Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
ISBN : 9782100840182
www.dunod.com
Dunod Editeur
Respectueusement.
Devant moi tu as ouvert un passage.
Psaume 30
Table des matières
Préface à la seconde édition 9
Introduction 21
Des diversions pour ne pas voir et penser
PARTIE 1
QUE DIT LA LOI ? ÉVOLUTION DE LA LÉGISLATION SUR
LES VIOLENCES CONJUGALES ET LES ENFANTS
VICTIMES
Conclusion 69
PARTIE 2
QUE DIT LE JUGE ? ESQUISSE D’UNE CLINIQUE
JUDICIAIRE
et stratégie de l’agresseur 81
Repérer et nommer les violences 83
Le nécessaire repérage systématique 83
« La loi est première sur le soin » 85
Violences conjugales et conflit parental 88
Les quatre configurations de conjugalité 88
Les violences conjugales ne sont pas une forme de conflit 92
Les violences conjugales et l’emprise 94
Les violences conjugales et l’« aliénation parentale » 96
Les violences conjugales entravent la relation mère-enfant 96
L’aliénation parentale, un concept dangereux 97
5 Violences conjugales et parentalité 103
Enjeux communs aux affaires familiales
Conclusion 127
Remerciements 131
Bibliographie 133
Ouvrages 133
Articles 135
Études et rapports 137
Préface à la seconde édition
D e l’école nationale de la Magistrature, où il a été formateur, à la
co-présidence de la commission violences du Haut conseil à
l’égalité entre les femmes et les hommes, Édouard Durand a
cheminé dans l’approfondissement des connaissances sur les
violences conjugales et leur impact sur les enfants. Il nous présente
dans ce nouvel ouvrage un parcours très complet de l’état du droit
mais aussi ses réflexions nourries de son expérience de Juge des
enfants.
Cette nouvelle édition tient compte de l’évolution des lois qu’Édouard
Durand contribue à faire bouger par son travail et par les
nombreuses auditions auxquelles il répond, apportant aux
législateurs sa compréhension du phénomène des violences
conjugales et sa connaissance du droit.
Il nous offre un livre très éclairant pour les professionnels et
extrêmement documenté. Il montre une grande rigueur dans
l’analyse tout en abordant des sujets polémiques. Il se positionne
toujours clairement du côté de la protection des femmes victimes et
de leurs enfants, n’hésitant pas à questionner les grands principes
du droit lorsqu’ils bloquent la protection. Quelques exemples :
l’impartialité du juge civil qui met les 2 parties à égalité, alors que
justement dans les violences conjugales, le violent conjugal se situe
en dominant, ou bien comment rapporter la preuve des faits allégués
quand ces faits se passent dans le huis clos familial ? Pourquoi croit-
on davantage une femme victime d’un vol de portable qu’une femme
victime de violences de la part de son compagnon ? Le cas par cas
ne conduit-il pas souvent à ce que les justiciables aient le sentiment
que la justice est une loterie ? Selon que le magistrat soit formé et
comprenne la problématique ou non, la réponse judiciaire, avec le
même dossier, sera bien différente ;
Il ouvre aussi de nouvelles pistes en proposant par exemple le
cumul idéal de qualification pour que l’enfant soit reconnu co-victime
selon la loi, c’est à dire que pour un même fait de violences, il puisse
être considéré qu’il y a deux victimes, la mère et l’enfant.
Nous pourrions ajouter la nécessité de séparer la protection des
victimes dès les premières violences, alléguées de la sanction qui
viendra dans un second cas sauf dans les situations de flagrance,
C’est le sens de l’ordonnance de protection qui peut être demandée
sans plainte.
Édouard Durand nous amène aussi à réfléchir sur la parentalité des
violents conjugaux en nous apportant des éléments de
connaissances pour nourrir notre réflexion.
Parmi les ajouts très éclairants dans cette édition, citons les quatre
configurations de la conjugalité : l’entente, l’absence, le conflit et la
violence auxquelles correspondent les quatre registres de la
parenté : la filiation, l’autorité parentale, le lien et la rencontre.
Édouard Durand est un juge à l’écoute des enfants, ce qui le conduit
à être profondément engagé pour la protection de ces derniers ainsi
que de leurs mères.
Ernestine Ronai
Responsable de l'Observatoire
de l’ordonnance de protection.
Préface à la première édition
C rie moins fort, les voisins vont t'entendre1 est le titre du premier
livre décrivant les violences conjugales, publié en France en
1974 aux éditions des Femmes. L'auteure a eu l’intuition de ce que
nous appelons aujourd'hui la stratégie de l'agresseur2 dont un des
éléments est de verrouiller le secret pour maintenir la victime dans
l'espace privé et garantir sa propre impunité. Les efforts des
professionnel·le·s et des associations ont consisté à sortir ce
phénomène de l'espace domestique pour l'inscrire comme un
problème de société concernant l'ensemble des citoyen·ne·s.
C'est le sens de la Déclaration sur l'élimination de la violence à
l’égard des femmes de l'ONU du 20 décembre 1993 dont nous
célébrons cette année les 20 ans et qui indique :
« ...La violence à l'égard des femmes va à l'encontre de l'instauration de l'égalité,
[elle] constitue une violation des droits de la personne humaine et des libertés
fondamentales, [elle] traduit des rapports de force historiquement inégaux entre
hommes et femmes, lesquels ont abouti à la domination et à la discrimination
exercées par les premiers... »
Notes
1. Pizzey E., Crie moins fort les voisins vont t’entendre, éditions des
Femmes, 1975.
On n’est pas violent avec une personne que l’on aime et l’on n’aime pas une personne
si on exerce des violences contre elle.
Il me semble essentiel de commencer par cette distinction. La
violence est un instrument pour obtenir le pouvoir sur l’autre et
contrôler son existence par l’emprise. La violence, en ce qu’elle
réduit la victime à son corps, fait de celle-ci un objet. Ainsi le violent
conjugal attaque la liberté et la dignité de sa conjointe comme il
réfute son autonomie, et il détruit la relation sans laquelle il n’y a pas
d’amour.
Certains parlent parfois de « danse du couple » pour évoquer la
dynamique des relations conjugales des autres et semblent penser
que la violence conjugale est une forme de « danse ». Pourtant
chacun peut percevoir que dans une danse, à l’instant même où l’un
des deux partenaires intimide, humilie et agresse l’autre, la danse
cesse d’exister et que ne subsiste plus qu’un mouvement contraint
du corps oppressé.
Évoquer ici l’opposition radicale entre l’amour et la violence met en
évidence un enjeu capital dans la compréhension des violences
conjugales : l’asymétrie. Une victime de violences conjugales peut
avoir aimé et/ou aimer encore son conjoint violent, désirer qu’il soit
heureux et espérer qu’il change, tandis que le violent conjugal, par le
choix de la violence, veut interdire à sa conjointe d’être un sujet
autonome.
Or « imaginer la vie quotidienne d’une femme battue par son
partenaire dépasse l’entendement de l’individu moyen et l’attitude
qui consiste à nier l’histoire de cette femme peut être plus commode
que celle de la regarder en face » (Dowd, in Romito, 2006, p. 199).
Et quand la violence est désignée, on n’en tire aucune conséquence
pour l’analyse des dysfonctionnements familiaux ou des troubles
repérés chez l’enfant. Or, si les violences conjugales ne sont pas
désignées, les services éducatifs et les magistrats risquent d’agir à
« contre-modèle », celui du conflit conjugal. Plusieurs hypothèses
peuvent expliquer ce silence.
Tout d’abord, on ne désigne pas les violences conjugales car on les
accepte ou on les tolère comme un fait normal au sein d’un couple et
d’une famille. Nous venons de l’évoquer. On peut aussi faire
l’hypothèse que les professionnels peinent encore à repérer les
manifestations des traumatismes que les violences conjugales
causent à l’enfant.
Identifier les violences conjugales implique de leur donner une
réponse professionnelle particulière, différente des situations
habituellement rencontrées dans le cadre de la protection de
l’enfance. Cette exigence confronte le professionnel (magistrat,
thérapeute, éducateur) non seulement aux limites de ses
compétences mais aussi au questionnement des structures
familiales. Elle impose d’interroger la solidité des principes
fondamentaux qui structurent le positionnement professionnel quel
que soit le métier de l’intervenant. Ainsi, pour le magistrat, les
violences conjugales testent le principe essentiel de la charge de la
preuve. Dans toute action judiciaire, chaque demande doit être
étayée en rapportant la preuve des faits allégués, mais comment
prouver ce qui se passe à l’intérieur de la maison familiale dans le
secret ? Elles testent aussi le principe de l’impartialité des
juridictions au nom duquel le juge doit se placer à « équidistance »
des parties, mais « entre le loup et l’agneau, être neutre, c’est être
du côté du loup ».
Enfin, prendre en compte la gravité des violences conjugales et la
dangerosité des agresseurs confronte tout tiers à la peur
légitimement éprouvée face à la violence. Or le déni est une
stratégie de défense contre la peur et peut conduire à faire alliance
avec l’agresseur (Herman, 1992, cité par Romito et Crisma, 2009).
Il paraît dès lors essentiel de progresser dans la définition précise des notions
convoquées par les violences conjugales (Christen et al., 2010), mais aussi dans le
repérage des traumatismes causés à l’enfant et d’esquisser des pistes d’action
professionnelle spécialisée, tant dans le champ thérapeutique et éducatif que
judiciaire.
VIOLENCES CONJUGALES
ET DOMINATION MASCULINE
Les violences conjugales créent donc de nouveaux enjeux, cette fois
« hors la loi », de symétrie et d’asymétrie au sein de la famille, qui
font écho au régime juridique immémorial mais désormais aboli de la
puissance maritale et paternelle et le perpétuent. Par la violence, le
violent conjugal se place en position asymétrique vis-à-vis de la
mère et de l’enfant, tous les deux dans une position symétrique de
soumission. La violence conjugale peut aussi pervertir les relations
familiales au point que l’enfant est mis en position asymétrique à
l’égard de sa mère, comme protecteur ou comme agresseur.
Situer ainsi les violences conjugales dans la lente évolution du droit de la famille et des
places respectives assignées par la loi à l’homme, à la femme et à l’enfant met en
évidence que les violences conjugales ne peuvent être abordées et comprises sans
interroger d’abord les rapports entre les sexes et plus précisément encore ce qu’il
convient d’appeler la domination masculine (Héritier, 2002).
PROTÉGER LA MÈRE,
En somme, l’enjeu est bien de définir le positionnement juste et adapté du tiers, qu’il
soit éducateur, thérapeute ou magistrat, confronté aux violences conjugales et amené
à définir et à mettre en œuvre des mesures de protection et de soin au profit des
enfants victimes.
Notes
1. Cette évaluation correspond à celle de Karen Sadlier,
anciennement directrice d’unité à l’Institut de victimologie de Paris,
dans son expérience clinique : sur 2 000 consultations, un tiers des
enfants sont exposés aux violences conjugales (Sadlier, 2009).
La répression
LA LÉGISLATION PÉNALE
Adaptation de la législation
Elle précise que « les violences prévues par le Code pénal sont
réprimées quelle que soit leur nature, y compris s’il s’agit de
violences psychologiques » (art. 222-14-3 CP).
La loi, modifiée à plusieurs reprises (par les lois de 2014, 2018 et
2020) a créé une incrimination spécifique du harcèlement conjugal
qui est constitué par « des propos ou comportements répétés ayant
pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie [de la
victime] se traduisant par une altération de sa santé physique ou
mentale » (art. 222-33-2-1 CP). Cette disposition met en évidence
une dimension méconnue ou sous-estimée des attaques du violent
conjugal contre sa conjointe, même après la séparation du couple :
la volonté de maintenir sur elle une emprise et de nuire à ses
conditions de vie. Ce harcèlement peut s’appuyer sur de nombreux
prétextes, notamment celui de la parentalité par laquelle le violent
conjugal cherche à contrôler la vie de la mère et des enfants même
s’il ne vit plus avec eux.
Ce phénomène d’une grande gravité est encore insuffisamment pris
en compte malgré l’abondance des témoignages de victimes et de la
littérature scientifique. Le harcèlement, dans le même objectif que
dans les cas de féminicides, correspond à une stratégie
d’appropriation de la victime et génère pour elle un épuisement
d’autant plus grand qu’il est incompris des tiers. Il peut conduire la
victime à des tentatives de suicide : 12 % des suicides sont ceux de
femmes victimes de violences conjugales et, en 2019, deux cent dix-
sept femmes victimes de violences conjugales ont été poussées au
suicide par leur compagnon ou ex-compagnon. Depuis la loi du
30 juillet 2020, la peine prévue pour le harcèlement est portée à dix
ans d’emprisonnement lorsqu’il a conduit la victime à se suicider ou
tenter de se suicider. La mise en œuvre effective de cette disposition
protectrice doit conduire à rechercher les causes de tout passage à
l’acte suicidaire mais surtout à prendre au sérieux toute révélation de
violence conjugale sans la minimiser (« C’est la première fois, ce
n’est qu’une petite gifle. » « Ce n’est pas grave s’il ramène les
enfants en retard »…).
EN DROIT PÉNAL
Dans une approche strictement pénale des violences conjugales, il
paraît difficile de considérer que l’enfant est victime de ces
violences. En effet, toute infraction est nécessairement constituée de
trois éléments : un élément légal (le texte qui réprime une infraction),
un élément matériel (le fait qui constitue l’infraction) et un élément
moral (la volonté de l’auteur de l’infraction). Dans les violences
conjugales, l’élément intentionnel peut difficilement être étendu à
l’enfant.
Le père a intentionnellement (élément moral) agi avec violence
(élément matériel, que la violence soit physique, psychologique,
sexuelle) contre la mère, ce qui est effectivement réprimé par la loi
(élément légal décrit plus haut).
Si les violences conjugales affectent incontestablement l’enfant et lui
causent des traumatismes majeurs, il n’est pas directement l’objet
de la violence qui est exercée sur sa mère, objet exclusif de
l’intention violente, de sorte que l’enfant ne peut à notre sens se voir
reconnaître le statut de victime au sens pénal. Ce raisonnement doit
néanmoins être nuancé sous trois aspects distincts.
En premier lieu, les traumatismes causés à l’enfant constituent un
préjudice certain dont les violences conjugales sont le fait
générateur et qui peut donner lieu à réparation sous forme de
dommages-intérêts, c’est-à-dire une somme d’argent. Mineur et
donc dépourvu de la capacité juridique, l’enfant ne peut agir en
justice que par la représentation légale de l’un de ses parents (le
parent victime des violences conjugales par hypothèse) ou d’un
administrateur ad hoc plus vraisemblablement compte tenu du conflit
d’intérêts entre les deux parents. Une disposition en ce sens a été
opportunément ajoutée au code de procédure pénale (art. D. 1-11-1)
par le décret n°2021-1516 du 23 novembre 2021 précisant que « le
procureur de la République veille à ce que le mineur puisse se
constituer partie civile lors des poursuites [pour violences
conjugales], le cas échéant en étant représenté par un
administrateur ad hoc ».
En deuxième lieu, dans un contexte de violences conjugales, l’enfant
peut être lui-même victime directe des violences du père,
notamment s’il s’interpose entre son père et sa mère pour protéger
celle-ci ou si les violences sont dirigées contre la mère et l’enfant
simultanément (Cario, 2012). Toutefois, l’infraction ici sera double :
violences conjugales et violences contre l’enfant. Ces dernières sont
réprimées par le Code pénal qui prévoit par ailleurs que l’âge de
l’enfant constitue une circonstance aggravante des violences
habituelles ou non habituelles si l’enfant a moins de 15 ans (art. 222-
12, 222-13, 222-14 CP).
La réflexion sur la protection pénale de l’enfant victime des violences
conjugales conduit, en troisième lieu, à s’interroger sur les violences
conjugales commises contre la femme enceinte, c’est-à-dire contre
la mère et l’embryon ou le fœtus indissociablement. Ces violences
peuvent causer à l’enfant des dommages physiques majeurs et
parfois même sa mort. Or, et cette question est à l’évidence
extrêmement délicate, l’enfant qui n’est pas encore né n’a pas la
personnalité juridique et en l’état du droit, aucune infraction ne peut
être directement constituée contre lui (Bonfils et Gouttenoire, 2008).
En revanche, l’état de grossesse de la mère est une circonstance
aggravante des violences commises contre elle (art. 222-12, 222-13,
222-14 CP).
Afin de mieux prendre en compte dans le cadre pénal la gravité de
l’impact des violences conjugales sur l’enfant et ainsi de mieux le
protéger, deux voies peuvent être envisagées.
La première consiste à réprimer la violence conjugale à la fois en
tant que violence sur la conjointe et en tant que violence ou mauvais
traitement contre l’enfant. Si le principe du droit non bis in idem
exclut la possibilité de poursuivre et condamner deux fois une
personne pour un même fait, le mécanisme juridique du cumul idéal
de qualification le permet par exception, en cas de pluralité de
victimes et/ou d’intérêts sociaux protégés. Or, dans la mesure où les
violences conjugales ont un impact traumatique majeur sur la victime
directe et sur l’enfant, même s’il n’est pas lui-même directement
l’objet de violences, il est concevable que le violent conjugal soit
poursuivi à la fois pour les violences conjugales et pour mauvais
traitements sur l’enfant. Cette voie signifierait très clairement le
caractère indissociable de la victimation de la mère et de l’enfant.
La seconde manière de prendre en compte l’enfant victime de
violences conjugales sur le plan pénal est de disposer que sa
présence au moment des faits constitue une circonstance
aggravante du délit ou du crime conjugal. Elle traduit aussi l’objectif
social de renforcer la sécurité et l’intégrité de l’enfant. C’est la voie
choisie par le gouvernement et le législateur par la loi du 3 août
2018. C’est indéniablement un progrès à la fois pour la lutte contre
les violences conjugales et pour la protection de l’enfance. Le décret
précité du 23 novembre 2021 a renforcé la mise en œuvre de cette
disposition en précisant qu’en cas de violences conjugales, le
procureur de la République doit vérifier « avant de mettre l’action
publique en mouvement, si ces violences ont été commises en
présence d’un mineur ».
Notes
1. Le contrôle judiciaire peut également être ordonné par le juge
d’instruction dans le cadre d’une information judiciaire.
des parents
Dans ces conditions, la mère ne peut être laissée dans un face-à-face avec le père, et
le jugement qui aura été rendu par le juge aux affaires familiales deviendra la « loi »
applicable à la famille, ce qui paraît protecteur pour la mère comme pour l’enfant.
L’ORDONNANCE DE PROTECTION
Par la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, le
législateur avait déjà exprimé sa conscience de la problématique des
violences conjugales et créé des dispositions spécifiques à ces
situations avec la procédure dite du « référé-violences », insérée à
l’article 220-1 du Code civil (CC), procédure d’urgence d’éviction du
conjoint violent avant même le dépôt d’une requête en divorce. Le
juge aux affaires familiales pouvait être saisi en urgence par la
victime de violences conjugales et statuer sur la résidence séparée
des époux, la jouissance du domicile conjugal (attribuée au conjoint
qui n’est pas l’auteur des violences), sur les modalités d’exercice de
l’autorité parentale à l’égard de l’enfant commun et la contribution
aux charges du mariage. L’articulation des procédures civile et
pénale était prévue par la dénonciation de l’assignation en référé au
procureur de la République (art. 1290 alinéa 2 du Code de
procédure civile issu du décret du 29 octobre 2004). Cette procédure
était néanmoins réservée aux couples mariés.
La loi du 9 juillet 2010 substitue l’ordonnance de protection (art. 515-
9 à 515-13 CC) à la mesure d’éviction du conjoint violent. Outil
nouveau et original, fruit du long travail de réflexion conduit sous
l’impulsion de l’observatoire départemental des violences faites aux
femmes du département de la Seine-Saint-Denis, cette mesure, qui
prend pleinement en compte les mécanismes des violences
conjugales et le danger dans lequel se trouvent la mère et l’enfant,
est applicable à tous les couples et non seulement aux époux. Elle
est une mise en œuvre opérationnelle de ce qu’Ernestine Ronai
nomme la culture de la protection puisqu’elle a pour finalité de
protéger la femme victime de violences conjugales et ses enfants
avant la commission de nouveaux passages à l’acte (Ronai, 2017).
Il n’est pas nécessaire qu’une plainte ait été déposée dans le cadre
pénal pour qu’une victime de violences conjugales bénéficie d’une
ordonnance de protection (ministère de la Justice, 2020). En effet, il
s’agit d’une mesure civile qui relève de la compétence du juge aux
affaires familiales, même si les députés auteurs de la proposition de
loi, sous l’inspiration notamment de Monsieur Poirret, alors procureur
de la République adjoint près le tribunal de grande instance de
Bobigny1, prévoyaient que l’ordonnance de protection relève de la
compétence du juge délégué aux victimes (Poirret in Sadlier, 2010).
Le juge aux affaires familiales peut être saisi par la victime des
violences conjugales. Il peut aussi être saisi par le procureur de la
République avec l’accord de la victime (art. 515-10 alinéa 1 c.civ).
Cette disposition met en évidence que les violences conjugales ne
sont pas seulement du registre privé mais concernent l’ordre public
et la société, dont les intérêts sont représentés par le procureur de la
République.
Le texte instituant l’ordonnance de protection met en évidence de
façon très pertinente la symétrie entre le parent victime des
violences conjugales et l’enfant en raison du même danger auquel
ils sont exposés par la violence conjugale de l’autre parent. En effet,
l’article 515-9 du Code civil dispose que « lorsque les violences
exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint, un ancien
partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin
mettent en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs
enfants, le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence à
cette dernière une ordonnance de protection ».
Or il est essentiel de bien percevoir que tout contexte de violence
conjugale caractérise une situation de danger, tant pour la victime
que pour ses enfants. En effet, quels que soient la nature du
passage à l’acte et le moment où la victime révèle les violences
qu’elle subit, celles-ci s’inscrivent dans un cycle de violence (voir
infra) par lequel l’agresseur instaure un climat de peur. En outre, les
violents conjugaux agissent dans l’imprévisibilité et l’emprise. En
conséquence, dès lors que la vraisemblance des violences est
caractérisée, aucun danger ne peut être écarté. La mise en œuvre
de mesures de protection s’impose donc pour garantir la sécurité de
la victime et de ses enfants.
Nous pouvons à ce titre reproduire les propos éclairants de Madame
Catherine Quéré, parlementaire, au cours des débats qui ont conduit
à l’élaboration de cette loi :
« N’oublions pas pour autant que les enfants témoins de violence sont aussi des
victimes. Le seul fait de vivre dans un climat de peur et de menaces constitue déjà
une forme de maltraitance. Leur souffrance doit être largement prise en compte par
les professionnels de santé et surtout par les services de protection de l’enfance.
C’est là que réside toute la difficulté : il faut protéger l’enfant en l’éloignant du parent
violent, sans pour autant ignorer la nécessité de maintenir des relations avec lui.
Mais on ne saurait pour autant oublier les effets préjudiciables sur la santé, sur la
sécurité, sur le comportement, sur le développement affectif et social des enfants
concernés : ils perdent totalement leurs repères, et nous avons été tous bouleversés
par les auditions des pédopsychiatres nous rapportant les lésions traumatiques, les
troubles psychologiques, les troubles du comportement et autres troubles
psychosomatiques observés sur ces enfants. Nous devons faire prévaloir l’intérêt des
enfants, assurer la prise en charge des enfants témoins, sensibiliser et former les
professionnels aux dangers encourus par ces enfants. Il y a urgence2. »
DE L’AUTORITÉ PARENTALE
Dans le souci de promouvoir la coparentalité, le législateur a affirmé
par la loi du 4 mars 2002 que la séparation des parents est sans
incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité
parentale et que chacun des parents doit maintenir des relations
personnelles avec l’enfant malgré la séparation conjugale (art. 373-2
CC). La promotion de la coparentalité conduit donc à traiter de façon
distincte ce qui relève dans la vie familiale du conjugal et du
parental. La loi du 22 juillet 1987 s’inscrivait déjà dans cette logique
en supprimant la notion de garde de l’enfant, à laquelle était associé
l’exercice de l’autorité parentale. Toutefois, malgré l’affirmation de
ces principes, l’un des parents peut se voir confier l’exercice exclusif
de l’autorité parentale « si l’intérêt de l’enfant le commande » et
l’exercice d’un droit de visite et d’hébergement peut être refusé pour
des « motifs graves » (art. 373-2-1 CC).
Conformément aux dispositions de l’article 373-2-11 du Code civil,
lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité
parentale, le juge prend notamment en considération :
1. la pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les
accords qu’ils avaient pu antérieurement conclure ;
2. les sentiments exprimés par l’enfant mineur ;
3. l’aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et à
respecter les droits de l’autre ;
4. le résultat des expertises éventuellement effectuées, tenant
compte notamment de l’âge de l’enfant ;
5. les renseignements qui ont été recueillis dans les éventuelles
enquêtes et contre-enquêtes sociales.
La loi du 9 juillet 2010 a instauré dans le Code civil (CC) des
dispositions relatives aux modalités d’exercice de l’autorité parentale
à l’égard de l’enfant victime des violences conjugales.
S’agissant de la détermination des modalités d’exercice de l’autorité
parentale, principalement de l’exercice conjoint ou exclusif de
l’autorité parentale, de la fixation de la résidence habituelle de
l’enfant et du droit de visite et d’hébergement chez lequel l’enfant n’a
pas sa résidence habituelle, l’article 373-2-11-6° du Code civil
prévoit désormais que le juge aux affaires familiales prenne en
considération « les pressions ou violences, à caractère physique ou
psychologique, exercées par l’un des parents sur la personne de
l’autre ».
Certes, les dispositions antérieures à la loi du 9 juillet 2010
autorisaient déjà le juge aux affaires familiales à déterminer avec
une prudence particulière les modalités d’exercice de l’autorité
parentale à l’égard de l’enfant victime des violences conjugales, qui
peuvent être considérées comme un « motif grave » justifiant de
refuser l’exercice d’un droit de visite et d’hébergement (art. 373-2-1
CC précité) ou commander l’attribution à la mère de l’exercice
exclusif de l’autorité parentale dans l’intérêt de l’enfant (même
article). De la même façon, l’examen de « l’aptitude de chacun des
parents à assumer ses devoirs et à respecter les droits de l’autre »
(art. 373-2-11 3° CC) devait être réalisé à la lumière des violences
exercées sur la mère et qui sont un manquement aux devoirs d’un
parent compte tenu de l’ampleur des traumatismes infligés à l’enfant
et la manifestation évidente du non-respect des droits élémentaires
de la mère (Gouttenoire, 2010).
Néanmoins, cette disposition nouvelle est opportunément adaptée
spécifiquement aux mécanismes particuliers et aux effets des
violences conjugales. Elle met en évidence le lien étroit établi dans
ce contexte aux enjeux relatifs à la conjugalité et à ceux relatifs à la
parentalité. Ainsi, conformément à l’esprit de ce texte, le juge aux
affaires familiales ne saurait cantonner les violences conjugales à la
seule appréciation des rapports entre l’homme et la femme dans leur
couple, mais doit en tirer des conséquences sur la parentalité de
l’auteur des violences.
Par ailleurs, en raison à la fois du lien qui doit être maintenu entre
les enjeux liés à la conjugalité et ceux liés à la parentalité dans le
contexte des violences conjugales comme en raison des violences
qui peuvent être exercées sur la mère et sur l’enfant après la
séparation, notamment au moment de l’exercice d’un droit de visite
et d’hébergement, la loi du 9 juillet 2010 a inséré aux articles 373-2-
1 et 373-2-9 du Code civil des dispositions de nature à garantir la
sécurité de la mère et de l’enfant :
« Lorsque l’intérêt de l’enfant le commande ou lorsque la remise directe de l’enfant à
l’autre parent présente un danger pour l’un d’eux, le juge en organise les modalités
pour qu’elle présente toutes les garanties nécessaires. Il peut prévoir qu’elle
s’effectue dans un espace de rencontre qu’il désigne, ou avec l’assistance d’un tiers
de confiance ou du représentant d’une personne morale qualifiée. »
Comme le démontre Ernestine Ronai, cette mesure est d’une grande pertinence
puisqu’elle garantit simultanément la protection de la mère et celle de l’enfant (Ronai-
Durand, 2017).
Notes
1. « Audition devant la Mission parlementaire d’évaluation de la
politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux
femmes », compte rendu n° 11, 12 mai 2009.
La protection de l’enfance
PROTÉGER LE BIEN-ÊTRE
ET LE DÉVELOPPEMENT
DE L’ENFANT
La loi du 9 juillet 2010 a néanmoins modifié l’article 375-7 du Code
civil dans ses dispositions relatives à l’assistance éducative afin de
permettre au juge des enfants d’ordonner l’interdiction de sortie du
territoire d’un enfant pour lequel il aurait ordonné une mesure
d’action éducative en milieu ouvert (AEMO, art. 375-2 CC) ou une
mesure de placement (art. 375-3 et 375-5 CC). Toutefois, cette
disposition concerne moins la situation des enfants victimes des
violences conjugales que celle des mariages forcés des jeunes filles
qui a légitimement suscité la vigilance du législateur dans le cadre
de la lutte contre les violences faites aux femmes.
La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant marque
une avancée significative dans l’expression du devoir collectif
d’assurer la sécurité des enfants et de favoriser leur développement.
Comme le prévoit l’article premier de cette loi, « la protection de
l’enfance vise à garantir la prise en compte des besoins
fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique,
affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa
moralité et son éducation, dans le respect de ses droits ».
À l’évidence, par les violences conjugales, l’agresseur attaque aussi
la santé, la sécurité, la moralité, l’éducation et l’ensemble des
besoins fondamentaux de l’enfant en même temps qu’il altère son
développement. En d’autres termes, par les violences conjugales, le
père porte atteinte à sa conjointe et porte aussi atteinte gravement
au bien-être de son enfant ainsi qu’à la construction de sa
personnalité et donc à toute sa vie.
C’est la raison pour laquelle la démarche de consensus sur les
besoins fondamentaux des enfants en protection de l’enfance
(Martin-Blachais, 2017), les plans de lutte contre les violences faites
aux enfants (2017-2019 et 2020-2022) prennent en compte les
violences conjugales comme une violence faite aux enfants.
Afin de mieux prendre en compte l’impact des violences conjugales
sur l’enfant et la transgression par le violent conjugal des devoirs
relevant de l’autorité parentale, la loi a élargi les conditions du retrait
judiciaire de l’autorité parentale. Ainsi, la loi du 4 août 2014 (modifiée
par la loi du 28 décembre 2019) dispose que, lorsqu’un parent est
condamné pour un crime ou un délit commis contre l’enfant ou
l’autre parent, le tribunal, s’il s’agit d’un délit, ou la cour d’assises, s’il
s’agit d’un crime, doit se prononcer sur le retrait de l’autorité
parentale du parent coupable des violences. Cependant, ce texte est
encore insuffisamment mis en œuvre.
La loi du 28 décembre 2019 a introduit une disposition (art. 378-2
CC) par laquelle l’autorité parentale du parent poursuivi pour
féminicide ou homicide conjugal est automatiquement mais
provisoirement suspendue. Il était en effet choquant que ce parent
se trouve titulaire de l’exercice de l’autorité parentale, voire d’un droit
de visite à l’égard de son enfant, qu’il autorise ou refuse que son
enfant bénéficie de soins par exemple, alors qu’il était poursuivi pour
avoir tué l’autre parent. Cette suspension est limitée à six mois, le
juge aux affaires familiales devant être saisi pour statuer sur sa
prolongation. Il serait conforme à l’objectif de protection des enfants
et adapté à la gravité des faits que cette suspension de plein droit de
l’autorité parentale soit prévue jusqu’à la déclaration de culpabilité
du mis en cause.
LE DISPOSITIF DE PROTECTION DE
L’ENFANCE
En l’absence de mesures spécifiques aux violences conjugales dans
le dispositif de protection de l’enfance, ces situations doivent être
traitées selon le droit commun de la protection de l’enfance. Celle-ci
repose sur un triptyque : conformément aux dispositions de
l’article 371-1 du Code civil, les parents sont les premiers et naturels
protecteurs de leur enfant ; c’est la finalité même de l’autorité
parentale et la protection institutionnelle de l’enfance est donc
subsidiaire à la protection parentale. La protection institutionnelle est
administrative (mise en œuvre sous la direction des conseils
départementaux depuis les lois de décentralisation) ou judiciaire,
c’est l’assistance éducative, mise en œuvre par le procureur de la
République et le juge des enfants.
Dans le dessein de garantir un repérage plus pertinent des situations
familiales compromettant la sécurité et les conditions de vie des
enfants, la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection de
l’enfance a unifié les critères de répartition des compétences entre le
conseil départemental (l’Aide sociale à l’enfance) et l’autorité
judiciaire, et modifié le dispositif de signalement.
En amont du signalement, le dispositif de protection de l’enfance
prévoit désormais la transmission par une personne ou une
institution au conseil départemental des informations préoccupantes
sur la situation d’un enfant ou de sa famille. Conformément aux
dispositions de l’article L. 226-3 du Code de l’action sociale et des
familles, le conseil départemental doit centraliser ces informations
préoccupantes au sein d’une cellule unique afin d’éviter la dispersion
des informations et d’assurer une évaluation cohérente des
situations d’enfant en danger. Parallèlement, la loi du 5 mars 2007 a
assoupli les critères du secret professionnel en créant le secret
professionnel partagé (article L. 226-2-2 du Code de l’action sociale
et des familles).
Les situations de violences conjugales, au regard de l’ampleur des
traumatismes infligés à la mère et à l’enfant, doivent à notre sens
faire l’objet d’une information préoccupante au conseil
départemental, par les différentes institutions qui seraient amenées
à en avoir connaissance (institutions scolaires et médicales
notamment).
Conformément aux dispositions de l’article L. 226-4 du Code de
l’action sociale et des familles, le danger encouru par l’enfant est le
critère commun de la protection administrative et de la protection
judiciaire de l’enfance. Au titre de la protection administrative, le
conseil départemental doit mettre en œuvre les mesures éducatives
de nature à protéger l’enfant. Néanmoins, le conseil départemental
adressera un signalement au procureur de la République aux fins de
saisine du juge des enfants en assistance éducative, si les parents
refusent les mesures proposées, sont dans l’impossibilité d’y
participer, si ces mesures ont été mises en œuvre avec l’accord des
parents mais n’ont pas permis de remédier au danger pour l’enfant,
ou si le danger pour l’enfant est grave et immédiat, notamment dans
les situations de maltraitance ; le conseil départemental adressera
également un signalement au procureur de la République si ses
services ne peuvent évaluer une situation familiale en cas de danger
présumé.
Au terme de l’article 375 du Code civil qui détermine la compétence
du juge des enfants, des mesures d’assistance éducative peuvent
être ordonnées « si la santé, la sécurité, la moralité d’un mineur non
émancipé sont en danger ou si les conditions de son éducation ou
de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont
gravement compromises ».
Le juge des enfants peut être saisi en assistance éducative par le
procureur de la République, mais également par les parents,
ensemble ou séparément, par l’enfant lui-même, par son tuteur ainsi
que par la personne ou le service qui en a la garde de fait ou de
droit. Le juge des enfants peut se saisir d’office à titre exceptionnel.
Dans les situations d’enfant victimes des violences conjugales, la
saisine du juge des enfants peut intervenir dès que les faits de
violences conjugales sont portés à la connaissance des institutions
(information préoccupante transmise par le conseil départemental,
plainte déposée par la mère). Compte tenu néanmoins du silence
dans lequel sont encore laissées ces situations, il est fréquent que le
juge des enfants ne soit saisi que plus tard, lorsque l’enfant
manifeste des troubles du développement ou du comportement dont
les violences conjugales sont la cause le plus souvent non identifiée.
En toute hypothèse, et dans la mesure où les violences conjugales
sont avant tout une infraction pénale, la saisine du juge des enfants
en assistance éducative ne saurait être une forme d’alternative aux
poursuites pénales contre leur auteur. En effet, les mesures de soin
et de protection doivent pouvoir s’appuyer sur le rappel de la loi qui a
été transgressée par l’auteur des violences (cf. infra).
D ix-huit mois après le vote de la loi du 9 juillet 2010 (qui est entré
en vigueur le 1er octobre 2010), le rapport parlementaire du
17 janvier 2012 sur sa mise en application mettait néanmoins en
évidence, d’une part, que trop peu d’ordonnances de protection ont
été délivrées par les juridictions et, d’autre part, que le délai moyen
de délivrance de l’ordonnance de protection (26 jours) était très
supérieur au délai envisagé par les parlementaires (24 à 48 heures).
En outre, la demande de l’ordonnance de protection semble se
heurter toujours à la difficulté liée à la preuve, malgré
l’assouplissement créé par la notion de vraisemblance (Maizy et
Chopin, 2010). Le nombre de demandes d’ordonnances de
protection a augmenté chaque année depuis 2010, pour passer de
54 en 2010 à 4 145 en 2020, mais il reste encore trop faible. Ainsi, si
39 176 demandes ont été présentées en Espagne en 2018, 3 332
seulement ont été faites en France au cours de la même année
(ministère de la Justice, 2020).
Ces constats démontrent que la compréhension du processus des
violences conjugales et de leur impact sur le parent et l’enfant
victimes est nécessaire à la mise en application adaptée des
dispositifs mis en œuvre pour prévenir et réprimer ces violences et
protéger les victimes (Durand, juillet 2012). Plus encore, après ce
rapide panorama de l’évolution du droit applicable dans les
situations de violences conjugales et avant d’aborder les enjeux
relatifs au positionnement du juge ou des autres professionnels
amenés à rencontrer des enfants victimes des violences conjugales
et à prendre des décisions destinées à les protéger, il importe de
souligner l’impératif de cohérence dans l’application des normes
relevant du droit pénal, du droit civil sur les modalités d’exercice de
l’autorité parentale en cas de séparation des parents et enfin de la
protection de l’enfance.
À défaut, l’application incohérente de ces différents champs du droit
est susceptible de renforcer le danger dans lequel se trouvent déjà
la mère et l’enfant victimes des violences conjugales et de favoriser
le violent conjugal en lui permettant, notamment par l’exercice de
l’autorité parentale après la séparation du couple, de continuer à
contrôler son ex-conjointe et ses enfants, générant ainsi, comme le
précise justement Françoise Brié (Francequin, 2010) des situations
de non-droit. Citons ici Patrizia Romito (2011), qui fait référence à
une étude anglaise1 sur le traitement institutionnel des violences
conjugales illustré par « trois planètes » dont les logiques sont
différentes et non coordonnées :
« Sur la planète A, la violence conjugale est considérée comme un crime “sexué”
(gendered) de l’homme sur la femme et la police et le tribunal peuvent intervenir pour
protéger cette dernière (arrestation de l’homme ou ordre de protection). La planète B
correspond aux services de protection de l’enfant, dont l’approche est gender neutral.
Sur cette planète, on parle de familles abusives plus que de violences conjugales.
C’est à la mère qu’il revient de protéger les enfants en s’éloignant de l’homme
violent : si elle ne le fait pas, elle manque à son devoir de protection (failure to
protect) et par conséquent elle peut perdre la garde des enfants. Mais si elle se
sépare, elle finit dans l’orbite de la planète C, à savoir les services chargés d’assurer
les contacts entre père et enfants après la séparation qui sont motivés par le principe
de la “responsabilité parentale” et par le souci de ne pas priver les pères de leur droit.
Sur cette planète, la femme peut être contrainte à consentir aux visites entre les
enfants et ce même père violent, sous peine d’être punie par une perte de la garde
des enfants. Sur la planète C la violence de l’homme est ignorée tant que c’est
possible à la faveur d’un discours selon lequel il n’y a pas de contradiction entre le
fait d’être un ex-conjoint violent et un bon père, du moins un père “suffisamment
bon”. »
Notes
1. Radford L. et Hester M., Mothering Thought Domestic Violence,
Londres, Jessica Kingsley, 2006.
Partie2
sur l’enfant
L’âge de l’enfant est un facteur tout particulièrement important. Citons ici le docteur
Maurice Berger, qui précise que « l’exposition aux scènes de violences conjugales a
d’autant plus d’impact que l’enfant est petit car pendant la période préverbale, c’est-à-
dire lorsqu’il a moins de deux ans, il n’a pas la capacité de mettre des mots sur ce qu’il
ressent, et la scène est intériorisée (on dit aussi qu’elle « s’engramme ») à l’état brut,
sous la forme de sons, de cris, de gestes, de regards, etc. Ces sensations se fixent au
niveau cérébral sous la forme d’une mémoire traumatique qui peut resurgir telle quelle
dans des circonstances qui rappellent le passé1 ».
En tout état de cause, « peu importe leur sexe, les enfants exposés
à la violence conjugale démontrent un taux d’agressivité, de colère,
d’anxiété et de dépression plus élevé que celui que l’on retrouve
dans la population en général » (Daligand, in Cario, 2012 citant une
étude canadienne de 20052). Et « être témoin, avant l’âge de quatre
ans, d’une menace sur le bien-être physique de sa mère est le
principal facteur prédictif de troubles du comportement » (Guédeney,
2013). Cette réalité peut se comprendre par la représentation des
relations humaines que peut se faire l’enfant qui grandit dans un
contexte de violences conjugales où dominent le danger, la peur,
l’imprévisibilité et la violence comme expression des émotions
(Racicot et al., 2010).
Avant même sa naissance, les violences conjugales ont des effets
traumatiques sur l’enfant dès la période de grossesse : les violences
infligées à la mère peuvent provoquer des hémorragies, des
fractures ou une hypotrophie fœtales et jusqu’à la mort de l’enfant
(Daligand, in Cario, 2012 ; Salmona in Ronai-Durand, 2017). On
peut également considérer que les violences pendant la grossesse
vont nuire à la construction harmonieuse de la relation de la mère
avec son enfant.
Après la naissance, l’enfant victime des violences conjugales est
susceptible de présenter des troubles qui évoluent en fonction de
son âge et de son développement et qui peuvent être, d’une part,
d’ordre physique ou somatique, et émotif ou psychologique et,
d’autre part, intériorisés ou extériorisés (Côté et al., 2005) et ce
jusqu’à des actes de violence extrême (Berger, 2008).
Les violences conjugales nuisent à la qualité de l’attachement que
l’enfant va pouvoir développer (Sadlier, 2010 ; ONED, 2012). Or
l’attachement est l’un des besoins vitaux de l’enfant, qui détermine
son sentiment de sécurité et sa capacité d’autonomie et de relation.
Dans le dossier thématique consacré à la théorie de l’attachement,
l’Observatoire national de l’enfance en danger définit l’attachement,
en référence aux travaux du psychiatre J. Bowlby, comme « le
produit des comportements qui ont pour objet la recherche et le
maintien de la proximité d’une personne spécifique. C’est un besoin
social primaire et inné d’entrer en relation avec autrui. La fonction de
l’attachement est une fonction adaptative à la fois de protection et
d’exploration. La mère, ou son substitut, constitue une base de
sécurité pour son enfant » (ONED, 2010).
Pour vivre, grandir, apaisé ses angoisses, le bébé a besoin que l’on
prenne soin de lui. L’attachement est le lien de l’enfant avec la
personne qui prend soin de lui de façon spécifique et qu’il appelle en
cas de peur. Cette personne est la figure d’attachement principale de
l’enfant qui doit pouvoir compter sur la capacité de cette figure
d’attachement à être attentive à ses besoins et donc à leur
expression par le bébé, à y répondre de façon adéquate dans un
délai rapide. Le plus souvent c’est la mère qui est la figure
d’attachement principale de l’enfant, ce qui ne signifie pas que les
autres personnes qui entourent l’enfant, à commencer par son père,
ne comptent pas pour lui et ne sont pas aussi des figures
d’attachement (Guédeney, 2015).
La qualité de l’attachement est cruciale pour le bien-être et le
développement de l’enfant. Elle conditionne la construction de sa
personnalité et son rapport au monde, y compris sa capacité
d’exploration dans les premières années de son existence et de sa
relation avec les autres.
Dans son rapport de 2012 consacré aux enfants exposés à la violence conjugale,
l’ONED propose un tableau synthétique des conséquences des violences conjugales
sur la santé physique et morale, le développement global (cognitif, physique, l’identité)
et les habiletés sociales de l’enfant en fonction de son âge (ONED, 2012). Il constitue
un outil précieux pour comprendre l’impact des violences conjugales sur l’enfant et
pour aider à repérer ces situations à partir du comportement de l’enfant dans son
milieu social.
Notes
1. Entretien accordé à l’auteur. Pour de plus amples
développements, M. Berger, Soigner les enfants violents, Dunod,
2012.
Désigner
ET STRATÉGIE DE L’AGRESSEUR
Les femmes victimes de violences conjugales peuvent se heurter à
une forme d’incompréhension de la part des professionnels qu’elles
rencontrent et plus largement de la société tout entière. Certes, le
mouvement associatif et social contemporain, ainsi que la prise de
conscience des féminicides conjugaux qui mettent en évidence la
dangerosité des violents conjugaux, réduisent la banalisation et la
minimisation des violences conjugales et de leur gravité pour les
victimes et leurs enfants.
Pourtant, malgré l’abondance de la littérature scientifique, la
mobilisation sociale et politique et la prise de conscience collective, il
n’est pas excessif de dire qu’une femme victime de violences
conjugales peut encore trop souvent se trouver face à des
professionnels qui ne prennent pas suffisamment en compte la
réalité des violences qu’elle dénonce, leur gravité et le danger dans
lequel elle est son enfant se trouvent. C’est pourquoi il est ici
essentiel de rappeler les mécanismes des violences conjugales et la
stratégie de l’agresseur, qui aident à comprendre leur particularité.
Les mécanismes et le cycle des violences conjugales sont
aujourd’hui assez largement connus. Quel que soit le type de
passage à l’acte de l’agresseur (les violences conjugales peuvent
être physiques, sexuelles, verbales, administratives et économiques
et sont toujours nécessairement psychologiques), le violent conjugal
génère dans la maison familiale un climat d’angoisse et de terreur
avec quatre phases cycliques : climat de tension, agression,
justification, accalmie. Au fil du temps, l’accalmie et la justification
disparaissent et seule subsiste l’alternance des phases de tension et
d’agression (Ronai, MIPROF, 2017).
Sans doute, ces phases peuvent-elles être transposées dans
d’autres contextes (politique, terroriste par exemple) et leur gravité
ainsi que la terreur et la désorganisation intime qu’elles génèrent
seraient immédiatement perceptibles et prises en compte sans être
minimisées. Étrangement, les violences conjugales étant situées
dans la maison familiale, les tiers que nous sommes, avons plus de
difficultés à voir à quel point le violent conjugal fait de la maison
familiale un lieu de peur.
Si chaque situation est singulière et chaque récit de victime unique, il est possible de
repérer des invariants qui constituent la stratégie de l’agresseur dont l’objectif est
d’imposer le secret pour que la réalité de ses comportements ne soit pas connue
(Casalis in Ronai-Durand, 2021) :
Il isole la victime, en l’empêchant de rencontrer sa famille ou ses amis, en
déménageant, en lui interdisant de travailler. L’isolement empêche la victime de
rencontrer des personnes susceptibles de l’écouter et de la comprendre.
Il la dévalorise par des reproches permanents, des humiliations verbales ou
sexuelles notamment. La dévalorisation génère pour la victime de la honte et lui fait
perdre confiance elle.
Il inverse la culpabilité en rendant sa compagne responsable de la violence.
Il instaure un climat de peur notamment par des menaces qui génèrent pour la
victime des angoisses si elle révèle les violences ou quitte son conjoint violent.
Il assure son impunité en recrutant des alliés.
Connaître la stratégie de l’agresseur est essentiel pour ajuster,
quelle que soit la fonction exercée, ses pratiques professionnelles
pour être source de protection pour la victime et ses enfants.
Les violences conjugales, quelle qu’en soit la forme, sont avant tout
une transgression de la loi pénale, une infraction, et doivent donc
être désignées comme telle pour en interrompre le cycle ou la
répétition. Dans le huis clos familial, comment l’enfant peut-il penser
que son père n’a pas le droit de frapper sa mère ? Comment la mère
elle-même peut-elle penser une autre vie possible ? C’est en ce
sens que nous comprenons l’affirmation selon laquelle « la loi est
première sur le soin » (Vasselier-Novelli et Heim, 2010).
Les débats au cours d’un procès criminel me semblent illustrer cette
affirmation de façon très pertinente et expressive : trois jeunes (dont
l’un est mineur) comparaissent devant la cour d’assises pour des
faits de tentative d’homicide, de viol et de vol d’une extrême
violence. La mère de l’un d’eux, appelée à témoigner de l’enfance et
de la personnalité de son fils, fait le récit de leur vie de famille
marquée par des violences conjugales. Au fil de son témoignage,
cette femme évoque son intimité conjugale et notamment les
relations sexuelles qu’elle devait avoir avec son mari, quand il le
voulait et quand bien même elle ne le désirait pas. À ce sujet, elle a
conclu : « Mais j’ai vu dans une émission à la télé qu’ils appelaient
ça un viol. »
À sa façon, cette femme a mis en évidence que l’intervention d’un
tiers (ici la « télé ») lui a été nécessaire pour penser la transgression
de la loi (nommer le viol) et donc tout à la fois la légitimité de refuser
de subir cette transgression et la possibilité d’envisager une autre
vie possible : la signification de la loi et de la transgression par le
tiers précède et rend possible le refus de la victime, sa restauration
comme sujet et sa mise en mouvement. Même s’il est fréquent
qu’une mère victime des violences conjugales décide seule,
rapidement ou après de longues années de violences, de quitter son
conjoint ou, en tout cas, de refuser de nouveaux passages à l’acte,
le tiers, quel qu’il soit (et notamment tout professionnel) ne saurait
donc interroger la mère sur la persistance de la relation conjugale s’il
n’a lui-même rempli son office : rappeler la loi et l’interdit de la
violence.
Affirmer ici le primat du rappel de la loi doit être entendu au sens
large, non pas limité au seul jugement de la juridiction pénale : il
revient à tout juge de qualifier juridiquement les faits dont il est saisi,
c’est-à-dire dans les situations de violences conjugales de désigner
les violences comme transgression de la loi et, indissociablement,
de désigner l’auteur de ces violences, d’une part, et les victimes,
d’autre part.
Dans le procès pénal, le procureur de la République puis le tribunal
correctionnel devront à l’évidence qualifier les violences et
l’infraction à la loi pénale. De la même façon, le juge aux affaires
familiales, statuant sur les griefs allégués dans une procédure de
divorce, mais également sur les modalités d’exercice de l’autorité
parentale au moment de la séparation des parents, mariés ou non,
devra désigner les violences conjugales invoquées comme cause du
divorce et en tenir compte dans l’aménagement des mesures
relatives à l’enfant. Enfin, le juge des enfants doit lui aussi, au titre
de la protection de l’enfance comme dans le cadre pénal à la suite
d’une infraction commise par un enfant, désigner les violences
conjugales, cause (exclusive ou non exclusive selon les situations)
du danger dans lequel l’enfant se trouve.
L’impératif de désignation des violences conjugales se traduit par la
désignation de l’interdit et de la transgression et somme ainsi
chacun de prendre position clairement et de réintroduire la loi.
Malgré la difficulté incontestable pour le tiers (éducateur ou assistant
social intervenant à domicile, enseignant, magistrat en audience),
passer sous silence les violences conjugales, comme les relativiser
par le contexte social ou culturel, relèverait d’une forme de neutralité
bienveillante (Sadlier, 2009), qui du point de vue de l’enfant pourrait
se traduire ainsi : « Si le juge ne dit pas que mon père n’a pas le
droit de frapper ma mère, c’est qu’il a le droit. »
Plus largement encore, il revient à tout professionnel (je pense
notamment aux éducateurs ou aux enseignants) et même à chaque
citoyen (famille ou voisinage), en tant que tiers par rapport à la
famille dans laquelle existent des violences conjugales, de nommer
ces violences et la loi qui les interdit. Je pense ici à un dossier
d’agression sexuelle : un homme pénètre dans le domicile d’une
femme et l’agresse sexuellement. Le voisin de celle-ci intervient pour
lui porter secours. Il dira dans son témoignage avoir décidé
d’intervenir lorsqu’il a entendu la femme dire à son agresseur :
« Arrêtez ! » ou « Lâchez-moi ! » Avant d’entendre ces mots et
l’usage du vouvoiement, il ne voulait pas intervenir, pensant à une
« dispute de couple ».
Désigner les violences conjugales implique en premier lieu de les
distinguer de ce qui relève des conflits conjugaux ou parentaux
(Coutanceau, 2006 ; Durand, 2010), situations dans lesquelles le
juge aux affaires familiales, par définition, mais également le juge
des enfants sont très fréquemment appelés à statuer.
VIOLENCES CONJUGALES
ET CONFLIT PARENTAL
Les quatre configurations de conjugalité
C’est en ce sens que nous pouvons percevoir l’emprise (Daligand, 2004 ; Hirigoyen,
2006) sous laquelle sont placés la mère et l’enfant, l’un comme l’autre, en se trouvant
de façon permanente et/ou répétée en présence de celui qui les soumet à son pouvoir
en les réduisant à leur corps et en détruisant la capacité d’agir qui les définit comme
sujets.
ET L’« ALIÉNATION PARENTALE »
La pratique juridictionnelle met en évidence combien les violences
conjugales affectent la mère dans sa relation avec l’enfant (dès la
période de grossesse quand les violences conjugales surviennent à
ce moment), tant sur le plan affectif que sur le plan éducatif. Souvent
isolée et dans l’impossibilité de se confier, elle apparaît d’autant plus
« prise au piège » que, face à ses difficultés, les tiers (famille,
enseignants, travailleurs sociaux, magistrats) pointeront ses fragilités
éducatives sans relever que les violences qu’elle subit en sont la
cause, et interpréteront ses hésitations et ses doutes significatifs de
la situation d’emprise, comme une forme d’ambivalence.
Dès lors, il est légitime de considérer que les violences conjugales affectent gravement
la relation que l’enfant peut entretenir avec sa mère. En effet, par les violences
conjugales, l’agresseur attaque à la fois la mère, l’enfant et le lien mère-enfant.
Ces deux situations mettent en évidence que les violences conjugales nécessitent un
traitement spécifique des modalités d’exercice de l’autorité parentale et, le cas
échéant, des mesures prononcées dans le cadre de la protection de l’enfance.
Notes
1. Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Seuil, 1991.
Violences conjugales
et parentalité
S i le juge, en tant qu’il est l’un des tiers sommés d’intervenir dans
les situations de violences conjugales, doit les désigner, les
distinguer du conflit et réintroduire la loi au sein de la famille dont les
valeurs ont été renversées par la violence, il lui revient tout
spécialement de faire application de la loi dans chaque situation
individuelle soumise à sa juridiction.
S’agissant de l’enfant victime des violences conjugales, ce sont
essentiellement le juge aux affaires familiales et le juge des enfants
qui devront déterminer respectivement les modalités d’exercice de
l’autorité parentale en cas de séparation des parents, et les mesures
éducatives de nature à assurer la protection de l’enfant.
Si ces deux fonctions juridictionnelles relèvent de normes juridiques
substantielles et procédurales distinctes, la problématique des
violences conjugales appelle toutefois des principes juridictionnels
communs.
ET À LA PROTECTION DE L’ENFANCE
En premier lieu, la particularité des violences conjugales, et
spécialement l’existence d’un rapport de force et d’emprise existant
entre l’auteur et la victime des violences, doit pouvoir conduire le
juge à adapter le déroulement des débats judiciaires pour éviter, si
cela est nécessaire, de mettre la mère en présence du père. La loi
du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux
femmes, aux violences au sein du couple et aux incidences de ces
dernières sur les enfants prévoit expressément que l’audition de
l’auteur et celle de la victime, par le juge aux affaires familiales saisi
d’une demande de délivrance d’une ordonnance de protection,
peuvent avoir lieu séparément (art. 515-10 CC).
Conjugalité et parentalité
MODALITÉS D’EXERCICE
DE L’AUTORITÉ PARENTALE
La séparation des parents implique un réaménagement important du
mode de vie de l’enfant et de l’organisation des relations qu’il va
entretenir avec son père et sa mère. La législation relative aux
conséquences pour l’enfant de la séparation de ses parents a évolué
progressivement dans le souci toujours réaffirmé de promouvoir la
coparentalité, c’est-à-dire à la fois le maintien de relations
habituelles de l’enfant avec ses deux parents quel que soit le lieu où
est fixée sa résidence habituelle, mais également le mode d’exercice
de l’autorité parentale.
Ainsi, la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 a consacré le principe d’un exercice conjoint
de l’autorité parentale (art. 372 CC) et précisé que « la séparation des parents est sans
incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale » et que
« chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et
respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent » (art. 373-2 CC).
de l’enfant ?
de violences conjugales
Ainsi, l’existence des violences conjugales doit conduire à présumer que le père n’est
pas en capacité de protéger son enfant et à écarter l’exercice conjoint de l’autorité
parentale et l’organisation de droits de visite sans médiation.
80 % des femmes victimes de violences conjugales ont des enfants. Sans traitement
réellement efficace de la parentalité, les mesures de protection seront inefficientes et
les violents conjugaux pourront perpétuer leur emprise sur leur famille.
L’ASSISTANCE ÉDUCATIVE
La gravité des traumatismes causés à l’enfant, la peur intense et le
renversement des valeurs fondamentales démontrent qu’à
l’évidence, l’enfant victime de violences conjugales est un enfant en
danger. Toutefois, cette réalité ne signifie pas nécessairement
qu’une procédure judiciaire d’assistance éducative et la saisine du
juge des enfants soient indispensables.
Quoi qu’il en soit, les écrits des professionnels intervenant en
protection de l’enfance ont une grande importance pour permettre un
traitement judiciaire adapté de la situation familiale et éviter les
conséquences néfastes de l’incohérence entre les trois planètes
décrites par Lauren Radford et Marianne Hester. Il est en effet
essentiel que les enquêtes sociales et les rapports éducatifs
décrivent précisément le contexte de violences conjugales observé
par les professionnels et suscitent ainsi, au moment de la
transmission à l’autorité judiciaire, non seulement une éventuelle
saisine du juge des enfants par le procureur de la République si elle
est indispensable, mais aussi l’engagement de poursuite pénale
contre l’agresseur et le cas échéant la saisine du juge aux affaires
familiales (art. 373-2-8 CC) en vue de l’instauration de modalités
d’exercice de l’autorité parentale protectrices pour la mère et pour
l’enfant indissociablement.
Le placement de l’enfant
ARTICLES
André S., « La loi contre les violences faites aux femmes, les
mesures de prévention et de répression », Actualités sociales
hebdomadaires, 24 décembre 2010, n° 2688.
Berger M., « Le refus de contact avec un parent dans un
contexte de divorce conflictuel. Partie I. Recension des
recherches cliniques et judiciaires », Neuropsychiatrie de
l’enfance et de l’adolescence, vol 69, 2021, p. 32-39.
Durand E., « La vie de l’enfant après la séparation des parents
(conflit et violence) », Actualité juridique Famille,
janvier 2010.
Durand E., « La place du père », Esprit, mai 2012.
Durand E., « Réflexions sur la mise en œuvre de la loi du
9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux
femmes, aux violences au sein du couple et à leurs
incidences sur les enfants », Revue Justice Actualités, École
nationale de la magistrature, n° 5, juillet 2012.
Durand E., « Violences conjugales et parentalité : protéger la
mère c’est protéger l’enfant », Actualité juridique Famille,
mai 2013.
Durand E., « Violences conjugales et parentalité », Actualité
juridique Famille, juin 2020.
Gagné M.-H., Drapeau S., Hénault R. (école de psychologie,
université de Laval), « L’aliénation parentale : un bilan des
connaissances et des controverses », Canadian
psychology/Psychologie canadienne, 46, 2, 2005, p. 73-87.
Gouttenoire A., « La prise en compte des violences dans le
cadre de l’autorité parentale », Actualité juridique Famille,
décembre 2010.
Guédeney N., « Violences conjugales et attachement des jeunes
enfants. Une revue de littérature », Perspectives psy, 2013.
Lessard G., Lampron C., Paradis F., « Les stratégies
d’intervention à privilégier auprès des enfants exposés à la
violence conjugale : Recension des écrits », Institut national
de Santé publique de Québec, 2003.
Lopez G., « Analyse éthique du syndrome d’aliénation parentale
(SAP) ou aliénation parentale », Actualité juridique Famille,
mai 2013.
Maizy M.-B., Chopin M., « La loi du 9 juillet 2010 et l’ordonnance
de protection : une réponse adaptée aux violences
intrafamiliales ? », Actualité juridique Famille,
décembre 2010.
Paveza G.J., « Risk factors in father-daughter child sexual
abuse : a case control study », J. interpers. Violence, 1988.
Racicot K., Fortin A., Dagenais C, « Réduire les conséquences
de l’exposition de l’enfant à la violence conjugale : pourquoi
miser sur la relation mère-enfant ? », Les Cahiers
internationaux de psychologie sociale, 2010/2, n° 86, p. 321-
342.
Romito P., Crisma M., « Les violences masculines occultées : le
syndrome d’aliénation parentale », Empan, n° 73 (Les
violences conjugales), mars 2009.
Romito P., « Les violences conjugales post-séparation et le
devenir des femmes et des enfants », in Fortin A., et Robin
M., L’enfant et les violences conjugales, La Revue
internationale de l’éducation familiale, L’Harmattan, 2011.
Trocmé N. et Bala N., « False allegations of abuse and neglect
when parents separate », Child Abuse and Neglect 29,
p. 1333-1345, 2005.
Vasselier-Novelli C., Heim C., « Les enfants victimes de
violences conjugales », Cahiers critiques de thérapie familiale
et de pratiques de réseaux, n° 36, 2006/1.
Vasselier-Novelli C., Heim C., « Représentations du couple et de
la famille, chez les auteurs de violences conjugales »,
Thérapie familiale, 2010, vol. 31, n° 4, p. 397-415.
ÉTUDES ET RAPPORTS
Conseil Général de Seine-Saint-Denis (Observatoire
départemental des violences envers les femmes) en
collaboration avec l’Institut de victimologie de Paris, Guide
« Les mots pour le dire. Violences faites aux femmes, les
enfants souffrent », 2012.
Coutanceau R., Auteurs de violence au sein du couple, prise en
charge et prévention, Rapport au ministère de la cohésion
sociale et de la parité, Documentation française, 2006.
Défenseure des enfants, Enfants au cœur des séparations
parentales conflictuelles, Rapport annuel 2008,
Documentation française, 2008.
Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE),
En finir avec l’impunité des violences faites aux femmes en
ligne : une urgence pour les victimes, 16 novembre 2017.
Martin-Blachais M.-P., Démarche de consensus sur les besoins
fondamentaux des enfants en protection de l’enfance,
28 février 2017.
Ministère des droits des femmes, Projet de loi pour l’égalité entre
les femmes et les hommes, 3 juillet 2013.
Ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes, 5e
Plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences
faites aux femmes (2017-2019), 2017.
Ministère de la Justice (Direction des affaires criminelles et des
grâces), Guide de l’action publique sur les violences au sein
du couple, novembre 2011.
Ministère de la Justice, Guide pratique de l’ordonnance de
protection, août 2020.
Ministère de la Justice, Circulaire de présentation des
dispositions immédiatement applicables de la loi n° 2020-936
du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences
conjugales, 3 août 2020.
Mission interministérielle pour la protection des femmes contre
les violences et la lutte contre la traite des êtres humains,
Livret d’accompagnement du cours métrage de formation
Anna, 2017.
Mission interministérielle pour la protection des femmes contre
les violences et la lutte contre la traite des êtres humains,
Livret d’accompagnement du cours métrage de formation
Tom et Léna, 2017.
Observatoire national de l’enfance en danger (ONED) et Service
du Droit des Femmes et de l’Égalité (SDFE), Les Enfants
exposés aux violences au sein du couple, quelles
recommandations pour les pouvoirs publics, 2008.
Observatoire national de l’enfance en danger (ONED), La Théorie
de l’attachement : une approche conceptuelle au service de
la protection de l’enfance, dossier thématique (coordonné par
Nathalie Savard), 2010.
Observatoire national de l’enfance en danger (ONED), Les
Enfants exposés à la violence conjugale, Recherches et
pratiques, Rapport d’étude (coordonné par N. Sévérac et X.
Charlet), décembre 2012.
Raffin V., L’Homicide conjugal, état des connaissances et projet
de recherche en région PACA, Études et travaux de
l’ORDCS, n° 3, avril 2012.