même de Daech" VIDÉO-ENTRETIEN. Réalisateur du documentaire "Abdelkader", Salem Brahimi nous plonge dans la vie de cet émir qui interroge les soubresauts actuels de l'islam. PROPOS RECUEILLIS PAR HASSINA MECHAÏ Publié le 05/07/2017 à 10:53 - Modifié le 05/07/2017 à 12:19 | Le Point Afrique Dans cet entretien accordé au Point Afrique, Salem Brahimi revient sur son documentaire consacré à l'émir Abdelkader. Son intérêt : l'actualité des thèmes qui y sont abordés et à partir desquels Salem Brahimi confie sa vision et les réflexions que lui inspire le personnage dont la vie ne peut manquer de nous ramener aux événements actuels autour de l'islam politique et de la coexistence des religions. Qui est l'émir Abdelkader ? D'abord, une figure méconnue et chargée du romantisme nationaliste en Algérie et du romantisme orientaliste en France. Ensuite, un précurseur des luttes débutées le 1er novembre 1954 dans l'histoire officielle algérienne, mais aussi un combattant arabe respecté, que de nombreuses représentations montrent, tout drapé de blanc, et dont les écrits spirituels frapperont les esprits de la France du XIXe siècle. Une figure double, donc, un totem aussi, auquel le réalisateur algérien Salem Brahimi a tenté de donner une dimension humaine à travers un film passionnant. Ce dernier est une mise en perspective à travers des interviews de spécialistes, une reconstitution aussi de la vie de l'émir avec un élégant habillage en images animées. Ni hagiographique ni en sécheresse narrative froide, Abdelkader est « conté » en arabe dialectal par la voix posée comme méditative d'Amazigh Kateb. Le documentaire est rythmé par l'oud électronique de Mehdi Haddab, creuset mélodieux intemporel et moderne. L'émir, en pointillisme, y apparaît comme une figure complexe et en cela éminemment moderne. Il naît à La Guetna en 1808 dans un pays sous domination ottomane. Son père, Sidi Muhieddine al-Hassani, en est le muqaddam d'une zaouïa, une confrérie religieuse. Taleb à 8 ans (commentateur autorisé du Coran), hafiz (savant) à 14 ans, Abdelkader aurait pu connaître la vie paisible d'un chef spirituel. Mais les événements en décident autrement. La France chasse les Turcs en 1830 après l'incident diplomatique dit du « coup de l'éventail », tortueuse histoire d'un soufflet qu'aurait donné le dey d'Alger au consul de France. Pour repousser l'envahisseur, le tout jeune Abdelkader devient alors « émir », à la fois chef politique, militaire et spirituel, et livrera à l'armée française une longue guerre de dix-sept ans, entrecoupée de trêves. Dix-sept ans durant lesquels l'intelligence politique de l'émir se cristallisera notamment dans la création d'un début d'État algérien, structuré et mouvant, « la Smala ». Après sa reddition, Abdelkader se retrouve emprisonné à Amboise, en violation de la promesse qui lui avait été faite d'un exil en terre arabe. Louis Napoléon Bonaparte, arrivé au pouvoir en 1848, l'autorise ensuite à partir vers le « Levant », d'abord en Turquie puis à Damas. Une vie d'études et de recentrement spirituel commence autour de ce qu'il appelle « le grand djihad », la lutte contre soi-même et la quête toujours plus intense de la voie soufie, notamment à travers les enseignements d'Ibn Arabi. À Damas, il se fera le protecteur des minorités chrétienne et juive de la ville, offrant sa maison, mais plus largement sa protection active à 12 000 d'entre eux menacés par des émeutes. Figure militaire, nationale, spirituelle et humaniste, Abdelkader sera aussi à l'origine de réflexions avancées sur le droit de la guerre, notamment sur le sort des prisonniers de guerre, bien avant la 3e convention de Genève de 1929. Le réalisateur algérien Salem Brahimi est intarissable sur le sujet. Pour le Point Afrique, il retrace le voyage de vie de l'émir, un homme à qui « rien de ce qui était humain n'était étranger ».
Le Point Afrique : comment réalise-t-on un documentaire sur une figure si imposante ?
Salem Brahimi : aucun documentaire n'est totalement objectif. Je voulais d'abord ne pas me concentrer sur la seule période algérienne de sa vie, ne pas être prisonnier de son rapport à la France. En parallèle, je travaillais sur une fiction, Maintenant, ils peuvent venir », qui porte sur la décennie noire de l'Algérie et j'ai compris que le vrai vaccin contre l'islamisme n'est pas forcément le discours démocrate, laïque auquel j'adhère aussi. Mais le vrai vaccin est l'émir, car il est enraciné. Il portait un islam sans complexe, revendiqué comme tel, mais qui propose des voies différentes de celles des islamistes. Notre propre histoire porte nos propres solutions enracinées, sereines, de coexistence pacifique, et montre que nous n'avons de leçon d'islam à ne recevoir de personne. La difficulté est qu'il y a une vraie bataille de la représentation de l'émir, qui en fait soit un surhomme, soit un héros romantique. Je revendique la sérénité. Ne pas surinvestir l'enjeu de la mémoire, ce qu'on voit trop souvent en Algérie où c'est une bataille idéologique. Surinvestir des figues d'homme, comme on a pu le voir après la guerre d'Algérie, dépossède le peuple de ses combats. La figure de l'émir a aussi été récupérée dans une stratégie postcoloniale. En attribuant à une seule personne des mérites, cela permet de déposséder le reste de la communauté de la même honorabilité. Je ne voulais pas entrer dans cette mêlée historique, même dans la perspective de la construction d'un récit national. Ma génération – je suis né 10 ans après l'indépendance – veut redéfinir en paix ses enjeux mémoriels. Enfin, je ne voulais pas imposer ma vision, mais stimuler l