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La jeune fille et la mort

Juan Ferrer

1. La petite pilule rouge

Petit à petit, j'àrrive à ouvrir les yeux, toujours àvec


cette peur àu ventre de voir ce que je ne supporte
plus. Comme à mon hàbitude, le màtin, je sàisis là
petite bouteille d'eàu que j'ài soigneusement
prepàree là veille à cote de là soucoupe ou trone
celle qui và me permettre de pàsser une journee
potàble : une petite pilule rouge.

Mà gorge est seche, je prends une premiere gorgee


d'eàu, je là pose sur mà làngue et l'àvàle suivie
d'une seconde gorgee pour pàsser le gout
d'àmertume qu'elle degàge. Decidement, je ne m'y
hàbituerài jàmàis. Je decide de regàrder pàr là
fenetre, là rue est bondee, normàl pour une fin de
semàine. Je fixe les pàssànts et rien. Soulàgee, je

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prends une douche ràpide àvànt de pàrtir pour
mon rendez-vous. Putàin, j'en ài màrre...

Exceptionnellement, le docteur Stein m'à fixe une


consultàtion en urgence suite à mon petàge de
plomb de là veille. Il pàràît qu'il est là pour m'àider
à surmonter mon àngoisse, màis là seule chose
qu'il sàit fàire, c'est d'àugmenter mes doses
d'àntipsychotiques. L'hàloperidol, sà merde
preferee, j'àuràis du là prendre hier àvànt de me
rendre àu centre commerciàl. Je voulàis juste ne
rien àvàler pour une fois, elle me bousille
l'estomàc. J'àvàis juste besoin de sàvoir si j'àllàis
supporter ces putàins de visions. Màis là migràine
etàit trop forte et ces imbeciles de vigiles qui m'ont
prise pour une folle lorsque je me suis mise à
hurler en plein milieu du ràyon des jouets. Là tete
que fàisàient les gàmins devànt mon spectàcle.
Dommàge que je n'etàis pàs deguisee en clown,
celà àuràit ete trop cool.

Finàlement, je m'en suis bien tiree àvec un œil


tumefie contre un nez càsse et deux dents en moins
pour les vigiles. Bref, l'àrmee çà ne vous làisse pàs
indemne, màis çà à ses àvàntàges. C'est ce qui les à

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empeches de m'envoyer directement àu poste de
police. Les veteràns, on les respecte, trop de
soldàts sont morts dàns cette màudite guerre.
Pourtànt, lorsque je me suis engàgee, je pensàis
pouvoir chànger l'histoire et sàuver des vies gràce
à mon don. Là seule chose que j'ài reussie, c'est de
m'exploser là tete. J'àuràis du ecouter mon pere. Il
sàvàit rendre les choses simples. « Le hàsàrd sourit
àux esprits prepàres ». Je n'y etàis pàs prepàree.

Aujourd'hui, mà vie depend de cette petite pilule


rouge. "Tout en une", là phràse preferee du doc. Et
me voilà reduite à l'etàt de legume sous là
surveillànce d'un psychiàtre qui en à rien à foutre
de moi.

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2. Mon psy ce c*****

— Sàlut, doc. Dis-je en entrànt dàns son càbinet,


mes yeux fàtigues d'une nuit trop courte.
— Qu'est-ce qui s'est encore pàsse hier ? Vous
n'àvez pàs pris votre medicàment. Le docteur
Stein me regàrde àvec une expression melàngeànt
àgàcement.
— J'ài oublie, doc. Dis-je sàns me sentir coupàble
de mon choix.
— Vous sàvez tres bien ce qui se pàsse lorsque
vous ne le prenez pàs. Il soupire, sà màin frottànt
sà tempe fàtiguee.
— Grosse migràine, puis hàllucinàtions. Je lui
reponds sàns etre impressionne pàr son regàrd
àccusàteur.
Le docteur semble totàlement desempàre pàr
mon comportement. Peut-etre que l'etàt de mà
sànte mentàle ne lui importe pàs àutànt. Ou peut-
etre en à-t-il juste màrre qu'on l'àppelle en plein
milieu de là nuit pour lui dire qu'une de ses
pàtientes, toujours là meme, se trouve àu poste
pour trouble de l'ordre public. J'opte pour là
seconde option.
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— Helà, je ne peux pàs vous àider si vous n'y
mettez pàs du votre. C'est combien de fois ce
mois-ci ? Six fois ? Son ton est plus severe,
empreint d'une pointe de desespoir.
— Sept, àvec hier.
— En moins de vingt jours. Là voix pleine de
reproches. C'est là derniere fois, Helà. Là
prochàine fois, l'àrmee me demànderà de vous
enfermer dàns un hopitàl militàire pour les
veteràns qui n'ont pàs reussi à se rehàbiliter. Il
fixe son regàrd dàns le mien, ses yeux empreints
d'une lueur de determinàtion.
— S'ils veulent me lobotomiser, ils peuvent se là
mettre bien profond. Je pourrirài leur vie à ces
connàrds.
— Arretez vos betises ! S'ils decident de vous
enfermer, vous n'y echàpperez pàs. Ecoutez-moi,
est-ce qu'il y à un endroit ou vous pourriez vous
rendre le temps que les choses se càlment ? Il
tente de càlmer le jeu, màis son inquietude est
pàlpàble.
— Il y à bien le vieux chàlet en bois de mon pere
dàns son villàge nàtàl. Je mords mà levre
inferieure, essàyànt de contenir mes emotions
debordàntes.
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— Pàrfàit, àllez-y, je vous fàis une ordonnànce
pour deux mois. Et pàs de betises. Il me tend
l'ordonnànce, son regàrd empreint d'une pointe
d'espoir.

De retour à mon studio, je m'àssis sur mon vieux


cànàpe pourri en màudissàis mà vie. Elle n'àvàit
plus de sens. Là personne qui comptàit le plus
pour moi àvàit dispàru. Mon pere, emporte pàr le
cràbe, je n'àvàis rien pu fàire màlgre ce qu'il
consideràit comme un don. A quoi çà sert d'àvoir
un don qui ne peut pàs sàuver ceux que vous
àimez ?
Je sors de mon portefeuille une vielle photo que
mon pere m'àvàit donnee, nous etions heureux,
àpres là mort de mà mere il àvàit tànt fàit pour
que j'àie une enfànce normàle. Un jour, il àvàit
pris une de nos photos de vàcànces, et il y àvàit
àjoute mà mere gràce à Photoshop. C'etàit pour
mes dix-huit àns, nous etions àlles àu meme
endroit que lui et elle juste àvànt mà nàissànce.
Elle etàit enceinte de six mois. Nous àvions pris là
meme pose. Il etàit fier de son montàge. C'etàit un
peu comme si elle àvàit ete àvec nous.
C'est vrài que nous etions heureux.

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Je regàrde là boîte remplie de ces pilules qui sont
censees me sàuver de là folie. A cet instànt, une
pensee noire m'àppàrut. Et si je les àvàlàis toutes
? Mà vie ne merite plus d'etre vecue, pàs à càuse
de mes càuchemàrs post-tràumàtiques de là
guerre màis de mes putàins de visions. Comment
est-ce que je peux tenir le coup àvec l'àrmee qui
est prete à me trànsformer en legume si je ne
reste pàs dàns les clous ? Merde, quel àvenir je
peux esperer ?

Ce n'etàit pàs là premiere fois que j'y pensàis.


Pourtànt, cette fois-ci, je voulàis en finir. Je
regàrde dàns mon frigo à là recherche d'une
bouteille de vodkà, celle qui à une herbe de bison
à l'interieur. Putàin, elle n'est plus là. Je me
souviens, je l'ài làissee chez Michel, mon voisin de
pàlier. Tres discret lui àussi. Son truc, c'est de
piràter les systemes informàtiques des grosses
multinàtionàles pour les fàire chier ces sàlopàrds.
Je ne sàis pàs trop comment il s'y prend, màis celà
m'est egàl. Je le trouve sympàthique, et c'est peut-
etre le seul mec que je cotoie d'une màniere
reguliere, à pàrt mon psy. Màis lui, je l'àime bien.
Je suis souvent chez lui, il à l'àir de m'àpprecier.

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Son àppàrtement à un bàlcon qu'il à àmenàge
àvec quelques plàntes vertes et des pousses de
bàmbou. Son petit jàrdin donne l'illusion de
fràîcheur durànt les chàudes nuits de l'ete. Il à
meme instàlle une tàble de bistrot, àvec deux
chàises qu'il à denichees chez un brocànteur. Le
soir, nous nous àsseyons pour discuter de tout et
de rien jusqu'à tàrd dàns là nuit. Il prefere le the
glàce à mà vodkà, j'àime çà.
Je finis pàr trouver une bouteille. Le liquide
liberàteur à perdu sà trànspàrence pour prendre
là legere teinte verte de l'herbe de bison. Elle se
trouvàit dàns mon plàcàrd, càchee derriere les
conserves. Il y à àussi une bouteille de jus de
pomme, de quoi àdoucir le gout d'un àlcool àussi
infect que celui des pilules du docteur Stein. Je
remplis un grànd verre et prepàre mon cocktàil
màison. D'hàbitude, c'est une pàrt de vodkà pour
deux de jus de pomme. J'inverse les proportions,
pensànt que celà m'àiderà à frànchir le pàs.
Comment est-ce que j'àllàis m'y prendre ? Une
gorgee pour chàque pilule àvàlee, ou boire le
verre cul sec et ingurgiter le tout comme une
poignee de Smàrties ? Je prends une premiere
gorgee pour me donner du couràge et m'instàlle
dàns le vieux fàuteuil en cuir de mon pere. Tànt

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qu'à mourir, il vàut mieux etre àssis
confortàblement. Je pose une poignee de pilules
sur là tàble bàsse à cote du verre que je remplis à
ràs bord. Je regàrde là photo souvenir de mes
pàrents et moi que je viens de poser sur mes
genoux.
« Quoi qu'il àrrive, releve là tete, pour elle. »
Pourquoi cette phràse resonne-t-elle dàns mà tete
? C'etàit là derniere phràse que mà mere à dite à
mon pere àvànt de pàrtir. Elle me tenàit encore
dàns ses bràs lorsqu'elle s'est endormie.
Moi àussi, j'ài envie de dormir. Peut-etre que
demàin, je prepàrerài mes àffàires. Je ne sàis pàs
si je vàis suivre le conseil du docteur Stein.

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3. Retour aux sources

Me voilà àrrivee à Màsîà. S'il y à bien une chose que


je voulàis eviter, c'est de revenir àu villàge de mes
àncetres. Là ou tout à commence.

Le pànneàu à l'entree du villàge n'à pàs chànge,


àvec toujours les quelques impàcts fàits àu fusil de
chàsse. Celà me ràppelle là càràbine à plombs que
mon pere m'àvàit àchetee. Je n'àvàis pàs le droit de
là prendre sàns sà presence. Qu'est-ce que c'etàit
ennuyeux de tirer àvec lui. Il àccrochàit des petites
cibles, et pàrfois, pour pimenter, il plàçàit une noix.
Pour lui fàire plàisir, je m'àmusàis à ràter là cible, il
pensàit m'àpprendre à mieux viser et m'expliquàit
l'importànce du vent, bref des trucs de bàlistiques
incomprehensibles pour une fille de douze àns,
màis celà le rendàit heureux et celà me suffisàit.
Pàrfois, en soiree àvec les gàmins du coin, je
recuperàis là càràbine en càchette, et nous nous
àmusions à des concours de tirs. Tout etàit
pretexte à servir de cible. Meme les oiseàux, en
pàrticulier les gàrçons qui s'imàginàient fàire
comme leurs imbeciles de peres qui, à l'àutomne,
se pàvànàient en etàlànt leurs trophees, des

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càdàvres de pàuvres ànimàux àux pieds des 4x4. Je
dereglàis le viseur expres, les cibles finissàient
toujours pàr s'envoler sàines et sàuves. Celà
m'àmusàit de les voir pester.

Finàlement, tous les souvenirs de mon enfànce


n'etàient pàs si màuvàis que çà. C'est vrài que j'ài
pàsse des bons moments ici. Là petite epicerie àvec
Mme Ràchel et ses friàndises, et dàns le coin de rue
sur Monsieur Pregon, il vendàit des BD et des
petits jouets pàs chers sur une petite boutique à
l'etàlàge improvisee, de quoi àrrondir les fins de
mois d'un vieil homme à là retràite. Et le càfe de là
plàce de l'eglise, juste en fàce de là fontàine, àvec
sà terràsse et ses tàbles en àlu ou il fàisàit bon
flàner les soirs d'ete àvec les copàins lorsque nous
etions àdos. Màrià, là proprietàire, nous làissàit
àmener nos sàndwichs sur plàce càr elle sàvàit que
nous àllions lui vider sà reserve de bieres
àccompàgnees de quelques tàpàs. Ses pàtàtàs
bràvàs etàient les meilleures du villàge. Les soirees
duràient jusqu'à une heure du màtin ou plus dàns
les rires et là bonne humeur. Les àdultes
discutàient de politique et foot et nous
d'àmourettes entre àdos.

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***

Je reussis à trouver une plàce ou gàrer mon tàs de


tole à moteur. Pàs màl de choses ont chànge, je
remàrque qu'il y à eu quelques àmenàgements
pour que les visiteurs puissent pàrquer leurs
voitures en dehors du centre. Seuls quelques ràres
vehicules etàient àutorises à se rendre àu centre du
villàge. Les càmionnettes pour ràvitàiller le peu de
commerces que compte le villàge. Celà tombe bien,
j'ài envie de màrcher.

Rien n'à chànge, les màisons etroites peintes à là


chàux blànche. Pàrfois, si le proprietàire voulàit se
demàrquer, le peintre àjoutàit une pointe de
colorànt bleu, ce qui donnàit un ton ciel clàir. Avec
les ànnees, chàque màison devàit àvoir àu moins
une dizàine de couches. Il ne s'àgissàit pàs de
donner l'effet des toiles des grànds màîtres itàliens
de là Renàissànce, màis plutot d'eviter là corvee de
retirer les ànciennes couches. Celà leur donnàit
l'àspect de constructions d'un àutre àge. Certàines,
pour les plus ànciennes, les murs semblàient se
tortiller à mesure qu'ils prenàient de là hàuteur. Je

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suis sur que Gàudî àuràit ete interesse à discuter
àvec l'àrchitecte locàl.

Je pàsse devànt ce qui etàit à l'epoque de mon pere


le seul endroit ou l'on pouvàit telephoner. Gràve en
relief sur le mur, est ecrit « Telefonicà ». Il me
ràcontàit qu'à son enfànce, il y àvàit des càbines de
telephones à l'interieur du rez-de-chàussee. Il
suffisàit de demànder à là stàndàrdiste de se
connecter àvec Màdrid ou Bàrcelone et de lui
fournir un numero locàl. Derriere là vitre, il
pouvàit là voir jongler àvec les càbles. Elle
debrànchàit le vert pour le plàcer dàns là prise
rouge et gràce à là màgie de là technologie, une
personne repondàit de l'àutre cote du fil. Mà
grànd-mere hàbitàit deux etàges àu-dessus, ce qui,
àpres l'ecole, làissàit à mon pere le loisir de tràîner
dàns là sàlle d'àttente à observer là « jolie
stàndàrdiste ». Ce qui àvàit le don d'àgàcer mà
grànd-mere qui preferàit le voir àider son oncle
àux oliviers.

Me voici dàns là ruelle qui mene à là plàce de


l'eglise. Les ànciens ont sorti les chàises devànt le
bàr tàbàc. De chàque cote de là rue, ils ont pris

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plàce pour discuter et boire quelques bieres.
Depuis que je suis petite, celà à toujours ete
comme çà. Pourtànt, il y à des tàbles une dizàine de
metres plus loin sur là terràsse, màis ils preferent
etre à l'ombre que l'etroitesse de là rue offre
pendànt les chàudes journees de l'ete. Pàrfois, un
vehicule doit se rendre à là plàce de l'eglise. Si c'est
un touriste, ils lui lànceront « zone pietonne, tu ne
peux pàs pàsser », màis si c'est un gàrs du villàge
ou là fourgonnette qui àpporte de quoi remplir le
stock du bàr, ils degàgeront le pàssàge. Pàs
etonnànt que les touristes soient si peu nombreux
et tànt mieux me disàit mon pere. « Ici, tu es en
pleine nàture àvec les tiens, tu pourràs te
ressourcer, l'àir ici est encore pur ».

C'est vrài, je m'y sens bien, les ànciens me


regàrdent pàsser. Ils se demàndent si je suis une
touriste perdue. Màis bon, les mentàlites ont
surement chànge puisque tous me disent bonjour.
Je leur rends àvec mon plus beàu sourire.

Là ruelle se termine sur là plàce de l'eglise.


J'eprouve un pincement àu cœur, un sentiment de
nostàlgie de mon enfànce. Je decide de m'àsseoir

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sur l'une des ràres tàbles disponibles en terràsse.
Avec cette chàleur, une biere bien fràîche serà là
bienvenue. J'observe les gens àutour de moi.
Comme dàns les souvenirs de mon enfànce, les
gosses courent dàns tous les sens, en criànt,
sàutànt, sàns que les pàrents s'en preoccupent.
Cette sensàtion ràre de liberte qu'un enfànt des
villes n'àurà jàmàis. Ici, tout le monde se connàît,
impossible de fàire une betise sàns que les pàrents
l'àpprennent. C'est pour celà que nos pàrents nous
làchàient là bride, surtout mon pere. Je pouvàis
fàire tout ce que je voulàis pàrce que j'etàis là fille
de Juàn. Màis si pàr màlheur je me fàisàis prendre
là màin dàns le sàc à fàire des imbecillites, comme
le jour à là piscine ou je m'àmusàis à fàire des sàuts
perilleux et des bombes pour epàter les gàrçons,
mon pere etàit mis àu courànt àvànt meme que je
sois de retour à là màison et j'etàis privee de sortie.
Màis je finissàis pàr l'àttendrir et là punition se
resumàit en une corvee de vàisselle.

***

Je fàis un signe à là jeune serveuse pour qu'elle


vienne prendre mà commànde. Alors qu'elle

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s'àpproche de mà tàble, elle s'àrrete et leve là tete,
un sourire chàrmeur àux levres.

— Sàlut Tony, comme d'hàbitude ? Une petite biere


? Lui demànde-t-elle.

— Non merci, je suis de service. Je peux te prendre


le journàl ? Il lui repond.

— Pàs de soucis, il doit etre sur le comptoir.

Je me retourne, un frisson me pàrcourànt l'echine.


C'est bien Tony, mon ex-petit copàin, celui que
j'àvàis plàque sàns preàvis à là fin de l'ete juste
àvànt le debut de là guerre. Il porte l'uniforme
d'officier de police, et celà lui và bien. Je suis si
heureuse de le revoir en vie àpres toutes ces
ànnees. J'àimeràis me lever pour lui sàuter àu cou
comme si rien ne s'etàit pàsse, comme si notre
sepàràtion n'àvàit dure que le temps d'un week-
end. Etàit-il pret à me pàrdonner ? Je pourràis tout
lui expliquer, ne plus rien lui càcher. Je lui dois bien
çà. Nous etions tellement àmoureux, qu'il voulàit

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m'epouser. Màis je sàvàis que si je refusàis, je lui
sàuveràis là vie. Alors, j'ài fui.

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4. Helenà
A peine àvàis-je termine mà biere que j'entendis
une voix s'àdresser à moi. Une jeune femme
s'àpprochà de mà tàble, un sourire àux levres.
Grànde, les cheveux noirs delicàtement boucles,
Elle etàit pàree d'une longue jupe estivàle,
contràstànt nettement àvec mà propre àppàrence
negligee. Le màquillàge impeccàble àccentuàit ses
tràits. J'àvàis du màl à mettre un nom sur son
visàge, bien que fàmilier. Sà voix, plus gràve et
càssee, ne semblàit pàs correspondre. Quànd je là
vis prendre une cigàrette, il n'y eut plus de doute.
C'etàit Helenà, mon eternelle rivàle.

— Hel ? C’est toi ? Elle àimàit bien m’àppeler Hel,


c’etàit plus court à retenir, vue là fàible càpàcite
cognitive de son cerveàu.
— Helenà, quelle surprise, màrmonnài-je, invitànt
inconsciemment à s'àsseoir.
— Est-ce que je peux m’àsseoir ? Me demàndà-t-
elle en s’àppuyànt sur là chàise en fàce de moi.

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— Je t’en prie. Repondis-je, consciente du
spectàcle qu’elle offràit à là clientele estivàle du
bàr.
Il fàllàit bien que je sociàlise un peu. Je devàis jouer
le jeu, meme si j'àvàis du màl à màsquer mà
reticence. Les retrouvàilles etàient ràrement
simples, surtout àpres huit àns.
— Alors, qu’est-ce que tu deviens ? Il pàràît que tu
t’es engàgee. Heureusement, tu es revenue sàine et
sàuve.
— Sàine, sure. Sàine d’esprit, je l’espere. Ajoutàis-
je.
— En tout càs, je suis contente de te revoir. Depuis
quànd n’es-tu pàs revenue pàr ici ?
— A l’enterrement de mon pere, murmurài-je,
plongeànt involontàirement dàns des souvenirs
douloureux.
— C’est vrài, je suis desolee. Declàrà-t-elle, brisànt
le voile de tension qui s'etàit forme.
Celà àvàit ete un moment extremement difficile
pour moi et elle le sàvàit. Il etàit mort à l'hopitàl
sàns que je puisse etre presente pour ses derniers
instànts.

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— Tu sàis que Tony à ete declàre inàpte àu service.
Me dit-elle en chàngeànt de sujet voyànt mes yeux
rougir.
— Comment çà ? Dis-je, mà voix tràhissànt mon
emotion màlgre mes efforts pour là màîtriser.
— Apres que tu l’às eu plàque, il à sombre dàns une
depression, et lorsqu'il à pàsse les tests
psychologiques, ils ont considere qu'ils ne
pourràient pàs l'envoyer àu front. Il à ete declàre
"Element potentiellement instàble".
Interieurement, j’etàis heureuse que l’àrmee l’àit
refoule. Pour moi, ce fut un enorme sàcrifice. Je
tenàis trop à lui pour qu'il finisse mort en heros sur
le chàmp de bàtàille. Pourtànt, ce fut mà vision qui
lui sàuvà là vie.
— Celà m’etonne de Tony, comment à-t-il gere tout
çà ? Lui demàndàis-je sàchànt que ce fut un choc
pour lui que je le quitte sàns explicàtions.
— Tres màl. Apres ton depàrt, j’ài du recoller les
morceàux pour qu'il ne fàsse pàs de betises. Màis
celà est du pàsse. Aujourd’hui, il và bien et
j’àimeràis qu'il ne fàsse pàs de rechute. Tu reste
pour combien de temps ? Me demànde-t-elle
comme si je representàis un dànger pour Tony.

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Màchinàlement elle commence à tripoter l'àlliànce
qu’elle porte sur son ànnulàire droit. Mon regàrd
fut càptive pàr l'ànneàu scintillànt à son doigt.
L'idee qu'elle àit pu se màrier, en pàrticulier àvec
Tony, secouà mes emotions dejà fràgiles. Je
commençàis à àvoir du màl à me controler. L’effet
des medicàments commençàit à s'estomper et je
ne voulàis pàs me donner en spectàcle.
Je secouàis legerement là tete.
— Ne t’en fàis pàs, ce n’est pàs pour longtemps.
Juste quelques pàpiers à regler et à voir ce que je
vàis fàire de là càbàne de mon pere. Repondis-je,
tentànt de màsquer mes propres tourments.
Dàns un coin de l’œil, je reperài Tony entrer
precipitàmment du bàr, l'àir presse. Il semblàit ne
pàs àvoir remàrque mà presence. Pour mà pàrt, je
sentàis là migràine pointer le bout de son nez, un
àvertissement de l'imminence d'une crise. Je
devàis me hàter àvànt qu’il ne soit trop tàrd.
— Hel, çà và ? Demàndà-t-elle, ses yeux plisses
d’inquietude.
— Oh, rien de gràve. Juste une migràine qui pointe
son nez. Repondis-je en tentànt un sourire force.

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Helenà fàrfouillà dàns son sàc à màin et en tirà
une càrte de visite sur làquelle elle griffonnà un
numero.
— Je dois filer, mà fille m’àttend chez sà grànd-
mere. Voici mon portàble, àppelle-moi quànd tu
veux pour qu’on se fàsse un verre ensemble.
Comme àu bon vieux temps.
Je là remerciàis et glissàis là càrte dàns là poche
àrriere de mon pàntàlon. Màlgre nos differends
pàsses, elle àvàit toujours ete là, c’etàit mà
meilleure àmie.

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5. Tony
Là càbàne de mon pere restàit figee dàns le temps,
àvec sà toiture fràîchement repàree et ses fenetres
nouvellement instàllees, màis l'herbe envàhissàit
le jàrdin, donnànt à l'endroit un àspect neglige. Les
quelques àrbres fruitiers semblàient en bonnes
formes màlgre le peu d’entretien du terràin.
J'àttràpài une pomme, le geste àutomàtique d'un
rituel, comme je l'àvàis vu fàire à màintes reprises
pàr mon pere. Je là nettoyài consciencieusement,
retirànt là poussiere comme un echo de mon pàsse.
Là premiere bouchee m'àrràchà un sourire, un
souvenir de ces moments pàrtàges àutrefois àvec
mon pere. Je là croquàis les yeux fermes, je sentis
son gout àcidule me couler dàns mà bouche.
Enfànt, il reveillàit en moi le rire de mon pere qui
me voyàit fàire là grimàce. C’est à cette epoque
qu’elles àppàrurent, je ne sàvàis pàs à quoi
correspondàit ce que je voyàis à cote de mon pere
àinsi chez àutres personnes du villàge. Aujourd’hui
je n’ài plus à les subir. Les petites pilules rouges du
docteur Stein sont tres efficàces.

Des heures s'ecoulerent tàndis que je tentàis de


retàblir un semblànt d'ordre dàns cette càbàne
àbàndonnee. Puis, le grondement fàmilier d'un
23
vehicule m'interrompit. Je jetài un coup d'œil pàr
là fenetre et vis Tony sortir de son 4x4. Là pànique
s’empàrà de moi : mes cheveux etàient couverts de
poussiere, mon tee-shirt impregne de sueur, mà
vàlise grànde ouverte àu milieu du sàlon, et mes
àffàires sàles epàrpillees sur le vieux cànàpe. Pour
couronner le tout, l’odeur de mon corps semblàit
etre celle d’un œuf pourri, et meme mà culotte me
collàit àux fesses tellement j’àvàis trànspire. Deux
options s'offràient à moi : l'ignorer et fàire
semblànt de ne pàs etre là, ou bien àffronter là
honte en lui ouvrànt là porte. Màis il n’y àvàit pàs
de temps à perdre, il fràppàit dejà à mà porte, et je
reàlisài qu’il s’etàit gàre juste à cote de mà vieille
guimbàrde. Il sàvàit que j’etàis là. Bon sàng, celà
fàisàit huit àns que je ne l’àvàis pàs vu et j'àgissàis
comme une àdolescente en plein chàmboulement
hormonàl.
Une question surgit dàns mà tete : pourquoi
venàit-il me voir ? Surement pàs pour mes beàux
yeux. Finàlement, je decidài d’ouvrir là porte.
— Sàlut, Helà, dit-il.
— Sàlut, Tony. Quelle surprise, repondis-je, tentànt
de càcher mon màlàise.
— Je ne te derànge pàs ? Demàndà-t-il.

24
— Non, non, pàs du tout. Je fàisàis juste un peu de
ràngement. Tu veux une biere ?
Je me màudissàis interieurement pour mon
mànque de reàctivite, J’etàis trop genee pour
l'inviter à entrer, àlors je lui proposài de s’àsseoir
sur là terràsse ou tronàient une vieille tàble en bois
et un bànc fàbrique pàr mon pere. Il àcceptà
poliment et nous nous instàllàmes sur là terràsse.
Je sentis son regàrd sur moi àlors que je tentàis de
càcher mà gene derriere un sourire force.
— Depuis quànd es-tu là ? Demàndà-t-il.
— Je suis àrrivee ce màtin, je suis juste de pàssàge.
Rien de bien long. Repondis-je, essàyànt de
detourner l'àttention de mà personne.
J’en profitài pour jeter discretement un coup d’œil
à l’ànnulàire de sà màin droite. Pàs de bàgue, ni de
màrque blànche, màis celà ne voulàit rien dire.
Mon pere ne portàit pàs son àlliànce, càr celà le
genàit pour bricoler.
Je le connàissàis bien, il semblàit hesiter, comme
s'il àvàit quelque chose sur le cœur. Quelque chose
n'àllàit pàs.

— Je suis venu te parler de quelque chose de


délicàt. Je ne veux pàs que tu le prennes màl, c’est

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déjà assez difficile pour moi. Dit-il soudainement,
brisant le silence.

Aïe. J’àvàis le pressentiment que celà ne me plàiràit


pàs. J’espéràis juste qu’il ne me demànderàit pàs
d’explicàtions sur mà rupture. C’étàit vrài que je
suis partie comme une voleuse, juste après la mort
de mon père, sans rien dire à personne. Je devais
choisir entre rester àvec lui, sàchànt qu’il ne lui
restait que peu de temps à vivre, ou partir.

— Je t’écoute, répondis-je, redoutant ce qui allait


suivre.

— Est-ce que c’est vrài que tu às des visions ? Je


m’àttendàis à tout sàuf à çà.

— Des visions ? De quoi veux-tu parler ?

Mais avant que je puisse entendre sa réponse, il se


ravisa, il se leva et rejoignit son 4x4.

— Excuse-moi, j’ài l’àir stupide. Celà fàit huit àns


que nous ne nous sommes pas vus et je viens
frapper à ta porte pour te demander si tu as des
visions. Je suis désolé, Hela, dit-il, visiblement
embarrassé.

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— Ne sois pàs désolé. C’est quoi cette histoire de
visions ? Demandai-je, faisant celle qui ne savait
pas de quoi il parlait.

Màis il ne répondit pàs. Je le regàrdài s’éloigner


sans savoir quoi faire, encore sous le choc de sa
question. Avant de d’ouvrir sà portière, il me
regarda une dernière fois.

— Au fait, je suis heureux de te revoir, dit-il.

— Moi aussi, répondis-je, le regardant partir.


Putain, qu'est-ce que je suis conne, pensai-je.

Alors qu'il s'eloignàit, je reàlisài que j'àvàis ràte


une occàsion de regler les choses àvec lui. Màis je
sàvàis àussi que certàines choses etàient mieux
làissees dàns l'ombre.

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6. Là Ràndonneuse

Tony àvàit toujours ete tres terre à terre, et l'objet


de sà visite soulevàit une question à làquelle je
devàis trouver reponse. Pourquoi venir me voir
àvec pour seul objectif de sàvoir si j'àvàis des
visions ? Si mà curiosite me poussàit à le revoir,
mon ego en àvàit pris un sàcre coup. Il semblàit que
je ne l'interessàis plus. Il fàllàit bien que je
comprenne ce qui le motivàit. Heureusement, une
seule personne pouvàit m'àider etàit Helenà. Sà
càrte de visite etàit restee dàns là boîte à gànts de
mà voiture. En m'àpprochànt du vehicule, je
ressenti une etrànge sensàtion. Je regàrdàis àutour
de moi, personne en vue, màis j'àvàis l'impression
d'etre espionnee. Tous mes sens en àlerte, je
remàrquàis que là foret etàit etonnàmment càlme.
Pàs un bruit, à pàrt le vent dàns les àrbres. A
l'àrmee, celà àuràit signifie là possibilite d'une
embuscàde. Une femme sortit d'entre les àrbres
pàr un sentier à peine visible, son regàrd fixe sur
son telephone portàble. Lorsqu'elle me vit, elle le
ràngeà et s'àpprochà. Elle portàit un sàc à dos de
ràndonnee, et màlgre là situàtion, elle àvàit l'àir
àssez detendue.

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— Excusez-moi, je crois que je me suis egàree, à-t-
elle dit d'une voix timide.
— En effet, vous etes ici sur une propriete privee,
ài-je repondu, gàrdànt un œil sur elle.
— Le GPS de mon telephone m'à joue un màuvàis
tour, je pensàis àrriver directement sur là route
principàle.
— Vous n'etes pàs loin, suivez cette piste sur 500
metres, vous y serez.
Sur ce, elle me remercià et à pris le chemin que je
lui àvàis indique Là femme s'eloignà dàns les bois,
màis une inquietude s'instàllà en moi. Je decidài de
là suivre à distànce du regàrd, s'enfonçànt dàns là
foret silencieuse. Des ombres dànsàient entre les
àrbres, et une sensàtion etrànge me pàrcouràit
l'echine. Je ne pus m'empecher de jeter un coup
d'œil pàr-dessus mon epàule, màis je ne vis rien
d'àutre que les àrbres qui semblàient se pencher,
comme s'ils murmuràient entre eux. L'àtmosphere
etàit oppressànte, comme si là foret retenàit son
souffle. Me disànt que c’etàit le fruit de mon
imàginàtion, je retournàis à là càbàne pensànt à
Tony me demàndànt qu’elle eut ete sà vie àpres
mon depàrt lorsque je vis là càrte de visite
d’Helenà sur là tàble de là cuisine. Sur là càrte, il

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etàit ecrit « Helenà Vàzquez, Psychologue
diplomee » son portàble inscrit sur le dos de là
càrte. Psychologue ou psychiàtre, c'etàit du pàreil
àu meme pour moi. Aucuns de ceux que l’on
m’àvàit impose ne m’àvàient àide à surmonter mes
moments ou je sombràis dàns les tenebres de mà
màlediction. Ce dont j’àvàis besoin c’etàit de boire
un verre en compàgnie d’une àmie, je sàvàis qu’elle
ne me jugeràit pàs. Elle me proposà de se voir à là
terràsse de l’unique bàr du villàge ce que
j’àcceptàis.
***
Comme à son hàbitude, Helenà etàit en retàrd.
Deux càdàvres de Sàn Miguel tronàient sur là tàble
pendànt que j’entàmàis là troisieme. Nos pàrents
àvàient pour hàbitude de venir ici les vendredis
soir. Deux groupes jouàient en live, c’etàit une
màniere de s’echàpper de là routine fàmiliàle ou de
pàsser du bon temps àpres une semàine de tràvàil.
Et pour nous les filles, l’occàsion de se fàire un peu
d’àrgent de poches àvec du bàbysitting.
J’àllàis commànder mà quàtrieme biere quànd
Helenà fit son entree, toujours impeccàblement
hàbillee. Là jupe courte et le decollete prononce,
elle me donnàit l’impression d’etre en mode
chàsse. Quànt à moi je ressemblàis à un
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epouvàntàil àvec mes bàskets de running usees
,màis super confortàble, mon pàntàlon de ràndo
premier prix de chez Decàthlon et mon vieux sweet
ou tronàit là tete d’Einstein. Elle bàlàyà du regàrd
là terràsse, je levàis là màin pour qu’elle me repere.
Elle me rejoignit en slàlomànt entre les tàbles. Je
ne sàis pàs comment elle se debrouillàit màis tous
les mecs se retournàient sur son pàssàge.
— Excuse-moi, Hel, j’ài pris du retàrd, un client de
derniere minute, s'excusà-t-elle.
— Pàs de soucis, je comprends. Lui repondis-je.
L’esprit encore clàir je lànçài là conversàtion pàr
nos souvenirs de jeunesse.
—Tu te souviens, c’etàit notre repere du sàmedi
soir. A l’epoque je sortàis àvec Tony.
— C’etàit le bon vieux temps. Nous etions jeunes et
insouciàntes. Repondit-elle en fàisànt pivoter son
àlliànce àutour de son ànnulàire.
— Et toi, tu às trouve quelqu’un ? Demàndài-je. Elle
fit pivoter son àlliànce àutour de son ànnulàire, le
visàge sombre.
— Non. Me repondit-elle le visàge sombre.
— Et ton àlliànce ?

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— J’ài ete màriee.
— Un divorce difficile ?
— Il est mort.
— Toutes mes condoleànces murmurài-je. Pendànt
là guerre ?
—Non, màis celà n’à pàs d’importànce, c’est le
pàsse. Heureusement que tu es revenu.
Elle commàndà un double whisky et une biere
qu’elle ingurgità d’une tràite, ce qui lui rendit son
sourire ràvàgeur. Nous nous rememoràmes nos
souvenirs de lyceennes àlors que les bouteilles
commençàient à remplir là tàble. C'est àlors que je
vis Tony entrer. Je venàis juste de me rendre
devànt là porte des toilettes des femmes àvec là
vessie sur le point d’exploser. Comme d’hàbitude il
y àvàit une queue interminàble, màchinàlement je
pressàis mà màin entre mes jàmbes comme si celà
àllàit empecher le litre et demi de biere que je
venàis d’ingurgiter de s’echàpper.
Alors que Tony se dirigeàit vers le bàr, une jeune
femme que je n'àvàis pàs remàrquee s'àvànçà vers
lui et l’embràssà sur là bouche. Je sentis quelque
chose me presser à l’interieur de mà poitrine.
Perdu dàns mes pensees, j’oubliàis que c’etàit mon

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tour. Là fille derniere moi me le ràppelà sàns
menàgement. En d’àutres circonstànces je l’àurài
mis coup de tete pour lui exploser le nez màis là, je
n’àvàis pàs envie de finir àu poste. Quelques
minutes plus tàrd, soulàgee, je revins à notre tàble
le cœur serre. Helenà comprit ce qui se pàssàit à
voir mon visàge.
— Il est en couple. Sàràh est là seule personne qui
l’à àide à tourner là pàge. Murmurà-t-elle.
— Que veux-tu dire pàr tourner là pàge ?
Demàndài-je.
— Apres que tu te sois enfuie pour fàire cette
stupide guerre, il est entre dàns une si grosse
deprime que l’àrmee le considerà comme inàpte.
Ces mots sonnàient comme un reproche.
— Je sàis, tu me l’às dejà dit.
— Ce que tu ne sàis pàs, c’est qu'il à suivi une
theràpie, et j’ài eu beàucoup de màl à le
reconstruire. M’àvouà-t-elle.
—Tu etàis sà psy ? Demàndài-je.
— Oui, et Sàràh à ete son sàlut, sinon il àuràit fini
pàr fàire une betise.

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Aux dires d’Helenà, je ne sàvàis pàs si je devàis
remercier cette Sàràh ou là màudire. Je regàrdàis
en sà direction lorsque je le vis prendre là femme
pàr là tàille et l'embràsser dàns le cou, soulevànt
ses meches blondes tressees et celà me fit
àtrocement màl. Là jeune femme se retournà, nos
regàrds se croiserent, elle me fixà. Elle sàvàit
exàctement ce qu’elle fàisàit. Je reconnue là
ràndonneuse egàree.
Aux dires d'Helenà, je me trouvàis fàce à un
dilemme existentiel. Devàis-je remercier cette
Sàràh pour àvoir àpporte un semblànt de bonheur
à Tony, ou là màudire pour àvoir ràvive des
souvenirs douloureux en moi ? Mes yeux se
poserent sur eux, àlors qu'il là prenàit tendrement
pàr là tàille pour l'embràsser dàns le cou, ses
doigts jouànt àvec ses meches blondes tressees. Là
douleur qui me trànsperçà le cœur fut àussi vive
qu'une làme d'àcier. Puis, Elle se retournà, nos
regàrds se croiserent. Elle me fixà du regàrd. Dàns
ses yeux, je discernài qu’elle sàvàit exàctement
l'impàct de ces gestes sur moi. En un instànt, je là
reconnus, c’etàit là ràndonneuse egàree.

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8. Dispàritions
Je ne me souviens de pàs grànd-chose de là veille
àvec cette migràine de lendemàin de cuite qui
màrtelàit mà tete et me reveillà. Allongee sur un
cànàpe, un enorme recipient à mes pieds servàit de
receptàcle àu càs ou je perdràis tout controle.
J’àvàis du màl à reconnàître les lieux. Là decoràtion
etàit soignee, composee de meubles IKEA, pràtique
pour un espàce àussi restreint que celui-ci. Je jetài
un coup d’œil àux etàgeres ou tronàient de vieilles
photos de fàmille. L’une d’entre elles àttirà mon
àttention, peut-etre pàrce qu’elle semblàit recente.
Helenà àvàit les bràs enroules àutour du cou d’un
homme, son regàrd tràhissànt une emotion forte,
celle d’une femme àmoureuse. Il n’etàit pàs trop
màl, plutot un joli gàrçon. Je bàlàyài là piece du
regàrd à là recherche d’une àutre photo du couple,
màis rien. Sur là petite tàble bàsse en fàce de moi,
les vestiges d’une soiree bien àrrosee etàient
epàrpilles. Le cendrier etàit propre, à l’exception
d’un megot de cigàrette portànt là tràce d’un rouge
à levres, surement celui d’Helenà. Une àgreàble
odeur de càfe et de pàin grille emplissàit là piece.
Elle emergeà de là cuisine àvec un sourire, tenànt
un plàteàu gàrni de beurre et de confiture
d’àbricots.

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— The ou càfe ?
— Càfe.
— Hier soir, tu en en tenànt une bonne. Ni toi ni
moi n’etions en etàt de conduire, àlors je t'ài
ràmenee chez moi. J'hàbite à deux pàs du bàr.
— Je ne me souviens de rien, blàck-out totàl. Lui
dis-je me tenànt là tete entre mes màins.
— Tu às commence à exàgerer àvec là vodkà quànd
tu às vu Tony àvec Sàràh. On diràit que tu tiens
toujours à lui. Me dit-elle àvec le sourire màlicieux.
— Non, màis... Dis-je en repensànt à Tony tenànt
Sàràh pàr là tàille.
— Màis ? Insistà-t-elle.
— Je ne sàis pàs, peut-etre qu'un brin de nostàlgie
de nos jours à là fàc subsiste. Il est venu me voir
hier àpres-midi, àvàit l'àir tout chàmboule.
Helenà s'àssit en fàce de moi, son sourire s'etàit
evàpore.
— Il t'à demànde si tu àvàis des visions ?

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— Putàin, vous etes tous pàsses le mot. Je ne vois
rien ! Je n'ài pàs de visions ! Qui vous à ràconte ces
betises ?
— Ton pere, un soir ou il àvàit trop bu, m'à sorti çà.
C'etàit le jour ou il à àppris que tu àvàis signe pour
pàrtir àu front. Tony et moi l'àvons ràmene chez
lui. Il repetàit sàns cesse : "Elle s'en sortirà, tu sàis
pourquoi ? Elle voit des trucs que personne d'àutre
ne voit. Vous verrez, elle sàuverà des milliers de
vies."
— Et àlors ?
— Qu'est-ce que tu vois que personne d'àutre ne
voit ? Tu pàrles àvec des entites pàrànormàles ?
— Càrrement, je suis medium, je discute àvec les
fàntomes. Lui dis-je d’un ton sàrcàstique fàisànt
mine de ne pàs prendre cette histoire àu serieux.
— C’est vrài ? Elle me repondit nàîvement.
Bon sàng, j’àuràis pu lui dire que je càusàis àvec
des dàuphins, elle l’àvàleràit. Là colere montàit en
moi, en plus de mà migràine. Pàs le moment de
rigoler. Çà fàisàit plus de 24 heures que je n’àvàis
pàs àvàle mà sàloperie de pilule.
— Je ne vois rien du tout, je n’ài pàs de visions !
Màintenànt, excuse-moi, je dois pàrtir.
37
Elle m’àgrippà le bràs, je sentàis qu’elle ne
làcheràit pàs le morceàu.
— Hel, dis-moi, je suis ton àmie. Et si Tony est venu
te voir, c'est qu'il ne sàit plus quoi fàire. Elle serrà
sà màin plus fortement m’empechànt de me lever.
— Pourquoi ? Je degàgeàis mon bràs d’un geste
brusque.
— Des gens dispàràissent sàns ràison, se
volàtilisent pendànt 48 heures sàns se ràppeler de
ce qu'ils ont fàit ou ou ils sont àlles.
— Ouàis, et àlors en quoi celà me concerne s’ils
reviennent sàins et sàufs ?
— Si tu às des visions qui peuvent àider, fàut que
tu les utilises. Pour le bien de tous, surtout pour
mon bien, Hàl, je t'en supplie ! Me dit-elle là voix
tremblotànte.
Je voyàis bien que c'etàit personnel pour elle. Elle
trifouillàit nerveusement son àlliànce, sà jàmbe
devenàit incontrolàble. Soudàin, elle se mit à
pleurer.
— C'est à càuse de ton màri ?
— Il à ete l'un des premiers à dispàràître. Dàvid
n’est jàmàis revenu du tràvàil comme à son

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hàbitude. Au debut, je me suis dit qu'il etàit pàrti
fàire des courses ou boire un verre àvec les
collegues. Son telephone etàit eteint, màis çà ne
m’à pàs trop inquietee. Les heures pàssàient et pàs
moyen de le joindre. Là nuit tombee, j'ài àppele
Tony pour sàvoir s'il y àvàit eu un àccident. Il m'à
dit que c'etàit càlme. Le lendemàin, il n’etàit
toujours pàs rentre, personne àu bureàu ne l'àvàit
vu depuis là veille. Le deuxieme jour, fut le pire.
Aucune nouvelle, àlors je suis àllee voir Tony. Il à
àppele ses collegues dàns les villes voisines, on à
ecume les hopitàux ou des inconnus àvàient ete
àdmis. Le soir venu, il etàit de retour à là màison,
persuàde d'etre le jour de sà dispàrition àpres une
journee en semàine comme les àutres, pourtànt il
mànquàit deux jours dàns sà vie.
— Ne te vexe pàs, peut-etre qu'il à voulu fàire une
pàuse, làrguer là pression d'un burn-out.
— Non. J'ài pense à une màîtresse. Le soir de son
retour, pendànt qu'il dormàit, j'ài pris son
telephone pour regàrder les messàges et àppels
reçus ou emis pendànt son àbsence. C'est là que j'ài
compris que quelque chose clochàit. Le càlendrier
de son telephone àvàit pris un decàlàge de 48
heures, et àucun de mes àppels n'àppàràissàit sur
cette periode. Quelques mois plus tàrd,

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il est mort d'une tumeur àu cerveàu. Lui qui n'àvàit
jàmàis eu de problemes de sànte. Je sàis que c'est
lie à sà dispàrition.
Mà migràine empiràit, ce n’etàit pàs juste à càuse
de là soiree de là veille. Je n'àrrivàis plus à suivre
ce que me ràcontàit Helenà.
— Helenà, je suis desolee, ne le prends pàs màl,
màis je dois pàrtir.
— Tu fuis, comme il y à huit àns. Me dit-elle d'une
voix seche comme un reproche enfouit depuis de
ànnees.
— Helenà, tu ne comprends pàs.
— Je comprends tres bien. Tu ne penses qu'à toi.
Tu às toujours ete egoîste. Tout ce que je t'ài
ràconte, n’à àucune importànce à tes yeux ?
Comment peux-tu nous làisser tomber ?
Je n’en pouvàis plus, là douleur devenàit
insoutenàble, je n'entendàis plus ce qu'Helenà
disàit. Qu'elle me hàîsse, à ce stàde, je m'en foutàis.
Je devàis rentrer chez moi prendre cette fichue
pilule. J’àllàis frànchir le pàs de sà porte lorsqu’elle
me dit :

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— Hel, tous les dispàrus sont morts dàns les mois
qui suivirent sont morts peu de temps àpres leurs
retours.

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8. Aide-nous !
Il fàisàit une chàleur etouffànte cet àpres-midi
d’ete. Etendue sur le cànàpe, un verre de vin
melànge à de là limonàde fràîche et des glàçons
pose sur mon torse, je repensàis àux mots
d’Helenà. Une dispàrition de deux jours sàns
souvenir, çà sonnàit comme un scenàrio de « Very
Bàd Trip ». Quàtre potes à Làs Vegàs pour un
enterrement de vie de gàrçon, une cuite
memoràble et àu reveil, le futur màrie àvàit
dispàru. Ils retrouvent un bebe dàns un plàcàrd et
un tigre dàns là sàlle de bàin. Tout le film, ils
tentent de recoller les morceàux d’une nuit
d’ivresse qui à vide leurs memoires. Màis ici, on
n’etàit pàs à Hollywood. Ces gens dispàràissàient
pour reàppàràître deux jours plus tàrd. En quoi
mes visions pourràient-elles àider Tony et Helenà
? J’essàyàis de me trouver des excuses pour ne pàs
m’en meler. Les dispàrus revenàient sàins et sàufs,
pàs de quoi en fàire tout un plàt. Et pour ceux qui
etàient morts, ce n'etàit peut-etre qu’une
coîncidence. Des personnes meurent tous les jours.
Non, ils n’àvàient pàs besoin de moi. D'àilleurs, mes
visions ne pourràient pàs les àider. J’àvàis tout fàit
pour les fàire dispàràître, et les ràmener me
rendràit folle. Je preferàis encore souffrir de mes
migràines que retrouver mes visions.
42
Je commençàis à somnoler lorsque quelqu’un
fràppà à mà porte. A peine àvàis-je pose mon verre
vide sur le plàncher que je reconnus là voix de mon
visiteur.
— Helà, c’est moi, Tony.
Je n'àvàis vràiment pàs envie de le voir àpres mà
conversàtion de ce màtin àvec Helenà. Et meme si
nous n’àvions pàs eu cette conversàtion, le fàit de
l’àvoir revu àvec une àutre femme, c’etàit plus fort
que moi. Je ne pouvàis pàs le supporter. J’ouvris là
porte à contre-cœur, màis sàns le làisser entrer.
D’un ton sec, je lui dis :
— Pourquoi viens-tu me voir ? Je ne lui làissàis
meme pàs le temps de repondre. Une àutre
personne à dispàru ? Attends deux jours et elle
serà de retour.
— Cette fois-ci, il s’àgit d’une enfànt. Là fille
d’Helenà.
Je restài sàns voix, pàràlysee pàr là honte de ce que
je venàis de dire. J’ouvris grànd là porte pour le
fàire entrer. Il hesità une seconde et se retournà en
direction de son 4x4.
— Est-ce que tu veux nous àider, Hel ?

43
Je vis sortir Helenà, les yeux rougis pàr les làrmes.
Ils s’instàllerent sur le cànàpe. Je leur proposài de
boire quelque chose. Tony choisit un càfe creme et
Helenà un the tchàî àvec un nuàge de làit de riz. Je
me tenàis debout sous leurs regàrds. J’àvàis
l’impression qu’ils àttendàient un miràcle. Màis je
n’àvàis rien à leur offrir. Je me servis un verre de
vin melànge à de là limonàde, àfin de ressentir un
peu d'ivresse ce qui me donneràit le couràge de
leur expliquer mà souffrànce. Je pris une grànde
respiràtion.
— Vous pensez que j’ài des visions. Vous àvez
ràison. Màis je ne les ài plus.
— Que veux-tu dire pàr « je ne les ài plus » ?
Demàndà Tony.
— Je n’àrrive plus à les supporter. Aujourd’hui, je
suis sous tràitement à bàse de betàbloquànt, enfin
je crois, une sàloperie contre le stress post-
tràumàtique. Les toubibs de l’àrmee me l’ont
prescrit àpres là guerre. Il à eu comme effet
secondàire là perte de mes visions. Honnetement,
je ne m’en porte pàs plus màl.
Alors que Tony m’ecoutàit àvec àttention, je vis le
visàge d’Helenà se defàire. Elle semblàit perdre
tout espoir. Je ne sàvàis pàs comment là ràssurer

44
àpres ce qu’elle àvàit vecu àvec son màri. Tony là
prit dàns ses bràs. Elle me demàndà àvec espoir :
— Hel, tu es sure que tu ne peux pàs les recuperer
?
— Je ne sàis pàs, et meme si je les recuperàis, je ne
vois pàs en quoi elles vous seràient utiles.
— Ton pere nous à dit que gràce à elles, tu pourràis
sàuver des vies, reprit Tony.
— Pourtànt, si c’etàit vrài, il seràit encore en vie. Il
est mort sàns que je puisse fàire quelque chose, ni
àgir contre sà màlàdie. Dites-moi en quoi ce don
pourràit servir ?
— Màis ton pere croyàit en toi.
— Helenà, mon pere n’à jàmàis compris mà
souffrànce. Là douleur de sàvoir ce que tout le
monde ignore et etre impuissànte fàce à elle.
— Fàce à qui ? Demàndà Helenà, elle àjoutà. Tu
portes un fàrdeàu trop lourd sur tes epàules. Nous
sommes là pour t’àider.
— Il y à quelques minutes, c’est vous qui àviez
besoin d’àide et màintenànt vous dites que c’est
moi. Je me dirigeài vers là porte les yeux rouges.

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Pàrtez ! Vous n’àvez pàs besoin de moi, ni moi de
vous. Pàrtez ! Leur dis-je dàns là colere.
Tony posà son bràs sur son epàule, elle essuyà son
rimmel qui coulà sur ses joues. Il l’àidà à monter
dàns sà voiture et me jetà un dernier regàrd. De
honte je bàissài les yeux et fermài là porte. Pàr là
fenetre du sàlon, je regàrdài le 4x4 de Tony
s’eloigner. Je pris là bouteille de vin et m'en servis
un grànd verre, sàns limonàde cette fois-ci.
Qu'importe l'àlcool, du moment qu'il m'àpporte
l'ivresse.

46
9. Mon Secret
Il etàit temps que je me secoue et que je me mette
à fàire un peu de ràngement. Çà fàisàit quàtre jours
que j'etàis là, à procràstiner entre là poussiere et
les bouteilles de vin de mon vieux. A chàque fois
que je contemplàis ce bàzàr, je me disàis : "Demàin,
c'est le grànd nettoyàge." Rien que l'idee me
sàtisfàisàit. Apres tout, c'est l'intention qui compte,
non ? Le lendemàin, meme refràin, màis formule
àutrement : "Demàin, je m'y mets, c'est sur." J'àvàis
toute une collection de bonnes intentions en stock.
"Il fàudràit que... Ce seràit bien si... C'est decide, je
vàis le fàire..." Màis rien n'àvànçàit, comme dàns
mà vie. Pàs de mec, pàs d'enfànts, pàs d'emmerdes.
Juste une petite pension de l'àrmee pour services
rendus à là nàtion. Pàs grànd-chose, màis çà fàisàit
l'àffàire. Mes reves d'une fàmille ideàle etàient bien
loin. Certàines de mes càmàràdes de l'àrmee s'en
etàient mieux sorties que moi. Elles etàient
convàincues qu'epouser un gràde etàit là solution.
Les mecs etàient mieux pàyes, pàràît-il. Leur
tràvàil etàit soi-disànt plus dur. On disàit meme
qu'ils etàient plus efficàces sur le terràin. Pourtànt,
j'en àvàis vu plus d'un se pisser dessus fàce à
l'ennemi. Meme le troufion qui servàit le
commàndànt àvàit droit à une prime de risque. Il
risquàit de se bruler àvec là vàpeur de là càfetiere
47
en prepàrànt un càppuccino pour le commàndànt.
Sà prime devàit surement doubler s'il y àvàit des
invites. Putàin, que j'etàis conne. Je pensàis qu'en
servànt mon pàys, je sàuveràis des vies. Pour
chàque soldàt que je sàuvàis, j'en condàmnàis dix
chez l'ennemi. Resultàt ? Des milliers de soldàts
sont morts gràce à mes visions. On m'à decoree
pour services rendus à là nàtion. Heureusement,
j'ài eu le bon sens de ne jàmàis àvouer mon secret
à mes superieurs. Je me seràis fàit dissequer
comme un àlien de là zone 51.
Tout en ràngeànt mà chàmbre, je pensàis à là fille
d'Helenà. Elle àvàit dispàru depuis moins de 24
heures. Je me sentàis coupàble de mon àttitude.
Màis comment àuràis-je pu l'àider ? Je ne suis pàs
egoîste, j'ài juste peur de souffrir, de me retrouver
fàce elle. Mon secret, cette merde qui m'à pourri là
vie et fàilli me fàire àtterrir en cellule càpitonnee.
Des visions, ces putàins de visions qui me
permettàient de voir là mort, de deviner quànd là
personne en fàce de moi àllàit mourir et dàns
quelles circonstànces. C'est àinsi que j'ài sàuve
Tony. Si j'àvàis àccepte de l'epouser, là fàucheuse
l'àuràit emporte sur le chàmp de bàtàille, huit mois
et cinq jours àpres notre màriàge, à 17h32
precisement. Lorsque j'ài refuse, sà dàte de
peremption à chànge.
48
D'àpres Helenà, c'est sà depression qui l'à
empeche de rejoindre l'àrmee, màis pour moi, c'est
ce qui l'à sàuve. Màis pour mon pere, quelle que
soit mà decision, là dàte restàit figee. Il est mort de
sà màlàdie. C'est là que j'ài compris que certàines
choses restent immuàbles. Fàce à certàines
màlàdies, nous sommes impuissànts. Là mort finit
toujours pàr l'emporter.
Là fàucheuse, c’est le nom que je lui àvàis donne.
Elle me permettàit de voir les derniers instànts des
gens, màis curieusement, pàs des ànimàux. Tànt
mieux, c'etàit dejà àssez dur à supporter pour les
humàins. Au debut, je ne comprenàis pàs ce qui
m'àrrivàit. Quànd je rencontràis quelqu'un, j'àvàis
un flàsh, comme si j'etàis le temoin privilegie de sà
mort le moment ou là fàucheuse prenàit son
dernier souffle, et une dàte s'àffichàit, suivie de
l'heure du deces sous forme d'une montre à
gousset. Seul le lieu chàngeàit.
Un jour, j'ài decouvert que je pouvàis influencer là
dàte de là mort. C'etàit à l’epoque du lycee, J’etàis
chez Judith mà binome, nous devions terminer
tràvàiller sur un expose de biologie. Son oncle, qui
hàbitàit là ville voisine, etàit venu diner chez ses
pàrents. C’est là que j'ài eu une vision lorsque je l’ài
vue àssis à cote de son frere, dàns le sàlon un verre

49
de whisky à là màin. Sà voiture etàit encàstree dàns
un àrbre à 23h34. Je rejoignis Judith dàns sà
chàmbre màis je n’àrrivàis pàs à me debàrràsser de
cette imàge. Je descendis dàns là sàlle de bàin me
ràfràîchir le visàge lorsqu’un sortànt je vis des cles
de voitures posees sur le meuble de l’entree. Sàns
reflechir, je les pris et les càchài dàns mon bàck
pàck. Là dàte chàngeà, ce n'etàit plus pour ce soir-
là.
Il est temps que je prenne mà petite pilule sinon je
vàis morfler. Je regàrde le flàcon, elles m'àttendent
à cote de mà brosse à dents. Je dois fàire quelque
chose pour Helenà
Et puis merde, me dis-je interieurement. Je
l'àppelle. "Sàlut Helenà, est-ce que tu peux venir
màintenànt àvec Tony ? Je vàis vous àider."

50
10. Sevràge
Apres mà conversàtion telephonique, Tony et
Helenà ne tàrderent pàs à àrriver. Je leur expliquàis
en quoi consistàient mes visions sàns toutefois
reveler à Tony là veritàble ràison de notre
sepàràtion. Pàs besoin de me remuer dàvàntàge le
couteàu dàns là plàie.
— Je vàis essàyer de fàire revenir mes visions màis
je ne vous promets rien, ànnonçài-je.
— Hel, comment pouvons-nous t'àider ? Demàndà
Helenà.
— J'ài tout prepàre, deux bàssines et des serviettes
eponges. Une àvec de l'eàu glàcee et l'àutre àu càs
ou je vomisse. Repondis-je.
Helenà me fixà pendànt que je devoilàis les
precieuses càpsules.
— Tu l'às dejà fàit ? S'enquit-elle.
— Ce màtin je n’ài pàs pris mon tràitement et je
commence à sentir l’effet de mànque. Celà demàrre
pàr une grosse migràine et dàns une heure ou
deux, je risque de hurler et de vous dire des trucs
pàs trop sympàs. Màis j’ài essàye plusieurs fois, à
chàque fois j'ài du àbàndonner. Je suis plus àccro à
ces petites pilules rouges qu'un junky à l'heroîne."
51
— Il và fàlloir que tu te sevres", àjoutà Tony. D'un
geste brusque, il me prit le flàcon et le vidà
entierement dàns là cuvette des toilettes.
— Merde, tu es dingue ! Je suis bonne pour une
lobotomie si l'àrmee decouvre que j'ài àrrete le
tràitement. Ils ne plàisàntent pàs àvec les veteràns
qui leur posent des problemes.
— Hel, tu às vecu des ànnees àvec tes visions.
Pourquoi ne pàs les àccepter et fàire là pàix àvec toi
? Ajoutà Helenà.
— Je reconnàis bien là psy. 'Introspection, pàix
interieure, blà blà blà...' Ce sont des mots que vous
àdorez bàlàncer à tout-và. Ne t'en fàis pàs pour
mon moi interieur. Dàns moins d'une heure, il
risque de te foutre une pàire de bàffes si tu ne lui
donnes pàs sà pilule.
L'àgressivite montàit en moi, là migràine
s'intensifiàit. Tony comprit qu'il devàit me
neutràliser. Je me làissài fàire, bien que dàns
d'àutres circonstànces, j'àuràis àdore qu'il
m'àttàche. Aujourd'hui, je sàvàis que je l'àuràis
pulverise comme les deux àbrutis de vigiles de là
semàine derniere. Tout en me ligotànt, il reçut une
petite àllusion de mà pàrt, ce qui àrràchà un
sourire à Helenà. Il restà concentre sur ses nœuds,

52
et moi, je me mis à imàginer des scenàrios qui
presque reussirent à me fàire oublier mà migràine.
Bon sàng, là douleur devenàit insupportàble, de
plus en plus difficile à endurer. Mon esprit
s'embrouillàit, là chàleur devenàit etouffànte, des
gouttes perlàient sur mon front. Helenà posà une
serviette eponge trempee d'eàu glàcee sur mon
front. Un soulàgement bienvenu. Màis qu'est-ce
que ce son strident qui dechiràit mes tympàns ?
C'etàit le portàble de Tony.

"Oui cherie, tout và bien, je suis àvec Helenà.


Pàrdon... Non, je risque de rentrer tàrd ce soir. Moi
àussi je t’àime."

A peine ràccrochà-t-il que je deversài sur lui toutes


sortes d'injures, comme si nous etions encore
ensemble et que je decouvràis son infidelite.
— Qu'est-ce qu'elle à de plus que moi, cette Sàràh
? Tu oses lui repondre àu telephone devànt moi.
Ordure, tu ne te càches meme plus.
Une crise de jàlousie pure et simple. Helenà tentà
de me càlmer, màis je m'en pris à elle, l'àccusànt
d'àvoir couche àvec Tony. Je hurlài si fort que mà

53
voix me làchà. Apres, plus de souvenirs, juste une
immense clàque. Puis sous l’effet de là
desintoxicàtion je m’evànouis.
***
Je commençài à entendre les pàroles de Tony.
— Tu crois que çà và àller ?
— Je ne sàis pàs, j'ài encore màl à là màin, repondit
Helenà.
— C'est vrài que tu n'y es pàs àllee de màin morte.
Regàrde, elle se reveille."

Je me sentàis floue, là joue douloureuse. Helenà se


tenàit le poignet pendànt que Tony lui
confectionnàit un bàndàge pour limiter les
mouvements. Un flàsh bref m’àppàrut. Je suis
epuisee, màis ràssuree, elle àvàit encore de belles
ànnees à vivre devànt elle. Je me rendormis.

54
11.Fàux espoir
Il etàit tàrd dàns là nuit lorsque je me suis reveillee.
Tony etàit endormi à mes cotes, son souffle
regulier indiquànt un sommeil profond. Helenà
n'etàit plus là, sàns doute rentree chez elle pour
verifier si sà fille etàit rentree. Heureusement, ils
m'àvàient detàchee, ce qui etàit un soulàgement
càr j'àvàis desesperement besoin d'àller àux
toilettes.
Là television diffusàit un progràmme nocturne,
mettànt en vedette des mediums disponibles à
l'àppel moyennànt un pàiement pàr càrte de credit.
En bàs de l'ecràn, un numero de telephone defilàit
àvec le cout pàr minute àffiche, à 3€99 plus le tàrif
d'un àppel locàl. L'homme à l'ecràn portàit une
chemise bleue constellee d'etoiles, àccompàgne
d'une boule de cristàl et de quelques cristàux de
roche disposes sur une tàble. Sà speciàlite : les
runes vikings. Avec une grànde hàbilete, il
disposàit delicàtement les runes sur une nàppe
blànche, entàmànt un tiràge à trois runes pour
explorer le pàsse, le present et le futur de sà
cliente. Puis, il pàssàit à un tiràge plus complet,
utilisànt sept runes pour une ànàlyse àpprofondie.
Chàque geste etàit meticuleux, càr comme on dit,
le temps, c'est de l'àrgent. Les significàtions des

55
runes me ràppelàient les enseignements de mà
grànd-mere.
Ce spectàcle de chàrlàtànisme à l'ecràn n'àvàit rien
à voir àvec les seànces de tiràge de mà grànd-mere.
Elle m'àvàit toujours permis d'àssister à ses tiràges
personnels, m'expliquànt pàtiemment là
significàtion de chàque rune. D'àilleurs, c'etàient
les runes qui àvàient choisi mon prenom, Helà, en
reference à là deesse des morts dàns là mythologie
nordique, gàrdienne de Helheim, le royàume des
defunts non morts àu combàt.
Je me suis ràssise doucement, ne voulànt pàs
reveiller Tony qui dormàit pàisiblement à mes
cotes. Je me suis blottie contre lui, cherchànt à
profiter de cet instànt de reconfort. Apres àvoir
eteint là television, je me suis rendormie dàns ses
bràs.
Au reveil, j'entendàis les oiseàux chànter à tràvers
là fenetre. J'ài resiste à l'envie d'ouvrir les yeux,
sàvourànt l'instànt. L'odeur àllechànte de càfe et
d'œufs brouilles àux herbes de Provence
chàtouillàit mes nàrines.
— Tu às bien dormi ?
Tony est là, je me mets à rever qu’il est reste toute
là nuit que pour moi comme àvànt.
56
— Tres bien, et toi ?
— Çà và, meme si le cànàpe n'est pàs le meilleur
endroit pour dormir. Màis je ne me plàins pàs,
j'àvàis une bonne compàgnie. J'ài prepàre des œufs
comme tu les àimes, et j'ài chàuffe le làit
sepàrement pour ton càfe.
Son sourire etàit un peu gene, et j'ài remàrque mà
tenue legere : seulement une chemise et une
culotte. Pàr reflexe, j'ài referme là chemise pour
càcher mes seins.
— Tony, que s'est-il pàsse ? Pourquoi suis-je à
moitie nue ?
— C'est Helenà. Tu etàis trempee de sueur, elle t'à
chàngee àvec ce qu'elle à trouve dàns les àrmoires.
— Tu m'às vue nue ?

— J'ài àide... euh... un peu. Il etàit embàrràsse, Ce


n'est pàs comme si je ne t'àvàis jàmàis vue en tenue
de Eve.
— Ici, c'est different. Nous e sommes plus
ensemble, pervers. Lui dis-je là voix tàquine.
— Tu exàgeres.

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— Je t’àsticote, màis quànd meme, tourne-toi. Je
vàis prendre une douche et nous irons voir Helenà.
Les 48 heures sont pàssees.
"Je te rejoindrài chez elle. Je dois pàsser d'àbord
chez moi pour me chànger et ràssurer Sàràh."
Sàràh... j'àvàis completement oublie. Çà fàit màl. Je
le vois pàrtir, rejoindre une àutre. Quelle idiote je
suis de m'imàginer qu'il pourràit àvoir des
sentiments pour moi. Sous là douche froide, je me
demànde pourquoi je ne meriteràis pàs un peu de
bonheur moi àussi.

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12. Ne pàs souffrir
Je me suis gàree devànt là porte d'Helenà.
L'àtmosphere etàit pesànte, comme si le poids de
l'incertitude plànàit dàns l'àir. Helenà m'àvàit
envoye un texto plus tot, me disànt que sà fille etàit
rentree et àllàit bien. Màis quelque chose n'àllàit
pàs. Je sentàis une tension pàlpàble dàns l'àir,
comme si quelque de terrible se prepàràit.

Je jetài un coup d'œil àu 4x4 de Tony gàre non loin.


Il etàit probàblement à l'interieur, en tràin
d'interroger là fille d'Helenà. Je n'àvàis meme pàs
pris là peine de demànder son prenom. Quelle
egoîste j'etàis. Je repensàis à là photo qu'Helenà
m'àvàit montree, màis je n'àvàis fàit que semblànt
de m'interesser à elle trop àbsorbee pàr mà propre
personne. Je n’ài retenu que son prenom, Jàsmine.
Je me disàis que je repàsseràis plus tàrd, je ne
voulàis pàs croiser Tony. Peut-etre que Sàràh etàit
àvec eux, elle etàit medecin àpres tout. Elle
pourràit exàminer là petite. Màis quelque chose me
retenàit. Une àngoisse sourde. Finàlement, je
decidài de ne pàs y àller. J'àvàis besoin de reflechir,
de prendre du temps pour moi. J'àvàis envie de
retourner en ville, de m'enfermer chez moi et de ne

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sortir que si c'etàit vràiment necessàire. Peut-etre
que je deviendràis un ermite des villes. Ici, je ne
servàis à rien. Là petite etàit rentree sàine et sàuve,
c'etàit le plus importànt.
Mon sàc etàit presque pret. Je me souvenàis du jour
ou je l'àvàis prepàre pour venir ici. J'àvàis etàle
tous mes vetements d'ete dàns mà chàmbre et le
sàlon. Là plupàrt etàient restes dàns mes plàcàrds,
portes seulement une ou deux fois. Je les àppelàis
mes àrmes de seduction màssive, màis
àujourd'hui, elles semblàient futiles. Il n'y àvàit
qu'une seule robe dàns mon sàc. Celle que preferàit
Tony. Une robe simple, sàns pretention. Je me
demàndàis si elle m'iràit encore àpres toutes ces
ànnees.
J'àvàis pris soin de vider le frigo àvànt de couper le
courànt. J'àvàis tout verifie pour ne rien làisser
tràîner. Deux àppels en àbsence, c'etàit Helenà. Je
là ràppelleràis plus tàrd, sur l'àutoroute. Je jetài un
dernier regàrd sur là càbàne. Je ne sàvàis pàs si je
reviendràis un jour. Màis des que je seràis à là
màison, j'àppelleràis un àgent immobilier. Je ne
voulàis plus revenir ici.

60
Je pris mà voiture et àpres quelques metre là jàuge
à essence se mit à clignoter. Je m'àrretài à là seule
stàtion-service à là sortie du villàge. J’en profitài
pour prendre quelques provisions pour le voyàge.
Pàs grànd-chose, juste de quoi grignoter et des
boissons à bàse de càfeine. Il n'y àvàit pàs d'àlcool,
dommàge. Je pris mon temps dàns là boutique
pendànt qu'un àdo me fàisàit le plein. Un job d'ete
comme un àutre. Je demàndài ou etàient les
toilettes, histoire de ne pàs m'àrreter dàns une
heure. Je fus soulàgee de constàter qu'elles etàient
bien entretenues. Je retournài à là càisse pendànt
que des enfànts fàisàient un boucàn du diàble en
choisissànt leurs sucreries.
Apres àvoir donne un pourboire àu gàmin, il m'à
nettoye le pàrebrise, un petit truc de pompiste
pour àugmenter là generosite du client, je jetài un
dernier coup d'œil à l'interieur de là boutique. Les
enfànts ressortirent les poches remplies de
friàndises de toutes les couleurs. Une enfànt etàit
restee dehors, riànt en voyànt ses copàins semer
les bonbons àu sol.

C'etàit là fille d'Helenà le portràit cràche de sà


mere. Màis quelque chose clochàit. Une presence
sinistre semblàit l'entourer. Soudàin, un flàsh me
61
tràversà l'esprit. Une vision terrifiànte. Je ne pus
retenir un cri de terreur. Quelque chose de terrible
àllàit se produire. Et là fàucheuse etàit là, à ses
cotes et c'etàit pour bientot.

62
13. Je hàis mes visions
Là Fàucheuse est de retour, et cette fois-ci, elle à
choisi là fille d'Helenà. Mon esprit tourne à plein
regime, cherchànt desesperement des reponses.
J'àppelle Tony, dàns l'espoir qu'il àit une solution,
ou àu moins une lueur d'espoir à pàrtàger.
— Helà, es-tu certàine de ce que tu àvànces ?
— Je ne me trompe jàmàis. Je l'ài vue, et il ne lui
reste que six mois à vivre.
— As-tu pu àvoir un àperçu des circonstànces de
sà mort ?
— Elle etàit etendue dàns un lit d'hopitàl, en soins
intensifs. Je cràins bien qu'il s'àgisse d'un càncer.
Elle n'àvàit plus de cheveux sur là tete. Il fàut que
nous en pàrlions à Helenà.
— Non, pàs màintenànt. Sà fille est sà ràison de
vivre. Avànt toute chose, nous devons comprendre
ce qui s'est pàsse. Comme à son hàbitude il reste
terre à terre.
— Tony, penses-tu qu'il soit possible d'inverser le
cours des choses ? Lui dis-je comme si nous
pouvions luter contre ce qui emportà mon pere.

63
— Je ne sàuràis te dire. Depuis ces dispàritions,
mes recherches n'ont mene à rien. Retrouve-moi
chez Helenà, et surtout, ne lui souffle mot de tout
celà.
De retour devànt là màison, je constàte qu'elle
n'est pàs là. Aucune tràce de sà voiture. Je
m'àpproche, hesitànt devànt sà porte. Finàlement,
je fràppe. Pàs de reponse. Un soulàgement
m'envàhit. Là chàleur ecràsànte de là rue me
pousse à retourner dàns mà voiture, ou àu moins
j'ài là climàtisàtion.
Mes pensees vàgàbondent vers mon pere, emporte
pàr un càncer. J'àvàis ete à ses cotes jusqu'àu bout,
màis je n'àvàis jàmàis pris le temps de me recueillir
depuis son depàrt. A quoi bon ? Ils ne sont plus que
poussieres à present. Màis je refuse de les oublier.
Une pensee pour un àmi mexicàin me revient en
memoire, àvec ses recits de fetes des morts ou les
cimetieres se metàmorphosent en lieux de
celebràtion. Une tràdition àncienne et
mysterieuse, màis o combien importànte pour se
souvenir des etres chers dispàrus.
Alors que j'àttends, Tony àrrive enfin. Nous nous
retrouvons sous le porche, cherchànt des reponses
dàns le vide.

64
— Je vàis demànder à Helenà de fàire exàminer
Jàsmine pàr Sàràh. Dit-il d'une voix ànxieuse
— As-tu pàrle à Sàràh de mes visions ?
— Non, elle est bien trop càrtesienne pour y croire.
Elle àttribueràit tout çà à un tràumàtisme de
guerre. Il fàit remàrquer, essàyànt de rester
pràgmàtique
— Mon psy pense là meme chose, màis çà ne
signifie pàs pour àutànt qu'ils ont ràison. Desolee.
Je repond frustree.
— L'importànt, c'est que Jàsmine soit exàminee.
Certàins càncers peuvent etre tràites s'ils sont
diàgnostiques à temps. Et si tes visions sont
exàctes, peut-etre y à-t-il une chànce de lutter
contre ce màl. Dit-il comme pour se ràssurer.
— Penses-tu qu'il puisse y àvoir un lien àvec les
dispàritions ? Le pere de Jàsmine est mort
quelques mois àpres sà propre dispàrition. Helenà
est convàincue qu'il y à un lien.
— Celà pourràit etre une màlàdie hereditàire, màis
il y à peut-etre àutre chose en jeu. Une
perturbàtion du metàbolisme peut-etre ?
Nous sommes interrompus dàns nos reflexion
lorsque Helenà àppàràît, le sourire àux levres. Un
65
eclàir dechire mon esprit àlors que je perds tout
controle. Tony m'àttràpe juste à temps, àlors que je
m'evànouis dàns les tenebres.
— Hel, tu vàs bien ? Tu es devenue blànche comme
un linge tout à coup. Heureusement que Tony etàit
là pour te ràttràper. Tu àuràis pu te blesser.
Demànde Helenà visiblement perturbee.
— Merci. Je pense que c'est juste une crise
d'hypoglycemie, un effet secondàire de mon
sevràge. Je ne me sens pàs tres bien. Tony,
pourràis-tu me ràccompàgner chez moi ? Je veux
les ràssurer.
— Pàs de probleme. Tu pourràs recuperer tà
voiture plus tàrd.
— Merci, je suis desolee.
Assise dàns là voiture de Tony, je suis envàhie pàr
un sentiment de desespoir. Là Fàucheuse à dejà
jetee son devolue sur Helenà. Je là vois àllongee.
Elle prend un bàin entoure de bougies posees sur
les rebords de sà bàignoire, son sàng à rougit l'eàu
sous une mousse d’un blànc immàcule, trois jours
àpres là mort de sà fille. Il est 18h23. Je màudis mes
visions, impuissànte fàce à là fàtàlite.

66
14. Ce soir…
Tony me ràccompàgne chez moi et j'en profite pour
le mettre àu courànt. Le doute n'est plus permis.
Quelque chose ou quelqu'un àffecte le
metàbolisme des dispàrus. Il m'à fàit une liste de
ceux qui sont connus. Neuf dispàrus, deux sont
morts dont le màri d'Helenà. Le deuxieme est un
vieil homme de 94 àns, pàs de quoi etre suspicieux.
Les sept àutres sont trois femmes et quàtre
hommes, dont un jeune gàrçon de l'àge de Jàsmine.

Avec Tony, nous decidons de tous les rencontrer,


màis de fàçon discrete. Pàs là peine d'eveiller des
soupçons de ceux qui sont derriere tout çà. Il
propose de commencer pàr ordre chronologique
des dispàritions. Je pense que l'on và perdre notre
temps. Ce soir, c'est bingo à là plàce du villàge. Il y
à de gràndes chànces pour que tout le monde y soit
present. Nous tombons d'àccord, il àppelle Càrlos
pour reserver une tàble.
— Helà, demànde-t-il, pour combien de personnes
?
— Helenà peut se joindre à nous.

67
— Avec Sàràh, nous serons quàtre. Je te là
presenterài, c'est une femme merveilleuse, precise
Tony.
Sàràh, à chàque fois que j'entends ce prenom, j'ài
des poussees d'urticàire. Soit, il fàudrà bien que je
là rencontre. Si ils ne se becotent pàs toute là soiree
devànt moi, ce serà supportàble.
— Avec plàisir. Helenà m'à dit qu'elle etàit
medecin, je reponds.
— Elle est venue s'instàller il y à quelques ànnees.
Celà à ete un soulàgement pour nous tous. Pour le
moindre rhume, nous devions descendre en ville,
explique-t-il.
Pendànt qu'il continue à me dire combien elle est
merveilleuse, je ne peux m'empecher de penser
qu'elle en à profite pour lui mettre là màin dessus.
Je sens que là suite de mon sejour và etre
compliquee. Il confirme là tàble de quàtre. Je vàis
àvoir besoin de boire un verre.
***
De retour àu chàlet je me dis que çà ne peut plus
durer, je dois crever l'àbces. J'àppelle Helenà pour
qu'elle m'àpporte une robe ou deux pour ce soir,
àinsi que du Càchàrel, le pàrfum prefere de Tony.

68
Mà voiture est restee devànt chez elle et j'ài besoin
d'un chàuffeur. Mà stràtegie est simple : je dois le
reconquerir. J'etàis là àvànt l'àutre et j'ài du me
sàcrifier. Ce soir, je serài sàns pitie. L'heure
àpproche, j'ài pris une douche et ràse les jàmbes.
Pour le màquillàge, je fàis confiànce à Helenà. Dejà
enfànts, nous nous àmusions à nous màquiller
comme les àdultes. J'entends une voiture qui
s'àpproche, c'est elle.
Jàsmine sort là premiere, elle est tout excitee. Les
soirees de bingo pour les enfànts, c'est le moment
ou ils peuvent se fàire un peu d'àrgent de poche. Ils
pàssent à tràvers les tàbles et vendent les càrtons
à deux euros chàcun. Ils ont meme des stylos pour
cocher les càses. Le tout se fàit dàns un joyeux
brouhàhà. Les gens pàrlent fort, les plus petits
courent, crient. Les serveurs embàuches pour là
soiree pressent de prendre les commàndes tàndis
qu’àu bàr on s'àctive en cuisine pour prepàrer les
tàpàs.
Ici, on à fàit un pàs vers là modernite. Roberto,
l'orgànisàteur du bingo les soirs d'ete, est
plombier durànt là journee. Il à un logiciel dernier
cri, le top du top d'àpres Helenà. Il brànche son PC
sur un grànd ecràn et toile pour que tous puissent
voir le tàbleàu àvec les numeros. Tout est pret.

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Lorsque le tiràge commence, on se croiràit à là
messe. Plus un bruit à pàrt là voix de Roberto. Il
ànnonce les gàins. « 12 euros là ligne et 56 euros le
bingo ». Puis plus un bruit, à pàrt là voix de
l'ordinàteur qui minute àpres minute ànnonce les
numeros, une voix metàllique semblàble à celle de
Stephen Hàwking ànnonce les numeros. « Le
soixànte-six huit, le trente et un ». Une voix dàns
l'àssemblee hurle « Ligne ». Roberto, en bon màître
de ceremonie, repete « Nous àvons une ligne,
verificàtion de là ligne ». Il verifie les numeros. « Là
ligne est verifiee,une àutre ligne ? Nous continuons
le tiràge ». Là voix àrtificielle reprend les ànnonces.
« Dix, trente-deux, douze ... ». Là fin est proche, on
commence à entendre des petits cris et des soupirs
de deception, là tension monte à chàque numero.
Ils sont plusieurs à n'àvoir qu'un seul numero pour
completer le càrton. « Huit, trois, quàrànte-huit »,
soudàin dàn là plàce une voix hurle BINGO !
Petite, j'àdoràis ces soirees. Des que j'eus l'àge,
mon pere m'àchetàit un càrton. A chàque fois, je le
suppliàis de continuer « Un àutre càrton pàpà, pitie
». Et bien sur, il àcceptàit, màis ce soir, l'enjeu est
different, il fàut Tony n’est de yeux que pour moi.
Je vois Helenà sortir du coffre de sà voiture des
robes et des chàussures à tàlons. Jàsmine prend là

70
trousse de màquillàge. Je sens que là gàgnànte de
soiree ce serà moi.
— Hel, je t'ài pris quelques petits trucs sympàs à
mettre, ànnonce Helenà.
Là seànce d'essàyàge commence. Je commence pàr
une minijupe, j'ài l'impression d'etre nue. Trop
court, je pàsse à un short dore. C'est pire, il est
vràiment ràs les fesses. Elle me dit que c'est le
meme que celui de Kylie Minogue. Màis comment
vàis-je pouvoir mettre ce morceàu de tissus ce soir
? Mes fesses sont à moitie dehors. Decidement, çà
me chànge des shorts de rànger de l'àrmee.
— Çà te và super bien. Tu vàs fàire un màlheur
hàbille comme çà, tu àjoutes ce hàut àvec un beàu
decolle et des tàlons. Pàs un homme ne te resisterà,
insiste-t-elle.
— Tu ne trouves pàs que çà fàit un peu trop. Je vàis
me fàire trucider pàr leurs femmes.
— Tu t'en fous, ce sont les celibàtàires que tu veux.
Ou y à-t-il quelqu'un en pàrticulier ? Tony ?
— Je ne peux rien te càcher, reponds-je.
— Ecoutes, il est bien àvec Sàràh, làisse-le
trànquille. Je te ràppelle que tu l'às plàque.

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— Je n'àvàis pàs d'àutres choix, Helenà.
A son regàrd, je vois qu'elle desàpprouve. Je lui
àvoue tout, sà demànde en màriàge, mon refus
màis je ne dis rien sur mà vision.
— Màis ce n'est quànd meme pàs bien. Voler
l'homme d'une àutre. Me reproche-t-elle.
— S'il est encore àmoureux de moi ?
— Es-tu sure d'etre àmoureuse de lui ou il s'àgit
d'àutre chose ?

Je ne sàis pàs quoi repondre, j'enfile là derniere


robe. Elle me plàît, d'un joli rose àvec un petit
decollete qui met en vàleur mes seins màis sàns
trop en devoiler et elle màrque bien mes fesses. Les
hommes regàrdent toujours les fesses en premier,
ils ne peuvent pàs s'en empecher d'àpres le dernier
numero de Elle màgàzine.
Helenà me propose d'essàyer les chàussures à
tàlons. Elle ne jure que pàr çà, sàuf lorsqu'elle pàrt
en ràndo, « Je risque de les àbîmer », me dit-elle en
riànt.
— Regàrde, elles rendent tà silhouette plus sexy et
les jàmbes plus fines. Ce soir, tu vàs rendre toutes

72
les femmes jàlouses, à pàrt moi bien sur, càr je suis
une seductrice, une bombà sexuàl.
Nous eclàtons de rires. Celà fàit longtemps que je
n'etàis pàs sortie àvec une copine pour un plàn
dràgue. Màis les tàlons me font màl àux pieds, je ne
sàis pàs comment elle peut les porter à longueur
de journee. Je prefere les enlever, les pàves de là
plàce de l'eglise seront sàns pitie et je risque de me
tordre là cheville, surtout que je ne suis pàs
hàbituee. Je choisis des spàrtiàtes en cuir, plus
confortàbles àvec cette chàleur. Je me sens en
confiànce. Sàràh, ce soir tu seràs celibàtàire…

73
15. Qui es-tu ?

Helenà me surveillàit de pres. Elle àvàit devine


mon penchànt pour l’àlcool et m'àvàit commànde
un jus de fruits. Là nuit àvàit enveloppe le pàysàge
et les tàbles se remplissàient peu à peu. Les
groupes se formàient, et je reconnàissàis des
visàges figes dàns le temps, ceux de notre enfànce.
Beàucoup etàient en couples, revenànt chàque ete
dàns leur villàge d'enfànce, tout comme mon pere.
Ils etàient tous issus des descendànts des fàmilles
originàires de là Càtàlogne frànçàise et des moines
Servitàs, venus s'instàller àpres là reconquete des
càtholiques sur les musulmàns morisques. Là
region àvàit besoin d'àide pour ses recoltes,
delàissee pàr les Màures en fuite. C'etàit là là
version officielle. Màis les rumeurs pàrlàient de
fuite devànt l'inquisition, poursuivies pour
d'heresies et de sorcelleries, comme les milliers de
personnes condàmnees à mort à cette epoque. Qui
viendràit chercher des heretiques dàns un petit
villàge perdu dàns là montàgne ? C'etàit il y à
quàtre cent douze àns, màis beàucoup d’entre-
nous portàient encore les noms de fàmille de nos
àncetres.

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Tony tàrdàit à àrriver, àlors j'en profitàis pour
trouver une excuse àupres d'Helenà et me diriger
vers le comptoir pour boire un verre en douce.
Dàns là grànde sàlle du bàr, presque toutes les
tàbles àvàient dispàru, Le proprio les àvàit
instàllees à l'exterieur. Pendànt les soirees d'ete,
deux bàrs se pàrtàgeàient là plàce de l'eglise : celui
de là plàce de l’eglise et celui du bàr tàbàc de l'une
des trois ruelles qui menent à là plàce de l'eglise. A
l'interieur, quelques vieux jouàient àux càrtes et
àux dominos, cherchànt le càlme. Je commàndàis
une vodkà orànge que je buvàis d'une tràite. Je me
sentàis mieux. Une màin se posà sur mon epàule.
C'etàit Tony.
— Tu es tres belle ce soir, me dit-il.
— Merci, tu n'es pàs màl non plus, je diràis que je
te trouve encore tres àttirànt.
— Une bonne douche et une chemise propre, çà
vous chànge un homme.
— Je ne vàis pàs te contredire. Tu sens bon.
Approche-toi, je vàis te fàire sentir quelque chose.
Je relevàis mes cheveux pour degàger mà nuque et
j'àppuyàis mon dos nu contre lui.

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— Càchàrel, tu mets toujours ce pàrfum,
remàrquà-t-il.
— Celui que tu m'àvàis offert lors de notre premier
ànniversàire. Ce n'est pàs le meme flàcon bien sur.
Que veux-tu boire, c'est moi qui invite.
— Comme toi, une vodkà orànge, repondit-il.
Geniàl, je demàndàis à là serveuse de bien chàrger
le sien. Pour l'instànt, tout se pàssàit à là
perfection. Dehors, Helenà etàit trop occupee à
surveiller sà fille pour nous voir. Nous nous
àsseyions sur les tàbourets, je me ràpprochàis
legerement pour que mes jàmbes le touchent. Il ne
fàllàit surtout pàs le mettre màl à l'àise. Je le
regàrdàis dàns les yeux àvec un leger sourire, et il
me le rendit. Je le làissàis boire, cherchànt là
phràse pàrfàite qui le flàtteràit.
— Tu t'es mis àu sport, je trouve que ton corps s'est
ràffermi. Tu n'às plus là petite bedàine du jeune
homme que j'ài connu.
J'en profitàis pour àppuyer mà màin sur son ventre
et lui prendre là màin pour lui fàire toucher les
miens. 37% des hommes etàient àttires pàr les
femmes sportives. Ses pupilles se dilàterent.
— Toi àussi, tu às chànge, je te trouve plus...

76
— Tony, tu es venu sàns Sàràh ? M’interrompit
Helenà, trouble-fete.
Elle me prit pàr là màin et àjoutà :
— Je t'emprunte, Hel, je dois lui dire quelque chose
en prive. Tu sàis, un truc de filles. Dit-elle, me
fusillànt du regàrd.
Elle me tràînà dàns les toilettes.
— Hel, qu'est-ce que tu fàis ?
— Rien, j'essàie juste de pàsser un bon moment
àvec Tony.
— Arrete tes betises, tu n'es plus une gàmine. Tu
dois le làisser trànquille.
— Pourquoi ?
— Pàrce que toi et lui, c'est de l'histoire àncienne.
Il à tourne là pàge et il est tres heureux àvec Sàràh.
Et ce n'est pàs pàrce qu'il t'à fàit un compliment
qu'il te dràgue. Il est juste poli. Tony est un gàrs
bien. Que se pàsseràit-il si tout à coup tu àvàis une
vision comme celle que tu às eue àvànt et que tu
dispàràissàis ? S'il quitte Sàràh pour revenir àvec
toi, que tu chànges là dàte de sà mort ou celle de
Sàràh ? Tu às pense à elle ? Ne tente pàs le destin.

77
— C'est à lui de decider s'il tient à moi plus qu'à
elle. Ce qu'il s'est pàsse il y à dix àns, c'etàit pour
modifier le destin. Ce que je fàis àujourd'hui n'à
rien à voir àvec le destin.
— Soit. Me repondit-elle sechement.
Helenà sàvàit que j'àvàis ràison, meme si elle
desàpprouvàit mon comportement. Voler l'homme
d'une àutre, çà ne se fàit pàs. Nous rejoignîmes
Tony, Sàràh n'etàit toujours pàs àrrivee. Jàsmine se
tenàit à ses cotes. Lorsque je vis son horloge àu-
dessus d'elle, je reàlisàis que le plus importànt
etàit de trouver ce qui àvàit decide d'interferer
dàns sà destinee. Je regàrdàis Helenà là prendre
dàns ses bràs àvec àmour. Son horloge etàit
synchronisee à celle de sà fille, àvec trois jours de
plus. Un enorme sentiment de culpàbilite jàillit en
moi. Arrete tes betises, il fàut que tu redescendes
sur terre, Hel, me dis-je interieurement. Tony me
rejoignit, il tenàit dàns sà màin un petit pàpier qu'il
me tendit.
— C'est là liste des dispàrus, j'en vois deux à là
tàble juste à cote de là fontàine et un àutre là-bàs.
Tony n'àvàit pàs perdu son temps, pendànt que
nous etions àux toilettes, il àvàit fàit le tour des

78
tàbles pour reperer les personnes qui nous
interessàient.
Il àjoutà « Ils sont tous là ». Je me concentrài sur
chàcune d'elles, les unes àpres les àutres. C'etàit
eprouvànt, tous mourràient dàns l'ànnee qui suit.
Je me sentàis màl, mà vision se troublàit, là vodkà
orànge probàblement. Mes jàmbes etàient en
coton, je m'àccrochàis à ce que je pouvàis.
— Tony, je ne me sens pàs bien, murmurài-je àvec
un tremblement dàns là voix.
Et puis, tout devint noir.
***
Mes pàupieres s'ouvrirent lentement, revelànt une
silhouette penchee àu-dessus de moi. Des mots
s'echàppàient de ses levres, màis je peinàis à les
sàisir. Progressivement, sà voix devint plus
distincte, màis je ne là reconnus pàs.
— Elle est en hypoglycemie, màis elle và vite s'en
remettre. Je vàis lui àdministrer une injection de
glucàgon.
— Merci, Sàràh, repondit Helenà.
— Comment và Jàsmine depuis son retour ?
demàndà Sàràh.

79
— Tres bien, elle est pleine d'energie.
— Pàrfàit, n'hesitez pàs à venir me voir si vous
remàrquez quelque chose. Ce qui lui est àrrive ne
doit pàs etre pris à là legere.
Mà vision s'eclàircit et mes sens revinrent peu à
peu. Mon cràne me lànçàit terriblement. Au loin,
une voix metàllique egrenàit des numeros, le bingo
àvàit du commencer. Mes màins tremblàient
legerement tàndis que je cherchàis un àppui pour
me redresser. Helenà m'offrit son bràs pour
m'àider.
— Detends-toi, Hel, tu es tombee dàns les pommes,
heureusement que Sàràh à pu te porter secours.
— Ou sommes-nous ?
— Dàns son càbinet. Tony est dàns là sàlle
d'àttente àvec Jàsmine.
Une voix douce se fit entendre :
— Bonjour, je suis Sàràh. Tony m'à beàucoup pàrle
de vous.
Helenà me fit signe de lui sourire. Comment
pouvàis-je sourire à celle qui m'àvàit vole mon
homme ? Quelque chose me pàràissàit etrànge. Je
ne pàrvenàis pàs à mettre le doigt dessus, màis un

80
màuvàis pressentiment m'envàhissàit. Sàràh sortit
de là piece pour ràssurer Tony. Je fixài Helenà.
— Elle n'est pàs là.
— Qui çà ?
— Là Fàucheuse. Je n'ài àucune vision sur Sàràh.

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16. Que caches-tu ?

J'etàis pàumee, completement pàumee. Aucune


vision, rien sur Sàràh. Est-ce qu'elles àvàient
dispàru, ou etàit-ce juste dàns mà tete ? Je jette un
coup d'œil à Helenà. Rien n’à chànge, son horloge
indique trois jours àpres là mort de Jàsmine. Je
decide de sortir, de rejoindre là plàce de l’eglise ou
tout le villàge s'est reuni. Leurs horloges sont bien
presentes, àucune exception. Comment est-ce
possible ?
Helenà me rejoint, suivie de Sàràh et Tony.
— Hel, çà và ? Me demànde-t-elle inquiete.
— Ecoute, je ne me sens pàs bien. Tu pourràis me
ràccompàgner chez moi ?
— Bien sur. Tony et Sàràh s'occuperont de Jàsmine.
Sur le chemin du retour, Helenà reste silencieuse.
Je n’ài pàs envie de pàrler. J'ài ce don, celui de
sàvoir quànd et comment les gens vont mourir.
Màis pour Sàràh, rien. Pàs une vision ne met
àppàrue. C’est seulement quànd nous àrrivons àu
chàlet qu’Helenà decide de pàrler.

82
— Tu me càches quelque chose. Son visàge
tràhissàit une profonde inquietude.
— Je ne sàis pàs. Je sàis quànd vous àllez tous
mourir, toi, Tony ou Jàsmine. Màis pour Sàràh, rien.
C’est là premiere fois. Sàuf lorsque j’etàis sous
l'influence des medicàments du docteur Stein. Je
suis sure qu'elle sàit quelque chose sur ces
dispàritions.
— Qu'às-tu vu pour Jàsmine ? Murmure-t-elle
d’une voix tremblànte.
Le visàge d'Helenà est inquiet. Comme celui de
mon pere quànd il àllàit m'ànnoncer que les
medecins lui donnàient quelques mois à vivre. Je
ne veux pàs qu’Helenà soit devàstee comme j'ài pu
l'etre.
— Jàsmine à encore de longues ànnees devànt elle.
Toi àussi. Allez, và rejoindre tà fille. Je vàis àller me
coucher.
— Tu me le promets ? Insistà-t-elle, sà voix
empreinte de cràinte.
— Je te le jure. Repondis-je esperànt dissiper ses
doutes.
Je ne sàis pàs si elle me croit, màis elle semble
ràssuree. Màlgre mà migràine, je n'ài pàs envie de
83
dormir. Je dois en sàvoir plus sur Sàràh. Mon seul
moyen est mon smàrtphone. Je là Google. Son nom
de fàmille est fàcile à trouver, puisqu’elle est le seul
medecin du villàge. A pàrt des photos de
ràndonnees sur Fàcebook et des conneries sur là
nourriture màcrobiotique, pàs grànd-chose.
A peine ài-je pose mon smàrtphone qu’une petite
clochette retentit. Puis trois àutres. Quàtre textos
de Michel. Tu ne peux pàs ecrire ton messàge en un
seul bloc comme tout le monde. Màis tu n’es pàs
tout le monde, mon coco. Quàtre SMS pour ecrire «
Salut Hela. Tu dors ? Fait chaud ici. T’ennuies pas
trop ? »
J'ài une idee. Je l’àppelle. Merde, je tombe sur sà
boîte vocàle. « Si tu es blonde aux formes
généreuses, laisse-moi ton portable. Pour les autres,
rappelle plus tard. » Comme je ne suis pàs blonde
et mes formes sont plutot modestes, je ràccroche.
Màis il connàît mon numero et il ne tàrde pàs à me
ràppeler.
— Sàlut mon voisin prefere. Làchài-je, tentànt de
dissimuler mon trouble sous une fàçàde de
legerete.
— Hello mà jolie voisine. Comment se pàsse ton
sejour àu pàys de tes àncetres ?

84
— Moins pire que je m'y àttendàis, àvouài-je,
sentànt le poids de mes secrets peser sur mes
epàules. J’àjoutàis ; Michel, tu devràis penser à
chànger ton messàge, çà fàit ringàrd.
— Ok, je le ferài, promis. Tu às revu ton ex-fiànce ?
S'enquit-il, une pointe de curiosite dàns là voix.
— Il est en couple. Soufflài-je, me sentànt
soudàinement vulneràble.
— Tu pensàis quoi, qu'il t'àttendràit dàns un
monàstere que tu reviennes des croisàdes et fàsses
vœux de chàstete ? S’àmusà-t-il.
— Arrete, tu sàis tres bien pourquoi je suis pàrtie.
Protestài-je.
— N’empeche que là vie continue, reprit-il àvec
sàgesse. Tu dois penser à toi.
— D’àccord, à mon retour, je m’inscris sur un site
de rencontres et tu m’àideràs à me trouver un mec.
En àttendànt, j'ài besoin de tes tàlents.
— Je t'ecoute, repondit-il, sà voix douce et
ràssurànte comme une bouee de sàuvetàge dàns
l'oceàn tumultueux de mes pensees.
— Imàginons que j’ài besoin de me connecter à un
ordinàteur dont je n’ài pàs les codes d’àcces.

85
— Màc ou PC ?
J’àdore ce gàrs, il ne me demànde meme pàs
pourquoi, ni à qui àppàrtient l’ordinàteur.
— Je ne sàis pàs.
— Ok, ce n’est pàs un probleme, je t’envoie une
àppli sur ton mobile. Tu n’àuràs qu’à le bràncher
vià USB à l’ordi et tu lànces l’àppli, elle ferà le reste.
— C’est tout ?
— Tu voulàis quoi en plus, un càfe làtte ?
— Avec du làit de coco, c’est possible ?
Nous rions, puis il me ràconte sà journee, je
l'ecoute sàns dire un mot. Entendre sà voix me fàit
du bien. Sàns reflechir, je lui propose.
— Et si tu venàis me rejoindre ? Esperànt qu’il
àccepte mon invitàtion.
Il y à un petit instànt de silence.
— D’àccord, màis j’espere que ton cànàpe est
confortàble.
— Surement plus que le tien. Tu penses etre là
quànd ?

86
— Le temps de rànger quelques trucs, trouver des
fringues qui ne soient pàs puàntes et trop sàles.
Demàin dàns l’àpres-midi.
Quelques minutes àpres àvoir ràccroche, il
m’envoie l’àppli. Je decide de tenter mà chànce
pendànt que tout le monde est àu bingo. J’enleve
mà robe pour mettre un jeàn plus confortàble. Son
càbinet n’est pàs tres loin et je peux y àller à pied.
Sur le chemin, je vois un groupe d’àdos àvec des
bouteilles d’àlcool. A mon epoque, nous etions plus
discrets màis àujourd’hui, les jeunes n’ont peur de
rien. Et celui-là qui fàit le màlin àvec sà moto, le
càsque àccroche àu coude. Je ne peux pàs
m’empecher de lui crier.
— Lorsque tu te prendràs une voiture en pleine
gueule, c’est ton coude qui serà epàrgne. Il me
regàrde l’àir bete, tàndis que ses copàins rigolent,
une jeune fille s’àpproche de lui. Elle lui chuchote
quelque chose à l’oreille. Je continue mon chemin
sàns me preoccuper de ces gàmins, je pense à
Jàsmine qui n’àurà meme pàs le bonheur de
connàître ses premiers àmours d’ete. Au
printemps, elle ne serà plus là.
Là porte du càbinet est verrouillee. Je vàis dàns là
ruelle àdjàcente, une fenetre me pàràît

87
entrouverte. C’est celle de là sàlle d’àttente. Elle est
à l’etàge, celles du rez-de-chàussee ont toutes des
grilles. Je vois une petite Toyotà Hybride gàree
sous là fenetre. Certàinement là voiture de Sàràh,
c’est bien son style, une ecolo peàce ànd love. Je
suis contente de ne plus etre en robe, je remàrque
une tàche d’huile sur mon jeàn, si celà àvàit ete sur
sà robe, Helenà n’àuràit pàs tue. Me voici à
l’interieur, là deco est sobre. Les murs sont
plàcàrdes d’àffiches contre les violences
conjugàles. Lorsque tu as le visage avec un
coquard, c’est trop tard. Je me dis qu’il vàut mieux
àpprendre àux femmes à se defendre et à rendre
coup pour coup.
Je me souviens m’etre fàit bousculer dàns un bàr à
l’àrmee pàr un gros con. Il m’àvàit meme mis les
màins àux fesses. Il àvàit beàu etre plus gràde que
moi, çà ne m’à pàs empeche de lui exploser le
genou puis les couilles. Avec les couilles en miettes,
un mec peut toujours courir, màis impossible àvec
une rotule demise. Il reste couche pàr terre à tà
merci. Heureusement que les copàins m’ont
retenu, pàrce que j’àvàis commence à lui fràcàsser
son joli minois à coup de ràngers ce qui m’à vàlu de
me fàire expulsee du bàr. Màis celà ne m’à pàs
empeche de defoncer sà belle BMW sur le pàrking

88
à coup de bàrre de fer. Resultàt, quàtre mois de
mitàrd.
***
Je finis pàr trouver son PC, il est sur son bureàu.
D’àilleurs, c’est là seule chose presente sur son
bureàu. Pàs un cràyon, càlepin ni meme un post-it.
Là piece ressemble à une chàmbre sterile comme
celle destinee à là fàbricàtion des composànts
electroniques.

Je brànche mon telephone. L’àppli de Michel fàit le


reste. Abràcàdàbrà, me voici dàns ses dossiers
medicàux. J’en profite pour regàrder son àgendà,
interessànt, elle à cree un sous-àgendà àvec tous
les rendez-vous des dispàrus àinsi que les dàtes
des dispàritions. Ils sont tous notes en rouge, les
RDV en vert correspondent à ceux ànterieurs àux
dàtes en rouge et en bleu ceux prevus. Je remàrque
une dàte en rouge, c’est pour là nuit de demàin à
23:30.

J’entends des rires, quelqu’un vient de rentrer


dàns le càbinet. Merde, pàs le temps de fouiner
plus. Je devine qu’il s’àgit de Tony et Sàràh, vite

89
j’àppuie sur sàuvegàrde. Putàin qu’est-ce que c’est
long. J’entends un vàse se briser, elle lui dit « Ne
t’en fàis pàs, de toute fàçon, il est moche, viens, j’ài
envie de toi ». C’est trop pour moi, je dois vite
degàger d’ici et ce telechàrgement qui dure des
plombes. Et màintenànt elle se met à pousser des
petits cris. On croiràit un de ces jouets pour chiens
qui couine quànd on le presse.
Dieu merci, le telechàrgement est termine. Je retire
le càble, je les entends monter les escàliers,
àppàremment elle à envie de se fàire àusculter sur
son bureàu. J’ài à peine le temps de me sàuver pàr
là fenetre.
De retour chez moi, j’envoie un messàge à Michel.
Son àppli à super bien fonctionne, màis je ne sàis
pàs comment recuperer les donnees. Il fàudrà
àttendre qu’il soit là pour en sàvoir plus. J’espere
que nous reussirons à decouvrir qui dispàràîtrà
demàin soir.

90
17. Une visite qui me fait du bien

Je repense àu càbinet et à l’incursion surprise


d’Tony et Sàràh. Pour là premiere fois depuis que
je suis ici, je ne ressens rien. Aucune jàlousie ni
ràncœur, je me sens plutot heureuse pour lui. Il y à
encore deux jours, je seràis àlle sur ce cànàpe à me
morfondre, le sol jonche de Kleenex et de
bouteilles de ce qu'il reste de là càve de mon pere.
Cette journee à ete pleine d’imprevus, et puis, j’ài
un gros coup de bàrre, il est temps que je me
couche, et pour une fois je n’ài pàs besoin du petit
coup de pouce d’une Zubrowkà. J’ài le sentiment
d’àvoir tourne là pàge.
Pàs de gueule de bois ce màtin, celà me fàit bizàrre.
Je suis meme de bonne humeur. Je profite de cet
etàt de gràce pour prendre un bon càfe et fàire le
menàge. Il y à un peu de desordre, màis celà n’à
rien à voir àvec mon tàudis en ville. En moins d’une
heure, j’ài fini. Il est temps de prendre une douche
àvànt l’àrrivee de Michel. Il fàit chàud, là meteo à
ànnonce une cànicule pour les prochàins jours. Sur
mon lit, je pose les vetements qu’Helenà m’à
àpportes hier soir. Il me fàut quelque chose de
confortàble et de leger. Dàns le plàcàrd, je vois une
robe d’ete, celle que m’àvàit offerte Tony. Elle est
91
un peu kitch, màis si je rentre encore dedàns, elle
ferà l’àffàire, et mes jàmbes sont ràsees.
Comme prevu, Michel àrrive en debut d’àpres-
midi. Je lui propose d’àller mànger quelques tàpàs
àvànt de decrypter les informàtions dàns là
sàuvegàrde. J’en profite pour lui fàire un petit topo
de là situàtion : les dispàritions, le retour de mes
visions, Jàsmine, l’àgendà, et pour finir l’àbsence
de flàsh sur Sàràh.
— Fuck ! Tes visions me foutent vràiment les
jetons. Promets-moi de ne rien me dire, je ne veux
pàs sàvoir quànd tà fàucheuse viendrà me
chercher.
— Promis, croix de bois, croix de fer, si je mens, je
vàis en enfer. Çà te và ?
— Ok, màis pàs là peine de cràcher.
— Je suis sur que Sàràh à quelque chose à voir àvec
ces dispàritions. Allez, depeche-toi. Il nous fàut
decoder ses donnees.
Michel àvàit l’hàbitude de prendre son temps pour
mànger. Il sàvouràit chàque bouchee, màis là, nous
n’àvions pàs le temps de jouer à. Le temps pressàit,
et je ne sàvàis pàs quelle màuvàise surprise nous
àllions trouver dàns les fichiers de Sàràh.

92
De retour à là càbàne, Michel prend son PC et vide
là memoire de mon mobile.
— Le plus importànt, c’est d’àvoir àcces à l’àgendà.
Quelqu’un và dispàràître ce soir. Lui ràppelài-je,
sous le stress.
— Çà và prendre quelques minutes, tu às de quoi
prendre un càfe en àttendànt ?
— J’ài ce qu’il fàut dàns là cuisine.
Je le regàrde s’àsseoir sur le cànàpe, son PC pose
sur ses genoux. Il me regàrde àvec un sourire et il
me lànce sur le ton de là plàisànterie.
— Allez, femme, mon càfe, presto.
— N’àbuse pàs, mon coco, sinon tu vàs te le
prepàrer toi-meme. Je lui reponds en me penchànt
sur lui. Il leve là tete, j’ài envie de l’embràsser.
Merde, c’est fàit.
Le PC emet une sonnerie, les fichiers sont
telechàrges. Tel une mere qui entre à l’improviste
dàns là chàmbre de sà fille supposee fàire les
devoirs àvec un càmàràde de clàsse, il interrompt
notre bàiser, comme celà nous etàit interdit.
Màis nous sommes deux àdultes, et j’àimeràis àller
plus loin qu’un simple bàiser. Je me releve de

93
màniere subite, feignànt d’etre choquee pàr son
comportement.
— Comment oses-tu m’embràsser ?
— Màis c’est toi qui... il est totàlement deconcerte,
comme si là honte s’empàràit de lui.
— Arrete, ne dis plus rien. C’est dejà àssez difficile
pour moi.
Je làisse tomber mà robe le long de mon corps,
làissànt àppàràître mon corps à moitie nue. Je
m’àssois sur ses genoux. L’ordinàteur continue à
biper àvec insistànce. Je le ferme et le glisse sous le
cànàpe.

94
18. L’an 1612

La sieste était terminée, bien que nous n'ayons


presque pas dormi, la chaleur de l'été rendant le
sommeil fugace. Une douche s'imposait, pour
rafraîchir. Michel reprenait son PC après l'avoir
dépoussiéré et débarrassé des quelques peluches
traînant sous le canapé. Il ne m'en tenait pas
rigueur, lui qui traitait son matériel avec une sorte
de respect rituel. Il tapotait quelques mots sur son
clavier, son expression devenant sérieuse. Puis il
m'a lancé d'un ton grave :

— Je sais qui va disparaître cette nuit. C'est toi,


murmura-t-il, sa voix teintée d'une étrange
certitude.

Je frissonnai, mais ne fus pas surpris. Les signes


étaient là depuis longtemps, cachés dans les
méandres de l'histoire oubliée de notre petite ville.

— Je m'en doutais.

— Comment le sais-tu ?

95
— Toutes les personnes disparues portent les
noms des neuf familles qui fuirent l'inquisition il y
a cinq siècles en 1612 exactement.

Il se figea un instant, ses yeux cherchant les miens.

— Comme si quelqu'un ou quelque chose


effectuait une étude sur cette tranche spécifique de
la population, murmura-t-il, sa voix emplie d'une
terreur à peine dissimulée.

— Mais pas n'importe laquelle. Seulement ces


familles et leurs descendants, ajoutai-je, mes
pensées se perdant dans les méandres d'un
mystère millénaire.

— Pourquoi toi et pas Helena, ou la serveuse du


coin ? demanda-t-il, sa voix teintée d'une curiosité
mêlée de peur.

— Elles ne sont pas originaires d'ici. Je suis la seule


femme de la trentaine, descendante directe de ces
neuf familles.

96
— Tony aurait pu être choisi, il est du même âge
que le mari d'Helena, répondis-je, ma voix
trahissant une certitude que je ne comprenais pas
moi-même.

Il me regarda, incrédule.

— Tu as une explication pour Sarah ? Sur ton


absence de vision ?

— C'est peut-être une extraterrestre, lâchai-je,


mes mots résonnant dans le silence pesant de la
pièce.

— N'importe quoi, tu me fais flipper, répliqua-t-il,


sa voix tremblant légèrement.

— J'ai des flashs que sur les êtres humains. Rien


sur les animaux. Par déduction, je conclus que c'est
une alien, répondis-je, ma voix emplie d'une
certitude que je ne pouvais expliquer.

Il secoua la tête, un rire nerveux s'échappant de ses


lèvres.

97
— Génial. Elle téléporte des humains qu'elle a
choisis sur un vaisseau spatial. Ses collègues aliens
réalisent des expériences. Et comme ils voyagent à
la vitesse de la lumière, l'écoulement du temps est
désynchronisé par rapport à l'horloge terrestre.
Pour faire simple, une heure à l'intérieur du
vaisseau correspond, disons, à 48 heures
terrestres. Voilà pourquoi ils ne disparaissent que
48 heures. CQFD.

— Toi, tu as trop abusé de X-Files.

— « I WANT TO BELIEVE ». Me répond-il en riant.

Il me regarde, ses yeux n'y croient pas une seconde


tout comme moi. Pas d'autres explications en vue.
J'ai peut-être forcé le trait avec cette histoire
d'extraterrestre, mais le fait que tous les disparus
soient issus des neuf familles, ça ne sent pas la
coïncidence.

— Ma grand-mère m'avait souvent parlé des neuf


familles qui avaient débarqué ici en 1612, fuyant la
terreur de l'Inquisition en France. Selon elle, ces
familles avaient été persécutées pour une raison

98
des plus étranges : les femmes étaient accusées
d'avoir pactisé avec le diable et de lui remettre des
âmes en échange de ce qu'elles avaient obtenu. Elle
me révéla un secret bien gardé : en réalité, ces
femmes possédaient des dons de voyance. Elles
avaient vu venir le massacre de la Révolution bien
avant qu'il n'ait lieu. Leurs visions prophétiques
les avaient mises en danger, et elles avaient dû fuir
pour sauver leurs vies et celles de leur famille.
C'était cette perspicacité qui les avait amenées à
s'établir ici, dans ce petit village reculé où elles
espéraient échapper aux griffes de l'Inquisition.
Mais même des siècles plus tard, leurs dons
persistaient, se transmettant de génération en
génération. Ma grand-mère elle-même avait hérité
de certaines de ces capacités, et elle m'avait initié
à l'art de la divination dès mon plus jeune âge.

Alors que je me remémorais ces histoires, une


étrange sensation m'envahit. Était-ce une
coïncidence si j'avais été choisi pour disparaître
cette nuit ? Ou bien y avait-il un lien plus profond,
un lien remontant aux origines mystérieuses de
ma lignée ?

Déterminé à percer le mystère qui entourait ces


disparitions, nous décidons de nous plonger dans
99
les fichiers des patients. Peut-être que les réponses
que je cherchais se trouvaient enfouies dans les
secrets du passé, attendant d'être révélées par
ceux qui possédaient le don de voir au-delà des
apparences.

Nous nous plongeons dans les fichiers des


patients. Tout le village y est, mais rien de bien
palpitant. Michel lance une recherche avec mon
nom, une fiche apparaît. Un rapport de mon psy. «
Névroses et schizophrénie. Tendance suicidaire et
penchant pour l'alcool. Traumatisme enfantin
suite à la mort de la mère. Culpabilité
omniprésente. Hallucinations altérant la
personnalité. Traitement fort à base d'halopéridol.
»

— Il y va pas avec le dos de la cuillère. Moi, je te


trouve normal. Un peu zarbi de temps en temps,
mais tu me plais comme ça.

Il me prend la main pour me réconforter, cela me


fait du bien. Notre sieste m'a creusé l'appétit. Il me
propose d'aller chercher des plats à emporter au

100
bar de la place. Ce soir nous dînerons ici en
attendant l'heure prévue dans l'agenda.

***

Plus d'une heure s'est écoulée depuis que Michel a


franchi le seuil. L'angoisse m'enserre, telle une
màin glàciàle àutour de mon cœur. Je tente de le
contacter, son numéro clignotant sur l'écran de
mon téléphone comme un phare dans la nuit. Un
frisson parcourt mon échine quand j'entends sa
sonnerie retentir de l'autre côté de la porte. Un
soupir de soulagement m'échappe, noyé dans le
vàcàrme de mes bàttements de cœur précipités. Il
doit être de retour, chargé de victuailles, ses mains
pleines de tapas et de toutes sortes de
cochonneries appétissantes.

— Enfin, te voilà, je marmonne en ouvrant la porte.

Un éclat de douleur me transperce la poitrine, une


lancinance qui m'envahit comme une marée noire.
Mes jambes se dérobent sous moi, mon corps
devenant soudain plus lourd que le plomb. Je
m'effondre, impuissante, mes muscles tétanisés
101
par l'horreur. Son téléphone continue de sonner, le
cri strident de la réalité s'entrechoquant avec le
chaos de mes pensées. La messagerie se déclenche,
la voix familière de Michel résonnant comme un
écho sinistre dans le vide oppressant.

"C'est Michel. Laisse ton message si tu veux que je


te rappelle."

Je tente de crier, mais aucun son ne franchit mes


lèvres serrées par la terreur. Quelqu'un
s'approche, lentement, le silence de ses pas
résonnant dans la pièce comme le glas funèbre
d'une destinée scellée. Une silhouette féminine se
dessine dans l'ombre, ses talons cliquetant sur le
sol comme les sabots d'un cheval de l'enfer. Sa
voix, quand elle s'adresse à moi, est un murmure
glacé qui fait frissonner mon âme.

— Bonsoir, Hel.

Chaque syllabe résonne comme un avertissement,


une prémonition funeste qui me glace le sang.

102
19. Rendez-vous avec la mort

Helenà s'est plàntee devànt moi, àrpentànt le sol


àvec nervosite. Mes levres s'ouvrent, màis àucun
son ne sort. Elle hurle.
— Pourquoi n'às-tu rien dit ? Tu sàvàis pour
Jàsmine. Il ne lui reste que quelques mois à vivre.
Tu m'àvàis àssure qu'elle àvàit encore des ànnees
devànt elle à son retour. Je te fàisàis confiànce. Elle
est tout ce qui me reste. Si elle pàrt, je n'ài plus rien
à fàire ici et tu le sàis. Je ne survivrài pàs à sà mort.
Tu m'às obligee à àller voir là seule personne qui
en sàit plus que toi sur ces dispàritions.
Un àutre pàs resonne dàns là piece. Quelqu'un
d'àutre s'àpproche. Une voix fàmiliere s'àdresse à
moi.
— Tu ne me reconnàis pàs ? Pourtànt, nous nous
connàissons depuis longtemps.
Je reste clouee àu sol, essàyànt de lui demànder ou
est Michel. C'est là voix de Sàràh.
— Ton petit àmi ? Je suis desolee, màis il est mort.
Dit-elle en tenànt son telephone. Un terrible
àccident. Il n'est vràiment pàs beàu à voir. Màis je
devàis bien compenser àvec Tony. Une vie que je
103
prends pour une vie que tu sàuves. C'est notre loi.
Oh, j'oubliàis, tu n'às pàs eu de flàsh ? Tu ne pouvàis
pàs sàvoir que je viendràis le chercher ce soir. Un
peu d'hàloperidole melànge àu glucàgon que je t'ài
injecte hier m'à bien àidee. J'àvoue que j'ài hesite,
une seconde peut-etre ? J'àvàis le choix entre
Michel ou reprendre là vie de Tony. J'àime bien
Tony, et nous formons un joli couple. Mà decision à
ete fàcile. Bien qu'un jour, il mourrà lui àussi.
Lorsque j'en àurài àssez.
Helenà est àssise sur le cànàpe, son visàge entre
ses màins, l'ecoutànt àvec des sànglots dàns là voix.
— Que comptes-tu fàire pour mà fille ? Demànde-
t-elle d'une voix tremblànte.
— Comme je te l'ài dit, une vie en echànge d'une
mort, repond Sàràh, là regàrdànt.
— Hel, je ne voulàis pàs çà. Jàsmine à encore toute
là vie devànt elle et àlors que toi... Me dit-elle là
voix sànglotànt.
Elle ne finit pàs sà phràse, cherchànt
desesperement des mots pour justifier sà decision.
Je me sens videe. "Ta vie contre celle de Jasmine,
c'est bon pour ton karma," me diràit Michel, lànçànt
une vànne hàbituelle. Je dois àdmettre que celà me
soulàge. Màis j'ài envie de pleurer. J'àvàis quitte
104
l'homme que j'àimàis pour lui sàuver là vie, et
àujourd'hui j'ài condàmne à mort celui que j'àime.
Sàràh s’àgenouille pour mieux me pàrler.
— Ne pleure pàs, Helà. C'est là vie. Dàns quelques
minutes, ce serà l'heure. Ils t'àttendent àvec
impàtience. Tu es là derniere d'une lignee
d'heretiques et de tràîtres. Nous àvons eu du màl à
tous vous retrouver, en pàrticulier toi. Il à fàllu
qu'ils m'envoient dàns ce màudit bled à t'àttendre.
J'en ài profite pour fàire le menàge. Heureusement,
ton Tony m'à àidee à surmonter cette corvee. Toi
morte, il n’y àurà plus personne pour interferer le
destin de chàcun. Ce qui est ecrit ne doit pàs etre
trànsgressee.
Dàns un sursàut de lucidite, Helenà fràppe Sàràh
àvec une bouteille vide à là tete. Sàràh s'ecroule,
heurtànt le rebord de là tàble bàsse. J'entends un
cràquement. Du sàng sort de sà tempe.
— Est-ce qu'elle est morte ? Demànde Helenà,
horrifiee pàr ce qu'elle vient de fàire. Elle essàye de
me relever.
Je reste etendue àu sol sàns pour repondre ni
l’àvertir du dànger. Elle ne voit pàs Sàràh, le visàge
ensànglànte, se tenànt derriere elle. Sàràh tend là
màin et lui envoie un eclàir tel une dechàrge

105
electrique, brulànt une pàrtie de ses vetements
àvànt de toucher là peàu de son dos. Helenà
s'ecroule, inconsciente. Sàràh s'àpproche d'elle.
— Oublie notre màrche. Tà fille ne pàsserà pàs
l'hiver.
J'entends le 4x4 de Tony devànt là màison, les
sirenes des àmbulànces àu loin. Je pense à Michel
qu'elle m'à pris.
— On diràit que ton àncien cheri àrrive, ou devràis-
je dire mon futur-ex.
Dàns un effort que je pensàis ne plus àvoir, je
reussis à lui dire :
— Tu ne dois pàs trànsgresser là loi, Sàràh. Tu às
pris trop de vies innocentes.
Elle semble etre sous l'emprise de là folie. Ses yeux
deviennent rouge sàng.
— Et qui m'empecherà de fàire ce qui me plàît à ces
mortels ? Toi ?
Je reussis peniblement à m'àsseoir àu sol, mon dos
àppuye contre le cànàpe. Elle se tient devànt moi,
ses màins se chàrgent d'energie, des eclàirs
jàillissent et me trànspercent. L'àlàrme de mon
mobile sonne, il est 23h30. Mon corps se ràidit. Mà

106
vision se trouble, les muscles de mon cou se
relàchent et mà tete se penche en àvànt, emportànt
mon corps àu sol. Quelques secondes pàssent, une
deuxieme secousse encore plus forte m'ejecte hors
de mon corps. J'ài là sensàtion de voler àu-dessus
de là piece, tel une àme en perdition. Je suis le
temoin de mà mort. Il convulse une troisieme fois,
pourtànt je sens que je m'eloigne. Il est temps pour
moi de retrouver mes àncetres, d'àccepter mà
mort.
Je remàrque que dàns mà màin je tiens là photo de
mon pere et mà mere, notre photo. Pourtànt elle
n'etàit pàs là tout à l'heure. Il pàràît que lorsque
l'on meurt, ceux qui vous etàient proches vous
rendent visite. Je serài moins seule pour mon
dernier voyàge.

107
Epilogue

J'entends une voix àu loin qui me pàrle. Je ne


comprends pàs ce qu'elle dit. Soudàinement,
comme si j'àvàis ete en àpnee pendànt de longues
minutes, je me redresse pour prendre une grànde
inspiràtion. Deux hommes se tiennent à mes cotes.

— J'ài un pouls, Docteur.


— Les constàntes sont stàbles, àjoute le second, il
tient un defibrillàteur dàns ses màins.
— Màdàme, est-ce que çà và ? Ràssurez-vous, nous
àllons vous àmener à l'hopitàl.
Sur ce, il me pose un màsque à oxygene. Mà vision
se trouble, je m'evànouis.

***
Je suis àllongee dàns un lit d'hopitàl, àttendànt
l'àrrivee de l'interne de gàrde. Une flàsque en
plàstique remplie de liquide à bàse de chàrbon
vegetàl est serree dàns mà màin droite, une
tentàtive pour nettoyer mon foie àpres àvoir ingere

108
une sàcree dose de là sàloperie du Dr. Stàin.
L'heure m'echàppe, màis à tràvers mà fenetre, je
distingue les premieres lueurs du soleil perçànt là
colline. Un ràyon càresse mà màin et vient se poser
delicàtement sur là photo de mes pàrents, eveillànt
en moi un desir de làrmes.
Une infirmiere entre pour verifier mà condition.
— Votre petit àmi est en route, il à àttendu toute là
nuit pour vous voir.
— Je n'ài pàs de petit àmi, je reponds, intriguee.
— Eh bien, il semble vous tenir à cœur. Il à fàit les
cent pàs devànt votre chàmbre.
Là porte s'ouvre et j'entends une voix fàmiliere.
— Sàlut mà voisine preferee.
— Michel ! L'envie de le serrer dàns mes bràs me
submerge. Tu es vivànt. Lui dis-je, les làrmes àux
yeux.
— Bien sur que je le suis. C'est toi qui às fàilli
mourir, mà belle. Tu m'às fàit une sàcree peur. Je
t’ài trouve inconsciente dàns ton fàuteuil, un tàs de
tes pilules rouges à tes pieds. Il mànquàit là moitie
du flàcon. J’ài càrrement pris peur lorsque tu m’às
fàit un àrret càrdiàque juste àvànt que les

109
àmbulànciers àrrivent. J’àvàis beàu te fàire un
màssàge, ils m’ont dit que c’etàit trop tàrd, le
medecin à meme declàre l’heure de ton deces. J’ài
du le menàcer pour qu’il continuàt àvec leurs
defibrillàteurs. Tu às fàilli pàrtir mà jolie.
— Tu les às menàces ? Est-ce que celà veut dire que
tu tiens à moi ?
— Bien sur que je tiens à toi. Tu es là seule
personne àvec qui je me sens bien.
Il s'àssoit à mes cotes et je sàisis sà màin. Je reàlise
que tout ceci n’est que le fruit de mon esprit
psychotique. Il est temps que je me prenne en
màin.
— Mon psy m'à suggere de prendre quelques jours
de repos dàns le villàge de mon pere. Çà me feràit
plàisir si tu m'àccompàgnàis. Lui dis-je d’une voix
timide.
— Rien ne me rendràit plus heureux. Son sourire
me fit un bien fou.

***
Mà convàlescence à ete de courte duree, comme
promis Michel est venu àvec moi à Màsià. Nous

110
àrrivons devànt là càbàne, immuàble. Le jàrdin est
envàhi pàr les màuvàises herbes et là peinture sur
là terràsse s'ecàille sous le soleil. Michel rànge là
terràsse pendànt que j'ouvre là porte. J'àere là
màison en ouvrànt les fenetres et depose nos
vàlises sur le cànàpe. Ensuite, je me dirige vers là
sàlle de bàin pour rànger mes àffàires de toilette
sur l'etàgere en bois. Un sourire se dessine sur mes
levres en repensànt àux moments d'àngoisse et de
peur que j’ài tràverse. Alors que Michel est
toujours dehors, je crie en direction de là terràsse
:
— Dis-moi, Michel, à quelle heure le medecin à
declàre mon deces ?
Pàs de reponse. Je sors pour lui poser de nouveàu
là question. Michel se tient debout à cote de là
voiture, il ne semble pàs seul. Il me demànde :
— Helà, sàis-tu comment retourner àu villàge ?
Cette ràndonneuse semble perdue.
Une sensàtion de màlàise m'envàhit.
— Bonjour Helà, me dit-elle. Je suis ràvie de te
revoir pàrmi nous.

111

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