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1. Pratiquer
Tu vas lire une nouvelle intitulée La nuit du saigneur. Il s'agit d'un conte de Noël.
Avant d'entreprendre cette tâche, dis ce que le titre et le genre évoquent pour toi. Au
terme de ta lecture, tu devras faire état de tes réactions, les comparer à tes attentes et les
justifier.
La nuit du saigneur
Revoici encore les calendes de janvier, mon cher Strabo, et je suis toujours en
Judée. J'en ai assez de ce pays de fous ! Tous des timbrés qui puent le mouton à mille
pas ! Tu ne peux même pas manger convenablement : leur religion interdit ce qu'on
s'envoie dans le reste de l'Empire.
Et avec ça, de véritables dingues ! Ils ont un Etat grand comme une dalle de la Via
Appia, et ça joue les seigneurs. À peine s'ils nous voient. Tu leur parles en latin ? Ils
te répondent en grec, et avec l'accent d'Alexandrie, s'il vous plaît. Quand je pense
qu'on domine le monde et qu'on doit faire des salamalecs devant une poignée
d'illuminés...
Enfin, regarde la Gaule. Voilà une nation qui était grande, puissante, avec des
soldats comme des Milon de Crotone. Qu'est-ce qu'il en reste : rien ! Tous à nos
bottes, les coqs ! La Judée ? Quelques arpents de terre aussi chauves que mes
genoux, et depuis Pompée, ces messieurs ont gardé leurs lois, leur roi et leur dieu.
À propos, leur dieu ! Encore une histoire à dormir debout. Paraît qu'il n'a pas de
nom, paraît qu'on ne le voit pas et que nos 30 000 pénates ne font pas le poids devant
lui. Y a de quoi devenir intolérant, je te dis !
En plus, y a pas un jour qu'on ne doive intervenir. Ils sortent du djebel : un coup de
couteau à gauche, un coup de fronde à droite, et voilà deux légionnaires ou trois qui
ne reverront jamais l'Italie.
Si tu en arrêtes un, ça crève en psalmodiant. Et si c'est un chef, prière de le relâcher
avec des excuses. Les tuiles se détachent facilement des toits dans ce pays, et c'est pas
spécialement du biscuit !
Voilà pour l'ordinaire, mais ce mois-ci, qu'est-ce qu'on a pu déguster ! Le premier jour
des calendes de décembre, estafette de Syrie. Le gouverneur transmet l'ordre d'Auguste
de procéder au recensement général de la population. Sans blague ! Il en a de bonnes,
Auguste ! Monsieur a les fesses bien calées dans sa chaise curule, il déguste des tétines de
truie et entre deux rots, il se dit : « tiens, je vais faire un recensement ». Ben voyons !
Pourquoi pas ? Tant qu'on y est, on pourrait peut-être immatriculer les chiens et les
poules. Je ne rigole pas, Strabo : il l'a fait en Egypte.
Parce qu'il ne faudrait pas croire qu'il fait ça pour compter ses fidèles sujets, le
vieux. Non, monsieur ! Le souci de l'Empire, ça sent toujours le sesterce, crois-
moi. Et une fois que le fidèle sujet est inscrit, il peut toujours se débiner pour ne
pas payer l'impôt.
Va pour le recensement. Tu connais l'administration impériale. Tout est prévu.
Chacun se rendra dans le lieu d'origine de sa famille et il présentera aux autorités un
papyrus dûment rempli, avec les noms des habitants de son immeuble.
Donc on fait le tour des patelins et on transmet l'avis à la population. Dernier
délai : 25 décembre. Centurion Gallus : secteur Bethléem.
Je ne pouvais pas mieux tomber ! Bethléem, c'est la patrie des David ici, autant
dire de la moitié du pays.
Alors, le 25, il y avait un embouteillage, je ne te dis que ça ! Les hôtels pleins
comme des œufs, les maisons pareil. Il y en a qui ont fait leur beurre. Ils auraient
loué la cage du chien au prix d'un palace. Le soir, il y avait des gens partout. On a
fait une ronde dans les collines, eh bien, il n'y avait pas un trou de rocher vide.
Même que... enfin, ça c'est une autre histoire : tu te ficherais de moi.
Le lendemain, dépêche de Jérusalem : centurion Gallus (c'est moi), chargé du
service d'ordre pour visite officielle de trois cheiks à Hérode. Parce que ce rigolo ne
se contente pas de nous coûter un os pour faire le pot de fleurs, mais il nous refile
du service supplémentaire pour recevoir ses petits copains.
Bon, j'arrive. Trop tard : ces messieurs étaient pressés. Ils sont partis et il paraît
qu'Hérode ne tient pas spécialement à ce qu'on les protège. À ton avis, Strabo, je
vais me payer une permission, hein ? Je vais me taper la tournée des bistrots de
Jérusalem, histoire d'irriguer un peu le sable qu'on m'a fait ingurgiter depuis un
mois ? Eh bien, pas du tout, mon vieux. Prière de prendre des vivres
pour une semaine et d'aller patrouiller sur la frontière égyptienne.
Et pourquoi ? Là, je te le donne en mille. Il faut arrêter et ramener à ce crétin
d'Hérode toute personne qui tenterait de passer la frontière avec un enfant de moins
de deux mois. À dormir debout, et pourtant, je te le jure.
Bon, nous voilà dans le Sinaï. Evidemment, c'est ma veine : les cinq légionnaires
de ma patrouille sont du Bruttium. Ils n'arrêtent pas de baragouiner dans leur
charabia et je n'y comprends goutte. Et puis, plutôt portés sur l'amphore, les gars !
À la première veille, ils se mettent à se rincer le gosier et les voilà ronds comme
des sybarites.
Moi, je m'en bats l'œil, vu que mettre le nez dans le désert en dehors d'une
caravane, ce serait du suicide. Pas danger qu'on tombe sur le moindre particulier.
Alors, crapahuter pour crapahuter, autant que ce soit dans les bras de Bacchus, si ça
les amuse.
J'ai envie de te dire qu'on n'a vu personne, Strabo, mais enfin, quitte à passer pour
un nigaud, je vais te raconter tout.
Il devait être quatre heures du matin. Mes gus qui s'égosillaient à épuiser le
répertoire des chansons du Subure, tout à coup se taisent.
Hé chef, écoute, qu'il me dit un.
J'écoute et voilà que j'entends un bruit de triqueballe. Pas possible ! Si ! C'est une
carriole qui s'amène, et quelle carriole : un vrai fossile d'avant la campagne d'Egypte.
Je l'arrête. Dedans, y a un vieux barbu, mais je ne le vois pas bien. Il fait noir
comme dans le derrière d'un Ethiopien, et ces types-là avec leurs djellabas, ils sont
toujours attifes comme pour les Saturnales.
— Eh bien, pépère, que je lui dis, on va passer les vacances près de la grande
pyramide ?
Pipe pas un mot, le vieux. Je jette un coup d'œil à l'intérieur et qu'est-ce que je
vois ? Une bonne femme.
- Descends, je dis, que je te reluque un peu, la vieille.
J'écarte son haïk, et en fait de vieille, je vois un joli brin de moukère, toute jeune
et toute pâlotte.
- C'est ta fille ?
- C'est ma femme.
Là-dessus, mes petits gars se fichent à rigoler. Mais moi, je ne rigole plus, parce que
la fille, je l'ai déjà vue, et maintenant ça me revient.
Le 25, à Bethléem, ils étaient dans une grotte de la montagne. Et j'ai pas pu l'oublier,
parce que la gamine, elle venait d'avoir un petit. Tout juste fait, tout fumant, tout
gueulant. On a couru chercher du secours. Il y avait des bergers dans le coin. On a
ramené de la paille, et je ne sais pas ce qui m'a pris, Strabo, je me suis mis à le frictionner.
Quand il a été sec, je l'ai donné à sa mère et (c'est bête, Strabo) elle m'a regardé si
gentiment que j'en ai eu les larmes aux yeux.
- Où est le petit ? que je lui ai dit.
Elle a ouvert son manteau, elle m'a souri, et je l'ai vu, le petit.
Le vieux s'est approché et il m'a pris par le bras.
- Centurion...
Mais je ne l'ai pas laissé continuer.
- C'est bon, je lui ai dit, pars vite. Et ils sont partis.
Oui Strabo, je les ai laissés partir, moi, centurion Gallus : 7 ans de bons et loyaux
services, 3 citations, pas une anicroche, fl n'y a pas un bled où je n'aie crevé la paillasse à
quelqu'un. On m'appelait le saigneur.
Mais cet enfant, vraiment je n'aurais pas pu. Moi qui n'en aurai jamais, c'est comme si
celui-là c'était le mien. Je le sens encore tout gluant et chaud dans mes bras. Je ferme les
yeux et tu ne peux pas savoir le bien que ça me fait.
J'en ai bien besoin. Rentré à Jérusalem, on a élargi mes attributions. J'ai la garde des
exécutions publiques. Je surveille les crucifixions au Golgotha, un terrain puant à côté de
la ville.
J'espère que je serai muté, sinon je suis bon pour ce boulot jusqu'à la retraite. Encore
33 ans à tirer.
Porte-toi bien !
Cette nouvelle t'a-t-elle plu beaucoup, moyennement, pas du tout ? Pourquoi ? Essaie de
désigner le plus précisément possible ce qui a provoqué ton (dé)plaisir. Envisage la
matière (les événements racontés) et la manière que l'auteur a choisie pour raconter les
événements. Vois également si ton (dé)plaisir peut s'expliquer par le fait que la lecture de
ce récit a comblé ou, au contraire, déçu tes attentes.
Confronte ton opinion à celles de tes condisciples et, à partir de vos réponses, établissez
une liste de ce qui, pour vous, constitue des facteurs de (dé)plaisir de La nuit du
saigneur.
2. Analyser
Lis le texte qui suit. Il s'agit d'une critique de La nuit du saigneur. Au cours de ta lecture,
repère ce qui a (dé)plu à son auteur.
Avec quelle intention Joseph CHARPENTIER a-t-il écrit cette critique? Pour quels destinataires ?
A-t-il apprécié La nuit du saigneur un peu, beaucoup, pas du tout ? justifie ta réponse en la
fondant sur le texte.
Caractérise l'état d'esprit de Joseph Charpentier avant d'entreprendre la lecture du récit. Comment
justifiait-il cet état d'esprit ? La lecture de la nouvelle l'a-t-elle modifié ? Précise ta réponse.
Qu'est-ce qui, dans cette nouvelle, lui a particulièrement (dé)plu ? Fournis une réponse précise
et complète.
La critique que tu viens de lire comporte-t-elle un résumé de la nouvelle ? Si oui, s'agit-il d'un
résumé détaillé et complet ? Selon toi, pourquoi l'auteur de la critique s'y est-il pris de cette
manière ?
EXERCICES
Exercice 1
Quels sont tes propres critères pour juger d'un récit ? Réponds aux questions suivantes par écrit
et justifie chaque réponse. Si tu conserves tes réponses, tu disposeras de ton profil (actuel) de
lecteur.
4) Azoug Begag, Quand on est mort c'est pour toute la vie, © Éditions Gallimard jeunesse,
Scripto.
Mourad, le frère d'Amar, a été tué par un chauffeur de taxi parce qu'il ne pouvait pas lui payer
la course. Depuis, Amar ne trouve plus sa place dans la vie qu'il mène à Lyon. Il n'arrive plus à
exercer son métier d'écrivain et même ses deux fillettes ne réussissent pas à le sortir de son
malaise. Pour se retrouver, il part au pays, dans son Algérie natale, sur la tombe de son
frère, il n'y a plus remis les pieds depuis treize ans et les retrouvailles avec la terre de ses
ancêtres vont lui causer un choc, il devra se rendre à l'évidence et prendre conscience qu'il
se sent plus éloigné encore de ce peuple qu'il a quitté que de ceux qui l'entourent en
France.
Un incroyable concours de circonstances met un criminel sans émotion aux trousses d'une
famille très nombreuse. Bien évidemment, cette marmaille n'est absolument pas consciente
du danger qui la menace... Sa préoccupation majeure pour le moment serait plutôt de
convaincre les parents de disposer d'un sapin de Noël dans le salon (rien de moins évident
dans une famille juive !) et de remettre la maison en état pour le retour de leurs parents,
sortis pour la soirée.
Voici de brefs commentaires critiques relatifs aux récits qui t'ont été présentés ci-dessus.
Rends à chaque œuvre son commentaire.
Dis si ces commentaires ont confirmé, infirmé, modifié tes propres choix et explique
pourquoi.
Repère les facteurs de plaisir mis en avant dans chacun d'eux et retrouve chacun d'eux dans
la liste se trouvant dans la fiche-outil
a) Le récit change sans cesse de point de vue : les enfants, l'assassin, l'amoureux, les vieilles
jumelles médisantes, les voisines de la famille... Mais comme il est magistralement
construit, au lieu d'embrouiller le lecteur, il le tient en haleine. Une histoire à ne surtout
pas lire par une nuit de tempête ou alors à ses risques et périls !
b) Dans ce récit presque autobiographique et tout à fait désopilant, l'auteur raconte l'ado-
lescence d'une jeune fille un peu ronde qui a choisi de jouer de la contrebasse et dont les
idéaux se bousculent dans la tête et dans le cœur.
c) Ce roman montre, dans toute sa difficulté, l'écartèlement d'un jeune beur entre ses
deux cultures : son origine algérienne et la France dans laquelle il vit. Les difficultés d'Amar
sont aggravées par son statut et la mort de son frère. Son métier de romancier et de
chercheur en sciences sociales et humaines, le fait qu'il soit marié à une Française et qu'il
assume sa part des tâches ménagères, tout cela le rend très différent des siens qui se
moquent de lui et le rejettent. D'autre part, il sait viscéralement que, si le chauffeur de
taxi a tué son frère, c'est parce qu'il était étranger. Il n'aurait certainement pas agi
comme cela avec un Français. Quoi qu'il fasse, ses origines le rattrapent...
d) La forme de ce roman est très intéressante puisqu'il est supposé être la transcription
des enregistrements que Bénédicte réalise pour Monsieur Akira. Le langage est donc la
reproduction exacte de la langue parlée des adolescents. Comme les mots sont supposés
sortir directement de la bouche de la jeune fille, l'auteur nous donne ici l'impression de
n'être qu'un transcripteur et pas un créateur.
e) Arriver à écrire un roman avec un sujet pareil sans tomber dans le pathos relevait déjà de
l'exploit. En faire un récit touchant, tendre et drôle à la fois tenait de la gageure. Le défi
a été relevé de main de maître et le roman fera vibrer tous ses lecteurs en même temps
qu'il leur fera revoir certaines de leurs idées sur le monde et les êtres.
Exercice 3
Voici quatre critiques positives d'un roman de Michel SAINT-DENIS intitulé Le secret des brumes
(Les Éditions Vent d'Ouest).
La première de ces critiques contient les trois appréciations suivantes, qui ne sont pas
développées : roman très dense, bonne histoire, bien écrite. Selon toi, que signifie chacune
de ces appréciations ? Ces critères sont-ils importants pour toi lorsque tu lis un récit ?
Les trois autres critiques évoquent-elles l'un ou l'autre des trois critères cités ci-dessus ?
Si oui, par quels mots ?
Pourquoi la deuxième critique estime-t-elle utile de signaler qu'elle n'est pas amateur
de récit fantastique ?
II existe divers degrés de (dé)plaisir dans la lecture d'un récit : par exemple, une nouvelle
peut être qualifiée d'assez intéressante, d'intéressante, de très intéressante, de passionnante,
etc. Très intéressante, passionnante sont des superlatifs. Relève dans les trois dernières
critiques des termes (adjectifs, noms, verbes) ou expressions qui peuvent être considérés
comme des superlatifs. Trouve pour chacun de ces superlatifs un mot qui exprime un
degré moindre de plaisir.
Les critiques qui suivent sont extraites du site Internet de l'auteur de l'œuvre, Michel
Saint-Denis. Quelle intention manifeste poursuit-il en intégrant ces critiques à son site ?
C'est un roman très dense(...) qui mérite amplement le détour. (…) n'hésitez pas à mettre
ce roman entre les mains de votre adolescent qui y trouvera une bonne histoire, bien écrite.
Et lorsqu'il l'aura fini, vous pouvez vous permettre d'y jeter un coup d'œil, vous ne le
regretterez pas : c'est un petit voyage condensé de 2 h 30 dans un territoire imaginaire fort
intéressant. Cote : 8,5/10.
Ailleurs n°2, octobre 2000.
Ce (…) roman (…) enchantera tous les lecteurs avides d'histoires fantastiques. Moi
qui ne suis pas friande de ce genre de littérature, je suis tombée sous le charme de ce
roman, aux nombreux rebondissements, à l'action rondement menée.
J'ai dérivé avec grand plaisir dans l'univers franchement éclaté d'Alfred et de sa
mère. (…) Michel Saint-Denis réussit à bien doser "réalité" et fiction dans son récit,
enchaînant les moments de lucidité et de délire avec une belle maîtrise.
[...] Cette histoire [...] tient la route et nous mène du début à la fin là où nous
devons nous rendre. [...] Plein d'humanisme, de tendresse, d'humilité, d'une grande
richesse de vocabulaire, d'humour, Le Secret des brumes [...] condense à chaque page
une mine d'émotions et d'informations.
Exercice 4
Voici une série d'adjectifs pouvant qualifier une histoire (la suite des événements, le cadre, les
personnages) ou un récit (la manière dont l'histoire est racontée).
Exercice 5
Les superlatifs expriment un haut degré de (dé)plaisir. Voici une série de phrases contenant
un ou plusieurs superlatifs. Repère chacun d'eux et remplace-le par un adjectif (ou, à
défaut, par une expression) qualifiant un degré moindre de (dé)plaisir.
1. Cette histoire magnifique d'enfants perdus dans la grande forêt d'Ardenne a de quoi
émouvoir tous les lecteurs.
2. Abracadabrante, cette histoire l'est autant que les personnages qui s'y débattent.
3. L'univers terrifiant de ce récit fantastique le réservera à des lecteurs adultes.
4. Le langage ordurier de ces personnages physiquement immondes n'empêche pas la
finesse extraordinaire de l'analyse psychologique.
5. On ne peut qu'être envoûté par l'admirable portrait que l'auteur dresse d'une
héroïne parfaite sous tous les rapports.
Cet exercice est l'inverse du précédent. Dans les phrases qui suivent, remplace les mots ou
expressions soulignés par des superlatifs ou des mots exprimant un jugement plus radical.