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GUERRE
Ils fuyaient. Ils et elles et iels, etc. Ils fuyaient vers l’étoile
première et proche, en direction du grand fleuve matriciel, au
bord du monde, s’il existe encore un peu dans ce chaos
crépusculaire. Est-il possible que des éléments se fassent la
guerre ? Ils fuyaient à pied, baluchon sur l’épaule ou au dos, à
cheval, en charrette et gare aux ensablements,
embourbements et autres –ments délires et déments. Depuis
des jours, si on pouvait parler de jours, leur luminaire ne
s’était pas manifesté, alors ils allaient le chercher, là où il ne
cesse jamais, dit-on, là où le continent englouti doit resurgir
un jour, juste avant l’autre côté, la nuit totale, autant dire les
luttes intestines, les révoltes contre l’Absence, et la famine et
la, la… fin ?
Quant à la faim ? Il restait des rations sèches et du liquide
brûlant. Depuis des mois¸ une sécheresse affamait les
ventres, elle détruisait les récoltes, érodait et asphyxiait les
marchés, alors on priait, on avait prié et encore prié. Prié dieu
savait qui et à savoir s’il existait et où, çui-ci, prié comme se
laisse aller à fabuler pour continuer. Un clochard l’avait dit, Il
faut continuer, un certain Godot. Mais eux, qu’est-ce qui leur
avait pris de venir voir Brahim ? D’accord, c’était leur enfance
et leur amant et leur ami, au grand bousbir des entrailles et
des trous et des turgescences. Avec le kif on pouvait y passer
des nuits des jours et la rivière Ourika vous berçait comme
avant toute création à supposer que ça puisse, ait pu un jour
exister.
Jour nuit jour faim eau rien. Terrés, les trois. La fin
des cris et des combats viendra. Ils s’affaleront tous
comme des voiles crevées, et dormiront des heures
durant.
Marie Berchoud