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Marie LÉVEILLÉ

Cette lettre a été réalisée dans la cadre d'un projet de la commission environnement du lycée Jean-Baptiste de la
salle, mené par mon camarade de classe Ugo Delalonde.

À Emmanuel Macron
55 rue du Faubourg Saint-Honoré
75008, Paris

Monsieur le Président de la République,


Je suis lycéenne en terminale économique et sociale au lycée Jean-Baptiste de la Salle à Rouen.

Aujourd’hui, je m’adresse à vous pour m’exprimer sur un sujet qui me tient particulièrement à coeur.

Comme je l’ai affirmé précédemment, je vis à Rouen, ville synonyme de catastrophe écologique et de
manifestation des excès de notre modèle industriel. Mon âge et mon lieu de résidence sont donc majeurs en vue
de comprendre ce qui me mène à vous.

En effet, en tant que jeune et actrice de la génération à venir, certains me diront ignorante et inconsciente,
d’autres me qualifieront de responsable et engagée.

Dans ces deux cas, il me semble important de rappeler la nécessité non pas d’idéaliser l’avenir mais bien de le
remettre en question, de déconstruire le modèle de société qui nous est inculqué pour prendre du recul et
analyser les situations qui se présentent à nous. De fait, je ne suis pas à vous écrire cette lettre en vue de vous
apprendre comment gouverner le pays ou quelle démarche adopter face au contexte actuel. Cependant, je
profite de mon âge pour vous apporter mon soutien et ma gratitude à évoquer ces derniers jours la
problématique du monde d’après, de la préservation de l’environnement et à attirer l’attention sur l’ampleur
qu’elle prend dans la crise voire la guerre que nous connaissons en cette période.

Alors, pourquoi avoir choisi de vous écrire ?


Parce que l’écriture contribue à inventer l’histoire en s’octroyant une certaine liberté pour construire un autre réel.
Elle nous permet d’écrire ce que nous ne pouvons dire, de donner une forme verbale à ce que les gens
conçoivent parfois comme impensable. Vous aurez compris que si je parviens aujourd’hui à l’écrire, ce concept
ne fait plus parti de l’impensable mais bien d’une réalité. Pourtant, j’insiste sur l’humilité de cette lettre, qui ne
prétend pas échapper aux contradictions et à certaines faillites de l’écriture, mais qui entend provoquer l’action,
participer à la construction de ce qui sera notre avenir, en complétant la pensée qui a déjà été produite autour de
ce sujet et en appuyant sur ce qui m’a paru essentiel.

Récemment, j’ai trouvé que les propos de Nicolas Haeringer membre de l’ONG 350.org rappelaient le défi auquel
l’humanité entière doit faire face alors que la COP 26 n’aura pas lieu en 2020. Son objet, le temps, ne peut plus
être considéré comme auparavant. Nous observons désormais que les périodes ne se succèdent plus, elles
s'additionnent. Nous ne pouvons plus négocier avec le temps et repousser au lendemain ce qui devait être fait la
veille, là est l’enjeu de cette lettre. C’est la volonté d’un monde inédit qui ne fait plus face à l’urgence que nous
devons aujourd’hui exprimer par des initiatives comme celle-ci. Néanmoins, il faut être conscient que la
préservation de l’environnement s'inscrit dans l’ensemble des domaines de notre vie, au-delà de la simple
dimension économique que nous nous plaisons à lui associer. De nos jours, les rapports humains sont
déterminés par le climat. Le climat modifie également nos ressources disponibles et augmente les inégalités
entre les pays, qui sont, d’un côté, touchés inégalement, et de l’autre, plus ou moins exploités en vue de
répondre à des besoins plus ou moins nécessaires.
Or, les rapports de production sont à la source des déplacements massifs entraînant des pandémies comme
celle-ci. Ce qui est ici critiquable est la situation, toujours trop fréquente malgré des changements, où les pays
développés délocalisent leur production dans des zones vulnérables en ne faisant ainsi qu’accroître le
déréglement climatique, pour répondre à des besoins qui ne sont pas de prime abord nécessaires et qui satisfont
majoritairement des individus minoritaires qui ne sont, eux, pas vulnérables. Ce même raisonnement, au delà de
l'échelle globale, peut être appliqué à l'échelle nationale voire locale.

C’est avant tout la confiance en l’avenir qu’il faut rétablir.

À l’inverse de ce que certains discours entretiennent, nous pouvons logiquement concevoir l’écologie comme
plus qu’un simple détail en temps d’épidémie mondiale. Le pangolin, soupçonné d'avoir transmis l'épidémie à
l'homme est aussi l'animal le plus braconné au monde. La cause environnementale est donc non seulement
directement impliquée dans l’origine de la crise mais est aussi ce qui nous apparaît comme une prémice par
rapport à la catastrophe écologique et l'extinction massive qui nous attendent. Par exemple, les Etats Unis, en
offrant actuellement un " permis de polluer " aux entreprises américaines afin de maintenir la croissance, ont
sous-estimé les victimes d’une autre épidémie mondiale, d’un autre type, mais qu’il ne faut pas négliger. Dans le
monde, chaque année, 8,8 millions d’individus meurent de la pollution.
La situation que nous vivons est ainsi certainement dramatique mais n’est pas exceptionnelle. Lorsque nous
rappelons que, chaque jour, 25 000 personnes meurent de faim dans le monde, il me semble que ce problème
soit digne de considération et non moins que l’épidémie actuelle. Il est également important de souligner que la
crise de l'hôpital public et de la santé que nous traversons aujourd’hui est minime par rapport à celle des pays où
la population manque de services de santé, d’accès à l’eau, vit en guerre ou même ne dispose pas de refuge
pour s’isoler.

La France, pays de la révolution française et des Lumières, la France, pays des idées nouvelles et des luttes
sociales. Notre pays peut une nouvelle fois être l'initiateur d’un projet de plus grande ampleur encore que le
projet démocratique à la suite de siècles de monarchie, de censure et d’ordre social divisé entre la noblesse et le
reste du peuple. C’est le moment pour nous d’en finir avec cette angoisse de vivre à l’origine de toutes nos
actions. Cette même angoisse résultant en dépression, burn-out, que nous mettrons sur le dos d’une quête
maladive de bien-être dans une société post-matérialiste où la satisfaction des besoins primaires a été
dépassée, n’est en fait que la conséquence de cette urgence qui nous semble indescriptible. Ce mal-être
notamment social, économique et environnemental constitutif d’un modèle qui n’est en aucuns cas durable est ce
qui est, pour citer le plaidoyer de Aurélien Barrau, le plus grand défi de l’histoire de l’humanité.

La science, à laquelle nous nous référons aujourd’hui avec grande confiance pour conditionner les décisions
gouvernementales et la résolution de l’épidémie, nous déclare presque unanimement ce vers quoi nous nous
précipitons. Je me demande alors, pourquoi ne l’écoutons-nous pas ? Pourquoi ne montrons-nous pas la même
abnégation face aux responsabilités que nous devrons prendre par la suite ?
Quels obstacles peuvent engendrer un tel immobilisme, qui est d’autant plus visible que le problème est grand ?

Vous me direz probablement la croissance économique. Je vous répondrai que nous ne pouvons qualifier de
croissance économique ce qui nous amène à la surexploitation des ressources, qui nous permettent de vivre et
qui entraînent la biodiversité nécessaire à la prolifération de la vie sur Terre, et donc à notre extinction. Ce que
vous nommez croissance est paradoxal. Dans la mesure où elle permet de nourrir des enfants aujourd’hui qui ne
pourrons sûrement pas vivre aussi longtemps que vous, c’est une décroissance.

Ensuite, certains me suggéreront qu’il est sûrement trop tard pour réagir. Mais alors pourquoi ne tentons-nous
pas de minimiser les dégâts avec la même rationalité que nous démontrons ces dernières semaines ?

Enfin, les adeptes du libéralisme me parleront de liberté et de responsabilité individuelle. Pourquoi alors
acceptons-nous aujourd’hui une privation de liberté qui est bien supérieure à celle qu’il faudrait envisager pour
préserver la vie sur Terre et pour ainsi, créer un nouveau champ de libertés qui ait, il me semble, d’autant plus de
valeur ?

Je n’attends pas ici de réponse. J’aimerais simplement qu’en ces instants, nous nous octroyons tous le droit de
réfléchir à l’écart que nous voyons se creuser entre notre capacité d’action, c’est-à-dire l’étendue des possibles
que nous percevons et qui ne cesse de s’agrandir, et l'utilisation que nous en faisons. Il faut que nous
considérions cette peur, qui nous empêche de réagir et qui occupe nos journées, non pas comme une contrainte
mais bien comme une opportunité immense vers un élan de solidarité exceptionnel et une réalité digne de notre
faculté à nous rassembler et à mobiliser nos moyens rationnellement.

Je suis consciente que le problème que je vous pose ici n’est pas directement d’ordre politique comme nous
l’entendons usuellement mais a atteint une dimension philosophique remettant en question la nature même de
l’homme qui doit se battre avec le temps chaque seconde de son existence. Quand pourrons-nous déclarer que
l’homme a atteint le stade supérieur de sa condition qu’il recherche tant ? Je suis intimement convaincue que ce
n’est pas par ses inventions, sa quête de domination, de possession, caractéristiques de cette urgence de vivre
mais bien lorsqu’il arrêtera de négocier avec le temps, en détruisant comme il le fait son avenir sous prétexte
d’un passé ou d’un présent.
Notre nature humaine est d’autre part un atout. L’animal a un langage qui comprend uniquement le réel et
répond directement à un besoin. L’humain, par son langage, peut, lui, créer des concepts complètement
imaginaires, des conventions de société, comme le produit intérieur brut ou l’Etat, qui consentent à rassembler
des individus qui ne se connaissent pas mais qui vont être en relation par la perception qu’ils se font de ces
entités imaginaires. De ce principe découle la possibilité de réunir l’ensemble de l'humanité vers un objectif
commun mais aussi de bouleverser la société et son mode de vie instantanément, rien que par une modification
du langage qui nous unit.

Dans le Mythe de Sisyphe, Camus nous présente deux réactions possibles face au divorce entre la quête de
sens, l’appel humain et un monde qui reste silencieux. Le premier est le suicide, le deuxième est l’espoir. Mais ni
l’un ni l’autre ne nous permettent de redonner un sens au monde. Certains y verront un pessimisme, j’y verrai un
profond respect pour la vie lorsque nous apprenons son passé militant. Finalement, il entend répondre à cet
appel de lucidité face à un monde que nous ne parvenons à saisir, par la révolte, combinant alors l’importance de
la quête de liberté et du désir de sens. Vivre, c’est accepter sa condition, c’est vivre avec l'absurde tout en étant
lucide.

C’est pourquoi, à 17 ans, j’estime la philosophie de Camus, qui appelle l’humain à respecter la vie, à se révolter
et à conquérir sa liberté, comme le leitmotiv de mon existence.

C’est pourquoi, à 17 ans, je veux montrer mon respect pour la vie et sa valeur en la préservant.

C’est pourquoi, à 17 ans, je refuse de percevoir mon âge comme un handicap mais plutôt comme un véritable
atout dans ce combat.

C’est pourquoi, Monsieur le Président, j’appelle au rassemblement, à la solidarité, à la cohésion, dans une guerre
de bien plus grande envergure dans laquelle s’inscrit la crise sanitaire que nous vivons en ce moment.

C’est pourquoi, Monsieur le Président, je vous demande de non seulement entrer en guerre contre ce virus mais
aussi contre une facette de la nature humaine.

C’est pourquoi, Monsieur le Président, j’appelle à la création d’une éthique universelle reposant sur la
responsabilité de l’Homme face au monde et à la nature, une éthique séculière qui prône l’engagement non
seulement collectif mais aussi individuel dans la mesure où nous ne pouvons attendre du monde ce que nous ne
pouvons nous-même lui donner.

C’est pourquoi, Monsieur le Président, je mets entre vos mains ma confiance, mon avenir et celui de mes
enfants, mon soutien, ma loyauté la plus totale face à cette lutte qui n’est pas uniquement la vôtre mais celle de
l’ensemble des français et de l’ensemble de l’humanité.

C’est pourquoi, Monsieur le Président, j’espère que le peuple français me saisira à travers cette lettre et rejoindra
mon engagement comprenant enfin qu’il y a un élément de l’Univers qui soit plus puissant que l’Homme, c’est le
temps.

C’est pourquoi, Monsieur le Président, je pense, qu'en cet instant, j’ai retrouvé confiance en l’avenir.
Je n’ai qu’une quête, celle du sens, et j’attendrai de pouvoir la réaliser grâce à votre secours.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma considération la plus respectueuse.

Sources :
Sapiens, une brève histoire de l’humanité, Noah Nuval Harari
Le plus grand défi de l’humanité, Aurélien Barrau
La nuit j’écrirai des soleils, Boris Cyrulnik
L’appel au monde, Dalaï Lama
Le Mythe de Sisyphe, Albert Camus

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