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L’enfant martyr.

(pour Le Monde 1984)


Alors que tu souris, toi, mon enfant,
Bercé par la tendresse et l'affection des tiens.

Pense à celui qui pleure, là-bas sous les canons.


Il n’a jamais connu ni sourire ni tendresse,
Et souffre sans comprendre la cruauté des hommes.

Alors que tu apprends écoutes et récites,


Les poèmes et l’histoire de ceux qui sans passion
Ont bâti la paix sur des fondations fragiles,
Pense à celui qui apprend la guerre, les armes et la terreur,
Sans jamais se plaindre du funeste destin
Qu’une troupe fanatique a choisi pour lui.

Alors que tu t’instruis, grandis et t’épanouis,


Pense à la fleur qu’on piétine sans en attendre le fruit.
Cet innocent sacrifié ignorant qu’il est Dieu,
Ce monstrueux bourreau,
Le sang d’un innocent,
La mort d’un jeune enfant.

Et si soudain tes yeux s’embuent de larmes,


La tristesse t’envahit, l'injustice te révolte,
Pense à cet enfant qui enfin ne pleure plus :
il a cessé de vivre, il a trouvé la paix,
le visage figé dans une dernière souffrance.

Et si un sourire enfin vient à passer,


c’est déjà celui de l’ange qui l’emmène tout là-haut,
Là où les vautours ne l’atteindront jamais,
Là où cette paix retrouvée enfin est éternelle.

Et s’il te vient l’envie de hurler,


Alors demande avec force, autour de toi et à tous ceux qui clament leur impuissance :
Pourquoi !
Et si gênés ils te répondent :
Il n’y a rien à faire

Tu t’en iras en silence et murmureras :


Comment ont-ils crié sans que personne ne les entende.
Et que tous soient restés sourds aux sons de ces voix faibles, lointaines et suppliantes.
Comment pourrai-je désormais vivre en paix sans entendre cette détresse.

Tu te mettras alors en route, heureux d’avoir enfin senti le dernier soupir d’une atroce
agonie,
Heureux d’avoir enfin senti l’ultime sursaut d’une âme entrant au Paradis.
Heureux de partir sans attendre que cette âme t’oublie.

JL CHRETIEN 1984

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