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Inédit

CONSIDÉRATIONS SUR LA SCHIZO-ANALYSE : DE LA SEXUALITÉ

Félix Guattari

Érès | « Chimères »

2008/3 n° 68 | pages 115 à 120


ISSN 0986-6035
ISBN 9782749234045
DOI 10.3917/chime.068.0115
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-chimeres-2008-3-page-115.htm
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I N É D I T

FÉLIX GUATTARI

CONSIDÉRATIONS SUR LA
SCHIZO-ANALYSE :
DE LA SEXUALITÉ*

D EUX MODES d’organisation sexuelles - génitales des


machines désirantes :
un mode à proprement sexuel disjonctif,
un mode pseudo-sexuel conjonctif.
I.
La recherche d’un mode de jouissance disjonctive amène une
subordination de l’exercice des machines désirantes à la sépa-
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ration des sexes. Un couple polaire homme-femme constitue
une structure de représentation qui hante la « sexualité ».
C’est à ce niveau qu’on rencontre effectivement le roc de la cas-
tration et le phallocentrisme : tout est polarisé sur une sexualité 115
mâle comme signe polarisé de puissance.
Sur un pan de consistance polarisé homme-femme s’exerce la
1- polaire et molaire.

C L I N I Q U E

puissance phallique - qui peut être tenue aussi bien par une
femme, un enfant, un chien, une automobile, une collection de
timbres…
Donc, un territoire artificialisé, une alliance polaire1 de per-
sonnes et de choses. Un corps d’alliance, un pan coupé.
* N.D.L.R. : Texte inédit daté du 20 juin 1971. Ce texte appartient à l’ensemble de lettres
échangées par Gilles Deleuze et Félix Guattari pour l’élaboration de L’Anti-Œdipe (1972,
Editions de Minuit). Ces échanges ont été publiés, pour la plus grande partie, dans Félix
Guattari, Ecrits pour l’Anti-Œdipe, Lignes, 2004, agencement de Stéphane Nadaud. Les
notes de ce texte sont de Félix Guattari.
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Félix Guattari

Sur ce corps d’alliance tout s’inscrit selon la loi du phallus


polaire biunivocisant. Le père n’est un terme second. D’abord :
l’exercice dominant de la double articulation. La machine sémio-
tique produira secondairement du père, de l’homme, du nègre…
Tous les flux sont sous la dominance de la machine de diffé-
renciation sexuelle = machine d’alliance : les flux d’argent, les
flux de femmes, les flux de caresses, la force, etc. tout concoure
à rétablir et renforcer l’ordre biunivoque de la séparation mani-
chéïste des sexes (comme pôles distributifs).

II.
La recherche d’un mode de jouissance conjonctive laisse au
second plan la représentation disjonctive pour s’enfoncer dans
la consommation machinique désirante. Son but est
d’abandonner les territorialités d’artifice pour s’engouffrer
dans la jouissance d’anéantissement machinique (consomma-
tion du reste). On ne demande plus aux flux de concourir à une
représentation.
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L’idéal de la jouissance « féminine » à ceci prêt que c’est aussi celle
de l’homme, c’est l’idéal tout court de la jouissance machinique.
On a une jouissance filiative machinique opposée à une
pseudo-jouissance d’alliance et de représentation.
Mythiquement on peut dire que la « vraie » jouissance est féminine.
En effet, le montage productif de la génitalité féminine n’a pas
besoin des personnes ; les personnes ne sont pour elle qu’un
accessoire. Tandis que la jouissance phallique est nécessaire-
ment liée à la polarisation personnologique.
Le sexe mâle produit par exemple un flux de sperme qui peut
soit s’arrêter là, dans la masturbation, sit passer dans une autre
unité connective pour participer d’une autre machinerie.

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Le montage féminin (qui, encore une fois peut s’agencer sur un


homme) tend à fonctionner en circuit fermé.
La jouissance féminine est prolongée (peut l’être) dans une
production interne : la femme n’en finit pas vraiment de jouir
(selon Tirésias sa jouissance est supérieure).
L’au-delà des structures œdipiennes chez Schréber c’est
d’« être une femme en train de subir l’accouplement ».
C’est une jouissance dont on ne peut dire qu’elle est « chacun
pour soi », puisque le soi n’y est même plus en jeu.
Le désir d’être possédé c’est le désir d’être détruit comme unité
personnologique exclusive et limitative.
C’est un désir sexuel qui tend à rejoindre l’essence du désir machinique
comme désir d’abolition du produit dans le produire.
Tandis que la puissance d’abolition, dans la jouissance dis-
jonctive, se « concentre » sur la coupure polaire entre les
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sexes, sur la puissance phallique extrinsèque aux machines et
fondatrice des personnes.
Etre possédé par la force, le phallus, l’argent, la puissance…
c’est capter tous les flux pour les dissoudre et les anéantir dans
un exercice intensif, immanent de la jouissance. tous les flux
affilient au service d’un code qui les nie.
Faire alliance avec la puissance phallique c’est être tributaire
de l’autonomie des flux - des flux codés - afin qu’ils puissent
familiale œdipo-narcissique.

concourir au surcodage de l’objet des hauteurs.


2- et à l’homosexualité

Avec le capitalisme et les flux décodés cette jouissance phal-


lique est de plus en plus précaire. C’est ainsi qu’une homo-
sexualité de masse se substitue à l’homosexualité du groupe de
filiation local de Leach2.

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Félix Guattari

Le jouir du pouvoir laisse la place au jouir rétensif, culpabilisé


de la souillure.
Double bind :
D’un côté on ne peut être le phallus (les flux décodés du capital
dominent toute production)
De l’autre, on n’accepte pas « d’être une femme », on ne
renonce pas à « être une personne » (œdipisme, castration, etc.)
Double bind entre le phallisme impossible, l’alliance perdue, et
l’œdipisme castrant limitatif.
La sexualité est alors celle du reste, du résidu : ne pas
s’avouer tout à fait qu’on désire (homme comme femme)
être marqué, souillé. Pas de jouissance triomphante, pas
d’abolition machinique heureuse.
La jalousie, par exemple, traduit l’ambiguïté entre les deux
sexualités :
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d’un côté on prétend à l’exercice de la puissance phallique
(homme comme femme) : « tu es à moi ! ».
de l’autre on souhaite en secret se faire violer par un tiers, par
un phallus qui tire sa puissance d’être au dehors du plan (=pan
= strate) de consistance du couple.
le couple participe sur le mode de l’alliance phallique à une
sexualité de filiation machinique, mais indirectement, au béné-
fice du reste. La jalousie réside en ce que, pour un des parte-
naires, l’exercice de l’abolition se joue dans la représentation : on
s’abîme en représentation dans la jouissance passive de l’autre.
Le masochisme représentatif étant plus déterritorialisé, plus artificiel,
peut prendre le dessus et évincer l’exercice simple de la sexualité géni-
tale = délire systématique chronique de jalousie, paranoïa, etc.

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Exemples.

I. Un obsessionnel très envahissant

« Ce que je reproche à l’autre - au partenaire sexuel - c’est


qu’elle garde le sperme, qu’elle ne rende rien ».
Quand il était jeune il buvait son sperme qu’il récupérait dans
un verre « pour ne rien perdre »
Idéal d’hermaphrodisme et d’homosexualité.
Il y aurait, selon lui, une « meilleure réciprocité dans
l’homosexualité ».
En fait, il considère que pour ne pas avoir ce regret, cette cul-
pabilité de « perdre quelque chose », il faudrait ne s’être jamais
masturbé, directement avoir joui dans une femme.
Idéal, quand même, d’une pseudo réciprocité : « si l’on dort
avec une femme, alors il faudrait que la femme vous rende ça
dans un rêve, ou dans une parole… »
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Cette homosexualité est une défense contre la sexualité psy-
chotique filiative. C’est l’alliance obsessionnelle.

II. Apprécier prudemment le rôle de l’argent dans


l’analyse : il est plus important que nous l’avons dit

La vénalité est une puissance érotique déterritorialisante pour


la putain comme pour l’analyste.
Le divan comme le bordel sont déterritorialisés par le flux
décodé-décodant d’argent : il y a une perversion de ce traite-
ment par l’argent qui « creuse » les personnes et les rôles.
Ex. : une interne en psychiatrie, en analyse avec moi,
m’explique que, au fond, elle aurait pu venir hier à son rendez-
vous mais que, etc.

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A la fin de la séance je lui fais payer en supplément la séance


manquante.
La fois suivante elle me dit : c’est idiot mais ça m’a fait très
plaisir que vous me fassiez payer cette séance.
On ne peut « exorciser » la perversion d’argent qu’en accédant
à une production encore plus déterritorialisée : texte, construc-
tion d’un réseau « commun », complicité politique, etc.
L’histoire devient le plus grand commun dénominateur déterri-
torialisant. Il n’y a pas de « sublimation », mais affiliation des
flux au plan de consistance le plus déterritorialisé.

III. La lecture, pour quelqu’un qui ne peut pas lire

Il suffit d’un branchement précaire sur un texte pour déclan-


cher [sic] la réaffiliation à toutes les lectures en suspens.
L’affiliation machinique la plus déterritorialisée abouti à une
sexualité intensive en opposition avec la sexualité d’alliance.
L’alternative (= être pour le phallus - être pour être possédé -)
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est dépassée dans une réduction (productrice) du couple actif-
passif. On passe de la polyvocité à la transcursivité, et de la
transcursivité à la transduction.

© Bruno, Emmanuelle & Stephen Guattari


Texte déposé à l’IMEC (remerciements à José María Ruiz Funes)

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