bataille tannique John Halas, il crée son premier
vard. En 1939, il réalise le célèbre Cir-
(N. Farkas, id., VF et V. angl.) ; Caravane court métrage en 35 mm, La storia delle
constances atténuantes, avec Arletty et
(E. Charell, id., US) ; le Bonheur (L’Her- invenzioni (1959). Son humour estudian-
Michel Simon, et signe sous l’Occupation
bier, 1935) ; Mondes privés (G. La Cava, tin et son style graphique linéaire s’affir-
quelques honorables comédies comme
id., US) ; Coeurs brisés (Break of Hearts, ment dans de nombreux dessins animés
Romance de Paris (1944) ou Frederica
Philip Moeller, id.) ; Shanghai (James (dont la populaire série de Il signor Rossi,
(1942). Dans une filmographie abondante
Flood, id.) ; le Jardin d’Allah (R. Boles- un petit homme malheureux) et plusieurs
et globalement fidèle à la comédie, on
lawsky, 1936, US) ; Mayerling (A. Litvak, petits films publicitaires produits dans
relève des films qui ont aidé à la carrière
id.) ; Tovaritch (Litvak, 1937, US) ; Marie son studio milanais — d’où sortiront des
de Bourvil, dont Garou-Garou, le Passe-
Walewska (C. Brown, id., US) ; L’histoire animateurs et cinéastes comme Mauri-
muraille (1951), le Trou normand (1952)
s’écrit la nuit (F. Borzage, id.) ; Orage zio Nichetti et Guido Manuli. West and
et de Fernandel (Coiffeur pour dames,
(M. Allégret, 1938) ; Casbah (J. Cromwell, Soda (1965) est une désopilante paro-
1952 ; le Couturier de ces dames, 1956 ;
id., US) ; Elle et lui (L. McCarey, 1939, die des westerns-spaghetti et marque
US) ; Veillée d’amour (John M. Stahl, le Chômeur de Clochemerle, 1957 ; les une date dans l’histoire de l’animation
id., US) ; l’Étrangère (Litvak, 1940, US) ; Vignes du Seigneur, 1958 ; le Confident italienne. Vip, mio fratello superuomo
Back Street (R. Stevenson, 1941) ; Ap- de ces dames, 1959 ; Relaxe-toi chérie, (1968), film de science-fiction parodiant
pointment for Love (W. A. Seiter, id.) ; 1964) et des films musicaux avec les les bandes dessinées, est moins achevé
Par la porte d’or (M. Leisen, id., US) ; Six chanteurs et les orchestres en vogue que le précédent. Après d’autres courts
Destins (J. Duvivier, 1942, US) ; Tessa, dans les années 50 (Nous irons à Monte- métrages étonnants : Ego (1968), Sotta-
la nymphe au coeur fidèle (E. Goulding, Carlo, 1952, avec Ray Ventura et son ceti (1971), il crée une spectaculaire suite
1943, US) ; Obsessions (J. Duvivier, id., orchestre). musicale animée, Allegro non troppo

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

(1977), qui est un hommage ironique à tion d’une femme, 1981), Moshe Mizrahi (1970). Tout en continuant à écrire d’ex-
Fantasia (W. Disney, 1940) et contient (Chère inconnue, 1980), Bertrand Blier cellents romans de science-fiction, elle
des morceaux de bravoure visuels qui (la Femme de mon pote, 1983), Dino travaille encore aux scénarios du Privé
le rangent parmi les maîtres du dessin Risi (le Bon Roi Dagobert, 1984), Andrei (R. Altman, 1973) et de L’empire contre-
animé contemporain. Il réalise en 1987 Konchalovsky (Maria’s Lovers, id.), Otar attaque (I. Kershner, 1980).
son premier long métrage Sotto il risto- Iosseliani (les Favoris de la lune, id.).
rante cinese. Il signe ensuite notamment On lui doit également deux réalisations BRADBURY (Ray), écrivain et scénariste
Mini Quark (1988), Quark (id.), Mister assez personnelles, la Maison (1970) et américain (Waukegan, Ill., 1920).
Tao (id.), Grasshoppers (1990), Big Bang le Bateau sur l’herbe (1971). Le cinéma n’a pas assez utilisé les talents
(id.), Dancing (1991), Ski Love (id.), Tuli- de cet écrivain de science-fiction qui sait
lem (1992), Maleducazione in Montagna BRACHO (Julio), cinéaste mexicain (Du- allier le réalisme et le fantastique. Il a
(1993), Educazione al cinema (id.), Drop rango 1909 - Mexico 1978). écrit le scénario de Moby Dick (J. Huston,
(id). Venant du théâtre et d’un groupe d’intel- 1956), le commentaire (non crédité) du
lectuels, il signe l’une des plus longues Roi des rois (N. Ray, 1961), une adapta-
BOZZUFFI (Marcel), acteur français filmographies du cinéma commercial, tion de son propre livre, Chroniques mar-
(Rennes 1929 - Paris 1988). qui a son départ en plein âge d’or de tiennes, pour Alan Pakula et Robert Mul-
Il débute au cinéma en 1955, où son l’industrie mexicaine. ¡ Ay, qué tiempos, ligan, et une autre (Something Wicked
physique typé le cantonne dans les señor Don Simón ! (1941) montre déjà This Way Comes pour Sam Peckinpah),
rôles d’homme d’action, mauvais garçon son savoir-faire. Mais il va rarement au- qui ne virent jamais le jour. Les quelques
ou policier. Il tourne abondamment en delà et se contente de mettre en scène films tirés de ses ouvrages, Fahrenheit
France : le Deuxième Souffle (J.-P. Mel- des intrigues conventionnelles. Un sujet 451 (F. Truffaut, 1966), l’Homme tatoué
ville, 1966), Z (Costa-Gavras, 1969), plu- plus ambitieux, La sombra del Caudillo (J. Smight, 1969), ne restituent pas la
sieurs films de Claude Lelouch, l’Amour (tourné en 1960, d’après un des roman- magie inquiétante et poétique de Bra-
fugitif (Pascal Ortega, 1983) ; en Italie : ciers de la révolution mexicaine, Martín dbury.
Cadavres exquis (F. Rosi, 1976) ; aux Luis Guzmán), reste toutefois interdit par
États-Unis : French Connection (W. Frie- la censure pendant trente ans. Distinto BRADY (Alice), actrice américaine (New-
dkin, 1971), Images (R. Altman, 1972). amanecer (1943), mélange de mélo- York, N. Y., 1892 - id. 1939).
En 1969, il dirige lui-même l’Américain, drame et de thriller politique, constitue Elle débute au cinéma en 1914 ; vedette
dont il est aussi scénariste et interprète. néanmoins une oeuvre singulière dans de la compagnie World, elle interprète
laquelle il était possible de percevoir déjà les rôles les plus variés : comtesse
BRABIN (Charles J.), cinéaste britannique le désenchantement de sa génération. russe, danseuse ou pauvre immigrante.
(Liverpool 1882 - Santa Monica, Ca., 1957). Parmi ses autres films, on peut citer His- Elle interrompt sa carrière en 1923 et la
Acteur chez Edison dès 1908, il fait car- toria de un gran amor (1942), La Virgen reprend dix ans plus tard, jouant soit les
rière aux États-Unis. Époux de Theda que forjó una patria (id.), El monje blanco grandes dames dans des comédies musi-
Bara, il la dirige dans la Belle Russe et (1945), Cantaclaro (id.), Rosenda (1948), cales ou loufoques comme Chercheuses
Kathleen Mavourneen, en 1919 ; son San Felipe de Jesús (1949). d’or de 1935 (B. Berkeley, 1935) ou My
Driven (1923), un drame rural, rencontre Man Godfrey (G. La Cava, 1936), soit
l’estime. Mais ces films sont aujourd’hui BRACKETT (Charles), scénariste et produc- au contraire les mères de famille popu-
oubliés, peut-être disparus. À la MGM, teur américain (Saratoga Springs, N. Y., laire dans l’Incendie de Chicago (H. King,
Brabin commence Ben Hur, qu’achèvera 1892 - Los Angeles, Ca., 1969). 1938), qui lui vaut un Oscar (« Best sup-
Fred Niblo (1926), puis, le parlant venu, D’abord avocat, puis journaliste et ro- porting actress »), ou dans Vers sa desti-
réalise le Chanteur de Séville (Call of the mancier, il gagne Hollywood en 1932 et y née (J. Ford, 1939).
Flesh, 1930), ensuite un policier : la Bête devient un scénariste coté, qui se double
de la cité (The Beast of the City, 1932), d’un producteur à partir de 1942. Le meil- BRAGA (Sonia), actrice brésilienne (Ma-
un mélodrame : le Secret de MmeBlanche leur de sa carrière est sa collaboration ringá 1950).
(The Secret of Madame Blanche, 1933), avec Billy Wilder de 1938 à 1950, d’abord Elle débute à la télévision à quatorze
mais surtout le Masque d’or (The Mask of pour des films de Lubitsch (Ninotchka, ans dans une émission pour enfants
Fu Manchu, 1932) avec Boris Karloff. Il se 1939) ou de Leisen (la Baronne de mi- (Jardim encantado), s’illustre à dix-sept
retire en 1934. nuit, 1939 ; Par la porte d’or, 1941), puis ans au théâtre dans le Georges Dandin
pour ceux de Wilder lui-même (le Poi- de Molière et un an après fait partie des
BRACH (Gérard), scénariste et cinéaste son, 1945 ; Boulevard du Crépuscule, acteurs qui interprètent Hair dans son
français (Montrouge 1927). 1950) ; mais on lui doit aussi les scripts adaptation brésilienne. Au cinéma elle
Collaborateur habituel de Roman Po- de The Model and the Marriage Broker débute dans O bandido da luz vermelha
lanski – Répulsion (1965), Cul de sac (G. Cukor, 1952), Niagara (H. Hathaway, (R. Sganzerla, 1968), mais sa renommée
(1966), le Bal des vampires (1967), 1953), la Fille sur la balançoire (R. Fleis- vient des télénovelas produites par la
Quoi ? (1973), le Locataire (1976), Tess cher, 1955) ou Voyage au centre de la chaîne Globo, comme Gabriela (1975),
(1979), Pirates (1986), Frantic (1988), Terre (H. Levin, 1959), après lequel il se d’après Jorge Amado. Un roman du
Lunes de fiel (1992) portent tous sa griffe consacrera à la seule production. même auteur lui apporte la consécration
personnelle (sens de l’étrangeté, de la sur le grand écran : Dona Flor et ses deux
peur, du sarcasme, de l’humour juif, de la BRACKETT (Leigh Douglas), écrivain et maris (B. Barreto, 1976), un succès que
provocation, allié à une parfaite maîtrise scénariste américaine (Los Angeles, Ca., la production internationale Gabriela (id.,
de la dramaturgie cinématographique –, 1915 - id. 1978). 1982) est très loin d’égaler, malgré l’ap-
il a également travaillé avec Claude Berri Elle est plus connue pour ses romans point de Marcello Mastroianni. Plusieurs
(le Vieil Homme et l’enfant, 1967, Jean policiers ou de science-fiction que pour films prolongent son image de sensua-
de Florette, 1986, Manon des sources, les deux films sans grande importance lité et un statut de star que les Brésiliens
id.), Jean-Jacques Annaud (la Guerre qu’elle a écrits en 1945 avant que Hawks comparent à Carmen Miranda : A dama
du feu, 1981, le Nom de la rose, 1986, ne lui demandât le scénario du Grand do lotação (Neville d’Almeida, 1978), Eu
l’Ours, 1988, l’Amant, 1992), Marco Fer- Sommeil (1946). Elle collabora aussi te amo (A. Jabor, 1980), le Baiser de la
reri (Rêve de singe, 1978, Pipicacadodo, avec lui pour Rio Bravo (1959), Hatari femme-araignée (H. Babenco, 1985). La
1980), Michelangelo Antonioni (Identifica- (1962), El Dorado (1967) et Rio Lobo réputation de ce dernier lui ouvre une

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

modeste carrière américaine : Milagro fait, il a été une sorte de météore dans le et se fondent sans hiatus, avec l’appari-
(R. Redford, 1987), Moon over Parador firmament du film noir. De 1944 à 1946, tion finale des grands flamants roses et
(P. Mazursky, 1988), la Relève (C. Eas- il signe quatre magistraux classiques, des ours blancs du « rêve des enfants ».
twood, 1991), Rooster (Robert M. Young, avant de sombrer dans la léthargie. Il a C’est à ce moment que Brakhage se
1994), The Burning Season (J. Franken- porté le récit de terreur victorien à son marie, et cet événement, joint à cette
heimer, 1994), Two Deaths (N. Roeg, point de perfection avec Jack l’Éventreur façon neuve de donner à voir, va colorer
1995). Sonia Braga revient au Brésil pour (The Lodger, 1944) et surtout l’éblouis- une oeuvre plus que jamais personnelle
incarner un autre personnage de Jorge sant Hangover Square (id., 1945), tous et, désormais, familiale : sa femme, les
Amado, Tieta du Brésil, mis en scène par deux servis par un excellent Laird Cregar. enfants qu’elle lui donne - dont il filme
Carlos Diegues (1996). La complexité de l’analyse psychologique la naissance (Window Water Baby Mo-
se doublait d’un esthétisme inspiré : ving, 1959 ; Thigh Line Lyre Triangular,
BRAGAGLIA (Anton Giulio), homme de brouillards poisseux, pavés mouillés. 1961) – et, à partir de 1964, leur maison
théâtre et cinéaste italien (Frosinone Guest in the House (1944) et le Médaillon de Rolinsville dans le Colorado, avec les
1889 - Rome 1960). (The Locket, 1946) exploitaient, en re- paysages qui l’entourent vont servir de
Rénovateur de la scène italienne et vanche, la veine psychanalytique : une matériau de nombreux films d’un lyrisme
membre du mouvement futuriste, Braga- névrosée, mi-innocente, mi-démoniaque, presque abstrait. Il y a désormais un style
glia fonde et dirige à Rome le théâtre des y détruisait l’harmonie paisible du confort Brakhage, perceptible aussi bien dans
Indépendants (1922-1931) puis le théâtre américain. La mesure du premier film les grandes fresques de Dog Star Man
des Arts (1937-1943). Sensible au phé- était contrebalancée par la vertigineuse (1960-1964) – qui deviennent, par un jeu
nomène cinématographique, il introduit structure en retours en arrière du second. de répétitions et de surimpressions, les
dans ses mises en scène des procédés Brahm y obtenait, de plus, des créations 4 heures 30 de The Art of Vision (1965)
empruntés au 7e art. En 1916, il réalise vénéneuses et troubles d’Ann Baxter – que dans la diversité des trente Songs
deux films d’avant-garde en utilisant la (Guest...) et même de la généralement (1964-1969) tournés en 8 mm, où des
technique de la photodynamique (com- fade Larraine Day (The Locket). Mais, haïkaï de 4 minutes (le premier ou le hui-
position et décomposition des images après une molle adaptation de Raymond tième) côtoient telle longue méditation sur
par des jeux de miroirs concaves et Chandler (The Brasher Doubloon, 1947), la guerre incorporant des chutes d’actua-
d’objectifs prismatiques), Perfido incanto et quelques sursauts baroques (Singa- lités (le vingt-troisième). Parallèlement, il
et Thais. Au début du parlant, il tourne pour [Singapore], 1948), il se replongea entreprend une autobiographie intérieure,
encore Vele ammainate (1931), un mélo- dans le sommeil, comme le confirment Scenes From Under Childhood (1967-
drame assez impersonnel. ses mornes téléfilms.
1970), dont le début à dominante rouge,
exceptionnellement accompagné de sons
BRAGAGLIA (Carlo Ludovico), cinéaste ita- BRAKHAGE (Stanley), cinéaste expéri-
rauques et douloureux (presque tous ses
lien (Frosinone 1894 - Rome 1998). mental américain (Kansas City, Mo., 1933).
films sont muets), tente de reconstituer
Frère d’Anton Giulio, avec qui il fonde en Ciné-poète lyrique et fécond (il a réa-
la vision d’un enfant qui va naître. Cette
1922 il Teatro degli Independenti, Carlo lisé plus de cent films en 25 ans), il est
autobiographie se poursuit en 1970
Ludovico Bragaglia s’oriente vers le ci- un de ceux qui ont le plus renouvelé le
avec la trilogie The Weir Falcon Saga,
néma et réalise son premier film en 1932 cinéma expérimental de l’après-guerre.
The Machine of Eden et The Animals of
(O la borsa o la vita, avec Sergio Tofano). Ses films, essentiellement visuels, sont
Eden and After, suivie de cinq « médi-
À partir de cette date, il s’impose comme un peu au cinéma ce que le free jazz
tations sexuelles » (la quatrième, Hotel,
un des cinéastes les plus prolifiques de la est à la musique ou l’abstraction lyrique
1972, consacrée au voyeurisme), qui
péninsule (soixante films environ de 1932 à la peinture. Les premiers ont encore
transcendent la crudité de Lovemaking
à 1963). Spécialiste des genres popu- quelque chose de narratif (Interim, 1951 ;
(1968). Une série de semi-documentaires
laires, il est un des metteurs en scène Desistfilm, 1954) et, jusqu’en 1957, sont
sur une patrouille de police (Eyes, 1970),
attitrés de Totò : Animali pazzi (1939), surtout des espèces de sketches oni-
un hôpital (Deux Ex, 1971) et une salle
Totò le Mokò (id. 1949), Totò cerca mo- rico-psychologiques assez sombres (The
d’autopsie (The Art of Seeing With One’s
glie (1950), etc. On lui doit aussi quelques Way to Shadow Garden, 1955). Reflec-
Own Eyes, 1971) marquent ensuite sa
péplums de bonne tenue : Annibale tions on Black (1955), tout en manifes-
tant la sexuelle qui hante encore Flesh volonté de reprendre contact avec les
(Annibal, 1959), Gli amori di Ercole (les
of Morning (1957), annonce sa future réalités sociales. Ces films ont été rendus
Amours d’Hercule, 1960) et Ursus nella
valle dei leoni (Maciste dans la vallée des manière : la recherche des « métaphores possibles par une invitation de l’Institut
de la vision ». Employant systématique- Carnegie à Pittsburgh : ce cinéaste de la
lions, 1962). Le troisième frère BRAGA-
ment la couleur et le montage fluide (rac- nature, qui fit un film fameux en collant
GLIA, Arturo (1892-1962), était acteur
cordant les plans dans les mouvements des ailes de mite ou des pétales de fleurs
(Quatre Pas dans les nuages, A. Blasetti,
1942 ; Miracle à Milan, V. De Sica, 1950). et les filés), il élabore ainsi The Wonder sur la pellicule (Mothlight, 1963), est en
Ring (1955), filmé pour Joseph Cornell, effet obligé, pour vivre, de quitter sou-
BRAHM (Hans Brahm, dit John), cinéaste Nightcats (1956) et Loving (1958), qui vent sa retraite de Rolinsville, soit pour
américain d’origine allemande (Ham- précèdent le remarquable Anticipation of des travaux commerciaux (il lui arrive
bourg 1893 - Malibu, Ca., 1982). the Night (id.). Historique parce qu’il est aussi d’être l’opérateur de ses amis), soit
Né dans les milieux du théâtre, il dirige à l’origine de la création par Mekas de la pour de longues tournées de cours ou
lui-même de nombreuses mises en scène Film-Makers Cooperative de New York, conférences. En résultent des textes sur
avant d’émigrer aux États-Unis en 1937, ce film l’est aussi parce qu’il marque une son oeuvre, plusieurs Film Biographies
via Paris et Londres, où il réalise un pre- étape décisive dans l’histoire des formes sur Méliès, Chaplin, Dreyer ou Vigo, ou
mier film (un remake du film de D. W. Grif- du cinéma expérimental. Le propos, dans des interventions polémiques contre le
fith : le Lys brisé). Au vu de ses premières ce film subjectif (dont le je invisible et cinéma dit structurel. À la fin des années
oeuvres, sages (Let Us Live, 1939) ou suicidaire tente vainement de recouvrer 80, il se remarie et reprend sur des for-
anonymes (Fleur d’hiver [Wintertime], la vision sauvage de l’enfance), compte mats plus amples (70 mm et Imax), en
1943), et de ses dernières, souvent peu désormais moins que le flux de la matière la rephotographiant en 16 ou 35 mm, la
énergiques (le Miracle de Fatima [The visuelle, où les ciels bleu sombre, les peinture semi-abstraite sur la pellicule
Miracle of Our Lady of Fatima], 1952), on arbres dans le crépuscule, les jeux de lu- (The Dante Quartet, 1987). Après une
pourrait le juger cinéaste inconsistant. De mières ou de lune dans la nuit se suivent longue série de films abstraits dédiés à la

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

célébration de la couleur (citons Stellar, nesque que Branagh sait servir : une am- au Portugal et Gemini Films en France
1993, Chartres Series, 1994), il invente pleur épique (quatre heures), de vraies —, il soutient la plupart des cinéastes
des formes de croisement entre images idées de mise en scène (le célèbre mono- portuguais, mais aussi quelques-uns des
figuratives et abstraction chromatique logue dit dans une atmosphère de fête plus célèbres réalisateurs européens.
d’où résultent d’intenses poèmes visuels finie, face à un miroir) et des parti-pris Passionné de l’aventure du cinéma, attiré
sur le paysage : A Child Garden & courageusement justifiés (le décor d’opé- par la difficulté des projets, séduit par les
the Serious Sea (1999), The God of Day rette, d’abord déroutant puis bien cerné). paris « impossibles », il partage les choix
Had Gone Down Upon Him (2001). C’est encore Shakespeare qui l’inspire de mise en scène de ses auteurs. Dans
quand, poussant jusqu’au bout quelque les vingt dernières années, il a produit
BRAL (Jacques), cinéaste français (Téhéran chose qu’il avait amorcé avec moins de tous les films de Manoel de Oliveira — de
1948). grâce dans Beaucoup de bruit pour rien Francisca (1981), à Je rentre à la mai-
De 1968 à 1970, il suit les cours de l’Ins- (Much Ado About Nothing, 1992), il trans- son (Vou para Casa, 2001 — et, parmi
titut de formation cinématographique où il forme Peines d’amour perdues (Love’s d’autres, aussi ceux de Raul Ruiz (le
réalise plusieurs courts-métrages et trois Labour’s Lost, 1999) en une délicieuse Territoire, 1981 ; les Trois Couronnes du
films confidentiels : M88 (1971), Frisou et émouvante comédie musicale aux matelot, 1982 ; la Ville des pirates, 1983 ;
(1972), et Une baleine qui avait mal aux couleurs resplendissantes, constellée Point de fuite, 1983 ; l’Éveillé du pont de
dents (1973). Il lui faudra attendre 1980 de magnifiques chansons empruntées à l’Alma, 1985 ; l’Île au trésor, 1985 ; les
pour se faire connaître du grand public Gershwin, Cole Porter ou Jerome Kern. Destins de Manoel, 1985 ; Fado majeur
avec Extérieur nuit, qui conte les retrou- et mineur, 1994 ; Trois Vies et une seule
vailles et la rencontre de deux amis avec BRANCATI (Vitaliano), écrivain et scé- mort, 1996 ; Généalogies d’un crime,
une femme « taxi de nuit ». En 1984, il nariste italien (Pachino, Syracuse, 1907 - 1997 ; le Temps retrouvé, 1999 ; Combat
adapte Morgue pleine, un roman noir de Turin 1954). d’amour en songe, 2000), João Cesar
J.-P. Manchette, sous le titre Polar, la Ses débuts d’écrivain datent de 1928, et Monteiro (Silvestre, 1982 ; O Último Mer-
brumeuse enquête d’un détective désa- ceux de scénariste de 1942, avec Don gulho, 1992 ; les Noces de Dieu, 1999 ;
busé à travers lequel il s’attache surtout Cesare di Bazan (R. Freda), suivi de Branca de Neve, 2000), João Mário Grilo
à capter l’atmosphère d’un univers noc- quelques films mineurs. Son esprit anti- (A Estrangeira, 1983 ; le Procès du roi,
turne et la fatigue existentielle de person- conformiste et corrosif se déploie grâce 1990 ; O Fim do Mundo, 1992 ; les Yeux
nages perdus dans l’envers du quotidien. à la collaboration de Luigi Zampa : les d’Asie, 1996 ; Loin des yeux, 1999), Wim
Années difficiles (1948), tiré de son récit, Wenders (Der Stand der Dinge, 1982 ;
BRANAGH (Kenneth), acteur et cinéaste chronique féroce de la petite bourgeoisie Jusqu’au bout du monde, 1991 ; Lisbonne
britannique (Belfast, Irlande du Nord, sicilienne pendant le fascisme ; Anni facili Story, 1994), Alain Tanner (Dans la ville
1960). (1953), satire du pouvoir démocrate-chré- blanche, 1983 ; Une flamme dans mon
Acteur et metteur en scène de théâtre tien ; L’arte di arrangiarsi (1954), parabole coeur, 1987 ; la Femme de Rose Hill,
remarquablement doué, Kenneth Bra- féroce sur l’art de s’adapter à tous les 1989 ; Requiem, 1998), João Botelho
nagh n’a aucun mal à faire passer sa compromis de l’histoire nationale. Il col- (Conversa Acabada, 1982 ; No Dia dos
fougue et son dynamisme à l’écran. Ces labore aussi avec d’autres réalisateurs, Meus Anos, 1992 ; les Trois Palmiers,
qualités très communicatives font de lui comme Alessandro Blasetti (Fabiola, 1995 ; Trafic, 1998), Olivier Assayas (l’En-
un cinéaste stimulant et presque toujours 1949 ; Heureuse Époque, 1952 ; La fiam- fant de l’hiver, 1989), Danièle Dubroux
intéressant, peut-être parfois embarrassé mata, id.), Augusto Genina (L’edera, (les Amants terribles, 1984 ; le Journal
d’une caméra qu’il aime à faire tournoyer. 1950 ; Tre storie proibite, 1952), et à trois du séducteur, 1996 ; l’Examen de minuit,
Au vu de Henry V (id., 1989) et de son des meilleures comédies écrites pour 1998), Jacques Rozier (Maine-Océan,
adaptation scrupuleuse et soignée de Totò : Gendarmes et Voleurs (S. V. Steno 1986), Laurence Ferreira Barbosa (Les
Frankenstein (Mary Shelley’s Frankens- et M. Monicelli, 1951), L’uomo, la bestia e gens normaux n’ont rien d’exceptionnel,
tein., 1994), on peut rapprocher Branagh la virtù (Steno, 1953), Où est la liberté ? 1993 ; J’ai horreur de l’amour, 1997 ; la
de Laurence Olivier, lui aussi cinéaste (R. Rossellini, 1954). Ses romans, révé- Vie moderne, 1999), Philippe Garrel (le
apte à servir l’enthousiasme de bons lateurs des frustrations sexuelles et Coeur fantôme, 1996), Pedro Costa (Casa
acteurs. Dead Again (id., 1991), réjouis- des aspirations réprimées des mâles de Lava, 1994 ; Ossos, 1997), Jean-Luc
sant pastiche d’Hitchcock, regorgeait siciliens, sont adaptés avec fidélité par Godard (For Ever Mozart, 1996), Sharu-
de trucs et de ficelles, sans pour autant Mauro Bolognini (le Bel Antonio, 1960) nas Bartas (Few of Us, 1996 ; A Casa,
irriter. Mais l’engagement de Branagh et par Alberto Lattuada (Don Giovanni in 1997 ; Freedom, 2000), Michel Piccoli
était peut-être plus personnel dans l’atta- Sicilia, 1967), ou mal exploités par Marco (Alors voilà, 1997), Cédric Kahn (l’Ennui,
chant Peter’s Friends (id., 1992), bonne Vicario (Paolo il caldo, 1973). Sa veine 1998), André Zulawski (la Fidélité, 2000),
comédie douce-amère où la caméra, tou- humoristique amère et désenchantée Chantal Akerman (la Captive, 2000).
jours au service d’excellents comédiens, n’est pas sans influence sur les cinéastes
entreprenait de raconter par elle-même qui abordent les problèmes du Sud BRANDAUER (Klaus Maria), acteur autri-
ce qui se trouvait derrière l’apparente (P. Germi, E. Petri, F. Rosi). chien (Alt Aussee 1944).
légèreté du propos. Très actif, il se prête Acteur et metteur en scène de renom, il
aux autres comme acteur, shakespearien BRANCO (Paulo), producteur portugais travaille à Düsseldorf, Vienne, Munich,
(Othello, id.,Oliver Parker, 1995) ou non (Lisbonne 1950). Hambourg, Berlin, Zurich. Le cinéma
(Gingerbread Man, R. Altman, 1997 ; Son début dans le métier — il est le pro- s’offre à lui avec un grand rôle : celui du
Celebrity, W. Allen, 1998). Mais, en tant ducteur associé de Aurélia Steiner de personnage central de Mephisto d’István
que cinéaste, il continue patiemment à Marguerite Duras, en 1979 — marque Szabó (1981). Très sollicité – il est notam-
se dévouer à Shakespeare, soit dans la déjà son penchant pour le cinéma d’au- ment le « méchant » dans Jamais plus ja-
modestie (Au beau milieu de l’hiver, In teur. Ensuite, film après film, il établit une mais (I. Kershner, 1983), un des avatars
the Bleak Cold Midwinter, 1995, où des carrière impressionante (plus de 120 titres de James Bond –, il apparaît dans plu-
comédiens ratés répètent une pièce du accrédités), qui fait de lui un des plus sieurs productions dont les plus brillantes
grand Will), soit dans l’ambition (Hamlet, grands producteurs européens et le pre- sont Colonel Redl (Szabó, 1985), le
id.,1996). Ce dernier film se propose de mier moteur de la renaissance du cinéma Bateau phare (J. Skolimowski, id.), Out
donner une adaptation de l’intégralité de portugais. Dans ce rôle — avec ses deux of Africa (S. Pollack, id.), Burning Secret
l’oeuvre de Shakespeare, entreprise tita- maisons de production, Madragoa Filmes (Andrew Birkin, 1988), Hanussen (Szabó,

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

id.), la Toile d’araignée (B. Wicki, 1989), fait. Cette distance à l’égard de son (Bedtime Story, Ralph Levy, 1964) ; Mori-
la Révolution française (R. Enrico et Ri- personnage cinématographique va de turi (id., B. Wicki, 1965) ; l’Homme de
chard Heffron, 1989), film où il incarne pair, semble-t-il, avec une introspection la Sierra (S. Furie, 1966) ; la Poursuite
Danton, la Maison Russie (F. Schepisi, croissante chez l’homme, nature com- impitoyable (A. Penn, id.) ; la Comtesse
1990), Croc blanc (White Fang, Randal plexe où le masochisme (refoulé et non de Hong-Kong (Ch. Chaplin, 1967) ;
Kleiser, 1991). Comme metteur en scène, sublimé en héroïsme) tient sans doute Reflets dans un oeil d’or (J. Huston, id.) ;
il a réalisé deux films où il est également une grande place. Le fruit cinématogra- Candy (C. Marquand, 1968) ; la Nuit du
acteur : Georg Elser (1989), portrait d’un phique de ses cogitations est un film qu’il lendemain (H. Cornfield, 1969) ; Quei-
ouvrier qui tenta d’assassiner Hitler en met en scène lui-même, la Vengeance mada ! (G. Pontecorvo, id.) ; le Corrup-
1939, et Mario et le magicien (Mario und aux deux visages (1961), fort intéressant teur (M. Winner, 1972, GB) ; le Parrain
der Zauberer, 1994), d’après Thomas dans sa première partie, beaucoup trop (F. F. Coppola, id.) ; le Dernier Tango à
Mann. Après une brève éclipse dans sa explicatif dans la deuxième. Brando, qui Paris (B. Bertolucci, id., IT) ; The Mis-
carrière cinématographique, il revient sur en 1959 a fondé sa propre compagnie, souri Breaks (Penn, 1976) ; Superman
le grand écran dans des films aussi dis- Pennebaker Productions, a beaucoup (R. Donner, 1978) ; Apocalypse Now
semblables que Rembrandt de Charles de mal à vivre les années 60. Il tourne (Coppola, 1979) ; la Formule (J. G. Avild-
Matton (1999) et Vercingétorix de J. Dorf- peu et n’obtient de bons rôles que grâce sen, 1980) ; Une saison blanche et sèche
mann (2001) et à la réalisation avec Die à Arthur Penn (la Poursuite impitoyable, (A dry White Season) (Euzhan Palcy,
Wand (1999). 1966), John Huston (Reflets dans un oeil 1989) ; Premiers pas dans la mafia (The
d’or, 1967) et Gillo Pontecorvo (Quei- Freshman, Andrew Bergman, 1990) ;
BRANDO (Marlon), acteur américain Christopher Columbus : The Discovery
mada, 1969). Il accepte également de
(Omaha, Nebr., 1924). jouer dans la Comtesse de Hong-Kong (John Glen, 1992) ; Don Juan De Marco
Issu d’un milieu modeste, il a une ado- (Jeremy Leven, 1995) ; L’Île du Dr.
un contre-emploi pour lequel il sait que
lescence difficile et débute au théâtre Moreau (J. Frankenheimer, 1997), The
Chaplin l’a choisi « à cause de son
en amateur, pour se retrouver deux ans Brave (J. Depp, id.), The Score (Frank
manque total d’humour ». À l’heure où
après acteur à Broadway (1944). En Oz, 2001).
on le déclare commercialement fini, c’est-
1947, Elia Kazan en fait du jour au len-
à-dire à l’aube des années 70, le Parrain
demain une vedette de la scène, en lui BRASILLACH (Robert) BARDÈCHE
(1972) de Francis Ford Coppola (qui lui
offrant le rôle de Stanley Kowalski dans (MAURICE)
donne l’occasion de refuser avec éclat
Un tramway nommé Désir de Tennessee
son second Oscar en protestation contre
Williams. Tenu pour l’acteur type de la BRASS (Giovanni Brass, dit Tinto), cinéaste
le non-respect des droits des Indiens des
Méthode (une nouvelle façon de jouer italien (Milan 1933).
États-Unis) et surtout le Dernier Tango
apprise à l’Actors Studio, dont Brando De famille vénitienne, licencié en droit à
à Paris (id.) le présentent sous les traits
va devenir à la fin des années 40 l’un Padoue, il travaille à la Cinémathèque
d’un acteur de composition à la structure
des porte-drapeaux), il transpose son française et devient l’assistant de Caval-
(physique et intellectuelle) monumentale.
style de jeu à l’écran avec succès dans canti, Ivens et Rossellini. Son premier
Maturité quasi symbolique, à laquelle ne
un film de Zinnemann, C’étaient des film, In capo al mondo / Chi lavora è per-
manque même pas la délivrance psycha-
hommes : pour interpréter un paraplé- duto, 1964), tourné à Venise, plein de
nalytique du film de Bertolucci.
gique, il passe un mois dans un hôpital références autobiographiques, annonce
Le comédien peut alors rappeler (ou
de rééducation spécialisé, avant le tour- un esprit anarchique et un style brouillon.
révéler) son mépris pour l’industrie qui
nage. Quatre fois nommé aux Oscars Il disco volante (1964) est une lourde
le fait vivre, souligner ses positions en
(en 1951 pour Un tramway nommé Désir, farce de science-fiction avec Sordi ; ça
faveur de l’écologie (à l’échelle mondiale)
en 1952 pour Viva Zapata ! du même ira, il fiume della rivolta (CO Franco Ar-
et accentuer sa solitude. Sa contestation
Kazan, en 1953 pour Jules César de calli, 1965) est un film de montage sur
individualiste, mais universellement ré-
Mankiewicz), il l’emporte en 1954, dirigé l’histoire des révolutions. Après un wes-
percutée, n’est pas celle d’un aigri : après
par Kazan, pour Sur les quais (le rôle tern violent remanié par les producteurs,
une période difficile, l’acteur semble avoir
de Terry Malloy lui permet également de Yankee (1966), il s’engoue pour la mode
transmuté une schizophrénie évidente au
remporter le prix du Meilleur Acteur au pop, puis tourne quelques films célébrant
profit d’un jeu dont les caractéristiques
festival de Cannes). Dans Jules César, il des marginaux rebelles : le Coeur dans
imposantes ne doivent pas faire oublier
a accepté et tenu le pari d’égaler les per- la gorge (Col cuore in gola, 1967), Nero
formances des acteurs shakespeariens la finesse, ni, le cas échéant, une capa- su bianco (1969), Dropout (1971), La
qui l’entourent. Dans l’Équipée sauvage cité de séduction intacte (Missouri Breaks
vacanza (id.), L’urlo 1974 [RÉ 1968]). Il
(1954), il tend en miroir à l’Amérique le d’Arthur Penn en 1976, voire Apocalypse
obtient un succès commercial avec des
Now de Coppola en 1979).
portrait d’une jeunesse désaxée, redeve- films pseudo-historiques et (ou) quasi
nue primitive, et qui d’ailleurs se recon- Films : C’étaient des hommes (F. Zin- pornographiques : Salon Kitty (1976),
naîtra dans le film. Cette révolte diffuse nemann, 1950) ; Un tramway nommé Caligula (1980 [RÉ 1977]), la Clef (La
d’une génération va influencer d’autres Désir (E. Kazan, 1951) ; Viva Zapata ! (id., chiave, 1983), Vices et caprices (Capric-
générations rebelles, tant au cinéma que 1952) ; Jules César (J. L. Mankiewicz, cio, 1988), le Voyeur (L’uomo che guarda,
dans la vie (et d’abord dans les modes 1953) ; l’Équipée sauvage (L. Benedek, 1994) ; Fermo posta Tinto Brass (1995),
vestimentaires), et cette influence aura 1954) ; Sur les quais (Kazan, id.) ; Dési- Monella (1997), Tra(sgre)dire (1999).
des ramifications qui se prolongeront au rée (H. Koster, id.) ; Blanches Colombes
cours des années 60. Heurtant la critique et Vilains Messieurs (Mankiewicz, 1955) ; BRASSEUR (Claude Espinasse, dit Claude),
et le public traditionnels, acclamé par la la Petite Maison de thé (Daniel Mann, acteur français (Paris 1936).
critique moins conformiste et le public 1956) ; Sayonara (J. Logan, 1957) ; le Fils de Pierre Brasseur et d’Odette
plus jeune, Brando est en tout cas consi- Bal des maudits (E. Dmytryk, 1958) ; Joyeux. Il suit les cours de Raymond Gi-
déré comme un élément de renouveau l’Homme à la peau de serpent (S. Lumet, rard, de René Simon et du Conservatoire
pour le cinéma américain. Or, pendant 1960) ; la Vengeance aux deux visages et fait du théâtre depuis 1954. Il débute
plusieurs années, il va paraître s’efforcer (One Eyed Jacks, M. Brando, 1961) ; les au cinéma en 1956 dans le Pays d’où je
de ruiner sa propre carrière, multipliant Révoltés du Bounty (L. Milestone, 1962) ; viens (M. Carné) et s’impose peu à peu
des rôles comiques ou quasi parodiques le Vilain Américain (The Ugly American, par son dynamisme et son humour avec
pour lesquels, à l’évidence, il n’est pas George Englund, 1963) ; les Séducteurs un métier qui rappelle souvent celui de

169
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

son père. On le remarque aux côtés de Fille de l’eau (J. Renoir, 1924) et son pre- satanisme. Ce n’est pas un hasard s’il
Michel Simon dans Pierrot la tendresse mier grand rôle, celui de Quai des brumes est Barbe-Bleue dans le film de Christian-
(François Villiers, 1960), puis en sol- (M. Carné, 1938), s’accumulent quarante Jaque (1951), l’inquiétant chirurgien des
dat cabochard dans le Caporal épinglé films, dont quelques titres suffisent à sug- Yeux sans visage (Franju, 1960) et le re-
(J. Renoir, 1962) ; il tourne beaucoup gérer le niveau et le propos : Papa sans le doutable seigneur de Goto, l’île d’amour
avec les jeunes réalisateurs : Jacques savoir (Y. Mirande, 1932), le Sexe faible (W. Borowczyk, 1969) : avec l’âge, il a
Baratier (Dragées au poivre, 1963), (R. Siodmak, 1933), la Garnison amou- pris de la rondeur et de la puissance, et
Marcel Ophuls (Peau de banane, id.), reuse (Max de Vaucorbeil, 1934), Prête- la petite gouape de Quai des Brumes a
Jean-Luc Godard (Bande à part, 1964), moi ta femme (Maurice Cammage, 1937), engendré l’amant jaloux des Portes de
Costa-Gavras (Un homme de trop, 1967), Claudine à l’école (S. de Poligny, 1938), la nuit avant de déboucher sur les rôles
François Truffaut (Une belle fille comme Gosse de riches (M. de Canonge, id.), de méchant, dans lesquels il semble être
moi, 1972), et le plus souvent dans des mais aussi un tout petit nombre d’oeuvres plus ou moins étiqueté à la fin de sa car-
rôles de tête brûlée. La maturité lui ouvre qui ont une certaine réputation : Feu ! rière. Étrange destinée (mais qui a été
la voie à des personnages plus consis- (J. de Baroncelli, 1927), Un oiseau rare celle aussi de Jules Berry), comme si le
tants : Barocco (A. Téchiné, 1976), l’État (R. Pottier, 1935) et l’excellent petit film degré extrême de l’extraversion était le
sauvage (F. Girod, 1978), l’Argent des de Pagnol, le Schpountz (1938). signe d’un pouvoir de domination sur le
autres (C. de Chalonge, id.), Une histoire La plupart de ces films étant quelque commun des mortels, comme si la ma-
simple (C. Sautet, id.), la Guerre des po- peu tombés dans l’oubli, on en est réduit lédiction qui a pesé sur les comédiens
lices (Robin Davis, 1979), la Banquière aux suppositions quant à la valeur des pendant des siècles était la rançon d’une
(Girod, 1980), Une affaire d’homme prestations du comédien : rien ne permet quelconque possession diabolique.
(N. Rybowski, 1981). On le voit encore de penser qu’elles sont indignes de lui,
dans la Crime (Philippe Labro, 1983), mais la surprise n’en est évidemment que BRAULT (Michel), chef opérateur et
Souvenirs, souvenirs (Ariel Zeitoun, plus forte lorsqu’on le découvre soudain, cinéaste canadien (Montréal, Québec,
1984), Détective (J. -L. Godard, 1985), pâle voyou, dans Quai des brumes. Cinq 1928).
les Loups entre eux (J. Giovanni, id.), le ans plus tard, avec Lumière d’été (Gré- Il découvre tôt le cinéma d’amateur, fait
Crocodile (Ph. de Broca, 1986), la Gitane millon, 1943), c’est un autre Brasseur un bref stage à l’ONF en 1950, collabore
(Ph. de Broca, id.), Dandin (R. Plan- qu’on découvre dans le rôle d’un peintre à des revues de cinéma et anime un ciné-
chon, 1988 ; rôle-titre), l’Orchestre rouge un peu fou qui décore l’intérieur des pla- club. Il retrouve l’ONF en 1956 et deux ans
(J. Rouffio, 1989), Dancing Machine cards, anime l’action de ses excentricités plus tard y coréalise (avec Gilles Groulx)
(Gilles Béhat, 1990), Sale comme un et se trouve le témoin fasciné de l’écroule- un court métrage de dix-sept minutes, qui
ange (Catherine Breillat, 1991), Un, deux, ment d’un microcosme symbolique. Cette est le manifeste et l’acte de naissance du
trois, soleil (B. Blier, 1993), le Fil de l’hori- veine farfelue, on la retrouve, mais moins cinéma direct, tout en symbolisant la lutte
zon (F. Lopes, id.), Délit mineur (F. Girod, sous-tendue par le tragique, dans deux conduite au sein de l’ONF par la minorité
1994). Il poursuit parallèlement sa car- petits chefs-d’oeuvre burlesques, Adieu, de techniciens francophones. Passionné
rière au théâtre. Léonard (P. Prévert, 1943) et l’Arche
par la mise au point des caméras légères
de Noé (Henry Jacques, 1947) : elle fait
et du son synchrone, Brault devient le
BRASSEUR (Pierre-Albert Espinasse, dit partie de la plupart des personnages de
chef de file de la nouvelle école. En 1959,
Pierre), acteur français (Paris 1903 - Bru- Brasseur, dont on peut dire à coup sûr
il rencontre Jean Rouch au séminaire Fla-
nico, Italie, 1972). qu’il ne s’est jamais pris au sérieux.
herty en Californie. « Tout ce que nous
Élève au conservatoire, puis d’Harry Mais le meilleur de lui-même, c’est avons fait en France dans le domaine du
Baur, il débute sur scène dès l’âge de dans les Enfants du paradis (Carné, 1945)
cinéma-vérité vient de l’ONF. C’est Brault
dix-huit ans dans un répertoire boule- qu’il le donnera, se haussant au rang des qui a apporté une technique nouvelle de
vardier (É. Bourdet, J. Natanson, etc.) monstres sacrés par la puissance de son
tournage que nous ne connaissions pas
et restera fidèle au théâtre toute sa vie, jeu tout autant que par la verve de son
et que nous copions tous depuis », a écrit
écrivant lui-même (et jouant) des pièces esprit, littéralement porté, comme ses
Jean Rouch.
qui n’ont guère laissé de souvenirs ; camarades, par le talent conjugué des
après la guerre, il passera à un registre Depuis, la carrière intense de Michel
auteurs de cet admirable film, Prévert et
plus sérieux avec la Compagnie Renaud- Brault est à la fois celle d’un chef opé-
Carné. Parmi les films intéressants qui ja-
Barrault. Il vient au cinéma en 1924 et rateur (au Québec pour Pierre Perrault
lonnent encore les quelque trente ans de
paraîtra dans quelque 80 films, dont la notamment, et en France pour Jean
carrièrequi suivent : le Pays sans étoiles
plupart sont dénués d’intérêt mais où ses Rouch, Mario Ruspoli, William Klein), et
(G. Lacombe, 1945), les Portes de la nuit
prestations correspondent à ce qu’il jouait d’un réalisateur de films. Simultanément,
(Carné, 1946), Petrus (M. Allégret, id.),
au théâtre et répondent donc à l’image il produit, photographie et parfois dirige
les Amants de Vérone (A. Cayatte, 1949),
de marque qui était la sienne : il a été un nombre considérable de courts et de
Maître après Dieu (L. Daquin, 1951), le
trop souvent cantonné par les habitudes Plaisir (Max Ophuls, 1952), Porte des moyens métrages.
routinières de la production cinématogra- Lilas (R. Clair, 1957), la Loi (J. Dassin, Films : les Raquetteurs (CO G. Groulx,
phique. 1958), la Tête contre les murs (G. Franju, CM, 1958) ; Québec USA ou l’Invasion
S’il fallait choisir un seul de ses per- 1959), Dialogue des carmélites (P. Agos- pacifique (CO C. Jutra, CM, 1962) ; les
sonnages pour le définir, ce serait à coup tini, 1960), la Métamorphose des clo- Enfants du silence (CO C. Jutra, 1963) ;
sûr celui de Frédéric Lemaître dans les portes (P. Granier-Deferre, 1965), la Vie Pour la suite du monde (CO Pierre Per-
Enfants du paradis : incarnant le célèbre de château (J.-P. Rappeneau, 1966), le rault, id.) ; Entre la mer et l’eau douce
comédien, il peut laisser libre cours à Roi de coeur (Ph. de Broca, 1967), Ben- (1967) ; les Enfants de Néant (CO Annie
son exubérance et exploiter au mieux la jamin (M. Deville, 1968) et la Plus Belle Tresgot, FR, 1968) ; l’Acadie, l’Acadie
double dimension ludique que lui offre le Soirée de ma vie (E. Scola, 1972), son (CO Pierre Perrault, 1971) ; les Ordres
personnage, se servant de Frédéric Le- dernier film. (1974) ; l’Emprise (CO S. Guy, CM 1988) ;
maître pour déployer son talent. Avec la maturité est peu à peu apparue les Noces de papier (1990) ; Shabbat
Mais avant de parvenir à ce sommet, en pleine lumière une des composantes, Shalom (1992) ; Mon amie Max (1994) ;
il devra parcourir un long calvaire com- jusqu’alors plus ou moins voilée, du co- Quand je serai parti ... vous vivrez encore
mercial car, entre son apparition dans la médien à travers ses personnages : le (1999).

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

BRAUN (Harald), cinéaste allemand (Berlin dios de Berlin, Londres, puis New York, leur co-propriété. Il est à l’origine de la
1901 - Xanten 1960). en 1923, et Los Angeles, chez MGM. De carrière des frères Max et Dave Fleis-
Fils de pasteur et collaborateur de la retour à Paris, il rencontre Jean Renoir cher, les futurs créateurs de Betty Boop
presse protestante, il devient assistant, dont il décide de produire la Fille de l’eau, et de Popeye, qui travaillèrent d’abord à
puis réalisateur dans les studios de la puis Nana et Tire-au-flanc. Il achète le leur fameuse série Hors de l’encrier (Out
UFA avec un premier long métrage, Zwis- cinéma parisien le Panthéon, en 1929, of the Inkwell de Paul Terry [les Terry
chen Himmel und Erde (1942). Après et en fait un des lieux majeurs de diffu- Toons] et Walter Lantz [les Bugs Bunny]).
avoir écrit et réalisé Traumereï, en 1944, sion de l’avant-garde européenne et du J. R. Bray réalisa dans ses studios la
sur la vie de Clara et Robert Schumann, il film étranger en version originale. Sous série Colonel Heeza Liar, puis lança la
est un des premiers réalisateurs à relan- cette enseigne, il participe à la produc- formule du film d’enseignement (Com-
cer le cinéma en Allemagne de l’Ouest tion de plusieurs films comme Rien que ment nous respirons ; Action du coeur
avec sa propre société de production : les heures d’A. Cavalcanti et Voyage au humain) avant d’utiliser le cinéma pour
Entre hier et demain (Zwischen gestern Congo de M. Allégret. Il crée avec Roger l’éducation militaire, au cours de la Pre-
und morgen, 1947) sur les conséquences Richebé* les Productions Braunberger- mière Guerre mondiale.
de la guerre, et Nachtwache (1949) sur Richebé et partage son activité entre
un thème religieux – un grand succès le cinéma populaire (films de Richebé, BRAY (Yvonne de), actrice française (Paris
en Allemagne. Coeur du monde (Herz R. Florey, M. Tourneur, Christian-Jaque) 1889 - id. 1954).

der Welt, 1951) est une biographie de et le soutien aux cinéastes novateurs Venue de la Comédie-Française, elle
Bertha von Suttner, la première femme – comme Renoir, dont il produit On purge aborde le cinéma avec un des classiques

qui a reçu le prix Nobel de la paix. Sou- bébé mais aussi Partie de campagne – de l’Occupation, l’Éternel Retour, tourné

cieux de qualité, attiré par les problèmes ainsi qu’à des cinéastes en exil comme par Delannoy (1943) sur un scénario de

éthiques, il a tenté à plusieurs reprises Pabst (Don Quichotte), Leo Mittler, Kurt Cocteau. Ce dernier lui donne un rôle
de développer une production indépen- Bernhardt. En 1945, il crée son propre dans l’Aigle à deux têtes (1948), mais

dante, et s’est associé pour cela avec studio de tournage, poursuivant la même surtout elle reprend celui d’Yvonne, la

Käutner et Staudte peu avant de mourir. politique, au sein de laquelle, sous mère, tenu au théâtre dans les Parents

Ses films sont souvent des adaptations diverses raisons sociales (les Films du terribles, que Cocteau encore porte à

littéraires auxquelles s’ajoutent quelques Jeudi, les Films de la Pléiade), trouve- l’écran (1949). Son visage de lionne dé-
comédies ; il a bénéficié de la participa- ront place de jeunes auteurs de courts faite, sa voix rauque et grasseyante, son
tion des principaux acteurs allemands et métrages ou de documentaires comme souffle difficile sont devenus les atouts
autrichiens des années 50 : Maria Schell, Melville, Resnais, Marker, ainsi que d’un métier consommé. Elle est parfaite
Nadja Tiller, Liselotte Pulver, Die- Rouch, Reichenbach, Lucien Clergue, dans le rôle de Mme Alvarez (« Mamita »),
ter Borsche, Hardy Kruger, O.W. Fis- Rivette, Godard, Pialat. C’est ainsi qu’il dans Gigi (1949), que tourne Jacqueline
cher, Horst Buchholz... Il est l’auteur de produit les Aventures des Pieds Nickelés Audry ; laquelle, peu après, lui confie un
Tant que tu m’aimeras (Solange du da de M. Aboulker et Lola Montes d’Ophüls. autre rôle dans Olivia (1951), tandis que
bist, 1953), fine étude des milieux ciné- Il produit plusieurs longs métrages de la Richard Pottier fait d’elle la duchesse
matographiques, qui représente un peu Nouvelle Vague comme l’Eau à la bouche de Caroline chérie (1951). On la voit
l’aboutissement des efforts que l’on pou- de Doniol-Valcroze, Tirez sur le pianiste ensuite dans un mélo pesant de Pierre
vait faire dans le cinéma ouest-allemand de Truffaut, Vivre sa vie de Godard – et Billon (Agnès de rien, 1950), dans Nez
à cette époque. des films tels que l’Astragale de Guy Ca- de cuir (Y. Allégret, 1952), dans Nous
saril (1968) et Elle court, elle court la ban- sommes tous des assassins (A. Cayatte,
BRAUN (Vladimir) [Vladimir Aleksandrovi lieue de Gérard Pirès (1972). Le cinéma id.), ainsi que dans un autre mélo, renié
Braun], cinéaste soviétique (Elisabethgrad Panthéon participa sous sa direction au par son auteur, Quand tu liras cette lettre
[auj. Kirovograd], Ukraine, 1896 - Kiev mouvement de l’art et essai, dès 1956, et (J. -P. Melville, 1953). Les deux heu-
1957). est resté jusqu’à sa mort une salle-réfé- reuses rencontres de sa brève carrière à
Après avoir servi dans l’Armée rouge rence pour les cinéphiles. l’écran sont Jean Cocteau et Jacqueline
jusqu’en 1923, il est assistant à partir Audry ; ils ont sauvé cette trouble figure
de 1925 et tourne son premier film en BRAY (John Randolph), producteur amé- de monstre sacré de l’invisible et du si-
1930 : Nos jeunes filles (Naši devuški). ricain de films d’animation (Detroit, Mich., lence.
Peu connue hors de son pays, l’oeuvre 1879 - Bridgeport, Conn., 1978).
de Braun, pour mineure qu’elle soit, n’en Cartooniste dans le journal de Brooklyn, BRAZZI (Rossano), acteur et cinéaste ita-
reflète pas moins une obsession majeure Eagle, il devient vers 1912 un des pion- lien (Bologne 1917 - Rome 1994).
du peuple russe : l’aspiration à la mer. niers du dessin animé en réalisant The En 1939, il débute en même temps au
Les films de Braun ont très souvent pour Dachsund and the Sausage ou The Ar- théâtre et au cinéma, et interprète des
cadre les étendues maritimes et océa- tist’s Dream (probablement vers 1913). rôles classiques : Processo e morte di
niques, ainsi Jours de paix (V mirnye dni, Responsable pour la Paramount d’un Socrate (Corrado d’Errico, 1940), Kean
1951), odyssée d’un sous-marin en dif- magazine filmé (le Bray Pictograph), il (G. Brignone, id.), La Tosca (J. Renoir et
ficulté qui rappelle, dans un contexte de impose, dès 1912, le dessin animé dans C. Koch, 1941) ou de jeune séducteur :
guerre froide, La nuit commence à l’aube l’exploitation commerciale. En décembre Noi vivi et Addio Kira ! (G. Alessandrini,
(Morning Departure, 1950) de R. Baker ; 1914, il crée le deuxième studio d’anima- 1942). Grâce à son personnage roman-
Maximka (1952), jolie histoire d’aventures tion américain, The John Randolph Bray tique très « MGM » dans les Quatre Filles
au temps de la marine à voiles. Malva, Studio, où est réalisée la série Police du Dr March (M. LeRoy, 1949), il devient
d’après Gorki (1957), son dernier et meil- Dog de Carl Anderson. Tous ses efforts à Hollywood le prototype du latin lover
leur film, trace un beau portrait de femme tendent à rendre le processus de produc- et joue dans plusieurs productions amé-
libre. tion rationnel et profitable. Ainsi dépose- ricaines, dont la Fontaine des amours
t-il plusieurs brevets dès 1914 (décors (J. Negulesco, 1954), la Comtesse aux
BRAUNBERGER (Pierre), producteur et imprimés ; application de dégradés de pieds nus (J. Mankiewicz, 1954), les
distributeur français (Paris 1905 - id. 1990). gris au dessin) et engage-t-il, dès 1915, Amants de Salzbourg (D. Sirk, 1957),
Passionné de cinéma, il entreprend dès le remarquable animateur Earl Hurd dont South Pacific (J. Logan, 1958). Reve-
l’âge de quinze ans d’en faire son métier il convoite le récent brevet de celluloïd nant en Italie dans les années 60, il n’y
et trouve à s’embaucher dans les stu- transparent (les cells). Le brevet devient trouve plus le même succès. Il dirige deux

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

films d’aventures sous le pseudonyme de nématographique ne fut qu’indirect, mar- 1952-1954). En 1954, il fait le premier film
Edward Ross : Salvare la faccia (1969), ginal et décevant. Il renia toutes les adap- de l’histoire du cinéma entièrement com-
Sette uomini e un cervello / Criminal Sym- tations qui furent faites de ses oeuvres, en posé de plans d’un seul photogramme
phony (1970). Il apparaît ensuite dans de particulier l’Opéra de quat’sous de Pabst (Images by Images I). Comme dans
petits films érotiques ou comiques, paro- et Maître Puntila et son valet Matti, filmé Images by Images II, III et IV (1955-56),
diant son ancien rôle de beau séducteur. par Cavalcanti. À Hollywood, il travailla Motion Pictures (1956) ou Recreations
à divers scénarios, notamment Arc de (1956-57), toutes sortes de formes et par-
BRDEKA (Jii Brneka, dit Jii), cinéaste, triomphe (L. Milestone, 1948), d’après fois de découpages ou d’objets s’y suivent
scénariste et illustrateur tchèque (Hranice, Erich Maria Remarque, et Les bourreaux au galop et ce goût des joyeux mélanges
Autriche-Hongrie, 1917 - Prague 1982). meurent aussi de Fritz Lang. C’est pour va marquer toute l’oeuvre d’un artiste peu
D’abord critique de cinéma, dessinateur ce film que son apport fut le plus impor- soucieux des séparations (entre figuratif
humoristique et auteur de nouvelles, il tant ; mais, mécontent de la réalisation de et non figuratif, dessin et photo, anima-
vient au cinéma par l’animation et colla- Lang, il fit retirer son nom du générique, tion et prise de vues continue). Le résultat
bore à partir de 1946 aux scénarios des en tant que scénariste. Si l’on excepte n’est pas toujours dépourvu d’intentions
films de J. Trnka (les Vieilles Légendes Kühle Wampe, réalisé par Slatan Düdow polémiques : Un miracle (1954), fait avec
tchèques, 1952 ; le Songe d’une nuit et interprété par le plus grand acteur Pontus Hulten, est un collage anticlérical,
d’été, 1959), E. Hofman, M. Makovec brechtien avec Helene Weigel, Ernst tandis que Jamestown Baloos (1957),
ou B. Pojar. Il réalise aussi plus de vingt Busch, les seules réalisations fidèles à synthèse des précédentes techniques,
courts métrages d’animation, notamment l’oeuvre de Brecht sont le simple filmage, est une pochade antimilitariste, PLB no 2
la Verve et la Raison (Rozum a cit, 1962),
sur la scène du Theater am Schiffbauer- une sorte de tract antiraciste. Mais, le plus
Gallina Vogelbirdae (Špatn namalovaná
damm, de deux représentations du Ber- souvent, avec les accompagnements so-
slepice, 1963) ou Pourquoi souris-tu,
liner Ensemble jouant la Mère et Mère nores les plus désinvoltes, le travail de
Mona Lisa ? (Pro se usmíváš, Mono
Courage et ses enfants. La méfiance de Breer est purement plastique. A Man and
Liso ?, 1966). Sa verve de conteur s’y
Brecht à l’égard d’une adaptation vérita- his Dog out for Air (1957) évoque parfois
donne libre cours et il fait appel avec bon-
blement cinématographique de cette der- des formes reconnaissables ; Eyewash
heur aux graphistes les plus variés. Il est
nière pièce laisse inachevé un film éla- (1959) annonce, dans son flux coloré,
aussi le scénariste de longs métrages de
boré avec Wolfgang Staudte et interprété certains Songs de Brakhage. Blazes
fiction comme le Piège à loups (J. Weiss,
par Simone Signoret et Bernard Blier. (1961) – cent fiches peintes battues et
1957), les Enfants perdus (Veliké
Si Brecht se méfiait du cinéma, dont filmées –, Breathing (1963), sorte de film
dobrodružstvi, Miloš Makovec, 1952), Un
les procédés pouvaient lui paraître en d’Eggeling jazzé, sont suivis par Horse
jour un chat (V. Jasny, 1963), Joe Limo-
contradiction immédiate avec ses propres over a Tea Kettle (1962) ou Fist Fight
nade (Oldich Lipsky, 1964), qui reprend
théories, visant à instaurer une distance (1964), pots-pourris variés et complexes.
un personnage créé par Brdeka en 1939
entre les composantes du spectacle (et Tournés en extérieurs, Hommage to
et déjà adapté par lui en pièce puis en
surtout entre le spectacle et le specta- Jean Tinguely’s « Hommage to New
roman, et Nick Carter à Prague (Lipsky,
teur), il fut un grand consommateur de York » (1959) et Pat’s Birthday (1962)
1977). Sa versatilité est très grande, mais
films. Il apprécia beaucoup, semble-t-il, échappent au documentaire par les tru-
Brdeka n’a guère convaincu avec ses
la version originale de trois heures de la cages et la fantaisie. De 1966 à 1970,
films non animés : les Nuits de Prague
Madame Bovary de Jean Renoir, et tels il revient à l’esthétique abstraite de ses
(Pražské noci, 1968) et l’Histoire d’une
épisodes ou procédés dramatiques de débuts et ce sont 66, 69 et 70, dont
rose (Román o ruži, 1972).
Maître Puntila ou d’Arturo Ui paraissent les formes richement colorées miment
BRECHT (Bertolt), dramaturge allemand avoir été empruntés aux Lumières de la parfois le film d’ordinateur. Après deux
(Augsbourg 1898 - Berlin 1956). ville et au Dictateur de Chaplin, en qui il voyages au Japon, il met au point un nou-
Après avoir interrompu des études de reconnaissait un génie. veau type d’animation, dessinant le plus
médecine à l’université de Munich, Brecht Films : l’Opéra de quat’sous souvent d’après les photogrammes d’un
exprime, dans sa première pièce, Baal, (G. W. Pabst, 1931) ; Kuhle Wampe film préalable (Gulls and Buoys, 1972 ;
sa révolte contre les événements de [Ventres glacés] (S. Düdow, 1932) ; Les Fuji, 1974). Puis vient Etc. (1975). Paral-
la guerre de 1914-1918 dont il a été le Assassins sortent sur la route (V. Pou- lèlement, Breer fait, comme Crockwell,
témoin. Suivront Tambours dans la nuit dovkine et Youri Taritch, 1942) ; Les bour- des séries pour mutoscopes et crée des
(1922) et Dans la jungle des villes (1923). reaux meurent aussi (F. Lang, 1943) ; le sculptures mobiles (floats).
Ce n’est qu’après ces oeuvres, encore Chant des fleuves (J. Ivens, 1954) ; Maître
fortement marquées par l’expression- Puntila et son valet Matti (A. Cavalcanti, BREIEN (Anja), cinéaste norvégienne (Oslo
nisme, que mûrira sa propre conception 1955) ; Mère Courage et ses enfants 1940).
d’un théâtre épique qui, après la Seconde (Mutter Courage und ihre Kinder [Peter Elle a fait ses études à l’IDHEC (Paris).
Guerre mondiale, influencera décisive- Palitzch et Manfred Werkwerth], 1960) ; Son premier long métrage, le Viol
ment nombre de dramaturges et de scé- le Capitaine de Cologne (Düdow, 1961) ; (Voldtekt, 1971), critique acerbe du sys-
nographes du monde entier. Mais l’arri- L’Opéra de Quat’sous (W. Staudte, tème pénal norvégien, affirme son impli-
vée de Hitler au pouvoir en 1933 signifie 1963) ; la Vieille Dame indigne (R. Allio, cation dans les problèmes contempo-
pour lui la persécution (interdiction des 1964) ; Baal (V. Schlöndorff, 1969) ; Le- rains. Quatre ans plus tard, elle réalise
partis politiques et des syndicats) et l’exil, çons d’histoire (J. M. Straub, 1972 ; adap- Wives (Hustruer, 1975), la riposte fémi-
d’abord à Vienne, à Paris, au Danemark, tation des Affaires de M. Jules César). niste, pleine d’esprit et d’intelligence, à
puis aux États-Unis. Charles Laughton Husbands de Cassavetes, tourne ‘ le Jeu
crée, en 1947, Galileo Galilei. Travaillant BREER (Robert), artiste et cinéaste expé- sérieux ’ (Den alvarsamma leken, 1977)
comme scénariste à Hollywood et sommé rimental américain (Detroit, Mich., 1926). puis fait montre de maturité avec l’Héri-
de comparaître devant la Commission Après des études à l’université Stanford tage (Arven, 1979), en disséquant les
des activités antiaméricaines, il regagne (Ca.), il peint à Paris de 1949 à 1959 motivations égocentriques d’une famille
Berlin-Est, en passant par la Suisse. Il y dans la voie de l’abstraction ouverte par bourgeoise après la mort d’un riche indus-
crée la troupe du Berliner Ensemble et le Bauhaus. Intéressé par « ce qu’il y a triel. Le regard désenchanté qu’elle porte
monte des pièces qui vont transformer la entre mouvement et image fixe », il anime sur les structures sociales de la Norvège
vision de l’art dramatique. Son travail ci- ses dessins et peintures (Form Phases, se révèle dans la Persécution (Forfølgel-

172
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

sen, 1981), qui rappelle par son sujet le elle se tournera, faute de succès, vers BRENT (George Brendan Nolan, dit
Dies irae de Dreyer. Après le Cerf-volant des drames modestes et fiévreux comme George), acteur américain d’origine irlan-
(Papirfuglen, 1984), elle reprend en 1985 Behind Locked Doors (B. Boetticher, daise (Shannonsbridge, Irlande, GB, 1904 -
les personnages de Wives dans Wives II 1948), puis se retirera. Solana Beach, Ca., 1979).
(Hustruer II), espérant ainsi tous les dix Il débute à l’Abbey Theater. Ses opinions
ans étudier leur évolution dans le temps. BRENNAN (Walter), acteur américain politiques le forcent à quitter l’Irlande pour
En 1990, elle signe ‘ le Voleur de bijoux ’ (Swampscott, Mass. [?] 1894 - Oxnard, Ca., le Canada, puis pour les États-Unis. Après
(Smykketyven) et, en 1995, Wives III. 1974). avoir fait du théâtre à Broadway, il trouve
Depuis ses débuts en 1923, il est l’un à Hollywood un emploi de jeune premier.
BREJCHOVÁ (Jana), actrice tchèque des plus actifs, des plus populaires et Opposé onze fois à Bette Davis, il tourne
(Prague 1940). peut-être le plus célèbre des acteurs de notamment pour la Warner Bros. Parmi
Elle débute à treize ans dans Pentecôte second plan américain. À son palmarès ses films : 42e Rue (L. Bacon, 1933) ; le
rouge / le Pain de plomb (Olovny chléb, (plus de cent films), il faut ajouter un autre Voile des illusions (R. Boleslawski, 1934)
Jii Sequens) et s’impose avec le Piège à record, trois Oscars (« Best Supporting avec Greta Garbo ; Stamboul Quest
loups (J. Weiss, 1957), Désir (V. Jasnÿ, Actor ») : le Vandale, de Howard Hawks (S. Wood, id.) ; l’Insoumise (W. Wyler,
1958), Monsieur Principe supérieur et William Wyler en 1936, Kentucky, de 1938) ; Victoire sur la nuit (E. Goulding,
(J. Krejík, 1960), le Baron de Crac David Butler en 1938 et le Cavalier du 1939) ; la Mousson (C. Brown, id.) ; An-
(K. Zeman, 1962) et la Nuit de la nonne désert, de Wyler en 1940. Il a tourné avec goisse (J. Tourneur, 1944) ; Deux Mains
(K. Kachya, 1967). Evald Schorm lui fait tous les plus grands cinéastes améri- la nuit (R. Siodmak, 1945).
assumer une image nouvelle, plus mûre cains, de Hawks à Capra, en passant par
et fragile dans Du courage pour chaque BRENTA (Mario), cinéaste italien (Venise
Lang, King, Ford (la Poursuite infernale,
jour (1964), le Retour du fils prodigue 1942).
1946), Walsh (le Désert de la peur, 1951),
(1966) et la Fin du bedeau (1969). Elle Salué dès ses débuts (Vermisat, 1974)
Dwan, Hathaway, Vidor, Daves, Mann.
le retrouvera, acteur, dans Fugues à la comme un brillant continuateur de l’école
Il a créé un inoubliable personnage de
maison (J. Jireš, 1979) après beaucoup réaliste, il a vu sa carrière entravée par
vieux cow-boy râleur à la trogne sympa-
de rôles moins intéressants et tournera la crise du cinéma italien. Auteur d’une
thique dont l’archétype est le Stumpy de
sous sa direction en 1988 l’Amour déme- oeuvre malheureusement peu abon-
Rio Bravo (H. Hawks, 1959). Il a terminé
suré (qui sera l’ultime film du cinéaste). dante, il a également signé Effetto Olmi
sa carrière comme grande vedette à la
Elle interprète ensuite notamment ‘ les (1981) sur le tournage d’À la poursuite
télévision.
Points sensibles ’ (Citlvá místa, V. Drha, de l’étoile d’Ermanno Olmi, Robinson in
1988), ‘ Un château de sable ’ (Hráo z laguna (1985), documentaire réalisé dans
BRENON (Herbert), cinéaste britannique
písku, Z. Zemanová, 1994), Lacrimosa le cadre de l’école de cinéma créée par
(Dublin 1880 - Los Angeles, Ca., 1958).
(Má je pomsta, L. Zafranovi, 1995), la Olmi à Bassano del Grappa. Brenta a
Ancien acteur, il devient réalisateur en
Conception de mon petit frère (Pocetí confirmé ses dispositions pour un cinéma
1912 après avoir été scénariste pour
mého mladsího bratra, V. Dhra, 2000). de l’observation minutieuse du compor-
Carl Laemmle dès 1909. Il travaille aussi
C’est sa soeur, Hana Brejchová (Prague tement humain avec Maicol (1988) et
bien aux États-Unis, en Grande-Bretagne
1946), qui joue dans les Amours d’une Barnabo des montagnes (Barnabo delle
qu’en Italie. Plasticien délicat, bon direc-
blonde (M. Forman, 1965). montagne, 1994).
teur d’acteurs, parfaitement à l’aise dans
le film pour enfants et le mélodrame, on
BREL (Jacques), chanteur, composi- BRÉSIL.
lui doit des oeuvres intéressantes : Nep-
teur, acteur et cinéaste belge (Bruxelles La première projection publique connue
tune’s Daughter (1914 ; CO Otis Turner),
1929 - Bobigny, France, 1978). date du 8 juillet 1896, à Rio de Janeiro.
les Deux Orphelins (The Two Orphans, L’appareil utilisé fut curieusement baptisé
Jusqu’en 1967, année où il joue dans les
1915), Peter Pan (1924), Beau Geste « Omniografo ». Des Cinématographes
Risques du métier (A. Cayatte), le monde
(1926), The Great Gatsby (id.), A Kiss
entier le connaît comme le remarquable Lumière ayant été présentés dans le
for Cinderella (id.) et Ris donc, paillasse !
auteur et chanteur de poèmes tendres courant des années 1896 et 1897 à São
(Laugh, Clown, Laugh, 1928). Le parlant Paulo, Curitiba et Salvador, on peut esti-
et grinçants, parfois révoltés. En 1966,
voit pâlir son étoile et le pousse à tour- mer que l’invention des frères bisontins
il abandonne la chanson pour le cinéma,
où il se révèle être un excellent comé- ner ses derniers films en Angleterre. Il est est arrivée au Brésil avant celle d’Edi-
dien. Il joue dans onze films, dont Mon l’un des cinéastes du muet américain à son. Le succès des premières séances
découvrir. pousse l’entrepreneur forain italien Pas-
oncle Benjamin (É. Molinaro, 1969), les
Assassins de l’ordre (M. Carné, 1971) choal Segreto* à ouvrir la première salle
BRENT (Mary Elizabeth Riggs, dite Evelyn), fixe le 31 juillet 1897, à Rio. Son frère
et l’Emmerdeur (Molinaro, 1973). Il a lui-
actrice américaine (Tampa, Fla., 1899 - Los Alfonso, retour d’Europe, enregistre
même réalisé Franz (1972) et Far West
Angeles, Ca., 1975). des images de la baie de Guanabara
(1973).
Après une expérience théâtrale à avec une caméra Lumière, le 19 juin
BREMER (Lucille), actrice et danseuse Londres, elle fait carrière à Hollywood 1898. Cette prise de vues, rapportée
américaine (Amsterdam, N. Y., 1922 - San (surtout à l’époque du muet). Parmi les par la presse, est considérée comme
Diego, Ca., 1996). nombreux films auxquels elle a participé l’acte de naissance du cinéma brésilien.
Arthur Freed remarque à New York cette se détachent ses interprétations énigma- Des vues locales constitueront désor-
élégante danseuse, qui doit à sa double tiques dans trois oeuvres de Sternberg : mais une composante indispensable du
formation, classique et moderne, un style les Nuits de Chicago (1927), où elle est spectacle cinématographique. Les frères
rapide et précis. Le Chant du Missouri Feathers, l’amie du gangster (George Segreto restent jusqu’en 1903 les princi-
(V. Minnelli, 1944) souligne sa distinction, Bancroft) secrètement éprise de l’intel- paux exploitants et importateurs de films
mais ses duos avec Astaire dans Yolanda lectuel déchu (Clive Brook) ; Crépuscule et les uniques producteurs des bandes
et le voleur (id., 1945) et Ziegfeld Follies de gloire (1928), où, révolutionnaire, elle d’actualités nationales. Il faudra attendre
(id., 1946) révèlent une figure irréelle et a une liaison avec le grand-duc incarné la généralisation de l’énergie électrique
inquiétante à force de virtuosité. Après par Jannings ; la Rafle (id.), où elle livre dans la capitale pour que le commerce
une danse dans la Pluie qui chante (Till le gangster William Powell à l’ex-policier cinématographique surmonte sa préca-
the Clouds Rool By [Richard Whorf], id.), George Bancroft. rité initiale. En 1907, on inaugure une

173
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

vingtaine de salles à Rio ; une première tion dans leur société d’adoption incite vis de l’exploitation se fait néanmoins de
salle fixe voit le jour à São Paulo. Cet souvent les cinéastes à l’adaptation des plus en plus contraignante. Lorsque Luiz
essor de l’exploitation s’accompagne classiques de la littérature romantique Severiano Ribeiro, propriétaire du plus
d’une remarquable expansion de la pro- brésilienne du XIXe siècle et aux films his- important circuit de salles de la capitale,
duction, dépassant les 200 titres pendant toriques : c’est le cas surtout de Vittorio devient son principal actionnaire (1947),
les années 1909-10. Les historiens attri- Capellaro*. Les années 20 voient encore la Atlântida se tourne vers la production,
buent la vitalité de cette période, qu’on l’éclosion de plusieurs cycles régionaux, aux moindres frais, de chanchadas desti-
n’a pas hésité à qualifier d’« âge d’or du de courte durée, témoignant de la pas- nées à remplir le quota de films brésiliens
cinéma brésilien », à une harmonie par- sion suscitée par le 7e art, du nord au sud obligatoires à l’affiche (selon la législa-
faite entre l’exploitation et la production, du pays. Pendant cette période de tran- tion, un long métrage par an en 1939,
qu’on ne retrouvera plus ultérieurement. sition, où le marché cinématographique puis trois en 1946 ; après 1951, un film
L’Espagnol Francisco Serrador, créateur est encore en train de se structurer, on national pour huit étrangers). Ce règne de
d’un circuit encore existant, commence à tourne à Paraíba, à Recife, à Campinas, la chanchada carioca sera méprisé par la
tourner des chansons illustrées, dont les à Curitiba, à Porto Alegre, à Pouso Alegre critique et la bourgeoisie, mais fort appré-
interprètes se plaçaient derrière l’écran à et même à Cataguases (Minas Gerais). cié du grand public.
chaque séance. Les premières incursions Le plus long de ces cycles, à Recife, dure Une nouvelle tentative industrielle,
dans la fiction ont lieu pendant cette belle huit ans (1923-1931), et donne naissance destinée à produire un « cinéma de qua-
époque. Les faits divers reconstitués et à plusieurs maisons de productions lité internationale » selon les paramètres
les satires politiques disputent aux opé- rivales, qui réussissent à achever treize hollywoodiens, surgit à São Paulo, dont
rettes et chansons les faveurs d’un public films de fiction : des drames urbains et la bourgeoisie est en quête de prestige
qui se reconnaissait résolument dans des aventures rurales où les paysages culturel et d’hégémonie idéologique : la
cette production plutôt que dans les films et les caractéristiques du Nordeste se Vera Cruz (1949) fait appel à de nom-
étrangers. L’élan sera brisé net lors de la glissent à l’occasion. Cataguases révèle breux techniciens étrangers, sous la res-
Première Guerre mondiale : cette ciné- le talent de Humberto Mauro*, que le pro- ponsabilité d’Alberto Cavalcanti*, dont la
matographie artisanale ne résiste pas à la ducteur Adhémar Gonzaga* et l’équipe carrière s’était jusqu’alors déroulée en
concurrence des bandes provenant des de la revue Cinearte feront venir à Rio. France et en Grande-Bretagne. La ban-
pays où le 7e art est devenu une indus- Le muet brésilien culmine avec Limite queroute financière, l’échec artistique
trie florissante et conquérante. En 1924, (1931), le seul film de Mário Peixoto*, ex- sont proportionnels aux ambitions (seul
83 p. 100 des films projetés sont d’origine pression d’une cinéphilie raffinée ; Ganga O Cangaceiro [Lima Barreto*, 1953] rap-
américaine, alors que la production natio- Bruta (1933) de Mauro, maturation d’une porte quelques liquidités). Ce désastre
nale n’en représente plus que 1, 5 p. 100. personnalité qui sut résister aux sirènes accélère la prise de conscience des
Les exploitants, premiers producteurs du mimétisme hollywoodien. causes de la stagnation et de la médio-
brésiliens, sont dorénavant les alliés pri- L’invention de la chanchada. Luiz crité de la cinématographie brésilienne :
vilégiés des distributeurs multinationaux. de Barros* tourne en 1929 le premier l’étouffement provoqué par un marché
Le cinéma des années 20 et 30. Si la film entièrement sonorisé : Acabaram- dominé par la production étrangère,
cinématographie brésilienne ne disparaît se os Otários. L’avènement du parlant surtout américaine, crée une véritable
pas complètement, c’est grâce à l’en- semble permettre tous les espoirs, car « situation coloniale », selon les mots du
thousiasme de quelques individus et à la on escompte que le public se tournera critique Paulo Emílio Salles Gomes*. Pa-
manne des actualités, qui permettent aux vers les films dont il peut comprendre rallèlement à des revendications nationa-
premiers opérateurs professionnels (An- les dialogues. Gonzaga fonde à Rio la listes, Nelson Pereira dos Santos*, Alex
tonio Leal*, les frères Botelho*, Júlio Fer- Cinédia (1930), suivi deux ans plus tard Viany* et Roberto Santos* proposent
rez*, Paolo Benedetti*, Antônio Campos*) par l’actrice Carmen Santos* qui fonde la avec leurs thèses et leurs films une voie
de tenir le coup et à d’autres de se lan- Brasil Vita Films, tentatives industrielles d’approche réaliste et de production indé-
cer à l’aventure. Même s’il s’agit toujours inspirées du modèle américain. La Ciné- pendante des studios et des contraintes
de plaire aux commanditaires officiels dia exploite le filon du film carnavalesque, industrielles.
ou privés, les chasseurs d’images enre- variante de comédie musicale préfigurant Les années 60 et le Cinema Novo. À
gistrent quelques-uns des événements la chanchada* et utilisant les vedettes la faveur de l’effervescence politique et
d’une époque turbulente, telle la révolte du grand média de l’époque, la radio, culturelle du début des années 60, une
dans la marine de guerre en 1910, des notamment Carmen Miranda* et Osca- génération issue des ciné-clubs et du
manifestations mystiques ou les mouve- rito*. Même lorsque la Cinédia s’aventure mouvement étudiant réussit à prendre
ments militaires de 1924 à 1930, ce qui dans d’autres genres, comme le mélo- les caméras et aboutit à un des princi-
a rarement été le cas dans d’autres pays drame (O Ébrio, Gilda de Abreu, 1946), paux mouvements de décolonisation de
d’Amérique latine. Leur idéal reste néan- le succès reste attaché à la chanson et à la culture brésilienne : le Cinema Novo.
moins le film de fiction et ils y reviennent l’interprète : le populaire Vicente Celes- Ruy Guerra*, Glauber Rocha*, Joaquim
dès que possible. L’Italien Gilberto Rossi* tino, dans ce cas précis. Cependant, les Pedro de Andrade*, Carlos Diegues*,
permettra ainsi à José Medina* de tour- talkies américains, même sous-titrés, se Leon Hirszman*, Paulo César Saraceni*,
ner à São Paulo quelques mélodrames sont imposés. Après un moment d’eu- Arnaldo Jabor*, Walter Lima Jr.*, Luiz
urbains qui se trouvent parmi les plus phorie, la Cinédia végète, et cela malgré Sergio Person*, Gustavo Dahl*, David
réussis du muet. Le cinéma de fiction le début d’une timide législation protec- E. Neves, de même que les documen-
des années 20 trouve ses origines dans tionniste (1932). La production passe de taristes Maurice Capovilla*, Geraldo
le théâtre, notamment celui des associa- dix-huit longs métrages en 1930 à quatre Sarno*, Vladimir de Carvalho*, Jorge
tions ouvrières formées par le prolétariat en 1941. Cette année, Moacyr Fenelon* Bodanzky*, Eduardo Coutinho*, ouvrent
fraîchement immigré. Le cinéma de São crée une nouvelle compagnie à Rio, la des horizons nouveaux, placent leurs
Paulo, nettement plus dynamique alors Atlântida, dont le premier film, Moleque oeuvres au centre du débat national et
que celui de la capitale, est à ses débuts Tião (José Carlos Burle, 1943), contient influencent d’autres cinémas émergeant
un cinéma des quartiers pauvres, des fau- des préoccupations sociales jusqu’alors dans le tiers monde. Arrivé à maturation
bourgs. On y crée des écoles de cinéma absentes, à commencer par le fait que avant le coup d’État militaire de 1964, le
pour rassembler les enthousiastes... et son protagoniste était un Noir, interprété Cinema Novo participe à la résistance in-
des fonds. La recherche d’une intégra- par Grande Otelo*. La dépendance vis-à- tellectuelle à la dictature et s’épanouit les

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

années suivantes. Il éclate et se disperse Effondrement et reprise de la pro- que la stimulante reprise ne s’avère un
après 1969, lorsque la répression atteint duction. Lorsque le président Fernando énième cycle sans lendemains.
son paroxysme. L’exil, l’inaction, voire Collor liquide d’un trait de plume Embra-
l’autocensure s’imposeront pendant un filme et la législation en vigueur (1990), BRESSANE (Júlio), cinéaste brésilien (Rio
moment. La génération suivante (Rogério il ne cède pas uniquement à la revanche de Janeiro 1946).
Sganzerla*, Júlio Bressane*, Andrea To- vis-à-vis de l’intelligentzia et à l’idéologie Il est un des initiateurs, avec Rogé-
nacci*, Carlos Reichenbach) pratique plu- néolibérale. Il donne le coup de grâce rio Sganzerla, du mouvement udigrudi
tôt la marginalisation, l’expérimentation à une cinématographie déjà minée par (underground) ou marginal, expression
sans concession, créant un underground le rétrécissement du parc des salles et de la contestation et du désespoir de la
(dérisoirement appelé udigrudi) volontiers du marché, résultat d’un modèle écono- génération postérieure au Cinema Novo.
iconoclaste à l’encontre du Cinema Novo, mique incapable d’intégrer la majorité de Expérimentalisme et dérision à outrance
accusé d’académisme et de capitulation. la population. Sans crédits de l’État, sans restent ses constantes. Il enrichit son
Entre-temps, les exploitants trouvent un oeuvre par un dialogue avec la culture
protection, la production chute et atteint
nouveau filon dans la pornochanchada, le niveau zéro. Les telenovelas produites brésilienne aussi bien dans son versant
comédie érotique étroitement surveillée par Globo semblent appelées à régner populaire (la musique) que dans ses réfé-
par la censure. Elle profite de l’élargis- sans partage sur l’imaginaire collectif. rences littéraires ou érudites (Machado
sement du marché des films brésiliens Cependant, une lente restructuration est de Assis, le père Vieira).
(on a instauré en 1959 une réserve de perceptible dès 1993, grâce à un orga- Films : Cara a Cara (1967) ; O Anjo
marché obligatoire avec 42 jours par nisme municipal, Riofilme, initialement Nasceu (1969) ; Il a tué sa famille et est
an destinés au cinéma national ; puis destiné à la distribution locale, et à une allé au cinéma (Matou a Família e Foi ao
56 jours en 1963 ; 112 jours ramenés à loi de l’audiovisuel. Le succès inattendu Cinema, id.) ; Família do Barulho (1970) ;
98 en 1970 à la suite de la réaction des de Carlota Joaquina, princesa do Brazil Barão Olavo o Horrível (id.) ; Cuidado
exploitants, 84 jours en 1972, 112 en (Carla Camurati, 1994), une farce his- Madame ! (id.) ; A Fada do Oriente (id.) ;
1975, 133 en 1978 et 140 en 1979) et torique digne des chanchadas d’antan, Memórias de um Estrangulador de Loiras
partage souvent les sommets du box- amorce une réconciliation avec le public, (1971) ; Crazy Love (id.) ; Lágrima Pan-
office avec les comédies de Mazzaropi* désormais confiné dans les centres com- tera (1972) ; O Rei do Baralho (1973),
ou des comiques en provenance de la merciaux ou les multiplexes bâtis grâce O Monstro Caraiba (1975) ; A Agonia
toute-puissante télévision. L’entreprise aux investissements américains. Cepen- (1978) ; O Gigante da América (1979) ;
mixte Embrafilme (créée en 1969) de- dant, Central do Brasil (Walter Salles*, Cinema Inocente (id.) ; Tabú (1982) ; Brás
vient assez active pendant la gestion du 1998), primé à Sundance et à Berlin, est Cubas (1985) ; Os Sermões (1989), O
cinéaste Roberto Farias (1974-1979) : un des rares titres à faire l’unanimité de Mandarim (1995), Miramar (1997), São
elle distribue les films brésiliens et parti- la critique et des spectateurs. Ce film té- Jerônimo (1999).
cipe au financement d’un grand nombre moigne également d’une nouvelle donne :
d’entre eux, tout en contribuant à une le cinéma brésilien ne peut plus exister à BRESSON (Robert), cinéaste français (Bro-
certaine concentration de la production. l’intérieur de ses frontières – pourtant les mont-Lamothe 1901 - Droué-sur-Drouette
Pendant les années 70, la production plus vastes de l’Amérique Latine –, il a 1999).
annuelle atteint une centaine de longs fortement besoin d’appuis, en Europe ou D’abord peintre, il vient au cinéma et réa-
métrages, chiffre record pour l’Amérique aux États-Unis (voire, les deux). La re- lise en 1934 un moyen métrage « d’un
latine. À côté des vieux routiers et des prise de la production révèle une diversité comique fou », Affaires publiques, « trois
anciens du Cinema Novo, qui poursuivent de paysages, caractères et dramaturgies, journées d’un dictateur imaginaire »,
leur carrière, le climat de liberté retrou- au-delà d’une commune exigence de selon ses propres définitions. Puis il figure
vée à la fin de la décennie a permis à qualité, à laquelle la télévision et la publi- au générique des Jumeaux de Brighton
quelques jeunes cinéastes d’exprimer cité ne sont pas étrangères. Si le finance- (C. Heymann, 1936) et de Courrier Sud
leurs inquiétudes avec talent. Dona Flor ment par des entreprises à la recherche (P. Billon, 1937) en tant que coscénariste
et ses deux maris (Dona Flor e seus dois de bénéfices fiscaux et de notoriété, ne et coadaptateur, mais Michel Estève, son
maridos, Bruno Barreto*, 1976), produit favorise guère les propos caustiques meilleur biographe, écrit que sa partici-
par Luiz Carlos Barreto*, est un immense (Cronicamente inviável, Sergio Bianchi, pation à ces deux films n’aurait été que
succès. Pixote (Héctor Babenco*, 1981) 1999) ou les expériences austères (Ser- symbolique. Il collabore en 1939, pendant
est exporté vers un nombre important de tão das memórias, José Araújo, 1997), quelques jours seulement, à l’adaptation
pays et ouvre les portes des États-Unis la jeune génération parvient néanmoins d’un projet de René Clair, Air pur, que la
à son metteur en scène. Le classicisme à renouveler le regard porté sur les guerre empêchera de réaliser. Ce n’est
désormais en vogue est partagé par contrées mythiques du Nordeste (Baile qu’en 1943, après plus d’un an de cap-
d’autres réalisateurs débutants pendant perfumado, Paulo Caldas et Lirio Fer- tivité en Allemagne, qu’il réalise son vrai
cette période, comme Eduardo Escorel reira, 1997 ; Eu, tu, eles, Andrucha Wad- premier film, les Anges du péché.
(Lição de amor, 1975), Tizuka Yama- dington, 2000), et sur les conflits urbains Robert Bresson occupe une place tout
saki (Gaijin, 1980), Murilo Salles (Nunca (Como nascem os anjos, Murilo Salles, à fait à part dans le cinéma français : il
fomos tão felizes, 1983), Suzana Amaral 1996 ; Um céu de estrelas, Tata Amaral, est inclassable et ne peut être rattaché à
(A hora da estrela, 1985), André Klotzel 1997). Après avoir construit des studios aucune école, à aucun mouvement. C’est
(A marvada carne, 1985), Sergio Toledo dignes de Hollywood, la Globo investit un artiste solitaire, silencieux, secret. Il
(Vera, 1986), Sergio Rezende (Lamarca, pour la première fois dans le cinéma et a publié, sous le titre Notes sur le ciné-
1993). Parmi les nouveaux venus, les diffuse sur le câble une chaîne consacrée matographe, un recueil d’aphorismes où
plus personnels restent Carlos Alberto aux films brésiliens : Auto da Compade- il expose ses principes artistiques avec
Prates Correia (Cabaret mineiro, 1980), cida (Guel Arraes, 2000), d’après Ariano sincérité et certitude. C’est un perfection-
Ana Carolina Teixeira Soares (Das tri- Suassuna, est distribué dans les salles niste, aussi bien dans son expression
pas coração, 1982), Hermano Penna après avoir été diffusé sur les ondes hert- verbale que dans ses méthodes de tra-
(Sargento Getúlio, 1983), Wilson Barros ziennes. Les professionnels de la profes- vail ; il s’applique à ne jamais désigner le
(Anjos da noite, 1987), Arthur Omar (O sion, réunis en congrès (2000), espèrent 7e art autrement que par le terme cinéma-
inspetor, 1987, CM), Jorge Furtado (Ilha négocier de nouvelles règles du jeu pour tographe, le cinéma n’étant pour lui que
das flores, 1989, CM). l’ensemble de l’audiovisuel et éviter ainsi du « théâtre photographié ». Il y a, écrit-il,

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

« deux sortes de films : ceux qui emploient style (« Style : tout ce qui n’est pas la du bonheur d’un discours filmique rigou-
les moyens du théâtre (acteurs, mise en technique », écrit-il) : il gomme rigoureu- reusement élaboré (« Ne cours pas après
scène, etc.) et se servent de la caméra sement toutes les impuretés de la repré- la poésie. Elle pénètre toute seule par les
afin de reproduire ; ceux qui emploient les sentation pour parvenir à une totale styli- jointures » [c’est-à-dire par les ellipses]).
moyens du cinématographe et se servent sation du figuratif, il suggère (en général Quant à la thématique bressonienne
de la caméra afin de créer ». On lui doit par des plans de détail ou des inserts) fondamentale, celle de la rédemption, elle
aussi cette définition, où l’on trouve un plus qu’il ne le décrit le monde extérieur court comme un fil rouge tout au long de
écho de la formule d’Abel Gance, cet qui sert de cadre à l’action, il écarte toute son oeuvre. Chrétien janséniste, Bres-
autre artiste exclusif : « Le cinémato- psychologie descriptive (« celle qui ne son croit à la grâce qui permet à certains
graphe est une écriture avec des images découvre que ce qu’elle peut expliquer ») êtres d’exception de trouver le rachat de
en mouvement et des sons. » au profit d’une approche inhabituelle des leurs fautes à l’instant de la mort, accep-
La plupart des admirateurs de Bresson corps « à l’affût des mouvements les plus tée ou désirée comme une délivrance :
s’accordent à voir dans Pickpocket (1959) insensibles, les plus intérieurs ». Thérèse (Jany Holt, dans les Anges du
son film le plus pur et le plus parfait. Mais Son refus de « toute psychologie théâ- péché), Agnès (Élina Labourdette, dans
ce film est l’aboutissement d’une évolu- trale ou romanesque » se caractérise les Dames du bois de Boulogne), le curé
tion caractéristique vers le dépouillement désormais par un recours systématique d’Ambricourt (qui termine son Journal en
et l’abstraction. Ses deux premiers films, aux acteurs non professionnels, choisis écrivant : « Tout est grâce »), Jeanne
les Anges du péché (1943) et les Dames parmi ses amis ou dans la rue pour leur d’Arc, Mouchette (Nadine Nortier) sont
du bois de Boulogne (1945), relèvent en- seule apparence physique ou pour ce de ces êtres qui se consument au long
core de l’esthétique et de la dramaturgie que leur visage reflète de vie intérieure, d’un calvaire physique et moral qui prend
dominantes dans la production française acteurs qu’il triture, qu’il torture jusqu’à nettement, dans le cas du curé de cam-
de l’époque (et de toujours) : emploi d’ac- obtenir d’eux, au prix parfois de plusieurs pagne, les allures d’un itinéraire chris-
teurs professionnels (dont la plupart sont dizaines de prises, cette voix blanche, ce tique avec ses plaies et ses stigmates.
aussi des acteurs de théâtre) ; recours à ton monocorde qui sont, pour le specta- Et ce cheminement de la grâce, Bres-
des dialogues littéraires (dus à Jean Gi- teur réticent, la plus discutable caractéris- son le retrouve chez Dostoïevski, dont
raudoux dans le premier, à Jean Cocteau tique de son esthétique. Il choisit désor- il « adapte » deux nouvelles avec Une
dans le second) ; pratique d’images très mais ceux qu’il appelle ses modèles, non femme douce (1969) et Quatre Nuits
élaborées et très dramatisées par la mise pas pour leur faire jouer un personnage d’un rêveur (1971) et dont on pouvait
en oeuvre d’éclairages savants (elles sont mais pour leur faire extraire d’eux-mêmes déjà entrevoir l’inspiration dans Pickpoc-
dues, dans les deux cas, à Philippe Agos- la personnalité en fonction de laquelle il ket (« Quel chemin il m’a fallu parcourir
tini, grand spécialiste de la photographie les a élus ; il les laisse ensuite si vidés pour arriver jusqu’à toi »). Ses derniers
esthétisante). de leur propre substance que la plupart films, Lancelot du lac (1974), le Diable
Le tournant est pris avec le Journal d’un d’entre eux ne pourront jouer aucun autre probablement (1977) et l’Argent (1983
curé de campagne (1951) : on y constate rôle important à l’écran : ainsi en a-t-il été — qui, bien qu’adapté d’une nouvelle de
une rupture complète avec la littérature, de Claude Laydu (le curé de campagne), Tolstoï, appelle à nouveau la référence
le roman de Bernanos y étant repensé de François Leterrier (le condamné à à Dostoïevski quant au cheminement
en fonction du « cinématographe ». Les mort), de Martin Lassalle (le pickpoc- de la grâce chez un criminel racheté par
dialogues, dus au réalisateur même, y ket), de Florence Delay (Jeanne d’Arc), l’horreur même de son geste), restent
obéissent déjà au principe de neutralité cependant que d’autres sont parvenus fidèles à la ligne thématique qui a conduit
dramatique et tonale qui sera désormais à surmonter ce traitement de choc et à le cinéaste, dans treize films en marge
sa règle d’or ; quant aux images, bien faire carrière : Anne Wiazemsky (Au ha- de toutes les modes (fût-ce au risque de
qu’encore marquées par une certaine sard Balthazar), Dominique Sanda (Une préciosités qui irritent ses détracteurs), à
dramatisation (elles sont signées par femme douce), par exemple. mettre en scène des personnages ani-
Léonce-Henri Burel, qui fut l’opérateur Après Pickpocket, les oeuvres maî- més par la passion de la liberté spirituelle
de Gance), elles évoluent vers les deux tresses se suivent : le Procès de Jeanne et à « s’efforcer d’atteindre le réel au-delà
caractéristiques par lesquelles Bresson a d’Arc (1962), Au hasard Balthazar (1966), du réel » (Michel Estève).
défini son idéal en la matière : « aplaties » Mouchette (1967). Ce sont sans nul doute
et « insignifiantes (non signifiantes) ». Le Pickpocket et le Procès qui répondent le BREVETS (guerre des).
tournant est définitivement pris avec Un mieux à l’extraordinaire principe que le Alors que le cinéma vient tout juste de
condamné à mort s’est échappé (1956), cinéaste formule dans ses Notes : « Bâtis naître, il connaît sa première crise com-
où la parole (le son) et l’image s’équi- ton film sur du blanc, sur le silence et l’im- merciale grave, en 1897, aux États-Unis,
librent dans la même neutralité esthé- mobilité. » Principe qu’il faut compléter lorsque l’inventeur Thomas Edison, qui
tique et dramatique. Autre signe de cette par celui-ci : « Vois ton film comme une entrevoit déjà l’intérêt de monopoliser une
rupture : écrite pour les trois premiers combinaison de lignes et de volumes en industrie toute neuve, déclare la guerre
films par un compositeur contemporain mouvement en dehors de ce qu’il figure des brevets. Sa stratégie est simple :
(Jean-Jacques Grünenwald) et marquée et signifie. » Cette recherche de l’absolu ayant acquis les droits du projecteur Vi-
par un certain lyrisme, la musique est pourrait sembler prétentieuse et insen- tascope, version améliorée de son propre
cette fois empruntée à Mozart et utilisée sée si elle ne se traduisait en des oeuvres Kinetoscope, il porte systématiquement
avec parcimonie, dans une perspective où s’épanouissent une beauté singulière, plainte, pour contrefaçon, contre tous
de contribution à la dédramatisation plas- une humanité vibrante, et qui s’offrent ceux qui fabriquent ou utilisent des ap-
tique et tonale de l’oeuvre. dans toute leur splendeur et leur hauteur pareils équivalents au sien. Sa première
Pickpocket apparaît ainsi comme au spectateur désireux et capable de victime est le Cinématographe Lumière,
l’aboutissement du processus d’ascèse franchir le mur de silence et d’immobilité qui triomphe depuis plus d’un an dans
qui caractérise l’esthétique bressonienne. qui les protège des vulgarités du « ci- les grandes villes américaines. En outre,
La photo de Burel, la musique de Lully néma ». Car la jouissance très désincar- le matériel français est frappé par une
concourent à ce dépouillement. C’est née que procurent ces films est de l’ordre mesure douanière protectionniste à effet
en outre le premier scénario original de de l’esthétique (c’est-à-dire de la sensa- rétroactif : ne se sentant pas de taille à
Bresson et il a toute liberté d’y mettre tion) et non du sentiment ; elle naît, non mener une lutte aussi sévère, la firme
en oeuvre les traits spécifiques de son pas du pathétique des situations, mais lyonnaise abandonne le marché améri-

176
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

cain. Après l’élimination de Lumière, il BRIAN (Louise Byrdie Dantzler, dite Mary), marginal (Une fille nommée Lolly Ma-
reste encore aux États-Unis une dizaine actrice américaine (Corsicana, Tex., 1908). donna, R. Sarafian, 1973). Il obtient ses
de petites firmes qui vendent et fabriquent Elle obtient à seize ans le rôle de Wendy premiers grands rôles, dans la Dernière
du matériel cinématographique : à par- dans Peter Pan (H. Brenon, 1924), après Séance (P. Bogdanovich, 1971) et Fat
tir de la fin de 1897, elles tomberont les avoir remporté un concours de beauté à City (J. Huston, 1972), puis tourne no-
unes après les autres sous la pression Los Angeles. Elle amorce alors une car- tamment le Canardeur (M. Cimino, 1974),
des huissiers envoyés par Dyer, l’avo- rière qui parvient sans trop de difficultés Hollywood Cowboy (Hearts of the West,
cat d’Edison. En mai 1898, la seconde à franchir l’écueil du parlant au cours des Howard Zieff, 1977), la Porte du paradis
et la plus longue phase de cette guerre années 30. Brunette ingénue et douce, (Cimino, 1980), Cutter’s Way (I. Passer,

commence lorsque, face à l’Edison Com- elle devient l’une des stars de la Para- 1981), Starman (J. Carpenter, 1985), Huit
mount, joue les « nice girls » face à Buddy millions de façons de mourir (H. Ashby,
pany, s’impose l’American Biograph. Les
Rogers, à Richard Arlen, à Gary Cooper, 1986), le Lendemain du crime (S. Lumet,
deux firmes, soutenues par d’importants
à Lee Tracy et apparaît à son avantage id.), Nadine (R. Benton, 1987), Tucker
groupes financiers, ne craignent pas de
dans de nombreux films, parmi lesquels (F. F. Coppola, 1989) où dans le rôle-titre
se lancer dans des procès interminables,
Beau Geste (H. Brenon, 1926), Brown of il incarne l’inventeur génial d’une voiture
ou même des bagarres à main armée :
Harvard (J. Conway, id.), Running Wild d’avant-garde, contré par les lobbies de
leur affrontement durera dix ans. La pre-
(G. La Cava, 1927), Harold Teen (M. Le l’industrie automobile de Detroit et ac-
mière tentative de monopolisation de l’in-
Roy, 1928), Varsity (F. Tuttle, id.), The culé à la faillite, Susie et les Baker Boys
dustrie du cinéma en Amérique n’aboutit
Virginian (V. Fleming, 1929), River of Ro- (Steve Kloves, 1989) où il interprète un
pas, et Edison, malgré un dernier procès
mance (R. Wallace, id.), The Front Page pianiste de bar, taciturne et abandonné
en octobre 1907, qui le conforte dans tous
(L. Milestone, 1931), It’s Tough to Be par le succès, Texasville (P. Bogdano-
ses droits acquis au cours des dix années
Famous (A.E. Green, 1932), The Man on vich, 1990), The Fisher King (T. Gilliam,
passées, est contraint de s’entendre avec
the Flying Trapeze (C. Bruckman, 1935). id.), American Heart (Martin Bell, 1992),
ses rivaux. Sous l’égide de l’Edison Com-
la Disparue (The Vanishing, George Slui-
pany se forme alors un véritable trust, qui BRIDGES (Alan), cinéaste britannique (Li- zer, id.), État second (P. Weir, 1993),
soumet chaque producteur, distributeur verpool 1927). Blown Away (Stephen Hopkins, 1994),
et exploitant à des redevances souvent Après avoir été acteur, il devient metteur Wild Bill (W. Hill, 1995), Lame de fond
élevées. en scène et auteur de théâtre et de télé- (R. Scott, 1996), Leçons de séduction
vision. Il tourne Act of Murder (1965) et (B. Streisand, 1997). C’est une véritable
BRIALY (Jean-Claude), acteur et cinéaste Invasion (1966), puis remporte une sur- et brillante composition qu’il fait pour les
français (Aumale [auj. Sour El-Ghozlan,
prenante Palme d’or à Cannes avec la frères Coen : dans The Big Lebowski
Algérie] 1933). Méprise (The Hireling, 1973)... puis réa- (J. Coen, 1998), chevelu et ventru, il in-
À ses débuts, il est un des acteurs préfé- lise Out of Season (1975), la Petite Fille carne un idéal de paresse et de détache-
rés de la Nouvelle Vague, et tourne dans en velours bleu (The Girl in Blue Velvet, ment. Arlington Road (id., Mike Orling-
les premiers films de Claude Chabrol (le 1978), le Retour du soldat (The Return ton, 1999) nous le restitue fringant, mais
Beau Serge, 1959 ; les Cousins, id. ; les of the Soldier, 1982), la Partie de chasse inquiet, en convaincant héros de film noir.
Godelureaux, 1960), de Jacques Rivette (The Shooting Party, 1984). Son frère Beau Bridges joue notamment
(films dans lesquels il incarne l’adoles- à ses côtés dans le film de S. Kloves
cence, la jeunesse désabusée et cyni- BRIDGES (James), réalisateur et scénariste Susie et les Baker Boys.
quement nonchalante de l’après-guerre, américain (Paris, Ark., 1938 - Los Angeles,
par ex. Paris nous appartient, id.), dans Ca., 1993). BRIDGES (Lloyd), acteur américain (San
ceux de Jean-Luc Godard (Une femme Bon technicien, aussi bien à la machine Leandro, Ca., 1913 - Los Angeles, Ca.,
est une femme, id.) et d’Alexandre As- à écrire (l’Homme de la Sierra, S. Furie, 1998).
truc (L’Éducation sentimentale, 1962). Il 1966) qu’à la caméra, James Bridges Acteur de seconds rôles, il s’est spécia-
apparaît ensuite dans de nombreux films a débuté dans la mise en scène avec lisé dans le western et le film d’action. Il y
dont Un monsieur de compagnie (Ph. de l’attachant The Baby Maker (1970). Mais incarne des personnages solides et posi-

Broca, 1964), le Bal du comte d’Orgel c’est la Chasse aux diplômes (The Paper tifs : la Demeure des braves / Je suis un
Chase, 1973), satire alerte des rites uni- nègre (M. Robson, 1949), Little Big Horn
(M. Allégret, 1970), le Genou de Claire
versitaires américains, qui fait sa réputa- (Ch. Marquis Warren, 1951), Le train sif-
(E. Rohmer, 1970), le Fantôme de la
tion. Il remporte un grand succès public flera trois fois (F. Zinnemann, 1952), le
liberté (L. Buñuel, 1974), le Juge et l’As-
avec le Syndrome chinois (The China Tour du monde sous la mer (Around the
sassin (B. Tavernier, 1976), la Nuit de Va-
Syndrome, 1979), un bon suspense sur World Under the Sea [A. Marton], 1966),
rennes (E. Scola, 1982), Sarah (M. Du-
le péril atomique, interprété par Jane The Happy Ending (R. Brooks, 1969),
gowson, 1983), le Quatrième Pouvoir
Fonda, et signe en 1980 Urban Cowboy, Tucker (F. F. Coppola, 1988), Winter
(Serge Leroy, 1985), l’Effrontée (C. Mil-
en 1984 Mike’s Murder, en 1985 Perfect People (T. Kotcheff, 1989), Hot Shots II
ler, id.), Inspecteur Lavardin (C. Chabrol,
et en 1988 les Feux de la nuit (Bright (Jim Abrahams, 1993), Blown Away (Ste-
1986), Levy et Goliath (G. Oury, 1987),
Light, Big City). phen Hopkins, 1994).
les Innocents (A. Téchiné, id.), S’en fout
la mort (Claire Denis, 1990), Août (Henri BRIDGES (Jeff), acteur américain (Los An- BRIGHTON (école de).
Herré, 1992), le Monstre (R. Benigni, geles, Ca., 1949). Terme employé par l’historien Georges
1994), les Cent et Une Nuits (A. Varda, Fils de Lloyd Bridges et frère de Beau Sadoul pour désigner certains pionniers
1995), Une femme française (R. War- Bridges, tous deux acteurs. Comme du cinéma britannique qui travaillèrent à
gnier, id.). Mais son personnage de jeune eux formé au théâtre, il est, de surcroît, la même époque dans la ville balnéaire
premier insolent va, hélas, servir à des compositeur et auteur de nombreuses de Brighton. Il ne s’agit donc pas d’un
fins beaucoup plus commerciales. Il est chansons. Il paraît naturel, imprévisible et quelconque mouvement artistique mais
aussi passé à la mise en scène : Églan- plein d’humour. La finesse psychologique d’une commodité de regroupement géo-
tine (1972), les Volets clos (1973), l’Oi- de ses interprétations contraste avec son graphique. L’école de Brighton est es-
seau rare (id.), Un amour de pluie (1974), physique de jeune Américain en bonne sentiellement composée des inventeurs
les Malheurs de Sophie (1981) et Un bon santé et sans histoire, le « tenderfoot », William Friese-Greene et Esme Collings
petit diable (1983). aux prises avec un monde déphasé ou et des réalisateurs George Albert Smith

177
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

et James Williamson (qui fondèrent l’un et vice de distribution, un service de produc- pette (1971) ; Chère Louise (1972) ; le
l’autre des studios de cinéma dans cette tion, un service d’informations, une im- Magnifique (1973) ; l’Incorrigible (1975) ;
ville). portante bibliothèque, une photothèque Julie Pot-de-colle (1977) ; Tendre Pou-
et une branche éditoriale (outre diverses let (1978) ; le Cavaleur (1979) ; On a volé
BRIGNONE (Guido), cinéaste italien (Milan publications, le BFI publie régulièrement la cuisse de Jupiter (1980) ; Psy (1981) ;
1887 - Rome 1959). le Monthly Film Bulletin et la revue Sight l’Africain (1983) ; Louisiane (1984) ;
Au cours d’une carrière longue de plus and Sound). Le financement est assuré à le Crocodile (1986) ; la Gitane (id.) ;
de quarante ans (son premier film date la fois par une subvention gouvernemen- Chouans ! (1988) ; les Mille et une nuits
de 1916), Brignone s’est illustré dans tale et par les cotisations des membres. (1990) ; les Clés du Paradis (1991) ; le
de nombreux genres, auxquels il a ap- Bossu (1997) ; Amazone (2000).
porté un solide métier. Parmi ses films BRIZZI (Anchise), chef opérateur italien
marquants, on peut citer I due sergenti (Poppi, Arezzo, 1887 - Rome 1964). BROCCOLI (Alberto Romolo, dit familière-
(1919), plusieurs Maciste, dont Maciste Opérateur à partir de 1914, Brizzi n’arrête
ment Cubby), producteur américain (New
aux enfers (Maciste all’inferno, 1925), sa longue carrière qu’en 1962. Son sens
York, N. Y., 1909 - Los Angeles, Ca., 1996).
Vite... embrassez-moi ! (O. T. Rolli, très sûr des éclairages et ses grandes
D’abord assitant réalisateur pour la
1928), réalisé en France, Vous que connaissances en matière d’optique lui
20th Century Fox puis la RKO de 1941
j’adore (Rubacuori, 1931), Teresa Confa- permettent de figurer parmi les meilleurs
à 1949, il s’installe à Londres en 1951
lonieri (1934), Passaporto rosso (1935) chefs opérateurs des années 30. Il colla-
et devient producteur. Après quelques
avec Isa Miranda — sans doute son meil- bore ainsi avec Blasetti (Palio ; 1860 ; Il
films dont le Serment du chevalier noir
leur film —, Maria Malibran (1943). Après caso Haller), Genina (l’Escadron blanc),
(T. Garnett, 1954), il lance dès 1962 avec
la guerre, il réalise encore une vingtaine Camerini (Monsieur Max ; Battement de
James Bond 007 contre Dr No (T. Young)
de films et termine sa carrière par des coeur ; Grandi magazzini ; les Fiancés),
la célèbre et populaire série vouée
péplums (Sous le signe de la Croix [Le Gallone (Scipion l’Africain ; Manon Les-
aux exploits de l’intrépide et séduisant
schiave di Cartagine] 1956 ; La regina del caut ; Melodie eterne ; Tristi amori). Après
la guerre, il signe encore la photogra- agent 007.
deserto, 1959).
phie de films importants comme Sciuscià
BROCKA (Lino Ortiz), cinéaste philippin
BRILLANCE. (V. De Sica, 1946) ou Othello (O. Welles,
(San José, Nueva Ecija, 1940 - Manille
Ancienne dénomination de la luminance. 1952 ; CO G. R. Aldo).
1991).
( PHOTOMÉTRIE.)
BROCA (Philippe de), cinéaste français À force d’obstination et de talent, il a

BRION (Françoise), actrice française (Paris (Paris 1933). donné au cinéma philippin ses lettres de

1934). Opérateur de documentaires, puis noblesse. Après des études à l’université


Les cours qu’elle suit auprès de Pierre assistant (Decoin, Lacombe, Truffaut, des Philippines, il se convertit à la reli-
Dux, de Raymond Girard et à l’Actors Chabrol). C’est grâce à ce dernier qu’il gion mormon, passe deux ans à Hawaii
Studio la conduisent au théâtre puis au débute dans la mise en scène avec les dans une colonie de lépreux comme
cinéma, où elle est lancée par les réali- Jeux de l’amour (1960), aimable comé- missionnaire, séjourne à San Francisco
sateurs de la Nouvelle Vague : par Pierre die de moeurs dont il a écrit le scénario puis, de retour aux Philippines, participe
Kast (le Bel Âge, 1960 ; Vacances por- avec Daniel Boulanger. C’est d’ailleurs aux spectacles de la compagnie drama-
tugaises, 1963 ; les Soleils de l’île de avec ce dernier qu’il fera équipe pour la tique, Educational Theater Association.
Pâques, 1972), par Jacques Doniol-Val- plupart de ses films. Tout en poursuivant Il ne cessera d’avoir des activités théâ-
croze, dont elle fut l’épouse (l’Eau à la dans la veine de la comédie légère et far- trales, montant des pièces de Sartre et
bouche, 1960 ; le Coeur battant, 1961), felue (l’Amant de cinq jours, le Farceur), de Tennessee Williams, mais aussi des
par Alain Robbe-Grillet (l’Immortelle, il se lance avec autant de succès dans spectacles liés à la situation de son pays.
1963). Sa filmographie est par ailleurs le film d’aventures picaresque comme Dans les années 70 (sa première oeuvre
assez décevante mais elle apporte à tous Cartouche, l’Homme de Rio et les Tribu- date de 1970), il réalise une trentaine de
ses rôles, au cinéma comme au théâtre, lations d’un Chinois en Chine, tous trois
films. Beaucoup d’entre eux sont alimen-
une élégance racée et un humour discret. avec un Jean-Paul Belmondo au meilleur
taires, mais, certains échappant au com-
de sa forme bondissante et rigolarde. (Il
mercialisme et à la médiocrité de l’indus-
BRISSEAU (Jean-Claude), cinéaste français fera encore appel à Belmondo pour le
trie locale, imposent très vite Lino Brocka
(Paris 1944). Magnifique et l’Incorrigible.) Il représente,
comme un cinéaste complet, attaché à
D’abord enseignant, il vient au cinéma dans les films cités, avec une réelle ai-
dévoiler la réalité sociale et économique
avec des longs métrages non diffusés, sance, un sens très sûr du suspense et
des Philippines, doué d’un sens aigu des
la Croisée des chemins (1975) et la Vie de l’effet comique, une veine trop rare
gestes et des lieux, donnant à ses films
comme ça (1978) puis, pour la TV, les dans le cinéma français de divertisse-
une énergie et une vitalité étonnantes.
Ombres (1980). Un jeu brutal (1982) ré- ment, si souvent dépourvu de légèreté et
Influencés par le cinéma italien d’après-
vèle un auteur complet dont l’inspiration d’élégance. Louisiane et Chouans ! sont
des fresques historiques ambitieuses guerre et la production hollywoodienne,
originale et le ton personnel sont confir-
mais plus appliquées qu’inspirées. ils appartiennent à des genres codifiés
més par De bruit et de fureur (1987),
(mélodrame, policier) auxquels le réa-
Noce blanche (1989), Céline (1992) voire Films : les Jeux de l’amour (1960) ;
le Farceur (1961) ; l’Amant de cinq jours lisme du traitement donne une nouvelle
par l’Ange noir (1994) et Les Savates du
(id.) ; Cartouche (id.) ; les Sept Péchés ca- fraîcheur. Parmi une production abon-
Bon Dieu (2000).
pitaux (1962 ; épisode : la Gourmandise) ; dante, citons en particulier :’On t’a pesé
BRITISH FILM INSTITUTE (BFI). les Veinards (id. ; épisode : la Vedette) ; et trouvé trop léger‘ (Tinimbang ka Ngun
Organisme cinématographique britan- l’Homme de Rio (1963) ; Un monsieur de it Kukang, 1974) ; ’Manille dans les griffes
nique fondé en 1933 et situé à Londres. compagnie (1964) ; les Tribulations d’un du néon‘ (Maynila : sa mga kuko ng Liwa-
Le BFI regroupe différentes branches Chinois en Chine (1965) ; le Roi de coeur nag, 1975) ; Insiang (id., 1976) ; Jaguar
d’activité : une cinémathèque qui pos- (1967) ; le Plus Vieux métier du monde (id., 1979) ; Bona (id., 1980) ; Angelo Mar-
sède de très nombreuses copies de films (id. ; épisode : Mademoiselle Mimi) ; le kado (id.) ; Bayan ko (id., 1984) ; Macho
(National Film Archive), deux salles de Diable par la queue (1969) ; les Caprices Dancer (1988) ; les Insoumis (Ora pro
projection (National Film Theatre), un ser- de Marie (1970) ; la Poudre d’escam- nobis / Fight for us, 1989).

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

BRODIN(E) (Norbert), chef opérateur amé- repris son indépendance : Milliardaire la ville (1974). Bronson essaye d’échap-
ricain (St Joseph, Mo., 1896 - Los Angeles, pour un jour (F. Capra, 1961) ; série Gid- per à ce personnage (Cosa Nostra,
Ca., 1970). get (P. Wendkos, 1959-1963) ; Trois sur T. Young, 1972) ou de le ridiculiser : From
De 1919 à 1945, sa carrière, fort bien un sofa (J. Lewis, 1966). Noon Till Three (C’est arrivé entre midi
remplie, n’émerge pas de l’anonymat. et trois heures, Franck D. Gilroy, 1976).
Mais lorsqu’il est engagé à la 20th Cen- BRONSON (Elizabeth Ada Bronson, dite Devant les réserves du public, il s’y laisse
tury Fox et qu’il travaille avec Henry Ha- Betty), actrice américaine (Trenton, N.J., ramener : Un justicier dans la ville no 2
thaway (la Maison de la 92e rue, 1945 ; 1906 - Pasadena, Ca., 1971). (Winner, 1981), Death Wish 3 (id., 1985).
le Carrefour de la mort, 1947), Joseph Elle accède brusquement à la célébrité, Il interprète ensuite la Loi de Murphy
L. Mankiewicz (Quelque part dans la nuit, en 1924, en obtenant le rôle principal de (Murphy’s Law, J. Lee Thompson, 1986)
1946), Elia Kazan (Boomerang, 1947) et la première version de Peter Pan, réali- et Protection rapprochée (Assassination,
Jules Dassin (les Bas-Fonds de Frisco, sée par Herbert Brenon. La Paramount Peter Hunt, 1987). Dans des entreprises
1949), il contribue à l’esthétique du film espère tenir en elle une nouvelle Mary aussi mornement commerciales, Bronson
noir et à l’évolution de cette esthétique. Pickford et cherche à l’enfermer dans des semblait s’épuiser et épuiser ses plus fi-
Le tournage hors des studios, sur les rôles charmants, nostalgiques ou fée- dèles admirateurs. Heureusement, on le
lieux mêmes de l’action, qui n’exclut pas riques : Are Parents People ? (M. St Clair, redécouvre, acteur de composition sobre
la souplesse des déplacements ni la com- 1925) ; Not so Long Ago (S. Olcott, id.), A et mesuré, dans Indian Runner (Sean
position de l’image, les jeux d’ombre et Kiss for Cinderella (Brenon, 1926). Elle Penn, 1991) : muré dans son silence et
les reflets de lumière, l’éclairage cru ou cherche à élargir sa palette. Elle est la dans sa solitude, il crée une mémorable
très contrasté des visages : autant de Vierge Marie dans Ben Hur (F. Niblo, figure paternelle vouée au suicide.
données qui, tout en créant l’impression 1924), apparaît dans des westerns (The

du document, imposent le sentiment de Golden Princess, C. Badger, 1925 ; Open BRONSTON (Samuel), producteur amé-

la fatalité dans l’univers urbain. À partir Range, C. Smith, 1927), des comédies ricain (Bessarabie, Russie, 1909 - Sacra-

de 1953, il travaille uniquement pour la romantiques (Ritzy, R. Rosson, 1927), mento, Ca., 1994).

télévision. dans l’un des premiers « talkies » (le Fou Courtier en films MGM en France avant
chantant, 1928, L. Bacon). la guerre, puis producteur exécutif à la
BRODSKY (Vlastimil), acteur tchèque Columbia (1940), il fonde en 1943 sa
(Hrušov nad Odrou 1920). BRONSON (Charles Buchinski, dit Charles), compagnie, qui n’a qu’une activité res-
Acteur de théâtre, il débute à l’écran en acteur américain (Ehrenfeld, Pa., 1920). treinte jusqu’en 1959 ; il entreprend alors
1947 dans la Frontière volée de Jii Weiss, Fils d’émigrés lituaniens, il tient de très de créer ses propres studios en Espagne
petits rôles au théâtre avant de débuter (grâce à des fonds gelés par les accords
obtient quelques rôles dans des films de
Martin Fri et de Jii Krejik à la fin de la au cinéma sous son véritable nom dans hispano-américains d’après-guerre, qu’il
décennie suivante mais ne rencontre la La marine est dans le lac (H. Hathaway, débloque par ce biais). Mégalomane
notoriété qu’au cours des années 60, du- 1951). Son visage buriné, sa musculature d’un autre âge, il engloutit des sommes
rant lesquelles il a la chance de travailler de boxeur le vouent, au cours de la pre- énormes dans ces constructions et dans
avec les meilleurs cinéastes de l’époque : mière partie de sa carrière (1951-1960), quelques coproductions internationales,
Zbyek Brynych (Transport au paradis, soit aux emplois de personnages typés, mais dès 1964, il est en état de faillite.
1962), Vojtech Jasny (Un jour, un chat, d’origine étrangère, dans des films d’ac- En 1971, il annonce son retour, mais
1963 ; Chronique morave, 1968), Evald tion, fantastiques, westerns ou policiers est déclaré de nouveau en banqueroute
Schorm (Du courage pour chaque jour, (l’Homme au masque de cire, A. De Toth, (1974). En 1979, il se fait plus modeste
1964 ; la Fin du bedeau, 1969), Jii Men- 1953 ; Bronco Apache, R. Aldrich, 1954 ; avec The Mysterious House of Dr. C.
zel (Trains étroitement surveillés, 1966 ; l’Aigle solitaire, D. Daves, id., pour lequel (Ted Kneeland). Il a produit (et quelque
Un été capricieux, 1967 ; Crime au café- il adopte son pseudonyme ; le Jugement peu supervisé) le Roi des rois (1961) et
des flèches, S. Fuller, 1957), soit aux les 55 Jours de Pékin (1963) de Nicholas
concert, 1968). On le retrouve ensuite
dans des films moins significatifs comme premiers rôles dans des productions de Ray, le Cid (1961) et la Chute de l’Empire
série B : Mitraillette Kelly (R. Corman, romain (1964) d’Anthony Mann, ainsi que
‘ le Fantôme de Freon ’ (Freonovy duch,
Zbynek Zelenka, 1990) ou ‘ Une trop 1958), sur le petit comme sur le grand le Plus Grand Cirque du monde d’Henry
écran. Les Sept Mercenaires (J. Sturges, Hathaway (1964).
bruyante solitude ’ (Píliš hluná samota,
Vera Cais, 1995, d’après B. Hrabal). Il a 1960) ouvrent la deuxième partie de sa

été l’époux de Jana Brejchova. carrière (1960-1967), tête d’affiche de BROOK (Clifford Hardman Brook, dit
grosses productions, avec des cinéastes Clive), acteur et cinéaste britannique
BRONCHO BILLY ANDERSON (GILBERT) renommés, dans des rôles variés : la (Londres 1887 - id. 1974).
Grande Évasion (Sturges, 1963), le Che- Il débute en 1920 dans des films bri-
BRONNER (Robert), chef opérateur améri- valier des sables (V. Minnelli, 1965), Pro- tanniques et s’exile aux États-Unis en
cain (New York, N. Y., 1907 - Los Angeles, priété interdite (S. Pollack, 1966). Il aban- 1924. Il y reste dix ans et devient une
Ca., 1969). donne la télévision. Les Douze Salopards vedette de premier plan dans des rôles
Venu au cinéma durant les années 50, (Aldrich, 1967) lui valent la célébrité. pleins de morgue, de courage et de dis-
l’essentiel de sa carrière se déroule à la Commence alors la troisième partie de sa tinction. Il est pour Sternberg l’admirable
MGM, où il éclaire à quatre reprises Cyd carrière, celle de star internationale, qui « Rolls-Royce » des Nuits de Chicago
Charisse dans Beau fixe sur New York le reconduit malheureusement aux rôles (1927) et l’officier de Shanghai Express
(G. Kelly et S. Donen, 1955), Viva Las typés de ses débuts : Adieu l’ami (Jean (1932). Il trouve ses rôles les plus popu-
Vegas (R. Rowland, 1956), la Belle de Herman, 1968), Il était une fois dans laires dans les Quatre Plumes blanches
Moscou (R. Mamoulian, 1957) et Tra- l’Ouest (S. Leone, id.), le Passager de la (E. B. Schoedsack, M. Cooper 1929) ou
quenard (N. Ray, 1958). En dehors du pluie (R. Clément, 1969). Dans des films Sherlock Holmes (W. K. Howard, 1932).
musical déclinant, il trouve son terrain conçus pour sa femme Jill Ireland (1936- De retour en Angleterre, il interprète
d’élection dans la comédie : The Oppo- 1990) et pour lui, Michael Winner fait de encore une dizaine de films et réalise en
site Sex (D. Miller, 1956), Prenez garde à lui un héros omnipotent, omniscient, sans 1942 On Approval. Il s’éloigne alors des
la flotte (Ch. Walters, 1957), Ne mangez mystère ni sensibilité, qui, des Collines écrans pour n’y revenir qu’à l’occasion
pas les marguerites (id., 1960). Il conti- de la terreur (1972) au Flingueur (1973), d’un petit rôle, dans le Dernier de la liste
nuera d’explorer ce domaine après avoir devient archétypal avec Un justicier dans (J. Huston, 1963).

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

BROOK (Peter), cinéaste et metteur en passion. Âgée de quinze ans, cette fille d’une star qui sait s’interroger (lire Louise
scène de théâtre britannique (Londres de famille aisée devient danseuse dans Brooks par Louise Brooks, Paris, 1983),
1925). le cours puis la troupe de la célèbre Ruth voire mettre en question son statut même
Grand homme de théâtre, universelle- Saint Denis et de son partenaire Ted d’image projetée et contester la puis-
ment connu pour son intelligent « dé- Shawn. Engagée dans les Scandales de sance des grands studios qui la manipu-
poussiérage » de Shakespeare (le Songe Georges White puis dans les Ziegfeld fol- lèrent : elle parle pour toutes les femmes
d’une nuit d’été, Titus Andronicus), il s’est lies, elle signe en 1925 avec la Paramount libres et indépendantes qui refusent l’état
essayé au cinéma dès 1943 avec un film un contrat de cinq ans, qu’elle résilie au d’objet avec le charme et la beauté qui en
amateur A Sentimental Journey, adapté bout de trois, après avoir tourné nombre sont la perverse rançon.
de Sterne. En 1953, il dirige l’Opéra des de films où sa réserve se remarque : Films : The Street of Forgotten
gueux (The Beggar’s Opera), scrupu- The American Venus (1926), It’s the Men (H. Brenon, 1925) ; The Ameri-
leuse transposition de la pièce de John Old Army Game (id.), Rolled Stockings can Venus (F. Tuttle, 1926) ; A Social
Gay adaptée par Christopher Fry. C’est (1927), Une fille dans chaque port de Celebrity (M. St. Clair, id.) ; It’s the Old
d’une manière aussi peu personnelle Howard Hawks, et surtout les Mendiants Army Game (E. Sutherland, id.) ; The
qu’il dirigera Moderato cantabile (1960) de la vie de William Wellman (1928). Les Show-off (St. Clair, id.) ; Love ‘Em and
d’après Marguerite Duras. Moins litté- cheveux coupés, vêtue en homme, elle Leave’Em (Tuttle, id.) ; Just Another
raire, le Seigneur des mouches (Lord of apparaît dans ce film, vêtue d’un travesti Blonde (A. Santell, id.) ; Evening Clothes
the Flies, 1963) pèche par l’emphase et absolument inoubliable. Passionnée, (Luther Reed, 1927) ; Rolled Stockings
le désordre sur un sujet provocant. Si l’on donc déçue, elle croit s’être fourvoyée (Richard Rosson, id.) ; The City Gone
met à part Tell Me Lies (1968, essai sur la dans le cinéma. « Également inapte au Wild (J. Cruze, id.) ; Now We’re in the
guerre du Viêt-nam, et le Roi Lear (King mariage », comme elle le dit elle-même, Air (Frank R. Strayer, id.) ; Une fille dans
Lear, 1971), où Brook a filmé (en noir et elle divorce d’avec le réalisateur Eddie chaque port (H. Hawks, 1928) ; les Men-
blanc) sa vision théâtrale de la pièce, son Sutherland en 1928 (comme elle se sépa- diants de la vie (W. Wellman, id.) ; The
meilleur film du point de vue cinématogra- rera de Deering Davis en 1934). Canary Murder Case (St. Clair, 1929) ;
phique reste son adaptation de l’étonnant C’est alors que le réalisateur allemand Loulou (G. W. Pabst, id.) ; Journal d’une
Marat-Sade de Peter Weiss (1967) : une G. W. Pabst la choisit pour incarner la fille perdue (id., id.) ; Prix de beauté
mise en scène rénovée, un dialogue qui Lulu de Wedekind dans Loulou (ou la (A. Genina, 1930) ; Windy Riley Goes
conserve pour l’essentiel sa force, une Boîte de Pandore, 1929) et contre l’avis to Hollywood (CM, « Fatty » Arbuckle,
superbe photo en couleurs montrent des de la Paramount la fait venir en Alle- id.) ; It Pays to Advertise (Tuttle, 1931) ;
possibilités (jusque dans le travail de la magne. C’est le rôle qui désormais fixe God’s Gift to Women (M. Curtiz, id.) ;
caméra sur les corps des interprètes) que définitivement l’image de Louise Brooks, l’Ennemi public (Wellman, id.) ; The Steel
Brook, accaparé par sa juste renommée franche incarnation de la sensualité, irra- Highway / Other Men’s Women (id., id.) ;
à la scène, n’a pas exploitées ailleurs. diante clarté de la féminité flapper, avec Empty Saddles (L. Selander, 1936) ; le
En 1979, il réalise Rencontres avec des sa coiffure à la garçonne, ses dents étin- Coeur en fête (R. Riskin, 1937) ; King
hommes remarquables (Meetings With celantes, ses lèvres fraîches, et l’extra- of Gamblers (R. Florey, id.) ; Overland
Remarkable Men) et, en 1983, trois ver- ordinaire luminosité de sa peau : « Je Stage Raiders (G. Sherman, 1938).
sions – avec une distribution différente –
suis une blonde aux cheveux noirs »,
de la Tragédie de Carmen d’après sa
affirme-t-elle. La mode 1925 immortalise BROOKS (Melvin Kaminsky, dit Mel), ci-
propre mise en scène théâtrale. En 1989
ses décolletés à la fois audacieux et purs, néaste américain (New York, N. Y., 1926).
il donne une version cinématographique
l’ambiguïté de son buste plat lui prête un Suractif, irrévérent, paroxystique, il a
de sa propre adaptation théâtrale du Ma-
trouble serein. L’amoralité innocente du donné ses lettres de noblesse au mau-
habharata.
personnage trouve en elle la Lulu défini- vais goût. C’est un satiriste déchaîné qui
tive, miraculeuse, archétypique, projec- se veut l’héritier des maîtres du slapstick.
BROOKS (Geraldine Stroock, dite Geral-
tion d’une déconcertante bisexualité. Né pauvre dans le quartier juif de Broo-
dine), actrice américaine (New York, N. Y.,
Immédiatement après Loulou, Pabst klyn, à Williamsburg, à quatorze ans, il
1925 - Riverhead, N. Y., 1977).
lui fait tourner le Journal d’une fille per- s’élève dans le circuit du Borscht, cette
Ses parents étaient créateurs de cos-
due, puis elle retourne aux États-Unis, chaîne d’hôtels des monts Catskills où
tumes et décorateurs. Elle débute sur
où la Paramount par esprit de revanche débutèrent tous les comédiens juifs,
scène à l’âge de dix-sept ans, joue
double sa voix dans The Canary Murder comme tummler, ou spécialiste grima-
Shakespeare en tournée avec le Theatre
Case (1929) et en France pour Prix de cier. Il commence à écrire des gags
Guild. Sous contrat à la Warner Bros, elle
beauté (A. Genina, 1930). On la verra pour le comique Sid Caesar et fait par-
tourne la Possédée (C. Bernhardt, 1947)
encore dans des films de Frank Tuttle, tie d’un groupe d’écrivains qui formulent
aux côtés de Joan Crawford. Elle devient
Michael Curtiz, Robert Florey, George le futur rire de Broadway : Neil Simon,
l’interprète de Max Ophuls (les Désempa-
Sherman, ce jusqu’en 1938, où, retirée Carl Reiner, et un nommé Woody Allen.
rés, 1949) et de Richard Thorpe (le Défi
à Rochester (N. Y.) dans l’ombre de la Son premier film les Producteurs (The
de Lassie [Challenge to Lassie], id.). On
cinémathèque Eastman Kodak, elle s’est Producers, 1968) met en place une idée
la voit également dans Vulcano (W. Die-
mise à régner sur son propre souvenir, satirique majeure : faire lancer par deux
terle, 1950), le Gantelet vert (The Green
Glove, R. Maté, 1952) et Mr. Ricco (Paul lisant Proust et Schopenhauer, peignant escrocs, en quête d’un bide théâtral qui

Bogart, 1975). Elle a écrit un livre sur les des toiles très chinoises, écrivant (sous les aiderait à flouer les assurances, une

oiseaux et s’est mariée à l’écrivain et scé- prétexte de renoncer à ses Mémoires) comédie musicale inspirée par la vie

nariste Budd Schulberg. des articles enjoués, perfides, pleins d’Adolf Hitler. Le tandem « hénaurme »
d’humour et d’une incroyable qualité lit- de Zero Mostel et Gene Wilder exalte ce
BROOKS (Louise), actrice américaine téraire. Devenue un témoin irremplaçable blasphème historique obligatoirement né
(Cherryvale, Kans., 1906 - Rochester, N. Y., et caustique de son époque, elle écrit sur d’un imaginaire juif. Si le film suivant le
1985). Wellman, W. C. Fields, Marlene Dietrich, Mystère des douze chaises (The Twelve
Louise Brooks a toujours été considérée Bogart, Chaplin, Garbo et Lillian Gish, Chairs, 1970), d’après le classique russe
comme l’une des plus belles femmes qui et disperse avec générosité une corres- d’Ilf et Petrov est un exercice de style,
aient jamais paru sur un écran et elle pro- pondance somptueuse. Mais elle fait Le shérif est en prison (Blazing Saddles,
page encore aujourd’hui l’aura d’une folle mieux que nous livrer la chronique unique 1974) le remet sur son orbite familière,

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

la parodie fortement teintée d’humour on peut reconnaître notamment le pro- illuminé et escroc exprime à nouveau la
yiddish, cette fois mêlée de radicalisme ducteur Mark Hellinger. fable de l’individu victime de l’apparence
noir. Le film et son successeur immédiat Son goût pour les idées conduit Brooks qu’il présente au monde. Si Doux Oiseau
Frankenstein Junior (Young Frankens- à s’intéresser à de grands sujets. Solli- de jeunesse, nouvelle adaptation de Ten-
tein, id.), écrit avec son compère Gene cité par l’affrontement de la politique nessee Williams, malgré sa densité, reste
Wilder, sont d’énormes succès. Brooks et de la morale (Cas de conscience, le un film de tradition, Lord Jim (d’après
consacre son film suivant, la Dernière Carnaval des dieux, les Professionnels), Conrad) utilise parfaitement l’ambiguïté
Folie de Mel Brooks (Silent Movie, 1976), sa méditation a pour objet la défense du visible, puisque l’aventure se com-
au muet, avec sous-titres et accompa- de l’idée démocratique, illustrée par la prend aussi comme initiation et comme
gnement musical (le seul mot prononcé, liberté de la presse (Bas les masques), salut. La faute devient ici la source de la
qui plus est par le mime Marceau..., l’éducation (Graine de violence), la géné- vocation, mais cette moralité n’entrave
étant « Chut ! »), puis le Grand Frisson rosité et la raison. Voilà qui le conduit à pas une mise en oeuvre riche de concret,
(High Anxiety, 1977) à une approxima- décrire la violence dominatrice, origine attentive et claire.
tion perfectionniste d’Alfred Hitchcock. En de la conquête de l’Ouest (la Dernière La volonté de définir visuellement les
1981, il réalise la Folle Histoire du monde Chasse) et les horreurs de la guerre (le éléments du récit justifie les deux derniers
(History of the World, Part I), en 1987 la Cirque infernal), exagérées par les vices westerns de Brooks, les Professionnels
Folle Histoire de l’espace (Spaceballs), des militaires (Sergent la Terreur). Mais et la Chevauchée sauvage. Le premier
en 1990 Chienne de vie (Life Stinks), son penchant artistique ne fait pas de lui gaiement, le second non sans nostalgie,
en 1993, Sacré Robin des Bois (Robin un polémiste. Bien plus que la grandeur ils critiquent les poncifs de l’Ouest. Mais
Hood : Men in Tights) et en 1995 Dra- d’un idéal, il s’applique à mesurer les obs- c’est De sang froid qui pousse le plus loin
cula, mort et heureux de l’être (Dracula : tacles que rencontrent, autour d’eux et en le souci de reconstitution appuyé sur un
Dead and Loving it), autant de films où eux-mêmes, ceux qui le soutiennent. Plu- livre de Truman Capote. Ce film donne
l’on voit s’étioler la fraîcheur des débuts. tôt que de caricaturer ses personnages à voir un crime qui s’est réellement pro-
Par ailleurs, Mel Brooks est également les plus noirs, il souligne leur épaisseur duit et ses conséquences, jusqu’à l’exé-
producteur, notamment de Elephant Man et, avec une secrète inquiétude, leur vrai- cution des assassins. Ce n’est pas là du
(D. Lynch, 1980) et de la Mouche (D. Cro- semblance. Les séquences les plus réus- réalisme : revenant au noir et blanc, le
nenberg, 1986). sies d’un bon nombre d’oeuvres détaillent réalisateur entend souligner l’intensité
un inévitable échec, ou le peignent avec des choses et les enchaînements impla-
BROOKS (Richard), cinéaste américain une sorte d’exagération épique. La ri- cables de l’existence, plus que dévoiler
(Philadelphie, Pa., 1912 - Beverly Hills, Ca., chesse des caractères (Bogart dans Bas une nécessité naturelle ou sociale. Sur un
1992). les masques et le Cirque infernal, Wid- mode plus léger, Dollars conserve cette
Après ses études, rêvant de devenir mark dans Sergent la Terreur et même minutie et cette froideur, à l’image de son
journaliste, il traverse les États-Unis, en Van Johnson dans la Dernière Fois que héros.
écrivant quelques articles pour divers j’ai vu Paris) contraste alors avec la force À l’opposé d’Elmer Gantry et de Lord
quotidiens. Philadephia Record l’engage simple de certaines situations : la puis- Jim, ces figures de légende, cette exac-
enfin dans son service sportif en 1934 ; sance des rotatives de Bas les masques, titude insistante domine aussi The Happy
à partir de 1936, il travaille comme édi- l’attrait sexuel d’une éducatrice (Graine Ending, dont le titre raille le cinéma. Le
torialiste d’une radio new-yorkaise. Mais de violence), voire le vertige d’une fête film n’a eu aucun succès, mais semble
il s’oriente vers des ouvrages de créa- (les Frères Karamazov). La mise en révélateur des scrupules de Brooks. En
tion, pièces radiophoniques ou nouvelles scène insistante de ces épreuves bru- dépit de ses aspects naturalistes, À la
lues au micro. En même temps, il met en tales et vives marque l’écart qui sépare le recherche de Mister Goodbar reprend
scène des pièces de théâtre. Venu à Hol- héros du monde où il doit vivre. cette réflexion anxieuse sur les images
lywood pour y poursuivre son activité à À la MGM, de ses débuts à la fin fascinantes et vacillantes et sur les corps
la radio, il ne tarde pas à rencontrer le des années 50, Brooks conserve un qui en sont l’objet. Une construction
cinéma (1941). style appliqué, sans doute gêné par les abrupte juxtapose deux caractères, celui
L’imagination de Brooks est d’abord contraintes du studio, mais une inquié- d’une éducatrice dévouée et celui d’une
celle d’un écrivain. Il est l’auteur de plu- tude généreuse donne à ses films un tour traînée, en un seul personnage. L’auteur
sieurs scénarios importants : les Tueurs original. Cette expression personnelle ne parvient ainsi à incarner sous une forme
(R. Siodmak, 1946), les Démons de la va pas tarder à se développer. Un roma- précise sa conscience des menaces
liberté (J. Dassin, 1947), Feux croisés nesque s’esquisse déjà dans la Dernière qui habitent l’individu et sa méfiance
(E. Dmytryk, id.), la Cité sans voiles Chasse : troupeaux de bisons, bivouacs envers les images mythiques que cha-
(J. Dassin, 1948). À l’exception de Ser- et gel, évoquant la contemplation d’une cun donne de soi ; le cinéma se trouve
gent la Terreur, de Flame and the Flesh idée fixe, approfondissent la figure du lui-même révoqué en doute. L’idéalisme
et de The Catered Affair, ouvrages per- héros, dupe de son rêve. Le Carnaval des de Brooks se voit ainsi contrarié par une
sonnels, tous ses films doivent quelque dieux, au risque de choquer l’Amérique, lucidité anxieuse : loin d’un humanisme
chose à son métier de conteur, parfois fait des rencontres du Noir et du Blanc crédule, son oeuvre trouve là sa gravité
très élégant (Dollars) ou à son talent autant d’emblèmes des relations raciales. et sa valeur.
d’adaptateur, souvent rigoureux (Elmer Dans la Chatte sur un toit brûlant, la réa- Films : Cas de conscience (Crisis,
Gantry, Lord Jim, De sang froid). En re- lisation, avec un inégal succès, tente de 1950) ; Miracle à Tunis (The Light Touch,
vanche, ses oeuvres les moins réussies soutenir l’exubérance du dialogue de 1951) ; Bas les masques (Deadline, USA,
souffrent de la longueur des dialogues, Tennessee Williams et confère aux per- 1952) ; le Cirque infernal (Battle Circus,
de surcroît beaucoup trop explicites, ce sonnages une vraie présence sensuelle. 1953) ; Sergent la Terreur (Take the High
qui leur ôte toute valeur dramatique et Elmer Gantry marque une éclatante Ground, id.) ; the Flame and the Flesh
toute vie. Brooks n’a d’ailleurs pas aban- rupture dans la carrière de Brooks. Libé- (1954) ; la Dernière Fois que j’ai vu Paris
donné son activité littéraire et deux de rée du studio, son invention visuelle pro- (The Last Time I Saw Paris, id.) ; Graine
ses romans ont été traduits en français, duit des images d’une étrange plénitude, de violence (The Blackboard Jungle,
l’Aventure du caporal Mitchell, source du avec un beau sens du rythme et des 1955) ; la Dernière Chasse (The Last
Feux croisés de Dmytryk, et le Produc- couleurs. Empruntée à Sinclair Lewis, Hunt, 1956) ; The Catered Affair (id.) ; le
teur, tableau de Hollwyood dans lequel l’histoire du prêcheur inséparablement Carnaval des dieux (Something of Value,

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

1957) ; les Frères Karamazov (The Bro- BROWN (Clarence), cinéaste américain tylo. Dans les années 40, il poursuivra sa
thers Karamazov, 1958) ; la Chatte sur un (Clinton, Mass., 1890 - Santa Monica, Ca., veine familiale, avec des oeuvres comme
toit brûlant (Cat on a Hot Tin Roof, id.) ; 1987). le Grand National ou Jody et le Faon. Il
Elmer Gantry, le charlatan (Elmer Gantry, Les compétences techniques et les réalise en 1948, contre toute attente, un
1960) ; Doux Oiseau de jeunesse (Sweet études de Clarence Brown (ingénieur des meilleurs films sociaux du moment :
Bird of Youth, 1962) ; Lord Jim (id., 1965) ; automobile, aviateur, fondateur de la l’Intrus. Il se retire après une belle évoca-
les Professionnels (The Professionals, Brown Motor Co.) ne semblaient guère tion historique (Capitaine sans loi).
1966) ; De sang-froid (In Cold Blood, le destiner à devenir l’assistant du ci- Films : The Greet Redeemer (1920 ;
1967) ; The Happy Ending (1969) ; Dol- néaste français Maurice Tourneur en supervisé par M. Tourneur) ; le Dernier
lars (id., 1971) ; la Chevauchée sauvage 1915 à Hollywood. Cette rencontre le des Mohicans (The Last of The Mohicans,
(Bite the Bullet, 1975) ; À la recherche de marque et Brown réalise la plus grande id. ; CO Tourneur) ; The Foolish Matrons
Mister Goodbar (Looking for Mr. Good- partie du Dernier des Mohicans (1920) (1921 ; CO Tourneur) ; The Light in the
bar, 1977) ; Meurtres en direct (Wrong is que Tourneur, malade, ne peut mener Dark (1922) ; Or et Poison (Don’t Marry
Right / The Man With the Deadly Lens, à bon terme. Dès lors, c’est un cinéaste for Money, 1923) ; The Acquittal (id.) ; le
1982) ; Fever Pitch (1985). à part entière. Un film comme The Light Veilleur du rail (The Signal Tower, 1924) ;
in the Dark atteste, dès 1922, sa grande la Papillonne (Butterfly, id.) ; la Femme de
BROUGHTON (James), poète, dramaturge maîtrise : une intrigue très romanesque quarante ans (Smouldering Fires, 1925) ;
et cinéaste expérimental américain (Mo- et mélodramatique que son sens du l’Aigle noir (The Eagle, id.) ; Déchéance
desto, Ca., 1913). décor et de l’éclairage transforme en (The Goose Woman, id.) ; Kiki (id., 1926) ;
Coauteur en 1946, avec Sidney Peter- une subtile divagation poétique. Le muet la Chair et le Diable (Flesh and the Devil,
son, de The Potted Psalm (souvenir par- réussit pleinement à ce grand plasticien 1927) ; la Piste de 98 (The Trail of « 98 »,
fois laborieux du cinéma dada et surréa- qu’aucun sujet ne limite. On lui doit des 1928) ; Intrigues (A Woman of Affairs,
liste français), il est un des pionniers du classiques du drame psychologique : la id.) ; The Wonder of Women (1929) ; Navy
réveil expérimental de la côte Ouest. À Femme de quarante ans et Or et Poison. Blues (id.) ; Anna Christie (id., 1930) ;
partir de Mother’s Day (1948), il réalise Mais la fantaisie débridée de l’Aigle noir Romance (id., id.) ; l’Inspiratrice (Inspi-
seul de courts films allégoriques, fantai- (avec Valentino) lui sied tout autant. Il ration, 1931) ; Âmes libres (A Free Soul,
confère au mélodrame un incomparable id.) ; Fascination (Possessed, id.) ; Mes
sies psychanalysantes qui peuvent se
éclat ; notamment en 1926, en dirigeant petits (Emma, 1932) ; Captive (Letty Lyn-
débrider en burlesque (Loony Tom, the
Greta Garbo dans la Chair et le Diable, ton, id.) ; Dans la nuit des pagodes (The
Happy Lover, 1951). Après The Pleasure
à l’érotisme à la fois brûlant et glacé, et Son-Daughter, id.) ; Looking Forward
Garden (1953), aimable fable hédoniste
en 1928 dans le méconnu Intrigues. Ce (1933) ; Vol de nuit (Night Flight, id.) ;
tournée en Grande-Bretagne en 35 mm, il
film est d’ailleurs exemplaire du travail de Vivre et aimer (Sadie McKee, 1934) ; la
revient au cinéma indépendant pour exal-
Brown : le scénario, adapté d’un roman à Passagère (Chained, id.) ; Anna Karenine
ter la libération sexuelle, dont il a été un
scandale, est édulcoré et mutilé au point (Anna Karenina, 1935) ; Impétueuse Jeu-
des pionniers californiens, dans The Bed
de paraître incohérent ; mais la mise en nesse (Ah ! Wilderness, id.) ; Sa femme
(1968), histoire mouvementée d’un lit, et
scène vigoureuse et inspirée rattrape ce et sa dactylo (Wife Vs Secretary, 1936) ;
The Golden Positions (1970), hymne tan-
que le scénario avait gommé. Des images l’Enchanteresse (The Gorgeous Hussy,
tôt facétieux, tantôt esthétisant au corps
obsédantes s’installent dans nos mé- id.) ; Maria Walewska (Conquest, 1937) ;
humain. Souvent issus de ses poèmes,
moires : le phare de l’Hispano trouant la Of Human Hearts (1938) ; la Ronde des
ses films suivants sont marqués par le
nuit, Garbo pressant amoureusement un pantins (Idiot’s Delight, 1939) ; la Mous-
même gentil moralisme du bonheur (Tes-
bouquet de fleurs sur sa joue ou descen- son (The Rains Came, id.) ; la Vie de
tament, 1974).
dant une colline au crépuscule. En 1926, Thomas Edison (Edison, the Man, 1940) ;
Brown entre à la MGM, où il va s’affirmer Viens avec moi (Come Live With Me,
BROWN (Bryan), acteur australien (Sydney
comme l’un des princes des artisans 1941) ; l’Aventure commence à Bombay
1947).
hollywoodiens. Il se spécialise d’abord (They Met in Bombay, id.) ; Et la vie conti-
Bryan Brown débute sa carrière au
dans le mélodrame, qu’il traite avec une nue (The Human Comedy, 1943) ; les
théâtre dans les années 70 en Angle-
vigueur rare (Âmes libres). Sa collabo- Blanches Falaises de Douvres (The White
terre. Le public australien le découvre
ration avec Greta Garbo se poursuit par Cliffs of Dover, 1944) ; le Grand National
dans Newsfront (Philip Noyce, 1978) et
des réussites comme Anna Christie, et (National Velvet, id.) ; Jody et le Faon
La Ballade de Jimmy Blacksmith (Fred
surtout Inspiration et Anna Karenine. Sa (The Yearling, 1947) ; Passion immortelle
Schepisi, 1979). Breaker Morant (Bruce
collaboration avec Joan Crawford produit (Song of Love, id.) ; l’Intrus (Intruder in the
Beresford, 1979) l’installe en talent incon-
le charmeur Fascination et, surtout, Vivre Dust, 1949) ; Pour plaire à sa belle (To
tournable du cinéma australien. Dans
et aimer, qui conjugue un très grand sens Please a Lady, 1950) ; Angels in the Out-
les années 80, aux États-Unis, il donne du romanesque et une analyse précise field (1951) ; It’s a Big Country (1952 ; CO
la réplique à Tom Cruise (Coktail, Roger du mécanisme social. Mais Brown mani- R. Thorpe, J. Sturges, Ch. Vidor, D. Weis,
Donaldson, 1986), Sigourney Weaver feste aussi un goût particulier pour le film W. Wellman et D. Hartman) ; When in
(Gorilles dans la brume, Michel Apted, familial : s’il use joliment de la nostalgie, il Rome (id.) ; Capitaine sans loi (Plymouth
1988). Bryan Brown incarne l’archétype évite perpétuellement la mièvrerie et pré- Adventure, id.).
du bushman. Sans doute un des acteurs serve même une certaine violence. Impé-
les plus populaires des antipodes avec tueuse Jeunesse et surtout Of Human BROWN (Joseph Even Brown, dit
Sam Neill, il figure au générique des Hearts sont riches de notations justes sur Joe E.), acteur américain (Holgate, Ohio,
films australiens les plus intéressants. les rapports pères/fils, et le dernier film 1892 - Los Angeles, Ca., 1973).
En parallèle de sa carrière au cinéma, est une grande réussite du genre. Plus Il connaît la gloire au début du parlant :
il écrit plusieurs téléfilms et mini-séries. souple que nombre de ses confrères, il On With the Show (A. Crosland, 1929),
Le public du monde entier l’a d’ailleurs est aussi à l’aise dans l’intimisme de Top Speed (M. Le Roy, 1930) dans des
découvert dans une série télévisée, Les Mes petits que dans le gigantisme de la rôles burlesques conformes à son éton-
oiseaux se cachent pour mourir dans Mousson. Sa fine perception des acteurs nant visage, sourire immense et yeux
laquelle il joue aux côtés de son épouse lui permet l’audacieux contre-emploi de plissés. On le voit incarner des quidams
Rachel Ward. Jean Harlow dans Sa femme et sa dac- dont les circonstances exigent des per-

182
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

formances, souvent sportives, hors du l’étrange, nous donne à voir. Mais Freaks lui, jouant avec les décors, il avait recon-
commun. Il revient à l’écran dans Show n’est peut-être que l’aboutissement quis un pouvoir d’émerveillement dont le
Boat (G. Sidney, 1951) et surtout Cer- d’une oeuvre cohérente et parfaitement parlant l’avait le plus souvent frustré. Son
tains l’aiment chaud (B. Wilder, 1959), développée, dont le corpus essentiel est dernier film, Miracles for Sale, bien que
avec assez de fantaisie pour effacer ses constitué par les dix films interprétés par truffé de détails personnels, se trouvera
films médiocres des années 35-40. Lon Chaney. Il n’a cessé d’ironiser sur la singulièrement privé de cette dimension
relativité de la morale, de la normalité ou dépaysante. L’oeuvre de Browning reste
BROWN (Karl), chef opérateur américain du bon sens. Dans cet univers de faux- l’une des plus insolites de l’histoire du
(Mackeesport, Pa., 1896 - Woodland Hills, semblants et de chausse-trapes, même cinéma.
Ca., 1990). la difformité physique peut n’être qu’une Films : Jim Bludso (1917) ; A Love
Il participe aux films de David W. Griffith apparence. Dans l’Oiseau noir, le mé- Sublime (id.) ; Hands up ! (id.) ; Peggy the
Naissance d’une nation (1915) et Intolé- chant est sain de corps, alors que le gentil Will-o‘-the-Wisp (id.) ; The Jury of Fate
rance (1916) et devient un chef opérateur est difforme : mais la fin nous révèle qu’ils (id.) ; The Eyes of Mystery (1918) ; Which
réputé de la période muette : la Caravane ne font qu’un, et une balle perdue créera Woman (id.) ; The Deciding Kiss (id.) ;
vers l’Ouest (1923) et The Pony Express une réelle infirmité là où il n’y avait qu’une Revenge (id.) ; The Legion of Death (id.) ;
(1925) de James Cruze. Il réalise lui- supercherie... On retrouve ce chaos Violence (The Brazen Beauty, id.) ; Set
même quelques films dont The White moral dans l’Inconnu ou dans la Route de Free (id.) ; The Unpainted Woman (1919) ;
Legion (1936) et The Port of Missing Girl Mandalay. Ce contenu perpétuellement Fleur sans tache (The Wicked Darling,
(1938). mystificateur, et volontairement mis en id.) ; The Exquisite Thief (id.) ; l’Autre Par-
abyme, contraste avec une direction dis- fum (A Petal on the Current, id.) ; Bonnie
BROWN (Nacio Herb), musicien américain
crète et sobre. Ses beautés sont sourdes Bonnie Lassie (id.) ; la Vierge d’Istanbul
(Deming, N. Mex., 1896 - San Francisco,
et mystérieuses, surgissant au détour (The Virgin of Stamboul, 1920) ; Révol-
Ca., 1964).
d’un plan, soit en un contraste fulgurant tée (Outside the Law, 1921) ; No Woman
Il reste célèbre pour son association
(le squelette pivotant qui révèle le visage Knows (id.) ; The Wise Kid (1922) ; Man
avec Arthur Freed et pour les chansons
angélique de Mary Nolan, dans le Talion), Under Cover (id.) ; Sous deux drapeaux
qu’ils composèrent. On lui doit notam-
soit en un détail épinglé avec force (Lon (Under Two Flags, id.) ; la Marchande
ment Singin’in the rain, plusieurs fois
Chaney se trahissant à la fin du Club des de rêves (Drifting, 1923) ; White Tiger
utilisée à l’écran depuis sa première
Trois), soit encore dans une atmosphère (id.) ; The Day of Faith (id.) ; The Dange-
apparition dans The Hollywood Revue
justement cernée (le music-hall de l’Oi- rous Flirt (1924) ; Silk Stocking Sal (id.) ;
of 1929 (Charles F. Reisner, 1929). Il a
seau noir). Chez Browning, c’est l’éco- le Club des Trois (The Unholy Three,
collaboré à Chanson païenne (W.S. Van
nomie des moyens face à l’ampleur des 1925) ; la Sorcière (The Mystic, id.) ; Dol-
Dyke, 1929), Une nuit à l’opéra (S. Wood,
résultats obtenus qui intrigue. Quelques lar Down (id.) ; l’Oiseau noir (The Black
1935, pour lequel il composa la chanson
trognes en gros plan suffisent à placer Bird, 1926) ; la Route de Mandalay (The
Alone), San Francisco (W. S. Van Dyke,
l’Oiseau noir sous le signe de Dickens. Road to Mandalay, id.) ; la Morsure (The
1936), Place au rythme (B. Berkeley,
Une baraque dans une jungle de studio Show, 1927) ; l’Inconnu (The Unknown,
1939), Chanson païenne (R. Alton, 1950 ;
paraît tout à coup moite et irrespirable (À id.) ; Londres après minuit (London After
remake du film de Van Dyke) et évidem-
l’Ouest de Zanzibar, Loin vers l’Est). Une Midnight, id.) ; le Loup de soie noire (The
ment Chantons sous la pluie (S. Donen et
perspective factice de toits nocturnes Big City, 1928) ; le Talion (West of Zan-
G. Kelly, 1952).
crée tout à coup un décalage poétique zibar, id.) ; Loin vers l’Est (Where East is
BROWNING (Tod), cinéaste américain inattendu (la Morsure). Quelques murs East, 1929) ; The Thirteenth Chair (id.) ;
(Louisville, Ky., 1882 - Santa Monica, Ca., nus suffisent à prendre un personnage Gentleman Gangster (Outside the Law,
1962). au piège du destin (l’Inconnu). Lon Cha- remake, 1930) ; Dracula (id., 1931) ; The
Le jeune Tod Browning s’enfuit de chez ney était pour Browning un instrument de Iron Man (id.) ; la Monstrueuse Parade
ses parents pour gagner sa vie dans les rêve, préservant à la fois le pathétique, la (Freaks, 1932) ; Fast Workers (1933) ; la
baraques foraines et les cirques. Acteur bouffonnerie et le secret de son univers. Marque du vampire (Mark of the Vampire,
de théâtre, puis de cinéma, il devient Même si on ne s’en est pas aperçu im- 1935) ; les Poupées du diable (The Devil
enfin assistant de D. W. Griffith et aborde médiatement, à cause du succès du trop Doll, 1936) ; Miracles for Sale (1939).
le court métrage comme réalisateur. Il sage Dracula (1931), le parlant a sonné le
passe au long métrage en 1917, en coréa- glas de ce cinéaste unique. The Iron Man BROWNLOW (Kevin), cinéaste, monteur
lisant avec Wilfred Lucas Jim Bludso. Dès est un film de boxe assez conventionnel. et historien britannique (Crowborough
1919, dans Fleur sans tache, il rencontre La splendeur de la photo de James Wong 1938).
un acteur dont l’univers prolonge et re- Howe pour la Marque du vampire ne peut Passionné dès l’enfance par le cinéma, il
coupe le sien : Lon Chaney ; ils tourneront masquer que le climat des films de Brow- y débute comme monteur après plusieurs
dix films ensemble. Les mélodrames qu’il ning est désormais réduit à une pure rhé- réalisations en amateur. Son activité dès
a réalisés jusqu’en 1924, dans l’état ac- torique. Il lui faudra une distribution assez lors est triple. Monteur, il supervise entre
tuel de nos connaissances, ne semblent anonyme mais fantastique pour qu’il autres le montage de la Charge de la
être qu’un apprentissage, avant que la retrouve, intact, le dynamisme de son ins- brigade légère (T. Richardson, 1968) ou
bizarrerie de son monde ne s’affirme piration (Freaks). Reste surtout les Pou- reconstitue la version intégrale du Napo-
avec éclat dans le Club des Trois (1925). pées du diable, en 1936, réussite difficile léon d’Abel Gance. Réalisateur, il s’asso-
Ce film criminel, qui se déroule dans les du mélodrame fantastico-féerique, dont cie à Andrew Mollo pour diriger En Angle-
milieux, chers à Browning, des baraques on a minimisé l’importance par rapport terre occupée (It Happened Here, 1964)
foraines, frappe par son étrangeté et par à Freaks : Browning y affrontait des ac- et Winstanley (id., 1975), qui cherchent
l’extravagance des caractères et des si- teurs à sa (dé)mesure. Lionel Barrymore, dans un passé fictif, détourné ou occulté
tuations. Pendant longtemps, on a réduit presque aussi troublant que Lon Chaney, les échos de notre histoire. Historien de
Browning à la saisissante Monstrueuse sous son déguisement de vieille dame cinéma enfin, il recueille dans ses livres
Parade (Freaks, 1932), célèbre pour ses meurtrière, et Rafaella Ottiano, étourdis- (The Parade’s Gone by, 1968 ; The War,
démêlés avec la censure des studios. sante fée Carabosse, à la chevelure zé- the West and the Wilderness, 1980)
Certes, il y a de quoi être surpris de ce brée d’un éclair blanc, y trouvaient le ton comme dans ses émissions télévisées
que ce cinéaste, touché par la grâce de exact recherché par Browning. Quant à (Abel Gance — the Charm of Dynamite,

183
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

1968, ou la série Hollywood, 1980) le té- Pour les ambiances, on utilise géné- de petites surfaces de sol couvertes de
moignage de tous ceux — techniciens et ralement des enregistrements réels de divers matériaux : bois, ciment, gravier,
artistes — qui ont vécu cette histoire (cf. pluie, de vent, etc. Par contre, les bruits pavés, etc. Les bruits de portes et de
Hollywood, les Pionniers, Paris, 1981). courts et localisés qui accompagnent des fenêtres sont recréés grâce à des portes
On lui doit également, toujours à la télé- gestes précis sont couramment recréés et à des fenêtres factices destinées à cet
vision, des émissions documentaires sur en studio. usage. Quand il s’agit de bruits à syn-
Chaplin (Unknown Chaplin), Keaton (A Les bruits sont reconstitués pour des chroniser étroitement sur des actions
Hard Act to Follow) et Harold Lloyd. raisons techniques. En effet, lorsqu’ils visibles (pas, coups de marteau, etc.), le
sont enregistrés avec les sons directs, bruiteur travaille en suivant l’image qu’on
BRUCKMAN (Clyde), cinéaste et scé- ils ne peuvent plus être traités distinc- lui projette, de la même façon qu’on pro-
nariste américain (San Bernardino, Ca., tement des dialogues avec lesquels ils cède pour le doublage ou la postsynchro-
1894 - Santa Monica, Ca., 1955). se trouvent naturellement mixés. Pour nisation. ( DOUBLAGE.)

Journaliste, il est engagé par Jack War- conserver l’intelligibilité des dialogues, Il arrive aussi que l’on utilise des bruits
ner comme scénariste, puis entre dans le rapport de niveau entre les bruits et tout faits, puisés dans des sonothèques,
l’équipe de Joseph Schenck, où il devient les dialogues n’est, après mixage, que c’est-à-dire des collections de sons, sur
scénariste et gagman attitré de Buster très rarement équivalent à l’écart réel. bande magnétique ou sur disque numé-
Keaton. C’est pour lui qu’il écrit les Trois La reproduction multicanale au cinéma riques (CD audio), constituées à cet
Âges et les Lois de l’hospitalité (1923), nécessite de répartir les sons distincte- usage. Ces bruits présentent générale-
Sherlock Jr. et la Croisière du Naviga- ment sur les différentes voies (ou canaux) ment l’inconvénient d’être assez stéréo-
tor (1924), les Fiancées en folie (1925) de diffusion dans la salle. Il est donc in- typés.
et l’Opérateur (1928). Il signe avec le dispensable que les bruits soient isolés Quant aux ambiances continues des-
célèbre acteur la réalisation du film le des paroles, même s’ils sont étroitement tinées à soutenir une scène longue (bruit
Mécano de la « General » en 1926. Il associés. de la mer, par exemple), elles sont sou-
poursuit sa carrière de cinéaste habile, Un cinéaste comme J.-L. Godard a vent générées grâce à une courte lon-
rompu aux lois de l’équipe et à celles joué délibérément, dans plusieurs de gueur de bande magnétique montée en
du burlesque, jusqu’en 1935, dirigeant ses films diffusés en mono, de cet effet boucle. En contrepartie des économies
Lloyd, Andy Clyde, Laurel et Hardy dans perturbant. On préfère presque toujours, de temps et de bande ainsi réalisées,
quelques-uns de leurs courts métrages au tournage, privilégier l’enregistrement cette formule souffre de procurer une cer-
les plus destructifs (la Bataille du siècle des voix, et capter un minimum de bruits taine monotonie.
[The Battle of the Century], 1927) ou réels, soit en évitant que ceux-ci ne se Paradoxalement, le silence figure
W. C. Fields dans deux de ses appari- produisent, soit en les étouffant (rondelles parmi les ambiances. En effet, même en
de feutre sous les verres et les assiettes, l’absence de dialogue ou de bruit caracté-
tions les plus accomplies, le Fatal Verre
par exemple). A ces points, il faut ajouter risé, chaque lieu possède un bruit de fond
de bière (The Fatal Glass of Beer, 1933)
la nécessité des raccords sonores lors propre, ne serait-ce que la respiration et
et les Joies de la famille (The Man on the
des changements de plans et la confec- les petits mouvements des personnes
Flying Trapeze, 1935). Il se suicide, ruiné
tion de la bande internationale ( BANDE présentes sur le plateau multipliés par
et oublié de tous.
SONORE). l’acoustique du local. Il ne suffit donc pas
BRUITAGE. Les bruits sont donc généralement d’intercaler un fragment de bande vierge
Action de recueillir, de reconstituer en au- enregistrés à part, soit sur le lieu de tour- pour obtenir le silence vivant d’un lieu :
ditorium (studio), d’enregistrer les bruits nage en sons seuls. l’oreille reconnaîtrait aussitôt un silence
d’un film. Dans un sens plus restreint, la Cette technique présente plusieurs technique. Il faut enregistrer, sur le lieu
production ou l’imitation de certains bruits avantages. On peut travailler les sons, de tournage, des silences (en studio, on
par un technicien spécialisé. D’une façon les recomposer, les imaginer à volonté, parle de « silence plateau ») dans les-
générale, le bruitage consiste à recueillir, un peu de la même façon qu’on recom- quels on puisera au montage pour com-
à reconstituer, en auditorium si néces- pose la lumière au tournage. On peut les bler les intervalles entre les répliques ou
saire, et enfin à assembler les différents enregistrer dans des conditions idéales les bruits.

bruits destinés à être incorporés dans (notamment dans des conditions d’inso- Finalement, les bruits qui accom-
la bande sonore en regard des images norisation parfaite lorsqu’on travaille en pagnent les images sont rarement les
qu’ils doivent accompagner. auditorium), avec la liberté de recommen- bruits captés au moment du tournage en
cer autant de fois qu’on le désire. même temps que les images et les voix.
On appelle aussi bruitage la production
En revanche, on attend de ces bruits La notion de son direct, ici, n’a pas telle-
ou l’imitation de certains bruits, en audito-
enregistrés à part qu’ils donnent l’im- ment de sens. Robert Bresson raconte,
rium, par un bruiteur professionnel.
pression du vrai. Pour le son seul, cette à propos de son film Pickpocket, que
Dans le langage du cinéma, on appelle
véracité est en principe assurée par le les bruits de Paris, « imprimés directe-
effets tous les éléments sonores qui ne
fait même que les bruits enregistrés sont ment sur la bande magnétique, n’avaient
sont ni de la parole ni de la musique,
identiques aux bruits réels du tournage. donné qu’un affreux embrouillamini ». Il
encore que la rumeur des conversa-
(Le seul problème est de bien les caler, lui fallut donc les recomposer afin de les
tions dans un café soit par exemple elle
au montage, en regard des images qu’ils rendre audibles. (Bresson méritait d’être
aussi un élément de bruitage. Ces effets
doivent accompagner.) cité ainsi que J. Tati – dont les films de-
peuvent être :
Pour les bruits recréés en studio, tout meurent des modèles du genre – pour
– des bruits proprement dits (bruits de leur conception particulièrement créative
repose sur l’art du bruiteur. Le travail des
pas, d’objets qui tombent ou que l’on dé- bruiteurs professionnels, peu nombreux du bruitage.)
place, bruits d’armes et de bagarre [très et très demandés, relève d’un artisanat Curieusement (ou plutôt : logiquement),
importants dans les films d’action !], bruits pittoresque, d’un savoir-faire à base de c’est dans les films de genre (action, poli-
de véhicules, de machines, de fermetures tours de main et de système D, mettant cier, fantastique, science-fiction) que le
de portes ou de fenêtres) ; en oeuvre les accessoires les plus inat- bruitage a pris une importance nouvelle
– des bruits d’ambiance (bruits du- tendus (par exemple des noix de coco et a fait l’objet d’une véritable invention,
rables dans lesquels baigne une scène : pour imiter le galop des chevaux). Les pour renforcer les effets visuels (films
vent, pluie, ressac des vagues). bruits de pas sont imités en marchant sur de poursuites, de combats) ou bien pour

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

imposer la réalité d’un univers fantastique ou par mise en vibration des structures BRUITS.
(dans la science-fiction ou le fantastique : (circulation, transmission depuis une Éléments de la bande sonore d’un pro-
bruitages de machines imaginaires, d’ani- salle voisine, bruits de pas dans un local gramme audiovisuel appartenant à la
maux ou de créatures extraterrestres). voisin, ...). La réduction de ces bruits catégorie des effets, autres que paroles
L’utilisation, dans un nombre croissant difficilement contrôlables passe par une et musiques. ( BANDE SONORE, BRUI-
de films, de sons numériques spatialisés isolation acoustique du local vis-à-vis de TAGE.)
n’ayant pas d’équivalence parmi les sons l’extérieur et par un traitement acous-
naturels, a fait apparaître des presta- BRULÉ (André), acteur français (Sceaux
tique des parois pour éviter la réflexion
taires de services spécialisés proposant 1879 - Paris 1953).
des sons. Des normes définissent les
la création de ces « sons spéciaux ». Avant 1914, il interprète avec romantisme
niveaux sonores acceptables en fonction
D’une façon générale, n’oublions pas les jeunes premiers (il est un brillant
de l’activité, ainsi que les équipements et
que la réussite d’une cascade repose en Arsène Lupin) mais dédaigne le cinéma.
les méthodes de mesure.
grande partie sur la qualité du bruitage. En 1938, pour un rôle de séducteur vieilli,
Bruit de fond électroacoustique – Feyder lui fait donner la réplique à Fran-
( CASCADE.)
Ce problème particulièrement sensible çoise Rosay. Il joue dans son registre :
Le bruitage existait de manière spo-
à l’époque des chaînes d’amplification à panache et désinvolture et gagne la par-
radique au temps du cinéma... muet :
tubes électroniques et des procédés d’en- tie (les Gens du voyage, 1938). Ni Vidocq
bruitages effectués pendant la projec-
registrement et de reproduction sonore (J. Daroy, 1939) ni Métropolitain (Cam,
tion ou bien effets sonores enregistrés
analogiques, est devenu mineur depuis id.) ne lui font retrouver cet éphémère
sur disques. Aux débuts du parlant, le
l’arrivée du numérique où le bruit de fond succès, pas plus que les films policiers
bruitage s’effectuait souvent au moment
des équipements est devenu négligeable. d’Yvan Noé, ni la dernière oeuvre de Fes-
même du tournage, jusqu’à ce que les
court (Retour de flamme, 1943).
progrès techniques permettent le mixage Au cinéma, l’exemple le plus caractéris-
et donc l’enregistrement séparé des di- tique est la piste sonore optique dont le
BRUNI-TEDESCHI (Valeria), actrice franco-
vers éléments sonores. bruit de fond, important du fait du prin-
italienne (Turin 1964).
La généralisation des équipements cipe mis en oeuvre, augmentait régulière-
Fille d’un industriel italien ayant quitté
numériques et la mise en réseau des ment au fur et à mesure de l’exploitation
son pays pour la France et qui est éga-
données son à l’intérieur d’un même éta- de la copie en raison de l’accumulation lement compositeur, elle débute au
blissement entre le montage et le mixage, de poussières, de rayures de la couche cinéma en France en 1986 et tourne en
associé à l’utilisation d’équipements d’émulsion, et de l’abrasion du support. Italie à partir de 1989. Il ne s’agit encore
d’enregistrement sur disque durs com- Le « Dolby-Stéréo », mettant en oeuvre que de rôles secondaires jusqu’à Agnes.
patibles pour les travaux de montage, un procédé de réduction de bruit de fond (Giorgio Molinetti, 1992, en Italie) et Les
d’enregistrement (bruitages et post-syn- analogique, avait représenté un progrès gens normaux n’ont rien d’exceptionnel
chronisation) et de mixage a modifié les important. de Laurence Ferreira-Barbosa (1993)
procédures de travail pour la constitution
L’arrivée des procédés d’enregistre- qui lui vaut la consécration. Elle affirme
de la « bande effets » des films. Encore
ment numériques a éliminé ce problème un même tempérament dans Oublie-moi
que cette dénomination n’ait plus le de Noémie Lvovsky (1995) et devient
résultant de la dégradation des enre-
même sens aujourd’hui, puisqu’il n’existe une figure-clé du jeune cinéma français.
gistrements au fur et à mesure de leur
plus de bande physique où se trouvent En Italie, sa carrière est relancée par la
enregistrés l’ensemble des effets. Mal- exploitation. De par leur principe, l’enre-
Seconda volta de Mimmo Calopresti en
gré ces évolutions, le travail du bruiteur gistrement ou la reproduction numériques
1996 – avec qui elle tournera de nouveau
pour recréer les bruits reste toujours n’apportent aucun bruit de fond lors de
Mots d’amour, ainsi qu’avec Bellochio.
aussi pittoresque, seuls les équipements reports (recopies) ou lectures (usure des
Elle joue en France notamment dans
techniques ont notablement évolué, car il copies) successifs.
Encore de Bonitzer, Ceux qui m’aiment
est possible d’enregistrer, en parallèle, un Systèmes réducteurs de bruit de prendront le train de Chéreau, Au coeur
nombre important de pistes, ce qui n’était fond – Ces systèmes analogiques per- du mensonge de Chabrol, et dans des
pas le cas avec les équipements analo- mettent d’adapter les conditions d’enre- films de Dominique Cabrera, Marion Ver-
giques à bandes perforées. gistrement pour minimiser le bruit de fond noux – ou encore avec le Lituanien Sha-
propre au système d’enregistrement ou runas Bartas (The House).
BRUIT DE FOND.
de lecture. Ces systèmes ont été très em-
Bruit parasite qui se superpose au signal
ployés pour les enregistrements analo- BRUNIUS (Jacques Henri Cottance, dit
proprement dit. Le bruit de fond peut avoir Jacques-Bernard), écrivain, acteur et
giques sur bandes magnétiques et sur la
deux origines, acoustique – bruit de fond cinéaste français (Paris 1906 - Exeter,
piste photographique des films. L’arrivée
provenant de l’environnement (circula- Grande-Bretagne, 1967).
du son numérique à tous les stades de la
tion, activités industrielles, voisinage, ...), Une « prodigieuse soif de tout connaître »
ou électroacoustique – bruits provenant production à l’exploitation a fait progressi-
(Claude Fabrizzio) caractérise ce garçon
des équipements d’enregistrement, de vement disparaître ces équipements des
aux dons multiples, tour à tour ingé-
reproduction et des chaînes d’amplifica- auditoriums et des studios d’enregistre-
nieur, poète, peintre, essayiste, membre
tion. ment. Seule la piste photographique ana-
du groupe surréaliste puis du groupe
Pour ne pas être perturbant, le bruit logique des copies de films est conservée
Octobre... On le verra assistant réalisa-
de fond doit être suffisamment faible par car elle permet au film 35 mm de conser- teur (de René Clair, Luis Buñuel, Jean
rapport au plus faible niveau du message ver son universalité et sert de secours en Renoir), critique (à la Revue du cinéma,
utile pour ne pas en altérer l’intelligibilité. cas de défaillance des systèmes numé- à Cinéma/Tograph, à l’Écran français),
Bruit de fond acoustique – Il peut pro- riques. auteur de courts métrages (Records 37,
venir du bruit des équipements propres 1937 ; Violons d’Ingres, 1939), de films
à l’activité (bruit du projecteur, ventila- BRUITEUR. publicitaires et pour enfants (To the
tion d’une console dans un auditorium, Spécialiste capable de recréer les bruits Rescue, 1952). On le retrouvera acteur
vibrations du matériel d’éclairage dans un de la bande sonore d’un film, souvent au (dans L’affaire est dans le sac, de J. et
studio de prise de vues, ...) ou de bruits moyen d’accessoires très hétéroclites. P. Prévert, Une partie de campagne de
extérieurs transmis au travers des parois ( BRUITAGE.) J. Renoir et dans la Belle Espionne de

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

R. Walsh, entre autres), historien (En padrone sono me (1956), analyse les rap- opérette de Richard Rogers et Oscar
marge du cinéma français), traducteur de ports entre père et fils dans une famille Hammerstein, et repris naturellement son
Lewis Carroll, etc. Émigré en Angleterre bourgeoise. Son film suivant, le Désordre rôle dans la version filmée en 1956 par
en 1940, il s’y établit et y mourut en 1967. (Il disordine, 1962), est une fresque Walter Lang (où il remporte l’Oscar du
sociale inspirée par la dolce vita sur la meilleur acteur). Depuis, sa personnalité
BRUNIUS (John W.), cinéaste suédois corruption à Milan au moment du boom est devenue inséparable de ce person-
(Stockholm 1884 - id. 1937). économique. Après Tenderly (1968) et nage au crâne rasé, à la voix grave et au
Acteur de théâtre, il aborde la mise en les Tulipes de Haarlem (I tulipani di Haar- charme exotique. Ses débuts cinémato-
scène de cinéma par un conte de fées, le lem, 1970), de légères histoires d’amour, graphiques, avec la Brigade des stupé-
Chat botté (Mästerkatten i stövlar, 1918), il tourne Pain et Chocolat (Pane e ciocco- fiants (L. Benedek, 1949), sont beaucoup
suivi d’une adaptation d’un roman folklo- lata, 1974), comédie un peu surréelle sur moins marquants. Mais le succès du Roi
rique de Bjornstjerne Björnson : la Petite les mésaventures d’un ouvrier italien émi- et moi (W. Lang, 1956) lui vaut d’incarner
Fée de Solbakken (Synnove Solbakken, gré en Suisse, qui est son premier suc- des personnages exceptionnels : le Ram-
1919). Auteur notamment du Moulin en cès critique et commercial — dû aussi à sès des Dix Commandements (C. B. De
feu (Kvarnen, 1921), de ‘ l’Oiseau sau- l’extraordinaire performance du protago-
Mille, 1956), Salomon dans Salomon et
vage ’/‘ le Sans Logis ’ (En vildfågel, id.), niste Nino Manfredi. Dans Oublier Venise
la Reine de Saba (K. Vidor, 1959), le rôle-
et de ’Volontés de fer‘ (Härda vilgor, (Dimenticare Venezia, 1979), il adapte
titre de Tarass Boulba (J. Lee Thompson,
1922, d’après Knut Hamsun), il est sur- des souvenirs personnels mêlant, entre
1962). Dans d’autres films, comme Anas-
tout connu pour ses fresques historiques passé et présent, deux couples homo-
tasia (A. Litvak, 1956) et le Voyage (id.,
ou épiques : ’le Chevalier errant‘ (En sexuels, dans une atmosphère presque
1959), les Boucaniers (A. Quinn, id.), les
lyckoriddare, 1921) ; ’Vox Populi‘ (Johan bergmanienne. En 1982 il signe le Bon
Frères Karamazov (R. Brooks, id.) et le
Ulfstjerna, 1923) ; ’Charles XII‘ (Karl Soldat (Il buon soldato), et en 1988 Lo
Bruit et la Fureur (M. Ritt, 1959), il prouve
XII, 1924-25) ; ’les Récits de l’enseigne zio indegno.
que l’on peut compter aussi, à l’occasion,
Stal‘ (Fänrik Stål sägner, 1925) ; ’Gustav
Wasa‘ (1928). En retrait de Sjöström et sur ses talents d’acteur. Il fait une appari-
BRUSTELLIN (Alf), cinéaste allemand
de Stiller, il apparaît néanmoins comme (Vienne 1940 - Munich 1981). tion dans le Testament d’Orphée (J. Coc-
un des auteurs notables de l’âge d’or du D’abord acteur de cabaret puis journa- teau, 1960), remporte un succès mondial
cinéma muet suédois. Le parlant, qu’il liste, il est chef opérateur depuis 1968, avec les Sept Mercenaires (J. Sturges,
confond avec le verbiage, ne lui réussit entre autres de Bernhard Sinkel pour id.), puis s’éloigne progressivement d’un
guère (on lui doit une version suédoise Lina Braake (1975). Il coréalise par la cinéma qui ne lui donne plus que rare-
du Marius de Pagnol : ’la Nostalgie des suite avec ce dernier Berlinger (id.), la ment des rôles intéressants (sinon dans
ports‘ [Längtan till havet], 1931). Guerre des jeunes filles (Der Mädchen- le Mercenaire de minuit, R. Wilson, 1964,
krieg, 1977), une ample évocation histo- et Mondwest, M. Crichton, 1973), parce
BRUNOY (Blanchette Bilhaud, dite Blan- rique. On leur doit aussi un épisode du qu’il utilise jusqu’à satiété son image de
chette), actrice française (Paris 1918). retentissant pamphlet politique collectif, marque stéréotypée de séducteur chauve
Filleule de l’écrivain Georges Duhamel, l’Allemagne en automne (Deutschland au regard magnétique et à la sensualité
c’est l’ingénue type du cinéma français. im Herbst, 1978), et l’interview de l’avo- « barbare ».
Elle a débuté en incarnant un fruit vert : cat Horst Mahler emprisonné pour son
Claudine à l’école (S. de Poligny, 1938) aide aux terroristes de la fraction Armée BRYNYCH (Zbynk), cinéaste tchèque
et a dessiné le personnage de Flore rouge. Brustellin a réalisé seul ’la Chute‘ (Prague 1927 - id. 1995).
dans la Bête humaine (J. Renoir, 1938). (Der Sturz, 1978). Influencé par le néoréalisme italien, il
Ses personnages préférés restent pour- tourne son premier film en 1958 : ‘ Ro-
tant des filles simples et courageuses : BRUTE (mot anglais, prononc. « broute »). mance du faubourg ’ (Žižkovska romance).
l’Empreinte du dieu (L. Moguy, 1941), Très puissant projecteur à arc. ( ÉCLAI- Il cherche son style dans quelques autres
Goupi Mains rouges (J. Becker, 1943), RAGE.) tentatives (‘ le Dérapage ’ [Smyk], 1960)
Au bonheur des dames (A. Cayatte, id.). et s’impose à l’attention en 1962 avec
Autres rôles plus nuancés : le Café du BRYNNER (Jules Bryner, dit Yul), acteur
Transport au paradis (Transport z ráje),
Cadran (Jean Gehret, 1947), la Marie du suisse (Vladivostok, URSS, 1920 - New
d’après des récits d’Arnošt Lustig, qui
port (M. Carné, 1950). York, N. Y., 1985).
évoque dans un style semi-documentaire
Issu, selon toute probabilité, d’un père
la visite d’une commission internationale
BRUSATI (Franco), cinéaste, scénariste et helvète d’origine mongole et d’une mère
de la Croix-Rouge au ghetto de Terezin.
écrivain italien (Milan 1922 - id. 1993). roumaine tsigane, le futur mercenaire
Il fait alterner l’expressionnisme (le Cin-
Après des études en droit et sciences au crâne rasé se complaît à brouiller les
quième Cavalier c’est la peur [... a páty
politiques, il travaille comme journaliste et pistes et déclare même, à un journaliste
jezdec je strach], 1964) et l’intimisme (‘ la
pour le théâtre. Il écrit ses premiers scé- trop curieux, que les secrets de l’enfance
Constellation de la Vierge ’ [Souhvezdi
narios (1950) en collaboration : Mara, fille sont tout ce qu’un acteur peut encore
panny], 1965) avant de retrouver l’am-
sauvage (M. Camerini), Dimanche d’août garder pour soi. Ses ascendants décla-
biance qui lui sied le mieux : la parabole
(L. Emmer), Atto di accusa (Giacomo rés (il confesse à qui veut l’entendre que
politique oppressive traitée dans un style
Gentilomo). Suivent vingt scénarios en son nom véritable est Taidje Khan) et ses
tout genre dont il est également le coau- lieux de naissance avoués (quelque part qui côtoie le fantastique (Moi la justice [Já
teur : comédies (Due mogli sono troppe, dans l’île Sakhaline) sont aussi variés spravedlnost], 1967, d’après le roman de

M. Camerini, 1951 ; les Infidèles, Steno et que fantaisistes. Ses débuts ne le furent Miroslav Hanus). Une carrière en dents
M. Monicelli, 1953) ; mélodrames (Anna, pas moins. Mais il se lie aux Pitoëff, tra- de scie que la « normalisation » du pays
1951, et les Adolescentes, A. Lattuada, vaille, acteur et machiniste, au théâtre conduira sur les voies de l’académisme
1960) ; grands spectacles (Ulysse, Came- des Mathurins à Paris, part pour les et du conformisme (‘ Quelle est la cou-
rini, 1954 ; Roméo et Juliette, F. Zeffirelli, États-Unis (théâtres, TV) et devient ve- leur de l’amour ? ’ [Jakou barvu má láska,
1968) ; drames sociaux (Smog, F. Rossi, dette de shows à Broadway : Lute Song 1973 ; ‘ la Nuit des feux oranges‘ [Noc
1962 ; Una vita violenta, P. Heusch et (1946), Dark Eyes et, surtout, The King oranžovÿch oh], 1975) ; ’la Mi-Temps
B. Rondi, id.). Sa première mise en scène, and I (1951), qui lui apporte la consé- du bonheur‘ [Poloas Štstí, 1984]). Il
d’après un roman de Alfredo Panzini, Il cration. Il a joué plus de 3 000 fois cette tourne ensuite pour la TV allemande.

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

BU Wancang, cinéaste chinois (Tianchang, les Blagueurs (Spassvögel, 1938), le film Halbstarken, Georg Tressler, 1956). On
prov. d’Anhui, 1903 - Hongkong 1974). policier : Der Fall Deruga (id.), le musi- le voit alors, adolescent devenu jeune
À dix-huit ans, il participe pour la pre- cal, le Heimatfilm, et le drame historique homme ambigu, dans de nombreux
mière fois à un film comme assistant à contenu nationaliste : Der Katzensteg films réalisés par Tressler (dont Das
du cameraman américain d’une petite (1937, troisième version cinématogra- Totenschiff, 1959), Kurt Hoffmann (Die
compagnie de Shanghai. En 1924, il phique du roman de Sudermann). Auteur
Bekenntnisse des Hochstaplers Felix
est cameraman de deux films du studio de pièces de théâtre populaires, dont plu-
Krull, 1957), Rolf Hansen (Résurrection,
Dazhonghua et, en 1925, d’un film du sieurs ont été adaptées à l’écran, il a écrit
1958), Josef von Baky (Un petit coin de
studio Minxin. En 1926, il réalise ‘ Pure des scénarios pour Karl Anton, Veit Har-
paradis, 1957), Käutner (Monpti, id.), etc.
comme le jade, claire comme la glace ’ lan, Heinz Rühmann et lui-même. Après
Il tourne en Grande-Bretagne (les Yeux
(Yujie bingqing) pour la Mingxing, sur un la guerre, il ne travaille plus qu’occasion-
scénario d’Ouyang Yuqian. Réalisateur, du témoin, J. Lee Thompson, 1959) puis
nellement pour le cinéma (réalisation de
parfois scénariste, pour les compagnies Cuba Cabana, 1952). à Hollywood, où il durcit son personnage :
Mingxing, Lianhua, Xinren, Yihua, etc., les Sept Mercenaires (J. Sturges, 1960),
jusqu’en 1937, il tourne 24 films. Parmi BUCHANAN (Edgar), acteur américain Un, deux, trois (B. Wilder, 1961), Fanny
les plus importants : ‘ Rêve printanier au (Humansville, Mo., 1903 - Palm Desert, Ca., (J. Logan, id.), À neuf heures de Rama
bord du lac ’ (Hubian chunmeng, 1927) ; 1979). (M. Robson, 1963). Il tourne aux côtés
‘ Amour et Devoir ’ (Lian’ai yu yiwu, 1931), Acteur de composition et spécialiste du de Bette Davis dans l’Ennui (D. Damiani,
d’après un roman polonais ; ‘ Les fleurs western, ses personnages se caracté-
1963). En Europe, il est la vedette de
de pêchers pleurent des larmes de sang ’ risent par leur malice ou leur bonhomie
coproductions à grand budget comme
(Taohua qixue ji, 1931) ; ‘ Une branche de campagnarde. Son jeu coloré fait de
la Fabuleuse Aventure de Marco Polo /
prunier ’ (Yijian mei, 1931), inspiré de Two lui le partenaire privilégié d’acteurs à la
l’Échiquier de Dieu (D. de La Patellière,
Gentlemen of Verona de Shakespeare. Glenn Ford (cf. leur série Sam Cade),
1965) et les Aventures extraordinaires
Ces quatre films furent critiqués par la Alan Ladd, Tyrone Power. Il débute en
1940 dans My Son is Guilty de Charles de Cervantès (Cervantes, V. Sherman,
gauche parce que trop occidentalisés à
ses yeux. Ensuite, il réalise, sur quatre T. Barton et, parmi cent titres, tourne 1968). Il se consacre de plus en plus au
scénarios de Tian Han, ‘ Trois Femmes notamment : l’Aigle des mers (M. Cur- théâtre et, depuis l’Astragale (G. Casaril,
modernes ’ (Sange modeng nüxing, tiz, id.), Arizona (W. Ruggles, id.), la 1968), n’apparaît plus à l’écran qu’épiso-
1933), ‘ Lumière maternelle ’ (Muxing zhi Chanson du passé (G. Stevens, 1941), diquement, notamment sous la direction
guang, 1933), ‘ l’Âge d’or ’ (Huangjin shi- Texas (G. Marshall, id.), la Justice des d’Andrew L. Stone (remake de Toute la
dai, 1934) et ‘ Chant de victoire ’ (Kaige, hommes (Stevens, 1942), Buffalo Bill ville danse, 1973), de K. Zanussi (The Ca-
1935). Dans la quinzaine de films qu’il (W. Wellman, 1944), la Flèche noire (The tamount Killing, 1974) d’Irving Kerschner
tourne pendant l’époque de l’« île orphe- Black Arrow, G. Douglas, 1948), la Porte (Raid sur Entebbe, 1976), d’A. McLaglen
line », il traite souvent de sujets histo- du diable (A. Mann, 1950), l’Attaque de
(Sahara, 1984) et de W. Wenders (Si loin,
riques non dépourvus d’allusions anti- la malle-poste (H. Hathaway, 1951),
si proche, 1993).
japonaises : Diao Chan (1938) ; ’Mulan l’Homme des vallées perdues (Stevens,
rejoint l’armée‘ (Mulan congjun, 1939) ; 1953), le Nettoyeur (Marshall, 1955), Dé-
BUCHMAN (Sidney), scénariste et pro-
en 1940, ’Souwou garde les moutons‘ (Su sirs humains (F. Lang, id.), la Vallée de la
ducteur américain (Duluth, Minn.,
Wu muyang) et Xi Shi. En 1941, il est l’un poudre (Marshall, 1958), les Comanche-
1902 - Cannes, France, 1975).
des réalisateurs de ’Famille‘ (Jia) d’après ros (Curtiz, 1961), Coups de feu dans la
Il débute comme régisseur à l’Old Vic de
le roman de Ba Jin. En 1943, il signe ’Fra- sierra (S. Peckinpah, 1962), le Mors aux
ternité‘ (Bo’ai) ; en 1945, ‘ le Rêve dans Londres et écrit deux pièces de théâtre
dents (B. Kennedy, 1965) et Benji (Joe
le pavillon rouge ’ (Honglou meng). À Camp, 1974). avant d’être engagé par la Paramount
Chongqing et Chengdu, il met en scène en 1930. À la Columbia, où il est bien-
plusieurs pièces de théâtre. En 1947, il BUCHANAN (Jack), acteur, cinéaste et tôt le scénariste favori de Harry Cohn, ce
s’installe à Hongkong et réalise pour la producteur britannique (Helensburgh fervent admirateur de George Bernard
Yonghua ‘ l’Âme de la Chine ’ (Guohun, 1891 - Londres 1957). Shaw contribue à l’avènement de la co-
1948). En 1951, il fonde la compagnie Il a joué de nombreuses comédies mu-
médie loufoque en prêtant son talent à
Taishan, pour laquelle il dirige six films, sicales lorsqu’il débute au cinéma en
Gregory La Cava (J’ai épousé le patron,
dont ‘ Portraits de belles ’ (Shunü tu, 1917. Star du cinéma anglais, on le ré-
1935), Richard Boleslawsky (Théodora
1952). En 1956, il coréalise ‘ Fleur d’or et clame aux États-Unis, où il a la vedette
devient folle, 1936), Leo McCarey (Cette
sang de jade ’ (Bixie huanghua), histoire dans Monte-Carlo (E. Lubitsch, 1930). Il
sacrée vérité, 1937) ou George Cukor
des « 72 martyrs de Canton », à la veille revient en Angleterre pour se partager
entre la scène et l’écran (Fausses Nou- (Vacances, 1938). Ses oeuvres les plus
de la révolution de 1911. On peut encore
citer ‘ Une longue rue ’ (Chang xiang, velles, R. Clair, 1938). Il réalise en 1935 ambitieuses sont M. Smith au Sénat

1956), ‘ le Petit Vagabond ’ (Kuer liulang That’s a Good Girl, mais c’est pourtant (F. Capra, 1939), une fable populiste qui
ji, 1960) et son dernier film en 1963, ‘ la aux États-Unis qu’il trouve son rôle le plus brocarde la corruption des politiciens,
Dame au luth ’ (Zhao Wuniang). fameux, celui du producteur mégalomane et la Justice des hommes (G. Stevens,
de Tous en scène (V. Minnelli, 1953). Il 1942), réflexion amère sur les institutions
BUCH (Fritz Peter), cinéaste et scéna- interprète aussi le rôle-titre dans les Car- américaines, mais c’est une comédie fan-
riste allemand (Francfort-sur-l’Oder nets du Major Thompson (P. Sturges, tastique (le Défunt récalcitrant d’A. Hall)
1894 - Vienne, Autriche, 1964). 1955). qui lui vaut un Oscar en 1941. Porté en
Docteur en philosophie, il devient metteur
1951 sur les « listes noires » pour avoir
en scène et directeur de théâtre à Berlin. BUCHHOLZ (Horst), acteur allemand (Ber-
adhéré au parti communiste pendant la
C’est en 1935 qu’il réalise son premier lin 1933).
guerre, il s’exile en France. Il collabore
film, en collaboration avec H. B. Freder- Acteur de théâtre, il débute au cinéma
sdorf : Chanson d’amour (Liebeslied), un grâce à Julien Duvivier (Marianne de ma à Cléopâtre (J. L. Mankiewicz, 1963)

musical. Il met en scène une quinzaine jeunesse, 1955) et devient vite célèbre avant d’adapter et produire le Groupe
de films en dix ans, oeuvrant dans le dans son pays avec Ciel sans étoiles (S. Lumet, 1966), qui traduit avec sensibi-
mélodrame : Jakko (1941), la comédie : (H. Käutner, 1955) et les Demi-Sel (Die lité l’univers féministe de Mary McCarthy.

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

BUCHOWETZKI (Dimitri), cinéaste Bros, sous Leon Schlesinger, producteur Rudolph, id.) ; Wanda’s Café (id., 1985) ;
allemand d’origine polonaise (Russie des Looney Tunes et des Merrie Melo- les Modernes (id., 1988) ; Faux-sem-
1895 - Hollywood, Ca., 1932). dies, qu’il fut créé par un groupe d’ani- blants (D. Cronenberg, id.), ou en France
Acteur et réalisateur travaillant d’abord mateurs : Chuck Jones, Tex Avery, Friz (le Roi de coeur, Ph. de Broca, 1967 ; le
en Russie, il arrive en 1919 à Berlin, où il Freleng, Bob Clampett et Ben Hardaway, Voleur, L. Malle, id. ; Un autre homme,
écrit des scénarios et met en scène neuf qui le baptisa « Bugs ». (Il apparaît pour une autre chance, C. Lelouch, 1977).
films en quatre ans — le plus souvent, la première fois dans le cartoon Porky’s
films à costumes où il dirige les vedettes Hare Hunt, 1936.) BULAJÍC (Veljko), cinéaste yougoslave
de l’époque : Danton (1921), une lointaine (Montenegro 1928).
Ce lièvre désinvolte et insolent, qui
adaptation du drame de Büchner, Othello Journaliste, il débute par quelques courts
croque perpétuellement une carotte crue
(1922), Peter der Grosse (id.). C’est lui métrages avant de poursuivre sa forma-
et lance avec un défaut de langue très
qui achève les Frères Karamazov (Die tion au Centro sperimentale de Rome.
marqué sa fameuse phrase : « What’s
Brüder Karamazov, 1921) commencé par Il assiste Luigi Zampa, Federico Fellini
up, doc ? », a été volontairement doté
Carl Froelich. Appelé à Hollywood, il y (pour Il bidone), Vittorio De Sica (pour
d’une voix à la Groucho Marx (interpré-
dirige Pola Negri, Norma Talmadje, Mae le Toit) et Giuseppe De Santis, retourne
tée par le spécialiste vocal Mel Blanc) et
Murray (1924-1928) et revient en Europe dans son pays en 1958 et réalise un pre-
d’une démarche inspirée du même, qui
à la suite d’un conflit avec la production. Il mier long métrage qui lui assure un certain
fut peu à peu transformée en une posture
fait deux films en France et, au début du renom international : Train sans horaire
arrogante, torse bombé, le jarret tendu,
parlant, devient un spécialiste de la ver- (Vlak bez voznog reda, 1959). Hanté par
dressé sur ses talons. Malgré son pré-
sion allemande des films américains et de la guerre, la résistance à l’envahisseur
nom, il n’a pas d’araignée dans le plafond
la version anglaise des films allemands. allemand, les incidences de la politique
et sait très bien ce qu’il veut : son anarchie
sur la liberté individuelle, il signe succes-
très souvent destructive n’est qu’une
BUCHS (José), cinéaste espagnol (Santan- sivement ‘ la Guerre ’ (Rat, 1960 ; scéna-
façon de se protéger lui-même. Selon
der 1893 - Madrid 1973). rio de Zavattini), ‘ Une ville en efferves-
Chuck Jones, c’est un contre-révolution-
L’un des principaux réalisateurs du muet, cence ’ (Uzavreli grad, 1961), les Diables
naire typique, ancré dans son terrier et
il est un précurseur dans bien des genres rouges face aux S. S. (Kozara, 1963), le
ses habitudes casanières, jusqu’au mo-
du cinéma espagnol : le film historique, documentaire Skoplje 63 (id., 1964), ‘ Re-
ment où on le dérange dans son intimité.
les adaptations littéraires, la zarzuela et gard vers la prunelle du soleil ’ (Pogled u
Alors (« You know this means war ! »), il
les saynètes, le pittoresque folklorique, znejicu sunca, 1966). Il s’oriente ensuite
déclare la guerre à l’intrus, Daffy Duck,
le film religieux, le mélodrame, la comé- vers les superproductions internationales
Elmer Fudd ou Yosemite Sam, et le réduit
die. Débutant avec La mesonera del avec la Bataille de la Neretva (Bitka na
très vite, par son activité intense de sabo-
Tormes (1919), sa carrière s’étend sur Neretvi, 1969 ; YOUG-IT-FR) et ‘ Attentat
tage, harcèlement et démoralisation, à la
quarante ans, pendant lesquels il tourne à Sarajevo ’ (Atentat u Sarajevu, 1975)
crise de larmes. Aussi incarne-t-il un peu
notamment La inaccesible (1920), La puis met en scène ‘ Un homme à détruire ’
le patriotisme sous couleur de burlesque :
verbena de la Paloma (1921), La reina (ovjek Koga treba ubiti, 1979), ‘ Haute
« La sainteté du foyer américain doit être
mora (1922), Doloretes (1923), Mancha Tension ’ (Visoki napon, 1981), ‘ le Grand
sauvegardée », affirme-t-il avec l’accent
que limpia (1924), Una extraña aventura Transport ’ (Veliki transport, 1983), ‘ la
de Brooklyn.
de Luis Candelas (1926), El Conde de Terre promise ’ (Obeana zemlja, 1986)
Maravillas (1927), El dos de mayo (id.), El Non seulement il figure dans des cen- et Donator (1989).
guerrillero (1930), Prim (id.), Carceleras taines de courts métrages, mais on l’a

(1932), un des premiers films sonores. vu dans des features comme The Great BULGARIE.
Bugs Bunny-Road Runner Show, et À la fin du mois de février 1897, les pre-
BUCQUET (Harold S.), cinéaste américain dans des programmes télévisés entiers mières représentations du Cinémato-
d’origine britannique (Londres 1891 - Los comme le Bugs Bunny Hour. Il symbo- graphe Lumière ont lieu à Roustchouk
Angeles, Ca., 1946). lise un peu l’écologie et la préservation (auj. Ruse) puis quelques jours plus tard
D’abord décorateur, il débute dans le de la nature, aussi sa popularité, plus que à Sofia. Vladimir Petkov et Hristodar
court métrage en 1937, puis dans le long jamais actuelle, va-t-elle croissant. Arnaoudov sont les premiers opérateurs
métrage l’année suivante. La MGM, qui de prises de vues bulgares mais l’indus-
l’emploie, lui confie surtout une série B BÜHRMANN (Rolf) BOCKMAYER (WALTER) trie cinématographique ne s’établira que
très fructueuse : Docteur Kildare, et très lentement. Si l’on inaugure en 1908
BUJOLD (Geneviève), actrice canadienne la première grande salle de projections
sa suite Docteur Gillespie. Il signe une
(Montréal, Québec, 1942). publiques (le Théâtre moderne à Sofia),
oeuvre parfois insolite, où se manifestent
Formée au Conservatoire d’art dra- la production nationale ne prend que timi-
ses origines britanniques (l’Étrange Sur-
sis [On Borrowed Time], 1939) ou, ex- matique de Montréal, elle tourne dans dement son essor vers 1910. En 1915, un
ceptionnellement, des films de prestige quelques films québécois avant qu’Alain amateur entreprenant et passionné, Vasil
qui le dépassent quelque peu (le Fils du Resnais ne la consacre dans La guerre Žendov, tourne avec des moyens de for-
est finie (1966). Depuis cette date, elle tune une pochade à la Max Linder : Le Bul-
Dragon [Dragon Seed], 1944, coréalisé
avec Jack Conway ; Sans amour [Without conduit une carrière internationale et gare est un galant homme. Contrairement
Love], 1945). bilingue, vedette dans son pays natal à certains pays limitrophes, la Bulgarie
(Entre la mer et l’eau douce, M. Brault, ne créera pas d’industrie cinématogra-
BUGS BUNNY. 1967 ; Kamouraska, C. Jutra, 1973 ; les phique structurée avant la nationalisation
Personnage célèbre de dessin animé Noces de papier, Brault, 1990 ; Mon de 1948. Aussi les 55 longs métrages
américain. Il a droit au statut de superstar, amie Max, id., 1994), dans le Canada réalisés avant cette date seront-ils plus
n’ayant jamais cessé, depuis sa création anglophone (Isabel, Act of the Heart et l’oeuvre d’admirateurs fervents du 7e art
jusqu’à nos jours, d’être plébiscité quoti- Journey, trois films dirigés entre 1968 et que celle d’authentiques professionnels.
diennement dans les programmes télévi- 1972 par Paul Almond, avec qui elle était On imagine les innombrables difficultés
sés destinés aux enfants. En ce sens, il mariée), aux États-Unis (Anne des mille de ces petites sociétés fondées souvent
est plus durablement célèbre que Mickey jours, C. Jarrott, 1969 ; Obsession, B. De pour les besoins d’un film ou deux et dont
Mouse ou que Popeye. C’est en 1936, Palma, 1976 ; la Corde raide (Tightrope, la survie était des plus aléatoires. Avant
au département d’animation de la Warner Richard Tuggle, 1984) ; Choose Me (Alan la Seconde Guerre mondiale, la produc-

188
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

tion offre un aspect chaotique sans ligne À la suite de Vlanov (Première Leçon, (Ludmil Todorov, 1988), Exitus (Kras-
directrice très précise, sans écoles ou 1960 ; le Soleil et l’Ombre, 1962), Binka simir Kroumov, id.), Moi la Comtesse
mouvements artistiques définis. Long- Željazkova* (Nous étions jeunes, 1961) ([As grafimiata] Peter Popzlatev, id.) et
temps la comédie bourgeoise a régné, et Nikola Korabov (Tabac [Tjutjun], 1962) de mise en accusation impitoyable de la
adaptation de romans ou scénarios aux permettent à la Bulgarie de jouer un rôle période stalinienne : Ivan et Alexandra
thèmes assez simplistes. Dès 1923, la non négligeable dans les festivals inter- ([Ivan i Aleksandra] Ivan Niev, 1988),
Bulgarie était submergée par l’importa- nationaux. À partir de 1964, d’autres ci- Margarit et Margarita (Nikolaï Volev, id.)
tion de films allemands (45 p. 100), amé- néastes viennent épauler cette première le Camp (Georgi Djulgerov, 1990), la
ricains (29 p. 100) et français (18 p. 100). vague : Ljubomir «Šarlandžiev (la Chaîne Dernière pleine lune (Eduard Zahariev,
Cette longue période difficile a néan- [Verigata], 1964 ; Odeur d’amandes [S 1996) dernière oeuvre d’un cinéaste très
moins suscité quelques oeuvres non dé- dah na bademi], 1967), Georgi Stojanov, doué sort sur les écrans à une époque
pourvues d’intérêt malgré la pauvreté de Zako Heskia, Todor Stojanov et surtout où le cinéma bulgare connaît de graves
la technique et les méthodes archaïques Vlo Radev* (le Voleur de pêches, 1964 ; difficultés. La production reste quan-
de tournage. Vasil Žendov dirige en 1923 le Roi et le Général, 1966 ; la Plus Longue titativement très faible et la plupart des
le Diable à Sofia et Baj Ganju. En 1933, il Nuit, 1967). films peinent à franchir les frontières du
est l’auteur du premier film sonore la Ré- Dès le début des années 70, un chan- pays. Le cinéma d’animation conserve
volte des esclaves (Bunt rabov) et achève gement profond affecte le cinéma bul- une très grande importance, acquise dès
en 1937 la Terre brûlée (Zemjata gori). gare. La diversification des thèmes s’am- 1960, et compte plusieurs éléments re-
Parmi les metteurs en scène d’intérêt, il plifie, l’accent est mis sur les problèmes marquables comme Todor Dinov, Donjo
faut également citer Nikola Larin (Sous contemporains, la critique sociale même Donev, Stojan Dukov, Ivan Vesselinov,
le ciel d’antan [Pod staroto nebe], 1923), apparaît et cette « intégration à la vie Ivan Andonov, Peno Bogdanov, Projko
Boris Grežov (Tombes sans croix, 1931), courante » porte ses fruits. La fréquen- Projkov, Radka Bvarova, Hristo Topou-
Vasil Pošev (la Parole la plus fidèle tation est élevée et le niveau artistique zanov, Zdenka Dojeva, Nikolaï Todorov,
[Najvrnata duma], 1929), Aleksandar des films s’améliore. Plusieurs cinéastes Rumen Petkov, Henri Koulev, Velislav
Vazov (le Tumulus, 1936), Iosip Novak (le s’imposent, tels : Hristo Hristov* (le Der- Kazakov, Vlado Šomov.
Voïvode strahil [Strahil vojvoda], 1938). nier Été, 1973 ; Arbre sans racines, 1974 ;
BULL (Lucien), pionnier français du ci-
Le 5 avril 1948, la loi de nationalisation la Barrière, 1979) ; Metodi Andonov*,
néma (Dublin, Irlande, G.-B., 1876 - Bou-
de la cinématographie est votée. Progres- qui mourra prématurément en 1975 (la
logne-Billancourt 1972).
sivement s’ébauche une organisation : Corne de chèvre [Koziat rog, 1971]) ;
Élève de Marey, il explora les techniques
la priorité est d’abord donnée aux films Ljudmil Stajkov (Affection [Obi, 1972]) ;
d’observation des phénomènes et notam-
documentaires mais, dès mars 1950, les le Temps de la violence [Vreme razdelno,
ment le cinéma ultrarapide. Il fut le pre-
spectateurs peuvent assister à la projec- 1988] ; Eduard Zahariev* (le Recense-
mier à pratiquer 4 000 images/seconde
tion du premier long métrage de fiction de ment des lapins de garenne [Prebroja-
(1904), puis atteignit 50 000 images/
l’après-guerre, Kalin l’Aigle (Kalin orelt) vaneto na divite zajci, 1973]) ; Georgi
seconde en 1928, une de ses dernières
de Boris Borozanov. Les thèmes abordés Djulgerov* (l’Avantage, 1977 ; l’Échange,
réalisations en permettant un million
par les réalisateurs sont d’ordre essen- 1979) ; Ljudmil Kirkov ; Assen Šopov ;
(1951). Lucien Bull mit également au
tiellement historique. La Bulgarie est Ivan Andonov.
point, en 1902, le premier appareillage
soumise à un rigoureux dogmatisme poli- Si le film historique fait un retour en
de microcinématographie (grossisse-
tique dont les répercussions sur le plan force au début des années 80, c’est parce
ment de 8 à 10 fois) et d’enregistrement
culturel nuisent à la qualité intrinsèque que l’État bulgare célèbre le 1300e anni-
accéléré (images prises à intervalles de
de la plupart des films tournés entre 1951 versaire de sa fondation. Ljudmil Stajkov
1/4 d’heure).
et 1957. Malgré ce manichéisme idéolo- tourne Khan Asparouch, Šaraliev Boris I,
gique, certaines oeuvres conservent une Stojanov Constantin le Philosophe et Djul-
BUNNY (John), acteur américain (New
importance historique, comme Sous le gerov Aune pour aune, mais la majeure
York, N. Y., 1863 - id. 1915).
joug (Pod jgoto, 1952) de Dako Dakov- partie des films évoquent toujours les pro- Cet homme obèse à la figure joviale était
ski, qui évoque l’insurrection de 1876 blèmes de l’actualité quotidienne et leurs un acteur de théâtre qui, ayant accepté
contre les Osmanlis, le Chant de l’homme incidences sur la vie des citoyens. Avec de travailler pour la Vitagraph en 1910,
(Pesen za oveka, 1953) de Boris un certain retard, le cinéma bulgare a devint sans doute la première vedette
Šaraliev, biographie du poète antifasciste rejoint les « nouvelles vagues » des pays comique de l’histoire du cinéma, le pré-
Nikola Vapcarov, les Héros de septembre d’Europe centrale. Les années 80 n’ont
curseur de Mack Swain et d’Oliver Hardy.
(Septemvriitsi, 1954) de Zahari Žandov, pas marqué une évolution notable mal-
Son succès dura cinq ans, durant les-
qui décrit la première insurrection bulgare gré les réussites de cinéastes confirmés
quels il tourna près de 200 bandes. Son
de 1923. Tous ces films exaltent l’hé- comme Vlanov (Partir pour aller où ?, personnage était celui d’un bourgeois
roïsme national au détriment, parfois, de 1986 ; Et maintenant, 1988), Željazkova coureur de jupons souvent malmené par
l’analyse psychologique. À la suite du XXe (La Nuit sur les toits, id.), Hristov (Test sa femme, la mince Flora Finch, avec
congrès du parti communiste d’URSS 88, id.), Andonov (Hier, 1987), Staïkov laquelle sa silhouette large et ronde fai-
et du plénum d’avril 1956 du parti com- (Temps de violence, 1988), Djulgerov sait un amusant contraste (Polishing Up,
muniste bulgare, une évolution sensible (Acadamus, id.).
1914). Son nom devint celui du héros qu’il
libère le cinéma de l’emprise du dogma- La crise de la fréquentation publique interprétait et figura dans nombre de ses
tisme didactique. Deux films importants, et du financement de la production a titres : Bunny’s Suicide (1912), Bunny’s
Sur la petite île de Rangel Vlanov* accompagné la stagnation de la qualité Dilemma (1913) ou Bunny in Bunnyland
(1958) et Étoiles de Konrad Wolf* (1959) jusqu’à ce que, à la fin de la décennie, le (1915).
— auquel il faut associer le scénariste processus de démocratisation politique,
Angel Wagenstein* —, prouvent l’habileté entraînant une plus grande autonomie BUÑUEL (Luis), cinéaste mexicain d’ori-
de certains réalisateurs, qui n’hésitent pour les collectifs de création des studios, gine espagnole (Calanda, Aragon, Es-
pas à rompre avec leurs prédécesseurs permette un élargissement thématique pagne, 1900 - Mexico 1983).
en peignant le monde contemporain sous et un épanouissement artistique promet- Il étudie chez les jésuites, à Saragosse.
des couleurs plus justes tout en soignant teurs avec des films de critique sociale À Madrid, il se lie à Gómez de la Serna,
davantage l’écriture cinématographique. vigoureuse comme les Chiens courants Federico García Lorca et la génération de

189
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

1927. Comme eux, il écrit des poèmes ; il rencontrés dans la société bourgeoise et tion des images, un peu à la manière des
anime en outre la rubrique cinématogra- issus de la morale chrétienne. Le réquisi- romans-maquette-à-monter de Cortázar.
phique de la Gaceta Literaria (1927) et toire s’accompagne d’une subversion des Il recourt à des oeuvres littéraires, notam-
le premier ciné-club espagnol. À Paris, valeurs établies et d’un hommage alors ment de Pérez Galdós (Nazarin et Tris-
entre-temps, il est l’assistant d’Epstein. blasphématoire à Sade. Un chien anda- tana), Mirbeau (le Journal d’une femme
Un chien andalou, écrit en collaboration lou s’écarte du formalisme à la mode au de chambre), Kessel (Belle de jour),
avec Dalí, facilite son ralliement au mou- sein de l’avant-garde française. Buñuel Lou[«]ys (Cet obscur objet du désir).
vement surréaliste. « Le surréalisme m’a ne cultive point l’expérimentation tournant Ses adaptations impliquent des remanie-
révélé que, dans la vie, il y a un sens à vide, les effets optiques ou les trucages. ments profonds, touchant la structure du
moral que l’homme ne peut pas se dis- Il prétend recréer une réalité poétique, récit et les personnages, des transposi-
penser de prendre, dira-t-il. Par lui, j’ai déchirer les voiles de la perception, se- tions d’époque et de pays. La caméra est
découvert que l’homme n’était pas libre. » couer le spectateur, l’inviter à « voir d’un souvent en mouvement, mais lentement,
L’Âge d’or (1930) suscite des attaques autre oeil que de coutume » (Vigo). L’Âge sans fioritures, de manière imperceptible,
de la droite et est finalement interdit. Les d’or ne se complaît pas dans l’ambiguïté. fonctionnelle, limitant par ses recadrages
surréalistes publient un manifeste pour Il porte toute la charge libertaire du sur- les coupes à l’intérieur des séquences.
sa défense : « Buñuel a formulé une réalisme « au service de la révolution ». À Ce dépouillement, parfois confondu avec
hypothèse sur la révolution et l’amour l’aube du parlant, il innove par la dissocia- un certain classicisme, s’appuie sur des
qui touche au plus profond de la nature tion du son et de l’image, le dialogue en scénarios fortement charpentés. Buñuel
humaine... » Revenu en Espagne, il voix off, l’utilisation de la musique (clas- délaisse la progression dramatique et
tourne Terre sans pain, documentaire sique et paso doble). Avec Brahms en accumule les épisodes, soit en suivant
sur las Hurdes, région déshéritée où la contrepoint, le constat détaché de Terre un déplacement temporel et spatial (le
détresse atteint les limites de la bestialité ; sans pain est d’une férocité à peine rete- voyage, typique du roman picaresque),
le gouvernement républicain l’interdit. Il nue. Les bons sentiments ne sont pas de soit en empruntant une structure plus
devient l’homme clé de Filmofono, entre- mise et cela fait toute la différence entre complexe, dans ses derniers films. De
prise madrilène qui veut produire des Los olvidados et le néoréalisme contem- l’Âge d’or au Fantôme de la liberté, il prise
films populaires et d’une certaine tenue ; porain. À la pitié et à l’humanisme, Buñuel les enchaînements au travers d’associa-
à ce titre, il travaille comme producteur préfère la lucidité et la révolte. Le père tions d’images ou d’idées. Ce dernier
exécutif sur quatre longs métrages à la Lizzardi (la Mort en ce jardin), Nazarin et film pousse à l’extrême l’éclatement des
veille de la guerre civile, puis se met à Viridiana montrent que la charité (vertu règles narratives ; il frustre volontairement
la disposition des autorités républicaines cardinale du christianisme) est non seu- l’attente du spectateur et l’encourage à
et monte le film de propagande Espagne lement un palliatif inefficace, mais aussi rompre avec ses habitudes de regard et
1937. La fin du conflit le surprend aux un instrument de soumission. En politique de compréhension. Le cinéaste aime la
États-Unis, où il travaille au musée d’Art également, l’humaniste (Cela s’appelle symétrie et les structures dualistes dans
moderne de New York. Il finit par s’ins- l’aurore), le réformiste (La fièvre monte ses scénarios, pour mieux nier les sché-
taller au Mexique, où il tourne régulière- à El Pao), pourtant sympathiques, abou- mas dualistes de pensée (le bien et le mal
ment de 1946 à 1965, apportant quelques tissent à l’échec. De l’anticléricalisme (le se confondent trop dans la vie). Pour ce
touches personnelles dans la production Grand Noceur, Don Quintin l’amer par travail soigné d’écriture, il trouve trois col-
commerciale de ce pays. Los olvidados ex.), Buñuel passe à une critique des laborateurs réguliers : Luis Alcoriza (dix
(1950), primé à Cannes, rappelle son fondements de la civilisation chrétienne ; films, du Grand Noceur à l’Ange exter-
talent à la critique, mais ne lui assure son rejet du dogme devient attitude phi- minateur, en passant par Los olvidados),
pas tout de suite une marge d’autono- losophique, refus des simplifications, des Julio Alejandro (les Hauts de Hurlevent,
mie plus grande. Il contrôle davantage vérités figées, des oppositions tranchées Nazarin, Viridiana, Simon du désert, Tris-
ses sujets et se permet progressivement (la Voie lactée). Le réalisme ne suffit pas, tana) et Jean-Claude Carrière (pour les
plus de liberté dans la mise en scène. et l’imaginaire aussi fait partie de la réa- six films tournés en France, du Journal
La Vie criminelle d’Archibald de la Cruz lité. « Le cinéma est la meilleure arme d’une femme de chambre à Cet obscur
ouvre la voie aux premières coproduc- pour exprimer le monde des songes, des objet du désir). L’étrange humanité des
tions françaises (Cela s’appelle l’aurore, émotions, de l’instinct », dit-il. Pendant films de Buñuel rappelle le Goya des
la Mort en ce jardin, La fièvre monte à El des années, cette part nocturne de l’hu- peintures noires et des Caprices. Ces
Pao) ; il y aborde des thèmes politiques manité ne passe qu’à petites doses dans monstres « engendrés par le sommeil de
avec plus de moyens, mais aussi avec ses films mexicains, au détour de scènes la raison » possèdent une vitalité animale
plus de lourdeurs et de schématisme. Les oniriques ou de rêveries éveillées (Los qui fait défaut aux beaux protagonistes
coproductions avec les États-Unis (Ro- olvidados, la Montée au ciel). Le désir, dont le réalisateur critique les normes
binson Crusoé, la Jeune Fille) s’avèrent refoulé ou assumé, imprègne cependant (Nazarin, Viridiana). Marginalisés et reje-
plus proches de son univers. Nazarin, un nombre croissant de ses personnages tés par la société, leur conduite échappe
la meilleure réussite avec El de cette (Susana, El bruto, El, les Hauts de Hur- à la dichotomie innocence-perversion,
première phase mexicaine, annonce levent, la Vie criminelle d’Archibald de la comme chez les enfants pour qui le péché
Viridiana, 1961, tourné en Espagne, qui Cruz, la Jeune Fille). n’existe pas encore. L’abondant bestiaire
lui vaudra la Palme d’or à Cannes et un Après l’Ange exterminateur et Belle rassemblé par ce passionné d’entomolo-
nouveau scandale, car le Vatican crie au de jour, rêve et réalité redeviennent les gie témoigne de la part d’instincts étouffée
sacrilège. À plus de soixante ans, Buñuel vases communicants chers à André par les conventions sociales. Admirateur
atteint enfin à l’indépendance néces- Breton. Buñuel brouille les cartes, dilue du burlesque américain, Buñuel ne se
saire à l’épanouissement d’une maturité les règles du récit logique, cartésien ; il départit jamais de l’humour. Cela lui per-
jusqu’alors soumise aux contraintes éco- abandonne la psychologie, la sociologie met d’éviter l’esprit de démonstration du
nomiques et artistiques du cinéma. et autres béquilles de la vraisemblance film à thèse, tout en abordant les sujets
Un chien andalou et l’Âge d’or préfi- romanesque, télescope les coordonnées les plus sérieux : le racisme et le colonia-
gurent la matière et le style des grands de temps et d’espace, trace des fausses lisme (Robinson Crusoé, la Jeune Fille) ;
films ultérieurs. Le premier associe des pistes, s’amuse sur des chemins de les filigranes de la religion (Simon du dé-
images oniriques et exalte le désir éro- traverse, oblige enfin le public à entre- sert, la Voie lactée) ; la conception patriar-
tique. Le second dénonce les obstacles prendre une réarticulation et interpréta- cale et possessive de l’amour bourgeois

190
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

(Tristana, Cet obscur objet du désir) et Mort en ce jardin (id. ; FR/MEX) ; Nazarin (D. Arzner, 1933), elle se fait une spécia-
son corollaire, la dépendance féminine (id., 1958 ; MEX) ; La fièvre monte à El lité du rôle de petite-bourgeoise évapo-
(le Journal d’une femme de chambre, Pao (1960 ; FR/MEX) ; la Jeune Fille (The rée et fantaisiste, à partir du Couple invi-
Belle de jour, Tristana) ; le comportement Young One, id. ; MEX) ; Viridiana (id., sible (N. Z. McLeod, 1937). Elle restera,
d’une classe sociale, dont le rituel (les 1961 ; ESP/MEX) ; l’Ange exterminateur jusqu’en 1959, une des figures les plus
repas, l’adultère) sont traqués de l’Âge (El ángel exterminador, 1962 ; MEX) ; le typiques de la comédie américaine.
d’or au Charme discret de la bourgeoi- Journal d’une femme de chambre (1964 ;
sie, en passant par l’Ange exterminateur. FR/ITAL) ; Simon du désert (Simón del BURKINA FASO (anciennement Haute-
On peut déceler dans ses films toute une desierto, 1965 ; MEX) ; Belle de jour Volta).
série de jeux et procédés surréalistes : (1967 ; FR/ITAL) ; la Voie lactée (1969 ; Indépendante en 1960, la Haute-Volta
les objets détournés de leur fonction ori- FR/ITAL) ; Tristana (id., 1970 ; FR/ITAL/ n’entre pleinement dans le cinéma qu’en
ginelle, les « objets symboliques à fonc- ESP) ; le Charme discret de la bourgeoi- 1969 en organisant, trois ans après les

tionnement multiple », le collage (visuel sie (1972 ; FR) ; le Fantôme de la liberté Journées cinématographiques de Car-

et/ou sonore), les récits à tiroirs, la paro- (1974 ; FR) ; Cet obscur objet du désir thage (JCC), en Tunisie, et à l’occasion

die, les répétitions, l’accumulation selon (1977 ; FR). d’une «semaine du cinéma», une réu-

le hasard objectif. Au côté rhétorique de nion de cinéastes d’Afrique noire comme

la métaphore, Buñuel préfère le pouvoir BUONO (Victor), acteur américain (San d’Afrique du Nord. Les participants déci-
Diego, Ca., 1938 - Apple Valley, Ca., 1982). dant de se retrouver à nouveau l’année
poétique de l’image surréaliste (passible
Robert Aldrich le fait débuter à l’écran suivante est créé, en 1970, le Festival
d’interprétation psychanalytique en tant
dans Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? panafricain du cinéma de Ouagadougou
que symbole inconscient, mais assez
(1962), fixant du même coup les grands (FESPACO). Celui-ci, qui depuis lors
éloignée du symbolisme académique).
traits de son personnage de méchant se tient - sauf cas exceptionnel - tous
Les éléments personnels, sublimés et
corpulent, à l’oedipe tourmenté, de per- les deux ans en alternance avec les
transformés, sont nombreux, que ce soit
vers jovial et grotesque, masquant son JCC, s’affirme alors rapidement comme
à propos de l’érotisme, de la vieillesse,
sadisme derrière d’étranges minaude- l’un des lieux majeurs de promotion, de
des inquiétudes politiques et artistiques
ries. Caricature des Sydney Greenstreet valorisation et de reconnaissance du
de l’auteur. Le mystère étant pour lui
et Laird Cregar d’antan, on en retrouve cinéma africain, notamment à l’occasion
« l’élément essentiel de toute oeuvre
des variantes plus ou moins noires ou co- de la remise du premier prix du festival,
d’art », il voudrait apporter au specta-
miques dans le Tueur de Boston (B. Top- l’Étalon de Yennenga. Le FESPACO,
teur le doute sur la pérennité de l’ordre
per, 1964), Chut, chut chère Charlotte désormais principal événement cinéma-
existant, selon le mot d’Engels qu’il a
(R. Aldrich, 1965), Matt Helm, agent très tographique africain, s’affiche comme la
repris à son compte. Tout comme jadis
spécial (Ph. Karlson, 1966), Lo Stran- vitrine officielle d’un organisme né ulté-
il a dynamité le mélodrame de l’intérieur,
golatore di Vienna (Guido Zurli, 1971), rieurement mais qui va lui donner toute sa
par l’ironie et la surenchère (Don Quintin
la Colère de Dieu (R. Nelson, 1972) et légitimité, la Fédération panafricaine des
l’amer), il cultive les finales en pirouette,
Détective comme Bogart (Sam Marlowe, cinéastes (FEPACI), laquelle, installée à
démolissant ce qui a précédé (Belle de
Private Eye, Robert Day, 1980). Ouagadougou, regroupe à peu près la
jour, la Voie lactée) ou faisant rebondir
totalité des associations préexistantes et
l’action (l’Ange exterminateur). La fran-
BUREL (Léonce-Henri), chef opérateur et compte parmi ses pères fondateurs des
chise avec laquelle est abordé l’érotisme,
cinéaste français (Indret 1892 - Mougins cinéastes tels que Sembène Ousmane*,
depuis ses manifestations enfantines
1977). Paulin Vieyra Soumanou, Mustapha
jusqu’au voyeurisme, à l’onanisme, au
Sa carrière couvre quelque 130 films Alassane*, Med Hondo* ou Souleymane
fétichisme, au travestissement, n’exclut
de 1913 à 1966, incluant seize des pre- Cissé*. Dans les années 70, la Haute-
pas la pudeur et le recours à la sugges-
mières oeuvres de Gance, dont J’accuse Volta, si elle est en Afrique noire le lieu où
tion, voire à la gravité, car il est conscient
(1919), la Roue (1921-1923) et Napo- les films sont montrés et où les cinéastes
du lien conflictuel entre Éros et Thanatos
léon (1927), ainsi que de nombreux titres se réunissent, ne voit pas pour autant se
(la Vie criminelle d’Archibald de la Cruz,
d’Antoine, Feyder ou Ingram. Avec le par- développer une riche production cinéma-
l’Ange exterminateur, Belle de jour). Sol-
lant, il éclaire les films de Gréville, Decoin tographique nationale, à l’inverse d’États
licité, célébré (un Oscar en 1972), il n’en
ou Bresson (dont il signe le Journal d’un voisins tels que le Sénégal, le Niger, la
reste pas moins insaisissable, déroutant,
curé de campagne, 1951, Un condamné Côte d’Ivoire ou le Mali. Rares sont les
irréductible : un esprit libre, unique.
à mort s’est échappé, 1956, Pickpoc- premiers cinéastes voltaïques, plus rares
Films : Un chien andalou (1928) ; encore ceux à avoir réalisé un long mé-
ket, 1959, et le Procès de Jeanne d’Arc,
l’Âge d’or (1930) ; Terre sans pain (Las trage : Mamadou Djim Kola avec le Sang
1962). Le dernier film de ce maître du noir
Hurdes / Tierra sin pan, DOC, 1932) ; des parias (1971), René Bernard Yonly
et blanc est aussi son premier en cou-
Gran Casino (1946) ; le Grand Noceur leurs : les Compagnons de la Marguerite avec Sur le chemin de la réconciliation
(El gran calavera, 1949) ; Los olvidados (J.-P. Mocky, 1967). Il a réalisé trois films (1973) et Augustin Roch Taoko avec
(id., 1950) ; Susana la perverse (Susana, mineurs : la Conquête des Gaules (1922), M’Ba Raogo (1975). C’est seulement au
demonio y carne, id.) ; Don Quintin l’amer l’Évadée (1929) et le Fada (1932). cours de la décennie suivante, et plus
(La hija del engaño / Don Quintin el amar- particulièrement lorsque la révolution
gao, 1951) ; Pierre et Jean (Cuando los BURKE (Mary William Ethelberg Apple- démocratique et populaire du capitaine
hijos nos juzgan / Una mujer sin amor, ton Burke, dite Billie), actrice américaine Thomas Sankara bouleverse le pays et
id.) ; la Montée au ciel (Subida al cielo, (Washington, D. C., 1885 - Los Angeles, Ca., lui donne son nouveau nom de Burkina
id.) ; l’Enjôleuse (El bruto, 1952) ; Robin- 1970). Faso, qu’une production nationale, non
son Crusoé (id., id.) ; Tourments (El, Fille d’un clown célèbre, veuve du grand plus voltaïque mais désormais burkinabé,
1953) ; les Hauts de Hurlevent (Abismos producteur de music-hall Florenz Zieg- voit le jour, essentiellement entre les an-
de pasión/Cumbres borrascosas, id.) ; On feld, actrice de théâtre adulée, Billie nées 1982 et 1987. Le film annonciateur
a volé un tram (La ilusión viaja en tranvía, Burke devient, en 1932, un des seconds est celui de Gaston Kaboré*, le Don de
id.) ; le Rio de la Mort (El río y la muerte, rôles les plus employés et les plus po- Dieu (Wend Kuuni, 1982), d’autant plus
1954) ; la Vie criminelle d’Archibald de la pulaires du cinéma américain. Après important qu’il contribue grandement à
Cruz (Ensayo de un crimen, 1955) ; Cela des débuts dramatiques dans Héritage initier ce mouvement de retour vers une
s’appelle l’aurore (1956 ; FR/ITAL) ; la (G. Cukor, 1932) ou la Phalène d’argent Afrique des origines, voire une Afrique

191
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

immémoriale et atemporelle, qui carac- BURLESQUE. rire dont les films, peu après le tournage
térisera longtemps tout un pan des ciné- Genre cinématographique caractérisé du premier (en septembre 1912), de-
mas africains. Au cours des années 80, par un comique plus ou moins absurde, viennent de véritables modèles du genre.
une véritable «école» du Burkina Faso violent et apparemment extérieur, dans Celui-ci, avec Sennett, se fait à la fois
va voir le jour, qu’elle soit dans le sillage le sens où les effets — souvent essen- plus autonome et plus concret. Les gags
inspiré de Gaston Kaboré ou bien qu’elle tiellement physiques — semblent primer non seulement prennent le pas sur l’his-
s’en détache. Deux cinéastes s’affirment la profondeur psychologique ou morale toire ; ils deviennent aussi plus irration-
rapidement : Idrissa Ouédraogo* avec le de l’oeuvre. nels et plus physiques. Ce ne sont plus
Choix (Yam daabo, 1987), Yaaba (1988) Comme aucun phénomène vivant, le de simples idées comiques ; ce sont de
et Question d’honneur (Tilaï, 19990), et burlesque, certes, ne saurait être enfermé véritables catastrophes, en même temps
Pierre Yaméogo* avec le Monde (Dunia, dans une formule d’une précision juri- drôles et cauchemardesques, qui mena-
1987) et Tout va bien (Laafi, 1990). dique. On s’accorde toutefois en général cent d’éclater sans raison en plein quo-
D’autres réalisateurs se révèlent aussi, pour le définir par l’importance qu’il donne tidien : voitures qui explosent, cubes de
mais connaissent un succès moindre, au gag. Ce terme, qui désignait d’abord glace et pianos qui dévalent des rues,
notamment en termes de reconnais- de brèves improvisations des comiques hommes gonflés de gaz qui s’envolent
sance internationale et festivalière, de cabaret, signifie aujourd’hui une idée au-dessus des toits. Les gags se suivent
comme Emmanuel Kalifa Sanon avec comique développée en une sorte de nu- librement et à un rythme effréné pendant

le Dernier Salaire (Desebegato, 1987). méro, relativement indépendant de l’his- toute la durée des courts métrages aux-

Au tournant des années 80 et 90, le Bur- toire où il s’inscrit et jouant de l’attente quels le burlesque est d’abord limité, pour

kina Faso apparaît, à bien des égards, et de la surprise du spectateur. Pour la aboutir, en général, à une de ces deux

comme le pays du cinéma, en Afrique, spécificité du burlesque, l’autonomie du apothéoses rituelles : bataille où la tarte à
gag est aussi importante que sa formule la crème est l’arme principale (et au cours
dont viennent parmi les plus productifs
(sa structure). Les burlesques au sens de laquelle on démolit complètement un
et les plus reconnus des cinéastes du
le plus plein du terme, plus que des his- décor) et une poursuite frénétique à tra-
moment, et où se trouvent les principales
toires, sont de simples chapelets de gags vers champs ou à travers les rues d’une
institutions cinématographiques. Gaston
par rapport auxquels le canevas drama- ville. Cette poursuite oppose fréquem-
Kaboré, devenu secrétaire général de la
tique n’a que l’importance d’un prétexte. ment un malfaiteur — réel ou supposé
FEPACI, continue à tourner, avec Zan
Leur cohérence n’est pas celle d’un récit — et un groupe entier de policemen (les
Boko (1989), Rabi (1992) et Buud Yam
linéaire — ou de l’évolution d’un carac- Keystone Cops), un des deux héros col-
(1997), par lequel il donne une suite à son
tère — mais celle d’un poème, dont les lectifs dont Sennett a systématisé l’usage
premier long métrage, le Don de Dieu et
gags seraient autant d’images ou de vers. et dont l’apparition rituelle, répétée de
obtient l’Étalon Yennenga au FESPACO
Définition du burlesque. Du point film en film, montre à elle seule le carac-
97. Idrissa Ouédraogo, de son côté,
de vue historique, le burlesque est la tère ludique et lyrique (non narratif) du
tourne abondamment (Karim et Sala,
synthèse de nombreuses traditions de genre ; l’autre hydre de ce type, bien évi-
1991 ; Samba Traoré, 1992 ; le Cri du
la culture populaire, de la commedia demment, étant celle des aguichantes
coeur, 1994 ; Afrique mon Afrique, 1994 ;
dell’arte italienne à la bande dessinée et Bathing Beauties, jeunes filles en fleur et
Kini et Adams, 1997), alors que Pierre
au music-hall anglais. Ce n’est pourtant en maillots de bain.
Yaméogo se montre plus rare (Wendemi,
qu’au cinéma qu’il trouva toute sa spécifi- Une création collective. À l’image
1993 ; le Tourbillon [Silmandé], 1998). Si
cité, où l’effet de réel propre à cet art, de de ces héros multiples, le burlesque tout
le précurseur Mamadou Djim Kola tourne
même que son rayonnement mythique, entier est d’abord une création collective.
enfin à nouveau (les Étrangers [Toun-
occupent une place importante. Les pre- Sous la direction générale de Sennett, il
gan], 1992), de plus jeunes réalisateurs
miers qui contribuent à lui donner cette s’élabore dans des équipes de travail où
apparaissent peu à peu, comme Drissa
spécificité sont des cinéastes européens, le scénario et la mise en scène sont discu-
Touré avec Laada (1991) et la Proscrip-
anglais, italiens (Romeo Bosetti) ou fran- tés en commun et, surtout, largement im-
tion (Haramuya, 1995), Dani Kouyaté
çais (André Heuze, Jean Durand, Max provisés sur le plateau, au fur et à mesure
avec Keita, les larmes du griot (1995),
Linder). Tournés entre la fin de siècle du tournage. Grâce à cette méthode d’im-
maintenant le Burkina Faso dans une et le début de la Première Guerre mon- provisation collective, le burlesque des
dynamique de renouvellement constant années 10, période mythique du genre,
diale, en général pour les grandes mai-
de sa production cinématographique. est comme le règne d’une anarchie origi-
sons françaises Gaumont et Pathé, qui
dominent alors tout le marché du cinéma, nelle où une agitation générale, à la fois
BURKS (Robert), chef opérateur américain
les bandes de ces pionniers gardent sou- impersonnelle et permanente, fait naître
(Los Angeles, Ca., 1909 - Los Angeles, Ca.,
vent aujourd’hui encore une magnifique du merveilleux à tout bout de champ.
1968).
fraîcheur. Mais, malgré leur invention Son humour même va d’ailleurs dans le
D’abord spécialiste des effets spéciaux, délirante, elles assignent aussi au bur- sens de cette anarchie : irrévérencieux,
il devient directeur de la photographie en
lesque des limites précises. Alors que les énormes, impudiques, les gags qu’il ac-
1944, à la Warner. Très vite, il s’affirme cumule apparaissent comme autant de
uns le tirent du côté d’une comédie de
comme un artiste du noir et blanc, vio- moeurs qui soumet constamment le gag gifles aux autorités et aux valeurs consa-
lemment contrasté, surtout dans sa col- à l’anecdote d’une histoire (Max Linder), crées — du mariage au culte du travail et
laboration avec King Vidor : le Rebelle d’autres conçoivent leurs films comme de la réussite —, comme s’ils incarnaient
(1949), la Garce (id.). Depuis l’Inconnu du le développement d’un gag unique (les l’expérience profonde de tous ces lais-
Nord-Express (1951), il est devenu le col- films à poursuite), dominé jusque dans sés-pour-compte qui forment l’essentiel,
laborateur attitré d’Alfred Hitchcock, qui, son absurdité par la logique cartésienne à l’origine, du public cinématographique.
jusqu’à Pas de printemps pour Marnie (il suffit qu’un horloger accélère la marche Le langage même du genre, ses rituels et
(1964), aura recours à sa maîtrise tech- des montres pour que le temps lui-même ses trouvailles, appartient au début à tous
nique. Burks s’est ainsi affirmé comme un se mette à passer plus vite). En ce sens, et à personne : des gags, des thèmes, et
coloriste précis et sensible dans Fenêtre le burlesque total ne naît qu’au cours des jusqu’à certains gestes concrets voyagent
sur cour (1954), la Main au collet (1955), années 10 en Amérique, grâce notam- d’un film à l’autre, servant indifféremment
Sueurs froides (1958) ou les Oiseaux ment aux activités de Mack Sennett et de la cause de comiques très divers. Ce qui
(1963). sa compagnie Keystone, célèbre usine à n’empêche pas, toutefois, plusieurs indi-

192
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

vidualités d’émerger à côté d’acteurs plus récit traditionnelles, ainsi Charlie Chaplin crazy-comedy (peu affolante malgré son
anonymes, tels Billy Bevan, Ben Turpin et, surtout, Harold Lloyd, dont certains appellation), comédie musicale. Dès la
ou Chester Concklin qu’on identifie facile- longs métrages seulement (Safety Last, seconde moitié des années 30, le bur-
ment grâce à leur seule silhouette. 1923 ; Why Worry ?, 1923) conservent lesque commence ainsi à péricliter ; de
Keystone n’est certes pas la seule l’insolence de ses débuts. Seuls deux au- plus en plus standardisé et répétitif, marié
compagnie qui produit des burlesques. teurs traversent finalement les années 20 de force à d’autres formes de spectacle,
Dans les années 20, tous les studios d’un bout à l’autre comme des poètes au- il devient l’affaire de simples amuseurs
américains tournent simultanément des thentiques du burlesque : Harry Langdon, (Eddie Cantor, Danny Kaye) et de pitres
courts métrages comiques et des films apologiste pervers du détour et de la fuite vulgaires (Bob Hope, Abbott et Costello,
longs, afin de satisfaire à la demande des devant l’action, et son contraire Buster Three Stooges, Red Skelton) qui lui en-
spectateurs. Le plus grand concurrent de Keaton, comique même de l’affrontement lèvent peu à peu toute poésie. Les gags,
Sennett est Hal Roach, producteur indé- entre l’homme et le réel. significativement, se trouvent du même
pendant avec qui il partage pendant long- W. C. Fields et les frères Marx. Les coup réduits à des schémas rudimen-
temps, depuis les années 10, la meilleure années 30 sont pour le burlesque des an- taires, peu (ou mal) développés, qui ne
part du marché. À la différence d’autres nées de crise, mais aussi de renouveau. sont que des souvenirs des grandes fêtes
productions, se contentant souvent d’imi- L’avènement du son, la crise écono- d’hier.
ter le style de Sennett, la firme Hal Roach mique, l’industrialisation croissante du 7e Les renouveaux du burlesque.
a créé une école à part, située en quelque art ne sont certes pas très favorables à la Cette décadence n’est évidemment pas
sorte aux antipodes de celle de Sennett. création autonome, telle que les meilleurs sans rapport avec une crise plus large,
À la démesure dépensière et frénétique comiques la pratiquaient. Les efforts pour et dont la Seconde Guerre mondiale est
de ce dernier, elle oppose une sorte de concilier ces conditions avec le burlesque le catalyseur : la crise des idéologies, où
démesure mesurée, reposant sur un classique, à la seule exception des films s’effondrent soudain, après la mort de
savant dosage d’effets comiques où la de Laurel et Hardy, se soldent par des Dieu, jusqu’aux certitudes humanistes
violence, au lieu de s’exprimer sans en- échecs plus ou moins cuisants (qu’ils se qui l’ont remplacé, et qui faisaient égale-
traves, n’explose que par degrés et après traduisent ou non commercialement). À ment avancer la civilisation moderne. Le
une plus ou moins longue préparation. côté de ces efforts, cependant, de nou- XXe siècle a soudain vieilli. Dans l’art, ce
Hal Roach assure notamment la promo- velles formes de comique irrationnel se vieillissement se traduit, entre autres, par
tion de trois noms de première grandeur : font jour, où l’héritage du burlesque renaît une dissolution progressive de toutes les
Harold Lloyd, Stan Laurel et Oliver Hardy. de ses cendres : ainsi notamment chez formes d’expression fixes et bien définies,
Les années Chaplin et Harold Lloyd. W. C. Fields et chez les frères Marx, où les genres dramatiques classiques
Avec la mise au point du style Roach, le comiques de variété qui, sans atteindre – du burlesque au mélodrame – tiennent
burlesque entre en fait dans un âge de la pureté stylistique d’un Keaton, relient naturellement une place de choix. Qui
raison : dans une période classique où en revanche le gag visuel et verbal (joke) plus est, la relativisation progressive de
le genre atteint à la pleine possession de en un acte de violence d’un non-confor- toutes choses rend problématique l’exis-
ses moyens, et qu’incarne précisément misme sans précédent. Traversant à tence même de l’humour, en tant que ca-
l’oeuvre de vedettes individuelles comme son tour les années 30 comme ses plus tégorie spécifique. En lui-même, certes,
Harold Lloyd. Commencée à la charnière belles années, l’insolent trio des frères le rire du burlesque est déjà complexe et
des années 10 et 20, cette période, cor- Marx, dont les dialogues procèdent d’un ambigu. Mais peut-il aller au-delà d’une
respondant à la fois aux années folles et démontage systématique des tabous (à certaine limite où, précisément, il perdrait
à l’âge d’or de tout le muet, ne s’arrêtera commencer par les tabous sexuels), sont toute spécificité en tant que genre ?
qu’en 1929, avec l’éclatement de la crise tout particulièrement de véritables homo- Jerry Lewis est le seul, à Hollywood,
économique et avec la naissance du ci- logues comiques du surréalisme. Aux à rompre la grisaille de ce tableau d’en-
néma sonore. Tandis que le burlesque facteurs troubles de l’époque, à la crise semble dans les années 50. D’abord
collectif, après avoir produit ses derniers comme au passage du cinéma au par- avec le chanteur et acteur Dean Martin,
chefs-d’oeuvre, entre alors peu à peu lant, les Marx et W. C. Fields répondent, puis seul et finalement, à partir du Dingue
en décadence, les grands burlesques, eux, par une combativité accrue ; les rap- du palace (The Bellboy, 1960), sous sa
eux, commencent à tourner des longs ports du burlesque et du réel, avec eux, propre direction, Lewis développe un co-
métrages à la place des deux-bobines se transforment en une véritable étreinte mique dont la part proprement burlesque
habituels, ce qui n’est pas sans quelques passionnée où l’humour n’est que plus repose sur son jeu d’acteur, d’une flexibi-
conséquences pour leur style. Ce pas- explosif de se glisser, littéralement, dans lité littéralement délirante. Il ajoute éga-
sage est en effet, pour le burlesque, une la nature fausse, ingrate et vindicative lement de nouvelles variantes aux gags
sorte de rencontre avec le réel, là où les des choses. C’est, dans un registre plus classiques (en particulier dans le style de
comiques se bornaient, jusque-là, à nier rêveur, également le cas des films du gags décevants) et lie le burlesque, en
joyeusement ce dernier : par rapport à la tandem tchèque Voskovec et Werich tant que réalisateur, à de subtiles trou-
frénésie délirante des courts métrages, (Poudre et Essence [Poudr a benzin], vailles de mise en scène. Mais il en délaie
le long métrage impose non seulement 1931 ; la Bourse ou la vie [Peníze nebo aussi la férocité en mariant le genre à la
un rythme plus mesuré mais également život], 1932 ; Ho-hisse ! [Hej rup], 1934), comédie sentimentale, dans un mélange
un supplément de vraisemblance dans la grands poètes du rire qui relient directe- où le conformisme des années 50 rejoint
mise en place des gags et dans leur ratta- ment le burlesque aux découvertes de l’infantilisme que commence à produire
chement à un contexte. Tous ne passent l’art d’avant-garde. la société de consommation naissante.
d’ailleurs pas le cap du long métrage avec Parallèlement, il est vrai, le burlesque Le conflit entre celle-ci et l’individu est au
le même bonheur : Larry Semon, auteur subit une commercialisation qui lui sera centre de l’oeuvre qu’un autre comique,
de magnifiques courts métrages « sen- à la longue fatale. Sous les effets conju- en Europe, élabore parallèlement à celle
nettiens » du plus pur style surréaliste, ne gués de son industrialisation et de l’évo- de Lewis : Jacques Tati. Après avoir créé
fera ainsi rien de bien intéressant au-delà lution du public, attendant de plus en plus Monsieur Hulot, une silhouette nostal-
de la longueur de trois bobines. D’autres du spectacle le simple réconfort face au gique qui prolonge directement la tradition
grands, tout en donnant à leurs gags le monde en dérive, le cinéma se détourne du muet, Tati arrive dans les années 60 à
sens d’une expression personnelle, les progressivement du burlesque vers des révolutionner le comique (voire le cinéma
soumettent de nouveau à des formes de formes d’humour plus rassurantes : en général) en insérant le gag et le héros

193
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

individuel dans une sorte de reportage et 40. Les Python ne sont certes pas les Tourné entièrement avec des acteurs non
où, à l’image de tout notre quotidien, la seuls des comiques actuels à évoquer professionnels dans le ghetto de Watts,
destinée personnelle fait place à la statis- des vedettes du passé. Gene Wilder, de le film nous fait pénétrer dans l’univers
tique (Play time, 1967 ; Trafic, 1971). son côté, fait même penser à trois autres de Stan, employé dans un abattoir, que
Les années 60 voient également ap- comiques à la fois, savoir à Harpo Marx, son travail aliénant éloigne progressive-
paraître Pierre Étaix, un autre comique à Harry Langdon et à Larry Semon. À lui ment de sa famille et de sa communauté.
français qui partage avec Tati, en plus de seul, ce fait est un symbole éloquent du Participant de la veine du réalisme social,
son origine, à la fois la nostalgie du muet vieillissement du genre. ce film, primé au festival de Berlin (1981)
et une attitude critique devant la société Le burlesque a certes enrichi le cinéma est en même temps une peinture, tendre
moderne (Tant qu’on a la santé, 1966 ; cf. d’une manière considérable. Plusieurs de et ironique, de la communauté de Watts.
aussi le documentaire Pays de Cocagne, ses protagonistes ont innové non seule- Après My Brother’s Wedding (1984),
1971). Même si son art n’est pas aussi ment comme acteurs mais aussi comme Charles Burnett s’oriente, avec To Sleep
novateur que celui de Tati, Étaix parvient cinéastes : Chaplin, Jerry Lewis, Woody With Anger (1990), dans une direction
à créer une oeuvre personnelle et une Allen (dans ses derniers films), et sur- radicalement différente mais avec une
silhouette qui, par sa stupéfaction face tout Buster Keaton et Jacques Tati. Ils réussite indéniable : il y recrée une in-
au monde, n’est pas sans évoquer, mais sont d’ailleurs tous à la fois interprètes quiétante histoire gothique, proche de la
en plus agressif, un Langdon moderne. et auteurs, dans la mesure où leur per- Nuit du chasseur, sans pour autant aban-
Celui-ci, significativement, serait moins sonnalité d’acteur, véritable centre de donner son militantisme antiraciste. En
un rêveur gracieux qu’un simple robot gravité de leurs films, marque de son 1993, il tourne The Glass Shield, drame
cassé... empreinte l’ensemble des éléments dont policier sur la corruption et le racisme
Les années 60 et 70, enfin, sont mar- ceux-ci sont faits. Même s’ils ne sont pas qui ronge la police de Los Angeles. Il est
quées par l’arrivée de nouveaux co- toujours à proprement parler créateurs de depuis très actif, notamment à la télévi-
miques burlesques à Hollywood même. formes, ils sont souvent créateurs, ainsi, sion, mais peu de ses films franchissent
Ainsi Blake Edwards confère au protéi- d’univers poétiques autonomes, où les les frontières : il a tourné pour le cinéma
forme Peter Sellers, dans la suite des gags, le rythme de l’action, sa nature, les When It Rains (1995), Dr Endesha Ida
Panthère rose et l’étincelante Partie, une accessoires et les décors utilisés consti- Mae Holland (1998), The Annihilation of
place enviable au panthéon du rire. Pre- tuent une vision comparable à celle des Fish (1999) et Olivia’s Story (id.).
nant la relève de Jerry Lewis, qui se retire plus grands auteurs modernes (Salvador
Dalí, Giorgio De Chirico, Franz Kafka). BURNETT (William Riley), scénariste et
peu à peu de l’écran, Mel Brooks et sa
bande (Gene Wilder, Marty Feldman), L’admiration que le burlesque a inspirée à romancier américain (Springfield, Ohio,

d’une part, Woody Allen, d’autre part, font un grand nombre d’artistes d’avant-garde 1899 - Santa Monica, Ca., 1982).
est d’ailleurs significative : à leur insu, À la fin des années 20, il est, avec Dashiell
d’abord croire à une renaissance. En réa-
lité, le burlesque prend plutôt avec eux ses comiques, de Durand à Fields (pour Hammett et James M. Cain, l’un des chefs

le moins), ont en fait été parmi les rares de file d’une nouvelle tendance du roman
définitivement fin. En toute conscience,
cinéastes à pratiquer le 7e art comme une policier, fondée sur l’étude réaliste des
ces comiques ne jouent plus qu’avec des
forme de poésie, de discours intérieur, comportements criminels et servie par
formes creuses, leur propos principal
étant, précisément, la crise du spectacle échappant aux limites de la narration une écriture descriptive qui fait abstrac-

et en particulier des genres. Une réflexion classique. tion de tout jugement moral. Inspiré par

critique sur le comique se substitue à la la chronique de Chicago, Little Caesar,


Selon toutes apparences, certes, cette
que Mervyn LeRoy tourne à la Warner
création spontanée, voire à la création originalité se confondait avec les lois d’un
tout court : des films sont faits de citations en 1930, introduit l’archétype du gangster
genre parmi d’autres. D’où une constante
plus que d’idées — ou d’images — origi- mégalomane et définit la structure et les
ambiguïté, à laquelle le burlesque a fini
nales (chaque film de Brooks donne une situations clés qui alimenteront le genre
par succomber. À partir d’un certain
durant une décennie. En 1940, la Grande
version comique d’un genre précis, du stade de son évolution, il devait soit se
film d’épouvante au western), les thèmes Évasion (tournée par Raoul Walsh sur un
faire ouvertement poésie, soit se replier
de l’omniprésence du spectacle et des scénario de John Huston) crée un modèle
sur le comique seul. Comme il a adopté,
médias (Allen introduit un reporter jusque d’inspiration plus romantique : le gangster
pour l’essentiel, cette dernière solution,
sur un champ de bataille) et de l’échange vieillissant, solitaire, traqué par la société.
son évolution s’est ralentie, peut-être
entre réalité et illusion reviennent avec En 1949, Quand la ville dort, qu’adapte et
même arrêtée. Quant à ce mélange de
une constance obsessionnelle ; et, réalise John Huston, fait l’autopsie d’un
rire, d’émerveillement et de trouble qu’il
quand, d’aventure, on abandonne ces ré- coup parfait et illustre la diversité des
a longtemps représenté, il faut de plus en
férences, les gags se font délibérément si motivations criminelles. Portrait en coupe
plus le chercher ailleurs : ainsi chez ces
énormes qu’on ne peut les prendre qu’au d’une grande ville moderne, et premier
« humoristes » qui ont nom Fellini, Ferreri
second degré (surtout chez Mel Brooks). titre d’une trilogie littéraire consacrée à la
ou Herzog...
Allen, du reste, s’oriente de plus en plus corruption, l’oeuvre fixe les canons d’un
clairement (depuis Annie Hall, 1977) vers BURNETT (Charles), cinéaste américain genre destiné à connaître une faveur
un cinéma d’auteur dont l’humour, for- (Vicksburg, Mo.,1944). considérable jusque dans les années 70.
tement littéraire, n’est plus qu’un aspect Originaire du Sud, il grandit dans le ghetto Outre ces trois classiques du roman
parmi d’autres. Il est vrai que le comique de Watts à Los Angeles. Après des études policier, où se devine son goût pour la lit-
allénien y gagne plutôt en qualité : quand d’électronique, il entre au département ci- térature française réaliste du XIXe siècle,
il occupait toute la place, il tournait sou- néma de l’UCLA, où il acquiert une forma- W. R. Burnett a écrit de nombreux récits
vent à une simple plaisanterie, aussi la- tion d’opérateur. En 1969, il réalise son historiques, ainsi que des westerns.
borieuse que cérébrale. Ajoutons que le premier court métrage, Several Friends. Une trentaine d’entre eux ont été por-
groupe anglais des Monty Python, de son Après avoir été opérateur sur plusieurs tés à l’écran, dont : Law and Order (Ed-
côté, pratique la parodie énorme dans films d’indépendants noirs, il réalise en ward L. Cahn, 1932), Toute la ville en parle
un esprit plus ou moins proche de celui 1977 un court métrage, The Horse, et (J. Ford, 1935), Dr. Socrates (W. Dieterle,
de Mel Brooks. Quant au style, il évoque un long métrage considéré comme une id.), l’Escadron noir (R. Walsh, 1940), la
un peu celui des frères Ritz, ces fréné- des meilleures oeuvres du cinéma indé- Ville abandonnée (W. Wellman, 1948) et
tiques clowns musicaux des années 30 pendant noir américain : Killer of Sheep. Capitaine Mystère (D. Sirk, 1955).

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Burnett a également collaboré aux scé- fendigaid, pays de Galles, 1925 - Genève, une belle fin de carrière. Il a coréalisé
narios de dix-sept films, sur lesquels son Suisse, 1984). Dr. Faustus avec Nevill Coghill en 1967.
influence personnelle est parfois difficile- Né dans un milieu modeste, il commence Autres films : les Rats du désert
ment appréciable. Parmi ceux-ci : Scar- des études universitaires, puis il s’engage (R. Wise, 1953) ; la Mousson (The Rains
face (H. Hawks, 1932), Tueur à gages dans la RAF (1944-1947). Acteur-né, il est of Ranchipur, J. Negulesco, 1955) ; les
(F. Tuttle, 1942), Convoi vers la Russie sur les planches à douze ans ; en toutes Aventuriers (Ice Palace, V. Sherman,
(L. Bacon, 1943), San Antonio (D. Butler, occasions, il fait ses preuves, et prend 1960) ; le Jour le plus long (K. Annakin,
1945), Vendetta (M. Ferrer, 1950), Rac- le nom de Burton en hommage à son 1962) ; Quoi de neuf, Pussycat ? (C. Don-
ket (The Racket, J. Cromwell, 1951), le professeur. Il débute à l’écran dans The ner, 1965) ; l’Espion qui venait du froid
Témoin à abattre (Illegal, L. Allen, 1955), Last Days of Dolwyn, de Emlyn Williams (M. Ritt, id.) ; Quand les aigles attaquent
les Trois Sergents (J. Sturges, 1962). (1949). En 1950, il joue à Broadway, où il (B. G. Hutton, 1969) ; l’Assassinat de
est très remarqué et, deux ans plus tard, Trotsky (J. Losey, 1972) ; le Voyage
BURR (Raymond), acteur américain (New sollicité par la Fox. Toute sa carrière va (V. De Sica, 1974) ; l’Exorciste II : l’Héré-
Westminster, Colombie britannique, Ca- se partager entre cinéma et théâtre. Il tique (J. Boorman, 1977) ; Wagner (Tony
nada, 1917 - Sohoma County, Ca., 1993). passe pour un acteur shakespearien (il Palmer, 1983).
Célèbre pour avoir créé deux des séries a fréquenté l’Old Vic). Portant beau, il
les plus longues et les plus populaires est à l’aise dans les films en costume : BURTON (Tim), cinéaste américain (Bur-
de la TV américaine : Perry Mason et
Marcellus, jeune officier romain chargé, bank, Ca., 1960).
l’Homme de fer (Ironside), Raymond Il a attiré l’attention sur lui grâce à un
sans états d’âme, de la crucifixion dans
Burr est un excellent acteur de com- remarquable court métrage d’animation
la Tunique (H. Koster, 1953), le premier
position. Sa carrure massive le confina dédié à Vincent Price et justement intitulé
film en CinémaScope ; ou Alexandre le
d’abord dans les seconds couteaux, mais
Grand, dans le film homonyme de Robert Vincent (id., 1982). On pouvait y déceler
il déploya avec éclat ses possibilités en
Rossen (1956) ; puis Marc Antoine dans le sens du bizarre et un humour très par-
assassin solitaire et pataud dans Fenêtre
Cléopâtre (J. L. Mankiewicz, 1963), à qui ticulier qui ne dédaignait pas s’étrangler
sur cour (A. Hitchcock, 1954). Il faut aussi
il prête l’ambition molle, l’indécision un dans un râle d’inquiétude. Ce ne sont pas
se souvenir du procureur cauteleux et lu-
peu romantique des losers. Il est intéres- là les qualités habituellement liées aux
netté de Une place au soleil (G. Stevens,
sant de noter qu’en dépit d’Amère Vic- studios Walt Disney. C’est pourtant là
1951), ou du tragique tenancier de tripot
toire (N. Ray, 1957), et du rôle de Jimmy qu’il travaillait à l’époque, notamment sur
dans l’Or et l’Amour (J. Tourneur, 1956).
Porter dans les Corps sauvages (T. Ri- Taram et le chaudron magique. Depuis,
Quand il n’est pas accaparé par la TV, on
chardson, 1959), Burton non seulement Tim Burton est resté remarquablement
retrouve avec plaisir sa forte silhouette
ne s’est pas imposé, mais est choisi pour fidèle aux promesses de ce premier film.
cinématographique : ainsi, dans le rôle de
remplacer à peu de frais l’oublié Stephen Après le succès inattendu de Pee Wee’s
nabab odieux et sadique du Syndicat du
Boyd, car il est en fait considéré à cette Big Adventure (id., 1985), qui lançait un
meurtre (J. Guillermin, 1968).
date à Hollywood comme un has been. étrange et anachronique nouveau bur-
Cléopâtre sauve sa carrière comme elle a lesque, on a cru hâtivement que l’exubé-
BURSTYN (Edna Rae Gillooly, dite Ellen),
perdu Marc Antoine : le mariage avec Liz rance visuelle de Beetlejuice (id., 1988)
actrice américaine (Detroit, Mich., 1932).
Taylor, leur séparation, leurs retrouvailles n’était qu’un phénomène de mode. Forte
Elle suit les cours de Lee Strasberg à
composent un contrepoint tapageur, exa- de quoi une certaine critique française a
l’Actors Studio et se consacre d’abord
géré, voire vulgaire, à leurs affrontements joué l’indifférence face au dispendieux
au théâtre. Au cinéma, elle s’impose en
à l’écran, et Burton retrouve la notoriété. Batman (id., 1989), lancé par une publi-
1971 dans la Dernière Séance (P. Bog-
Mal à l’aise dans le Chevalier des sables cité tapageuse à grands coups de chiffres
danovich) mais on la cantonne trop sou-
(V. Minnelli, 1965), il s’est livré à d’heu- à plusieurs zéros. Mais Edward aux mains
vent dans des rôles de femme simple ou
reux éclats, inspirés, dit-on, de ses sou- d’argent (Edward Scissorhands, 1990),
désaxée, The King of Marvin Gardens
venirs du poète Dylan Thomas, dans la insuccès commercial et film d’une poé-
(B. Rafelson, 1972), l’Exorciste (W. Frie-
personnification du Révérend Shannon, sie et d’une délicatesse rares, « calme
dkin, 1973), Harry et Tonto (P. Mazursky,
ivrogne et blasphémateur, sous la direc- bloc ici-bas chu d’un désastre obscur »
1974), Même heure, l’année prochaine
tion de John Huston (la Nuit de l’iguane, ne ressemblant à rien de connu, affirmait
(R. Mulligan, 1978), Cri de femmes
1964). Il prouve sa nature de monstre la personnalité la plus neuve du cinéma
(J. Dassin, 1978), Résurrection (D. Pe-
trie, 1979) ; en 1975, elle interprète Alice sacré face à sa redoutable épouse, et américain moderne : l’invention visuelle
avec un métier d’autant plus assuré qu’il débridée y allait de pair avec l’acuité de
n’est plus ici (M. Scorsese), rôle qui lui
s’agit souvent d’adaptations théâtrales, la satire et la gravité du propos. Désor-
vaut l’Oscar de la meilleure actrice et,
tel Becket (P. Glenville, 1964). Mais Qui mais plus libre de ses mouvements, Tim
en 1976, Alain Resnais lui donne, dans
Providence, le rôle d’une femme sensible a peur de Virginia Woolf ? (M. Nichols, Burton a su admirablement se tirer de

et blessée, où son talent et sa grande 1966) prend de front un public américain l’embûche d’une suite prestigieuse à Bat-

intelligence des personnages font mer- stupéfait, peu accoutumé à voir étaler man. Batman 2, le défi (Batman Returns,

veille. Elle est devenue un des plus émi- avec une telle brutalité les hargnes conju- 1992), ne se contente pas de déployer la

nents professeurs de l’Actors Studio. En gales. La cote de Burton monte en flèche. magie visuelle et le sens du grotesque du

1988 elle apparaît dans Hannah’s War Suivent la Mégère apprivoisée (F. Zeffi- premier film, il s’aventure dans d’autres

(M. Golan, 1988) mais c’est surtout en relli, 1967), Boom (J. Losey, 1968), l’Es- directions en créant un ton (une ouverture

2000, avec Requiem for a Dream (id., calier (S. Donen, 1969), où Rex Harrison à la Dickens), un climat (l’architecture

Darren Aronofski) et The Yards (J. Gray) prend la place, en quelque sorte, de Liz totalitaire de la ville mythique de Metropo-
que l’on peut parler d’un véritable retour : Taylor... ou encore Equus (S. Lumet, lis) et des personnages (Danny De Vito,
tour à tour femme vieillissante en proie 1977). Le masque alourdi, fatigué, voire Pingouin d’une méchanceté tragique et
aux drogues amaigrissantes et mère usé de l’acteur ne nuit pas à cette voca- pathétique, Michelle Pfeiffer, femme-chat
maladive et éplorée, Ellen Burstyn nous tion aux rôles excessifs et théâtraux, tant solitaire et cruelle) inédits. Ce faisant,
rappelle son grand talent. que la mise en scène est maîtrisée. Or, sa Burton filait une métaphore macabre et
filmographie est on ne peut plus inégale. amère sur le monde contemporain. Ces
BURTON (Richard Walter Jenkins Jr., dit La chance lui valut d’interpréter O’Brien deux réussites jetaient un éclairage qui
Richard), acteur britannique (Pontrhyd- dans le 1984 de Michael Radford (1985) : valorisait rétrospectivement Beetlejuice

195
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

et Batman, les quatre films démontrant Jambes au cou, id. ; Laurel et Hardy cam- film de prison, classique et remarquable-
la remarquable cohésion thématique et peurs, id. ; The Live Ghost, id. ; Tit for Tat, ment joué.
plastique de ce cinéaste inclassable. Il a 1935 ; la Bohémienne, 1936). Parmi ses
produit un film d’animation, en volume, à autres films, il faut citer The Christian BUSHMAN (Francis Xavier, dit Fran-
l’esthétique néo-gothique, l’Étrange Noël (M. Tourneur, 1923), Bread (V. Schertzin- cis X.), acteur américain (Baltimore, Md.,
de Monsieur Jack (The Nightmare before ger, 1924), le Club des trois (T. Browning, 1883 - Pacific Palisades, Ca., 1966).
Christmas, 1993, réalisé par Henry Se- 1925), Fazil (H. Hawks, 1928), Doctor X Après avoir joué au théâtre, il débute au
lick), dont il est peut-être la véritable force (M. Curtiz, 1932). cinéma en 1911 avec Essanay et devient
créatrice et où l’on retrouve tout son uni- très vite, tout comme Maurice Costello,
vers : il s’agit d’un conte pour enfants où BUSCH (Niven), scénariste américain (New l’une des grandes « matinee idols »
s’entrechoquent les mythes américains York, N. Y., 1903 - San Francisco, Ca., 1991). des années 10. Sa carrière muette est
de Halloween et de Noël et la défense Journaliste et romancier, doté d’une forte prolifique, d’abord dans des rôles ro-
d’un personnage solitaire et incompris, culture classique, ses goûts le portent mantiques ou de séducteur (Roméo et
Monsieur Jack. Le goût du paradoxe le vers une vision épique de la société Juliette, J. Gordon Edwards, 1916, puis
possède quand, en 1994, il réalise une américaine du passé, mais recentrée sur Modern Marriage, Lawrence C. Windom,
biographie du réalisateur Ed Wood, cé- les conflits familiaux chers à la tragédie 1923, tous deux avec Beverly Bayne),
lèbre aux États-Unis comme « un des grecque. La psychanalyse se trouvera ensuite dans des films d’aventure et d’ac-
plus mauvais réalisateurs de tous les donc intégrée sans peine, quand elle tion : The Charge of the Gauchos (Albert
temps » ; Burton en fait une émouvante sera à la mode, dans ses histoires de Kelly, 1928) ; la Folie de l’or (The Grip
et drôle méditation sur la création artis- vendetta : la Vallée de la peur (R. Walsh, of the Yukon, Ernst Laemmle, id.). Il est
tique. Mars Attacks ! (id., 1996), toujours 1947) ou les Furies (A. Mann, 1950) en resté célèbre pour son interprétation de
très drôle, était plus acide dans la satire sont de bons exemples. Messala dans Ben-Hur (F. Niblo, 1926),
des moeurs américaines : sous le couvert Ayant débuté par des scénarios où il a comme partenaire (et adversaire)
d’une parodie des films de science-fiction de prestige tels que La foule hurle Ramón Novarro.
des années 50, ce véritable jeu de mas- (H. Hawks, 1932), Babbitt (W. Keighley,
sacre n’épargne personne et flirte avec 1934), l’Incendie de Chicago (H. King, BUSSIÈRES (Raymond), acteur français
un mauvais goût agressif en connais- 1938), Busch collabore ensuite au scé- (Ivry-la-Bataille 1907 - Paris 1982).
sant toujours la limite à ne pas franchir; nario du film de William Wyler le Cavalier C’est peut-être à ses débuts avec le
peut-être un film mineur, mais en tout cas du désert (1940) et signe l’adaptation du groupe Octobre, sous l’égide de Jacques
un exercice de corde raide brillamment roman de James Cain, Le facteur sonne Prévert, qu’il doit ce qui a fait sa person-
réussi. Sleepy Hollow, la légende du che- toujours deux fois (T. Garnett, 1946). Il nalité et sa popularité. Qu’il soit mauvais
valier sans tête (Sleepy Hollow, 1999) se est difficile de mesurer la part qu’il a prise garçon ou brave type, il a toujours été le
référait également à un type de film bien à l’adaptation de son roman, Duel au so- titi parisien un peu anar, pittoresque et
particulier, les films d’horreur en couleurs leil, pour le film de King Vidor (1947), vu sympathique, à l’accent gouailleur bien
produits par la britannique Hammer à l’envahissante emprise de David O. Selz- reconnaissable. Sa filmographie com-
la fin des années 50 : à travers Johnny nick ; mais on y retrouve ses thèmes et porte plus de cent titres. Citons : L’assas-
Depp, alter-ego du cinéaste, Burton affi- son goût de la saga. Si les scénarios sin habite au 21 (H.-G. Clouzot, 1942), les
nait sa critique, pénétrant profondément du Déserteur de Fort Alamo (B. Boetti- Portes de la nuit (M. Carné, 1946), Justice
dans les fondements mêmes de l’idéolo- cher, 1953) et du Trésor de Pancho Villa est faite (A. Cayatte, 1950), Casque d’or
gie américaine, se plaisant à relever tous (G. Sherman, 1955) sont ingénieux, le (J. Becker, 1952), où il est inoubliable. Il a
les détails irrationnels qui permettent d’en dernier grand scénario de Niven Busch été le scénariste de certains de ses films :
battre en brèche l’assurance. Visuelle- reste cependant les Aventures du Capi- le Costaud des Batignolles (G. Lacourt,
ment, ce film aux couleurs de l’hiver porte taine Wyatt (Walsh, 1951). 1952), Quai du Point-du-Jour (J. Faurez,
une fois de plus la marque reconnais- 1960). Avec l’âge, son visage a pris une
sable de son auteur : un cavalier déca- BUSCEMI (Steve), acteur américain (New gravité que Serge Moatti a su utiliser
pité jaillissant d’un arbre mort, une jolie York, N.Y., 1958). dans un feuilleton télévisé populaire et
sorcière en lévitation et une autre, dange- Sa silhouette longiligne, son visage mal ambitieux : le Pain noir (1977).
reuse, cachée sous les habits d’une lady rasé et lippu sont familiers. On ne s’en
distinguée. En 2001 il réalise Planet of étonnera pas car, depuis ses débuts en BUSTILLO ORO (Juan), cinéaste mexicain
the Apes (la Planète des singes). 1986, Steve Buscemi a joué dans près (Mexico 1904 - id. 1989).
d’une quarantaine de films. Acteur bou- Il vient du théâtre et débute au cinéma
BUSCH (Mae), actrice américaine d’origine limique et enthousiaste, il accepte les avec Yo soy tu padre (1927). Son film
australienne (Melbourne 1895 - Woodland emplois les plus divers. Il sera un tueur Dos monjes (1934) est une des oeuvres
Hills, Ca., 1946). en série terrifiant dans un gros budget les plus étranges de l’étape préindus-
Élevée aux États-Unis dans un couvent quelque peu impersonnel : les Ailes de trielle du cinéma mexicain : la rivalité
du New Jersey, elle s’intègre au début l’enfer (Con Air, Simon West, 1997), amoureuse de deux moines est mise en
des années 10 à la Keystone sous la fé- Simon West) ou un morne malfrat dans scène selon deux versions opposées,
rule de Mack Sennett et joue également un film de Robert Altman (Kansas City, dont l’expressionnisme et le symbolisme
sur les planches à Broadway, notamment 1996). On est heureux de le retrou- révèlent des inquiétudes d’avant-garde,
avec Eddie Foy comme partenaire. Elle ver chez Jim Jarmusch (Mystery Train, mais débouche sur un maniérisme qui
devient peu à peu une star du cinéma 1989 ; Dead Man, 1995), Joel Coen (cinq s’accommode des genres divers dévelop-
muet et rencontre son plus beau rôle films dont une création réjouissante pés sur les écrans mexicains, lors de son
dans Folies de femmes, d’Erich von Stro- dans Fargo, 1996) ou Quentin Tarentino expansion. Bustillo Oro lui-même ouvre
heim, en 1922. Très active jusqu’à la fin (Reservoir Dogs, 1992, où il était Mr. la voie à l’évocation nostalgique de la
des années 30, elle apparaît dans plu- Pink; Pulp Fiction, 1995). Dans chaque période prérévolutionnaire, avec En tiem-
sieurs films de Laurel et Hardy (Unaccus- cas, ses compositions déjantées sont pos de Don Porfirio (1939), film rococo,
tomed as We Are, 1929 ; Quelle bringue !, chargées de verve et de saveur. Réali- plein de vieilles mélodies, dont il exploite
1931 ; Laurel et Hardy bonnes d’enfants, sateur également, on lui doit deux longs la veine encore dans Mexico de mis re-
1932 ; les Compagnons de la nouba, métrages : Happy Hour (Trees Lounge, cuerdos (1940), Las tandas del Principal
1933 ; Gai, gai marions-nous, 1934 ; les 1996) et Animal Factory (id., 2000), bon (1949), Los valses venían de Viena y los

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

niños de París (1965). Il réalise un des Shirley Temple, comme le Petit Colonel et l’intensité du regard : après Chiedi
premiers succès du comique Cantinflas (The Little Colonel), avec Lionel Barry- la luna, Condannato a nozze, Cuori al
(Ahí está el detalle, 1940). La sophisti- more (1935), un film à vedettes (B. Davis, verde, le cinéaste lui donne dans Fuori
cation de sa comédie « ranchera » (pay- H. Bogart, E. Flynn), Remerciez votre dal mondo, avec le personnage d’une
sanne) Las mañanitas (1949) va jusqu’à bonne étoile (Thank your Lucky Stars, religieuse qu’une rencontre avec un mo-
remplir les dialogues de proverbes. Les 1943), l’un des meilleurs Bob Hope (la deste teinturier pourrait détourner de ses
mélodrames familiaux trouvent en lui un Princesse et le Pirate [The Princess and voeux, son rôle le plus accompli. Peter
réalisateur convaincu de la nécessité de the Pirate], 1944), le pastiche de Raoul Del Monte dans Controvento (2000) lui
défendre la cellule de base de la société Walsh qu’était San Antonio (id., 1945) et confie un rôle de femme dynamique qui
contre vents et marées (Cuando los hijos le nostalgique No, No, Nanette (Tea for modifie l’image qu’elle semblait vouloir
se van, 1941 ; Cuando los padres se Two, 1950). Le dernier de ses quelque donner jusqu’alors.
quedan solos, 1948), y compris contre la cinquante films remonte à 1967.
sacro-sainte révolution mexicaine (Vino el BUYENS (Frans), cinéaste belge (Temse,
remolino y nos alevantó, 1949). Cet épi- BUTLER (Hugo), scénariste américain (Cal- Flandre- Orientale, 1924).
sode encensé depuis par les sphères offi- gary, Alberta, Canada, 1914 - Los Angeles, Autodidacte, issu d’un milieu ouvrier, il
cielles reste en fait apolitique, à l’opposé Ca., 1968). est l’auteur d’une oeuvre abondante (une
de El compadre Mendoza (F. de Fuentes, Journaliste et dramaturge, il débute à la soixantaine de titres) essentiellement
1933), excellente allégorie, au scénario MGM sur la Grande Ville (F. Borzage, sous forme de documentaires dans la
duquel il avait pourtant collaboré. Son 1937) et signe notamment les scéna- tradition militante de Joris Ivens et Henri
abondante filmographie, s’étendant sur rios de The Adventures of Huckleberry Storck : témoignages politiques (Com-
quarante ans, résume assez bien les qua- Finn (R. Thorpe, 1939), la Jeunesse de battre pour nos droits, 1962, sur une
lités et les limites de toute une phase du Tom Edison (N. Taurog, 1940), Wyoming grève générale), reportages sociaux (Un
cinéma mexicain. Autres titres : Cuando (Thorpe, id.), Barnacle Bill (id. 1941) et la jour les témoins disparaîtront, 1979, sur
quiere un mexicano (1944), un des films Fidèle Lassie (F. M. Wilcox, 1943). Après des survivants d’Auschwitz), portraits de
qui font de Jorge Negrete une vedette, la guerre, il se consacre à la peinture réa- personnalités (Jaurès, Vercors, Frans
et Canaima (1945), d’après Rómulo Gal- liste de milieux modestes dans l’Homme Masereel), nombreux travaux d’ordre
legos. du Sud (J. Renoir, 1945) et From This culturel et pédagogique. Il a également
Day Forward (J. Berry, 1946). Face à la pratiqué la fiction, mais sous forme de
BUTE (Mary Ellen), cinéaste expérimentale menace maccarthyste, il trouve un ter- mise en scène minimale d’un réel docu-
américaine (Houston, Tex., 1908 - New rain d’expression privilégié dans le film menté, comme par exemple Moins morte
York, N. Y., 1983). noir et s’attache à suivre au terme de leur que les autres (Minder dood dan de an-
Ses dessins pour Synchronization, de vain combat les héros amers de Menaces deren, 1992), sur l’agonie de sa mère,
Lewis Jacobs et Joseph Schillinger, en dans la nuit (Berry, 1951) et le Rôdeur Tango Tango (1993), sur un spectacle
font dès 1934 un des pionniers du cinéma (J. Losey, id.). Dénoncé devant le Comité donné par des handicapés mentaux.
abstrait américain. De 1936 à 1941, des activités antiaméricaines en 1953, il
elle travaille, comme Fischinger, à des cesse officiellement de travailler durant BUZZELL (Edward), cinéaste américain
« symphonies visuelles » en associant près de dix ans. Il fait sa rentrée avec Eva (New York, N. Y., 1895 - Los Angeles, Ca.,
des formes non figuratives à des parti- (J. Losey, 1962), que suivent deux films 1985).
tions musicales. Ainsi naissent Rhythm de Robert Aldrich : Sodome et Gomorrhe À ses débuts, il est acteur au théâtre,
in Light, Synchrony no 2, Anitra’s Dance (1962) et le Démon des femmes (1968). spécialiste de la comédie musicale. Il
(1936), Toccata and Fugue (1940) et arrive au cinéma avec le parlant, en
Spook Sport (1940), réalisé avec McLa- BUY (Margherita), actrice italienne (Rome 1929, toujours comme comédien : Little
ren. Elle fait ensuite plusieurs films avec 1962). Johnny Jones (M. LeRoy, 1929). C’est
des images d’ordinateurs ou d’oscillos- Après avoir suivi les cours de l’Académie sans doute ce qui lui vaut l’honneur de
copes pour les levers de rideau du Radio d’art dramatique, Margherita Buy travaille diriger, à la MGM, deux films des Marx
City Music Hall de New York (Polka- d’abord au théâtre où l’acteur-metteur en Brothers, Un jour au cirque (At the Circus,
Graph, 1953 ; Abstronics, Colour Rhap- scène Sergio Rubini la dirige dans des 1939) et Chercheurs d’or (Go West) l’an-
sody, 1954 ; Mood Contrast, 1957). Après pièces à succès comme La stazione ou née suivante. Ses autres films n’éclairent
1956, avec son mari Ted Nemeth, elle Italia-Germania 4 a 3, pièces qui devien- pas davantage sa personnalité. Ce sont
passe au cinéma de long métrage narratif dront plus tard des films. En 1986, elle des comédies, pour la plupart musicales,
(The Boy Who Saw Through, 1958 ; Pas- fait ses débuts au cinéma dans un rôle comme Best Foot Forward (1943) avec
sages from « Finnegan’s Wake », 1965). délicat de jeune fille admirée silencieuse- June Allyson et Lucille Ball, et la Fille
ment par un homme d’âge mûr interprété de Neptune (Neptune’s Daughter, 1949)
BUTLER (David Wayne), cinéaste améri- par Maurice Garrel, La seconda notte de avec Esther Williams et Red Skelton. En
cain (San Francisco, Ca., 1895 - Arcadia, Nino Bizzarri. Après deux films dirigés par 1955, il réalise Ain’t Misbehavin‘, avec
Ca., 1979). Daniele Luchetti, Domani Domani (1988) Piper Laurie et Rory Calhoun, encore une
Il débute comme acteur chez D. W. Grif- et la Semaine du sphinx (1990) où elle comédie musicale.
fith (1918) et devient réalisateur à la Fox affirme une sensibilité rare, elle devient
en 1927. Il dirigera quantité de films pour rapidement une figure de référence du BYKOV (Rolan) [Rolan Anatol’evi Bykov],
cette firme, puis à la Paramount et chez jeune cinéma italien, imposant une per- acteur et cinéaste soviétique (Kiev
Warner, laissant le souvenir d’un artisan sonnalité originale de femme inquiète et 1929 - Moscou 1998).
efficient, assez souvent coscénariste de tourmentée, volontiers timide et repliée Acteur et metteur en scène de théâtre à
ses films. Sa préférence pour les comé- sur elle-même. Dirigée par des metteurs partir de 1951. Au cinéma, ses premières
dies et les westerns pittoresques lui a en scène comme Sergio Rubini, Um- prestations marquantes sont celles
valu une réputation de « joyeux drille » berto Marino, Carlo Verdone, Antonello d’Akaki Akakievitch dans le Manteau
qui met une note un peu personnelle Grimadi, Pasquale Pozzessere dans de (A. Batalov, 1960) et du saltimbanque
dans certains de ses travaux de série. nombreux films non distribués en France, d’Andrei Roublev (A. Tarkovski, 1966).
Rappelons parmi ses films une comédie Margherita Buy trouve, en Giuseppe Pic- Il réalise des films « pour enfants », dont
musicale, Fox Movietone Follies of 1929 cioni, le cinéaste sachant tirer la quintes- Attention, tortue (Vnimanie, erepaha,
(1929), des succès commerciaux de sence d’un talent marqué par l’intériorité 1970) et le Nez (Nos, T.V., 1975, d’après

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Gogol) mais aussi un constat très dur BYRUM (John), cinéaste américain (Win- teur lui commandite un film porno), John
du dévoiement juvénile, l’Épouvantail netka, Ill., 1947). Byrum réalise, en 1975, son premier long

Il étudie le cinéma à l’université de New métrage, Gros Plan (Inserts).Mais l’échec


(uelo, 1984). On l’a vu également
commercial condamne le cinéaste au
dans la Vérification (A. Guerman 1973) York, où ses professeurs sont des colla-
silence jusqu’en 1979, où il peut tourner
borateurs d’Andy Warhol. Il y rencontre
et Lettres d’un homme mort (Pis’ma mer- les Premiers Beatniks (Heart Beat, 1980),
Martin Scorsese, devenu enseignant à la
togo eloveka, K. Lopouchanski, 1986) non plus d’après un scénario original
fin des années 60 après y avoir été lui-
mais sa plus brillante composition est mais à partir d’une biographie de Jack
même étudiant. Monteur et assistant sur Kerouac par Carol Cassidy. En 1984, il
celle du ferblantier juif de la Commissaire la série TV Sesame Street (programme signe le Fil du rasoir, une nouvelle ver-
(A. Askoldov, 1967). On le retrouve en éducatif très populaire), chauffeur de taxi sion de l’oeuvre de Somerset Maugham,
1995 dans Chirli-Mirli (Vladimir Men- la nuit, il écrit le jour des scénarios. Grâce en 1986, The Whoopee Boys et en 1988
chov). à un malentendu (son premier produc- The War at Home.

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CAAN (James), acteur américain (Bronx, terrifiant
ccar presque rassurant, dans The conservateurs, par exemple), mais ne
New York, 1939). Yards (J. Gray, 2000). trouve guère le succès escompté, au
Il débute au théâtre dans une troupe iti- point que le réalisateur n’hésite pas à le
CABANNE (William Christy), cinéaste amé- remonter et à retourner des scènes pour
nérante, puis à Broadway dès 1961. Son
ricain (Saint Louis, Mo., 1888 - Philadel- en tirer un autre titre, Aguilas no cazan
premier emploi à l’écran dans Irma la
phie, Pa., 1950). moscas (1995), dont les ajouts sont af-
Douce (B. Wilder, 1963) est non crédité.
Acteur, assistant et scénariste pour fligeants. Entre-temps, les longs efforts
Remarqué dans El Dorado (H. Hawks,
D. W. Griffith, Christy Cabanne acquiert de Cabrera se sont vu récompenser par
1967), où il joue le benjamin du « trio
une certaine réputation dès 1914 en diri- les prix et les spectateurs rassemblés
viril » hawksien, cet acteur, d’une calme
geant les soeurs Gish (The Sisters), puis par La estrategia del caracol (1993), un
intelligence sous son aspect athlétique,
Douglas Fairbanks (The Lamb, 1915).
doit de devenir vedette à Francis Ford phénomène jamais vu en Colombie. La
À la fin du muet, sa carrière commence
Coppola, qui lui confie un rôle dange- mobilisation d’un ensemble de person-
à décliner et bientôt il n’oeuvre plus que nages hauts en couleur pour sauver leur
reusement pathétique dans les Gens de
dans la série B la plus terne (Drums of the
immeuble, menacé par la spéculation
la pluie (1969). Depuis lors, sa maturité Congo, 1942).
urbaine, rejoint l’unanimisme jadis prisé
est remarquée dans le Parrain (Coppola,
par le néoréalisme, avec en prime un hu-
1972), le Flambeur (K. Reisz, 1974), Rol- CABOT (Jacques Étienne Pélissier de
mour contagieux, libertaire. Désormais,
lerball (N. Jewison, 1975), Tueur d’élite Bujac, dit Bruce), acteur américain (Carls-
c’est avec l’Europe qu’il coproduit ses
(S. Peckinpah, id.), Un autre homme, bad, N. Mex., 1904 - Los Angeles, Ca.,
projets. Pourtant, l’ambitieuse adapta-
une autre chance (C. Lelouch, 1977), le 1972).
tion d’un récit d’Alvaro Mutis, Ilona llega
Souffle de la tempête (A. Pakula, 1978). Il Acteur peu connu, il est engagé pour
con la lluvia (1995), ne convainc guère.
passe à la réalisation en 1979 avec Hide in le rôle de Driscoll dans King Kong
Entré en politique, élu député indépen-
Plain Sight (où il tient également un rôle). (E. Schoedsack et M. Cooper, 1933),
dant vis-à-vis du bipartisme colombien,
Il joue ensuite dans Thief (Michael Mann, qui lui vaut une certaine célébrité. Par la
le réalisateur essaye plus modestement
1981), Kiss Me Goodbye (R. Mulligan, suite, il ne retrouve pas un rôle de cette
importance et évolue entre des per- de contribuer à la pacification des esprits
1982), Jardins de pierre (F. F. Coppola,
et à la réconciliation entre les militaires et
1987) et Misery (Rob Reiner, 1990). Ces sonnages de criminels hautains (Furie,
la guérilla, avec Golpe de estadio (1998),
deux derniers films l’ont révélé comme un F. Lang, 1936), de héros ou de militaires :
les Conquérants (M. Curtiz, 1939), Crime une comédie puisant dans les vieilles
remarquable acteur de composition, très
passionnel (O. Preminger, 1945), Un recettes et les stéréotypes.
sobre, mûr pour des personnages de plus
Américain bien tranquille (J. L. Man-
en plus contrastés. Dans For the Boys CABRERA INFANTE (Guillermo), écrivain
kiewicz, 1958), Hatari ! (H. Hawks, 1962).
(M. Rydell, 1991), il incarne avec verve et critique cubain (Gibara 1929).
un « entertainer » dont la longue carrière, L’auteur du roman Trois Tristes Tigres
CABRERA (Sergio), cinéaste colombien
qui épouse les fluctuations de quarante (sans rapport avec le film homonyme
(Bogota,1949).
ans d’histoire, évoque Bob Hope. Contre de Ruiz) est le fondateur de la cinéma-
Fils de Fausto Cabrera, acteur d’origine
toute attente, dans Flesh and Bone espagnole aperçu plus d’une fois dans thèque de Cuba, qu’il préside de 1951 à
(Steve Kloves, 1993), il est un terrifiant ses films, il a longuement vécu et fait des 1956. Critique de cinéma signant G. Cain,
père criminel. Le comédien parfois léger études en Chine maoïste. Il aborde le il a publié Un Oficio del Siglo XX, recueil
des débuts possède un registre d’une métier par des études à Londres, puis la de ses articles commentés avec ironie,
belle étendue qui semble de plus en plus photographie (Pura sangre, Luis Ospina, puis Arcadia todas las noches, une série
se tourner vers les rôles de composi- 1982), la télévision et la publicité. Son d’essais sur Welles, Hitchcock, Hawks,
tion : le Grand Nord (The North Star, Nils premier long métrage, Técnicas de duelo Huston et Minnelli. Il a écrit sous un autre
Gaup, 1995), l’Effaceur (Eraser, Charles (1988), coproduit par Cuba, ne manque pseudonyme le scénario de Point-limite
D. Russell, 1996). Dans ce registre, il se pas de qualités (la dérision du machisme zéro de Sarafian (1971), et pour Losey
surpasse presque en mafieux paternel, et des vieux conflits entre libéraux et l’adaptation de Au-dessous du volcan, de
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Malcolm Lowry, projet non abouti. Ses CADENCE. CADRAGE.


chroniques cinématographiques sont Vitesse de défilement du film, exprimée Action consistant à positionner correcte-
parues sous le titre Cine o sardina (1997). en images par seconde. ment l’image par rapport à la fenêtre de la
caméra ou du projecteur. Par extension,
CACHE. CADENCE. façon de positionner le sujet filmé à l’inté-
Élément opaque qui permet — dans le Depuis l’apparition du son par piste op- rieur du cadre de prise de vues : cadrage
truquage par cache-contre-cache — de tique latérale ( PROCÉDÉS DE CINÉMA large, cadrage serré. ( SYNTAXE, PRO-
« réserver » une partie de l’image. ( EF- SONORE), la cadence de projection est JECTION.)
FETS SPÉCIAUX.) standardisée à 24 images/seconde, les
seules exceptions notables ayant été le CADRE.
CACHE-CONTRE-CACHE. Cinérama (26 im. /s) et les tout premiers Limite de l’espace visuel enregistré sur le
Truquage (généralement de laboratoire, films en Todd-A. O (30 im. /s). Il arrive film. Faire le cadre (fam.), cadrer.
exceptionnellement de prise de vues) toutefois que certaines salles projettent
permettant de « marier » deux images fil- à 25 images/seconde, ce qui est aussi CADRER.

mées en des endroits ou en des moments la cadence de la télévision : les mouve- Effectuer le cadrage.

différents. ( EFFETS SPÉCIAUX.) ments sont un peu plus rapides et les


sons un peu plus aigus qu’à la cadence CADREUR.

normale, mais ces effets sont quasi im- Technicien responsable du maniement
CACOYANNIS (Michael), cinéaste grec
perceptibles. (La seule conséquence ap- de la caméra pendant la prise de vues.
(Limassol, Chypre, 1922).
préciable est qu’un film de durée normale ( GÉNÉRIQUE.)
Ses études de droit et d’art dramatique
à Londres lui permettent de faire ses dé- de 1 h 30 ne dure plus que 1 h 27 min.)
CAGE (Nicholas Coppola, dit Nicolas), ac-
buts d’acteur et de metteur en scène de La cadence de prise de vues est évi-
teur américain (Long Beach, Ca., 1964).
théâtre (1945-1950). De retour à Athènes demment de 24 images/seconde elle
C’est à son oncle, Francis Ford Coppola,
en 1953, il écrit le scénario de ‘Réveil du aussi, sauf effet de ralenti ou d’accéléré.
qu’il doit ses rôles : Rusty James (1983),
dimanche’ (Kyriakatiko xypnima), son Les films muets étaient en principe Cotton Club (1984) et Peggy Sue s’est
premier film tourné en 1954 avec l’assis- tournés et projetés, à la manivelle, à mariée (1986). Ce dernier film montrait
tance du chef opérateur Alvise Orfanelli, 16 images/seconde, et ils le furent effec-
bien que l’acteur n’était pas prisonnier
qui a quitté l’Égypte. Stella (Stella, élef- tivement dès que se généralisa l’entraî-
d’un physique de teenager et que son
téri yénéka, 1955) marque les débuts à nement par moteur électrique. Leur pro-
talent n’attendait que l’éclosion. Elle se
l’écran de Mélina Mercouri dans un rôle jection à la cadence actuelle entraîne produisit en 1987 avec Arizona Junior
de femme libre. Dans la même ligne réa- donc une accélération très nette des (J. Coen), où la drôlerie du flic pataud qu’il
liste, dont le succès apporte un espoir de mouvements. (Rares sont les projecteurs incarnait fut remarquée par la critique, et
renouveau du film grec, vite déçu, la Fille susceptibles de fonctionner à 24 et à
avec Éclair de lune (N. Jewison), qui le
en noir (To Koritsi me ta mavra, 1956) et 16 im. /s) Le seul remède est une remise
fit adopter du grand public. Depuis, son
à cadence : au tirage, on double une
Fin de crédit (To telefteo pséma, 1958) talent n’a cessé de grandir, s’essayant à
image sur deux, 16 images de l’original
concluent la première phase d’une car- des rôles extrêmement variés, alternant
donnant ainsi 24 images ; en règle géné-
rière qui s’égare en Grande-Bretagne la nuance et la flamboyance avec un
rale, l’oeil ne discerne pratiquement pas
(Our Last Spring [Eroïca], 1959 ; l’Épave rare bonheur. Dans le premier registre,
la supercherie. Normalement, l’opération
[The Wastrel], 1960), avant de réussir plus que l’écrivain alcoolique de Lea-
s’accompagne d’une remise au format,
une adaptation d’Euripide, dont les prota- ving Las Vegas (id., Mike Figgis, 1995)
c’est-à-dire que l’intégralité de l’image
gonistes quittent la scène pour le village : qui lui valut l’Oscar du meilleur acteur,
muette est reproduite, par tirage optique,
Électre (Electra, 1961). Dans ce film (en on préférera l’ambulancier tragique de
dans le cadre de l’image sonore actuelle.
un superbe noir et blanc dû au chef opé- À tombeau ouvert (M. Scorsese, 2000),
( FORMAT.)
rateur Walter Lassaly), qui révèle Irène figure christique qui porte sur lui toute
En fait, tant que l’on « tourna à la ma- la douleur du monde. Dans le second
Papas, le parti pris du cinéaste renouvelle
nivelle » (jusque dans les années 20), registre, demeuré bestial, il enflamma la
une tradition hésitante d’appropriation
les films muets furent rarement tournés jeunesse dans Sailor et Lula (D. Lynch,
des classiques grecs par le film. En 1964,
à 16 images/seconde exactement, mais 1991) ; mais son interprétation plus épi-
Zorba le Grec (Zorba the Greek), d’après
entre 12 et 20 images/seconde selon sodique du malfrat vêtu de blanc dans
le roman du Crétois Nikos Kazantzakis,
l’opérateur et la caméra. Avant une re- Kiss of Death (B. Schroeder, 1995) était
remporte un suffrage populaire dû à Irène
mise à cadence, il faut donc s’efforcer de plus raffinée. Il allait encore la surpas-
Papas, Anthony Quinn, Alan Bates, et à déterminer la cadence de prise de vues : ser avec celle du criminel démoniaque
l’imagerie soutenue par la musique de vers 12 images/seconde, on doublera de Volte/Face (J. Woo, 1997), véritable
Théodorakis. En 1967, le Jour où les chaque image ; à 20 images/seconde, on incarnation satanique qui surgit à l’écran
poissons... (The Days the Fish Came out) n’en doublera aucune. sous la soutane d’un prêtre lubrique au
est un échec. Le patchwork de vedettes Les premiers films parlants à son sur cours d’un concert de musique sacrée.
des Troyennes (The Trojan Women, disques synchronisés furent eux aussi En 2001, après avoir interprété Capitaine
1971) renvoie à une conception pour le tournés à 16 images/seconde. Mais ce fut Corelli de John Madden, il tourne à nou-
moins usée du film d’art. Il faut encore le procédé à piste latérale qui s’imposa. veau avec John Woo dans Wind Talkers.
citer Attila 74 (1975) et Iphigénie (Iphigé- ( PROCÉDÉS DE CINÉMA SONORE.) À
neia, 1977), dont l’habillage moderniste 16 images/seconde, le défilement du film CAGNEY (James), acteur américain (New
reste superficiel. En 1987, il réalise Sweet était trop lent pour que cette piste restitue York, N. Y., 1899 - Stanfordville, N. Y.,
Country et, en 1993, tente une incursion les aigus de façon satisfaisante. De toute 1986).
sans éclat dans la comédie légère avec façon, il s’était avéré que 16 images/ Issu d’un milieu modeste, imprégné de
Sens dessus dessous (Pano kato kai pla- seconde étaient insuffisantes pour une traditions irlandaises, James Cagney
ghios). En 1999, il revient à sa première bonne restitution visuelle des mouve- entre dans la vie active à l’âge de qua-
passion, le théâtre, en adaptant à l’écran ments. ( PRINCIPE DU CINÉMA.) Le pas- torze ans. Après avoir exercé de nom-
la Cerisaie de Tchechov (O Vissinoki- sage à 24 images-seconde résulte de la breux petits métiers, il débute dans le
pos). conjugaison de ces deux motifs. spectacle comme décorateur de théâtre

200
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

et fait sa première apparition à la scène gangster des Anges aux figures sales se moment vers des positions conserva-
en 1919. Pendant six ans, il s’illustre rachète in extremis (en une troublante trices) : le Fauve en liberté, adaptation
au cabaret avec sa femme, Frances, et variation sur le thème du sacrifice, précé- timide et décevante du roman de Horace
décroche ses premiers rôles marquants demment développé dans The Mayor of McCoy, fait de lui un chef de gang méga-
dans Outside Looking In et Penny Arcade, Hell et Brumes), tandis que le journaliste lomane ; A Lion is in the Streets (sa der-
dont l’adaptation cinématographique, héros de À chaque aube je meurs défend nière production), un leader populiste et
Sinners ‘ Holiday (1930), inaugure sa les vertus de la presse selon la grande démagogue à la Huey Long ; les Pièges
longue et tumultueuse association avec tradition réformatrice des années 30. Le de la passion, Permission jusqu’à l’aube
la Warner Bros. gangster, lorsqu’il revient sur le devant de et la Loi de la prairie, un tyran fruste exer-
L’image de Cagney se fixe en l’espace la scène (Roaring Twenties), n’est déjà çant sur son entourage une implacable
de trois films : cabochards, agressive- plus qu’une figure nostalgique, témoin domination. L’énergie du personnage,
ment virils, durs et tendres à la fois, ses d’une ère révolue. qu’il soit gangster, capitaine de vaisseau
personnages incarnent les valeurs et En 1942, James Cagney aborde avec ou rancher, est ici tout entière vouée à
les rêves de conquête des classes labo- la Glorieuse Parade une nouvelle phase la préservation d’un pouvoir chèrement
rieuses. Bagarreurs et vantards, appelés de sa carrière. Cette évocation specta- acquis, d’un territoire ou d’une femme
à un prompt succès, leur courage, leurs culaire, sentimentale et patriotique d’une convoités par des rivaux plus jeunes.
réflexes et leur humour leur permettent de des grandes figures du music-hall amé- Le rêve de conquête dégénère en phi-
survivre dans la jungle urbaine. Les cir- ricain, George M. Cohan, revêt pour lui losophie de l’autodéfense. L’allégresse
constances en font parfois des criminels, un sens symbolique : elle est la revanche des années 30 prend une coloration
mais ils restent, dans leurs actions les longtemps attendue de l’homme de spec- sarcastique et misanthrope. Le dur des
plus répréhensibles, fidèles aux valeurs tacle et fixe, dans l’étonnante diversité faubourgs, l’arriviste qui faisait flèche de
dominantes de la société américaine. Les de ses talents, la bête de scène qu’il n’a tout bois, le rebelle qui se battait pour sa
plus endurcis de ces héros des bas-fonds jamais cessé d’être. dignité, l’artiste de music-hall connaissent
conservent avec leur milieu d’origine Fort de ce triomphe critique et com- alors leur dernier avatar. Cagney s’ins-
des liens affectifs étroits. Ils s’entourent mercial (sanctionné par un Oscar), talle en patriarche. Il a perdu l’appui de
d’amis fidèles, qui garantissent en eux la Cagney tente une nouvelle échappée. Il sa famille et de ses amis, et ne peut plus
présence d’une innocence inaltérable. quitte la Warner et organise les Cagney compter sur l’antagonisme fraternel d’un
Né de la Dépression, le personnage Productions, dont son frère, William, Pat O’Brien, garant, dans huit de ses
de Cagney, tel que le définit magistra- devient président. Il met en oeuvre un films, de l’ordre moral, pour se définir et
lement l’Ennemi public (1931), gardera radical changement d’image, s’efforçant légitimer son action. Il reste un lutteur,
pendant dix ans un caractère juvénile : de privilégier aux dépens du dur l’artiste solitaire, attaché seulement à survivre.
turbulent, excessif, mais fondamentale- porteur d’un message humaniste. Sa pre- Il a perdu son statut d’Américain moyen,
ment bon. Sa petite taille, son apparente mière production, Johnny le Vagabond, sans gagner l’aisance naturelle de l’artis-
fragilité soulignent cet aspect enfantin, d’inspiration capraesque, en fait un clo- tocrate. Il lui reste la pugnacité et le franc-
que compensent un incessant et prodi- chard, poète et samaritain, échoué dans parler d’un homme de la rue : les vieux
gieux déploiement d’énergie, une attitude un univers allégorique, où s’affrontent les réflexes sont intacts.
permanente de défi, une tension mus- forces de la corruption et les vertus de C’est sur ces composantes que Billy
culaire jamais relâchée. Postures fami- l’Amérique éternelle. Ce changement de Wilder bâtit, en 1960, Un, deux, trois,
lières : l’acteur se dresse sur ses ergots, cap se solde par un échec prévisible, qui satire explosive, tous azimuts, où le sys-
remonte sa ceinture d’un geste nerveux ; ne découragera cependant pas Cagney tème communiste, le « miracle écono-
bras collés au corps, ou pointant vers son de tenter une aventure similaire dans le mique » allemand et l’arrivisme yankee
interlocuteur un index menaçant, avec Bar aux illusions, sans plus de succès sont pris tour à tour pour cibles, avec une
l’esquisse d’un rictus... d’ailleurs. égale férocité. Mué en capitaliste, plus
Cagney débute avec le sonore, et se En 1949, Cagney retourne à la Warner acide et forcené que jamais, Cagney y
conçoit mal dans un autre médium. Son pour L’enfer est à lui, qui marque l’apo- saisira l’occasion de livrer son dernier
débit haché, son staccato haletant sont théose de son cycle gangstérien. À la numéro de virtuose, d’une surprenante
une autre manifestation, essentielle, de différence de ce qui se faisait dans les fébrilité. C’est sur ce feu d’artifice que sa
sa vitalité, un autre moyen de triompher années 30, l’oeuvre s’interdit tout discours carrière s’interrompt brutalement. Vingt
dans la lutte perpétuelle qui l’oppose à sociologique et dépouille son protago- ans s’écouleront avant qu’il ne revienne
ses semblables, hommes et femmes niste jusqu’à l’abstraction. Glacial, muré à l’écran, dans Ragtime, pour incarner le
confondus. dans sa solitude, Cody Jarrett n’est plus préfet de police Rheinlander Waldo : un
Un quart de la filmographie de James qu’une force lancée à l’assaut du monde. personnage quasi immobile, cachant der-
Cagney se rattache directement au film La dimension oedipienne, présente dans rière une apparence bénigne une volonté

de gangsters, genre auquel l’acteur plusieurs films antérieurs de Cagney, de fer, une vivacité intacte, et l’habileté

vouera très tôt une franche hostilité. La prend ici une importance centrale, une hors pair d’un manipulateur-né...
comédie (L’affaire se complique, le Tom- tonalité nouvelle : l’immaturité, qui excu- Films : Sinner’s Holiday (John
beur, Tête chaude) et le musical (Prolo- sait tous les excès des héros juvéniles G. Adolfi, 1930) ; Au seuil de l’enfer
gues) lui offrent des échappatoires tran- de la Dépression, devient, dans l’environ- (Doorway to Hell [A. Mayo], id.) ; Other
sitoires, mais il continuera de chercher le nement culturel des années 40, porté au Men’s Women (W. A. Wellman, 1931) ;
salut hors du studio, entraînant d’autres déterminisme et à l’objectivité, un ressort The Millionaire (Adolfi, id.) ; l’Ennemi pu-
comédiens à sa suite. En 1935, il rompt purement tragique. blic (Wellman, id.) ; Smart Money (Alfred
avec la Warner et signe un contrat avec La dernière période de la carrière de E. Green, id.) ; Blonde Crazy (R. Del
la Grand National, où il interprète un film Cagney, bien que caractérisée par des Ruth, id.) ; Taxi (Del Ruth, 1932) ; La foule
d’inspiration progressiste, Great Guy, et emplois très divers, garde des traces hurle (H. Hawks, id.) ; Tout au vainqueur
une satire du star-system, Something to manifestes de ce film charnière. Le per- (Winner Take All [Del Ruth], id.) ; L’affaire
Sing About. L’expérience tourne court, sonnage de Cagney tend désormais à se complique (Hard to Handle [M. Le
mais l’acteur, de retour au studio, par- s’enfermer dans sa solitude et cède à la Roy], 1933) ; Picture Snatcher (L. Bacon,
vient à imprimer à ses personnages une tentation de l’autocratie (l’acteur, jadis id.) ; The Mayor of Hell (Mayo, id.) ; Prolo-
plus grande maturité. C’est ainsi que le démocrate convaincu, s’oriente au même gues (Bacon, id.) ; le Tombeur (Del Ruth,

201
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

id.) ; Jimmy the Gent (M. Curtiz, 1934) ; entreprennent de réhabiliter le Renoir id.) ; ‘la Symphonie de Lianhua’ (Lianhua
He Was Her Man (Bacon, id.) ; Voici la « américain ». En 1954, ils attaquent (à Jiaoxiangqu, 1937) dont il réalise deux
marine ! (Here Comes the Navy [Bacon], travers François Truffaut notamment) la sketchs. À Hong Kong, pendant la guerre,
id.) ; The St. Louis Kid (R. Enright, id.) ; le tradition de la qualité dominante dans le il écrit en collaboration avec Situ Huimin
Bousilleur (Devil Dogs of the Air [Bacon], cinéma français d’alors. En 1954-55, ils ‘le Sang éclabousse la ville de Baoshan’
1935) ; les Hors-la-loi (G-Men [W. Kei- sacralisent Alfred Hitchcock et Howard (Xue jian Baoshan cheng, 1938) et ‘la
ghley], id.) ; Tête chaude (The Irish in Us Hawks. Bazin, moins convaincu que ses Marche des partisans’ (Youji jinxingqu,
[Bacon], id.) ; le Songe d’une nuit d’été « jeunes turcs » (Truffaut, Chabrol, Roh- id.), deux films patriotiques en cantonais,
(M. Reinhardt, W. Dieterle, id.) ; Émeute mer, Rivette — Godard arrive en 1956), puis il écrit et réalise ‘le Paradis de l’île
(Frisco Kid [Bacon], id.) ; Brumes (Ceiling les justifie pourtant : « Comment peut- orpheline’ (Gudao tiantang, 1939) et ‘Un
Zero [Hawks], 1936) ; le Brave Johnny on être hitchcocko-hawksien ? — En avenir radieux’ (Qiancheng wanli, 1940).
(Great Guy [J. G. Blystone] 1937) ; Hol- refusant de réduire le cinéma à ce qu’il Après la guerre, Yang Hansheng, Shi
lywood ! Hollywood ! (Something to Sing exprime » ; le vrai contenu des films est Dongshan, Zheng Junli et Cai rouvrent
About, V. Schertzinger, id.) ; le Vantard leur mise en scène. En 1956, la politique le studio de la Lianhua et refusent de le
(Boy Meets Girl [Bacon], 1938) ; les des auteurs, triomphante, essaie de se livrer au gouvernement du Guomindang ;
Anges aux figures sales (Curtiz, id.) ; Ter- donner une argumentation théorique, ce sera la base d’un nouveau studio le
reur à l’Ouest (Bacon, 1939) ; À chaque rencontrant encore les réserves de Bazin. Kunlun, ouvertement de « gauche », où
aube je meurs (Keighley, id.) ; The Roa- L’année suivante, Rohmer remplace Lo Cai réalise en 1947, avec Zheng Junli,
ring Twenties (id. [R. Walsh], id.) ; le Régi- Duca à la rédaction en chef. Bazin dis- ‘les Larmes du Yangzi’ (Yijiang chunshui
ment des bagarreurs (The Fighting 69th paru (1958), les Cahiers accuseront xiang dong liu), en deux épisodes, film
[Keighley], 1940) ; Torrid Zone (Keighley, une nette tendance à l’idéalisme esthé- qui eut un retentissement considérable
id.) ; Ville conquise (City for Conquest tique et au délire d’interprétation. À par- et battit tous les records de recette. En
[A. Litvak], 1940) ; The Strawberry Blonde tir de 1958, les « jeunes turcs » se font 1948, à Hong Kong, est réalisé le film
(id. [Walsh], 1941) ; The Bride Came cinéastes : ce sera la Nouvelle Vague. cantonnais ‘les Larmes de la rivière des
C. O. D. (Keighley, id.) ; les Chevaliers 1963-1971 : sous l’impulsion notamment, perles’ (Zhujiang lei) dont il supervise la
du ciel (Curtiz, 1942) ; Parade de la de Jacques Rivette, Jean-Louis Comolli réalisation par Wang Weiyi. Après 1949,
gloire (Curtiz, id.) ; Johnny le Vagabond et Jean Narboni, les Cahiers deviennent, il anime, organise, oriente le cinéma
(Johnny Come Lately [W. K. Howard], sous l’aspect d’un magazine élégant, chinois en particulier en tant que prési-
1943) ; Du sang dans le soleil (Blood divers et dense, le vivant lieu de conver- dent de l’Association des cinéastes, et ne
on the Sun [F. Lloyd], 1945) ; 13, rue gence de tous les jeunes cinémas éclos participe directement qu’à un seul film,
Madeleine (id. [H. Hathaway], 1947) ; dans le monde et s’entre-influençant. ‘les Marées des Mers du Sud’ (Nanhai
le Bar aux illusions (The Time of your Mai 68 marque la revue. Progressive- chao, 1962) dont il assure la direction
Life [H. C. Potter], 1948) ; L’Enfer est à ment convertie au maoïsme militant, elle avec Wang Weiyi. Il meurt en 1968, vic-
lui (Walsh, 1949) ; les Cadets de West s’enferme dans le politique (1971-1977). time des persécutions de la révolution
Point (The West Point Story [Del Ruth], Structuralisme, linguistique, marxisme et culturelle. Il reste l’exemple d’un auteur
1950) ; le Fauve en liberté (G. Douglas, lacanisme sont les outils d’une réflexion accessible à tous les milieux et soucieux
id.) ; Feu sur le gang (Come Fill the Cup aride et volontiers hermétique qui res- d’adapter au cinéma la littérature popu-
[Douglas], 1951) ; Starlift (Del Ruth, id.) ; treint désastreusement l’audience des laire traditionnelle.
What Price Glory (J. Ford, 1952) ; A Lion Cahiers. Les Cahiers, depuis 1977, ont
Is in the Streets (Walsh, 1953) ; À l’ombre renoué avec la cinéphilie et oeuvrent à CAINE (Maurice Micklewhite, dit Michael),
des potences (N. Ray, 1955) ; les Pièges l’intelligence de toutes les pratiques de acteur britannique (Londres 1933).
de la passion (Ch. Vidor, id.) ; Permission l’image et du son : film, photo, vidéo, télé- Cet ancien garçon de course et acces-
jusqu’à l’aube (J. Ford, M. LeRoy ; id.) ; vision. La revue s’est également engagée soiriste est un des meilleurs acteurs de
Mes sept petits chenapans (The Seven dans une politique de coédition de vidé- sa génération, sans avoir eu toujours
Little Boys [M. Shavelson], id.) ; la Loi de ocassettes et d’ouvrages consacrés au l’occasion d’en faire la preuve. Comé-
la prairie (R. Wise, 1956) ; These Wilder cinéma. dien depuis 1955, ce n’est qu’en 1965
Years (R. Rowland, id.) ; l’Homme aux qu’Ipcress, danger immédiat (S. Furie)
mille visages (Man of a Thousand Faces CAI Chusheng, cinéaste et scéna- lui a assuré la consécration, grâce à sa
[J. Pevney], 1957) ; À deux pas de l’enfer riste chinois (Chaoyang, Guangdong, fine création d’agent secret étriqué, soli-
(Short Cut to Hell [J. Cagney], id.) ; Never 1906 - Guangdong 1968). taire et suffisant. Caine est resté fidèle
Steal Anything Small (Charles Lederer, D’origine très pauvre, il étudie par lui- à ce rôle, dans Mes funérailles à Berlin
1959) ; l’Épopée dans l’ombre (Shake même la littérature et la peinture. À (G. Hamilton, 1966) et dans Un cerveau
Hands With the Devil [M. Anderson], id.) ; 19 ans, il a la révélation du théâtre et d’un milliard de dollars (K. Russell, 1967).
le Héros du Pacifique (The Gallant Hours se met à écrire des pièces. En 1927 Il obtint un triomphe personnel dans le
[R. Montgomery], 1960) ; Un, deux, trois il est engagé par une compagnie ciné- médiocre Alfie (1966) de Lewis Gilbert.
(B. Wilder, 1961) ; Ragtime (id. [M. For- matographique de Shanghaï. En 1929 Mais ce comédien subtil et complexe
man], 1981). il entre à la Mingxing comme assistant dut attendre le Limier (J. L. Mankiewicz,
de Zheng Zhengqiu avec qui il réalise 1972) pour affronter un Laurence Oli-
CAHIERS DU CINÉMA. six films. En 1930 il entre à la Lianhua vier et créer ainsi une des grandes per-
Revue cinématographique fondée en et en 1932 commence à écrire et réaliser formances d’acteur des années 70. Il
1951 par Lo Duca, Jacques Doniol-Val- ses propres films : une vingtaine dans sa est admirable dans l’Homme qui voulut
croze et Leonide Keigel (André Bazin les carrière, parmi lesquels ‘l’Aube dans la être roi (J. Huston, 1975) : son escroc
rejoignant dès le deuxième numéro), qui cité’ (Duhui de zaochen, 1933) ; ‘le Chant pathétique, pris au vertige du pouvoir,
prend la relève de la Revue du cinéma des pêcheurs’ (Yuguang qu, 1934) avec a une dimension shakespearienne.
(1946-1949) dans l’amitié et le souvenir la belle Wang Renmei comme interprète Parmi ses autres films, citons : Zoulou
de Jean George Auriol (1907-1950). Les principale, film qui obtint un succès sans (C. Endfield, 1964) ; Trop tard pour les
Cahiers du cinéma s’imposent immédia- précédent auprès du public. Suivent héros (R. Aldrich, 1970) ; Une Anglaise
tement par le haut niveau de leurs som- ‘Femmes nouvelles’ (Xin nüxing, 1934) ; romantique (J. Losey, 1975) ; Silver
maires et la personnalité d’André Bazin. ‘les Chevreaux égarés’ (Mitu de gaoyang, Bears (I. Passer 1977) ; l’Éducation de
Dès 1952, Éric Rohmer et Bazin (réticent) 1936) ; ‘le Vieux Wang’ (Wang Laowu, Rita (Educating Rita, L. Gilbert, 1983) ; le

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Consul honoraire (The Honorary Consul, en costumes, mis en scène par Pog- CALHERN (Carl Henry Vogt, dit Louis),
J. MacKenzie, 1984) ; C’est la faute à Rio gioli (Adieu, jeunesse, 1940 ; Le sorelle acteur américain (Brooklyn, N. Y.,
(S. Donen, id.) ; The Holcroft Covenant Materassi, 1944), par Blasetti (la Farce 1895 - Tokyo, Japon, 1956).
(J. Frankenheimer, 1985) ; Hannah et ses tragique, 1941), par Alessandrini (Cara- Sans abandonner sa carrière théâtrale,
soeurs (W. Allen, 1986) ; Sweet Liberty vaggio, il pittore maledetto, id.), par Mata- très importante par ses interprétations
(A. Alda, id.) ; Mona Lisa (Neil Jordan, de Shakespeare surtout, il débute au
razzo (L’avventuriera del piano di sopra,
id.) ; Escort Girl (Bob Swaim, id.) ; le Qua- cinéma en 1921. Son physique, très tôt
id.) ou encore Franciolini (Addio amore !,
trième Protocole (The Fourth Protocol, celui d’un homme mûr, une élégance et
1944 ; Amanti senza amore, 1947). C’est
J. Mackenzie, 1987) ; Élémentaire mon une distinction jamais démenties lui ont
toutefois Visconti, avec Ossessione
cher... Lock Holmes (Without the Clue, fait jouer les ridicules dans la comédie
(1943), qui lui a donné son rôle le plus
T. Eberhardt, 1988) ; Business oblige (A (Soupe au canard, L. McCarey, 1933 ; Le
mémorable, celui d’une femme malheu-
Shock to the System, J. Egleson, 1990 ; ciel peut attendre, E. Lubitsch, 1943) et,
reuse qui cherche à rompre sa solitude
Mr Destiny (J. Orr, id.) ; Bullseye (M. Win- dans les drames, les caractères doubles
ner, id.) ; Noises off (P. Bogdanovich, par une relation adultère. Ses yeux im- (Quand la ville dort, J. Huston, 1950 ; la
1992) ; Blood and Wine (B. Rafelson, menses confèrent une étrange présence Tour des ambitieux, R. Wise, 1954), que
1996) ; Quills (Ph. Kaufman, 2000). au bref personnage de prostituée qu’elle son intelligence et sa finesse empêchent
incarne dans Nuits blanches (1957) de toujours de tomber dans la caricature. Il a
CAIOZZI (Silvio), cinéaste chilien (Santiago Visconti. conjugué théâtre et cinéma en tenant à la
1944). perfection le rôle de Jules César dans le
Après des études à Chicago, il aborde CALDWELL (Ben), cinéaste américain film homonyme de Joseph L. Mankiewicz
le cinéma par la photographie, auprès (New Mexico 1946). (1953).
de Helvio Soto, Aldo Francia, Raúl Ruiz Né dans une petite ville du sud du Nou-
ou Pierre Kast, et bénéficie surtout d’une veau Mexique, il grandit dans une com- CALHOUN (Francis Timothy Durgin, dit
intenseactivité dans la publicité. Il réalise Rory), acteur américain (Los Angeles, Ca.,
munauté composée de diverses minori-
A la sombra del sol (1973), en collabo- 1923 - id. 1999).
tés (Indiens, Chicanos, Noirs). Peintre et
ration avec Pablo Perelman, mais son Il débute à l’écran dans Something for
photographe, il se tourne vers le cinéma
véritable début dans la mise en scène the Boys (L. Seiler, 1944) et tient ses
en 1970 et entre au département cinéma
date du régime militaire : Julio comienza premiers rôles sous le nom de Frank
de l’UCLA (université de Los Angeles).
en Julio (1979) montre un goût prononcé McCown. Très vite typé, il incarne le plus
Caldwell, qui est un des rares cinéastes
pour la minutie, au service de l’évocation souvent les têtes brûlées, les aventuriers
d’époques révolues et de mentalités fi- noirs à s’être engagé dans la voie ex- virils et les mauvais garçons repentis. Dès
gées. La luna en el espejo (1990), remar- périmentale, cherche à créer « un lan- 1949, il se spécialise dans le western,
qué à Venise, entame une longue compli- gage spécifiquement noir, une musique tournant notamment : la Rivière des mas-
cité avec l’écrivain José Donoso. Au-delà visuelle, avec sa propre cadence, son sacres (Massacre River, John Rawlins,
des qualités plastiques, Caiozzi révèle propre rythme ». Son premier moyen 1949), le Gaucho (J. Tourneur, 1952),
une indéniable faculté pour l’agencement métrage : I and I : an African Allegory Rivière sans retour (O. Preminger, 1954),
spatial et rythmique des gestes, figures, (1977) s’inspire de l’histoire du peuple Quatre Tueurs et une fille (R. Carlson,
personnages et paysages (Valparaiso). noir américain, profondément marqué par id.), les Forbans (The Spoilers, J. Hibbs,
L’artisanat poussé à ce point devient du l’Afrique. The Nubians (1978) est un essai 1955), Crépuscule sanglant (Red Sun-
grand art, capable de conjuguer l’intelli- sur la musique de jazz et ses racines afri- down, J. Arnold, 1956) et l’Implacable
gence et le coeur. Ces dons se retrouvent Poursuite (Carlson, 1958). Il produit The
caines. Il a également réalisé en 1975 un
dans l’adaptation de Coronación (2000), Domino Kid et la Veuve et le Tueur (The
long métrage documentaire en vidéo, For
l’une des principales oeuvres de Donoso. Hired Gun), tous deux réalisés par Ray
Whose Entertainement : depuis Birth of
La transposition du passé vers le présent Nazzaro en 1957, et collabore au scé-
a Nation de Griffith, jusqu’aux films de la
suggère la persistance des préjugés d’ori- nario d’Amour, fleur sauvage (Shotgun,
Blaxploitation et des indépendants noirs,
gine religieuse et sociale dans une sorte L. Selander, 1955). De 1958 à 1960, il
c’est l’analyse critique de l’image des
de miroir inversé du Chili prétendument anime la série TV The Texan avant d’en-
Noirs véhiculée par le cinéma américain.
moderne. Par rapport à La luna en el tamer une carrière parallèle en Europe,
espejo, Coronación élargit l’éventail des où il tourne en particulier le Colosse de
CALEF (Henri), cinéaste français (Philipoli
caractères, dans une volonté évidente de Rhodes (S. Leone, 1961), Marco Polo
proposer une radiographie d’ensemble [auj. Plovdiv], Bulgarie, 1910 - Paris 1994). (H. Fregonese, 1962). Depuis l’extinction
de la société. Mais c’est toujours dans le Ancien journaliste, il devient l’assistant totale du western, il se consacre au film
portrait psychologique que le réalisateur d’André Berthomieu et de Pierre Chenal d’horreur.
excelle et réussit par la même occasion à et passe à la réalisation en 1945 avec
rendre justice à des comédiens rarement l’Extravagante mission. Il rencontre un CALIGARISME.
présents sur le grand écran. Entre-temps, soupçon de notoriété avec un film sur Esthétique cinématographique fondée
il rappelle le lourd héritage de Pinochet la délivrance d’un groupe de résistants sur la prééminence du décor comme élé-
en matière de droits de l’homme : le do- ment déterminant, née des recherches
par la RAF (Jéricho, 1946) et une adap-
cumentaire Fernando ha vuelto (1998), allemandes d’avant-garde dans les mi-
tation balzacienne (les Chouans, 1947),
sur la restitution des restes d’un disparu lieux du théâtre. Le Cabinet du Dr Cali-
dont les scénarios sont dus à Charles
à ses proches, témoigne d’une forme gari (R. Wiene, 1919) est à l’origine de
Spaak. Ses films suivants sont restés
macabre de retour du refoulé. cette tendance, qui est une des compo-
plus anonymes : la Maison sous la mer
santes de l’expressionnisme. Parmi les
(1946), les Eaux troubles (1949), la Sou-
CALAMAI (Clara), actrice italienne (Prato réussites les plus remarquables, on doit
ricière (1950), Ombre et lumière (id.), Les
1915 - Rimini 1998). notamment citer, outre ce film, Genuine
De ses débuts en 1938 jusqu’aux an- amours finissent à l’aube (1952), les Vio- (1920) et Raskolnikov (1923) du même
nées 50, Clara Calamai a tourné une lents 1957), l’Heure de la vérité (1964). Robert Wiene, le Cabinet des figures de
quarantaine de films. Belle et provocante, Après Féminin, féminin (1971), il s’est cire (P. Leni, 1924), Faust (F. W. Murnau,
elle a fait merveille dans des drames sen- consacré à la télévision et à la réalisation 1926). Une place particulière doit être
timentaux, des comédies ou des films d’ouvrages historiques. faite au Golem (1920) de Paul Wegener

203
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

et Carl Boese, le décorateur Hans Poel- temps vécu à Turin où il a fait ses études l’époque « national-catholique » du fran-
zig ayant conféré aux décors une am- avant de réaliser de nombreux docu- quisme : Marcelino, pain et vin (Marce-
pleur architecturale qui abandonne l’aplat mentaires sur les luttes ouvrières et les lino, pan y vino, Ladislao Vajda, 1954),
des conceptions précédentes et annonce conditions de travail dans les usines Fiat. histoire morbide d’un enfant qui demande
dès 1920 une voie différente, plus riche, Tenté par la fiction, il écrit un scénario au Christ de mourir pour rejoindre sa
et spatialement cinématographique. qui, avant même qu’il soit couronné par mère au paradis. Avec le même metteur
le prix Solinas, retient l’attention de Nanni en scène, il tourne encore Mi tío Jacinto
CALLEIA (Joseph Spurin-Calleja, dit Moretti dont il a fait la connaissance lors (1956) et Un ángel pasó por Brooklyn
Joseph), acteur américain (Rabat, Malte, du tournage de La cosa. C’est donc la (1957). Il est bientôt rejoint par d’autres
1897 - id. 1975). Sacher Film de Moretti qui produit La enfants prodiges et bénisseurs typiques
Il débute à l’écran en 1931 et joue d’abord seconda volta (1995), film mettant en du cinéma espagnol, prêchant comme lui
les personnages un peu rastaquouères, scène l’affrontement douloureux entre les bons sentiments, tels que Joselito et
mystérieux, à l’aspect menaçant. À la fois un professeur victime d’un attentat terro- Marisol.
bandit masqué et propriétaire de saloon, riste et la jeune femme qui a commis ce
entre Mae West qu’il aime et W. C. Fields crime. Après cette interrogation sur les CAME.
qu’il roule, mais sauve de la corde, il pa- responsabilités historiques des Brigades Sur les caméras et sur certains projec-
rodie cet emploi dans Mon petit poussin rouges, Calopresti poursuit sa carrière teurs, pièce mobile, généralement de
chéri (E. Cline, 1940). Puis son allure fati- avec Mots d’amour (La parola amore forme triangulaire à angles arrondis, tour-
guée, son masque ravagé lui permettent esiste, 1998), où il dirige à nouveau Vale- nant à vitesse constante à l’intérieur d’un
des rôles empreints de plus d’humanité : ria Bruni Tedeschi dans un rôle de jeune évidement pratique dans le porte-griffes,
le barman de Gilda (Ch. Vidor, 1946), le femme névrosée, lui-même se donnant dont elle provoque la descente, puis le
chef gitan de l’Ardente Gitane (N. Ray, un petit rôle de psychanalyste. En 2000, retrait, puis le retour en position initiale.
1956), le policier minable, à demi cor- Je préfère le bruit de la mer (Preferisco ( CAMÉRA.)
rompu, de la Soif du mal (O. Welles, il rumore del mare) confirme l’acuité du
1958), le maire de la bourgade de Alamo regard de Calopresti qui met en scène CAMÉO.
(J. Wayne, 1960) sont ainsi pétris d’un un conflit entre deux adolescents dans le Rôle très bref, parfois non crédité, géné-
attachant mélange de faiblesse et de cadre d’une ville de Turin partagée entre ralement tenu par un acteur connu. On
dignité. Il se retire de l’écran après la les riches bourgeois et les jeunes en mal dit aussi guest appearance. Souvent les
Revanche du Sicilien (W. Asher, 1963). d’insertion. Mimmo Calopresti y tient le acteurs ainsi « invités » le sont pour ren-
rôle d’un prêtre qui dirige une institution forcer le box-office potentiel du film.
CALLES (Guillermo, dit « El Indio »), acteur pour jeunes délinquants : il souligne ainsi
et cinéaste mexicain (Chihuahua 1893 - la force de son engagement socioculturel. CAMÉ 300 REFLEX CAMÉRA

Mexico 1958). On retrouve le cinéaste comme acteur


Il fait carrière à Hollywood, dans des rôles dans Le parole di mio padre (2001) de CAMÉRA.
d’Indien de western. Passé à la mise en En cinéma et en vidéo, appareil de prise
Francesca Comencini.
scène, il exalte la dignité indienne, à une de vues. (En anglais, ce terme désigne

époque où le cinéma mexicain n’avait pas CALVI (Grégoire Krettly, dit Gérard), com- également les appareils de prise de vues
encore de véritable structure industrielle : positeur français (Paris 1922). photographiques.) Appareil servant à
De raza azteca (CO Miguel Contreras Issu d’une famille de musiciens, il suit les enregistrer le négatif son.

Torres, 1921), El indio yaqui (1926). C’est cours du Conservatoire (qui le conduiront Les appareils de prise de vues sont
l’un des pionniers du parlant, avec Dios y à un grand prix de Rome de composition les descendants de l’ancienne chambre
ley (1929). en 1945) lorsqu’il se lie avec de jeunes noire, en italien camera oscura. En fran-
acteurs parmi lesquels Robert Dhéry. Il çais, caméra est aujourd’hui réservé à
CALMETTES (André), cinéaste et acteur participe avec eux à la création des Bran- l’enregistrement du mouvement (cinéma
français (Paris 1861 - id. 1942). quignols et accompagne musicalement ou télévision) ; en anglais, camera dé-
Acteur de théâtre pendant une vingtaine leurs activités théâtrales et cinématogra- signe également les appareils photogra-
d’années, il devient, en 1908, directeur ar- phiques. C’est ainsi qu’il collabore aux phiques.
tistique et réalisateur du Film d’Art fondé films de Dhéry, des Branquignols (1949, Les éléments essentiels d’une caméra
par les frères Laffitte. À ce titre, il dirige où il est aussi acteur) à Vos gueules sont : l’objectif, l’obturateur, le couloir et
en collaboration avec Le Bargy l’Assas- les mouettes (1974). Il s’illustre dans de le mécanisme d’entraînement intermittent
sinat du duc de Guise (1908). En trois nombreux films comiques, où son sens du film.
ans (1909-1912), il fait évoluer à l’écran du gag musical, du rythme et du pastiche,
Ce mécanisme est l’organe le plus
(dans un style outrageusement théâtral) son goût pour le burlesque et les effets
délicat, il diffère d’une caméra à l’autre.
des acteurs célèbres sur les planches : sonores sont appréciés. On trouve donc
Son mouvement n’intéresse que la petite
Sarah Bernhardt, Réjane, Mounet-Sully, son nom au générique de films d’Yves
portion du film comprise dans le couloir.
dans des adaptations (Oliver Twist, Car- Robert (la Famille Fenouillard), de Jean-
Le couloir exige une grande précision
men, Athalie, Hamlet, Macbeth, la Tosca, Pierre Mocky (la Cité de l’indicible peur),
d’usinage et d’entretien, c’est la pièce qui
Madame Sans-Gêne, Résurrection, la de restaurations de films de Max Linder
sert de guide et de positionnement du film
Dame aux camélias). À partir de 1913, et des films de Maud Linder, ainsi que de
par rapport à l’objectif. Durant son par-
il se consacre à nouveau au théâtre et dessins animés (les premiers Astérix). Il
cours dans la caméra, c’est le seul mo-
n’apparaît plus au cinéma que comme est associé aux films de Pierre Tchernia
ment où l’émulsion du film est en contact
acteur, notamment dans le Petit Chose et aux interventions de ce dernier à la
avec une surface métallique. Il comporte
(André Hugon, 1923). télévision. Il a par ailleurs composé de
une fenêtre, dite de prise de vues, au for-
la musique de chambre, des pièces pour
CALOPRESTI (Mimmo), cinéaste et acteur mat image normalisé, parfaitement cen-
orchestre et des ballets.
italien (Polistena, prov. de Reggio di Cala- trée sur l’axe de l’objectif.
bria, 1955). CALVO (Pablo, dit Pablito), acteur espa- Dès que le film est immobilisé, l’obtu-
Originaire de Calabre mais ayant émigré gnol (Madrid 1946 - Alicante 2000). rateur s’ouvre, les rayons lumineux issus
dans le Nord avec ses parents lorsqu’il Il devient, à huit ans, la vedette d’un des de l’objectif impressionnent le film. Après
était enfant, Mimmo Calopresti a long- sommets du film religieux, typique de cette phase d’exposition, l’obturateur s’in-

204
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

terpose entre objectif et film. Ce dernier, constante. La traction exercée sur le film puisque la partie de la fenêtre démas-
désormais à l’abri de la lumière, avance est ainsi à la fois continue et répartie sur quée en premier est aussi masquée en
de la longueur requise pour que les plusieurs perforations, et la griffe n’a plus dernier. On le trouve sur les caméras
images enregistrées ne se chevauchent à entraîner que la faible longueur de film d’amateur et sur certaines caméras semi-
pas (c’est la phase d’escamotage), puis il comprise entre les débiteurs. (Les camé- professionnelles.
s’immobilise à nouveau, etc. ras modernes emploient un seul débiteur Les caméras étaient initialement en-
Mécanisme de mouvement inter- de grand diamètre, utilisé dans sa partie traînées à la main, l’opérateur s’efforçant
mittent. Cette avance intermittente est supérieure pour tirer le film et dans sa de tourner la manivelle le plus régulière-
assurée grâce au mécanisme de la griffe, partie inférieure pour l’entraîner vers la ment possible. (Un truc classique, pour
qui constitua un des apports majeurs des bobine réceptrice.) Cela implique de mé- parvenir à cette régularité, consistait à sif-
frères Lumière à l’invention du cinéma. nager deux boucles entre les débiteurs floter une marche, par exemple Sambre
Une came, triangulaire courbe, dite de et le couloir : à chaque cycle, la boucle et Meuse.)
Trezel, tourne à vitesse constante à supérieure s’allonge un peu quand le film Quand vint le parlant, qui exigeait une
l’intérieur d’un évidement pratiqué dans est immobilisé dans le couloir puis se vitesse parfaitement constante, le moteur
le porte-griffe, susceptible de se mou- résorbe quand la griffe entraîne le film, et électrique s’imposa. Aujourd’hui, les ca-
voir dans son propre plan et qui porte à vice versa pour la boucle inférieure. méras professionnelles sont toutes sus-
son extrémité une ou plusieurs griffes en Un système de friction réglable retient ceptibles de recevoir, selon les besoins,
acier, usinées avec précision afin de pou- en permanence la bobine débitrice, afin divers types de moteurs, alimentés soit à
voir pénétrer dans les perforations sans d’éviter le déroulement intempestif du partir du secteur, soit (plus généralement)
les détériorer. film. La bobine réceptrice, elle, doit être par batteries ou accumulateurs. (Pour le
La figure montre le déroulement d’un entraînée afin d’assurer le rembobinage reportage, on se sert usuellement de
cycle, en partant du moment où la griffe du film, et ce à vitesse variable puisque batteries-ceintures, portées autour de la
vient de s’engager dans une perforation. le diamètre des spires croît à mesure que taille. Il existe aussi des batteries légères,
La came provoque d’abord la descente la bobine se remplit : on fait pour cela enfichables sur la caméra elle-même.)
de la griffe, ce qui entraîne l’avance du patiner sur son axe la courroie d’entraî- Pour filmer en son synchrone, on em-
film. La griffe se retire ensuite de la perfo- nement qui vient du moteur. (L’engorge- ploie presque toujours soit des moteurs
ration, le film restant immobilisé grâce au ment accidentel du circuit du film dans la à vitesse parfaitement régulée délivrant
presseur dorsal qui le plaque contre la fe- caméra provoque l’arrêt de la caméra par une fréquence pilote, soit des moteurs à
nêtre et lui assure une bonne planéité. La bourrage.) quartz, qui évitent toute liaison entre ca-
griffe remonte ensuite, dégagée du film, Les caméras professionnelles sont méra et magnétophone. ( REPIQUAGE.)
au niveau où elle se trouvait initialement. équipées d’un obturateur à disque, sou- Pour le reportage, on a beaucoup uti-
Elle s’engage alors à nouveau dans une vent composé de deux demi-disques lisé l’entraînement par ressort remonté
perforation, etc. susceptibles de pivoter l’un par rapport à à la main. Le temps de fonctionnement
La fraction de la durée d’un cycle l’autre de façon à présenter une ouverture est limité (en général, une trentaine de
consacrée à la descente de la griffe dé- angulaire réglable, l’ensemble effectuant secondes) et la vitesse n’est qu’approxi-
pend de la conception et du dessin de un tour par image. Le temps d’exposition mativement constante (ce qui interdit le
la came. Sur la plupart des caméras, le est directement proportionnel à l’ouver- son synchrone). En revanche, cet entraî-
temps d’exposition représente à peu près ture angulaire : pour la cadence normale nement est peu encombrant, peu coû-
la moitié de la durée d’un cycle. de 24 images/seconde, il vaut 1/48 de teux, léger, totalement autonome, ce qui
Sur les caméras d’amateur et sur cer- seconde pour une ouverture de 180o, est un avantage sur le moteur électrique
taines caméras professionnelles légères, 1/50 de seconde pour une ouverture de qui exige une source d’énergie, soit piles,
l’immobilisation du film pendant la phase 170o, etc. L’ouverture maximale est géné- soit accumulateurs qu’il faudra recharger.
d’exposition est assurée uniquement ralement de 180o, mais elle atteint 230o Impossible en expédition, en brousse ou
grâce à la pression exercée par le pres- sur certaines caméras, ce qui augmente en montagne.
seur. (Cette pression doit être réglée avec sensiblement le temps d’exposition (près Bobines, chargeurs, magasins.
soin : assez forte pour immobiliser le film d’un tiers en plus par rapport à une ouver- Charger la caméra consiste à mettre en
pendant cette phase, assez faible pour le ture de 180o). Le réglage de l’ouverture place le film depuis la bobine débitrice
laisser avancer quand la griffe l’entraîne.) ne peut généralement s’effectuer qu’à jusqu’à la bobine réceptrice en passant
Si l’on veut obtenir une très grande l’arrêt, sauf sur certaines caméras où il par les débiteurs et le couloir. Le déchar-
fixité de l’image, ce qui est nécessaire permet alors d’obtenir directement à la gement consiste à mettre en boîte le film
en particulier pour la réalisation de cer- prise de vues des effets tels que : ou- impressionné.
tains trucages, on a recours à une contre- verture au noir, fermeture au noir, voire Les caméras 16 mm légères — et
griffe, au mouvement comparable à celui fondu enchaîné par combinaison des certaines caméras 35 mm de reportage,
de la griffe, à ceci près qu’il se limite à un deux effets précédents. (L’obturateur est telle l’Eyemo — emploient des bobines
va-et-vient. La contre-griffe pénètre dans parfois à pales symétriques : il comporte à flasques pleines contenant 30 mètres
une perforation dès que le film s’immobi- deux ouvertures symétriques et il effectue de film (parfois 60 m) et permettant le
lise et la maintient donc parfaitement en un tour pour deux images. La symétrie chargement dit plein jour : si la partie
place, puis se retire dès que la griffe va du dispositif facilite l’amortissement des du film déroulée pour le chargement est
entamer sa descente. vibrations.) évidemment voilée, le reste de la bobine
Le film vierge provient de la bobine Pour remplir correctement leur office, est en effet protégé de la lumière par les
débitrice ; après avoir été impressionné, il les obturateurs rotatifs doivent avoir leur flasques et par les premières spires du
va s’enrouler sur la bobine réceptrice. En axe de rotation aussi éloigné que possible film.
Super 8, la bobine débitrice n’excède pas de l’axe de la fenêtre, ce qui implique des À la cadence normale de 24 images/
quelques dizaines de grammes : la griffe disques de grand diamètre. L’obturateur seconde, 30 mètres de film n’assurent
suffit alors à tirer le film. En 16 mm ou à guillotine, qui n’est autre — dans son qu’une autonomie d’environ deux mi-
en 35 mm, les bobines sont trop lourdes principe — qu’un rectangle animé d’un nutes et demie en 16 mm et une minute
pour que l’on puisse agir ainsi. Le film est mouvement de va-et-vient devant la fe- en 35 mm, ce qui est insuffisant, sauf
entraîné, avant et après le couloir, par nêtre, est bien moins encombrant, mais éventuellement pour le reportage. La
des débiteurs dentés tournant à vitesse l’image est exposée un peu inégalement, capacité normale des caméras est de

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

120 mètres en 16 mm et 300 mètres en par le dispositif d’insonorisation (voir plus toutes les caméras professionnelles, un
35 mm, ce qui assure dans les deux cas loin), elle s’effectue par avance ou recul miroir orienté à 45o dévie totalement le
une autonomie d’environ dix minutes. Le de tout l’objectif, ce mouvement étant faisceau lumineux mais uniquement pen-
film est alors conditionné en galettes (on commandé par un bouton reporté à l’ex- dant l’escamotage du film. Il en résulte
continue néanmoins de parler de bobine térieur du caisson d’insonorisation. un certain scintillement mais les incon-
débitrice et de bobine réceptrice) conte- La visée. Le viseur permet à l’opéra- vénients de la visée reflex continue sont
nues soit dans des chargeurs, soit dans teur de voir le champ filmé. éliminés. Usuellement, le miroir incliné à
des magasins. (À vrai dire, le vocabulaire Les premières caméras avaient un vi- 45o est solidaire de la pale de l’obturateur.
est hésitant : les chargeurs sont souvent seur à cadre, composé d’un cadre métal- On peut aussi employer un miroir os-
appelés magasins.) lique fixé à l’avant de l’appareil et d’un cillant indépendant de l’obturateur, voire
Les chargeurs contiennent non seule- oeilleton (ici : un simple trou dans une un miroir à 45o monté sur l’obturateur
ment les bobines débitrice et réceptrice, plaquette) fixé à l’arrière de l’appareil. à guillotine. Sur certaines caméras, la
soit juxtaposées, soit coaxiales, mais Vint ensuite le viseur type Newton, moins lunette de visée (c’est-à-dire l’ensemble
aussi les débiteurs : il ne reste sur la rudimentaire, qui comporte à l’avant une optique qui véhicule jusqu’à l’oeil de l’opé-
caméra que le couloir et le mécanisme lentille divergente rectangulaire et, à rateur l’image captée par le miroir) peut
d’avance intermittente, ainsi que le mo- l’arrière, une lentille convergente servant être remplacée par un petit tube vidéo de
teur proprement dit. Ils permettent de ce d’oeilleton. Des caches de différentes prise de vues : cela permet d’observer
fait un chargement très rapide, particuliè- tailles, ou des repères gravés sur la len- l’image à distance, sur un écran de type
rement lorsqu’ils sont à enclenchement tille antérieure, délimitent les champs des télévision.
automatique. Ce n’est pas un hasard divers objectifs possibles. Le gros défaut Caméras muettes et sonores. À
si les caméras à chargeurs (Arriflex, de ce viseur est son manque de préci- l’époque du muet, le bruit de la caméra
Éclair 16, Caméflex, etc.) sont des camé- sion lors de l’emploi de longues focales, n’avait aucune importance, de sorte
ras conçues à l’origine pour le reportage car l’image observée est alors minuscule. qu’on aborda le cinéma parlant sans dis-
ou l’actualité, et c’est souvent par le char- Le viseur optique améliore le précédent : poser de caméras silencieuses. Aux tout
geur que les caméras portables prennent un système optique antérieur, interchan- débuts, on enferma caméra et opérateur
appui sur l’épaule. (Le Super 8 utilise des geable en fonction de l’objectif en service, dans un caisson insonorisé, ce qui inter-
chargeurs simplifiés dépourvus de débi- fournit une image de taille constante, quel
disait tout mouvement d’appareil. Pour
teurs.) que soit le champ embrassé. (Sur cer-
rendre sa liberté à la caméra, on imagina
Les magasins, bien antérieurs aux taines caméras, ce type de viseur four-
d’abord le blimp, caisson insonorisant
chargeurs, ne contiennent aucun méca- nissaitune image aérienne [ OPTIQUE
adaptable qui épouse les formes de la
nisme : il faut donc effectuer manuelle- GÉOMÉTRIQUE] observable à une certaine
caméra, les commandes essentielles
ment le chargement. Il existe des maga- distance, ce qui évitait d’avoir à coller
(mise au point, diaphragme) étant prolon-
sins indépendants (par ex. pour la Debrie l’oeil à l’oeilleton.)
gées à l’extérieur du blimp, de même que
ou la Camé 300), qui contiennent indiffé- Tous ces viseurs extérieurs présentent le viseur. Le blimp est toujours d’emploi
remment la bobine débitrice ou la bobine l’inconvénient d’introduire un décalage
courant car il permet un double usage
réceptrice, et des magasins monobloc (appelé parallaxe) entre l’image vue dans
des caméras portables mais bruyantes :
qui contiennent les deux bobines : une le viseur et l’image filmée. En modifiant
sans blimp (la caméra étant alors très
boucle de film sort alors du magasin pour l’orientation du viseur, on peut corriger
maniable), pour les scènes — les exté-
permettre le chargement. cette parallaxe pour une distance don-
rieurs par exemple — où le son sera de
Chargeurs et magasins doivent être née, mais on perd alors le cadrage relatif
toute façon reconstitué en studio ; avec
chargés dans le noir, pour ne pas voiler la entre premier plan et arrière-plan.
blimp, quand on tourne en son direct.
pellicule. Faute de chambre noire, on se Pour remédier à ce défaut, on imagina
sert du charging bag, grand sac étanche L’autre solution, imaginée presque
dans les années 20 d’observer directe-
à la lumière et où l’on peut glisser les en même temps, revient à incorporer
ment l’image fournie par l’objectif grâce
bras. le blimp, par construction, à la caméra.
à un verre dépoli placé dans le couloir à
Cette dernière comporte deux coques,
L’optique. Les caméras profession- la place du film. Cela permettait bien de
les organes bruyants (et notamment le
nelles sont toutes à objectif interchan- contrôler le cadrage et la mise au point
mécanisme d’avance intermittente) se
geable. La monture, c’est-à-dire le dis- avant et après la prise de vues mais non
trouvant à l’intérieur de la coque centrale.
positif de fixation de l’objectif sur la pièce pendant celle-ci, sauf sur certaines ca-
qui le supporte, est généralement du type Pour accéder au film, il faut ici ouvrir suc-
méras où le système de visée traversait
baïonnette (comme sur les appareils pho- cessivement deux portes.
la caméra jusqu’au couloir, permettant
tographiques 24 × 36), chaque marque ainsi à l’opérateur de suivre l’image par Ces deux solutions conduisent à des
ayant sa propre monture. (Dans certains transparence à travers le film, qui jouait appareils lourds et encombrants. Or,
cas, on peut monter l’objectif sur une alors le rôle de dépoli. Cette pratique, peu vers les années 60 apparut le besoin (en
caméra d’une autre marque grâce à une commode car l’image observée était très particulier pour les reportages de télévi-
pièce d’adaptation.) Un certain nombre peu lumineuse, fut condamnée par l’intro- sion) d’une caméra à la fois portable et
de caméras 16 mm utilisent une monture duction des couches antihalo ( FILM) suffisamment silencieuse pour permettre
à vis normalisée, dite monture C. opaques. l’enregistrement direct du son. En redes-
Autrefois, les caméras de reportage La solution définitive était la visée re- sinant les organes générateurs de bruit,
étaient couramment dotées d’une tou- flex. Dans la visée reflex continue, une les constructeurs aboutirent, d’abord en
relle, pièce rotative supportant généra- mince lame de verre inclinée à 45o ou un 16 mm puis en 35 mm, à des caméras
lement trois objectifs et qui permettait un prisme diviseur, placé entre objectif et autosilencieuses. (Certaines ne sont
changement d’objectif quasi instantané. film, dévie en permanence vers le viseur que partiellement silencieuses et néces-
Cette conception tend à disparaître de- une petite fraction des rayons lumineux. sitent, pour le tournage en son direct,
puis l’apparition des zooms. Simple, ce dispositif réduit malheureu- de blimper tel ou tel organe : magasin,
La mise au point s’effectue générale- sement l’éclairement reçu par le film, et moteur, objectif.) Conjuguant maniabilité
ment par rotation de la bague de réglage l’image de visée est peu lumineuse. Dans et silence, ces caméras ne sont toutefois
de l’objectif. Sur les grosses caméras de la visée reflex intermittente, inaugurée pas vraiment aussi silencieuses que les
studio, où l’accès à l’objectif est entravé par Arriflex et adoptée aujourd’hui sur caméras blimpées ou à double coque, qui

206
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

demeurent donc les caméras normales August Arnold* et Robert Richter*, qui 300 images/seconde en 35 mm, environ
du studio. introduisait dès 1937 la visée reflex ; la 600 images/seconde en 16 mm, puisque
Par un retournement amusant (mais Caméflex, due à Coutant, qui comportait la longueur de film à entraîner à chaque
logique) du vocabulaire, on qualifie de comme l’Arriflex la visée reflex et l’entraî- cycle est sensiblement moitié moindre
muettes les caméras bruyantes et de nement électrique. (Tous ces modèles qu’en 35 mm. (Les caméras usuelles
sonores les caméras... silencieuses. furent proposés en version 35 mm et en disposent souvent d’une vitesse variable,

En plus des accessoires version 16 mm, la Bell et Howell 16 mm — mais celle-ci ne dépasse généralement
Accessoires.
déjà décrits (moteur, viseur, etc.) et des toujours fabriquée — s’appelant Filmo.) pas de 60 à 100 images/seconde. Au-
Si l’Eyemo, en raison de sa très faible delà, il faut des caméras spéciales.)
accessoires évidents tels que poignée ou
bien commande de mise en marche, les autonomie, ne fut jamais qu’une caméra Pour les cadences supérieures, on uti-
caméras comportent un nombre variable de reportage, Arriflex et Caméflex ont été lise le défilement continu du film. Dans
d’accessoires divers, par exemple : et restent couramment employées, avec les appareils à compensation optique,

— compteur qui indique le métrage de ou sans blimp, pour le tournage des films un dispositif rotatif (lame à faces paral-
film consommé ; de fiction. La Mitchell Mk2 appartient à lèles ou miroirs) dévie l’image fournie par
cette famille des caméras portables. l’objectif de façon que celle-ci suive le film
— porte-filtre et parasoleil ;
La première caméra portable « auto- pendant la phase d’exposition. On atteint
— repère, symbolisé , indiquant la
silencieuse », et qui connut de ce fait ainsi plusieurs milliers d’images par se-
position du plan du film, puisque les dis-
une très large diffusion, fut l’Éclair 16 mm conde. Pour aller plus loin, on ne cherche
tances de mise au point se comptent à
plus à stabiliser l’image par rapport au
partir de ce plan ; de Coutant (souvent appelée « Cou-
film : grâce à une série d’éclairs lumineux
tant 16 »). De nombreux autres modèles
— tachymètre, indiquant la cadence extrêmement brefs, le film enregistre au
apparurent ensuite, dont l’A. C. L. 16 mm
de prises de vues ; vol des instantanés successifs. On atteint
dérivée de l’Éclair. En 35 mm, les deux
— claquette automatique (petite ainsi plusieurs millions d’images par se-
grands noms dans ce domaine sont la
lampe voilant une image pendant qu’est conde.
Panaflex de Panavision et l’Arri BL d’Arri-
émis un signal enregistré sur le magnéto-
flex. Aaton, constructeur français, pro- Visée vidéo. L’implication de plus en
phone REPIQUAGE) ;
pose également un modèle portable, de plus étroite de la vidéo et de l’informa-
— report des distances de mise au tique au stade de la production et de la
grande légèreté.
point et des graduations du diaphragme. post-production ont amené les construc-
En 16 mm, trois caméras semi-pro-
Brève histoire des caméras. Un cer- teurs de caméras films à adapter sur
fessionnelles ont été abondamment utili-
tain nombre de caméras ont marqué l’his- certains de leurs modèles, notamment
sées par les expéditions, scientifiques ou
toire du cinéma. 35 mm, une reprise ou « visée vidéo ».
autres, les ethnographes, etc. : la suisse
L’ère des caméras à caisse de bois, Ce dispositif ne transforme certes pas la
Paillard Bolex et les françaises Pathé
inspirées des modèles qui avaient permis caméra film en caméra de télévision. Il
Webo et Beaulieu.
l’invention du cinéma, dura jusqu’après s’agit d’une adaptation permettant, sur
Gardons-nous d’oublier, même si elle
la Première Guerre mondiale ; une des les lieux du tournage, de faire apparaître
appartient depuis trente ans à l’histoire,
plus répandues (elle filma notamment sur un moniteur le champ enregistré par
l’extraordinaire caméra tripack Technico-
Naissance d’une nation) fut la française la caméra film. La qualité des signaux
lor. ( CINÉMA EN COULEURS.)
Pathé, dérivée du Cinématographe Lu- vidéo ainsi obtenus est bien inférieure
mière. Les premières caméras modernes Plus récemment, au début des années à ceux fournis par une caméra vidéo, et
80, en raison de l’amélioration des émul- ils ne peuvent être exploités qu’à titre de
apparurent d’abord un peu avant la guerre
sions négatives, il est devenu possible signaux témoins.
avec l’américaine Bell et Howell de studio
d’agrandir en 35 mm, dans de bonnes
(détrônée plus tard par la Mitchell) et, Les caméras d’animation, conçues
surtout, au début des années 20, avec conditions de qualité, des films tournés pour filmer vue par vue, ne diffèrent
la Parvo, due au Français A. Debrie*, en 16 mm (« gonflage 16 en 35 »). Le for-
pas fondamentalement des caméras
et avec la Mitchell (« Standard » puis mat exploité en 35 mm à cette époque
usuelles, sinon par le soin apporté à ce
« NC »), due à l’Américain G. Mitchell*. était plutôt le 1,66 alors que celui du
que le temps d’exposition soit rigoureu-
Ces deux dernières caméras, et leurs 16 mm était le 1,33 ( FORMAT). En élar- sement identique d’une image à l’autre.
descendantes, furent diffusées (et sou- gissant la fenêtre de caméra côté piste Le contrôle des mouvements des camé-
vent copiées) dans le monde entier. (De sonore (inutilisée sur un négatif image), ras de trucages (« Motion Control ») est
cette époque date également la Camé il est possible d’élargir le format de prises assuré par un ordinateur qui gère grâce
Six, de la firme française Éclair, encore de vues 16 mm au rapport 1,66. Aaton, à des moteurs (pas à pas ou continu)
recherchée de nos jours pour certaines qui a adapté ses caméras 16 mm et déve- toute la séquence d’une prise de vues :
utilisations particulières.) loppé des modèles mixtes 16 / Super 16, du fonctionnement de la caméra à son
est devenu le principal constructeur mon-
L’ère du parlant arrivée, les grandes déplacement dans l’espace d’un plateau,
dial de ce type de caméras, également
caméras silencieuses de studio furent quels qu’en soient la cadence d’obtura-
d’abord la Superparvo (1933) et la Mit- construites par Arriflex et, plus récem- tion, le mode de fonctionnement (image/
chell BNC (1934). Après guerre, apparut ment, par Panavision. image, continu) ou le sens de défilement
la Camé 300 Reflex, de la famille des ca- Les programmes produits au nouveau (AV ou AR). Cette technique est la seule
méras dues au Français André Coutant*. format vidéo 16/9 (images enregistrées qui permette le mélange des prises de
Aujourd’hui, parallèlement à Mitchell (qui au rapport 1,78) emploient largement le vues réelles avec des images de syn-
propose depuis une dizaine d’années la format Super 16, dont les images enre- thèse, la juxtaposition de deux prises de
visée reflex), les deux grandes caméras gistrées au rapport 1,66 sont suffisam- vues faites à des échelles et dans des
de studio sont la Panavision*, relative- ment voisines pour être compatibles. lieux différents. Ces systèmes sont en gé-
ment récente, et l’Arriflex (voir ci-des- Les caméras spéciales. Pour obtenir néral d’imposantes structures installées à
sous) blimpée. un ralenti, à des fins soit narratives, soit poste fixe sur un plateau. ACME Films à
Dans le domaine du reportage, et donc scientifiques (analyse de mouvements Paris a développé le seul système trans-
des caméras portables, on citera : la très très rapides), il faut élever la cadence portable pouvant être utilisé en extérieur.
légère Eyemo à ressort de Bell et Howell de prises de vues. L’avance intermit- Toutes les caméras évoquées dans
(1926) ; l’Arriflex, due aux Allemands tente ne permet pas de dépasser environ ce chapitre enregistrent des images.

207
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

On appelle également caméra l’appareil les moulins (La bella mugnaia, 1955) ; la douala « l’enfant de l’autre », est le pre-
servant à enregistrer le négatif sonore à Rue des amours faciles (Via Margutta, mier long métrage camerounais dû à un
partir de la bande magnétique issue du 1960) ; Chacun son alibi (Crimen, id.) ; les jeune dramaturge, Jean-Pierre Dikongué-
mixage*. Guérilleros (I briganti italiani, 1962) ; Kali Pipa (1976). Les films suivants sont par-
Yug, déesse de la vengeance (Kali Yug, lés en français, avec quelques répliques
CAMERAMAN. la dea della vendetta, 1963) ; le Mystère en langues diverses : Pousse-pousse,
Mot anglais fam. pour désigner un tech- du temple hindou (Il mistero del tempio
de Kamwa (LM, 1976), qui reprend avec
nicien de l’équipe de prise de vues. En indio, 1964) ; Delitto quasi perfetto (1966).
succès, après Muna Moto, le thème de
français, syn. littéraire de cadreur.
l’achat d’une épouse, mais sur le mode
CAMERON (James), cinéaste américain
CAMERINI (Mario), cinéaste italien (Rome d’origine canadienne (Kapuskasing, Ont., de la comédie, ou le Prix de la liberté (la
1895 - Gardone Riviera 1981). 1954). « liberté » de la femme dans la société
D’abord assistant de son cousin Augusto Cet ancien étudiant en physique était ta- camerounaise), deuxième long métrage
Genina, il dirige un documentaire sur le raudé par l’envie d’écrire des scénarios. de Dikongué-Pipa (1978).
cirque (Jolly, clown da circo, 1923) et C’est ainsi qu’il a débuté dans le cinéma,
l’un des derniers Maciste muets (Ma- vers 1980, acquérant vite la réputation CAMINO (Jaime), cinéaste espagnol (Bar-
ciste contro la sceicco, 1924), puis un d’un excellent script doctor, venant au celone, Catalogne, 1936).
film quasi expérimental, Rotaie (1929), dernier moment sauver des scénarios España otra vez (1968), au scénario
sonorisé après coup. Il trouve sa voie défaillants. Après l’assez obscur Piran- duquel collabore Alvah Bessie, suit les
dans une série de comédies mi-senti- has II (The Spawning, 1982), sa carrière traces d’un ancien combattant des Bri-
mentales, mi-ironiques, peintures pleines de réalisateur a pris de l’ampleur avec gades internationales qui revoit Barce-
de justesse d’une petite-bourgeoisie qui, Terminator (The Terminator, 1984). À lone trente ans après la fin de la guerre
faute de pouvoir lutter contre le fascisme, partir d’un bon postulat de science-fiction, civile. Sujet audacieux pour l’époque,
cherche un dérivatif dans une fantaisie Cameron y affirmait sa poigne très forte
gâché par les contraintes commerciales
inspirée du modèle hollywoodien mais dans les scènes d’action, son goût pour
et de censure. Les Longues Vacances de
dont le mode de tournage, en décors les effets spéciaux et une inspiration très
réels, annonce le néoréalisme. Brillam- 36 (Las largas vacaciones del 36, 1976)
sombre. On retrouve ces qualités dans
ment inaugurée par Les hommes, quels montre cette même guerre vécue dans le
Aliens (1986), deuxième volet de la trilo-
mufles !, qui révèle en outre l’acteur Vit- camp républicain et vue par un groupe
gie, très violent, très féminisé, où le style
torio De Sica, la série se poursuit avec de Cameron, taillé à la serpe, privilégiant d’adolescents. Plus intéressant encore
succès jusqu’à la guerre ; Camerini doit les fragments ou les scènes par rapport est le documentaire La vieja memoria
alors se rabattre sur des adaptations litté- au plan, prenait corps. Abyss (The Abyss, (1978), confrontation dialectique des sou-
raires qui restent d’une grande élégance. 1989) déçut les financiers : les effets spé- venirs d’anciens franquistes et républi-
La Libération le trouve en porte-à-faux : ciaux, la vigueur de la mise en scène, un cains de diverses tendances. En 1984, il
cet homme affable, qui s’est néanmoins tournage difficile presque entièrement réalise El balcón abierto, en 1986 Dragon
opposé au fascisme, voit aussi s’écrou- sous-marin étaient au service d’une his- Rapide et, en 1988, Luces y sombras. Il
ler le monde en demi-teinte où il puisait toire d’amour au bord du merveilleux. entreprend en 1991 un grand film en deux
la substance de ses films. Il appliquera On prit cela pour de la mièvrerie alors parties sur la guerre d’Espagne, El largo
encore son métier sans faille à des films qu’il s’agissait peut-être du meilleur film invierno.
policiers, à des récits d’aventures, à une du cinéaste. Porté par ses effets spé-
adaptation très intelligente d’Homère par ciaux saisissants, Terminator 2 : le jour CAMION-SON.
Irvin Shaw et quelques autres scéna- du jugement (Terminator 2 : Judgement Autrefois, camion aménagé pour l’enre-
ristes, voire à un pâle pastiche des deux Day, 1991) affadissait le postulat apo-
gistrement du son direct dans les tour-
films hindous de Fritz Lang. Mais son calyptique du premier volet en faisant
nages en extérieur. ( PRISE DE SON.)
talent s’y dépersonnalise de plus en plus. d’Arnold Schwarzenegger le héros d’une
Au début des années 70, Camerini prend histoire dont il fut d’abord le mémorable
CAMPANINI (Carlo), acteur italien (Turin
sa retraite et se consacre essentiellement méchant. Après le Caméléon (True Lies
à la cinémathèque de Milan, qu’il a contri- 1906 - Rome 1984).
1994), curieux remake de la Totale de
bué à fonder. Dans une carrière partagée entre le
Claude Zidi, James Cameron s’est tourné
théâtre dialectal, la revue, l’opérette et le
Films : Rails (Rotaie, 1929) ; Les vers le passé et le film romanesque avec
hommes, quels mufles ! (Gli uomini, cinéma, Campanini a imposé un person-
le triomphal Titanic (1997) qui renouait
che mascalzoni !, 1932) ; le Tricorne/ le nage tour à tour exubérant et mélanco-
en fait avec la veine d’Abyss. Un temps
Chapeau à trois pointes (Il cappello a marié à la cinéaste Kathie Bigelow, il est lique. Partenaire à la scène ou à l’écran
tre punte, 1934) ; Je donnerai un million le producteur du film de celle-ci Extrême de Macario, Walter Chiari, Totò, Ugo
(Darò un milione, 1935) ; Mais ça n’est limite (Point Break, 1991). Tognazzi, Tino Scotti, Campanini est le
pas une chose sérieuse (Ma non è una grand acteur de second plan qui réussit
cosa seria, 1936) ; Monsieur Max (Il signor CAMEROUN. par sa présence et sa chaleur humaine
Max, 1937) ; Battement de coeur (Batti- Ancien territoire sous double mandat à caractériser un personnage, même
cuore, 1938) ; Grands Magasins (Grandi franco-britannique, territoire ensuite
en très peu de scènes. Parmi ses rôles
magazzini, 1939) ; les Fiancés (I pro- associé à l’Union française (1946), ce
à l’écran, où il débute en 1939 dans
messi sposi, 1941) ; Une histoire d’amour pays, qui est demeuré bilingue, accède
Lo vedi come sei ? de Mattoli, on peut
(Una storia d’amore, 1942) ; Je t’aimerai à l’indépendance en 1960. Une série de
retenir Adieu jeunesse (F. M. Poggioli,
toujours (T’amerò sempre, 1944 ; remake courts métrages traite de manière récur-
1940), Giorno di nozze (R. Matarazzo,
d’un film tourné en 1933 sous le même rente des liens avec la France, comme
1942), Il birichino di papa (id., 1943), le
titre) ; Deux Lettres anonymes (Due let- la vie des étudiants à Paris, mais on
ne peut rien en retenir d’important. Ce Bandit (A. Lattuada, 1946), O. K. Neron
tere anonime, 1945) ; la Fille du capitaine
(La figlia del capitano, 1947) ; l’Ombre du n’est qu’en 1973 qu’un moyen métrage (M. Soldati, 1951) et, surtout, Le miserie
passé (Molti sogni per le strade, 1948) ; de Daniel Kamwa, Boubou Cravate (en del Signor Travet (id., 1946), où il fait de
Mara, fille sauvage (Il brigante Musolino, français), amorce une tentative de fic- son personnage d’employé de bureau un
1950) ; Ulysse (Ulisse, 1954) ; Par-dessus tion critique. Muna Moto, c’est-à-dire en archétype humanisé.

208
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

CAMPION (Jane), réalisatrice néo- CAMPOS (António), cinéaste portugais (1993), Amor proprio (1994), El color de
zélandaise (Wellington 1954). (Leiria 1922 - Figueira da Foz 1999). las nubes (1997), La vuelta de El Coyote
Anthropologue de formation, elle suit, Après plusieurs courts métrages (Um (1998), la Ville des prodiges (La ciudad
après quelques expériences théâtrales, Tesouro, 1958 ; A Almadraba Atuneira, de los prodigios, 1999).
les cours de la Film and TV School de 1961 ; Leiria 1961, id. ; A Invenção de
Amor, 1965 ; Chagall, 1966 ; Colagem, CANADA.
Sydney en Australie. Elle y réalise ses
1967), il aborde le documentaire de long La notion même du cinéma canadien
premiers courts métrages Peel (1981),
métrage et s’impose comme l’un des recèle des ambiguïtés qui sont celles de
Passionless Moments (1984), A Girl’s
meilleurs observateurs de l’évolution l’entité canadienne : une fédération de dix
Own Story (1985). Elle s’impose à l’atten-
sociale de son pays et notamment de la provinces et de deux territoires couvrant
tion de la critique internationale avec Two
transformation économique et psycho- au total 9 959 000 km 2, soit dix-huit fois
Friends (1986) et surtout avec Sweetie
logique des campagnes : Vilarinho das la France, une population de quelque
(1989), film très controversé mais à l’in-
Furnas (1971), Parlons de Rio de Onor 23 millions d’habitants, dont une mino-
déniable qualité de réalisme, Un ange à
(Falamos de Rio de Onor, 1974), Gente rité de francophones concentrés prin-
ma table (An Angel at My Table (1990),
da Praia da Vieira (1975), Histoires sau- cipalement au Québec. La frange utile,
très remarqué au Festival de Venise et
vages (Histórias Selvagens, 1978). En donc peuplée, est une longue bande de
la Leçon de piano (The Piano, 1993), qui
1990 il tourne Terra Fria d’après l’oeuvre terre étirée de l’Atlantique au Pacifique,
remporte la Palme d’or au Festival de
de Ferreira de Castro et, en 1993, un de la Nouvelle-Écosse à l’île Vancouver.
Cannes. À travers ces trois films, Jane
moyen métrage, la Trémie de cristal (A Échanges et communications se font au
Campion quitte un certain réalisme de
Tremonha de Cristal). moins autant suivant les petits axes nord-
surface pour avancer vers un romantisme
sud que suivant le grand axe est-ouest.
sombre, dont les thèmes et l’iconographie CAMUS (Marcel), cinéaste français L’histoire du cinéma canadien a été celle
sont superbement maîtrisés : son goût du (Chappes 1912 - Paris 1982). d’une lutte toujours recommencée pour
fouillis esthétique (désordre dans Swee- Excellent assistant, il débute dans la affirmer et préserver son identité à l’égard
tie et Un ange à ma table, jungle boueuse réalisation avec Mort en fraude (1957). du puissant voisin américain, en s’ap-
où se noue une flore aux racines déme- Ce film, contemporain des débuts de la puyant éventuellement, et prudemment,
surées), tout autre que laissé au hasard, Nouvelle Vague, aborde un thème tabou : sur les États fondateurs européens :
est en fait le reflet d’un désordre intérieur. le colonialisme. Avec conviction, Camus le Royaume-Uni, qui pouvait fournir un
Portrait de femme (Portrait of a Lady, y montre le cheminement tragique de la soutien administratif, ou un débouché ;
1996), d’après Henry James, pouvait conscience chez un homme sans grande la France, qui pouvait proposer une cau-
sembler corseter ce romantisme fréné- envergure, au contact de la population tion, financière peut-être, culturelle sans
tique dans un certain académisme ; mais d’un village vietnamien en proie à la doute, au cinéma québécois. Lutte si iné-
il n’est guère difficile, derrière la surface guerre. Orfeu negro (1959), adapté d’une gale que très tôt une autorité politique de
lisse, de retrouver le tumulte, les interro- pièce de Vinicius de Moraes, transpose tutelle a dû soutenir diverses initiatives :
gations sur le civilisé et l’état sauvage qui dans le Brésil d’aujourd’hui l’histoire de tous les États d’économie libérale, le
sont au coeur des préoccupations de la d’Orphée et d’Eurydice. Palme d’or au Canada est celui dont le cinéma, dans
cinéaste. Holy Smoke (id., 1999) revient festival de Cannes, le film vaut par ses ses phases d’expansion, a été le plus
aux antipodes et à un sujet contemporain, couleurs et son rythme. Tenté par l’exo- vigoureusement patronné par le pouvoir
mais les préoccupations sont toujours tisme, Camus tourne ensuite Os Bandei- politique.
les mêmes ; à travers un « désenvoûte- rantes (1960), l’Oiseau de paradis (1962), Les premiers films canadiens sont
ment », Jane Campion pose en termes Otalia de Bahia (1976), sans retrouver la
réalisés en 1898 par James Freer, un
originaux le thème de la guerre des sexes veine de ses premiers films. Réalisateur fermier du Manitoba. Ils sont présentés
(du désenvoûteur et de sa « victime », qui du Chant du monde (1965) et du Mur de
à Londres l’année suivante sous les aus-
l’Atlantique (1970) — avec Bourvil —, il
désenvoûte qui ?). pices du Canadian Pacific Railway, qui
se consacre dans les dernières années
les utilise pour promouvoir l’émigration
CAMPOS (Antônio), cinéaste et chef opé- de sa vie à la télévision.
au Canada. Les résultats sont si encou-
rateur brésilien (Silvestre de Ferraz, Minas rageants que la compagnie de chemin
CAMUS (Mario Camus García, dit Mario),
Gerais). de fer commandite la Bioscope Company
cinéaste espagnol (Santander 1935).
Dentiste, enseignant, photographe, musi- of Canada, fondée par l’Anglais Charles
Il collabore avec Carlos Saura aux scé-
cien, comédien, il est le premier à faire Urban, qui produit dans le même but la
narios de Los Golfos (1959) et Ballade
du cinéma à São Paulo. Il adapte en série Living Canada : paysages et scènes
pour un bandit (1963) et s’impose comme
1905 un projecteur Pathé pour la prise pittoresques filmés d’un océan à l’autre,
un brillant représentant du « nouveau
de vues. Sa première oeuvre de fiction, diffusés entre 1900 et 1910.
cinéma espagnol des années 60 », tour-
O Diabo (1908) est probablement inspi- La même année 1898, à l’Exposition
nant notamment Young Sánchez (1963),
rée de Méliès. Il crée un laboratoire pour nationale de Toronto, la compagnie Mas-
Muere una mujer (1964), Con el viento
la « confection de films d’après nature, sey-Harris du Canada présente ce qui est
solano (1965), Volver a vivir (1967).
industriels, théâtraux et de réclame ». probablement le premier film publicitaire,
Après une période moins réussie et plus
Avec Vittorio Capellaro, il porte à l’écran tourné sur une ferme de l’Ontario par Edi-
indécise (Digan lo que digan, 1968 ; Esa
des romans, un peu à la manière du Film mujer, 1969 ; La cólera del viento, 1970), son Studios.
d’Art : Inocência (1915) d’après Tau- il retrouve un talent plus sûr avec Los Très tôt également, des nickelodéons
nay et O Guarany (1916) d’après José pájaros de Baden-Baden (1975), Los imités de ceux qui fonctionnaient dans les
de Alencar. Campos est aussi bien scé- días del pasado (1977) et surtout avec La grandes villes des États-Unis avaient été
nariste que photographe. O Curandeiro colmena (1982) et les Saints innocents installés à Toronto ou à Montréal. C’était
(1917), qu’il tourne seul, inaugure une (Los santos inocentes, 1984). Après La de petites salles où une trentaine de
originale série d’études des « us et cou- vieja música (1985), il adapte à l’écran clients qui avaient payé 5 cents (un nic-
tumes du sertão » (intérieur du nord-est la Maison de Bernarda Alba (La casa kel) regardaient, debout, un programme
du pays). Vers 1922, il abandonne son de Bernarda Alba, 1987) d’après Lorca de 20 à 25 minutes. Le 1er janvier 1906,
activité multiple et devient l’organisateur et tourne la Rusa (id.), Después del un ancien projectionniste, Léo-Ernest
de la censure. sueño (1992), Sombras en una batalla Ouimet (1877-1972), ouvre à Montréal,

209
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

dans la rue Sainte-Catherine, son premier de Hollywood. Le marché canadien est immédiatement d’une section films d’ani-
Ouimetoscope : une salle confortable de purement et simplement intégré au mar- mation, promise, sous l’impulsion de Nor-
400 places. Le succès est tel que, l’an- ché américain : les recettes canadiennes man McLaren*, à un avenir brillant. Enfin,
née suivante, Ouimet ouvre une seconde (box-office) sont comptabilisées dans très tôt, à l’image de l’école britannique
salle (31 août 1907) : 1 200 places dans les recettes intérieures des États-Unis. du GPO, l’ONF braque ses caméras sur
une architecture flatteuse, un programme L’industrie canadienne est satellisée : elle l’environnement immédiat, sur la société
abondant coupé d’un entracte. Le prix tourne des longs métrages américains, canadienne, jetant les bases de ce qui
des places variait de 10 à 50 cents. Le qui exploitent les mythologies du Grand deviendra le Candid Eye, puis le cinéma
programme était constitué de films que Nord ou de la police montée, mais non direct des années 60. Même si d’aucuns
Ouimet achetait à New York, et de bandes de longs métrages canadiens. L’échec ont souhaité, pour des raisons d’opportu-
d’actualités qu’il tournait lui-même. en 1927 d’un groupe d’investisseurs nité politique, la minimiser, l’importance
Après 1910, des compagnies éphé- qui avaient réuni une somme colossale de l’ONF est considérable, car cet orga-
mères sont créées à Montréal, Toronto, (500 000 dollars) pour produire dans nisme a favorisé le développement des
Halifax, pour produire des films de fic- les studios de Trenton un long métrage cinémas canadiens, la formation des
tion dramatique. La Canadian Bioscope national (Carry on Sergeant, de Bruce hommes et l’élaboration d’un regard spé-
Company tourne en 1913 le premier long Bairnsfather) cantonne le cinéma cana- cifique qui rapproche (quoi qu’ils en aient)
métrage canadien, Evangeline, d’après le dien dans le domaine du documentaire, un opérateur de Toronto de son homo-
poème de Longfellow. Le film, réalisé par produit soit par le gouvernement dans logue de Montréal.
le capitaine Holland à Halifax, connaît un le cadre du CGMPB, soit par une firme
Dans les années 60 et 70, sous
succès qui assure deux ans de prospérité privée dynamique, la Associated Screen
forme de production directe, de copro-
à la firme, laquelle produit deux autres News de Montréal, dont la série Cana-
duction, de soutien technique, par ses
longs métrages avant de disparaître en dian Cameos, dirigée jusqu’en 1953 par
commandes, même si parfois elles ont
1915. Simultanément, la All-Red Feature Gordon Sparling, connaîtra une très large
été détournées, par son influence sur les
Company de Windsor tourne The War diffusion.
méthodes de tournage de ceux-là mêmes
Pidgeon en 1914, la British American Les années 30 sont une période
qui se sont retournés contre lui, l’Office
Film Company tourne à Montréal Dollard sombre pour le cinéma canadien. Certes,
est père et grand-père de tous les ciné-
des Ormeaux, la Connes-Till Company un premier film canadien parlant (anglais)
mas canadiens, et du cinéma québécois
de Toronto produit des films d’aventures est bien réalisé en 1930 (The Viking, de
en particulier.
et des comédies de deux bobines. Varick Frissel et George Melford, pro-
Depuis l’avènement du parlant, le mar-
La guerre prolonge cette première pé- duit par la Newfoundland Labrador Film
ché « canadien français » s’était large-
riode de prospérité. Self-defence (1916) Company), mais il est sans lendemain.
ment ouvert aux films venus de France :
de Charles et Len Roos décrit l’invasion Au Québec, l’abbé Maurice Proulx enre-
le premier film français parlant, les Trois
imaginaire du Canada par les Allemands, gistre, certes, de nombreux documents
Masques d’André Hugon, était sorti à
en intégrant des documents d’actualité sur la colonisation de l’Abitibi, qui seront
Montréal le 31 mai 1930. À partir de 1934,
à la fiction. A. D. Kean dirige des longs diffusés après 1941 comme matériel de
la société France-Film de Robert Hurel et
métrages à Vancouver (The Adventures propagande par le service de Ciné-Pho-
Jos-Alexandre DeSève contrôle la quasi-
of Count E. Z. Kisser, 1917). La même tographie de la province. Certes, Ken
totalité du marché : elle importe environ
année, les premiers studios canadiens Bishop produit en Colombie-Britannique
80 p. 100 de la production annuelle du
sont inaugurés à Trenton (Ontario). En quelques longs métrages peu coûteux
(les quotaquickies) destinés au marché cinéma français. La guerre coupe ses
1918, à Calgary (Alberta), Ernest Ship-
anglais. L’activité n’en est pas moins très sources d’approvisionnement. Il se crée
man fonde une compagnie de produc-
tion qui tourne une dizaine de films en réduite. alors des sociétés de production québé-
coises : Renaissance Films, dans laquelle
trois ans, dont Back to God’s Country de C’est dans ce contexte que le pou-
DeSève a des intérêts, et qui sort en 1943
David M. Hartford (1919), lequel exploite voir politique se soucie de relancer le
un exotisme canadien à destination du le Père Chopin, dirigé par Fédor Ozep*.
secteur qu’il contrôle (le CGMPB), doté
public des États-Unis. Fort du succès que le film rencontre à
d’installations sonores depuis 1934. Un
Montréal, DeSève se lie à l’abbé Aloysius
Au début des années 20, le cinéma rapport de novembre 1937, rédigé par
Vachet, fondateur en France des studios
canadien, atomisé en petites compagnies Ross McLean et signé par le haut-com-
Fiat-Film : une campagne est lancée au
décentralisées d’une rive à l’autre de la missaire du Canada à Londres, Vincent
Massey, dresse un bilan négatif et sug- Québec pour recruter des actionnaires
fédération, donne l’illusion de la prospé-
gère de faire appel au père fondateur en mettant l’accent sur la nécessité d’un
rité. C’est à cette époque que le gouver-
nement canadien transforme le Exhibits de l’École documentaire anglaise, John cinéma catholique. On bâtit des studios

Grierson. Celui-ci arrive à Ottawa en à Montréal, on publie des projets qui


and Publicity Bureau, créé en 1914 sous
la direction de Bernard Norrish, en Cana- 1938 et rédige un rapport qui préconise la n’aboutissent pas, jusqu’à la réalisation

dian Government Motion Picture Bureau mise en place d’un Office national du film en 1949 du Gros Bill dirigé par le Français

(CGMPB), qui produira dans les an- (ONF) sous l’autorité d’un commissaire. René Delacroix.
nées 20 et 30 des courts métrages et des En 1939, l’ONF est effectivement créé, Mais Renaissance dépose son bilan
documentaires. La crise de la CGMPB et Grierson est nommé commissaire. La peu après. Parallèlement, la firme Qué-
sera d’ailleurs à l’origine de l’intervention déclaration de guerre, puis des conflits de bec Productions de Paul L’Anglais pro-
de John Grierson* et de la création de personnes, retardent le démarrage effec- pose un long métrage du même Fédor
l’ONF en 1939. tif de la nouvelle structure jusqu’à l’été Ozep, tourné en deux versions, française
En 1923, les fragiles structures écono- 1941. Mais à partir de cette date, l’ONF et anglaise, la Forteresse / Whispering
miques du cinéma canadien s’effondrent. assure une part considérable de l’activité City (1947), puis plusieurs films adaptés
Les petits réseaux de salles qui s’étaient cinématographique au Canada, et donne de radioromans populaires tournés dans
constitués pendant la guerre (la chaîne une vive impulsion à ce qui se fait même ses studios de Saint-Hyacinthe. Folklo-
Regent fondée en 1916 à partir de To- en dehors de lui. risants, moralisateurs, ces films méri-
ronto, la United Amusements fondée Le Grand Atelier fondé par Grierson taient sans doute la critique que René
en 1919 à Montréal) sont absorbés par s’attache d’abord à la production de films Lévesque, futur Premier ministre d’un
les circuits mis en place par les Majors d’information et de propagande. Il se dote Québec fort transformé, adressait à l’un

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

d’eux : « un nouveau malheur préhisto- jour. Tout en étant le symbole de la lutte longs métrages : Carcajou et le péril
rique du cinéma canadien ». menée à l’ONF par ses éléments franco- blanc (8 films entre 1974 et 1978), et Innu
La production québécoise de longs phones les plus dynamiques, il définit une asi (4 films en 1979 et 1980).
métrages se maintient jusque vers 1953- nouvelle conception du cinéma. » Au carrefour des deux modes, des
54, exprimant ce que Pierre Véronneau a En 1961, un groupe d’étudiants de films oscillent entre la fiction traditionnelle
appelé « la morbidité collective qui était l’université de Montréal (dont Denys Ar- et l’enregistrement avec des techniques
celle de notre grande noirceur, étouffée cand*), avec le soutien actif des princi- proches de celles du cinéma direct. C’est
par les valeurs catholiques... ». Mais, au paux « Français » de l’ONF, tourne Seul le cas des meilleurs films de la série En
début des années 50, une nouvelle réalité ou avec d’autres, un long métrage qui tant que femmes de l’ONF ou du film po-
est apparue : la télévision. Les compa- connaît un succès public considérable, lémique que Michel Brault a consacré aux
gnies de production disparaissent alors et qui ouvre la voie à une nouvelle phase arrestations qui avaient accompagné les
l’une après l’autre. de production privée. Nombre de firmes événements d’octobre 1970 à Montréal :
Au milieu des années 50, quelques naissent dans les années suivantes, les Ordres (1974).
événements préparent l’explosion des après Coopératio, qui produit en 1963 En 1976, malgré l’entrée en fonction
cinémas canadiens : le transfert à l’ONF Trouble Fête de Pierre Patry, et en 1967 d’un Institut québécois du cinéma, un
d’Ottawa à Montréal (1956), qui l’éloigne Entre la mer et l’eau douce de Michel essoufflement est perceptible : comme
d’un pouvoir politique parfois tatillon et fa- Brault. Les premiers films québécois l’ensemble du cinéma canadien, le ci-
vorise l’épanouissement de sa « section vont se faire reconnaître au festival de néma québécois manque d’un public. En
française » ; les premières commandes Cannes : Pour la suite du monde (1963) outre, une loi fédérale de 1975 a prévu
passées par les réseaux de télévision de Pierre Perrault et Michel Brault, qui d’exonérer d’impôts la totalité du capital
à des cinéastes de l’ONF (en 1953 et inaugure la saga des Tremblay de l’Île- investi dans la production d’un film. Ce
1954) ; l’apparition autour des revues Sé- aux-Coudres, le Chat dans le sac (1964) système, dit « tax shelter », ouvre la voie
quences et Images d’un courant cinéphile de Gilles Groulx. à des coproductions avec les États-Unis,
proprement québécois. De 1965 à 1975, le cinéma québécois la Grande-Bretagne, la France ou l’Italie.
Les années qui suivent voient l’épa- connaît une décennie d’abondance et de Des réalisateurs hollywoodiens tournent
nouissement de la série Candid Eye diversité. Une prospérité certaine lui est à Toronto des films-catastrophe ou des
chez les « Anglais » de l’ONF, autour apportée par la création en 1964 et le films fantastiques avec des acteurs inter-
de Wolf Koenig* et Roman Kroitor*, qui démarrage effectif en 1968 de la SDICC nationaux. Claude Chabrol* ou Dino Risi*
triomphent avec Lonely Boy en 1962, les (Société de développement de l’indus- dirigent à Montréal des films qui n’ont de
débuts de la recherche expérimentale du trie cinématographique canadienne), un canadien qu’une estampille officielle. Si
plasticien Michael Snow*, qui culminera organisme fédéral réclamé depuis des l’industrie continue à travailler, l’originalité
avec la Région centrale en 1970-71, et années par des professionnels de tout le des cinémas canadiens s’est incontes-
le développement de la production de Canada, doté d’un crédit de dix millions tablement diluée dans l’universel capita-
longs métrages en Ontario, dirigés par de dollars plusieurs fois renouvelé et qu’il liste.
Allan King*, Don Shebib ou Don Owen*. peut prêter à des sociétés de production Le cinéma canadien aujourd’hui. En-
Les réalisateurs ou les comédiens sont de films de long métrage. Entre 1968 et deuillé par la disparition de quelques-uns
souvent aspirés par Hollywood, à l’image 1977, la SDICC est intervenue dans le de ses pionniers (Claude Jutra en 1986,
de Sidney Furie, dès qu’ils ont acquis financement de 179 films, dont 76 films Norman Mac Laren en 1987), le cinéma
quelque notoriété. En 1973, Ted Kot- francophones. Le succès de films éro- canadien des années 80 est un cinéma
cheff* y réalise l’Apprentissage de Duddy tiques (Valérie de Denys Héroux en 1969, d’ouverture : multiplication des coproduc-
Kravitz, qui connaît un grand succès et Deux Femmes en or de Claude Fournier* tions et tentative, au Québec notamment,
révèle Richard Dreyfuss*. en 1970, le plus gros succès commer- de limiter le contrôle du marché par les
Sur la côte Ouest, une autre école ori- cial du cinéma québécois) conforte les majors américaines (accord du 22 oc-
ginale est illustrée par les premiers films producteurs privés. Claude Jutra*, Gilles tobre 1986).
d’Allan King, ceux de Ron Kelly, ou par Carle*, Jean-Pierre Lefebvre*, Denys Des auteurs s’imposent au cours des
les courts métrages d’animation de Al Arcand dirigent des films de fiction qui années 80-90 aussi bien à l’ouest qu’à
Razutis, influencés par les recherches explorent l’environnement mental de l’est du Canada. En Ontario, David Cro-
parallèles et proches de l’underground l’homme québécois délivré, peut-être, de nenberg* et Atom Egoyan*, mais aussi
californien. son corset religieux, mais encore coincé Patricia Rozema et Anne Wheeler,
C’est pourtant surtout au Québec, entre son passé de soumission et son remportent des succès internationaux ;
dans un climat de renaissance culturelle, présent de dépendance. au Québec, Francis Mankiewicz, Jean-
de reconnaissance d’une identité qui dé- Pourtant, la voie royale du cinéma Claude Lauzon, André Forcier, Denis
bouche sur une revendication politique, canadien reste encore le cinéma de Arcand*, Lea Pool*, Pierre Falardeau, Mi-
que la mutation est la plus spectaculaire. constat, qui se mue d’ailleurs de plus cheline Lanctôt, Paul Tana, Jean Beau-
Les premiers longs métrages drama- en plus souvent en cinéma d’interven- din, Robert Lepage, Charles Binamé,
tiques produits pour le réseau « fran- tion. L’ONF produit la série Challenge for Bertrand Bonello, Denis Villeneuve pour-
çais » de Radio Canada (la télévision na- change / Société nouvelle. Pierre Per- suivent le chemin tracé par leurs jeunes
tionale) sont réalisés en 1957 et 1958 par rault, toujours dans le cadre de l’ONF, aînés des années 60 tandis que Jean-
Fernand Dansereau* et Claude Jutra*. poursuit son cycle de l’Île-aux-Coudres ; Claude Labrecque* peaufine son explo-
Pierre Perrault* filme, également pour la depuis 1972, il enregistre et monte un ration de l’identité québécoise. Guy Mad-
télévision, ses premiers reportages à l’Île- énorme matériel dans l’Abitibi, au nord- din est le réalisateur le plus talentueux
aux-Coudres. En 1958, Michel Brault* et ouest de la province : du Goût de la farine des Prairies ; William MacGillivray, John
Gilles Groulx* tournent un court métrage (1976) au Pays de la terre sans arbres N. Smith signent des films originaux dans
de 17 minutes produit par l’ONF, les Ra- (1980), il y poursuit sa quête des racines les Provinces atlantiques. En 2001 le prix
quetteurs, dont le critique Gilles Marsolais sentimentales d’une québécitude idéale. de la Caméra d’or du Festival de Cannes
a écrit : « Le documentaire traditionnel Parallèlement, mais dans le cadre d’un fi- est attribué à Atanarjuat l’homme rapide,
est mort le jour où ce film, réalisé contre nancement privé, Arthur Lamothe* donne un film inuit réalisé par Zacharias Kunuk.
les individus et les structures rigides de la parole aux minorités indiennes dans Des festivals d’importance se créent (le
la bureaucratie gouvernementale, a vu le deux séries faites chacune de plusieurs Festival des films du monde à Montréal

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

en 1977, le Festival de Toronto, le Fes- avoir été animateur sous Ben Hardaway 1937), Ahí está el detalle (J. Bustillo Oro,
tival de Vancouver). En 1986 est fondée (sur le personnage d’Elmer Fudd), il se 1940), Ni sangre ni arena (A. Galindo,
l’Ontario Film Development Corporation ; fait surtout connaître par un irrésistible 1941) sont des films réalisés par certains
en 1989, l’ONF fête son cinquantième an- cheval mimétique (The Draft Horse) qui des metteurs en scène les plus actifs
niversaire. Malgré la concurrence de plus se prenait à lui tout seul pour une armée. de cette période. L’immense popularité
en plus pressante du cinéma américain, À la naissance de l’UPA sous Stephen de Cantinflas dans le monde de langue
le cinéma canadien, avec ses particula- Bosustow, il commence par diriger le espagnole est, à ses débuts, assez com-
rismes (et son enthousiasme), continue à très influent film syndical Hellbent for préhensible : il incarne des personnages
susciter des oeuvres originales. Election, puis crée un inoubliable enfant déclassés, rusés, irrévérencieux, dans la
handicapé, Gerald, dont la voix faite tradition picaresque. Le succès le pousse
CANALE (Gianna Maria), actrice italienne d’onomatopées, de tonnerres grondants à s’attacher par contrat un tâcheron do-
(Reggio di Calabria 1927). et de sirènes stridentes le voue à la car- cile, Miguel M. Delgado (El gendarme
Venue au cinéma par les concours de rière radiophonique, comme créateur desconocido, 1941), responsable de ses
beauté, elle attire l’attention de Riccardo d’effets sonores, puis au cinéma, lui va- nombreux films ultérieurs. Le bavardage
Freda, qui lui fait tourner neuf films, dont lant une renommée extraterrestre jusque de Cantinflas se mue en discours morali-
le Cavalier mystérieux (1949), La leg- sur l’imaginaire planète Moo. Gerald sateur, la farce se perd en conformisme,
genda del Piave (1952), Théodora, impé- McBoing Boing, qui fut le plus célèbre l’invention s’estompe au profit d’une for-
ratrice de Byzance (1954), les Vampires produit de l’UPA avec Magoo, fit l’objet mule répétée à l’infini. Ce nouvel emploi
(1957). Sa présence, à la fois énigma- de plusieurs films (Gerald’s Symphony de benêt domestiqué le reconduit à son
tique et « sexy », quelque peu exotique, en 1953, Gerald on Planet Moo, par ex.). point de départ, celui de faire-valoir, cette
lui vaut une notoriété plus considérable Amoureux de l’enfance, Robert Cannon, fois au service de Hollywood (le Tour du
grâce à Madame du Barry (Christian- que ses collaborateurs appelaient affec- monde en 80 jours de M. Anderson, en
Jaque, 1954), Napoléon (S. Guitry, 1955), tueusement « Bobe », créa toute une 1956 ; Pepe de G. Sidney, en 1960).
la Révolte des gladiateurs (V. Cottafavi, marmaille d’enfants mythiques comme
1958), la Reine des pirates (La venere Christopher Crumpet, Willie le Kid, les CANTOR (Edward Israel Iskowitz, dit
dei pirati, Mario Costa, 1960), les Nuits Oompah, le Jaywalker et Madeline. Sorti Eddie), acteur américain (New York, N. Y.,
de Raspoutine (P. Chenal, id.) et le Pont de l’UPA, Cannon revint, ô ironie !, tra- 1892 - Los Angeles, Ca., 1964).
des soupirs (Il ponte dei sospiri, Piero vailler chez Disney, puis chez Hanna Venu du théâtre, il s’adaptera mieux à
Pirotti, 1964). Elle abandonne néanmoins et Barbera à la télévision, dirigea deux la radio qu’au cinéma. Ses roulements
le cinéma dès avant 1970. films pour John Hubley consacrés aux d’yeux lui valent des rôles muets (tel Spe-

enfants (Moonbird en 1960 et Children cial Delivery, de W. Goodrich, en 1927,


CANDELA. of the Sun). Sa tendresse, sa sensibilité dont il écrit aussi le scénario), mais il faut
Unité d’intensité lumineuse. ( PHOTO- sont restées légendaires dans l’anima- attendre le parlant pour découvrir sa voix
MÉTRIE.) tion, où il s’est fait l’interprète des génies abusivement plaintive, son phrasé inventif
mal-aimés, des incompris et des enfants et sa fantaisie malicieuse : Glorifying the
CANNES (FESTIVAL DE) FESTIVALS DE
définitifs. Son nom reste attaché à l’Insti- American Girl (Milliard Webb, 1929) ; son
CINÉMA ; pour les palmarès, se reporter tut Robert Cannon, branche de la chaire goût du grivois le rapproche de Berkeley :
page 832. Animation de l’université de Californie. Whoopee ! (Thornton Freeland, 1930),
Palmy Days (E. Sutherland, 1931) ; le Roi
CANNON (Samille Diane Friesen, dite CANON OBJECTIFS de l’arène (L. McCarey, 1932) et Roman
Dyan), actrice américaine (Tacoma, Wash., Scandals (F. Tuttle, 1933) les réunissent.
1935). CANTAGREL (Marc), professeur et ci- Remerciez votre bonne étoile (D. Butler,
D’abord mannequin puis actrice à Broad- néaste français (Paris 1879 - Neuilly-sur- 1943) et Quatre du music-hall (Show Bu-
way et à la télévision, on compte parmi Seine 1960). siness, Edwin L. Marin, 1944) mettent en-
ses films : la Chute d’un caïd (B. Boetti- Licencié ès sciences et ingénieur core en évidence son humour saugrenu.
cher, 1960), Bob et Carol et Ted et Alice chimiste, il utilise dès 1924 le cinéma dans
(P. Mazursky, 1969), le Casse (H. Ver- son enseignement, faisant ainsi figure de CANUDO (Riccioto), écrivain, journaliste,
neuil, 1971), Des amis comme les miens précurseur dans l’emploi pédagogique du dramaturge et critique italien (Gioia del
(O. Preminger, id.), le Gang Anderson film. Il a réalisé lui-même de nombreux Colle, Bari, 1879 - Paris 1923).
(S. Lumet, id.), la Malédiction de la pan- films techniques et scientifiques d’excel- Il s’établit à Paris en 1902 (d’où son sur-
thère rose (B. Edwards, 1978), Show lente qualité didactique sur les sujets les nom en Italie de « Parisien »). Adepte de
Bus (J. Schatzberg, 1980), The Pickie plus divers, dont la Bière, le Gyroscope, l’art moderne, il crée la revue littéraire
(P. Mazursky, 1993). Le ciel peut attendre la Force centrifuge, le Béton précontraint, Montjoie ! (1913-14) et se fait l’apôtre
(W. Beatty, B. Henry, 1978) lui valut une ainsi que Familles de droites, familles de du cinéma, qu’il baptise « 7e art », et des
nomination pour l’Oscar (Best suppor- paraboles et Lieux géométriques, tous cinéastes, qu’il nomme, avec moins de
ting actress). Elle a par ailleurs produit deux couronnés à la biennale de Venise. bonheur, « écranistes ». Il fonde en 1920
et réalisé pour l’American Film Institute Ayant fondé en 1931 le service de pro- le Club des amis du 7e art, prototype des
un moyen métrage, Number One (1976). duction des films scientifiques au Conser- prochains ciné-clubs, soutient la « pre-
Dyan Cannon et Cary Grant ont divorcé vatoire national des arts et métiers, il en mière avant-garde » dans sa Gazette des
en 1968. fut le directeur jusqu’en 1937. sept arts, lancée en 1923. Les historiens
s’accordent pour voir en lui l’initiateur
CANNON (Robert), cinéaste américain CANTINFLAS (Mario Moreno Reyes, dit), de l’esthétique du cinéma, ses premiers
(1901 - Northridge, Ca., 1964). acteur mexicain (Mexico 1911 - id. 1993). écrits sur le sujet remontant à 1908,
C’est le spécialiste de la libido des nurse- Comique de music-hall, il débute au mais cette priorité (son principal titre de
ries, car il s’intéressa surtout aux enfants cinéma dans No te engañes corazón gloire) semble devoir être partagée avec
imaginatifs, rêveurs ou excentriques, qui (M. Contreras Torres, 1936). Il passe le Tchèque Václav Tille, auteur, en 1908
font figure à part dès l’âge de la mater- tout de suite du rôle de comparse, tra- aussi, de réflexions moins poétiques mais
nelle et dont Gerald McBoing Boing est ditionnellement dévolu aux pitres dans plus sérieusement analytiques que celles
le plus parfait exemple. Débutant à la le cinéma mexicain, à la tête d’affiche : de Canudo. Ses textes ont été rassem-
Warner auprès de Chuck Jones, après Así es mi tierra et Águila o sol (A. Boytler, blés après sa mort par Fernand Divoire

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

sous le titre : l’Usine aux images (Paris- la transition entre le théâtre filmé et les (La Nouvelle-Orléans, La., 1924 - Los An-
Genève, 1927). débuts du 7e art comme langage, grâce, geles, Ca., 1984).
surtout, au soin apporté aux cadrages. Il n’a pas collaboré aux adaptations ciné-
CANUTT (Enos Edward, dit Yakima), casca- Il est nommé directeur artistique de la matographiques de Diamants sur canapé
deur et cinéaste américain (Colfax, Wash., SCAGL (Société cinématographique des (B. Edwards, 1961) et De sang-froid
1895 - Hollywood, Ca., 1986). auteurs et gens de lettres). Il commence (R. Brooks, 1967), mais on lui doit les dia-
Champion du monde de rodéo de 1917 à employer le découpage avec l’Homme logues de Stazione Termini (V. De Sica,
à 1923, il devient acteur dès 1922 ; à aux gants blancs (1908). La même 1953) et les scénarios (en collaboration)
partir de 1931, il double John Wayne, année, il réalise l’Assommoir, premier de Plus fort que le diable (J. Huston,
dont il aide à modeler la personnalité long métrage français. Les Misérables 1954), les Innocents (J. Clayton, 1961),
à l’écran, Clark Gable (dans Autant en (1912), film d’une durée de cinq heures, Trilogy (F. Perry, 1969) et la Corruption,
emporte le vent), Errol Flynn. Depuis attire l’attention sur lui : sa mise en scène l’ordre et la violence (T. Gries, 1972). Il
que John Ford l’a chargé de la seconde s’adapte déjà aux possibilités narratives parodie son propre personnage dans le
équipe de la Chevauchée fantastique, il de l’image animée. Il est également rôle qu’il joue dans Un cadavre au des-
imagine, règle, exécute et filme des mor- l’auteur d’autres adaptations littéraires sert (Murder by Death, Robert Moore,
ceaux de bravoure restés célèbres, dans comme l’Arlésienne (1909), les Mys- 1976).
différents genres : antique avec Ben Hur tères de Paris (1942), Germinal (1913),
(W. Wyler, 1959), Spartacus (S. Kubrick, Quatrevingt-Treize (RÉ 1914 ; 1920). En CAPOVILLA (Maurice), cinéaste brésilien
1960) et la Chute de l’Empire romain 1915, il part pour les États-Unis, où il tra- (Valinhos, São Paulo, 1936).
(A. Mann, 1964) ; historique avec Ivan- vaille jusqu’en 1922, dirigeant notamment Il doit sa formation de critique à l’Institut
hoé (R. Thorpe, 1952) et le Cid (A. Mann, de nombreux films avec Alla Nazimova de cinématographie de l’université du
1961) ; aventure et western, sérieux ou et Clara Kimball Young. Mais les temps Litoral (Santa Fe), dirigé par Fernando
comique, de Cat Ballou (E. Silverstein, changent et Capellani, épuisé, revient en Birri, d’où est issu le documentaire social
1965) à Equus (S. Lumet, 1977, date à France en 1923. Atteint de paralysie, il ne argentin. De retour à São Paulo, il réalise
laquelle il prend sa retraite). Il a égale- tourne plus jusqu’à sa mort. des courts métrages : Meninos do Tietê
ment signé quelques films et serials. Il (1963), sur les enfants des bidonvilles ;
remporte un Oscar spécial en 1966 pour CAPELLANI (Paul), acteur français (Paris Esportes no Brasil (1965) ; Subterrâneos
avoir été à la fois le pionnier des stunt- 1877 - Cagnes-sur-Mer 1960). do Futebol (1966). Mais il tourne aussi de
men et l’un de ses représentants les plus De 1908 à 1914, sous la direction de longs métrages de fiction, Bebel Garota
brillants. son frère Albert, il est la vedette mas- Propaganda (1967), un assez original
culine des adaptations entreprises par et « tropicaliste » O Profeta da Fome
ÁP (František), cinéaste tchécoslovaque la SCAGL. Ses traits énergiques, sa (1970), et Noites de Yemanja (1971).
(achovice 1913, Ledna, Yougoslavie, stature lui assurent le succès dans des Capovilla s’est imposé avec O Jogo da
1972). concentrés de Sardou ou de Hugo : Pa- Vida (1977), description réaliste des mar-
Entré à dix-neuf ans à la Lucernafilm, trie (A. Capellani, 1913) ou Quatrevingt- ginaux d’après un récit de João Antônio
il est d’abord acteur (Avant le bachot, Treize (id. ; RÉ 1914 ; 1920). Il suit son (Malagueta, Perus e Bacanaço). Il mène
V. Vacura et S. Innemann, 1932) puis frère aux États-Unis, y interprète la Dame une activité parallèle à la télévision.
scénariste (notamment sur des films réa- aux camélias (Camille, 1915) et Mimi
lisés par Hugo Haas, Otakar Vávra, Mar- (1916). À son retour, L’Herbier l’utilise en- CAPRA (Frank), réalisateur américain
tin Fri et Miroslav Cikán), il passe à la core dans le Carnaval des vérités (1920) ; (Bisaquino, Italie, 1897 - Los Angeles, Ca.,
mise en scène en 1939 (Un été de feu mais, à partir de 1931, le cinéma l’oublie 1991).
[Ohnivé léto], co : V. Krška). Sous l’Occu- définitivement. Fils de paysans, il a six ans quand sa
pation, il adapte des oeuvres classiques famille émigre aux États-Unis. Il paie ses
de la littérature tchèque, filme le monde CAPELLARO (Vittorio), cinéaste et acteur études au California Institute of Techno-
de la bourgeoisie cosmopolite, les moeurs brésilien d’origine italienne (Mongrande, logy en exerçant divers petits métiers.
paysannes, l’émancipation des jeunes Piémont, 1877 - Rio de Janeiro 1943). Après la guerre, il vit d’expédients dans
filles étouffées par les contraintes de leur Ses oeuvres, à l’instar du Film d’Art fran- l’Ouest, jusqu’au jour où, rencontrant
milieu social. La Grand’mère (Babika, çais, trahissent une expérience théâtrale l’acteur shakespearien Walter Montague,
1940), le Papillon de nuit (Noni motýl, (avec Eleonora Duse) et reflètent un il se fait passer pour un technicien de
1941), les Hommes sans ailes (Muži bez nationalisme cultivé et romantique pour Hollywood et tourne son premier court
kídel, 1946), l’Obscurité blanche (Bílá sa patrie d’adoption : Inocência (1915) métrage, The Ballad of Fultah Fisher’s
tma, 1948) lui confèrent une enviable d’après Taunay, O Guarany (1916) Boarding House, d’après un poème de
réputation. Mais, en 1949, il part en Al- d’après José de Alencar, coréalisés Kipling. Après un stage en laboratoire, il
lemagne où il tourne trois films puis, à avec Antônio Campos. O Cruzeiro do trouve un emploi de scénariste pour la
l’invitation de la société slovène Triglav, Sul (1917) d’après Aluízio de Azevedo, série Our Gang aux studios Hal Roach,
s’installe définitivement en Yougoslavie, Iracema (1918) d’après Alencar et O Ga- puis de gagman aux studios Mack Sen-
qui devient sa patrie d’adoption. Il réalise rimpeiro (1920) d’après Bernardo Gui- nett, où il collabore aux premiers courts
notamment Vesna (1954) et les Instants marães marquent sa collaboration avec métrages d’Harry Langdon, contribuant à
de la décision (Trenutki odloitve, 1955). Paolo Benedetti. Outre ces films, dont il façonner le personnage de « l’homme en-
est aussi l’interprète, citons la deuxième fant dont le seul allié était Dieu ». Il signe
CAPELLANI (Albert), cinéaste français version de O Guarany (1926), O Caçador le scénario de Plein les bottes (qu’il réa-
(Paris 1870 -id. 1931). de Diamantes (1932) sur les explorateurs lise en partie), mais c’est dans l’Athlète
D’abord acteur au Théâtre-Libre d’An- coloniaux, et Fazendo Fita (1935), où des incomplet et Sa dernière culotte qu’il fait
toine, puis à l’Odéon, il commence sa car- cinéastes finissent en asile psychiatrique. donner à Langdon toute la mesure de son
rière cinématographique chez Pathé en Vittorio Capellaro est mort des suites de génie comique. L’adolescent attardé qui
1905, dirigeant quelques films comiques violences policières sous la dictature de balance entre le rêve et la réalité, le naïf
avec André Deed, Prince Rigadin et Max Vargas. venu de la campagne pour triompher des
Linder. Collaborateur de Zecca, il réalise roués citadins, l’innocent confronté à un
ensuite des mélodrames. Capellani est CAPOTE (Truman Strekfus Persons, dit monde hostile qu’il ne soupçonnait même
un des innombrables pionniers qui font Truman), écrivain et scénariste américain pas : sur les thèmes chers à Langdon,

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Capra rode quelques-uns des ressorts dictions du système. Mais ce sont de faux providentiel de la nation qui conduit ses
dramatiques qui lui assureront la noto- cyniques qui ont appris à dissimuler leur héros en pèlerinage devant les memo-
riété dix ans plus tard. innocence ou leur générosité pour mieux rials des pères fondateurs à Washing-
L’échec de Pour l’amour de Mike, survivre. Déjà Rain or Shine et American ton, quand ce n’est jusqu’au paradis de
le premier film de Claudette Colbert, le Madness en appellent aux ressources du Shangri-La, lieu où les hommes ignorent
conduit en 1927 à la Columbia, où il sera pays profond. Dans le premier, les aléas la lutte pour le pouvoir, la richesse ou le
sous contrat pendant douze ans, hissant d’un cirque itinérant illustrent les déboires succès.
le modeste studio de Gower Street au de la Dépression, Capra se peignant lui- « Ils ne nous laisseront plus que Shan-
rang de Major Company, luttant pied à même sous les traits de Joe Cook, arna- gri-La ! » s’écrie Capra dans Prélude à
pied avec Harry Cohn pour imposer ses queur au bagou intarissable, entrepreneur la guerre (1942), le premier volet de la
vues (en 1936, il sera le premier cinéaste avisé sous ses dehors irresponsables, ar- série Pourquoi nous combattons, prodi-
maison à obtenir au générique son nom tiste tyrannique et sentimental qui n’aime gieuse synthèse historique qui remonte
au-dessus du titre), gravissant avec une rien tant que plier la réalité à son désir. à l’aube de l’humanité pour retracer le
rare obstination les marches du succès Dans le second est exaltée la figure d’un cheminement de l’idée de liberté et célé-
(jusqu’à la consécration tant convoitée Lincoln de la finance, d’un philanthrope brer l’idéal démocratique des Alliés face
de trois Oscars du meilleur réalisateur : qui gère son établissement bancaire avec aux ténèbres du monde asservi par les
en 1934, 1936 et 1938), abordant tous la haute conscience civique dont sont dictatures. Assurant la direction des ser-
les genres, du film policier (The Way of dépourvus les trusts géants acharnés à vices cinématographiques de l’armée, il
the Strong ; l’Affaire Donovan) ou d’aven- sa perte. Ces films annoncent les chefs- contribue à l’effort de guerre en réalisant
tures viriles (Flight ; l’Épave vivante) aux d’oeuvre populistes à venir, de même ou supervisant toute la série, puis en par-
mélodrames spécifiquement féminins que la Blonde platine et Broadway Bill ticipant à Tunisian Victory, une coproduc-
conçus pour Barbara Stanwyck (de The esquissent, respectivement, les thèmes tion anglo-américaine sur la campagne
Miracle Woman à The Bitter Tea of Gene- développés en majeur dans l’Extravagant d’Afrique du Nord, et en produisant,
ral Yen), avec une prédilection toutefois M. Deeds (la transposition du conte de outre de nombreux documentaires et
pour l’americana, qui comble son souci Cendrillon) et Vous ne l’emporterez pas films d’entraînement, The Negro Soldier
constant de réalisme : « Je méprisais avec vous (la conversion d’un tycoon à (1944), le « Pourquoi nous combattons »
l’artifice du théâtre. J’avais été élevé à un art de vivre excentrique). Il faut clas- de la minorité noire.
ma propre école du naturel. Mon plateau ser un peu à part l’admirable parabole De retour à Hollywood en 1946, il
était le monde réel. » de The Bitter Tea..., qui voit une mission- fonde, avec Georges Stevens et William
Le triomphe de New York-Miami, naire découvrir la relativité de la morale Wyler, une compagnie indépendante, la
marivaudage de classe archétypal de la chrétienne dans les bras d’un seigneur de Liberty Films (du nom de la cloche de
comédie américaine, est le premier abou- la guerre chinois aussi cruel que raffiné, la guerre d’Indépendance, qui battait à
tissement d’une carrière qui a jusque-là mais les recherches plastiques de Capra toute volée sur les génériques de Pour-
puisé son inspiration dans les affres de la y anticipent la vision utopique de Shangri- quoi nous combattons). Deux belles réus-
struggle for life. Capra n’a cessé, en effet, La dans les Horizons perdus. sites suivent aussitôt : La vie est belle,
de mettre en scène les antagonismes « C’est alors que je jetai sur la vie un fable sociale à la limite du fantastique,
sociaux dont il avait souffert dans sa jeu- regard plus dur, en prenant le point de et l’Enjeu, exposé quasi didactique sur
nesse. Dans Loin du ghetto, un parvenu vue de tous les Smith et les Jones oppri- les moeurs politiques du temps. Capra y
de la 5e Avenue renie, en même temps més. » Investi de cette mission, dans la- reprend la plupart de ses motifs d’avant-
que ses origines, ses parents et ses amis quelle il s’engage totalement, Capra nous guerre, mais, comme dans l’Homme de la
du ghetto juif de l’East Side, tandis que le livre, entre 1936 et 1941, ses titres les rue déjà, l’alacrité cède la place à l’amer-
reporter désinvolte de la Blonde platine plus célèbres. Au dirigisme de l’adminis- tume de qui se sait en porte à faux avec
aliène son indépendance en frayant avec tration rooseveltienne et au totalitarisme son époque et ne reconnaît plus le pays
les nouveaux riches. La bibliothécaire qui se répand en Europe, il oppose une qu’il a tant voulu aimer. Le bon samaritain
d’Amour défendu s’éprend d’un avocat philosophie optimiste et volontariste dont de La vie est belle passe pour un dan-
et politicien ambitieux dont elle ne pourra ses scénaristes (Robert Riskin ou Sidney gereux rêveur parce qu’il a sacrifié son
jamais être que la maîtresse back-street, Buchman) trouvent l’inspiration dans la existence à une mutuelle qui contribue
et la party girl de Ladies of Leisure se littérature et la mythologie populistes. au financement de logements sociaux ;
suicide pour éviter au peintre aimé d’être Esprit d’enfance, amour de la nature, le postulant à la présidence de l’Enjeu
déshérité par une famille collet monté. Si sentimentalité romantique, moralisme un devient un imposteur en se prêtant aux
les bootleggers de Grande Dame d’un peu désuet, marottes innocentes et typi- compromis exigés par les « vautours de
jour conspirent pour travestir en dame du quement américaines (du base-ball au la politique ». Le bel idéalisme d’antan n’a
monde une clocharde dont la fille revient boy-scoutisme), attachement à la petite plus cours ; le héros, désormais solitaire,
d’Europe mariée à un aristocrate, l’aven- entreprise privée, enracinement dans la est voué à un baroud d’honneur déses-
turier de la Course de Broadway Bill re- communauté, telles sont quelques-unes péré pour retrouver sa dignité ; l’Amérique
nonce à l’héritière d’un empire industriel des vertus chantées par Capra chez de la guerre froide est la proie des divi-
pour se consacrer aux courses de che- Mr. Deeds, Mr. Smith ou John Doe, indi- seurs, de tous ceux qui mettent les profits
vaux et vivre d’expédients au milieu des vidualistes confrontés aux forces de l’Ap- au-dessus des principes...
déclassés et des non-conformistes qui pareil (politique ou financier), candides en Liberty Films ne survit pas à l’échec
ont toujours eu la sympathie du cinéaste. butte aux machinations des réalistes, des commercial de ses productions. Capra,
Capra cherche alors sa voie. (Ladies snobs, des intellectuels, voire aux trahi- qui a perdu la faveur du public, accepte,
of Leisure lorgne du côté de Borzage, sons de l’âme-soeur. « Le rêve américain, désillusionné, un contrat à la Para-
The Bitter Tea... du côté de Sternberg, nous dit alors Capra, ce n’est pas l’argent, mount, mais la plupart de ses projets
Flight et Dirigible du côté de Hawks.) mais le bonheur et la liberté. » Et le seul restent sans suite. Après deux comédies
Ses types sociaux sont encore issus de isme qui trouve grâce à ses yeux, dans interprétées par Bing Crosby (dont un
la ville, à commencer par les journalistes Vous ne l’emporterez pas avec vous, est remake de Broadway Bill), il doit, à son
(The Power of the Press, la Blonde pla- l’américanisme, ce culte de l’ambition tour, s’avouer battu par le Système. Il se
tine, New York-Miami), dont la mobilité et personnelle que tempèrent les relations tourne vers la télévision, pour laquelle
l’arrivisme manifestent toutes les contra- de bon voisinage, cette foi en un destin il conçoit quatre documentaires scienti-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

fiques entre 1952 et 1957. Il réalise ses du music-hall (A. Lattuada et F. Fellini, fait d’emblée considérer par la critique
deux derniers films sous la férule, respec- 1951), il fonde avec sa femme Franca comme le jeune héritier d’une « nou-
tivement, de Frank Sinatra et Glenn Ford. Valeri et Alberto Bonucci une célèbre velle » vague. Secret, cultivant le mystère,
Profondément insatisfait parce qu’il s’est équipe de théâtre de l’absurde : I Gobbi. fidèle à son acteur/double Denis Lavant,
senti dépossédé par ses stars du contrôle Il interprète plus de 70 films en Italie et il trouve de gros moyens pour réaliser un
artistique, il décide de mettre lui-même en France, dont le Général Della Rovere Mauvais Sang (1986) au romantisme à la
un terme à sa carrière. Il nous a donné, (R. Rossellini, 1959), Zazie dans le métro fois noir et lumineux, tout tourné vers ses
en 1971, avec Frank Capra : the Name (L. Malle, 1960), Adieu Philippine (J. Ro- références avouées, Cocteau et Godard.
Above the Title (en trad. franç. Hollywood zier, 1962), et plus récemment de nom- Il commence le tournage des Amants
Story), une autobiographie passionnée, breuses farces érotiques. Comme met- du Pont-Neuf avec Juliette Binoche en
que John Ford a pu saluer comme « le teur en scène, il dirige six films, dont les 1988. Le film est interrompu pour dépas-
seul bilan définitif qu’il ait jamais lu sur plus originaux sont ses deux premiers : sement de budget et, après une longue
Hollywood ». Lions au soleil (Leoni al sole, 1962), période d’incertitude sur sa survie, le tour-

Films : Fultah Fisher’s Boarding satire aiguë des jeunes oisifs, et Parigi o nage reprend et le film sort en 1991. Film
House (CM, 1922) ; Plein les bottes cara (id.), grotesque histoire d’une prosti- événement qui déclencha des réactions

(Tramp, Tramp, Tramp, 1926 ; CO Harry tuée. Il tient son dernier rôle dans Il male très diverses et conforta Léos Carax dans
oscuro (1990), de Mario Monicelli. sa singularité et une perception un peu
Edwards) ; l’Athlète incomplet (The
Strong Man, id.) ; Sa dernière culotte superficielle d’artiste maudit, une image
CARACTÉRISTIQUE DE TRANSFERT. qu’il entretient et complète avec son prin-
(Long Pants, 1927) ; Pour l’amour de
VOIR COURBE DE RÉPONSE cipal échec public Pola X (1999).
Mike (For the Love of Mike, id.) ; That Cer-
tain Thing (1928) ; Un punch à l’estomac
CARASCO (Raymonde), cinéaste française CARBONNAUX (Norbert), cinéaste et
(So This is Love ?, id.) ; Bessie à Broad-
(Carcassonne 1939). scénariste français (Neuilly-sur-Seine
way (The Matinee Idol, id.) ; The Way of Elle entre en cinéma avec le projet 1918 - Paris 1997).
the Strong (id.) ; Say it With Sables (id.) ;
d’adapter une nouvelle restée célèbre Il apporte, avec plus ou moins de bon-
l’Épave vivante (Submarine, id.) ; The grâce à Freud, la Gradiva : le projet heur, une bouffée de fantaisie, de liberté,
Power of the Press (id.) ; Loin du ghetto devient le film lui-même et Gradiva es- le goût de l’absurde dans le cinéma fran-
(The Younger Generation, 1929) ; l’Affaire quisse 1 (1978), étude expérimentale çais, renouant avec le premier René Clair
Donovan (The Donovan Affair, id.) ; Flight d’un mouvement de marche au ralenti, et s’apparentant parfois à Carlo Rim et
(id.) ; Ladies of Leisure (1930) ; Rain or constitue en images une réponse à la Pierre Chenal, ou, mieux, à Pierre Étaix.
Shine (id.) ; Dirigible (1931) ; The Miracle question analytique élaborée par Freud, Les nombreux dialogues qu’on lui doit
Woman (id.) ; la Blonde platine (Platinum celle du fétiche. Avec son mari et opéra- également reflètent ce même ton que
Blonde, id.) ; Amour défendu (Forbidden, teur Régis Hébraud, Raymonde Carasco le conformisme de la production des
1932) ; American Madness (id.) ; le Thé entreprend ensuite une immense explo- films dits comiques s’efforce de tempé-
amer du général Yen (The Bitter Tea of ration de l’univers des Tarahumaras, qui rer, avant de le faire disparaître. Citons,
General Yen, 1933) ; Grande Dame d’un commence en 1978 (Tarahumaras 78) et parmi ses films : les Corsaires du bois de
jour (Lady for a Day, id.) ; New York- se poursuit toujours. Partie au Mexique Boulogne (1954), Courte Tête (1956), le
Miami (It Happened One Night, 1934) ; sur les traces d’Antonin Artaud, elle a Temps des oeufs durs (1958), Candide,
la Course de Broadway Bill (Broadway inventé une forme d’ethnographie poé- ou l’Optimisme au XXe siècle (1961), la
Bill, id.) ; l’Extravagant Monsieur Deeds tique qui met l’invention descriptive au Gamberge (1962).
(Mr. Deeds Goes to Town, 1936) ; les service de l’investigation approfondie
Horizons perdus (Lost Horizon, 1937) ; des mythes. D’abord surpris et réticents, CARDIFF (Jack), directeur de la photogra-
Vous ne l’emporterez pas avec vous les ethnologues professionnels ont vite phie et cinéaste britannique (Yarmouth
(You Can’t Take it With You, 1938) ; Mon- compris l’intérêt fondamental d’une telle 1914).
sieur Smith au Sénat (Mr. Smith goes to recherche, qui s’inscrit dans la grande Fils d’acteurs, acteur enfant, Cardiff s’in-
Washington, 1939) ; l’Homme de la rue tradition des croisements entre moder- téresse en grandissant à la technique et
(Meet John Doe, 1941) ; séries Pourquoi nité et ethnographie, celle de Picasso, à la photo. En 1937, il est responsable
nous combattons (Why We Fight, DOC, Bataille, Carl Einstein ou Jean Rouch. des somptueuses couleurs de la Baie
1942-1945) [Prelude to War ; The Nazis Ce dernier est d’ailleurs le récitant de la du destin (H. Schuster) et en 1939 des
Strike, CO A. Litvak ; Divide and Conquer, Danse du Peyotl (1998) et du Dernier Quatre Plumes blanches (Z. Korda), ce
CO A. Litvak ; Battle of Britain, Battle of Chaman (1999), volet le plus récent à ce qui lui assure une solide réputation de
Russia, PR seulement ; Battle of China, jour de cette fresque réalisée à l’échelle coloriste chatoyant et raffiné, qui ne s’est
CO A. Litvak ; Negro Soldier ; War comes d’une vie. Raymonde Carasco est éga- jamais démentie. La couleur lui inspire
to America, PR seulement], Tunisian lement l’auteur d’un film de fiction, Rup- des compositions splendides, parfois au-
Victory (DOC, 1944, CO Roy Boulting) ; ture (1989), avec Bulle Ogier et Mireille dacieuses, complément idéal aux talents
Arsenic et vieilles dentelles (Arsenic and Perrier, de livres (notamment Hors cadre de Michael Powell et Emeric Pressbur-
Old Lace, id.) ; Know Your Ally / Know Eisenstein, 1979) et de nombreux articles ger : Question de vie ou de mort (1946),
Your Enemy (1945) ; To Down and One sur la littérature et le cinéma. les Chaussons rouges (1948) mais sur-
to Go (id.) ; La vie est belle (It’s a Wonder- Autres films : Tutuguri (1980), Julien, tout le Narcisse noir (1947) comptent
ful Life, 1947) ; l’Enjeu (State of the Union, portrait d’un voyant (1981), Los Pintos parmi les plus séduisantes réussites du
1948) ; Jour de chance (Riding High, (1982), les Rayons jaunes (1983), Yumari Technicolor. Sa collaboration avec Hitch-
1950) ; Si l’on mariait papa (Here Comes (1985), Los Pascoleros, Ciguri 96, Artaud cock (les Amants du Capricorne, 1949)
the Groom, 1951) ; Un trou dans la tête (A et les Tarahumaras (1996). sera moins flamboyante, mais tout aussi
Hole in the Head, 1959) ; Milliardaire pour intelligente : la couleur, comme assour-
un jour (Pocketful of Miracles, 1961). CARAX (Alex Dupont, dit Léos), cinéaste die, devient le symbole d’un drame qui
français (Paris 1960). couve. Il a su illuminer Ava Gardner de
CAPRIOLI (Vittorio), acteur et cinéaste ita- Il réalise deux courts métrages (dont nuances inoubliables, bleu nuit, vieux
lien (Naples 1921 - id. 1989). Strangulation Blues) et un premier long, rose et mordoré : Pandora (Albert Lewin,
Après quelques rôles comiques : O sole produit par Alain Nahan, Boy Meets Girl 1951), la Comtesse aux pieds nus
mio (Giacomo Gentilomo, 1946), les Feux (1984), poème en noir et blanc qui le (J. L. Mankiewicz, 1954). Mentionnons

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

encore sa contribution au documentaire terlitz (A. Gance, 1960) ; Rocco et ses gouailleur l’a mené de l’Odéon au Vieux-
de Pat Jackson : Western Approaches frères (L. Visconti, id.) ; le Bel Antonio Colombier et le fait rechercher par De-
(1944), sa complicité avec John Huston (M. Bolognini, id.) ; I delfini (F. Maselli, coin (Battement de coeur, 1940), Carné
pour African Queen (1952), les coloris id.) ; la Viaccia (M. Bolognini, 1961) ; la (les Portes de la nuit, 1946 ; la Marie du
sanguins des Vikings (R. Fleisher, 1958) Fille à la valise (V. Zurlini, id.) ; Les lions port, 1950), Duvivier (la Fête à Henriette,
et ceux, ocre, de la Cité disparue (H. Ha- sont lâchés (H. Verneuil, id.) ; Cartouche 1952), Grémillon (l’Amour d’une femme,
thaway, 1957). Plus près de nous, la cou- (Ph. de Broca, 1962) ; Quand la chair 1954). Pierre Prévert lui confie le rôle
leur élégante et nette de Mort sur le Nil succombe (Bolognini, id.) ; le Guépard principal d’Adieu Léonard (1943). Carette
(J. Guillermin, 1978) prouve que Cardiff (L. Visconti, 1963) ; Huit et demi (F. Fel- sauve par sa cocasserie maintes comé-
reste l’un des premiers de sa profession. lini, id.) ; la Ragazza (L. Comencini, id.) ; dies banales qui, sans lui, ne seraient que
Mais il a préféré oeuvrer comme cinéaste, la Panthère rose (B. Edwards, 1964) ; ce qu’elles sont.
avec des fortunes artistiques diverses. le Cocu magnifique (A. Pietrangeli, id.) ;
Ses films d’aventure (les Drakkars [The Sandra (Visconti, 1965) ; les Profession- CAREY (Henri Dewitt Carey II, dit Harry), ac-

Long Ships], 1964) sont impersonnels, nels (R. Brooks, 1966) ; Il était une fois teur américain (New York, N. Y., 1878 - Los

et il n’est pas à la hauteur de ses films dans l’Ouest (S. Leone, 1968) ; La Maffia Angeles, Ca., 1947).
fait la loi (D. Damiani, id.) ; la Tente rouge Auteur de mélodrames, il entre à la Bio-
ambitieux (la Motocyclette [Girl on a
(M. Kalatozov, 1971) ; les Pétroleuses graph en 1909 comme acteur et tient des
Motorcycle], 1968). Il termina cependant
(Christian-Jaque, id.) ; l’Audience (M. Fer- rôles importants à partir de 1912 (The
consciencieusement le Jeune Cassidy
(Young Cassidy, 1965) commencé par reri, id.) ; Liberté mon amour (Bolognini, Musketeers of Pig Alley) pour devenir en
1975) ; Violence et Passion (Visconti, id.) ; 1917 l’un des interprètes fétiches de John
John Ford, et il sut se tirer honorablement
Il commune senso del pudore (A. Sordi, Ford (26 films, en majorité des westerns).
d’une délicate adaptation de D. H. Law-
1976) ; le Préfet de fer (Il prefetto di Son succès personnel dans Trader Horn
rence, Amants et Fils (Sons and Lovers,
ferro [P. Squitieri], 1977) ; Bons Baisers (W. S. Van Dyke, 1931) lui vaut de jouer
1960), qui, malgré un affadissement de
d’Athènes (Escape to Athena [Georges ensuite dans des films moins stéréoty-
la matière littéraire, rendait avec une cer-
Pan Cosmatos], 1979) ; Fitzcarraldo pés : Ville sans loi (H. Hawks, 1935),
taine force la réalité du milieu minier.
(W. Herzog, 1982) ; le Ruffian (J. Gio- Je n’ai pas tué Lincoln (J. Ford, 1936),
CARDINALE (Claudia), actrice italienne vanni, 1983) ; Claretta (P. Squitieri, 1984) ; Âmes à la mer (H. Hathaway, 1937),

(Tunis, Tunisie, 1938). l’Été prochain (N. Trintignant, 1985) ; Air Force (H. Hawks, 1943), Duel au

Élue à moins de dix-huit ans « la plus La storia (id., L. Comencini, 1986) ; Blu soleil (K. Vidor, 1947), la Rivière Rouge

belle Italienne de Tunis », elle apparaît elettrico (Elfriede Gaeng, 1988) ; les Tam- (H. Hawks, 1948), auxquels il apportait

dans un film français tourné en Tunisie et bours de feu (S. Ben Barka, 1990) ; Atto di la dignité d’une figure quasi légendaire.
vient à Rome suivre les cours du Centro dolore (Squitieri, 1991) ; Mayrig (H. Ver- Ford lui a dédié le Fils du désert (1949).

sperimentale. Elle va gravir rapidement neuil, id.) ; 588 rue du Paradis (id., 1992) ;
le Fils de la Panthère Rose (B. Edwards, CAREY (Harry, Jr.), acteur américain (Sau-
les échelons du vedettariat, passant
1993) ; Elles ne pensent qu’à ça (Char- gus, Ca., 1921).
des rôles de jeune beauté farouche (la
lotte Dubreuil, 1994) ; Un été à La Gou- Fils du « grand » Harry Carey, il passe
Sicilienne du Pigeon) aux figures sophis-
lette (F. Boughedir, 1995) ; Sous les pieds six ans dans la marine avant de débuter
tiquées des films internationaux. Son
des femmes (R. Krim, 1997) ; Riches, à l’écran en 1947 (la Vallée de la peur,
corps parfait, ses yeux immenses, sa voix
belles, etc. (B. Schpoliansky, 1998) ; Mein de R. Walsh). Il joue aux côtés de son
délicatement rauque font l’objet d’un lan-
liebster Feind - Klaus Kinski (W. Herzog, père dans la Rivière rouge (H. Hawks,
cement publicitaire intense de la part du
1999) ; Luchino Visconti (C. Lizzani, id.). 1948), où il montre d’évidentes qualités,
producteur Franco Cristaldi. Elle a surtout
mais, malgré la protection constante de
la chance de mériter l’intérêt de grands
CARDIOÏDE. John Ford, il met longtemps à s’évader
cinéastes, tel Visconti, dont le Guépard
Micro cardioïde, microphone dont le dia- d’un personnage de vilain (ou de vic-
la consacre. Elle a l’intelligence d’intégrer
gramme de directivité affecte une forme time du sort) quelque peu immature : le
des traits nouveaux (notamment l’aspira-
de coeur. ( PRISE DE SON.) Fils du désert (J. Ford, 1949), le Convoi
tion à la liberté : la Fille à la valise et, plus
des braves (id., 1950), Rio Grande (id.,
tard, Liberté mon amour, film méconnu
CARETTE (Julien), acteur français (Paris id.), Les hommes préfèrent les blondes
de Bolognini) dans son personnage, au
1897 - Le Vésinet 1966). (H. Hawks, 1953), Ce n’est qu’un au-
reste traditionnel, de jeune femme à la
Il y a des leçons à tirer de la virtuosité de revoir (J. Ford, 1955), la Prisonnière du
fois sensuelle et sentimentale. Sédui-
cet artiste qui, en trois répliques, fixe une désert (id., 1956), Rio Bravo (H. Hawks,
sante dans la candeur comme dans la silhouette, la grave dans les mémoires et 1959), les Cheyennes (J. Ford, 1964).
perversité, dans la dignité des films en s’égale aux plus grands le temps d’une Après des films de moins en moins pres-
costumes comme dans la fantaisie (de- apparition. Ni Prévert ni Renoir ne s’y tigieux, on le revoit dans Nickelodeon
puis la Panthère rose), elle a paru long- sont trompés. Alors que Carette hésite (P. Bogdanovich, 1976).
temps dépourvue de dons dramatiques : sur son emploi, Pierre Prévert le fait sur-
faute peut-être d’une intuition juste de la gir de L’affaire est dans le sac (1932) et CARL (Renée), actrice française (Paris
part du metteur en scène. Mais elle n’a Renoir lui choisit des rôles avec gour- 1875 - id. 1954).
cessé de diversifier ses emplois, grâce mandise : la Grande Illusion (1937) et Elle s’est fait un nom au théâtre lorsque,
surtout à ses expériences hollywoo- la Marseillaise (1938), la Bête humaine en 1907, elle se présente au studio Gau-
diennes. Son rayonnement typiquement (id.), et, admirable point d’orgue, la Règle mont pour y être aussitôt engagée par
méditerranéen (avec le magnétisme par- du jeu (1939). Comédien de prédilection Feuillade. Elle paraît dans les bandes
ticulier qu’il implique) et l’indépendance pour Autant-Lara, on le voit dans Lettres de Romeo Bosetti et devient une vedette
tranquille de son caractère font d’elle une d’amour (1942), Occupe-toi d’Amélie très demandée. Elle aborde tous les
des personnalités les plus attachantes du (1949), l’Auberge Rouge (1951), le Bon genres : mythologique, biblique, histo-
cinéma italien. Dieu sans confession (1953), le Joueur rique, drames mondains, comédies sen-
Films : Goha le simple (J. Baratier, (1958), la Jument verte (1959), Vive timentales ; elle participe à des séries
1958) ; le Pigeon (M. Monicelli, 1958) ; Henri IV, vive l’amour (1961). Le plaisir (notamment Fantômas de Feuillade en
Meurtre à l’italienne (P. Germi, 1959) ; vif de jouer la comédie qui émane de ce 1913-14) ; elle assiste aux essais du chro-
Hold-up à la milanaise (N. Loy, id.) ; Aus- petit homme à l’oeil malicieux et à l’accent nophone, figure la mère de Bébé et de

216
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Bout de Zan, devient productrice, joue De sa carrière, on peut notamment retenir gienne). Tiré du célèbre roman autobio-
la Thénardier (les Misérables, H. Fes- les Gens du voyage (J. Feyder, 1938), graphique homonyme de Knut Hamsun,
court, 1925) et revient à l’écran après une Terre de feu (M. L’Herbier, id.), l’Enfer la Faim était une coproduction norvé-
longue interruption dans Pépé le Moko des anges (Christian-Jaque, 1939), gienne, danoise et suédoise. Rien de ce
(J. Duvivier, 1937). Elle avait réalisé elle- Jeunes Filles en détresse (G. W. Pabst, que Carlsen a réalisé depuis n’a tout à
même en 1923 Un cri dans l’abîme. id.), Macao, l’enfer du jeu (J. Delannoy, fait atteint le brio de la Faim, bien qu’il ait
RÉ 1939 ; 1942), Nous les gosses (L. Da- manifesté un certain talent pour la comé-
CARLE (Gilles), cinéaste canadien (Ma- quin, 1941), L’assassin a peur la nuit die dans Sophie de 6 à 9 ou Quand des
niwaki, Québec, 1929). (Delannoy, 1942). On la retrouve avec gens se rencontrent, une douce musique
Étudiant à l’École des beaux-arts de Mon- quelque surprise dans le Club des soupi- leur emplit le coeur (Mennesker m’odes
tréal, graphiste, poète et éditeur, il dé- rants, fantaisie nonsensique de Maurice og s’od musk opstår i hjertet, 1967), et
couvre le cinéma vers 1960 et réalise une Gleize (1941). Sur le tard, elle n’apparaît dans Comment faire partie de l’orchestre
série de courts métrages dans le cadre plus que dans les films médiocres de (Man sku’ vaere noget ved musikken,
de l’ONF. C’est également l’ONF qui lui son mari Raoul André. Il lui aura manqué 1972), chronique douce-amère — et par-
permet de mettre en scène son premier l’abattage d’une Rosalind Russell, le gla- fois d’une ironie assez désespérée — sur
long métrage, la Vie heureuse de Léopold mour d’une Odette Joyeux pour dépasser les habitués d’un petit café populaire de
Z, en 1965. un agréable mais assez mince registre. Copenhague. La même touche humo-
Il devient ensuite son propre produc- ristique caractérise Un divorce heureux
teur (dans plusieurs sociétés succes- CARLO RIM (Jean-Marius Richard, dit), (1975), coproduction franco-danoise dont
cinéaste français (Nîmes 1902 - Peypin le sujet est la rencontre désastreuse entre
sives, Onyx Films, puis Carle-Lamy Ltée,
1989). un homme jeune, son ancienne femme et
dont il assure le financement en réalisant
Journaliste et dessinateur humoristique,
un grand nombre de courts métrages et le nouvel amant de celle-ci dans une mai-
auteur de plusieurs romans, il devient
de films publicitaires) et dirige une série son de campagne en France.
scénariste pour le cinéma en 1934, écri-
de longs métrages au réalisme truculent Nous sommes tous des démons (Kla-
vant des comédies (Justin de Marseille,
qui contribuent à populariser l’identité bautermanden, 1969), récit à la fois sub-
Hercule, qu’il coréalise avec Alexandre
québécoise au pays et en Europe. Les versif et fantastique, est l’adaptation d’un
Esway), suivies de titres divers : Tarass
Mâles, puis la Vraie Nature de Bernadette roman d’Axel Sandemose sur un vieux
Boulba, Nostalgie, Simplet (coréalisé
sont des fables libertaires enracinées capitaine de la marine hanté par les ap-
avec Fernandel), la Ferme aux loups...
dans une société alors en mutation, au pels d’une jeune sirène.
En 1948, il écrit et réalise son film le plus
temps de la montée du courant indépen- En 1978, Carlsen revient au Danemark
personnel, l’Armoire volante. Il tourne en-
dantiste. de son enfance avec Un rire sous la neige
suite la Maison Bonnadieu (1951), Virgile
À partir de la Mort d’un bûcheron (H’or, var der ikke en, som lo ?), où le per-
(1953), Escalier de service (1955), les
(1973) et de la rencontre de la comé- sonnage principal est un jeune chômeur
Truands (1956), le Petit Prof (1958), films
dienne Carole Laure, puis du musicien des années 30. Quatre ans plus tard, le
dont il est le plus souvent le scénariste-
Lewis Furey, Gilles Carle évolue vers un cinéaste signe ‘ la Bourse ou la Vie’ (Pen-
dialoguiste. Dans les années 60, il tra-
cinéma inquiet, soucieux de recréer une gene eller livet), une oeuvre largement au-
vaille essentiellement pour la télévision.
structure familiale élémentaire (dans un tobiographique. Après un documentaire
Il a publié de nombreux livres, dont, en
contexte encore réaliste, puis au sein 1981, des Mémoires. (Journal d’Espagne, 1986), le cinéaste
d’utopies où la musique prend une place s’intéresse dans Gauguin, le loup dans
croissante). Avec les Plouffe (1981), réa- CARLSEN (Henning), cinéaste danois (Aal- le soleil/le Loup à la porte (Oviri) à l’une
lisé pour la télévision, il signe une chro- borg 1927). des périodes les plus sombres de la vie
nique réaliste qui retrace l’histoire d’une Ayant renoncé à ses premières ambitions du peintre, qui, en 1893, quitte Tahiti pour
famille québécoise et remporte dans son qui étaient de devenir médecin, Carlsen Paris et la Bretagne, où l’attendent insuc-
pays un grand succès populaire. devient l’assistant de Theodor Christen- cès, trahisons et déconvenues amou-
Films : la Vie heureuse de Léopold sen, le fondateur du mouvement docu- reuses et amicales. En 1995, il retrouve
Z (1965) ; le Viol d’une jeune fille douce mentariste danois de l’après-guerre. Pen- le romancier Knut Hamsun dans Deux
(1968) ; Red (1969) ; les Mâles (1970) ; dant toutes les années 50, il participe à la plumes vertes (Two Green Feathers),
la Vraie Nature de Bernadette (1972) ; production de films publicitaires et docu- adaptation du célèbre roman Pan.
la Mort d’un bûcheron (1973) ; les Corps mentaires. En 1962, il réalise Dilemme Il y a, dans le meilleur de l’oeuvre de
célestes (id.) ; la Tête de Normande St- (Dilemma), d’après un roman de Nadine Carlsen, une singulière beauté plastique
Onge (1975) ; A Thousand Moons (MM, Gordimer, qu’il tourne dans la clandesti- que vient rehausser une sympathie pro-
1976) ; l’Ange et la Femme (1977) ; Fan- nité en Afrique du Sud. fonde et chaleureuse pour tel ou tel être
tastica (1980) ; les Plouffe (1981) ; Jouer C’est un producteur suédois indé- humain, dont le visage se dégage de la
sa vie (DOC, CORÉ C. Condari, 1982) ; pendant, Lorens Marmstedt, qui donne masse anonyme comme celui de ces
Maria Chapdelaine (1983) ; Cinéma, ci- à Carlsen sa première vraie chance en hallucinés qu’on voit sur les gravures et
néma (DOC, CORÉ W. Nold, 1985) ; Ô lui confiant, à Stockholm, la direction des les toiles d’un autre artiste scandinave,
Picasso (DOC, id.) ; la Guêpe (1986) ; Chattes (Kattorna, 1965), où la psycho- Edvard Munch.
Vive Québec (DOC, 1988) ; la Postière logie féminine se trouve
analysée d’une
(1992). manière fine et sans pitié. La Faim (Sult, CARLSON (Richard), acteur et cinéaste
1966) est le film le plus connu de Carlsen. américain (Albert Lea, Minn., 1912 - Los
CARLETTI (Luisa Paola Armida Carboni, Il a valu à son interprète, Per Oscarsson, Angeles, Ca., 1977).
dite Louise), actrice française (Marseille le premier prix d’Interprétation au fes- Interprète sans grand relief de comé-
1922). tival de Cannes, dans le rôle d’un écri- dies et de films d’aventures à partir de
Issue du music-hall, du cirque et du ca- vain hanté par l’écriture. Ne parvenant 1938, il voit ses rôles s’étoffer peu à peu
baret, elle est, si l’on veut, l’adolescente pas à publier ses textes, le personnage (l’Étrange Créature du lac noir, J. Arnold,
piquante, puis la vamp sage du cinéma se trouve dans une situation misérable, 1954). Producteur prolifique de séries TV,
français, par opposition à la femme fatale en proie à des hallucinations (l’action se où il joue généralement, il a signé pour
qu’incarne Viviane Romance, grâce à son passe à la fin du XIXe siècle, à Christia- le grand écran trois films fort élégants
charme, à sa fraîcheur de brune acidulée. nia [aujourd’hui Oslo], la capitale norvé- et divertissants (où il n’apparaît pas) :

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Quatre Tueurs et une fille (Four Guns près de 200 films. Outre ceux déjà cités, 1930 et 1932, sans renoncer au journa-
to the Border, 1954), l’Implacable Pour- on peut signaler : les Enfants du para- lisme, Carné tourne de petits films publi-
suite (The Saga of Hemp Brown, 1958), dis (M. Carné, 1945) ; Copie conforme citaires en collaboration avec Paul Gri-
Rafales dans la nuit (Appointment With (J. Dréville, 1947) ; Monsieur Vincent mault et Jean Aurenche. Il assiste ensuite
a Shadow, id.). Puis, en marge de ses (M. Cloche, id.) ; Till l’Espiègle (G. Philipe, Feyder, rentré d’Amérique, pour le Grand
activités d’homme d’affaires, un western 1956) ; la Belle Américaine (R. Dhéry, Jeu (1934), Pension Mimosas (1935),
tourné en Espagne : Kid Rodelo (1966). 1961) ; Mélodie en sous-sol (H. Verneuil, la Kermesse héroïque (1935) ; il débute
1963) ; Noirs et blancs en couleurs/la Vic- enfin dans la mise en scène, en 1936,
CARLSTEN (Rune), cinéaste suédois (Stoc- toire en chantant (J.-J. Annaud, 1976) ; le toujours à l’ombre de Feyder et Françoise
kholm 1890 - id. 1970). Sucre (J. Rouffio, 1978) ; Il y a longtemps Rosay, et signe Jenny. Enthousiasmé par
Animateur du Théâtre royal dramatique, que je t’aime (J.-C. Tacchella, 1979) ; les le Crime de M. Lange, réalisé par Jean
il débute au cinéma comme acteur dans Misérables (R. Hossein, 1982) ; Canicule Renoir avec la collaboration de Jacques
‘les Gens de Hemsö’ (Hemsöborna, (Y. Boisset, 1984) ; l’Été 36 (Y. Robert, Prévert, il exige de son producteur que ce
1918) de Carl Bareklind d’après Strind- TV, 1985) ; les Fugitifs (F. Veber, 1986) ; dernier, dont il a aussi apprécié les créa-
berg. Il passe ensuite à la mise en scène la Vouivre (G. Wilson, 1988) ; Un jeu d’en- tions pour le groupe Octobre, soit le scé-
et se range au côté d’Hedquist et de Bru- fant (Pascal Kané, 1989) ; le Château de nariste et le dialoguiste de Jenny. C’est le
nius parmi les petits maîtres de l’âge d’or ma mère (Y. Robert, 1990) ; Merci la vie départ d’une collaboration qui marquera
du cinéma suédois au temps du muet. (Bertrand Blier, 1991) ; le Bal des casse- dix ans de cinéma français. Carné adhère
Il signe ‘Quand l’amour commande’ (Ett pieds (Y. Robert, 1992), la Chambre à l’Association des artistes et écrivains
farligt frieri, 1919) avec Lars Hanson, 108 (Daniel Moosman, 1993), Germinal révolutionnaires (AAER) ; il filme pour
‘les Motifs supérieurs’ (Högre ändamål, (C. Berri, id.). Ciné-Liberté les manifestations du Front
1921), ‘Un moderne Robinson’ (Robin- populaire. Il est vite célèbre. 1941 : le
son i skärgården, id.) et compte parmi CARMI (Maria), actrice italienne (Florence gouvernement de Vichy — mais c’était
les réalisateurs favoris de l’acteur Gösta 1880 - Myrtle Beach, Ca., 1957). déjà le cas pour les censeurs sous la
Ekman : ‘la Bombe’ (Bomben, 1919) ; ‘les Actrice de théâtre en Italie (avec Braga- IIIe République en 1939 — juge ses films
Traditions de la famille’ (Familjens tradi- glia) et en Allemagne (avec Max Rein-
pernicieux et démoralisateurs. Carné et
tionner, 1920) ; ‘Un jeune comte’ (Unge hardt), elle apparut à l’écran entre 1912
Prévert se réfugient dans la fable, dans
grevan, 1924). Dérouté par le parlant, et 1920 dans quelques films, dont les plus
l’histoire passée. Au sortir de la guerre, le
il paraît, au cours des années 30, avoir notables sont Das Mirakel (M. Reinhardt,
tandem triomphe dans le monde avec la
perdu son originalité, mais il étonne pour- 1912), Eine venezianische Nacht (id.,
flamboyante fresque des Enfants du pa-
tant, en 1942, avec ‘le Docteur Glas’ 1913), Perdus dans les ténèbres (N. Mar-
radis, demeurée un classique du cinéma.
(Doktor Glas), curieuse adaptation de toglio, 1914), Teresa Raquin (id., 1915).
En octobre 1979, un musée Marcel Carné
l’oeuvre de Hjalmar Södeberg. Ses cinq
a été inauguré à Boston.
films ultérieurs sont des mélodrames (le CARNÉ (Marcel), cinéaste français
La formation artistique de Carné
dernier ‘le Lien éternel’ [Eviga länkar] sort (Paris 1909 - id. 1996).
éclaire l’essentiel de son style. Parce qu’il
sur les écrans en 1947). Orphelin de mère à cinq ans, son père
souvent absent, Carné est élevé libre- a tourné un documentaire de plein air

ment par une grand-mère et une tante. empreint de poésie populiste, il réclame,
CARMET (Jean), acteur français (Bourgueil
1921 - Sèvres 1994). Après la communale, son père l’envoie en 1933, un cinéma qui descende dans la

Comédien cantonné longtemps dans les dans une école d’apprentissage afin d’en rue, loin du décor et de l’artifice des stu-

seconds rôles, en raison de son physique faire un ébéniste comme lui ; puis, devant dios, à la poursuite de la vie immédiate.
de Français moyen, il doit attendre les an- ses résistances et son peu d’intérêt pour De son maître Feyder, il rejette significa-
nées 70 pour se voir confier l’emploi ve- la menuiserie, il lui trouve un emploi dans tivement toutes les recherches et innova-
dette dans des productions à prétention une compagnie d’assurances. Carné a tions de langage fondées sur la technique
sociologique, voire « politique » : Dupont dix-sept ans. À sa passion pour le ci- et garde le réalisme méticuleux du per-
Lajoie (Y. Boisset, 1975). Il devient alors néma, il en ajoute une nouvelle : le music- sonnage, du cadre et du détail. Profondé-
un des acteurs les plus sollicités dans hall. Après son travail, il suit aux Arts et ment marqué par Lang et Murnau, Stern-
les productions — toute considération Métiers des cours de photographie ; il berg et Hawks, il veut pour ses films une
de qualité mise à part — visant à peindre obtient un diplôme de technicien. L’ami- atmosphère, qu’il demande d’abord à la
une prétendue « France profonde ». Sa tié de Françoise Rosay, rencontrée chez plastique, à la composition très élaborée
carrière croise alors celle d’autres comé- des amis communs, lui permet l’accès de l’image, aux clairs-obscurs suggestifs,
diens affligés du même label (Louis de des studios : il est assistant de l’opérateur aux perspectives bouchées derrière les-
Funès, Jean-Pierre Marielle, Jean Le- Georges Périnal et bientôt du réalisateur quelles vibre comme une secrète obses-
febvre...) et de réalisateurs spécialisés Jacques Feyder, pour le film les Nou- sion du soleil. Mais la rue, le Paris dans
dans les produits du terroir (Jean Girault). veaux Messieurs (1929). Feyder appelé lequel il exige que la caméra descende
Certaines performances isolées, tel le à Hollywood, Carné devient journaliste sont quasiment ceux de René Clair qui
Caporal épinglé (J. Renoir, 1962), mais et critique, à Cinémagazine d’abord, au donnent, selon ses propres termes, « une
aussi Violette Nozière (C. Chabrol, 1978), corporatif Hebdo-Film plus tard. Symp- interprétation de la vie plus vraie que la
Buffet froid (Bertrand Blier, 1979), son tomatiquement, il s’enthousiasme, dès vie elle-même ». Le réel, sa vérité seront
apparition dans la Banquière (F. Girod, ses premiers textes, pour le cinéma donc retrouvés au terme de deux arti-
1980), son étonnante composition de expressionniste allemand (chez Murnau, fices : l’artifice expressionniste de la mise
vieux travesti dans Miss Mona (Medhi dit-il, « la caméra est un personnage du en scène, l’artifice poétique du scénario.
Charef, 1987) montrent néanmoins ce drame ») et pour le film policier améri- C’est là définir le réalisme poétique, que
que son art pourrait apporter au cinéma cain. Avec ses économies et celles d’un Carné n’invente pas mais conduit à son
français. Encore faudrait-il que des scé- camarade, Michel Sanvoisin, il tourne le point d’aboutissement. Ce réalisme est
naristes et des réalisateurs de premier documentaire poétique Nogent, Eldorado une quasi-constante du cinéma français
plan se penchent sur son cas : il est aussi du dimanche (1929). C’est le moment de depuis Delluc, Kirsanoff, Vigo, en pas-
mal desservi que Michel Galabru, ce la « troisième avant-garde ». Le film sé- sant par Chenal, Feyder, Renoir, Duvi-
qui relève d’une certaine forme de gas- duit René Clair ; Carné sera son assistant vier, Grémillon. Carné le fait virer au noir,
pillage. Jean Carmet est apparu dans pour Sous les toits de Paris (1930). Entre l’imprègne d’un fatum omniprésent, lui

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

confère une aura plus tragique qu’envoû- l’enrichit d’échos lyriques et de prolon- Il prend le contre-pied de ses anciens
tante, même si elle n’échappe pas à une gements sociaux. Il en accuse la dignité, thèmes. Il tourne dans une Normandie
étrange fascination de la misère et du la crédibilité et, plus encore, la boulever- bien réelle. Finis le manichéisme, l’amour
malheur : le fantastique social. sante simplicité. À travers lui s’achève le fou, le destin. Gabin propriétaire se
Avec Jacques Prévert, les opérateurs tableau de la décomposition morale de la range et épouse une jeune intéressée.
Eugène Schüfftan, Curt Courant, Roger France démocratique confrontée à une À deux ou trois exceptions près — déjà
Hubert, le décorateur Alexandre Trauner, guerre inévitable. la Marie du port marque un sérieux flé-
les musiciens Maurice Jaubert, Joseph Jenny est d’emblée une réussite que chissement —, Carné ne retrouvera plus
Kosma et, pour deux de ses classiques, l’on peut préférer à Drôle de drame. L’uni- les hauteurs passées. D’où l’inévitable
Jean Gabin, Carné constitue une équipe vers du tamdem est en place avec déjà question : que doit-il à Prévert ? Prévert
stable qui l’aide à définir un style et une un destin qui se manifeste sous l’appa- existe sans Carné pourvu qu’un grand
vision du monde. Le style est raison- rence d’un clochard, l’amour fou, la liberté cinéaste (Renoir, Grémillon) lui prête de
nable, rigoureux, limpide, plutôt froid. des marginaux et, pour cette seule fois, le son réalisme. Il est plus fragile et parfois
Carné procède par champs et contre- monde réel, le canal Saint-Martin, le Pont- inconsistant avec des cinéastes fantai-
champs commandés par le dialogue et Tournant, le vrai soleil des quais. Drôle sistes : Pierre Prévert son frère, Richard
l’intelligence du rythme. Il refuse l’effet de de drame apporte un burlesque intellec- Pottier, René Sti. S’il est si grand avec
cinéma : le réveille-matin qui sonne au tuel situé dans un Londres de mémoire Carné, c’est donc que celui-ci lui a
dénouement du Jour se lève pour appeler qui s’en réfère ironiquement au Griffith prêté main-forte : il a donné un corps à
un ouvrier mort au travail est unique dans du Lys brisé et au Pabst de l’Opéra de sa poésie. Leur séparation consacre la
son oeuvre. Son découpage est analy- quat’sous. Mal accueilli, le film prend décadence (d’un point de vue stricte-
tique. Héritier du kammerspiel et de son une revanche définitive en 1951. Bien ment cinématographique) de l’un et de
fatalisme, il a le goût des trois unités et qu’édifié sur un scénario et des dialogues l’autre. « Carné encadrait bien le délire
celui de la claustration, de la clôture-pri- d’Henri Jeanson, Hôtel du Nord ne dé- de Jacques. Leur oeuvre est faite de leur
son. Peintre bien plus qu’architecte, s’il tonne nullement dans l’univers de Carné- perpétuel conflit. Carné est aussi froid
veut que la ville figure aussi le destin, que Prévert, même si son réalisme noir doit que Jacques est délirant. Chacun appor-
le décor constitue la psychologie de ses plus à la littérature (Eugène Dabit) qu’à tait à l’autre ce qu’il n’avait pas. » (Ray-
héros, que la caméra soit un acteur du cette atmosphère picturale dont Quai des mond Bussières.) Sans Prévert, Carné va
drame, il privilégie néanmoins l’atmos- brumes enveloppe sa magie désespérée ; balancer entre réalisme et féerie sur une
phère, donne le pas aux personnages là, tous les horizons sont barrés, ceux de pente toujours descendante. Juliette ou la
sur l’action. Son picturalisme déréalise l’amour, ceux de l’art, ceux de la liberté. Clé des songes n’est pas sans prestige ;
subtilement le monde qu’il a construit, le La règle des trois unités commande aussi la première partie de l’Air de Paris reste
hante de rêve, d’espoir ou d’angoisse, le au Jour se lève, sommet de l’oeuvre du convaincante. Avec les Tricheurs, qui
dissout plus qu’à demi dans la légende cinéaste. Carné part d’un fait divers — un obtinrent un énorme succès, Carné pré-
(les Visiteurs du soir) ou dans le mythe homme a tué —, « le fouille et l’amplifie tend pénétrer la jeunesse de 1958 et ses
(Quai des brumes, les Portes de la nuit). jusqu’à lui conférer une grandeur tra- problèmes. Sa peinture, fabriquée et tout
On a pu très justement dire : un pavé de gique » (ainsi Carné définissait-il en 1930 extérieure, manque de force autant que
Carné n’est pas un cube de pierre ; c’est la démarche de Sternberg dans les Nuits de vérité. Seule réussite dans cette car-
un bloc d’ouate aux formes molles gor- de Chicago). Il porte à la perfection, deux rière postprévertienne : Thérèse Raquin.
gées d’huile. ans avant Citizen Kane, un cinéma de la Gageure risquée et gagnée, le réalisme
Son univers est manichéen. Prévert lui mémoire (chez Welles les personnages poétique de la grande époque est intégré,
a légué ses personnages-emblèmes, tout racontent, ici le héros se souvient), dans investi, sans nul dommage pour l’authen-
d’une pièce, définitifs, plus poétiques que une structure dramatique éclatée qui ticité, dans un contexte socio-historique
psychologiques, personnages-poèmes réalise l’irrévocabilité du destin même, réactualisé, Lyon remplaçant Paris.
qui sont chacun un film à soi tout seul. puisque les faits sont déjà accomplis, les Films : Nogent, Eldorado du dimanche
Les bons, les purs s’opposent aux mal- dés sont déjà jetés. Après les Visiteurs (1929) ; Jenny (1936) ; Drôle de drame
faisants, aux nuisibles. Les méchants du soir, qui fait exceptionnellement virer (1937) ; Quai des brumes (1938) ; Hôtel
portent leur méchanceté jusqu’à se faire au blanc le noir habituel, et avant les du Nord (id.) ; Le jour se lève (1939) ;
tuer par les innocents, afin de mieux Portes de la nuit, qui est comme un Quai les Visiteurs du soir (1942) ; les Enfants
les perdre. Bon ou mauvais diable, le des brumes mais présent politiquement du paradis (1945) ; les Portes de la nuit
destin est avec les salauds. Les bons, dans son époque (d’où son insuccès), (1946) ; la Fleur de l’âge (1947, ina-
les pauvres perdent toujours, même si Carné tourne les Enfants du paradis. chevé) ; la Marie du port (1950) ; Juliette
l’amour, qui est le plus haut degré de leur Le réalisme poétique opte pour le Paris ou la Clé des songes (1951) ; Thérèse
innocence et leur générosité, éblouit un de Louis-Philippe et de Balzac, s’y dé- Raquin (1953) ; l’Air de Paris (1954) ; le
moment le quotidien de leurs vies. Le voile comme un néoromantisme dévoré Pays d’où je viens (1956) ; les Tricheurs
couple est impossible ; l’homme perdu, la d’énergies encore plus que de passions. (1958) ; Terrain vague (1960) ; Du mou-
femme (« Femme-Fatalité »), sans l’avoir Apothéose du spectacle, cinéma impur ron pour les petits oiseaux (1963) ; Trois
voulu, le perd. Malgré Prévert, Carné — à la fois théâtre et cinéma — qui, avec Chambres à Manhattan (1965) ; les
illustre une conception autopunitive de Henri V et Ivan le Terrible parus la même Jeunes Loups (1967) ; les Assassins
l’amour. Dix années durant, de 1936 à année, fait parler les théoriciens de « troi- de l’ordre (1971) ; la Merveilleuse Visite
1946, le réalisme poétique de Carné/Pré- sième voie », et qui en conduit d’autres (1974) ; la Bible (DOC TV, 1976).
vert soutient cette vision fraternelle, insur- à renoncer à la notion d’une spécificité
gée, protestataire, nihiliste, désespérée, du 7e art. CARNEY (Arthur William, dit Art), acteur
qui est un parfait baromètre de l’époque. 1947. La paix est revenue, une nou- américain (Mount Vernon, N. Y., 1918).
Elle trouve en Gabin son incarnation velle époque commence. Le néoréalisme Déjà fort de son expérience du théâtre
majeure. Le mythe de Jean Gabin était italien impose ses modèles. Le réalisme et de la TV (The Carol Burnett Show),
déjà en place, avec sa couleur morale, poétique n’est plus viable ; le person- Art Carney s’est imposé à l’écran en
ses traits obligés, la rituelle scène de nage mythologique de Gabin est ana- vieillard tantôt rusé, tantôt touchant. Dans
colère où le juste commet l’irréparable, la chronique. Avec la Marie du port, Carné ce registre, ses deux compositions les
mort inadmissible au dénouement. Carné va s’en délivrer. Il se sépare de Prévert. plus intéressantes sont celle d’Harry,

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

le vieux monsieur fugueur de Harry et Ruelle du péché, de Raoul Walsh, où elle tiers son inspiration chez Howard Hawks,
Tonto (P. Mazursky, 1974), qui lui vaut réussit tout de même à danser (1952), dont il transpose Rio Bravo dans l’univers
un Oscar, et celle du détective fatigué et Mademoiselle, l’épisode d’Histoire de policier de Assaut (Assault on Precinct
et maladif de Le chat connaît l’assassin trois amours (1953) dirigé par Minnelli. 13, 1976), avant de tourner une impres-
(R. Benton, 1977). Charles Walters utilise très subtilement sionnante nouvelle version de The Thing
une personnalité plus complexe qu’il n’y (id., 1982), produit par Hawks au début
CAROL (Marie-Louise Mourer, dite Mar- paraît dans Lili (id.), qui lui fait incarner des années 50. La fluidité de Carpenter,
tine), actrice française (Saint-Mandé 1920 - une adolescente un peu naïve et pleine son sens de l’atmosphère, sa maîtrise
Monaco 1967). de charme, et dans la Pantoufle de verre des mouvements d’appareil font merveille
Elle débute au théâtre sous le pseu- (1955), où elle est Cendrillon. Mais ses dans la Nuit des masques (Halloween,
donyme de Maryse Arley. En 1946, deux moments de gloire (avec Un Amé- 1978) et dans Fog (id., 1980). New York
elle joue au théâtre de la Renaissance ricain à Paris, bien sûr) sont Papa lon- 1997 (Escape From New York, 1981)
dans la Route au tabac. À l’écran, elle gues jambes de Jean Negulesco (1955), suggère une ville fantasmatique au bord
tient de petits rôles dans la Ferme aux dans lequel elle danse avec Fred Astaire, de l’écroulement ; Carpenter donnera une
loups (Richard Pottier, 1943) et Voyage et Gigi (1958) : elle y retrouve Vincente suite à ce succès avec Los Angeles 2013
surprise (P. Prévert, 1947). Mais c’est Minnelli, et les costumes de Cecil Bea- (Escape From L. A., 1996). Variation sur
grâce à un coup d’éclat publicitaire ton la font plus belle que jamais. Après des thèmes connus, l’oeuvre de Carpen-
(elle se jette dans la Seine du pont de un dernier musical, Fanny, de Joshua ter préfère les petits budgets : Starman
l’Alma, feignant un désespoir d’amour), Logan (1961), sa carrière devient à la fois (id., 1985) et les Aventures d’un homme
une opération de chirurgie esthétique plus intermittente et plus désordonnée. invisible (Memoirs of an Invisible Man,
(redressement de son nez) et surtout À signaler toutefois : ses rôles dans la 1991), produits sur une grande échelle,
un rôle quasiment écrit pour elle, celui Chambre indiscrète (B. Forbes, 1962), seront des insuccès qui le mèneront à
de Caroline chérie (1951, roman de Jeux d’adultes (N. Loy, 1967), l’Homme se ressourcer dans des entreprises plus
Cécil Saint-Laurent porté à l’écran par qui aimait les femmes (F. Truffaut, 1977), modestes. l’Antre de la folie (In the Mouth
Richard Pottier), qu’elle accède au rang le Contrat (K. Zanussi, 1980), l’Impératif of Madness, 1995) était une séduisante
de vedette. Le film, où elle dévoile géné- (id., 1982), la Diagonale du fou (Richard mise en abyme à travers un personnage
reusement son anatomie, sera suivi en Dembo, 1984), Guerriers et captives d’écrivain à la Stephen King, spécia-
1953 d’Un caprice de Caroline, de Jean (E. Cozarinsky, 1989), Fatale (L. Malle, lisé dans l’horreur. Vampires (id., 1998)
Devaivre. C’est le début d’une série de 1992), Funny Bones (Peter Chelsom, renouvelait avec brio l’iconographie du
films pseudo-historiques, pimentés d’éro- 1995). Au théâtre, elle fut choisie par
genre avec des références au western et
tisme aimable : Lucrèce Borgia (1953), Jean Renoir pour être Orvet (1955).
au film noir.
Lysistrata (épisode de Destinées, 1954),
Autres films : Dark Star (1974) ; les
Madame du Barry (id.), Nana (1955), tous CAROW (Heiner), cinéaste allemand (Ros-
Aventures de Jack Burton dans les griffes
réalisés par son second mari, Christian- tock 1929 - Postdam 1997).
du Mandarin (Big Trouble in Little China,
Jaque. Elle tourne aussi avec René Clair Il suit les cours de mise en scène à la
1986) ; Prince des ténèbres (Prince of
(les Belles de nuit, 1952), et, en Italie, DEFA en Allemagne de l’Est, devient l’as-
Darkness, 1987) ; Invasion Los Angeles
Alberto Lattuada (la Pensionnaire, 1954). sistant de Gerhard Klein pour la réalisa-
(They Live, 1989) ; le Village des dam-
En 1955, c’est le couronnement de sa tion de films de vulgarisation scientifique
nés (Village of the Damned, id.) ; Ghost
brève carrière, né peut-être d’un malen- et réalise un premier essai en 1952, le
of Mars (2001).
tendu (les producteurs voulant exploiter documentaire Bauern Erfüllen den Plan.
son personnage de femme fatale, que le La première partie de sa carrière est
CARPI (Fabio), scénariste et cinéaste ita-
metteur en scène entendait au contraire celle d’un documentariste, puis il aborde
lien (Milan 1925).
exorciser) : Lola Montès, de Max Ophuls. la fiction en 1956 avec deux films pour
Poète, romancier, essayiste cinémato-
L’insuccès commercial retentissant du les enfants : Sheriff Teddy (1957) et Sie
graphique, Carpi a commencé d’écrire
film stoppe net la carrière de Martine Nannten ihn Amigo (1958). Au cours des
des scénarios au Brésil, à l’appel de Ca-
Carol, qui ira ensuite d’échecs flagrants années 60, tout en signant des mises en
valcanti, qui venait de fonder, en 1949, la
(Scandale à Milan, V. Sherman, 1956 ; les scène de théâtre au Volkstheater de Ros-
société de production Vera Cruz. Carpi
Noces vénitiennes, A. Cavalcanti, 1959) tock, il tourne notamment Die Hochzeit
en dirige le bureau des sujets de 1951 à
en come-back sans lendemain (Nathalie, von Länneken (1963), Die Reise nach
1954 et signe notamment le scénario de
agent secret, H. Decoin, 1959, Austerlitz, Sundevit (1966) et Die Russen kommen
Uma Pulga na Balança de Luciano Salce
A. Gance, 1960 [elle est Joséphine], Va- (1968, distribué en 1988). Après Karriere
(1953). Rentré en Italie, il se consacre
nina Vanini, R. Rossellini, 1961) et de dé- (1970) il obtient un large succès avec Die
de plus en plus au cinéma et collabore à
pressions nerveuses en divorces succes- Legende von Paul und Paula (1972) et
divers sujets : Il vedovo (Dino Risi, 1959),
sifs. Son quatrième mari, le milliardaire s’impose comme l’un des leaders de la
Un homme à moitié (V. De Seta, 1966),
anglais Mike Eland, la découvrira morte, génération « moyenne » en RDA : Ikarus
le Dernier Train (Nello Risi, id.), Jour-
en 1967, dans sa chambre d’hôtel : abus (1975), Bis dass der Tod euch scheidet
nal d’une schizophrène (id., 1969), Une
de médicaments ou crise cardiaque, on (1978), So viele Träume (1986) et Co-
poule, un train... et quelques monstres
ne le sut jamais. ming out (1989, sur le thème de l’homo-
sexualité). Depuis l’unification allemande, (Dino Risi, id.), Bronte cronaca di un
CARON (Leslie), actrice et danseuse fran- il a réalisé la Faute (Verfehlung, 1991) et massacro... (F. Vancini, 1972). En 1967,
çaise (Paris 1931). travaille pour la télévision. Carpi tourne pour la télévision Parliamo
C’est comme danseuse classique qu’elle tanto di me, un portrait consacré à Zavat-
fait partie, en 1949, de la troupe de CARPENTER (John), cinéaste américain tini. En 1971, après diverses tentatives
Roland Petit. Gene Kelly la découvre, (Bowling Green, Ky., 1948). avortées (il devait passer à la mise en
et Vincente Minnelli fait d’elle l’héroïne Avec Brian De Palma mais sans l’exubé- scène dès 1954), Carpi réalise son pre-
de son Américain à Paris (1951). Elle y rance baroque de ce dernier, John Car- mier long métrage, Corpo d’amore, film
danse à ravir, ce qui lui vaut une célé- penter est le cinéaste américain qui, de- qui révèle d’emblée, dans l’analyse des
brité immédiate. Son contrat à la MGM ne puis le milieu des années 70, a le mieux difficiles rapports père-fils, un cinéaste
lui permet de tourner que des musicals, illustré les genres cinématographiques de d’une grande sensibilité et d’une veine
à quelques rares exceptions près : la l’horreur et du fantastique. Il puise volon- très personnelle. L’età della pace (1974),

220
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

méditation sur la vieillesse, la solitude CARRADINE (Richmond Reed Carradine, bert Capellani, Émile Chautard et surtout
et la mort, et Quartetto Basileus (1982) dit John), acteur américain (New York, Maurice Tourneur, dont il est le collabo-
confirment le haut niveau d’exigence qui N. Y., 1906 - Milan, Italie, 1988). rateur fidèle de 1914 à 1919 pour plus
caractérise un homme non disposé à Issu d’une famille bourgeoise et lettrée, de trente films. Il travaille ensuite à des
s’accommoder des contraintes du sys- ancien acteur de théâtre, il joue d’abord longs métrages comme le Fantôme de
tème. En 1987, il réalise Barbablu, Barba- sous le nom de John Peter Richmond, l’Opéra (R. Julian, 1925), Mare Nostrum
blu, en 1991 l’Amour nécessaire (L’amore par exemple dans Cléopâtre (C. B. De (R. Ingram, 1926), Don Juan (A. Cros-
necessario), en 1993 la Prochaine fois, le Mille, 1934). La suite de sa carrière est
land, id.), le Chanteur de Jazz (id., 1927)
feu (La prossima volta, il fuoco). Il signe surtout associée à John Ford : Je n’ai
ou le Masque de fer (A. Dwan, 1928). De
encore deux road movies, Homère, la pas tué Lincoln (1936), Marie Stuart (id.),
1937 à 1965, il renonce à la conception
dernière odyssée (Nel profondo paese la Chevauchée fantastique (1939), Sur
des décors, mais demeure actif comme
straniero, 1997), l’histoire d’un triangle la piste des Mohawks (id.), les Raisins
peintre de découvertes.
amoureux à travers le monde, puis IG de la colère (1940), la Dernière Fanfare
Nobel (2000), sur les relations entre un (1958), l’Homme qui tua Liberty Valance
CARRÉ (Jean-Michel), cinéaste français
écrivain et un journaliste. (1962) et les Cheyennes (1964), mais on
(Paris 1948).
le retrouve, talentueux et divers, dans
CARPITA (Paul), cinéaste français (Mar- Après des études de médecine puis
plus de 170 films. Il incarne volontiers
seille 1922). à l’IDHEC, où il obtient un diplôme de
des personnages terrifiants : le dialogue
Fils d’un docker, instituteur, il crée à la de Chasse à l’homme (F. Lang, 1941) réalisation et de prise de vues, il com-
Libération une petite société de pro- ne le qualifie-t-il pas de « cadavre am- mence sa carrière de metteur en scène
duction et réalise avec des camarades, bulant » ? On le retrouvera vieilli mais au lendemain des événements de Mai
communistes comme lui, des actualités toujours aussi inquiétant dans un film 68, dans l’esprit du cinéma d’intervention
de « contre-information ». En 1953, il néo-zélandais : The Scarecrow, de Sam sociale qui se développe à cette époque.
entreprend, sur le thème de la prise de Pillsbury, en 1982. La quarantaine de documentaires qu’il
conscience prolétarienne, un long mé- signe ensuite s’inscrit dans ce mouve-
trage militant, le Rendez-vous des quais, CARRADINE (Keith), acteur et chanteur
ment, dénonçant la façon dont la société
évocation des manifestations et des américain (San Mateo, Ca., 1949).
génère et entretient l’exclusion. Refusant
grèves de 1950 contre la guerre d’Indo- Né dans une famille d’artistes (fils de
la notion de « reportage », il revendique
chine qui se déroulent dans le port de John Carradine, demi-frère de David Car-
au contraire sa propre implication idéolo-
Marseille ; le film est interdit en tant que radine), Keith Carradine réussit à la fois
gique en tant que cinéaste dans le traite-
« menace pour l’ordre public » et la copie, comme auteur-compositeur-interprète,
saisie et séquestrée, ne sera retrouvée ment de ses sujets. Parmi les différents
aux chansons tendres et élégantes, et
qu’en 1988 et distribuée en 1990, tardive thèmes qu’il aborde, la prostitution et sa
comme acteur aux allures juvéniles et
mais marquante révélation de ce chaleu- névrosées. Il fut excellent en gangster contrepartie, la toxicomanie, constituent
reux témoignage social et politique traité aux petits pieds dans Nous sommes tous le coeur de plusieurs de ses travaux,
dans un style néoréaliste. Dans la même des voleurs (R. Altman, 1974) ou en su- dont les Trottoirs de Paris (1994), l’Enfer
veine d’inspiration populaire, Carpita a perstar insaisissable dans Nashville (id., d’une mère (1994), Le Client et la prosti-
également réalisé deux autres longs mé- 1975). En France, on l’a vu dans Antoine tuée (1996), Bénédicte, la vie retrouvée
trages, qu’il considère comme perdus (Je et Sébastien (Jean-Marie Périer, 1973) (1996), Prostituées et coeurs de mères
suis née à Berlin, 1951, et Rencontre à et dans Lumière (J. Moreau, 1976), puis (1996)... Il se penche aussi sur l’univers
Varsovie, 1955), puis de nombreux courts dans la Petite (L. Malle, 1978), dans une des prisons pour femmes, avec Femmes
sujets de commande ou de fiction (la composition rigide et froide. On peut de Fleury (1991), les Matonnes (1994)
Récréation, 1959 ; Marseille sans soleil, préférer à bon droit sa présence énig- et Galères de femmes (1993). L’enfance
1960 ; Des lapins dans la tête, 1964). En matique et intense dans Welcome to
retient aussi son attention avec, en par-
1995, il a enfin pu réaliser un projet mûri Los Angeles (Alan Rudolph, 1977) et sa
ticulier, un long-métrage remarqué sur
de longue date, Sables mouvants, sur composition de soldat en manoeuvre pri-
les problèmes de l’éducation, Alertez les
un conflit social en Camargue dans les sonnier des bayous cauchemardesques
bébés ! (1979), mais aussi Votre enfant
années 50. de Louisiane dans Sans retour (W. Hill,
m’intéresse (1981), les Poussins de la
1983). En 1984, il est le personnage sans
CARRADINE (David), acteur et chanteur Goutte-d’Or (1993), Histoire d’enfance
attaches de Choose Me (Alan Rudolph)
américain (Los Angeles, Ca., 1936). et le chanteur itinérant de Maria’s Lovers (1998) ou encore Travail, famille, etc.
Fils de John Carradine. Il a eu un im- (A. Mikhalkov-Kontchalovski). En 1985, il Récits de la jeunesse (1997), un film en
mense succès à la TV dans la série Kung partage avec Kris Kristofferson le vedet- deux volets sur le travail et la famille.
Fu, ce qui a considérablement obscurci tariat dans Wanda’s café (A. Rudolph). En 1995, il réalise Visiblement, je vous
son talent, réel, d’acteur. Il alterne des Toujours avec Rudolph, il tourne en 1987 aime, à propos d’un centre hébergeant
silhouettes schématiques dans des les Modernes, en 1989 Sans espoir de de jeunes autistes, psychotiques ou dé-
films inspirés de la bande dessinée (la retour, de Samuel Fuller, en 1991 The linquants. Il aborde également des pro-
Course à la mort de l’an 2000, de Paul Ballad of the Sad Cafe, de Simon Callow, blèmes d’envergure internationale, réa-
Bartel, en 1975) et les compositions plus en 1992 Criss Cross, de Chris Menges, lisant Écrire contre l’oubli (1991) pour le
complexes où il excelle : Bertha Boxcar en 1994 André, mon meilleur copain, de 30e anniversaire d’Amnesty International,
(M. Scorsese, 1972), En route pour la G. Miller et en 1998, le Secret (A Thou-
puis Hong Kong-Hanoi : retour de camps
gloire (H. Ashby, 1976), l’OEuf du serpent sand Aires) de Jocelyn Moorehouse.
(1997) sur la détention de Vietnamiens
(I. Bergman, 1977), le Gang des frères
à Honk Kong, et les Enfants de la paix
James (W. Hill, 1980), Rio Abajo (Jose CARRÉ (Ben), décorateur américain d’ori-
Luis Borau, 1984), Comme un oiseau sur (1998) sur la vie d’enfants au Viêt Nam.
gine française (Paris 1883 - Santa Monica,
la branche (Bird on a Wire, John Bad- Ca., 1978). Sa forte implication politique à gauche se
ham, 1990). Il est aussi l’auteur complet Il débute aux studios Gaumont en 1906 confirme en 1998 avec la réalisation de
d’une oeuvre attachante, You and Me (RÉ et gagne en 1912 les États-Unis, où Charbons ardents, l’histoire d’une houil-
1972 ; 1975), qui prouve d’indéniables l’appellent les studios français Éclair. Il lère fermée par le gouvernement anglais
qualités de cinéaste. y décore des dizaines de films pour Al- et rachetée par les mineurs.

221
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

CARRÉ (Michel), scénariste et cinéaste d’abord avec Menteur, menteur (Liar, (Rendez-Vous à Bray, 1971 ; Femme
français (Paris 1865 - id. 1945). Liar, 1997), puis avec Fous d’Irène (Me, entre chien et loup, 1979 ; Benvenuta,
Fils du célèbre librettiste Michel Carré. myself and Irene, 2000). Mais Carrey est 1983 ; l’OEuvre au noir, 1988), Marguerite
Pionnier de la société le Film d’Art, il aussi un acteur intelligent qui veut prou- Duras (India Song, 1975), Volker Schlön-
adapte à l’écran, après avoir écrit des scé- ver l’ampleur de son registre et y réussit : dorff (le Coup de grâce, 1976), Krzysztof
narios, une pantomime qu’il avait compo- The Truman Show (P. Weir, 1998) et Man Zanussi (les Chemins dans la nuit, 1979),
sée pour la scène, l’Enfant prodigue, dont on the Moon (M. Forman, 2000) révèlent Herbert Vesely (Egon Schiele, enfer et
le succès en 1907 est tel qu’il autorise mieux qu’un acteur dramatique, un acteur passion, id.). Il a aussi tourné sous la
une autre version en 1916, l’une et l’autre énigmatique, qui sait préserver le mys- direction de Jacques Doniol-Valcroze (la
avec le mime réputé Georges Wague. Il tère et l’opacité d’un personnage. Maison des Bories, 1970), Harry Kümel
adapte et tourne Athalie (1910), puis, en (Malpertuis, 1972), Giuliano Montaldo
Autriche, le Miracle (1913), qui s’inspire CARRIÈRE (Jean-Claude), scénariste, (Giordano Bruno, 1973), Peter Patzak
de la mise en scène de Max Reinhardt cinéaste et acteur français (Colombières- (Parapsycho, 1975), Alain Corneau (Po-
établie pour le drame de Gehrart Haupt- sur-Orbes 1931). lice Python 357, 1976), Éric Rohmer (la
mann. L’année précédente, il avait rem- Il rencontre en 1957 Pierre Étaix et Femme de l’aviateur, 1981),Titus Leber
porté un succès populaire avec Fleur de s’associe à lui pour réaliser deux courts (Anima, 1981), Robert van Ackeren (la
pavé, interprété par Mistinguett et le co- métrages comiques : Rupture (1961) et Femme flambée, 1983), Daniel Petrie (Un
mique Prince, plus connu sous le surnom Heureux Anniversaire (1962). Il collabore printemps sous la neige [The Bay Boy],
de Rigadin. Il cesse toute activité ciné- ensuite à de nombreux films dont le déno- 1984), Imre Gyöngyössy et Barna Kabay
matographique au moment de la guerre. minateur commun semble être un humour (Yerma, 1985), Werner Schroeter (Ma-
particulièrement corrosif, associé à un lina, 1990), Franz Seitz (Succès [Erfolg],
CARREL (Suzanne Chazelles du Chaxel, goût pour les situations étranges et à une 1991), Jürgen Kaizik (Die Zeit danach,
dite Dany), actrice française (Tourane, grande fermeté dans la construction d’in- 1992), John Glen (Christophe Colomb,
Annam, 1935). trigues complexes. Son apport est essen- id.). Il s’essaie à la mise en scène en 1989
Elle débute, après des études d’art dra- tiel aux derniers films de Luis Buñuel, du avec l’Éveil du démon (Fool’s Mate).
matique, sur les écrans dans Maternité Journal d’une femme de chambre (1964)
clandestine de Jean Gourguet (1953). à Cet obscur objet du désir (1977) ; mais CARRIL (Hugo del), cinéaste et acteur ar-
Dany Carrel représente l’actrice type des il travaille aussi avec Pierre Étaix (Yoyo, gentin (Buenos Aires 1912 - id. 1989).
années 50 et du début des années 60 : 1965 ; le Grand Amour, 1969), Louis Remarquable interprète du tango, com-
à la fois ingénue et garce, mais toujours Malle (Viva Maria, 1965 ; le Voleur, 1967 ; positeur occasionnel, il est consacré par
« le coeur sur la main ». Son person- Milou en mai, 1990), Jacques Deray (la l’écran (Los muchachos de antes no
nage de fille un peu perdue sert d’alibi Piscine, 1969 ; Un papillon sur l’épaule, usaban gomina, Manuel Romero, 1937),
à l’introduction d’un timide érotisme : la 1978), Miloš Forman (Taking Off, 1971), alors que l’industrie argentine connaît
Cage aux souris (Jean Gourguet, 1954), Alain Corneau (France S. A., 1974), Peter son heure de gloire. Péroniste, il passe
la Môme Pigalle (Alfred Rode, 1955), Ce Fleischmann (Dorothea, 1973 ; la Faille, à la mise en scène avec Historia del 900
corps tant désiré (L. Saslawski, 1959), 1975), Marco Ferreri (Liza, 1972), Juan (1949) ; ses inquiétudes sociales s’expri-
dans une production assez austère. Buñuel (la Femme aux bottes rouges, ment dans Surcos de sangre (1950) et
Dany Carrel n’est jamais devenue une 1974 ; Leonor, 1975), Jean-Luc Godard surtout dans son meilleur film, Las aguas
star malgré quelques apparitions dans (Sauve qui peut [la vie], 1980), Andrzej bajan turbias (1952), d’après un roman
des oeuvres de prestige : les Grandes Wajda (Danton, 1982), Volker Schlön- d’Alfredo Varela. Cinéaste intuitif, dans le
Manoeuvres (R. Clair, 1955), Porte des dorff (Un amour de Swann, 1983), L. To- sillon d’un Ferreyra, sans la maîtrise d’un
Lilas (id., 1957), Pot-Bouille (J. Duvivier, voli (le Général de l’armée morte, id.), Soffici ou d’un Torres Rios, il n’en affirme
id.), la Prisonnière (H. -G. Clouzot, 1968). N. Oshima (Max mon amour, 1986), Miloš pas moins une personnalité à contre-cou-
Elle se consacre, depuis le milieu des Forman (Valmont, 1989), Peter Brook (le rant d’un cinéma qui s’enlisait dans la
années 70, au théâtre plus qu’au cinéma. Mahabharata, id.), Jean-Paul Rappeneau médiocrité. Il réalise encore El negro que
(Cyrano de Bergerac, 1990), Hector Ba- tenía el alma blanca (1951) ; La Quintrala
CARREY (James Eugene Carrey, dit Jim), benco (At Play in the Fields of the Lord, (1955) ; Más allá del olvido (1957) ; Una
acteur américain d’origine canadienne 1990). Il travaille également beaucoup cita con la vida (1958) ; Las tierras blan-
(Toronto 1962). pour la télévision. Outre de petits rôles cas (1959) ; Culpable (1960) ; Esta tierra
Après dix ans de carrière obscure, Jim épisodiques, il interprète le rôle principal es mía (1961) ; Buenas noches Buenos
Carrey devient du jour au lendemain une dans l’Alliance (C. de Chalonge, 1971, qui Aires (1964). Il fut l’éphémère directeur
star de première grandeur, adulée du pu- adapte un de ses romans). Il a aussi réa- de l’Institut national du cinéma, lorsque
blic, en 1994. Trois films l’imposent cette lisé un court métrage, la Pince à ongles les péronistes revinrent au pouvoir (1973-
année-là : Ace Ventura, détective pour (1968), et connu de remarquables succès 74).
chien et chat (Ace Ventura, Pet Detective, à la scène avec l’Aide-Mémoire (1968)
Tom Shadyac, dont il est coscénariste), ou l’adaptation française de Harold et CARROLL (Leo G.), acteur britannique
Dumb & Dumber (id., Peter et Bobby Maude. Il a été président de la FEMIS de (Weedon 1886 - Los Angeles, Ca., 1972).
Farelly) et The Mask (id., Charles D. Rus- la création en 1986 jusqu’en 1996. Après une longue activité théâtrale, il
sell). Depuis Jerry Lewis on avait perdu s’installe à Hollywood en 1934 et s’y rend
l’habitude d’un jeu comique si frénétique- CARRIÈRE (Mathieu), acteur allemand célèbre par sa pittoresque laideur et son
ment grimaçant : la mobilité de son visage (Hanovre 1950). accent distingué. Il jouera les juges (à
est telle que l’on ne s’étonnera guère Ayant débuté très jeune dans Tonio Krö- perruque), les policiers, les inquiétants
qu’Ace Ventura et le Masque soient de- ger (Rolf Thiele, 1964), il est révélé par les majordomes, les médecins suspects :
venus très vite des séries télévisées ani- Désarrois de l’élève Törless (V. Schlön- Rebecca (A. Hitchcock, 1940), la Maison
mées pour enfants. Par ailleurs, Carrey dorff, 1966). Polyglotte, il tourne dans du D Edwardes (id., 1945), le Procès Pa-
se caractérise également par un comique divers pays d’Europe et impose un per- radine (id., 1948), Ambre (O. Preminger,
volontiers provocant, scatologique, sou- sonnage distingué, à l’élégance presque id.) ; plus tard les sénateurs : l’Inconnu
vent franchement vulgaire, bien qu’effi- glacée, qui s’est adapté à l’univers de du Nord-Express (A. Hitchcock, 1951).
cace. Les frères Farelly le pousseront réalisateurs tels que Andrzej Wajda (la En 1959, ce dernier réalisateur fait de
très loin et avec succès dans cette voie, Croisade maudite, 1967), André Delvaux lui le chef du contre-espionnage dans la

222
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Mort aux trousses : emploi qu’il reprendra CARTIER-BRESSON (Henri), photographe velle capitale, il évoque la geste oubliée
avec délectation et humour dans la série français (Chanteloup 1908). des ouvriers qui construisirent Brasilia
télévisée U.N.C.L.E. et dans les films qui Également peintre, dessinateur, grand dans Conterrâneos Velhos de Guerra
en sont issus (The Spy With My Face, voyageur, il est l’auteur de reportages (1992), puissante contribution à la mé-
J. Newland, 1966) jusqu’à la veille de sa photographiques célèbres. Initié au moire populaire.

mort. cinéma par Paul Strand aux États-Unis,


assistant de Jean Renoir (1936-1939), il CASARÈS (Maria Casares Quiroga, dite

réalise plusieurs documentaires : Victoire Maria), actrice française d’origine espa-


CARROLL (Marie-Madeleine Bernadette
sur la vie (1937), dans les hôpitaux de gnole (La Corogne, Espagne, 1922 - Al-
O’Carroll, dite Madeleine), actrice améri-
l’Espagne républicaine, le Retour (1945), loue, France, 1996).
caine d’origine britannique (West Brom-
évocation poignante de la délivrance des Fille d’un politicien et diplomate républi-
wich 1906 - Marbella, Espagne, 1987).
prisonniers et déportés, et, pour CBS cain espagnol réfugié en France à la fin
D’abord comédienne de théâtre, Made-
News, Impressions of California (1969) et de la guerre civile, elle suit les cours de
leine Carroll s’oriente rapidement vers
Southern Exposures (1971). René Simon ; après le Conservatoire,
le cinéma, en Grande-Bretagne et aux
elle débute sur scène en 1942, entre à
États-Unis. On se souvient d’elle dans
CARTON. la Comédie-Française en 1952 puis au
I Was a Spy (V. Saville, 1933) et dans TNP en 1954. Elle s’est immédiatement
Synonyme de intertitre (cinéma muet).
les Trente-Neuf Marches (A. Hitchcock, imposée comme tragédienne par sa
Nom donné à l’élément qui sera tourné
1935), où elle se trouvait liée à Robert beauté ténébreuse et son tempérament
(filmé), par exemple, pour « refaire les
Donat par une paire de menottes. Quatre cartons » lorsque l’on traduit le générique passionné, ainsi que par le style volon-
de l’espionnage (id., 1936), Le général est d’un film étranger pour changer la ver- tiers pathétique de son jeu. Sa carrière
mort à l’aube (L. Milestone, id.), le Pacte sion. au cinéma, peu fournie, ne compte que
(Lloyds de Londres, H. King, id.) et le des rôles importants, qu’elle a profon-
Prisonnier de Zenda (J. Cromwell, 1937) CARTON (Pauline Biarez, dite Pauline), ac- dément marqués de son exceptionnelle
lui donnent des rôles qui lui conviennent. trice française (Biarritz 1884 - Paris 1974). personnalité dramatique. Révélée par sa
Elle fut l’épouse de Sterling Hayden. Sa prodigieuse filmographie couvre prati- création d’amoureuse timide et d’épouse
quement tout le cinéma français des an- malheureuse dans les Enfants du paradis
CARROLL (Ann Veronica La Hiff, dite nées 20 aux années 70. Son expérience (M. Carné, 1945), elle s’épanouit souve-
Nancy), actrice américaine (New York, théâtrale lui permettait d’en imposer rainement dans les Dames du bois de
N. Y., 1904 - id. 1965). même aux comédiens les plus impres- Boulogne (R. Bresson, id.), comme sym-

L’une des premières vedettes nées à sionnants, de Raimu à Michel Simon. bole de la femme humiliée qui exerce une
L’Herbier lui donne un rôle « où elle n’ar- vengeance éclatante en faisant épouser
Hollywood en même temps que le par-
rête pas de chialer », lui reproche-t-elle à son amant infidèle ce qu’elle appelle
lant, la fraîche et rousse Nancy Carroll a
en riant, dans Feu Mathias Pascal (1925). une « grue ». Dans la Chartreuse de
connu, entre 1928 et 1932, une période
Elle sauve de l’oubli quelques-uns des Parme (Christian-Jaque, 1948), elle in-
de grande popularité. Sa grâce de dan-
plus obscurs nanars des années 30 et 40 carne avec beaucoup de race et de grâce
seuse a, dans ses meilleures créations,
par ses apparitions souvent fulgurantes. la duchesse Sanseverina secrètement
des nuances presque tragiques, comme
Cocteau lui fait fouetter la petite fille qui entichée de son beau neveu Fabrice.
dans The Dance of Life (J. Cromwell, CO
marche au plafond dans le Sang d’un Mais c’est peut-être dans les deux films
Ed. Sutherland, 1929). À l’aise dans la
poète. Elle a été la soubrette, la bonne, la de Cocteau, Orphée (1950), surtout, et
comédie, dont elle sait suivre le rythme le Testament d’Orphée (1960), qu’elle a
vieille fille ou la chipie d’un certain cinéma
trépidant sans devenir mécanique le mieux donné l’image vivante de son
français proche du boulevard. Sacha
(Laughter, d’Abbadie d’Arrast, 1930), elle propre mythe de tragédienne en y per-
Guitry, qui l’adorait, lui assurait un rôle
peut aussi être juste et touchante dans dans presque tous ses films. Ses deux sonnifiant la Mort, troublante princesse
le mélodrame (l’Homme que j’ai tué, livres de souvenirs ne sont pas à dédai- des Ténèbres amoureuse d’Orphée. Une
E. Lubitsch, 1932). Sa belle composition gner : les Théâtres de Carton et Histoires carrière prestigieuse au théâtre l’éloigne
d’épouse volage, dans le Baiser devant le de cinéma. du cinéma. Curieusement on la retrouve
miroir (J. Whale, 1933), sonna le glas de de temps à autre dans un film : ainsi la
sa carrière. Après quelques films et rôles CARTOON (mot anglais). Lectrice de Michel Deville en 1987, Mon-
de moindre importance, elle s’est retirée Chacun des dessins destinés à composer tebajo de Julian Esteban Rivera en 1989,

en 1938. un film de dessins animés. Par extension, les Chevaliers de la Table Ronde de
ce film lui-même. Denis Llorca en 1990, Someone’s Else
CARSON (John Elmer Carson, dit Jack), America de G. Paskaljevic en 1995.
CARVALHO (Vladimir de), cinéaste brési-
acteur américain d’origine canadienne
lien (Itabaiana, Paraíba, 1935). CASCADES.
(Carmen, Manitoba, 1910 - Los Angeles,
Avant de s’épanouir à Rio de Janeiro, le On appelle cascades les actions dange-
Ca., 1963).
Cinema Novo a été annoncé par une acti- reuses ou nécessitant une performance
Il fait ses débuts au cinéma en 1937. Son
vité intense à Paraíba et à Bahia : Car- physique. Les cinéastes ont d’abord
registre est varié malgré un physique
valho y entreprend alors un remarquable repris à leur compte ce qui était courant
lourd et une apparence généralement
et ambitieux travail de documentariste du dans le théâtre : chutes, bagarres, duels,
vulgaire. D’une carrière bien remplie,
Nordeste. Son long métrage O País de etc. Ils y ont ensuite ajouté leur propre
y compris en rôles romantiques et co-
São Saruê, achevé en 1971, reste blo- répertoire : chutes de cheval ; accidents
miques, on retiendra surtout les interpré- de voiture, de moto, d’avion ; défenestra-
qué huit ans par la censure. O Homem
tations dramatiques : le Roman de Mil- tions ; escalades ; torches vivantes, etc.
de Areia (1982) reconstruit l’itinéraire de
dred Pierce (M. Curtis, 1945), où il sert de l’écrivain et politicien José Américo de La réussite d’une cascade (en tant que
faire-valoir à Joan Crawford ; Une étoile Almeida et les luttes intestines à Paraíba. spectacle) dépend dans une très large
est née (G. Cukor, 1954), où il assure les Il a tourné de nombreux courts métrages, mesure de l’art avec lequel l’action est
relations publiques de James Mason ; la notamment A Pedra da Riqueza (1975) et filmée. La maîtrise du langage cinéma-
Ronde de l’aube (D. Sirk, 1958), où il est Brasilia Segundo Feldman (1980). Après tographique — et tout particulièrement
le mécanicien Jiggs. avoir vécu plusieurs années dans la nou- de cet élément capital qu’est le bruitage

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

(par ex. pour les bagarres) — permet de meulés. On utilise aussi des armes en des vitres, vidange presque complète du
renforcer la capacité évocatrice d’une plastique, pratiquement inoffensives. carburant.
cascade tout en diminuant la difficulté Bagarres : les coups sont en fait Plusieurs véhicules identiques peuvent
du tournage : utilisation subtile du mon- ajustés à la limite du contact, et c’est le être utilisés successivement pour une
tage (la multiplication des plans et l’intro- bruitage, réalisé ultérieurement en audi- même scène. L’un sert au plan général,
duction de plans de coupe permettent torium, qui crée l’illusion de leur violence. les autres à des plans plus rapprochés,
de faire passer pour une seule cascade (Les gros plans sont tournés à l’envers.) au cours desquels la voiture est tractée
une succession de plans où l’on a filmé Les différents accessoires qui frappent dans les positions propres à l’accident, ou
séparément les différentes phases de ou qui sont heurtés sont des copies projetée artificiellement à l’aide d’un trem-
l’action) ; panoramiques rapides (filés), où réalisées en bois de balsa, plastique ou plin ou d’une grue. Les progrès de l’élec-
l’on dissimule le raccord entre deux plans caoutchouc. ( ARTIFICES.) tronique permettent aussi maintenant de
qui paraîtront n’en faire qu’un ; longues téléguider les véhicules ; toutefois, il s’agit
Chutes : un sportif entraîné peut
focales, qui modifient la perspective ; ac- encore de systèmes artisanaux et oné-
effectuer sans dommage des sauts de
céléré ou ralenti, etc. reux, aux possibilités de guidage limitées.
quelques mètres. Pour des sauts plus
S’il est ainsi possible de réduire les longs, un découpage en plusieurs plans On modifie souvent la cadence de la
risques, on ne peut les éliminer complè- est nécessaire : bond, trajectoire, récep- prise de vues, soit pour accélérer l’action,
tement, et certaines cascades présentent tion. Lorsque l’on filme le bond et la trajec- soit pour faire durer un effet trop rapide
un réel danger. Cela réclame, de la part toire, la réception se fait, hors champ, sur pour être perceptible.
de l’exécutant, une compétence tech- un amoncellement de tapis de mousse, Cascades aériennes : il ne s’agit en
nique, une forme physique, une témérité ou bien (ce qui est plus efficace) sur un fait que d’acrobatie et de voltige. Les col-
telles que, dans la majorité des cas, on assemblage de cartons d’emballage, lisions ou les écrasements ne peuvent,
fait doubler le comédien par un casca- formant un immense cube qui s’effondre bien entendu, qu’être suggérés. Après
deur habillé et coiffé de façon à ressem- une chute vertigineuse, le pilote fait dis-
sous le poids du corps, offrant la molle ré-
bler à peu près à l’acteur, l’art du cinéaste paraître son appareil derrière un obstacle
sistance de l’air contenu dans les cartons.
consistant à rendre la substitution imper- (maison, bosquet, colline...) où l’on dé-
Chutes de cheval : c’est une cascade
ceptible. (S’il s’agit d’un petit rôle ou d’une clenche une explosion. Éventuellement,
toujours dangereuse car elle se déroule à
figuration, le rôle peut être interprété inté- un deuxième plan montre l’appareil, pro-
vitesse réelle : on ne peut en effet modi-
gralement par un cascadeur.) Les casca- jeté par une catapulte, qui s’écrase au
fier sensiblement l’allure d’un cheval sans
deurs — et cascadeuses — de cinéma sol ; il s’agit alors d’une carcasse prépa-
sombrer dans le ridicule. Le cascadeur
sont des acteurs spécialisés, rompus à rée et enflammée. On peut aussi se servir
est protégé par des rembourrages et le
l’exercice des sports les plus divers : s’ils de maquettes téléguidées.
terrain doit être débarrassé de tout ce qui
doivent accepter de prendre des risques, Quelques rares cascadeurs-pilotes
pourrait le blesser : pierres, racines, etc.
ils doivent aussi connaître la gestuelle qui
Si le cavalier est désarçonné, ou bien il sont capables d’effectuer des atterris-
rend leur jeu spectaculaire et crédible.
se laisse tomber, ou bien il est retenu (le sages forcés, train rentré ou à moitié
(Le terme anglais est stuntman.)
cheval poursuivant sa course) par une sorti. On s’entoure alors des précautions
Le tournage d’une cascade nécessite en usage sur les aérodromes en pareille
corde aussi peu visible que possible fixée
avant tout une minutieuse analyse, des- circonstance. Le coût et le risque de cette
à son corps et arrimée dans le décor. Si le
tinée à déterminer très exactement ce cascade la rendent peu fréquente.
cheval doit tomber avec lui, le cascadeur
qui doit être vu, et donc ce qui doit être Torches vivantes : le cascadeur est
tire, le moment venu, sur un lien fixé à
demandé au cascadeur : habillé d’une combinaison d’amiante, dis-
la patte du cheval et lui fait rater le pas.
— découpage de la séquence, nombre Dans les deux cas, le cascadeur sait à simulée sous ses vêtements imbibés de
et contenu des plans ; quel instant précis il va tomber ; ainsi gazole. L’utilisation d’une longue focale,
— définition technique des plans : prend-il moins de risque que lors d’une écrasant les perspectives, donne l’im-
angle de prise de vues, focale, durée, chute inopinée. pression qu’il traverse les flammes, alors
cadence (ralenti ou accéléré), etc. ; qu’il circule en fait entre deux rideaux de
Si le cavalier, après sa chute, doit res-
— moments où le cascadeur va se flammes. Malgré toutes ces précautions,
ter accroché par un étrier et être tiré par
substituer à l’acteur, ou un mannequin au le temps de tournage de ces séquences
sa monture, on lui fixe au corps un bou-
cascadeur. doit être réduit au minimum. On utilise
clier muni de petits patins qui facilitent la
donc souvent une caméra à grande vi-
Il faut ensuite apporter un soin parti- glissade.
tesse, de façon à allonger la durée appa-
culier à la préparation, et multiplier les Cascades de véhicules : là encore,
rente de la scène.
répétitions, pour éviter autant que pos- le terrain doit être préparé. Sur route, en
sible toute mauvaise surprise au moment L’exécution de certaines cascades
campagne, il faut enlever les obstacles
du tournage. (Par exemple, pour la cas- demeure toutefois trop périlleuse pour
(en les remplaçant éventuellement par
cade consistant à courir sur les toits des pouvoir être réalisée en direct. On utilise
des obstacles factices), combler les fos-
wagons d’un train en marche, il faut déli- alors les différents procédés d’effets spé-
sés, etc. En ville, on ajoute à ces pré-
miter une portion de voie dépourvue de ciaux, qui permettent de tourner en toute
cautions une surveillance rigoureuse
tunnels, de ponts trop bas, de courbes sécurité, en studio, les scènes qui met-
des lieux afin d’empêcher toute irruption
brutales.) traient en jeu la vie des acteurs.
imprévue de véhicule ou de piéton. La
Quelques cascades classiques sont scène est longuement répétée et chrono-
CASCADEUR.
plus facilement exécutées grâce à un cer- métrée, et des points de repère sont pris
Personne spécialisée dans l’exécution
tain nombre de trucs. pour que le cascadeur puisse contrôler la
des cascades.
Escalades (mur, façade, rocher) : on précision de son allure.
dissimule dans le décor des points d’ap- Le véhicule de cascade doit subir CASERINI (Mario), cinéaste italien
pui qui aident l’évolution du cascadeur. quelques modifications : renforcement (Rome 1874 - id. 1920).
On dispose, hors champ, des filets de du pavillon par des tubes métalliques, Peintre et décorateur, Caserini entre à
protection. soudage du siège au plancher, ceinture l’Alberini et Santoni (la future Cines) en
Escrime : les pointes des armes sont de sécurité de compétition, suppression 1904 ou 1905 ; il y exerce différentes
discrètement mouchetées, les tranchants des accessoires dangereux et si possible activités, notamment celle d’acteur. En

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

1907, après le départ des techniciens de mélodrames, dont Stazione Termini années 30 dans le Los Angeles des né-
français qui travaillaient dans les studios, (V. De Sica, 1953), Pain, amour et jalou- vroses contemporaines.
il est promu au rang de directeur artis- sie (L. Comencini, 1954), l’Air de Paris Son oeuvre maîtresse reste, à ce jour,
tique. Ses premiers films appartiennent (M. Carné, id.), Amarti è il mio destino Une femme sous influence (1974), por-
au genre historique ; il tourne successi- (Ferdinando Baldi, 1957) ou le Jugement trait d’une mère déchirée entre plusieurs
vement Otello, Garibaldi (1907), Marco dernier de Vittorio De Sica (1961), grâce pouvoirs, entre plusieurs rôles, qu’in-
Visconti, Pia dé Tolomei, Romeo e Giu- à qui elle réapparaît à l’écran dans un de carne Gena Rowlands, épouse et inspira-
lietta (1908), Beatrice Cenci, La dama di ses derniers films : Lo chiameremo An- trice du cinéaste. En totale indépendance
Monserau (sic), Giovanna d’Arco, Mac- drea (1972). (il produit et distribue lui-même le film),
beth, Guelfi e Ghibellini (1909). Caserini Cassavetes et ses proches se livrent à
devient avec Guazzoni le spécialiste des CASSAVETES (John), cinéaste et acteur un happening concerté qui tourne par
grands films en costumes ; la Cines lui américain (New York, N. Y., 1929 - Los An- instants au psychodrame. Il ne s’agit pas
confie la direction des oeuvres de prestige geles, Ca., 1989). de reproduire une réalité préexistante,
que sont Catilina et Messalina (1910). La Fils d’un homme d’affaires grec, il dé- mais de confondre durée filmée et durée
même année, il réalise La battaglia di bute comme comédien en 1953. On le vécue en créant une situation où les
Legnano, Giovanna la Pazza, Lucrezia remarque dans Face au crime (D. Siegel, comédiens (professionnels et amateurs
Borgia, Cola di Rienzo. En 1911, Caserini 1956), l’Homme qui tua la peur (M. Ritt, mêlés) puissent s’exprimer physiquement
quitte la Cines pour l’Ambrosio de Turin, 1957) et Libre comme le vent (R. Parrish, en toute impunité, en toute impudeur.
où il continue à mettre en scène des films 1958), mais c’est en rupture complète Au mépris des canons arbitraires de la
historiques ; il tourne aussi une comédie avec Hollywood qu’il réalise Shadows. psychologie, le film épouse la mouvance
qui obtient un grand succès, Mam’zelle Financée par une souscription, photo- de comportements imprévisibles, par-
Nitouche (Santarellina, 1911), avec graphiée en extérieurs réels, interprétée courant toute la gamme des émotions,
Mario Bonnard et Gigetta Morano. En par des inconnus selon les méthodes de la comédie la plus débridée au mélo-
1913, toujours pour l’Ambrosio, il réalise encore balbutiantes du cinéma-vérité, drame le plus strident. Comme Faces, il
la troisième version des Derniers Jours cette « improvisation dialoguée » est sa- nous convie à une aventure existentielle
de Pompéi (Gli ultimi giorni di Pompei), luée en 1960 comme le manifeste de la unique, exténuante, et parfois terrifiante
après celle, en 1908, de Maggi et celle, jeune école new-yorkaise (Shirley Clarke, lorsque le regard s’attache aux seuls épi-
contemporaine, de Vidali pour La Pas- Lionel Rogosin, Robert Drew, Richard phénomènes (grimaces, larmes, bouffées
quali Films avec Fernanda Negri, Pouget Leacock, etc.). Sur une trame très mince d’angoisse, crises d’hystérie), là où on
et Mario Bonnard. Pour la Gloria Film de (la solitude à New York, le racisme « ordi- attendait une perspective, sociologique
Turin, il tourne en 1913 le film qui marque naire »), les acteurs apportent à leur per- ou psychanalytique par exemple.
un tournant dans sa carrière, Ma l’amor sonnage leur vérité propre. Cassavetes Dans le Bal des vauriens, dont l’hyper-
mio non muore, avec Lyda Borelli et ébauche en 16 mm une nouvelle écriture réalisme renouvelle la tradition du film
Mario Bonnard. Après le mauvais accueil cinématographique, libérée de la lourde noir, et dans Opening Night, où il retrouve
réservé à Nerone e Agrippina (1913), Ca- machinerie de studio et du souci de la Gena Rowlands pour un jeu pirandellien
serini se tourne résolument vers le drame perfection technique : il privilégie le plan sur le théâtre, Cassavetes approfondit en-
contemporain. Il est un peu le créateur du
long, voire le plan-séquence, se refuse core cet art de l’aléatoire. Il y fait une part
genre et en définit les lois avec Ma l’amor
aux ellipses narratives, égalise temps plus belle que jamais à ses interprètes,
mio non muore, drame passionnel qui
forts et temps faibles, et se plie au rythme voyant en eux la force créatrice fonda-
révèle l’aptitude du cinéaste à conduire
du langage parlé. mentale : « C’est l’intensité des émotions
une histoire aux nombreux rebondisse-
Dans la Ballade des sans-espoir, qui compte. Je veux que personne ne se
ments mélodramatiques et à se servir
sombre chronique de la déchéance qui sente coupable d’avoir quelque chose à
des ressources nouvelles de la syntaxe
brise un musicien de jazz idéaliste, Cas- communiquer. C’est la liberté d’exprimer
cinématographique (un des plans dure
savetes tente d’appliquer les préceptes ses propres profondeurs qui est révolu-
plus de 4 minutes). Après être revenu
de Shadows, mais se heurte à l’incom- tionnaire. » Tel est le propos de Gloria :
chez Ambrosio puis avoir tenté le chemin
préhension de la Paramount. Après les la rencontre d’un orphelin portoricain et
de l’indépendance avec la Caserini Film
déconvenues d’une seconde expérience d’une comédienne ratée, tous deux tra-
(nombreux titres avec Leda Gys en 1915
hollywoodienne (Un enfant attend, qui est qués par la Maffia, marque les limites
et 1916, notamment L’amor tuo li redime
remonté contre son gré par le producteur d’un désir qui ne peut s’accomplir que
et Fiore d’autunno), le cinéaste revient à
Stanley Kramer), il revient au 16 mm et dans l’imaginaire. On ne triomphe pas du
la Cines à partir de 1916 et y demeure
à la production artisanale avec Faces. Système, mais les rêveurs et les artistes
jusqu’à sa mort. Dans les dernières
Des dix-sept heures de film impressionné qui se mêlent de le défier ne sont-ils pas
années, il se consacre essentiellement
pendant cinq mois, il ne retient qu’une seuls à connaître l’ivresse de l’illusion ?
à des films d’ambiance contemporains
demi-douzaine de scènes paroxystiques. Nul doute que cette fable touche de près
comme La vita e la morte (1916), Sfinge
Ce n’est plus l’intrigue qui conduit le le cinéaste, qui, à l’instar de ses créa-
(1918), Anima tormentata (1919), La voce
récit, mais la caméra : hypermobile, elle tures, toutes peu ou prou schizoïdes, est
del cuore (1920), La buona figliola (id.),
explore, débusque, met à nu la détresse voué pour survivre à une double carrière
La modella (id.), Fior d’amore (id.). Éga-
des protagonistes en plans très rappro- in et off Hollywood. En 1984, il a obtenu
lement à l’aise dans des genres divers,
chés, superbement indécents. Dissé- le grand prix du festival de Berlin avec
Caserini est un des meilleurs cinéastes
quant la faillite des rapports conjugaux, Love Streams.
du muet italien.
Cassavetes traque l’individu (le visage) Films (réalisation) Shadows (1961
CASILIO (Maria Pia), actrice italienne sous le masque social (les grimaces). [RÉ 1957]) ; la Ballade des sans-espoir
(L’Aquila 1935). Parallèlement à sa carrière de comédien (Too Late Blues, 1962) ; Un enfant attend
De Sica la découvre pour le person- (À bout portant de Don Siegel, Rosema- (A Child is Waiting, 1963) ; Faces (1968) ;
nage de la jeune servante de Umberto ry’s Baby de Roman Polanski en 1968), Husbands (1970) ; Ainsi va l’amour (Min-
D. (1952), où elle s’identifie à son rôle il poursuit cette recherche dans Hus- nie and Moskowitz, 1971) ; Une femme
candide et chaleureux. Son physique bands, qui décrit la triste dérive de trois sous influence (A Woman Under the
de joli petit moineau populaire enjolive hommes mariés, et dans Ainsi va l’amour, Influence, 1974) ; le Bal des vauriens /
ensuite une trentaine de comédies et qui réacclimate la comédie loufoque des Meurtre d’un bookmaker chinois (The Kil-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

ling of a Chinese Bookie, 1976) ; Opening peri, 1968). Parmi une longue série de Sur cette lancée, la fameuse série des
Night (1978) ; Gloria (1980) ; Torrents films érotiques, policiers, westerns, il ap- Pain, amour..., ébauchée par Comencini
d’amour / Love Streams (Love Streams, paraît de nouveau dans deux autres films en 1953, contribue à réduire l’authenticité
1983) ; Big Trouble (1985). importants de Marco Bellocchio, Au nom de Deux Sous d’espoir : il faut attendre
Interprétation : À bout portant du Père (1971) et les Yeux et la Bouche la fin de la décennie pour qu’apparaisse
(D. Siegel, 1964) ; les Douze Salopards (1982) dans Der Beginn Aller Schrecken une véritable comédie à l’italienne. Avec
(R. Aldrich, 1967) ; Rosemary’s Baby ist Liebe (Helke Sander, 1984), l’Île au Roméo et Juliette (Giulietta e Romeo,
(R. Polanski, 1968) ; Mickey and Nicky trésor (R. Ruiz, 1986), Viaggia in Galatina 1954), Castellani revient au formalisme, à
(Elaine May, 1977). (Gabriella Rosaleva, 1990), I Quatri Can- la « calligraphie » de ses premières com-
toni (Fulvio Wetzel, id.), la Naissance de positions : les costumes, conçus par Leo-
CASSEL (Vincent Crochon, dit), acteur l’amour (Ph. Garrel, 1994). nor Fini, concourent à la réussite plas-
français (Paris 1966). tique du film : la dernière oeuvre originale
Fils de Jean-Pierre Cassel, il fait quelques CASTELLANI (Renato), cinéaste italien de son auteur. Le cinéma italien change,
brèves apparitions jusqu’à Métisse, le (Finale Ligure 1913 - Rome 1985). Castellani, venu peut-être trop tôt, ne
premier film de Mathieu Kassovitz ; le Après des études d’architecture à Milan, il parvient pas à imposer un style vraiment
deuxième film de ce dernier, la Haine écrit et dirige, pour la radio, le programme personnel. Par la suite, il s’attarde encore
(1995), l’affirme auprès du public et de « In Lines » (1934). Dans la revue Ci- aux thèmes des années passées : le
cinéastes très divers. Il passe de l’Élève nema, à laquelle il collabore, il laisse « néoréalisme rose » (I sogni nel casseto,
(Olivier Schatzky, 1996), le Plaisir et ses poindre son penchant pour le formalisme. 1957), le film social noir (l’Enfer dans la
petits tracas (Nicolas Boukhrief, 1998), Il devient coscénariste dès 1938 avec sa ville [Nella città l’inferno], 1958 ; Il bri-
ou l’Appartement (Gilles Mimouni, 1996) participation à L’orologio a cucù, réalisé gante, 1961), sans réussir à être convain-
à des films d’action parfois très violents : par Camillo Mastrocinque. Coscénariste cant. Il tourne également la Mer à boire
Dobermann (Jan Kounen, 1997). Il par- et assistant de Blasetti en 1940 dans (Mare matto, 1963), Tre notti d’amore
ticipe à quelques films emblématiques la Couronne de fer (La corona di ferro), (sketch : La vedova, 1964), Controsesso
de sa génération : les Rivières pourpres Castellani passe à la réalisation l’année (sketch : Una donna d’affari, id.), Sotto
(M. Kassovitz, 2000), le Pacte des loups suivante avec l’adaptation d’une nouvelle il cielo stellato (1966), Fantômes à l’ita-
(Christophe Gans, 2001). de Pouchkine, Un coup de pistolet (Un lienne (Questi fantasmi, 1967), Brève
colpo di pistola, 1942), suivi de Zazà (id.). Saison (Una breve stagione, 1969), Leo-
CASSEL (Jean-Pierre Crochon, dit Jean- Avec ces deux films, il s’intègre à cette nardo Da Vinci (RAI-TV, 1972).
Pierre), acteur français (Paris 1932). lignée de cinéastes, apparus à la fin du
Son nom est inséparable des premiers CASTELLITO (Sergio), acteur italien (Rome
fascisme (Mario Soldati, Alberto Lattuada,
films de Philippe de Broca : les Jeux 1953).
Luigi Chiarini), qui se rebellent contre
de l’amour (1960), le Farceur (1961), Interrompant ses études pour se lancer
l’esthétique des « téléphones blancs »,
l’Amant de cinq jours (id.), Un monsieur dans le théâtre, Castellito apparaît aussi
alors en vogue, grâce au soin extrême
de compagnie (1964). Il réussit à imposer au cinéma à partir de 1982. C’est toute-
qu’ils apportent au cadre, aux décors, aux
l’image d’un jeune premier sympathique, fois en 1986 qu’il se fait connaître réel-
costumes dans leurs oeuvres, volontiers
décontracté et bon danseur, mais n’a pas lement en participant aux débuts de trois
irréalistes et situées dans le passé. On
trouvé la comédie musicale française qui jeunes réalisateurs, Marco Colli (Giovanni
les nomme les « calligraphes ».
lui permettrait de donner toute sa mesure. senzapensieri), Claudio Sestieri (Dolce
Après un film mineur (La donna della
Il ne s’est pas cantonné dans la comédie assenza) et Felica Farina (Il semble
montagna, 1944), il aborde le néoréa-
légère et a su se montrer grave avec Jean mort... seulement évanoui). Il offre à ces
lisme avec Mon fils professeur (Mio figlio
Renoir (le Caporal épinglé, 1962), Luis trois auteurs une personnalité toute en
professore, 1946), histoire d’un surveillant
Buñuel (le Charme discret de la bour- nuances tragi-comiques. Actif également
d’école qui sacrifie tout à la carrière de
geoisie, 1972), Michel Deville (le Mouton à la télévision avec un personnage de
son rejeton. C’est avec ses trois créations
enragé, 1974) et Pierre Kast (le Soleil juge très apprécié du public dans une
suivantes que Castellani contribue, d’une
en face, 1980). Il fait également carrière série télévisée, Un cane sciolto (1989-
manière personnelle, au cinéma italien
à l’étranger : les Trois Mousquetaires 1991), Castellito devient un peu l’acteur
d’après-guerre. Les deux premiers films : préféré d’une génération de cinéastes ita-
(R. Lester, 1974), le Crime de l’Orient-
Sous le soleil de Rome (Sotto il sole di liens (Giancaldo Soldi, Amanzio Todini,
Express (S. Lumet, id.). En 1990, il joue le
Roma, 1948) et Printemps (È primavera, Ricky Tognazzi, Vittorio Sindoni, Carlo
rôle du Docteur Gachet dans le Vincent et
1950) font peu appel aux acteurs pro- Verdone, Francesco Calogero). On l’a vu
Theo de Robert Altman ; on le rencontre
fessionnels et leur scénario s’élabore à aussi sous la direction d’Ettore Scola (la
ensuite dans Sur la terre comme au ciel
partir de la description minutieuse des Famille, 1987), de Mario Monicelli (Ros-
(M. Hänsel, 1992), Pétain (J. Marboeuf,
1993), Casque bleu (G. Jugnot, 1994), actes des protagonistes. Sous le soleil sini ! Rossini !, 1991), de Marco Ferreri
de Rome — une escapade juvénile qui (la Chair, 1991). En 1993, il est le psy-
Prêt-à-porter (R. Altman, id.), la Cérémo-
conduit au crime — prend pour modèle chiatre attentif de la Grande Citrouille de
nie (C. Chabrol, 1995).
des éléments documentaires fournis par Francesca Archibugi. En France, où il est
CASTEL (Ulv Quarzéll, dit Lou), acteur ita- Fausto Tozzi sur la vie des jeunes issus également apprécié, il a joué notamment
lien d’origine suédoise (Bogotá, Colombie, des couches populaires. Printemps se dans le Grand Bleu (L. Besson, 1988)
1943). rapproche, par son souci d’objectivité, de et dans Alberto Express (Arthur Joffé,
Après de brèves études au Centro spe- Dimanche d’août (Domenica d’agosto, 1990). Il poursuit sa carrière au niveau
rimentale (Rome) et une apparition dans 1950) de Luciano Emmer. Ces films, international, participant à des films tels
le Guépard (L. Visconti, 1963), il devient qui sont plus descriptifs qu’engagés, Marchand de rêves (G. Tornatore, 1995),
le protagoniste du premier film de Marco préfigurent notamment le cinéma-vérité. le Cri de la soie (Y. Marciano, 1996),
Bellocchio, les Poings dans les poches Dans Deux Sous d’espoir (Due soldi di Hotel paura (R. De Maria, 1996), Silenzio
(1966), dans le rôle du jeune épileptique speranza, 1952), Castellani décrispe la si nasce (G. Veronesi, 1996), Quadrille
qui détruit sa famille et se détruit lui- difficile insertion sociale et affective d’un (V. Lemercier, 1997), Que la lumière soit
même. Il reprend ce personnage anar- jeune démobilisé par le recours au co- (A. Joffé, 1998), À vendre (L. Masson,
chisant dans Francesco d’Assisi (Liliana mique : on emploie volontiers le terme de 1998), Martha (S. Nettelbeck, 2000), Va
Cavani, 1966) et Merci, ma tante (S. Sam- « néoréalisme rose » à propos de ce film. savoir ! (J. Rivette, 2000), ou Concur-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

rence déloyale (E. Scola, 2001). En révèle chez lui une ambition autre. On CNT garde jalousement l’appareil pro-
1999, il signe son premier film en tant que l’a vu pour la dernière fois à l’écran dans ductif jusqu’en 1938. Anarchistes, com-
metteur en scène, une comédie intitulée le Jour du fléau de John Schlesinger en munistes et Generalitat rivalisent par le
Libero Burro. 1975. Il laisse une excellente autobiogra- nombre de reportages de guerre, de films
phie, Step Right Up, I’m Gonna Scare the militants ou de propagande. Face à la
CASTELOT (Jacques Storms, dit Jacques), Pants off America (1976), dans laquelle rétraction de l’initiative privée et à la fré-
acteur français (Anvers, Belgique, il revendique pour lui le rôle de bateleur. quentation croissante des salles, la CNT
1914 - Saint-Cloud 1989). prétend réaliser des films de fiction tech-
On l’aperçoit fugitivement dans la Mar- CATADIOPTRIQUE. niquement comparables aux américains
seillaise (Renoir, 1938). Sa prestance, Objectif catadioptrique, objectif où l’élé- et supérieurs par leur contenu aux russes
son ton légèrement précieux, sa rete- ment principal de formation des images (sic). La principale production en catalan
nue parfois guindée l’aiguillent dès le est un miroir. ( OBJECTIFS.) est due à Laya Films, fondée par la Ge-
Voyageur de la Toussaint (L. Daquin, neralitat (commissariat de propagande).
1943) vers les rôles de bourgeois ou CATALOGNE.
Après le triomphe franquiste, le castillan
d’aristocrates, irritants par leur morgue La première projection publique du Ciné-
(la « langue de l’empire où le soleil ne se
et leur veulerie : les Enfants du paradis matographe Lumière a lieu à Barcelone,
couche jamais ») est proclamé unique
(M. Carné, 1945), Pour une nuit d’amour le 15 décembre 1896 ; on y présente,
idiome national, le doublage étant obliga-
(E. T. Gréville, 1947), Justice est faite entre autres, les bandes enregistrées par
toire. Au début des années 60, l’école dite
(A. Cayatte, 1950), la Vérité sur Bébé le Français Promio, à Madrid, sept mois
« de Barcelone » (Vicente Aranda*, Pere
Donge (H. Decoin, 1952), Avant le dé- plus tôt. Mais le plus important pionnier
Portabella*) n’est pas très catalaniste,
luge (A. Cayatte, 1954), Nana (Christian- du cinéma péninsulaire est le Catalan
malgré des liens avec le mouvement
Jaque, 1955), Décembre (M. Lakhdar Fructuós Gelabert* ; il s’inspire à l’occa-
artistique Dau al Set (1948). Quelques
Hamina, 1972). Il trouve le même genre sion du répertoire dramatique national,
représentants du Nuevo Cine espagnol
de rôles dans les studios italiens. telles les oeuvres d’Àngel Guimerà (Terra
posent un regard neuf sur la réalité de
Baixa, 1907 ; Maria Rosa, 1908). Barce-
la région. D’autres font des tentatives
CASTING (mot anglais pour distribution lone devient le centre de l’activité ciné-
prudentes pour revenir à une production
des rôles). matographique (jusqu’à 1920), grâce à
en langue catalane (Verd madur, R. Gil*,
Activité consistant à rechercher des ac- des compagnies comme Hispano Films
1960 ; Maria Rosa, Armando Moreno,
teurs (en pratique, seconds rôles ou figu- (1906) et Barcinografo (1913), dirigée par
1964). L’espoir d’une renaissance cultu-
rants) adaptés aux rôles. ( TOURNAGE, Adriá Gual (Misteri de Dolor, 1914), en
relle catalane est sensible sur les écrans,
GÉNÉRIQUE.) collaboration avec des personnalités na-
surtout par des évocations du passé,
tionalistes. C’est là que travaille Segundo
même si elles n’échappent pas toujours
CASTLE (Irene Blythe Foote, dite Irene), de Chomón*. Les thèmes catalans (Don
à la convention (La Ciutat Cremada, An-
actrice américaine (New Rochelle, N. Y., Joan de Serralonga, R. de Bãnos*, 1911)
toni Ribas*, 1976 ; Companys, Procès a
1892 - Eureka Spring, Ark., 1969). sont néanmoins l’exception et on cultive,
Catalunya, José Maria Forn, 1979), dont
Sa vie et celle de son époux Vernon ici comme ailleurs, l’espagnolade, la
le succès rivalise avec des comédies lé-
(1886-1918) sont contées dans la Grande zarzuela et autres genres en vogue dans
gères (L’orgia, Francesc Bellmunt, 1978).
Farandole (H. C. Potter, 1939), dont elle le royaume. Avec le parlant et la Répu-
sera la conseillère technique. Mais on blique, Barcelone récupère l’initiative : on
CATASTROPHE (Film dit).
a oublié l’éphémère vedette qu’elle fut, y inaugure le premier studio sonore (Or-
L’appellation « film-catastrophe » surgit
dans des mélodrames Pathé où elle joua, phea, 1932) dans un imposant bâtiment
au milieu des années 70. Elle désigne un
notamment sous la direction de Georges cédé par la Generalitat de Catalunya. La
sous-genre de la production hollywoo-
Fitzmaurice : la Marque de Caïn (The Conselleria de Cultura de celle-ci crée
dienne, né avec Airport (G. Seaton, 1970),
Mark of Caïn, 1917), le Mystère d’Hillc- dès 1932 un comité de cinéma, destiné
et dont les titres les plus représentatifs
rest (The Hillcrest Mystery, 1918). à promouvoir des films culturels catalans,
sont : l’Aventure du Poséidon (R. Neame,
devançant ainsi l’intérêt madrilène ; ob-
1972), la Tour infernale (J. Guillermin,
CASTLE (William Schloss, dit William), jectif ajourné lorsque la Generalitat voit
1974), Tremblement de terre (M. Robson,
cinéaste américain (New York, N. Y., ses pouvoirs supprimés. Malgré tout, on
id.), 747 en péril (J. Smight, id.) et l’Odys-
1914 - Beverly Hills, Ca., 1977). tourne en 1933, coup sur coup, El Fava
sée du Hindenburg (R. Wise, 1975).
Acteur à dix-sept ans, metteur en scène d’en Ramonet (Lluis Marti) et El Café de la
de théâtre à dix-huit, il réalise son pre- Cette production, qui connaîtra
Marina (Domènec Pruna) ; ce dernier film,
mier film en 1943. L’emploi de la caméra en double version, catalane-castillane, jusqu’en 1977 un succès considérable,
à la main fait remarquer Étrange Mariage réactualise une dramaturgie familière :
révèle l’attraction qu’exerce le cinéma sur
(When Strangers Marry, 1944). Après l’usage de la catastrophe comme deus ex
les intellectuels. Faute d’investissements,
des oeuvres à petit budget dans tous les elle ne peut pourtant pas s’exprimer. machina remonte, en effet, aux premières
genres pour la Columbia, il devient son La maison Cifesa, d’origine valentienne années du cinéma, et l’on serait en peine
propre producteur à partir de 1957 et se (1934), préfère filmer à Madrid. La pro- de dénombrer tous les films où figurent
consacre à des films d’horreur, policiers duction de Barcelone tourne donc le dos des accidents spectaculaires (incendies,
ou fantastiques, caractérisés par leur sim- à l’affirmation nationale. Pour que cela naufrages, déraillements), des dérè-
plicité, leur humour. Les accompagnent change, il a fallu l’insurrection révolution- glements majeurs de l’ordre biologique
des gimmicks (mécanismes ou procédés naire provoquée par le pronunciamiento (mutations animales), social (guerre, péril
installés dans ou hors les salles pour militaire. La Confédération nationale du nucléaire) ou naturel (éruptions, séismes,
créer ou renforcer la peur), intégrés dans travail (anarcho-syndicaliste), majoritaire ouragans).
la structure même de son meilleur film, en 1936, prend le contrôle de la produc- Mais l’originalité du film-catastrophe
le Désosseur de cadavres (The Tingler, tion, distribution et exploitation : on expro- — genre composite, qui puise dans les
1959). Le fait qu’il a coproduit la Dame prie les salles, on crée des organismes archétypes du mélodrame, du film exo-
de Shanghai d’Orson Welles, produit collectivistes. Après la normalisation, tique, biblique et fantastique — tient es-
Rosemary’s Baby (film dans lequel il tient prônée par les communistes notamment, sentiellement à deux motifs : la présence
un rôle) de Roman Polanski et réalisé la Generalitat récupère la commerciali- systématique d’un microcosme humain
Shanks en 1974 (avec Marcel Marceau) sation, mais le syndicat du spectacle fortement typé, piégé à l’intérieur d’un

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

monde clos et familier, et d’une symbo- pas dénuée d’ambiguïtés. Tandis que les (George Pan Cosmatos, 1977), Meteor
lique morale et politique assimilant la premiers spécimens de ce cinéma (Tita- (R. Neame, 1978), l’Ouragan (J. Troell,
catastrophe à une crise, une mutation qui nic, J. Negulesco, 1953 ; Écrit dans le ciel, id.), le Jour de la fin du monde (James
justifie le recours urgent à de nouveaux W. A. Wellman, 1954 ; À l’heure zéro, Hall Goldstone, id.). Il disparaîtra brutale-
leaders. Bartlett, 1957) étaient à peu près contem- ment. En 1980, trois jeunes réalisateurs,
Le film-catastrophe a donc pour pre- porains de la guerre de Corée, le nouveau Jim Abrahams, David et Jerry Zucker, lui
mière particularité de se dérouler dans genre, surgi de la crise vietnamienne, dresseront un mémorial nonsensique : Y
une collectivité. On y repère, dès le dé- trahit, en effet bien des ambivalences. a-t-il un pilote dans l’avion ?, qui connaî-
part, des types sociaux et humains soi- Critique et parfois polémique, il souligne tra un triomphe...
gneusement échantillonnés, fortement la précarité de certaines réalisations
technologiques. Il met en cause les dan- CATELAIN (Jacques) JAQUE-CATELAIN
dessinés, et qui joueront pleinement leur
rôle au cours du drame. gers de l’urbanisme et de l’architecture
« çA TOURNE ! ».
L’action se déroule le plus souvent modernes. Il condamne l’imprudence ou
Expression consacrée pour confirmer, en
en huis clos, dans un moyen de trans- le cynisme du capitalisme sauvage. Mais,
début de prise, le bon fonctionnement de
port (avion, bateau), un lieu d’habita- s’il montre des dysfonctions à l’intérieur
la caméra et de l’appareil d’enregistre-
tion (gratte-ciel), plus rarement dans un d’un système, c’est pour mieux nous ras-
ment du son. ( TOURNAGE.)
quartier ou une ville — aussi le séisme, surer sur sa validité fondamentale et ses

historique, du San Francisco de Her- capacités à se régénérer. La catastrophe


CAVALCANTI (Alberto de Almeida-Caval-
bert Stothart (1936) peut-il faire figure ne se confond pas, dans cette série, avec
canti, dit Alberto), cinéaste brésilien (Rio
d’exception, et de précurseur relayant l’holocauste nucléaire, sujet familier des
de Janeiro 1897 - Paris 1982).
les Derniers Jours de Pompéi de Ernest années 60. Elle garde un caractère limité
Après avoir fait des études d’architecture
B. Schoedsack (1935). Ces environne- dans le temps et l’espace, et affiche par
aux Beaux-Arts de Genève, Cavalcanti
ments, qui font partie intégrante de notre là d’autant mieux sa fonction prophétique.
se retrouve à Paris au début des an-
univers quotidien, sont bouleversés par Elle s’inscrit à l’intérieur d’une paren-
nées 20 et commence à travailler comme
un événement inattendu : un navire, thèse, elle se présente comme un jeu sur
décorateur aux côtés de L’Herbier (Ré-
heurté par une lame de fond, se retourne ; des possibles, où se mêlent inextricable-
surrection, l’Inhumaine, Feu Mathias
un avion est percuté en plein vol ; une tour ment le désir d’ordre et les pulsions anar-
Pascal) et de Delluc (l’Inondation). Dès
est la proie des flammes. Ils deviennent chistes du spectateur.
1926, il passe à la réalisation avec Rien
des lieux pièges. Des gens « comme les Ce spectacle total, qui convoque que les heures, où il évoque la vie d’une
autres » y sont alors confrontés à un péril d’impressionnants effets spéciaux et grande cité, d’une aurore à l’autre, avec
incontournable, dont la gravité va s’ac- revendique une qualité inusitée de réa- ses infinis contrastes, ses richesses et
centuer de façon irréversible. Les pro- lisme, nous entraîne aux frontières de la ses misères, les rencontres qu’y ménage
blèmes et les conflits personnels, posés science-fiction. Il nous livre l’image du le hasard. Cavalcanti crée ici le prototype
très tôt pour faciliter l’identification aux monde « déboussolé » des années 70, de la symphonie urbaine, sans histoire
personnages et nourrir le suspense, vont partagé entre le désir de stabilité, le mais non sans charpente interne, dra-
se fondre progressivement dans le mou- refoulement d’une guerre lointaine et la matise le documentaire, pour la première
vement global de l’action. La catastrophe tentation sournoise d’un grand autodafé. fois peut-être. Novateur, il manifeste dans
impose sa priorité et ouvre une faille dans Il en célèbre la destruction — ou plutôt la ce film un sens quasi musical de l’image
le quotidien : les dispositifs techniques mue — et annonce, en un vibrant éloge et du rythme, mais aussi, allié à une ironie
classiques sont soudain inopérants, les de la technocratie, l’arrivée des leaders caustique, un goût du jeu qui évoque les
instances de contrôle sont débordées. éclairés qui le sauveront. surréalistes, dont il est proche. Attentif à
Très vite se pose le problème du pouvoir Ce schéma domine, à quelques la réalité, Cavalcanti sait faire la part de
et de l’autorité : l’espace des profanes et nuances près, l’ensemble du genre et en la bizarrerie, de l’obscurité et du mystère
celui des décideurs se scinde et, à l’inté- règle la stratégie de peur et de séduction. qu’elle peut receler, attitude fondamen-
rieur même de ce dernier espace, les lea- La ligne de partage entre débâcle et re- tale dont il ne se départira pas au cours
ders traditionnels — hommes d’argent, construction est relativement rigide dans de sa longue carrière. Suivent des films
politiciens — sont mis sur la touche, ces productions éminemment volonta- qui, à l’instar de Rien que les heures, le
avouent leur incompétence et cèdent la ristes, où la gamme des situations est des font considérer comme un des jeunes
place à de nouveaux meneurs. Un pas- plus limitées. L’intérêt fiévreux des grands maîtres de l’« avant-garde française » :
teur, une hôtesse de l’air, un sergent de studios pour le film-catastrophe (où ils En rade, tout imprégné de la poésie d’une
police, un capitaine des sapeurs-pom- virent, dix ans après le film historique à ville portuaire et de la nostalgie d’un « ail-
piers, un architecte se voient érigés en grand spectacle, et vingt ans après le lan- leurs », la P’tite Lili et le Petit Chaperon
sauveurs... Sous leur conduite, la com- cement du relief, une réplique imparable rouge, fantaisies cinématographiques
munauté se restructure et se discipline, à la télévision) explique l’engorgement auxquelles sont associés les musiciens
éliminant de son sein les égoïstes et les rapide du marché. Florissant, le film-ca- Milhaud et Jaubert. Parallèlement, Caval-
profiteurs. Elle se reconquiert, et ce mou- tastrophe a connu très tôt ses « chefs- canti réalise des adaptations raffinées
vement se traduit en termes physiques : d’oeuvre » (la Tour infernale et, dans une d’oeuvres littéraires : Yvette (d’après
remontée vers la surface (l’Aventure du approche différente, Terreur sur le Britan- Maupassant), le Capitaine Fracasse
Poséidon), lutte contre la pesanteur, nic de Richard Lester, en 1974). Il a fixé (d’après Gautier). Au début du parlant,
contre les éléments, évasion par les airs très vite ses canons, ses lieux d’action, il assume par nécessité de nombreux
(la Tour infernale), etc., qui revêtent une ses protagonistes. L’effet de saturation travaux alimentaires (notamment des
signification morale explicite. était inévitable, et profita peut-être indi- versions françaises de films américains),
Élitiste, le film-catastrophe sépare rectement à des films qui n’appartenaient mais en profite pour maîtriser l’utilisation
sans pitié les survivants des perdants. Il pas vraiment à ce genre et en tirèrent du son. À Londres, en 1933, Cavalcanti
trace pour ses protagonistes un véritable un enseignement (les Dents de la mer, accepte la proposition de Grierson de tra-
parcours du combattant. Il est l’équivalent S. Spielberg, 1975 ; le Syndrome chinois, vailler pour le groupe cinématographique
civil d’un genre pratiquement en som- J. Bridges, 1979). Dès 1978, le film-ca- du GPO (administration des postes), qu’il
meil : le film de guerre. Il s’aligne sur une tastrophe accusera une série d’échecs fait bénéficier de sa grande expérience.
morale de la survie, qui n’est cependant commerciaux, avec le Pont de Cassandra Selon Henry Watt, son arrivée marque

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

le « tournant décisif » de l’évolution du la P’tite Lili (id.) ; le Capitaine Fracasse lence, Alain Cavalier réapparaît dans des
documentaire britannique. Tour à tour (1929) ; la Jalousie du Barbouillé (id.) ; le productions modestes, mais où s’exprime
créateur de bandes sonores (Night Mail), Petit Chaperon rouge (id.) ; Vous verrez l’originalité de sa personnalité : le Plein
réalisateur (Coal Face), producteur (The la semaine prochaine (id.) ; Toute sa vie de super (1976), Martin et Léa (1979) et,
First Days), il épaule, outre Watt (North (1930 / version portugaise : A Canção do enfin, Un étrange voyage (1981) qui lui
Sea), de jeunes cinéastes comme Len Berço) ; Dans une île perdue (1931) ; À vaut le prix Louis Delluc. En 1986 Thé-
Lye (N. or N. W.), Humphrey Jennings mi-chemin du ciel (id.) ; les Vacances du rèse, évocation dépouillée, elliptique et
(Spare Time), Pat Jackson (Men in Dan- diable (id.) ; Tour de chant (DOC, 1932) ; intense de la vie de Thérèse de Lisieux
ger) et plus tard David McDonald (Men En lisant le journal (id.) ; le Jour du frotteur remporte six Césars et un succès public
of the Light-ships). Après le départ de (id.) ; Revue montmartroise (id.) ; Nous ne et critique mérité. Le cinéma d’Alain
Grierson en 1937, Cavalcanti assure ferons jamais de cinéma (id.) ; le Mari Cavalier se caractérise par un extrême
la continuité du GPO jusqu’à l’été 40, garçon (1933) ; Plaisirs défendus (id.) ; classicisme de la forme, au service d’une
époque à laquelle il rejoint les studios S. O. S. Radio Service (DOC, 1934) ; Co- grande modernité de sentiments. L’élé-
d’Ealing que dirige Michael Balcon. Pro- ralie et Cie (id.) ; — en Grande-Bretagne : gance de sa mise en scène n’emprunte
ducteur associé, Cavalcanti continue Pett and Pott (CM, 1934) ; New Rates rien au spectaculaire, ne remet pas non
d’y épauler des cinéastes débutants, (id.) ; Coal Face (DOC, 1935) ; Message plus automatiquement en cause le lan-
en particulier Charles Frend (The Fore- from Geneva (DOC, 1936) ; We Live in gage cinématographique, à l’exception
man Went to France), sans cependant Two Worlds (DOC, 1937) ; The Line to de l’expérimental Ce répondeur ne prend
abandonner la réalisation. À The Yellow Tcherva Hut (DOC, id.) ; Who Writes to pas de message (1979) et du subtil et
Caesar, brûlant pamphlet antimussoli- Switzerland ? (DOC, id.) ; Four Barriers dérangeant Libera me (1993), son film le

nien, succèdent Quarante-Huit Heures, (DOC, 1938) ; Men of the Alps (DOC, plus austère, une muette allégorie sur la
histoire de guerre d’une insolite violence ; 1939) ; Midsummer Day’s Work (DOC, répression et la résistance. L’originalité
Champagne Charlie, divertissement ins- id.) ; The Yellow Caesar (1941) ; Film and vraie y est proportionnelle à la discrétion,
piré par la vie d’un chanteur de music- Reality (1942) ; Went the Day Well ? / ce qui caractérise une écriture racée. En
hall ; Au coeur de la nuit (coréalisé par 48 Hours (id.) ; Alice in Switzerland (CM, 1996 il tourne la Rencontre, film construit

Ch. Crichton, B. Dearden et R. Hamer), id.) ; Greek Testament (DOC, id.) ; Water- autour des objets quotidiens qui rythment

film fantastique à sketches, devenu un tight (1943) ; Champagne Charlie (1944) ; l’amour d’un homme et d’une femme.
Au coeur de la nuit (Dead of Night ; épi- Dans la droite ligne de la série de 24 por-
classique du genre ; Nicolas Nickleby,
sode The Ventriloquist’s Dummy, 1945) ; traits réalisés entre 1987 et 1990, Vies
enluminure du roman de Dickens. Caval-
Nicolas Nickleby (Nicholas Nickleby, (2000) se compose de nouveau de 4 por-
canti quitte ensuite les studios d’Ealing
1947) ; Je suis un fugitif (They Made traits, mais qu’il consacre cette fois à ses
et réalise notamment deux policiers aux
Me a Fugitive, id.) ; The First Gentleman amis.
fortes résonances sociales : Je suis
(1948) ; À tout péché miséricorde (For
un fugitif et À tout péché miséricorde.
Them That Trespass, 1949) ; — au Bré- CAVANI (Liliana), cinéaste italienne (Carpi
Contraint de renoncer à une adaptation
sil : Simão o Caolho (1952) ; O Canto do 1933).
de Sparkenbroke de Morgan, dont la
Mar (1953) ; Mulher de Verdade (1954) ; Lettres classiques et linguistique : telle est
préparation est pourtant très avancée,
— en Autriche : Maître Puntila et son sa formation (à l’université de Bologne).
Cavalcanti accueille favorablement la
valet Matti (Herr Puntila und sein Knecht Diplômée en 1961 du Centro sperimen-
proposition qui lui est faite d’enseigner le
Matti, 1956) ; — en Roumanie : Castle tale de Rome, elle réalise, pour la RAI,
cinéma au musée d’Art moderne de São
in the Carpathians (1957) ; — en Italie : de 1962 à 1965, des enquêtes politiques
Paulo et regagne le Brésil en 1949. Bien-
les Noces vénitiennes (la Prima Notte, et documentaires, puis son premier long
tôt chargé de réorganiser une industrie
1959) ; — en Grande-Bretagne : The métrage, Francesco d’Assisi (1966).
cinématographique locale au sein de la
Monster of Highgate Pond (CM, 1960) ; Galileo, film italo-bulgare, provoque des
Vera Cruz, il déchante vite et, reprenant
— en Israël : Thus Spoke Theodor Herzl réactions plutôt mal fondées de l’Église
son indépendance, revient à la réalisation
(DOC, 1967). (1969). Les fables douteuses (les Can-
avec Simão o Caolho, comédie burlesque
nibales [I cannibali], 1969) et maladroi-
d’une constante invention, et O Canto do
CAVALIER (Alain Fraissé, dit Alain), ci- tement ambitieuses (Milarepa [id.], 1974)
Mar, une de ses oeuvres les plus fortes,
néaste français (Vendôme 1931). qu’elle propose au public annoncent
qui relate l’exode tragique, vers la côte,
Diplômé de l’IDHEC, puis assistant de des films dont l’ambiguïté et le prétexte
d’une famille du sertão, chassée par la Louis Malle et d’Édouard Molinaro, il parahistorique sont l’occasion de contro-
sécheresse et la misère. Par la suite, réalise un court métrage, Un Américain verses et de tapages assez vains : Por-
Cavalcanti retourne en Europe, travaillant (1958), et doit attendre 1962 pour voir tier de nuit (Night Porter, 1974) exploite
d’abord en Autriche, où il adapte non sans aboutir un premier projet personnel de le nazisme et le sadomasochisme ; la
bonheur, et avec la complicité même de long métrage : le Combat dans l’île, suivi Peau (la Pelle, 1981) exacerbe certains
Brecht, Maître Puntila et son valet Matti, de l’Insoumis (1964). L’échec commer- aspects du roman homonyme de Curzio
puis en RDA, en Roumanie, en Italie, en cial de ces deux réalisations originales le Malaparte. Si, depuis ses premiers tra-
Angleterre et en France. Au Brésil, en conduit à rechercher, bon gré mal gré, le vaux documentaires pour la RAI, Liliana
1976, Cavalcanti rassemble dans Um succès par le truchement de productions Cavani s’est intéressée à divers aspects
Homem e o Cinema des extraits, grou- plus délibérément commerciales, même de la Seconde Guerre mondiale, elle s’est
pés par chapitres, des films auxquels il s’il continue de collaborer à la rédaction toujours défendu de vouloir construire
a participé et qui constituent l’anthologie des scénarios. Ainsi de Mise à sac (1967) une oeuvre entachée d’idéologie ou char-
d’une oeuvre étrangement cohérente, ou de la Chamade (1968). En dépit d’une riant des messages. Ce qui a fait son
sous ses multiples chatoiements ; oeuvre affiche éclatante (Catherine Deneuve, succès, c’est moins une mise en scène
d’un poète secret qui a su tirer parti de la Michel Piccoli), ce dernier film, tiré d’un assez conventionnelle, aux images du
dure école de l’exil et de l’incertitude. Il roman de Françoise Sagan, ne hausse reste souvent froides, que la trouble com-
avait publié également en 1953 au Bré- pas Cavalier au rang des réalisateurs sol- plaisance qu’elle met dans le traitement
sil : Filme e Realidade. licités par les producteurs, en raison peut- de ses sujets. On lui doit aussi l’Invitée
Films — En France : Rien que les être de l’extrême retenue avec laquelle (L’ospite, 1971) avec Lucia Bosè, Au-
heures (DOC, 1926) ; Yvette (1927) ; En il aborde un sujet qui en appelle à des delà du bien et du mal (Beyond Good and
rade (id.) ; le Train sans yeux (1928) ; stéréotypes éprouvés. Après un long si- Evil, 1977) sur les rapports de Nietzsche

229
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

et de Lou Andreas-Salomé, Derrière la Il trouve son chemin de Damas avec le revient à une problématique plus person-
porte (Oltre la porta, 1982), The Berlin premier plaidoyer de sa vaste trilogie nelle : Canoa (1973) exprime l’hostilité
Affair / Interno Berlinese (IT-RFA, 1985), judiciaire : Justice est faite (1950), où il nouvelle suscitée, dans le monde rural,
Francesco (1989), Sans pouvoir le dire s’efforce de mettre en lumière les incer- contre les étudiants ; El apando (1975)
(Dove siete ? Lo sono qui, 1993). titudes d’un jury de cour d’assises ; Nous est la version vigoureuse d’une nouvelle
sommes tous des assassins (1952) de José Revueltas sur la condition des
CAVEN (Ingrid), actrice et chanteuse alle- s’élève avec puissance contre la peine détenus ; Las poquianchis (1976) s’en
mande (Sarrebruck 1943). de mort ; enfin, en 1955, le Dossier noir prend à l’exploitation des prostituées.
En 1967, à Munich, elle entre dans une décrit la grandeur et les servitudes du Une image différente de la femme se
troupe de théâtre d’avant-garde animée juge d’instruction. Ces films, compacts, détache dans ces derniers films. Cazals
par Fassbinder, ce qui la conduit à figu- démonstratifs et manichéens, réunissent se heurte ensuite à la censure ; mais El
rer dans les films réalisés par ce dernier de bons acteurs et ont le mérite de provo- año de la peste (1979) s’avère au bout
dès 1969 - presque toujours dans des quer, de soulever des questions, d’inté- du compte un film de politique-fiction peu
petits rôles jusqu’à Maman Kusters s’en significatif. Il signe ensuite Los motivos
resser. La réelle générosité de Cayatte
va au ciel (1975), où elle est Corinna, la de Luz (1985), El tres de copas (1986),
va continuer à s’épancher dans un style
fille Kusters, petite chanteuse ambitieuse. Las inocentes (id.), La furia de un dios
appuyé : désarroi de la jeunesse (Avant
Ce rôle, selon elle, orientera sa carrière 1987), Kino (1992) et Su Alteza Serení-
le déluge, 1954), réconciliation franco-
dès 1977, avec le soutien de Fassbinder sima (2000).
allemande (le Passage du Rhin, 1960),
et de Peer Raben, le musicien présent problèmes d’un instituteur confronté
dans la troupe dès l’origine. Présente CECCHI (Emilio), écrivain, critique cinéma-
avec des adolescentes perverses (les
dans l’avant-garde cinématographique de tographique et scénariste italien (Florence
Risques du métier, 1967), amour scan-
Munich, elle tourne aussi avec Schroeter 1884 - Rome 1966).
daleux d’un professeur femme pour l’un
(la Mort de Maria Malibran,1972, Flocons Appelé à diriger les studios de la Cines
de ses élèves (Mourir d’aimer, 1971),
d’or,1976), mais c’est Daniel Schmid qui en 1932, Cecchi favorise la production
justiciers éclaboussés par la calomnie
lui confie ses rôles les plus importants de films de qualité comme Les hommes,
(Il n’y a pas de fumée sans feu, 1973).
dans Cette nuit ou jamais (1972), et la quels mufles ! (1932) et Je t’aimerai tou-
Il n’oublie pas pour autant de stigmatiser
Paloma (1974) ; il la retrouvera plus tard jours (1933) de Camerini, La tavola dei
cette justice qui n’est pas pure tout en
dans un film nostalgique de ce temps- poveri (1932) de Blasetti, Acciaio (1933)
étant dure (le Glaive et la Balance, 1963 ;
là, Hors saison (1992). En 1976, elle est de Ruttmann, O la borsa o la vita (1933)
l’Amour en question, 1978). Son intran-
la prostituée du film l’Ombre des anges de Carlo Ludovico Bragaglia. Parti-
sigeante bonne foi s’attaque résolument
tourné par Schmid d’après une pièce de san d’un cinéma culturellement majeur,
à la Raison d’État (1978) ou condamne
Fassbinder qui avait créé un scandale ; Cecchi participe à la rédaction de scéna-
les rapts d’enfants par le truchement d’un
et, dans la continuité, elle est de Zora la rios importants au début des années 40
sordide mélo (À chacun son enfer, 1977).
Rouge, la prostituée de l’Année des treize (Piccolo mondo antico de Soldati, 1941 ;
Quelques-unes de ses oeuvres purement
lunes (1978), un des films les plus intimes Sissignora de Poggioli, 1942 ; Giacomo
romanesques se ressentent d’évidences
de Fassbinder. Dans un univers diffé- l’idealista de Lattuada, 1943). Après la
vigoureusement assenées et souffrent
rent, elle est remarquée dans le rôle de guerre, il collabore encore à Sous le so-
de ses défauts habituels : naïveté et em-
Malou, de Jeannine Meerapfel (1980). En leil de Rome (R. Castellani, 1948) et à
phase. Il en va ainsi d’OEil pour oeil (1957)
France, elle a tourné en 1974 dans Mes Fabiola (A. Blasetti, 1949). Figure d’intel-
et du Miroir à deux faces (1958). On se
petites amoureuses de J. Eustache. De lectuel aux prises avec le cinéma, Cecchi
prend alors à regretter le charme d’un film
moins en moins sollicitée par le cinéma a largement participé au débat d’idées
aussi mineur que le Chanteur inconnu
(on la voit dans le Temps retrouvé, de qui animait le cinéma italien pendant les
(1947), avec, encore, Tino Rossi.
R. Ruiz, 2000), elle se consacre essen- années 30 et 40.
tiellement à la chanson. Elle a inspiré le Autres films : Pierre et Jean (1943) ;
livre de Jean-Jacques Schuhl qui porte le Dernier Sou (1946, RÉ 1943) ; la Re- CECCHI D’AMICO (Giovanna, dite Suso),
son nom. Mariée quelque temps à Fass- vanche de Roger la Honte (1946) ; le scénariste italienne (Rome 1914).
binder, elle apparaît au générique de Dessous des cartes (1948) ; Retour à Fille de l’écrivain et producteur Emi-
certains films sous le nom d’Ingrid Fass- la vie (l’épisode Tante Emma, 1949) ; la lio Cecchi, journaliste et traductrice de
binder. Vie conjugale (2 films, 1964) ; Piège pour pièces théâtrales, elle signe en 1946
Cendrillon (1965) ; les Chemins de Kat- son premier scénario, Mio figlio profes-
CAYATTE (André), cinéaste français (Car- mandou (1969) ; le Verdict (1974). sore (R. Castellani). Elle participe ensuite
cassonne 1909 - Paris 1989). à 80 films, écrits en collaboration avec
Ancien avocat devenu journaliste, CAZALS (Felipe), cinéaste mexicain (Gué- les meilleurs écrivains, au nombre des-
Cayatte n’oubliera jamais son premier thary, France, 1937). quels : Ennio Flaiano, Cesare Zavattini,
métier. Après avoir écrit des romans, dia- Il étudie à l’IDHEC (1960), puis s’essaie Vitaliano Brancati, Age et Scarpelli. Elle
logué des films (Caprices, L. Joannon, au court métrage : Alfonso Reyes, Cartas se considère comme « un artisan au ser-
1942), imaginé des sujets (Entrée des de Mariana Alcoforado, Que se callen, vice du metteur en scène » et travaille
artistes, M. Allégret, 1938), réussi des Leonora Carrington o El sortilegio irónico avec beaucoup de cinéastes, dont Vis-
adaptations (Remorques, J. Grémillon, (1965-1966). Il passe ensuite au long conti (Bellissima, 1951 ; Senso, 1954 ;
1941), il fait ses débuts de réalisateur métrage avec La manzana de la discor- Nuits blanches, 1957 ; Rocco et ses
sous l’invocation de Balzac (la Fausse dia (1968) et Familiaridades (1969). Il y frères, 1960 ; le Guépard, 1963 ; l’Étran-
Maîtresse, 1942) et de Zola (Au bon- révèle avec talent des inquiétudes nou- ger, 1967 ; Ludwig / le Crépuscule des
heur des dames, 1943). Jusqu’en 1950, velles dans le cadre du cinéma mexicain. dieux, 1972 ; Violence et passion, 1974 ;
il aligne des titres qui surprennent par- Les superproductions Emiliano Zapata l’Innocent, 1976), Zampa (Vivre en paix,
fois (Sérénade aux nuages, 1946, avec (1970), El jardín de Tía Isabel (1971) et 1946 ; l’Honorable Angelina, 1947 ; les
Tino Rossi), mais qui attestent toujours Aquellos años (1972) confirment sa maî- Coupables, 1952), Lattuada (le Crime de
sa conscience professionnelle (Roger la trise mais semblent un peu en retrait. Giovanni Episcopo, 1947), Blasetti (Fa-
Honte, id.) et arrivent à séduire critiques Après un grand documentaire sur les biola, 1949 ; Quelques pas dans la vie,
et public (les Amants de Vérone, 1949, Indiens de l’île Tiburon (Los que viven 1954), Antonioni (I vinti, 1952 ; la Dame
avec le concours de Jacques Prévert). donde sopla el viento suave, 1973), il sans camélias, 1953 ; Femmes entre

230
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

elles, 1955), De Sica (le Voleur de bicy- CELI (Adolfo), acteur et cinéaste italien alors que, pour ses opposants irréduc-
clette, 1948 ; Miracle à Milan, 1951), Rosi (Messine 1922 - Sienne 1986). tibles, le principe de la liberté d’expres-
(le Défi, 1958 ; I magliari, 1959 ; Salva- Metteur en scène de théâtre, il joue aussi sion ne souffre pas d’exception.
tore Giuliano, 1962), Monicelli (le Pigeon, dans quelques films, dont Un americano Mais la censure officielle et s’exerçant
1958 ; Casanova 70, 1965), Comencini in vacanza (L. Zampa, 1945) et De nou- a posteriori n’est pas la seule forme de
(Tu es mon fils, 1957 ; Casanova, un ado- veaux hommes sont nés (L. Comencini, censure : celle-ci peut en effet interve-
lescent à Venise, 1969 ; les Aventures 1949). Puis il émigre au Brésil, où il nir à toutes les étapes, de l’écriture du
met en scène plusieurs pièces et deux scénario à la projection publique. Ainsi,
de Pinocchio, 1972 ; la Storia, 1986), Bo-
films : Caiçara (1950) et Tico-tico no fubá une précensure peut exister sous la
lognini (Metello, 1970), Zefirelli (Jésus de
(1952). Il redevient célèbre en Europe forme d’un refus de financement (cen-
Nazareth, CO Anthony Burgess, 1977),
avec des rôles créés pour son physique sure économique) ; en outre, dans les
N. Mikhalkov (les Yeux noirs, 1988).
imposant : l’Homme de Rio (Ph. de Broca, pays où les sociétés de télévision sont
Dans les années 90, elle signe encore
1963), Opération Tonnerre (T. Young, également coproductrices de film, l’auto-
les scénarios de deux films de Mario
1965), E venne un uomo (E. Olmi, id.). censure est plus forte afin de permettre à
Monicelli, Facciamo paradisco (1995) et I
Il tourne dans quelque 70 films. Il dirige ces films d’être diffusés sur le petit écran.
panni sporchi (1999), ainsi que de Bruno Par ailleurs, une « post-censure » peut
et interprète l’Alibi (1969), avec Vittorio
aspetta in macchina (D. Camerini, 1996), également intervenir dans un cadre géo-
Gassman et Luciano Lucignani, comédie
La stanza dello scirocco (M. Sciarra, amère qui reconstruit les étapes de sa graphique limité pour des raisons d’ordre
1998) et Il cielo cade (A. et A. Frazzi, vie. public (interventions de police locale).
2000). Une veine féministe se manifeste De plus, mais ceci n’est pas propre au
souvent dans son oeuvre multiforme. CELLULE. secteur cinématographique, des condam-
Ajoutons qu’elle a contribué à sauver la Abréviation courante de « cellule photoé- nations allant jusqu’à la destruction du
version intégrale du Ludwig de Visconti. lectrique ». Synonyme familier de « po- film peuvent être décidées par la justice
semètre », parfois de « spotmètre » ou sur plainte de particuliers ou de groupe-
CECCHI GORI (Mario), producteur italien « luminancemètre ». Cellule de lecture ments. Enfin, on ne saurait ignorer cer-
(Brescia 1920 - Rome 1993). ou cellule, sur un projecteur, élément qui tains actes de terrorisme en salle visant à
Directeur de production pour la Federal- traduit les variations de la piste sonore empêcher la projection d’un film autorisé.
cine, la Lux Film, la Maxima Film, il fonde analogique en signal électrique ( PISTE La censure en France. Au tout pre-
SONORE). mier temps du cinéma, alors que les
en 1960 la Fair Film, pour laquelle il pro-
duit une quarantaine de films, surtout des sujets filmés ne sont que prétexte à uti-
CELLULO. lisation d’une technique nouvelle, aucun
comédies conçues pour des vedettes
Feuille de Celluloïd transparent employée contrôle n’est effectué. C’est en 1909 que
populaires : A porte chiuse (D. Risi,
pour le tracé des dessins d’un dessin naît la censure cinématographique à
1961), les Monstres (id., 1963), l’Armée
animé. l’occasion d’une bande d’actualités Pathé
Brancaleone (M. Monicelli, 1966), Dove
représentant une quadruple exécution
vai tutta nuda (P. Festa Campanile, CENSURE.
capitale. Le 11 janvier 1909, une circu-
1969). En 1973, il fonde la Capital Film, Dans son sens communément entendu
laire du ministère de l’Intérieur invite les
et il y produit d’autres films à grand suc- dans les pays démocratiques, en matière
préfets à contraindre les maires à exercer
cès, dont le Canard à l’orange (L. Salce, cinématographique, ce mot recouvre le
leur pouvoir de police municipale afin de
1975) ou Il bisbetico domato (Castellano plus souvent le contrôle d’une oeuvre ci-
faire respecter ordre et tranquillité pu-
et Pipolo, 1980). Il travaille (en collabora- nématographique créée mais non encore
blique. De plus, assimilé aux spectacles
tion avec son frère Vittorio) en 1989 avec exploitée, exercé par un groupe d’indi-
de curiosité, le cinématographe est sou-
Scola (Splendor ; Quelle heure est-il ?), vidus réunis en commission au nom de
mis à autorisation municipale.
Benigni (le Petit Diable) et en 1990 avec l’État ou de la profession afin d’en auto-
Dès lors, les interdictions de projec-
riser ou interdire la projection publique,
Fellini (La voce della luna) et Maselli (Il tions vont se multiplier (la Bande de l’auto
totale ou partielle. Le législateur justifie
segreto). Grâce à ses accords avec la grise, Jasset, 1912), dont les producteurs
cette mesure restrictive de la liberté d’ex-
RAI et Berlusconi, sa société de produc- tenteront de se défendre en engageant
pression par la protection de catégories
tion et distribution devient la plus puis- de nombreux procès en abus de pouvoir.
de la population. La censure cinémato-
sante du marché italien. Mais, le 3 avril 1914, le Conseil d’État dé-
graphique serait donc une forme d’auto-
cidera le rejet de tout pourvoi de produc-
défense de la société qui naîtrait de la
CELENTANO (Adriano), acteur et cinéaste teurs de films. En 1916, un arrêté du 16
prise en considération, éventuellement
italien (Milan 1938). juin institue au ministère de l’Intérieur une
amplifiée, des effets dommageables pour
À la fin des années 50, il s’affirme comme commission chargée de l’examen des
l’individu ou l’ordre public de la projection
un populaire chanteur rock ; il appa- films et de la délivrance des visas auto-
de certains films.
raît dans la Dolce vita (F. Fellini, 1960). risant les représentations. Composée de
Deux graves déviations de la censure cinq fonctionnaires de la police, la com-
Après quelques comédies musicales (I
peuvent apparaître : l’inadéquation, pro- mission interdira 145 films la première
ragazzi del juke-box, Lucio Fulci, 1960 ;
venant de la volonté de protéger par une année. Les professionnels protesteront,
Uno strano tipo, id., 1963), il interprète
mesure unique les intérêts multiples d’un mais plus soucieux, semble-t-il, de leurs
Serafino (P. Germi, 1968), farce rustique groupe social non homogène ; et surtout pertes financières que des atteintes por-
proche de son idéal réactionnaire. Ses l’abus qui peut en être fait, rendu possible tées à la liberté d’expression. En 1919, un
comédies des années 70 et 80 lui valent par l’extrême difficulté d’établir des cri- décret du 25 juillet confiera la tutelle de
la première place au box-office. Il dirige tères précis, conduisant à protéger des la commission au ministère de l’Instruc-
trois films : Super-rapina a Milano (1965), intérêts particuliers contre l’intérêt géné- tion publique et des Beaux-Arts. Jusqu’en
comédie policière produite avec son ral, et ce, éventuellement, pour des moti- 1930, la composition de la commission,
« clan » d’amis ; Yuppi Du (1975), satires vations d’ordre politique. dans laquelle siègent des personnalités
à la fois autobiographiques et loufoques La censure officiellement organisée du cinéma, variera selon la volonté poli-
et Joan Lui (1986), très ambitieux musical compte d’inconditionnels partisans qui la tique d’assouplir ou de renforcer la cen-
religieux refusé par ses fans. considèrent comme un mal nécessaire sure.

231
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

En 1931, on supprime la censure, mais tion de l’industrie cinématographique et celli. À partir de ce moment, il est devenu
l’on crée un Comité national du cinéma de la nécessité de disposer d’une admi- l’un des scénaristes les plus recherchés
chargé du contrôle et du classement des nistration chargée de suivre ce secteur et les plus compétents, travaillant avec
films. Durant la guerre, la censure s’am- spécifique. Cette réflexion a débouché, des auteurs confirmés comme Marco Bel-
plifiera, malgré une production cinémato- au lendemain du second conflit mondial, locchio (le Saut dans le vide, 1980 ; les
graphique en perte de vitesse. Par décret sur la création, le 25 octobre 1946, du Yeux la bouche, 1982) et Valentino Orsini
du 3 juillet 1945, la censure est confiée, CNC. Cet établissement public adminis- (Figlio mio infinitamente caro, 1985) ou
sous la responsabilité du ministre de tratif, placé depuis 1959 sous l’autorité avec de jeunes cinéastes qu’il a aidés
l’Information, à une nouvelle commis- du ministre chargé de la culture, béné- dans la définition de leur univers per-
sion composée en nombre égal de re- ficie d’une large autonomie financière. sonnel, tels Giuseppe Bertolucci (Segreti
présentants du gouvernement et de la Ses compétences, ses moyens et ses segreti, 1985 ; I cammelli, 1988), Sergio
profession. Pendant les cinq années qui structures se sont modifiés et renforcés Citti (Casotto, 1977 ; Il minestrone, 1981 ;
suivent, le contrôle sera moins pesant. parallèlement à l’évolution du secteur Mortacci, 1988) ou Gianni Amelio (Col-
En revanche, la sévérité accrue des en France en développant trois types de pire al cuore, 1982 ; I ragazzi di Via Panis-
censeurs durant la décennie 1950- missions : perna, 1989 ; Portes ouvertes, 1990). Il a
1960 sera extrêmement préjudiciable au – la régulation et le soutien à l’éco- participé à des entreprises plus légères
cinéma français. On interdit (Les statues nomie du cinéma et de l’audiovisuel : le avec des films de Francesco Nuti ou de

meurent aussi de Chris Marker et Alain CNC gère le compte de soutien financier Roberto Benigni (le Petit Diable, 1988 ;
Resnais, Bel-Ami de Louis Daquin...), de l’État à l’industrie cinématographique Johnny Stecchino, 1991). Scénariste

on supprime des séquences, on modi- (et, depuis 1985, à l’industrie des pro- imaginatif et précis, capable de s’adapter
fie les titres. Censure nationale par une grammes audiovisuels). Ce compte est à des univers très différents — il a aussi
commission encore remaniée, censure alimenté par des ressources prélevées collaboré avec Anna Maria Tato, Fiorella
municipale, avis préalable à la réalisation sur le marché (taxe sur le prix des billets Infascelli, Francesca Comencini, Roberto

obligatoire : ce climat d’intolérance nourrit de cinéma, taxe sur les abonnements Benigni —, il a su témoigner de son temps

l’autocensure. et sur la publicité télévisée, contribu- en évoquant le problème du terrorisme


dans des films d’Amelio, d’Orsini ou de
Il faudra attendre 1967 pour que le tion du secteur de la vidéo). Ce compte
Bertolucci. À l’aise dans tous les genres,
courant se renverse et que la censure est utilisé pour soutenir la production et
il se sert habilement des ressorts de la
commence à faire bien involontairement la distribution de films, la création et la
psychologie comme de la psychanalyse
le succès de certains films. Puis la révolte modernisation des salles, les industries
pour cerner ses personnages.
de mai 1968, jetant l’anathème sur les techniques ainsi que la production de
censeurs, ouvrira la voie de la libérali- programmes télévisuels. Enfin, le CNC
CERCLÉE.
sation. Le 10 juillet 1969, le contrôle des intervient dans l’économie du secteur par
Prise cerclée, équivalent de prise entou-
films sera confié au ministère des Affaires des mécanismes d’incitations fiscales
rée. (Voir ENTOURÉE.)
culturelles. Bien que maintenue, et mal- (Sociétés pour le financement du cinéma
gré certains combats d’arrière-garde — et de l’audiovisuel — SOFICAS*) ou par
CERVI (Gino), acteur italien (Bologne
municipaux, notamment —, la censure le biais d’organismes de garantie comme 1901 - Castiglione della Pescaia 1974).
officielle, suivant par là-même l’évolution l’Institut de financement du cinéma et des Il acquiert, dans les compagnies théâ-
des esprits, présente un nouveau visage industries culturelles (IFCIC) ; trales de Alda Borelli et Luigi Pirandello,
et développe une autre philosophie qui – la réglementation du secteur : c’est un métier solide et une grande souplesse
a été traduite par voie réglementaire en le CNC qui élabore la réglementation d’interprétation, qui lui permettent de
1990. relative au cinéma et à l’audiovisuel, débuter à l’écran sans pour autant aban-
Ainsi, à l’instar des autres pays démo- contrôle la répartition de la recette entre donner la scène. Il joue d’abord dans
cratiques, le pouvoir exécutif ne s’auto- chaque branche de la profession, délivre L’armata azzurra (1932), de Gennaro
rise plus aucune atteinte à la liberté de les autorisations professionnelles à cha- Righelli, qui célèbre l’armée de l’air. Bla-
création par des coupures ou modifica- cune de ces branches, les cartes profes- setti l’emploie ensuite à la gloire de la
tions opérées sur le film, mais continue sionnelles, les agréments de production ; marine (Aldebaran, 1935), puis lui confie
de se permettre, tout en s’en défendant, – l’action culturelle et patrimoniale et les rôles de Ettore Fieramosca (1938) et
des restrictions à la liberté d’expression la promotion du cinéma : le CNC soutient Salvator Rosa (1940) dans les titres ho-
par l’interdiction d’accès à la salle de ci- des initiatives de promotion du cinéma monymes. Après le film de cape et d’épée
néma de tout ou partie du public au nom (festivals, promotion du cinéma français à la Couronne de fer (1941), avec Massimo
de la protection des spectateurs. l’étranger) et le secteur de l’art et essai*. Girotti en vedette, fait passer Cervi dans
La Commission de contrôle, rebap- Depuis 1969 et la création des Archives l’arène d’un péplum surréalisant. Blasetti,
tisée Commission de classification des du film, il assure la conservation du patri- qui, décidément, surprend, lui donne en-
oeuvres cinématographiques, s’attache moine filmique et sa diffusion, respon- suite à incarner l’Italien moyen de Quatre
essentiellement à l’examen critique des sabilité qu’il partage avec de nombreux Pas dans les nuages (1942). Ce film
idées, images et propos portés par le film partenaires associatifs (Cinémathèque intimiste un peu surestimé était, l’année
en vue de protéger le cas échéant les française, Bibliothèque du Film, cinéma- même d’Ossessione de Visconti, précur-
jeunes spectateurs — dont la personna- thèques régionales). seur du néoréalisme, un portrait au natu-
lité est par définition en cours de structu- rel de l’homme ordinaire que Cervi n’aura
ration — des atteintes aux valeurs qui lui CERAMI (Vincenzo), scénariste italien plus l’occasion d’approfondir. Fabiola
semblent communément admises par le (Rome 1940). (1949), autre péplum, mais médiocre, de
corps social. Dans la génération des scénaristes qui Blasetti ; le Christ interdit (1950), échec
se sont imposés au cours de ces vingt de Malaparte ; Stazione Termini (1953)
CENTRE NATIONAL DE LA CINÉMATO- dernières années, Cerami représente la avec Montgomery Clift, échec signé De
GRAPHIE. personnalité la plus marquante. Égale- Sica : autant de films et de rôles malheu-
Les difficultés économiques du cinéma ment écrivain (romans, poèmes, pièces reux que compense, en 1953 également,
français dans les années 30 ont amené de théâtre), Cerami a participé en 1976 à le film d’un jeune cinéaste, la Dame sans
les professionnels et les pouvoirs publics l’adaptation de son livre Un bourgeois tout camélias, signé Antonioni. En 1955, il
à se poser la question de la réglementa- petit petit, porté à l’écran par Mario Moni- est le fruste Cesare des Amoureux de

232
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Bolognini et le prélat du film de Giorgio nous décrit alors, sans état d’âme ni avant la nuit et le Boucher. Dans ce film,
Pastina, Il cardinale Lambertini. Avec bavardage, dans une élégante mise en il a suffi à Chabrol d’un simple fait divers
le Petit Monde de don Camillo (J. Duvi- images excluant toute facilité émotive, les (se passant dans un village du Périgord)
vier, 1952) débute une série populaire : préoccupations quotidiennes de ses per- pour que soit évoquée la mémoire des
face à Fernandel en curé, le public se sonnages, acteurs non professionnels. guerres coloniales qui pèse encore lourd
réjouit de Cervi en Peppone, maire com- sur la conscience collective française.
muniste et bon enfant du roman à suc- CHABAT (Alain), acteur et réalisateur fran- Splendeurs et misères de la vie bour-
cès de Giovanni Guareschi. Suivront : çais (Oran 1958). geoise : il gratte le vernis d’urbanité,
le Retour de don Camillo (J. Duvivier, Révélé au grand public par ses appa- dérange l’ordonnance d’existences aussi
1953) ; la Grande Bagarre de don Camillo ritions à la télévision dans une série policées que les appartements du XVIe ar-
(C. Gallone, 1955) ; Don Camillo monsei- comique populaire dont il est coauteur,
rondissement où vivent ses personnages,
gneur (id. 1961) ; Don Camillo en Russie il débute au cinéma dans des films qui
en inoculant dans ces vies la passion —
(Comencini, 1965) ; et, de Eriprando Vis- exploitent précipitamment ce succès,
l’instant de désordre, le crime —, bâton
conti, la Religieuse de Monza (1969). généralement aux cotés de ses acolytes
dans la fourmilière. Chabrol provoque la
Chantal Lauby et Dominique Farrugia
rupture, puis, avec une délectation de
CÉSARS (les). – par exemple la Cité de la peur (Alain
moraliste puritain, il regarde et prend acte
Distinction honorifique française décer- Berberian,1994). Il cherche à se déga-
des dégâts. Ses meilleurs films sont de
née annuellement dans chaque disci- ger de ce style avec des films comme À
faux films d’action : la structure roma-
pline cinématographique. À l’instar de la folie (Diane Kurys, 1994), et surtout
nesque y est un trompe-l’oeil, qui masque
la manifestation américaine de remise Gazon maudit (Josiane Balasko, 1995).
d’abord leur nature de constat. Mis bout
des Oscars, l’ensemble de la profession Il est apprécié dans le Cousin aux côtés
à bout, ils sont le « précis de décomposi-
cinématographique française réunie en de Patrick Timsit (Alain Corneau) et fait
tion » d’une société victime de son opu-
une Académie des arts et techniques preuve de quelque finesse dans le Goût
lence autant que de son hypocrisie.
du cinéma décerne chaque année de- des autres (Agnès Jaoui, 2000). Il per-
Après 1974, la cohérence de l’oeuvre
puis 1976 des prix aux meilleurs film, siste néanmoins dans la comédie, pas-
se défait. Les films perdent à la fois le
réalisateur, acteur, actrice, second rôle sant même à l’écriture et à la réalisation
brillant et l’âpreté corrosive qui sont
masculin, second rôle féminin, scénario, de Didier, où il assume le rôle principal ;
l’apanage du meilleur Chabrol. Il rentre
décor, photo, montage, son, musique, de même il réalise et interprète Astérix et
plus ou moins dans le rang du cinéma
film étranger, court métrage d’animation, Obélix : mission Cléopâtre (2001).
commercial français, et aucune de ses
court métrage documentaire et court
CHABROL (Claude), cinéaste français oeuvres n’est digne des réussites qu’il a
métrage de fiction. Nés de l’initiative
(Paris 1930). signées dix ans plus tôt : ni les Liens de
de Georges Cravenne, les Césars sont
Critique aux Cahiers du cinéma et atta- sang (coproduction réalisée au Canada),
décernés après deux votes de l’acadé-
ché de presse, il réalise en 1958, avec ni Violette Nozière (un des rares films
mie : le premier choisit, parmi les films
l’argent d’un héritage, un premier film réalisés au passé par Chabrol, qui se
français de l’année écoulée, les quatre
dont les circonstances font qu’il devient montre plutôt démuni hors de ce contem-
nominés de chaque catégorie ; le second
le manifeste inaugural de la Nouvelle porain précis qui nourrit son inspiration),
désigne parmi ceux-ci le César (du nom
Vague : le Beau Serge. Film maladroit, ni le Cheval d’orgueil (adaptation malen-
du sculpteur qui a modelé la statuette
incertain, mal dégagé d’un moralisme contreuse et folklorisante du best-seller
remise au vainqueur). La proclamation
chrétien, mais neuf par son tournage de Pierre Jakez Hélias). Renouant alors
se fait au cours d’une cérémonie télévi-
peu coûteux, en province (à Sardent, avec un genre dans lequel il excelle, le
sée. L’ont présidée J. Gabin, L. Ventura,
bourg de la Creuse où Chabrol avait vécu « polar provincial » corrosif et dévasta-
J. Marais, J. Moreau, Ch. Vanel, Y. Mon-
une partie de son enfance), et hors des teur, il trouve en Jean Poiret l’interprète
tand, O. Welles, C. Deneuve, G. Kelly,
normes (commerciales et syndicales) idéal pour son inspecteur maniaque et
S. Signoret, J.-L. Barrault et M. Renaud.
alors imposées au cinéma français. anarchiste (Poulet au vinaigre et Inspec-
Palmarès en annexe.
Les premiers films de Chabrol (qui écrit teur Lavardin). Une affaire de femmes

CEYLAN (Nuri Bilge), cinéaste turc (Is- (1988) dénonce, sur fond d’occupation
fréquemment ses scénarios avec Paul
tanbul 1959). Gégauff, son collaborateur intermittent allemande à Paris dans les années 40,

Après un diplôme d’ingénieur, il étudie le jusqu’en 1975) trahissent une hésita- l’intolérance masculine vis-à-vis des

cinéma à l’université de Mimar Sinan, à tion, la difficulté à trouver une prise sur femmes tandis que Docteur M. (1990)
Istanbul. Son premier court métrage, le le monde, que le cinéaste contourne par est une version moderne et cynique du
Cocon (Koza, 1995), remarquable exer- la dérision, la méchanceté, la fascina- Mabuse de Fritz Lang. Après une adap-

cice de style filmé en noir et blanc, est un tation de Madame Bovary (1991) et un
tion pour la bêtise et la médiocrité bour-
regard singulier sur la vie de ses parents geoises (dans À double tour) ou popu- film de montage sur le gouvernement du
qui habitent la campagne ; d’une poésie laires (dans les Bonnes Femmes). Après maréchal Pétain (l’OEil de Vichy, 1993), il
éclatante, il sera sélectionné en compé- quelques films impersonnels, contem- revient à la chronique de moeurs, insis-
tition au Festival de Cannes. Nuri Bilge porains du reflux de la Nouvelle Vague, tant volontiers sur la dimension psycholo-
Ceylan continue à mettre en scène la Chabrol trouve sa voie dans une chro- gique de ses intrigues (Betty, id. ; l’Enfer,
vie de sa propre famille dans deux longs nique impitoyable de la France prospère 1994).
métrages : le Bourg (Kasaba, 1997) et des années 70. Entre les Biches (1968) Films : le Beau Serge (1959) ; les Cou-
Nuages de mai (Mays Sknts, 1999) ; et Nada (1974), il compose une petite Co- sins (id.) ; À double tour (id.) ; les Bonnes
ce dernier, présenté au Festival de Ber- médie humaine cohérente, sarcastique, Femmes (1960) ; les Godelureaux (id.) ;
lin en 2000, remporte de nombreux prix brillante. Fondés sur des scénarios dont les Sept Péchés capitaux, un sketch
internationaux. Également scénariste il est l’auteur ou qu’il tire de romans poli- (1962) ; Landru (id.) ; l’OEil du malin (id.) ;
et producteur de ses films, il a su impo- ciers, appuyés sur des comédiens solides Ophélia (1963) ; les Plus Belles Escroque-
ser dès le départ un style personnel qui (Stéphane Audran, Jean Yanne, Michel ries du monde, un sketch (1964) ; Le tigre
s’épanouit en marge des modes domi- Bouquet), la plupart des films qu’il réalise aime la chair fraîche (id.) ; Paris vu par...,
nantes. Observateur inspiré de la nature, alors (il tourne vite et donne deux films un sketch (1965) ; Marie-Chantal contre
son regard à la fois attentif et distant, est par an en 1969, 1970 et 1971) sont des docteur Kha (id.) ; Le tigre se parfume à
proche de celui d’un documentariste ; il réussites : ainsi la Femme infidèle, Juste la dynamite (id.) ; la Ligne de démarca-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

tion (1966) ; le Scandale (1967) ; la Route 1979 qu’elle tourne son premier docu- de la stylisation des costumes, des dé-
de Corinthe (id.) ; les Biches (1968) ; la mentaire, Pas à pas (Khoutwa, khou- cors (dans le Vendeur de bagues, ils
Femme infidèle (1969) ; Que la bête twa, 1979). Tout au long de la guerre et seront, pour créer un effet féerique, plus
meure (id.) ; le Boucher (1970) ; la Rup- du difficile après-guerre, Randa Chahal petits que nature), l’aisance de la mise
ture (id.) ; Juste avant la nuit (1971) ; la Sabbagh va multiplier les enquêtes docu- en scène débarrassée des conventions
Décade prodigieuse (id.) ; Docteur Popaul mentaires : Liban survie (Lubnan Iradat el renouent avec bonheur dans ces deux
(1972) ; les Noces rouges (1973) ; Nada Hayat, 1981), Liban d’autrefois (Lubnan oeuvres avec la tradition orientale du
(1974) ; Une partie de plaisir (1975) ; les ayyam Zaman, 1982), recevant le prix conte, dont le cinéma égyptien demeurait
Innocents aux mains sales (id.) ; les Ma- spécial du jury aux Journées cinémato- éloigné. À partir de l’Aube d’un jour nou-
giciens (1976) ; Folies bourgeoises (id.) ; graphiques de Carthage en 1982, et Nos veau (qu’il interprète), le cinéaste reprend
Alice ou la Dernière Fugue (1977) ; les guerres imprudentes (1994), qui mélange l’analyse de la société de son pays, de
Liens de sang (1978) ; Violette Nozière le film de famille au reportage. Elle réa- ses fautes, de ses clivages, avec une
(id.) ; le Cheval d’orgueil (1980) ; les Fan- lise son premier long métrage de fiction rigueur et une efficacité sans doute iné-
tômes du chapelier (1982) ; le Sang des en 1991, Ecrans de sable, à Tunis, puis, gales, mais avec la volonté constante
autres (1984) ; Poulet au vinaigre (1985) ; en 1999, Civilisées, qui met en scène le de faire du film un spectacle capable de
Inspecteur Lavardin (1986) ; Masques Beyrouth des années de guerre et qui, « s’opposer à l’ignorance et à la mystifi-
(1987) ; le Cri du hibou (id.) ; Une affaire aux côtés des films de Ghassan Salhab* cation » : critique de l’intellectuel à l’heure
de femmes (1988) ; Jours tranquilles à (Beyrouth fantôme, 1998) et Ziad Doueiri du choix entre le dire et le faire, le rêve
Clichy (1990) ; Docteur M. (id.) ; Madame (West Beyrouth, 1998), opère un néces- et le réel, ou dénonciation, à mesure que
Bovary (1991) ; Betty (1992) ; l’OEil de saire travail de mémoire visuelle. se recompose le puzzle politico-policier
Vichy (DOC, 1993) ; l’Enfer (1994) ; la Cé- du Moineau, du pourrissement de l’État
rémonie (1995) ; Rien ne va plus (1997), CHAHIN (Yusuf [Youssef CHAHINE]), ci- par les affairistes. Si la Terre retrace la
Au coeur du mensonge (1999), Merci néaste égyptien (Alexandrie 1926). collusion des grands propriétaires avec
pour le chocolat (2000). Il passe par l’université, puis étudie le
les Anglais à la manière d’une fresque
cinéma et l’interprétation à la Pasadena
lyrique aux images éclatantes proche de
CHADWICK (Helene), actrice américaine Play House, près de Los Angeles. Peu
Ford ou de Dovjenko, le Moineau affirme
(Chadwick, N.Y., 1897 - Los Angeles, Ca., après son retour (1948), l’opérateur Al-
la conception d’un récit éclaté, esquissée
1940). vise Orfanelli, un pionnier du cinéma en
déjà avec le scénario de Gare centrale,
« Leading lady » blonde et romantique des Égypte, lui ouvre les portes de la produc-
kaléidoscope d’une réalité voilée, camou-
années 20, elle apparaît notamment dans tion (Papa Amine, 1950), mais les diffi-
flée, ambiguë et fragmentaire. Adieu Bo-
Dangerous Curve Ahead (E.M. Hopper, cultés rencontrées au Caire conduisent
naparte illustre cette volonté de mêler les
1921), The Sin Flood (F. Lloyd, 1922), Chahin à travailler au Liban, voire en
différences, et de ruiner tout credo en une
Quicksands (J. Conway, 1923), Reno Espagne, périodes noires de sa carrière,
vérité de l’histoire.
(Rupert Hugues, id.), Why Men Leave si on fait exception d’un charmant musi-
Ces thèmes, la parabole du Retour du
Home (J.M. Stahl, 1924), Dancing Days cal avec Fayruz, le Vendeur de bagues
fils prodigue les illustre déjà, avant que
(Albert Kelley, 1926), Stolen Pleasures (Beyrouth 1965). Dans le mélodrame
Chahin, une fois de plus en marge des
(Philip Rosen, 1927). Elle fut la première obligé d’alors, il entend introduire des
conventions des cinémas arabes, entre-
épouse de William Wellmann. données psycho-érotiques, réalistes et
prenne avec Alexandrie, pourquoi ? un
sociales : les Eaux noires est le premier
retour sur lui-même, sur sa jeunesse
CHAFFEY (Donald dit Don), cinéaste bri- film arabe à évoquer la vie ouvrière. Ces
dans l’Égypte à l’écoute des canons de
tannique (Hastings, 1917 - Île Kawau, Nou- intentions éparses dans plusieurs de ses
Rommel ; le film de la mémoire mêle la
velle-Zélande, 1990). premiers drames sont maîtrisées dans
naissance d’une vocation et les multiples
Décorateur de plateau depuis 1944, il Gare centrale (1958) ; Chahin y interprète
facettes d’une société cosmopolite, tolé-
aborde la mise en scène en 1957 par de lui-même un simple d’esprit devenu crimi-
rante, généreuse, qui ne devait survivre
courts métrages d’aventures et des feuil- nel. La saisie savoureuse du vécu, la bru-
ni à 1948 ni à 1952. Ce film sera le pre-
letons télévisés. Il s’illustre avec Jason talité des luttes syndicales, la vérité des
mier volet d’une trilogie semi-autobiogra-
et les Argonautes (Jason and the Argo- caractères participent du réalisme issu
phique qui comprendra également la Mé-
nauts, 1963), où des séquences habitées de Kamal Salim et, surtout, de Abu Sayf,
moire et Alexandrie encore et toujours.
par le sens de l’aventure et du merveilleux qui vient de signer le Costaud. Mais Gare
centrale révèle une conception et un style Écartant les schématismes, optant pour
mythologiques se marient aux trucages
nouveaux, rompant avec le récit linéaire des scénarios complexes (la Mémoire),
parfaits réalisés par Ray Harryhausen.
et le tempo lent et appuyé d’une tradition. faisant appel à des acteurs chevronnés
Et ensuite par Un million d’années avant
(Fatin Hamama, Farid Shawqi, Mamud
J. -C. (One Million Years B. C., 1966) et Le montage rapide, les récits parallèles,
l’impact de l’image aux cadrages étu- al-Miligi), il parie aussi sur des inconnus
Creature the World Forgot (1971), deux
(Omar Sharif pour Ciel d’enfer, Amad
films préhistoriques tournés avec sérieux diés créent un style dont on reproche à
Chahin le caractère « occidental », pour Mahriz, d’autres encore, tel Mohsen Mo-
et humour pour la Hammer, ou l’acide
mieux refuser ce qu’il entend exprimer, hiyi ad-Din). S’il tourne parfois trop vite
Charley le Borgne (Charley-One-Eyed,
mais que l’apparente libéralisation nas- (« Je n’ai pas les moyens d’être perfec-
1972). Peter et Eliot le Dragon (Pete’s
sérienne n’autorise pas. S’il peut tourner, tionniste »), il a ouvert, dans l’immobi-
Dragon, 1977), pour la firme Walt Disney,
d’après Abd al-Raman ash-Shargiwi, un lisme cinématographique égyptien, une
marie moins heureusement l’animation
hommage (mélodramatique) à une résis- brèche heureuse, et la leçon vaut d’être
aux prises de vues réelles.
tante algérienne en 1959, il attend dix entendue : n’avoir de modèle que soi.
CHAHAL SABBAGH (Randa), cinéaste liba- ans avant de réaliser, d’après le même Chahin a fondé sa propre société de pro-
naise (Tripoli 1953). auteur, la Terre, à quoi il doit le début de duction (Mir International).
Elle fait ses études supérieures à Paris, sa notoriété. Il a pourtant, en 1963, donné Films : Papa Amine (Baba Amin,
d’abord à l’université puis à l’école Louis un grand film historique mais à petit bud- 1950) ; le Fils du Nil (Ibn an-Nil, 1951) ;
Lumière. Lors du déclenchement de la get, un Saladin remarquable par son ima- Femmes sans homme (Nisabila rijal,
guerre du Liban en 1975, elle arrête ses gerie inventive et par la leçon politique 1953) ; Ciel d’enfer (Sira fi alwadi, 1954) ;
études et rentre à Beyrouth pour filmer qu’il comporte, concernant la tolérance le Démon du désert (Shaït an as-sa-
les événements. C’est entre 1976 et et le rassemblement arabe. Le charme hra, id.) ; les Eaux noires (Sirafi al-mina,

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

1956) ; C’est toi mon amour (Inta habiby, fort, de Jacques Demy (1967). Depuis, CHALONGE (Christian de), cinéaste fran-
1957) ; Gare centrale (Bab al - adid, victime du déclin du genre, il se consacre çais (Douai 1937).
1958) ; Gamila l’Algérienne (Gamila al- à la télévision et à la chanson. Après l’IDHEC, il est assistant durant
gaza iriyya, id.) ; Saladin (an-Nair Salah cinq années (Jessua, Franju, Clouzot,
ad-Din, 1963) ; l’Aube d’un jour nouveau CHALBAUD (Román), cinéaste vénézué- Richardson, etc.). Son premier film,
(Fagr yawm gadid, 1964) ; le Vendeur lien (Mérida, Venezuela, 1931). O Salto (1967), évoque avec courage
de bagues (Bayya al-khawatim, 1965) ; Autodidacte formé à l’école du cinéma l’exploitation de l’immigration clandestine
Ces gens et le Nil (an-Nass wa an-Nil, mexicain classique, il s’impose d’abord des travailleurs portugais et constitue
1972) ; la Terre (al-Ard 1969) ; le Choix comme un des créateurs du théâtre une des trop rares tentatives d’inscrip-
(al-Ikhtiyar, 1970) ; le Moineau (al-’ Usfur, moderne de son pays : il porte souvent tion d’un cinéma d’intervention sociale
EG/ALG, 1973) ; le Retour du fils prodigue dans les normes de la production com-
à l’écran ses propres pièces. Ainsi, Caín
(Awda al-ibn a¸d-¸da, EG/ALG, 1976) ; merciale. Après un purgatoire de quatre
adolescente (1959), le premier film,
Alexandrie, pourquoi ? (Iskandariyya ans, pendant lequel il dirige la deuxième
contient déjà quelques traits de son uni-
lih ?, EG/ALG, 1978) ; la Mémoire (Had- équipe de la Charge de la brigade légère
vers : une option franchement urbaine et
duta Miriyya, 1982) ; Adieu Bonaparte (T. Richardson, 1969), il réalise l’Alliance
populaire, un goût pour les personnages
(FR/EG, 1985) ; le Sixième Jour (FR/EG, (1971), où il fait naître le fantastique de
d’origine modeste, l’imbrication dans le
1986) ; Alexandrie, encore et toujours l’observation minutieuse des comporte-
récit de formes et références chrétiennes,
(Iskandariyya kaman wa kaman, 1990) ; ments. Huit ans plus tard, il connaît enfin
le poids du syncrétisme religieux et du
Le Caire vu par Chahin (DOC, 1991) ; le succès public avec l’Argent des autres
folklore, l’opposition entre le paradis
l’Émigré (Al Mohager, 1994) ; le Destin (Al (1978), film dans lequel la froide descrip-
perdu de la province et l’enfer de la ville,
Massir, 1997) ; l’Autre (Al Akhar, 1998) ; tion des mécanismes bancaires se colore
Silence, on tourne (2001). le refus du pharisaïsme social, une dette à nouveau d’un inquiétant fantastique, et
indéniable vis-à-vis du mélodrame. Sa Malevil (1981), d’après la fiction nucléaire
CHAKHNAZAROV (Karen [Karen carrière prend son envol uniquement à de Robert Merle. En 1982, il signe les
Šahnazarov]), cinéaste russe (Krasnodar partir de La quema de Judas (1974) et Quarantièmes Rugissants, avec la com-
1952). de Sagrado y obsceno (1975), lorsque plicité de Jacques Perrin (qui tient le rôle
Après avoir étudié au VGIK dans la classe le langage se dépouille et perd sa théâ- principal) et en 1990 dirige Michel Ser-
dirigée par Igor Talankine, il débute à tralité, les dialogues et les personnages rault qui tient le rôle-titre de Docteur Pe-
l’écran par Jazzband (My iz džaza, 1983), gagnant ainsi en authenticité. Chalbaud y tiot. Il adapte en 1991 le roman de Jules
un film qui suit l’évolution d’un quartet de aborde des questions d’actualité, comme Supervielle le Voleur d’enfants avec Mar-
jazz d’Odessa dans les années 20 et qui cello Mastroianni en tête d’affiche, puis
la guérilla, la marginalité, la répression,
remporte un grand succès public. Avec réalise le Bel Été 1914 (1996) et le Comé-
les manipulations officielles. Il exhibe
Soirée d’hiver à Gagra (Zimnij veer v dien (1997).
désormais un humour qui l’amène par-
Garakh, 1985), le Garçon de courses
fois à la parodie (Carmen, la que contaba
(Kurjer, 1986) et la Ville Zéro (Gorod CHAMBARA (d’une onomatopée signi-
16 años, 1978 ; Manon, 1986). La oveja
Zero, 1989), il s’impose comme le plus fiant « couper la chair »).
negra (1987) décrit une communauté
brillant représentant de l’époque de la pe- Terme japonais populaire désignant les
utopique de délinquants, installée dans
restroïka. Il signe ensuite successivement films comportant des duels au sabre. Le
une salle de cinéma désaffectée. Mais
l’Assassin du Tsar (Careubijca, 1991), chambara s’applique aussi bien à une sé-
l’oeuvre la plus remarquable reste El Pez
Rêves (Sny, 1993), la Fille américaine quence de duel, à un film tout entier, ou à
(Amerikanskaja do, 1995) et le Jour de que fuma (1976), puisque le microcosme ce genre de films (syn. ken-geki).
la pleine lune (Den polnolunija, 1998). À du cabaret-bordel y épouse les travers de
travers certains scénarios ancrés dans toute une société. Bien avant Almodóvar, CHAMBERLAIN (George Richard Cham-
l’histoire passée ou contemporaine, il Chalbaud y utilise le répertoire musical berlain, dit Richard), acteur américain (Be-
brosse un tableau kaléidoscopique de la comme un ressort dramatique. Le boléro verly Hills, Ca., 1935).
société russe de cette fin du XXe siècle devient, avec le mélo, la matrice d’une Il commence à jouer de petits rôles au
dont l’apparent réalisme dérape parfois vision du monde, tempérée par l’ironie et cinéma dans les années 60, mais il doit
vers l’insolite voire le surréel. la sympathie. Pandemonium (1997) est à sa notoriété à la télévision, notamment
juste titre couronné à Biarritz. dans la série Dr. Kildare où il incarne le
CHAKIRIS (George), acteur, chanteur et personnage principal. Pour ne pas rester
danseur américain (Norwood, Ohio, 1933). CHALLIS (Christopher), chef opérateur bri- cantonné dans ce type de rôles, il part
Formé à l’American School of Dance tannique (Kensington, Londres, 1919). en Grande-Bretagne où il mène paral-
d’Hollywood, la célébrité mondiale lui Il s’impose en collaborant avec les « Ar- lèlement une carrière au théâtre et au
vient avec West Side Story (1961) de chers » (M. Powell et E. Pressburger), cinéma, notamment sous la direction de
Robert Wise et Jerome Robbins, rôle Richard Lester (Petulia, 1968 ; les Trois
notamment pour la Renarde (1950), les
qu’il avait déjà dansé à Londres. Il dan- Mousquetaires, 1974, où il joue Aramis)
Contes d’Hoffmann (1951), Oh Rosa-
sait pourtant depuis plus de dix ans avant et Ken Russell (il est Tchaïkovski dans la
linda (1955), la Bataille du Rio de la
cette fulgurante révélation. Avec de bons Symphonie pathétique, 1971). Aux États-
Plata (1956). D’une riche filmographie,
yeux, on pouvait le reconnaître dans le Unis, tout en tournant des films alimen-
quelques productions se détachent :
corps de ballet entourant Marilyn Monroe taires (l’Inévitable Catastrophe, I. Allen,
Geneviève (H. Cornelius, 1953), Quentin
dans Les hommes préfèrent les blondes 1978 ; Allan Quatermain et la cité de l’or
Durward (R. Thorpe, 1955), l’Enquête de
(H. Hawks, 1953). Son succès lui valut perdue, Gary Nelson, 1987...), il appa-
l’inspecteur Morgan (J. Losey, 1959), les
quelques rôles dans des films d’aven- raît dans des oeuvres plus honorables,
Vainqueurs (C. Foreman, 1963), Quand
tures (le Seigneur d’Hawaii, Guy Green, comme la Tour infernale (J. Guillermin,
id. ; les Rois du soleil, J. Lee Thompson, l’inspecteur s’emmêle (B. Edwards, 1964), 1974). Sous la direction de Peter Weir,
id.). Mais seul La ragazza (L. Comencini, Ces merveilleux fous volants... (K. Anna- il interprète un avocat pris dans un laby-
1963) utilisa ses dons dramatiques. En kin, 1965), Arabesque (S. Donen, 1966), rinthe de cauchemars (la Dernière Vague,
une seule occasion, il retrouva la possibi- Kaléidoscope (J. Smight, id.), la Vie 1977). Son allure sportive et son charme
lité de chanter et de danser dans un vrai privée de Sherlock Holmes (B. Wilder, lui permettent de jouer aussi bien des
film musical : les Demoiselles de Roche- 1970), Steaming (J. Losey, 1985). séducteurs, des personnages historiques

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

(il est Aramis dans le Retour des Mous- (1963) et Bank Shot (1974) et remporte tion lors du tournage de son premier long
quetaires de R. Lester en 1989) que des un considérable succès à Broadway pour métrage, Finale in Blood (Da nao guang
aventuriers ou des intellectuels déchirés. ses mises en scène de Bye Bye Birdie, chang long, 1991), un film de genre fan-
Mais c’est la télévision qui lui a assuré Hello Dolly, The Happy Time, Sugar, etc. tastique, il s’efforce d’être indépendant.
son statut de star (Shogun, Les oiseaux Ainsi, Made in Hong Kong (Xianggang
se cachent pour mourir, Casanova, le CHAN (Cheng Long, de son vrai nom CHEN Zhizao, 1997), qui suit trois jeunes margi-
Rêve californien, etc.). Gangsheng, dit Jackie), acteur et cinéaste naux vivant dans une cité de banlieue, est
chinois (Hong Kong 1954). réalisé avec des chutes de pellicule et de
CHAMBRE NOIRE OBJECTIFS Sa famille, qui a émigré en Australie, l’argent personnel. C’est le premier volet
l’envoie à l’âge de 7 ans à Hong Kong d’une trilogie sur le retour de Hong Kong
CHAMCHIEV (Bolot [Bolotbek]) [Bolotbek où, pendant dix ans, il étudie l’opéra de à la Chine. Avec The Longest Summer
Tolenovi Šamšjev], cinéaste soviétique Pékin et les arts martiaux. Acteur enfant, (Qunian yanhua tebie duo, 1998), Fruit
kirghiz (Frounze, Kirghizistan, 1941). il joue dans de nombreux films canto- Chan s’intéresse encore à des laissés
Encore étudiant au VGIK de Moscou, nais. En 1976, il est remarqué par Luo pour compte sans perspective d’avenir,
il est choisi par Larissa Chepitko pour Wei, qui le fait entrer dans sa compagnie des anciens soldats de l’ex-colonie bri-
interpréter le rôle de Kemal dans Cha- et lui donne la vedette dans plusieurs tannique en l’occurence. Évoquant les
leur torride (1963). Il passe ensuite à films où il apparaît sous son nom actuel changements irrémédiables de la ville
la réalisation, dirigeant deux documen- de Cheng Long. En 1978, Luo Wei le du point de vue de deux jeunes enfants,
taires, ‘Manastchi’ (Manasi, 1965) et ‘le prête à Seasonal Films pour le Serpent Little Cheung (Xilu Xiang, 1999) clôt cette
Berger’ (aban, 1966), puis ‘Coup de à l’ombre de l’aigle (Shi xing diao shou, série, qui réussit à capter intelligemment
feu au col Karach’ (Vystrel na perevale réal. Yuen Woo-ping), qui le révèle au les sentiments contradictoires des Hon-
Karaš, 1969), d’après le récit de l’écrivain grand public, succès confirmé avec le gkongais sur la rétrocession. En 2000,
kazakh Moukhtar Aouezov, et ‘les Co- Maître chinois (Zui quan, Yuen Woo-ping, il réalise Durian Durian et en 2001 Hol-
quelicots vermeils de l’Issyk-Koul’ (Alye 1978). Jackie Chan révolutionne le film lywood Hong Kong.
maki Issyk-Kulja, 1971), qui sont des de kung-fu, en faisant de ses films des
films d’action et d’aventures ; ‘le Bateau comédies dont il est le clown virevoltant. CHAN (Chan Ho-San, dit Peter), cinéaste
blanc’ (Belyj parohod, 1975) d’après le Par la suite, il s’obstine à exécuter lui- et producteur chinois (Hong Kong, 1962).
récit humaniste de Tchinghiz Aïtmatov ; même ses cascades époustouflantes. Il étudie le cinéma aux Etats-Unis, puis
‘Parmi les hommes’ (Sredi ljudej, 1978, En 1979, il écrit, dirige et interprète son retourne à Hong Kong en 1981 travailler
co : Artik Souïoundoukov) ; ‘les Cigognes premier film, la Hyène sans peur (Xiao à la chaîne de télévision TVB. Après avoir
précoces’ (Rannie žuravli, 1979) ; l’As- quan guai zhao). Il signe ensuite avec la été l’assistant de Ann Hui et Allen Fong,
cension du Fuji-Yama (Voskhojdénié na Golden Harvest pour le Jeune Maître (Shi il réalise son premier long-métrage en
Foudziamou, 1989), brillante satire de la di chu ma, 1980), qu’il dirige et interprète. 1991, Alan and Eric –Between Hello and
« stagnation » sous Brejnev. Une première tentative aux Etats-Unis, Goodbye. Un goût – et un talent – pour la
The Cannonball Run (Hal Needham, comédie de moeurs s’y révèlent, comme
CHAMP. 1981) s’avère un échec, comme le sera dans Tom, Dick and Hairy (1992). Menant
Partie de l’espace embrassée par l’objec- la deuxième, The Protector (James Glic- également une carrière de producteur, il
tif de la caméra. kenhaus, 1986). Avec Raymond Chow, il crée en 1993 avec Jacob Cheung la so-
fonde sa propre compagnie, Golden Way. ciété UFO, qui s’attache à raconter des
CHAMP-CONTRE-CHAMP. En 1982, il réalise le Seigneur Dragon histoires en prise avec la réalité contem-
Procédé du langage cinématographique (Long shaoye), suivi de Projet A (A jihua, poraine de Hong Kong. Le succès des
où l’on fait alterner des plans d’orienta- 1983), Police Story (Jinsha gushi, 1985), deux premières productions, C’est la vie
tions opposées. (Voir CHAMP, CONTRE- Armour of God (Long xiong hu di, 1986), mon chéri (Xin buliao quig, Derek Yee,
CHAMP.) [ SYNTAXE, PROFONDEUR DE Projet A II (A jihua xu ji, 1987), Police 1993) et son film He ain’t Heavy, He’s
CHAMP.] Story II (Jinsha gushi II, 1988), Miracles : my Father (id.), le pousse à continuer sur
The Canton Godfather (Qi ji, 1989), hom- la voie de la comédie sentimentale. En
CHAMPION (Gower), danseur, choré- mage à la comédie américaine, optimiste 1994, He is a Woman, She is a Man (Jin-
graphe et cinéaste américain (Geneva, Ill., et chaleureuse. En 1993, il casse son zhi Yuye), satire du milieu hongkongais
1919 - New York, N. Y., 1980) et CHAM- image d’humoriste en tenant un rôle de de la chanson et habile jeu de transferts
PION (Marjorie Celeste Belcher, dite Marge), policier impitoyable dans Crime Story d’identités sexuelles, fait un triomphe. En
, danseuse et comédienne américaine (Los (Kirk Wong, 1993). Après les films de 1996, Comrades, Almost a Love Story
Angeles, Ca., 1919). qualité que sont City Hunter (Wong Jing, (Tianmimi), histoire d’amour entre deux
À la scène, ils s’illustrent séparément, 1993) et le Maître chinois II (Lau Kar- immigrés de Chine continentale à Hong
puis en couple, avant de débuter à l’écran leung, 1994), il parvient enfin à percer Kong, vaut à Peter Chan une reconnais-
dans Monsieur Musique (Mr. Music, Ri- en Amérique avec Rumble in the Bronx sance internationale. Après The Age of
chard Haydn, 1950). Danseurs élégants, (Stanley Tong, 1995). Il alterne alors les Miracles (1996) et Who’s the Woman,
déliés, d’une grande précision stylistique, films hongkongais et américains, avec Who’s the Man (id.), il réalise aux Etats-
ils partagent la tête d’affiche de Show notamment First Strike (Stanley Tong, Unis et en anglais The Love Letter (1999).
Boat (G. Sidney, 1951), les Rois de la 1996), Rush Hour (Brett Ratner, 1998) et
couture (M. Le Roy, 1952), Mon amour Shanghai Noon (Tom Dey, 2000). CHANCHADA.
t’appelle (R. Z. Leonard, id.), Donnez-lui Mot portugais, désignant au Brésil un
une chance (S. Donen, 1953), Tout le CHAN (Chan Kuo, dit Fruit), cinéaste genre de comédie cinématographique.
plaisir est pour moi (H. C. Potter, 1955) chinois (Canton, 1959). Le dictionnaire précise : « pièce ou film
et la Chérie de Jupiter (G. Sidney, 1955). Sa famille émigre à Hong Kong quand il sans valeur, dans lequel prédominent
Au terme de l’âge d’or du musical, Marge a dix ans. Après des études au Film Cen- les procédés corrompus, les plaisante-
Champion divorce et se retire durant une ter, il devient assistant-réalisateur pour la ries vulgaires ou la pornographie ». Ce
dizaine d’années, puis tient des petits Golden Harvest. Pendant plus de dix ans, jugement péremptoire a longtemps été
rôles dans The Party (B. Edwards, 1968) il travaille avec des cinéastes comme partagé par la critique et la meilleure so-
et The Swimmer (F. Perry, id.), tandis que Jackie Chan, Kirk Wong ou Shu Kei. ciété. Le genre a ses origines dans le film
Gower Champion réalise My Six Loves Confronté à des problèmes de produc- carnavalesque et les comédies musicales

236
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

du début du parlant, grands succès de du païen (D. Sirk, 1954), les Piliers du ciel fut un acteur de composition, aux limites
la compagnie Cinédia d’Adhémar Gon- (G. Marshall, 1956) et nombre d’autres du fantastique, sans vraiment pouvoir
zaga. Le cinéma des années 30 puise westerns. Son dernier rôle est celui du imposer pleinement son univers. On re-
ses vedettes à la radio, le grand média général Merrill dans Les maraudeurs at- tiendra The Light in the Dark (C. Brown,
de masse de l’époque. Luiz de Barros taquent (S. Fuller, 1962). 1922), Oliver Twist (F. Lloyd, id.), où il
devient spécialiste des tournages bâclés est un sautillant Fagin, Notre-Dame de
en quelques jours. Le véritable règne de CHANDLER (Raymond), romancier et scé- Paris (The Hunchback of Notre Dame,
la chanchada commence avec la produc- nariste américain (Chicago, Ill., 1888 - La Wallace Worsley, 1923) et le Fantôme
tion en série de la Atlantida, à Rio de Ja- Jolla, Ca., 1959). de l’Opéra (R. Julian, 1925), deux hono-
neiro, lorsque l’exploitant Luiz Severiano Ce maître du thriller a vu plusieurs de rables superproductions dans lesquelles
Ribeiro en assume le contrôle (1947). Le ses romans portés à l’écran sans jamais triomphe son sens absolu du maquillage,
public y adhère massivement, parce que prendre part à leur élaboration cinéma- et surtout The Penalty (Worsley, 1920),
la chanchada s’appuie sur une solide tra- tographique, en dehors du Dahlia bleu. histoire de gangster cul-de-jatte, qui est
Farewell My Lovely a donné lieu à trois sans doute son film le plus personnel
dition de comédies théâtrales, de revues
films (The Falcon Takes Over, de Irving de cette période. À la MGM, il imposera
musicales (adoptant même les rythmes
Reis, 1942 ; Adieu ma belle, d’Edward l’originalité de son univers avec plus de
caraïbes) et de variétés, sur des ancêtres
Dmytryk, 1944 ; Adieu ma jolie, de Dick force (Tell it to the Marines, G. Hill, 1927).
comme le cirque, le mime ou la carica-
Richards, 1975) ; The Big Sleep (le Grand Outre les films dirigés par Browning (le
ture. Pour la première fois, les specta-
Sommeil) est devenu un classique du Club des trois, 1925 ; l’Oiseau noir, 1926 ;
teurs entendent leur langue parlée, avec
genre (H. Hawks, 1946) ; la Grande Fe- la Route de Mandalay, id. ; Londres après
la gouaille d’un argot en constant renou-
nêtre a été transposée par Robert Ste- minuit, 1927 ; l’inconnu, id. ; le Loup de
vellement, non plus l’idiome académique
venson (Time to Kill, 1943) et par John soie noire, 1928 ; le Talion, id.), il atteint
des films sérieux et du théâtre classique
Brahm (The Brasher Doubloon, 1947) ; son sommet dans deux magnifiques mé-
(en fait, la chanchada est un produit typi-
Sur un air de navaja l’a été par Robert lodrames du cirque : le symboliste Celui
quement carioca, les accents provinciaux
Altman seulement en 1972 (le Privé). qui reçoit des gifles / Larmes de clown
étant toujours caricaturés). Si le rire y est
En 1947, la Dame du lac avait servi à (V. Sjöström, 1924) et le pathétique Ris
la plupart du temps autodérision, exutoire
Robert Montgomery de prétexte à une donc, paillasse (H. Brenon, 1928). Si l’on
des frustrations, on peut y trouver à l’oc-
démonstration de « caméra subjective ». veut bien admettre qu’un comédien n’a
casion un autre contenu. Ainsi, Carnaval
En 1969, Paul Bogart a dirigé, sous le pas besoin d’être forcément réaliste, on
Atlantida (José Carlos Burle, 1952) pro-
titre Marlowe (la Valse des truands), une doit considérer Chaney comme un très
pose un portrait assez juste de l’aliéna-
adaptation très lointaine de Fais pas ta grand acteur, au jeu totalement cinémato-
tion de l’intellectuel « colonisé ». Matar
rosière (The Little Sister). Le héros favori graphique, conçu pour le détail et le gros
ou Correr (1954) et Nem Sansão nem
de Chandler, le détective privé Philip Mar- plan. Artiste et poète, véritable créateur,
Dalila (1955), tous deux mis en scène par
lowe, a été joué par George Montgomery, ses interprétations nous entraînent dans
Carlos Manga (le maître du genre, avec
Dick Powell, Robert Montgomery, Elliott une dimension seconde. Sa mort l’a fait
Watson Macedo), constituent des paro-
Gould, Robert Mitchum ; mais c’est Hum- entrer dans la légende. En 1930, après
dies de films américains à succès (High
phrey Bogart qui s’y est véritablement son seul film parlant, le remake du Club
Noon, Samson and Delilah) et tendent à
identifié à l’écran. des Trois (The Unholy Three) de Jack
dégrader le modèle oppresseur.
Par ailleurs, Chandler (installé en Ca- Conway, il est atteint d’un cancer des
Les comiques plus doués et plus po-
lifornie dès 1919) a été l’excellent scé- cordes vocales qui l’empêche de parler.
pulaires de la chanchada, Oscarito et
nariste ou coscénariste d’Assurance sur Comme si le destin avait décidé de vouer
Grande Otelo (souvent en duo), présen-
la mort (B. Wilder, 1944), de l’Invisible Lon Chaney au silence. Il est l’auteur de
tent des qualités incontestables. Ce filon Meurtrier (L. Allen, 1945), du Dahlia bleu l’article « Maquillage » de l’Encyclopedia
prolifique (environ 150 films) disparaît d’après son propre roman (G. Marshall, britannica.
vers 1960, lorsque la télévision reprend 1946) et de l’Inconnu du Nord-Express
le flambeau de cette « communication du (A. Hitchcock, 1951). CHANG CHEH, cinéaste chinois (1923).
grotesque ». Une réévaluation s’ébauche Débutant en 1947 comme scénariste
dix ans plus tard. Selon le critique Paulo CHANEY (Alonso, dit Lon), acteur améri- pour les sociétés basées à Shanghai,
Emilio Salles Gomes, si le public s’identi- cain (Colorado Springs, Colo., 1883 - Los Guotai et Datong, il écrit et réalise
fie au vagabond, au coquin, au chômeur Angeles, Ca., 1930). en 1949 le premier film de Taïwan en
de la chanchada, c’est qu’il y voit suggéré Fils de parents sourds-muets, Lon Cha- mandarin, Wind and Cloud on Ali Moun-
le conflit opprimés/oppresseurs. Par ana- ney dut vite apprendre à s’exprimer avec tain. Dans les années 50, il dirige de
logie avec l’ancienne acception dépré- son visage et son corps. Son frère étant nombreux long métrages à Taïwan, dont
ciatrice du terme, la comédie pseudo- propriétaire d’un théâtre, il devint acteur Wildfire (1958). Engagé en 1962 à Hong
érotique des années 70 a été appelée et finit par tenter sa chance à Hollywood. Kong par la Shaw Brothers, il influence le
« pornochanchada ». Il débuta en 1913 et se trouva dans de dirigeant du studio, Run Run Shaw, pour
nombreux westerns, où sa mine patibu- relancer le genre du film de sabre et signe
CHANDLER (Ira Grossel, dit Jeff), acteur laire le limitait aux emplois de traîtres. Tiger Boy en 1966. Le succès immédiat
américain (New York, N. Y., 1918 - Culver Il continua dans les rôles subalternes le pousse à continuer
sur la voie du wu
City, Ca., 1961). jusqu’en 1919. Cette même année, il xia pian. En 1967, il reprend un person-
Il débute à l’écran en 1947 et est révélé fut pour la première fois dirigé par Tod nage classique de la littérature chinoise,
par son interprétation dans la Flèche bri- Browning dans The Wicked Darling, et celui du chevalier manchot, avec The
sée (D. Daves, 1950) du noble Indien Co- il impressionna dans sa création de faux One-Armed Swordsman. S’inspirant des
chise, qu’il assumera dans deux autres mendiant difforme dans The Miracle Man chambara japonais, il fait de ses héros
films. S’il incarne un prince arabe dans (G. Loane Tucker). L’aspect physique du des personnes tiraillées entre leur mo-
les Frères Barberousse (Flame of Araby, jeu de Chaney, ses contorsions et ses rale, acquise par la pratique de l’art mar-
Ch. Lamont, 1951) et un chef polynésien acrobaties frappèrent autant que son tial, et leur désir de vengeance. Dans la
dans l’Oiseau de paradis (Daves, id.), masque tragique. Désormais grande Rage du tigre (1971), son chef d’oeuvre, il
c’est l’Occident civilisateur qu’il repré- vedette, sa carrière se divise en deux laisse s’exprimer ses obsessions pour la
sente dans ses films suivants : le Signe parties. À l’Universal, jusqu’en 1925, il violence érotique, l’auto-destruction et le

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

sang. Secondé dans la chorégraphie des et cette dernière pour la First National Parallèlement, l’audace formelle,
scènes de combat par Liu Chia-Liang, il (1918). En quelques années, ses salaires après son hésitation devant le muet, croît
s’intéresse surtout à la dimension mélo- décuplent à proportion d’un succès ful- dans ses films. Nous pensons moins ici
dramatique du genre. Au sommet de gurant qui fait de lui le comique le plus à la métaphore du troupeau des Temps
sa carrière, il enchaîne les productions, populaire des États-Unis, puis du monde modernes (où Charlot fait ses adieux),
réalisant plus de vingt films entre 1971 entier. Cofondateur de l’United Artists qui rappelle Eisenstein, qu’à l’éclairage
et 1973, dont le Boxeur de Shantung avec Griffith, Fairbanks et Mary Pickford souvent inédit, expressif, des Lumières
(Ma Yongzhen, 1972). En 1974, il repart (1919), il passe à la réalisation de longs de la ville, et surtout à la franchise avec
pour Taïwan réaliser des films de kung- métrages qui lui demandent des mois de laquelle, dans le Dictateur, Chaplin ré-
fu ayant l’école de Shaolin pour cadre, préparation et sont l’objet de campagnes sout son problème central : faire tenir à
comme les Disciples de Shaolin (Hong publicitaires d’autant mieux calculées que son héros un discours qui transcende le
Quan Xiaozi, 1975), son dernier grand Chaplin contrôle entièrement leur pro- temps et l’espace.
film. Le film de cape et d’épée passé de duction et leur distribution. Il s’essaiera En 1942, la jeune actrice Joan Barry
mode, il se fourvoie dans des réalisations même à la production des films d’autrui, fomente contre Chaplin un scandale qui
médiocres, comme la série des Brave Ar- trouvera sa conclusion en 1948, quand
avec The Seagull de Sternberg (ce sera
cher de 1977 à 1980. Il prend une retraite le cinéaste sera condamné à assurer
un échec à ses yeux et il ne le distribuera
forcée au milieu des années 80. l’entretien d’un enfant dont il n’est pas le
jamais).
père. Entre-temps, Chaplin a rencontré
Le personnage de Charlot n’a plus
CHANTAL (Marcelle Chantal-Pan- une compagne peut-être longtemps cher-
guère besoin des faire-valoir de la
nier, dite Marcelle), actrice française
chée en la personne d’Oona O’Neill, qu’il
Keystone ; quitte à reprendre ici et là
(Paris 1898 - id. 1960).
épouse en 1943, malgré l’opposition de
Elle appartient par son mariage à la certains épisodes de ses vieux films, le
son père, le dramaturge Eugène O’Neill.
haute société parisienne. Après un pas- travail de Chaplin consiste en partie à le
Dans Monsieur Verdoux, Chaplin jette
sage à l’Opéra, son mari facilite ses préciser, à l’affiner, à le dégager d’une
bas le masque de Charlot, pourrait-on
débuts à l’écran. Le Collier de la reine certaine gangue de vulgarité (et aussi des
dire, et agresse d’autant plus le public
(Gaston Ravel, 1929) révèle sa beauté et nervosités mécaniques héritées du slaps-
qu’il y compose un personnage inspiré
son tempérament dramatique ; elle joue tick) pour le faire accéder au comique
de Landru, obligé de tuer des femmes
d’abord sous le nom de Mme Jefferson- noble. En même temps que l’approfon-
pour nourrir sa famille d’incapables, et
Cohn. Les rôles qu’on lui offre misent sur dissement du gag, s’il vise à la mise en
cependant toujours secrètement disposé
sa distinction un peu froide : Au nom de valeur de Charlot, entraîne un certain ra-
à l’amour (celui-ci, dans les Chaplin de
la loi (M. Tourneur, 1932), l’Ordonnance lentissement du rythme (sensible surtout
la maturité, repose sur une sorte de sen-
(V. Tourjansky, 1933), Amok (F. Ozep, dans la Ruée vers l’or), les éléments sen-
sualité affectueuse dont on trouve peu
1934), Baccara (Y. Mirande, 1936), la timentaux, toujours présents dès l’origine,
d’exemples au cinéma). L’échec de Mon-
Tragédie impériale (M. L’Herbier, 1938), se précisent et tournent au romantisme
sieur Verdoux, superbe fable satirique
l’Affaire Lafarge (P. Chenal, id.). Après la mélodramatique (les Lumières de la ville).
débouchant sur l’humour noir, était pré-
guerre, elle joue dans deux adaptations Pendant cette période, l’homme Cha- visible. Plus obscure est la fuite de Cha-
de Colette, Chéri (P. Billon, 1950) et Julie plin doit essuyer les premiers orages plin, avec toute sa famille, à destination
de Carneilhan (Jacques Manuel, id.). d’une vie privée que ses deux tournées de l’Europe, après la première privée de
triomphales en 1921 et 1932, en Europe, Limelight (septembre 1952) : le film, qui
CHAPLIN (Charles Spencer, dit Charlie),
puis dans le reste du monde, ne contri- reprend le thème assez conventionnel du
acteur, auteur, cinéaste, scénariste et
buent pas peu à rendre publique. Son clown devenu incapable de faire rire, est-
musicien américain d’origine britannique
premier mariage et son premier divorce il un plaidoyer ? La tournée de présenta-
(Londres 1889 - Corsier-sur-Vevey, Suisse,
(Mildred Harris, 1918-1920) se sont tion est un succès, mais outre-Atlantique
1977).
passés sans histoires. Il n’en sera pas les hostilités accumulées contre Chaplin
Auteur complet, le premier peut-être dans
de même (1927) avec Lita Grey (épou- ne désarment pas. Aussi bien, Un roi à
la chronologie cinématographique, et ce
sée en 1924), qui lui intente un procès New York, tourné à Londres en 1956-57,
dans toute la force du terme (il écrivit lui-
« scandaleux », faisant de lui la cible des comporte-t-il, au nom du pacifisme, une
même la musique de ses films sonores),
ligues puritaines. Or, Chaplin va affron- condamnation des États-Unis qui vise
Charles Spencer Chaplin a incarné le
ter aussi les conséquences de la fin du surtout l’ignorance et la sottise du mac-
cinéma pour des millions d’hommes pen-
muet, survenue alors que son style visuel carthysme alors déclinant.
dant plusieurs générations, en se pro-
jetant dans la personnalité de Charlot. avait atteint son plein développement. Ayant trouvé en Europe le repos, Cha-
Resté secret à bien des égards, l’homme Indifférent, voire hostile, à la technique, plin rédige des Mémoires (My Autobio-
est cependant inséparable de l’auteur. il ne produira de films parlants qu’à de graphy, 1964) de peu d’intérêt et ajoutera
longs intervalles : les Lumières de la ville à sa filmographie la Comtesse de Hong-
Issu d’une famille de music-hall
n’est encore qu’un film sonore. Si le ma- Kong, oeuvre encore aujourd’hui mécon-
d’abord prospère, puis tombée dans la
riage de Chaplin avec Paulette Goddard nue, son unique film en couleurs, où il
misère à la fin du siècle, Chaplin débute
sur les planches à cinq ans, et prend (1933-1941) est empreint d’une grande se contente d’une apparition (1967). En

part tout jeune à des tournées à travers discrétion, les films de la période corres- 1972, il accepte de retourner dans cette

l’Angleterre et l’Europe avant de s’em- pondante inquiètent le public : les Temps Amérique où il avait juré de ne jamais re-
barquer sans retour pour les États-Unis modernes s’en prennent au travail à la mettre les pieds, pour recevoir un Oscar
en 1912 (après un premier séjour en chaîne, et le Dictateur, ouvertement an- spécial, au milieu de l’enthousiasme
1910). Remarqué par Mack Sennett, il noncé comme un pamphlet antihitlérien, général. Anobli par la reine de Grande-
est engagé par la Keystone (déc. 1913) vaut à Chaplin en 1940 les attaques des Bretagne (1975), il a passé ses dernières
et y débute comme interprète de Henry milieux isolationnistes. Pendant la guerre, années dans l’un des plus beaux pay-
« Pathé » Lehrman en janvier 1914. Bien- il interviendra en faveur de l’ouverture du sages de la Suisse.
tôt, il réalise lui-même ses films, d’une, « deuxième front » et, en 1947, se verra Le génie de Chaplin réside d’abord
puis de deux bobines, à un rythme fré- accusé de sympathies communistes par dans son métier d’origine : la panto-
nétique, quittant la Keystone pour Essa- la Commission des activités antiaméri- mime, qu’il a enrichie et distillée presque
nay (1915), celle-ci pour la Mutual (1916) caines. à l’excès, puis maîtrisée (cf. son double

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

rôle dans le Dictateur). À distance, elle (His New Profession) ; Charlot et Fatty matin d’été, 1964), puis le Docteur Jivago
entre dans ses films muets en composi- font la bombe (The Rounders) ; Charlot (D. Lean, 1965) la fait accéder à une cer-
tion parfois conflictuelle avec son sens concierge (The New Janitor) ; Charlot taine popularité. Son talent s’épanouit
de l’espace encore étriqué, mais bientôt rival d’amour (Those Love Pangs) ; Char- après la rencontre avec le cinéaste espa-
plus subtil que celui de Mack Sennett lot mitron (Dough and Dynamite) ; Char- gnol Carlos Saura, dont elle sera l’épouse
(raccords entre gestes de personnages lot et Mabel aux courses (Gentlemen of pendant plusieurs années. Cette osmose
différents, choix d’angles, changements Nerve) ; Charlot déménageur (His Music- privilégiée entre un metteur en scène
d’échelle). Ensuite, la philosophie de hall Carrier) ; Charlot pape (His Trysting et une comédienne est de plus en plus
Charlot, vagabond famélique, souvent Place) ; le Roman comique de Charlot sensible dans les films successifs qu’elle
victime, souvent « fleur bleue » mais nul- et de Lolotte (Tillie Punctured Romance, tourne sous sa direction : Peppermint
lement lunaire et passablement sadique RÉ M. Sennett) ; Charlot et Mabel en pro- frappé (1967) ; Stress es tres, tres (1968) ;
à ses heures, a été indûment élevée menade (Getting Acquainted) ; Charlot La madriguera (1969), au scénario du-
au rang d’un humanisme universel (ce nudiste (His Prehistoric Past) ; — comme quel elle a collaboré ; le Jardin des délices
qui ne signifie pas, loin de là, que la ré- cinéaste et interprète (à partir de 1915) : (1970) ; Anna et les loups (1972) ; Cria
flexion sur la condition humaine en soit Charlot débute (His New Job) ; Charlot Cuervos (1975) ; Elisa, vida mía (1977) ;
absente). Ses limites sont indiquées par fait la noce (A Night Out) ; Charlot boxeur les Yeux bandés (1978) ; Maman a cent
le gag fameux des Temps modernes où (The Champion) ; Charlot dans le parc ans (1979). Elle poursuit parallèlement
le « petit homme » se retrouve en tête (In the Park) ; Charlot veut se marier (A une carrière internationale, alternant des
d’un cortège révolutionnaire... parce qu’il Jitney Elopement) ; Charlot vagabond prestations dans des productions com-
agite le drapeau rouge d’une interruption (Tramp) ; Charlot à la plage (By the Sea) ; merciales et des interprétations, souvent
de trafic. Aujourd’hui, après une éclipse Charlot apprenti (Work) ; Mam’selle Char- étonnantes, dans des films d’auteur, élar-
lot (A Woman) ; Charlot à la banque (The gissant considérablement son registre,
due à la politique malthusienne de Cha-
plin lui-même quant à une nouvelle sortie Bank) ; Charlot marin (Shanghaied) ; aussi bien comique que dramatique. Il
Charlot au music-hall (A Night in the faut signaler particulièrement son entrée
de ses films, à la redécouverte de Buster
Show) ; Charlot joue Carmen (Carmen, dans la « famille » de Robert Altman :
Keaton, à la faiblesse des commentaires
1916) ; Charlot cambrioleur (Police, id.) ; Nashville (1975), Buffalo Bill et les Indiens
bavards qu’il a ajoutés à certaines de ses
Charlot chef de rayon (The Floor-Walker, (1976), Un mariage (1978), ainsi que les
oeuvres (notamment la Ruée vers l’or) et
id.) ; Charlot pompier (The Fireman, id.) ; productions de ce dernier : Welcome to
à la mièvrerie intrinsèque de Limelight,
Charlot musicien (The Vagabond, id.) ; Los Angeles (1977), Tu ne m’oublieras
la réédition intégrale des longs métrages
Charlot rentre tard (One A. M., id.) ; Char- pas (1978) et les Modernes (1988), mises
est venue rappeler la vraie grandeur, non
lot et le Comte (The Count, id.) ; l’Usurier en scène par Alan Rudolph. D’excellents
exempte d’amertume mais souvent d’une
(The Pawnshop, id.) ; Charlot fait du ciné rôles lui ont été offerts en outre par Ri-
belle générosité, et remarquablement
(Behind the Screen, id.) ; Charlot patine chard Lester (les Trois Mousquetaires,
féconde sur le plan formel, qui reste celle
(The Rink, id.) ; Charlot policeman (Easy 1974 ; On l’appelait Milady, 1975 ; le
de Chaplin.
Street, 1917) ; Charlot fait une cure (The Retour des Mousquetaires, 1989), Jacob
Films : — Seulement comme inter-
Cure, id.) ; l’Émigrant (The Immigrant, id.) ; Bijl (Scrim, 1976), Enrique Brasó (In me-
prète (en 1914) : Pour gagner sa vie
Charlot s’évade (The Adventurer, id.) ; moriam, 1977), James Ivory (Roseland,
(Making a Living, Henry Lehrman) ; Char-
Une vie de chien (A Dog’s Life, 1918) ; 1977), Jacques Rivette (Noroit, 1977 ;
lot est content de lui (Kid Auto Races at
Charlot soldat (Shoulder Arms, id.) ; The l’Amour par terre, 1984), Miguel Littin (la
Venice, id.) ; l’Étrange Aventure de Mabel
Bond (inédit en France, id.) ; How to Make Veuve Montiel, 1979), Michel Deville (le
(Mabel’s Strange Predicament, M. Sen- Movies (id.) ; Idylle aux champs (Sunny- Voyage en douce, 1980), Guy Hamilton
nett et Lehrman) ; Charlot et le parapluie
side, 1919) ; Une journée de plaisir (A (Le miroir se brisa, id.), Claude Lelouch
(Between Showers, Lehrman) ; Charlot
Day’s Pleasure, id.) ; le Gosse (The Kid, (les Uns et les Autres, 1981), Alain Res-
fait du cinéma (A Film Johnnie, M. Sen- 1921) ; Charlot et le Masque de fer (The nais (La vie est un roman, 1983 ; I Want
nett) ; Charlot danseur (Tango Tangles, Idle Class, id.) ; Jour de paye (Pay Day, to Go Home, 1989), Michael Radford (Sur
id.) ; Charlot entre le bar et l’amour (His 1922) ; le Pèlerin (The Pilgrim, 1923) ; la route de Nairobi, 1987), Rebecca Horn
Favourite Pastime, George Nichols) ; — comme cinéaste seulement : l’Opi- (Buster s Bedroom, 1990), Tony Palmer
Charlot fou d’amour (Cruel, Cruel Love, nion publique (A Woman of Paris, id.) ; (The Children, id.), Richard Attenbo-
M. Sennett) ; Charlot aime la patronne — comme cinéaste et interprète : la Ruée rough (Chaplin, 1992), Martin Scorsese
(The Star Boarder, id.) ; Mabel au volant vers l’or (The Gold Rush, 1925) ; le Cirque (le Temps de l’innocence, 1993), Mary
(Mabel at the Wheel, id.) ; Charlot et le (The Circus, 1928) ; les Lumières de la McGuckian (Words Upon the Window
chronomètre (Twenty Minutes of Love, ville (City Lights, 1931) ; les Temps mo- Pane, 1994), Jorge Sanjinés (Para recibir
id.) ; — comme cinéaste et interprète (en dernes (Modern Times, 1936) ; le Dicta- el canto de los pájaros, 1995).
1914) : Charlot garçon de café (Caught teur (The Great Dictator, 1940) ; Monsieur
in a Cabaret, CO Mabel Normand) ; Un Verdoux (id., 1947) ; les Feux de la rampe CHAPMAN MOUVEMENTS D’APPAREIL
béguin de Charlot (Caught in the Rain) ; (Limelight, 1952) ; Un roi à New York (A
Madame Charlot (A Busy Day) ; le Maillet King in New York, 1957) ; la Comtesse CHAREF (Mehdi), cinéaste français d’ori-
de Charlot (The Fatal Mallet, CO Mabel de Hong-Kong (A Countess from Hong- gine algérienne (Maghnia 1952).
Normand et M. Sennett) ; le Flirt de Mabel Kong, 1967). À partir de 1970, il est tourneur dans une
(Her Friend the Bandit, CO M. Normand) ; usine parisienne et publie un roman qu’il
Charlot et Fatty sur le ring (The Knock- CHAPLIN (Geraldine), actrice américaine met en scène lui-même grâce à Costa-
out) ; Charlot et les saucisses (Mabel’s (Santa Monica, Ca., 1944). Gavras : le Thé au harem d’Archimède
Busy Day, CO M. Normand) ; Charlot et Fille aînée de Charlie Chaplin et d’Oona (1985), chronique vivace et tendre de la
le mannequin (Mabel’s Married Life, CO O’Neill, elle fait de la figuration dans Lime- vie des adolescents de banlieue (Prix
M. Normand) ; Charlot dentiste (Laughing light (1952) et Un roi à New York (1957) Jean Vigo 1985). Dans Miss Mona
Gas) ; Charlot garçon de théâtre (The Pro- et joue dans la Comtesse de Hong-Kong (1986), il donne à Jean Carmet l’occasion
perty Man) ; Charlot fou (The Face on the (1967). Après des études de ballet en d’une étonnante performance dans le
Barroom Floor) ; Fièvre printanière (Re- Angleterre, elle débute à Paris dans Cen- rôle d’un vieux travesti et poursuit dans la
creation) ; Charlot grande coquette (The drillon (1963). Jacques Deray lui confie voie d’un réalisme teinté de poésie avec
Masquerader) ; Charlot garde-malade son premier rôle au cinéma (Par un beau Camomille (1988). Au pays des Juliets

239
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

(1992) est une incursion quelque peu (ou le plateau débiteur) jusqu’à la bobine Kelly, dans le plus célèbre des films musi-
démonstrative dans l’univers des femmes réceptrice (ou le plateau récepteur). caux : Chantons sous la pluie, de Gene
délinquantes emprisonnées. En 2000 il Kelly et Stanley Donen. Sa robe blanche
réalise Marie-Line. CHARGER. dans la séquence onirique, sa coiffure
Effectuer le chargement d’un appareil. et sa silhouette à la Louise Brooks dans
CHARELL (Erik Löwenberg, dit Erik), ci- la première partie de ce ballet sont une
néaste allemand (Breslau [auj. Wroc’law] CHARGEUR. révélation pour beaucoup. Cette manière
1894 - Zug, Suisse, 1974). Boîte étanche à la lumière, adaptable à d’être double sera également utilisée par
Danseur au Max Reinhardt Theater à Ber- la caméra et contenant la bobine débi- Vincente Minnelli dans Tous en scène
lin, puis directeur artistique du Grosses trice, la bobine réceptrice et les débiteurs. (1953), dont, consécration suprême, elle
Schauspielhaus (Berlin), il y monte ( CAMÉRA.)
partage la vedette avec Fred Astaire.
l’Auberge du Cheval blanc. Son film Der Chantons sous la pluie et Tous en scène
CHARGING BAG (franglais).
Kongresstanzt, avec Lilian Harvey et sont les deux sommets de sa carrière,
Sac étanche à la lumière dans lequel, en
Willy Fritsch (1931), fut un grand succès et des numéros comme le « Broadway
glissant les bras, on peut garnir un char-
public dont il tourna parallèlement une Melody Ballet » et, dans le second film,
geur ou un magasin de film vierge sans
version française (Le congrès s’amuse) « Dancing in the Dark » et « The Girl Hunt
voiler celui-ci. ( CAMÉRA.)
et une version anglaise (The Congress Ballet » font partie de toutes les antholo-
Dances). En 1933, il est un des premiers gies de la comédie musicale.
CHARIOT.
collaborateurs de la UFA, dont le contrat Devenue vedette à part entière, Cyd
Plate-forme, évoluant sur rails, sur la-
est annulé, et, fuyant l’Allemagne nazie, quelle est montée la caméra pour l’exé- Charisse retrouve Gene Kelly pour un
émigre à Hollywood, où il réalise son se- cution des travellings. ( MOUVEMENTS musical féerique de Vincente Minnelli,
cond et dernier film, Caravan (1934), dont D’APPAREIL.) Brigadoon (1954), exécute un de ses plus
il existe également une version française beaux numéros dans Au fond de mon
(Caravane) : cette oeuvre témoigne d’un CHARISSE (Tula Ellice Finklea, dite Cyd), coeur de Stanley Donen et apparaît au
goût musical et d’une virtuosité dignes du actrice et danseuse américaine (Amarillo, sommet de sa beauté et de son talent
Mamoulian d’Aimez-moi ce soir (1932). Tex., 1922). dans Beau fixe sur New York, de Gene
Il travaille également comme scénariste Avant de devenir la plus grande danseuse Kelly et Stanley Donen. En 1957, elle
(Road to Morocco, D. Butler, 1942 ; Cas- de l’histoire du film musical américain, reprend le rôle, créé en 1939 par Greta
bah, J. Berry, 1948). En 1951, il est de elle étudie et pratique la danse classique. Garbo, dans la version musicale de Ni-
retour en Allemagne, écrit un remake de Elle fait ensuite partie des Ballets russes notchka que dirige Rouben Mamoulian :
Im weissen Rössl (1952), dont il compose de Monte-Carlo et travaille avec David la Belle de Moscou. Avec Fred Astaire,
aussi la musique, comme il le fera pour Lichine, Leonid Massine, Bronislava elle y exécute quelques-unes des danses
Sissi (1955). Nijinska, Michel Fokine, sous le pseu- les plus élégantes de sa carrière. En
donyme de Maria Istomina. Elle épouse, 1958, elle est la « Party girl » du film ho-
CHARENSOL (Georges), critique cinéma- en 1939, son ex-professeur, le danseur monyme de Nicholas Ray. Ses deux bal-
tographique, critique d’art et essayiste Nico Charisse. En 1943, à la demande lets sont admirables, mais elle est aussi
français (Privas 1899 - Paris 1995). de David Lichine, elle fait ses débuts à surprenante dans ce rôle très dramatique
Il est l’un des pionniers de la critique de l’écran dans un ballet de Something to du dernier de ses grands musicals. De sa
cinéma — son premier article (dans le Shout About, sous le pseudonyme de Lily fin de carrière, on retiendra surtout son
Bulletin du Touring Club de France) date Norwood. La même année, elle incarne rôle de vamp dans Quinze Jours ailleurs,
de 1917 — , exerçant ses talents impres- une danseuse du Bolchoï dans Mission de Minnelli. On la voit dans des shows
sionnistes dans Paris-Journal (1923), la to Moscow, de Michael Curtiz. Le cho- pour la télévision et, régulièrement, sur
Femme de France (1930) et surtout les régraphe Robert Alton et le producteur scène avec Tony Martin.
Nouvelles littéraires (depuis 1945). Il a Arthur Freed l’engagent pour danser avec Films : Mission to Moscow (M. Cur-
fondé, en 1928, l’Association de la cri- Fred Astaire dans Ziegfeld Follies, de tiz, 1943) ; Something to Shout About
tique cinématographique, puis, en 1946, Vincente Minnelli, et elle signe un contrat (G. Ratoff, id.) ; The Harvey Girls (G. Sid-
l’Association française de la critique de de sept ans avec la MGM. En 1945, The ney, 1946) ; Ziegfield Follies (V. Minnelli,
cinéma. À la radio, il a animé, plusieurs Harvey Girls, de George Sidney, avec id.) ; Three Wise Fools (E. Buzzell, id.) ; la
années durant (à partir de 1946), une Judy Garland, lui permet de montrer ses Pluie qui chante (Till the Clouds Roll By,
émission avec Louis Cheronnet : Art dons de comédienne et de chanteuse. Richard Whorf, id.) ; Señorita Toreador
vivant, et participé dès l’origine à l’émis- Pendant quelques années, elle va (Fiesta, R. Thorpe, 1947) ; la Danse ina-
sion populaire le Masque et la Plume, apparaître régulièrement dans les numé- chevée (The Unfinished Dance, H. Kos-
où ses reparties et ses joutes amicales ros dansés de musicals dont les vedettes ter, id.) ; Dans une île avec vous (On an
avec Jean-Louis Bory ont captivé et di- sont Judy Garland, Margaret O’Brien, Es- Island With you, Thorpe, 1948) ; Ma vie
visé les auditeurs par un subtil mélange ther Williams et Kathryn Grayson. 1949 est une chanson (N. Taurog, id.) ; le Bri-
d’idées conformistes et malicieusement est la date de son premier rôle dans un gand amoureux (L. Benedek, 1948) ; Ville
anticonformistes. Il a publié notamment film non musical : Tension, un policier haute, ville basse (M. LeRoy, id.) ; Ten-
Panorama du cinéma (1930), 40 Ans de de John Berry, que suit Ville haute, ville sion (J. Berry, id.) ; le Signe des renégats
cinéma (1935), Renaissance du cinéma basse, de Mervyn LeRoy, avec Barbara (H. Fregonese, 1951) ; Chantons sous la
français (1946), le Cinéma (1966) et Stanwyck et James Mason. Elle est espa- pluie (S. Donen, 1952) ; Au pays de la
deux livres sur René Clair (Un maître du gnole dans le Signe des renégats (H. Fre- peur (A. Marton, id.) ; Sombrero (N. Fos-
cinéma : René Clair, 1952, CO Roger gonese, 1951), où elle danse la ségue- ter, 1953) ; Tous en scène (Minnelli, id.) ;
Régent, et René Clair ou les Belles de dille avec Ricardo Montalban, et indienne Désir d’amour (Ch. Walters, id.) ; Briga-
nuit, 1953). en 1952 dans un western d’Andrew Mar- doon (Minnelli, 1954) ; Au fond de mon
ton, Au pays de la peur. Elle avait épousé coeur (S. Donen, id.) ; Beau fixe sur New
CHARGEMENT. le chanteur Tony Martin en 1948. York (G. Kelly et Donen, 1955) ; Viva Las
Sur une caméra, un projecteur, une ti- Mais sa gloire commence en 1952 Vegas (R. Rowland, 1956) ; Invitation à la
reuse, opération consistant à mettre en avec son admirable apparition dans le danse (G. Kelly, 1957) ; la Belle de Mos-
place le film depuis la bobine débitrice Broadway Melody Ballet, avec Gene cou (R. Mamoulian, id.) ; Crépuscule sur

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

l’océan (J. Pevney, 1958) ; Traquenard développe pourtant pas malgré Michel Roach l’engage comme réalisateur en
(N. Ray, id.) ; les Collants noirs (T. Young, Deville (À cause, à cause d’une femme, 1921 et lui confie la vedette d’une série
1960) ; Cinque Ore in Contanti / Five Gol- 1962), Agnès Varda (les Créatures, comique en 1924 après le départ d’Ha-
den Hours (Mario Zampi, 1961) ; Quinze 1966) et quelques autres. Il devient alors rold Lloyd. Il joue encore de petits rôles
Jours ailleurs (Minnelli, 1962) ; Assassi- producteur, notamment pour Sirocco dans des longs métrages parlants et
nio made in Italy (S. Amadio, 1965) ; Matt d’hiver (M. Jancso, 1969), où le metteur dirige après 1937 des courts métrages
Helm, agent très spécial (The Silencers en scène hongrois lui confie l’un des prin- burlesques pour la Columbia. Ses réali-
[Ph. Karlson], 1966) ; Maroc 7 (Gerry cipaux rôles, les Volets clos (J. -C. Brialy, sations sont signées Charles Parrott.
O’Hara, id.) ; Won Ton Ton the Dog Who 1973), qu’il interprète également, et Il
Saved Hollywood (M. Winner, 1976) ; les pleut sur Santiago (H. Soto, 1975). CHASSÉ.
Sept Cités d’Atlantis (Warlords of Atlantis, Images chassées, truquage de labora-
Kevin Connor, 1978). CHARTE. toire donnant l’impression que l’image
Tableau, filmé en fin de prise, comportant d’un nouveau plan « chasse » du cadre
CHARLIE CHAN, deux séries standardisées de plages co- l’image du plan précédent.
personnage de roman (1925), de films lorées et de plages grises, et qui permet
(1926) et de bandes dessinées (1938). au laboratoire de contrôler le rendu des CHATTERJEE (Soumitra), acteur indien
À l’opposé de Fu Manchu, symbole du couleurs. ( ÉTALONNAGE.) bengali (né en 1934).
« péril jaune », c’est la patience et la Satyajit Ray lui donne son premier rôle en
sagesse de l’Asie qui s’expriment à tra- CHASE (Frank Fowler, dit Borden), roman- 1959 dans le Monde d’Apu. Il deviendra un
vers cet inspecteur de la police de Hawaii cier et scénariste américain (New York, de ses acteurs fétiches et on le retrouvera
au langage fleuri, aux méthodes feu- N. Y., 1900 - Los Angeles, Ca., 1971). notamment dans la Déesse (1960), Cha-
trées et à l’humour particulier. Il est né Il commence par écrire des romans. Le rulata (1964), Tonnerre lointain (1973), la
dans cinq romans de Earl Derr Biggers plus connu en est The Chisholm Trail, Maison et le Monde (1984), Ghanashatru
(1884 - 1933), dont le premier, la Maison dont Howard Hawks fera la Rivière (1988) et ‘les Branches de l’arbre’ (1990).
sans clef (The House Without a Key), est Rouge, en 1948. Son premier scénario À côté de cette prestigieuse carrière,
porté à l’écran en 1934. Le personnage répertorié est celui d’un film d’action de plus de cent films commerciaux (parmi
apparaît au total dans 48 films. Les inter- Raoul Walsh (Rivaux, 1935) avec Victor lesquels Saat Pake Bandha [Ajoy Kar,
prètes en sont George Kuwa, Kamiyama McLaglen et Edmund Lowe. En 1942, 1963] et Sansar Simantey [Tarun Maju-
So-jin, E. L. Park, Warner Oland (16 films, Anthony Mann réalise son premier film, mdar, 1976] en font une des stars adu-
1931-1938), Sidney Toler (22 films, 1938- Dr Broadway, d’après une de ses his- lées du cinéma indien. On le remarque
1947), Roland Winters (5 films, 1948-49). toires et, en 1946, Frank Borzage réalise également dans l’adaptation à l’écran du
un mélodrame musical, Je vous ai tou- roman de Mircea Eliade la Nuit Bengali
CHARLOT, jours aimé, d’après une de ses nouvelles. (Nicolas Klotz, 1988), sous la direction
personnage créé par le cinéaste et ac- Mais c’est dans le western qu’il va se spé- de Mrinal Sen (les Nuages dans le ciel,
teur américain Charlie Chaplin de 1914 à cialiser à partir de 1948. En dehors de la 1965 ; Mahaprithivi, 1991) et du fils de
1936. Charlot apparaît une dernière fois Rivière Rouge, son nom est inséparable Satyajit Ray, Sandip Ray (Voyage inter-
dans les Temps modernes. ( CHAPLIN de quelques-uns des plus beaux films rompu, 1994).
[Charlie].) d’Anthony Mann : Winchester 73 (1950),
les Affameurs (1952), Je suis un aventu- CHATTERTON (Ruth), actrice améri-
CHARPIN (Fernand), acteur français (Mar- rier (1955), tous les trois interprétés par caine (New York, N. Y., 1893 - Norwalk,
seille 1887 - Paris 1944). James Stewart et produits par Universal. Conn., 1961).
Sa formation théâtrale poussée lui per- Sa profonde connaissance de l’Ouest Adulée au théâtre dès son plus jeune
met d’interpréter des rôles importants et son sens de la construction drama- âge, Ruth Chatterton est imposée au
à l’Odéon. Renoir fait de lui l’épicier de tique trouvent également à s’exprimer cinéma par son partenaire, Emil Jan-
Chotard et Cie (1933) et il tient sa partie avec Robert Aldrich (Vera Cruz, 1954), nings, dans Sins of the Fathers (L. Ber-
avec autorité dans les grands films pro- King Vidor (l’Homme qui n’a pas d’étoile, ger, 1928). De populaires mélodrames,
vençaux : la trilogie de Marius (1931- 1955) et John Sturges (Coup de fouet comme Madame X (L. Barrymore, 1929)
1936), dans laquelle son personnage en retour, 1956). Il a écrit deux des films ou Sarah and Son (D. Arzner, 1930) lui
de Panisse ne doit pas faire oublier le d’aventures maritimes de Raoul Walsh, assurent le titre de « première dame
Schpountz (1938), la Femme du bou- Le monde lui appartient (1952) et la Belle de l’écran » au début du parlant. Mais
langer (id.) et la Fille du puisatier (1940), Espionne (1953), ce qui tend à prouver elle réalise très vite la médiocrité dans
tous écrits par Pagnol, ou encore Tartarin qu’il n’est pas uniquement un spécia- laquelle Hollywood veut l’enfermer. Mal-
de Tarascon (R. Bernard, 1934), l’indica- liste du western. Après son dernier film gré quelques réussites comme Lilly Tur-
teur de Pépé le Moko (J. Duvivier, 1937), du genre en 1958 (l’Étoile brisée [Ride ner, Jenny Frisco, tous deux de William
le mauvais conseilleur dans le Camion a Crooked Trail], de Jesse Hibbs, avec A. Wellman en 1933 ou Female de Mi-
blanc (L. Joannon, 1943). Audie Murphy), il renonce au cinéma. Son chael Curtiz et William Dieterle (la même
roman Viva Gringo sera porté à l’écran en année), sa carrière cinématographique
CHARRIER (Jacques), acteur et producteur 1964 sous le titre de Gunfighters of Casa va sur son déclin. Paradoxalement, c’est
français (Metz 1936). Grande, par Roy Rowland. Ses grandes à ce moment qu’elle a son meilleur rôle :
D’abord étudiant en céramique aux années (une dizaine, à peine !) auront l’épouse futile et infidèle de Walter Hus-
Beaux-Arts, il interprète Audiberti et le coïncidé avec l’âge d’or du Western Uni- ton dans Dodsworth (W. Wyler, 1936).
Journal d’Anne Frank au théâtre, puis versal, qui lui doit beaucoup. Après quelques films en Angleterre, elle
est révélé par Carné dans les Tricheurs se tourne à nouveau vers le théâtre.
(1958). Acteur limité, doté d’un physique CHASE (Charles Parrott, dit Charlie ou
avantageux, il connaît une soudaine Charley), acteur et cinéaste américain (Bal- CHAUTARD (Émile), cinéaste et ac-
renommée à l’occasion de Babette s’en timore, Md., 1893 - Los Angeles, Ca., 1940). teur américain d’origine française
va-t-en guerre (Christian-Jaque, 1959). Frère du réalisateur James Parrott, il dé- (Paris 1881 - Los Angeles, Ca., 1934).
La vedette en est Brigitte Bardot, que bute comme interprète (second-banana Metteur en scène de théâtre, Chautard
Charrier épouse et dont il divorcera peu comedian) puis réalisateur de bandes co- vient au cinéma vers 1909. Il participe à
après. Sa carrière d’interprète ne se miques pour Mack Sennett en 1914. Hal l’aventure du Film d’Art (l’Aiglon, 1912),

241
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

tourne le Mystère de la chambre jaune sigue andando (1997), Besos para todos l’idealista (A. Lattuada, 1943). Il obtient
(1913) et quelques autres titres avant (2000). le prix Nastro d’argento pour son inter-
d’émigrer, en 1914, aux États-Unis. Il prétation dans le drame antifasciste Deux
signe des oeuvres de prestige (avec Clara CHAYEFSKY (Sidney, dit Paddy), scéna-
Lettres anonymes (M. Camerini, 1945).
Kimball Young, Pauline Frederick ou riste et producteur américain (New York,
Après La nuit porte conseil (M. Pagliero,
Norma Talmadge comme leading ladies), N. Y., 1923 - id. 1981).
1948), Chasse tragique (G. De Santis,
telles que Daytime Wives, en 1923. Au Après avoir contribué anonymement au
1948) et Au-delà des grilles (R. Clément,
milieu des années 20, il abandonne la scénario de The True Glory (G. Kanin
1949), il se spécialise dans des person-
et C. Reed, 1945), il consacre plusieurs
réalisation et se voit confier quelques
pièces à l’étude de la petite bourgeoisie nages de « vilain » (bruto) ou d’homme
rôles importants, comme celui du Père
urbaine. L’évolution, les problèmes cultu- rude, jouant dans presque cent films de
Goriot dans Paris at Midnight (E. Mason
rels relatifs à ce milieu forment aussi le tout genre, parmi lesquels : la Dame sans
Hopper, 1926). Plus que mûr, distingué et
thème commun des onze dramatiques camélias (M. Antonioni, 1953), Parola
moustachu, l’air d’un militaire en retraite
qu’il signe, de 1953 à 1955, pour le pro- di ladro (N. Loy et G. Puccini, 1957), le
portant beau, Chautard se prêtait admira-
gramme « Philco Television Playhouse ». Masque du démon (M. Bava, 1960), le
blement à un certain cliché du Français,
Dans un style réaliste et didactique, il Procès de Vérone (C. Lizzani, 1963), Wa-
qu’il incarna du reste avec saveur dans
traite du difficile ajustement des immigrés
Morocco (1930) et Shanghai-Express terloo (S. Bondartchouk, 1970).
aux valeurs modernes, évoque les conflits
(J. von Sternberg, 1932).
de générations (The Catered Affair) et CHEF OP.
les inhibitions sexuelles de l’Américain
CHAUVEL (Charles Edward), cinéaste et Abrév. fam. de chef opérateur.
moyen (Marty). Portée à l’écran en 1955
producteur australien (Warwick, Queens-
par Delbert Mann, cette dernière oeuvre CHEF OPÉRATEUR.
land, 1897 - Sydney, New South Wales,
trace la voie à un cinéma indépendant
1959). Syn. de directeur de la photographie.
où l’inspiration quotidienne frôle souvent
Il lutte toute sa vie pour l’établissement
le misérabilisme. Jouissant d’un prestige CHEF OPÉRATEUR DU SON.
d’un cinéma national indépendant fondé
considérable, Chayefsky impose ses
sur la technique et l’efficacité d’Hol- Technicien responsable de la prise de
scénarios comme de véritables drames
lywood, où d’ailleurs il a travaillé à plu- son. ( GÉNÉRIQUE.)
cinématographiques, dont il escompte
sieurs reprises. Il sera le seul cinéaste
une mise en scène purement illustrative. CHEIREL (Jeanne Augustine Baltazar-Le-
australien à continuer à l’époque du
Il s’assure un contrôle étroit sur la pro-
parlant une carrière commencée avec riche, dite Jeanne), actrice française (Paris
duction de The Catered Affair (R. Brooks,
Mothog Mambi (1925). C’est un senti- 1868 - id. 1934).
1956), la Nuit des maris (Delbert Mann,
mental aux traits de génie, un découvreur Actrice de théâtre au talent abondant,
1957), la Déesse (J. Cromwell, 1958)
d’acteurs (Errol Flynn, Chipps Rofferty). généreux et plein de verve, elle triomphe
et d’Au milieu de la nuit (Delbert Mann,
Dans ses films, où le pire voisine avec le dans les Vignes du Seigneur, le Sexe
1959), qui conclut la première phase de
meilleur, Chauvel met souvent en scène faible (qu’elle reprend à l’écran avec
sa carrière cinématographique.
l’Australie et son histoire. De lui on peut Robert Siodmak, 1933) et l’opérette Ta
Avec les Jeux de l’amour et de la
retenir : For the Terms of His Natural Life
guerre (A. Hiller, 1964), il révèle un goût bouche. Elle fait preuve à l’écran de la
(1927) ; In the Wake of the Bounty (1933) ;
nouveau pour la harangue, la satire à même autorité, et c’est pourquoi on l’a
Fourty Thousand Horsemen (1941), qui
l’emporte-pièce, malgré des bonheurs souvent comparée à l’actrice américaine
retrace l’une des dernières grandes
d’expression variables et une tendance Marie Dressler. Partenaire de Prince dans
charges de l’histoire ; Sons of Matthews
à la prolixité qui se confirme dans l’Hô- certains films de Rigadin, elle joue avec
(1949), saga de la vie pionnière ; Jedda
pital (Hiller, 1971). Cette grinçante allé- humour dans Crainquebille (J. Feyder,
(1955), où il aborde le problème abori-
gorie sur le bureaucratisme, doublée 1923) et le Secret de Polichinelle (René
gène, premier film australien en couleurs.
d’un vibrant plaidoyer pour la sauve- Hervil, 1923). Elle retrouve à l’écran ses
garde des valeurs humanistes, préfigure
CHÁVARRI (Jaime), cinéaste espagnol succès théâtraux avec Miquette et sa
Network (S. Lumet, 1976), où Chayefsky
(Madrid 1943). mère (H. Diamant-Berger et D. B. Mau-
dénonce avec brio les impostures de la
Le documentaire El desencanto (1976) rice [Maurice Diamant-Berger], 1933), le
culture télévisuelle, exprimant avec une
pose un regard clinique sur la famille. Voyage de M. Perrichon (Jean Tarride,
virulence rare la colère et l’angoisse de
À un dieu inconnu (A un dios descono- 1934) et le Monde où l’on s’ennuie (Jean
l’intelligentsia libérale face aux pouvoirs
cido, 1977) raconte l’histoire d’un homo- de Marguenat, 1935).
croissants de la télévision. La parabole
sexuel en quête d’identité. L’Homme aux
est volontiers excessive, elle illustre la
chiens (Dedicatoria, 1980) a pour thèmes CHEIREL (Micheline Leriche, dite Miche-
dictature des sondages, la mise en spec-
l’inconstance affective et l’inceste. Ces line), actrice française (Paris 1917).
tacle de l’information, l’exploitation des
films personnels, débusquant traditions Nièce de Jeanne Cheirel, sa carrière
frustrations collectives. Network constitue
et évolution dans les comportements indi-
le couronnement de la carrière du scé- française est courte puisque interrompue
viduels, révèlent un talent et une maturité
nariste. En 1980, ce dernier adapte son par la guerre et le départ de l’actrice pour
rares chez les jeunes cinéastes péninsu- premier et unique roman : Altered States les États-Unis. De 1944 à 1947, elle y
laires. Il connaît un grand succès public (Au-delà du réel), qu’il signe à l’écran tient quelques rôles dans des films sans
en 1984 dans son pays natal avec Las sous le pseudonyme de Sidney Aaron, grand relief. Elle avait été auparavant la
bicicletas son para el verano et tourne en- afin de marquer son désaveu à l’égard du fille avenante de Françoise Rosay dans
suite Bearn (1985), El rio de oro (1986), réalisateur, Ken Russell.
la Kermesse héroïque (J. Feyder, 1935),
Je suis celui que tu cherches (Yo soy el
la Parisienne délurée de Ces dames aux
que tu buscas, TV, 1988, d’après García CHECCHI (Andrea), acteur italien (Flo-
Màrquez), les Choses de l’amour (Las chapeaux verts (M. Cloche, 1937) et
rence 1916 - Rome 1974).
cosas del querer, 1989), Tierno verano Il débute avec un petit rôle dans 1860 surtout la petite amoureuse de la Belle
de lujurias y azoteas (1993), une suite (A. Blasetti, 1933) et joue dans douze Équipe (J. Duvivier, 1936), prouvant ainsi
à les Choses de l’amour, Gran Slalom films d’avant-guerre, dont le Siège de que son talent s’accommodait de simpli-
(1995), Sus ojos se cerraron y el mundo l’Alcazar (A. Genina, 1940) et Giacomo cité et sensibilité.

242
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

CHENAL (Pierre Cohen, dit Pierre), ci- CHEN BO’ER, actrice et scénariste chinoise piano de Jane Campion) au Festival de
néaste français (Bruxelles, Belgique, 1904 - (province du Guangdong 1910 - Pékin Cannes 1993. C’est le début d’une trilogie
La Garenne-Colombes, 1991). 1968). sur l’histoire de la Chine, poursuivie en
Il aborde l’écran par le biais du documen- Sortie de l’École des beaux-arts de Shan- 1996 par Temptress Moon et achevée en
taire sensible (les Petits Métiers de Paris, ghai, elle joue au théâtre, mais doit se 1999 par l’Empereur et l’assassin, une
1930). Les dix années suivantes font de réfugier à Hongkong de 1931 à 1933 en fresque au souffle shakespearien sur les
lui un réalisateur qui sait bâtir un film et raison de ses activités politiques. Reve- fondements de l’Empire du Milieu, abou-
diriger des acteurs. Adaptant la Rue sans nue à Shanghai, elle débute au cinéma tissement d’un tournage de trois ans. En
nom (1933), roman de Marcel Aymé, il en 1934 dans ‘les Malheurs de la jeu- 2001, il tourne aux États-Unis Killing Me
sait en faire ressortir le fantastique social. nesse’ (Tao li jie, Ying Yunwei). Elle ap- Softly.
De même, c’est une émotion exempte de paraît ensuite dans ‘À la vie et à la mort’
CHENG BUGAO, cinéaste chinois (Jiaxing,
vulgarité qui se dégage du Martyre de (Shengsi Tongxin, id., 1936) et ‘Huit cents
Zhejiang, 1894 - Hongkong 1966).
l’obèse (id.). Crime et Châtiment (1935), soldats héroïques’ (Babai zhuangshi, id.,
D’abord étudiant en France et critique de
avec son interprétation exemplaire, 1938). En 1938, elle gagne Yan’an, capi-
cinéma, il écrit son premier scénario et
l’Homme de nulle part (1937), d’après tale de la région administrée par les com-
réalise son premier film en 1924. Il entre
Pirandello, ne pâlissent pas devant leurs munistes, où elle travaille avec son mari,
à la Mingxing en 1928. Après avoir été
modèles. Il n’a pas le souffle qu’il faudrait le cinéaste Yuan Muzhi. De 1947 à 1951,
assistant de Zhang Shichuan pour ‘la
pour traduire la révolte des Mutinés de elle participe à la direction du nouveau ci-
Cantatrice Pivoine rouge’ (Genü Hon-
l’Elseneur (1936), mais sait ordonner les néma socialiste, d’abord dans les studios
gmudan, 1931), il réalise à la Mingxing
eaux-fortes de l’Affaire Lafarge (1938). du nord-est, à Changchun, puis au mi-
près d’une quarantaine de films, parmi
L’Alibi (1937) reste un policier agréable, nistère de la Culture à Pékin. Elle a écrit
lesquels : ‘le Torrent sauvage’ (Kuan-
où s’amusent Jany Holt, Stroheim et Jou- deux scénarios : ‘les Héros de la frontière’
gliu, 1933, scénario de Xia Yan) ; ‘les
vet, la Maison du Maltais (1938) un mélo (Bian qu lao dong ying xiong, 1946), film
Vers à soie du printemps’ (Chuncan, id.,
distingué, le Dernier Tournant (1939), un collectif de fiction du groupe de Yan’an et
scénario de Xia Yan d’après la nouvelle
bel exercice de style à partir du roman ‘le Rêve de l’empereur’ (Huang di meng,
de Mao Dun) ; ‘Défricher le Nord-Ouest’
de James Cain Le facteur sonne toujours 1947), moyen métrage réalisé par le petit
(Dao Xibei qu, 1934) ; ‘l’Ennemi commun’
deux fois, avec Corinne Luchaire, Michel groupe du Nord-Est près de Kharbin, et
(Tongchou, id., scénario de Xia Yan) ;
Simon et Fernand Gravey. Replié en qui est le premier film de marionnettes
‘Une bible pour les femmes’ (Nüer Jing,
Argentine et au Chili pendant la guerre, chinois.
id.) ; ‘la Petite Lingzi’ (Xiao Lingzi, 1936,
il tourne à son retour en France une
scénario de Ouyang Yuqian) ; ‘Shanghai
adaptation du roman de Gabriel Cheva- CHEN KAIGE, cinéaste chinois (Pékin
d’hier et d’aujourd’hui’ (Xin jiu Shanghai,
lier Clochemerle (1948) puis après une 1952).
id., scénario de Hongshen). En 1947, on
nouvelle parenthèse argentine (Sangre Fils du cinéaste Chen Huai’ai. La révo-
le retrouve à Hongkong, où il travaille
negra, 1949, d’après et avec le roman- lution culturelle interrompt ses études et
pour la compagnie Yonghua, puis pour sa
cier noir américain Richard Wright) se voit en 1968, il est envoyé dans une plan-
concurrente Great Wall (Changcheng). Il
contraint de signer plusieurs films à voca- tation de caoutchouc au Yunnan. Trois
y réalise une vingtaine de films, le dernier
tion commerciale, dont Rafles sur la ville ans plus tard, il s’engage dans l’armée
en 1961. Le plus célèbre est ‘Merry-Go-
(1958) et la Bête à l’affût (1959). où il reste cinq ans. Après quoi il rentre
Round’ / ‘Une joyeuse réunion’ (Huanxi
à Pékin et travaille pendant trois ans
yuanjia, 1954).
CHEN BAICHEN (Chen Zhenghong, dit), comme ouvrier dans les laboratoires de
écrivain et scénariste chinois (Huayin, cinéma. En 1978, il est admis à l’Institut
CHENGUELAIA (Eldar) [El’dar Nikolaevi
Jiangsu, 1908-1994). de cinéma de Pékin qui vient de rouvrir Sengelaja], cinéaste soviétique géorgien
Il se forme aux côtés de Tian Han et ses portes après dix ans d’interruption. (Tbilissi, Géorgie, 1933).
commence à écrire des romans en Diplômé en 1982, Chen réalise deux télé- Fils de Nikolaï Chenguelaia et de l’actrice
1928. Emprisonné pour ses activités films avant de partir pour les studios de Nata Vatchnadze, il termine ses études
anti-japonaises de 1932 à 1935, il se Guangxi avec son camarade d’études, le en 1958 au VGIK de Moscou où il a été
consacre entièrement à la littérature. Au cameraman Zhang Yimou. Son premier l’élève de Youtkevitch. Il signe ses deux
Sichuan, pendant la guerre, il continue film la Terre jaune (Huang tudi, 1984) est premières oeuvres en collaboration avec
à écrire, surtout pour le théâtre. À partir brillamment accueilli dans divers festivals Alekseï Sakharov : ‘la Légende du coeur
de 1947, il écrit seul ou en collaboration internationaux. Il réalise ensuite le Grand de glace’ (Legenda o ledjanom serdce,
des scénarios de films : le Chant du bon- défilé (Da yue bing, 1986) dont la pho- 1958) et ‘Conte de neige’ (Snežnaja Ska-
heur impossible (Xinfu kuangxiangqu, tographie, comme pour la Terre jaune, zka, 1960) et la troisième avec Tamaz
Chen Liting, 1947) et surtout Corbeaux est de Zhang Yimou. Ces films proposent Meliava (‘la Caravane blanche’ [Belyj Ka-
et Moineaux (Wuya yu maque, Zheng une nouvelle esthétique, très visuelle, qui ravan], 1964). En 1965, il participe avec
Junli, 1949), qui anticipe sur la prise de rompt avec le cinéma narratif et instaure son frère Gueorgui et Merab Kokotchach-
Shanghai par les communistes. En 1954, une cinquième génération de cinéastes. vili à l’un des épisodes (Nikela) du film ‘les
il signe Song Jingshi (id., Zheng Junli et En 1987, Chen Kaige signe le Roi des en- Légendes du passé’ (Stranicy prošlogo),
Sun Yu). En dehors de ses activités offi- fants (Haizi wang). Il obtient une bourse à puis il traduit à l’écran son univers per-
cielles, il s’est spécialisé dans le théâtre l’Université de Columbia à New York en sonnel, à mi-chemin de la farce et de
historique. En 1961, il prépare le scénario 1988 et revient en Chine deux ans plus la fantasmagorie, dans ‘Une exposition
de la Vie de Lu Xun (Luxun zhuan), mais tard pour tourner la Vie sur un fil (Bian zou extraordinaire’ (Neobyknovennaja vysta-
ce film sur l’écrivain, que devait interpré- bian chang, 1991), un film métaphorique vka, 1969) et ‘les Hurluberlus’ ‘les Rigo-
ter Zhao Dan, ne sera jamais réalisé. sur la magie de la foi. Ensuite, il réalise los’ (udaki, 1974). Il reprend en 1977
C’est également lui qui rédige le scéna- pour la compagnie Tomson (HK) Films, un sujet traditionnel géorgien, ‘la Marâtre
rio de la Véritable histoire d’Ah-Q (Ah-Q d’après le roman historique de Lilian Lee, Samanichvili’ (Maeha Samanišvili), déjà
zheng zhuan, Cen Fan, 1982) d’après le une très belle mise en scène pour Adieu traité en 1927 par Kote Mardjanichvili et
célèbre roman de Lu Xun. Chen Baichen ma concubine (Ba wang bie ji) - avec Zahari Berichvili. En 1984, il signe une
a écrit une quarantaine de romans, qua- Leslie Cheung, Zhang Fengyi et Gong Li réjouissante satire de la bureaucratie, les
rante pièces de théâtre et sept scénarios. – Palme d’or ex-aequo (avec la Leçon de Montagnes bleues (Golubye gory), sui-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

vie en 1993 d’un autre pamphlet social, CHEPITKO (Larissa) [Larisa Efimovna avec le Mystère Silkwood (M. Nichols,
Information-Express (Ekspress-Informa- Šepit’ko], cinéaste soviétique (Kiev, 1983), Mask (P. Bogdanovich, 1985),
cia, 1993). Ukraine, 1938 - Moscou 1979). les Sorcières d’Eastwick (George Miller,
Prématurément disparue dans un acci- 1987), Suspect (P. Yates, id.), Éclair de
CHENGUELAIA (Gueorgui) [Georgij Sen- dent de la route, elle avait débuté comme lune (N. Jewison, id., Oscar de la meil-
gelaja], cinéaste soviétique géorgien actrice à Kiev avant de suivre les cours leure interprétation féminine), les Deux
(Moscou 1937). de l’Institut du cinéma de Moscou dans Sirènes (R. Benjamin, 1990), Prêt à por-
Fils de Nikolaï Chenguelaia et de l’actrice la classe de Dovjenko. Son premier film ter (R. Altman, 1994), Un thé avec Mus-
Nata Vatchnadze, frère d’Eldar Chengue- Chaleur torride ou Canicule (Znoj, 1963), solini (F. Zeffirelli, 1999), un tempérament
laia, il est d’abord acteur dans des films inspiré d’un récit de Tchinguiz Aïtmatov, exceptionnel.
de Revaz Tchkheidze et Mikhail Tchiaou- situe en Kirghizie les difficiles débuts d’un
reli (dont il épousera la fille, la comé- adolescent dans la vie adulte. L’héroïne CHÉREAU (Patrice), cinéaste français (Lézi-
dienne Sofiko Tchiaoureli). Il étudie au des Ailes (Kryl’ja, 1966) est une ancienne gné 1944).
VGIK de Moscou jusqu’en 1962 et attire aviatrice qui ne parvient pas à s’habi- Metteur en scène de théâtre, il acquiert
l’attention par un moyen métrage : ‘Ala- tuer à ses responsabilités de directrice très vite une réputation internationale
verdoba’ (1966 [RÉ 1962]). Après l’épiso) de collège et ne comprend pas la jeune (Molière, Shakespeare, Marivaux, Mar-
de ‘la Récompense’ (Nagrada) du film ‘les génération, y compris sa propre fille. Le lowe). Dans son premier film, la Chair de
Légendes du passé’ (Stranicy prošlogo ; sujet de son moyen métrage la Patrie de l’orchidée (1975), il adapte le roman de
CO E. Chenguelaia et M. Kokotchach- l’électricité (Rodina elektriestva, 1967) James Hadley Chase, course à la mort
vili, 1965), il signe ‘Il ne voulait pas tuer’ est emprunté à Andreï Platonov et devait peuplée de personnages de tragédie. Le
(On ubivat‘ ne hotel, 1966) et remporte prendre place avec deux autres épisodes, reproche lui ayant été fait de théâtralité,
un succès d’estime international avec dus à Andreï Smirnov et Guenrikh Gabaï, et venant de mettre en scène la Tétra-
Pirosmani (1971 [RÉ 1969]), transpo- dans un long métrage qui, censuré, ne logie de Richard Wagner, à Bayreuth, il
sition volontairement naïve de la vie du sera distribué que vingt ans plus tard tente avec Judith Therpauve (1978) un
célèbre peintre naïf Niko Pirosmani [ch- sous le titre : le Début d’un siècle inconnu film réaliste sur les difficultés d’un quo-
vili]. Il s’essaye ensuite dans la comédie (Naalo nevedomogo veka). Toi et moi tidien de province. En 1983, après avoir
musicale : ‘Mélodies du quartier de Verij’ (Ty i ja, 1971) revient au thème de l’af- interprété le rôle de Camille Desmoulins
(Melodii Verijskogo Kuartala, 1973), puis frontement d’une vie nouvelle : un homme dans le Danton d’Andrzej Wajda (1982),
tourne successivement ‘Notre eau quoti- décide de partir pour la Sibérie recom- il signe l’Homme blessé, variation sur le
dienne’ / ‘Viens dans la vallée du raisin’ mencer « à zéro » après avoir dressé un thème de la passion homosexuelle, puis
(Pridi v dolinu vinograda, 1977), ‘Jeune bilan négatif de la première partie de sa incarne dans Adieu Bonaparte (Y. Cha-
fille à la machine à coudre’ (Devuška so vie. Chepitko a reçu la consécration inter- hin, 1985) le génie mégalomaniaque,
švejnoj mašinkoj, en coréalisation avec nationale grâce à l’Ours d’or remporté à cynique et théâtral parti à la conquête
M. Tchiaoureli, 1980), ‘le Voyage d’un Berlin par son dernier film, l’Ascension de l’Orient. En 1987, il réalise Hôtel de
jeune compositeur’ (Putešestvie molo- (Voshoždenie, 1976), oeuvre sévère et France et, en 1994, la Reine Margot,
dogo kompozitora, 1985), Khareba et puissante qui évoque la résistance du vaste fresque tempétueuse, luxueuse,
Gogui (Hareba i Gogi, 1987) ‘le Grand peuple russe pendant la guerre, dans une théâtrale et parfois désordonnée qui at-
échange’ (Menialy, 1992). perspective quasi dostoïevskienne. Au teindra un succès public à la mesure des
moment de sa mort, elle commençait un investissements mis en oeuvre pour filmer
CHENGUELAIA (Nikolaï) [Nikolaj film adapté d’un récit de Valentin Raspou- « moderne » cette nouvelle adaptation du
Mihailovi Sengelaja], cinéaste soviétique tine, Matiora, qui a été terminé par son roman de Dumas. Il réalise en 1998 Ceux
géorgien (Selo Obudni 1903 - Tbilissi mari, le réalisateur Elem Klimov. qui m’aiment prendront le train et reçoit
1943). en 2001 l’Ours d’or au Festival de Berlin
Poète et écrivain de talent, admirateur CHER (Cherylin Sarkisian, dite), actrice pour Intimité.
de Maïakovski, disciple doué du metteur américaine (El Centro, Ca., 1946).
en scène de théâtre (et cinéaste) Kote Dans les années 60, elle forme avec CHEUNG (ZHANG Zhiliang, dit Jacob), ac-
[Konstantin] Mardjanichvili, il débute Salvatore « Sonny » Bono un des duos teur, cinéaste et producteur chinois (Hong
à l’écran, avec l’aide de Lev Pouch, en favoris de la jeunesse américaine. Fi- Kong, 1959).
tournant Gioulli (Gjulli, 1927), puis il signe gures clés du mouvement hippie, Sonny À la fin de ses études secondaires, il fait
un film qui fait date, Elisso (Eliso, 1928) & Cher imposent un « son », des un stage à la chaîne de télévision TVB,
d’après A. Kazbegi et sur un scénario mélodies à succès (« I Got You Babe », où il devient assistant-réalisateur. Deux
de Tretiakov. Ses 26 Commissaires de « The Beat Goes on », « Bang Bang ») ans plus tard, il entre à Cinema City
Bakou (Dvadcat‘šest’ Komissarov, 1933) et une mode vestimentaire imitée par comme directeur de production, puis
lui apportent une célébrité plus large des millions d’adolescents. Après trois rejoint la Golden Harvest comme produc-
encore. Il devient la figure de proue du discrètes incursions à Hollywood (Wild teur exécutif. En 1986, il entreprend la
cinéma géorgien, réalise successivement on the Beach, Maury Dexter, 1965 ; Good réalisation de son premier film, Lai Shi,
la Vallée d’or (Zolotistaja dolina, 1937), Times, W. Friedkin, 1967 ; Chastity, Ales- dernier eunuque de Chine (Zhongguo
la Patrie (Rodina, 1940), Dans les mon- sio de Paola, 1969), ils lancent le « Sonny zuihou yige taijian, sorti en 1988). Après
tagnes noires (V ernyh orah, 1941). & Cher Show », une des émissions avoir étudié le cinéma au Japon pendant
Son dernier film, Il reviendra encore (On de variétés les plus suivies d’outre-Atlan- six mois, il produit et réalise Beyond the
eše vernetsja, 1943), sera terminé après tique. Le couple se sépare en 1975. Cher Sunset (Feiyue huanghun, 1989), prix
sa mort par Diomid Antadze. poursuit une carrière solo jalonnée de du meilleur film et du meilleur scénario
disques d’Or et de platine. Elle débute à à Hong Kong en 1990. Il crée ensuite la
CHENILLE. la scène en 1981, dans Come Back to société Filmagica, où il réalise Goodbye
1. Raccourci du négatif, utilisé pour l’éta- the Five and Dime, Jimmy Dean, Jimmy Hero (Wanming shuangxiong, 1990), The
lonnage. Dean, et révèle son étonnant abattage Lover’s Tears (Shi bu wang qing, 1991) et
2. Dans un auditorium de mixage, dis- dans la version filmée de cette pièce Cagemen (Long min, 1992), prix du meil-
positif électronique lumineux, placé sous (Reviens, Jimmy Dean, reviens, R. Alt- leur film, meilleure mise en scène et meil-
l’écran, matérialisant la présence de sons man, 1982). Comédienne instinctive, leur scénario à Hong Kong en 1993. La
sur la bande sonore. chaleureuse et sensuelle, elle confirme même année, il établit la Simpson Com-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

munication et fonde avec Peter Chan la elle tient à nouveau le rôle d’une actrice Lourcine (id., MM, id.) ; Par habitude (id.,
société UFO, dans le but d’encourager chinoise dans Irma Vep (Olivier Assayas, CM, remake, 1924) ; Bonjour New York !
le cinéma d’auteur, totalement en crise id.), et apprend le français pour Augustin, (R. Florey, CM, 1928) ; la Chanson de
à Hong Kong, en Chine et à Taïwan. Il roi du kung-fu (Anne Fontaine, 1999). In Paris / Innocents of Paris (Richard Wal-
débute aussi en tant qu’acteur dans son the Mood for Love (Wong Kar-wai, 2000) lace, 1929, vers. amér. et franç.) ; Parade
propre film, Always on my Mind (Cheung la consacre sur la scène internationale. d’amour/ The Love Parade (Lubitsch,
chin fuchai, id.), une comédie inspirée id., vers. amér. et franç.) ; Paramount on
de Woody Allen, comme le reste de son CHEVALIER (Maurice), acteur et chanteur Parade (CO 1930, vers. amér. et plus.
oeuvre. Ses dernières réalisations, The français (Paris 1888 - id. 1972). versions étrangères) ; la Grande Mare /
Returning (Dun jeuk nai guay loy, 1994), Celui que Broadway, qui l’avait adopté, The Big Pond (Hobart Henley, id., vers.
Xian yue piao piao (1995), Intimates (Ji appelait « the King » commence une amér. et franç.) ; le Petit Café / Playboy
sor, 1997) et The Kid (1999) témoignent carrière d’acrobate qu’un accident arrête of Paris (L. Berger, id., vers. amér. et
de sa volonté de ne pas se compromettre très vite. Il fait alors des numéros de franç.) ; El Cliente Seductor (Florian Rey,
dans un cinéma commercial. cabaret dans des boîtes assez minables CM, 1931) ; The Stolen Jewels (William
de Ménilmontant, à Bruxelles (sa mère McCann, CM, id.) ; le Lieutenant sou-
CHEUNG (Cheung Kwok-wing, dit Leslie), est d’origine belge). Il a de l’abattage : riant / The Smiling Lieutenant (Lubitsch,
acteur et chanteur chinois (Hong Kong, les Folies-Bergère, puis le théâtre du id., vers. amér. et franç.) ; Toboggan
1956). Boulevard le font connaître, type du titi (H. Decoin, CM, 1933) ; Une heure près
Chanteur de « pop » cantonaise dès parisien qui trouve quelques petits rôles de toi / One Hour With You (Lubitsch, id.,
l’âge de vingt ans, il apparaît à l’écran au muet. Du Boulevard et du cabaret à vers. amér. et franç.) ; Make Me a Star
en 1980. Jusqu’à son rôle dans le Syn- l’opérette, il affine, à défaut de sa voix, sa (W. Beaudine, id., caméo) ; Aimez-moi
dicat du crime (John Woo, 1986), il est silhouette, son maintien, son métier. Il est ce soir (R. Mamoulian, id.) ; Monsieur
d’abord connu pour ses chorégraphies un professionnel des planches, et c’est ce Bébé (N. Taurog, 1933) ; l’Amour guide
en concert. Rapidement, du film à cos- que l’Amérique lui reconnaît, d’emblée, / The Way to Love (id., id., vers. amér.
tumes (Histoires de fantômes chinois, A lorsqu’il y débarque, engagé par la Pa- et franç.) ; la Veuve joyeuse / The Merry
Chinese Ghost Story, Ching Siu Tung, ramount, en 1929, pour tourner, le plus Widow (Lubitsch, 1934, vers. amér. et
1987 ; Rouge, Stanley Kwan, 1988) à souvent, les deux versions, américaine et franç.) ; l’Homme des Folies-Bergère /
celui de gangster (le Syndicat du crime 2, française, de ses meilleurs films parlants : Folies-Bergère (R. del Ruth, 1935, vers.
John Woo, 1987), en passant par le mé- amér. et franç. [dirigée par M. Achard]) ;
Parade d’amour (E. Lubitsch), le Petit
lodrame (Nos années sauvages, Wong le Vagabond bien-aimé (C. Bernhardt,
Café (L. Berger, 1930), le Lieutenant sou-
Kar-wai, 1990), il s’impose comme l’un 1936) ; l’Homme du jour (J. Duvivier,
riant, avec Claudette Colbert (Lubitsch,
des acteurs incontournables de la colonie 1937) ; Avec le sourire (M. Tourneur,
1931), puis aux côtés de Jeannette Mc-
britannique. Mais c’est en allant tourner id.) ; Fausses Nouvelles (R. Clair, 1938) ;
Donald dans Une heure près de toi (id.,
en Chine Populaire (Adieu ma concu- Pièges (R. Siodmak, 1939) ; Le silence est
1932). Mamoulian le dirige dans Aimez-
bine, Chen Kaige, 1993) qu’il obtient une d’or (R. Clair, 1947) ; Paris 1900 (DOC,
moi ce soir la même année, et, en 1934,
reconnaissance internationale. Restant N. Védres, 1948) ; le Roi (Marc-Gilbert
il retrouve, dans la Veuve joyeuse et pour
attaché à Wong Kar-wai (les Cendres du Sauvageon, 1950) ; Ma pomme (Sau-
la MGM cette fois, la « Lubitsch touch ».
temps, 1994 ; Happy Together, 1997), il vageon, id.) ; Schlager-parade (E. Ode,
Chevalier a du charme, un peu parvenu,
s’essaie avec succès à la comédie : le caméo, 1953) ; Un siècle d’amour (Cento
un peu canaille — assez bien gommé par
Festin chinois (Tsui Hark, 1994) ; He’s anni d’amore [Lionello De Felice], id.) ;
Lubitsch dans le rôle du prince Danilo. Il
a Woman, She’s a Man (Peter Chan, J’avais sept filles (Jean Boyer, 1954) ;
revient en France, à l’écran et au music-
1995). En 2000, il joue dans Okinawa Rendez-vous avec Maurice Chevalier
hall. Son personnage, même en frac, est
Rendez-vous (Gordan Chan). (DOC, 1956) ; Ariane (B. Wilder, 1957),
fixé. Le canotier a supplanté la casquette
Gigi (V. Minnelli, 1958) ; J’ai épousé un
de Ménilmuche, mais il joue, au bras de
CHEUNG (Cheung Man-Yuk, dit Maggie), Français (Count Your Blessings [J. Negu-
Josette Day, l’ouvrier au goût du temps
actrice chinoise (Hong Kong, 1964). lesco], 1959) ; Can-Can (W. Lang, 1960) ;
dans l’Homme du jour (J. Duvivier, 1937).
Jusqu’en 1988, on la voit uniquement les Collants noirs (T. Young, id., narra-
L’optimisme facile, la lippe sûre, gour-
dans des films très commerciaux comme teur) ; Un scandale à la cour (M. Curtiz,
mande, gouailleuse, il plaît ou il exas-
Police Story (Jackie Chan, 1985), qui id.) ; Pepe (G. Sidney, id., caméo) ; Fanny
père par on ne sait quoi de superficiel,
la rendent populaire dans toute l’Asie. (J. Logan, 1961) ; la Sage-Femme, le
une note aussi de vulgarité satisfaite dont
Ses collaborations avec Wong Kar-wai Curé et le Bon Dieu (Jessica [Negulesco],
(As Tears Go by, 1988 ; Nos années Ma pomme (M. -G. Sauvageon) est toute
1962) ; les Enfants du Capitaine Grant (In
l’illustration. À Hollywood, il s’était parfai-
sauvages, 1990) dévoilent une actrice Search of the Castaways [R. Stevenson],
tement intégré au courant d’appropriation
au répertoire beaucoup plus riche. Des id.) ; la Fille à la casquette (A New Kind
du music-hall et à la vogue de l’opérette
cinéastes de la Nouvelle Vague font alors of Love [M. Shavelson], 1963, caméo) ;
filmée. Son exemple demeure d’abord de
appel à elle : Stanley Kwan (Full Moon Panic Button (G. Sherman, 1964) ; Deux
in New York, 1989), Ann Hui (Chant de prouver la vertu du professionnalisme ;
Fiancés sur les bras (I’d Rather Be Rich,
l’exil, 1990), Yim Ho (Red Dust, id.), Tsui son image, celle d’une France de paco-
J. Smight, id.) ; Monkeys Go Home !
Hark (Green Snake, 1993). En incar- tille, mais populaire.
(A. McLaglen, 1967) ; les Aristochats
nant, dans Center Stage (Stanley Kwan, Films : Trop crédule (J. Durand, CM, (Wolfgang Reitherman, 1970, chanson-
1992), Ruan Lingyu, l’égérie du cinéma 1908) ; Un marié qui se fait attendre titre seulement).
shanghaien du début des années 30, (L. Gasnier, CM, 1911) ; la Mariée ré-
elle remporte le prix d’interprétation au calcitrante (id., CM, id.) ; Par habitude CHEVALLIER (Laurent), cinéaste français
Festival de Berlin. En 1994, à la suite de (M. Linder, CM, id.) ; la Valse renver- (Paris 1955).
les Cendres du temps (Wong Kar-wai) et sante (G. Monca, CM, 1917) ; Une soi- Après des études de cinéma à l’École
après plus de 60 films tournés en dix ans, rée mondaine (H. Diamant-Berger, CM, Louis Lumière, il entre dans le cinéma
son rythme de travail diminue sensible- id.) ; le Match Criqui-Ledoux (id., CM, en tant qu’assistant-opérateur en 1976,
ment. Tout en poursuivant une carrière 1922) ; le Mauvais Garçon (id., CM, id.) ; auprès de cinéastes tels que Jean-Paul
à Hong Kong, notamment Comrades, Gonzague (id., MM, 1923) ; Jim Bougne Janssen (Retour à Marseille), Jean-
Almost a Love Story (Peter Chan, 1996), boxeur (id., MM, id.) ; l’Affaire de la rue de Jacques Beneix (Diva), Jacques Rouffio

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

(Mon beau-frère a tué ma soeur), etc. CHIARI (Mario), décorateur, scénariste ethnique. Il est naturel qu’il en soit ainsi
Cette première fonction l’amène dans les et cinéaste italien (Florence 1909 - Rome puisqu’il part d’une critique radicale de la
années 80 à participer à différents films en 1989). place congrue faite à cette communauté
tant que cadreur — en particulier à quatre Décorateur au théâtre, surtout pour Vis- par Hollywood (et les autres médias) et
reprises auprès de Nicolas Philibert — conti, assistant de Romolo Marcellini et des stéréotypes véhiculés. Peu d’excep-
puis comme directeur de la photographie Amleto Palermi, il collabore au scéna- tions échapperaient à la règle, à part le
à partir de 1986, auprès de cinéastes tels rio de la Couronne de fer (A. Blasetti, Sel de la terre (H. Biberman*, 1954). La
que Patrice Leconte, Gérard Oury, Olivier 1941). Son goût théâtral s’affirme dans trajectoire de Luis Valdez, fondateur du
Schatzky... Parallèlement, il entame dès les décors grandioses de Guerre et Paix théâtre Campesino, est significative de
1979 une carrière de réalisateur qui – en (K. Vidor, 1956). Il travaille ensuite sur ce point de vue, depuis le court métrage
dépit de trois courts métrages de fiction – Nuits blanches (L. Visconti, 1957), la I am Joaquín (1969) jusqu’au succès de
s’axe résolument vers le documentaire. Bible (J. Huston, 1966), Fraülein Doktor
La Bamba (1987) en passant par Zoot
Parcourant le monde armé de sa caméra, (A. Lattuada, 1969), Ludwig/le Crépus-
Suit (1981), produit par un grand studio.
il réalise près de vingt films pour la télévi- cule des dieux (L. Visconti, 1972), King
Entre-temps, Raíces de sangre (Jesús
sion, dans des régions du globe aussi va- Kong (J. Guillermin, 1976). En 1954,
Salvador Treviño, 1976) compte sur les
riées que la Patagonie (Patagonie force il dirige un épisode de Amori di mezzo
largesses de la cinématographie mexi-
10, 1983 ; Le Roi des Baleines, 1987), secolo. Dans son autre mise en scène,
caine pour dénoncer les conditions de tra-
la Corse (Corsicayak, 1984), l’Himalaya Prete fai un miracolo (1975), il aborde la
(Little Karim, 1985 ; Mister Karim, 1997), vail dans les usines frontalières. D’autres
crise morale d’un jeune prêtre.
le Pôle Nord (Papy Pôle, 1986) et le Pôle misent sur la production indépendante :

Sud (Transantarctica, 1990), la Thaïlande CHIARI (Walter Annichiarico), acteur et ci- Alambrista ! (Robert Young, 1977), The
(Solo Thaï, 1990), l’Irlande (Le Pub des néaste italien (Vérone 1924 - Milan 1991). Ballad of Gregorio Cortez (id., 1982), El
poètes, 1994), l’Australie (Les Boxeurs Il interprète des revues musicales au Norte (Gregory Nava, 1984), Break of
du désert, 1996), etc. L’Afrique demeure théâtre et joue dans de nombreux films Dawn (Isaac Artenstein, 1988). La co-
malgré tout son territoire d’investigation comiques, dont Totò al giro d’Italia médie Born in East L.A. (Cheech Marin,
de prédilection, et tout particulièrement (M. Mattoli, 1948), O. K. Neron (M. Sol- 1987) élargit l’audience de « la Raza ».
la Guinée, pays auquel il consacre trois dati, 1951), Lo sai che i papaveri... (Mar- Au moins pendant un temps, les Latinos
documentaires pour la télévision (Aou- cello Marchesi et Vittorio Metz, 1952). semblent à la mode, aidés par l’engoue-
tara, 1996 ; Les Maîtres des tambours Grâce à son image de blagueur mala- ment pour les rythmes caraïbes (Salsa,
d’Afrique, 1998 ; Mögöbalu, 1998), et trois droit, il devient populaire à la TV, mais Boaz Davidson, 1988 ; The Mambo Kings,
longs métrages pour le cinéma, tous re- au cinéma n’obtient que rarement des Arnold Glimcher, 1991). Peut-être est-ce
marqués pour la qualité de leur approche rôles importants. Quelques notables tout simplement qu’un certain nombre de
humaine et de leur maîtrise cinémato- exceptions : Bellissima (L. Visconti, vedettes d’origine hispanique, fidèles à
graphique. Djembefola (1991) retrace le 1951), Il giovedì (D. Risi, 1964), Io, io,
leurs racines, ont désormais les moyens
retour de Mamady Keita, grand joueur io... e gli altri (A. Blasetti, 1966), Falstaff
de mieux choisir leurs rôles : c’est le cas
de djembé, dans son pays ; L’Enfant noir (O. Welles, id.).
du Portoricain Raul Julia, du Cubain amé-
(1994) est une fiction sur un jeune Gui-
ricain Andy García, du chicano Edward
néen qui quitte son village pour aller faire CHIARINI (Luigi), théoricien et cinéaste ita-
James Olmos. Ce dernier, interprète de
ses études à la ville ; et Circus Baobab lien (Rome 1900 - id. 1975).
The Ballad of Gregorio Cortez, Zoot Suit,
(2001) est un documentaire consacré Fondateur du Centro sperimentale di
cinematografia en 1935, il en est le direc- Miami Vice (série de télévision), Stand
au cirque acrobatique aérien guinéen du
teur jusqu’en 1943, puis directeur associé and Deliver (Ramón Menéndez, 1988),
même nom.
jusqu’en 1951. Responsable de la revue met en scène American Me (1992), plai-
CHEVRIER (Jean Dufayard, dit Jean), ac- Bianco e Nero, qu’il a créée en 1937, il fut doyer contre la violence montante. À
teur français (Paris 1915 - id. 1975). par ailleurs directeur du festival de Venise l’époque du « politiquement correct »,
Après avoir obtenu le Premier prix du de 1962 à 1968. On lui doit notamment la quête d’une authenticité ethnique n’est
Conservatoire, il entre à la Comédie- des textes importants : Cinematografo pas incompatible avec une dilution dans
Française, mais joue aussi pour d’autres (1935), Cinque capitoli sul film (1941), Il le mainstream de la production courante,
théâtres. À l’écran, sa carrière com- film nei problemi dell’arte (1949), Il film fût-ce au prix de céder l’essentiel, à savoir
mence en 1938 et s’achève à la fin des nella battaglia delle idee (1954), Arte et l’idiome, réduit souvent à quelques bribes
années 50. Il débute sous de médiocres tecnica del film (1962). Occasionnelle- de bilinguisme. D’autant que Hollywood
auspices avec des films de Jean Choux, ment scénariste (La peccatrice, d’A. Pa- reste prêt à absorber des cinéastes
Émile Couzinet, Yvan Noé, Léo Joan- lermi, 1940 ; Stazione Termini de V. De comme le Mexicain Luis Mandoki, le Bré-
non... Retenons d’abord le Dernier des Sica, 1953), Chiarini a également tourné silien Héctor Babenco*, l’Argentin Luis
six, policier de Georges Lacombe (1941), quelques films (Via delle cinque lune, Puenzo* ou le chicano Robert Rodríguez
dont l’amusante intrigue et la distribution 1942 ; La bella addormentata, id. ; La
(El Mariachi, 1992). La communauté his-
(Fresnay, Larquey, Delair, Tissier) dis- locandiera, 1944 ; Ultimo amore, 1947 ;
panique américaine est elle-même mul-
traient de la défaite. Sa diction châtiée, Patto col diavolo, 1950).
tiple de par ses origines nationales, ce qui
son « masque romain » valent à Che-
ne facilite ni la solidarité ni l’homogénéité
vrier de jouer le probe fiancé de Falbalas CHICANO.
culturelle ou même linguistique. Ainsi, la
(J. Becker, 1945), les belles âmes (Diego, Ce mot désigne aux États-Unis les fils
comédie de moeurs El Super (Orlando
dans Le diable souffle, de Gréville, aux d’immigrés mexicains. Un mouvement
se dessine à partir de la fin des an- Giménez Leal et León Ichaso, 1979),
côtés de Charles Vanel, en 1947), les
nées 60 en faveur d’un cinéma chicano. malgré ses qualités, n’amorce guère un
chevaliers servants et l’abnégation (Phi-
lippe, dans le Maître de forges, 1948, Parallèle à la revendication identitaire de courant d’origine cubaine au sein du ci-
signé par Fernand Rivers et inspiré du cette minorité, il oscille entre la démarche néma « hispano ». Le cinéma chicano
roman fameux de Georges Ohnet). De militante alternative et l’intégration dans existe-t-il ? S’il est permis d’en douter, il
Delannoy à Le Chanois, il apparaît dans le système, hésite entre la télévision et est néanmoins probable que la présence
bien des films dotés d’une affiche de le cinéma, entre le documentaire et la hispanique croissante aux États-Unis se
prestige mais dépourvus de réelle valeur. fiction, relève parfois du simple lobby reflétera partout, y compris sur les écrans.

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

CHILI. un équipement lourd, passe un accord l’industrie cinématographique. Un mil-


Le 25 août 1896, le public de Santiago avec Argentina Sono Films et confie la lion de spectateurs (un Chilien sur huit)
apprécie le programme montré aux Pari- mise en scène de son premier film à un font un triomphe à Ayúdeme usted com-
siens, huit mois auparavant, par les frères Argentin, Luis Moglia Barth (Romance de padre (German Becker, 1967), lourd de
Lumière. C’est en 1902 que la première medio siglo, 1944) ; sur ses dix produc- poncifs conformistes et populistes. C’est
bande locale aurait été enregistrée et tions, huit sont réalisées par des Argen- une tout autre direction qu’empruntent les
projetée à Valparaíso : Un ejercicio ge- tins. Ces films, fabriqués pour le marché premiers longs métrages de Raul Ruiz*,
neral de bomberos. À la fin de la même hispano-américain, brouillent artificielle- Helvio Soto*, Miguel Littin* et Aldo Fran-
année, un programme de documentaires, ment tous les traits nationaux. L’échec cia. Ils révèlent une recherche du langage
signe du démarrage d’une production est retentissant. Après 1949, Chile Films cinématographique et se situent dans la
nationale, est annoncé dans la capitale. est abandonné à des entreprises privées. perspective d’une transformation de la
Le premier film de fiction est consacré Le cinéma chilien végète : après une cin- société, position confirmée par le Mani-
à un héros de l’Indépendance, Manuel quantaine de longs métrages pendant feste des cinéastes de l’Unité populaire
Rodríguez (Adolfo Urzua Rosas, 1910). les années 40, on tombe à une moyenne (1970). Sous le gouvernement Allende,
La presse écrite finance des actualités d’un film par an. Parmi les réalisateurs l’absence de politique culturelle de la
et les entreprises privées passent com- de cette « décennie des ombres », on gauche unie se fait sentir au sein de Chile
mande de documentaires. C’est ainsi trouve Miguel Frank (Rio Abajo, 1950), le Films, où les partis se partagent les diffé-
que l’opérateur Salvador Giambastiani, Français Pierre Chenal* (El ídolo, 1952 ; rents départements. Mais le Parlement,
d’origine italienne, tourne pour la Bra- Confesión al amanecer, 1964) et les indé- contrôlé par l’opposition, bloque les cré-
den Copper un saisissant témoignage pendants Naum Kramarenco (Tres mira- dits. Il n’en sort que des actualités heb-
des conditions de travail et de vie dans das en la calle, 1957) et Bruno Gebel (La domadaires et des documentaires, ceux
les mines (Recuerdos del Mineral el Te- caleta olvidada, 1959), sans compter les notamment de Patricio Guzmán*. Un
niente, 1919), après avoir réalisé la deu- vétérans Délano et Borcosque.
Institut du cinéma reste à l’état de projet.
xième incursion dans la fiction (La baraja La lutte pour un cinéma libre. Le Cependant, l’activité cinématographique
de la muerte, 1916), interdite. On tourne renouveau vient de l’université et de la amorcée dans les années précédentes
alors à Iquique, Antofagasta, La Serena, radicalisation politique. L’université ca- s’intensifie et devient un des enjeux des
Valparaíso, Santiago, Concepción, Val- tholique crée un Institut du film (1955) luttes politiques. Les distributeurs amé-
divia, Osorno, Puerto Montt, Punta Are- dirigé par Rafael Sánchez (El cuerpo y ricains dominant le marché décident de
nas. On dénombre 78 longs métrages la sangre, 1962), où l’on passe vite de la boycotter le pays, après la nationalisation
de fiction pendant le muet, l’année théorie à la pratique. L’université d’État du cuivre. Les 300 salles de cinéma du
record étant 1925 (15 films). Il n’en faut du Chili crée successivement une sec- pays sont souvent le lieu d’affrontements.
guère plus pour considérer cette période tion de cinéma expérimental (1960) et La formation d’un réseau de distribution
comme une sorte d’âge d’or, d’autant la Cinémathèque universitaire (1962), la
national est encore embryonnaire lors du
plus mythique qu’elle reste inaccessible première dirigée par Sergio Bravo et la
coup d’État de 1973. La junte militaire
à notre connaissance, car presque toute seconde par Pedro Chaskel. Le ciné-club
abroge toutes les mesures de protection
la production a disparu. Les genres les de Viña del Mar (fondé par Aldo Francia
de la cinématographie nationale. La plu-
plus prisés en étaient le film historique, en 1962) stimule la production en 8 et
part des professionnels s’exilent, certains
le feuilleton et la comédie. Pedro Sienna, 16 mm, organise un festival international
sont tués. Les organismes existants sont
provenant du théâtre, incarna et mit en et une rencontre des cinéastes latino-
démantelés.
scène le guérillero Manuel Rodríguez, américains (1967). Ce sera l’occasion
L’émergence d’un cinéma indé-
dans El húsar de la muerte (1925), d’une pour les Chiliens de se mettre au dia-
pendant. Julio comienza en Julio (Silvio
inventivité naïve, la seule de ces oeuvres pason des nouveaux cinémas brésilien,
Caiozzi*, 1979), et quelques documen-
de fiction sauvée de la destruction. Les cubain et argentin. Bravo commence la
taires (Pepe Donoso, C. Flores, 1977)
principaux cinéastes débutant alors réalisation de documentaires avec La
témoignent de la lente réapparition d’un
étaient Carlos Borcosque, Juan Pérez marcha del carbón (1963), contestation
cinéma indépendant. Chez les exilés,
Berrocal et Jorge « Coke » Délano, dont de la version officielle d’une grève de
l’élan du nouveau cinéma chilien réussit
La calle del ensueño (1929) obtient du la houille, et Las banderas del pueblo
néanmoins à se maintenir, grâce à la soli-
succès. Ce dernier, envoyé par le gouver- (1964), en soutien au candidat Salvador
nement aux États-Unis, pour assimiler les Allende, est interdit ; il invite des per- darité internationale. Selon un recense-

nouveautés du parlant, tourne le premier sonnalités comme Joris Ivens et Edgar ment établi en 1980 par la Cinémathèque

long métrage sonore, Norte y sur (1934). chilienne en exil, des réalisateurs chiliens
Morin. Un fort courant documentaire et
Pourtant, la production chute et devient militant se développe, dans lequel on re- ont tourné hors de leur patrie 29 longs

stéréotypée. Pendant cette période, trouve Chaskel, Alvaro Ramírez, Douglas métrages (dont 21 de fiction réalisés
Eugenio de Liguoro est le spécialiste Hübner, Carlos Flores, Guillermo Cahn, notamment par Raul Ruiz), 15 moyens
des faux paysans (El hechizo del trigal Claudio Sapiain, Jorge di Lauro, Nieves métrages et 46 courts métrages, produc-
et Entre gallos y medianoche, 1939) et Yankovic, entre autres. Ils dépassent par tion équivalente à celle des sept années
des faux pauvres urbains (Verdejo gasta leur engagement le simple constat des antérieures au coup d’État. Sur le plan
un millón, 1941 ; El hombre en la calle, différences sociales opéré par les longs thématique, le bilan de la gauche et la
1942). Son Verdejo accède à une grande métrages de Patricio Kaulen (Largo dénonciation de la répression cèdent peu
popularité. Ces succès publics isolés et, Viaje, 1966) et Alvaro Covacevi (Morir à peu la place au déracinement, consécu-
surtout, l’émulation de la proche industrie un poco, 1966), plus ou moins néoréa- tif à l’exil, et à des adaptations littéraires,
cinématographique argentine, à son apo- listes. La Centrale unique des travailleurs auxquelles on peut rattacher l’évocation
gée, incitent le gouvernement à intervenir crée un département cinéma, tandis que du poète Pablo Neruda, filmée par l’écri-
dans la production commerciale (l’univer- le gouvernement démocrate-chrétien vain Antonio Skarmeta (Ardente pacien-
sité d’État avait inauguré un Institut du d’Eduardo Frei remet en marche Chile cia, 1983). Plusieurs cinéastes d’autres
cinéma éducatif en 1929). Chile Films, Films, confie sa présidence à Kaulen nationalités s’intéressent également au
une entreprise mixte, voit donc le jour (1965), dégrève l’importation de pellicule Chili, avec des oeuvres comme la Spi-
(1942). Exemple même de la transposi- et la programmation de films nationaux, rale (Armand Mattelart, Valérie Mayoux
tion de modèles étrangers, elle acquiert forme un Conseil de développement de et Jacqueline Meppiel, 1976) et la série

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

de documents de Heynowski* et Scheu- ont été attribuées à diverses puis- personnages appartiennent soit à l’intel-
mann*. sances étrangères. Les projections se ligentsia, soit à la bourgeoisie d’affaires,
Une quarantaine de cinéastes chiliens poursuivent avec des films Edison dès soit encore aux couches supérieures de
signent leur premier long métrage au 1897. C’est à Pékin (Beijing) qu’est tourné la société. Ils sont les protagonistes de
cours des années 80, plusieurs d’entre en 1905 le premier film national par des drames sentimentaux où l’amour est traité
eux étant en exil. Cette prolifération de professionnels du studio de photographie à la manière de la presse du coeur, de
la diaspora chilienne n’a pas d’équiva- Fengtai ouvert en 1892 par un certain mélodrames larmoyants peuplés d’orphe-
lent puisqu’elle est éparpillée dans une Ren Jingfeng, pionnier chinois formé au lins, de femmes abandonnées, de veuves
vingtaine de pays, de l’Amérique latine Japon, et qui devait plus tard investir une éplorées et d’enfants dévoués (L’orphe-
à l’Europe occidentale et orientale en partie de ses capitaux dans une salle de lin sauve son grand-père [Gu’er jiu zu ji,
passant par le Canada, les États-Unis et cinéma, du nom de Daguanlou. Ce film 1923], Une pauvre fille [Kelian de guinü,
l’Australie. Une singularité mérite d’être de trois bobines, d’une durée totale de 1925], réalisés par Zhang Shichuan*,
soulignée : l’apparition d’un noyau de quinze minutes, fut tourné en trois jours etc.). La dramaturgie et la littérature clas-
réalisatrices, avec Angelina Vásquez à ciel ouvert avec le célèbre acteur de siques, l’inépuisable fonds des opéras
(Gracias a la vida, 1980), Marilu Mallet l’Opéra de Pékin Tan Xinpei, dans l’inter- de types divers, sous-exploités malgré
(Journal inachevé, 1982), Tatiana Ga- prétation d’extraits d’une pièce de réper- leur richesse, renouvellent pourtant un
viola (Ángeles, 1988) et surtout Valeria toire, le Mont Dingjun (Dingjunshan). Un peu une thématique d’une extrême pau-
Sarmiento* (Amelia Lopes O’Neill, 1991). magasin spécialisé de Pékin tenu par un vreté, réduite parfois à des imitations de
Les personnalités dominantes restent Allemand fournit le matériel. Si la caméra comiques américains, surtout Laurel et
Raúl Ruiz, d’une invention formelle était française, le cameraman, lui, était Hardy ou Charlot. Par exemple Le roi des
constante, Miguel Littin, à la recherche chinois : Liu Zhonglun. Encouragé par clowns visite la Chine (Huaji dawang you
d’une veine épique latino-américaine, ce premier essai, Ren Jingfeng tourna hua ji, 1922) et Pagaille au théâtre (Danao
Patricio Guzmán, qui manie le docu- la même année plusieurs petits films guai juchang, 1923), deux films de Zhang
mentaire avec l’ambition d’un essayiste, d’opéra dans le studio Fengtai pour les Shichuan qui marquèrent les débuts de la
et Valeria Sarmiento justement, plongée exploiter dans sa salle de Daguanlou, à société Mingxing. Les autres influences
dans l’inconscient collectif des femmes laquelle s’ajoute bientôt la salle Jixiang. étrangères se révèlent plus fécondes,
latino-américaines. La démocratisation Il faut cependant attendre 1913 pour telle celle de Lubitsch qu’avoue le pro-
très graduelle favorise le retour ou le que soit tourné le premier long métrage lifique réalisateur Li Pingqian* (la der-
va-et-vient des expatriés et la rencontre chinois (quatre bobines, un record !) : Un nière partie de sa carrière s’accomplit à
entre les cinéastes de l’exil et ceux de couple infortuné (Nanfu nanqi), satire des Hongkong). Une volonté de rupture et de
l’intérieur au festival de Viña del Mar mariages imposés de Zhang Weitong, rénovation s’affirme dès 1930 parmi les
(1990). Avant même que les conditions dit Zhang Shichuan, et Zheng Zhengqiu, cinéastes de gauche, dont beaucoup sont
minimales, sur un plan institutionnel, légal produit par l’Asia Motion Pictures, fondée en étroit contact avec cette colonie bri-
et économique, ne permettent l’épanouis- par des Américains la même année. tannique, tandis que certains reviennent
sement d’une cinématographie au Chili, Les années 20 et 30. En 1926, les des États-Unis (Sun Yu*, Hong Shen*,
plusieurs talents s’affirment : Cristián divers studios de Shanghai produisent Situ Huimin*). En riposte à la censure
Sánchez, proche par certains côtés de déjà 70 films et les frères Wan* réalisent instituée par le gouvernement de Tchang
Ruiz (El zapato chino, 1979 ; Los deseos le premier dessin animé (300 m), Pagaille Kaï-chek le 1er janvier 1930, ils créent
concebidos, 1982), Pablo Perelman (Ima- à l’atelier (Danao huashi). Le retard sur le une organisation corporative, à l’initiative
gen latente, 1987, remarquable évoca- reste du monde se comble rapidement. Le de membres du parti communiste, et se
tion autobiographique d’un « disparu » premier film sonore (enregistrement sur répartissent dans les divers studios des

politique, suivi par l’étrange Archipiélago, disque) sort le 15 mars 1930 : la Canta- compagnies cinématographiques de

1992), Gonzalo Justiniano* (dont Sussi, trice Pivoine Rouge (Genü Hongmüdan), Shanghai. Des critiques lancent en juil-

1987, touche un large public), Leonardo encore signé Zhang Shichuan. Celui-ci let la revue l’Art du film, y dénoncent la

Kocking (La estacion del regreso, id.), avait créé en 1916 la première société mainmise des capitaux américains sur
Juan Carlos Bustamente (Historias de la- de production réellement chinoise avant l’industrie cinématographique nationale
gartos, 1988), Caiozzi, déjà cité (La luna de lancer la Mingxing (l’Étoile) en 1922, comme génératrice de la crise qui affecte

en el espejo, 1990, maîtrisé et troublant), creuset d’où sortiront bientôt les meilleurs la production, mais doivent la saborder

Ricardo Larraín (La frontera, 1991, dont films des années 20 et 30. Distributeurs après le quatrième numéro.
le succès est justifié), Gustavo Graef Ma- et propriétaires de salles restent pour- La naissance d’un cinéma populaire
rino (Johnny Cien Pesos, 1993), Andrés tant souvent des étrangers, comme l’était et patriotique. Les Japonais envahissent
Wood (Historias de fútbol, 1997), sans le premier exploitant, au tout début du en 1931 les provinces chinoises du nord-
oublier Ignacio Agüero, avec le docu- siècle, l’Espagnol A. Ramos, et la plupart est et bombardent Shanghai le 28 jan-
mentaire Cien niños esperando un tren des films programmés sont importés des vier 1932, détruisant 16 des 39 salles de
(1988), sur le formidable travail de péda- pays qui possèdent des concessions ; cinéma de la ville et plusieurs studios ;
gogie cinématographique animé par Ali- longtemps, pour cette raison, les Chinois une trentaine de sociétés cinématogra-
cia Vega dans un bidonville de Santiago. appelleront le cinéma des « jeux d’ombres phiques doivent cesser leurs activités.
Cependant, le succès tapageur de Radio occidentaux ». Les capitaux chinois - par- La censure gouvernementale décide en
sexo latino, le Blagueur sentimental (El fois en provenance de Hongkong - ne juin de porter, sur la liste noire des films
chacotero sentimental, Cristián Galaz, s’investissent que lentement dans l’indus- interdits, les films provocateurs (films de
1999), ne suffit pas à assurer la continuité trie cinématographique. L’évolution de guerre ou ayant un caractère révolution-
d’une production chilienne. cette dernière apparaît très liée au sous- naire). Les commandos des Chemises
développement économique de la Chine, bleues, organisation terroriste à la solde
CHINE. à son état semi-colonial. Phénomène du régime, multiplient les raids sur les
Le cinéma pénètre très tôt en Chine : essentiellement urbain, malgré une po- studios où travaillent des cinéastes de
un programme de films Lumière - pulation à 80 pour cent rurale, le cinéma gauche. Artisan de leur regroupement,
d’après la tradition - est projeté dès le puise ses sujets presque uniquement Xia Yan* écrit deux scénarios, sur les-
11 août 1896 dans un parc d’attractions dans la vie citadine, au moins jusqu’au quels Cheng Bugao* réalise en 1933 les
de Shanghai, ville où des concessions milieu des années 30. Généralement, les premiers films qui mettent en scène des

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

paysans : le Torrent sauvage (Kuang liu, Pendant ce temps, les communistes Wang Weiyi*, la Fille aux cheveux blancs
1933) et les Vers à soie du printemps avaient occupé depuis la fin de la Longue (Baimao nü, 1951) de Shui Hua* et Wang
(Chuncan, 1933). Un nouveau cinéma Marche en 1935 une vaste région du Bin*, le Camp de concentration de Shan-
est né, d’inspiration populaire, porteur nord-ouest qu’ils administrèrent à partir grao (Shangrao jizhongying, id.) de Sha
d’un message social, sinon déjà politique, de la petite ville de Yan’an. Dès 1938, Meng et Zhang Ke.
mais relevant du réalisme critique. un homme qui avait porté l’année pré- Le cinéma comme enjeu politique.
Désormais, après les paysans, cédente, avant de quitter Shanghai, l’art Quand naît en octobre 1949 la Répu-
d’autres catégories sociales exploitées cinématographique chinois à l’un de ses blique populaire de Chine, le cinéma est
auront droit de cité à l’écran malgré la ter- sommets avec les Anges du boulevard placé sous une double tutelle : celle du
reur blanche, les attentats contre les stu- (Malu tianshi, 1937), l’écrivain, acteur Bureau du cinéma, dépendant du minis-
dios, ou leur fermeture par décret gouver- et réalisateur Yuan Muzhi*, y organise tère de la Culture, et celle de la section
nemental, les arrestations de cinéastes un groupe cinématographique dont tout de propagande du comité central du parti
(dont beaucoup gagnent Hongkong, où l’équipement tient au début sur le dos communiste. Très rapidement, un ou plu-
ils poursuivront parfois leur activité pro- d’un cheval ; la première caméra lui a été sieurs vice-ministres de la Culture seront
fessionnelle). Ainsi les ouvriers et autres fournie par Joris Ivens à Xi’an, là où tran- spécialement chargés du cinéma. Dès
travailleurs manuels : le Chant des pê- sitent les cinéastes, souvent originaires juillet 1949, les cinéastes ont créé leur
cheurs (Yuguang qu, 1934), de Cai Chus- de Shanghai, venus constituer ce groupe. association professionnelle. Ils ont pour
heng*, la Route (Dalu, id.), de Sun Yu ; Une vingtaine de films, bandes d’actua- tâche de faire des films qui servent les
les femmes : Cris de femmes (Nüxing de lités et documentaires d’un grand intérêt ouvriers, les paysans et les soldats, sui-
nahan, 1933) ou la Batelière (Chuanjia historique seront tournés à Yan’an de vant l’orientation donnée en 1942 par Mao
nü, 1935) de Shen Xiling*, Femmes nou- 1938 à 1947. Pékin n’est occupé par les Zedong à Yan’an au cours d’une cause-
velles (Xin nüxing, 1934), de Cai Chus- communistes qu’en janvier 1949, mais rie sur la littérature et l’art, et dans des
heng, etc. avant que l’activité cinématographique interventions qui ont encore aujourd’hui
En 1937, l’exode des cinéastes s’accé- reprenne dans la capitale, le cinéma pro- valeur de charte. La Chine dispose alors
lère avec l’état de guerre ouverte, et l’oc- prement dit de la Chine nouvelle est né de huit studios (trois d’État, cinq privés
cupation de Shanghai par les Japonais dans les studios du Nord-Est, où est réa- – à Shanghai – qui seront nationalisés en
porte un coup tragique à ce courant d’ins- lisée en 1947-48 la série documentaire le 1952-53), de 596 salles de projection et
piration populiste fortement influencé par Nord-Est démocratique (Minzhu Dongbei, d’une cinquantaine d’équipes itinérantes.
la littérature russe du XIXe siècle. Il faudra en 17 parties), ainsi que le premier film 3 000 personnes travaillent dans les trois
attendre dix ans avant qu’il se manifeste de fiction de l’ère socialiste le Pont (Qiao, studios étatisés. En 1949, la production
à nouveau. En effet, les Japonais avaient Wang Bin, 1949). n’est que de six longs métrages ; on enre-
bâti en 1933 à Changchun, dans le nord- Dès cette époque, plusieurs cinéastes gistre 47 310 000 spectateurs. En 1950,
est chinois qu’ils occupaient depuis deux renouent avec le grand courant régénéra- on réalise déjà 35 films de fiction (29 pro-
ans, des studios ; ils y produiront 200 films teur qui avait doté dix ans plus tôt la ciné- duits par les studios de l’État, 6 par les
jusqu’en 1945. Ils mettent la main sur les matographie shanghaienne de ses lettres studios privés). Le premier objectif - dis-
studios de Pékin à partir de 1937. Les de noblesse avec les Anges du boulevard puter le marché national aux films améri-
studios de Shanghai, en sursis dans les de Yuan Muzhi, la Pièce de monnaie du cains (1 900 projetés en Chine de 1945 à
concessions étrangères jusqu’à l’attaque nouvel an (Yasuiqian, 1936) de Zhang 1949) - sera complètement atteint à la fa-
sur Pearl Harbor, sont en zone occupée Shichuan, Carrefour (Shizi jietou, 1937), veur de la guerre de Corée (1950-1953).
de 1941 à 1945, ce qui limite leur indé- de Shen Xiling, etc. (C’était en fait la pré- Le meilleur moyen, en dehors des déci-
pendance. Les cinéastes qui n’ont pas figuration du futur néoréalisme dont on sions administratives, est d’augmenter la
gagné Hongkong essaiment alors à l’inté- crédita dans les années 40 le cinéma ita- production : elle ne dépassera pas avant
rieur du pays, souvent regroupés dans lien, dans l’ignorance où l’on se trouvait 1981, pour les films de fiction, le chiffre de
des compagnies théâtrales itinérantes, alors en Europe du cinéma chinois des pointe de 1958 : 103 (pour 82 en 1959,
où beaucoup retrouvent leur métier initial. années 30.) À cette veine appartiennent 67 en 1960). Selon l’expression de Mao
Ils sont assez nombreux à reprendre de en particulier deux oeuvres de Zuo Lin, Zedong, comme la littérature et les autres
l’activité dans des villes comme Wuhan les Bas-fonds (Yedian, 1947), d’après arts, le cinéma doit être utilitaire. Art de
puis Chongqing, dans lesquelles s’ou- Gorki, et la Montre (Biao, 1949), d’après masse par excellence, conçu comme un
vrent successivement des studios au Pantaleiev : deux films commencés en moyen de propagande et d’éducation
gré des déplacements du gouvernement 1947, interrompus en raison des rigueurs socialiste, il doit reposer sur un appareil
chassé par l’invasion. Les militants de de la censure du Guomindang, et seule- de diffusion très développé ; on multiplie
gauche animent alors un courant dit « de ment achevés après le changement de donc les salles, mais surtout, et d’abord
défense nationale », qui donne naissance régime : Corbeaux et Moineaux (Wuya pour les vastes régions rurales et monta-
à des films exaltant le patriotisme, l’union yu maque, 1949) de Zheng Junli*, San gneuses, les équipes mobiles de projec-
de la nation et du peuple chinois, la résis- Mao, le petit vagabond (San Mao liulang tion : l’ensemble de ces unités de projec-
tance à l’agression japonaise : Dix Mille ji, 1949) de Zhao Ming et Yan Gong, Ma tion passe de 2 282 en 1952 à 110 000 en
Lis de ciel (Changkong wan li, 1940), de vie (Wo zhe yi beizi, 1950), de Shi Hui. 1978 (dont 90 000 équipes itinérantes
Sun Yu, Fils et Filles de Chine (Zhonghua Ces années de l’après-guerre sont for- de projection) pour atteindre le chiffre
ernü, 1939), de Shen Xiling, le Baptême tement marquées par les séquelles de la de 129 000 à la fin de 1981 (180 000 en
du feu (Huo de xili, 1940), également de guerre étrangère, et par la guerre civile qui 1987). Ce progrès permet une extension
Sun Yu, Huit Cents Soldats héroïques s’étend de plus en plus. À noter, en liaison spectaculaire du nombre de spectateurs :
(Babai zhuangshi, 1938) de Yuan plus ou moins lâche avec ces circons- 600 millions en 1952, 1 749 000 000 déjà
Muzhi, l’Amour de la patrie (Rexue zhon- tances : Sur la Soungari (Songhuajiang en 1957, 22 500 000 000 en 1978
ghun, id.), de Yuan Congmei, plusieurs shang, 1947) de Jin Shan, les Larmes (contre 18 300 000 000 en 1977) et
films de Shi Dongshan, etc., sans oublier du Yangtsé (Yijiang chunshui xiang dong près de 26 milliards en 1981 (70 millions
les réalisations de Cai Chusheng dans liu, id.) de Cai Chusheng et Zheng Junli, par jour, dont 50 millions de paysans).
son exil de Hongkong : le Paradis de l’île Filles de Chine (Zonghua nüer, 1949) de Toute l’infrastructure doit correspondre
orpheline (Gudao tiantang, 1939) et Un Ling Zifeng* et Zhai Qiang, les Larmes de à cette demande accrue : on décide
avenir radieux (Qiancheng wanli, 1940). la rivière des Perles (Zhujiang lei, id.) de donc en 1958 de multiplier les studios :

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

33 existent fin 1959 ; certains n’auront la cour des Qing (Qinggong mishi, Zhu authentique tradition cinématographique
toutefois qu’une vie éphémère ; ils ne sont Shilin) tourné à Hongkong en 1948. Sous chinoise qui s’est affirmée d’époque en
plus qu’une dizaine fin 1979 ; cette même le règne de Jiang Qing, le cinéma doit époque en dépit des empreintes lais-
année l’industrie cinématographique obéir à des règles contraignantes qui ne sées par les vogues allemande, sovié-
emploie 400 000 personnes, 500 000 en laissent aucune initiative au metteur en tique, américaine, etc. Plus que jamais, le
1987 (contre 60 000 en 1959). Long- scène ; celui-ci s’efface devant le collec- cinéma chinois s’ouvre vers l’extérieur :
temps tributaire de l’étranger pour son tif que constitue l’équipe ; plus de géné- plus d’un millier de films étrangers ont été
équipement (28 fabriques, pourtant, dès rique ; l’anonymat est de règle. Aucun film doublés en langue chinoise depuis 1949,
1960), puisque la première production ex- de fiction n’est tourné de 1967 à 1972 ; et la Chine a participé de 1978 à 1982 à
périmentale de pellicule noir et blanc ne seulement quelques pièces de théâtre une centaine de festivals internationaux
date que de 1958-59 et que la première filmées, des documentaires et des films (60 à 80 en 1987). Des échanges ont eu
pellicule couleurs n’est sortie de ses scientifiques et éducatifs – qui ont tou- lieu avec de nombreux pays : délégations
usines qu’à partir de 1965, elle réalise jours représenté une partie importante (et de cinéastes, organisation de semaines
cependant en 1954 son premier film en souvent la meilleure) du cinéma chinois de films étrangers. Sorti d’une période
couleurs, Liang Shanbo et Zhu Yingtai (2 000 films de la dernière catégorie de de convalescence inévitable après le
(Liang Shanbo yu Zhu Yingtai)de Sang 1949 à 1979, 150 en 1979 – auxquels se nihilisme et l’isolationnisme de la révo-
Hu* et Huang Sha, en 1959 son premier sont consacrés 2 000 cinéastes). lution culturelle, le cinéma chinois hésite
film en CinémaScope, Nouvelle Histoire Le renouveau du cinéma chinois. La encore entre les tentations de l’Occident
d’un vieux soldat (Laobing xinzhuan), de production se relève lentement à partir de et la fidélité à sa tradition, les deux n’étant
Shen Fu*, en 1960 son premier film sté- 1972 et voit plusieurs cinéastes chevron- pas forcément inconciliables et leur com-
réoscopique (DOC). Cet essor est bru- nés retrouver une certaine activité après binaison pouvant au contraire s’avérer
talement brisé en 1966. Si 2 000 films les critiques dont ils ont été l’objet : Xie féconde. Aujourd’hui, le metteur en scène
avaient été réalisés de 1905 à 1949 selon Jin*, Xie Tieli*, Sang Hu*, etc., et quatre a retrouvé son rôle dirigeant ; l’initiative
l’historien Cheng Jihua, on avait tourné, films de fiction sortent sur les écrans en du choix des films à réaliser échappe à
de 1949 à 1966, 673 films de fiction. La 1973, dont la Montagne aux pins verts la bureaucratie centrale pour revenir aux
révolution culturelle bannit des écrans (Qingsong ling), de Lu Guoquan et Jiang studios (dont tous les cinéastes sont
les uns comme les autres. 75 pour cent Shusen. Cependant, plusieurs films pro- salariés). Signes des temps : l’émer-
des films réalisés de 1949 à 1966 avaient voquent en 1975 et 1976 des conflits gence de nombreux jeunes metteurs en
essentiellement pour thèmes la révolu- entre les dirigeants du parti communiste : scène ou acteurs et l’afflux de scénarios
tion chinoise, la construction de la nou- Rupture (Juelie), les Pionniers (Chuan- (10 000 reçus en 1979 par les studios
velle société socialiste, et 14 pour cent gye, 1974) de Yu Yanfu, Haixia (Haixia, de Pékin, Shanghai et Changchun, les
des épisodes historiques, de la guerre 1975) de Qian Jiang, Chen Huai’ai et trois principaux des dix-huit en activité
contre l’invasion japonaise en particulier. Wang Haowei, Chunmiao (id.) de Xie en 1981, y compris celui qui est propre à
Tous sont pourtant qualifiés d’herbes Jin, 1975. Mais un nouvel essor, après la l’armée). La télévision (seulement 2 mil-
vénéneuses. La répression s’abat sur les chute de Jiang Qing et de ses amis poli- lions de récepteurs en 1978, mais près de
cinéastes, surtout sur les vétérans des tiques en octobre 1976 se révèle difficile : 10 millions déjà en 1982 et 120 millions
années 30. Ils sont même frappés deux le cinéma est privé de nombreux artistes en 1987) dispute déjà au cinéma un pu-
ans avant les autres catégories d’intellec- et techniciens épuisés par les persécu- blic de 1 milliard 200 millions d’habitants.
tuels, à l’issue d’une violente campagne tions, morts en prison (Zheng Junli* ; Gu À partir de 1988, le cinéma, qui jusque là
contre deux films coupables d’oublier la Eryi) ou trop longtemps tenus éloignés de dépendait du Ministère de la Culture, a
lutte des classes et de véhiculer une idéo- la production. Les anciennes structures, été rattaché à la Radio-Télévision (Minis-
logie humaniste petite-bourgeoise : Prin- brisées par la révolution culturelle, enfin tère de la Propagande).
temps précoce (Zaochun eryue, 1963), restaurées, l’Association des cinéastes Cette centralisation des médias inau-
de Xie Tieli*, qui représentera la Chine rouvre son siège en mars 1978, tient son gure une période nouvelle pour le cinéma
à Cannes en 1979, et Au nord aussi des deuxième congrès (387 délégués) à l’au- chinois qu’aucune réglementation ne pro-
terres fertiles (Beiguo jiangnan, 1963), de tomne 1979 ; les revues, toutes interrom- tège de la concurrence du petit écran : en
Shen Fu*. Rendus responsables de ces pues durant dix ans, reparaissent peu à effet, rien n’empêche la télévision de pré-
productions, le vice-ministre de la Culture peu (l’Écran chinois tire aujourd’hui à huit senter les oeuvres cinématographiques
Xia Yan* et le directeur du Bureau du millions d’exemplaires par numéro) ; les dès leur sortie dans les salles, contre
cinéma Chen Huangmei sont destitués instituts cinématographiques reprennent le versement d’une indemnité dérisoire.
et persécutés au cours des années sui- leur activité (179 admis sur 13 000 can- Comme, par ailleurs, la télévision produit
vantes. didats en novembre 1978 dans celui de elle-même de plus en plus de téléfilms, le
Le cinéma est alors pris en main par Pékin). On réalise 24 films de fiction en cinéma se sait très menacé.
l’épouse de Mao Zedong, Jiang Qing, 1977, 46 en 1978, 65 (avec les pièces Néanmoins, si le processus est en-
ancienne actrice des années 30, deve- de théâtre filmées) en 1979, 80 (+ 15 co- gagé, pour l’instant il n’en est encore qu’à
nue membre du bureau politique du parti productions) en 1980, 106 en 1981, ses débuts et le public, sevré de spec-
communiste. Ce n’est pas la première 130 en 1987. Fin 1979, les studios de tacles pendant la décennie de la Révo-
fois que le cinéma est l’enjeu des luttes la Jeunesse voient le jour ; en 1980 naît lution culturelle, se presse toujours nom-
politiques. En 1951 déjà, une violente la Société d’études du cinéma mondial. breux dans les salles de cinéma. Grâce
tempête s’est abattue sur les milieux Durant des années, les cinéastes chinois à la politique d’ouverture des années 80,
cinématographiques à propos du film la ont perdu le contact avec le monde. À le 7e art s’est non seulement redressé
Vie de Wu Xun (Wu Xun zhuan, 1950) partir de 1977, ils le redécouvrent, et de façon spectaculaire, mais il a même
de Sun Yu, attaqué par un violent édi- avec lui des techniques et des procé- atteint de nouveaux sommets sous l’im-
torial du Quotidien du peuple, dont on a dés qu’ils empruntent souvent avec un pulsion d’une nouvelle vague de jeunes
su plus tard qu’il avait été écrit par Mao appétit de néophytes. Le cinéma des cinéastes (ceux que l’on appelle la 5e gé-
lui-même. Au début de la révolution dernières années subit de toute évidence nération) qui, par leur originalité et leur
culturelle, la presse se déchaîne contre une influence composite, celle des films talent, ont réussi à se faire reconnaître
un autre film dont Jiang Qing conteste le américains, de Hongkong, et de Taiwan non seulement en Chine, mais également
message historique, Histoire secrète de en premier lieu. Il existe pourtant une à l’échelle internationale.

250
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Une nouvelle génération de ci- La sixième génération. Rapide- Femmes modernes (Sange maodeng
néastes. Cette génération, née au début ment, dans les années 90, comme si la nüxing, Bu Wancang, id.) ; le Chant des
des années 50, et envoyée à la cam- 5e génération appartenait déjà au passé, pêcheurs (Yuguang qu, Cai Chusheng,
pagne pendant la Révolution culturelle, a on parle de l’émergence d’une nouvelle 1934) ; la Route (Dalu, Sun Yu, id.) ;
reçu l’excellente formation de l’Institut de génération, la 6e, qui, au moment où le Femmes nouvelles (Xin nüxing, Cai
cinéma de Pékin, après sa réouverture en monopole du cinéma éclate, revendique Chusheng, id.) ; la Divine (Shennü, Wu
1978. En totale rupture avec leurs aînés, son indépendance, quitte à produire avec Yonggang, id.) ; les Malheurs de la jeu-
ces jeunes font preuve d’une lucidité à la de petits moyens et beaucoup de difficul- nesse (Tao li jie, Ying Yunwei, id.) ; les

hauteur des épreuves qu’ils ont traver- tés, notamment avec la censure. Parmi Enfants d’une époque troublée (Fengyun
sées et ils sont sans complaisance vis-à- les réalisateurs de cette 6e génération, il ernü, Ying Yunwei, 1935) ; Un idéal gran-

vis de la société. faut citer Zhang Yuan, Jia Zhangke, Ning diose (Zhuangzhi lingyun, Wu Yonggang,
Ying, He Yi, Wang Xiaoshuai et des do- 1936) ; les Anges du boulevard (Malu
Le film Un et huit (Yige he bage, 1983)
cumentaristes comme Wu Wenguang et tianshi, Yuan Muzhi, 1937) ; Shanghai
de Zhang Junzhao, inaugure ce nouveau
Duan Jinchuan (16, Barkhor Street [Ba d’hier et d’aujourd’hui (Xin jiu Shanghai,
cinéma qui rompt avec le récit traditionnel
Ge Nanjie Shiliu Hao], 1996). Aucun n’a Shi Dongshan, id.) ; Mulan rejoint l’armée
pour faire place, en premier lieu, au lan-
connu la Révolution culturelle, mais une (Mu lan cong jun, Bu Wancang, 1939) ; la
gage de l’image.
conscience collective est née directement Princesse à l’éventail de fer (Tieshan
L’année suivante, la sortie de Terre
du massacre de Tian’anmen en 1989. Da- gongzhu, Wan Laiming, 1941) ; Bégonia
jaune (Chen Kaige*, 1984) agit comme
vantage que leurs aînés, les réalisateurs d’automne (Qiu Haitang, Ma-Xu Wei-
un révélateur tant en Chine, où il suscite
de la sixième génération s’attaquent aux bang, 1943) ; les Larmes du Yangtsé (Yi-
un débat passionné, qu’à l’étranger où il
sujets tabous de la société chinoise : la jiang chunshui xiang dong liu, Cai Chus-
accumule les récompenses.
sexualité, la religion, le gouvernement, heng, 1947) ; Sur la Soungari
À l’écart des grands studios tradition- Taïwan, les minorités, etc. (Songhuajiang shang, Jin Shan, id.) ; le
nels de Pékin, Shanghai et Changchun, Printemps d’une petite ville (Xiaocheng
Parallèlement, malgré le retour de
les films de la nouvelle vague sont sou- zhi chun, Fei Mu, 1948) ; Dix Mille Foyers
Hong Kong dans le giron de la mère pa-
vent produits par des studios périphé- de lumière (Wanjia denghuo, Shen Fu,
trie en 1997, les films hongkongais sont
riques nouvellement développés et moins toujours considérés comme étrangers et id.) ; Histoire secrète à la cour des Qing’
bien équipés sur le plan matériel, mais bénéficient d’une diffusion très limitée. (Qinggong mishi, Zhu Shilin, id.) ; Soleil
sur lesquels souffle l’esprit nouveau. Cette situation n’empêche pas la produc- radieux (Yanyang tian, Cao Yu, id.) ; Cor-
Les plus connus parmi les réalisateurs tion de la Chine continentale de baisser beaux et Moineaux (Wuya yu maque,
sont Tian Zhuangzhuang* (le Voleur de de façon alarmante, atteignant au maxi- Zheng Junli, 1949) ; Ma vie (Wo zhe yi
chevaux [Dou ma zai], 1986 ; le Cerf-vo- mum 50 longs métrages en 1998, contre beizi, Shi Hui, 1950) ; la Vie de Wu Xun
lant bleu [Lan fengzheng], 1993), consi- près de 130 à la fin des années 80. Les (Wu Xun zhuan, Sun Yu, id.) ; la Fille aux
déré comme un des chefs de file du mou- spectateurs boudent les films des stu- cheveux blancs (Baimao nü, Shui Hua,
vement, Huang Jianxin*, Wu Ziniu* (la dios de l’État, ce qui n’incite pas ce der- 1951) ; Debout, les filles (Zizi meimei
Cloche du soir [Wan zhong], 1987), Chen nier à investir dans le cinéma, lui-même zhanqilai, Chen Xihe, id.) ; Nouveau
Kaige, Hu Mei, Zhang Zeming, Zhou responsable de cette situation, faute de Roman des jeunes héros (Xin’ernü yin-
Xiaowen, Zhang Yimou*, Li Shaohong relâcher son contrôle sur les scénarios gxiong zhuan, Shi Dongshan, id.) ; la
(l’Aube sanglante [Xuese qingchen], et le montage. Dans ce climat, même le Porte no 6 (Liuhao men, Lü Ban, 1952) ; le
1990). populaire acteur-réalisateur Jiang Wen Bourbier (Longxugou, Xian Qun, id.) ;
est forcé à rester dans la marge, son film l’Amour éternel (Liang Shanbo yu Zhu
Face à l’esthétique nouvelle proposée
les Démons à ma porte (Guizi lai le, 2000) Yingtai, Sang Hu, 1953) ; la Terre (Tudi,
par la 5e génération, les cinéastes de la
n’ayant pas obtenu l’aval du Bureau du Shui Hua, 1954) ; Une crise (Yichang
4e génération (ils ont été diplômés à la
film pour sortir en Chine. Nombreux alors fengbo, Lin Nong et Xie Jin, id.) ; Prin-
veille de la Révolution culturelle, mais
sont les jeunes réalisateurs à chercher temps au pays des eaux (Shuixiang de
n’ont commencé à faire des films qu’au
des financements à l’étranger, les fes- chuntian, Xie Jin, 1955) ; la Basketteuse
début des années 80), tout en étant cri-
tivals internationaux étant leur unique no 5 (Nülan wuhao, Xie Jin, 1956) ; Quinze
tiques vis-à-vis de la société, ont gardé
moyen de reconnaissance. Colliers de sapèques (Shiwu guan, Tao
quelque chose du romantisme et de
Principaux films chinois : Le Mont Jin, id.) ; la Famille (Jia, Chen Xihe et Ye
l’idéalisme de leur jeunesse. Ce sont
Dingjun (Dingjunshan, Liu Zhonglun, Ming, id.) ; le Sacrifice du Nouvel An
Huang Jianzhong*, Zhang Nuanxin, Yan
1908) ; Un couple infortuné (Nanfu nanqi, (Zhufu, Sang Hu, id.) ; Li Shizhen (id.,
Xueshu, Wu Tianming*, Xie Fei* (les
Zhang Shichuan et Zhen Zhengqiu, Shen Fu, id.) ; En attendant l’arrivée du
Femmes du lac aux âmes parfumées,
1913) ; Zhuangzi met sa femme à nouveau directeur (Xinjuzhang daolai zhi
1992).
l’épreuve (Zhuangzi shigi, Li Mingwei, qian, Lü Ban, id.) ; la Ville sans nuit (Buye
Quant aux réalisateurs de la 3e géné-
1913), Yan Ruisheng (id., Ren Pengnian, cheng, Tang Xiaodan, 1957) ; les Ondes
ration, ils sont de moins en moins actifs
1921) ; la Romance d’un marchand am- impérissables (Yongbu xiaoshi de dianbo,
au début des années 90 sauf Ling Zifeng
bulant (Zhi guo yuan, Zhan Shichuan, Wang Ping, 1958) ; la Cloche du vieux
et Xie Jin.
1922) ; L’orphelin sauve son grand-père temple (Gusha zhongsheng, Zhu Wuns-
En dehors de ces films d’auteurs, la (Gu’er jiu zu ji, Zhang Shichuang, 1923) ; hun, id.) ; la Légende de Lu Ban (Lu Ban
production se partage entre les films à Feu au temple du lotus rouge (Huoshao de chuanshuo, Sun Yu, id.) ; Aujourd’hui
contenu politique et les films de diver- honglian si, Zhang Shichuan, 1928) ; je me repose (Jintian wo xiuxi, Lu Ren,
tissement : surtout des policiers et des Rêve de printemps dans l’antique capi- 1959) ; la Boutique de la famille Lin (Linjia
films d’arts martiaux, au succès commer- tale (Gudu chunmeng, Sun Yu, 1930) ; la puzi, Shui Hua, id.) ; la Tempête (Feng-
cial quasiment assuré. Tandis que les Cantatrice Pivoine-Rouge (Genü Hong- bao, Jin Shan, id.) ; Lin Zexu (id., Zheng
studios sont à l’affût de coproductions müdan, Zhang Shichuan et Cheng Junli et Cen Fan, id.) ; Où est Maman
avec l’étranger, toujours bienvenues pour Bugao, 1931) ; Les fleurs de pêcher (Xiaokedou zhao mama, Te Wei, Xu
rentabiliser les tournages, les préoccu- pleurent des larmes de sang (Taohua Yingda, 1960) ; le Détachement féminin
pations d’ordre artistique ont tendance à qixue ji, Bu Wancang, id.) ; le Petit Jouet rouge (Hongse niangzijun, Xie Jin, id.) ;
passer au second plan. (Xiao wanyi, Sun Yu, 1933) ; Trois Un ouragan (Baofeng zhouyu, Xie Tieli,

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

1961) ; le Grand Li, le petit Li et le vieux Li id.) ; les Derniers aristocrates (Zuitiou de tique du cinéma (1927, avec Tynianov
(DaLi xiaoLi he laoLi, Xie Jin, 1962) ; la guizu, Xie Jin, 1989) ; l’Aube sanglante et Eikhenbaum) et 40 Ans après (1965).
Plaine en feu (Liaoyuan, Zhang Junxiang, (Xuese qingchen, Li Shaohong, 1990) ; Li En tant que scénariste-adaptateur, on
id.) ; Li Shuangshuang (id., Lu Ren, id.) ; Lianying, l’eunuque impérial (Da Taijian lui doit près de quarante films, dont les
la Maison des 72 locataires (Qishi’erjia Li Lianying, Tian Zhuang-zhuang, 1991) ; Ailes du serf (Y. Taritch, 1926), Dura lex
fangke, Wang Weiyi, 1963) ; Printemps Mama (id., Zhang Yuan, id.) ; la Vie sur un (Koulechov, id., d’après Jack London),
précoce (Zaochun eryue, Xie Tieli, id.) ; fil (Bian zou, bian chang, Chen Kaige, id. ; Trois dans un sous-sol (A. Room, 1927),
Au nord aussi des terres fertiles (Beiguo Épouses et concubines (Dahong den- la Maison de la place Troubnaïa (Barnet,
jiangnan, Shen Fu, id.) ; le Gamin de la glong gaogaogua, Zhang Yimou, id.) ; Qiu 1928), la Maison des morts (Mertvij dom,
huitième armée (Xiaobing Zhang Ga, Cui Ju, femme chinoise (Qiu Ju da guansi, V. Fedorov, 1932, d’après Dostoïevski),
Wei, id.) ; Soeurs de scène (Wutai jiemei, Zhang Yimou, 1992) ; Rides sur les eaux Horizons (Koulechov, 1933), Minine et
Xie Jin, 1964) ; les Sentinelles sous les dormantes (Kuang, Ling Zifeng, id.) ; Pojarsky (V. Poudovkine et M. Doller,
néons (Nihongdeng xia de shaobing, Coeurs fidèles (Xin xiang, Sun Zhou, id.) ; 1939), les Cosaques (Kazaki, V. Pronine,
Wang Ping, id.) ; le Roi des singes (Danao Debout ! ne te laisse pas abattre (Zhanzhi 1961, d’après Tolstoï).
tiangong, Wan Laiming, 1961 et 1964) ; luo, bie paxia !, Huang Jianxin, id.) ; les Chklovski a été l’une des figures ma-
Immortels dans les flammes (Liehuo Bâtards de Pékin (Beijing zazhong, jeures du formalisme russe. Il a exercé
zhong yongsheng, Shui Hua, 1965) ; la Zhang Yuan, 1993) ; Adieu ma concubine une influence profonde sur la FEKS
Prise de la montagne du Tigre (Zhiqu (Bawang bie ji, Chen Kaige, id.) ; le Cerf- (Fabrique de l’acteur excentrique), sur
Weihushan, Xie Tieli, 1970) ; Shajia bang volant bleu (Lan fengzheng, Tian Zhuang- le Proletkult et sur le cinéma soviétique
(id., Wu Zhaoti, 1971) ; la Fille aux che- zhuang, id.) ; Pour le plaisir (Zhao le, Ning muet en général ; après l’apparition du
Ying, id.) ; les Jours (Dongchun de rizi, parlant, et sous l’influence de l’idéologie
veux blancs (Baimao nü, Sang Hu, 1972 ;
Wang Xiaoshuai, id.) ; Red Beads (Xuan stalinienne, il a évolué vers le réalisme,
ballet) ; le Port (Haigang, Xie Tieli, id.) ; la
lian, He Jianjun - alias He Yi - id.) ; Rivaux soulignant le rôle essentiel du scénario
Montagne aux azalées (Dujuanshan, Xie
mais solidaires - (Back to back, face to dans l’oeuvre cinématographique.
Tieli, 1974) ; les Pionniers (Chuangye, Yu
face) - (Bei kao bei, lian dui lian, Huang
Yanfu, id.) ; la Milicienne de la mer (Hai-
Jianxin, 1994) ; Ermo (id., Zhou Xiaowen, CHMARA (Gregory), acteur français d’ori-
xia, Qian Jiang, Chen Huai’ai et Wang
id.) ; le Postier (Youchai, He Jianjun - alias gine russe (Poltava, Ukraine, 1878 - Paris
Haowei, 1975) ; la Jeunesse (Qingchun,
He Yi -, id.) ; Shanghai Triad (Yao a yao 1970).
Xie Jin, 1977) ; Soif du retour (Guixin si
yao, dao wai pei qiao, Zhang Yimou, Élève de Stanislavski, il débute en 1913
jian, Li Jun, 1979) ; l’Aurore (Shuguang,
1995) ; Ronde de flics à Pékin (Minjing au théâtre d’Art (MKhAT) et au cinéma
Shen Fu, id.) ; Ce soir les étoiles brillent
gushi, Ning Ying, id.) ; Fils (Erzi, Zhang en 1915. Il apparaît dans des films de
(Jinye xingguang canlan, Xie Tieli, 1980 ;
Yuan, 1996) ; Si près du paradis/ la Fille Tourjansky, Boleslawsky, Uralski, Gar-
en 2 parties) ; la Légende du mont Tia-
du Viêt-nam (Yuenan guniang, Wang dine et surtout Gardine et Bauer (la Fian-
nyun (Tianyunshan Chuanqi, Xie Jin, id.) ;
Xiaoshuai, id.) ; la Guerre de l’opium (Xie cée et l’Étudiant Pevtsov, 1916 ; la Reine
Un coin oublié par l’amour (Bei aiqing
Fei, 1997) ; Xiao Wu, artisan pickpocket de l’écran, id.). Comme il avait été l’un
yiwang de jiaoluo, Zhang Qi et Li Yalin,
(Xiao Wu, Jia Zhangke, 1998) ; l’Empe- des disciples de Max Reinhardt, avec
1981) ; le Gardien de chevaux (Mumaren,
reur et l’assassin (Chen Kaige, 1999) ; les lequel il avait travaillé dès son arrivée
Xie Jin, id.) ; les Voisins (Linju, Zheng
Démons à ma porte (Guizi lai le, Jiang en Allemagne en 1919, sa carrière se
Dongtian et Xu Guming, id.) ; la Véritable
Wen, 2000) ; Suzhou River (id., Lou Ye, poursuit à Berlin, où il fait des créations
histoire d’A-Q (AQ zhengzhuan, Cen Fan,
id.) ; Shower (Xizhao, Zhang Yang, id.) ; saisissantes dans deux films de Robert
id.) ; le Talisman (Ruyi, Huang Jianzhong,
Platform (Zhantai, Jia Zhangke, id.) ; Bei- Wiene, I. N. R. I. (1923), dans le rôle du
1982) ; la Voie (Lu, Chen Lizhou, 1983) ;
jing Bicycle (Shi qi sui de dan che, Wang Christ, et Raskolnikov (id.), ainsi qu’une
le Fleuve sans balise (Meiyou hangbiao
Xiaoshuai, 2001). apparition dans la Rue sans joie de
de heliu, Wu Tianming, 1983) ; Bao père
Pabst (1925) et très typé, dans l’Homme
et fils (Baoshi fuzi, Xie Tieli, id.) ; la Vie CHKLOVSKI (Viktor) [Viktor Šklovskij], qui assassina (K. Bernhardt, 1930). Ins-
(Rensheng, Wu Tianming, 1984) ; Terre théoricien et scénariste soviétique (Saint- tallé en France à partir de 1936, il se
jaune (Huang tudi, Chen Kaige, 1984) ; le Pétersbourg 1893 - Moscou 1984). consacre surtout au théâtre, au cabaret
Chant du cygne (Juexiang, Zhang Ze- Après avoir suivi des études de philolo- comme guitariste et chanteur, et, après
ming, 1985) ; Une femme honnête (Lian- gie, il devient l’animateur (1916-1919) la guerre, joue dans une vingtaine de
gjia fünu, Huang Jianzhong, id.) ; Jeu- de l’OPOÏAZ (Société pour l’étude de films qui ne lui laissent que rarement
nesse sacrifiée (Qingchun ji, Zhang la langue littéraire) avec Youri Tynia- l’occasion de montrer l’ampleur de son
Nuanxin, id.) ; Dans les montagnes sau- nov, Ossip Brik et Boris Eikhenbaum. talent. Exemples parmi d’autres : Quatre
vages (Ye shan, Yan Xueshu, 1986) ; Il rejoint en 1923 le LEF (Front gauche dans une jeep (L. Lindtberg, 1951), les
l’Affaire du canon noir (Hei pao shijian, de l’art) de Maïakovski. Il se consacre à Mains sales (F. Rivers, id.), Elena et les
Huang Jianxin, id.) ; le Voleur de chevaux la théorie de la littérature et du cinéma. hommes (J. Renoir, 1956), Kriss Romani
(Dou ma zei, Tian Zhuangzhuang, id.) ; le Dès 1923, il publie (à Berlin) son premier (J. Schmidt, 1962), la Belle Vie (R. En-
Bourg-frontière (Biancheng, Ling Zifeng, essai de théorie cinématographique, rico, 1963), Paris n’existe pas (R. Be-
id.) ; le Dernier jour de l’hiver (Zuihou yige Littérature et Cinéma, qui sera suivi (en nayoun, 1969).
dongri, Wu Ziniu, id.) ; Loin de la guerre général sous forme d’articles de revues)
(Yuanli zhanzhen, Hu Mei, id.) ; Hibiscus de nombreux autres, parmi lesquels : Sé- CHOMETTE (Henri), cinéaste français
(Furong zhen, Xie Jin, 1987) ; le Roi des mantique du cinéma (1925), les Lois du (Paris 1896 - Rabat, Maroc, 1941).
enfants (Haizi wang, Chen Kaige, id.) ; cinéma (1927), le Cinéma de Maïakov- L’essentiel de l’oeuvre du frère de René
Pluie printanière (Taiyang Yu, Zhang Ze- ski (1937), les Scénarios professionnels Clair date du muet. Il participe alors aux
ming, id.) ; le Vieux puits (Lao jing, Wu (1945), Cinéma, drame, prose (1946), recherches de l’avant-garde en tournant
Tianming, id.) ; Une fille du Hunan (Xian- Notes d’un scénariste (1952), Scénario Jeux des reflets et de la vitesse (1923)
gnü Xiaoxiao, Xie Fei, id.) ; Chasteté et film (1953), le Scénario fondement et Cinq Minutes de cinéma pur (1925). Il
(Zhen nü, Huang Jianzhong, 1988) ; le du film (1960). Il est également l’auteur présente une gentille comédie, le Chauf-
Sorgho rouge (Hong gaoliang, Zhang d’études sur Chaplin (1923), Eisenstein, feur de mademoiselle (1928). De son
Yimou, id.) ; Chuntao (id., Ling Zifeng, Koulechov, Vertov, Choub, Kozintsev et voyage en Indochine avec Feyder, il rap-
id.) ; le Double (Cuo Wei, Huang Jianxin, Trauberg, ainsi que de deux livres, Poé- porte des impressions : Au pays du roi

252
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

lépreux (1927). Le parlant ne lui réserve CHOPRA (Baldev Raj), cinéaste indien zaine de films soviétiques et « remonte »
que les versions françaises de films ber- (Ludhiana, Pendjab, 1914). environ 200 bandes étrangères, dont le
linois ou des histoires anodines (Prenez D’abord journaliste à Lahore, il fonde à fameux Mabuse de Fritz Lang (1922).
garde à la peinture, 1933). Bombay, après la partition de l’Inde, sa Après avoir collaboré quelque temps
maison de production, BR Films. Il s’est avec Vertov, elle se détourne des voies
CHOMÓN (Segundo de), cinéaste espa- imposé comme un des grands produc- trop radicales du « Ciné-oeil » pour suivre
gnol (Teruel 1871 - Paris 1929). teurs-réalisateurs du cinéma hindi avec son propre chemin. La vision du Cui-
Pionnier du cinéma en Catalogne, le plus une vingtaine de films, la plupart de très rassé Potemkine d’Eisenstein, en 1925,
important avec Fructuós Gelabert, il est grands succès publics. Évitant toute poli- lui donne l’idée d’aborder d’une manière
l’inventeur de nombreux trucages, attirant tique, utilisant les stars en vogue, il traite différente le passé de son pays : en tra-
l’attention de Pathé, qui l’engage sous de problèmes humains : le remariage des vaillant sur des matériaux d’archives. Elle

contrat pour concurrencer Méliès sur veuves (‘le Seul moyen’ [Ek Hi Raasta], met en place, entre 1926 et 1928, sa fa-
1956) ou la réhabilitation des prostituées meuse Trilogie sur l’histoire de la Russie.
son terrain favori, la fantaisie. Il colorie
(‘la Prostituée’ [Sadhana], 1958). Il aborde Les trois films qui en résultent — la Chute
les premières bandes au pochoir, pho-
le drame intimiste (‘Hors du chemin’ [Gu- des Romanov (Padenie Dinastiï Romano-
togramme après photogramme (1902).
mrah], 1963 ; ‘ le Confident’ [Hamraaz], vykh, 1927), la Grande Voie ou le Grand
Pour réaliser la prise de vues image par
1967), le film à suspense (‘Histoire’ Chemin (Velikij Put ‘, id.), la Russie de
image des objets d’El Hotel Eléctrico
[Dastaan], 1972) ; il évoque le problème Nicolas II et de Tolstoï (Rossija Nikolaja II
(1905), il construit une charpente en bois
du viol dans Insaf Ka Tarazu (1980) et i Lev Tolstoj, 1928) — ne comportent
qui soutient verticalement la caméra,
a parfois l’audace de réaliser des films aucun plan tourné par Choub. Le premier,
créant ainsi l’ancêtre du banc-titre. Avec
sans chansons (‘la Loi’ [Kanoon], 1960). la Chute des Romanov, part du désir de
le Sculpteur moderne (1908), il poursuit,
Son frère Yash Chopra (né en 1932) est témoigner sur la révolution de Février et
en utilisant la plastiline, une expérience notamment le réalisateur de ‘Fleur de des faits sociaux qui l’ont suscitée. Elle
animée et colorisée. Dans El hotel eléc- poussière’ (Dhool Ka Phool, 1959), Waqt accède, avec de grandes difficultés, à
trico (1905), il utilise la prise de vues (1965), Ittefaq (1969), Deewar (1975), certaines vues, provenant des archives
image par image. Dans son genre pré- Trishul (1978), Chandni (1989). intimes du tsar, prises par ses proches.
féré, il tourne notamment Gulliver en el Les documents réunis concernent la
país de los gigantes, Pulgarcito (1911), CHOSTAKOVITCH (Dimitri) [D’mitri période allant de 1912 à 1917. Choub vi-
El hombre invisible. S’il est considéré Šostakovi], musicien soviétique (Saint- sionne des milliers de mètres de pellicule
comme l’initiateur de la zarzuela (vaude- Pétersbourg 1906 - Moscou 1975). et visite des lieux qu’elle ne connaît pas
ville populaire) cinématographique, tou- Il fait ses études au Conservatoire de afin de reconstituer, le plus fidèlement
jours pour Pathé, qui lui commande des Saint-Pétersbourg (1923-1925). Dans possible au montage, les événements.
son oeuvre abondante figurent les par-
films « typiquement espagnols » : Los Cette volonté d’exactitude concerne le
titions de quelque 35 films, dont plu-
guapos, Las tentaciones de San Antonio, repérage du matériel et non la lecture
sieurs de Kozintsev et Trauberg (la
El puñado de rosas, Carceleras (tous en idéologique qu’en fait, a posteriori, la
Nouvelle Babylone, 1929 ; Seule, 1931 ;
1910), de même que la saynète El pobre cinéaste. La Grande Voie couvre la pé-
la trilogie des Maxime, 1935-1939) et
Valbuena, il fréquente tous les genres de riode 1917-1927 ; là aussi, les documents
de Youtkevitch (Montagnes d’or, 1931 ;
l’époque : le documentaire (Los sitios de sont difficiles d’accès car dispersés ou
Contre-Plan, 1932), ainsi que le Grand
Chile, 1905) ; la comédie (Los guapos del détruits. Choub fait venir des États-Unis
Citoyen (F. Ermler, 1938-39), la Jeune
parque, id., Un portero modelo, 1911, des images inédites prises jadis par des
Garde (S. Guérassimov, 1948), Mitchou-
Flema inglesa, id., La manta del caballo, opérateurs occidentaux. Lors de ses
rine (A. Dovjenko, id.), Rencontre sur
recherches, elle découvre des archives
id.) ; le « film d’art » historique (Justicia l’Elbe (G. Alexandrov, 1949), la Chute
filmées sur Tolstoï. L’année 1928 étant
del Rey Don Pedro, 1911) ou le feuille- de Berlin (M. Tchiaoureli, 1950), Hamlet
celle du centenaire de la naissance du
ton (La expiación, El adiós de un artista, (G. Kozintsev, 1964) ainsi que le Roi Lear
grand homme, Choub décide de faire
La fatalidad, La hija del guardacostas, El (id., 1971). On lui doit en outre la réédi-
un film sur lui. Les plans représentant
puente de la muerte). Il travaille de 1906 tion d’Octobre d’Eisenstein (1967). Ses
l’écrivain sont, hélas, trop rares, alors
à 1909 essentiellement en France : la Lé- partitions de films témoignent, comme
elle réalise une oeuvre sur son époque
gende du fantôme (1907), Voyage vers la le reste de son oeuvre, de son lyrisme
(1896-1912), dominée par la figure du
planète Jupiter (id.), Cuisine magnétique puissant, fondé sur des rythmes amples
romancier ; cette partie ferme la boucle
(1908), la Table magique (id.), Fabrique et des sonorités éclatantes n’évitant pas
de ces trente ans d’histoire soviétique.
d’argent (id.), Nouveau Voyage dans la toujours l’emphase ; à partir de 1936, il
Le but de son travail n’est pas de lier
Lune (1909), où l’on apprécie sa maîtrise a été en butte à de sévères critiques de
les significations apparentes de ces
technique et sa capacité à trouver des la part de Jdanov, au nom du « réalisme
chutes mais d’en faire surgir un sens
solutions aux problèmes les plus ardus - socialiste ». Il a écrit un ouvrage : Sur la
nouveau qui correspond à une « lecture
ce dernier film est l’un des premiers re- musique de film (1954).
marxiste de l’Histoire ». Dans les films
make, en l’occurrence du film de Méliès
CHOUB (Esfir Ilinitchina, appelée Esther de Choub, contrairement aux oeuvres
(1902) ; puis en Italie à partir de 1912 : de Vertov, il n’y a pas de métaphore au
en Occident) [Esfir‘ Šub], cinéaste et mon-
Tigris (1912), Padre (id.). En 1916, il y niveau de la construction : le montage —
teuse soviétique ( ?, Ukraine, 1894 - Mos-
réalise son oeuvre la plus aboutie de la bien qu’orienté vers un but déterminé —
cou 1959).
période italienne, un long métrage très est simple et clair. En juxtaposant divers
Pionnière du montage d’archives. Après
soigné, la Guerre et le Rêve de l’enfant, fragments venus de sources hétéroclites,
des études à Moscou au Cours supérieur
où alternent prise de vues réelles et sé- la réalisatrice en occulte le sens mani-
pour femmes, elle se lie, après la révolu-
quences de marionnettes animées. On lui tion, au mouvement d’avant-garde LEF feste pour en faire un tout esthétique et
attribue le premier usage du travelling en (Organisation des écrivains de gauche) politique cohérent. Ce traitement appli-
studio (Cabiria, G. Pastrone, 1914) et cer- fondé par Maïakovski. Elle est employée qué aux archives est neuf à l’époque.
tains effets spéciaux du Napoléon d’Abel comme monteuse à partir de 1922, à En 1930, Choub bâtit une chronique
Gance (1927). Il a sans doute réalisé ou l’usine du Goskino (devenu par la suite sur la vie quotidienne, Aujourd’hui ou
participé à plus de cent films. Mosfilm) : elle travaille ainsi pour une di- Canons et Tracteurs (Segodnja), où elle

253
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

met en parallèle la vie en Union sovié- dans Alenka (B. Barnet, 1962), Quand CHOUX (Jean), cinéaste français (Genève,
tique et dans les pays capitalistes. Deux les arbres étaient grands (L. Koulidjanov, Suisse, 1887 - Paris 1946).
oeuvres sont encore à signaler pour les 1962), le Journaliste (S. Guérassimov, Critique de cinéma, défenseur de la
années 30. La première, Komsomol, à la 1967), Près du lac (id., 1970), Si tu veux « cinégraphie » française, il réalise, sur
tête de l’électrification (Komsomol — šef être heureux (N. Goubenko, 1974) et les bords du Léman, un long métrage, la
elektrifikacij, 1932), opère une étonnante surtout Je demande la parole (G. Panfi- Vocation d’André Carrel (ou la Puissance
synthèse entre la mise en évidence des du travail), en 1925. Il s’y inspire du style
lov, 1975), où il tient le rôle de l’écrivain
instruments de tournage (caméras, mi- de Louis Delluc et de Germaine Dulac,
dont la pièce choque Madame le Maire.
cros) et la lutte pour l’électrification de la et donne en outre son premier rôle à un
Sa mort, au cours du tournage de Ils ont
région : c’est le premier film soviétique figurant de la troupe de Pitoëff : Michel
combattu pour la patrie, est une perte
tourné en son direct. La seconde, Es- Simon. Cet acteur, à Paris, lui vaut la
sensible pour le cinéma et la littérature
pagne (Ispanija, 1939), offre un très inté- notoriété grâce à l’adaptation de Jean de
soviétiques.
ressant travail sur le matériel ramené de la Lune, pièce de Marcel Achard, qu’ils
la guerre civile par Roman Karmen. Avec Poète et écrivain très populaire, qui portent à l’écran en 1931. Il signe ensuite
la guerre, le cinéma se métamorphose et commençait à être connu à l’étranger, il quelques médiocres mélodrames : Mater-
le temps des pionniers s’achève. Choub a également écrit quelques scénarios, nité (1935) ; Paix sur le Rhin (1938) ; Port
a encore réalisé quelques films — de en particulier pour Un soldat revient du d’attache (1943) ; l’Ange qu’on m’a donné
montage ou de reportage —, mais dont front (N. Goubenko, 1971). Plusieurs (1946).
l’impact reste mineur. Citons : le Métro de ses nouvelles ont inspiré des films,
pendant la nuit (Moskva stroit metro, dont Appelle-moi vers les clairs loin- CHOW YUN-FAT, acteur chinois (Hon-
1934) ; le Pays des Soviets (Strana So- tains (G. Lavrov et S. Lioubchine, 1977). gkong, 1955).
vetov, 1937) ; Le fascisme sera détruit De 1974 à 1986, il a un contrat avec
Comme acteur, il symbolisait le Russe
(Lico vraga, 1941) ; Vingt Ans de cinéma populaire, costaud, tranquille et taciturne, la chaîne de télévision TVB. Il apparaît
soviétique (Kino za 20 let, avec la collab. aussi au cinéma dans quelques comé-
surtout dans les films de guerre, Libéra-
de Poudovkine, 1946) ; Du côté du fleuve dies à partir de 1976. Des cinéastes de la
tion (Y. Ozerov, 1971) et Ils ont combattu
Arax (Po tu storonu Araksa, 1947) ; le Nouvelle Vague, Ann Hui (Love in a Fal-
pour la patrie (S. Bondartchouk, 1975).
Coeur pur (Ot istogo serdca, 1949). len City, 1984), Leon Po Chih (Hongkong
Mais son rôle le plus fameux, c’est celui
En 1959, Choub publie En gros plan 1941, id.) et Stanley Kwan (Femmes,
qu’il tient dans son propre film, l’Obier
(Krupnym planom), livre de souvenirs 1985), lui permettent alors de composer
rouge (Kalina Krasnaja, 1973), où il in-
où elle évoque le cinéma soviétique et des personnages romantiques. Mais ce
carne un délinquant de droit commun qui
l’avant-garde des années 20. sont ses rôles de gangsters qui lui valent
s’embauche, pour refaire sa vie, comme la célébrité, comme ceux du Syndicat du
CHOUIKH (Mohamed), acteur algérien tractoriste dans le kolkhoz de son amie ; crime (John Woo, 1986) ou de City on
(Mostaganem [auj. Mestghanem], 1943). mais ses anciens complices viennent le Fire (Ringo Lam, 1987). Son charisme,
Il rejoint à l’Indépendance une troupe de relancer et, comme il refuse de les suivre, sa manière de tenir des armes à feu ne
théâtre à Alger qui va devenir le Théâtre ils le tuent. Il fait là une composition sai- sont pas étrangers au succès internatio-
national algérien, où il va acquérir sa pre- sissante. nal de The Killer (John Woo, 1989). En
mière formation d’acteur. Il fonde plus Auparavant, il avait écrit et réalisé 1995, il quitte Hongkong pour Hollywood.
tard sa propre troupe dans sa ville natale. quatre autres films qui frappent par leur L’adaptation est difficile ; on ne lui pro-
En 1965, il joue dans l’Aube des damnés, pose d’abord que des copies de ses fi-
justesse de ton et leur ferveur. Un gars
de René Vautier et Ahmed Rachedi. En gures wooïennes, comme Un tueur pour
comme ça ou Il était une fois un gars
1966, Mohamed Lakhdar Ham na lui cible (The Remplacement Killers, Antoine
(Živet takoj paren‘, 1964) raconte les
confie le rôle du jeune moudjahid dans Fuqua, 1998). Avec Anna et le roi (Andy
frasques d’un joyeux garçon à qui la vie
le Vent des Aurès. Il est le héros des Tennant, 1999) et surtout Tigre et dragon
met un peu de plomb dans la cervelle.
Hors-la-loi de Tewfiq Farès (1969), et le (Ang Lee, 2000), il retrouve des rôles à
Ce début est encore assez léger, mais
partenaire tragique de Marie-José Nat sa mesure.
ses autres films font preuve d’une matu-
dans Élise ou la vraie vie (Michel Drach,
rité et d’une profondeur qui lui ont valu sa CHPALIKOV (Guennadi) [Guennadi
1970). Comédien sobre et sensible (les
Nomades, S. A. Maz f, 1975), il déve- juste réputation. Votre fils et frère (Vaš Fedorovi Špalikov], scénariste et cinéaste
loppe en parallèle à sa carrière d’acteur syn i brat, 1966) dépeint les relations d’un soviétique (Seguej, Carélie, 1937 - Moscou
un travail de réalisation et fait preuve de vieux couple de paysans avec ses trois 1974).
réelles qualités de cinéaste dans l’Em- fils et brosse un tableau de famille plein Diplômé du VGIK, il a collaboré à deux
bouchure (1972), les Paumés (1974), de verve et de vérité. Des gens étranges films importants du dégel : le Faubourg
Rupture (1983), longs métrages produits (Strannye ljudi, 1969) se compose de d’Illitch / J’ai vingt ans (M. Khoutziev,
par la télévision (RTA), ainsi que dans la trois nouvelles qui sont l’occasion, surtout 1962-1964), Je m’balade dans Moscou
Citadelle (El Kalaa, 1988), Youcef (1993) la dernière, d’une méditation attentive (G. Danelia, 1964), Toi et moi (L. Che-
et l’Arche du désert (1997). et souvent émouvante sur le sens de la pitko, 1971), Chante ta chanson, poète

vie. Enfin, dans À bâtons rompus / De fil (S. Ouroussevski, id.). Il a lui-même
CHOUKCHINE (Vassili) [Vasilij Makarovi réalisé un film très typique de l’esprit de
en aiguille (Peki-lavoki, 1972), Chouk-
Šukšin], acteur et cinéaste soviétique l’époque, Une vie longue et heureuse
chine joue lui-même, en compagnie de
(Strotski, Sibérie, 1929 - Klietskaïa, (Dolgaja sastlivaja žzn’, 1967). Il se sui-
son épouse, l’actrice Lydia Fedosseieva,
Ukraine, 1974). cide en 1974.
le rôle d’un kolkhozien qui se rend en
Fils de paysan, d’abord ouvrier puis élève
vacances sur la mer Noire : le cinéaste
de Mikhail Romm à l’Institut du cinéma de CHPINEL (Iossif) [Iosif Aronovi Špinel’],
y exprime avec naturel sa philosophie
Moscou de 1954 à 1960 et acteur dans décorateur soviétique (Belaya Tserkov’
une vingtaine de films, il débute dans de la vie, son amour de la terre natale et 1892 - [ ?] 1980).
les Deux Fédor (M. Khoutziev, 1958) son respect de l’individu, préoccupations Il est avec Eneï l’un des plus grands déco-
et se fait remarquer peu à peu par son constantes dans toute son oeuvre litté- rateurs du cinéma soviétique, s’imposant
allure populaire, sa carrure puissante et raire et que l’on retrouve encore dans son dès 1929 dans Arsenal (A. Dovjenko), tra-
son visage ouvert. Il joue, entre autres, dernier film, l’Obier rouge (1973). vaillant notamment avec Mikhaïl Romm

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

(Boule de suif, 1934), Grigori Rochal (la grer en 1925 à Hollywood, où il se spé- l’enfance malheureuse dans l’Enfer des
Nuit de Saint-Pétersbourg, id. ; l’Année cialise dans les thrillers « gothiques », anges (1939). Pendant l’Occupation, il
1918, 1958 ; l’Aube grise [Hmuroe utro], parmi lesquels on peut citer The Devil’s fait preuve de son éclectisme et de son
1959), Vera Stroeva (Une génération de Circus (1926), The Haunted House brio : aventures poétiques (l’Assassi-
conquérants [Pokoleniye pobe ditelei], (1928), Seven Footprints to Satan (1929) nat du Père Noël, 1941) ; comédie sen-
1936), Iouli Raïzman (Machenka, 1942), et The House of Horor (id.). De tous timentale (Premier Bal, id.) ; biographie
Aleksandr Stolper (Histoire d’un homme ces films, Seven Footprints to Satan est romantique (la Symphonie fantastique,
véritable, 1948), Mikhaïl Kalatozov (le celui qui illustre le mieux la truculence de 1942) ; échappée littéraire (Carmen, 1945
Complot des condamnés / la Conspira- l’humour de Christensen. Satan y règne [RÉ 1943]) ; nostalgie des ports et des
tion des vaincus, 1950), Sergueï Youtke- sur une étrange demeure, habitée par de
départs manqués (Voyage sans espoir,
vitch (Skanderbeg, 1953), Boris Kimiaga- curieux mignons, par un nain, un gorille
1943) ; résurrection d’une Auvergne âpre
rov (le Destin d’un poète [Sud’ba poeta], et quelques dames à la mine austère. Le
et maléfique (Sortilèges, 1945). À la Libé-
1959), Jurij Vychinski (Appassionata, réalisateur danois n’a jamais eu qu’un
ration, il proclame avec verve le patrio-
1963). Mais il reste surtout célèbre pour seul rival capable de représenter aussi
tisme de Boule de suif (1945) et donne un
sa contribution inspirée aux deux oeuvres bien le difforme, le grotesque et le malfai-
tableau haut en couleur de la bourgeoi-
majeures d’Eisenstein : Alexandre Nevski sant : c’est Tod Browning.
sie lyonnaise vue par Henri Jeanson (Un
(1938) et Ivan le Terrible (1942-1946). Pendant les années 30, Christensen
revenant, 1946). L’accueil mitigé que l’on
retourne dans son Danemark natal, mais
CHRÉTIEN (Henri), physicien français réserve à la Chartreuse de Parme (1948)
l’inspiration semble l’avoir abandonné,
(Paris 1879 - Washington, D. C., États-Unis, et à Singoalla (1950) n’atténue pas la
car les films qu’il y tourne pendant la Se-
1956). truculence de Barbe-Bleue (1951), pre-
conde Guerre mondiale paraissent sans
Inventeur de nombreux dispositifs op- mier essai en couleurs, ni l’allégresse de
intérêt. Pourtant, sa vision très person-
tiques, il met au point en 1926-27 un Fanfan la Tulipe (1952), qui remporte un
nelle et sa maîtrise des premiers films
système anamorphoseur baptisé Hyper- succès triomphal. Précédemment marié
d’horreur ont marqué l’histoire du cinéma.
gonar. Bien que ce procédé ait servi au à Simone Renant, puis à Renée Faure,
tournage d’un film dès 1928, il demeure CHRISTENSEN (Bent), cinéaste danois il épouse ensuite Martine Carol. Ado-
à peu près inemployé jusqu’en 1952, (Aalborg 1929 - Aalborg 1992). rables Créatures (1952), Lucrèce Borgia
année où la Fox, exploitant l’invention Christensen, qui commence sa carrière (1953), Madame du Barry (1954), Nana
d’Henri Chrétien, popularise l’écran large comme acteur — et non des moindres (1955) et Nathalie (1957) sont surtout une
par anamorphose sous le nom de Ciné- —, se met, à la fin des années 50, à célébration de l’actrice... Tous ces films,
maScope. ( ANAMORPHOSE ET SCOPE.) écrire et à réaliser des films. Il s’agit alors ainsi que ceux qui vont suivre, n’attestent
d’oeuvres faciles et inoffensives, sans plus qu’un incontestable savoir-faire,
CHRISTENSEN (Benjamin), cinéaste da- mérite particulier, et il faudra attendre la qui lui permet de raconter brillamment
nois (Viborg 1879 - Copenhague 1959). fin des années 60 pour qu’il trouve véri- Si tous les gars du monde (1956). Sa
Figure énigmatique, il reste une des plus tablement sa voie, qui aura été de pro-
bonne humeur et sa désinvolture éclatent
grandes personnalités de l’ère du muet. duire quelques-uns des films danois les
Christensen a une trentaine d’années jusque dans ses réalisations les plus dis-
plus admirables de cette période (parmi
quand il abandonne sa carrière de chan- cutables : les Pétroleuses (1971), la Vie
lesquels Dilemme de Henning Carlsen
teur d’opéra pour se consacrer au cinéma parisienne (1977).
[1962] et Week-end de Palle Kjaerulff-
naissant. L’X mystérieux (Det hemme- Autres films : Adhémar Lampiot
Schmidt, la même année). À titre per-
lighedstude X, 1913) et Nuit vengeresse (1933) ; le Tendron d’Achille (id.) ; ça colle
sonnel, la comédie satirique Harry et son
(Haevnens nat, 1915) proclament sans (id.) ; le Boeuf sur la langue (id.) ; Com-
valet (Harry og kammertjeneren, 1961) lui
ambages son goût du mélodrame, tan- partiment de dames seules (1935) ; le
a valu un triomphe national.
dis que sa maîtrise des ombres et de la Père Lampion (id.) ; Sous la griffe (id.) ; la
lumière le place au même niveau que CHRISTIAN-JAQUE (Christian Maudet, dit), Sonnette d’alarme (id.) ; Voyage d’agré-
Louis Feuillade. cinéaste français (Paris 1904 - id. 1994). ment (id.) ; Monsieur Personne (1936) ;
Christensen n’arrivera pourtant à as- Ses études le font pénétrer comme affi- l’École des journalistes (id.) ; Rigolboche
seoir sa réputation qu’en 1921, avec la chiste dans des maisons de production ; (id.) ; Josette (id.) ; On ne roule pas Antoi-
Sorcellerie à travers les âges (Häxan), puis, épaulé par le metteur en scène nette (id.) ; la Maison d’en face (1937) ;
tourné en Suède. Ce quasi-documen- Henry Roussell, il travaille sur les décors À Venise une nuit (id.) ; les Perles de la
taire, qui s’inspire des peintres de la Re- de Une java (1927). Hugon et Duvivier Couronne (CO S. Guitry, id.) ; les Dégour-
naissance — Bosch, Cranach, Bruegel, l’emploient ensuite, alors qu’il s’essaie dis de la Onzième (id.) ; les Pirates du rail
Dürer —, est d’esprit encore plus ger- au journalisme. Le Bidon d’or (1932), (1938) ; le Grand Élan (1940) ; D’homme
manique que la moyenne des films alle- pochade sportive, est son premier long
à hommes (1948) ; Souvenirs perdus
mands des années 20. La thèse de Chris- métrage. Il va tourner alors des drames
(1950) ; Destinées (épisode : Lysistrata,
tensen est que l’homme rejette toutes les et surtout des vaudevilles qui obtiennent
1954) ; la Loi, c’est la loi (1958) ; Babette
manifestations incompréhensibles de la la faveur populaire. Sa cadence de tra-
s’en va-t-en guerre (1959) ; la Française
vie en les mettant sur le compte de la vail est étourdissante : cinq à six films
et l’amour (épisode : le Divorce, 1960) ;
sorcellerie, et que tout culte diabolique par an, dont Fernandel et Armand Ber-
Madame Sans-Gêne (1961) ; Marco Polo
émane d’un profond besoin sexuel. Par nard se partagent les titres. Le premier
(1962, inachevé) ; les Bonnes Causes
sa dialectique, la Sorcellerie à travers les anime Un de la Légion (1936), Fran-
(1963) ; la Tulipe noire (1964) ; le Repas
âges reste un remarquable ciné-pam- çois Ier (1937), Ernest le rebelle (1938) ;
phlet, condamnant le puritanisme et l’in- des fauves (id.) ; le Gentleman de Cocody
le second s’ébat dans la Famille Pont-
tolérance. Christensen interprète encore Biquet (1935) et Sacré Léonce (id.) ; (1965) ; Guerre secrète (CO T. Young,

le rôle du peintre épris de son modèle tous deux se retrouvent dans Raphaël C. Lizzani et W. Klinger, id.) ; la Seconde
dans Mikael (1924) de Dreyer et dirige le tatoué / C’était moi (1939), conclu- Vérité (1966) ; Le Saint prend l’affût (id.) ;
quelques longs métrages en Allemagne sion des farces d’avant-guerre. Devenu Deux Billets pour Mexico (1967) ; les
(Unter Juden et Seine Frau, die Unbe- un parfait technicien, Christian-Jaque Amours de lady Hamilton (1969) ; Doc-
kannte, tous deux en 1923 ; die Frau mit adapte de façon remarquable les Dispa- teur Justice (1975) ; Carné, l’homme à la
dem schlechten Ruf, 1925) avant d’émi- rus de Saint-Agil (1938) et s’attendrit sur caméra (DOC, 1985).

255
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

CHRISTIE (Julie), actrice britannique rouge et le fond bleu apparaîtra « plus CHUTIER.
(Chukua, Assam, Inde, 1940). flou ». Une robe orange sur un rideau vert Accessoire de salle de montage permet-
Son amour du théâtre la conduit à incar- (longueur d’onde voisines) se détacherait tant le rangement des chutes.
ner le personnage de Luciana, dans la moins bien.
Comédie des erreurs, à la Royal Shake- CHVARTZ (Lev) [Lev Aleksandrovi Švarc],
speare Theatre Company. Elle fait des CHROMOGÈNE. musicien soviétique (Tachkent 1898 - Mos-
débuts très remarqués dans une série Générant des images en couleurs : révé- cou 1962).
télévisée où elle tient le rôle-titre (A for lateur chromogène, développement chro- Diplômé du Conservatoire de Moscou en
Andromeda, 1962). Elle commence à mogène. ( COUCHE SENSIBLE.) 1927, il compose dès 1932. Se consa-
s’imposer grâce à John Schlesinger, qui crant à la musique de film à partir de
lui confie le premier rôle féminin de Billy CHRONO (d’après Chronophotographe, 1935, il connaît bientôt le succès avec la
le Menteur (1963), un film dont la direc- nom de marque). fameuse trilogie de Donskoï (l’Enfance
tion d’acteurs est fortement marquée par Appellation consacrée de la partie pro- de Gorki, En gagnant mon pain, Mes uni-

l’apogée du Free Cinema. Deux ans versités, 1938-1940) ; dès lors, il signe
prement mécanique d’un projecteur.
plus tard, elle connaît la consécration la partition de tous les films de ce réa-
( PROJECTION.)
internationale en obtenant l’Oscar de la lisateur jusqu’à sa mort, s’imposant par

meilleure interprétation féminine pour CHRONOCHROME. son style très lyrique et son intelligence
du contrepoint audiovisuel. On lui doit
Darling du même Schlesinger. Dès lors, Chronochrome Gaumont, ou Gaumontco-
elle sait varier constamment ses inter- aussi, entre autres, les partitions de la
lor PR0CÉDÉS DE CINÉMA EN COULEURS.
Fleur de pierre (A. Ptouchko, 1946), Anna
prétations sous la direction de grands
CHRONO DE POCHE FORMAT au collier ou l’Ordre d’Anna (Anna na
cinéastes internationaux (le Messager,
šee, I. Annensky, 1954), Mon ami Kolka
J. Losey, 1971), ne tournant qu’avec une
CHRONOPHONE PROCÉDÉS DE CINÉMA (A. Mitta et A. Saltykov, 1961).
judicieuse parcimonie et ne se contentant
jamais de miser sur sa seule animale et SONORE
CHVEITZER (Mikhaïl) [Moisej/Mihail
originale beauté.
CHRONOPHOTOGRAPHE PROJECTION, Abramovi Švejcer], cinéaste soviétique
Films : Crooks, Anonymous (K. An-
FORMAT (Perm’ 1920).
nakin, 1962) ; la Merveilleuse Anglaise
À l’Institut du cinéma de Moscou, qui lui
(id., id.) ; Billy le Menteur (J. Schlesin-
CHTRAUKH (Maksim) [Maksim octroie son diplôme en 1943, il suit l’en-
ger, 1963) ; le Jeune Cassidy (J. Car-
Maksimovi Štrauh], acteur soviétique seignement d’Eisenstein. Si son premier
diff, 1965) ; Darling (Schlesinger, id.) ;
film, ‘le Chemin de la gloire’ (Put‘ slavy)
(Moscou 1900 - id. 1974).
le Docteur Jivago (D. Lean, id.) ; Faren-
[CO B. Bouneev et A. Rybakov, 1949],
Sur scène, où il se rend célèbre, il tra-
heit 451 (F. Truffaut, 1966) ; Loin de la passe presque inaperçu, il n’en est pas
vaille de 1921 à 1924 au Premier Théâtre
foule déchaînée (Schlesinger, 1967) ; de même, en 1956, pour la Parenté
Petulia (R. Lester, 1968) ; À la recherche ouvrier du proletkoult, interprète plu-
étrangère (užaja rodnja), solide témoi-
de Gregory (P. Wood, 1970) ; John sieurs spectacles « excentriques », tra-
gnage, d’après un roman de Tendriakov,
McCabe (R. Altman, 1971) ; le Messager vaille avec Meyerhold, s’impose dans
sur la vie à la campagne. Il reste fidèle
(J. Losey, id.) ; Ne vous retournez pas des pièces d’Ehrenbourg, Olecha, Vich-
à cet écrivain pour ‘Sacha entre dans la
(N. Roeg, 1973) ; Shampoo (H. Ashby, nievski et Maiakovski. Il apparaît dans
vie’ (Saša vstupaet v žizn’, 1957) dont la
1975) ; Nashville (R. Altman, id., caméo) ; le pamphlet satirique d’Eisenstein, le
première version le Noeud serré (Tugoj
Génération Proteus (Demon Seed, Journal de Gloumov, intermède filmé du uzel) avait été jugée inacceptable par
D. Cammell, 1977) ; Le ciel peut attendre spectacle théâtral de ce metteur en scène sa violente dénonciation des « apparat-
(W. Beatty, 1978) ; les 40es Rugissants (Un sage, 1923) et joue un rôle d’indica- chiks », ces secrétaires locaux du Parti
(Ch. de Chalonge, 1982) ; le Retour du teur de police dans la Grève (1925). Puis sans scrupules, puis coupée et en partie
soldat (A. Bridges, id.) ; Chaleur et Pous- Eisenstein le prend comme assistant du re-tournée. Il adapte ensuite Tolstoï dans
sière (J. Ivory, 1983) ; les Coulisses du Cuirassé Potemkine, d’ Octobre et de Résurrection (Voskresenie, deux parties,
pouvoir (S. Lumet, 1986) ; la Mémoire ta- la Ligne générale. Sa première période 1960 et 1962), Kataïev dans ‘En avant,
touée (Ridha Behi, id.) ; Miss Mary (Maria d’acteur, jusqu’à la fin du muet, se ca- le temps’ (Vremja, vpered, 1966), puis
Luisa Bemberg, 1987) ; Fools of Fortune les auteurs satiriques Ilf et Petrov dans
ractérise par son jeu « excentré », et sa
(Pat O‘Connor, 1991), The Railway Sta- le Veau d’or (Zolotoj telenok, 1969). On
prestation la plus remarquable est celle
tion Man (Michael Whyte, 1992) ; Coeur lui doit encore, notamment, ‘la Fuite de
du policier dans le Fantôme qui ne re-
de dragon (Dragonheart, Rob Cohen, M. MacKinley’ (Begstvo Mistera Mak
vient pas, d’Abram Room (1930). Avec le
1996) ; Hamlet (K. Branagh, id.) ; After- Kinli, 1975) et des adaptations littéraires :
parlant, son jeu devient plus sobre, plus
glow (A. Rudolph, 1997). Des gens ridicules (Smešnye Pjoudi,
intériorisé ; mais la plupart des films aux-
1978, d’après Tchékhov), Petites tragé-
quels cet excellent comédien a participé
CHROMATISME. dies (Malen’kie tragedii, 1980, d’après
1 – Dispersion des rayons lumineux à la dans les années 30 n’ont laissé aucun
Pouchkine), les Âmes mortes (Mertvye
traversée d’une surface air-verre, selon souvenir dans l’histoire du cinéma. Après
duši, 1984, d’après Gogol) et la Sonate
leur longueur d’onde. la guerre, on le retrouve dans le Serment
à Kreutzer (Krejcerova sonata, 1987, CO
2 – Caractéristique de l’oeil et de la vi- (M. Tchiaoureli, 1946) et Meurtre dans
Sofia Milkina). Il signe en 1993 ‘Écoute,
sion liée au fait que l’oeil n’est pas achro- la rue Dante (M. Romm, 1956). Il doit
Fellini’ (Poslušaj, Fellini, CO : Sofia Mil-
matique, ce qui signifie que sa distance surtout sa renommée à ses interpréta- kina).
focale n’est pas la même pour toutes les tions du personnage de Lénine sous la
longueurs d’onde. Il doit modifier l’ac- direction de Youtkevitch : l’Homme au CHYTILOVA (Vra), cinéaste tchèque (Os-
commodation (mise au point de l’oeil) en fusil (1938), Récits sur Lénine (1958) et trava 1929).
fonction de la couleur des plages dont la Lénine en Pologne (1966). Elle suit des cours d’architecture, puis
longueur d’onde est très différente. Par travaille comme dessinatrice, manne-
exemple une comédienne en robe rouge CHUTE. quin, script-girl. En 1957, elle s’inscrit à
adossée à un rideau bleu se détachera Fragment de prise non utilisé lors du la FAMU et pendant cinq ans étudie dans
bien : l’oeil accommodera sur la robe montage. la classe d’Otakar Vávra. Son film de fin

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

d’études, le Plafond (Strop, 1962), lui vaut CM, DOC, 1993), Pièges, petits pièges en scène. Le film connaît un remarquable
un prix au festival d’Oberhausen. Son at- (Pasti, pasti, pastiky, 1998), Chassé succès commercial, non sans malen-
tirance vers le cinéma-vérité se manifeste du Paradis (Vyhnani z raje, 2001). On tendu, car son sujet est moins la guerre
encore dans un autre moyen métrage : lui doit également d’autres documen- du Viêt-nam que la signification de celle-
Un sac de puces (Pytel blech, id.), qui taires : ‘Prague, coeur inquiet de l’Europe’ ci pour quelques individus. Cette réussite
évoque les problèmes d’un collectif de (Praha, neklidné srdce Evropy, 1984) et permet à Cimino d’entreprendre la Porte
jeunes ouvrières, et dans son premier ‘T.G.M. le libérateur’ (T.G.M. osvoboditel, du paradis (Heaven’s Gate), western
long métrage, Quelque chose d’autre (O 1990). Vra Chytilova a été l’épouse du ambitieux et politiquement dérangeant.
nem jiném, 1963), où elle évoque en chef opérateur Jaroslav Kuera. Sorti à New York en 1980, ce film coûteux
parallèle la vie de deux femmes : une est si mal accueilli par les critiques que
ménagère sans ambitions profession- CIAMPI (Yves), cinéaste français (Paris la United Artists le retire de l’affiche pour
nelles et une championne de gymnas- 1921 - id. 1982). confier au réalisateur le soin d’en prépa-
tique (jouée par une vraie championne, Il a pour père le pianiste Marcel Ciampi
rer une version écourtée. Cette dernière
Eva Bosákova). Après un sketch (Self- et pour mère la violoniste Yvonne As-
conserve toutefois une belle complexité
Service Univers) du film-manifeste de truc ; mais il préfère d’abord la médecine
et une grande invention visuelle mais ne
la Nouvelle Vague tchécoslovaque : les à toute carrière artistique. Le cinéma peut sauver la compagnie productrice du
Petites Perles au fond de l’eau (Perliky d’amateur, toutefois, le conduit à l’autre,
désastre. Il faudra que Cimino attende
na dn, 1965), elle s’éloigne du cinéma- et il devient l’assistant de Dréville et d’Hu-
1985 pour réaliser l’Année du Dragon
vérité pour aborder des paraboles styli- nebelle. Il passe à la réalisation en 1945
(Year of the Dragon) où se déploie son
sées à mi-chemin entre la farce corrosive et se fait connaître avec Un grand patron
romantisme de l’échec mais qui présente
(1951) et, surtout, Les héros sont fatigués
et la transposition philosophique et poli- des Sino-Américains une vision si carica-
(1955). Il est dès lors considéré comme
tique. Épaulée par la scénariste et costu- turale qu’elle provoquera la polémique.
mière Ester Krumbachova, elle signe les un bon « technicien » et comme un spé-
Dans le Sicilien (The Sicilian, 1987) il
Petites Marguerites (Sedmikrásky, 1966), cialiste du suspense psychologique :
s’avère incapable d’assurer la moindre
portrait de deux gamines irresponsables Typhon sur Nagasaki (1957), Qui êtes-
crédibilité à l’histoire de Salvatore Giu-
vous M. Sorge ? (1960), le Ciel sur la tête
et irrévérencieuses pour lesquelles la liano. En 1990, il tourne The Desperate
(1964) sont ses meilleures réussites dans
vie n’est qu’un jeu iconoclaste, puis les Hours (id.), remake d’un film de William
ce genre. Il est moins à l’aise dans l’étude
Fruits du paradis (Ovoce strom rajskÿch Wyler : explosif, Cimino pulvérise le huis
intimiste (À quelques jours près, 1969). Il
Jíme, 1969), comédie faussement naïve clos par son sens du décor et gomme les
s’est ensuite surtout consacré à la télé-
où l’on apprend qu’il n’est guère possible poncifs grâce à sa peinture au couteau de
vision.
de vivre en accord avec soi-même. Le personnages ambigus. Malgré ses qua-
nihilisme enjoué de Chytilova se heurte lités, le film est un demi-échec commer-
CICOGNINI (Alessandro), musicien italien
après les événements de 1968 à une cial et critique qui ne remet pas Cimino
(Pescara 1906 - Rome 1995).
désapprobation ouverte du régime, qui en selle comme il l’aurait voulu. En 1996,
Auteur prolifique dont l’activité cinémato-
la réduit pendant près de sept années il réalise Sunchaser, beau road-movie
graphique s’étend de 1937 à 1965, Cico-
à un chômage artistique. Ce n’est qu’en et nouveau succès d’estime qui renvoie
gnini a surtout écrit des partitions aux mé-
1976 qu’elle parvient à réaliser le Jeu de Cimino au film publicitaire dans lequel il
lodies agréables et faciles à mémoriser,
la pomme (Hra o jablko), avec Jii Menzel excelle.
par exemple Deux Sous d’espoir (R. Cas-
dans l’un des rôles principaux. Le film,
tellani, 1952), le Petit Monde de don
malgré d’évidentes concessions au réa- CINÉ.
Camillo (J. Duvivier, 1952), Pain, Amour
lisme, n’enchante visiblement pas les Abrév fam. de cinéma. La racine ciné-
et Fantaisie (L. Comencini, 1953). Colla-
autorités et ne fait dans son pays qu’une provient de la racine grecque kinê, que
borateur régulier de Blasetti (une dizaine
carrière éclair. Après un documentaire, l’on retrouve dans kinêma (mouve-
de titres à partir de 1939), Cicognini a été
Le temps est impitoyable (Cas je neú- ment CINÉMA), kinêsis (mouvement,
associé aux meilleurs films de De Sica
prosny, 1978), où elle tente de prouver cf. kinésithérapeute), kinêtos (mobile,
(Sciuscià, le Voleur de bicyclette, Miracle
que le seul moyen d’affronter la vieillesse cf. les dénominations — Kinetoscop et
à Milan, Umberto D., l’Or de Naples, le
est de garder une activité créatrice, elle Kinetograph — des appareils d’Edison
Toit, le Jugement dernier).
réalise, aux Studios de Barrandov cette INVENTION DU CINÉMA). De même
fois, Panelstory (1979), une mordante CIMINO (Michael), cinéaste américain que la racine cinéma dans cinématique,
satire sur les conditions de vie des habi- (New York, N. Y., 1941). ciné fut employé dans cinétique (relatif
tants d’un quartier en construction et la Après des études d’art et d’architecture, au mouvement : énergie cinétique, théo-
déformation des rapports humains qui puis d’art dramatique, il réalise des films rie cinétique, etc.) avant l’apparition du
en résulte. Le film ne sort que vers la fin publicitaires, puis collabore aux scénarios cinéma. Mais, de même que cinéma est
1981 et n’atteint pas plusieurs régions du de Silent Running (D. Trumbull, 1972), aujourd’hui perçu comme dérivé de ciné-
pays. En 1980, la Calamité (Kalamita) Magnum Force (Ted Post, 1973) et The matographe, ciné est aujourd’hui reçu
s’intéresse à certaines déformations Rose (M. Rydell, 1980), ce dernier sans comme diminutif de cinéma.
d’ordre éthique et rencontre d’égales être mentionné au générique. Mais c’est Plus court que cinéma, ciné a engendré
difficultés de distribution. Elle réalise en- son association avec Clint Eastwood, de- un plus grand nombre de mots, comme :
suite l’Après-midi d’un vieux faune (Fau- puis Magnum Force, qui l’amène à écrire
— cinéaste* ;
novo velmi pozdni odpoledne, 1985), le et réaliser pour lui le Canardeur (Thun-
— ciné-club* ;
Chalet des loups (Vlí bouda, 1986), le derbolt and Lightfoot, 1974). La théma-
Bouffon et la Reine (Šašek a kralovna, tique de Cimino y transparaît déjà : son — cinémaniaque (personne poussant
1987), Un coup par-ci, un coup par-là goût des affirmations énergiques et des jusqu’à la manie la passion du cinéma) ;
(Kopytem sem, kopytem tam, 1989), personnages mystérieux, son intérêt pour — cinémitrailleuse (caméra 16 mm
‘Mes Pragois me comprennent’ (Moji les situations paradoxales. Voyage au installée sur les avions de chasse et
Pražané mi rozumji, MM, 1991), ‘l’Héri- bout de l’enfer (The Deer Hunter, 1978) déclenchée automatiquement en même
tage’ (Ddictví aneb kurvahošigutntag, est pourtant une sorte de révélation, à la temps que les mitrailleuses ou les ca-
1992), une comédie populaire, ‘Où allez- fois par la nouveauté de sa construction nons, de façon à enregistrer les résultats
vous, jeunes filles ?’ (Kam panenky..., et par l’efficacité romanesque de sa mise du tir) ;

257
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

— ciné-parc (mot québécois pour naux » de production du muet, tout en rête de paraître le 11 février 1921. Trois
drive* in) ; leur prêchant la morale et les conventions mois plus tard, Delluc fonde Cinéa, la
— cinéphile (amateur de cinéma ; hollywoodiennes : un cinéma de studio, première revue française de réflexion sur
autrefois, on distinguait volontiers le ciné- éloigné des réalités du sous-développe- le cinéma. La naissance et l’organisation
phile, supposé connaisseur, du simple ment, ne gardant du pays que la « photo- d’une presse spécialisée, consciente de
spectateur, mais cette nuance tend à dis- génie » des beautés naturelles. L’équipe son rôle tant au niveau social qu’esthé-
paraître) et cinéphilie ; de la revue passe à la pratique avec le tique, et le développement de l’idée de
— cinéroman (roman-photo tiré d’un film Barro Humano (Gonzaga, 1928) ; ciné-club sont étroitement liés.
film) ; la sophistication prônée étendra son Passant de l’intention à la pratique,
influence à certaines oeuvres de Hum- un groupe de spectateurs se réunit le
— cinéthéodolithe (caméra spéciale,
berto Mauro. Les velléités industrielles 14 novembre 1921 dans une salle de la
16 ou 35 mm, généralement équipée d’un
de Gonzaga débouchent sur la création capitale, le Colisée. Le programme pro-
puissant téléobjectif, employée pour fil-
de la compagnie Cinédia (1930). Creu- posé se compose d’un montage d’actua-
mer les trajectoires des engins spatiaux,
set d’un curieux mélange de mimétisme, lités ainsi que du célèbre film allemand
particulièrement les tirs de fusées).
d’idéalisme esthétique, et de nationa- de Robert Wiene, le Cabinet du docteur
Ciné engendra également une quantité
lisme (qui est sous-jacent aux diverses Caligari (1919). À cette époque, le théo-
importante de noms de marque, comme :
tentatives d’implantation de studios de ricien Ricciotto Canudo crée le Club des
Cinecolor (procédé de cinéma en cou-
type hollywoodien et à leur idéal de qua- amis du septième art (CASA). Le but de
leurs), Cinépanoramic (procédé d’écran
lité), Cinearte, ne sera remis en question cet organisme vise, comme l’écrit son ini-
large par anamorphose), Cinérama*,
qu’après l’échec de la Vera Cruz (vers la tiateur dans Cinéa, à légitimer le cinéma
Cinemeccanica (fabricant italien de pro-
moitié des années 50) et l’avènement du comme pratique culturelle noble, en affir-
jecteurs), etc., sans oublier Cinecittà,
Cinema Novo. mant « par tous les moyens le caractère
ensemble de studios et de laboratoires
de la banlieue romaine. artistique du cinéma » car c’est « indénia-
CINÉASTE.
blement un art, le septième », en relevant
Dans le langage populaire, ciné est Syn. littéraire de réalisateur. Ce terme a
« le niveau intellectuel de la production
devenu un substantif, synonyme de ci- désigné autrefois toute personne consa-
cinématographique » et en mettant « tout
néma : je vais au ciné ; tout ça, c’est du crant son activité au cinéma en tant qu’
en oeuvre pour attirer vers le cinéma les
ciné. art : scénariste, réalisateur, techniciens
talents créateurs, les écrivains et les
Parallèlement à ciné, kinê a donné du tournage, etc., et même les auteurs
poètes, ainsi que les peintres et les musi-
lieu aux racines kine (Kinescope, caméra d’ouvrages traitant de l’esthétique du
ciens des générations futures ». Le CASA
spéciale pour filmer les images d’un ré- cinéma. Ce terme « semble avoir été
se charge, en 1921 et 1923, de la sec-
cepteur de télévision VIDÉO) et kino créé par le président Paul Deschanel
tion cinéma au sein du Salon d’automne.
(cf. par exemple Kinopanorama CINÉ- dans un discours en 1914 à la Société
En 1924, le CASA fusionne avec le Club
RAMA). des auteurs », écrit Marcel L’Herbier dans
français du cinéma, animé par Léon
Le radical ciné de cinéraire a une ses souvenirs, la Tête qui tourne. Canudo
Moussinac. De ce mariage naît, sous le
tout autre origine : il vient du latin cinis, lui opposa sans succès le mot « écra-
patronage de Germaine Dulac, Jacques
cendre. niste », Delluc défendant, quant à lui,
Feyder et Moussinac lui-même, le Ciné-
« cinéaste ». De nos jours, le terme tend
club de France.
CINEARTE. à remplacer celui de metteur en scène ou
Hebdomadaire brésilien (1926-1942). La La genèse des ciné-clubs est étroi-
de réalisateur, trop restrictif sans doute
place envahissante prise par la rubrique tement liée à l’apparition d’une pensée
pour désigner celui qui prend en charge
« Cinéma » du magazine à grande dif- cohérente sur le film et aux mouvements
le tournage d’un film et dont la compé-
fusion Para Todos décide ses éditeurs d’avant-garde : Delluc, Dulac, deux noms
tence ne saurait se limiter à la seule mise
à publier une revue spécialisée, dirigée prestigieux de l’École impressionniste
en scène.
par Mario Behring et Adhémar Gon- française, y sont étroitement mêlés. Le
zaga, à l’image de Photoplay, publica- CINÉ-CLUB Ciné-club de France ajoute une troi-
tion américaine populaire entretenant n. m. (pl. des ciné-clubs). Association sième dimension aux deux premières :
le star-system. Cinearte joue un rôle juridique, d’institutions et de personnes, la lutte contre la censure. C’est sous sa
similaire, contribuant à la pénétration et visant à initier ses adhérents à la culture bannière qu’on présente en 1926, pour
à l’enracinement des films étrangers au cinématographique. Le cinéaste et cri- la première fois dans l’hexagone, le Cui-
Brésil. Mais, en même temps, il devient tique français Louis Delluc crée le mot rassé Potemkine d’Eisenstein, alors inter-
la tribune d’un timide nationalisme ciné- “ ciné-club ” en lançant, le 14 janvier dit. À fin des années 20, les choses se
matographique. Cette dualité traduit celle 1920, l’hebdomadaire le Journal du structurent : avec Rien que les heures,
de ses fondateurs. Behring (grand maître ciné-club ou Ciné-Club, dont il devient d’Alberto Cavalcanti (1926), l’avant-garde
des maçons brésiliens) est un défenseur le rédacteur en chef. En fait, cet organe se socialise ; la naissance, en décembre
obstiné du libre-échange et un ennemi de presse cristallise les préoccupations 1928, de la Revue du cinéma offre, par
du cinéma de fiction national ; seul le de Delluc qui milite, parallèlement, pour ailleurs, un support réflexif solide au 7e
documentaire trouve grâce à ses yeux, un cinéma de qualité non inféodé aux art. C’est dans ce contexte que, de re-
en vertu de son rôle pédagogique et de puissances d’argent et en faveur d’une tour d’URSS, Léon Moussinac fonde, en
propagande. Gonzaga est voué corps et authentique activité de critique. Ciné- 1928, avec Jean Lods, Georges Maranne
âme à la consolidation d’une cinémato- Club se propose de faciliter le dialogue et Paul Vaillant-Couturier, les Amis de
graphie nationale basée sur la fiction ; il entre les cinéastes et le public en orga- Spartacus, le premier ciné-club de masse
condamne sans appel les « actualités » nisant, également, des manifestations réellement engagé dans le combat so-
et autres « combines » ayant permis aux pour favoriser le développement de la cial. Des oeuvres comme la Mère ou la
opérateurs et cinéastes de survivre pen- cinématographie française. En juin 1920, Fin de Saint-Pétersbourg de Poudovkine
dant des années. L’entente se fait autour une première rencontre réunit, au cinéma trouvent, par ce canal, une audience ines-
du cinéma américain, adopté comme parisien la Pépinière, de nombreux par- pérée. Après moins d’un an d’existence,
modèle esthétique et industriel. Cinearte, ticipants : André Antoine et Émile Cohl les Amis de Spartacus doivent, sous la
éditée à Rio de Janeiro, fait connaître y tiennent chacun une conférence. Tout pression du préfet de police Chiappe,
l’expérience des divers « cycles régio- cela est encore informel. Ciné-Club s’ar- arrêter leurs activités.

258
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

L’expérience des ciné-clubs se multi- inter-ciné-clubs voit le jour en 1958. Cer- s’est surtout construit autour de la racine
plie, à tel point qu’en 1929 se forme la taines de ces fédérations disparaîtront à plus courte ciné*. Cinéma ne se retrouve
première fédération du genre. La critique partir de 1980. La vie associative s’est en entier que dans cinémathèque* et Ci-
indépendante acquiert alors ses droits : le structurée au lendemain de la guerre. Les némaScope*, ainsi bien sûr que dans les
12 décembre 1930, Moussinac gagne, en bases jetées, dans les années 20, par les dérivés de cinématographe. ( CINÉMA-
cours d’appel, le procès qui l’oppose à la Delluc, Moussinac, Dulac et autres, se TOGRAPHE.) Avec la graphie « kinema »,
Société des ciné-romans, pour un article concrétisent enfin. En 1947, les efforts on le trouve également dans kinemacolor.
paru en 1926 dans l’Humanité. En sep- conjugués de Georges Sadoul, secré- Cinéma devint très vite un substan-
tembre 1929, se tient à La Sarraz (Suisse) taire général de la FFCC, et de Thorold tif, désignant le procédé qui permet de
le 1er Congrès international du cinéma in- Dickinson, représentant le mouvement procurer l’illusion du mouvement par la
dépendant (CICI), au cours duquel théo- en Grande-Bretagne, donnent nais- projection, à cadence suffisamment éle-
riciens et cinéastes d’avant-garde tentent sance à la Fédération internationale des vée, de vues fixes enregistrées sur un
de trouver des modes de diffusion viables ciné-clubs (FICC), qui regroupe, alors, film. Par extension, cinéma désigna l’art
pour les films difficiles ou de recherche. quelque vingt pays membres. de composer et de réaliser des films ciné-
Les buts du congrès visent : « D’une part Pour prolonger leur travail d’informa- matographiques (le cinéma est souvent
[à] organiser une Ligue des ciné-clubs, tion sur le film, commencé lors des débats qualifié de « 7e art ») ainsi que la branche
dont le siège est à Genève, destinée à qui suivent les projections, quatre fédéra- de l’industrie relative à la fabrication et à
coordonner et à faciliter l’action des orga- tions de ciné-clubs se dotent de revues : la diffusion des films. Par raccourcisse-
nismes qui luttent pour l’exploitation du l’UFOCEL (qui deviendra l’UFOLEIS ment de « salle de cinéma », on appelle
film indépendant ; d’autre part [à] créer en 1953 : Union française des oeuvres également cinémas les salles destinées à
une Coopérative internationale du film laïques d’éducation par l’image et le son) l’exploitation commerciale de films ciné-
indépendant, dont le siège est à Paris, conçoit, en mai 1946, UFOCEL-Informa- matographiques.
destinée à produire des films et qui, ayant tions, qui prend, en novembre 1951, le La langue populaire emploie abondam-
des débouchés pour ses films, et le pla- titre Image et Son (puis : la Revue du ci- ment cinéma dans un sens figuré : c’est
cement de ses actions assurées par la néma) ; la FLEC crée, en 1946, Téléciné du cinéma, faire du cinéma, faire tout un
Fédération des ciné-clubs, pourra pro- (disparu en 1978) ; la FFCC fonde, en cinéma (de...). Ces expressions signi-
duire sans concession d’aucune sorte » octobre 1947, la revue Ciné-club, qui se fient que l’action considérée est factice,
(la Revue du cinéma no 4, 15 octobre mue en Cinéma 55 (novembre 1954), et destinée à faire croire ce qui n’est pas.
1929). La crise économique, l’arrivée du la fédération Jean Vigo élabore, en sep- Cinoche est le synonyme argotique de
cinéma parlant, le contexte politique, ne tembre 1964, Jeune Cinéma. Ces revues, cinéma.
permettent pas, dans l’immédiat, la réa- d’abord bulletins d’information internes
lisation de ce projet. Toutefois, de nom- au mouvement, acquièrent par la suite CINÉMA.
breuses initiatives éclatées voient le jour : une large audience. La Revue du cinéma, Revue mensuelle de cinéma issue de
la Tribune libre du cinéma, de Charles avec un tirage de 55 000 exemplaires Ciné-club, publiée depuis 1947 par la
Léger (1925) ; le Ciné-club Cendrillon, de vers 1985, est arrivée en tête des publi- Fédération française des ciné-clubs.
Sonika Bo (1933) ; le Cercle du cinéma, cations spécialisées en France avant de Avec un tirage stabilisé autour de
d’Henri Langlois et Georges Franju disparaître, en 1993. 25 000 exemplaires, elle est, avec les
(1935), premier état de la future Ciné- Cahiers du Cinéma, la Revue du cinéma-
Un certain nombre de lois et de décrets
mathèque française... En 1933 se crée, Image et Son et Positif, une des grandes
qui ont beaucoup évolué depuis 1950 ré-
sous la forme d’une section spécialisée revues françaises d’information et de
gissent la diffusion non commerciale du
adhérente à la Ligue de l’enseignement, documentation paraissant régulièrement
film. ( NON-COMMERCIAL)
l’Union française des offices du cinéma depuis plus de trente ans. Depuis le nu-
éducateur laïque (UFOCEL), qui diffuse CINÉCOLOR PROCÉDÉS DE CINÉMA EN méro un de novembre 1954, le contenu
le film en milieu scolaire. Au cours des COULEURS et la structure du sommaire de Cinéma
années 20 et 30 se développent, dans sont restés pratiquement inchangés.
de nombreux pays, des groupes à double CINÉGÉNIE (précieux). Chaque mois sont proposés, dans des
vocation : celle de produire des oeuvres Équivalent pour le cinéma de photogénie. proportions variables, des dossiers, des
engagées et celle de montrer des films entretiens, des études sur une personna-
interdits par la censure ou rejetés par CINÉMA (d’après cinématographe). lité ou un pays, une bibliographie, ainsi
l’industrie. Citons : la Volksfilmbühne et Procédé procurant l’illusion du mouve- que le reflet de l’actualité cinématogra-
la Volksfilmverband pour l’Allemagne ; la ment par la projection de vues fixes à phique. Ouverte à tous les genres et à
Federation of worker’s film societies, en cadence élevée. Par extension, art de tous les aspects du cinéma, la revue
Grande-Bretagne ; la Worker’s film and composer et de réaliser des films, ou dès ses débuts a tendance à prendre
Photo League, aux États-Unis ; le Ja- bien la branche de l’industrie relative à souvent violemment parti. Ainsi, d’abord
panese Worker’s camera club... En 1946, la fabrication et à la diffusion des films. largement soutenue à ses débuts, la Nou-
Français, Britanniques, Belges, Italiens, C’est aussi l’abréviation courante de salle velle Vague à partir de 1963 commence
Néerlandais et Polonais donneront nais- de cinéma. à susciter des opinions plus réservées.
sance à la Fédération internationale des La racine cinéma — du grec kinêma, Au moment des événements de mai 68,
ciné-clubs. mouvement — avait servi à construire l’équipe rédactionnelle se renouvelle en
C’est à la Libération que le mouvement cinématique (partie de la mécanique partie. Peu à peu, les tensions et les di-
ciné-club prend son essor et se fédéra- qui étudie les mouvements des corps, vergences d’opinion s’accusent au sein
lise. En mai 1946 naît la Fédération fran- abstraction faite des forces qui les pro- de Cinéma. Cette année de crise marque
çaise des ciné-clubs (FFCC) ; le 3 juillet duisent) bien avant que les Français l’irruption de la politique dans le cinéma
1946, c’est le tour de la Fédération loisir Bouly* et surtout Lumière* n’imaginent et dans la revue. Fin 1971, une partie
et culture (FLEC) ; en 1950, celui de la de baptiser leurs appareils « cinéma- des rédacteurs en conflit avec leurs col-
Fédération française de ciné-clubs de tographe ». À l’exception près de son lègues sur la conception de la critique,
jeunes qui devient, en 1964, la Fédéra- emploi dans « cinématique », ce radical quitte la revue et fonde Écran 72. Affai-
tion Jean Vigo. La même année se crée est aujourd’hui perçu comme dérivant de blie, Cinéma 72 fait appel à de nouveaux
Film et Vie, tandis que l’Union nationale cinématographe. En fait, le vocabulaire collaborateurs ; rapidement, une équipe

259
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

plus soudée se forme, où le pluralisme nique permettant d’obtenir des images Pour obtenir sur grand écran une
des opinions exprimées reste cependant projetées de même dimensions et de netteté et un éclairement satisfaisants,
conforme à un axe commun de travail. qualité comparable à celles obtenues par il fallait que l’image sur le film soit aussi
Le ton de la revue devient plus grave et projection d’une copie de film. La copie grande que possible. Par rapport au
parfois austère. Durant les années 70, est remplacée par un fichier numérique 35 mm conventionnel, la Fox gagna en
plusieurs collaborateurs de Cinéma pas- (data) stocké sur un serveur informatique hauteur en utilisant la totalité des 19 mm
seront à la réalisation de longs métrages de grande capacité. Ce fichier peut être correspondant à l’avance traditionnelle
(Yves Boisset, Bertrand Tavernier, René chargé par différents moyens, disques de 4 perforations par image, et elle gagna
Gilson, Gérard Frot-Coutaz pour ne citer durs, bande magnétique informatique, en largeur à la fois par l’emploi de per-
que les plus connus). liaison par satellite. forations carrées (et non plus rectangu-
laires) et l’emploi de pistes magnétiques
CINÉMA EN COULEURS COULEURS CINEMA NUOVO, (moins encombrantes que la piste op-
(PROCÉDÉS DE CINÉMA EN) revue italienne de cinéma, d’inspiration tique). L’image sur le film mesurait ainsi
marxiste, fondée et dirigée par le cri- 19 × 24 mm, ce qui donnait sur l’écran
CINÉMANIAQUE CINÉ tique et théoricien Guido Aristarco. Elle — compte tenu du doublement en largeur
se désigne comme « revue de culture », dû à la désanamorphose — une image au
CINEMA NOVO BRÉSIL
format 1 × 2, 55.
signifiant ainsi son refus de dissocier la
culture cinématographique de la culture Inauguré avec la Tunique (H. Koster,
CINÉMA NUMÉRIQUE.
tout court et sa volonté d’oeuvrer à l’édi- 1953), dont le tournage avait d’ailleurs
On qualifie de cinéma numérique les dif-
fication d’une culture nouvelle, nationale- commencé en format standard, le Ciné-
férentes techniques qui permettent de
populaire selon les vues d’un Antonio maScope connut très vite un grand suc-
créer ou exploiter des images animées
Gramsci. Elle a repris (en 1952) le flam- cès, qui suscita :
sans faire appel au film cinématogra-
beau du bimensuel Cinema, créé sous le — l’apparition de nombreux procédés
phique.
fascisme (en 1936) et qui, par son non- similaires d’écran large par anamorphose
Le cinéma numérique se différencie
conformisme et sa lucidité, a été à l’ori- (Superscope, Dyaliscope, Totalvision,
de la vidéo numérique, par sa qualité
gine du débat qui a ouvert la voie au cou- etc.) ;
et par les techniques de traitement des
rant néoréaliste et favorisé l’émergence — l’apparition de procédés d’écran
informations numériques, sous forme de
du film de Visconti Ossessione. D’abord large sans anamorphose : Vistavision et
données informatiques (data) identiques
magazine à grand tirage, mais de haut ni- 70 mm ;
pour chaque composante colorimétrique
veau — à la façon du premier Écran fran- — la mode des images « panora-
rouge, verte et bleue des images. Un
çais —, revue bimestrielle depuis 1958, miques », qui déboucha sur la définition
signal vidéo, même haute définition, com-
Cinema nuovo n’a pas cessé de promou- de formats standards plus allongés que le
bine ces informations avec des résolu-
voir une critique et un art engagés. format standard antérieur ( FORMAT).
tions différentes.
Si l’écran large par anamorphose
La prise de vues continue, très sou- CINÉMASCOPE.
s’imposa (dès la fin des années 50, il
vent, de se faire sur pellicule cinéma- Procédé, lancé par la Twentieth Century
était inconcevable qu’une salle ne puisse
tographique 35mm (négatif). Le néga- Fox, de cinéma sur écran large par ana-
pas projeter les films anamorphosés),
tif est ensuite analysé très finement, morphose. ( AUSSI FORMAT, PERFORA-
l’expansion du CinémaScope dans sa
2.000 lignes pour chaque couleur, au TIONS, STÉRÉOPHONIE.)
version d’origine fut freinée par les inves-
moyen, d’un scanner ou d’un téléscan-
tissements nécessaires à l’aménagement
ner, qui fournira des informations “ numé- CINÉMASCOPE.
des salles (haut-parleurs supplémen-
riques 2k ” qui alimenteront la chaîne Le lancement du Cinéma-Scope par la
taires) et surtout des cabines (modifica-
numérique de post-production. Twentieth Century Fox, en 1953, s’inscri-
tion des projecteurs pour accepter les
En post-production, les principaux vait dans le cadre de la politique menée
perforations carrées, adjonction d’un bloc
maillons de la filière de post-produc- par le cinéma américain pour proposer
de lecture des pistes magnétiques, am-
tion numérique sont les effets spéciaux un spectacle capable de concurrencer la
plificateurs supplémentaires). Très vite,
numériques ( EFFETS SPECIAUX NUME- télévision, alors en plein essor aux États-
les films CinémaScope furent également
RIQUES), l’étalonnage numérique ( ETA- Unis. Le Cinérama*, apparu quelques
proposés en copies tirées sur film à per-
LONNAGE NUMERIQUE), mois plus tôt, avait démontré l’attrait du
forations traditionnelles et à piste sonore
Les éléments de tirage sont obtenus grand écran large et du son stéréopho-
optique traditionnelle : cela réduisait en
au moyen d’un imageur, équipement qui nique. Mais il nécessitait une installation largeur l’espace disponible pour l’image,
permet de reporter sur pellicule cinéma- spéciale, complexe et onéreuse, qui en qui ne donnait plus sur l’écran que le for-
tographique (généralement 35mm) les limitait le développement. Le CinémaS- mat 1 × 2, 35. On aboutit ainsi à l’actuel
fichiers numériques issus de la post-pro- cope offrait les mêmes atouts de façon Scope*, qui périma rapidement le Ciné-
duction numérique avec une très grande beaucoup plus simple. maScope initial : dès les années 60, plus
définition, 2000 lignes par image dans Géométriquement, les films CinémaS- aucun film ne fut tourné avec une fenêtre
chaque couleur. Les éléments ainsi obte- cope ne différaient des films 35 mm tradi- de prises de vues au format 1 × 2, 55.
nus, destinés au tirage des copies sont tionnels que par la forme, légèrement dif- Les salles équipées pour le CinémaS-
parfois appelés négatif numérique ou férente (voir plus loin), des perforations. cope conservèrent toutefois leur matériel,
internégatif numérique. C’est à partir de L’écran large était obtenu par anamor- ce qui ne leur posait pas de problème
ces éléments que les copies d’exploita- phose*, grâce au dispositif inventé 25 ans puisque les débiteurs adaptés aux perfo-
tion sont tirées traditionnellement dans la auparavant par H. Chrétien. Quant au rations carrées acceptent les perforations
filière photochimique. son, il était doublement amélioré par rap- traditionnelles. Cela leur permettait soit
En exploitation, on entend par cinéma port au son optique traditionnel : l’emploi de ressortir les films en CinémaScope
numérique, on devrait dire projection nu- de quatre pistes magnétiques, de part d’origine (encore que ces films aient été
mérique, la projection dans une salle de et d’autre de chaque rangée de perfo- souvent amputés en largeur, puisque pro-
cinéma, d’un programme cinématogra- rations, assurait à la fois une meilleure jetés avec la fenêtre 1 × 2, 35 du Scope)
phique (film de long métrage) au moyen restitution sonore et la possibilité d’effets soit de projeter en son stéréophonique
d’un équipement de projection électro- stéréophoniques. ( STÉRÉOPHONIE.) les films tournés en 70 mm ou en Dolby

260
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Stéréo, sous réserve évidemment que sans suite. À la fin des années 20, l’ap- on en trouve en France, en Italie ou en
ces films aient fait l’objet d’un tirage sur parition du parlant achève de démoder Allemagne). Qu’elles aient un monopole
pellicule type CinémaScope. (Ce fut l’oeuvre des pionniers, et, dans la plus national, un statut d’association privée
récemment le cas en France pour Play grande anarchie, on se débarrasse des ou de fondation, les cinémathèques sont
time, J. Tati, 1967 — originellement en énormes stocks de films muets commer- devenues, à une plus ou moins grande
70 mm —, ou pour Rencontres du troi- cialement inutilisables, et qui encombrent échelle, un service d’utilité publique, dont
sième type, S. Spielberg, 1977.) les entrepôts. Émus par ces destruc- l’importance est reconnue dans le monde
Le grand succès du CinémaScope, à tions massives de pellicules, plusieurs entier.
l’époque où celui-ci était le seul procédé critiques français (dont Léon Moussi- Il existe en France plusieurs cinéma-
disponible d’écran large par anamor- nac) demandent en vain, dès 1933, la thèques aux statuts divers à Paris et en
phose, conduisit très vite à ce que le nom constitution d’Archives du film. La même région : des archives d’intérêt national
de marque CinémaScope devienne un année, l’Académie suédoise du cinéma (Archives du film du CNC, Cinémathèque
terme générique : on parla couramment fonde à Stockholm la première cinéma- française, Cinémathèque de Toulouse,
de « film en CinémaScope », même si le thèque des temps modernes : la Svenska Institut Lumière à Lyon), des cinéma-
film était tourné avec un autre procédé Filmsamfundets Arkiv. Par la suite, des thèques régionales, des cinémathèques
d’anamorphose. Cet usage persiste, bien organismes similaires apparaissent, es- dépendant d’institutions publiques (Éta-
qu’il ait tendance à s’effacer devant l’ex- sentiellement en Europe. En 1934, Josef blissement cinématographique et photo-
pression plus correcte « film en Scope ». Goebbels, ministre du Reich à l’Informa- graphique des armées, Agriculture), des
tion et à la Propagande, crée à Berlin une cinémathèques privées (Gaumont).
CINÉMA SONORE SONORE (PROCÉDÉS
DE cinémathèque d’État, la Reichsfilmarchiv.
CINÉMA) L’année suivante naissent successive- CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE.
ment la National Film Library (Londres), Association créée en 1936 à Paris par
CINÉMATHÈQUE. la Film Library du Museum of Modern Georges Franju, Henri Langlois, Jean
Organisme, public ou privé, à but non Art (New York) et la Cineteca Nazionale Mitry et Paul-Auguste Harlé, afin de dé-
lucratif, ayant pour vocation d’assurer la (Rome). En 1936 est fondée à Paris la fendre et sauvegarder le répertoire ciné-
conservation, le stockage et l’entretien du Cinémathèque* française, alors qu’en matographique.
patrimoine cinématographique : films (en 1938 est créée la Cinémathèque royale De 1936 à 1977, la Cinémathèque fran-
tous genres et tous formats), scénarios, de Belgique (Bruxelles). Enfin, le 17 juin çaise se confond avec la vie d’Henri Lan-
maquettes, photos, affiches, livres, dos- de la même année, la Fédération inter- glois. Ce collectionneur, fou de cinéma,
siers de presse, magazines et tout docu- nationale des archives du film (FIAF) voit conçoit, dès 1934, l’idée de conserver les
ment intéressant l’histoire du cinéma, de le jour. Organisme mondial, créé sur l’ini- films, particulièrement ceux de la période
ses origines à nos jours. Une cinéma- tiative des cinémathèques française, an- muette, qui vient de s’achever (1929-30),
thèque se doit en outre d’organiser, dans glaise, américaine et allemande, la FIAF et qui sont vendus aux cinémas forains
un cadre non commercial, des projections a pour but de coordonner le travail de ou détruits. Il commence à récupérer des
publiques de films classiques ou contem- chaque équipe nationale, de le centraliser copies, qu’il entrepose chez lui, dans sa
porains, des rétrospectives, des exposi- et de permettre ainsi un contact efficace salle de bains, cela par mesure de sécu-
tions, et de faciliter la tâche des historiens entre les différentes cinémathèques. Son rité ; les films étant inflammables, il faut
et des chercheurs en leur donnant accès rôle est de grouper les organisations qui un poste d’eau à proximité. De là naîtra la
à ses collections et en organisant des se consacrent à la conservation des ri- légende de la baignoire de Langlois. En
séances de visionnement ponctuelles. chesses cinématographiques, de faciliter 1936, quelques crédits ayant été mis à sa
De par leur rôle, les cinémathèques se les échanges internationaux de films et disposition, la Cinémathèque française
trouvent confrontées à des problèmes documents, et de promouvoir l’art et la est fondée, le 9 septembre. Le stock ini-
techniques, dont l’urgence ne fait que culture cinématographiques. Au lende- tial de 150 titres environ est déposé à
croître avec le temps. Par exemple, il main de la guerre et dans les années 50, la maison de retraite des comédiens, à
s’avère nécessaire de procéder à des des cinémathèques nouvelles éclosent Orly où, dans l’oubli, vit Georges Méliès.
restaurations de copies anciennes, à un peu partout dans le monde. Créée à Pendant la guerre, la Cinémathèque est
de nouveaux tirages d’intertitres, à des la fin des années 30 par un groupe de installée avenue de Messine et les films
réétalonnages de séquences teintées ou jeunes antifascistes, la Cineteca ita- sont éparpillés par Langlois en zone libre
virées, etc. Si le négatif a disparu (ce qui liana (Milan) est officiellement fondée en afin de prévenir la confiscation ou la des-
est souvent le cas pour les films muets), 1947. La même année est instituée par truction, par l’occupant, des oeuvres inter-
il convient de se livrer à une confrontation décret la Cinémathèque d’État de l’Union dites. Ce sauvetage sera le fait de Lotte
attentive des copies positives disponibles soviétique, à Moscou (Gosfilmofond), qui H. Eisner, qui, à la fin de la guerre, posera
et d’établir un internégatif, afin de resti- passe pour avoir les collections les plus les jalons du musée du Cinéma, ouvert
tuer, autant que possible, l’oeuvre dans riches du monde avec la Cinémathèque en 1980 (musée Henri-Langlois). En
son intégrité. On a pu ainsi reconstituer, française. En 1950 est inaugurée à Lau- 1950, le film flamme est interdit sur tout le
après de patientes recherches, des films sanne la Cinémathèque suisse. Enfin, territoire français et la Cinémathèque est
ayant subi de graves mutilations, tels la Staatliches Filmarchiv des DDR (Ber- habilitée à recevoir en dépôt toutes les
que l’Assassinat du duc de Guise, Into- lin-Est), fondée en 1955, héritant d’une copies nitrate. En 1955, la Cinémathèque
lérance, Métropolis, Napoléon, Casanova grande partie du fond de l’ex-Reichsfil- se voit attribuer la salle de projection de
(Volkoff), l’Atalante, et même procéder marchiv, est la dernière en date des l’Institut pédagogique national, rue d’Ulm.
à un montage de rushes abandonnés, grandes et riches collections. C’est là, puis à partir de 1963, au palais
comme dans le cas de l’Hirondelle et la Les membres de la fédération ont des de Chaillot, qu’auront lieu les projections,
Mésange (Antoine). statuts très dissemblables : les uns sont les cycles, les hommages qui feront en-
Historique. En mars 1898, la première intégrés totalement à l’État (c’est le cas de trer Langlois et la Cinémathèque dans la
formulation de l’idée de cinémathèque est la Belgique, de la Suisse, de la Grande- légende. En 1959, un incendie au siège
due à un opérateur polonais travaillant Bretagne ), d’autres ont conservé, par vo- de la Cinémathèque, rue de Courcelles,
pour Lumière, Bolesaw Matuszewski, cation ou nécessité, une relative autono- cause des dégâts importants. En 1960, la
lorsqu’il suggère de créer un Dépôt de mie (cinémathèques issues de collections Cinémathèque française quitte la Fédé-
cinématographie historique. L’idée reste particulières ou de ciné-clubs, comme ration internationale des archives du film,

261
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

dont Langlois avait été le co-fondateur passa à la postérité, devenant très vite mées, offrent enfin au cinéaste les bases
en 1938 (elle y adhèrera de nouveau en un nom commun, synonyme de l’actuel idéologiques de son Ciné-OEil.
1982). La Cinémathèque française est, cinéma. Théorie — un texte est déjà publié
à cette époque, une association privée Ce nom commun engendra : en 1919 — et pratique aboutissent à
subventionnée par l’État ; les films sont — d’une part, les dérivés cinémato- la formalisation des idées du Ciné-OEil
donnés, prêtés ou mis en dépôt par les dans les années 1922-23. Alors se crée
graphie (ensemble des méthodes et pro-
ayants droit. le Conseil des Trois, qui, outre Vertov,
cédés mis en oeuvre pour reproduire le
En février 1968 éclate l’affaire Lan- mouvement par le film, en opposition à la comprend son épouse Elizaveta Svilova
glois. L’État a tenté, à plusieurs reprises, vidéo ; cf. Centre national de la cinéma- et son frère Mikhaïl Kaufman. Les par-
de couper en deux la direction de la Ciné- tographie), cinématographier (synonyme ticipants de ce groupe qui s’élargit rapi-
mathèque, laissant à Henri Langlois la vieilli de filmer), cinématographique (dans dement se dénomment les « Kinoks » ou
direction artistique et mettant en place la réglementation française, les salles de « Kinoki » (littér. : kino, cinéma, et oko,
une direction administrative afin de régler oeil ; d’où ce mot, désignant ceux qui pra-
cinéma sont toujours appelées « théâtres
les problèmes financiers et techniques, et tiquent le Ciné-OEil). Vertov actualise ses
cinématographiques »), cinématographi-
de mettre de l’ordre dans la gestion. Lan- théories dans les divers numéros de son
quement ;
glois, refusant cette décision, est écarté magazine Kino Pravda (Cinéma-vérité) :
— d’autre part, les diminutifs succes-
de la Cinémathèque. Alors que le mouve- il s’agit alors d’une référence explicite à
sifs cinéma et ciné.
ment étudiant est en train de naître, une l’organe du PC, la Pravda ; en ce sens,
énorme campagne de protestation se met on peut le traduire par « ciné-journal ».
CINÉMATOGRAPHER.
en place, exigeant un peu hâtivement le (L’auteur n’envisagera ce terme dans son
En anglais, autre façon de désigner le
retour sans conditions de Langlois. Ce acception moderne que bien plus tard,
director of photography.
mouvement est appuyé par tout ce que entre 1922 et 1924.)
le cinéma mondial compte de cinéastes CINÉMATOGRAPHIE. C’est en juin 1923 que paraît, dans le
prestigieux : Charles Chaplin, Orson Ensemble des méthodes et procédés mis numéro 3 de la revue Lef, le manifeste du
Welles, Fritz Lang, etc. Le gouvernement en oeuvre pour reproduire le mouvement Ciné-OEil (« Kinoks-Révolution »). Dans
recule et Langlois est réintégré, mais la par le film. ( CINÉMATOGRAPHE.) ce texte, Vertov s’oppose au film narra-
subvention est réduite. tif, aux acteurs, mais aussi au traitement

De 1968 à la mort de Langlois en 1977, CINÉMATOGRAPHIQUE paresseux appliqué aux « ciné-actua-

la Cinémathèque française survivra, en- CINÉMATOGRAPHE lités » ; il préconise une réorganisation

tourée d’un culte fervent, mais criblée de du monde visible grâce au montage. Le
CINÉMA-VÉRITÉ DOCUMENTAIRE Ciné-OEil, pour l’auteur, c’est l’oeil plus un
dettes. En 1974, Henri Langlois reçoit, à
Hollywood, un Oscar, preuve nouvelle de cinéaste — un je vois plus un je pense ;
CINÉMIRACLE CINÉRAMA un oeil armé (la caméra qui voit mieux que
son prestige. Après 1977, l’État renforce
sa subvention, des assemblées géné- l’oeil humain).
CINÉ-MITRAILLEUSE CINÉ
rales de déposants se tiennent. Un nou- Le montage se situe à toutes les
vel incendie, dans un dépôt de la Ciné- étapes de la confection du film (pendant
CINÉ-OEIL (Kino-Glaz).
mathèque, cause des pertes sans doute la période d’observation, après cette pé-
Théorie et méthode de travail mise au
irréparables en août 1980. riode ; pendant les prises de vues, après
point, sous sa forme définitive, par le ci-
ces dernières ; enfin, montage final). La
Présidée par Costa-Gavras de 1982 à néaste soviétique Dziga Vertov en 1923
pratique du montage appliquée par Ver-
1987, par Jean Rouch de 1987 à 1991, et qui milite en faveur d’un cinéma non
tov ne concerne pas uniquement le do-
par Jean Saint-Geours de 1991 à 2000, joué, sans acteurs, dans lequel la fonction
maine du plan mais touche aussi au mou-
par Jean-Charles Tacchella depuis 2000, du montage et la spontanéité des prises
vement entre les images, aux transitions
la Cinémathèque française a renforcé et de vues contribuent à une réorganisation
entre les impulsions visuelles : c’est ce
diversifié ses activités par des exposi- idéologique du « monde tel qu’il est », du
que le cinéaste appelle le « montage des
tions temporaires, des conférences sur moins dans une optique marxiste.
intervalles ». Les événements ainsi orga-
l’histoire de l’art cinématographique. Un Le Ciné-OEil a plusieurs origines.
nisés par le Ciné-OEil ne sont pas d’abord
effort particulier est entrepris en matière
— Il prend sa source dans les boule- préparés, mis en scène, mais piégés à
d’inventaire et de restauration des films versements qui touchent l’art moderne l’improviste, afin d’éviter toute tricherie
et des appareils faisant partie de ses col-
au début du siècle. En effet, futuristes, avec le réel. « La vie saisie à l’impro-
lections. Les collections « papier » (ou- dadaïstes, écrivains et peintres emploient viste » (Žizn vrasploh) permet d’appré-
vrages, mémoires, scénarios, maquettes, énormément, dans leurs travaux, des élé- hender les gens et les choses sans fard.
photos, affiches...) sont traitées désor-
ments qu’ils n’ont pas créés : le collage, Il faut dissimuler « l’oeil armé » afin qu’il
mais par la Bibliothèque de l’image - fil-
l’assemblage d’objets, le photo-montage passe aussi inaperçu que l’oeil humain :
mothèque, créée en 1992 et rassemblant
sont alors des méthodes esthétiques sa grande acuité lui fait saisir des don-
l’ensemble des collections « papier » du
novatrices. On peut citer les cas de Du- nées imperceptibles à l’organe.
CNC, de la Cinémathèque française et
champ ou de Rodtchenko. En 1924, le très officiel Goskino crée
de la FEMIS.
— Le Ciné-OEil s’enracine aussi dans une nouvelle branche, le Kultkino, dont
le propre passé de Vertov qui met sur il offre la direction à Vertov. Cet orga-
CINÉMATOGRAPHE.
pied en 1916 un Laboratoire de l’ouïe, lui nisme donne la possibilité au cinéaste de
Nom de marque, devenu nom commun,
permettant de promouvoir des recherches diriger, selon les méthodes du Ciné-OEil,
de l’appareil inventé par les frères Lu-
sur le montage des bruits. Il revient, à un long métrage, Ciné-OEil (Kino-Glaz)
mière. ( AUSSI INVENTION DU CINÉMA.)
l’avènement du parlant, à ces pratiques conçu comme la première partie du cycle
CINÉMATOGRAPHE. qui l’autorisent à adjoindre au Ciné-OEil ce « la Vie à l’improviste ».
Ce terme apparut d’abord comme déno- qu’il appelle la « Radio-Oreille ». La plupart des films de Vertov, du
mination d’appareils brevetés par l’inven- — La révolution d’Octobre et son moins jusqu’aux Trois Chants sur Lénine
teur français Bouly en 1892-93. Mais entrée, dès 1918, comme rédacteur au (1934), obéissent à quelques préceptes
c’est comme nom de marque de l’appareil Kino Nedelja (Ciné-semaine), le premier — ou à la totalité — du Ciné-OEil. La
Lumière ( INVENTION DU CINÉMA) qu’il hebdomadaire soviétique d’actualités fil- Onzième Année (1928) est le dernier film

262
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

muet associant l’approche du Ciné-OEil multipiste, le Cinérama offrait une di- rais, 1999), Capitaines d’avril (Maria de
et le panorama des victoires sociales et mension spectaculaire sans commune Medeiros, 2000). Mais il s’est surtout fait
économiques du nouveau régime. S’il se mesure avec celle des films habituels remarquer dans les films de Paulo Rocha
présente presque comme une applica- au format* 1, 37. Il connut de ce fait un (l’Île des amours, 1982; les Montagnes
tion des théories du Ciné-OEil, l’Homme à grand succès, avec d’abord un film de de la Lune, 1986; la Racine du coeur,
la caméra (1929) en déborde nettement démonstration, This is the Cinerama 2000), João Cesar Monteiro (Silvestre,
les limites, en ce sens que, grâce à une (film supervisé par M. Todd, F. Rickey et 1982; les Noces de Dieu, 1998; Branca
grammaire filmique très complexe (et très W. Thompson en 1952), puis avec des de Neve, 2000) et de Manoel de Oliveira
adéquate), cette oeuvre constitue à elle films de fiction comme la Conquête de (le Soulier de satin, 1985; Mon cas, 1986;
seule une critique interne de la méthode l’Ouest (H. Hathaway, G. Marshall et les Cannibales, 1988; Non ou la Vaine
de « la Vie à l’improviste », quant au J. Ford en 1962). Gloire de commander, 1990; la Divine
thème qui y est développé : l’organisation Le procédé était toutefois très com- Comédie, 1991; le Val Abraham, 1993;
d’un homme et d’une ville synthétiques. plexe, et les lignes de raccordement des la Cassette, 1994; le Couvent, 1995; In-
Enthousiasme ou la Symphonie du Don- images demeuraient perceptibles. Au quiétude, 1998; la Lettre, 1999; Parole et
bass (1931) allie au Ciné-OEil la Radio- début des années 60, on le simplifia par Utopie, 2000).
Oreille, afin de susciter le contrepoint l’emploi d’un unique projecteur 70 mm,
sonore, déjà présent graphiquement CIRCARAMA CINÉRAMA
les images étant légèrement comprimées
dans les intertitres dynamiques des films dans le sens horizontal, par anamor-
CISSÉ (Soulaymani, ou Souleymane), ci-
muets de Vertov. À cette époque les Ki- phose*, de façon à « tenir » en largeur sur
néaste malien (Bamako 1940).
noki, en butte à de nombreuses critiques, le film 70 mm. Malgré cela, le Cinérama
C’est à Dakar qu’il accomplit ses études
se dissolvent. Dans ses deux derniers disparut vers 1970, victime des retom-
secondaires ; mais, bientôt, l’URSS lui
films personnels, Trois Chants sur Lénine bées de son propre succès. En montrant
accorde des bourses d’études, dont la
et Berceuse (1937), Vertov s’oriente vers l’attrait du grand écran, il avait en effet
seconde lui assure cinq ans d’enseigne-
le documentaire poétique, genre alors flo- suscité l’apparition du CinémaScope puis
ment au VGIK de Moscou. De retour à
rissant en Europe.
du 70 mm, conçus pour l’écran plat et Bamako, il réalise des documentaires
Les théories du Ciné-OEil, au-delà de donc beaucoup plus faciles à mettre en pour le ministère de l’Information. Après
l’influence immédiate qu’elles ont eue sur oeuvre. l’Homme et les idoles (1965), Sources
des cinéastes comme Ruttmann, Vigo,
Le premier précurseur du Cinérama fut d’inspiration (1966) et l’Aspirant (1968),
Stork, Ivens, Grierson, etc., sont reprises
le Cinéorama, présenté par Grimoin-San- son court métrage Cinq jours d’une vie
et systématisées par les pratiquants du
son* à l’Exposition universelle de Paris (1972) est primé au festival de Carthage.
cinéma direct des années 60 (les Cana-
en 1900, où dix projecteurs synchronisés Tournée en 1974, la Jeune Fille (Den
diens du Candid Eye ; les Américains
couvraient un écran cylindrique entourant Muso), premier long métrage de fiction
Leacock, Maysles, Pennebaker ; les
le public. Le Cinéorama n’assura que malien en langue bambara, est interdit ;
Français Rouch, Marker, etc.).
trois représentations avant d’être interdit, le thème : rejet d’une fille-mère (muette
en raison du risque d’incendie que consti- de naissance) par sa famille... Le même
CINÉORAMA CINÉRAMA, FORMAT
tuait l’énorme chaleur dégagée par les dix regard critique sur la société et les
CINÉ-PARC. lanternes à arc. En 1927, pour son Napo- formes de pouvoir, la même sensibilité
Mot composé québécois équivalent à léon, Abel Gance eut recours dans cer- se retrouvent (soutenus par un lyrisme
drive in. taines scènes à la juxtaposition de trois mesuré, qui confirme les dons de conteur
images, ce procédé de « triple écran » de Cissé, la liberté naturelle de sa mise
CINÉPHILE. étant baptisé Polyvision. Le Cinérama, en scène) dans Baara (id., 1978), et dans
Amateur de cinéma. ( CINÉ.) issu des travaux de Fred Waller*, eut une le Vent (Finyé, 1982), qui est le premier
réplique soviétique, le Kinopanorama, et film d’Afrique noire à mettre entre paren-
CINÉRAMA. de nombreux descendants : Cinémiracle, thèses l’époque coloniale. La Lumière
Procédé de cinéma à grand spectacle sur Circarama, etc. (Yeelen, 1987) est un film d’une grande
écran large par images jointives. beauté plastique qui traite de l’étrange
CINÉTHÉODOLITE CINÉ parcours initiatique d’un jeune homme
CINÉRAMA. qui cherche à retrouver les pouvoirs ma-
Inauguré fin 1952 à New York, le Ciné- CINTRA (Luis Miguel), acteur portugais giques jalousement gardés par son père.
rama se caractérisait par un immense (Madrid, Espagne, 1949). L’oeuvre connaît un juste succès inter-
écran courbe présentant une image ap- Il fait ses débuts de comédien et de met- national. Huit ans après Yeelen, Cissé
paremment unique mais constituée en teur en scène de théâtre en 1968 au réalise Waati (1995), première approche
fait de trois images juxtaposées issues Théâtre universitaire de Lisbonne, fré- d’un cinéaste noir sur l’apartheid, qui
de trois projecteurs fonctionnant en syn- quente en Angleterre la Bristol Old Vic conte l’odyssée d’une jeune Sud-Afri-
chronisme. (Les films étaient enregis- Theater School et crée à Lisbonne en caine de couleur qui doit fuir son pays, où
trés par trois caméras, elles aussi syn- 1973 (avec Jorge Silva Melo) le Teatro règne la répression, et trouve peu à peu,
chronisées.) Pour assurer la continuité da Cornucopia qu’il dirige et où il met à travers les contrées parcourues, son
apparente des images, on les faisait se en scène (et interprète) Cervantès, Mo- identité de femme africaine.
chevaucher légèrement, les bords laté- lière, Brecht, Goethe, Shakespeare, De
raux des fenêtres des projecteurs étant Filippo. Il est également attiré par l’opéra CITTI (Sergio), cinéaste italien (Rome
munis d’un dispositif qui assurait, dans (l’Enfant et les sortilèges de Ravel; Didon 1933).
la zone de chevauchement, une espèce et Énée de Purcell). Au cinéma, il appa- Frère de l’acteur Franco Citti, Sergio Citti,
de « fondu enchaîné » permanent des raît comme un comédien précis, vibrant, blanchisseur de son état, conseille Pier
images. nourri de culture classique : Sinais de Paolo Pasolini pour ses livres et pour
Grâce à cet immense écran, qui occu- Vida (L. F. Rocha, 1984), Vertiges (Chris- Accattone et Mamma Roma dans l’usage
pait tout le champ visuel du spectateur, tine Laurent, 1985), Terre étrangère (Luc du dialecte romain. Il devient ensuite
grâce aux effets de perspective sonore Bondy, 1986), Ici sur la terre (João Bo- l’assistant de Pasolini sur de nombreux
fournis par de nombreux haut-parleurs telho, 1993), Transatlantique (Ch. Lau- films et collabore à la mise en scène de
alimentés par une bande magnétique rent, 1997), Peixe-lua (José Alvaro Mo- Médée et du Décameron. En 1969, à

263
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

partir d’un sujet et d’un scénario élaborés réalisateur. Dans un style sobre et vigou- — Paris qui dort — que dans maints films
avec le cinéaste, Citti fait ses débuts dans reux, ce film relate un épisode de la lutte portant le label de l‘« école », et un Ro-
la réalisation avec Ostia, étrange ren- contre les Allemands en 1944. La consé- bert Desnos ne s’y est pas trompé) ; de
contre entre Laurent Terzieff et Franco cration lui vient avec le prix de la Mise en la troisième avant-garde par son atten-
Citti. On retrouve la veine pasolinienne scène à Cannes pour la Forêt des pendus tion poétique au réel (la Tour). De plus,
dans Storie scellerate (1973), où Sergio (Pdurea spînzurailor, 1964), puissante caractéristique remarquable, il met cet
Citti dirige les acteurs fétichs de Paso- et lyrique évocation des « servitude et avant-gardisme à la portée de tous : la
lini, Franco Citti et Ninetto Davoli, dans grandeur militaires » durant la Première poésie cesse d’appartenir à l’élite, elle est
une oeuvre picaresque qui évoque l’esprit Guerre mondiale. Il se consacre ensuite populaire sans déchoir.
du Décameron. Sergio Citti se libère de exclusivement au théâtre, aux États-Unis Clair, qui a écrit tous ses films et,
l’influence directe du poète assassiné en d’abord où il avait émigré en 1974 à 1991 jusqu’au début du parlant, s’est chargé
1975 avec Casotto (1977), expérience puis à nouveau dans son pays natal. de leur montage, apporte au cinéma, l’un
réussie du récit d’une histoire aux mul- des tout premiers, une vision d’auteur.
tiples personnages en ne sortant jamais CLAIR (René Chomette, dit René), cinéaste
Son monde, que la fantaisie aimable,
d’une cabine de bain. Après Due pezzi français (Paris 1898 - id. 1981).
l’optimisme conquis sur la lucidité, la
di pane (1978) comédie autour de deux Il naît et grandit dans le quartier des
tendresse, l’unanimisme hédoniste appa-
marginaux, des musiciens de rue inter- Halles, dont l’animation, la vie nocturne,
rentent à celui de Giraudoux, se propose
prétés par Vittorio Gassman et Philippe le pittoresque quotidien, transfigurés par
de rendre leur noblesse et leur richesse
Noiret , Citti tourne Il minestrone (1981) et son regard d’enfant, laisseront en lui une
humaine aux bonheurs des simples, aux
Sogni e bisogni (série de six films pour la empreinte inoubliée. Il fait ses études aux
plus minces aventures sentimentales,
télévision, 1985), deux apologues sur la lycées Montaigne et Louis-le-Grand et se
d’enchanter et moquer nostalgiquement
détresse économique et morale du sous- découvre une précoce vocation pour la
la midinette, l’âme « fleur bleue » qui
prolétariat dans lesquels apparaît Ro- littérature. Réformé en 1916, il s’engage
sommeille toujours au fond de chacun.
berto Benigni. Le cinéaste réalise ensuite dans une ambulance du front. On l’éva-
Il transpose les primitifs de l’École fran-
Mortacci (1988), I magi randagi (1996), cue sur Berck au bout de quelques mois.
çaise — Méliès, Zecca, Feuillade, Max
Vipera (2001), de facture plus classique, Intimement meurtri par les horreurs de la
Linder — dans la modernité, cet art
mais n’en demeure pas moins, utilisant guerre, il dit son désarroi en deux recueils
nouveau qui se met en place en tous
les ressources du surréalisme, en dehors de poèmes demeurés inédits. Devenu
domaines dans les années 20 ; il unit le
des courants et des modes. journaliste à l’Intransigeant, il est l’un des
plus naïf, le plus ingénu, au plus raffiné
tout premiers « proustiens ». Damia, pour
et au plus subtil. Il emprunte aux Améri-
CITTI (Franco), acteur italien (Rome 1938). laquelle il écrit quelques chansons, l’intro-
cains — Griffith, Chaplin, Keaton — leurs
Pasolini lui confie le premier rôle de duit au cinéma, qui d’abord ne l’intéresse
leçons d’humour sentimental. Il conçoit
son premier film, Accatone (1961), puis que par ses danseuses et ses cachets
tous ses films comme un hommage per-
l’affronte à Anna Magnani dans Mamma généreux. Sous le pseudonyme de René
manent au cinéma des pionniers, dominé
Roma (1962). Citti incarne bien les gar- Clair, il est acteur — sans conviction —
par le mouvement, le sens du rythme, le
çons frustes : Una vita violenta (adapta- pour Loïe Fuller (le Lys de la vie, 1920),
goût de l’inexploré, « la merveilleuse bar-
tion du roman de Pasolini, réalisée par pour Feuillade (l’Orpheline, Parisette,
barie d’un art » qui ne balbutiait que parce
Paolo Heusch et Brunello Rondi, 1962). 1921), pour Jacob Protazanov (le Sens
qu’il était superbement, follement jeune.
Son autre grand rôle reste celui de de la mort, Pour une nuit d’amour, 1921).
Puisque « le vrai cinéma ne se raconte
l’OEdipe roi de Pasolini (1967). Son frère À partir de 1922, il assure la critique des
pas », il bâtit le sien sur des paradoxes :
Sergio (né à Rome en 1934) le dirige films dans Paris-Journal et Théâtre et
avec Un chapeau de paille d’Italie, avec
dans Ostia (Ostie, 1970), écrit et produit Comoedia illustrés, publication luxueuse
les Deux Timides, il transforme le verbe,
par Pasolini, dont il est l’assistant sur la du Théâtre des Champs-Élysées, alors
le théâtre de Labiche, en rythmes et en
plupart des longs métrages à partir de haut lieu de l’art moderne. (Ses textes,
images silencieuses ; avec Sous les toits
1966 (Des oiseaux, petits et gros). Sergio aigus et lyriques, sont réunis en 1951
de Paris, le Million, À nous la liberté, le
Citti a aussi réalisé Histoires scélérates dans Réflexion faite.) Son frère Henri
cinéma devenu parlant, il transpose
(Storie scellerate, 1973), Casotto (1977) Chomette, de deux ans son aîné, le pré-
rythmes et images en film-opérette, en
où joue Franco, Deux Bonnes Pâtes (Due sente à Jacques de Baroncelli dont il
ballets cinématographiques, en anti-
pezzi di pane, 1978) et, en 1981, Il mi- devient à son tour l’assistant pour quatre
films. Baroncelli doit superviser son pre- théâtre.
nestrone, farce allégorique sur le thème
de la faim avec Franco et Ninetto Davoli. mier essai, Geneviève de Brabant, mais Par son frère encore, Clair fait la ren-

Franco paraît également dans La luna cette production belge ne se fait pas. Il contre en 1925 de Jacques Feyder, qui le

(Bertucelli, 1979) et Il Segreto (F. Maselli, recommande alors René Clair au produc- fait engager par la firme Albatros, la seule

1990). teur Henri Diamant-Berger, qui lui confie à maintenir jusqu’à l’arrivée du parlant
Paris qui dort (1924). Au Théâtre des un haut niveau de qualité. Il s’y lie avec
CIULEI (Liviu), cinéaste roumain (Bucarest Champs-Élysées, Francis Picabia et Erik le décorateur Lazare Meerson et l’opé-
1923). Satie montent le ballet dadaïste Relâche. rateur Georges Périnal, qui seront ses
Après des études d’architecte-décora- Il faut un film pour « sortir le public de la collaborateurs éminents et précieux pen-
teur au Conservatoire d’art dramatique, salle » ; ils le demandent à Clair : c’est dant dix ans. Dès la fin du muet, Clair est
il travaille au théâtre comme décorateur, Entr’acte (1924). Paris qui dort n’est dis- universellement célèbre, constamment
acteur et metteur en scène. Il joue dans tribué qu’après Entr’acte, ce qui situe le associé aux grands noms du cinéma :
quelques films, parmi lesquels Mitrea cinéma de Clair sous le signe de l’avant- Griffith, Chaplin, Pabst, Eisenstein, Ana-
Cocor de Victor Iliu (1952), dont il est garde. L’étiquette est au demeurant par- toli Lounatcharski, Maïakovski s’offrent
également le coscénariste et le décora- faitement justifiée. Clair procède de la à travailler avec lui. Sa « tétralogie »
teur. Ses débuts comme réalisateur se première avant-garde par ses recherches parisienne fait aimer du monde entier
font avec Éruption (Erupia, 1957), dont d’écriture et son intelligence artistique ; une image mythologique, contagieuse et
l’action se situe sur les champs pétro- de la deuxième avant-garde par sa sen- tenace, d’un Paris bon enfant, peuple et
lifères. Les Flots du Danube (Valurile sibilité proche de dada et du surréalisme heureux (ce qu’à moindre échelle Mar-
Duarîi, 1960) l’imposent à l’attention du (il y a plus de surréalisme véritable dans cel Pagnol obtiendra bientôt pour sa Pro-
public, à la fois comme acteur et comme la scène des perles sur la tour Eiffel vence natale). Même À nous la liberté,

264
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

joyeusement satirique et anarchisant, qui son temps, du moins a-t-il su enseigner CLARK (Larry), cinéaste américain (Tulsa,
rencontre les préoccupations sociales de le bonheur. Ariz. 1943).
l’Opéra de quat’sous et anticipe celles Films : Paris qui dort (1924) ; Entr’acte Il est d’abord un photographe et un repor-
des Temps modernes, demeure un plai- (id.) ; le Fantôme du Moulin-Rouge ter de très grand renom, au style tran-
doyer narquois pour le simple bonheur de (1925) ; le Voyage imaginaire (1926) ; la chant et à l’inspiration volontiers sombre.
vivre sans contraintes. Proie du vent (1927) ; Un chapeau de Il réalise son premier film en 1995 : Kids
Après l’échec du Dernier Milliardaire, paille d’Italie (1928) ; la Tour (DOC, CM, (id.,) qui est un portrait sans concession
où le back ground unanimiste et senti- id.) ; les Deux Timides (1929) ; Sous les de la jeunesse contemporaine, dépourvu
mental fait défaut, où la caricature des toits de Paris (1930) ; le Million (1931) ; de tout attendrissement et parfois d’une
dictateurs se veut — non sans inven- À nous la liberté (id.) ; Quatorze Juillet cruauté blessante. Ce même regard impi-
tion — actuelle, Clair s’expatrie, d’abord (1933) ; le Dernier Milliardaire (1934) ; toyable se retrouve dans Another Day In
en Angleterre puis aux États-Unis, après Fantôme à vendre (The Ghost Goes Paradise (id., 1998), où, sous l’influence
une parenthèse française interrompue West, 1935) ; Fausses Nouvelles (Break d’un couple de très jeunes gens à la fois
par la guerre. (Il semble que le film Air the News, 1938) ; Air pur (inachevé, perdus et cyniques, une intrigue policière
pur, commencé en 1939 et bientôt aban- 1939) ; la Belle Ensorceleuse (The Flame classique bascule dans une noirceur rare.
donné, aurait pu orienter Clair vers un of New Orleans, 1941) ; Ma femme est Larry Clark semble se consacrer de plus
cinéma néoréaliste qui, à deux ou trois une sorcière (I Married a Witch, 1942) ; en plus au cinéma, car il a réalisé depuis
reprises déjà, l’avait sollicité.) Forever and a Day (un épisode, 1943) ; encore deux films, Ken Park (2000) et
Loin de Paris, l’inspiration de Clair ne C’est arrivé demain (It Happened to Mor- Bully (2001).
s’appauvrit pas mais s’intellectualise. row, 1944) ; Dix Petits Indiens (And Then
Le poète devient géomètre et cartésien. There Were None, 1945) ; Le silence est CLARK (Marguerite), actrice américaine
Lui qui, en 1923, dénonçait le « cinéma d’or (1947) ; la Beauté du diable (1950) ; (Cincinnati, Ohio, 1881 - New York, N. Y.
cérébral » où « l’intelligence se plaît à se les Belles de nuit (1952), les Grandes 1940).
savoir maîtresse », il s’enferme dans le Manoeuvres (1955) ; Porte des Lilas Adolph Zukor, qui voit en elle une rivale
calcul, la formule, la mécanique. Ses films (1957) ; le Mariage (sketch de la Fran- de Mary Pickford, la lance dans Wild-
gagnent en brio, en esprit, ils perdent en çaise et l’amour, 1960) ; Tout l’or du flower (A. Dwan, 1914). Sa popularité est
chaleur, en vérité humaine. On pouvait monde (1961) ; Deux Pigeons (sketch des immédiate et elle est l’une des artistes
rêver et s’émouvoir sur son petit monde Quatre Vérités, 1962) ; les Fêtes galantes les plus cotées des années 1910 (Uncle
parisien, nostalgique et gai. Désormais, (1966). Tom’s Cabin, J.S. Dawley, 1918 ; Girls,
devant ses horlogeries savantes, on peut W. Edwards, 1919). Suivent une quaran-
CLAP (d’après l’angl. clappers ou claps- taine de films, dont le meilleur est pro-
seulement se divertir. Lorsqu’il revien-
dra s’établir en France, en 1946, on croit ticks). bablement Prunella (M. Tourneur, 1918).
un moment qu’avec Le silence est d’or Franglais pour claquette. Son physique gracile et menu lui permet
l’ancien filon est retrouvé : n’est-ce pas, d’interpréter les éternelles ingénues, sou-
CLAPMAN (d’après clap).
comme on l’a écrit, l’École des femmes vent associée à Richard Barthelmess
Franglais pour désigner le machiniste
ressuscitée « sous les toits de Paris ? » sous la direction de J. Searle Dawley.
chargé du maniement de la claquette.
Mais c’est en fait le chant du cygne. Un Définitivement éclipsée par Mary Pick-
classicisme littéraire et théâtral pénètre ford, elle abandonne Zukor pour produire
CLAQUETTE.
toujours davantage l’oeuvre du cinéaste, elle-même son dernier film : Scrambled
Instrument formé de deux plaquettes de
que l’Académie française coopte en Wives (Edward H. Griffith, 1921).
bois réunies par une charnière et sur-
1960. Les derniers films n’ont plus de
montées d’un tableau où sont notées les
clairien qu’un air d’élégance (les Belles CLARKE (Shirley), cinéaste américaine
références de la prise : en faisant claquer
de nuit, les Grandes Manoeuvres, Porte (New York, N. Y., 1925 - Boston, Mass.,
les plaquettes devant la caméra, on ob-
des Lilas). 1997).
tient un repère visuel et sonore pour la
Ce cinéaste qui, dix années durant, a Danseuse de formation, elle commence
synchronisation ultérieure du son et de
compté parmi les grands, s’est constam- par filmer des danseurs (Dance in the
l’image. ( PRISE DE SON, REPIQUAGE,
ment voulu un initiateur. Avec Un cha- Sun, 1953, avec Daniel Nagrin ; Bullfight,
TOURNAGE.) Claquette automatique
peau de paille d’Italie, il inaugure au 1955, et A Moment in Love, 1957, avec
CAMÉRA, REPIQUAGE.
cinéma la mode 1900 qui dure encore ; Anna Sokolow), un enfant dans les jar-
avec Sous les toits de Paris, il va au de- CLARIOND (Aimé), acteur français (Péri- dins de Paris (In Paris Parks, 1954), la
vant du contrepoint audiovisuel tel que gueux 1894 - Paris 1960). construction d’un immeuble (Skyscraper,
le définissent Eisenstein, Alexandrov et Cet important sociétaire de la Comé- 1958) ou les ponts de New York, en su-
Poudovkine, et produit un modèle de die-Française, original et incisif, est un rimpressions (Bridges-Go-Round, 1959).
non-coïncidence du son et de l’image et enfant de la balle. Tout jeune, il suit sa L’esthétisme de ces films laisse peu pré-
un modèle de cinéma intimiste-populiste famille dans les tournées. Fixé à Paris, voir le « réalisme » qui frappera dans les
qui prospèrent aussitôt en Allemagne, au le cinéma lui propose des rôles antipa- suivants. Même si The Connection (1962)
Japon, en Italie et reparaissent jusque thiques, qu’il assume avec abattage et est du faux cinéma direct, puisque les
dans le néoréalisme. Avec Fantôme une cynique rondeur : le Prince Jean participants de cet « En attendant Godot
à vendre, il pratique l’humour anglais (Jean de Marguenat, 1934), les Dispa- de la drogue » (Jonas Mekas), où les
avant même le cinéma anglais. Avec les rus de Saint-Agil (Christian-Jaque, 1938). membres de l’équipe de tournage censée
Grandes Manoeuvres, il utilise la cou- Mais le 7e art lui offre aussi de s’exprimer les filmer sont tous des acteurs, et que
leur travaillée en continuité au lieu d’être dans Crime et Châtiment (P. Chenal, ce qu’ils semblent improviser est le texte
abandonnée aux aléas du montage. 1935), Lucrèce Borgia (A. Gance, id.), la d’une pièce de Jack Gelbert, la technique
En dépit des ambitions affichées de À Marseillaise (J. Renoir, 1938). Très de- (longs plans, son synchrone) et l’audace
nous la liberté, du Dernier Milliardaire et mandé, il tourne en 27 ans 80 films, dont du sujet abordé rangent Clarke du côté
de la Beauté du diable, l’oeuvre de Clair Madame Sans-Gêne (Roger Richebé, de ce qu’on appellera en France l’École
s’est en fait toujours tenue éloignée des 1941), la Duchesse de Langeais (J. de de New York. Elle sera d’ailleurs, aux
problèmes concrets de son époque. Si Baroncelli, 1942), l’Homme au chapeau côtés de Mekas, une des fondatrices du
Clair n’a pas été un véritable témoin de rond (P. Billon, 1946). New American Cinema Group (28 sept.

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

1960), qui ne veut plus « de films roses, CLAVIER (Christian), acteur et scénariste adaptation du Manteau, d’après Gogol
mais des films couleur de sang ». français (Paris 1952). (The Bespoke Overcoat, MM, 1955),

Si son film suivant, Harlem Story (The Très lié depuis sa jeunesse à Michel les Chemins de la haute ville (Room at

Cool World, 1963), qui met en scène de Blanc, à Gérard Jugnot et à Thierry Lher- the Top, 1958, avec Simone Signoret
mitte, il participe activement aux activi- et Laurence Harvey), le fit classer, sans
jeunes Noirs new-yorkais glissant dans
tés de café-théâtre du Splendid tout en raison bien sérieuse, parmi la Nouvelle
la délinquance, n’en a encore que l’ap-
obtenant de petits rôles dans quelques Vague britannique. Plus qu’un « homme
parence, car c’est une fiction, Portrait of
films. Ce sont les Bronzés (1978) et Les en colère », Clayton devait se révéler un
Jason (1967), longue confession d’un
bronzés font du ski (1979), de Patrice calligraphe de la caméra : les Innocents
prostitué noir plus ou moins sous l’effet
Leconte, qui ouvrent au groupe l’accès (The Innocents, 1961), d’après le Tour
de la marijuana est bel et bien du cinéma
au grand public. Dans le même esprit, d’écrou de Henry James, avec Deborah
direct. Shirley Clarke, qui apparut dans
Clavier participe au succès des films de Kerr et Michael Redgrave, sur un scéna-
le film américain d’Agnès Varda, Lion’s
Jean-Marie Poiré Le Père Noël est une rio cosigné de Truman Capote est peut-
Love, en 1969, travaille depuis surtout
ordure (1982) et Papy fait de la résistance être son meilleur film. Excellent directeur
pour des chaînes de télévision par câble. (1983). Sa popularité s’accroît, il tente de d’acteurs, très habile pour filmer des en-
En 1985, elle réalise Ornette : Made in développer son propre personnage à par- fants, Clayton réalise ensuite le Mangeur
America. tir des films de François Leterrier Je vais de citrouille (The Pumpkin Eater, 1964),
craquer (1980) et Quand tu seras déblo- avec Ann Bancroft et Peter Finch sur un
CLARKE (T. E. B.), scénariste britannique qué, fais-moi signe (1981) et s’intéresse scénario de Pinter, et, avec Dirk Bogarde
(Watford 1907 - Surrey 1989). de plus en plus à l’écriture de scénarios. et Pamela Franklin, Chaque soir à neuf
D’abord journaliste au Evening News, Ce sera en 1993 l’extraordinaire succès heures (Our Mother’s House, 1967), où
engagé dans la police durant la guerre, des Visiteurs (réalisé par Poiré), qu’il écrit se confirme sa maîtrise psychologique et
T. E. B. Clarke vient travailler avec Mi- et dans lesquels il interprète un double son sens du fantastique. En 1974, avec
chael Balcon en 1944 ; il deviendra le plus personnage. Le succès se poursuit avec Gatsby le Magnifique (The Great Gatsby)
célèbre scénariste de comédies des stu- les Visiteurs II, les Couloirs du temps sur un scénario de Coppola d’après le
dios Ealing. (1998), alors que les Visiteurs en Amé- roman de Fitzgerald, avec Robert Red-

Principaux films : Au coeur de la nuit rique (2001) est un échec commercial. ford et Mia Farrow, et dix ans après la
Les Visiteurs avait été précédé d’Opéra- Foire des ténèbres (Something Wicked
(A. Cavalcanti, B. Darden, Ch. Crichton,
tion corned-beef (Poiré, 1990), écrit et in- This Way Comes), il ne parvient pas à re-
Hamer [dial. seulement], 1945) ; À cor
terprété par Clavier. On le voit également trouver la voie du succès. Il signe en 1987
et à cri (Ch. Crichton, 1947) ; Passport
dans la Vengeance d’une blonde (Jean- The Lonely Passion of Judith Hearne et,
to Pimlico (H. Cornelius, 1949) ; Police
not Swarc, 1994), les Anges gardiens en 1992, Memento Mori.
sans arme (B. Dearden, 1950) ; l’Aimant
(Poiré, 1995) aux côtés de G. Depardieu
(Ch. Frend, 1949) ; Tortillard pour Tit-
et dans deux adaptations d’Astérix, dont CLÉMENT (Andrée Boyer, dite Andrée), ac-
field (Ch. Crichton, 1953) ; Amants et trice française (Marseille 1918 - Paris 1954).
il incarne le personnage titre encore aux
fils (J. Cardiff, 1960, d’après D. H. Law- Carrière théâtrale, notamment chez Dul-
côtés de G. Depardieu.
rence). lin, Ledoux, Barrault. Son visage, qui sait
CLAYBURGH (Jill), actrice américaine refléter une époque noire et trouble, tra-
CLAUDON (Paul), producteur français verse le cinéma français et y laisse des
(New York, N. Y., 1944).
(Pont-à-Mousson 1919). impressions durables (il n’est pas rare de
Actrice de théâtre « off Broadway » très
Administrateur puis directeur de produc- cotée, ayant une intense activité TV, elle la voir saluée par de jeunes romanciers).
tion, il devient producteur en fondant la débute au cinéma dans le film confiden- On a pu l’admirer tout particulièrement
CAPAC (Comptoir artistique de produc- tiel de Brian De Palma, The Wedding dans les Anges du péché (R. Bresson,
tion et d’administration cinématogra- Party (1969), puis ne joue que dans des 1943), la Symphonie pastorale (J. De-
phique), où il se consacre surtout au productions sans relief (Portnoy et son lannoy, 1946), Macadam (Marcel Blis-
genre comique et révèle notamment le complexe de E. Lehman, 1972) jusqu’à tène, id.), Une grande fille toute simple
talent de Pierre Étaix (le Soupirant, 1963 ; Une femme libre (An Unmarried Woman, (Jacques Manuel, 1948), Dieu a besoin
Yoyo, 1965 ; le Grand Amour, 1969) et P. Mazursky, 1978), où elle déploie des hommes (J. Delannoy, 1950). Elle
celui de Jean L’Hôte (l’Éducation amou- l’abattage d’une vraie comédienne. Plu- incarne parfaitement ce que le poète

reuse de Valentin, 1975). Animateur très tôt amusante dans ses rôles antérieurs, Jacques Prével appelait « le luxe de la

écouté de groupements professionnels, elle se révèle bouleversante dans La souffrance ».


luna (B. Bertolucci, 1979), sans rien
il a connu le succès avec les Valseuses
perdre de son évident humour ni de son CLÉMENT (Aurore), actrice française (Sois-
(B. Blier, 1974) et Préparez vos mou-
« allure ». Elle tourne ensuite Hanna K. sons 1945).
choirs (id., 1978).
(Costa-Gavras, 1983), rôle-titre, le Bayou Jeune débutante dans Lacombe Lucien
(A. Mikhalkov-Kontchalovski, 1987), (L. Malle, 1974), elle va imposer sa fra-
CLAVELL (James), scénariste et cinéaste
Beyond the Ocean (Ben Gazzara, 1990), gilité aérienne, sa gravité et une voix
britannique (Sydney, N. S. W., Australie,
Rich in Love (B. Beresford, 1992), le troublante en constant décalage aussi
1924 - Vevey, Suisse, 1994).
Grand Pardon II (A. Arcady, id.), Naked in bien dans des films d’auteur (les Ren-
Scénariste de films tels que la Mouche
New York (Daniel Algrant, 1993). dez-vous d’Anna, Ch. Akerman, 1978 ;
noire (The Fly, 1958) de Kurt Neuman,
Aimée, Joël Farges, 1981 ; l’Invitation
ou la Grande Évasion (1963) de John
CLAYTON (Jack), cinéaste britannique au voyage, P. Del Monte, 1982 ; l’Amour
Sturges. Après avoir travaillé en Austra- des femmes, M. Soutter, 1982), que dans
(Brighton 1921 - Slough, Berkshire, 1995).
lie puis au Canada, James Clavell est Tour à tour assistant réalisateur, réa- des films à vocation plus commerciale (le
surtout connu pour avoir réalisé en 1967 lisateur de films de court métrage et Shérif, Y. Boisset, 1977 ; le Crabe-Tam-
les Anges aux poings serrés (To Sir With de documentaires, producteur associé bour, P. Schoendoerffer, 1977 ; les Fan-
Love) avec Sidney Poitier et en 1970, (Queen of Spades de T. Dickinson, 1949 ; tômes du chapelier, C. Chabrol, 1982).
avec Michael Caine et Omar Sharif, la Moulin-Rouge de J. Huston, 1953, etc.), Elle tourne beaucoup en Italie et sa
Vallée perdue (The Last Valley), âpre Jack Clayton est un professionnel du ci- fausse froideur hitchcockienne intéresse
évocation des guerres de Religion. néma, au plein sens du terme. Après une les « Américains » Francis Ford Coppola

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

(Apocalypse Now, 1979) et Wim Wen- Louis Hémon) avec Gérard Philipe et des Films : — CM (entre 1937 et 1944) :
ders (Paris Texas, 1984). comédiennes britanniques. Soigne ton gauche ; l’Arabie interdite ;
Jeux interdits (primé à Cannes et à Flèche d’argent ; la Grande Chartreuse ;
CLÉMENT (René), cinéaste français (Bor- Venise en 1952, Oscar à Hollywood en la Bièvre ; Énergie électrique ; le Triage ;
deaux 1913 - Monte-Carlo 1996). 1953) est son film le plus populaire. La Toulouse ; Ceux du rail ; la Grande Pas-
Le plus insaisissable et le plus contro- torale ; Chefs de demain ; Moutain ; Paris
guerre vue par le regard, inconscient
versé des metteurs en scène français de sous la botte. — LM : la Bataille du rail
peut-être, mais pas innocent, de deux
l’après-guerre : technicien froid et sans enfants, fait jauger sans tendresse une (1946) ; les Maudits (1947) ; Au-delà des
conscience pour certains critiques, le plus France rurale délibérément noircie. Ce grilles (Le mura di Malapaga, 1949) ; le
grand cinéaste français pour d’autres. film séduit autant par la finesse psycho- Château de verre (1950) ; Jeux interdits
L’oeuvre de René Clément est un défi à (1952) ; Monsieur Ripois (1954) ; Ger-
logique que par l’interprétation de Bri-
toute tentative de classification hâtive, sa vaise (1956) ; Barrage contre le Pacifique
gitte Fossey et de Georges Poujouly,
cohérence n’existant que dans la rigueur (La diga sul Pacifico, 1958) ; Plein Soleil
ou la musique jouée à la guitare par son
de l’écriture. (1960) ; Quelle joie de vivre ! (Che gioia
auteur (alors anonyme), Narciso Yepes.
René Clément commence des études vivere, 1961) ; le Jour et l’Heure (1962) ;
Gervaise en 1956, Barrage contre le
d’architecture qu’il doit abandonner. Il Pacifique en 1958 (le premier d’après les Félins (1964) ; Paris brûle-t-il ?
pratique le cinéma d’abord en amateur (1966) ; le Passager de la pluie (1969) ; la
l’Assommoir de Zola, le second d’après
— encore étudiant, il aurait réalisé un des- Maison sous les arbres (1971) ; la Course
le roman homonyme de Marguerite
sin animé intitulé César chez les Gaulois, Duras) sont deux films à la fois parfaits et du lièvre à travers les champs (1972) ; la
dont la copie est perdue —, puis il réalise Baby-Sitter (1975).
froids. Le premier cherche dans le temps,
une série de courts métrages avant et dans la reconstitution soignée d’une fin
CLEMENTELLI (Silvio), producteur italien
pendant la guerre. Ce sont, entre autres, de siècle misérabiliste, le second dans
(Rome 1926).
des reportages sur l’Arabie, qu’il parcourt l’exotisme (le tournage en extérieurs en
Directeur de production à la Lux Film
en 1938 avec l’ethnologue Jules Barthou, Thaïlande avec une distribution italienne
entre 1949 et 1952 pour vingt films, dont
et un burlesque conçu et interprété par et américaine), une matière romanesque
L’imperatore di Capri (L. Comencini,
Jacques Tati, Soigne ton gauche (1937). que le cinéaste ordonne avec une maî-
1949) et Dans les coulisses (Steno et
En 1944-45, à l’initiative du chef opé- trise incontestable. C’est pourtant à leur
M. Monicelli, 1950), il dirige, entre 1954
rateur Henri Alekan, il est chargé par la propos qu’on commence à se demander
et 1963, les productions à la Titanus et
Coopérative générale du film français, et qui est René Clément. L’homme Clément,
obtient un grand succès commercial avec
diverses associations de Résistance, de à la différence de Clouzot et de Becker
Pauvres mais beaux (D. Risi, 1956). En
diriger la Bataille du rail, long métrage qui qui sont ses contemporains, se dérobe de
1966, il fonde sa propre maison de pro-
mélange habilement documentaire et fic- film en film. Il n’a pas de regard qui lui soit
duction, la Clesi, et exploite surtout le
tion, comédiens et non-professionnels, à propre, pas d’attitude de moraliste ou de
filon des comédies érotiques : Malicia
la gloire des cheminots qui s’étaient dres- mémorialiste qui conférerait à son oeuvre
(S. Samperi, 1973) ; La bambina (A. Lat-
sés contre l’Occupant. Le succès du film une unité de ton ou de thème. Chaque
tuada, 1974) ; sans négliger les copro-
— qui aurait pu inaugurer un néoréalisme film, au moins dans la première partie de
ductions ambitieuses avec l’étranger :
à la française, mais eut peu de descen- son oeuvre, fonctionne comme une entité
le Grand Embouteillage (L. Comencini,
dants, hors quelques oeuvres de Daquin isolée, souvent admirable, mais déraci-
1979), le Saut dans le vide (M. Belloc-
et de Pagliero — est tel que Clément née.
chio, id.). Dans les années 80, il produit
est engagé par Jean Cocteau comme Après Plein Soleil (adaptation rigou-
surtout des feuilletons pour la télévision
conseiller technique sur le tournage de reuse d’un roman de Patricia Highsmith,
(Cristoforo Colombo, A. Lattuada, 1985).
la Belle et la Bête (1946), et qu’il dirige avec Alain Delon, réalisée avec brio à
pour Noël-Noël le Père tranquille (id.), contre-courant au moment où la Nouvelle CLÉMENTI (Pierre), acteur français (Paris
une autre chronique de résistance. Vague préconisait l’écriture relâchée et le 1942 - id. 2000).
On cherche vainement une unité dans dédain du scénario serré), René Clément Découvert par le compositeur et futur ci-
les films qui suivent et qui, presque tous, tourne encore une série de films mineurs, néaste André Almuro, enthousiasmé par
sont des productions ambitieuses, bien nostalgiques, où il fait une part de plus la vision d’un film de Buñuel pour lequel
accueillies à la fois par les professionnels, en plus belle aux comédiens américains il interprétera plus tard l’un de ses rôles
la critique et le public, récompensées (Stuart Whitman dans le Jour et l’Heure, les plus fameux, il suit les cours d’art dra-
dans les festivals français et étrangers. Jane Fonda et Lola Albright dans les Fé- matique du Vieux Colombier et joue sur
René Clément, un des premiers parmi les lins, Charles Bronson dans le Passager des scènes d’avant-garde. Ses débuts
cinéastes français, s’installe dans le sys- de la pluie, Faye Dunaway dans la Mai- au cinéma sont modestes, et, si Visconti
tème des coproductions mis en place par son sous les arbres, Robert Ryan dans la lui donne un petit rôle dans le Guépard
divers accords commerciaux européens, Course du lièvre), comme pour signifier (1963), ce n’est que grâce à Buñuel
tourne en Italie et en Grande-Bretagne, sa rupture avec un cinéma français à la (Belle de jour, 1967 ; il est l’amant sa-
emploie avec une grande intelligence des fois provincialisé et investi par une nou- dique de Catherine Deneuve) et à Deville
acteurs étrangers et donne à ses films velle génération qu’il comprend mal. (Benjamin, 1968 ; il est le héros candide
ce caractère cosmopolite qui marque Paris brûle-t-il ?, enfin, qu’il dirige en que l’on initiera aux jeux de l’amour) qu’il
son oeuvre. Il dirige à Gênes Au-delà 1966 avec d’énormes moyens mis à sa conquiert la renommée. Il est dès lors
des grilles, dont le scénario est écrit par disposition par l’armée, est une tenta- plus ou moins catalogué dans les person-
Cesare Zavattini et Suso Cecchi d’Amico, tive malheureuse pour créer en France nages insolites ou marginaux, auxquels
avec Isa Miranda aux côtés de Jean un cinéma d’inspiration officielle et com- sa maigreur et son regard confèrent une
Gabin, et y tente, sans y réussir vraiment, mémorative. La pléthore de comédiens sorte de présence illuminée. Il retrouve
le mariage du réalisme français d’avant- français et étrangers qui y endossent les Buñuel (la Voie lactée, 1969) et tourne
guerre avec le néoréalisme italien de rôles des héros de la libération de Paris à nouveau avec des Italiens : Bertolucci
tradition zavattinienne. Puis il réalise à fait du film (dont le scénario est de Gore (Partner, 1968 ; le Conformiste, 1971),
Londres Monsieur Ripois (sujet proposé Vidal et Francis Ford Coppola) une revue Pasolini (Porcherie, id.), Cavani (les Can-
par Raymond Queneau, qui en écrit les et un dîner de têtes autant qu’un monu- nibales, 1969), mais aussi avec Glauber
dialogues français, d’après un roman de ment de propagande raté. Rocha (Têtes coupées) et Miklos Jancso

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

(La pacifista, 1971) et des « avant-gar- frère aîné de Marlon Brando et de James tement comme ses victimes, Elizabeth
distes » français : Philippe Garrel (le Lit Dean. Il était de cette génération d’ac- Taylor et Shelley Winters, la caméra
de la vierge, 1968 ; la Cicatrice intérieure, teurs qu’Hollywood avait suscitée pour succombait au charme de Clift, ce que
1971), Yvan Lagrange (la Naissance, la donner vie aux incertitudes du nouvel Wyler ne faisait jamais. Bien sûr, l’état
Famille, id.). On le retrouve, avec la même après-guerre. Mais, à la révolte provo- de grâce ne s’est pas toujours produit. Ni
présence dans Sweet Movie (D. Makave- cante de Brando, et à celle, boudeuse, de De Sica (Stazione Termini, 1953) ni Hus-
jev, 1974), l’Affiche rouge (F. Cassenti, Dean, il oppose le silence. Clift parle peu. ton (les Misfits, 1961) ne purent, ou ne
1976), la Chanson de Roland (id., 1978), Ou, s’il parle, il donne l’impression de par- surent, aller au-delà de la présence que
le Pont du Nord (J. Rivette, 1982), Ex- ler peu. En revanche, il regarde avec une Clift s’était contenté de leur offrir. Quant
posed (James Toback, 1983), Il est diffi- intensité et une avidité uniques : de ses à Hawks (la Rivière Rouge, 1948), il nous
cile d’être un Dieu (P. Fleischman, 1990), yeux clairs, il dévore, il brûle, il caresse a proposé un Clift finalement beaucoup
Présumé suspect (Ipoptos politis (Stelios ou il détruit. Il est donc naturel que, dans plus juste qu’on ne l’a cru : en l’opposant
Pavlidis, 1994). Il est lui-même l’auteur de ses meilleurs films, son personnage se à John Wayne, il mettait vraiment en lu-
films de style underground et psychédé- taise et regarde : prêtre tenu par le se- mière tout ce qui fera Clift, le silence, le
lique emblématiques de leur époque : Ce cret de la confession (la Loi du silence, regard, l’animalité, la vulnérabilité et, pro-
n’est qu’un début, la Révolution continue A. Hitchcock, 1953), ou psychiatre attentif fondément et inconsciemment, le refus
(1968), Visa de censure n°X (1976), New (Soudain l’été dernier, J. L. Mankiewicz, radical des aînés. Le premier, il s’est
Old (1979), Soleil (1989) d’un curieux film 1959 ; Freud, passions secrètes). Ce approché d’un mythe trouble et ambigu,
de politique-fiction À l’ombre de la ca- que Hitchcock et Mankiewicz ont fait de celui d’une Amérique à la fois belle et vul-
naille bleue (1978-1985), ainsi que d’un lui, peut-être à son corps défendant, est nérable. Par ailleurs, l’influence sourde
livre rédigé en prison, Quelques mes- cependant prodigieux. La Loi du silence qu’il a exercée sur ceux qui l’ont suivi lui
sages personnels. ne repose que sur ce qu’il tait et que ses assure un rôle primordial dans l’évolution

yeux trahissent. Plus acrobatique encore, du héros hollywoodien : Paul Newman,


CLIFT (Montgomery) [Edward Montgo- Marlon Brando, Robert De Niro ou Al
Soudain l’été dernier lui confie un rôle qui,
mery Clift], acteur américain (Omaha, Pacino, pour ne citer qu’eux, lui doivent
dans la pièce de Tennessee Williams,
Nebr., 1920 - New York, N. Y., 1966). beaucoup. Le secret de l’étrange fascina-
était une simple utilité : jouant de la force
S’il avait tourné plus et s’il avait consenti tion qu’il dégageait était sans doute dans
peu commune du regard de Clift, Man-
à vulgariser son image et son talent, sa faiblesse, et l’on sait depuis que celle-
kiewicz fait du docteur Kukrovitz le per-
Montgomery Clift aurait pu être ce qu’a ci n’était pas feinte.
sonnage central du drame, sans pratique-
été James Dean. Et cela, Une place au
ment ajouter une ligne au dialogue. Nous Autres films : Lonelyhearts (Vincent
soleil (G. Stevens, 1951) le prouve am-
ne savons rien de lui, mais à travers son J. Donohue, 1959) ; Jugement à Nurem-
plement : l’extraordinaire magnétisme
regard nous connaissons tout, nous com- berg (S. Kramer, 1961).
qu’il y dégageait s’était, pour la seule
prenons à quel point le drame dont il est
et unique fois, traduit par l’hystérie des CLIFTON (Elmer), acteur et cinéaste amé-
le témoin trouve un écho dans son propre
bobby-soxers. Timide et secret, tour- ricain (Chicago, Ill., 1890 - Los Angeles, Ca.,
inconscient, et combien il est effrayé de le
menté jusqu’à la névrose, il a préféré peu 1949).
voir se faire jour. Cela, seul Montgomery
tourner. On souhaiterait pouvoir ajouter Venu du théâtre, il tient des rôles impor-
Clift en était capable. Et pour le prouver,
« bien tourner ». Mais on se demande tants, Phil Stoneman dans Naissance
il recommença dans le Fleuve sauvage
pourquoi, étant si avare de sa présence, il d’une nation et le Rhapsode dans Intolé-
(1960), d’Elia Kazan, avec un brio égal :
a consenti à jouer dans des oeuvres aussi rance, et c’est Griffith qui l’initie à la mise
la ronde inquiète de Lee Remick contras-
ternes que la Ville écartelée (G. Seaton, en scène. Il dirige Clara Bow et Dorothy
tant avec sa réserve et sa retenue. Il
1950), l’Arbre de vie (E. Dmytryck, 1957), Gish dans plusieurs films, mais le par-
serait malhonnête de ne pas rendre ici
poussant le masochisme jusqu’à terminer lant le relègue dans d’obscures séries B
justice à des cinéastes moindres que les
sa carrière sur le médiocre Espion (Raoul (notamment avec Buck Jones) et des
précédents mais qui ont su cerner admi-
Lévy, 1966). Son atout principal fut sa sérials. En 1949, il commence le tour-
rablement sa complexité et que lui-même
présence : avec son animalité naturelle et nage de Avant de t’aimer (Not Wanted,
a conduits à se surpasser. Si Tant qu’il y
son regard prenant, il aurait pu se conten- avec Ida Lupino) : il est frappé d’une crise
ter d’apparaître à l’écran, sans se donner aura des hommes (F. Zinnemann, 1953)
cardiaque dès le premier jour. Ida Lupino
la peine de jouer, ce qu’il fit occasionnel- laisse le comédien beaucoup trop libre
dirige le film, mais maintient son nom
lement, mais Montgomery Clift était plus de ses mouvements et de ses tics (il en
comme réalisateur au générique.
qu’un beau visage. Et cela, il a voulu, avait !), tout comme le Bal des maudits
tragiquement, le démontrer. Quand, pen- (E. Dmytryck, 1958), les Anges marqués CLINE (Edward Francis Cline, dit Eddie),
dant le tournage de l’Arbre de vie, un imposaient, en revanche, avec éclat ce cinéaste américain (Kenosha, Wis.,
accident de voiture qui ressemblait à s’y nouveau visage, ce corps que l’on ima- 1892 - Los Angeles, Ca., 1961).
méprendre à un suicide manqué, le défi- ginait sec et osseux sous l’uniforme. La Formé à l’école de Mack Sennett, effi-
gura, la chirurgie plastique s’acharna à sérénité rayonnante de la création de cace, précis, et sachant servir les inten-
reconstruire sur lui un masque qui aurait Clift (et d’ailleurs unique dans sa carrière) tions de ses acteurs, il coréalise de 1920
été à l’image de Montgomery Clift. Dans semblait littéralement guider Zinnemann à 1923 une vingtaine de courts métrages
ce visage désormais crispé comme dans subjugué, et le mener, malgré lui, à des avec Buster Keaton, dont Malec chez
l’attente de la mort, ne vivaient plus que sommets qu’il a rarement fréquentés. les Indiens (The Paleface, 1921) et les
deux yeux clairs, aux larges pupilles et à L’Héritière (1949) était très différente : Flics (Cops, id.), ainsi que les Trois Âges
l’expression implorante. Et cela suffisait à avec la méthode et la componction qui le (The Three Ages, 1923). Après l’arrivée
« Monty ». Sa présence était aussi fasci- caractérisent, Wyler y mettait en lumière du parlant, il dirige les meilleurs films de
nante dans les Anges marqués (F. Zinne- l’aspect féminin du personnage de Clift, W. C. Fields : Folies olympiques (Million
mann, 1948), où il rayonnait d’espoir, que ce qui n’avait été fait à Hollywood que Dollar Legs, 1932), Mon petit poussin
dans Freud, passions secrètes (J. Hus- fugitivement, avec Valentino, et, superfi- chéri (My Little Chickadee, 1940), Mines
ton, 1962), où il dissimulait son visage ciellement, avec Tyrone Power. Sur cette de rien (The Bank Dick, id.) et Passez
et ses angoisses derrière une dévorante même voie, Stevens traça le portrait d’un muscade (Never Give a Sucker an Even
barbe noire. Enfant cinématographique autre homme-femme faible et séduisant, Break, 1941). Il réalise son dernier film
naturel de John Garfield, il était aussi le dans Une place au soleil. Mais, exac- en 1948.

268
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

CLIVE (Colin Glennie Clive Greig, dit Colin), la manière la plus traditionnelle. Princi- la photographie les plus importants du
acteur anglais (Paramé [auj. Saint-Malo], pales partitions cinématographiques : la cinéma français contemporain, signant
France, 1898 - Los Angeles, Ca., 1937). Cage aux rossignols (J. Dréville, 1945), des images raffinées, en accord avec
Déjà connu à la scène, il gagne Hol- le Père tranquille (R. Clément, 1946), les personnalités très marquées qui ont
lywood pour porter à l’écran une pièce à Copie conforme (Dréville, 1947), les fait appel à sa collaboration. Son rayon-
succès : Journey’s End (J. Whale, 1930). Casse-Pieds (id., 1948), Dieu a besoin nement s’étendit à l’enseignement et il
Le même James Whale lui offre son rôle des hommes (J. Delannoy, 1950), les influença plusieurs des meilleurs chefs
le plus marquant, celui du baron promé- Aristocrates (D. de La Patellière, 1955). opérateurs actuels, tel Bruno Nuytten.
théen dans Frankenstein (1931) puis Et aussi les films de Claude Autant-Lara :
dans la Fiancée de Frankenstein (1935). Douce (1943), Sylvie et le fantôme (1946), CLOSE (Glenn), actrice américaine
Son élégance ascétique et son regard fié- Occupe-toi d’Amélie (1949), l’Auberge (Greenwich, Conn., 1947).
vreux font encore merveille dans le rôle Rouge (1951), le Blé en herbe (1954), le La scène lui offre ses premiers succès
du pianiste aux mains greffées des Mains Rouge et le Noir (1954), Marguerite de la dès 1975, dans des rôles de femmes “ à
d’Orlac (Mad Love, K. Freund, 1935). Un nuit (1956), la Traversée de Paris (id.), la poigne ” annonciateurs d’une forte per-
autre de ses grands rôles est, dix ans Jument verte (1959), les Régates de San sonnalité : Un tramway nommé Désir,
avant Orson Welles, celui de Rochester Francisco (1960), le Meurtrier (1963). le Roi Lear, les comédies musicales
dans la version Monogram de Jane Eyre Rex de Richard Rodgers et Barnum de
(W. -C. Cabanne, 1934). CLOONEY (George), acteur américain
Cy Coleman, etc. Elle débute à l’écran
(Lexington, Ky., 1961).
en infirmière puritaine et fantasque dans
CLOCHE (Maurice), cinéaste français Rarement un acteur de série télévisée
le Monde selon Garp (G. R. Hill, 1982).
(Commercy 1907 - Bordeaux 1990). aura réussi avec un tel éclat son passage
Son talent singulier s’impose par une évi-
Il fait ses débuts à l’écran en 1933 au grand écran. Une indéniable séduc-
dente plénitude physique et morale, un
comme comédien : le Grillon du foyer tion, un physique avantageux et un vrai
mélange attachant de gravité et d’intelli-
(R. Boudrioz, 1933), Cessez le feu (J. de talent d’acteur l’ont certainement aidé.
gence. Actrice subtile et élégante, Glenn
Baroncelli, 1934), puis devient direc- Mais il aurait pu se contenter d’endosser
Close suggère les failles et les ambiguïtés
teur artistique : l’Homme à l’oreille cas- la tenue de Batman et Robin (J. Schuma-
de ses personnages, les limites de leur
sée (Boudrioz, 1935) et réalisateur de cher, 1997). Or, Clooney semble sélec-
tionner ses rôles et ses réalisateurs avec apparente perfection. Mais son extrême
courts métrages artistiques et documen-
un doigté de plus en plus sûr. Après une discipline semble mal s’accommoder des
taires (Versailles, le Mont Saint-Michel,
etc.). Ses débuts dans la mise en scène composition solide dans la Ligne rouge excès, ainsi qu’en témoigne sa compo-

datent de 1937 : il réalise Ces dames (T. Malick, 1998), il fut encore plus à son sition dans Liaison fatale (Adrian Lyne,

aux chapeaux verts, avec Marguerite aise, dans un registre léger, en malfrat de 1987). Elle retrouve avec l’adaptation
Moreno, puis le Petit Chose (1938), charme traqué par une vamp policewo- « anglaise » du roman de Choderlos de
avec Robert Lynen et Arletty. Après la man (À toute épreuve, S. Soderbergh, Laclos un rôle à sa mesure : la vénéneuse
guerre, sa carrière est une alternance de id.) ou en nouvel Ulysse, bagnard évadé, marquise de Merteuil (les Liaisons dan-
films édifiants : Monsieur Vincent (1947) arpentant le sud des États-Unis et se ti- gereuses, S. Frears, 1988). Elle semble
avec Pierre Fresnay, qui reste son film rant des pires situations par son sourire et un peu gênée en cantatrice névrotique de
le plus connu, Docteur Laennec (1949) son art de la parole (O Brother, J. Coen, la Tentation de Vénus (I. Szabo, 1991).
avec Pierre Blanchar, Moineaux de Paris 2000), une interprétation à la fois fine et Par contre, glacée, distante, puis coma-
(1953), avec les Petits Chanteurs à la haute en couleur qui lui a valu une large teuse, elle est parfaite dans le Mystère
croix de bois ; polissons : la Cage aux reconnaissance critique. von Bulow (B. Schroeder, 1990), où sa
filles (1949), Nuits andalouses (1954), voix posée et sa diction claire créent un
Prisons de femmes (1958), Touchez pas CLOQUET (Ghislain), chef opérateur belge remarquable commentaire off. Elle n’a
aux blondes (1960) ; mélodramatiques : (Anvers 1924 - Montainville, France, 1981). pas peur d’affronter les clichés et incarne
il réalise ainsi en 1950 puis en 1964 Après des études à l’ENPC de Vaugirard
avec une sécheresse touchante la vieille
deux versions de la Porteuse de pain. puis à l’IDHEC, il est, de 1947 à 1958, as-
fille de la Maison des esprits (B. August,
Après une tentative du côté du policier sistant opérateur, tout en photographiant
1993) ou, avec humour, l’impitoyable
de série B (Coplan agent secret F X 18 de nombreux courts métrages de Paul
rédactrice du Journal (R. Howard, id.),
en 1964 et Baraka sur X 13 en 1966), sa Paviot, Robert Hessens ou Alain Res-
qui finit par « faire le coup de poing »
fin de carrière se place encore sous le nais. Il débute dans le long métrage avec
contre son journaliste vedette. Un sens
signe de la religion : Mais toi, tu es Pierre Un amour de poche (P. Kast, 1957) et il
de la caricature qui apparaît fugitivement
(1973). est remarqué pour sa photographie du
dans Mary Reilly (S. Frears, 1995) ainsi
Trou (J. Becker, 1960). Après le Feu follet
que dans 101 Dalmatiens (One Hundred
CLOEREC (René), musicien français (L. Malle, 1963) et Mickey One (A. Penn,
and One Dalmatians, Stephen Herek,
(Paris 1911 - 1995). 1965), la productrice Mag Bodard lui pro-
1997) et 102 dalmatiens (102 Dalma-
Premier prix de piano à l’École normale pose de signer les images de Jacques
tians, Stephen Lima, 2000) où elle campe
de musique de Paris en 1928. Il dirige Demy (les Demoiselles de Rochefort,
une assez drôle Cruella. Si bien que
des orchestres de music-hall et écrit des 1967 ; Peau d’Âne, 1970), Robert Bres-
lorsqu’elle incarne sérieusement la vice-
chansons, en collaboration avec Ray- son (Au hasard Balthazar, 1966 ; Mou-
mond Asso, dont certaines sont créées chette, 1967 ; Une femme douce, 1969), présidente des États-Unis dans Air Force

par Édith Piaf. Il écrit sa première partition Michel Deville (Benjamin, 1968), Jacques One (W. Petersen, id.) on a du mal à y

de film à la demande de Claude Autant- Doniol-Valcroze (la Maison des Bories, croire tant on a à l’esprit sa désopilante
Lara, dont il deviendra le collaborateur 1970) et André Delvaux (Un soir un train, création de première dame du même
attitré. Sa musique est caractéristique de 1968 ; Rendez-vous à Bray, 1971). Il a pays dans Mars Attacks ! (T. Burton,
la conception la plus aristocratique que éclairé, depuis, Belle (Delvaux, 1973), 1996). Mais, à l’opposé, elle est boule-
l’on se faisait de la musique de film dans Nathalie Granger (Marguerite Duras, id.), versante de sobriété en femme mûre gar-
les années 40 et 50 : lyrique, mais dis- Guerre et Amour (W. Allen, 1975), Tess dant patiemment une malade, dans Ce
crète, pratiquant le leitmotiv pour symbo- (R. Polanski, 1979), Chère Inconnue que je sais d’elle ... d’un simple regard
liser un personnage ou un climat, utilisant (M. Misrahi, 1980) et Georgia (A. Penn, (Things You Can Tell Just by Looking at
par ailleurs l’orchestre symphonique de 1981). Il demeure un des directeurs de Her, Rodrigo Garcia, 2000).

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

CLOSE (Ivy), actrice britannique (Stockton- ment auteur dramatique, on lui doit quatre pas au-delà d’une satire virulente de la
on-Tees 1890 - Goring 1968). pièces entre 1940 et 1943. Il passe à la bourgeoisie, de son hypocrisie et de sa
Mère du réalisateur Ronald Neame et réalisation (mais il ne cessera de parti- mesquinerie. Dans la bouche de plu-
épouse du chef opérateur Elwin Neame, ciper au scénario et au dialogue de tous sieurs de ses personnages, en particu-
elle fonde avec ce dernier la société Ivy ses films) avec L’assassin habite au 21 lier Denise (Ginette Leclerc) à l’adresse
Close Films en 1912. Après une série (1942) ; le Corbeau (1943), qui est peut- du Dr Germain (Pierre Fresnay) dans
de courts métrages (The Lady of Shal- être son meilleur film, lui vaut une répu- le Corbeau, « bourgeois » est proféré
lot, The Sleeping Beauty, The Terrible tation « scandaleuse » et une mesure comme une insulte. Le pamphlétaire
Twins), elle tourne son premier long d’exclusion temporaire de la profession social se manifeste aussi dans Quai des
métrage dans les studios Cecil Hepworth à la Libération. Par la suite, pourtant, la Orfèvres par le dévoilement de certaines
(The Lure of London, 1914) et, de 1916 à plupart de ses films obtiennent des prix méthodes discutables de l’appareil poli-
1917, elle anime aux États-Unis une série importants : prix de la Mise en scène à cier, dans Manon par la peinture de la
qui porte son nom (Ivy Close Comedies). Venise (1947) pour Quai des Orfèvres ; dégradation d’un fils de famille, dans la
Son interprétation dans la Roue d’Abel Lion d’or à Venise (1949) pour Manon ; Vérité par une mise en cause de la jus-
Gance (1923, RÉ 1921) lui vaudra une Palme d’or à Cannes (1953) pour le Sa- tice bourgeoise, pour laquelle une fille qui
grande mais brève renommée, car elle ne laire de la peur ; prix Louis-Delluc (1955) veut simplement « vivre sa vie » ne sau-
retrouvera jamais de rôle aussi marquant. pour les Diaboliques ; prix spécial du rait être qu’une grue.
Jury à Cannes (1956) pour le Mystère Ce qui caractérise la vision de Clouzot,
CLOSE SHOT. Picasso ; grand prix du Cinéma français c’est le regard froid qu’il porte sur les
Locution anglaise pour plan rapproché. (1960) pour la Vérité. êtres et sur le monde : il est l’héritier de la
Sa réputation controversée est indiscu- tradition réaliste française, mais il l’inflé-
CLOSE UP.
tablement à la mesure de l’importance et chit vers le naturalisme, comme Feyder
Locution anglaise pour gros plan.
de l’impact de son oeuvre, qui témoigne qu’il cite, comme René Clément, avec
d’une personnalité extrêmement originale lequel il a bien des points communs, par
CLOSE-UP.
et forte. C’était un esprit libre n’acceptant exemple le goût de la dramaturgie la plus
Revue mensuelle de cinéma publiée
aucune forme de censure ou d’autocen- épurée, la plus rigoureuse, sans rien qui
à Londres de juillet 1927 à décembre
sure. Il l’a prouvé à ses risques et périls cède à la facilité, sans rien qui incline au
1933. Ce fut la première du genre à pa-
en réalisant pendant l’Occupation, pour la sentimentalisme. Son pessimisme le plus
raître en Grande-Bretagne, témoignant
société de production la Continental, ce sombre est cependant toujours tempéré
d’une approche sérieuse du cinéma et
film que certains qualifièrent d’instrument par l’amour, qui est l’ultime refuge de ses
d’une dimension internationale. Dirigée
de dénigrement de la population fran- personnages, et la seule valeur qui puisse
par Kenneth MacPherson, on trouve dans
çaise, le Corbeau, tableau acide d’une les sauver du désespoir ou de l’infamie :
ses colonnes les signatures de S. M. Ei-
petite communauté de province démas- Denise et le Dr Germain sont finalement
senstein, Dorothy Richardson, Upton
quée dans ses tares par un maniaque réunis par le bonheur d’avoir un enfant
Sinclair, le psychanalyste Hanns Sachs,
des lettres anonymes. Il reste que le Cor- (le Corbeau) ; la chanteuse Jenny et son
Gertrude Stein.
beau est l’un des meilleurs films de cette pitoyable époux se retrouvent après la
époque, même s’il a valu à son auteur une tentative de suicide de celui-ci (Quai des
CLOTHIER (William H.), chef opérateur
exclusion, discutable et d’ailleurs tempo- Orfèvres) ; Manon et Des Grieux tombent
américain (Decatur, Ill., 1903 - Los Angeles,
raire, de la profession, en 1944. Clouzot eux aussi dans les bras l’un de l’autre
Ca., 1996).
a raconté d’autre part qu’il s’était ulté- au terme de leur descente aux enfers.
Il débute en 1923 comme opérateur d’ac-
rieurement et par deux fois heurté à une On trouve d’ailleurs dans le dialogue de
tualités et est longtemps assistant de Bert
censure effective mais officieuse, surtout Manon cette phrase révélatrice de la pen-
Glennon, H. Fishbeck ou Archie Stout.
lorsqu’il avait voulu aborder le thème de sée de l’auteur : « Rien n’est sale quand
Son sens du paysage et des espaces
la guerre d’Algérie. on s’aime ! » Dans la Vérité, Dominique
ouverts fait de lui l’imagier idéal des
westerns et le complice indispensable Cet esprit non conformiste aurait à est meurtrière par amour ; et, même dans
coup sûr suscité moins d’hostilité s’il avait la Prisonnière, un amour vrai naît d’une
de Ford, Wellman, Wayne ou McLaglen.
été doué de moins de talent, lié à un per- relation d’abord vicieuse et viciée : ainsi
On lui doit entre autres Sept Hommes à
fectionnisme qui lui valut, entre autres, l’amour, amour fou ou perverti, est une
abattre (B. Boetticher, 1956), les Cava-
liers (1959), l’Homme qui tua Liberty d’être accusé de dilapider des budgets valeur absolue qui permet à tout être de

Valance (1962), la Taverne de l’Irlan- considérables et de tyranniser ses ac- se racheter (dans une perspective pure-

dais (1963) et les Cheyennes (1964) de teurs. Quels que soient les moyens qu’il ment humaniste et non chrétienne, as-
ait employés avec eux, il faut constater surément) des pires turpitudes morales,
John Ford, ainsi que Alamo (J. Wayne,
qu’il est parvenu à plier certains comé- voire physiques.
1960), les Comancheros (M. Curtiz,
1961), Rio Lobo (H. Hawks, 1970), sept diens à leur personnage (Fresnay dans le Or les personnages de Clouzot sont en
films de William Wellman et dix d’Andrew Corbeau, Jouvet dans Quai des Orfèvres) général corrompus, veules, misérables.
V. McLaglen. et à en révéler d’autres à eux-mêmes et Rien de manichéen, pourtant, dans cet
au public (Cécile Aubry et Michel Auclair univers, car le bien et le mal, la vérité et
CLOUZOT (Henri-Georges), cinéaste fran- dans Manon, Yves Montand dans le Sa- le mensonge coexistent en chaque indi-
çais (Niort 1907 - Paris 1977). laire de la peur, Larquey et Hélena Man- vidu. Cette lucidité sans illusions est sans
D’abord journaliste, puis assistant réa- son dans le Corbeau et Brigitte Bardot aucun doute la clé essentielle de la vision
lisateur (A. Litvak, E. -A. Dupont), il dans la Vérité). morale de Clouzot. Mais, loin qu’il soit un
supervise en Allemagne (1931-1933) la Il était au nombre de ces cinéastes moralisateur, c’est en moraliste qu’il s’af-
version française de quelques films, tout qui ont un style propre, une marque de firme ; il évite en général les considéra-
en travaillant (à partir de 1930) comme fabrique spécifique tant au plan de la thé- tions morales, de même qu’il refuse tout
scénariste adaptateur, sur une dizaine matique que de l’expression filmique. En psychologisme. Il est moins un analyste
d’oeuvres, dont le Dernier des six (G. La- ce qui concerne sa thématique, on peut du coeur humain qu’un peintre des com-
combe, 1941) d’après S. -A. Steeman, et dire qu’elle a été constamment sous-ten- portements : sa dramaturgie d’entomolo-
les Inconnus dans la maison (H. Decoin, due par une volonté de critique sociale giste consiste à mettre des personnages
1942) d’après Georges Simenon. Égale- plus ou moins anarchisante, mais n’allant en situation et à étudier leurs réactions.

270
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

D’où la prédominance de la construc- Harold Clurman a réalisé un seul film, et F comme Flint (In Like Flint, G. Dou-
tion dramatique, le fait qu’il a été souvent Deadline at Dawn (1946), sur un scénario glas, 1967), il s’est amusé pour sa part
catalogué comme auteur de suspenses de Clifford Odets, tentative de réalisme à parodier ses anciens rôles. Souvent
policiers (ce qui est abusivement restric- social qui, non exempte de pittoresque, raillé pour son jeu excessif, ce fut en fait
tif) et qu’on demeure frappé avant tout vaut en particulier par l’interprétation un excellent comédien dans son registre.
par la description objective du milieu, du de Susan Hayward. Il fut par ailleurs un Il faut rappeler aussi l’Heure du crime
décor et des objets, par la mise en place des grands critiques dramatiques de son (R. Rossen, 1947), la Main gauche du
et cet enfermement, de ce huis clos qui temps et a publié de très intéressants Seigneur (E. Dmytryk, 1955), Douze
conditionnent si fortement les person- souvenirs sur le Group Theatre : The Fer- Hommes en colère (S. Lumet, 1957) et
nages. Il est évidemment excessif de vent Years (New York, 1945). surtout l’Homme de l’Ouest (A. Mann,
réduire le style de Clouzot à une simple 1958), où, bandit vieillissant et fou, il dis-
technique, même brillamment mise en CLUZET (François), acteur français (Paris serte sur la mort avant un gunfight dans
oeuvre : sa maîtrise dans la création de 1955). une ville-fantôme.
l’atmosphère, son recours assez fréquent Il a acquis une première expérience au
à un certain expressionnisme, son habi- théâtre lorsque Diane Kurys lui confie COBURN (Charles, Douville), acteur améri-

leté à mettre ses personnages (et donc un des trois premiers rôles de Cocktail cain (Savannah, Ga., 1877 - New York, N. Y.,

les spectateurs) en situation de voyeurs, Molotov (1980), et il est immédiatement 1961).


sollicité par Claude Chabrol pour le Che- Célèbre au théâtre, tard venu au cinéma,
tout cela relève d’une volonté de style,
qui exprime aussi une vision du monde val d’orgueil (id.). Sa carrière piétine car il s’y spécialise dans les rôles de vieillard
ses principaux rôles intéressent des films atteint par le démon de midi, de notable,
fondée, selon ses propres termes, sur
de moindre audience : Vive la sociale ou de grand-père fantasque, auxquels
une grande règle : « porter les contrastes
(G. Mordillat, 1984), Elsa, Elsa (Didier il donne une truculence réjouissante.
à leur maximum » en poursuivant « un
Haudepin, 1986), jusqu’à Autour de mi- Parmi ses films principaux : Le ciel peut
effort continu de simplification (dans la
nuit, de Bertrand Tavernier (id.) et Asso- attendre (E. Lubitsch, 1943) ; Plus on est
trame et les caractères), précisément
ciation de malfaiteurs (C. Zidi, 1987). Il de fous (G. Stevens, id.), qui lui vaut l’Os-
pour accentuer les contrastes ».
tente ensuite de maintenir une image de car du second rôle ; Scandale à la Cour
La mécanique dramatique semble plus
comédien aussi exigeant que possible (O. Preminger, 1945) ; les Vertes Années
importante pour Clouzot que les motiva-
dans Chocolat (C. Denis, 1988), Une (V. Saville, 1946) ; le Procès Paradine
tions psychologiques. Serait-ce parce
affaire de femmes (C. Chabrol, id.), Force (A. Hitchcock, 1948). Il trouve ses meil-
qu’il ne croit pas à une finalité rationnelle
majeure (Pierre Jolivet, 1989), l’Instinct leurs emplois avec Douglas Sirk (Has
des comportements humains ? Ici s’im-
de l’ange (Richard Dembo, 1993), l’Enfer Anybody Seen my Gal ?, 1952) et sur-
pose une autre clé de sa personnalité,
(Chabrol, 1994), Rien ne va plus (id., tout Howard Hawks : Chérie, je me sens
son goût de l’absurde, à propos duquel il
1997), l’Adversaire (N. Garcia, 2001). rajeunir (id.) et Les hommes préfèrent les
a écrit : « Kafka m’a beaucoup influencé,
blondes (1953), où personne n’oublie son
et depuis longtemps. C’est à lui que je C.N.C. CENTRE NATIONAL DE LA interprétation du vieux diamantaire séduit
dois la découverte de l’absurde et de CINÉMATOGRAPHIE par Marilyn Monroe.
son attrait. » C’est à propos des Espions
qu’il se référait à Kafka, film dans lequel COBB (Leo Jacoby, dit Lee J.), acteur amé- COBURN (James), acteur américain (Lau-
transparaît « l’angoisse de l’homme qui ricain (New York, N. Y., 1911 - Los Angeles, rel, Nebr., 1928).
constate qu’il n’est plus qu’un objet ». An- Ca., 1976). Ayant débuté dans des théâtres universi-
goisse existentielle et non métaphysique, Monté sur les planches à vingt ans, il dé- taires, il fait d’abord de la TV et n’apparaît
le cinéaste ne s’interrogeant pas sur les bute aussi très tôt dans la mise en scène à l’écran qu’en 1959 pour devenir l’année
fins dernières de l’homme mais se fai- théâtrale et, ayant participé (1935) à l’ex- suivante l’une des sept vedettes du film
sant le comptable de ses efforts (« J’aime périence du Group Theatre, il se trouve de John Struges, les Sept Mercenaires.
l’action pour l’action », dit-il), que ce incarner la Méthode à son paroxysme, Sa haute taille, son allure cynique, son
soient ceux du chauffeur d’un camion de grâce à un physique puissamment ex- flegme le vouent aux rôles d’aventuriers
nitroglycérine (le Salaire de la peur), ceux pressif. Après avoir figuré dans quelques sans scrupules, rôles à l’intérieur des-
d’un couple d’amants pour se débarras- films en 1937-38, il débute à l’écran en quels il développe peu à peu un charme
ser de l’épouse gênante (les Diaboliques) 1941 (Men of Boys Town, de N. Taurog). nonchalant et un humour tout en sou-
ou ceux d’un artiste filmé dans son action Il ne s’impose qu’avec Nuit sans lune plesse. Parmi ses meilleures prestations,
créatrice (le Mystère Picasso). L’agitation (The Moon Is Down, I. Pichel, 1943) et on retiendra la Grande Évasion (Sturges,
humaine est parfois si dérisoire et si vaine surtout Boomerang (1947) sous la direc- 1963), Cyclone sur la Jamaïque (A. Mac-
qu’elle conduit à un pessimisme que seul tion d’Elia Kazan venu comme lui du kendrick, 1965), Mais, qu’as-tu donc fait
l’humour (noir) peut nuancer. Group Theatre. Son tempérament, son à la guerre, Papa ? (B. Edwards, 1966),
Films : la Terreur des Batignolles (CM, masque précocement marqué le portent Waterhole N. 3 (William Graham, 1967),
1931) ; L’assassin habite au 21 (1942) ; à des rôles antipathiques d’escroc (les et surtout Duffy le renard de Tanger
le Corbeau (1943) ; Quai des Orfèvres Bas-Fonds de Frisco, J. Dassin, 1949 ; (R. Parrish, 1968), où son emploi habituel
(1947) ; Manon (1949) ; Retour à la vie Sur les quais, E. Kazan, 1954) ou de se nuançait d’une intelligence et d’une
(id., épisode le Retour de Jean) ; Miquette gangster (Traquenard, N. Ray, 1958), sensibilité moins inattendues qu’enfin
et sa mère (1950) ; le Salaire de la peur l’une de ses plus outrancières créations, clairement révélées. Son succès comme
(1953) ; les Diaboliques (1955) ; le Mys- non dénuée de finesse cependant. Il a imitateur pince-sans-rire de James Bond
tère Picasso (1956) ; les Espions (1957) ; encore interprété le « patriarche » dont (Notre homme Flint, Daniel Mann, 1966
la Vérité (1960) ; l’Enfer (1964, inachevé) ; la mort au début des Quatre Cavaliers et F. comme Flint [In like Flint], G. Dou-
la Prisonnière (1967-68). de l’Apocalypse (V. Minnelli, 1962) dé- glas, 1967) lui vaut dix ans plus tard d’in-
clenche le drame, et il a conféré une force terpréter à la TV Sam Spade, le héros de
CLURMAN (Harold Edgar, dit Harold), et un don de sympathie (à la mesure de Dashiell Hammett. Mais il aura été aussi
cinéaste américain (New York, N. Y., son extraversion) au « terroriste » israé- l’un des deux personnages de Il était une
1901 - id. 1980). lien d’Exodus (O. Preminger, 1960). Dans fois la Révolution (S. Leone, 1971) et
Fondateur du Group Theatre avec Lee deux films pastichés des James Bond : de la Chevauchée sauvage (R. Brooks,
Strasberg, metteur en scène de théâtre, Notre homme Flint (Daniel Mann, 1966) 1975). Après le médiocre Croix de Fer

271
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

(S. Peckinpah, 1977), il reparaît plein Serge de Diaghilev (les Ballets russes), pêcheurs est un capharnaüm. Patrice/
d’une autorité rusée dans Revanche à Stravinski. Il inspire le groupe des Six Tristan y meurt ; Nathalie/Iseut s’étend
Baltimore (R. E. Miller, 1979) sous une (1918), découvre et lance Raymond près de lui pour elle aussi mourir. Alors le
séduisante couronne de cheveux blancs Radiguet (1920), auteur à dix-sept ans décor se vide absolument et s’archaïse ;
et dans Young Guns II (Geoff Murphy, du Diable au corps. Hormis le Sang d’un l’endroit devient crypte romane, tombeau
1990). En 1996, il joue dans l’Effaceur poète (1931), film d’avant-garde que le antique, grandiose, austère, nu.
(Eraser, Charles D. Russell) puis dans mécénat du vicomte de Noailles (qui, en Ce goût du concret fait le réalisme
The Second Civil War (Joe Dante) et même temps, commandite l’Âge d’or de magique que Cocteau revendique pour
l’année suivante dans Affliction de Paul Buñuel) lui permet de réaliser. Cocteau sa poésie. « Tout poème est un blason.
Schrader. ne s’intéresse activement au cinéma qu’à Il choisit des objets réels et en fait un
partir des années 40. Il élabore alors des documentaire. » La féerie, la légende
COCEA (Alice), actrice française d’origine adaptations, écrit des dialogues, rédige sont d’autant plus prenantes qu’elles sont
roumaine (Sinaia 1897 - Paris 1970). et souvent commente lui-même des films réelles. Sur l’écran, « ce qu’on voit, on le
Comédienne de théâtre et d’opérette, elle « poétiques » jugés difficiles ou insolites voit ». La fable, sans aucun doute, est
tourne entre les deux guerres, avec une par leurs distributeurs. En 1942, il tra- fiction, fantaisie ; les mythes qu’elle sert
grâce acide, des films de série fondés vaille pour Marcel Carné aux dialogues sont vrais, sont universels. Bien moins
sur les recettes qui font son succès au de Juliette ou la Clé des songes, qui sera désinvoltes, bien moins étincelants de
boulevard, aux titres évocateurs : Mon tourné neuf ans plus tard, mais selon le pirouettes et de préciosités que ne le sont
gosse de père (J. de Limur 1930), Atout scénario de Jacques Viot et Georges souvent ses vers, les films de Cocteau
coeur (H. Roussel, 1931), Marions-nous Neveux. En tant que dialoguiste, c’est affichent et parfois cachent une fantaisie
(L. Mercanton, id.), Nicole et sa vertu au film de Robert Bresson, les Dames grave, une souriante « difficulté d’être »
(R. Hervil, 1932), le Greluchon délicat du bois de Boulogne (1945), qu’il apporte et cette hantise de la mort que doit four-
(J. Choux, 1934). son concours le plus étonnant d’intelli- nir, à l’oeuvre, selon l’auteur même, son
gence, d’élégance, de dépouillement et éclairage définitif. (Tous les films de
COCHRAN (Robert Alexander Cochran,
d’efficacité dramatique. Il met en scène Cocteau cultivent le thème du renferme-
dit Steve), acteur américain (Eureka, Ca.,
son deuxième film en 1943, son dernier, ment.) Avec le Sang d’un poète, Cocteau
1917 - en mer, au large du Guatemala,
le huitième en 1960. L’Académie fran- ne s’est nullement proposé de faire (ce
1965).
çaise l’élit en 1955. que beaucoup croient) un film surréa-
D’abord sous contrat chez Samuel
On a dit de Cocteau qu’il avait un talent liste : André Breton le combattit d’ailleurs
Goldwyn, il débute dans le Joyeux Phé-
polymorphe ou qu’il était un touche-à-tout farouchement comme un faux, un ersatz.
nomène (Wonder Man, Bruce Humber-
de génie. Lui-même se définit comme On n’y trouve ni dictée de l’inconscient, ni
stone, 1945), aux côtés du couple Danny
« un franc-tireur du cinéma ». Le film écriture automatique, ni ouverture méta-
Kaye-Virginia Mayo, qu’il retrouve dans le
est une corde de plus qu’il ajoute à son physique. C’est un rêve dirigé, très ma-
Laitier de Brooklyn (N. Z. McLeod, 1946)
arc. À sa « poésie de roman », sa « poé- chiné et déjà, comme plus tard Orphée
et Si bémol et fa dièse (H. Hawks, 1948).
sie de théâtre », sa « poésie critique », et le Testament d’Orphée, une parabole
Il poursuit sa carrière à la Warner, incar-
sa « poésie graphique », il ajoute une et une méditation sur la destinée du
nant le plus souvent des personnages de
« poésie cinématographique ». Pratiqué poète parmi les hommes. Visualisation
gangsters veules et retors. Il est le rival
à l’égal du poème (le poète s’y expose dynamique d’un poème, tous les thèmes
trop ambitieux de James Cagney dans
et s’y découvre au double sens du mot : tenaces de l’auteur s’y rassemblent :
L’enfer est à lui (R. Walsh, 1949), le
il se connaît, il se dévoile aux autres), la boule de neige frappant au coeur, la
chef de bande de Dallas, ville frontière
le cinéma devient écriture, « encre de marche sur les plafonds, la traversée des
(S. Heisler, 1950), le prolétaire exalté
lumière ». Non plus 7e art mais dixième miroirs, les portraits qui mordent. Dans
de Storm Warning (Heisler, 1951), qui
muse, Cocteau l’appelle « cinémato- l’Éternel Retour, comme il aime à le faire
apaise ses frustrations dans les rangs du
graphe ». Dans ses films, comme ailleurs au théâtre, Cocteau rajeunit la légende,
Ku-Klux Klan. Devenu vedette, il achève
son séjour à la Warner dans deux comé- dans son oeuvre, Cocteau bâtit sa poésie ici celle de Tristan et Iseut. Il la « désa-

dies musicales : Catherine et son amant en cartésien. Elle est concrète et raison- nachronise » en quelque sorte ; merveil-

(She’s Back on Broadway, G. Douglas, neuse. Elle a besoin des artifices du mer- leux et tragique, du coup, versent dans

1953) et The Desert Song (B. Humber- veilleux comme les machineries féeriques le quotidien. La même opération apporte

stone, id.), avant d’incarner, en Italie, du cirque, du théâtre, de la fête foraine ; à la Belle et la Bête, sans rien retrancher
comme les ressorts des contes : miroirs de sa magie, une interprétation psycha-
l’ouvrier suicidaire du Cri (M. Antonioni,
1957). Il tourne avec Roger Corman (I magiques qu’on traverse, statues qui nalytique du conte, plus vigoureuse de

Mobster, 1959) et Sam Peckinpah (New bougent, animaux qui parlent, passages demeurer discrète. Filmant sa pièce les

Mexico, 1961), puis réalise, en 1964, Tell enchantés, métamorphoses. Elle repose Parents terribles, respectant scrupu-

Me in the Sunlight, qui sera distribué deux sur les données précises d’une expé- leusement ses trois actes et ses deux
ans après sa mort dans le Pacifique, des rience vécue : « Je capte mes mythes et décors, Cocteau accomplit un double
suites d’une infection. mes souvenirs de jeunesse. » Elle doit tour de force. D’une part, il dépasse,
surprendre, « saisir la chance au piège » il retourne — comme on retourne un
COCTEAU (Jean), poète, écrivain, drama- car « il n’y a de beauté qu’accidentelle ». gant — le théâtre du Boulevard (Buñuel
turge et cinéaste français (Maisons-Laffitte Pour la Belle et la Bête, et plus tard avec au Mexique réussira le même dépas-
1889 - Milly-la-Forêt 1963). Melville pour les Enfants terribles, Coc- sement, mais dans le mélodrame). De
Issu d’une famille de notaires et d’agents teau, sur la table de montage, recherche, l’autre, il abolit la traditionnelle synthèse
de change, ses études (de « cancre », entre partition musicale et images, « un cinéma-théâtre filmé. Le théâtre, assumé
dit-il) achevées à Paris, Cocteau s’im- synchronisme accidentel ». Le côté arti- dans sa théâtralité, devient cinéma par
pose en littérature dès ses vingt ans. Il sanal du cinéma le ravit : l’univers filmique la grâce d’un magistral découpage en
a résolu d’être, définitivement, agressi- se crée aussi avec les mains. Le bric-à- continuité. La peinture cruelle et grin-
vement, moderne. Mobilisé en 1916, brac des décors renvoie au foisonnement çante de l’intimité bourgeoise se retrouve
bientôt réformé, il rentre à Paris, se rend des greniers de l’enfance, puis vient l’art dans Orphée. L’échec de cette nouvelle
célèbre avec le ballet Parade (1917), qui épure, ordonne, simplifie. Au dernier actualisation d’un mythe condamne Coc-
collabore avec Picasso, Erik Satie, plan de l’Éternel Retour, l’entrepôt des teau à un silence de dix ans. Il ne fera

272
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

plus que le Testament d’Orphée, qui est le nom de « code Aaton ». Arriflex a éga- un scénario écrit avec son frère. En 1996,
aussi le sien propre. Il y lègue à la pos- lement mis au point un code similaire ils coréalisent Fargo, en 1998 The Big
térité la somme de ses thèmes, de ses sous le nom de « code Arri ». Toutes les Lebowski et en 2000, O Brother, Where
manières stylistiques comme aussi de images ne sont pas identifiées, le code Art Thou ?. The Man Who Wasn’t There
ses tics d’écriture, la synthèse de tous est enregistré toutes les 16 images (2/3 (2001), sur un scénario concocté par les
ses films. Mais, prisonnier de son image de seconde), ce qui est largement suf- deux frères, est signé pour la mise en
(celle que, sa vie durant, il a voulu donner fisant pour les synchronisations son/ scène par le seul Joël.
de lui-même, celle qu’on a forgée de lui), image ;
Cocteau, mégalomane et pontifiant, plus — dans l’autre cas, des informations COGGIO (Roger), acteur, scénariste et ci-
que jamais enfant terrible de l’art, peine à d’identification sont préenregistrées pho- néaste français (Lyon 1934).
dresser sa statue au milieu de cent méta- tographiquement en manchette, sous Sa carrière d’acteur débute en 1953 sous
phores ésotériques. Décevant congé qui forme d’un code barres sur les pellicules la direction d’André Cayatte (Avant le
contredit l’un des plus singuliers mérites négatives, directement par les fabricants. déluge, 1954), Orson Welles (Une his-
de Cocteau cinéaste et que l’on n’a guère Comme précédemment, ces informations
toire immortelle, 1968) et André Delvaux
relevé : tous ses films — et Orphée tout sont enregistrées toutes les 16 images.
(Belle, 1973). Au théâtre, il fait partie
particulièrement — hormis ce Testament, Elles correspondent aux « numéros
du T. N. P. de 1956 à 1961. En 1963, il
ménagent à tous les publics un accès de bord », ou « piétage », enregistrés
passe à la réalisation avec sa pièce fé-
immédiat à sa poésie pourtant subtile, sous forme d’un numéro à six ou sept
raffinée, intellectuelle plus encore que tiche le Journal d’un fou, de Gogol. Avec
chiffres augmentant d’une unité toutes
sensible. Cocteau poète populaire grâce l’aide de l’actrice et scénariste Élisabeth
les 16 images (en 35 mm, il y a exacte-
au cinéma, cela vaut d’être souligné. Huppert, il s’essaie, sans convaincre, à
ment 16 images au pied). Ce système de
Films : — réalisation le Sang d’un la comédie satirique avec Silence... on
codage, proposé par Kodak, est connu
poète (1931) ; la Belle et la Bête (cons. sous le nom de « K Kode ». tourne (1976), puis à la comédie tout
technique R. Clément, 1946) ; l’Aigle à court avec On peut le dire sans se fâcher
Ces codes enregistrés photographi-
deux têtes (1948) ; les Parents terribles (1978) et C’est encore loin l’Amérique ?
quement peuvent être lus en défilement
(1949) ; Orphée (1950) ; la Villa Santo- normal ou rapide et permettent d’assurer (1979). Il tente d’adapter Molière à l’écran
Sospir (CM 1952) ; le Testament d’Or- pour le large public, et crée l’A. C. P.
des informations semi-automatiques très
phée (1960) ; — scénarios et dial. : la Co- (Amis du cinéma populaire), faisant appel
appréciables dans le cas de montages
médie du bonheur (M. L’Herbier, 1942) ; à la F. E. N. pour coproduire les Fourbe-
virtuels.
le Baron fantôme (S. de Poligny, 1943) ; ries de Scapin (1981), puis le Bourgeois
l’Éternel Retour (J. Delannoy, id.) ; les COEDEL (Lucien), acteur français (Paris gentilhomme (1982). Il réalise ensuite
Dames du bois de Boulogne (R. Bresson, 1899 - Blaisy-Haut 1947). une nouvelle version du Journal d’un fou
1945) ; Ruy Blas (P. Billon, 1948) ; les Sa mort accidentelle sur la voie ferrée ne (1987) et la Folle Journée ou le Mariage
Enfants terribles (J.-P. Melville, 1950) ; la lui a pas permis les grands premiers rôles de Figaro (1989).
Princesse de Clèves (J. Delannoy, 1961). à l’instar de Gabin, auquel on le compara
parfois. Il doit beaucoup à Christian- COHEN (Larry), cinéaste et scénariste amé-
CODE. Jaque, qui l’impose peu à peu : l’Assas- ricain (New York, N. Y., 1938).
Code temporel, code numérique, indi-
sinat du père Noël (1941), la Symphonie Acteur, metteur en scène de théâtre, il
quant avec précision l’instant de prise de
fantastique (1942), Voyage sans espoir
vues, susceptible de remplacer à terme débute à la télévision en créant des sé-
(1943), Carmen et Sortilèges (1945).
la fréquence pilote pour la synchronisa- ries (les Envahisseurs) et en écrivant les
Sachant doser l’émotion, il marque for-
tion de l’enregistrement des sons avec scénarios de feuilletons policiers. Il passe
tement ses compositions de Nord Atlan-
celui des images. ( REPIQUAGE, NUMÉ- ensuite au cinéma en tant que scénariste
tique (M. Cloche, 1939), les Mystères
RIQUE.) (le Retour des Sept, B. Kennedy, 1966),
de Paris (J. de Baroncelli, 1943), l’Idiot
Il est possible de synchroniser deux oeuvrant dans le genre policier (la Boîte
(G. Lampin, 1946), Roger la Honte
(ou plusieurs) bandes par des signaux à chat, M. Robson, 1969 ; Pacte avec
(A. Cayatte, id.), la Chartreuse de Parme
de synchronisation particuliers repé- (Christian-Jaque, 1948). un tueur, John Flynn, 1987), le western
rant, avec une grande précision (1/24 ou (El Condor, J. Guillermin, 1970) ou la
1/25 de seconde), l’heure d’enregistre- COEN (Joel), cinéaste américain (Min- satire sociale. Si Bone (inédit, 1972), son
ment de chaque image. Ces informations neapolis, Minn., 1955) et COEN (Ethan), , premier film, relève de la satire sociale,
sont enregistrées sous forme numérique cinéaste américain (né en 1957). Cohen se rend célèbre par le film poli-
sur la bande son et sur la bande image. Avec une feinte désinvolture, les frères cier Black Caesar, le parrain de Harlem
Plusieurs codes se sont imposés et sont Coen assurent qu’ils ne pensaient ja- (Black Caesar, 1973) et plus encore par la
maintenant normalisés dans le monde mais au départ faire carrière dans le science-fiction en créant, avec le Monstre
entier. Il s’agit du code SMPTE pour le cinéma. Néanmoins après des études à est vivant (It’s Alive, 1974), un nouveau
son et la vidéo, enregistré sur une piste la New York University Film School, Joel
monstre dans le bestiaire du cinéma,
spécifique des enregistrements audio ou travaille comme monteur avec Frank La
qu’il fait revivre dans Les monstres sont
vidéo (piste code). Loggia sur Fear No Evil (1980) et Sam
toujours vivants (It Lives Again, 1978) et
Pour l’image, deux systèmes compa- Raimi sur The Evil Dead (1983). Les deux
dans Island of the Alive (inédit, 1987) ;
tibles entre eux cohabitent : frères écrivent le scénario de Crimewave
par le fantastique également grâce à
— dans un cas, on enregistre l’infor- (S. Raimi, 1985) puis décident de mettre
Meurtres sous contrôle (God Told Me To/
mation (codée) photographiquement sur en scène leur propre scénario Blood
Demons, 1976), où la religion tient un rôle
le film (entre les perforations) à partir de Simple. Le petit succès du film les en-
traîne à tourner Arizona Junior (Raising surprenant. Parfois brouillons, toujours
diodes placées dans le couloir de la ca-
méra, les informations étant enregistrées Arizona, 1987) puis Miller’s Crossing (id., économiques, les films de Cohen, même
en manchette (entre les perforations et 1990). En 1991 ils remportent la Palme lorsqu’il travaille pour le câble les Enfants
le bord du film). La firme française Aaton d’or au Festival de Cannes avec Barton de Salem (Return To Salem’s Lot, 1987),
(constructeur de caméras) est à l’origine Fink. Joel Coen signe seul en 1994 le sont toujours pleins d’humour et de vita-
de ce procédé, connu dans ce cas sous Grand Saut (The Hudsucker Proxy), sur lité.

273
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

COHL (Émile Courtet, dit Émile), cinéaste Pendant ces dix années d’activité in- employé d’une maison d’éditions musi-
et caricaturiste français (Paris 1857 - Ville- tense, l’apport d’Émile Cohl s’avère déci- cales et auteur de chansons. En 1918, il
juif 1938). sif pour plusieurs raisons. D’abord, c’est devient secrétaire du fondateur de l’Uni-
Émile Cohl n’est certes pas le premier un bon conteur, chose plutôt rare dans le versal, Carl Laemmle. En 1920, il fonde
à s’être intéressé aux possibilités artis- cinéma primitif. Il nous conditionne, par avec son frère Jack et Joe Brandt sa
tiques de l’animation de dessins ou d’ob- un postulat de base, généralement inter- propre maison de production, dont naîtra
jets : Émile Reynaud l’a précédé dans la prété par des acteurs (ce système sera en 1924 la Columbia. Patron tout-puis-
voie graphique (1892) et Stuart Blackton repris, plus tard, par les frères Fleischer sant de cette dernière (1932), il se fait
dans la seconde (1906). Il n’en demeure avec le succès que l’on sait), à pénétrer remarquer par sa vulgarité agressive et
pas moins incontestablement pour l’His- dans son univers magique de lignes et s’attire des haines nombreuses. Mais,
toire le véritable créateur du « 7e art bis », de formes. Un canevas « médical » nous doué d’un flair commercial très sûr et
le pionnier du cinéma d’animation. prépare, dans les Joyeux Microbes, à dénué de toute prétention intellectuelle,

Caricaturiste dans divers journaux sati- nous immiscer dans le monde visuel des ce bourreau de travail laisse souvent une

riques, avec André Gill (mort en 1885), bactéries animées. Le penchant voyeu- plus grande liberté à ses réalisateurs que
riste d’un vieux couple, décidé à assis- certains de ses confrères. C’est ainsi
Émile Cohl n’y atteint jamais une très
ter aux ébats amoureux de deux jeunes que, dans les années 30, il fait entière
grande notoriété. C’est donc un homme
gens, crée une agréable féerie (les Lo- confiance à Frank Capra, qui, en retour,
dont le style est déjà désuet qui se pré-
cataires d’à côté). La mise au point d’un permet à la Columbia de devenir une
sente, en 1907, au siège des Établisse-
instrument sophistiqué, le Binetoscope, grande compagnie. On doit aussi à Harry
ments Gaumont pour se plaindre d’avoir
sert, dans le film homonyme (1910), de Cohn l’ascension de Rita Hayworth. Il
été plagié par une affiche de la firme.
prétexte à toute une série de variations meurt après avoir pris l’une de ses rares
Louis Feuillade, alors directeur, le calme
polymorphes sur le visage humain, dont décisions néfastes, le remplacement
et propose de lui acheter des petits scé-
la fluidité graphique annonce, avec plus de Robert Aldrich par Vincent Sherman
narios de son cru. Mais l’idée d’animer
d’un demi-siècle d’avance, les travaux de sur Racket dans la couture (1957). À
ses dessins le tourmente depuis long-
Peter Foldès. quelqu’un qui s’étonnait de l’affluence à
temps. L’année suivante, engagé par
ses obsèques, Ben Hecht répliqua : « Ils
Gaumont, il peut enfin réaliser ce rêve. Le Cohl fait une place de choix, dans
ont tous voulu s’assurer qu’il était bien
17 août 1908, au Théâtre du Gymnase, son oeuvre, à l’introspection et aux fan-
mort. »
transformé en cinéma pendant la clô- tasmes : rêves débridés d’un barman tra-
ture annuelle, a lieu la première projec- duits, dans le Songe d’un garçon de café,
COLBERT (Claudette Chauchoin, dite), ac-
tion publique de Fantasmagorie, dessin d’une manière originale par l’animation
trice américaine d’origine française (Paris
animé de 35 mètres. Cohl y abandonne de cartes postales ; désir chez un baron
1903 - Bridgetown, La Barbade, 1996).
les contours réalistes à la Reynaud pour de trouver une âme-soeur le poussant à
Venue aux États-Unis à l’âge de six ans,
une démarche très stylisée s’inspirant se faire lire les lignes du... pied (l’Avenir
Claudette Colbert étudie les beaux-arts à
des croquis d’enfants. Dans tous ses dévoilé par les lignes du pied, 1914) ;
New York, devient décoratrice de théâtre
premiers films, les traits apparaissent en « psychanalyse » d’un malade par les res-
et, sans grande expérience en tant qu’ac-
blanc sur fond noir, chaque copie étant un titutions plastique et symbolique de ses trice, fait ses débuts au cinéma sous la
contre-type du négatif. Toutefois, le des- visions (le Retapeur de cervelles, 1911). direction de Capra, dansPour l’amour
sin animé n’étant pas encore un genre Notons que dans le Peintre néo-impres- de Mike (1927). C’est le lancement d’une
en soi, Cohl continue à écrire des scéna- sionniste (1910) l’auteur développe une carrière bien remplie (plus de 60 films) et
rios pour Gaumont ; il doit aussi mélanger étrange iconographie présurréaliste. bénéficiant, au moins jusqu’au milieu des
séquences animées et scènes jouées par Par les recherches graphiques et ar- années 40, de la direction des metteurs
des acteurs : les Joyeux Microbes (1909), chitecturales qu’il met au service de l’il- en scène les plus remarquables. Sous
les Locataires d’à côté (id.), le Songe d’un lustration de légendes ou de récits, Cohl contrat avec la Paramount, Claudette
garçon de café (1910). Ces obligations de fait considérablement avancer le langage Colbert tourne en particulier avec Monta
production lui permettent, en un temps re- cinématographique alors balbutiant. Les Bell (Young Man of Manhattan, 1930),
cord, d’explorer toutes les possibilités de Douze Travaux d’Hercule, le Petit Chan- Edward Sloman (His Woman, 1931),
ce nouvel art. Il anime des volumes, des tecler, le Tout Petit Faust, les Aventures Dorothy Arzner (Honor Among Lovers,
poupées : les Allumettes animées (1908), du baron de Crac (1909) mettent en place id.). Elle excelle dans la comédie sophis-
les Frères Boutdebois (id.), le Tout Petit des fictions filmiques très modernes pour tiquée : jusque dans les situations les
Faust (1910), le Petit Chantecler (id.). l’époque. Notons, pour terminer, qu’Émile plus loufoques, elle ne se départ guère,
Dans les Lunettes féeriques (1909), il est Cohl recourt, pour créer son univers, à en effet, d’une sorte d’élégance, de raffi-
amené à se servir de silhouettes décou- toutes les techniques de l’animation : nement artistocratique et de retenue : le
pées dans du papier bristol qu’on fait se marionnettes en bois, papiers découpés, Lieutenant souriant (E. Lubitsch, 1931) ;
mouvoir ensuite. double écran (les Locataires d’à côté) ; Cette nuit est notre nuit (Tonight Is Ours,
En 1910, Cohl quitte Gaumont pour cartes animées (Affaires de coeur, 1909) ; M. Leisen, 1933) ; New York - Miami
Pathé. Il se sépare de ce dernier l’année gravures (les Douze Travaux d’Hercule), de Franck Capra (1934), qui lui vaut un
suivante et entre chez Éclair qui l’envoie, etc. Oscar ; Mon mari le patron (G. La Cava,
en 1912, dans sa succursale du New Jer- Les années 20 voient la fin des acti- 1935) ; la Huitième Femme de Barbe-
sey (É. -U.). Là-bas, il réalise treize films vités d’Émile Cohl, qui réalise quelques Bleue (Lubitsch, 1938) ; la Baronne de
de la série Snookums (d’après une BD oeuvres publicitaires pour Lortac (les Bis- minuit (Leisen, 1939). Symétriquement,
populaire de George McManus : l’histoire cuits Myam Myam). Il meurt, dans l’indi- la malice amusée de son regard colore
d’un bébé terrible, qui empoisonne la vie gence, le 20 janvier 1938 à l’hospice de ses rôles dramatiques : elle est succes-
de ses parents, baptisé Zozor en France). Villejuif, après avoir signé quelque trois sivement, sous la direction de De Mille,
Il revient à Paris en 1914, mais la concur- cents titres. Poppée dans le Signe de la croix (1932)
rence, avec l’évolution du cinéma, y est et Cléopâtre dans le film du même nom
très dure. Il travaille en 1916 avec le des- COHN (Harry), producteur américain (New (1934) ; elle joue dans le mélodrame de
sinateur Benjamin Rabier avant d’animer York, N. Y., 1891 - Los Angeles, Ca., 1958). John Stahl Images de la vie (1934). Avec
quatre épisodes des Aventures des Pieds Fils d’un immigrant, il s’introduit dans le la maturité, son personnage s’approfon-
Nickelés d’après Forton (1918). monde du spectacle comme chorus-boy, dit, se fait plus grave. Elle incarne une

274
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

épouse de pionnier dans Sur la piste des Lady [Tim Whelan], 1955) ; la Soif de la pelés colleuses en cinéma d’amateur et
Mohawks (J. Ford, 1939). Sa vertu primi- jeunesse (D. Daves, 1961). presses à coller en cinéma professionnel.
tive se transmet à l’épouse du combattant
pendant la Seconde Guerre mondiale : COLLAGE. COLLER.
Depuis ton départ de John Cromwell Le collage est l’opération qui consiste à Presse à coller, appareil permettant la

(1944). Mais c’est une vertu aimable, réunir, par une collure, deux fragments réalisation des collages. (Cinéma profes-

souriante, qui flirte sans y succomber de film. sionnel.)

avec la tentation de l’infidélité représen- Le collage à la colle. Alors que les


COLLEUSE.
tée par Joseph Cotten. Elle continue à colles usuelles sont des produits adhé-
Appareil permettant la réalisation de col-
tourner jusqu’en 1961 (la Soif de la jeu- rant à l’un et à l’autre des deux objets à
lage en respectant parfaitement le pas
nesse de Delmer Daves), non seulement réunir, la colle à film est essentiellement
des perforations entre les deux éléments
aux États-Unis mais aussi en Angleterre un solvant du support. On coupe d’abord
raccordés. Souvent on désigne par
(la Femme du planteur de Ken Annakin, les deux fragments de film à réunir, de
presses à coller les colleuses utilisant la
1952) et en France (Destinées, sketch façon à ménager un chevauchement de
colle et par colleuses celles utilisant l’ad-
de Marcello Pagliero, 1954 ; Si Versailles 1 à 2 mm. On décape ensuite, au niveau
hésif ou les ultrasons.
m’était conté de Sacha Guitry, id., où elle du chevauchement, la couche sensible
est la Montespan). qui s’intercalerait entre les supports. On
COLLINS (Joan), actrice britannique
applique enfin une légère couche de colle
Autres films : Un trou dans le mur (Londres 1933).
et on met immédiatement en contact, en
(The Hole in the Wall [R. Florey], 1929) ; Elle débute à l’écran en vedette dans
les pressant l’un contre l’autre, les deux
The Lady Lies (Hobart Henley, id.) ; une production américaine tournée en
films : dissous superficiellement par
l’Énigmatique M. Parkes, VF de Slightly Europe, les Pages galantes de Boccace
la colle, les supports se soudent l’un à
Scarlet (L. J. Gasnier et E. H. Knopf, (H. Frégonèse, 1953), qui met en valeur
l’autre.
1930) ; Manslaughter (G. Abbott, id.) ; sa beauté un peu « exotique » d’aven-
The Big Pond / la Grande Mare (H. Hen- Ces collures sont très résistantes mais, turière, emploi qu’elle fait alterner avec
ley, id., 2 versions : US et FR) ; Secrets outre qu’elles conduisent à une surépais- des rôles à costumes dans sa carrière
of a Secretary (id., 1931) ; The Wiser seur locale, elles sont légèrement visibles hollywoodienne : la Terre des Pharaons
Sex (B. Viertel, 1932) ; Misleading Lady sauf si la barre de séparation entre les (H. Hawks, 1955), la Fille sur la balan-
(Stuart Walker, id.) ; The Man from Yes- images est assez large pour les y loger. çoire (R. Fleisher, id.) ; les Naufragés de
terday (Viertel, id.) ; le Président fantôme (C’est le cas en format* 1, 37 mais non en l’autocar (V. Vicas, 1957) ; Une île au so-
(The Phantom President [N. Taurog], Scope* ou en 16 mm.) Les collages « en leil (R. Rossen, id.) ; Bravados (H. King,
biseau » réduisent ces inconvénients 1958) ; les Sept Voleurs (H. Hathaway,
id.) ; I Cover the Waterfront (J. Cruze,
mais ne les éliminent pas. 1960). Elle montre des dons comiques
1933) ; Three-Cornered Moon (E. Nu-
gent, id.) ; Chanteuse de cabaret (Torch Le collage au ruban adhésif. Les inattendus dans la Brune brûlante
Singer [A. Hall et George Somnes], deux films sont ici coupés de façon à (L. McCarey, 1958) et fait une presta-
id.) ; Four Frightened People (C. B. De se présenter bord à bord et réunis par tion émouvante dans Esther et le Roi
Mille, 1934) ; Aller et retour (W. Ruggles, du ruban adhésif transparent. (On parle (R. Walsh, 1960). Depuis les années 60,
1935) ; Mondes privés (G. La Cava, id.) ; souvent de « collage Scotch », nom de elle se voit réduite à des films d’horreur
The Bride Comes Home (Ruggles, id.) ; marque du ruban adhésif.) de série B et à des prestations pseudo-
Sous deux drapeaux (Under Two Flags Moins résistant que le précédent, ce érotiques assez pénibles. Elle réapparaît
[F. Lloyds], 1936) ; le Démon sur la ville type de collure est d’exécution plus simple au début des années 80 dans des séries
(Maid of Salem, id., 1937) ; À Paris tous et plus rapide, et il permet, en décollant TV populaires (Dynasty).
les trois (Ruggles, id.) ; Tovarich (A. Li- l’adhésif et en effectuant un nouveau col-
lage, de reconstituer intégralement le film COLLINSON (Peter), cinéaste britannique
tvak, id.) ; Zaza (G. Cukor, 1938) ; Le
coupé puisque la coupe bord à bord n’en- (Cleethorpes 1936 - Santa Monica, Ca.,
monde est merveilleux (It’s a Wonderful
traîne aucune perte de film. Il a supplanté 1980).
World [W. S. Van Dyke], id.) ; la Fièvre
le collage à la colle en salle de montage Il appartient à la génération formée par
du pétrole (Boom Town [J. Conway],
la BBC. Toutefois, après des débuts
1940) ; Arise my Love (M. Leisen, id.) ; la ou en cabine de projection, mais non pour
le montage du négatif, où il est impératif prometteurs avec la Nuit des alligators
Folle Alouette (M. Sandrich, 1941) ; Adieu
(The Penthouse, 1967), Up the Junction
jeunesse (Remember the Day [H. King], que les collures ne « lâchent » pas dans
(1968) et Un jour parmi tant d’autres (The
1942) ; Madame et ses flirts (P. Sturges, la tireuse.
Song Day’s Dying, id.), il s’est perdu dans
id.) ; les Anges de miséricorde (Sandrich, Collage à ultrason. Le support poly-
des productions américaines ou inter-
1943) ; la Dangereuse Aventure (No Time ester ne peut être assemblé par collage
nationales sans grand intérêt, comme
for Love, Leisen, id.) ; Practically Yours à la colle, aucun solvant ne convenant à
les Baroudeurs (You Can’t Win’Em All,
(id., 1945) ; Désir de femme (S. Wood, cet usage. Une colleuse spéciale, sans
1970), Colts au soleil (The Man Called
id.) ; Demain viendra toujours (Tomorrow apport de produit complémentaire (colle),
Noon, 1973) et Dix Petits Nègres (And
is forever [I. Pichel], 1946) ; Without Re- permet, en chauffant le support, à la limite
Then There Were None, 1974).
servations (M. LeRoy, id.) ; Coeur secret de la fusion, par ultrason, d’assembler les
(The Secret Heart, R. Z. Leonard, id.) ; éléments de film. Ces collages sont mé-
COLLURE.
l’OEuf et moi (The Egg and I [Chester caniquement résistants et ne laissent au-
Endroit où deux fragments de film ont été
Erskine], 1947) ; l’Homme aux lunettes cune trace d’adhésif ou de colle. Ils sont
réunis par collage. Par extension, syn.
d’écaille (D. Sirk, 1948) ; Ma femme et ses surtout pratiqués par les laboratoires, usuel de collage.
enfants (Family Honeymoon [Claude Bi- d’où le nom qui leur est parfois donné de
nyon], 1949) ; Fiancée à vendre (Bride for collure laboratoire. COLMAN (Ronald), acteur américain,
sale [W. D. Russel], id.) ; Captive à Bor- Colleuses. Les opérations de collage, d’origine britannique (Richmond, Surrey,
néo (J. Negulesco, 1950) ; Fureur secrète qui doivent être d’une grande précision 1891 - Santa Barbara, Ca., 1958).
(M. Ferrer, id.) ; Tempête sur la colline de façon à garantir l’équidistance exacte Acteur dès 1914, sa carrière est interrom-
(Sirk, 1951) ; Let’s Make it Legal (R. Sale, des perforations, se pratiquent sur des pue par la guerre. En 1919, il débute à
id.) ; le Rendez-vous de 4 heures (Texas appareils plus ou moins automatisés ap- l’écran. Il devient le jeune premier britan-

275
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

nique par excellence, et c’est avec cette rythmes chromatiques soutenus. Son Moya, 1958), mélodrame sur des mineurs
étiquette qu’il part pour les États-Unis, en premier long métrage de dessin animé, ensevelis, et surtout El rio de las tumbas
1920. Il est lancé par Lillian Gish, qui fait de Robinson et Cie (1990), Grand Prix du (Julio Luzardo, 1964), qui évoque l’insi-
lui son partenaire dans la Soeur blanche Festival d’Annecy, est un décalque nar- dieuse violence politique et décrit la pro-
(H. King, 1923). Curieusement, Hol- quois du personnage de Defoe. vince avec humour. La télévision (1954)
lywood en fait d’abord un sombre séduc- et la publicité relancent une production de
teur méditerranéen, calamistré et suave, COLOMBIE. documentaires folkloriques et touristiques
souvent associé à Vilma Banky : l’Ange La première projection publique aurait eu (comme ceux de Francisco Norden, dont
des ténèbres (1925), Une nuit d’amour lieu à Bogotá le 1er septembre 1897. La Camilo el cura guerrillero, 1974, reste un
(1927) tous deux de George Fitzmaurice ; même année, l’appareil d’Edison est cas à part) et de longs métrages de nou-
Barbara fille du désert (1926) et Flamme signalé à Colón, avant la sécession du veaux réalisateurs, parmi lesquels José
d’amour (1927) d’Henry King. Il obtient Panamá. L’intérêt suscité par le cinéma- María Arzuaga : Raíces de piedra (1962),
ses meilleurs rôles dans Stella Dallas tographe est démontré par la décision du Pasado el meridiano (1967) possèdent
(H. King, 1925), l’Éventail de lady Win- président de la République d’engager un une fraîcheur néoréaliste. Une nouvelle
dermere (E. Lubitsch, id.), Kiki (C. Brown, opérateur français chargé d’enregistrer législation en 1971 suscite un essor de
1926), Beau Geste (H. Brenon, id.). Sa les cérémonies officielles (1905). Les courts métrages ; ainsi, Gamin (Ciro
diction claire et sa voix bien posée lui frères Di Domenico, d’origine italienne, Durán*, 1978), sur les enfants pauvres
assurent un passage sans problème au sont à la fois importateurs de films et de Bogotá, a été tourné par fragments,
parlant. Il s’oriente vers les rôles de com- pionniers d’une production nationale épi- puis transformé en long métrage. La radi-
position, qui semblent tous perpétuer la sodique. En 1912, ils inaugurent à Bogotá calisation politique apporte de nouvelles
tradition de l’Empire britannique dans le fameux Salon Olympia, première vraie images. Carlos Álvarez réalise des films
l’univers cosmopolite d’Hollywood. Il est salle de cinéma. La douzaine de longs de démystification idéologique : Asalto
l’agent secret Bulldog Drummond (F. Ri- métrages du muet semble aujourd’hui (1968), Colombia 70 (1970), Que es la
chard-Jones, 1929), le gentleman-cam- extraordinaire. On filme alors à Bogotá, democracia (1971), Hijos del subde-
brioleur de Raffles (H. d’Abbadie d’Arrast, Medellín, Barranquilla, Cali et Pereira. Le sarrollo (1975), Introducción a Camilo
1930), le médecin dévoué d’Arrowsmith succès de l’époque reste María (Alfredo (1978), Desencuentros (1978). Marta
(J. Ford, 1931), le Baron Clive of India del Diestro et Máximo Calvo, 1921), Rodríguez et Jorge Silva se situent à mi-
(R. Boles’lawsky, 1935) ou le légionnaire d’après l’oeuvre de Jorge Isaacs, un chemin entre le film ethnographique et
de Sous deux drapeaux (F. Lloyd, 1936). mélodrame romantique. Les Di Dome- le film militant : Testimonio sobre Planas
Ses grandes prestations mettent en lu- nico tournent des documentaires (pour (1970), Chircales (1972), Campesinos
mière son romantisme mélancolique : le El drama del 15 de Octubre en 1915, ils (1976), Nuestra voz de tierra, memoria
Marquis de Saint-Évremond (J. Conway, sont allés interviewer en prison les as- y futuro (1982). Le prêtre-guérillero a
1935), les Horizons perdus (F. Capra, sassins d’un leader politique) et font des inspiré un troisième titre : Camilo Torres
1937), la Lumière qui s’éteint (W. Well- incursions dans la fiction, comme Aura (Diego León Giraldo, 1968). Un protec-
man, 1940) et, surtout, le délicieux Pri- o las violetas (Pedro Moreno Garzón et tionnisme timide et une censure persis-
sonnier de Zenda (J. Cromwell, 1937), Vicente Di Domenico, 1924), d’après tante freinent le passage de la nouvelle
où il a un double rôle. Après sa création José María Vargas Vila. Arturo Acevedo génération au long métrage. Avec la
pathétique d’amnésique dans Prisonnier produit les premières actualités régu- création de FOCINE (Compagnie de pro-
du passé (Random Harvest, M. LeRoy, lières (1924-1948), et des films de fiction : motion du cinéma, 1978), les cinéastes
1942), sa popularité décroît ; la rigueur La tragedia del silencio (1924), Bajo el colombiens subissent une administration
morale, la noblesse un peu désuète ne cielo antioqueño (1925). Tous les espoirs erratique, jusqu’à ce que l’organisme
sont plus à la mode. Les grands rôles ne s’effondrent avec la révolution technique disparaisse dans l’indifférence générale
manquent pourtant pas : le professeur qu’implique l’avènement du parlant. Les (1993). Le bilan de cette période est
philosophe de la Justice des hommes Di Domenico soldent leur matériel. Les modeste : Carne de tu carne (Carlos
(G. Stevens, 1942), le personnage actualités d’Acevedo restent l’unique pro- Mayolo, 1983), Les condors ne meurent
rigide que fut The Late George Apley duction nationale pendant dix ans. Elles pas tous les jours (Cóndores no entierran
(J. L. Mankiewicz, 1947), ou l’acteur dé- ne retiennent de l’histoire mouvementée todos los días, Norden, 1984), Tiempo
chiré d’Othello (G. Cukor, 1948), qui lui de la Colombie que la chronique gouver- de morir (Jorge Ali Triana, 1985, d’après
vaut un Oscar. Dans les années 50, il ne nementale ou mondaine. Un document Gabriel García Márquez*), Visa U.S.A.
fut plus qu’une vedette invitée. Il était déjà d’intérêt plus large, comme celui des ma- (Lisandro Duque, 1986), El día que me
déplacé. Il appartenait au Vieux Monde. nifestations et funérailles du dirigeant po- quieras (Sergio Dow, id.), La mansión de
puliste assassiné Jorge E. Gaitán (1948), Araucaima (Mayolo, id., d’après Alvaro
COLOMBAT (Jacques), cinéaste français est une exception. Les difficultés d’assi- Mutis), Técnicas de duelo (Sergio Ca-
(Paris 1940). milation du sonore marquent les produc- brera*, 1987), Rodrigo D. No futuro (Víc-
Soutenu au départ par les Films Paul Gri- tions sporadiques des années 40 : Flores tor Gaviria, 1988), Confesiones a Laura
mault, Jacques Colombat attire d’emblée del Valle (Calvo, 1941) ; on y trouve des (Jaime Osorio, 1991), la Dette, ou la mort
l’attention par l’iconoclastie de Marcel comédies musicales de nette inspiration insolite, la résurrection plus surprenante
ta mère t’appelle (1960). Adepte d’une mexicaine : Allá en el trapiche (Roberto encore et la seconde mort d’Ali Ibrahim
technique de papier découpé et de des- Saa Silva et Gabriel Martínez, 1942). La Maria de los Altos Pozos y Resuello, sur-
sin animé, sa fantaisie débridée et rava- création d’un département de cinéma au nommé le Turc (La deuda, o la insólita
geuse, joyeuse et humoristique, fait écho ministère de l’Éducation (1938, Gaitán muerte y no menos asombrosa resur-
à l’esprit des collages surréalistes.En étant ministre) n’aboutit qu’à une éphé- rección y segunda muerte de Ali Ibrahim
1966, Jacques Colombat fait une incur- mère série de courts métrages pédago- María de los Altos Pozos y Resuello,
sion dans le court métrage de fiction giques. Une loi de protection du court llamado el Turco, Nicolás Buenaventura
avec les Filous, adaptation « sadienne « métrage (1942), assez restrictive, reste Vidal et Manuel José Alvarez, 1997), la
du Petit Chaperon rouge, où apparaît lettre morte. Les maisons de production Petite Marchande de roses (La vende-
la jeune Bulle Ogier. Dans la Tartelette ne dépassent guère les deux ou trois dora de rosas, V. Gaviria, 1998), sans ou-
(1967), Calaveras (1969) ou la Montagne longs métrages et doivent compter avec blier la Vierge des tueurs (B. Schroeder,
qui accouche (1973), l’invention plastique les « Actualités » rituelles. Échappent à 2000), tourné à Medellin, très controversé
le dispute à l’incision graphique et aux la médiocrité El milagro de la sal (Luis en Colombie lors de sa sortie.

276
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Le compréhensible succès de La indépendantes, ne revenant que rare- COLUMBIA.


estrategia del caracol (Cabrera, 1993), ment en France (Elisa de Jean Becker, Née dans le Poverty Row de Los Angeles,
un film assez unanimiste, relance l’inté- 1995). la Columbia s’est progressivement his-
rêt pour le cinéma national, même si La sée au niveau des grandes compagnies
gente de la Universal (Felipe Aljure, id.), COLOR CONSULTANT. hollywoodiennes. Cette histoire à succès
avec son regard féroce sur les travers du Conseiller technique, consultant, pour la est liée, pour une bonne part, aux mérites
pays, dérange un peu les spectateurs couleur. Aux débuts du cinéma en cou- d’un réalisateur : Franck Capra, qui ap-
locaux. Cependant, le réalisateur colom- leurs, technicien de la firme mettant en porta à la firme un prestige croissant, et, à
bien le plus personnel est sans doute Luis oeuvre le procédé de cinéma en couleurs, partir des années 50, aux interventions de
Ospina, complice de Mayolo dans des qui conseillait l’équipe de réalisation pour quelques grands producteurs et/ou réali-
documentaires caustiques (Oiga-Vea, sateurs indépendants, tels Sam Spiegel,
ce qui concernait la couleur.
1971 ; Cali de película, 1973 ; Agarrando Otto Preminger et Stanley Kramer. Mais
pueblo, 1977). Il aborde le long métrage COLORIMÉTRIE. ce fut d’abord l’histoire de deux frères :
avec Pura sangre (1982), une fabulation Mesure de la couleur. Jack Cohn (New York, N. Y., 1885 - id.
autour du vampirisme social, dont la den- 1956) et Harry Cohn (New York, N. Y.,
sité thématique, l’originalité d’approche, COLPI (Henri), monteur et cinéaste fran- 1891 - Phoenix, Ariz., 1958).
la capacité d’assimiler et de transformer çais (Brig, Suisse, 1921). En 1919, Jack Cohn, producteur
les codes filmiques, tranchent résolument Étudiant à l’IDHEC en 1944-1946, il de- et superviseur des actualités Univer-
avec la banalité esthétique alors prédomi- sal Weekly, conçoit le projet d’un fan
vient critique, publie un livre, le Cinéma
nante. Pourtant, il doit recourir à la vidéo magazine cinématographique illustrant
et ses hommes (1947), et fait du mon-
et se replier sur le refuge natal de Cali, la vie privée des grandes vedettes : les
tage en 1950. Il coréalise des courts mé-
pour continuer à s’exprimer avec intelli- « Screen Snapshots ». Il fait appel à un
trages : Des rails et des palmiers (1951),
gence, humour et sensibilité, à nouveau ancien associé, Joe Brandt, et à Harry
Architecture de lumière (1953). Très sol-
dans un registre documentaire : Andrés Cohn, avec lesquels il fonde la CBC Film
licité, il est le monteur d’Agnès Varda (la
Caicedo : unos pocos amigos (1986), Ojo Sales Corporation. Outre les Screen
Pointe courte, Du côté de la Côte) et de
y vista : peligra la vida del artista (1988), Snapshots (qui se poursuivront pendant
la trilogie Al pie, Al pelo et A la carrera nombreux auteurs de courts métrages,
une trentaine d’années), la firme produit
(1991), Nuestra película (1993). Ospina dont Pierre Prévert (Paris la belle), Henri
de nombreux courts métrages, qu’elle
revient enfin à la fiction sur un ton paro- Gruel, Ado Kyrou, Georges Franju, Jan
finance au coup par coup ; en 1921, elle
dique, sans perdre pour autant l’ancrage Lenica, etc. Il est le monteur du Mystère
distribue son premier long métrage : The
dans une réalité brutale (Souffle de vie/ Picasso (H.-G. Clouzot) et de Hiroshima
Heart of the North (Harry Revier). Un an
Soplo de vida, 1998). mon amour (A. Resnais), puis passe à plus tard, Harry Cohn investit la quasi-
la mise en scène avec Une aussi longue totalité du capital de la CBC dans More
COLOMBIER (Jacques), décorateur fran- absence en 1960. Il tourne en Roumanie to Be Pitied Than Scorned, qui remporte
çais (Compiègne 1901 - Paris 1988). Codine (1962) et Pour une étoile sans un beau succès financier. La compagnie
Il débute au cinéma en 1923 et devient nom (1966) et, en France, Heureux qui continue sur sa lancée et, après avoir
de 1930 à 1935 l’un des piliers des stu-
comme Ulysse (1970) avec Fernandel. Il inscrit à son actif une vingtaine de longs
dios Pathé-Natan, collaborant en parti-
a publié en 1963 un livre important : Dé- métrages, se réorganise et prend, début
culier avec Maurice Tourneur et son frère
fense et Illustration de la musique de film. 1924, le nom de Columbia Pictures Cor-
Pierre Colombier. Il travaille ensuite pour
poration.
Abel Gance (Un grand amour de Beetho-
COLUCHE (Michel Colucci, dit), acteur Tandis que Jack Cohn assure, à New
ven, 1936), Sacha Guitry (Ils étaient neuf
français (Paris 1944 - Opio, Alpes-Mari- York, la gestion financière de la com-
célibataires, 1939 ; le Destin fabuleux de
times, 1986). pagnie, Harry dirige le studio, avec une
Désirée Clary, 1942), Jacques Becker
Issu du café-théâtre, il fait ses débuts poigne de fer et un sens aigu de l’éco-
(Édouard et Caroline, 1951), le tandem
au cinéma en 1969 dans le Pistonné, de nomie. Les plans de tournage n’auto-
Gabin-Grangier (4 films de 1959 à 1963)
Claude Berri, et reprend souvent à l’écran risent aucune fantaisie et pas le moindre
et surtout André Cayatte (6 films, de Jus-
son personnage de Français moyen, dépassement, les décors sont réduits à
tice est faite, 1950, à Miroir à deux faces,
râleur, vulgaire et irrespectueux qui lui leur plus simple expression, le nombre
1958).
a permis au music-hall d’obtenir une de prises rigoureusement surveillé. Les
COLOMBIER (Michel), compositeur fran- forte renommée populaire. C’est avec films Columbia n’offrent guère d’attraits
çais (Lyon 1939). les Vécés étaient fermés de l’intérieur visuels ; dénués de prétention stylistique,
Autodidacte de la musique, il intervient ils n’aspirent qu’à la sobriété, qui restera
(Patrice Leconte, 1976) et surtout l’Aile
occasionnellement dans le cinéma, pré- longtemps leur marque distinctive.
ou la Cuisse (C. Zidi, id.) qu’il consolide
occupé surtout par la musique de varié- En 1927, Franck Capra commence
son succès et qu’il est sollicité pour de
tés, et ses premières partitions pour le à travailler pour le studio (Submarine,
grosses productions françaises : Inspec-
film sont signées en collaboration avec Flight, Blonde platine), auquel il assure
teur La Bavure (Zidi, 1980), le Maître
Eddie Barclay (notamment l’Arme à une entrée réussie dans le parlant. Pre-
d’école (Berri, 1981), Deux Heures moins
gauche, de C. Sautet, 1965) et Serge mier réalisateur vedette de la Columbia,
le quart avant Jésus-Christ (J. Yanne,
Gainsbourg ou consistent simplement à il y développe un cinéma d’inspiration po-
1982), Banzaï (Zidi, 1983), la Femme de
écrire des chansons. Il compose aussi pulaire, mêlant, avec une incomparable
mon pote (B. Blier, id.) et Tchao Pantin
pour des films italiens et pour quelques habileté, critique sociale et messianisme,
(Berri, id., interprétation pour laquelle il
films américains dès les années 70 et, humour, émotion, rêve et réalisme. Le
obtient un César). La Vengeance du ser-
lorsqu’il s’illustre avec Une chambre en succès inattendu de New York-Miami
ville de J. Demy (1982), sa carrière est pent à plumes (1984) cependant est un (1934) marque l’entrée à la Columbia
déjà lancée aux États-Unis, et il compose échec, tout comme Dagobert (Dino Risi, de la « comédie loufoque » (screwball
pour des films tournés par Taylor Hack- 1984) et le Fou de guerre (id., 1985). Il a comedy), genre où s’illustreront notam-
ford, Michael Ritchie, Abrahams et Zuc- réalisé, en 1977, Vous n’aurez pas l’Al- ment Leo McCarey (Cette sacrée vérité),
ker, James B. Harris, Dennis Hopper, Bill sace et la Lorraine. Il trouve la mort dans Howard Hawks (Train de luxe), John Ford
Duke, et beaucoup d’autres productions un accident de moto le 19 juin 1986. (Toute la ville en parle), Gregory La Cava

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

(Mon mari le patron), Tay Garnett (Gosse 1957). La sécheresse, la sobriété obligée mique (le Prête-Nom, M. Ritt, id. ; le Syn-
de riche), George Cukor (Vacances) et de ces oeuvres s’accordent avec le style drome chinois, J. Bridges, 1979 ; Justice
Richard Bolesawski (Théodora devient dépouillé, factuel, de la Columbia, et c’est pour tous, N. Jewison, 1979 ; Absence de
folle). tout naturellement dans ce domaine, et malice, S. Pollack, 1981). La science-fic-
Hormis les — rares — films de série A plus largement dans celui du pur film tion, longtemps représentée par des pro-
qui assurent son prestige, la Columbia noir, qu’on rencontre certaines des plus ductions de série B, a été honorée avec
reste fidèle à une politique d’austérité qui authentiques réussites de la firme : la le remarquable Rencontres du troisième
se poursuivra jusqu’à la fin du « règne » Dame de Shanghai (O. Welles, 1948), type (S. Spielberg, 1977) ; le mélodrame,
de Harry Cohn. De 1938 à 1955, elle les Désemparés (Max Ophuls, 1949), qui avait à la Columbia quelques lettres
produit ainsi plus d’une cinquantaine de l’Homme à l’affût (E. Dmytryk, 1952), Rè- de noblesse (Tu seras un homme, mon
serials ou séries à petit budget, dont : glement de comptes (F. Lang, 1953), Du fils, G. Sidney, 1956 ; Liaisons secrètes,
Blondie (1938-1950), Mandrake (1939), plomb pour l’inspecteur (R. Quine, 1954), R. Quine, 1960), y a fait un retour triom-
Crime Doctor (1943-1949), Jim la Jungle Meurtre sous contrat (I. Lerner, 1958), phal avec Kramer contre Kramer (R. Ben-
(1948-1955) et The Whistler (1944-1948). The Crimson Kimono (S. Fuller, 1959). ton, 1979). La Columbia entre dans
Le western est réservé, jusque dans les Pauvre en stars, la Columbia fonc- l’empire Coca-Cola au début des années
années 50, à des stars comme Rory Cal- tionne pendant plusieurs années avec 80. Sous la houlette de Frank Price, elle
houn, Gene Autry ou Bill Elliott et ne fait une « écurie » réduite. Elle emprunte le enregistre trois des plus grands succès
que de rares incursions dans la série A : plus souvent ses vedettes aux grands de son histoire : Tootsie (S. Pollack,
Femme ou Démon (G. Marshall, 1939), studios (c’est ainsi que Clark Gable, tem- 1982), Karate Kid (J. G. Avildsen, 1983)
Arizona (W. Ruggles, 1940). Le film de porairement suspendu par la MGM, tour- et S. O. S. Fantômes (I. Reitman, id.).
cape et d’épée, abondamment repré- nera New York-Miami). Elle attendra les Mais les successeurs de Price : Guy
senté, ignore l’opulence qui est de mise à années de guerre pour lancer sa vedette McElwaine, le producteur britannique
la Warner ou à la MGM. Le court métrage féminine : Rita Hayworth, qui brillera d’un David Puttnam et Dawn Steel accumulent
accueille, à peu de frais, d’anciennes éclat aussi vif qu’éphémère, mais ne trou- les contre-performances. En décembre
gloires du muet (Langdon, Keaton) ou cé- vera plus guère de véhicule à sa mesure 1989, les producteurs de Batman, Peter
lèbre l’humour, grossier et « physique » à après Gilda (Ch. Vidor, 1946) et cédera Guber et Jon Peters, prennent la tête du
souhait, des Trois Stooges. Dans le do- la place à Kim Novak. Côté masculin, la studio, passé sous contrôle de Sony.
maine du dessin animé, la Columbia est tendance sera longtemps à la sobriété,
COMA.
témoin des débuts de Mickey, en 1930, pour ne pas dire à la morosité (William
Une des aberrations susceptibles d’affec-
et de ceux de Frank Tashlin (qui la quitte- Holden, Cornel Wilde, Glenn Ford, Ran-
ter l’image d’un objectif. ( OBJECTIFS.)
ront tous deux rapidement) et produit des dolph Scott), et il faudra attendre le milieu
séries au graphisme médiocre comme des années 50 pour qu’apparaissent ré-
COMANDON (Jean), savant et cinéaste
Krazy Kat (1929-1939), Scrappy (1929- gulièrement au studio des comédiens ex-
français (Jarnac 1877 - Sèvres 1970).
1940), Mr. Magoo (1949-1959) et Gerald pansifs à la Jack Lemmon ou à la James
Docteur en médecine et en sciences
McBoingBoing (1951-1956). Stewart.
naturelles, il devient dès 1908, chez
Le musical s’accommode mal de l’aus- C’est à cette époque que la Colum- Pathé, un pionnier du cinéma scientifique
térité ; la firme lui réserve une place res- bia, à l’évidence plus soucieuse d’atti-
en filmant des travaux de laboratoire au
treinte, mais enregistre grâce à lui une rer de grands metteurs en scène et de
moyen de la microscopie et des rayons X.
série de succès : One Night of Love traiter des sujets forts que d’entretenir à
À partir de 1925, il travaille pour la Fonda-
(Victor Schertzinger, 1934 ; interprété par demeure une équipe d’acteurs, prend sa tion Kahn à Boulogne puis, dès 1930, à
une gloire du muet ; Grace Moore), Ô toi, vitesse de croisière. Les succès de Tant
l’Institut Pasteur. On lui doit de nombreux
ma charmante (W. A. Seiter, 1942, avec qu’il y aura des hommes (F. Zinnemann, films à usage professionnel dans tous les
Fred Astaire et Rita Hayworth), la Reine 1953), Sur les quais (E. Kazan, 1954) et, domaines scientifiques, dont la Tubercu-
de Broadway (Ch. Vidor, 1944, avec plus encore, du Pont de la rivière Kwai lose (1918), la Vie des microbes dans un
Gene Kelly et Rita Hayworth) ; la popu- (D. Lean, 1957) ouvrent la voie à une étang (1930), la Formation des aiguilles
larité de deux biographies romancées à série de productions indépendantes à cristallines (1937). Il a commenté ses
gros budget, la Chanson du souvenir (Ch. grande audience : Autopsie d’un meurtre travaux dans deux ouvrages : la Ciné-
Vidor, 1945) — consacrée à Chopin — et (O. Preminger, 1959), Soudain l’été der- matographie des microbes (1910) et la
le Roman d’Al Jolson (Alfred E. Green, nier (J. L. Mankiewicz, id.), Lawrence Cinématographie microscopique (1943).
1946), encourage l’entrée progressive, d’Arabie (D. Lean, 1962), Tempête à
timide, de la couleur dans la firme. Washington (Preminger, id.), le Cardinal COMDEN (Elizabeth Cohen, dite Betty),
En 1949, les Fous du roi de Robert (id., 1963), Docteur Folamour (S. Kubrick, scénariste et librettiste américaine (New
Rossen marquent une date importante id.), les Professionnels (R. Brooks, 1966), York, N. Y., 1916).
dans l’évolution de la Columbia. On y re- Un homme pour l’éternité (Zinnemann, Avec Adolph Green, elle écrit les livrets
trouve la veine polémique qui est, depuis id.), Devine qui vient dîner (S. Kramer, et les lyrics de nombreux spectacles pour
M. Smith au Sénat (F. Capra, 1939), une 1967), qui assoient solidement la réputa- Broadway. À la MGM, sous l’égide du
des constantes de la maison, cette fois tion artistique et commerciale de la firme. producteur Arthur Freed, le couple trans-
sans aucune sentimentalité. L’influence Depuis la brève flambée de la Nouvelle porte la comédie musicale hors des stu-
du film noir est évidente ; les traces d’une Vague américaine (Easy Rider, D. Hop- dios avec Un jour à New York (G. Kelly
écriture documentaire, parajournalistique, per, 1969 ; Cinq Pièces faciles et The King et S. Donen, 1949), où chansons et
cultivée depuis plusieurs années par la of Marvin Gardens, B. Rafelson, 1970 et ballets expriment la vie trépidante de la
Warner et la Fox, le sont plus encore. 1972 ; Images, R. Altman, 1972 ; Taxi métropole elle-même. On peut voir dans
Dans le sillage des Fous du roi, s’inscri- Driver, M. Scorsese, 1976), la Columbia la structure pirandellienne de leurs scé-
vent alors des films-dossiers comme : le est revenue à deux genres qui sont, chez narios (Chantons sous la pluie, 1952, et
Maître du gang (J. H. Lewis, 1949), les elle, de tradition : la comédie, boulevar- Beau fixe sur New York, 1955, de Kelly
Ruelles du malheur (N. Ray, 1950), Plus dière (Touche pas à mon gazon, T. Kot- et Donen, Tous en scène, 1953, et Un
dure sera la chute (M. Robson, 1956), Au cheff, 1977 ; California Hôtel, H. Ross, numéro du tonnerre, 1960, de Minnelli)
coeur de la tempête (D. Taradash, 1956) 1978) ou parodique (Un cadavre au des- la meilleure défense et illustration d’un
et Racket dans la couture (V. Sherman, sert, Robert Moore, 1976), et le film polé- genre à son apogée.

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

COMÉDIE AMÉRICAINE. le sous-entendu, qui étaient monnaie films chorégraphiés par Busby Berkeley,
Le terme de comédie américaine désigne courante dans la littérature, étaient re- de la comédie loufoque populiste.
essentiellement un genre qui s’est épa- découverts et acclimatés au cinéma ; la D’ailleurs, les distinctions de genres
noui à Hollywood pendant les années 30, censure et l’autocensure s’exerçant nor- que nous avons esquissées reflètent
et qu’il ne faut confondre ni avec le bur- malement sur un moyen de communica- aussi, au moins partiellement, des choix
lesque ni avec la comédie musicale, tion de masse stimulaient l’imagination idéologiques. La comédie sophistiquée
même s’il entretient avec ces deux des réalisateurs ; un geste, un mot, une tourne en apparence le dos à l’actualité,
modes d’expression certains rapports de porte ouverte ou claquée signifieraient à la réalité contemporaine de l’Amérique,
parenté. suffisamment, pour le spectateur attentif, à laquelle elle préfère l’« évasion ». La
Si on laisse de côté le burlesque et les une proposition, une tentation acceptée comédie populiste, au contraire, exalte
« comiques » qui interprètent un person- ou refusée. Lubitsch tirerait de nombreux l’« homme oublié » et, parmi les valeurs
nage (Chaplin, Keaton, Langdon, Laurel effets comiques de ce « langage des américaines traditionnelles, l’individua-
et Hardy, les Marx Brothers, etc.), on peut portes ». lisme certes (voir la référence aux extra-
distinguer parmi les oeuvres comiques Chaplin devait faire école et son vagants Deeds ou Ruggles), mais aussi la
réalisées aux États-Unis deux groupe- exemple inspirer d’autres réalisateurs solidarité collective, la méfiance à l’égard
ments principaux : la comédie sophisti- comme Monta Bell, Clarence Badger des idéologies, bref le rooseveltisme :
quée illustrée surtout par Lubitsch, et la (It, 1927) ou Harry d’Abbadie d’Arrast Capra et McCarey — ainsi que Busby
comédie loufoque (screwball comedy), (Laughter, 1930), en qui on peut voir les Berkeley, ou encore Garson Kanin — dé-
qui est d’ailleurs la véritable comédie premiers maîtres de la comédie amé- fendent et illustrent l’esprit du New Deal.
américaine, stricto sensu. En schémati- ricaine. (Monta Bell et Harry d’Arrast L’attitude qui veut que le progrès social
sant, on peut considérer que la comédie avaient d’ailleurs travaillé sur l’Opinion dépende d’une prise de conscience indi-
sophistiquée, comme son nom l’indique, publique.) viduelle (et non d’une réforme des struc-
se déroule dans des cadres aristocra- L’âge d’or de la comédie américaine. tures) a été désignée comme la « fantai-
tiques et raffinés, souvent européens, Le genre fleurit pendant toutes les an- sie, ou le fantasme, de la bonne volonté »
tandis que la comédie loufoque met en nées 30. On peut citer, parmi ses princi- et vivement reprochée en particulier à
scène des milieux plus populaires, plus pales réussites, d’une part, côté « sophis- Capra, jugé coupable d’optimisme naïf et
authentiquement américains, ou du tiqué » : de Lubitsch, Haute Pègre (1932), sentimental. Il est vrai qu’en comparaison
moins joue du contraste entre ceux-ci et Sérénade à trois (1933), Ange (1937), La Cava apparaît plus complexe, mais
les milieux plus riches. De plus, la comé- Ninotchka (1939) ; la Huitième Femme de c’est qu’il est plus cynique ; son rire est
die loufoque a normalement un rythme Barbe-Bleue (1938) doit davantage à la plus grinçant. Le point de vue de Capra,
plus rapide que la comédie sophistiquée comédie loufoque. De même que Cukor, comme celui de Roosevelt lui-même, est
et fait davantage appel à l’improvisation. avec Sylvia Scarlett (1935), Femmes le résultat d’un choix délibéré, qui vise à
Loufoque, elle demeure plus proche du (1939), Indiscrétions (1940), et Mitchell redonner confiance (« Nous n’avons à
burlesque, tandis que la comédie sophis- Leisen, Remember the Night (1940). craindre que la crainte »).
tiquée, plus noble, tend vers la comedy- Côté « screwball », on distingue d’abord Le plus ouvertement politique des films
drama, la comédie dramatique, voire le les oeuvres populistes, au premier chef de Capra est évidemment M. Smith au
drame. celles de Capra : la Blonde platine (1931), Sénat, satire, mais surtout, en dernière
Dans la pratique, bien sûr, on a affaire New York-Miami (1934), l’Extravagant analyse, éloge de la démocratie amé-
à deux tendances qui se mêlent, et non à M. Deeds (1936), Vous ne l’emporte- ricaine ; la séquence politique la plus
deux sous-genres parfaitement définis — rez pas avec vous (1938), M. Smith au mémorable du genre, la récitation par
d’autant que les deux tendances en ques- Sénat (1939) ; et de McCarey : l’Extra- Charles Laughton (et dans le rôle d’un
tion font appel, dans une large mesure, vagant Monsieur Ruggles (1935), Cette Anglais !) du discours de Lincoln à Get-
aux mêmes ressorts, à la fois sexuels et sacrée vérité (1937). Ensuite, un groupe tysburg (Ruggles). Dans les deux cas,
sentimentaux. d’oeuvres indéniablement loufoques, derrière la référence au républicain Lin-
Les origines de la comédie améri- mais se rapprochant davantage de la coln, il n’est pas interdit d’apercevoir la
caine paraissent assez claires. On peut comédie sophistiquée, tant par le choix silhouette du démocrate Roosevelt : le
les faire remonter aux comédies de du milieu social que par le point de vue président élu incarne l’ensemble de la
moeurs de De Mille, comme Old Wives adopté, plus stylisé, voire distant ; elles tradition américaine et le rejet des idéo-
for New (1918) ou l’Échange (1920), mais sont signées surtout par La Cava : Mon logies étrangères, fascisme ou commu-
surtout, plus directement, à l’Opinion pu- mari le patron (1935), My Man Godfrey nisme. Si La Cava lui aussi, tout en sati-
blique de Chaplin (1923), remarquable (1936), la Fille de la Cinquième Avenue risant explicitement le capitalisme, tourne
film à l’argument mélodramatique mais (1939), Unfinished Business (1941) ; et en dérision le communisme (voir la Fille
au traitement délicat, tout en nuances par Mitchell Leisen : Hands Across the de la Cinquième Avenue ou Living in a
psychologiques, en fines notations, y Table (1935), Easy Living (1937), la Ba- Big Way, 1947), c’est plutôt par cynisme
compris comiques et déjà loufoques (par ronne de minuit (1939). que par idéalisme et foi en la démocratie :
exemple, la femme entretenue qui, dans On pourrait prolonger indéfiniment l’homme est trop veule pour renoncer à
un élan de fierté, jette par la fenêtre son cette liste. Il suffira de mentionner encore l’esprit de lucre. C’est, à nu, le message
collier de perles, puis se ravise, court Quelle joie de vivre ! de Tay Garnett que Lubitsch habille d’un certain roman-
dans la rue l’arracher au vagabond qui (1938) et l’Impossible Monsieur Bébé de tisme dans l’antisoviétique Ninotchka.
l’a ramassé). Hawks (id.). Quant à la parenté avec la King Vidor signe une autre comédie anti-
Il ne fait pas de doute que l’Opinion comédie musicale de la même époque, communiste, Comrade X (1940). Avec les
publique frappa vivement, par la subtilité notons que les films interprétés par Fred années 40, la comédie américaine se fait
de son style, ses contemporains, notam- Astaire et Ginger Rogers se rapprochent, plus volontiers antinazie : To Be or Not to
ment Lubitsch, qui y trouva la confirma- logiquement — encore que les éléments Be (Lubitsch, 1942), Lune de miel mouve-
tion de ses propres préoccupations et « screwball » n’y fassent nullement dé- mentée (McCarey, id.).
recherches (la célèbre « touche » de faut —, de la comédie sophistiquée (par Malgré ces incursions dans la politique
Lubitsch apparaissant dès ses oeuvres exemple le Danseur du dessus de Mark planétaire, cependant, le décor de la co-
allemandes, par exemple la Princesse Sandrich, 1935, ou Sur les ailes de la médie loufoque ne varie guère. Comme
aux huîtres, de 1919). L’ellipse, la litote, danse de George Stevens, 1936) et les toile de fond, la dépression, la crise éco-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

nomique, les millions de chômeurs, les la fin du muet, une abondante source goût profond de l’hétéroclite, apparaît
fortunes faites et défaites. Des opposi- d’adaptations (par exemple l’Éventail aujourd’hui, au point de vue de la forme,
tions criantes entre pauvres et riches, de lady Windermere de Lubitsch, 1925, comme l’hérétique mais authentique dis-
oppositions susceptibles de se renverser d’après Oscar Wilde ; les Surprises de ciple des maîtres des années 30 (de la
en un clin d’oeil. Le thème le plus sou- la T. S. F. du même metteur en scène, Panthère rose, 1964, à Elle, 1979). La
vent traité est celui de Cendrillon, mais 1926, d’après Meilhac et Halévy) ; les an- référence systématique à l’histoire du
inversé : la jeune fille riche, l’« héritière nées 30 devaient confirmer la symbiose cinéma, parodiée ou pastichée dans la
fugitive », doit échapper à son milieu entre Hollywood et Broadway. La comé- Grande Course autour du monde (1965),
pour retrouver naturel, simplicité, joie de die américaine est moins originale par la Party (1968) ou la série des « Pan-
vivre (et satisfaction sexuelle) grâce à un son intrigue, souvent reprise de pièces thères roses » (1964-1978), n’était pas
jeune homme d’humble extraction. On de boulevard, que par le ton et le style ; inconnue de la comédie loufoque : avant
fait l’apologie de l’amour, moteur du bras- mais, même sur ce dernier point, l’impro- même Sullivan, Carole Lombard parodiait
sage social ; on substitue la réconciliation visation pratiquée par Capra, McCarey Greta Garbo dans Train de luxe (Hawks,
à la lutte des classes et on fait l’économie ou La Cava ne doit pas faire oublier le tra- 1934). Quant au retour au slapstick, il ex-
de la révolution violente. Dans le détail, vail de l’écriture et des scénaristes. Il est prime non seulement le désir de rajeunir
nuances, « touches » et commentaires significatif que Robert Riskin ait collaboré des formes usées, mais aussi la nostal-
colorent ce schéma général, que les au- à la Blonde platine, New York-Miami, gie d’un mythique comique pur ressenti,
teurs présentent avec plus ou moins de Monsieur Deeds, Vous ne l’emporterez à tort ou à raison, comme source de la
conviction ou d’ironie. Chez le Capra de pas avec vous ; citons encore Sidney comédie américaine quelle qu’elle soit.
New York-Miami, avec Claudette Colbert Buchman (Monsieur Smith, Mon mari le S’il est vrai que McCarey avait dirigé Lau-
et Clark Gable, on a la version du conte, patron, et aussi Théodora devient folle de rel et Hardy (auxquels Edwards dédie
au premier degré ; chez le La Cava de Richard Boleslavsky, 1936). la Grande Course comme Sturges avait
My Man Godfrey, en revanche, le faux Un genre qui évolue. Vers la fin des dédié Sullivan « aux saltimbanques »),
clochard, véritable aristocrate (William années 30, la comédie américaine tend que Capra avait travaillé avec Langdon,
Powell), finit par retrouver sa place « na- à se figer en quelques formules toutes et La Cava avec W. C. Fields, il n’en reste
turelle » dans la (bonne) société et par faites. Garson Kanin (Mademoiselle pas moins que la comédie américaine
épouser quelqu’un qui est, malgré tout, et son bébé, 1939) ou Norman Krasna doit davantage au Chaplin de l’Opinion
« de son monde » (Carole Lombard). (Princess O’Rourke, 1943) reproduisent publique qu’à « Charlot ».
La réussite et le sens même de la co- les situations déjà brillamment traitées La comédie sophistiquée, pour sa part,
médie américaine dépendent en effet non par Capra ou La Cava. Preminger pas- est toujours illustrée par de nombreux
seulement des réalisateurs, mais aussi tiche Lubitsch (Scandale à la cour, 1945, auteurs, parmi lesquels Mankiewicz (Ève,
des interprètes : c’est vrai de la comé- remake de Paradis défendu de Lubitsch 1950), Minnelli (la Femme modèle, 1957)
die en général, qui est sans doute à cet lui-même, 1924). Le ton « screwball » a ou Donen (Charade, 1963), ainsi qu’Ed-
égard le plus difficile des genres, et plus envahi les genres les plus divers : musi- wards lui-même (Diamants sur canapé,
particulièrement de celle-ci, puisque les cals de Deanna Durbin (Premier Amour 1961). Dans le registre de la satire, on
acteurs et les actrices y confirment ou y de Koster, 1939), films policiers (la série sent l’influence de Sturges, dont le style
démentent, par leur apparence physique du Thin Man, réalisée par Woody S. Van vociférant n’était d’ailleurs pas tout à fait
et leur manière d’être, le caractère so- Dyke et interprétée par William Powell et sans précédent (par exemple, la Joyeuse
phistiqué ou loufoque de l’oeuvre. Parmi Myrna Loy, 1934-1941), mélodrame (le Suicidée de Wellman, 1937, sur un scé-
les actrices également à l’aise dans Lien sacré de Cromwell, 1939). C’est nario de Ben Hecht) ; on peut tenir Billy
les deux registres, on peut citer Carole alors que Preston Sturges, qui avait no- Wilder pour l’héritier de Lubitsch, mais
Lombard, Katharine Hepburn, Claudette tamment écrit les scénarios d’Easy Living avec un trait plus appuyé : la Garçonnière
Colbert, Irène Dunne, Miriam Hopkins ; et de l’Aventure d’une nuit, donne au (1960), la Grande Combine (1966) ; et il
Jean Arthur s’identifie surtout aux thèmes genre une nouvelle et violente impulsion. faut se garder d’oublier Cukor, assisté de
populistes, à l’instar d’acteurs comme De la comédie loufoque, il retient l’abon- Garson Kanin et de Judy Holliday : Com-
Gary Cooper ou James Stewart ; inver- dance nerveuse du dialogue. Simultané- ment l’esprit vient aux femmes (1950),
sement, Cary Grant a travaillé sur toute ment, il revient aux sources burlesques du Une femme qui s’affiche (1954). The
la gamme de la comédie américaine, du comique américain, en greffant dans ses Model and the Marriage Broker (Cukor,
loufoque le plus surréaliste (l’Impossible oeuvres, comme une matière clairement 1952) est un film tout en nuances, très
Monsieur Bébé) au comique le plus teinté étrangère, des éléments du slapstick le « lubitschien ».
de gravité (Lune de miel mouvementée, plus physique. Cette juxtaposition même En ce qui concerne, précisément, des
1942 ; Elle et lui, également de McCa- a quelque chose de déroutant ; mais, survivances ou des tentatives de faire re-
rey, 1957), tandis que Melvyn Douglas toutes proportions gardées, Sturges a, à vivre l’esprit et le ton de la comédie amé-
interprétait surtout des comédies sophis- la fin de la comédie américaine « clas- ricaine, on peut noter, en premier lieu, les
tiquées. Ajoutons qu’il convient de rendre sique », une importance comparable à remakes : Elle et lui déjà cité de McCarey
hommage aux acteurs de second plan, celle de Chaplin à sa naissance. (1957), mélodrame sentimental émaillé
particulièrement brillants chez Lubitsch, Le film de Sturges qui s’inscrit sans d’humour loufoque, reprise nostalgique
comme Edward Everett Horton ou Charlie doute le plus clairement dans la tradition d’un duo de 1939 ; le Sport favori de
Ruggles, ou encore Charles Coburn et de la comédie américaine, tant sophisti- l’homme, de Hawks (1964), qui reprend
Eugene Pallette, tous symbolisant, à des quée que loufoque, est Un coeur pris au délibérément certains gags de l’Impos-
titres divers, et jusque sur le plan phy- piège (1941) ; ceux qui rompent le plus sible Monsieur Bébé, et aussi d’Une fine
sique, l’ordre établi de la société. nettement avec cette tradition, Miracle mouche (J. Conway, 1936) ; Spéciale pre-
La contribution des scénaristes n’est au village (1944) et Héros d’occasion mière de Wilder (1974), qui met en scène
guère niable non plus. Ce n’est évi- (id.). Par l’hésitation délibérée du ton (les personnages stéréotypiques de la comé-
demment pas un hasard si, à l’instar de Voyages de Sullivan, 1942, mêlent comé- die américaine, des reporters (d’après la
la comédie musicale et à l’inverse du die, farce et mélodrame social), Sturges pièce de Ben Hecht et Charles MacAr-
burlesque, la comédie américaine s’est prélude aux recherches d’un Tashlin ou thur, déjà portée à l’écran par Milestone
épanouie avec le parlant. Le théâtre, et d’un Blake Edwards. Ce dernier, faisant [The Front Pages, 1931] et par Hawks
notamment le boulevard, a constitué, dès alterner sentiment et slapstick avec un [la Dame du vendredi, 1940]). Dans ce

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

courant « rétro » s’inscrivent aussi des humaine de ses personnages (Jumping s’intègrent aux motifs de la fable ou en
films comme Éclair de lune (N. Jewison, Jack Flash, P. Marshall, 1986 ; Sister Act, donnent une version métaphorique : de
1987) ou Quand Harry rencontre Sally Emile Ardolino, 1992). toute façon, ils imposent des figures dont
(R. Reiner, 1989), qui exploitent le thème La comédie intellectuelle est le domaine dépend le sens du film, ils entretiennent
traditionnel de la joute amoureuse entre d’élection de Woody Allen : ponctuel, il en entre eux des relations qui définissent le
deux protagonistes fortement typés et de fournit une nouvelle tous les deux ans en registre où s’inscrira la signification de
tempéraments opposés. moyenne. Toujours grouillante de dialo- l’ouvrage.
On peut mentionner aussi des oeuvres gues vifs, elle flirte de plus en plus sou- Cette définition est formelle, car ce
qui traitent, dans un cadre contemporain, vent avec une certaine gravité (Crimes et genre ne se caractérise ni par le choix de
mais sur un ton d’apologue, des thèmes délits, 1989) et privilégie de plus en plus ses sujets, qui peuvent être très variés,
chers à Capra : l’amour, instrument du les trouvailles visuelles (Meurtre mysté- ni par un répertoire iconographique, ni
brassage social et ethnique (Un couple rieux à Manhattan, 1992). Allen a plus même par un mode particulier de narra-
parfait, R. Altman, 1979) ; le « petit de succès en Europe qu’aux États-Unis, tion, mais bien par le fait que la part du
homme » et son amie (reporter) triom- mais il est l’un des cinéastes les plus imi- récit y est mesurée. De là viennent le
phant des trusts capitalistes (le Cavalier tés par ses contemporains, qui finissent goût du spectacle et la moralité futile qui
électrique, S. Pollack, id.). par constituer un véritable sous-genre où caractérisent les comédies musicales ; de
Les années 80-90 voient une prolifé- le pire (Scènes de ménage dans un centre là aussi, leur vraisemblance sans rigu-
ration de comédies à succès, même si, commercial, P. Mazursky, 1991) côtoie le eur et leurs personnages superficiels.
quelquefois, ni les auteurs ni le public ne meilleur (Portrait d’une famille modèle, La narration reste toutefois indispen-
semblent très regardants sur la qualité. R. Howard, 1989 ; Quand Harry rencontre sable pour situer et qualifier les numéros
Il s’agit surtout de produits destinés aux Sally, R. Reiner, id.). Enfin, on peut pen- musicaux. On exclura donc du genre les
enfants et aux adolescents et dont John ser que la vitalité du genre est sans doute bout-à-bout de performances de music-
Hughes est l’un des principaux artisans. activée par la culture des « sitcom » (co- hall ou les concerts enregistrés, qui se
On lui doit quelques films plaisamment médies de situation), si populaires à la sont multipliés depuis 1960. Quant aux
acides comme Breakfast Club (1985) télévision. Les vedettes de ces séries à formes particulières et au développe-
ou la Folle Journée de Ferris Bueller succès tentent souvent de s’imposer à ment du genre en Argentine, au Brésil,
(1986) avant qu’il ne s’oriente définiti- l’écran : Roseanne Barr (la Diable, S. Sei- en Égypte, en Inde, c’est surtout dans les
vement vers la production et le scénario delman, 1989) ou Estelle Getty (Attention, articles consacrés à ces pays qu’on les
de bluettes insignifiantes dont il confie la Maman va tirer ! R. Spottiswoode, 1992). analysera.
réalisation à des débutants : ce sont, par Dans ces deux derniers films, des acteurs Si formelle que soit d’ailleurs la défi-
exemple, les grands succès de Maman, peu habitués à l’exercice s’essaient à des nition de la comédie musicale, elle ne
j’ai raté l’avion (Home Alone, 1990) et de compositions comiques plus grandes que peut pourtant ignorer ni l’importance des
sa suite, Maman, j’ai encore raté l’avion nature : Meryl Streep dans l’un et Syl- intrigues amoureuses ni l’influence de la
(Home Alone II, 1992), où régnait le tei- vester Stallone dans l’autre. Le rire est continuité historique dans la vie du genre.
gneux Macaulay Culkin. Ces deux der- populaire et il semble qu’il faille néces- La plupart des comédies musicales
niers films furent le travail de Chris Co- sairement passer l’examen de la comédie content en effet la rencontre et les mésa-
lumbus, qui a bientôt décidé de voler de pour confirmer ses galons de star. Arnold ventures d’un homme et d’une femme ;
ses propres ailes en clonant, avec Perdu Schwarzenegger s’y prêtera (Jumeaux, leur ingénieux amour finit par triompher
à New York (Lost in New York, 1992), les I. Reitman, 1988, notamment) également des différences qui les séparent ; de leur
succès réalisés sous l’égide de Hughes. et Meryl Streep obtiendra enfin un vif suc- union semblent dépendre bien des en-
Tout en continuant à viser un public très cès en star déclinante à la recherche de treprises : l’art, la politique ou toute une
jeune, il a cependant fait montre d’une l’éternelle jeunesse dans La mort vous va façon de vivre. Quant à la tradition his-
certaine ambition avec Madame Doubt- si bien (R. Zemeckis, 1992). Le comique torique, elle est nécessaire pour justifier
fire (id., 1993). grignote de plus en plus souvent d’autres les conventions. Elle précède d’ailleurs
Dans un registre plus adulte, le phé- genres : le policier (Étroite surveillance, l’existence cinématographique du genre.
nomène important est celui du comique J. Badham, 1987), la science-fiction (Re- La comédie musicale à travers le
noir. Celui-ci n’a pas encore rencontré tour vers le futur, R. Zemeckis, 1985) ou monde. Sous le nom de musical comedy,
de véritable cinéaste, Spike Lee, révélé le film d’aventures (les différents Indiana les Américains désignent en effet une
par Nola Darling (1986), se contentant Jones de S. Spielberg). forme théâtrale et, par extension, ses
d’utiliser la comédie comme un ingrédient dérivés au cinéma. Au début du siècle,
parmi d’autres. Il reste donc surtout le COMÉDIE MUSICALE. la comédie musicale n’est qu’une farce
fait de personnalités de comédiens. À la On appelle comédie musicale un genre entrecoupée de chansons, bien éloignée
fin des années 70, Richard Pryor avait de films dont la fiction, souvent simple des prestiges de l’opérette. Mais cette
ouvert la voie mais son comique abrasif et frivole, laisse interrompre son dérou- dernière, aux États-Unis, va connaître
n’était peut-être pas encore mûr pour ren- lement narratif par des intermèdes mu- une évolution et, pour finir, un boule-
contrer le succès public. Eddie Murphy sicaux. Quoique le ton en soit souvent versement. Elle admet d’abord le goût
lui emboîta le pas et devint très populaire léger et souriant, la notion de comédie américain de la magnificence et multiplie
par son anticonformisme et ses plaisan- n’implique ici rien d’autre que le refus les féeries, puis elle subit, progressive-
teries agressives, souvent basées sur un de prendre entièrement au sérieux des ment, l’influence des musiques locales
dialogue très cru (Un fauteuil pour deux, arguments dramatiques parfois riches de et modernes. Dès 1920, la comédie mu-
J. Landis, 1983 ; le Flic de Beverly Hills, pathos. Ce sont en effet les numéros dan- sicale esquisse des valeurs qui lui sont
Martin Brest, 1984). Mais, assez vite, la sés ou chantés qui doivent attirer la plus propres : utilisant une langue plus ver-
mégalomanie de l’acteur engendre une grande attention. Objets d’une élabora- naculaire et des types mélodiques plus
dégringolade qualitative consternante (les tion stylistique particulière, ils gouverne- simples, elle se distinguera encore de
Nuits de Harlem, qu’il réalise lui-même en ront l’intelligence de l’oeuvre comme ils l’opérette par son indifférence envers la
1990). Le succès le plus constant semble ont dominé sa fabrication commerciale. virtuosité vocale, son refus des intrigues
être celui de Whoopi Goldberg, qui réus- Peu importe que l’intrigue les inclue ou solennelles et sa tendance à intégrer au
sit à être drôle et décapante tout en les prépare, que les péripéties du récit sujet les éléments comiques, renonçant
préservant de plus en plus la dimension s’y transforment ou s’y prolongent, qu’ils à la classique distinction du noble et du

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

trivial. Vers 1930, au moment où elle dé- cès d’Alam Ara (A. M. Irani, 1931), qui ne danses de Princesse Tam-Tam (1935).
bute au cinéma, la comédie musicale est contenait pas moins de douze chansons, Derniers reflets de la liesse du Front po-
devenue au théâtre une forme originale et et quoique l’influence américaine eût pulaire, les films de Trenet (Je chante,
autonome : Jerome Kern, George Gers- modifié la musique et le jeu narratif, les Chistian Stengel, 1939) témoignent de
hwin, Cole Porter, mettant en oeuvre une studios de Bombay ne se lassent pas de son invention charmante, et ceux de Ray
écriture musicale soucieuse des orches- produire des oeuvres volontiers drama- Ventura (Feux de joie, Jacques Houssin,
trations et des rythmes, bien influencée tiques, agrémentées de nombreux numé- 1938) possèdent une verve facile. On
par le jazz, lui ont donné une organisation ros musicaux (Mangala, fille des Indes, s’amusera encore de la diligence d’Irène
spécifique. Les livrets d’un P. G. Wode- K. Mehboob, 1952). L’invention gestuelle de Trébert dans Mademoiselle Swing
house ou d’un Donald Ogden Stewart et spatiale ne fait pas toujours défaut, (R. Pottier, 1942) avant de s’abandonner
contribuent à l’allure gentiment fantaisiste dans ces ouvrages auxquels on reproche à l’attrait de Suzy Delair (Défense d’ai-
qui continuera de caractériser le genre. souvent, ici comme dans le subcontinent, mer, Pottier, id. ; Lady Paname, Jeanson,
Dès lors, comédie musicale désigne leur académisme et leur culte servile 1950). Mais, après l’adaptation négligée
globalement en Amérique une tradition des vedettes. On mesure pourtant mal de cent opérettes fades, les mises en
théâtrale où se rejoignent l’opérette et la quels rapports ce cinéma entretient avec scène gourmées d’un Tino Rossi (Naples
revue, le ballet et le vaudeville, la chan- des films audacieux, qui consentent à la au baiser de feu, A. Genina, 1937 ;
son et la farce. musique une aussi large part : Calcutta, Fièvres J. Delannoy, 1942) ou d’un Luis
Au cinéma, l’existence du genre repose ville cruelle (B. Roy, 1953) ou le Salon de Mariano (Violettes impériales, Pottier,
assurément sur l’invention du parlant, et musique (S. Ray, 1958). Grand importa- 1952) immobilisent tout élan de vivacité,
l’on peut considérer le Chanteur de jazz teur de productions indiennes, le monde raidissant dans une dévotion confite un
(A. Crosland, 1927) comme sa première arabe partage sa dévotion pour les chan- genre qui doit tout son mérite à l’alacrité
manifestation et son manifeste inaugu- teurs et les danseuses : on songe à Farid imaginative. Aussi ne se prolongera-t-il
ral. Le lien historique entre le succès du El Atrache, à Leila Murad, à Muhammad guère après la Libération, malgré les nou-
cinéma sonore et du film chantant est Abdel Wahad et à bUm Kulthum. Dès veaux efforts de Ray Ventura (Mademoi-
d’ailleurs évident et universel. Le souci 1960, la musique occidentale joue pour- selle s’amuse, J. Boyer, 1948) ou ceux
de justifier esthétiquement une transfor- tant un rôle grandissant. Là aussi, les de Decoin (Folies-Bergère, 1957). French
mation technique l’explique moins que oeuvres routinières, maladroitement réa- Cancan (J. Renoir, 1955) et les Demoi-
la nécessité de compléter l’expression lisées, sont les plus nombreuses. Yussif selles de Rochefort (J. Demy, 1967)
personnelle de ces acteurs qui prenaient Chahin n’a pourtant pas dédaigné d’enri- restent donc des réussites isolées.
enfin la parole, en les laissant manifester chir le genre avec son Vendeur de ba- Tant que le cinéma commercial y a
par le chant toute l’individualité de leur gues (1965), et l’on doit à Husayn Kamal duré, l’Allemagne a gardé en revanche
voix. La danse sera l’accomplissement Le monde est une fête (1975). une solide tradition. Ses premiers films
corporel et visible de ce dessein. En Angleterre, le film musical s’appuie musicaux, souvent reproduits en deux ou
Avec plus de finesse que La route est sur une tradition théâtrale, mais se heurte trois langues, ont lancé l’élégante Lilian
belle (R. Florey, 1930), Sous les toits de à la concurrence hollywoodienne. La per- Harvey : Le congrès s’amuse (E. Charell,
Paris (1930), le Million (1931) et À nous la sonnalité de vedettes de la scène comme 1931), Willy Fritsch et Gitta Alpar. Les
liberté (id.) de René Clair témoignent en Jack Hulbert (Jack’s the Boy, W. Forde, romances passionnées de Zarah Lean-
France de la volonté de conférer au son 1932) ou Jack Buchanan (Goodnight der rivalisent ensuite avec les danses
une légitimité artistique. En Allemagne, Vienna, H. Wilcox, id.) ne suffira pas à brillantes de Marika Rökk ; et, si le na-
des techniques plus avancées permettent leur assurer une grande carrière, pas plus zisme a fait fuir Lilian Harvey, Martha
d’enregistrer les premières chansons qu’à George Formby, Beatrice Lillie ou Eggerth et l’inventif Wilhelm Thiele, les
de Marlene Dietrich, avant qu’un Geza Gertrude Lawrence. Si les expériences studios de Berlin et de Vienne conservent
von Bolvary n’entreprenne de traduire à de Dupont (Moulin-Rouge, 1928) et de de soigneux artisans : Hans Zerlett (Es
l’écran la tradition viennoise. En Italie, Wilcox (The Blue Danube, 1932) ne leuchten die Sterne, 1938) ou Rolf Han-
le premier film parlant est La canzone manquent pas d’invention, si la vitalité sen (Un grand amour, 1942) n’hésitent
dell’amore (G. Righelli, 1930). En Argen- de Gracie Fields reste mémorable, les pas à diriger de grands numéros ; met-
tine, on filmera des tangos. Il n’est pas comédies musicales les plus pures du teur en scène de Marika Rökk, Georg
jusqu’à Shanghai où l’on ne retrouve Royaume-Uni sont pourtant celles que Jacoby manie adroitement la couleur (la
l’opposition du muet et du sonore signi- tourna l’allègre Jessie Matthews sous Femme de mes rêves [Die Frau meiner
ficativement traduite, dans les Anges du la direction de Victor Saville : Sunshine Traüme], 1944) ; Carl Böse, Willi Forst et
boulevard (Yuan Muzhi, 1937), par celle Susie (1931), puis le luxueux et roma- Geza von Bolvary continuent aussi, sous
de la gaieté spectaculaire musicale, et nesque Evergreen (1934), etc. Dans les Hitler, à fabriquer d’élégantes rêveries
de sombres figures symboliques et silen- années 40, les romances d’Anna Neagle viennoises. Après la guerre, les films
cieuses. Jusqu’à la fin des années 50, tenteront de prolonger cette inspiration. musicaux tenteront de se pimenter de
Hong Kong multipliera les bluettes et les Faute de zèle, le répertoire français sensualité ou de retrouver le goût ancien
opéras. est aussi pauvre. Avant 1945, les tenta- de l’opérette, mais le manque de rythme
Mais c’est en Égypte et en Inde que tives, pourtant, ne se comptent pas. Elles et de soin indique qu’il s’agit de produits
l’avènement chantant du cinéma parlant bénéficient d’abord de la technique alle- de second ordre, destinés à occuper le
a le plus profondément marqué la pro- mande (Chacun sa chance, H. Steinhoff marché intérieur et bien incapables de
duction. Le médiocre intérêt des Indiens et R. Pujol, 1930), et l’entraînant Chemin résister à la concurrence américaine.
pour la dramaturgie tendue et l’absence du Paradis n’est que la version française Hollywood, paradis de la comédie
de tradition théâtrale arabe contribuent de Die Drei von der Tankstelle (W. Thiele, musicale. Car c’est à Hollywood que la
pour une part à expliquer pourquoi id.), comme l’Opéra de quat’sous celle comédie musicale connaît le dévelop-
danses et chansons, ces éléments de de Die Dreigroschenoper (G. W. Pabst, pement le plus harmonieux et le plus
pur spectacle, ont paru indispensables 1931). La preste fantaisie de La crise riche. Dans les premières années du
à la conquête d’un vaste public. On peut est finie (R. Siodmak, 1934) contraste film sonore, les mélodrames familiaux
à peine parler d’un genre, puisque l’en- avec l’ironie du brillant Avec le sourire émaillés de chansons vont envahir les
semble des films fait une large place à (M. Tourneur, 1937), et la mise en scène écrans, au point de lasser la clientèle.
ces ornements. En Inde, depuis le suc- de Gréville joue avec le dynamisme des C’est Busby Berkeley qui réconcilie la

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

comédie musicale avec son public grâce aux foules de la Warner, ces ouvrages Kidd, Bob Fosse ou Eugene Loring,
aux numéros spectaculaires de 42e Rue finement calculés opposent leurs solos la danse doit épouser les contours de
et des Chercheuses d’or de 1933 (id.), et leurs amoureux pas de deux ; ils pos- l’émotion. Dès lors, il faudra que les per-
qui couronnent d’assez vives comé- sèdent aussi un humour aristocratique et sonnages soient plus exactement des-
dies dirigées par Lloyd Bacon ou Mer- absurde qui leur est propre. sinés, leurs aventures moins arbitraires,
vyn Leroy. La puissante Warner Bros Les évolutions du genre. On le voit : que l’ornementation musicale du film soit
produira toute une série de films sur le genre possède dans les années 30 mieux justifiée stylistiquement (des met-
ce modèle. La continuité du genre doit une organisation claire et solide. Vers les teurs en scène comme Minnelli, Donen,
aussi beaucoup à ce qu’il a su très tôt se années 40, pourtant, il connaîtra des per- Walters et même George Sidney vont
donner ses propres légendes, opposant turbations considérables. C’est d’abord y parvenir), et que le geste ou l’effet
l’âpre univers de Broadway, prétexte de que la Fox produit une série de pochades vocal dans les numéros ne soient pas
la plupart des comédies musicales qui et de bluettes dont Alice Faye, puis Betty un simple moyen d’éblouissement. Aux
utilisent les intrigues de coulisses, à de Grable sont les vedettes. Peu en importe vastes révélations de l’espace (Berkeley)
bienheureuses régions exotiques fournis- le conte, mais les numéros y sont sou- ou aux vertiges d’autrefois succède donc
sant leur cadre aux opérettes filmées. Si vent pleins de vivacité et la mise en scène une vision plus mesurée, qui s’applique
le premier type inspire les ouvrages de n’hésite pas à entraîner le spectateur à renouveler l’étendue cinématogra-
la Warner, il justifie aussi les grandes re- dans son vertige, pas plus que les prota- phique d’une manière plus discrète. Cette
vues dans lesquelles les plus riches des gonistes ne se retiennent d’exhiber à tout école a produit plusieurs chefs-d’oeuvre.
firmes hollywoodiennes aiment à étaler bout de champ leurs mérites. Même jeu L’organisation du genre, vers 1950, n’a
la multiplicité de leur talentueux person- dans les films que Doris Day ou Virginia rien d’autre à lui opposer que son propre
nel : au Broadway Melody (H. Beaumont, Mayo tournent à la Warner. D’autre part, travestissement. Les productions de Joe
1929) de la MGM répondront ainsi les la MGM entreprend d’enrichir et de mieux Pasternak ou de la Fox, comme celles de
Fox Movietone Follies of 1929 (D. But- organiser sa production. Sous l’influence la Warner, imitent les règles classiques :
ler, id), les Paramount on Parade ou les de producteurs comme Jack Cummings, elles veulent la même simplicité de spec-
Big Broadcast (F. Tuttle, 1930 et 1932) mais surtout Arthur Freed, la comédie tacle, la même vivacité de rythme et la
de la Paramount : souvent, une kyrielle musicale va alors définir le ton classique même familiarité de ton. Mais elles n’ont
de films portent alors le même titre, dont de ses récits, fait d’un léger émerveille- pas leur unité, leur ardeur est souvent
le seul millésime varie. Mélangeant satire ment dans l’observation du quotidien. désordonnée et leur verve plébéienne.
et épopée, les comédies musicales de L’amiral mène la danse (R. Del Ruth, Le goût leur fait défaut, cette sensibilité
la Warner content les péripéties, parfois 1936), Place au rythme (B. Berkeley, à l’harmonie des valeurs contrastées né-
dramatiques, qui entourent la réalisation 1939), ou Broadway qui danse (N. Tau- cessaires à toute comédie musicale. Mais
d’un spectacle, avant de déployer ce rog, 1940), découvrent un monde fami- il faut avouer que leur excès de ferveur,
dernier, déjà valorisé par l’attente, dans lier, allégé des contraintes et de la pas- leur désordre coloré et leur véhémence
une mise en oeuvre cinématographique sion, mais sans prétention à la noblesse, exhibitionniste donnent du caractère à
d’une splendeur sans retenue, multipliant qui sera celui de Parade de printemps ces films. Face aux ouvrages mesurés
les mouvements d’appareil et les plans (Ch. Walters, 1948) comme d’Un jour à d’un Donen (Mariage royal, 1951), au raf-
généraux ; les revues se contentent en re- New York (S. Donen et G. Kelly, 1949) finement d’un Minnelli (le Chant du Mis-
vanche de distribuer une série de numé- ou d’Un Américain à Paris (V. Minnelli, souri, 1944) ou à l’art délicat d’un Walters
ros pleins de virtuosité qu’une esquisse 1951). En même temps, le Magicien d’Oz (la Belle de New York, 1952), l’expression
d’intrigue relie parfois. Quant à l’opérette (V. Fleming, 1939) et Yolanda et le voleur violente d’un Sidney (le Bal des sirènes,
filmée, les films où chante Jeannette Mac- (Minnelli, 1945) explorent un merveilleux 1944) ou d’un Walter Lang (la joyeuse
Donald en fournissent le meilleur type. Si inédit, plutôt fondé sur d’incessantes in- Parade, 1954) déclare ainsi son allure
ceux de Lubitsch (Monte Carlo, 1930, la ventions que sur la splendeur époustou- carnavalesque, même si les mêmes réa-
Veuve joyeuse, 1934) évitent toute mono- flante d’un dispositif spectaculaire : cette lisateurs sont à l’occasion capables de
tonie en se colorant d’une discrète ironie, nouvelle manière de fantaisie nourrira se plier aux règles du classicisme (The
si celui de Mamoulian, grâce à une inven- les numéros de rêve du Pirate (Minnelli, Harvey Girls, G. Sidney, 1946 ; Appelez-
tion constante, donne le sentiment le plus 1948) et tous les moments d’imagination moi Madame, W. Lang, 1953).
délicat du romanesque (Aimez-moi ce que le genre connaîtra dans la décen- Par ailleurs, la comédie musicale de
soir, 1932), ceux de Van Dyke et de la nie suivante. Mais les années 40 offrent l’après-guerre repose aussi sur le talent
MGM ne tardent pas à se figer dans une aussi des variantes plus incertaines : les et la présence de vedettes comme Gene
convention désuète, parfois charmante films de Bing Crosby continuent de ména- Kelly, qui a renouvelé le registre choré-
(la Fugue de Mariette, 1935) mais un peu ger des pauses chantées dans des intri- graphique, Cyd Charisse, étonnante dan-
étroite. Du moins, ces ouvrages ont-ils gues exotiques ; les petites compagnies seuse de cinéma, et Judy Garland, qui
l’avantage d’instaurer un équilibre et une multiplient les ouvrages de série B. Par- savait charger d’émotion toutes ses chan-
communication entre leur contenu narratif tout se constituent des équipes spéciali- sons. Des scénaristes comme A. J. Ler-
et leurs segments musicaux. C’est ce que sées : la MGM, la Fox, la Warner, la Pa- ner, Betty Comden et Adolph Green ont
réussit également un quatrième type de ramount possèdent ainsi des ateliers où aussi marqué le genre de leur ingéniosité.
comédies musicales, celles que la RKO s’instituent des collaborations durables Astaire est toujours là.
produit avec pour vedette Fred Astaire et et où les compétences se rencontrent Mais un certain désenchantement
Ginger Rogers ; même si elles conservent sans difficulté. Adroite synthèse du film apparaît, dont témoignent Beau fixe sur
des intrigues de coulisses, elles donnent musical de guerre, la Reine de Broadway New York (Donen et Kelly, 1955), Haute
du vécu une vision si élégamment styli- (Ch. Vidor, 1944) semble parfois annon- Société (Walters, 1956) ou le Roi et moi
sée que les danses les plus parfaites ne cer les classiques de la MGM. (W. Lang, id.), films où la comédie musi-
rompent jamais le ton du récit ; de plus, Ceux-ci, dont Chantons sous la pluie cale découvre ses propres limites : elle
Astaire définit dès lors une manière cho- (Donen et Kelly, 1952) et Tous en scène n’est pas le monde mais, à la manière
régraphique, à la fois régulière et expres- (Minnelli, 1953) exaltent et résument les du village de Brigadoon (Minnelli, 1954),
sive, qui permet d’établir des liens, par- vertus, se caractérisent surtout par une une fabuleuse exception. La concur-
fois implicites et souvent subtils, entre invention chorégraphique renouvelée : rence de la télévision pèse d’ailleurs sur
la narration et les numéros musicaux ; pour des artistes comme Kelly, Michael elle plus lourdement que sur tous les

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

autres genres et les motifs romanesques prodigieusement riche en variations sur compreso), un drame de l’enfance d’une
qu’adopte Hollywood, libéré de la cen- les rapports du mouvement humain et grande sensibilité. Pleinement maître de
sure, ne sont guère compatibles avec de la caméra, de l’espace cinématogra- ses moyens, il tourne alors une série de
son esprit. Les équipes de production qui phique et de la topographie référentielle, films qui sont autant de réussites : Senza
s’étaient constituées de manière particu- du corps et du décor. De plus, la comédie sapere niente di lei (1969), Casanova,
lièrement forte dans les années 40 vont musicale hollywoodienne a su dévelop- un adolescent à Venise (Infanzia, voca-
donc se disperser et la comédie musi- per un unique esprit : l’éloge du libre exer- zione e prime esperienze di Giacomo
cale va devenir une espèce de superpro- cice humain la conduit à une défense de Casanova veneziano, id.), les Aventures
duction : ce sera le cas notamment de l’individualité, mais surtout à exiger de la de Pinocchio (Pinocchio, 1972), l’Argent
Gigi (Minnelli, 1958) et de My Fair Lady personne une pleine manifestation dans de la vieille (Lo scopone scientifico, id.),
(Cukor, 1964). C’est ainsi que la tradition le spectacle, dût-il déborder les limites Un vrai crime d’amour (Delitto d’amore,
américaine disparaît à son tour, malgré d’un caractère. Voilà une frivolité qui n’a 1974), Mon Dieu, comment suis-je tom-
les réussites d’un Sidney ou d’un Fosse. rien à voir avec l’insignifiance. bée si bas ? (Mio Dio come sono caduta
Le regain de la comédie musicale. in basso ?, id.), le Grand Embouteillage
COMENCINI (Luigi), cinéaste italien (Salò (L’ingorgo, una storia impossibile, 1979),
Quelques films récents tentent pourtant
1916). Eugenio (Voltati Eugenio, 1980). Comen-
de lui redonner vie. New York New York
Pendant qu’il poursuit des études d’archi- cini réalise également pour la télévision
(M. Scorsese, 1977) confronte au senti-
tecture au Politecnico de Milan (il sera
ment contemporain du vécu les formes deux grandes enquêtes, I bambini e noi
diplômé en 1939), Comencini s’intéresse
établies dont Donen s’amuse dans Folie (1970) et L’amore in Italia (1978), deux
déjà au cinéma : avec Lattuada et un autre
Folie (1978) ; The Wiz (S. Lumet, 1984) enquêtes qui sont, pour ainsi dire, les ma-
ami, Mario Ferreri, il recueille de vieux
donne une version noire et urbaine du tériaux de base que le cinéaste exploitera
films et crée une collection privée qui sera
fameux Magicien d’Oz ; Coup de coeur dans les films de fiction qu’il tournera par
à l’origine de la Cinémathèque italienne.
(F. F. Coppola, 1981) célèbre la féé- la suite. Avec les années, la démarche de
Il donne aussi des critiques de cinéma
rie lumineuse propre au genre tout en Comencini s’est faite de plus en plus pes-
dans la revue Corrente (de 1938 à 1940)
compatissant à l’insuffisance de ses simiste et, si des films comme la Femme
et dans l’hebdomadaire Tempo illustrato
propres personnages ; ceux de Chorus du dimanche (La donna della domenica,
(de 1939 à 1940). En 1942, il est l’assis-
Line (R. Attenborough, 1985) exhibent 1975) et Qui a tué le chat ? (Il gatto,
tant de Perilli pour La prima donna. Après
leurs pauvres secrets avant que l’impi- 1977) peuvent égarer l’analyse, le Grand
la guerre, tout en n’abandonnant pas le
toyable discipline chorégraphique maî- Embouteillage et Eugenio remettent les
journalisme, Comencini commence à
trise leurs désordres individuels. À ces choses en perspective : Comencini est
réaliser des courts métrages, notamment
oeuvres nostalgiques et inquiètes, par- un moraliste amer qui pose sur la condi-
Bambini in città (1946), qui obtient le prix
fois critiques, s’opposent des comédies tion humaine un regard profondément
du meilleur film de l’année. En 1947, il
musicales volontiers naïves, amies des désenchanté ; peu de cinéastes ont aussi
entreprend le tournage de son premier
vertus enfantines : Popeye (R. Altman, fortement souligné le profond désarroi
long métrage, De nouveaux hommes
1980) ou Annie (J. Huston, 1982). Si de la société contemporaine. Dans une
sont nés (Proibito rubare, 1949), sur l’en-
l’emprunt aux airs du moment (la Fièvre oeuvre d’une lucidité exemplaire, les films
fance délinquante à Naples. Auteur de
du Samedi soir, J. Badham, 1977) ou sur l’enfance reviennent comme un leit-
plus d’une trentaine de films, Comencini
aux danses à la mode (Break Street, motiv depuis La finestra sul Luna park ;
a longtemps fait figure de cinéaste de se-
Joel Silberg, 1983) ne soulève qu’un inté- ils marquent parfois la volonté de ne pas
conde catégorie à l’éclectisme suspect ;
rêt éphémère, illustré par le succès de perdre tout espoir. Il faut porter aussi au
ce n’est que dans les années 70 que l’on
Fame (A. Parker, 1980) et de Flashdance crédit du cinéaste le constant souci de
a commencé à reconnaître son impor-
(Adrian Lyne, 1983) auprès des adoles- signer des films qui puissent intéresser le
tance et à souligner la grande cohérence
cents, d’autres cinéastes, s’avançant sur public et, quelle que puisse être la gravité
qui caractérise son oeuvre, mis à part un
les traces de Fosse, entendent rendre de leur propos, une incitation à réfléchir à
certain nombre de films qu’il a réalisés
au musical une véritable gravité : Hair partir d’un spectacle attrayant.
en acceptant clairement les contraintes
(M. Forman, 1979) trace le portrait d’une Autres films : L’imperatore di Capri
du marché. Après une série de films mi-
génération, The Rose (M. Rydell, 1979) (1949) ; Heidi / Son tornata per te (1953) ;
neurs d’où émergent les sombres Volets
traduit le pathétique du spectacle rock et La valigia dei sogni (1954) ; la Belle de
clos (Persiane chiuse, 1951) et la Traite
Yentl (B. Streisand, 1983) fait l’éloge de Rome (La bella di Roma, 1955) ; Mariti
des Blanches (La tratta delle bianche,
la connaissance. Ces dernières annés, il in città (1957) ; Mogli pericolose (1958) ;
1952), les souriants Pain, amour et fan-
faut signaler surtout la vitalité d’une veine taisie (Pane, amore e fantasia, 1953) et Und das am Montagmorgen (1959) ;
noire : Cotton Club (Coppola, 1984) y pré- Le sorprese dell’amore (id.) ; Tre notti
Pain, amour et jalousie (Pane, amore e
cède Tap Dance (Nick Castle, 1988) et gelosia, 1954) et, surtout, le délicat et d’amore (épisode Fatebenefratelli, 1964) ;
School Daze de Spike Lee (1988). Cela La mia signora (épisode Eritrea, id.) ; les
profond Tu es mon fils (La finestra sul
suffit-il à rendre un sens contemporain à Luna Park, 1957), Comencini réalise au Poupées (Le bambole, épisode Il trattato
la comédie musicale ? début des années 60 plusieurs films ma- di eugenetica, 1965) ; Don Camillo en
Elle conserve une importance parti- jeurs : la Grande Pagaille (Tutti a casa, Russie (Il compagno Don Camillo, id.) ; le
culière en raison de sa fécondité et de 1960), sans doute la plus lucide analyse Partage de Catherine / Une fille qui mène
sa cohérence. Il est impossible de com- des événements tragiques de l’été 1943 une vie de garçon (La bugiarda, id.) ; Les
prendre les habitudes narratives de Hol- qu’ait donnée le cinéma italien ; À cheval Russes ne boiront pas de Coca-Cola (Ita-
lywood sans réfléchir sur le jeu du récit sur le tigre (A cavallo della tigre, 1961) ; lian Secret Service, 1968) ; la Fiancée de
et du spectacle qui s’y dessine. Sur les Il commissario (1962) ; la Ragazza (La l’évêque (Quelle strane occasioni, un épi-
fonctions significatives et esthétiques du ragazza di Bube, 1963). Ces quatre films, sode, 1977) ; l’Imposteur (Cercasi Gesù,
corps et du geste, son témoignage est chacun à sa manière, proposent une ana- 1982) ; le Mariage de Catherine (Il matri-
irremplaçable. Dans l’utilisation du cos- lyse pénétrante et lucide de la société ita- monio di Caterina, id.), Cuore (1984) ; La
tume et du décor au cinéma, son mérite lienne à divers moments de son évolution storia (1986) ; Un garçon de Calabre (Un
consiste à avoir dépassé de manière historique. Après quelques oeuvres com- ragazzo di Calabria, 1987) ; la Bohême
révélatrice les exigences du fonction- merciales, Comencini retrouve en 1967 (1988) ; Joyeux Noël, bonne année (Buon
nement narratif. Son histoire, enfin, est sa veine la meilleure avec l’Incompris (In- natale, buon anno, 1989) ; Tenero è il

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

tramonto (1990) ; Marcellino (Marcellino d’auto). Portant une armure pour se Modot, Aimos, Joé Hamman, l’aviateur
pane e vino, 1991). protéger des voleurs, l’Homme aimanté Charles Nungesser. C’est l’apogée du
(à la suite d’un orage) attire à lui tout le burlesque, au terme de 58 séries (20 pro-
COMIQUES (SÉRIES). métal qu’il rencontre : jusqu’aux plaques duites par Pathé, 8 par Gaumont, 8 par
Le comique, au cinéma, est souvent d’égout ! Éclipse, 7 par Éclair et 12 divers). Apo-
confondu avec la comédie, dont il est l’un Ce développement du gag jusqu’à gée auquel la guerre de 1914 met bruta-
des éléments, voire l’un des incidents. lement fin.
l’absurde est le deuxième apport impor-
C’est que la comédie s’est progressive- tant de cette période. Le troisième étant 4. Déclin (1915-1930). Acteurs,
ment substituée au comique, sans d’ail- la création d’un univers burlesque com- auteurs et réalisateurs européens étant
leurs récupérer tout le terrain qu’il occu- posé par une succession d’aventures indisponibles pendant plus de quatre ans,
pait. attribuées à un même personnage, dont il sera très facile aux Charlot, Buster Kea-
Cette mutation, qui enregistre le déclin le nom figure dans le titre des films qui les ton, Fatty, Ben Turpin, Harry Langdon et
du comique pur, est marquée par quatre retracent : Roméo et le cheval de fiacre, Harold Lloyd de les supplanter définiti-
périodes. Rigadin veut dormir tranquille, Calino vement.
1. Préhistoire (1895-1905). À peine veut se suicider. Non seulement la guerre a cassé l’es-
concurrencé par le documentaire, la fée- Ici, l’antériorité revient à Pathé avec sor du comique, mais elle a entraîné des
rie, le mélodrame, le comique accapare la la série Boireau (30 films) interprétée changements de structure : concentra-
quasi-totalité des programmes. Le cinéma par André Deed, d’abord réalisée par tion de la production, accroissement des
capte alors la clientèle des champs de Georges Hatot sur des scénarios d’André coûts, diminution quantitative mal com-
foire, cirques, café-concerts et journaux Heuzé. Le départ de Deed pour l’Italie pensée par l’augmentation de la durée
illustrés dont la manchette promet : « On (série Cretinetti distribuée en France sous des films. Cette dernière sera brutale
ne rit pas, on se tord. » Procédant de ces le nom de Gribouille) laisse place à deux pour le comique. Il lui sera très difficile de
distractions simplistes, le film comique nouvelles séries : celle du médiocre Riga- trouver des sujets qui puissent tenir 60 ou
visualise en une ou deux minutes : une din et celle des Max. Avec l’élégant Max même 30 minutes.
grosse farce, une incongruité, une saillie Linder, le comique de mouvement fait Pour survivre, le comique ne devra
parfois empruntée à l’imagerie populaire place au comique d’observation qui dé- plus être qu’une détente dans l’action
ou à la carte postale. L’Arroseur arroséde veloppe avec finesse les conséquences d’un film d’aventures (tel, chez Feuillade,
Lumière (recopié par bien d’autres) s’ins- d’une méprise ou d’un mensonge : Max le personnage de Marcel Levesque dans
pire d’une « image d’Épinal » dessinée et le quinquina, Max pédicure. Judex, ou de Biscot dans Tih-Minh), ou
en 1887 par Lucien Vogel. La Fée aux Chez Gaumont, c’est, à travers le bien il jouera un rôle de contrepoint dans
choux d’Alice Guy anime une carte pos- comportement d’un enfant, l’observation des situations pathétiques. (Ainsi l’ont
tale expliquant la naissance des enfants. de l’environnement social qui inspire à compris Chaplin et, plus tard, Pagnol.)
Ni les acteurs ni les réalisateurs ne Feuillade les séries Bébé (76 films avec Sinon, il ne reste plus au comique qu’à
sont spécialisés. Chez Gaumont, on le futur René Dary) et Bout de Zan. Le s’enliser dans les méandres de la comé-
passe des Dangers de l’alcoolisme comique de mouvement (poursuite et ab- die ou de la satire de moeurs.
à la Vie du Christ. Il en est de même surde) est assumé par la série de Roméo Seul le talent de Laurel et Hardy et des
pour Ferdinand Zecca chez Pathé. Loin Bosetti, Calino, interprétée par l’ex-clown Marx Brothers a pu faire oublier cette évi-
d’avoir trouvé sa spécificité, le comique Clément Mégé : avec tant de succès que dence : le comique est aussi spécifique-
est parasité par des genres connexes : Pathé le débauche et lui confie son studio ment lié au cinéma muet que la comédie
comme le merveilleux (le Locataire dia- de Nice. Bosetti y produira jusqu’en 1914 musicale l’est au film parlant.
bolique, de Méliès) ou, le plus souvent, une dizaine de séries : Léontine, Rosa-
Le comique pur, comme finalité en soi,
la polissonnerie, la grivoiserie. Au cata- lie, Purotit, Moustache (interprété par le n’a cependant pas disparu. Il s’est méta-
logue de chaque maison, on trouve une chien Barnum). morphosé. C’est dans le dessin animé
variante de la classique Histoire de puce. 3. L’apogée (1912-1914). Aux 25 sé- américain, chez Tex Avery, Tom et Jerry,
Une dame indigne les passants en four- ries produites de 1906 à 1911 vont s’ajou- Droopy, Woody Woodpecker, etc., qu’il
rageant sous ses jupes. Elle se réfugie ter en trente mois 33 séries nouvelles. faut rechercher les héritiers d’Onésime,
dans le premier hôtel venu, se déshabille, Beaucoup ne font que recopier les suc- Calino, Gavroche ou Zigouillard.
la porte s’ouvre et... cès techniques et thématiques des précé-
2. Formation (1906-1911). Fin 1905, dentes : ainsi, Willy, réplique d’Éclair au COMMISSION SUPÉRIEURE TECHNIQUE
l’arrivée de Louis Feuillade chez Gaumont Bébé de Feuillade ; Sarah Duhamel, alias DE L’IMAGE ET DU SON (CST).
et de son ami André Heuzé chez Pathé Rosalie, qui devient Pétronelle en pas- Créée en 1946 sous l’impulsion de Jean
va précipiter le comique dans la rue grâce sant de Pathé à Éclair. Feuillade riposte Painlevé, la CST regroupe la majorité
à la poursuite. Dans Dix Femmes pour par une innovation. Une série de bandes des professionnels, salariés ou dirigeants
un mari (scénario : A. Heuzé), Georges plus longues (2 bobines), un scénario d’entreprises des secteurs de l’image
Hatot lance dix femmes à la poursuite élaboré, intitulé la Vie drôle et composé et du son : techniciens, créateurs, cher-
du Don Juan qui les a séduites. Dans de « ciné-vaudevilles ». Elle est d’ailleurs cheurs, répartis en différents départe-
Attrapez mon chapeau, la poursuite d’un interprétée par des acteurs du théâtre ments (son, image, laboratoires, effets
couvre-chef permet à Feuillade de décrire de boulevard, tel l’ondoyant Marcel Le- spéciaux, exploitation salles...). Elle joue
et d’exploiter les ressources de l’environ- vesque. Le comique cède à la comédie pour la profession un rôle d’observatoire
nement. pure dans la série Léonce interprétée et technologique.
Étant moins bien pourvu que Pathé en réalisée par Léonce Perret (35 films). Les services permanents qui assurent
studios, Gaumont privilégiera ce comique Toujours chez Gaumont, Jean Durand le suivi des réunions des départements et
de plein air avec la Course au potiron va pousser l’absurde jusqu’au surréa- des groupes de travail disposent de labo-
dans les rues en pente du quartier de la lisme dans la série Onésime (53 films) ratoires d’essais et éditent les moyens de
Villette, et en transposant en extérieurs interprétée par l’ex-acrobate Ernest Bour- contrôle utilisés par les techniciens et les
le « comique à trucs », que Méliès confi- bon, entouré d’une troupe spécialisée, les industriels. Ils procèdent également au
nait au studio. Grâce à l’interprétation Pouites : à côté de noms oubliés (Pollos, contrôle technique des salles de cinéma
d’un cul-de-jatte, il sectionne et recolle Fouché, Dhartigny, Grisollet), elle compte ainsi qu’à celui des différentes activi-
les jambes d’un passant (Un accident quelques futures célébrités : Gaston tés des industries techniques : studios

285
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

de prises de vues, auditoriums, labora- vaquie. Un coup d’éclat : les Bas-Fonds par construction. Cette formule apparut
toires... (J. Renoir, 1937). Il est certain que le au milieu des années 60 (Kansas City,
En plus de son rôle d’assistance tech- monde trouble, sarcastique, violent du 1963, Paris, fin 1967) et devint la formule
nique, la CST est chargée de faire res- film de Renoir lui convient, ce que confir- privilégiée de la rénovation du parc de
pecter — sous l’autorité du CNC — les ment ses collaborations successives salles : offrant plusieurs programmes en
normes et spécifications techniques en avec le sulfureux Pierre Chenal : l’Alibi un même lieu, elle permettait de mieux
vue de la délivrance des autorisations (1937), la Maison du Maltais (1938), la capter le public ; grâce à la capacité
d’exercice, conformément à la réglemen- Foire aux Chimères (1946), mais aussi décroissante des salles, elle permettait
tation en vigueur. ( SALLES DE CINÉMA.) Contre-Enquête (Jean Faurez, 1947) et en outre de prolonger l’exploitation d’un
le remarquable les Maudits (R. Clément, film au fur et à mesure de la baisse de
COMOLLI (Jean-Louis), cinéaste français id.), puzzle psychologique sans faille dans l’audience. Depuis la fin des années
(Philippeville, Algérie, 1941). une parfaite unité de lieu : un sous-marin. 1980 des nouveaux complexes, de plus
Malgré des études de médecine et de phi- Casque d’or (J. Becker, 1952) marque grande envergure, comptant jusqu’à
losophie, c’est finalement au cinéma que l’apogée de son talent. De sa dernière plus de vingt écrans ont fait leur appari-
se consacre ce fervent cinéphile, dévelop- période, on retiendra tout particulière- tion, bénéficiant des techniques les plus
pant une activité de critique (il écrit pour ment, de Ralph Habib, les Compagnes de modernes. Pour les distinguer du com-
les Cahiers du cinéma jusqu’en 1978), la nuit (1953), et la Sorcière (A. Michel, plexe devenu traditionnel, on les nomme
mais aussi d’enseignant (à la FEMIS et 1956). C’est un auteur prolifique, au ser- multiplexe, voire megaplexe lorsqu’ils
à l’Université) et surtout de metteur en vice des sujets et des cinéastes les plus dépassent vingt écrans.
scène. En tant que réalisateur, il s’inté- divers avec, de temps à autre, le flair d’un
resse avant tout au documentaire, genre bon sujet. Moins homogène qu’Aurenche COMPOSITE.
qu’il revisite avec un esprit militant et un et Bost, il suit très bien les courbes d’un Image composite, image obtenue par l’as-
regard volontairement politisé. Il réalise cinéma français qui sait alors être parfois sociation d’éléments d’origines diverses,
en particulier une série de films sur la vie regroupés sur la même image. Au cinéma
pittoresque.
politique de la ville de Marseille et de ses la technique du cache contre-cache a été
environs : Marseille de père en fils (1989), COMPANEEZ (Nina), scénariste et cinéaste remplacée par les techniques d’image-
la Campagne de Provence (1992), Mar- française (Boulogne-sur-Seine 1937). rie numérique multicouche. ( IMAGE

seille en mars (1993), Marseille contre Fille de Jacques Companeez. Sa carrière NUMÉRIQUE.)

Marseille (1997), puis la Question des est d’abord liée à celle de Michel Deville,
alliances (1997). Cette forte implication avec lequel elle collabore pour le scéna- COMPRESSION.
dans la vie politique française est en 1 – Terme, souvent employé (impropre-
rio et les dialogues aux films suivants :
outre à l’origine d’autres projets, tels que Ce soir ou jamais (1961), Adorable men- ment), pour désigner la réduction de débit
Tous pour un ! (1988) sur le militantisme en enregistrement numérique image et
teuse (1962), À cause, à cause d’une
politique, Rêve d’un jour (1995) sur la vie son. ( IMAGE NUMÉRIQUE.)
femme (1963), l’Appartement des filles
et la mort du quotidien utopiste le Jour, (id.), Lucky Jo (1964), On a volé la Jo- 2 – Action de réduire la différence de
Jeux de rôles à Carpentras (1998) sur les conde (1966), Martin soldat (id.), Benja- niveau entre l’amplitude maximale et
jeux d’influence qui ont suivi l’affaire de min ou les Mémoires d’un puceau (1968), minimale d’un signal analogique. Cette
la profanation du cimetière juif de Car- l’Ours et la Poupée (1970), Bye, bye technique est utilisée pour des effets
pentras en 1991, ou encore l’Affaire Sofri Barbara (1968), Raphaël ou le Débauché sonores par emploi d’un compresseur.
(2001) sur le procès d’Adriano Sofri et du (1971). Puis elle réalise Faustine et le bel L’opération inverse s’appelle expansion.
mouvement Lotta continua en Italie en été (1972), d’une joliesse décorative dans 3 – Chambre de compression, Type de
1990. Cet esprit militant le conduit égale- la ligne de Benjamin, avant de s’égarer haut-parleur à haut rendement, utilisé au
ment à réaliser un certain nombre de su- dans une comédie vulgaire, l’Histoire très cinéma pour la reproduction des sons de
jets à teneur sociale, comme les Chemins bonne et très joyeuse de Colinot trousse- fréquences élevées.
du retour (1982) sur les immigrés italiens chemise (1973), que la présence de Bri-
à Paris, la Vraie Vie dans les bureaux gitte Bardot ne préserve pas de l’échec. COMPSON (Eleanor Luicime Compson,
(1993) avec les employées d’une Caisse Elle poursuit ensuite sa carrière avec un dite Betty), actrice américaine (Beaver,
régionale d’assurances maladie, De certain succès à la télévision. Utah, 1897 - Glendale, Ca., 1974).
mère en filles (1996), à propos de la vie Elle débute dans les films burlesques
de femmes maghrébines en banlieue, ou COMPENSATION. d’Al Christie, puis devient vedette : The
encore Pendant, après, avant la grève, Compensation optique, procédé à base Miracle Man (G. L. Tucker, 1919). James
six cheminots gare du Nord (1996), un de miroir ou de prisme, permettant, sur Cruze, avec qui elle fut mariée pendant un
regard sur les mouvements sociaux à les caméras à très grande vitesse, l’im- temps, la dirige dans The Pony Express
Paris-Nord. Certains de ses films té- mobilisation relative de l’image par rap- (1925) et Sternberg dans les Damnés de
moignent par ailleurs d’une sensibilité port au film. ( CAMÉRA.) l’océan (1928). Elle s’adapte adroitement
particulière pour la musique et la danse : au parlant : le Torrent fatal (Weary River,
Harmonie (1982), Belep dans autour de COMPLÉMENT. F. Lloyd), On With the Show (A. Cros-
la terre (1990), le Concerto de Mozart Complément optique, système ou élé- land) et Gabbo le ventriloque (Cruze), en
(1996) avec Michel Portal ou Georges ment placé devant l’objectif pour en 1929, maintiennent sa renommée. Mais
Delerue (1994). Mentionnons enfin ses modifier les caractéristiques optiques la transformation des rôles féminins la re-
quelques incursions dans le monde de (agrandissement, déformation, distance lègue vite à des emplois secondaires (le
la fiction, avec la Cecilia (1976), l’Ombre de mise au point). Un anamorphoseur* Cargo maudit, de Borzage, 1940 ; Joies
rouge (1981), Balles perdues (1982), le ou une bonnette* sont des compléments matrimoniales, de Hitchcock, 1941).
Bal d’Irène (1987), Pétition (1987) et la optiques.
Jeune Fille au livre (1993). COMPTON (Virginia Lilian Emeline Comp-
COMPLEXE. ton, dite Fay), actrice britannique (Londres
COMPANEEZ (Jacques), scénariste fran- La formule du complexe multisalle 1894 - id. 1978).
çais (Saint-Pétersbourg 1906 - Paris 1956). consiste à implanter plusieurs salles en Elle débute à l’écran en 1914 dans She
Sa carrière le promène d’abord en Alle- un lieu unique, par « découpage » d’un Stoops to Conquer (G. L. Tucker, pour
magne, en Autriche et en Tchécoslo- ancien cinéma de vastes dimensions ou la London Films) et devient une des

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

grandes stars du cinéma muet anglais. le Dictateur (1940), c’est lui que Charlot, passif dans Pas de printemps pour Mar-
Après l’avènement du parlant, elle trouve barbier, rasait au son de la Rhapsodie nie, il va même jusqu’à incarner des per-
ses meilleurs rôles dans Tell England hongroise. On l’a encore vu auprès de sonnages d’inadapté social (l’Homme à la
(A. Asquith, 1931), The Prime Minister Jerry Lewis dans Trois Bébés sur les bras tête fêlée), de loser (le Gang Anderson)
(T. Dickinson, 1941), où elle incarne la (1958), et pour la dernière fois dans un ou de héros vieilli et faillible (la Rose et
reine Victoria, ainsi que dans Huit Heures western de Fielder Cook (A Big Hand for la Flèche), qui cassent à la fois sa propre
de sursis (C. Reed, 1947), Nicholas Nick- the Little Lady, 1966). légende et les mythes qu’elle véhicule.
leby (A. Cavalcanti, id.), Rires au paradis Depuis ses adieux à James Bond, son
(Laughter in Paradise, M. Zampi, 1951), CONNER (Bruce), artiste et cinéaste expé- personnage semble avoir trouvé un équi-
Othello (O. Welles, 1952), le Scandale rimental américain (McPherson, Kans., libre dans des rôles d’individualistes,
Costello (D. Miller, 1957), la Maison du 1933). socialement intégrés ou aventuriers, où
diable (R. Wise, 1963), la Vierge et le Après des études d’art à l’université du la force physique, le format sont tempé-
Gitan (The Virgin and the Gypsy, Christo- Nebraska, il fabrique des boîtes-sculp- rés par un humour, un jeu volontairement
pher Miles, 1970). tures à San Francisco. Il réalise A Movie distancié, résolument démystificateurs.
(1958), qui devient l’un des plus célèbres De ce point de vue, le Lion et le Vent
CONCHON (Georges), romancier et scé- films du cinéma underground. Comme et l’Homme qui voulut être roi sont des
nariste français (Saint-Avit, Puy-de-Dôme, Cosmic Ray (1961), c’est un collage de chefs-d’oeuvre d’équilibre. Un titre iro-
1925 - Paris 1990). chutes, de préférence spectaculaires nique, Jamais plus jamais, marque son
Romancier, il entame à partir de 1967 une ou érotiques, provoquant des effets co- retour au personnage de James Bond,
carrière de scénariste et de dialoguiste miques. Le procédé avait déjà tenté les qu’il prétendait ne plus jamais vouloir in-
avec l’Horizon, de Jacques Rouffio, pour Marx Brothers à la fin de la Soupe aux carner. Il est vrai qu’il semble désormais
qui il adaptera, en 1978, son propre canards (1933), les lettristes ou Griffi se soucier plus des qualités du rôle que
roman le Sucre. Fidèle aux sujets à thèse Baruchello (La verifica incerta, 1965), et de sa longueur. Il incarne avec délices
(racisme, anti-militarisme, magouilles c’est l’équivalent filmique des photomon- les personnages moyenâgeux, brutaux
politiques et financières...) traités de tages dadaïstes. Mais Conner le survolte (Highlander) ou raffinés (le Nom de la
manière rapide, spectaculaire, parfois un par un montage ultrarapide. Beaucoup
rose) ou encore les figures paternelles
peu didactique, qui le rapprochent d’un de ses films — sauf Vivian (1965), The
malicieuses (Indiana Jones et la dernière
cinéma de dénonciation à l’américaine, White Rose (1965-1967), Looking for
croisade, Family Business) ou intransi-
sa meilleure contribution est, peut-être, Mushrooms (1966), Raga (id.), Breakway
geantes (Presidio) et même de vrais
son travail sur le scénario de la Victoire (1967), bouts d’essai d’une jeune chan-
méchants (Chapeau melon et bottes de
en chantant (J. -J. Annaud, 1976). Il a teuse, et Liberty Crown (1970) sont ainsi
cuir). Il obtient un Oscar du second rôle
également écrit les scénarios de Il pleut des montages de matériau filmé par
pour sa création savoureuse de policier
sur Santiago (H. Soto, 1975), Sept morts d’autres. Report (1963-1967) mêle les
irlandais dans les Incorruptibles mais,
sur ordonnance (Rouffio, 1975), l’État plans fameux des assassinats de John
malgré ses rides — très photogéniques,
sauvage (F. Girod, 1978), Judith Ther- Kennedy et d’Oswald à Dallas, maintes
donc, peut-être, à cause d’elles —, il de-
pauve (P. Chéreau, 1978), la Banquière fois répétés, à des extraits de publicités
meure le héros dans la Maison Russie,
(Girod, 1980). ou de films d’horreur. Crossroads (1974-
À la poursuite d’Octobre Rouge, Juste
75) est une variation sur des images
Cause, forme un couple mûr attendris-
CONDENSEUR. ralenties de l’explosion de la première
sant avec Gena Rowlands dans la Carte
Dispositif optique employé sur certains bombe H américaine en 1945. Dans
du coeur et séduit même la jeune Cathe-
appareils de projection pour concentrer la même veine, Take the 5 h 10 to
rine Zeta-Jones dans Haute Voltige.
la lumière sur la fenêtre de projection. Dreamland (1975) est un film onirique.
Films : James Bond 007 contre Dr No
( PROJECTION.)
CONNERY (Thomas, dit Sean), acteur bri- (T. Young, 1962) ; Bons Baisers de Rus-

tannique (Édimbourg, Écosse, 1930). sie (id., 1963) ; Goldfinger (G. Hamilton,
CÔNE.
Tronc de cône métallique placé devant un Fils d’un camionneur et d’une femme de 1964) ; Pas de printemps pour Marnie

projecteur d’éclairage à lentille de Fresnel ménage, il quitte l’école à quinze ans, (A. Hitchcock, id.) ; la Femme de paille

pour réduire l’ouverture du faisceau lumi- s’engage dans la marine britannique et (B. Dearden, id.) ; la Colline des hommes
neux. il exerce ensuite divers métiers : maçon, perdus (S. Lumet, 1965) ; Opération
garde du corps, vernisseur de cercueils. Tonnerre (T. Young, id.) ; l’Homme à la
CONKLIN (Chester), acteur américain Il figure pour la première fois au théâtre tête fêlée (I. Kershner, 1966) ; On ne vit
(Oskaloosa, Iowa, 1886 - Los Angeles, Ca., à Londres, en 1951, dans South Pacific. que deux fois (L. Gilbert, 1967) ; Shalako
1971). Après de brèves apparitions au cinéma et (E. Dmytryk, 1968) ; Traître sur com-
Après deux ans de music-hall et de à la télévision, il participe au concours or- mande (M. Ritt, 1970) ; le Gang Anderson
théâtre, il est clown de cirque chez Bar- ganisé par le London Express pour choi- (S. Lumet, 1971) ; Les diamants sont éter-
num, puis joue pendant cinq ans dans les sir l’acteur qui incarnera le héros d’Ian nels (G. Hamilton, id.) ; Zardoz (J. Boor-
comédies Keystone de Mack Sennett au- Fleming, l’agent secret James Bond 007, man, 1974) ; le Lion et le Vent (John
près de Charlie Chaplin, de Ford Sterling dont il tiendra le rôle dans six films. Enta- Milius, 1975) ; l’Homme qui voulut être
et de Mack Swain. On le reconnaît à ses mant après James Bond contre Dr No, roi (J. Huston, id.) ; la Rose et la Flèche
moustaches de morse, à son nez bulbeux Bons Baisers de Russie et Goldfinger (R. Lester, 1976) ; Un pont trop loin (R. At-
de poivrot, et à son oeil légèrement vi- une carrière internationale, il a du mal, tenborough, 1977) ; Météor (R. Neame,
treux, ses vêtements trop grands. Il s’est aux yeux du public, à se débarrasser de id.) ; la Grande Attaque du train d’or (The
fait une silhouette connue dans les films l’image à laquelle il semble s’être identifié. Great Train Robbery, Michael Crichton,
de slapstick avant de se reconvertir dans Il travaille pourtant avec des réalisateurs 1979) ; Meurtres en direct (R. Brooks,
de plus sérieuses entreprises, puisqu’on aussi divers et prestigieux qu’Hitchcock, 1982) ; Jamais plus jamais (I. Kerschner,
l’a vu dans les Rapaces de Stroheim Kershner, Lumet, Boorman, Huston, Les- 1983) ; Sword of the Valiant (Stephen
(1925 ; RÉ 1923), dans des films de ter, Brooks, qui contribuent à nuancer son Weeks, 1984) ; Highlander (Russell
Lewis Milestone, Gregory La Cava, Allan personnage jusque-là stéréotypé, fondé Mulcahy, 1985) ; le Nom de la rose (J.-
Dwan, Victor Fleming et Preston Sturges, sur un mélange de détermination, de J. Annaud, 1986) ; les Incorruptibles (B.
où le public aimait à le reconnaître. Dans flegme et de misogynie. Physiquement de Palma, 1987) ; Presidio (The Presidio,

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Peter Hyams, 1988) ; Indiana Jones et la CONSEILLER TECHNIQUE. Le support. Jusque dans les an-
dernière croisade (S. Spielberg, 1989) ; Réalisateur chevronné chargé de super- nées 50, le support était en nitrate de
Family Business (S. Lumet, id.) ; À la viser l’activité d’un réalisateur débutant. cellulose, également appelé Celluloïd.
poursuite d’« Octobre Rouge » (The Hunt ( GÉNÉRIQUE.) ( FILM.) Outre qu’il est extrêmement
of Red October, J. McTiernan, 1990) ; la inflammable, ce produit est chimiquement
Maison Russie (F. Schepisi, id.) ; Highlan- CONSERVATION DES FILMS. instable : en toute rigueur, il commence
der — le Retour (Highlander II — The Un film cesse d’exister dès qu’on ne pos- à se décomposer dès qu’il est fabriqué.
Quickening, Mulcahy, 1991) ; Robin des sède plus au moins une copie suscep- En fait, si le film est conservé dans de
Bois, prince des voleurs (Robin Hood, tible d’assurer une projection correcte. bonnes conditions (température basse
Prince of Thieves, K. Reynolds, id.) ; La conservation du support matériel des ou modérée, atmosphère ni trop sèche
Medecine Man (McTiernan, 1992) ; Soleil oeuvres est donc capitale pour la sauve- ni trop humide), cette décomposition peut
levant (Ph. Kaufman, 1993) ; Un Anglais garde du patrimoine cinématographique. être très lente : nombre de films du début

sous les tropiques (B. Beresford, id.) ; En pratique, il faut distinguer : du siècle nous sont parvenus sans alté-

Juste Cause (Just Cause, Arne Glimcher, ration notable du support. Si le film est
– la conservation des copies, qui inté-
mal entreposé et que la décomposition
1995) ; Lancelot (First Knight, Jerry Zuc- resse directement le spectateur mais qui
s’amorce, elle s’accélère ensuite d’elle-
ker, id.) ; Rock (The Rock, Michael Bay, n’est pas déterminante du point de vue
même sous l’effet des produits chimiques
1996) ; Coeur de dragon (Dragonheart, du patrimoine ;
dégagés, notamment l’acide nitrique.
Rob Cohen, id., voix uniquement) ; The – la conservation du négatif original, Le processus étant irréversible, il faut
Avengers (Jeremiah Chechik, 1998) ; ou des éléments de tirage (contretype in- contretyper rapidement le film.
Playing by Heart (Willard Carroll, id) ; ternégatif, interpositif) équivalent à un né-
Les supports « de sécurité » actuels
Entrapment (Jon Amiel, 1999), À la ren- gatif, qui est déterminante : tant qu’existe
(triacétate de cellulose, polyester) sont
contre de Forrester (G. Van Sant, 2000). un tel élément, on peut toujours tirer de
en revanche chimiquement très stables.
nouvelles copies.
Pour un stockage entre 10 et 15 °C
CONNORS (Kevin Joseph Connors, dit
La conservation des films. Écartant avec une humidité relative de l’ordre de
Chuck), acteur américain (Brooklyn, N.Y.,
l’usure des copies ( COPIES), écartant 50 p. 100, leur durée de vie est estimée à
1921 - Los Angeles, Ca., 1992).
ce qui peut affecter tout patrimoine (ca- deux siècles au moins.
Grand, pommettes saillantes et yeux
tastrophes naturelles, vol, incendie, bom- Il faut également considérer la stabilité
fendus, c’est l’une des « gueules » les
bardement, attentat, etc.), on ne s’inté- physique du support, qui tend à s’allonger
plus célèbres de nombre de policiers et
ressera ici qu’à la résistance des films au en atmosphère humide et à se rétrécir
westerns des années 50 et 60. Chuck
vieillissement. (c’est le phénomène de retrait) en atmos-
Connors a joué toutes les variations pos-
Cette résistance dépend principale- phère sèche. En pratique, c’est presque
sibles du « dur ». On retiendra son inter-
ment de la vitesse à laquelle s’opèrent toujours un retrait que l’on observe. Le
prétation très sérieuse dans le par ailleurs
les réactions chimiques dommageables. triacétate est là aussi beaucoup plus
très drôle Femme modèle (V. Minnelli,
On sait que la vitesse des réactions stable que le nitrate, dont le retrait peut
1957) ou encore le contremaître sadique
chimiques croît de façon générale avec atteindre jusqu’à 4 p. 100.
des Grands Espaces (W. Wyler, 1958),
la température. Un abaissement de la La gélatine. Raisonnablement stable
avant qu’une tentative pour faire de lui une
température de stockage favorise donc la dans les conditions de stockage appro-
vedette ne se solde par un échec (Gero-
conservation : un grand fabricant estime priées à la conservation du support
nimo, A. Laven, 1962, où, contre toute
qu’une élévation de cette température de lui-même, la gélatine résiste mal à une
attente, ce géant blond jouait les rebelles
24 à 30 °C divise par deux la durée de vie humidité excessive, surtout si la tempé-
indiens). Ensuite, il reprit son emploi
des colorants alors qu’un abaissement à rature est élevée : d’une part, elle de-
patibulaire dans des films plus ou moins
7 °C la multiplie par dix. vient gluante, d’autre part elle constitue
sympathiques comme Support your Local
un « bouillon de culture » pour certains
Par ailleurs, les éléments constitutifs
Gunfighter (B. Kennedy, 1971), Soleil vert champignons. Dans les deux cas, il y a
d’un film absorbent plus ou moins l’humi-
(R. Fleischer, 1973) ou Refroidi à 99 % risque de destruction de l’image.
dité ambiante, et leur tenue dépend de la
(J. Frankenheimer, 1974). Logiquement,
L’image. En noir et blanc, l’image est
quantité d’eau absorbée. Un degré hygro-
il a fini par se parodier dans Y a-t-il enfin
composée de granules d’argent métal-
métrique excessif dans le local de stoc-
un pilote dans l’avion ? (David et Jerry lique. ( COUCHE SENSIBLE.) Si le film a
kage (ou dans les boîtes closes conte-
Zucker, Jim Abrahams, 1982). été correctement fixé et lavé, l’image est
nant les bobines) est donc défavorable
très stable.
CONRAD (Tony), cinéaste expérimental à la conservation. À l’inverse, un degré
Dans les procédés couleurs usuels,
américain (Concord, N. H., 1940). hygrométrique trop faible entraîne une
c’est-à-dire à couches superposées
Après des études de physiologie et de déshydratation pouvant être néfaste à la
( PROCÉDÉS DE CINÉMA EN COULEURS),
mathématiques à Harvard et un stage pellicule film.
il n’en va pas nécessairement de même.
dans le groupe musical de La Monte À ces deux facteurs principaux (tem-
C’était déjà un tour de force que de par-
Young, il réalise The Flicker (1965), com- pérature, degré hygrométrique), il faut
venir à mettre au point et à maîtriser le
posé seulement d’alternances plus ou évidemment ajouter le soin avec lequel
processus chimique qui permet d’obtenir,
moins brèves de photogrammes noirs et sont menées les opérations de dévelop-
dans un bain de développement unique,
blancs. Suivent The Eye of Count Flic- pement : si le fixage et le lavage ne sont
trois images colorées restituant correc-
kerstein (1966), autre film à clignote- parfaitement contrôlés, il reste dans le
tement les couleurs du sujet. Obtenir
ments, et plusieurs films réalisés avec film des produits chimiques susceptibles de surcroît des colorants absolument
Beverly Grant, sa femme, dont Straight de provoquer, à la longue, des altérations
stables compliquait le problème au-delà
and Narrow (1970), film à clignotements, (par exemple des traces d’hyposulfite, des possibilités des chimistes. Les colo-
et Four Square (1971), pour quatre pro- l’agent de base du fixage). rants ont donc une certaine tendance à
jecteurs. Ensuite, pour la plupart, ses La conservation d’un film implique la se décomposer avec le temps, ce qui en-
« films » sont réduits à leurs matérialité conservation simultanée des trois élé- traîne un « évanouissement » progressif
de pellicule... qu’on peut aller jusqu’à ments qui le composent : le support, la de l’image, accompagné de l’apparition
faire frire (7360 Sukiyaki, 1973). gélatine, les produits qui forment l’image. de dominantes, puisque les colorants des

288
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

trois couches ne se décomposent pas à Le procédé Technicolor (aujourd’hui plusieurs décennies. Un contretypage
la même vitesse. abandonné) constituait un cas particulier. effectué dès qu’apparaîtrait la moindre
Pour les copies d’exploitation, généra- Les copies y étaient en effet imprimées altération prolongerait l’oeuvre d’autant,
lement stockées à température ambiante grâce à des « matrices » extraites de trois et même sans doute plus, compte tenu
(l’éclairement reçu lors du passage dans négatifs noir et blanc. ( PROCÉDÉS DE des progrès accomplis entre-temps.
le projecteur ne joue pratiquement pas du CINÉMA EN COULEURS). Cette technique On peut même garantir dès aujourd’hui
fait qu’il est extrêmement bref), la dégra- ouvrait largement la palette des colorants une conservation de plusieurs siècles par
dation de l’image peut être relativement utilisables et l’on pouvait de ce fait choisir le tirage de sélections noir et blanc, où
rapide : les premières copies Agfacolor des colorants stables : c’est seulement de les trois images colorées portées par le
ou Sovcolor sont à peu près invisibles nos jours que l’on commence à atteindre, film sont reproduites sous forme de trois
aujourd’hui, car elles ne portent plus avec les films à couches superposées, images noir et blanc par copie derrière
qu’une pâle image aux couleurs complè- une stabilité des couleurs sur les copies des filtres rouge, vert, bleu (la reconsti-
tement faussées. Plus tard, les progrès d’exploitation comparable à celle des tution de l’image en couleurs s’effectuant
accomplis dans le domaine de la stabilité copies Technicolor. par le processus inverse). Intéressante
des colorants ont nettement amélioré la Le Kodachrome mérite également en raison de la grande stabilité des films
situation : les copies Eastmancolor des d’être mentionné. Bien qu’il soit à noir et blanc, la méthode présente toute-
années 60 restent généralement proje- couches superposées, les colorants y fois deux inconvénients, outre son coût.
tables, même si elles ont plus ou moins sont apportés par les bains de développe- D’abord, il y a triplement du volume de
vieilli. Sur les copies actuelles, sauf ment, distincts pour les trois couches. La film à stocker. Surtout, le phénomène de
conditions de stockage particulièrement méthode complique le développement, retrait peut rendre difficile la superposi-
médiocres, les couleurs ne subissent mais elle est aussi moins contraignante tion des trois images lors de la reconsti-
pas de modification appréciable pen- pour le choix des réactions chimiques tution de l’image colorée. On peut réduire
dant au moins cinq ans. Au-delà, on peut utilisables : à température ambiante, la ce risque en stockant les trois films de
constater certaines dégradations, par- durée de conservation du Kodachrome sélection exactement dans les mêmes
fois l’apparition de légères dominantes est supérieure à 50 ans. Ce procédé ne conditions. Une meilleure méthode, mais
colorées. Dans la plupart des utilisations pourrait toutefois être employé en cinéma elle complique les opérations, consiste à
commerciales, cette perte de qualité n’a professionnel qu’au prix d’adaptations im- inscrire les trois images noir et blanc l’une
pas une importance déterminante, les portantes, notamment en ce qui concerne à la suite de l’autre sur un film unique.
copies étant physiquement détériorées, le contraste et la possibilité d’inscrire une Il n’y a donc aucun obstacle tech-
par usure mécanique, avant ce délai. piste sonore optique. nique à garantir, pour les générations
L’industrialisation et la forte concurrence La généralisation du support de sécu- futures, la possibilité de tirer des copies
entre les grands laboratoires américains rité dans les années 50 devait résoudre d’une qualité quasi identique à celle des
et européens a eu pour conséquence une une bonne partie des problèmes de copies contemporaines. Le problème
forte diminution du prix des copies. L’évo- conservation des oeuvres par vieillisse- n’est pas technique mais économique.
lution de l’exploitation avec l’arrivée de ment des supports. L’arrivée des sup- Par exemple, les conditions de stockage
complexes cinématographiques a conduit ports polyester au milieu des années préconisées par la Fédération interna-
les distributeurs à faire tirer un nombre 80 et leur généralisation pour le tirage tionale des archives du film (FIAF) pour
très important de copies d’un même film, des copies d’exploitation renforçait cette les films en couleurs (– 7 °C, faible degré
parfois mille ou plus. Dans ces conditions hypothèse. Malheureusement, une nou- hygrométrique) assureraient sans doute
le problème de conservation des copies velle cause de destruction des pellicules une conservation des films en couleurs
des films récents ne se pose plus du tout photosensibles est apparue au cours actuels pendant au moins un siècle. Mais,
dans les mêmes conditions que pour les des années 80/90 avec le syndrome du indépendamment du coût élevé de cette
films anciens. Seule la conservation dans vinaigre entraînant une destruction de la solution, il se pose un problème d’accès
le temps des éléments de tirage devient couche d’émulsion par des champignons aux films stockés : plusieurs jours sont
essentielle. développés du fait de la présence d’acide nécessaires pour une mise en équilibre
Les négatifs ont une valeur écono- acétique, pour un stockage à température à la température ambiante. En pratique,
mique supérieure, puisque c’est de leur ambiante et hygrométrie normale. Une on stocke les films dans les conditions
conservation que dépend la possibilité solution par conservation sous vide (avec préconisées pour le noir et blanc (12 °C,
d’exploiter ultérieurement le film. Dans déshydratation quasi totale du support) 50 p. 100 d’humidité relative) : cela né-
la conception de ces films, les fabricants et conservation à faible température est cessite déjà un important investissement
portent donc un intérêt particulier à la sta- proposée pour la conservation des films pour la construction des bâtiments, sans
bilité des colorants. Comme les négatifs et bandes magnétiques. Cette procédure compter le budget de fonctionnement
sont par ailleurs stockés (au moins en est contraignante pour la remise en ex- pour le conditionnement de l’air. Pour les
principe) dans de meilleures conditions ploitation des éléments et son efficacité oeuvres de grande valeur commerciale, le
que les copies d’exploitation, leur durée est contestée par certains spécialistes. coût se justifie (la firme Disney stocke en
de vie est sensiblement plus élevée : La conservation des oeuvres. De ce deux endroits différents deux sélections
sur les négatifs actuels, la stabilité des qui précède, il ressort qu’il y a beaucoup noir et blanc de tous ses films). Dans la
colorants semble assurée pendant au de cas d’espèce : selon la nature du sup- plupart des cas, l’espoir de recettes fu-
moins 25 ans pour un stockage à 24 °C port, selon que le film est en noir et blanc tures n’est pas suffisant pour rentabiliser
et pendant au moins 50 ans pour un ou en couleurs, selon sa date, selon les ces dépenses. La conservation des films
stockage à environ 12 °C. Sur les néga- conditions de traitement et de stockage, relève alors de la conservation du patri-
tifs plus anciens, particulièrement ceux etc. On peut néanmoins distinguer deux moine collectif. Pour les films anciens à
des années 50, les couleurs ont été plus grands cas. support nitrate, un contretypage sur sup-
ou moins altérées. Mais les altérations Pour les films tournés de nos jours, la port de sécurité permet de se ramener
constatées semblent être, en règle géné- grande stabilité du support et la stabilité au cas précédent et donc de garantir
rale, assez minimes pour permettre le accrue des colorants permettent (sous la pérennité de l’oeuvre, au moins telle
tirage de copies satisfaisantes, quitte à réserve d’un stockage dans de bonnes qu’elle nous est parvenue. Le problème
rectifier l’étalonnage de façon à compen- conditions) de garantir la conservation est ici une question de moyens matériels.
ser les défauts chromatiques apparus. du négatif, et donc de l’oeuvre, pendant Le support nitrate se dégradant irréver-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

siblement, il faut procéder au contrety- Un bilan. Si l’on essaie de dresser un Dernier Domicile connu (J. Giovanni,
page avant qu’il ne soit trop tard. Or ce bilan sommaire de la conservation des 1969), Un condé (Y. Boisset, 1970) ou
travail ne peut être effectué à cadence films depuis que le cinéma existe, on peut Il était une fois un flic (G. Lautner, 1972).
industrielle. Il faut d’abord examiner le distinguer trois grandes périodes. Après une période creuse, il est « redé-
film, éventuellement le débarrasser des Au début, les copies étaient vendues couvert » par la nouvelle génération du
moisissures, ou des taches d’huile, ap- au mètre et les films étaient couramment polar et tourne Tir groupé (1982), la Bas-
poser des perforations neuves en rem- recyclés en fin d’exploitation. (Après ton (1985), et la Loi sauvage (1987), trois
placement des perforations déchirées ; il décapage de la gélatine et récupération films de Jean-Claude Missiaen.
faut mesurer le retrait (on a trouvé des de l’argent qu’elle contenait, ou bien on
films qui ne faisaient plus que 32, 8 mm CONSTANTINE (Edward Constan-
refondait le support, ou bien on le réen-
de large au lieu de 35) et monter sur la tinewsky, dit Eddie), acteur français (Los
duisait d’une nouvelle couche sensible.)
tireuse des tambours dentés de diamètre Angeles, Ca., 1917 - Wiesbaden, Alle-
Mais comme on tirait en général beau-
adapté au retrait, etc. magne, 1993).
coup de copies, il est finalement assez
Issu d’une famille d’émigrés russes, il fait
L’arrivée de l’imagerie numérique fréquent - si le négatif a disparu, et
ses débuts dans l’opérette et la chanson,
semblait être la solution idéale pour une c’est souvent le cas - qu’au moins l’une
avant de devenir extrêmement populaire
conservation à très long terme du patri- d’entre elles nous soit parvenue, en plus
en incarnant Lemmy Caution, le person-
moine cinématographique. Pour des rai- ou moins bon état. Le problème est plus
nage de Peter Cheyney, dans une série
sons techniques, il apparaît que la durée dramatique pour les documents origi-
de vie des supports informatiques ne soit de films : la Môme Vert-de-Gris (B. Bor-
naux, par exemple les bobines d’actua-
pas aussi longue que l’on avait imaginé. derie, 1953) avec Dominique Wilms, Les
lités qui n’avaient pas été incorporées à
Si la stabilité dimensionnelle des sup- femmes s’en balancent (id., 1954), Votre
l’époque dans un montage. Négligés pen-
dévoué Blake (Jean Laviron, id.), ça
ports est acquise dans le temps, il n’en dant longtemps par les cinémathèques,
est pas de même des différents types va barder (J. Berry, 1955), et l’Homme
nombre de ces films ont disparu ou nous
d’enregistrements utilisables aujourd’hui : et l’Enfant (Raoul André, en 1957, où il
sont parvenus irrécupérables. (Notam-
les enregistrements magnétiques se dé- chante son tube l’Oiseau bleu...). Ses
ment, de très nombreux films de Méliès.)
personnages comportent toujours une di-
gradent dans le temps d’autant plus que Toute une partie de notre « mémoire »
mension parodique, qui sera bien perçue
la densité des informations est grande, cinématographique est ainsi irrémédia-
comme telle par Jean-Luc Godard (les
les enregistrements optiques (disques blement perdue.
Sept Péchés capitaux, 1962, puis Alpha-
laser) se dégradent en raison de l’instabi-
Quand le cinéma devint une industrie, ville, 1965) et, ultérieurement, après une
lité de différents composants constituant
le négatif constitua un capital à préserver.
la couche de métallisation et de plus, longue éclipse, par les cinéastes ouest-
Pour les productions d’Hollywood, où l’in-
l’évolution rapide des techniques conduit allemands. En effet, fixé en Allemagne, il
dustrie était particulièrement structurée, il
à des changements de standards fré- inaugure une deuxième carrière à partir
est rare que nous ne possédions pas le
quents qui obligent à maintenir en ordre des années 70. On le voit dans certains
négatif original ou une bonne copie de ce- films où il ne fait qu’une courte apparition
de marche des équipements pour les-
lui-ci : on peut donc tirer aujourd’hui des (chez R. von Praunheim, U. Ottinger),
quels il devient impossible de se procurer
copies comparables en qualité à celles de dans d’autres où il apparaît sous les traits
des pièces détachées.
l’époque. (Exception : les films Technico- de son propre mythe : Prenez garde à la
La conservation des éléments de tirage lor, dont les pellicules actuelles de tirage Sainte Putain (R.W. Fassbinder, 1970) ;
des films cinématographiques reste donc ne parviennent pas encore à restituer Tango à travers l’Allemagne (Tango durch
essentielle pour la conservation du patri- complètement la « touche » particulière.) Deutschland, Lutz Mommartz, 1980), et
moine cinématographique. Le syndrome Là où la production était plus artisanale, enfin dans des films où il a un rôle plus
du vinaigre fait apparaître la nécessité notamment en France, tout dépend des essentiel tels que Malatesta (P. Lilienthal,
de conserver les documents originaux ou cas : s’il est difficile d’affirmer qu’il y a 1970), Das zweite Frühling (Ulli Lommel,
les éléments de tirage dans des locaux à beaucoup d’oeuvres totalement perdues, 1975), la Troisième Génération (Fassbin-
température et hygrométrie contrôlées. nous ne possédons souvent qu’une copie der, 1979). Dans les années 80-90, on l’a
De tels stockages ont été créés par les
des originaux. À l’heure actuelle, l’enjeu rencontré dans Neige (J. Berto, 1981),
laboratoires cinématographiques pour
conservation-restauration est essentielle- Flight to Berlin (Christopher Petit, 1984),
remplacer les stockages habituels, sans
ment assumé par les pouvoirs publics. Le Helsinki-Napoli (M. Kaurismäki, 1987),
aucun conditionnement d’air. CNC a mis en place depuis 1990 un plan Europa (L. von Trier, 1991), Allemagne
Par contre, l’imagerie numérique « nitrate » afin d’assurer la sauvegarde neuf zéro (Godard, id.).
constitue un apport considérable pour la et la restauration des films produits avant
restauration des documents. Il devient 1954. Près de 800 titres sont désormais CONTACT.
possible d’éliminer les défauts physiques, sauvés chaque année. Ce plan est mis en Tirage contact, tirage où le film à copier et
rayures, poussières, de reconstituer des oeuvre par les Archives du film du CNC le film de copie défilent au contact l’un de
images inutilisables (cassures, déchire- et concerne l’ensemble des collections l’autre. ( TIRAGE, LABORATOIRE.)
ments), de restaurer les couleurs (même détenues par les archives françaises.
procédure que pour la colorisation des CONTE (Nicholas Peter Conte, dit Ri-
films noir et blanc) et d’établir de nou- CONSTANTIN (Constantin Hokloff, dit Mi- chard), acteur américain (Jersey City, N. J.,
veaux éléments donnant un résultat com- chel), acteur français (Boulogne-sur-Seine 1910 - Los Angeles, Ca., 1975).
parable à ceux de l’époque. 1924). Remarqué au théâtre, il débute au cinéma
De même pour le son, les possibilités Spécialiste des rôles de « dur », cet en 1939 dans Heaven With a Barbed
du numérique en matière de filtrage, de ancien international de volley-ball, d’ori- Wire Fence, de Ricardo Cortez. La guerre
reconstitution de portions devenues inau- gine russe, a fait les beaux jours du ci- interrompt son activité et il ne reprendra
dibles permettent, d’une manière géné- néma policier des années 60 et 70. C’est son travail qu’en 1943. Il donna alors
rale de restaurer intégralement la bande Jacques Becker qui le découvre et le fait l’image d’un homme sympathique, mais
sonore d’un film. Reste que ces possibi- jouer dans le Trou, en 1960. Suivront une faillible, qui se développa avec bonheur
lités de restauration numériques doivent quantité de séries noires à la française : dans le film noir. Pathétique (la Proie,
respecter l’oeuvre et la rendre identique à les Grandes Gueules (R. Enrico, 1966), R. Siodmak, 1948), il peut être aussi
ce qu’elle était à l’origine et rien de plus. le Deuxième Souffle (J. -P. Melville, id.), d’une méchanceté fascinante (Quelque

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

part dans la nuit, J. L. Mankiewicz, 1946). langelo Antonioni (Par delà les nuages, à moins de 100/1. Il n’est donc générale-
1949 reste sa grande année, au cours 1995), Angelo Longoni (Uomini senza ment pas possible de respecter en pro-
de laquelle on le voit successivement donne, 1996), Demetrio Casile (Tra scilla jection un contraste des images projetées
dans le Mystérieux Docteur Korvo d’Otto e cariddi, 1998), et Rosario Errico (Apri gli identique à celui du sujet. Les images pro-
Preminger, la Maison des étrangers de occhi e sogna, 2000). jetées subissent une forme de compres-
Mankiewicz et les Bas-Fonds de Frisco sion du contraste qui est déterminé lors
de Jules Dassin. Par la suite, fidèle aux CONTINSOUZA (Pierre-Victor), (Tulle de l’étalonnage* du film en laboratoire.
rôles de gangsters, il restera une figure 1872 - id. 1944). L’étalonneur est donc amené à réduire
importante du genre, jusqu’au Parrain Inventeur et industriel français, à qui l’on le contraste dans les hautes lumières
(F. F. Coppola, 1972). attribue en France l’invention (attribuée (plages claires) ou dans les basses lu-
par les Allemands à Messter) du dispositif mières (plages sombres) en fonction du
CONTINENTAL FILMS, d’avance intermittente du film par croix contenu de l’image et de l’effet recherché.
firme à capitaux allemands créée en de Malte (1896). Collaborateur de Pathé, Ce travail est fait en collaboration avec
France en 1941, dirigée par Alfred Gre- Continsouza fonda ensuite les Établis- le directeur de la photographie ( CHEF
ven et placée sous le contrôle de la sements Continsouza, qui construisirent OPÉRATEUR.)
Propaganda Abteilungreferat Film in pour Pathé un grand nombre d’appareils
Contraste des émulsions. Les émul-
Frankreich. Cette société produisit sous (caméras, projecteurs, matériels de fa- sions sont, entre autres, caractérisées
l’occupation allemande trente films (soit brication des films, machines à perforer,
par leur facteur de contraste*. Selon
15 p. 100 de la production totale) réali- etc.).
l’émulsion employée à la prise de vues,
sés par des cinéastes français. Le pre- le contraste des images enregistrées dif-
mier tour de manivelle du premier film CONTINUITÉ.
férera (fort contraste pour les émulsions à
entrepris (Premier Rendez-vous d’Henri Document écrit, comportant typiquement
haut contraste et faible contraste pour les
Decoin) eut lieu le 22 avril 1941, celui du une cinquantaine de pages, développant
émulsions bas contraste).
dernier (les Caves du Majestic de Richard le synopsis. Continuité dialoguée, conti-
Contraste de couleur. Lorsqu’un sujet
Pottier) le 18 février 1944. En 1945, la nuité comportant le texte des dialogues.
comporte plusieurs plages de même
Continental et deux sociétés de distribu- ( TOURNAGE.)
luminosité mais de couleurs différentes,
tion créées par les Allemands, l’Alliance
CONTINUITY-GIRL. ces plages seront parfaitement différen-
cinématographique européenne et la
Mot composé anglais le plus usuel pour ciables sur une émulsion couleur et donc
Tobis, sont placées sous le contrôle de
scripte. plus intelligibles que si elles sont enre-
l’administration française. C’est le noyau
gistrées sur une émulsion noir et blanc
de l’Union générale cinématographique,
CONTINUE. où elles seront difficilement identifiables.
qui sera privatisée en 1971.
Tireuse continue, tireuse dans laquelle les
films sont entraînés à vitesse constante. CONTRE-CACHE.
CONTINENZA (Alessandro, dit Sandro),
( TIRAGE, LABORATOIRE.) Cache, complémentaire d’un premier
scénariste italien (Rome 1920).
cache, utilisé pour le truquage par cache-
Journaliste satirique, il débute en col-
CONTRASTE. contre-cache. ( EFFETS SPÉCIAUX.)
laborant au scénario de Aquila mera
Rapport de luminosité entre la zone la
(R. Freda, 1946) et se spécialise ensuite
plus éclairée et la moins éclairée dans CONTRE-CHAMP.
dans le genre comique populaire : il suit
une même image,. Ce rapport peut être Disposition de la caméra où l’orientation
Totò dans beaucoup de ses parodies, de
un rapport de luminance* ou d’éclai- de celle-ci est opposée à son orientation
Totò le Moko (C. L. Bragaglia, 1949) à
rement* des sujets ou de densité* des dans le plan précédent. ( SYNTAXE.)
Totò e Peppino divisi a Berlino (Giorgio
images enregistrées. Ce terme est
Bianchi, 1962), mais aussi d’autres ve- CONTRE-GRIFFE.
souvent confondu avec le facteur de
dettes comme Renato Rascel (Les temps Griffe supplémentaire, dont le mouve-
contraste*.
sont durs pour les vampires, Steno, ment (limité à un va-et-vient) est décalé
Contraste visuel. Possibilité de diffé-
1959), Franchi et Ingrassia (Un mostro e d’un demi-cycle par rapport à celui de
rencier plusieurs « plages de gris » entre
mezzo, id., 1974). Il a écrit, avec la plus la griffe, et qui permet l’immobilisation
le blanc et le noir. On dira que le contraste
grande facilité, plus de 120 films, de tous rigoureuse du film pendant le retrait de la
est élevé, ou fort, si l’on différencie un
les genres en vogue. griffe. ( CAMÉRA.)
petit nombre de plages et qu’il est faible

CONTINI (Alfio), chef opérateur italien si l’on différencie un nombre important de


CONTRE-MIROIR.
(Castiglioncello 1927). plages. Cette notion de contraste visuel
Miroir auxiliaire, employé dans les lan-
Assistant et opérateur pour Carlo et Mario est un facteur déterminant de l’intelligibi-
ternes de certains appareils de projec-
Montuori depuis 1951, il devient chef lité de la scène ou de l’image.
tion à lampe au xénon pour renvoyer sur
opérateur sur la Reine des Barbares (La Contraste d’un sujet. Il est extrême-
le miroir principal des rayons lumineux
regina dei Tartari, Sergio Grieco, 1960). ment variable en fonction du sujet lui-
qui, sans cela, ne parviendraient pas à la
Son style visuel rigoureux s’adapte soit même, de son éclairement*, et du milieu
fenêtre de projection.
à de nombreuses comédies de Dino Risi dans lequel il se trouve (brouillard, fumée,
(dont le Fanfaron, 1962, et la Femme du ... ). Il peut atteindre 1 000/1 pour de très CONTRE-PLONGÉE.
prêtre, 1970), soit à de grandes produc- forts éclairements (contre-jour) ou n’être Prise de vues effectuée avec l’axe de la
tions tournées à l’étranger (parmi les- que de 2/1 pour de très faibles éclaire- caméra dirigé vers le haut. ( SYNTAXE.)
quelles : Zabriskie Point, M. Antonioni, ments ou pour une image diffuse. En stu-
1970 ; les Fleurs du soleil, V. De Sica, dio, lorsque l’on maîtrise l’éclairage, il est CONTRERAS TORRES (Miguel), cinéaste
id. ; Portier de nuit, Liliana Cavani, 1974). typiquement de l’ordre de 30/1 à 100/1. et producteur mexicain (Ciudad Hidalgo,
Une de ses recherches les plus intéres- Contraste en projection. Le contraste Michoacán, 1899 - Mexico 1981).
santes sur la couleur reste Una rosa per des images enregistrées peut atteindre Ancien officier révolutionnaire, il débute
tutti (F. Rossi, 1967). Il tourne ensuite 1 000/1. En projection, la diffusion des au cinéma en 1921 (El caporal, CO
pour Adriano Celentano (Joan Lui, 1986), systèmes optiques et la lumière réfléchie Rafael Bermudez Zataraín et Juan Ca-
Cristina Comencini (Zoo, 1988), Andrea par les parois de la salle sur l’écran ré- nals de Homes), artisan d’une industrie
De Carlo (Treno di panna, id.), Miche- duisent le contraste des images projetées qui puise ses thèmes et personnages

291
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

dans un Mexique édulcoré. Dans le cas Colman. Jack Conway fut un brillant arti- nir un contrat avec la Paramount, pour
de El hombre sin patria (1922), ce sont san hollywoodien. laquelle il tournera plus de trente films
des ouvriers agricoles aux États-Unis ; entre 1927 et 1940.
dans celui de Oro, sangre y sol (1925), COOGAN (John Leslie Coogan, dit Jac- La figure de Cooper se définit aussitôt
un torero. Il est alors l’un des pionniers kie), acteur américain (Los Angeles, Ca., dans un double contexte. D’une part, une
du parlant, avec El águila y el nopal 1914 - Santa Monica, id., 1984). série de modestes westerns dont il est la
Enfant de la balle, il débute à l’écran à
(1929), tourné à Hollywood et interprété vedette (Arizona Bound ou Au service de
par des comiques de variétés. Revolu- l’âge de... dix-huit mois, dans Skinner’s la loi) fait de lui, avec la même rudesse
ción (La sombra de Pancho Villa, 1932) Baby (1917) de Harry Beaumont. Char- physique, l’héritier de William S. Hart.
lie Chaplin le remarque dans la revue Cooper continuera fidèlement d’incarner
présente une vision lénifiante de la révo-
d’Annette Kellerman et lui fait jouer Une
lution mexicaine. Juárez y Maximiliano un cow-boy, non seulement dans des
journée de plaisir (1919), puis le Gosse
(1933), Simón Bolívar (1941), Caballería épopées sur l’Ouest qui deviendront de
(1921), qui assure en quelques semaines
del Imperio (1942), El rayo del sur (1943), plus en plus prestigieuses, mais aussi
la célébrité du jeune Jackie Coogan. De- dans des comédies comme Madame et
entre autres, montrent son goût pour les
venu la vedette enfantine la mieux payée son cow-boy, des romances comme l’In-
images d’Épinal et l’édification civique.
de l’époque, il gagne plus de quatre mil- trigante de Saratoga, ou des revues où il
Les comédies No te engañes corazón
lions de dollars. L’inoubliable enfant à la joue son propre rôle (It’s a Great Feeling).
(1936), avec Cantinflas, et La vida inútil
casquette trop grande du Gosse — qui Ce pôle constitue l’assise emblématique
de Pito Pérez (1943) se trouvent parmi
a été également l’enfant-vedette d’Oli- de son personnage : un homme simple et
ses grands succès. Il a l’habitude de jouer
ver Twist (F. Lloyd, 1922), d’Old Clothes
dans ses films : double carrière qui s’est franc, laconique et obstiné, dont la tradi-
(E. Cline, 1925) et de Tom Sawyer
poursuivie jusqu’aux années 60. tionnelle ingénuité exclut toute méchan-
(J. Cromwell, 1930) — s’est par la suite ceté, sinon toute faiblesse.
reconverti dans de petits rôles et on l’a
CONTRETYPAGE. D’autre part, suivant une progression
vu dans le Shérif (R. D. Webb, 1956), le
Opération de confection d’un contretype. plus lente, il acquiert une belle réputa-
Pantin brisé (Ch. Vidor, 1957), l’Homme
( COPIES.) tion d’acteur : dans Wings, on louera son
à la tête fêlée (I. Kershner, 1966) et la
aisance ; dans Beau Sabreur, entreprise
Valse des truands (Paul Bogart, 1969). Il
CONTRETYPE. désargentée, il est pour la première fois
fut brièvement marié à Betty Grable.
Syn. de duplicata (internégatif ou interpo- le protagoniste d’une aventure éloignée
sitif). ( COPIES.) de la Frontière ; Mariage à l’essai lui per-
COOK (Elisha, junior), acteur américain
met de s’essayer à la comédie ; Betrayal
(San Francisco, Ca., 1906 - Big Pine, id.,
CONTROLUCETTO. le transforme en artiste peu scrupuleux.
1995).
Mot italien pour décrochage. Un stéréotype menace toutefois : celui du
Il fait partie de cette catégorie de comé-
vertueux militaire qu’on ne se lasse pas
CONVERSION. diens au métier solide, qui n’ont jamais
de lui faire jouer. Coeurs brûlés, l’Adieu
Filtre de conversion, FILTRES. été des vedettes, mais dont la présence
au drapeau et même Sergent York se
était indispensable à la réussite d’un
souviendront d’ailleurs de cette représen-
CONWAY (Jack), cinéaste américain film. Petit homme au visage tourmenté,
tation pour la distordre. Mais le parlant
(Graceville, Minn., 1887 - Los Angeles, Ca., il trouve ses meilleurs emplois dans des
libère Cooper des clichés. Sa haute taille,
1952). rôles de gangster. Il est inoubliable dans
la simplicité et la lenteur de ses gestes, la
Acteur de théâtre et de cinéma, Conway le Faucon maltais (J. Huston, 1941), son
tranquillité de sa voix et de son débit lui
se laisse orienter par D. W. Griffith vers premier rôle important, puis le Grand
suffisent alors pour composer une effigie
l’écriture. En 1913, il devient cinéaste Sommeil (H. Hawks, 1946) et Ultime Raz-
familière, qui appartient au même registre
avec The Old Armchair. Ses succès, zia (S. Kubrick, 1956). Il fait ses débuts
que celles d’une pléiade d’acteurs de sa
en particulier avec Gloria Swanson, lui à l’écran, après une estimable carrière
génération : Gable, Tracy, Cary Grant
valent d’être engagé à la MGM en 1925, théâtrale, en 1936, et ne cesse guère de
ou Cagney. Très maîtrisé, leur jeu ne
pour The Only Thing ; il y restera jusqu’en tourner : policiers, westerns (l’Aigle soli-
recourt ni à des attitudes symboliques
taire, D. Daves, 1954 ; la Rivière de nos
1948. Son style, techniquement très soi- ni à une expression délicate et continue
gné, vigoureux et énergique, lui permet amours, A. De Toth, 1955). On le voit
des nuances, il n’illustre pas les thèmes
même paraître dans des comédies musi-
d’exceller dans le film d’action. Viva Villa obligés de la passion et ne détaille pas
cales comme Un fou s’en va-t-en guerre
(id., 1934, CO : Howard Hawks), Un les profondeurs imprévisibles de la per-
(E. Nugent, 1944), avec Danny Kaye.
envoyé très spécial (Too Hot To Handle, sonne, mais se contente de définir un
1938) ou Franc-Jeu (Honky Tonk, 1941) caractère par rapport à une situation.
COOKE OBJECTIFS
sont, dans ce genre, de véritables mo- Cela n’était guère possible avant que les
dèles. Mais, avec le même succès, il personnages ne deviennent vraiment des
COOPER (Frank James Cooper, dit
réalise des mélodrames romanesques Gary), acteur américain (Helena, Mont., sujets parlants.
(Lady of the Tropics, 1939) ou tourmen- Professionnel consciencieux, capable
1901 - Los Angeles, Ca., 1961).
tés (Crossroads, 1942). Le versatile Fils d’un magistrat qui est aussi un pro- d’interprétations de plus en plus riches
Conway est aussi un directeur d’acteurs priétaire terrien, il reçoit, en Angleterre et délicates, Cooper ne s’efface jamais
fin et spirituel, ce qui lui permet de réa- puis au Wesleyan College du Montana, derrière son personnage. D’abord l’image
liser quelques classiques (à tort oubliés) une solide éducation. Mais ses études emblématique de l’aventurier de l’Ouest
de la comédie : la Belle aux cheveux roux d’agriculture correspondent mal à sa garde une présence allusive dans plus
(Red-Headed Woman, 1932, avec Jean vocation : désireux de devenir caricatu- d’un héros : le provincial fourvoyé des
Harlow) ou Une fine mouche (Libeled riste, il part pour la Californie. Il y sera Carrefours de la ville, le romanesque
Lady, 1936, avec J. Harlow et Spencer représentant, jusqu’en 1925, date de ses Peter Ibbetson, le millionnaire candide
Tracy). Son meilleur film est peut-être le débuts au cinéma : il figure alors comme de l’Extravagant Mr. Deeds peuvent
Marquis de Saint-Évremond (A Tale of cow-boy dans une dizaine de films. Le passer pour des avatars de l’homme de
Two Cities, 1935), splendide recréation hasard veut qu’en 1926 on lui confie un la nature, tandis que l’architecte indivi-
d’un roman de Dickens, servie par une petit rôle dans Barbara la fille du désert, dualiste du Rebelle ou l’officier opiniâtre
prestation sensible et grave de Ronald où il se fait assez remarquer pour obte- de Condamné au silence transposent

292
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

le cavalier solitaire. Mais surtout la pré- due du jeu de l’acteur. Si sa sobriété et C’est pour toujours (H. Hathaway, id.) ;
sence physique de Cooper ne se laisse son impassible dignité l’aident à incarner Soir de noces (K. Vidor, 1935) ; les Trois
jamais ignorer. Le premier mérite de son les héros exemplaires de De Mille, son Lanciers du Bengale (H. Hathaway,
jeu est de nous convaincre de la réalité personnage évolue à l’approche de la id.) ; Peter Ibbetson (id., Hathaway, id.) ;
charnelle de son personnage. Cela tient guerre : sa sincérité devient plus pathé- Désir (Borzage, 1936) ; l’Extravagant
sans doute à sa stature, mais aussi aux tique (l’Homme de la rue, Pour qui sonne Mr. Deeds (F. Capra, id.) ; Hollywood
rapports vrais qu’il entretient avec les le glas ?) ; sa candeur, plus embarrassée Boulevard (R. Florey, id.) ; Le général est
objets qui l’entourent : dans le décor, ce (Sergent York, Boule de feu). À l’époque mort à l’aube (Milestone, id.) ; Une aven-
corps immense trouve toujours une as- où son visage cesse d’être émacié, ses ture de Buffalo Bill (C. B. De Mille, 1937) ;
sise, il s’établit. D’autre part, ses gestes rôles gagnent en gravité, même dans Ames à la mer (Hathaway, id.) ; les Aven-
harmonieux entraînent tout son être : ils l’épopée (l’Odyssée du docteur Wassel, tures de Marco Polo (A. Mayo, 1938) ; la
n’ont jamais l’aspect désincarné d’un si- Cape et Poignard, les Conquérants d’un Huitième Femme de Barbe-Bleue (E. Lu-
gnal ; leur inhabileté ne laisse pas le seul Nouveau Monde) ou la comédie (Ce bon bitsch, id.) ; Madame et son cow-boy
rendement les définir. Enfin, un curieux vieux Sam). Alors se dessine un lutteur (The Cowboy and the Lady, H. C. Potter,
contraste oppose sa silhouette élégante idéaliste, profondément étranger au id.) ; Beau Geste (W. Wellman, 1939) ;
et élancée à un visage mince et fort dé- monde qui l’entoure : le Rebelle ou les la Glorieuse Aventure (Hathaway, id.) ;
coupé ; il en résulte que son individualité Aventures du capitaine Wyatt tirent parti le Cavalier du désert (W. Wyler, 1940) ;
s’affirme aussi bien par ses traits singu- en ce sens de la rupture physique que les Tuniques écarlates (C. B. De Mille,
liers que par son impressionnante taille. marque le corps de Cooper. Les wes- id.) ; l’Homme de la rue (Capra, 1941) ;
terns de Zinneman, De Toth ou Hathaway Sergent York (Hawks, id.) ; Boule de
Le jeu de l’emblème et de l’effigie
laissent apparaître un vieillissement à la feu (Hawks, 1942) ; Vainqueur du des-
produit une figure d’autant moins simple
faveur duquel le visage et les interpréta- tin (The Pride of the Yankees, S. Wood,
que l’image de l’homme d’action doit être
tions vont se nuancer. Incarnant souvent id.) ; Pour qui sonne le glas (id., 1943) ;
incarnée par une personne évidemment
un homme sur qui pèsent d’injustes ac- l’Odyssée du docteur Wassell (C. B. De
lymphatique, ce qui donne à tous ses
cusations, Cooper traduit la lourdeur du Mille, 1944) ; Casanova le Petit (Wood,
gestes une tournure méditative. L’attitude
passé et de la culpabilité. Sensible dans id.) ; le Grand Bill (Along Came Jones,
la plus fréquente de l’acteur, en raison
Ariane, il sera particulièrement touchant S. Heisler, 1945) ; l’Intrigante de Saratoga
de ses relations avec autrui, consiste à
dans l’Homme de l’Ouest et la Colline (Wood, id.) ; Cape et poignard (F. Lang,
conserver la tête inclinée : ainsi se des-
des potences, vieilli, ridé et entaché par 1946) ; les Conquérants d’un Nouveau
sine le paradoxe d’un aventurier réfléchi,
la faute, mais d’une indomptable bonne Monde (C. B. De Mille, 1947) ; Hollywood
d’un conquérant timide. On ne sau-
volonté. en folie (Variety Girl, G. Marshall, id. ;
rait douter de sa portée politique, dans
caméo) ; Ce bon vieux Sam (L. McCa-
un monde où la modération n’était pas Il meurt en 1961, d’un cancer.
rey, 1948) ; le Rebelle (K. Vidor, 1949) ;
une vertu qu’on dût demander aux vain- Films : Barbara, fille du désert
les Travailleurs du chapeau (It’s a Great
queurs. Comme la retenue de ses mou- (H. King, 1926) ; It (C. Badger, 1927) ;
Feeling, D. Butler, id. ; caméo) ; Horizons
vements et de son expression est l’indice Children of Divorce (F. Lloyd, id.) ; Ari-
en flammes (Task Force, D. Daves, id.) ;
d’une grande réserve, Cooper peut enfin zona Bound (John Waters, id.) ; les Ailes
le Roi du tabac (M. Curtiz, 1950) ; Dallas,
colorer d’ironie, plus ou moins, toutes (W. Wellman, id.) ; Au service de la loi
ville frontière (Dallas, S. Heisler, id.) ; La
ses interprétations. Second paradoxe : le (Nevada, Waters, id.) ; The Last Out-
marine est dans le lac (You’re in the Navy
héros le plus respectable de Hollywood law (id., id.) ; Beau Sabreur (id., 1928) ;
Now, Hathaway, 1951) ; Starlift (R. del
est aussi, et parfois en même temps, le les Pilotes de la mort (Wellman, id.) ;
Ruth, id. ; caméo) ; les Aventures du
personnage le moins respectueux. Vera Doomsday (R. V. Lee, id.) ; Mariage à
capitaine Wyatt (R. Walsh, id.) ; It’s a big
Cruz fait l’usage le plus complet de ces l’essai (Half a Bride, G. La Cava, id.) ;
Country (C. Brown, 1952) ; Le train sifflera
paradoxes qui intéressent toute la car- Ciel de gloire (Lilac Time, G. Fitzmau-
trois fois (F. Zinneman, id.) ; la Mission
rière de l’acteur : son aptitude à la comé- rice, id.) ; The First Kiss (R. V. Lee, id.) ;
du commandant Lex (A. de Toth, id.) ;
die ne lui vient par exemple ni d’une viva- l’Ange impur (The Shopworn Angel,
Retour au Paradis (Return to Paradise,
cité ni d’une invention bouffonne, mais Richard Wallace, id.) ; le Chant du loup M. Robson, 1953) ; le Souffle sauvage
d’une certaine malice qui s’exerce aussi (Wolf Song, V. Fleming, 1929) ; Men-
(H. Fregonese, id.) ; le Jardin du Diable
bien contre lui-même que contre son en- songes (Betrayal, L. Milestone, id.) ; The (Hathaway, 1954) ; Vera Cruz (R. Aldrich,
tourage. La parfaite transparence de ses Virginian (Fleming, id.) ; Only the Brave id.) ; Condamné au silence (O. Premin-
yeux bleus dénie toute expression immé- (F. Tuttle, 1930) ; Paramount on Parade ger, 1955) ; la Loi du Seigneur (W. Wyler,
diate de la passion : les mobiles du per- (id.) ; The Texan (J. Cromwell, id.) ; Seven 1956) ; Ariane (B. Wilder, 1957) ; 10, rue
sonnage deviennent ainsi plus lointains et Days Leave (Wallace, id.) ; A Man From Frederick (P. Dunne, 1958) ; l’Homme
plus graves. Ce regard innocent, presque Wyoming (R. V. Lee, id.) ; The Spoi- de l’Ouest (A. Mann, id.) ; la Colline des
rêveur, marque volontiers le secret, mais lers (Edwin Carewe, id.) ; Coeurs brûlés potences (Daves, 1959) ; Ne tirez pas sur
son incertitude nonchalante n’exclut pas (J. von Sternberg, id.) ; Fighting Caravans le bandit (Alias Jesse James, N. McLeod,
l’humour. (Otto Brower et David Burton, 1931) ; id. ; caméo) ; Ceux de Cordura (R. Ros-
Dans la première partie de sa car- les Carrefours de la ville (R. Mamoulian, sen, id.) ; Cargaison dangereuse (The
rière, les rôles les plus romanesques id.) ; I Take This Woman (Marion Gering, Wreck of the Mary Deare, M. Anderson,
(l’Adieu au drapeau, Peter Ibbetson) id.) ; His Woman (Edward Sloman, id.) ; id.) ; la Lame nue (id., 1961).
utilisent la singularité physique de cette Make Me a Star (W. Beaudine, 1932 ;
figure, tandis que les films d’aventure (les caméo) ; Devil and the Deep (le Démon COOPER (Dame Gladys), actrice britan-
Trois Lanciers du Bengale) continuent du sous-marin, M. Gering, id.) ; Si j’avais nique (Lewisham 1888 - Londres 1971).
à s’appuyer sur l’élégance du cavalier. un million (N. McLeod, id.) ; l’Adieu au Une gracieuse distinction et un art raffiné
Mais Cooper n’est pas seulement une drapeau (F. Borzage, id.) ; Après nous du métier firent de cette vedette du West
présence captivante : sous la direction le déluge (H. Hawks, 1933) ; One Sun- End londonien l’une des grandes dames
de Mamoulian, de Borzage ou de Vidor, day Afternoon (Stephen R. Roberts, id.) ; du théâtre anglais. Après avoir tourné des
mais d’abord de Sternberg, le prestige Sérénade à trois (E. Lubitsch, id.) ; Alice films de peu d’intérêt, elle commence une
évasif se change parfois en trouble ; les au pays des merveilles (N. McLeod, id.) ; véritable carrière cinématographique,
comédies de Lubitsch montrent l’éten- Operator 13 (R. Boles’lawsky, 1934) ; à 52 ans, dans Rebecca (A. Hitchcock,

293
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

1940). Elle obtient une nomination aux ce dernier et Lothar Mendes (The Four ture constitue un de ses sujets de pré-
Oscars pour sa performance dans Une Feathers, 1929), puis il persuade Selz- dilection. Il signe ainsi successivement
femme cherche son destin (I. Rapper, nick d’engager le studio dans la réalisa- l’Irrésistible Construction du musée de
1942) et trouve ses meilleurs rôles dans tion de King Kong (1933) et charge Willis Picardie (1993), Pierrefonds, le château
le Chant de Bernadette (H. King, 1943), O’Brien des maquettes et de leur anima- de l’architecte (1994), l’Arbre, le livre et
Madame Parkington (T. Garnett, 1944), tion, écrivant le scénario avec Schoed- l’architecte (1996), le Centre Georges-
et My Fair Lady (G. Cukor, 1964). sack et dirigeant avec lui ce film étonnant Pompidou (1998), Maison à Bordeaux
demeuré « le » classique du genre. Coo- (1998), sur Rem Koolhass, ou encore Do-
COOPER (John Cooper Jr., dit Jackie), ac- per succède à Selznick à la vice-prési- minique Perrault (1998). Parmi ses autres
teur américain (Los Angeles, Ca., 1921). dence de la RKO, puis le rejoint, au films les plus remarqués, mentionnons
Il est longtemps l’un des plus célèbres même poste, à la Selznick International Au Louvre avec les maîtres (1993), sur
enfants acteurs du cinéma américain, Pictures en 1936. Chef d’état-major, en les rapports entretenus par cinq peintres
débute à l’âge de trois ans dans une co- Chine, du général d’aviation Claire Che- des xixe et xxe siècles avec le musée pari-
médie de Bobby Clark, puis joue, grâce à nault, le « patron » des Tigres volants, sien, Festival d’Édimbourg : mille et un
son oncle, le réalisateur Norman Taurog, pendant la Seconde Guerre mondiale, théâtres (1997), à propos du 50e anniver-
dans plusieurs films de Lloyd Hamilton, Cooper retrouve Hollywood et fonde, en saire du Festival écossais, Paroles ou-
tourne dans la série comique Our Gang 1947, sa propre compagnie, avec John vrières, paroles de Wonder (1997) ? sur
de Hal Roach, et dans des illustrations Ford : Argosy Pictures. Il faut alors citer, les événements de 1968 dans les usines
filmées de bandes dessinées célèbres de Ford, Dieu est mort (1947), le Mas- Wonder à Saint-Ouen, ou encore Nor-
comme Skippy ou Sooky : le premier sacre de Fort Apache (1948), le Fils du man Mailer : histoires d’Amérique (1999),
décrocha un Oscar pour le metteur en désert (1949), la Charge héroïque (id.), dans lequel le grand écrivain développe
scène, qui n’était autre que... le « ton- le Convoi des braves (1950), Rio Grande sa vision de l’évolution politique, sociale
ton » Taurog. Héros de plusieurs pro- (id.), l’Homme tranquille (1952), la Pri- et culturelle des États-Unis depuis la fin
ductions de la MGM consacrées à l’ado- sonnière du désert (1956)... Le rôle de de la Seconde Guerre mondiale.
lescence, on le vit souvent par exemple Cooper a été décisif dans l’incitation à
auprès de Freddie Bartholomew et de innover, la recherche d’une qualité plas- COPEAU (Jacques), acteur et metteur en
Mickey Rooney. On se souvient surtout tique et d’une originalité thématique dont scène français (Paris 1879 - Pernand-Ver-
de lui en mousse courageux dans la meil- la Chasse du comte Zaroff (Schoedsack gelesses 1949).
leure version de l’Île au trésor (V. Fle- et I. Pichel, 1932) est un des plus beaux La carrière cinématographique de ce
ming, 1934), avec Wallace Beery. Il avait produits, avant sa collaboration à la car- maître du théâtre est brève et sans éclat
déjà joué avec ce dernier dans le mélo de rière de John Ford, moment de plénitude particulier : Sous les yeux d’Occident
King Vidor, le Champion (1931), et dans et période classique du western. Cooper (M. Allégret, 1936), l’Affaire du courrier
les Faubourgs de New York (R. Walsh, qui avait souvent pris des risques finan- de Lyon (M. Lehmann et C. Autant-Lara,
1933). Il retrouvera d’ailleurs W. Beery ciers, ne se laissa jamais ligoter par la 1937), Conflit (L. Moguy, 1938), la Vénus
dans l’Enfant du cirque (O Shaughnes- routine ; il coproduisit aussi le premier film de l’or (Ch. Méré et J. Delannoy, id.), ne
sy’s Boy, R. Bolesawsky, 1935). Sa en Cinérama, This Is Cinerama, en 1952. lui offrent que des rôles de second plan
réputation de tirer facilement des larmes dans des films de second ordre. On lui
au grand public et ses salaires fabuleux COOPER (Miriam), actrice américaine (Bal- doit en revanche, ainsi qu’à ses disciples
font de lui, selon ses propres termes, timore, Md., 1892 - Charlottesville, Va., Louis Jouvet et Charles Dullin, la forma-
« un véritable enfant gâté ». Pour s’arra- 1976). tion de générations d’acteurs.
cher à ce piège doré, il s’engage dans la Elle fut l’interprète de D. W. Griffith, no-
marine, apparaît dans un western de Fritz tamment dans Naissance d’une nation COPIE.
Lang (le Retour de Frank James, 1940) (1915) et Intolérance (1916). On l’a éga- Action de copier un film. Film positif des-
et se retrouve fiancé à Deanna Durbin lement vue dans plusieurs films de son tiné à la projection. Copie de travail, film
dans That Certain Age (E. Ludwig, 1938). mari Raoul Walsh : The Silent Lie (1917) ; sur lequel travaille le monteur. Copie zéro,
Enfin, il devient vedette de théâtre, jouant The Innocent Sinner (1917) ; The Woman première copie portant à la fois l’image et
l’enseigne Pulver dans Mr. Roberts, and the Law (1918) ; The Prussian Cur le son. Copie standard, ou d’exploitation,
tourne deux séries de télévision, The (1918) ; Evangeline (1919) ; Should a copie destinée à la projection dans les
People’s Choice et Hennessey. On l’a vu Husband Forgive ? (1919) ; The Deep salles. ( COPIES, LABORATOIRE, MON-

espacer ses apparitions à l’écran après Purple (1920) ; The Oath (1921) ; Kindred TAGE, TIRAGE.)

French Leave (Jackie Raymond, 1948), of the Dust (1922). Elle abandonne le ci-
COPIES.
où il avait pour partenaire l’autre ex-en- néma en 1924. Ses Mémoires, Dark Lady
fant prodige du cinéma, Jackie Coogan. Le spectateur des salles de cinéma as-
of the Silents, ont été publiés en 1974.
Il réapparaît en 1978 dans Superman siste à la projection d’une copie, établie
COPANS (Richard), cinéaste français en laboratoire par tirage à partir d’un
(R. Donner), puis en 1981 dans Super-
(Neuilly 1947). élément négatif. Cet élément peut être
man II (R. Lester).
Après une formation à l’IDHEC dans la le négatif original, mais on procède ra-
COOPER (Merian C.), producteur et section prise de vues, sa carrière ciné- rement ainsi car cet original constitue le
cinéaste américain (Jacksonville, Fla., matographique adopte trois directions seul « souvenir » matériel du tournage,
1893 - Coronado, Ca., 1973). différentes. Il exerce tout d’abord en tant et sa détérioration serait un dommage
Au lendemain de la Grande Guerre, il que directeur de la photographie, colla- inestimable. Le plus souvent, l’élément
se lie en Europe avec le reporter Ernest borant à nombre de longs métrages do- de tirage est un négatif intermédiaire
B. Schoedsack et participe à tous les cumentaires et de fiction, dont plusieurs (appelé également « internégatif » ou
niveaux à ses entreprises documen- films de Robert Kramer. Parallèlement, « contretype ») obtenu en laboratoire par
taires exotiques ( E.B. SCHOEDSACK). De il développe une activité de producteur, tirage à partir du négatif original.
retour aux États-Unis, son ami David en tant que fondateur et président de la Les copies projetées dans les salles
O. Selznick l’invite à prendre en charge maison de production Films d’Ici depuis sont appelées copies d’exploitation ou
la production de la RKO. Cooper fait donc 1984. Enfin, il réalise lui-même un cer- copies standard. Préalablement, le mon-
appel à Schoedsack. Il dirige les Quatre tain nombre de films documentaires. teur a d’abord fourni la copie de travail,
Plumes blanches, en collaboration avec Dans le cadre de cette activité, l’architec- aboutissement du travail du montage.

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Cette copie, réalisée par collage des Le traitement des copies. On peut internégatif. On peut passer par un positif
positifs fournis par les rushes ( MON- pratiquer deux types de traitements sus- intermédiaire (également appelé « inter-
TAGE), ne comporte que l’image. Puisque, ceptibles d’allonger la durée de vie des positif », ou encore « master » dans le
à ce stade, l’image et le son sont encore copies. cas de la couleur), tiré spécialement à
portés par des bandes distinctes, si l’on Les traitements de prévention, prati- fin de contretypage et à partir duquel on
veut juger l’ensemble, on procède à une qués sur copies neuves ou sur copies tire dans une seconde étape l’interné-
projection en copie double bande, grâce gatif. (Autrefois, les intermédiaires noir
rénovées, consistent généralement soit
à un système de projection assurant le et blanc étaient appelés « marron » ou
en un laquage, application sur la gélatine
défilement synchronisé des deux bandes. « lavande », car leurs supports étaient
d’un vernis transparent qui la protège
Le laboratoire monte ensuite le négatif alors teintés dans ces couleurs, pour
contre l’abrasion superficielle, soit en un
image en conformité avec la copie de tra- des raisons visant à améliorer la qualité
tannage de la gélatine, qui durcit celle-ci
vail puis, après étalonnage, tire, à partir de l’image finale). On peut aussi obte-
et augmente donc sa résistance à l’abra-
de ce négatif et du négatif son établi par nir directement l’internégatif par emploi
sion. Aucun de ces traitements n’évite les
ailleurs, la copie zéro, première copie d’un film intermédiaire inversible. La
rayures profondes.
susceptible d’être projetée. Il ne reste seconde méthode est plus rapide, plus
Les traitements de rénovation per-
plus qu’à rectifier éventuellement l’étalon- économique, et elle limite quelque peu
mettent de remettre dans un état parfois
nage pour tirer ensuite les copies stan- les pertes de qualité qui apparaissent iné-
très proche du neuf les copies modéré-
dards. L’établissement de la copie zéro vitablement à chaque report de l’image.
ment rayées. Ils consistent soit à polir le
marque donc la fin de la fabrication pro- La première méthode a l’avantage de
support, de façon à combler les rayures
prement dite du film : les avances finan- fournir, avec le positif intermédiaire, une
et à les rendre ainsi invisibles, soit à gon-
cières consenties au producteur s’accom- « sécurité » supplémentaire. (On appelle
fler la gélatine, ce qui aboutit au même
pagnent souvent d’une date limite pour la « sécurité » tout contretype permettant de
résultat.
remise de cette copie. préserver l’original.)
Ces traitements n’empêchent ni l’écla-
L’usure des copies. À force d’être pro- Si l’original est un positif (film de prise
tement des perforations (encore que cer-
jetées et manipulées, les copies d’exploi- de vues inversible, ou bien copie positive
tains traitements de prévention, en faci-
tation subissent une usure, qui se mani- quand le négatif a disparu), la démarche
litant le glissement du film, réduisent ce
feste de deux façons. normale, en cinéma professionnel,
risque) ni le vieillissement des colorants.
Le public remarque surtout les rayures. consiste à en tirer un négatif, de façon
( CONSERVATION DES FILMS.)
Les rayures proprement dites proviennent à retrouver la filière de tirage classique.
Supports. Jusque dans les années 50,
du frottement du film sur une aspérité
le support des copies d’exploitation était
fine, généralement créée par une accu- COPLAND (Aaron), musicien américain
en nitrate de cellulose, également appelé
mulation, dans le couloir du projecteur, (New York, N. Y., 1900 - North Tarrytown,
« film flamme » en raison de sa grande
de poussières ou de particules arrachées N. Y., 1990).
inflammabilité ( FILM). Progressive-
à la pellicule. (La copie se charge d’élec- Il est déjà célèbre pour ses oeuvres de
tricité statique, qui attire les poussières ment, ce support a été remplacé par du concert quand le cinéma l’appelle en
ambiantes, soit par frottement contre les triacétate de cellulose, très peu inflam- 1939. Ses contributions sont rares, sans
pièces fixes du projecteur, soit par frot- mable, appelé, par opposition, « support doute à cause d’un refus radical d’« hol-
de sécurité ». Le support polyester, em-
tement des spires entre elles.) La pluie lywoodiser » son travail : sa musique, dis-
ployé couramment depuis les années 80
est créée, lors du rembobinage, quand crète, est souvent complexe et n’utilise
les spires du film « jouent » entre elles : comme support des films magnétiques pratiquement pas de leitmotiv. Une telle
les poussières provoquent une abrasion perforés ( MIXAGE), a été utilisé à partir attitude était très neuve en 1940 pour Des
superficielle qui donne une impression de des années 90 comme support des co- souris et des hommes (L. Milestone) ; elle
« pluie » dans l’image et qui élève le bruit pies d’exploitation pour des raisons éco- l’était encore en 1961, lors de sa remar-
de fond. nomiques et écologiques. Ses propriétés quable partition pour Au bout de la nuit
sont semblables à celles du triacétate
La copie subit par ailleurs des efforts (J. Garfein). Ses meilleurs travaux restent
quant à l’inflammabilité, mais il est beau-
mécaniques, particulièrement au niveau le Poney rouge (Milestone, 1949), le plus
coup plus stable dimensionnellement
des perforations dans lesquelles s’en- populaire, et l’Héritière (W. Wyler, id.), où
et beaucoup plus résistant mécanique- sa musique, toujours à l’arrière-plan, ne
gagent les dents qui « tirent » le film.
ment, notamment à la déchirure, ce qui
Quand ces efforts excèdent la résistance laisse pas d’être sinueuse et obsédante,
présente un intérêt pour les copies (dété-
du support, une petite déchirure (une et lui vaut un Academy Award.
rioration des perforations). Il sera proba-
« piqûre ») apparaît dans l’angle des per-
forations : pour peu que l’on n’y prenne blement, à terme, le support de tous les COPPOLA (Francis Ford), cinéaste améri-
films cinématographiques. Il n’existe pas cain (Detroit, Mich., 1939).
garde, elle conduit rapidement à l’éclate-
de solvant pour ce produit et il n’est donc Sa précocité, sa formation universitaire,
ment des perforations ou à la rupture du
pas possible de le « rénover » par repolis- la variété de ses dons, sa réussite spec-
film. La copie devient alors improjetable.
Si la partie endommagée est courte, on sage. De même, il ne peut être collé à la taculaire, tant commerciale que critique,
peut se contenter de l’éliminer : le specta- colle mais peut l’être par collage à chaud sa personnalité controversée ont fait de
teur perçoit alors un « saut » dans l’image (ultrasons) ou à l’adhésif ( COLLAGE). lui l’incarnation de la Nouvelle Vague hol-
et dans le son. Sinon, il faut la remplacer Les films intermédiaires. Chaque lywoodienne qui, dans les années 70, a
par une longueur équivalente de copie copie est obtenue en faisant défiler simul- pris les commandes de l’industrie améri-
neuve. tanément dans la tireuse le négatif et le caine du cinéma. À bien des égards, on
La durée de vie d’une copie dépend film de copie. Or, le négatif est évidem- peut le considérer comme le parrain de
énormément du soin qu’on en prend, de ment très précieux. Les copies sont donc cette génération d’enfants prodiges qui
l’entretien du projecteur, etc. Dans des le plus souvent tirées en fait à partir d’un regroupe son ami George Lucas, Steven
conditions d’exploitation correctes, une internégatif, contretype du négatif origi- Spielberg, Martin Scorsese et Brian de
copie peut supporter plusieurs centaines nal, lequel peut ainsi être conservé en Palma.
de passages. Dans les meilleures condi- sécurité. Il découvre le spectacle lorsque, cloué
tions, on atteint environ deux mille pas- En noir et blanc comme en couleurs, au lit par la polio (à dix ans), il passe
sages. il existe deux façons de parvenir à cet son temps à animer des marionnettes

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

et à monter et à synchroniser avec un que du décorateur Dean Tavoularis, un sera en 2001 une version augmentée de
magnétophone les films d’amateur que artiste sensible à la texture des choses, 53 minutes. Si Coppola aborde en vision-
réalisent ses proches (son père, Car- avec un lyrisme « opératique » dans le- naire le territoire des mythes, il témoigne
mine, écrira plus tard la musique de ses quel on retrouve ses origines italiennes. par la suite d’un curieux penchant pour
films ; sa soeur cadette jouera au cinéma Comblé d’honneurs (deux Oscars pour la les sentiments et les clichés en tentant
sous le nom de Talia Shire). Coppola étu- meilleure mise en scène grâce aux Par- de retrouver le public populaire au lende-
die ensuite le théâtre au Hofstra College rain I et II, deux Palmes d’or au festival main de graves tracas financiers. Coup de
et monte plusieurs pièces ; diplômé en de Cannes pour Conversation secrète et coeur, est une histoire d’amour, délibéré-
1960, il entre au département de cinéma Apocalypse Now), le cinéaste affirme de ment stylisée dans les décors minnelliens
de l’UCLA, remporte le prix du scénario plus en plus sa volonté de puissance, dé- d’un Las Vegas reconstruit en studio.
Samuel Goldwyn et s’initie aux diffé- fraie la chronique (le tournage spectacu- Outsiders (1983), évocation des rivalités
rentes étapes de la fabrication d’un film. laire aux Philippines d’Apocalypse Now, entre gangs de jeunes dans l’Amérique
Pendant ses années d’études, il tourne les multiples problèmes financiers) et joue des années 60, semble dépourvu d’ambi-
quelques courts métrages érotiques (dont les nababs dans la grande tradition hol- tion. Mais Rusty James (1983), inspiré lui
The Pepper, qui, monté avec un western lywoodienne. Il est le producteur exécutif aussi d’une littérature pour adolescents,
« déshabillé », sera exploité sous le titre d’American Graffiti (G. Lucas, 1973), qui atteste d’une plus grande audace avec
The Wide Open Spaces/Tonight for Sure, lui rapporte une fortune, achète en 1974 son style expressionniste entre Welles et
en 1961), remonte et double des films un théâtre, une station de radio et City, Cocteau. Avec Cotton Club (1984), film
d’aventures soviétiques pour l’American un magazine de San Francisco, acquiert historique sur le monde des gangsters,
International de Roger Corman, avec des parts dans une compagnie de distri- Coppola tente de renouer avec le succès
qui il travaille en Irlande sur The Young bution, s’installe à San Francisco, puis en des Parrain.
Racers (1963). Le réalisateur-producteur 1979 à Los Angeles, où il rachète Gene- Jardins de pierre évoque l’envers de
le laisse utiliser la même équipe pour ral Studios, ressuscite Zoetrope, engage la guerre du Viêt-nam dans une tonalité
tourner un scénario d’épouvante écrit à la Michael Powell et Gene Kelly, distribue sobre opposée à Apocalypse Now, tout
hâte : Dementia 13. le Hitler de Syberberg et le Napoléon de en refusant un manichéisme réducteur.
De retour en Californie, il est engagé Gance, produit un film de Wenders (Ham- Tucker brosse dans un rythme rapide
par la compagnie Seven Arts pour écrire mett), et pleure devant ses employés et nerveux, le portrait d’un constructeur
des scénarios : Propriété interdite (S. Pol- pour qu’ils continuent, sans être payés, le automobile en avance sur son temps qui
lack, 1966) ; Paris brûle-t-il ? (R. Clément, tournage de Coup de coeur (1981). se heurte aux lobbies industriels de son
id.) ; Reflets dans un oeil d’or (J. Huston, Les films de Coppola reflètent les pays. Coppola, dont certains films ont été
1967) ; Patton (F. Schaffner, 1970). Pour contradictions de leur auteur. Que leur des insuccès publics importants (notam-
le remercier de ses services, Seven Arts sujet évoque le crime organisé (la mafia ment Coup de coeur) se trouve confronté
lui donne aussi la possibilité de mettre des Parrain), l’espionnage (Conversation au cours des années 80 à de très graves
en scène son deuxième film, Big Boy secrète, qui annonce Watergate) ou la difficultés financières, ainsi qu’à la jus-
(1967), comédie au montage rapide sur guerre au Viêt-nam (Apocalypse Now), tice américaine. Il n’a pas caché que le
les rapports d’un jeune homme maladroit ils ne se réduisent jamais à des solutions tournage du troisième Parrain était pour
et inhibé avec sa famille et les femmes. simples. Leur richesse tient pour beau- lui un ultime recours pour renflouer sa
Influencée par Richard Lester, l’oeuvre ne coup à leur ambiguïté. Si le Parrain est société. Malgré cela, il a réussi à y pré-
révèle pas une forte personnalité. Elle a une oeuvre de facture assez tradition- server intacte son intégrité artistique et
du moins plus de rythme et de conviction nelle, qui semble exalter la vertu de la le film n’a aucun mal à s’inscrire dans
que le film suivant, la Vallée du bonheur famille, sa suite, le Parrain II, entretient la continuité des deux précédents vo-
(1968), conte de fées que Fred Astaire avec lui un rapport dialectique. Plus com- lets. Une grandiose séquence finale en
vieillissant ne parvient pas à animer. plexe, d’une composition hardie (voyage montage parallèle vient rappeler à ceux
Tirant la leçon de cette expérience dé- dans le temps et l’espace), il s’ouvre qui en douteraient l’aisance formelle du
cevante, Coppola rassemble une équipe sur le monde extérieur et la politique et cinéaste. Dracula, le gros succès com-
réduite et tourne sur les routes les Gens montre comment le pouvoir conduit à la mercial qu’il recherchait depuis quelque
de la pluie (1969). Il y révèle alors avec solitude tout en dévoilant les structures temps pour se remettre définitivement en
maîtrise un sens de l’aliénation et de la ethniques et économiques d’un milieu re- selle, souffre peut-être d’un formalisme
solitude modernes, ainsi qu’un réel ta- gardé sans complaisance.Conversation excessif et parfois prétentieux : il n’en
lent pour peindre le paysage américain secrète trace le portrait d’un enquêteur reste pas moins d’une grande audace
(motels, voitures, cabines téléphoniques, qui épie un couple, le filme et l’écoute. visuelle. On peut s’étonner que ce succès
roulottes). Ce film, comme la fondation, la Film sur le pouvoir qui détruit autant celui original ait été suivi de films aussi discrets
même année, avec George Lucas, de sa qui le détient que ceux qu’il contrôle, c’est que Jack et l’Idéaliste. Ce dernier, adapté
propre compagnie, American Zoetrope, aussi une réflexion sur le cinéma soute- d’un best-seller de John Grisham, est
marque un tournant dans la carrière de nue par un suspense dans la pure tra- pourtant une oeuvre personnelle qui re-
Coppola. Mais les Gens de la pluie, ainsi dition américaine (Hitchcock) avec des noue avec l’inspiration « en mineur » des
que THX 1138 (1971) de George Lucas, préoccupations plus cérébrales (Blow Gens de la pluie et de Jardins de pierre.
premier film produit par Zoetrope, sont Up, d’Antonioni). Apocalypse Now abolit En 2001 une version allongée de Apo-
des échecs commerciaux. enfin les frontières entre le réel et l’imagi- calypse Now, comprenant des scènes

Paradoxalement, c’est une commande naire. Inspiré du court roman de Conrad inédites, est sélectionnée pour le Festival

Au coeur des ténèbres, le film devient à la de Cannes.


que lui propose Albert Ruddy pour Pa-
ramount, le Parrain (1972), d’après le fois un cauchemar de l’Histoire (la guerre Francis Ford Coppola est le père de la
roman de Mario Puzo, qui va faire sou- au Viêt-nam) et le voyage d’un militaire, réalisatrice Sofia Coppola qui a réalisé
dain de Coppola un des cinéastes les Willard (Martin Sheen), vers sa propre Virgin Suicides (2000).
plus en vue des années 70. Coppola folie. Véritable opéra de la mort et de la Films : Dementia 13 (1963) ; Big Boy
se révèle comme un maître du cinéma destruction, le film déploie une imagerie (You’re a Big Boy Now, 1967) ; la Vallée
romanesque, un excellent directeur d’ac- grandiose où l’on a pu voir une exalta- du bonheur (Finian’s Rainbow, 1968) ;
teurs et, avec l’aide des chefs opérateurs tion ou, au contraire, une condamnation les Gens de la pluie (The Rain People,
Gordon Willis et Vittorio Storaro ainsi de l’esprit guerrier ; le cinéaste en propo- 1969) ; le Parrain (The Godfather, 1972) ;

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Conversation secrète (The Conversation, après avoir fabriqué quelques péplums Alcoriza (El gangster, 1964), entre autres.
1974) ; le Parrain, 2e partie (The Godfa- (le Fils de Spartacus [Il figlio di Spar- Il montre qu’il est capable de bien s’amu-
ther, Part II, id.) ; Apocalypse Now (id., tacus], 1962). Connu en France pour ser dans un petit joyau d’humour noir : El
1979) ; Coup de coeur (One From the avoir dirigé Johnny Halliday dans un esqueleto de la señora Morales (Rogelio
Heart, 1981) ; Outsiders (The Outsiders, western très peu original (le Spécialiste A. González, 1959). Sa carrière interna-
1983) ; Rusty James (Rumblefish, id.) ; [Gli specialisti], 1970), son meilleur film tionale le fait interpréter notamment Pour
Cotton Club (The Cotton Club, 1984) ; dans la catégorie reste le Grand Silence qui sonne le glas (S. Wood, 1943, à Hol-
Peggy Sue s’est mariée (Peggy Sue (Il grande silenzio, 1968). Ce fabricant lywood), Dios se lo pague (L.C. Amadori,
Got Married, 1986) ; Jardins de pierre aussi fécond que médiocre s’est tourné 1948, en Argentine), La balandra Isabel
(Gardens of Stone, 1987) ; New York ensuite vers les genres les plus divers, llegó esta tarde (C.H. Christensen, 1949,
Stories (2e épis. la Vie sans Zoé [Life avec un succès dû généralement à ses au Venezuela), Los peces rojos (J.A. Nie-
Without Zoe, 1988] ; Tucker (id., 1989) ; seuls scénaristes, ne montrant un peu de ves Conde, 1955, en Espagne).
le Parrain III (The Godfather Part III : The talent que dans une comédie d’aventures
Continuing Story, 1990) ; Dracula (id., (Mais qu’est-ce que je viens foutre dans CORDY (Victor Raymond Cordioux, dit

1993) ; Jack (id., 1996) ; l’Idéaliste (John’s cette révolution ? [Che c’entriamo noi con Raymond), acteur français (Vitry-sur-Seine
la Rivoluzione ?], 1972, grâce à Vittorio 1898 - Paris 1956).
Grisham’s The Rainmaker, 1997).
Gassman) et dans des policiers plus ou Grâce à René Clair, qui le découvre et
COPRODUCTION. moins parodiques (Mélodie meurtrière le fait abondamment tourner (le Million,
Film de coproduction, ou coproduction, [Giallo napoletano], 1979). Champion du 1931 ; À nous la liberté, id. ; Quatorze Juil-
film produit par plusieurs producteurs. box-office italien au cours des années 80, let, 1933 ; le Dernier Milliardaire, 1934 ;
Dans un sens plus restreint, film produit Sergio Corbucci a notamment réalisé I Le silence est d’or, 1947 ; la Beauté du
dans le cadre d’un accord de coproduc- Giorni del commissario Ambrosio (1988) diable, 1950 ; les Belles de nuit, 1952 ; les
tion. ( PRODUCTION.) avec Ugo Tognazzi. Grandes Manoeuvres, 1955), Raymond
Cordy prodigue pendant 25 ans ses qua-
COPULANTS. CORDA (Mária Antonia Farkas, dite Maria), lités de naturel et de sobriété dans d’in-
Syn. de coupleurs. actrice hongroise (Déva 1898 - New-York, nombrables films parmi lesquels : Pen-
États-Unis, 1978). sion Mimosas (J. Feyder, 1935), la Belle
CORBIAU (Gérard), cinéaste belge Apparue dans quelques films produits par Équipe (J. Duvivier, 1936), le Veau gras
(Bruxelles 1941). la Corvin, une société de Budapest, elle (S. de Poligny, 1939), les Inconnus dans
Venu de la télévision belge, où il a dirigé est remarquée par le réalisateur Alexan- la maison (H. Decoin, 1942).
beaucoup d’émissions consacrées à la der Korda qui l’épouse peu après. Mais
musique et à la danse, il devient célèbre curieusement le pseudonyme qu’elle CORÉE.
dès son premier film, le Maître de musique adopte ne vient pas de son mariage Si le cinéma apparaît en Corée dès 1903,
(1988, avec José Van Dam), qui séduit mais fait référence à la devise « sursum ce n’est qu’après la guerre russo-japo-
surtout par un scénario brillant et la fusion corda ». Tous deux quittent la Hongrie à naise et la mainmise du Japon sur le
entre l’intrigue et le contenu musical. Six la chute de la République des Conseils. vieil empire que des salles s’ouvrent à
années plus tard, Farinelli (1994), tourné Après avoir interprété quatre films de son Séoul (1910).
Le premier film coréen est
avec un budget important, accentue les mari dont la Rose rouge (Fehér rozsa, tourné en 1919 par Kim Do-san ; c’est un
tendances romanesques et démonstra- 1919) et Ave Caesar (id.), elle mène une cinédrame de 3 280 m conçu pour être
tives du cinéaste, sur un thème emprunté carrière européenne, tournant en Italie : inclus dans une représentation théâtrale :
à l’histoire de la musique (l’histoire d’un Sogno di una notte d’estate a Venezia Dutiful Fight (Eurichok Koutou). Réalisé
castrat napolitain du XVIIIe siècle). L’An- (1921), La Vita e la commedia (id., deux par Baeknam Yun en 1923, Oath in the

née de l’éveil (1990) est un film plus films d’Alfredo De Antoni), L’Uomo più Moonlight (Wol ha eu main sae), qui se
mesuré, plus intimiste, en accord avec le allegro di Vienna (A. Palermi, 1925), veut éducatif, et le premier film sonore,
ton du livre autobiographique de Charles Gli ultimi giorni di Pompei (A. Palermi dirigé par Myong-U Lee, un divertisse-
Juliet dont il est l’adaptation. et C. Gallone, 1926), en Autriche et en ment inspiré par une légende sentimen-
Allemagne : Das unbekannte Morgen tale, Ch’unhuangjon (1924), sont des
CORBUCCI (Bruno), scénariste et cinéaste (A. Korda, 1923), Tragödie im Hause repères historiques. Le succès, en 1926,
italien (Rome 1931). Habsburg (id., 1924), Eine Du Barry von d’une oeuvre exprimant le nationalisme
Depuis 1956, il écrit en tandem avec Heute (id., 1926), en Angleterre : Tesha coréen, Arirang, interprétée et dirigée par
Giovanni Grimaldi de nombreux films (V. Saville, 1928). Elle part ensuite à Na Un-gyu, entraîne alors une augmenta-
comiques, des westerns et des films my- Hollywood sur les traces de son mari qui tion de la production annuelle, qui passe
thologiques, dont A Sud niente di nuovo l’impose dans The Private Life of Helen of de trois ou quatre longs métrages à la
(Giorgio C. Simonelli, 1956), Totò Diabo- Troy (1927) et Love and the Devil (1929). dizaine, jusqu’au coup d’arrêt donné par
licus (Steno, 1962), Django (par son frère En 1930 elle divorce de Korda et se retire les autorités nippones en 1930. C’est que
aîné Sergio Corbucci, 1966). En 1965, du monde du cinéma. les sentiments anti-japonais ont envahi la
il débute comme cinéaste par une série production, composant, avec les scéna-
de parodies d’espionnage réalisées avec CÓRDOVA (Arturo de), acteur mexicain rios de propagande officielle, les mélo-
Giovanni Grimaldi (James Tont, ope- (Mérida, Yucatán, 1908 - Mexico 1973). drames et le vieux et beau fonds mytholo-
razione U. N. O.). Suivront des farces Vedette de cinéma très populaire pen- gique et littéraire coréen, l’essentiel de ce
musicales, comédies érotiques, policiers dant les années 40 et 50, il se spécialise qui nourrit le cinéma d’une nation déchi-
violents plutôt impersonnels et des séries dans les rôles dramatiques d’homme rée par ses trop puissants voisins.
pour la télévision. mûr, qu’il joue avec une certaine rigi- Après la Seconde Guerre mondiale et la
dité. Il est l’interprète de films de Buñuel partition du pays, les renseignements qui
CORBUCCI (Sergio), cinéaste italien (Rome (El, 1952), Roberto Gavaldón (La diosa suivent ne concernent plus que la Corée
1927 - id., 1990). arrodillada, 1947), Juan Bustillo Oro (El du Sud. On y reconstitue et modernise
Il débute obscurément avec des mélo- hombre sin rostro, 1950), Julio Bracho les studios (le premier film en couleurs,
drames (la Fille de Palerme [La pecca- (! Ay que tiempos señor Don Simón !, The Diary of a Woman [Yo Sung il ki], de
trice dell’isola], 1953), puis exploite le 1941), Emilio Fernández (Désir interdit Hong Seong-gi, est présenté en 1949), et
western le plus brutal (Django, 1966) [Cuando levanta la niebla], 1952) et Luis c’est une période surtout consacrée aux

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

courts et moyens métrages (information, Dans les années 90, les films coréens la Chute de la maison Usher (The House
éducation, documentaires). On retrouve font à plusieurs reprises la nique à leurs of Usher, 1960), la Chambre des tortures
les mêmes thèmes évoquant les luttes homologues américains en terme de fré- (The Pit and the Pendulum, 1961), l’En-
contre les divers occupants, l’exaltation quentation, comme la Chanteuse de pan- terré vivant (Premature Burial, 1962, avec
de la Righteous Army des révoltés des sori (Im Kwon-Taek, 1993) ou Shiri (Kang Ray Milland), Tales of Terror (avec Vin-
débuts du siècle, des partis nationalistes Je-gyu, 1999). Mais cette bonne santé cent Price, Peter Lorre et Basil Rathbone,
Tonghak et Chndogyo, à quoi s’ajoutent du cinéma coréen est le plus souvent la id.), Tower of London (id.), le Corbeau
les amers souvenirs de quarante années traduction des succès de « produits com- (The Raven, 1963), The Terror (id.), le
de colonisation nippone, de la partition merciaux », tels ceux de Kang Woo-suk, Masque de la mort rouge (The Mask of
et de la guerre entre le Nord et le Sud reprenant les formules hollywoodiennes. the Red Death, 1964), la Tombe de Ligeia
(1950-1953). Mais peu à peu, sans que le Les jeunes talents indépendants par- (The Tomb of Ligeia, id.). Le romancier
sentimentalisme perde ses droits, ni les viennent toutefois, à la différence des Richard Matheson collabore régulière-
drames littéraires, les arts martiaux (par- autres cinéastes asiatiques, à être recon- ment à ces adaptations, et Corman est un
fois sous forme de comédie) se taillent nus non seulement dans les festivals, des premiers à porter Lovecraft à l’écran ;
une place concurremment aux importa- mais aussi dans leur pays d’origine : on la Malédiction d’Arkham (The Haunted
peut citer Lee Chang-dong (Peppermint Palace, 1963). Ces titres « prestigieux »
tions de Hong Kong et Taiwan. Les films
Candy, 1999), Hong Sang-soo (la Vierge ne l’empêchent pas de continuer à pro-
de la Corée du Sud atteignent souvent
mise à nu par ses prétendants [Oh ! Soo- duire et réaliser, le plus vite possible pour
une grande qualité technique. Leur ca-
jung], 2000), Kim Ki-duk (l’Île [Seom], le plus court budget possible, les mêmes
ractéristique la plus marquante est peut-
2000). petits films, avec parfois une touche
être le tempo lent - même dans les films
de guerre - et une attention, parfois trop d’ambition : The Intruder (1962). À partir
COREY (Wendell), acteur américain (Dra-
décorative, à la beauté des sites. Le Lieu de 1963-64, il se consacre davantage à
cut, Mass., 1914 - Santa Monica, Ca., 1968).
sacré (Pee-mak), légende empreinte de la production qu’à la mise en scène. Les
Acteur de théâtre expérimenté, le pro-
chamanisme, en est un exemple réussi films qu’il réalise ont des budgets plus
ducteur Hal Wallis le fait débuter à l’écran
(Lee Doo-yong *, 1980). L’exception, on importants et ressemblent de moins en
en 1947. Son physique un peu ingrat l’a
la trouve avec un violent mélo aux effets moins aux « séries Z » de ses débuts. On
voué aux seconds rôles, sa distinction na-
peut citer l’Invasion secrète (The Secret
d’écriture souvent excessifs, la Femme turelle et sa fébrilité contenue l’ont dirigé
Invasion, 1964, avec Stewart Granger),
du feu 82 (Hwanyeo 82) de Kim Ki- vers des emplois antipathiques ou ambi-
les Anges sauvages (The Wild Angels,
young *. Shin Sang-Okk * est (avec Kim gus : tueurs obsédés ou machiavéliques,
1966, avec Peter Fonda et Nancy Sina-
Soo-Yong) le cinéaste le plus réputé des aventuriers cyniques, policiers peu sûrs
tra, dont le succès et la postérité sont très
années 60 et 70, bientôt concurrencé par de leur bon droit : l’Homme aux abois (I
importants), le Massacre de la Saint-Va-
Im Kwon-Taek (Mandala, 1981)*. Walk Alone, B. Haskin, 1947), Raccro-
lentin (The Saint Valentine’s Day Mas-
Après une chute brève due à l’im- chez, c’est une erreur (A. Litvak, id.), les
sacre, 1967), The Trip (id.), Bloody Mama
plantation de la télévision à la fin des Furies (A. Mann, 1950), le Courrier de la
(1970), le Baron Rouge (Von Richthofen
années 60, la production de la Corée du Jamaïque (Jamaica Run, L. R. Foster,
and Brown, 1971). Une probable nostal-
Sud atteint une moyenne de 120 longs 1953), les Bas-Fonds d’Hawaii (Hell’s
gie de la mise en scène l’entraîne à nou-
métrages par an à partir de 1971 et la Half Acre, John H. Auer, 1954), Fenêtre
veau vers les rivages du fantastique et il
promulgation d’une loi soutenant l’indus- sur cour (A. Hitchcock, id.), le Grand
tourne en 1990 Frankenstein Unbound.
trie locale. Cependant, le nombre de Couteau (R. Aldrich, 1955), Le tueur s’est
Mais l’importance de Roger Corman
films produits chute au début des années évadé (B. Boetticher, 1956). Sa carrière
metteur en scène est bien moindre que
90 pour se stabiliser autour d’une cin- décline dans les années 60, époque où il
celle de Corman producteur et détecteur
quantaine par an. Malgré cela, en 1999, s’essaie à la politique.
de talents : des hommes comme Peter
avec un parc de 2000 écrans et une part
CORMAN (Roger), cinéaste et producteur Bogdanovich, Francis Ford Coppola,
du marché des films nationaux de 37 %,
américain (Detroit, Mich., 1926). Monte Hellman, Martin Scorsese, Curtis
le cinéma coréen se situe au troisième
Après des débuts modestes (coursier à Harrington, Paul Bartel, Dennis Hopper,
rang mondial de la production cinémato-
la Fox, lecteur de scénarios), il se lance Michael Miller, Jonathan Demme, Jona-
graphique. Cela est en partie due à une
dès 1953-54 dans la production et l’écri- than Kaplan et Jack Nicholson lui doivent
forte politique de protection de l’État :
ture de scénarios. Il est un des fondateurs une partie de leur carrière. Les deux wes-
en 1985, l’instauration d’un quota oblige
de la compagnie American International terns de Monte Hellman avec Jack Ni-
les exploitants à projeter sur les écrans
Pictures, dont le premier film distribué cholson, The Shooting ou la Mort tragique
des films coréens pendant au moins cent
sera une de ses productions : The Fast de Leland Drum (1966) et l’Ouragan de la
jours par an.
and the Furious (E. Sampson et J. Ire- vengeance (id.), sont coproduits par Cor-
Grâce à ces conditions économiques
land, 1955). La même année, il passe man, que l’on retrouve en 1972 sur Ber-
favorables, auxquelles il faut ajouter une
à la mise en scène. Il réalise très vite tha Boxcar, de Martin Scorsese. Corman
plus grande liberté d’expression à relativi- a aussi produit au cours des années 70
toute une série de films à très petit bud-
ser, apparaît au milieu des années 80 un get, westerns, films d’horreur, films de une série de films d’action violents et ra-
jeune cinéma, dont les représentants les rock and roll, dont les titres sont évoca- pides, à la limite de la parodie : la Course
plus importants sont Lee Chang-ho (la teurs (Apache Woman, Swamp Women, à la mort de l’an 2000 (Death Race 2000,
Déclaration des imbéciles, 1983), Bae Teenage Doll, Naked Paradise, Attack of 1975) de Paul Bartel, Colère froide (Fi-
Chang-ho *(le Rêve, 1990), Park Kwang- the Crab Monsters, Rock All Night) et les ghting Mad, id.), de Jonathan Demme,
soo, Ha Myong-chung, Bae Yong-kyun ambitions artistiques fort limitées. Le pre- On m’appelle Dollars (Mr. Billion, 1977),
(Pourquoi Bhodi-Dharma est-il parti vers mier film remarqué de sa très abondante de Jonathan Kaplan.
l’Orient ? [Talmaga tongtchogro kan filmographie est un thriller extrêmement
kkadalgn ?], 1989). Pour la première violent interprété par Charles Bronson, CORNEAU (Alain), cinéaste français (Or-
fois, des réalisateurs osent évoquer des Mitraillette Kelly (Machine Gun Kelly, léans, 1943).
événements douloureux de l’histoire du 1958), et il acquiert une certaine notoriété Il est diplômé de montage et réalisation
pays, comme le massacre de Kwangju en avec ses adaptations d’Edgar Poe (géné- (IDHEC), puis assistant de Bernard Paul,
1980 (le Pétale, Jang Sun-Woo, 1996). ralement interprétées par Vincent Price) : Marcel Camus, Costa-Gavras, Michel

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Drach... En 1974, sortie de son premier toqués (Puss och Kram, 1967) est une thème de valse de Chopin, et aux Fleurs
film, France Société anonyme, politique- comédie triangulaire qui évite les pièges de Mallarmé. Puis quelques thèmes chro-
fiction plus ambitieuse que convain- du vaudeville et retrouve une élégance matiques pour un film inachevé et deux
cante. Corneau joue ensuite la carte du à la Howard Hawks. Comme la nuit et films de 200 m, l’Arc-en-ciel et la Danse.
box-office (Bouquet, Montand, Simone le jour (Som natt och dag, 1969), oeuvre Certaines de ces oeuvres inspireront les
Signoret) et celle du film policier avec : plus tendue et plus sombre, explore à propositions du manifeste La cinemato-
Police Python 357 (1976), la Menace nouveau les rapports entre un groupe grafia futurista, qu’ils cosignent en sep-
(1977), Série noire (1979), avec Patrick restreint de personnages. La Chasse au tembre 1916 avec Marinetti, Settimelli,
Dewaere, et où le chef opérateur, Pierre cochon (Grisjakten, 1970), fable trop in- Balla et Chiti et qui accompagne la réa-
William Glenn, retrouve l’image glacée sistante, dépeint les pressions qu’exerce lisation par Ginna, sur des idées et avec
et inquiétante des deux premiers titres ; la société sur l’individu. Depuis, Cornell la présence de nombreux futuristes, des
le Choix des armes (1981) avec Depar- s’est surtout consacré au théâtre et à la sketches de Vita futurista (1915), premier
dieu. Avec le même Depardieu et Cathe- télévision. et unique grand film du groupe.
rine Deneuve, il bénéficie de très gros Aucun de ces films ne subsiste et, avec
moyens pour évoquer l’époque coloniale CORNFIELD (Hubert), cinéaste américain les tableaux ou les dessins de Ginna, les
dans Fort Saganne (1984). En 1986, il (Istanbul, Turquie, 1929). textes seuls témoignent encore de l’apport
revient au genre policier avec la Môme Fils d’un producteur exécutif travaillant créateur des deux frères au futurisme, à
mais en 1989 il aborde dans Nocturne outre-mer, il est d’abord dessinateur, puis l’esthétique et à la littérature : Ginna écrit
indien une nouvelle manière de filmer, in- entre dans l’industrie cinématographique. ainsi Pittura dell’avvenire (1915), L’uomo
solite et prenante en abordant le registre À partir de 1955, il dirige quelques films futuro (1933), des critiques de cinéma pu-
charmeur et ambigu de l’imaginaire. intéressants : le Secret des eaux mortes bliées à partir de 1926 dans la presse fu-
Tous les matins du monde (1991) sur un (Lure of the Swamp, 1957), Hold-up
turiste et, avec Marinetti, le manifeste La
scénario de Pascal Quignard lui vaut un (Plunder Road, id.) et Allô, l’assassin
cinematografia (1938) ; Corra, auteur de
grand succès public et un César. Dans ce vous parle (The Third Voice, 1959), essai
nombreux romans, « synthèses » théâ-
film, il se montre presque aussi austère de Kammerspiel à la fois subtil et mala-
trales et scénarios, est le co-auteur de
que dans Nocturne indien, la réflexion droit. Après avoir coréalisé avec Paul
plusieurs manifestes, dont le Manifeste
sur l’artiste et la création s’intégrant Wendkos Angel Baby (1961), il se brouille
futuriste synthétique (1915).
parfaitement au récit. Avec le Nouveau avec Stanley Kramer, qui « massacre » et
Monde (1995), il revient à des données remonte Pressure Point (1962), étude cli- CORT (Bud), acteur américain (New Ro-
plus romanesques, mais cette oeuvre au nique d’un nazi américain. La Nuit du len- chelle, N. Y., 1949).
contenu autobiographique déclaré ne demain (The Night of the Following Day, Son physique poupin, malgré sa grande
rencontre pas son public. 1969) est un échec ; Cornfield, qui semble taille, l’a prédisposé à l’emploi d’enfants
avoir abandonné Hollywood, a réalisé en peu préparés au monde extérieur. Ce
Après le Cousin (1998), qui marque
France une comédie policière, les Grands contact avec le monde cruel des adultes
un retour aux thèmes policiers, il réalise
Moyens (1976). est le ressort de ses meilleurs films,
une comédie qui n’est pas exempte de
clichés, le Prince du Pacifique (2000). Brewster McCloud (Altman, 1970) et Ha-
CORRADINI (Arnaldo et Bruno), artistes et
rold et Maude (H. Ashby, 1971), où il dé-
cinéastes italiens, dits Arnaldo Ginna (Ra-
CORNELIUS (Henry), scénariste, pro- ploya son charme avec beaucoup d’ingé-
ducteur et cinéaste britannique (Le Cap, venne 1890 - Anzio 1982) et Bruno Corra
niosité. Après une éclipse, il est revenu,
(Ravenne 1892 - id. 1976).
Afrique du Sud, 1913 - Londres 1958). inchangé, dans Pitié pour le prof ! (Why
Originaire d’une famille allemande émi- De ces deux fils de Tullio Gianni Cor- Shoot the Teacher, S. Narizzano, 1977).
radini, député-maire de Ravenne, le
grée en Afrique du Sud, Henry Cornelius
est l’auteur de comédies d’humour britan- premier devient peintre et cinéaste, le CORTESE (Leonardo), acteur italien (Rome
nique. Il s’initie d’abord au théâtre à Berlin second écrivain, auteur notamment du 1916 - id. 1984).
auprès de Reinhardt, puis au cinéma en roman présurréaliste Sam Dunn è morto De la fin des années 30 au début des
France et s’oriente vers le montage. Il tra- (1915), mais ils ont en commun, outre un années 40, il est le prototype du jeune
vaille ensuite pour Alexandre Korda : il intérêt pour la philosophie, la théosophie premier sympathique et désinvolte.
et l’occultisme qui les apparente à Kan- Également acteur de théâtre, il fait ses
est assistant monteur de René Clair pour
Fantômes à vendre (1935). Ses grands dinsky, le souci de l’ art de l’avenir », qui débuts au cinéma en 1939 sous la direc-
succès, peut-être surestimés, demeurent les amène à fréquenter les futuristes et à tion de Mario Bonnard (Jeanne Doré).
Passeport pour Pimlico (Passport to écrire l’essai Arte dell’avvenire en 1910. Il tourne ensuite dans des films d’Ales-
Pimlico, 1949, pour Ealing) et Geneviève Cette année-là, les deux frères, à l’insti- sandrini, Palermi (Cavalleria rusticana,
(id., 1953, pour Rank). Autres films : le gation de Ginna, qui a déjà peint en 1908 1939), Camerini (Une aventure roman-
Major galopant (The Galloping Major, deux toiles abstraites (Neurasthénie et tique [Una romantica avventura], 1940),
1951) ; Une fille comme ça (I Am a Ca- Promenade romantique) et qui a médité Gallone, Poggioli (Sissignora, 1942), De
mera, 1955) ; l’Heure audacieuse (Next to sur la peinture musicale des Byzantins, Sica (Un garibaldino al convento, id.),
entreprennent des recherches de mu- Mattoli, Franciolini, Lattuada (La Freccia
No Time, 1958) ; L’habit fait le moine (Law
and Disorder, id., terminé par Ch. Crich- sique chromatique qui vont les conduire à nel fianco, 1944). Après la guerre, sa
ton). la réalisation des premiers films abstraits carrière cinématographique s’est enlisée
de l’histoire (avec celui de l’Allemand dans des oeuvres médiocres alors qu’il a
CORNELL (Jonas), cinéaste suédois (Stoc- Hans Stoltenberg en 1911). interprété au théâtre de grands rôles du
kholm 1938). La confection d’un piano chromatique répertoire. Cortese a également réalisé
Après des études à l’université de Stoc- muni de 28 ampoules peintes ne les a, en quelques films comme metteur en scène
kholm (1959-1964) puis à l’École de ci- effet, pas satisfaits et ils acquièrent un ci- sans révéler toutefois un talent notable.
néma, pendant lesquelles il publie deux nématographe. Ils peignent alors directe-
romans, Cornell s’essaie à la critique de ment sur de la pellicule vierge sans nitrate CORTESE (Valentina), actrice italienne
cinéma et de théâtre. Il ne cessera en- d’argent. Il en résulte quatre rouleaux (Milan 1924).
suite de travailler pour la scène (Théâtre (dont un de plus de 200 m) ; le 3e et le Elle débute en 1941 dans Il bravo di Vene-
public de Stockholm) et l’écran. Son pre- 4e sont une adaptation colorée du Chant zia (Carlo Campogalliani) et joue souvent
mier film de long métrage, les Sophis- du printemps de Mendelssohn, mêlé à un des personnages naïfs ou romantiques

299
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

(Quattro ragazze sognano, G. Giannini, et Police spéciale (1965) de Samuel Ful- Português], 1985), Vítor Gonçalves (Uma
1943). Après quelques films plus consis- ler. Rapariga no Verão, 1986), João César
tants, dont La nuit porte conseil (M. Pa- Monteiro (À Flor do Mar, id.), Joaquim
gliero, 1948), elle s’affirme à Hollywood CORTI (Axel), cinéaste autrichien (Paris Leitão (Duma vez por Todas, 1986), Jorge
grâce à son rôle tourmenté dans les Bas- 1933 - Salzbourg 1993). Silva Melo (Agosto, 1988). En 1985, avec
Fonds de Frisco (J. Dassin, 1949). Suivent Journaliste et auteur de radio. Metteur Vítor Gonçalves, Pedro Caldas, José Bo-
d’autres films américains, dont la Maison en scène au Burgtheater de Vienne et galheiro e Ana Luísa Guimarães, il fonde
sur la colline (R. Wise, 1951) et la Com- à l’étranger. Au cinéma, depuis 1960, Trópico Filmes, qui produit en 1989 son
tesse aux pieds nus (J. L. Mankiewicz, une quinzaine de films, dont des adapta- premier long métrage, O sangue selec-
1954). Sa carrière européenne comprend tions littéraires (Wedekind, Döblin, Wer- tionné par la Semaine de la Critique au
des interprétations remarquables, dont fel, Capote) et surtout la trilogie Vienne Festival de Venise. Après ce film roman-
Femmes entre elles (M. Antonioni, 1955), pour mémoire (scénarios de Georg Ste- tique, nourri de souvenirs de cinéma et de
Calabuig (L. G. Berlanga, 1956), la Ran- fan Troller) sur l’identité de l’émigration mémoire personnelle, Costa s’éloigne du
cune (B. Wicki, 1964), Juliette des esprits juive face au nazisme : Dieu ne croit plus Portugal pour réaliser avec Casa de Lava
(F. Fellini, 1965), l’Assassinat de Trotski en nous (An uns glaubt Gott nicht mehr- (1994), aux Îles du Cap Vert, le récit d’une
(J. Losey, 1972). Dans la Nuit améri- Wohin und Zurück 1, 1981), Santa Fé étrange aventure qui rappelle I Walked
caine (F. Truffaut, 1973), elle parodie son (Santa Fé-Wohin und Zurück 2, 1985) et With a Zombie de Jacques Tourneur. En
personnage de diva extravagante. Elle Welcome in Vienna (id., 1986). En 1990, réalité dans ce lieu-là il trouve une voie
tourne ensuite Jésus de Nazareth (F. Zef- il signe une coproduction entre la France, qui l’amènera encore plus loin, vers les
firelli, 1978), Via Montenapoleone (Carlo l’Italie et la Grande-Bretagne, la Putain Cap-Verdiens de Fontainhas, le quartier
Vanzina, 1986), les Aventures du baron du Roi. créole de Lisbonne, pauvre et délabré,
de Münchhausen (T. Gilliam, 1988) et où il tourne Ossos (1997) et No Quarto
Buster‘s Bedroom (Rebecca Horn, 1990). COSMA (Vladimir), compositeur français da Vanda (2000). Entre temps il trouve
Elle a été l’épouse de Richard Basehart, d’origine roumaine (Bucarest 1940). aussi un style personnel qui se déploie
de Giorgio Strehler et de l’industriel Carlo Né dans une famille de musiciens, il dans un mise en scène épurée, presque
de Angeli. mène des études classiques qui l’orien- documentaire, où l’ontologie devient re-
tent vers le métier de concertiste (il est cherche de l’absolu.
CORTEZ (Jacob Krantz, dit Ricardo), acteur violoniste) alors qu’il suit parallèlement
américain d’origine autrichienne (Vienne des cours de composition à Bucarest, COSTA-GAVRAS (Konstantinos Gavras,
1899 - New York, N. Y. - Los Angeles, Ca., puis à Paris, où il arrive en 1963. Il com- dit), cinéaste français d’origine grecque
1977). mence à travailler pour le cinéma grâce à (Athènes 1933).
Élevé à New York et frère du chef opéra- Yves Robert (Alexandre le bienheureux, Fils d’un fonctionnaire du gouverne-
teur Stanley Cortez, il débute au cinéma 1967), qui lui reste fidèle dans ses plus ment grec qui lui donne une éducation
en 1923. Il est la vedette de nombreux grands succès populaires. Il compose orthodoxe stricte, il vient à Paris à l’âge
films dans la lignée de Rudolph Valen- pour les premiers films de Pierre Richard de dix-huit ans et obtient un diplôme
tino, notamment le Tourbillon des âmes et de Pascal Thomas, collabore à de de littérature à la Sorbonne. Très ciné-
(C. B. De Mille, 1924), The Pony Express nombreuses comédies françaises des phile, il suit alors les cours de l’IDHEC
(J. Cruze, 1925), le Torrent (Monta Bell, années 70, mais on lui doit aussi des par- et devient l’assistant d’Yves Allégret,
1926, le premier film hollywoodien de titions plus dramatiques pour Yves Bois- René Clair, Jacques Demy. Il débute
Greta Garbo), la Vie privée d’Hélène de set (Dupont Lajoie), J.-J. Beineix (Diva), dans la réalisation en 1965, avec un film
Troie (The Private Life of Helen of Troy, Georges Wilson (la Vouivre ). Il est aussi policier, Compartiment tueurs, suivi d’Un
A. Korda, 1927), Son homme (T. Garnett, l’adaptateur et le directeur musical du homme de trop (1967). Mais sa véritable
1930). Il perd de son importance dans Bal, adapté pour l’écran par Ettore Scola. notoriété est inséparable du thriller poli-
les années 30 mais demeure l’interprète Très productif (plus de deux cents par- tique Z (1969), qui dénonce méthodes
racé et nuancé de la première version du titions cinématographiques à son actif), et compromissions de la junte militaire
Faucon maltais (R. Del Ruth, 1931) ou très sollicité par un cinéma souvent très au pouvoir en Grèce à l’époque. Le film
du mélodrame Symphony of Six Millions commercial, bien connu du public, il se est un immense succès, que le cinéaste
(G. La Cava, 1932). Il apparaît encore contente parfois de dérouler de simples partage avec Yves Montand, dans l’un
dans la Dernière Fanfare (J. Ford, 1958). illustrations musicales – notamment dans de ses rôles « engagés », où il incarne
les comédies, qui sont nombreuses dans le député de gauche Lambrakis, assas-
CORTEZ (Stanislaus Krantz, dit Stanley), sa filmographie ; mais il lui arrive parfois siné sur ordre de la junte. Suivent, avec
chef opérateur américain (New York, N. Y., de fournir des partitions plus complexes le même acteur, deux autres films poli-
1908 - 1997). (les adaptations de Pagnol par Yves tiques : l’Aveu (1970), tiré du témoignage
Frère du comédien Ricardo Cortez, il Robert) et d’intervenir aux côtés de nou- d’Arthur London, victime des purges du
commence très jeune à travailler pour le veaux cinéastes (Danièle Dubroux pour régime communiste en Tchécoslovaquie ;
cinéma. Dès 1926, il est assistant came- la Petite Allumeuse) et d’auteurs inclas- État de siège (1973), où Montand incarne
raman sur des films de Gloria Swanson. sables (Mocky). un agent de la CIA opérant en Uruguay.
En 1936, il devient un directeur de la pho- Section spéciale (1975) traite de la col-
tographie fort estimé, notamment sur les COSTA (Pedro), cinéaste portugais (Lis- laboration en France sous l’occupation
séries B. En 1942, il reçoit l’Oscar des bonne 1959). allemande et plus particulièrement du
critiques du cinéma américain pour son Après des études universitaires à la Fa- procès de Riom. Après un silence de
travail sur la Splendeur des Amberson, culté d’Histoire, il suit des cours de mon- quatre années, Costa-Gavras adapte un
d’Orson Welles, qu’il considère comme tage et réalisation à la Escola de Cinema, roman intimiste de Romain Gary, avec
« une des deux expériences les plus sous la direction de Antonio Reis. En Yves Montand et Romy Schneider, appa-
excitantes qu’il ait faites au cinéma », même temps il réalise des programmes remment éloigné des préoccupations po-
la deuxième étant la Nuit du chasseur, sur la musique contemporaine et la mu- litiques qui avaient fait sa réputation (Clair
de Charles Laughton (1955). Ses films sique de film pour la Radio de Lisbonne. de femme, 1979). Il revient en 1982 à sa
les plus célèbres sont en noir et blanc, Puis il devient assistant-réalisateur, en conception du film « engagé » en tour-
comme le Secret derrière la porte, de travaillant, entre autres, avec João Bo- nant Missing, qui remporte la Palme d’or
Fritz Lang (1948), Shock Corridor (1963) telho (Un adieu portugais [Um Adeus à Cannes (ex aequo avec Yol de Yilmaz

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Güney). La même année, il est nommé locales. Amando Céspedes Marín filme COSTELLO (Lou) ABBOT (BUD).
président de la Cinémathèque française, des actualités régulières en 1913. L’ex-
fonction qu’il occupera jusqu’en 1987. ploitation se développe en même temps COSTELLO (Maurice), acteur et cinéaste

À l’exception de son premier film et de que la pénétration des compagnies hol- américain (Pittsburgh, Pa., 1877 - Hol-

Clair de femme, l’oeuvre de Costa-Ga- lywood, Ca., 1950).


lywoodiennes, notamment après l’arrivée
vras est en effet placée tout entière sous Acteur de théâtre célèbre, il est, au cours
du parlant. La production reste quasi
des années 10, une des idoles mascu-
le signe d’un engagement politique, que inexistante. Le premier film, El Retorno
lines de l’écran aux États-Unis. Après un
le réalisateur tente de faire partager avec (Romulo Bertoni), date de 1926. Les ha-
passage chez Edison, il travaille à la Vita-
des moyens parfois si simples qu’ils en bitants ou les paysages furent parfois uti-
deviennent parfois superficiels. La réa- graph, obtient un accueil triomphal dans
lisés soit par la 20th Century Fox (Carni-
A Tale of Two Cities (J.S. Blackton, 1911,
lité dépeinte propose la plupart du temps val in Costa Rica, Gregory Ratoff*, 1947), où il a pour partenaire Norma Talmage) et
un univers manichéen partagé entre les
soit par des entreprises multinationales poursuit une carrière heureuse pendant
bons et les méchants. Les moyens ciné-
(Así es Costa Rica, Leo Anibal Rubens, toute la période du cinéma muet. Au faîte
matographiques utilisés correspondent
1954). Un concours de vedettes orga- de sa popularité, il fut surnommé « The
à cette vision simplifiée, ne recourant
nisé par la radio aboutit à la réalisation Dimpled Darling » (en raison d’une fos-
qu’aux procédés les plus aptes à réveiller
de Elvira (Alfonso Patiño Gómez, 1954). sette probablement très attractive).
chez le spectateur un certain nombre de
Un dilettante, Alberto de Goyen, tourne
réactions et de sentiments nobles, tels
Atardecer de un fauno (1955), d’après COSTNER (Kevin), acteur et cinéaste amé-
que la justice et l’indignation. En 1969,
ricain (Lynwood, Ca., 1955).
à l’époque du succès inouï de Z, cette Debussy. Le Costa Rica est le dernier
Il débute à l’écran en 1981 dans Shadows
conception d’un cinéma politique aux pays d’Amérique centrale à s’être équipé
Run Back d’Howard Heard puis se voit of-
charmes exotiques simples, et dont la en télévision (1960). Le département du
frir une suite de petits rôles qui ne mettent
mécanique était plus proche du jeu des cinéma du ministère de la Culture, de la
pas réellement en valeur son talent :
gendarmes et des voleurs que d’une ana- Jeunesse et des Sports, créé en 1973,
Sizzle Beach USA (Richard Brander,
lyse sérieuse, rendant compte des réali- commence une production régulière de
1981), Chasing Dreams (Sean Roche et
tés sociales et politiques dans leur com- documentaires diffusés à l’antenne (une
Therese Conte, id.), Frances (Graeme
plexité, avait la faveur d’un large public cinquantaine en cinq ans). Malgré le ca- Clifford, 1982), Night Shift (Ron Howard,
que rebutaient encore les travaux d’un ractère pédagogique ou de propagande id.), les Copains d’abord (L. Kasdan, id.),
Francesco Rosi. Les complications sen- de la plupart d’entre eux, un constat des Table for Five (Robert Lieberman, 1983),
timentales dans Hanna K. (1983) ne se réalités nationales perce à l’occasion, au Stacy‘s Knights (Jim Wilson, id.), Testa-
révèlent pas davantage en mesure de tra- point de provoquer l’interdiction de Costa ment (Lynne Littman, id.), The Gunrunner
duire les rapports israélo-palestiniens. Le Rica : Banana Republic (Ingo Niehaus, (Nardo Castillo, id.), Une bringue d’enfer
succès public de Missing (à la structure
1976). Les longs métrages de fiction sont (Fandango, Kevin Reynolds, 1984). C’est
filmique plus complexe) montra pourtant
rares (Eulalia, Oscar Castillo, 1987). Lawrence Kasdan dans Silverado (1985)
que l’humanisme sincère et généreux de qui lui offre sa vraie première chance. Il
Quelques superproductions internatio-
Costa-Gavras peut toucher ceux qu’une la saisit et s’impose dès lors comme un
nales ont été tournées dans le pays : El
démonstration politico-économique plus des jeunes acteurs d’Hollywood les plus
aride découragerait sans aucun doute. Dorado (C. Saura, 1988), 1492 (R. Scott,
racés. Il tourne ensuite American Flyers
1992).
Il tourne en 1985 Conseil de famille, (John Badham, id.), Histoires fantas-
comédie policière, et en 1988 un thril- tiques (épis. la Mission, S. Spielberg,
COSTELLO (Dolores), actrice américaine
ler politique, portrait sans complaisance 1986), les Incorruptibles (B. De Palma,
(Pittsburgh, Pa., 1905 - Fallbrook, Ca.,
d’une certaine Amérique, celle des orga- 1987), Sens unique (No Way Out, Roger
1979).
nisations paramilitaires, néofascistes et Donaldson, id.), Duo à trois (Bull Durham,
Sous l’égide de son père, Maurice Cos-
racistes : la Main droite du diable (Be- Ron Shelton, 1988), Jusqu’au bout du
trayed). En 1990 Costa-Gavras, avec tello, elle débute au cinéma, à la Vita-
rêve (Field of Dreams, Phil Alden Robin-
un sens inné du rythme narratif, mais graph, avec sa soeur Hélène dans des
son, 1989), Revenge (Tony Scott, 1990).
sans moralisation excessive, s’attache rôles de petite fille. Elle tourne plusieurs Passé à la mise en scène, son premier
dans Music Box (Ours d’or à Berlin) au films dès 1923, mais connaît une brusque essai Danse avec les loups (Dances With
problème des anciens nazis et criminels célébrité quand elle est choisie comme Wolves, id.) s’avère un coup de maître.
de guerre : exilés en Amérique, ils se partenaire par John Barrymore (qui Il ressuscite un genre qui agonisait et
retrouvent à leur propre étonnement rat- l’épousera en 1928) dans The Sea Beast remporte un succès international aussi
trapés par leur passé et confrontés à ce- (M. Webb, 1925), première et romantique probant qu’inattendu. L’acteur (il s’était
lui-ci. Mais la Petite Apocalypse (1993), adaptation de Moby Dick. Elle apparaît donné le rôle principal dans son propre
adaptation de l’oeuvre de T. Konwicki, ensuite dans plusieurs films, notamment film) s’impose à nouveau dans Robin des
ne parvient pas à rencontrer son public, dans des adaptations d’oeuvres littéraires Bois, Prince des Voleurs (Robin Hood,
auquel semble échapper le sens d’une the Prince of Thieves) de K. Reynolds.
comme le Roman de Manon (When a
fable sarcastique sur l’engagement poli- JFK (O. Stone, 1991) achève de faire
Man Loves, 1926, d’après Manon Les-
tico-mondain d’une certaine classe bour- de lui une icône cinématographique, un
caut), des mélodrames comme Old San
geoise. En 1997 il tourne Mad City aux peu à la manière de Gary Cooper ou
Francisco (A. Crosland, 1927) ou des
États-Unis et en 2001 il tourne en Rou- de Henry Fonda. Un faux-pas artistique
spectacles bibliques comme l’Arche de
manie le Vicaire, adapté de la pièce de (mais une réussite commerciale) comme
Noé (M. Curtiz, 1929) ou encore des re-
l’Allemand Rolf Hochhuth sur l’attitude Bodyguard (Mick Jackson, 1992) ne lui
constitutions romantiques et historiques
du Vatican pendant la Seconde Guerre fait guère de mal car Clint Eastwood
(Lady Hamilton, F. Lloyd, id.). Après une
mondiale. l’utilise immédiatement après, lui aussi,
pause entre 1931 et 1935, elle revient comme un emblème, mauvais garçon
COSTA RICA. dans les studios en 1936 après s’être sé- au coeur tendre, dans Un monde parfait
Les premières projections publiques au- parée de John Barrymore : le Petit Lord (1993). Lawrence Kasdan a certainement
raient eu lieu à San José, la capitale, en Fauntleroy (J. Cromwell, 1936) ; la Splen- le même but quand il lui confie le rôle my-
1903. Dès 1909, on annonce des vues deur des Amberson (O. Welles, 1942). thique de Wyatt Earp (1994), déjà inter-

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

prété par tant d’autres acteurs prestigieux (1985) ; les Guérisseurs (Aduefue, Sifir l’Atlantide (Ercole alla conquista di Atlan-
avant lui. En 1995, il est l’acteur principal Bakaba, 1988) ; Bouka (Gnoan M’Bala, tide, 1961) ; le Fils du Cid, les Cent Cava-
de Waterworld de Kevin Reynolds, une id.) ; Bal poussière (Henri Duparc, 1988) ; liers (I cento cavalieri, 1965) ; Maria Zef
superproduction qui ne rencontre pas le Sixième Doigt (id., 1990) ; Au nom du (1981) ; le Diable sur les collines (Il dia-
l’aval du public. Il en sera de même pour Christ (Gnon M’Bala, 1993). volo sulle colline, 1985).
Tin Cup (id., Ron Shelton, 1996) et pour
l’étrange et naïf Postman (The Postman, COTTAFAVI (Vittorio), cinéaste italien COTTEN (Joseph), acteur américain (Pe-
1997) qu’il réalise. (Modène 1914 - Anzio, 1998). tersburg, Va., 1905 - Westwood, Ca., 1994).
Doté d’une vaste culture littéraire, pas- Jeune auteur dramatique malchanceux,
CÔTE-D’IVOIRE. sionné par toutes les formes de spec- courtier en publicité, il veut à tout prix
Comme la presque totalité des pays tacle, il entre au Centro sperimentale de faire du théâtre et débute (comme as-
d’Afrique, la Côte-d’Ivoire dispose d’un Rome (1935) et se forme à la pratique sistant régisseur) à Broadway en 1930.
parc de salles insuffisant ; la distribution du cinéma comme coscénariste et assis- En 1937, il rejoint la troupe du Mercury
des films échappe à toute sélection ; il n’y tant. Il débute dans la mise en scène en Theater d’Orson Welles, qui l’appellera
a pas de politique d’aide à la production 1943 en adaptant une comédie d’Ugo en 1940 à Hollywood pour interpréter
— d’où son caractère sporadique. C’est Betti (I nostri sogni). C’est seulement vers des rôles de premier plan dans Citizen
pour la télévision qu’est donné en 1964 1949, après l’échec de son premier film Kane (1941), la Splendeur des Amberson
le coup d’envoi ambitieux d’une fresque à personnel, La fiamma che non si spegne, (1942) et Voyage au pays de la peur (id.).
base de légende populaire : Korogo, télé- qu’il trouve (à son corps défendant) sa
Sa profonde intelligence des rôles, son
film de Georges Keïta. La TV est encore voie propre : le traitement de genres
extraordinaire diction « sudiste », sa dis-
aujourd’hui le premier client de la Compa- alors méprisés (films pseudo-historiques,
gnie ivoirienne de cinéma (la CIC), pour tinction un peu meurtrie semblent devoir
mélodrames, plus tard péplums), dont il
la production de documentaires, ou de lui assurer une grande carrière cinéma-
subvertit les conventions par son atta-
courts et moyens métrages signés ou non tographique. Mais, après ses presta-
chement à la peinture des personnages
par les principaux cinéastes d’Abidjan : tions de l’Ombre d’un doute (1943), où
féminins (qu’il s’agisse de la Traviata ou
Timité Bassori, Gnoan M’Bala ou le Gui- Hitchcock joua de sa faiblesse secrète
de Cléopâtre), par son sens plastique af-
néen Henri Duparc (la CIC a coproduit la avec un instinct divinatoire, des Amants
firmé, par son humanisme nuancé d’une
Famille). Après des études d’art drama- du Capricorne (id., 1949) et de quelques
légère ironie. Organisation de l’espace,
tique à Paris et leur passage à l’IDHEC, autres films, Hantise (G. Cukor, 1944),
sens du rythme, fixation des réflexes
Désiré Écaré et Bassori se font remar- Duel au soleil (K. Vidor, 1947), où déjà il
d’acteur, rien ne manque, même à ces
quer ; le premier par deux moyens mé- paraissait en retrait, le Portrait de Jennie
commandes que sont les Hercule (le
trages lucides et sarcastiques : Concerto (W. Dieterle, 1949), le Troisième Homme
second enveloppant une fable antiato-
pour un exil (1968) et À nous deux, (C. Reed, id.), la Garce (K. Vidor, id.),
mique). Tous les problèmes reçoivent
France ! / Femme noire, femme nue cette carrière a rapidement décliné. Non
chez Cottafavi une solution visuelle :
(1970) ; le second par la Femme au cou- que l’acteur ait perdu ses moyens (il com-
il atteint à l’essence du cinéma par les
teau (1970), considéré comme le premier posa un fascinant intellectuel assassin
moyens les plus simples et les plus raffi-
film de long métrage ivoirien, qui veut tra- dans Niagara, H. Hathaway, 1953), mais
nés. Méconnu en Italie, il a été découvert
duire « la dualité de la société africaine », il semble incapable de les adapter à l’évo-
par la critique française. Mais, après le
mais parvient difficilement à marier le réel lution du cinéma, tournant trop de wes-
naufrage d’un de ses meilleurs films, le
et le surnaturel. À ce jour, les carrières
Fils du Cid, il s’est consacré à la TV (qu’il terns en Italie et en Espagne, à l’opposé
de Écaré et Bassori paraissent s’enli-
pratiquait depuis 1957), où ses mises de son introversion manifeste. Même ses
ser dans les problèmes de production.
en scène, parfois expérimentales, ont rôles dans El Perdido (R. Aldrich, 1961)
Le premier nommé a néanmoins réussi
rencontré le succès (voir sa production ou Petulia (R. Lester, 1968) ont quelque
à achever en 1985 Visages de femmes
franco-italienne la Folie Almayer, 1972). chose de parodique. Ceux de Piège au
qu’il avait entrepris depuis de longues an-
Films : I nostri sogni (1943) ; Lo sco- grisbi (B. Kennedy, 1966) et Soleil vert
nées. Après la réussite satirique de Ama-
nosciuto di San Marino (CO Michael (R. Fleischer, 1973) sont plus près de ses
nié, moyen métrage produit par la CIC
Waszynski, 1947) ; Fantômes sous la mer possibilités réelles, quoique épisodiques.
(1972), Gnoan M’Bala tourne le Chapeau
(Fantasmi del mare, de Robertis [Cotta- Il a, tout compte fait, mieux utilisé son
(1975), dénonciation des affairistes. Ce
favi dirige la deuxième équipe], 1948) ; charme ambigu, quitte à avouer son âge,
film de 70 minutes, qui confirme les quali-
La fiamma che non si spegne (1949) ; en apparaissant (parfois en guest-star)
tés de M’Bala, se révèle pourtant, et c’est
Una donna ha ucciso (1952) ; La grande dans l’Argent de la vieille (L. Comencini,
le cas de nombreuses productions afri-
strada (CO M. Waszynski, id. [RÉ 1948] ; 1972), Vérités et Mensonges (O. Welles,
caines, difficilement exportable à cause
le Prince au masque rouge (Il cavaliere 1974), l’Ultimatum des trois mercenaires
de sa durée inusitée : le débouché idéal
di Maison Rouge, id.) ; Fille d’amour (R. Aldrich, 1977) ; l’Ordre et la Sécurité
devient dès lors la TV... En 1977, Henri
Duparc reprend et déploie, dans l’Herbe (Traviata ‘53, 1953) ; Milady et les mous- du monde (Claude D’Anna, 1978) ; Cara-
sauvage, la thématique de la Famille quetaires (Il boia di Lilla, id.) ; In amore vans (James Fargo, id.) ; le Continent des
sur les clivages et les fissures apparus si pecca in due (1954) ; Repris de justice hommes-poissons (L’isola degli uomini-
dans la société. Il faut enfin noter que le (Avanzi di galera, 1955) ; l’Affranchi (Nel pesce, Sergio Martino, 1978) ; la Porte du
français demeure, d’une manière géné- gorgo del peccato, id.) ; Fiesta brava (ina- paradis (M. Cimino, 1980).
rale, la langue utilisée dans la cinémato- chevé, DOC, id.) ; Femmes libres (Una
graphie ivoirienne. L’impact de la satire donna libera, 1956) ; la Révolte des gla- COUCHE SENSIBLE.
dans Pétanqui (Yo Kozolowa, 1984), dont diateurs (La rivolta dei gladiatori, 1958) ; Couche d’un film où sont incorporés les
l’étonnant Sidiki Bakaba tient le rôle-titre, les Légions de Cléopâtre (Le legioni di éléments sensibles à la lumière. C’est
satire fondée sur l’exploitation d’une fa- Cleopatra, 1960) ; Messaline (Messalina, au sein de la couche sensible (sous-
mine, en fait même un succès inattendu Venere imperatrice, id.) ; la Vengeance entendu : à la lumière) que l’image se
pour un film africain. Signalons d’autres d’Hercule (La vendetta di Ercole, id.) ; les forme. La couche sensible constitue la
films : Djeli, de Fadiga Kramo Lancine Vierges de Rome (Le vergini di Roma, partie « active » de la pellicule, par oppo-
(1982) ; Comédie exotique, de Kitia Touré CO Pottier et C. L. Bragaglia, qui signe sition au support, dont la seule fonction
(1984) ; Visages de femmes, d’Écaré seul, 1961) ; Hercule à la conquête de est d’assurer la tenue mécanique du film.

302
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

On qualifie très souvent la couche sen- parfois séparées par une intercouche de conséquence : on ne doit pas prolonger
sible d’« émulsion ». En toute rigueur, le gélatine colorée servant de filtre. (Sur le le séjour dans le révélateur au-delà du
terme est impropre. Il n’en est pas moins positif, l’ordre des couches est modifié temps nécessaire au développement des
consacré par l’usage, et il ne viendrait à de façon à améliorer la netteté apparente seuls cristaux « marqués ». Or, les réac-
l’idée de personne de repérer les deux de l’image projetée.) L’épaisseur de cet tions chimiques croissent avec la tempé-
faces d’un film autrement que par « côté ensemble (environ 0, 015 mm) n’excède rature. Voilà pourquoi il est nécessaire de
support » et « côté émulsion ». pas celle de la couche unique des films contrôler avec précision à la fois la tem-
Constituants de la couche sensible. noir et blanc. Ces couches superposées pérature du bain de développement et
Fondamentalement, la couche sensible contiennent, sauf exception, des cou- le temps de développement. C’est aussi
est une couche de gélatine dans laquelle pleurs dont le rôle, capital, sera décrit la raison pour laquelle on a pu accélé-
sont noyés d’innombrables minuscules plus loin. rer considérablement le traitement des
cristaux solides : essentiellement du bro- La couche sensible peut également films, en mettant au point des émulsions
mure d’argent, mais aussi de l’iodure d’ar- contenir d’autres produits, notamment tannées susceptibles de résister à des
gent, voire du chlorure d’argent. Brome, des produits tannants, comparables à températures élevées. Deuxième consé-
iode, chlore ont des propriétés chimiques ceux utilisés pour le tannage des peaux quence : le révélateur réagit de toute
voisines, ce qui conduit à les classer dans d’animaux et dont le rôle est de renforcer façon avec quelques cristaux non « mar-
la famille des « halogènes ». On regroupe la tenue mécanique de la gélatine lorsque qués » : un léger voile est inévitable.
donc bromure, iodure et chlorure d’argent cette dernière, plongée dans les bains de Fixage et lavage. Après développe-
sous le terme général d’halogénures traitement, se gorge d’eau. ment, la couche sensible contient de
d’argent. Principe général du développement. nombreux cristaux non révélés, qu’il faut
Depuis l’invention, vers 1880, du « gé- Lorsque la couche sensible est soumise à éliminer car ils absorbent passablement
latino-bromure », le principe de la photo- l’action de la lumière, il ne se passe rien la lumière. Dans un premier temps, le
graphie, en noir et blanc comme en cou- d’apparent : une pellicule impressionnée fixage (l’agent essentiel du fixateur est
leurs, repose sur la sensibilité à la lumière présente le même aspect qu’une pellicule l’hyposulfite de soude) transforme ces
des cristaux d’halogénures d’argent. vierge. En réalité, les cristaux d’halogé- cristaux en produits solubles dans l’eau.
La gélatine, préparée à partir de car- nures d’argent qui ont été exposés à la Dans un deuxième temps, l’eau du la-
casses de bovins, rappelle, en beau- lumière ont subi une modification phy-
vage entraîne les produits solubles, ne
coup plus concentré, certaines gelées sico-chimique quasi imperceptible mais
laissant que la gélatine et les éléments
employées en cuisine. Si elle sert essen- bien réelle. Ils ont été, en quelque sorte,
constitutifs de l’image (argent dans le cas
tiellement de liant entre les cristaux, elle « marqués ». Par là, l’image a bien été
du noir et blanc, produits colorés dans le
intervient aussi quelque peu dans les enregistrée. Mais elle n’est pour l’ins-
cas de la couleur).
processus chimiques qui conduisent à la tant qu’une image potentielle, appelée
En réalité, on ne peut pas éliminer tota-
formation de l’image. Cela pose d’ailleurs image latente. Cette image est révélée
lement les produits solubles. La gélatine
certains problèmes aux fabricants de lors du développement, lequel consiste
ne peut pas, en effet, être plus « pure »
surfaces sensibles : compte tenu de son en un séjour plus ou moins long dans un
que l’eau dans laquelle elle baigne. Or
origine, la gélatine n’est pas de composi- révélateur, c’est-à-dire dans un produit
cette eau, si pure soit-elle au départ, se
tion parfaitement constante, alors que les chimique susceptible de réagir avec les
charge précisément des produits qu’elle
autres produits contenus dans la couche cristaux « marqués » de façon à en ex-
entraîne. On peut donc seulement, par
sensible sont fabriqués par l’industrie traire l’argent, qui se retrouve sous forme
lavages successifs, abaisser par étapes
chimique avec toute la pureté désirable. de petits granules d’argent métallique.
la teneur de la gélatine en produits indé-
La couche sensible contient également Considérons un négatif noir et blanc
sirables jusqu’à une valeur suffisamment
des sensibilisateurs, grâce auxquels les ayant reçu, côte à côte, trois insolations
basse pour qu’il ne se produise pas d’al-
halogénures d’argent sont sensibles à (forte, moyenne, très faible) que l’on
tération chimique de l’image. Consom-
toutes les radiations lumineuses, alors s’attend à voir traduites par des plages
matrice d’argent, l’industrie cinématogra-
qu’à l’état naturel ils ne sont guère sen- respectivement noire, grise, blanche.
phique est donc aussi consommatrice...
sibles qu’au violet et au bleu. Les pre- Dans la première plage, très nombreux
d’eau.
miers sensibilisateurs permirent de capter sont les cristaux « marqués » ; l’ensemble
le vert. C’était déjà un progrès considé- des granules d’argent métallique appa- Développement chromogène.
rable, et les pellicules ainsi traitées furent rus lors du développement constitue une À l’issue de la réaction chimique qui
qualifiées d’orthochromatiques (« tradui- couche continue, fine mais néanmoins s’opère entre les cristaux « marqués » et

sant correctement les couleurs »). L’ap- suffisamment épaisse pour être opaque : les molécules de révélateur en contact
pellation était ambitieuse puisque ces par transparence, on observe bien du avec eux, les granules d’argent libéré se
pellicules demeuraient fort peu sensibles noir. Dans la seconde plage, la quantité retrouvent entourés par les autres pro-
au rouge. La première pellicule panchro- de lumière a été insuffisante pour « mar- duits de la réaction. En noir et blanc, ces
matique, c’est-à-dire sensible à toutes les quer » tous les cristaux ; l’argent libéré ne produits sont éliminés lors des étapes
radiations visibles, fut obtenue en 1913 suffit plus à arrêter toute la lumière : on ultérieures du traitement. En couleurs,
chez Eastman. Mais c’est seulement vers a bien du gris. Dans la troisième plage, on les met à profit, en les faisant réagir
la fin du muet, à la suite des progrès ac- le révélateur libère l’argent de quelques avec d’autres produits chimiques — les
complis dans la sensibilisation au rouge, très rares cristaux : par transparence, on coupleurs — généralement présents dès
que se généralisa l’emploi des films pan- a bien du blanc, à un léger voile près, dû le départ dans la couche sensible (sauf
chromatiques, qui permettaient enfin de à l’absorption de la lumière par le peu pour le Kodachrome, où ils sont apportés
travailler à la lumière des lampes à incan- d’argent libéré. par les bains de développement). Cette
descence, lesquelles émettent surtout du On pourrait penser que, là où l’émul- seconde réaction conduit à l’apparition, là
rouge ( SOURCES DE LUMIÈRE). sion n’a reçu aucune lumière, aucun voile où se trouvaient les cristaux « marqués »,
Dans le cas des films en couleurs, il n’apparaît. En fait, si les révélateurs sont de corps colorés qui constitueront finale-
n’existe pas une seule couche comme actifs, c’est parce qu’ils ont une grande ment l’image une fois que l’argent aura
en noir et blanc, mais trois couches affinité pour les halogénures d’argent, été éliminé à l’aide d’un solvant appro-
superposées respectivement sensibles cette affinité étant particulièrement élevée prié. Ce processus de développement
au rouge, au vert, au bleu ( COULEUR), pour les cristaux « marqués ». Première chromogène n’est réalisable qu’avec cer-

303
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

tains révélateurs, dits révélateurs chro- COULÉE. sel d’argent coloré (sépia, bleu, vert, etc.,
mogènes. Opération consistant à couler l’émulsion selon la réaction chimique provoquée).

Le principe de ce processus, sur lequel sur le support. Films de même coulée, Teinture et virage (éventuellement
reposent aujourd’hui tous les procédés de films découpés dans le même ruban large combinés pour plus de raffinement) furent
cinéma en couleurs, avait été décrit dès de pellicule vierge. ( FILM.) utilisés à grande échelle dans les an-
1911 par le chimiste allemand R. Fischer. nées 20. Il était même exceptionnel qu’un
COULEURS (procédés de cinéma en). film ne comportât pas une ou plusieurs
Mais la panoplie chimique de l’époque ne
Le cinéma était à peine né que cher- séquences en couleurs, soit teintées ou
permettait pas de le mettre en application
cheurs et inventeurs s’efforçaient de lui virées, soit en couleurs « naturelles »
de façon satisfaisante : il fallut attendre
donner ce qui lui manquait alors pour res- par les procédés du genre Technicolor
pour cela les années 35, où apparurent
tituer la réalité filmée : le son et la couleur. ou Prizma (voir plus loin). Avec l’appa-
presque simultanément le Kodachrome
Coloriage et effets colorés. À rition du parlant, qui apportait une tout
et l’Agfacolor. ( PROCÉDÉS DE CINÉMA
l’époque, on ne disposait que de films autre dimension spectaculaire, les sé-
EN COULEURS.)
noir et blanc. La première idée qui vint quences teintées ou virées tombèrent en
Inversion. Avec le mode de dévelop- à l’esprit, dès 1896, fut donc de colorier désuétude, même si l’on en trouve des
pement considéré jusqu’ici, l’argent libéré
les copies d’exploitation. Initialement, des exemples jusque dans les années 40, au
(ou les colorants apparus à la place de ouvrières habiles peignaient à la main, profit des séquences en couleurs « natu-
l’argent libéré) forment une image néga- image par image, les éléments détermi- relles », qui s’effacèrent elles-mêmes de-
tive, où les « blancs » du sujet sont tra- nés par le chef coloriste : les arbres en vant le tournage soit entièrement en noir
duits par du noir et réciproquement. Si vert, telle robe en bleu, le toit de tuile en et blanc, soit entièrement en couleurs.
l’on copie cette image sur un film vierge, rouge, etc. Assez rapidement, la forte Certains films continuèrent d’employer
un nouveau retournement des « va- demande de films coloriés conduisit l’alternance noir et blanc/couleurs, mais
leurs » s’opère : après développement à industrialiser la méthode. On se mit à des fins dramatiques : dans Bonjour
du second film, les blancs du sujet sont alors à découper sur une première copie, tristesse (O. Preminger, 1958), le pré-
bien traduits par du blanc et les noirs par image par image, les zones à colorier ; sent est en noir et blanc, les souvenirs en
du noir. C’est la filière classique négatif- cette copie servait ensuite de « pochoir » couleurs ; Nous nous sommes tant aimés
positif : le film projeté est distinct du film pour l’application (manuelle d’abord, puis (E. Scola, 1974) commence en noir et
de prise de vues. mécanique, par brosses rotatives ou par blanc et finit en couleurs, à l’instar de
Il est possible d’obtenir directement rouleaux encreurs) des colorants sur les l’évolution du cinéma pendant la période
une image positive. Considérons à nou- copies de série, qui recevaient succes- évoquée ; le Magicien d’Oz (V. Fleming,
veau les trois « plages » évoquées plus sivement jusqu’à 6 ou 7 couleurs diffé- 1939) alterne sépia et Technicolor selon
rentes. (Il fallait évidemment autant de que l’action se situe dans le réel ou dans
haut. À la prise de vues, tous les cristaux
pochoirs que de couleurs.) le territoire d’Oz.
sont « marqués » dans la première plage,
une partie seulement dans la seconde Le coloriage fut énormément utilisé, Si la teinture est aujourd’hui abandon-
plage, aucun dans la troisième. (Nous notamment sous le nom de Pathécolor, née, le tirage sur positif couleur, dans des
jusqu’à la Première Guerre mondiale. conditions procurant l’impression visuelle
négligeons ici le voile.) Après développe-
Il tomba par la suite en désuétude, et d’un virage, d’un film tourné en noir et
ment, au lieu de laver et fixer, éliminons
disparut définitivement vers 1930. (Sup- blanc est encore employé occasionnelle-
l’argent libéré par un solvant approprié.
planté par le pochoir, le coloriage manuel ment pour donner un cachet particulier à
Soumettons ensuite le film, lors d’une
demeura employé occasionnellement, ce film. (Cf. Gervaise, R. Clément, 1956,
« seconde pose », à un éclairement
par ex. pour les copies originales du Cui- ou la Traversée de Paris, Cl. Autant-Lara,
suffisant pour « marquer » tous les cris-
rassé Potemkine [S. M. Eisenstein, 1925], id.)
taux restant. Après un second dévelop-
où le drapeau révolutionnaire était ainsi Les procédés additifs. Les procédés
pement (suivi maintenant d’un fixage et
peint en rouge. Le coloriage de certaines ci-dessus se limitaient à réaliser des
d’un lavage), on obtient, sur la pellicule
scènes du Jour de fête, de Tati, lors de sa effets colorés à partir d’un enregistre-
même de prise de vues, une image où les
réédition, relevait lui aussi, indirectement,
« blancs » du sujet sont traduits par du ment noir et blanc. Parallèlement, des
de cette méthode.) chercheurs s’employaient à enregistrer
blanc et les « noirs » par du noir. Ce pro-
Teintures et virages. Le coloriage directement les couleurs « naturelles » de
cessus de développement par inversion,
était relativement onéreux. (En 1906, la scène filmée. Comme on ne disposait
ou développement inversible, est aussi
quand on vendait encore les copies au initialement que de films noir et blanc, les
bien praticable en couleurs qu’en noir et
mètre, les films coloriés se vendaient 3 F premières recherches s’orientèrent tout
blanc.
le mètre contre 2 F en noir et blanc.) On naturellement vers la synthèse additive
S’il est plus complexe que le dévelop- imagina donc d’autres moyens de procu- des couleurs ( COULEUR).
pement de la filière négatif-positif, et s’il rer des effets colorés. Les procédés à images séparées.
n’est généralement praticable qu’avec Une technique consistait à teinter uni- Dès 1906, le Britannique Smith, associé
des films inversibles (c’est-à-dire conçus formément l’image, soit par application par la suite à Urban, brevetait un procédé
à cet effet), le développement présente uniforme de couleur sur le film, soit par commercialisé en 1908 sous le nom de
l’avantage économique appréciable de l’emploi de films à support coloré dans la Kinemacolor. La caméra fonctionnait à
fournir directement un film projetable. masse. (Vers 1930, Kodak proposait ainsi 32 images/seconde, (le double de la
Pour cette raison, les amateurs travaillent toutes sortes de supports teintés aux cadence normale de l’époque) et, grâce
presque exclusivement en inversible. En noms exotiques comme [en français dans à un filtre rotatif placé devant l’objectif,
cinéma professionnel, les films distribués le texte] : « fleur de lis », « nocturne », les images (noir et blanc) étaient enre-
dans les salles sont de toute façon des « caprice », « rose dorée », etc.) Par gistrées alternativement derrière un filtre
copies : la filière négatif-positif est alors exemple, on teintait en bleu les scènes de rouge et un filtre vert. À la projection, on
plus rationnelle, et on n’a recours à l’in- nuit, en rouge les scènes d’incendie, etc. procédait de même : le spectateur obser-
version que dans quelques cas bien pré- Une autre technique faisait appel au vi- vait donc, chaque seconde, 32 images
cis : films intermédiaires ( COPIES.), ou rage, où l’image noir et blanc est conver- alternativement rouges et vertes dont la
prises de vues en 16 mm sur Ektachrome tie en image « couleur et blanc » par synthèse s’opérait grâce à la persistance
inversible ( CONTRASTE.) transformation chimique de l’argent en un rétinienne. Malgré la fatigue visuelle

304
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

due à cette synthèse alternée, malgré genre qui donna lieu à exploitation com- par pressage, pour y former une multi-
les franges colorées dues au déplace- merciale fut le Rouxcolor, mis au point tude de fines cannelures cylindriques ; la
ment du sujet entre l’enregistrement de par les frères (français) Lucien et Armand couche sensible noir et blanc est située
deux images consécutives (parallaxe de Roux et avec lequel Marcel Pagnol tourna sur l’autre face, demeurée plane, du sup-
temps), le Kinemacolor connut un assez la Belle Meunière (1948). (Contrairement port (figure 1a). La prise de vues s’effec-
vif succès, notamment en 1912 avec The au Technicolor et aux procédés actuels, tue à travers le support, l’objectif de la
Durbar of Delhi, reportage sur le couron- qui reconstituent les couleurs à partir des caméra étant coiffé d’un filtre fixe en trois
nement du roi George V comme empe- images du rouge, du vert et du bleu, le parties : en chaque point de l’image, les
reur des Indes. Deux ans plus tard, des Rouxcolor les reconstituait à partir de cannelures, agissant comme autant de
querelles de brevets entraînèrent sa dis- quatre images enregistrées derrière des minuscules lentilles, séparent les rayons
parition. filtres rouge, jaune, vert, bleu. La sélec- lumineux issus des trois parties du filtre
D’autres procédés additifs bichromes tion du jaune permettait une meilleure (figure 1b). À la projection, on procède en
apparurent ensuite, dont certains élimi- restitution des couleurs.) sens inverse.
naient la fatigue visuelle de Kinemacolor. Les procédés à réseaux colorés. Après des démonstrations effectuées
Mais ils souffraient comme lui d’être seu- Au lieu de séparer les trois images cor- dans les années 20 sous le nom de « pro-
lement bichromes, et donc de ne restituer respondant au rouge, au vert et au bleu, cédé KDB », le film gaufré fut commer-
( COULEUR) qu’une gamme très limi- on peut les imbriquer les unes dans les cialisé vers 1930 en 16 mm inversible, à
tée de teintes. Nuit et Brouillard, d’Alain autres, ce qui élimine automatiquement l’intention des amateurs, sous des noms
Resnais (1956), reproduit quelques plans le problème de leur superposition. Cette de marque (Kodacolor, Agfacolor) qui
d’un film 9, 5 mm tourné avec un procédé méthode avait été proposée dès 1868 par allaient ensuite être repris pour des pro-
rustique, proposé aux amateurs dans le Français Ducos du Hauron, et mise en cédés soustractifs. La faible sensibilité
l’entre-deux-guerres, basé sur le principe application à partir de 1907 par les frères (quelques ASA) n’autorisait guère que le
de la synthèse bichrome alternative. Lumière, avec leurs plaques photogra- tournage en plein soleil, et des franges
Le premier procédé trichrome apparut phiques Autochrome. colorées apparaissaient à la projection
en 1913 avec le Chronochrome Gaumont, Parmi les nombreux procédés ciné- par suite de la difficulté à obtenir, et sur-
ou encore Gaumontcolor. Une caméra matographiques imaginés à partir de tout à maintenir lors des manipulations
spéciale, à trois objectifs munis de filtres ce principe, le seul qui déboucha sur du film, des cannelures d’une précision
rouge, vert et bleu, enregistrait simulta- quelques applications pratiques fut le parfaite.
nément trois images juxtaposées ; à la Dufaycolor, mis au point en Grande-Bre- En cinéma professionnel, outre les
projection, on procédait en sens inverse, tagne vers 1935 à partir des travaux du problèmes ci-dessus, on se heurtait, pour
avec un projecteur spécial, lui aussi doté Français L. Dufay. Dans ce procédé, le les mêmes raisons qu’en Dufaycolor,
de trois objectifs munis de filtres. Si le support était recouvert, par impressions au problème du tirage des copies. Dans
Gaumontcolor restituait toutes les teintes, successives, d’un réseau transparent l’immédiat après-guerre, il vint à l’idée
il était très délicat de superposer exac- constitué de bandes rouges et de bandes de certains de tourner sur film gaufré,
tement les trois images sur l’écran ; en où alternaient rectangles verts et bleus, ce qui évitait d’avoir recours à l’énorme
pratique, un compère installé près de sur lequel on passait ensuite une couche caméra Technicolor, et d’extraire en labo-
l’écran devait retoucher en permanence sensible noir et blanc. La prise de vues ratoire trois sélections noir et blanc dis-
le réglage des objectifs. De toute façon, s’effectuait à travers le support, chaque tinctes destinées à un tirage Technicolor.
il était impossible de réaliser cette super- élément du réseau servant de filtre. À la À l’instigation des promoteurs de cette
position à la fois pour les premiers plans projection, on procédait en sens inverse : méthode, Jour de fête (1947) de Jacques
et pour les arrière-plans, puisque la prise compte tenu de la finesse du réseau Tati fut ainsi entièrement tourné sur film
de vues était effectuée par trois objectifs (50 bandes au mm), les trois images co- gaufré. Il se révéla malheureusement im-
distincts, observant la scène sous trois lorées se fondaient visuellement, ce qui possible, à l’époque, d’extraire les sélec-
angles distincts, d’où parallaxe d’espace. assurait la synthèse recherchée. tions, et Jour de fête fut monté à partir du
Exploité avant la guerre dans une salle En développement inversible, le pro- négatif noir et blanc enregistré à toutes
parisienne et dans une salle new-yor- cédé donnait des résultats satisfaisants. fins utiles par une seconde caméra.
kaise, le Gaumontcolor fut à nouveau ex- Pour le tirage des copies, il fallait que En 1995, à l’occasion du « premier
ploité en 1919-20 au Gaumont-Palace de l’image noir et blanc de la copie trouve siècle » du cinéma, les éléments couleurs
Paris (avec notamment un reportage sur exactement sa place derrière son propre originaux retrouvés ont été restaurés et
le défilé de la Victoire du 14 juillet 1919), réseau coloré : la difficulté était à peu il a été techniquement possible d’établir,
puis il disparut. près insurmontable, et le procédé fut à partir de ces éléments de la version
Les procédés ultérieurs de synthèse abandonné. (La seule tentative ulté- couleurs, un nouveau négatif couleurs
additive à images séparées éliminaient rieure fut celle de Polaroïd, avec les films standard qui a permis de tirer des copies
les deux défauts cités, en disposant le Super 8 à développement instantané de d’exploitation 35 mm couleurs exploitées
système séparateur à l’arrière de l’objec- son système Polavision.) en salle.
tif d’où un point de vue unique et des La synthèse additive par images im- Les procédés soustractifs. La syn-
images prises simultanément. On parve- briquées connut une éclatante revanche thèse additive n’était pas la bonne solu-
nait ainsi à inscrire côte à côte sur le film avec la télévision en couleurs, où l’image tion : pour que le cinéma en couleurs s’im-
les « sélections » désirées. (On appelle formée sur l’écran du récepteur résulte de pose, il fallait que les copies en couleurs
sélection l’image noir et blanc enregistrée la juxtaposition de plusieurs centaines de soient aussi simples à projeter qu’une
derrière un filtre « sélectionnant » telle ou milliers de points rouges, verts et bleus copie noir et blanc ou une copie « colo-
telle couleur. À la projection, on procé- qui se fondent visuellement, comme dans riée ». Parmi tous les procédés additifs,
dait en sens inverse, un système optique le Dufaycolor, en raison de leur extrême seuls les procédés à réseau auraient pu
assurait la superposition des trois images petitesse. offrir cette simplicité. Mais ils se heur-
sur l’écran. Les films gaufrés. Une troisième mé- taient de toute façon à l’obstacle majeur
Si les images du rouge, du vert et du thode, a priori fort élégante, de synthèse de la synthèse additive : la nécessité de
bleu étaient de la sorte géométriquement additive trichrome reposait sur les travaux tripler la puissance lumineuse de la lan-
identiques, leur superposition sur l’écran des Français Berthon et Keller-Dorian. Le terne si l’on veut obtenir un éclairement
demeurait délicate. Le seul procédé de ce principe consiste à « gaufrer » le support, satisfaisant de l’écran ( COULEUR).

305
DICTIONNAIRE DU CINÉMA

La solution correcte était donc la syn- dements, deux bobines de la Famous cédé d’impression, alors que, dans les
thèse soustractive ( COULEUR), grâce à Players-Lasky Corp., 1923). films actuels à « coupleurs », les colorants
laquelle la couleur entra dans les moeurs Le collage de films dos à dos était tou- sont formés au sein même de la couche
dès les années 20 pour finalement tefois source de déboires. En 1929, Tech- sensible à partir de réactions chimiques
conquérir presque totalement le cinéma nicolor l’abandonna au profit du tirage complexes. La palette des colorants uti-
à partir des années 50. par imbibition, où les négatifs issus de la lisables étant de ce fait beaucoup plus
Le premier procédé soustractif de l’his- prise de vues sont tirés sur des positifs large, on pouvait choisir des colorants

toire du cinéma fut le Kodachrome (nom distincts, qu’un traitement chimique ap- ayant exactement les caractéristiques

de marque qui serait repris plus tard pour proprié rend aptes à s’imbiber de colorant requises (ce qui explique que Technicolor

un procédé tout à fait différent), breveté proportionnellement à la quantité d’argent ait atteint presque d’emblée une grande

en 1915 par J. G. Capstaff. Grâce à un contenue en chaque point de l’image. qualité dans la restitution des couleurs)

prisme diviseur placé derrière l’objec- Ces positifs servent ensuite de « ma- et d’une grande stabilité chimique (ce qui
trices » pour imprimer l’image colorée explique pourquoi les copies Technicolor
tif, la caméra enregistrait deux négatifs
sur un film vierge, plus exactement sur ont pendant longtemps mieux résisté au
noir et blanc derrière des filtres res-
un film où l’on a préalablement inscrit, par vieillissement que les copies sur films à
pectivement rouges et verts. Au tirage,
développement noir et blanc classique, coupleurs).
ces deux négatifs étaient d’abord tirés
sur deux couches sensibles coulées de la piste sonore et les cadres d’image. Il Pendant un temps, les copies Tech-
part et d’autre d’un même support. Par faut évidemment autant de matrices que nicolor furent imprimées sur un film où

virage, les deux images noir et blanc de couleurs employées (deux en Tech- l’on avait préalablement tiré une image

ainsi obtenues étaient ensuite amenées nicolor bichrome, trois en Technicolor noir et blanc légère obtenue d’après le
trichrome) et chacune peut servir à impri- négatif du bleu. Cela donnait du « corps »
en couleurs complémentaires de celles
mer plusieurs centaines de copies, étant à l’image finale, mais cela dénaturait
des filtres de prises de vues, soit : rouge-
bien entendu qu’elle doit être réimbibée à aussi certaines couleurs, et la méthode
orangé et bleu-vert.
chaque fois. fut abandonnée en 1939.
À peu près à la même époque, tou-
Malgré ce progrès, Technicolor vit son Les films à coupleurs. Le Technicolor
jours aux États-Unis, apparaissait le pro-
chiffre d’affaires se réduire : l’économie nécessitait l’emploi d’une caméra spé-
cédé Prizma. Initialement procédé additif
américaine était alors en récession, et ciale, où l’enregistrement des couleurs
dérivé du Kinemacolor, Prizma se trans-
surtout la nouveauté du parlant accapa- s’effectuait par le biais de trois négatifs
formait en 1919 en procédé soustractif
rait l’attention du public et des produc- noir et blanc. Il restait à mettre au point
bichrome, les deux images étant, comme
teurs. Mais l’imbibition permettait désor- un film qui enregistrerait directement les
dans le Kodachrome, reportées de part
mais la synthèse trichrome, à partir des couleurs, et qui permettrait de tourner in-
et d’autre du support. Racheté en 1929
trois négatifs fournis par une nouvelle différemment en noir et blanc ou en cou-
par Consolidated Film Industries, Prizma
caméra, toujours basée sur le principe leurs avec une caméra « normale », de la
eut de nombreux descendants directs ou
du prisme diviseur (figure 2). Après avoir même façon que, grâce au Technicolor,
indirects (Multicolor, Cinécolor, Trucolor),
sonné à de nombreuses portes, Kalmus les exploitants pouvaient projeter indiffé-
dont certains furent en usage jusque vers
finança un court métrage de démonstra- remment du noir et blanc et de la couleur.
1950. Au cours du même entre-deux-
tion (la Cucaracha, deux bobines RKO Dès le début du siècle, Homolka (en
guerres, des procédés bichromes simi-
de Lloyd Corrigan, 1934) dont le succès 1907) et Fischer (en 1911) avaient jeté
laires furent mis sur le marché en Europe,
ouvrit la voie au premier long métrage les bases du développement chromo-
notamment en Allemagne avec l’Ufacolor.
(Becky Sharp, 1935) entièrement en gène, où l’image colorée se forme direc-
Technicolor. C’est également en Technicolor trichrome, lequel gagna rapi- tement dans la couche sensible à partir
1915 que trois ingénieurs américains, dement ses titres de gloire avec des films de « coupleurs ». ( COUCHE SENSIBLE.)
Herbert T. Kalmus, Daniel F. Comstock comme Blanche-Neige et les sept nains Mais la chimie de l’époque ne leur permit
et W. B. Westcott, fondèrent une société de Walt Disney (1937), les Aventures de pas d’aboutir à des réalisations pratiques.
dont le nom allait connaître la gloire : la Robin des Bois de Curtiz (1938), Autant C’est seulement au milieu des années 30
Technicolor Motion Picture Association. en emporte le vent de Fleming (1939), qu’apparurent presque simultanément,
Utilisant eux aussi une caméra à prisme le Voleur de Bagdad de Michael Powell avec le Kodachrome et l’Agfacolor (deux
diviseur, ils s’attaquèrent d’abord à la (1940). (Disney avait employé le Techni- noms de marque qui avaient été aupara-
synthèse additive bichrome. Mais, lors de color trichrome dès 1932, avec des ma- vant — on l’a vu — employés pour une
la tournée de présentation du premier film trices établies à partir de trois enregistre- tout autre chose), les premiers procédés
ainsi réalisé, Kalmus se rendit compte ments successifs des dessins, la nouvelle couleurs monopack, où trois couches
que la méthode additive demandait un caméra n’étant pas encore disponible.) sensibles superposées, respectivement
projectionniste « qui tienne à la fois du Le Technicolor était un procédé assez sensibles au vert, au bleu et au rouge,
professeur de grande école et de l’acro- lourd. La caméra, déjà encombrante en sont couchées sur un même support. (Le
bate ». Se tournant alors vers la synthèse elle-même, méritait son sobriquet d’« ar- terme « monopack » désigne le procédé
soustractive, Technicolor imagina, pour moire normande » quand on l’enfermait grâce auquel on fait défiler dans la ca-
ne pas se heurter aux brevets Capstaff, dans son caisson insonore. La sensibi- méra un seul film, par opposition aux pro-
de coller dos à dos deux positifs préala- lité du procédé était modeste (moins de cédés bipack ou tripack, où l’on fait défiler
blement virés en couleurs comme dans le 10 ASA), ce qui imposait une débauche deux ou trois films, superposés soit dans
Kodachrome. d’éclairage. Quant au tirage des copies, le même couloir, soit dans des couloirs
Ce Technicolor bichrome, inauguré il requérait beaucoup de soin, et notam- distincts. Le Technicolor trichrome était
avec un film de Chester M. Franklin, Toll ment une précision mécanique aux fron- un procédé tripack.) Les termes mono-
of the Sea (1922), fut largement utilisé tières du possible si l’on voulait que les pack et tripack sont souvent employés
dans les années 20, parfois pour des trois images colorées, imprimées l’une dans deux sens différents. Certains les
films entiers (par ex. le Pirate, 1926), le après l’autre, soient en exacte superposi- utilisent pour des films à trois émulsions
plus souvent pour des courts métrages tion. Le Technicolor n’avait donc de sens superposées, les désignent comme mo-
ou pour certaines scènes marquantes que pour les productions importantes. nopack parce que les émulsions y for-
de films en noir et blanc, éventuellement En regard, le procédé de tirage Techni- ment un bloc unique ou comme tripack,
teinté ou viré (par ex. les Dix Comman- color présentait l’avantage d’être un pro- parce qu’ils comportent trois émulsions.

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DICTIONNAIRE DU CINÉMA

Le Kodachrome. Le Kodachrome était facolor : les procédés belge Gevacolor, torsions chromatiques dans les ombres,
(et reste) un procédé original : les cou- japonais Fujicolor, italien Ferraniacolor. etc. (Les pays de l’Est, qui continuent
pleurs, au lieu d’être incorporés dès le dé- Dans les pays de l’Est, qui avaient récu- d’employer Sovcolor et Orwocolor, im-
part dans les couches sensibles, sont ap- péré en 1945 un stock important d’Agfa- portent également des pellicules « occi-
portés par les trois bains qui développent color (sur lequel fut notamment tournée dentales ».)
successivement les trois couches. (Cela la partie en couleurs d’Ivan le Terrible « Couleur par Technicolor ». De
complique, sur le plan technique, le déve- par Eisenstein), les dérivés de l’Agfacolor Luxe Color, Warnercolor, Metrocolor,
loppement ; mais, comme la chimie de ce s’appelèrent Sovcolor en URSS, Orwoco- Pathécolor, etc., ne sont pas (ou n’étaient
dernier s’en trouve simplifiée, le Koda- lor en RDA. La firme américaine Ansco, pas) des procédés originaux. Ces men-
chrome a pu bénéficier d’emblée de colo- avant-guerre filiale d’Agfa, lançait pour sa tions signifient simplement que les tra-
rants résistant bien au vieillissement.) part l’Anscocolor. (Seuls sont cités ici les vaux de laboratoire ont été effectués, sur
Le Kodachrome fut lancé en 1935 procédés commercialisés.) de la pellicule Eastman ou autre, dans un
comme film inversible — 16 mm ou 8 mm Ce fut toutefois l’Eastmancolor de laboratoire de la firme De Luxe, Warner,
— destiné aux amateurs. Mais il était Kodak, commercialisé en 1951, qui im- etc. (Ces travaux n’incluent pas néces-
possible, partant d’un original 16 mm, posa vraiment le procédé négatif-positif. sairement le tirage des copies. De même,
d’extraire en laboratoire les trois sélec- L’Eastmancolor était issu des travaux les mentions Eastmancolor, Gevaco-
tions noir et blanc nécessaires à un tirage menés de son côté par Kodak, qui avait lor, Fujicolor, Sovcolor, etc., nous ren-
Technicolor. Exemple : les films anima- mis au point pendant la guerre deux seignent sur le négatif de prise de vues
liers de la série de Disney C’est la vie. procédés photographiques toujours em- mais n’impliquent pas nécessairement
De 1940 à 1950, une version 35 mm fut ployés (Ektachrome et Kodacolor), où les que les copies soient tirées sur une pel-
en outre fabriquée à l’intention du cinéma coupleurs étaient incorporés à la couche licule de la même marque.)
professionnel (le tirage s’effectuant sensible selon une méthode différente de Jusqu’à l’apparition de l’Eastman-
comme ci-dessus en Technicolor), de celle d’Agfa.
color, « couleur par Technicolor » se
façon à permettre les prises de vues là où L’Eastmancolor introduisait une inno- référait à la technique du tournage sur
il aurait été impossible de manipuler une vation appréciable : la correction automa- caméra tripack T

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