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La case aux serpents

À Brazzaville, quatre jours après le départ des deux petits aventuriers,


la SCF ( Service de contrôle de la flottille) signala à la police de la disparition du
canot à moteur appartenant à M. Auguste Dubois, ingénieur au service des
Mines. La radio se saisit de la nouvelle et en fit un fait divers fort amusant et plein
d'humour. La speaker l'annonça ainsi après les actualités africaines : << Les
caïmans congolais volent un bateau ! Oui, les caïmans du Congo en ont eu assez de
ramer avec leurs lourdes pattes, de ramper ou de nager. Ils veulent eux aussi profiter
des nouvelles techniques>>. Pour ce faire, ils ont emporté le canot à moteur
surnommé le silure (c’est à croire que s'est conclue une véritable entente entre
animaux aquatiques) dont le propriétaire est M.A.Dubois, fonctionnaire au service
des Mines à Brazzaville. A poto-poto et à Bacongo, les congolais commentaient
avec force, fantaisie et passion l'évènement. D'aucuns affirmaient que c'était un coup
des fameuses <<Mami-wata>> qui rôdaient nombreuses autour de la flottille ;
certains déclaraient avec tout le sérieux du monde que le vol avait été commis par
les brigands, de la célèbre << Compagnie-Kitounga>>, dont le siège se trouvait a
Léopoldville.

Pendant ce temps, le voyage des deux petits compères se poursuivait normalement.


Ils en étaient au premier matin après leur départ d'Ifula-Mbao et leur bateau évoluait
le Long de la rive quand, sans s'annoncer au préalable, survint une rafale
impérieuse. Au-dessus des arbres et des flots pris soudain d'une étonnante agitation,
le ciel s'assombrit. Panique dans la forêt riveraine où les oiseaux se mirent à fuir
dans tous les sens.
Peur panique dans la brousse où l'on voyait courir antilopes et biches affolés.
Angoisse redoutable chez les petits navigateurs qui cherchaient en vain un endroit
où se garer. Le silure avançait péniblement, luttant avec opiniâtreté contre les flots
du fleuve en furie. Diba tenait bon le volant. Ngoye à côté de lui, demeurait assis
avec un calme imperturbable ; il devait éviter de distraire le capitaine en ces
moments si graves. Au plus fort de la tempête, il dit cependant :
- Il va falloir accoster, Diba.
- Je ne comprends pas ce que tu dis.
- Je dis qu'il va falloir accoster, cria très haut Ngoye.
- C'est aussi mon avis, rétorqua Diba sur le même ton, mais tu vois bien que la rive
est abrupte par ici.
- Pourtant il faut bien .... Attends, reviens un peu vers le large, on avancera
certainement plus vite.
Diba tourna légèrement le volant et le canot amorça un mouvement vers le large.
Mais la surface du courant, prise dans le tourbillonnement qui commençait à se
manifester, ne facilitera pas la progression de l'embarcation. La rafale grondait
toujours. Comble des combles, le ciel jeta au milieu de cette tourmente un orage
furieux qui ôta toute visibilité.
- On ne peut plus continuer, déclara Diba qui se débattait avec son volant, je vais
revenir vers la berge puis on va aborder n'importe où.
- Oui, tu as raison, il faut revenir vers la rive.
L'eau d'une vague qui s’engouffra dans sa bouche empêcha Ngoye de poursuivre. Il
poussa un cri tandis que son ami tournait avec énergie le volant vers la gauche. Le
silure fit un tour complet sur lui-même avant de foncer vers la rive dans une course
effrénée qui effraya Ngoye. Par un admirable réflexe, Diba parvint à ralentir la
vitesse de la machine, à manœuvrer doucement le volant et à diriger le canot vers ce
qui lui semblait être une poche ou une brèche faite dans la paroi raide du bord. Ils y
arrivèrent sans problème. Ils quittèrent la barque, la tirèrent un peu hors de l'eau et
l'attachèrent solidement au contrefort d'un arbre géant dont la cime là haut défiait la
force du vent. Puis ils entreprirent d'escalader la berge en suivant un minuscule
sentier transformé en torrent. Ils débouchèrent dans la brousse devant une cabane.
Sans hésiter, ils poussèrent la porte en écorce de parasolier et entrèrent. L'ombre la
plus totale, car les murs étaient recouverts de torchis, régnait à l'intérieur, une odeur
de moisissures flottait dans l'air moite. Diba alluma la lampe torche et envoya le
faisceau lumineux dans chaque coin. Que des calebasses, de vieux paniers et
quelques nasses. Au milieu de la pièce, Le traditionnel foyer avec quelques bûches
et des brindilles recouvertes de cendre froide. Ngoye entreprit de les rassembler et y
mit le feu avec le briquet de M. Dubois. Chacun s'assit sur l'un des trois rondins de
bois qui encadraient le foyer en tendant les bras engourdis vers la belle flamme.
Dehors, l'orage n'arrêtait pas de tourmenter les êtres vivants avec ses roulements de
tonnerre, ses éclairs qui zébraient le firmament, sa tempête qui grondait comme mille
troupeaux de buffles en fuite furieuse.
Ils renouèrent la conversation, quand tout à coup un petit bruit venu de derrière les
calebasses interrompit la conversation. Où plutôt deux bruits : un sifflement bizarre et
le frottement sourd des gourdes en bois.
-Diba, tu n'entends rien ?
- Si ! On dirait de la vapeur s'échappant par un petit trou, puis le bruit des
calebasses qui s'entrechoquent.
- J'ai entendu la même chose. Qu'est ce que ça peut être ?
- Je ne sais pas moi, ce n'est peut-être rien ...
Voyons qu'est ce que tu disais déjà ? ...
Le bruit de renouvela. Les oreilles des deux amis se dressèrent, leurs yeux se firent
plus interrogateurs. Ngoye raviva le feu. Diba ralluma la lampe torche dont le
faisceau balaya l'endroit suspect. La peur figea son regard et immobilisa ses cordes
vocales. Ngoye qui le surveillait laissa échapper un cri d'épouvante :
- Ah ! Un serpent...
Il bondit et vint à côté de Diba qui gardait la lampe torche braquée sur la tête du
reptile, un gros serpent noir de l'espèce venimeuse, qui avançait lentement, sans
doute ébloui par la lumière.
- Ne reste pas là comme ça, Ngoye . Fais quelque chose, cherche un bâton !
- Un bâton ? Mais il n'y en a pas, dans cette cabane, répondit Ngoye qui commençait
à trembler.
- Alors, donne moi le sac, ordonna Diba. La machette est dedans.
- J'ai peur de bouger d'ici, Diba, j'ai peur.
- Grouille toi, mon vieux ! Ce serpent va attaquer d'un moment à l'autre.
Machinalement, Ngoye saisit le sac qui était à quelques par derrière lui et le passa
à Diba.
- Mais ouvre-le, bon sang ! Tu vois bien que je surveille cette sale bête.
Ngoye ouvrit non sans mal le sac tellement il tremblait, prit la machette et la tendit
à Diba.
Celui-ci la saisit, se releva et fit quelque pas en direction du reptile, la torche dans la
main gauche. Quand il jugea la distance propice, il lâcha d'un trait son arme qui en
s'abattant sur la tête du serpent, s'enfonça dans le sable et y resta plantée, clouant
en même temps au sol la bête immonde. Le serpent se débattit, s'en tortilla autour du
grand couteau et agonisa tout doucement. Une longue agonie qui parut interminable
aux deux amis qui contemplaient la scène, horrifiées. Ngoye poussa un long soupir
en s'accroupissant devant le foyer. La pluie tombait toujours avec la même intensité.
Une heure s'était déjà écoulée depuis que les petits citadins avaient investi la
cabane. Diba voulut se rasseoir. Les calebasses recommencèrent leur
manège. Ngoye se redressa et ralluma la torche. Au moment où Diba se penchait
pour arracher la machette du sol, il reçut sur le front un jet d'un liquide piquant.
- La brute, jura t'il, elle m'a craché dessus. Ce sont des cobras cracheurs !
Cette fois-ci, le second reptile arrivait plus vite, crachant du venin et envoyant dans
l'air des sifflements plus agressifs. Après s'être essuyé le visage avec sa
chemise, Diba, d'un mouvement énergétique, tira la machette et voulut rééditer son
exploit. Mais dans sa précipitation, il manqua la tête du serpent qui n'eût que le bout
de la queue tranché. La blessure excita la bête qui fonça d'un trait sur son
adversaire. Diba n'eut que le temps d'esquiver l'attaque. Ngoye avait fuit au dehors
avec la lamme torche. D'un bond prodigieux, Diba était retombé auprès de son arme
qui entra en action une troisième fois. Le serpent cracheur fut coupé en deux. La
partie de la tête passa près du foyer qu'elle évita de justesse et entama une danse
endiablée autour des bûches et des rondins.
L'autre partie, restée sur place, était secouée de soubresauts. Diba suivit Ngoye à
l'extérieur et fut tout heureux de constater que son ami revenait, armé d'un énorme
bâton. Il entra en trombe dans la cabane et s'acharna sur la tête encore en vie qui
courait en tout sens comme une machine folle. Après quoi, il jeta au feu les restes de
l'animal. Encore essoufflé par l'effort, il rejoignit Diba sur le seuil...

Extrait du livre l'affaire du silure de Guy Menga (Auteur dramatique).

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