La maison était silencieuse. Le chevalier, étendu sur une chaise longue, dans la
véranda, méditait. Les femmes groupéesautour de la mère de famille, causaient à voix basse. Samba Diallo sortit doucement de sa chambre dans la cour, se promena de long en large, puis lentement, préluda la nuit du Coran qu’il offrait au chevalier. Sa voix à peine audibled’abord s’affermit et s’éleva par gradation. Progressivement, il sentit que l’envahissaient des sentiments comme il n’en avait jamais éprouvé auparavant. Toute parole avait cessé dans la maison. Le chevalier d’abord nonchalamment étendu, s’était dressé à la voix de Samba Diallo et il semblait maintenant qu’en entendant la parole, il subit la même lévitation quiexhaussait le maître. La mère s’était détachée du groupe des femmes et s’était rapprochée de son fils. De se sentir écouté ainsi par les deux êtres au monde qu’il aimait le plus, de savoir qu’en cette nuit enchantée, lui, Samba Diallo était en train de répéter pour son propre père, ce que, de génération en génération depuis des siècles, les fils des Diallobé avaient fait pour leur père, de savoir qu’il n’avait pas failli en ce qui le concernait et qu’il allait prouver à tous ceux-là qui l’écoutaient que les Diallobé ne mourraient pas en lui, Samba Diallo fut sur le point de défaillir. Mais il songea qu’il importait pour lui, plus que pour aucun autre de ceux qui l’avaient précédé, qu’il s’acquittât pleinement de sa nuit… Longtemps, dans la nuit, sa voix fut celle des fantômes aphones de ses ancêtres qu’il avait suscités.
Cheikh Hamidou KANE « l’Aventure Ambiguë » voiture