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Olga GANCEVICI

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L’enfance des écrivains à travers leur prose


Olga GANCEVICI est docteur ès Lettres de l’Université
« Babeş-Bolyai » de Cluj-Napoca et enseignante, depuis 1997, au
Département d’Études Françaises, Faculté des Lettres et Sciences de
la Communication de l’Université « Ştefan cel Mare » de Suceava,
Roumanie. Elle travaille la problématique théâtrale contemporaine,
l’évolution comparée des formes théâtrales, la dramaturgie des
écrivains roumains d’expression française et la littérature féminine
française des XXe et XXIe siècles.
Auteur de nombreux articles sur la littérature et le théâtre
contemporains, ainsi que des livres Le Théâtre français au XXe siècle.
I. L’Avant-garde (Éditions de l’Université de Suceava, 2005), Matéi
Visniec : parole et image (Casa Cărţii de Ştiinţă, Cluj-Napoca, 2012)
et Despre teatrul lui Matei Vişniec: cuvânt, imagine, simbol (Casa
Cărţii de Ştiinţă, Cluj-Napoca, 2014).
Coéditrice des volumes Mythe et mondialisation. L’exil dans
les littératures francophones (Éditions de l’Université de Suceava,
2006) et Représentations de l’enfance et de l’adolescence dans les
littératures francophones (Éditions de l’Université de Suceava, 2007).
Depuis 2005, fondatrice et coordinatrice de la revue
francophone de culture et création La Lettre « R » (ISSN 1841-2009,
http://www.litere.usv.ro/la_lettre_r/redaction.htm, 13 numéros parus).
Membre du Centre de Recherches Inter Litteras de
l’Université « Ştefan cel Mare » de Suceava.

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Olga GANCEVICI
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L’enfance des écrivains à travers leur prose

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Coperta: Patricia Puşcaş
Ilustraţia copertei: Desen © Olga Gancevici

Referenţi şiinţifici:
Prof. univ. dr. Carmen PETCU
Prof. univ. dr. Albumiţa Muguraş CONSTANTINESCU

Copyright © Olga Gancevici, 2014

ISBN ISBN 978-606-17-0569-6

Descrierea CIP este disponibilă la Biblioteca Naţională a României

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Table des matières

Préambule .................................................................................. 7
■ La littérature du moi depuis un siècle ............................ 7
■ L’enfance (et l’adolescence) des écrivains ...................... 10

André GIDE, Si le grain ne meurt, 1926 .................................. 15


Marcel PROUST, Du côté de chez Swann (I. Combray), 1913 27
COLETTE, Sido, 1930 ................................................................ 37
Louis-Ferdinand CÉLINE, Mort à crédit, 1936 ...................... 47
Hervé BAZIN, Vipère au poing, 1948 ....................................... 59
Marcel PAGNOL, La gloire de mon père, 1957 ....................... 69
Romain GARY, La promesse de l’aube, 1960 ........................... 79
Albert CAMUS, L’Envers et l’Endroit, 1937, Le Premier
Homme, 1994 ......................................................................... 91
Jean-Paul SARTRE, Les mots, 1964 ........................................ 105
Simone de BEAUVOIR, Une mort très douce, 1964 .............. 117
Georges PEREC, W ou le Souvenir d’enfance, 1975 ................ 127
Nathalie SARRAUTE, Enfance, 1983 ..................................... 139
Hervé GUIBERT, Mes parents, 1986 ....................................... 149

L’enfance des contemporains (profiles) .............................. 159


Patrick MODIANO, Livret de famille, 1977 ........................... 159
Annie ERNAUX, La place, 1983, Une femme, 1987 ................ 161
Hélène GRIMAUD, Variarions sauvages, 2003 ..................... 165
Éric-Emmanuel SCHMITT, Ma vie avec Mozart, 2005 ........ 167
Amélie NOTHOMB, La nostalgie heureuse, 2013 .................. 169
Pascal BRUCKNER, Un bon fils, 2014 .................................... 171

5
En guise de conclusion ............................................................ 173
Bibliographie ............................................................................ 179
Annexes ...................................................................................... 187
■ Enfance, autobiographie / autofiction d’autres
écrivains depuis 1900 ........................................................... 189
■ Quelques termes liés au thème de l’autobiographie /
autofiction rencontrés à travers la littérature de
spécialité ................................................................................. 201

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Préambule

Les littérature du moi depuis un siècle

Toute lecture « en survol » de la littérature épique


française des derniers cent ans se révèle être irréalisable.
De même, pour toute lecture qui se veut « globale ». Il
faut s’attarder sur les œuvres de cette période-là d’une
façon qui structure le commentaire selon une approche ou
autre, en faveur ou défaveur parfois de certains textes
valeureux. Une fois la perspective choisie, il reste à opérer
une sélection parmi les écrits de références et leurs
auteurs. Que ce soit l’intertextualité, l’imaginaire
littéraire, le rapport entre l’autobiographie et la fiction, le
choix des textes est difficile car les XXe et XXIe siècles
connaissent une typologie très diversifiée en matière de
prose et, de plus, une explosion de formules narratives
innovatrices.
Nous choisissons de présenter certains textes en
prose qui se retrouvent dans ce « genre bâtard », comme
l’appelle Claude Burgelin [Burgelin et alii, 2010] qu’est la
littérature du moi. En fait, il est à remarquer une
expansion sans précédent du genre appuyée sur
l’expérimentation individuelle, parfois ludique, le plus
souvent thérapeutique, souvent méprisée car peut-être
jugée trop exhibitionniste et narcissique.
En fait, il y a une grande variété de formules qui
structurent le discours de la première personne du
singulier, que se soit l’autobiographie proprement dite,

7
que se soit l’autofiction – dénomination qui sert à un
« pacte oxymoronique » supposant à la fois deux genres
opposés. Serge Doubrovsky – considéré unanimement
comme son parrain – avoue que le terme « auto-fiction »
existait en 1977 quand il l’a pris (avec des italiques) pour
le quatrième de couverture de son livre Fils [Ibid.]. La
définition qu’il donne est la suivante : « L’autofiction est
une forme particulière de l’autobiographie, dans sa
version contemporaine. » [« Ne pas assimiler aufiction et
autofabulation », Magazine littéraire, le 1er mars 2005, v.
web].
Même si l’autobiographie n’existe dans la
nomenclature littéraire que depuis le XXe siècle, elle
constitue à présent un genre distinct. Multiforme, elle se
définit d’abord par les trois termes qui la composent : auto
– qui renvoie à un « moi », bio – qui reflète le parcours de
la vie de ce « moi », et graphie – qui signifie l’histoire du
« moi » écrite par sa propre main. Un texte
autobiographique sera alors un récit crédible et réel de
l’existence (même rendue fragmentairement) d’un
personnage-narrateur qui se confond avec l’auteur-même.
Dès le journal intime, l’autoportrait, les carnets,
jusqu’aux confessions et aux mémoires, le lecteur se
trouve dans la situation de réfléchir s’il y est question de
véridicité et si la réalité a été transposée telle qu’elle fut,
sans invention aucune. En fait, tout texte
autobiographique publié (le journal intime, par exemple,
dans la plupart des cas, n’est pas édité sous sa forme
brute, exception faite, d’André Gide, Julien Green, Roland

8
Barthes1) oblige son auteur à instaurer une confiance entre
le récit et le lecteur, plus précisément à éliminer toute
confusion possible entre réalité et fiction, entre le
parcours réel et l’invention de sentiments inauthentiques.
L’auteur reste toutefois libre de découper les séquences, à
opérer une sélection, à omettre ou bien à retrancher des
événements. S’il veut ne pas mettre en discussion sa
propre vie (chose assez rare2), il expose des faits sans les
commenter, il présente les opinions d’autres personnes
réelles, ou bien, il ne fait que transcrire des entretiens avec
des célébrités de son temps. En d’autres termes, un texte
autobiographique suppose toujours qu’un moi ayant une
histoire personnelle, réalise un tableau tout en étant bien
ancré dans des milieux (historique, culturel, religieux)
particuliers.
Pour parler d’autofiction, on a besoin d’ « une
somme d’ingrédients », comme le constate Chloé
Delaume (Ibid. : 126) : utiliser « le vécu comme matériau »,
synthétiser des expérimentations (Ibid. : 110),
« démultiplier le Je, en faire une trinité : l’auteur, le
narrateur et le personnage central » (Ibid. : 111). Il s’agit
d’une « écriture de soi » (Ibid. : 126) dans laquelle
l’écrivain « manipule le ressenti, les souvenirs, la fiction »
(Ibid. : 110)… d’une exploration, d’une reconstitution…
Ou bien, si nous résumons les propos de Régine Robin,
l’autofiction se situe « entre réalité, fiction et simulation »

1
Nous faisons référence au Journal de deuil de Roland Barthes, Paris,
Seuil, 2009.
2
Par exemple, Michel Tournier, Journal extime.
9
(Ibid. : 87), une sorte de juxtaposition où moi devient
personnage dédoublé (Ibid. : 91).
L’autofiction est une alternative (Jacqueline
Rousseau-Dujardin, Ibid. : 95), une (auto)-exposition
(Catherine Cusset, Ibid. : 35), une révélation d’un secret,
une « sécrétion » car les deux termes ont la même origine
(Camille Laurens, Ibid. : 29), conformément au propos de
Pascal Quignard repris ici : « secreta du corps et de
l’âme »…
« Récit autofictif », « roman personnel », « roman
vécu » (Camille Laurens, Philippe Forest), « non-fiction »
(Catherine Cusset), « antifiction » (Manuel Alberca),
« libération » et « automutilation » (Sophie Bogaert),
expression d’une crise identitaire et « autofabulation »
(Arnaud Genon), « fiction du réel » (Arnaud Schmitt),
« témoignage » (Chloé Delaume) – sont quelques uns des
vocables employés par rapport à ce genre protéiforme qui
essaient par une équivalence définitoire de résoudre la
problématique de l’autobiographie vs. l’autofiction sinon
d’une façon exhaustive, du moins, dans la plus large
mesure du possible.

L’enfance et l’adolescence des écrivains

Il y a peu d’écrivains procédant à une


autobiographie ou une autofiction qui échappent à la
tentation de peindre soit en entier, soit par un jeu de
l’intermittence, l’enfance et / ou l’adolescence en général,
les leur en particulier car vécues indéniablement.

10
Les textes de ces écrivains ne peuvent être que
rarement catégorisés comme une littérature de jeunesse.
Décrire l’enfance et l’adolescence n’est pas toujours une
démarche adressée à des destinataires enfants et
adolescents. Parfois, les écrivains ne consacrent pas un
livre calculé à décrire l’enfance, leur enfance. Sur ce point,
les exceptions sont rares (Pagnol, Gary, Sarraute). On peut
même affirmer qu’il y a des écrivains dont l’œuvre semble
être un pastiche de leur vie sans pouvoir dire que leurs
ouvrages sont strictement autobiographiques. Cependant
il y a des traces de leur vie disséminées dans leurs
écritures soi-disant de fiction.
Où s’arrête la vie réelle et où commence
l’invention restera toujours un espace de frontière bien
imprécis. Parfois, de nombreux détails de
l’autobiographie semblent doubler la vie d’un personnage
ou de plusieurs personnages.
Serait-ce autobiographique un texte littéraire dont
l’auteur le revendique comme tel ? Serait-ce fiction un
autre texte déclaré, de la même façon, comme pure
création de son auteur, bien qu’il se fonde sur des
données qui ne sont pas seulement inspirées mais ont un
haut degré de similarité avec la vie de l’écrivain ?
Nous avons commencé la présentation de treize
écrivains à partir de plusieurs questions qui pourraient
éclaircir (sans faire recours à une bibliographie plus
technique, psychologisante ou psychanalytique) leur
œuvre en entier :
– Serait-ce l’enfance le moteur de leur création
littéraire ultérieure, des thèmes récurrents, des angoisses,
des choix sur le plan intime (mariage ou mariage libre,

11
ménage à trois, couple homosexuel, accouchement de
plusieurs bébés ou bien la décision ferme de n’en avoir
aucun, etc.) ?
– Une enfance malheureuse signifierait-elle
forcément la séparation d’avec les parents à la suite de
raisons objectives (le décès de ceux-ci – le cas Perec) ou
subjectives (l’abandon d’un parent – l’exemple de
Sarraute) ? Et j’ajouter : un enfant est-il malheureux à
cause du milieu familial (Bazin) ou à cause de certaines
prédispositions maladives (Proust) ?
– Est-ce la mère la plus responsable de ce malheur
lorsque l’enfant grandit et devient adulte ? Ou bien,
chaque parent a son rôle bien déterminé dans la
formation et l’éducation des futurs écrivains ? Nous
avons été intéressée à prendre des exemples vraiment
differents, les écrivains présentés plus loin ne se
ressemblant pas du point de vue de leur rapport à la mère
(aimante, possessive, rigide et implacable, religieuse ou
pharisienne) et au père (sévère ou complice, absent
quoique vivant, ou bien disparu prématurément).
Évidemment, d’autres membres de la famille jouent un
rôle important dans la formation des futurs écrivains
(sœurs, frères, grands-parents, tantes et oncles, cousines
et parrains…).
– Y a-t-il une « recette » ou une garantie que le
bonheur des premières années sera gardé à l’âge adulte ?
– Y a-t-il des scénarii similaires qui se trouvent à
la base de certaines orientations des adultes (bisexualité,
décision de ne pas avoir d’enfants, suicide) ?
Nous avons pensé à un moment donné, naïvement
peut-être, que l’essence même de l’attitude future des

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enfants-écrivains que nous allons décrire plus loin, c’est
l’amour. Certes, voici une idée des plus banales possibles.
Cependant, l’éducation pour ou contre l’amour pendant
l’enfance peut déterminer ou non des expériences
positives ou acharnées, des angoisses et des traumas.
D’autant plus lorsque l’enfant n’a pas ses parents à côté
pour le lui transmettre et le faire sentir.

13
14
André GIDE
(Paris, 22 novembre 1862 – Paris, 19 février 1951)

Prix Nobel de Littérature de 1947, André Gide est


l’auteur d’une œuvre composée, par date de parution, de
textes suivants (essais, récits, romans, théâtre) :
1891 – Les Cahiers d’André Walter et Traité du Narcisse ;
1892 – Les Poésies d’André Walter ; 1893 – Le Voyage d’Urien, La
Tentative amoureuse ; 1895 – Paludes ; 1897 – Les Nourritures
terrestres ; 1899 – Philoctète, Billets à Angèle, Le Prométhée mal
enchaîné ; 1901 – Le Roi Candaule ; 1902 – L’Immoraliste ; 1903 –
Prétextes ; 1904 – Saül ; 1906 – Amyntas, Mopsus, Feuille de route ;
1907 – Le Retour de l’enfant prodigue ; 1909 – La Porte étroite ; 1910
– Oscar Wilde ; 1911 – Isabelle, Nouveaux prétextes, Dostoïewsky
d’après sa correspondance ; 1914 – Les Caves du Vatican ; 1919 – La
Symphonie pastorale ; 1922 – Charles-Louis Philippe, Noumquid et
Tu ?; 1924 – Corydon, Incidences ; 1925 – Les Faux-monnayeurs ;
1926 – Si le grain ne meurt ; 1927 – Voyage au Congo ; 1928 – Le
Retour du Tchad ; 1929 – L’école des femmes, Montaigne ; 1930 –
Robert, Œdipe ; 1934 – Perséphone ; 1935 – Les Nouvelles
Nourritures terrestres ; 1936 – Genéviève ; 1936-1937 – Retour de
l’U.R.S.S., Retouches à mon retour de l’U.R.S.S. ; 1938 – Et nunc
manet in Te ; 1939 – Tableau de la littérature française de Corneille à
Chénier, préfacé par Gide, avec la collaboration de Valéry,
Benda, Giraudoux, Malraux, Thibaudet, etc. ; 1939-1940 –
Journal (1889-1939) ; 1943 – Interviews imaginaires ; 1946 – Journal
(1939-1942), Thésée ; 1948 – Correspondance avec Francis Jammes ;
1949-1950 – Gide apparaît dans deux films : La vie commence
demain (Nicole Vendrès) et Avec A. Gide (de Marc Allégret) ;
1949 – Feuilles d’automne ; 1950 – Journal (1942-1949),
Correspondance avec Paul Claudel, Littératute engagée ; 1952 – Ainsi

15
soit-il ; 1955 – Correspondance avec Paul Valéry ; 1968 –
Correspondance avec Roger Martin du Gard, Correspondance avec
François Mauriac.

Préliminaires

L’œuvre d’André Gide est redevable de sa vie,


d’abord de son enfance vécue dans un milieu familial
contraignant qui deviendra l’un des axes principaux de
son écriture. En fait, plusieurs textes gidiens sont de
facture autobiographique.
Caractère contradictoire (car à la fois hédoniste et
puritain, sincère mais gardien de certaines ambiguïtés),
l’écrivain fait à maintes reprises l’expérience de l’écriture
du moi, à ne retenir que son Journal qui représente une
confession dramatique de sa vie conjugale avec sa
cousine-épouse Madeleine Rondeaux.
Son œuvre est très diverse et parcourue dans sa
totalité par la voix auctoriale, provocatrice surtout à la
suite d’une fondamentale sincérité. Un conflit s’insinue au
long des textes, entre amour et désir. D’abord, ses
préoccupations sont exprimées d’une façon allégoriques
et ambiguës pour arriver ensuite, à la confession la plus
directe de son immoralité (L’Immoraliste) ou de
l’homosexualité (Si le grain de meurt).
L’apport de Gide au renouveau de la prose au
début du XXe siècle siècle est considérable. Les
innovations gidiennes à retenir sont :
• la diversité des points de vue : chaque narrateur
présente à un moment donné une perspective

16
personnelle, à côté du point de vue du narrateur
proprement-dit :

Le roman, tel que je le reconnais ou l’imagine,


comporte une diversité de points de vue, […] soumise à
la diversité des personnages qu’il met en scène ; c’est
par essence une œuvre déconcentrée. [Gide, Romans,
Récits et Soties, Pléiade, t. III, p. 1561, apud. J.-Y. Tadié,
1990 : 38-39].

Par exemple, Les faux-monnayeurs – le seul texte


considéré par Gide comme roman – est une œuvre
plurivocalique, chaque personnage imposant son point de
vue sur ce qu’il exprime par des formules variées : lettres,
journal, monologues, etc. L’histoire « déconcentrée » est
donnée par cette fluctuation de la source narrative,
chaque narrateur se trouvant à un moment donné sur le
devant de la scène. L’innovation d’André Gide rompt
avec la tradition d’une instance auctoriale à la fois
extérieure et omniprésente. Le lecteur peut dorénavant
connaître et juger des pensées, des émotions, des optiques
subjectives successives.

• la participation active du lecteur dans l’élaboration du


sens du texte. Face à une pluralité de voix (se) racontant à
travers des procédés différents, et à un narrateur qui
intervient parfois directement par des formules d’adresse
directe, le lecteur se voit investi d’une position
essentielle : celle d’excercer son propre jugement sur les
événements et, encore, de reconstituer l’intrigue à partir
de la succession des informations éparses du texte. Le

17
narrateur proprement-dit, bien que présent parfois dans
le texte d’une façon directe :

J’aurais été curieux de savoir ce qu’Antoine a


pu raconter à son amie la cuisinière ; mais on ne peut
tout écouter. Voici l’heure où Bernard doit aller
retrouver Olivier. Je ne sais pas trop où il dîna ce soir,
ni même s’il dîna du tout. [Gide, 1925, Les Faux-
monnayeurs : 28],

détient en outre le rôle d’intermédiaire qui accompagne le


lecteur dans l’histoire, ne donnant son avis que d’une
facon parodique ou dans une apparente ignorance.

• le procédé de la mise en abyme qui représente la


construction d’un « sur-roman ouvert » [Tadié, 1990 : 42].
Ortographiée aussi mise en abysme (surtout en héraldique)
et très rarement mise en abîme, ce procédé consiste à
inclure une œuvre dans une autre œuvre principale
similaire. Il ne s’agit pas de la technique du récit enchâssé,
comme l’est Mille et une nuits où « un personnage du récit
raconte un autre récit », ni, dans le domaine dramatique,
du théâtre dans le théâtre où « un personnage joue le rôle
d’un comédien qui joue un rôle ».
Le procédé peut être rencontré autant dans le
domaine littéraire, que dans les arts visuels, lorsqu’une
image se retrouve incrustée dans un jeu de miroirs, par
exemple, une peinture qui représente « l’atelier du
peintre » qui est en train de peindre justement « l’atelier
du peintre », multiplié à l’infini. Deux exemples de mise
en abyme plastique sont : le triptyque Stefaneschi de

18
Giotto di Bondone (au Vatican) et Les époux Arnolfini de
Jan van Eyck (à Londres).
La production filmographique est riche elle aussi
en exemples de mise en abyme : Noblesse oblige de Robert
Hamer (1950), Pinot simple flic de Gérard Jugnot (1986),
eXistenZ de David Cronenberg (1999), Non-film de
Quentin Dupieux (2001), Adaptation de Spike Jonze (2003),
etc.
La mise en abyme est déjà universelle, car on la
retrouve dans la promotion du fromage (« La vache qui
rit »), des chips (« Lay’s »), du cacao (« Droste »), l’affiche
des films (Memento), la pochette d’albums (Ummagumma
de Pink Floyd), ainsi que dans des jeux (Maniac Mansion,
Runaway, Pokémon), la galerie des glaces de certains
bâtiments, les célébres « Matrioska » (poupées gigognes
russes), et ainsi de suite.
En littérature, la notion de « mise en abyme » est
attribuée à André Gide qui semble s’être inspiré des
blasons :

J’aime assez qu’en une œuvre d’art on retrouve


ainsi transposé, à l’échelle des personnages, le sujet
même de cette œuvre. Rien ne l’éclaire mieux et
n’établit plus sûrement toutes les proportions de
l’ensemble… (ex : Menines de Velasquez ; Hamlet, etc.)
ce que j’ai voulu dans mes Cahiers, dans mon Narcisse
et dans la Tentative, c’est la comparaison avec ce
procédé du blason qui consiste, dans le premier, à
mettre le second en abyme. [Gide, Journal, 1893]

Il y a à présent pas mal de livres construits à partir


de ce procédé : Le malade imaginaire de Molière, Hamlet de
19
Shakespeare, Six personnages en quête d’auteur de Luigi
Pirandello, Je suis écrivain de François Weyergans, Les
fruits d’or de Nathalie Sarraute, L’Histoire sans fin de
Michael Ende, Un aller simple de Didier Van Cauwelaert,
Les Désenchantées de Pierre Loti, L’Emploi du temps de
Michel Butor, Les Fleurs bleues de Raymond Queneau, Un
cabinet d’amateur de Georges Perec, Si par une nuit d’été un
voyageur d’Italo Calvino, La Favorite de Catherine Rihoit,
pour n’en énumérer que certains titres.
Dans Les faux-monnayeurs de Gide, le personnage
Édouard écrit un roman intitulé justement Les faux-
monnayeurs. Voici la mise en abyme par laquelle on
remarque une expression mutuelle de l’écrivain et son
écriture. C’est un dédoublement narcissique qui parvient
à la multiplication des miroirs parallèles d’un fragment
entretenant un rapport de similitude et étant enchâssé
dans un fragment principal.

• l’introduction de « l’acte gratuit » par l’intermédiare du


personnage Lafcadio, du livre Les caves du Vatican, qui
pousse du train un vieilland assis devant lui sans qu’il eût
la moindre raison pour ce geste extrême. Le « crime
immotivé » [Gide, Les Caves du Vatican : 197] a suscité
beaucoup de questions : serait-ce un « acte gratuit » un
crime commis en toute liberté, sans motivation aucune ? Y
a-t-il de tel « acte gratuit » en réalité ? Qu’exprime-t-il,
Gide, à travers l’action sans mobile d’un personnage ?
Selon Marc Alpozzo, « André Gide n’y a répondu qu’en
partie, nous démontrant que l’homme, animal finaliste, ne
savait se dégager de tout déterminisme. »

20
Il faut préciser que Gide n’a accordé à l’acte
gratuit qu’une importance relative.

Si le grain ne meurt (Paris, Gallimard, 1926)

a. La famille comme point de départ et facteur décisif de


l’évolution ultérieure

« J’ai hâte de sortir enfin des ténèbres de mon enfance »


avoue le personnage-narreur de Si le grain ne meurt –
phrase qui évoque les souvenirs négatifs de ses premières
années, dominées par une ascendance double :
protestante et réformée.
Le père de Gide est juriste, un homme respecté par
l’Université, qui entretient avec « son petit ami » André
une sorte de complicité, à travers des promenades et des
lectures, et qui fait la différence d’optique de la mère :

[S]ouvent je les entendais tous deux discuter


sur la nourriture qu’il convient de donner au cerveau
d’un petit enfant. De semblables discussions étaient
soulevées parfois au sujet de l’obéissance, ma mère
restant d’avis que l’enfant doit se soumettre sans
chercher à comprendre, mon père gardant toujours une
tendance à tout m’expliquer. [Gide, Si le grain ne meurt :
11]

Par opposition, donc, la mère de Gide s’avère être


plus stricte, très attentive aux moindres détails de
l’éducation du gaçon (santé, nourriture, argent…) et

21
extrêmement préoccupée à le former dans l’esprit de la
morale :

Surtout elle demeurait craintive et peu sûre


d’elle […] elle restait soucieuse des autres et de leurs
jugements ; toujours désireuse du mieux mais d’un
mieux répondant à des règles admises ; toujours
s’efforçant vers ce mieux et sans même se douter (et
trop modeste pour le reconnaître) que le meilleur en
était précisément ce qu’elle obtenait avec le moins
d’effort. [Gide, Si le grain ne meurt]

L’influence du milieu où il passe ses premières


année aura sur André Gide des effets divers, souvent
négatifs, comme la dualité de son caractère (il exerçait la
simulation pour s’échapper à diverses situations), des
troubles nerveux accompagnés par des crises d’angoisse
et de suffocation, le sentiment de culpabilité (surtout par
rapport à des pratiques solitaires prises pour « des
mauvaises habitudes » [chap III, p. 66]), le narcissisme et
l’essai d’évasion dans l’imagination.

b. L’œuvre comme résultat du mélange affectif cumulé


et finalement comme aveu

Si le grain ne meurt est un texte autobiographique


qui commence avec la naissance de l’écrivain (« Je naquis
le 22 novembre 1869 »), rue Médicis à Paris, s’attarde sur
plusieurs aspects qui ont marqué son enfance et son
adolescence, autant sur les plans familial et personnel que
sur le plan artistique, et finit par les fiançailles d’André
Gide avec sa cousine Madeleine Rondeaux, appelée
22
Émmanuèle dans le livre (« Je crus que tout entier je pouvais
me donner à elle, et le fis sans réserve de rien. À quelque temps
de là nous nous fiançâmes. »).
Le livre est composé de deux parties inégales : la
première, plus ample, est structurée en dix chapitres,
tandis que la seconde, en seulement deux chapitres.
Les souvenirs d’enfance de l’écrivain se
concentrent autour de certains éléments déterminants
pour sa production littéraire ultérieure. Les grands
thèmes gidiens puisent leur source dans plusieurs
moments cruciaux vécus par l’auteur lui-même dans sa
première enfance :
- relations familiales (mère, père, grands-parents,
notamment grand-mère, tantes, oncles et cousin(e)s) ;
- éducation et vie écolière (précepteurs, pensionnat,
découverte de la bibliothèque paternelle) ;
- formation culturelle (théâtre, peinture, découverte de la
littérature) et musicale (leçons de piano) ;
- religion et spiritualité ; importance d’en prendre un
parti, d’en faire un choix ; initiation à la religion et doute
de la foi ;
- amitié (avec Armand Bavretel et Lionel à La Roque,
Pierre Louÿs) ; rencontres (Gauguin, Oscar Wilde) ;
- amour vs. plaisir ; hommosexualité ; pédestatie ;
adultère ; prostitution ; débauche ;
- solitude ;
- maladie nerveuse, tuberculose ; mort (de sa mère) ;
- exotisme ; voyage ;
- fréquentation des salons littéraires (dont celui de
Mallarmé) ; initiation aux grands courants artistiques de
l’époque ; problématique de la vérité des mémoires.

23
Le titre Si le grain ne meurt renvoie à un verset de
l’Évangile selon Jean :

Si le grain de blé qui est tombé en terre ne


meurt, il reste seul ; mais, s’il meurt, il porte beaucoup
de fruit. Celui qui aime sa vie la perdra, et celui qui hait
sa vie dans ce monde la conservera pour la vie
éternelle. [Jean : 12, 24-25]

qui explique en quelque sorte l’enjeu de la vie entière de


Gide : « L’enfant frustré » qu’il découvre en lui-même,
écrasé par une éducation intransigeante et puritaine de sa
mère, doit mourir afin de céder la place à un jeune
homme créatif et libre d’esprit.
Si le grain ne meurt équivaut de ce point de vue au
récit d’une initiation regardée d’une façon rétrospective
par un écrivain arrivé à l’âge de la sagesse (Gide avait 64
ans à la parution de ce texte autobiographique) qui
connaissait déjà l’épanouissement et la validation de son
activité artistique (Prix Nobel de Littérature en 1947).

Le texte porte l’empreinte des techniques


hypertextuelles, notamment l’inter- et la méta-textualité.
La référence aux lectures poursuites en compagnie de son
père ou en solitaire fait preuve de de la culture de Gide
fondée sur des assises sérieuses :

La littérature enfantine française ne présentait


alors guère que des inepties, et je pense qu’il eût
souffert s’il avait vu entre mes mains tel livre qu’on y
mit plus tard, de Mme de Ségur par exemple – où je

24
pris, je l’avoue, et comme à peu près tous les enfants de
ma génération, un plaisir assez vif, mais stupide – un
plaisir non plus vif heureusement que celui que j’avais
pris d’abord à écouter mon père me lire des scènes de
Molière, des passages de l’Odyssée, La Farce de
Pathelin, les aventures de Sindbad ou celles d’Ali-Baba
et quelques bouffonneries de la Comédie italienne,
telles qu’elles sont rapportées dans les Masques de
Maurice Sand, livre où j’admirais aussi les figures
d’Arlequin, de Colombine, de Polichinelle ou de
Pierrot, après que, par la voix de mon père, je les avais
entendus dialoguer.
Le succès de ces lectures était tel, et mon père
poussait si loin sa confiance, qu’il entreprit un jour le
début du livre de Job. [p. 12]

D’autre part, le lecteur devient complice au faire


du livre, tout en étant informé régulièrement de la
stratégie de Gide concernant son écriture
autobiographique :

J’écrirai mes souvenirs comme ils viennent,


sans chercher à les ordonner. Tout au plus les puis-je
grouper autour des lieux et des êtres ; ma mémoire ne
se trompe pas souvent de place ; mais elle brouille les
dates ; je suis perdu si je m’astreins à de la chronologie.
À reparcourir le passé, je suis comme quelqu’un dont le
regard n’apprécierait pas bien les distances et parfois
reculerait extrêmement ce que l’examen reconnaîtra
beaucoup plus proche. [p. 20]

Je ne compose pas ; je transcris mes souvenirs


tout comme ils viennent et passent [p. 57]

25
26
Marcel PROUST
(Auteuil, le 10 juillet 1871 – Paris, le 22 novembre 1922)

Prénoms complets : Valentin Louis Georges


Eugène Marcel.
Plusieurs pseudonymes littéraires : Bernard
d’Algouvres, Dominique, Horatio, Marc-Antoine, Écho,
Laurence ou simplement D.
Des sobriquets : « Poney », « Lecram », l’« Abeille
des fleurs héraldiques », le « Flagorneur » le « Saturnien »,
« Popelin Cadet », « Proust du Ritz ».
Lauréat du Prix Goncourt en 1919 pour À l’ombre
des jeunes filles en fleur, Marcel Proust est l’auteur d’une
œuvre composée des titres suivants :
1896 – Les Plaisirs et les Jours ; 1904 – traduction de La
Bible d’Amiens de John Ruskin ; 1906 – traduction de Sésame et le
lys de John Ruskin ; 1919 – Pastiches et mélanges ; 1927 –
Chroniques ; 1852 (écrit en 1895) – Jean Santeuil (roman inachevé,
sorte d’esquisse pour son œuvre future) ; 1954 – Contre Sainte-
Beuve ; 2009 – « Chardin et Rembrandt », Le Bruit du temps ; 2012
– Le Mensuel retrouvé, précédé de « Marcel avant Proust » de
Jérôme Prieur (sous-titré Inédits), éditions des Busclats.
Entre 1913-1927, il rédige À la recherché du temps
perdu, œuvre en sept volumes :
• Du côté de chez Swann (1913, Grasset, puis dans une
version modifiée, 1919, Gallimard,) [Combray, Un amour de
Swann, Noms de pays : le nom]
• À l’ombre des jeunes filles en fleurs (1919, Gallimard ;
Prix Goncourt) [Autour de Mme Swann, Noms de pays : le pays]
• Le Côté de Guermantes (deux volumes, Gallimard,
1920-1921)
27
• Sodome et Gomorrhe I et II (Gallimard, 1921-1922)
• La Prisonnière (posth. 1923)
• Albertine disparue (posth. 1925) (titre original : La
Fugitive)
• Le Temps retrouvé (posth. 1927).

Préliminaires

Selon Jean-Yves Tadié, les grandes étapes de la vie


de Marcel Proust sont :

l’enfance jusqu’à la puberté, l’indécision


sexuelle – peut-être même un amour pour les jeunes
filles – avec la découverte de son orientation vers
quinze ans. [...] Deuxième période, la maturité sexuelle,
la découverte de l’homosexualité. Il y a le lycée, les
études qu’il fait pour obéir à ses parents : Sciences-Po,
un an, et la licence de philo à la Sorbonne, encore un an.
Après, il y a l’entrée dans la carrière et la carrière pour
lui, c’est la littérature. Il est déjà dedans depuis
l’adolescence. [Tadié, 2013 : 17-18]

Tous ces détails biographiques se trouvent à


l’origine d’une reconstitution ultérieure, via le verbe écrit
et le dédoublement du moi.
Issu d’une famille aisée et cultivée, l’écrivain
Marcel Proust n’aura pas d’emploi car fortuné : son père,
appartenant à une famille bourgeoise catholique, fut chef
des Cliniques des hôpitaux de Paris et sa mère, fille d’un
agent de change d’origine juive alsacienne. Voici une

28
ascendance mixte qui n’est pas sans trace sur certains
aspects de la vie du futur romancier.
Il a eu une santé fragile, due, selon l’écrivain lui-
même, aux privations subies par sa mère pendant le siège
de 1870 et pendant la Commune de Paris, à l’émotion
produite par la blessure de son mari et à l’accouchement
difficile.
L’enfant Marcel Proust prouve un lien fusionnel
avec sa mère. Ce n’est pas seulement à travers la Recherche
du temps perdu que nous le remarquons ; la
correspondance entre Jeanne Proust et Marcel l’atteste
pleinement. Inquiète de tous les soucis de santé de son
fils, elle s’y interesse constamment... Ce profond
attachement entre mère et fils est révélé aussi grâce aux
surnoms affectueux qu’elle lui donnait, enfant, tels que
« mon petit jaunet », « mon petit serin », « mon petit
benêt » ou « mon petit nigaud ». Dans ses lettres, son fils
était « loup » ou « mon pauvre loup ».
Quant au docteur Adrien Proust, son père, les
gestes affectueux entre parents et enfants pouvaient virer
au ridicule en public. Le père ne réussit pas à transmettre
son modèle professionnel à Marcel ; il le fera avec Robert,
le frère cadet de l’écrivain qui deviendra chirurgien.
Cependant, des conversations avec le père, au sujet
médical, serviront à Marcel Proust pour ses futurs
romans. Le personnage du docteur Cottard dans la
Recherche semble s’inspirer de la personnalité d’Adrien
Proust.
Outre ses parents, il y a aussi d’autres membres de
sa famille qui ont profondément marqué Marcel depuis

29
son enfance dont la grand-mère présentée dans la
Recherche comme suit :

[...] ma grand-mère [...] trouvait que « c’est une


pitié de rester enfermé à la campagne » et qui avait
d’incessantes discussions avec mon père, les jours de
trop grande pluie, parce qu’il m’envoyait lire dans ma
chambre au lieu de rester dehors. « Ce n’est pas comme
cela que vous le rendrez robustre et énergique, disait-
elle tristement, surtout ce petit qui a tant besoin de
prendre des forces et de la volonté. » [...] [M]a grand-
mère, elle, par tous les temps, même quand la pluie
faisait rage et que Françoise avait précipitamment
rentré les précieux fauteuils d’osier de peur qu’ils ne
fussent mouillés, on la voyait dans le jardin vide et
fouetté par l’averse. […] [M]on manque de volonté, ma
santé délicate, l’incertitude qu’ils projetaient sur mon
avenir, préoccupaient ma grand-mère, au cours de ces
déambulations incessantes, de l’après-midi et du soir
[...]. [p. 20-23]

Sur l’attachement de Marcel, est édifiante sa


réponse au questionnaire lorsqu’il était encore très jeune :
« Quel serait mon plus grand malheur : Ne pas avoir
connu ma mère ni ma grand-mère. »

***

Le discours proustien repose sur la distinction


entre deux « moi » : un moi extérieur, manifeste,
conventionnel car social et un moi intérieur, inconscient et
individuel. Le premier, le « moi superficiel », se divise à

30
son tour en un moi « mondain » et un moi « privé », du
Narrateur, saisi à travers la Recherche par différents
signes : mondanité, amour, impressions ou qualités
sensibles, Art [Deleuze, 1971]. Le deuxième est considéré
comme le réel, le vrai moi, impénétrable, auquel on arrive
par l’intermédiaire de la mémoire involontaire. [Joozdani
& Naréï, 2008 : 1].
Le temps est l’autre déterminant capital de la
Recherche. « Perdu » et « retrouvé » – entre ces deux
attributs, on peut parler d’un temps objectif et d’un
temps subjectif, non chronologique et embrouillé,
discontinu, intermittent, le déjà-vu, un temps accéléré ou
ralenti, un « temps intemporel » – on en a un peu de tout
dans cette introspection commencée dès l’enfance jusqu’à
la Révélation finale : la vérité de l’Art. Tous les arts sont
convoqués par Proust dans son livre, cependant, la
solution qui lui vient finalement pour retrouver son
temps, c’est l’écriture.
L’œuvre de Marcel Proust, dans sa totalité, peut
être estimée comme un événement littéraire d’exception
de l’après-guerre. Que l’on la lise en entier ou
partiellement, il est certain que tout le monde a entendu
au moins du fameux épisode de la petite madeleine qui
fait surgir la mémoire involontaire. Par l’intermédiaire de
celle-ci, l’on recrée et revit des souvenirs passés qui se
mêlent avec les moments du présent. La petite madeleine,
trempée dans un thé de tilleul éveille une sensation
épouvée au passé, ressentie en liaison avec des êtres, des
lieux, des objets apparemment oubliés ; elle fait revivre
« le temps passé ». Sans vouloir détruire une légende,
nous précisons que la chose moins connue est que pour

31
écrire cet épisode capital de la Recherche de la petite
madeleine, Proust a longtemps hésité sur le type de
gâteau : « une tranche de pain grillée », « une biscotte »,
tel qu’il est noté dans les brouillons du roman [Estelle
Lenartowicz, « Madelaine ou biscotte ? », Lire, hors-série,
no 16, 2013, p. 12]. L’exemple est voué à remarquer une
fois de plus – s’il était encore nécessaire – que La Recherche
proustienne à la frontière très fragile entre autobiographie
et fiction.

Du côté de chez Swann (Paris, Grasset, 1913)

Un petit drame du coucher obsède le narrateur dès


l’incipit du premier tome de La Recherche du temps perdu :
« Longtemps, je me suis couché de bonne heure... ».
Il s’agit d’un sentiment aigu de souffrance
douloureuse du personnage-narrateur à partir du
moment où il se retire dans sa chambre et doit se coucher
chaque soir, qu’il réussit à transmettre tout au long du
livre et caractérise ensuite chaque étapes de la vie de
l’écrivain :

À Combray, tous les jours dès la fin de l’après-


midi, longtemps avant le moment où il faudrait me
mettre au lit et rester, sans dormir, loin de ma mère et
de ma grand-mère, ma chambre à coucher redevenait le
point fixe et douloureux de mes préoccupations. […] [p.
19],

32
Il faut cependant être d’accord que la sensibilité
dans une large mesure exacerbée voire maladive de
Marcel n’empêche pas de dire que son enfance fut
heureuse, car passée dans un milieu passionné d’art,
entourée par des personnes gentilles, attachantes,
sensibles.
Tout semble tourner autour d’une chambre : la
première période de vie de Marcel, de même que la
dernière étape qui coïncide à une réclusion pendant
laquelle l’écrivain aura la Révélation suprême de l’Art par
une interrogation acharnée de son propre moi :

[…] cette pièce […] servit longtemps de refuge


pour moi […] parce qu’elle était la seule qu’il me fût
permis de fermer à clef, à toutes celles de mes
occupations qui réclamaient une inviolable solitude : la
lecture, la rêverie, les larmes et la volupté. [p. 22]

Enfant chanceux de plusieurs points de vue,


Marcel sombre dans la souffrance et la solitude... La seule
solution pour lui changer d’état, c’était la présence de sa
mère :

Ma seule consolation, quand je montais me


coucher, était que maman viendrait m’embrasser
quand je serais dans mon lit. Mais ce bonsoir durait si
peu de temps, elle redescendait si vite, que le moment
où je l’entendais monter, puis où passait dans le couloir
à double porte le bruit léger de sa robe de jardin en
mousseline bleue, à laquelle pendaient de petits
cordons de paille tressée, était pour moi un moment
douloureux. Il annonçait celui qui allait suivre, où elle

33
m’aurait quitté, où elle serait redescendue. De sorte que
ce bonsoir que j’aimais tant, j’en arrivais à souhaiter
qu’il vînt le plus tard possible, à ce que se prolongeât le
temps de répit où maman n’était pas encore venue. […]
[p. 23]

Le moment qui proccurait à la fois bonheur et


tristesse au petit Marcel, devenait dramatique lorsque sa
famille recevait des invités :

[L]es soirs où des étrangers, ou seulement M.


Swann, étaient là, maman ne montait pas dans ma
chambre. [...] ce baiser précieux et fragile que maman
me confiait d’habitude dans mon lit au moment de
m’endormir, il me fallait le transporter de la salle à
manger dans ma chambre et le garder pendant tout le
temps que je me déshabillais, sans que se brisât sa
douceur, sans que se répandît et s’évaporât sa vertu [...]
[p. 33]

Malheureux, Marcel fait appel à la ruse afin de


garder sa mère auprès de lui, en écrivant à sa mère « en la
suppliant de monter pour une chose grave que je ne
pouvais lui dire dans ma lettre. » [p. 38]. Cela lui réussit et
« [m]aman passa cette nuit-là dans ma chambre. » [p. 47]
en lui lisant François le Champi [p. 51-52].

***

Du côté de chez Swann – une sorte de chronique de


famille composée de trois parties (Combray, Un amour de
Swann et Noms de pays : le nom) – commence par une partie

34
largement descriptive, basée avec prépondérence sur des
portraits. L’intrigue n’y est pas nouée parce que ce qui
intéresse majoritairement le narrateur est la présentation
des personnages qui comptent dans son enfance mais
également dans l’ensemble de la Recherche.
Donc, il y a plusieurs portraits réalisés, à côté des
parents et de sa grand-mère : la tante Léonie, la cuisinière
Françoise, Swann, puis la demi-mondaine Odette de
Crécy qui deviendra l’épouse de celui-ci, leur fille
Gilberte dont le narrateur s’épendra, les Verdurin, les
riches qui ouvrent un « salon » afin d’imiter ceux qui
habitaient le Faubourg Saint-Germain, les Guermantes
(duc et duchesse), le musicien Vinteuil...
La tante Léonie, chez qui Marcel passait des
vacances joue un rôle essentiel dans l’expérience et l’idée
de la réminiscence, de l’intermittence et de la mémoire
involontaire.
Deux thèmes fondamentaux de la Recherche sont
annoncés, ainsi, et présentés dès le premier volume : le
Temps et la mémoire involontaire.
L’angoisse provoquée par la séparation de sa mère
le soir au coucher, que nous avons évoquée, semble se
situer au centre de sa mémoire volontaire. C’est, en fait,
apparemment, le seul vrai souvenir qu’il garde de
Combray et de son enfance... On pourrait dire que la
mémoire volontaire reste limitée. C’est le temps, donc,
que le narrateur montre la supériorité d’une mémoire dite
involontaire par l’intermédiaire d’un épisode qui est resté
redoutable : l’expérience de la petite madeleine. La
découverte, un jour froid d’hiver, d’une « félicité »
inattendue par un morceau de gâteau trempé dans une

35
infusion de tilleul préfigure les révelations produites au
long des sept volumes et notamment dans le dernier,
lorsque le narrateur trouvera le temps et, de cette façon, la
raison profonde du bonheur et de son existence.
La petite madeleine éveille des sensations
éprouvées dans le passé ; elle fait résurgir des souvenirs,
des personnes, des objets, des sentiments, tout un monde
considéré comme oublié. Le passé se mêle ainsi à des
expériences récentes et devient accessible grâce à la
mémoire qui réussit à le recréer dans sa totalité. Un passé
disparu revient par de simples sensations, par la mémoire
qui accumule les données du passé et les transforme en
images. Toute sensation présente fait résurgir une
sensation passée qui plonge le moi actuel dans une joie
intense et complète comme une extase ou bien l’image
d’une éternité.

36
Colette
(Saint-Sauveur-en-Puisaye, Yonne, 28 janvier 1873 – Paris,
3 août 1954)

Sidonie-Gabrielle Colette – membre de


l’Académie de Bruxelles (1936) et membre de l’Académie
Goncourt (1945) ; la première femme présidente entre
1949-1954.
L’œuvre de Colette, très ample, comprend les
titres suivants :
1900 – Claudine à l’école ; 1901 – Claudine à Paris ; 1902 –
Claudine en ménage ; 1903 – Claudine s’en va ; 1904 – Minne ; 1904
– Dialogues de bêtes ; 1907 – La Retraite sentimentale, 1908 – Les
Vrilles de la vigne, 1909 – L’Ingénue libertine, 1910 – La Vagabonde ;
1913 – L’Entrave ; 1913 – L’Envers du music-hall ; 1916 – La Paix
chez les bêtes ; 1917 – Les Heures longues ; 1918 – Dans la foule ;
1919 – Mitsou ou Comment l’esprit vient aux filles ; 1920 – Chéri ;
1922 – La Chambre éclairée ; 1922 – La Maison de Claudine ; 1923 –
Le Blé en herbe ; 1924 – La Femme cachée ; 1925 – L’Enfant et les
Sortilèges (fantaisie lyrique, musique de Maurice Ravel) ; 1926 –
La Fin de Chéri ; 1928 – La Naissance du jour ; 1929 – La Seconde ;
1930 – Sido ; 1932 – Le Pur et l’Impur ; 1933 – La Chatte ; 1934 –
Duo ; 1936 – Mes apprentissages ; 1936 – Splendeur des papillons ;
1937 – Bella-Vista ; 1934-1938 – La Jumelle noire (quatre tomes de
recueil de critiques littéraires et cinématographiques) ; 1939 – Le
Toutounier (suite de Duo) ; 1940 – Chambre d’hôtel ; 1943 – Le
Képi ; 1943 – Nudité ; 1944 – Gigi ; 1946 – L’Étoile Vesper ; 1941 –
Julie de Carneilhan ; 1941 – Journal à rebours ; 1944 – Paris de ma
fenêtre ; 1949 – Le Fanal bleu ; 1953 – Paradis Terrestre.

37
Posthume :
1955 – Belles Saisons ; 1958 – Paysages et Portraits ; 1992 –
Histoires pour Bel-Gazou ; 2010 – Colette journaliste : Chroniques et
reportages (1893-1945), inédit. Présentation de G. Bonal et F.
Maget ; 2011 – J’aime être gourmande, présentation de G. Bonal et
F. Maget – introduction de G. Martin.
Correspondance :
2003 [rééd. 2006] – Lettres à sa fille (1916-1953), réunies,
présentées et annotées par Anne de Jouvenel ; 2009 – Lettres à
Missy, édition présentée et annotée par Samia Bordji et Frédéric
Maget ; 2004 – Colette Lettres à Tonton (1942-1947) réunies par
Robert D., édition établie par François Saint Hilaire ; 2012 –
Sido, Lettres à Colette, édition présentée et annotée par Gérard
Bonal ; 2014 – Un bien grand amour. Lettres de Colette à Musidora,
présentées par Gérard Bonal.
Plusieurs livres de Colette ont été portés à l’écran.

Préliminaires

Concernant les débuts artistiques de Colette, un


détail s’impose sans conteste : âgée d’une vingtaine
d’années, elle a été amenée à l’écriture par la fameuse
ambition de célébrité de son premier mari, le journaliste
parisien Henri de Gauthiers-Villars (Willy), qui l’a faite
fréquenter des salons mondains et artistiques, et l’a
encouragée à raconter son enfance, tout en lui réservant
une place spéciale dans son équipe de « nègres » qui
contribuaient à la réalisation de ses œuvres. Le succès
vient en 1900 avec Claudine à l’école et ce n’est qu’en 1923,
avec Le blé en herbe, que l’écrivaine signe seulement

38
Colette, tous les autres livres précédents étant signés
Colette Willy.
Après une première partie de vie artistique assez
scandaleuse (par exemple, en tant qu’artiste de
pantomime, à Moulin Rouge, Colette a présenté un
moment lesbien avec son amie, la Marquise de Belbeuf,
stoppé par la police), Colette arrivera à vivre de sa plume
et à connaître la consécration littéraire. Elle sera la
première femme en France à avoir des funérailles
officielles, quoique l’église catholique lui refuse le service
religieux à cause de ses deux divorces.

Une particularité de la narration colettienne est


que l’écrivaine « a toujours joué avec les genres de
l’écriture du moi, depuis le pseudo-journal de Claudine
jusqu’au recueil de souvenirs (La Maison de Claudine ou
Sido) en passant par le roman à la première personne (La
Vagabonde). » [Marie-Odile André, 2004 : 11]. La réception
de l’œuvre de Colette doit être mise en rapport à une
lecture autobiographie, délibérée et essentielle. Il faut
aussi ne pas négliger l’autorité marquante de la narratrice
qui maîtrise son discours, donne ou refuse l’information à
son lecteur, présente l’évènement en tant que vérité
généralisante par l’emploi récurrent des verbes au
présent.
Concernant le style de Colette, ce qui est d’abord à
remarquer, surtout dans ses premiers livres, c’est le patois
bas-bourguinon, ensuite, on ne peut pas ignorer un
certain registre familier, le jargon et l’argot, le pastiche,
certains termes techniques, des mots étrangers et des
néologismes, tous utilisés avec l’idée que le langage

39
dévoile dans une large mesure les personnages (classe
sociale, profession, éducation, psychologie..). Voici une
diversité de niveaux qui prouve l’adaptation linguistique
de Colette [Irène Frisch Fuglsang : 8] et sa souplesse
discursive par l’intermédiaire d’un vrai « art de placer les
mots dans la phrase » [Ibid. : 18].
Concernant les mots-clés de l’œuvre colettienne,
vu son caractère subjectif, on a décelé de prime abord les
mots faisant référence aux sens (vue, odorat, ouï, goût,
toucher). [Ibid. : 22]

Sido (Kra, 1930)

Colette connut – il se doit de le préciser dès le


début – une enfance privilégiée dans un milieu familial
chaleureux, dans un cadre naturel charmant, un petit
village bourguignon, entourée d’animaux et d’un jardin
merveilleux.
Son père, démobilisé de l’armée après la perte
d’une jambe, fut receveur d’impôts mais gère assez mal la
fortune de la famille.
Sa mère exerce une très grande influence sur la
future écrivaine. En fait, Adèle-Eugénie-Sidonie Landoy,
dite Sido, accompagnera sa fille autant en réalité qu’au
niveau de sa consience, en lui donnant, en premier lieu, le
goût de liberté. Toutes les contraintes (y compris le
catéchisme) restent au second plan ; l’éducation que Sido
donne à Gabrielle est suffisamment libérale, fondée sur la
joie de la nature et le plaisir de la lecture.

40
Peut-être semble-t-il inapproprié, mais l’évidence
nous fait dire que Sido n’est pas seulement un
personnage : elle est devenue un thème à part dans
l’œuvre de Colette, au moins dans sa dernière partie.
Sido fut mariée deux fois ; d’un premier mariage
avec un notable fortuné mais alcoolique et brutal, elle eut
une fille, Emélie Juliette, et un fils, Edmé Jules Achille.
Gabrielle voit le jour, la quatrième, après un autre frère,
Léopold, d’un second mariage de Sido, avec le capitaine
Colette. Gabrielle a la chance d’être élevée dans une
famille unie et chaleureuse, autour d’une mère qui
pratiquait volontiers l’art du jardinage, autant des plantes
rares que d’un potager et du verger.

Oh ! Aimable vie policée de nos jardins !


Courtoisie, aménité de potager à « fleuriste » et de
bosquet à basse-cour ! [...] Peut-être nos voisins
imitaient-ils, dans leurs jardins, la paix de notre jardin
où les enfants ne se battaient point, où bêtes et gens
s’exprimaient avec douceur, un jardin où, trente années
durant, un mari et une femme vécurent sans élever la
voix l’un contre l’autre. [p. 16]

Le recueil de souvenirs Sido daté 1930 est en fait


une réédition du livre intitulé Sido ou les points cardinaux,
paru un an auparavant. Écriture autobiographique qui
repose sur la présentation de la famille de Colette, Sido
s’articule autour du portrait de sa mère dans un permier
temps (I. Sido), mais elle s’élargit à la peinture du père (II.
Le capitaine) et des frères et de la demi-sœur (III. Les
sauvages).

41
Sido représente une remémorisation de l’âge de la
pré-adolescence de Colette (8-12 ans), jugé comme une
étape-clé pour son évolution ultérieure.
L’enfance de Colette y équivaut à une période
essentielle, une sorte d’âge d’or. La personnalité de
l’artiste se constitue à cette époque-là, croit-elle, l’adulte...
C’est pourquoi elle entreprend une recherche des
origines, une recherche de soi-même et de son identité à
travers une certaine hérédité.
La mère devient une sorte de centre de son
univers, de l’univers des autres aussi : elle atteint les
dimensions d’un mythe. Reine sur son jardin – vu par
Colette comme paradisiaque car le duplicata en miniature
de l’univers entier –, Sido semble être l’initiatrice de sa
fille à tous les miracles du monde.

Mon imagination, mon orgueil enfantins


situaient notre maison au centre d’une rose de jardins,
de vents, de rayons, dont aucun secteur n’échappait
tout à fait à l’influence de ma mère. [p. 19]

Côté domestique, « – Quand j’essuie longtemps et


avec soin mes tasses de Chine, je me sens vieillir. » [p. 14.]
disait Sido. « [A]gile et remuante, mais non ménagère
appliquée », elle se sent appelée par la liberté de l’espace
large du déhors : « Alors elle [...] entrait dans le jardin.
Sur-le-champ tombaient son excitation morose et sa
rancune. Toute présence végétale agissait sur elle comme
un antidote [...] » [Ibid.]
Personnage qui communique avec les éléments de
l’univers, en « pythonisse », Sido « consultait le ciel : [p.

42
22] et « captait des avertissements éoliens » [p. 24] –
signes et « messages » de l’univers lui révélant ses secrets
lorsqu’elle « levait l’index » et « centralisait les
enseignements d’Ouest » [p. 24] :

Avertie par ses antennes, ma mère s’avançait


sur la terasse, goûtait le temps, me jetait un cri :
– La bourasque d’Ouest ! Cours ! Ferme les
lucarnes du grenier !... [...] [p. 17]

Colette évoque dans Sido un espace rural perçu


comme un microcosme qui reproduit à d’autres
dimensions le macrocosme. Tout cela, grâce à Sido qui
refait l’image archétypale de la mère aux pouvoirs
magiques. La marque qui caractérise le mieux ce portrait
est le lyrisme, la nostalgie, la rêverie... :

Ma mère me laissait partir, après m’avoir


nommée « Beauté, Joyau-tout-en-or » ; elle regardait
courir et décroitre sur la pente son œuvre – « chef-
d’œuvre » disait-elle. J’étais peut-être jolie ; ma mère et
mes portraits de ces temps-là ne sont pas toujours
d’accord... Je l’étais à cause de mon âge et du lever du
soleil [...] [p. 19]

Certes, si le destin de l’adulte Gabrielle Colette


rencontre parfois des bas et des expériences de rupture
(divorces, manque de confiance et d’estime en soi,
bisexualité, maladie), son enfance ne le prévoyait point.
Aucun nuage n’a pesé sur ses premières années, de plus,
elle a eu la chance d’une relation familiale fort affectuese,
support d’une vie émotionnelle équilibrée et robuste dont

43
la garantie aurait pu s’annoncer dans la figure infaillible
de « celle qu’un seul être au monde – [s]on père –
nommait « Sido ».
Figure mythique, d’un visage « enflammé de foi,
de curiosité universelle », Sido est associée à Flore et
Pomone, des divinités des fleurs printaniers, des jardins
et des fruits...

« Il [le père, n. n.] était poète, et citadin. La


campagne, où ma mère semblait se sustenter de toute
sève, et reprendre vie chaque fois qu’en se baissant elle
en touchait la terre, éteignait mon père, qui s’y
comporta en exilé. » [p. 53]

Les autres membres de la famille, le père et les


frères se définissent par rapport à Sido. Jules-Joseph
Colette, « homme instruit » [p. 47], « aimait sans mesure »
sa femme, « il la ruina dans le dessein de l’enrichir » [p.
44]. Chaque moment raconté dans la seconde partie du
livre, Le capitaine, palpite seulement à travers les réactions
de la mère. C’est en réalité toujours « Elle » qui détermine
le cadre général. Par exemple :

Il était grivois en anecdotes. La présence de ma


mère arrêtait sur les lèvres l’histoire toulonnaise, ou
africaine. Elle, vive en paroles, se modérait chastement
devant lui. Mais distraite, entraînée par un rythme
familier, elle se surprennait à frédonner ses
« sonneries » dont les textes furent transmis sans
altération, des armes impériales, aux armes
républicaines. [p. 60]

44
Une femme qui avait le don du présage, consultée
par Colette après la disparition de ses parents, lui confie à
propos de son père : « Vous êtes justement ce qu’il a
souhaité d’être, et de son vivant il n’a pas pu. » [p. 70].
En conclusion, une enfance simple et joyeuse est
retrouvée et livrée au lecteur comme une existence hors
du commun, dans un espace magique, grâce à Sido,
personnage féerique dont les autres, ses frères par
exemple, se « contaminent » et deviennent « des
sylphes ».

« Sido » et mon enfance, l’une et l’autre, l’une


par l’autre furent heureuses au centre de l’imaginaire
étoile à huit branches, dont chacune portait le nom d’un
des points cardinaux et collatéraux. Ma douzième
année vit arriver la mauvaise fortune, les départs, les
séparations. Réclamée par de quotidiens et secrets
héroïsmes, ma mère appartint moins à son jardin, à sa
dernière enfant... [...] Inspirée et le front levé, [...] elle
convoque et recueille encore des rumeurs, les souffles
et les présages qui accourent à elle, fidèlement, par les
huit chemins de la Rose des Vents. [p. 42]

Le retour permanent à l’image maternelle, c’est, en


réalité, « comme un retour à elle-même » [Michineau, 2007:
45], c’est un essai de (re)trouver son identité à travers une
transmission héréditaire dont elle est consiente :

[L]aissant et reprenant, sous leur forme de


nouvelles brèves, La Maison de Claudine puis Sido, je n’ai
pas quitté un personnage qui peu à peu, s’est imposé à
tout le reste de mon œuvre : celui de ma mère. Il n’a pas

45
fini de me hanter. Les motifs d’une telle présence ne
manquent pas : un écrivain, si son existence se
prolonge, se tourne pour finir sur son passé, pour le
maudir ou s’en délecter. J’ai été une enfant pauvre et
heureuse comme beaucoup d’enfants qui pour toucher
une vive sorte de bonheur n’ont besoin ni de l’argent ni
de confort. Mais ma félicité eut un autre secret, moins
banal : la présence de celle qui, au lieu de trouver dans
la mort un chemin pour s’éloigner, se fait mieux
connaître à mesure que je vieillis. Son prénom abrégé
brille, depuis Sido, dans tous mes souvenirs. […]
[Colette, Préface à La Maison de Claudine et Sido, dans
Œuvres complètes, Éditions de Fleuron, 1948-50].

46
Louis-Ferdinand CÉLINE
(Courbevoie, Haut-de-Seine, 27 mai 1894 – Paris, 1 juillet
1961)

Son nom réel est Louis-Ferdinand Destouches.


Romans :
1932 – Voyage au bout de la nuit ; 1936 – Mort à crédit ;
1944 – Guignol’s Band ; 1949 – Casse-pipe ; 1952 – Féerie pour une
autre fois ; 1954 – Normance : Féerie pour une autre fois II ; 1957 –
D’un château l’autre ; 1960 – Nord ; 1964 – Le Pont de Londres /
Guignol’s Band II ; 1969 – Rigodon.
Pamphlets :
1936 – Mea Culpa ; 1937 – Bagatelles pour un massacre ;
1938 – L’École des cadavres ; 1941 – Les Beaux Draps.
Autres textes :
1913 – Carnet du Cuirassier Destouches ; 1917 – Des
vagues ; 1924 – La Vie et l’Œuvre de Philippe Ignace Semmelweis ;
1925 – La Quinine en Thérapeutique ; 1933 – L’Église ; 1948 –
Foudres et flèches ; 1950 – Scandale aux abysses ; 1955 – Entretiens
avec le professeur Y ; 1959 – Ballets sans musique, sans personne,
sans rien ; 1978 – Progrès ; 1983 – Arletty, jeune fille dauphinoise ;
1987 – Préfaces et dédicaces ; 1997 – Histoire du petit Mouck ; 2006 –
À l’agité du bocal ; 2007 – Céline vivant, anthologie des entretiens
audiovisuels avec LF Céline.
Correspondances:\
1979 – Cahiers Céline 5 : Lettres à des amies ; 1980 – Vingt
lettres : à André Pulicani, Jean-Gabriel Daragnès, Ercole Pirazzoli,
Charles Frémanger, Charles de Jonquières et Albert Manouvriez ;
1981 –Cahiers Céline 6 : Lettres à Albert Paraz 1947-1957 ; 1984 –
Lettres à son avocat : 118 lettres inédites à Maître Albert Naud ; 1985
– Lettres à Tixier : 44 lettres inédites à Maître Tixier-Vignancour ;
1987 – Lettres à Joseph Garcin (1929-1938) ; 1988 – Lettres à Charles

47
Deshayes, 1947-1951 ; 1989 – Le questionnaire Sandfort, précédé de
neuf lettres inédites à J.A. Sandfort ; 1991 – Lettres à la NRF 1931-
1961 ; 1991 – Lettres à Marie Bell ; 1991 – Céline et les éditions
Denoël, 1932-1948 ; 1995 – Lettres à Marie Canavaggia, 1 : 1936-
1947 ; 1995 – Lettres à Marie Canavaggia, 2 : 1948-1960 ; 1998 –
Lettres de prison à Lucette Destouches et à Maître Mikkelsen (1945-
1947) ; 2000 – Au fil de l’eau : Lettres de Louis-Ferdinand Céline à
deux amies, Aimée Barancy et Éliane Tayar, et documents annexes ;
2002 – Lettres à Antonio Zuloaga (1947-1954) ; 2007 – Cahiers
Céline 9 : Lettres à Marie Canavaggia (1936-1960) ; 2009 – Lettres ;
2009 – Devenir Céline : lettres inédites de Louis Destouches et de
quelques autres (1912-1919) ; 2009 – Cahiers Céline 10 : Lettres à
Albert Paraz (1947-1957) ; 2012 – Cahiers Céline 11 : Lettres à
Milton Hindus (1947-1949) ; 2013 – Lettres à Henri Mondor.
Chansons :
1955 – À nœud coulant et Le règlement. Interprétées par
l’auteur et enregistrées par Paul Chambrillon. Accompagnées à
l’accordéon par Aimable en rerecording.

Préliminaires

Considéré comme l’un des plus grands


innovateurs du XXe siècle, avec une œuvre inclassable car
insulaire dans l’univers des lettres modernes surtout du
point de vue stylistique, Céline est aussi un écrivain
controversé à la suite d’une pensée nihilistes et des idées
antisémites dans ses pamphlets.
« Il s’est créé autour de la personne de Céline une
mauvaise légende », constatait Marcel Aymé il y a une
quarantaine d’années [Cahiers de l’Herne – L.F. Céline,
1972 : 13], une légende entretenue dans une large mesure

48
par l’écrivain lui-même, à cause de son tempérament
hargneux mais aussi de la nature de son génie, comme le
remarquait Pierre Henri Simon : « tempérament violent,
instable, colérique, avec des houles contrastées de fureur
et de pitié ; inégal et inconstant génie, puissamment
créateur de matière verbale » [Ibid. : 222].
En 2013, la réception de Céline ne semble pas
avoir changée, homme et écrivain à la fois, il continue à
susciter des passions et des positions partisanes [cf. Alliot,
2013, « Les sept vies de Louis-Ferdinand Céline », v. web].
Refusant les formes littéraires consacrées, la
tradition « sage » et conventionnelle, Céline imagine un
univers qui tourne vertigineusement entre passé et
présent, entre mémoire et délire, un tableau partiellement
surréaliste, néo-baroque, grotesque, pessimiste, regardé
avec cynisme et scepticisme voire mysanthropie par un
écrivain persécuté pour ses gestes littéraires mais,
paradoxalement, resté encore méconu. Il y a des gens qui
se retrouvent revoltés contre lui, uniquement à la suite
des rumeurs qui entourent « le cas Céline ».
Comme disait Steinhardt, Céline est le créateur du
style noir qui introduit, dès son premier roman, « la
proposition-exposition », « la proposition-crachat » et qui
« a pressenti, a compris, a prophétisé » [Steinhardt, 1976 :
279]. Il doit être compris dans sa personnalité complexe et
contradictoire.
Fondée sur l’autobiographie de l’auteur, conçue
allégoriquement, l’œuvre célinienne se concentre sur le
voyage intérieur et labyrinthique [Day, 1974] non
seulement vers le bout du monde, mais surtout de son

49
propre moi. En fait, le procédé d’allégoriste Céline
consiste à placer ce qui est familier dans un cadre insolite.
Le parcours du protagosniste-narrateur représente
une confrontation brutale et lucide avec la conscience de
sa futilité par rapport à l’espace-temps. Par
l’intermédiaire de la quête de son propre moi, l’écrivain
met en question les croyances religieuse, philosophiques
et socio-historiques de son époque puisque cette quête se
réalise toujours à l’aide d’un miroir : les Autres.
Toute l’œuvre romanesque de Céline, à partir du
Voyage... a une valeur d’initiation, en fait, d’accumulation
d’initiations successives qui se déroulent sur deux plans
entremêlés constamment : de l’action et de la réflexion.
Céline se confond avec son style, avec le langage
du milieu populaire, avec l’argot qui devient sous sa
plume une langue à part, singulière, d’un étonnant
rythme et d’un énorme potentiel littéraire. Toute situation
banale devient exceptionnelle grâce au mot dit, à la
cadence le plus souvent haletante qui contamine le lecteur
obligé à suivre sans arrêt cet aspect narratif, à la fois actif
et contemplatif, empreint d’oralité et de verve inégalable,
grincheux et drolatique.

Mort à crédit (Paris, Denoël, 1936)

Voici le deuxième roman de Céline, paru en 1936,


en plein Front populaire, après le succès retentissant de
Voyage au bout de la nuit (1932). Il fait partie d’un projet
autobiographique, une sorte d’histoire en trois temps :

50
enfance (Mort à crédit), expérience militaire ou guerre
(Casse-pipe, 1949) et Londres (Guignol’s band, 1944).
Le titre définitif est donné par l’auteur après
d’autres dénominations : Tout doucement et Chanson morte.
Ce fut une parution sans éclat, à cause du contexte
politique et de plusieurs passages laissés en blanc par
l’éditeur Robert Denoël qui trouve cette solution à la suite
du refus de Céline de couper certains morceaux
considérés trop violents et crus car truffés d’un argot trop
osé. Ce n’est qu’en 1981 que l’on pourra parcourir Mort à
crédit en entier, dans sa version originale, avec tous les
passages « honteux » non censurés.
Faire attention seulement à cet aspect licencieux
du roman, c’est classer Céline dans la catégorie des
écrivains pornographes. Ce qui détermine l’échec de son
accueil critique. Pourtant, on se doit d’aller plus loin de
cet aspect et de remarquer l’innovation stylistique
incontestable de ce deuxième livre célinien.
Mort à crédit est composé en diptyque : d’abord, le
personnage-narrateur qui s’appelle Ferdinand (sans
Bardamu comme dans Le Voyage...) présente son enfance
et son adolescence passées au sein d’une famille déchirée,
dans le second arrondissement de Paris ; ensuite, le
narrateur nous fait découvrir ses expériences à côté d’un
inventeur loufoque, Courtial des Pereires, dont l’un des
projets est l’agriculture tellurique.
Bien que le livre soit écrit à la première personne
du singulier et que le personnage central s’appelle
Ferdinand, il faut pourtant se méfier que l’on se trouve
devant une autobiographie proprement dite.

51
Né dans une famille de la petite bourgeoisie, Louis
Destouches (Céline) est le fils d’Auguste Destouches,
gratte-papier dans une compagnie d’assurances, et de
Marguerite Guillou, commerçante de dentelles et de
bibelots au passage Choiseul à Paris. L’éducation du futur
écrivain se développe dans une ambiance
ultranationaliste et antisémite. Cependant, l’enfant et
l’adolescent Louis Destouches semble être choyé par sa
famille, contrairement à ce que le lecteur apprend dans le
livre Mort à crédit. Le seul épisode négatif qui le touche
profondément, c’est la mort de sa grand-mère maternelle
dont il prendra le prénom, Céline, comme pseudonyme.
Jeune homme, après l’obtention du certificat
d’études, il est promis au commerce surtout par sa mère
qui rêvait pour lui de devenir un acheteur dans les
grands-magasins. C’est la raison pour laquelle Louis
Detrouches sera envoyé en Allemagne, puis en Angleterre
afin d’apprendre des langues étrangères qui lui
serviraient à ce dessein. Le sort décidera différemment :
de retour à Paris, il essaie plusieurs métiers et finalement
se décide à suivre une carrière médicale qui ne se
produira qu’après un apprentissage bénévole mais
cauchemardesque à la guerre.

***

Il y a dans Mort à crédit des situations violentes – le


viol, le suicide, la mort, le handicap –, un goût étrange
pour le scatologique et la sexualité débridée, un penchant
pour l’excessif et le grotesque, propres au style de Céline.
Et d’ajouter le côté nihiliste qui pèse sur la morosité de

52
l’existence de Ferdinand, mais qui désigne, en effet, les
difficultés majeures de cette époque-là pour une partie de
la population agonisante.
L’enfance apparaît sur le fond d’un délire, d’un
état fiévreux du jeune médecin Ferdinand. Il se souvient
de son père violent et humiliant qu’il déteste, Auguste,
employé à une compagnie d’assurance, et de sa mère,
Clémence, qui réussit à avoir son commerce de dentelles
et d’antiquités dans le Passage de Bérésinas à Paris où la
famille s’était installée : « Nous sommes dans la poésie...
Seulement qu’on vivait à l’étroit mais qu’on s’aimait
énormément. » [Céline, Mort à crédit : 33]
Voici le portrait du père fait au début de l’histoire,
qui sera complété au fur et mesure par divers traits de
plus en plus haissables :

Mon père il était pas commode [...]


À la Coccinnelle-Incendie, mon père ne gagnait
pas beaucoup [...]
C’était un grand blond, mon père, furieux pour
des riens, avec un nez comme un bébé tout rond, au-
dessus de moustaches énormes. Il roulait des yeux
féroces quand la colère montait. Il se souvenait que des
contrariétés. Il en avait eu des centaines. Au bureau des
Assurances, il gagnait cent dix francs par mois [...] Il
aurait voulu être fort, confortable et respecté. Au
bureau de la Coccinnelle ils le traitaient comme de la
pane. L’amour-propre le torturait et puis la monotonie.
Il n’avait pour lui qu’un bachot, ses moustaches et ses
scrupules. Avec ma naissance en plus, on s’enfonçait
dans la mistoufle [...]

53
Il poussait des affreuses clameurs, il s’en serait
fait péter la langue tellement qu’il était indigné. Dans la
grande transe, il se poussait au carmin, il se gonflait de
partout, ses yeux roulaient comme d’un dragon. C’était
atroce à regarder. On avait peur ma mère et moi. [p. 43-
44]

Le souvenir du comportement aggressif de son


père semble le hanter :

Il mugit, il fonce, il explose, il va bombarder la


cuistance. [...] Toute la quincaillerie est en bombe... ça
fuse... ça gicle...ça résonne... ma mère à genoux implore
le pardon du Ciel... La table il la catapulte d’un seul
grand coup de pompe... Elle se renverse sur elle...
[...] Il carambole le piano, le gage d’une cliente.
[...] Il rentre dedans au talon, le clavier éclate... C’est le
tour de ma mère, c’est elle qui prend à présent... De ma
chambre je t’entends qui hurle [...] [p. 58]

Les premières années de Ferdinand équivalent à


une histoire picaresque : il passe d’un métier à l’autre,
d’un maître à l’autre jusqu’au moment où il décide de
s’engager dans l’armée. Ce qui frappe, peut-être, dans
Mort à crédit, c’est la place secondaire occupée par le
système scolaire de son époque et la formation
institutionnelle du narrateur Ferdinand. En fait, il fait une
image critique de l’école vue comme une institution
carcérale (voir le projet éducatif de Courtial des Pereires
du Familistère rénové de la Race Nouvelle, une utopie
éducative anarchique et burlesque.).

54
Les souvenirs regroupent une famille diverse : à
côté de la mère et du père, il y a aussi l’oncle paternel
Antoine – mort d’un cancer, la tante Hélène – morte sous
les balles d’un officier, l’oncle Arthur – un bohémien,
l’oncle Rodolphe – « le plus choche de la famille [...] tout à
fait sonné [...] parti dans un cirque [...] jamais revu » [p.
52-53] et l’oncle maternelle Édouard. Et d’ajouter la
grand-mère maternelle :

Dans la journée j’avais grand-mère, elle


m’apprenait un peu à lire. Elle-même savait pas très
bien, elle avait appris très tard, ayant déjà des enfants.
Je peux pas dire qu’elle était tendre ni affectueuse, mais
elle parlait pas beaucoup et ça déjà c’est énorme ; et
puis elle m’a jamais giflé ! [...] C’était une femme de
caractère [...] [p. 55]

Parmi les souvenirs attendrissants de Mort à crédit


racontés par Ferdinand dans un contexte majoritairement
scadaleux, celui lié à sa grand-mère Caroline occupe
l’importance d’un événement privilégié. Son décès
contaste avec les autres épisodes.
Un « enfant renfermé », selon la caractérisation de
la grand-mère, parce qu’il « aime pas les questions
intimes » [p. 59], un garçon dont la conviction était
qu’ « [a]vouer ça attire les malheurs » [p. 88], le « bouc
émissaire des tous les déboires » [p. 71], à son propre avis,
Ferdinand, malade et soigné par Grand-mère Caroline,
sera puissamment affecté par la disparition de celle-ci :

On a repris la route de la gare... [...] elle a eu un


étourdissement Grand-mère Caroline, elle s’est
55
raccrochée à la rampe... C’était pas dans ses habitudes...
Elle a ressenti plein de frissons... [...] Elle en pouvait
plus... La fièvre l’a saisie, une très forte [...] c’était la
grippe puis la pneumonie... [...] L’état s’est encore
aggravé... [..] [I]l faisait nuit encore quand l’oncle
Édouard m’a secoué au plume pour que je me rhabille
en vitesse... [...] C’était pour embrasser Grand-mère...
[...] En haut, dans la première pièce, y avait maman, à
genoux, en pleurs contre une chaise [...] Papa, il était
debout... Il disait plus rien... [...] Alors j’ai entrevu
Grand-mère dans son lit dans la pièce plus loin... Elle
soufflait dur, elle raclait, elle suffoquait [...] Alors moi,
on m’a fait entrer... Sur le lit, j’ai bien vu comme elle
luttait pour respirer. [...] On m’avait dit de
l’embrasser... [...] Elle m’a fait un geste que non... Elle a
souri encore un peu... Elle a voulu me dire quelque
chose [...] le plus doucement qu’elle a pu... « Travaille
bien mon petit Ferdinand ! » qu’elle a chuchoté.. [...]
Après tout c’est vrai en somme, j’ai bien travaillé... Ça
regarde personne... [p. 91-92]

Ce ne fut pas une promesse, mais quelque chose


de spontané, de naturel, de viscéral peut-être, d’accomplir
ce dernier vœu de sa grand-mère... Guérir les autres, ou
au moins l’essayer – voici une destinée qui a fait honneur
au médecin Detouches.
La mort de Grand-mère marque à jamais l’enfant
parce que c’est sa première expérience vécue à proximité
du moment terminus. Le personnage-narrateur emploie
un langage plutôt enfantin dans la description de la
séparation d’avec sa grand-mère, chose qui charge
l’épisode d’une grande émotion.

56
L’enfant Ferdinand sera marqué, en fait, par les
moments complices et chaleureux passés avec sa grand-
mère maternelle, mais aussi par la routine d’une existence
vécue dans un Passage, à côté d’une mère très capable car
tenace et confiante en son métier, endurant l’agressivité
de son mari avec indulgence, et d’un père toujours
mécontent et colérique, versant ses déceptions sur ses
proches...
L’expérience de l’enfant élevé dans une famille
artisane traditionnelle de la petite bourgeosie sera
déterminante pour l’adulte Céline qui se disait « artisan-
styliste ». Son style ne doit rien à l’improvisation, mais à
un travail acharné pourtant gratuit : l’écrivain Céline, tout
comme le médecin Destouches, est fort préoccupé par son
labeur, mais il semble complètement désintéressé au
bénéficiaire, que ce soit lecteur ou patient. Il le fait
volontiers au nom du travail lui-même qui lui procure le
plaisir, sans jamais réflechir à un « intérêt » quelconque
auprès de son « client ». La narration est pleine de trous,
non seulement des points de suspension, mais aussi des
omissions par rapport à certains événements (de même
que des informations contradictoires parfois), leur effet
étant celui de dérouter l’attente du lecteur, sans qu’il en
prenne conscience.
Les personnages de Mort à crédit, y compris le
narrateur, pourraient correspondre à des personnes qui
ont peuplé la vie réelle de Céline, mais ils restent dans
une large mesure des protagonistes romancés. Ils
composent et recomposent avec nostalgie une enfance
passée plutôt dans l’abjection.

57
Mort à crédit pet être considéré comme « une
évocation déformée de sa jeunesse, des impulsions de la
mémoire et de l’imagination » [Cerf & Béguin, 2008 : 262].

58
Hervé BAZIN
(Angers, 17 avril 1911 – Angers, 17 février 1996)

Nom complet : Jean-Pierre Hervé-Bazin.


Président de l’Académie Goncourt entre 1973-
1996.
Neveu du romancier et académicien René Bazin.
Œuvres :
1947 – Jour (poèmes) ; 1948 – À la poursuite d’Iris,
(poèmes) ; 1948 – Vipère au poing (« roman autobiographique ») ;
1949 – La Tête contre les murs (roman) ; 1950 – La Mort du petit
cheval (suite de Vipère au poing) ; 1951 – Le bureau des mariages
(nouvelles) ; 1952 – Lève-toi et marche ; 1953 – Humeurs
(poèmes) ; 1953 – Contre vents et marées ; 1954 – L’Huile sur le feu
(roman) ; 1956 – Qui j’ose aimer (roman) ; 1959 – La Fin des asiles,
(essai / enquête) ; 1960 – Au nom du fils (roman) ; 1963 – Chapeau
bas (nouvelles : Chapeau bas, Bouc émissaire, La hotte, M. le
conseiller du cœur, Souvenirs d’un amnésique, Mansarde à louer, La
Clope) ; 1966 – Plumons l’oiseau (essai) ; 1967 – Le Matrimoine,
(roman) ; 1970 – Les Bienheureux de La Désolation (récit /
enquête) ; 1972 – Cri de la chouette (suite de Vipère au poing et
de La Mort du petit cheval) ; 1975 – Madame Ex (roman) ; 1976 –
Traits ; 1977 – Ce que je crois ; 1978 – Un feu dévore un autre feu ;
1981 – L’Église verte (roman) ; 1981 – Qui est le prince ?; 1984 –
Abécédaire ; 1988 – Le Démon de minuit ; 1991 – L’École des pères
(roman) ; 1992 – Le Grand Méchant Doux ; 1992 – Œuvre poétique ;
1994 – Le Neuvième jour.

59
Préliminaires

Hervé Bazin peut être considéré comme « un


romancier de la famille », parce que c’est la famille qui se
trouve au centre de ses romans. Sa vision n’est pas
positive à l’égard de la famille traditionnelle, peut-être à
la suite de son expérience malheureuse, pleine de
privations et de frustrations. Il se révolte contre le
conformisme étouffant de la famille bourgeoise et
provinciale.
L’écrivain arrive à une formule séduisante : le
lecteur se trouve captivé autant par les descriptions que
par des monologues lyriques.

Vipère au poing (Paris, Grasset, 1948)

Dès la parution du livre, en 1948, l’auteur l’a


déclaré autobiographique. Deux autres textes, La mort du
petit cheval (1950) et Cri de la chouette (1972) s’y réjoignent
pour consituer une trilogie de la famille Rezeau qui se
trouve au centre des histoires. Hervé Bazin revient sur
son affirmation faite à la sortie du premier livre et modère
un peu son aveu, en affirmant, cette fois, que ce ne sont
que des romans...
Il y a cependant beaucoup de détails, à partir de
Vipère au poing, qui sont largement inspirés de sa première
partie de vie, lorsqu’enfant, puis adolescent, il a dû vivre
l’autorité et l’aridité affective de sa mère.
Jean Rezeau, dit contre son gré « Brasse-
Bouillon », le narrateur du livre Vipère au poing, décrit ses

60
rapports avec les autres Rezeau : ses frères (l’aîné
Frédéric, dit Frédie ou « Chiffe », et le puîné Marcel alias
« Cropette »), son père Jacques, professeur de droit dans
une université catholique chinoise, puis démissionaire et
chercheur, à la maison, en généalogie et en entomologie,
« l’un des plus grands sirphidiens du monde », [p. 36],
Alphonsine, appelée « Fine », la domestique sourde et
muette au service de la famille depuis une trentaine
d’années, un « personnage épisodique » [p. 36], mais
toujours en soutane – un précepteur engagé pour les
études à la maison des garçons, et, non en dernier lieu, de
fait, essentiellement, la mère, Paule Pluvignec, appelée
« Folcoche » par ses trois fils (contraction des mots
« folle » et « cochonne »), surnom qui avertit dès le début
sur le caractère de marâtre de celle-ci.
« Madame mère » [p. 33] est introduite dans
l’histoire, bien avant qu’elle n’apparaîsse en chair et en os,
par des remarques telles que :

Le hasard donc, le même hasard qui fait que


l’on naît roi ou pomme de terre, que l’on tire une
chance sur deux milliards à la loterie sociale, ce hasard
a voulu que je naisse Rezeau, sur l’extrême branche
d’un arbre généalogique épuisé, d’un plivier stérile
complanté dans les derniers jardins de la foi. Le hasard
a voulu que j’aie une mère. [p. 18]

Grand-mère mourut. Ma mère parut.


Et ce récit devient drame. [p. 26]

61
Le clan Rezeau, comptant cinq membres, tourne
autour de cette figure maternelle impensable, portraiturée
initialement de la façon suivante :

Outre notre éducation, Mme Rezeau aura une


grande passion : les timbres. Outre ses enfants, je ne lui
connaîtrai que deux ennemis : les mites et les épinards.
Je ne crois rien pouvoir ajouter à ce tableau, sinon
qu’elle avait de larges mains et delarges pieds dont elle
savait se servir. Le nombre de kilomètres dépensés par
ces extrémités en direction de mes joues et de mes
fesses pose un intéressant problème de gaspillage de
l’énergie. [p. 33-34]

L’action du livre se passe à quelques kilomètres


d’Angers, plus précisément à la « Belle-Angerie » –
maison des Rezeau sans téléphone, ni chauffage central,
mais qui, par contre, a

Trente-deux pièces, toutes meublées, sans


comper la chapelle, sans compter les deux nobles
tourelles, où sont dissimulés les cabinets d’aisances,
sans compter cette immense serre, stupidement
orientée au nord, de telle sorte que les lauriers-roses y
crèvent régulièrement chaque hiver, sans compter la
fermette annexe du jardinier, les écuries, qui
deviendront garage, les communs divers, les cabanes
élevées un peu partout dans le parc et toutes dédiées à
quelque saint frileusement recroquevillé dans sa niche t
servant de relais aux jours de Rogations... J’oublie deux
ou trois pigeonniers depuis longtemps, abandonnés
aux moineaux, trois puits comblés, amis toujours
chapeautés d’ardoise taillée, deux ponts solennels jetés

62
sur le filet d’eau qui s’appelle l’Ommée, quelques
passerelles et une trentaine de bancs de pierre ou de
bois, répandus çà et lâ dans le parc, afin que s’y
répande éventuellement la distinguée fatigue du
maître. [p. 13]

Confiés à la garde de la grand-mère paternelle, les


premiers deux garçons grandissent dans cet espace
jusqu’au décès de celle-ci quand les parents se décident à
revenir de la Chine avec le benjamin, Marcel, pour
s’occuper de la propriété et des enfants. Ce fut un
changement absolu : la nouvelle organisation dictée
d’abord par le père inclut un programme strict (lever à 5
heures du matin, participation à la messe à 5 heures 30,
étude jusqu’à 8 heures quand il y aura le déjeuner et ainsi
de suite) qui deviendra inflexible par les directives
impitoyables de la mère qui commencent par la
suppression du café au lait au matin et son remplacement
avec de la soupe, la suppression des poêles et des oreillers
dans leur chambre (par mesure de sécurité !), suppression
de la parole à table, la confiscation des objets personnels,
la supression de leurs chaussures et chaussettes et leur
remplacement avec de lourds sabots (qu’ils « peuvent »
porter avec de la paille s’il fait froid), jusqu’à la
« suppression » des cheveux de ses fils qu’elle tondra elle-
même (« J’ai retrouvé la tondeuse qui servait à tondre
Cadichon, le petit âne que ma belle-mère employait pour
faire des courses au village, jadis. » [p. 44]).
Des enfants privés de confort, affamés et
frigorifiés (« Déjà nous avions faim, déjà, nous avions
froid. Physiquement. Moralement, surtout. » [p. 53, 54]),

63
cela va encore, mais ils le seront, de surcroît, privés de
toute tendresse, accablés par des persécutions et des
humiliations de toutes sortes. La contrainte arrive à
l’agression de la part de leur mère. Sur ce point, est
édifiante la scène où Folcoche pique violemment son fils
Jean avec la fourchette seulement parce qu’il ne se tient
pas « correctement » sur sa chaise. Mais le cauchemar ne
cesse jamais de redoubler : la mère instaure « la
confession familiale quotidienne », un rituel classifié par
le narrateur comme « odieux » car il équivalait à un
« déshabillage de conscience » [p. 56].
L’histoire poursuit dans un sens décourageant, ce
sera l’image d’une famille dont le père préfère s’effacer
constamment dans sa passion pour les insectes, en réalité
il évite une confrontation directe avec sa femme ; une
famille dont les fils détestent leur mère et gravent partout
à la Belle-Angerie « VF » = Vengence à Folcoche, et la mère
déteste ses fils, surtout Jean, le plus désobéissant, le
provocateur, l’audacieux...
C’est impensable qu’une mère puisse arriver sur le
point de vouloir à tout prix détruire ses enfants ! C’est
impensable qu’un fils parvienne à désirer – et même à
planifier – la mort de sa mère !
Il s’agit, finalement, d’un modèle d’éducation
inflexible qui prouve encore une fois qu’il ne donne pas le
même résultat lorsqu’il est appliqué : les trois garçons –
de plus, trois frères –, réagissent différemment au
traitement impitoyable de la mère insensible : l’aîné ne se
révolte pas franchement par commodité, mais accepte la
complicité contre la mère. Le puîné, le « frère de Chine »,
privilégié dans une certaine mesure par Folcoche, devient

64
duplicitaire : complice aux frères et à la mère à la fois...
Reste Jean qui s’appose à l’organisation familiale par tous
moyens (à partir du plus simple : pendant les repas, il fixe
intensément sa mère par ce que ses frères appellent la
« pistolétade »), y compris par sa fuite à Paris, auprès de
ses grands-parents maternels pour leur « demander
justice ».

Il y a beaucoup de détails du livre Vipère au poing


qui renvoient au vécu de Hervé Bazin, à partir des
coordonnées géographiques : le village de Soledot où se
passe l’action est situé près de Segré, tout comme le fut
Marans, la propriété où a grandi l’auteur. Apparemment,
il y a beaucoup de ressemblances entre la maison de
l’enfance d’Hervé Bazin et le manoir « La Belle-Angerie »
présenté dans le livre.
Le patronyme « Rezeau » n’est pas du tout sans
rapport à la famille Hervé-Bazin dont les ancêtres
possédaient un château Rezeau à Andard.
Les prénoms et les noms du roman Vipère au poing
sont à peine modifiés par rapport à ceux de la famille
Hervé-Bazin. Par exemple, Jacques Rezeau / Jacques
Hervé-Bazin, Paule Pluvignec / Paule Guilloteaux,
Frédéric, Jean, Marcel / Frédéric, Jean-Pierre, Pierre. L’on
a constaté que dans l’édition « J’ai lu », l’auteur a fait un
lapsus, repris par l’éditeur, en écrivant « Pierre » au lieu
de « Marcel » dans le dernier chapitre du roman.
[http://fr.wikipedia.org/wiki/Vip%C3%A8re_au_poing]
Même cas de figure pour les prénoms des tantes et
oncles de l’écrivain...

65
De plus, on a confirmé ultérieurement la brutalité
et la sécheresse de cœur de la mère de Hervé Bazin.
Voici quelques éléments qui peuvent conclure sur
l’inspiration largement biographique du livre Vipère au
poing.

Hervé Bazin, « l’homme au serpent », commence


son récit avec un épisode où il étouffe une vipère... voici
le fil conducteur et, en même temps, une image chargée
sémantiquement au long du texte, surtout par la
comparaison entre la mère et une vipère... Le roman finit
avec cette affirmation qui est déterminante pour
l’évolution de l’adulte Hervé Bazin : « Merci, ma mère ! Je
suis celui qui marche, une vipère au poing. » [p. 254] –
épilogue qui prouve que l’enfance et l’adolescence
passées auprès d’une mère cruelle n’ont été sans traces
profondes, surtout parce que l’éducation qu’elle
envisageait pour ses fils n’a été qu’une « escroquerie » :

J’entre à peine dans la vie et, grâce à toi, je ne


crois plus à rien, ni à personne. Celui qui n’a pas cru en
mon Père, celui-là n’entrera pas dans le royaume des cieux.
Celui qui n’a pas cru en sa mère, celui-là n’entrera pas
dans le royaume de la terre. Toute foi me semble une
duperie, toute autorité un fléau, toute tendresse un
calcul. Les plus sincères amitiés, les bonnes volontés,
les tendresses à venir, je les soupçonnerai, je les
découragerai, je les renierai. L’homme doit vivre seul.
Aimer, c’est s’abdiquer. Haïr, c’est s’affirmer. Je suis, je
vis, j’attaque, je détruis. Je pense, donc je contredis. [p.
252]

66
L’une des conséquences d’une discipline trop
rigide dans ses premières années de vie sera une attitude
de l’adulte Hervé Bazin se trouvant toujours en
opposition avec les « principes », les règles, les habitudes
de sa famille cléricale (par exemple, il adhère au
Mouvement de Paix, proche du Parti Communiste,
contrairement aux convictions des siens). Il se définit
comme un homme libre, au-delà des conventions sociales
hypocrites. Sans devenir un écrivain engagé, il sera
pourtant attentif à l’évolution de la société et participera à
des débats publics sur des thèmes fondamentaux comme
la famille, l’éducation, la justice.

67
68
Marcel PAGNOL
(Aubagne, Bouches-du-Rhône, 27 février 1895 – Paris, 18
avril 1974)

Membre de l’Académie Française.


Grand officier de la Légion d’honneur.
Commandeur des Palmes académiques. Commandeur
des Arts et des Lettres.
Consul honoraire du Portugal à Monaco.
Le Prix César d’honneur en 1981.
Le Meilleur film étranger (New-York Critic’s
Circle Awards) pour : Regain (1939), La femme du boulanger
(1949), Jofroi (1950).

Œuvres :
Roman, nouvelles, essais
1921 – La Petite Fille aux yeux sombres, roman ; 1921 – Le
Mariage de Peluque, roman ; réédité en 1932 sous le titre
Pirouettes ; 1922 – L’Infâme Truc, nouvelle, extrait de Jazz ; 1932 –
Pirouettes, réédition retitrée de Le Mariage de Peluque, roman ;
1933-1934 – Cinématurgie de Paris, Les Cahiers du film ; réédition
remaniée dans Œuvres complètes, tome III, Éditions de Provence,
1967 ; 1947 – Notes sur le Rire, essai ; 1949 – Critique des Critiques,
essai ; 1957 – La Gloire de mon père (Souvenirs d’enfance I), roman
autobiographique ; 1957 – Le Château de ma mère (Souvenirs
d’enfance II), roman autobiographique ; 1959 – Le Temps des
secrets (Souvenirs d’enfance III), roman ; 1963 – L’Eau des collines
roman en deux parties : Jean de Florette, Manon des sources ; 1964
– Le masque de fer (remanié sous le titre Le Secret du Masque de fer
en 1973), essai historique ; 1968 – Les Sermons de Marcel Pagnol,
recueil (rassemblés par le RP Norbert Calmels).

69
Parutions posthumes
1977 – Le Temps des amours (Souvenirs d’enfance inachevé
IV), roman autobiographique ; 1977 – Les Secrets de Dieu,
nouvelle éditée en recueil Œuvres complètes. 12. 3-4 ; 1981 –
Confidences, essai et préfaces sur le théâtre et le cinéma ; 1984 –
L’Infâme Truc et autres nouvelles, recueil
Théâtre
1922 – Catulle, drame en 4 actes, en vers ; 1922 – Ulysse
chez les Phéaciens (en collaboration avec Arno-Charles Brun),
tragédie en vers ; 1923 – Tonton ou Joseph veut rester pur (en
collaboration avec Paul Nivoix), vaudeville sous le
pseudonyme de Castro ; 1925 – Les Marchands de gloire en
collaboration avec Paul Nivoix, comédie satirique en cinq
actes ; 1926 – Un direct au cœur (en collaboration avec Paul
Nivoix), comédie ; 1926 – Jazz (premier titre Phaéton), comédie
satirique en quatre actes ; 1928 – Topaze, comédie satirique en
quatre actes ; 1929 – Marius, comédie en trois actes et six
tableaux ; 1931 – Fanny, comédie en trois actes et quatre
tableaux ; 1946 – César, comédie en trois actes adaptée du film ;
1955 – Judas, tragédie en cinq actes ; 1956 – Fabien, comédie en
quatre actes.
Varia
1961 – Ambrogiani (l’homme et le peintre), Marcel Pagnol
& George Waldemar.
Adaptation posthume
1985 – La Femme du boulanger, comédie en quatre actes
adaptée du film
Traductions
1944 – Le Songe d’une nuit d’été, pièce de William
Shakespeare ; 1947 – Hamlet, pièce de William Shakespeare ;
1958 – Bucoliques, recueil de Virgile, traduit du latin.
Cinéma
Filmographie
Pagnol est le réalisateur des fils suivants :

70
1933 – Le Gendre de Monsieur Poirier, d’après la pièce
d’Émile Augier; 1933 – Jofroi ; 1934 – Angèle ; 1934 – L’Article
330, court métrage d’après la pièce de Georges Courteline ; 1934
– Le Premier Amour, scénario de Marcel Pagnol, plusieurs fois
mis en chantier mais jamais réalisé ; 1935 – Merlusse ; 1935 –
Cigalon ; 1936 – Topaze ; 1936 – César ; 1937 – Regain ; 1938 – Le
Schpountz ; 1938 – La Femme du boulanger ; 1940 – La Fille du
puisatier ; 1941 – La Prière aux étoiles (inachevé) ; 1945 – Naïs ;
1948 – La Belle Meunière ; 1951 – Topaze ; 1952 – Manon des
sources ; 1952 – Ugolin ; 1954 – Les Lettres de mon moulin ; 1967 :
Le Curé de Cucugnan (téléfilm).
Marcel Pagnol est l’auteur des scénarios et dialogues
des films suivants :
1931 – Marius d’Alexander Korda ; 1932 – Fanny de
Marc Allégret ; 1932 – Direct au cœur de Roger Lion, avec la
participation d’Arnaudy, d’après la pièce de Marcel Pagnol et
Paul Nivoix ; 1933 – Topaze de Louis Gasnier ; 1933 – L’Agonie
des aigles de Roger Richebé, d’après le roman de Georges
d’Esparbès, Les Demi-Solde ; 1934 – Tartarin de Tarascon de
Raymond Bernard, d’après Alphonse Daudet ; 1939 – Monsieur
Brotonneau de Alexandre Esway, d’après Flers et Caillavet ; 1950
– Le Rosier de Madame Husson de Jean Boyer, d’après Guy de
Maupassant ; 1953 – Carnaval de Henri Verneuil, d’après Émile
Mazaud ; 1962 – La Dame aux camélias (téléfilm), d’après
Alexandre Dumas fils.
L’œuvre de Pagnol a été traduite, adaptée ou reprise
depuis 1931 jusqu’aujourd’hui.

71
Souvenirs d’enfance : La gloire de mon père (Monte Carlo,
Pastorelly, 1957)

Au moment où Marcel Pagnol commence son


œuvre de romancier, il est déjà célèbre grâce à ses
réalisations théâtrales (textes, adaptations et mises en
scène) et cinématographiques (scénariste, adaptateur,
réalisateur, producteur). Pour ne donner qu’un seul
exemple pour chaque genre, Topaze a été jouée plus de
5000 fois depuis sa création en 1928 et Marius, sorti en
1931, l’un des premiers films parlants français, consacre
Pagnol à jamais dans l’histoire du cinéma.
Le premier volume des Souvenirs d’enfance peut
être considéré comme la date de naissance du romancier
Pagnol. Avant celui-ci, il avait publié des essais et
quelques autres romans qui n’ont pas atteint le succès
indiscutable de La gloire de mon père : 50.000 exemplaires
vendus en un mois. Le deuxième volume, Le château de ma
mère, paru un an plus tard (1959), connaît toujours un
grand succès de ventes. Les Souvenirs se poursuivent avec
Le temps de secrets (1960) et Le temps des amours (inachevé,
paru posthumement, en 1977).
C’est peut-être son art de portraitiste qui lui
apporte la notoriété littéraire. La gloire de mon père est
centré sur des personnages de l’enfance de Pagnol,
notamment sa famille, entourée par un petit monde
provençal. On a considéré Pagnol comme un précurseur
du portrait psychologique et, en même temps, un écrivain
qui met sur le devant de la scène la culture régionale.
Chronique de l’enfance du personnage-narrateur
Marcel, La gloire de mon père présente des parents

72
attachants, comme Augustine, la mère timide et « toute
belle » [p. 41], Paul, le frère cadet, le passionné pour des
petits jeux cruels, par exemple, mettre le feu à une colonie
de fourmis, mais aussi le truculent oncle Jules et la tante
Rose, la sœur de la mère. Le personnage central est,
comme le titre nous l’annonce, le père, nommé Joseph,
décrit comme un instituteur qui se découvre aussi un
grand amateur de la chasse, un joueur de flûte, un « cher
surhomme en flagrant délit d’humanité », au dire de son
fils [p. 79].
Toutefois, le livre constitue une initiation non
seulement du père à la chasse, mais également et dans
une mesure plus importante, une évolution et une
initiation émerveillée à l’existence du jeune Marcel. En
fait, cette éducation charmeuse vient de La Provence et sa
beauté rarissime – le théâtre de toutes les aventures.
Le livre s’inspire certainement de la biographie de
l’écrivain Pagnol, mais il est aussi, sans doute, produit
partiellement par son imagination. C’est, donc, une
autobiographie romancée, à partir de l’origine de ses
parents et leur installation à Marseille, après que le père
soit nommé instituteur à l'école du Chemin des
Chartreux.
L’épisode de la naissance de Marcel à Aubagne a
un charme particulier, dû au style de l’écrivain Pagnol, à
la fois sobre, émouvant et plein d’esprit, surtout lorsque le
narrateur fait des rapprochements entre sa propre
naissance et une autre, passée dans des situations
similaires :

73
Cette histoire n’est pas très étonnante, mais
attendez une minute, car elle va le devenir.
Au début du XVIIIe siècle, il y avait à Aubagne
une très riche et très ancienne famille de commerçants,
qui s’appelaient Barthélémy. [...] dans la nuit du 19 au
20 janvier 1716, Mme Barthélémy, qui était très jeune,
qui habitait Aubagne, et dont le mari s’appelait Joseph,
« ressentit les premières douleurs ». Elle monta
« précipitamment » en voiture pour se rendre auprès de
sa mère [...] Madame Barthélémy passa donc par les
gorges, puis par le col de la Bédoule, gémissante sous
les couvertures... Elle arriva à Cassis, « pâmée de
douleur, et pendant qu’on la mettait au lit, elle donna le
jour à un petit garçon. » Cet enfant d’Aubagne devait
être l’abbé de Barthélémy, auteur illustre du Voyage du
jeune Anarcharsis en Grèce, et qui fut élu à l’Académie
française le 5 mars 1789, au vingt-cinquième fauteuil :
c’est ce fauteuil même que j’ai l’honneur d’occuper,
depuis le 5 mars une autre année.
On pourrait tirer de cette double anecdote une
conclusion singulière : c’est que l’un des moyens de
faire un jour partie de l’Illustre Compagnie, c’est d’être
le fils d’un Joseph, et d’essayer de naître, par un petit
hiver d’hiver, dans une carriole doublement
gémissante, sur la route de la Bédoule. [p. 9-10]

Les Pagnol une fois installés, la tante Rose amène


le petit Marcel au parc Borély, au bord de l’étang deux
fois par semaine. C’est là qu’elle rencontre celui qui
deviendra son mari, l’oncle Jules. L’histoire de leur
rencontre n’est point à ignorer, parce que Marcel
découvre « que les grandes personnes savent mentir aussi
bien que [lui] » et, par conséquence, qu’il n’était plus « en

74
sécurité parmi elles » [p. 16]. Avant de lui devenir oncle,
Jules s’est fait passer devant le petit pour le propriétaire
du parc Borély. Une fois la vérité apprise, le petit Marcel a
le commentaire suivant :

[C]ette révélation, qui justifiait mes propres


mensonges passés, présents et futurs, m’apporta la paix
au cœur, et lorsqu’il était indispensable de mentir à
mon père, et que ma petite conscience protestait
faiblement, je lui répondais : « Comme l’oncle Jules ! » ;
alors, l’œil naïf et le front serein, je mentais
admirablement. [p. 16]

L’anticlérical Joseph et le catholique Jules, bien


que d’attitudes si différentes, deviennent amis. Ils louent
une maison à la campagne, dans la garrigue, pour les
vacances d’été. Le narrateur raconte en détail leur voyage
jusqu’à cette petite villa nommée La Bastide-Neuve,
située aux Bellons, près de La Treille.
Ce séjour sera pour Marcel une vraie initiation.
D’abord, il a la révélation de toute la nature sauvage qui
les entoure : collines, massifs de roches, végétation et
faune diversifiées. Il en tombe amoureux. Ensuite, il passe
par un épisode qui l’a marqué à jamais lorsqu’il suit en
secret son père et son oncle partis à la chasse sans lui :
Marcel perd la trace des siens, s’égare, vit des moments
de peur qui remplace l’exaltation du début, mais il réussit
à retrouver son père et son oncle, selon le bruit du fusil,
juste au moment où les coups de son père abattent deux
bartavelles. C’est Marcel qui les découvre et rend ainsi un
grand service à son père qui lui doit sa renommée dans la

75
région. En fait, ce doublé formidable, tant rêvé par des
chasseurs plus expérimentés que le débutant Joseph
provoque une énorme fierté d’abord à Joseph lui-même,
puis à son fils.
La scène où le curé prend une photographie à
Joseh, Marcel et les deux bartavelles est d’un humour
irresistible et d’une antithèse évidente par rapport à
l’ironie antérieure de Joseph à l’égard d’un collègue qui
s’est laissé photographier avec un très grand poisson qu’il
avait pêché :

[I]l examina la photographie de très près, sous


tous les angles, et il proclama que la mise au point était
parfaite, ce qui prouvait que M. le curé connaissait fort
bien son affaire. [...] il déclara :
« Puisque nous avons deux épreuves, j’ai bien
envie d’en envoyer une à mon père, pour lui montrer
comme Marcel a grandi... »
[...] Oui, il était tout fier de son exploit ; oui, il
enverra une épreuve à son père, et il montrerait l’autre
à toute l’école, comme avait fait M. Arnaud. [p. 79]

Les personnages des Souvenirs concurrencent avec


ceux déjà connus créés auparavant par Marcel Pagnol,
dans le domaine du théâtre et du film. Ils deviennent, dès
la parution du livre, aussi populaires que Marius, Fanny,
Topaze, César, Jean de Fleurette, Manon de Sources.
Le cocon familial, l’école primaire, les premières
vacances dans un milieu naturel, les jeux des enfants, tout
respire la joie et le plaisir de raconter. Le narrateur adulte
qui s’en souvient semble avoir les mêmes yeux de l’enfant
qui rédige une composition scolaire à la rentrée des
76
classes. Pendant les années 50, Marcel Pagnol prouve la
même fascination des mots qu’il y a longtemps déjà :

Ce que j’écoutais, ce que je guettais, c’étaient les


mots ; en secret, sur un petit carnet, j’en faisais une
collection, comme d’autres font pour les timbres.
J’adorais grenade, fumée, bourru, vermoulu et surtout
manivelle : et je me les répétais souvent, quand j’étais
seul, pour le plaisir de les entendre. Or, dans le
discours de l’oncle, il y en avait de tout nouveaux, qui
étaient délicieux : damasquiné, florilège, filigrane, ou
grandioses : archiépiscopal, plénipotentiaire. Lorsque sur
le fleuve de son discours, je voyais passer l’un de ces
vaisseaux à trois ponts, je levais la main et je demandais
des explications, qu’il ne me refusait jamais. C’est là
que j’ai compris pour la première fois que les mots qui
ont un son noble contiennent toujours de belles images.
Mon père et mon oncle encourageaient cette manie, qui
leur paraissait de bon augure [...] [p. 41]

La nostalgie tendre et l’humour sont les traits


dominants de ce premier volet des Souvenirs d’enfance que
l’auteur écrit comme un hommage filial et émouvant et
un éloge à sa Provence natale, dont on ne peut pas parler
sans penser aux personnages évoqués dans l’œuvre de
Marcel Pagnol.

77
78
Romain GARY
(Vilnius, Lituanie, Empire Russe à l’époque, 8 mai 1914 –
Paris, 2 décembre 1980)

Son vrai nom : Roman Kacew.


Autres psudonymes : Émile Ajar, Fosco Sinibaldi
et Shatan Bogat.
Le seul écrivain français qui a reçu deux fois le
Prix Goncourt (1956, Les racines du ciel ; 1975, La vie devant
soi), chaque fois sous un autre nom : R. Gary,
respectivement É. Ajar.
Son œuvre comprend les titres :
■ Sous le nom de Romain Kacew
1935 – L’Orage ; 1935 – Une petite femme ; 1937 – Le Vin
des morts.
■ Sous le nom de Romain Gary
1945 – Éducation européenne ; 1946 – Tulipe ; 1949 – Le
Grand Vestiaire ; 1952 – Les Couleurs du jour ; 1956 – Les Racines
du ciel (Prix Goncourt) ; 1960 – La Promesse de l’aube ; 1961 –
Johnnie Cœur (théâtre) ; 1962 – Gloire à nos illustres pionniers
(nouvelles) ; 1963 – Lady L. ; 1965 – Adieu Gary Cooper (The Ski
Bum) ; 1965 – Pour Sganarelle (Frère Océan 1) (essai) ; 1966 – Les
Mangeurs d’étoiles (La Comédie américaine 1) ; 1967 – La Danse
de Gengis Cohn (Frère Océan 2) ; 1968 – La Tête coupable (Frère
Océan 3) ; 1969 – Adieu Gary Cooper (La Comédie américaine 2) ;
1970 – Chien blanc ; 1971 – Les Trésors de la mer Rouge ; 1972 –
Europa ; 1973 – Les Enchanteurs ; 1974 – La nuit sera calme
(entretien fictif) ; 1975 – Au-delà de cette limite votre ticket n’est
plus valable ; 1977 – Clair de femme ; 1977 – Charge d’âme ; 1979 –
La Bonne Moitié (théâtre) ; 1979 – Les Clowns lyriques ; 1980 – Les
Cerfs-volants ; 1981 – Vie et mort d’Émile Ajar (posthume) ; 1984 –

79
L’Homme à la colombe (version posthume définitive) ; 2014 – Le
Sens de ma vie. Entretien, préface de Roger Grenier).
■ Sous le pseudonyme de Fosco Sinibaldi
1958 – L’Homme à la colombe.
■ Sous le pseudonyme de Shatan Bogat
1974 – Les Têtes de Stéphanie.
■ Sous le pseudonyme d’Émile Ajar
1974 – Gros-Câlin ; 1975 – La Vie devant soi (Prix
Goncourt) ; 1976 – Pseudo ; 1979 – L’Angoisse du roi Salomon.

Préliminaires. « L’affaire Ajar »

Romain Gary est un cas singulier : c’est l’écrivain


qui a obtenu deux fois le Prix Goncourt. Il ne pouvait pas,
s’il fallait respecter la règle, mais ce fut par une
mystification.
La première fois, ce fut en 1956 pour le roman Les
racines du ciel. Ce n’est qu’après le décès de Gary que l’on
est parvenu à la découverte que le roman La vie devant soi,
primé en 1975 fut écrit, en réalité toujours par Gary, et
cela parce qu’Émile Ajar était son pseudonyme dont il a
signé au total quatre romans. Leur paternité a été
attribuée à un cousin de Gary, Paul Pavlowitch, qui a
assumé l’identité d’Émile Ajar1 pour les critiques et les
médias. Mais des rumeurs ont existé après la parution du

1
Il est intéressant de parcourir le roman Pseudo, paru en 1976 avec la
signature d’Ajar : c’est un récit autobiographique du soi-disant Ajar,
mais il est faux, bien sûr. Émile Ajar est un masque qui, à la fois,
cache et dévoile la personnalité de Romain Gary. La création d’un
auteur et de son autobiographie est une sorte de réinvention de sa
propre identité.
80
deuxième roman surtout, La vie devant soi... La vérité est
découverte un an après la disparition de Gary, à la
publication du livre posthume Vie et mort d’Émile Ajar :
« La vérité est que j’ai été très atteint par la plus vieille
tentation protéenne de l’homme : celle de la multiplicité »
[Gary, 1981 : 29] – ce qui explique l’incessante tentation de
Gary pour la pseudonymie, pour un style assez
caméléonesque.
« Gari » signifie en russe « brûle » mais aussi
« brille ! » et « Ajar » se traduit par « braise », noms se
trouvant dans une certaine proximité sémantique, même
davantage, dans un rapport cause et effet puisque le
deuxième (ajar) est la conséquence du premier (gari)...
Le destin de Gary semble tout particulier, il a
connu des expériences décisives dans chaque étape de sa
vie, y compris son point final : il se suicide à la fin du 1980
avec un revolver et laisse une lettre, datée « Jour J » dans
laquelle il note : « Aucun rapport avec Jean Seberg » [son
ex-épouse trouvée morte et supposée suicidaire un an
auparavant]. Ses cendres seront dispersées, dans la mer
Méditerranée, selon sa volonté, par sa dernière compagne,
Leïla Chellabi...

La promesse de l’aube (Paris, Gallimard, 1960)

La vie de Roman Kacew commence en Russie


(1914-1921), se poursuit en Pologne (1921-1928) et se passe
en grande partie en France (1928-1980). En Russie, il se
trouve à côté de ses parents, Mina Owczynska et Arieh-
Leïb Kacew, le dernier, après avoir été démobilisé,

81
quittant sa famille et s’installant avec une autre femme
qu’il épouse après 1929 lorsque le divorce de Mina est
prononcé ; il en a deux enfants. Les quatre membres de la
nouvelle famille Kacew mourront pendant la seconde
guerre mondiale. Gary n’en parle pas dans ses livres
autobiographiques.
Depuis 1928, mère et fils s’établiront en France –
pays que Mina considère comme un tremplin pour que
Roman accomplisse son rève – à elle d’abord ! – celui de
devenir diplomate et artiste. Chose qui se passera en
effet ! Avec le prix de son usure physique pour préparer
la voie de son fils, minée par la maladie, elle a eu
plusieurs boulots pour réussir à s’entretenir tous les deux
et à persévérer avec obstination et détermination.
Le thème de l’enfant orphelin, marqué par
l’absence des parents s’impose dans les livres de Gary,
comme dans La vie devant soi, signé Émile Ajar, et le récit
autobiographique La promesse de l’aube, vu le sentiment
d’abandon paternel de Roman qui devra être rempli par
la mère :

Depuis treize ans déjà, seule, sans mari, sans


amant, elle lutter [...] courageusement, afin de gagner,
chaque mois, ce qu’il nous fallait pour vivre, pour
payer le beurre, les souliers, le loyer, les vêtements, le
bifteck de midi – ce bofteck qu’elle plaçait chaque jour
devant moi dans l’assiette, un peu solennellement,
comme le signe même de sa victoire contre l’adversité.
Je revenais du lycée et m’abattais devant le plat. Ma
mère debout me regarder manger [...] Elle refusait d’y
toucher elle-même et m’assurer qu’elle n’aimait que les

82
légumes et la viande et les graisses qui étaient
strictement défendues.
Un jour, quittant la table, j’allais dans la cuisine
pour boire un verre d’eau.
Ma mère était assise sur un tabouret ; elle tenait
sur ses genoux la poêle à frire où mon bifteck avait été
cuit. Elle en essuyait soigneusement le fond graisseux
avec des morceaux de pain qu’elle mangeait ensuite
avidement et, malgré son geste rapide pour dissimuler
la poêle sous la serviette, je sus soudain, dans un éclair,
toute la vétité sur les motifs réels de son régime
végétarien. [chapitre II, p.5]

Paru en 1960, La Promesse de l’aube est un livre qui


a été porté à l’écran en 1971 (par Jules Dassin), puis
adapté pour la scène. Le titre est justifié dans une large
mesure par le narrateur à l’intérieur de son histoire :

Avec l’amour maternel, la vie vous fait, à


l’aube, une promesse qu’elle ne tient jamais. Chaque
fois qu’une femme vous prend dans ses bras et vous
serre sur son cœur, ce ne sont plus que des
condoléances. On revient toujours gueuler sur la tombe
de sa mère comme un chien abandonné. Jamais plus,
jamais plus, jamais plus. Des bras adorables se
referment autour de votre cou et des lèvres très douces
vous parlent d’amour, mais vous êtes au courant. Vous
êtes passé à la source très tôt et vous avez tout bu.
Lorsque la soif vous reprend, vous avez beau vous jeter
de tous côtés, il n’y a plus de puits, il n’y a que des
mirages. Vous avez fait, dès la première lueur de
l’aube, une étude très serrée de l’amour et vous avez
sur vous de la documentation. Je ne dis pas qu’il faille

83
empêcher les mères d’aimer leurs petits. Je dis
simplement qu’il vaut mieux que les mères aient encore
quelqu’un d’autre à aimer. Si ma mère avait eu un
amant, je n’aurais pas passé ma vie à mourir de soif
auprès de chaque fontaine. Malheureusement pour
moi, je me connais en vrais diamants.

L’extrait repose sur l’idée que la vie n’offrira pas


au fils, grandi et adulte, une femme qui puisse lui livrer
un amour complet car inconditionnel, comme l’a été celui
de sa mère. La biographie de Gary le prouve : amoureux à
maintes reprises (Christel Söderlund, Ilona Gesmay, Leïla
Chellabi) passant par deux mariages (Lesley Blanch, Jean
Seberg), Romain Gary semble n’ayant pu rencontrer la
Femme capable d’un amour pareil à celui de sa mère...
Cependant, la promesse va aussi dans un autre
sens : du fils qui va réaliser le dessein maternel : il
deviendra un écrivain célèbre et Consul général de la
France.

En fait, en parcourant le livre, on se rend compte


qu’il fait référence à plusieurs échos d’un modèle
d’éducation. Romain Gary y raconte ses souvenirs,
certaines expériences majeures de sa vie (études, relations
de jeunesse, carrière militaire, tâtonnements et réussites
artistiques, etc.), mais en premier lieu, La pomesse de l’aube,
c’est le récit d’un amour exceptionnel d’une mère envers
son fils, une mère qui est capable de n’importe quel
sacrifice (moins l’humiliation publique) pour que celui-ci
atteigne la célébrité. Pour y arriver, la mère esaie de
l’initier à plusieurs activités artistiques. D’abord, elle

84
« nourrit l’espoir » qu’il pourrait être « un enfant prodige,
un mélange de Yacha Heifetz et de Yehudi Menuhin » [p.
7], mais ce fut un grand rêve « envolé ».
Raté en tant que futur violoniste, le nouvel essai
est d’être le futur Nijinsky [p. 9] mais la carrière de
Roman de grand danseur s’arrête net à cause de
l’indignation de la mère et sa volonté de ne l’exposer plus
à d’autres risques homosexuels, à la suite d’une tentative
de séduction du jeune Roman par son professeur.
Une découverte à dix ans disait à la mère que
Roman semble avoir du talent dans le domaine de la
peinture. Mais le destin d’un Van Gogh ou Gauguin [p.
9], décide Nina d’interdire dès le début une carrière qui
peut faire son fils « crever de faim » [Ibid.]. Ce sera un
regret, autant pour l’enfant Roman que pour l’adulte
Romain Gary qui a parfois « le sentiment d’une vocation
manquée » [p. 10].
Alors, il se tourne vers la littérature : « Ce fut à
treize ans, je crois, que j’eus pour la première fois le
pressentiment de ma vocation. » [p. 4]. S’ouvrir vers le
domaine de l’écriture, ce fut non marqué d’une certaine
hésitation de la part de sa mère :

Goethe avait été couvert d’honneurs, Tolstoï


était comte, Victor Hugo – Président de la République –
je ne sais pas où elle a pris cette idée, mais elle y tenait
[...] – Mais il faudra que tu fasses attention à ta santé
[...] Guy de Maupassant est mort fou, Heine
paralytique... [p. 10]

85
Romain commence ses premiers essais littéraires
après leur installation à Nice avec quelques débuts
difficiles jusqu’au moment où sa mère réussit à trouver
une certaine stabilité financière, en gérante de l’hôtel
pension Mermonts.
Il fait des études de droit à Paris, puis il suit les
classes de l’école de l’air de Salon-de Provence. En qualité
de militaire, il va à la guerre afin d’accomplir encore un
rêve de sa mère : sauver la France. Il combattra en
Angreterre et en Afrique, sera blessé et survivra
miraculeusement chaque fois, et finira la guerre avec le
grade de capitaine, étant fait aussi « Compagnon de la
Libération ». On lui proposera de devenir secrétaire
d’Ambassade de France pour ses « services
exceptionnels ». En 1945, il publiera en Angleterre son
roman Éducation européene. Pour parvenir à son but, il faut
ne pas l’abandonner. C’est la leçon que Romain a reçue de
sa mère...
Pendant plusieurs années, les lettres de sa mère
l’ont constamment encouragé et protégé. On dirait que sa
mère le suivait partout dans son périple combattant, elle
était sans repos à côté de lui avec une vaillance et une
ténacité inflexibles. « [M]a mère m’empêcha de faire une
bétise irréparable [...] » avoue Roman à un moment
donné, et cela parce qu’ « il va sans dire que ma mère s’en
est mêlée immédiatement. » [p. 154]. Il est hanté par la
façon d’agir et de penser par sa mère, indiféremment de
la situation, parce qu’en réalité, elle n’était présente que
par l’intermediaire de ses réflexions et conseils donnés à
son fils durant sa vie :

86
Ce n’est pas que je l’eusse consultée, loin de là.
J’ai même fait tout ce que j’ai pu pour la tenir dans
l’ignorance de mon petit projet, pour la chasser loin de
mon esprit. En vain : en un clin d’œil, elee fut là, à mes
côtés, la cane à la main, et elle me tint un langage
extrêmement blessant. Ce n’est pas ainsi qu’elle m’avait
élevé, ce n’est pas cela qu’elle attendait de moi. Jamais,
jamais elle ne m’allait laisser remettre les pieds à la
maison, si je commettaits une action pareille. Elle
mourrait de honte et de chagrin. [...] [p. 154]

À milliers de kilomètres de distance, Romain


jugeait ses gestes, ses décisions et le résultat de ceux-ci à
travers l’éducation acquise à côté de sa mère, à travers la
pensée de celle-ci, inoculée profondément dans sa propre
pensée. Cet effet des attentes de la mère sur le
comportement de son fils, déterminé notamment par la
transmission verbale, du temps qu’ils habitaient
ensemble, semble équivaloir, dans une large mesure, à un
projet maternel du genre : « deviens ce que je pense ! ».
Nous faisons référence, sans doute, à l’effet Pygmalion et
à son côté positif. Pendant la guerre, il arrive que Roman
fasse des réflexions aux attentes et aux désirs de sa mère à
l’égard de lui, puis il se rend compte qu’en réalité, il s’agit
de ses propres attentes et désirs. Que se soient alors les
rêves de sa mère ou des siens, ils sont les mêmes,
confondus. Voici la conclusion du fils :

Je n’ai pas démérité. J’ai tenu ma promesse et je


continue. J’ai servi la France de tout mon cœur, puisque
c’est tout ce qui me reste de ma mère [...]. J’écris aussi
des livres, j’ai fait carrière et je m’habille à Londres,

87
comme promis [...] J’ai même rebdu de grands services
à l’humanité [...] [p. 184]

De retour à Nice, Roman découvre une réalité qui


le trouble entièrement :

Ma mère était morte trois ans et demie


auparavant [...] Mais elle savait bien que je pouvais pas
tenir debout sans me sentir soutenu par elle et elle avait
pris ses précautions.
Au cours des derniers jours qui avaeint précédé
sa mort, elle avait écrit près de deux cent cinquante
lettres, qu’elle avait fait parvenir à son amie en Suisse
[...] les lettres devaient m’être expédiées régulièrement
[...]
Je continuai donc à recevoir de ma mère la
force et le courage qu’il me fallait pour persévérer, alors
qu’elle était morte depuis plus de trois ans.
Le cordon ombilical avait continué à
fonctionner. [p. 182-183]

Tout commentaire est inutile... La Promesse de


l’aube s’inscrit dans une littérature subjective,
profondément émouvante, d’abord, par la figure d’une
mère extraordinaire, confiante en elle-même et en son fils
jusqu’au bout, qui se bat dans la vie non seulement pour
survivre, mais aussi et surtout pour préparer le chemin de
la célébrité de son fils ; ensuite, par le fils lui-même, qui
fait confiance à sa mère, bien que parfois il la trouve d’un
amour possessif et d’une attitude inflexible. L’enfant et
l’adolescent souvent gêné devant l’enthousiasme exagéré
de sa mère, laisse la place à l’adulte Gary.

88
Il y a dans le livre des pages qui tiennent plutôt de
la fiction et non de l’autobiographie proprement dite.
C’est en fait un hommage à sa mère qui intéresse Romain
Gary, qui a réussi par son amour parfois exubérant d’ex-
actrice juive exilée de construire le destin de l’écrivain et
diplomate Gary : « Tu seras un héros, tu seras général…
ambassadeur de France ». Rêves devenus réalités !

89
90
Albert CAMUS
(Mondovi, Algérie, le 7 novembre 1913 – Villeblevin, le 4
janvier 1960)

Prix Nobel de Littérature en 1957.


Pseudonymes : Louis Neuville et Antoine Bailly.

Œuvre :
Romans et nouvelles :
1942 – L’Étranger ; 1947 – La Peste (Prix de la critique en
1948), ; 1956 – La Chute ; 1957 – L’Exil et le Royaume, nouvelles
(La Femme adultère, Le Renégat, Les Muets, L’Hôte, Jonas, La Pierre
qui pousse).
Essais :
1936 – Révolte dans les Asturies, essai de création
collective ; 1937 – L’Envers et l’Endroit, essai ; 1939 – Noces,
recueil de quatre essais (Noces à Tipasa, Le vent à Djémila, L’été à
Alger, Le désert) ; 1942 – Le Mythe de Sisyphe, essai sur l’absurde ;
1951 – L’Homme révolté, essai ; 1954 – L’Été, recueil de huit essais
écrits entre 1939 et 1953 (Le minotaure ou la halte d’Oran, Les
amandiers, Prométhée aux Enfers, Petit guide pour des villes sans
passé, L’exil d’Hélène, L’énigme, Retour à Tipasa, La mer au plus
près) ; 1957 – Réflexions sur la peine capitale, en collaboration avec
Arthur Koestler, Réflexions sur la Guillotine de Camus ; 1965 –
Pluies de New York, impression de voyage (en ligne)
Théâtre :
1938 – Caligula (première version en 1938), pièce en 4
actes ; 1944 – Le Malentendu, pièce en 3 actes ; 1948 – L’État de
siège, spectacle en 3 parties ; 1949 – Les Justes, pièce en 5 actes ;
Chroniques :

91
1950 – Actuelles I, Chroniques 1944-1948; 1953 – Actuelles
II, Chroniques 1948-1953 ; 1958 – Actuelles III, Chroniques
algériennes, 1939-1958
Préfaces:
1944 [rééd. 1982] – Maximes et pensées : Caractères et
anecdotes de Chamfort ; 1945 – Le Combat silencieux d’André
Salvet ; 1946 – L’Espagne libre, Dix estampes originales, Pierre-
Eugène Clairin, 1947 – Poésies posthumes de René Leynaud ;
1947 – Laissez passer mon peuple de Jacques Méry ; 1948 [rééd.
1953] – La Maison du peuple de Louis Guilloux ; 1951 – Devant la
mort, J. Héon-Canonne ; 1952 [rééd. 1973] – L’Artiste en prison,
préface à La Ballade de la geôle de Reading d’Oscar Wilde ; 1952 –
L’œuvre d’Hermann Melville ; 1955 – L’Allemagne vue par les
écrivains de la résistance française, Konrad Bieber ; Poèmes, René
Char.
Traductions :
1952 – La dernière fleur, de James Thurber.
Adaptations et / ou mises en scènes :
1944 – Animation de la lecture chez Michel Leiris de Le
Désir attrapé par la queue de Pablo Picasso ; 1953 – Les Esprits de
Pierre de Larivey, adaptation et mise en scène Albert Camus,
Festival d’Angers ; 1953 – La Dévotion de la croix de Pedro
Calderón de la Barca, mise en scène Marcel Herrand, Festival
d’Angers ; 1955 – Un cas intéressant de Dino Buzzati, mise en
scène Georges Vitaly, Théâtre La Bruyère ; 1956 – Requiem pour
une nonne de William Faulkner, adaptation et mise en scène
Albert Camus, Théâtre des Mathurins ; 1957 – Le Chevalier
d’Olmedo de Lope de Vega, adaptation et mise en scène Albert
Camus, Festival d’Angers ; 1959 – Les Possédés, roman de Fiodor
Dostoïevski, adaptation et mise en scène par Albert Camus,
Théâtre Antoine.

92
Divers :
1948 – Lettres à un ami allemand, publié sous le
pseudonyme de Louis Neuville ; 1948 – Le témoin de la liberté,
allocution ; 1954 – Désert vivant, album de Walt Disney
contenant un texte d’Albert Camus ; 1958 [rééd. 1997] –
Discours de Suède, le discours du 10 décembre 1957 prononcé à
Stockholm, et la conférence du 14 décembre 1957 « L’artiste et
son temps » prononcée à l’Université d’Upsal ; 2013 – Albert
Camus, écrits libertaires (1948-1960) rassemblés et présentés par
Lou Marin.
Parutions posthumes :
1965 [rééd. 1986, 2009] – La Postérité du soleil,
photographies de Henriette Grindat. Itinéraires par René Char ;
1962 – Carnets I, mai 1935-février 1942 ; 1964 – Carnets II, janvier
1942-mars 1951 ; 1989 – Carnets III, mars 1951-décembre 1959 ;
1978 – Journaux de voyage, texte établi, présenté et annoté par
Roger Quilliot ; Les Cahiers Albert Camus : 1971 – Tome I : La
Mort heureuse, roman ; Tome II : Paul Viallaneix, Le premier
Camus suivi de Écrits de jeunesse d’Albert Camus ; 1978 – Tome
III : Fragments d’un combat (1938-1940) ; 1989 – Tome IV :
Caligula, version de 1941, théâtre, La poétique du premier Caligula,
Albert Camus et A. James Arnold ; 1985 – Tome V : Albert
Camus, œuvre fermée, œuvre ouverte ?, actes du colloque de Cerisy,
Raymond Gay-Crosier et Jacqueline Lévi-Valensi, juin 1982 ;
1987 – Tome VI : Albert Camus éditorialiste à L’Express (mai 1955-
février 1958), Albert Camus et Paul-F. Smets ; 1994 – Tome VII :
Le Premier Homme (Gallimard, 1994 ; publié par sa fille), roman
inachevé ; 2003 – Tome VIII : Camus à Combat, éditoriaux et
articles d’Albert Camus (1944-1947), Jacqueline Lévi-Valensi,
2012 – Les Quatre Commandements du journaliste libre, manifeste
censuré en 1939, publié pour la première fois par le quotidien Le
Monde le 17 mars 2012, après avoir été retrouvé par Macha Séry
aux Archives d’Outre-mer à Aix-en-Provence ; 2006 –
L’Impromptu des philosophes (1947), pièce en un acte signée du

93
pseudonyme Antoine Bailly (publiée dans Albert Camus,
Œuvres complètes : Tome II (1944-1948).
Correspondances :
1981 – Correspondance Albert Camus, Jean Grenier,
correspondance 1932-1960 ; 2000 – Albert Camus, Pascal Pia,
correspondance, 1939-1947 ; 2003 – Albert Camus, Jean Grenier,
Louis Guilloux : écriture autobiographique et carnets, actes des
Rencontres méditerranéennes, 2001, Château de Lourmarin ;
2004 – Hamid Nacer-Khodja, Albert Camus - Jean Sénac ou le fils
rebelle ; 2007 – Correspondance Albert Camus, René Char 1949-
1959 ; 2012 – Albert Camus / Michel Vinaver, S’engager ? -
Correspondance (1946-1957).

Préliminaires

Il est déjà un lieu commun d’affirmer que l’œuvre


d’Albert Camus se situe entre deux notions : l’absurde et
la révolte. Philosophe et écrivain, Camus propose une
œuvre complexe dans laquelle il présente un humanisme
articulé autour de l’idée de la prise de conscience de
l’absurdité de la condition humaine. Il développe aussi la
révolte comme unique réponse à cette absurdité,
puisqu’elle se fonde sur l’action qui donne un sens à
l’existence et au monde.
Sans appartenir à proprement parlé au
mouvement existentialiste, plus exactement à l’obédience
existentialiste, la pensée relève toutefois de cette
philosophie sartrienne, au moins par quelques aspects.
Mais il ne formule aucun système se rapportant à
l’existentialisme. Il adopte l’athéisme et la nécessité que
chaque individu choisisse une conduite en toute
94
connaissance de cause, donc, une attitude librement
consentie basée sur la clairvoyance. Camus est pourtant
moins rigoureux que Sartre sur ce point. Ce qui le met sur
le devant de la scène par rapport à cette conduite, c’est le
sentiment de l’absurde, considéré à la fois comme
expérience et concept. Selon Camus, ce sentiment qui
mène à l’isolement, mais aussi à la solidarité et à la
révolte, ressort de la constatation que le monde n’a pas de
sens, que l’individu vit dans un univers mal jalonné, en
fait, illogique et incohérent. Tout semble être voué au pur
hasard, faute de divinité(s) ou de destin préétabli.
Puisque la conscience humaine exige l’inverse, c’est-à-
dire, l’ordre et la cohérence. Le sentiment de l’absurde
naît de la confrontation de cette conscience et les choses et
les événements chaotiques du monde. Différemment à
l’engagement de Sartre et de Simone de Beauvoir, appuyé
sur le choix d’une conduite hors de la mauvaise fois,
Camus propose une voie plutôt morale : la lucidité dans
l’action humaine.
Accidentel dans une certaine mesure, le
mouvement existentialiste a été une tentative de fonder
une direction littéraire sur un présupposé philosophique
(Edmund Husserl, Martin Heidegger, Léon Chestov, Karl
Jaspers, Søren Kierkegaard), qui suppose que l’individu –
le personnage littéraire –, à partir de sa liberté totale, se
crée un destin afin de l’aider à dépasser l’inexistence
fondamentale de repères moraux et sociaux.
Les écrivains existentialistes ont été engagés du
point de vue politique. À part l’activité littéraire et les
réflexions philosophiques, Albert Camus a aussi eu une
préoccupation de journaliste militant engagé dans la

95
Résistance française et il a été proche des courants
libertaires dans les débats moraux de la France de l’après-
guerre. Pendant deux ans, il a adhéré au Parti
communiste français, mais, en refusant toute
compromission, en témoin de son époque (voir la
question de l’indépendance de l’Algérie, de même que sa
critique du totalitarisme soviétique), Camus va rompre
avec son ami Sartre et avec d’autres intellectuels.

L’Envers et l’Endroit (Alger, 1937)

Il s’agit du premier livre de Camus, publié à Alger


par Edmond Charlot, composé d’une préface et de cinq
essais : L’ironie, Entre oui et non, La mort dans l’âme, Amour
de vivre, L’Envers et l’Endroit – une suite de textes dont
l’auteur disait qu’elle représente la source de toute sa
création ultérieure et – dirions-nous – pour cause. Voici
un petit embryon de la pensée camusienne qui est présent
en tant que morale au premier essai, L’ironie :

La belle vérité. Une femme qu’on abandonne


pour aller au cinéma, un vieil homme qu’on n’écoute
plus, une mort qui ne rachète rien et puis, de l’autre
côté, toute la lumière du monde. [...] Il s’agit de trois
destins semblables et pourtant différents. La mort pour
tous, mais à chacun sa mort. Après tout, le soleil nous
chauffe quand même les os. [1958 : 54-55].

Les textes ont un caractère autobiographique, car


les événements se passent d’abord dans un quartier

96
algérois de Belcourt, puis pendant des voyages entrepris
par l’écrivain aux Baléares et dans plusieurs villes
d’Europe (Prague, Venise).
L’essai qui retient notre attention, vu le thème de
l’enfance, est, avec prépondérance, Entre oui et non :

Je pense à un enfant qui vécut dans un quartier


pauvre. Ce quartier, cette maison ! [...] Son corps est
imprégné de cette maison. Ses jambes conservent en
elles la mesure de la hauteur des marches. Sa main,
l’horreur instinctive, jamais vaincue, de la rampe de
l’escalier. Et c’était à cause des cafards. [p. 62]

Âgé de vingt-deux ans, le narrateur se souvient


l’enfant qu’il était et sa famille qui habitait un humble
quartier, dans une maison minable. Deux enfants, dont le
narrateur était le cadet, leur mère et la grand-mère, la
dernière, terrible, tyrannique, faisant l’éducation à ses
petits-fils « avec une cravache » [p. 65], en l’absence de la
mère qui faisait « des ménages » [Ibid.], mais qui, même
présente était fort silencieuse, gardant un air assez
mystérieux et apparemment insensible :

La mère de l’enfant [...] était infirme, pensait


difficilement. Elle avait une mère rude et dominatrice
qui sacrifiait tout à un amour-propre de bête
susceptible et qui avait longtemps dominé l’esprit faible
de sa fille. Émancipée par le mariage, celle-ci est
docilement revenue, son mari mort. Il était mort au
champ d’honneur, comme on dit. En bonne place, on
peut voir, dans un cadre doré la croix de guerre et la
médaille militaire. L’hôpital a encore envoyé à la veuve

97
un petit éclat d’obus retrouvé dans les chairs. La veuve
l’a gardé. [p. 64]

En se souvenant de sa mère, le narrateur


s’interroge : « Il a pitié de sa mère, est-ce l’aimer ? » [p.
65]. C’est une question légitime, vu qu’ « [e]lle ne l’a
jamais caressé puisqu’elle ne saurait pas. » [Ibid.] La
réflexion qui s’en suit au souvenir de sa mère, préfigure le
personnage Meursault et son attitude : « À se sentir
étranger, il prend conscience de sa peine. [p. 66].
En fait, Meursault habite un quartier pareil dans
L’Étranger. De plus, dans Entre oui et non, le narrateur
s’arrête dans un café où il y a un Arabe qu’il observe à
maintes reprises.
L’attitude de Meursault pourrait probablement
être expliquée à partir de cet essai de jeunesse où le
personnage-narrateur fait le portrait de sa mère et surtout
de « l’indifference de cette mère étrange ! » [p. 67] :

[C]haque fois qu’il m’a semblé éprouver le sens


profond du monde, c’est sa simplicité qui m’a toujours
bouleversé. Ma mère, ce soir, et son étrange
indifférence. [p. 71]

Le texte finit sous forme de sentence et justifie


avant la lettre la fin du roman dont Meursault sera
protagoniste :

Oui, tout est simple. Ce sont les hommes qui


compliquent les choses. Qu’on ne nous raconte pas
d’histoires. Qu’on ne nous dise pas du condamné à
mort : « Il va payer sa dette à la société » mais « On va

98
lui couper le cou ». Ça n’a l’air de rien. Mais ça fait une
petite différence. Et puis, il y a des gens qui préfèrent
regarder leur destin dans les yeux. [p. 76-77]

Le recueil, c’est un retour au bercail, dans l’Algérie


natale, et tourne autour de quelques souvenirs de
l’enfance d’Albert Camus et de plusieurs thèmes : famille,
vieillesse, mort (et peur de la mort), solitude, indifférence.
Cependant, le livre fait référence au thème du soleil et de
la vie, selon la conclusion dans L’envers et l’endroit :

La vie est courte et c’est péché de perdre son


temps. Je suis actif, dit-on. Mais être actif, c’est encore
pendre son temps, dans la mesure où l’on se perd. [p.
123]

Écrits de jeunesse, L’endroit et l’envers annonce déjà


la profondeur de la pensée camusienne par rapport à des
choses à la fois simples et graves, telles que la vie et la
mort.

Le premier homme (Gallimard, 1994)

Dans L’envers et l’endroit, il n’y a pas beaucoup de


références au père du personnage-narrateur. Il est mort
comme un héros sur le champ de bataille pendant la
première guerre mondiale. Du reste, il a fallu attendre la
parution du dernier livre auquel Camus travaillait avant
de mourir accidentellement dans la voiture, avec son ami
et éditeur Michel Gallimard, livre qui a été publié

99
posthumement, inachevé, par sa fille, Catherine Camus.
C’est la recherche d’un père en double sens : le père de
Camus à travers le père Camus...
Le premier homme, roman composé de deux parties
– Recherche du père et Le fils ou le premier homme – suit dans
toute la première séquence justement l’essai de découvrir
et de connaître mieux l’identité et la personnalité du père
disparu lorsque le protagoniste était tout petit.
Le lecteur trouve ainsi les traces de pied-noir de
Camus, dans son Algérie natale, par le biais du
protagoniste Jacques Cormery. Âgé d’une quarantaine
d’années, ce dernier remonte son passé jusqu’à son
enfance, et l’on peut penser à un parallèle entre Camus et
Cormery, même si le décor du livre est fictif. D’ailleurs,
Cormery n’est pas un nom choisi au hasard, mais c’est le
nom de jeune fille de la grand-mère paternelle de
l’écrivain. Jacques, c’est une sorte d’alter ego de Camus
lui-même.
Selon Joseph Jurt, « [c]e roman est ainsi devenu le
testament de Camus, son ouvrage le plus
autobiographique parce qu’il y conjure son enfance et sa
jeunesse. » [Jurt, Le mythe d’Adam. Le premier homme
d’Albert Camusi, v. web, p. 2]. Dans la première édition du
roman Le premier homme [1994], il y a des détails qui
renvoient à l’autobiographie, par exemple, la notation
« Vve Camus » [p. 189] au lieu du nom de Catherine
Cormery.
Même si, du point de vue formel, un « pacte
autobiographique » n’a pas été respecté, la narration étant
à la troisième personne, on ne peut pourtant s’empêcher
de réflechir qu’en réalité c’est un « je » masqué, puisqu’un

100
substrat autobiographique existe et il est souligné par
l’écrivain lui-même, dans les éléments déjà mentionnés,
ou bien, parce que le projet de trilogie qu’est Le premier
homme représente, selon Camus, « une éducation ».
Ce plan biographique réel s’associe à la dimension
mythique, en premier, au mythe du retour : à la mère, à
son origine, à la recherche d’un père, à l’enfance.
Nombreux détails convergent à l’idée que Le premier
homme renoue avec le volume L’envers et l’endroit, qui
réunit, comme nous avons déjà remarqué, des textes à
forte influence autobiographique. La figure autoritaire de
la grand-mère apparaît de nouveau :

Jacques n’aimait pas faire la sieste. « À


benidor », pensait-il avec rancune et c’était l’expression
bizarre de sa grand-mère lorsqu’il était enfant à Alger
et qu’elle l’obligeait à l’accompagner dans sa sieste. [...]
ses protstations n’y faisaient rien. La grad-mère, qui
avait élevé neuf enfants dans le bled, avait ses idées sur
l’éducation. L’enfant était poussé d’un seul coup dans
la chambre. [...] Il ôtait ses sandales et se hissait sur le
lit. Il devait prendre la place du fond contre le mur
depuis le jour où il s’était laissé glisser à terre pendant
le sommeil de la grand-mère pour aller reprendre sa
ronde autour de la table en murmurant s alitanie. [...]
« Allez, répétait-elle. À benidor. », et elle s’endormait
très vite, pendant que l’enfant, les yeux ouverts, suivait
les va-et-vient des mouches infatigables.
Oui, il va détester ça pendant des années, et
plus tard encore, devenu homme [...] [p. 41-43]

101
Voici donc qu’un autre adulte reste marqué par le
moment où il devait se coucher pendant son enfance. À
part Proust que nous avons déjà commenté et Bruckner
qui le sera un peu plus loin, Camus y raconte son
désagrément lié à la scène du coucher, dans son cas, à la
sieste en particulier. Cependant, la rigueur de l’éducation
reçue de par la grand-mère s’avère plus dure encore :

[...] droite dans sa robe noire, la bouche ferme,


les yeux clairs et sévères, la grand-mère, dont il ne
voyait que le dos, coupait sa fille. « D’où viens-tu ?
disait-elle. – Pierre m’a montré le devoir de calcul. » La
grand-mère se levait et s’approchait de lui. Elle reniflait
ses cheveux, puis lui passait la main sur les chevilles
encore pleines de sable. « Tu viens de la plage. » « Alors
tié menteur », articulait l’oncle. Mais la grand-mère
passait derrière lui, prenait derrière la porte de la salle
la cravache grossière, dite nerf de bœuf, qui y pendait
et lui cinglait les jambes et les fesses de trois ou quatre
coups qui le brûlaient à hurler. [...] Et sa mère, après un
rapide regard à la grand-mère, tournait vers lui le
visage qu’il aimait tant : « Mange ta soupe, disait-elle.
C’est fini. C’est fini. » [p. 56]

tandis que la mère est toujours plutôt silencieuse. Cette


fois, la figure centrale du livre n’est plus la mère, comme
dans L’envers et l’endroit, mais le père. La recherche de
celui-ci parcourt plusieurs étapes. La première coïncide
avec la naissance de Jacques, lorsque son père vivait
encore (épisode créé sans doute, parce qu’il ne pouvait
pas être rendu de la mémoire) ; puis, Jacques va voir la
tombe de son père, il ira rencontrer sa mère en Algérie, il

102
essaiera de découvrir ses ancêtres, de plus en plus loin,
donc... En fait, ce sera un voyage initiatique en quelque
sorte, un chemin parcouru en divers moyens de
transport : la carriole de ses parents au début, le train vers
Saint-Brieuc, le bateau vers Alger, l’avion vers Mondovi –
l’ultime destination pour retrouver son origine.
Par rapport au thème du voyage, il faut préciser
qu’Albert Camus a voulu nommer la première partie du
livre justement Les Nomades, puisque la recherche du père
constitue un mouvement continuel du protagoniste. Il ne
trouvera pas finalement son origine parce que les traces
de son père à Mondovi se perdent dans celles de ces
ancêtres émigrés qui sont considérés par l’écrivain comme
des exilés, des victimes de l’histoire après 1871 :

Des foules entières étaient venues ici depuis


plus d’un siècle, avaient labouré, creusé des sillons [...]
et ils avaient procéé puis disparu. Et ainsi leurs fils. Et
les fils et les petits-fils de ceux-ci s’étainet trouvés sur
cette terre comme lui-même s’y était trouvé, sans passé,
sans morale, sans leçon, sans religion mais heureux de
l’être et de l’être dans la lumière, angoissés devant la
nuit et la mort. Toutes ces générations, tous ces
hommes venus de tant de pays différents, sous ce ciel
admirable où montait déjà l’annonce du crépuscule,
avaient disparu sans laisser de traces, refermés sur eux-
mêmes. [p. 178-179]

Le côté mythique prédomine la seconde partie


sous un autre jour : le « premier homme » renvoie à
Adam (vu la nostalgie de l’enfance considéré comme un
univers édénique) ; « le premier homme », c’est aussi, à la

103
fois, le père recherché et le fils lui-même qui devait se
construire un chemin sur cette « terre de l’oubli » [p. 179]
où chacun semble être le « premier homme ». Sinon, « le
premier homme » (personnage du manuscrit trouvé sur la
banquette arrière de la voiture accidentée de l’écrivain)
est plutôt « le dernier Camus », comme l’affirme Marc-
Henri Arfeux (4e de couverture, édition Gallimard 2000).

104
Jean-Paul SARTRE
(Paris, le 21 juin 1905 – Paris, le 15 avril 1980)

Nom complet : Jean-Paul-Charles-Aymard Sartre.


Prix Nobel de Littérature en 1964 que Sartre a
refusé en considérant qu’« aucun homme ne mérite d’être
consacré de son vivant ». Il a toujours réfusé la Légion
d’honneur et une chaire au Collège de France.
Docteur honoris causa de l’Université de Jérusalem
en 1976.

Œuvres :
Romans et nouvelles
1938 – La Nausée ; 1939 – Le Mur; 1945 – Les Chemins de
la liberté (L'Âge de raison, Le Sursis, La Mort dans l'âme).
Théâtre
1940 – Bariona, ou le Fils du tonnerre ; 1943 – Les
Mouches ; 1944 – Huis clos ; 1946 – La Putain respectueuse ; 1946 –
Morts sans sépulture ; 1948 – Les Mains sales ; 1951 – Le Diable et
le Bon Dieu ; 1954 – Kean ; 1955 – Nekrassov ; 1959 – Les
Séquestrés d'Altona ; 1965 – Les Troyennes ; 1969 – L'Engrenage.
Autobiographie, mémoires, entretiens et
correspondance
1964 – Les Mots ; 1983-1995 – Carnets de la drôle de guerre
- Septembre 1939-mars 1940 ; 1983 – Lettres au Castor et à quelques
autres, tome I et II ; 1980 – L'Espoir maintenant, les entretiens de
1980 (avec Benny Lévy).
Essais
1947 – Situations I ; 1948 – Situations II ; 1949 – Situations
III ; 1964 – Situations IV ; Situations V ; Situations VI ; 1965 –
Situations VII ; 1972 – Situations VIII ; Situations IX ; 1976 –
Situations X.
105
Essais politiques
1946 – Réflexions sur la question juive ; 1949 – Entretiens
sur la politique ; 1953 – L'Affaire Henri Martin ; 1974 – On a raison
de se révolter avec Pierre Victor et Philippe Gavi ; 1972 –
Plaidoyer pour les intellectuels.
Critique littéraire
1944 – La République du Silence ; 1946 – Baudelaire ; 1948
– Qu'est-ce que la littérature ?; 1952 – Saint Genet, comédien et
martyr ; 1971-1972 – L'Idiot de la famille (1971-1972) ; 1973 – Un
théâtre de situations ; Critiques littéraires ; 1986 – Mallarmé, la
lucidité et sa face d'ombre.
Philosophie
1936 – L'Imagination ; La Transcendance de l'Ego ; 1938 –
Esquisse d'une théorie des émotions ; 1940 – L'Imaginaire ; 1943 –
L'Être et le Néant, essai d'ontologie phénoménologique ; 1945 –
L'existentialisme est un humanisme ; 1957 – Questions de méthode;
1960 – Critique de la raison dialectique I : Théorie des ensembles
pratiques ; 1983 – Cahiers pour une morale ; 1985 – Critique de la
raison dialectique II : L'intelligibilité de l'histoire ; 1989 – Vérité et
Existence.
Scénarii
1947 – Les jeux sont faits; 1948 – L'Engrenage ; 1984 – Le
Scénario Freud ; 1943 Typhus (écrit durant l'occupation et édité
en 2007).
Adaptations au cinéma
1947 – Les jeux sont faits, de Jean Delannoy ; 1953 – Les
Orgueilleux, d'Yves Allégret ; 1962 – Freud, passions secrètes
(Freud, the Secret Passion), de John Huston (Sartre a toutefois
exigé que son nom ne figure pas au générique du film) ; 1962 –
Les Séquestrés d'Altona (I Sequestrati di Altona), de Vittorio De
Sica

106
Chanson
Dans la rue des Blancs-Manteaux avec la musique de
Joseph Kosma dont l'interprétation la plus célèbre est celle de
Juliette Gréco.

Préliminaires

Personnalité notable qui a beaucoup marqué la vie


intellectuelle et politique de la France au XXe siècle,
philosophe et homme de lettres existentialiste, fondateur
et directeur de la revue Les temps modernes, Jean-Paul
Sartre vaut sa renommée autant à ses textes
philosophiques et littéraires qu’à ses engagements
politiques en liaison avec le Parti communiste et les
mouvements de gauche.
La doctrine sur laquelle se fonde la pensée
sartrienne est conçue et formulée par Martin Heidegger
dans L’Être et le Temps (1927), que Sartre prend pour
modèle et la développe dans des textes majeurs comme
L’Être et le Néant, L’existentialisme est un humanisme, puis il
la popularise dans des textes littéraires (le roman La
nausée), ou bien dans des pièces de théâtre qui ont surpris
le mieux la concrétisation de ses idées (Les Mouches, Huis
clos) parce que l’existentialisme trouve son expression la
plus directe sur la scène, devant un public plus nombreux
et hétéroclite que le récepteur de philosophie.
Cette philosophie de l’être et de l’existence s’oppose
aux philosophies traditionnelles parce qu’elle rejette l’idée
d’un Dieu créateur comme source de l’existence. La
phrase-pivote en est « L’existence précède l’essence »,

107
énoncé athéiste par excellence, vu que l’essence se
rapporte à la divinité ou bien à des archétypes qui
engendrent des reproductions, et l’existence renvoie à la
naissance d’un événement unique, irréductible qui n’a
aucun sens en soi et ne peut se référer à rien. Les deux
conséquences principales de cette pensée sont le
sentiment d’isolement (parce que chaque individu est
unique et inassimilable) et d’incommunicabilité (source
du mal de vivre) et l’angoisse qui vient de la perception
du vide qui nous entoure et c’est une sorte de vertige
moral qui va jusqu’à la nausée – produite par l’existence
dans un monde sans repères.
Sartre présente l’être humain et sa condition dans
une authenticité idéale. En fait, à part l’authenticité, parmi
les termes-clés de la philosophie sartrienne, on peut
mentionner : Autrui, liberté, engagement, mauvaise fois,
situation.
Selon Sartre, l’homme est « condamné à être
libre », parce qu’il ne se rapporte à aucune entité (être
humain ou divinité), mais cette liberté est une charge,
c’est-à-dire un engagement de l’individu, un choix qu’il
doit faire, en toute sincérité, hors de la mauvaise fois et de
toute influence extérieure. S’engager, c’est se choisir une
conduite et c’est une conséquence et une nécessité de la
liberté humaine.
Exister signifie être en situation, c’est-à-dire,
condamné à faire un choix ; voilà pourquoi les
personnages surtout du théâtre de Sartre se trouvent dans
des situations limites auxquelles mène l’engagement de
leur vie.

108
La relation à l’autre occupe une place capitale chez
Sartre. L’autre est vu comme une sorte de limitation de la
liberté de l’individu, une sorte de menace, parce que
l’autre tend à me regarder objectivement, c’est-à-dire,
comme un objet, un « en soi ». La réciproque est valable :
l’autrui est pour moi un objet, d’où l’incommunicabilité
entre moi et autrui, de même qu’entre les deux
consciences qui arrivent à s’exclurent : « L’enfer, c’est les
autres », conclut un personnage de la pièce sartrienne
Huis clos qui est, en fait, un porte-parole de l’écrivain.

Les mots (Paris, Gallimard, 1964)

Façonné plus que d’autres textes, Les mots est


considéré comme une réussite dans la carrière de J.-P.
Sartre, parue juste l’année où l’auteur refuse le Prix
Nobel.
Livre autobiographique, Les mots a d’abord été
publié dans la revue Les temps modernes (nos 209-210, 1963).
Il est composé de deux parties approximativement égales
concernant la dimension : Lire et Écrire. Il couvre l’enfance
de l’auteur entre 4 et 11 ans. Avant la parution, Sartre
avait pensé au titre Jean sans terre – que Jean-Bertrand
Pontalis recommande de lire plutôt Jean sans père puisque
Sartre n’a pas connu son père, mort de fièvre jaune quand
son fils avait un peu plus d’un an. « Mais – comme
l’avoue le narrateur – de cet homme-là, personne, dans
ma famille n’a su me rendre curieux. » [p. 16] On peut
comprendre que son père ne lui a pas manqué, voire plus
que cela, il arrive à des constatations qui expliquent en

109
quelque sorte même le fait que Sartre lui-même n’a pas eu
d’enfants :

Il n’y a pas de bon père, c’est la règle ; qu’on


n’en tient pas grief aux hommes mais au lien de
paternité qui est pourri. Faire des enfants, rien de
mieux ; en avoir, quelle iniquité ! Eût-il vécu, mon père
se fût couché sur moi de tout son long et m’eût écrasé.
Par chance il est mort en bas âge [...] [p. 15]

À son tour, Philippe Lejeune considère que le livre


doit être partagé plutôt en cinq actes, puisque
l’organisation de l’auteur ne fait pas découvrir une
progression thématique. Il propose, donc : I. la
« préhistoire » de l’enfant, plus précisément, les origines
de sa famille ; II. le monde imaginaire que Sartre s’est créé
et les comédies jouées devant ses parents (« j’étais un
imposteur. » – confie-t-il [p. 70]) ; III. la prise de
conscience de ses mystifications, sa peur de la mort et sa
laideur ; IV. la nouvelle imposture de Sartre qui s’érige en
écrivain ; V. la folie de Sartre, qui est vue comme la source
de son dynamisme et le projet d’écrire un deuxième livre
qui ne sera jamais réalisé.
Enfant choyé, bien qu’il fût orphelin de père,
Sartre vit dans la famille de sa mère, prénommée Anne-
Marie, à coté d’elle et de ses grands-parents, Louise et
Charles Schweitzer (« Karlémami » [p. 29], résultat de
Karl, le prénom alsacien du grand-père et Mamie, pour
appeler la grand-maman]. Ce dernier, d’origine
alsacienne et professeur d’allemand, a eu une forte
influence sur son petit-fils. « [U]n enfant gâté n’est pas

110
triste ; il s’ennuie comme un roi. Comme un chien. » [p.
79] – c’est l’opinion de l’adulte Sartre, et cela, peut-être,
parce que « L’enfance bourgeoise vit dans l’éternité de
l’instant, c’est-à-dire dans l’inaction. » [p. 79]
Sartre semble avoir été « programmé » pendant
son enfance bourgeoise pour « les mots », c’est-à-dire
pour le domaine littéraire : « Seul au milieu des adultes,
j’étais un adulte en miniature, et j’avais des lectures
adultes » [p. 58]
Le texte des Mots peut être envisagé comme une
sorte de règlement de comptes avec l’enfant-bouffon
« produit » par sa famille. La confession montre le « rôle »
détenu par l’enfant dans des « comédies des adultes » en
premier pour sa mère, privée des droits (« la jeune veuve
redevînt mineure : une vierge avec tache » [p. 14]), et son
autoritaire grand-père maternel :

Louise m’avait percé à jour. Elle blâmait


ouvertement en moi le cabotinage qu’elle n’osait
reprocher à son mari : j’étais un polichinelle, un
pasquin, un grimacier, elle m’ordonnait de cesser mes
« simagrées ». [p. 28]

À part cette appartenance au genre


autobiographique, le livre Les mots a été aussi considéré
comme un livre de moraliste, ou bien, un pamphlet, un
essai, une critique philosophique, une chronique de son
époque. Sauf sa famille et son (auto)portrait d’enfant,
Sartre y réalise des portraits mémorables de certains
intellectuels comme Paul Nizan et Maurice Merleau-
Ponty.

111
En fait, Sartre explique dans ce livre, à travers des
souvenirs d’enfance, comment et pourquoi devenir
écrivain.

C’est dans les livres que j’ai rencontré


l’univers : assimilé, classé, étiquetté, pensé, redoutable
encore ; et j’ai confondu le désordre de mes expériences
livresques avec le cours hasardeux des événements
réels. [p. 43]

Enfant solitaire et rêveur, ne pouvant pas


s’intégrer au monde réel, car « un gringalet qui
n’intéressait personne » [p. 114], le petit Jean-Paul trouve
un refuge idéal dans les livres.

Sur les terrasses du Luxembourg, des enfants


jouaient, je m’approchais d’eux, ils me frôlaient sans me
voir, je les regardais avec des yeux de pauvre : comme
ils étaient fort et rapides ! Comme ils étaient beaux !
Devant ces héros de chair t d’os, je perdais mon
intelligence prodigieuse, mon savoir universel, ma
musculature athlétique, mon adresse spadassine ; je
m’accotais à un arbre, j’attendais. Sur un mot du chef
de la bande, brutalement jeté : « Avance, Pardaillan,
c’est toi qui feras le prisonnier », j’aurais abandonné
mes privilèges. Même un rôle muet m’eût comblé ;
j’aurais accepté dans l’enthousiasme de faire un blessé
sur une civière, un mort. L’occasion ne m’en fut pas
donnée : j’avais rencontré mes vrais juges, mes
contemporains, mes pairs, et leur indifférence me
condamnait. [p. 114-115]

112
L’extrait ci-dessus repose sur le regard de l’adulte
Sartre sur l’enfant qu’il était, et, encore plus, sur le
rapport entre ce dernier et les autres. Il ne joue aucun
« rôle » aux yeux des enfants, il ne peut pas faire partie de
leur bande, de leurs jeux. De tels échecs successifs mènent
le gaçon Sartre à vivre son néant : le rôle du « mort » lui
semble réservé, car il n’est rien par rapport à ses
semblables. Malheureux, de sa position de spectateur, le
garçon voit en les autres des traits qu’ils n’ont pas en
réalité : ils hyperbolise leurs qualités et les voit comme
étant des héros – ce qui n’est pas vrai.
La mère, « grande et belle » [Ibid.], donc, en
opposition avec le gaçon (mais avec l’excuse de
l’hérédité : les Schweitzer sont grands tandis que les
Sartre sont petits), essaie de s’impliquer par tous moyens
pour l’aider : elle veut parler aux autres mamans pour
intervenir dans le jeu des enfants, ou bien elle feint
l’impatience et veut quitter le jardin public où jouent les
enfants pour ne pas laisser son garçon se sentir « un
nain » par rapports aux autres garçons, c’est-à-dire de se
considérer comme un exclu. Or, cette exclusion est vécue
par son fils comme une condamnation. C’est pourquoi,
même s’il avoue quelque part : « j’aimais mon mal. » [p.
65], il trouve la façon de fuir cette réalité et s’isole, se
refugie dans les fictions et, par malheur, dans
l’imposture : il laisse voir seule l’image de lui que veulent
les parents : « Je ne connais rien de plus amusant que de
jouer à être sage. » [p. 21]
C’est un souvenir d’enfance inoubliable parce que
c’est alors que Sartre découvre sa différence. Il ne réussit
pas à avoir des liens avec ses semblables, mais il ne

113
parvient à tisser un lien confortable avec sa mère non
plus, qui le fait se sentir écrasé.
Le récit de cet épisode est fait par un certain recul,
par un Sartre adulte et il faut y remarquer le côté plutôt
ironique d’un regard rétrospectif et jamais un essai
désespéré d’attirer la compassion sur le sort du garçon
qui n’entretenait que des relations inexistentes ou bien
étouffantes avec les autres. L’écrivain Sartre regarde avec
esprit critique son enfance et il démystifie la tendresse
dont d’autres écrivains décrivent l’enfance, en arrivant à
une affirmation curieuse : « Ma vérité, mon caractère et
mon nom étaient aux mains des adultes ; j’avais appris à
me voir par leurs yeux ; j’étais un enfant, ce monstre
qu’ils fabriquaient avec leurs regrets. » [p. 70]
Par la présentation des difficultés du rapport à
l’autrui, mais aussi de la découverte de soi par
l’intermédiaire des autres, la pensée existentialiste
sartrienne s’y trouve sous une forme latente.
« J’ai commncé ma vie comme je la finirai sans
doute : au milieu des livres. » [p. 33] déclare le narrateur à
un moment donné. L’apprentissage de la lecture va être
continué par celui de l’écriture – autre événement
fondamental qui marque la vie solitaire de « Poulou »,
comme l’enfant Sartre était surnommé.
Si Le mots représente une réponse possible à la
question comment devenir écrivain, il est plus passionant
de voir pourquoi devenir écrivain, en d’autres termes,
que peut la littérature. Jean-Paul est encouragé à écrire
par son grand-père, mais il succombe à nouveau à la
tentation de l’imposture, cette fois-ci, du plagiat. Le
grand-père essaie alors de l’éloigner d’un éventuel métier

114
d’écrivain et décide que « Poulou » devienne enseignant
de lettres. Curieusement, l’attitude du grand-père
donnera le résultat inverse, car, au dire de Sartre lui-
même, en l’éloignant de la littérature, il l’a, en fait, y
introduit. C’est pourquoi, il a pu proposer Les mots : « Je
ne cesse de me créer ; je suis le donateur et la donation. »
[p. 26]

115
116
Simone de BEAUVOIR
(Paris, le 8 janvier 1908 – Paris, le 14 avril 1986)

Nom complet : Simone-Lucie-Ernestine-Marie


Bertrand de Beauvoir.
Surnommée Castor par Sartre, nom repris de
Herbaud – René Maheu, à partir de l’explication que
« Beauvoir » est proche de l'anglais beaver qui signifie
castor. Elle en accepte le surnom et , dans son livre
Mémoires d’une jeune fille rangée, ajoute : « Les Castors vont
en bande et ils ont l'esprit constructeur »
Prix Goncourt pour Les Mandarins en 1954.

Œuvres principales
Romans
1943 – L'Invitée ; 1945 – Le Sang des autres ; 1946 – Tous
les hommes sont mortels ; 1954 – Les Mandarins ; 1966 – Les Belles
Images ; 1967 – La Femme rompue ; 1979 – Quand prime le spirituel.
Essais
1944 – Pyrrhus et Cinéas ; 1947 – Pour une morale de
l'ambiguïté ; 1949 – Le Deuxième Sexe ; 1955 – Privilèges ; 1957 – La
Longue Marche ; 1970 – La Vieillesse ; 1972 – Faut-il brûler Sade?
(reprise de Privilèges).
Théâtre
1945 – Les Bouches inutiles.
Récits autobiographiques
1958 – Mémoires d'une jeune fille rangée ; 1960 – La Force
de l'âge ; 1963 – La Force des choses ; 1964 – Une mort très douce ;
1972 – Tout compte fait ; 1981 – La Cérémonie des adieux suivi
de Entretiens avec Jean-Paul Sartre : août – septembre 1974.

117
Autres publications
1948 – L'Amérique au jour le jour, récit ; 1962 – Djamila
Boupacha en collaboration avec Gisèle Halimi et des
témoignages de Henri Alleg, Mme Maurice Audin, Général de
Bollardière, R.P. Chenu, DrJean Dalsace, J. Fonlupt-
Esperaber, Françoise Mallet-Joris, Daniel Mayer, André
Philip, J.F. Revel, Jules Roy, Françoise Sagan, un portrait
original de Picasso et un hommage des
peintres Lapoujade et Matta.
Œuvres posthumes
Sylvie Le Bon de Beauvoir, fille adoptive de Simone de
Beauvoir et héritière de son œuvre, a traduit, annoté et publié
posthumement plusieurs textes de l’écrivaine, en particulier sa
correspondance avec Sartre, Bost et Algren :
1990 – Lettres à Sartre, tome I : 1930-1939 ; Lettres à Sartre,
tome II : 1940-1963 ; Journal de guerre, septembre 1939 – janvier
1941 ; 1997 – Lettres à Nelson Algren, traduction de l'anglais par
Sylvie Le Bon ; 2004 – Correspondance croisée avec Jacques-Laurent
Bost ; 2008 – Cahiers de jeunesse, 1926-1930 ; 2013, Malentendu à
Moscou (nouvelle).

Préliminaires

Lorsqu’on parle de Simone de Beauvoir, on place


déjà machinalement le nom de Jean-Paul Sartre à côté,
puisqu’elle a partagé la vie de celui-ci et a proposé une
philosophie proche de la pensée sartrienne, bien que les
deux ne peuvent pas se confondre.
Jeune adolescente douée, admise à l’agrégation de
philosophie la deuxième, après Sartre qui fut le premier
(après avoir échoué un an auparavant), enseignante de
philosophie, suspendue après plusieurs années à cause de

118
son attitude dirigée vers les jeunes filles, car bisexuelle,
Simone de Beauvoir arrive à une consécration dans le
monde intellectuel de son époque par ses œuvres mais
aussi par son engagement pour le communisme,
l’athéisme et l’existentialisme.
Co-fondatrice de la revue Les temps modernes, avec
J.-P. Sartre, Raymond Aron, Michel Leiris, Maurice
Merleau-Ponty, Boris Vian et d’autres intellectuels de
gauche, Simone de Beauvoir s’accorde au but de ceux-ci
de faire connaître l’existentialisme, mais elle garde tout de
même des traits particuliers pour son œuvre. Elle voyage
beaucoup et fait la connaissance d’autres intellectuels
communistes tels Fidel Castro, Che Guevara ou Mao
Zedong.
Participante au mouvement de libération des
femmes des années 1970, Simone de Beauvoir est
considérée comme une théoricienne de référence du
féminisme. « On ne naît pas femme, on le devient. »
déclare l’écrivaine dans Le deuxième sexe [Beauvoir, 1949 :
13] Elle a excercé une grande influence, à côté de Gisèle
Halimi pour obtenir la reconnaissance des tortures
infligées aux femmes lors de la Guerre d'Algérie et le
droit à l'interruption de la grossesse, rédigeant « le
Manifeste des 343 », publié dans Le Nouvel Observateur en
1971.
L’essai d’environ mille pages Le deuxième sexe fut
vendu en plus de 22.000 exemplaires en une semaine et en
plus d’un million d’exemplaires finalement. Il a été
traduit en plusieurs langues, mais il vaut à l’écrivaine des
échos contradictoires, il produit un vrai scandale, par
exemple, le Vatican le met à l’index et François Mauriac

119
écrit à un ami de la revue Les temps modernes « à présent, je
sais tout sur le vagin de votre patronne ». Simone de
Beauvoir est victime de menaces de mort et injuriée dans
les médias. Cependant, Le deuxième sexe devient le livre de
chevet des défenseuses du féminisme, leur Bible. Simone
de Beauvoir y décrit la société de ses jours qui maintenait
la femme dans une situation inférieure et analyse
minutieusement la condition féminine à partir de
l’anatomie, les mythes, les religions, etc. Le livre aura une
réception partiellement indignée puisque’elle aborde le
sujet de la maternité et surtout de l’avortement (au début
des années 70, l’interruption de grossesse était conçue
comme un homicide) et du mariage considéré comme
quelque chose de bourgeois et de répugnant à cause
d’une soumission inconditionnée de la femme à son mari
(sur ce point, l’écrivaine fait même un parallèle entre
l’institution du mariage et la prostitution, vu que, dans les
deux cas, la femme ne peut pas échapper à la domination
de l’homme). En fait, les débats proposés par Simone de
Beauvoir sont complexes et sont centrés avec
prépondérence sur l’oppression masculine sur les
femmes, les harcèlements, l’inégalité et les
discriminations de toutes sortes concernant la femme, les
violences physiques et morales, l’ignorance à laquelle la
femme est forcée. Ce qui est important, c’est que
l’écrivaine n’accuse pas les hommes de tout cela, mais
invite les femmes à prendre leur destin dans leurs propres
mains et à lutter pour leurs droits.
En 2008, on a créé en l’honneur de l’écrivaine
Le Prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes.

120
Son œuvre littéraire porte la marque de son vécu,
non seulement les récits autobiographiques, mais aussi
nombre de ses romans, inspirés de ses expériences
personnelles. Dans L’invitée, son premier roman publié
chez Gallimard, il s’agit des hauts et des bas d’un ménage
à tois : Simone de Beaovoir, Sartre et Olga Kosakiewitcz –
ancienne élève de l’écrivaine, présentés comme des
personnages fictifs qui servent à l’expression de la
réflexion philosophique de Beauvoir par rapport à la lutte
entre les consciences et la réciprocité et ses possibles. De
même, le roman Les Mandarins qui a reçu le Prix Goncourt
en 1964, qui décrit les milieux intellectuels d’après la
guerre et pendant la guerre froide, puise son sujet,
toujours à travers des personnages imaginaires, dans un
amour impossible : la relation amoureuse que Simone de
Beauvoir a eue avec l’écrivain Nelson Algren de Chicago,
celui qui lui déclare dans une lettre « Jamais je ne pourrais
t’offrir moins que l’amour. » Peut-être que ce sont des
détails, mais ils peuvent être révélateurs à l’égard de la
femme Simone de Beauvoir : elle est enterrée avec
l’anneau aux motifs incas que Nelson Algren lui a offert.

Une mort très douce (Paris, Gallimard, 1964)

Mémoires d’une jeune fille rangée (1958) – titre qui


renvoit à sa variante originale masculine Mémoires d’un
jeune homme rangé de Tristan Bernard (1899) –, c’est le
premier récit autobiographique de Simone de Beauvoir
qui peut être considéré comme la construction d’une
identité et, en même temps, un plaidoyer contre

121
l’éducation bourgeoise qu’elle a reçue dans une famille
désargentée. Simone de Beauvoir y décrit sa vie jusqu’à
l’âge de 21 ans, lorsqu’elle obtient l’agrégation de
philosophie.
Pourtant, selon Sartre, le livre Une mort très douce
représente le meilleur texte de Simone de Beauvoir. Elle y
retrace les moments d’avant la mort de sa mère, Françoise
de Beauvoir. Les événements la poussent à développer
certains sujets considérés comme tabous tels que
l’acharnement thérapeutique, la douleur, la mort,
l’euthanasie : « Entre la mort et la torture, une course était
engagée. » [p. 82]
Longtemps, Simone de Beauvoir n’a pas souffert à
la suite des options de sa vie par rapport à sa liberté, à ses
amitiés, à son anticonformisme et à son manque
d’engagement sentimental. D’ailleurs, l’attitude de sa
mère ne lui imposait pas un questionnement : « Jusqu’à la
sortie de L’Invitée elle a presque tout ignoré de ma vie »
[p. 96]. Cependant, la mort de sa mère en 1963 lui apporte
la douleur par laquelle elle doit payer pour sa liberté et sa
vie heureuse.
Après le décès de son père en 1941, Simone visitait
sa mère régulièrement mais c’était seulement des visites
de courtoisie, principalement distantes. Par contre, sa
sœur Hélène, plasticienne, conformiste, dont Simone lui
reproche sa vie facile, est plus proche de leur mère.
Le récit Une mort très douce commence au moment
où Françoise de Beauvoir tombe dans sa salle de bain, se
casse le col du fémur et, une fois à l’hôpital, on lui
découvre aussi une affection implacable : une tumeur
bloquait son intestin grêle. Durant un mois (« elle a

122
"gagné" trente jours, elle qui ne voulait pas en perdre un
seul » [p. 133], Simone de Beauvoir et sa sœur Hélène,
surnommée Poupette, restent avec leur mère et assistent à
son agonie. Il y a avait des moments où cette présence à
trois, leur déclenchait des souvenirs :

Elle souriait. Et nous avons eu, ma sœur et moi,


la même pensée : nous retrouvions le sourire qui avait
ébloui notre petite enfance, un radieux sourire de jeune
femme. Entre-temps, où s’était-il perdu ? [p. 71]

L’écrivaine enregistre plusieurs détails et fait des


commentaires sur les conditions de séjour des malades et
les conditions de travail des infirmières (« Souriantes,
diligentes, les infirmières étaient accablées de travail, mal
payées, durement traitées. » [p. 104]) ; sur la mort
doublement envisagée : de sa mère croyante et d’elle-
même qui est athée (par exemple : « Il arrive, très
rarement, que l’amour, l’amitié, la camaraderie
surmontent la solitude de la mort [...] [p. 150], en d’autres
mots, on est condamné à mourir seul) ; sur les réactions
des médecins qui s’acharnent à traiter la malade d’une
façon qui semble à Simone de Beauvoir assez tyrannique.
Non en dernier lieu, la narratrice évoque le rôle de la
famille joué dans sa vie et réfléchit à l’attitude de sa mère,
attachée à une éducation bourgeoise, concernant sa vie et
son œuvre d’écrivaine militante.

J’avais toujours un peu intimidé maman à


cause de l’estime intelectuelle où elle me tenait [...] [p.
94]

123
Souvent choquée par le contenu de mes livres,
elle était flattée par leur succès. [p. 96]

La mort de Francoise est « douce » d’abord parce


que l’on a gardé le secret de son cancer, puis à cause
qu’elle est « tranquillisée par l’équanil et la morphine » [p.
107], que les médecins lui donnaient contre les douleurs.
Voici l’affirmation de sa fille : « Elle a eu une mort très
douce ; une mort de privilégiée. » [p. 136]
En fait, le portrait de la mère était déjà connu
depuis Mémoires d’une jeune fille rangée et là, la fille ne
flattait pas sa mère, au contraire. La réaction de la mère
est avouée dans Une mort très douce : « Un jour elle m’a
dit : "Les parents ne comprennent pas leurs enfants, mais
c’est réciproque..." » [p. 97]. En fait, avec ce nouveau récit
autobiographique, le portrait de Françoise a été un peu
retouché. « Des drames se déroulaient derrière les portes
fermées [...] Désormais, l’un de ses drames était le mien.
[p. 62] – ce peut être la prise de conscience de sa douleur
qui va mener Simone de Beauvoir à « corriger » un peu
l’image de sa mère décrite auparavant, tout en
remarquant : « Sa vitalité m’éverveillait et je respectais sa
vaillance. » [p. 26] Ce changement d’attitude vient de la
constatation que « l’accident de ma mère me frappait
beaucoup plus que je ne l’avais prévu [...] je ne
reconnaissais pas la pitié ni l’espèce de désarroi qu’elle
suscitait en moi. » [p. 28].
La narratrice suit au jour le jour les
transformations subies par le corps de sa mère. Même si
« [s]a fin se situait, comme sa naissance, dans un temps
mythique » [p. 28], la fille s’aperçoit que ce corps est, en

124
réalité, « un cadavre en sursis. » [p. 29]. C’est, d’ailleurs, la
première fois que la fille fait des réflexions à la vue de ce
corps dont elle est née : « Enfant, je l’avais chéri ;
adolescente, il m’avait inspiré une répulsion inquiète » [p.
27].
Inévitablement, rester longtemps, chaque jour, au
chevet de sa mère, provoque des souvenirs d’enfance. Ce
qui nous semble intéressant, c’est que Simone de Beauvoir
rapporte la mort à l’enfance, mais non forcément à son
enfance à côté de cette mère mourante, mais d’abord à
l’enfance de la mère elle-même. Ce sont, en d’autres
termes, des souvenirs de la mère rémémorés par sa fille.
C’est une occasion que la narratrice évoque l’image de sa
grand-mère : « Bonne-maman, à cinquante ans, était une
femme distante et même hautaine, qui riait peu » [p. 46].
Auprès de la mère moribonde, il est naturel de
n’avoir que des souvenirs liés à leurs rapports. « J’avais
été une enfant ouverte. » [p. 94] affime Simone de
Beauvoir. Voici d’autres souvenirs qu’elle nous dévoile :

Jusqu’aux approches de mon adolescence,


maman m’a attribué les plus hautes qualités
intellectuelles et morales : elle s’identifiait à moi : elle
humiliait et ravalait ma sœur : c’était la cadette, rose et
blonde, et sans s’en rendre compte maman prenait sur
elle sa revanche. [p. 46]
Je la revois un matin – j’avais six ou sept ans –
pieds nus sur le tapis rouge du corridor, dans sa longue
chemise de nuit en toile blanche ; ses cheveux
tombaient en torsade sur sa nuque et j’ai été saisie par
le rayonnement de son sourire, lié pour moi d’une

125
manière mytérieuse à cette chambre dont elle sortait [...]
[p. 47-48]

En guise de conclusion, on pourrait donner à


nouveau la parole à Simone de Beauvoir : « Mais rien,
jamais, n’abolit notre enfance. » [p. 48]
En fait, entre la mort et l’enfance, il y a une liaison
indestructible surtout lorsqu’il s’agit de personnes
proches comme la fille et sa mère. Ce que ressent la fille
pendant l’agonie de la mère, n’est pas la même chose
qu’elle aurait ressentie plusieurs années auparavant. Le
récit de deuil change la perspective sur l’enfance et sur les
souvenirs. On se retrouve non seulement devant la
remémorisation de l’enfance, mais dans un territoire
d’une enfance en quelque sorte « revisitée », « corrigée »
et « annotée ».

126
Georges PEREC
(Paris, le 7 mars 1936 – Ivry-sur-Seine, le 3 mars 1982)

Dont le nom de famille était à l’origine Peretz.


Prix Renaudot (Les Choses : Une histoire des années
soixante, 1965). Prix Médicis (La Vie mode d’emploi, 1978).

Œuvre
Romans
1965 – Les Choses : Une histoire des années soixante ; 1966
– Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? ; 1967 – Un
homme qui dort ; 1969 – La Disparition ; 1972 – Les Revenantes ;
1973 – La Boutique obscure. 124 rêves ; 1974 – Espèces d’espaces ;
1975 – W ou le souvenir d’enfance ; 1975 – Tentative d'épuisement
d'un lieu parisien ; 1978 – La Vie mode d’emploi ; 1978 – Je me
souviens ; 1979 – Un cabinet d’amateur. Histoire d’un tableau ; 1980
– Récits d'Ellis Island.
Théâtre
1960 – Die Maschine ; 1970 – Wucherungen (devenue
L’Augmentation) ; 1981 – Théâtre I
Varia / textes oulipiens
1969 – Petit traité invitant à la découverte de l'art subtil du
go (avec Pierre Lusson et Jacques Roubaud) ; 1972 – Oulipo.
Créations, Re-créations, récréations (avec Raymond Queneau,
Paul Fournel et les membres de l'Oulipo) ; 1974 – Ulcérations ;
1976 – Alphabets. Cent soixante-seize onzains hétérogrammatiques
(illustré par Dado) ; 1979 – Les mots croisés ; 1980 – La Clôture et
autres poèmes.
Livres posthumes
1982 – Épithalames ; 1985 – Penser/Classer; 1986 – Les
Mots croisés II ; 1989 – « 53 jours » ; 1989 – Vœux ; 1989 – L'Infra-
ordinaire ; 1989 – Presbytère et prolétaires: Le dossier P.A.L.F ; 1990

127
– Je suis né ; 1991 – Cantatrix sopranica L. et autres écrits
scientifiques ; 1992 – L. G., une aventure des années soixante ; 1993,
2009 – Le Voyage d'hiver (Recueil de 4 nouvelles écrites par Serge
Rezvani, Jacques Chessex, Jean Freustié et Georges Perec
consacrées aux saisons) ; 1994 – Beaux présents, Belles absentes ;
1996 – What a man ! (monovocalisme en a) ; 1997 –
Perec/rinations ; 1997 – Cher, très cher, admirable et charmant ami...
Correspondance Georges Perec – Jacques Lederer, 1956-1961 ;
1999 – Jeux intéressants ; 1999 – Nouveaux Jeux intéressants ; 2003
– Les Mots croisés ; 2003 – Entretiens et conférences ; 2008 – L'Art et
la manière d'aborder son chef de service pour lui demander une
augmentation ; 2009 – Quelques-unes des choses qu'il faudrait tout
de même que je fasse, ill. Bruno Gibert ; 2009 – Vœux; 2012 – Le
Condottière ; 2012 – En dialogue avec l'époque et autres entretiens
(1965-1981).

Préliminaires

Membre de l’OULIPO (OUvroir de LIttérature


POtentielle)1 depuis 1967, l’écrivain et verbicruciste
George Perec fonde toute son œuvre sur un style qui
mélange les contraintes formelles, à la fois littéraires et
mathématiques.

1
Voir le site actuel : www.oulipo.net. L’OULIPO a été fondé en 1960
par Qaymond Queneau et François Le Lionnais et rassamblaient des
littéraires et des artistes, mais aussi des scientifiques (par exemple, des
mathématiciens) qui utilisent la contrainte ou la règle comme procédé
créatif qui se trouve à la base de la réinvention de nouvelles œuvres
parfois à partir de textes préexistants. À préciser qu’il n’y a pas
d’esthétique oulipienne et il n’y a pas d’écrivain oulipien type non
plus.
128
La potentialité de la littérature représente ses
virtualités, ses possibilités inimaginables de la phrase, du
discours, des formes littéraires, du texte. Selon les
oulipiens, toute littérature est potentielle : elle n’est pas
faite, mais à faire.
Les oulipiens, parmi lesquels Perec, enregistrent
des expérimentations et des modalités textuelles
nouvelles, en suivant un principe commun : observer la
règle pour chaque technique utilisée et la respecter. Un
inventaire quasi complet des procédés utilisés par
l’OULIPO se trouve dans le livre Petite fabrique de
littérature d’Alain Duchenne et Thierry Legay (Éditions
Mania, 1985), ainsi que dans une bibliothèque oulipienne
(dont Oulipo. Créations, Re-créations, récréations, 1972).
Parmi de tels procédés, nous citons la copie, le plagiat, la
parodie, le pastiche, les retouches, les textes omophones,
les collages, les permutations, la prolifération des textes
selon des méthodes spécifiques, la variation sur la
première phrase d’un roman connu, la lettre inductrice, le
travail sur les titres, le texte à poursuivre, les noms cachés
dans le texte, les anagrammes, la polyglottie, les textes
combinatoires, la littérature définitionnelle, la méthode
S+7, la tautogramme, etc.
Paradoxalement, la contrainte libère. Perec
l’affirme avec conviction : « Au fond, je me donne des
règles pour être totalement libre. » Par exemple, il se
propose d’écrire La Disparition qui est un roman
lipogrammatique qui ne contient aucun « e ». Dans le
roman Les Revenantes, même si la contrainte est inversée –
l’auteur utilise seulement la voyelle « e » – il s’agit
toujours d’un lipogramme, cette fois-ci, la contrainte étant

129
vraiment plus compliquée à respecter : les voyelles « a »,
« i », « o », « u » et « y » ne sont pas du tout utilisées. En
fait, ce roman représente un auto pastiche.
Éclectisme et jeux de (ou avec les) mots – voici ce
qui caractérise le plus l’œuvre de Perec. Dans l’analyse
constante du quotidien, l’écrivain s’ingénie à y offrir des
exercices de styles surprenants.
Il y a une certaine dominante thématique dans
l’œuvre de Perec – la solitude (Un homme qui dort) et
l’absence (La Disparition) – thèmes qui peuvent être
remarqués, dans une large mesure, aussi dans d’autres
romans – La Vie mode d’emploi – , que dans son livre W ou
le souvenir d’enfance. Certes, il s’agit d’une composante
due à la disparition prématurée de ses parents pendant la
guerre.
À côté de son œuvre littéraire, on ne peut pas
ignorer son livre où il réflechit à son rapport avec
l’espace, en fait, avec plusieurs type d’espace : de la page
blanche, du vide sidéral, de l’urbain (Espèces d’espaces), le
traité qu’il écrit en collaboration sur le jeu de go, son
activité radiophonique ou la production du film Les Jeux
de la Comtesse Dolingen de Gratz, dont le scénario et la
réalisation appartiennent à la compagne de Perec,
Catherine Binet.
On attribue à Georges Perec à part des
monovocalismes (en « a » : Wat a man ! et en « o » :
Morton’s ob), la transposition en poésie d’un principe
rencontré dans la musique dodécaphonique, à savoir ne
pas utiliser une consonne avant d’avoir employé toutes
les autres consonnes (Alphabets – recueil de onzains
hétérogrammatiques), un des plus longs palindrommes

130
(1247 mots, 5566 lettres), l’utilisation de la polygraphie du
cavalier au jeu des échecs dans la construction
impressionnante des « romans » La Vie mode d’emploi,
plusieurs mots croisés publiés dans des hebdomadaires. Il
est aussi l’auteur du pangramme : « Portons dix bons
whisky à l’avocat goujat qui fumait au zoo », dans le
sixième chapitre du roman la Disparition.

W ou le Souvenir d’enfance (Paris, Gallimard, 1975)

Fondé comme tout texte de Georges Perec sur


quelques mots-clés comme accumulation, imagination,
virtuosité, jeu, le livre W ou le souvenir d’enfance combine
deux perspectives différentes, de prime abord vues
comme distinctes, au fur et à mesure liées d’une façon à la
fois subtile et indestructible. Une perspective est
autobiographique, la seconde, purement imaginaire. Le
livre se construit alternant les deux plans, en fait, les deux
récits, qui sont perceptibles du point de vue graphique
parce que le deuxième – la description d’une certaine
« cité idéale » sur une île nommée « W » – est écrit en
italique.
Quelle que soit la partie du diptyque, le lecteur
remarque le discours souvent hyper-réaliste si l’on se
rapporte aux détails, de même que la ressemblance à une
construction néo-baroque minutieuse et la jubilation de
l’écriture. Toutes les deux perspectives sont rédigées à la
première personne du singulier.
W ou le souvenir d’enfance commence avec le récit
fictif dont le narrateur s’appelle Gaspar Winkler. Il reçoit

131
une lettre énigmatique avec un blason compliqué à
déchiffrer, d’un certain Otto Apfelstahl qui lui propose un
rendez-vous. Le héros y va, les deux se rencontrent, mais
tout finit brusquement, avec des points de suspension. Un
chapitre sur deux, cette histoire mystérieuse sera reprise
et développée d’une façon différente : ce sera la
description de la société « W », île la Terre de Feu – une
sorte de « pays idéal » ou utopique. Les valeurs
dominantes y sont l’ordre, la discipline, le sport
olympique. Peu à peu, le tableau devient insoutenable
parce que plusieurs doutes sont transmis à l’égard de
l’organisation de la société « W »... On arrive à apprendre
finalement que cette description n’est qu’une réalisation
fictive d’un régime concentrationaire atroce et inhumain.
Constuit comme un fantasme qui se déroule
parallèlement à l’autobiographie de Perec, l’image de
« l’île W » devient progressivement troublante et, à la fin,
reste fixée inoubliablement dans la mémoire du lecteur.
L’auteur déclare avoir composé cette histoire à l’âge de
douze ans. Il se sert d’une citation percutante de David
Rousset pour tirer la conclusion générale aussi bien à ce
récit fictif mais saisissant, qu’au récit de son enfance :

« La structure des camps de répression est


commandée par deux orientations fondamentales : pas
de travail, du "sport", une décision de nourriture [...]
Dans la petite cour rectangulaire et bétonnée, le sport
consiste en tout : faire tourner très vite les hommes
pendant des heures sans arrêt, avec le fouet ; organiser
la marche du crapaud, et les lents seront jetés dans le
bassin d’eau sous le rire homérique des S.S. ; répéter

132
sans fin le mouvement qui consiste à se plier très vite
sur les talons, les mains perpendiculaires ; très vite
(toujours vite, vite, Schnell, los Mensch), à plat ventre
dans la boue et se relever, cent fois de rang, courir
ensuite s’inonder d’eau pour se laver et garder vingt-
quatre heures les vêtements mouillés. »
[...] plusieurs îlots de la Terre de Feu sont
aujourd’hui des camps de déportation. [p. 219-220].

Ce qui paraissait au début une utopie, une société


parfaite, différente de la nôtre, où domine l’idéal par
l’esprit olympique, s’avère être, en réalité, l’inverse : au fil
de la description, l’image de cette société idéale est érodée
petit à petit. Le lecteur apprend, par exemple, que l’île a la
forme d’un crâne de mouton, ensuite que la victoire des
Athlètes devient une obsession car une condition de
survie, que la discrimitation domine, tout comme
l’arbitraire, qu’il y a des compétitions humiliantes comme
les « Atlantiades » – concours sexuels pour posséder les
femmes en nombre inférieur aux hommes, que les
femmes et les enfants sont tenus à distance des athlètes...
Les détails convergent progressivement jusqu’à
l’identification de l’île W à un camp de répression nazi, ce
qui n’est qu’une dystopie.
L’autobiographie commence abruptement avec la
constatation :

Je n’ai pas de souvenirs d’enfance. Jusqu’à ma


douzième année à peu près, mon histoire tient en
quelques lignes : j’ai perdu mon père à quatre ans, ma
mère à six ; j’ai passé la guerre dans diverses pensions

133
de Villard-de-Lans. En 1945, la sœur de mon père et son
mari m’adoptèrent. [p. 13]

Lorqu’un récit commence avec l’annonce de cette


« absence d’histoire » [Ibid.], le lecteur est surpris parce
qu’il se trouve devant un projet sans perspectives.
D’autant plus que le personnage-narrateur insiste sur son
oubli par rapport à son enfance : « À treize ans, j’inventai,
racontai et dessinai une histoire. Plus tard, je l’oubliai. »
[p. 14] Et pourtant, cette perte de mémoire – trauma subie
par le garçon Georges Perec en réalité, à la suite de la
perte de sa famille, surtout de sa mère – disparaît, grâce à
quelques dessins retrouvés, et l’auteur va réinventer W.
« Mon enfance fait partie de ces choses dont je sais
que je ne sais pas grand-chose. » [p. 21] avoue Perec dans
le chapitre IV. Alors, pourquoi écrire sur quelque chose
de si peu connu ? Puisque raconter son enfance, c’est une
nécessité : même si ses souvenirs sont fragmentaires,
parfois ils ne lui appartiennent pas, mais ils lui ont été
racontés par d’autres membres de la famille, ou bien, il a
trouvé des informations dans des statistiques officielles,
se rappeler de son premier âge signifie une quête de lui-
même, une recherche de son identité et de son propre
moi. Il commence à reconstituer les éléments disparates
de ses premières douze années à partir des « documents
dérisoires » dans lesquels il apprend qui ont été ses
parents et ses grand-parents. Ce ne sont que des noms et
des dates précises :

Je suis né le samedi 7 mars 1936, vers neuf


heures du soir, dans une maternité sise 19, rue de

134
l’Atlas, à Paris, 19e arrondissement. C’est mon père, je
crois, qui alla me déclarer à la mairie. Il me donna un
unique prénom – Georges – et déclara que j’étais
français. Lui-même et ma mère étaient polonais. Mon
père n’avait pas du tout à fait vingt-sept ans, ma mère
n’en avait pas vingt-trois. Ils étaient mariés depuis un
an et demi. [p. 31]

Je possède une photo de mon père et cinq de


ma mère. [p. 41]

Plusieurs détails sur ses parents sont livrés par


l’intermédiaire de certains textes qu’il avait écrits quinze
ans avant la rédaction du livre W ou le souvenir d’enfance.
Le père, Icek Judko est mort « trouvé sur le chemin d’un
obus perdu » [p. 44]. Sa mère, Cyrla Schulevitz, appelée
Cécile, est née à Varsovie, « la troisième fille et le septième
enfant » [p. 45] ; il y a encore d’autres renseignements
statistiques dont l’intérêt reste restreint. L’image que
Perec dit avoir de sa mère est « arbitraire et schématique »
[p. 47]. Il se souvient pourtant du moment de leur
séparation :

Un jour elle m’accompagna à la gare. C’était en


1942. C’était la gare de Lyon. Elle m’acheta un illustré
qui devait être un Charlot. Je l’aperçus, il me semble,
agitant un mouchoir blanc sur le quai cependant que le
train se mettait en route. J’allais à Villard-de-Lans, avec
la Croix-Rouge. [...] Elle tenta plus tard, me raconta-t-
on, de passer la Loire. [...] On lui conseilla de
déménager, de se cacher. Elle n’en fit rien. [...] Elle fut
internée à Drancy le 23 janvier 1943, puis déportée le 11
février suivant en direction d’Auschwitz. Elle revit son

135
pays natal avant de mourir. Elle mourut sans avoir
compris. [p. 48-49]

C’est le récit fait par un enfant de treize ans, copié


dans l’autobiographie de l’adulte qui fait une remarque
pleine d’amertume à l’égard de la disparition de sa mère :

Ma mère n’a pas de tombe. C’est seulement le


13 octobre 1958 qu’un décret la déclara officiellement
décédée, le 11 février 1943, à Drancy (France). Un
décret ultérieur, du 17 novembre 1959, précisa que, « si
elle avait été de nationalité française », elle aurait eu
droit à la mention « Mort pour la France ». [p. 57-58]

C’est sûr qu’écrire cette autobiographie s’impose à


l’auteur même s’il s’agit d’une enfance lointaine, avec des
souvenirs épars, puisque l’expérience personnelle d’avoir
perdu ses deux parents l’a profondément marqué. Le
traumatisme subi par sa mère dans un camp de
concentration, attire son traumatisme à lui. Les deux
récits de W ou le souvenir d’enfance se surprennent liés par
cet épisode d’une énorme intensité. Voilà pourquoi, le
livre devient progressivement plus dramatique et atteint
son acmé dans les dernières lignes. Peut-être que la
tension en fut-elle trop élevée pour que Perec puisse
parler franchement de son trauma, de sa solitude1, de son
sentiment d’absence des parents de sa vie ; c’est pourquoi
il a utilisé une fiction pour lui en servir, pour prendre une
1
La scène du coucher, qui ne manque d’aucune autobiographie qui
privilégie le récit de l’enfance, est révélatrice en ce qui concerne la
solitude du petit Georges : obligé de dormir seul dans son dortoir
pendant les vacances de Noël [p. 153-154].
136
distance par rapport à sa douleur. La fiction l’aide à
transmettre l’indicible, les trous de mémoire, le manque
de précision des souvenirs et des renseignements.
La justification qu’écrire sur son enfance coïncide
avec écrire en général nous est fournie par l’auteur lui-
même :

Je n’écris pas pour dire que je ne dirai rien, je


n’écris pas pour dire que je n’ai rien à dire. J’écris :
j’écris parce que nous avons vécu ensemble, parce que
j’ai été un parmi eux, ombre au milieu de leurs ombres,
corps près de leur corps ; j’écris parce qu’ils ont laissé
en moi leur marque indélébile et que la trace en est
l’écriture : leur souvenir est mort à l’écriture ; l’écriture
est le souvenir de leur mort et l’affirmation de ma vie.
[p. 58]

Bien sûr que W ou le souvenir d’enfance est plus


complexe autant du point de vue du discours (texte fictif
alternant avec un récit autobiographique composé de
souvenirs, hisoires racontées par les autres, données
d’état civile, textes authentiques écrits pendant
l’adolescence insérés, notes supplémentaires à la fin du
chapitre destinées à éclaircir ou à développer une idée,
pratiques transtextuelles comme l’inter- et la
métatextualité, passages intratextuels renvoyant à
d’autres publications de Perec...), qu’au niveau des
événements eux-mêmes, entre autres, l’attitude de
l’enfant à l’égard de la foi chrétienne, les premières
lectures, les premières tentatives d’écrire.
Le dénouement du livre est en réalité le point le
plus intensément vécu : c’est juste là que l’auteur nous
137
dévoile que vouloir écrire son autobiographie, c’est la
réinventer et la revivre dans une situation extrême : en
imaginant l’atrocité majeure par laquelle est passée sa
mère et revivant lui-même cette expérience traumatisante
pour être enfin libre de s’affirmer lui-même.

138
Nathalie SARRAUTE
(Ivanovo-Voznessenak, Empire Russe, le 5 juillet 1900 – Paris, le
19 octobre 1999)

Son vrai nom Natalia (Natacha) devenue Natalie


Tcherniak.
Prix international de littérature en 1963 pour le
roman Les Fruits d’or.

Romans
1948 – Portrait d'un inconnu ; 1953 – Martereau ; 1959 – Le
Planétarium ; 1963 – Les Fruits d'or, 1963 ; 1968 – Entre la vie et la
mort ; 1972 – Vous les entendez ? ; 1976 – « disent les imbéciles » ;
1980 – L'Usage de la parole ; 1983 – Enfance ; 1989 – Tu ne t'aimes
pas ; 1995 – Ici ; 1996 – Œuvres complètes ; 1997 – Ouvrez.
Théâtre
1967 – Silence, suivi de Le Mensonge ; 1970 – Isma ou Ce
qui s'appelle rien suivi de Le silence et Le mensonge ; 1978 – Théâtre
contenant Elle est là (E.O.), Le Mensonge, Isma, C'est beau ; 1982 –
Pour un oui ou pour un non.
Essais
1939 – Tropismes ; 1956 – L'Ère du soupçon ; 1957 –
Tropismes (suppression d'un texte de l'édition originale de 1939
et ajout de six nouveaux) ; 1986 – Paul Valéry et l'enfant
d'éléphant, suivi de Flaubert le précurseur.

139
Préliminaires

De formation multiple (licence de droit et


d’anglais, études d’histoire à Oxford et de sociologie à
Berlin, avocate dans le barreau de Paris), Nathalie
Sarraute est une figure de proue du Nouveau Roman
manifesté entre les années 1953-1970, à côté d’autres
écrivains parmi lesquels Alain Robbe-Grillet, Claude
Simon, Jean Ricardou, Michel Butor, Samuel Beckett,
Claude Ollier, Jean-Marie Gusrave Le Clézio, Marguerite
Duras, Claude Mauriac, Robert Pinget, regroupés surtout
autour des Éditions de Minuit dont l’écrivain Robbe-
Grillet était conseiller éditorial.
Syntagme créé par le critique Émile Henriot dans
un article publié dans Le Monde (le 22 mai 1957) pour
commenter le roman La Jalousie d’Alain Robbe-Grillet, « le
nouveau roman » fut exploité par plusieurs publications
littéraires, ainsi que par Robbe-Grillet lui-même, par
exemple, dans Pour un Nouveau Roman, 1963, livre dans
lequel l’auteur parle d’un roman qui rejette l’intrigue, le
portrait psychologique et la nécessité du personnage. On
interroge la position du narrateur, notamment le
pourquoi de son écriture.
Avant ce livre de référence, en 1956, ce fut
Nathalie Sarraute qui avait publié l’essai L’ère du soupçon
où elle recuse le roman traditionnel et ses conventions.
L’écrivaine imagine possible de révéler dans le roman « le
non-dit, le non-avoué », tout ce qui est exprimé dans la
« sous-conversation ». C’est, en fait, l’ambition de révéler
l’invisible, ce qui se cache derrière le Mot, plus
exactement les influences radicales sur l’interlocuteur qui

140
existent même si elles ne sont pas dites à proprement
parler. Elle met en évidence la force énorme, parfois
destructrice, se trouvant derrière des mots ordinaires, des
lieux communs et des politesses conventionnelles.
L’essence du mot se découvre au-delà des apparences qui
masquent même de petits drames.
En fait, ces idées peuvent être détectées dans le
premier livre de Nathalie Sarraute, intitulé Tropismes
(1939) – mot désignant, dans le domaine de la biologie,
selon le dictionnaire, « réaction d’orientation ou de
locomotion orientée (mouvement), causée par des agents
physiques ou chimiques (chaleur, lumière, pesanteur,
humidité) » [Le Petit Robert, 2002 : 2693] et qui, avec la
parution du livre de Sarraute, est défini comme « réaction
élémentaire à une cause extérieure ; acte réflexe très
simple » [Ibid.]. Sur ce point, les romans qui se sont
imposés – Martereau (1953), Le Planétarium (1959), Les
Fruits d’or (1963) – représentent l’art exceptionnel de
l’auteur de suggérer une diversité d’états psychologiques
par le comportement d’une personne ou par l’écoute
d’une conversation. Il s’agit d’une inégalable objectivité
qui surpasse les procédés habituels d’un roman
d’introspection ou psychologique.

Enfance (Paris, Gallimard, 1983)

Nathalie Sarraute publie le livre autobiographique


Enfance losqu’elle était âgée de 83 ans. Il nous semble
vraiment intéressant de savoir comment est vue l’enfance
à une telle distance temporelle. L’incipit du livre nous le

141
communique courageusement du point de vue littéraire :
le récit des souvenirs d’enfance sera fait d’une manière
non traditionnelle, mais en incorporant une structure
nouvelle, propre aux écrits sarrautiens : Enfance, c’est un
dialogue entre la narratrice et son double, une sorte de
conscience qui contrôle méticuleusement les mots rédigés
ou les idées projetées à être transcrites dans le livre :

— Alors, tu vas vraiment faire ça ? « Évoquer


tes souvenirs d’enfance »… Comme ces mots te gênent,
tu ne les aimes pas. Mais reconnais que ce sont les seuls
mots qui conviennent. Tu veux « évoquer tes
souvenirs »… il n’y a pas à tortiller, c’est bien ça.
— Oui, je n’y peux rien, ça me tente, je ne sais
pas pourquoi… [...]
— [...] Est-ce vrai ? Tu n’as vraiment pas oublié
comment c’était là-bas ? Comme là-bas tout fluctue, se
transforme, s’échappe… tu avances à tâtons, toujours
cherchant, te tendant… vers quoi ? Qu’est-ce que c’est ?
Ça ne ressemble à rien… personne n’en parle… ça se
dérobe, tu l’agrippes comme tu peux, tu le pousses…
où ? N’importe où, pourvu que ça trouve un milieu
propice où ça se développe, où ça parvienne peut-être à
vivre… Tiens, rien que d’y penser… [p. 7-8]

Le livre poursuit une enfance partagée entre les


parents divorcés lorsque Tachok (le surnom de la fillette)
était âgée de deux ans, et entre deux pays – la Russie,
pays d’origine de la famille – et la France, pays où
s’établit finalement son père avec sa nouvelle famille :
Véra, sa seconde femme et Hélène, dite Lili, la demi-sœur,
milieu où la petite Natacha ne se sent pas agréée.

142
Les deux voix agissent sur le schéma question-
réponse qui mène finalement à une introspection. Non
seulement que Nathalie Sarraute raconte ses souvenirs de
vacances, si possible les « beaux souvenirs » [p. 39], qui
seront finalement des souvenirs mélangés car il n’y en a
pas seulement de beaux, mais elle s’analyse par rapport à
ces souvenirs, adulte et enfant à la fois, par le biais de son
« interlocuteur » lucide.
La formule de cette autobiographie est sans doute
originale : l’emploi des deux voix semble équivaloir à
l’invitation du lecteur de parcourir une histoire
« expliquée » grâce au double de la narratrice qui
interroge ou fait réfléchir la dernière. Cependant, le style
de Nathalie Sarraute, au rythme parfois syncopé,
entrecoupé par des points de suspension nécessite un
déchiffrement de l’implicite et de l’inexprimable.
Grâce à ce dédoublement auctorial, Enfance peut
être reçu comme un livre double : d’une part, c’est le récit
des souvenirs d’enfance de Nathalie Sarraute jusqu’à ses
onze ans, de l’autre, c’est l’investigation de l’auteur par
rapport à son passé par un procédé capable de déjouer les
méthodes traditionnelles d’une autobiographie dont
l’auteur est méfiante. Pourquoi cette méfiance ?
Partiellement, à cause d’une certaine artificialité des
souvenirs « fabriqués » dans une sorte de continuum
chronologique et précis, ensuite du risque d’un
embellissement des souvenirs :

– Une autre vie. [...] Mais comment, par où la


saisir pour la faire tant soit peu revenir, cette nouvelle
vie, ma vraie vie…

143
– Fais attention, tu vas te laisser alle à
l’emphase… [p. 166]

Puisque nous avons cité les premières lignes du


livre, nous nous devons de préciser aussi la fin :

Je ne pourrais plus m’efforcer de faire surgir


quelques moments, quelques mouvements qui me
semblent être intacts, assez forts pour se dégager de
cette couche protectrice qui les conserve, de ces
épaisseurs blanchâtres, molles, ouatées qui se défont,
qui disparaissent avec l’enfance… [p. 277]

L’auteur s’est donc proposé d’explorer ce qu’elle a


ressenti pendant l’enfance, des sentiments et sensations
qui n’ont pas été formulés, qui lui sont utiles pour
comprendre son enfance. C’est une idée qui converge aux
« tropismes » – les états d’âme inexprimés, profonds, qui
peuvent révéler son vécu. Certains des mouvements
intérieurs sont liés à des paroles maladroites qui lui
montrent, à l’âge adulte, sa position par rapport à sa
famille, principalement à sa mère.
Certes, formuler l’informulé reste l’apanage de
l’écrivaine adulte. Fillette, elle ne l’aurait pas pu faire. Le
double conscient et critique nous fait remarquer qu’elle en
est convaincue :

– Il n’est pas possible que tu l’aies perçu ainsi


sur le moment…
– Évidemment. Cela ne pouvait pas
m’apparaître tel que je le vois à présent, quand je
m’oblige à cet effort … dont je n’étais pas capable…

144
quand j’essaie de m’enfoncer, d’atteindre, d’accrocher,
de dégager ce qui est resté là, enfoui. [p. 86]

Les souvenirs de l’Enfance sont, de ce point de vue,


la perception de l’auteur à sa table de travail et non de
l’enfant qu’elle a été. Le livre ponctue cette idée à maintes
reprises.

– Des images, des mots qui évidemment ne


pouvaient pas se former à cet âge-là dans ta tête…

– Bien sûr que non. Pas plus d’ailleurs qu’ils


n’auraient pu se former dans la tête d’un adulte…
C’était ressenti, comme toujours, hors des mots,
globalement… Mais ces mots et ces images sont ce qui
permet de saisir tant bien que mal, de retenir ces
sensations. [p. 17]

Incapable de déceler pendant l’enfance son


ressenti, la petite Natacha se construit par l’intermédiaire
des mots et des images qui, à la fois cachent (à l’enfant) et
dévoilent (par le biais de la perspective adulte) ses
sentiments passés inexprimés. Cela se passe par plusieurs
moyens, parfois par des réflexions et des hésitations, par
des « sous-conversations » comme celle pendant laquelle
elle oblige en quelque sorte son père à lui dire « je t’aime »
[p. 58] :

« Pourquoi me demandes-tu ça ? » Toujours


avec une nuance d’amusement... parce que cela
m’amuse et aussi pour empêcher qu’il me repousse
d’un air mécontent, « Ne dis donc pas de bêtises »...

145
j’insiste : Est-ce que tu m’aimes, dis-le-moi. – Mais tu le
sais... – Mais je voudrais que tu me le dises. Dis-le,
papa, tu m’aimes ou non ?... sur un ton, cette fois,
comminatoire et solennel qui lui fait pressentir cequi va
suivre et l’incite à laisser sortir, c’est juste pour jouer,
c’est juste pour rire... ces mots ridicules, indécents :
« Mais oui, mon petit bête, je t’aime. »

Le fragment semble s’opposer, en fait, à ce que


nous venons de dire, parce que la narratrice avertit que
« ce sont des choses que les enfants perçoivent mieux
encore que les adultes. ». Pourtant, ce n’est pas l’enfant
qui perçoit le sens des mots informulés, mais la narratrice
qui commente dans une sous-conversation imaginaire le
sens caché des paroles et des réactions du père et de sa
fille.
Cette deuxième voix a aussi le rôle d’attirer
l’attention lorsque la narratrice est tentée de déformer son
enfance seulement pour montrer quelque chose en
exagérant des traits. Par exemple, elle rend plus
ténébreux le portrait de sa mère.
Pourquoi un portrait maternel plutôt sombre ?
Parce qu’Enfance, c’est l’histoire d’une fillette qui vit
douloureusement – en se cachant à elle-même parfois la
vérité – de l’absence de sa mère.
Une mère indifférente, distante, observée toujours
assise à sa table de travail en train d’écrire ses livres, qui
n’hésite pas à confier sa fille à son père et lui envoyer de
temps en temps des cartes postales illustrées, en quelque
sorte une traitresse aux yeux de sa fille [p. 115], une mère
absente qui fait que Natacha arrive à cette conclusion : « je

146
ne vois que mon père... sa silhouette droite et mince,
toujours comme un peu tendu. » [p. 43]. Le père qui a
peur de mots, mais arrive quand même à s’adresser à sa
fille en usant des diminutifs : Tachok, Tachotchek ou
Pagalitza... [p. 44]. Il y a comme une sorte d’insistence de
la part de la narratrice pour transmettre le mouvement
intérieur de la fillette : « Mon père seul reste présent
partout. » [p. 54] Même les scènes du coucher, le soir –
omniprésentes dans les livres qui traitent de l’enfance des
écrivains – se passent autour de la figure paternelle [p. 52-
53].
Et pourtant, la mère ne peut être oubliée :
« Comme elle est belle... je ne peux pas m’en détacher, je
serre plus fort la main de maman, je la retiens pour que
nous restions là encore quelques instants... » [p. 91]. Et
encore, par contraste, la mère ne peut rester sans sanction
de son absence : « Maman a la peau d’un singe. » [p. 99].
Eh oui, « toutes étaient la preuve indubitable que
je n’étais pas un enfant qui aime sa mère. Pas comme doit
être un enfant. Le mal était en moi. » [p. 100].
Des réflexes contradictoires disent que la fillette a
été bien affectée par les circonstances de son enfance
vécue à côté de son père et sa nouvelle famille.
Une enfant à laquelle on ne donne pas
d’explications (le pourquoi reste froidement justifié par
« parce que ça ne se fait pas » [p. 187]) née dans une
famille faisant partie de la bourgeoisie aisée (le père était
un industriel qui ouvrira une usine en France finalement
et la mère était écrivaine), réussit à grandir dans un
milieu où il y a la peur des « mots »... Elle trouve
cependant leur sens dans des livres qu’elle parcourt avec

147
passion et dans l’étude : « – L’école dominait ton
existence... elle lui donnait un sens, son vrai sens, son
importance... » [p. 174].
La narration s’arrête assez abruptement, lorsque
la fille entre en sixième, arrêt justifié par la narratrice
d’une façon simple et naturelle : « il me semble que là
s’arrête pour moi l’enfance. » [p. 277].

148
Hervé GUIBERT
(Saint-Cloud, le 14 décembre 1955 – Clamart, le 27 décembre
1991)

Œuvre
Romans
1977 [2009] – La Mort propagande ; 1982 – Les Chiens, 1982
– Voyage avec deux enfants ; 1983 – Les Lubies d'Arthur ; 1985 – Des
aveugles ; 1986 – Mes parents ; 1987 – Vous m'avez fait former des
fantômes ; 1988 – Les Gangsters ; 1989 – Fou de Vincent ; 1989 –
L'Incognito : roman ; 1990 – À l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie ;
1991 – Le Protocole compassionnel ; 1991 – La Mort propagande : et
autres textes de jeunesse ; 1991 – Mon valet et moi : roman cocasse ;
1992 – L'Homme au chapeau rouge ; 1992 – Le Paradis.
Recueils de nouvelles
1982 – Les Aventures singulières ; 1988 – Mauve le Vierge ;
1994 – La Piqûre d'amour : et autres textes ; suivi de La Chair fraîche.
Autres publications
1978 – Zouc par Zouc ; 1980 – Suzanne et Louise : roman-
photo ; 1981 – L'Image fantôme ; 1983 – L'Homme blessé : scénario et
notes, Scénario du film de Patrice Chéreau ; 1984 – Le Seul
Visage, photographies ; 1988 – L'Image de soi ou l'Injonction de son
beau moment ?; 1991 – Vice, photographies de l'auteur ; 1991 – J.
Bertoin, p. de planches ; 1992 – Cytomégalovirus, journal
d'hospitalisation ; 1993 – Photographies ; 1994 – Vole mon dragon :
théâtre ; 1997 – Enquête autour d'un portrait : sur Balthus ; 1995 –
Lettres d'Égypte : du Caire à Assouan, 19.., photographies de Hans
Georg Berger ; 1999 – La Photo, inéluctablement : recueil d'articles
sur la photographie, 1977-1985, 2001 – Le Mausolée des amants :
journal, 1976-1991 ; 2008 – Articles intrépides 1977-1985 ; 2013 –
Lettres à Eugène, correspondance 1977-1987.

149
Préliminaires

Hervé Guibert est mort à 36 ans. C’est un détail


qui doit être pris en compte lorsqu’on parle de son
œuvre : même très jeune à sa disparition, Guibert a laissé
des textes mémorables, parmi lesquels À l’ami qui ne m’a
pas sauvé la vie (1990), pour n’en citer qu’un, sans doute
célèbre par la déclaration ouverte de sa séropositivité.
Journaliste et écrivain, il a été aussi photographe :
en 2011, on a organisé une rétrospective de son œuvre
photographique à la Maison européenne de la
photographie.
Ses créations sont déterminées par sa vie – courte
mais riche en expériences.
Homosexuel, connu pour avoir eu une vie
sentimentale passée auprès de plusieurs personnalités de
son époque (par exemple, Michel Foucault). Atteint par le
SIDA, il entreprend un travail artistique acharné sur cette
maladie, puis, souffrant, presque aveugle, il essaie de se
suicider, tentative qui n’aboutira pas, mais il est mort
deux semaines après, vaincu par la maladie.

Mes parents (Paris, Gallimard, 1986)

L’œuvre d’Hervé Guibert porte une empreinte


indéniable de son vécu, auquel s’ajoute partiellement la
réinvention de moments traversés. Événements,
personnes, actions qui l’ont marqué d’une façon ou d’une
autre dans sa vie, il les a ensuite transposés dans ses
textes littéraires.

150
Mes parents est le récit éclaté composé de
souvenirs, reprises et reconstructions de l’enfance et
l’adolescence de l’écrivain, tels qu’ils lui ont apparus et
comme il les a notés à partir de son journal :

À partir de 1979, mes parents occupent à peu


près un cinquième de mon journal. Je vais recopier ici les
passages qui les concernent, rajoutant entre eux les
épisodes qui sur sur le moment m’ont fait défaut. [p. 119]

Le livre débute avec la découverte d’Hervé d’une


« infamie » [p. 11] commise par sa mère pendant sa
première jeunesse – ce qui dévoile, en fait, le secret du
mariage, mieux dire la raison du mariage de ses parents.
Grâce à ses deux grand-tantes Louise et Suzanne, qui ont
rigoureusement gardé la circonstance honteuse dont la
mère du romancier a été première protagoniste absolue :
la mère, classée comme « un démon, un vampire, un
succube » [p. 11] par sa tante, a eu son aventure avec le
curé de Courlandon, pour qui elle n’hésitait de voler de
l’argent à sa tante. Voici donc un amour illicite fini par
une grossesse. La « solution » est finalement trouvée par
les tantes pré-citées : le mariage de la future mère avec
Serge, jeune homme au début de sa carrière de
vétérinaire : « ma mère et mon père se marient le 28 avril
1951, cinq mois avant la naissance de la sœur,
Dominique. » [p. 13]. « L’ignominie commise par la
mère » [Ibid.] ne dévoile pas seulement que la sœur aînée
de l’écrivain est en réalité sa demi-sœur, mais,
principalement, que « Mes parents se sont mariés sans

151
s’aimer. » [p. 14] et qu’Hervé est juif de par son père,
quoique celui-ci ait essayé de se dissocier des Juifs.
Les découvertes faites par Hervé à l’âge de 29 ans
(le même âge que son père avait au moment de son
mariage), ne change pas son attitude envers ses parents,
bien qu’il les apperçoive sous un jour différent parfois,
justement à cause de ce passé dont le masque est tombé.
Les premiers souvenirs de son enfance restent les
cauchemars pendant la nuit et les gifles de son père dans
la journée [p. 21], mais, il se rappelle également son
doudou Agneaudoux et la robe jaune en agora d’une
poupée de sa sœur qui fut l’un des objets fétichistes qui le
pousse à des « mauvaises habitudes » en cachette [p. 22]...
Même si l’âge de la découverte de ces plaisirs en solitaire
semble trop jeune, Guibert n’attend pas d’en être
approuvé ou pas, il nous divulgue son initiation à
l’homosexualité, passée toujours à un très bas âge.
Le récit Mes parents expose, ainsi, d’une façon
chronologique, le parcours d’Hervé Guibert, dans une
histoire constituée de dîners et vacances familiaux, scènes
de vie ordinaire, mais aussi des allusions aux relations
érotiques de ses parents, de même qu’à ses premiers
amours.
Durant tout le récit, le narrateur accorde une
attention particulière, comme il est naturel, vu l’intention
exprimée dès le titre, au portrait de ses deux parents,
toutefois, il se définit lui-même par l’intermédiaire de
ceux-ci et présente son autoportrait en évolution. La mère
et le père sont décrits d’une façon mélangée : avec défauts
et qualités à la fois... Si le père le giflait, la mère menaçait
de quitter ses enfants pour partir au Cuba, mais c’était

152
sans doute à cause de l’exaspération. Eh bien, « un jour
notre mère, au faîte de sa colère, nous dit adieu
solennellement et nous annonce que cette fois ça y est, elle
part pour Cuba. [...] Nous l’avons crue [...] Deux heures
plus tard elle revient, sans gêne, sans honte, sans
explication [...] elle est allée se calmer chez sa coiffeuse. »
[p. 25]
Une autre fois, les deux parents s’avèrent être
complices pour vacciner les deux enfants à la maison, loin
d’un cabinet médical, usant d’un stratagème et un
mensonge – ce qui reste gravé dans la mémoire d’Hervé.
[p. 27]
Même si les sentiments du narrateur à l’égard de
ses parents sont mêlés – il les déteste et les estime en
même temps – il n’arrive pas pourtant aux ressentiments
avoués par sa sœur dans son journal où « il n’est
pratiquement question que de sa tentative
d’empoisonnement de mes parents. » [p. 27].
Heureusement, la mère, vigilante, trouve le journal...
Le père apparaît comme agressif, mais on peut lui
trouver un simulacre de justification : il « tabasse »,
surtout la sœur d’Hervé [p. 29], pour cause : elle vole et
elle ment.
Il est à remarquer encore une chose par rapport au
devenir du narrateur : l’enfant Hervé se définit dans ce
livre autant par le rapport à ces parents, un portrait fait de
touches successives, de souvenirs mais aussi d’inventions,
mais il se développe dans une large mesure par rapport à
sa sœur, puisque tous les quatre – parents et enfants –
forment un tableau complet ; on ne peut pas imaginer
l’enfant Hervé hors de ce cadre. Et d’y ajouter les grand-

153
tantes, ainsi que « la mère de mon père, Alice Fortoul »
chez qui la famille va en vacances parfois.
La mère le lève, l’habille, le fait manger, l’emmène
aux chiottes, le lave sous le douche, lui fait récurer les
oreilles, lui fait le nombril avec de l’eau de Cologne… –
tout ce qui doit faire pendant la journée. « Le soir, c’est
dans les mains de mon père que je dois m’abandonner. »
[p. 31]. Les tâches des géniteurs sont, de la sorte,
partagées. Avec la mère, c’est l’hygiène, les repas, les
soins à la maison, avec le père, ce sont la visite chez le
coiffeur, le jeu de billes, l’itinéraire des vacances, le
divertissement (cinéma, Palais de la Découverte,
patinoire, musée Grévin, etc.), de même que la messe
obligatoire du dimanche matin que le garçon considère
comme une torture [p. 63]. De retour plus tôt de l’école,
un jour, Hervé découvre que ses parents ont un
comportement un peu étrange, ils dissimulent quelque
chose à l’enfant, mais ce dernier imagine au moins
partiellement qu’il y a quelque chose qui s’est passé entre
les adultes qui les fait se trouver dans l’embarras devant
lui. Le commentaire du garçon est radical : « Quelques
instants plus tôt, mon père est l’être que j’adore le plus au
monde. En quelques secondes, le temps de ce toucher [un
préservatif jeté à la hâte à la poubelle de la cuisine que
l’enfant y trouve – n.n.], il me devient l’être le plus
haïssable. Je ne sais s’il comprend pourquoi, désormais et
avec véhémence, je refuse de l’embrasser. » [p. 69]
Ce passage de l’amour à la haine se fait en un
instant. «J’ai quatorze ans, mes parents sont infernaux » –
déclare le narrateur un peu plus loin. C’est, en fait, l’âge
auquel l’enfant commence à se transformer. C’est

154
l’adolescent qui le remplace, le jeune homme attiré par
l’homosexualité, découverte d’abord dans une revue, Le
Crapouillot, une « déclicieuse bombe » qu’il va transporter
dans ses affaires en cachette et qui lui procure « une très
étrange sensation de liberté » [p. 75]. À partir de cette
époque-là, Hervé s’initie au monde du théâtre, soit en
spectateur, soit en amant d’un comédien, soit en acteur
lui-même dans une troupe. Au début, son père
l’accompagne à des spectacles, puis, arrive la scène où
Hervé trouvera une sorte d’indépendance concernant ses
escapades érotiques :

Il [le père – n.n.] me gifle, je le regifle aussitôt, il


me pousse dans le couloir et me regifle, je le regifle [...],
j’ouvre la porte d’entrée et sors dans le couloir, j’appelle
l’ascenseur, mon père [...] s’engouffre à ma suite dans
l’ascenseur [...] il m’empoigne, je le repousse [...] nous
continuons à nous battre [...] [p. 87]

La conclusion de l’adolescent est la suivante : « En


six mois j’étais devenu grand. » [p. 89] Il passe à une
nouvelle aventure, après avoir fini avec la première et il
dévoile à ses parents son penchant pour les hommes. Tout
simplement : « Hervé – dit le père – [...] j’ai fait prendre
des renseignements [...] sur ton ami [...] : c’est un
pédéraste. ». La réponse est brève et inattendue : « Moi
aussi. » [p. 91] Cet aveu lui vaut une grande surveillance
de par ses parents, de telle sorte que l’adolescent déclare :

Quand je me pencherai sur vos cadavres, mes


chers géniteurs, au lieu de baiser votre peau je la

155
pincerai, et je leur arracherai une touffe de cheveux. [p.
93]

Ce peut être un cri d’un adolescent révolté et


ressentimentaire, cependant, la relation avec ses parents
se poursuit dans une sorte de complicité : par exemple, le
père lui donne de l’argent de poche et sa mère passe
comme inaperçues des traces de l’aventure de son fils.
Le combiné d’amour et de répulsion ressenti pour
ses parents acquiert au fur et mesure des nuances :
d’abord, il faut voir un côté malsain : Guibert fait des
fantasmes – qu’il appelle « rêves » dans le récit – dans
lesquels l’image de son père se confond à la figure de ses
amants [p. 135] ; quant à sa mère, il arrive à constater qu’il
n’en est pas reconnaisant de l’avoir mis au monde. Ce,
parce qu’il apprend que sa mère eut un « désir
hystérique » de l’expulser pendant sa grossesse et dit au
moment où il fut né : « Pourvu qu’il soit mort ! Pourvu
qu’il soit mort-né ! » [p. 124]. Cruels mots dits par une
mère même si la suite semble à une déclaration d’amour :
« Puis je t’ai vu, dit-elle, tout petit et nu, misérable,
vraiment misérable, posé sur une table, et j’ai hurlé : faites
attention ! Il va tomber ! » [Ibid.]
Tout le reste du récit sera autour de la maladie de
sa mère, des années plus tard, lorsque Guibert n’est plus
un enfant ou un adolescent. Le style devient différent,
chargé d’une émotion hors commune : tout mal ressenti
par sa mère lui provoque un mal pareil. Par exemple,
après l’extirpation d’un sein de sa mère, il affirme : « il me
semble subir l’ablation à mon tour, sans anesthésie, c’est
sur moi que sa plaie s’imprime, et je n’ose l’imaginer. » [p.

156
139], ou bien : « La nuit je ne peux pas me tourner sur le
côté droit, sur le côté qui lui fait mal, il me fait mal à moi
aussi. » [p. 141], et plus loin : « La peau qui me brûle,
comme celle de ma mère brûlée par les rayons. » [p. 146].
S’il y a des commentateurs du récit Mes parents qui
ont considéré que l’auteur y verse toute sa haine envers
ses géniteurs, se trompent majestueusement. Même s’il y
a des passages où il manifeste quelconque mépris ou
vindicte, cela ne peut qu’être mis à côté de l’attachement à
eux. Que dire d’autre quand la mère lui confie un jour :
« Tu sais, je suis très fière de toi, des choix que tu as faits
dans ta vie, de ton courage, de ton endurance à la
solitude. » [p. 149]
Une immense émotion s’empare de l’écriture de
Guibert dans cette dernière partie, conséquence
immédiate de la constatation : « Mort du corps, mort du
plaisir, mort de l’émotion, mort de l’aventure, mort de
l’écriture, mort imminente de la mère. » [p. 156].
La fin du récit adoucit toutes les asperités par
rapport aux déclarations guerrières contre les parents :
« La haine de la dédicace du livre, bien sûr, était fictive. »
[p. 171]. À préciser juste que cette dédicace est « À
personne ».
On ne peut pas ignorer les passages métatextuels
du livre : « le je, dans la transcription journalière de ses
gestes et pensées, se déguise un peu mesquinement sous
l’identité d’un personnage de roman » [p. 108], associés
avec de la pratique intratextuelle – car l’extrait cité fait
référence au premier roman publié par Hervé Guibert : La
mort propagande (1977), où il publie un cahier aux lettres
d’amour.

157
En somme, l’écriture d’Hervé Guibert nous semble
directe et percutante, provocatrice et évocatrice en même
temps, peut-être un peu trop crue à l’égard des scènes de
sexualité. Toutefois, on y apprend que l’homosexualité est
une façon de vie, un choix de jeune homme, assumé
contre tout empêchement possible. Même les parents l’ont
compris.
Guibert manipule l’art de l’essence : il réussit à
produire un maximum d’effets parfois avec un minimum
de mots : « Jour de l’opération de ma mère : soustraction
de la chair. » [p. 150].
Une affiliation littéraire peut être envisagée à
propos de son style dépouillé : Thomas Bernhard, Roland
Barthes, Bernard-Marie Koltès.
On peut conclure, en peu de mots, comme l’aurait
fait Guibert : livre de souvenirs d’enfance, d’initiation et
d’amour charnel ; récit d’un deuil.

158
L’enfance des contemporains (Profiles)

Patrick MODIANO
(né en 1945, à Boulogne-Billancourt)

Livret de famille (Paris, Gallimard, 1977)

Patrick Modiano est l’écrivain contemporain qui a


reçu de nombreux prix prestigieux parmi lesquels le
Grand Prix de l’Académie Française (Les Boulevards de
ceinture, 1972), le Prix Goncourt (Rue des boutiques obscures,
1978) et le Prix mondial Cino del Duca (2010).
Toute son œuvre est impregnée de la quête d’une
identité – l’un des thèmes majeurs mondaniens. Il s'agit,
en fait, non seulement de l'identité de l'écrivain, mais
aussi de celle de son entourage, vu que son enfance s'est
passée entre l'absence du père, dont le garçon apprend
des histoires troubles car, pour un certain temps,
trafiquant faisant partie de la pègre, et les tournées de sa
mère, comédienne flamande. Le petit s’attache en
particulier à son frère cadet, Rudy, qui meurt à dix ans, en
une semaine, à la suite d’une maladie. Tous les livres
publiés par Modiano entre 1967 et 1982 sont dédié à ce
frère (y compris Livret de famille).
Le style de Modiano est proche de celui d’un
détective parfois, car le narrateur s’observe et observe les
événements qui l’entourent en spectateur extrêmement

159
fin, en révélant dans ses textes des details impressionant
par la minutie. Souvent, on dirait que ses livres s’appuient
sur une activité d’historiographe.
Livret de famille est un mélange d’autobiographie et
de séquences imaginaires. Ils sont associées dans quinze
chapitres qui peuvent être considérés comme des récits
individuels. Le narrateur se confond avec Patrick
Modiano qui présente des aspects de sa vie, mais aussi
d’autres portraits qu’il observe1 et rend aux lecteurs, non
sous forme administrative de « livret de famille » ce
« document officiel rattachant tout être humain à la
société dans laquelle il vient au monde » [Modiano, 1977 :
5], mais à travers les souvenirs. Ces souvenirs, bien
qu’imaginaires parfois, s’avèrent être plus convaincants
que la realité elle-même.
La naissance de sa fille Zénaïde (Zina Modiano, en
realité), la recherche à Biarritz du certificat de baptême de
Modiano lui-même (on a la trascription precise de ce
document authentique à la page 113), l’arrivée en France
de sa mère Louisa Colpeyn, la présentation de son père et
des relations assez tensionnées qu’ils ont eues, les
portraits de sa tante et de son oncle, à côté de la
description de personnes étranges ou énigmatiques
(Koromindé, Marignan, les Openfeld, les Reynolde, etc.),
tracent dans Livret de famille une première histoire dans
laquelle Modiano révèle quelque chose de son
autobiographie d’une façon directe.

1
On ne peut pas ignorer que le livre commence avec justement
l’action d’observer : « J’observais ma fille, à travers l’écran vitré. »
[p.11].
160
Annie ERNAUX
(née en 1940, à Lillebon, Seine Maritime)

L’œuvre entière d’Annie Ernaux est traversée par


deux domaines : l’autobiographie et la sociologie, de sorte
que l’on peut la classifier dans le genre auto-socio-
biographique. Elle obtient le Prix Renaudot en 1984, pour
son livre La place, de facture autobiographique, tout
comme le précédent, Les Armoires vides (1974).
Parmi d’autres distinctions, le Pris de la langue
française reçu en 2008 couronne l’ensemble de son œuvre.
Engagée politiquement en 2012, en faveur du
candidat du Front de gauche à l’élection présidentielle.

La place (Paris, Gallimard, 1983)

L’écrivaine présente dans ce livre son enfance


dans une famille d’abord modeste qui connait une
certaine ascension : ouvriers, puis propriétaires d’un café-
épicerie en Normandie.
Tout est écrit sur un ton neutre puisque l’écrivaine
se propose une objectivité qui élude le jugement et la
métaphore. En fait, elle est influencée par l’approche
sociologique, plus exactement par la découverte de la
mémoire collective à travers une mémoire individuelle.
Le récit de La place débute avec le décès du père et
fait un retour en arrière en présentant sa vie dans une
narration obstinément froide :

161
Mon père est mort deux mois après, jour pour
jour. [p. 13]
Par la suite, j’ai commencé un roman dont il
était le personnage principal. Sensation de dégoût au
milieu du récit.
Depuis peu, je sais que le roman est impossible.
Pour rendre compte d’une vie soumise à la nécessité, je
n’ai pas le droit de prendre d’abord le parti de l’art, ni
de chercher à faire quelque chose de « passionnant »,
ou d’ « émouvant ». Je ressemblerai les paroles, les
gestes, les goût de mon père, les faits marquants de sa
vie, tous les signes objectifs d’une existence que j’ai
aussi partagée.
Aucune poésie du souvenir, pas de dérision
jubilante. L’écriture plate me vient naturellement, celle-
là même que j’utilisais en écrivant autrefois à mes
parents pour leur dire les nouvelles essentielles. [p. 23-
24]

Même si la narratrice prend une distance


progressive face à son enfance passée dans un milieu non
intellectuel, et en devient une étrangère, mieux vaut ce
regard froid, peut-être, que d’affirmer, comme André
Malraux dans les Antimémoires (1967) : « Presque tous les
écrivains que je connais aiment leur enfance. Je déteste la
mienne. ».

162
Une femme (Paris, Gallimard, 1987)

Après l’évocation dans La place de la relation père-


fille, le livre Une femme raconte la relation mère-fille, après
la disparition de la mère. On dirait que le même manque
d’amour y est révélée, mais non : le récit s’avère être
émouvant parce qu’il est une sorte de procès de
conscience de la narratrice à l’égard de son comportement
envers sa mère (honteuse pendant l’adolescente parce que
sa mère n’était pas instruite, capable de la placer dans une
maison de retraite lorsque sa mère fut atteinte de la
maladie d’Alzheimer où elle mourra après deux ans).
C’est la perte de la mère qui déclenche un
questionnement de ses sentiments et produit la culpabilité
de l’avoir en quelque sorte abandonnée au lieu de
s’occuper d’elle.
Le portrait de la mère est présenté dans le style
dépouillé d’Annie Ernaux, sans pathos ou métaphores.
C’est une biographie mêlée à l’autobiographie. Une femme,
c’est un autre récit de deuil, comme celui de Simone de
Beauvoir, par exemple, qui réussit à émouvoir même si la
tonalité générale est sans artifices :

Ceci n’est pas une biographie, ni un roman


naturellement, peut-être quelque chose entre la
littérature, la sociologie et l’histoire. [...]
Je n’entendrai plus sa voix. C’est elle, et ses
paroles, ses mains, ses gestes, sa manière de rire et de
marcher, qui unissaient la femme que je suis à l’enfant
que j’ai été. J’ai perdu le dernier lien avec le monde
dont je suis issue. [p. 106]

163
164
Hélène GRIMAUD
(née en 1969, à Aix-en-Provence)

Personnalité polyvalente, Hélène Grimaud est


connue surtout comme pianiste de renommée
internationale.

Variations sauvages (Paris, Robert Laffont, 2003)

En 2003, paraît chez Robert Laffont sa première


prose, Variations sauvages, dont le succès fut remarquable.
Au début de sa carrière à cette époque-là, tout en
étant encore une enfant à la recherche d’elle-même,
Hélène s’efforçait de dominer un certain trop plein
d’énergie « qui voulait sortir, s’exprimer, s’évader » [p.
14].
Les Variations sauvages exposent, donc, l’histoire de
l’enfance et de l’adolescence et des premiers succès
concertistes d’Hélène Grimaud, entremêlée avec une
autre passion, que la jeune virtuose se découvre pour les
loups (à l’âge d’une vingtaine d’années à peine passées) et
qui lui offrira une sorte de re-lancement artistique.
Variations sauvages, livre (auto)biographique en
diptyque, présente le profil d’une pianiste, d’une
humanitaire, mais aussi d’une écrivaine accomplie : entre
la musique et sa passion pour le moins exotique, sinon
étrange pour les loups, le discours du livre incite les
exégètes à s’y arrêter un instant.

165
Le livre peut être partiellement considéré comme
un récit autobiographique. Certains arguments
incontournables s’y trouvent : l’emploi de la première
personne du singulier, l’identification du personnage-
narrateur et de l’auteur par l’utilisation du nom réel
d’Hélène Grimaud, la présence de nombreux détails réels
concernant le parcours de la pianiste depuis son enfance,
ses études avec Jacqueline Courtin au Conservatoire
d’Aix-en-Provence, avec Pierre Barbizet au Conservatoire
de Marseille, puis dans la classe de Jacques Rouvier au
Conservatoire National de Paris, jusqu’au moment où elle
décide de partir aux États-Unis et d’y fonder un centre de
recherches du comportement des loups, consacré à leur
sauvegarde et à leur réinsertion dans le milieu naturel.
Le parcours d’Hélène s’ouvre par une négation :
« Je n’ai aucune nostalgie de l’enfance » [p. 11] – phrase
qui sera déterminante pour son enfance et son
adolescence turbulentes. Hantée par l’équilibre, la très
jeune Hélène recourait à l’automutilation parce qu’elle
avait une manie obsessionnelle de la symétrie des choses,
même à l’égard de ses blessures d’enfance. Cette hantise
de l’équilibre amènera plus tard la pianiste à réaliser un
véritable éloge aux mains, à la gauche autant qu’à la
droite… Peu de compositeurs s’appliquent à la musique
ambidextre. Chopin en est l’inventeur (le suivent Liszt,
Scriabine, Ravel et Fauré) et Hélène Grimaud, gauchère,
le glorifie au long de quelques pages remarquables.

166
Éric-Emmanuel SCHMITT
(né en 1960, à Sainte-Foy-lès-Lyon)

Voici un écrivain dont les récompenses pour son


œuvre sont impressionnantes en nombre et prestige.
Éric-Emmanuel Schmitt est l’un des écrivains
majeurs de nos jours qui propose une œuvre faite de
quelques paradoxes comme celui d’un texte bref basé sur
un thème simple et unique qui se révèle d’une
extraordinaire profondeur.

Ma vie avec Mozart (Paris, Albin Michel, 2005)

Ce n’est pas le livre où l’auteur raconte son


enfance, bien qu’il soit de facture autobiographique.
L’histoire commence dès ses quinze ans, donc, on peut
dire qu’elle se trouve dans le prolongement de l’enfance :
l’adolescence et la première jeunesse.
Comme le suggère le titre, il y est question de la
vie de l’auteur et de... Mozart, le compositeur qui le sauve
de plusieurs situations-limites de son existence.
Le livre se présente sous forme épistolaire, chaque
lettre, non-signée à la fin mais supposée appartenir à
l’auteur-narrateur-personnage, s’adressant à Mozart.
C’est un dialogue atemporel, expliqué ainsi par Éric-
Emmanuel Schmitt :

167
Voici l’essentiel de nos échanges : mes lettres,
ses morceaux. Mozart s’exprime en sons, je compose
des textes. Plus que maître de musique, il est devenu
pour moi un maître de sagesse, m’enseignant des
choses si rares, l’émerveillement, la douceur, la sérénité,
la joie... [p. 6]

Ma vie avec Mozart est accompagné d’un CD avec


seize des meilleurs enregistrements de morceaux de
Mozart que l’auteur considère comme essentiels pour
l’avoir gardé en vie [p. 5] et pour l’avoir aidé à dépasser
des moments difficiles de sa vie.
En fait, à quinze ans, l’auteur a voulu se suicider.
La raison peut donner cours à un long débat et elle trouve
sa place particulière dans la thématique de notre présente
intervention :

De quoi souffre-t-on à quinze ans ?


De ça, justement : d’avoir quinze ans. De ne
plus être un enfant et pas encore un homme. [p. 7]
Je cru avoir pénétré le sens de la vie : la mort.
Si la mort s’avérait le sens de la vie, alors la vie
n’avait plus de sens. [...] Pourquoi la conserver, cette
vie dépourvue de vie ? [p. 11]

Selon l’auteur, c’est Mozart qui lui a tendu la main


et l’a sauvé, « c’est lui qui a commencé notre
correspondance » [p. 5]. Leur dialogue sera un prétexte
pour Schmitt de réflechir sur plusieurs aspects de la vie,
particulièrement de la sienne, de repenser le monde et de
parcourir la vie d’une façon plus rassurée, grâce à la
musique.

168
Amélie NOTHOMB
(né en 1966, à Etterbeek, Belgique)

De son vrai nom Fabienne-Claire Nothomb, née


dans une famille de nobles (son père est baron et
diplomate), l’écrivaine étonne par le rythme de ses
publications (un roman par an).
Elle a déjà reçu des récompenses importantes
comme le Grand Prix de l’Académie Française (Stupeur et
tremblement, 1999), le Prix de Flore (Ni d’Ève ni d’Adam,
2007) et le Prix Jean Giono (2008, couronnant l’ensemble
de son œuvre romanesque).
Plusieurs romans d’Amélie Nothomb ont une
portée autobiographique. Mais son attitude concernant ce
genre tant utilisé aujourd’hui est assez atypique : elle
utilise des biographies imaginaires et les déclare réelles.
Par conséquent, l’identité ou les identités de l’écrivaine
font le sujets de plusieurs études les dernières années.

La nostalgie heureuse (Paris, Albin Michel, 2013)

Le livre La nostalgie heureuse commence par une


phrase qui peut être considérée comme inoubliable :
« Tout ce que l’on aime devient une fiction. » [p. 7].
Le texte recompose une histoire d’enfance et
d’adolescence dans le cadre du lointain Japon. Les ans
passés là-bas, depuis la naissance, reviennent petit à petit
dans le souvenir de la narratrice grâce à un voyage qu’elle

169
va entreprendre pour le lancement de son roman
Methaphysique des tubes (Albin Michel, 2000), un autre
livre autobiographique dans lequel l’héroïne raconte ses
trois premières années passées au Japon.
La nostalgie heureuse, c’est un retour aux origines et
au pays du succès. Le récit se retrouve au carrefour des
souvenirs et des réflexions actuelles sur le passé, au
milieu d’un ton partagé entre une certaine mélancolie et
l’autodérision, moins caustique que dans d’autres textes
de Nothomb.
« Débarrassée de l’Occident » [p. 138], la narratrice
avoue : « Je suis une aspirine effervescente qui se dissout
dans Tokyo » [p. 139]. Elle ne raconte pas en réalité son
« impasse émotionnelle » que lui produit le voyage dans
le pays de son enfance, puisque c’est du domaine « de
l’indicible » [p. 152].

170
Pascal BRUKNER
(né en 1948, à Paris)

Pascal Buckner fait partie de la catégorie des


écrivains majeurs d’aujourd’hui. Renommé pour
plusieurs essais et romans parmi lesquels Le Nouveau
Désordre amoureux (1977, en collaboration avec Alain
Finkielkraut), La Tentation de l’innocence (Prix Médicis
essai, 1995), Lunes de fiel (1981 – adapté et porté à l’écran
par Roman Polanski), Les Voleurs de beauté (Prix Renaudot,
1997), etc.
Engagé politiquement, autrefois de gauche, puis il
se revendique du camp proressiste.

Un bon fils (Paris, Grasset, 2014)

Voici un roman tout récent, qui vient de paraître et


qui surprend dans une certaine mesure le lecteur de
Bruckner, non habitué à parcourir des textes de lui
ouvertement autobiographiques.
« Il est l’heure d’aller dormir. » [p. 11] – voici le
début de ce livre sur l’agressivité paternelle, comme on le
découvrera à partir de l’incipit même. Une phrase qui
renvoie à une scène récurrente d’un souvenir d’enfance,
celle du coucher, sauf que la séquence de Bruckner ne
crée pas une atmosphère tranquille, propre au sommeil,
par contre :

171
J’ai dix ans. Après un bref recensement des
fautes du jour, j’adresse à Dieu, notre Créateur tout-
puissant, une requête. [...] Je Lui demande simplement,
je L’abjure de provoquer la mort de mon père, si
possible en voiture. [...]
« Mon Dieu, je vous laisse le choix de l’accident,
faites que mon père se tue. » [p. 11]

Antisémite convaincu, grand admirateur de


l’Allemagne nazie, René Bruckner devient dès les
premières lignes du livre un personnage négatif. D’abord,
le lecteur pourrait considérer que c’est le fils qui est
terrible – car personne ne s’imagine pas une telle haine de
la part d’un enfant. Cependant, la page suivante, on
apprend des « punitions » corporelles violentes
appliquées par le père... Il s’agit d’une agressivité exercée
non seulement à l’encontre du fils, mais aussi de sa mère
qu’il humilie (voir le chapitre « Tendresses conjugales »).
De santé fragile, tuberculeux, envoyé en Autriche
pour soigner ses poumons à la campagne, le fils prie le
soir pour que son père soit mort. Avec conviction. Et pour
cause : « Rentrer dans l’intimité de notre famille, c’était
comme soulever une pierre sous laquelle grouillent les
scorpions. » [p. 55]
Paradoxalement, c’est à son père et à son souvenir
que Bruckner doit son œuvre : « Je n’ai qu’une certitude :
mon père m’a permis de penser mieux en pensant contre
lui. Je suis sa défaite : c’est le plus beau cadeau qu’il m’a
fait. » [p. 251]

172
En guise de conclusion

Le thème de l’enfance s’avère être inépuisable. Au


bout de la lecture des écrivains que nous venons de
présenter plus ou moins brièvement, nous sommes
arrivée à la conclusion – qui est, en réalité, un lieu
commun, peut-être, – que chaque enfance est unique. Il
n’y a pas deux enfants qui passent par les mêmes
expériences et, même dans le cas où les expériences sont
les mêmes (le cas des jumeaux parfois) ou elles se
ressemblent beaucoup (parents affectueux, milieu
chaleureux, position socio-professionnelle avantageuse,
ou, au contraire, abandon, décès, parents divorcés,
conditions précaires de vie, etc.), les enfants les perçoivent
différemment. Chacun vit et ressent un événement d’une
façon personnelle, en fonction non seulement de l’amour
ou de l’adversité de ses parents, mais aussi à la suite de
certaines déterminations innées (le tempérament, pour ne
donner qu’un exemple), des prédispositions ou de la
capacité de faire ou non face aux provocations de la vie.
Bien sûr que le contexte familial est fondamental
pour la formation ultérieure de l’adulte. Un milieu
harmonieux, avec un penchant pour les arts (Gide, Proust,
Gary) est un tremplin pour les artistes qui y trouvent les
resources pour leur œuvre.
Le moment des premières lectures est lui aussi très
important et il est remémoré par chaque écrivain. On ne
peut pas ignorer qu’un enfant orienté vers certains livres
ou qui, chez lui, se trouve dans un contact immédiat et
173
enrichissant avec une bibliothèque (Sartre, Proust,
Pagnol) est un chanceux, tandis qu’un autre enfant, privé
des recommandations parentales sur le plan de la lecture
(Perec) ne reste pas un ignorant, mais arrive à découvrir
l’univers des livres en autodidacte.
Une autre scène qui ne manque pas de souvenirs
d’enfance est le moment du coucher le soir. De nouveau,
les remémorisations sont variées car la scène elle-même se
passe différemment : Marcel (Proust), avec le chagrin que
sa mère va le quitter après le baiser de bonne nuit,
s’efforçant de trouver des stratagèmes pour la faire y
rester plus longtemps ; Natacha (Sarraute), habituée que
son père part de la chambre juste avant qu’elle ne
s’endort ; Georges (Perec), assumant un destin immérité,
passant le soir et la nuit tout seul dans le dortoir même
pendant le Noël ; Jean, dit Brasse-Brouillon (Bazin),
supportant la suppression des poêles et des oreillers dans
la chambre à coucher par « mesure de précaution », et
ainsi de suite.
Un autre aspect important dans l’éducation des
enfants devenus artistes et dont ils racontent sans
exception est l’attitude à l’égard de la foi religieuse,
d’abord de leur parents, puis d’eux-mêmes. L’attitude des
parents sont transmises ou non aux enfants. Forcés à
respecter la morale chrétienne, ils peuvent s’y soumettre
de bon gré ou être contraints par la circonstance. Par
exemple, Guibert raconte que « la messe est une torture »
[Mes parents : 63], cependant il y a une condition qui régit
son obéissance : si les enfants (soeur et frère) ne
participent pas à la messe, « on n’a pas les dix francs
d’argent de poche hebdomadaire » [Ibid.]. Ce n’est pas

174
une conviction des enfants, c’est quelque chose
d’extérieur qui agit comme une contrainte. Sur ce point, il
y a d’autres exemples, à partir de Gide face à la rigidité de
sa mère à l’égard des principes religieux et la tentation à
des « mauvaises habitudes », Hervé Bazin, obligé à suivre,
dans la chapelle familiale, chaque soir, le rituel d’une
confession publique qui n’a rien de pieux, mais c’est un
stratagème de la part de Folcoche – la mère-vipère –,
d’apprendre tous les secrets de ces trois fils dans le
moindre coin de leur âme.
Le modèle religieux des parents ne s’héritent pas.
Les écrivains décrits dans notre intervention auront,
chacun, en adulte, un choix délibérément fait par rapport
à la foi. Mais il ne faut pas ignorer cet aspect : lorsqu’on
impose quelque chose, on peut s’attendre à une rébellion
à l’âge de l’adolescence et une option contraire aux
attentes des parents à l’âge de la maturité (voir le choix de
l’homosexualité – féminine et masculine –, ou le suicide).
Écrire son enfance ce peut être un salut (Perec), un
essaie de récuperer un portrait par l’apréhension de
certains mots affectueux informulés (Sarraute), une quête
d’identité (Camus), un défoulement d’une rancune
(Bazin), un revécu d’un univers paradisique lointain
(Collette), un hommage à la mère (Gary), un besoin
d’expliquer une émotion profonde insoupçonnée (de
Beauvoir), la passion pour créer et recréer des fictions
(Céline), un aveu d’une dissimulation continuelle (Sartre),
une révélation de certaines sensations passées et
mélangées aux plus récentes (Proust), un prétexte
d’expliquer un choix et une façon de vivre (Gide,
Guibert), une nostalgie lumineuse (Pagnol).

175
Avant 1900, l’enfance – la leur avec priorité – n’a
pas été du tout évitée par les écrivains. Voici quelques
preuves : Michel de MONTAIGNE (1533-1592), Essais
(Simon-Milleange, Bordeaux, (1580-1522) ; François-René
de CHATEAUBRIANT (1768-1848), Mémoires d’outre-
tombe (12 volumes, La Presse, 1849-1850) ; Jean-Jacques
ROUSSEAU (1712-1778), Les confessions (1770), Les rêveries
du promeneur solitaire (1778) ; STENDHAL (1783-1842), Vie
de Henry Brulard (1890), Souvenirs d’égotisme (1892) ;
Henri-Frédéric AMIEL (1821-1881), Fragments d’un journal
intime (1884, 1887, 1923, 1927), Journal intime (XII volumes,
L’Âge d’Homme, 1983-1994) ; Jules VALLÈS (1832-1885),
Jacques Vingtras : L’Enfant (1979), Le Bachelier (1981),
L’insurgé (Charpentier, 1886) ; Jules RENARD (1864-
1910), Poil de carotte (Flammarion, 1894).

Chaque écrivain semble à un moment donné tenté


de raconter son enfance, de se raconter par le prisme de
l’adulte qui, en artiste, se permet une parabole, une
métaphore ou un ajout quelconque et, en homme, ne peut
se retenir à faire certains commentaires et justifications –
pour lui ou pour le juge qu’est, finalement, toujours le
lecteur. Même les écrivains contemporains « tombent
dans le piège » du souvenir, comme l’est Pascal Brucner
récemment (Un bon fils). La limite entre autobiographie et
autofiction est tellement fragile que le lecteur devrait
plutôt ne pas essayer de délimiter le vécu proprement dit
et la partie inventée – parfois par nécessité (voir le
manque de souvenirs d’enfance de Perec). Ce qui nous a
frappée dans les livres que nous avons choisis (chacun
basé sur une histoire particulière), c’est l’émotion intense

176
qu’ils dégagent et qui parvient à contaminer le lecteur.
D’autre part, il est sans doute à découvrir que dans la
majorité des cas, l’œuvre entière d’un écrivain est
déterminée soit par plusieurs événements de l’enfance
proprement dite des écrivains, soit, en effet, par l’histoire
écrite et publiée de leur premier âge. En d’autres mots,
l’on peut parfois interpréter l’œuvre littéraire, la fiction
des écrivains, si l’on connaît des éléments définitoires du
passé vécu indéniablement par leurs auteurs (voir Camus,
son personnage Meursault et l’insistance sur
l’indifférence).
Notre présente démarche sur l’enfance racontée
par les écrivains, avec un focus sur la leur, n’est qu’un
commencement. Nous allons la poursuivre, d’une façon
plus approfondie, dans le cadre d’un projet de recherche
plus ample, en nous appuyant sur les textes des écrivains
contemporains ci-joint dans la brève présentation qui
précède ce point final.

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liés au thème de l’autobiographie et de l’autofiction
rencontrés à travers la littérature de spécialité

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intervention au colloque « Diaris i Dietaris », 10-12
novembre 2005, organisé par le Département de Philologie
Catalane de l’Université d’Alicante,
http://www.autopacte.org/Antifiction.html).
anti-journal
antimémoires (A. Malraux, Antimémoires, Gallimard, 1967 ).
autobiographie
autobiogre (Hubert Lucot, Autobiogre d’A.M.75, Éditions
P.O.L, 1980).
autofabulation (Vincent Colonna) (/« fabulation de soi »).
autofiction / auto-fiction / autifiction
autofriction (Gilles Martin-Chauffier, « Christine Angot ou
l’auto-friction », Paris Match, http://www.parismatch.com/
Chroniques/LIVRESQUE/Christine-Angot-ou-l-auto-
friction-224089.
automythobiographie (Claude Louis-Combet, « De
l’automythobiographie », Revue des sciences humaines, vol. 15,
Université Charles de Gaulle, Lille III, 2001, p. 69-74.)
autopacte
autoportrait
biographème (« point de passage obligé dans toute biographie
(date de naissance, formation reçue, etc.) »,
http://www.universalis.fr/dictionnaire/biographeme.
biographie
carnet(s)

201
circonfession (Jacques Derrida, Circonfession, Gallimard,
1991).
curriculum vitae (syntagme utilisé par Michel Butor pour
désigner le genre autobiographique).
écriture de soi
égolittérature / ego-littérature (Philippe Forest).
fiction du réel
fiction biographique
genre des « vies »
introspection
journal
mémoires
mémoire involontaire
moi de l’écriture / moi personnel
mythobiographie
non-fiction
nouvelle autobiographie
otobiographie
pacte autobiographique
prose de mémoire
récit autofictif
récit de filiation
récit d’enfance
relecture de soi
restitution de soi
roman personnel
roman vécu
« secrets de famille »
soi-même comme un livre
témoignage

202
203

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