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mondes du travail
Accueillir le bouleversement – Comprendre les enjeux – Structurer
l'avenir – Relever les défis de la pandémie
© William Monlouis-Félicité, David Melki Jean-Claude Javillier, 2022
ISBN numérique : 979-10-262-9930-1
www.librinova.com
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Jean-Claude JAVILLIER
David MELKI
À ma fille Raphaëlle
William MONLOUIS-FELICITE
Après plus d'une dizaine d'années en tant que dirigeant de filiales dans
divers secteurs, william MONLOUIS-FELICITE s'oriente vers le conseil en
responsabilité sociale des entreprises. Expert en normalisation, il a participé
au Comité National de « Développement durable et responsabilité
sociétale » au sein de l'AFNOR, notamment dans la phase de rédaction et de
développement de la norme ISO 26000. Il a été pendant plusieurs années en
charge des cours d’éthique des affaires et RSE à NEOMA Business School
et également au sein de l’IAE Aix-Marseille Graduate School of
Management, à l’ISG Paris et Toulouse Business School. Il enseigne
également au CNAM Paris. Praticien en coaching individuel et d'équipe,
formateur et superviseur de coach il assure aujourd’hui la direction de la
formation de l'Ecole Linkup-Coaching. Diplômé de l’Institut des Hautes
Etudes de la Défense Nationale (IHEDN) en « Intelligence économique et
stratégique ». Sur le plan de la recherche William Monlouis-Félicité est
doctorant au laboratoire de droit social de l'Université Paris 2 Panthéon-
Assas et s’intéresse au phénomène d’intelligence normative et de
transformations des relations de travail.
Esther Melki
Valérie Monlouis-Félicité
Cécile Desaunay – Futuribles
Michaël Amado - Cabinet Amado
Rafik Smati - Groupe Aventers
Christian Monlouis-Félicité
Louis Kergall
Emery Jacquillat
Joël de Rosnay
Mathieu Ricard
Les ressources humaines ont dû s’adapter. Cette mutation n’est pas une
transformation d’un ancien monde vers un nouveau monde ; cette mutation
est « LE » nouveau monde du travail. À savoir un changement permanent,
rapide et qui a des chances d’être perpétuel…Un bouillonnement qui, en
laissant certains salariés sur le côté, laisse également perplexes les habitués
du bureau, de l’usine, des espaces traditionnels du travail. Pour autant, ce
monde en perpétuel changement, fait d’interactivités, de connexions et de
projets à construire toujours plus vite, s’est révélé être une aubaine pour les
jeunes générations. Car il fait appel à plus d’inventivité, plus d’adaptabilité,
plus d’échanges et plus de mobilité. Autant d’aptitudes qui ont su séduire
les créateurs et innovateurs. Pour nombre de jeunes, le télétravail, le
coworking et le mode projet sont bien plus attrayants et plus enrichissants
sur le plan professionnel, mais aussi sur le plan humain, que l’entreprise
hyper-hiérarchisée avec ses horaires et sa rigidité. Quant au syndicalisme, il
leur semble de plus en plus éloigné de la défense de leurs droits, pour ne
pas dire dépassé par leur schéma d’appréhension des problématiques
contemporaines.
Ces nouvelles formes de travail sont-elles en train de détruire
l’indispensable « lien social » que les hommes tissent entre eux, au-delà de
leurs intérêts individuels ? La réponse est clairement « Non » ! Les
nouvelles technologies de l’information ont aboli bien des frontières. Le
partage rapide des informations a permis de mettre en évidence les
interactions entre les activités d’une entreprise et son impact humain et
écologique. En conséquence, toutes celles et ceux salariés, comme
travailleurs indépendants ont au contraire une exigence éthique de plus en
plus forte et demandent un encadrement qui va dans ce sens.
L’ampleur de la crise sanitaire de 2020 et 2021 contraint les sociétés à
naviguer dans un environnement inédit et à répondre aux défis humains,
sociaux et environnementaux engendrés par cette crise. Ces préoccupations
sont au cœur de la notion de Responsabilité Sociétale des Entreprises. Dans
un monde complexe, de plus en plus interdépendant, impactant, où tout
s’accélère, ce concept semble apporter une réponse propre à rassembler tous
les acteurs de l’entreprise et de son système. Il oblige à poser le
management d’aujourd’hui autour d’un projet de développement durable
tant sur le plan économique qu’éthique. Encore faut-il favoriser et penser
les conditions de nouvelles régulations qui, au-delà des règles du travail,
favoriseront l’adaptation, le changement, l’innovation, dans des conditions
humainement responsables et acceptables.
Le changement de paradigme du monde du
travail
William MONLOUIS-FELICITE
Le temps des incertitudes
Nouveaux mondes :
L’ère digital :
du rapport au travail
opportunités et risques
David MELKHI
De l’invention pratique à l’innovation
engendre le court-termisme
et d’innovation
Rapport au travail
William MONLOUIS-FELICITE
Complexité des enjeux d’un monde en mutation
La RSE n’est pas une démarche curative mais plutôt préventive. Corriger
les impacts négatifs est nécessaire ; mais les anticiper est bien plus
motivant. Et les éradiquer, plus encore. C’est donc une forme de gestion,
voire de prévention, du risque. Cette démarche oblige à anticiper dans la
mesure où elle place le dialogue et la concertation au cœur des projets de
l’entreprise.
Doit-on aller vers plus de souplesse ou plus d’engagement ? Au fond,
rien ne sert d’opposer, encore une fois, l’un à l’autre puisque la souplesse
rend l’engagement soutenu et durable, et que l’engagement favorise la
souplesse. Là encore, cette souplesse permet une meilleure régulation de
l’entreprise et un curseur d’engagement positionné à un niveau acceptable
pour elle et ses collaborateurs. Autrement dit, il s’agit bien de fixer les
limites de cet engagement à des objectifs réalistes. On revient au curseur : «
Jusqu’où puis-je aller ? ». Car si la RSE définit des objectifs, elle n’en
arrête pas les limites.
C’est l’entreprise elle-même, en fonction de sa propre éthique, de critères
d’acceptabilité et de faisabilité, qui fixera le cadre et les limites de son
engagement. D’autant que la démarche peut être progressive, se concevoir
par étapes et mûrir dans le temps. Pour les syndicalistes la RSE peut être
l’opportunité de renforcer leur légitimité comme interlocuteurs solides et
autonomes, ouverts aux échanges multi-acteurs. Sa construction avec les
parties prenantes et non pas de façon unilatérale permet de mobiliser les
ressources du dialogue social autrement que par un plan d’action imposé :
en impliquant les acteurs internes voir externes, le plus en amont possible.
Le dialogue avec les parties prenantes est au cœur de la démarche de
responsabilité sociétale. Les parties prenantes (stakeholders) sont, selon
Freeman (1984), définies comme "tout individu ou groupe qui peut affecter
ou être affecté par la réalisation des objectifs de l'organisation". » Les
parties prenantes d’une entreprise peuvent inclure les clients, les
organisations non-gouvernementales (ONG), les salariés, les fournisseurs,
les actionnaires, les communautés locales, et autres. Le dialogue avec les
parties prenantes est au cœur de la norme ISO 26000. Il est posé comme un
axe fondamental et incontournable de la stratégie de l’organisation dans le
domaine de la responsabilité sociale.
La prise en compte des parties prenantes amène l’entreprise à considérer
au cœur même des interactions organisationnelles une multiplicité d’acteurs
et d’intérêts au-delà des actionnaires. C’est un « changement de paradigme
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dans la vision de l’entreprise » et c’est aussi un choix stratégique pour
l’entreprise. La théorie des parties prenantes implique « une formulation
stratégique qui identifie les parties prenantes de l’organisation et qui tient
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compte de leurs attentes. » Elle fait apparaître que les relations sont à
poser au centre et à la périphérie de la vie organisationnelle. Ces
interactions permettent une compréhension profonde de l’organisation au
bénéfice de son évolution. C’est bien la question de la stabilité de
l’entreprise en tant que construit humain qui est posée par le dialogue avec
les parties prenantes.
L’objectif du dialogue avec ses parties prenantes est de prendre en
compte, avec une vision de long terme, le contexte pour agir efficacement
dans la durée. Plusieurs critères permettent d’identifier et évaluer les parties
prenantes avec lesquelles l’entreprise doit prioritairement dialoguer en
fonction des enjeux de l’entreprise, du contexte et de son cœur de métier
Toutes les parties prenantes méritent l’attention de l’entreprise. Mais
comme cette dernière n’aura souvent pas la possibilité d’entrer en relation
avec toutes en même temps. Il convient d’identifier celles avec lesquelles
engager prioritairement un dialogue.
L’entreprise peut s’appuyer sur plusieurs critères pour évaluer et
sélectionner ses parties prenantes, parmi lesquelles :
• Connaissance des enjeux et niveau d'expertise ;
• Légitimité et représentativité ;
• Pouvoir de décision, niveau et capacité d’influence (cf. qualification de
l’étape 2) ;
• Identification des intérêts des parties prenantes et de la qualité de la
relation (cf. qualification de l’étape 2) ;
• Capacité et volonté de dialoguer, degré de dépendance vis-à-vis de
l’entreprise (cf. conseil n°2) ;
• Identification de la nature des demandes formulées par les parties
prenantes (juridique, éthique, économique, médiatique, etc.).
Cette caractérisation permettra de déterminer clairement les
interlocuteurs (institutions ou personnes) et de mieux adapter le mode de
relation à établir et les résultats attendus. Cet exercice sera très utile même
s’il n’est pas totalement exhaustif ou que cette identification est appelée à
évoluer. Il faut l’aborder avec une vision dynamique et évolutive et ne pas
considérer les catégories comme figées. En fonction des sujets et du
contexte, l’entreprise pourra faire évoluer cette identification et
qualification.
En fonction des enjeux et du sujet, du degré de maturité de la démarche
en interne, des échelles de temps dans laquelle elle s’insère, de l’éventuel
historique de la relation, l’entreprise doit se poser la question de la forme de
dialogue à adopter pour chaque partie prenante en fonction des objectifs
visés. Bien entendu, il peut exister différents niveaux de relations selon les
parties prenantes. L’entreprise peut développer des relations bilatérales
(dialogue plus ou moins formalisé) et/ou opter pour des formules
multilatérales qui associent plusieurs parties prenantes à la fois. Le choix
n’est pas figé et est appelé à évoluer au fur et à mesure du développement
(positif ou négatif) de la relation entre l’entreprise et la partie prenante.
Ainsi, plusieurs modes de dialogue peuvent exister, selon que l’entreprise
souhaite des relations temporaires ou récurrentes.
Le dialogue social est un outil essentiel pour pour « forcer » l’effectivité
des normes sociales de l’entreprise, autant que pour les construire ou les
faire progresser de l’intérieur. Elle permet aux acteurs salariés une analyse
globale de la place de l’entreprise dans son écosystème et d’en saisir des
mécanismes essentiels favorisant la compréhension commune des enjeux de
l’entreprise. Elle incite les entreprises et les parties prenantes internes et
externes à se tourner vers une vision globale et de long terme de la
performance et du système normatif visant l’anticipation des situations de
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crise . Cette efficacité traduit l’intelligence normative qui résulte de la
problématique RSE. Il semble que dans ces espaces se dégage une
démarche permanente d’ajustement entre le fonctionnement de l’entreprise,
ses impacts et ce qui l’impact. Cette interaction amène les acteurs de
l’entreprise à une recherche d’équilibre de relation et de régulation avec
leur système. A savoir une capacité à s’adapter face à des impacts et par une
combinaison de solutions qui permettront de garantir un certain équilibre
normatif dynamique
Dans cette approche globale, où les collaborateurs et les collaboratrices
sont parties prenantes et non des « instruments », c’est tout le rapport au
management, au dialogue et à la responsabilité qui doit être questionné. La
RSE pose les fondements d’un droit du travail « authentique » qui peut
nourrir une dynamique consensuelle. Elle est un outil au service de toutes
les personnes de bonne volonté et non un document obscur utilisé par les
unes pour se protéger des autres. La réglementation permet à deux
personnes qui ne s’entendent pas de travailler ensemble. S’apprécier
réciproquement et pratiquer une bienveillance dans le quotidien sont un
luxe réservé aux entreprises particulièrement tournées vers le partage des
objectifs et des moyens, et rayonnant à l’extérieur.
Dans cette dynamique, le changement, l’adaptation et les éventuelles
évolutions pourraient ainsi être facilitées par un cercle positif de relations
s’inscrivant en tant que système symbolique et médiatisant le
fonctionnement de l’organisation, La souplesse de l’organisation passant
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alors par une capacité dialectique forte. Comme le précise Calori (2002) :
« Dans la plupart des entreprises, la probabilité d’un consensus spontané
entre les acteurs sur une question nouvelle est relativement faible (à moins
que l’entreprise ait déjà parfaitement imprimé son code dans les cerveaux
de tous ses membres). Alors le débat dialectique devient une source
d’apprentissage de nouvelles idées et de coordination d’actions nouvelles
(irréalisables selon les routines déjà instituées) ».
Dans les cas extrêmes, sans contradiction, l’entreprise ne courre-t-elle pas
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le risque d’Icare ? (Miller 1990 ) : « une dégénérescence progressive
résultant d’une pensée collective homogène, inspirée des recettes des succès
passés que l’on ne remet pas en question. ».
Les pratiques de RSE peuvent être considérées comme de nature à
développer une dynamique sociale ainsi que des relations professionnelles
au plan national et au sein de l’organisation. L’incitation en France à de
telles pratiques, par divers procédés, participe d’une volonté de pédagogie,
d’innovation sociale et de nouvelle articulation entre interventions
publiques et initiatives privées dans le cadre des relations de travail.
On peut parler d’une forme de capacité adaptative. Un phénomène
d’intelligence normative qui peut d’autant plus s’exprimer que la nature des
objectifs positifs des normes RSE le permet. En effet, dans ce cadre : ils
n’émanent pas au sens stricto sensu d’une motivation externe (législation),
mais d’une motivation interne des acteurs de l’organisation, ce qui
développe le sentiment d'appropriation par chacun d’entre eux dans une
collaboration à la co-construction normative. Dans cette dynamique, le
changement, l’adaptation et les éventuelles évolutions pourraient ainsi être
facilitées par un cercle positif de relations s’inscrivant en tant que système
symbolique et médiatisant le fonctionnement de l’organisation, La
souplesse de l’organisation passant alors par une capacité dialectique forte.
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Comme le dit Alain Coursaget « La recherche d’une l’interopérabilité
entre les parties prenantes permet aux organisations d’acquérir une
meilleure conscience d’elles-mêmes et de leur environnement ; de mieux
communiquer ; de se comprendre (interopérabilité sémantique,
interopérabilité des informations, interopérabilité des modèles utilisés et des
systèmes d’information) ; de s’entraider (interopérabilité des moyens, des
ressources). » L’interopérabilité facilite également le fonctionnement en
réseau. Selon ce même expert, la mise en réseau des parties prenantes
apparaît alors comme un atout dans l’organisation de gestion de crise car
elle permet de contribuer à une compréhension élargie de la situation et à
l’élaboration de réponses normatives mieux adaptées puisque construites
collectivement. L’interopérabilité pour la gestion de crise a fait par ailleurs
l’objet de travaux de normalisation sur les questions des normes de
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sécurité . Ces travaux de réflexion font apparaître qu’elle peut être vue
comme un élément participant à la diminution de l’incertitude et à une
meilleure prise de décisions, au maintien de l’agilité dans un environnement
changeant, à une meilleure affectation des ressources en fonction des
priorités définies, à une plus grande efficacité de la coordination ainsi qu’à
un meilleur suivi des actions.
Le management des parties prenantes, internes et externes, est un élément
clé dans la mise en œuvre de la RSE. Les bénéfices pour l’entreprise
dépendent de son degré de connaissances des acteurs. (Lee K. et al.
2013) La théorie des parties prenantes montre l’importance de répondre à
leurs attentes et à leurs besoins. Pour les connaître il faut communiquer
avec elles et cette communication n’est pas seulement d’ordre marketing,
elle résulte d’un dialogue dans les deux sens, lequel permet à l’entreprise
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d’écouter et de répondre au public et, vice versa. (De la Broise P.,2006)
La RSE établit une connexion entre « l’identité de l’entreprise » et
« l’entreprise et ses impacts » : Impacts internes sur le management, les
collaborateurs, mais aussi externes, envers les parties prenantes telles que
les clients, la société civile ou les institutions. Impacts positifs par la
création d’emploi, impacts négatifs par la pollution, notamment. Il n’y a pas
une définition fixe de l’impact. Mais, on peut dire que celui-ci est un
« changement significatif et durable dans la vie des personnes, provoquée
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par une action spécifique ou une série d’actions. » . Partant de là, la RSE
amène à se poser deux questions : comment l’entreprise peut-elle répondre
aux attentes posées par ses parties prenantes ? et quel sera le niveau
d’acceptation de la réponse donnée ? C’est tout l’enjeu de la RSE que
d’obliger l’entreprise à concilier sa conscience d’une influence largement
extérieure à son domaine d’activité avec sa capacité à capter, à répondre,
voir à anticiper les attentes sociétales. La loi ne l’y oblige pas toujours,
même si elle crée les conditions favorables à ces initiatives.
La RSE pose deux enjeux : Le premier concerne la capacité à questionner
et à dépasser la frontière du cadre établi en interne. Le deuxième traduit
l’aptitude à s’appuyer sur l’arsenal législatif et réglementaire, pour aller
plus loin. Mais il existe aussi un troisième enjeu, qui n'exclut pas les enjeux
précédents, c’est l’innovation tout court. La RSE, va amener l’entreprise à
innover, à inventer ou réinventer de nouvelles pratiques, de nouvelles
manières de faire, plus conformes à la réalité de son environnement et
acceptées par les parties prenantes. Cette innovation peut être vue comme
un début de réponse éthique aux pressions et contingences posées à
l’entreprise. Elle l’oblige à se placer en interaction, en écoute, en dialogue,
en anticipation et en réponse à toutes celles et ceux qui sont liés,
directement ou indirectement, à son activité. Cette approche connecte
l’entreprise avec la société dans son ensemble, elle lui apporte une forme de
stabilisation puisqu’elle favorise une forme d’adaptation.
Cette vision est aussi partagée par Emery Jacquillat, PDG de la société
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CAMIF-MATELSOM entreprise à Mission dont intérêt social s’est doté
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d’une raison d’être dans ses statuts depuis 2019
« Notre approche sociétale est imbriquée dans notre approche
économique. Privilégier l’économique par rapport au social n’a plus de
sens dans le contexte actuel de crise ; nous n’existerions pas aujourd’hui si
nous n’avions pas pris dès le départ le pari de mettre le sociétal et
l’environnemental au cœur de notre stratégie.
Je crois qu’on a une chance de vivre un moment absolument incroyable
qu’aucune époque n’a connu. Nous vivons une période de crise et en même
temps de révolution et de rupture technologique. Quand on regarde ce qui
se passe avec internet, la vitesse à laquelle l’on met en réseau les
informations : jamais le savoir n’a été aussi accessible, aussi rapidement et
aussi facilement ouvert à tous et partagé. Toutes les pyramides s’écroulent.
(Cela fait longtemps qu’on dit qu’il n’y en a plus mais dans nos modes de
pensée on continue à raisonner de manière pyramidale.) Je suis optimiste
parce que ces ruptures vont créer de nouveaux territoires, de nouvelles
potentialités. Elles faciliteront l’égalité des chances. Celui qui veut trouver
une formation aujourd’hui le peut ; celui qui veut faire les choses peut les
faire. Dans le même temps, des défis incroyables se présentent à nous. Le
défi écologique en est un. Grâce aux outils dont on dispose et à la mise en
réseau de nos intelligences, on a un champ des possibles qui est formidable.
La crise n’est que le révélateur d’un changement de monde. C’est
désagréable et ça fait mal mais ce qui existera après la crise doit être
réinventé. Voilà ce en quoi je crois. On est à ce moment où l’on a la chance
de pouvoir participer à la création d’un nouveau monde. C’est à nous tous
maintenant de changer le monde ! »
Management des hommes et gouvernance :
Le droit du travail :
du monde du travail ?
L'individuel et le collectif
Les relations de travail ont tout naturellement donné lieu, au fil de
l’histoire sociale et politique, au développement d’un corps de règles
juridiques rassemblées sous un label : « Droit du travail ». C’est au
XIXe siècle, dans les pays en voie d’industrialisation que ce dernier a connu
son développement initial, avec non seulement ses principes, ses règles,
mais encore ses institutions qui restent au cœur de toutes évolutions des
conditions de travail comme de la gestion des entreprises. « Droit ouvrier »,
a-t-on écrit et aussi prôné. Un droit destiné à protéger les femmes et les
hommes au travail, à l’usine, appartenant à une même classe sociale, la
classe ouvrière. Le droit du travail est donc un droit contre ceux des
capitalistes (le droit de l’entreprise, le droit civil, notamment). Bien
évidemment, les humanistes de tous bords ont aussi contribué à
l'élaboration de ce droit ouvrier qui a entendu, en tout premier lieu, mettre
un terme aux pires conditions de travail imposées aux enfants et aux
femmes. La limitation de la durée du travail, l’instauration de protections
particulières en matière de charge de travail, furent les premiers domaines
d’un droit du travail naissant. Cependant, la maxime « classes laborieuses,
classes dangereuses » fut sans doute, en certains pays plus qu’en d’autres,
aux origines d’une séparation entre droit individuel et droit collectif du
travail, et aussi d'une défiance à l'égard de ce dernier, et d'une conciliation
permanente à rechercher entre celui-ci et celui-là.
Le premier exemple de ces difficultés, et sans doute aussi de la primauté
accordée par le droit français aux intérêts individuels sur les intérêts
collectifs, est sans aucun doute celui de la primauté du contrat individuel de
travail sur la convention collective de travail, ce en de nombreuses
situations. Il va de soi que le principe « de faveur » est au cœur de tout droit
du travail. C’est la norme la plus favorable à la/au salarié(e), qui doit être
appliquée et donc primer sur les autres. Mais il convient de préciser quelque
peu cette situation. Bien évidemment, les règles qui participent du noyau
dur de l’État de droit, qui sont d’ordre public (absolu) ne doivent pas
pouvoir faire l’objet de dérogation, même d’un commun accord (individuel,
pas plus que collectif) entre salarié(e)(es), et employeur(s). Au fait, il n’est
pas si simple de déterminer ce qui relève d’un tel ordre public « absolu »
dans le monde contemporain, tant les évolutions sociétales, technologiques
et économiques, participent d’une révolution (souvent trop peu invisible).
Sous réserve d’une détermination d’un tel ordre public, commun à tous
systèmes juridiques sur le fondement notamment des normes internationales
(droits humains et droit du travail), il reste à préciser les conditions dans
lesquelles une norme individuelle (dans un contrat de travail) peut
triompher ou non d’une norme collective (dans une convention ou un
accord collectifs de travail). Pour les juristes français, et la doctrine
(principalement universitaire des facultés de droit), c’est l’étoile du principe
de faveur qui doit toujours guider l’interprète. En d’autres termes, toute
norme plus favorable au salarié, qu’elle soit d’origine individuelle ou
collective, doit se voir reconnaître la primauté.
Une telle méthode de combinaison des règles juridiques ne saurait
satisfaire les systèmes de relations professionnelles qui veulent donner à
l’intérêt collectif une particulière force, ou encore qui veulent reconnaître
aux partenaires sociaux un pouvoir normatif déterminant au regard de la
collectivité du travail et du règlement des conflits d’intérêts (individuels)
qui ne manquent pas de se développer en son sein. Dans une telle
problématique (singulièrement au Canada et aux États-Unis d’Amérique),
qui lie démocratie majoritaire et monopole de création des normes
collectives de travail dans une même unité de négociation (par le syndicat
majoritaire, seul juridiquement habilité à négocier et administrer les normes
avec l’employeur), c’est la norme collective qui doit primer. Cette primauté
peut être radicale, en ce qu’elle élimine même le contrat individuel de
travail qui conduirait à affaiblir la norme négociée collectivement. Voilà qui
peut sembler étrange, ou sacrilège au regard du « toujours plus » social qui
gouverne les esprits et les groupes, notamment en France. Le contrat
individuel de travail semble un instrument indispensable. Cependant, il va
de soi que le rôle de ce contrat est loin d’être toujours aussi favorable qu’il
y paraît. Quant à la norme collective, qui doit s’appliquer dès lors qu’elle a
été considérée (par les juges) comme plus favorable au(x) salarié(s), il reste
à déterminer si en certains domaines, tels que l’emploi ou la durée du
travail, c’est la plus récente norme qui ne devrait pas primer. Pour cette
évidente raison que de nouveaux intérêts peuvent devoir être pris en
compte, que de nouvelles situations, singulièrement économiques, peuvent
être à intégrer dans la mise en œuvre de la norme, que la norme ancienne
peut ne point avoir pu intégrer (et dont les effets peuvent s’avérer contraires
à ceux recherchés aux origines). En bref, et en de nombreux pays, c’est la
norme collective la plus récente qui doit primer, car elle traduit la volonté
des partenaires sociaux de réaliser de nouveaux équilibres qu’on peut
considérer comme de nature à maintenir ou développer l’emploi dans
l’entreprise. Bien évidemment, la primauté de la négociation collective sur
le contrat individuel de travail implique des dispositifs pertinents permettant
de donner toute légitimité et représentation aux acteurs collectifs qui ont en
charge tant la création que l'administration des normes du travail.
Un second exemple permet d’illustrer une sorte d' « exception » française
en matière d'articulation entre droit individuel et droit collectif du travail :
le droit de grève. En France, le titulaire de ce dernier (sauf exception dans
les services publics) est le ou la salarié(e) individuellement, pourvu
qu'existe une revendication de nature collective. Il suffit donc d’être deux,
sans même qu'un syndicat n'intervienne. Ce qui est à l’opposé d’une
problématique « organique » du droit de grève. Selon cette dernière,
l’exercice du droit de grève suppose l’intervention d’un organe (le syndicat)
ou d’un groupe (avec un vote) qui, titulaire du droit de grève, en détermine
les conditions et les modalités d’exercice. D’où la terminologie, souvent
utilisée dans cette problématique juridique, de grèves « sauvages », car
déclenchées et poursuivies hors l’organe qui en est le titulaire.
En France, il existe à vrai dire une exception à cette conception purement
subjective du droit de grève, celle résultant d’un encadrement de ce dernier
dans les services publics par le dépôt d’un préavis à la charge des syndicats
représentatifs de salariés. Mais un tel dépôt n’implique nullement qu’un
vote préalable soit organisé et qu’une majorité s’impose à une minorité (de
non-grévistes). De même, la liberté du travail implique que chaque salarié
puisse ne point rejoindre le mouvement collectif (et syndical), et partant ne
pas faire grève.
Au fil de nombreuses réformes dans les récentes années, il apparaît des
volontés de mettre en œuvre de nouvelles articulations entre droits
individuels et droits collectifs en matière de relations de travail. Bien
évidemment, les représentants des employeurs et des travailleurs ne
partagent point les mêmes problématiques, non plus que des stratégies
convergentes. Cependant, il apparaît que le refus d'évolutions, et
singulièrement d'un renforcement de la légitimité des acteurs sociaux, tant
du côté des employeurs que des travailleurs, est de nature à compromettre le
droit du travail en ses fondements mêmes, et, partant, l'effectivité et
l'efficacité des règles aussi déterminantes que celles qui articulent contrat
individuel et convention collective de travail.
Pour rassurer celles et ceux qui craignent que le « mou » (le « soft ») ne
l'emporte sur le « dur » et remette en cause les législations et finalement
l'État de droit, il suffit de rappeler combien le droit international du travail,
et plus généralement les droits humains au plan mondial comme régional,
mêlent étroitement et en permanence droit à effet immédiat (« Hard Law »)
et droit à réalisation progressive (« Soft Law »). Les conventions
internationales du travail de l’OIT sont à articuler sans cesse avec les
recommandations. Ces dernières ont une importance considérable dans la
régulation sociale internationale, qu'elles précèdent l'adoption d'une
nouvelle convention ou qu'elles l'accompagnent aux fins d'inciter les États à
aller plus avant dans les bonnes pratiques consacrées dans la norme
internationale du travail adoptée. De même convient-il de souligner le
considérable impact en pratique à travers le monde de déclarations qui ont
été adoptées au fil des récentes années par l'OIT. Ainsi en est-il tout
particulièrement de la Déclaration relative aux principes et droits
fondamentaux au travail (Genève, 18 Juin 1998). S’est ensuivie un double
dynamique.
En premier lieu, il en est résulté une croissante ratification des
conventions fondamentales de l'OIT (en matière de liberté d'association et
de reconnaissance effective du droit de négociation collective, d'élimination
de toute forme de travail forcé ou obligatoire, d'abolition effective du travail
des enfants, enfin d'élimination de la discrimination en matière d'emploi et
de profession). En second lieu, une appropriation de ces normes, destinées
(juridiquement) aux États dont le rôle doit rester déterminant, s'est
progressivement étendue aux parties prenantes d'une régulation sociale
mondiale diversifiée. La responsabilité sociétale des entreprises et des
organisations se nourrit de ce patrimoine social et juridique mondial. Et il
ne faut point percevoir une telle appropriation comme une privatisation
condamnable. Certes certaines pratiques de la RSEO sont à dénoncer, qui ne
présentent point les garanties d'une régulation sociale véritable impliquant
transparence et pluralisme. Le pire étant toujours que la communication
dans l'entreprise et l'organisation l'emporte sur la réalité d'une pratique de
RSEO. Communiquer ne saurait être la finalité de cette dernière. Car il
s'agit d'initier et de développer de bonnes pratiques sociétales fondées
notamment sur les normes onusiennes en matière de droits humains, de
gouvernance, de travail et d'environnement.
Aux origines d'une dynamique onusienne en matière sociétale, le juriste
peut témoigner d'un terrible constat : l'affaiblissement des États, leurs
difficultés à mettre en œuvre un État de droit. Et il n'est pas toujours mesuré
combien l'affaiblissement ou la disparition d'un tel État de droit est source
de drames humains comme de conflits géopolitiques de tous ordres. Car le
non-droit, sur tout ou partie d'un territoire, engendre mécaniquement
violences, discriminations, chômage, pauvreté et exclusions. Nous savons
qu'entre pauvreté et guerres, le lien est permanent. Nous savons aussi que
pour le développement économique des pays, la création et le
développement des emplois et des activités, la dynamique et la durabilité
des entreprises, l'État de droit est un trait d'union auquel il faut attacher la
plus grande des importances.
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exemplarité et confiance pratiquées
“il est très facile de casser et de détruire. Les héros sont ceux qui font la
paix et bâtissent”.
Nelson Mandela
et intelligence émotionnelle
Conclusion
Bibliographie
Sites internet