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© Dunod, 2022

ISBN : 9782100840182
 

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écrite de l'éditeur.
À madame Clarisse Durand Roquesalane,

Respectueusement.
Devant moi tu as ouvert un passage.

Psaume 30
Table des matières
Préface à la seconde édition 9

Préface à la première édition 11

Avant-propos à la seconde édition 17

Introduction 21
Des diversions pour ne pas voir et penser

les violences conjugales 22


L’enfant est victime des violences conjugales 25
Violences conjugales et domination masculine 27
Protéger la mère, c’est protéger l’enfant 29

PARTIE 1
QUE DIT LA LOI ? ÉVOLUTION DE LA LÉGISLATION SUR
LES VIOLENCES CONJUGALES ET LES ENFANTS
VICTIMES

1 La répression des violences conjugales 33


La législation pénale sur les violences conjugales 33
Adaptation de la législation 34
Violences psychologiques et suicide forcé 36
Prendre en compte les cyber-violences 37
De la plainte de la victime aux réponses pénales 38
Le statut de l’enfant victime des violences conjugales en droit
pénal 44

2 L’enfant victime des violences conjugales et la séparation des


parents 47
L’enfant de parents mariés 47
L’enfant de parents non mariés 49
L’ordonnance de protection 50
Les modalités d’exercice de l’autorité parentale 56

3 La protection de l’enfance 61


Protéger le bien-être et le développement de l’enfant 61
Le dispositif de protection de l’enfance 63
Mettre en œuvre des mesures non spécifiques dans une
situation spécifique 66

Conclusion 69

PARTIE 2
QUE DIT LE JUGE ? ESQUISSE D’UNE CLINIQUE
JUDICIAIRE

Introduction‍. L’impact traumatique des violences conjugales sur


l’enfant 73

4 Désigner les violences conjugales 81


Mécanismes des violences conjugales

et stratégie de l’agresseur 81
Repérer et nommer les violences 83
Le nécessaire repérage systématique 83
« La loi est première sur le soin » 85
Violences conjugales et conflit parental 88
Les quatre configurations de conjugalité 88
Les violences conjugales ne sont pas une forme de conflit 92
Les violences conjugales et l’emprise 94
Les violences conjugales  et l’« aliénation parentale » 96
Les violences conjugales entravent la relation mère-enfant 96
L’aliénation parentale, un concept dangereux 97
5 Violences conjugales et parentalité 103
Enjeux communs aux affaires familiales

et à la protection de l’enfance 104


Conjugalité et parentalité 105

Modalités d’exercice de l’autorité parentale 106


La coparentalité au risque de la sécurité de l’enfant ? 106
La personnalité des auteurs de violences conjugales 108
Perpétuation de l’emprise sur l’enfant 110
Présumer le danger pour protéger l’enfant 111
Distinguer quatre registres de la parenté 113

L’assistance éducative 115


Protéger la mère, c’est protéger l’enfant 115
L’action éducative en milieu ouvert 117
L’action éducative avec l’enfant 118
Le positionnement à l’égard de la mère et à l’égard du père : assumer
l’asymétrie 119
Lorsque les parents ne sont pas séparés 122
Le placement de l’enfant 124

Conclusion 127

Remerciements 131

Bibliographie 133
Ouvrages 133
Articles 135
Études et rapports 137
Préface à la seconde édition
D e l’école nationale de la Magistrature, où il a été formateur, à la
co-présidence de la commission violences du Haut conseil à
l’égalité entre les femmes et les hommes, Édouard Durand a
cheminé dans l’approfondissement des connaissances sur les
violences conjugales et leur impact sur les enfants. Il nous présente
dans ce nouvel ouvrage un parcours très complet de l’état du droit
mais aussi ses réflexions nourries de son expérience de Juge des
enfants.
Cette nouvelle édition tient compte de l’évolution des lois qu’Édouard
Durand contribue à faire bouger par son travail et par les
nombreuses auditions auxquelles il répond, apportant aux
législateurs sa compréhension du phénomène des violences
conjugales et sa connaissance du droit.
Il nous offre un livre très éclairant pour les professionnels et
extrêmement documenté. Il montre une grande rigueur dans
l’analyse tout en abordant des sujets polémiques. Il se positionne
toujours clairement du côté de la protection des femmes victimes et
de leurs enfants, n’hésitant pas à questionner les grands principes
du droit lorsqu’ils bloquent la protection. Quelques exemples  :
l’impartialité du juge civil qui met les 2 parties à égalité, alors que
justement dans les violences conjugales, le violent conjugal se situe
en dominant, ou bien comment rapporter la preuve des faits allégués
quand ces faits se passent dans le huis clos familial ? Pourquoi croit-
on davantage une femme victime d’un vol de portable qu’une femme
victime de violences de la part de son compagnon ? Le cas par cas
ne conduit-il pas souvent à ce que les justiciables aient le sentiment
que la justice est une loterie ? Selon que le magistrat soit formé et
comprenne la problématique ou non, la réponse judiciaire, avec le
même dossier, sera bien différente ;
Il ouvre aussi de nouvelles pistes en proposant par exemple le
cumul idéal de qualification pour que l’enfant soit reconnu co-victime
selon la loi, c’est à dire que pour un même fait de violences, il puisse
être considéré qu’il y a deux victimes, la mère et l’enfant.
Nous pourrions ajouter la nécessité de séparer la protection des
victimes dès les premières violences, alléguées de la sanction qui
viendra dans un second cas sauf dans les situations de flagrance,
C’est le sens de l’ordonnance de protection qui peut être demandée
sans plainte.
Édouard Durand nous amène aussi à réfléchir sur la parentalité des
violents conjugaux en nous apportant des éléments de
connaissances pour nourrir notre réflexion.
Parmi les ajouts très éclairants dans cette édition, citons les quatre
configurations de la conjugalité  : l’entente, l’absence, le conflit et la
violence auxquelles correspondent les quatre registres de la
parenté : la filiation, l’autorité parentale, le lien et la rencontre.
Édouard Durand est un juge à l’écoute des enfants, ce qui le conduit
à être profondément engagé pour la protection de ces derniers ainsi
que de leurs mères.
 
Ernestine Ronai
Responsable de l'Observatoire

des violences envers les femmes

du conseil général de la Seine Saint-Denis.


Présidente du Comité national

de l’ordonnance de protection.
Préface à la première édition
C rie moins fort, les voisins vont t'entendre1 est le titre du premier
livre décrivant les violences conjugales, publié en France en
1974 aux éditions des Femmes. L'auteure a eu l’intuition de ce que
nous appelons aujourd'hui la stratégie de l'agresseur2 dont un des
éléments est de verrouiller le secret pour maintenir la victime dans
l'espace privé et garantir sa propre impunité. Les efforts des
professionnel·le·s et des associations ont consisté à sortir ce
phénomène de l'espace domestique pour l'inscrire comme un
problème de société concernant l'ensemble des citoyen·ne·s.
C'est le sens de la Déclaration sur l'élimination de la violence à
l’égard des femmes de l'ONU du 20 décembre 1993 dont nous
célébrons cette année les 20 ans et qui indique :
«  ...La violence à l'égard des femmes va à l'encontre de l'instauration de l'égalité,
[elle] constitue une violation des droits de la personne humaine et des libertés
fondamentales, [elle] traduit des rapports de force historiquement inégaux entre
hommes et femmes, lesquels ont abouti à la domination et à la discrimination
exercées par les premiers... »

Comme l'affirme clairement cette Déclaration, rien de «  naturel  »


dans tout cela. Donc, si ce sont les humains qui ont construit ces
rapports sociaux inégaux entre les sexes, il leur appartient de les
déconstruire.
Édouard Durand nous y aide en nous permettant de mieux
comprendre les processus à l'œuvre dans ces violences. La
spécificité des violences dans le couple réside dans le fait qu'elles
se situent au croisement de l'intime, dans des relations individuelles
avec un homme auteur, une femme victime, et un ou des enfants co-
victime·s, et une société qui condamne ces violences par ses lois et
son action.
Notre société doit encore davantage prendre conscience de la
dangerosité des hommes violents. Pour appuyer cela, je ne citerai
qu'une statistique, celle publiée en juin 2013 par l’Observatoire
national de la délinquance et des réponses pénales, à la suite du
travail précis de comptage effectué par la délégation d'aide aux
victimes du ministère de l'intérieur. Il y a eu 148 femmes tuées par
leur compagnon ou leur ex-compagnon violent, 26 hommes tués par
leur compagne ou ex-compagne. Parmi ces hommes, 17 étaient
auteurs de violences antérieures sur leur compagne ou ex-
compagne, c'est à dire 2 sur 3. 25 enfants ont été tués dans le cadre
de violences dans le couple.
Au total, si on ajoute les couples non officiels, les proches tués dans
ce cadre, les 61 personnes qui se sont suicidées, ce sont 307
personnes qui sont mortes en 12 mois du fait des violences dans le
couple  ! Les enfants sont gravement co-victimes  : 140 enfants
restent orphelins et 68 enfants étaient présents au domicile au
moment des faits, ce qui confirme que la présence des enfants
n'empêche pas le passage à l'acte fatal.
Ces chiffres nous glacent pour ce qu'ils révèlent, mais ils ne disent
pas tout : il manque les femmes qui restent mutilées à vie, infirmes
ou mortes quelques mois après à l’hôpital, celles qui se suicident du
fait des violences dans le couple. Nous avons encore à progresser
dans la connaissance de la cruauté non pour rester tétanisé-e-s face
à l'horreur, mais pour nous mobiliser et agir efficacement.
Édouard Durand a choisi un point de vue encore insuffisamment pris
en compte  : le lien entre la mère victime et l'enfant co-victime des
violences dans le couple. Ces violences créent un climat permanent
de danger, d'insécurité, de peur. Quand papa met la clé dans la
serrure, l'enfant et la mère se demandent ce qui va se passer ce
soir. Cet état de terreur et de stress nuit gravement au
développement de l'enfant. Parfois, les mères restent en couple
pensant que cela vaut mieux pour leurs enfants, mais lorsqu'elles
prennent conscience des conséquences néfastes sur ceux-ci, elles
cherchent de l'aide pour sortir de cette situation.
Édouard Durand nous présente un tableau explicite des possibilités
qu'offre déjà la législation en vigueur, même si celle-ci doit encore
s'améliorer. Il rend clair et accessible les différentes facettes du droit
pénal, civil et de protection de l'enfance. De cette connaissance peut
naître l'action. À nous de transformer l'essai  ! À nous de mettre en
œuvre les lois existantes et pour cela, il nous faut mieux les
connaître. C'est dire l'importance de la formation des
professionnel·le·s en contact avec des femmes et des enfants
victimes des violences dans le couple.
A nous aussi d’innover en prenant appui sur ce qui existe dans
d'autres pays ou sur notre territoire national. La notion de protection
des femmes victimes de violences permet de mettre en place des
dispositifs avant même la commission de nouveaux faits de
violences. Il s'agit de l'éviction du partenaire violent ou ex-partenaire
par le procureur de la République, du téléphone portable d'alerte
pour femmes en très grand danger, du protocole de mise en œuvre
de l'ordonnance de protection ou encore de la mesure
d'accompagnement protégé pour garantir la sécurité de la mère et
de l'enfant lors du droit de visite du père violent. Toutes ces mesures
et lois ont pu être pensées, puis développées par exemple en Seine
Saint-Denis grâce au partenariat fort existant entre les magistrats,
les forces de l'ordre, les travailleurs sociaux, les professionnel·le·s
de santé et de l'enseignement et les associations au sein de
l'Observatoire des violences envers les femmes du conseil général.
Face à la violence, les professionnel-le-s ont besoin de constituer
leur propre réseau de soutien, de ne pas rester isolé·e·s.
Protéger une femme victime de violences consiste à lui permettre de
reprendre sa vie en main. L'auteur de violences avait tout décidé
pour elle, avait pris le contrôle de sa vie. Sortir des violences pour
cette femme, c'est reconquérir sa pleine autonomie physique,
psychique, économique. C'est lui permettre de protéger ses enfants
et de leur ouvrir un chemin d'avenir.
Simone de Beauvoir a écrit  : «  la fatalité ne triomphe que si l'on y
croit  ». Édouard Durand nous invite avec conviction à ne pas y
croire. Il nous rend compétent par sa réflexion et tout le savoir qu'il
met à notre disposition pour agir avec détermination.
 
Ernestine Ronai
Responsable de l'Observatoire

des violences envers les femmes

du conseil général de la Seine Saint-Denis


Coordinatrice nationale de la lutte contre les violences

envers les femmes au sein de la mission interministérielle

de protection des femmes victimes de violences

et de lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF).

Notes
1. Pizzey E., Crie moins fort les voisins vont t’entendre, éditions des
Femmes, 1975.

2. « Stratégie de l'agresseur », travail initié par Marie-France Casalis


et Emmanuelle Piet pour le Collectif Féministe Contre le Viol.
Avant-propos à la seconde
édition
D epuis la première édition de ce livre en octobre 2013, plusieurs
lois ont modifié le droit civil et le droit pénal dans l’objectif de
lutter plus efficacement contre les violences conjugales, de réduire
l’impunité des agresseurs et de mieux protéger les victimes.
Le Grenelle des violences conjugales, ouvert par le Premier ministre
le 3  septembre 2019, a manifesté la préoccupation des pouvoirs
publics et leur attention à un mouvement associatif et social puissant
appelant l’instauration de ce qu’Ernestine Ronai appelle à juste titre
« une culture de la protection ».
La mobilisation des associations, la littérature et le cinéma, comme
le remarquable film Jusqu’à la garde de Xavier Legrand, ont en effet
consolidé la prise de conscience par la société de l’ampleur et de la
gravité des violences conjugales et de la grande dangerosité des
violents conjugaux.
Le seul moyen de lutter réellement contre les féminicides et
homicides conjugaux est de prendre au sérieux chaque révélation de
violence conjugale sans minimiser la grande dangerosité de tous les
violents conjugaux.
Le confinement récent, qui fut une expérience inédite, à la fois
personnelle et collective, a sans doute renforcé la conviction que la
maison doit être, pour les humains, le lieu de la sécurité et de la
protection. Elle l’est le plus souvent, mais elle peut être aussi, dans
les situations des violences conjugales, le lieu de la terreur et de la
confrontation à la mort. C’est l’une des inégalités les plus flagrantes
entre les êtres humains.
Cependant, dans le cadre du Grenelle des violences conjugales et
au titre de la présidence de la commission violences du Haut Conseil
à l’égalité entre les femmes et les hommes, Ernestine Ronai et moi
avons rencontré de nombreuses femmes victimes de violences
conjugales ainsi que la famille de femmes tuées par leur conjoint.
Toutes ont dit qu’elles avaient fait appel aux institutions publiques
pour être protégées. Nous devons progresser.
De trop nombreux témoignages montrent aussi que des femmes
victimes de violences conjugales qui quittent leur conjoint violent
pour protéger leurs enfants et pour vivre en paix sont accusées
«  d’aliénation parentale  » de même que de nombreux enfants qui
révèlent des violences ne sont pas crus et accusés de mentir ou
d’inventer des violences.
L’entrée en vigueur de lois nouvelles et ces évènements récents ont
suscité l’actualisation de ce livre. Son mot d’ordre, qui était celui du
colloque organisé par l’Observatoire des violences faites aux
femmes du département de la Seine Saint Denis, est inchangé  :
protéger la mère c’est protéger l’enfant. Il est illusoire de prétendre
protéger l’enfant si l’on ne protège pas sa mère et la mise en œuvre
des mesures de protection des femmes victimes de violences
conjugales sera caduque si l’autorité parentale n’est pas aménagée
de façon adaptée à la situation de violences.
C’est pourquoi il est aujourd’hui nécessaire de renforcer la culture de
la protection par une législation plus impérative qui traduise dans la
loi cette réalité : un conjoint violent est un père dangereux.
En effet, pour que la protection des victimes soit une réalité et non
une intention, il est nécessaire et conforme à nos principes de
présumer qu’un mari violent est un père dangereux, c’est-à-dire de
prendre en compte la violence dans la conjugalité pour garantir la
protection dans la parentalité. Cela signifie que l’exercice de
l’autorité parentale ne doit pas être attribué au violent conjugal mais
confié exclusivement au parent victime. Cela signifie aussi que si
des rencontres entre l’enfant et le violent conjugal sont organisées,
elles doivent se dérouler sous contrôle social pour garantir la
protection de l’enfant.
Je ne dis pas tous les hommes, tous les pères, uniquement ceux qui
font le choix de la violence. Or on ne transgresse pas la loi
impunément. La question est : qui voulons-nous protéger ?
Introduction
L a Loi a-t-elle son mot à dire sur la famille ? Ce qui se passe à
l’intérieur des maisons, une fois que les portes et les fenêtres en
sont fermées, semble relever avant tout des libertés fondamentales.
En ce sens, la famille est une affaire privée. Néanmoins, elle
intéresse aussi l’ordre public et le droit est légitime à déterminer les
règles de l’institution et de la vie de la famille et éventuellement de
sa dissolution. L’évolution du droit de la famille et des paradigmes
qui président à la vie de famille, de la puissance maritale et
paternelle à l’intérêt de l’enfant, démontre que le droit reflète autant
qu’il détermine la conception que le corps social se fait de la famille.
Il en est ainsi des situations de violences conjugales et de la
situation des enfants victimes des violences conjugales. Dans la
mesure où la loi a à dire sur ces situations, celles-ci convoquent
immanquablement le judiciaire, le procureur de la République et le
juge pénal (le juge d’instruction, le juge des libertés et de la
détention et le tribunal correctionnel notamment), comme le juge civil
(le juge aux affaires familiales et le juge des enfants dans
l’assistance éducative). Les violences conjugales interrogent donc le
juge et reflètent sa compréhension de ces situations particulières.
Pour ma part, ayant eu l’occasion d’exercer les fonctions de juge des
enfants, de juge aux affaires familiales et de juge au tribunal
correctionnel, j’ai pris conscience de la récurrence importante des
violences conjugales et de leur problématique spécifique parmi
toutes les situations soumises au juge.

DES DIVERSIONS POUR NE PAS VOIR ET


PENSER LES VIOLENCES CONJUGALES
Paradoxalement, les débats judiciaires auxquels donnent lieu les
violences conjugales sont souvent l’occasion d’un déplacement du
questionnement concernant l’agresseur (le plus souvent l’homme),
son passage à l’acte, ses motivations ou ses ressorts, à un
questionnement concernant le couple (la violence conjugale serait
alors un mode particulier de relation choisi ou consenti par les deux
membres du couple) puis enfin à un questionnement suspicieux sur
la victime (le plus souvent la femme)  : «  Pourquoi reste-t-elle  ?  »
« N’induit-elle pas la violence ? » « Ne cherche-t-elle pas à en tirer
profit dans une procédure de divorce ? » « Ne cherche-t-elle pas à
écarter le père par l’aliénation parentale ? »

Ces diversions conduisent à ne plus réfléchir à la violence elle-même et à ce que


recherche l’auteur des violences – la maîtrise sur l’autre –, ni à son impact traumatique
sur la mère et l’enfant.

Ayant exercé les fonctions de Juge des enfants principalement à


Marseille et à Bobigny, j’ai pu constater la fréquence importante des
situations de violences conjugales, qui apparaissent dans au moins
30  % des dossiers d’assistance éducative et de délinquance des
mineurs1 et la gravité de leurs répercussions sur le développement
des enfants.
Pourtant, les violences conjugales sont rarement désignées dans les
rapports socio-éducatifs ou dans les jugements : on parle de conflits
parentaux, on dit que l’enfant assiste aux «  disputes  » de ses
parents, on ne parle pas d’emprise sur la mère mais d’ambivalence.
On dit du féminicide ou de l’homicide conjugal que c’est un crime
« passionnel », mais l’amour et la violence sont incompatibles :
« L’amour prend patience, l’amour rend service, l’amour ne jalouse pas, il ne se vante
pas, il ne se gonfle pas d’orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son
intérêt, il ne s’emporte pas, il n’entretient pas de rancune, il ne se réjouit pas de ce
qui est mal mais il trouve la joie dans ce qui est vrai, il supporte tout, il fait confiance
en tout, il espère tout, il endure tout2. »

On n’est pas violent avec une personne que l’on aime et l’on n’aime pas une personne
si on exerce des violences contre elle.
Il me semble essentiel de commencer par cette distinction. La
violence est un instrument pour obtenir le pouvoir sur l’autre et
contrôler son existence par l’emprise. La violence, en ce qu’elle
réduit la victime à son corps, fait de celle-ci un objet. Ainsi le violent
conjugal attaque la liberté et la dignité de sa conjointe comme il
réfute son autonomie, et il détruit la relation sans laquelle il n’y a pas
d’amour.
Certains parlent parfois de «  danse du couple  » pour évoquer la
dynamique des relations conjugales des autres et semblent penser
que la violence conjugale est une forme de «  danse  ». Pourtant
chacun peut percevoir que dans une danse, à l’instant même où l’un
des deux partenaires intimide, humilie et agresse l’autre, la danse
cesse d’exister et que ne subsiste plus qu’un mouvement contraint
du corps oppressé.
Évoquer ici l’opposition radicale entre l’amour et la violence met en
évidence un enjeu capital dans la compréhension des violences
conjugales  : l’asymétrie. Une victime de violences conjugales peut
avoir aimé et/ou aimer encore son conjoint violent, désirer qu’il soit
heureux et espérer qu’il change, tandis que le violent conjugal, par le
choix de la violence, veut interdire à sa conjointe d’être un sujet
autonome.
Or «  imaginer la vie quotidienne d’une femme battue par son
partenaire dépasse l’entendement de l’individu moyen et l’attitude
qui consiste à nier l’histoire de cette femme peut être plus commode
que celle de la regarder en face » (Dowd, in Romito, 2006, p. 199).
Et quand la violence est désignée, on n’en tire aucune conséquence
pour l’analyse des dysfonctionnements familiaux ou des troubles
repérés chez l’enfant. Or, si les violences conjugales ne sont pas
désignées, les services éducatifs et les magistrats risquent d’agir à
«  contre-modèle  », celui du conflit conjugal. Plusieurs hypothèses
peuvent expliquer ce silence.
Tout d’abord, on ne désigne pas les violences conjugales car on les
accepte ou on les tolère comme un fait normal au sein d’un couple et
d’une famille.  Nous venons de l’évoquer. On peut aussi faire
l’hypothèse que les professionnels peinent encore à repérer les
manifestations des traumatismes que les violences conjugales
causent à l’enfant.
Identifier les violences conjugales implique de leur donner une
réponse professionnelle particulière, différente des situations
habituellement rencontrées dans le cadre de la protection de
l’enfance. Cette exigence confronte le professionnel (magistrat,
thérapeute, éducateur) non seulement aux limites de ses
compétences mais aussi au questionnement des structures
familiales. Elle impose d’interroger la solidité des principes
fondamentaux qui structurent le positionnement professionnel quel
que soit le métier de l’intervenant. Ainsi, pour le magistrat, les
violences conjugales testent le principe essentiel de la charge de la
preuve. Dans toute action judiciaire, chaque demande doit être
étayée en rapportant la preuve des faits allégués, mais comment
prouver ce qui se passe à l’intérieur de la maison familiale dans le
secret  ? Elles testent aussi le principe de l’impartialité des
juridictions au nom duquel le juge doit se placer à « équidistance »
des parties, mais « entre le loup et l’agneau, être neutre, c’est être
du côté du loup ».
Enfin, prendre en compte la gravité des violences conjugales et la
dangerosité des agresseurs confronte tout tiers à la peur
légitimement éprouvée face à la violence. Or le déni est une
stratégie de défense contre la peur et peut conduire à faire alliance
avec l’agresseur (Herman, 1992, cité par Romito et Crisma, 2009).

Il paraît dès lors essentiel de progresser dans la définition précise des notions
convoquées par les violences conjugales (Christen et al., 2010), mais aussi dans le
repérage des traumatismes causés à l’enfant et d’esquisser des pistes d’action
professionnelle spécialisée, tant dans le champ thérapeutique et éducatif que
judiciaire.

L’ENFANT EST VICTIME

DES VIOLENCES CONJUGALES


Désigner l’enfant comme victime des violences conjugales, puisque
tel est le parti pris de cet ouvrage, c’est avant tout établir, ou plus
exactement reconnaître, une symétrie entre l’enfant victime et la
mère victime des violences conjugales, et une asymétrie entre ceux-
ci et le père. Poser que l’enfant est victime des violences conjugales,
c’est avant tout poser que l’enfant est comme la mère victime des
violences conjugales. Certes à une place, dans une responsabilité
de protection mutuelle et un stade de leur développement différents,
mais tous les deux victimes. Il sera donc nécessaire de comprendre
ce que produit dans l’être le fait d’être victime de violences.
Or il existe dans la famille et la parentalité des enjeux de symétrie et
d’asymétrie  qui sont établis par la loi  : les deux parents sont dans
une position symétrique dans l’exercice de l’autorité parentale. Ainsi,
conformément aux dispositions de l’article  371-1 du Code civil,
« l’autorité parentale appartient aux père et mère de l’enfant pour le
protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité et pour assurer
son éducation dans le respect dû à sa personne  ». En revanche,
l’enfant est dans une position asymétrique par rapport à ses deux
parents dans la mesure où l’autorité parentale est l’expression
juridique de la hiérarchie existant entre les parents et l’enfant (on en
trouve une illustration à l’article 371-3 du Code civil qui dispose que
«  l’enfant ne peut sans permission des père et mère quitter la
maison familiale »).
Notre Code civil consacre donc d’une part l’égalité du père et de la
mère au sein de la famille et la hiérarchie qui existe entre les parents
et leur enfant. Cette conception des relations familiales est pourtant
récente puisqu’elle est issue de la loi du 4  juin 1970 qui a aboli le
régime de la puissance paternelle (la puissance maritale a été abolie
en 1938) pour lui substituer le régime de l’autorité parentale.
Dans l’ordre familial organisé autour de la puissance maritale et
paternelle, les rapports de symétrie et d’asymétrie étaient inversés.
Rappelons que le Code civil, en 1804, disposait à l’article  213 que
l’« homme doit protection à sa femme et la femme obéissance à son
mari.  » Comme le précisait le juriste Pothier dans le Traité de la
puissance du mari sur la personne et les biens de la femme, «  la
puissance du mari sur la femme consiste, par le droit naturel, dans le
droit qu’a le mari d’exiger d’elle tous les devoirs de soumission qui
sont dus à un supérieur ».
Seul dépositaire de la puissance, l’homme, mari et père, était dans
une position asymétrique par rapport à la femme, épouse et mère, et
à l’enfant, ceux-ci dans une position symétrique de subordination
hiérarchique à l’homme. C’est en ce sens que le juriste Ulpien
pouvait affirmer que «  nous appelons famille plusieurs personnes,
plus de deux, qui ont été placées, soit par la nature soit par le droit
sous la puissance d’une seule… le père de famille est celui qui est
maître chez lui » (Durand, mai 2012).

VIOLENCES CONJUGALES

ET DOMINATION MASCULINE
Les violences conjugales créent donc de nouveaux enjeux, cette fois
« hors la loi », de symétrie et d’asymétrie au sein de la famille, qui
font écho au régime juridique immémorial mais désormais aboli de la
puissance maritale et paternelle et le perpétuent. Par la violence, le
violent conjugal se place en position asymétrique vis-à-vis de la
mère et de l’enfant, tous les deux dans une position symétrique de
soumission. La violence conjugale peut aussi pervertir les relations
familiales au point que l’enfant est mis en position asymétrique à
l’égard de sa mère, comme protecteur ou comme agresseur.

Situer ainsi les violences conjugales dans la lente évolution du droit de la famille et des
places respectives assignées par la loi à l’homme, à la femme et à l’enfant met en
évidence que les violences conjugales ne peuvent être abordées et comprises sans
interroger d’abord les rapports entre les sexes et plus précisément encore ce qu’il
convient d’appeler la domination masculine (Héritier, 2002).

Ceci me semble appeler deux observations.


Tout d’abord, si les violences conjugales peuvent survenir dans
toutes les configurations conjugales (dans les couples hétérosexuels
par l’homme sur la femme comme par la femme sur l’homme, et
dans les couples homosexuels), elles sont très massivement, au
long de l’histoire et dans toutes les cultures, le fait de l’homme sur la
femme. Cette réalité nous conduira d’ailleurs dans cet ouvrage,
d’une part, à désigner la victime des violences comme la femme, la
mère ou la victime et, d’autre part, à désigner l’auteur comme le
mari, le père ou l’agresseur.
Ce positionnement de principe ne traduit pas une volonté de nier ou
de minimiser l’existence et la gravité des violences conjugales
subies par des hommes. Au contraire, les mesures de protection des
victimes de violences conjugales, dont bénéficient les hommes
comme les femmes, ont été conçues à partir de la perception du
caractère sexué des violences conjugales.
Ensuite, cette perspective met en évidence que les violences
conjugales sont essentiellement, tant sur le plan collectif ou social
que sur le plan individuel, un moyen utilisé par l’auteur pour garantir
sa domination sur l’autre dans le couple. Autrement dit, les violences
conjugales doivent être appréhendées comme un choix unilatéral de
leur auteur et non comme une pathologie du lien dont l’auteur et la
victime seraient l’un et l’autre responsables. À l’asymétrie (la
domination) recherchée et obtenue par la violence correspond non
seulement une asymétrie dans la responsabilité, mais également
une asymétrie dans les capacités parentales comme nous tenterons
de le démontrer dans les derniers chapitres de cet ouvrage.
Certes, il s’agit là d’un choix, d’une prise de position, mais les
violences conjugales, comme tous les problèmes, imposent un
choix, tant sur le plan conceptuel que sur celui de la pratique
professionnelle. On n’envoie pas les mêmes signes à une personne
victime de violences conjugales, à l’auteur et à l’enfant, si on
appréhende ces violences comme un passage à l’acte unilatéral
destiné à dominer l’autre ou si l’on pense qu’il s’agit d’une pathologie
du lien.
En somme, il n’y a pas de position neutre. Pour contester la validité
et la légitimité d’une pensée ou d’un engagement, on les qualifie
parfois de « militants », s’attribuant de facto la position incontestable
de l’expert. Pour l’autre, l’excès du militant  ; pour soi-même, le
prestige de la mesure. Il en est de même de l’argument de la
nuance, qui conduit à édulcorer la gravité de la violence et l’intensité
de la souffrance des victimes et, finalement à autoriser le tiers à ne
pas voir les violences conjugales.

PROTÉGER LA MÈRE,

C’EST PROTÉGER L’ENFANT


En outre, la reconnaissance (par le droit, par la société, par les
professionnels, voire par le père lui-même) que l’enfant est lui aussi
victime des violences conjugales paraît de nature à consolider
l’évolution des structures familiales, à mieux prévenir et réprimer les
violences conjugales et ainsi à protéger la mère et l’enfant, par la
volonté unanime de lutter contre toutes les formes de maltraitance
faites aux enfants. Et à n’en pas douter, les violences exercées par
le père sur la mère sont en même temps une maltraitance de la
mère et de l’enfant.
Toutefois, la reconnaissance indispensable que l’enfant est lui aussi
victime des violences conjugales ne doit pas détourner l’attention
portée au parent victime, au risque d’une nouvelle diversion dans la
compréhension de la problématique des violences conjugales. Cette
diversion conduirait à passer du questionnement sur le passage à
l’acte de l’auteur des violences conjugales à un questionnement sur
le couple dont le fonctionnement mettrait l’enfant en danger. Faisant
l’impasse sur l’emprise sur la mère et l’enfant, ce raisonnement
constituerait en définitive une complicité avec l’agresseur et
majorerait le danger encouru par la mère et l’enfant, alors qu’au
contraire la sécurité de la mère et celle de l’enfant sont
indissociables (Lessard, 2003 ; ONED-SDFE, 2008).
Une dernière précaution s’impose avant d’achever cette introduction.
La violence conjugale, comme toute forme de violence, fait un objet
de la personne qui la subit. C’est le but recherché par l’auteur des
violences. La lutte contre les violences conjugales et leur traitement
judiciaire, thérapeutique ou social ne doivent cependant pas
conduire à faire de la victime un objet de protection mais doivent
permettre à la victime d’être sujet de sa protection et de celle de son
enfant.

En somme, l’enjeu est bien de définir le positionnement juste et adapté du tiers, qu’il
soit éducateur, thérapeute ou magistrat, confronté aux violences conjugales et amené
à définir et à mettre en œuvre des mesures de protection et de soin au profit des
enfants victimes.

Au titre d’une approche judiciaire de l’enfant victime des violences


conjugales, nous proposerons d’abord un état du droit : « Que dit la
loi  ?  » (première partie), avant d’esquisser des pistes de réflexion
pour la pratique des juges et des travailleurs sociaux, une esquisse
de « clinique judiciaire » : « Que dit le juge ? » (seconde partie).

Notes
1. Cette évaluation correspond à celle de Karen Sadlier,
anciennement directrice d’unité à l’Institut de victimologie de Paris,
dans son expérience clinique : sur 2 000 consultations, un tiers des
enfants sont exposés aux violences conjugales (Sadlier, 2009).

2. Première épître de saint Paul aux Corinthiens, chapitre 12.


Partie​1

Que dit la loi ?

Évolution de la législation sur


les violences conjugales et les
enfants victimes
1

La répression

des violences conjugales

L e droit pénal français reconnaît trois catégories d’infractions


(art. 111-1 du Code pénal – ci-dessous CP) : les contraventions,
les délits et les crimes, qui sont définis en fonction de la peine
encourue pour chacune d’elles. Les contraventions sont punies
d’une peine d’amende contraventionnelle, les délits d’une peine
d’emprisonnement et d’amende, les crimes d’une peine de réclusion
et d’amende. Les violences conjugales sont soit des délits, soit des
crimes.

LA LÉGISLATION PÉNALE

SUR LES VIOLENCES CONJUGALES


Les violences conjugales de nature criminelle sont les viols
conjugaux, les violences conjugales avec torture ou acte de
barbarie, ou ayant entraîné une mutilation ou une infirmité
permanente et les homicides conjugaux. S’agissant des homicides
conjugaux (Raffin, 2012), 84  % des auteurs sont des hommes, le
passage à l’acte apparaissant comme une «  stratégie
d’appropriation  » définitive, point culminant de l’emprise,
spécialement quand il survient au moment où la femme tente de
quitter son conjoint ou son partenaire. Il apparaît également que
l’homicide fait le plus souvent suite à la perpétration de violences
conjugales pendant la vie commune par l’auteur de l’homicide. À
l’inverse, lorsque l’homicide est commis par la femme, il fait le plus
souvent suite à des violences conjugales qu’elle a subies et survient
dans une « stratégie de préservation », de protection d’elle-même et
de l’enfant. Il ressort également de cette étude qu’au moins 37
enfants ont eux-mêmes été tués sur 883 homicides conjugaux
recensés entre 2006 et 2010.

Adaptation de la législation

Les violences conjugales de nature délictuelle sont les autres


violences, qu’elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles.
Le droit pénal a été adapté aux situations de violences conjugales
par les lois successives pour mieux prendre en compte l’ensemble
des situations dans lesquelles peuvent être commises des violences
conjugales, quelle que soit la nature juridique du couple, l’existence
ou l’absence de cohabitation et les violences conjugales post-
séparation.
La loi 2006-399 du 4  avril 2006 relative à la prévention et à la
répression des violences au sein du couple est intervenue en
réponse au double objectif de protection des victimes (notamment
par la généralisation des mesures d’éviction du conjoint violent) et
d’amélioration de la prise en charge des auteurs (suivi
thérapeutique).
Cette loi a spécialement pris en considération la nature affective de
la relation entre l’auteur et la victime qui caractérise les violences
conjugales et qui constitue désormais une circonstance aggravante
de l’infraction, quelle que soit la nature juridique du lien (conjoint,
partenaire d’un PACS, concubin) et l’actualité de ce lien. Ainsi,
l’article 132-80 du Code pénal dispose :
«  Dans les cas respectivement prévus par la loi ou le règlement, les peines
encourues pour un crime, un délit ou une contravention sont aggravées lorsque
l’infraction est commise par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime
par un pacte civil de solidarité, y compris lorsqu’ils ne cohabitent pas (précision issue
de la loi du 3 août 2018).
La circonstance aggravante prévue au premier alinéa est également constituée
lorsque les faits sont commis par l’ancien conjoint, l’ancien concubin ou l’ancien
partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité. Les dispositions du présent
alinéa sont applicables dès lors que l’infraction est commise en raison des relations
ayant existé entre l’auteur des faits et la victime. »

La circonstance aggravante du lien entre l’auteur et la victime se


retrouve donc dans les différentes incriminations de violences  :
tortures et actes de barbaries (art. 222-3 6°  CP), violences ayant
entraîné la mort sans intention de la donner (art. 222-8 6°  CP),
violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente
(art. 222-10 6°  CP), violences ayant entraîné une incapacité totale
de travail pendant plus de huit jours (art. 222-12 6°  CP), violences
ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit
jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité de travail (art. 222-13
6° CP).

Le lien «  conjugal  » entre l’auteur et la victime est également une circonstance


aggravante du viol (art. 222-24  11°  CP), de l’agression sexuelle (art. 222-28  CP) et
enfin du meurtre (art. 221-4 9° CP).

Postérieurement à la loi du 4  avril 2006, la loi du 5  mars 2007


relative à la prévention de la délinquance a prévu l’extension du suivi
sociojudiciaire aux auteurs de violences conjugales et l’injonction de
soins en matière correctionnelle lorsque les violences présentent un
caractère habituel.
Enfin, la loi 2010-769 du 9 juillet 2010 déjà citée répond aux objectifs
de renforcer la répression des violences faites aux femmes ou au
sein du couple et de favoriser l’effectivité des mesures
d’éloignement. Elle étend l’incrimination de violences habituelles aux
faits commis par le conjoint, le concubin ou le partenaire d’un pacte
civil de solidarité (PACS) ainsi qu’à l’ancien conjoint, l’ancien
concubin et l’ancien partenaire d’un PACS (art. 222-14 CP). Enfin, la
loi prévoit l’aggravation des peines (art. 222-18-3 CP) et l’extension
de la peine de suivi sociojudiciaire (art. 222-48-1 CP) pour les faits
de menaces proférées au sein du couple.
Violences psychologiques et suicide forcé

Elle précise que «  les violences prévues par le Code pénal sont
réprimées quelle que soit leur nature, y compris s’il s’agit de
violences psychologiques » (art. 222-14-3 CP).
La loi, modifiée à plusieurs reprises (par les lois de 2014, 2018 et
2020) a créé une incrimination spécifique du harcèlement conjugal
qui est constitué par « des propos ou comportements répétés ayant
pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie [de la
victime] se traduisant par une altération de sa santé physique ou
mentale  » (art. 222-33-2-1 CP). Cette disposition met en évidence
une dimension méconnue ou sous-estimée des attaques du violent
conjugal contre sa conjointe, même après la séparation du couple :
la volonté de maintenir sur elle une emprise et de nuire à ses
conditions de vie. Ce harcèlement peut s’appuyer sur de nombreux
prétextes, notamment celui de la parentalité par laquelle le violent
conjugal cherche à contrôler la vie de la mère et des enfants même
s’il ne vit plus avec eux.
Ce phénomène d’une grande gravité est encore insuffisamment pris
en compte malgré l’abondance des témoignages de victimes et de la
littérature scientifique. Le harcèlement, dans le même objectif que
dans les cas de féminicides, correspond à une stratégie
d’appropriation de la victime et génère pour elle un épuisement
d’autant plus grand qu’il est incompris des tiers. Il peut conduire la
victime à des tentatives de suicide : 12 % des suicides sont ceux de
femmes victimes de violences conjugales et, en 2019, deux cent dix-
sept femmes victimes de violences conjugales ont été poussées au
suicide par leur compagnon ou ex-compagnon. Depuis la loi du
30 juillet 2020, la peine prévue pour le harcèlement est portée à dix
ans d’emprisonnement lorsqu’il a conduit la victime à se suicider ou
tenter de se suicider. La mise en œuvre effective de cette disposition
protectrice doit conduire à rechercher les causes de tout passage à
l’acte suicidaire mais surtout à prendre au sérieux toute révélation de
violence conjugale sans la minimiser («  C’est la première fois, ce
n’est qu’une petite gifle.  » «  Ce n’est pas grave s’il ramène les
enfants en retard »…).

Prendre en compte les cyber-violences

L’essor des nouvelles technologies informatiques et de


communication a généré un usage néfaste dans le cadre des
violences conjugales. La société et les pouvoirs publics prennent en
effet conscience de l’accroissement préoccupant du problème des
cyber-violences conjugales (HCE, 2017).
Ces technologies (Internet, réseaux sociaux, géolocalisation
notamment) sont de plus en plus utilisées par les violents conjugaux
comme des moyens de contrôle coercitif sur leur conjointe et les
enfants ou par les outils de communication utilisés par les enfants,
même après la séparation du couple. On constate par exemple
qu’en offrant à son enfant un téléphone portable et après avoir mis
en fonctionnement un dispositif de géolocalisation, l’agresseur peut
contrôler les déplacements ou connaître l’adresse de son ex-
conjointe. Se développent aussi les dispositifs de vidéosurveillance
qui permettent en secret de contrôler l’activité et les fréquentations
de la femme victime de violences conjugales.
Il est donc essentiel de développer des stratégies de vigilance et de
protection pour lutter contre ces nouveaux moyens d’emprise et de
violence en dotant les forces de sécurité intérieure des outils et des
formations nécessaires et en adaptant les pratiques professionnelles
à ce problème nouveau. En effet, si les stratégies de contrôles sont
inhérentes aux violences conjugales, les nouveaux moyens
informatiques et électroniques en déploient les potentialités.

Les cyber-violences conjugales sont désormais explicitement prises en compte par la


loi. En effet, depuis la loi du 30 juillet 2020, la peine encourue a été aggravée (art. 222-
16 CP) pour les appels ou messages malveillants y compris par la voie des
communications électroniques et le législateur a créé une incrimination nouvelle (art.
226-1 3° CP) réprimant la captation, l’enregistrement ou la transmission de la
localisation d’une personne sans son consentement (ministère de la Justice, 2020).
De la plainte de la victime

aux réponses pénales

C’est le plus souvent la plainte de la victime qui révèle l’existence


des violences conjugales et conduit à l’intervention des forces de
l’ordre (Police nationale ou Gendarmerie nationale). Toutefois, les
faits peuvent être portés à leur connaissance ainsi qu’à celle du
procureur de la République par le signalement d’un tiers, une
personne physique ou une institution.
Qu’il s’agisse d’une infraction de nature criminelle ou délictuelle, le
procureur de la République occupe une place essentielle dans la
répression des violences conjugales (Gili, 2012). C’est en effet le
procureur de la République qui va mettre en mouvement l’action
publique et déterminer le mode de poursuite pénale qui lui paraît
adapté à l’infraction commise, au nom du principe de l’opportunité
des poursuites. Certes, la victime peut elle-même mettre en
mouvement l’action publique par la plainte avec constitution de
partie civile devant le juge d’instruction ou par la citation directe de
l’auteur devant le tribunal correctionnel s’agissant d’un délit.
François Molins, procureur général près la Cour de cassation,
précise que l’enquête en flagrance et le placement de l’agresseur en
garde à vue doivent être priviliégiés, notamment parce que le temps
de la garde à vue initie un processus de décohabitation entre le
violent conjugal et sa conjointe (Ronai-Durand, 2017).
Le procureur de la République peut poursuivre l’auteur des violences
conjugales devant la juridiction de jugement ou privilégier une
alternative aux poursuites (ministère de la Justice, 2011). Le
classement sans suite sans mesure alternative, qui ne donne
aucune suite pénale aux faits de violence, apparaît fortement
inadapté dans les circonstances de violences conjugales. Le
procureur de la République peut, au titre des alternatives aux
poursuites, décider un rappel à la loi par officier de police judiciaire
ou par un délégué du procureur. Il peut également choisir la voie de
la composition pénale, «  procédure hybride  » entre les poursuites
pénales et l’alternative aux poursuites : si les faits sont reconnus, le
procureur de la République peut proposer l’exécution de plusieurs
mesures prévues à l’article  41-2 du Code de procédure pénale,
comme l’interdiction de rencontrer la victime, faire l’objet d’une prise
en charge sanitaire ou accomplir un stage de responsabilisation.
Cette proposition est soumise à la validation d’un juge qui statue en
principe sans audience. La composition pénale est inscrite au
bulletin numéro  1 du casier judiciaire (Desportes et Lazerges-
Cousquer, 2012).
On peut interroger la pertinence dans les situations de violences
conjugales d’une telle mesure dont la portée en termes de
signification de la loi et de l’interdit est somme toute limitée.
Plus encore, l’option de l’alternative aux poursuites avec mise en
œuvre d’une médiation pénale devait par principe être exclue dans
le contexte des violences conjugales. Cette modalité conduisait à
ramener l’auteur et la victime à un face-à-face par hypothèse inégal.
La loi du 9 juillet 2010 et celle du 4 août 2014 avaient donc restreint
l’usage de la médiation pénale en subordonnant son prononcé à
l’accord ou à la demande expresse de la victime, qui était présumée
ne pas y consentir si elle avait saisi le juge aux affaires familiales
d’une demande de délivrance d’une ordonnance de protection (art.
41-1 5° CPP). Depuis la loi du 30  juillet 2010, le recours à la
médiation pénale est interdit dans les situations des violences
conjugales.
Enfin, s’agissant de la réponse pénale, la loi du 4 août 2014 a créé
le stage de prévention de la récidive en matière de violences faites
aux femmes, qui pourra être prononcé comme alternative aux
poursuites, composition pénale, ou au stade du jugement comme
obligation d’une peine de sursis avec mise à l’épreuve ou comme
peine complémentaire. L’étude d’impact du 1er  juillet 2013 dans le
cadre du projet de loi pour une égalité réelle entre les femmes et les
hommes indiquait que la création de ce stage spécifique aux
violences faites aux femmes était une réponse au taux de récidive
(8  %) constaté pour les violences conjugales, supérieur au taux de
récidive constaté pour les autres violences (5 %).
En tout état de cause, l’impératif de restaurer la loi transgressée par
les violences conjugales conduit à privilégier les poursuites de
l’auteur des violences pour être jugé, soit par sa convocation directe
devant la juridiction de jugement, soit par l’ouverture préalable d’une
information judiciaire devant le juge d’instruction en raison de la
gravité des faits et des investigations encore à mener. L’auteur
pourra, durant l’instruction, être placé sous contrôle judiciaire, sous
assignation à résidence avec surveillance électronique ou en
détention provisoire.
La voie de la comparution immédiate, l’auteur des violences
conjugales étant présenté devant le tribunal correctionnel dès la fin
de la garde à vue, garantit sa comparution et la sécurité de la victime
et de son entourage, tout particulièrement les enfants.
La comparution de l’auteur des violences conjugales devant la
juridiction de jugement pourra également intervenir par la
convocation devant le tribunal correctionnel par officier de police
judiciaire, par la citation directe par le procureur de la République ou
par la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Toutefois, ces trois modalités de poursuite ne permettent pas de
prendre des mesures de sûreté jusqu’à la date du jugement.
En revanche, conformément aux dispositions de l’article  394 du
Code de procédure (CPP) pénale modifié par la loi du 9 juillet 2010,
la convocation par procès-verbal de l’auteur des violences
conjugales devant le tribunal correctionnel, dans un délai compris
entre dix jours et six mois, peut être assortie de réquisitions du
procureur de la République aux fins de placement sous contrôle
judiciaire1. Cette mesure de sûreté, qui sera ordonnée par le juge
des libertés et de la détention, permettra (ceci est vrai également
s’agissant d’un contrôle judiciaire ordonné dans le cadre d’une
information judiciaire) notamment de faire interdiction à l’auteur des
violences conjugales de se présenter au domicile familial ou au
domicile de la mère et de l’enfant ou même de les rencontrer ou
d’entrer en contact avec eux. Le contrôle judiciaire pourra également
fort opportunément faire obligation à l’auteur des violences
conjugales de se rendre à une consultation thérapeutique.
Depuis la loi du 30 juillet 2020 (art. 138 CPP), le juge des libertés et
de la détention (ou le juge d’instruction) doit se prononcer sur la
suspension du droit de visite et d’hébergement du mis en cause à
l’égard de son enfant si l’agresseur est astreint à l’obligation de
quitter le domicile du couple, à une interdiction d’entrée en contact
ou au port du bracelet anti-rapprochement (voir infra).
Si les interdictions ou les obligations du contrôle judiciaire ne sont
pas respectées par l’auteur des violences conjugales, le contrôle
judiciaire pourrait être révoqué et le prévenu placé en détention
provisoire. En outre, et afin d’assurer la protection efficace de la
victime des violences conjugales, les forces de l’ordre peuvent
appréhender et retenir pendant une durée de 24  heures toute
personne qui aurait manqué aux obligations du contrôle judiciaire
(Poirret in Sadlier, 2010).
Afin de renforcer la sécurité de la mère et des enfants, la loi a
également prévu que l’auteur des violences sur son conjoint (ou ex-
conjoint) ou sur ses enfants (ou sur ceux de son conjoint) peut être
placé sous surveillance électronique mobile, durant la phase
présententielle dans le cadre d’une assignation à résidence, si la
peine encourue pour les violences est supérieure ou égale à cinq
ans d’emprisonnement (art. 142-12-1 CPP), comme après le
jugement, si la condamnation est supérieure ou égale à deux ans
d’emprisonnement lorsque la peine encourue est supérieure ou
égale à cinq ans d’emprisonnement et que sa dangerosité a été
constatée par une expertise médicale (art. 131-36-12-1 CP).
Enfin, la protection de la victime peut être mise en œuvre par deux
dispositifs : le dispositif de téléprotection dit « femmes en très grand
danger » et le bracelet électronique anti-rapprochement (BAR).
Le dispositif de téléprotection pour les femmes en très grand danger,
dit «  téléphone portable grave danger  » (TGD), consiste en
l’attribution à la victime d’un téléphone spécifique qui lui permet de
contacter en urgence les autorités publiques en cas de manifestation
de l’auteur des violences en violation des obligations et des
interdictions judiciairement imposées et, notamment, l’interdiction de
rencontrer la victime ou de s’approcher de son domicile. Ce dispositif
avait déjà été expérimenté dès 2009 en Seine-Saint-Denis puis dans
le Bas-Rhin sur le fondement des dispositions de l’article  32-30 du
Code de procédure pénale issu du décret n°  2010-355 du 1er  avril
20102.
Ainsi que l’avait annoncé le comité interministériel aux droits des
femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes du
30  novembre 2012, la loi du 4  août 2014 pour l’égalité réelle entre
les femmes et les hommes a généralisé ce dispositif dont
l’expérimentation en Seine-Saint-Denis et dans le Bas-Rhin avait
démontré la pertinence et l’efficacité en termes de protection
(Poirret, 2013 ; Martinais in Ronai-Durand, 2017).
En effet, le TGD accroît la protection de la victime de violences
conjugales et prend en compte la dangerosité des violents
conjugaux. Le gouvernement a progressivement augmenté le
nombre de téléphones mis à disposition des procureurs de la
République. Le TGD génère aussi un sentiment de protection
important pour les victimes et donc aussi pour leurs enfants. Il
répond à un objectif de prévention de la violence puisqu’il permet de
protéger la victime avant même la commission de nouveaux
passages à l’acte.
Prévu par la loi du 28  décembre 2019, le bracelet anti-
rapprochement (BAR) est un dispositif électronique qui permet de
contrôler la distance entre un violent conjugal et la victime par leur
géolocalisation. Il a vocation à être mis en œuvre dans les cas de
violences les plus graves. Dans le cadre pénal, il peut être ordonné
pendant la phase présententielle (avant le jugement) ou au moment
de la condamnation du violent conjugal par la juridiction de
jugement. Il peut également être délivré par le juge aux affaires
familiales dans le cadre civil mais avec l’accord des deux parties. Si
le violent conjugal le refuse, le juge aux affaires familiales doit en
informer le procureur de la République qui pourra le cas échéant
ordonner des poursuites pénales permettant que le BAR soit imposé
à l’agresseur.
LE STATUT DE L’ENFANT VICTIME

DES VIOLENCES CONJUGALES

EN DROIT PÉNAL
Dans une approche strictement pénale des violences conjugales, il
paraît difficile de considérer que l’enfant est victime de ces
violences. En effet, toute infraction est nécessairement constituée de
trois éléments : un élément légal (le texte qui réprime une infraction),
un élément matériel (le fait qui constitue l’infraction) et un élément
moral (la volonté de l’auteur de l’infraction). Dans les violences
conjugales, l’élément intentionnel peut difficilement être étendu à
l’enfant.
Le père a intentionnellement (élément moral) agi avec violence
(élément matériel, que la violence soit physique, psychologique,
sexuelle) contre la mère, ce qui est effectivement réprimé par la loi
(élément légal décrit plus haut).
Si les violences conjugales affectent incontestablement l’enfant et lui
causent des traumatismes majeurs, il n’est pas directement l’objet
de la violence qui est exercée sur sa mère, objet exclusif de
l’intention violente, de sorte que l’enfant ne peut à notre sens se voir
reconnaître le statut de victime au sens pénal. Ce raisonnement doit
néanmoins être nuancé sous trois aspects distincts.
En premier lieu, les traumatismes causés à l’enfant constituent un
préjudice certain dont les violences conjugales sont le fait
générateur et qui peut donner lieu à réparation sous forme de
dommages-intérêts, c’est-à-dire une somme d’argent. Mineur et
donc dépourvu de la capacité juridique, l’enfant ne peut agir en
justice que par la représentation légale de l’un de ses parents (le
parent victime des violences conjugales par hypothèse) ou d’un
administrateur ad hoc plus vraisemblablement compte tenu du conflit
d’intérêts entre les deux parents. Une disposition en ce sens a été
opportunément ajoutée au code de procédure pénale (art. D. 1-11-1)
par le décret n°2021-1516 du 23 novembre 2021 précisant que « le
procureur de la République veille à ce que le mineur puisse se
constituer partie civile lors des poursuites [pour violences
conjugales], le cas échéant en étant représenté par un
administrateur ad hoc ».
En deuxième lieu, dans un contexte de violences conjugales, l’enfant
peut être lui-même victime directe des violences du père,
notamment s’il s’interpose entre son père et sa mère pour protéger
celle-ci ou si les violences sont dirigées contre la mère et l’enfant
simultanément (Cario, 2012). Toutefois, l’infraction ici sera double  :
violences conjugales et violences contre l’enfant. Ces dernières sont
réprimées par le Code pénal qui prévoit par ailleurs que l’âge de
l’enfant constitue une circonstance aggravante des violences
habituelles ou non habituelles si l’enfant a moins de 15 ans (art. 222-
12, 222-13, 222-14 CP).
La réflexion sur la protection pénale de l’enfant victime des violences
conjugales conduit, en troisième lieu, à s’interroger sur les violences
conjugales commises contre la femme enceinte, c’est-à-dire contre
la mère et l’embryon ou le fœtus indissociablement. Ces violences
peuvent causer à l’enfant des dommages physiques majeurs et
parfois même sa mort. Or, et cette question est à l’évidence
extrêmement délicate, l’enfant qui n’est pas encore né n’a pas la
personnalité juridique et en l’état du droit, aucune infraction ne peut
être directement constituée contre lui (Bonfils et Gouttenoire, 2008).
En revanche, l’état de grossesse de la mère est une circonstance
aggravante des violences commises contre elle (art. 222-12, 222-13,
222-14 CP).
Afin de mieux prendre en compte dans le cadre pénal la gravité de
l’impact des violences conjugales sur l’enfant et ainsi de mieux le
protéger, deux voies peuvent être envisagées.
La première consiste à réprimer la violence conjugale à la fois en
tant que violence sur la conjointe et en tant que violence ou mauvais
traitement contre l’enfant. Si le principe du droit non bis in idem
exclut la possibilité de poursuivre et condamner deux fois une
personne pour un même fait, le mécanisme juridique du cumul idéal
de qualification le permet par exception, en cas de pluralité de
victimes et/ou d’intérêts sociaux protégés. Or, dans la mesure où les
violences conjugales ont un impact traumatique majeur sur la victime
directe et sur l’enfant, même s’il n’est pas lui-même directement
l’objet de violences, il est concevable que le violent conjugal soit
poursuivi à la fois pour les violences conjugales et pour mauvais
traitements sur l’enfant. Cette voie signifierait très clairement le
caractère indissociable de la victimation de la mère et de l’enfant.
La seconde manière de prendre en compte l’enfant victime de
violences conjugales sur le plan pénal est de disposer que sa
présence au moment des faits constitue une circonstance
aggravante du délit ou du crime conjugal. Elle traduit aussi l’objectif
social de renforcer la sécurité et l’intégrité de l’enfant. C’est la voie
choisie par le gouvernement et le législateur par la loi du 3  août
2018. C’est indéniablement un progrès à la fois pour la lutte contre
les violences conjugales et pour la protection de l’enfance. Le décret
précité du 23 novembre 2021 a renforcé la mise en œuvre de cette
disposition en précisant qu’en cas de violences conjugales, le
procureur de la République doit vérifier «  avant de mettre l’action
publique en mouvement, si ces violences ont été commises en
présence d’un mineur ».

Notes
1. Le contrôle judiciaire peut également être ordonné par le juge
d’instruction dans le cadre d’une information judiciaire.

2. Je remercie Monsieur Patrick Poirret, alors procureur général près


la cour d’appel de Nancy, pour les précisions qu’il a bien voulu
m’apporter sur ces dispositifs.
2

L’enfant victime des violences


conjugales et la séparation

des parents

L es violences conjugales pouvant conduire à la séparation du


couple, le juge aux affaires familiales sera saisi pour statuer sur
le divorce des époux ainsi que sur les modalités d’exercice de
l’autorité parentale à l’égard de l’enfant commun. Si les parents ne
sont pas mariés, l’un d’eux peut néanmoins saisir le juge aux affaires
familiales pour qu’il statue sur les modalités d’exercice de l’autorité
parentale à l’égard de l’enfant commun, les règles de droit étant les
mêmes que les parents soient mariés ou non.

L’ENFANT DE PARENTS MARIÉS


Si les parents sont mariés, leur séparation doit être consacrée par le
prononcé de leur divorce (ou de leur séparation de corps). Le droit et
la procédure du divorce ont été profondément réformés ces
dernières années, tant pour le divorce par consentement mutuel par
la loi du 18  novembre 2016 que pour les divorces contentieux
(acceptation du principe de la rupture du mariage ou sur demande
acceptée, altération du lien conjugal, faute) par la loi du 23  mars
2019. L’objectif de ces réformes est de simplifier et d’accélérer les
procédures, mais aussi de favoriser la recherche d’accords entre les
époux. Dans une logique libérale et à distance de la vie réelle des
couples, cet objectif paraît conforme aux intérêts des personnes qui
divorcent et à leur famille. Ces réformes comportent cependant un
risque important de prendre insuffisamment en compte les besoins
des enfants mais aussi les déséquilibres entre les époux,
particulièrement dans les situations de violences conjugales.
Les violences conjugales constituent une faute qui peut donner lieu
à un divorce aux torts exclusifs du mari sur ce fondement. La preuve
de ces faits est parfois difficile à rapporter, d’une part, car les
violences conjugales sont le plus souvent commises dans le huis
clos familial et d’autre part, car les enfants ne peuvent prendre part
dans la procédure aux débats sur les griefs allégés par les époux
(cette interdiction les protège des conflits de loyauté).
L’établissement des violences conjugales doit donc s’appuyer sur un
faisceau de faits et, sans doute aussi, sur la connaissance par le
juge aux affaires familiales de la particularité de ces situations.
Il convient de préciser ici que l’acte juridique ouvrant l’instance en
divorce pour faute et saisissant le juge aux affaires familiales
(assignation ou requête conjointe) ne doit pas expliciter les faits à
l’origine du divorce. En d’autres termes, dans la situation des
violences conjugales, la mère ne peut préciser dans la requête
initiale qu’elle entend demander le divorce pour faute au motif des
violences.
Pour autant, il paraît essentiel que la circonstance des violences
conjugales soit soutenue devant le juge aux affaires familiales (avec
les pièces qui les établissent) pour que le juge les prenne en compte
lorsqu’il se prononcera sur les modalités d’exercice de l’autorité
parentale. Il est en effet impératif que le juge aux affaires familiales
soit informé que l’enfant est victime de violences conjugales pour
déterminer des modalités d’exercice de l’autorité parentale
conformes à son intérêt et adaptées à cette situation familiale
particulière.
Par ailleurs, la circonstance des violences conjugales n’interdit pas
aux parents de choisir de divorcer par consentement mutuel, s’ils
s’accordent sur le principe et les effets de la rupture, devant notaire
(art. 229-1 à 229-4 du Code civil – CC) ou par le juge aux affaires
familiales (art. 230 à 232 CC). Ils établiront alors une convention qui
doit notamment prévoir les modalités de vie de l’enfant. S’il s’agit
d’un divorce devant notaire, l’avocat de chacun des époux doit
contresigner la convention. S’il s’agit d’un divorce judiciaire, le juge
aux affaires familiales pourra refuser de l’homologuer si elle ne
préserve pas les intérêts de l’enfant ou de l’un des parents (art.
232  CC). Il n’est pas rare qu’une femme victime de violences
conjugales consente à cette procédure de divorce non contentieuse
et plus rapide qu’un divorce pour faute, parfois d’ailleurs pour cette
seule raison. Il importe néanmoins de vérifier que son consentement
aux modalités de la séparation telles qu’elles sont établies dans la
convention des époux est éclairé et donné sans contrainte – malgré
le contexte de violences conjugales – et enfin que les modalités
d’organisation de la vie de l’enfant sont équilibrées et conformes à
son intérêt.

L’ENFANT DE PARENTS NON MARIÉS


Si les parents ne sont pas mariés, la loi ne leur impose pas de saisir
le juge aux affaires familiales pour statuer sur la vie de l’enfant après
leur séparation. La vie de famille est alors organisée selon les
modalités que la mère et le père auront déterminées ensemble,
s’agissant de la résidence de l’enfant (chez la mère, chez le père, ou
chez les deux en alternance), du droit de visite et d’hébergement
avec le parent chez lequel l’enfant n’a pas sa résidence habituelle
ainsi que de la contribution financière à l’entretien et à l’éducation de
l’enfant.
Dans la situation de l’enfant victime des violences conjugales, il
paraît fortement souhaitable que ses conditions de vie après la
séparation de ses parents soient instituées par le juge aux affaires
familiales. En effet, le rapport de force qui existe par définition entre
les parents dont l’un est l’auteur et l’autre la victime des violences
permet difficilement d’envisager que leurs relations après leur
séparation soient apaisées. Au contraire, les violences sont
susceptibles de perdurer, voire de s’intensifier, au moment et après
la séparation, dont la mère victime prend l’initiative dans la très
grande majorité des cas, notamment au sujet de l’organisation de la
vie de l’enfant qui devient le prétexte (autrement dit un objet) à la
perpétuation de l’emprise et de la violence (Romito, 2011).

Dans ces conditions, la mère ne peut être laissée dans un face-à-face avec le père, et
le jugement qui aura été rendu par le juge aux affaires familiales deviendra la « loi »
applicable à la famille, ce qui paraît protecteur pour la mère comme pour l’enfant.

L’ORDONNANCE DE PROTECTION
Par la loi n°  2004-439 du 26  mai 2004 relative au divorce, le
législateur avait déjà exprimé sa conscience de la problématique des
violences conjugales et créé des dispositions spécifiques à ces
situations avec la procédure dite du «  référé-violences  », insérée à
l’article 220-1 du Code civil (CC), procédure d’urgence d’éviction du
conjoint violent avant même le dépôt d’une requête en divorce. Le
juge aux affaires familiales pouvait être saisi en urgence par la
victime de violences conjugales et statuer sur la résidence séparée
des époux, la jouissance du domicile conjugal (attribuée au conjoint
qui n’est pas l’auteur des violences), sur les modalités d’exercice de
l’autorité parentale à l’égard de l’enfant commun et la contribution
aux charges du mariage. L’articulation des procédures civile et
pénale était prévue par la dénonciation de l’assignation en référé au
procureur de la République (art.  1290 alinéa  2 du Code de
procédure civile issu du décret du 29 octobre 2004). Cette procédure
était néanmoins réservée aux couples mariés.
La loi du 9 juillet 2010 substitue l’ordonnance de protection (art. 515-
9 à 515-13 CC) à la mesure d’éviction du conjoint violent. Outil
nouveau et original, fruit du long travail de réflexion conduit sous
l’impulsion de l’observatoire départemental des violences faites aux
femmes du département de la Seine-Saint-Denis, cette mesure, qui
prend pleinement en compte les mécanismes des violences
conjugales et le danger dans lequel se trouvent la mère et l’enfant,
est applicable à tous les couples et non seulement aux époux. Elle
est une mise en œuvre opérationnelle de ce qu’Ernestine Ronai
nomme la culture de la protection puisqu’elle a pour finalité de
protéger la femme victime de violences conjugales et ses enfants
avant la commission de nouveaux passages à l’acte (Ronai, 2017).
Il n’est pas nécessaire qu’une plainte ait été déposée dans le cadre
pénal pour qu’une victime de violences conjugales bénéficie d’une
ordonnance de protection (ministère de la Justice, 2020). En effet, il
s’agit d’une mesure civile qui relève de la compétence du juge aux
affaires familiales, même si les députés auteurs de la proposition de
loi, sous l’inspiration notamment de Monsieur Poirret, alors procureur
de la République adjoint près le tribunal de grande instance de
Bobigny1, prévoyaient que l’ordonnance de protection relève de la
compétence du juge délégué aux victimes (Poirret in Sadlier, 2010).
Le juge aux affaires familiales peut être saisi par la victime des
violences conjugales. Il peut aussi être saisi par le procureur de la
République avec l’accord de la victime (art. 515-10 alinéa  1 c.civ).
Cette disposition met en évidence que les violences conjugales ne
sont pas seulement du registre privé mais concernent l’ordre public
et la société, dont les intérêts sont représentés par le procureur de la
République.
Le texte instituant l’ordonnance de protection met en évidence de
façon très pertinente la symétrie entre le parent victime des
violences conjugales et l’enfant en raison du même danger auquel
ils sont exposés par la violence conjugale de l’autre parent. En effet,
l’article  515-9 du Code civil dispose que «  lorsque les violences
exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint, un ancien
partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin
mettent en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs
enfants, le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence à
cette dernière une ordonnance de protection ».
Or il est essentiel de bien percevoir que tout contexte de violence
conjugale caractérise une situation de danger, tant pour la victime
que pour ses enfants. En effet, quels que soient la nature du
passage à l’acte et le moment où la victime révèle les violences
qu’elle subit, celles-ci s’inscrivent dans un cycle de violence (voir
infra) par lequel l’agresseur instaure un climat de peur. En outre, les
violents conjugaux agissent dans l’imprévisibilité et l’emprise. En
conséquence, dès lors que la vraisemblance des violences est
caractérisée, aucun danger ne peut être écarté. La mise en œuvre
de mesures de protection s’impose donc pour garantir la sécurité de
la victime et de ses enfants.
Nous pouvons à ce titre reproduire les propos éclairants de Madame
Catherine Quéré, parlementaire, au cours des débats qui ont conduit
à l’élaboration de cette loi :
«  N’oublions pas pour autant que les enfants témoins de violence sont aussi des
victimes. Le seul fait de vivre dans un climat de peur et de menaces constitue déjà
une forme de maltraitance. Leur souffrance doit être largement prise en compte par
les professionnels de santé et surtout par les services de protection de l’enfance.
C’est là que réside toute la difficulté : il faut protéger l’enfant en l’éloignant du parent
violent, sans pour autant ignorer la nécessité de maintenir des relations avec lui.
Mais on ne saurait pour autant oublier les effets préjudiciables sur la santé, sur la
sécurité, sur le comportement, sur le développement affectif et social des enfants
concernés : ils perdent totalement leurs repères, et nous avons été tous bouleversés
par les auditions des pédopsychiatres nous rapportant les lésions traumatiques, les
troubles psychologiques, les troubles du comportement et autres troubles
psychosomatiques observés sur ces enfants. Nous devons faire prévaloir l’intérêt des
enfants, assurer la prise en charge des enfants témoins, sensibiliser et former les
professionnels aux dangers encourus par ces enfants. Il y a urgence2. »

Conformément aux dispositions de l’article  515-11 du Code civil


(CC), l’ordonnance de protection permet au juge aux affaires
familiales :
1° d’interdire à la partie défenderesse de recevoir ou de
rencontrer certaines personnes spécialement désignées par le
juge aux affaires familiales, ainsi que d’entrer en relation avec
elles, de quelque façon que ce soit ;
1° bis d’interdire à la partie défenderesse de se rendre dans
certains lieux spécialement désignés par le juge aux affaires
familiales dans lesquels se trouve de façon habituelle la partie
demanderesse ;
2° d’interdire à la partie défenderesse de détenir ou de porter une
arme et, le cas échéant, lui ordonner de remettre au service de
police ou de gendarmerie qu’il désigne les armes dont elle est
détentrice en vue de leur dépôt au greffe  ; lorsque l’ordonnance
de protection édicte la mesure prévue au 1°, la décision de ne pas
interdire la détention ou le port d’arme est spécialement motivée ;
2° bis de proposer à la partie défenderesse une prise en charge
sanitaire, sociale ou psychologique ou un stage de
responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les
violences au sein du couple et sexistes. En cas de refus de la
partie défenderesse, le juge aux affaires familiales en avise
immédiatement le procureur de la République ;
3° de statuer sur la résidence séparée des époux. La jouissance
du logement conjugal est attribuée, sauf ordonnance
spécialement motivée justifiée par des circonstances particulières,
au conjoint qui n’est pas l’auteur des violences, et ce même s’il a
bénéficié d’un hébergement d’urgence. Dans ce cas, la prise en
charge des frais afférents peut être à la charge du conjoint
violent ;
4° de se prononcer sur le logement commun de partenaires liés
par un pacte civil de solidarité ou de concubins. La jouissance du
logement commun est attribuée, sauf ordonnance spécialement
motivée justifiée par des circonstances particulières, au partenaire
lié par un pacte civil de solidarité ou au concubin qui n’est pas
l’auteur des violences, et ce même s’il a bénéficié d’un
hébergement d’urgence. Dans ce cas, la prise en charge des frais
afférents peut être à la charge du partenaire ou concubin violent ;
5° de se prononcer sur les modalités d’exercice de l’autorité
parentale et, au sens de l’article  373-2-9, sur les modalités du
droit de visite et d’hébergement, ainsi que, le cas échéant, sur la
contribution aux charges du mariage pour les couples mariés, sur
l’aide matérielle au sens de l’article  515-4 pour les partenaires
d’un pacte civil de solidarité et sur la contribution à l’entretien et à
l’éducation des enfants  ; Lorsque l’ordonnance de protection
édicte la mesure prévue au 1° du présent article, la décision de ne
pas ordonner l’exercice du droit de visite dans un espace de
rencontre désigné ou en présence d’un tiers de confiance est
spécialement motivée ;
6° d’autoriser la partie demanderesse à dissimuler son domicile
ou sa résidence et à élire domicile chez l’avocat qui l’assiste ou la
représente ou auprès du procureur de la République près le
tribunal judiciaire pour toutes les instances civiles dans lesquelles
elle est également partie. Si, pour les besoins de l’exécution d’une
décision de justice, l’huissier chargé de cette exécution doit avoir
connaissance de l’adresse de cette personne, celle-ci lui est
communiquée, sans qu’il puisse la révéler à son mandant ;
6° bis d’autoriser la partie demanderesse à dissimuler son
domicile ou sa résidence et à élire domicile pour les besoins de la
vie courante chez une personne morale qualifiée ;
7° de prononcer l’admission provisoire à l’aide juridictionnelle des
deux parties ou de l’une d’elles en application du premier alinéa
de l’article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide
juridique.
La durée de ces mesures est limitée à six mois, mais elle peut être
prolongée si une demande en divorce ou en séparation de corps a
été déposée ou si le juge aux affaires familiales a été saisi d’une
demande relative à l’exercice de l’autorité parentale dans ce délai
(art 515-12 CC).
Tenant pleinement compte de la spécificité du processus des
violences conjugales, le législateur a assoupli deux principes
fondamentaux de la procédure civile, relatifs au contradictoire et à la
preuve. En effet, la loi prévoit, d’une part, que l’audition par le juge
aux affaires familiales de l’auteur et celle de la victime peuvent avoir
lieu séparément (art. 515-10 CC3) et, d’autre part, que l’ordonnance
de protection pourra être délivrée dès lors « qu’il existe des raisons
sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des
faits de violence allégués et le danger auquel la victime est
exposée  » (art. 515-11 CC). Les violences conjugales étant le plus
souvent commises dans le huis clos familial, la preuve de ces faits
est parfois difficile à rapporter. Sauf à maintenir un silence complice,
il est donc apparu nécessaire d’assouplir les règles de preuve dans
la circonstance des violences conjugales.
Afin d’assurer l’efficacité des mesures prévues par l’ordonnance de
protection, et donc la protection de la mère et de l’enfant victimes
des violences conjugales, la loi du 9  juillet 2010 prévoit que la
violation de l’ordonnance de protection est punie d’une peine de
deux ans d’emprisonnement (art.  227-4-2 CP). Cette articulation
entre la procédure civile et la procédure pénale garantit l’effectivité
de l’ordonnance de protection en permettant ainsi aux forces de
l’ordre d’appréhender l’auteur des violences4.

LES MODALITÉS D’EXERCICE

DE L’AUTORITÉ PARENTALE
Dans le souci de promouvoir la coparentalité, le législateur a affirmé
par la loi du 4  mars 2002 que la séparation des parents est sans
incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité
parentale et que chacun des parents doit maintenir des relations
personnelles avec l’enfant malgré la séparation conjugale (art. 373-2
CC). La promotion de la coparentalité conduit donc à traiter de façon
distincte ce qui relève dans la vie familiale du conjugal et du
parental. La loi du 22 juillet 1987 s’inscrivait déjà dans cette logique
en supprimant la notion de garde de l’enfant, à laquelle était associé
l’exercice de l’autorité parentale. Toutefois, malgré l’affirmation de
ces principes, l’un des parents peut se voir confier l’exercice exclusif
de l’autorité parentale «  si l’intérêt de l’enfant le commande  » et
l’exercice d’un droit de visite et d’hébergement peut être refusé pour
des « motifs graves » (art. 373-2-1 CC).
Conformément aux dispositions de l’article  373-2-11 du Code civil,
lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité
parentale, le juge prend notamment en considération :
1. la pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les
accords qu’ils avaient pu antérieurement conclure ;
2. les sentiments exprimés par l’enfant mineur ;
3. l’aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et à
respecter les droits de l’autre ;
4. le résultat des expertises éventuellement effectuées, tenant
compte notamment de l’âge de l’enfant ;
5. les renseignements qui ont été recueillis dans les éventuelles
enquêtes et contre-enquêtes sociales.
La loi du 9  juillet 2010 a instauré dans le Code civil (CC) des
dispositions relatives aux modalités d’exercice de l’autorité parentale
à l’égard de l’enfant victime des violences conjugales.
S’agissant de la détermination des modalités d’exercice de l’autorité
parentale, principalement de l’exercice conjoint ou exclusif de
l’autorité parentale, de la fixation de la résidence habituelle de
l’enfant et du droit de visite et d’hébergement chez lequel l’enfant n’a
pas sa résidence habituelle, l’article  373-2-11-6° du Code civil
prévoit désormais que le juge aux affaires familiales prenne en
considération « les pressions ou violences, à caractère physique ou
psychologique, exercées par l’un des parents sur la personne de
l’autre ».
Certes, les dispositions antérieures à la loi du 9  juillet 2010
autorisaient déjà le juge aux affaires familiales à déterminer avec
une prudence particulière les modalités d’exercice de l’autorité
parentale à l’égard de l’enfant victime des violences conjugales, qui
peuvent être considérées comme un «  motif grave  » justifiant de
refuser l’exercice d’un droit de visite et d’hébergement (art. 373-2-1
CC précité) ou commander l’attribution à la mère de l’exercice
exclusif de l’autorité parentale dans l’intérêt de l’enfant (même
article). De la même façon, l’examen de « l’aptitude de chacun des
parents à assumer ses devoirs et à respecter les droits de l’autre »
(art. 373-2-11 3° CC) devait être réalisé à la lumière des violences
exercées sur la mère et qui sont un manquement aux devoirs d’un
parent compte tenu de l’ampleur des traumatismes infligés à l’enfant
et la manifestation évidente du non-respect des droits élémentaires
de la mère (Gouttenoire, 2010).
Néanmoins, cette disposition nouvelle est opportunément adaptée
spécifiquement aux mécanismes particuliers et aux effets des
violences conjugales. Elle met en évidence le lien étroit établi dans
ce contexte aux enjeux relatifs à la conjugalité et à ceux relatifs à la
parentalité. Ainsi, conformément à l’esprit de ce texte, le juge aux
affaires familiales ne saurait cantonner les violences conjugales à la
seule appréciation des rapports entre l’homme et la femme dans leur
couple, mais doit en tirer des conséquences sur la parentalité de
l’auteur des violences.
Par ailleurs, en raison à la fois du lien qui doit être maintenu entre
les enjeux liés à la conjugalité et ceux liés à la parentalité dans le
contexte des violences conjugales comme en raison des violences
qui peuvent être exercées sur la mère et sur l’enfant après la
séparation, notamment au moment de l’exercice d’un droit de visite
et d’hébergement, la loi du 9 juillet 2010 a inséré aux articles 373-2-
1 et 373-2-9 du Code civil des dispositions de nature à garantir la
sécurité de la mère et de l’enfant :
« Lorsque l’intérêt de l’enfant le commande ou lorsque la remise directe de l’enfant à
l’autre parent présente un danger pour l’un d’eux, le juge en organise les modalités
pour qu’elle présente toutes les garanties nécessaires. Il peut prévoir qu’elle
s’effectue dans un espace de rencontre qu’il désigne, ou avec l’assistance d’un tiers
de confiance ou du représentant d’une personne morale qualifiée. »

C’est dans le cadre de ce texte qu’a été instituée en Seine-Saint-


Denis la mesure d’accompagnement protégé (MAP) sous l’impulsion
de l’observatoire départemental des violences faites aux femmes.
Cette mesure a été créée en raison de la prévalence de violences
conjugales (jusqu’au féminicide) au moment où le père rencontrait la
mère pour l’exercice de son droit de visite. Dans le cadre de la
mesure d’accompagnement protégé, le juge aux affaires familiales
désigne un service éducatif pour aller chercher l’enfant chez la mère
et le conduire chez le père puis le ramener chez lui. À cette
occasion, l’intervenante observe et prend en compte les émotions de
l’enfant puis la capacité du père à s’occuper de lui. Ces observations
seront le cas échéant transmises au juge aux affaires familiales.

Comme le démontre Ernestine Ronai, cette mesure est d’une grande pertinence
puisqu’elle garantit simultanément la protection de la mère et celle de l’enfant (Ronai-
Durand, 2017).
Notes
1. «  Audition devant la Mission parlementaire d’évaluation de la
politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux
femmes », compte rendu n° 11, 12 mai 2009.

2. Madame Catherine Quéré (députée), extrait du compte rendu de


la première séance du 29  juin 2010 sur la discussion en deuxième
lecture de la proposition de loi sur les violences faites aux femmes
(source Légifrance).

3. Nous proposons de détailler davantage cet aspect dans la


deuxième partie.

4. Audition devant la Mission parlementaire d’évaluation de la


politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux
femmes, compte rendu n° 11, 12 mai 2009.
3

La protection de l’enfance

L es dispositions législatives ou réglementaires applicables à la


protection de l’enfance, qu’il s’agisse du Code civil ou du Code
de l’action sociale et des familles, ne contiennent que très peu de
normes relatives spécifiquement aux violences conjugales et à leurs
incidences sur les enfants.

PROTÉGER LE BIEN-ÊTRE

ET LE DÉVELOPPEMENT

DE L’ENFANT
La loi du 9 juillet 2010 a néanmoins modifié l’article 375-7 du Code
civil dans ses dispositions relatives à l’assistance éducative  afin de
permettre au juge des enfants d’ordonner l’interdiction de sortie du
territoire d’un enfant pour lequel il aurait ordonné une mesure
d’action éducative en milieu ouvert (AEMO, art. 375-2 CC) ou une
mesure de placement (art. 375-3 et 375-5 CC). Toutefois, cette
disposition concerne moins la situation des enfants victimes des
violences conjugales que celle des mariages forcés des jeunes filles
qui a légitimement suscité la vigilance du législateur dans le cadre
de la lutte contre les violences faites aux femmes.
La loi du 14  mars 2016 relative à la protection de l’enfant marque
une avancée significative dans l’expression du devoir collectif
d’assurer la sécurité des enfants et de favoriser leur développement.
Comme le prévoit l’article premier de cette loi, «  la protection de
l’enfance vise à garantir la prise en compte des besoins
fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique,
affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa
moralité et son éducation, dans le respect de ses droits ».
À l’évidence, par les violences conjugales, l’agresseur attaque aussi
la santé, la sécurité, la moralité, l’éducation et l’ensemble des
besoins fondamentaux de l’enfant en même temps qu’il altère son
développement. En d’autres termes, par les violences conjugales, le
père porte atteinte à sa conjointe et porte aussi atteinte gravement
au bien-être de son enfant ainsi qu’à la construction de sa
personnalité et donc à toute sa vie.
C’est la raison pour laquelle la démarche de consensus sur les
besoins fondamentaux des enfants en protection de l’enfance
(Martin-Blachais, 2017), les plans de lutte contre les violences faites
aux enfants (2017-2019 et 2020-2022) prennent en compte les
violences conjugales comme une violence faite aux enfants.
Afin de mieux prendre en compte l’impact des violences conjugales
sur l’enfant et la transgression par le violent conjugal des devoirs
relevant de l’autorité parentale, la loi a élargi les conditions du retrait
judiciaire de l’autorité parentale. Ainsi, la loi du 4 août 2014 (modifiée
par la loi du 28  décembre 2019) dispose que, lorsqu’un parent est
condamné pour un crime ou un délit commis contre l’enfant ou
l’autre parent, le tribunal, s’il s’agit d’un délit, ou la cour d’assises, s’il
s’agit d’un crime, doit se prononcer sur le retrait de l’autorité
parentale du parent coupable des violences. Cependant, ce texte est
encore insuffisamment mis en œuvre.
La loi du 28  décembre 2019 a introduit une disposition (art. 378-2
CC) par laquelle l’autorité parentale du parent poursuivi pour
féminicide ou homicide conjugal est automatiquement mais
provisoirement suspendue. Il était en effet choquant que ce parent
se trouve titulaire de l’exercice de l’autorité parentale, voire d’un droit
de visite à l’égard de son enfant, qu’il autorise ou refuse que son
enfant bénéficie de soins par exemple, alors qu’il était poursuivi pour
avoir tué l’autre parent. Cette suspension est limitée à six mois, le
juge aux affaires familiales devant être saisi pour statuer sur sa
prolongation. Il serait conforme à l’objectif de protection des enfants
et adapté à la gravité des faits que cette suspension de plein droit de
l’autorité parentale soit prévue jusqu’à la déclaration de culpabilité
du mis en cause.

LE DISPOSITIF DE PROTECTION DE
L’ENFANCE
En l’absence de mesures spécifiques aux violences conjugales dans
le dispositif de protection de l’enfance, ces situations doivent être
traitées selon le droit commun de la protection de l’enfance. Celle-ci
repose sur un triptyque  : conformément aux dispositions de
l’article 371-1 du Code civil, les parents sont les premiers et naturels
protecteurs de leur enfant  ; c’est la finalité même de l’autorité
parentale et la protection institutionnelle de l’enfance est donc
subsidiaire à la protection parentale. La protection institutionnelle est
administrative (mise en œuvre sous la direction des conseils
départementaux depuis les lois de décentralisation) ou judiciaire,
c’est l’assistance éducative, mise en œuvre par le procureur de la
République et le juge des enfants.
Dans le dessein de garantir un repérage plus pertinent des situations
familiales compromettant la sécurité et les conditions de vie des
enfants, la loi du 5  mars 2007 portant réforme de la protection de
l’enfance a unifié les critères de répartition des compétences entre le
conseil départemental (l’Aide sociale à l’enfance) et l’autorité
judiciaire, et modifié le dispositif de signalement.
En amont du signalement, le dispositif de protection de l’enfance
prévoit désormais la transmission par une personne ou une
institution au conseil départemental des informations préoccupantes
sur la situation d’un enfant ou de sa famille. Conformément aux
dispositions de l’article L.  226-3 du Code de l’action sociale et des
familles, le conseil départemental doit centraliser ces informations
préoccupantes au sein d’une cellule unique afin d’éviter la dispersion
des informations et d’assurer une évaluation cohérente des
situations d’enfant en danger. Parallèlement, la loi du 5 mars 2007 a
assoupli les critères du secret professionnel en créant le secret
professionnel partagé (article L. 226-2-2 du Code de l’action sociale
et des familles).
Les situations de violences conjugales, au regard de l’ampleur des
traumatismes infligés à la mère et à l’enfant, doivent à notre sens
faire l’objet d’une information préoccupante au conseil
départemental, par les différentes institutions qui seraient amenées
à en avoir connaissance (institutions scolaires et médicales
notamment).
Conformément aux dispositions de l’article L.  226-4 du Code de
l’action sociale et des familles, le danger encouru par l’enfant est le
critère commun de la protection administrative et de la protection
judiciaire de l’enfance. Au titre de la protection administrative, le
conseil départemental doit mettre en œuvre les mesures éducatives
de nature à protéger l’enfant. Néanmoins, le conseil départemental
adressera un signalement au procureur de la République aux fins de
saisine du juge des enfants en assistance éducative, si les parents
refusent les mesures proposées, sont dans l’impossibilité d’y
participer, si ces mesures ont été mises en œuvre avec l’accord des
parents mais n’ont pas permis de remédier au danger pour l’enfant,
ou si le danger pour l’enfant est grave et immédiat, notamment dans
les situations de maltraitance  ; le conseil départemental adressera
également un signalement au procureur de la République si ses
services ne peuvent évaluer une situation familiale en cas de danger
présumé.
Au terme de l’article 375 du Code civil qui détermine la compétence
du juge des enfants, des mesures d’assistance éducative peuvent
être ordonnées « si la santé, la sécurité, la moralité d’un mineur non
émancipé sont en danger ou si les conditions de son éducation ou
de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont
gravement compromises ».
Le juge des enfants peut être saisi en assistance éducative par le
procureur de la République, mais également par les parents,
ensemble ou séparément, par l’enfant lui-même, par son tuteur ainsi
que par la personne ou le service qui en a la garde de fait ou de
droit. Le juge des enfants peut se saisir d’office à titre exceptionnel.
Dans les situations d’enfant victimes des violences conjugales, la
saisine du juge des enfants peut intervenir dès que les faits de
violences conjugales sont portés à la connaissance des institutions
(information préoccupante transmise par le conseil départemental,
plainte déposée par la mère). Compte tenu néanmoins du silence
dans lequel sont encore laissées ces situations, il est fréquent que le
juge des enfants ne soit saisi que plus tard, lorsque l’enfant
manifeste des troubles du développement ou du comportement dont
les violences conjugales sont la cause le plus souvent non identifiée.
En toute hypothèse, et dans la mesure où les violences conjugales
sont avant tout une infraction pénale, la saisine du juge des enfants
en assistance éducative ne saurait être une forme d’alternative aux
poursuites pénales contre leur auteur. En effet, les mesures de soin
et de protection doivent pouvoir s’appuyer sur le rappel de la loi qui a
été transgressée par l’auteur des violences (cf. infra).

METTRE EN ŒUVRE DES MESURES

NON SPÉCIFIQUES DANS

UNE SITUATION SPÉCIFIQUE


Dès lors qu’il est saisi en assistance éducative, le juge des enfants
doit qualifier le danger auquel l’enfant est exposé, le cas échéant en
ordonnant une mesure judiciaire d’investigation éducative (la MJIE
qui a remplacé l’enquête sociale et la mesure d’investigation et
d’orientation éducative), ou une expertise psychologique ou
psychiatrique de l’enfant et/ou du (des) parent(s), ou encore une
mesure d’expertise familiale.
Pour assurer la protection de l’enfant, le juge des enfants peut
ensuite prononcer une mesure d’assistance éducative, qu’il s’agisse
d’une mesure d’action éducative en milieu ouvert (AEMO, art. 375-2
CC) ou d’une mesure de placement (art.  375-3, 375-5 CC). Il doit
toujours se prononcer conformément à l’intérêt de l’enfant (art. 375-1
CC).
Dans le cas d’une mesure d’AEMO, l’enfant réside toujours avec ses
parents, ou avec l’un d’eux s’ils sont séparés. Un service éducatif est
alors désigné pour apporter aide et conseil à la famille, notamment
par des rencontres régulières avec l’enfant et les parents, des
contacts avec l’école où l’enfant est scolarisé, ou par des activités
avec l’enfant. La mesure d’AEMO peut également favoriser la mise
en œuvre d’une démarche de soin auprès d’un psychologue ou d’un
pédopsychiatre. Le maintien en famille peut aussi être subordonné à
certaines obligations imposées par le juge des enfants. Si la mesure
d’AEMO ne paraît pas suffisante pour remédier au danger auquel
l’enfant est exposé, celui-ci peut être confié par le juge des enfants à
une autre personne ou à une institution, notamment l’Aide sociale à
l’enfance, qui assurera son accueil dans une maison d’enfants ou
une famille d’accueil.
Ces mesures éducatives sont applicables à tous les enfants en
danger, et non seulement aux enfants victimes de violences
conjugales auquel le « droit commun » de la protection de l’enfance
est applicable. Toutefois, la particularité des mécanismes des
violences conjugales engage à une mise en œuvre adaptée de ces
mesures afin d’assurer efficacement la protection de l’enfant
(cf. seconde partie). La singularité de la problématique des violences
conjugales impose en effet d’utiliser de façon spécifique les mesures
non spécifiques de la protection de l’enfance. À défaut, ces mesures,
destinées à protéger l’enfant, sont susceptibles de réduire au silence
la mère et l’enfant victimes et d’augmenter par voie de conséquence
le danger pour l’enfant.
Conclusion

D ix-huit mois après le vote de la loi du 9 juillet 2010 (qui est entré
en vigueur le 1er  octobre 2010), le rapport parlementaire du
17  janvier 2012 sur sa mise en application mettait néanmoins en
évidence, d’une part, que trop peu d’ordonnances de protection ont
été délivrées par les juridictions et, d’autre part, que le délai moyen
de délivrance de l’ordonnance de protection (26 jours) était très
supérieur au délai envisagé par les parlementaires (24 à 48 heures).
En outre, la demande de l’ordonnance de protection semble se
heurter toujours à la difficulté liée à la preuve, malgré
l’assouplissement créé par la notion de vraisemblance (Maizy et
Chopin, 2010). Le nombre de demandes d’ordonnances de
protection a augmenté chaque année depuis 2010, pour passer de
54 en 2010 à 4 145 en 2020, mais il reste encore trop faible. Ainsi, si
39  176 demandes ont été présentées en Espagne en 2018, 3  332
seulement ont été faites en France au cours de la même année
(ministère de la Justice, 2020).
Ces constats démontrent que la compréhension du processus des
violences conjugales et de leur impact sur le parent et l’enfant
victimes est nécessaire à la mise en application adaptée des
dispositifs mis en œuvre pour prévenir et réprimer ces violences et
protéger les victimes (Durand, juillet  2012). Plus encore, après ce
rapide panorama de l’évolution du droit applicable dans les
situations de violences conjugales et avant d’aborder les enjeux
relatifs au positionnement du juge ou des autres professionnels
amenés à rencontrer des enfants victimes des violences conjugales
et à prendre des décisions destinées à les protéger, il importe de
souligner l’impératif de cohérence dans l’application des normes
relevant du droit pénal, du droit civil sur les modalités d’exercice de
l’autorité parentale en cas de séparation des parents et enfin de la
protection de l’enfance.
À défaut, l’application incohérente de ces différents champs du droit
est susceptible de renforcer le danger dans lequel se trouvent déjà
la mère et l’enfant victimes des violences conjugales et de favoriser
le violent conjugal en lui permettant, notamment par l’exercice de
l’autorité parentale après la séparation du couple, de continuer à
contrôler son ex-conjointe et ses enfants, générant ainsi, comme le
précise justement Françoise Brié (Francequin, 2010) des situations
de non-droit. Citons ici Patrizia Romito (2011), qui fait référence à
une étude anglaise1 sur le traitement institutionnel des violences
conjugales illustré par «  trois planètes  » dont les logiques sont
différentes et non coordonnées :
«  Sur la planète A, la violence conjugale est considérée comme un crime “sexué”
(gendered) de l’homme sur la femme et la police et le tribunal peuvent intervenir pour
protéger cette dernière (arrestation de l’homme ou ordre de protection). La planète B
correspond aux services de protection de l’enfant, dont l’approche est gender neutral.
Sur cette planète, on parle de familles abusives plus que de violences conjugales.
C’est à la mère qu’il revient de protéger les enfants en s’éloignant de l’homme
violent  : si elle ne le fait pas, elle manque à son devoir de protection (failure to
protect) et par conséquent elle peut perdre la garde des enfants. Mais si elle se
sépare, elle finit dans l’orbite de la planète C, à savoir les services chargés d’assurer
les contacts entre père et enfants après la séparation qui sont motivés par le principe
de la “responsabilité parentale” et par le souci de ne pas priver les pères de leur droit.
Sur cette planète, la femme peut être contrainte à consentir aux visites entre les
enfants et ce même père violent, sous peine d’être punie par une perte de la garde
des enfants. Sur la planète C la violence de l’homme est ignorée tant que c’est
possible à la faveur d’un discours selon lequel il n’y a pas de contradiction entre le
fait d’être un ex-conjoint violent et un bon père, du moins un père “suffisamment
bon”. »

Notes
1. Radford L. et Hester M., Mothering Thought Domestic Violence,
Londres, Jessica Kingsley, 2006.
Partie​2

Que dit le juge ?

Esquisse d’une clinique


judiciaire
Introduction
L’impact traumatique

des violences conjugales

sur l’enfant

P aul, âgé de 15 ans, est confié au service de l’Aide sociale à


l’enfance depuis son plus jeune âge, en raison de la fragilité du
cadre familial. Ses parents sont séparés depuis longtemps. Le
dossier d’assistance éducative fait apparaître des violences
conjugales durant la vie commune des parents. Paul est aujourd’hui
appelé à comparaître devant le tribunal pour enfants pour être jugé
pour des faits de vol et de conduite d’un véhicule sans permis de
conduire. Alors qu’en compagnie de sa mère, il attend l’appel de son
dossier dans la salle des pas perdus, son père arrive à son tour.
S’approchant de sa mère, son père effleure le visage de celle-ci.
Assistant à ce fait, Paul se met alors dans un état incontrôlable (y
compris par lui-même), hurlant et gesticulant de façon violente et
désordonnée. Sortant de la salle d’audience pour venir à sa
rencontre (était-ce ma place  ?), j’observe qu’il est littéralement
« hors de lui », qu’il n’entend ni ne voit personne. Lorsqu’au moment
de sa comparution, je l’interroge sur son comportement, je constate
qu’il est dans l’incapacité d’en parler ; il explique qu’il ne se souvient
pas de s’être ainsi comporté quelques minutes à peine auparavant.
L’évocation de la situation de cet enfant me paraît intéressante,
d’abord car elle se déroule au tribunal, le lieu du rappel de la loi, où
cet enfant vient répondre des transgressions dont il est seul
pénalement responsable (son histoire ne l’excuse pas), ensuite car
elle met « en scène » sinon le déchaînement de violence du moins
l’impulsivité incontrôlable de l’enfant au moment où subrepticement
son histoire se rappelle à lui, enfin car les tiers présents (les autres
personnes convoquées au tribunal, les éducateurs, le juge) ont été
dans l’incapacité de contenir cet enfant, tout autant que celui-ci a été
dans l’incapacité d’expliquer et même de se remémorer cette scène.
En somme, telle est en tout cas la lecture que je fais de cet
évènement, son histoire marquée par les violences conjugales s’est
convoquée au tribunal pour enfants en même temps que lui.
Juge des enfants, j’ai pu relever souvent le mal-être et les
comportements problématiques des enfants grandissant dans un
contexte de violences conjugales. L’occasion la plus immédiate est,
dans le cadre de l’enfance délinquante, la reproduction par l’enfant
(le garçon le plus souvent) des violences auxquelles il a assisté, que
lui-même les commette sur sa propre mère ou sur sa petite amie.
Toutefois, la reproduction des violences par identification de l’enfant
à son père auteur de violences conjugales ne constitue pas le seul
impact des violences conjugales sur l’enfant ni la manifestation la
plus précoce des troubles majeurs que ces violences causent à son
développement et à la construction de sa personnalité.
Les travaux de recherche sur l’impact des violences conjugales sur
l’enfant sont assez récents en France, ce qui met en évidence que
l’on a longtemps estimé qu’un enfant ne devait pas souffrir de façon
particulière des violences conjugales. La référence à ces travaux
impose une précaution préalable  : les conséquences traumatiques
de l’exposition aux violences conjugales ne sont pas identiques,
dans leur expression et dans leur intensité, pour tous les enfants.
Ainsi, un peu moins de la moitié d’entre eux ne présenteraient pas
de symptôme de trauma. Plusieurs facteurs sont susceptibles d’aider
à comprendre ces différences  : la durée des violences conjugales,
l’âge auquel l’enfant a commencé à y être exposé, l’environnement
familial et social retreint et élargi où il aura pu (ou pas) trouver de la
sécurité, ainsi que les caractéristiques personnelles de sa
personnalité (Racicot et al, 2010).
Tout être enfant a des besoins qui peuvent être dits « universels » et
la satisfaction de ces besoins est essentielle non seulement pour
son bien-être mais aussi pour son développement et donc pour la
construction de sa personnalité et pour la femme ou l’homme qu’il
sera tout au long de son existence. Ces besoins sont les besoins
physiologiques et de santé (être nourri, vêtu, soigné), d’expérience
et d’exploration (toucher, explorer, jouer), de règles et de limites
(éducation), d’identité et d’estime de soi.
Mais l’enfant a un besoin dont la satisfaction est nécessaire à celle
des autres besoins : le besoin de sécurité, c’est-à-dire à la fois d’être
protégé de toute violence ou négligence et de bénéficier d’une
sécurité affective et relationnelle (Martin-Blachais, 2017). Or les
violences conjugales sont à l’évidence une très grave attaque du
besoin de sécurité de l’enfant.

L’âge de l’enfant est un facteur tout particulièrement important. Citons ici le docteur
Maurice Berger, qui précise que «  l’exposition aux scènes de violences conjugales a
d’autant plus d’impact que l’enfant est petit car pendant la période préverbale, c’est-à-
dire lorsqu’il a moins de deux ans, il n’a pas la capacité de mettre des mots sur ce qu’il
ressent, et la scène est intériorisée (on dit aussi qu’elle « s’engramme ») à l’état brut,
sous la forme de sons, de cris, de gestes, de regards, etc. Ces sensations se fixent au
niveau cérébral sous la forme d’une mémoire traumatique qui peut resurgir telle quelle
dans des circonstances qui rappellent le passé1 ».

En tout état de cause, « peu importe leur sexe, les enfants exposés
à la violence conjugale démontrent un taux d’agressivité, de colère,
d’anxiété et de dépression plus élevé que celui que l’on retrouve
dans la population en général » (Daligand, in Cario, 2012 citant une
étude canadienne de 20052). Et « être témoin, avant l’âge de quatre
ans, d’une menace sur le bien-être physique de sa mère est le
principal facteur prédictif de troubles du comportement » (Guédeney,
2013). Cette réalité peut se comprendre par la représentation des
relations humaines que peut se faire l’enfant qui grandit dans un
contexte de violences conjugales  où dominent le danger, la peur,
l’imprévisibilité et la violence comme expression des émotions
(Racicot et al., 2010).
Avant même sa naissance, les violences conjugales ont des effets
traumatiques sur l’enfant dès la période de grossesse : les violences
infligées à la mère peuvent provoquer des hémorragies, des
fractures ou une hypotrophie fœtales et jusqu’à la mort de l’enfant
(Daligand, in Cario, 2012  ; Salmona in Ronai-Durand, 2017). On
peut également considérer que les violences pendant la grossesse
vont nuire à la construction harmonieuse de la relation de la mère
avec son enfant.
Après la naissance, l’enfant victime des violences conjugales est
susceptible de présenter des troubles qui évoluent en fonction de
son âge et de son développement et qui peuvent être, d’une part,
d’ordre physique ou somatique, et émotif ou psychologique et,
d’autre part, intériorisés ou extériorisés (Côté et al., 2005) et ce
jusqu’à des actes de violence extrême (Berger, 2008).
Les violences conjugales nuisent à la qualité de l’attachement que
l’enfant va pouvoir développer (Sadlier, 2010  ; ONED, 2012). Or
l’attachement est l’un des besoins vitaux de l’enfant, qui détermine
son sentiment de sécurité et sa capacité d’autonomie et de relation.
Dans le dossier thématique consacré à la théorie de l’attachement,
l’Observatoire national de l’enfance en danger définit l’attachement,
en référence aux travaux du psychiatre J. Bowlby, comme «  le
produit des comportements qui ont pour objet la recherche et le
maintien de la proximité d’une personne spécifique. C’est un besoin
social primaire et inné d’entrer en relation avec autrui. La fonction de
l’attachement est une fonction adaptative à la fois de protection et
d’exploration. La mère, ou son substitut, constitue une base de
sécurité pour son enfant » (ONED, 2010).
Pour vivre, grandir, apaisé ses angoisses, le bébé a besoin que l’on
prenne soin de lui. L’attachement est le lien de l’enfant avec la
personne qui prend soin de lui de façon spécifique et qu’il appelle en
cas de peur. Cette personne est la figure d’attachement principale de
l’enfant qui doit pouvoir compter sur la capacité de cette figure
d’attachement à être attentive à ses besoins et donc à leur
expression par le bébé, à y répondre de façon adéquate dans un
délai rapide. Le plus souvent c’est la mère qui est la figure
d’attachement principale de l’enfant, ce qui ne signifie pas que les
autres personnes qui entourent l’enfant, à commencer par son père,
ne comptent pas pour lui et ne sont pas aussi des figures
d’attachement (Guédeney, 2015).
La qualité de l’attachement est cruciale pour le bien-être et le
développement de l’enfant. Elle conditionne la construction de sa
personnalité et son rapport au monde, y compris sa capacité
d’exploration dans les premières années de son existence et de sa
relation avec les autres.

Si l’enfant se développe en bénéficiant d’une réponse adéquate lorsqu’il émet un


message indiquant son besoin de sécurité, il développera un attachement sécure
favorable à son développement. Au contraire, s’il se construit en faisant l’expérience
d’une réponse aléatoire, inadaptée ou insécurisante, il aura un attachement insécure,
évitant ou désorganisé (Sadlier, 2020).

Or la violence se produit sur la figure d’attachement principale de


l’enfant, sa mère, dans le lieu, la maison familiale, qui devrait au
contraire être un lieu de protection et de réassurance pour l’enfant
(Sadlier, 2001). Les violences conjugales sont ainsi une attaque de
la sécurité de l’enfant, du lien mère-enfant et de la disponibilité de la
mère pour prendre soin de son bébé. En effet, comme le souligne le
docteur Maurice Berger3, la mère victime de violences conjugales se
trouve en situation de survie en raison des violences et de la
présence permanente de son agresseur qui génère un climat de
peur qui met sous angoisse et l’enfant et la mère, laquelle peut plus
difficilement être dans un échange apaisé avec son enfant (lui parler,
lui sourire,  etc.). C’est pourquoi les enfants victimes de violences
conjugales sont moins susceptibles de développer un attachement
sécure (Sadlier, 2020). Ajoutons que les violences sont le fait de la
figure de référence du rapport à la loi pour l’enfant, le père, qui est
alors un père « hors la loi ».
C’est pourquoi l’impact des violences conjugales sur l’enfant est
d’une extrême gravité. Elles sont la cause du « traumatisme le plus
grave car elles menacent l’intégrité physique et émotionnelle de la
personne responsable de lui, la personne qui le sécurise, le rassure
habituellement, le plus souvent sa mère. Et on sait maintenant que
les nourrissons et les jeunes enfants se souviennent d’évènements
traumatiques, sans forcément en avoir pris conscience au sens
adulte du terme » (Keren, 2005, citée in Berger, 2016). 
L’enfant assiste aux violences commises par son père sur sa mère ;
il en est le témoin, qu’elles soient commises sous ses yeux, qu’il les
entende alors qu’il est isolé dans sa chambre, ou même qu’il en
constate plus tard les effets sur le corps de sa mère. Or être témoin
de faits violents est en soi source de traumatismes spécifiques
(Sadlier, 2001)  : cette situation provoque chez l’enfant, spectateur
impuissant de l’agression de sa mère, un sentiment de culpabilité et
peut aussi conduire à un processus d’identification, à l’auteur et/ou à
la victime des violences (Metz, in Hincker, 2012).
Les troubles observés chez l’enfant victime des violences conjugales
correspondent à un syndrome de stress post-traumatique (Sadlier,
2010  ; ONED, 2012)  : troubles du sommeil et de la concentration,
hypervigilance, évitement et repli sur soi, cauchemars et
reviviscences. Je pense ici à cet enfant de 5 ans, victime de
violences conjugales, qui me disait  : «  Je fais des cauchemars  »
avant d’ajouter : « Je fais des cauchemars même quand je ne dors
pas. »

Dans son rapport de 2012 consacré aux enfants exposés à la violence conjugale,
l’ONED propose un tableau synthétique des conséquences des violences conjugales
sur la santé physique et morale, le développement global (cognitif, physique, l’identité)
et les habiletés sociales de l’enfant en fonction de son âge (ONED, 2012). Il constitue
un outil précieux pour comprendre l’impact des violences conjugales sur l’enfant et
pour aider à repérer ces situations à partir du comportement de l’enfant dans son
milieu social.

Outre l’état de stress post-traumatique, l’enfant victime de violences


conjugales est susceptible, au cours de son développement de
manifester des troubles dans la construction de sa personnalité, qui
ont un impact sur son bien-être pendant l’enfance et à l’âge adulte et
sur ses capacités sociales et relationnelles. Ces troubles sont de
l’ordre de l’atteinte à soi-même  : repli sur soi, anxiété,
désinvestissement, voire rupture scolaire, conduites addictives,
passages à l’acte suicidaire, ou de l’ordre de l’atteinte à autrui  :
agitation, agressivité, violence, délinquance. Le docteur Maurice
Berger constate ainsi que 80 % des adolescents violents confiés au
centre éducatif renforcé dans lequel il poursuit son activité clinique
sont ou ont été des enfants victimes de violences conjugales
(Berger, 2016).
À mesure que les violences conjugales et la situation des enfants
victimes de ces violences sont mieux prises en compte par la
société, l’état du droit, la loi, évoluent et développent
progressivement des outils juridiques spécialement adaptés au
traitement de ces situations. Les normes générales, et notamment la
notion de danger pour l’enfant telle qu’elle est définie par l’article 375
du Code civil, restent néanmoins adaptées pour l’identification et
l’action sociale et judiciaire.
Toutefois, la compréhension du mécanisme de cette forme
particulière de violence et de son impact sur les victimes est un
préalable indispensable pour que l’intervention professionnelle soit
adaptée aux besoins de l’enfant. L’enjeu ici sera de repérer
l’importance du rôle du tiers dans les situations de violences
conjugales et d’adapter les mesures à ce processus particulier : afin
d’intervenir justement (chapitre  5), il faut nommer justement
(chapitre 4).

Notes
1. Entretien accordé à l’auteur. Pour de plus amples
développements, M. Berger, Soigner les enfants violents, Dunod,
2012.

2. CLIPP (Centre de liaison sur l’intervention et la prévention


psychosociale), Les enfants exposés à la violence conjugale. Bilan
des connaissances, Montréal, 2005, p. 8 ; www.clipp.ca.

3. Entretien accordé à l’auteur.


4

Désigner

les violences conjugales

O n ne voitque ce que l’on peut nommer. À défaut, dans une


forme de déni, on ne voit pas, ou bien on croit voir ce que l’on
connaît et que l’on peut nommer. Les violences conjugales
n’échappent pas à cette règle.

MÉCANISMES DES VIOLENCES


CONJUGALES

ET STRATÉGIE DE L’AGRESSEUR
Les femmes victimes de violences conjugales peuvent se heurter à
une forme d’incompréhension de la part des professionnels qu’elles
rencontrent et plus largement de la société tout entière. Certes, le
mouvement associatif et social contemporain, ainsi que la prise de
conscience des féminicides conjugaux qui mettent en évidence la
dangerosité des violents conjugaux, réduisent la banalisation et la
minimisation des violences conjugales et de leur gravité pour les
victimes et leurs enfants.
Pourtant, malgré l’abondance de la littérature scientifique, la
mobilisation sociale et politique et la prise de conscience collective, il
n’est pas excessif de dire qu’une femme victime de violences
conjugales peut encore trop souvent se trouver face à des
professionnels qui ne prennent pas suffisamment en compte la
réalité des violences qu’elle dénonce, leur gravité et le danger dans
lequel elle est son enfant se trouvent. C’est pourquoi il est ici
essentiel de rappeler les mécanismes des violences conjugales et la
stratégie de l’agresseur, qui aident à comprendre leur particularité.
Les mécanismes et le cycle des violences conjugales sont
aujourd’hui assez largement connus. Quel que soit le type de
passage à l’acte de l’agresseur (les violences conjugales peuvent
être physiques, sexuelles, verbales, administratives et économiques
et sont toujours nécessairement psychologiques), le violent conjugal
génère dans la maison familiale un climat d’angoisse et de terreur
avec quatre phases cycliques  : climat de tension, agression,
justification, accalmie. Au fil du temps, l’accalmie et la justification
disparaissent et seule subsiste l’alternance des phases de tension et
d’agression (Ronai, MIPROF, 2017).
Sans doute, ces phases peuvent-elles être transposées dans
d’autres contextes (politique, terroriste par exemple) et leur gravité
ainsi que la terreur et la désorganisation intime qu’elles génèrent
seraient immédiatement perceptibles et prises en compte sans être
minimisées. Étrangement, les violences conjugales étant situées
dans la maison familiale, les tiers que nous sommes, avons plus de
difficultés à voir à quel point le violent conjugal fait de la maison
familiale un lieu de peur.

Si chaque situation est singulière et chaque récit de victime unique, il est possible de
repérer des invariants qui constituent la stratégie de l’agresseur dont l’objectif est
d’imposer le secret pour que la réalité de ses comportements ne soit pas connue
(Casalis in Ronai-Durand, 2021) :
Il isole la victime, en l’empêchant de rencontrer sa famille ou ses amis, en
déménageant, en lui interdisant de travailler. L’isolement empêche la victime de
rencontrer des personnes susceptibles de l’écouter et de la comprendre.
Il la dévalorise par des reproches permanents, des humiliations verbales ou
sexuelles notamment. La dévalorisation génère pour la victime de la honte et lui fait
perdre confiance elle.
Il inverse la culpabilité en rendant sa compagne responsable de la violence.
Il instaure un climat de peur notamment par des menaces qui génèrent pour la
victime des angoisses si elle révèle les violences ou quitte son conjoint violent.
Il assure son impunité en recrutant des alliés.
Connaître la stratégie de l’agresseur est essentiel pour ajuster,
quelle que soit la fonction exercée, ses pratiques professionnelles
pour être source de protection pour la victime et ses enfants.

REPÉRER ET NOMMER LES VIOLENCES


Le nécessaire repérage systématique

À mesure que la société prend conscience de l’ampleur et de la


gravité des violences conjugales, les victimes sont invitées à révéler
les violences qu’elles subissent. C’est important en effet, et cette
invitation suppose que le dépositaire de cette révélation en assume
la charge et ne doute pas de la réalité des violences révélées  ; à
défaut, inviter à révéler les violences et ne pas croire la victime
constitue une injonction paradoxale.
Mais plus encore, il est nécessaire de prendre en compte le secret
imposé par le violent conjugal à sa famille. Sortir du secret en
révélant les violences est dès lors un acte difficile, très coûteux et
risqué. Aussi, c’est au tiers, quel qu’il soit et quelle que soit sa
profession, de briser le secret par le repérage des violences
conjugales.
Ce repérage peut être un repérage par signes. S’agissant des
enfants victimes des violences conjugales, et compte tenu des
troubles décrits précédemment et qu’un enfant peut manifester dans
les lieux de vie qu’il fréquente, particulièrement l’école, il peut en
effet être utile de repérer les violences conjugales à partir de ce que
l’enfant exprime par son comportement.
Plus généralement, il est souhaitable de développer la pratique du
questionnement systématique qui consiste à poser la question de la
confrontation à la violence de la personne rencontrée (Piet in Ronai-
Durand, 2017). Le film Anna, réalisée par Johanna Bedeau pour la
Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les
violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF),
décrit la simplicité et l’utilité du repérage systématique en modélisant
une consultation par un médecin généraliste.
Reconnaissons que dans les métiers du soin et du travail social
(incluant les fonctions judiciaires) nous sommes formés et habitués à
poser des questions qui paraissent intrusives pour comprendre et
qualifier la situation dans laquelle nous devons intervenir. Poser la
question des violences conjugales n’est pas plus intrusif ou gênant
et peut au contraire ouvrir à la victime un espace de parole salutaire.
Chacun peut trouver la manière qui lui sera propre de poser cette
question  : «  Est-ce que quelqu’un t’a déjà fait du mal  ?  »  « Avez-
vous déjà subi des violences  ?  » Dans l’exercice des fonctions de
juge des enfants, je me suis le plus souvent trouvé dans la situation
où le repérage avait déjà été effectué et constituait le motif de
l’ouverture de la procédure, mais j’ai aussi pu me trouver en position
d’y procéder, par exemple lors d’un interrogatoire avec un enfant
délinquant ou lors d’une audience avec un adolescent adoptant des
conduites à risque (toxicomanie, prostitution).
Au cours d’un interrogatoire pénal, après avoir interrogé un jeune sur
les faits qui lui étaient reprochés puis sur sa personnalité, j’ai donné
la parole à sa mère qui était assise derrière lui pour connaître le
contexte de vie et d’éducation de l’adolescent que je devrai juger.
J’ai demandé à cette femme si elle avait été victime de violences
conjugales avant son divorce ; elle m’a répondu par l’affirmative. Son
fils s’est mis en colère et a reproché à sa mère d’avoir parlé des
violences conjugales. Le père avait imposé le secret à sa famille sur
les violences qu’il avait commises, c’est la stratégie de l’agresseur.
Je ne me reproche pas d’avoir posé cette question à cette femme,
mais j’aurais sans doute dû prendre la précaution de les recevoir
séparément.
Dans une autre situation juridictionnelle, j’ai fait la connaissance de
la famille (parents et enfants) au cours d’une audience alors que les
enfants étaient confiés à l’Aide sociale à l’enfance depuis plusieurs
mois en raison de carences éducatives (hygiène, soins, éducation).
Au cours de l’audience j’ai, à la lumière des éléments de contexte
figurant dans les rapports éducatifs, fait l’hypothèse de l’existence de
violences conjugales et rappelé que la loi interdit toutes les
violences. Quelques semaines après l’audience l’un des enfants a
révélé à son éducatrice les violences conjugales (physiques et
sexuelles) infligées par leur père à leur mère sous leurs yeux ainsi
que les violences sexuelles contre l’une des filles. Cet enfant s’est
senti autorisé à révéler les violences par leur évocation à l’audience
et le rappel de la loi.

« La loi est première sur le soin »

Les violences conjugales, quelle qu’en soit la forme, sont avant tout
une transgression de la loi pénale, une infraction, et doivent donc
être désignées comme telle pour en interrompre le cycle ou la
répétition. Dans le huis clos familial, comment l’enfant peut-il penser
que son père n’a pas le droit de frapper sa mère ? Comment la mère
elle-même peut-elle penser une autre vie possible  ? C’est en ce
sens que nous comprenons l’affirmation selon laquelle «  la loi est
première sur le soin » (Vasselier-Novelli et Heim, 2010).
Les débats au cours d’un procès criminel me semblent illustrer cette
affirmation de façon très pertinente et expressive : trois jeunes (dont
l’un est mineur) comparaissent devant la cour d’assises pour des
faits de tentative d’homicide, de viol et de vol d’une extrême
violence. La mère de l’un d’eux, appelée à témoigner de l’enfance et
de la personnalité de son fils, fait le récit de leur vie de famille
marquée par des violences conjugales. Au fil de son témoignage,
cette femme évoque son intimité conjugale et notamment les
relations sexuelles qu’elle devait avoir avec son mari, quand il le
voulait et quand bien même elle ne le désirait pas. À ce sujet, elle a
conclu : « Mais j’ai vu dans une émission à la télé qu’ils appelaient
ça un viol. »
À sa façon, cette femme a mis en évidence que l’intervention d’un
tiers (ici la « télé ») lui a été nécessaire pour penser la transgression
de la loi (nommer le viol) et donc tout à la fois la légitimité de refuser
de subir cette transgression et la possibilité d’envisager une autre
vie possible  : la signification de la loi et de la transgression par le
tiers précède et rend possible le refus de la victime, sa restauration
comme sujet et sa mise en mouvement. Même s’il est fréquent
qu’une mère victime des violences conjugales décide seule,
rapidement ou après de longues années de violences, de quitter son
conjoint ou, en tout cas, de refuser de nouveaux passages à l’acte,
le tiers, quel qu’il soit (et notamment tout professionnel) ne saurait
donc interroger la mère sur la persistance de la relation conjugale s’il
n’a lui-même rempli son office  : rappeler la loi et l’interdit de la
violence.
Affirmer ici le primat du rappel de la loi doit être entendu au sens
large, non pas limité au seul jugement de la juridiction pénale  : il
revient à tout juge de qualifier juridiquement les faits dont il est saisi,
c’est-à-dire dans les situations de violences conjugales de désigner
les violences comme transgression de la loi et, indissociablement,
de désigner l’auteur de ces violences, d’une part, et les victimes,
d’autre part.
Dans le procès pénal, le procureur de la République puis le tribunal
correctionnel devront à l’évidence qualifier les violences et
l’infraction à la loi pénale. De la même façon, le juge aux affaires
familiales, statuant sur les griefs allégués dans une procédure de
divorce, mais également sur les modalités d’exercice de l’autorité
parentale au moment de la séparation des parents, mariés ou non,
devra désigner les violences conjugales invoquées comme cause du
divorce et en tenir compte dans l’aménagement des mesures
relatives à l’enfant. Enfin, le juge des enfants doit lui aussi, au titre
de la protection de l’enfance comme dans le cadre pénal à la suite
d’une infraction commise par un enfant, désigner les violences
conjugales, cause (exclusive ou non exclusive selon les situations)
du danger dans lequel l’enfant se trouve.
L’impératif de désignation des violences conjugales se traduit par la
désignation de l’interdit et de la transgression et somme ainsi
chacun de prendre position clairement et de réintroduire la loi.
Malgré la difficulté incontestable pour le tiers (éducateur ou assistant
social intervenant à domicile, enseignant, magistrat en audience),
passer sous silence les violences conjugales, comme les relativiser
par le contexte social ou culturel, relèverait d’une forme de neutralité
bienveillante (Sadlier, 2009), qui du point de vue de l’enfant pourrait
se traduire ainsi  : «  Si le juge ne dit pas que mon père n’a pas le
droit de frapper ma mère, c’est qu’il a le droit. »
Plus largement encore, il revient à tout professionnel (je pense
notamment aux éducateurs ou aux enseignants) et même à chaque
citoyen (famille ou voisinage), en tant que tiers par rapport à la
famille dans laquelle existent des violences conjugales, de nommer
ces violences et la loi qui les interdit. Je pense ici à un dossier
d’agression sexuelle  : un homme pénètre dans le domicile d’une
femme et l’agresse sexuellement. Le voisin de celle-ci intervient pour
lui porter secours. Il dira dans son témoignage avoir décidé
d’intervenir lorsqu’il a entendu la femme dire à son agresseur  :
«  Arrêtez  !  » ou «  Lâchez-moi  !  » Avant d’entendre ces mots et
l’usage du vouvoiement, il ne voulait pas intervenir, pensant à une
« dispute de couple ».
Désigner les violences conjugales implique en premier lieu de les
distinguer de ce qui relève des conflits conjugaux ou parentaux
(Coutanceau, 2006  ; Durand, 2010), situations dans lesquelles le
juge aux affaires familiales, par définition, mais également le juge
des enfants sont très fréquemment appelés à statuer.

VIOLENCES CONJUGALES

ET CONFLIT PARENTAL
Les quatre configurations de conjugalité

Toute fonction dont l’objet social est le soin, l’aide ou


l’accompagnement des autres conduit à ajuster l’évaluation puis la
décision à la particularité de chaque situation, car chaque enfant
comme chaque famille est unique. On dit alors que l’on agit « au cas
par cas », même si l’analyse des actes accumulés montre plutôt que
l’on fait toujours «  la même chose  ». Le risque auquel sont alors
confrontées les familles, et cela me paraît particulièrement dans le
champ de la protection de l’enfance, est celui de l’aléa, voire de
l’arbitraire des professionnels.
Il me semble que pour faire du « cas par cas », pour ajuster chaque
évaluation ou décision à chaque situation singulière, il est
nécessaire de disposer de modèles qui permettent de situer
précisément l’exercice professionnel et de guider l’évaluation et la
décision. Naturellement, la loi est le premier de ces modèles, en ce
qu’elle réprime les violences conjugales et en traduit même la
gravité par rapport à d’autres types de violences (par le mécanisme
pénal de la circonstance aggravante).
Je voudrais ici proposer ce que j’appelle « les quatre configurations
conjugales », qui permettent de voir plus clairement le contexte dans
lequel vivent les enfants et situer plus précisément les principes et
outils que les professionnels doivent mobiliser. À défaut, le risque qui
est fait courir aux familles est d’utiliser des actions ou des outils
utiles dans une situation, mais défavorables dans une autre. C’est
notamment le cas de la médiation pénale ou familiale. Ces quatre
configurations sont l’entente, l’absence, le conflit et la violence.
L’entente est, convenons-en, la situation la plus fréquente pendant la
vie commune du couple. Il est nécessaire de préciser que parfois les
parents s’entendent pour nuire à leur enfant par la négligence ou la
violence, imposant la mise en œuvre des dispositifs judiciaires de
protection des enfants en danger. Mais l’entente doit d’abord être
perçue dans sa dimension positive, qui permet à l’enfant de se
développer dans une maison sécurisante où ses parents répondent
à ses besoins fondamentaux.
Moins fréquemment, les parents parviennent à s’entendre après et
malgré leur séparation. C’est un contexte très favorable au bien-être
de l’enfant qui bénéficie d’une sécurité affective qui lui permet
d’atténuer la souffrance que lui cause la séparation de ses parents.
Mais il nous faut bien reconnaître que cette situation est rare et que
lorsqu’elle survient, elle exige souvent du temps après la séparation.
Or, et cela me semble préoccupant, la société tend à enjoindre les
parents de s’entendre malgré leur séparation et crée un modèle de
«  bons parents  » très éloigné de la réalité éprouvée tant par les
adultes que par les enfants. C’est particulièrement le cas avec la
promotion contemporaine de la résidence alternée, qui ne prend en
compte ni les besoins de l’enfant (et tout particulièrement du jeune
enfant) ni des ressentiments, voire des inimitiés, qui peuvent exister
entre les parents.
Cependant si les parents parviennent à s’entendre, c’est-à-dire à se
parler et à se respecter après leur séparation, la coparentalité ou
l’exercice conjoint de l’autorité parentale, paraît tout à fait possible et
conforme à l’intérêt de l’enfant.
L’absence est la situation dans laquelle seul un parent (le plus
souvent sa mère d’après mon expérience juridictionnelle) s’occupe
de l’enfant. L’autre parent est présent de façon aléatoire ou distante.
L’éducation quotidienne est assurée par la mère, les droits de visite
et d’hébergement sont exercés par le père de façon discontinue.
Je me souviens d’une mère qui avait saisi le juge aux affaires
familiales. J’étais ce juge. Elle sollicitait que l’exercice de l’autorité
parentale lui soit attribuée exclusivement, car le père ne se
manifestait pas auprès de leur enfant commun et qu’elle ne pouvait
signer seule aucun document important pour la scolarité, les loisirs
ou les soins de leur enfant. J’ai rejeté sa demande au nom du
principe de la coparentalité. J’ai eu tort. Cette femme demandait
simplement à pouvoir prendre soin de son enfant et justifiait sa
demande par une situation qu’elle n’avait pas générée.
Le conflit peut survenir dans toute hypothèse de relation, notamment
familiale ou conjugale. Il cristallise une opposition ou un désaccord
sur un objet particulier de la vie familiale, par exemple un choix de
vie ou une décision relative à l’enfant. Il est parfois le prélude à une
séparation si le couple ne parvient pas à le surmonter ou apparaît
comme le révélateur de la distance qui s’installe au sein d’un couple.
Je pense ici à la situation de cet enfant qui m’a été soumise alors
que j’exerçais les fonctions de juge aux affaires familiales. Cet
enfant devait pouvoir bénéficier de soins pédopsychiatriques. Ses
deux parents, séparés, s’accordaient sur la nécessité de ces soins
mais étaient en conflit sur le choix du praticien, ce qui mettait en péril
la pérennité des soins nécessaires à leur enfant. L’un des deux
parents a porté ce conflit devant le juge aux affaires familiales.
Les conflits conjugaux ne sont pas sans conséquences sur
l’éducation et le développement de l’enfant qui peut y trouver une
faille dans l’autorité parentale ou se trouver placé dans un conflit de
loyauté parfois très perturbateur, sommé de faire un choix cruel et
impossible entre son père et sa mère. Si le conflit conjugal met
l’enfant en danger au sens de l’article 375 du Code civil, le juge des
enfants pourra être saisi par le procureur de la République ou par
l’un des parents, afin d’assurer la protection judiciaire de l’enfant.
Pour autant, l’hypothèse du conflit conjugal met en présence deux
personnes (le père et la mère) qui se trouvent sur un même plan,
deux sujets, en capacité l’un et l’autre d’exprimer et de faire valoir
leur point de vue. Le conflit se résout par le langage et
éventuellement par la médiation : les deux parents sont alors réunis
en présence d’un tiers (service de médiation familiale désigné par le
juge aux affaires familiales le plus souvent, service d’action
éducative en milieu ouvert (AEMO) désigné par le juge des enfants
si celui-ci est en danger) qui permet au père et à la mère
d’expérimenter que la résolution du conflit est profitable à tous
(l’enfant, le père, la mère) et qu’il n’y a pas de « perdant ».
Il est donc nécessaire de mesurer les effets néfastes, pour l’enfant,
des conflits qui peuvent gravement opposer ses parents et parfois le
mettre en danger, tout spécialement lorsqu’il en devient l’enjeu.
Toutefois, la catégorie du conflit conjugal tend à accaparer la pensée
des professionnels, quelle que soit leur discipline, et à absorber
toutes les situations familiales problématiques ou dangereuses pour
l’enfant. Or, utilisée excessivement voire exclusivement, la catégorie
du conflit conjugal devient inopérante et conduit à utiliser les outils
qui lui sont associés dans des situations auxquelles ces outils ne
sont pas adaptés. Ceci est tout particulièrement le cas des violences
conjugales.

Les violences conjugales ne sont pas

une forme de conflit


Les violences conjugales ne peuvent être considérées comme une
sous-catégorie du conflit conjugal. Elles sont au contraire d’une
nature très différente, ne serait-ce qu’en raison de leur caractère
illégal et pénalement répréhensible. En effet, et suivant en cela la
pensée d’Hanna Arendt, la violence est un moyen utilisé pour
s’assurer le pouvoir sur l’autre. Les motifs du passage à l’acte violent
au sein du couple ne sont alors que des prétextes à la recherche du
pouvoir sur l’autre (Christen et al., 2010). Ce faisant, elle traduit un
rapport de force dans lequel l’un est sujet (l’auteur de violences) et
l’autre objet (celle qui subit les violences, et l’enfant lui aussi), car
« la violence est la destruction par un autre de la capacité d’agir d’un
sujet1 ».
Plus précisément encore, les violences sont liées au pouvoir sur
l’autre en ce que la violence est réduction au corps  comme le
philosophe allemand Jan Philipp Reemtsma l’a mis en évidence de
façon éminemment pertinente (Reemtsma, 2011). Il invite à
distinguer trois formes de violences, dont l’essence demeure
toujours la réduction de la victime au corps : la violence localisante,
la violence raptive et la violence autotélique. Toutes aident à penser
les violences conjugales et les enjeux de pouvoir dans le cadre
familial par l’assignation à une place, tant il est vrai que «  l’espace
est la matrice du pouvoir » (Revault D’Allones, 2010).
La violence peut d’abord être localisante : « La violence localisante
ne s’adresse pas au corps en tant que tel, elle vise le corps d’autrui
pour en déterminer l’emplacement dans l’espace. Elle traite le corps
d’autrui comme une masse à disposition » (Reemtsma, p. 96). Dans
le cadre conjugal, il s’agira des violences physiques qui affectent et
déplacent le corps de la victime, mais aussi des violences
psychologiques ou même économiques, lorsque la victime ne peut
sortir (ou sortir seule) du domicile conjugal, ou ne dispose pas de
moyens de communication ou de paiement.
La violence peut ensuite être raptive : « la violence raptive veut avoir
le corps, la plupart du temps pour en user sexuellement  »
(Reemtsma, p.  101). L’auteur des violences veut ici disposer du
corps de l’autre pour s’assurer une satisfaction qu’il ne pourrait
obtenir avec son corps seul. Les violences sexuelles, y compris dans
le cadre conjugal, apparaissent donc comme le modèle de la
violence raptive. Les violences psychologiques perverses me
semblent toutefois pouvoir y correspondre également, tant par la
jouissance que leur auteur obtient que par l’effet sur la victime.
La violence est enfin autotélique  : «  La violence autotélique vise la
destruction (létale ou non) de l’intégrité du corps  » (Reemtsma,
p.  104). La violence autotélique garantit le triomphe de son auteur
qui s’octroie le « pouvoir absolu : le pouvoir sans aucune limite qui
ne sert d’autre but que lui-même » (Reemtsma, p. 120). Le concept
de violence autotélique trouve son expression dans l’homicide
conjugal et aide à comprendre pourquoi l’homicide survient le plus
souvent au moment où la femme prend la décision de quitter son
conjoint violent. Par extension, ce concept aide à comprendre qu’un
grand nombre de violences conjugales sont exercées lorsque la
femme fait le choix de la rupture (Romito, 2011).
Cette référence si pertinente à la réduction au corps par laquelle les
violences conjugales assurent le pouvoir sur la mère et l’enfant ne
peut d’ailleurs que faire écho aux enjeux de symétrie et d’asymétrie
au sein de la famille (cf. supra), et à l’ancien régime juridique de la
puissance maritale et paternelle (abolies respectivement en  1938
et 1970, c’est-à-dire très récemment). En effet, comme l’a montré le
doyen Carbonnier, éminent juriste et prophète de l’autorité parentale,
la puissance maritale (de même que la puissance paternelle) « avait
quelque chose d’un droit sur le corps et la personne ; il y avait une
certaine absorption de la personnalité de la femme2 ».
En outre, la distinction entre le conflit et la violence dans le couple
est aussi importante pour penser la situation dans laquelle se trouve
l’enfant victime des violences conjugales. Comme le montre la
psychologue Karen Sadlier (2020), si, dans le conflit conjugal,
l’enfant peut être pris dans un conflit de loyauté (voir supra), l’enfant
victime de violences conjugales est pris dans un conflit de
protection. Il ne se demande pas s’il a le droit d’aimer ses deux
parents mais qui il doit protéger : lui-même, en se réfugiant dans sa
chambre au risque de laisser sa mère en danger, sa mère, en
s’interposant face à son père au risque de se mettre en danger, sa
mère, en appelant la police ou les voisins au risque de mettre son
père en danger ? Il faut mesurer la grande difficulté générée par le
conflit de protection et la peur éprouvée par l’enfant.

Les violences conjugales et l’emprise

En outre, il est indispensable de souligner que l’une des spécificités


majeures des violences conjugales, qui se distinguent en cela de la
plupart des faits de violence soumis à l’intervention des institutions
notamment judiciaires, est la répétition et/ou la permanence du fait
traumatique (Daligand, 2004) et de la confrontation de la mère et de
l’enfant à l’auteur des violences conjugales. Pour la mère comme
pour l’enfant, l’un et l’autre victimes, chaque passage à l’acte est
aussi, dans le huis clos familial, menace d’une répétition.

C’est en ce sens que nous pouvons percevoir l’emprise (Daligand, 2004  ; Hirigoyen,
2006) sous laquelle sont placés la mère et l’enfant, l’un comme l’autre, en se trouvant
de façon permanente et/ou répétée en présence de celui qui les soumet à son pouvoir
en les réduisant à leur corps et en détruisant la capacité d’agir qui les définit comme
sujets.

On mesure dès lors la difficulté considérable pour la mère, mais


également pour l’enfant, à percevoir puis à refuser la violence à
laquelle ils sont soumis. Cette difficulté est renforcée par la
coexistence de sentiments différents (l’amour, la peur, la réussite ou
le succès d’un projet familial…) ainsi que par la commission et
l’intensification progressives des violences d’abord perçues par la
victime (et par son entourage) comme une marque d’amour (dans
une perception romantique de la jalousie par exemple). C’est bien
cet ensemble qui constitue l’emprise.
Enfin, nous devons reconnaître que nous ne sommes pas égaux
face à la violence. Au-delà des situations de violences conjugales, la
pratique du contentieux pénal, au tribunal pour enfants, au tribunal
correctionnel et à la cour d’assises m’a conduit à observer que
certaines personnes sont démunies face à l’agression, la menace ou
la manipulation alors que d’autres ont la faculté d’identifier la
violence, de s’y opposer, et parfois même de la pressentir avant
même qu’elle ne survienne. Cependant, le fait que moi, Édouard
Durand, je sois une personne démunie face à la violence en raison
des traits de ma personnalité, de mon histoire, de mon contexte de
vie, que je sois faible au point que la violence me tétanise et que je
n’aie pas les ressources de m’y opposer ne signifie en aucune façon
que je la recherche, ni même que j’y consente et que l’on puisse
m’en dire (co)responsable d’une manière ou d’une autre.
L’ensemble de ces considérations démontre que la notion de conflit
conjugal doit être considérée comme une notion impropre pour
appréhender les violences conjugales dans la mesure où elle
conduit les professionnels (et plus généralement tout citoyen) à
adopter des réponses inadaptées pour protéger la mère et l’enfant.
Un risque similaire est encouru avec l’usage abondant et
problématique des concepts «  d’aliénation parentale  » et de
« syndrome d’aliénation parentale » (Durand, 2013).

LES VIOLENCES CONJUGALES 

ET L’« ALIÉNATION PARENTALE »
La pratique juridictionnelle met en évidence combien les violences
conjugales affectent la mère dans sa relation avec l’enfant (dès la
période de grossesse quand les violences conjugales surviennent à
ce moment), tant sur le plan affectif que sur le plan éducatif. Souvent
isolée et dans l’impossibilité de se confier, elle apparaît d’autant plus
«  prise au piège  » que, face à ses difficultés, les tiers (famille,
enseignants, travailleurs sociaux, magistrats) pointeront ses fragilités
éducatives sans relever que les violences qu’elle subit en sont la
cause, et interpréteront ses hésitations et ses doutes significatifs de
la situation d’emprise, comme une forme d’ambivalence.

Les violences conjugales entravent la relation mère-enfant


Contrainte de développer des mécanismes d’adaptation, d’éviter ou
de dissimuler les sources de tension ou de frustration que créent
nécessairement la vie de famille et l’éducation des enfants, la mère
victime des violences conjugales se trouve entravée dans l’exercice
de l’autorité parentale.
En outre, dans la mesure où les violences conjugales sont le moyen
d’imposer son pouvoir à la mère, celle-ci se trouve dans une position
qui affecte grandement son autorité  : comment se rendre à une
réunion à l’école alors que son visage porte encore les stigmates
des coups reçus  ? Comment «  gronder  » son enfant qui se bat à
l’école ?
Ces constats se trouvent accentués lorsque l’enfant est mis en
position de protéger sa mère, parfois en s’interposant physiquement.
Un grand nombre d’audiences m’ont permis d’observer que l’enfant,
quel que soit son âge, peut en concevoir une forme d’amertume à
l’égard de sa mère et tendre à lui dénier toute autorité.

Dès lors, il est légitime de considérer que les violences conjugales affectent gravement
la relation que l’enfant peut entretenir avec sa mère. En effet, par les violences
conjugales, l’agresseur attaque à la fois la mère, l’enfant et le lien mère-enfant.

Or le recours à la notion d’«  aliénation parentale  », abondamment


convoquée dans les procédures familiales contentieuses pour
disqualifier la mère, souvent suspectée de tenter d’écarter l’enfant
de son père (Phelip et Berger, 2012), conduit à minimiser la gravité
des violences conjugales et à disqualifier la mère dans les
démarches de protection qu’elle entreprend pour ses enfants et pour
elle-même.

L’aliénation parentale, un concept dangereux

Le syndrome d’aliénation parentale a été inventé par le


pédopsychiatre américain Richard Gardner et utilisé pour la
première fois en 1992. Il le définissait comme une «  campagne de
dénigrement d’un enfant contre un parent, campagne injustifiée et
résultant d’un plus ou moins subtil travail de manipulation pouvant
aller jusqu’au lavage de cerveau, avec le mélange, en des
proportions variables, de contributions personnelles de l’enfant.  »
(Coutanceau, 2011).
Or l’utilisation du terme «  syndrome  » donne une crédibilité
scientifique à ce concept (Phélip et Berger, 2012  ; Lopez, 2013,
Berger, 2021). Pourtant, comme cela est souligné dans le 5e Plan de
mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes
(2017-2019), « aucune autorité scientifique n’a jamais reconnu un tel
“syndrome” et le consensus scientifique souligne le manque de
fiabilité de cette notion. Il n’est reconnu ni par le Manuel
diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) ouvrage
de référence de l’Association américaine de psychiatrie (APA), ni par
la Classification internationale des maladies publiée par
l’Organisation mondiale de la santé ».
Il me paraît donc très préoccupant que les professionnels y aient si
fréquemment recours, tout particulièrement dans un contexte de
violences conjugales. En effet, dès lors que dans un contexte de
séparation des parents, un enfant déclare qu’il ne veut pas se rendre
chez son père pendant un week-end ou des vacances et que la
mère accorde à sa demande une oreille attentive, les professionnels
suspectent généralement de fausses dénonciations contre le père,
l’enfant leur paraissant manipulé par la mère dans un contexte de
« syndrome d’aliénation parentale » ou d’« aliénation parentale ».
La fortune dont jouit le concept d’aliénation parentale nuit à l’analyse
des situations familiales et peut conduire à négliger les maltraitances
effectivement subies par l’enfant. La sensibilité des professionnels à
ce concept, jusqu’au parlement où le 24  octobre 2012, une
proposition de loi a été déposée afin de faire de la résidence
alternée le principe en cas de séparation des parents en référence
explicite au syndrome d’aliénation parentale, autorise tout d’abord
les pères auteurs de violences conjugales à délégitimer les
demandes de la mère en vue de l’instauration de modalités
d’exercice de l’autorité parentale adaptées aux situations de
violences conjugales et protectrices pour l’enfant (voir infra).
Le concept d’aliénation parentale, par sa référence explicite à la
manipulation de l’enfant, voire à un processus de lavage de cerveau,
accentue la suspicion à l’égard des craintes ou des peurs exprimées
par la mère et/ou l’enfant sur la sécurité de celui-ci avec le père et
considérées comme des dénonciations fausses ou excessives
(Romito et Crisma, 2009  ; Romito, 2011). Or il est essentiel de
percevoir, d’une part, que dans le cadre familial les fausses
dénonciations apparaissent très largement résiduelles et, d’autre
part, qu’un enfant peut légitimement refuser un contact avec l’un de
ses parents, notamment dans un contexte de violences conjugales.
En premier lieu, plusieurs études réalisées sur des échantillons
significatifs mettent en effet en évidence que les fausses
dénonciations de maltraitance sont marginales dans un contexte de
séparation parentale et sont plus souvent le fait du père qui n’a pas
la «  garde  » de l’enfant que de la mère chez laquelle l’enfant vit
(Romito et Crisma, 2009  ; Romito, 2011  ; Phélip et Berger, 2012,
Viaux, 2020). On citera ici une étude réalisée en 2005 sur un
échantillon de 7  672 dossiers de maltraitance sur enfants  : sur
l’ensemble de ces dossiers, le parent ayant la garde de l’enfant (la
mère le plus souvent) n’est l’auteur que de 7 % des dénonciations,
d’une part, et ne commet une dénonciation intentionnellement
fausse que dans 2  % des cas, d’autre part, soit douze cas sur
l’ensemble des dossiers de maltraitance (Trocmé et Bala, 2005).
En second lieu, l’enfant peut, dans un contexte de séparation
parentale, refuser pour de justes motifs de rencontrer le parent chez
lequel il ne vit pas, notamment dans les situations d’alliance et de
détachement. L’alliance avec l’un des parents est le moyen,
transitoire et réversible le plus souvent, par lequel l’enfant surmonte
l’angoisse liée à la séparation parentale. Le détachement
correspond aux situations où l’enfant a subi des maltraitances
(violences physiques, psychologiques, situations de violences
conjugales) et refuse les contacts avec le parent maltraitant (Gagné
et al., 2005). L’aliénation parentale apparaît ainsi comme un outil
conceptuel inopérant pour appréhender les violences conjugales et
plus largement l’ensemble des maltraitances subies par les enfants.
L’aliénation parentale est au contraire susceptible d’être utilisée
comme une nouvelle forme de diversion tendant à sous-évaluer et à
passer sous silence les violences sur la femme et sur l’enfant. Dans
un contexte de violences conjugales, ce concept pourra conduire les
institutions (notamment judiciaires) à culpabiliser la mère et à mettre
en œuvre des mesures inadaptées comme la médiation familiale
(Gagné et al., 2005).
Enfin, et il convient ici d’assumer ce qui pourra apparaître comme un
paradoxe, l’auteur des violences conjugales est susceptible d’utiliser
à son profit le concept d’aliénation parentale pour s’en prétendre
victime alors même qu’il cherche à isoler la mère de leur enfant
commun. La pratique juridictionnelle m’a confronté à plusieurs
reprises à ce type de situation, qui vient questionner la personnalité
et la volonté d’emprise de l’auteur des violences conjugales (voir
infra).
L’appréhension la plus immédiate de ce cas de figure est la
reproduction par l’enfant contre la mère des violences physiques ou
verbales auxquelles il a assisté. Le lien entre la mère et l’enfant
perdure mais il est parasité par le processus d’imitation. Il est au
contraire des situations où l’auteur des violences conjugales travaille
à la rupture du lien entre la mère et l’enfant dont la persistance lui
est insupportable.
Je pense ici à la situation de cet adolescent qui vivait avec son
père  ; il n’avait plus aucun contact avec sa mère. Le juge des
enfants avait été saisi, non en raison des violences conjugales, mais
en raison du déroulement de la scolarité à l’adolescence. Ce jeune
homme était scolarisé par correspondance, il ne pouvait littéralement
pas quitter le domicile de son père qui vérifiait son emploi du temps.
Aucun contact n’existait avec la mère. À la suite de l’instauration
d’une mesure éducative, et à la convocation de la mère aux
audiences, le père a scolarisé son fils à l’étranger.
Je pense aussi à la situation de ces deux frères, portée à la
connaissance de la juridiction des mineurs en raison des violences
conjugales ayant été exercée par le père sur la mère. Après
l’interruption de la mesure éducative, le père a réussi à obtenir le
transfert à son domicile de la résidence de ses fils. La rupture des
liens entre les enfants et leur mère a été immédiate. Celle-ci a
sollicité après plusieurs mois la réouverture du dossier d’assistance
éducative. À l’audience, la mère a indiqué qu’elle voyait son fils aîné
« en cachette », ce qui a valu à ce dernier un regard glaçant de son
père.

Ces deux situations mettent en évidence que les violences conjugales nécessitent un
traitement spécifique des modalités d’exercice de l’autorité parentale et, le cas
échéant, des mesures prononcées dans le cadre de la protection de l’enfance.

Notes
1. Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Seuil, 1991.

2. Jean Carbonnier, Introduction à l’étude du droit et droit civil, PUF,


7e éd., 1967.
5

Violences conjugales

et parentalité

S i le juge, en tant qu’il est l’un des tiers sommés d’intervenir dans
les situations de violences conjugales, doit les désigner, les
distinguer du conflit et réintroduire la loi au sein de la famille dont les
valeurs ont été renversées par la violence, il lui revient tout
spécialement de faire application de la loi dans chaque situation
individuelle soumise à sa juridiction.
S’agissant de l’enfant victime des violences conjugales, ce sont
essentiellement le juge aux affaires familiales et le juge des enfants
qui devront déterminer respectivement les modalités d’exercice de
l’autorité parentale en cas de séparation des parents, et les mesures
éducatives de nature à assurer la protection de l’enfant.
Si ces deux fonctions juridictionnelles relèvent de normes juridiques
substantielles et procédurales distinctes, la problématique des
violences conjugales appelle toutefois des principes juridictionnels
communs.

ENJEUX COMMUNS AUX AFFAIRES


FAMILIALES

ET À LA PROTECTION DE L’ENFANCE
En premier lieu, la particularité des violences conjugales, et
spécialement l’existence d’un rapport de force et d’emprise existant
entre l’auteur et la victime des violences, doit pouvoir conduire le
juge à adapter le déroulement des débats judiciaires pour éviter, si
cela est nécessaire, de mettre la mère en présence du père. La loi
du 9  juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux
femmes, aux violences au sein du couple et aux incidences de ces
dernières sur les enfants prévoit expressément que l’audition de
l’auteur et celle de la victime, par le juge aux affaires familiales saisi
d’une demande de délivrance d’une ordonnance de protection,
peuvent avoir lieu séparément (art. 515-10 CC).

De telles dispositions ne sont pas spécifiquement prévues pour les audiences


d’assistance éducative devant le juge des enfants. Néanmoins, celui-ci sera parfois
amené, sur le modèle établi par le législateur pour la procédure devant le juge aux
affaires familiales, à procéder à l’audition séparée du père et de la mère.

Une situation juridictionnelle illustre cette nécessité  : une mesure


d’action éducative en milieu ouvert (AEMO) est en cours au profit de
Julie et Chloé dont les parents sont séparés et qui vivent au domicile
de leur mère. À l’audience de renouvellement de la mesure, sont
présents le père et la mère, que je fais asseoir côte à côte, les deux
enfants et l’éducatrice spécialisée. L’une des difficultés évoquées
par celle-ci est que les enfants sont incessamment placés en
position d’intermédiaire entre leur père et leur mère pour
l’organisation de la vie quotidienne. J’invite les parents à s’exprimer
à ce sujet (avant de les encourager à mieux communiquer) : le père
expose son point de vue alors que la mère reste mutique et passive.
J’ai eu plus tard l’occasion de reparler de cette audience avec
l’éducatrice spécialisée qui m’a appris que durant leur vie commune,
le père avait violé la mère. Comment pouvais-je demander à cette
femme de «  mieux communiquer  » avec son ex-époux  ? Comment
pouvait-elle à l’audience prendre sa place de mère et se positionner
en sujet garant de l’intérêt de ses enfants, alors que je lui imposais
de se placer à proximité immédiate de celui qui l’avait agressée si
gravement ?
Prendre en compte la violence implique l’adaptation des pratiques
professionnelles pour qu’elles soient protectrices. Le tribunal ne doit
pas être un lieu de mise en danger. Mais cette observation est vraie
quel que soit l’espace en cause  : le cabinet du médecin, le bureau
de l’assistante sociale, la réunion parents-professeurs. Il est possible
de l’aménager dans une stratégie de protection des victimes.

Conjugalité et parentalité

Enfin, et en lien avec ce que met en évidence l’exposé de cette


situation d’audience, le juge aux affaires familiales comme le juge
des enfants doivent veiller à la cohérence des décisions relatives à
la vie du couple et de celles qui sont relatives à l’exercice de
l’autorité parentale. L’existence actuelle ou passée de violences
conjugales commande en effet de ne pas distinguer le traitement
réservé à la problématique conjugale de celui réservé à la
problématique parentale, à l’organisation de la vie des enfants
(Sadlier, 2009), contrairement à une idée commune selon laquelle
« la vie de couple est finie mais les parents doivent continuer à être
parents ensemble ». Karen Sadlier emploie l’expression fort juste de
«  parentalité parallèle  » qui met en évidence l’enjeu de veiller à ce
que l’organisation de la vie de l’enfant ne soit utilisée comme un
nouvel espace d’emprise et de violence. En somme, la restauration
de la loi transgressée par les violences justifie ici que le juge
établisse des «  frontières  » solides et durables entre le père et la
mère (Durand, 2010).

MODALITÉS D’EXERCICE

DE L’AUTORITÉ PARENTALE
La séparation des parents implique un réaménagement important du
mode de vie de l’enfant et de l’organisation des relations qu’il va
entretenir avec son père et sa mère. La législation relative aux
conséquences pour l’enfant de la séparation de ses parents a évolué
progressivement dans le souci toujours réaffirmé de promouvoir la
coparentalité, c’est-à-dire à la fois le maintien de relations
habituelles de l’enfant avec ses deux parents quel que soit le lieu où
est fixée sa résidence habituelle, mais également le mode d’exercice
de l’autorité parentale.

Ainsi, la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 a consacré le principe d’un exercice conjoint
de l’autorité parentale (art. 372 CC) et précisé que « la séparation des parents est sans
incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale  » et que
«  chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et
respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent » (art. 373-2 CC).

La jurisprudence est donc très restrictive pour confier l’exercice de


l’autorité parentale à l’un des deux parents « si l’intérêt de l’enfant le
commande  » ou refuser un droit de visite et d’hébergement au
parent chez lequel l’enfant ne réside pas habituellement (art. 373-2-1
CC).

La coparentalité au risque de la sécurité

de l’enfant ?

Toutefois, le principe de la coparentalité et de l’exercice conjoint de


l’autorité parentale ne doit pas se borner à une incantation formelle.
Il doit s’appuyer sur la capacité des deux parents à communiquer et
à prendre ensemble des décisions conformes à l’intérêt de l’enfant.
L’intérêt de l’enfant victime des violences conjugales commande
pourtant une grande prudence dans la dévolution de l’exercice de
l’autorité parentale et l’attribution d’un droit de visite et
d’hébergement au père après la séparation (Défenseure des
enfants, 2008).
En effet, les rencontres des parents à l’occasion du droit de visite et
d’hébergement peuvent être l’occasion d’un passage à l’acte violent
(jusqu’à l’homicide), et l’éducation de l’enfant (sa scolarité, ses
activités, ses vacances) – si l’exercice de l’autorité parentale est
conjoint – est susceptible de devenir un nouveau moyen d’emprise
sur la mère après la séparation du couple. Dans ce cas, l’exercice
conjoint de l’autorité parentale est utilisé comme un « droit de veto ».
Ces risques ne sont pas hypothétiques comme ma pratique
juridictionnelle me l’a démontré. Dans les situations des enfants
victimes de violences conjugales, l’ambition de coparentalité est
alors l’illustration de la séparation prématurée du conjugal et du
parental (Sadlier, 2009) déjà évoquée. Elle fait l’impasse sur la
recherche de pouvoir sur l’autre qui est le but des violences
conjugales. Or il faut penser la sécurité de l’enfant à partir de ce que
révèle la violence conjugale : la recherche du pouvoir sur l’autre et la
capacité de passer à l’acte pour garantir ce pouvoir.
Le maintien de l’exercice conjoint de l’autorité parentale et de droits
de visite et d’hébergement «  classiques  » s’appuie le plus souvent
sur l’affirmation selon laquelle le père violent avec la mère ne l’est
pas nécessairement avec l’enfant. Ce raisonnement, sur le mode de
la diversion, fait l’impasse sur les traumatismes majeurs que les
violences sur la mère infligent à l’enfant. En outre, contrairement à
cette idée reçue, plus de 40  % des enfants exposés aux violences
conjugales sont eux-mêmes victimes de violences physiques,
sexuelles et/ou psychologiques de l’auteur des violences conjugales
(Romito, 2011  ; Racicot et al., 2010). Enfin, le risque de violences
sexuelles incestueuses par le violent conjugal sur sa fille est 6,5 fois
plus élevé que pour une autre fille (Paveza, 1988).

La personnalité des auteurs

de violences conjugales

Ce fait préoccupant conduit à interroger et à mieux comprendre la


personnalité des auteurs de violences conjugales. Le juge des
enfants n’a pas compétence pour dresser un tableau
psychopathologique des auteurs de violences conjugales. Je
m’autorise néanmoins à faire une courte référence à des travaux qui
sont venus éclairer mon expérience juridictionnelle, en gardant
présent à l’esprit le propos d’Alain Legrand, psychologue et
président de la Fédération nationale des associations et des centres
de prise en charge des auteurs de violences conjugales et familiales
(FNACAV). Il rappelle qu’au-delà des traits de personnalité qui
pourraient être repérés chez les auteurs de violences conjugales,
«  finalement, la violence reste un “choix” parmi d’autres possibles,
une décision opérée à différents niveaux d’élaboration psychique par
un sujet selon des caractéristiques qui le définissent
personnellement » (Legrand, in Coutanceau, 2011).
C’est fondamental. Exercer des violences physiques, sexuelles,
économiques, administratives, psychologique, harceler sa
compagne et ses enfants, c’est un choix. C’est d’ailleurs la raison
pour laquelle les passages à l’acte violents de l’agresseur sont
susceptibles d’une répression pénale. C’est un choix parce qu’il est
possible de ne pas être violent. Ce point conduit à nouveau à mettre
en évidence le caractère instrumental de la violence qui est mise en
œuvre pour obtenir le pouvoir sur l’autre, dans les violences
conjugales sur sa conjointe et sa famille.
Les auteurs de violences conjugales présentent en premier lieu des
traits de personnalité comme l’immaturité, l’instabilité émotionnelle,
ou l’intolérance à la frustration (Coutanceau, 2006, 2011). Or ces
traits de personnalité doivent être pris en compte pour envisager la
parentalité, la capacité du parent à prendre en compte les besoins
de son enfant. En effet, l’instabilité émotionnelle est problématique
sur le plan éducatif car l’éducation et la sécurité reposent sur la
prévisibilité des règles et des décisions parentales. De la même
façon, un parent est immanquablement confronté à la frustration
dans l’éducation de son enfant, quel que soit l’âge de celui-ci. On
songe par exemple aux pleurs du nourrisson pendant la nuit ou aux
transgressions de l’adolescent, mais la vie de famille recèle un très
grand nombre de circonstances de frustration.
S’appuyant sur son expérience clinique et sur une abondante
littérature scientifique, Karen Sadlier (2020) montre qu’en raison des
traits de personnalité repérés chez les violents conjugaux, ceux-ci
sont des parents dangereux. Les violents conjugaux présentent des
traits égocentriques avec un déficit d’empathie. Or la protection d’un
enfant nécessite la capacité du parent à identifier ses besoins et à
leur donner la priorité sur ses propres besoins. Les violents
conjugaux présentent aussi un déficit de tolérance de
l’autonomisation des autres personnes de son entourage, ce qui
permet de comprendre les stratégies d’emprise. Mais éduquer un
enfant implique de lui apprendre à devenir progressivement
autonome.
Il convient également d’évoquer ici la figure du pervers narcissique,
en relevant quelques traits définis par Racamier : « Il ne doit rien à
personne, n’attend rien de quiconque » et « jouit de se valoriser au
détriment d’autrui  ». La victime est l’objet du pervers narcissique,
objet qui «  n’est supportable que s’il est dominé, maltraité, sadisé,
certes, et par-dessus tout maîtrisé  » (Racamier, 2012). Le docteur
Marie-France Hirigoyen a montré comment, pour lutter contre la
dépression et l’angoisse, les personnalités correspondant au pervers
narcissique se débarrassent sur leur victime de leurs sentiments
négatifs et au contraire se nourrissent de leurs ressources vitales  :
« Leur dangerosité tient d’abord à leur habileté à détruire la capacité
de penser de l’autre. Pour s’affirmer ils doivent déployer leur
destructivité et jouir de la souffrance de l’autre  » (Hirigoyen, 2006).
La stratégie du pervers narcissique est de «  faire irruption dans la
sphère vitale de ses proies » et de les « dévitaliser » (Barbier, 2013).
Ainsi, ces personnalités présentent une habileté et une capacité de
dissimulation qui rend leur identification délicate dans les enquêtes,
les audiences, les expertises. En revanche, c’est l’état psychique
affaibli de la victime des violences conjugales qui permet, par un
faisceau d’indices, de les identifier.
Enfin, les auteurs de violences conjugales présentent des difficultés
à identifier l’impact négatif de leurs passages à l’acte sur la victime,
en les minimisant et en se présentant eux-mêmes comme victimes
du contexte familial (Vasselier-Novelli et Heim, 2010, Tromeleue, in
Ronai-Durand, 2017).

Perpétuation de l’emprise sur l’enfant


Par ailleurs, la volonté d’emprise qui s’exerçait sur la mère, par les
violences notamment, peut être obtenue par le père sur l’enfant par
d’autres mécanismes, tels que le chantage affectif ou le
harcèlement, par exemple par des appels téléphoniques incessants
ou des sommations répétées d’exprimer au père sa loyauté et son
amour.
La situation de Philippe met en évidence ce type d’emprise. Sa mère
a demandé le divorce à la suite des violences conjugales. La
résidence habituelle de Philippe a été fixée chez son père, l’enfant
l’ayant demandé après avoir expliqué : « Mon père a besoin que je
l’écoute. » À l’occasion d’un droit de visite et d’hébergement, le père
a tué la mère sous les yeux de leur fils. Puis au cours d’une
audience d’assistance éducative, le père a déclaré, pour illustrer sa
complicité avec son fils  : «  Après le départ de ma femme, j’avais
quelqu’un dans mon lit… c’était mon fils. »
L’emprise peut également être obtenue par la soumission de l’enfant
à l’imprévisibilité du père  : Julien est confié à l’Aide sociale à
l’enfance depuis de nombreuses années, des violences conjugales
ayant existé pendant la vie commune du couple. La mère a disparu
longtemps en raison de sa terreur de rencontrer son ancien conjoint.
Julien a continué à rencontrer son père dans le cadre de droits de
visite et d’hébergement les fins de semaine et durant les vacances.
Son père a pu se montrer violent avec son fils au moment des
devoirs scolaires qui le soumettent à un stress qu’il ne peut
supporter. Mais ce père s’est également montré violent de façon
imprévisible, par exemple à l’occasion d’un «  jeu de chatouilles  »
qu’il avait lui-même commencé. Julien s’est autorisé à son tour à
«  chatouiller  » son père, qui l’a frappé en retour. De même, après
une sortie familiale, Julien, ravi, se met à rire en montant l’escalier,
avant que son père ne le pousse et ne le fasse chuter. Le dossier
d’assistance éducative a ainsi mis en évidence que cet enfant se
trouve soumis à une double angoisse : la peur de perdre son père et
la peur de son père. Julien est ici pris au piège de la pulsion
d’emprise de son père, la «  volonté de se rendre maître de l’autre
par occupation du terrain d’exercice de son appareil psychique  »
(Daligand, 2004).

Présumer le danger pour protéger l’enfant

Ces situations illustrent l’impératif d’un positionnement juridictionnel


très prudent dans l’établissement des modalités d’exercice de
l’autorité parentale à l’égard de l’enfant victime des violences
conjugales. Plus précisément, il convient de considérer que les
violences conjugales exercées par le père sur la mère révèlent que
le père met son enfant en danger. Ce raisonnement correspond au
mécanisme juridique de la présomption.

Ainsi, l’existence des violences conjugales doit conduire à présumer que le père n’est
pas en capacité de protéger son enfant et à écarter l’exercice conjoint de l’autorité
parentale et l’organisation de droits de visite sans médiation.

La loi du 9  juillet 2010 a déjà fort opportunément introduit une


disposition nouvelle à l’article 373-2-11 6° du Code civil, qui invite le
juge aux affaires familiales à prendre en considération l’existence de
violences conjugales avant de se prononcer sur les modalités
d’exercice de l’autorité parentale.
Néanmoins, le recours à la présomption me paraît plus clair et
protecteur.
Une présomption est dite « simple » lorsque l’on peut lui apporter la
preuve contraire, irréfragable dans le cas contraire. Sans avoir
recours à la notion de présomption irréfragable, on peut
légitimement estimer que les capacités parentales du père auteur
des violences conjugales doivent être vérifiées, notamment par le
recours à une expertise psychiatrique, pour autant que cette
expertise sera spécialisée au contexte des violences conjugales. En
effet, au stade de l’expertise, comme à celui de l’intervention de tout
professionnel, la prise en compte de la stratégie de l’agresseur, de
sa dangerosité et de la distinction entre conflit et violence dans le
couple est primordiale.
À défaut, l’exercice exclusif de l’autorité parentale devra être confié à
la mère et les droits de visite père-enfant organisés en présence
continue d’un professionnel en espace rencontre, au moins à titre
provisoire pendant la réalisation de l’expertise.
En outre, et quelles que soient les modalités d’exercice de l’autorité
parentale qui seront privilégiées dans chaque situation singulière, il
apparaît indispensable que la décision du juge aux affaires familiales
soit d’une grande précision sur les horaires, les modes
d’organisation des vacances et l’ensemble des détails du quotidien
que les professionnels pourraient être tentés de renvoyer à la
responsabilité commune du père et de la mère. Ces détails infimes
dont les parents s’arrangent le plus souvent dans les situations
familiales apaisées sont en effet susceptibles d’être utilisés pour
maintenir un rapport de pouvoir et de violence sur la mère et sur
l’enfant.
Ces observations mettent en évidence à quel point la formule selon
laquelle « un mari violent peut être un bon père » est contraire à la
réalité. Refuser de faire un lien entre la sphère de la conjugalité et la
sphère de la parentalité et d’organiser la parentalité en fonction de la
violence conjugale conforte la stratégie de l’agresseur et fait courir
au parent victime et à l’enfant un risque à la fois grave et prévisible.
En somme, la connaissance de violences conjugales suffit pour
traiter la parentalité de façon adaptée et protectrice.
Pourtant, une telle stratégie de protection est encore insuffisamment
mise en œuvre. En raison de la gravité de l’impact des violences
conjugales sur l’enfant, on fait injonction à la mère de se séparer de
son conjoint violent, mais à l’instant même où elle le fait, elle est
contrainte de rester en lien avec lui par l’exercice de l’autorité
parentale et le père violent continue à exercer sa violence et son
emprise sur sa conjointe et sur l’enfant malgré la séparation.

Distinguer quatre registres de la parenté

Cette faille dans la lutte contre les violences conjugales est


difficilement explicable et encore moins justifiable. Peut-être peut-
elle s’expliquer par la persistance de ce que j’appelle «  une
conception patrimoniale de l’autorité parentale  ». Si l’autorité
parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité
l’intérêt (la protection) de l’enfant, elle est sans doute d’abord
comprise comme un attribut juridique destiné à reconnaître le parent
dans son statut de parent. C’est pourquoi il est si rare qu’une femme
victime de violences conjugales se voit attribuer l’exercice exclusif
de l’autorité parentale et qu’un parent violent se voit retirer l’autorité
parentale.
On peut aussi expliquer ce déficit de protection par une confusion
persistante entre ce que j’appelle les quatre registres de la parenté :
la filiation, l’autorité parentale, le lien et la rencontre. Ces quatre
registres sont distincts. L’existence de la filiation n’implique pas
nécessairement qu’un parent violent et inadéquat dispose de
l’autorité parentale ou de son exercice  ; la loi prévoit depuis
longtemps le retrait d’autorité parentale ou l’attribution au parent
protecteur de l’exercice exclusif de l’autorité parentale.
De la même façon, il faut distinguer le lien et la rencontre. Comme
l’explique le docteur Jean-Louis Nouvel, pédopsychiatre, le lien est
psychique et la rencontre est physique. Or la réalité de la filiation et
d’un lien psychique (qui peut d’ailleurs être envahissant, voire
terrorisant pour l’enfant) n’implique pas nécessairement que des
rencontres physiques soient organisées entre un parent maltraitant
et son enfant. Certes, l’absence de rencontre peut conduire l’enfant
à idéaliser son père, mais si des rencontres sont organisées elles
doivent l’être dans un cadre protecteur, tel que la mesure
d’accompagnement protégé ou l’espace de rencontre protégé conçu
par l’observatoire départemental des violences faites aux femmes de
Seine-Saint-Denis. Et il peut aussi être souhaitable d’aider l’enfant à
se délier psychiquement, notamment en ne le confrontant pas à son
parent violent.
De telles dispositions protectrices me semblent encore
insuffisamment mises en œuvre alors que la loi le permet. Dans ces
conditions, il est nécessaire que la loi soit plus impérative et qu’elle
dispose que, dès lors qu’il existe ou a existé des violences
conjugales et pour protéger le parent victime et l’enfant, le parent
violent ne peut, sauf exception spécialement motivée, se voir
attribuer l’exercice de l’autorité parentale et bénéficier de rencontres
avec son enfant sans contrôle par un tiers spécialement formé.

80 % des femmes victimes de violences conjugales ont des enfants. Sans traitement
réellement efficace de la parentalité, les mesures de protection seront inefficientes et
les violents conjugaux pourront perpétuer leur emprise sur leur famille.

L’ASSISTANCE ÉDUCATIVE
La gravité des traumatismes causés à l’enfant, la peur intense et le
renversement des valeurs fondamentales démontrent qu’à
l’évidence, l’enfant victime de violences conjugales est un enfant en
danger. Toutefois, cette réalité ne signifie pas nécessairement
qu’une procédure judiciaire d’assistance éducative et la saisine du
juge des enfants soient indispensables.
Quoi qu’il en soit, les écrits des professionnels intervenant en
protection de l’enfance ont une grande importance pour permettre un
traitement judiciaire adapté de la situation familiale et éviter les
conséquences néfastes de l’incohérence entre les trois planètes
décrites par Lauren Radford et Marianne Hester. Il est en effet
essentiel que les enquêtes sociales et les rapports éducatifs
décrivent précisément le contexte de violences conjugales observé
par les professionnels et suscitent ainsi, au moment de la
transmission à l’autorité judiciaire, non seulement une éventuelle
saisine du juge des enfants par le procureur de la République si elle
est indispensable, mais aussi l’engagement de poursuite pénale
contre l’agresseur et le cas échéant la saisine du juge aux affaires
familiales (art. 373-2-8 CC) en vue de l’instauration de modalités
d’exercice de l’autorité parentale protectrices pour la mère et pour
l’enfant indissociablement.

Protéger la mère, c’est protéger l’enfant


Même si la mère est elle-même fragilisée dans ses capacités
éducatives par les violences qu’elle subit, elle se montre en capacité
d’élever et protéger son enfant (Kédia et Sabouraud-Séguin, in
Sadlier, 2010), de réintroduire des repères éducatifs et affectifs
sécurisants ou de prendre l’initiative d’un soutien thérapeutique pour
elle et l’enfant.
Cette observation rejoint le constat établi devant la Mission
parlementaire d’évaluation de la politique de prévention et de lutte
contre les violences faites aux femmes1 par Madame Ernestine
Ronai, chargée de la protection des femmes victimes de violences
au sein de la Mission interministérielle pour la protection des
femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres
humains (MIPROF) et responsable de l’observatoire des violences
envers les femmes de Seine-Saint-Denis : « Le fait de venir en aide
à la mère en la traitant comme une femme en danger permet à
l’enfant de reprendre normalement son développement. »
En effet, le fait qu’une mère subisse des violences conjugales ne
met en cause ni sa personnalité ni son comportement, car c’est « la
configuration de la relation qui suffit à expliquer le piège  » (Dutton,
cité par Hirigoyen, 2006). Le raisonnement par la présomption qui
est justifié à l’égard du père auteur de violences conjugales ne
saurait donc trouver à s’appliquer à l’égard de la mère.
Dès lors, l’instauration de mesures éducatives administratives ou
judiciaires n’est pas systématiquement nécessaire. C’est, rappelons-
le, la signification de la loi pénale et la fixation de modalités
adaptées et précises d’exercice de l’autorité parentale qui sont de
nature à restaurer les valeurs familiales, que la violence a
dénaturées, et à protéger la mère et l’enfant.
En outre, et spécialement lorsque les violences conjugales auront
conduit à la séparation des parents et que l’enfant vit avec sa mère,
une mesure d’aide éducative au domicile de celle-ci aura l’effet
paradoxal de s’exercer sur la mère et le lien mère-enfant, le
comportement du père à l’égard de l’enfant n’étant pas sous le
regard des professionnels, notamment si celui-ci exerce un droit de
visite les week-ends.
Néanmoins, la mère elle-même peut solliciter une aide éducative,
auprès du conseil départemental ou auprès du juge des enfants.
Celui-ci sera également conduit à ouvrir une procédure d’assistance
éducative sur requête du procureur de la République, ou
éventuellement du père, ce qui est plus rare. Toutefois, la saisine du
juge des enfants par le procureur de la République ne doit se
concevoir que comme le corollaire de l’action publique, c’est-à-dire
des poursuites pénales engagées à l’encontre du père auteur des
violences conjugales, l’application de la loi «  civile  » relative à la
protection de l’enfant ne pouvant faire l’impasse sur l’application de
la loi « pénale ».
En tout état de cause, l’intervention d’un service éducatif devra se
déployer dans le contexte particulier des violences conjugales et
mettre en œuvre une action pluridisciplinaire adaptée à ce contexte.
Au titre de l’assistance éducative, le juge des enfants sera amené à
prononcer une mesure d’action éducative en milieu ouvert (AEMO),
l’enfant continuant de résider au domicile familial, ou une mesure de
placement judiciaire, l’enfant étant alors confié à une maison
d’enfants, un foyer éducatif ou une famille d’accueil.

L’action éducative en milieu ouvert

S’agissant d’une mesure d’AEMO, le juge des enfants et le service


éducatif devront veiller principalement à ne pas agir à «  contre-
modèle », c’est-à-dire sur le modèle du conflit familial qui favoriserait
une action éducative de type médiation entre les parents (mise en
présence des parents, encouragements des parents à communiquer,
à trouver des arrangements présentés comme étant de nature à
assouplir le quotidien familial et apaiser l’enfant). Une telle
intervention renverrait immanquablement les parents à un face-à-
face perpétuant le rapport de force et de pouvoir.
Au contraire, la mesure d’AEMO doit, dans le contexte des violences
conjugales, avoir pour objectif d’instituer une «  frontière  » et
contrôler le comportement de l’auteur des violences conjugales tant
vis-à-vis de l’autre parent que de l’enfant. C’est cette frontière qui
paraît de nature à assurer efficacement la protection de l’enfant.
Ainsi, dans la situation juridictionnelle de Julie et Chloé, passer les
violences conjugales sous silence a conduit à instaurer une mesure
d’AEMO sur le modèle du conflit parental. La mesure s’est déroulée
avec l’objectif d’aider les parents à «  mieux  communiquer  » et, ce
faisant, à imposer à la mère la rencontre avec le père et à tenter de
réinstaurer une communication illusoire et source d’incompréhension
et de danger pour les enfants. La prise en compte appropriée de
l’existence des violences conjugales aurait dû me conduire à
demander au service éducatif d’être «  la frontière  », l’intermédiaire
entre le père et la mère, pour favoriser l’organisation adaptée et
sécurisante de la vie des enfants.

L’action éducative avec l’enfant

Vis-à-vis de l’enfant lui-même, outre les soins psychologiques qui


sont nécessaires au regard des traumatismes causés par les
violences conjugales, il est tout d’abord nécessaire que l’intervention
des professionnels soit adaptée à chacun des enfants au sein d’une
fratrie selon ce qu’il aura vécu dans le contexte des violences
conjugales (loyauté à l’égard du père, de la mère, confident,
mauvais objet…).
Par ailleurs, il est recommandé que les équipes pluridisciplinaires qui
composent les services éducatifs (éducateurs spécialisés,
assistantes sociales, puéricultrices) mettent en œuvre des activités
réparatrices qui répondent de façon adaptée aux besoins de l’enfant
victime des violences conjugales (Lessard et al., 2003  ; Vasselier-
Novelli et Heim, 2006 ; Daligand, in Cario, 2012). Le jeu, le dessin, le
théâtre ou les contes (Gryson-Dejehansart, 2013) sont les moyens
par lesquels l’enfant, petit ou adolescent, peut (ré)apprendre à
reconnaître, nommer et exprimer ses émotions dans un cadre
sécurisant.
On citera ici le guide Les Mots pour le dire. Violences faites aux
femmes, les enfants souffrent réalisé par l’observatoire des
violences envers les femmes du conseil départemental de Seine-
Saint-Denis en collaboration avec Karen Sadlier dont les ouvrages
ont déjà été cités dans ces pages. Ce guide à destination des
professionnels invite à aider l’enfant à reconnaître et exprimer ses
émotions (la peur, la joie, la colère, la tristesse…) par exemple à
l’aide de smileys, de dessins du corps humain pour localiser le
ressenti des émotions.

Que ces développements soient d’ailleurs aussi l’occasion de rendre hommage à


l’intelligence et à la persévérance des professionnels œuvrant pour la protection de
l’enfance. Par le jeu, avec les jeunes enfants comme avec les adolescents, ou des
activités centrées sur la créativité, ils parviennent progressivement à ouvrir à l’enfant
un espace d’expression et de langage, et à lui permettre de canaliser et d’apaiser ses
émotions.

Le positionnement à l’égard de la mère

et à l’égard du père : assumer l’asymétrie

Vis-à-vis de la mère, l’action éducative exige également une


patience spécifique au contexte des violences conjugales. Si cela
est nécessaire, ces professionnels sauront l’aider à réinstaurer des
repères éducatifs sécurisants pour l’enfant. Il demeurera néanmoins
essentiel de conserver à l’égard de la mère une écoute attentive et
bienveillante relative à son vécu traumatique. Certes, il ne s’agit pas
de traiter la mère comme un objet de protection après qu’elle a été
traitée comme un objet de violence. L’enjeu est bien de lui permettre,
par l’aide éducative, de dépasser son vécu traumatique et d’être
soutenue comme sujet de sa propre existence comme de la
protection et de l’éducation de son enfant.
Toutefois, il sera d’autant plus difficile pour la mère victime des
violences conjugales de traverser ce vécu traumatique, de se
réapproprier une autorité parentale fragilisée par les violences et de
protéger son enfant que le professionnel mandaté pour la soutenir
dans ses responsabilités éducatives sera fermé à l’expression de
ses angoisses et de ses doutes, comme de la culpabilité que la
pratique juridictionnelle conduit à observer chez la grande majorité
des personnes victimes d’une infraction quelle qu’elle soit. Ce risque
est spécifique à l’intervention en protection de l’enfance dans un
contexte de violences conjugales, et correspond à «  l’orbite de la
planète B  » évoqué dans la conclusion de la première partie (en
référence à Radford et Hester, 2006, cités par Romito, 2011).
Le soutien qui doit être donné à la mère est à la fois, et
indissociablement, un soutien sur le plan personnel et un soutien
dans l’éducation de l’enfant (Racicot et al, 2010). Ici, chaque aspect
de la proposition est essentiel  : il s’agit bien d’un soutien, et non
seulement d’une évaluation et d’un contrôle  ; et le soutien apporté
sur le plan éducatif, pour garantir la protection de l’enfant, doit être
associé à l’accompagnement et à la valorisation de la mère elle-
même, qu’il s’agisse de sa personnalité, de son réseau social ou de
ses activités. La prise de conscience par la mère de la transgression
qu’elle a subie, que son enfant a subie aussi, et la nécessité de le
protéger seront aussi fonction du soutien et de la valorisation dont
elle pourra bénéficier.
S’agissant du soutien à la parentalité proprement dite, Karine
Racicot fait référence à plusieurs études dont on retiendra les six
axes d’intervention suivants (Racicot et al., 2010) :
1. « L’éducation à des stratégies d’autorité non coercitives et axées
sur la responsabilisation de l’enfant ;
2. L’instauration de pratiques éducatives positives et de limites
appliquées avec consistance ;
3. Le renforcement de conduites d’attachement de la mère pour
qu’elle incarne une figure de protection et de soutien sur laquelle
l’enfant peut miser ;
4. Le développement d’une communication émotive mère-enfant
pour briser le silence sur la violence, valider les émotions de
l’enfant et confronter ses perceptions erronées ;
5. La reconnaissance des affects de l’enfant et le soutien à leur
expression ;
6. L’éducation aux besoins et rôles de l’enfant selon son niveau
développemental. »
Vis-à-vis du père, les développements qui précèdent invitent à
penser les capacités d’éducation et de protection de l’enfant à partir
de ce que révèlent les violences conjugales  : la volonté d’emprise.
Cette perspective doit en effet être assumée pour la parentalité
comme elle doit l’être pour la conjugalité. L’asymétrie que produit la
violence conduit à une asymétrie dans la responsabilité et révèle
une asymétrie dans les capacités parentales. Il ne serait pas
raisonnable, dans l’objectif impératif de la protection de l’enfance, de
minimiser ou banaliser non seulement les traumatismes causés à
l’enfant par les violences conjugales, mais également les risques
pour sa santé physique et psychique, même lorsque les parents sont
séparés et que les violences conjugales ont cessé. On a vu d’ailleurs
que l’exercice conjoint de l’autorité parentale pouvait devenir le
terrain de la perpétuation de l’emprise. La tendance des auteurs de
violences conjugales à banaliser et minimiser leurs actes et leur
responsabilité (voir supra) ne pourrait qu’être renforcée par un
positionnement similaire des institutions et des professionnels.
Une grande prudence s’impose dès lors s’agissant du maintien et de
l’organisation des rencontres entre le père et l’enfant. Est-ce à dire
que les liens doivent être rompus  ? L’enfant lui-même peut les
demander avec insistance et souffrir de l’absence de lien, voire en
faire grief à sa mère. Les capacités parentales du père doivent en
tout état de cause être évaluées dans un cadre protecteur pour
l’enfant. En outre, il paraît essentiel que le père reconnaisse sa
violence et en assume la responsabilité et qu’il démontre à la fois
qu’il est en capacité de ne pas être violent et de choisir d’autres
modalités (conformes à la loi) d’expression de ses émotions (Côté et
al., 2005) et qu’il peut respecter la mère.
En somme, le père doit s’humilier. Ce mot est sévère et ne doit pas
être mal compris. Nul ne peut ni ne doit humilier quiconque  ; ce
serait d’ailleurs un paradoxe injustifiable dans une situation de
violences conjugales. Un magistrat ne peut ni ne doit humilier un
citoyen, quels que soient les faits qui justifient sa comparution
devant lui et, en matière familiale, il est toujours désastreux
d’humilier un parent devant un enfant. En revanche, le père auteur
des violences conjugales doit s’humilier, c’est-à-dire reconnaître la
gravité de ses comportements, leur absence de justification et en
assumer la responsabilité. Cette attitude l’honorera, apparaissant
comme un préalable indispensable à la restauration de la loi dans
l’esprit de l’enfant et au rétablissement de la confiance. De
nombreuses situations d’audience m’en ont assuré. En tout état de
cause, il faut avoir présent à l’esprit que l’agresseur cherchera à
faire entrer l’intervenant dans son système et à impliquer la victime
dans la responsabilité de ses passages à l’acte violents. Comme le
recommande la psychologue Linda Tromeleue (Ronai-Durand,
2017), qui intervient dans les programmes de soin pour les
agresseurs, il faut être vigilant à ne pas «  entrer en collusion avec
l’agresseur ».

Lorsque les parents ne sont pas séparés

En outre, et tout particulièrement lorsque les parents ne sont pas


séparés, ou lorsque les violences conjugales n’ont pas donné lieu à
un jugement pénal ou à la fixation de modalités d’exercice de
l’autorité parentale spécifiques à ce contexte, l’intervention de
services sociaux ou éducatifs, sous mandat administratif ou
judiciaire, ne peut se concevoir que dans une très grande prudence.
En effet, l’action d’aide sociale et éducative se trouve dans ce cas de
figure au carrefour de deux impératifs indissociables : l’impératif de
protéger l’enfant d’un contexte familial traumatisant en raison des
violences conjugales et la nécessité d’accompagner la mère, parfois
dans un temps long, pour lui permettre de se dégager de l’emprise
et de s’approprier les propositions d’aide (incluant le cas échéant la
rupture conjugale pour mettre fin aux violences).
Face à une telle situation, fréquente et difficile à résoudre pour les
professionnels, plusieurs risques peuvent être envisagés. En
premier lieu, face à une mère sous emprise, ne sachant pas si elle
doit quitter son conjoint violent, porter plainte, solliciter une aide
sociale, les professionnels risquent de déplacer l’analyse du danger
auquel l’enfant est confronté du père auteur des violences à la mère
victime, en mettant en cause son ambivalence sur le plan conjugal
ou son défaut de protection sur le plan parental. En second lieu, la
signification à la mère de la situation de danger concernant l’enfant,
voire la menace d’une information préoccupante ou d’un
signalement, sont susceptibles de l’entraver dans son cheminement
vers une prise de conscience du caractère illégal et inacceptable des
violences qu’elle subit.
Enfin, et ceci se produira dans les deux risques qui viennent d’être
soulignés, ce type de positionnement professionnel fait l’impasse sur
l’attitude défaillante du père, sur sa parentalité et sur les menaces
pour la sécurité de la mère et de l’enfant que les violences
conjugales mettent en évidence. Cette observation conduit à
rappeler le primat indispensable de la signification de la loi pénale
dans le contexte des violences conjugales, même, et peut-être plus
encore, si les parents ne sont pas séparés. Si l’emprise ne permet
pas à la mère d’envisager une séparation, et qu’en conséquence
elle-même et l’enfant se trouvent confrontés à la répétition des
violences conjugales, la législation pénale (voir la première partie)
permet l’instauration de mesures de contraintes à l’encontre de
l’auteur des violences, mesures qui par leur effet sur l’auteur
garantiront la protection de la mère et de l’enfant, qu’il s’agisse d’une
peine d’emprisonnement ou d’une interdiction de les rencontrer.

Le placement de l’enfant

Les intervenants sociaux pourraient également être amenés, compte


tenu du danger pour l’enfant victime des violences conjugales, à
demander au juge des enfants de confier l’enfant à un foyer ou à
une famille d’accueil dans le cadre d’une mesure judiciaire. Une fois
encore, la gravité des traumatismes causés à l’enfant par les
violences conjugales peut conduire à estimer qu’une telle mesure
est de nature à garantir la protection de l’enfant en l’extrayant du
contexte familial.
Néanmoins, et même si la mesure peut se révéler incontournable si
d’autres causes de danger affectent les conditions de vie et de
développement de l’enfant (toxicomanie, errance…), le placement
ne semble pas toujours pertinent dans les situations de violences
conjugales. Au contraire, il est souvent mis en échec par l’enfant lui-
même.
En effet, un enjeu de protection mutuelle lie souvent la mère et
l’enfant dans le contexte des violences conjugales. La distance
imposée par la mesure de placement apparaît alors comme une
source d’angoisse massive pour l’enfant qui éprouve une peur
(justifiée) pour la sécurité de sa mère. Cette angoisse ne lui permet
pas d’investir le lieu d’accueil et de tirer profit de la mesure de
protection. Il tentera au contraire de mettre la mesure en échec,
voire de fuguer du lieu d’accueil, pour rejoindre sa mère.
En outre, un tel positionnement professionnel est de nature, et ceci
plus encore s’il est dépourvu de patience et de bienveillance à
l’égard de la mère, à refermer le « piège » sur la mère et l’enfant, qui
seraient réduits au silence pour ne pas alerter les instances sociales.
Il ne paraît pas excessif de penser qu’un tel positionnement pourrait,
au contraire de l’objectif espéré, conduire la famille à procéder à
l’inscription de l’enfant dans une autre école, voire à déménager,
pour se soustraire au regard des institutions sociales, ce qui
augmenterait le danger pour l’enfant. La prise de conscience de la
gravité des traumatismes infligés à l’enfant par les violences
conjugales et la volonté d’assurer sa protection conduiraient alors,
dans un regrettable paradoxe, à laisser la mère et l’enfant sans
protection et à accroître l’emprise de l’agresseur.
Enfin, retirer un enfant de sa maison familiale en raison des
violences conjugales me semble poser une question morale. Certes,
spécialement en protection de l’enfance, l’enfant doit être
spécifiquement protégé en raison de sa vulnérabilité et c’est en sa
faveur prioritairement que les compétences professionnelles doivent
être mobilisées. Cependant, si les violences conjugales sont établies
au point que le placement de l’enfant peut être ordonné, elles
justifient d’abord que l’agresseur soit poursuivi devant les juridictions
pénales et en tout état de cause éloigné de la maison pour qu’elle
soit à nouveau un lieu de sécurité. En ce sens aussi, protéger la
mère, c’est protéger l’enfant.
Notes
1. Audition du mardi 12 mai 2009, compte rendu n° 11, p. 17.
Conclusion
L es violences conjugales, compte tenu de leur gravité et de leur
processus complexe, imposent aux professionnels amenés à
intervenir dans de telles situations une humilité et une prudence
particulières. Les réflexions que suscitent pour moi la pratique des
fonctions de juge des enfants et la confrontation si récurrente aux
violences conjugales ne sauraient m’autoriser à prescrire des
normes d’action judiciaire ou socio-éducative, quand bien même
elles seraient rédigées sous forme de conseils éclairés ou
d’exemples tirés de situations juridictionnelles.
En outre, dans un contexte de violences conjugales, et à l’exception
du père, de la mère et de l’enfant, tous sont tiers. C’est à ce seul titre
que chacun doit interroger son positionnement qu’il soit familial,
amical ou professionnel.
Ayant présent à l’esprit que la violence révèle une volonté de
puissance de son auteur sur la mère et sur l’enfant, qu’elle crée une
asymétrie entre l’auteur des violences d’une part, la mère et l’enfant
d’autre part, alors que la loi sur l’autorité parentale consacre l’égalité
des parents et la hiérarchie entre ceux-ci et l’enfant, et qu’enfin la
mère sait protéger son enfant dès lors qu’elle est elle-même
protégée, l’enjeu pour le tiers est de signifier la loi et l’unilatéralité de
la transgression, afin de favoriser la protection de la mère et de
l’enfant indissociablement ou, en tout cas, d’éviter de refermer sur
eux le piège du huis clos familial.
Ces quatre observations, énoncées ici comme autant de principes
indissociables, révèlent une manière de comprendre le problème
des violences conjugales, un engagement en somme. Elles me
paraissent déterminantes pour favoriser une appréhension aussi
juste et pertinente que possible.
À tout le moins, elles doivent permettre d’éviter de penser et d’agir
«  à contre-modèle  », et notamment celui du conflit conjugal. Les
violences conjugales ne sont pas une forme de conflit. Cette
confusion conduirait à une mauvaise appréhension des situations et
à la mise en œuvre de réponses inadaptées.
Elles me semblent aussi constituer le socle fondamental de toute
action dans les situations de violences conjugales. Solidement
arrimé à ces principes fondamentaux, chacun, quels que soient sa
position professionnelle et son champ de compétence, pourra alors
ajuster ses pratiques professionnelles à ce problème et inventer des
réponses et des moyens d’action adaptés à chaque situation
individuelle.
     
Un dernier mot. Les violences conjugales sont essentiellement des
violences de l’homme contre sa femme qu’elles soient physiques,
sexuelles, psychologiques, économiques ou administratives. Aussi
doivent-elles, me semble-t-il, être pensées comme une forme de
violence sexuée, au même titre que les violences sexuelles. Cela ne
signifie nullement que des hommes ne sont pas victimes de
violences conjugales, perpétrées par leur femme dans un couple
hétérosexuel ou leur compagnon dans un couple homosexuel. Mais,
et cela est rappelé dans la convention d’Istanbul, «  les violences
domestiques affectent de manière disproportionnée les femmes et
les filles ».
Cette réalité construit un rapport au monde radicalement différent
pour les femmes et pour les hommes, car le risque de subir des
violences se situe pour une femme avant tout dans l’espace intime,
des violences commises par un homme connu d’elle alors qu’il se
situe pour un homme avant tout dans l’espace public, des violences
commises par un autre homme, inconnu de lui.
S’il est conforme au réel de dire que les violences conjugales sont
une forme de violence sexuée de l’homme sur la femme, cela ne
signifie pas naturellement que tous les hommes sont violents.
Affirmer, comme je l’ai fait dans ce livre, qu’un mari violent est un
père dangereux ne signifie pas que tous les pères sont dangereux ;
ni tous les hommes, ni tous les pères, uniquement ceux qui font le
choix de la violence pour obtenir et maintenir le pouvoir sur leur
femme et leurs enfants.
Peut-être est-ce en ce sens que Bernanos a pu écrire, dans Sous le
soleil de Satan, que « pour un certain nombre de niais vaniteux que
la vie déçoit, la famille reste une institution nécessaire, puisqu’elle
met à leur disposition, et comme à portée de la main, un petit
nombre d’êtres faibles que le plus lâche peut effrayer. Car
l’impuissance aime refléter son néant dans la souffrance d’autrui ».
C’est pourquoi je voudrais achever ce livre en soulignant
l’importance de mettre en valeur une image positive de la virilité.
Porter des coups à une femme enceinte, terroriser ses enfants, faire
de sa maison le lieu de la peur et du danger est à l’opposé de la
virilité. Si les violences conjugales interrogent notre représentation
collective de ce que c’est qu’un homme, il faut favoriser une
représentation positive de la virilité. Inspirer la confiance et le
respect, pas la terreur.
On entend parfois dire que la violence fait partie de la vie. C’est faux.
La violence fait partie de la mort. Dans l’existence, la vie et la mort
s’entrelacent au point qu’on les confond parfois. Mais le sens de
l’existence humaine est de dénouer cet enchevêtrement, et sans
doute le rôle éminent du juge est-il de signifier ce qui sépare la vie et
la mort : la Loi.
Remerciements
Je remercie chaleureusement Ernestine Ronai d’avoir accepté de
rédiger la préface de ce livre. Je la remercie aussi pour sa relecture
attentive du texte et ses conseils précieux.
Je remercie également Monsieur Patrick Poirret, désormais premier
avocat général près la Cour de cassation, le docteur Maurice Berger,
pédopsychiatre, qui avaient relu le texte de la première édition, et
maître Delphine Zoughebi qui a relu le texte de la présente édition.
Je remercie enfin Pascal Fraichard pour son soutien et son attention
indéfectibles et naturellement Clarisse Durand Roquesalane qui a
inspiré et soutenu ce projet.
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