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TIMBRES 202 S

PAGE
DE L ORTHOGRAPHE

1001
N U M É R O E X C E P T I O N N E L

L’AFFAIRE
courir sur le haricot

EST
DANS
LE SAC
Être soupe
au lait

EXPRESSIONS
Décrocher
le cocotier
Poser
un lapin

TENIR LA
CHANDELLE
MENTIR
COMME UN
ARRACHEUR
DE DENT

L 16926 - 19 - F: 9,90 € - RD

FRANCE MÉTROPOLITAINE : 9,90 €©X[b]_gk[Ebkn[cXekh]EZecPOBOF €©jecPGMFFnf\©ik_ii[PGJY^\©YWdWZWGIBOO:YWd


Et les regles
orthographiques
deviennent...
raphiques

Un dessin vaut
1 000 mots
ÉditO

UN NUMÉRO HORS NORME !


Chers Timbrés, chères Timbrées,

Vous l’attendiez avec impatience, voici un numéro XXL des Timbrés de l’orthographe ! Plus de 200 pages
dans lesquelles se dévoilent les 1 001 expressions préférées des Français. Sous la plume alerte et érudite
de Georges Planelles, vous allez enfin tout savoir des origines parfois surprenantes de nos expressions
populaires, celles qui au quotidien enjolivent cette langue française que nous aimons tant.

Au menu, autant de découvertes que de confirmations, 1 001 « madeleines de Proust » linguistiques,


1 001 occasions de s’émouvoir, de rire, d’apprendre, de réfléchir au pourquoi du comment de cette
langue française si imaginative et imagée.

Des expressions tantôt grivoises, tantôt mythologiques, tantôt historiques. Des racines littéraires,
régionales, populaires. Des usages intenses ou dépassés, des expressions remises à la mode ou
désuètes : vous tenez entre les mains un trésor sans pareil !

Grâce à ce numéro double des Timbrés de l’orthographe, vous aurez toujours la réponse à la fameuse
question : Pourquoi dit-on ?

Bonne lecture et rendez-vous en septembre pour notre vingtième numéro !


Stéphane Chabenat
Directeur de la publication et de la rédaction

Le Magazine Timbrés de l’orthographe est édité Maquette couverture : Philippe MARCHAND


par les Editions de l’Opportun Maquette intérieure : Pinkart ltd
16 rue Dupetit Thouars 75003 PARIS.
Capital social 30 000 €. RCS Créteil 513 881 805. Secrétariat de rédaction : Brigitte DE ZÉLICOURT
Tel : 01 49 96 57 09 Photographies : EDO, DR
www.editionsopportun.com Dépôt légal : Juin 2017
Numéro ISSN : 2263-6560
Directeur de la publication et de la rédaction : Stéphane CHABENAT Numéro de commission paritaire : 0917 K 91494
Rédaction : Sylvie BRUNET, Jean-Loup CHIFLET, Bruno DEWAELE,
Bénédicte GAILLARD, Delphine GASTON, Frédérick GERSAL, Jean MAILLET,
Georges PLANELLES.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 3
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

le monde normal, comme lorsqu’un


Q Numéroter ses abattis moine s’y enfermait. Sauf que le Q Faire ses ablutions
Se préparer à combattre. moine, lui, peut garder l’espoir de
Faire sa toilette.
Vérifier l’état de ses membres quitter un jour l’endroit s’il ne lui
à la suite d’une bagarre, d’une convient pas… Ablution vient du latin ablutio
chute ou d’un accident. issu du verbe abluere qui voulait
Q Être aux abonnés dire « laver ».
L’image bizarre véhiculée par cette
expression est en fait celle de la per-
absents Dans de nombreuses religions, les
ablutions sont un acte rituel de pu-
sonne qui, se préparant à une lutte, Ne pas donner signe de vie,
rification par l’eau.
doit compter (ou numéroter) ses bras ne pas répondre – Ne pas
Chez les musulmans, par exem-
et ses jambes, afin de pouvoir les se manifester lorsqu’il le
ple, l’ablution avant la prière est
retrouver à l’issue de la bataille. faudrait.
obligatoire.
L’expression, qui date du XIXe siècle,
Auparavant, lorsqu’un abonné au Chez les catholiques, les ablutions
est souvent employée sous forme de
téléphone s’absentait de chez lui un se pratiquent au cours d’une messe
menace : « Ne me cherche pas, ou
bon moment, il avait la possibilité de lorsque le prêtre fait verser un peu
alors, numérote tes abattis ! »
signaler son absence au service des d’eau sur ses doigts pour les laver.
Le mot abattis nous vient du XIIe siècle
abonnés absents, créé en 1913. Ceci À l’époque des messes en latin,
où il signifiait « massacre » avant,
permettait à l’opératrice d’informer le prêtre récitait un psaume com-
au XVIIe, de prendre le sens de « abat-
l’appelant que son interlocuteur mençant par : « Lavabo inter inno-
toir ». Parallèlement, puisqu’on parle
n’était pas joignable. centes manus meas » (« Je laverai
d’abattoir, endroit où on découpe le
Pratique pour l’époque, ce service mes mains parmi les innocents »).
cou et les pattes (qui font partie des
a maintenant disparu, mais par une Vous avez reconnu là un mot fami-
abats), il a pris le sens argotique de
image plaisante et depuis le milieu lier qui a fini par désigner le lavage
« bras et jambes ».
du XXe siècle, on pouvait dire de toute des mains lui-même.
Et c’est avec cette dernière acception
personne qui ne donnait pas signe Lavabo a ensuite été transposé aux
qu’il est utilisé dans notre expres-
de vie ou qui ne répondait pas, quelle ablutions profanes où il a d’abord
sion, indiquant la personne qui fait le
qu’en soit la cause (personne réelle- été utilisé pour nommer le meuble
compte de ses membres, que ce soit
ment absente ou bien inconsciente), de toilette portant la cuvette et le
avant la bataille (premier sens indiqué)
qu’elle était « aux abonnés absents ». pot à eau, puis, avec la modernisa-
ou après la bagarre (second sens, tou-
Par extension, avec un sous-entendu tion, la cuvette en faïence que vous
tefois nettement moins utilisé).
négatif, l’expression s’applique aussi connaissez bien.
à celui dont on attendait fermement
Q L’abbaye la présence, une action ou une in-
de Monte-à-Regret tervention, et qui ne se manifeste
Q Par acquit
La potence, puis la guillotine. absolument pas.
de conscience
Cette appellation date du XVIIe siècle.
Au début, selon Oudin, elle a servi
Q Accuser réception Pour être sûr de n’avoir rien
à se reprocher. Pour éliminer
à désigner « l’échelle qui sert à C’est au début du XVIIe siècle qu’on
d’éventuels scrupules.
pendre » avant de désigner de trouve pour la première fois trace de
manière plus générale l’échafaud. l’accusation qui consiste à « recon- Le nom acquit est le déverbal de acquit-
S’il est certain que le condamné naître » ou « signaler », acception ter. Et si depuis le début du XIXe siècle,
monte sur l’échafaud avec beau- qu’on va trouver entre autres dans la on est familier de l’utilisation de ce
coup de regrets, le terme vient plus locution accuser la réception qui se verbe à la suite d’un procès lorsque
probablement d’une déformation raccourcira deux siècles plus tard en l’accusé est acquitté, il est aussi, depuis
de à regrès qui voulait dire « à recu- un accuser réception. bien plus longtemps, puisque cela re-
lons » : il y va à reculons avec le sens Et si, en France au moins, vous pou- monte au XIe siècle, utilisé dans d’autres
contraire de volontiers. vez envoyer à votre hôtel négligent circonstances : lorsqu’on acquitte
D’ailleurs, une autre appellation de ou à un débiteur, par exemple, une quelqu’un d’une dette ou d’une
la chose était l’abbaye de Monte-à- lettre avec accusé de réception, c’est obligation, par exemple, on l’en libère.
Rebours. parce que le bout de papier qui vous Mais on peut aussi acquitter quelque
Quant au terme abbaye, s’il a été est retourné signé par le destinataire chose.
choisi, c’est parce que c’était un accuse la bonne réception de votre Ainsi, acquitter une dette, c’est la
symbole de l’endroit où on quittait courrier par icelui. payer, acquitter sa parole, c’est la
QQQ

4 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

respecter et, c’est ce qui nous in- rapidité », comme dans les locutions considéré comme le père du peuple
téresse ici, acquitter sa conscience, se foutre dans le pétrin, se foutre par britannique qui, chez Pline, s’appelait
c’est effectuer ce qu’on croit de- terre, où on peut souvent le rempla- les Albiones.
voir faire, selon ce que dicte sa cer par ficher, se ficher (également
conscience ; ce faisant, on la libère pour « se mettre » ou « se jeter ») Q Alea Jacta est/Le dé
du poids qui aurait pu peser dessus existant déjà en ancien français. en est jeté
si on n’avait pas fait le nécessaire. Même si l’aspect sexuel du mot
Le sort en est jeté – La
Si l’expression par acquit de conscience n’est plus présent (c’est au XVIIe siècle
décision est prise, l’action est
est apparue au milieu du XVIe siècle, elle qu’on commence à trouver des
lancée, advienne que pourra.
a été peu utilisée jusqu’au XIXe siècle, foutre neutres), on lui associe tou-
puisqu’on lui préférait la variante à/ jours un côté violent relié à l’image
pour l’acquit de sa conscience qui a agressive de la pénétration sexuelle
aujourd’hui disparu. non désirée.
Maintenant, pourquoi le fait de se
Q Chercher une aiguille foutre en l’air est-il synonyme de se
dans une botte/meule tuer ?
de foin L’explication est plutôt facile à trou-
ver : celui qui se fout à l’eau sera
Chercher une chose presque
certes mouillé, mais il est peu pro-
introuvable – Vouloir réaliser
bable qu’il y perde la vie, s’il sait na-
une chose extrêmement
ger ; en revanche, celui qui se fout
difficile.
(se jette) en l’air depuis le sommet
La date d’apparition de cette expres- de la tour Montparnasse a peu de
sion n’est pas connue. Mme de Sévi- chances de se retrouver au sol en-
gné l’emploie en 1652, mais il est core vivant. Taddeo Di Bartolo, César et Pompée, 1414.
probable qu’elle soit antérieure.
Quant au sens, l’expression contient Q La perfide Albion Ce jour-là, au début de l’an 49 avant
une image suffisamment limpide. J.-C., César a joué, a pris un double
L’Angleterre.
Quiconque a déjà tenté de retrou- risque, celui de transgresser une loi
ver une personne perdue dans une Si c’est juste après la Révolution (la loi romaine imposait en effet à
foule, de chercher une information française, en 1793, qu’elle est appa- tout général de se séparer de ses
pertinente sur Internet, de trouver rue, c’est surtout au XIXe siècle que troupes avant de passer la rivière
l’origine de l’expression chercher l’expression perfide Albion s’est ré- le Rubicon) et de perdre sa guerre
une aiguille dans une meule de pandue. contre Pompée qui dirigeait Rome :
foin pour l’ajouter à son ouvrage, Cette appellation provient de deux mais il a gagné puisque le consul
s’est vite rendu compte qu’il a en- sources. ayant d’abord fui Rome, puis ayant
trepris une tâche aussi difficile que La première est un rappel de ces fa- perdu la bataille décisive de Pharsale,
de tenter de retrouver une véritable laises blanches, caractéristiques de en Thessalie, il est arrivé au pouvoir
aiguille de couture tombée au milieu la côte sud de l’Angleterre. Or il se peu après.
d’une véritable botte de vrai foin. trouve que blanc, en latin, se dit al- César a pourtant dû ressentir le fris-
Notez qu’il est tout aussi difficile de bus d’où est issu Albion. son du joueur qui jette ses dés et qui,
trouver un brin de paille dans une La seconde vient du géant Albion : sur un seul coup, peut tout perdre.
botte d’aiguilles. dans la mythologie, ce personnage, D’où ces mots devenus célèbres qui
fils de Neptune, fut tué par Hercule viennent du fait qu’une fois que les
Q Se foutre en l’air auquel il chercha à s’opposer lorsque dés sont jetés (que l’action est lan-
ce dernier passa en Gaule. Le lien cée), il n’y a plus qu’à attendre qu’ils
Se tuer.
entre ce géant et l’Angleterre nous est tombent et s’arrêtent pour constater
Si foutre a généralement une conno- donné par le poète de la Renaissance ce que le sort aura bien voulu déci-
tation sexuelle, puisqu’il vient du la- Edmund Spenser qui a évoqué « le der. Ils marquent aussi une décision
tin futuere (« avoir des rapports avec puissant Albion, père du peuple prise irrévocablement, quelles qu’en
une femme »), ici, sous sa forme vaillant et guerrier qui occupe les îles soient les conséquences.
pronominale, il a le sens moderne de la Bretagne » où la Bretagne est Alea, en latin, signifiait « jeu de
(début du XXe siècle) de « se mettre » la Grande-Bretagne. Et, effective- dés » ou « dé » et, par extension, il a
ou « se jeter avec violence ou ment, dans la mythologie, Albion est désigné le sort ou le hasard.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 5
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q T’as le bonjour Q Tirer sur l’ambulance


d’Alfred
S’acharner sur quelqu’un qui est dans une situation pénible.
Formule familière utilisée
dans différentes occasions L’image de cette expression est très explicite : une ambulance transporte
pour dire au revoir ; se généralement un malade ou un blessé. Alors, vouloir lui tirer dessus, c’est
débarrasser d’un importun ; plutôt avec l’intention d’achever complètement son passager.
ne pas répondre à une Cette métaphore est due à Françoise Giroud, écrivaine et femme politique,
question embarrassante, etc. qui, au cours de la campagne présidentielle de 1974, avait écrit un article
assassin à propos de Jacques Chaban-Delmas se terminant ainsi :
L’expression n’est pas attestée avant
« L’Élysée ? Mais en voilà assez à ce sujet. Si M. Chaban-Delmas retrouve
1930, mais c’est à partir de 1925
soudain la faveur du sort, il sera bien temps d’en parler sérieusement. En
que le dessinateur Alain Saint-Ogan
attendant, on ne tire pas sur une ambulance. »
fait apparaître le pingouin Alfred
Où l’on constate que cette expression s’emploie aussi sous une forme néga-
dans sa bande dessinée Zig et Puce,
tive pour dire quelque chose comme « vous voyez bien qu’il est déjà dans
cet animal étant adopté par les deux
une situation difficile, ce n’est pas la peine de l’enfoncer encore plus ».
héros.
Il se trouve que, lorsque Zig et Puce
réussissaient à se débarrasser d’un chasse, pour exprimer la surprise et, Et, par un élargissement de sens
adversaire ou à lui donner une le- celle qui nous intéresse, pour attirer supplémentaire, s’il mérite l’estime,
çon, ils ponctuaient généralement l’attention à distance. Ce dernier c’est qu’il est de bon goût, d’où la
la victoire par un « t’as le bonjour emploi explique que ce halloo ait été variante indiquée qu’employait vo-
d’Alfred ! ». utilisé au téléphone puis ait traversé lontiers Maître Capello.
C’est donc grâce à l’engouement l’Atlantique avec l’invention. Depuis le XXe siècle, le sens initial de
de l’époque pour ces histoires aloi étant complètement oublié, de
illustrées et leurs personnages que Q De bon/mauvais aloi bon aloi s’emploie aussi parfois pour
l’expression s’est rapidement ré- dire quelque chose comme « favo-
De bonne/mauvaise qualité.
pandue dans le langage courant. rable » ou bien « qui annonce de
Que l’on peut/ne peut pas
Le Dictionnaire du français non bonnes choses » (par confusion avec
apprécier – D’un usage
conventionnel de Cellard et Rey in- bon augure).
conforme/non conforme
dique que, pour un chauffeur de taxi
au bon goût.
ou un serveur, « avoir le bonjour Q L’alpha et l’oméga
d’Alfred », c’était avoir affaire à un Il existait au XIIIe siècle le verbe aloier
La totalité de quelque chose.
client avare ou mécontent qui ne qui était une forme ancienne du
Le début et la fin de quelque
laisse pas de pourboire. verbe allier. Le mot aloi, issu de
chose.
aloier, désignait donc un alliage de
Q Allô métaux précieux. Et qui dit alliage, Voilà une nouvelle expression d’ori-
dit truandage possible ! gine biblique.
Appel au début d’une
Lorsqu’un roi voulait frapper des Yahveh parlant par la bouche d’Ésaïe
conversation téléphonique.
quantités de pièces de monnaie tout a dit : « Je suis le premier et je suis le
Officiellement, c’est en mars 1876 en n’y mettant pas une fortune en dernier. » Il s’agissait de faire com-
qu’Alexander Graham Bell fait réel- métaux précieux, il lui était facile de prendre qu’il était là au tout début
lement fonctionner son téléphone. fausser les proportions et, ainsi, de (de l’humanité) et serait encore là à
Le premier central téléphonique à mettre en circulation des pièces « de la fin, ce qui était une manière pour
Paris est installé en 1879. mauvais aloi » (ou mauvais alliage) lui de signifier sa supériorité sur les
Dès 1880, la mise en relation entre ne respectant pas la teneur en or ou autres dieux que les hommes pou-
personnes se fait par des « hallo » en argent normalement prévue. Et vaient adorer.
venus de halloo, salutation pronon- comme ces pièces étaient de quali- Et c’est parce que saint Jean, dans
cée au début des conversations dans té moindre, aloi et qualité sont des l’Apocalypse, a exprimé cette idée
le pays d’origine du téléphone. Ce mots vite devenus synonymes dans en ayant recours aux deux lettres
hallo perdit ensuite son h pour deve- certains usages. extrêmes de l’alphabet grec dont
nir allô ou allo. Le deuxième sens proposé est une la totalité symbolise Dieu (« Je suis
Plus tard, cette même interjection extension du premier ; par exemple, l’alpha et l’oméga, le premier et le
a été utilisée dans différentes situa- on apprécie ou on estime un spec- dernier, le principe et la fin ») que
tions : pour exciter les chiens à la tacle de bonne qualité. notre expression est apparue.

6 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Vendre/Donner était une peine infamante qui se arbitre (dont il faisait partie), il évo-
son âme au diable traduisait entre autres par une pri- quait l’histoire de cet âne qui va finir
vation d’honneur (honorable = par mourir à la fois de faim et de
Promettre son âme au diable
relative à l’honneur) et était oppo- soif, car il n’aura jamais su décider
en échange d’avantages
sée à l’amende profitable, celle- s’il devait commencer par se rassa-
terrestres – Perdre sa dignité,
ci consistant en un paiement de sier ou se désaltérer.
sa liberté en cédant à des
sommes d’argent, la seule qui nous Ceci est la thèse classique sur l’ori-
tentations.
est restée. gine de cette expression.
C’est des croyances du Moyen Âge Cela dit, selon Furetière, cette
que nous vient cette expression avec Q Amis jusqu’aux autels/ expression n’est attestée qu’au
son premier sens, la version avec jusqu’à la bourse XVIIe siècle, soit trois siècles après la
vendre datant du XVIIe siècle, celle disparition de Buridan, et Aristote,
Très amis, tant qu’il n’y a rien
avec donner du XIXe. bien avant Buridan, évoquait déjà le
de contraire à la religion/qu’il
À cette époque où la religion jouait dilemme du chien en se demandant
n’est pas question de prêt
un rôle très important, les hommes comment un tel animal fait son choix
d’argent.
croyaient qu’il était possible de faire entre deux nourritures également
un pacte avec le diable et de lui Ces expressions anciennes sont peu attirantes.
abandonner son âme en échange utilisées de nos jours, mais elles
d’avantages terrestres divers. pourraient parfaitement être tou-
C’est ainsi qu’on accusait les sorciers jours d’actualité. Q Bon an, mal an
et sorcières d’avoir vendu leur âme Elles montrent simplement les limi-
Selon les années (ou
au diable en échange de leurs pou- tes que certains mettent à l’amitié,
d’autres périodes de
voirs surnaturels. lorsque des divergences d’opinions
temps, maintenant).
Au figuré, cette expression s’ap- religieuses existent ou lorsqu’un
En moyenne (avec une
plique maintenant à toute personne des deux amis est soudain dans le
notion de durée).
qui n’hésite pas à se renier, à perdre besoin.
sa dignité ou sa liberté d’action, de La version avec autel remonte à Employée au moins depuis le
réflexion ou de décision, en échange l’Antiquité à une époque où l’on XVIIe siècle, cette expression se com-
de choses qui, au moins temporaire- avait l’habitude de jurer la main prend aisément. Elle a d’abord été
ment, vont lui paraître extrêmement posée sur un autel. associée à des activités répétitives
désirables ou avantageuses. Plus tard, alors qu’Henri VIII avait sur une longue durée ; la « moyen-
demandé à François Ier de rompre ne » tient compte des bonnes et
Q Faire amende avec l’Église romaine, ce dernier lui des mauvaises années qui se suc-
honorable répondit : « Je suis votre ami, mais cèdent.
jusqu’aux autels. » Ainsi en est-il dans un vignoble, par
Reconnaître qu’on a tort.
Quant à la version avec bourse, elle exemple, de la production de vin
Demander publiquement
est souvent confirmée lorsque deux dont la qualité et le volume varient
pardon.
anciens amis se déchirent à partir du au fil des ans, mais qui, « bon an,
C’est au XVIe siècle que cette moment où il y a entre eux des pro- mal an », restent sans grandes sur-
expression apparaît, d’abord avec la blèmes d’argent. prises, les bonnes années compen-
seconde signification proposée, avec sant les mauvaises.
un sens bien plus fort qu’aujourd’hui Q Être comme l’âne Elle s’utilise maintenant beau-
puisqu’il est carrément question de de Buridan coup plus largement, même si
pénitence publique alors que, depuis la durée n’est plus un multiple
Hésiter indéfiniment – Ne pas
le XVIIIe, on l’utilise pour de simples d’années.
savoir quel parti prendre.
excuses. Il ne faut pas oublier que an
Le mot amende vient du verbe amen- Jean Buridan, né à la fin du XIIIe siècle, vient du latin annus qui désignait
der. Dès le XIIIe siècle, il désignait une était un philosophe. l’année, mais aussi la récolte.
peine, une punition correspondant à Si son œuvre écrite n’évoque pas La variabilité de la qualité et de
la réparation d’un tort, avant, bien cet âne devenu célèbre, on dit que, la quantité des récoltes dans le
plus tard, de se spécialiser dans la dans ses cours, pour discuter de cer- temps a un très probable lien avec
réparation pécuniaire. taines thèses philosophiques, et en la naissance de l’expression.
L’amende honorable, qui imposait particulier pour opposer les tenants
une demande de pardon en public, du déterminisme et ceux du libre

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 7
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Pour un point, Martin Q Un ange passe !


perdit son âne
S’utilise lorsqu’il y a un silence
Se dit lorsque quelqu’un :
prolongé dans une assemblée.
rate une affaire pour peu de
chose ; perd quelque chose Il semble qu’il n’existe aucune certi-
d’important pour une raison tude sur l’origine de cette expression.
idiote, par négligence, faute Alors je vous propose ici l’explication
de précautions très simples ; qu’évoque Alain Rey dans son Dic-
abandonne quelque chose tionnaire des expressions et locutions
d’important pour lui en croyant figurées, et que son auteur, M. Vil-
récupérer en échange quelque mos Bárdosi, linguiste spécialiste de
chose de plus important mais la phraséologie française à l’université
finalement de peu d’intérêt. de Budapest, a bien voulu me fournir
avec l’autorisation de la reproduire :
Selon Eugène Boutmy, dans son Dic-
« Selon la mythologie gréco-latine, il
tionnaire de l’argot des typographes
était interdit de parler en la présence
paru en 1883, il existe deux explica-
d’Hermès et de Mercure (son équi- Un ange jouant de la flûte, par Edward
tions à cette expression.
valent latin), dieux de la parole et de Burne-Jones (1833-1898)
La première viendrait de deux ecclé-
l’éloquence. Quand, dans une société,
siastiques, dont l’un s’appelait Martin,
quelqu’un se tait, il se fait donc le silence qui était demandé autrefois par
qui se disputaient l’abbaye de Sonane.
les habitudes religieuses de l’Antiquité au moment de l’apparition supposée
Martin perdit le procès parce que le
d’Hermès parmi les humains. Mais Hermès était aussi le messager des dieux.
mauvais emplacement d’un point dans
Comme, dans la religion chrétienne, les messagers de Dieu sont les anges, il
une phrase de l’acte de vente qu’il pré-
est logique que, dans la locution, le nom d’Hermès ait été remplacé dans les
sentait en modifiait complètement le
langues européennes par le mot ange qui, lui-même d’ailleurs, signifiait en
sens et invalidait ainsi l’acte.
grec “messager” (angelos). »
La seconde, que Pierre-Marie Quitard
Qu’ajouter de plus à cette explication qui tient parfaitement la route, parue en
présente comme étant la bonne dans
1989 dans un article intitulé « Un ange passe. Contribution à l’étymologie d’une
son Dictionnaire étymologique, histo-
locution » dans les actes d’un colloque international tenu à Strasbourg en 1988 ?
rique et anecdotique des proverbes paru
en 1842, vient de l’histoire suivante :
L’abbé d’Asello, en Italie, fit inscrire sur
la porte de l’abbaye :
Q Être aux anges Q Les Anglais ont
débarqué
« Porta, patens esto. Nulli claudaris Être très heureux, être ravi.
honesto. » (Porte, reste ouverte. Ne Être dans l’extase. Avoir ses règles.
sois fermée à aucun honnête homme.)
Dans beaucoup de religions, s’il y a un Cette expression ne date pas de juin
Mais par erreur ou ignorance, le gra-
endroit où on ne peut qu’être extrê- 1944, mais de bien avant. Rappe-
veur se trompa et écrivit :
mement heureux, c’est bien le Paradis, lez-vous ! En 1815, alors que Bo-
« Porta, patens esto nulli. Claudaris
cet endroit merveilleux où nous allons naparte a pris une dernière pâtée
honesto. » (Porte, ne reste ouverte
tous nous retrouver après notre mort. à Waterloo, les Anglais débarquent
pour personne. Sois fermée à l’honnête
Et que trouve-t-on dans cet endroit en France et vont l’occuper jusqu’en
homme.)
de béatitude éternelle, virevoltant 1820. À cette époque, ils étaient ha-
Le pape, apprenant la teneur de cette
autour de nous ou assis sur les billés d’uniformes rouges.
inscription, retira l’abbaye d’Asello à
nuages ? Des anges en pagaille ! Le lien entre ce flot d’Anglais rouges
Martin et la donna à un autre abbé
De là, il est facile de comprendre envahissant le pays et la capitale et le
qui, non seulement corrigea la faute,
qu’être parmi les anges ou être aux flux rouge du sang menstruel a été
mais ajouta :
anges est une image de bonheur facile à faire dès 1820 dans le par-
« Uno pro, puncto caruit Martinus
incommensurable. ler populaire parisien, en (mauvais)
Asello. » (Pour un seul point, Martin
souvenir de l’occupant, alors qu’il
perdit Asello.)
rentrait chez lui.
Et comme Asello est très proche du
« Le mot “ange” signifiait Compte tenu du sujet traité, rap-
latin asellus qui signifie « petit âne »,
en grec “messager” pelons quelques autres appellations
le proverbe serait né de cette dernière
(angelos). » très poétiques de la chose : avoir ses
inscription.
QQQ

8 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
ours, avoir ses ragnagnas, écraser À partir du milieu du XIVe siècle, pour désigner l’apparence, supposait
des tomates, être empêchée/gênée, le mot apothicaire désignait un une longue préparation en habille-
faire relâche, jouer à cache-tampon, commerçant qui vendait des produits ment, maquillage et autres bricoles
recevoir sa famille, repeindre sa grille médicamenteux, mais aussi des destinées à tenter de se faire plus
au minium, etc. produits rares. Il préparait, vendait beau que les autres invités.
et administrait des médications. Il
Q Il y a anguille devait donc avoir des connaissances Q Le libre arbitre
sous roche avancées aussi bien en médecine
La pleine liberté de décider,
qu’en ingrédients susceptibles d’entrer
Il y a quelque chose de caché, de faire selon sa volonté –
dans la composition des drogues qu’il
une perfidie qui se prépare – L’absence de contrainte.
fabriquait. Profitant de l’admiration
L’affaire n’est pas claire.
qu’il suscitait, il se permettait de vendre Il existe deux versions du mot arbitre,
L’anguille est un charognard qui vit ses remèdes par petites quantités et d’étymologies différentes.
surtout la nuit ; dans la journée, elle très cher, n’hésitant pas à gruger plus La personne qui a pour rôle de juger,
a donc plutôt tendance à se cacher et ou moins les petites gens (d’où le trancher ou régler un litige, ou de faire
de préférence sous des rochers. Notre premier sens) dont certains, devenus respecter des décisions ou des règles
expression correspond donc bien à méfiants, n’hésitaient pas à négocier le vient au XIIIe siècle du latin arbiter. Alors
une réalité. compte de l’apothicaire ou le calcul du que l’autre version est venue au même
Mais c’est aussi une métaphore qui prix à payer, avant de le régler. siècle du latin arbitrium et a eu le sens
s’explique par d’autres voies. de « volonté », ce dernier mot l’ayant
Selon Pierre Guiraud, lexicographe Q Dans le plus simple rapidement supplanté, permettant
du XXe siècle, dans Les Locutions appareil d’éviter une homonymie pénible.
françaises, le sens de « tromperie ca- C’est bien entendu dans ce dernier
Nu (ou très peu vêtu).
chée » viendrait du lien établi plus ou sens que le mot arbitre doit être
moins consciemment ou d’un jeu de Pour nous approcher du sens initial du compris dans notre locution, sachant
mots entre anguille et deux verbes mot « appareil », nous allons passer par qu’on a d’abord parlé de franc arbitre
guiller de l’ancien français. le verbe appareiller dont, de nos jours, au XIIIe siècle, puis de libéral arbitre au
Le premier avait le sens de « éviter le le sens évident pour presque tout le XVIe, avant que la forme libre arbitre
combat, se faufiler », un peu comme monde correspond au navire qui quitte répandue par Pascal au XVIIe ne de-
l’anguille qui tente de s’échapper. le port. Or, au XVIe siècle, l’appareillage vienne la formule usuelle.
Le second guiller vient du francique d’un navire, c’était sa préparation au
wigila (« ruse, astuce ») et signifiait départ, pas le départ lui-même. Q L’arbre qui cache
« tromper », d’où également la Bien sûr, appareiller et appareil ont la la forêt
dénomination de Guillaume pour même origine.
Le détail qui empêche de voir
suggérer la tromperie. Cela a commencé au XIe siècle avec
l’ensemble.
Enfin, l’anguille était souvent assimilée le verbe, venu du latin apparere qui
à un serpent, animal fourbe s’il en est. voulait dire « préparer ». Le mot qui Voilà une belle métaphore sylvestre
Cette expression est attestée chez en est dérivé avait, à la fin du XIIe, le dont l’apparition semble dater du
Rabelais en 1532, mais elle est proba- sens initial de « préparatif ». C’est XXe siècle.
blement plus ancienne. pourquoi, par extension, au XVIe siècle, Pour la comprendre, il vous suffit
il a également eu la signification de de vous livrer à une expérience très
Q Un compte « déroulement d’un cérémonial » ou simple : dans la forêt, mettez-vous
d’apothicaire de « magnificence », comme dans trop près d’un arbre quelconque (le
le mot apparat dérivé également du détail) et vous ne verrez plus les autres
Une facture exagérée –
latin apparere. arbres de la forêt (l’ensemble).
Un calcul compliqué dont les
Et qui dit « apparat » dit « costume Notre expression est donc une méta-
résultats n’ont aucun intérêt ou
d’apparat ». C’est ainsi que appareil phore qui rappelle que, dans la vie, il
sont difficilement vérifiables.
a désigné l’apparence, souvent fas- arrive parfois qu’un détail capte notre
Ce n’est qu’au début du XIXe siècle tueuse, des personnes se rendant « en attention et nous empêche de voir
que le terme pharmacien a remplacé grand appareil » à une cérémonie im- quelque chose de plus ample, de plus
apothicaire et, bizarrement, c’est au portante. global (ce détail ayant pu être volon-
moment où ce dernier a commencé Tout cela pour nous amener à com- tairement mis en avant par quelqu’un
à tomber en désuétude que notre prendre que notre expression est un ayant intérêt à ce qu’on n’en perçoive
expression est apparue. bel oxymore. Car qui disait appareil, pas plus).

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 9
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Alphonse Daudet qui la fait appa- Q D’arrache-pied
Q L’argent n’a pas raître dans un conte en 1866, lequel
Sans relâche, sans
d’odeur conte est mis en musique six ans plus
interruption – En fournissant
tard par Georges Bizet dans un opé-
L’argent malhonnêtement un effort intense.
ra où le personnage qui lui donne
gagné ne trahit pas son
son titre n’apparaît jamais sur scène. Voilà une expression, ou plutôt une
origine – Peu importe d’où
Dans cette histoire, un jeune homme, locution adverbiale, qui nous vient
provient l’argent, l’essentiel
Jan, veut épouser une jeune Arlé- de 1515 et qui a changé trois fois de
est d’en avoir.
sienne dont il est tombé amoureux sens depuis son apparition.
Cette expression s’emploie en après l’avoir rencontrée une seule À cette époque, elle signifiait « tout
général pour un bien mal acquis fois. Une grande fête pour les fian- de suite » et elle vient probablement
dont on préfère oublier l’origine çailles est même organisée, mais en du fait que la personne à qui on
douteuse. l’absence de la « fiancée ». demandait d’agir immédiatement
L’empereur Vespasien, qui régna C’est de cette personne attendue devait quitter son immobilité et très
sur Rome de 69 à 79 après J.-C., sans cesse et qui ne vient pas que, vite bouger et « arracher » ses pieds du
institua nombre de taxes diver- par extension, une arlésienne a fini sol, comme si la position immobile cor-
ses afin de renflouer le trésor de par désigner toute personne ou respondait à des pieds plantés en terre.
l’État. chose qu’on attend et qui ne se Ensuite (chez Rabelais, par exemple),
L’une d’entre elles marqua plus présente ou n’arrive jamais. elle a signifié « sans interruption »
particulièrement les esprits, celle ou « sans relâche », sans explication
sur les urines destinées à être col- Q Passer l’arme à gauche claire sur le glissement du sens.
lectées pour servir aux teinturiers La seconde signification proposée
Mourir.
(elles servaient à dégraisser les apparaît et vit parallèlement à la
peaux). Elle était payable tous les Cette expression du début du précédente à partir du XVIIIe siècle,
quatre ans par tous les chefs de XIXe siècle est d’origine militaire. probablement parce que celui qui
famille, en fonction du nombre Une explication lie son origine à la travaille sans relâche est tenu de
de personnes (et d’animaux) vi- pratique de l’escrime. fournir un effort intense.
vant sous leur toit. Une autre explication vient de la
Bien entendu, le peuple se mo- position du repos (par opposition à Q Signer son arrêt de mort
qua de cette taxe et Titus, le celle du garde-à-vous) qui est celle
Faire ou dire quelque chose,
fils de Vespasien, lui en fit la re- où le soldat pose son fusil au pied
commettre un acte qui va
marque. L’empereur lui mit alors gauche. Et du repos au repos éter-
conduire inéluctablement
une pièce de monnaie sous le nel, il n’y a parfois qu’un petit pas…
à la mort.
nez et lui dit, en lui demandant Une troisième explication vient des
de la sentir : « l’argent n’a pas soldats de l’époque napoléonienne Comprise de manière un peu sim-
d’odeur » (« pecunia non olet »), qui, lorsqu’ils devaient recharger pliste, cette expression peut laisser
sous-entendant ainsi que peu im- leur fusil, devaient déchirer une perplexe. En effet, si on signe de quoi
portait la provenance de l’argent cartouche, ce qui leur imposait « arrêter » sa mort, c’est qu’on va
tant qu’il remplissait les caisses. de placer leur arme à gauche et l’empêcher et donc ne pas mourir.
Les urinoirs publics installés à de se redresser en partie, les ren- Dans ce cas, le sens paraît complète-
Paris à partir de 1834 s’appelaient dant ainsi plus vulnérables aux tirs ment opposé à ce qu’il est réellement.
des vespasiennes, en mémoire de ennemis. Mais c’est oublier qu’un « arrêt »
Vespasien. La dernière proposée ici date du ou un « arrêté », c’est une décision
Moyen Âge où, après une union, prise par une autorité administrative
les écus des deux familles pouvaient ou judiciaire. Un « arrêt de mort »
Q Une arlésienne être accolés pour former un nouveau entraîne alors la peine capitale.
blason. Les armes (au sens de « ar- Signer son arrêt de mort, c’est donc
Une personne ou une action
moiries ») de l’époux étaient à droite, signer l’arrêt qui va nous être fatal,
qu’on attend et qui ne vient
ceux de l’épouse à gauche. En cas de celui qui décide qu’on va mourir.
jamais – Une chose dont on
mort de l’époux, ses armes étaient Autrement dit, au figuré, c’est faire
parle, mais qui n’arrive ou ne
transférées à gauche du blason. de son propre chef ce qu’il faut
se produit jamais.
Passer l’arme (ou les armes) à pour provoquer sa propre disparition
C’est d’une Arlésienne bien particu- gauche signifiait donc qu’on venait (comme prendre un bain dans une
lière qu’il est question. On la doit à de rendre l’âme. rivière infestée de crocodiles ou bien
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10 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

traverser lentement une autoroute


Q Un homme de l’art – C’est du grand art – L’enfance
un jour de grande circulation).
de l’art
Q Fier comme Artaban Un expert dans son métier – C’est superbement réalisé.
Quelque chose de simple à faire.
Très fier, parfois même
arrogant. Ces trois locutions au sens bien différent sont toutes liées par le mot art.
Lorsqu’on entend ce dernier, on pense la plupart du temps à des activités
Cette expression est d’origine litté-
créatrices.
raire. Elle est attestée en 1688 dans
Mais plus généralement, un « art », c’est un ensemble de connaissances et
l’ouvrage intitulé L’Esprit de la France
de techniques permettant d’élaborer quelque chose. « Un homme de l’art »,
et les maximes de Louis XIV, d’auteur
c’est donc celui qui connaît très bien son métier et ses procédés, et qui est
inconnu.
capable de parfaitement réussir ce qu’il entreprend dans son domaine, qui
Artaban est ici un personnage im-
produit réellement un travail utile et de qualité. D’abord utilisée pour les mé-
portant d’un énorme roman, une
decins ou les architectes, on l’applique aujourd’hui à toutes les activités.
épopée historique (12 volumes, plus
« C’est du grand art » est généralement une expression d’étonnement ou
de 4 000 pages), intitulé Cléopâtre
de satisfaction devant la manière, parfaite, dont quelque chose a été réalisé,
et écrit par Gautier de Costes de La
montrant, de la part de celui qui l’a fait, une réelle habileté.
Calprenède entre 1647 et 1658.
Enfin, « l’enfance de l’art », c’est le tout début de la virtuosité nécessaire
Du succès de ce roman à l’époque
pour accomplir quelque chose. Or, si on n’en est qu’au début de son ap-
ne sont restées que la fierté et l’ar-
prentissage, avec cet art encore balbutiant, on ne peut réaliser que des
rogance de son personnage, la sono-
choses simples. D’où le sens de la locution.
rité de son nom ayant probablement
aidé à la conservation de l’expression.
Contrairement à ce que certains De l’entente de « artour » à l’écoute articulo vient de articulus qui, dans
croient, cet Artaban-là n’a donc rien de « Arthur », il n’y a qu’un pas, mais cette locution, désigne une division
à voir avec des actes de bravoure de on peut sans trop d’hésitation éliminer du temps, donc un « moment ». In
certains des fameux rois parthes de cette première explication, car les pre- articulo mortis peut ainsi se traduire
la dynastie des Arsacides, Artaban Ier mières attestations de l’expression sont par « au moment de la mort ».
ayant commencé son règne au antérieures au début de la guerre. Pour ceux qui aiment le latin, il est
IIIe siècle av. J.-C. et Artaban V l’ayant En effet, selon Cellard et Rey, dans intéressant de savoir que in extremis
terminé au IIIe après J.-C. leur Dictionnaire du français non voulait dire littéralement « dans les
Leur règne est beaucoup trop ancien conventionnel, la seconde explica- derniers moments », ce qui peut
pour justifier que notre expression tion, elle, daterait des environs de aussi se dire « à l’article de la mort ».
ne soit apparue qu’au XVIIe siècle. 1920 et serait liée à l’argot où un Son utilisation a depuis été détour-
arthur désignait un gigolo mondain née pour devenir quelque chose
Q Se faire appeler Arthur ou un proxénète, sans qu’on sache comme au tout dernier moment
vraiment pourquoi aujourd’hui. mais avec le sens « de justesse ».
Se faire gronder, réprimander.
On disait aussi se faire appeler Jules Ainsi, on peut dire « il a pris le train
Il existe deux hypothèses pour expli- (qui avait la même signification, en in extremis »…
quer l’origine de cette expression. argot).
La première daterait de la Seconde Q Être un as
Guerre mondiale. Q À l’article de la mort Être le meilleur dans son
Dans la France occupée, à certaines
À l’agonie, près de mourir. genre, dans l’activité qu’on
périodes de l’année, le couvre-feu
exerce.
commençait à vingt heures, soit huit En général, on ne trouve dans le jour-
heures du soir. nal un article sur un mort que posté- Au XIIe siècle, le mot as a initialement
Les patrouilles allemandes chargées rieurement à son décès. Or, « l’article désigné la face d’un dé qui ne com-
de son application avaient pour ha- de la mort » se situe en général juste porte qu’un point.
bitude de prévenir les retardataires avant le décès. Comment se fait-ce ? Puis sont arrivés les jeux de cartes où
en leur indiquant leur montre et en Eh bien parce que cet article-là ne l’as avait au contraire le rang le plus
leur disant « acht Uhr ! », ce qui, désigne ni celui d’un journal, ni celui élevé, au-dessus des rois.
dans la langue de Goethe, veut dire qui précède un nom. Selon le Dictionnaire historique de
« Huit heures ! » et se prononce à Cette expression qui date du XVe siècle la langue française, c’est dès 1868
peu près comme artour. vient du latin in articulo mortis où que le terme as, sorti des jeux,
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 11
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
désigne le premier aviron d’une yole « la manière d’être assis » et, pour les
(canot de compétition contenant 2, 4 Q Un as de pique amoureux des équidés, la « position du
ou 8 rameurs). Dans les courses hip- cavalier sur sa monture ».
Une personne mal habillée
piques également et un peu plus tard, Cette association du mot à une po-
ou à l’apparence bizarre…
c’est le premier cavalier du peloton de sition a donné, au figuré et chez le
tête qui se voit affublé de cette appel- Au XVIIe siècle, l’expression était très même auteur, le sens de « état de
lation argotique. Dans les deux cas, péjorative : « On dit aussi par injure l’esprit » ou « façon d’être ».
c’est le premier qui est un « as ». à un homme stupide, que c’est un C’est cette dernière signification
Pendant la guerre de 14-18, les avia- bon as de pique » (Furetière), mais qu’on retrouve dans notre expression.
teurs, entre deux missions, jouaient sans qu’on sache vraiment pour- Certains esprits curieux se deman-
à la manille, jeu de cartes où ce n’est quoi, c’est l’as de pique qui a été deront pourquoi le mot assiette a
pas l’as qui est la plus forte carte, retenu pour cette désignation. ensuite désigné un plat individuel.
mais le dix. Et, du coup, lorsque le Au XIXe siècle, la ressemblance ap- À ceux-là, je répondrais que c’est
pilote approchait du dixième ennemi proximative entre le pique dessiné parce que, toujours en restant avec
abattu, il devenait un « as », par as- sur les cartes et le croupion de le sens de « position » et dès la
similation à son jeu préféré. poulet a provoqué la naissance de fin du XIVe siècle, le mot a désigné
C’est de ces utilisations que le terme l’argot as de pique pour désigner la situation d’un convive à une
as, servant à désigner des premiers ou l’anus. Quelqu’un qui se faisait table. Par extension, le service posé
très forts dans leur spécialité, s’est en- alors traiter d’as de pique était à chaque place a également été
suite répandu dans tous les domaines. donc simplement un « trou du appelé assiette avant que le mot ne
« L’as des as » est un champion cul » avec l’acception moderne. désigne finalement plus que le petit
d’exception dans son domaine. Aujourd’hui, on utilise cette ex- plat individuel.
pression surtout en rapport avec En tout cas, ce qu’on peut constater,
Q L’assiette au beurre l’habillement, pour quelqu’un qui c’est que lorsqu’on n’est pas dans
manque de goût… son assiette on s’intéresse générale-
Dans plusieurs métaphores nées
Littré donne aussi la signification ment peu à ce qu’il y a dedans.
à partir du XVe siècle, le beurre est
« mauvaise langue ».
un symbole de richesse, un emblème
de luxe.
Cela viendrait de la contraction Q Ne pas être sorti
On imagine bien alors, autour d’un
de as de pique en « aspic », ser- de l’auberge
pent qui est forcément une mau-
banquet ou d’une réception chez Ne pas en avoir fini avec les
vaise langue, mais apparemment,
les gens de la haute société, que les difficultés ou les ennuis.
d’après Alain Rey, sans qu’aucun
convives qui avaient les postes les plus
texte ne vienne réellement étayer Voilà une expression du XIXe siècle
enviables ou donnant le plus de pou-
cette interprétation. en apparence étrange, car il semble
voir, étaient choyés par la maîtresse
difficile d’associer les ennuis avec
de maison et qu’on mettait dans leur
une auberge, généralement destinée
assiette les plats les plus beurrés. qu’ils récoltaient, ces sommes par-
à être accueillante.
C’est de ces petites faveurs offertes tiellement détournées leur donnant
L’auberge de Peyrebeille, dite L’Au-
aux puissants qu’aurait pu naître la richesse nécessaire pour prétendre
berge rouge, mise à part, quand on
notre métaphore, le beurre étant le faire partie de la caste des consom-
décide de sortir d’un tel lieu, rien ne
symbole des diverses choses dont ils mateurs de beurre.
nous empêche de le faire, pour peu
peuvent profiter grâce à leur statut, Aujourd’hui, on utilise plutôt rare-
qu’on ait payé notre dû.
que ce soit sous la forme de cadeaux ment cette expression. Et lorsqu’elle
Il nous faut donc nous tourner vers
ou de profits obtenus de manière l’est, c’est souvent pour évoquer la
l’argot et plus précisément celui des
plus ou moins licite. corruption dans le monde politique.
voleurs pour comprendre le sens de
Mais on ne peut pour autant ignorer
cette expression.
l’influence possible d’un jeu de mots Q Ne pas être En effet, dans ce monde-là, le terme
sur une autre acception du mot as- dans son assiette auberge désigne la prison, ce lieu
siette, celle liée à l’impôt. Or, à partir
Ne pas être dans son état où le voleur trouve gîte et couvert,
du moment où la collecte de cette
normal, physiquement et/ou comme dans une auberge, une fois
taxe était confiée à des exécutants
moralement. qu’il a été capturé et condamné.
d’une probité pas toujours exem-
Autant dire qu’une fois qu’il y est
plaire, il était facile pour certains Le mot assiette a son origine liée au
enfermé, non seulement il est loin
d’entre eux de trafiquer les chiffres verbe asseoir. De ce fait, un des sens du
d’en avoir fini avec les ennuis de la
et de s’approprier une partie de ce mot est, depuis 1580 chez Montaigne,
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12 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
captivité, promiscuité et sévices divers, bien augur qui désignait un devin
entre autres, mais il aura beaucoup de que augurium qui était un présage.
Q L’avocat du diable
mal à en sortir de son propre chef. Pour le premier sens, dans l’Anti- Celui qui défend une
Cette expression en a donné une com- quité, un augure était une sorte de personne ou une cause
plémentaire qui est sortir de l’auberge prêtre considéré comme l’interprète difficile à défendre – Celui
pour « se tirer d’un mauvais pas », de la volonté des dieux : il observait qui attaque volontairement
donc des ennuis dus à la situation des signes naturels comme l’évolu- les arguments d’un autre
pénible dans laquelle on se trouvait. tion du ciel, le tonnerre ou le vol des pour le forcer à les renforcer.
oiseaux pour deviner ce qui allait
De nos jours, et depuis le début du
Q Une auberge se passer.
XIXe siècle, celui qui se fait « l’avocat
espagnole Seul le second sens de « présage »
du diable » est celui qui défend
a survécu dans nos locutions d’au-
Un lieu/une situation où on une cause choquante ou perdue
jourd’hui. Et c’est ainsi que, pour
ne trouve que ce qu’on y d’avance.
certains, un chat noir qui passe
a apporté – Un endroit où De manière plus générale, un
devant eux sous une échelle et fait
on trouve de tout, où on « avocat du diable » est aussi
tomber et se casser un miroir est
rencontre n’importe qui. celui qui, volontairement, dénonce
considéré comme un signe très très
la thèse de celui avec lequel il dis-
Le premier sens indiqué est l’original. défavorable.
cute dans le but de lui faire renfor-
Il vient de la mauvaise réputation qui,
cer ses arguments pour, au final,
dès le XVIIIe siècle, était faite par les Q Mesurer à l’aune de… faire sienne cette thèse si elle a ré-
voyageurs étrangers aux auberges
Juger, estimer par sisté aux attaques ainsi formulées.
espagnoles où il était conseillé aux
comparaison avec… Mais cette locution nous vient à la
visiteurs, s’ils voulaient manger à
fois du milieu ecclésiastique et de
leur faim, d’apporter eux-mêmes de Ce dont on est sûr, c’est que l’aune
celui du XVIIIe siècle.
quoi se sustenter et se désaltérer. a été une unité de mesure jusqu’en
En effet, l’« advocatus diaboli »
Mais un nouveau sens de cette ex- 1834, date à laquelle elle a été abolie
était un religieux qui, au cours de
pression est apparu assez récem- en France.
l’étude préalable à la canonisation
ment, et on lui donne trois expli- Mais il n’y avait pas qu’une aune.
d’une personne, devait rechercher
cations possibles, éventuellement Si l’aune de Paris, comme chacun le
tout ce qui, dans le comportement
complémentaires : sait, avait une longueur de 3 pieds
de la personne, pouvait montrer
– une simple méconnaissance du vé- 7 pouces et 10 lignes et 5/6, soit très
l’influence du diable.
ritable sens ; exactement 1,188 m, l’aune pou-
Si ce religieux avait donc vis-à-vis du
– chacun apportant son repas, on vait mesurer de 0,513 m à 2,322 m,
possible futur saint un rôle d’accu-
trouvait forcément dans l’auberge selon le métier, la région ou le pays
sateur et s’il devait retrouver tous les
une grande variété de nourritures ; (en France, François Ier a tenté de
éléments permettant de s’opposer
– une faune très variée fréquentait généraliser une aune commune au
à la canonisation, il était bien le dé-
les auberges placées sur le chemin pays en 1540).
fenseur des éventuelles actions du
du pèlerinage à Saint-Jacques-de- Autant dire que la mesure d’un même
diable, en opposition avec le défen-
Compostelle, puisqu’on était sus- objet pouvait donner des nombres
seur du saint ou « avocat de Dieu ».
ceptible d’y croiser des gens venus d’unités très différents, selon l’aune
Ce rôle a été supprimé par le pape
de très nombreux pays différents. qu’on avait l’habitude d’utiliser.
Jean-Paul II en 1983.
Par extension, on désigne par au- C’est ainsi que, par extension, on a
berge espagnole toute idée ou si- vu apparaître l’expression cousine
tuation où chacun trouve ce qui de la nôtre, mesurer à son aune,
l’intéresse, ce qu’il comprend, en qui voulait dire « juger par rapport
Q Dans tous les azimuts –
fonction de ses goûts, de sa culture, à soi-même » (par rapport à l’aune
Tous azimuts
de ses convictions… qu’on connaît, qu’on a l’habitude Dans toutes les directions,
d’utiliser). de tous les côtés, par tous
Q De bon/mauvais augure Par extension toujours, notre locu- les moyens.
tion indique, plus généralement,
Qui annonce quelque chose Le mot azimut, attesté au XVe siècle,
que le jugement est fait d’après les
de positif/de négatif. vient de l’arabe az-samt qui signifie
éléments ou les informations dont
aussi bien « chemin » que « point
Le mot augure, attesté au XIIe siècle, on dispose.
de l’horizon », après être passé par
vient du latin où on trouvait aussi
l’espagnol acimut.
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 13
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
À l’origine terme d’astronomie, il
désigne, selon la famille Robert,
Q Une tour de Babel
l’« angle formé par le plan vertical Un lieu, une réunion où règne la confusion, où les gens ont des
d’un astre et le plan méridien du difficultés pour s’entendre, se comprendre.
point d’observation ».
Nous sommes aux environs de
Plus généralement, l’azimut est
l’an 2200 av. J.-C. Le Déluge
l’angle horizontal entre la direction
est terminé depuis une centaine
d’un objet et une direction de réfé-
d’années et toutes les terres sont à
rence.
nouveau accessibles.
Partant de cette définition, une
Les descendants des rescapés déci-
« arme tous azimuts » (terme em-
dent de bâtir une très haute tour
ployé dans le milieu militaire) est
ronde, en forme de ziggourat, cons-
une arme qui tire dans toutes les
tituée de briques et de bitume.
directions, et une « défense tous
Leurs raisons sont différemment
azimuts » peut intervenir contre les
Abel Grimmer, peintre flamand (1565-1630), interprétées : pour certains, ce
attaques venues de tous les côtés. La Tour de Babel.
serait pour se protéger d’un nou-
Par extension et au figuré, les azi-
veau déluge ; pour d’autres, ce serait par orgueil, dans le but d’atteindre le
muts désignent aussi les moyens
ciel ; enfin, pour d’autres encore, ce serait pour rester ensemble, une ville
dans des expressions comme « ré-
à plat les ayant conduits à s’éloigner progressivement les uns des autres.
pression tous azimuts » ou bien
Dieu, voyant cela, est agacé et décide donc, peut-être aussi avec l’idée de
« vendre tous azimuts ».
diviser pour mieux régner, de brouiller leurs langages, et ainsi de les empêcher
de se comprendre et de continuer ensemble leur ouvrage qu’ils abandonnent
Q Être/Rester baba finalement alors que Dieu les disperse progressivement sur toute la planète.
Être stupéfait. C’est de cette tour de Babel (qui signifie « confusion ») où plus personne ne
se comprend qu’est née notre expression.
Ce baba-là n’a rien à voir avec le
succulent gâteau, généralement im-
prégné de rhum, venu de Pologne. Il
n’est pas directement lié non plus à
Q L’avoir dans le baba Q Une vieille baderne
ce baba situé sous la ceinture qu’on Se faire avoir – Rater quelque Un militaire âgé et borné –
trouve dans l’expression l’avoir dans chose. Subir un échec. Un homme usé, gâteux.
le baba.
L’utilisation de cette expression se Dans la marine, au cours de la se-
Il vient du bas latin, latin médiéval,
fait souvent lorsqu’on y associe une conde moitié du XVIIIe siècle, ba-
issu lui-même du latin des environs
idée de déception et lorsque l’échec derne désignait une tresse épaisse
du Palatin, soit du côté de Rome. En
est dû à l’intervention maligne d’un fabriquée à l’aide de vieux cordages,
bas latin, donc, batare voulait dire
tiers. tresse qui était appliquée autour des
« ouvrir la bouche ». C’est ce mot
Deux autres formes nettement plus mâts, des vergues, du cabestan…,
qui a d’ailleurs donné nos verbes
triviales sont l’avoir dans le cul et pour les protéger de l’humidité et du
ébahir, bâiller ou béer, entre autres.
s’être fait mettre, généralement frottement avec d’autres objets.
Et c’est justement d’ébahir que vient
utilisées lorsqu’on s’est fait duper On s’en servait aussi comme paillasson
notre expression, baba étant d’abord
ou lorsqu’on a complètement raté sur le pont des navires transportant des
une onomatopée obtenue par redou-
quelque chose. animaux pour protéger le bois.
blement du radical ba- de ce verbe et
Notre baba ici est le sexe féminin. C’est à partir du milieu du XIXe siècle
créée à la fin du XVIIIe siècle (imaginez
La désignation de cet endroit in- que le mot, venu de l’argot des
quelqu’un de complètement stupéfait
time par le nom d’une friandise marins, a désigné péjorativement
qui ne saurait que dire d’un air
ou d’un gâteau est quelque chose un individu bon à rien ou hors d’état
forcément étonné « ba… ba… ! »).
d’ancien. Au XVIIIe siècle, dans les de faire quoi que ce soit (« hors
À cette époque, on l’utilisait aussi
vaudevilles, les allusions grivoises à d’usage », comme les cordages
comme un nom propre dans
cette pâtisserie particulière étaient servant à tresser une baderne).
l’expression rester comme Baba ou
courantes. D’abord utilisé chez les matelots
rester comme Baba, la bouche ou-
Mais c’est à la fin du XIXe qu’est pour désigner un vieux marin plus
verte. Ce n’est qu’un siècle plus tard
apparue l’expression avec ses sens capable de grand-chose, il s’est gé-
que notre version raccourcie a com-
actuels. néralisé dans toutes les armes, à l’in-
mencé à prendre le dessus.
tention de vieux militaires bornés.

14 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q La bailler Q À plein badin Q Ça fait un bail !


belle/bonne À toute vitesse. Ça fait très longtemps !
Chercher à tromper,
Il faut avoir fréquenté le milieu de Le Grand Robert nous dit : « Contrat
à faire croire quelque
l’aviation pour comprendre l’origine par lequel l’une des parties, le bail-
chose de faux.
de cette expression dont l’explica- leur, s’oblige à faire jouir l’autre, le
Cela fait un bail que ce bailler-là, tion sera simple et courte. locataire, d’une chose pendant un
sans accent circonflexe, n’a rien à C’est en 1879 que naît Raoul- certain temps, moyennant un certain
voir avec le bâillement d’ennui, de Édouard Badin, officier français pas- prix, le loyer, que celle-ci s’oblige de
sommeil ou d’empathie. sé par SupAéro (promotion 1910). lui payer. »
Ce verbe existe depuis le XIIe siècle L’histoire ne nous dit pas si ce mon- C’est le certain temps qui nous
avec plusieurs sens, puisqu’il sieur avait un tempérament badin, intéresse ici.
a signifié aussi bien « porter » mais il avait au moins quelques neu- Si les baux de logement sont de
(jusqu’au XIIIe), que « recevoir », « sai- rones opérationnels, puisque, en relativement courte durée, certains
sir », « accepter », « gouverner » ou 1914, il a inventé cet anémomètre peuvent être très longs, comme les
« donner », dernière acception qui qui, dans les avions, permet de me- baux emphytéotiques qui peuvent
nous intéresse aujourd’hui. surer la vitesse de l’aéronef par rap- durer entre 18 et 99 ans.
L’expression, elle, date du XVe siècle. port à l’air et qui depuis s’appelle, Autant dire qu’ils durent un bail !
Si le la désigne une chose (ce qui je vous le donne en mille, un badin. C’est simplement de cette notion
vient d’être dit, en général), le belle de durée parfois très longue que
ou bonne est une antiphrase iro- « L’anémomètre qui permet vient notre expression (qui semble
nique qui, comme le précise Alain de mesurer la vitesse de dater d’après la Seconde Guerre
Rey, doit faire comprendre vous l’aéronef par rapport à l’air mondiale), dans laquelle bail peut
me la baillez belle, forme d’emploi est un badin. » être parfois précédé de sacré, lors-
traditionnelle, comme « vous m’en qu’on veut encore amplifier l’impor-
donnez une qui ne me plaît pas De là, il est facile d’imaginer que, tance du temps écoulé.
du tout » ou, plus précisément, en lorsque l’aiguille du badin tutoie le À notre époque, où on ne laisse
accord avec le sens de l’expression, taquet de blocage de droite, c’est plus de temps au temps, où tout
« vous me dites quelque chose que l’avion est « à plein badin », s’accélère, on dit aussi ça fait une
que je ne peux pas croire » ou, en donc fonce à toute vitesse. paye ! Même si le temps qui s’écoule
un peu moins mondain, « mais Cette expression est depuis sortie du d’une paye à l’autre n’est que d’un
mon cher, chercheriez-vous à m’en- milieu aéronautique, mais elle n’est mois, ce qui est une durée largement
tuber ? ». généralement employée que par des inférieure à celle du bail.
personnes qui ont côtoyé des aviateurs.
Q Un baiser de Judas
Q Plier bagage Une traîtrise, une félonie –
Un geste d’affection cachant
Partir, décamper – S’enfuir hâtivement – Mourir.
une intention sournoise.
Si, maintenant, un bagage désigne bien plus le contenant (la valise ou le sac)
Qui ne connaît pas Judas ? Pas la pe-
que le contenu, autrefois le bagage ne désignait que ce qu’on emportait
tite ouverture au travers d’une porte
avec soi lorsqu’on partait, les objets et vêtements qu’on mettait dans quelque
qui permet discrètement de voir qui
chose destiné à les transporter, roulé derrière la selle du cheval, dans une
a sonné, mais l’homme qui a trahi
sacoche ou dans une malle.
Jésus et l’a désigné aux soldats qui
Alors si on imagine mal, de nos jours, plier une valise bien rigide, plier autrefois
l’ont capturé.
les vêtements qu’on emportait avec soi ne posait aucun problème.
En échange de trente pièces
Au XVIe siècle, on a commencé par dire trousser bagage parce que le sens initial
d’argent (les fameux « trente de-
de trousser était « charger », « attacher » ou « mettre en paquet ».
niers »), il leur propose d’amener les
On comprend bien alors que le fait de plier bagage corresponde à un départ,
soldats là où se trouve Jésus et de
d’où découle logiquement le premier sens de l’expression.
le leur désigner en l’embrassant, ce
Dans le deuxième sens, l’ajout de la notion de rapidité ou de fuite n’est
qu’il fait effectivement.
pas vraiment explicité, mais la signification « abandonner un lieu en hâte
En fait, il est même dit que pour
et sans bruit » a bien été signalée. Le dernier sens, « mourir », n’est qu’un
Judas, son acte était écrit d’avance,
euphémisme familier, la mort étant bien une forme de départ.
puisque non seulement Jésus lui
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 15
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Convoquer le ban et l’arrière-ban


Convoquer/réunir toutes ses connaissances, ses amis, sa famille – Convoquer/réunir toutes les
personnes impliquées dans une action.
À l’époque féodale, si le roi trônait au sommet, les ducs et les comtes étaient ses vassaux qui, eux-mêmes, avaient
d’autres vassaux, et ainsi de suite.
Lorsque, au XIIe siècle, un seigneur faisait « crier le ban » (ban voulant dire « proclamation ») pour enjoindre à tous les
nobles qui lui devaient obéissance de prendre les armes et de se regrouper avec lui, il convoquait alors le ban (ainsi nom-
mé par métonymie entre la convocation/proclamation et les personnes convoquées), c’est-à-dire les vassaux directs, et
l’arrière-ban (les vassaux des vassaux, ou les arrière-vassaux).
Le mot arrière-ban viendrait d’une déformation du francique hariban (la convocation à l’armée des hommes libres en
état de porter les armes) qui aurait ensuite été altéré.
Au milieu du XIXe siècle, l’expression a pris le sens figuré de « s’adresser à tous ceux dont on peut espérer du secours » (Littré).
De nos jours, les convocations guerrières ou les appels au secours généralisés n’étant plus tellement d’actualité, l’usage
de l’expression s’applique plus aujourd’hui à la réunion d’un cercle le plus large possible de ses connaissances ou à la
convocation de toutes les personnes liées de près ou de loin à une action ou un projet particulier.

aurait dit avant : « Va, fais ce que tu pouvant atteindre 30 mètres de Son sens initial s’est étendu au-delà
as à faire », mais, juste avant l’em- long, avec une bouche de taille de la simple parole, puisqu’elle peut
brassade, il lui aurait également dit : proportionnelle, et dont les fanons, aussi inciter à agir.
« Judas, c’est par un baiser que tu lorsque sa bouche est ouverte,
livres le Fils de l’homme ! » peuvent, avec un peu d’imagination, Q Ouvrir/Fermer le ban
La suite de l’histoire est connue : faire penser aux dents d’un homme
Produire un roulement de
Jésus est capturé, condamné et cru- visibles sur un grand sourire.
tambour ou une sonnerie
cifié. Pris de remords, Judas rapporte
de clairon qui marque le
l’argent à ses commanditaires qui le Q La balle est dans commencement ou la fin
refusent, le jette puis se pend. votre camp ! d’une proclamation, d’une
C’est depuis cette triste histoire
Pour faire avancer les choses, cérémonie… – Ouvrir ou clore
qu’un judas est un traître et qu’un
c’est à vous d’intervenir une manifestation comme
baiser de Judas est une traîtrise.
maintenant. un séminaire, un salon ou une
exposition – Être le premier
Q Rire/Rigoler/Se marrer Il y a longtemps que la balle est, au
à déclencher une série
comme une baleine figuré, un mot désignant la parole,
d’actions.
une action ou une occasion. En ef-
Rire très fort, sans retenue, à
fet, ce mot se retrouve avec cette À l’origine, ban (mot qui date du
gorge déployée.
acception dans plusieurs expressions XIIe siècle) désigne une proclamation
En l’absence de toute étude scien- comme renvoyer la balle ou rattra- ou une publication officielle ou
tifique avancée sur le rire de la ba- per la balle, par exemple. publique, comme dans les bans
leine, pourquoi cette expression qui Car dans beaucoup de jeux où on du mariage qu’il faut publier avant
date de la fin du XIXe siècle ? utilise une balle, le but est de l’en- de passer à l’acte. Par extension,
Quand quelqu’un rit comme une ba- voyer dans le camp de l’adversaire, à et surtout dans le milieu militaire,
leine, il le fait en ouvrant très grand charge pour lui de nous la renvoyer, ban désigne ce morceau musical
la bouche. tout comme dans un dialogue cha- au tambour ou au clairon qui
Or, à quelle bouche immense pour- cun prend la balle à son tour. marque le début et la fin d’une
rait faire penser celle de cette per- Notre expression est une autre proclamation ou d’une cérémonie.
sonne qui se marre comme un bos- forme, moderne et usuelle, de celle C’est ce même morceau musical
su ? Certainement pas à celle d’une du XVIIe siècle qui était à vous la balle, qui, dans les campagnes, et depuis
petite bestiole comme une mite, un avec le sens de « à vous de parler ». le Moyen Âge, était destiné à
termite ou un bernard-l’ermite. Non, On y retrouve bien le contexte du provoquer un attroupement autour
ceux qui ont imaginé cette expres- jeu où l’on vient d’envoyer la balle de celui qui allait faire une annonce
sion ont (logiquement ?) pensé à (on vient de parler) à l’interlocuteur publique.
la gueule béante du plus grand de et où il doit nous la renvoyer (nous Cette expression s’utilise aussi de
nos mammifères, la baleine, cétacé répondre). nos jours pour ce qui ouvre ou ferme
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16 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

une manifestation (un discours, une


démonstration – cas d’un meeting Q Une république bananière
aérien, par exemple –, une projec-
État, gouvernement corrompu, où le réel pouvoir est aux mains de
tion – cas d’un festival cinémato-
firmes multinationales et de puissances étrangères.
graphique –, etc.).
Enfin, lorsqu’une série d’actions est Ceux qui ont vu les Guignols de l’Info sur Canal + ® connaissent bien la
menée par plusieurs personnes (une World Company, celle qui veut dominer le monde en y exploitant aussi bien
suite de buts dans un match sportif, les hommes que les richesses.
les signatures d’une pétition…), on Eh bien là, nous avons un exemple type d’une World Company en pleine action.
dit souvent de la première qu’elle Elle s’appelait la United Fruit Company (devenue depuis la Chiquita Brands
ouvre le ban. International, ce « Chiquita » que vous voyez sur les étiquettes de certaines
bananes vendues chez nous).
Q Un baroud d’honneur Pendant cinquante ans, elle a financé et manipulé la majorité des dictatures
d’Amérique latine (dans des pays producteurs de bananes), pour le compte
Un combat désespéré, perdu
des États-Unis, et elle a tenté de tuer dans l’œuf toutes les réformes tentant
d’avance, livré pour sauver
de redistribuer les terres aux paysans pauvres pour pouvoir continuer à ex-
l’honneur.
ploiter librement les plantations de bananes et sous-payer les ouvriers qui y
Baroud est un mot qui vient du travaillaient.
chleuh, dialecte berbère du sud du C’est de cet exemple représentatif de la corruption à grande échelle de gou-
Maroc où barud signifiait « poudre vernements par des intérêts privés qu’est née notre expression.
explosive ».
Passé dans l’argot militaire dès 1924,
il désigne un combat, une bataille.
Q Être mal barré diriger, il apparaît évident que si,
dans une telle situation, vous pilo-
De nos jours, le combat n’est plus Être mal engagée (à propos
tez ou barrez mal votre bateau, vous
forcément militaire (il peut être po- d’une action ou d’une affaire) –
« êtes mal barré » !
litique, par exemple), mais le baroud Aller à l’échec, au-devant de
Vous en faut-il vraiment plus pour
d’honneur, c’est bien celui qu’on sait gros ennuis (à propos d’une
comprendre l’origine de cette ex-
perdu d’avance, qu’on livre toute- personne).
pression, métaphore argotique
fois par principe, pour défendre une
Il fait nuit. Vous êtes à bord d’un qui vient incontestablement de la
cause à laquelle on croit fermement.
petit bateau pris dans la tempête, marine (et ce, depuis le milieu du
à proximité immédiate de la côte XXe siècle) ?
Q Avoir barre sur rocheuse battue par les vagues. Le
quelqu’un drame commence. Votre compa- Q Lâcher les baskets/
Prendre l’avantage sur gnon d’infortune, le propriétaire la grappe
quelqu’un, dominer un et pilote de votre coquille de noix,
Arrêter d’importuner. Laisser
adversaire. tombe dans l’eau glaciale et coule
tranquille.
immédiatement.
Cette expression qui date du
Vous restez seul à bord en n’ayant On sait que coller aux basques de
XVIe siècle vient du jeu des barres,
aucune expérience de la conduite quelqu’un, c’est le suivre de très
jeu très ancien, puisque, à l’époque
de ce machin qui flotte encore (pour près, ne pas le lâcher d’une semelle,
de Platon, les Grecs jouaient déjà à
l’instant !), mais qui est si fortement la plupart du temps au point de l’im-
l’ostrakinda, aux règles très proches.
ballotté par de méchantes houles portuner parfois fortement.
Au Moyen Âge, le jeu de barres se
que vous vous demandez s’il ne Mais, les temps ont passé et les
pratiquait après dîner, comme moyen
va pas se retourner d’un instant à basques ont disparu. En revanche, les
de digestion, et même Napoléon se
l’autre, avant même que vous ne importuns se manifestent toujours.
délassait en jouant aux barres.
vous fracassiez sur les rochers. C’est depuis les années 1970 que,
À ce jeu, un joueur avait barre sur
N’écoutant que votre instinct de sur- dans la langue populaire, coller aux
un autre lorsqu’il suffisait, sous
vie, vous prenez la barre et tentez basques a assez logiquement été
certaines conditions, qu’il le touche
de mener votre embarcation dans remplacé par coller aux baskets, de
pour le faire prisonnier.
la passe qui mène à la crique abri- même sonorité, mais se rapportant
Cette expression devrait normalement
tée que vous avez aperçue à la lueur à des éléments d’habillement portés
s’écrire « avoir barres sur quelqu’un »,
d’un éclair. de nos jours.
mais c’est la forme au singulier qui est
Considérant que, barrer un navire, Or, lorsque quelqu’un nous impor-
la plus couramment utilisée.
c’est « en tenir la barre » pour le tune, nous « colle » de trop près,
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 17
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
comme s’il était férocement agrippé La première vient de la bassinoire qu’on
à nos baskets, quoi de plus naturel, chauffe et qui est comparée à l’esprit
Q Savoir où le bât blesse
quand on veut s’en débarrasser, que qui s’échauffe lorsqu’un importun Connaître les peines cachées,
de lui dire : « Lâche-moi les baskets ! » devient vraiment difficile à supporter. les ennuis secrets de
Maintenant, pourquoi lâche-t-on aus- Mais la plus réaliste vient du chari- quelqu’un.
si la « grappe » avec le même sens de vari traditionnellement fait sous les
Le bât, sur une bête de somme est,
l’expression ? fenêtres des jeunes mariés – bruit
selon le Grand Robert, un « disposi-
En y regardant de près, mais à condi- fortement dérangeant pour les per-
tif, généralement en bois, que l’on
tion d’avoir la vue un peu trouble, sonnes non concernées – et fait
place sur le dos des bêtes de somme
on peut facilement assimiler le ser- entre autres avec des récipients de
pour le transport de leur charge ».
vice trois-pièces, ce que l’homme a cuisine, dont la bassinoire.
Les gens du XVe siècle, ceux qui ont
entre les jambes, à un magnifique Ce lien est d’autant plus justifié qu’au
fait et vu naître cette expression,
cep sous lequel est accrochée une début du XVe siècle le verbe baciner
n’étaient pas plus des ânes bâtés
superbe grappe. voulait dire « frapper sur un bassin
que nous. Ils s’étaient bien rendu
C’est bien de ce grappe argotique de cuivre pour faire une annonce »
compte que le bât, s’il est mal placé
qu’il s’agit ici, avec un probable jeu (comme les roulements de tambour
ou si la charge est trop importante,
de mots sur grappin, évoquant cet des anciens gardes champêtres) et
laisse des blessures à l’animal, qui
objet qui fait que l’emmerdeur reste que ce verbe a finalement simple-
sont généralement cachées car elles
collé à vous, ne vous lâche plus. ment signifié « tambouriner ».
ne deviennent visibles qu’une fois
Ce serait ensuite une confusion
que le dispositif est enlevé, et qui
entre ce baciner et la bassinoire
Q Coller aux basques qui, au XIXe siècle, aurait donné
peuvent rendre la bête mélancolique
ou irritable, exactement comme
Suivre quelqu’un de très l’orthographe de notre expression.
l’est l’homme qui a des peines ou
près, ne pas le lâcher d’une
des ennuis secrets.
semelle. Q Cracher au bassinet Notre expression est donc une simple
Cette expression date du Payer, donner de l’argent métaphore sur les blessures de l’âme
XVIIIe siècle, époque où les basques (en général à contrecœur). d’un individu.
étaient des morceaux d’étoffe en
Ce n’est qu’au XIXe siècle que notre
partie basse d’un pourpoint et
expression est apparue. Mais elle a
Q En bataille
qui descendaient en dessous de
été précédée de cracher au bassin En désordre.
la taille.
dès le XVIe. À cette époque, et depuis
Bien entendu, la métaphore in- Le bicorne, couvre-chef ayant deux
le XIVe, le bassin était entre autres, au
dique bien que celui qui « collait extrémités ressemblant à des cornes,
cours des cérémonies religieuses, le
aux basques » de quelqu’un le pouvait se porter de deux manières :
récipient à aumône.
suivait de très près. les cornes vers l’avant et l’arrière,
Mais pourquoi cracher, me di-
Comme quoi une expression peut port qu’on disait en colonne, ou bien
rez-vous ?
survivre dans le langage bien les cornes au-dessus des épaules,
Au XIXe, Pierre-Marie Quitard a sup-
après la disparition des éléments port qu’on disait en bataille.
posé que ce n’était qu’une image
ayant provoqué sa naissance et Pourquoi cette seconde appellation,
liée au fait que celui qui « crache
son sens véritable ne plus être me direz-vous ? Eh bien, il semblerait
au bassinet » a autant de mal à sor-
compris par la majorité des gens. que ce soit par comparaison avec
tir l’argent de sa bourse que le ca-
le fait que les troupes se mettaient
tarrheux à expectorer ses mucosités.
en bataille lorsqu’elles se position-
Mais Alain Rey, pas d’accord, indique
Q Bassiner quelqu’un que, depuis le XVe siècle, les verbes
naient en largeur face à l’ennemi au
moment de se battre, alors qu’elles
Importuner quelqu’un. liés aux expectorations avaient
venaient de l’ordre en colonne
aussi le sens figuré de « parler » ou
Il y a longtemps que la bouillotte a (comme le bicorne) ou en carré.
« émettre ». Et il ajoute « or, par
remplacé l’ancienne bassinoire pour Tout cela est bel et bon, me
l’intermédiaire de la parole ou selon
réchauffer un lit glacial. direz-vous derechef, mais quel
une symbolique plus profonde, ce
C’est pourtant bien ce récipient qui a rapport avec le désordre de notre
qui sort du corps de l’homme est
donné naissance au milieu du XIXe siècle expression ?
assimilé à l’or, à la richesse. Cra-
à notre expression et ce, pour deux Eh bien, il semble que le fait que
cher serait donc métaphoriquement
raisons, selon Lorédan Larchey. le chapeau ne soit pas mis dans le
“émettre, donner de l’argent” ».
bon sens a fini par faire utiliser en
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18 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
bataille pour désigner tout chapeau déplacement puis à attendre le re- Depuis 1840, bave du crapaud est
placé « de travers » ou de manière tour du propriétaire de la chaise, une métaphore désignant des pro-
négligente sur la tête. de préférence dans les lieux de dé- pos médisants. Autrement dit, de
De là, le de travers, symbole de dé- bauche (tripots, bordels…) dans les- tels propos ne peuvent atteindre
sordre, a donné le sens actuel de quels ils transportaient leurs bâtons celui qui n’a rien à se reprocher (la
notre expression. avec eux pour ne pas se les faire colombe).
voler, la vie des bâtons étant alors Cela dit, de nos jours, il n’est pas
Q C’est bath ! assimilée à celle des porteurs. certain que ce proverbe soit toujours
vérifié. En effet, les rumeurs calom-
C’est beau (ou bon, joli, bien,
Q La bave du crapaud nieuses peuvent quand même faire
remarquable, agréable…) !
n’atteint pas la beaucoup de mal et tout de même
Cette expression date du XIXe siècle. blanche colombe ternir la réputation du plus pur des
Bath (ou bat) est un adjectif venu de individus, dans la mesure où il ne dis-
La calomnie la plus vile ne
l’argot, mais dont l’origine est dis- pose pas d’assez de preuves pour se
peut ternir une réputation
cutée. disculper aux yeux de tous ceux qui
sans tache.
Il viendrait soit de l’argot batif qui considèrent qu’il n’y a pas de fumée
voulait dire « joli » ou « neuf », et Ce proverbe s’emploie générale- sans feu.
utilisé par Vidocq, soit de la station ment par ironie pour rejeter une ca-
balnéaire britannique Bath, très pri- lomnie ou une insulte par le mépris. Q Jouer/Faire la belle
sée des gens de la haute société an- Comment voulez-vous que la
Jouer la manche
glaise au XVIIIe siècle. bave du crapaud, symbole du vice
supplémentaire qui permet de
Il n’y a encore pas si longtemps, on et de la laideur, puisse atteindre
désigner le vainqueur d’une
disait de quelqu’un qu’il (ou elle) la blanche colombe (même si
partie lorsqu’il y a égalité.
était bath au pieu ou bath au plu- toutes les colombes ne sont pas
mard lorsqu’on voulait désigner une blanches), symbole de la pureté Si, à l’issue d’une partie de pétanque
personne dont on dirait maintenant et de la beauté puisque, même s’il ou de belote, chaque camp a rem-
que c’est un bon coup. est capable de sauter, jamais l’hor- porté une manche, il faut donc jouer
rible animal ne pourra s’approcher une manche supplémentaire, la belle.
Q Mener une vie suffisamment de l’oiseau pour Mais pourquoi est-elle si belle ? Deux
de bâton de chaise l’atteindre de ses postillons verts réponses sont proposées.
et gluants ? QQQ
Avoir une vie désordonnée,
agitée, une vie de plaisirs
et de débauche.
Q Tailler une bavette
Il faut remonter dans le temps, à
Bavarder.
l’époque des chaises à porteurs
comportant deux grands bâtons la- Cette expression date de la seconde moitié du XVIIe siècle. Elle est issue d’un
téraux servant à porter la chaise et mélange entre deux choses.
son contenu humain. Aux XVe et XVIe siècles, le mot bave, d’où vient bavette, désigne d’abord le babil
Après, comme les avis divergent sur des petits enfants avant de s’étendre au bavardage des adultes. Ce n’est que
l’origine de l’expression, je vous pro- plus tard que l’autre sens, celui de « salive », pourtant également connu à
pose ici les deux plus usuelles. l’époque, viendra supplanter complètement celui de paroles, souvent futiles.
Alain Rey explique que les bâtons Cependant, les deux sens étaient bien liés, puisqu’il arrive fréquemment à celui
étaient constamment manipulés, qui parle d’asperger de gouttes de salive son heureux interlocuteur.
soulevés, posés, tirés pour dégager la Parallèlement, depuis le XIIIe siècle, on disait tailler bien la parole à quelqu’un pour
porte de la chaise, remis en place… dire « parler à quelqu’un avec éloquence », comme si une parole éloquente était
Ils avaient donc une existence très une parole « taillée », sculptée avec art.
peu reposante, ce qui serait à l’ori- C’est de ces deux choses qu’est née l’expression tailler des bavettes (notez le
gine de l’expression dans laquelle pluriel), expression plutôt péjorative, probablement avec une certaine ironie,
l’idée d’« activité excessive » a peu puisque cette fois, taille évoquait le débit des futilités, le « caquetage », activité
à peu fait place à l’idée de « vie dé- nécessitant certainement beaucoup moins de savoir-faire que la vraie « taille »
sordonnée ». d’une belle parole.
La seconde est liée à la vie que me- C’est ensuite au début du XIXe siècle que, du pluriel, on passe au singulier et
naient les porteurs, toujours en que, progressivement, le sens péjoratif s’atténue.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 19
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Jeter le bébé avec l’eau du bain


Perdre de vue l’essentiel – Se débarrasser d’une chose pourtant importante dans le but d’éliminer en
même temps les ennuis ou contraintes qu’elle implique.
Cette expression est une traduction littérale relativement récente (milieu du XXe siècle) de l’anglais to throw the baby
out with the bath water.
Mais en réalité, les Anglais l’ont eux-mêmes empruntée à l’allemand.
Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle qu’un historien anglais germanophile, Thomas Carlyle, l’utilise dans un de ses écrits
après en avoir souvent entendu la version allemande.
De là, elle se répand chez nos amis d’outre-Manche avant d’être transposée chez nous.
On peut maintenant se demander ce qui a amené les Allemands à imaginer cette expression imagée. Certains font le
rapprochement avec les pratiques hygiéniques d’autrefois qui voulaient que toute la famille passe dans le même bain,
le père d’abord, puis les autres hommes de la maisonnée, puis les femmes, les enfants et enfin les bébés en dernier.
Autant dire qu’à la fin, l’eau était tout sauf limpide et qu’il était donc facile d’oublier que bébé y pataugeait.
Si l’origine est bien là, alors elle est construite sur une plaisanterie, car il va de soi que bébé ne pouvait être abandonné
comme ça dans la baignoire dans laquelle il se serait noyé.
Le second sens indiqué, apparu plus tard au cours du XXe siècle, change l’image initiale. Cette fois, on n’hésite pas à
jeter le bébé volontairement. Tant pis s’il patauge dans la baignoire, à partir du moment où l’on préfère se débarrasser
vite fait de l’eau maintenant considérée comme encombrante sans perdre le temps nécessaire à en ôter le bébé.

Pour la première, qui est probable- Q Se défendre bec qu’on appelait des becs de gaz,
ment la bonne, il faut se rattacher à et ongles terme qui venait du fait que l’éner-
l’expression avoir la partie belle qui gie qui leur permettait de produire
Se défendre de façon
est prononcée lorsque quelqu’un a eu de la lumière n’était pas l’électricité,
énergique, avec tous les
la tâche facilitée pour obtenir ce qu’il mais le gaz.
moyens à sa disposition.
voulait, ou lorsqu’il est dans une po- D’accord pour le gaz, me direz-vous,
sition lui permettant un succès facile. En latin, on disait unguibus et rostro, mais pourquoi le bec ? Nous allons
Si on décide de jouer la partie im- qui voulait dire « à griffes et bec » ou donc nous tourner vers le Diction-
paire qui permet d’assurer la victoire « par les griffes et le bec », locution naire de l’Académie française de
à l’un ou l’autre camp, celui qui qui sert d’ailleurs de devise à la ville 1835 qui nous donne la définition
gagne aura eu « la partie belle ». de Valence, dans la Drôme, et qu’on suivante pour bec de gaz :
L’expression en serait donc une el- trouve sur son blason. « Espèce de robinet en forme de bec
lipse. L’origine et la compréhension de lampe, par lequel on donne issue
La seconde explication nous fait de cette expression sont toutes au gaz distribué dans les conduits,
remonter aux tournois du Moyen simples : lorsqu’un oiseau doit se dé- lorsqu’on veut l’allumer pour qu’il
Âge, ou plutôt aux joutes qui suc- fendre, il le fait avec les moyens à sa éclaire. »
cèdent aux tournois violents et aux- disposition, son bec et ses griffes (ou Donc, par métonymie, le lampadaire
quelles participent les chevaliers de ongles). a pris le nom du robinet qui permettait
l’époque. Elle a d’abord été utilisée avec le son allumage ou son extinction.
Les femmes y occupent une place verbe avoir en signifiant « être de Il fut un temps également (et celui-là
importante puisque les chevaliers ar- taille à se défendre » ou égale- dure encore) où les lampadaires
borent les couleurs d’une dame sous ment « répondre vivement à une avaient la fâcheuse habitude de
la forme d’une manche délacée de attaque », mais cette forme a venir brutalement et de manière
sa robe. maintenant été oubliée, alors que plutôt inattendue à la rencontre des
Celui qui combat bravement em- l’actuelle reste très vivace. gens distraits ou des ivrognes.
porte la deuxième manche. C’est simplement de cette époque
À la victoire d’après, il gagne la gente Q Tomber sur un bec où des individus pouvaient malen-
dame (la belle) qui le récompense contreusement se cogner contre
Tomber sur une difficulté ou
d’un baiser. l’obstacle qu’était un bec de gaz que
un obstacle imprévu, sur une
C’est donc peut-être bien pour cela nous vient notre expression dont la
fin de non-recevoir.
qu’on joue maintenant une manche, version originale était tomber sur un
puis une deuxième manche, puis la Il fut un temps où l’éclairage munici- bec de gaz.
belle. pal était assuré par des lampadaires

20 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Car si, dans son sens initial, s’embé- Il est célèbre, entre autres, pour
Q Avoir le béguin
guiner, c’était se coiffer d’un béguin, avoir défini la Règle de saint Benoît,
Être amoureux. au figuré, il voulait aussi dire « deve- ensemble de règles de vie d’une
nir amoureux » avec la connotation communauté monastique, principes
L’histoire de cette expression com-
excessive ou ridicule que cela peut adoptés par de très nombreux mo-
mence au XIIe siècle, à Liège, dans
avoir dans certains cas. nastères en Occident.
le premier couvent de béguines,
Au XVIe siècle, également et selon Mais au fil des siècles, les bénédictins
sœurs de l’ordre de Saint-François,
Gaston Esnault, avoir le béguin à vont avoir plusieurs interprétations de
appelées ainsi, paraît-il, parce que
l’envers voulait dire « avoir la tête ces règles, ce qui conduira à la création
le fondateur du couvent s’appelait
troublée ». Ce qui se comprend de plusieurs ordres (Cîteaux, Cluny…),
Lambert le Bègue. Ces religieuses
bien, puisque celle qui mettait son chacun insistant sur telle ou telle activi-
portaient une coiffure faite d’une
béguin dans le mauvais sens devait té (travail manuel, liturgie…).
toile fine qui s’appelait béguin.
penser à tout autre chose. Parmi ces ordres, il y eut la congré-
De coiffe de bonne sœur, le béguin
gation de saint Maur, créée au
est devenu une coiffe de femme et
d’enfant. Parallèlement, être coiffé
Q Un travail XVIIe siècle, qui, elle, mettait en avant

(de quelqu’un) était une expression


de bénédictin le travail intellectuel. Très érudits,
et avec une formation humaniste,
qui voulait dire « être à la merci » de Un travail intellectuel de
les moines de cette congrégation
cette personne, mais au sens d’être longue haleine – Un travail
participaient à des travaux littéraires
impuissant ou d’être aveuglé par elle. qui demande beaucoup de
collectifs de très longue haleine
Par croisement avec l’expression ci- patience et d’application.
(236 volumes pour le Trésor généa-
tée, il n’en a pas fallu beaucoup plus
Saint Benoît de Nursie, né à la fin du logique ou 50 volumes pour une
pour qu’on dise d’une femme qu’elle
Ve siècle, est le fondateur de l’ordre géographie de la Gaule et de la
s’est « embéguinée », c’est-à-dire
des moines bénédictins, vers 529. France, par exemple).
qu’elle est tombée amoureuse.
C’est de l’ampleur dans le temps de
ces travaux qui nécessitaient une très
Q C’est la Bérézina grande patience qu’est née notre ex-
pression.
C’est une défaite cuisante,
une déroute complète – C’est
Q Le benjamin (de la
une situation extrêmement
famille, de l’équipe…)
désagréable.
La personne la plus jeune
Nous sommes en 1812. Napoléon
(d’un groupe).
emmène quelques centaines de
milliers d’hommes envahir la Rus- Si Benjamin est un prénom assez
sie, mais l’Empereur n’a toutefois La traversée de la Bérézina, January Suchodolski
(1797-1875).
courant, on est en droit de se deman-
pas prévu la politique de terre der comment ce prénom a pu deve-
brûlée que les Russes vont appliquer, empêchant ainsi les hommes et les nir un mot désignant la personne
animaux de se ravitailler suffisamment alors que le froid devient pénétrant. la plus jeune d’un groupe, par oppo-
Avant que la troupe entière ne meure de faim, l’Empereur décide la retraite. sition au doyen.
Les autres routes étant bloquées, elle se fait par le même chemin qu’à l’aller, D’abord, il faut savoir que si, au-
via des terres déjà ravagées. jourd’hui, c’est bien une personne
Ils arrivent devant la Bérézina, rivière de Biélorussie large d’une centaine d’un âge quelconque qui peut être
de mètres et profonde de deux à trois mètres qu’il n’est pas question de le benjamin, c’est par extension
traverser à la nage. du sens « enfant le plus jeune » en
Travaillant dans des conditions insupportables, les pontonniers du général usage auparavant, mais toujours ac-
Éblé vont réaliser deux ponts alors que la température tombe à moins trente tuel parallèlement à son sens étendu.
degrés et que l’eau charrie des gros blocs de glace. Et, en remontant encore plus loin
Des soixante-dix mille hommes qui sont face à la rivière, seuls quarante mille dans le temps, au XVIIIe siècle, lorsque
vont pouvoir la franchir, les ponts étant ensuite détruits pour empêcher le mot apparaît, benjamin désignait
l’ennemi de les emprunter, alors qu’il reste de l’autre côté des quantités de avant tout l’enfant préféré de ses
soldats retardataires. parents.
C’est de cette déroute historique que vient notre expression, symbole Pourquoi cela ?
d’échec complet ou de situation tragique insurmontable. QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 21
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Eh bien, il nous faut nous pencher
sur la Bible pour tout comprendre.
Q Vouloir le beurre Q Avoir la berlue
et l’argent du beurre
En effet, la Genèse nous apprend Avoir une vision déformée
que, dans le pays de Canaan, Jacob Tout vouloir, sans (de quelque chose).
a eu douze fils, dont le dernier se contrepartie – Vouloir gagner Avoir des illusions.
nommait Benjamin. Lorsque Jacob sur tous les plans.
L’étymologie du mot berlue est
apprend qu’il peut acheter du blé en
L’usage de cette expression nous discutée. Mais il est possible qu’il
Égypte, il y envoie ses fils, sauf Ben-
vient au moins de la fin du XIXe siècle. vienne, au XIIIe siècle, du verbe belluer
jamin, de crainte qu’il ne lui arrive
Le bon sens paysan veut qu’on ne qui voulait dire « éblouir », mais éga-
quelque malheur.
puisse pas, honnêtement, vendre le lement « tromper » ou « duper ».
beurre qu’on vient de fabriquer, en Son premier usage s’appliquait à un
Q La réponse du berger garder l’argent, mais garder aussi discours trompeur, une fable.
à la bergère le beurre, histoire de pouvoir le re- Tombé ensuite dans l’oubli, il réap-
La réponse qui clôt la vendre encore et encore. paraît au XVIe siècle pour désigner en
discussion, sans possibilité Vouloir toujours tout garder à soi, médecine un défaut de la vue qui
d’y revenir. Le dernier mot – vouloir tout gagner sans rien laisser fait percevoir des objets imaginaires
Une manière de rendre à aux autres, c’est vouloir le beurre et ou qui déforme la réalité.
quelqu’un la pareille. l’argent du beurre. C’est de cette acception, et du sens
Mais même si on réussit temporai- figuré « impression visuelle trom-
Cette expression, dans son pre-
rement et honnêtement à garder le peuse », qu’est assez logiquement ap-
mier sens, vient du XVIIe siècle et du
beurre et l’argent du beurre, il ne faut parue notre expression au XVIIe siècle,
suivant, une époque où les pastorales
jamais perdre de vue que le beurre, sans qu’on puisse en être éberlué.
étaient revenues à la mode : il y est
comme l’argent, peut fondre très fa-
fréquemment question de bergers
cilement et rapidement.
et de bergères qui, bien entendu,
De cette expression, il existe quelques « Le mot berlue désigne
ont autant d’histoires d’amour que
variantes où l’on trouve également en médecine un défaut de
de querelles.
citée la crémière supposée avoir fabri- la vue qui fait percevoir
Et c’est pour cela qu’à la même
qué le beurre. Parmi celles-ci on a la des objets imaginaires ou
époque les termes berger et ber-
triviale vouloir le beurre, l’argent du qui déforme la réalité. »
gère ont pris respectivement le sens
beurre et le cul de la crémière.
figuré de « amant » et « amante ».
C’est probablement des pastorales
d’Honorat de Bueil, marquis de
Racan, intitulées Les Bergeries, qu’est
Q Mettre du beurre dans les épinards
née l’expression. En effet, dans de Améliorer ses conditions de vie, gagner plus d’argent.
nombreux dialogues entre le berger
La métaphore contenue dans cette expression est parfaitement compréhen-
et la bergère, c’est le premier qui a le
sible : pour améliorer le goût de ses épinards (ses conditions de vie), mieux
dernier mot.
vaut y ajouter une bonne dose de beurre (d’argent).
Le second sens de cette expres-
Jean-Louis Flandrin a fouiné dans les recettes de cuisine publiées depuis le
sion est contemporain (XXe siècle).
Moyen Âge pour y découvrir des choses intéressantes sur l’usage du beurre
Il reprend l’expression originale,
au fil du temps.
un peu oubliée, et se base sur le
Au Moyen Âge, le beurre était bien plus utilisé par les pauvres que par les
sens propre des mots berger et
riches. Il était d’un usage plutôt rare dans les livres de cuisine des XIVe et
bergère. En effet, c’est le fait de
XVe siècles qui évoquent la cuisine des classes aisées ; mais la prédilection
faire le même métier, d’avoir les
pour le beurre augmente aux XVIIe et XVIIIe siècles, et il devient un symbole de
mêmes connaissances, qui fait que
distinction sociale aux XIXe et XXe siècles.
l’un est capable de faire à l’autre ou
Flandrin constate également que l’essor du beurre en France coïncide
pour l’autre ce qu’il lui a fait, de lui
avec le statut que lui accorde l’Église. Étant un produit d’origine animale,
rendre la monnaie de sa pièce.
jusqu’au XVe siècle le beurre était interdit au moment du carême. En raison
Mais le fait de rendre la pareille à
de la multiplication de dispenses dès la fin du XVe siècle, au cours du XVIe on
l’autre, c’est aussi parfois vouloir
commence à utiliser du beurre dans les plats de légumes et de poissons (qui
avoir le dernier mot, ce qui rejoint le
étaient autorisés en carême), alors qu’au Moyen Âge il était utilisé presque
premier sens.
exclusivement avec les œufs, les pâtes alimentaires et les pâtisseries.

22 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Le second vient de l’aspect indési- être un peu plus précis, on trouve une
Q Compter pour rable de ces petites bêtes qu’on peut phrase qui, traduite en bon français,
du beurre assimiler à des défauts à la recherche s’écrit généralement comme suit :
desquels on doit impérativement se « Adam connut Ève, sa femme ; elle
N’être pas pris en
lancer pour corriger la chose. conçut, et enfanta Caïn et elle dit :
considération, être méprisé.
La première attestation de cette J’ai formé un homme avec l’aide de
N’avoir aucune importance.
expression se trouve chez Barbey l’Éternel. »
Bizarrement, le beurre est sou- d’Aurevilly en 1874. Là, le doute n’est pas permis :
vent associé à une image d’abon- connaître est bien un euphémisme
dance ou de richesse : faire son Q Beurré pour « forniquer avec ».
beurre (pour « faire beaucoup (comme un p’tit Lu) Ce qui suffit à expliquer le sens de
d’argent ») ou encore mettre du notre expression. Et à confirmer que
(Complètement) soûl.
beurre dans les épinards. l’hésitation à appeler un chat un chat
Pourtant, il existait autrefois une L’adjectif beurré pour « ivre » est un existe depuis bien longtemps.
locution adjective de beurre qui mot d’argot qui est une simple dé-
caractérisait quelque chose sans formation de bourré liée à l’image du Q Se faire de la bile
valeur et qui est probablement à beurre, la personne soûle étant molle
Se faire du souci.
l’origine de cette expression. ou parlant « gras ».
Si l’on fait des recherches sur Mais pourquoi dit-on bourré pour La bile est ce liquide visqueux et amer
l’histoire du beurre, on s’aperçoit quelqu’un qui est soûl ? sécrété par le foie, qui participe à la
que, pendant longtemps, c’était La métaphore semble assez claire, digestion et s’écoule depuis la vésicule
une graisse destinée aux pauvres, puisqu’il suffit d’imaginer un conte- biliaire vers le duodénum par le canal
car facile à produire tout au long nant rempli à son maximum, « bour- cholédoque.
de l’année. ré » par son contenu, comme peut La théorie antique des quatre hu-
Ce n’est qu’à partir du XVIIe siècle l’être le bonhomme qui a absorbé des meurs, formalisée en grec par Hippo-
que le beurre devient un produit quantités de boissons. crate, nous apprend que la bile noire
de luxe et commence à être Si cette expression date du début du correspond à la mélancolie, la tris-
sérieusement utilisé dans les XXe siècle, on peut tout de même noter tesse, le souci, alors que la bile jaune
recettes de cuisine des gens de la que, dans l’argot des imprimeurs, était associée à la colère.
haute société. et dès le début du XIXe siècle, une C’est donc cette « bile noire », pré-
C’est probablement de la « pre- page « beurrée » était une page tendument sécrétée par la rate, qui
mière » vie du beurre, celle où il surchargée, imbibée d’encre noire, était supposée être la cause de nos
était mal considéré, que vient la tout comme celui qui est beurré est soucis.
connotation négative qu’on trouve imbibé d’alcool. Bien que la théorie des humeurs ait
dans notre expression. À moins que Reste à expliquer le p’tit Lu. finalement été abandonnée au cours
ce ne soit simplement pour son côté Certains connaissent bien les biscuits du XVIIIe siècle, il nous en est resté cette
très mou et fusible qui fait qu’on ne appelés des « petits-beurre » fabriqués expression et ce sens figuré de bile, à
peut pas en faire grand-chose de depuis le milieu du XIXe siècle par la rapprocher du mauvais sang.
très utile en dehors de la cuisine. société Lefèvre-Utile (« LU » en abrégé).
Ces biscuits sont fabriqués entre Q Passer sur le billard
autres avec du beurre, comme leur
Q Chercher la petite bête nom l’indique ; ils pouvaient donc être
Passer sur une table
d’opération, subir une
Ne se préoccuper que vus comme « bourrés » de beurre. De
intervention chirurgicale.
de détails insignifiants. là le rapprochement sous forme de
S’efforcer de trouver un plaisanterie avec le terme beurré issu À l’origine, dès la fin du XIVe, le billard
défaut quel qu’il soit pour de bourré. désignait le bâton qui servait à jouer
pouvoir critiquer. aux jeux de billes et de boules. Par
Q Connaître bibliquement métonymie, au XVIIe, le mot a désigné
Tout homme qui s’est déjà cherché
la table sur laquelle se pratiquaient
des morpions sait à quel point il faut Avoir des relations sexuelles.
certaines formes de ces jeux, table
être précis, méticuleux pour réussir à
Comment un verbe banal comme rectangulaire et plate qui, en argot,
localiser tous ces tout petits indési-
connaître peut-il produire un tel sens ? a fait ensuite désigner aussi par bil-
rables, ces « petites bêtes ».
Il se trouve que dans la Bible, dans le lard des terrains plats ou des routes
Le premier sens de l’expression est
livre de la Genèse au chapitre 4, pour bien planes.
aisément compréhensible.
QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 23
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
C’est cette dernière acception qui a On peut aussi parfois dire tremper sa que le marin est arrivé au port, et
fait que, pendant la Première Guerre nouille. qu’il peut donc se permettre d’y
mondiale, selon Gaston Esnault, ripailler et aussi d’y boire à volonté.
monter sur le billard, voulait dire Q Bisque ! Bisque ! Ce lien est renforcé par la première
« sortir de sa tranchée » pour aller Rage ! signification métaphorique de biture.
sur le terrain (plat) du combat, ter- En effet, à l’origine, ce sens imagé
Formule enfantine destinée à
rain où l’on risquait tout autant la de biture désignait un repas copieux,
faire enrager un adversaire et
mort que sur cette table aussi rec- en 1825 (probablement très arrosé).
à s’en moquer.
tangulaire et plate qu’un billard sur Puis, un peu après 1850, il désignait
laquelle le soldat se faisait opérer. Si la bisque de homard est incon- une forte dose de spiritueux.
Voilà pour une première probable testablement une excellente prépa- Ce n’est qu’à partir de 1888 que le
origine. ration culinaire, elle n’a pas grand- mot est attesté dans la langue géné-
Mais Claude Duneton en propose chose à voir avec le bisque de notre rale comme synonyme de cuite.
une autre. En effet, billard a aussi dé- expression.
signé le lit sur lequel on fait l’amour, ce En effet, ce bisque est l’impératif du
qui est évident pour un esprit salace, verbe bisquer dont l’étymologie est
Q En donner son billet
puisque sur un billard il y a également controversée et qui signifie « éprou- Être absolument certain de
une queue et des boules. Et si on y fait ver de la colère ou du dépit ». Ne quelque chose et l’affirmer.
l’amour, le billard est donc un lieu où dit-on pas toujours faire bisquer
À l’origine, un billet (mot né au mi-
l’on jouit. Il n’en aurait pas fallu beau- quelqu’un lorsqu’on le titille jusqu’à
lieu du XIVe siècle) est un petit mes-
coup plus à des plaisantins spécialistes un possible énervement ?
sage écrit dans lequel « on peut se
de l’antiphrase pour désigner égale- Notre expression enfantine est
dispenser des formules de com-
ment par billard la table d’opération constituée de trois impératifs « or-
pliments usitées dans les lettres »
où, vu les techniques rudimentaires donnant » au destinataire de se
(Dictionnaire de l’Académie).
d’anesthésie de l’époque, la « jouis- mettre en colère, d’enrager, généra-
Au fil des décennies, tout en con-
sance » pouvait aussi être très intense. lement dans le but de s’en moquer.
servant son sens initial, il a égale-
Certains évoquent une origine ve-
ment eu plusieurs significations,
Q Tremper son biscuit nant du jeu de paume où la bisque
dont, aussi abracadabrantesque
était un point spécial dont le joueur
Faire une pénétration que cela puisse paraître, celle de
ne pouvait bénéficier qu’une seule
sexuelle. « formule magique ».
fois dans la partie. Mais cette origine
Le billet de banque, au début du
Cette expression apparue au milieu n’est pas considérée comme valide.
XVIIIe siècle, vient du billet vu comme
du XXe siècle est une évolution de
une promesse écrite, un engage-
l’ancienne expression tremper son Q Prendre une biture ment de payer une somme.
pain au pot (employée, entre autres,
S’enivrer. À la fin du XVIIe, un peu avant l’appa-
par Rabelais), image très parlante
rition de notre expression, Furetière
pour qui est un peu au fait de la ma- Voilà une expression qui nous vient de
enregistre billet avec pour défini-
nière de faire les bébés. la marine. Officiellement, la biture est
tion : « Se dit aussi de toute écri-
Le mot biscuit, dans son sens habituel la longueur de la chaîne de l’ancre qui
ture privée par laquelle on s’oblige à
de petite douceur qu’on s’accorde est disposée en zigzag sur le pont de
quelque payement, on fait la recon-
bien volontiers, est issu du latin mé- manière que, au moment du mouil-
noissance de quelque chose. » Et il
diéval biscoctus qui signifiait « cuit lage, l’ancre puisse filer le plus rapide-
ajoute en exemple : « Il ne me peut
deux fois » et qu’on retrouve en espa- ment et librement au fond.
pas nier que je ne luy aye donné ce
gnol bizcocho, en italien biscotto (qui Mais quel lien entre biture et le fait
depost, j’en ay son billet. »
a donné biscotte), en portugais biscu- de boire de l’alcool au point d’en
On peut donc comprendre je vous
to et en provençal bescueit. être complètement soûl ? Eh bien, il
en donne mon billet comme « je
Mais pour le sens qu’il a dans notre y a deux manières de relier les deux.
suis tellement sûr de ce que j’af-
expression, il est possible qu’il vienne La première, c’est par simple analogie
firme que je suis prêt à vous écrire
du vieux terme bistoquette (qu’on entre la disposition de la biture sur le
un billet qui l’attesterait ».
trouve encore actuellement sous la pont et la trajectoire pour le moins zig-
Dans cette expression, le verbe
forme bistouquette) qui désignait le zagante de celui qui titube sur le quai.
donner est assez souvent remplacé
pénis, instrument dont la forme est Pour la seconde, on peut supposer
par ses équivalents argotiques que
proche d’un boudoir, biscuit qui a pu que, lorsque la (véritable) biture a cor-
sont ficher ou foutre.
faciliter la naissance de l’image. rectement filé, c’est probablement

24 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Se faire blackbouler Q Blanchir de l’argent


Être refusé à un examen, un
Donner à de l’argent malhonnêtement acquis une existence
poste… Être évincé, rejeté,
légale en dissimulant les traces de son origine.
repoussé.
Depuis le début du XIIe siècle, blanchir signifie « rendre blanc ». Au figuré et
Le verbe blackbouler est étrange
au XIXe siècle, le verbe signifie également « purifier », le blanc éclatant étant
car composé du mot anglais black
aussi un symbole de pureté.
(« noir ») et de bouler, verbe français
Au figuré encore, dès le XIVe siècle, on parlait déjà de « blanchir un accusé »
qu’on retrouve dans un sens argo-
lorsqu’on réussissait à éliminer les soupçons qui pesaient sur lui ou, autre-
tique dans l’expression envoyer bou-
ment dit, à le « laver » de ces soupçons.
ler pour « rejeter, repousser ».
Ce n’est qu’au XXe siècle qu’apparaît notre expression pour désigner l’action
Ce mélange de langues vient d’une
qui consiste à « nettoyer » ou « purifier » de l’argent « sale » afin de pou-
traduction partielle du verbe anglais
voir le réinjecter dans l’économie.
to blackball qui date de 1770 et qui
Une origine répandue dit que cette expression vient de l’époque
signifie « voter contre l’admission
d’Al Capone qui blanchissait son argent via la chaîne de blanchisseries
d’une personne dans un club ou un
« Sanitary Cleaning Shops » dont il se serait porté propriétaire en 1928
cercle en plaçant une boule noire
dans ce seul but.
(black ball, en anglais) au lieu d’une
Certes, mais la version anglaise to launder (the) money (blanchisserie se dit
blanche dans l’urne ».
laundry en anglais) est attestée pour la première fois en 1975 dans le jour-
Car c’est bien de la méthode d’ad-
nal anglais The Guardian, à propos de mouvements de fonds étranges d’un
mission de nouveaux membres dans
comité de réélection de Richard Nixon au moment du scandale du Water-
une confrérie que vient ce mot :
Gate, soit bien après le décès d’Al Capone en 1947, et après l’apparition de
les membres déjà présents votaient
la version française vers 1960.
au moyen de boules blanches (avis
Autant dire que cette hypothèse n’est probablement qu’une légende.
positif) ou noires (avis négatif) pour
accepter ou non le nouveau candi-
dat. Et celui qui avait le « plaisir » On pourrait croire que c’est parce
que, avec une telle arme, on peut sai-
Q Un bleu/bleu-bite
d’avoir plus de boules noires que de
blanches était rejeté, repoussé. gner à blanc celui qui aura la chance Une nouvelle recrue.
Une fois ce mot introduit en France, d’en vérifier sur lui l’efficacité. Un débutant.
il a été écrit de différentes manières Mais c’est la combinaison de deux
Selon le Dictionnaire du français non
(en 1835 Balzac l’écrivait « black- choses qui fait qu’on désigne ainsi ce
conventionnel, le bite de bleu-bite
boller ») avant de prendre son ortho- type d’arme depuis la fin du XVIIe siècle.
pourrait provenir d’une apocope de
graphe actuelle où seul le mot ball a La première vient du sens de blanc
l’argot bitau qui désignait « un nouvel
effectivement été traduit. qui, en ancien français au XIe siècle,
élève », mot venant lui-même du ge-
Si, au départ, le verbe a signifié signifiait « brillant » ou « luisant »,
nevois bisteau pour « jeune apprenti ».
« mettre en minorité dans un vote », ce qui est bien le cas d’une belle
Quant au bleu tout court, trois
très proche de l’origine anglaise, son lame bien entretenue.
explications sont généralement pro-
sens s’est ensuite élargi à la significa- La seconde vient du fait que la lame
posées.
tion actuelle. est fabriquée avec un acier blanc et
La première viendrait du fait qu’au
non en bronze ou dans un métal doré.
début du XIXe siècle, le conscrit
Q Une arme blanche D’ailleurs, dans l’évolution de l’his-
nouvellement arrivé portait une
toire du roi Arthur, Excalibur, sa fa-
Une arme munie d’une lame tenue bleue ; et la deuxième vien-
meuse épée, se serait auparavant
(par opposition à une arme drait de ce que les soldats d’origine
appelée Caliburn (« acier blanc »),
à feu). populaire arrivaient souvent à la ca-
nom venant lui-même de chalybus
serne vêtus d’une blouse bleue.
Contrairement à celle qui emploie (« acier ») et eburnus (« blanc »).
Quant à la troisième, elle serait liée au
la force d’une explosion (pistolet,
« Dans l’évolution de fait que l’habit des soldats de la Pre-
fusil, canon…), l’arme blanche, qui
l’histoire du roi Arthur, mière République française était bleu
emploie celle de l’homme, est munie
Excalibur, sa fameuse (blanc pour les royalistes) et que ces
d’une lame et est perforante ou bien
épée, se serait auparavant troupes étaient majoritairement com-
tranchante.
appelée Caliburn (“acier posées de jeunes recrues nouvellement
Et c’est cette lame qui lui donne sa
blanc”). » incorporées, donc sans expérience.
dénomination.
QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 25
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Quoi qu’il en soit, c’est bien la te- seulement au jazz, s’appelle aussi émanations de corne brûlée se
nue bleue des nouvelles recrues de un « bœuf ». dispersent immédiatement.
l’époque qui est à l’origine de cette Il nous faut remonter vers 1925, à
appellation. Paris dans le 8e arrondissement pour Q Les bœuf-carottes
comprendre la naissance de cette
La police des polices
Q Faire un bœuf appellation. En effet, on y trouvait
(ou l’IGS, Inspection générale
un cabaret fréquenté entre autres
Jouer une improvisation des services).
par Jean Cocteau et où des chan-
musicale collective.
teurs comme Mouloudji ou Léo Fer- Il existe deux origines à cette expres-
Les amateurs de jazz savent parfaite- ré firent leurs premiers pas. sion argotique datant de la seconde
ment ce qu’est une « jam-session » Cet endroit fut également un des moitié du XXe siècle.
ou, en plus court, une « jam ». premiers lieux où le jazz américain fit La première, donnée par André La-
Venue du monde de ce style musi- son apparition en France ; les jams y rue (dans Les Flics en 1969) viendrait
cal, cette forme de concert réunit des étaient donc fréquentes. Ce cabaret du fait qu’une fois qu’un policier est
musiciens, qui n’ont pas forcément s’appelait « Le Bœuf sur le toit » ! passé à la moulinette de la police
l’habitude de jouer ensemble et qui Alors, autant dire qu’il n’a pas fallu des polices et a été mis à pied, voire
improvisent des morceaux divers pour longtemps aux musiciens qui se réu- « démissionné », il ne lui reste plus
le plus grand plaisir de leurs auditeurs. nissaient volontairement dans ce lieu que la possibilité d’avoir du bœuf
En France, ce genre d’exercice pour basculer de faire une jam au aux carottes à son menu, plat sup-
qui, maintenant, ne se limite plus Bœuf à faire un bœuf. posé peu cher donc au coût adapté
à son nouveau budget.
Q Un vent à décorner La seconde est proposée en 1984
Q Mettre en boîte les bœufs dans le film Les Ripoux de Claude
Zidi, selon lequel les agents de l’IGS
Se moquer de quelqu’un, Un vent très violent.
« cuisinent » leurs camarades présu-
de sa naïveté – Par
Lorsqu’ils sont parqués en stabula- més coupables et les laissent longue-
extension, l’énerver.
tion libre dans une étable, les bo- ment « mijoter », comme on le ferait
Ce que l’on sait grâce à Gaston vins sont susceptibles de se blesser d’un bon bœuf aux carottes.
Esnault, c’est qu’à la fin du XIXe siè- mutuellement avec leurs cornes et La gendarmerie dispose aussi de ses
cle, on disait emboîter pour « rail- d’être gênés pour accéder à leur bœuf-carottes, le BEC ou Bureau des
ler », « conspuer » ou « siffler » nourriture. Pour leur éviter ça, il faut enquêtes et contrôles.
quelqu’un (les acteurs de théâtre donc les écorner. En clair, chez eux, il ne fait pas bon
craignaient d’ailleurs beaucoup Mais cette opération, qui se pratique tomber sur un BEC.
« l’emboîtage »). Puis c’est en alors que les animaux sont en liberté
1910 et en argot, que notre ex- dans les champs, provoque des sai- Q Avoir quelqu’un
pression est apparue avant de se gnements qui attirent les mouches à la bonne
répandre vers 1930. et autres insectes en grandes quanti-
Se montrer indulgent
Mais pourquoi le fait de met- tés, ce qui n’est pas très recomman-
envers quelqu’un par
tre en boîte correspond-il à une dé pour les plaies.
sympathie pour lui.
moquerie ? C’est pourquoi les paysans futés
Peut-être cela vient-il d’une signi- pratiquent l’opération à ces mo- Si notre expression est datée du dé-
fication que donne Maurice Rat à ments-là, permettant ainsi à la plaie but du XIXe siècle, son origine n’est
cette expression : « Lui rendre im- de sécher et cicatriser bien plus pas réellement expliquée, même si
possible tout moyen de répliquer, facilement. l’usage de bon ou bonne est com-
de se tirer d’affaire. » Là, même si Comme il n’y a pas de totale certi- préhensible dans un tel usage (on
on s’éloigne du sens principal d’au- tude sur l’explication proposée, on ne peut que prendre en sympathie
jourd’hui, on comprend nettement peut aussi évoquer ce que m’a ra- une personne bonne ou agréable) ; à
mieux l’image de l’immobilisation et conté un paysan : principalement moins qu’il ne s’agisse d’une dérive
de l’enfermement dans une boîte. pour des raisons de sécurité du de « je lui ai fait bonne impression »,
Et pour finir, on imagine bien paysan lui-même, on écorne les bo- donc il m’a à la bonne.
que quelqu’un dont on se mo- vins très jeunes, en leur brûlant la Claude Duneton évoque, sans certitude,
que finisse par s’énerver, ce qui corne au fer rouge. Et si cette opé- une possible origine qui viendrait d’un
explique la signification étendue ration se pratique les jours de grand ancien jeu, le reversis dont Louis XIV
et récente de cette expression. vent, c’est surtout pour que les était paraît-il un grand pratiquant.
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26 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Jeter son bonnet par-dessus les moulins


Se reconnaître incapable de résoudre une difficulté ;
donner sa langue au chat.
S’arrêter dans un récit, parce qu’on n’en connaît pas la suite.
Agir librement sans se soucier de l’opinion, braver la bienséance.
Voilà une expression qui date du XVIIe siècle et qui a eu plusieurs significations.
Mais toutes indiquent une certaine forme de renoncement, parfois contraint.
L’idée généralement évoquée, même si le pluriel reste une énigme, est que les Tableau de Johannes Jelgerhuis Rz. (1785-1836).
moulins à vent étaient habituellement construits sur des hauteurs, et que jeter
son bonnet par-dessus les moulins, c’était donc l’envoyer vraiment très haut donc très loin, marquant ainsi l’ampleur
du renoncement.
Si on fait abstraction des moulins, il faut tout de même tenter d’expliquer l’image du jet lointain du bonnet pour
indiquer le fait d’arrêter de raconter quelque chose dont on ne connaît pas la fin.
Selon Pierre-Marie Quitard, cela viendrait de la fin des contes de fées racontés aux enfants, qui se terminaient sou-
vent par un « Je jetai mon bonnet par-dessus les moulins, et je ne sais ce que tout cela devint », manière de dire que
l’éventuelle suite des aventures ainsi contées est une autre histoire.
La dernière signification, plus récente, s’applique à celui qui agit en se moquant du qu’en-dira-t-on, celui qui se libère
de contraintes, et plus spécifiquement aux jeunes filles qui se dévergondent et font connaissance avec le loup, envoyant
paître leur bonne conduite très loin par-dessus les moulins.

À ce jeu, au cours duquel les mises en éliminer l’hypothèse du hasard ma- expression est née pour désigner des
argent étaient importantes, la bonne lencontreux, en souhaitant qu’on aptitudes très développées chez cer-
est, selon Littré, le nom de différents aura bel et bien de la chance, même tains individus.
paiements et à la bonne se dit lorsqu’on si ce n’est qu’un petit peu.
place le valet de cœur (la carte prin- Quant à la chance, parfois ajoutée à Q Rire/Rigoler/Se marrer
cipale) ou un as sur la dernière levée la suite, ce n’est que pour renforcer comme un bossu
afin de recevoir un double paiement. le souhait que le hasard n’aille pas
S’amuser beaucoup,
Mais si cela confirme bien un usage dans le mauvais sens.
rire franchement.
ancien de à la bonne, cela n’ex-
plique pas vraiment son sens dans Q Avoir la bosse de… La date d’apparition de cette
notre expression. expression n’est pas précise, mais
Avoir des dispositions,
elle semble remonter au XIXe siècle.
un don naturel pour…
Q Au petit bonheur Sa compréhension, très simple,
(la chance) La phrénologie est une théorie dé- est basée sur deux équations sans
crite par le médecin François-Joseph aucune inconnue :
Au hasard.
Gall (1758-1828). Elle prétend – de quelqu’un qui rit beaucoup, on
Le mot bonheur nous vient du qua- qu’il est possible de connaître les dit qu’il se tord de rire ;
lificatif bon, précédant le nom heur aptitudes, facultés et talents des – un bossu est vu comme quelqu’un
qui date du XIIe siècle, et qui désignait individus en tâtant les bosses du crâne, qui est quelque peu tordu.
le hasard et la chance, mais qui est et ce, en partant de trois principes : On en déduit donc aisément et
maintenant quelque peu désuet. – le cerveau est le siège de toutes concomitamment que quelqu’un qui
N’oubliez d’ailleurs pas qu’on a aus- les facultés fondamentales de rigole comme une baleine se marre
si le mal-heur, généralement beau- l’homme ; comme un bossu.
coup moins bien apprécié, et qu’on – les diverses fonctions cérébrales
dit aussi « par bonheur » pour dire correspondent à autant d’organes Q Proposer la botte
« par hasard (favorable) ». différents ; (à une femme)
D’après Littré, l’expression apparaît – le crâne épousant fidèlement la
Proposer (à une femme)
au XIXe siècle. forme du cerveau, on peut, en décou-
de faire l’amour.
Enlevez le qualificatif petit et vous vrant le relief crânien par palpation,
obtenez « au hasard » ou, autrement deviner les facultés des individus. On se rapprocherait ici de la botte
dit, « en laissant faire la chance ». C’est à partir de cette « science », de Nevers, cette botte secrète qui
Le petit sert à conjurer le sort, à et surtout par dérision, que cette permettait à Largardère (celui de
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 27
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Si la forme actuelle de ces expres-


Q Un bouc émissaire sions n’est pas précisément datée,
pour la première, au XVe siècle, on
Personne sur laquelle on fait retomber tous les torts, toutes les
disait déjà avec le même sens l’eau
responsabilités.
en vient à la bouche.
Il est un phénomène social très répandu qui fait que, de tous temps, lorsque
des manifestations d’origine inexpliquée ou un fléau quelconque (autrefois Q Faire la fine bouche
considéré comme un châtiment divin) provoquent des dérangements im-
Faire le difficile.
portants au sein d’une communauté, ses membres cherchent parmi eux un
responsable, une victime expiatoire. C’est le fameux bouc émissaire. À l’origine (et c’est une expression
Cette appellation est d’origine religieuse. attestée dès la seconde moitié du
L’expiation est une cérémonie religieuse destinée à effacer la souillure, les XVe siècle), on disait « il fait la petite
péchés que l’homme a pu commettre. Et cet homme-là n’a rien trouvé de bouche » à propos de quelqu’un qui
mieux, sur une idée prétendument soufflée par Dieu à Moïse, que de faire faisait le difficile face aux plaisirs de
porter cette souillure par un bouc que le prêtre, par imposition des mains et la table.
autres imprécations, chargeait symboliquement de tous les péchés avant de Ce qui se comprend aisément, par
l’envoyer dans le désert à la rencontre d’Azazel. opposition à quelqu’un qui ouvre
L’appellation de ce bouc vient du latin ecclésiastique caper emissarius qui grand la bouche pour ingurgiter
peut se traduire par « le bouc envoyé/lâché ». toutes les bonnes choses pleines de
calories qu’on peut trouver sur une
table bien garnie.
Paul Féval dans Le Bossu) d’envoyer s’utilise « dans l’argot du peuple ».
Avec le temps, l’expression a évolué,
son adversaire ad patres. C’est Flaubert qui, en 1850 dans
l’adjectif petite a été remplacé par
Autrement dit, c’est bien d’escrime sa correspondance, aurait utilisé en
fine. On voit bien là l’image du gamin
dont on parle, lorsque celui qui, uti- premier cette expression avec son
qui, pour ne pas avaler ce gratin de
lisant une botte sortie de derrière les sens métaphorique puisqu’on disait
poireaux abhorré, serre les lèvres et
fagots, pourfend son adversaire. déjà auparavant des choses comme
fait, au sens propre, la fine bouche.
Cette botte-là, qui date du XVIIIe siècle « cette chaussure vous botte bien ».
Le sens de l’expression s’est en-
(issue de l’italien botta qui signifiait
suite étendu au-delà de la cuisine à
« coup »), serait donc une image Q Avoir/Mettre l’eau toutes choses qui sont généralement
comparant le duelliste à l’homme à la bouche appréciées sauf par celui qui « fait la
qui, doté de son épée magique, em-
Saliver d’envie/Exciter l’envie fine bouche ».
broche sa partenaire. Mais on trouve
ou la curiosité.
aussi dans l’expression l’image de
l’action rapide de la botte d’escrime
Q Mettre les bouchées
C’est la salive qui nous intéresse ici,
mise en parallèle avec la proposition car il est clair comme de l’eau de
doubles
de fornication faite brutalement, roche que c’est elle, cette eau qui Aller plus vite, accélérer
sans travaux préalables d’approche nous vient à la bouche. une action.
et de séduction. Vous avez sûrement déjà constaté, Précipiter l’accomplissement
dans un moment de grande faim, et de quelque chose.
Q Ça me botte ! face à un plat qui vous plaît beau-
Au départ, il y a la bouchée, quan-
coup, l’afflux soudain de cette eau
Ça me convient parfaitement ! tité d’aliments qu’on met en une
particulière que provoque dans
Ça me plaît beaucoup ! seule fois dans la bouche. Le mot
votre bouche la divine odeur qui
est apparu vers 1120 sous la forme
C’est cette idée de « convenir », se dégage de cette nourriture qui
buchiee, heureusement sans accent
« aller bien » qu’on retrouve dans excite votre envie.
sur le premier e car cela pourrait prê-
notre acception du verbe botter Il ne faut pas chercher plus loin pour
ter à confusion.
pour laquelle Lorédan Larchey, en comprendre le sens de la première
Si, pour une raison quelconque, on
1862 dans son Dictionnaire d’argot, expression.
veut manger rapidement ce qu’on a
donne l’explication suivante : « Mot C’est ce phénomène réflexe de plai-
dans son assiette, il ne faut pas hé-
à mot : aller comme une botte faite sir anticipé qui, par extension et au
siter à doubler, voire tripler la taille
à votre pied. » figuré, fait que toute attente de
de la bouchée (certains auteurs,
Alfred Delvau, en 1883 dans son Dic- quelque chose qui nous tente ou
par plaisanterie, utilisent d’ailleurs
tionnaire de la langue verte, indique nous intrigue fortement nous met
mettre les bouchées triples).
qu’elle est familière, puisqu’elle l’eau à la bouche.
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28 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Bien évidemment, lorsqu’on double
Q Un bouillon d’onze
les bouchées, on mange la même Q Pousser le bouchon heures
quantité en deux fois moins de un peu loin
temps. Alors par extension et parce Un breuvage empoisonné.
Exagérer, aller trop loin
qu’on n’a pas forcément besoin de
(dans une accusation, Au XVIIe siècle, donner le bouillon si-
n’accélérer que la mise en bouche,
une affirmation, des gnifiait « empoisonner ». Il était en
mettre les bouchées doubles est
exigences…). effet facile, sous prétexte d’apporter
devenu synonyme d’aller plus vite,
sa nourriture ou son bouillon du soir
d’accélérer le mouvement. Les lexicographes supposent,
à quelqu’un, de lui porter une mix-
sans aucune certitude, que l’ex-
ture qui allait le faire passer de vie
Q De la bouillie pression vient d’un des deux
à trépas.
pour les chats principaux jeux où on utilise un
Cela dit, le bouillon d’onze heures
bouchon : le jeu du bouchon, qui
Une chose qui ne servira n’était pas forcément administré par
date du début du XIXe siècle, où il
à rien – Un travail gâché, quelqu’un d’autre, puisque prendre
fallait abattre avec un palet des
mal fait ; un texte mal écrit, un bouillon d’onze heures a aussi si-
bouchons surmontés de pièces
incompréhensible. gnifié « se suicider ».
de monnaie, ou bien la pétanque
Mais pourquoi de onze heures (sous
Au XVIIIe siècle, notre expression a où le cochonnet s’appelle le
sa forme non élidée en usage à
d’abord eu le premier sens proposé. bouchon.
l’époque) ?
Deux explications en étaient Dans le second cas, on entend
Cela reste mystérieux, mais Claude
généralement données. d’ici le pagnolesque mais ronchon
Duneton en donne une explication
La première venait de ce que les César clamer « Oh, Escartefigue,
qui semble tenir la route : si on ad-
chats ne consomment pas de bouil- tu pousses le bouchon un peu
met qu’il s’agit de onze heures du
lie par crainte de se salir les mous- loin ! » à son compagnon qui,
soir, donc de la dernière heure de la
taches. Et la seconde du fait que les avec sa boule, vient de déplacer
journée (minuit marquant le début
chats ayant des crocs aptes à décou- le cochonnet un peu trop loin et,
de la journée suivante), on a affaire
per et mâcher des aliments durs, il par conséquent, de compliquer la
à un jeu de mots entre la dernière
était inutile de perdre du temps à suite du jeu.
heure du jour et la dernière heure de
leur préparer de la bouillie.
la personne condamnée.
Et comme, pour une chose dont on
sait parfaitement qu’elle ne servira nombril (comme bedaine ou bidon).
pas, il n’est pas vraiment utile de Et que boudin désignait aussi le sexe
Q Tirer à boulets rouges
s’appliquer, cette chose sera inévi- de l’homme au XVIe siècle. Attaquer (quelqu’un ou
tablement mal faite, ce qui pourrait Par conséquent, l’eau de boudin quelque chose) en termes
expliquer que le sens ait dérivé en- ne désignerait finalement que des violents. Faire tomber
suite vers celui d’aujourd’hui. excrétions liquides comme l’urine, (sur quelqu’un) une pluie
Mais Pierre Guiraud voit un jeu de symbolisant quelque chose de com- d’injures ou de reproches.
mots dans cette expression : pour lui, plètement raté.
Un boulet, c’est cette grosse boule
il faut penser au chas qui, à l’époque Selon certains auteurs du XIXe siècle,
de fonte qu’on chargeait autrefois
de la naissance de l’expression, au l’eau de boudin serait aussi cette eau
par la gueule d’un canon et qui, au
milieu du XVIIIe siècle, désignait de souillée, bonne à jeter aux égouts,
cours d’une guerre, lorsque le coup
la colle d’amidon, puis un infâme utilisée pour nettoyer les boyaux qui
était tiré, détruisait des murs, arra-
bouillon à la consistance de colle vont servir à fabriquer le boudin.
chait des jambes ou des têtes une
à tapisserie, avant, au figuré, de Mais cette explication est rejetée par
fois arrivée à la destination visée.
signifier « gâchis ». Claude Duneton et Alain Rey, pour
Mais certains chefs de guerre trou-
cause d’absence totale de preuves.
vèrent que la capacité de destruction
Q S’en aller/Tourner L’eau de boudin serait aussi tout
de ces boulets n’était pas suffisante.
en eau de boudin simplement l’eau de cuisson du
C’est pourquoi l’un d’entre eux ima-
boudin, dernier déchet jetable après
Partir en déconfiture. gina de chauffer les boulets au rouge
avoir extirpé du cochon tout ce qu’il
Aller à l’échec – Mal tourner. dans une forge avant de les tirer, ce qui
avait de mangeable, c’est-à-dire
avait l’avantage, en plus de la destruc-
On nous dit, version défendue par presque tout.
tion brute, de provoquer un incendie,
Alain Rey, que boudin vient de la ra-
bien utile pour occuper les assiégés et
cine bod- désignant le ventre ou le
limiter leur ardeur à défendre leur place.
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 29
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
L’expression existe donc depuis l’in- Alors comment, de ces fibres ou la pomme ou l’orange, certes, mais
vention de la chose, au sens propre, poils, est-on passé, au XIXe siècle, à bien plus que la banane !
mais son sens figuré actuel date de un sens argotique de concurrence ? Selon Alain Rey, cette « rondeur »
la fin du XVIIIe siècle. La métaphore On trouve deux explications à cette aurait été l’une des raisons du choix
suppose des attaques réitérées bizarrerie. de ce fruit.
(une salve d’artillerie) et violentes Gaston Esnault évoque les lutteurs de D’après Gaston Esnault en 1935, le
(le rouge de la fureur). foire qui, bien évidemment « se tirent coing aurait aussi été choisi par jeu
la bourre », mais dans un corps à corps de mots entre le fruit et le coin, la
Q Avoir le bourdon viril où ils se frottent les poils et s’en cale qu’on enfonce pour coincer ou
arrachent plusieurs, et en quantité suf- maintenir quelque chose.
Être triste, mélancolique.
fisante pour en faire de la bourre, pour
Ne pas avoir le moral,
ceux ou celles que ça intéresserait. Q Sans bourse délier
avoir des idées noires.
Mais selon Cellard et Rey, dans leur
Sans payer. Sans qu’il en
Pourquoi le mal-être est-il ici symbo- Dictionnaire du français non conven-
coûte rien.
lisé par un bourdon ? tionnel, cela viendrait de la chasse
Il existe au moins quatre sortes de à courre où les chiens s’acharnent En 1690, lorsque cette expression est
bourdons qui peuvent être associés sur l’animal rattrapé et « se tirent la apparue, les billets de banque n’exis-
à quelque chose de triste : bourre » en lui tirant la bourre, les taient pas encore en Europe, contrai-
– le gros insecte, qui est de la même touffes de poils qu’ils arrachent avec rement à la Chine. Seule la monnaie
famille que l’abeille et qui produit un leurs crocs. métallique était en circulation, et
son grave quand il vole ; l’objet dans lequel on transportait
– chez les musiciens, le bourdon est Q Bourré comme ses pièces était une bourse fermée
la basse continue produite par un un coing par un cordon coulissant et/ou noué.
instrument tel que la cornemuse ou Donc, pour payer quelque chose,
Complètement soûl.
la vielle : ce bourdon est aussi lanci- il fallait « délier » le cordon de sa
nant qu’un tourment obsédant ; Bourré, on sait ce que cela veut dire, bourse afin d’en sortir la monnaie
– en typographie, un bourdon, c’est mais pourquoi comme un coing ? nécessaire.
l’oubli d’un mot, d’un groupe de Quand on est bourré, en argot, on Il est alors aisé de comprendre que,
mots, voire d’une phrase entière est également rond (« comme une si on ne déliait pas sa bourse, c’est
dans un texte ; queue de pelle », éventuellement). qu’on ne payait rien, que ce soit parce
– un bourdon, c’est aussi une cloche, Or, il se trouve que le coing est un que l’objet convoité était gratuit ou,
mais pas n’importe laquelle, puisqu’il fruit relativement rond, moins que fréquemment à l’époque, volé.
s’agit d’un gros modèle qui produit
un son très grave et qui est en gé-
néral utilisé pour signaler des événe-
Q La bouteille à l’encre
ments nationaux graves, du genre Une situation embrouillée, peu claire. Un problème insoluble.
de ceux qui peuvent faire déprimer
À la fin du XVIIIe siècle, la forme initiale était claire comme la bouteille à
comme une défaite, par exemple.
l’encre.
C’est assez probablement d’un de
Ceux qui ont eu le plaisir (car c’était une tâche affectée aux plus méritants)
ces bourdons qu’est née notre ex-
de remplir les encriers placés sur les bureaux des écoliers d’autrefois savent
pression. Reste à savoir lequel…
qu’une bouteille d’encre, même vide, garde une opacité certaine, à cause du
dépôt qui se fait sur les parois.
Q Se tirer la bourre C’est tout simplement la comparaison de ce caractère opaque avec une
Se concurrencer, rivaliser avec situation manquant de clarté ou incompréhensible qui a provoqué la
vigueur – Disputer âprement naissance de cette expression.
une compétition, un match. Par extension, et par opposition à un problème limpide que l’on résout
aisément, l’opacité de la bouteille à l’encre est comparée à l’absence totale
Au XIIe siècle, la bourre désigne le
de clarté de la solution à un problème posé.
déchet des fibres, plus spécialement
On peut noter qu’au XVIIIe siècle, être dans la bouteille à l’encre, voulait dire
de laine d’abord, puis de soie un
« être dans le secret d’une affaire » (Dictionnaire critique de la langue française
peu plus tard. Par extension, le mot
de Jean-François Féraud). L’image est claire, si j’ose dire : le secret à l’intérieur
désigne ces amas de poils d’animaux
de la bouteille est bien caché par son opacité, mais si vous êtes dedans, vous
qui permettent de rembourrer des
êtes au courant de l’affaire.
objets ou de fabriquer du feutre.

30 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Un boute-en-train Tout amateur de bon vin compren- Q Ruer dans


dra parfaitement qu’on puisse asso- les brancards
Une personne à l’humeur
cier cet adjectif à cette boisson.
joyeuse qui met de l’animation Se révolter, se rebiffer.
Si on trouve encore dive dans cer-
au sein d’un groupe. Refuser de continuer
taines formes poétiques, le mot
un travail.
Boute vient du verbe bouter avec le n’est quasiment plus utilisé que
sens de « mettre » (bouter le feu, dans cette expression. Au XVe siècle, avant de prendre
par exemple). le sens qu’on leur connaît
Au XVIIe siècle, en train voulait dire aujourd’hui, les brancards
« en action, en mouvement » et Q Salut, vieille étaient deux longs bouts de bois
mettre en train, c’était « préparer à branche ! prolongeant vers l’avant la caisse
agir » ou « stimuler ». À la même d’une voiture, et entre lesquels
Formule de salutation
époque, être en train signifiait aussi était placé l’équidé chargé de
familière.
« être dans de bonnes dispositions déplacer la charge que son maître
physiques ou psychiques ». Le qualificatif vieux ou vieille devait transporter d’un endroit à
Or n’est-ce pas le rôle du boute-en- s’emploie familièrement avec un autre ou les passagers que le
train que de stimuler son entourage quelqu’un connu de longue date, chariot contenait.
et de le rendre joyeux, donc dans de le vieux ayant alors un côté affec- Et lorsque l’animal en avait assez
bonnes dispositions psychiques ? tif lié à la qualité et à la durée de d’être exploité, qu’il ne voulait plus
Cela dit, on retrouve bien cette no- la relation, bien plus qu’à l’âge de faire le job, qu’il réclamait sa pitance,
tion de stimulation d’un autre dans le la connaissance. il décochait des ruades, se cabrait ou
Dictionnaire de l’Académie française Reste le plus intrigant : pourquoi ruait entre/dans ses brancards.
de 1762 qui nous indique que le branche ? C’est donc simplement de cette an-
boute-en-train était aussi un oiseau Une explication parfois proposée cienne réalité que la métaphore de
(le tarin) qui servait à faire chanter est liée à l’argotique se brancher notre expression provient, et non du
les autres, ainsi que dans l’édition de avec quelqu’un pour dire « en- brancard des infirmiers.
1832 du même dictionnaire qui écrit trer en relation avec quelqu’un »,
que, dans un haras, le boute-en-train issue du monde des électriciens. Q Scier la branche sur
est un cheval qui est destiné à mettre Mais vieille branche est attesté laquelle on est assis
une jument en chaleur. depuis le milieu du XIXe siècle,
S’attaquer à une situation
avant que l’usage de l’électricité
dont on bénéficie pourtant ou
Q La dive bouteille ne se répande dans les foyers,
à des personnes dont on tire
alors que se brancher date d’un
Le vin – La bouteille de vin. pourtant profit.
siècle plus tard.
La boisson (alcoolisée).
Gaston Esnault nous indique La métaphore est facile à com-
Lorsqu’on cherche l’origine d’une que c’est en 1400 qu’apparaît le prendre si on se représente un be-
expression, il arrive souvent qu’on terme poteau pour désigner un nêt qui, devant couper une grosse
en trouve une des premières attesta- ami proche, ce poteau-là donnant branche à son point de départ,
tions chez Jean de La Fontaine (sou- bien plus tard l’abréviation pote s’installe à califourchon sur celle-ci,
vent inspiré par Ésope) ou Rabelais. toujours utilisée de nos jours. Et forcément sur la partie qui va tom-
Eh bien cette fois, c’est le second si, bizarrement, le mot avec cette ber au sol et qu’il va inévitablement
qui s’y colle ! acception semble ensuite ne plus accompagner dans sa chute.
C’est en effet dans le Cinquième être utilisé avant de réapparaître On peut imaginer qu’est tout aus-
Livre (datant de 1546) que cet au- au milieu du XIXe siècle, l’explica- si benêt celui qui s’arrange pour
teur évoque la dive bouteille ; le tion tout de même couramment perdre des avantages dont il profitait
personnage appelé Bacbuc parle à donnée est que le poteau est pleinement. Mais, si on creuse un
Panurge en évoquant avec ferveur quelque chose sur lequel on peut peu, hormis un acte plus ou moins
la « divine boisson » contenue dans s’appuyer, tout comme on peut irréfléchi, il peut parfaitement y avoir
une bouteille. « s’appuyer » sur un ami fidèle, qui des raisons légales, de morale ou
Et si vous avez bien lu ce qui précède, peut nous empêcher de tomber, d’éthique qui justifieraient pleine-
vous avez vu le mot divine. Car dive comme on peut s’accrocher à une ment ce genre de comportement en
est tout simplement une autre forme branche solide pour ne pas se apparence idiot.
de ce qualificatif divin qui nous vient casser la figure. Comme scier quelque chose corres-
du latin divus (diva au féminin). pond souvent à un acte de destruction,
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 31
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

c’est depuis la fin du XIXe siècle qu’au


figuré scier (la branche) veut dire « dé-
Q Un branle-bas de combat
truire la situation (de quelqu’un) ». Une grande agitation dans les préparatifs d’une opération
Il aura suffi, au XXe siècle, d’y ajouter (souvent menés dans l’urgence et le désordre).
le complément sur laquelle on est
Si, de nos jours, l’expression s’utilise encore régulièrement avec ce terme de
assis pour que l’action s’applique à
combat alors qu’elle s’emploie communément hors d’un contexte guerrier,
soi-même.
c’est bien dans le cas de préparations au combat qu’elle est apparue à la fin
du XVIIe siècle, et plus précisément dans la marine.
Q Mettre les bouts Un branle est un hamac accroché dans les entreponts des grands voiliers
S’en aller, s’enfuir. d’autrefois, pour que les marins puissent y dormir.
Lorsqu’on sait cela, il est aisé de comprendre que, lorsque le marin devait se
Savez-vous qu’au tout début du
préparer dans l’urgence au combat, il lui fallait libérer dare-dare l’entrepont
XXe siècle, pour dire la même chose
en décrochant ou en mettant à bas son branle (d’où le branle-bas).
que notre expression, on utilisait
Comme tous les marins en faisaient de même, en même temps, il s’ensui-
aussi bien mettre les baguettes,
vait une certaine agitation et une certaine pagaille, notions qu’on retrouve
mettre les bois, mettre les bambous
dans notre branle-bas de combat d’aujourd’hui.
ou bien mettre les cannes ?
On peut noter que les hamacs ainsi décrochés servaient aussi de pare-éclats,
Car, en effet, tous ces morceaux de
une fois plaqués à proximité des embrasures (les trous servant à pointer les
bois représentaient métaphorique-
canons).
ment les jambes, en argot, celles
Et si les hamacs dans les entreponts n’existent plus depuis longtemps, le
qu’on prend à son cou afin de mieux
branle-bas est toujours présent dans la marine, qu’il soit du matin ou du
pouvoir s’en aller rapidement.
soir, pour désigner les préparatifs de l’équipage au moment du lever ou
Et notre expression, qui date des an-
du coucher.
nées 1910, n’est en fait qu’une ver-
sion raccourcie de mettre les bouts
de bois où on retrouve toujours ces donc qu’on raccourcissait, avant de une autre preuve, s’il en était besoin,
jambes faites de bois… sauter sur le dos de l’adversaire pour que le égalité dans la devise française
tenter de lui mettre une pâtée. n’est lui aussi qu’un vœu pieux.
Q À bras raccourcis Dans sa seconde signification,
récente, la violence s’est estompée, Q Coûter un bras
Très violemment –
mais pas la brutalité.
Sans ménagement. Coûter très/trop cher.
Autrefois, cette locution était em- Q Avoir le bras long Cette expression nous vient d’Amé-
ployée avec des verbes comme frap- rique du Nord.
Avoir de l’influence, du pouvoir.
per, taper ou cogner (quelqu’un). Nos cousins canadiens francophones
Maintenant, on utilise plutôt sauter Si l’image est très claire, le nom bras l’utilisent en y ajoutant éventuel-
ou tomber (sur quelqu’un). est depuis longtemps utilisé comme lement « et la moitié de l’autre ».
Cette expression est déjà citée dans le un symbole d’autorité, de puissance Quant aux anglophones des deux
premier dictionnaire de l’Académie, (le bras de la justice ou le bras de grands pays de ce continent, ils disent
en 1694, avec le sens de « sans au- Dieu, par exemple). Et, bien enten- « coûter un bras et une jambe » (« to
cune mesure, très violemment ». Mais du, plus ce bras est long, plus son cost an arm and a leg ») d’où serait
sachant qu’on donne en général un rayon d’influence est grand. issue la version en français.
coup avec le bras en extension, donc Littré utilise une forme au pluriel Il n’y a malheureusement aucune
allongé, qu’est-ce qui peut justifier ce (avoir les bras longs). Pourtant, certitude quant à l’origine de cette
lien entre violent et raccourci ? lorsque le mot est utilisé dans des expression anglaise, popularisée au
Le bras n’est pas le membre supérieur expressions évoquant la force, la début du XXe siècle.
qui, chez tout homme à peu près nor- puissance, comme ici, bras, séculier Certains supposent qu’elle découle de
malement constitué, part de l’épaule ou non, reste au singulier. la locution antérieure « to give one’s
et se termine par une main, mais la Avoir le bras long s’utilise généralement right arm for something » (« donner
manche, ancienne acception du mot pour quelqu’un qui a un réseau étendu son bras droit pour quelque chose »)
(comme on le trouve dans la locution de connaissances bien placées, réseau employée par celui qui, pour affirmer
en bras de chemise). Et l’expression an- qui va lui permettre d’obtenir des avan- son fort intérêt pour quelque chose,
cienne les bras retroussés confirme l’al- tages aussi bien pour lui-même que dirait qu’il serait prêt à donner son
lusion à ces manches qu’on retroussait, pour ses proches ou amis. Ce qui est bras droit en échange.

32 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Battre en brèche tout cas, popularisée) par Jean-Marie


Q À la mode Gourio en 1988 lorsqu’il a ainsi titré
Attaquer avec une telle force, de Bretagne ses premières anthologies de bons
une telle pertinence qu’on ne
Désigne des parents mots directement captés au cours de
peut rien y opposer.
éloignés à qui on donne ces conversations de bistrot.
Une brèche, chacun sait ce que des noms de proches
c’est : une ouverture dans une en- parents (cousin, tante…) – Q À bride abattue
ceinte, fortifiée ou non, qui permet Par extension, marque une
Sans aucune retenue – Très
donc une pénétration à l’intérieur de relation lointaine entre deux
rapidement, à toute vitesse.
la zone qui n’est plus suffisamment choses.
protégée ; ce qui peut alors don- La bride est cette partie d’un harnais
ner lieu à un cambriolage ou à une qui est fixée à la tête du cheval et à
tuerie sauvage, entre autres, selon laquelle sont reliées les rênes qui per-
l’époque et le type d’enceinte, voire mettent au cavalier de guider sa mon-
à une inondation dans le cas d’une ture. Par extension, le mot désigne aus-
brèche dans une digue. si simplement les rênes elles-mêmes.
Autrefois, pour ouvrir une brèche Mais l’ensemble ne permet pas uni-
dans une enceinte fortifiée, il fallait quement de diriger l’animal : si on
la « battre », à l’ancien sens militaire tire sur les deux rênes, on le fait
du terme, c’est-à-dire la heurter de arrêter ; et si on les relâche (elles sont
coups répétés, la frapper de projec- Jean-Baptiste Jules Trayer. alors abattues), il est libre d’avancer.
Une école bretonne, aquarelle de 1882.
tiles (charges de catapulte, boulets Au XVIe siècle, on a d’abord dit à
de canon…). Cette appellation viendrait de bride avallée, ce qui veut dire que la
Ainsi, le sens premier de battre l’habitude des étranges habi- bride est laissée en position aval, vers
en brèche, expression attestée en tants de cette contrée reculée de le bas, donc relâchée, descendue.
1701, était-il tout simplement d’at- l’ouest de la France d’affubler C’est à l’époque de cette forme
taquer un rempart ou une fortifica- un parent éloigné ou même un qu’au figuré est venue la première
tion avec l’artillerie. très bon ami d’un nom de parent signification, par comparaison avec
Ce n’est qu’au XIXe siècle que son sens proche, à commencer par celui l’animal qui n’est plus retenu lorsque
figuré est apparu, la cible attaquée de cousin, le plus répandu. sa bride est relâchée.
violemment étant alors les arguments Elle serait due aux relations étroites Il faudra attendre le XVIIe siècle, chez
ou les idées d’une personne ou d’un que maintenaient les membres Mme de Sévigné, parmi d’autres,
groupe d’individus. des familles en Bretagne, y com- pour trouver la forme actuelle et,
pris entre parents éloignés. petit à petit, pour ne plus retenir
Q Une brève de comptoir Certaines sources indiquent que que la seconde signification, en
cette appellation se limiterait aux imaginant cette fois que, la bride
Une histoire très courte
cousins germains. Ainsi, un oncle à étant relâchée, l’animal n’est plus
et amusante, typique d’une
la mode de Bretagne serait un cou- du tout retenu, et qu’il peut aller
conversation de bistrot.
sin germain du père ou de la mère, librement au galop, à toute vitesse.
Le nom brève a ici le sens qui lui est tandis qu’une nièce à la mode de On trouve aussi, avec le même sens,
donné dans les publications journalis- Bretagne serait la fille d’un cousin l’expression à toute bride. Et cette
tiques : il s’agit d’une nouvelle brève, germain ou d’une cousine germaine. bride, on peut aussi la lâcher lors-
tenant sur à peine quelques lignes. qu’on laisse à quelqu’un la liberté
Quant au comptoir, au XIVe siècle, d’agir ou de s’exprimer.
de 1798), et désigne également un
c’était d’abord la table sur laquelle le
de ces lieux d’échanges commer-
marchand montrait sa marchandise
et comptait l’argent.
ciaux installés dans des pays loin- « La bride est cette
Au XVIIIe siècle, comptoir prend le
tains (pensez à Chandernagor ou partie d’un harnais qui
sens de « sorte de table où il y a
Pondichéry en Inde, par exemple). est fixée à la tête du
communément un tiroir fermant
Dans le langage contemporain, il pren- cheval et à laquelle sont
à clef, et dont les marchands se
dra plusieurs sens, mais il désignera en reliées les rênes. Si on les
servent, soit pour compter leur
particulier le zinc du bistrot qui depuis relâche (elles sont alors
argent, soit pour le serrer » (Dic-
longtemps n’est souvent plus en zinc. abattues), il est libre
tionnaire de l’Académie française
L’expression brève de comptoir d’avancer. »
semble avoir été imaginée (ou, en

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 33
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Cela va faire du bruit dans Landerneau


C’est une affaire qui va faire beaucoup de bruit. C’est un petit fait qui va provoquer beaucoup de
commérages.
À la fin du XVIIIe siècle, Alexandre Duval a écrit et fait jouer à Paris une pièce intitulée Les Héritiers, dans laquelle la
réplique « cela fera du bruit dans Landerneau ! », avec des formes plus ou moins variées, est répétée plusieurs fois.
Cette réplique a marqué son époque au point que Landerneau est presque devenu un nom commun puisqu’on parle
maintenant du landerneau politique ou du landerneau de la montagne.
Deux autres origines sont à évoquer.
La première évoque le canon de Brest, le Tonnerre, tiré lorsqu’un évadé s’échappait de la prison de la ville, et dont le
son portait jusqu’au fond de la rade. Mais dans ce cas, pourquoi avoir retenu Landerneau plutôt que d’autres villes
atteintes par le son venu de Brest ?
La seconde cite le charivari que les habitants de Landerneau avaient coutume de faire sous les fenêtres des jeunes
mariés. Mais cette coutume du charivari n’était pas propre à Landerneau et rien ne justifie alors le choix de cette ville
dans cette expression.

Q Battre le briquet avec la manière ancienne de battre finesse, personnes dont la politesse
le briquet, comme si les genoux ou n’a pas été assez « polie », comme
Heurter la pierre à briquet
les chevilles qui s’entrechoquent al- si elle sortait tout juste de la fonderie.
pour en tirer une étincelle –
laient provoquer une étincelle.
Faire la cour à une femme –
Q Couler un bronze
Avoir des relations sexuelles –
Q Brut de décoffrage/de
Se cogner les jambes en Déféquer.
fonderie
marchant.
Cette expression qui est attestée en
Tel quel, en l’état – À l’état de
Le premier sens de battre le bri- 1957 est une image extrapolée de la
projet, de brouillon.
quet est parfaitement naturel, il n’a métaphore coulé en bronze/dans le
rien de figuré, contrairement aux L’adjectif brut signifie ici « grossier » bronze qui voulait dire « rendu du-
trois autres significations. Avant les ou « rudimentaire ». rable ou immortel », comme l’est un
moyens modernes comme la piézo- Lorsqu’une coulée de métal a refroi- personnage célèbre grâce à la statue
électricité, le briquet ne pouvait di dans son moule et qu’on ôte le en bronze qui le représente.
qu’être équipé d’une pierre à bri- moule, la pièce obtenue est en gé- Mais cet emprunt n’est pas expliqué
quet, pierre qu’il fallait battre ou néral grossière et a le plus souvent car la durée de vie de la « chose »
gratter pour provoquer une étincelle besoin au minimum d’un polissage, ainsi produite est plutôt courte et
susceptible d’allumer un feu. mais plutôt d’un usinage pour deve- elle ne provoque généralement pas
Le second, qui date du XVIIIe siècle, nir un objet exploitable. Cette pièce autant d’intérêt que la statue d’un
est une métaphore qui découle du est dite brute de fonderie. héros….
premier sens, puisqu’un homme qui Lorsqu’on enlève le coffrage en S’il faut trouver un lien avec l’ex-
fait sa cour et déclare ses sentiments bois à l’intérieur duquel on a cou- pression d’origine, c’est probable-
ne peut qu’« enflammer » la jeune lé du béton, le mur ou le plancher ment entre la durabilité des objets
et naïve donzelle qui ne demande ainsi obtenu est brut de décoffrage, en bronze qu’elle exprime et le fait
qu’à le croire, aussi facilement c’est-à-dire qu’en général, avant de de produire une chose dont certains
que l’étincelle du briquet allume lui appliquer un enduit ou du plâtre, aimeraient peut-être plus ou moins
l’amadou. il lui faut encore quelques travaux consciemment qu’elle dur[ciss]e et
Et le troisième découle du second, de finition. passe à la postérité.
puisqu’une fois que la jouvencelle C’est de ces emplois techniques où Enfin, on ne peut passer sous si-
est tombée dans les rets du beau les objets initialement produits né- lence le fait qu’en argot, depuis
parleur, le couple passe au lit pour cessitent des finitions que, au figu- 1928, l’œil de bronze désigne l’anus
y accomplir l’inévitable (néanmoins ré, nos expressions ont pris le sens (comme l’œil tout court, d’ailleurs).
bien agréable) rituel d’accouple- indiqué au cours de la seconde moi- Il est donc facile d’imaginer que ce
ment. tié du XXe siècle. qui coule de cet orifice ne peut être
Enfin, le dernier vient de la com- Par extension, ces qualificatifs que du bronze.
paraison entre le cognement régu- peuvent aussi s’appliquer à des
lier des jambes pendant la marche personnes indélicates, sans tact ni

34 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Danser devant En effet, dans un mortier d’artillerie entendre à quelqu’un qu’on ne


le buffet (le genre d’engin qui sert bien aux veut pas lui accorder ce qu’il de-
militaires), il existait une plaque qui, mande ; qu’il est venu trop tard
N’avoir rien à manger.
pour que l’engin soit opérationnel, pour avoir part à quelque chose
Il s’agit ici du buffet qu’on peut devait être parfaitement horizon- dont on faisait la distribution, qu’il
trouver dans une cuisine qui, lors- tale, ce qui se vérifiait à l’aide du s’en passera. »
qu’il est malheureusement vide et niveau intégré. Lorsque la bulle de On a donc déjà le sens de notre ex-
quelle qu’en soit la cause, ne per- ce niveau était « coincée » entre pression, formulée différemment.
met pas de manger. ses deux repères, l’engin était prêt Puis, en 1828, Vidocq cite se bros-
Mais, alors que le moral devrait être à être utilisé. ser le ventre pour dire « se passer
plutôt bas devant une telle situa- Certes, mais quel rapport avec le re- de manger », expression utilisée
tion, qu’est-ce qui justifie de danser pos, me direz-vous ? en joignant le geste à la parole, la
devant ce buffet ? Eh bien, il est double ! main frottant le ventre comme dans
Eh bien, cela vient simplement d’un D’abord, l’horizontalité de la plaque l’espoir de faire passer cette faim qui
calembour datant probablement évoque celle du dormeur ou de la tenaillait.
de la fin du XVIIIe siècle. En effet, personne qui se repose, dans la po- Puis, par extension et au figuré, on
au XVIe siècle et encore longtemps sition du guetteur d’avions. ne s’est plus seulement passé de
après, le verbe fringaler signifiait Ensuite, une fois le mortier en place, manger mais de tout ce à quoi on
« danser ». Il était une combinai- son servant n’a plus qu’à attendre aspirait, et le ventre a progressive-
son de fringuer pour « sauter » l’ordre de l’utiliser, ce qui peut durer ment disparu de l’expression.
ou « gambader » et de galer pour longtemps. Et entre-temps, que fait-
« se réjouir ». Et chacun sait que la il, sinon simplement se reposer ? Q De but en blanc
fringale, ce n’est pas une nouvelle
Brusquement, sans détour.
danse, mais la faim ou l’appétit. Q Tu peux (toujours)
Alors de avoir faim devant le buffet te brosser Cette expression date du XVIIe siècle.
vide à fringaler donc danser devant Elle est d’origine militaire. Elle a
S’emploie à l’adresse de
lui, il n’y eut qu’un pas (de deux). remplacé la locution de pointe en
quelqu’un pour lui signifier
blanc où pointe désigne l’endroit
qu’il n’aura pas ce qu’il désire,
Q Coincer la bulle duquel on pointe ou on vise, dans
ce qu’il demande.
le cas d’une arme à feu.
Ne rien faire, se reposer –
En 1808, d’Hautel, dans son Dic- Le blanc, c’est tout simplement la
Dormir.
tionnaire du bas langage, évoque cible, dans le cas d’un entraîne-
Cette expression nous vient au mi- déjà la locution ça fait brosse dont ment au tir.
lieu du XXe siècle de l’école militaire il dit : « Locution baroque et très Le but est ici une déformation de
de Saint-Cyr. usitée parmi le peuple, pour faire butte venu de la butte de tir, point
d’où on tire (encore utilisé de nos
jours par les archers). Ce but ne
Q Avoir un cadavre dans le placard désigne donc pas ici la cible ou le
but à atteindre, comme on pour-
Garder secret un élément peu avouable de son passé.
rait le croire, mais le point de dé-
On a tous en tête l’image amusante de l’amant qui, ayant été prestement part d’un tir de courte portée,
enfermé dans le placard à cause de l’arrivée inopinée de l’époux (ciel, mon en ligne directe, duquel on tire ra-
mari !), y a été oublié jusqu’à ce qu’un jour son squelette soit retrouvé pidement, sans visée longuement
par hasard. préparée, ce qui explique la notion
Le cadavre symbolise ici le lourd secret qu’il ne faut surtout pas ressortir au de brusquerie.
grand jour, qu’il ne faut pas « déterrer » alors qu’il est dans un endroit, le À opposer au tir à distance qui
placard, où il pourrait être inopinément mais facilement découvert. Il peut nécessitait des mesures et un
aussi bien s’agir d’un sombre secret de famille, par exemple, que d’une réglage particulier pour faire
casserole que traîne un politique en campagne. décrire une courbe en hauteur au
Cette expression est une copie pure et simple de l’anglais a skeleton in projectile, le tout prenant un temps
the closet/in the cupboard dont l’origine réelle ne semble pas connue certain et ne pouvant donc être une
mais qui a été popularisée en 1845 par le romancier britannique William action brusque.
Makepeace Thackeray, auteur entre autres des Mémoires de Barry Lyndon Cette expression s’utilise mainte-
portées à l’écran par Stanley Kubrick. nant dans n’importe quel contexte.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 35
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Et c’est ce dernier qui est « le cadet du XXe siècle, ne sous-entend pas
Q Aux calendes de nos soucis ». du tout que toutes les personnes
grecques Pourquoi cadet ? nerveuses sont susceptibles de
Jamais ou dans très Dans toute famille à la progéniture lâcher un superbe étron un peu
longtemps. nombreuse, d’abord, il y a l’aîné, partout.
puis il y a les intermédiaires et, enfin, Il semble que l’image vienne de celle
Renvoyer aux calendes grecques,
le plus jeune, le plus petit, le cadet. du bébé qui, comme quelqu’un qui
c’est renvoyer à une date qui
Cette expression date de la fin du est très énervé, devient tout rouge
n’existe pas. Mais pourquoi cette
XVIIe siècle. Elle est une variante de lorsqu’il force pour faire sortir sa
date n’existe-t-elle donc pas ?
c’est le moindre de mes soucis qui crotte. Mais comme faire un caca
C’est sous Jules César, vers 45 av.
a un siècle de plus. Elle est une mé- n’impliquait pas forcément l’éner-
J.-C. que le calendrier romain est
taphore qui assimile les soucis avec vement associé à l’expression, le
réorganisé pour être en accord
les enfants d’une famille, le moins qualificatif nerveux y a été accolé de
avec les mouvements connus
important, le plus petit étant le cadet. manière à la rendre plus explicite.
des astres.
Elle indique qu’on porte tellement
L’année de 365 jours et les an-
nées bissextiles datent de cette
peu d’intérêt à la chose désignée, Q Le café du pauvre
qu’elle ne risque certainement pas de
époque. L’acte sexuel.
devenir un véritable souci un jour.
Les calendes désignaient le pre-
Au XIXe siècle, le café n’était pas
mier jour de chaque mois, jour
pendant lequel les débiteurs
Q C’est fort de café obligatoirement un simple café,
puisque prendre son café, c’était
devaient payer leurs dettes (ins- C’est exagéré, excessif,
aussi « prendre son plaisir ».
crites dans des livres de comptes insupportable.
Mais il n’est pas certain qu’il y ait
appelés calendaria).
Cette expression, qui est attestée à un lien entre cette ancienne expres-
Un peu plus loin vers l’est, les
la fin du XVIIIe siècle, est une variante sion tombée dans l’oubli et celle qui
Grecs, eux, n’en avaient cure,
de c’est (trop, un peu) fort ! qui date nous intéresse ici.
et continuaient à utiliser gaillar-
du XVIIe et qui signifie la même chose. En revanche, il est sûr qu’autrefois,
dement leur méthode de comp-
L’extension de café vient évidem- mais aussi pendant la dernière guerre,
tage du temps, sans calendes.
ment d’une plaisanterie autour du le café était une denrée rare et pré-
Rey et Chantreau expliquent
café, parfois trop fort. cieuse que seuls les riches pouvaient
que, selon le biographe Suétone,
En 1808, D’Hautel, dans son Dic- s’offrir, les pauvres ne pouvant que
ce serait Auguste, à une époque
tionnaire du bas-langage ou des se payer une partie (gratuite, elle) de
où la Saint-Glinglin et la semaine
manières de parler usitées parmi le jambes en l’air à la fin du repas.
des quatre jeudis n’existaient
peuple écrivait : Cette appellation, en des temps de
pas encore, qui aurait le premier
« C’est un peu fort de café. privation, a aussi désigné la chico-
introduit les inexistantes calen-
Calembour, jeu de mot populaire rée, plus abondante et disponible
des grecques pour parler de la
qui se dit pour exprimer que que le café.
plus qu’hypothétique date de
quelque chose passe les bornes de la
remboursement des débiteurs
insolvables.
bienséance, sort des règles sociales. » Q Yoyoter de la
Des variantes existent, citées éga- cafetière/la touffe
lement au XIXe siècle, où le café est
Être fou, déraisonner.
Q C’est le cadet de mes remplacé par la chicorée ou le moka
Divaguer, dire n’importe quoi.
soucis (« C’est fort de chicorée ! »). Et pour
rester dans les liquides forts, on a eu En argot, la cafetière désigne la tête
Cela ne m’importe pas,
aussi c’est fort d’eau-de-vie. depuis le milieu du XIXe siècle et peut
ne m’intéresse pas du tout,
être remplacée ici par d’autres versions
m’est égal.
Q Faire un caca nerveux argotiques comme touffe (de cheveux),
Dans les mauvaises périodes, il arrive toiture ou mansarde, par exemple.
S’énerver fortement, avoir un
qu’on ait plusieurs soucis simulta- Mais notre expression, elle, ne date
accès de mauvaise humeur
nément. Il se produit alors plus ou que du milieu du XXe.
(souvent sans réelle
moins consciemment un classement Yoyoter vient simplement de
justification).
de ces soucis, de celui qui est le plus yoyo, nom de ce jeu très ancien
embêtant à celui dont on se moque Faire un caca nerveux, expression que certains considèrent comme
un peu, comparativement aux autres. apparue pendant la seconde moitié complètement absurde, au point de
QQQ

36 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Si une bouteille est bue jusqu’à la


Q Fumer le calumet de la paix – Enterrer la hache lie, c’est donc qu’elle a été complè-
de guerre. tement vidée.
Faire la paix. Se réconcilier. Le calice est cette coupe, ce réci-
pient dans lequel le curé verse le
Voilà deux expressions qui nous viennent des Amérindiens, c’est-à-dire les
vin de messe ; donc jusqu’à la lie,
Indiens d’Amérique du Nord.
si jamais il en a versé un peu avec le
Le calumet est une pipe à long tuyau utilisée par les tribus indiennes. Le fait
précieux liquide.
de fumer ensemble, que ce soit au cours de délibérations, pour souhaiter la
L’image de la complétude est ainsi
bienvenue à quelqu’un ou pour marquer la fin d’hostilités, est un symbole
facile à comprendre. Mais pourquoi
de partage, de souhait de faire des choses en commun ; or, on ne partage
cette notion de souffrance ou d’hu-
qu’avec des gens auxquels on n’est pas ou plus hostile.
miliation ?
Fumer le calumet de la paix, c’est donc montrer à l’ancien ennemi qu’on
Dans la langue de l’Église, le mot ca-
accepte maintenant de partager quelque chose avec lui et de ne plus le
lice (qui vient du latin calix et désignait
combattre.
une coupe, un vase à boire) désignait
Une autre coutume des Amérindiens était, paraît-il, pour marquer la fin
la Passion ou le sang du Christ.
d’hostilités, d’enterrer les armes de guerre, dont le fameux tomahawk, petite
Mais surtout, il représentait aussi la
hache servant aux combats.
colère de Dieu, un châtiment déjà
Ces deux coutumes légendaires ont donné naissance à nos expressions
pénible à subir, comme chacun le
qu’on utilise maintenant partout où des hostilités cessent (y compris si elles
sait, mais qui devenait réellement
ont lieu simplement entre deux personnes ou deux entités quelconques).
insupportable s’il fallait en plus le
« vider jusqu’à la lie ».
Au milieu du XVIIe siècle, par
juger ceux qui le pratiquent comme Est-ce que ça ne vous rappellerait pas
extension, calice était synonyme de
un peu dérangés. une belle paire de fesses séparées par
« épreuve cruelle ». Et de là est née
Par extension, celui qui yoyote de la un beau sourire vertical ?
l’expression à la fin du même siècle.
cafetière est vu comme bon à en- C’est en tout cas l’image qui, dans
voyer à l’asile. l’argot de la fin du XIXe, a fait appeler
Chez les prisonniers, « yoyoter », miches les fesses. Et pour confor-
Q Battre la campagne
c’est passer des objets à une cellule ter la métaphore, un peu avant, Parcourir le terrain de chasse
voisine à l’aide d’une ficelle. au milieu du même siècle, la miche dans tous les sens pour faire
Chez les gardés à vue, « yoyoter » désignait aussi la lune, à laquelle on lever le gibier – Parcourir
ou « faire du yoyo », c’est raconter compare souvent les fesses. de grandes étendues à la
n’importe quoi au cours de l’interro- Enfin, pourquoi les meules ? Là, les recherche de quelque chose
gatoire de police. explications sont nettement moins ou quelqu’un – Déraisonner,
affirmatives. Cette appellation des divaguer, délirer.
Q Se cailler les miches/ fesses, apparue au milieu du XXe siècle,
Même si vous êtes un indécrot-
les meules pourrait être due à l’analogie de forme
table citadin, vous devez savoir que
avec le sommet arrondi d’une meule
Avoir (très) froid. la campagne est cet endroit où on
de foin. L’expression est strictement
trouve de grands prés, des champs
Et pour commencer, pourquoi équivalente à « se geler les fesses »
cultivés, des arbres, des buissons,
dit-on se cailler ? L’image serait ou « se geler le cul ».
des paysans, des vaches et leurs
apparue chez Céline dans les
bouses, des oiseaux autres que des
années 1930. On sait que cailler Q Boire le calice jusqu’à pigeons et plein de ces merveilleuses
désigne une coagulation sous l’effet la lie autres choses qui, actuellement en-
d’un refroidissement ou d’une
Souffrir jusqu’au bout un mal core, constituent la nature.
fermentation. Imaginez alors qu’il
ou une douleur – Supporter Si on sait que, tel qu’il est employé
fasse tellement froid que votre sang
une épreuve pénible jusqu’à dans notre expression, battre veut
caille à l’intérieur de vos veines. Se
son terme – Subir une dire « parcourir en tous sens », la
cailler voudrait alors dire « se refroi-
humiliation complète. première signification, celle des
dir au point que le sang ne puisse
chasseurs (elle est utilisée depuis le
plus circuler, tellement il se fige ». Ceux qui boivent du vin savent
XIIe siècle), ainsi que la deuxième se
Passons maintenant aux miches. Pre- qu’au fond des bouteilles on peut
comprennent parfaitement.
nez une belle miche de pain, une trouver un dépôt spécifique des
grosse boule fendue dans sa longueur. boissons fermentées, la lie. QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 37
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
La dernière signification est moins cette expression a tout de même été café, que le bourgeois donne à sa
intuitive. utiliséepardespersonnesrelativement femme ou à son enfant – s’ils ont été
Autrefois, on disait courir les champs : célèbres comme Antoine Blondin, bien sages. »
« son esprit court les champs » ou Michel Audiard ou le général de Depuis, même les femmes pas très
« il est fou à courir les champs ». Gaulle. sages, et Dieu sait si elles sont nom-
Alors si on admet qu’ici, c’est l’esprit Pendant les périodes électorales, breuses, peuvent avoir droit à leur
qui « vagabonde », qui n’enchaîne cette expression est brutalement canard, et bien plus souvent trempé
pas les pensées de manière logique oubliée par nos hommes politiques dans le verre d’alcool fort d’un voi-
ou sensée, qui se laisse entraîner de tous bords qui n’arrêtent pas de sin de table que dans du café.
d’un côté puis d’un autre, tout de- nous prendre pour des imbéciles.
vient tout de suite plus limpide. Q Boire un canon/un coup
Q Prendre/Sucer Boire un verre d’alcool.
Q Il ne faut pas prendre un canard
les enfants du bon Pour savoir d’où vient notre canon,
Prendre/sucer un morceau de
dieu pour des canards il nous faut remonter au XVIe siècle
sucre trempé dans une boisson.
sauvages ! où le « canon » qui, c’est bien
C’est par comparaison avec la vie connu, faisait 1/16 de pinte, était
Il ne faut pas prendre les
essentiellement aquatique du pal- une mesure de capacité utilisée pour
gens pour des imbéciles. Il ne
mipède qu’est venue, au XVIIIe siècle, le vin et les spiritueux.
faut pas se moquer des gens.
citée par Furetière en 1727, C’est au début du XIXe que ce ca-
Les enfants du bon Dieu, ce ne sont l’expression mouillé comme un ca- non-là désigne familièrement un
certainement pas des anges, puisque nard, parfaitement équivalente à simple verre de vin, même si la capa-
ce sont les hommes. C’est-à-dire trempé comme une soupe. cité du verre n’est plus exactement
vous, moi, etc. Dans l’expression, Si on ajoute à cette image le mou- celle d’un canon.
les enfants du bon Dieu, ce sont les vement fréquent du bec du volatile Mais il ne faut pas oublier aussi le
hommes dignes de ce nom, donc in- plongeant rapidement dans l’eau, coup qui, dès la fin du XIVe siècle,
telligents, honnêtes et respectueux on aboutit vite à la dénomination désignait aussi une quantité de liquide
de leur prochain, qui sont opposés de canard pour ce morceau de sucre (principalement, de boisson alcoolisée),
à ces pauvres canards, des volatiles brièvement trempé dans un liquide, celle que l’on boit en une seule fois,
supposés être de fieffés imbéciles. de manière à ce qu’il s’en imprègne d’un seul trait ou d’un seul « coup ».
Son origine exacte étant inconnue, le mais n’y fonde pas. C’est ce coup-là qui a donné boire
choix du canard sauvage au lieu du Dans son Dictionnaire de la langue un coup.
piaf, du macareux moine ou de l’al- verte paru en 1866, Alfred Delvau Par plaisanterie, boire un canon so-
batros à sourcils noirs reste inexpliqué. en donne la définition suivante : viétique, c’est boire un verre de vin
Mais si son histoire n’est pas connue, « Morceau de sucre trempé dans le rouge.

Q Ne pas casser trois pattes à un


canard
Ne rien avoir d’extraordinaire, de
remarquable.
Comment pourrait-on casser les trois pattes d’un
sympathique volatile qui n’en possède toujours
que deux sauf, peut-être, s’il est né près de
Fukushima ?
Et c’est là justement que l’ironie de l’expression
ressort : si vous arrivez à casser trois pattes à un
canard, vous commettez un acte sans conteste
extraordinaire, tellement cela paraît impossible
(à la condition de fermer les yeux sur le côté
barbare de la chose).
Dans le cas contraire, ce que vous faites est
extrêmement banal. Extrait du livre The New Students Reference Work, 1914.

38 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Un capitaine d’industrie
Le patron d’une grande entreprise.
C’est à la fin du XIIIe siècle que capitaine débarque en français, venu du bas latin capitaneus qui signifiait « important »
ou « qui domine » (on y retrouve la racine caput qui signifiait « tête »).
D’abord spécialisé dans le domaine militaire où il désigne l’officier qui commande une compagnie, ce n’est qu’au
XVIe siècle qu’il s’applique à celui qui commande un navire, toujours militaire, avant de s’utiliser également dans la
marine commerciale au XVIIIe siècle.
Toujours est-il que le capitaine est bien celui qui commande, y compris maintenant dans une équipe sportive. Quant
à industrie, il nous vient aussi du latin, au XIVe siècle, où il désignait une « activité secrète » avant de s’appliquer à une
activité en général.
C’est à partir du XVIe siècle qu’il désigne toute activité qui produit quelque chose.
Or, il se trouve qu’à la tête de ces entreprises se trouvent des dirigeants dont le travail est de faire fonctionner correc-
tement la compagnie et, au-dessus d’eux, le responsable suprême qui oriente la stratégie de l’entreprise comme le
capitaine du bateau l’oriente dans la bonne direction.
C’est de cette analogie entre le commandant d’un navire et le dirigeant d’une (grande) entreprise qu’est née notre
expression qui, si elle n’est employée régulièrement que depuis la fin du XXe siècle, existait déjà au XIXe.

Q Aller à Canossa venait de se voir refuser l’envoi d’un revendications des pauvres et fut
ambassadeur allemand au Vatican. jeté de la Roche Tarpéienne.
Céder complètement devant
Bismarck voulait donc dire par là : Cette expression est donc une
quelqu’un – S’humilier devant
« Nous ne nous humilierons pas en image destinée à montrer que, des
quelqu’un.
cédant aux catholiques. » honneurs dont on pouvait être cou-
Le pape Grégoire VII, en 1077, alla vert au Capitole, il pouvait n’y avoir
séjourner à Canossa et y rencontra Q Il n’y a pas loin du que quelques pas pour arriver à la
l’empereur Henri IV d’Allemagne. Capitole à la Roche déchéance symbolisée par ce lieu de
Ce dernier avait en effet cru bon Tarpéienne mort qu’était la Roche Tarpéienne.
de proclamer la déchéance du pape
Après les honneurs ou la
après le conflit des Investitures. Le Q La caque sent toujours
célébrité, la déchéance, l’oubli
pontife décida alors de l’excommu- le hareng
peuvent venir rapidement.
nier. Du coup, les vassaux de l’em-
Lorsqu’on a de basses
pereur refusèrent de continuer à le Rome a été bâtie sur sept collines.
origines, on en conserve
suivre. Ce qui l’obligea finalement à C’est sur la plus petite d’entre elles,
toujours la vulgarité, malgré
aller rencontrer le pape pour le sup- le Capitole, qu’a été construit un
une éventuelle réussite.
plier de lui accorder son pardon. temple consacré à Jupiter, Junon
C’est au château de Canossa et Minerve, haut lieu de l’Antiquité Le hareng a une odeur très forte
qu’eut lieu cette rencontre où l’em- romaine et symbole de puissance et quand il est fumé. Du coup, quand
pereur fut humilié de devoir « se d’honneur. dans une caque on entasse des ha-
coucher » devant le pape qui ne Mais c’est sur un versant de cette rengs pendant un certain temps,
lui donna une réponse positive que même colline, donc à faible dis- elle en garde définitivement l’odeur.
trois jours plus tard, après l’avoir tance, que se trouvait la Roche Tar- Le mot caque est apparu sous cette
laissé ruminer en costume de péni- péienne, lieu d’où les condamnés à forme au XIVe siècle, probablement
tent et pieds nus dans le froid en mort étaient précipités dans le vide. dérivé de l’ancien nordique kaggi ou
plein mois de janvier. L’excommuni- Cette expression semble être une ré- kakki qui voulait dire « tonneau ». Il
cation fut alors levée. férence à l’aventure de Marcus Man- désigne une barrique destinée, avant
Bismarck, en 1872, utilisa l’expres- lius Capitolinus : il repoussa l’assaut qu’elle ait également et ultérieure-
sion devant le Reichstag. Il voulait des Gaulois de Brennus qui avaient ment d’autres usages, à contenir des
ainsi exprimer son désaccord avec pris la ville et assiégeaient la colline. harengs conservés dans du sel.
le Vatican qui soutenait le parti ca- Une fois le siège terminé, les soldats Cette caque a autrefois donné
tholique allemand, et son refus de du général romain Camille ayant l’expression serrés comme harengs
céder aux injonctions du pape, alors défait les Gaulois, Manlius fut cou- en caque aujourd’hui remplacée par
que Bismarck, qui avait des volontés vert d’honneurs. Mais peu de temps serrés comme des sardines.
trop laïques aux yeux du pape Pie IX, après il fut accusé de soutenir les QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 39
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Cette expression est donc une méta- Mais par un malheureux hasard qui est à l’avant d’un ensemble qui
phore prétendant que celui qui vient Au secours des particuliers progresse ».
de « la France d’en bas » n’arrivera Nous arrivons toujours trop tard. » Quant au verbe caracoler qui nous
jamais à dissimuler complètement La réputation des carabiniers devait vient de l’escargot, il est d’abord
ses origines, même s’il arrive à se être très mauvaise pour qu’il y soit utilisé dans le monde équestre où,
hisser dans les hautes sphères de la fait allusion de manière aussi mar- au début du XVIIe siècle, il s’applique
société. quée dans le livret de cette œuvre. aux cavaliers et à leur monture qui
enchaînent des voltes et demi-voltes,
Q Parler à la cantonade la volte étant un tour complet que le
Q Rabattre/Rabaisser cavalier fait exécuter au cheval, sur
Au sein d’un groupe, parler
le caquet un cercle tangent à la piste ; et c’est
sans s’adresser à quelqu’un
parce les voltes ou caracoles qui se
en particulier. Faire taire quelqu’un.
suivent étaient assimilées à une
Forcer une personne
Au XVe siècle, le mot cantonade spirale qu’elles ont donné le verbe
à être moins insolente,
désigne un angle de maison (le mot caracoler.
la remettre à sa place.
est emprunté au provençal cantona- Des mouvements agiles de la cara-
da pour « angle »). Au commencement, au début du cole, le verbe a pris le sens élargi de
Au XVIIe siècle, il se spécialise dans XIVe siècle, était la caqueteresse ou « aller à cheval de manière vive »
le monde du théâtre où il désigne la « femme bavarde ». et même un autre sens encore plus
d’abord les côtés de la scène où, à Au milieu du XVe, le verbe caqueter éloigné applicable à un régime sans
l’époque, sont assis les spectateurs voulait dire « bavarder » et le dé- selle, puisqu’il signifie également
privilégiés. verbal caquet s’employait à la fois « courir en sautant, en gamba-
Puis, ces emplacements n’étant plus à propos d’un bavardage indiscret, dant ».
occupés par des spectateurs, il finit d’un importun humain et pour L’image du fringant cavalier qui fait
par désigner les coulisses. désigner le cri de certains animaux parader sa monture en tête d’un dé-
La locution à la cantonade apparaît (comme le gloussement de la poule filé ou celle du joyeux bonhomme
au milieu du XVIIIe siècle. Il s’agit alors qui vient de pondre son œuf). qui court en gambadant loin devant
d’un jeu scénique où l’acteur fait Au même moment apparaît sa troupe se retrouve dans notre
semblant de s’adresser à quelqu’un rabattre le caquet (de quelqu’un) métaphore où un gagnant « cara-
qui reste invisible, car placé dans les qui veut dire « faire cesser le ba- cole » largement en tête des autres
coulisses. vardage » dérangeant de cette membres de son groupe.
Le sens actuel est une métaphore ve- personne, donc la faire taire.
nue de cet emploi théâtral. Les cou- C’est au début du siècle suivant Q En carafe
lisses ont disparu, mais la personne qu’on utilisera aussi le verbe
Dans l’oubli, abandonné –
qui parle à la cantonade ne vise pas rabaisser, époque à laquelle on
En panne.
non plus un interlocuteur précis, et trouvera également les versions
ce d’autant moins que, souvent, au- avec les verbes abattre et abais- Cette expression est née à la fin du
cune réponse n’est attendue. ser, sans que ceux-ci aient survé- XIXe siècle.
cu jusqu’à notre époque. On peut penser que celui qui reste
Q Arriver comme les Souvent utilisée à propos de en carafe, abandonné, se retrouve
carabiniers personnes insolentes ou imbues comme une cruche, comme un im-
d’elles-mêmes qu’on veut faire bécile, le sens ayant alors glissé d’un
Arriver en retard, lorsque tout
taire, on a tendance à lui préfé- récipient ventru à un autre.
est terminé.
rer maintenant clouer le bec. Mais il faut aussi savoir qu’en argot,
Avant de devenir un gendarme ita- apparu un peu avant notre locution,
lien ou un douanier espagnol, le le mot carafe a désigné la bouche,
carabinier était en France un soldat
Q Caracoler en tête celle-ci étant un récipient également
à pied ou à cheval armé d’une cara- Être largement en tête. destiné à contenir – même si c’est très
bine, d’où son nom donné en 1634. temporairement – des liquides divers.
Être « en tête » d’un groupe, que
Cette expression est issue en 1869 Or, le premier sens de l’expression s’ap-
ce soit dans un défilé ou dans
de l’opéra-bouffe Les Brigands pliquait à l’orateur, qui ne trouvant plus
un classement, par exemple, cela
d’Offenbach, qui chantaient : ses mots, restait bouche bée.
signifie bien « être à l’avant du
« Nous sommes les carabiniers Et c’est ensuite, par extension, qu’on
groupe », tête ayant ici le sens da-
La sécurité des foyers serait passé de l’orateur qui reste en
tant du XVIe siècle de « place de ce
QQQ

40 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
plan à une personne quelconque logique muet comme un poisson
dans le même état, puis à celle qui (chez Rabelais, par exemple) ! Q Les carottes sont
est abandonnée, oubliée. Alain Rey évoque deux possibilités : cuites
Le sens de « panne » est apparu pa- la première viendrait de Furetière qui
Tout est perdu. Il n’y a plus
rallèlement à la première significa- a écrit, à propos de la carpe, qu’elle
aucun espoir.
tion. Serait-ce parce que le véhicule n’a pas de langue ; et comme qui
en panne est abandonné sur le bord n’a pas de langue ne peut parler… Remontons au XVIIe siècle.
de la route ? La seconde viendrait simplement À cette époque et encore longtemps
du fait que la carpe est un poisson après, la carotte est considérée
Q Le dernier carat qui sort fréquemment la tête hors comme un aliment pauvre. Mais,
de l’eau, la bouche ouverte et qui, du fait d’une forme similaire et
Le dernier moment,
par timidité sûrement, ne prononce d’une prononciation très proche
la dernière limite.
pourtant jamais un mot. (paronymie), elle est aussi associée
Dans le monde de la joaillerie, le ca- On peut toutefois noter que George à la « crotte ». On disait d’ailleurs de
rat est une unité de poids pour les Sand n’a pas hésité un seul instant à quelqu’un de constipé qu’il « chiait
diamants. Mais dans la manipulation utiliser la version muet comme une des carottes ».
de l’or, le nombre de carats indique tanche. Un peu plus tard, ne vivre que de
le degré de pureté du métal précieux, carottes signifiait « vivre très chi-
sachant qu’un or à 24 carats serait un Q Carpe diem chement ».
or parfaitement pur. Autrement dit, Cette valeur péjorative liée à la
Profite bien du moment/du
un or à 18 carats contient 18 parts carotte est restée et, à la fin du
jour présent.
d’or pur et 6 parts d’autres métaux. XIXe siècle, avoir ses carottes cuites
D’ailleurs, autrefois, jusqu’au La formule latine complète est se disait pour « être mourant »,
XVIIe siècle, le nombre de carats était Carpe diem quam minimum credu- mais sans qu’on sache exacte-
utilisé dans des expressions où on la postero qu’on peut traduire par ment le pourquoi de cette asso-
utiliserait plutôt aujourd’hui un « Cueille le jour [et sois] la moins cu- ciation du bientôt mort avec ces
pourcentage ou une fraction. rieuse [possible] de l’avenir ». C’est légumes cuits.
Ainsi, un « hérétique à 17 carats le poète latin Horace qui l’a écrite Toujours est-il que c’est cette no-
et demi » était aux trois quarts hé- dans le dernier vers d’un poème, où tion de carottes qui marquent un
rétique, par exemple. Le qualificatif il résume ce qui précède. Il veut y état sans espoir, où on ne peut plus
à vingt-quatre carats remplaçait un persuader Leuconoé, jeune fille qui rien, qui est arrivée jusqu’à nous.
« complètement » ou un « parfait » souhaite vivre longtemps, que c’est La phrase « les carottes sont
(« un calomniateur à vingt-quatre le présent qui est important et que, cuites, je répète, les carottes sont
carats ») et on en est même arrivé même s’il est très probable qu’il lui cuites » a servi, comme de nom-
à désigner des choses à trente-six reste encore de nombreuses années breuses autres, de code à la radio
carats, lorsqu’on allait au-delà du à vivre, elle doit pleinement profiter de Londres pour déclencher des
possible. du présent, mais en gardant une actions ou des opérations par la
Partant de ces considérations, on saine discipline de vie et en ne re- Résistance dans les territoires oc-
comprend bien que dernier ca- mettant pas au lendemain les choses cupés par l’Allemagne pendant la
rat (sous-entendu « le vingt-qua- à faire. Seconde Guerre mondiale.
trième ») puisse être devenu, au figu- Horace s’intéressait à l’épicurisme,
ré et au XIXe siècle, la limite maximum le vrai, pas celui auquel on pense
puisqu’on ne peut pas aller au-delà. aujourd’hui lorsqu’on parle d’un épi- Q Se comporter/S’aplatir
curien, une personne qui ne songe comme une carpette
Q Muet comme une carpe qu’au(x) plaisir(s) et sait pleinement
Avoir un comportement
en profiter. La vision du plaisir d’Épi-
Complètement silencieux. soumis, servile – Être
cure, plaisir d’ascète plus que d’épi-
bassement flatteur.
S’il n’est pas étonnant qu’un pois- curien moderne, n’était pas tout à
son soit utilisé dans une telle com- fait identique à celle qu’on croit en Au XIVe ou XVe siècle, carpette a
paraison, pourquoi est-ce la carpe général. d’abord désigné « un gros drap rayé
qui a eu l’insigne honneur de re- Aujourd’hui, le carpe diem est da- servant de tapis ou d’emballage ».
présenter le genre, et ce depuis vantage vu comme une incitation Ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle
1612 ? C’est d’autant plus étrange à jouir du moment présent sans qu’il a pris le sens moderne de
qu’on a d’abord utilisé la forme plus contraintes ni retenue. « petit tapis mobile ».
QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 41
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Cet objet est une chose qui se trouve ou adversaires de s’approcher trop Et c’est parce qu’une personne bles-
posée au sol et dont le pitoyable des- près du lieu gardé. sée ou tuée à l’intérieur d’une habi-
tin est d’être piétinée sans vergogne. Une autre interprétation liée à ce tation gisait sur le carreau que notre
La comparaison d’une personne à carreau-là pourrait aussi être que expression est née.
une carpette, qui date du XXe siècle, tout assaillant avait intérêt à « se Actuellement, elle s’utilise aussi dans
est donc simplement une image très tenir à carreau » en restant hors de des situations moins extrêmes, sim-
méprisante vis-à-vis de la personne portée de tir des arbalétriers bien ca- plement lorsque quelqu’un est en
ainsi désignée, celle-ci étant si lâche, chés derrière leurs meurtrières. difficulté.
si servile, qu’elle n’est considérée que Il existe deux autres explications.
comme bonne à être foulée aux pieds. La première viendrait d’un jeu de Q Donner carte blanche
Et comme, en général, cette sorte cartes d’où est tiré le dicton qui se
Laisser la libre initiative.
de carpette est un flagorneur vis- garde à carreau n’est jamais capot.
Donner les pleins pouvoirs
à-vis de celui qui le soumet, on ob- Autrement dit, celui-ci qui « se garde
pour accomplir une tâche.
tient, par extension, le second sens à carreau », qui surveille bien son
indiqué. jeu, qui est sur ses gardes, ne perd Il faut voir cette carte blanche, attestée
On peut aussi « s’étaler comme une jamais. La seconde viendrait de l’ar- avec cette signification depuis 1451,
carpette », mais cette fois, l’image est got où, selon Jacques Arnal dans son comme une feuille sur laquelle toutes
celle de la personne qui, étant tom- Argot de police, carreau désigne le les consignes de la mission sont claire-
bée, se retrouve « aplatie » au sol. domicile, tout comme la carrée ou la ment écrites. Et comme elle est déses-
carre est la chambre. pérément blanche, c’est une indication
Q Se tenir à carreau qu’on peut faire ce que l’on veut, uti-
Q Sur le carreau liser tous les moyens, y compris, si le
Être sur ses gardes – Ne pas
contexte et l’humeur s’y prêtent, les
se manifester. S’efforcer de À terre, mort ou blessé –
plus cruels, retors ou illégaux.
passer inaperçu. Abandonné dans une
Dans un contexte de guerre, cette
situation difficile.
Autrefois il fallait impérativement carte blanche a aussi été utilisée dans
disposer de « carreaux » pour pou- Cette expression, qui existe depuis d’autres expressions. Ainsi, mander
voir utiliser une arbalète, carreau le tout début du XVIIe siècle, est en la carte blanche, c’était « se mettre
étant le nom de la flèche spécifique général précédée de verbes comme à la merci du vainqueur, se rendre
de cet engin de mort. Un garde être, rester, envoyer ou laisser. sans conditions », alors que donner
quelconque perché dans son échau- Depuis 1160, le carreau désigne un la carte blanche à quelqu’un, c’était
guette se devait de « se tenir à car- pavé plat de terre cuite servant à au XVIIe siècle, « lui laisser dicter ses
reau » lorsqu’il surveillait les alen- recouvrir un sol. Par métonymie, le conditions ». Dans les deux cas,
tours, prêt à enfiler le carreau sur terme sert aussi à désigner toute sur- on retrouve cette notion de pleins
son arme pour dissuader les curieux face couverte par des carreaux. pouvoirs laissés à l’autre.

Q Rouler carrosse
Être riche et le montrer.
Mener un grand train de vie.
Pour comprendre l’origine de cette expression, il
suffit de remonter peu de siècles auparavant, à
une époque où avoir un carrosse personnel était
autrement plus un signe de richesse que ne l’est
aujourd’hui le fait de posséder une voiture.
Et, se déplacer ostensiblement avec son carrosse
permettait de bien faire étalage de son aisance
financière.
Cette locution est née à la fin du XVIIe siècle sous la
forme avoir de quoi faire rouler un carrosse. C’est au
début du XVIIIe qu’elle a pris la forme actuelle d’une
expression qu’il faut comprendre comme « rouler
Gravure de Theodor Joseph Hubert Hoffbauer, 1883.
(avec son propre) carrosse ».

42 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Pour le deuxième sens, né au même


Q En catimini moment, nous allons maintenant
basculer vers l’argot tout en conser-
En cachette, très discrètement.
vant le côté pénible de y passer :
Cette locution adverbiale est attestée dès la seconde moitié du XIVe siècle, un truand qui est pris en flagrant
mais son origine est incertaine. délit, donc qui se retrouve en très
Il est souvent dit que le mot catimini viendrait du grec katamênia pour mauvaise situation, est tout aussi
« menstrues » ou « menstruations », mais le lien avec la signification de « cuit » que le missionnaire qui a
l’expression est difficile à faire, sauf si les femmes de l’époque prenaient pris position dans la casserole du
soin de dissimuler leur état régulier éventuellement considéré comme hon- cannibale.
teux. À l’époque de la naissance de l’expression, il existait également le Plus trivial et tout aussi argotique,
verbe catir pour « cacher » qui a aussi donné faire le catinus pour « faire enfin, à quoi sert aussi une cas-
l’hypocrite ». Il se peut donc qu’il soit à l’origine de notre mot. serole (ou une sauteuse), sinon à
Mais une autre explication vient du picard. À cette période de notre histoire, « sauter » des aliments comme des
le chat était considéré comme un animal hypocrite, car il avance en se dis- pommes de terre, par exemple ? Or,
simulant lorsqu’il prépare un mauvais coup comme attraper un piaf ou un une femme qui subit ou participe
rongeur. Or chez les Picards, cate désignait une « chatte » et mini est de la à un acte sexuel ne se fait-elle pas
même racine que minou ou minette. « sauter » ?
À la lumière de ces deux explications et en l’absence de certitudes, rien Voilà une « bien jolie » métaphore qui
n’interdit donc d’imaginer que cati vient du verbe catir (également d’origine suffit à faire le lien avec le dernier sens.
picarde) et que mini désigne bien le chat. On retrouverait ainsi le chat qui se
cache avant de perpétrer ses crimes. Q Traîner une casserole
Avoir été compromis dans
Q Tourner casaque – version moderne de tourner casa- une affaire douteuse. Traîner,
Retourner sa veste que, ce dernier vêtement s’étant dans sa réputation, les
entre-temps spécialisé en tant que conséquences négatives d’un
Changer brutalement
tenue de jockey. acte passé.
d’opinion ou de parti.
Certains méchants marmots sont
Le nom casaque existe depuis le dé- Q Passer à la casserole capables d’attacher des récipients
but du XVe siècle.
Mourir (de mort violente) – métalliques (dont des casseroles) à la
C’est au XVIIe siècle que le mot désigne
Subir quelque chose de queue d’un chien qui, gêné par ce
en France le manteau à manches
pénible – Pour une femme, qu’il traîne et affolé par le bruit qu’ils
longues qui recouvre l’uniforme des
être dans l’obligation font, se met à courir de façon désor-
militaires de certains corps d’armée
d’accepter l’acte sexuel ou s’y donnée et très peu discrète.
dont les fameux mousquetaires qui
prêter pour la première fois. Ces « casseroles » sont pour lui à
« prenaient casaque » lorsqu’ils
la fois embarrassantes, gênantes et
rentraient dans cette unité. Avant d’attaquer l’explication des
bruyantes. Tout à fait comme une
Le premier sens, copie de l’italien vol- trois sens proposés, qui nous viennent
sale affaire dans laquelle a trempé
tare casacca, vient des soldats portant apparemment du début du XXe siècle,
quelqu’un, que certains n’ont pas
casaque qui, lorsqu’ils se mettaient il faut savoir que cette expression a
oubliée et se chargent de rappeler
à fuir lâchement le champ de ba- eu d’autres sens inutilisés aujourd’hui
au bon moment pour jeter le dis-
taille, tournaient casaque. D’ailleurs, comme « être soumis à un traitement
crédit sur la personne lorsqu’elle de-
« fuir » est le premier sens de l’expres- dépuratif énergique » ou « être soumis
vient gênante.
sion, maintenant très peu utilisé. à un traitement antivénérien ».
Cette expression est très utilisée en
Mais tourner casaque, c’est aussi Passer, c’est parfois subir une
politique. Et vous voilà, d’un coup,
changer d’uniforme donc de corps épreuve désagréable comme « pas-
traînant derrière vous une « casse-
d’armée et, par métaphore, de par- ser le bac » pour un cancre, ou
role » devenue d’un coup très embar-
ti ou d’opinion. On peut aussi y voir « passer de vie à trépas » pour
rassante et dont le bruit risque fort de
l’idée de tourner le dos à ceux de Henri IV ou Marat. Mais plus juste-
compromettre vos chances d’être élu.
son parti. ment, y passer, depuis Molière, c’est
La métaphore est donc très parlante.
Quant à retourner sa veste, attestée soit subir quelque chose de pénible,
Cette expression est attestée en
à la fin du XIXe siècle avec le second comme « les derniers outrages »,
1902.
sens uniquement, elle n’est qu’une soit carrément mourir.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 43
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Coiffer sainte sainte Catherine dans les églises de par extension, s’applique à toute
Catherine Paris, ce jour-là. situation, y compris non médicale,
où l’on pense qu’une mesure n’aura
Pour une femme, arriver à
l’âge de vingt-cinq ans sans
Q Un cautère/emplâtre strictement aucun effet.
être mariée.
sur une jambe de bois
Q Être sujet à caution
Une mesure complètement
Sainte Catherine (ou Catherine
inutile, inefficace. Être douteux. Ne mériter
d’Alexandrie), jeune femme pieuse,
qu’une confiance limitée.
très érudite et restée vierge, est morte Le mot cautère vient indirectement
en martyre au IVe siècle, décapitée de l’ancien grec kaiein qui signifiait Au début était le verbe latin cavere
après avoir été partiellement « brûler ». Il a d’abord servi à nom- qui voulait dire « prendre garde » ou
déchiquetée par des roues armées mer un fer brûlant, au XIIIe siècle ; « se méfier ». De ce verbe, toujours
de pointes et de rasoirs. par métonymie, il s’est ensuite en latin, a dérivé cautio (prudence)
Elle est la patronne des jeunes filles, appliqué, au XVIIe siècle, à la plaie qui a donné à la fois précaution,
mais aussi des étudiants, des meu- qui résultait de l’application d’un tel mais aussi, dans le domaine juri-
niers et des philosophes. fer sur la chair, avant de désigner le dique, caution comme synonyme de
Par sa virginité, sainte Catherine est cataplasme apposé sur la plaie pour « garantie » ; (d’où l’expression tou-
le symbole de la pureté (le nom vient la guérir. jours actuelle libéré sous caution).
d’ailleurs du grec katharos qui veut Le cautère est donc ici le remède qui On disait alors être caution que,
dire « pur », mot d’où vient aussi le sert à soigner une blessure. alors qu’on utiliserait plutôt mainte-
nom des fameux cathares). Quant à l’emplâtre, le Grand Robert nant répondre de.
Dès le Moyen Âge, il est d’usage le décrit ainsi : « Topique, onguent Et c’est bien le sens initial, celui du
de fêter la Sainte-Catherine pour glutineux se ramollissant légèrement verbe cavere, lié à la méfiance, qu’on
les jeunes filles non mariées à à la chaleur, ce qui le fait adhérer à trouve dans notre expression datant
25 ans, donc réputées encore vierges, la partie du corps sur laquelle on l’ap- du début du XVIIe siècle.
demoiselles qu’on appelle des cathe- plique ». Autrement dit, c’est, comme Mais on y retrouve aussi celle de ga-
rinettes. un cataplasme, une préparation rantie si l’on admet que la chose qui
Si elles respectent la tradition, le médicinale appliquée sur la peau. est sujette à caution ne sera finale-
25 novembre, ces célibataires Maintenant, nous avons tous les élé- ment crédible que si une forme de
doivent se mettre un couvre-chef ments pour juger de l’intérêt d’appli- garantie permet de la confirmer ou
comportant les couleurs jaune (sym- quer un cautère ou un emplâtre sur vérifier.
bole de la foi) et verte (symbole de une jambe de bois : il est complè-
la connaissance), en rappel de l’an- tement nul ; ce qui suffit largement Q Passer au caviar –
cienne tradition qui voulait que des à expliquer le sens de notre expres- Caviarder
jeunes filles coiffent les statues de sion, apparue au XVIIIe siècle, et qui,
Cacher ou supprimer.
Censurer.
Il faut savoir qu’en Russie, sous le
Q La cerise sur le gâteau tsar Nicolas Ier, la censure était fré-
Le petit détail final qui parfait une réalisation – L’avantage quente et que, dans les publications
supplémentaire – Le comble, le bouquet (ironiquement). et livres imprimés, il n’était pas rare
de trouver des taches noires, faites à
Nous avons simplement ici affaire à une métaphore pâtissière, par com-
l’encre, destinées à rendre indéchif-
paraison avec ce superbe gâteau sur lequel trône, au milieu, une belle cerise
frables les passages qu’on voulait
d’un rouge parfaitement naturel, petite touche de décoration finale qui
censurer.
rend la pâtisserie plus appétissante).
Or, il se trouve que le caviar, cet
Cette expression n’est qu’une traduction exacte de l’expression anglaise
aliment de luxe issu de l’esturgeon,
the cherry on the cake ou de sa variante the cherry on top (voulant dire « la
principalement originaire de Russie,
cerise sur le dessus », sous-entendu : du gâteau) dont la date d’apparition
est également noir.
n’est, semble-t-il, pas connue, mais dont l’origine ou le sens est on ne peut
C’est pourquoi, en raison du pays
plus limpide.
d’origine commun, la comparaison a
On peut noter que, dans les pays anglo-saxons, on utilise également avec
été très vite faite entre ce mets souvent
le même sens the icing on the cake, la métaphore portant cette fois sur le
servi dans les pince-fesses huppés et
glaçage sucré dont on recouvre certaines pâtisseries.
ces taches matérialisant la censure.
QQQ

44 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Utilisé en argot depuis le début du Du fait que son épouse, obligatoire-
Q Vouloir faire passer
XXe siècle dans le milieu journalistique, ment proche du pouvoir, était sus-
le « passage au caviar » a ensuite
un chameau par le pectée, il se devait donc de l’écarter,
donné le verbe caviarder.
chas d’une aiguille qu’elle soit réellement fautive ou
Tenter quelque chose pas.
Q Se serrer la ceinture d’impossible ou S’agissait-il d’une réelle rigueur de
d’extrêmement difficile. César ou bien d’une explication fu-
Se priver de nourriture –
meuse parce qu’il était désireux de
Se passer de quelque chose. Selon la Bible, il était un homme
changer d’épouse ?
riche qui respectait scrupuleuse-
La date d’apparition de cette ex-
ment tous les commandements,
pression ne semble pas vraiment
mais qui refusait de partager ses
Q Ni chair ni poisson
connue. Pourtant, le mot ceinture
biens avec les pauvres, montrant ain- Indéfinissable, indéterminé
existe depuis le XIIe siècle avec le
si que le renoncement à la richesse (pour quelque chose). Indécis
sens de « bande de matière souple
était difficile, voire impossible. ou difficile à cerner (pour
portée à la taille pour maintenir un
C’est à propos de ce riche que quelqu’un).
vêtement ou comme ornement ».
Jésus dit : « Je vous le dis, il est
Maintenant, comprendre l’origine Il y eut un temps très lointain où le
plus aisé pour un chameau d’en-
des sens métaphoriques de l’expres- jeûne du carême était scrupuleuse-
trer par le trou d’une aiguille,
sion est très simple : il ne fait aucun ment respecté : un seul repas de pain,
que pour un riche d’entrer dans
doute que le fait de se passer long- de légumes, de fruits secs et d’eau par
le royaume de Dieu. » (Évangile
temps de nourriture permet de ser- jour. Puis, quelques pontes de l’Église
selon saint Matthieu, XIX, 24.)
rer nettement plus sa ceinture. autorisèrent un certain relâchement
Mais d’autres interprétations de
De là est issu le premier sens propo- qui vit l’introduction du poisson, des
ce qu’a prononcé Jésus ont été
sé, même si ici, la privation n’est ab- œufs, des laitages et même du vin.
proposées.
solument pas volontaire, mais subie, Le poisson fut un immense sujet
En effet, là où, dans le texte de
que ce soit pour cause de pauvreté de discussion, les uns disant que le
l’Évangile, certains lisent kamelos
(en général) ou de situation dans poisson était de la chair (c’est un
(soit « chameau »), d’autres
laquelle aucune nourriture n’est animal, non ?), les autres disant qu’il
voient kamilos (soit « câble »).
accessible. n’en était rien (à une époque où les
On se rapproche donc déjà plus
C’est par simple extension du sens études animales n’étaient pas très
d’une tentative un peu moins
initial que l’expression couvre aussi poussées, ils croyaient que ces bes-
désespérée d’arriver au but
la privation ou le manque de n’im- tioles ne se nourrissaient que d’eau).
recherché, puisqu’un petit câble
porte quoi dont on aurait pourtant Le peuple ne retint que le côté pitto-
peut passer à travers le chas
envie ou besoin. resque de ces échanges peu amènes
d’une très grosse aiguille.
et inventa notre expression pour
L’autre interprétation indique qu’il
Q La femme de César aurait existé à Jérusalem une porte
désigner des choses dont la nature
ne doit pas être d’entrée appelée « le chas de
n’est pas bien définie, des gens dont
soupçonnée l’aiguille » beaucoup trop petite
l’opinion fluctue, ceux qui ont une
conduite louche, indéfinissable et,
Les personnalités officielles, pour qu’un chameau bâté puisse
plus généralement, toutes choses
les institutions doivent être à y passer. Alors, il se peut qu’une
indéterminées.
l’abri des accusations. traduction imparfaite du texte ait
De nos jours, on l’emploie aussi ré-
donné « chas de l’aiguille » au lieu
Il faut ici comprendre que les per- gulièrement à propos des hommes
de « trou de l’aiguille ». Et Jésus
sonnalités et institutions doivent politiques dont l’opinion varie en
aurait évoqué une comparaison
être intouchables même si elles fonction de la direction du vent ou
alors deve-nue acceptable et com-
sont accusées de quelque chose du résultat des derniers sondages.
préhensible.
(comme c’est le cas pour certains en
France), mais qu’elles doivent être « Le poisson fut un
tellement irréprochables qu’aucun Selon Plutarque, il s’agit en fait d’une immense sujet de
soupçon ne puisse les entacher. réponse que fit César lorsqu’il cher- discussion, les uns disant
Sinon, elles doivent être écartées chait à justifier d’avoir répudié sans que c’était de la chair, les
ou destituées, avant même de aucune preuve sa troisième épouse autres disant qu’il n’en
savoir si les soupçons sont justifiés Pompéia, soupçonnée de relations était rien. »
ou non. illicites avec Clodius.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 45
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Notre métaphore, qui date du


Q Se réduire comme une Q Devoir une fière XVIIe siècle, est donc facile à
peau de chagrin chandelle comprendre, celui qui mange
Se réduire progressivement comme un chancre dévorant ou
Avoir une grande dette
(jusqu’à ce qu’il n’en reste engloutissant toute la nourriture
de reconnaissance envers
plus rien). ayant la mauvaise idée de passer à
quelqu’un.
sa portée.
Ce chagrin-là vient du turc sagrï qui
Si quelqu’un vous sauve de la Mais il est possible que sa naissance
désignait d’abord la croupe d’un ani-
noyade ou vous empêche par soit également due à une simple
mal puis, par métonymie, la peau du
tous les moyens d’aller assister à déformation de l’ancienne com-
même animal.
un exposé philosophique de Jean- paraison comme un chantre (gras
C’est plus précisément de l’âne ou de
Claude Van Damme, vous lui de- comme un chantre, boire comme un
la mule, dont la peau est à la fois dure
vez obligatoirement « une fière chantre).
et élastique, qu’on tirait la « peau de
chandelle ». En effet, à l’époque où il y avait
sagrin » (au XVIe siècle) – dénommée
Fier a ici le sens de « grand », des chantres dans les églises, pour
ensuite peau de chagrin, par influence
« fort » ou « remarquable ». chanter au cours des cérémonies
du mot usuel chagrin – qui servait à fa-
Quant à la chandelle, elle vient du religieuses, ceux-ci avaient la ré-
briquer des tambours, des chaussures
cierge qu’il fallait autrefois obli- putation, comme les moines et les
ou des reliures de livres.
gatoirement aller faire brûler à chanoines, de faire bonne chère, de
Mais pourquoi cette histoire de ré-
l’église en témoignage de recon- bien ripailler, justifiant ainsi la nais-
duction ?
naissance. sance de la comparaison.
Cela vient du roman éponyme d’Ho-
À la fin du XVIIIe siècle, il doit une
noré de Balzac dans lequel la « peau
de chagrin » est une pièce de cuir
fière chandelle à Dieu voulait dire Q Le jeu n’en vaut
magique qui exauce tous les vœux de
« il a échappé à un grand péril ». pas la chandelle
son possesseur, mais qui, à chaque Cela n’en vaut pas la peine.
désir réalisé, voit sa taille diminuer, du plancher du véhicule, on condui- Cela coûterait plus cher que
tout en rongeant progressivement la sait « le champignon au plancher ». cela ne rapporterait.
vie de son propriétaire qui mourra en Cette expression s’emploie aussi
Cette expression, sous une forme très
même temps que la peau disparaîtra maintenant hors du monde des vé-
approchante, date du XVIe siècle. Il ne
après un dernier désir satisfait. hicules motorisés, lorsqu’il est ques-
faut pas oublier qu’à cette époque
tion d’accélérer quelque chose, de
la fée électricité n’existait pas encore
Q Appuyer sur le « passer à la vitesse supérieure »
et que ceux qui s’adonnaient aux
champignon – Conduire (autre métaphore automobile).
jeux (cartes, dés…), particulièrement
le champignon au ceux donnant lieu à des enjeux,
plancher Q Manger/Bouffer devaient s’éclairer à la chandelle,
Accélérer –
comme un chancre considérée comme un objet de luxe.
Conduire à toute vitesse. Manger avec voracité. Manger Il était d’ailleurs d’usage, dans les
excessivement. endroits modestes, que les parti-
Si cette expression argotique est uti-
cipants laissent quelque argent en
lisée principalement dans le monde Chancre est un mot qui vient du latin
partant pour dédommager du coût
automobile, c’est bien parce qu’elle cancer et qui désigne un ulcère ou
de cet éclairage.
en provient très directement, et une tumeur. Autrefois, le chancre dési-
Et lorsque les gains étaient faibles, ils
ce depuis la première moitié du gnait un petit ulcère qui débordait sur
ne couvraient même pas le prix de la
XXe siècle. les parties environnantes en les ron-
chandelle…
Il faut se souvenir qu’autrefois, geant. Actuellement, c’est plutôt une
Notre expression est donc simple-
lorsque les premiers véhicules auto- ulcération de la peau ou de certaines
ment une lumineuse métaphore in-
mobiles sont apparus, et pendant muqueuses. Mais, en botanique, c’est
diquant qu’il n’est pas nécessaire de
longtemps, la pédale d’accélérateur aussi une plaie vive de l’écorce d’un
gaspiller du temps, de l’argent ou
était constituée d’une tige métal- arbre attaquée par un champignon.
des efforts pour n’obtenir en retour
lique droite surmontée d’une de- Dans tous les cas, le chancre est
qu’un résultat médiocre faisant au fi-
mi-boule, l’ensemble ressemblant donc soit quelque chose qui tend
nal regretter ce qui aura été gaspillé.
beaucoup à un champignon. à s’étendre en « dévorant » ce qui
Lorsque le champignon était com- l’entoure ou bien une grosse plaie
plètement enfoncé, en butée proche ou crevasse.

46 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Sur les chapeaux


de roues Q Arrête ton char
(Ben-Hur) !
À grande vitesse, avec
Arrête d’exagérer ! – Cesse
précipitation.
de raconter n’importe quoi !
Les chapeaux de roues, ce sont bien
Nous avons là droit à un beau
sûr les enjoliveurs des roues d’une
calembour, digne de l’Almanach Ver-
voiture.
mot et datant du milieu du XXe siècle.
Pour les amateurs de dessins ani-
Cette expression est tout simple-
més et de situations impossibles, il
ment un jeu de mots avec char, le
est amusant d’imaginer une voiture
véhicule, et charre, l’exagération,
prenant un virage tellement vite
mot dérivé du verbe populaire
qu’elle bascule sur les deux roues
charrier pour « exagérer ». Elle assi-
extérieures au virage au point d’en
mile celui qu’on essaye d’arrêter de
frotter les enjoliveurs sur le bitume
dire des bêtises au véhicule lancé à
avec de grands jets d’étincelles.
grande vitesse qu’il faut tenter de
L’explication de l’expression, appa-
stopper.
rue dans les années 1920, est sim- Affiche de la première de Ben Hur,
L’ajout du nom du conducteur est
plement là. à Broadway, 1899.
venu un peu après la naissance de
Mais bien entendu, compte tenu
l’expression, en 1959, à l’époque du succès du film Ben-Hur (de Cecil B.
des stupides lois de la physique qui
DeMille) dont on sait qu’un des passages les plus spectaculaires est une
gouvernent notre univers, il est peu
course de chars peu romantique dans la Rome antique.
probable que, dans la réalité, une
telle situation permette ensuite à la
voiture de continuer son trajet au- supérieurs comme les évêques, mais des truands, aller au charbon vou-
trement qu’en enchaînant quelques pas aux serviteurs et moinillons éga- lant alors dire « exercer un métier
tonneaux. lement présents. honnête ».
Cette image s’est ensuite étendue L’expression, qui a gardé le sens Les hommes de théâtre l’ont aus-
pour désigner toute action effectuée d’origine, ne semble apparaître si utilisée après la Seconde Guerre
avec beaucoup de précipitation. qu’au XVIe siècle, malgré l’ancienneté mondiale pour dire « se dépenser
des chapitres. sur scène sans compter ».
Q Avoir voix au chapitre On notera que « être chapitré » Ce n’est qu’à partir des années 80
(réprimandé) a la même origine, que sa signification liée au travail or-
Être consulté, avoir le droit
puisque le chapitre était aussi le dinaire s’est affirmée.
d’exprimer une opinion, de
lieu où l’on décidait des sanctions
participer à une délibération –
à l’égard des moines qui ne res- Q Mettre la charrue
Avoir de l’influence en
pectaient pas correctement les avant les bœufs
donnant son avis dans une
contraintes de leur ordre.
affaire. Faire les choses à l’envers ou
dans le désordre – Aller trop
Ce chapitre-là remonte au Moyen Q Aller au charbon vite en besogne.
Âge. Il concerne le clergé dans lequel
Aller travailler – Se résoudre à
le chapitre désigne à la fois le corps Telle quelle, l’expression date du
faire quelque chose de pénible.
des chanoines d’une cathédrale ou XVIe siècle. Mais d’autres formes
d’une église importante, l’assemblée Cette expression est récente ayant la même signification existent
des moines et chanoines qui traite puisqu’elle date du début du depuis le XIIIe.
des affaires de leur communauté et XXe siècle. Mettre la charrue devant les bœufs,
le lieu dans lequel se tient cette as- Gaston Esnault nous apprend qu’elle donc dans le mauvais sens, c’était
semblée. est apparue dans le milieu de la pros- faire preuve d’un illogisme ou d’un
Celui qui « avait voix au chapitre » titution dans les années 1930 où elle manque de sens pratique certain.
était celui qui pouvait participer signifiait « exercer un métier régu- D’où la première signification.
aux prises de décisions, celui qui lier », par opposition à celui des péri- Mais cela peut aussi dénoter le fait
avait une voix lors des délibérations patéticiennes et de leurs souteneurs. d’effectuer une tâche trop rapide-
au cours des assemblées, droit qui Cette notion de « métier régulier » ment et donc n’importe comment,
était ouvert aux chanoines et à leurs a ensuite été reprise dans le milieu d’où le second sens.
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 47
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Enfin, bien qu’il ne soit plus en usage Présents dans la mythologie, Scyl- Bien sûr, acheter un chat caché dans
de nos jours il est intéressant de signaler la était présenté comme une créa- un sac sans y jeter un œil au préa-
que cette expression a aussi eu le sens ture monstrueuse à plusieurs têtes lable, ce n’est pas prendre le risque
de « faire l’amour », pour désigner le et Charybde comme un monstre de se faire refiler un éléphant ou une
« repos du paysan » qu’il s’accordait qui, trois fois par jour, aspirait dans musaraigne, la taille et le poids du
après une journée bien remplie. d’énormes tourbillons les eaux du sac pouvant immédiatement provo-
Bœufs désignaient alors les testicules détroit avec les bateaux qui y navi- quer quelques doutes dans l’esprit
et charrue, le pénis avec lequel le guaient, puis les recrachait. de quelqu’un de pas trop benêt ;
paysan labourait une terre bien par- Dans l’Odyssée, Ulysse, qui vient à mais c’est prendre le risque de ré-
ticulière. Et la charrue était obligatoi- peine d’échapper aux chants des si- cupérer un animal borgne, malade,
rement devant les bœufs, situation rènes, doit tenter de se glisser entre estropié ou, pire encore, une bes-
inverse de ce qu’elle était dans la ces deux grands dangers. Mais il y tiole d’un autre type mais de taille
journée aux champs. perdra six compagnons dévorés vi- et poids approchants (une belette,
vants par Scylla. par exemple).
Q Tomber de Charybde
en Scylla Q Acheter/vendre chat Q Appeler un chat un
en poche chat
Se retrouver dans une
situation pire, à peine sorti Conclure un marché sans voir/ Appeler les choses par leur
d’une situation difficile. montrer l’objet de la vente nom – Être franc et direct.
(avec le risque de se faire
Cette expression est employée de- Cette expression a son origine en des-
duper).
puis le XIVe siècle, mais elle remonte sous de la ceinture : en effet, ce que
à l’Antiquité. C’est au tout début du XVe siècle que l’on nomme aujourd’hui argotique-
À l’origine Charybde et Scylla cette expression est apparue. ment chatte, s’appelait autrefois chat
auraient été deux dangers du détroit Le nom poche désignant ici un sac, au XVIIIe siècle, en désignant d’abord la
de Messine, entre l’Italie et la Sicile, le sens de l’expression est facile toison pubienne au XVIIe, car il ne faut
le premier étant un tourbillon, le à comprendre. Vous viendrait-il à pas oublier que c’est un endroit qui,
second un écueil. l’idée d’acheter quelque chose sans comme le félin, est velu et se laisse vo-
Les marins qui cherchaient à éviter le voir et de faire une confiance lontiers caresser, sans négliger la très
le premier allaient périr en s’écrasant aveugle au vendeur, si vous ne le probable influence de l’homonyme
sur le second. connaissez pas ? chas, comme celui de l’aiguille, qui
désignait un trou ou une fente.
S’il a existé une vieille locution qui
Q Tenir la chandelle disait déjà il entend chat sans qu’on
dise minon (il comprend chat sans
Assister à des ébats amoureux, sans y participer –
qu’on dise minet), locution jouant
Être seul avec un couple trop occupé et se sentir de trop.
volontairement sur le sens équi-
Imaginez-vous au début du XIXe siècle, lorsque l’électricité et les lampes de chevet voque des deux désignations du
n’existaient pas : vous êtes pris d’une envie pressante de batifoler dans le lit petit félin, c’est Boileau qui a figé
conjugal, mais surtout pas dans le noir. Que vous reste-t-il à faire ? C’est très la forme actuelle dans un vers de sa
simple : vous appelez à la rescousse un de vos employés pour que, le dos tourné première Satire : « J’appelle un chat
bien sûr, il vous tienne un chandelier à proximité du lit pendant vos ébats. un chat et Rollet un fripon » (ce Rol-
Et c’est bien là l’origine de cette expression, d’autant plus que, comme il let était un procureur véreux).
s’agissait de relations amoureuses, il fallait y ajouter les sous-entendus éro-
tiques d’une chandelle bien verticale. Q Avoir d’autres chats
Notez que, dans certaines cultures ou certains milieux (royaux, par exemple) à fouetter
où la virginité féminine devait obligatoirement être conservée jusqu’au ma-
Avoir d’autres choses à faire
riage, le rôle du porteur de chandelier – une personne de confiance – n’était
ou d’autres préoccupations.
plus d’éclairer la scène (il attendait à l’extérieur), mais, après consommation,
de venir éclairer le drap pour s’assurer de la présence de la tache prouvant L’association du chat et de fouetter
que la mariée était bien une première main. est ancienne, puisqu’elle date au
Par extension, celui qui est présent avec un couple et qui se sent de trop moins du XVIIe siècle.
est, en étant exclu des relations entre les deux autres personnes, le porteur Alain Rey, grand spécialiste de notre
symbolique de la chandelle d’autrefois. langue, rappelle qu’on disait qu’une
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48 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

l’emploie bien plus souvent lorsque


Q Il n’y a pas un chat celui qui est aux petits soins avec
l’autre est un fourbe qui n’est
Il n’y a absolument personne. L’endroit est désert.
sympathique que parce qu’il
Cette locution-là a une explication évidente et une autre qui l’est un peu espère se faire bien voir et tirer des
moins. avantages de son comportement.
Pour la version limpide, il suffit de considérer que les chats se trouvent en
général là où il y a des hommes. Donc, si on arrive dans un endroit où il Q Un chaud lapin
n’y a pas un chat, c’est probablement qu’il n’y a pas un homme non plus.
Un homme porté sur les
Autrement dit, que l’endroit est désert.
plaisirs sexuels.
Seconde explication, on sait que, depuis au moins le XVIe siècle, le chat désigne
le sexe féminin. Ce n’est qu’au début du XIXe qu’il est devenu la chatte par Ceux qui ont eu l’occasion d’avoir un
simple féminisation du mot précédent, en raison du sexe de la propriétaire. clapier avec, au départ, deux lapins,
Cette appellation vient d’un calembour car le mot caractérise un animal poilu, un mâle et une femelle, ont pu assis-
certes, mais qui se prononce aussi comme le chas d’une aiguille, donc un trou ter au miracle de la multiplication des
ou une fente. Ainsi, lorsque des jeunes gens en chasse et en rut arrivaient petits lapins. Le lapin dispose d’une
dans un endroit où il n’y avait personne, donc surtout pas de « gibier » à leur santé de fer et d’une ardeur inextin-
convenance, ils pouvaient dire trivialement « il n’y a pas un chat ». guible, dès qu’il s’agit de copuler.
On comprend alors qu’on puisse af-
fubler un homme du terme de chaud
personne était « éveillée comme un de fibre de papier qui peuvent obs-
lapin dès qu’il se comporte avec la
chat qu’on fouette » et qu’on em- truer des orifices.
même ardeur que le véritable lapin,
ployait déjà l’expression bien connue Or, lorsqu’on a la voix enrouée, c’est
le qualificatif chaud reprenant le sens
il n’y a pas de quoi fouetter un chat souvent qu’on est malade et qu’on a
associé aux animaux lorsqu’ils sont
pour parler d’une faute bénigne ou des glaires dans la gorge, glaires que,
en rut.
d’une chose sans importance. par comparaison aux grumeaux du
Les femmes diront, pas forcément à
Malheureusement, rien n’indique lait caillé ou aux choses qui bouchent
tort, que beaucoup d’hommes, en
pourquoi c’est ce pauvre petit félin des conduits, on peut appeler un
général jeunes, sont potentiellement
qui est condamné pour longtemps maton ou, par erreur ou jeu de gru-
des chauds lapins. Sauf qu’ils n’ont
encore à se faire fouetter. mots, un matou donc un chat.
pas tous les moyens physiques (appa-
La version anglaise, to have other
rence, résistance) de l’être réellement.
fish to fry (« avoir d’autres poissons Q Tenir les pieds chauds/
à frire ») est déjà plus cohérente, au chaud Q Chauffe, Marcel !
puisque le sort de la plupart des
Être attentionné avec
poissons est de passer à la poêle. Vas-y ! Invite à donner le
quelqu’un (souvent avec
meilleur de soi, à se dépasser.
l’intention d’en tirer profit).
Q Avoir un chat dans C’est dans le milieu du rock et du jazz
la gorge Qui pourrait nier qu’avoir les pieds
au début des années 60 que chauf-
bien au chaud marque en général
Être enroué. fer a d’abord signifié « s’échauffer ».
un certain confort, une aise qu’on
Puis, au cours de la représentation,
Certains évoquent l’idée que l’en- apprécie grandement. Eh bien, cer-
des « chauffe ! » fusaient entre les
roué parlerait comme le chat ron- tains de nos ancêtres s’en étaient
musiciens pour faire monter l’intensi-
ronne, avec la gorge. déjà rendu compte, puisque, à la fin
té du spectacle et la « température »
Mais une autre explication de cette du XVIIe siècle, avoir les pieds chauds
de la salle.
métaphore est proposée par Pierre était une métaphore utilisée pour
Selon Claude Duneton, c’est entre
Guiraud, en 1961 dans son ouvrage dire qu’on était dans une situation
1960 et 1964, que le duo d’humo-
Les Locutions françaises : il semble agréable.
ristes Dupont et Pondu a été vu à la
que cela vienne d’une confusion ou Alors, quand quelqu’un tient les
télé dans un sketch où l’un des co-
jeu de mots entre matou, gentille pieds chauds à quelqu’un d’autre,
miques adresse à l’autre des « chauffe,
appellation du fameux chat qui s’in- c’est bien qu’il cherche à le mainte-
Marcel ! » alors qu’il joue de l’accor-
cruste dans la gorge, et maton. nir dans une situation confortable,
déon, probablement par allusion à
Ce dernier terme désignait à l’ori- qu’il est attentionné avec lui.
Marcel Azzola, musicien très célèbre à
gine du lait caillé ou les grumeaux Mais pour on ne sait quelle raison,
l’époque.
de ce lait. Par extension, cela a aussi cette expression a pris au XIXe siècle
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désigné des amas de poils, de laine, une connotation négative, puisqu’on

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 49
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Ensuite, en 1966, les Charlots ont autre, vous choisissez le chemin qui Rome est alors vue comme un point
enregistré la chanson Je dis n’im- vous semble le plus adapté et vous central vers lequel convergent de
porte quoi je fais tout ce qu’on me le suivez. nombreux chemins, tous menant
dit également intitulée Chauffe Mar- En aucun cas il ne vous viendrait immanquablement à ce même lieu
cel, chanson qui aurait contribué à l’idée de passer tour à tour par pour le pèlerin vraiment désireux d’y
rendre l’expression célèbre. quatre chemins différents. aller.
Mais si l’on se fie à ce que raconte Cette métaphore date du milieu du Notre expression, attestée au XIIe siècle
Marcel Azzola lui-même, dans la pre- XVIIe siècle. dans le Liber parabolarum d’Alain de
mière prise à l’enregistrement de sa L’idée qu’elle véhicule est très Lille, est donc une simple métaphore
chanson Vesoul, Brel aurait, de ma- simple : il n’y a qu’un seul chemin qui reprend le fait que si, pour le pè-
nière non préméditée, ajouté ces pa- pour aller efficacement d’un endroit lerin, il existe une multitude de ma-
roles qui feront alors définitivement à un autre ; en essayer d’autres ne nières d’aller à Rome, pour le péquin
partie de la chanson. serait que pure perte de temps. moyen, il existe souvent beaucoup
Le seul hic de cette histoire, c’est que Par extension, il faut faire de même de façons d’obtenir un certain résul-
l’enregistrement de Vesoul a eu lieu lorsqu’on agit : aller droit au but (au tat ou de faire quelque chose ; sans
en 1968 donc postérieurement au risque d’écraser tout sur son pas- oublier aussi la dimension spirituelle,
moins à la chanson des Charlots si sage ou de manquer cruellement de puisque le croyant peut considérer
jamais on doute de l’origine liée au tact) ! qu’il existe de nombreuses voies pour
sketch des Dupont et Pondu. parvenir à Dieu.
Quoi qu’il en soit, ce chauffe, Marcel Q Tous les chemins
est vite devenu, hors de la musique, mènent à Rome Q À cheval donné on ne
une invite à se lancer avec ardeur regarde pas la bride/la
On peut obtenir un même
dans une action. bouche/les dents
résultat de différentes
manières. Il faut toujours être content
Q Ne pas y aller par d’un cadeau reçu. On ne doit
quatre chemins Cette expression fait référence au
pas critiquer un cadeau, quand
pèlerinage chrétien vers Rome qui
Aller droit au but, sans user bien même aurait-il un défaut.
est un des trois principaux pèleri-
de moyens détournés. Agir
nages avec ceux de la Terre sainte et Si la date d’apparition de cette lo-
sans détour.
de Compostelle, la ville étant deve- cution proverbiale n’est pas connue
Quand vous voulez aller le plus ra- nue une destination importante peu avec précision, elle remonte à loin
pidement possible d’un point à un de siècles après Jésus-Christ. puisque, en latin médiéval, on disait
déjà la même chose sous la forme
« non oportet equi dentes inspicere
Q Trouver chaussure à son pied donati ».
À cette époque, le cheval, principal
Trouver ce dont on a besoin – Rencontrer la personne avec
moyen de locomotion, avait une
laquelle on va partager sa vie.
importance autrement plus grande
Cette locution apparaît au début du XVIIe siècle, mais avec un sens bien qu’aujourd’hui.
différent. Ainsi le premier dictionnaire de l’Académie française (1694) note : Celui qui se faisait offrir un cheval
« On dit fig. & prov. Il a trouvé chaussure à son pied, pour dire, Il a trouvé et qui avait du savoir-vivre devait en
qui luy tient teste, & qui luy sçait bien resister », le à signifiant « contre ». remercier chaleureusement le dona-
Son sens actuel est une métaphore basée sur quelque chose de parfaitement teur, sans se préoccuper de savoir
compréhensible : une chaussure de taille inadaptée peut très vite devenir ex- devant lui si la bride de l’animal était
trêmement désagréable et douloureuse ; pour se chausser, mieux vaut donc en mauvais état ou sa dentition lais-
trouver des souliers à la fois à la bonne taille et ayant une forme adaptée aux sait à désirer.
pieds qu’ils vont chausser. Aujourd’hui encore, il n’est pas vrai-
De là la généralisation au fait de trouver quelque chose dont on a besoin (et ment sympathique, vis-à-vis de celui
donc qui convient). qui vous offre un cadeau, d’en re-
Mais on ne peut pas faire l’impasse sur le singulier qui n’est pas si singulier garder les détails, d’en critiquer les
que ça quand on comprend les sous-entendus sexuels que véhicule cette ex- éventuels défauts ou de dire qu’il ne
pression, « le » pied et « la » chaussure étant bien deux choses situées sous vous plaît pas ; même si c’est hypo-
la ceinture et destinées à rentrer l’un dans l’autre. crite et même si l’hypocrisie est un
Il en reste d’ailleurs le sens de la rencontre de la personne qui convient. vilain défaut.

50 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Un cheval de Troie
Un piège permettant de s’introduire chez l’adversaire, celui à qui on
veut nuire.
Aujourd’hui, les habitués de la micro-informatique ont à peu près tous entendu
parler des chevaux de Troie, placés au même niveau que les virus. Et si ces logiciels
ont un tel nom, c’est bien dû à la légende du cheval de Troie qui permit aux Grecs
de s’emparer de la ville de Troie, qu’ils assiégeaient depuis dix ans. Cette histoire
est racontée par Homère dans l’Odyssée et par Virgile dans l’Énéide.
Les Grecs, sur une idée d’Ulysse, bâtissent un énorme cheval de bois dans le-
quel se glissent des soldats. Alors que la troupe grecque semble abandonner le
siège, ils amènent ce cheval près de Troie avec un soldat qui, se faisant passer
pour un traître, convainc les Troyens que le cheval est une offrande à Athéna et
que le fait de le faire entrer dans la ville la protègera définitivement des velléités
ennemies. Malgré l’avis de Laocoon, les Troyens y introduisent l’animal géant.
Dans la nuit, alors que les gens dorment, les soldats cachés dans le cheval en
sortent et s’emparent de la ville après en avoir ouvert les portes aux troupes
grecques revenues subrepticement. Jean-Baptiste Frédéric Desmarais
(1756-1813), Le Berger Pâris.
C’est de cette ruse ayant permis l’introduction de l’ennemi dans les murs à l’insu
des habitants que nous vient cette expression.

Q Manger avec les bois, qui date du XIVe, locutions qui second, il est loin d’avoir la première,
chevaux de bois servaient à désigner des choses artifi- d’où l’emploi ironique.
cielles ou fausses comme une jambe L’ancienne forme chevalier de l’in-
Ne rien avoir à manger, jeûner.
de bois ou bien un sabre de bois (as- dustrie vient des romans picaresques
Les gérants de manèges avec des che- sez logiquement, puisque ce maté- espagnols où le personnage princi-
vaux de bois ont un gros avantage riau était abondant, peu coûteux, et pal essaye en général de s’insérer
par rapport à ceux qui ont un manège permettait aisément de fabriquer des dans une société où il n’a normale-
dans un haras, c’est que leurs chevaux imitations d’autres choses). ment pas sa place, n’hésitant pas à
ne mangent rien, ce qui limite beau- C’est une de ces locutions qu’on employer la ruse ou le vol pour sub-
coup les frais de bouche. trouvait au figuré dans visage de bois sister et vivre aux dépens de ceux qui
Tout juste leur faut-il de temps en pour désigner la porte d’entrée res- ont la naïveté de le croire.
temps un peu de graisse dans les tant désespérément fermée chez une Mais le plus intéressant se rapporte
mécanismes qui leur permettent de personne qu’on était venu visiter, et à industrie.
monter et descendre lorsque le ma- qu’on retrouve aujourd’hui aussi dans Au XIVe siècle, le mot vient du latin
nège tourne. quelque chose d’également très utili- industria qui signifiait « activité se-
Il est donc aisé de comprendre sé par les faux culs : la langue de bois. crète » ou plus largement « activi-
l’image que comporte cette ex- Le chèque en bois désigne donc un té » en général.
pression, celui qui mange avec ces faux chèque, un chèque artificiel, car le Lorsqu’il apparaît, il a d’abord le sens
pauvres chevaux n’ayant pas plus à montant ne pourra jamais être touché, de « moyen ingénieux ».
manger qu’eux. le compte débiteur n’étant pas assez De l’habileté et de l’ingéniosité,
Dans certaines régions françaises, alimenté (ou « provisionné », d’où la on évoluera assez logiquement au
on utilisait aussi l’expression man- signification de chèque sans provision). milieu du XVe siècle vers le sens de
ger sur les chevaux de bois qui, sous « finesse » ou de « ruse », qu’on
cette forme, voulait dire « manger Q Un chevalier utilisera jusqu’au XIXe siècle et qui est
rapidement », en liaison avec l’in- d’industrie celui qui nous intéresse ici.
confort de la position. Le chevalier d’industrie est donc
Un affairiste, un escroc – Un
l’aigrefin, l’escroc, qui, habilement,
individu qui vit d’expédients.
Q Un chèque en bois par la ruse et le mensonge, va réus-
Le chevalier est normalement sir à s’introduire dans une famille ou
Un chèque sans provision.
quelqu’un supposé avoir une cer- une société et à y subsister en exploi-
Il faut remonter aux locutions de taine noblesse et de l’entregent. Or tant sans vergogne ceux qui croient
bois, qui date du XIIIe siècle, et en si le chevalier d’industrie a bien le ses mensonges.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 51
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Être à cheval sur… Q Monter sur ses grands chevaux


Être très exigeant, très
S’emporter, se mettre en colère – Prendre de haut.
strict sur… Attacher une
grande importance, tenir Autrefois, alors que le cheval était le moyen de locomotion principal, on en
rigoureusement à… utilisait plusieurs sortes, dont le destrier. C’était le cheval de combat, animal
de race et de grande taille (il était ainsi nommé parce que l’écuyer l’amenait
Ceux qui sont si exigeants sur
de la main droite au chevalier).
diverses choses que sont les prin-
Lorsque les chevaliers combattaient, ils montaient sur des destriers et plus
cipes, les règles ou l’orthographe,
le cheval de bataille était grand, plus ils pouvaient observer et dominer l’ad-
par exemple, sont des gens qui sont
versaire.
supposés bien les connaître et qui
Ainsi, à l’origine, monter sur ses grands chevaux, c’était, pour une troupe
n’admettent pas qu’on s’en écarte
de chevaliers, partir à la bataille en ayant eu soin de choisir de grandes
ou qu’on les maltraite.
montures.
Ne peut-on en dire autant du cava-
De la fougue et l’ardeur nécessaires pour partir ainsi en guerre, il nous est
lier vis-à-vis de sa monture ?
resté, au figuré et depuis la fin du XVIe siècle, cette métaphore où, dans sa
Et quand on voit des écoles comme
première signification, la fougue est devenue celle de celui qui s’emporte.
le Cadre noir de Saumur où les
Quant au second sens, son origine semble évidente, vu la hauteur depuis
chevaux montés doivent apprendre
laquelle le chevalier pouvait avec très peu de considération s’adresser au
à faire différents sauts, l’écuyer n’uti-
manant piéton.
lisant pas toujours d’étriers, celui-ci
ne doit-il pas être aussi fermement
« attaché », au propre comme au attestée qu’au tout début du Par extension, à cause de la difficul-
figuré, à son cheval que d’autres le XXe siècle sous sa forme actuelle, té de l’exercice qui n’est incontes-
sont à la qualité de l’orthographe ou mais elle existait déjà au début du tablement pas à la portée de tous,
au respect des principes ? XIXe avec comme des cheveux… la locution a plus récemment pris le
Voilà autant d’images venues du second sens proposé, opposé à celui
monde équestre qui se sont répan- Q Couper les cheveux qui propose des solutions trop com-
dues dans la vie de tous les jours en quatre pliquées à un problème.
pour donner naissance à notre ex-
Détailler à l’excès, être trop
pression dont la date d’apparition Q Se faire des cheveux
tatillon ou trop méticuleux –
ne semble pas être exactement (blancs)/de la mousse
Compliquer les choses.
connue, mais qui est citée par la
S’inquiéter, se faire du souci.
version de 1832 du Dictionnaire de Même si l’utilité de la chose n’est
l’Académie française. pas vraiment flagrante, il est facile La première forme date de la se-
à tout un chacun de s’arracher un conde moitié du XIXe siècle, la
Q Comme un cheveu cheveu et de le couper en quatre seconde du début du XXe. Bien en-
sur/dans la soupe morceaux de longueur plus ou tendu, les deux sont à rapprocher
moins égale. de se faire du mouron.
Mal à propos. À contretemps.
La notion de précision ou de dé- Pour ce qui est des cheveux, le
Si le mot soupe est ici à prendre au tail que véhicule cette expression point de départ est simple : on a pu
sens plus large de « nourriture », pourrait donc être difficile à com- constater chez certaines personnes
il n’est pas besoin d’imaginer une prendre ; sauf si on sait que sa pre- qui avaient subi un choc émotion-
explication tirée par les cheveux ou mière version, au XVIIe siècle, était nel important que leurs cheveux
de beaucoup réfléchir pour com- fendre un cheveu en quatre et que avaient viré au blanc très rapide-
prendre la métaphore. là, tout s’éclaire. ment.
En effet, qui apprécie de voir un En effet, le défi consiste alors à vous Il n’en a pas fallu plus pour que
cheveu délicatement posé sur le munir d’un instrument d’une préci- ce phénomène remarquable et re-
contenu de son assiette ? sion diabolique pour réussir à cou- marqué donne naissance à se faire
Bizarrement, ce n’est pas la sa- per un cheveu en quatre dans son des cheveux blancs, généralement
leté que l’expression évoque, ce épaisseur. raccourci en se faire des cheveux,
qui semblerait naturel, mais le On comprend donc alors que seules comme une métaphore symboli-
côté incongru, mal venu de ce tif des personnes d’une méticulosité sant parfaitement les soucis ou l’in-
arrivé là très malencontreusement. extrême, voire excessive, peuvent quiétude.
Cette expression semble n’être s’y essayer.
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52 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Venons-en maintenant à la mousse. C’est donc une pièce maîtresse, Q Faire devenir chèvre
Si vous vous êtes déjà promené dans totalement indispensable au bon
Faire enrager.
les bois, vous avez pu constater, sur fonctionnement d’un ensemble
certaines pierres, un beau dépôt dans lequel elle œuvre (d’où le Savez-vous que la chèvre est un
vert, d’apparence frisée et touffue, terme ouvrière). bovidé ? De la sous-famille des ca-
quoique assez ras : de la mousse ; Apparemment, c’est Lesage qui, prins, certes, mais un bovidé tout
celle qu’on peut, avec beaucoup en 1715, utilise le premier la mé- de même, comme la vache.
d’imagination, assimiler à une touffe taphore que nous connaissons Cet animal a été très tôt apprivoisé
de cheveux posée sur le crâne poli aujourd’hui où cheville ouvrière (8000 av. J.-C.) car on pouvait en
du gros caillou. C’est simplement ce désigne en général une personne tirer du lait, de la viande, du cuir et
qu’ont fait ceux qui ont adapté se devenue indispensable à la bonne des outils en corne. Mais quel peut
faire des cheveux en se faire de la marche de son organisation. être son lien avec ce qui habite un
mousse. Il est important de préciser que, bonhomme en rage ?
dans la signification de l’expression, Au XVIIe siècle, devenir chèvre vou-
Q En cheville (avec l’entreprise est aussi bien une socié- lait dire « se mettre en colère »,
quelqu’un) té que, plus simplement, quelque l’expression succédant à prendre la
chose que l’on entreprend de faire. chèvre utilisée auparavant.
Complice d’une opération
Cette locution vient simplement
délictueuse – Associé
du comportement de l’animal qui
de manière étroite (avec
est à la fois entêté et réputé être
quelqu’un).
Q Vivre chichement brusque et avoir des accès de vio-
Si vous vous êtes déjà arraché les lence soudaine comme s’il était en
Vivre modestement (avec
cheveux en tentant de monter des colère, comme notre bonhomme
une notion d’avarice).
meubles achetés en kit, vous avez qu’on a fait devenir chèvre.
certainement utilisé beaucoup de Précisons d’abord que vivre chi- Aujourd’hui, cette expression est
ces courtes tiges de bois qui vous chement veut dire « vivre de ma- aussi utilisée pour dire « rendre
permettent de maintenir ensemble nière chiche ». Il nous faut donc fou ».
deux des pièces composant votre maintenant expliquer ce chiche.
meuble. Passons vite sur être chiche de Q Ménager la chèvre
Si chacune de ces tiges de bois s’ap- qui signifie « être capable de ». et le chou
pelle maintenant plutôt tourillon, on Évacuons également le chiche
Ménager des intérêts
l’appelait autrefois cheville, et c’est de accolé au pois qui, au XIIIe siècle,
contradictoires.
cette petite pièce indispensable à l’as- s’appelait « pois cice » parce que
semblage étroit de deux autres pièces issu d’une plante dicotylédone Le verbe ménager est ici pris dans
que vient, au figuré, le sens d’associa- du genre Cicer. le sens « traiter avec égards, ne pas
tion étroite que contient l’expression. Éliminons enfin sans faire de déplaire, prendre soin de », comme
La première signification date du chichis le chiche du kebab qui dans ménager la susceptibilité.
début du XXe siècle. Elle est née nous vient lui de l’arabe, via le Des esprits éveillés ou ceux qui vont
dans le monde des voyous et y turc, où šîš désignait une broche chercher la petite bête diront que,
restreint la notion d’association ou une brochette. dans les endroits plutôt secs où on
entre des personnes. Le sens s’est Il ne nous reste alors plus que élève des chèvres, il n’y a pas de
ensuite élargi à des associations ce chiche, peut-être issu du la- cultures de choux.
parfaitement honnêtes. tin ciccum pour « reste, chose C’est vrai, mais qu’importe ? Lors-
de rien », qui, dès le XIIe siècle, qu’une chèvre se trouve face à un
Q La cheville ouvrière désignait une personne qui chou, que fait-elle ? Eh bien, elle
répugnait à dépenser ou un le mange !
Le personnage principal,
avare. C’est de cette signification Si les deux sont ainsi opposés de-
l’agent essentiel autour
qu’est né l’adverbe chichement puis le XIIIe siècle (sous la forme sa-
duquel s’organise et
que l’on retrouve dans notre voir passer la chèvre et le chou),
fonctionne une entreprise.
expression qui s’applique à c’est simplement pour montrer la
À l’origine, la cheville ouvrière est, quelqu’un qui, volontairement, difficulté qu’il y a et l’habileté qu’il
dans un assemblage mécanique, la même s’il dispose de moyens faut à une tierce personne pour ob-
pièce qui travaille le plus tout en largement suffisants, dépense tenir que le chou reste intact et la
supportant l’effort principal. très peu pour vivre. chèvre peu revendicative ou, plus
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 53
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Les chiens ne font pas des chats


On hérite le comportement et les goûts de ses parents.
Sur un plan purement génétique, ce dicton qui date du milieu du
XIXe siècle est généralement vérifié.
Mais s’il est vérifié en génétique, ce dicton est en réalité utilisé en
application à des situations qui vont bien au-delà des choses innées.
Ainsi, il peut être employé dans le cas où, par exemple :
– un couple d’enseignants a des enfants eux-mêmes enseignants ;
– enfants et parents raffolent des endives au jambon ou des mer-
guez au barbecue.
Si, effectivement, on trouve parfois des dynasties de médecins,
etc., on veut aussi quelquefois faire dire à cette expression des
choses nettement plus sujettes à caution comme : « Votre père est
un truand, donc vous êtes un délinquant en puissance. » Carl Reichert (1836-1918), Dinner party, huile sur bois.
Cette expression est à rapprocher de tel père, tel fils ou de bon
sang ne saurait mentir.

généralement, pour satisfaire deux Q Le premier chien Q Les chiens aboient


parties ayant des intérêts opposés. coiffé et la caravane passe
Le premier venu (en Formule employée lorsqu’on
Q C’est le chien de Jean particulier, pouvant faire est sûr de soi et qu’on
de Nivelle (il s’enfuit office de conjoint). dédaigne les obstacles
quand on l’appelle) que d’autres cherchent à
Cette expression, qui date du
S’utilise pour désigner mettre sur notre chemin –
XVIe siècle, n’est plus utilisée
quelqu’un qui se dérobe Elle s’emploie également
aujourd’hui que dans certaines
quand on a besoin de lui ou lorsqu’on fait semblant
régions.
un lâche. de ne pas être atteint par
Elle s’emploie le plus souvent
une insulte ou une critique
Jean de Nivelle, né en 1422, est dans le cas où deux personnes se
quelconque.
le fils de Jean II de Montmorency. mettent ensemble, l’une au moins
Lorsque Louis XI cherche des alliés ayant eu beaucoup de mal à trou- Peut-être n’est-ce plus le cas, mais
pour combattre Charles le Témé- ver l’âme sœur et, selon ceux qui la autrefois, les douars, principale-
raire, duc de Bourgogne, Jean II jugent, s’étant finalement rabattue ment des campements nomades,
demande à son fils d’aller se battre sur le premier venu à peu près pré- étaient peuplés de quantités de
contre le vilain Charles. sentable (« elle a épousé le premier chiens dont le rôle réel n’était pas
Mais peu téméraire, lui, Jean de Ni- chien coiffé »). de servir d’animaux de compagnie,
velle refuse. Son père le déshérite Ce dernier est alors comparé à un mais de donner l’alerte en cas d’ap-
alors et le traite de chien, injure chien qui serait devenu beau, sim- proche d’étrangers.
bien connue vis-à-vis de quelqu’un plement parce qu’il a été peigné ou Or, jusqu’au XIXe siècle, ces régions
qu’on méprise. qu’il porte une coiffe. étaient parcourues par de très longues
Une autre version dit que Jean de Dans le même sens, on trouvait caravanes de chameaux, pouvant
Nivelle, désobéissant à son père et aussi chat coiffé ou chèvre coiffée. comporter quelques centaines de ces
à Louis XI, se rallia à Charles le Té- Ainsi, l’expression il serait amou- animaux bossus qui avançaient en file
méraire, provoquant sa disgrâce et reux d’une chèvre coiffée signifiait indienne de leur pas nonchalant.
justifiant son appellation de chien. « il pourrait s’amouracher de n’im- Lorsque ces longues files passaient
Enfin, une autre évoque le fait que porte quelle femme, aussi laide à proximité des douars, ils étaient
Jean de Nivelle, homme brutal, au- soit-elle ». accueillis et accompagnés par les
rait frappé son père et, alors qu’il Parallèlement, on désignait aus- aboiements hargneux des chiens qui
était convoqué devant la justice à la si par chèvre coiffée une femme y étaient présents. Mais, impertur-
suite de son acte, il se serait enfui. condamnée pour ses mœurs trop bables, du haut de leur plus de deux
On trouve aussi la forme être (comme) légères. mètres d’altitude, les chameaux
le chien de Jean de Nivelle.
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54 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

ignoraient superbement les roquets humeur de chien, un mal de chien


bruyants et continuaient tranquille- Q Un chien de ou une vie de chien. Il part de l’idée
ment leur chemin. commissaire que le chien est une sale bête, un
Ce dicton vient du persan. animal méchant et méprisable,
Un secrétaire ou adjoint
placé par certains au niveau d’un
du commissaire de police,
Q Ne pas attacher esclave.
un agent de police, un
son chien avec des Alors on comprend que, étant
inspecteur…
saucisses donné la haute considération por-
Un bon chien se doit d’obéir à tée autrefois à cet animal (devenu
Être très avare.
son maître et, par exemple, doit maintenant chez nous « le meilleur
L’image, qui date du milieu du donc s’asseoir quand on lui dit ami de l’homme »), notre expres-
XIXe siècle, est amusante et, pour « assis ! » sion désigne un temps pourri. Et
peu qu’on s’y penche un peu, Eh bien si l’on en croit notre ex- la version il fait un temps à ne pas
aisément compréhensible. pression, il en est de même du laisser un chien dehors n’est pas
En général, lorsqu’on attache son personnel affecté à un commissa- mieux puisqu’elle désigne un temps
chien, c’est pour éviter qu’il bague- riat : il doit impérativement obéir tellement mauvais que même y lais-
naude. aux ordres strictement profes- ser cet animal tellement méprisable
Si, pour l’entraver, on utilise des sionnels du commissaire comme n’est pas pensable.
chapelets de saucisses au lieu d’une « ramène-moi un café ! » ou bien
corde épaisse ou d’une bonne « va m’acheter un paquet de Q Une chiffe molle
chaîne bien solide, il faudra sans cigarettes ! »
Une personne sans énergie –
cesse renouveler l’attache. Ce qui, Cette expression qui est at-
Une personne faible, lâche,
au final, coûte bien des sous et testée à la fin du XIXe siècle et
veule.
risque de vider la cassette de notre qui assimile le personnel du
avare avant même qu’on ait pu la commissariat à des chiens est Qu’est-ce qu’une chiffe ? D’après le
lui voler. Or, un pingre dépensant assez méprisante pour la gent Robert, ce mot vient d’abord d’un
sans compter, ce n’est pas envisa- (l’agent ?) policière. assemblage, au début du XIVe siècle,
geable. Donc notre avare ne risque Car si l’on peut naïvement ne de l’anglais chip pour « petit mor-
certainement pas d’attacher son voir que le côté fidèle du chien, ceau » et du français chiffre pour
ou ses chiens avec des saucisses. il semble plutôt que le terme ici « objet sans valeur », ce mélange
CQFD. en reprend l’acception négative ayant donné dans certains dia-
Notez que des ouvrages wallons du qui fait qu’une personne mépri- lectes du Nord et de l’Ouest le mot
XIXe siècle indiquent le sens de « il sable est traitée de chien ou qui chipe qui veut dire « chiffon » et
ne faut tenter personne » tant il est a provoqué la naissance de locu- qui se serait ensuite transformé en
vrai que les chiens ainsi attachés ne tions comme un temps de chien chiffe.
sauront pas résister à la tentation. ou bien une vie de chien. Une chiffe n’est rien d’autre qu’une
étoffe de mauvaise qualité, qu’un
Q Un chien regarde chiffon dont la mollesse a facile-
bien un évêque plus humbles que leurs maîtres, et ment permis la comparaison avec le
incapables de comprendre le pour- bonhomme sans énergie physique
On ne doit pas s’irriter d’être
quoi de ces attitudes imposées. ou morale.
regardé (par une personne
Ceci conduit à considérer que si Et si le chiffon est déjà mou natu-
de plus basse condition) –
un chien, forcément de très basse rellement, le qualificatif qui lui est
Une personne humble doit
condition, peut s’autoriser à re- accolé intensifie le côté négatif de
pouvoir s’autoriser à aborder
garder un évêque sans que celui-ci la perception qu’on a de la per-
une personne haut placée.
puisse en prendre ombrage, alors sonne ainsi désignée.
Autrefois, les pontes de l’Église, n’importe qui devrait pouvoir le Cette expression date du début du
dont les évêques, étaient des gens faire. XVIIIe siècle.
attirant le regard et la curiosité. Pour désigner le même type d’indi-
Lorsqu’ils passaient dans un lieu tels Q Un temps de chien vidu, on entend aussi parfois une
des princes entourés de leur cour, chique molle ou mou comme une
Un très mauvais temps.
les gens modestes devaient baisser chique, mais cette fois, c’est la mol-
les yeux par respect. Mais pas les Le qualificatif de chien sert à mar- lesse gluante du tabac mâché qui
chiens, pauvres animaux encore quer l’excès, comme dans une sert d’élément de comparaison.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 55
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

un triomphe et tout Paris évoque le


Q Être chocolat dilemme (cornélien, bien sûr !) de
Rodrigue.
Être attrapé, dupé, trompé.
Si les yeux de Chimène sont d’abord
Pourquoi, en argot, chocolat est-il synonyme de dupé ? Il existe au moins ceux d’une femme amoureuse, qui
trois explications à cette bizarrerie. finit généralement par pardonner,
La première viendrait de la boxe où, lorsqu’un joueur était sonné, donc l’expression a pris un sens figuré
avait pris un choc, on disait qu’il était chocolat ou KO. pour désigner un intérêt certain
Selon Albert Dauzat, l’auteur de cette thèse dans Les Argots, cela pour quelque chose ou quelqu’un.
viendrait de déformations phoniques successives de knock-out (KO),
prononcé nokahout, qui se serait transformé en moka et, par dérivation, Q Défrayer la chronique
en chocolat.
Être au centre des
La deuxième serait due, au tournant du XXe siècle, aux clowns Footit
conversations, souvent de
et Chocolat très célèbres à l’époque. Raphaël Padilla prit le surnom de
manière négative. Faire
Chocolat parce qu’il était de race noire, d’origine cubaine. Comme,
beaucoup parler de soi.
dans leurs numéros, il se faisait très souvent mener en bateau par son
compère, à chaque fois qu’il se rendait compte qu’il avait été dupé, il disait À partir du XIIIe siècle, une chro-
« je suis chocolat ». nique était un recueil de faits his-
Mais Gaston Esnault relève l’expression faire le chocolat dans le sens toriques racontés dans l’ordre chro-
« faire la fausse dupe qui appâte le public », expression employée par nologique.
ceux qui pratiquaient le bonneteau avant même le succès des clowns. Le C’est à la fin du XVIIe que le mot a
rôle de celui qui faisait le chocolat était donc de jouer l’appât, « sucrerie » également désigné, selon le Grand
qui attire le nigaud. Par extension, « le chocolat » était le joueur ainsi pris Robert, « un ensemble de nouvelles
dans la nasse et trompé par les tricheurs. qui circulent sur les personnes », de
ces choses qu’on appellerait au-
jourd’hui des potins, mais aussi plus
Q Se crêper le chignon leurs cheveux complètement ébou-
péjorativement des ragots lorsque
riffés, cela pouvait être mis sur le
Se battre, se disputer le contenu déborde de médisance.
compte d’une tentative de crêpage
violemment (entre femmes). Quant à défrayer, dans son sens
fort peu réussie.
propre, il est lié aux frais, aux dé-
Chaignon ou aussi chäegnon, au
penses, puisque aujourd’hui, il signifie
XIIe siècle, désigne la nuque. Le mot Q Avoir les yeux « payer les frais » ou « indemniser ».
est issu du bas latin catenio, lui- de Chimène Alors quel lien peut-il bien avoir
même venu de catena (chaîne).
Éprouver un fort intérêt ou avec des potins ?
C’est par croisement avec tignon,
une passion (pour quelque Vous avez sûrement à l’esprit
qui désignait une masse de cheveux
chose ou quelqu’un). cette expression faire les frais (de
relevés sur la nuque, que le sens
quelque chose) qui nous permet de
actuel serait apparu au XVIIIe siècle. Dans la pièce de Corneille Le Cid,
retrouver cette notion de « frais ».
Si cette expression n’est utilisée Rodrigue, surnommé Le Cid, est le
Au figuré, défrayer, dans le contexte
que pour désigner une dispute ou fils de Don Diègue, rival du comte
de notre expression, veut dire « ali-
une bagarre entre femmes, c’est de Gormas dont la fille, Chimène,
menter » ou « faire les frais de ».
bien parce qu’elles seules, en Occi- est amoureuse de Rodrigue (et in-
Autrement dit, celui qui défraie la
dent, peuvent porter leur chevelure versement). Mais ce dernier est
chronique est celui dont les nou-
relevée et groupée derrière ou sur partagé entre son amour et son in-
velles alimentent la conversation
la tête, formant ainsi ce qu’on ap- tention de venger l’honneur de son
ou qui fait les frais des ragots qui
pelle un chignon. père humilié par le comte qu’il finit
s’échangent.
Crêper consiste, selon le Robert, à par tuer en duel.
« gonfler les cheveux en repoussant Bien entendu, Chimène ne peut
une partie de chaque mèche avec que dire à Rodrigue qu’elle le hait « Une chronique,
le peigne ou la brosse de manière à à la suite de cet acte, mais en réa- “ensemble de nouvelles
les faire gonfler ». lité, un peu plus tard alors qu’elle qui circulent sur les
Alors, les inventeurs de l’expression le croit mort, elle avoue qu’elle est personnes”, qu’on
ont dû considérer que, à l’issue de toujours amoureuse de lui. appellerait aussi ragots
la bagarre, lorsque les protago- Les premières représentations de la lorsque le contenu
nistes avaient leur chignon défait et pièce, au début de l’an 1637, sont déborde de médisance. »

56 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Si à tâtons dans le noir, vous mani- En ces temps lointains, les membres
Q (Ravi) au septième pulez un objet non familier, il vous du clergé étaient presque les seuls à
ciel faudra probablement l’amener à la savoir lire et écrire, ce qui, aux yeux
clarté du jour pour découvrir ce que du peuple, en faisait des savants.
Extrêmement ravi. Qui
c’est. Dans son Dictionnaire comique, sa-
éprouve un bonheur ou un
Vous avez donc là tout simplement tyrique, burlesque, libre et prover-
plaisir intense.
une métaphore qui reprend l’idée bial paru en 1735, Philibert-Joseph
Bien avant Copernic et Galilée, de quelque chose qui serait caché Le Roux indique que c’est un grand
nos anciens avaient expliqué ou dans le noir et qui serait amené clerc s’utilisait « en se moquant d’un
le fonctionnement de l’uni- « au clair » dans la lumière néces- homme qui fait le savant », proba-
vers d’une manière plutôt géo- saire pour comprendre de quoi il blement avec une connotation anti-
centrique. s’agit. cléricale.
Au centre, donc, se trouvait la On retrouve d’ailleurs le sens de clair La mauvaise opinion des clercs est
Terre. Ensuite, au niveau de cha- dans le verbe éclaircir qu’on peut d’ailleurs confirmée dans le Dic-
cun des corps célestes connus, parfaitement appliquer à cette af- tionnaire des proverbes français en
se trouvait une sphère de cristal faire qu’on élucide. 1749 où, à la même locution, c’est
complètement transparente por- On peut toutefois noter qu’autre- la définition « un sot, un niais, un
tant l’astre et tournant autour de fois, tirer au clair signifiait « clarifier homme qui s’en fait accroire » qui
la Terre. ou filtrer un liquide » et, plus préci- est associée.
Chaque sphère était un ciel. On sément, « décanter du vin ». De nos jours, on utilise cette locu-
trouvait ainsi la sphère de la Lune, tion plutôt sous une forme néga-
celle de Mercure et ainsi de suite Q Mettre la clé sous la tive : « il n’est pas grand clerc » ou,
jusqu’à celle de Saturne (la sep- porte surtout, « il ne faut pas être grand
tième) en passant par celle du clerc pour… », le clerc étant alors
Déménager, partir
Soleil. plus généralement celui qui est in-
discrètement (éventuellement
Une dernière sphère, le firma- telligent ou qui possède une vaste
sans payer le loyer) – Cesser
ment, portait les étoiles et nous culture.
son activité, faire faillite
séparait de Dieu.
(pour une entreprise).
Avant qu’on parle du septième, Q Prendre ses cliques
le plus éloigné à part celui des Cette expression est ancienne et ses claques
étoiles, on disait déjà plus modes- puisqu’elle date du XVe siècle. Son
Prendre toutes ses affaires et
tement être ravi au ciel lorsqu’on sens initial, le premier indiqué, n’est
partir précipitamment.
était transporté de joie, virtuelle- plus que rarement utilisé, le second
ment arraché du sol par un « ra- l’ayant quelque peu supplanté. Cette expression, citée dans des
visseur ». Elle a d’abord été utilisée pour dési- ouvrages du début du XIXe siècle, ne
Et comme le troisième ciel était ce- gner ceux qui, louant un logement, s’emploie en général que dans un
lui de Vénus, déesse de l’Amour, s’en allaient en catimini, sans payer contexte de départ précipité.
les transports amoureux pouvaient leur loyer. C’est par extension que Mais que sont réellement ces cliques
amener régulièrement au troisième l’expression a pris son second sens, et claques ? L’origine de ces mots
ciel ceux qui les vivaient, cette ver- d’abord pour les petits commerces, n’est pas vraiment certaine.
sion de l’expression étant utilisée leur faillite se faisant généralement On peut penser aux onomatopées
au XVe siècle. discrètement (ce n’est que quand clic et clac, à l’orthographe variable,
Puis c’est finalement le septième on cherche à s’y rendre à nouveau qui peuvent accompagner le bruit
ciel qui est devenu le symbole du qu’on constate leur fermeture défi- de pas rapide de quelqu’un qui s’en
ravissement suprême. nitive) et en laissant une ardoise à va.
leurs fournisseurs. Mais ce qu’on sait et qui semble
coller le mieux à l’expression, c’est
Q Mettre/Tirer au clair Q Être (un) grand clerc que dans certains dialectes, les cli-
Expliquer, élucider une affaire. ques désignaient les « jambes ». On
Être très savant.
sait aussi qu’on appelait claques des
Cette expression est attestée au
Le mot clerc est issu au XIe siècle du sortes de sandales qui servaient à
tout début du XIXe siècle, il n’y aura
latin clericus qui signifiait « membre recouvrir les chaussures des dames
pas vraiment besoin de la « tirer au
du clergé », puis également « let- pour éviter qu’elles se salissent.
clair » pour la comprendre.
tré ». À l’origine, l’expression aurait donc
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 57
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q River son clou


Q Se taper la cloche (à quelqu’un)
Faire un bon repas, faire bombance.
Interdire toute réponse
En argot, parmi d’autres significations, cloche signifie « tête » par analogie (à quelqu’un) par une réplique
avec l’objet creux éventuellement rempli d’un cerveau parfois peu fonction- sans appel.
nel, comme chez l’imbécile (« pauvre cloche ! »).
Dans le cas de l’assemblage d’élé-
Mais quel lien peut-il y avoir entre la tête et le bon repas ?
ments, une fois le clou bien en-
Gaston Esnault indique qu’en 1900 se taper la tête voulait dire « manger ».
foncé, il arrive qu’il dépasse de
Mais Wartburg dit que notre expression (avec le mot cloche) voulait d’abord
l’ensemble. Alors, pour éviter qu’il
dire « s’enivrer », dérivée de se taper quelque chose ou s’en taper qui s’em-
reste ainsi et blesse quelqu’un, ou
ployaient pour « boire beaucoup » au milieu du XIXe siècle.
que les deux pièces finissent par
Or ceux qui ont déjà vécu cela savent que les lendemains de libations un peu
prendre du jeu, à l’aide du mar-
déraisonnables, la tête « tape » un tantinet.
teau, on plie et rabat ce qui dé-
Le sens de s’enivrer est donc compréhensible quand on sait ce qui suivra
passe contre l’élément traversé.
les excès.
C’est cette dernière opération que,
Mais boire beaucoup au point de se soûler, c’est aussi boire à satiété, avec
depuis le XIIIe siècle, on désigne par
une idée de réplétion qu’on trouve aussi dans le remplissage de nourriture
river un clou.
vers lequel a glissé le sens de notre expression, la cloche devenant alors l’es-
Le verbe river, qui date du XIIe siècle,
tomac ou le ventre, au lieu du siège de la pensée.
vient de rive pris dans le sens de
« bord ». Notre expression, qui date
voulu dire quelque chose comme désignant un tout petit instrument, du XVe siècle, est basée sur l’image de
« rassembler ses jambes et ses a été remplacé par cloche, désignant la personne qu’on cloue sur place et
chaussures » pour partir rapidement. un objet plus ostensible, renforçant qu’on immobilise complètement au
Plus généralement, on lui associe ainsi le côté furtif de la disparition point qu’elle ne peut plus rien faire.
l’idée de prendre ses affaires et de du locataire. Cette immobilité forcée s’est ensuite
s’en aller, avec une connotation de On dit aussi déménager sans tam- étendue à la parole, rendant la locu-
précipitation. bour ni trompette. Comme ces deux tion synonyme de clouer le bec.
Alfred Delvau, dans son Dictionnaire instruments de musique sont égale-
de la langue verte, indique aussi le ment bruyants, comme une cloche Q Clouer le bec
sens de « mourir ». métallique, c’est cette fois leur ab-
Réduire quelqu’un au silence,
sence qui permet de quitter les lieux
le faire taire.
Q Déménager à la cloche sans se faire repérer.
de bois Dans cette expression qui nous vient
Q Sonner les cloches du XVIIIe siècle sous sa forme actuelle,
Abandonner discrètement,
(à quelqu’un) bec, comme dans beaucoup d’autres
furtivement son logement.
expressions, désigne la bouche.
Réprimander fortement,
Au milieu du XIXe siècle, la première Clouer est ici une transformation du
violemment (quelqu’un).
version connue de cette expression verbe clore, qui veut dire « fermer »,
était déménager à la ficelle : la Une grosse cloche qui sonne, cela devenu nettement moins utilisé de nos
corde permettait de descendre dis- produit un son puissant, assourdis- jours (mais l’expression existait sous la
crètement ses affaires par la fenêtre, sant même, si on en est très proche. forme clore le bec dès le XVIe siècle).
puis de passer devant le concierge C’est à la fois l’image de cette Notez que, dans le même usage, on
les mains vides, de manière à ne puissance qu’on retrouve dans utilise bien le verbe fermer dans fer-
pas éveiller ses soupçons lorsqu’on l’expression avec le qualificatif mer le clapet.
voulait quitter les lieux furtivement, fortement ou violemment (et le
sans payer le loyer (sans oublier le pluriel les cloches en accentue en- Q Dans le coaltar/coltar
lien probable avec ce terme ficelle core l’ampleur), mais aussi celle de
Mal réveillé, à demi-
qui autrefois désignait aussi un es- la frappe, puisque le battant de
inconscient ou hébété.
croc, un filou). la cloche tape sa paroi lorsqu’elle
Parallèlement, on utilisait aussi à la sonne et la réprimande peut être Le coaltar est un goudron, dérivé de
sonnette de bois exactement dans vue comme une frappe verbale, ce la houille, contrairement au bitume,
le même sens. C’est un peu plus qui explique la naissance de notre dérivé pétrolier, ou à la poix, matière
tard, semble-t-il, que sonnette, métaphore. obtenue à partir du bois.
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58 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Ce nom vient de l’anglais coal (char- personnes pour être extraits du lieu d’âme, nous avons finalement là un
bon) et tar (goudron). devenu dangereux pour eux. ensemble d’ingrédients qui ont pu
Outre la couverture des routes, le provoquer la naissance de cette lo-
coaltar servait à enduire la coque Q Manquer/rater le coche cution à la fin du XVIIIe siècle.
des bateaux ou, en certains endroits,
Laisser passer une occasion
le bas du mur extérieur des maisons Q Haut les cœurs !
(généralement de faire une
pour empêcher la pénétration de
chose utile ou avantageuse). Ayons du courage ! Soyons
l’humidité.
braves ! – Lançons-nous avec
Quelqu’un à demi-inconscient a Le cocher était autrefois le conduc-
ardeur dans l’action !
autant de difficulté à se mouvoir teur d’un coche. Le nom coche, qui
qu’une personne qui serait plongée date du milieu du XVIe siècle, désigne Dans cette locution, la montée de
dans ce liquide collant et visqueux. une grande voiture de transport de l’organe symbolise une nausée,
Cette expression renforce être dans voyageurs tirée par des chevaux. même si c’est plutôt l’estomac qu’il
le cirage. Le coche désignait également un faudrait évoquer, et évacuer.
Elle viendrait de l’époque où cer- grand bateau de rivière, halé par des Alors que dans notre exaltation à
tains utilisateurs de ce produit dans chevaux, et qui servait aussi à trans- l’action, le cœur est lui un symbole
des lieux insuffisamment ventilés porter des individus. de courage et d’énergie. En effet,
devenaient hagards à force d’en res- Qui dit transport de voyageurs, cette acception, métaphorique au-
pirer les émanations toxiques et ne dit horaires de passage aux diffé- jourd’hui, vient de l’ancien français,
devaient compter que sur d’autres rents arrêts, plus ou moins précis au Moyen Âge, où cuer, devenu de-
à l’époque des coches. Et qui dit puis cœur, désignait à la fois le cou-
horaires, dit risque de manquer le rage et la vertu guerrière.
Q Être coiffé au/sur passage du coche. Dans notre expression, les cœurs
le poteau Manquer le coche, c’était donc au- (au pluriel) représentent également
trefois rater son moyen de transport les hommes, qui sont supposés tout
Être battu de justesse.
et la possibilité de se déplacer loin donner d’eux-mêmes.
C’est au début du XXe siècle qu’est en temps voulu, comme certains
apparu le verbe coiffer avec le aujourd’hui loupent leur train ou Q Aux quatre coins de…
sens de « dépasser un concur- manquent leur avion.
Dans tous les lieux possibles
rent juste d’une tête au moment Lorsque les coches terrestres ont été
(d’un espace considéré
de l’arrivée ». Cela s’explique ai- remplacés par les diligences et que
comme clos), partout –
sément, car on peut facilement ceux d’eau ont cessé leur activité, le
Sur toute l’étendue de…
faire l’amalgame entre la tête et mot a disparu de la langue courante,
la coiffe. mais l’expression est restée, géné- On peut légitimement se demander
C’est à la même époque, dans le ralisée à toute bonne occasion qui comment on peut employer l’expres-
monde des courses de chevaux, s’est présentée mais qu’on a laissée sion aux quatre coins de la planète,
que l’expression est d’abord ap- passer. par exemple, alors que nous avons
parue. En effet, la désignation du affaire à une boule où le nombre
gagnant se fait au passage d’une Q Avoir le cœur de coins est infiniment moindre que
ligne matérialisée par un poteau sur la main dans un cube ou un parallélépipède
placé sur le côté intérieur de la quelconque.
Être généreux.
piste. Et pourtant…, on n’hésite pas à
C’est lorsqu’un cheval gagnait Si vous avez le cœur « sur la main », utiliser cette expression depuis le
d’une courte tête qu’on disait c’est que vous êtes prêt à offrir XVIe siècle, que l’endroit cité ait zéro,
qu’il avait « coiffé » son adver- jusqu’à votre bien le plus précieux, deux (comme le canard), quatre ou
saire sur le poteau. Un peu plus et que votre générosité ne fait donc trente-six coins.
tard, en 1939, coiffer un concur- aucun doute. L’image nous vient simplement d’un
rent, c’était « le dépasser ». Lorsque vous avez le cœur « sur les lieu fermé rectangulaire (une pièce, par
Par extension, l’expression s’em- lèvres », c’est en paroles que vous exemple) dont on imagine que le fait
ploie dans n’importe quelle prouvez votre qualité morale. Si vous de pouvoir aller aux quatre coins per-
compétition, pas obligatoire- l’avez « sur la main », c’est à vos met d’en embrasser toute la surface.
ment sportive, lorsque quelqu’un actes qu’on vous juge. Elle est probablement aussi influen-
l’emporte de justesse, au dernier Et comme, métaphoriquement, cée par les quatre points cardinaux
moment, sur quelqu’un d’autre. le cœur représente aussi la force qui symbolisent toutes les directions.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 59
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Faites chauffer la colle !


Q Frappé/Marqué au coin du bon sens
S’emploie de manière
Qui porte la marque du bon sens. Plein de bon sens.
plaisante, pour se moquer,
Il faut remonter aux temps anciens où les monnaies n’étaient pas produites de lorsqu’un bruit de casse
manière centralisée et industrielle, mais « frappées » localement par les seigneurs retentit.
selon une technique qui n’a commencé à évoluer que tardivement.
Autrefois, on pouvait soit utiliser
Avant le XVIe siècle, les pièces étaient fabriquées à l’aide de morceaux d’acier
des produits naturellement collants
gravés en creux avec l’empreinte qui devait être laissée sur la pièce, cette marque
(la glu tirée de l’écorce du houx,
très reconnaissable permettant d’en identifier l’origine.
la gomme arabique tirée de l’aca-
Ces morceaux d’acier s’appelaient des coins.
cia…), soit en préparer en faisant
Notre expression est donc une métaphore en liaison avec ces marques définitives
chauffer une mixture contenant des
que laissaient les coins lorsqu’une pièce était frappée ou marquée.
ingrédients précis comme de la géla-
Mais, si aujourd’hui on emploie surtout le bon sens en complément, la vé-
tine animale, par exemple.
ritable expression est être frappé (ou marqué) au coin suivi d’un autre com-
Le fait que le contenu d’un récipient
plément quelconque.
de colle durcisse était une autre
L’expression peut s’employer avec toute personne ou chose qui porte clairement
bonne raison de la faire chauffer, gé-
la marque d’une qualité ou qui est pleine de cette même qualité.
néralement au bain-marie, la montée
en température liquéfiant le produit
et le rendant à nouveau utilisable.
Q S’en moquer comme puisqu’ils n’étaient pas armés et ne
Autrefois, donc, pour obtenir une
de colin-tampon risquaient donc pas de tirer sur eux.
colle utilisable, il était souvent néces-
S’en moquer complètement. saire de la faire chauffer.
Q Collet monté De là cette expression qui a été ren-
Le mot colin est un ancien diminu-
Rigide sur les manières et les due populaire dans les années 1950
tif du prénom Nicolas ; il désignait
principes – Prude. grâce au feuilleton radiophonique
au XVIe siècle un personnage un peu
Faites chauffer la colle ! coécrit par
nigaud. C’est bien au cou que nous allons nous
Francis Blanche et Pierre Dac.
Mais en quoi un nigaud peut-il être intéresser et précisément à celui des
responsable de la naissance de notre dames de la cour autour de Catherine
Q Dans le collimateur
expression ? de Médicis qui aimait bien lancer des
Le mot tampons est ici le nom cor- modes, dont celle du collet monté, Surveillé, observé avec
respondant au verbe tamponner au pièce de tissu enroulé autour du cou méfiance ou hostilité.
sens de « cogner » ou « taper ». Et (d’où le collet) et rigidifié vers le haut
Non, le collimateur n’a rien d’un pa-
qui est-ce qui tape à tout-va, sinon (d’où le monté) à l’aide de carton, de fil
quet-poste voyeur ! Il s’agit simple-
un joueur de tambour ? de fer et d’empois, une substance col-
ment d’un dispositif de visée qui per-
On suppose que cette appellation lante et épaisse à base d’amidon, des-
met d’ajuster un tir avec une arme.
vient de ce que, outre le fait que les tinée à « empeser » le tissu (monté fait
Celui qui est ainsi la cible de la visée,
tambours « tamponnent » sans s’arrê- aussi allusion à l’armature sur laquelle
celui qui est « dans le collimateur »,
ter au début d’une bataille, il fallait être est montée l’étoffe).
peut donc être considéré comme étant
un peu nigaud pour faire partie d’une Cette mode déclinera sérieusement
très temporairement sous surveillance
batterie de tambours dont les individus après la disparition de la Médicis,
étroite, jusqu’à ce que le tir ait lieu ou
n’étaient que de la chair à canon. mais la raideur de l’objet et l’appa-
que la visée soit abandonnée.
Donc, des colins qui tamponnent, ça rence guindée de celles qui le por-
C’est par simple extension de son
donne bien des « colins-tampons ». taient ont suffi à faire de l’objet un
sens premier que cette expression
Mais pourquoi s’en moquait-on tant qualificatif appliqué, entre autres,
a pris sa signification figurée d’au-
que ça ? aux personnes ayant un comporte-
jourd’hui.
Littré suppose que cette totale indiffé- ment rigide.
On peut l’employer dans un milieu
rence vient de ce que, dans la bataille, Et si le terme collet monté est aussi
professionnel, par exemple, lors-
l’ennemi se moque complètement associé à la pruderie, c’est parce que,
qu’un supérieur hiérarchique sur-
des roulements de tambour ad- compte tenu de la fragilité de l’objet,
veille de manière étroite les agisse-
verses. Mais plus simplement, on peut la moindre tentative d’amorce de dé-
ments d’un subalterne suspecté de
aussi penser que les ennemis s’en but de commencement de galipettes
ne pas faire son travail correctement
moquaient comme d’une guigne, le mettait complètement à mal.
et menacé de sanctions.

60 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Avoir le compas peut maintenant régler son compte à


Q Le complexe dans l’œil quelqu’un sans lui donner le moindre
d’Œdipe Savoir apprécier correctement
argent mais en lui faisant plutôt un
plus ou moins mauvais parti.
En psychanalyse, le désir des distances, des
La forme dérivée son compte est
inconscient d’entretenir proportions sans prendre
bon ! suppose que l’on soit certain
un rapport sexuel avec le de mesures.
que la menace de punition va être ou
parent du sexe opposé et
Pour un marin ou un aviateur, le com- a été appliquée.
celui d’éliminer le parent
pas est l’équivalent d’une boussole,
rival du même sexe –
l’instrument qui lui permet de ne pas Q De concert/De conserve
Le traumatisme que vit un
perdre le nord magnétique ; un éco-
homme amoureux ou ne Ensemble, en harmonie.
lier affirmera que son compas lui per-
pouvant se détacher Avec le(s) même(s) but(s).
met de tracer de beaux cercles bien
de sa mère.
ronds ou de mesurer des angles ; et Le terme concert reprend une an-
un arpenteur-géomètre vous parlera cienne signification de ce mot qui
de son instrument qui lui permet de désignait un accord de personnes
mesurer de longues distances. qui poursuivent un même but. L’ex-
Dans les trois cas, il permet d’avoir pression étant passée dans le langage
une information précise ou d’exécuter courant, deux ou plusieurs personnes
quelque chose avec précision. peuvent donc tout à fait travailler ou
Avoir le compas dans l’œil, c’est donc voyager « de concert ».
avoir un œil capable de remplacer un Et qu’en est-il de notre conserve ?
instrument de mesure, de juger avec Il faut remonter à la marine du
Œdipe, aveugle, recommandant ses
précision des longueurs, des volumes XVIe siècle, une époque où les pirates
enfants aux dieux, Bénigne Gagneraux
(1756-1795). et diverses autres choses mesurables. sévissaient, pour le comprendre.
Pour un marin, c’est aussi pouvoir es- À cette période, selon Furetière,
Dans la mythologie grecque,
timer le bon cap sans instrument. les navires allaient « de conserve »
Œdipe est le fils de Laïos, le roi
Cette expression semble apparaître lorsqu’ils voyageaient ensemble
de Thèbes, et de son épouse
pour la première fois au XVIIIe siècle dans le but de s’escorter, se
Jocaste.
chez le duc de Saint-Simon dans ses défendre et se secourir. Autrement
C’est en consultant l’oracle qui
Mémoires, lorsqu’il parle de Louis XIV. dit, leurs capitaines faisaient jouer
s’appelait la Pythie que Laïos ap-
leur instinct de « conservation »
prend que, s’il a un fils, celui-ci le
tuera. Aussi, lorsque Œdipe naît,
Q Régler son compte (vous comprenez maintenant le
il abandonne le bébé qui sera re-
(à quelqu’un) rapport avec conserve).
L’expression étant passée dans le
trouvé par un berger dont l’em- Donner (à quelqu’un) ce qu’il
langage courant, deux ou plusieurs
ployeur, le roi de Corinthe, élève- mérite (punition, mauvais
personnes peuvent donc tout à fait
ra l’enfant auquel il s’est attaché. traitements…), lui faire un
travailler ou voyager « de conserve ».
Quand, informé par Apollon, il mauvais parti
Si l’on tient vraiment à faire une diffé-
apprend la malédiction qui le
Depuis longtemps, le « compte » (de rence entre les deux, on peut toujours
frappe, Œdipe quitte Corinthe
quelqu’un) a été l’argent qui lui était associer à de conserve cette notion de
pour tenter de s’éloigner de sa
dû, d’abord sous la forme d’un comp- défense, de protection qu’elle avait à
famille et de ne pas tuer celui
tage des pièces de monnaie à lui re- l’origine.
qu’il croit être son père. Mais
mettre.
malgré tous ses efforts, Œdipe
finira par tuer Laïos, son véritable
Il en a naturellement découlé au Q Faire une conduite
père, et sera de plus incestueux
XVIIIe siècle la locution régler son de Grenoble
compte (à quelqu’un) pour dire « lui
en étant marié à celle qu’il ne sait Accueillir avec hostilité –
verser son dû ».
pas être sa mère et à laquelle il Chasser, mettre à la porte
Or l’argent qu’on verse à quelqu’un
donnera quatre enfants. brutalement.
en échange du travail qu’il a fourni,
C’est Sigmund Freud qui a défini
n’est-ce pas ce qu’il mérite ? L’origine de cette expression est in-
la théorie du complexe d’Œdipe,
C’est ainsi que, par dérision, on est certaine mais, parmi celles qui sont
appelé ainsi en raison de sa simi-
passé de l’argent mérité à la punition proposées, on en trouve trois qui
litude avec l’histoire d’Œdipe.
méritée et que, familièrement, on semblent tenir la route.
QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 61
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

La première des explications pro-


posées, mais pas forcément la plus
Q S’en battre l’œil – S’en tamponner le coquillard
plausible, nous dit que cette expres- S’en moquer complètement (à propos de quelqu’un ou quelque
sion serait née à la suite d’une rixe, chose).
non datée, qui aurait opposé aux
Si une personne vous dit « mon œil ! » pour vous faire comprendre qu’elle
portes de Grenoble deux obédiences
ne croit pas un traître mot des billevesées que vous venez de lui proférer,
compagnonniques rivales.
c’est qu’elle est quelque peu vulgaire, puisque ce n’est qu’une manière poli-
La deuxième viendrait du grammai-
tiquement correcte de vous dire « mon cul ! », l’œil étant aussi beaucoup
rien Richelet qui, en 1680, après
plus trivialement, et en argot, le trou de balle.
avoir osé écrire dans une édition
« S’en battre l’œil » ou se taper régulièrement le derrière sur son siège,
de son Dictionnaire « les Normands
aurait donc été une manière de montrer qu’on se moque complètement
seroient les plus méchantes gens
d’une chose ou d’une personne.
du monde s’il n’y avoit pas de
Quant à l’expression se tamponner le coquillard, elle est plus récente puis-
Dauphinois » et alors qu’il était de
qu’elle date du tout début du XXe siècle. Elle a la même signification, mais,
passage à Grenoble et participait à
dans cette expression, l’étymologie de coquillard reste mystérieuse. Alain
un souper, aurait été chassé de nuit
Rey évoque un dérivé des sens vulgaires de la coquille qui, au XVIe siècle
de la ville à coups de canne.
désignait le sexe féminin. Pour d’autres, coquillard est une dénomination
La troisième, enfin, nous dit qu’un
argotique de l’œil, tamponner étant alors équivalent à battre, frapper ou
régiment de Louis XVI, chargé de
cogner, ce qui ferait retomber sur la première forme de l’expression.
faire appliquer les ordres du roi, au-
Dans la seconde forme de l’expression, le coquillard a tendance à disparaî-
rait été chassé de la ville au cours de
tre, puisque maintenant on dit facilement : « Il peut penser ce qu’il veut, je
ce qui allait s’appeler la journée des
m’en tamponne ! »
tuiles, les habitants étant montés sur
les toits et ayant lancé des tuiles sur
les militaires. à propos de quelqu’un qui a com- n’apprécie pas le vin ou, si vous avez
mis une faute alors qu’on lui aurait le portefeuille vraiment bien garni,
Q On lui donnerait le bon pourtant « donné le bon Dieu sans d’offrir un Picasso à celui pour qui
Dieu sans confession confession ». peinture est obligatoirement syno-
nyme de monocouche acrylique.
Il a un visage innocent, une
Q Donner de la confiture Tout comme il est stupide de vouloir
apparence d’honnêteté.
à un cochon faire du bien à quelqu’un qui ne sau-
On peut lui faire confiance,
ra pas apprécier votre geste.
compte tenu de son Donner quelque chose à
apparence. quelqu’un qui ne le mérite
Q Revoir sa copie
pas, qui ne sait pas l’apprécier
On sait que, au moins dans la reli-
ou qui n’en a aucune Modifier un projet, un
gion catholique, on peut effacer
reconnaissance. plan afin de l’améliorer, de
ses péchés en les avouant au prêtre
Gâcher quelque chose. mieux l’adapter au but à
dans le confessionnal. Une fois ces
atteindre ou aux attentes des
fautes annulées, le pécheur libéré « Ne jetez pas vos perles aux porcs,
personnes concernées.
peut alors participer à la communion de peur qu’ils ne les piétinent et
et « rencontrer » Dieu sous la forme que, se retournant, ils ne vous Il apparaît clair que la copie est ici
d’une hostie. déchirent. » celle qu’on remet au professeur
Cette expression s’applique à une Voici, paraît-il, ce que disait le Christ, après avoir planché de longues
personne dont il se dégage une in- lorsqu’il recommandait à ses fidèles heures sur le sujet qu’on nous a at-
nocence, une honnêteté telle, qu’on de ne pas transmettre les paroles sa- tribué
ne peut imaginer qu’elle ait pu ou crées à ceux qui s’en moquent. Au XIIIe siècle, copie désigne d’abord
puisse commettre la moindre faute. Autant dire que l’expression re- une « grande quantité », le mot
Par conséquent, comme elle n’a rien monte à loin. étant issu du latin copia qui signifiait,
à avouer, nul n’est besoin que cette Avec le temps, le porc est resté et les entre autres, « abondance ». Et ce
personne passe par le confessionnal perles se sont transformées en confi- copieux qui vous remplit l’estomac
pour qu’elle puisse communier et ture (c’est moins coûteux et plus est né de cette acception de la copie.
rencontrer Dieu. digeste), mais la métaphore reste Mais le sens moderne de copie vient
Mais cette expression s’emploie la même : il est inutile d’offrir une du latin médiéval copiare qui vou-
aussi souvent au conditionnel passé bouteille de Pommard 96 à celui qui lait dire « commenter, transcrire
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62 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

abondamment » (on y retrouve la no- Q Passer/Sauter du coq on disait déjà à cry et à cor. Elle
tion d’abondance) et duquel est née à l’âne nous vient de la vènerie (ou chasse
la signification « reproduire un écrit ». à courre) où l’on traque la bête en
Dans une discussion ou un
Pour en revenir à notre copie sco- jouant du cor et en poussant des cris
écrit, passer brutalement
laire, donc, qui s’appelle ainsi parce (dont le fameux « taïaut ! »), donc
d’un sujet à un autre, sans
qu’il s’agit d’une copie de ce qui a en faisant beaucoup de bruit.
transition ni liaison – Tenir
d’abord été fait sur brouillon, le pro- Cette pratique a vite donné nais-
des propos incohérents.
fesseur peut parfois nous demander sance à notre expression, métaphore
de « revoir notre copie », c’est-à-dire Ceux qui ont été confrontés à l’édu- qu’on a employée au XVIe siècle dans
de reprendre et améliorer notre tra- cation d’adolescents savent que des situations comme « mener un
vail, lorsque ce dernier est très loin ceux-ci sont prompts à (tenter de) procès à cor et à cri », voulant dire
d’être satisfaisant. passer d’un sujet qui les dérange à qu’il était mené avec beaucoup
Au sens propre, revoir sa copie existe un autre sans aucun lien, qui les inté- d’énergie et en attirant l’attention.
depuis le XIXe siècle, mais ce n’est resse ou ne les met pas en difficulté.
que depuis la seconde moitié du Le passage « du coq à l’âne », ils Q Un corbeau
XXe qu’on l’utilise avec sa signification savent parfaitement le pratiquer
Un dénonciateur anonyme.
figurée s’appliquant à toutes sortes quand cela les arrange.
Un auteur de lettres ou
de travaux. Malheureusement, aujourd’hui, le
d’appels téléphoniques
pourquoi de l’âne opposé au coq
anonymes.
s’est complètement perdu et il semble
Q Comme un coq en n’exister aucune explication réelle- Les corbeaux n’ont jamais eu bonne
pâte ment satisfaisante de la présence de presse. Ces oiseaux noirs et bruyants,
ces deux animaux dans l’expression. très peu appréciés, ont donné leur
Dans une existence
Tout ce qu’on sait, c’est qu’elle est nom à des hommes avides et sans
confortable et douillette.
très ancienne, puisqu’au XIVe siècle, scrupules, et même aux curés (à
Bien soigné, en ayant
on disait déjà saillir du coq en l’asne, cause de leur soutane noire et du
toutes ses aises.
puis au XVe, sauter du coq à l’asne. peu d’estime que leur portent les
Autrefois, on parlait de coq de Claude Duneton, sans pouvoir en anticléricaux).
panier ou coq de bagage par al- apporter de preuve, évoque une Mais si l’on désigne aujourd’hui par
lusion au coq qu’on transportait possible confusion entre asne et corbeau celui qui émet des messages
au marché avec beaucoup de ane (nom utilisé jusqu’à la fin du anonymes dénonciateurs ou pleins
précautions (d’où la notion de XIIIe siècle pour cane). Mais asne (le de fiel, et qui empoisonnent la vie
confort) pour lui conserver une baudet) se prononçant de la même des destinataires et de leur entou-
valeur marchande la plus élevée manière, puis se transformant en- rage, c’est en souvenir du film d’Hen-
possible. suite en âne, c’est lui qui serait resté ri-Georges Clouzot, Le Corbeau, sorti
La pâte est ajoutée au XVIIe siècle. dans les mémoires. sur les écrans en 1943 et qui relate
Imaginez que vous soyez destiné L’ancienne version de l’expression justement une histoire de ce genre,
à finir en pâté en croûte. Vous (avec saillir) aurait alors évoqué des où l’auteur des lettres signe ses mes-
apprécieriez, premièrement, le rapports bizarres entre un coq et sages par un dessin de corbeau.
fait que vous soyez choyé et en- une cane, mais sans qu’on puisse Si cette signature a été choisie par les
graissé afin d’être bien meilleur vraiment établir un lien avec la signi- scénaristes du film (Henri-Georges
à consommer, sans avoir pour fication qui nous en reste. Clouzot et Louis Chavance), ce serait
autant aucune idée du sort qui à cause d’une réelle affaire de cor-
vous attend et, deuxièmement, Q À cor et à cri beau, à Tulle, entre 1917 et 1922.
l’extrême confort de la pâte sur
À grand bruit, avec beaucoup
laquelle vous seriez étalé et la Q C’est dans mes cordes !
d’insistance.
« douce chaleur » qui vous enro-
C’est dans mes compétences !
berait ensuite pour vous cuire. Certains pensent que cette expres-
Même si le pâté de coq n’était pas sion s’écrit à corps et à cris. Mais L’édition de 1832 du Dictionnaire
vraiment répandu, il y a eu croise- c’est oublier la genèse de cette ex- de l’Académie française indique
ment entre l’ancienne expression pression qui n’est pas de toute pre- qu’à cette époque la corde désignait
et le terme en pâte vu ici comme mière jeunesse. aussi la note de musique ou le son,
quelque chose de douillet ou En effet, elle existe sous une forme par association avec la corde vocale,
confortable. différente depuis le XVe siècle où bien sûr.
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 63
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
On disait, par exemple, « la voix de
Q Tenir la corde
ce chanteur est belle dans les cordes Q La corne
élevées » (Littré). d’abondance Être dans une position
De là, on comprend qu’un mor- avantageuse par rapport aux
Le symbole de l’abondance.
ceau musical puisse être « dans les autres concurrents.
Une source de richesses
cordes » d’un interprète, si sa voix lui
inépuisable. Cette expression, apparue au
permet de le chanter correctement ;
XIXe siècle, nous vient du monde des
autrement dit, si le chanteur est au
courses hippiques.
niveau technique nécessaire pour in-
Car à cette époque, le pourtour in-
terpréter le morceau.
térieur de la piste était délimité par
Il est ensuite facile d’imaginer que
une corde. Par conséquent, dans les
cette expression s’est métaphorisée
courbes, le cheval de tête qui était le
dans d’autres domaines que la mu-
plus proche de cette limite était celui
sique pour indiquer que quelqu’un a
qui avait a priori un avantage sur ses
les compétences pour exécuter une
concurrents, sa trajectoire étant plus
tâche.
Nicolas Poussin (1594-1665), La Nourriture
courte que celle de ses concurrents.
D’ailleurs, à l’origine, l’expression
Q La corde au cou
de Jupiter, huile sur toile datant de 1636-
1637 environ.
se disait de l’écuyer qui était le plus
Dans une situation de Voilà une nouvelle expression proche de la corde. C’est par exten-
totale soumission – Dans dont l’origine prête à discussion sion et au figuré qu’elle a pris le sens
une situation périlleuse ou puisqu’il en existe deux versions actuel au début du XXe siècle.
désespérée. et quelques variantes. Il y a toute- Il en est également resté prendre un
fois une chose dont on est sûr, virage à la corde, beaucoup utilisé
C’est par un long chemin que le
c’est qu’elle provient de la my- dans le monde des courses automo-
mot corde a fini par désigner ce
thologie grecque. biles, lorsque le coureur prend un
long objet en chanvre qui sert aussi
Dans l’une des versions, Zeus, virage très près du bord intérieur de
bien à attacher des objets ensemble,
alors qu’il n’était encore que la route.
qu’à faire passer de vie à trépas des
bambin, fut confié par sa mère
condamnés à mort ou qu’à gravir
des sommets, par exemple.
Rhéa à la chèvre Amalthée qui Q Tenir les cordons
En effet, le terme vient apparem-
l’éleva et le nourrit. du poêle
Et un jour, alors qu’il s’amusait, il
ment du très ancien mot hittite ka- Dans un enterrement,
arracha par inadvertance une des
rad, passé ensuite au grec khordê, les marcher à côté du cercueil ou
cornes de sa nourrice. Plus tard,
deux désignant les intestins, boyaux immédiatement derrière.
lorsqu’il devint grand chef de
qui ont servi à faire des cordes avant
l’Olympe, Zeus donna à la corne le Autrefois, tenir les cordons du poêle,
que le chanvre puis d’autres maté-
pouvoir de fournir à profusion des c’était tenir les cordons reliés au drap
riaux plus modernes viennent rem-
pierreries, des fleurs et des fruits. funéraire qui recouvrait le cercueil.
placer la tubulure digestive dans leur
Hercule est fortement impliqué Car poêle, entre autres significations,
confection.
dans l’autre version. désigne aussi le drap mortuaire ou la
Le premier sens de l’expression, qui
En effet, il eut à se battre contre le grande pièce de tissu noir ou blanc
date du début du XVe siècle, est une
fleuve-dieu Achéloüs qui, pour l’oc- dont on couvrait le cercueil pendant
métaphore qui vient des vaincus
casion, se transforma en taureau. les cérémonies funèbres. Il dispo-
qui se livrent. C’est de cette même
Au cours de la bagarre dont il sor- sait auparavant de cordons géné-
image d’asservissement, mais à son
tit bien évidemment vainqueur, ralement cousus aux coins et sur
épouse, cette fois, qu’on dit d’un
Hercule arracha une des cornes de les bords, cordons qui, alors que le
homme qui se marie qu’il se met la
l’animal qui fut ensuite remplie de cercueil était amené à l’autel pour
corde au cou.
fruits et de fleurs par les nymphes la cérémonie funèbre, étaient tenus
Quant au second sens, c’est égale-
et dont le contenu ne cessa plus par des proches ou membres de la
ment une métaphore qui vient bien
d’être délivré à la demande. famille, ou des personnes de haut
évidemment de l’usage funeste qui
Quelle que soit l’origine de la rang, selon le défunt.
peut être fait d’une corde, lorsque
corne, c’est de l’abondance de Aujourd’hui, même si on ne tient
le condamné à être pendu se trouve
bonnes choses qui en sortent que plus les cordons, on dit toujours de
sous la potence, le nœud coulant
nous vient l’expression. ceux qui marchent près du cercueil
déjà passé autour du cou.
qu’ils tiennent les cordons du poêle.

64 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Porter/Planter Q Un cordon bleu


des cornes
Une très bonne cuisinière (ou un très bon cuisinier).
Être/faire cocu.
Celles (ou ceux) qui, grâce à leurs talents culinaires, enchantent les papilles,
À l’origine, il y a cornart qui, au
sont appelées des cordons bleus.
XIIIe siècle, veut dire « imbécile » puis
Nul doute que cette appellation peut aisément être vue comme une distinc-
escorner qui, au XVe siècle, veut dire
tion décernée par l’entourage.
« ridiculiser ».
Or il se trouve que le terme cordon bleu a autrefois désigné des décorations
À cette époque et pendant encore
de prestige, offertes par les rois aux personnes méritantes.
longtemps, une manière très courue
Il en était ainsi de l’insigne des Chevaliers du Saint-Esprit, ordre créé par
d’humilier, de ridiculiser quelqu’un
Henri III vers la fin du XVIe siècle, et distinction élitiste qui n’a été proposée
était de le faire cocu et de le faire
qu’à peu de personnes qui étaient appelées des « cordons bleus ». De ces
savoir.
décorations associées à un cordon ou ruban bleu est né le qualificatif cordon
La corne (qu’on entend dans les
bleu pour dire « le plus remarquable ».
deux mots cités précédemment),
Appliqué ensuite, d’abord par plaisanterie, aux bonnes cuisinières, les plus
c’était à la fois le sexe de l’homme
méritantes d’entre elles, bien entendu, le qualificatif s’est aujourd’hui réduit
et l’attribut qui désignait un homme
à les désigner (il est évoqué avec ce sens dans la 6e édition du Dictionnaire
ou une femme trompé. Planter des
de l’Académie de 1835, mais on trouve en 1828 un livre de recettes intitulé
cornes a une connotation sexuelle
Le Cordon bleu : Nouvelle cuisinière bourgeoise).
évidente.
Le mot cocu est généralement consi-
déré comme une déformation de Mais le verbe bayer étant tombé en Ces situations où il est extrême-
coucou, cet oiseau qui pond ses désuétude (il n’est plus employé que ment difficile de choisir entre ce que
œufs dans le nid d’autres volatiles dans notre expression), il est mainte- poussent à faire les sentiments et ce
pour que sa progéniture soit élevée nant souvent, par erreur, remplacé qu’impose l’honneur ou la raison
par les parents adoptifs contraints. par bâiller et l’expression prend alors sont typiques des écrits de Corneille
Si on se réfère au comportement du le second sens proposé, corneilles et ont suffi, à l’époque, à faire appa-
coucou, on constate un transfert de- devenant un complément quasiment raître le qualificatif cornélien.
puis l’amant (c’est lui qui devrait être inutile et incompris dans ce contexte. On parle aussi de conflit cornélien
nommé cocu puisque c’est lui qui ou de situation cornélienne, entre
prend la place du mari) vers ce dernier. Q Un choix cornélien autres.
Un dilemme, un choix
Q Bayer/Bâiller aux Q À son corps défendant
extrêmement difficile. Un
corneilles choix qui oppose la raison (ou Contre son gré, à regret,
Regarder en l’air, rester sans l’honneur) et les sentiments. à contrecœur, malgré soi.
rien faire – S’ennuyer.
Ceux qui sont passés par l’école Cette expression, qui date de 1613,
Le verbe bayer qui, depuis le savent que cornélien est un adjectif existait d’abord sous la forme en son
XIIe siècle, signifie « avoir la bouche dérivé de Corneille, Pierre Corneille, corps défendant et avec la significa-
ouverte » ne doit pas être confondu le dramaturge du XVIIe siècle. Et, si tion « en se défendant contre une
avec bâiller même si, là aussi, les choix difficiles sont devenus des attaque », sens qui semble plutôt
on ouvre généralement grand la choix cornéliens, c’est parce que Cor- logique, le corps devant être vu
bouche. neille aimait en imposer à ses héros. comme la personne dans sa totali-
Quant à corneille, au XVIe siècle, Dans Le Cid, Chimène, fille de Don té, et pas seulement comme l’enve-
on employait ce nom pour Gomès, est amoureuse de Rodrigue, loppe physique, opposée à l’âme.
parler d’objets insignifiants, sans fils de Don Diègue. Le sens qui est celui d’aujourd’hui
importance. Ce terme pouvait aussi Malgré son amour pour Chimène, vient du sous-entendu que, si la per-
bien désigner l’oiseau, présent en Rodrigue doit, pour venger son père sonne qui s’est défendue a dû faire
grande quantité à cette époque, que humilié par celui de sa promise, se du mal à autrui, c’est contre son gré,
le fruit du cornouiller. battre contre ce dernier au cours uniquement parce que c’était le seul
Bayer aux corneilles voulait donc dire d’un duel où il le tue. moyen pour elle de se protéger.
« rester bouche ouverte à regarder Et Chimène, malgré ses sentiments La définition que donne la première
en l’air » ou « contempler ou désirer pour Rodrigue, doit alors demander édition du Dictionnaire de l’Aca-
des choses sans intérêt ». sa tête au roi. démie française en 1694 ne laisse
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 65
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

d’ailleurs aucun doute puisqu’elle spécifiques d’une partie lointaine de et « ruiner », la seconde locution lais-
dit : « Un homme a fait quelque notre histoire, nous obtenons une sant supposer que le bateau naufragé
chose en son corps défendant, pour expression qui est encore utilisée de était la seule richesse de son posses-
dire, qu’il l’a faite contre son gré nos jours, alors qu’on n’utilise plus seur auquel il ne restait plus que ses
pour éviter un plus grand mal ». les deux adjectifs isolément ou dans yeux pour pleurer.
C’est cette connotation de l’action une autre locution. C’est ainsi que côte est devenu
faite à contrecœur qui, au figuré, a l’équivalent de « pauvreté » et qu’on
donné la signification actuelle. a vu également apparaître le frère
Q Avoir la cote de la côte qui désignait le « compa-
Q Ça se corse ! Être très estimé. gnon de misère ».
Ça se complique ! – Ça devient Le mot cote est une des nom-
Q Filer un mauvais coton
plus intéressant, plus intense, breuses preuves qu’en français un
plus piquant ! simple circonflexe peut changer Avoir la santé qui se dégrade –
complètement le sens d’un mot. Être dans une situation
C’est issu du nom corps que le
En effet, il n’est point ici question difficile.
verbe corser est apparu, attesté au
de la côte de porc ou de la course
XIIIe siècle, pour dire « prendre à bras- À la fin du XVIIe siècle, pour signifier
de côte, mais de cote au sens de
le-corps ». Puis, après avoir été un « se ruiner », on disait jeter un vilain
« appréciation », « note », « va-
peu oublié, ce verbe est revenu en coton par allusion aux étoffes qui, en
leur », comme on le trouve dans
usage au XIXe siècle, mais basé cette s’usant, perdaient des boules de fil
cote d’alerte, cote de popularité
fois sur un autre sens du mot corps, de coton jusqu’à leur détérioration
ou cote d’une action en bourse,
la consistance, qui au figuré, est de- complète ou la déchirure.
par exemple.
venu l’intensité ou la force, significa- Au XIXe siècle, alors que la même
Ici, c’est le sens d’appréciation
tion qui nous intéresse ici. expression signifie déjà « dépérir
qui est retenu, quelqu’un qui a la
Quelque chose qui est corsé, c’est par la maladie » (c’est cette fois la
cote étant quelqu’un de très ap-
quelque chose d’intense, de fort, de santé qu’on se ruine), vilain est pro-
précié car, bien que l’expression
piquant comme un vin ou un assai- gressivement remplacé par mauvais.
ne contienne aucun adjectif, la
sonnement. D’autre part, l’installation de nom-
cote est implicitement élevée.
C’est ainsi que lorsqu’on dit d’une breuses filatures où on file le coton
Une ancienne forme de l’expres-
chose qu’elle se corse, c’est qu’elle provoque le remplacement progres-
sion était être à la cote.
devient plus forte, plus intense et, sif de jeter pour aboutir à l’expres-
On peut aussi noter que cote
par extension, plus compliquée, là sion actuelle qui, par extension, sert
s’écrivait auparavant quote en
où la difficulté devient plus forte. à évoquer diverses choses qui se dé-
venant du latin médiéval quota,
gradent, au-delà de la simple santé.
mot toujours utilisé de nos jours,
Q (Taillable et) corvéable mais via un emprunt à l’anglais
à merci quota (pour « quote-part ») de
Q Un mauvais coucheur
Bon pour faire les corvées. même origine. Une personne désagréable,
peu sociable, de caractère
Il y a bien longtemps, au Moyen
difficile.
Âge, la taille était un impôt que le
serf devait à son seigneur. Le paysan Q À la côte Au XVIe siècle dans les auberges,
qui devait impérativement la payer foin d’intimité ! Il n’était pas ques-
Sans ressources, sans argent.
était donc qualifié de « taillable ». tion, sauf exception ou pour des
Mais ce même paysan devait égale- Cette expression, qui date du personnes de haut rang, de disposer
ment des journées de travail à son milieu du XIXe siècle dans son sens d’un lit ou d’une chambre pour soi.
maître, travail sans rémunération métaphorique indiqué, nous vient Les coucheurs étaient donc ceux qui
qu’on appelait la corvée. Le serf était directement du monde maritime au partageaient le même lit (en tout bien
donc aussi « corvéable ». XVIIe siècle. En effet, à cette époque, tout honneur). Le mot a quasiment
Comme ces corvées et le montant aller à la côte signifiait « faire nau- disparu du vocabulaire en même
de la taille dépendaient souvent frage », par allusion au bateau allant temps que l’abandon de la pratique.
du simple bon vouloir ou du bon se fracasser sur la côte. Et c’est vers cette époque qu’un
plaisir du seigneur, le serf était pu- Par extension, envoyer quelqu’un à la mauvais coucheur est, au sens
rement et simplement à sa merci. côte et mettre à la côte ont voulu dire propre, « un homme qui fait du
Et voilà comment avec trois éléments respectivement « s’en débarrasser » bruit dans la nuit, qui découvre son
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66 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Avaler des couleuvres


Subir des affronts, des désagréments sans pouvoir protester –
Gober n’importe quelle affirmation.
Le second sens proposé, plus récent, est une évolution du premier qui,
selon Furetière, existait au XVIIe siècle. En effet, entre quelqu’un qui est
obligé d’accepter ce qu’on lui propose ou inflige, sans pouvoir le refuser
ou le contester, et celui qui finit par gober n’importe quoi sans émettre
la moindre objection, il n’y a qu’une petite distance à franchir.
L’une des deux origines souvent citées viendrait d’une époque où les an-
guilles servaient de plat commun. Certains hôtes facétieux ou désirant
se venger de quelque chose auraient pu servir à leurs invités quelques
couleuvres mêlées aux anguilles d’apparence très proche. Et soit les in-
vités ne s’en rendaient pas compte, montrant ainsi qu’ils « gobaient »
n’importe quoi, soit ils s’apercevaient de la chose mais ils restaient
bouche cousue pour ne pas faire d’esclandre.
Une autre origine, la plus probable, vient d’une ancienne signification
de couleuvre qui désignait aussi une insinuation perfide, le genre de
Claude Vignon (1593-1670), Cléopâtre se donnant
propos auxquels il n’est pas toujours simple de répondre et qu’on doit la mort.
alors subir sans piper mot.

camarade, qui l’empêche de dor-


mir », tel que le définit Furetière.
Q Avoir les coudées Q Avoir des couilles
franches
Il faudra attendre le début du XIXe siècle Avoir du cran, du courage.
pour que cette appellation devienne Avoir une entière liberté
Les deux boules dont il est ici ques-
notre expression, avec le sens figuré d’action.
tion sont depuis très longtemps des
qu’on lui connaît. Car, si elle est
En 1606, le Thrésor de la Langue symboles de virilité.
irascible et s’emporte dès qu’on lui
française de Jean Nicot donne la C’est normal : la virilité est associée au
fait des reproches « d’empêcheur de
définition suivante pour coudée : sexe prétendument fort. Et qu’est-ce
dormir », ou bien si elle se moque
« C’est depuis le ply du bras jusques qui caractérise au mieux la masculini-
du dérangement qu’elle cause à
au bout du doigt du milieu de la té, si ce ne sont ces deux choses ?
autrui, une telle personne est bien sûr
main. » Or, depuis bien longtemps également,
considérée comme désagréable et de
La coudée est donc au départ une le courage est associé à la virilité.
caractère difficile.
unité de longueur dont la valeur est Il était donc assez logique dans
quelque peu variable. l’esprit de certains que l’image du
Q Maigre comme Notre expression existe depuis le courage soit la présence de deux
un coucou XVIe siècle. testicules bien accrochés à leur em-
Très maigre. Son sens d’origine était « avoir la placement naturel et que cela donne
liberté du mouvement des bras, naissance à notre expression.
C’est de l’oiseau qu’il est question ici.
les pouvoir étendre à droite et à Cette expression a deux variantes qui
Et pourtant, l’origine n’est pas cer-
gauche » comme, typiquement, sont en avoir et les avoir bien accro-
taine car, contradictoirement, on dit
lorsqu’on est à table sans être gêné chées et qui permettent de ne pas
aussi gras comme un coucou, cet
par ses voisins. prononcer ce mot considéré comme
oiseau squatter étant réputé vorace.
Par extension, elle s’applique à toute grossier, mais tout le monde sait par-
Pierre-Marie Quitard, dans son Dic-
action que rien ne vient contrarier, faitement à quoi se raccrocher.
tionnaire étymologique, historique
entraver ou pour laquelle on a carte Notez que celui qui manque de cou-
et anecdotique des proverbes, ainsi
blanche. rage se fait parfois traiter de « couille
que Buffon indiquent que le coucou
Selon les auteurs, on a pu trouver les molle ». Comme quoi, il semble que,
est très maigre au printemps, ne de-
variantes avoir ses coudées franches, pour marquer son courage, il ne suf-
venant très dodu et consommable
avoir ses coudées plus larges ou bien fit pas d’en avoir, il faut aussi qu’elles
qu’à l’automne, et que c’est la seule
étendre ses coudées. soient bien fermes.
situation qui pourrait expliquer le
La variante avoir des couilles au cul
sens de l’expression.
existe également avec le même sens.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 67
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

pratiquer que si l’on était deux et il


Q Battre sa coulpe Q Tirer son coup avait pour but de détrousser le péquin
Se repentir. Reconnaître ses moyen, le premier aigrefin utilisant une
Avoir un orgasme (pour un
torts. courroie formant un nœud coulant
homme).
qui servait à étrangler par-derrière la
« Mea culpa, mea maxima culpa »
La métaphore est simple à com- victime, tandis que le second profitait
(« C’est ma faute, c’est ma très grande
prendre : le fusil est un symbole lâchement de la situation pour la
faute ») est un extrait du Confiteor,
phallique explicite et, à l’époque fouiller et lui vider les poches.
l’acte de contrition du catholique qui
où cette expression est née, cette C’est de cette forme d’agression
reconnaît devant Dieu avoir péché, et
arme ne pouvait tirer qu’un seul que, par extension, on a utilisé l’ex-
qui devrait normalement prononcer
coup avant de devoir être rechar- pression à propos de ceux qui font
ces paroles en se frappant la poitrine.
gée longuement et manuellement. des coups en traître ou qui utilisent
Bien entendu, vous n’êtes pas sans
Au XVIIe siècle, à ses débuts, des manœuvres déloyales.
remarquer la similitude entre le mot
et longtemps encore après,
latin culpa (faute) et notre coulpe.
C’est parfaitement normal, puisque
cette expression n’avait aucune Q Sans coup férir
connotation sexuelle, puisqu’elle
le second vient du premier qui a aus- Sans rencontrer de résistance,
voulait simplement dire « tirer
si donné culpabilité, entre autres. d’obstacle. Très facilement.
avec une arme à feu ».
En français, le mot coulpe n’existe
Et puis, la plupart des armes étant Le verbe férir date du Xe siècle, mais
plus que dans notre expression qui
devenues plus perfectionnées, ca- il n’était presque plus utilisé au XVIIe,
apparaît au XIIe siècle, et qui veut
pables de tirer plusieurs coups à ayant été supplanté par frapper. Au-
d’abord dire « se frapper la poitrine
la suite, des esprits tordus et/ou jourd’hui, on n’en trouve plus que
en se repentant de ses fautes » ; il
obsédés ont accaparé l’expression deux traces à travers notre expres-
était en effet d’usage, au Moyen
et en ont transformé le sens avec sion et l’adjectif féru.
Âge, d’être démonstratif lorsqu’il
un succès certain. Il vient du latin ferire qui voulait dire
s’agissait de montrer sa foi.
La plupart du temps, cette expres- « frapper », verbe qui a progressive-
Ce n’est qu’au XVe siècle qu’elle prend
sion a une connotation à la fois ment supplanté férir.
les sens qu’on lui connaît encore
méprisante et égoïste, la femme À la fin du XIIe, par extension, il a aussi
aujourd’hui, toujours en liaison avec
n’étant supposée être là que pour signifié « se faire aimer de », ce qui
la reconnaissance de ses fautes.
assouvir un besoin primaire de s’explique par le fait que celui qui se
l’homme. fait aimer « frappe l’autre au cœur ».
Q En deux coups les gros Mais certaines féministes ont re- Sans coup férir voulait initialement
En quelques mouvements et vendiqué le droit, pour la femme, dire « sans frapper de coup », qu’il
facilement – Rapidement, à de tirer également son coup, ce qui faut comprendre comme « sans com-
toute allure, sans s’attarder. voulait simplement dire d’utiliser battre » dans le contexte guerrier
l’homme comme un objet sexuel, fréquent de l’époque.
Le zanzi, un peu tombé dans l’oubli,
avec la même connotation. Comme, de nos jours, on ne combat
était un jeu de dés duquel dérive le
plus pour un oui pour un non, le sens
421 et qui se pratiquait beaucoup
s’est transformé pour prendre celui
dans les bars : le joueur qui commen-
d’aujourd’hui.
çait lançait les trois dés. S’il n’était impérativement faire moins de
pas satisfait du résultat, il avait le points que lui.
C’est probablement de ce jeu que
Q Un coup de fil
droit de relancer un ou deux dés de
son choix. Il pouvait également ten- vient cette expression apparue au Un appel téléphonique.
ter un troisième et dernier lancer. milieu du XXe siècle et utilisée entre
Il faut se souvenir que, avant qu’ap-
Les autres joueurs n’avaient pas le autres par Alphonse Boudard.
paraissent nos téléphones portables
droit de lancer les dés plus de fois
fonctionnant via des ondes pas
que le premier joueur. Q Faire le coup du père forcément sympathiques pour nos
En fonction du jeu qu’il avait obte- François neurones, la téléphonie passait uni-
nu, beaucoup ou peu de points, le
Prendre en traître. Utiliser quement par des fils de cuivre, et
premier joueur annonçait soit « les
une manœuvre déloyale. sur de grandes distances.
gros », imposant aux autres d’obte-
C’est ce fil électrique, le lien entre
nir plus de points que ce qu’il avait À l’origine, au cours de la seconde
deux interlocuteurs, qui est à l’ori-
lui-même obtenu, soit « les pe- moitié du XIXe siècle, le véritable « coup
gine de notre coup de fil.
tits », auquel cas les autres devaient du père François » ne pouvait se
QQQ

68 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Une coupe sombre


Une suppression d’un nombre important de choses (large coupure dans un texte, forte réduction de
crédits ou d’emplois dans un service, une entreprise).
Cette expression est un beau contresens.
Dans le monde des forestiers, une coupe sombre (dite aussi « coupe d’ensemencement ») s’appelle ainsi parce qu’il y
subsiste de l’ombre.
Elle consiste donc à n’y couper par-ci par-là que quelques arbres, ce qui conserve un sous-bois obscur (donc sombre),
contrairement à la « coupe claire » dans laquelle l’abattage des arbres se fait en très grand nombre pour que la lumière
pénètre bien dans la zone et favorise la pousse des jeunes plants. C’est en tout cas quelque chose qui n’a rien de négatif.
Mais, dans le langage populaire, le véritable sens du sombre de l’appellation d’origine n’a pas été retenu et ce sont les
connotations de l’adjectif sombre (« quelque chose de menaçant, d’inquiétant ») qui ont donné un sens complètement
opposé à l’expression.
Car la menace et l’inquiétude ne planent-elles pas lorsqu’un plan social d’envergure, une coupe sombre dans les effec-
tifs, se prépare, par exemple ?

Quant au mot coup, il faut le prendre pu constater que l’exercice n’est pas Ce joueur était donc « sous la
au sens d’une « action avec un ins- forcément facile à réussir. coupe » du précédent.
trument », comme dans un coup de Et pour peu que, ayant déjà un peu
volant ou un coup de pinceau. forcé sur la dive bouteille, vos gestes Q Tomber comme un
La date d’apparition de cette expres- deviennent nettement moins assu- couperet
sion n’est pas connue, mais, compte rés, il n’est pas certain que vous ar-
Arriver brusquement,
tenu de celle de l’invention du té- riviez à amener intact à vos lèvres le
souvent par surprise, et
léphone, on supposera, sans grand précieux liquide convoité.
avec des conséquences
risque de se tromper, qu’elle est pos- Voilà deux raisons qui ont proba-
à la fois désagréables et
térieure à la fin du XIXe siècle. blement fait naître cette ancienne
irrémédiables.
En argot, le téléphone s’appelle aus- métaphore dans laquelle la coupe
si un bigophone. représente le projet et les lèvres, le À l’origine, au XVIe siècle, un
but, le second n’étant pas forcément couperet est un couteau à large
Q Il y a loin de la coupe atteint malgré la proximité appa- lame servant à trancher ou hacher
aux lèvres rente du premier. la viande. Mais par extension, le
couperet a aussi désigné la lame de
Il peut y avoir un long
Q Être sous la coupe la charmante machine que monsieur
chemin entre un projet et son
(de quelqu’un) Joseph-Ignace Guillotin a fortement
aboutissement, entre un désir
contribué à remettre au goût du jour
et sa satisfaction, entre une Être sous la dépendance ou
(mais, aussi étrange que cela puisse
promesse et sa réalisation. l’influence de quelqu’un.
paraître, avec de bonnes intentions).
Ce n’est pas parce qu’un
Cette expression vient de la coupe aux Autant dire que pour celui qui a la
but semble proche qu’on va
jeux de cartes, cette opération banale tête coincée dans la guillotine, la
forcément l’atteindre.
qui consiste à couper le paquet en lame, lorsqu’elle est lâchée, arrive
Il est d’abord bon de rappeler que deux et qui va déterminer l’ordre dans brusquement sur son cou, par sur-
cette expression nous vient de la lequel les cartes vont être distribuées. prise, et produit des effets certes
Grèce antique, à une époque où D’après Furetière, au XVIIe siècle, désagréables, mais surtout irrémé-
l’on buvait dans des coupes larges certaines personnes étaient diables.
et peu profondes ; sans compter persuadées que d’autres avaient la Il n’en a pas fallu plus pour que la
que l’on mangeait à moitié couché coupe malheureuse. métaphore apparaisse dans des
et non assis à une table. Selon cette croyance, en effet, la situations autrement moins cri-
Je ne sais pas si vous avez déjà es- coupe aux cartes avait une valeur tiques, mais généralement mal
sayé, tout en étant couché sur le quasiment « magique » et le joueur vécues par ceux qui sont directement
côté, de prendre un verre plein, de immédiatement après le coupeur concernés.
l’amener à votre bouche et d’en pouvait se trouver sous son in-
boire le contenu sans en renverser fluence, bonne ou mauvaise.
une goutte. Si c’est le cas, vous avez

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 69
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Faire la cour
(à quelqu’un) Q La cour des grands
Situation plus élevée que l’on souhaite atteindre – Ensemble des
Chercher à séduire
personnes jouant un rôle prépondérant dans un domaine.
une autre personne en vue
d’une relation amoureuse. Que voilà une jolie métaphore scolaire ! Quel est l’enfant qui, déambulant
dans sa cour de récréation, n’a jamais jeté des regards envieux vers les acti-
Avant d’être restreint à un usage ga-
vités des « grands », dans cette partie de la cour réservée aux « forts » qui
lant, faire la cour avait une utilisation
peuvent s’autoriser des choses inaccessibles aux petits ou qui font la loi ?
plus générale dès le XVIe siècle.
C’est en pensant à cette image que cour des grands a commencé méta-
En effet, il faut penser à ce
phoriquement à désigner un endroit, un classement, un groupe, un niveau
qu’étaient la cour, le domaine et
qu’on atteint avec plaisir et/ou fierté après en avoir longtemps rêvé.
l’entourage du roi, et les courtisans
Cette locution, apparue au cours de la seconde moitié du XXe siècle, est
de cette époque, ceux qui s’affai-
généralement précédée de jouer dans (toujours le rappel de l’origine sco-
raient autour du souverain à lui faire
laire) ou passer dans.
la cour pour s’attirer ses bonnes
grâces, être bien vus de lui et, autant
que possible, en obtenir diverses Enfin, avec la perte rapide du seconde expression qui est souvent
faveurs. complément usuel des affaires, la utilisée pour excuser un excès qui
Et, même si elle en était originaire, locution adverbiale s’est généralisée n’est pas dans les habitudes de la
cette expression ne s’utilisait pas au point que maintenant, on peut personne concernée ou, autrement
uniquement à la cour, mais partout être au courant de plein de choses dit, pour signifier qu’une personne
où une personne cherchait à se faire totalement diverses. n’est absolument pas « coutumière
bien voir d’une autre. du fait » qui lui est reproché.
Puis, lorsqu’elle a été limitée à Q Être coutumier du fait –
l’usage en galanterie et utilisée telle Une fois n’est Q Le (petit) doigt sur la
quelle depuis le milieu du XVIIe siècle, pas coutume couture du pantalon
son but est resté le même : se faire
Avoir l’habitude d’agir d’une En manifestant du respect ou
bien voir, obtenir des faveurs de la
certaine manière, de faire une de la soumission.
part de la personne « courtisée ».
certaine chose – Si l’on fait
Au garde-à-vous, le soldat se tient
une fois quelque chose, cela
Q Être au courant droit, chaque bras le long du corps,
n’en devient pas pour autant
et un doigt sur la couture latérale et
Être informé (de quelque une habitude.
néanmoins verticale du pantalon de
chose).
Le fait est ici « ce qui est fait » ou l’uniforme.
Le mot courant date du début du XIIIe « l’acte, l’action ». Cette position raide est celle dans
et vient d’un des sens du mot courir Quant à coutumier, adjectif qui date laquelle il manifeste du respect au
qui signifiait aussi « couler ». Cette du XIIe siècle et qui n’est maintenant supérieur qui est devant lui.
image d’un volume qui s’écoule a presque plus employé que dans Pourquoi ne dit-on pas les doigts
d’abord donné la locution le courant notre locution, il est bien sûr dérivé sur…, me direz-vous, car le soldat
des affaires pour désigner les affaires de coutume, mot qu’on comprend moyen a bien deux bras et deux
de tous les jours qui s’enchaînent aujourd’hui comme « une manière mains, ainsi que deux jambes recou-
banalement et en volume important. d’agir à laquelle une collectivité ou vertes par le pantalon ? Eh bien, c’est
Puis, par extension, la locution être une majorité se conforme » (selon parce que souvent seule une main
au courant des affaires a signifié le Grand Robert) ou, mieux encore, se trouve au contact du pantalon,
« connaître la manière de traiter les comme une « habitude collective l’autre étant au niveau de la tempe,
affaires de tous les jours (ou le cou- d’agir, consentie à l’origine par ceux occupée à saluer le supérieur.
rant des affaires). qui l’observent, et transmise de gé- Sortie du contexte militaire et de
Comme affaires pouvait aussi ne pas nération en génération » (idem), la position citée, l’expression s’uti-
désigner uniquement celles qu’on mais qui a d’abord désigné une ma- lise, parfois ironiquement, lorsque
avait à traiter, mais celles qui se nière ordinaire d’agir, signification quelqu’un manifeste de l’obéissance
produisaient à l’extérieur (« Quelle maintenant couverte par le mot ha- ou exécute plus ou moins respec-
histoire ! Quelle affaire ! »), on re- bitude. tueusement ou servilement une
joignait alors le sens de « être infor- C’est cette acception initiale qu’on tâche demandée par un autre.
mé » de ces événements. retrouve d’ailleurs dans notre

70 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
la rumeur assassine et de l’ambiance tirer son coup, on obtient notre
Q Vaincre/Battre à détestable. locution, née ainsi au cours de la
plate(s) couture(s) C’est par allusion à ce panier ou ce seconde moitié du XIXe siècle.
Vaincre/battre complètement, casier où les pêcheurs de crabes les Et, au vu des deux sens fort différents
de manière définitive. entassent et où les pinces mena- de l’expression, lorsque l’amant doit
çantes grouillent, donnant l’impres- brutalement quitter sa maîtresse en
L’expression existe depuis le
sion qu’ils cherchent à s’entredé- raison de l’arrivée inopinée du mari,
XVe siècle, sous la forme rompre à
vorer, que cette expression est née on peut alors dire qu’il tire sa crampe
plate couture. Les tailleurs avaient
au cours de la première moitié du après avoir tiré sa crampe.
pour habitude d’aplatir les coutures
XXe siècle.
épaisses pour les rendre un peu plus
souples, ce qui se disait rabattre les
Q Pendre la crémaillère
coutures. Q S’en jeter un Fêter avec des invités son
De cette opération est née au derrière la cravate installation dans un nouveau
XVIe siècle l’expression rabattre la cou- logement.
Boire un verre (d’alcool).
ture à quelqu’un pour « le rosser ».
De nos jours, si la fête associée à la
Mais s’il y a une relation certaine La cravate, qui part du cou et des-
« pendaison de crémaillère » existe
avec notre expression, cela n’ex- cend verticalement, « cache », à
bien toujours, il y a belle lurette que
plique pas son sens et, surtout, l’uti- l’intérieur du corps, un conduit
l’objet à l’origine de cette expression
lisation préalable d’un verbe comme fort utile pour le commun des
a disparu de nos foyers.
rompre au lieu de battre. mortels, un tuyau dont le rôle est
Au XVIe siècle, la cuisson des plats se
Selon Alain Rey, dans la métaphore d’amener les liquides ingurgités
faisait principalement dans l’âtre du
initiale, il fallait comprendre rompre jusqu’à l’estomac.
foyer, la marmite étant suspendue à
dans son sens figuré de « abattre, Et c’est le fait que la cravate se
une crémaillère permettant de régler la
démolir, enfoncer (une armée) » et fixe au cou qui a fait que, dans
hauteur du récipient au-dessus du feu.
plat comme issu du verbe aplatir au l’argot du XXe siècle, le terme
La construction de la maison était une
sens de « vaincre totalement, écra- désigne aussi le gosier, cet endroit
activité à laquelle la famille, les amis et
ser, battre ». qui est le point de passage obligé
les voisins participaient de bon cœur.
C’est du mélange de ces significa- de tout ce qu’on avale si on ne
Pour les en remercier et fêter leur en-
tions avec l’opération du tailleur que fait pas une fausse route.
trée dans leur nouveau foyer dans le-
l’expression serait autrefois née, le Du cou(p), même si on imagine
quel l’indispensable crémaillère venait
battre moderne étant ensuite logi- que l’expression devrait plutôt
juste d’être enfin installée, parmi les
quement issu du rabattre, son sens utiliser dans au lieu de derrière,
quelques autres travaux de finition,
collant parfaitement avec celui de la son sens devient aussi limpide
les heureux occupants ne manquaient
locution. qu’un verre de vodka, le derrière
pas d’organiser un repas ou une fête
pouvant en plus avoir une conno-
où leur toute nouvelle crémaillère
Q Un panier de crabes tation de discrétion, de consom-
pouvait enfin être étrennée.
mation en douce, mais avec
Groupe de personnes qui Et c’est depuis cette époque que
connivence entre les buveurs.
cherchent à se nuire. perdure notre expression, malgré la
disparition définitive de l’objet.
Normalement, dans une équipe
soudée, il y a ce qu’on appelle « un
esprit d’équipe », tous les membres
Q Tirer sa crampe Q Changer de crèmerie
travaillant main dans la main pour S’en aller, fuir – Faire l’amour, Quitter un lieu (magasin, bar,
construire ensemble leur projet. avoir un orgasme (pour un restaurant…) pour un autre –
Et puis il y a le panier de crabes, une homme). Changer d’employeur,
équipe où il n’y aucun esprit, sauf de collaborateur…
Le premier sens proposé n’est prati-
du mauvais esprit, celui de nuisance
quement plus utilisé. Au XIXe siècle, on a désigné par crè-
envers ses petits « camarades »,
La seconde signification est mieux merie un lieu de restauration pro-
souvent caché sous une façade de
cernée. posant bien autre chose que des
bonne entente, comme on en trouve
Au XVIIIe siècle, un sexe en érection produits laitiers, lieu où, parfois, la
dans certaines entreprises ou dans
était affublé, en argot, du doux nom débauche battait son plein, les es-
certains partis politiques.
de crampe d’amour. Si on mélange prits étant bien échauffés par l’alcool
Le panier de crabes est aussi le
cet organe turgescent à l’expression qui coulait à flots.
royaume de la peau de banane, de
QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 71
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
D’ailleurs, dans le Grand dictionnaire
universel publié par Larousse en 1863,
Q La critique est aisée, Q La croix et la bannière
mais l’art est difficile
on trouve cette définition : « Depuis De grandes complications ou
quelques années, on a désigné sous Il est très facile de critiquer difficultés.
le nom de crèmeries certains établis- ce que font les autres,
Cette expression, issue de l’ita-
sements tenant le milieu entre le res- autrement plus difficile de
lien, est attestée dès le XVe siècle,
taurant et le café, et où l’on vend de réaliser quelque chose.
sous une forme un peu différente.
tout, excepté de la crème, espèce de
Cette locution proverbiale a été ima- À cette époque, la religion était
gargote d’un aspect particulier, où le
ginée en 1732 par Philippe Néricault, omniprésente.
riz au lait, le café à la crème, le choco-
auteur et comédien dont le nom de La croix, représentant celle du Christ,
lat, la côtelette et les œufs sur le plat
scène était Destouches. On a retenu de était donc obligatoirement brandie
règnent à peu près souverainement. »
lui, en plus de notre expression, « Les en tête de toutes les processions,
On imagine alors bien quelques joyeux
absents ont toujours tort » et « Chas- religieuses ou non.
lurons un peu éméchés, décidant, his-
sez le naturel, il revient au galop ». Dans ces différentes processions, on
toire de bien continuer la soirée, de
La version originale de l’expression portait aussi des étendards ou des
changer de crèmerie régulièrement.
était : « La critique est aisée et l’art bannières diverses, que ce soit celle
C’est par extension que le mot
est difficile. » de la Vierge, de la paroisse, d’une
crèmerie a fini par désigner un éta-
Le sens de l’expression est très simple confrérie, du notable en déplace-
blissement, puis un fournisseur ou
à comprendre, la critique étant ici le ju- ment ou de celui le recevant.
un collaborateur quelconque.
gement défavorable, tandis que l’art – Mais l’organisation de ces proces-
qui n’est pas seulement lié à la création sions n’était pas facile, paraît-il. Les
Q Au creux de la vague d’œuvres artistiques – désigne, d’une formalités, les règles à suivre, le
Dans une mauvaise situation manière générale, la façon de faire respect de l’importance des parti-
psychologique, économique... – quelque chose. Autrement dit, « vous cipants, qu’elle soit honorifique ou
Au bas de sa popularité avez beau jeu de critiquer négative- hiérarchique, transformaient parfois
(pour un artiste). ment ce qui a été fait, mais auriez-vous leur préparation en de véritables
été capable d’en faire de même ? ». casse-têtes.
La 8e édition du dictionnaire de
Et, à propos de la critique, Lamar- Ce qui explique le sens actuel de
l’Académie française indique que la
tine de rajouter : « La critique est la « grandes complications ».
vague est une « masse d’eau de la
puissance des impuissants », ce qui Notre forme actuelle c’est la croix et
mer, d’un lac, d’une rivière, qui est
rejoint Destouches en signifiant que la bannière pour… est attestée en
agitée ou soulevée par les vents ou
ceux qui ne peuvent pas faire ont la 1822.
par toute autre impulsion ».
critique facile.
Dans sa partie haute, elle comporte
une crête. Entre deux points hauts,
donc entre deux crêtes, il y a un Q Riche comme Crésus
point bas, le creux.
Extrêmement riche.
Nous avons donc là une belle méta-
phore marine qui, de plus, est assez Alors que Crésus a vécu au
récente puisqu’elle ne date que de la VIe siècle av. J.-C., ce n’est qu’au
seconde moitié du XXe siècle. XVe que crésus a désigné un
Il est intéressant de savoir qu’au homme riche et qu’au XVIIe que
XVIe siècle, si en Méditerranée, on notre expression est apparue.
parlait bien de vague, dans les Car Crésus a réellement existé !
océans, on parlait plutôt de oule Dans sa capitale de Sardes, L’histoire de Crésus et de Solon, Frans II Francken
(1581-1642).
(écrit aussi houle), mot imité de l’es- Crésus, dernier roi de Lydie, au
pagnol ola qui signifie « vague ». sud-ouest de l’Asie Mineure,
Pour en revenir à notre creux, c’est était un souverain extrêmement riche. Il devait sa fortune aux sables au-
métaphoriquement qu’il désigne rifères de la rivière Pactole qui charriait des paillettes d’or.
une perte totale de dynamisme, là Malgré sa fortune, Crésus subit des malheurs à la fin de sa vie : il perdit
où la crête est un symbole d’élan ou son fils Atys et fut vaincu à Thymbrée par Cyrus, roi de Perse, qui l’épargna
d’énergie ; dans le creux, la masse pourtant et en fit son conseiller et ami.
d’eau est aussi effondrée que le mo- C’est la richesse de Crésus que la postérité a retenue et qui est devenue le
ral de celui qui est dépressif. symbole d’une très grande fortune.

72 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

de sa taille, permet de vider rapide-


Q Tailler des croupières
Q Un croque-mort ment un récipient ou de servir vite fait
Mettre en difficulté, dans de grandes louchées de nourriture.
Un employé des pompes
l’embarras – Faire obstacle à C’est tout simplement de là que
funèbres chargé de mettre
des projets. viendrait la notion de rapidité (le
les morts en bière et de les
récipient vidé en deux coups seule-
La croupière est une longe reliée à transporter au cimetière.
ment) associée à notre locution qui
la selle d’un cheval, qui passe sur sa
Le mot croque-mort date de serait née dans le milieu militaire ou
croupe (d’où le nom), puis sous sa
l’époque où la personne chargée carcéral (le service rapide du rata des
queue et qui est destinée à empêcher
de mettre en bière un défunt s’assu- bidasses ou des prisonniers).
la selle de remonter vers le garrot.
rait que le mort était bien passé de L’absence de difficulté sous-entend
Au XVIIe siècle, à une époque où les
vie à trépas en lui mordant un gros parfois l’intervention d’un facteur
blindés n’existaient pas encore et
orteil. Si le mort réagissait, on lui chance, qu’on retrouve aussi dans
où le cheval était le seul véhicule
donnait alors une seconde chance avoir du pot.
de combat, tailler des croupières
dans le monde des vivants. Dans Une autre origine quelquefois pro-
signifiait « combattre rudement »
le cas contraire, son sort et le cer- posée viendrait de la marine à voiles,
et « mettre en fuite », par allusion
cueil étaient scellés. Celui qui « cro- la « cuillère à pot » étant un sabre
aux cavaliers qui galopaient suffi-
quait » ainsi un mort ne pouvait d’abordage muni d’une coquille en
samment près des ennemis en fuite
donc qu’être appelé un « croque- forme de cuillère destinée à protéger
pour, de coups d’épée ou de lance,
mort ». la main.
couper leurs croupières et, ainsi, les
Voilà une origine parfaitement
déstabiliser et provoquer leur chute.
C’est des difficultés ainsi occasion-
compréhensible, universellement Q Né avec une cuillère
nées à l’ennemi que, par extension,
répandue et complètement fausse. d’argent dans la
l’expression a pris ses significations
Ce mot date en réalité de 1788, bouche
soit juste avant la prise de la
actuelles. Ne pas avoir de soucis
Bastille.
pécuniaires à se faire pour
Il contient deux parties : le mort
Q Tant va la cruche dont le sens est parfaitement clair
son avenir, dès la naissance.
à l’eau qu’à la fin elle et qui ne donne lieu à aucune in- Cette expression, dont la date d’ap-
se casse/brise terprétation particulière, et croque parition en France n’est pas précise,
Ce qu’on utilise trop souvent qui, ici, ne signifie nullement que est une traduction littérale de la
finit par ne plus pouvoir servir – le mort se fait mordre, mais plus version anglaise born with a silver
On finit toujours par subir les simplement qu’il disparaît. spoon in his mouth dont la première
mauvaises conséquences d’un En effet, le croque-mort fait dispa- attestation en Angleterre se trou-
danger auquel on s’expose trop raître le mort, d’abord en l’enfer- verait dans une traduction de Don
souvent. mant dans son cercueil, puis en le Quichotte de Cervantès parue en
mettant sous terre, le verbe croquer 1712.
La cruche est ici un récipient, en gé-
ayant ici le sens figuré de « faire Aux États-Unis, elle apparaît en 1780
néral en terre cuite, servant à contenir
disparaître », signification qu’on dans un des volumes de l’Adams Fa-
des liquides divers, dont de l’eau. Un
retrouve en partie dans croquer un mily Correspondence.
tel récipient n’a pas une durée de vie
héritage, par exemple, pour dire Si les cuillères ont d’abord été en
infinie et, à force de l’utiliser, il finit
« dilapider », mais aussi « faire dis- bois, elles ont ensuite été principale-
bien par arriver un moment où il se
paraître » très stupidement. ment fabriquées en étain. Mais, dans
casse, soit par usure soit plus souvent
les familles riches, il était de tradition
par maladresse de son utilisateur.
que le parrain offre à son filleul une
L’image est donc facile à comprendre.
cuillère en argent au moment de son
Elle semble naître au XIIIe siècle où on Q En deux coups de baptême, ce métal étant bien sûr
la trouve sous la forme tant va le pot cuillère à pot une matière beaucoup plus noble et
au puits qu’il casse. Puis, dans le Ro-
Très rapidement, sans chère que l’étain.
man de Renart on trouve tant va pot
difficulté apparente. Cet objet était donc un symbole
à l’eau que brise.
prouvant à la fois que le bébé était
La métaphore dite autrement, moins Cette expression semble apparaître
né dans une famille très aisée et qu’il
on prend de risques, moins on s’ex- juste avant la guerre de 14-18.
n’aurait donc probablement pas de
pose au danger, et moins on a de La « cuillère à pot » n’est jamais
soucis financiers dans le futur.
chances d’en être la victime. qu’une grosse louche qui, en raison

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 73
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

de près pour l’empêcher d’agir


Q Se croire sorti Q Avoir du cul/du pot/ librement.
de la cuisse de Jupiter du bol L’expression familière le marquage
Se prendre pour quelqu’un de Avoir de la chance. à la culotte s’est ensuite spécialisée
remarquable, d’exceptionnel. dans le foot, là où onze gusses pla-
En argot, depuis 1960 (semble-t-il),
Être imbu de soi-même. cés sur un terrain doivent en per-
le cul, c’est aussi la « chance » et pas
manence en surveiller de près onze
Dionysos, futur du dieu du vin, est seulement la partie postérieure et
autres pour les empêcher de venir
né d’une aventure extraconjugale de charnue d’un être humain.
leur marquer un but, la culotte étant
Zeus avec Sémélé. Or, il se trouve que, toujours en ar-
ici le short et symbolisant le joueur
La troisième femme de Zeus, Héra, got, pot et bol sont deux termes qui,
marqué par son adversaire.
horriblement jalouse de constater depuis la fin du XIXe siècle, désignent
Par extension, marquer à la culotte
la grossesse de Sémélé, lui préten- à la fois l’orifice servant à évacuer
désigne une surveillance ou un
dit que Zeus n’était en réalité qu’un les déchets produits par notre usine
suivi de près, dans n’importe quelle
horrible monstre. Sémélé supplia intestinale, à savoir l’anus, mais aussi
activité, souvent afin de ne pas
alors son amant de se laisser voir nu, ce qui l’entoure, le cul ou postérieur.
être distancé ou de ne pas se faire
dans toute sa puissance, pour véri- Alors, on comprend très vite pour-
supplanter.
fier les dires d’Héra. quoi avoir du cul, avoir du pot et
Mais Sémélé, qui n’était qu’une avoir du bol ont exactement la
pauvre mortelle, ne supporta pas la même signification.
Q Porter la culotte
vue des éclairs entourant son amant On peut aussi dire avoir de la veine, Assumer le rôle de l’homme
et se mit à brûler comme une torche. mais c’est une autre histoire. dans un couple.
Zeus arriva à extraire le petit Diony-
L’homme dirigeant le ménage et
sos du ventre de sa mère, bien avant Q Marquer à la culotte étant en partie vêtu d’une culotte,
le terme de la gestation, puis enfer-
Surveiller/suivre de très près. porter la culotte s’est donc très
ma l’enfant à l’intérieur de sa propre
naturellement dit de celui qui avait
cuisse pour le protéger jusqu’au jour C’est du monde du ballon rond, au-
l’autorité dans le couple.
prévu pour la naissance. trement dit du football, que nous
Mais comme il faut toujours des ex-
L’expression ne conserve de cette vient cette expression.
ceptions pour confirmer la règle, il
histoire que la supériorité des dieux, À l’origine, à partir de 1920 et dans
y a aussi des couples dans lesquels
celui qui « se croit sorti de la cuisse les sports d’équipe en général,
c’est la femme qui dirige, qui mène
de Jupiter » ayant tendance à se marquer un joueur, c’était en
tout son monde à la baguette.
prendre pour un dieu vivant. surveiller les mouvements, le serrer
Et, en réalité, c’est uniquement dans
ce cas que l’expression apparue au
XVIIIe siècle s’emploie, lorsqu’on dit de
Q Avoir le cul bordé de nouilles la femme qu’elle porte la culotte, vê-
Avoir beaucoup de chance. tement ici considéré comme le sym-
bole de l’autorité masculine au foyer.
Avoir de la chance, c’est avoir du bol ou, plus trivialement, avoir du cul.
On disait aussi porter le pantalon ou
L’ajout des nouilles est apparu de manière certaine vers 1950 en liaison avec
porter les braies, les braies étant, se-
des activités sportives.
lon le TLFi un « vêtement en forme
Mais l’expression elle-même serait née plus tôt, dès les années 30,
de culotte ou de caleçon, ajusté ou
à Marseille, dans le pays de l’exagération chronique, proche de l’Italie,
flottant, porté par plusieurs peuples
celui des consommateurs de pâtes. Alors qu’il désignait un chanceux (« il a
de l’Antiquité et encore en usage
du cul ! »), un amateur de galéjades aurait ajouté cette hyperbole « nouil-
dans les campagnes au Moyen
lesque » qui en aurait fait le succès.
Âge ».
Une autre explication a été toutefois proposée, liée à des relations homo-
sexuelles : de telles mœurs pratiquées sans modération peuvent avoir tendance
à provoquer des hémorroïdes qui peuvent être comparées à des nouilles.
Q N’en avoir cure
Cela dit, il ne faut pas oublier aussi qu’en argot la nouille désigne le pénis. Ne pas s’en soucier. S’en
De là à imaginer que dans le même genre de milieu, celui qui a le cul bordé moquer.
de nouilles est celui sur lequel tout le monde « passe », augmentant ainsi
Le mot cure date du milieu du
sa « chance », il n’y a qu’un petit pas qui pourrait être vite franchi, ce que
XIe siècle, et vient du latin cura à l’ori-
je m’abstiendrais de faire, en l’absence de sources dignes de foi sur ce sujet.
gine indéterminée.
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74 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Si, depuis le début, il a le sens de « sou- Q Crever/Avoir la dalle s’envolant à la chasse aux pilotes
ci », il a eu aussi d’autres acceptions allemands partaient « à la curée »
Avoir (très) faim.
comme « charge » ou « direction » (terme venu de la chasse à courre),
dans le monde des administrations ou Ce n’est qu’à partir du XVIe siècle que donc se ruaient sur eux. Or, comme
bien « soin » ou « traitement » dans le mot dalle prend le sens qu’on lui ils ne volaient que par beau temps,
le milieu médical. Il a aussi longtemps connaît aujourd’hui, à savoir une ce dernier était devenu synonyme de
désigné un « souci amoureux ». table ou une plaque de pierre. temps de curée, mais on ne trouve
Mais en dehors de sa spécialisa- Mais auparavant, au XIVe siècle, il cette forme dans aucun ouvrage
tion médicale encore en usage au- avait le sens de rigole, gouttière, datant de la première moitié du
jourd’hui, son sens initial de « sou- évier, auge ou bassin. Il est emprunté XXe siècle.
ci » ne survit plus que dans notre à l’ancien normand daela, de même
expression qui date également du sens. Et c’est à partir de cette ac- Q Au grand dam
XIe siècle, à une époque où la forme ception qu’au XVe siècle, le mot, (de quelqu’un)
positive avoir cure de… existait aussi. en version argotique, a désigné le
Au grand désavantage, au
gosier, cette « rigole » par laquelle
détriment (de quelqu’un) –
Q Virer sa cuti passent les boissons et les aliments,
Au grand regret ou désespoir
sens qui a donné aussi les expressions
Changer complètement de (de quelqu’un).
se rincer la dalle ou avoir la dalle en
comportement ou d’opinion –
pente (qu’il ne faut pas confondre Vous êtes très nombreux à prononcer
Basculer de l’hétérosexualité
avec notre avoir la dalle). dam comme dame, là où normale-
à l’homosexualité ou
Avoir la dalle date de 1960, semble- ment il faudrait plutôt le dire comme
inversement.
t-il (chez Auguste Le Breton). C’est dent, prononciation officielle, mais
Parce qu’il a été imposé en France une atténuation de crever la dalle, comme la première semble mainte-
chez les jeunes enfants et les ado- qui date de la même époque et qui nant admise…
lescents de 1949 à 2007 pour lutter est un mélange de crever de faim Dam, qui existe depuis l’an 842,
contre la tuberculose, le vaccin BCG avec cette fameuse dalle sur laquelle vient du latin damnum qui voulait
(vaccin Bilié de Calmette et Guérin) glissent les aliments. dire « dommage » ou « préjudice »
est connu de la plupart des lecteurs et était principalement utilisé dans
de ces pages. Q Il fait un temps un contexte juridique.
Et ces mêmes lecteurs connaissent de curé Tout en gardant le sens latin, dam
aussi très bien le rituel annuel de la est ensuite devenu damage vers
Il fait un temps superbe –
cuti (abréviation de cuti-réaction), 1080, puis domage et dommage
La mer est très calme.
cette injection locale de tubercu- vers 1160.
line qui est un moyen de vérifier, On trouve deux origines à cette ex- Dam s’est complètement effacé de-
quelques jours après l’injection, si pression, l’une venant de la mer, vant dommage au XVIe siècle pour
le sujet est immunisé ou non contre l’autre des airs. n’être plus utilisé que dans notre
le bacille de Koch, responsable de La première a été fournie par un curé expression.
la tuberculose ; la confirmation est d’Ouessant qui donne l’explication Une dérive récente fait que cette
faite lorsque la cuti « vire », c’est-à- suivante : « C’est une déformation expression est maintenant aussi em-
dire provoque une large rougeur. de “temps à curer”, celui-ci étant ployée avec le second sens proposé,
C’est ce changement d’état im- le temps convenable pour curer le peut-être parce qu’on a des regrets
portant de la cuti, son virage, fond du port, c’est-à-dire y passer de ce qu’on a perdu lorsqu’on a subi
passage d’une injection discrète la drague, opération qui ne peut un préjudice.
à une rougeur marquée, qui, dès être menée à bien que par temps
le milieu du XXe siècle, a donné calme ! » Voilà une explication qui Q Trouver son chemin
naissance à notre métaphore tient bien la route, et même la mer, de Damas
avec le premier sens proposé, surtout qu’elle est très calme.
Se convertir à une doctrine
d’abord appliqué à quelqu’un Mais pour les aviateurs, cette expres-
(après l’avoir combattue) –
qui changeait complètement de sion est incorrecte. Ils prétendent
Trouver sa voie.
convictions politiques. qu’il faudrait en réalité l’écrire un
Le second est plus récent. Et, tou- temps de curée. Car d’après eux, Saul, qui vivait à l’époque de Jésus,
jours dans le domaine sexuel, on elle viendrait de la Première Guerre avait pour passe-temps favori de per-
emploie aussi parfois l’expression à mondiale, aux balbutiements de sécuter les chrétiens avec beaucoup
la place de « perdre sa virginité ». l’aviation militaire, lorsque les pilotes d’ardeur. Alors que, peu d’années
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 75
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
après la crucifixion du Christ, il allait Q Le tonneau second est à comparer à la dénomi-
à Damas en mission pour faire prison- des Danaïdes nation de panier percé qu’on affecte
niers les chrétiens et les ramener à Jé- à une personne trop dépensière.
Une tâche sans fin, un travail
rusalem, il eut soudain la vision d’une
à recommencer sans cesse –
lumière venue du ciel ; il entendit une
Un compte en banque
Q Une épée de Damoclès
voix lui dire « Saül, Saül, pourquoi me
constamment vidé de son Un péril imminent et constant.
persécutes-tu ? » et demanda : « Qui
contenu par quelqu’un Un danger qui plane sur
es-tu seigneur ? » Et la voix répondit :
de très dépensier. quelqu’un.
« Je suis Jésus que tu persécutes. »
C’est là, sur le chemin de Damas, L’histoire à l’origine de l’expression À la fin du Ve siècle av. J.-C.,
que Saul, qui pendant trois jours renvoie à la mythologie grecque. Damoclès était un courtisan de
fut privé de la vue, de boisson et Deux frères, Égyptos et Danaos, ont Denys l’Ancien, tyran de Syracuse.
de nourriture, eut la révélation qui eu l’un cinquante garçons, le second Au cours d’un banquet, alors que
provoqua sa conversion et fit de lui cinquante filles. À la suite d’une que- Damoclès lui disait combien il enviait
un prêcheur convaincu que Jésus relle avec son frère, Danaos fuit avec sa son pouvoir et sa richesse, Denys
était bien le fils de Dieu. Tellement nombreuse progéniture en Argolide. chercha à le convaincre que la vie
convaincu, même, qu’il devint égale- Une fois arrivés, ils sont rejoints par d’un tyran n’était pas aussi agréable
ment un apôtre sous le nom de Paul. les fils d’Égyptos, qui demandent qu’il le croyait.
leurs cousines en mariage. Il fit alors asseoir Damoclès sur son
Q Que dalle Le père fait semblant d’accepter trône, prit son épée, arracha un crin
mais demande à chacune de ses de la queue de son cheval, y attacha
Rien du tout.
filles de tuer son époux lors de la l’épée et la suspendit, la pointe en
Cette expression est généralement nuit de noces. Toutes acceptent, bas au-dessus de la tête de son hôte
précédée de verbes comme valoir, sauf Hypermnestre mariée à Lyn- en lui disant : « Profite bien mainte-
ne trouver, ne comprendre… cée qui, plus tard, se chargera de nant de ce banquet et amuse-toi ! Tu
Le mot dalle est ici une déformation trucider son beau-père et ses qua- vas rester à ma place jusqu’à sa fin
du mot dail, attestée par l’ancienne rante-neuf cousines entre-temps et je te garantis que tu ne verras plus
version de l’expression donnée par remariées. Compte tenu de leur mé- les choses de la même manière. »
Gaston Esnault, que le dail, devenue fait, ces dames ne pouvaient qu’être Effectivement, Damoclès, dont la vie
ensuite que dal. Il ne nous reste donc envoyées en enfer. Et c’est dans ce ne tenait plus qu’à un crin, eut un
plus qu’à savoir quelle est l’origine charmant lieu de villégiature que, en peu de mal à bien profiter de la suite
de ce dail. Mais là, nos lexicographes guise de punition, on leur confia la du banquet.
distingués s’entredéchirent. mission de remplir sans fin un ton- C’est de cette histoire antique où
C’est pourquoi je retiendrais l’expli- neau au fond percé. Damoclès sentait continuellement
cation de Claude Duneton : selon Cette expression est apparue au un danger planer sur sa tête qu’est
lui, dail est tout simplement issu du XVIIIe siècle. née notre expression.
romani, langue tsigane, dans lequel Si son premier sens est évident,
ce mot veut dire « rien du tout ». compte tenu de la fin de l’histoire, le Q Entretenir une
danseuse
Entretenir une maîtresse
Q Se rincer la dalle – Avoir la dalle en pente coûteuse – Consacrer par
Boire – Boire souvent (de l’alcool). plaisir beaucoup d’argent à
quelque chose ou quelqu’un.
Au XIVe siècle, dalle est emprunté à l’ancien nordique daela qui signifie « évier
(de cuisine) », mais aussi « rigole » ou « gouttière ». Au XVIIIe siècle, les alentours des salles
Ce sont ces deux dernières significations qui, au XVe, ont donné naissance de spectacles étaient des endroits
au sens métaphorique de « gosier », ce dernier pouvant finalement n’être très fréquentés par les prostituées.
considéré que comme une rigole qui dirige le liquide vers l’estomac. Mais si la prostitution avait cours à
Malgré l’ancienneté de la métaphore, ces deux expressions ne sont nées l’extérieur, au XIXe siècle, elle s’exerçait
qu’au XIXe siècle. aussi à l’intérieur, les danseuses
À la même époque, boire se disait aussi se rincer le corridor. faisant commerce de leurs charmes
Notez que se rincer la dalle s’utilise pour n’importe quelle boisson, y compris (plus ou moins volontairement).
de l’eau la plus plate possible, et même en petite quantité, alors que avoir la Mais alors que beaucoup de dan-
dalle en pente s’applique aux grands buveurs de boissons alcoolisées. seuses se contentaient d’effectuer
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76 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
des passes, certaines des plus cotées Dauphin dont il était le gouverneur. Au XIVe, piper (qui, initialement, vou-
devenaient des maîtresses attitrées En effet, ces ouvrages destinés à être lait dire « pousser un petit cri » pour
de messieurs de la haute société lus par Louis de France au cours de une souris) signifiait, lorsqu’il était
qui s’affichaient volontiers avec leur son instruction avaient été adaptés utilisé à la chasse, « imiter le cri d’un
proie à laquelle ils offraient un lo- ou expurgés de leurs passages consi- oiseau que l’on veut attirer ».
gement et un train de vie générale- dérés comme incompatibles avec la Le sens de tromperie associé à pipe
ment plus que décents. bonne éducation qui sied à un jeune ou piper était donc déjà présent il y
Et c’est de ces dépenses d’entre- et futur monarque. a très longtemps et suffit à expliquer
tien de leur maîtresse danseuse que Mais outre l’usage premier, cette que l’adjectif pipé serve à désigner
vient notre expression dont le sens, locution, surtout au XIXe siècle, s’est un objet truqué dans le but de trom-
par extension, a évolué vers toutes aussi appliquée à des ouvrages per quelqu’un d’autre, comme le
les dépenses très, voire trop, impor- transformés pour travestir la vérité ou sont certains dés. Si cette expression
tantes consacrées à une passion. faire circuler des théories différentes s’applique bien au sens propre à des
de celles communément admises. dés, par extension, elle s’utilise aussi
Q Dare-dare Cette expression est généralement lorsqu’un protagoniste d’une affaire,
employée de manière ironique ou qu’elle soit légale ou non, sent ou
Sans le moindre délai,
péjorative. constate qu’il y a une entourloupe
tout de suite. Très vite.
quelque part, qu’un piège est tendu
Cette locution reste d’étymologie aussi ou que l’affaire est faussée à l’avance.
obscure que le mauvais côté de la farce. Q C’est de la daube !
Si elle semble apparaître au
C’est un objet ou un « L’adjectif pipé [ sert ]
XVIIe siècle, peut-être issue d’une
spectacle de mauvaise à désigner un objet
onomatopée, le Dictionnaire histo-
qualité, bon à jeter. truqué dans le but de
rique de la langue française propose tromper quelqu’un. »
l’origine possible suivante : il pour- Le daube dont il s’agit ici est
rait s’agir d’un redoublement, des- un mot d’argot utilisé à propos
tiné à en renforcer le sens, de dare d’une chose ou d’une personne Q Au débotté
tiré du verbe (se) darer voulant dire sans valeur. Il est attesté dès
Au moment où on arrive –
« s’élancer », variante dialectale de 1881 pour désigner d’abord une
À l’improviste.
(se) darder qui, au XVIe siècle, avait la « souillon de cuisine », mais sans
même signification, et qui était issu que rien ne semble indiquer l’ori- La botte est le nom de la chaussure
de dard, ancienne arme de jet. gine de ce substantif. montante qui est à l’origine de ce
Or, en général, celui qui s’élance a Mais pour que vous ne restiez pas débotté.
l’intention d’aller vite, ce qui expli- sur votre faim, on peut tout de Ce mot désigne principalement le
querait le sens de la locution. même préciser que, selon Gaston moment où le porteur de bottes les
Esnault dans son Dictionnaire ôte, où il se débotte. Donc, générale-
Q À l’usage du dauphin des argots, daube serait ici un ment, le moment où il arrive chez lui.
mot d’origine lyonnaise pour dire D’où le premier sens de l’expression
Se dit d’un texte : – expurgé
« gâté », appliqué à des fruits et qui (comme le second, d’ailleurs)
de ce qui pourrait choquer
des viandes, ce qui pourrait très date du tout début du XVIIIe siècle.
le public ; – adapté pour les
bien expliquer l’origine. Mais si en plus, quelqu’un s’ap-
besoins d’une cause.
proche de façon inattendue avant
Ici, le Dauphin est Louis de France, que le porteur de bottes ait fini de se
appelé le Grand Dauphin, lorsqu’il Q Les dés sont pipés débotter, donc pendant le débotté,
était encore l’héritier théorique on ajoute la notion de surprise que
Les dés sont truqués – Il y a
de la couronne alors que son père contient le second sens.
une tromperie quelque part.
Louis XIV régnait (Dauphin désigne Beaucoup d’ouvrages anciens uti-
le fils aîné du roi, celui qui doit Il faut savoir qu’au XIIIe siècle, une lisent aussi au débotté (du roi) non
normalement lui succéder). pipe (ou un pipet, devenu pipeau pas en tant qu’expression, mais sim-
Cette expression est la version fran- au milieu du XVIe) désignait une plement pour indiquer ce moment
çaise du latin ad usum delphini, petite flûte, mais aussi un appeau, privilégié (c’était un honneur de pou-
locution placée sur la collection d’ou- cet instrument destiné à tromper les voir y assister) où le roi quittait ses
vrages anciens latins et grecs que le oiseaux pour les attirer en imitant le chaussures ou ses bottes en présence
sévère duc de Montausier destinait au cri de leurs congénères. d’une partie de la cour.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 77
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Épuisés, les soldats arrivent à Capoue


Q Après moi le déluge ! – une des villes les plus riches et
les plus belles de l’Italie antique,
Peu m’importe ce qu’il va se
réputée pour sa douceur de vivre et
passer (après ce que j’ai fait),
ses environs très verdoyants – qu’ils
même si c’est une catastrophe.
prennent aux Romains.
Bien entendu, le déluge fait référence Hannibal décide de laisser passer la
à la catastrophe biblique qu’a été le saison froide dans ce petit paradis
Déluge, dont seul Noé est sorti vivant terrestre.
avec sa famille et tous les couples L’Offrande de Noé, tableau de Joseph Pendant ces quelques mois de
d’animaux qu’il avait pu faire monter Anton Koch (1768-1839). relâche, les guerriers se ramollissent,
à bord de son arche. perdent leur ardeur au combat, ont
On prête cette expression à Louis XV qui, parlant de son Dauphin, l’aurait beaucoup de mal à se réhabituer à
employée pour dire qu’il se moquait complètement de ce qu’il pourrait faire la discipline militaire lorsqu’il faut à
après sa disparition. nouveau se battre contre l’ennemi.
Mais on évoque plus souvent la Pompadour qui, alors que le peintre Quen- La punition ne tarde pas : les Ro-
tin de la Tour peignait son portrait, vit arriver le roi accablé d’avoir appris la mains reprennent Capoue puis la
défaite du maréchal de Soubise à Rossbach en 1757, et lui aurait dit : « Il rasent pour la punir d’avoir abrité les
ne faut point s’affliger : vous tomberiez malade ; après nous le déluge ! » Carthaginois.
Mais, malgré le manque d’attestation écrite plus ancienne, Claude Duneton Notre expression, métaphore d’ori-
dit que cette expression existait encore bien avant et qu’elle aurait été re- gine historique, laisse donc supposer
mise au goût du jour par l’astronome Maupertuis qui avait annoncé le re- que lorsqu’on a de grands desseins,
tour de la comète de Halley pour 1758, en indiquant qu’elle provoquerait un il ne faut surtout pas céder à l’appel
nouveau déluge et peut-être la fin du monde, ce qui aurait rendu certaines des sirènes de la facilité ou du plaisir
personnes très fatalistes et donc susceptibles de prononcer ce proverbe. immédiat sous peine d’échouer.

Q Avoir une dent contre


Q Le démon de midi Cette formule n’avait à l’origine au-
cun lien avec le péché de chair. Mais
quelqu’un
Tentation de la chair qui
c’est depuis la fin du XVIIe siècle que En vouloir à quelqu’un.
s’empare des êtres humains
le démon de… est la personnifica-
vers le milieu de leur vie. Il faut remonter au XIVe siècle pour
tion d’une mauvaise tentation, et
trouver les premiers usages de cette
C’est vers la quarantaine, voire la c’est probablement le remplacement
expression où on disait plutôt avoir
cinquantaine, que s’éveille principa- dans les esprits du milieu de la jour-
la dent (les dents) à (sur) quelqu’un.
lement chez les hommes la tenta- née par le milieu de la vie (« midi »
Lorsque, dans cette ancienne forme de
tion, provoquée par le « démon de de la vie), associé à l’idée du milieu
l’expression, on remplaçait la personne
midi », pulsion sexuelle souvent liée du corps, siège de l’activité sexuelle,
par une chose, la locution signifiait
aussi, au même moment de l’exis- qui a fait naître un nouveau sens
alors « être passionné par », « convoi-
tence, à l’interrogation sur l’utilité et pour l’expression biblique.
ter ardemment » ou « s’acharner sur ».
la réussite de leur vie, sur la capacité
Mais pourquoi une dent ? Pour le
à encore séduire. Q Les délices de Capoue comprendre, il suffit de savoir qu’à
Ce démon-là serait d’abord né
Le plaisir de l’immédiat, la partir du XIVe siècle, le mot dent, au
d’une erreur de traduction de la
satisfaction de l’instant sens figuré, exprimait l’agressivité ou la
Bible de l’hébreu vers le grec par
préférés à la mise en œuvre malveillance. On en imagine aisément
les Septante qui, dans un psaume
de projets sûrement plus la raison : non seulement la dent est
évoquant les fléaux capables de
profitables à terme. Le choix à la fois un symbole de dureté et de
frapper les hommes en pleine nuit
de la facilité au détriment de morsure, mais l’animal qui « montre
et ceux frappant en plein midi, au-
l’efficacité ou de la durabilité. ses dents » a un comportement agres-
raient lu shêd (« démon ») là où
sif. Ne disait-on point, d’ailleurs, ne
était en réalité écrit yâshûd (« qui Nous sommes en Campanie, en 215
faire apparaître aucune dent pour « ne
dévaste »). av. J.-C. Le grand homme de guerre
montrer aucune agressivité » ?
Cette erreur, reportée dans la Vul- carthaginois Hannibal, suivi de ses
À la même époque, une dent de lait
gate, y est devenue daemonius troupes, a péniblement traversé les
était une rancune, une animosité de
meridianus, « le démon ou diable Alpes avant de mettre la pâtée aux
longue date.
méridien ». légions romaines à Cannes.

78 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q À belles dents Mais c’est oublier l’aspect psycholo- difficile ou met plus longtemps à
gique de la chose : en effet, avoir des déclencher.
Avec un grand appétit –
dettes est un poids qu’on porte et Et c’est cette difficulté de déclenche-
Avec beaucoup d’ardeur.
qui mine partiellement le moral. Une ment qui, au figuré, a donné nais-
Cette expression date des alentours fois sa dette réglée, on s’est libéré sance à notre expression, la prise de
du XVe siècle. de ce poids et on peut alors vivre sa décision ou la compréhension de
Le qualificatif belle doit être ici com- vie avec un « enrichissement » pure- quelque chose étant comparée à un
pris comme « grand », comme on le ment moral. déclic, d’autant plus difficile à obte-
trouve, par exemple, dans une belle En réalité, ce proverbe est très mo- nir que la personne est indécise ou
somme, un beau poulet. raliste. Son existence était principa- mal-comprenante.
Elle est à rapprocher de la méta- lement là pour réguler l’économie et Dur à la détente, qui existe depuis
phore déchirer quelqu’un à belles convaincre les emprunteurs qu’ils ne le début du XIXe siècle, a supplanté
dents qui signifiait « dire des choses doivent pas oublier de rembourser dur à la desserre datant d’un siècle
très féroces sur quelqu’un ». leurs dettes. auparavant.
Le lien avec les crocs (ou les belles On en trouve la version précédente Et cette desserre, plus ancienne en-
dents) d’un animal féroce est qui s’acquitte s’enrichit dans l’édi- core dans d’autres locutions, est
évident, cet animal déchirant sa tion de 1694 du Dictionnaire de cette fois l’image de celui-ci qui serre
proie à grands coups de crocs avec l’Académie française. Autant dire précieusement son argent contre lui
beaucoup d’ardeur, comme s’il avait que cela fait longtemps qu’on es- ou de celui qui rechigne à desserrer
un grand appétit. saye de convaincre les débiteurs les cordons de sa bourse. Lors du
Et elle est à opposer à manger du qu’ils doivent impérativement rem- changement de mot, cette image
bout des dents, expression appliquée bourser leurs créanciers. d’avare est restée, malgré l’absence
à celui qui, au contraire, mange peu évidente de lien entre l’avarice et
ou peu volontiers. Q Dur/Long à la détente une arme.
Avare, qui accorde difficilement
Q Qui paye ses dettes Q Jeter son dévolu
quelque chose – Qui met du
s’enrichit temps à comprendre. Fixer son choix de façon très
Ce proverbe est une incitation déterminée.
Ceux qui sont férus d’armes savent
à ne pas laisser durer ses
que la détente est cette pièce métal- Le mot dévolu, issu du latin devol-
dettes.
lique sur laquelle l’index appuie pour vere, apparaît au XIVe siècle en tant
Voilà un bien étrange proverbe, sur- déclencher le mécanisme qui va en- qu’adjectif dans le langage juridique
tout si l’on s’arrête uniquement à voyer le chien frapper l’amorce de la avec le sens de « conféré par droit ».
l’aspect pécuniaire, car chacun sait munition. Alors, si jamais le ressort Un tout petit peu plus tard, en tant que
qu’enlever de l’argent de sa propre de ce mécanisme est trop ferme, la nom masculin, il est utilisé lorsque, à
bourse appauvrit plutôt. détente est dure et l’arme est plus cause de l’incapacité ou de l’indignité
de son possesseur, un bénéfice reli-
gieux échoit au pape qui le met alors
Q Mentir comme un arracheur de dents à disposition pour quelqu’un d’autre.
Par extension, le terme est rentré
Mentir effrontément.
dans le langage commun, avec le
Autrefois, aux débuts de la chirurgie dentaire, lorsque la seule anesthésie pos- sens de « revendication pour soi »
sible était le coup de massue, les dents cariées provoquant des douleurs insup- sans oublier le sous-entendu de spo-
portables existaient déjà. Alors pour convaincre les patients de se faire arracher liation éventuelle du possesseur ini-
leurs dents malades, les dentistes de l’époque ou « arracheurs de dents », qui tial, si la chose revendiquée n’était
exerçaient leur art sur les marchés, places publiques et foires, n’hésitaient pas à pas libre.
leur prétendre fermement que l’arrachage serait complètement indolore. D’ail- Ainsi, jeter son dévolu c’était comme
leurs, ils étaient généralement accompagnés d’un joueur de tambour qui, des jeter un filet pour attraper une proie :
roulements de son instrument, tentait de couvrir les hurlements du malheu- lorsqu’un homme jetait son dévolu
reux, histoire que les autres visiteurs alentour ne se rendent pas compte de la sur une femme, celle-ci n’était pas
torture qu’était l’arrachage. forcément libre, mais l’intention de
Ce serait donc des mensonges éhontés de ces praticiens que viendrait notre « posséder » était pourtant bien là.
expression qui, sous cette forme, date du XVIIe siècle. Mais le terme arracheur Aujourd’hui, et depuis la fin du
de dents désignait déjà un grand menteur dès la fin du siècle précédent. XVIIe siècle, jeter son dévolu, c’est
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 79
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
principalement arrêter un choix Claude Duneton, grâce aux travaux que de l’écarter (l’envoyer au diable)
définitif, parfois après de longues récents de Pierre Enckell, signale avant d’assouvir un besoin soudain
hésitations. qu’il y a longtemps, cette expression de craquer déraisonnablement pour
Mais le second sens proposé existe avait un autre sens. un achat un peu trop cher ou de
toujours, encore avec cette connota- Aux XVIe et XVIIe siècles, les textes faire une petite folie dispendieuse.
tion d’appropriation parfois abusive. où elle apparaît montrent qu’elle
signifiait « travailler humblement Q Au diable vauvert
Q Tirer le diable pour gagner raisonnablement sa
Très loin, dans un endroit
par la queue vie ». Mais en aucun cas, il n’y avait
perdu.
à ce moment-là de notion allant
Vivre avec des ressources
jusqu’à la misère ou les ressources Notre vauvert date du début du
insuffisantes. Avoir des
insuffisantes. XIXe siècle, mais son origine n’est pas
difficultés à subvenir
En revanche, dès 1690, Furetière claire.
à ses besoins.
donne notre signification actuelle Au départ, ce mot ne désigne qu’un
À cause du mystère entourant à l’expression, sens plus marqué « vert vallon » ou « val vert », le vau
l’origine de cette expression, où, cette fois, la personne n’arrive se retrouvant toujours actuellement
de nombreux lexicographes ont même plus à gagner sa vie. dans à vau-l’eau et dans par monts
tenté de l’expliquer par l’image de et par vaux.
l’homme qui, étant dans un grand Q Au diable l’avarice ! Dès le XVe siècle, faire le diable de Vau-
besoin, passe un coup de fil au vert signifiait « s’agiter beaucoup.
Formule généralement
diable pour le faire venir. Mais une Ce nom était aussi celui d’une abbaye
utilisée lorsqu’on décide
fois ce dernier présent, il décide de de Chartreux située au sud de Paris.
brutalement de faire une
repartir sans accorder d’aide. Le Elle aurait été le théâtre de manifesta-
dépense peu raisonnable.
pauvre cherche alors désespérément tions plus ou moins diaboliques.
à le retenir par ce qui lui tombe sous Cette formule s’utilise exactement Alors l’éloignement, plus les démons
la main, c’est-à-dire la queue. comme vous pourriez dire « au d’Enfer, cela suffit à créer un « diable
Une autre explication est donnée diable mes résolutions (de perdre vauvert ».
par Pierre-Marie Quitard supposant quelques kilos) ! » une fois qu’un Mais il existait également un château
« entre le diable et le pauvre homme individu pervers a déposé sous vos de Vauvert à Gentilly qui aurait servi
une lutte dans laquelle celui-ci, n’osant yeux un ballotin d’excellents choco- de repaire à des bandits redoutés, ce
attaquer de front son adversaire, lats, par exemple. qui en faisait donc un lieu malfaisant.
sans doute à cause des cornes et des En effet, l’avarice faisant partie des Il y avait aussi un Vauvert près de
griffes, le saisit par-derrière afin de sept péchés capitaux, c’est simple- Nîmes, où les protestants ont détruit
l’éloigner de son logis ». ment se donner bonne conscience un sanctuaire dédié à la Vierge.
Aujourd’hui, on emploie aussi l’ex-
pression au diable vert.
Q Faire son deuil de
Q Dieu reconnaîtra
Se résigner à la perte de quelque chose, de quelqu’un.
les siens !
Cette expression s’utilise aussi bien à propos de quelque chose ou de quelqu’un.
Formule employée chaque
Elle s’applique à la période pendant laquelle on finit par se résigner (rarement
fois que sont indifféremment
par accepter) à être privé de quelque chose ou quelqu’un de cher.
visés des coupables et des
Le mot deuil, qui dérive du latin dolus, déverbal de dolere (« souffrir »),
innocents – Formule censée
désigne, au Xe siècle, la douleur ou l’affliction que l’on éprouve lors de la
justifier une action violente
mort d’un proche.
menée de manière arbitraire.
Au XVe il désigne aussi le décès, la perte d’un être cher. Il aura également plus tard
divers sens plus ou moins figurés, tous liés à la mort ou à une grande tristesse. Cette expression, dont la forme
C’est dans la première moitié du XIXe siècle qu’apparaît notre expression qui complète est « Tuez-les tous, Dieu
ne s’applique d’abord qu’à une chose – qui peut disparaître, certes, mais qui reconnaîtra les siens ! », est généra-
ne meurt pas – avant, bien plus récemment, de s’utiliser aussi à propos d’une lement attribuée à Arnaud Amalric,
personne. abbé de Cîteaux et légat du pape
Elle marque bien la difficulté qu’il y a à accepter la perte d’une chose à la- Innocent III, et aurait été prononcée
quelle on tenait beaucoup ou d’un proche et, pour ce dernier, à se faire à le 22 juillet 1209 lors de la prise de
l’idée de ne plus jamais le voir. Béziers, dans l’Hérault.
QQQ

80 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Une fois la ville tombée, alors que de
nombreux cathares s’étaient réfugiés Q Mettre le doigt dans l’engrenage
parmi la population des véritables
Être entraîné dans un enchaînement de situations, généralement
chrétiens, lorsque la décision fut
désagréables, auquel on ne peut échapper. Se lancer
prise de tuer tous ces derniers, le ba-
imprudemment dans une action dont les conséquences seront
ron de Monfort demanda à Amalric
néfastes, sans pouvoir s’en sortir.
comment faire pour différencier les
hérétiques des bons catholiques. Et Un système d’engrenages de grande taille (dans un moulin, par exemple)
c’est là que ce dernier aurait répon- peut devenir mortel pour peu qu’une partie d’un bonhomme (un membre,
du cette phrase devenue célèbre : un vêtement) y soit happé, entraînant le reste du malheureux à se faire par-
« Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les tiellement broyer dans cette mécanique.
siens ! » C’est simplement de l’image de cet entraînement irrémédiable et non maî-
Même si elle est rattachée à un épi- trisable dans un enchaînement de situations désagréables que vient notre
sode peu glorieux de l’Histoire, la for- expression qui date du milieu du XIXe siècle.
mule à l’emporte-pièce eut un certain Le « doigt » y symbolise le début de ce qui a été entrepris à tort, sans penser
succès puisqu’on l’emploie toujours aux conséquences, à savoir que le bras et le reste du corps pouvaient être
aujourd’hui face à des actions vio- entraînés à la suite, sans échappatoire possible ; et l’« engrenage », ce méca-
lentes menées sans discernement. nisme sans âme qu’on ne peut plus arrêter, représente l’enchaînement non
maîtrisable des situations qu’il faut subir.
Q À Dieu ne plaise !
Se dit pour indiquer que l’on Il ne reste donc plus qu’à étayer un personne, complètement dépendant
ne souhaite pas que telle ou peu cette hypothèse hardie. de ce qu’elle voudra faire de nous.
telle chose se produise. Il faut savoir que le terme dinde, Mais, là encore, on suppose (ou on
depuis longtemps et au figuré, dé- espère) qu’elle aura suffisamment
La syntaxe et le sens de cette expres-
signe une jeune fille niaise par com- de discernement pour ne pas lâche-
sion peuvent paraître étranges à notre
paraison avec le caractère considéré ment profiter de la situation et dé-
époque. Mais comme elle nous vient,
comme stupide de l’animal. Or, une passer les bornes des limites.
sous une forme un peu différente, du
personne niaise se faisant aisément
XIe siècle, dans la chanson de Roland,
on ne s’en étonnera pas trop.
duper, il est logique qu’au passage Q Mon petit doigt m’a dit
au masculin, un homme niais, donc
On y trouvait en effet ne placet Deu Je l’ai appris ou entendu par
susceptible de se faire duper, soit af-
dont la traduction est à peu près une source que je ne veux
fublé du terme dindon.
« que [cela] ne plaise pas à Dieu » et pas dévoiler – Je soupçonne
Quant à farce, il suffit de confirmer
qu’il faut comprendre comme « que que tu veux me le cacher.
qu’à cette époque, on farcissait bien les
cela lui déplaise tellement qu’il ne le
dindons pour imaginer la plaisanterie. Il ne faut pas chercher bien loin pour
permette surtout pas ».
comprendre le pourquoi de cette ex-
C’est donc bien une formule que l’on
est susceptible de prononcer lors-
Q À discrétion/ pression ou plutôt, le pourquoi du
qu’on ne souhaite pas qu’une chose
À la discrétion choix du petit doigt utilisé pour in-
arrive, en espérant que, comme elle
(de quelqu’un) diquer qu’on ne veut pas désigner
sa source ou qu’on a des soupçons.
lui déplaira, Dieu fera le nécessaire Comme on le veut, autant
Si, en joignant le geste à la parole,
pour qu’elle ne se produise pas. qu’on le veut /À la disposition,
vous dites à votre enfant qu’un de vos
à la merci (de quelqu’un)
doigts vous a chuchoté à l’oreille qu’il
Q Le dindon de la farce a fait pipi dans le pot de fleurs (ou
Issu du latin discretio, le nom appa-
La victime d’une tromperie, raît au XIIe siècle, et a déjà plusieurs toute autre bêtise faite avec témoins
d’une moquerie, et qui fait acceptions. Et parmi elles, c’est rapporteurs), ce n’est naturellement
généralement la risée de tout celle de « discernement » qui nous pas le pouce que vous allez tenter de
le monde. intéresse ici. faire entrer au début de votre conduit
Dans la première expression, à auditif, mais le petit doigt.
Un dindon, ça se fait plumer, donc
discrétion, on observe la notion de En effet, par sa taille, ce doigt, très
au sens argotique, il se fait duper. Et
volonté et on imagine que la volonté justement nommé l’auriculaire, est
comme il se sert souvent farci, il aura
s’accompagne de discernement. celui qui est le plus adapté pour ser-
suffi d’un peu d’humour pour acco-
Dans la seconde, à la discrétion de vir de délateur imaginaire dans le
ler au volatile cette histoire de farce.
quelqu’un, on est sous la coupe de la creux de l’oreille.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 81
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Qui dort dîne un goût infâme et une tendance à utilise l’expression couler des jours
coller entre elles. heureux.
Le sommeil fait oublier la
Pour contrer ces désagréments, les Ainsi, une vie est bien du temps qui
faim. Le sommeil tient lieu de
pharmaciens de l’époque avaient passe, qui s’écoule. Or il se trouve
nourriture.
pour habitude d’utiliser une pratique que notre expression, apparue au
Voilà une expression intéressante décrite au XVIIe siècle : ils enrobaient XIXe siècle, est simplement une forme
pour les variantes sur son origine. ces choses d’une couche de sucre elliptique de couler une vie douce
D’un côté, nous avons une foulti- ou, pour certains, d’une fine pellicule (philosophie que nos amis italiens
tude au carré de sites Web qui af- d’argent, voire d’or. ont exprimé sous la forme dolce vita
firment qu’elle vient du Moyen Âge Il va de soi que, avec ce dernier type ou « vie douce »).
où le voyageur qui voulait dormir de revêtement, le prix du médica- Quant au qualificatif doux appliqué
dans une auberge était contraint ment montait alors en flèche. Mais à une vie vécue sans soucis et me-
également d’y dîner, sous peine de dans tous les cas, la pilule était alors née sans efforts, il vient bien sûr en
se voir refuser le gîte. autrement moins dure à avaler. opposition à la vie dure que mènent
D’un autre côté, nous avons Alain C’est ainsi que, par métaphore, do- des travailleurs qui triment pour sub-
Rey, éminent linguiste, qui passe rer la pilule est devenu une manière venir à leurs besoins et qui ont rare-
entièrement cette hypothèse sous de présenter sous un jour favorable ment l’occasion de mettre les doigts
silence et nous apprend que ce pro- une chose peu agréable. de pied en éventail comme ceux qui
verbe vient de l’ancienne pensée : Sous sa forme pronominale, se dorer se la coulent douce.
« Le sommeil nourrit celui qui n’a la pilule apparu au début du XXe siècle
pas de quoi manger », exprimée par voulait logiquement dire « se faire des Q Des mesures/lois
le Grec Ménandre. illusions », mais, depuis les années draconiennes
Notez que même si Ménandre a bien 80, cette expression est devenue
Des mesures/lois d’une
émis cette pensée, rien n’empêche synonyme de « se faire bronzer ».
extrême ou excessive sévérité.
que les aubergistes d’autrefois aient
pratiqué la vente forcée. Les deux Q Se la couler douce Savez-vous qui était Dracon ? Cet
explications ne sont donc pas forcé- Athénien vivait au VIIe siècle av. J.-C.
Vivre sans souci et sans
ment incompatibles. Son nom, drakôn en grec, signifie
efforts.
« dragon », sans lien avec son appa-
Q Dorer la pilule Si la bière coule parfois à flots et l’eau rence ou ses capacités…
s’écoule des montagnes, les verbes Ce législateur créa un code de lois
Présenter sous une apparence
couler et s’écouler ne s’appliquent extrêmement sévères où presque
trompeuse, trop favorable.
pas qu’aux liquides et autres flux ; ils tous les délits, même minimes,
Autrefois, les pilules étaient directe- ont aussi une acception temporelle, étaient punis de la peine de mort,
ment fabriquées par les apothicaires, puisque depuis le XVe siècle, on dit que quelle que soit la couche de la so-
mais elles avaient deux gros défauts : le temps s’écoule et depuis le XVIIe on ciété à laquelle le fautif appartenait.
QQQ

Q Le dos au feu et le ventre à table


Confortablement installé pour un repas
(généralement copieux) – En prenant ses aises.
Voilà une expression tombée en désuétude dont le
sens est un peu variable selon les dates et auteurs,
mais avec une image pourtant constante de confort
et de plaisir.
En effet, être assis près de l’âtre, le dos chauffé par le
feu qui consume les bûches indique déjà une situation
confortable. Si on y ajoute le ventre contre la table que
l’on suppose couverte de victuailles, que demander de
plus pour profiter pleinement du moment ?
Cette expression semble dater du XVIe siècle, et on en
trouve des significations plus ou moins variées au fil du Pause déjeuner dans une auberge, aquarelle de George Goodwin
Kilburne (1839-1924).
temps ou des ouvrages.

82 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

C’était de sa part une tentative pour La première fait simplement le rap- Q Péter une durite
éliminer la justice et les vengeances prochement avec un ancien jeu
Craquer, devenir fou, enrager
privées et les remplacer par une jus- d’enfants où ils devaient attraper
brutalement. Commettre
tice étatique, dont les lois étaient une friandise suspendue à un fil.
soudainement des actes
écrites, une autre avancée, car elles Celui qui tenait le fil et le soulevait
incompréhensibles.
pouvaient donc être portées à la selon son bon vouloir pour empê-
connaissance de tous. cher les marmots d’attraper trop fa- La durite est l’un de ces nombreux
Mais leur rigueur et leur excessive cilement le bonbon avait sur eux une tubes ou tuyaux en caoutchouc qu’on
sévérité, dont l’Histoire s’est souve- certaine forme de pouvoir. trouve sur un moteur, destiné à ache-
nue, a suffi, à la fin du XVIIIe siècle, La seconde vient aussi d’une friandise, miner un liquide (de refroidissement,
pour transformer le nom de leur mais destinée aux chevaux, cette fois. huile, essence…) d’un point à un
auteur en qualificatif pour désigner La dragée était une botte de four- autre du moteur. Si le phénomène
des choses, et pas seulement des rage vert, mélange de froment et est maintenant rare dans nos moteurs
mesures ou une loi, à la sévérité très de sarrasin, gourmandise dont raf- modernes où il n’est plus question de
importante, voire disproportionnée. folaient ces équidés mais dont ils ne plonger soi-même, ce genre de tube
devaient pas abuser. avait autrefois la fâcheuse manie de
Q À l’eau de rose Pour dresser le cheval et lui ap- pouvoir se déchirer ou bien de se dé-
prendre à maîtriser sa gloutonnerie, tacher à une extrémité. Dans ce cas,
Mièvre, fade, insipide,
ces dragées étaient placées haut il pouvait s’ensuivre des choses très
sentimental (en parlant
dans son râtelier, hors de sa portée. problématiques, comme un moteur
généralement d’un livre
Et on ne lui en distribuait ensuite qui rend ou qui prend feu.
ou d’un film).
qu’avec parcimonie. Autrement dit, les conséquences
Qui n’a pas lu un livre de la collection d’une durite qui lâche (qui pète, en
« Harlequin » ne sait pas forcément argot) pouvaient être graves.
ce qu’est un véritable roman « à
Q Dans de beaux draps Maintenant, si vous prenez un bon-
l’eau de rose », rempli de clichés, de Dans une mauvaise homme qui devient enragé ou fou,
situations sans réelle surprise ou de situation. la conséquence de ses actes peut
sentiments très conventionnels. aussi être très grave.
Au XVIIIe siècle, on disait dans de
L’eau de rose, d’abord nommée « eau C’est donc par simple comparaison
beaux draps blancs pour dire
rose » au XVe siècle, puis « eau de avec la gravité potentielle de la perte
« montré avec tous ses défauts ».
rose » au XVIe, s’obtient en distillant des complète de self-control de la part
Au Moyen Âge, les draps dési-
pétales de rose. d’un péquin lambda que cette ex-
gnaient les vêtements.
Alain Rey situe l’apparition probable pression est née au XXe siècle.
Et si le blanc est bien pour nous
de l’expression vers la fin du XIXe siècle,
un symbole de propreté, de pu-
mais on trouve plusieurs ouvrages qui
reté ou d’innocence, les habits
Q De joyeux drilles
l’emploient vers le début du même
blancs ont longtemps servi à vêtir De joyeux et sympathiques
siècle (en 1826 ou 1833, par exemple).
les gens qui avaient commis cer- compagnons.
Quant à savoir pourquoi l’eau de rose
taines fautes.
est devenue un symbole de mièvre- Le mot drille, dont l’étymologie est
Autrement dit, les gens qui de-
rie, on suppose que c’est simplement controversée, apparaît en 1628 dans
vaient se vêtir de blanc étaient en
parce que la couleur rose était asso- l’argot militaire. Il désigne d’abord
général dans une situation peu
ciée à la féminité, donc indirecte- un soldat vagabond, un soudard qui
enviable.
ment aux bons sentiments, avec une ne se prive pas de se fournir en bois-
Cet ancien usage du vêtement
connotation péjorative. son et nourriture, plus ou moins de
blanc et l’idée du linceul, sorte de
force, chez l’habitant.
drap blanc dans lequel on ne se
Q Tenir la dragée haute trouve que si on est dans une très
Probablement parce que ces
(à quelqu’un) fâcheuse situation, le tout mêlé
« drilles » étaient souvent des fê-
tards, qu’ils étaient entre eux de bons
Faire longtemps attendre à un brin d’ironie, peuvent expli-
compagnons qui se soutenaient aus-
quelqu’un avant d’accéder à quer à la fois l’usage du beau et la
si bien dans leurs mauvaises actions
sa demande pour lui signifier gravité de la situation qu’indique
que dans leurs beuveries et autres
le pouvoir que l’on a sur lui. maintenant l’expression.
orgies, il en est resté, malgré le côté
On dit aussi, mais c’est plus
Cette expression date du XVIIIe siècle. négatif initial de leur comportement,
logique pour nous, être dans de
Deux écoles s’affrontent quant à une image de camaraderie qui a per-
mauvais (ou sales) draps.
son origine. duré jusqu’à maintenant.
QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 83
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
On a eu autrefois les bons drilles et ses passions comme la chaleur ex- Et si ces différents sens anciens se
les mauvais drilles, mais il ne nous cessive du vin est tempérée par le sont perdus depuis longtemps, les
reste plus maintenant que les joyeux meslange de l’eau » et Oudin, vingt locutions sont restées.
drilles, à peu près synonyme de ans plus tard, en disait « se modérer, La forme actuelle de l’expression date
joyeux lurons, et, plus rarement, les passer sa colère ». du XVIIe siècle. Mais au XVe, plutôt que
vieux drilles, syntagme plus spéciali- Alors que ce soit autrefois ou mainte- « il l’échappa belle », on disait « il
sé pour désigner des libertins. nant, dans cette expression il est tou- belle l’eschappa », belle ayant alors
jours question de modération, celle la signification de « bien » avec un
Q Dans les mêmes eaux – avec laquelle il est bon de boire de sous-entendu de soulagement dû à la
Dans ces eaux-là cette boisson alcoolisée issue du raisin. proximité du danger évité de justesse.
Le Grand Robert indique qu’au jeu de
(À peu près) de la même
paume, l’échapper belle voulait dire
valeur, quantité ou qualité – Q Nager entre deux « manquer une balle bien lancée ».
Approximativement, à peu eaux
près (au même niveau).
Manœuvrer entre deux Q Des économies de
Ces expressions sont des métaphores partis, sans se compromettre. bouts de chandelle
dans lesquelles le niveau de l’eau (ou Refuser de s’engager.
Des économies dérisoires,
des eaux) est assimilé à une valeur,
Bien sûr, à notre époque, on ima- sordides.
une quantité et même aussi à une
gine aussitôt la personne qui réus-
qualité ou un genre, selon le contexte Si on se réfère à l’expression le jeu
sit à nager à mi-profondeur sans
où elles sont utilisées. Dans leur usage n’en vaut pas la chandelle, on se
se laisser entraîner vers une direc-
habituel, l’approximation est généra- rappelle qu’il fut un temps où les
tion non souhaitée par le courant
lement moins grande dans le cas de chandelles qui éclairaient les endroits
de surface ou celui plus profond.
la première expression : on est nette- sombres avaient une valeur certaine.
Il suffit qu’elle descende un peu
ment plus proche d’une égalité entre C’est pourquoi, dans les maisons
plus profondément ou bien re-
les deux choses comparées. bourgeoises, le personnel de mai-
monte un peu pour se laisser en-
Ces eaux-là trouvent aussi d’autres son avait l’habitude de rassembler
traîner par l’un ou l’autre.
utilisations comme dans être dans les restes des chandelles, le suif non
Métaphoriquement, cette nage
les mêmes eaux qui signifie « par- brûlé, et de les revendre à un cirier
s’applique à la personne qui ne
tager les mêmes opinions (que pour qu’il en refasse de nouvelles.
veut pas s’engager et qui ne fait
quelqu’un) » ou bien dans les mêmes Vue par les riches, cette récupération
donc aucun choix.
eaux qui peut aussi vouloir dire « à semblait ridicule et l’économie cor-
Mais cette expression apparue
peu de distance, dans un même en- respondante insignifiante, ce qui suf-
au XIVe siècle vient en réalité de la
droit » ; mais là, nous avons une mé- fit à expliquer le sens de l’expression,
marine. En effet, à cette époque
taphore purement marine venue des mais aussi à comprendre pourquoi
(et depuis le XIIe siècle), nager vou-
mêmes eaux où se trouvent deux elle comporte la plupart du temps
lait dire « conduire un bateau ».
bateaux très proches l’un de l’autre. une connotation de mesquinerie.
Et l’équipage qui savait « nager
Cette expression nous vient du
entre deux eaux » était celui qui
Q Mettre de l’eau arrivait à garder le cap malgré les
XVIIIe siècle, à une époque où on
dans son vin courants (les eaux, à l’époque) qui
disait aussi d’un avare que c’était un
« ménager de bouts de chandelle ».
Modérer ses exigences ou ses pouvaient l’entraîner dans une
ambitions. mauvaise direction.
Q Un écorché vif
Cette atténuation des effets ou des
Une personne d’une
qualités du vin par l’eau se retrouve
sensibilité excessive,
dans le sens figuré de cette expres- Q L’échapper belle exacerbée.
sion qui est ancienne puisqu’on en
Échapper de peu à un danger.
trouve une forme dès le milieu du On sait que écorché est un adjectif
XVIe siècle. Alain Rey nous rappelle qu’au fil du qui désigne un être dépouillé de sa
Et son sens a aussi évolué car si, au- temps, beau a eu de nombreuses peau, comme un lapin avant qu’il
jourd’hui, elle s’applique principale- significations comme « opportun » ne soit consommé, par exemple.
ment aux exigences ou aux préten- dans un beau matin ou bien « qui Et pour peu que cet écorchage se
tions, en 1636, Fleury de Bellingen convient parfaitement » dans au fasse alors que l’être en question est
en donnait la signification « modérer beau milieu, par exemple. vivant, on obtient un écorché vif.
QQQ

84 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Faire l’école buissonnière


Flâner, s’occuper à d’autres activités au lieu d’aller en classe – Ne pas aller à son travail.
En 1540, on parlait d’école buissonnière pour désigner les écoles de campagne, buissonnier étant un qualificatif pour
les lieux couverts de buissons, donc, de manière générale, la campagne.
Mais Larousse donne une autre explication : « Les Réformés, pour soustraire leurs enfants à l’instruction des maîtres
catholiques, organisèrent des écoles clandestines. Elles furent interdites par un arrêt du parlement du 7 février 1554,
qui les appelait écoles buissonnières parce qu’elles se tenaient en plein air derrière les haies et les buissons. »
Pour la version figurée de l’expression attestée en 1611, les explications sont diverses.
L’expression viendrait des chemins creux et buissons qui cachaient les fuyards, mais également ceux qui s’abstiennent
d’aller à l’école.
Et c’est probablement celle-là qui est la plus proche de la réalité, si on se rappelle le sens du qualificatif buissonnier cité
au début : les gamins campagnards faisant « l’école buissonnière » allaient parfois s’amuser, mais plus souvent aider
les parents aux travaux des champs.

Alors maintenant, prenez un bon- Pareillement, un humain, après avoir rapidement qu’une seule envie, c’est
homme quelconque parfaitement vécu une expérience désagréable d’« en écraser » un maximum en
vivant et arrachez-lui la peau. dans un lieu précis ou à cause de sombrant dans un sommeil prélude
Ensuite, caressez-lui n’importe quelle quelque chose, aura une forte ten- à une belle gueule de bois.
partie du corps ainsi mise à nue, ou dance à se méfier du lieu ou de la
bien versez-y un peu de sel. Vous chose, la fois suivante. Q Mettre les écureuils
constaterez aisément que l’écorché vif Cette expression date du XIIIe siècle, à pied
hurle alors très facilement de douleur. sous la forme chat échaudé craint
Couper les arbres.
On en déduit facilement que l’écor- l’eau. Dans le Roman de Renart
ché vif est extrêmement sensible. Ce (XIIe et XIIIe siècles), on trouve aussi À première vue, lorsqu’on sait que
qui suffit, par une métaphore fina- l’échaudé craint l’eau, montrant l’expression mettre à pied veut dire
lement assez horrible, à expliquer qu’on savait déjà bien que le chat ne « congédier, licencier quelqu’un »,
qu’on dise de quelqu’un d’excessive- serait pas le seul à hésiter à affronter on est en droit de se demander où
ment sensible, qui réagit beaucoup de nouveau un supposé danger. on aurait déjà vu un écureuil subir un
trop à ce qu’il prend pour des agres- tel affront.
sions ou aux souffrances des autres, Q En écraser Toutefois, lorsqu’on connaît le sens
qu’il a une sensibilité d’écorché vif. exact de l’expression, tout s’éclaire.
Dormir profondément.
On sait bien que les écureuils sont de
Q Chat échaudé craint Bien que cette expression soit de l’ar- petits animaux qui batifolent princi-
l’eau froide got récent, du XXe siècle, son origine palement dans les arbres. Alors pour
reste très incertaine. les obliger à se mouvoir au sol « à
Se dit à propos de quelqu’un
Nous allons simplement évoquer pied », ne suffit-il pas d’abattre les
qui a subi un événement
quelques-unes des hypothèses ren- arbres où ils nichent et vivent ?
particulièrement douloureux
contrées. Voilà comment cette expression main-
et qui se méfie de tout
Selon Alain Rey, le verbe écraser tenant désuète est née au cours du
événement similaire, même
qui nous intéresse ici est peut-être XIXe siècle.
s’il n’y a pas de véritable
une évolution de l’argot écraser
raison de le craindre.
du XVIIIe siècle qui voulait dire Q Qui trop embrasse mal
L’image de cette expression est très « supprimer » (écraser un homme) : étreint
facile à comprendre. du coup, on peut dire qu’on
Qui entreprend trop de choses
Un chat qui se serait jeté dans un réci- « écrase » le sommeil en faisant un
à la fois court à l’échec.
pient d’eau brûlante sans connaître sa bon somme.
température et sans savoir l’effet très Larousse signale que écraser un On ne peut être à la fois au four
désagréable que ça lui ferait n’oserait grain voulait dire « boire du vin ». et au moulin : vouloir entamer une
même plus tremper une patte dans un Alors si jamais le en de notre expres- tâche par-ci, une autre par-là et une
récipient d’eau froide, pourtant bien sion sous-entendait « une grande troisième à côté, le tout en même
inoffensive, craignant à nouveau de quantité de grain », il va de soi que temps, risque de conduire à un
subir les mêmes désagréments. notre « écraseur de grains » n’aurait échec généralisé.
QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 85
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Nos ancêtres du XVe siècle s’en Et quand les éloges arrivent en grande goulot, pour que le contact entre
étaient déjà rendu compte, puisque, quantité, unanimement prononcés les deux soit le plus parfait possible.
à la fin du XIVe, on écrivait déjà : qui par les individus présents autour de Une fois qu’on sait cela, on est un
trop embrasse, peu étreint, le peu soi, on peut les considérer comme un peu plus à même de comprendre la
ayant vite été remplacé par mal. flot de paroles très agréables dont on métaphore de notre expression.
Le verbe embrasser qui, au XIVe siècle, aimerait qu’il ne s’arrête pas. Quand, en argot, on dit de
voulait dire « serrer dans ses bras », Or, quand un flot arrête de s’écouler, quelqu’un qu’il est « bouché », c’est
a aussi un autre sens qui est « vouloir c’est que la source est tarie. non seulement pour dire que la na-
entreprendre quelque chose, s’engager Notre expression n’est donc qu’une ture ne l’a pas trop gâté sur le plan
dans, se lancer dans quelque chose » simple métaphore qui assimile les intellectuel, mais aussi pour signifier
(Il embrasse toutes les affaires qu’on éloges nombreux (et parfois mérités) qu’il est complètement hermétique,
lui propose) ; ce qui colle très bien à la à un flot qui ne tarit pas. au sens où aucune once d’intelli-
signification de notre expression. gence ne peut y entrer.
L’autre probable raison viendrait « Éloge vient du grec Hermétique ? Étanche ? Vous ve-
d’une allusion au jeune mâle en rut eulogia qui signifiait nez de comprendre ! Le « bouché à
qui, parce qu’il se disperse en s’atta- “louange” et dans lequel l’émeri » est comparable à ce réci-
quant à plusieurs cibles féminines à on retrouve eu, “bien, pient étanche duquel rien ne peut
la fois, finit par ne jamais rien accro- bon”, et logos “paroles”. » sortir, mais dans lequel, malheureu-
cher à son tableau de chasse. sement pour l’idiot, rien ne peut
rentrer non plus.
Q Ne pas tarir d’éloges Q Bouché à l’émeri
Q Une foire d’empoigne
Faire de très nombreux éloges. Idiot, obtus, borné. Incapable
de comprendre. Un affrontement public de
Éloge vient du grec eulogia qui signifiait
plusieurs personnes qui
« louange » et dans lequel on retrouve L’émeri est un matériau très dur qui
tentent d’obtenir un objet –
eu, « bien, bon », et logos « paroles ». sert d’abrasif depuis de nombreux
Un lieu de rivalités pour
Les éloges sont donc ces compliments siècles, mais qui n’est en aucun cas
obtenir un avantage.
que tout homme normalement un produit de bouchage.
constitué aime recevoir en quantité ; ces Autrefois, pour qu’un récipient soit Le verbe empoigner contient une
félicitations qu’on aime entendre après bouché de la manière la plus étanche déformation de poing et a d’abord
un acte de bravoure ou après avoir possible, on polissait à l’émeri l’ex- signifié « saisir fortement ». Il a en-
réussi un véritable défi par exemple. térieur du bouchon et l’intérieur du suite pris le sens familier de « retenir
(ou agripper) quelqu’un ».
C’est en 1773 qu’apparaît être de la
Q Nettoyer les écuries d’Augias foire d’empoigne avec un sens au-
Mettre en place des solutions radicales pour assainir un milieu jourd’hui inattendu, mais pas éton-
corrompu ou éradiquer des pratiques abusives. nant pour l’époque, puisqu’il voulait
dire « être porté aux attouchements
Dans la mythologie grecque, Augias, roi malhonnête et corrompu, possédait
grossiers à l’égard des femmes »
plusieurs milliers de bœufs parqués dans des étables qui n’avaient pas été net-
(in TLFi).
toyées depuis plus de trente ans.
Et, peut-être parce qu’une belle
Il ordonna à Héraclès (Hercule, dans la mythologie romaine), dont ce fut l’un des
femme attise les convoitises, cette
douze travaux, de les nettoyer en une journée et lui proposa un dixième de son
même expression a pris, au cours de
troupeau en paiement de son travail.
la seconde moitié du XIXe siècle, le
Héraclès détourna le cours de deux fleuves pour leur faire traverser les étables
sens de « lutter avec d’autres pour
et, ainsi, emporter en un instant la bouse et le fumier accumulés depuis si long-
s’emparer de quelque chose ».
temps.
C’est ainsi que la foire d’empoigne
Étonné, Augias refusa de payer Héraclès qui le trucida.
est d’abord devenue un lieu où l’on
Mais pourquoi parle-t-on des « écuries » d’Augias ? Probablement parce
s’arrache des objets avant, métapho-
que le mot se rapproche de curer, qui s’utilisait autrefois à la place de net-
riquement, de désigner une situa-
toyer pour des lieux comme des étables ou pour du bétail.
tion où plusieurs personnes tentent
Si l’appellation les écuries d’Augias seule désigne bien un lieu très sale, lors-
de s’arracher un avantage, typique
qu’on les nettoie, figurément, elles deviennent des pratiques abusives ou
de ce qu’on peut trouver chez les
des personnes critiquables qu’il faut remplacer coûte que coûte.
politiques, entre autres.

86 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q À l’emporte-pièce Q Un enfant de la balle


Q Une éminence grise
D’une manière très directe. Un comédien, acteur, artiste
Une personne qui influence
D’une manière mordante, de cirque… dont les parents
discrètement les décisions
acerbe. faisaient le même métier.
prises publiquement par
d’autres. Au début du XVIIe siècle, on parlait Au XVIIe siècle, cette expression
de « cautère emporte-pièce » pour signifiait « personne exerçant la même
désigner un objet tranchant destiné profession que ses parents », sens
à être chauffé au rouge pour brûler qu’on utilise encore parfois aujourd’hui.
les tissus et cautériser les blessures. Plusieurs origines sont proposées.
Et c’est le côté tranchant qui est Selon Furetière en 1690, balle vient
important ici, car aujourd’hui, un du jeu de paume. L’« enfant de la
emporte-pièce est un instrument balle » était le fils d’un maître d’un
tranchant ayant une forme bien jeu de paume, tellement exercé mal-
précise qui permet de découper gré son jeune âge, qu’il était dange-
d’un seul coup des morceaux d’un reux de vouloir s’y mesurer.
produit plus tendre que celui dans Le Dictionnaire historique de la
lequel il est fabriqué, forme ayant les langue française, reprenant Pierre
contours de l’emporte-pièce. Guiraud, indique que la balle serait
C’est de cette faculté de trancher un de ces anciens paquets de mar-
net quelque chose qu’est née, dès chandises, enrobés d’une toile pour
le début du XVIIIe siècle, la métaphore les transporter.
François Leclerc du Tremblay, dit le père Joseph. qui assimilait l’emporte-pièce à des Enfant de la balle aurait alors d’abord
« propos mordants », notre expression désigné un « enfant » ou membre
C’est au XVIIe siècle que le mot n’étant apparue qu’au milieu du XIXe. d’une association secrète de mar-
éminence se spécialise comme Par extension, elle s’applique aussi chands itinérants ou mercerots.
un titre donné aux cardinaux (vo- pour désigner des manières brutales Enfin, Eugène Boutmy, dans son
tre Éminence) avant de désigner (« très tranchantes »), sans finesse. Dictionnaire de l’argot des typo-
simplement un porteur de la robe graphes écrit ceci :
rouge (une éminence). Q Mettre à l’encan « Ouvrier compositeur dont le père
Le cardinal de Richelieu, con- était lui-même typographe […].
Vendre au rabais ou aux
seiller fort écouté par Louis XIII, L’origine de cette expression […]
enchères des biens dont on
avait lui-même un ami de vient de ce que, avant l’invention des
ne souhaite pas réellement
longue date, un moine capucin, rouleaux, on se servait, pour encrer
se débarrasser – Proposer au
François Leclerc du Tremblay, les formes, de tampons ou balles. »
plus offrant.
également connu sous le nom
de Père Joseph : cet ami, à la fois Le mot encan n’est plus aujourd’hui Q L’enfer est pavé de
confident et conseiller, est beau- utilisé que dans la locution adver- bonnes intentions
coup intervenu dans les relations biale à l’encan précédée d’un verbe
Les meilleures dispositions
diplomatiques de la France sous dont le plus fréquent est mettre.
d’esprit, les bonnes intentions
les ordres de Richelieu. Il a égale- À l’encan signifiait « aux enchères ».
peuvent conduire aux pires
ment créé un véritable service Mais l’usage de cette locution a
résultats.
de renseignements constitué de été restreint à une vente quasiment
moines capucins. Or, ce discret forcée, lorsqu’une personne est Voilà une expression qui manifeste
conseiller qui agissait dans l’om- contrainte de mettre en vente ses un « optimisme démesuré », ne
bre du cardinal portait une robe biens, à un prix sous-évalué en rai- donnant que de faibles chances à
de bure grise. son d’un besoin urgent d’argent. certains de ceux qui sont pleins de
Il n’en a pas fallu beaucoup plus Mettre à l’encan est donc plutôt un bonne volonté.
pour qu’il soit appelé l’« émi- signe de déchéance et, pour de belles En effet, elle sous-entend qu’il y a
nence grise » de Richelieu et collections, de dispersion d’objets lon- plein de catastrophes qui sont dues
que cette appellation finisse par guement et amoureusement amassés. à des actions menées à la suite d’in-
désigner un conseiller secret, Depuis le début du XVIIe siècle, vendre tentions qui, au départ, semblaient
quelqu’un qui influence discrète- à l’encan veut aussi dire « vendre au louables. Mais pour cause d’une mau-
ment un homme public. plus offrant ». vaise réalisation ou de conséquences
QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 87
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
mal imaginées, le résultat peut être L’expression est généralement em-
catastrophique ou infernal (« l’en- Q Envers et contre ployée lorsque la promotion suit une
fer » de l’expression). tous/tout action (ou un ensemble d’actions)
Interprété autrement : gardez les brillamment réussie justifiant la ré-
En dépit de l’opposition
doigts de pieds en éventail, ne ten- compense.
générale, des nombreuses
tez surtout rien, même si vous en Ces accessoires ont, en liaison avec
résistances.
avez envie, car ça risquerait de vous la même époque, également donné
retomber dessus. Voilà un très bon Ici, envers n’est pas opposé à en- l’expression couper les éperons lors-
exemple pour les enfants ! droit. Lorsque le mot apparaît au qu’on excluait ou bannissait un che-
Ici, pavé est une métaphore an- Xe siècle, il a d’abord le sens de valier félon.
cienne pour signifier « recouvert « dans la direction de ».
complètement ». Un siècle plus tard, il signifie « à Q Ôter/Retirer une épine
Chez nous, cette expression n’est l’égard de (quelqu’un) », mais du pied
utilisée que depuis le XIXe siècle. également « contre », accep-
Délivrer d’une contrariété.
tion qu’il a conservée dans notre
Tirer d’embarras.
Q À l’envi expression qui est apparue au
XVe siècle sous la forme envers L’épine dans le pied peut en effet être
En rivalisant, avec émulation,
tous et encontre tous (on aura quelque chose de très désagréable,
à qui mieux mieux – Selon ce
aussi envers et encontre tous) alors, quand quelqu’un réussit à ex-
que chacun souhaite, désire.
qui renforce le sens de « contre traire la chose de la plante de votre
C’est au XIIe siècle que le mot envi tous » en le doublant. pied, c’est un sentiment immédiat
apparaît avec le sens de « défi au La forme actuelle date du de soulagement qui vous envahit.
jeu » ou de « provocation », en pro- XVIe siècle. C’est de cette réalité désagréable,
venance du verbe envier lui-même Celui qui agit envers et contre tous qu’au XVe siècle, l’épine au pied a pris
issu du latin invitare qui a également le fait en dépit des conseils qui lui le sens figuré de « difficulté », puis,
donné notre inviter. enjoignent de ne rien faire ou des plus tard, de « situation pénible » ou
On disait autrefois jouer à l’envi de oppositions, d’où qu’elles viennent. de « sujet d’inquiétude ».
quelqu’un lorsqu’on répondait à Ainsi, on peut défendre une opinion Lorsque l’expression apparaît sous sa
son invitation, à son défi. C’est d’ail- envers et contre tous ou bien proté- forme actuelle, au XVIe siècle, elle est un
leurs de cette participation à un défi ger quelqu’un envers et contre tous. peu plus forte qu’aujourd’hui, puisque,
qu’est née la notion de rivalité ou Le tous final désigne des hu- en 1640, Oudin écrit que il m’a tiré
d’émulation qu’on trouve dans le mains, les gens qui peuvent cher- une mauvaise épine du pied signifie
premier sens de notre locution. cher à empêcher l’acte, mais au plutôt « il m’a délivré d’une fâcheuse
Mais (presque) tout le monde ayant XXe siècle est apparue la forme affaire ou d’un grand danger ».
oublié l’origine du mot, et l’influence avec tout qui généralise l’opposi- On trouvera aussi la forme pronomi-
de l’homophone envie faisant dou- tion possible à n’importe quoi. nale se tirer une épine du pied pour
cement son œuvre, cette locution dire « surmonter une difficulté » ou
est souvent employée avec le second bien « se défaire d’un ennemi ».
sens proposé. Q Gagner ses éperons
Q Tirer/retirer son
Accéder à un statut social
Q S’envoyer en l’air épingle du jeu
supérieur. Obtenir une
Faire l’amour. situation plus élevée. Se dégager adroitement
Plus précisément, jouir. d’une situation délicate.
Si notre expression n’apparaît qu’au
Il y a belle lurette que l’extase sexuelle XIXe siècle, elle fait pourtant référence Cette expression date du XVIe siècle.
est associée à la métaphore de l’as- au Moyen Âge, lorsqu’un homme À cette époque, il existait quelques
cension vers le ciel. Est-ce qu’on ne devenait chevalier. jeux, d’enfants principalement, où
« plane » pas un peu au moment de En effet, généralement après une des épingles étaient utilisées. Mais
l’orgasme ? Et ne dit-on pas égale- action d’éclat qui le rendait digne de tirer, c’est aussi extraire, retirer,
ment monter au septième ciel ? son nouveau statut, on lui remettait, comme dans se tirer d’affaire, au
Cette forme argotique désignant le outre ses armes, une paire d’éperons, sens très proche de notre expres-
coït daterait du début du XXe siècle, symboles de sa montée en grade, élé- sion. Et le jeu n’est pas forcément
d’après Jean Lacassagne et Pierre vation à un plus haut niveau qu’on ludique : mettre quelqu’un en jeu,
Devaux dans leur Argot du milieu. retrouve dans notre métaphore. c’est le mêler à une affaire, à son
QQQ

88 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
insu ; et être en jeu, c’est être mis en de la déception de n’avoir pas dégai-
cause, être l’objet d’un débat.
Q Prendre la poudre né à temps la réplique qui tue et qui
Ce sont ces autres acceptions des
d’escampette met les rieurs de son côté, celle qui
mots qui composent l’expression S’enfuir. permet de briller en société.
qui permettent d’en comprendre ses Si Diderot a formalisé ainsi ce qu’il
Escampette est un diminutif de es-
sous-entendus lorsqu’elle n’est plus considérait comme un défaut, l’ex-
campe qui, au XVIe siècle, désignait la
seulement lue au premier degré. pression sous sa forme actuelle n’ap-
fuite, escampe étant lui-même issu du
Et puis, peut-on complètement élimi- paraît qu’au cours de la première
verbe escamper apparu au XIVe siècle
ner les connotations érotiques de cette moitié du XIXe siècle.
et synonyme vulgaire de fuir.
époque où épingle désignait le pénis ?
De nos jours, le mot escampette
Peut-être était-il important pour
n’est plus utilisé que dans cette locu-
Q Tomber/Rentrer dans
un homme en action de retirer son
tion qui date du XVIIe siècle.
l’escarcelle
épingle du jeu avant de prendre le
Quant à la poudre, on ne sait pas S’ajouter aux moyens
risque d’engrosser sa partenaire et
vraiment s’il s’agit de celle qui, en financiers (de quelqu’un).
de devoir en subir les conséquences,
explosant, provoque la fuite, ou plus
dont celles pécuniaires ? C’est chez les Italiens du XIIe siècle
probablement de la poussière du
qu’il faut partir pour trouver l’origine
chemin qu’était supposé soulever le
Q Jeter l’éponge fuyard en courant.
du mot escarcelle.
Au départ, il y a escars qui signifie
Abandonner, renoncer.
« avare », devenu ensuite scarso et
Q L’esprit de l’escalier
Les aficionados de la boxe savent parfai- d’où dérive scarsella qui désigne une
tement d’où nous vient cette expression. Le manque de repartie. bourse. Littéralement, la signification
En effet, dans ce sport, le manager de ce dernier est « petite avare » ; on
D’où vient donc cette appellation ?
du boxeur utilise une éponge (en comprend effectivement bien qu’un
Dans son ouvrage Paradoxe sur le
fait maintenant une serviette) pour, avare ait du mal à délier les cordons de
comédien écrit entre 1773 et 1778,
entre les rounds, essuyer son pou- sa bourse et que, par plaisanterie, cette
Diderot disait : « L’homme sensible
lain de la sueur et éventuellement du dernière, qu’on évite d’ouvrir à tort et à
comme moi, tout entier à ce qu’on
sang qu’il a sur le visage et le torse, travers, ait pris cette appellation.
lui objecte, perd la tête et ne se re-
et pour le rafraîchir. Et si jamais son Ensuite, au XIIIe siècle, on trouve le
trouve qu’au bas de l’escalier. »
protégé, au cours d’un round, se provençal escarcela et notre escarce-
Il voulait dire par là que si, au cours
fait massacrer sans demander grâce, le, d’abord écrite avec un seul l.
d’une conversation, on lui avait ob-
il jette sur le ring cette « éponge » Cette notion de bourse qui désigne un
jecté quelque chose, il en perdait
pour signifier l’abandon du combat. contenant d’argent s’est étendue plus
ses moyens et ce n’était qu’une fois
Cette expression est employée en tard au sens plus large de « moyens
sorti, arrivé en bas de l’escalier de
France hors du contexte de la boxe financiers » qu’on trouve dans notre
son hôte (donc trop tard), que la
depuis 1901, en traduction de l’an- expression.
réponse qu’il aurait dû faire lui venait
glais to throw up the sponge, utilisé
à l’esprit. L’escalier est ici le symbole
métaphoriquement depuis 1877. Q À bon escient
De manière appropriée. En étant
Q Passer l’éponge au courant de la situation.
Pardonner, ne plus évoquer des fautes commises. Les mots escient et sciemment sont
issus du verbe latin scire qui voulait
Nous voilà face à une belle métaphore ménagère dont la lointaine origine nous
dire « savoir ».
vient des fonds marins.
Autrement dit, tout ce qui tourne
En effet, l’éponge est d’abord un animal marin extrêmement primitif (sans
autour de ces termes indique que ce
organes). Sa capacité à absorber des liquides, tout en étant très souple, en a
que vous faites l’est en connaissance
fait un objet de pêche intensive depuis près de trois millénaires.
de cause.
L’éponge sert généralement à nettoyer quelque chose, le coup d’éponge
D’après le Dictionnaire historique
permettant d’effacer des traces plus ou moins indésirables.
de la langue française, au XIIe siècle,
Et c’est à partir de cette utilisation que, dès le début du XVIIe siècle, d’abord sous
à mon escient avait déjà le sens
la forme porter l’éponge, est née notre métaphore où l’usage virtuel d’une
de « en pleine connaissance de ce
éponge est une forme de pardon qui permet d’effacer ou d’oublier bien des
que je fais » et notre locution est
choses passées désagréables, des fautes commises ou des actes répréhensibles.
apparue au même moment avec
QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 89
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Payer en espèces
Payer en argent liquide.
De nos jours, cette expression désigne le paiement en argent liquide par op-
position aux autres moyens modernes que sont les chèques, les virements ou
les cartes bancaires, par exemple.
Espèce vient du mot species qui, en latin classique, signifiait « vue, regard »,
mais aussi « apparence, aspect ». Au XVIIe siècle, espèces a un sens très large,
puisqu’il signifie simplement « choses » et payer en espèces, c’était payer
autrement qu’avec de l’argent (faire du troc ou payer en services). Pourtant,
bien avant, dès la fin du XVe, espèce au singulier avait déjà le sens de « pièce Le Changeur d’argent et sa femme, huile sur
panneau de M. van Reymerswale, 1539.
d’or ou d’argent ».
Ensuite, un mélange des deux sens a fait que payer en espèces est devenu synonyme de payer en argent, en pièces (les
billets n’étant pas considérés) puis, plus récemment, de payer avec de l’argent, quel que soit le support dudit argent.

exactement le sens d’aujourd’hui, Q Avoir/Mettre le pied


Q Des espèces
tout en étant passée, aux XVIe à l’étrier
sonnantes et
et XVIIe siècles, par une autre
signification : « véritablement, sans
trébuchantes Être/mettre quelqu’un dans
une situation favorable à la
plaisanter » nettement moins en De la monnaie (sous forme
réussite de quelque chose.
phase avec l’origine du mot. de pièces métalliques, pas
de billets) – De l’argent Dès le XIe siècle, étrier désigne un
Q Par l’opération liquide. anneau métallique qui soutient le
du Saint-Esprit pied du cavalier.
Point n’est besoin d’être grand clerc
Et même si on ne pratique pas
Mystérieusement – pour comprendre pourquoi on parle
l’équitation, on a tous vu cette
D’une manière douteuse. d’espèces sonnantes.
image du cavalier qui, seul ou aidé
Quiconque aura déjà manipulé des
Il faut se souvenir qu’une certaine par quelqu’un s’il est novice, place
pièces de monnaie aura compris que
Marie, qui avait toutefois été préve- un de ses pieds dans l’étrier sur le
cette monnaie fait un bruit recon-
nue de ce qui l’attendait par l’ange côté de sa monture et, en prenant
naissable lorsque les pièces s’entre-
Gabriel, tomba enceinte alors que, appui dessus, s’en aide pour se his-
choquent, à la condition qu’elles ne
au grand jamais, elle n’avait fau- ser en selle.
soient pas fausses.
té, ne vivant pas encore avec son Dans cet usage, l’étrier est assimilé
Un trébuchet, au XIVe siècle, était une
Joseph. à un marchepied ou à une courte
petite balance à plateaux servant
Notre expression, apparue au dé- échelle, autant de moyens qui
pour la pesée de petits poids comme
but du XVIe siècle, est une formule permettent à quelqu’un d’atteindre
de l’or, de l’argent ou des bijoux.
du catéchisme qui est associée à la son but.
Trébuchant se disait d’une pièce
naissance miraculeuse de Jésus. Nous avons donc affaire ici à une mé-
dont on avait pu constater qu’elle
Mais une telle mésaventure arrivant ré- taphore venue du monde équestre
avait le poids requis après qu’elle a
gulièrement à des hommes, la locution et née au début de la seconde moitié
été « trébuchée », c’est-à-dire pesée
a été fréquemment et ironiquement du XVIIIe siècle.
sur un trébuchet.
utilisée pour expliquer la naissance d’un Dans la version avec avoir, la personne
C’est à partir du XVIe siècle que des
enfant dont le père n’était pas connu se débrouille par ses propres moyens,
espèces sonnantes et trébuchantes
ou qu’on ne voulait pas connaître. alors que dans celle avec mettre, elle
a été une manière plaisante de
Par extension, et à partir du est aidée par quelqu’un d’autre.
désigner de bonnes vraies pièces
XIXe siècle, toute opération dont on Mais dans les deux cas, tout comme
de monnaie avant, par extension,
ne connaît pas ou on fait semblant l’étrier est le moyen qui aide le ca-
de désigner l’argent liquide, tous
de ne pas connaître l’origine, donc valier à réussir sa montée en selle,
supports confondus, par opposition
toute opération mystérieuse ou il est ici une représentation du
aux chèques, cartes bancaires,
éventuellement douteuse, peut moyen ou de l’aide qui va guider
virements et autres moyens de
avoir été faite par l’opération du la personne vers la réussite de ce
paiement.
Saint-Esprit. qu’elle a entrepris.

90 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q D’estoc et de taille
Q De derrière les fagots
De la pointe et du tranchant
de l’épée – De toutes les Précieusement conservé – Excellent, rare, exclusif, surprenant.
manières possibles – D’une qualité exceptionnelle.
À tort et à travers.
À l’origine, au XVIIIe siècle, cette expression s’appliquait au vin, celui qu’on
L’estoc était autrefois une épée remontait de la cave où il avait été soigneusement conservé, caché derrière
longue et pointue. Par métonymie, les fagots de bois stockés pour l’hiver.
du XVe au XVIIIe siècle, le mot a désigné Ce vin de qualité étant gardé pour les grandes occasions, la locution a fini
la pointe de l’épée. par se généraliser, dans un sens figuré, à tout ce qui est d’une très grande
Quant à la taille, c’est ce qui permet- qualité, ce qui est excellent, rare ou même surprenant.
tait de trancher, de tailler, c’est-à- Certains vignerons utilisent encore aujourd’hui des fagots de sarments
dire le tranchant de l’épée. de vigne qui sont placés devant les vannes d’écoulement, à l’intérieur des
Si férir d’estoc pour « frapper de la cuves de fermentation des vins rouges.
pointe de l’épée » existe depuis le Ces fagots permettent au jus de s’écouler tout en retenant les pépins de
IXe siècle, ce n’est qu’au XVe qu’ap- raisin et autres débris qui pourraient obstruer les pompes.
paraît notre expression, employée à Dans ce cas, c’est, au sens propre, du vin de derrière les fagots que l’on
propos d’individus qui se battent en obtient.
utilisant leur épée de toutes les ma-
nières possibles, en sous-entendant
la violence et l’acharnement mis
dans le combat.
Q Un étouffe-chrétien Q Sentir le fagot
Cette expression n’est plus employée Un mets d’une consistance Être mécréant, avoir des idées
dans le langage courant. Même si épaisse, étouffante, difficile trop libres en matière de
les deux autres sens métaphoriques à avaler. religion – Plus généralement,
proposés pourraient encore l’être, s’applique à toute personne,
Le « chrétien », ici, désigne simple-
leur usage a disparu. opinion ou œuvre générant
ment un être humain comme vous
On ne la trouve donc maintenant un scandale ou inspirant de
et moi, par opposition à l’animal.
que dans des récits évoquant des la méfiance, car susceptible
Il existe certains mets, des pâtisseries
périodes anciennes où le combat à d’être condamnable.
souvent, qui, pour être délectables,
l’épée était usuel.
n’en sont pas moins parfois un peu À une lointaine époque, en
difficiles à mâcher ou à avaler. l’absence de guillotine ou de chaise
Q Ne connaître ni d’Ève électrique, il fallait bien trouver un
ni d’Adam Q Ex professo moyen, extrêmement douloureux
N’avoir jamais entendu parler si possible, de trucider celui qui
En tant que spécialiste,
de quelque chose était condamné à mort. Des grands
personne maîtrisant le sujet.
ou de quelqu’un. feux étaient constitués de bûches
À l’origine, cette locution latine avait entourées de fagots de petit bois
Qui ne connaît Adam et Ève ? Le pre-
le sens de « ouvertement ». savamment entassés de manière à
mier homme et la première femme
Ici, ex a le sens de « selon » et pro- démarrer le feu et le propager aux
créés par Dieu, à l’origine de toute
fesso est issu de profiteri qui signifie bûches placées autour du poteau
l’humanité, donc de vous et de moi.
« déclarer ouvertement » (d’ailleurs, où, attaché, le condamné devait
Ne connaître quelqu’un ni d’Ève ni
je ne me gêne pas pour profiteri que vivre ses derniers instants.
d’Adam, c’est ne pas le connaître di-
j’aime les profiteroles !). De ce fait, les personnes ainsi traitées,
rectement, ni de réputation, ni par
Si la locution a la signification qu’on peu avant de passer de vie à trépas,
personnes interposées, même pas
lui connaît aujourd’hui, sans avoir sentaient inévitablement le fagot brûlé.
par les proches de la famille, aus-
besoin de posséder un doctorat C’est de cette pratique, très ap-
si loin qu’on puisse remonter dans
quelconque (en 1620, elle a com- pliquée aux hérétiques, que notre
cette famille, y compris en allant
mencé par vouloir dire « en expo- métaphore est née au XVIe siècle,
jusqu’à Ève et Adam, nos aïeuls les
sant doctoralement »), c’est pro- d’abord utilisée pour les personnes
plus anciens.
bablement en raison de l’influence de considérées comme mécréantes
Si la date d’apparition exacte n’en
la similitude apparente entre professo avant de s’étendre à tout ce qui
est pas connue, on trouve cette ex-
et professeur. est considéré comme subversif ou
pression dès 1700.
pouvant conduire devant la justice.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 91
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Si cette comparaison coule de Q S’inscrire en faux
Q Ne pas s’en faire source, il faut aussi y voir une cer-
(une miette) taine malice, puisqu’en argot le blé
Opposer un démenti, une
dénégation.
Ne pas s’inquiéter ou se faire désigne l’argent.
de soucis – Être insouciant. Et si la métaphore paraît évidente, Lorsque le verbe inscrire appa-
on peut tout de même noter qu’au raît au XIIIe siècle, il signifie « écrire
Notre locution est simplement une
XVIIe siècle, à une époque où les gens se quelque chose pour transmettre
ellipse familière de ne pas se faire de
promenaient encore avec des espèces l’information, en conserver le
soucis.
sonnantes et trébuchantes dans des souvenir » et, plus particulièrement,
Mais on trouve aussi parfois une
bourses pendues à la ceinture, le un siècle plus tard, « noter des noms
miette accolé à l’expression. Pour-
voleur « fauchait » lorsqu’il coupait la sur un registre ».
quoi ?
bourse et l’emportait. C’est de cette dernière acception
Si la miette est, depuis le XIIe siècle,
On retrouve là un lien avec deux des que s’inscrire s’emploie maintenant
le diminutif de mie pour désigner
sens argotiques de fauché puisque ce- non pas pour dire « écrire sur soi une
d’abord les tout petits bouts qui
lui à qui on a fauché (volé) sa bourse information quelconque » comme
tombent du pain quand on le rompt,
est sans le sou (il est donc fauché). on pourrait le croire d’après le sens
puis, au XVIe siècle, par extension,
initial, ce qui ne servirait pas à grand-
de petits morceaux de n’importe
chose, mais « faire le nécessaire
quoi, le mot a également eu le « Fauché est une simple pour que son nom soit noté dans
sens de « un tout petit peu », en métaphore qui assimile une liste ». Et c’est ainsi que, de nos
rapport avec la taille moyenne d’une l’état du portemonnaie jours, on s’inscrit en fac ou sur une
véritable miette. de la personne totale- liste électorale, par exemple.
Avec cet ajout l’expression est à com- ment démunie à celui du L’expression s’inscrire en faux, qui
prendre comme « ne pas se faire de champ complètement est citée dès le début du XVIIe siècle,
soucis, même pas un tout petit peu ». fauché . » voulait alors dire « Soustenir en
Justice qu’une piece que la partie
Q Embrasser/Faire Fanny adverse produit, est fausse » (Dic-
Perdre une partie sans Q Une faim de loup tionnaire de l’Académie française,
marquer de point. 1694). C’est un peu plus tard, au
Une très grande faim.
cours du même siècle, qu’une fois
D’abord utilisée uniquement à la fin
Le loup a une place très impor- suivie de contre quelque chose, elle
d’une partie de boules, cette expres-
tante dans les contes, légendes et a également pris le sens figuré de
sion qui date du début du XXe siècle
mythologies des pays européens. « opposer un démenti » qu’on lui
s’emploie aussi plus généralement à
L’origine de notre expression est connaît aujourd’hui.
la fin d’un jeu quelconque où on n’a
facile à comprendre : la faim qui
marqué aucun point.
Dans les pays rhônalpins, Fanny était
tenaille est « dévorante », autant Q Être un fayot
que le loup est réputé dévorer ses
un panneau de bois représentant une Faire du zèle. Chercher à
proies.
femme exhibant son « popotin » et se faire bien voir de son
Cette expression, sous sa forme
que les joueurs ayant perdu la partie supérieur/enseignant.
actuelle, n’est attestée que depuis
sans rien marquer devaient embrasser.
le XIXe siècle. Ce terme de fayot est apparu dans
Mais le symbole de voracité et l’argot de la marine militaire en
Q Fauché (comme les blés) méchanceté qu’est le loup depuis 1833 pour désigner le matelot qui se
Très pauvre, ruiné. très longtemps avait fait naître des rengage.
variantes bien avant puisqu’au À cette époque, le haricot (ou fayot)
Fauché, à l’origine participe passé
XVIIe siècle, par exemple, on disait était une légumineuse très souvent
du verbe faucher, est une simple
manger comme un loup. servie au repas à bord.
métaphore qui assimile l’état du
Plus généralement, loup a une Ensuite, le marin, ne sachant rien
portemonnaie de la personne tota-
valeur intensive qu’on retrouve faire d’autre ou bien aimant réelle-
lement démunie (il n’y reste rien) à
aussi dans un froid de loup, tout ment son métier et la discipline qui
celui du champ complètement fau-
aussi glacial que celui « de ca- s’y rattache, ne faisait en général
ché (il n’en reste rien).
nard » même si le volatile n’est que se rengager dès son contrat pré-
Selon Gaston Esnault, elle date de 1877.
pas connu pour agresser les bre- cédent terminé et une opportunité
Quant à son extension avec comme
bis et les petits chaperons rouges. d’embarquement ouverte.
les blés, elle serait apparue en 1899.
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92 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
On a donc, par plaisanterie, considé- la dépensant à acheter des quantités Elle permettait, lorsqu’elle était lan-
ré qu’il revenait à bord aussi souvent de choses sans intérêt ou inutiles. cée avec suffisamment de force,
que les fayots revenaient au menu. La version de 1762 du Dictionnaire de préparer d’un seul coup une
Ce qui explique ce surnom. de l’Académie française nous signale brochette de quelques combat-
Ensuite, ce terme s’est étendu à tout qu’on disait déjà à cette époque tants ennemis lorsque ceux-ci se
militaire se rengageant, en y ajou- « un homme ne jette rien, ne jette trouvaient juste les uns derrière les
tant un soupçon de mépris. point son bien par les fenêtres » autres.
À la fin du XIXe siècle ou au début du pour dire « il ne fait point de folles La lance est donc un objet péné-
XXe, selon les sources, l’origine réelle dépenses ». trant, comme est supposée l’être
étant un peu oubliée, le fayot est Cette expression date donc proba- « la partie avancée d’un dispositif
finalement devenu, d’une manière blement de la fin du XVIIe ou du début militaire », cette dernière devant pé-
générale et dans tous les milieux, ce- du XVIIIe siècle. nétrer les lignes ennemies soit pour y
lui qui fait un peu trop de zèle, qui faire quelques dégâts préparatoires,
cherche trop à plaire à ceux qui ont soit pour préparer le terrain au reste
le pouvoir en leur manifestant une Q Croire dur comme fer des troupes.
certaine servilité. La métaphore initiale, qui ne date
Croire très fermement, sans
pourtant que du début du XXe siècle,
pouvoir être détrompé.
Q Cherchez la femme ! soit bien après l’usage des lances
On peut facilement imaginer au combat, est donc tout à fait
Cherchez celle qui est la
qu’une expression du genre croire compréhensible.
cause d’un événement
mou comme fer n’aurait pas été
fâcheux.
comprise aussi intuitivement que Q Un fesse-mathieu
Tout homme qui a suffisamment celle qui nous importe cette fois-ci.
Un usurier ou un avare.
vécu sait que, lorsqu’il y a quelque En français, fer (venu du latin fer-
part des bisbilles dans un groupe rum) désigne d’abord une épée, Le terme fesse employé ici vient
d’individus, des empêchements avant, à la fin du XIe siècle, de du verbe fesser qui, au XVe siècle, a
agaçants ou même un crime, c’est désigner le métal lui-même. d’abord signifié « battre avec des
la plupart du temps parce qu’une C’est au cours du XIIIe siècle que, verges ». Ce n’est que plus tard que
femme est au milieu. au figuré, fer prend aussi la le verbe, par rapprochement avec la
C’est probablement parce qu’il connotation de « très robuste » fesse que nous connaissons, a pris
connaissait bien les femmes, puis « inébranlable ». son sens moderne.
qu’Alexandre Dumas père, dans Les C’est ce sens figuré qu’on re- Venons-en maintenant à Mathieu. Il
Mohicans de Paris, fait dire à un de trouve dans notre expression s’agit en fait de saint Mathieu, l’un
ses personnages, Joseph Fouch, po- (une croyance inébranlable) qui des douze apôtres et, accessoire-
licier de son état : « Il y a une femme date du milieu du XVIIIe siècle, ment, un des quatre évangélistes.
dans toutes les affaires ; aussitôt sens amené par la dureté du fer Et c’est parce qu’on dit qu’avant
qu’on me fait un rapport, je dis : trempé qui servait à fabriquer les de se convertir, il fut publicain (per-
“Cherchez la femme.” » armes blanches ou les armures. cepteur des impôts) mais aussi prê-
Si l’on n’est pas tout à fait certain teur, que les usuriers étaient appelés
qu’il soit l’inventeur de la formule, « confrères de saint Mathieu ».
il a incontestablement contribué à Q Le fer de lance Si c’est dès le milieu du XVIe siècle que
la populariser dans ce XIXe siècle où mathieu désigne d’abord un créancier,
Partie avancée et offensive
la misogynie était un petit peu plus fesser Mathieu signifiait « prester à
d’un dispositif militaire –
répandue qu’aujourd’hui. usure » au XVIIe (selon Antoine Oudin).
Par extension : Partie d’un
D’après Alain Rey, il faudrait alors
dispositif qui agit directement
Q Jeter l’argent par les comprendre que le fesse-mathieu,
et efficacement contre un
fenêtres celui qui fesse saint Mathieu, est l’in-
adversaire ; ce qui, dans
dividu qui, pratiquant indignement
Être extrêmement dépensier. un ensemble, est le plus
son premier métier, mettait à mal la
dynamique, le plus important.
L’image que véhicule cette expres- réputation de l’apôtre. Et comme la
sion se comprend très aisément : Une lance était une arme constituée mise à mal pouvait s’assimiler au fait
celui qui jetterait son argent par les d’une longue hampe à l’extrémité de battre (avec ou sans verges), cela
fenêtres de son logement gaspillerait de laquelle se trouvait une pointe en expliquerait l’utilisation du verbe fes-
aussi stupidement sa fortune qu’en métal. ser dans son acception initiale.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 93
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Ensuite, comme de brûler à griller,


Q Avoir le feu au cul/ Q Avoir le feu sacré – il n’y a qu’un pas, c’est au début du
au derrière Être tout feu tout XXe siècle que le verbe griller, parmi ses
flamme
Être très pressé, courir très nombreux emplois métaphoriques et
vite – Être particulièrement Éprouver de l’enthousiasme, argotiques (comme « tromper »,
porté sur les plaisirs sexuels. de la passion – Plus « dénoncer », « compromettre »,
précisément, éprouver pour « anéantir » ou « gâcher »), veut
La première signification est attestée
une activité une passion, un d’abord dire « dépasser (un véhi-
dès la fin du XVIIe siècle. Au même
enthousiasme qui permet de cule) » puis, par amalgame avec le
moment, on disait aussi « avoir le
la vivre pleinement et de la sens figuré de brûler, « dépasser sans
feu aux trousses », avec le même
continuer malgré ses aspects s’arrêter », signification qu’on re-
sens, les trousses étant des hauts-
ingrats ou contraignants – trouve dans notre expression.
de-chausses, vêtements couvrant
Avoir de l’ardeur au travail.
les cuisses et les fesses, terme qu’on
retrouve également dans l’expression
Q Faire fi de…
C’est le feu sacré que, dans l’Antiqui-
avoir quelqu’un à ses trousses. té, les prêtres devaient impérative- Dédaigner, mépriser.
La seconde signification est apparue ment entretenir sur l’autel des dieux,
C’est depuis le XIIIe que l’interjection
dès le milieu du XVIe siècle. comme le faisaient les prêtresses de
Fi ! exprime le dédain ou le mépris.
Elle est à rapprocher de être en la déesse Vesta, les vestales.
En 1606, Jean Nicot, dans son Thre-
chaleur, expression principalement Si le terme feu est utilisé depuis le
sor de la langue françoise écrit que
utilisée pour les animaux, avec une IXe siècle pour désigner l’ardeur des
fi « Est interjection rejective, dont
localisation de cette « chaleur » sentiments, c’est chez Voltaire,
le François use quand il abhorre
d’une très forte intensité située sous au XVIIIe siècle, qu’apparaît le feu
quelque chose » et il indique que
la ceinture. sacré pour évoquer des « senti-
le mot vient peut-être du latin fi-
ments nobles et passionnés qui se
mus qui désignait du fumier ou de
conservent et se transmettent » (Lit-
Q Il n’y a pas le feu tré). Le syntagme a ensuite pris le
la fiente, matière qui, il faut bien le
au lac ! sens plus précis d’enthousiasme et
reconnaître, suscite rarement l’en-
thousiasme.
On n’est pas pressés – Il n’y de passion.
Ce dédain s’exprimait autrefois dans
a aucune urgence, ça peut Avoir le feu sacré, c’est donc effective-
le proverbe en usage avant notre
attendre. ment éprouver ces deux sentiments.
locution : « fi de l’avarice, c’est un
Au XXe siècle, ils se sont transformés
L’expression d’origine est tout vilain vice » montrant la forme fi de
en ardeur pour donner le troisième
simplement il n’y a pas le feu ou, suivie d’un nom, comme l’emploie
sens proposé.
en raccourci, y a pas l’feu. Son Jean de La Fontaine dans « Le Rat
Dans être tout feu tout flamme, on
message est très clair : s’il n’y a des villes et le Rat des champs » :
retrouve le même feu qui symbolise
pas le feu, il n’y a aucune raison « Fi du plaisir que la crainte peut cor-
également la passion, renforcé par le
de se presser (sous-entendu : rompre ! », ou bien Clément Marot :
dédoublement feu/flamme.
pour aller l’éteindre). « Fi de l’honneur ! Vive la vie ! »
Si quelques facétieux ont jugé
Q Griller/brûler un feu
utile de rajouter au lac, c’est par Q Mi-figue, mi-raisin
moquerie de la proverbiale len- Passer un feu de circulation
Partagé entre la satisfaction
teur de nos amis Suisses qui sont qui est au rouge.
et le mécontentement – Pour
supposés avoir du mal à se dépê-
Le feu, ici, n’est pas un de ceux qui partie sérieusement, pour
cher.
servent à griller, mais de ceux qui partie en plaisantant.
Et il semblerait que la moquerie
servent à signaler quelque chose ; en
soit interne à la Suisse, puisque Au XIVe siècle, les figues et les raisins
particulier ce feu de circulation, qui,
cette version serait attestée en Ro- étaient les fruits secs préférés au
s’il est rouge, vous indique que vous
mandie dès le milieu du XIXe siècle. moment du carême, ce qui explique
n’avez pas le droit de passer.
Pourquoi « au lac » ? Eh bien, sim- leur rapprochement dans une
Dans l’ordre chronologique, c’est
plement parce que le Léman est locution.
au début du XVIIIe siècle que le verbe
un des symboles de la Suisse et Mais cela n’explique pas pourquoi
brûler prend au figuré le sens de
que l’ajout de l’absurdité d’un lac les deux fruits y sont opposés.
« passer sans s’arrêter (à un point
qui prendrait feu ne fait que ra- Au XVe siècle, l’expression, avec moi-
d’arrêt prévu) » comme dans brûler
jouter un cran dans la moquerie. tié au lieu de mi, voulait dire « en
les étapes.
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94 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
partie bien, en partie mal ». Au XVIe,
Guillaume Postel évoque une troupe Q Un fil d’Ariane
de soldats moitié figue, moitié rai-
Un moyen de se diriger au
sin pour dire qu’elle est composée à
milieu des difficultés. Une
moitié de musulmans et à moitié de
voie à suivre pour arriver
chrétiens.
à un résultat difficile à
D’après le Dictionnaire de l’Acadé-
atteindre. Un guide entre
mie française, c’est au XVIIe siècle
deux points difficiles à relier.
qu’elle prend le sens utilisé encore
aujourd’hui en y ajoutant en Voilà une expression qui nous ren-
parallèle la signification « moitié de voie une fois de plus à la mytholo-
gré, moitié de force ». gie grecque. Il y a en Crète, dont
L’apparition du mi au lieu de moitié le roi est Minos, un labyrinthe au
est plus récente : on la trouve dans fond duquel le Minotaure, mons- Thésée et le Minotaure dans le labyrinthe,
des ouvrages du début du XIXe siècle. tre à corps d’homme et à tête de dessin crayon et encre de Edward
Burne-Jones (1833-1898).
taureau, dévore chaque année
Q Tuer un âne à coups de sept garçons et sept filles qu’Athènes livre en Crète pour prolonger la paix
figues (molles) avec Minos.
Afin de faire cesser l’envoi de ce fâcheux tribut, Thésée se propose d’aller
S’attaquer à quelque chose
tuer le Minotaure, le problème étant, si la mission réussit, d’arriver à retrou-
de très (trop) long ou
ver la sortie du labyrinthe.
d’impossible.
Heureusement, Ariane, la fille de Minos et demi-sœur du Minotaure, tombe
Voilà une expression dont l’expli- amoureuse de Thésée lorsqu’il arrive en Crète.
cation sera lapidaire puisqu’il y est Aidée par Dédale, le concepteur du labyrinthe (et accessoirement le père
question de lapidation. d’Icare), elle propose alors à Thésée de dérouler une bobine de fil dont l’ex-
Les figues étant des fruits du Sud, trémité est attachée à un des linteaux de l’entrée, fil dont il suffira de suivre
puisque le figuier est caractéristique les méandres au retour pour se retrouver à l’air libre.
du bassin méditerranéen, c’est du Et effectivement, une fois le Minotaure trucidé, Thésée ressort du labyrinthe
sud de la France que nous vient cette grâce au fil de la gentille Ariane.
expression à la fois amusante et ima-
gée dont l’origine est limpide : la
le nez au milieu de la figure, ce qui le fil est un symbole de la continuité
figue étant un fruit mou, prétendre
n’est généralement pas l’effet voulu (au fil de l’eau, au fil des ans…).
arriver à trucider un âne en l’en bom-
(sauf sur certains types de vêtements Et ce fil qui, lorsqu’on le suit, finit
bardant est évidemment une opéra-
comme les jeans, par exemple). toujours par mener à l’aiguille dans
tion qui va soit prendre beaucoup de
La métaphore est donc facile à com- le chas de laquelle il est passé, est,
temps, soit, et c’est plus probable,
prendre. Le fil blanc rejoint ici les par métaphore, comparé aux propos
être carrément impossible.
grosses ficelles qui, par rapport aux qui se suivent, lorsque l’un amène
On trouve aussi le temps de tuer un
procédés, ont la même signification. logiquement le suivant, lorsqu’il n’y
âne à coups de figues qui veut dire
Cette expression est attestée depuis a pas changement brutal de sujet,
« très longtemps » voire « infiniment
la fin du XVIe siècle. lorsqu’une certaine continuité est
longtemps ».
respectée.
Q De fil en aiguille Par extension, on utilise aussi cette
Q Cousu de fil blanc expression en l’appliquant à des évé-
En passant d’un propos
Très grossier et visible (pour nements qui se succèdent de ma-
à un autre, d’une chose
un procédé). Extrêmement nière logique, sans rupture.
à une autre qui lui fait suite.
prévisible (pour une histoire).
Cette expression n’est pas vraiment Q Des grosses ficelles
Cette expression vient du fait que
récente puisqu’elle est attestée dès
toute couturière qui se respecte sait Des procédés grossiers,
1280 dans Le Roman de la rose.
parfaitement que, pour qu’une cou- très visibles.
Le fil et l’aiguille étaient autrefois des
ture soit la plus discrète possible,
objets et occupations suffisamment Vous connaissez tous l’expression les
il faut qu’elle soit faite avec un fil
typiques de la gent féminine pour qu’ils ficelles du métier qui désigne des pro-
exactement de la même couleur que
soient très fréquemment évoqués. cédés, plus ou moins secrets, propres
le tissu ; sinon, elle se voit comme
Depuis très longtemps également, à la maîtrise du métier en question.
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 95
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Cette expression avait autrefois un l’atteindre, qu’ils soient répréhen- Mais un doute plane sur cette hypo-
sens péjoratif, ce qui n’est plus vrai- sibles ou non. Autrement dit, l’es- thèse.
ment le cas maintenant. On disait sentiel est d’arriver au but visé, peu Une autre explication viendrait du
d’ailleurs les ficelles d’un art pour importe les moyens utilisés. monde de la typographie où, depuis la
désigner les artifices grossiers qu’on Pour les uns, il faut attribuer cette fin du XIXe siècle, le flan est un morceau
y employait. phrase à Nicolas Machiavel (1469- de carton recouvert d’un enduit épais,
Ficelle comme fil est un mot qui, dans 1527) qui l’a appliquée principale- destiné à recevoir en creux l’empreinte
un emploi métaphorique, était ainsi ment à la politique. Cependant, il d’une composition et nécessaire pour
utilisé en liaison avec la tromperie. n’a jamais écrit la phrase sous cette fabriquer le cliché qui sert ensuite à la
Faire de la ficelle à quelqu’un si- forme, même si elle est un condensé reproduction du livre.
gnifiait « le tromper », vieille ficelle de l’interprétation de ses écrits. Mais rien n’explique vraiment pour-
signifiait « vieux malin » et tirer Pour les autres, l’auteur est Philippe quoi rond et pourquoi deux.
les ficelles s’emploie aujourd’hui van den Clyte (1445-1509), seigneur Une dernière hypothèse, un peu ca-
encore dans le sens de « manipu- de Commynes, l’homme qui trahit pillotractée, viendrait de la perte du
ler », en pensant, bien sûr, à celles Charles le Téméraire pour se mettre c de flanc : les deux ronds de flanc
qui permettent de faire bouger les au service de Louis XI. seraient une hyperbole pour dési-
marionnettes. gner les fesses. Celui qui serait ébahi
Les « ficelles du métier » se doivent Q Le fin du fin serait alors « sur le cul ».
d’être discrètes, mais si elles s’épais-
Ce qu’il y a de plus raffiné
sissent au point de devenir de
dans le genre. Tout ce qui
« grosses ficelles » bien visibles, c’est Q Tirer au flanc/au cul
peut en être tiré.
que les procédés sont grossiers, au
Éviter le travail, les
point de devenir cousus de fil blanc. Notre fin est un adjectif qui, depuis
corvées.
1080, s’applique à ce qui représente
Q En/À la file indienne la perfection (parce que la perfec- Cette expression nous viendrait
tion est le maximum de ce qui peut du milieu militaire, à la fin du
L’un derrière l’autre.
être atteint, le point extrême ou la XIXe siècle.
En se suivant un à un.
fin…). Dans une armée en ordre de
Parfaitement synonyme de à la On le retrouve dans les fines herbes, bataille, celui qui se trouvait au
queue leu leu, cette expression date la fine fleur ou, pour ceux qui aiment front et voulait se mettre à l’abri
du XIXe siècle. les huîtres, les fines de claire. se déportait vers le flanc : il était
Elle vient de l’engouement qui L’expression doit être comprise alors plutôt mal vu par ses petits
existait à cette époque pour les ré- comme « ce qui est le plus fin de ce camarades.
cits d’Indiens d’Amérique du Nord qui est déjà très fin » ; autrement dit, Par extension, celui qui se faufile
(comme Le Dernier des Mohicans ce qui se fait de mieux dans la per- en douce vers le côté pour éviter
de Fenimore Cooper), dans lequel fection, si tant est qu’il puisse y avoir quelque chose, le paresseux qui
ils étaient décrits comme se dépla- des niveaux dans la perfection. veut en faire le moins possible est
çant, dans certaines circonstances, devenu le tire-au-flanc, sens qui
les uns derrière les autres, « en file Q En rester comme deux s’est ensuite répandu très large-
indienne ». ronds de flan ment hors du monde militaire.
Tirer au cul (dans une version plus
Être stupéfait, ébahi.
Q La fin justifie les vulgaire), c’est aussi se dérober,
moyens Une première explication concernant mais vers l’arrière cette fois.
cette expression viendrait d’un mot Le verbe se tirer veut dire « s’éloi-
Vouloir atteindre un but
du XIVe siècle, flaon ou flan, un disque gner » ou bien « s’enfuir ».
précis autorise et justifie
de métal qui une fois frappé devenait Certains dictionnaires anciens
l’emploi de n’importe quel
une pièce de monnaie ou une mé- proposent une autre explication
moyen pour y arriver.
daille. Et tout comme on « frappe » pour le flanc en faisant un lien
Fin est ici à prendre dans son sens de une monnaie, on peut être frappé avec les animaux qui se couchent
« objectif » ou de « but qu’on veut de stupeur. On aurait donc ici un jeu sur le flanc pour se reposer. Cette
atteindre ». de mots utilisant le double sens de expression s’est rapidement subs-
Et ce proverbe, pour le moins im- frapper, les deux ronds de la mon- tantivée en tire-au-flanc pour dé-
moral, justifie que tous les moyens naie correspondant aux yeux grands signer celui qui tire au flanc.
possibles soient employés pour ouverts d’étonnement.

96 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Faire flèche de tout Q Conter fleurette de l’autre, et voilà un raconter des


bois balivernes (le discours du chasseur
Faire la cour.
masculin qui endort sa proie fémi-
Utiliser tous les moyens
Voilà une nouvelle expression désuète nine) qui prend la forme de conter
possibles pour parvenir
qui nous vient du XVIIe siècle à une fleurette.
à ses fins.
époque où, déjà, les fleurs étaient
La métaphore est aisément compré- fortement associées à l’amour et au Q De bonne/mauvaise
hensible : vous êtes prêt à utiliser romantisme. foi
n’importe quel moyen pour arriver Plusieurs origines ont été proposées
Sincère, franc, loyal/menteur,
à votre but, n’importe quel bout de pour cette expression, mais celle
hypocrite, fourbe.
bois pourra être utilisé comme flèche généralement retenue par les lexi-
afin de tenter de ne pas rentrer bre- cographes vient d’une métaphore Le mot foi nous vient du latin fides
douille de la chasse, par exemple. où fleurette, qui s’écrivait d’abord qui avait différents sens assez
Si cette expression, sous sa forme et florette et voulait dire « petite proches : « confiance, loyauté, pro-
son sens actuels, date du XVIIe siècle, fleur » au XIIe siècle, correspondait à messe, parole donnée ».
on disait au XVIe il ne sait plus de quel « bagatelle » ou « baliverne » au XVIe. D’ailleurs, en latin chrétien, on re-
bois faire flèche dans le sens « il est Les fleurs d’un côté, les balivernes trouvait cette notion de confiance,
sans ressource, sans moyens de sub- puisque le mot était spécialisé dans
sister, ou il ne sait comment se tirer le sens de « confiance en Dieu ».
d’un embarras » (Littré). Q Avoir la foi du C’est avec la signification de « loyau-
Cette fois, même le morceau de bois charbonnier té » qu’on le retrouve dès la fin du
manquait et plus rien ne permettait XIIe siècle dans bonne foi et un peu
Croire en quelque chose
d’atteindre son but qui pouvait sim- plus tard dans male foi qui ne se
de façon naïve, sans
plement être de subsister. transformera qu’au XVIe siècle en
jugement.
mauvaise foi.
Q Des manœuvres Fleury de Bellingen, grammairien Lors de son apparition, et aujourd’hui
florentines du XVIIe siècle, explique l’origine encore, la bonne foi désignait, selon
de l’expression par l’extrait d’un le Grand Robert, la « qualité d’une
Des manœuvres fourbes, des
conte que voici, qui concerne personne qui parle, agit avec une
intrigues, en général menées
le charbonnier qui, autrefois, intention droite, avec la conviction
dans le but de nuire à quelqu’un
dans les bois, confectionnait d’obéir à sa conscience, d’être fidèle
ou de l’évincer, ou bien de faire
le charbon de bois, et qui était à ses obligations ».
échouer une affaire.
souvent un esprit simple : Et naturellement, celui qui est de
Du XIIIe au XVIe siècle, Florence a eu « Le Diable un jour demanda à un mauvaise foi est tout le contraire.
une énorme influence artistique, malheureux charbonnier :
littéraire, économique et politique – Que crois-tu ? Q Avoir les foies
sur toute l’Europe. C’est cette Le pauvre hère répondit :
Avoir peur.
influence qui fait que les intrigues, – Toujours je crois ce que l’Église
lorsqu’elles sont connues ou révélées, croit. L’expression existe sous cette forme
sont vite racontées à l’extérieur et Le diable insista : depuis 1872 mais, avant, on disait
participent à la réputation de la ville – Mais à quoi l’Église croit-elle ? avoir les foies blancs. Notre expres-
sur les nombreuses « manœuvres L’homme répondit : sion est donc une ellipse de celle
florentines » qui s’y déroulent. – Elle croit ce que je crois. d’origine.
Pendant cette tranche de temps, Le Diable eut beau insister, il Nous savons tous que le foie est
la présence à Florence des Médicis, n’en tira guère plus et se retira rouge sombre. Autrefois, les ana-
dont l’influence était extrêmement confus devant l’entêtement du tomistes disaient même que c’était
importante, et de Nicolas Machiavel charbonnier. » lui qui fournissait le sang à l’orga-
(1469-1527) dont l’interprétation Autant dire que le « charboniais » nisme. Or, le rouge a longtemps été
pas toujours exacte de ses écrits a de ce conte ne fonde sa foi sur au- le symbole du courage, de la force.
fait naître l’adjectif machiavélique, cun argument théologique ou phi- C’est pourquoi un foie blanc, tel que
qualificatif parfaitement applicable à losophique. Il croit ce que l’Église serait dans l’imaginaire un foie privé
certaines des magouilles ainsi deve- lui dit, sans même savoir vraiment de son sang, est devenu le symbole
nues publiques, n’est sans doute pas de quoi il s’agit ni être capable de de la lâcheté et de la peur (mais aus-
étrangère au succès de l’expression. l’expliquer et de le défendre. si de la traîtrise, puisque le lâche est
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 97
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
un traître en puissance, traître qu’on qui peut se payer des bottes à la place Aujourd’hui, le mot for ne s’emploie
appelait alors un foie blanc). de sabots est forcément plus aisé. plus que dans notre locution qui
Outre les foies blancs, on a aussi uti- Sans compter qu’une botte peut se limite à signifier « dans le secret
lisé avec le même sens avoir les foies être utilisée pour dissimuler des pe- de sa pensée », sans être obliga-
bleus ou avoir les foies verts (tout tits objets importants ou précieux toirement associé à une notion de
comme on peut être vert de peur), qui, accumulés, pouvaient constituer jugement.
couleurs opposées au rouge. un tas ou une « meule » à la valeur
importante. Q Les bonnes fortunes –
Q Mettre/Avoir du foin L’amalgame de toutes ces signifi- À la fortune du pot –
dans ses bottes cations a conduit au sens de cette Une fortune de mer
expression.
Accumuler/avoir beaucoup Les conquêtes féminines –
d’argent. Sans façon, à la bonne
Q En son for intérieur franquette – Un accident
Autrefois, les paysans avaient pour
Dans l’intimité de sa survenant à un navire.
habitude de mettre de la paille (ou
conscience.
du foin pour les plus riches) dans À l’origine, le mot fortune désignait
leurs sabots pour avoir moins froid Forum, en latin, désignait un lieu pu- « le sort ». Être en bonne fortune
aux pieds. blic, place ou marché, où se discu- voulait d’abord dire « avoir de la
Au XVIIe siècle, Furetière citait déjà taient aussi bien les affaires publiques chance » puis « avoir de la chance,
l’expression il a bien mis de la paille que privées, ce qui explique que le donc du succès auprès des femmes ».
dans ses souliers, employée à propos, mot ait aussi pris le sens de « tribu- Ainsi, au XVIIe siècle, les « bonnes
non d’un paysan, mais d’une personne nal », lieu où était rendue la justice. fortunes » étaient les faveurs que les
de l’administration qui s’en mettait Le for est issu de forum au début du femmes accordaient à leurs amants,
plein les poches souvent illégalement. XVIIe siècle, avec la dernière acception une fortune étant une rencontre ga-
Depuis très longtemps, on a cou- citée, en ne s’appliquant d’abord lante. Cette forme s’est spécialisée
tume de dire qu’on garde son qu’à la juridiction ecclésiastique. au XVIIIe, désignant les succès obte-
argent « au chaud » lorsqu’on veut Quant au for intérieur, il désignait à nus auprès des femmes prudes.
le mettre de côté. l’époque ce qu’on appelait « le tri- Au XVIIIe siècle, le pot suspendu
Il y a donc un lien entre la « cha- bunal intime de la conscience », cha- dans l’âtre contenait le plat du jour.
leur » procurée par le foin et l’argent cun jugeant en secret ses actes selon Un visiteur pouvait donc, selon sa
accumulé. ce que lui dictait sa conscience. « fortune », tomber sur un plat
Botte, de plus, est un mot à double C’est à partir du XVIIIe siècle que le succulent ou infâme, mais, ses
sens pour qui pense à la richesse : il for extérieur, locution maintenant hôtes n’ayant pu s’y préparer, il était
peut désigner une « meule » de foin, désuète, a qualifié la juridiction ci- invité à la bonne franquette. D’où
grande quantité dont dispose le pay- vile, le for intérieur gardant son sens l’expression à la fortune du pot qui,
san riche ; il rappelle aussi que celui précédent. de nos jours, toujours avec cette
idée, a aussi une connotation de bon
accueil et de chaleur humaine.
Q En bonne et due forme Enfin, si une fortune de mer a au-
jourd’hui un sens juridique très précis
Dans les règles.
(lié à un accident maritime « fortuit »),
La forme qui nous intéresse désignait d’abord les manières courtoises en au XIIIe siècle, fortune de mer s’em-
société, les convenances. ployait à propos de tout événement sur
Au XVIe, forme s’applique à la manière d’agir selon des règles convenues. l’eau, puis est devenu au XVIe synonyme
Sous l’influence de son sens « aspect », forme se spécialise en tant que de tempête ou naufrage.
terme juridique avec les sens de « aspect extérieur d’un acte juridique » qui Mais comme les malheurs d’un na-
n’est pas vraiment loin de « l’aspect qui respecte des règles ou des normes vire pouvaient aussi être des actes de
bien précises ». piraterie, au XIXe siècle, la fortune de
Nous avons donc toujours affaire à des règles, que ce soient celles du com- mer a, selon Bescherelle, eu égale-
portement en société ou celles à respecter dans un acte juridique. ment le sens de « prise faite par des
On trouve ensuite en bonne forme au XVIIe siècle, chez Molière, entre autres, pirates en temps de guerre ».
et c’est en 1700 qu’apparaît l’expression encore utilisée aujourd’hui.
Si le sens de bon ne laisse aucun doute, le due (bien issu du verbe devoir)
vient le renforcer en indiquant ce qui doit être, ce qui est nécessaire.

98 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q S’attirer les foudres


(de quelqu’un) Q Ne pas pouvoir être (à la fois) au four et au moulin
Ne pas pouvoir être partout à la fois – Ne pas pouvoir faire
S’attirer des reproches, une
plusieurs choses en même temps.
condamnation.
Cette expression est attestée au début du XVIIe siècle.
Pour nous, la foudre est une mani-
Elle provient du droit féodal, lorsque les paysans ou les vassaux qui vou-
festation naturelle, une décharge
laient moudre leur grain et cuire leur pain étaient tenus d’utiliser le moulin
électrique extrêmement intense qui
et le four communs fournis par le suzerain, moyennant redevance (tout
se produit par temps d’orage soit
comme ils devaient utiliser son pressoir pour obtenir leur vin).
entre deux nuages, soit entre un
Les deux tâches étant obligatoirement exécutées l’une après l’autre, il
nuage et le sol.
n’était pas possible d’être à la fois au moulin et au four (on disait d’ailleurs
Mais il y a à peine quelques siècles,
au moulin et au four, chacun va son tour).
cette « petite » décharge était consi-
dérée comme la manifestation de la
colère divine (il ne faut pas oublier,
en remontant plus loin encore dans
le temps, que Jupiter ou Zeus était
traditionnellement représenté te-
nant un ou plusieurs foudres, fais-
ceaux enflammés qui lui servaient
d’armes).
Or, en général, c’est une faute qui
provoque la colère de l’autre. C’est
ainsi que les foudres, au pluriel, a
été assimilé à de sévères reproches,
à une condamnation (s’attirer les
foudres de l’Église, par exemple) et Jan van Os, huile sur toile, Paysage en été.
que l’expression est apparue à la fin
du XVIe siècle.
Q Avoir des fourmis Q Aller aux fraises
Q De plein fouet (dans les membres) Chercher un lieu écarté
De front, de face Ressentir des picotements – propice à la fornication –
(et violemment). Par extension, avoir envie Errer sans but, se promener
de bouger, de partir. en musardant.
Cette expression est née dans
la première moitié du XIXe siècle. Cette expression, qui date de la pre- Pourquoi notre expression, qui, se-
Elle nous vient du milieu militaire mière moitié du XIXe siècle, vient lon Gaston Esnault, est attestée
où, à l’origine, elle voulait dire simplement des picotements que en 1915, a-t-elle le premier sens
« horizontalement » en parlant d’un l’on ressent, principalement dans un proposé ?
tir direct visant un objectif visible. membre, lorsqu’une mauvaise position On peut y voir deux raisons : la pre-
Selon Rey et Chantreau, elle est ins- gardée pendant trop longtemps mière est que les fraises des bois se
pirée par l’ancienne locution de plain bloque la circulation sanguine normale. méritent un peu ; et puis la décou-
(du latin planus qu’on retrouve dans Cette sensation est comparable à verte de cet objet de désir gourmand
maison de plain-pied) qui voulait dire celle que provoquerait une armée de qu’est la fraise des bois qu’on va se
« directement, sans obstacle », mais fourmis qui grouillerait sur la peau. faire un plaisir de consommer peut
aussi « de toute sa force », conta- Par extension, comme il faut remuer aussi faire penser à ces autres objets
minée par l’homophone de plein (du pour faire disparaître ces « four- du désir bien dissimulés que sont les
latin plenus) suivi d’un substantif et mis », on utilise aussi cette locution parties génitales, et à la « consom-
dont la signification était « de toute pour quelqu’un que l’envie de bou- mation » qu’on associe à l’acte
la force de… ». ger ou de partir démange. sexuel.
Dans le sens figuré actuel de l’ex- Dès 1575, Ambroise Paré utilisait Quant au second sens, il vient de
pression, le fouet indique bien la vio- déjà le verbe fourmiller pour dire l’analogie avec le chercheur de
lence et la brièveté de l’impact. « être le siège d’une sensation ana- fraises des bois qui a une trajectoire
logue au picotement des fourmis ». erratique.
QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 99
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Dans certaines régions, l’expression C’est par une plaisanterie un tanti- Selon le Dictionnaire des expressions
s’emploie aussi pour dire « avoir net douteuse que ces mouvements et locutions figurées, dans cette
un pantalon trop court », peut-être ont été assimilés à celui du sucrage métaphore, frein représente ce qui
parce que pour marcher dans les des fraises pour donner naissance à bloque l’élan de celui qui aimerait
sous-bois humides, il vaut mieux re- notre expression. bien exprimer ses sentiments. Et
monter son pantalon si on ne veut Cette expression ne semble être at- ronger est associé à cette énergie
pas le tremper. testée qu’au tout début du XXe siècle, contenue qui devient corrosive et
mais date probablement de la fin du mine l’intérieur.
Q Ramener sa fraise siècle précédent.
Arriver (en parlant d’une Q Avoir la frite/la
Q À la bonne franquette
personne) – Se manifester de patate
manière importune – Montrer Sans façons, simplement.
Être en très bonne forme,
une attitude prétentieuse.
Cette expression est très souvent avoir du tonus.
Cette expression argotique date du associée à une invitation, lorsque
C’est à cause de sa forme plutôt
début du XXe siècle. l’hôte fait savoir à ses invités qu’il ne
ronde que, en argot du début
À l’origine, elle voulait dire mettra pas les petits plats dans les
du XXe siècle, la pomme de terre,
« rouspéter » ou bien « ronchonner, grands.
donc la patate, a été assimilée à la
puis son sens a évolué. Au milieu du XVIIe siècle, on disait à la
tête (comme la poire auparavant).
Dans tous les cas, la fraise qui nous franquette, la forme actuelle n’étant
Sans que ce soit certain, c’est pro-
intéresse ici n’est qu’une des très apparue qu’un siècle plus tard.
bablement parce que celui qui
nombreuses dénominations de la La signification initiale était « en
est en bonne forme a une bonne
tête avec cafetière, tronche… ou toute franchise », franquette étant
« patate » que, en passant par
bien, pour rester dans les fruits, un mot dérivé de franc venu des ré-
une forme comme il a une sacrée
poire, pomme… gions normandes et picardes. Cette
patate, on est arrivé à il a la patate
C’est pourquoi on comprend aisé- franchise s’est progressivement
qu’on peut comprendre comme
ment le premier sens proposé in- transformée en simplicité pour don-
« l’apparence de sa patate montre
diquant que lorsqu’une personne ner le sens actuel.
qu’il est en bonne forme ».
amène ou ramène sa fraise, c’est Claude Duneton ajoute que cette
Quant à la frite, elle en découle
qu’elle arrive ou revient. expression aurait pu apparaître en
assez logiquement, mais plus tard,
Par extension, celui qui intervient de opposition à celle du XVIe siècle, à
dans les années 70. C’est en effet
manière inopportune dans une dis- la française, qui voulait dire « avec
à partir de 1950 que frite, comme
cussion, par exemple, y arrive et y beaucoup d’obligeance et d’arran-
patate, devient synonyme de tête.
ramène donc aussi sa fraise. gement » et même « luxueuse-
Ensuite, l’influence de avoir la pa-
Si on y rajoute une connotation iro- ment ».
tate a fait le reste.
nique (« il ramène sa fraise, mais il
n’y connaît rien et il ferait mieux de Q Ronger son frein
se taire »), on rejoint l’attitude pré-
tentieuse.
Réprimer avec peine son Q Tout le saint-frusquin
impatience, son dépit, sa
Une ellipse de cette expression est Tout ce qu’on a d’affaires,
colère (faute de pouvoir
tout simplement la ramener. tout ce que l’on possède – Par
l’exprimer).
extension : tout le reste.
Q Sucrer les fraises Cette expression datant de la fin du
Si la locution est attestée en 1710,
XIVe siècle fait allusion à la plus belle
Être pris de tremblements, en d’abord sans trait d’union, le mot
conquête de l’homme : le cheval.
particulier aux mains – Être frusquin seul est signalé en 1628
En effet, le frein n’est ici rien d’autre
gâteux. où, en argot, il désigne des vête-
que le mors, cette pièce généra-
ments. Il en reste le mot frusques
Le geste qui consiste à secouer une lement métallique placée dans la
toujours employé avec le même
cuillère de sucre au-dessus des fraises bouche de l’animal et qui, reliée aux
sens, plutôt péjoratif, appliqué à des
rappelle malheureusement celui qui rênes, sert à le diriger.
mauvais habits, des hardes ; le mot
agite les membres de personnes, gé- Or, que fait un cheval qui s’impa-
frusquin n’est plus utilisé isolément
néralement âgées, atteintes d’une tiente en attendant le retour de son
et n’apparaît plus que dans notre
maladie dégénérative qui provoque maître ? Il « ronge son frein », faute
expression.
des tremblements incontrôlés. de choses plus intéressantes à faire.
QQQ

100 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Au cours de la seconde moitié du
XVIIe siècle, frusquin, toujours en ar- Q Amuser/Épater la galerie
got, a également désigné l’argent.
Amuser/épater l’assistance. Tenter de se mettre en avant
Du coup, sa signification a finale-
(en faisant preuve de vantardise).
ment englobé tout ce que l’on pos-
sède, vêtements et argent. Notre expression date du XVIIe siècle, issue du jeu de paume.
C’est par simple analogie que le À ce jeu, la galerie était une allée couverte courant le long du terrain, depuis
saint-frusquin s’est mis à représenter laquelle les spectateurs pouvaient contempler le spectacle. Par métonymie,
l’ensemble de ce qu’on possède. le terme a ensuite désigné les spectateurs eux-mêmes. Puis, par extension,
Et, par extension, lorsque notre lo- une assistance quelconque et, enfin, l’opinion publique.
cution est employée à la suite d’une Si un boute-en-train peut parfaitement amuser la galerie sans sous-entendu
énumération, précédée de et, elle négatif, la seconde forme est aussi régulièrement employée pour quelqu’un qui
veut dire « et tout le reste ». veut se faire remarquer sans en avoir réellement les moyens ou les capacités.

Q Sans crier gare Pour clope, il semble que l’origine soit C’est de cette réputation que l’ex-
Sans prévenir, sans avertir. encore plus obscure. Le mot, apparu au pression est née, ainsi que la lo-
Inopinément, à l’improviste. masculin au tout début du XXe siècle, a cution parler en gascon – qu’on
d’abord désigné un mégot, avant de pourrait aujourd’hui traduire par
Gare est une interjection qui date du
changer de sexe au milieu du siècle « raconter des craques » –, et le mot
XIIe siècle, autre forme de guar qui
pour désigner la cigarette entière. gasconnade que le regretté Maître
voulait dire « prends garde ».
La seule explication proposée pou- Capello aurait pu remplacer par un
Il ne faut en effet pas oublier que
vant tenir un peu la route vient fanfaronnade de bon aloi et placé à
lorsqu’on intime l’ordre à quelqu’un
d’Émile Chautard qui signale qu’à la bon escient.
de prendre garde (ou de « se ga-
fin du XIXe siècle existait l’argotique
rer »), c’est pour lui conseiller de
laisser passer quelqu’un ou quelque
cicloper qui voulait dire « étêter », Q Il y a de l’eau
chose, de se mettre sur le côté, de se
mais surtout « couper », sens qui dans le gaz
nous intéresse ici. En effet, le clope,
mettre à l’abri, de prendre garde à L’atmosphère est à la dispute.
issu du verbe, aurait alors désigné un
une éventualité fâcheuse. Des querelles se préparent.
morceau de ces cigarettes fraîche-
Autrement dit, celui qui crie
ment roulées que se partageaient La première origine de cette méta-
« gare ! » intime aux présents de
parfois les fumeurs en les découpant phore, du début du xxe siècle, est
faire attention à ce qu’il pourrait se
en deux ou plusieurs parties. La dé- pour ceux qui ont fait déborder une
produire et d’éviter d’avoir à en subir
nomination se serait ensuite réduite casserole d’eau posée sur une cuisi-
les éventuelles conséquences.
à la désignation du mégot avant de nière à gaz : de la vapeur d’eau se
Et celui qui surgit sans crier gare le
s’étendre à la cigarette entière. produit d’abord, puis, la flamme
fait sans prévenir, par surprise.
s’éteignant, le gaz qui s’échappe
Si la forme actuelle de l’expression
date du début du XIXe siècle, la forme
Q Une offre/promesse risque de provoquer une explosion.
sans dire gare existait auparavant
de Gascon Autrement dit, ça commence par
fumer, puis ça explose, exactement
depuis le début du XVIe. Une offre peu sérieuse/Une
comme lors d’une dispute !
promesse dont on sait qu’elle
La seconde, évoquée par Claude
Q Fumer une sèche/une ne sera pas tenue.
Duneton, vient du fait que le gaz
clope de houille, dans les habitations
Cette expression nous vient du
Fumer une cigarette. XVIe siècle, à une époque où, et autrefois, comportait un fort taux
depuis longtemps, les habitants de de vapeur d’eau. Dans certaines
Rigaud, dans son Dictionnaire du jar-
la Gascogne étaient réputés faire conditions, cette vapeur d’eau se
gon parisien publié en 1878, indique
d’excellents et courageux soldats. condensait et finissait par créer
que la sèche était la cigarette de ma-
C’est peut-être à cause de ces qua- des poches d’eau dans les canali-
nufacture, ce beau tuyau rempli de
lités reconnues, mais aussi trop sations, en les obstruant. Il y avait
tabac parfaitement cylindrique fabri-
souvent vantées et exagérées par donc à ce moment-là, et réellement,
qué en usine, par simple opposition
les Gascons eux-mêmes, que ceux- de l’eau dans le gaz, phénomène
à l’informe cigarette roulée dont le
ci étaient considérés comme des qui était annoncé par une flamme
papier, collé à la salive, était en par-
hâbleurs auxquels on ne pouvait pas orangée avant qu’elle ne s’éteigne
tie humide.
vraiment faire confiance. complètement.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 101


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Vouer aux gémonies Donc si, à l’origine, celui qui peignait


Q Cousin germain/issu la girafe était celui qui se masturbait,
Accabler quelqu’un, lui faire de germain par glissement sémantique habituel,
de violents reproches ou
Un cousin direct/éloigné. c’est devenu celui qui ne fait rien
l’humilier publiquement.
d’utile, qui glande, qui traîne, qui
Livrer quelqu’un au mépris Le cousin « de base » est un des-
n’en fout pas une rame.
public, le couvrir de honte. cendant d’un frère ou d’une sœur
de ses parents.
Les gémonies étaient un en-
Des cousins germains sont des per-
Q À la Saint-Glinglin
droit très « sympathique » à
sonnes ayant au moins un grand- À une date hypothétique, dans
Rome, puisqu’on y exposait pen-
père ou une grand-mère en com- très longtemps, voire jamais.
dant quelques jours le corps des
mun (parenté au deuxième degré).
condamnés qui avaient été tués Connaissez-vous quelqu’un qui se
Quant aux cousins issus de ger-
par strangulation dans leur pri- prénomme Glinglin ? Existe-t-il une
mains, ce sont cette fois des per-
son après les avoir un peu amusés date où saint Glinglin est présent
sonnes ayant un arrière-grand-
par quelques petits supplices. Ils dans votre calendrier ?
père ou une arrière-grand-mère
étaient ensuite jetés dans le Tibre. Heureusement non pour les nou-
en commun (parenté au troisième
Il s’agissait en fait d’un escalier reliant veau-nés, car ce saint n’en est pas un.
degré), comme le sont vos enfants
le Capitole au forum, qui tire son nom Il est le résultat de la déformation de
et ceux de vos cousins germains,
du latin scalae gemoniae, qui signi- seing (un signal, une signature, une
par exemple.
fiait « l’escalier des gémissements ». marque apposée sur un document,
Maintenant que ceci est précisé, il
Preuve, peut-être, que les « strangu- comme dans blanc-seing ou sous
y a une autre question qu’on peut
lés » n’étaient pas tous aussi morts que seing privé) qui, en ancien français, a
légitimement se poser, c’est : pour-
ça avant d’être exposés. C’est de cette désigné une sonnerie de cloche (un
quoi germain ?
exposition publique de gens condam- signal), puis la cloche elle-même.
Cet adjectif existe depuis le
nables qu’est née notre expression. Quant au fameux glinglin, il est tiré
XIIe siècle. Il est issu du latin ger-
Aujourd’hui, les médias sont nos gé- de glinguer, forme dialectale de la
manus qui veut dire « qui est du
monies modernes. Il est très facile d’y région de Metz voulant dire « son-
même germe » ou, autrement dit,
accabler quelqu’un publiquement. ner, résonner », elle-même issue
« qui est du même sang ».
du klingen germanique signifiant la
Si, aujourd’hui dans le langage
Q Les deux, mon général ! courant, on n’évoque plus que les
même chose.
Proposer de payer à la saint-glinglin,
Formule ironique par laquelle cousins germains, le lien de sang
c’était proposer de payer à une son-
on marque son accord avec s’exprime aussi dans les appella-
nerie de cloche, sans préciser laquelle,
tous les choix proposés. tions juridiques frère germain ou
ni une date précise. Ce qui pouvait
sœur germaine pour désigner de
Dans l’armée, il est bien connu que, mener très loin dans le temps.
véritables frères ou sœurs, issus des
si on ne veut pas prendre de risques
deux mêmes parents (excluant donc
et bien se faire voir, il vaut mieux être
les demi-frères ou demi-sœurs).
Q À gogo
du même avis que le chef.
Abondamment, à profusion.
C’est par plaisanterie ou moque-
En effet, le long cou d’une girafe
rie que certains ont considéré que, Cette expression ancienne date du
peut aisément être assimilé à un sexe
lorsque le supérieur hiérarchique XVe siècle. Gogo est une duplication
en érection.
propose une alternative et qu’on plaisante à l’oreille de go, issu de gogue
Outre peigner la girafe pour dési-
n’est pas sûr de la réponse qu’il sou- qui voulait dire « réjouissance, liesse ».
gner ce genre d’activité, on trouve
haiterait entendre, il vaut mieux ré- Furetière écrivait : « À gogo se dit des
aussi se polir la colonne ou s’astiquer
pondre « les deux, mon… » suivi du choses plaisantes & agréables qu’on a
le jonc, toutes locutions contenant
grade du supérieur. en abondance. Les gens riches vivent à
des verbes liés au nettoyage.
gogo. Il a de l’argent à gogo, tout son
Mais comment expliquer alors que, de
Q Peigner la girafe la masturbation, on passe à l’inefficaci-
saoul… ». Car il est évident qu’on peut
éprouver beaucoup de liesse lorsqu’on
Faire un travail inutile et très té, voire à la fainéantise sous-jacente ?
dispose de choses enviées à profusion.
long. Ne rien faire d’efficace. Si je vous traite de branleur, vous
C’est de ce gogue que viennent les
comprendrez tout de suite !
On peut se pencher du côté des pra- mots goguenard et goguette encore
Un branleur, c’est quelqu’un qui se
tiques masturbatoires pour expliquer employés de nos jours.
masturbe, mais c’est aussi quelqu’un
cette locution.
qui traîne, qui ne fait rien.

102 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Sortir de ses gonds Q Faire partie du Gotha


Se mettre brutalement en
Faire partie de la haute
colère, s’emporter.
société, de l’élite.
Les gonds servent à la fois à main-
Du XVIIIe siècle jusqu’au milieu du
tenir associé à son cadre le panneau
XXe, faire partie du Gotha, c’était
qui sert de porte, et à guider ses
comme faire partie du Who’s
mouvements.
Who aujourd’hui, sauf qu’à l’épo-
C’est au XVIe siècle que le gond, cet
que seuls les nobles y étaient
accessoire de quincaillerie qui permet
référencés.
donc de contrôler le mouvement
Gotha est une ville d’Allemagne,
d’une ouverture, est utilisé dans des Gravure de Gotha, vers 1730 environ.
en Thuringe, dans laquelle la
métaphores où, justement, il désigne
maison de Saxe avait sa cour.
ce qui est contrôlé. C’est ainsi que se
C’est dans les années 1760 qu’y apparaît, lancé par le gentilhomme Guillaume
tenir sur ses gonds voulait dire « res-
de Rothberg, un almanach contenant entre autres toute la généalogie de la mai-
ter raisonnable ».
son de Saxe et celle des empereurs d’Allemagne. Y être cité donnait donc une
Notre expression apparaît un siècle
certaine importance à la personne.
plus tard. Cette fois, celui qui ne se
À la fin du XIXe siècle, il comporte toute l’aristocratie de l’Europe sur environ
tient pas sur ses gonds perd sa raison
un millier de pages découpées en trois parties, selon l’importance des titres,
ou son contrôle et explose de colère.
et devient ainsi le « bottin mondain » de la noblesse européenne.
En faire partie était donc une preuve d’appartenance à ce qui était con-
Q Être gonflé – Ne pas sidéré comme l’élite européenne.
manquer d’air Malgré l’arrêt de la publication de cet ouvrage en 1944, l’expression est
Être téméraire, courageux à restée pour désigner des individus faisant partie d’une certaine élite ou d’un
l’excès – Ne pas manquer de groupe de la haute société.
toupet, être insolent.
C’est au XVIe siècle que le verbe gon- Q Jeter sa gourme premières frasques, passage consi-
fler apparaît avec d’abord le sens de déré ici comme une maladie de
Faire ses premières folies de
« distendre en remplissant d’air ou jeunesse incontournable.
jeunesse.
de gaz ».
Au XVIIe, au figuré, le verbe employé Gourme, voilà un mot peu courant Q Des goûts et des
au passif s’emploie à propos de de nos jours. C’est à partir du milieu couleurs, on ne
quelque chose de complètement du XIVe siècle que le mot désigne une dispute/discute pas
rempli, avec des locutions comme maladie de la bouche ou de la gorge
Chacun peut légitimement
avoir le cœur gonflé de chagrin ou du cheval, affection provoquant,
avoir ses propres goûts,
être gonflé d’audace. entre autres, la sécrétion d’une morve
opinions et méthodes.
C’est au milieu du XIXe siècle que particulière ayant le même nom. Il
gonflé devient synonyme de « cou- semble que pratiquement tous les Faut-il que tout le monde se com-
rageux », par ellipse de gonflé de poulains soient victimes de cette porte comme des moutons de Pa-
courage, puis un demi-siècle plus maladie bénigne, point de passage nurge ? Certainement pas ! Si c’est
tard qu’il prend le sens de « plein quasiment obligé. Au XVIe siècle, on à cause des différences que des
d’audace », au moment où on trou- disait alors de l’animal qu’il jetait sa conflits entre personnes éclatent,
vera aussi gonflé à bloc avec l’image gourme, le verbe jeter ayant ici le c’est aussi grâce aux différences que
du pneu gonflé au maximum. sens d’« émettre des sécrétions ». les progrès existent, que l’Homme
Et c’est de cette dernière que, par Parallèlement, mais au figuré cette avance. Il faut donc les cultiver et ac-
plaisanterie, on verra apparaître la fois, jeter sa gourme a pris le sens cepter que l’autre ait des goûts ou
version ne pas manquer d’air. qu’il a toujours aujourd’hui. des opinions différents des siens.
Quant au second sens, il en découle La raison de la naissance de cette Selon le Dictionnaire de Trévoux, cette
assez logiquement : lorsque le trop- métaphore est assez simple : si le expression existait au XVIIIe siècle sous la
plein d’audace n’est pas utilisé à bon poulain passe obligatoirement par forme il ne faut pas disputer des goûts.
escient, il se transforme en toupet, la maladie, le jeune humain pas- Selon Rey et Chantreau, le sens
en insolence. sera tout aussi inévitablement par actuel n’est probablement pas le
un moment où il commettra ses même que dans la version initiale où
QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 103


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
l’apparent libéralisme de l’expression Il leur demande donc d’attendre le Ménard, de son vrai nom) qui aurait
serait trompeur. Si les goûts alimen- bon moment, de ramasser alors l’ivraie servi de modèle aux questions iro-
taires de chacun sont effectivement si pour la faire brûler, puis de moissonner niques ayant la signification susmen-
variables qu’il n’est pas la peine de se le blé pour le ranger dans le grenier. tionnée.
disputer à leur propos, le goût au sens Ainsi, il faut comprendre que les Dans la chanson, elle se prolongeait
de « valeurs esthétiques » est imposé bons et les méchants sont condam- d’ailleurs par d’autres questions
par la société et le contexte culturel, nés à vivre ensemble, mais au mo- tout aussi graves : « si ta p’tite sœur
et il est donc totalement inutile d’en ment du Jugement Dernier, le Fils de est grande, si ton p’tit frère va bien
discuter (au point de se disputer). l’homme enverra ses anges qui éli- au pot… » et mieux encore « si ta
mineront tous les méchants pour les cousine Fernande, pour coudre aux
Q Pour ta gouverne jeter dans la fournaise ardente (l’en- rideaux les anneaux, bien qu’on lui
fer), alors que les justes iront dans le défende, prend les aiguilles du pho-
Pour t’apprendre les règles de
Royaume des cieux (le paradis). no ? » ; on comprend donc qu’elle
conduite – Pour t’informer.
ait pu marquer son époque d’une
Ce mot gouverne, issu de gouverner, empreinte aussi indélébile.
apparaît au XIIe siècle avec des sens Q Veiller au grain
comme « action de gouverner », Q Mettre le grappin
Se tenir sur ses gardes.
« gouvernement », « conduite »… sur (quelque chose/
Prévoir et prévenir le
C’est au XVIIIe qu’il prend le sens de « ce quelqu’un)
danger.
qui doit servir de règle de conduite »
Se saisir ou s’emparer de
et c’est un siècle plus tard que notre Voilà une belle métaphore marine
quelque chose – Accaparer
expression apparaît avec la première qui date de la première moitié du
quelqu’un, le retenir contre
signification indiquée, généralement XIXe siècle.
son gré.
employée pour introduire une phrase Cette expression est empruntée au
qui va contenir une explication sur la langage maritime où un « grain » Savez-vous que le mot grappe nous
conduite à tenir dans une situation à est un coup de vent brutal et court, vient au XIIe siècle du francique krap-
laquelle la personne destinatrice du parfois accompagné de neige ou de pa qui voulait dire « crochet » ?
conseil va être confrontée à court terme. grêle, ou un nuage qui l’annonce. Vu la signification première du mot, il
Ce conseil, cette explication n’étant Un bon marin se doit donc d’être n’est pas étonnant que le dérivé grap-
souvent qu’une simple information, constamment sur ses gardes pour pin, que l’on trouve au XIVe siècle dans
c’est tout naturellement que le sens pouvoir réagir rapidement et la marine, ait désigné un « crochet
a glissé vers la seconde signification manœuvrer de manière adaptée d’abordage ». C’est à la fin du
indiquée. si un grain s’abat sur le navire. XVIIe siècle que notre expression est
Par extension, quiconque doit apparue avec ses sens qui, au figuré,
Q Séparer le bon grain surveiller le danger doit « veiller sont parfaitement compréhensibles.
de l’ivraie au grain ». Les pirates s’emparent bien du bateau
D’après le Dictionnaire historique convoité après y avoir jeté leurs
Séparer les méchants
de la langue française, ce terme grappins (premier sens). Et, une fois
des bons, ce qui est mauvais
grain, qui existe depuis le milieu que les grappins sont accrochés et
de ce qui est bien.
du XVIe siècle, pourrait venir des tirés, le bateau attaqué est bel et bien
L’ivraie est une graminée sauvage et grêlons qui s’abattent parfois sur retenu contre son gré (second sens).
nuisible aux céréales, à l’aspect peu le bateau au cours d’un grain. Alors même si elle s’est généralisée
différent de celui du blé au milieu hors du contexte maritime, la locu-
duquel elle peut croître. tion reste une métaphore explicite.
Selon Matthieu, Jésus a ainsi désigné Q Est-ce que je te L’image s’utilise également, par
l’ivraie comme le symbole des mé- demande si ta grand- exemple, lorsqu’une personne a
chants. mère fait du vélo ? jeté son dévolu sur une autre et que
Dans cette parabole, alors qu’un celle-ci se laisse prendre dans ses rets
Je ne t’ai rien demandé, mêle-
ennemi a semé de l’ivraie dans un (« il lui a mis le grappin dessus » ).
toi de tes affaires !
champ de blé, le maître dit à ses ser-
viteurs de ne surtout pas chercher à Cette question hautement existen- « Le mot grappe nous
l’enlever tant que la moisson n’est tielle viendrait d’une rengaine des vient au XIIe siècle du
pas prête, sinon ils risqueraient d’ar- années 30, de la période 1900, chan- francique krappa qui
racher également le bon grain. tée par Dranem (Charles Armand voulait dire “crochet”. »

104 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Tomber comme
à Gravelotte Q De gré ou de force
Spontanément ou par la contrainte. Sans prendre en compte la
Pleuvoir très fort – Tomber
volonté de celui qui aura à faire ou à subir quelque chose – De
en grandes quantités ou de
toute façon.
manière très rapprochée.
Faire faire quelque chose à quelqu’un « de force », c’est le contraindre ; c’est
Au cours de la bataille qui eut lieu
donc « forcément » déplaisant pour lui, comme l’indique le second sens.
du 16 au 18 août 1870, opposant
Gré nous vient au Xe siècle du latin gratum désignant quelque chose qui plaît,
la France (le maréchal Bazaine) à la
qui est agréable (et justement, agréable a la même racine, ainsi que agréer).
Prusse (le maréchal von Moltke), les
Le mot a d’abord le sens de « consentement », puis, un siècle plus tard envi-
balles et les obus d’artillerie tom-
ron, de « reconnaissance » (je vous en sais gré apparaîtra au XIIe).
baient avec une telle densité que
S’il ne s’emploie plus isolément, gré fait partie de plusieurs locutions, dont
les participants à cette petite bou-
de gré, encore utilisées aujourd’hui, ne serait-ce que dans notre expression,
cherie en ont été très impression-
qui apparaît en 1080 pour dire « spontanément ».
nés, au point que, renforcée par le
nombre très important de pertes
(les hommes tombaient comme (ou « sodomiser » pour les oreilles Q Une grenouille
des mouches), notre métaphore en chastes). Ce mot est en fait issu de de bénitier
est née. l’occitan empapautar, légèrement
Une personne qui manifeste
Avec le temps, elle ne s’emploie pas plus raffiné car il veut normalement
une dévotion outrée.
que pour la pluie, mais aussi lorsque dire « rouler » ou « arnaquer ».
Un(e) bigot(e).
diverses choses (généralement non
souhaitées) se succèdent rapide- Q Le Grenelle de… Cette appellation est quelque peu
ment, comme des statistiques indé- péjorative. Elle désigne toutes ces
Un débat multipartite,
sirables, par exemple. personnes trop croyantes qui passent
normalement suivi d’un
Il est intéressant de préciser que la une bonne partie de leur existence
accord supposé résoudre des
bataille de Gravelotte s’appelle ainsi en dévotions et à l’église.
problèmes importants
du côté des Allemands, mais s’ap- Elle vient, bien entendu, de ces bé-
à l’échelle nationale.
pelle la bataille de Saint-Privat du nitiers placés à l’entrée des églises,
côté français, cela parce qu’il y a eu Les 25 et 26 mai 1968, au cours de normalement remplis d’eau bénite, et
deux fronts, un à proximité de cha- négociations qui eurent lieu au mi- dans lesquels les fidèles trempent le
cun des deux villages. nistère du Travail, rue de Grenelle, bout de leurs doigts avant de faire leur
à Paris, et auxquelles participèrent signe de croix en entrant dans le lieu.
Q Aller se faire des hauts fonctionnaires, il avait été On imagine bien alors que ceux qui
voir chez les Grecs convenu, entre autres, d’augmen- passent leur temps là, à proximité
ter le SMIG de 25 % et les autres du bénitier, y sont aussi confortable-
S’emploie à l’encontre de
salaires de 10 %, et de réduire le ment et durablement installés que
quelqu’un dont on souhaite
temps de travail. les grenouilles dans leur mare.
se débarrasser.
Ces accords, dits « accords de Gre- Mais on trouve aussi dans cette ex-
Les Grecs avaient autrefois une répu- nelle », furent conclus le 27 mai. pression une allusion aux bavardages
tation affirmée de pédérastie. Si, rejetés par la base, ils n’interrom- futiles et aux cancans qu’échangent
Alors quand on propose à quelqu’un pirent pas immédiatement la crise généralement ces grenouilles-là,
d’aller chez eux, c’est parce qu’on sociale, la décision du 30 mai de dis- tout comme celles qui coassent in-
veut rapidement s’en débarrasser et soudre l’Assemblée nationale, prise lassablement dans leur marigot.
qu’on lui souhaite « bien du plaisir » par de Gaulle mais suggérée par
une fois arrivé là-bas. Pompidou, finit par provoquer une Q Sur le gril
Des variantes de cette expression accalmie de l’agitation dans les jours
Anxieux ou impatient. Dans
existent avec des verbes nettement suivants.
une situation pénible ou
plus vulgaires à la place de voir, ce C’est donc du nom de la rue où se
embarrassante.
qui en accentue encore le côté dé- trouvaient les bâtiments du mini-
sagréable. stère du Travail, et par référence aux Ceux qui ont déjà eu l’occasion de po-
Parmi ceux-ci, il y a le très imagé accords de Grenelle de mai 1968, ser leurs fesses sur la grille d’un barbe-
empapaouter, qu’on comprend qu’est née cette appellation de cue savent à quel point cette situation
actuellement comme « enculer » « Grenelle de quelque chose ». est à la fois pénible et embarrassante.
QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 105


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Et les autres sont parfaitement ca- Q En avoir gros sur un pied au sol et l’autre appuyé au
pables de l’imaginer. le cœur/l’estomac/la mur, les faisant ainsi ressembler à
L’image est donc suffisamment par- patate nos gruidés des marais.
lante pour qu’elle n’ait pas vraiment Mais si les prostituées s’appellent
Éprouver un grand chagrin.
besoin d’être expliquée. ainsi, ce n’est pas vraiment à cause
Ressentir du dépit, de la
Cette expression se trouve en 1740 de leur éventuelle position sur une
rancune.
dans le Dictionnaire de l’Académie jambe, mais surtout parce qu’elles
française, avec le premier sens cité Chose qui peut paraître étrange pour font le pied de grue sur le trottoir.
qui s’est donc renforcé avec le temps ceux qui ne sont pas férus d’étymo- Faire le pied de grue se disait au
pour donner le second. logie, si le mot cœur correspond XVIe siècle faire (de) la grue et au XVIIe faire
D’après Alain Rey, il se pourrait qu’il bien depuis longtemps à l’organe la jambe de grue, alors que le verbe
s’agisse d’une allusion au martyre de central de la circulation sanguine, il gruer voulait aussi dire « attendre ».
saint Laurent qui, en 258 à Rome, a aussi désigné la poitrine à partir
fut brûlé sur un gril par le préfet de du XIIe siècle, mais aussi l’estomac à Q Pas folle, la guêpe !
la ville sous le règne de l’empereur partir du XIIIe siècle. Trouver ces deux
C’est une personne maligne
Valérien. organes interchangeables dans une
qui ne se laissera pas abuser !
expression qui date du XVIIe n’est
donc pas étonnant. Cette expression s’emploie souvent
Q Faire du gringue Avec les expressions équivalentes en guise de satisfecit autodélivré
avoir le cœur gros, avoir le cœur lorsqu’on a pensé à prendre des
Faire une cour pressante,
lourd ou bien avoir la gorge serrée, précautions adaptées avant de faire
draguer.
nous retrouvons tout simplement quelque chose, ou lorsqu’on a réussi
Au milieu du XVIe siècle, grignon, une formalisation des sensations un coup rusé, par exemple.
dérivé de grigner qui a donné gri- physiologiques liées au chagrin, aux À l’origine, au milieu du XIXe siècle,
gnoter, désignait régionalement sanglots, sensations désagréables on disait pas bête, la guêpe, ce qui
un morceau de pain (tout comme qu’on peut aussi ressentir lors de était plus amusant, une guêpe étant
quignon qui est étymologique- gros dépits ou de rancunes sévères. bien, selon mes dernières informa-
ment lié). Il n’y a malheureusement pas d’ex- tions, une bête et pas un humain.
Et gringue, substantif dérivé de plications claires sur le fait qu’en ar- Mais en réalité, à la même époque, le
grignon, était synonyme de pain, got, le mot patate ait aussi désigné mot guêpe désignait une personne
au cours de la seconde moitié du le cœur. maligne, finaude. La raison vient
XIXe siècle. Cette variante de l’expression appa- d’un jeu de mots : on peut aussi dire
C’est au tout début du XXe, chez raît au début du XXe siècle. Elle a été d’une telle personne qu’elle est fine
Aristide Bruant, qu’on trouve précédée de quelques années par en (avec le sens de « retorse, maligne
le mot gringue dans faire du avoir gros sur la pomme de terre. ou astucieuse »). Or, n’est-il pas de
gringue avec le sens de « cher- notoriété publique que la guêpe a la
cher à plaire » qui a évolué vers Q Faire le pied de grue taille extrêmement fine ?
« faire la cour, généralement de C’est ainsi que cette guêpe-là, pour
Attendre debout à la même
manière pressante » dix ans plus parler d’une personne maligne donc
place, pendant un certain
tard. pas bête, a donné la locution pas
temps.
Tout esprit un tant soit peu éveillé bête la guêpe qui est devenue pas
se demandera in petto comment La grue est un échassier, un de ces folle la guêpe au XXe siècle.
on a pu ainsi passer du pain à la animaux au long bec emmanché
cour. d’un long cou, mais aussi disposant Q Une guerre
La seule réponse, apportée par de deux longues et fines pattes dont picrocholine
Gaston Esnault, mais hélas sans l’une semble parfois inutile, tant ces
Un conflit entre personnes ou
aucune certitude, viendrait d’un bestioles peuvent passer un long
institutions, déclenché pour des
rapprochement avec l’ancienne moment perchées sur une seule
raisons obscures ou ridicules.
locution faire des petits pains d’entre elles, y compris en dormant.
pour quelqu’un qui a d’abord Un peu comme nos « grues » des Picrocholine est construit à partir
voulu dire « faire l’aimable pour trottoirs, surnom qu’on donne de- des deux mots grecs pikros pour
appâter » puis par extension puis 1415 à ces dames faisant com- « amer » et khôlé pour « bile ».
« faire la cour ». merce de leurs charmes et qui at- Cette expression nous vient de Gar-
tendent le client, adossées à un mur, gantua, roman de Rabelais.
QQQ

106 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
En effet, dans son ouvrage, Picro- Aujourd’hui, tout en ayant gardé son a fait complètement glisser le sens
chole, roi de Lerne, s’oppose à sens initial, il n’est plus employé que du verbe vers celui d’aujourd’hui.
Grandgousier, le père de Gargantua, dans deux expressions, en guise de, et Ici, c’est la médisance ou la calomnie
pour une stupide histoire de fouaces la nôtre, qui existe depuis le XIIe siècle. qui, au figuré, recouvre, enveloppe
(ou fougasses) ayant entraîné une En faire à sa guise, c’est agir selon ou « habille » la pauvre cible.
bagarre. Il attaque le territoire de sa manière habituelle, ses envies, Sachant que l’expression habiller
Grandgousier avec ses treize mille six ses goûts, sans se préoccuper des (quelqu’un) existe avec le même sens
cent vingt-deux soldats. dérangements que cela peut causer depuis le milieu du XVIIIe siècle, on peut
C’est du tempérament de va-t-en- aux truies à autrui. se demander pourquoi ce pour l’hiver.
guerre de Picrochole et des raisons La réponse est très simple : pendant
stupides qui l’ont poussé à attaquer Q Habiller (quelqu’un) cette saison, il faut des vêtements
Grandgousier que naîtra l’expression. pour l’hiver plus épais pour ne pas avoir froid ;
On peut noter que ce qualificatif ne c’est pourquoi on imagine que les
Dire du mal de (quelqu’un),
s’emploie guère que dans cette ex- médisants se font un plaisir de rajou-
généralement en son
pression et qu’on n’en utilise pas de ter des couches de calomnie.
absence.
version au masculin.
Vers 1200, abiller (construit avec le Q Tomber des
Q Courir le guilledou nom bille et le préfixe a-) veut dire hallebardes/des cordes
« préparer une bille de bois » ou
Être sans cesse à la recherche Pleuvoir très fort, à verse
« ébrancher et écorcer ».
d’aventures amoureuses.
Et, alors qu’une hache sert jus- Cette expression est citée par Fure-
Le mot guilledou ne s’emploie que tement à tailler le bois, le h a été tière à la fin du XVIIe siècle.
dans cette locution. ajouté au XVe siècle et c’est ensuite Entre le XVe et le XVIIe siècle, une
Au XVIe siècle, on trouvait les l’influence du mot habit, et dans une hallebarde était une sorte de
locutions courir le guildron pour moindre mesure celle de habile, qui longue lance et il est donc aisé de
« courir l’aventure » et courir le guil- QQQ

drou pour « fréquenter de mauvais


lieux ». Q L’habit ne fait pas le moine
Il semble que tous ces mots com-
L’apparence peut être
mençant par guil sont issus du verbe
trompeuse. Il faut s’abstenir
guiller qui voulait dire « tromper »
de ne juger les gens qu’à leur
ou « ruser » et dont de nombreux
apparence.
dérivés régionaux comportent une
idée de séduction sexuelle, considé- Proverbe dont on trouve les premières
rée comme une tromperie ou une traces au XIIIe siècle et qui serait tiré du
ruse. latin médiéval.
On retrouve cette notion dans l’an- Selon certains, ce proverbe viendrait
cien sens de l’expression où les lieux d’une déformation progressive de la
de débauche fréquentés par ceux qui traduction de l’expression latine de Plu-
courent le guilledou sont ceux où de tarque barba non facit philosophum
nombreux coureurs de jupons sont qui signifiait « la barbe ne fait pas le
prêts à employer toutes les ruses philosophe ».
possibles pour attirer dans leurs filets D’autres disent qu’il aurait pour Adolf Humborg (1847-1921), Deux moines
les jeunes et jolies filles qui auraient origine un fait historique : en 1297, dans une cave.

eu la mauvaise idée de s’y rendre. pour réussir à s’emparer par la ruse de la forteresse bâtie sur le rocher moné-
gasque, François Grimaldi et ses compagnons d’armes se sont déguisés en
Q En faire à sa guise moines franciscains.
Enfin, peut-être faut-il simplement voir une certaine ironie dans cette ex-
Agir selon son goût, sa
pression.
volonté.
En effet, lorsqu’elle est apparue, les moines de l’époque étaient bien loin
Guise est un mot apparu au XIe siècle, de suivre leurs préceptes. Ils avaient un comportement très éloigné de celui
avec le même sens que le mot que leur tenue aurait pu laisser supposer.
germanique wisa dont il est issu et qui Ainsi, un brigand désireux de détrousser un moine en le supposant faible
signifiait « manière » ou « façon ». pouvait finalement tomber sur bien plus fort et rusé que lui.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 107


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
faire la comparaison entre la lance tout pour lui, puisqu’il était éjecté Mais pourquoi blanchir, me di-
pénétrante et ces grosses gouttes de de la partie. rez-vous ? Cela vient surtout du fait
pluie glaciale « transperçantes ». L’autre viendrait de ces haricots, que ce verbe a également signifié
Mais selon Gaston Esnault, depuis le nourriture bas de gamme qui était « passer un long moment de sa vie
milieu du XVIe siècle, le mot argotique l’ordinaire des écoliers dans les in- dans une même occupation ». On
lance désignait de l’eau puis, par ternats, des prisonniers ou des gens peut imaginer qu’un « long mo-
extension, de l’eau de pluie. Le verbe trop pauvres pour s’acheter des ali- ment » peut être si long que les che-
lancequiner, apparu plus tard, avait ments de meilleure qualité (le nom veux de la personne concernée ont
d’ailleurs le sens de « pleuvoir ». de haricot était alors utilisé pour des le temps de blanchir.
Ce serait donc par simple substitution gousses diverses comme les fèves, Le premier sens de l’expression était
de quasi-synonymes que les halle- les pois ou les haricots). simplement « vieillir dans le métier
bardes auraient remplacé les lances, en Et, pour ces derniers, lorsqu’ils des armes » puisqu’elle signifiait,
y ajoutant une petite touche vieillotte. n’avaient même plus l’argent néces- mot à mot, « passer un long mo-
Pour ce qui est des cordes, elles saire pour s’acheter ces féculents, ment sous l’armure ». Par extension,
viennent simplement de la compa- cela devenait vraiment la fin de tout. le métier est devenu quelconque et
raison avec des cordes de ces traits le vieillissement a été assimilé à l’ac-
que l’on observe lorsqu’une pluie Q Blanchir sous quisition d’expérience.
tombe dru. le harnais
Q Crier haro
Exercer longtemps le même
Q La fin des haricots (sur le baudet)
métier – Acquérir une
La fin de tout. La perte expérience reconnue Manifester publiquement son
complète d’espoir. dans un domaine. indignation ou sa réprobation
envers quelqu’un ou quelque
Voilà une expression récente, Il y a longtemps, dès le XIIe siècle,
chose – Désigner quelqu’un
puisqu’elle date du début du harnais désignait l’armure ou
(parfois injustement) à la
XXe siècle, mais à l’origine obscure. l’équipement d’un homme d’armes.
vindicte populaire. Accuser un
Deux explications parmi d’autres. Comme, à ces époques lointaines, il
innocent, désigner un bouc
Avant l’apparition de la télévision, était fréquent que les gens pauvres
émissaire.
les jeux de société étaient une oc- s’engagent dans l’armée pour de
cupation plus que courante. En fa- très longues périodes afin de bénéfi- Le terme haro, qui ne s’emploie plus
mille, les mises ne se faisaient pas cier d’une solde régulière, ils avaient maintenant que dans cette locution,
avec de l’argent, mais avec des largement le temps, s’ils échappaient a eu plusieurs usages autrefois.
choses diverses dont des haricots à la mort sur les champs de bataille, Au XIVe siècle, il servait à exciter les
secs. Et quand un joueur n’avait plus d’acquérir une grande expérience de chiens au cours d’une chasse.
de haricots, c’était vraiment la fin de la vie militaire. Au XIIIe siècle, il était employé pour
marquer la fin d’une foire ou bien la
fin de la vente d’une denrée.
Q Courir/Taper sur le système/le haricot Au XIIe siècle, c’était un cri poussé par
une personne qui se faisait agresser.
Ennuyer, importuner, exaspérer.
C’est principalement de cette der-
La forme avec système, apparue peu après la seconde moitié du XIXe siècle, nière utilisation que vient le sens de
est vue comme une ellipse de courir/taper sur le système nerveux, image où notre expression puisqu’on y dési-
l’on considère celui qui excite le système nerveux d’un autre ou qui lui « tape gnait un coupable devant les autres
sur les nerfs ». personnes présentes.
En revanche, la seconde forme est très discutée par les lexicographes : ce
haricot doit être envisagé d’après ses significations argotiques, l’orteil, la Q C’est de l’hébreu/du
tête, le pénis ou même les testicules, mais ces acceptions ont-elles influencé chinois/de l’iroquois
la naissance de l’expression ? Nul ne le sait. Du coup on n’éliminera pas éga-
C’est complètement
lement la possible influence du verbe haricoter qui, au cours de la première
incompréhensible.
moitié du XIXe siècle, signifiait « importuner » en argot.
La présence de courir nous vient probablement du XVIe siècle où cou- Pour les deux premières langues, au
rir quelqu’un signifiait déjà « l’importuner », peut-être parce que le mot vu des caractères non latins utilisés, il
avait aussi le sens de « fréquenter assidûment » et que celui qui court ainsi suffit de les voir écrites pour savoir im-
quelqu’un peut fortement l’agacer. médiatement qu’on n’y comprendra
QQQ

108 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
rien, sauf si on les a apprises. Et je
confirme que la forme écrite du che- Q Couper l’herbe sous le pied
rokee, une des langues iroquoiennes,
Contrecarrer les projets de quelqu’un en le supplantant.
est effectivement tout aussi lisible
que les deux premières citées. Remontons un peu vers le XIVe siècle, deux siècles avant que l’expression
C’est donc bien la difficulté de lec- n’apparaisse. À cette époque, on désignait par herbes les légumes verts et les
ture de ces langues écrites qui est à salades, en fait toutes les plantes dont on consommait les feuilles. Par extension,
l’origine de cette expression. ce mot a désigné les légumes en général.
Ensuite, par métaphore, herbe a aussi servi à désigner les moyens de subsistance,
Q Vieux comme Hérode ce qui a donné naissance à l’herbe lui manque sous les pieds pour dire « il manque
de moyens d’existence », expression dans laquelle il faut comprendre sous les
Très ancien, très vieux.
pieds comme « à l’endroit où il se trouve » ou, plus généralement, « chez lui ».
Cette expression s’applique principa- Et si l’herbe lui manque sous les pieds, ne serait-ce pas parce qu’on l’y aurait cou-
lement à des objets (« cette maison pée ? En fait, c’est ensuite probablement par mélange avec couper les vivres qui
est vieille comme Hérode »). Elle est comporte également une notion de privation volontaire, que notre expression est
citée par Furetière au XVIIe siècle, mais apparue. Son sens initial qui était quelque chose comme « empêcher quelqu’un
sa date d’apparition semble inconnue. de se procurer des moyens de subsistance » s’est élargi à des empêchements plus
Si le premier, Hérode Ier le Grand, a généraux touchant tous les domaines.
tout de même vécu soixante-neuf
ans, ce qui pour l’époque était une
Notre expression est donc simple- devait normalement suffire pour
durée de vie rare, ce n’était quand
ment une métaphore qui dit qu’on qu’ils appuient sur la pédale de frein
même pas suffisant pour qu’il
ne peut pas se baser sur un seul (mais ils faisaient parfois la sourde
marque les siècles de cette manière.
élément significatif pour en déduire oreille, les bougres !).
Alors, soit c’est le cumul des règnes
une généralité. C’est avec ce second sens de de-
des six Hérode, qui se sont succédé
Elle semble dater du début du mande d’arrêt ou de modération que
de 73 av. J.-C. jusqu’en l’an 93, qui
XVIIe siècle dans sa version française, l’expression est apparue au milieu du
a marqué les esprits au point de don-
mais vient du modèle latin una hi- XVIIe siècle, précédée de faire holà ou
ner naissance à notre locution, soit
rondo non facit ver, lui-même venu dire holà à la fin du siècle précédent.
il faut simplement la comprendre
du grec puisque Aristote l’utilisait
comme « assez vieux pour remonter
au temps d’Hérode ».
déjà sous forme de métaphore lors- Q Un combat homérique
qu’il écrivait : « Une seule hirondelle
Parmi les plus connus de ces souve- Un combat spectaculaire,
ne fait pas le printemps ; un seul
rains, on trouve donc Hérode Ier le épique, héroïque, fabuleux,
acte moral ne fait pas la vertu. »
Grand, qui, selon les Évangiles, fut surhumain…
l’instigateur du massacre des Inno-
cents et Hérode Antipas, un de ses
Q Mettre le holà C’est à l’écrivain grec Homère que
cette expression est rattachée.
fils qui, d’après la même source, fit Faire cesser une querelle, une
Vous connaissez probablement Ulys-
mourir Jean-Baptiste. bataille – Mettre fin ou mettre
se, le héros du poème mythologique
bon ordre à quelque chose.
l’Odyssée, qui comporte un peu plus
Q Une hirondelle ne fait Holà est une interjection qui date du de 12 000 vers et qui décrit les fa-
pas le printemps milieu du XIVe siècle. buleuses aventures d’Ulysse lors de
On ne peut tirer une généralité Pour les hommes, elle servait son retour après la guerre de Troie
à partir d’un seul exemple. à appeler, à interpeller (« holà, à son foyer où l’attend patiem-
quelqu’un ? » ou bien « holà, qui va ment Pénélope – histoire écrite par
Les hirondelles sont des oiseaux mi-
là ? », par exemple). Homère au IXe siècle av. J.-C., à la suite
grateurs qui partent vers l’Afrique en
Mais aussi bien pour les hommes que de l’Iliade, autre poème (de plus de
septembre-octobre et qui reviennent
pour les animaux, elle servait aussi à 15 000 vers) qui, lui, raconte la
dans nos contrées en mars-avril ; par
les faire arrêter, à tempérer leur ar- guerre de Troie et met en scène
conséquent les hirondelles sont de
deur. Ainsi, lorsqu’une querelle com- Achille, Patrocle et Hector.
retour dès que le printemps revient.
mençait ou lorsqu’un importun dé- Ce qui arrive à Ulysse dans l’Odyssée
Il serait donc facile d’en déduire que
passait un peu trop les bornes, on est tellement hors norme que l’ad-
si l’on voit une hirondelle, c’est que
pouvait entendre un « holà, suffit ! » jectif homérique s’est mis, depuis le
le printemps est là, mais on ne peut
ou lorsqu’il fallait arrêter les chevaux XVIe siècle chez Rabelais, à désigner
pas en faire une généralité.
d’un attelage, un simple « holà ! » tout ce qui est épique.
QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 109


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
On parle aussi de rire homérique jarretière au cours d’un bal de la cour.
pour désigner un fou rire tonitruant, Lorsque le roi la ramassa et la rendit
Q Tirer à hue et à dia
comparable à celui qu’Homère, à la comtesse, les plaisanteries des Aller dans des directions
dans l’Iliade, attribue aux dieux de courtisans fusèrent ; alors il s’écria : opposées – Agir de manière
l’Olympe à la vue du boiteux Vulcain « Honni soit qui mal y pense » et contradictoire, de façon
qui leur sert à boire. promit à sa favorite de faire de ce désordonnée.
ruban bleu un insigne si prestigieux
Hue (hurhaut, autrefois) et dia ont
Q Un homme averti en et désiré que les courtisans les plus
été des cris de charretiers pour exci-
vaut deux fiers ou ambitieux s’estimeraient
ter un cheval et le faire avancer, ou
plus qu’heureux de le porter. Ce qui
On est plus apte à faire face à des cris de laboureur pour faire aller
est effectivement devenu le cas, l’ad-
une situation potentiellement le cheval de trait respectivement à
mission dans l’ordre donnant droit
déroutante ou dangereuse droite ou à gauche.
au titre de « Sir ».
lorsqu’on en a été prévenu. Par extension, celui qui tire à hue
Cette expression s’emploie mainte-
et à dia (sous-entendu : simultané-
Il est certain que, si elle n’est pas trop nant pour attirer l’attention sur le
ment) fait preuve d’un manque d’or-
stupide, une personne avertie des fait que quelque chose a été dit ou
ganisation certain ou est condamné
risques auxquels elle s’expose, des fait sans aucune arrière-pensée.
à être écartelé.
dangers potentiels qui l’attendent,
Au XVIIe siècle, on utilisait l’expression
fera attention et sera donc moins
il n’entend ni à hue ni à dia pour dire
facilement surprise qu’un individu Q C’est l’hôpital qui se de quelqu’un que l’on ne saurait lui
non prévenu. Vis-à-vis d’un éventuel moque de la charité faire entendre raison, métaphore
attaquant, un homme averti sera
S’utilise lorsque quelqu’un basée sur le cheval têtu qui refuse-
nettement plus efficace (deux fois,
se moque, chez un autre, rait d’aller à droite ou à gauche lors-
si l’on s’en tient au proverbe) qu’un
d’un défaut qu’il a lui-même. qu’on le lui demande.
autre qui ne l’est pas.
Au XIIe siècle, avertir s’utilisait sous la Ce n’est qu’au XVIIe siècle que le
forme pronominale soi avertir pour dire mot hôpital se spécialise pour
Q Être une huile
« s’apercevoir » puis sous une forme désigner un établissement mé- Être une personne influente,
active pour dire « faire attention à ». dical, qui pouvait être aussi bien de haut niveau hiérarchique,
Son sens a évolué pour, au XVe siècle, religieux que laïque. À la même de pouvoir.
prendre la signification actuelle de période, et par métonymie, les
L’origine exacte de cette appellation
« informer d’un risque ». Et c’est au hôpitaux gérés par des ordres
argotique reste obscure. Ce qu’on
milieu du XVIIe que notre proverbe comme les Frères de la Charité ou
sait, c’est qu’à la fin du XIXe siècle, on
apparaît, d’abord précédé de une les Sœurs de la Charité ont pris le
disait nager dans (parmi) les huiles
personne avertie en vaut deux et ac- nom de charité.
pour dire « fréquenter des per-
compagné en parallèle de la forme Autrement dit, à cette époque,
sonnes influentes ».
un averti en vaut deux. un hôpital et une charité étaient
Ce qu’on sait également, c’est que
exactement la même chose.
cette appellation vient du milieu mili-
Q Honni soit qui mal Alors sauf en cas d’éventuelles et
taire où les huiles étaient d’abord les
y pense stupides jalousies ou rivalités, il n’y
officiers supérieurs.
avait aucune justification pour que
Honte à celui qui y voit du mal. C’est pourquoi Cellard et Rey, dans
l’un se moque de l’autre, pas plus
leur Dictionnaire du français non
Honnir est un vieux verbe qui, que quelqu’un affublé d’un défaut
conventionnel, évoquent la possibili-
comme nous le dit le Petit Robert, si- n’a de raison de se moquer d’un
té d’une plaisanterie de haute volée.
gnifie : « Dénoncer, vouer à la détes- autre ayant le même défaut, d’où
En effet, chez les militaires, les ga-
tation et au mépris publics de façon le côté amusant de notre locution.
lons sont aussi appelés des « sar-
à couvrir de honte ». Rey et Chantreau, dans leur Dic-
dines », et, en dessous des généraux
Notre expression est à l’origine la tionnaire des expressions et locu-
étoilés, plus le grade est élevé, plus
devise de l’ordre de la Jarretière, en tions figurées, situent la naissance
le nombre de sardines l’est aussi.
Angleterre, le plus important ordre de cette expression dans la région
Or, on sait bien que, dans leurs
de la chevalerie britannique. lyonnaise, sans précisions sur la
boîtes, les sardines baignent dans
La légende dit que la comtesse date. Claude Duneton, dans son
l’huile. D’où une possible plaisante-
de Salisbury, qui était la maîtresse Bouquet des expressions imagées,
rie du genre « avec des sardines, on
d’Edouard III, laissa tomber sa la situe au même endroit, en 1894.
est dans les huiles ».

110 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q À huis clos Q Mettre à l’index


Signaler une chose ou une
Toutes portes fermées. En petit comité.
personne comme dangereuse –
C’est à partir de 1050 qu’il est de coutume d’utiliser le mot us, venu du bas Exclure, condamner.
latin ustium, pour désigner une porte. Mais cet us, qui devient ensuite un
Avez-vous déjà entendu parler de l’In-
huis (pensez à nos huisseries actuelles, qui englobent également les fenêtres)
dex librorum prohibitorum, ce cata-
est définitivement remplacé par le mot porte à partir du XVIIe siècle.
logue des livres défendus par l’Église ?
L’expression à huis clos apparaît au milieu du XVIe siècle pour dire « à portes
Si, dès les premiers siècles de la
fermées », ce qui est logique, clos venant du verbe clore maintenant rem-
chrétienté, il y eut des ouvrages
placé par fermer.
qui furent interdits car considérés
Par extension, elle signifie aussi « sans publicité » ou, autrement dit, sans per-
comme hérétiques, c’est le pape
sonne pour assister à ce qui se dit (les portes étant restées fermées), comme
Paul IV qui, au milieu du XVIe siècle,
c’est le cas dans les réunions en petit comité ou bien, dans le cas d’un procès,
fit rédiger le premier Index, premier
sans spectateurs et autres personnes qui ne sont pas directement concernées
catalogue officiel des livres que les
ou impliquées.
catholiques n’avaient pas le droit
de lire, car ayant un contenu perni-
Q L’huile de coude très très gros glaçon flottant dans le cieux, dangereux ou pouvant écarter
très très grand récipient qui contient l’homme de la foi.
L’énergie, la force, la
l’océan ? C’est donc de cet index-là que nous
vigueur déployée dans
C’est en 1961 qu’aux États-Unis le vient notre expression, apparue au
l’accomplissement d’une
mot iceberg prend le sens figuré début du XIXe siècle, et généralisée
tâche.
de « problème en grande partie ca- à toute chose ou personne qui est
En mécanique, l’huile permet aux ché », métaphore très explicite qui signalée comme dangereuse, exclue
rouages d’un mécanisme de mieux a rapidement traversé l’Atlantique ou condamnée.
tourner, avec moins d’efforts et pour donner notre expression.
d’avoir un rendement plus élevé. Par opposition, on parle aussi de « la Q L’été indien
On comprend donc bien que, mé- partie visible/émergée de l’iceberg »
Dans le nord des États-Unis
taphoriquement, mettre un peu pour parler d’une chose qui en
et au Canada, période de
d’« huile de coude » ne peut que cache probablement une bien plus
l’automne où la température
permettre au bras de travailler plus importante (en anglais the tip of the
reste très agréable et
efficacement et de produire plus iceberg).
les couleurs de la nature
d’énergie.
magnifiques – Partout
Et d’ailleurs, à la fin du XIXe siècle, Q Incessamment ailleurs, période de beau
l’expression se disait plutôt huile de sous peu temps et de température
bras.
Dans très peu de temps. agréable juste avant l’hiver.
On a dit aussi huile de poignet mais,
de nos jours, c’est incontestable- Sous peu est une forme elliptique de Cette appellation, traduite de l’an-
ment huile de coude qui a les fa- « sous peu de temps ». Elle signifie glais indian summer, nous vient du
veurs des non-paresseux. donc « dans pas longtemps ». Canada.
Incessamment est un adverbe dont Elle évoque cette période, en oc-
Q La partie cachée/ la principale signification actuelle est tobre ou novembre, où il fait en-
immergée de l’iceberg « très prochainement ». core bon profiter de la nature aux
Ce qui montre que nous avons ici couleurs automnales flamboyantes
Dans un problème, une
un beau pléonasme, récent puisqu’il sous un soleil et un vent du sud qui
situation, ce qui est à la
ne date que de la seconde moitié du maintiennent des températures très
fois caché et beaucoup plus
XXe siècle, dont le but est simplement douces pour la saison.
important que ce qui est
de renforcer la signification. Le qualificatif indien est bien enten-
visible.
Son utilisation se fait soit par du lié aux Amérindiens, les habitants
Il est aisé de constater que dans un quelqu’un qui répète une expression originels de cette contrée que les
verre, si le glaçon flotte, la partie entendue sans avoir conscience du premiers navigateurs venus d’Europe
au-dessus de l’eau est très petite par pléonasme ou qui tient vraiment à croyaient rencontrer aux Indes.
rapport à celle qui est sous l’eau. Or, insister sur la courte durée, soit dans Le terme s’est ensuite répandu hors
qu’est-ce qu’un iceberg, sinon un un contexte où l’ironie est de mise. d’Amérique du Nord pour désigner
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 111


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

une période préhivernale avec du producteurs devaient payer non pas paraît-il, lorsqu’on coupe une patte
beau temps et des températures d’après leurs ventes, mais d’après d’un opilion, elle s’agite de saccades
douces. leur stock en cave (stock dont on régulières qui feraient penser aux
En France, on appelle aussi une telle faisait l’inventaire et sur lequel ils mouvements réguliers du faucheur.
période l’été de la Saint-Martin. payaient un droit). Une autre hypothèse indique que
les faucheux pulluleraient dans les
Q Un violon d’Ingres Q Faire le Jacques champs fraîchement fauchés.
Une activité à laquelle on Faire l’imbécile (avec une
aime se consacrer en dehors connotation positive, dans
Q Ça me fait une belle
de sa profession. Un hobby. le cas de plaisanteries et
jambe
drôleries, ou négative,
Jean Auguste Dominique Ingres était
dans le cas de bêtises). Cela ne m’est d’aucune
un peintre du XIXe siècle (né au XVIIIe),
utilité, cela ne m’avance
auteur entre autres de La Grande Cette expression apparaît vers 1880.
en rien.
Odalisque ou du Portrait de Mon- À cette époque, Jacques est un
sieur Bertin. des prénoms désignant un simple Il faut savoir qu’à partir du milieu
Il se trouve qu’Ingres avait… un vio- d’esprit, un naïf, un niais. du XIIe siècle, mais surtout à partir
lon d’Ingres : il avait une seconde Il faut dire que, dès le XIVe siècle, du XVe, l’homme s’est mis à porter
passion artistique et consacrait ses Jacques était un sobriquet utilisé des vêtements qui laissaient voir
moments libres à jouer du violon, pour désigner les paysans, donc ses jambes, habillées de chausses,
avec un certain talent, puisqu’il de- implicitement des gens sots (ce qui composées du haut-de-chausses,
vint même deuxième violon à l’or- donnera le terme jacquerie pour de la taille parfois jusqu’au ge-
chestre du Capitole de Toulouse. désigner une révolte de paysans nou, et du bas-de-chausses, cou-
C’est ainsi que, depuis le début du comme celle de 1358). vrant jusqu’aux pieds.
XXe siècle, avoir un violon d’Ingres Aujourd’hui, selon le type d’imbécil- Ces derniers, ancêtres du bas, col-
s’emploie à propos d’une personne lité, on dirait faire le pitre (ou l’an- laient au corps et laissaient donc
qui pratique une activité non profes- douille) ou bien faire l’imbécile (ou plus que deviner le galbe de la
sionnelle avec une certaine passion. le con). jambe.
Il n’est pas impossible que cette expres- Au XVIIe siècle, ce galbe a
Q Le droit d’inventaire sion ait un lien avec la version utilisée commencé à avoir une importance
outre-Manche, où la locution anglaise en société.
Le droit d’établir, à propos
to play the Jack, utilisée par Shakes- Et c’est de ces hommes coquets
d’une chose passée, la liste
peare, voulait dire « faire le farceur ou qui se pavanaient en montrant
de ce qui en a été positif et
le fourbe ». Qui a volé l’autre ? leurs si belles jambes qu’est née
de ce qui en a été négatif.
l’expression faire la belle jambe.
Cette formule, avec ce sens moderne, Q Des jambes de Ce n’est qu’au XIXe siècle qu’on
est très récente, puisqu’elle semble faucheur/faucheux trouvera d’abord un ça me fait
n’apparaître qu’à la fin du XXe siècle. bien la jambe avant que notre ex-
Des jambes très longues.
Un inventaire, c’est une opération pression avec sa forme actuelle,
qui consiste à dénombrer et énu- Dans la famille des arachnides, il utilisée ironiquement, ne prenne
mérer des éléments. Il peut donc existe, parmi d’autres, deux catégo- le dessus.
parfaitement être découpé en deux ries bien connues, celle des araignées
parties, l’une comportant des points et celle des opilions, ou faucheux ou
positifs et l’autre des points négatifs faucheurs. Tandis que les araignées Q Prendre ses jambes
à propos d’une chose passée. ont des pattes relativement courtes à son cou
S’accorder un « droit d’inventaire », (par rapport à la taille du corps), nos
Courir très vite, s’enfuir.
c’est s’autoriser à faire un tel constat faucheux, dont le corps est petit,
dans le but, en général, de le par- sont pourvus de huit très longues et Il suffit de remonter à la fin du
tager avec d’autres et, bien souvent, très fines pattes. XVIIe siècle pour trouver l’explication
d’être plutôt critique envers ce qu’on C’est donc tout simplement de ces de l’origine, à défaut de comprendre
juge. animaux-là que viendrait notre ex- le lien avec le sens actuel.
Mais autrefois, au tout début du pression. À cette époque, en effet, Furetière
XIXe siècle, le « droit d’inventaire » Quant à leur nom de faucheux, né écrivait qu’au début de son siècle, il
était une taxe sur les vins que les au XVIIe siècle, il viendrait du fait que, existait prendre ses jambes sur son
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112 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
col (notez le sur) qui signifiait « se
résoudre à partir pour quelque mes-
Q Un coup de Jarnac
sage ou quelque voyage ». Il s’agis- Un coup habile, décisif, mais inattendu –
sait donc simplement des préparatifs Un coup donné par traîtrise.
à un déplacement qui outre quelques
Nous sommes en 1547, à une épo-
menus objets nécessaires au voyage,
que où les différends entre gentils-
nécessitait, bien sûr, d’emporter aus-
hommes se règlent par un duel, qui
si ses jambes, vues comme des ac-
va ici opposer Guy Chabot de Saint-
cessoires également à ranger dans le
Gelais, baron de Jarnac, à François de
sac des bagages. Et comme ce der-
Vivonne, sieur de la Châtaigne-
nier était souvent porté en bandou-
raie. Ce dernier est donné vain-
lière ou à l’aide d’une sangle passant
queur d’avance, car il est considéré
derrière le cou, il fallait aussi prendre
comme une des meilleures lames
ses jambes sur son col.
du royaume. Mais au cours du com-
Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que le
bat au poignard et à l’épée, Jarnac
sens de l’expression a évolué pour
tranche le jarret de son adversaire
marquer la promptitude, la vitesse
qui s’écroule, incapable de continuer
du départ.
le duel.
À l’époque du duel, la méthode uti-
Q Tenir la jambe lisée par Jarnac est vue comme un
(à quelqu’un) coup habile, mais acceptable même Léonard Limousin, Portrait de Guy
Chabot, baron de Jarnac, émail sur cuivre,
Retenir (quelqu’un) en lui s’il n’est pas habituel. Ce n’est qu’à e
XVI siècle.

imposant une conversation partir du Dictionnaire de Trévoux,


sans intérêt. œuvre des Jésuites parue en 1771, que ce coup est décrit comme donné
par traîtrise, version que réfuteront plus tard Larousse et Littré.
Voilà une métaphore qui date du
Mais comme l’expression est attestée à partir de 1803, peu après la publi-
tout début du XXe siècle et qui ne
cation du dictionnaire, c’est principalement ce sens de « coup en traître »
nécessite pas beaucoup d’explications
qui sera généralement retenu.
tellement elle paraît limpide.
Elle décrit le comportement de l’im-
portun qui, figurément, vous « tient vêtu de jaune ; être habillé en jaune, Q En jeter – Ça en jette !
la jambe », vous abreuve de paroles c’était, à l’époque médiévale et dans
Faire de l’effet, avoir belle
sans se rendre compte qu’il vous en- certains pays, signaler être juif (la loi
allure, éblouir.
nuie profondément, alors que vous le voulait ainsi, ce qui rappelle l’in-
souhaiteriez ardemment « lever le famante étoile jaune au cours de la Cette expression est une version
pied » pour ne plus avoir à subir dernière guerre mondiale) ; le jaune courte de jeter un/son jus qui date
son discours un tantinet barbant, du soufre rappelait Lucifer, etc. du début du XXe siècle et qui voulait
alors que vous n’osez pas l’envoyer En 1640, Oudin écrit « il rit jaune dire « avoir très belle allure » ou
paître soit parce qu’il vous reste un comme farine », expression de l’ar- « être très élégant ».
soupçon d’éducation, soit parce que got de l’époque où farine ne dé- Pourquoi jus, me direz-vous ? Eh
vous avez un intérêt certain à lui signe pas l’aliment, mais quelqu’un bien, comme l’écrit Gaston Esnault,
faire croire que son verbiage vous de vicieux (des gens de même farine « l’idée sous-jacente est celle d’es-
passionne, grand hypocrite intéressé désignait, dans le Dictionnaire de sence, d’extrait », de ce qui est le
que vous êtes. l’Académie française de 1694, « des meilleur ; lorsque votre apparence
gens qui sont sujets à mêmes vices, éblouit, c’est parce que vous essayez
Q Rire jaune ou qui sont de même cabale »). de montrer le meilleur de vous-
Autrement dit, dès cette période, le même. Et vous jetez cet aspect à la
Rire de manière forcée.
rire jaune désignait un rire malsain, face de ceux qui vous regardent.
Si le jaune est une couleur considérée dissimulateur. Le sens initial, uniquement appliqué
comme positive (le soleil, donc la vie ; C’est donc probablement de à l’allure de quelqu’un, s’est ensuite
l’or, donc la richesse ; le blé, donc la cette époque que nous vient cette élargi à tout ce qui paraît superbe,
nourriture…), il a aussi souvent été expression. étonne grandement ou produit un
perçu de manière négative : Judas grand effet.
le traître était représenté comme

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 113


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Et tout Israël fut rapidement au cou- moins bien) des choses qui ne font pas
Q On ne peut à la fois rant de la sagesse de ce roi qui savait l’objet d’une connaissance immédiate
être juge et partie comment rendre une justice équitable. certaine, ni d’une démonstration
On ne peut pas juger avec C’est tout simplement de cette his- rigoureuse », faculté qu’on associe
équité ses propres fautes – toire, de ce jugement intelligent et généralement à l’intelligence ou à la
On ne peut avoir un pouvoir perspicace, que l’expression est née. capacité de raisonnement.
d’arbitre dans une affaire où Au point que quand on dit de
l’on a des intérêts personnels. Q Ne pas avoir (pour) quelqu’un qu’il n’a pas de jugeote,
deux sous de jugeote c’est plus souvent pour dire qu’il est
La formule juridique latine à l’ori-
un imbécile.
gine de notre expression Aliquis non Manquer sérieusement de
Alors, dire d’une personne qu’« elle
debet esse judex in propria causa, bon sens, de discernement.
n’a pas (pour) deux sous de ju-
quia non potest esse judex et pars Ne pas être très intelligent.
geote », c’est affirmer qu’elle en a
(« personne ne doit être juge de sa
On trouve le mot jugeote pour la tellement peu que, si on devait payer
propre cause, parce qu’on ne peut
première fois en 1871 dans la cor- pour l’obtenir, on n’en donnerait
être juge et partie »), qu’on trouve
respondance de Gustave Flaubert, même pas deux misérables sous.
aussi sous la forme réduite Nemo ju-
ce dernier étant parti du mot juge-
dex in causa sua (« Nul ne peut être
ment, dont il a remplacé la fin par le
à la fois juge et partie ») est pleine « Quand on dit de
suffixe diminutif -ote.
de sagesse : en effet, il ne saurait quelqu’un qu’il n’a pas de
Le jugement, c’est ici, comme nous
être question de désigner un fautif jugeote, c’est plus souvent
dit le Grand Robert : « la faculté de
probable comme juge de la faute pour dire qu’il est un
l’esprit permettant de juger (plus ou
commise. Quelqu’un peut-il avoir imbécile. »
suffisamment d’impartialité pour
être à la fois juge et partie pour juger
équitablement ses propres fautes ? Q Jeux de mains, jeux Q Le petit juif
Le second sens proposé est une de vilains Le nerf ulnaire.
extension du premier et sort du
Les jeux de mains finissent
cadre purement juridique. Il est sou- Le nerf ulnaire suit tout le membre
toujours mal.
vent employé dans le monde des supérieur, passe près de la pointe du
affaires où il indique qu’une entre- Cette expression est souvent em- coude où il provoque une très dé-
prise impliquée dans une situation ployée aujourd’hui lorsqu’il faut sagréable sensation « électrique »
de conflit ne devrait pas pouvoir faire cesser des enfants qui enta- lorsqu’on le compresse fortement ou
s’immiscer dans la prise de décision ment des jeux brutaux pouvant qu’on le cogne.
départageant les parties. rapidement mal tourner. Maintenant, pourquoi l’appelle-t-on
Datant probablement du petit juif ?
Q Un jugement XVIIe siècle, elle nous vient du Peut-être vous souvenez-vous avoir
de Salomon Moyen Âge, une époque où les vu, dans la vraie vie ou dans un film,
vilains étaient simplement des des gens mesurer des longueurs de
Un jugement d’une grande
paysans, des hommes de basse corde, tissu… en l’enroulant autour
sagesse et parfaitement juste.
condition. de l’avant-bras, de la main à l’arrière
La Bible nous raconte que deux Chez eux, les jeux de mains du coude, ce qui s’appelait « me-
mères se disputant un enfant furent étaient des jeux où l’on échan- surer à l’aune », mouvement au
amenées devant le roi Salomon pour geait des coups légers, par plai- cours duquel le coude pouvait être
qu’il tranche. Salomon ordonna de santerie, et qui pouvaient aisé- amené à cogner l’éventuelle surface
trancher le petit être en deux et d’en ment dégénérer. Mais également, au-dessus de laquelle la mesure se
donner une moitié à chaque femme. alors que les gens de la haute faisait.
Mais la véritable mère ne voulant évi- société réglaient leurs querelles à La dénomination petit juif viendrait
demment pas que son enfant soit dé- l’arme blanche, ces gens rustres, d’une époque où, dans le commerce
coupé, alors que l’autre était d’accord, eux, utilisaient surtout leurs mains des vêtements et tissus, les commer-
elle annonça préférer céder l’enfant. (et leurs poings) lorsqu’une alter- çants juifs étaient majoritaires.
En l’entendant, Salomon, qui n’es- cation démarrait. Et lorsqu’ils étaient amenés à mesurer
pérait que cela, sut qui était la vraie Les jeux de mains étaient donc des produits à l’aune, ils pouvaient fa-
mère et lui fit remettre le bébé. obligatoirement des activités cilement et régulièrement se cogner le
réservées aux vilains. nerf ulnaire sur leur comptoir.

114 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q C’est kif-kif Q Un [quelque chose] logique que l’expression ait pris le


lambda sens métaphorique indiqué, vers la
C’est pareil.
fin du XVIIe siècle.
Un [quelque chose] moyen,
Il s’agit d’une expression qui date Quant au second sens proposé, il est
ordinaire. Un quelconque
de 1867 et qui a été empruntée à bien entendu dérivé de la vivacité et
parmi d’autres.
l’arabe maghrébin et introduite en de l’intelligence du combat du bon
France par les soldats des armées Lambda est le nom de la onzième escrimeur.
d’Afrique du Nord. lettre de l’alphabet grec, l’équivalent
C’est un redoublement du mot du l dans l’alphabet latin. Q S’en mettre plein
arabe kif qui signifie « comme ». C’est au milieu du XXe siècle que la lampe
On trouve des variantes intensives cette lettre se met à désigner
Manger (ou boire)
comme kif-kif le même sac ou, plus quelque chose de quelconque, de
copieusement, à satiété.
souvent, kif-kif bourricot, cette der- très moyen.
nière étant une adaptation libre, La seule explication proposée par Dans cette expression purement
mais plaisante, d’une locution arabe des lexicographes sur le choix de argotique qui nous vient du dé-
voulant dire « pareil à l’âne ». cette lettre vient d’une opposition à but du XXe siècle, la lampe désigne
Notez que kif-kif bourricot peut aus- l’utilisation de la lettre alpha. Celle- l’estomac, sens qui existe depuis la
si être remplacé par la locution blanc ci, la première de l’alphabet grec, fin du XVIIe puisqu’il est attesté en
bonnet et bonnet blanc. désigne souvent le premier élément 1683.
d’une série quelconque dans di- Mais par quelle étrange association
verses sciences. d’idées ? À la suite, semble-t-il, du
Q Se laisser manger/ Or, par sa position dans le même al- croisement de trois choses :
tondre la laine sur phabet, lambda est la lettre dont le – la première était une métaphore
le dos nom n’est pas monosyllabique qui est venue de la lampe à huile, récipient
placée la plus proche du milieu, donc à comparé à l’estomac qu’on remplit
Se faire exploiter sans se
une position très moyenne, très quel- d’un liquide ;
défendre.
conque, où elle ne peut pas briller, où – la deuxième vient du verbe lam-
Cette expression, relevée au elle est un peu noyée dans la masse, per, variante nasalisée de laper, qui,
XVIe siècle, et toujours avec le contrairement à l’alpha et à l’oméga, au milieu du XVIIe siècle, avait le sens
verbe manger, symbolise à la fois les première et dernière lettres. familier de « boire avidement » ;
la passivité et la niaiserie. Si elle Ce serait là l’explication de l’utilisa- – la troisième est liée à l’ancien mot
est née, c’est aussi parce que le tion de cette lettre. lampas que Jean de La Fontaine a
mouton est un animal générale- utilisé et qui signifiait « gorge » ou
ment considéré comme docile, Q Une fine lame « gosier ».
qu’il est facile de tondre.
Quelqu’un d’une grande
Mais pourquoi manger a-t-il été em- Q Sur l’air des lampions
habileté (souvent mâtinée
ployé dans cette expression avant
de ruse) – En scandant quelques
tondre, beaucoup plus naturel ?
Un esprit intelligent et vif. syllabes détachées sur une
C’est Pierre Marie Quitard qui lève
seule note ou un rythme
le voile en 1842 dans son Diction- Ne dit-on pas de quelqu’un de très
très simple.
naire étymologique, historique, et perspicace, astucieux et/ou vif qu’il
anecdotique des proverbes et des a un esprit acéré ? Acéré comme Lampion, venu de l’italien lampione,
locutions où il écrit, pour cette peut l’être une lame pointue et bien a d’abord surtout désigné une lan-
expression : « Souffrir tout, ne aiguisée… terne de bateau.
pas savoir se défendre, comme les À son origine, l’expression nous Ensuite, à la fin du XVIIe siècle, son
brebis qui souffrent patiemment vient du monde de l’escrime où, au usage s’est restreint à l’appellation
que les corbeaux se fixent sur leur XVIe siècle, une fine lame, d’abord d’un godet à huile dans lequel une
dos et leur arrachent la laine. » précédée de une bonne lame, dési- mèche trempait, permettant ainsi de
Car effectivement, de nombreux gnait un bon escrimeur. faire un lumignon.
oiseaux se servent de touffes de Et comme pour être une « fine C’est au milieu du XVIIIe que le mot
poils ou de laine pour tapisser leur lame », il faut non seulement être désigne également des lanternes
nid. Et quoi de plus pratique que habile, mais aussi rusé, pour pouvoir vénitiennes.
d’aller se servir directement sur le atteindre son adversaire au moment Le premier air des lampions résonna
dos du fournisseur ? où il ne s’y attend pas, il est assez en 1848, alors que Louis-Philippe
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 115


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
venait d’être chassé par une insur- Mais pourquoi les chiens sont-ils de- « magique » : les sept jours de la
rection. Les républicains montrèrent venus un chat auquel on donne au semaine, les sept planètes tradition-
leur joie en illuminant leurs fenêtres ; lieu de jeter ? nelles en astrologie, les sept couleurs
mais, comme il y avait finalement Rey et Chantreau expliquent que de l’arc-en-ciel, les sept péchés ca-
peu de ces éclairages spontanés, « mettre quelque chose dans l’oreille pitaux, les sept sacrements, les sept
les gens dans les rues se mirent à du chat » (George Sand), c’était lui centres subtils au yoga, les sept ciels
scander : « Des lampions ! Des lam- confier quelque chose qui devait et ainsi, presque à l’infini…
pions ! » C’est de cet appel répétitif, rester secret, oublié. Le chat avait
d’une seule note et de trois syllabes donc connaissance de beaucoup de Q La langue de bois
que nous vient notre expression. choses sans pour autant être capable
Le langage, le discours figé,
Et si, à l’origine, et pendant un mo- de les divulguer. Donner sa langue
coupé de la réalité. Le langage
ment, l’air des lampions était bien au chat serait ainsi un mélange de
qui véhicule, de manière
limité à trois syllabes et une seule « jeter sa langue devenue inutile »
artificielle, un message
note, il a fini par désigner tous les mais « la confier au chat » pour être
intentionnellement truqué.
slogans scandés par de nombreuses sûr qu’il la gardera.
personnes en séparant les syllabes et La langue de bois permet de ca-
sur très peu de notes. Q Il faut tourner sept cher la vérité, de répondre à côté
fois sa langue dans sa de la question ou de noyer une
Q Donner sa langue bouche avant de parler absence de pensée ou de connais-
au chat sance d’un sujet sous un déluge de
Il faut réfléchir (longuement)
paroles creuses. Cette appellation
Renoncer à trouver avant de parler
est donnée pour récente en France
ou à deviner une solution.
La date d’apparition de ce proverbe puisqu’elle n’y serait apparue qu’au
Cette expression n’apparaît qu’au n’est pas vraiment connue, mais il cours des années 70.
XIXe siècle. n’est cité qu’à partir de l’édition de Et l’explication qui en est générale-
Auparavant, on disait jeter sa langue 1835 du Dictionnaire de l’Académie ment donnée vient des Russes qui,
aux chiens qu’on trouve dans le Dic- française. avant leur révolution, utilisaient l’ex-
tionnaire de l’Académie française Cela dit, on trouve dans la Bible la pression langue de chêne pour se
(1835). forme suivante, attribuée à Salo- moquer du style administratif em-
Aux chiens, on jette les restes, ce mon : « Le sage tourne sept fois sa ployé dans leur bureaucratie tsariste
qui n’a plus de valeur. Leur jeter sa langue dans sa bouche avant de par- étouffante.
propre langue, c’est leur abandon- ler. » Autant dire que l’idée du sage L’ère bolchéviste n’améliorant pas
ner son organe de la parole qui n’a qui réfléchit avant de parler remonte véritablement ce style, les manières
plus d’utilité puisqu’on ne dira ja- à loin dans le temps. de parler et d’écrire y étant codifiées
mais la solution qu’on renonce à Le chiffre sept est quant à lui de- et pleines de clichés, la locution
chercher. puis très longtemps un nombre continuera donc à être utilisée, mais
QQQ

Q Poser un lapin
Faire attendre quelqu’un en n’allant pas au rendez-vous qu’on lui a fixé.
Cette expression qui date de la fin du XIXe siècle a d’abord signifié « ne pas
rétribuer les faveurs d’une femme ».
Pour le sens actuel de l’expression, apparu également à la même période, il est
probable qu’il y ait eu un glissement d’une attente non comblée (celle du paie-
ment) vers une autre attente également non comblée (celle de la personne at-
tendue), puisque dans les deux cas, il s’agit d’un engagement qui n’est pas tenu.
Il est possible que ce sens ait été influencé par une des significations de lapin
au début du XVIIe siècle.
En effet, à cette période, lapin s’employait pour parler d’une histoire complète-
ment inventée, source de moqueries.
Alors on peut imaginer que ce lapin-là ait glissé ou bondi de l’histoire ou la
blague douteuse à la plaisanterie douteuse comme celle de donner un faux
rendez-vous. Gravure extraite de Die Gartenlaube, 1874.

116 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
le chêne se fait progressivement Cette expression est apparue à la Q Perdre son latin
remplacer par le bois, tout simple- fin du XVIIIe siècle. Elle symbolise
Ne plus rien comprendre
ment. l’hésitation entre deux choses ou
à quelque chose.
L’expression aurait transité par la Po- deux interprétations très voisines.
logne avant d’arriver chez nous. À une lointaine époque, le latin
était la langue principalement écrite,
Q Éclairer la lanterne Q Des larmes maîtrisée par les érudits, les savants
(de quelqu’un) de crocodile et les ecclésiastiques, opposée à la
langue parlée vulgaire, le roman.
Dire, ajouter ce qu’il faut, Des larmes feintes
Au XIVe siècle, perdre son latin s’ap-
le détail nécessaire pour destinées à émouvoir et
pliquait bizarrement aux oiseaux,
être compris. Apporter les tromper l’entourage.
incapables de parler le moindre lan-
éléments nécessaires à la
Cette expression qui, sous la gage. Au XVIe, la locution signifie aus-
compréhension de quelque
forme actuelle, existe depuis le si bien « renoncer à comprendre »,
chose.
XVIe siècle, nous arrive de loin montrant ainsi la difficulté de cette
On retrouve ici l’équivalence fré- puisqu’elle est issue d’anciennes langue et qui s’exprimait aussi sous
quente entre « lumière » et « com- versions en grec et en latin. Elle la forme être au bout de son latin.
préhension intellectuelle » comme vient d’une légende qui disait que Elle a également été utilisée aux XVIIIe
dans l’expression être une lumière. les crocodiles du Nil attiraient leurs et XIXe siècles pour dire « perdre son
Cette expression vient au XVIIIe siècle proies en gémissant, à fendre temps et sa peine » ou « travailler
de la fable de Florian « Le Singe qui l’âme des naïfs qui passaient à inutilement à quelque chose ».
montre la lanterne magique » dans proximité et venaient s’enquérir, Autant dire que ce latin a toujours
laquelle un singe savant, voulant d’un peu trop près, de ce qui porté une connotation négative, pro-
épater ses collègues, animaux divers, pouvait provoquer de tels pleurs. bablement liée à sa difficulté d’ap-
les convie à un spectacle dans lequel prentissage et au clivage qu’il maté-
il utilise la lanterne magique de son rialisait entre les érudits et les autres.
maître. Q S’entendre comme
Mais il n’oublie qu’un seul « petit larrons en foire Q S’endormir/Se reposer
détail » pour que les autres animaux sur ses lauriers
Très bien s’entendre.
comprennent pourquoi ils sont là,
Se contenter d’un premier
c’est d’allumer la lanterne ! Un larron étant, selon Littré, « celui
succès.
C’est après la publication de cette qui commet un larcin, qui dérobe
fable qu’à cette époque oublier furtivement », l’expression s’en- Le laurier est un arbuste aromatique
d’éclairer la lanterne, voulait dire tendre comme larrons (version du de la région méditerranéenne dont
« omettre un point essentiel pour se XVIe siècle) s’employait à propos de les rameaux servaient à tresser des
faire comprendre ». compères qui s’entendaient pour couronnes destinées aux poètes, aux
Par la suite, l’expression s’est trans- préparer un mauvais coup. héros et aux vainqueurs.
formée pour devenir celle d’au- C’est au XVIIe que foire est ajouté, ces Cela vient du fait que, dans la Grèce
jourd’hui. foires qui désignent de grands marchés antique, cet arbuste était dédié au
publics où toutes sortes d’articles sont dieu Apollon. Il représentait l’immor-
Q Se demander présentés et mis en vente. Le genre de talité acquise par la victoire, mais
si c’est du lard lieu où les mauvais coups au détriment aussi les qualités nécessaires à cette
ou du cochon aussi bien des marchands que des visi- victoire : la sagesse et l’héroïsme.
teurs peuvent être faciles à perpétrer. S’endormir ou se reposer sur ses
Ne pas savoir à quoi s’en
Dans cette expression, la notion de lauriers, c’est donc, au figuré, se
tenir, avoir du mal à faire la
brigand associée à larron s’est peu contenter de ses premiers succès
distinction entre deux choses
à peu perdue, et, si on l’emploie au- (et de la couronne de laurier qui va
très similaires.
jourd’hui facilement pour désigner implicitement avec) et arrêter là les
N’importe quel dictionnaire vous deux gamins qui s’entendent si bien efforts pour essayer d’en glaner de
confirmera que le lard est simple- qu’on imagine qu’ils pourraient très nouveaux.
ment de la graisse de porc. Alors, bien faire des bêtises ensemble, elle Si cette expression existe avec ce
même si le cochon n’est pas que du peut aussi simplement désigner des sens depuis le milieu du XIXe siècle, au
lard, le lard est obligatoirement du gens qui s’entendent à merveille, XVIIe, on disait se reposer à l’ombre
cochon. sans autre connotation. de ses lauriers pour dire « jouir d’un
QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 117


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
repos mérité par des succès écla-
tants » (Littré), ce qui n’avait pas la Q Faire du lèche-vitrine
même connotation négative ou res-
Déambuler devant des vitrines de magasins et en regarder le
trictive que notre locution.
contenu avec plaisir ou envie (sans intention obligatoire d’achat).
Q Pressé comme C’est depuis le XIIe siècle que le verbe lécher, dont l’étymologie reste discutée,
un lavement signifie « passer la langue sur quelque chose ».
Si au, XIXe siècle, le verbe lécher a également pris le sens de « effleurer de
Très pressé.
près » dont on pourrait croire que le substantif lèche-vitrine est tiré, tant on
Depuis le XVIIe siècle, et jusqu’à effleure alors les devantures des boutiques, le Robert indique que lécher les
maintenant, le mot lavement vitrines, apparu au XXe siècle, est une image qui doit plutôt être comprise
désigne l’injection par l’anus d’un comme « regarder de si près et avec tant de plaisir les vitrines des magasins
liquide dans le gros intestin, ce qu’on a l’air de les lécher ».
traitement ayant en général pour
but principal de provoquer le vidage
Rapidement traduite en français Quant à l’ancienne expression à la
de celui-ci, ce qui se traduit par une
sous le titre La Contre-lésine, elle lettre, toujours utilisée avec son sens
diarrhée impérieuse.
marque suffisamment les esprits initial, sa signification a parallèle-
C’est principalement l’expulsion ra-
pour que lésine désigne alors une ment légèrement évolué à partir du
pide des matières fécales mélangées
épargne constituée avec une avarice XVe siècle vers « scrupuleusement »
au produit injecté qui a provoqué la
extrême, le mot donnant également et elle s’utilise en général pour
naissance de notre belle expression.
le verbe lésiner. évoquer la manière dont on applique
Cela dit, d’autres sources indiquent
Voilà comment est née la locution lé- des consignes, un ordre ou un
que c’est la vitesse des collaborateurs
siner sur, à comprendre comme « il règlement.
de l’apothicaire qui, alors que le la-
ne faut surtout pas chercher à
vement venait juste d’être préparé et
était chaud et prêt à être administré,
faire l’économie stupide de tous Q Y a pas de lézard !
les moyens qui seraient nécessaires
se précipitaient vers le destinataire, Y a pas de problème ! Tout va
pour atteindre le but fixé ».
qui serait à l’origine de l’expression. bien !
La même image ragoûtante fait
qu’on utilise aussi parfois la locution
Q Au pied de la lettre – Il paraît que certains lézards sifflent
partir (ou filer) comme un lavement.
À la lettre et, selon Pierre Merle, c’est à ce sif-
flement qu’il faudrait se rattacher.
Dans le sens strict des
En effet, si l’on se fie à son Dico de
Q Ne pas lésiner sur les mots, en n’en faisant
l’argot de fin de siècle, l’expression
moyens aucune interprétation –
serait apparue dans le milieu de la
Scrupuleusement,
Faire tout ce qu’il faut, tout musique où, apparemment depuis
rigoureusement.
ce qui est nécessaire pour les années 70, un lézard est un siffle-
obtenir satisfaction, arriver à Cette expression existe depuis le ment parasite qui, au moment d’une
son but. XVIe siècle, mais elle a été précédée prise de son, oblige à la refaire.
par à la lettre avec le même sens de- Mais selon d’autres, lézard viendrait
Le verbe lésiner date du XVIIe siècle,
puis le XIIIe siècle. de la lézarde murale qui est une fis-
avec pour sens initial « épargner avec
Pied y a le sens de « mesure » (à sure, l’expression voulant alors dire
avarice ». Étrangement, il nous vient
la mesure de la lettre), tel qu’on le que tout va bien entre les personnes
des cordonniers italiens. En effet, le-
trouvait autrefois dans l’expression entre lesquelles y a pas de lézard,
sina en italien désigne l’alène, outil
mesurer quelque chose au pied de… puisqu’il n’y a aucune fissure dans
par excellence de ce corps de métier.
Le Dictionnaire des expressions et leur relation.
Mais quel peut bien être le rapport
locutions figurées explique que l’ex- Enfin, une autre hypothèse viendrait
entre l’alène et l’avarice ?
pression viendrait d’une allusion à tout simplement d’un sens argotique
Selon le Dictionnaire historique de
la Bible dans un passage de laquelle maintenant oublié de lézard qui dé-
la langue française, c’est à la fin du
lettre, « interprétation littérale des signait un « mauvais compagnon »
XVIe siècle que paraît en Italie une
mots », est clairement opposé à es- ou un « fourbe ». L’absence de lé-
satire qui raconte l’histoire d’un
prit, « véritable intention dissimulée zard (fourberie, entourloupe) entre
groupe d’avares qui réparaient eux-
sous les mots ». deux personnes indiquerait alors que
mêmes leurs chaussures et dont
tout va bien entre elles.
l’emblème était l’alène.

118 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Entrer en lice Q Lever un lièvre gradés de leur poste. C’est de cette


disgrâce que naît le verbe limoger.
S’engager dans une Détecter une difficulté
Par extension, on dit aussi de toute
compétition. Intervenir dans imprévue, s’en apercevoir
personne ayant des responsabilités
un débat. avant les autres.
qui se fait sanctionner qu’elle se fait
Le mot lice nous vient au XIIe siècle Cette expression datant du milieu du limoger, sachant qu’aujourd’hui, on
du francique listia ou listja qui voulait XVIIe siècle est empruntée à la chasse, l’utilise plus précisément dans le cas
dire « barrière ». lorsque le chasseur (ou son chien) d’un licenciement.
Pour comprendre l’origine de l’ex- débusque le lièvre de son gîte.
pression, il faut remonter à cette Dans le cas d’un groupe de chas- Q Laver son linge sale
lointaine époque où les joutes ou seurs, c’est celui qui le voit le pre- en famille
tournois avaient lieu à l’extérieur, mier qui a des chances de l’abattre,
Régler les fâcheuses affaires
dans un champ clos. Par métonymie, s’il n’est pas trop mauvais tireur.
au sein du groupe concerné
la lice qui entourait le champ a donné Cette situation, fréquente à la
et non en public, discrètement
son nom au lieu même du tournoi. chasse, nous permet de retrou-
et sans témoins.
Lorsque l’un des chevaliers s’avan- ver cette notion de « voir avant les
çait pour prendre part à sa joute, il autres ». Autrefois, le linge se lavait au lavoir,
« entrait en lice », expression qui a Mais pourquoi une difficulté est-elle en compagnie des autres femmes du
d’abord signifié « combattre ». comparée à un lièvre ? En réalité, il voisinage et les commérages allaient
C’est au début du XVIIe siècle qu’au faut plutôt la considérer comme un bon train. L’endroit, dont le rôle so-
figuré, elle a pris les sens qu’on lui problème bien dissimulé, comme cial était extrêmement important,
connaît aujourd’hui. l’est le lièvre avant qu’il ne soit brus- était parfait pour se tenir au courant
En effet, qu’est-ce qu’une compétition quement débusqué, d’où la notion des potins locaux et même des nou-
sinon une lutte, et qu’est-ce qu’un d’imprévu. velles du monde, lorsqu’elles arri-
débat, sinon une joute oratoire ? Quant à l’usage du verbe lever, il vaient dans le coin.
faut simplement savoir que, dès le Il permettait aussi aux femmes pré-
XIIe siècle, il avait la signification de sentes de parler de leurs différends
Q Courir plusieurs « faire sortir de son gîte, faire partir familiaux et donc de les ébruiter très
lièvres à la fois (un animal sauvage) ». largement.
L’image que contient l’expression est
Mener plusieurs
Q Se faire limoger donc simple à comprendre : n’allons
entreprises en même
pas au lavoir ébruiter nos problèmes
temps, au risque de tout Pour un officier, se
et dissensions familiaux (le linge
faire imparfaitement. faire relever de son
sale) ; lavons (réglons) tout ça chez
commandement –
Un chasseur pas trop stupide nous, en famille (au sein du groupe),
Pour une personne ayant des
sait bien qu’à vouloir viser en et nos affaires resteront secrètes.
responsabilités, être mise en
même temps deux lièvres levés au La naissance de l’expression est
disgrâce.
même moment, il a de très fortes souvent attribuée à Voltaire, au
chances de n’en tuer aucun, sur- Au début de la guerre de 14-18, XVIIIe siècle.
tout si ceux-ci s’enfuient dans des le général Joffre doit résoudre une
directions opposées. crise importante dans le haut com- Q Une tête de linotte
Dans un tel cas, mieux vaut qu’il mandement de l’armée française.
Une personne étourdie,
se concentre sur un seul s’il veut Ayant jugé que de trop nombreux
peu réfléchie.
avoir une chance de déguster un généraux et hauts gradés, brillants
bon civet plus tard. en temps de paix, étaient des inca- Tête vient du latin testa qui voulait
C’est pourquoi cette expres- pables au front, Joffre décide que dire « coquille ».
sion, effectivement venue du ces généraux faillibles doivent se reti- C’est par une métaphore que cette
monde de la chasse à la fin du rer dans une localité de la 12e région coquille désigne maintenant la boîte
XVIIe siècle, et généralisée à tous qui, alors, englobe loin du front les crânienne, siège de la pensée, mais
les domaines, est souvent utilisée départements de la Charente, la aussi le visage y attenant.
dans un contexte de critique vis- Corrèze, la Creuse, la Dordogne et Tête de est une forme souvent pé-
à-vis de celui qui a voulu trop en la Haute-Vienne, et dans laquelle jorative (tête de lard, tête de mule,
faire en s’attaquant à plusieurs se trouve Limoges, entre autres. tête de pioche…) et tête de linotte
choses simultanément. Il écarte alors de nombreux hauts ne fait pas exception.
QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 119


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
La linotte est un oiseau, donc avec
une boîte crânienne toute petite,
Q Faire litière de Q Avoir vu le loup
ce qui veut dire un cerveau mi- Ne faire aucun cas, Avoir eu des relations
nuscule, siège de pensées d’un ne tenir aucun compte de. sexuelles, en parlant d’une
niveau à peine supérieur à celles jeune fille – Être enroué.
À la fin du XIe siècle, le mot litière a
d’une huître.
d’abord désigné « une couche d’ob- Avant le début du XVIIIe siècle, date
D’abord, il faut savoir que si, au-
jets ». Puis, au XIIe, il a pris deux sens d’apparition de son sens actuel,
jourd’hui, l’expression évoque
bien différents puisqu’il a aussi bien cette expression était simplement
plutôt l’étourderie, autrefois, elle
désigné ce qu’on appelle aujourd’hui liée à la chasse au loup, activité
s’appliquait à quelqu’un « qui a
un brancard, qu’une couche pour les considérée comme dangereuse. On
peu de sens & beaucoup de le-
animaux formée de feuilles sèches l’employait à propos d’une personne
gereté d’esprit » (Dictionnaire de
ou de paille. aguerrie, expérimentée.
l’Académie française, 1694). En-
Et c’est précisément cette dernière Mais au XVIe siècle, la danse du loup
suite, si l’on se fie à MM. Cabard
signification qui nous intéresse ici, désignait l’acte sexuel et au XVIIe dan-
et Chauvet, ce qui caractérise cet
car une telle litière est destinée à être ser le branle du loup voulait dire
oiseau, c’est qu’il fait son nid n’im-
répandue sur un sol plus ou moins « faire l’amour ».
porte où, mal dissimulé : il fait donc
propre, et à devenir vite quelque Le second sens, plus ancien, est
tout aussi preuve de légèreté d’es-
chose de peu ragoûtant. Cet étalage quasiment perdu aujourd’hui, sauf
prit que celui qui avait une « tête
à même le sol que subit la litière est dans certaines régions. Il vient d’une
de linotte ».
associé à l’image de mépris que vé- croyance très ancienne – Platon la si-
hicule l’expression. gnalait déjà – qui veut que quelqu’un
Q La part du lion qui est repéré par un loup devienne
Q Par le petit bout à la fois muet et imbécile.
La plus grosse part.
de la lorgnette Or celui qui devient muet perd sa
Ce sont principalement les lionnes voix, un peu comme celui qui est
En ne considérant que les
qui chassent la nourriture et, une très enroué au point d’être presque
détails auxquels on accorde
fois la proie capturée, c’est le mâle aphone.
trop d’importance et en
qui s’arroge en premier les parts
négligeant l’ensemble –
de son choix, ne laissant le reste Q Être connu comme
Avec un esprit étroit.
aux femelles et petits qu’une fois le loup blanc
rassasié. Le terme lorgnette est ici cet ins-
Être très connu.
Même si cela fait bien longtemps trument optique, généralement
que ce comportement du lion est rétractable, qui permet de voir de Dans nos contrées, le loup avait
connu, telle qu’elle est proposée plus près et avec plus de détails des habituellement un pelage foncé et
ici et avec un sens proche, cette choses éloignées, instrument qu’on quand il rôdait aux alentours d’un
expression n’est attestée que appelle aussi une longue-vue. village, ses habitants en étaient très
depuis 1832, chez Victor Hugo, Cette expression date du milieu du vite informés.
dans Notre-Dame de Paris où elle XIXe siècle. Alors on imagine bien que, si jamais un
signifiait d’abord « la totalité des Si vous utilisez normalement cet ins- loup blanc (albinos ou au pelage très
parts ». trument, avec l’œil sur le petit bout, clair) se montrait, l’information circulait
Mais sans remonter jusqu’à pour viser un objet relativement très vite, frappant les imaginations en
l’aube de l’humanité, il suffit de proche de vous, vous n’en verrez raison de la rareté et donc du côté pro-
s’arrêter chez Jean de La Fontaine qu’une toute petite partie, démesu- digieux de la présence de l’animal.
et sa fable « La Génisse, la Chèvre rément grossie, et sa vue d’ensemble Le Dictionnaire de Trévoux, au
et la Brebis, en société avec le vous échappe. XVIIIe siècle, cite l’expression connu
Lion » dans laquelle ces quatre La métaphore de notre expression comme le loup, montrant ainsi que,
animaux, après avoir décidé de dans son sens initial devient donc quelle que soit la couleur du canidé,
se partager à égalité « le gain et limpide. si un seul était présent aux alentours,
le dommage », capturent un cerf Par extension, ce qui explique le se- cela se savait très vite.
que le lion partage effectivement cond sens, celui qui a l’esprit étroit On a eu aussi connu comme le loup
en quatre parts, mais pour se les est comparé à celui qui ne voit que gris. Puis le blanc a remplacé le gris,
arroger toutes les quatre. peu de choses d’un tout comme s’il pour désigner un animal encore plus
la regardait à travers la lorgnette. prodigieux.

120 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Décrocher/Promettre/
Q Se jeter dans la gueule du loup Demander la lune
Aller imprudemment au-devant d’un danger connu. Obtenir/promettre/demander
l’impossible.
Voilà une expression courante dont l’origine n’est pas difficile à imaginer,
sans risque de se tromper. C’est à cause de cette « proximité
Qu’il représente le démon ou la mort, ou qu’on le trouve sous la forme d’un lointaine » que la lune est devenue
loup-garou ou chez mère-grand en tant que grand méchant loup, l’animal le symbole de l’impossible dans
n’a jamais eu bonne réputation. de nombreuses locutions depuis
Dans l’imaginaire d’autrefois, sa dangerosité est bien évidemment liée à sa le XVIe siècle. Ainsi, Rabelais disait
gueule et à ses crocs qu’il n’était pas vraiment souhaitable de voir plantés « prendre la lune avec les dents »
dans un de ses membres. pour « tenter l’impossible » et le
Se jeter en la gueule des loups, attesté au XVe siècle, était déjà une image qui prometteur de lune, celui qui promet
voulait dire que celui qui, volontairement, s’approchait suffisamment d’une l’impossible, existe depuis 1537.
meute au risque de se faire déchiqueter, était d’une imprudence folle, tout Selon la manière dont on l’emploie,
comme celui qui, d’une manière plus générale, s’expose volontairement à un décrocher la lune peut aussi vouloir
danger (dont il ne mesure pas forcément l’ampleur). dire « avoir une réussite inatten-
due (tellement elle semblait impos-
sible) ». Quant à promettre la lune,
ses hautes capacités intellectuelles. c’est une habitude des candidats po-
Q Un vieux loup de mer C’est par métonymie que cette lu- litiques en campagne (et le pire, c’est
Un vieux marin aguerri (et mière a fini aussi par désigner celui qu’ils sont crus, même s’ils font le
parfois sauvage et bourru). qui la possède, ce qui a ensuite don- coup à chaque fois) et demander la
né naissance à notre expression au lune, c’est nourrir l’espoir d’obtenir
C’est par comparaison avec ce qui
milieu du XXe siècle. une chose que l’on pense inacces-
était imaginé des loups solitaires,
sible ou bien avoir de trop grandes
que le marin rendu sauvage et peu
sociable par son métier, vivant vo-
Q Con comme la lune exigences. Ces deux dernières locu-
tions datent du milieu du XIXe siècle.
lontiers à l’écart des autres, a été Particulièrement stupide.
désigné par le syntagme de vieux
loup de mer au milieu du XVIIIe siècle
Cette expression est assez récente Q Une lune de miel
puisqu’elle semble n’être attestée
(le Dictionnaire de l’Académie fran- Les premiers temps du
qu’à partir du début du XXe siècle.
çaise de 1832-1835 donne d’ailleurs mariage – Le voyage de noces –
Depuis le XVIIe siècle, la lune est
comme définition : « Marin à qui un Une bonne entente entre deux
associée à la distraction ou à un
séjour constant sur mer a fait perdre parties.
léger dérangement mental (il est
tout usage du monde »).
dans la lune pour « il est distrait, il Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la lune de
Et puis, le marin qui, ayant réussi à
pense à autre chose » ou bien il a miel désigne les mois qui suivent
devenir vieux, était obligatoirement
la lune/il a un quartier de lune dans le mariage, période forcément
devenu expérimenté, son côté sau-
la tête pour désigner quelqu’un de heureuse lorsqu’il a été désiré par les
vage et bourru a été en partie mis
bizarre, d’un peu fou). deux parties, et est un symbole de
aux oubliettes, et la locution a fini
Mais les expressions crétin de la lune l’amour. Elle a donc le premier sens
par simplement désigner un marin
ou face de lune montrent aussi que proposé.
aguerri.
cet astre peut bien être lié à la bêtise. Selon certains, l’expression serait
La première explication vient de simplement une traduction litté-
Q Être une lumière l’assimilation de la pleine lune au vi- rale de l’anglais honeymoon. Se-
Être très intelligent. sage rond et sans aucune expression lon d’autres, elle aurait une origine
d’une personne abrutie, complète- païenne, quand autrefois à Baby-
Le sens métaphorique de lumière
ment stupide. lone, il était de coutume que le père
pour désigner l’intelligence date du
L’autre vient de l’argot, où lune de la mariée offre à son gendre, pen-
XVIIe siècle, à la même époque que
désigne le postérieur (par analogie dant tout le mois qui suit le mariage,
ces verbes liés que sont briller et
de forme), partie de l’anatomie autant de mead (bière à base de
éclairer, tous deux en lien avec des
généralement mal considérée, miel) qu’il pouvait en absorber.
personnes avisées ou intelligentes.
souvent opposée à la tête, siège de Et comme le calendrier était basé
On parlait à l’époque des « lu-
l’intelligence. sur le cycle lunaire, ce qui aurait dû
mières » de quelqu’un pour désigner
QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 121


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
s’appeler le mois du miel est devenu plus vaste, ce qui explique que ce qui
la lune de miel. devrait être une simple petite heure Q Avoir des yeux
De nos jours, cette expression s’em- se soit transformé en un long temps. de lynx
ploie soit pour désigner le voyage de
Avoir une excellente
noces qui, généralement, suit direc- Q Depuis des lustres vue – Y voir clair dans
tement le mariage, soit, par exten-
Depuis très longtemps. les affaires ou dans le
sion, pour désigner une période de
comportement des autres.
très bonne entente entre deux per- Lee lustre était autrefois aussi com-
sonnes ou deux partis politiques, par pris comme une unité de temps, plus L’histoire remonte à l’Antiquité
exemple. ou moins précise, selon son emploi. grecque, où, dans la mythologie,
Au XVIIe siècle, lustre, employé au sin- l’argonaute Lyncée (Lunkeos, en
Q Bien/Mal luné gulier, signifie « période de cinq ans ». grec) qui accompagna Jason à la
Cette durée vient probablement de conquête de la Toison d’or, avait
De bonne/de mauvaise
l’Antiquité romaine où un lustre dé- des yeux lui permettant de voir à
humeur.
signait soit un sacrifice expiatoire qui travers les nuages, jusqu’au fond
Cette expression date d’une époque avait lieu tous les cinq ans au mo- de la mer ou même à travers les
où les hommes étaient persuadés ment du recensement, soit le recen- rochers et murs.
que le satellite de la Terre avait une sement lui-même. Ce serait donc la confusion entre
très nette influence sur leur humeur En revanche, au pluriel, lustres le nom du compagnon de Jason
ou leur psychisme. désigne une période de temps et celui du félin qui, dans le lan-
Celui qui était bien luné était donc longue et indéterminée. Et c’est bien gage populaire, aurait provoqué
dans une phase favorable, propice la signification que l’on retrouve la création de l’expression déjà
à la bonne humeur, et inversement dans notre expression. utilisée par Aristote au IVe siècle
pour le mal luné. av. J.-C.
Au milieu du XVIIIe siècle, on employait Q Ne pas mâcher ses mots Info ou intox ? Il sera difficile de
être dans une bonne lune ou être le savoir, Aristote n’étant plus en
Parler franchement –
dans une mauvaise lune pour dire état de confirmer. Toujours est-il
S’exprimer sans ménagement.
exactement la même chose. que, par extension, on a considé-
De nos jours, si nos expressions sous Autrefois, mâcher s’écrivait maschier. ré que quelqu’un de très sagace
leur forme actuelle datent du début Et au XIIIe siècle, déjà, ne le querre ou perspicace devait « avoir des
du XXe siècle, la version indiquant la maschier signifiait « ne pas cher- yeux de lynx » pour percevoir les
mauvaise humeur est plus utilisée cher à dissimuler, dire franchement » pièges d’une affaire ou les inten-
que son contraire. (querre étant une ancienne forme du tions cachées d’une personne.
verbe quérir).
Q Il y a/Depuis belle Au XVIe, on peut lire la forme je ne lui ma-
Q Une madeleine
lurette cheroie point ses veritez et au XVIIe, l’ex-
pression est devenue ne point mâcher
de Proust
Il y a/depuis longtemps.
avec toujours le même sens. Ce n’est Un micro-événement qui fait
L’expression telle que nous la que plus tard que ses mots a été rajouté. ressurgir des souvenirs de
connaissons aujourd’hui est attestée L’image est simple à comprendre. jeunesse. Un acte mineur
dès 1877. Si vous laissez les mots sortir comme porteur d’une forte charge
Le pseudo-mot lurette vient de la ça de votre bouche, sans prendre le émotionnelle.
contraction de la fin de belle avec le temps de réfléchir à ce que vous al-
Cette expression fait allusion à ces
mot heurette ou hurette, dans une lez dire, votre discours risque d’être
petits actes, petits événements,
expression qui est utilisée avec des un peu brut, peut-être blessant, mais
odeurs, sensations qui, brutalement,
petites variantes dans les dialectes il aura le mérite d’être franc.
font ressurgir des tréfonds de notre
de plusieurs régions : « il y a belle Alors que si vous « mâchez » un peu
mémoire de lointains souvenirs, sou-
heurette ». les mots, si vous les mastiquez au
vent chargés d’émotion.
Dans cette dernière, on trouve le suf- point de les modeler, les modifier et
Et si on les affuble de l’appellation
fixe diminutif -ette accolé à l’heure, d’affiner un peu votre discours, vous
madeleine de Proust, c’est parce
qui voudrait normalement dire une allez probablement dire des choses
que, dans Du côté de chez Swann, le
petite heure, sauf qu’elle est précé- moins agressives et peut-être parler
premier tome de À la recherche du
dée de l’intensif belle qui donne à de manière un peu plus diploma-
temps perdu, l’auteur évoque une
l’ensemble une échelle autrement tique et/ou un peu plus hypocrite.
telle remontée de souvenirs.
QQQ

122 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Alors que, pour le réchauffer, sa mère Dans sa forme actuelle l’expression Q En mettre sa main
lui fait boire du thé et manger une date du XVIIe siècle, mais elle a été au feu
madeleine, le goût de celle-ci trempée précédée par la version avoir maille à
Être sûr de/affirmer
dans le thé provoque en lui une sensa- départir où départir, verbe qui nous
fermement quelque chose.
tion intense qui, après une remise en a donné départ, a d’abord égale-
ordre de ses souvenirs, le fera remon- ment signifié « séparer » ou « par- Au Moyen Âge, il existait plusieurs
ter à une époque ancienne où, lorsqu’il tager ». moyens de déterminer avec une
vivait à Combray, sa tante Léonie lui exactitude sans faille qui était cou-
faisait goûter un morceau de made- Q En mains propres pable de quelque chose (moyens
leine trempé dans son infusion. qu’on appelait les « ordalies »).
Directement au destinataire
Parmi eux, il y avait les combats et
(sans passer par un
Q Avoir maille à partir aussi l’épreuve du feu. Elle consistait
intermédiaire ou des moyens
(avec quelqu’un) soit à saisir puis garder un moment
indirects).
en main une barre de fer rougie au
Avoir un différend plus ou
Le propre ici présent n’a rien à voir feu, soit à mettre la main dans un
moins vif (avec quelqu’un).
avec la saleté. gant métallique également rougi
Le verbe partir nous vient dès le Xe siècle Ce mot vient du latin proprius qui au feu. Quelle que soit la méthode,
du latin partire qui signifiait « parta- signifiait « qui n’appartient qu’à grâce à l’intervention divine, celui
ger » ou « diviser en parts », sens qu’a soi, que l’on ne partage pas avec dont la main guérissait en moins de
conservé un temps notre verbe avant d’autres » (et on le retrouve, entre trois jours était déclaré innocent de
d’être supplanté par partager. autres, dans nom propre). Or, n’est- ce dont on l’accusait.
Quant à la maille, c’était au Moyen ce pas exactement le cas de vos C’est de cette épreuve redoutable
Âge une monnaie. Mais il se trouve mains, n’est-ce pas dans vos mains qu’est née notre expression.
aussi que cette maille était la plus pe- à vous et à personne d’autre que ce Mais aujourd’hui, on n’emploie cette
tite pièce en circulation à l’époque. quelque chose sera déposé ? expression, « je suis prêt à en mettre ma
Donc, lorsque deux personnes de- Lorsqu’on vous remet quelque chose main au feu », que parce qu’on sait qu’il
vaient se partager ou départir une en mains propres, on vous le donne y a très peu de risques qu’on soit amené
maille (symbolisant quelque chose directement à vous, sans utiliser des à le faire vraiment, même si ce qu’on a
sans valeur), cela provoquait inévita- moyens indirects comme une per- péremptoirement affirmé s’avère faux.
blement une querelle, car comment sonne tierce ou bien un envoi postal,
diviser l’indivisible ? par exemple. Q Faire main basse
sur (quelque chose)
S’emparer de quelque chose.
Q Pleurer comme Prendre, voler quelque chose.
une madeleine
Lorsque l’expression apparaît, au
Pleurer abondamment.
début du XVIIe siècle, c’est dans un
Il suffit de remplacer le m de contexte de guerre, et elle veut
madeleine par une majuscule, d’abord dire « ne pas accorder la vie
pour comprendre que la Ma- sauve à l’ennemi vaincu ».
deleine qui nous intéresse ici Il faut voir là le geste du soldat qui, en
est une femme. abaissant sa main porteuse d’une arme,
Comme vous connaissez par La Conversion de Marie-Madeleine, embroche de son épée, sans aucune
cœur la Bible, et même s’il existe Véronèse (1528-1588). compassion, un ennemi tombé à terre.
de nombreuses variantes de Ensuite, les pillages étant souvent as-
l’histoire de Marie la Magdaléenne (alias Marie-Madeleine ou Madeleine, du grec sociés à des massacres, la locution a
Magdalênê), vous savez que dans une de ces versions, une ancienne prostituée pris le sens de « piller ».
(anonyme selon certains, Marie-Madeleine selon d’autres) envahie par le remords Or, piller, n’est-ce pas s’emparer
a tellement pleuré devant le Christ en lui confessant ses péchés, qu’elle a pu lui avec brutalité de possessions d’au-
laver les pieds de ses pleurs, avant de les sécher avec ses cheveux. trui ? Et c’est bien le sens qu’on
Il n’en a pas fallu beaucoup plus pour qu’elle devienne le modèle de notre retrouve aujourd’hui dans l’expres-
expression. sion, mais atténué car on l’associe
Si la première apparition de cette locution semble être chez Balzac au maintenant rarement à des morts
XIXe siècle, au XIIIe, faire la Madeleine voulait dire « affecter le repentir ». d’hommes.
QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 123


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Cette expression s’utilise générale- Cette simple comparaison a suffi Q S’en laver les mains
ment lorsque quelqu’un s’approprie pour que, dès le XVIIe siècle, on ait
Refuser d’assumer la
des choses convoitées de manière pu dire d’un tel type que, lorsqu’il
responsabilité d’une décision
brutale ou peu élégante. frappait, il n’y allait pas du tout de
prise.
main morte.
Q Ne pas y aller de main Ponce Pilate, procurateur romain en
morte Q Se retrouver/Être une Judée, doit ratifier la condamnation à
main devant, une main mort de Jésus alors que sa femme, à
Frapper violemment –
derrière la suite d’un rêve, lui a conseillé de ne
Agir, intervenir brutalement,
pas s’associer au meurtre d’un juste.
sans retenue. Être complètement démuni.
Mais la foule excitée gronde et Ponce
Avoir tout perdu.
Si le second sens n’est qu’une mé- Pilate voit mal comment il pourrait
taphore issue du premier, ce dernier Voilà une expression qui date des ne pas lui accorder la victime tant
est aisément compréhensible. années 1960 et qui est d’origine attendue. Alors pour se disculper, il
Prenez une main qui, pour une rai- spécifiquement masculine. « prend de l’eau et se lave les mains
son ou une autre, est détachée du En effet, lorsque vous êtes si démuni en présence de la foule en disant : je
bras auquel elle appartenait. Vous de tout, que vous n’avez même pas les suis innocent de ce sang, c’est dé-
constatez que cette main devient moyens de vous acheter ou vous fa- sormais votre affaire ».
totalement inactive. C’est ce qu’on briquer des vêtements, il ne vous reste C’est de ce lavage de mains considéré
peut, sans crainte de se tromper, ap- plus qu’à errer nu comme un ver. comme purificateur, permettant de
peler une main morte. Or, un réflexe masculin habituel s’exonérer de la responsabilité d’un
Prenez maintenant une main nor- dans nos sociétés où la nudité dans acte, que notre expression est née.
male, située au bout du bras d’un la rue n’est pas vraiment la norme,
bonhomme un peu bestial, capable est de placer ses mains de manière Q N’en pouvoir mais
d’asséner des coups très forts à à cacher à la fois ses parties géni-
Être impuissant à faire
quelqu’un d’autre. tales et son arrière-train, donc de
quelque chose. Ne rien
Par opposition à la main précédente se trouver avec une main devant et
pouvoir.
complètement inerte, celle de notre une main derrière, là où une femme
bonhomme, lorsqu’elle frappe, est aura plutôt tendance à mettre sa Il faut savoir que cette forme est
bien vivante et elle peut faire très deuxième main devant ses seins, soit très ancienne, puisqu’elle date du
mal. deux mains devant. XIIe siècle, à un moment où mais était
aussi un adverbe.
Ce mot vient en effet du latin ma-
Q Un coup de main gis qui signifiait « plus » ou « da-
vantage ». Littéralement, la locu-
Une aide ponctuelle – L’art de s’y prendre adroitement –
tion signifie donc « n’en pouvoir
Une attaque militaire rapide et audacieuse.
davantage/pas plus », sens resté
Les trois sens de cette locution dépendent complètement du verbe qui la bien vivace jusqu’à aujourd’hui,
précède. malgré la disparition de l’usage
Dans sa première acception, cette expression, qui date du début du adverbial de mais, sauf dans cette
XIXe siècle, s’utilise généralement avec des verbes comme donner ou de- expression.
mander lorsque quelqu’un a besoin d’aide pour accomplir une tâche ou un Si, plus haut, il est indiqué que
travail déterminé. mais n’est presque plus qu’une
Le deuxième sens, employé plutôt sous la forme avoir le coup de main, est lié conjonction, c’est parce qu’il peut
aux travaux manuels où l’artisan est très habile de ses mains. aussi prendre la forme d’un subs-
Cette forme est à rapprocher de perdre la main, justement lorsque la per- tantif signifiant « objection » ou
sonne n’a plus le coup de main. « restriction » lorsqu’il est employé
Rey et Chantreau expliquent que la dernière acception vient de la locution dans une locution comme il n’y a pas
maintenant disparue faire un coup de sa main qui, au milieu du XVe siècle, de mais qui tienne.
signifiait « commettre un forfait », à prendre comme « faire un mauvais
coup de sa propre main ».
L’expression avec ce sens ne prend sa forme actuelle qu’à la fin du XVIIe, dans
le milieu militaire.

124 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Faire la manche
Q Faire un malheur
Faire la quête (pour des
Faire un scandale dont les conséquences pourraient
artistes de rue) – Mendier.
être graves – Avoir un grand impact, faire un grand effet,
avoir du succès. Au commencement était la manche
de vêtement, mot bien français. Or,
Voilà une expression qui a deux sens presque opposés, l’un négatif, comme
au Moyen Âge, au cours des tour-
on s’y attend lorsque le mot malheur est employé, et l’autre positif.
nois, les dames donnaient avant le
Le premier sens est limpide.
combat une de leurs manches au
Quand vous dites « retenez-moi, ou je vais faire un malheur ! », c’est que
chevalier qui se battait pour elles.
vous êtes prêt à provoquer un malheur. Il vaut donc mieux, pour éviter un
C’est en raison de cette pratique que
drame, que l’on soit empêché de laisser la colère s’exprimer complètement.
cette manche française a été reprise
Et il en est ainsi depuis le milieu du XIXe siècle.
en italien au XIIIe siècle dans le mot
Le second sens est nettement plus récent.
mancia qui a pris le sens de « don »
Un spectacle qui « fait un malheur » fait le bonheur aussi bien des specta-
ou de « gratification », avant de si-
teurs que de toutes les personnes impliquées dans sa réussite. Et c’est effec-
gnifier également « pourboire » ou
tivement dans le monde du spectacle qu’est d’abord apparue cette forme de
« aumône » au début du siècle sui-
l’expression, avant que son usage ne s’étende très largement.
vant.
Au milieu du XVIe siècle, le mot
Q Se faire la malle auparavant de branler au manche, réintègre le français en en
un peu plus logique, car si quelque reprenant cette nouvelle acception.
Partir, s’enfuir.
chose branle, c’est plutôt le manche L’expression elle-même n’apparaît
Cette expression semble apparaître dans l’outil que l’inverse. qu’à la fin du XVIIIe siècle.
vers 1935 pour parler d’un prison- Si, au sens propre, elle s’est d’abord Et si elle a d’abord servi pour les
nier qui s’évade. employée à propos d’objets peu so- artistes de rue qui quêtent une gra-
Construite sur le même modèle que lides, prêts à casser, à partir du XVIIIe, tification pour la prestation qu’ils
les expressions argotiques se faire la on a aussi commencé à l’utiliser au viennent d’effectuer, elle s’est en-
belle ou se faire la paire, elle marque figuré pour des personnes à la situa- suite étendue à la mendicité, autre
simplement le fait que l’évadé est, tion peu stable. forme de quête.
au figuré, « parti en voyage » et qu’il
a donc préparé et emporté sa malle ; Q Comme un manche Q Une autre paire
même si, dans la réalité, il est peu de manches
Maladroitement, stupidement.
probable qu’il se soit encombré de
Une tout autre affaire
ses effets avant de disparaître. Cette expression est issue du croise-
(souvent plus difficile
ment de trois faits :
ou compliquée).
Q Branler dans le – depuis le XVIIe siècle, le nom man-
manche chot s’emploie à propos d’un mala- Il n’existe malheureusement au-
droit. On comprend aisément pour- cune certitude quant à l’origine de
Être peu solide ou mal assuré –
quoi. Notre manche serait donc un cette expression qui est attestée au
Manquer de stabilité – Être dans
abrégé de manchot ; XVIe siècle.
une situation précaire.
– le manche fait inévitablement pen- La seule chose certaine, c’est qu’au
Ceux qui ont l’habitude de jardiner ser à un outil, avec lequel il est facile Moyen Âge, les manches des vête-
savent pertinemment que la partie d’être maladroit si on le maîtrise mal ; ments des gens de la haute société
utile et métallique de ces outils de – le terme insultant emmanché n’étaient pas cousues de manière
jardinage peut progressivement se désigne un imbécile ou un maladroit définitive et qu’on pouvait donc
désolidariser du manche en bois. depuis le XIXe siècle. Et on passe changer facilement et partiellement
Et avant de se séparer du manche, facilement de emmanché à manche de tenue en changeant simplement
cette partie commence d’abord par en supprimant quelques lettres et un sa paire de manches ; on sait aussi
branler autour du manche avant de accent. que, beaucoup plus tard, au mo-
finir par tomber si on ne prend pas Alain Rey évoque également le fait ment de l’apparition de l’expression,
garde de la refixer solidement. qu’en argot, manche s’emploie pour il a existé des demi-manches en lus-
C’est de cette constatation habi- pénis, et que les différents mots sy- trine servant à protéger les manches
tuelle que notre expression est née nonymes sont souvent utilisés avec elles-mêmes.
au XVIIe siècle, précédée un siècle une connotation péjorative. QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 125


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Une explication dit qu’au cours des le visage ou la figure. Ce qui nous Q Croquer le marmot
tournois, les chevaliers portaient permet de retrouver la synonymie
Attendre longtemps, en se
les couleurs de leur dulcinée sous imaginée.
morfondant.
la forme d’une de leurs manches Bien entendu, ici, le mot margou-
fixée à la lance ou au bouclier ; les lette, comme le mot figure, n’est Au XVIe siècle, date d’apparition
manches seraient ensuite devenues qu’une image pour désigner le bon- de l’expression, les portes ou
des symboles que les amoureux homme au complet, car s’il chute ou leurs montants étaient équipés de
s’échangeaient en gage de fidélité reçoit une raclée, ce n’est pas forcé- clochettes ou de heurtoirs. Ces
amoureuse. ment la figure qui prend les coups. derniers, depuis le Moyen Âge,
Une autre paire de manches aurait Notez qu’on dit aussi de quelqu’un avaient le nom de marmot, parce
donc d’abord évoqué un nouvel qui se suicide qu’il se fait sauter la qu’ils portaient souvent une figurine
amour ou une infidélité. margoulette. un peu grotesque comme l’était la
tête des marmots (marmot au même
Q Manu militari siècle voulait dire « singe »).
Q Faire le mariole À la même époque, croquer signi-
Par la force, violemment.
fiait « frapper ». En effet, un croque-
Faire l’intéressant, le
L’expression signifie en latin « par note était un mauvais musicien, par
vantard. Se faire remarquer.
la main militaire » (sans oublier que exemple, et le jeu de croquet tire son
manus veut aussi dire « troupe » ou Mariole est né en France au nom du verbe avec cette acception.
« poignée d’hommes »). À l’origine, XVIe siècle. Son origine n’est Alors, croquer le marmot voulait
elle veut donc dire « à la façon des pas certaine et on en trouve simplement dire « frapper le heur-
militaires » ou « en employant la principalement deux versions. toir d’une porte » devant laquelle
force armée ». La première viendrait de l’italien on pouvait attendre très longtemps
Par extension, elle s’applique main- marivolo ou mariolo qui dési- et frapper sans relâche si elle restait
tenant aux actions menées par la gnait, au sens propre, un escroc désespérément close.
force et donc généralement violem- et, au sens figuré, quelqu’un de
ment comme, par exemple, l’expul- rusé. On suppose que le mot est Q En avoir marre –
sion des manifestants qui occupent dérivé de Maria, la vierge Marie, C’est marre !
un établissement. en lien avec les gens qui feignent
En avoir assez, être excédé –
Bizarrement, la locution est datée la dévotion et cherchent donc à
Ça suffit !
de la fin du XIXe siècle par plusieurs tromper leur monde.
sources (le Robert ou le TLFi, par Une autre hypothèse vient de Cette expression argotique date de
exemple), mais on trouve des écrits l’ancien français du XIIIe siècle ma- la fin du XIXe siècle (début du XXe pour
modernes qui l’utilisent dès 1827 et, riole (petite image de la vierge la forme c’est marre !).
plus loin encore, certains évoquent Marie) qui servait à désigner une L’origine la plus couramment citée
son apparition dès le IIe siècle personne versatile. fait venir l’expression de l’ancien
après J.-C. Si on admet que Marie est bien verbe se marer ou se marrir qui vou-
à l’origine de mariole, quand on lait dire « s’ennuyer » (contrairement
Q (Se) casser la sait que marionnette est issu de à se marrer).
margoulette Marion, lui-même dérivé de Ma- D’autres moins fréquentes évoquent
rie, et que dans les spectacles de l’espagnol mareo qui signifie « mal de
(Se) casser la figure. Tomber,
marionnettes, les personnages mer » puis « ennui » ; il y a aussi l’arabe
faire une chute (sous la forme
ont généralement un comporte- andelk marra (« tu as eu une fois »)
pronominale uniquement).
ment excessif, propre à les faire d’où serait tiré le sens « ça suffit ».
Toute personne à la perspicacité à remarquer, on établit ce qui est le Mais Alain Rey se rattache à l’hy-
peine aiguisée aura constaté d’elle- lien probable. pothèse de Pierre Guiraud : mar
même la similitude de forme entre Si le sens de « filou » est bien ou maré est un mot d’argot des
(se) casser la figure, dont l’image est attesté au XVIe siècle, ce n’est années 80 qui désignait la part du
parfaitement claire, et (se) casser la qu’au XIXe que le mot désigne produit d’un vol. Ainsi, avoir son
margoulette qu’on trouve chez Flau- quelqu’un de rusé, de malin, et mar, c’était « avoir son compte » au
bert à partir de 1864. que faire le mariole désigne celui sens de « avoir ce qu’il faut ». Tout
À l’origine, margoulette désignait qui se vante en se faisant passer en se déformant, l’expression aurait
plutôt la bouche ou la mâchoire. pour malin. ensuite évolué de la juste mesure
Puis, par extension, le mot a désigné jusqu’à exprimer la saturation.
QQQ

126 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q De mèche
Q Entre le marteau et l’enclume (avec quelqu’un)
Entre deux camps adverses, exposé à recevoir des coups venus
De connivence
des deux côtés.
(avec quelqu’un).
Le marteau a pour destin de frapper durement l’enclume qui, elle, ne peut
Selon les lexicographes, cette mèche-
échapper aux coups donnés par l’outil contondant. Il est donc facile d’imagi-
là nous arrive du gascon ou du pro-
ner que celui qui aurait l’idée complètement saugrenue de se placer entre le
vençal mech qui veut dire « moitié »,
marteau et l’enclume ne pourrait que prendre de mauvais coups.
ou bien du mezzo italien qui signifie
Si les deux objets existent et se rencontrent brutalement depuis bien long-
aussi « moitié » ou « moyen ».
temps, ce ne serait qu’au XVIIIe siècle que la métaphore aurait été utilisée pour
Mais Wartburg compare, lui, l’idée
désigner celui qui ferait mieux de courir aux abris au lieu de rester bêtement
d’« arrangement conclu (donc préa-
exposé aux mauvais coups venus de toutes parts.
lablement préparé) », qu’on re-
Toutefois, si l’exemple cité est véridique et si Clément VII a bien écrit ce que
trouve dans l’expression, avec le sens
Voltaire indique, elle daterait du XVIe siècle.
de « matière préparée pour prendre
feu aisément ».
Malheureusement, aucun des moyenne de l’homme ne serait plus Toujours est-il que, à la fin du
ouvrages anciens numérisés ne que de cent vingt ans. XVIIIe siècle, lorsque cette expression
confirme l’existence de avoir son mar Toujours est-il que, ce bon vieux Ma- apparaît, de mèche a le sens de « de
ou avoir son maré. thusalem ayant vécu 969 ans, on com- moitié dans un coup, un partage ».
Alors qui a raison ? prend bien qu’il ait servi de référence Elle est précédée de peu, dans l’argot
dans une expression comme la nôtre. des typographes, par être à mèche
Q Faire le matamore d’affut (ou d’affur) pour « être de
Q Rouler des moitié dans une affaire ».
Faire étalage de sa bravoure,
mécaniques Et quand on est de moitié, donc
se vanter de prétendus
qu’on participe activement à une af-
exploits de manière ridicule. Rouler les épaules – Avoir une
faire avec quelqu’un, est-ce qu’il n’y
Faire le vantard, le fanfaron. attitude prétentieuse et/ou
a pas obligatoirement cette conni-
agressive.
Le mot matamore nous vient de l’es- vence, cette complicité qu’on trouve
pagnol matamoros qui signifie litté- Au début du XXe siècle, on disait « il dans le sens de l’expression ?
ralement « tueur de Maures ». en a dans les mécaniques » pour
Le personnage de Matamore appa- désigner quelqu’un de physiquement Q Vendre la mèche
raît en France dans des comédies solide.
Trahir un secret
dès le début du XVIIe siècle, mais c’est Bien sûr, les mécaniques sont ici le
(d’un complot). Révéler
principalement L’Illusion comique de squelette et ses articulations qui, s’ils
quelque chose qui devait
Corneille qui en fait un héros célèbre. sont bien constitués et résistants,
rester secret.
Comme le Capitan de la comédie permettent à son propriétaire d’être
italienne, c’est toujours un fabula- considéré comme un homme ro- La mèche qui nous occupe cette fois
teur qui se vante de prétendus ex- buste et costaud. est celle qui servait autrefois à faire
ploits, au point que son nom devien- Rouler des mécaniques désigne une un brin de lumière à l’aide d’une
dra un nom commun pour désigner exagération gestuelle, une outrance lampe à huile, celle qui permettait
un vantard souvent ridicule. de comportement destinée à tenter aux artificiers de faire exploser des
d’en imposer à ceux qui se laissent mines ou de faire partir des pièces
Q Vieux comme facilement impressionner. d’artillerie, ou bien celle qui sert en-
Mathusalem À tenter, seulement, ainsi que le core à allumer des pétards.
verbe rouler l’indique par les sens Pour comprendre l’origine de
Extrêmement vieux.
argotiques qu’il avait à la même cette expression, il faut remon-
Le livre de la Genèse nous apprend époque. En effet, rouler voulait aussi ter au XVIe siècle, lorsqu’on utilisait
que Mathusalem est mort à l’âge de dire « trop en faire » ou « exagérer » l’expression éventer ou découvrir la
969 ans. et un rouleur était un « bavard » et mèche.
Il était le grand-père de Noé qui fut même un « fanfaron », exactement Lorsqu’un artificier éventait (exposait
le dernier des patriarches d’avant le comme notre rouleur de méca- à l’air) ou découvrait la mèche d’une
Déluge à vivre très longtemps, Dieu niques. mine ou d’un engin explosif ennemi,
ayant alors décidé que la durée de vie il permettait d’en éviter les dégâts.
QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 127


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Par métaphore, éventer la mèche a est donc plus ancienne et date d’une
pris le sens de « découvrir les des-
Q Le revers époque où il restait encore de nom-
sous d’un complot (avant qu’il fasse
de la médaille breuses terres à découvrir.
des dégâts) ou d’une affaire devant Le côté déplaisant, En ces temps, compte tenu des
demeurer cachée ». désagréable, d’une chose moyens de locomotion peu rapides
Puis, à partir du XIXe siècle, le mot ou personne qui a pourtant qui existaient, il était facile à un
vendre au sens de « trahir » est des côtés agréables, beaux, voyageur revenant de loin de racon-
venu se greffer sur l’expression d’ori- attirants. ter des mensonges sur ce qu’il avait
gine pour nous donner celle d’au- vu au cours de son périple, sûr qu’il
On aura compris que ce revers de
jourd’hui. était que personne n’irait vérifier.
la médaille n’est qu’une métaphore
Il n’en a pas fallu plus pour que
(attestée en 1640) qui indique que
notre expression, pleine de bon sens,
pratiquement toute chose ou per-
Q Être médusé sonne d’apparence plaisante cache
puisse aisément apparaître.
Dans ce proverbe, comme dans
Être très étonné, généralement un ou des défauts
quelques autres locutions, avoir beau
figé par la stupeur. qu’on ne distingue pas au premier
signifie « être facile » ou « être aisé ».
abord ; car, malheureusement, de-
puis Adam et Ève, la perfection n’est
pas de ce monde.
Q La mer à boire
Une entreprise longue
Q Menteur comme et difficile.
un soutien-gorge Cette expression n’est plus employée
Très menteur. que sous la forme négative « ce n’est
pas la mer à boire », souvent pour si-
Cet accessoire vestimentaire féminin,
gnifier à quelqu’un qui imagine avoir
dont la taille des bonnets importe sou-
une montagne à soulever que finale-
vent à l’homme, protège et cache la
ment, ce qu’il a à faire est bien plus
poitrine, en lui conférant parfois une
facile que ce qu’il croit.
Mosaïque représentant Méduse, auteur apparence trompeuse, encore accen-
C’est une métaphore qui date du
anonyme, IIe-IIIe siècle. tuée depuis l’apparition d’artifices per-
XVIIe siècle et que notre habituel ami
Dans la mythologie grecque, mettant de rehausser les seins et de
Jean de La Fontaine utilise dans « Les
les Gorgones, ces trois jeunes leur donner une impression de volume.
Deux Chiens et l’Âne mort ».
femmes à la chevelure constituée C’est ainsi que les hommes qui ont
Quand on connaît la difficulté qu’il y
de serpents, inspiraient la terreur. été dépités par ce qu’ils ont pu décou-
a à avaler très rapidement une bou-
L’une d’elles, Méduse, fut af- vrir une fois l’objet enlevé ont associé
teille entière d’eau , on imagine bien
fublée par Athéna d’un pouvoir ce dernier aux menteurs invétérés.
que la mer à boire est une entreprise
très particulier : toute personne Cette expression est attestée en
dépassant les limites du possible.
qui la regardait dans les yeux était 1932 chez Céline.
L’image que véhicule l’expression
immédiatement transformée en
est donc celle d’une tâche qu’on ne
pierre. Q A beau mentir peut réussir qu’au prix de difficultés
Or, lorsque vous êtes stupéfait qui vient de loin souvent insurmontables.
par quelque chose, vous êtes
On peut facilement raconter
généralement figé, immobile,
comme « pétrifié », donc comme
des mensonges (et être cru) Q Demander merci –
transformé en pierre, comme si
quand ce qu’on dit n’est pas Être sans merci –
votre regard avait croisé celui de
vérifiable. Être à la merci
Méduse.
(de quelqu’un)
Voilà une expression proverbiale
Si le verbe méduser existe depuis dont le sens est limpide lorsque, Demander grâce – Être sans
le début du XVIIe siècle, il n’a guère malgré sa syntaxe archaïque, on la pitié – Dépendre de la volonté
été employé et ce n’est qu’à par- comprend correctement comme ou des caprices (de quelqu’un).
tir du XIXe que son participe passé voulant dire « celui qui vient de loin
Le mot merci nous vient du latin
est devenu commun dans notre peut facilement mentir sur ce qu’il a
merces avec le sens de « salaire, ré-
locution. vu ou vécu là d’où il vient ».
compense », mais aussi avec la signi-
Elle est citée par le Dictionnaire de
fication de « grâce, pitié ».
l’Académie française de 1694. Elle
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128 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

et les éventuels passagers soient peu


Q Merde !
Q La huitième pressés, détendus, état d’esprit qui
merveille du monde Souhait de bonne chance. est sous-entendu dans le sens de
l’expression qui est ensuite passée
Quelque chose Souvent associé à des situations
dans le langage commun pour
d’absolument remarquable désagréables, merde est aussi utili-
signifier « laisser faire ».
ou étonnant. sé chez nous pour souhaiter bonne
chance à quelqu’un.
Pour les mémoires défaillantes,
Il n’existe aucune certitude quant à
Q Des yeux de merlan
voici la liste des sept merveilles
l’origine de cette acception du mot
frit
du monde, œuvres remarquables
qui est attestée au cours de la pre- Un regard énamouré et
construites par les Hommes : la
mière moitié du XXe siècle. ridicule – Des yeux levés au
pyramide de Khéops, au Caire ; les
La version la plus probable vient ciel, de manière affectée,
jardins suspendus de Babylone ;
d’un simple usage superstitieux ridicule, ne laissant paraître
la statue de Zeus, à Olympie ;
où, comme le souhait de « bonne que le blanc de l’œil – Un
le temple d’Artémis, à Éphèse ;
chance » est interdit car il peut pro- regard étonné, stupéfait.
le mausolée d’Halicarnasse ; le
voquer un échec, le mot qui en est
colosse de Rhodes ; le phare Qui a déjà fait griller un poisson à
considéré comme l’antonyme per-
d’Alexandrie. la poêle a pu constater que cette
met de déjouer le mauvais sort qui
L’existence de six de ces œuvres pauvre bête a en général la bouche
attend celui qui va subir l’épreuve.
a été prouvée, seuls les jardins ouverte et, surtout, les yeux sor-
Une autre version, hélas non attes-
suspendus de Babylone n’ont pas tis des orbites et ressemblant à des
tée, voudrait que, dans le monde
laissé de traces. billes blanches.
du théâtre, souhaiter « merde » à
Cette liste étant établie et figée, Si cette expression date du XIXe siècle
un acteur, c’était espérer pour lui de
il est devenu courant, lorsqu’on (œil de merlan frit est cité par Loré-
nombreux fiacres déposant les spec-
découvre quelque chose de mer- dan Larchey en 1865), c’est avec le
tateurs, donc beaucoup de crottin de-
veilleux (quel nouveau parent cinéma muet qu’elle a pris tout son
vant le théâtre signifiant alors succès
n’aura pas ainsi qualifié sa progé- sens, alors que les mimiques des
et chance.
niture toute fraîche ?), de lui faire acteurs étaient exagérées et que,
une place naturelle au bout de la lorsque quelqu’un ouvrait des billes
liste initiale en tant que huitième
Q Laisser pisser rondes, les yeux chavirés d’une ridi-
merveille du monde, à la suite des
le mérinos cule extase supposée symboliser une
sept et inamovibles premières, Laisser courir, laisser aller transe amoureuse, cette personne
mais bien avant toutes les autres les choses, laisser faire. était comparée à un merlan frit.
potentielles. Le dernier sens proposé est une
Le mérinos est une race particulière
extension de l’usage due au fait que,
de mouton dont la laine était très
souvent, celui qui est très étonné
C’est d’ailleurs ce dernier sens qu’a appréciée.
reste là, immobile, avec des yeux
merci lorsqu’il apparaît en français Au début, il y avait laisser pisser la
grands ouverts, qu’on dit parfois
avec cette orthographe au XIe siècle. bête, locution du XIXe siècle venue
exorbités, et pouvant également
Et c’est de là qu’apparaît d’abord, des gens qui menaient des attelages
rappeler ce pauvre poisson frit.
au XIIe siècle, notre demander merci, et qui choisissaient de s’arrêter
mais aussi crier merci avec exacte- pour laisser leurs animaux faire
ment la même signification. leurs petits besoins car, si l’on sait
Q Paris vaut bien
C’est à peine quelques petites an- que ces bestiaux, qu’il s’agisse de
une messe
nées plus tard qu’on entend être chevaux ou de bœufs, défèquent Formule qui s’utilise
sans merci, applicable à des per- volontiers en marchant, il semblerait généralement lorsque,
sonnes qui accomplissent des actes qu’il leur soit beaucoup plus pour obtenir un avantage
barbares sans la moindre pitié pour inconfortable d’uriner en avançant, important, on consent un
leurs victimes. avec des risques de retenue pouvant petit sacrifice.
Il faudra attendre le XVIe siècle pour provoquer des troubles. Il y avait
Cette formule est généralement at-
que la dernière forme apparaisse, donc d’obligatoires pauses pipi
tribuée à Henri IV, mais il se peut que
lorsque quelqu’un est dépendant au cours des longs trajets. Entre
ce ne soit pas lui qui l’ait prononcée
du bon vouloir d’un autre qui, sans l’avance lente des animaux et les
ou même qu’elle n’ait jamais été
pitié, donc « sans merci », peut lui arrêts nécessaires, il fallait que les
réellement dite.
infliger les pires brimades ou sévices. cochers ou conducteurs d’attelages
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 129


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Nous sommes au XVIe siècle. Henri III Et en parlant de meubles, on peut autorisation, et en retirent le nec-
désigne Henri de Navarre comme rappeler, juste pour le plaisir, que si, tar et le pollen qu’elles rapportent
son successeur. Celui qui va devenir aujourd’hui, ils désignent des élé- ensuite dard-dard à leur ruche pour
Henri IV doit batailler ferme, au ments bien spécifiques de notre in- fabriquer ce miel dont on se régale.
propre comme au figuré, pour enfin térieur, au XIIe siècle, ils désignaient Si on oublie qu’ensuite, c’est
être admis sur le trône. Il finit par tous les biens déplaçables ou l’homme qui joue lâchement les
y arriver, mais uniquement après transportables (les biens meubles, profiteurs en récupérant ce miel,
sa conversion au catholicisme le par opposition aux immeubles), on peut dire que les abeilles pro-
25 juillet 1593. qu’il s’agisse de ce qu’on englobe fitent des fleurs pour « en faire leur
Ce serait à ce moment qu’il aurait maintenant dans le terme mobilier, miel ».
prononcé cette formule signifiant mais aussi les vêtements, les armes Ici, il ne faut pas voir le profit sous
pour lui que si le prix à payer pour ou le bétail, entre autres. l’aspect uniquement pécuniaire
avoir l’accès à Paris, symbolisant la Ce n’est qu’au XVIIe siècle que le mot qu’on associe souvent au mot, car il
France et le trône, était simplement a pris le sens restrictif actuel. peut tout aussi bien être physique ou
de devoir se convertir au catholicisme, intellectuel.
symbolisé par la messe, alors cela va- Q Ça fait la rue Michel Si la date d’apparition de l’expression
lait largement ce petit sacrifice. ne semble pas précise, on trouve des
Le compte y est –
écrits du XVIe siècle qui comparent
Ça suffit, c’est assez.
Q Une messe basse déjà le comportement de ceux qui
Cette expression familière, attestée savent tirer profit de certaines choses
Une discussion discrète,
au XIXe siècle, provient d’un jeu de à celui des abeilles et de leur miel.
en aparté et à voix basse.
mots digne de l’Almanach Vermot,
Au sens propre, depuis le milieu du basé sur la rue Michel-le-Comte,
Q Outre mesure
XVIIe siècle, une messe basse, par située dans le quartier du Marais à
opposition à une grand-messe, est Paris. Excessivement,
une messe « qui se dit sans chant, Cette expression est apparue après exagérément,
et où les prières sont seulement 1806, lorsque cette rue a ainsi été déraisonnablement.
récitées » (Dictionnaire de l’Acadé- nommée.
Le mot outre nous vient ici du la-
mie française, 1832-1835). Elle serait venue des conducteurs
tin ultra qui signifiait « plus loin ».
C’est à la fin du XIXe siècle que le sens de fiacre qui, une fois leur client
Donc outre mesure, formule qui
figuré qui nous intéresse apparaît. déposé dans la rue (ou à proximité)
date du XIIe siècle, veut dire « plus
Mais en quoi une messe non chan- et l’argent de la course reçu, leur si-
loin que la mesure ». Oui, mais de
tée a-t-elle pu faire naître une ex- gnifiait ainsi avoir le montant néces-
quelle « mesure » s’agit-il ?
pression appliquée à un dialogue saire.
Le mot mesure apparaît au
discret entre deux personnes ? Ainsi, on serait passé de « ça fait le
XIe siècle et est issu du latin men-
Selon Alain Rey, cela vient du fait compte » à « ça fait la rue Michel-le-
sura qui désignait d’abord l’ac-
que, lors d’une véritable messe Comte » pour finir avec « ça fait la
tion de mesurer, mais qui avait
basse, le prêtre marmonne des pa- rue Michel ».
aussi les sens de « norme » ou de
roles indistinctes qui ne semblent Selon d’autres sources, elle aurait
« modération ».
pas destinées à être entendues par aussi pu être popularisée par les
C’est au XIIe siècle que le mot
l’assistance, exactement comme le journalistes des nombreux quoti-
signifie également « dimension
sont les paroles échangées par ceux diens installés dans la rue Réaumur,
considérée comme souhaitable »,
qui disent des messes basses. située à quelques pas de la rue Mi-
sens qui nous intéresse ici. En
chel-le-Comte.
retenant cette acception, lorsque
Q Sauver les meubles vous faites quelque chose « avec
Q Faire son miel
Sauver l’essentiel lors d’un mesure », c’est que c’est fait sans
(de quelque chose)
désastre, d’une déconfiture. dépasser des limites considérées
Tirer profit comme acceptables dans notre
La métaphore, qui date du XIXe siècle,
(de quelque chose). société.
est aisément compréhensible :
En revanche, si vous le faites outre
lorsqu’un désastre se produit, quel Savez-vous que les abeilles sont de
mesure, c’est que vous dépassez
qu’en soit le domaine, on fait le viles profiteuses ? Elles exploitent
les bornes admises, vous le faites
nécessaire pour essayer de sauver ce de pauvres fleurs sans défense,
de manière excessive.
qui est le plus important. sans même leur demander leur

130 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

le lecteur actif doit extraire ou com-


Q Je vous le donne Q Une cour des Miracles prendre dans le texte qu’il lit, ce qu’il
en mille Un repaire de mendiants, de peut découvrir entre les lignes, le
Je vous mets au défi de truands – Un lieu mal famé, sens parfois caché du texte.
deviner. peu engageant. Par extension, la substantifique
moelle est la quintessence des
Cette locution de défi date du mi- Tous ceux qui ont lu Notre-Dame de
choses, ce qu’elles ont de meilleur.
lieu du XVIIe siècle. Elle est tout Paris, de Victor Hugo, ont le souve-
simplement une forme raccourcie de nir de la cour des Miracles. L’endroit
« je vous le donne à deviner, mais qu’il évoque ici existait réellement à Q Payer en monnaie
vous n’avez qu’une chance sur mille Paris à partir du Moyen Âge jusqu’au de singe
de trouver la réponse ». XVIIe siècle.
Payer en grimaces, en
Ici, mille ne doit pas être seulement Il était très mal fréquenté, par des
belles paroles ou en fausse
compris comme le nombre égal à dix voleurs, des meurtriers et des men-
monnaie, au lieu de payer
fois cent, mais comme « un grand diants faux éclopés, et très peu visité
réellement.
nombre », comme l’utilisait Antio- par les bourgeois et la maréchaus-
chus dans Bérénice, de Racine, lors- sée car cette zone de non-droit était
qu’il disait « mille autres mieux que pour eux un vrai coupe-gorge.
moi pourront vous en instruire » ou Et s’il se nommait ainsi, c’était en rai-
bien Mme de Maintenon dans sa son des nombreux « miracles » qui
lettre du 14 juillet 1707 au cardinal s’y produisaient chaque jour ; en ef-
de Noailles lorsqu’elle écrivait « sans fet, alors qu’ils revenaient dans leur
hésiter, je donnerais mille vies pour quartier de prédilection, les men-
obtenir la paix ». diants éclopés et atteints d’infirmi-
tés se remettaient soudainement à
Q Ne pas payer de mine marcher normalement, à recouvrer
la vue ou à retrouver un membre en-
Avoir une apparence,
core amputé un peu avant. Jacob van Oost (1603-1671), huile sur
un aspect peu engageant, toile représentant un jeune garçon
Si le premier sens de l’expression est
qui n’inspire pas confiance. tenant un singe.
limpide, compte tenu de son origine,
À la lointaine époque où la ville
Quand on dit de quelqu’un qu’il n’a le second n’en est qu’une simple
de Paris était réduite à l’île de la
pas bonne mine, c’est que son appa- extension.
Cité et à ses environs, au Moyen
rence donne l’impression qu’il ne va
Âge, parmi les rares ponts qui re-
pas très bien. Q La substantifique liaient l’île aux alentours, il y avait
Au XVIIe siècle, payer de signifiait moelle celui qui donnait sur la rue Saint-
« faire preuve de telle ou telle quali-
Le sens caché de quelque Jacques et qui franchissait le petit
té » et à la fin du même siècle, payer
chose – Ce qu’il y a de bras de la Seine, le Petit Pont. Ce
de bonne mine, voulait dire « avoir
meilleur, de plus précieux dernier était à péage, institué par
un physique avantageux, une belle
en quelque chose. Louis IX, dit Saint Louis.
prestance ».
Mais certains corps de métiers
Ce n’est qu’à partir du XVIIIe que l’em- On sait tous que la moelle est cette
étaient exemptés de cette taxe,
ploi négatif traduit la différence qui substance molle et (très) grasse
sous certaines conditions.
peut exister entre l’apparence réelle qu’on trouve au cœur des os, bien
C’est ainsi que les gens du specta-
(la mine) et ce qui peut se cacher cachée, invisible si on ne les brise
cle, montreurs d’animaux, jongleurs
derrière. pas.
et autres bateleurs, pouvaient ne
Car, comme chacun a pu certaine- Et si c’est dès la fin du XIIe siècle
pas payer, mais en contrepartie ils
ment le constater, on peut parfois que le nom moelle désigne aussi
devaient exécuter un peu de leur
trouver des petites perles derrière ce qu’il y a de profond, d’essentiel,
spectacle devant le percepteur du
des mines peu engageantes. en particulier dans une œuvre de
péage : que ce soit en plaisanteries,
On emploie en général cette ex- l’esprit, on sait moins souvent que
pirouettes ou en faisant faire des
pression lorsqu’on subodore ou cette expression a été rendue célèbre
pitreries à leur singe.
lorsqu’on a effectivement constaté par Rabelais dans le prologue de
C’est de cette tradition étrange
que l’apparence peu attirante cache Gargantua, en 1534.
qu’est née notre expression au
quelque chose de finalement très in- La substantifique moelle y est ici
XVIe siècle.
téressant. une métaphore qui désigne ce que

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 131


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

mont-de-piété, expliquaient leur


Q Être monnaie courante Q La montagne accouche soudaine rentrée d’argent par un
d’une souris
Être une chose habituelle, apport venu de la proche famille.
une pratique banale. Par rapport aux attentes ou La dernière est une image qui date
à l’ambition d’un projet, le de la même époque et qui vient sim-
Au sens propre, et depuis la fin
résultat est extrêmement plement de ces « clous », parfois
du XIIIe siècle, la monnaie courante
décevant. simplement imaginaires, où les petits
désigne la monnaie (pièces et
objets mis en dépôt au mont-de-pié-
billets) qui a cours, celle autorisée Cette image est très ancienne
té étaient supposés être accrochés.
et « couramment » utilisée, et elle puisque, sous une forme un peu dif-
sera opposée plus tard à la monnaie férente, le poète Horace l’évoquait
bancaire, les chèques, par exemple. déjà au Ier siècle av. J.-C. : Parturient
Q Un monte-en-l’air
L’expression, avec son sens figuré, montes, nascetur ridiculus mus, Un cambrioleur.
apparaît au XVIIIe siècle chez Diderot. traduit généralement par Les mon-
En argot, et depuis la fin du XIXe siècle,
Elle est tout simplement un jeu de tagnes accouchent, une souris ridi-
le monte-en-l’air est un cambrioleur,
mots sur courante avec le sens cule naît.
mais pas n’importe lequel.
de « habituelle » et la monnaie Mais c’est encore une fois Jean de
En effet, pour avoir droit à cette
courante au sens propre. La Fontaine qui l’a popularisée dans
appellation, il fallait entrer dans les
« La Montagne qui accouche » où
appartements en montant par les
un poète annonce un sujet ronflant
façades, en s’aidant des balcons,
Q Promettre monts et ne produit pourtant qu’une œuvre
reliefs divers et autres tuyaux d’écou-
et merveilles très médiocre. Elle sera ensuite re-
lement.
prise par des auteurs comme Boileau
Promettre beaucoup de Autrement dit, il fallait monter en
ou Mme de Sévigné.
choses extraordinaires l’air (d’où l’appellation) le long des
C’est bien la disproportion entre ce
(même si elles semblent murs ou bien donner l’impression,
qui est attendu de l’énorme mon-
peu réalisables). au propriétaire désagréablement
tagne et ce qu’elle produit réel-
surpris, d’arriver par les airs.
Les merveilles, à défaut d’en avoir lement qui provoque une cruelle
réellement vu, tout le monde sait déception et qui a rendu cette mé-
ce que c’est, il n’est donc pas la taphore célèbre.
Q Fumer la moquette
peine de s’attarder dessus. La portée de l’expression dépasse Être dans un état second,
Mais il peut paraître très étrange largement la simple littérature. Elle raconter des bêtises, délirer.
de rajouter des monts, qu’on s’applique maintenant à presque
Cette expression est récente
comprend généralement comme tous les domaines.
puisqu’elle date de la seconde moi-
« petites montagnes ».
tié du XXe siècle.
Pourtant, dès le XIIIe siècle, un Q Le mont-de-piété – Ceux qui aiment les trips pas trop
mont de, des monts de signi- Chez ma tante – Le clou chers fument de l’herbe, dont le
fie « une grande quantité de »,
Établissement municipal de nom est celui politiquement correct
métaphore qui s’explique par le
prêt sur gage. du haschich ou du cannabis.
fait qu’une très grande quantité
C’est par dérision vis-à-vis des fu-
de choses empilées peut finir par Lorsqu’on a un cruel besoin d’argent,
meurs de joints ou de pétards, et
former un très gros tas assimilable il peut être nécessaire d’aller dans un
peut-être aussi en pensant aux ef-
à une petite montagne. établissement de prêt sur gage mettre
fets probables du fait de fumer des
C’est au début du XVIe siècle que ses biens en dépôt en échange d’une
poils de moquette synthétique, que
l’expression apparaît qui, avec ses somme d’argent, avec l’espoir de les
fumer la moquette désigne un état
deux substantifs accolés, désigne récupérer ensuite.
dans lequel le « fumeur » n’a plus
quelque chose comme « promettre L’appellation le mont-de-piété nous
vraiment toute sa tête, comme s’il
une grande quantité de choses vient au XVIe siècle de l’italien. Elle est
avait consommé une drogue.
merveilleuses ou étonnantes ». en effet une traduction très libre de
Cela dit, il ne faut pas non plus
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, on disait monte di pieta qui voulait dire « cré-
oublier que le haschich, c’est du
dans le même sens promettre des dit de pitié ».
chanvre indien.
monts d’or pour évoquer soit des La deuxième date du début du
Or, à quoi était beaucoup utili-
avantages très importants soit des XIXe siècle. C’est un terme ironique
sé le chanvre autrefois, jusqu’au
richesses considérables. qui vient de ces personnes qui, ne
XIXe siècle ? Comme cette plante est
voulant pas avouer leur recours au
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132 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

une fibre naturelle très résistante, Q Être dans les bras prix » et la locution voulait dire « ac-
elle servait à fabriquer de la ficelle, de Morphée cepter l’offre faite par quelqu’un ».
du tissu et même des tapis. Et, dans Son sens a depuis évolué vers une
Dormir (profondément).
l’intimité de son chez-soi, il n’y a pas signification proche de « prendre
une bien grande différence entre fu- Dans la mythologie grecque, Mor- quelqu’un à ses propres paroles » où
mer le tapis et fumer la moquette. phée est le dieu des songes, enfant la personne qui fait une proposition
de la Nuit et d’Hypnos, le dieu du en l’air se fait piéger par l’accepta-
Q Manger le morceau – sommeil. tion de ses interlocuteurs.
Se mettre à table Morphée endort les mortels en les Autrement dit, on accepte son offre,
effleurant d’une feuille de pavot, tout en sachant pertinemment que
Avouer, dénoncer
les plongeant ainsi dans un sommeil ce n’en était pas réellement une ou
(pour un truand).
propice aux rêves. qu’elle n’avait pas été faite pour être
Ces expressions sont argotiques. L’enlacement des corps pour le som- prise au sérieux.
La première est apparue à la fin du meil est depuis longtemps une image Par extension, on l’emploie aussi
XVIIIe siècle, la seconde au milieu du XIXe. classique dans notre littérature. lorsque quelqu’un « gobe » une fausse
Leur origine est strictement iden- Mais pourquoi ce nom de Morphée information qu’il a lue ou entendue.
tique. ou, indirectement, de « forme » ? C’est alors celui qui prend au mot ce
Autrefois, quand les policiers vou- Parce que Morphée pouvait prendre qu’il lit ou entend qui se fait piéger.
laient faire avouer un truand capturé, pour chacun des formes différentes,
un des moyens utilisés était de le pri- chacun étant libre de choisir les bras Q Motus et bouche
ver d’alimentation. dans lesquels il souhaitait s’endormir. cousue
Lorsque le repris de justice finissait par
Pas un mot ! Formule
craquer, il avait alors le droit de man- Q En toucher un mot employée pour demander une
ger, au sens propre du terme. (à quelqu’un) discrétion verbale absolue.
C’est ainsi qu’en argot, celui qui
Parler brièvement de quelque
avait fini par manger (le morceau) On comprend aisément l’utilisation
chose (à quelqu’un).
ou qui s’était mis à table pour man- de la formule bouche cousue ! pour
ger est donc devenu celui qui avait Cette expression, où un peut aus- demander à quelqu’un de se taire,
avoué. si être remplacé par deux, date du Cette version initiale est attestée dès
milieu du XVIe siècle. Son origine est le XVe siècle.
plutôt facile à comprendre. Quant à motus, apparu en 1560, ce
Q Affirmer mordicus Quand vous parlez à quelqu’un, vous n’est pas du véritable latin, mais une
employez en général de nombreux simple transformation plaisante de mot
Affirmer avec obstination,
mots. Si vous n’en utilisez qu’un ou (peut-être par rapprochement avec
avec ténacité.
deux, c’est que vous êtes très bref. mutus qui veut dire « muet »). Car dès
L’adverbe mordicus vient, au Bien sûr, il ne faut pas prendre un 1480, ce trilitère s’emploie aussi seul
XVIIe siècle, du latin mordicus, lui- ou deux au mot. Il s’agit simplement sous la forme d’une exclamation avec
même dérivé de l’équivalent latin d’une exagération classique servant le sens de « pas un mot ! »
de mordre, et qui signifiait au à indiquer la brièveté de ce que vous Il est fréquemment utilisé en renfor-
sens propre « en mordant ». avez à dire. Mais pourquoi toucher ? cement de la locution initiale pour
Mais mordicus avait aussi, au fi- Eh bien, ici on doit lui comprendre donner notre expression.
guré, la signification de « sans le sens peu usuel de « effleurer » vu
en démordre », sachant que si le comme moins agressif que dire. Q Bourrer le mou
premier sens de démordre a bien
Raconter des mensonges.
été logiquement « lâcher prise Q Prendre au mot Chercher à tromper.
après avoir mordu », il a vite été
Accepter une proposition
employé à une forme négative Vous connaissez probablement l’ex-
faite par quelqu’un qui ne
pour marquer l’opiniâtreté, la té- pression argotique bourrer le crâne
parlait pas sérieusement.
nacité de celui qui ne veut pas en qui a exactement le même sens et
Croire à une bêtise.
démordre. dont l’image est celle de la personne
Donc, celui qui « affirme mordi- Voilà une expression qui date de la dont on remplit le crâne de fadaises,
cus », c’est tout simplement celui fin du XVe siècle. billevesées et autres balivernes qui
qui ne veut absolument pas dé- Le substantif mot y était compris y rentrent d’autant plus facilement
mordre de ce qu’il affirme. comme ayant le sens de « offre de que le contenu du crâne est mou.
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 133


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Il se trouve que notre expression, qui C’est alors qu’intervient une mouche vous soulevez votre queue histoire
semble dater de la Première Guerre qui s’affaire de façon très désordon- de lâcher tranquillement une de ces
mondiale, n’en est qu’une copie, née et qui, une fois que le véhicule bouffées de méthane qui participent
mou étant un mot d’argot désignant est sorti de son mauvais pas, s’en at- à la pollution de notre atmosphère,
le cerveau (entre autres), chose molle tribue tout le mérite. un taon espiègle vient par là planter
s’il en est. son dard dans une zone très sensible.
On trouve aussi la forme gonfler le Dans ces conditions, on comprend très
mou, tant il est vrai que celui qui Q On n’attrape pas les bien la réaction brutale du ruminant.
cherche à nous bourrer le mou nous mouches avec du Mais vu de l’extérieur, ce bovin paraît
pompe l’air. vinaigre s’être énervé d’un coup pour rien.
Et de cette expression, Céline en Cette expression date du milieu du
On n’obtient rien de
1936 a tiré c’est du mou pour dire XVIIe siècle (mais prendre mouche
personne par la force. On
« c’est un mensonge ». existait déjà au XIVe). À cette époque,
conquiert plus facilement
le terme mouche désignait tous ces
quelqu’un par la douceur
Q Enculer les mouches insectes volants et agaçants que
que par la dureté ou la
sont les mouches, les guêpes, les
Porter son attention sur des méchanceté.
bourdons, les frelons, les taons, etc.,
détails de peu d’importance,
Une mouche, qui semble ins- insectes qui expliquent souvent un
être excessivement tatillon.
tinctivement bien différencier les énervement brutal de la part de ceux
Dans une discussion, avoir
bonnes choses des mauvaises, qui en subissent les agressions.
un goût prononcé pour les
ira bien plus volontiers se poser
arguties.
sur une cuillère de miel ou sur
Tout comme pinailler, au sens très quelque chose de sucré que sur Q Être dans la mouise/la
proche, le verbe de cette expression, un fond de vinaigre. panade /la purée
qui date de la première moitié du Autrement dit, si vous voulez at-
Être dans le besoin, la misère.
XXe siècle, a son origine dans la partie tirer une mouche dans vos rets,
basse de l’anatomie masculine. mieux vaut laisser traîner une Mouise est un mot d’argot qui signi-
Cela dit, l’expression se rapporte à douceur qu’une chose aigre. fie « misère » depuis 1892 ou 1895,
des personnes qui poussent le bou- C’est certainement une excellente selon les sources.
chon beaucoup trop loin dans… leur raison pour que, au début du Il vient de dialectes de l’est de la
souci excessif du détail, de la précision XVIIIe siècle, apparaisse l’expression France où les variantes du mot
ou dans leur goût prononcé pour les on prend plus de mouches avec viennent de l’allemand Mus pour
arguties dans une conversation. du miel qu’avec du vinaigre qui « marmelade » ou « bouillie ».
est simplement l’ancêtre de la Avant de prendre le sens actuel, au
Q La mouche du coche nôtre. début du XIXe siècle, le mot a d’abord
La métaphore en est bien plus ex- désigné de la soupe de mauvaise
Personne qui s’agite
plicite : pour amadouer, conquérir, qualité, puis des excréments coli-
beaucoup sans apporter
faire obéir quelqu’un (la mouche), queux.
d’aide ou qui est empressée
mieux vaut utiliser la douceur ou Le cheminement qui a provoqué
inutilement.
la gentillesse (le miel), que la mé- l’évolution de la signification est à
Cette expression est en général pré- chanceté ou la force (le vinaigre). comparer à celui de purée ou pa-
cédée du verbe faire ou jouer. nade qui, tous les deux, désignaient
Un coche était autrefois un véhicule une forme de bouillie, et ont éga-
de transport public tiré par les che- lement fini par prendre le sens de
vaux. Il transportait surtout les gens Q Prendre la mouche « misère » puisqu’on dit aussi bien
pauvres, les riches ayant leur car- être dans la purée ou être dans la
Se fâcher, s’énerver
rosse personnel. panade qu’être dans la mouise.
brusquement, souvent pour
Notre expression vient d’une fable
une raison futile.
de Jean de La Fontaine « Le Coche Q Un moulin à paroles
et La Mouche ». Prendre signifie ici « commencer à
Une personne très bavarde.
Dans cette fable, donc, le fabuliste avoir » comme dans prendre peur,
raconte l’histoire d’un coche dont les prendre l’eau… Il y a le moulin qui est nommé d’après
six chevaux qui le tirent n’arrivent pas Imaginez-vous en train de brouter ce qu’on y moud, comme le moulin
à le sortir d’une situation difficile. tranquillement, lorsque, alors que à blé, etc. et celui que l’on nomme
QQQ

134 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
d’après ce qu’il produit comme le Dans ces locutions, le sens de se important alors que ça ne contient
moulin à huile, par exemple. faire doit être compris comme « s’en finalement rien.
Et notre moulin à paroles fait incon- faire ». Eh bien, une personne qui se fait
testablement partie de la seconde ca- Il s’agit en fait d’un mot d’argot mousser peut être comparée à de la
tégorie, la personne bavarde produi- qui, depuis le milieu du XIXe siècle, mousse de savon : elle veut paraître
sant, par son bavardage incessant, désigne… la chevelure. importante, mais elle n’est très sou-
une quantité intarissable de paroles. Autrement dit, vous faire du mou- vent rien ou pas grand-chose.
Cette expression, avec son sens ac- ron, ce n’est ni plus ni moins que Cette expression, dans son sens ac-
tuel, nous vient de la seconde moitié « vous faire des cheveux », mis à la tuel, date du début du XIXe siècle.
du XVIIIe siècle. Le moulin symbolise sauce argotique. Elle vient de la locution faire mous-
la mécanique qui tourne sans arrêt, Il semble illogique de « se faire des ser qui, un peu avant, voulait dire
entraînée par le vent ou l’eau. cheveux (ou du mouron) » quand on « donner une valeur exagérée à
Mais un siècle avant, elle existait est inquiet. quelque chose ».
déjà. En effet, elle a d’abord dési- Mais c’est oublier que cette autre
gné la langue, cet organe qui s’agite expression, à l’origine de la nôtre, Q Se croire le premier
constamment dans la bouche de ce- est en fait un raccourci de « se faire moutardier du pape
lui qui ne sait pas se taire. des cheveux blancs ». Ce qui, là,
Être infatué de sa personne.
C’est par métonymie que celui dont est beaucoup plus en phase avec ce
« le moulin à paroles » fonctionne que l’on sait de l’inquiétude et des Bien que l’apparition de cette expres-
sans discontinuer est devenu lui- soucis. sion soit datée (elle est citée pour la
même « un moulin à paroles ». première fois en 1757 par un certain
Q Se faire mousser Desnoyer dans ses mémoires), son
Q Se faire du mouron origine réelle reste une énigme.
Se mettre en valeur de
La seule proposée a été donnée par
S’inquiéter, se faire du souci. manière imméritée ou
Pierre Larousse, mais elle est consi-
exagérée.
Cette expression est citée par Gaston dérée comme fantaisiste par les
Esnault qui la date de 1948, soit as- Supposant que vous connaissez lexicographes modernes, car il n’en
sez récemment. le savon et en utilisez, vous savez existe aucune attestation.
À la place du mouron, on peut aussi que ce truc produit de la mousse, Selon Larousse, Jean XXII adorait la
« se faire de la bile », « se faire du quelque chose constitué d’une moutarde et, ne voulant surtout pas
mauvais sang » et même « se faire grande quantité de bulles serrées manquer de ce précieux condiment,
un sang d’encre ». et dont le volume peut devenir très il aurait créé la charge de premier
moutardier, confiée à un de ses ne-
veux qui aurait immédiatement pris
Q Voilà pourquoi votre fille est muette la grosse tête, vu l’ampleur des res-
ponsabilités du poste.
Expression qui conclut ironiquement un discours verbeux ou
incompréhensible, qui s’utilise à la fin d’une conversation après
Q Charger la mule
une pseudo-conclusion destinée à couper court aux éventuels
commentaires, ou bien qui suit des explications d’une totale Exagérer – Accabler (quelqu’un),
évidence. saturer (quelque chose).
Dans la scène IV de l’acte II du Médecin malgré lui, de Molière, Sganarelle Le verbe argotique charger, pour
explique à Géronte les raisons du mal de sa fille en utilisant des explications « exagérer », existe depuis la fin
extrêmement alambiquées, incompréhensibles, probablement même pour du XIXe siècle, mais cette expression
celui qui les prononce : semble être très récente, même si la
« Qui est causée par l’âcreté des humeurs engendrées dans la concavité locution chargé comme une mule/
du diaphragme, il arrive que ces vapeurs… Ossabandus, nequeyrs, nequer, un mulet/un baudet pour dire « très
potarimum, potsa milus. Voilà justement ce qui fait que votre fille est lourdement chargé » existe au sens
muette. » propre depuis le début du XVIIIe.
L’effet comique de cette phrase de conclusion d’un discours abscons a La mule est une image qui a très
suffisamment marqué les esprits de l’époque pour qu’elle en devienne une probablement été ajoutée à la
expression. suite du verbe parce qu’on sait que
Par ironie, elle s’emploie également à la fin d’une explication d’une totale cet animal est capable de porter ou
évidence, donc à l’opposé de l’utilisation normale. déplacer des charges très lourdes.
QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 135


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
C’est donc un animal qu’on peut Q Passez, muscade ! D’aucuns y voient une plaisante-
« charger » de nombreuses choses, rie autour des mystères évoqués
Le tour est joué !
parfois en exagérant, sans qu’il ploie. dans le roman de Jules Verne, Les
Par extension, cette notion d’exa- La muscade est une épice qui sert 500 millions de la Bégum (où Bégum
gération et d’accumulation de à accommoder différents plats et est transformé en boule de gomme).
charge(s) se retrouve lorsqu’on ac- desserts (et même certains cock- D’autres y voient plutôt ce qui suit.
cable quelqu’un ou qu’on l’accuse tails). Elle se présente sous la forme Vous savez que, chez une voyante, la
de toutes sortes de choses dont il de petites noix ovoïdes faisant boule de cristal permet de découvrir un
n’est pas forcément coupable. jusqu’à 3 cm de long pour 2 cm de certain nombre de choses, passées ou
diamètre. à venir, et d’expliquer certains mystères
Q Mettre/Être au pied Le lien que cette épice peut avoir concernant la personne qui consulte
du mur avec notre expression n’est pas l’experte en divinations. Il va de soi que
évident. c’est la limpidité du verre qui favorise
Ôter à quelqu’un toute
Il vient des pratiques des joueurs de ces découvertes étonnantes.
possibilité de fuir/Ne plus
gobelets ou prestidigitateurs à par- Mais si, à la place d’une boule de
avoir le choix et être obligé
tir du début du XVIIIe siècle. En effet, cristal, Mme Irma utilise une boule
d’agir ou d’accepter la
pour leurs tours de passe-passe, ils d’un matériau sans transparence,
situation.
utilisaient des boules de liège dont comme une boule de gomme, par
La métaphore est simple à com- l’apparence était très comparable à exemple, elle ne pourra rien voir et
prendre : si on vous a mis au pied du celle de la noix de muscade. le mystère restera inexpliqué.
mur, vous n’avez plus de moyen de À la fin du XVIIIe l’expression partez,
vous échapper, mais une fois que vous muscade ! ponctuait habituelle- Q C’est du nanan
êtes au pied du mur, vous êtes obligé ment la disparition de cette boule
C’est très bon, exquis, très
d’agir, sans plus pouvoir reculer. de liège. Elle s’est ensuite progres-
agréable – C’est facile.
La locution être au pied du mur avec sivement déformée en passez, mus-
son sens imagé date de 1590. cade ! tout en s’étendant au figuré Les lexicographes ne sont pas d’ac-
Selon le TLFi, mettre au pied du mur à d’autres usages pour signifier que cord sur la date d’apparition de cette
(qui se disait aussi réduire au pied du le tour était joué. expression avec son sens actuel.
mur) vient des combats d’escrime où Pour certains, elle date de 1727,
on « poussait (quelqu’un) à l’épée Q Mystère et boule pour d’autres du milieu du XIXe siècle.
jusqu’à ce qu’il soit adossé au mur et de gomme En revanche, ils s’accordent parfaite-
ne puisse plus rompre. » ment pour convenir que le vieux mot
S’utilise lorsqu’on évoque
En 1544, il existait aussi l’expression nanan qui, lui, est cité en 1640, vient
quelque chose de très
être au pied du mur sans échelle, qui de la racine nann- ou nam- qui, pa-
mystérieux, que l’on ne sait
s’appliquait à celui qui ratait l’opéra- raît-il, a donné naissance à de nom-
expliquer.
tion envisagée parce qu’il avait oublié breux mots enfantins dans différents
quelque chose d’indispensable à sa Cette expression est d’usage cou- dialectes régionaux.
réussite. Et ce serait cette expression rant, mais son origine exacte reste Nanan, avec une majuscule, a
qui, ayant perdu son échelle, aurait mystérieuse, même s’il est probable d’abord désigné de la viande, puis,
vu son sens évoluer à partir de 1590. qu’elle soit de source enfantine. dans le monde des enfants, il a très
QQQ

Q Voir Naples et mourir


S’utilise pour marquer l’accomplissement d’un désir souhaité si
ardemment, qu’après, la vie perd tout son sens.
Cette expression est aussi utilisée par les Napolitains pour dire que leur ville
est d’une telle beauté, qu’une fois qu’on l’a vue, le reste n’a plus aucune im-
portance et on peut mourir en paix (Vedi Napoli e poi muori ! qui se traduit
par « Vois Naples et puis meurs ! »).
Il est probable que cette expression ait été inventée par Goethe, au XVIIIe siècle,
dans Voyage en Italie, récit d’un voyage qu’il a effectué dans ce pays de 1786
à 1787, et où il cite l’expression dans sa forme actuelle, probablement après Naples en 1835. Carte de la Society for the
l’avoir entendue à Naples dans sa version italienne. Diffusion of Useful Knowledge.

136 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
vite servi à désigner une friandise, Cet usage est à rapprocher des diffé-
puis, par extension, quelque chose Q Le nerf de la guerre rents sens de flair.
de délicieux. Quand un animal flaire quelque
L’argent.
Par extension toujours, l’expression a chose, c’est qu’il sent quelque chose
aussi pris le sens de « c’est facile » qui Le mot nerf vient du latin nervus qui l’attire.
est à rapprocher de c’est du gâteau ! qui, au sens propre, désignait un Quand un Homme a du flair (forme
Au Canada, le mot nanan a donné ligament, un tendon ou une fibre argotique), c’est qu’il a de l’instinct.
nanane qui désigne d’abord une quelconque et qui, au figuré, signi- C’est cette notion de deviner (ou
friandise, mais aussi un délice ou fiait « force », « vigueur » et « par- mesurer au juger) grâce au flair,
une chose recherchée. tie essentielle (d’une chose) ». donc avec son nez, qui est à la base
Et c’est surtout ce dernier sens fi- de notre expression. Mais la vue
Q Chassez le naturel, guré qui nous intéresse ici. restant quand même indispensable
il revient au galop Car si, au Moyen Âge, une guerre pour juger, c’est bien « à vue de
servait aussi à s’enrichir, elle est nez » qu’on fait notre estimation.
Les défauts, les penchants ne
bien plus souvent un gouffre fi- Les variantes familières reposent sur
se perdent jamais, ne peuvent
nancier en raison du coût des pif qui, en argot, désigne soit le nez,
pas être toujours dissimulés.
armes, de l’équipement néces- soit la perspicacité (donc toujours
Il y a bien longtemps que l’homme a saire et de la solde des armées. le flair), le pifomètre n’étant qu’un
couché sur le papyrus cette presque Si bien que l’argent est cette pseudo-instrument de mesure basé
systématique vérité qui veut que « partie essentielle » sans la- sur ce fameux pif.
quelqu’un ne puisse longtemps dis- quelle la guerre ne peut qu’être
simuler sa vraie nature. perdue face à un ennemi mieux Q Aller/Battre à Niort
C’est en effet chez Horace, dans ses équipé, car ayant plus de moyens
Nier.
Épîtres, que l’on trouve la phrase na- financiers.
turam expellas furca, tamen usque Selon les lexicographes mo- Si aller à Niort veut dire « nier », c’est
recurret qu’on peut à peu près dernes, l’expression n’apparaît simplement en raison de la ressem-
traduire par : « Chasse la nature à sous la forme actuelle qu’au blance phonétique des deux mots
coups de fourche, elle reviendra tou- cours du XVIIe siècle. Cependant, nier et Niort.
jours en courant. » au XVIe, Rabelais parlait déjà du Cette expression est attestée au
Mais c’est Destouches qui, en 1732, « nerf des batailles » et Jodelle XVIIe siècle sous cette forme, mais elle en
dans sa comédie Le Glorieux, a fait du « nerf de toute guerre ». a eu de différentes depuis le XVe, prendre
passer notre expression à la postérité. le chemin de Niort, par exemple.
De cette comédie, on a aussi retenu Et c’est au tout début du XXe qu’on
La première vient d’une abréviation
deux autres grands classiques dont trouve la version battre à Niort,
du mot comprenette ou « faculté de
la forme a pu un peu varier depuis le avec la même signification, et où le
jugement ».
XVIIIe siècle : « Si quelqu’un vient me verbe battre a le sens argotique de
La seconde, plus probable, est une
voir, je n’y suis pour personne » et « La « feindre » ou « simuler » (feindre de
abréviation soit du mot trombinette,
critique est aisée et l’art est difficile ». ne pas savoir, n’est-ce pas aussi nier ?).
soit du mot bobinette, les deux dé-
signant le visage ou la tête (n’utilise-
Q Se casser la nénette t-on pas aussi se casser la tête pour
Q Sainte nitouche
Se fatiguer, se dépenser, dire la même chose ?). Femme qui joue les
se décarcasser (pour faire prudes – Personne qui joue
quelque chose) – Réfléchir Q À vue de nez – l’innocence, qui tente de
profondément – Se faire du Au pif – Au pifomètre cacher ses défauts.
souci.
Approximativement. Au juger, Pour qu’une personne soit canoni-
Cette expression, qui serait appa- à l’estime. sée, il est impératif qu’elle ait eu une
rue dans les années 1930, a plu- vie exemplaire, irréprochable. Et par-
Que serions-nous sans notre nez,
sieurs sens, relativement proches, mi les choses qu’elle ne devait sur-
privés de nos sensations olfactives ?
puisqu’ils sont tous liés au travail tout pas faire, c’était, bien entendu,
Eh bien, notre nez sert aussi à autre
des méninges, que ce soit pour la s’adonner à l’abominable péché de
chose : à mesurer avec une préci-
réflexion ou l’angoisse. chair hors mariage.
sion toute relative des choses variées
Notre nénette est un mot d’argot, Notre sainte nitouche serait donc une
(« À vue de nez, au pif, je dirais qu’il
avec deux origines possibles. femme très vertueuse, sexuellement
a 25 ans »).
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 137


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
intouchable ; ce serait une femme Q Convoler en justes On sait ce qu’il advint de ses
dont on pourrait dire « on n’y touche noces conquêtes, prouvant ainsi la justesse
pas » ou, phonétiquement, « on ni- de l’oracle.
Se marier.
touche pas ». C’est de cette légende qu’est née la
Ironiquement, une sainte nitouche On se doute bien que là où il est métaphore du « nœud gordien », un
est donc une personne qui joue les question de noces, on va évoquer le problème difficile à résoudre, mais que
vertueuses, les prudes, qui prétend mariage. Certes, mais qu’ajoutent ici défont à leur manière tous ceux qui
ne pas vouloir « y toucher », au convoler et justes ? résolvent le problème de façon plutôt
point qu’on pourrait la canoniser Le verbe convoler vient du bas latin radicale ou qui tranchent (eux aussi)
plus tard, mais qui ne trompe aucu- convolare qui, en droit, signifiait « se dans le vif lors d’une prise de décision.
nement son monde. remarier », mais qui, par construc-
Par extension, l’appellation s’ap- tion, aurait plutôt dû vouloir dire Q Travailler au noir –
plique à des personnes qui tentent « voler avec, vers ou ensemble ». Faire du marché noir
de cacher leurs défauts et jouent les Aujourd’hui, ce verbe n’est presque
Travailler clandestinement,
innocentes. plus utilisé que dans cette locution.
sans être déclaré – Faire du
C’est au XVIe siècle que la locution Quant à justes, ce qualificatif a
commerce illégal en période
apparaît, entre autres chez Rabelais le sens de « légitime » ou, autre-
de restrictions ou de pénurie.
dans Gargantua. ment dit, de parfaitement autorisé,
compte tenu des lois du moment. Dans les deux expressions, qui corres-
D’ailleurs, chez les Romains, justes pondent à des activités hors la loi, la
Q Tête de nœud noces, ou plutôt justæ nuptiæ, dési- notion de dissimulation est évidem-
gnait un mariage légitime. ment présente, et le qualificatif noir
Imbécile.
Une fois ses termes épluchés, notre employé ici est lié au fait que, quand
On peut parfois traiter quelqu’un expression pourrait donc signifier « se on veut dissimuler ce qu’on fait, il
d’imbécile de manière plus ou remarier au cours d’un mariage légi- vaut mieux le faire dans l’obscurité.
moins affectueuse. Mais ici, le time », mais elle est en réalité employée L’appellation marché noir est née
terme est très injurieux. plutôt ironiquement ou plaisamment à la fin de la guerre 14-18 en Alle-
En argot, et depuis le début du pour simplement dire « se marier ». magne, à une période où le pays su-
XIXe siècle, nœud désigne le pénis. bissait d’importantes pénuries.
L’explication de cette appellation Q Trancher le nœud Il existe toutefois une autre origine
serait celle d’une métaphore me- gordien qui nous viendrait du Moyen Âge,
nuisière : les veines du bois rap- mais qui reste à confirmer : certains
Résoudre un problème d’une
pellent celle du pénis en érection maîtres, peu enclins à bien considé-
manière expéditive. Trancher
dont la dureté est comparée avec rer leurs ouvriers ou serfs, n’hési-
dans le vif, prendre une
celle d’un nœud dans le même taient pas à les faire travailler illéga-
décision de manière radicale.
bois. lement une fois la nuit tombée, à la
Et qu’est-ce que la tête du nœud, Le roi de Phrygie venait de trépasser lueur de quelques bougies. Ce serait
sinon le gland, autre terme argo- sans héritier. Un oracle prédit alors de ce travail de nuit dissimulé parce
tique injurieux ayant la même si- que la première personne arrivant en que non autorisé que travail noir
gnification ? ville sur un char à bœufs serait fait puis travail au noir serait né.
Ce serait Aristide Bruant qui au- roi. C’est ainsi que Gordios, le futur
rait cité cette locution en premier, père de Midas, fut nommé souve- Q Chercher des noises
au tout début du XXe siècle. rain. Avant de monter sur le trône,
Chercher querelle, chercher la
Reste à savoir pourquoi gland ou il attacha ensemble le timon et le
dispute – Chercher à embêter
tête de nœud désignent un fieffé joug de son char en faisant un nœud
(quelqu’un).
imbécile. Mais on peut imaginer inextricable.
le manque total d’intelligence Puis un autre oracle prédit que le Au XIe siècle, noise a signifié « bruit »
de cette tête-là, même si, chez premier qui arriverait à défaire ce ou « tapage », puis il a pris le sens
certains hommes, c’est bien là « nœud gordien » conquerrait l’Asie de « querelle » ou « dispute », peut-
que se situe leur cerveau dès ou le monde, selon les versions. être par le fait qu’une dispute gé-
qu’une proie féminine potentielle En 336 av. J.-C., Alexandre, pas en- nère du bruit.
passe à proximité. core le Grand, s’essaya à défaire le Toujours est-il que si l’emploi de
nœud. N’y arrivant pas, il dégaina noise est devenu de moins en moins
son épée et le trancha d’un coup sec. fréquent depuis le XVIIe siècle, il reste
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138 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
d’usage dans notre expression qui
date de cette époque et qui a existé Q Une nuit blanche
sous quelques formes comme cher-
Une nuit sans sommeil.
cher noise, chercher une noise ou
même chercher noise pour noisette Il n’existe aucune certitude quant à l’origine de cette expression qui date du
où noisette, qui avait le sens de XVIIIe siècle.
« très peu de choses », désigne ici On en trouve une attestation en date du 30 octobre 1771 dans une lettre
un motif futile. de la marquise du Deffand, Marie de Vichy-Chamrond et certains auteurs
Le second sens proposé est plus ré- émettent l’hypothèse que c’est elle qui a inventé ce terme.
cent. Il est une atténuation du sens Voici une autre proposition, la moins originale mais probablement la plus
initial, même si celui qui embête véridique.
l’autre peut finalement s’attendre à Dans notre langue, le qualificatif blanc indique très souvent un manque
provoquer une dispute. (voix blanche, tir à blanc, mariage blanc, etc.) et il est assez facile d’imaginer
qu’une nuit blanche est simplement une nuit sans sommeil.
Q Avoir un nom à Une autre hypothèse nous vient de Saint-Pétersbourg, en Russie, à l’époque
coucher dehors du règne d’Élisabeth, puis de Catherine II. Dans ces années-là, la vie « noc-
turne » battait son plein. Il se peut donc tout à fait que le terme russe
Avoir un nom très difficile
« ɛɟɥɵɟ ɧɨɱɢ » (nuits blanches) ait été rapporté et popularisé chez nous par
à prononcer et/ou à retenir.
les Français qui passaient du bon temps là-bas.
Au Moyen Âge et bien après, les au-
bergistes étaient d’un naturel extrê-
ferré, à le faire alternativement sortir ou se noyer dans une goutte d’eau.
mement méfiant.
et rentrer dans l’eau de manière Mais le sens initial de l’expression
Une fois la nuit tombée, pour se faire
à l’épuiser pour qu’il finisse par ne n’était pas tout à fait celui-là. Ainsi
admettre dans une auberge, il fallait
plus opposer de résistance. que le Dictionnaire de l’Académie
montrer patte blanche, c’est-à-dire
C’est de cette manière de procéder française de 1762 le signale, il se
d’abord énoncer son patronyme.
avec l’adversaire que notre expres- noierait dans un crachat servait à
Et celui qui n’avait pas un nom très
sion a pris son sens figuré, vers 1930. qualifier un homme malhabile. Cela
« chrétien » courait de forts risques
Inonder l’interlocuteur de paroles, dit, dès le début du XVIIe siècle, se
de se voir éconduire et de devoir
c’est aussi l’étourdir, le fatiguer, lui noyer avait déjà le sens figuré de « se
passer son chemin ou coucher à
faire cesser toute résistance verbale laisser dépasser (ou submerger) ».
l’écurie.
et, parfois, aller même jusqu’à le Le glissement vers le sens actuel s’ex-
Il existe la variante un nom à coucher
remplir de confusion et l’empêcher plique donc aisément.
dehors avec un billet de logement,
de revenir au sujet principal dont
le billet de logement étant, pendant
la guerre, un mode de réquisition
on a souhaité le détourner ; ce qui Q Un (sacré) numéro !
explique les deux significations de
imposant à un habitant de loger le Une personne qui se fait
l’expression.
soldat porteur du document et frap- remarquer par son originalité,
pant à sa porte. son côté bizarre.
Mais il semble que ce complément
Q Se noyer dans
ait été ajouté par la suite à l’expres-
un verre d’eau C’est à partir de 1879 que le mot
numéro désigne une partie d’un
sion déjà existante. Être incapable de faire face
spectacle de cirque ou de music-hall.
(sereinement) à la moindre
Et c’est de là que, par extension et
Q Noyer le poisson difficulté. Être complètement
à partir de 1901, une personne qui
perdu une fois confronté au
Noyer quelqu’un sous veut se faire remarquer est devenue
moindre changement.
un flot de paroles de « un numéro » et même, parfois,
manière à l’étourdir – Faire On peut comprendre cette expres- « un drôle de numéro ».
volontairement de longues sion comme montrant le côté ridi- En revanche, le sens de « personne
digressions pour embrouiller cule qu’il y aurait à réussir à se noyer bizarre ou originale », probable-
quelqu’un. dans un verre d’eau, fait aussi stu- ment influencé par le sens précé-
pide que celui de se laisser dépasser dent, semble remonter à une locu-
Cette expression existe au moins
par la moindre petite difficulté. tion du milieu du XIXe siècle, être un
depuis le XIXe siècle. Les pêcheurs
Au XVIIe siècle, on poussait même bon numéro, qui voulait dire « être
l’utilisaient pour décrire la manœuvre
l’exagération plus loin, puisqu’on ridicule » et dont l’origine n’est pas
qui consiste, une fois le poisson
disait déjà se noyer dans un crachat précisée.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 139


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Être en odeur de
sainteté Q À l’œil
Sans payer, gratuitement.
Être en état de perfection
spirituelle – Être bien vu. Au cours de la première moitié du
XIXe siècle, cette locution voulait
Autrefois, on croyait que le corps
principalement dire « à crédit ».
d’une personne sainte émettait après
On comprend bien alors que le
sa mort une odeur particulière, suave,
sens de « crédit » ait pu évoluer Détail d’un portrait de l’empereur
qui permettait de le distinguer aisé-
vers celui de « gratuité », à force e
Sigismund de Bohème. XV siècle.
ment des autres personnes décédées.
d’avoir des débiteurs ne payant
C’est de là qu’au XVIIe siècle est
pas leurs dettes.
apparue notre expression avec son
Claude Duneton indique qu’à cette époque, le sens de « gratuité » a
premier sens indiqué, pour désigner
longtemps coexisté avec celui de « crédit ». Pour la notion de crédit, il
une personne ayant eu de son vivant
précise que les commerçants, pour comptabiliser la dette de leurs clients,
un comportement si admirable que
utilisaient des baguettes de bois dans lesquelles ils faisaient au couteau des
sa canonisation était envisageable.
entailles en fonction du montant dû. Les pauvres prenaient du pain « à la
Mais avant cela, au XVIe siècle,
coche » en attendant de pouvoir payer.
il existait déjà être en bonne/
Or, de telles marques en « v » faites au couteau sur la baguette peuvent ressem-
mauvaise odeur employé à propos
bler à des yeux. De là pourrait venir avoir quelque chose à l’œil donc à crédit.
de quelqu’un qui faisait bonne ou
mauvaise impression.
Ce sens n’a pas disparu et il est resté On retrouve aussi cette formule dans à la suite de cette expression, et se-
aujourd’hui dans notre expression, l’Ancien Testament : dans les livres lon l’ampleur de l’erreur, on ajoute
bonne odeur devenant odeur de de l’Exode et du Lévitique. parfois jusqu’au coude ou même
sainteté et employé, parce qu’il a De nos jours, la loi du talion n’est jusqu’à l’omoplate lorsqu’il s’agit
fait bonne impression, à propos de heureusement plus appliquée, mais d’amplifier l’importance de l’erreur.
quelqu’un qui est apprécié, bien vu. remplacée par des peines graduées,
Dans ce second sens, le moderne, la attribuées en fonction des dom- Q Tuer/Écraser/Étouffer
locution s’emploie plutôt à la forme mages subis par la victime. dans l’œuf
négative ne pas être en odeur de
Arrêter quelque chose,
sainteté pour parler d’une personne Q Se mettre le doigt étouffer une affaire dès le
mal vue par une autre. dans l’œil départ, dès le début.
Se tromper grossièrement.
Q Œil pour œil, dent pour Depuis très longtemps, l’œuf est le
dent – La loi du talion En argot, œil désigne aussi l’anus et, symbole métaphorique du germe,
dans le langage populaire, l’erreur du commencement, par analogie
Formule ou principe exprimant
est souvent exprimée par des termes avec l’état embryonnaire. N’est-ce
un esprit de vengeance ou
évoquant des choses placées sous la pas dans un œuf que naît la vie ?
un besoin de punition : le
ceinture. Il n’y a qu’à remonter à Horace, au
coupable doit subir le même
Ainsi, quand on se trompe, on peut Ier siècle av. J.-C., et à sa locution la-
dommage que celui qu’il a fait
dire « se foutre dedans » et quand tine ab ovo qui veut dire « à partir de
subir à sa victime.
on est trompé par quelqu’un, les al- l’œuf » pour en être convaincu.
Talion vient du latin talis qui signifie lusions à la sodomie deviennent fré- Toujours est-il que, métaphorique-
« tel » ou « pareil ». quentes. ment, tuer une affaire ou un pro-
Les toutes premières traces de la Quant au doigt, dans un contexte jet dans l’œuf, c’est l’arrêter avant
loi du talion ont été trouvées dans pareil, il est facile d’imaginer ce qu’il même qu’il ait la moindre chance de
le Code d’Hammourabi, recueil de représente. sortir de la coquille où il avait com-
lois du roi de Babylone qui a ré- De là, on comprend qu’on puisse mencé à germer.
gné entre 1792 et 1750 av. J.-C. : évoquer, sinon réellement pratiquer, Ce serait Victor Hugo qui, en 1830,
« Si quelqu’un a crevé l’œil d’un l’auto-sodomie en se mettant le aurait le premier utilisé la locution
homme libre, on lui crèvera l’œil ; doigt dans l’œil lorsqu’on est lour- écraser dans l’œuf, reprise seule-
si quelqu’un a cassé une dent d’un dement trompé par soi-même. ment à partir de 1932 par le Diction-
homme libre, on lui cassera une Doigt et œil n’étant généralement naire de l’Académie française.
dent… » compris que dans leur sens normal,

140 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q À pied d’œuvre Q En rang d’oignons origine réellement liée aux bulbes


qu’on retrouve en cuisine : dans le
Prêt à commencer un travail. Sur une seule ligne, à la file.
centre de la France, une marque
Si, bien entendu, chaque mur est Une explication traditionnelle veut d’indépendance des femmes était
bien une des œuvres du maçon, il que cette expression nous vienne leur droit de cultiver un coin de jar-
ne faut quand même pas oublier du XVIe siècle où, à Blois, officiait un din où elles faisaient pousser des oi-
que le mot œuvre est aussi, depuis maître de cérémonie, Artus de la gnons pour se faire un peu d’argent
le XIIIe siècle, synonyme de travail ou Fontaine-Solaro, baron d’Oignon, qui de poche. On pouvait entendre alors
activité. aimait ranger son petit monde selon les hommes dire aux femmes qui
Mais ce n’est qu’au XVIIe qu’on a com- des règles protocolaires précises. voulaient se mêler de leurs affaires
mencé à dire de ce maçon, arrivé sur Notre locution serait née de là. « occupe-toi de tes oignons » ou
le lieu de son travail et prêt à attaquer Mais il se trouve que se mettre en rang bien « ce ne sont pas tes oignons ».
ce dernier, qu’il était à pied d’œuvre. d’oignons, en 1611, voulait dire « s’in-
Il va de soi que le maçon peut être tégrer à une compagnie où on n’a pas Q Un oiseau rare
remplacé par n’importe quel autre sa place » ou bien « prendre place dans
Une personne aux qualités
travailleur. une réunion où on n’est pas invité ».
exceptionnelles. Une
Et si, aujourd’hui, on la spécialise Et par ailleurs, cité par Littré, Leroux
personne impossible à
plutôt pour des personnes, cette de Lincy, linguiste du XIXe siècle, écrit
trouver (car on lui recherche
expression a d’abord et principale- à propos de notre rang d’oignons :
trop de qualités ou de
ment été employée pour des ma- « Ne vient-il pas tout simplement
compétences).
tériaux ; ainsi on disait des briques de la manière dont les gens de la
prêtes à être utilisées pour monter le campagne assemblent les oignons Si la forme actuelle de l’expression,
mur qu’elles étaient à pied d’œuvre. avec des liens de paille, en plaçant souvent employée de manière iro-
les plus gros les premiers, et ensuite nique, date de la première moitié du
les autres ? » Ce ne serait ensuite XIXe siècle, au XVIIe, on utilisait un rare
qu’en 1654, plus d’un demi-siècle oiseau, traduction du latin rara avis
Q OK après le baron d’Oignon (ce qui (in terris), version qu’on a trouvée
D’accord. éliminerait l’origine qui lui est liée), chez le poète satirique latin Juvénal,
que l’expression aurait également dans une de ses Satires.
La première apparition écrite
pris le sens actuel, le précédent Si un rare oiseau est employé par
connue de cette abréviation a été
continuant à être utilisé pendant Jean de La Fontaine, auparavant,
localisée dans le journal de Boston,
encore au moins un siècle. au XVe siècle, on trouvait déjà cette
le Morning Post, daté du 23 mars
même idée dans oysel qui ne se
1839, dans un article qui parle
d’une abréviation de oll korrect,
Q S’occuper de ses trouve pas souvent.
une altération phonétique de all
oignons Il faut dire que le terme oiseau, dès
le XIVe siècle, a servi à désigner un
correct pour « tout va bien ». Ne pas se mêler des affaires
individu ; on le retrouve dans notre
Ce OK purement local a été, dès des autres.
expression tout comme dans un
l’année suivante, popularisé lors
Si cette locution date du début du drôle d’oiseau.
de la campagne des démocrates
XXe siècle, c’est au cours du siècle Avec exactement la même signifi-
à New York. Ceux-ci créèrent en
précédent que oigne, apocope de cation, on rencontre aussi les ex-
effet un groupe appelé les Demo-
oignon, désignait en argot aussi bien pressions oiseau bleu ou bien merle
cratic OK Club pour soutenir leur
l’anus, le cul ou les pieds. L’expres- blanc (chez Marivaux, par exemple).
candidat Martin Van Buren.
sion se le mettre dans l’oigne voulait
La principale autre hypothèse la
plus répandue est celle-ci : le O
d’ailleurs dire « mépriser ». Q On ne fait pas
de OK viendrait du chiffre zéro
Quoi de plus étonnant, alors, d’omelette sans casser
dans l’abréviation de 0 killed uti-
puisqu’elles existent toujours au- des œufs
jourd’hui, que de voir ici un simple
lisée par les Sudistes pendant la Pour arriver au résultat voulu,
synonyme argotique des expressions
guerre de Sécession pour indi- il faut se résoudre à faire
s’occuper de ses fesses ou s’occuper
quer qu’il n’y avait pas eu de vic- certains sacrifices inévitables.
de ses pieds.
times lors d’un combat (le chiffre
Mais Cellard et Rey, dans leur Dic- Voilà une locution proverbiale un
zéro étant prononcé O comme
tionnaire du français non conven- tantinet pessimiste. Elle veut nous
quand on donne un numéro de
tionnel, évoquent en plus une faire croire que, pour réussir à
téléphone en anglais).
QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 141


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
obtenir quelque chose, il faut obliga- le savoir, vous vous trouvez natu- Furetière indique également que,
toirement qu’il y ait des dommages rellement pourvu d’un moyen de dans le milieu de la finance, on disait
collatéraux, pour reprendre un terme locomotion que certains ont appelé que l’argent roule : « rouler se dit aus-
à la mode, ou bien qu’il faut obli- le train onze, devenu aussi le train si de l’argent lorsqu’il se remue, lors-
gatoirement faire des sacrifices ou d’onze heures, lui-même raccourci qu’il s’en fait grand commerce » et
consentir à abandonner des choses en le train d’onze. aussi « on dit encore, en parlant d’un
(argent, avantage…). De là, prendre le train onze ou arriver homme fort riche, que les sacs d’or et
Certes l’image évoquée par l’expres- par le train onze veulent simplement d’argent roulent dans sa maison, qu’il
sion correspond parfaitement à ce dire que vous vous déplacez à pied. se roule sur l’or et sur l’argent. »
schéma, mais faut-il obligatoirement Cette expression date du dernier Cette locution s’emploie souvent
généraliser ? quart du XIXe siècle. sous une forme négative en relation
Cette locution est apparue au milieu avec quelqu’un qui est pauvre.
du XIXe siècle. Mais auparavant, au XVIIIe, Q Rouler sur l’or
la locution faire une omelette voulait Q Apporter des oranges
Être très riche.
dire « casser des choses fragiles ». (à quelqu’un)
Cette expression date du XVIIIe siècle.
Aller visiter (quelqu’un) en
Q Prendre le train onze/ C’est probablement une altération de
prison ou à l’hôpital.
d’onze heures la forme pronominale citée par Fure-
tière se rouler sur l’or (et sur l’argent) L’histoire remonte à 1892 où, sur dé-
Marcher, aller à pied.
qui date de la fin du siècle précédent nonciation du sénateur Béranger, trop
Lorsque vous vous tenez debout, en et dans laquelle se rouler a bien le sens moraliste, quatre jeunes demoiselles,
pantalon, immobile avec les jambes de « se tourner de côté et d’autre » dont Marie-Florentine Roger, dite
à peine écartées, vos membres in- comme dans se rouler dans l’herbe. Sarah Brown, furent jugées car elles
férieurs ne vous font-ils pas immé- Cette fois, l’image est plutôt celle étaient accusées de s’être montrées
diatement penser à deux chiffres de la personne assez riche pour dis- presque nues dans les rues pendant le
« un » côte à côte ? Ce qui, dans le poser d’un tas d’or suffisamment défilé du bal des Quat’zarts (élèves de
système décimal, donne le nombre important pour qu’elle puisse se l’école des Beaux-Arts à Paris).
« onze » ? Et voilà comment, sans rouler dessus. L’affaire fit grand bruit à l’époque et,
en attendant que le verdict tombe, le
poète Raoul Ponchon composa ces
deux vers :
Q Il y a de l’orage « Ô ! Sarah Brown ! Si l’on
dans l’air t’emprisonne, pauvre ange,
Une dispute, une Le dimanche, j’irai t’apporter des
querelle s’annonce. La oranges. »
situation s’aggrave. C’est donc simplement parce que
orange rime avec ange et que c’est
C’est au cours d’un orage que
un cadeau plus sympathique que
se produisent ces manifesta-
des losanges, des phalanges, des
tions naturelles parmi les plus
mésanges ou des rechanges, qu’on
impressionnantes que sont
apporte maintenant ces fruits aux
les éclairs, immédiatement Paysage sous l’orage, Pieter Mulier II (1637-1701). prisonniers et aux malades.
suivis de coups de tonnerre.
Lorsque les éclairs se produisent, c’est en des endroits où l’air est chargé
d’électricité. Or, ne dit-on pas, par une autre métaphore, « il y a de l’élec-
Q Mordre/Manger l’oreiller
tricité dans l’air » lorsque la tension monte entre deux individus, au risque Avoir un orgasme – Avoir le
de provoquer de véritables éclats ? rôle passif, dans une relation
Ce rapprochement aisé, entre « l’atmosphère » qui règne entre les deux homosexuelle.
personnes et cette électricité qui se trouve dans l’atmosphère et qui va
Il arrive parfois qu’on « mange »
probablement provoquer l’éclair puis le tonnerre est bien évidemment à
l’oreiller. Les femmes, surtout, car il est
l’origine de notre expression. Et ce, depuis le XVIIIe siècle.
plus rare, dans un couple traditionnel,
On utilise aussi ça tourne à l’orage pour évoquer une situation qui est en
que l’homme ait la bouche à proxi-
train de se détériorer : l’orage, l’explosion de la nature, n’a pas encore eu
mité de l’oreiller lors d’un orgasme.
lieu, mais on sent bien qu’il se prépare.
Pourquoi cette image ?
QQQ

142 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

on n’avait aucune intention de se


Q L’avoir dans l’os rendre.
Le sens actuel n’a pas été perdu de-
Subir un échec – Éprouver une déception – Se faire berner.
puis le XVIIe siècle.
Lorsqu’on subit un échec ou qu’on éprouve une déception, c’est souvent à
cause d’un autre qui nous a berné, possédé, trompé. Et, dans ce cas, une Q Faut pas pousser
métaphore habituelle de la possession nous fait dire, par une association très grand-mère /mémé /
poétique à la sodomie, que « on l’a dans le cul » ou que « on s’est fait mettre mémère dans les
(bien profond, éventuellement) ». orties
C’est elle qu’on retrouve ici, le mot os désignant alors le tréfonds de l’homme,
Il ne faut pas exagérer, abuser,
peut-être en raison de la proximité immédiate de l’orifice avec le sacrum ou
dépasser les limites – Il ne faut
le coccyx, deux de nos os bien connus ou parce que la coupe d’un os est un
pas avoir un comportement
anneau, comparable à l’anus.
asocial avec quelqu’un.
Selon Gaston Esnault, si ce sens du mot existe depuis la fin du XIXe siècle,
ce n’est qu’au milieu du suivant que l’expression est apparue. Si l’image en est claire, l’origine de
l’expression de base faut pas pousser
pour il ne faut pas exagérer semble
Eh bien, n’est-il pas nécessaire d’être effrayer le voyageur nocturne seul
inconnue même si son apparition
le plus discret possible au moment au fond des bois.
est généralement située dans la pre-
de l’extase ? Alors, lorsque la posi- Le sens initial de l’expression était lié
mière moitié du XXe siècle.
tion le permet, mettre la tête dans au fait d’être effrayé. Maintenant, si,
Celui qui « pousse » trop, en ef-
l’oreiller, voire le « mordre » ou, plus en plus de l’effroi, on l’utilise aussi
fet, risque de faire du dégât en en-
imagé encore, le « manger », per- en cas de forte réprobation, on as-
fonçant ou écrasant ce sur quoi il
met d’atténuer une manifestation socie fréquemment une notion de
pousse. La métaphore d’origine est
trop bruyante d’un plaisir intense. réaction disproportionnée par rap-
donc sans ambiguïté.
C’est de cette image de la femme port à l’acte ayant causé la peur ou
L’ajout de la mémé est là pour en
qui mord l’oreiller pour assurer la le désaccord.
renforcer le sens. Son côté cocasse
discrétion de l’instant suprême que,
en rend l’utilisation plus fréquente
par extension, l’expression indique le Q Attendre sous l’orme que faut pas pousser le bouchon
fait d’avoir un orgasme, et ce depuis
Attendre très longtemps, trop loin qui a exactement le même
la seconde moitié du XXe siècle.
en vain. sens.
L’image, étendue aux homosexuels
masculins, a également donné le se- Autrefois, les ormes étaient nom-
cond sens proposé. breux sur les places des villages où
Q Être à l’ouest
se trouvait le centre de la vie sociale. Être dans un état anormal
Q Pousser des cris Dans ces lieux, dès le Moyen Âge, il (de fatigue, d’hébétude…).
d’orfraie était fréquent qu’une forme de jus- Avoir la tête ailleurs.
tice soit rendue par des sommités lo-
Hurler, pousser des cris La plus probable des origines
cales ou des « juges de village » qui
stridents (souvent sans vient d’une adaptation de la lo-
mettaient en présence les parties qui
réelle justification, avec cution anglaise to go west (« aller
s’opposaient.
une certaine disproportion à l’ouest ») qui, au moment de la
De cette pratique sont venues les
entre l’acte et la réaction) – Première Guerre mondiale, voulait
désignations juge sous l’orme ou
Protester violemment. dire « mourir » ou « être tué »,
avocat sous l’orme pour désigner
sens approchant de celui qu’on
L’orfraie est un rapace piscivore dont des magistrats et avocats médiocres,
trouvait dans l’argot des voleurs
les cris ne sont pas plus stridents que l’on se permettait donc de faire
chez lesquels to go west voulait
que ceux d’un autre grand rapace attendre.
dire « être pendu. En traversant la
diurne. L’image de cette attente intermi-
Manche, elle aurait perdu de son in-
En réalité, ce qui explique proba- nable sous l’orme venait aussi du fait
tensité, la mort étant remplacée par
blement notre locution née au que certaines des parties concernées
une sorte d’hébétude.
XVIe siècle, c’est la confusion de noms ne se présentaient jamais et qu’on
Voici une autre explication qu’on
entre orfraie et chouette effraie. les attendait donc en vain.
trouve ici et là.
Cette chouette peut, dans certaines Du coup, au XVIIe siècle, l’expression
Elle viendrait du théâtre du début du
conditions, pousser des hurlements a été employée ironiquement pour
XXe siècle. Il paraît qu’à cette époque,
qui, en des temps reculés, pouvaient proposer un rendez-vous auquel
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 143


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

les ateliers de décors et les théâtres C’est, bien avant, à l’époque d’Aris- bon matin à embaucher des ouvriers
se situaient principalement à l’est de tote, déjà, qu’on trouve une croyance dans sa vigne au prix de un denier
Paris, alors que les acteurs habitaient qui dit que le petit de l’ours naît en par jour. Mais il continua à recruter
surtout à l’ouest. partie informe et qu’il est « finalisé » tout au long de la journée.
À la fin de son spectacle, l’acteur, par sa mère qui le lèche pour aboutir À la fin de la douzième et dernière
forcément très fatigué après avoir tout à un animal complètement formé. heure de travail, il paya les
donné, retournait chez lui, à l’ouest. C’est ainsi que d’une prétendue mal- derniers venus de un denier, avant,
formation physique on s’est déplacé finalement, de payer les premiers
vers une malformation éducative, la également de un denier.
Q Avoir ses ours personne « mal léchée » étant mal Le sens de cette parabole est assez
éduquée, donc grossière, pour don- clair : si le maître engage des ou-
Avoir ses règles.
ner le second sens de l’expression. vriers à la onzième heure, c’est qu’à
Mais que viennent faire nos ceux-là, aucun travail ne leur a été
braves plantigrades dans ces ma- Q Avoir des oursins dans proposé avant, il faut donc donner à
nifestations aussi régulières que la poche/le porte- chacun des chances égales.
naturelles ? monnaie Mais le message sous-jacent de Jésus
Deux explications sont proposées est qu’il est toujours temps de venir
Être avare.
pour cette expression qui daterait à lui et qu’aucune préférence ne sera
du début du XXe siècle. Avant d’aller plus loin, il est intéres- faite basée sur l’ordre de conversion.
On sait qu’un ours désigne un sant de savoir que le mot oursin, qui
homme bourru, à l’humeur par- date du milieu du XVIe siècle, est, selon Q Être paf
fois massacrante. La première ex- certains, une déformation de ourson,
Être ivre.
plication vient donc de l’humeur le petit de l’animal bien connu ; mais
ou de l’énervement que peuvent pour d’autres, il serait issu de l’appel- Ce paf est une abréviation du par-
avoir nos compagnes lorsqu’elles lation en occitan orsin de mar. ticipe passé paffé issu du verbe
sont menstruées. Quoi qu’il en soit, cet échinoderme, paffer ou empaffer qui, à la fin du
La seconde origine pourrait venir qu’on appelle aussi « hérisson de XVIIIe siècle, voulait dire « enivrer », et
d’une plaisanterie faite à partir mer » ou « châtaigne de mer », est qu’on trouve aussi sous les formes
de l’ancienne expression avoir ses entouré d’une multitude de piquants pronominales se paffer ou s’empaf-
jours, employée pour désigner qu’il vaut mieux éviter de se planter fer (également avec le sens de « se
ces jours où une femme préférait dans les doigts. gaver d’aliments et de vin »).
ne pas trop se montrer en société. On peut donc imaginer qu’une Mais l’origine de ces verbes est dis-
Mais une telle plaisanterie ne se personne qui aurait un ou des cutée.
comprend vraiment que lorsqu’on oursins dans sa poche ou dans Pour plusieurs lexicographes, ils sont
sait que, jusqu’à la fin du XIXe siècle, son porte-monnaie éviterait une déformation de se piffrer ou
ours se prononçait our, ce qui ex- intelligemment d’y fourrer la main s’empiffrer avec le même sens. Mais
plique la très forte similitude de pro- pour en retirer quelque argent. pour Lorédan Larchey, empaffer
nonciation entre avoir ses jours et Et cet empêchement constant d’ac- voulait dire « remplir de paf », le paf
avoir ses ours puis le remplacement céder à ses billets ne pourrait que la ayant été un terme générique pour
de la première par la dernière. faire passer pour avare à celui qui ne désigner une boisson alcoolisée au
serait pas informé de la présence de milieu du XVIIIe siècle.
ces petits animaux.
Q Ours mal léché Q La paille et la poutre
Q Un ouvrier de la
Personne qui fuit la société – Les défauts d’autrui qu’on
onzième/dernière
Personne bourrue. perçoit comme gênants, en
heure ignorant les siens propres.
On sait que l’ours est un animal
Celui qui se met à participer
principalement solitaire, même s’il La paille, ce fétu, et la poutre, cette
à un travail au moment où il
lui faut bien, de temps en temps, se grosse barre de bois, s’utilisent en gé-
va être fini – Celui qui se rallie
rapprocher d’un congénère du sexe néral sous une forme du genre « voir
tardivement à une cause.
opposé pour perpétuer l’espèce. une paille dans l’œil du prochain et
Si le premier sens de l’expression se On trouve la parabole suivante dans ne pas voir la poutre dans le sien ».
comprend donc aisément, le second l’Évangile selon saint Matthieu. Cette comparaison entre les défauts
est moins évident. Un maître de maison commença de qui nous crèvent les yeux et qu’on
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144 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
reproche chez l’autre (la paille) alors
qu’on devrait plutôt être très indul- Q Avoir du pain sur la planche
gent en raison de la présence de
Avoir beaucoup de travail, beaucoup de tâches à accomplir.
défauts au moins aussi désagréables
chez soi (la poutre, qui devrait nor- Avant le début du XXe siècle, cette expression voulait dire « avoir des ressources
malement nous aveugler au point pour l’avenir, être assuré de ne manquer de rien ». L’image s’explique à
de ne pas pouvoir percevoir la paille) l’époque où le pain pouvait être conservé longtemps.
existe depuis longtemps puisqu’elle Mais l’expression a depuis changé de sens.
nous vient des Évangiles selon saint Au début de son travail de cuisson, le boulanger a du pain (des pains) sur la
Luc et saint Matthieu. planche, donc beaucoup de travail devant lui.
Cette allusion s’utilise en général L’autre explication vient de Claude Duneton citant l’expression argotique uti-
pour ceux qui prétendent faire la lisée par les voyous, la planche au pain, qui désignait le tribunal.
morale à d’autres en oubliant de se En plus, à cette époque de royauté, manger le pain du roi, cela voulait dire
corriger eux-mêmes. « être en prison ou aux galères (ou à l’armée) », le pain étant fourni gratui-
tement par l’État, donc le roi.
Q Sur la paille La combinaison de ces deux expressions a fait que les voyous ont assimilé
les années de galère ou de bagne gentiment distribuées par le tribunal (des
Dans une grande pauvreté.
sortes de rations) à autant de pains sur la planche, ces derniers prenant alors
Au XIIe siècle, le mot paille désignait le sens de « corvées », là où auparavant ils avaient le sens de « ressources ».
une balle (ou une botte) de blé avant,
un peu plus tard, de désigner la
financiers qui, par conséquent, choses agréables (« manger le pain
« tige entière de céréales dépouillée
n’avait pas d’importance sociale. blanc ») sans toujours savoir qu’on
de son grain ». Maintenant, il s’agit
Et c’est bien de l’absence de valeur devrait ensuite subir des désagré-
plus généralement de la tige coupée
accordée au pauvre que vient le sens ments divers (« le pain noir » qu’on
de plantes diverses.
de l’expression, car un homme de a aussi appelé « le pain noir de
C’est depuis le XIIIe siècle que la
paille est tout aussi peu considéré l’adversité »).
couche de paille est le symbole de
dans le cadre d’une affaire, puisqu’il
la pauvreté.
En effet, la paille est considérée
n’a strictement aucun pouvoir. Q Hors pair
comme le déchet d’une culture, Hors du commun,
Q Manger son pain blanc
comme une chose sans réelle va- exceptionnel.
leur. Et être contraint de dormir dans
en/le premier
Pourquoi hors (de) pair (qui se disait
une grange sur des déchets, ne pas Passer d’un état heureux à un
autrefois hors du pair et même sans
avoir les moyens de s’offrir un vrai autre qui ne l’est pas.
per, un peu après le Xe siècle ?
lit confortable et douillet dans une
Cette expression est attestée en Il suffit de se pencher un peu sur
chambre, n’est-ce pas une véritable
1515 à une époque où, pour le l’étymologie et le sens du mot pair
marque de pauvreté ?
peuple, le pain ne disposait pas de pour le comprendre.
Cette expression est citée par Fure-
la farine blanche et débarrassée de Ce mot qui est issu du latin par ou
tière au XVIIe siècle avec le verbe cou-
ses impuretés comme celle d’au- paris signifiant « égal » s’est dit peer
cher. D’autres versions apparaîtront
jourd’hui. au Xe siècle, puis per au XIe (on re-
ensuite avec des verbes comme être,
Mais, lorsqu’il pouvait avoir accès à trouve aujourd’hui cette égalité dans
finir, mourir ou mettre.
une farine plus propre et fine, celle le mot parité, par exemple) avant
généralement réservée à la haute de devenir pair qui ne s’utilise plus
Q Un homme de paille société, il ne se privait pas de faire que dans certains contextes, ce mot
Une personne dont le du pain plus clair que d’ordinaire, ayant été remplacé par pareil de nos
nom sert à la signature du pain « blanc » à la qualité et au jours.
de contrats, à la place du goût supérieurs. Du coup, les gens La signification initiale de sans per
véritable contractant. avaient alors tendance à le manger était donc « sans pareil ». Et hors
en premier, faiblesse bien compré- pair ou hors du pair, puis hors de
C’est en raison de la faible valeur
hensible, se condamnant à partager pair, voulait d’abord dire « au-dessus
de la paille (comparativement au
le moins bon plus tard. des choses semblables ». Ensuite, le
grain), qu’autrefois, au XVIIe siècle,
Cette ancienne métaphore s’est simple au-dessus a été amplifié pour
un homme de paille désignait un
généralisée à toutes occasions aboutir à quelque chose de « très au-
pauvre, quelqu’un sans moyens
où on a commencé par faire les dessus » et même d’exceptionnel.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 145


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q La boîte de Pandore
La source des ennuis. L’origine de malheurs, de catastrophes.
La boîte de Pandore nous vient de la mythologie gréco-romaine.
Deux Titans, Prométhée et Épiméthée, qui étaient frères, furent chargés
par Zeus de créer les hommes. Mais Prométhée, ému par la nudité de
ses créatures, vola le feu aux dieux, apprit aux hommes à s’en servir et
s’installa parmi eux.
Zeus jura de se venger de Prométhée. Il demanda alors à Héphaïstos
de créer une femme identique à une déesse et l’envoya chez les deux
Titans, munie d’un beau récipient qu’elle avait interdiction d’ouvrir, of-
fert par Zeus à destination de son futur époux et renfermant de nom-
Création de l’homme par Prométhée, bas-relief en
breux maux jusque-là tous inconnus des Hommes (vieillesse, maladie, e
marbre, Italie, III siècle ap. J.-C.
famine, etc.). Ce récipient contenait également l’espérance.
Épiméthée se laissa subjuguer et épousa Pandore qui, en raison de sa trop grande curiosité, profita un jour de
l’absence d’Épiméthée pour ouvrir la boîte dont tous les maux s’échappèrent et se répandirent sur l’humanité.
Au fond de la boîte, il ne restait plus que l’espérance qui finit aussi par sortir, et heureusement, car sans elle l’Homme
aurait eu bien du mal à supporter tout le reste.

Q Envoyer paître Q Se faire porter pâle s’emploie aussi en parlant de per-


sonnes pour désigner les plus aisées,
Se débarrasser (de quelqu’un) Se déclarer comme étant
les plus distinguées ou les plus célèbres.
avec brusquerie. Envoyer malade, se faire passer pour
Dans ce cas précis, on utilise aussi les
promener. malade.
termes de crème ou de gratin.
Le verbe paître a d’abord été transitif L’expérience montre qu’une maladie Selon Antoine Oudin, grammairien
puisque, au XIIe siècle il signifiait, au peut rendre quelqu’un très pâle. du XVIIe siècle, on a d’abord utilisé pis/
sens propre, « nourrir un animal ». Précédée de se faire porter ma- pire du panier pour évoquer cette
Ce verbe a aussi eu d’autres signifi- lade, c’est à partir de 1900, dans le fois ce qu’il y a de plus mauvais. Plus
cations : de « conduire au salut », en monde des casernes, que cette ex- tard dans le siècle, selon Furetière,
religion, à « tromper ». pression argotique est apparue. Elle on a vu apparaître notre expression
Aujourd’hui, le verbe est principalement s’appliquait au militaire qui, soit était en même temps que son opposé le
intransitif, puisqu’on « fait paître » les réellement malade et qui se faisait fond du panier.
animaux en les éloignant vers un champ alors porter pâle, même si sa mala- Aujourd’hui, il n’en reste plus que le
à distance. Il est donc aisé d’imaginer die n’influait en rien sur son teint, dessus.
que notre expression est une méta- soit tentait de tirer au flanc en se fai-
phore de cet éloignement, l’importun sant passer pour malade. Q Un panier percé
étant brutalement envoyé au loin pour Mais pourquoi se faire porter ?
Une personne qui dépense
éviter qu’il ne continue à déranger. Parmi ses quelques significations, le
sans compter, qui dilapide son
Si l’expression est apparue au verbe porter veut dire « mettre quelque
argent.
XVe siècle, dès le XIIIe, faire herbe chose par écrit », comme on le trouve
paistre, également en rapport avec par exemple dans porter une somme Point n’est besoin d’être un panier
le sens de « tromper », s’utilisait au crédit d’un compte bancaire. percé pour comprendre la métaphore.
pour « mener comme un sot, en Se faire porter, c’était donc faire ins- Quelqu’un qui, le matin au marché,
dupant ». Cela explique que, dans crire son état dans les registres de la s’aviserait de remplir son panier de
son Dictionnaire françois publié en caserne ou de l’infirmerie. lentilles en vrac alors que le récep-
1680, César Pierre Richelet donne à tacle est percé y dépensera bête-
notre locution la signification « en- Q Le dessus du panier ment toute sa fortune avant que le
voyer promener comme un sot ». panier soit plein.
Ce qu’il y a de meilleur.
De nos jours, on a oublié la sottise De là à considérer que celui qui est
de l’importun pour n’en plus consi- Si, pour des choses diverses, notre « un panier percé » est quelqu’un
dérer que le côté dérangeant justi- métaphore aisément compréhensible qui dilapide son argent, il n’y a
fiant qu’on cherche à l’éloigner sans désigne effectivement ce qu’il y a de qu’un pas qui a été franchi à la fin
ménagement. plus beau ou de meilleur, l’expression du XVIIe siècle.
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146 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
La locution avait parallèlement un
Q Être dans les petits
autre sens, oublié depuis, puisqu’elle Q Les moutons papiers (de quelqu’un)
voulait aussi dire « être une personne de Panurge
sans mémoire, qui oublie tout », les Jouir de la faveur, de la
Personnes qui font la
« trous » laissant filer tout ce qui aurait protection (de quelqu’un),
même chose que les
dû être retenu ; du coup, elle a aussi éventuellement de manière
autres, suivent une mode,
servi à désigner un idiot, avec la locu- occulte.
se conforment à une idée
tion être bête comme un panier percé.
dominante, en éliminant Pour « être dans les petits papiers de
tout sens critique. quelqu’un », le préalable était d’y
Q En panne être cité.
Dans l’impossibilité de Maintenant, si vous transmettez
pouvoir fonctionner. très discrètement par écrit une in-
formation à quelqu’un afin de lui
C’est de la marine à voile que
vanter les qualités d’une personne
nous vient cette expression, dès
que vous appréciez beaucoup pour
le XVIe siècle. En effet, « mettre en
qu’on lui accorde une faveur, vous
panne », c’était disposer ou orienter
avez là un exemple de contexte qui
la voilure de telle manière que le
explique le sens actuel de l’expres-
bateau n’avance plus.
sion née à la fin du XVIIIe siècle sous
Quant à la panne sèche, elle vient
la forme être dans les papiers de
encore de la marine où cette fois la
quelqu’un.
« panne » s’obtenait en l’absence
Aujourd’hui, la « manière occulte »
totale de voilure, en utilisant unique-
n’est plus obligatoirement sous-en-
ment le gouvernail, par opposition à
tendue.
la « panne » avec voilure qui s’appe- Bartolomé Esteban Murillo (1617-1682),
Le bon berger. Et si le qualificatif petit est venu
lait la « panne courante ».
se greffer sur cette expression,
C’est depuis le début du XXe siècle
Dans un troupeau de moutons, c’est parce que les petits papiers
que panne s’utilise pour une voiture
lorsque la tête du troupeau désignaient autrefois les fiches de
qui ne peut plus avancer après l’arrêt
change de direction, les autres renseignements, éventuellement
involontaire de son moteur.
suivent « bêtement ». secrètes, sur lesquelles des
Elle a ensuite été étendue à d’autres
Au point que, lorsque des élé- personnes pouvaient être fichées
usages (« je suis en panne d’idées »
ments paniqués par un quelcon- et comportant un avis sur une
pour le créatif ou bien « je suis en
que prédateur se dirigent vers un personne.
panne d’argent » pour celui qui a du
ravin ou une falaise, les autres Le mélange avec la forme initiale de
mal à joindre les deux bouts).
suivent et tout le troupeau se l’expression n’a gardé que le côté
suicide. positif des appréciations.
Q Tomber dans le panneau Panurge est un héros de Rabelais
Tomber dans le piège. qui, pour se venger d’une alter- Q À Pâques
Se faire duper. cation avec le propriétaire d’un ou à la Trinité
troupeau, lui proposa de lui en
Pour comprendre cette expression, À une date indéterminée –
acheter le chef, la plus belle bête,
il nous faut remonter jusqu’au Jamais.
alors qu’ils étaient ensemble sur
XIIIe siècle, époque à laquelle, pendant
un bateau pour une traversée. Le nom de Lord Churchill, duc de
les chasses, un panneau était un filet
Après avoir convaincu le berger, Marlborough, vous rappelle-t-il
ou une étoffe tendue de manière à y
et une fois l’animal payé, Pa- quelque chose ? Il s’agit d’un ancêtre
prendre le gibier.
nurge le jeta à l’eau. du célèbre Sir Winston Churchill.
C’est donc simplement de ce piège
Bien entendu, respectant le com- À la fin du XVIIe siècle, Lord Churchill
bien réel qu’est d’abord née l’ex-
portement que Panurge atten- était le capitaine de l’armée
pression figurée tendre un panneau
dait d’eux, les autres moutons, britannique et, à ce poste, il mit
(à quelqu’un) avant que la nôtre
d’eux-mêmes, l’ont immédiate- plusieurs fois la pâtée aux Français.
n’apparaisse, où le verbe tomber
ment suivi et tous se sont noyés, En 1709, à l’époque de Louis XIV,
est parfois remplacé par donner,
au grand dam du propriétaire du il les combattit encore à la bataille
puisque donner dans signifie « heur-
troupeau. de Malplaquet. Au cours de cette
ter » ou « pénétrer dans ».
bataille, pour se moquer du capitaine
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 147


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
anglais qu’ils croyaient mort, les naître cette expression qui dit qu’une
Français écrivirent la chanson parole d’Évangile est une chose sûre
Q Raide comme
Malbrough s’en va-t-en guerre où il et indiscutable.
un passe-lacet
est dit : Autrefois, l’expression se disait aussi Qui se tient très droit, sans
« Malbrough s’en va-t-en guerre, mot d’Évangile. aucune souplesse – Sans
… Cette expression est souvent em- argent.
Il reviendra-z-à Pâques, ployée à la forme négative comme
Le passe-lacet est connu comme
Ou à la Trinité. tout ce qu’il dit n’est pas parole
étant un instrument de couture ri-
… d’Évangile pour dire « il ne faut pas
gide destiné à faire passer un lacet
La Trinité se passe, croire tout ce qu’il dit ». Et le précé-
dans une gaine.
Malbrough ne revient pas. » dent paragraphe en est une parfaite
En fait, le premier sens de cette ex-
Voilà comment d’une chanson est illustration…
pression vient d’un calembour da-
née une expression : il reviendra à
tant de la fin du XIXe siècle où, en
Pâques ou à la Trinité, comme Mal- Q La flèche du Parthe argot, un lacet était la cordelette
brough, c’est-à-dire un jour peut-
L’attaque ou la plaisanterie qui servait aux gendarmes pour
être ou bien jamais.
hostile lancée à la fin d’une attacher les mains d’un repris de
conversation. justice. Du coup, le passe-lacet
Q Une parole d’Évangile était le gendarme lui-même, un
Les Parthes étaient un peuple guer-
Une vérité incontestable. représentant de la loi « raide
rier d’Asie ; ils vivaient à peu près
comme la justice », c’est-à-dire
Dans Jésus en son temps, Henri Pe- dans ce qui est l’Iran actuellement,
au maintien très digne, voire
tiot dit Daniel-Rops a écrit : « L’ex- donc anciennement la Perse.
compassé.
pression célèbre, “évangile selon…” Habitués des batailles et fins cava-
Le second sens de l’expression n’a
ne veut rien dire d’autre qu’affirmer liers, ils avaient une tactique par-
aucun lien direct avec le premier,
cette indissociable unité… Il n’y a ticulière qui consistait, alors qu’ils
mais l’expression a été reprise telle
vraiment qu’un seul Évangile, une simulaient une fuite devant l’enne-
quelle, par une plaisanterie s’ap-
seule bonne nouvelle... Les docu- mi, à tirer des flèches vers l’arrière,
puyant sur une autre signification
ments et les expressions peuvent par-dessus leur épaule, ciblant ainsi
argotique du mot raide, voulant dire
varier, le message reste unique, in- leurs poursuivants.
« sans argent ».
discutable, comme la parole même C’est de cette tactique que notre ex-
En général, quand on est « raide »,
de Dieu. » pression est née au XIXe siècle pour
c’est qu’on est mort. Or, quelqu’un
Autrement dit, ce qui est écrit dans désigner la phrase assassine ou
qui est sans le sou peut être considé-
les Évangiles est la Vérité complète- la plaisanterie désagréable lâchée
ré comme socialement mort.
ment incontestable. par quelqu’un au moment où il
Daniel-Rops ne fait qu’affirmer, arrête la conversation et s’éloigne,
après bien d’autres, ce que croient empêchant ainsi l’interlocuteur de
Q Mener une vie
les catholiques fervents et qui a fait répliquer.
de patachon
Mener une vie de débauche.
Au XVIe siècle, le mot patache a
Q Le parcours du combattant d’abord désigné un bateau, mot
Un parcours semé d’embûches – Des démarches (administratives, venant probablement de l’arabe
judiciaires…) longues et compliquées. batas qui voulait dire « bateau à
deux mâts ». Mais c’est à la fin du
Le parcours du combattant vient du milieu militaire où les hommes en tenue
XVIIIe siècle qu’il s’est mis à désigner
vert armée ont à enchaîner plusieurs épreuves souvent très physiques et
une diligence peu coûteuse et très
pénibles.
inconfortable, qui permettait aux
Ce nom désigne à la fois le parcours lui-même avec tous ses obstacles,
pauvres de voyager à bas coût.
mais aussi l’épreuve qui consiste à le traverser, souvent dans un temps
Or, le conducteur d’une patache
limité.
s’appelait un patachon.
Par extension, et attesté depuis 1963, il désigne toutes les démarches,
Imaginez alors ce pauvre homme,
tous les parcours, toutes les activités dans lesquels on est susceptible de
« obligé », à chaque relais, de s’ar-
rencontrer d’importantes difficultés, de se heurter à des portes désespé-
rêter boire un ou plusieurs coups, de
rément closes, à des interlocuteurs obtus ou à des obstacles difficilement
trousser la gueuse qui l’y attend.
franchissables.
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148 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Autrement dit, cet homme, toujours sa chaleur, sans doute à cause du tourner sur lui-même. On peut donc
par monts et par vaux, pratiquait sans volume d’eau qu’elle contient. considérer que les mouvements
vergogne des activités que sa femme, C’est donc une excellente raison tournoyants de la langue lors d’un
s’il en avait une, n’aurait pas aimé le pour que, lorsqu’on en prend une à baiser suffisent à expliquer la pré-
voir faire. la main, pour éviter de se brûler, on sence de ce verbe dans notre expres-
C’est de cette vie, supposée déré- la passe vite fait à son voisin. sion. Mais pourquoi le patin ?
glée et agitée, qu’est née notre ex- Si la métaphore nous vient sans sur- Pour certains lexicographes, c’est le
pression au milieu du XIXe siècle. prise de cette image, il faut savoir substantif tiré du verbe patiner qui,
que cette patate-là, comme l’origi- selon Cellard et Rey dans leur Dic-
Q Faire un pataquès – nale, nous vient des Amériques. tionnaire du français non conven-
En faire (tout) un En effet, dans ces contrées lointaines, tionnel, au début du XXe et en argot,
pataquès au milieu du XIXe siècle, la hot potato signifiait « caresser (une partie sen-
(traduisez « patate chaude ») désignait sible du corps du partenaire pour
Faire une liaison fautive, une
un problème qui était si sujet à contro- provoquer l’excitation sexuelle) ».
faute grossière de langage,
verse ou sensible qu’il était risqué de Quoi qu’il en soit, comme les patins
et, par extension, faire une
chercher à lui trouver une solution. à roulettes étaient également très en
grosse gaffe – Faire toute une
vogue, cela peut aussi, par plaisan-
histoire pour des choses sans
importance.
Q Patin couffin terie, justifier que l’expression soit
apparue et ait perduré.
Et cetera. Et patati, et patata.
À l’origine, ce mot pataquès désigne Quant à la galoche, en argot, elle
bien ces liaisons inadaptées que font Cette expression, qui était connue désigne une chaussure, le genre
certaines personnes en parlant. au moins en 1823, nous vient du sud d’objet qui est en contact très rap-
Et faire un pataquès signifie bien de la France. proché du patin destiné à protéger
commettre ce genre de bourde. Au début du XIXe siècle, le patin un plancher ciré. D’où la probable
L’origine, d’après le grammairien désignait une pantoufle, un vieux plaisanterie.
Domergue (XVIIIe siècle), découle de chiffon ou bien un véritable patin.
cette histoire où un jeune homme Quant au couffin, c’était la corbeille
se trouve au théâtre à côté de deux munie d’anses, qui servait égale-
femmes peu éduquées : ment de berceau.
Q Graisser la patte
« Le jeune homme trouve sous sa L’explication proposée ici nous vient Soudoyer (quelqu’un).
main un éventail.“Madame, dit-il à la de Philippe Blanchet, dans son Zou, Donner de l’argent
première, cet éventail est-il à vous ? Boulégan ! publié en 2000. (à quelqu’un) pour
– Il n’est point-z-à moi. – Est-il à vous, Elle repose sur la réputation de ba- en obtenir une faveur.
reprend-il en le présentant à l’autre ? vardages futiles que les hommes
Dans cette expression qui date
– Il n’est pas-t-à moi. – Il n’est point- font aux femmes, parce qu’elles ne
du XVIIe siècle, la patte n’est ja-
z-à vous, il n’est pas-t-à vous, dit le causeraient entre elles que de choses
mais que la version animale de
jeune homme, ma foi, je ne sais pas- aussi peu intéressantes que les pro-
la main qui va recevoir l’argent.
t-à qui est-ce !” » blèmes ménagers (d’où le patin) et
D’ailleurs, au XIVe, on disait oindre
Cette raillerie aurait donné nais- de ceux liés à leur progéniture (d’où
la paume.
sance au mot pataquiès, devenu en- le couffin).
Depuis longtemps, la notion de
suite pataquès. Le patin couffin ajouté à la suite
gras est associée à celle de pro-
Par extension, le pataquès est en- d’une phrase ou d’une énuméra-
fit. En effet, un bonhomme gras
suite devenu une faute grossière de tion indiquerait qu’il n’est pas utile
n’est-il pas un symbole de celui
langage, puis une gaffe grossière, de la compléter, parce que la suite
qui peut bien manger, donc celui
quel qu’en soit le domaine. présenterait autant d’intérêt qu’une
qui a de l’argent ?
conversation féminine.
Graisser est ici une métaphore
Q Refiler la patate chaude qui marque le profit mal acquis,
Q Rouler un patin/une
Se débarrasser sur quelqu’un comme dans l’ancienne expres-
galoche
d’autre d’une affaire sion, à la forme très proche de
embarrassante ou délicate. Faire un baiser profond la nôtre, engraisser les mains (à
avec la langue. quelqu’un) où la graisse symbolise
Vous avez probablement déjà remar-
également la corruption ou le
qué qu’une pomme de terre entière Transitivement parlant, rouler signi-
gain illicite.
qui vient d’être cuite garde longtemps fie « déplacer un objet » en le faisant

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 149


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Imaginez-vous assis(e) par un temps


Q Baisser pavillon – Mettre pavillon bas superbe au bord d’une petite mare
Abandonner, renoncer. S’avouer vaincu. dont la surface étale vous permet de
vous y mirer.
Ces deux expressions, qui nous viennent de la marine, sont parfaitement
Soudain, un imbécile de passage
synonymes.
y jette une énorme pierre, ce qui
Le pavillon qui nous intéresse est le drapeau qui, sur un bateau et dès le
entraîne d’inévitables et fâcheuses
XVIe siècle, indiquait la compagnie ou la nationalité de ce qui devenait ainsi
conséquences.
un OFPI, Objet Flottant Parfaitement Identifié.
Il suffit de ne retenir que la première
Avant le XIIIe siècle, le pavillon était une tente militaire utilisée par les armées
d’entre elles, l’eau de la mare de-
en campagne.
vient boueuse et agitée, pour expli-
C’est par analogie de forme avec le morceau de tissu de ces tentes simplistes
citer complètement la métaphore de
que le terme a fini par désigner ce drapeau de la marine (entre autres signi-
l’expression.
fications).
Lorsque, avant ou pendant un combat, un bateau « mettait pavillon bas »,
Q À fleur de peau
donc descendait son drapeau de son mât, c’était pour signaler qu’il se ren-
dait, refusait ou abandonnait le combat. À la surface de la peau –
Au figuré, depuis la fin du XVIIe siècle, et surtout dans les compétitions sportives, Qui réagit à la moindre
mettre pavillon bas ou baisser pavillon, c’est s’avouer vaincu ou abandonner. sollicitation.
Si vous regardez de près les verbes
Q Montrer patte blanche contre la façade des habitations et affleurer et effleurer, vous y retrou-
le creux, au centre de la rue, servant vez le mot fleur : il date du XIIe siècle,
Donner un signe de
d’égout à l’air libre. vient du latin florem, qui désignait la
reconnaissance, une
Les piétons marchaient le plus près fleur mais aussi « la partie la plus fine
autorisation pour pouvoir
possible des maisons pour éviter de de quelque chose », signification de
entrer dans un lieu ou
s’approcher du cloaque situé au mi- laquelle a découlé les différents sens
participer à une assemblée.
lieu. « partie la meilleure », puis « partie
Il paraît que le mot patte vient de Lorsque des nobles ou aristocrates, supérieure » et, enfin, « surface ».
l’illyrien, groupe de langues parlées ou des gens respectables croisaient C’est de ce dernier que naît, au mi-
par un peuple qui vivait à l’Antiquité des gens du peuple, ces derniers lieu du XIVe siècle, la locution à fleur
dans une zone située entre la côte devaient se décaler vers le centre et de pour dire « à la surface de ».
dalmate (en Croatie actuelle) et les laisser « le haut du pavé » aux gens Pour comprendre le sens figuré de
régions côtières de l’Albanie. supposés être de la haute société. « réaction à la plus petite sollicita-
Cela dit, c’est Jean de La Fontaine qui C’est ainsi que, par métaphore, tion », il suffit de penser à la chair de
a popularisé cette expression dans sa les gens qui tiennent « le haut du poule que peut provoquer l’effleure-
fable Le loup, la Chèvre et le Che- pavé » sont des personnes qui ont ment d’une main sur la peau.
vreau dans laquelle la patte blanche une situation sociale élevée ou qui C’est ainsi qu’une personne qui a
est celle que le chevreau, laissé seul en dominent d’autres. une sensibilité « à fleur de peau »
à la maison par sa mère, demande Cette locution est ou a été employée peut très vite réagir à ce qu’elle
au visiteur (le loup) de montrer s’il avec des verbes variés comme tenir, prend parfois à tort pour une agres-
veut se faire ouvrir. Celui-ci, avec ses prendre, céder ou disputer, entre sion verbale.
pattes noires ou grises, s’en trouve autres.
fort marri car, du coup, il ne peut Q Coûter la peau des
croquer le chevreau. Q Un pavé dans la mare fesses/la peau du cul/
la peau des couilles/
Ce qui trouble une situation
Q Le haut du pavé les yeux de la tête
sans histoire, qui fait
Une situation sociale, scandale, qui dérange des Coûter très cher.
hiérarchique… élevée. Une habitudes bien tranquilles.
Il n’y a pas de certitude quant à l’ori-
position élevée.
Voilà une expression sur laquelle il gine de cette série d’expressions.
Bien avant l’apparition du tout-à- semble difficile de trouver des élé- Ce qu’on peut dire à coup sûr, c’est
l’égout et des trottoirs, les rues et ments quant à sa date d’apparition. qu’au XIXe siècle, Alphonse Allais
ruelles, qui étaient pavées, avaient Mais son sens est parfaitement com- utilisait simplement coûter la peau
une forme en creux, le haut du pavé préhensible. avec le même sens.
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150 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

La première attestation de la version Quant au tondu, s’il l’était, c’est


avec fesses ne daterait que de 1976,
Q Peau de balle parce qu’il avait la teigne, dermatose
même s’il est probable qu’elle était Rien. parasitaire du cuir chevelu.
utilisée avant. Nous avons donc affaire ici à des
Ce balle-là désigne trivialement la
La deuxième version est semblable gens considérés comme malsains ou
roubignolle, la coucougnette ou le
à la première, mais en employant malpropres, désignés comme sans
testicule. Si cette bouboule et son in-
un mot plus vulgaire, et la troi- intérêt, à éviter.
séparable copine d’à côté sont « des
sième est une version encore plus
intimités masculines à ne pas dilapi-
triviale, réservée à la gent mascu- Q Se peler le cul/le jonc
der », forcément très précieuses aux
line qui tient bien évidemment à
yeux de son propriétaire, la peau qui Avoir très froid.
cette peau-là comme à la prunelle
les recouvre aurait autant d’intérêt
de ses yeux. Cette expression argotique nous
et de valeur que celle des légumes
La dernière variante proposée, sans vient d’une simple constatation phy-
ou des fruits qui est bonne à jeter.
peau cette fois, date du XIXe siècle et siologique : lorsque notre peau est
Pour compléter l’information, la
insiste à juste titre sur l’importance soumise pendant un moment à un
forme actuelle est attestée en 1877,
que tout un chacun donne à ses froid intense (et pire encore lors-
et balle serait une forme raccourcie
yeux. qu’elle subit des chaud et froid), elle
de baloche, autre dénomination ar-
desquame, elle se détache par petits
gotique du testicule.
lambeaux. Autrement dit, elle pèle.
Q Ne pas nous en chier Cette expression est à rapprocher de
C’est en 1918, alors que la Première
une pendule peau de zob (ou peau de zébi) qui
Guerre mondiale se termine, qu’on
a exactement la même signification
Ne pas nous embêter, trouve la première attestation de un
et qui utilise également la peau d’un
nous agacer pour quelque froid qui pèle.
instrument masculin pourtant fort
chose sans importance. Mais c’est plus tard que la forme
précieux.
Ne pas nous bassiner s’inverse (peler de froid), puis se sim-
Dans la variante peau de balle et
à force de se lamenter, plifie (on jette aux oubliettes le froid
balai de crin, le balai de crin, instru-
seriner, ressasser toujours qui devient sous-entendu) tout en se
ment modeste par excellence, vient
les mêmes inconvénients, « pronominalisant » (se peler).
renforcer l’expression.
déconvenues ou torts Puis, pour renforcer familièrement
subis. l’expression, on y ajoute certaines
Q Trois pelés et un tondu parties du corps généralement si-
Cette expression est moderne :
Dans une assemblée ou tuées sous la ceinture, car on déteste
elle est apparue au milieu du
une réunion, très peu de y avoir froid, comme les fesses, le pé-
XXe siècle.
personnes (considérées sans nis (le jonc) ou les coucougnettes (on
Elle est très probablement l’amal-
intérêt). se les pèle !).
game de deux autres dans l’inten-
tion d’en aggraver le côté grossier Pourquoi un tel dédain pour les pelés
et vulgaire. et les tondus ?
Q Dire pis que pendre
Faire chier dont la signification ne Avant d’avancer dans l’explication, Dire beaucoup de mal (de
devrait échapper à personne. il est bon de savoir que Rabelais, au quelqu’un).
En faire une pendule qui mélange XVIe siècle, utilisait trois teigneux et
Car ce pis-là n’est rien d’autre que
l’action qui dure (le temps mesu- un pelé et que, si notre expression
l’ancienne version (elle date du
ré par la pendule) et le côté très est apparue à la fin du XVIIIe, on uti-
XIe siècle) de notre pire, le superlatif
répétitif du balancier de la pen- lisait aussi avant trois tondus et un
de mauvais, et qu’on emploie en-
dule qui va, qui vient, qui va, qui pelé, donc toujours des gens mal
core dans les locutions de mal en pis
vient… et dont le tic-tac agace considérés.
ou tant pis, par exemple.
quelque peu celui qui est à côté. En ancien français, un pelé est, dans
Cette expression date de la fin du
On peut donc utiliser l’expres- un sens métaphorique péjoratif, un
XVIe siècle et sa forme est archaïque. Il
sion comme voulant dire « tu ne avare, une canaille, un miséreux,
faut la comprendre comme signifiant
vas pas nous faire chier avec tes quelqu’un de peu fréquentable.
« dire (sur quelqu’un) encore pire
histoires qui n’en valent pas la À ces sens, il faut aussi ajouter plus
que ce qui suffirait pourtant déjà à
peine ». tard celui qui est pelé parce qu’atteint
le faire pendre ».
de « pelade », une affection du cuir
L’expression a aujourd’hui, certes, un
chevelu.
côté désuet, mais ce qui est dit sur la
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 151


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

personne visée est souvent faux ou Le second sens, lui, est une exten- au Québec, puis en 1926 en France
très exagéré ; la médisance ou la ca- sion de la première signification. Il où on lui a rajouté un s sans qu’il y ait
lomnie ne sont jamais bien loin. vient d’une personne seule (journa- d’explications bien claires là-dessus.
liste ou auteur) qui, partant d’une
Q Remettre les pendules vérité jugée fausse par lui-même, Q Enfiler des perles
à l’heure expose sa vérité supposée dissiper
Perdre son temps à des
un malentendu, vérité qui servira de
Se mettre d’accord sur une occupations futiles, sans
point de départ à la suite de l’écrit.
base de discussion, en intérêt.
général pour pouvoir avancer,
Q Avoir du peps Autrefois et vu de l’œil des hommes,
aller plus loin – Rétablir la (ou
enfiler des perles était une activité
une) vérité. Avoir de l’entrain, du
peu valorisante, futile, dont le seul
dynamisme, de l’enthousiasme,
Lorsqu’un débat s’enlise et part à intérêt était d’occuper les gamins,
de la vigueur, de l’énergie.
la dérive, il peut être nécessaire de ainsi que les femmes. Ce qui ex-
« remettre les pendules à l’heure » Le mot peps est une variante de plique le sens figuré de l’expression.
pour que la discussion reparte sur pep qui vient de l’américain, forme Cette locution était souvent em-
des bases communes et saines. raccourcie de pepper, ou poivre en ployée sous une forme du genre :
Tout le monde a en mémoire ces français, épice dont les propriétés « Nous ne sommes pas ici pour enfi-
films de guerre ou d’espionnage où stimulantes des fonctions intesti- ler des perles. »
des personnes calent leurs montres nales sont bien connues. Elle apparaît au XVIe siècle chez
sur la même heure avant de se dis- Aux États-Unis, depuis le milieu du Rabelais dans Gargantua, où il
perser pour attaquer ou s’introduire XIXe siècle, le mot pepper était utilisé au évoque l’activité en elle-même, déjà
quelque part. figuré comme synonyme de énergie. avec un certain dédain.
Cette expression, dans son premier Son abréviation pep est apparue en On utilise aussi parfois l’expression
sens, est simplement une métaphore 1912, avec le sens de « vigueur, éner- enfiler des perles pour ceux qui
sur cette synchronisation de l’heure gie », puis en 1922 dans l’expression prient en faisant glisser entre leurs
entre des personnes devant agir en full of pep (« plein de pep »). doigts les grains d’un chapelet.
concordance. Le mot est ensuite attesté en 1923 Et, plus récemment, elle a également
pris le sens de « ne pas arrêter de
dire des stupidités », en liaison avec
Q Ce n’est pas le Pérou ! un des sens de perle pour « erreur
grossière ».
C’est une somme modeste –
Ça ne rapporte pas beaucoup –
Q Faire (quelque chose)
Ce n’est pas grand-chose.
en perruque – Faire de
L’Eldorado, le pays de l’or, a longue- la perruque
ment fait rêver les Européens, au
Faire, pendant les heures
XVIe siècle, lorsqu’ils ont mené de
de travail, une tâche
nombreuses expéditions en Améri-
personnelle avec le matériel
que du Sud, avec l’espoir d’y loca-
de l’entreprise. Travailler pour
liser ce pays.
son propre compte dans son
C’est en 1532 que Francisco Pizarro
entreprise.
défait les Incas au Pérou en captu-
rant leur roi Atahualpa. Ce dernier À quoi sert généralement une
fait alors livrer aux Espagnols de perruque ? N’est-ce pas à dissimuler
très grandes quantités d’or et d’ar- une calvitie ou bien ses cheveux
gent en échange d’une libération Ancienne carte des régions aurifères du Pérou. naturels ?
qu’il n’obtiendra jamais puisqu’il Gaston Esnault relève l’usage de
sera garrotté dans sa prison en 1533. cette expression à partir de 1856
Cet or sera ramené en Espagne par un des frères de Pizarro. chez les ouvriers des arsenaux, du
C’est ce symbole de richesse qu’était le Pérou qui, en 1661, a fait d’abord bâtiment et des arts à Angers.
apparaître le nom commun pérou comme synonyme de trésor ou de fortune. Même si ce n’est pas clairement dit,
Puis, c’est en 1790 que sont nées aussi bien la version positive de l’expres- on peut imaginer que cette per-
sion (c’est le Pérou !) que la négative, beaucoup plus utilisée aujourd’hui. ruque est devenue un symbole de
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152 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

de mauvaise humeur ou souffrant


Q Ne pas valoir un pet de lapin d’une indisposition peu grave, on
Ne rien valoir du tout. puisse se dire qu’elle avait un pet de
travers.
On pourra considérer, comme point de départ, que le pet de lapin ne vaut
rien.
De là, en guise d’hyperbole et histoire de bien enfoncer le clou, il est aisé de
Q Comme un pet sur une
dire qu’une chose considérée comme étant sans aucune valeur vaut encore
toile cirée
moins qu’un pet de lapin. Très vite, précipitamment.
Il semble malheureusement que les raisons du choix de cet animal, malgré la
Cette expression très imagée s’uti-
jeunesse de la locution qui ne date que de la fin du XIXe siècle, resteront un
lise généralement avec des verbes
mystère à jamais.
comme partir, filer ou se casser. Elle
Cependant, on n’oubliera pas que d’autres animaux ont préalablement servi
semble dater du milieu du XXe siècle.
dans des expressions similaires, puisque, à la fin du XVIIIe, c’était aussi le pet
La toile cirée étant une surface très
de coucou qui ne valait rien.
lisse, propice à un déplacement très
facile, on imagine très bien qu’un
tromperie, simplement parce qu’elle Une chose est sûre, c’est qu’au pet n’aura aucun mal à s’y propager
dissimule l’apparence réelle, ainsi XVIIe siècle, pour se moquer de très rapidement.
qu’évoqué précédemment. quelqu’un ou indiquer qu’il avait de Et puisque nous parlons flatulences,
Ensuite, le lien avec le travail per- gros défauts, on disait qu’il valait on peut aussi évoquer déchirer la
sonnel effectué avec les ressources son pesant de plomb. toile qui signifie « émettre un pet
de l’entreprise, travail forcément Valoir son pesant de cacahuètes est pas piqué des hannetons ».
dissimulé, est facile à comprendre, également une variante ironique dé-
puisque celui qui le pratique trompe signant quelque chose de ridicule ou Q Un pétard mouillé
son employeur. sans valeur.
Une action, une révélation qui
Mais il paraît aussi que les ouvriers
devrait être sensationnelle ou
coiffeurs ramassaient les cheveux Q Avoir un pet de travers spectaculaire, mais qui ne fait
coupés et les vendaient aux per-
Être passagèrement aucun effet – Une nouvelle
ruquiers, pour leur propre compte.
indisposé – Être contrarié, de importante qui se révèle
Cela aurait pu aussi contribuer à la
mauvaise humeur. fausse.
naissance de l’expression.
Pet est un mot qui apparaît au Voilà une métaphore très facile à
Q Valoir son pesant d’or XIIe siècle et qui désigne un gaz comprendre.
intestinal plus ou moins malodorant Parce que la poudre d’un pétard qui
Être d’une grande valeur,
qui sort généralement avec bruit. a pris l’eau est trempée et ne peut
d’un grand intérêt, de grand
Dès le XIIIe siècle, il a pris le sens plus exploser, ce pétard mouillé, ce
mérite.
figuré de « quelque chose de peu machin normalement censé faire un
Pesant viendrait du verbe peser. L’or de valeur » au point qu’on a vu effet du tonnerre ne va rien produire
étant un métal de grande valeur, apparaître au XIXe ne pas valoir un de remarquable.
on imagine bien que le poids (le pet, éventuellement suivi du nom Il n’en a pas fallu beaucoup plus
« pesant ») en or de quelque chose d’un animal dont le plus utilisé de pour que cette absence d’effet at-
de pas trop léger représente une nos jours est le lapin. tendu génère notre métaphore qui
somme importante. Tous ceux qui ont, un jour ou l’autre, s’applique à toute chose qui pro-
Cette expression se retrouve dès le souffert d’aérophagie aiguë savent voque beaucoup moins de réaction
XIIIe siècle où on comparait déjà un combien il peut être désagréable qu’espéré ou attendu.
être cher à son poids en or. d’avoir quelque part dans les intes-
Une hypothèse, que certains re- tins des flatulences « coincées ». Q Dans le pétrin
jettent, veut que l’origine vienne C’est une chose susceptible de
Dans une situation pénible
d’une déformation de besant, nom contrarier, de mettre de mauvaise
d’où on ne parvient pas à
d’une ancienne monnaie en or de humeur ou, même, de faire tempo-
sortir.
Byzance (future Istanbul) dont le rairement souffrir.
poids constant, chose assez rare Cela a suffi pour que, dans la pre- À l’origine (depuis le XIIe siècle), le
pour les pièces de l’époque, était de mière moitié du XXe siècle, lorsqu’on pétrin était ce coffre en bois dans
4,48 grammes. avait en face de soi une personne lequel le boulanger pétrissait la pâte
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 153


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
à pain. Avec la mécanisation, ce Ce serait donc parce que cette voile
coffre a été remplacé par une cuve Q Y a pas photo prend le vent par l’arrière qu’on au-
dans laquelle un bras mélange mé- rait d’abord dit pédé comme un foc,
Il y a une nette différence.
caniquement la pâte et qui a gardé transformé ensuite en notre expres-
Il n’y a aucun doute.
le nom de pétrin. sion. Mais ceux qui ont déjà pratiqué
Nous avons ici une simple métaphore Cette expression récente ne date la voile savent que l’explication ne
qui date de la fin du XVIIIe siècle, le que des années 80. tient pas.
contenu du pétrin étant une matière Les turfistes savent que, parfois, L’appellation viendrait du fait que,
pâteuse et collante de laquelle il serait il est nécessaire de faire appel à lorsque le bateau avance avec du
difficile de sortir si on tombait dans un des moyens techniques particu- vent plein arrière, le foc est placé de
très grand récipient qui en contiendrait. liers pour réussir à déterminer le l’autre côté de l’axe longitudinal du
Ce pétrin-là peut être utilisé avec des vainqueur. bateau par rapport à la voile princi-
verbes comme être, se mettre dans, Dans ce cas, la seule possibilité est pale, cette dernière symbolisant l’hé-
tirer du, se sortir du… d’analyser les photographies qui térosexualité et le foc, l’autre bord.
ont été automatiquement prises Enfin, l’introduction de foc dans cette
Q Excusez du peu ! à l’arrivée, pour repérer quelle expression pourrait aussi venir d’un jeu
paire de naseaux a passé la ligne de mots extrêmement capillotracté,
S’emploie ironiquement pour
en premier. quand on sait qu’un grand foc s’ap-
exprimer son étonnement face
Ainsi quand y a pas photo – au- pelle un génois… Ainsi, pédé comme
à l’excès de quelque chose,
trement dit, quand il n’y a pas un Grec serait devenu pédé comme un
aux excès de quelqu’un, ou
besoin de faire appel à la photo Génois, puis pédé comme un foc, et
face au caractère outrancier
de vérification –, c’est qu’il n’y enfin pédé comme un phoque.
d’une attitude ou d’un
a aucun doute sur le vainqueur, Une autre hypothèse vient du fait
comportement.
donc qu’il y a un net écart entre que, comme chacun sait, le phoque
Cette expression daterait de la se- les deux animaux. fait partie de la fameuse famille des
conde moitié du XVIIIe siècle. Voilà qui suffit amplement à expli- pinnipèdes, mot dans lequel on en-
Elle est doublement ironique car, lors- quer la naissance de cette expres- tend pine et pède. Les jeux de mots
qu’elle est employée, non seulement sion ainsi que ses deux sens. auraient fait le reste.
celui qui la prononce n’est pas respon-
sable de ce qu’il demande d’excuser, Q Ne tirez pas sur
mais elle l’est en rapport à quelque disait avoir prou de quelque chose le pianiste !
chose qui a des proportions impor- pour dire qu’on en avait beaucoup.
Soyez indulgent envers une
tantes, et même plutôt excessives. Depuis, le mot est tombé en désué-
personne qui fait de son
Le Dictionnaire de l’Académie fran- tude et n’est plus utilisé que dans
mieux ! N’accusez/n’agressez
çaise de 1835 donne la définition notre expression apparue vers 1600,
pas un lampiste au lieu du
suivante : alors qu’un peu avant, on disait « ni
véritable responsable !
« Excusez du peu, se dit ironiquement peu ni prou » pour dire « ni peu ni
de celui qui se plaint qu’on ne lui beaucoup ». C’est Oscar Wilde qui, dans ses Im-
donne pas assez, quoiqu’on lui donne pressions d’Amérique, raconte qu’en
beaucoup. Il se dit aussi quelquefois Q Pédé comme un phoque 1880, dans le saloon de Leadville,
par celui même qui trouve qu’on lui ville-champignon où l’on venait de
Complètement homosexuel.
donne trop. » découvrir des gisements aurifères,
Rappelons tout d’abord que pédé est il y avait un panneau qui disait
Q Peu ou prou l’abréviation de pédéraste, mot qui « Please don’t shoot the pianist. He
vient du grec et qui aujourd’hui désigne is doing his best ». Ce qui, en bon
Plus ou moins.
un homosexuel mâle, mais qui autre- français, peut se traduire par « Merci
Nous savons tous que peu veut dire fois désignait un homme aimant un de ne pas tirer sur le pianiste. Il fait
« pas beaucoup » ou « en faible quan- peu trop les enfants, personne qu’on de son mieux ».
tité ». qualifie aujourd’hui de pédophile. Car cette expression est bien née par
Qu’en est-il de prou ? La plus répandue des origines vient allusion au Far West où dans les sa-
Cet adverbe, qui signifie « beau- de la marine à voile, avec une dé- loons, quand les bagarres se déclen-
coup » ou « assez » et date du formation orale du mot foc, petite chaient, les deux premières victimes
XIIIe siècle, vient du nom prou qui vou- voile triangulaire située à l’avant du étaient souvent le miroir placé der-
lait dire « profit ». Au XVIIe siècle, on bateau. rière le comptoir et le pianiste.
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154 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Celui qui « prenait » était donc ce


pauvre bougre plein de bonne vo- Q Avoir le pied marin
lonté, tentant juste de faire son job,
Être à l’aise, garder son
et qui n’était certainement pas le
équilibre à bord d’un bateau –
responsable de l’éventuelle bagarre
Par extension, ne pas être
générale.
malade sur un navire.
Q Qui va piano va sano Ici, l’adjectif marin est une ellipse de
digne d’un bon marin. e
Marine de Cornelis Verbeeck, XVII siècle.
Qui va doucement va
Le « bon marin » est supposé ne pas
sûrement. Celui qui ne se
être perturbé par les mouvements de roulis et de tangage et pouvoir se
précipite pas pour faire
mouvoir aisément en les compensant par un grand sens de l’équilibre. On
quelque chose a de fortes
dit alors qu’il a le pied marin.
chances d’y arriver.
Par extension, et par opposition à ceux qui vomissent tripes et boyaux dès
Le mot piano est ici un adverbe qui a qu’ils sont à bord d’un navire qui remue un peu, celui qui a le pied marin est
le sens de « doucement », mot qu’on celui qui profite imperturbablement du bonheur d’être sur les flots, quelles
utilise principalement en musique. que soient les conditions de mer.
En fait, notre expression avec le qui Selon Furetière, cette expression date de la seconde moitié du XVIIe siècle.
est une francisation très approxima- Mais à la fin du XVIIIe siècle, l’expression signifiait aussi « ne pas être ébranlé
tive du proverbe italien chi va piano dans des circonstances difficiles », métaphore compréhensible, mais sens qui
va sano, pour indiquer que celui qui s’est complètement perdu aujourd’hui.
cherche à faire les choses sans réflé-
chir ou trop vite risque fort de se plan-
peu comme le lapin d’Alice au pays Avoir bon œil, c’est avoir une très
ter et d’échouer.
des merveilles. bonne vue.
Et le proverbe italien est souvent
Celui qui combine les deux est donc
complété par chi va sano va lonta-
no, traduit par « qui va sainement/
Q Au pied levé très probablement en bonne santé.
Mais on peut noter que le Diction-
sûrement va loin », voulant dire que Sans avoir le temps de se
naire de l’Académie française de
celui qui va vers un but lointain sans préparer. À l’improviste.
1694 indiquait : « On dit figuré-
se précipiter a bien plus de chance
Au début, cette expression s’em- ment, Bon pied, bon œil, Pour avertir
d’arriver que celui qui voudrait l’at-
ployait uniquement lorsqu’on un homme de prendre garde à lui.
teindre trop vite, ou bien que celui
s’adressait à quelqu’un au moment Et, qu’Il faut avoir bon pied, bon œil
qui tient à aller loin ne doit pas trop
où il s’apprêtait à partir (le pied déjà avec quelqu’un, pour dire, qu’il faut
en demander à son moyen de loco-
levé), mais elle s’est rapidement gé- être extrêmement sur ses gardes,
motion (exprimé aussi par qui veut
néralisée à toutes les situations où pour se garantir de surprise. »
voyager loin ménage sa monture).
quelqu’un est pris à l’improviste ou Autrement dit, si la notion d’une
n’a pas le temps de se préparer à ce personne alerte était déjà bien pré-
Q (Ne pas) être aux pièces qu’on lui demande. sente, c’était plus pour favoriser la
(Ne pas) être pressé. Ne pas Elle se disait d’abord à pied levé au vigilance et la capacité à échapper
avoir (avoir) tout son temps. milieu du XVe siècle, avant de devenir aux mauvais coups.
au pied levé au milieu du XVIe.
Au XIXe siècle, dans certains métiers,
les employés étaient payés non pas
Q Faire du pied
Q Avoir bon pied bon œil
à l’heure ou au mois, mais à la pièce Faire des avances discrètes –
produite (pratique qui existe encore Avoir l’air alerte, vif, Avertir discrètement.
de nos jours, même si elle n’est pas vigoureux, en bonne santé.
Il est bien connu que nombre
très répandue).
Point n’est besoin d’être grand clerc d’hommes, mariés ou non, lorsqu’ils
Et lorsqu’on était « aux pièces », il
pour comprendre l’origine de cette sont assis à une table en face d’une
fallait travailler suffisamment vite
expression qui date du XVe siècle et accorte bougresse, ne peuvent
pour produire beaucoup de pièces
qu’on applique plus généralement à s’empêcher, à l’aide de leur pied
et, ainsi, s’assurer un salaire décent.
une personne âgée. obligatoirement caché sous la table,
Par extension, hors du contexte
Avoir bon pied, c’est à la fois être donc très discrètement vis-à-vis des
d’emploi et de salaire, celui qui est
stable en position debout et pouvoir autres invités, de frôler les pieds ou
aux pièces est celui qui est pressé, un
marcher rapidement. les jambes de la donzelle pour lui
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 155


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

signaler leur envie de faire crac-crac. des chevaux tiraient les wagons On trouve également la forme être à
Nous retrouvons donc bien là à la pleins de minerai : quand ils reve- pied qui signifie « être sans emploi,
fois les avances et la discrétion pré- naient à vide, ils le faisaient haut le sans revenus ».
sentes dans la signification de l’ex- pied, n’ayant plus d’effort à faire.
pression. C’est par référence à cela qu’un train Q Prendre son pied
Bien que l’expression soit récente, qui circule les wagons vides était, au
Avoir du plaisir ou un
il va de soi que la pratique remonte XIXe siècle, appelé un train haut le
orgasme, au cours de l’acte
à beaucoup plus loin. En fait, pro- pied, et qu’une locomotive qui roule
sexuel – Prendre un grand
bablement depuis qu’il existe des seule s’appelle toujours une locomo-
plaisir en pratiquant une
tables… tive haut le pied.
activité passion ou en
Par extension, au-delà des approches Le second sens proposé s’applique à
découvrant les joies d’une
à tendance sexuelle, l’expression un moyen de transport, ou une per-
nouvelle activité.
s’applique aussi aux avertissements sonne, emmené en secours, donc
discrets. temporairement sans affectation Pied vient ici de l’argot des voleurs au
réelle, pour servir de remplacement XIXe siècle. Il désignait une « part »,
Q Haut le pied en cas de défaillance du véhicule ou une « ration », un « compte » que
de la personne normalement affec- les voleurs réservaient sur leur butin
Avec facilité, sans effort,
tée à la tâche. pour leurs complices.
en courant (en parlant d’un
En 1878, j’en ai mon pied voulait dire
déplacement d’une personne
Q Mettre à pied « j’en ai mon compte, j’ai ma ration ».
ou d’une chose) – Sans
C’est ce sens de « ration », quelque
affectation – Circulant seul (en Renvoyer, congédier
peu déformé, qui a permis ensuite
parlant d’un véhicule ou, plus (un employé).
de dire d’une femme qui « prend
précisément, d’une locomotive).
Lorsqu’elle est apparue au XVe siècle, sa ration » qu’elle en a eu pour son
Autrefois, « s’en aller haut le pied », cette expression signifiait « priver de compte lorsqu’elle a fait l’amour en
c’était partir en courant ou s’enfuir. son cheval ou de ses chevaux ». ayant du plaisir.
Le Dictionnaire de l’Académie de 1762 Il en était ainsi du cavalier ou grenadier Si cette expression a longtemps été
indique qu’un haut-le-pied est « Un qui avait commis une faute et qu’on réservée à la gent féminine, elle s’est
homme qui ne tient à rien, qui n’a privait momentanément de sa mon- plus récemment étendue au genre
point d’établissement fixe, & qui peut ture ; il subissait alors une double hu- humain tout entier.
disparoître d’un moment à l’autre ». miliation puisqu’il revenait au niveau Par extension, et depuis les années
À la même époque, lorsqu’on de la piétaille et on lui affectait des 1970, l’expression peut aussi s’uti-
ramenait à l’écurie un cheval sans le tâches ingrates, indignes de son rang. liser pour toute activité qui procure
monter ou l’atteler, on le renvoyait Le sens figuré actuel apparaît au un plaisir intense.
haut le pied. Au temps des mines, XIXe siècle.
Q Un pied-noir
Un Français d’Algérie.
Q Mettre les pieds dans le plat
Ceci n’est pas vraiment une expres-
Aborder un sujet tabou de façon brutale ou inattendue –
sion, mais une appellation qui a fait
Commettre une bévue grossière, un grave impair, une indiscrétion
couler beaucoup d’encre quant à
impardonnable.
son origine.
Selon Pierre Guiraud dans Les Locutions françaises, cette expression qui date Une chose semble claire, c’est que
du début du XIXe siècle serait née d’un jeu de mots entre les termes franco- cette dénomination a d’abord dési-
provençaux gaffe pour « gué », gaffer pour « nager » ou « patauger » et gné les Algériens eux-mêmes.
plat pour « étendue d’eaux basses ». Secundo, pendant et autour de la
Celui qui met les pieds dans le plat et qui commet donc une belle gaffe serait Seconde Guerre mondiale, aus-
celui qui, à l’origine, aurait remué les pieds ou pataugé dans une eau peu si bien au Maroc qu’en Algérie, ce
profonde au point d’y mélanger de la boue ou de la vase, personne qu’on même terme a désigné les Blancs qui
comparerait à celui qui agiterait maladroitement une question à ne surtout débarquaient dans ces pays.
pas aborder. Donc, deux usages différents de ce
Selon Alain Rey, cette explication aurait aussi l’avantage d’expliquer le sens mot qui désignait soit des indigènes,
familier du mot gaffe dont l’origine serait peu claire, sinon, car bien loin de soit de nouveaux arrivants non indi-
la perche du batelier, acception initiale du mot. gènes.
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156 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Comment en est-il venu à désigner Ce qui nous fait passer par une autre
principalement les Français établis
Q Pierre qui roule métaphore, qui date du XIIIe siècle,
en Algérie ?
n’amasse pas où la personne qui s’est fait plumer
Guy Pervillé fait remonter l’origine
mousse est celle qui a été dépouillée (comme
de l’affectation de cette appellation Une vie aventureuse ne l’oiseau a été dépouillé de ses
aux colons français en Afrique du permet pas d’amasser des plumes) ou, autrement dit, volée.
Nord au début des années 50, une biens (ou des richesses). Tout aussi déplumable que la huppe,
période agitée au Maroc. le pigeon est donc rapidement
Sur les cailloux (ou les pierres)
S’il a été vu comme péjoratif par les devenu un synonyme de dupe,
qui n’ont pas bougé depuis
Français de France, il était porté avec puis de sot.
longtemps, on trouve une belle
fierté par les colons d’Algérie pour
mousse verte.
lesquels il venait au bon moment
En revanche, sur les cailloux qui
Q Avoir pignon sur rue
remplacer Algérien – nom qu’ils se
bougent régulièrement, ceux Avoir une maison (ou un
donnaient auparavant – et marquer
déplacés par les torrents, par commerce) à soi – Avoir une
ainsi l’opposition aux Algériens indi-
exemple, point de mousse il n’y a, notoriété certaine (pour un
gènes, ceux d’origine arabe, et qui
car elle n’a pas l’occasion d’avoir commerce ou une entreprise).
commençaient à revendiquer pour
le temps de s’y déposer et s’y
eux le nom Algérien. Avoir pignon sur rue voulait tout
répandre.
Puis, au moment du rapatriement d’abord dire, au figuré : « posséder
Cet ancien proverbe du XVIIe siècle
des colons en France, ce mot a éga- une maison ou un commerce en ville ».
incite donc les gens à rester
lement permis de cataloguer ou dif- La façade sur la rue et son pignon
casaniers, à se fixer sur une
férencier nettement les Français de étant les parties les plus visibles de
activité bien précise, pour avoir
souche de ces Français d’ailleurs. la maison, les gens aisés ne se pri-
des chances de remplir leur
vaient pas de la décorer, en fonction
portefeuille.
Q Jeter la (première) de leurs moyens, pour afficher leur
Il paraît aussi que « les voyages
pierre (à quelqu’un) forment la jeunesse ».
niveau de richesse.
Au XVIe siècle, le sens de l’expression
Accuser, blâmer, critiquer Si on mêle ces deux proverbes,
a alors évolué pour s’employer à
(quelqu’un). cela voudrait donc dire que les
propos de personnes qui possédaient
jeunes qui voyagent ne peuvent
Sous cette forme, cette expres- des immeubles et des biens, ou à
s’enrichir autrement qu’intellec-
sion est attestée en 1672, mais au propos de riches commerçants.
tuellement.
XVe siècle, on disait déjà, avec le Si ces pignons-là ont peu à peu dis-
même sens, jeter des pierres dans le paru, l’expression est restée et son
courtil (le jardin) de quelqu’un. Q Se faire prendre pour sens a encore évolué pour désigner
L’origine de cette expression re- un pigeon toute personne, entreprise ou com-
monte à un épisode de la Bible, celui merce qui a une forte notoriété,
Se faire duper – Par
de la femme adultère condamnée à avec une connotation d’honnêteté
extension, passer pour sot.
la lapidation. ou de solvabilité.
Comme le Christ avait dit : « Que C’est depuis la fin du XVe siècle que
celui qui n’a jamais péché lui jette la le pigeon, par métaphore, désigne Q Jouer à pile ou face
première pierre » et qu’aucune des une dupe, un homme qu’on attire
Faire un pari sur le côté sur
personnes présentes ne pouvait dé- dans une affaire pour le dépouiller,
lequel tombera une pièce de
cemment prétendre être totalement le tromper.
monnaie lancée en l’air.
pure, elles renoncèrent toutes une à De ce mot est dérivé le verbe pi-
une à la lapidation. geonner. Si, de nos jours, on comprend gé-
C’est de cet épisode qu’est née Et c’est l’étymologie du mot dupe néralement pourquoi un côté d’une
l’idée de condamnation associée au qui nous explique cette métaphore. pièce s’appelle face, car on y trouve
fait de jeter une pierre à quelqu’un Dupe vient en effet de huppe, nom très souvent la représentation de la
(la première ou une autre), avec un d’un oiseau qui doit son nom à sa tête de quelqu’un, on peut légitime-
sens affaibli dans notre expression, huppe, sa crête. Dé-hupper (contrac- ment se demander pourquoi l’autre
puisqu’il n’est plus ici question de té en duper), c’est enlever la huppe de côté s’appelle pile.
pure condamnation, mais d’abord l’animal, donc le plumer. Autrement Pour le savoir, nous allons remonter
de simple accusation ou critique. dit, le dupé s’est fait « plumer ». au XIIe siècle.

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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 157


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

À cette époque on jouait déjà « à Q Un pince-sans-rire du XIXe siècle avec le premier sens
croix ou pile » car l’un des côtés de la indiqué. Et c’est au milieu du même
Personne qui pratique
pièce comportait une croix et l’autre siècle que l’usage pour parler d’une
l’humour, l’ironie tout en
était frappé de motifs divers à l’aide personne très en colère est apparu,
restant sérieuse.
d’un coin métallique qu’on appelait celle-ci ne devant évidemment être
une pile. On peut d’ailleurs noter Pince-sans-rire est un mot composé approchée, touchée, qu’avec un
qu’on disait autrefois de quelqu’un issu de pincer sans rire, expression maximum de précautions.
qu’il n’avait ni croix ni pile pour dire qui date du XVIe siècle, née à la même
qu’il n’avait aucun argent. époque que le jeu « pincer sans rire » Q Une bonne pioche
C’est plus tard que la face avec la ou « je te pince sans rire ».
Un choix judicieux – Une
croix a progressivement été rempla- Mais qu’était ce jeu aujourd’hui dis-
situation favorable.
cée par une face avec l’effigie ou la paru ?
face du souverain. Il se pratiquait en groupe. L’un des Aux dominos ou à certains jeux de
Ce n’est qu’à partir du milieu du participants se barbouillait les doigts cartes, entre autres, il existe au mi-
XIXe siècle que ce côté de la pièce a de suie et un autre se faisait légère- lieu du plateau de jeu un tas dans
pris le nom de face et que notre ex- ment pincer par lui en différents en- lequel il faut régulièrement « pio-
pression est apparue. droits du visage, provoquant un bar- cher » ou prendre de nouveaux
bouillage infâme. Si jamais une autre éléments de jeu. Ce tas s’appelle la
des personnes présentes en riait, elle pioche, depuis 1867.
Q Tomber pile – Au poil – devait alors se mettre à la place de Et il est bien connu qu’on consi-
Pile-poil la victime. dère qu’un joueur a tiré une bonne
Selon Oudin, au XVIIe siècle, pincer pioche si jamais ce qu’il a ramassé
Tomber ou arriver juste,
sans rire a signifié « offenser ouver- lui permet de faire une avancée dé-
exactement, comme il faut,
tement » et pincer en riant voulait cisive vers la victoire, voire de gagner
au bon moment – Parfait,
dire « offenser et faire semblant du la partie.
parfaitement.
contraire », déjà bien plus proche. Par extension, une bonne pioche
Notre pile est ici l’envers d’une C’est au XVIIIe que le mot pince-sans- désigne la situation favorable dans
pièce de monnaie ainsi nommé rire apparaît. Et qu’il s’agisse d’of- laquelle se trouve celui qui en
parce qu’on appelait pile la tour fenser, de railler ou simplement de profite.
qui, du XIe au XVIe siècle, ornait plaisanter (dans l’emploi contempo- Et même si on l’emploie un peu
le revers de nombreuses pièces, rain), c’est toujours fait avec sérieux. moins, une mauvaise pioche existe
l’avers portant la tête du roi. aussi.
Autrefois, quand quelqu’un Q N’être pas à prendre
« tombait pile », c’est qu’il tom- avec des pincettes Q Damer le pion
bait sur le dos, donc sur l’envers.
Être très sale, répugnant, Surpasser/L’emporter sur
Puis, lorsqu’une pièce « s’arrêtait
méprisable, ignoble – Être de (quelqu’un).
pile », c’est qu’elle tombait sur
très mauvaise humeur.
son envers de manière nette. Il se trouve que notre expression
Par extension, depuis le XIXe siècle, Lorsque le mot pincette est ap- vient des dames et des échecs.
cette netteté s’est transformée en paru il y a quelques siècles, il a En effet, dans ces deux jeux,
justesse ou exactitude dans notre désigné une petite pince à épiler lorsque vous avez réussi à me-
tomber pile d’aujourd’hui, qui est et un instrument de métal à deux ner un pion dans le camp adverse
à rapprocher de tomber à pic. branches permettant de déplacer sur la dernière rangée du damier
Avec au poil, la précision ou des bûches et tisons dans le feu, ou de l’échiquier, ce pion, au jeu
l’exactitude sont également bien sans se brûler. de dames, est transformé en une
présentes. La pincette utilisée dans la cheminée dame ou, aux échecs, en une pièce
Compte tenu de la taille d’un che- permettait donc, au sens large, de de votre choix, roi excepté, mais
veu ou d’un poil d’humain, faire ne pas saisir directement quelque c’est en général la reine (ou dame)
quelque chose « au poil près » chose, comme ce serait le cas de qui est choisie.
implique tout de même une quelqu’un qui serait répugnant pour Dans les deux cas, cette nouvelle
grande précision. cause d’hygiène déplorable. pièce, beaucoup plus forte que votre
Puis, le mélange amusant des deux C’est de cette image de quelque pion initial, vous donne un avantage
expressions (tomber) pile (au) poil a chose qu’on évite de toucher que conséquent sur l’adversaire et peut
donné la dernière variante proposée. l’expression est apparue au début favoriser votre victoire.
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158 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Notre expression, qui date de la fin du Q Tailler une pipe chose d’intact, bien conservé,
XVIIe siècle, est donc une métaphore en parfait état et, par extension,
Faire une fellation.
issue de ces jeux et appliquée à la quelque chose d’exceptionnel ou
vie courante, lorsque vous avez la Cette expression est une déforma- d’excellent.
possibilité de prendre l’avantage sur tion récente de faire une pipe, par La version « hannetonnée » est ap-
quelqu’un. combinaison avec tailler une plume parue au XIXe siècle, un peu après
Elle est assez souvent employée qui a la même signification. sa sœur avec exactement le même
lorsque celui qui prend l’avantage Les premiers usages attestés de sens.
est inattendu, n’a pas les faveurs des faire une pipe ne datent que de la La signification actuelle apparaît au
pronostics. première moitié du XXe siècle, chez début du XXe siècle.
les prostituées, l’expression faire un
pompier étant usuelle auparavant. Q Pisser dans sa
Q Un pique-nique Alors pourquoi cette nouvelle ex- culotte/dans son froc
pression ?
Un repas froid collectif pris Avoir le fou rire –
Au début du XXe siècle, les fumeurs du
à la campagne ou dans la Avoir une peur extrême.
peuple se roulaient leurs cigarettes et
nature.
disaient alors qu’ils « s’en roulaient Cette expression date du XVIe siècle.
une » ou « se faisaient une pipe ». Quand on rit beaucoup trop fort
De là, il est facile d’imaginer que les alors qu’on a la vessie bien pleine,
dames de petite vertu qui faisaient il arrive malheureusement que
des pompiers à leurs clients com- les contractions du ventre fassent
paraient leurs gestes à ceux des fu- perdre le contrôle de ses sphincters
meurs. urinaires et qu’on se retrouve avec le
Et le pompier ? La même source rap- pantalon (froc, en argot) ou la jupe
Huile sur toile de Rudolf Alfred Höger
pelle qu’autrefois, les pompiers ali- mouillé.
(1877-1930). mentaient leurs lances à incendie en Il n’en a pas fallu plus pour que cette
activant à la main les pompes de leurs expression apparaisse et soit utilisée
Le mot est d’abord attesté à la fin
citernes, ces mouvements de va-et- pour désigner un fou rire.
du XVIIe siècle dans la forme faire
vient rappelant ceux d’une fellation. Sachant que le relâchement des
un repas à pique-nique, c’est-à-
sphincters peut aussi se produire
dire « où chacun apporte quelque
chose à manger, où chacun paye
Q Pas piqué des lors d’une grande frousse, on peut
son écot » (Grand Robert) et ces
vers/hannetons obtenir exactement le même résul-
tat, ce qui explique le second sens
repas pouvaient se faire aussi bien Parfait, excellent,
proposé.
en extérieur que chez quelqu’un, exceptionnel, très réussi,
Notez que, en ce qui concerne la
voire dans une auberge. formidable… Bien conservé,
peur, on dira plutôt chier dans son
Le mot pique, viendrait du verbe intact.
froc. Car si la miction, même invo-
piquer avec le sens de « picorer »
Lorsque le bois des anciens meubles lontaire, peut aisément être associée
utilisé au XVIIe siècle.
est envahi par les vers, donc en fâ- au rire sans le dévaloriser, la peur,
À la même époque, une nique
cheux état, on dit qu’il est « piqué » elle, est généralement jugée néga-
désignait « une petite chose sans
par ces animaux rampants, en raison tivement, autant que l’est le fait de
valeur ».
des petits trous visibles à la surface déféquer sur soi.
L’assemblage des deux symbo-
du bois.
liserait donc les petites choses
que chacun apporte pour picorer,
Dès le XVIIe siècle, on utilisait déjà pi- Q Laisser en plan –
puisqu’on y mange un peu de
qué de vers pour désigner des vête- Planter là
ments mités ou du bois rongé par les
chacun des plats. Abandonner, laisser dans
insectes.
Les Anglais nous ont ensuite pi- l’attente.
Le hanneton quant à lui est un in-
qué le mot qu’ils ont transformé
secte vorace qui rend impropres à C’est l’expression du XVIIe planter là
phonétiquement en picnic. Mais
la consommation, donc plus qu’im- quelqu’un pour/à reverdir qui nous
on le leur a repris au XIXe siècle
parfaites, les plantes dont il se régale explique tout, d’autant plus que lais-
avec cette fois la même acception
copieusement. ser en plan s’écrivait d’abord laisser
que la leur, à savoir un « repas
On imagine aisément que l’inverse en plant, écriture confirmée par la
collectif pris à la campagne ».
de piqué de vers qualifie quelque forme « planter là ».
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 159


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
L’image initiale porte bien sur le Q Une plâtrée/ventrée
plant qui, une fois enfiché en terre,
Q Savonner la planche – (de nourriture)
est abandonné, au moins le temps
Glisser une peau de
qu’il lui faut pour pousser.
banane Une grande quantité, une
ration très abondante (de
Mais si confusion avec plan il y a eu, Utiliser des procédés
nourriture).
c’est aussi parce que l’expression malhonnêtes envers
mettre en plan, au XVIIe siècle, avait deux quelqu’un pour faire Le contenu d’un plat porte, depuis le
significations, « mettre au sol, à plat » retarder ou échouer XVIIIe siècle, le nom de platée, utilisé
(d’où le plan) et « mettre en gage », ce qu’il entreprend. principalement à propos d’aliments
donc abandonner avec l’intention de simples et rustiques, donc avec un
Ceux qui, à une époque, ont
le récupérer plus tard, second sens qui sens un peu péjoratif.
ri au cours d’épreuves de jeux
porte aussi la notion d’abandon qu’on Ce mot a rapidement fini par dési-
comme l’émission télévisée In-
trouve dans notre expression. gner familièrement « une grande
tervilles® pendant lesquelles les
C’est donc le joyeux mélange de ce quantité », mais pas uniquement de
participants devaient passer sans
plan-abandon avec le plant fiché nourriture.
tomber sur une planche savonnée
dans le sol qui a donné la première Une platée d’aliments farineux
savent qu’un tel passage est
forme de l’expression. « bourre » l’estomac tout en étant
extrêmement glissant et conduit
pourtant peu nourrissante, comme
assez sûrement à la chute.
Q Le plancher Une peau de banane sournoise-
pourrait l’être une plâtrée que l’on
des vaches ment abandonnée a également
s’aviserait d’ingurgiter (la plâtrée
étant la quantité de plâtre que l’on
La terre ferme. de fortes chances de vous faire
est en train de préparer).
rencontrer brutalement le sol.
Cette expression date du XVIe siècle C’est probablement ce genre de
Nous avons donc ici affaire à de
où elle se disait d’abord le plancher comparaison, la ressemblance des
simples métaphores où le bout
aux vaches. mots et le côté plaisant de l’expres-
de la planche ou celui de votre
Sur les anciens bateaux en bois, les sion qui y a fait utiliser le mot plâ-
trajectoire correspondent à la fin
marins marchaient sur un plancher trée au lieu de platée vers la fin du
de la tâche dans laquelle vous
sur lequel les rencontres possibles XIXe siècle.
êtes fortement impliqué, et où
avec des vaches, animaux des prés, Quant à la ventrée, c’est simplement
la zone savonnée ou la peau de
étaient d’une rareté extrême. la quantité contenue dans le ventre
banane sont des pièges posés par
C’est par simple opposition avec (l’estomac), avec un sous-entendu
quelqu’un qui vous veut du mal
leur plancher à eux, habituellement d’exagération, le ventre donnant
et destinés à vous empêcher d’ar-
situé sur l’eau, qu’ils ont pris l’ha- l’impression d’être prêt à exploser.
river au but que vous vous êtes
bitude de désigner la terre ferme
ou qu’on vous a fixé.
comme étant ce « plancher » où les Q Battre son plein
vaches sont nettement plus faciles à
Arriver à son moment le plus
croiser et où il fait bon revenir après Une autre hypothèse viendrait du
intense. Être à son point de
un long séjour en mer. monde du rail où, pour que la loco-
plus grande activité.
On disait aussi autrefois : « Il n’est motive soit en face du tronçon où
rien tel que le plancher des vaches » elle va être garée, elle avance sur Au milieu du XIXe siècle, et au sens
pour indiquer qu’il y a beaucoup une plaque tournante qui lui permet propre, cette expression se rapportait
moins de danger à voyager par la d’être bien positionnée. à la marée qui, lorsqu’elle a atteint
terre que par la mer. La plaque tournante est une fosse son plein, c’est-à-dire son point le
sur laquelle la voie est surélevée. plus haut, reste un moment stable
Q Être/Mettre à côté Une fausse manœuvre du conduc- avant de commencer à redescendre.
de la plaque teur pouvait faire que la locomotive Au sens figuré, certains, à cause du
tombe dans la fosse. verbe battre, ont compris son plein
Se tromper, manquer son but –
On disait alors que la locomotive comme « une sonorité pleine ou
Répondre à côté de la question.
était « à côté de la plaque », ex- forte ». En réalité, il ne s’agit pas ici
Selon certaines sources, cette ex- pression qui serait ensuite sortie du d’un adjectif, mais bien du substantif
pression proviendrait d’activités de monde ferroviaire. plein, le niveau le plus haut, comme
tir où une plaque constitue le pan- Le second sens de la métaphore cor- le plein d’essence, pour la voiture,
neau de la cible, comme au tir à respond à une réponse erronée. ou le plein des sens, en cas d’extase.
l’arc, par exemple. Lorsque la fête « bat son plein »,
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160 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
ce n’est pas qu’elle est bruyante, mais aussi à la chaleur, au sommeil
mais qu’elle est bien à son plus haut (à partir de 1842) voire au postérieur
Q Faire le point
niveau d’intensité. (un « cul de plomb » désigne un em- Préciser une situation en
ployé de bureau, toujours assis, ou analysant les circonstances
Q Péter les plombs – un homme sédentaire). et les faits connus. Faire un
Disjoncter bilan, dresser un état des
Q Ça va durer trois lieux.
S’énerver brutalement et
plombes
fortement – Devenir fou. Voilà une expression dont le sens
Ça va durer trois heures. proposé est une métaphore qui
Autrefois, la protection du réseau
date du début du XXe siècle et qui
électrique intérieur se faisait par Le Dictionnaire de Trévoux nous
nous vient de la marine où le sens
des fusibles qu’on appelait aussi des indique qu’au XVIIe siècle une des
propre reste en usage.
plombs, ellipse de plomb de sûreté acceptions du verbe plomber,
Autrefois, pour se repérer en mer,
ou plomb fusible, appellations qui quoique rarement utilisée, était
il fallait se servir de ce qui était vi-
datent de la fin du XIXe siècle. « frapper ».
sible, comme le soleil et les astres,
Ces fusibles comportaient un fil de Or, ils sont nombreux, les endroits où
en s’aidant de cartes et d’instru-
plomb, point de passage obligé du des personnages tenant un marteau
ments de navigation comme, an-
courant, qui fondait lorsque ce der- viennent frapper une cloche pour
ciennement, l’astrolabe, mais plus
nier était trop fort, à l’origine de sonner les heures. De même, les
récemment, à partir du XVIIIe siècle,
notre métaphore des années 80. On poids qui servent à faire fonctionner
le sextant.
y compare en effet le cerveau à un les anciennes horloges qui sonnent
Le point, c’est la position du
appareil électrique alimenté à travers les heures sont souvent appelés des
navire sur la carte. Et « faire le
des plombs ; et lorsque son proprié- plombs.
point » c’est, en se basant sur des
taire s’énerve brutalement ou se met Autant de plomb lié aux heures qui
éléments connus ou visibles, cal-
à avoir un comportement aberrant, sonnent suffirait à expliquer que,
culer cette position.
c’est que son cerveau ne fonctionne tout au long du XIXe siècle, le verbe
C’est de cette exploitation d’in-
plus parce qu’il n’est plus alimenté, argotique plomber voulait dire
formations repérables, visibles ou
donc que « ses plombs ont pété ». « sonner l’heure ».
connues pour savoir où on en est,
Et c’est tout naturellement, avec Alors de plomber pour « sonner
que « faire le point » correspond
l’évolution de la technologie, que l’heure », à plombe pour désigner
au figuré au fait de dresser un
péter les plombs est petit à petit une heure (attesté à partir de 1811),
bilan ou de préciser une situation
remplacé par disjoncter. il n’y aurait eu qu’un pas aisément
à partir d’éléments connus.
franchi.
Q Un soleil de plomb
Q De bon/mauvais poil Bizarrement, malgré l’existence des
Un soleil écrasant, accablant.
précédentes, ce n’est que dans la
De bonne/mauvaise humeur.
Celui qui a eu l’occasion de se trou- première moitié du XIXe siècle que
ver en plein été au cœur de Death Le poil, c’est ce qui est visible en pre- notre expression semble apparaître.
Valley (Californie/Nevada, États-Unis) mier sur quelqu’un qui en a, avant
ou bien sur les rives du lac Assal (Dji- même la peau. Et comme le carac- Q Se pointer
bouti), entre autres lieux très chauds, tère, ou plutôt l’humeur, lorsqu’elle (quelque part)
savent bien que les rayons de l’astre n’est pas neutre, est quelque chose
Apparaître, arriver
qui nous éclaire peuvent parfois être d’immédiatement palpable chez
(quelque part).
véritablement accablants. Le soleil la personne face à soi, cela semble
semble faire peser sur les épaules un avoir suffi pour que, depuis long- Il existe deux explications à cette si-
poids énorme. temps, ce poil si repérable soit assi- gnification.
Or, le plomb, à cause de sa densité, milé au caractère ou à l’humeur, si La première vient de Gaston Esnault
est depuis longtemps un symbole visible également. qui indique qu’à la fin du XIXe siècle
de ce qui est pesant, lourd, au sens D’ailleurs, au XVIe siècle, changer de se pointer voulait dire, pour un sol-
propre, et de ce qui est accablant, au poil voulait dire « changer d’attitude, dat, se mettre à son poste d’observa-
figuré. de caractère ». À la même époque, tion d’où il pouvait bien « pointer »
C’est pourquoi de plomb est un qua- on a même utilisé l’étrange avoir la son arme contre l’adversaire, ce qui
lificatif qu’on trouve accolé non seu- queue marquée de mauvais poil pour aurait donné par extension la signifi-
lement à notre soleil (depuis 1835), dire « être de mauvaise humeur ». cation actuelle.
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 161


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
La seconde est proposée par Cel-
lard et Rey dans leur Dictionnaire
Q Avaler des poires d’angoisse
du français non conventionnel. Elle Subir des traitements cruels.
viendrait du milieu du travail : se Vivre des situations très désagréables.
pointer aurait d’abord voulu dire
Au Moyen Âge, pour ne plus entendre les cris des gens qu’on torturait, un
« présenter sa fiche de travail à un
bon moyen consistait à leur enfoncer dans la bouche un instrument qui,
point de contrôle » ou, autrement
selon Larousse, « s’ouvrait au moyen d’un ressort, se développait en forme
dit, « faire constater son arrivée »,
de poire, et étouffait complètement les cris ». Autant dire que celui qui avait
acception suffisante pour qu’elle se
cette chose dans la bouche devait ressentir une certaine angoisse.
soit transformée en arriver.
Cela dit, ces instruments, dont le nom est cité au XVe siècle, servaient aussi
plus simplement à bâillonner un prisonnier pour l’empêcher de parler.
Q Se chatouiller le Pour préciser tout de même un peu mieux l’appellation d’origine, on notera
poireau – Se polir/ qu’étymologiquement, angoisse vient du latin angere qui voulait aussi dire
S’astiquer la colonne
« serrer » ou « tourmenter », et ce sont ces acceptions qui ont donné le
Se masturber (pour un homme). nom de l’objet.
De nos jours, on peut toujours dire de celui qui vit des situations extrême-
C’est chez Rabelais, dans Pantagruel,
ment désagréables qu’il « avale des poires d’angoisse ».
qu’on trouve en premier l’associa-
tion du poireau et de la virilité.
Mais ce n’est qu’au XVIIIe siècle que le poisse a été tirée avec, dans son et Chantreau notent même, au
légume désigne clairement le pénis. sens figuré de « malchance » (au XIIIe siècle, un je ne suis pas si aise
On retrouvera d’ailleurs ce poireau-là début du XXe siècle), une allusion à com le poisson qui noe (nage).
dans d’autres expressions comme se cette matière dont on n’arrive pas
dégourdir le poireau en parlant d’un à se défaire, comme on a du mal à Q Engueuler comme
homme qui réutilise son instrument se dépéguer (comme ils disent en du poisson pourri
après une longue période d’absti- Provence) d’une malchance tenace.
S’en prendre verbalement
nence, ou bien souffler dans le poireau D’après Gaston Esnault, cette lo-
(à quelqu’un) de façon très
pour celle qui pratique une fellation. cution serait d’abord apparue dans
violente.
Quant à la colonne, d’après Cellard l’argot des coureurs cyclistes.
et Rey, elle devient « officiellement » Au premier abord, il y a deux ma-
un autre symbole phallique usuel Q Comme un poisson nières de comprendre cette expres-
lorsque la colonne Vendôme est éri- dans l’eau sion qui date du début du XXe siècle :
gée à Paris et que ses opposants la – soit il s’agit de « engueuler comme
Complètement à l’aise,
comparent à un phallus de bronze. du poisson pourri [peut engueuler
bien dans son élément.
Et, inévitablement, les mouvements quelqu’un] », ce qui semble assez
alternatifs de polissage ou d’asti- Si vous décrochez un poisson de peu probable, car un poisson pour-
quage d’un tel objet n’ont pu que l’hameçon qui l’a sorti de l’eau et le ri n’est plus vraiment en état d’en-
rappeler les va-et-vient propres à la déposez au fond de votre seau, il res- gueuler qui que ce soit ;
masturbation, d’où l’expression. tera certes muet comme une carpe, – soit il s’agit de « engueuler comme
mais vous constaterez aisément et [quelqu’un peut engueuler] du pois-
Q Avoir la poisse rapidement qu’il n’est pas vraiment son pourri », et là il faudra m’expli-
à son aise. Alors que si, à travers une quer l’utilité de l’acte et l’effet que
Être (très) malchanceux,
eau claire, vous en regardez un en peut faire une engueulade à un pois-
de manière durable.
train de nager, il vous semble vrai- son dans cet état.
Attirer les ennuis.
ment dans son élément. Peut-être Dans les deux cas, l’expression
Mais d’où vient donc ce terme argo- tout simplement parce qu’il y est, semble donc extrêmement bizarre.
tique de poisse ? autant que vous, à l’air libre. Mais Alain Rey l’explique par une
La poix était une sorte de colle vis- Cette constatation facile à faire par déformation probable du fait de
queuse fabriquée à partir de résine tout un chacun a donné naissance à traiter quelqu’un de poisson pourri,
de pin, de résine de sapin ou de gou- notre expression sous sa forme ac- injure qui aurait pu naître dans le mi-
dron de bois. tuelle au XVIIe siècle, parfois précédée lieu des harengères ou marchandes
C’est de cette substance qu’est né le de l’adjectif heureux. de poisson traditionnellement fortes
verbe poisser (« enduire de poix ») Mais on a eu auparavant un sain en gueule.
au XVIe siècle et de ce verbe que la comme un poisson en l’eau et Rey

162 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Un poisson d’avril Q Pomme de discorde


Une plaisanterie ou canular
Sujet de discussion et de
fait uniquement le 1er avril.
dispute.
Alain Rey indique que cette expres-
Si l’expression date du XVIe siècle,
sion daterait de la fin du XVIIe siècle,
son origine remonte à la mythologie
basée sur une plaisanterie avec le
grecque.
mot poisson qui, depuis le XVe siècle,
La déesse Éris (ou Discorde, en grec) La Pomme de discorde (1663), huile sur
désignait un souteneur, qu’on toile de Jacob Joardens.
fut si furieuse de ne pas être invi-
appelle aussi un maquereau qui se
tée au mariage de Pelée avec la déesse Thétis qu’elle jeta au milieu des
trouve être un véritable poisson dont
autres déesses présentes une pomme d’or sur laquelle était gravé « à la
la meilleure période de pêche est aux
plus belle ».
alentours du mois d’avril.
Zeus désigna Pâris comme volontaire pour décider qui, entre Aphrodite,
Un poisson d’avril désignait alors un
Héra et Athéna devait garder la pomme.
jeune entremetteur.
Afin d’être choisie, chacune fit une promesse à Pâris, la pre-
Mais quelle est la relation entre ce
mière lui promettant l’amour de la plus belle femme du monde, la
poisson-là et les plaisanteries du
deuxième un grand royaume et la troisième la sagesse.
1er avril ? Les hypothèses sont nom-
Pâris se laissa convaincre par la promesse d’Aphrodite et lui remit la pomme d’or.
breuses.
On comprend donc maintenant l’origine de la pomme de discorde.
La plus répandue des explica-
La femme promise par Aphrodite s’avéra être Hélène, reine de Sparte et
tions, qui sont légion, dit que le roi
épouse de Ménélas, que Pâris enleva et ramena à Troie, provoquant ainsi
Charles IX, en 1564, décida que le
la guerre.
Premier de l’an serait dorénavant au
1er janvier au lieu du 1er avril, mais
aucun texte ne semble rapporter appellent des « trous d’air » qui L’expression apparaît au XVIIe siècle
qu’il y avait quelque part dans le n’en sont pas réellement, car il y a chez Pascal dans ses Pensées où il
royaume un endroit où le premier de l’air partout ! évoque la venue de Jésus-Christ
jour de l’année était le 1er avril. Ce serait par allusion à l’état des « en grande pompe ».
Le pape Grégoire XIII réforma en- passagers très fatigués par les tur- Si depuis, le nom pompe avec cette
suite le calendrier julien et étendit bulences subies et par le fait que acception est rarement utilisé de
la mesure de Charles IX à toute la ces colonnes d’air ascendant, qui manière isolée, notre locution, elle,
chrétienté. « aspirent » vers le haut les aéronefs reste très vivace.
qui s’y trouvent, sont vues comme
Q Avoir un coup de provoquées par le piston d’une Q Soûl comme
pompe pompe, que serait née l’expression, un Polonais
reprise ensuite par les adeptes de la
Avoir un brusque accès de Complètement soûl.
petite reine où la pompe a sa raison
fatigue, parfois très intense,
d’être. Au XVIIe siècle, déjà, on disait soûl
et pas toujours avec une
Mais on peut aussi y voir tout simple- comme un Suisse, par référence
raison connue.
ment celui qui est extrêmement fati- aux mercenaires suisses des armées
Cette expression apparaît aux alen- gué car toute son énergie aurait été royales qui, pour tromper leur ennui
tours de 1920, Gaston Esnault comme « pompée » de son corps. loin de chez eux, n’hésitaient pas à
l’ayant relevée en 1922 dans le mi- consommer de l’alcool de manière
lieu cycliste, mais sans en expliquer Q En grande pompe un peu déraisonnable.
l’origine exacte. Puis, plus tard, au XVIIIe siècle et au
Avec solennité. Avec
Ceux qui ont pratiqué des engins XIXe sous Napoléon, ce sont des
beaucoup de faste, de luxe.
volants vénèrent les pompes, car soldats polonais engagés dans l’ar-
ce sont des bulles ou des colonnes Cette pompe nous vient au mée française qui étaient employés
d’air chaud qui s’élèvent et peuvent XIIe siècle du moyen français où elle et appréciés. Hors activités mili-
les aider à gagner de l’altitude ou à désignait déjà un cérémonial, une taires, ils devaient probablement
se maintenir plus longtemps en l’air. grande fête ou un cortège luxueux se conduire comme les Suisses, ce
La masse d’air dans laquelle avance ou fastueux ; le mot vient du grec qui aurait provoqué l’apparition de
l’avion peut être extrêmement pompê qui signifiait « escorte » ou l’expression, les Suisses du siècle
agitée, provoquant ce que certains « procession ». précédent étant oubliés.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 163


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Comme le Pont-Neuf portillon qui était bloqué par le poin- – le casuel, représentant les of-
çonneur au moment où la rame arri- frandes faites par les paroissiens ;
En bonne santé, vigoureux.
vait sur le quai. Ceux qui entendaient – la portion congrue, pension que le
Cette locution est en général précé- le bruit de la rame arrivant se précipi- noble de l’endroit versait au curé qui
dée de se porter ou être solide. taient pour ne pas la manquer, d’où officiait sur sa paroisse.
C’est à Paris, à la pointe de l’île de la les bousculades au portillon. Mais comme cette dernière était peu
Cité, qu’Henri III a lancé la construc- C’est de cette image du métropoli- importante et que l’ensemble était
tion du Pont-Neuf en 1578, ouvrage tain que nous vient le premier sens généralement à peine suffisant pour
qui a été terminé sous Henri IV, en de l’expression, utilisée partout où que le curé qui la recevait puisse en
1607. il y a une foule dense qui trépigne vivre correctement, elle est vite de-
Contrairement aux autres ponts de pour avoir accès à quelque chose. venue un symbole de revenus très
Paris, celui-ci était fait de pierres et Le second sens, beaucoup plus récent faibles.
son tablier restait nu, mais souvent et beaucoup moins ragoûtant, peut
occupé par des bateleurs, et autres être employé par ceux qui sont bru- Q Tirer le portrait
jongleurs qui transformaient le lieu talement contraints de régurgiter une
Photographier quelqu’un.
en une place appréciée de prome- partie de ce qu’ils ont avalé ou par
nade et d’amusement. ceux qui, au cours de la même soirée, Au Moyen Âge, les verbes traire et tirer
Malgré son nom d’origine, c’est le croyant avoir avalé des cachets d’aspi- ont plusieurs acceptions communes,
plus ancien pont de Paris resté intact rine, ont pris des dragées Fuca®. parmi lesquelles « s’acheminer vers »,
à notre époque. « lancer une arme de trait » ou bien
Cette résistance a fait qu’un siècle et Q La portion congrue « tracer un trait, dessiner ».
demi plus tard, la solidité physique Le second verbe supplantera le pre-
Des ressources minimes, tout
de quelqu’un qui se porte bien a été mier pour toutes les acceptions ci-
juste suffisantes – Une toute
si régulièrement comparée à celle de tées.
petite quantité.
ce pont indestructible que notre ex- Quant à portrait, il est issu du verbe
pression est devenue courante. Parmi les nombreuses taxes payées portraire (por traire signifiant donc
par les paysans autrefois (vers les XVIe « pour dessiner ») et c’est au mi-
Q Ça se bouscule au et XVIIe siècles), il y avait la dîme, taxe lieu du XVIe siècle qu’il désigne la
portillon qui était destinée au clergé. représentation picturale du buste ou
Les ecclésiastiques de haut rang n’en du visage d’une personne avant, à
Il y a une forte affluence – J’ai
redistribuaient qu’une très petite par- la fin du même siècle, de désigner
une envie urgente de vomir/
tie en guise de salaire au bas clergé. également la description verbale
déféquer…
Les curés, pour survivre, bénéfi- d’une personne.
Il y a quelques années encore, l’accès ciaient donc de deux revenus sup- Tirer le portrait, c’est donc d’abord
aux quais du métro se faisait par un plémentaires : dessiner ou tracer le portrait de
quelqu’un.
Puis, à partir du milieu du XIXe siècle,
avec l’avènement de la photographie
Q Enfoncer une porte ouverte et le remplacement progressif des
Se vanter d’avoir surmonté un obstacle qui n’existait pas – portraits peints par les photos, notre
Chercher à démontrer une évidence – Énoncer une banalité en la expression a vu son usage réduit à la
faisant passer pour une nouveauté ou pour quelque chose ayant représentation photographique du
de l’intérêt. buste ou du visage.
Au sens propre, enfoncer une porte, c’est l’ouvrir de force en y exerçant une
très forte pression ou en lui donnant des coups.
Q Avoir les portugaises
Celui qui y réussit a une certaine fierté à l’avoir fait et s’en vante. Mais peut-
ensablées
on en dire autant de celui qui « enfonce » une porte qui n’a aucun besoin Entendre mal ou pas bien du
de l’être car elle est grande ouverte ? Assurément non ! tout.
C’est ainsi que celui qui prétend avoir vaincu des difficultés inexistantes ou
Il suffit de remonter au milieu du
celui qui se lance dans la démonstration de choses évidentes peut aisément
XXe siècle, en 1950 exactement,
être assimilé à un enfonceur de portes ouvertes.
pour voir apparaître en argot la
Au XVIIe siècle, selon Oudin dans son Curiosités françaises, enfoncer une
dénomination portugaise pour dési-
porte ouverte voulait dire « coucher avec une nourrice et croire qu’elle était
gner l’oreille.
pucelle ». Où on évoquait donc une autre forme de porte à forcer…
QQQ

164 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Pour qui a déjà vu de près la forme Dans ce cas, bien sûr, il faudrait seulement, donné le second sens,
de l’huître dite portugaise, l’analogie écrire le pot au rose et non le pot qui s’applique cette fois à quelqu’un
avec celle de l’oreille est assez frap- aux roses, communément admis. qui utilise des moyens détournés
pante. Une autre explication viendrait d’un pour s’exprimer, qui n’ose pas
Quant à l’ensablement, si on consi- mélange entre le couvercle du pot aborder franchement un sujet.
dère qu’une huître naît et grandit en qui une fois soulevé permettait d’en
bord de mer, on comprend qu’elle découvrir le contenu, et du complé- Q Dès potron-minet
puisse contenir du sable. ment aux roses pouvant évoquer
Dès l’aube, le petit matin, les
Transposé à l’oreille, si on consi- une préparation rare voire secrète.
premières lueurs du jour.
dère que du sable bien tassé dans
le conduit auditif, cela doit pas mal Q Tourner autour du pot À l’origine, dès le XVIIe siècle, cette
gêner pour bien entendre, on peut expression se disait dès poitron-jac-
Rechercher un avantage
comprendre l’image de notre ex- quet, le jacquet étant l’écureuil,
d’une manière détournée,
pression. petite bestiole sympathique ayant
insidieuse – Hésiter,
On notera avec intérêt qu’en argot, la particularité de commencer à
tergiverser, parler avec des
embouteiller les portugaises, cela s’activer très tôt le matin.
détours avant d’aborder
veut dire « casser les oreilles ». Quant au mot potron, il est une
franchement un sujet.
déformation de poitron qui vient
Q Le pot aux roses Ah, cette belle marmite dans la- du latin posterio qui veut dire
quelle le repas du soir est en train de « postérieur » ou « derrière ».
Ce qui était tenu secret
cuire à petit feu ! En clair, l’expression originale veut
(le plus souvent parce que
Et si je m’en approchais en douce, dire « dès que l’écureuil sort de
malhonnête).
comme si de rien n’était, avec le son sommeil et daigne montrer
Cette expression remonte au XIIIe siècle. secret espoir de chiper un bon mor- son popotin ». Donc très tôt le
Employée avec le verbe découvrir, ceau nageant en surface ? matin.
elle est utilisée avec la même signifi- Et voilà comment, à partir d’une Mais le genre humain urbanophile
cation que découvrir le pot au XIVe et marmite ou d’un pot, naît au perdant progressivement ses re-
découvrir le pot pourri au XVe. XVe siècle une métaphore qui, pères (et ses repaires) forestiers,
Son origine est très discutée. d’abord, s’applique à quelqu’un qui le petit écureuil a finalement été
Pour certains, cela viendrait du pot cherche par un moyen détourné à remplacé par le chat, animal beau-
contenant le rose dont les femmes obtenir un avantage généralement coup plus présent dans les villes et
se fardaient et dont la découverte indu. également très matinal.
levait le voile sur la tromperie que La manière indirecte de procéder
représentait leur teint si agréable. a, par extension et au XIXe siècle Q Laid/Moche comme
un pou
Très laid.
Q Le pot au noir
Même si, à la fin du XVIIIe siècle
Zone océanique peu appréciée des marins en raison des
(période où la locution est attestée
conditions météorologiques qui y règnent.
pour la première fois), le microscope
Le pot au noir est cette zone des océans située à proximité de l’équateur et existait déjà et permettait d’admirer
où convergent les alizés venus des tropiques. le pou dans ses moindres détails, il
Cet endroit, à la météo très instable, est caractérisé par une formation fré- y a bien d’autres insectes au moins
quente de cumulo-nimbus et sous lesquels les orages violents sévissent. aussi laids et bien plus faciles à
Il ne semble pas y avoir d’explication certaine sur l’origine de la dénomina- observer qui auraient pu lui prendre
tion de cette zone. sa place.
Mais à la fin du XVIIe siècle, dans un jeu apparenté au colin-maillard, lorsque C’est plus à cause des désagréments
celui qui avait les yeux bandés risquait de se cogner, on lui lançait un « gare qu’il cause en société (contamination
au pot au noir », car il risquait de se faire un noir signifiant « bosse » à de proche en proche, transmission
l’époque. de maladies…) et de la répulsion
C’est par extension que pot au noir aurait désigné, à la fin du XIXe siècle, une que pouvait provoquer le pouilleux
situation embrouillée, dangereuse. que cet insecte sert de modèle à la
Cette appellation a été également utilisée par les aviateurs vers 1930 pour laideur.
désigner une zone d’orages sans visibilité.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 165


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Manger sur le pouce Enfin, selon la dernière, la locution qui, inévitablement, venait dans les
viendrait de l’ancêtre des menottes, yeux des suivants.
Manger (très) rapidement.
les poucettes, dans lesquelles le pri- C’est ainsi qu’à l’origine l’expres-
Cette expression est attestée dès le sonnier devait placer ses pouces. sion signifiait « l’emporter sur
début du XIXe siècle. quelqu’un », sens aujourd’hui oublié.
D’abord, pensez aux ouvriers ou aux Q De la poudre Elle a comme sens, depuis le milieu du
paysans d’autrefois qui, ayant apporté de perlimpinpin XVIIe siècle, l’aveuglement assimilé à
leur repas dans leur gamelle, n’avaient l’éblouissement que peut provoquer
Un remède prétendument
que très peu de temps pour manger, sur quelqu’un une apparence très
extraordinaire, mais aux vertus
ou aux soldats en guerre qui, pendant flatteuse juste destinée à endormir
complètement imaginaires –
leurs déplacements ou dans l’attente sa méfiance, à le tromper.
Une solution présentée comme
d’être pilonnés ou attaqués, devaient
miraculeuse, mais qui ne sert
rapidement avaler leur repas.
Maintenant, imaginez une main
à rien. Q Mener les poules
tenant un bout de pain et l’autre
pisser – Aller traire
Perlimpinpin est un mot qui date de
tenant un couteau avec lequel le la première moitié du XVIIe siècle, mais
les poules
mangeur coupait un morceau de sa dont l’étymologie est inconnue. Il S’occuper de travaux
nourriture, le poussait sur le pouce s’est aussi écrit prelimpinpin. insignifiants ou fictifs.
qui, étant opposable aux autres Certains le comparent à une formule Être incapable de faire des
doigts, servait alors de cale, et l’y magique comme abracadabra. choses utiles.
maintenait tout en l’amenant à sa Est-ce parce que ceux qui, autrefois,
bouche. vendaient des poudres diverses en
Si votre imagination vous a permis de prétendant qu’elles étaient des re-
bien voir ce geste autrefois commun, mèdes extrêmement efficaces contre
alors vous venez de comprendre tout et n’importe quoi, les présen-
l’origine de cette expression, effec- taient comme des produits un peu
tivement associée à une consomma- magiques ?
tion rapide de la nourriture ! Toujours est-il que ces poudres se
David de Koninck (vers 1644-après 1701),
sont aussi, et à juste titre, appelées huile sur toile.
Q Mettre les pouces « poudre de charlatan ».
La première expression date du
Par extension, l’expression peut s’ap-
Cesser de résister, s’avouer XVIe siècle, la seconde est plus
pliquer à tout ce qui est censé appor-
vaincu, céder. récente puisqu’elle est attestée
ter une solution à quelque chose et
au XIXe siècle.
Cette expression date de la fin du qui s’avère complètement inefficace.
Les poules pouvant faire leurs be-
XVIIIe siècle, époque à laquelle on
soins librement autour du poulail-
disait aussi coucher les pouces. Dans Q Jeter de la poudre ler, il est évident qu’une telle oc-
les cours de récréation, elle est de- aux yeux cupation n’est pas vraiment utile.
venue un simple « Pouce ! » lorsque
Présenter des apparences Mais quand on sait en plus que
l’enfant signale qu’il veut arrêter ce
flatteuses, mais trompeuses. les poules ne pissent pas puisque
à quoi il participe.
urine et fiente se mélangent dans
Trois écoles s’affrontent sans pitié à Le mot poudre nous vient au
le cloaque, cela ne fait qu’accen-
propos de son origine. XIIe siècle du latin pulvis qui désignait
tuer l’inutilité de la chose.
La première suppose qu’elle provient « la poussière du sol ». C’est parce
Pour la seconde expression, les
des Romains où le pouce des specta- qu’il s’est spécialisé ensuite dans
poules n’ayant pas de pis ou de ma-
teurs servait au vainqueur d’un com- quelques autres usages que le terme
melles et ne produisant pas de lait, il
bat à savoir s’il devait gracier (pouces poussière a fini par le remplacer.
est donc totalement inepte de vou-
en l’air) ou achever (pouces tournés Dans notre expression, c’est bien la
loir les traire. Autant dire que celui
vers le sol) son adversaire vaincu. poussière du sol qu’il évoque.
qui prétend aller traire les poules a
La seconde dit que la locution vient En effet, selon Furetière, l’origine
un comportement identique à celui
du fait que le pouce ne peut se poser vient des jeux Olympiques. Lors
qui dit vouloir aller peigner la girafe.
ou reposer dans la main qu’à partir d’une course, ceux qui étaient de-
Ces deux expressions s’appli-
du moment où son propriétaire re- vant, donc qui étaient bien partis
quaient aussi aux benêts, aux
nonce à tenir une arme, acceptant pour l’emporter sur leurs adver-
simples d’esprit, incapables de
ainsi sa défaite. saires, soulevaient de la poussière
faire des choses plus utiles.

166 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Tuer la poule aux œufs d’or Q Mordre la poussière


Être jeté à terre au cours d’un
Se priver de profits futurs importants pour satisfaire des intérêts
combat. Par extension, être
immédiats.
vaincu.
N’agir que pour le court terme, sans aucune vision à long terme.
Si cette expression est très an-
Cette expression du XVIIIe siècle est tirée d’une fable de La Fontaine La Poule
cienne (la métaphore est parfaite-
aux œufs d’or, elle-même inspirée d’une morale d’Ésope, auteur grec de
ment compréhensible et les com-
l’Antiquité.
bats de lutteurs avaient souvent
Pour ceux qui auraient oublié la courte fable en question, il y est question
lieu sur des terrains de sable ou de
d’un avare dont une poule pondait chaque jour un œuf en or.
terre poudreuse), son sens étendu
Croyant que cette poule contenait un trésor, l’avare l’a tuée pour se rendre
ne semble être utilisé que depuis
compte, dépité, qu’elle était semblable à ses autres poules et qu’il venait
le XVIIe siècle, époque où on utilisait
de tuer bêtement ce qui aurait pu l’enrichir sans fin, s’il n’avait pas été si
également mordre la terre.
âpre au gain.
Mais étant donné ce qu’il nous en
reste aujourd’hui, cette dernière a
Mais pour Furetière, on a ainsi nom- visiblement « mordu la poussière ».
Q Quand les poules mé ces billets parce que, en les Cela dit, si le sens moderne n’implique
auront des dents pliant, on y faisait deux pointes qui pas la mort du vaincu, au XVIIIe siècle,
Jamais. représentaient les ailes d’un poulet. elle était plus que sous-entendue,
Si l’explication de Furetière était puisque mordre la poussière signifiait
Il est peu probable que ces bestioles
confirmée, la lettre en poulet « être tué dans un combat ».
aient des dents un jour, l’utilisation
sous-entendrait donc « lettre (pliée)
principale de leur bec étant de fouil-
ler la terre et de picorer du grain.
en poulet ». Q Cucul la praline
Autrement dit, quand les poules au- Niais, ridicule.
ront des dents est simplement une
Q Né dans la pourpre
Le nom de praline vient du maréchal
locution synonyme de jamais ou de à Héritier royal – Comblé dès la
de Plessis-Praslin dont le cuisinier in-
la Saint-Glinglin, entre autres. naissance par la fortune.
venta au XVIIe siècle cette confiserie
Cette expression est attestée à la
Porphyrogénète est un vocable qui entourée d’une croûte de sucre
fin du XVIIIe siècle. Parallèlement, à la
nous vient du grec et signifie « né parfumé ou coloré.
fin du XIXe, on disait aussi quand les
dans la pourpre ». Cucul (ou cucu) est un simple redou-
poules pisseront avec exactement le
L’origine de l’expression nous vient blement enfantin de cul, devenu un
même sens.
du fait que les femmes des em- adjectif synonyme de niais ou ridicule.
pereurs accouchaient dans une On lui a accroché un substantif fé-
Q Écrire/Envoyer un chambre garnie de blocs de por- minin supposé l’intensifier, comme
poulet (à quelqu’un) phyre rouge (pourpre) égyptien, d’où dans notre expression, mais aussi
Écrire/envoyer un billet doux son appellation de porphyra, pour le dans ses variantes cucul la fraise ou
(à quelqu’un). lieu, et de porphyrogénète pour les bien cucul la rainette.
bambins nés dans cette pièce et à la Cette expression date de la première
Depuis le milieu du XVIe siècle, poulet
destinée probablement toute tracée. moitié du XXe siècle. Colette, en
(ou poullaict, à l’époque) a d’abord
Cette expression a ensuite désigné 1933, employait cucu.
eu le sens figuré de « missive » ou de
plus généralement une personne is- Certaines sources avancent que ce
« lettre » avant de se spécialiser en
sue de souche royale, puis a ensuite qualificatif vient des Seychelles, à
« billet doux » ou « billet galant ».
désigné celui qui aura probablement Praslin, où on trouve une grosse noix
Il y a au moins deux explications
peu de soucis à se faire dans la vie, de coco à la forme très suggestive
pour cette dénomination bizarre.
en raison de sa naissance dans un qu’on appelle le « coco-fesses ».
Selon certains, ceux qui étaient char-
milieu très aisé. Fesses et Praslin, en rapprochement
gés de remettre le billet doux au des-
Bizarrement, cette expression s’uti- avec les pralines de Plessis-Praslin,
tinataire portaient des poulets sous
lise aussi maintenant dans le monde auraient donné cucul la praline. Et
prétexte de les vendre, mais en dissi-
équestre pour désigner un cheval ce serait alors le côté un peu ridicule
mulant le fameux billet sous l’aile de
bien né, c’est-à-dire un animal né de la forme de cette noix qui aurait
l’un d’entre eux.
d’un étalon ayant gagné beaucoup donné le sens de l’expression.
Par métonymie, le billet serait devenu
de courses.
le poulet lui-même.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 167


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

C’est de cette volonté d’uniformiser


Q Nul n’est prophète en son pays en éliminant tout ce qui dépasse, en
Il est plus difficile d’être apprécié ou reconnu chez soi qu’à cherchant à tout faire rentrer dans
l’étranger. Les talents de quelqu’un ne sont jamais assez reconnus un même moule qu’est née notre
par les siens. expression qui symbolise, entre
autres, l’arbitraire et la rigidité d’une
Sous sa forme actuelle, l’expression existe depuis le milieu du XVIIe siècle. Mais
règlementation incapable de s’adap-
si l’on s’en réfère aux textes sacrés chrétiens, il nous faut remonter loin pour
ter aux cas particuliers.
retrouver son origine : on en trouve la trace dans les évangiles de Luc et Matthieu.
Alors qu’il était retourné à Nazareth, village où il avait grandi, Jésus subit
les sarcasmes et les moqueries des habitants, de ceux qui l’avaient connu
Q Lâcher la proie pour
comme le simple fils d’un charpentier et qui ne pouvaient l’imaginer en Mes-
l’ombre
sie fils de Dieu. Abandonner quelque
Matthieu conclut son passage de cette histoire en écrivant : « Et il ne fit pas chose de palpable, de
là beaucoup de miracles à cause de leur manque de foi. » réel pour quelque chose
d’hypothétique, une
espérance vaine.
Q Défendre son pré carré sens qui est celui qu’on trouve dans
notre expression. Voilà un proverbe qui nous vient
Défendre son domaine,
Quant à l’intention, elle ne se maté- de loin, puisque c’est Ésope qui en
son territoire réservé et les
rialise pas toujours par un acte. a formulé le principe, principe re-
éventuelles prérogatives qui
Et si on a le droit de juger quelqu’un pris par Jean de La Fontaine dans
s’y attachent.
sur les actes qu’il commet, lorsqu’ils Le chien qui lâche la proie pour
Expression du milieu politique d’ori- sont répréhensibles, peut-on le faire l’ombre : un pauvre chien, croyant
gine très récente (1985). sur ses seules intentions, exprimées faire un festin de l’image du reflet de
Elle est issue d’une ancienne locu- ou supposées, tant qu’il n’est pas sa proie, se retrouve finalement sans
tion à connotation rurale ou terri- passé à l’acte ? la proie ni, bien entendu, le reflet. Il
toriale où faire son pré carré voulait Cette expression semble n’être en est ainsi de tous ceux qui, ne se
dire accroître son domaine pour un attestée qu’à partir du début du contentant pas de ce qu’ils ont en
propriétaire ou gagner des territoires XIXe siècle. main, l’abandonnent pour convoiter
pour un seigneur. sans succès ce qu’ils croient être
Le pré carré désigne maintenant, Q Un lit de Procuste mieux.
dans l’administration, un domaine Cette expression n’est jamais qu’une
Une mutilation d’une œuvre
réservé (avec tout ce qu’y s’y autre formulation du fameux et très
ou d’un projet pour les rendre
rattache comme responsabilités et proche « un tiens vaut mieux que
conformes à un modèle –
avantages) qu’on doit protéger (donc deux tu l’auras ».
Une uniformisation au prix
défendre) de ceux qui chercheraient
d’une déformation, d’une
à s’en approprier un morceau ou à Q Pour des prunes
dégradation, ou bien d’une
l’empiéter.
élimination de ce qui ne Pour rien.
rentre pas dans le moule.
Q Un procès d’intention En moyen français, depuis le
Dans la mythologie grecque, Pro- XIIIe siècle, une prune pouvait
Une accusation ou critique
custe était un brigand qui avait pour être quelque chose sans aucune
portant non pas sur des
habitude de capturer des voyageurs, valeur (ne pas valoir prune voulait
actes, mais sur des intentions
de les attacher sur un de ses deux dire « ne rien valoir » et ne preisier
supposées. Une accusation
lits, les grands sur le petit lit, et in- une prune, c’était « n’avoir aucune
injuste ou insuffisamment
versement. estime pour quelqu’un »).
fondée.
Ensuite, il coupait les membres C’est bien évidemment de cette si-
Un procès, chacun sait ce que c’est, qui dépassaient pour les gens trop gnification que notre expression est
lorsqu’il se déroule en présence d’un grands, ou bien il étirait ceux des née au début du XVIe siècle, ne prei-
juge et qu’il a pour but de désigner la- personnes trop petites, pour les ajus- sier une prune datant de la fin du XIIe.
quelle des parties a le meilleur avocat. ter à la dimension du lit. Mais pourquoi une prune ne va-
Mais, au figuré, et depuis le Heureusement Thésée mit fin à ses lait-elle déjà rien ?
XVe siècle, c’est aussi une critique, exactions en capturant Procuste et Les Croisés, vers 1150, rapportèrent
une mise en cause de quelqu’un, en lui faisant subir le même sort. des pieds de pruniers de Damas dont
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168 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
ils avaient pu se régaler des fruits sur C’est probablement l’association de
place. Mais rendant compte de leur
Q Une victoire à la ces bizarres démangeaisons et de
expédition au roi, celui-ci très en
Pyrrhus l’inquiétude de quelqu’un ayant la
colère se serait écrié quelque chose Une victoire chèrement puce à l’oreille qui a donné le sens
comme : « Ne me dites pas que vous acquise, au résultat peu moderne de cette expression.
êtes allés là-bas uniquement pour réjouissant.
des prunes ! » Q Crier/Gueuler comme
Cela dit, la prune était connue en un putois
France depuis l’Antiquité et il est
Protester à grands cris
assez probable que cette origine ne
perçants.
soit qu’une légende.
Le putois est un petit mammifère de
Q Tenir à quelque chose la famille des mustélidés, comme la
comme à la prunelle fouine, le furet, la martre, le blaireau,
de ses yeux le vison ou la loutre, par exemple. Il a
la particularité de dégager une odeur
Tenir beaucoup, énormément Cornelis Troost (1697-1750), Alexandre le
Grand combattant les Perses. très désagréable.
à quelque chose.
En 280 av. J.-C., Pyrrhus, roi D’ordinaire très discret, cet animal a
Prunelle est un diminutif de prune. d’Épire, mit une sévère raclée aux aussi pour habitude de pousser des
Dès le XIIe siècle, il désigne la pupille, Romains à Héraclée. cris perçants et désagréables lors-
par analogie de couleur et de forme Une nouvelle bataille victorieuse qu’il est menacé ou piégé, histoire
avec les baies du prunelier qui, de Pyrrhus eut lieu en 279 av. de manifester bruyamment à la fois
comme chacun sait, ont l’apparence J.-C. à Asculum. sa crainte et sa désapprobation.
de petites prunes. Ces deux victoires lui ont coûté Il n’est certainement pas le seul
Tenez-vous à vos yeux ? J’imagine très cher, car Pyrrhus y perdit la puisqu’on trouve aussi crier comme
que oui ! majeure partie de ses soldats, au un cochon qu’on égorge, par
On comprend donc aisément qu’une point qu’il s’écria : « Encore une exemple, mais c’est de ces cris qu’est
telle expression ait pu naître, même autre victoire comme celle-là et je née notre expression qui serait assez
si, ici, le terme prunelle vaut pour rentrerais seul en Épire ! » récente puisqu’elle daterait de la se-
l’œil tout entier. Si Pyrrhus avait effectivement bat- conde moitié du XIXe siècle.
Cette expression date du début du tu les Romains, il ne se retrouvait
XIVe siècle, mais au XIIIe on disait déjà plus qu’avec des lambeaux de son Q En quarantaine
aimer plus que son œil. Autant dire armée et il n’avait pas de quoi
Contraint à l’isolement – Exclu
que cet organe a toujours été consi- s’en réjouir, comme celui qui, de
d’un groupe.
déré, à juste titre, comme ayant une nos jours, même s’il a vaincu un
très grande valeur pour son proprié- adversaire, dans quelque domaine Au XIIe siècle, (sainte) quarantaine
taire. que ce soit, se rend compte qu’il y s’utilisait pour parler de la période
La locution comme à la prunelle de a finalement perdu beaucoup. de quarante jours du carême.
ses yeux peut aussi s’employer pré- C’est à partir du XVIIe siècle que la
cédée d’autres verbes que tenir. locution a été utilisée pour désigner
sens devient « être inquiet, agité », la période d’isolement qui était
Q La puce à l’oreille comme pour quelqu’un qui aurait destinée à empêcher la propagation
senti une puce venir se loger dans son d’une épidémie (les personnes
L’attention, la méfiance, les
conduit auditif et qui en craindrait les supposées contaminées étaient
soupçons éveillés.
conséquences démangeatoires. Mais gardées à l’écart, empêchées de se
Cette expression est attestée au on peut aussi y comparer la puce à déplacer, pendant quarante jours),
XIIIe siècle et la Revue de linguistique l’inquiétude qui démange et dérange. quarantaine mal appliquée à Mar-
romane nous indique que avoir la C’est au XVIIe siècle que l’expression seille en 1721 puisque c’est de cette
puce en l’oreille signifiait « être se transforme un peu et que le à ville qu’est partie une grande épidé-
tourmenté par l’amour » et la va- remplace le en. mie de peste.
riante mettre la puche en l’oreille à Parallèlement, dès le XIVe siècle, on Ainsi, lors d’épidémies ou de
quelqu’un voulait dire « provoquer évoquait déjà les oreilles qui sifflaient soupçons de maladies venues de
un désir amoureux chez quelqu’un ». ou démangeaient lorsque quelqu’un l’étranger, on trouvait, à proximi-
C’est à la fin du XIVe siècle que le était supposé parler de vous. té des ports, des bateaux mis en
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 169


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
quarantaine et signalés par un dra- de l’an 40 de la République, année entreprise, une association ou un
peau particulier interdisant aux jamais atteinte par le calendrier ré- parti politique…
autres navires de les approcher. publicain. Et c’est vrai que les partis politiques
Si le terme est resté, la durée des Il pourrait également s’agir d’une sont des endroits où la soif de pou-
quarantaines médicales est rapide- plaisanterie des sans-culottes sur voir des uns et des autres, alors qu’il
ment devenue variable, générale- l’âge qu’aurait eu Louis XVI quelques n’y pas de place pour tout le monde
ment largement inférieure à qua- jours après avoir un peu perdu la au sommet, fait que les querelles in-
rante jours. tête. testines y sont monnaie courante.
Par extension, quelqu’un qui est mis Elle viendrait enfin de la déforma-
en quarantaine est aussi quelqu’un tion d’une expression très populaire Q Une querelle
qui est exclu temporairement d’un au XVIIIe siècle : s’en moquer comme d’Allemand
groupe. de l’Alcoran, ce dernier désignant le
Une querelle sans sujet sérieux,
Coran à cette époque.
pour des raisons futiles.
Q S’en moquer comme
de l’an quarante Q Des querelles Au cours du temps, on a pu lire
intestines différentes explications de la nais-
S’en moquer, s’en
sance de cette expression, mais si
désintéresser complètement. Des dissensions, des conflits
ces hypothèses fantaisistes ont pu
qui se passent à l’intérieur
Si cette expression est bien attestée à naître, c’est parce que leurs auteurs
d’un groupe.
la fin du XVIIIe siècle, les lexicographes n’avaient pas connaissance de la
modernes ne sont pas d’accord sur L’adjectif intestin vient du latin intes- forme du XVIe siècle : une querelle
son histoire. tinus qui signifiait « intérieur ». d’Allemagne (on la trouve chez
Certains évoquent l’an 1040, que les C’est pourquoi il y a longtemps que Montaigne, entre autres).
gens de l’époque auraient supposé cet adjectif veut dire « qui se passe à Il devrait être alors facile d’expliquer
être celui de la fin du monde, parce l’intérieur de quelque chose ». Il n’y la provenance de cette dernière, mais
qu’étant l’an 1000 auquel on ajoute a qu’à se souvenir de Cicéron, lui qui que nenni ! car il existe plusieurs hy-
la durée de vie du Christ (40 ans). évoquait déjà la bellum intestinum pothèses ! Nous allons donc citer la
Pour d’autres, ce serait l’an 1740 ou la « guerre civile » dont on sait plus communément admise et qui
pour lequel de nombreuses cala- qu’elle se passe à l’intérieur d’un viendrait du fait que le Saint-Empire
mités avaient été annoncées et, pays et de sa population. romain germanique était constitué
comme rien de particulier ne s’était Notre expression, qui date de la fin d’un ensemble de minuscules États
passé, on s’en serait raillé. du XVIIe siècle, évoque les dissensions dont les souverains cherchaient
Selon Littré, il s’agirait d’une raillerie au sein d’un groupe social tel qu’une toutes les plus ou moins bonnes oc-
casions de batailler avec leurs voisins,
histoire de tenter de s’emparer de
Q Tomber en quenouille leurs terres et d’agrandir ainsi leur
pouvoir et leur zone d’influence.
Être laissé à l’abandon – Perdre de sa valeur, de sa force ; se
dégrader.
Q À la queue leu leu
Le mot quenouille nous vient au XIIIe siècle des mots conucula lui-même issu
En file indienne, l’un derrière
de colocula qui, au VIe siècle, désignait un bâton dont une extrémité était
l’autre.
garnie de laine destinée à être filée.
Le sens initial de la locution, au XVIe siècle, était « passer, par succession, dans Après le XIe siècle, en ancien français,
la propriété d’une femme ». la syntaxe était très différente de
La signification première est quelque peu misogyne, son évolution ne l’est celle d’aujourd’hui.
pas moins. À la queue leu leu était un raccour-
En effet, si un domaine tombait en quenouille, c’est parce qu’il aboutissait ci de à la queue (du) leu (le) leu ou,
dans les mains d’une femme, forcément tout juste bonnes aux travaux mé- en moins compact encore, c’est à
nagers, dont le filage de la quenouille, le mot ayant, par métonymie, désigné la queue d’un leu qu’on trouve un
ensuite la matière textile qui entourait l’extrémité de la quenouille. autre leu.
Puis, si le domaine était laissé à l’abandon ou s’il perdait de la valeur (sens Quand on sait que :
actuel depuis le début du XXe siècle), c’est bien parce que la femme qui en – leu est la forme ancienne de loup ;
avait hérité était incapable de s’en occuper correctement (sous-entendu : – les petites bandes de loups avaient
comme toute femme qui se respecte). pour habitude, paraît-il, de se déplacer
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170 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

les uns derrière les autres, donc


Q Avoir la queue entre les jambes
chaque loup derrière la queue du
congénère qui le précédait ; Se sentir honteux.
– le loup, comme le renard, était très
C’est bien entendu au chien qu’il faut penser, cet animal ayant l’habitude
présent dans l’imaginaire des gens
de revenir la queue basse, voire entre les pattes, lorsqu’il s’est frité avec un
de l’époque,
congénère et qu’il a eu le dessous.
on comprend que cette expression
Cette attitude est sa manière à lui de montrer qu’il est dépité d’avoir es-
soit apparue pour désigner une file in-
suyé un échec cuisant, et c’est tout simplement de cette image aisément
dienne, bien avant que l’Amérique et
constatable pour qui possède un chien que notre expression est née vers le
les Amérindiens ne soient découverts.
XVIe siècle.
Toujours par comparaison avec le meilleur ami de l’homme, il existait égale-
Q Sans queue ni tête ment deux autres expressions utilisant l’appendice caudal de l’animal, mais
Incohérent, incompréhensible. trop tendancieuses à notre époque compte tenu du sens qu’a pris le mot
queue : s’en aller la queue levée voulait dire « content et joyeux » et voir
Normalement, toute histoire qui tient
sa queue reluire signifiait « éprouver de la fierté », en lien avec un beau
la route comprend un début compré-
poil brillant.
hensible et une fin du même acabit.
Enlevez les deux extrémités et l’his-
toire perd beaucoup de sa cohé- Q Allumer/Ouvrir pour demander à une autre personne
rence. C’est simplement ce que veut ses quinquets de quel parti (au sens de « association
dire l’expression. de personnes ») elle était.
Regarder attentivement.
Plus tard, une sentinelle qui enten-
Q La quille Depuis le début du XIXe les quinquets dait un bruit à proximité de son lieu
sont les yeux, en argot. Donc, c’est bien de garde demandait « Qui vive ? »
La fin du service militaire
en ouvrant ses quinquets qu’on peut ou sous une forme un peu moins
(pour un appelé) – La fin
regarder quelque chose. Mais pourquoi concise « Qui est vivant ici ? Faites-
d’un emprisonnement – Plus
utilise-t-on aussi le verbe allumer ? vous connaître ! »
généralement, la fin d’une
C’est à la fin du XVIIIe siècle que le Mais l’interjection s’employait aussi
période considérée comme
physicien Argand invente une lampe à pour demander à quelqu’un appro-
pénible.
huile d’un genre nouveau, qui procure chant, parfaitement visible, de décli-
Mais pourquoi appelle-t-on quille ce une lumière beaucoup plus vive et ner son identité.
retour tant attendu à la vie civile ? génère beaucoup moins de fumée. C’est au début du XVIIe siècle qu’elle
Voici deux explications parmi les Là-dessus, l’apothicaire Quinquet co- s’est substantivée en qui-vive, mot
plus plausibles. pie et améliore un peu l’invention et qu’on ne trouve presque plus main-
Autrefois, lorsqu’on était prisonnier la commercialise. Pour les consom- tenant que dans notre expression
ou bidasse, le décompte des jours mateurs, elle devient « la lampe à la dont le sens est aisément compré-
restants se faisait à l’aide de bâtons Quinquet », puis, plus simplement, hensible, puisque le rôle de la sen-
tracés sur des supports divers et com- le quinquet. tinelle est justement d’être vigilante.
parables à des quilles qui sont élimi- Ce n’est que plus tard que l’œil
nées une par une, jusqu’à la dernière. – parce que c’est une autre forme Q En rade
Par ailleurs, la hiérarchie militaire de lumière, à savoir « la lumière de
Laissé à l’abandon, à l’écart –
aurait paraît-il tenté de limiter les ar- l’âme » pour certains poètes – devient
En panne, dans l’impossibilité
deurs sexuelles des appelés avec du familièrement le quinquet qu’on peut
de fonctionner.
bromure de potassium. aussi bien ouvrir qu’allumer.
La fin du service militaire était donc Voilà une métaphore dont on ne
la promesse du retour d’une belle Q Être sur le qui-vive peut ignorer l’origine marine.
érection, une grosse « quille », pour Rade est issu d’un mot de vieil an-
Être vigilant, sur ses gardes.
les plus modestes. glais qui a donné road (« route »)
S’attendre à un danger, une
L’expression la quille bordel !, maintes dans cette langue. Et chez nous, si
attaque.
fois proférée, pourrait d’ailleurs être dès le XIVe siècle, rade a désigné « un
une confirmation de cette hypothèse, Cette expression date de la fin du bassin naturel ou artificiel où les ba-
cette virilité retrouvée permettant ef- XVIIe siècle sous cette forme, mais c’est teaux peuvent s’abriter », il a aussi
fectivement d’aller fréquenter avec à partir du début du XVe qu’elle est été utilisé au XVIe pour désigner une
efficacité un tel lieu de débauche. utilisée sous sa forme latine qui vivat ? route.
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 171


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
C’est de cet endroit abrité où les na-
vires peuvent attendre au calme que
Q Fait comme un rat Q Manger à tous
vient notre expression. Qui est mis dans
les râteliers
En effet, le bateau « en rade » est à l’impossibilité de fuir – Profiter de toutes les
l’écart du port, et entre être à l’écart Qui est dans une situation situations possibles, sans
et être (ou paraître) à l’abandon, il sans issue. scrupules. Piocher sans
n’y a qu’un petit pas que certains se hésiter dans tout ce qui peut
La comparaison comme un
sont vite empressés de franchir au être bénéfique.
rat existe depuis le milieu du
début du XIXe siècle.
XVIe siècle. Râtelier et râteau sont des mots de
C’est aussi parce qu’un navire qui
Inutile de dire qu’elle n’est jamais même origine, qui est en l’occur-
est en rade est à l’arrêt que le sens
favorable, vu le peu d’estime por- rence le mot latin rastellum.
initial a été déformé pour évoquer
té en général à ces êtres-là. Si le râteau est un instrument de
quelque chose qui ne marche plus,
Ainsi, on a pu trouver les expres- jardinage, le râtelier est un support
qui est en panne comme un véhicule
sions pauvre (ou gueux) comme mural dans lequel on dépose le four-
également immobilisé.
un rat (d’église) ou bien pris et rage pour les animaux.
cuit comme un rat, qui est équi- Le Dictionnaire de l’Académie fran-
Q Faire du ramdam valente à la nôtre, puis, plus tard, çaise de 1762 signale la forme
Faire du vacarme. Provoquer crever comme un rat. « manger à plus d’un râtelier ».
du désordre. Être fait comme un rat, c’est, C’est une métaphore où le râtelier
avec le sens argotique de fait, représente une situation porteuse
Le mot ramdam est apparu en
être comme le rongeur lorsqu’il d’avantages, avec une personne qui,
France à la fin du XIXe siècle. À cette
est coincé dans un piège dont bien que disposant généralement
époque, son sens était plus précis,
il ne peut plus s’échapper, alors de son propre râtelier, n’hésite pas
car il désignait un tapage nocturne.
que son sort ne fait plus aucun à profiter sans scrupules de celui de
Dans la religion musulmane, la pé-
doute. quelqu’un d’autre, à ses dépens.
riode du ramadan pendant laquelle
Si être pris (et cuit) comme un Mais la métaphore existait déjà un
ceux qui suivent les préceptes du
rat date de 1725, la forme ac- siècle auparavant, dans la forme « je
Coran doivent s’abstenir de boire et
tuelle de notre expression serait leveray (j’enlèverai) le ratelier à ce
manger entre le lever et le coucher
attestée pour la première fois gourmand ».
du soleil se termine par l’Aïd-el-Fitr
en 1932. Et comme le profiteur ne va certai-
qui est l’occasion de véritables festi-
Certains supposent qu’elle serait nement pas s’arrêter à un seul râ-
vités encore plus animées.
née dans les tranchées pendant telier supplémentaire, l’expression a
Ramdam est en fait une déformation
la guerre de 14-18, l’une des évolué en incluant un tous désignant
de ramadan qui, pour les voisins de
principales occupations des sol- toutes les situations dont il peut
musulmans, était le symbole des ta-
dats étant de capturer les ron- potentiellement profiter.
pages nocturnes liés à la fin du jeûne
geurs qui y pullulaient.
quotidien.
Depuis, entré dans le langage cou-
Q Un remède de bonne
rant et déconnecté de ce qui l’a fait
femme
idiot et près de ses sous, l’y laissait
naître, le mot désigne plus géné- Un remède simple et
tous les jours.
ralement un vacarme quelconque, populaire – Un remède sans
Par conséquent, le benêt qui, le len-
qu’il soit nocturne ou diurne, et par grand intérêt, voire inefficace.
demain du jour où il avait vu la pan-
extension un désordre.
carte, venait se faire raser ou couper Bonne femme apparaît au milieu du
les cheveux et qui s’étonnait de de- XVIIe siècle et désigne à la fois une
Q Demain, on rase voir tout de même payer s’entendait femme bonne et une femme âgée,
gratis !
répondre : « Oui, mais il y a écrit que donc d’expérience, ce qui explique
Se dit à propos de promesses c’est demain que c’est gratuit. » la connaissance par cette dernière
qui ne seront pas tenues. Si cette histoire dont la véracité reste à de remèdes simples pour soigner de
prouver met en scène un barbier, c’est nombreux soucis physiques.
Cette expression viendrait d’un bar-
parce que les barbiers, comme les Même si elle n’est citée par l’Académie
bier qui aurait mis à l’entrée de son
dentistes et les chirurgiens, n’avaient française que dans la version de 1798
échoppe une grande pancarte pro-
pas bonne réputation au moment de son dictionnaire, notre expression
clamant : « Demain, on rase gratis. »
où cette expression est apparue. apparaît au début du XVIIIe siècle.
Mais notre artisan, pas totalement
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172 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
La bonne femme, celle qui a suf-
fisamment d’expérience pour
Q Tirer sa révérence
connaître bien des choses de la vie, S’en aller – Abandonner, renoncer – Mourir.
sans forcément être allée aux écoles,
Au XIIe siècle, révérence désigne d’abord un grand respect, parfois mêlé de
connaît, par transmission orale pro-
crainte.
bablement, nombre de remèdes
Par extension, c’est devenu, au milieu du XIVe siècle, le salut cérémonieux qui
simples mais utiles pour soigner de
était la marque de ce respect, adressé aux personnes de rang supérieur ou
nombreux bobos, ce qui explique le
aux autorités ecclésiastiques.
premier sens de l’expression.
C’est ensuite devenu un geste de civilité, principalement réservé aux femmes,
Malheureusement, au fil du temps,
pour saluer une autre personne ou pour prendre congé.
le syntagme est devenu suffisam-
Et c’est d’après ce dernier usage que tirer sa révérence est apparu au début
ment péjoratif pour qu’une fois
du XVIIIe siècle pour dire d’une personne qu’elle s’en va.
associé au remède il en désigne un
On emploie aujourd’hui cette locution de différentes manières, soit avec une
forcément sans intérêt et très proba-
certaine ironie, lorsque quelqu’un ayant quelque chose à se reprocher s’est
blement inefficace.
éclipsé, soit avec peine ou respect, lorsqu’une personne connue vient de dé-
céder, par exemple, soit avec regret ou dépit lorsque quelqu’un abandonne
Q Une réponse ou renonce à quelque chose.
de Normand
Une réponse ambiguë
trouver le calme et ce fameux re- qui s’entendrait dire cela sous cette
ou évasive.
pos bien mérité dans les bras de sa forme le prenne toujours pour un
Les Normands, depuis très long- bien-aimée. compliment.
temps, sont considérés comme des Cette dernière image, un rien provo- Cette expression peut aussi s’utiliser
gens rusés (au sens péjoratif du cante, fait partie de celles que véhi- ironiquement pour désigner un dé-
terme) et peu fiables. cule aujourd’hui cette expression. faut persistant.
D’après l’Allemand Walter Car depuis bien longtemps et en
Gottschalk, dans son ouvrage sur beaucoup d’endroits, la femme a Q Être de la revue
la langue française publié en 1930, été considérée comme un être infé-
Être déçu de ne pas avoir
cela viendrait d’une ancienne loi nor- rieur, tout juste bon à s’occuper des
ce que l’on attendait.
mande qui permettait à quelqu’un travaux domestiques et à assouvir les
ayant signé un marché de le réfu- besoins de son mari, même si notre À l’époque bénie où le service militaire
ter dans les 24 heures. D’où le pro- locution sous cette forme et avec ce existait encore, de nombreux appelés
verbe : « Un Normand a son dit et sens semble ne dater que du début ont eu l’immense plaisir d’« être de la
son dédit. » du XIXe siècle. revue ».
En clair, cela voulait dire qu’on ne En effet, c’est souvent alors qu’ils se
pouvait aucunement se fier à la Q Avoir de beaux restes préparaient à partir pour une per-
parole ni même à la signature d’un mission bien méritée, qu’ils étaient
Garder des restes de beauté.
Normand puisque, une fois que vous désignés pour participer à une céré-
Avoir encore un certain
aviez le dos tourné, il pouvait casser monie militaire quelconque comme
pouvoir de séduction.
votre accord. un défilé ou une inspection de la
À l’origine, au XVIIe siècle, cette troupe (la revue).
Q Le repos du guerrier expression s’appliquait surtout aux D’où la double frustration, celle de
personnes de sexe féminin, car, participer à une manifestation pour
D’une manière générale,
depuis cette époque, les restes sont laquelle les contraintes sont fortes et
la femme, considérée
également ce qu’il reste de sa beauté dont l’intérêt, pour celui qui s’y colle,
comme un délassement
chez une femme mûre. Lorsqu’elle a est loin d’être évident, et celle de ne
pour l’homme, après ses
de beaux restes, c’est que la femme pas pouvoir aller revoir sa famille ou
activités considérées comme
en question, qui a été belle dans son sa dulcinée.
viriles. Plus précisément, les
jeune temps, est encore capable de C’est au XIXe siècle que cette
relations sexuelles.
séduire. expression est apparue, très vite
Autrefois, l’homme allait guerroyer. Cela dit, ce genre de qualificatif sortie du contexte militaire pour
Et lorsque ce noble guerrier, après s’emploie en général entre hommes désigner des espérances déçues,
parfois une longue absence, s’en un tantinet machistes. Il est en ef- comme celle de la permission qui
revenait au foyer, il pouvait enfin y fet peu probable qu’une femme s’envole.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 173


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Faire ripaille C’est de cette constatation que les s’échangeaient à l’époque les têtes
voix de ce type ont été appelées couronnées.
Bien manger et bien boire (à
voix de rogomme à partir du début
une table copieusement garnie).
du XIXe siècle, version maintenant Q Travailler pour le roi
Le mot ripaille date du XVIe siècle et, tombée en désuétude, ou bien voix de Prusse
de nos jours, il ne s’emploie plus que de mélécasse un demi-siècle plus
Travailler pour rien, sans être
dans notre expression et vient de tard, forme qu’on peut encore en-
rémunéré.
l’ancien français riper qui voulait dire tendre ou lire de-ci de-là.
« gratter ». Apparue officiellement dans les
Faire ripaille s’utilisait alors pour les Q Le roi n’est pas son textes vers la moitié du XIXe siècle,
soldats avec probablement l’image cousin voilà encore une expression dont
des repas où les plats étaient raclés l’origine est incertaine, quatre
Il est plus heureux/plus fier
(grattés) jusqu’à ne rien laisser du explications circulant à son propos.
qu’un roi.
contenu. La première serait liée au fait que
Il existe une autre origine à cette Cette expression indique une no- les soldes payées aux mercenaires
expression, mais peut-être sujette à tion de plénitude, de satisfaction, du royaume de Prusse au début du
caution. pour avoir obtenu quelque chose XVIIIe siècle étaient dérisoires.
Nous sommes au XVe siècle. Le duc de que l’on a souhaité très fort et/ou Une deuxième dit que l’expression
Savoie, Amédée VIII, vient de perdre attendu très longtemps. viendrait d’une chanson de 1757 qui
son épouse et décide de se retirer Mais elle contient aussi parfois une se moquait de la défaite du Prince de
dans un prieuré pour mener une vie notion de fierté excessive, proche de Soubise à Rossbach et contenant la
de méditation et de chasteté. la prétention. phrase : « Il a travaillé pour le roi…
Mais n’ayant pas fait vœu de fruga- Elle s’emploie, par exemple, quand de Prusse. »
lité, l’endroit est le lieu de fréquents on parle d’un père lors de la nais- La troisième suppose qu’elle vien-
banquets. sance de son premier enfant, ou drait du roi Frédéric Guillaume Ier qui
Or, il se trouve que le prieuré était un lauréat d’un concours, les deux était d’une avarice sans limites et qui
celui de Ripaille. étant à la fois extrêmement heureux ne payait que très peu les gens qui
Ce serait donc le souvenir de ces et fiers. travaillaient pour lui.
banquets qui aurait donné naissance À la fin du XVIe siècle, on disait « le La quatrième est évoquée par
notre expression. roi n’est pas son ami », preuve que Charles Rozan dans ses Petites igno-
le terme de cousin utilisé ici n’est pas rances de la conversation, ouvrage
Q Une voix de rogomme/ lié aux liens sanguins des différentes paru en 1857. Il y indique que notre
de mélécasse familles royales européennes et à expression pourrait être de Voltaire,
l’appellation « mon cousin » que se plaignant d’« avoir travaillé pour
Une voix rauque ou éraillée,
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généralement due à une
consommation abusive et
répétée d’alcool. Q À tour de rôle
Si on est sûr que le mot rogomme À chacun son tour.
désigne une eau-de-vie depuis la fin
Nous allons remonter au milieu du XVe siècle, époque où à tour de rolle (ou
du XVIIe siècle, on ne sait pas grand-
rollet) apparaît avec le sens qu’on lui connaît encore, c’est-à-dire à chacun
chose de plus.
son tour, mais « dans l’ordre d’inscription au rôle ».
Quant à mélécasse (ou mêlécasse
Car le mot rôle, qui date du XIIe siècle, nous vient du latin médiéval rotulus
ou mêlé-casse), c’est, incontestable-
qui désignait un parchemin roulé. Et il se trouve que, si ces rouleaux de
ment cette fois, une abréviation de
parchemin conservaient des écrits de toutes sortes, ils servaient aussi à tenir
mélécassis, une boisson associant
des registres administratifs, des listes de personnes accompagnées d’infor-
ou mêlant de l’eau-de-vie et de la
mations variées, ou d’actes divers. Et même si les rouleaux ont peu à peu
liqueur de cassis.
laissé la place aux cahiers, carnets et répertoires, on les a appelés des rôles
Toujours est-il que, quel que soit l’al-
jusqu’à la fin du XVIIe siècle.
cool consommé sans modération,
Si, sur un navire, par exemple, vous prenez le registre ou « rôle » qui contient
rogomme, mélécassis, absinthe ou
le nom des marins et que vous faites l’appel, vous citez les noms l’un après
autre, on sait que cela peut avoir des
l’autre, dans l’ordre où ils se présentent sur le rôle, donc « à tour de rôle ».
effets néfastes sur la voix, la rendant
Et lorsque vous citez le dernier nom, vous êtes à la fin du rôle ou, autrement
souvent éraillée.
dit, si on se rappelle les rouleaux de parchemin, au bout du rouleau.

174 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

le roi de Prusse », alors que des pro- Au début du XIIe siècle, l’adjectif (où le train est l’arrière-train ou le
messes de récompenses n’avaient s’utilise pour désigner quelqu’un qui postérieur) ou bien se magner le cul,
pas été tenues. a mangé et bu à satiété. par exemple. En fait, tous les mots
Ce n’est qu’à la fin du même siècle désignant tout ou partie du posté-
Q Bon comme la romaine que son usage est restreint au sens rieur peuvent être utilisés ici (comme
de « ivre ». popotin, derche…).
Extrêmement bon ou gentil,
Quant à l’adjectif rond, il a aussi dé- À partir du XVIe siècle, se manier
d’une bienveillance extrême –
signé une personne ayant le ventre avait le sens de « se mouvoir »
Être voué à subir une
bien rebondi du fait d’avoir l’habi- ou « s’activer ». Se magner en est
situation désagréable.
tude de manger et boire plus qu’il une déformation populaire datant
C’est de la laitue romaine, dont il est ne faut. Donc une personne qu’on du milieu du XVIIIe siècle (d’ailleurs,
ici question, introduite en France au disait aussi soûle. l’expression existe aussi sous la
XVIe siècle par François Rabelais. C’est la similitude de signification qui a forme se manier la rondelle, mais
Mais malgré cela, cette expres- fait que rond est devenu synonyme de elle peut prêter à confusion avec le
sion semble récente puisqu’on soûl dès le XVe siècle et a accompagné sens actuel du verbe manier).
n’en trouve des attestations qu’au jusqu’à nos jours le glissement de ce
XXe siècle, sans que son origine soit mot vers le seul sens de « ivre ». Q Rôtir le balai
précise.
Vivre dans la pauvreté –
C’est parce que cette salade était Q Un rond-de-cuir Mener une vie de débauche.
considérée comme tellement bonne
Un employé de bureau.
(au goût) qu’à partir de vous êtes C’est grâce aux lexicographes qu’on
très bon (ou gentil), l’usage popu- Autrefois, lorsque les sièges comprend que le sens ancien de cette
laire y a ajouté par plaisanterie un étaient loin d’avoir le confort d’au- expression, celui en vigueur à partir
élément de comparaison qui est fi- jourd’hui, on utilisait souvent, pla- du XVIe siècle, signifie en réalité « être
nalement resté. cé entre le siège et les fesses, un tellement pauvre que, à défaut de
La bonté dont il est question ici com- coussin en cuir plus ou moins rem- bois, on en est réduit à brûler le balai ».
porte en général un sous-entendu bourré et généralement de forme Autrement dit, si on « rôtit » le balai,
de faiblesse. circulaire, un rond de cuir. ce n’est pas dans le but de le savou-
La seconde signification de l’expres- Puis en 1893, Georges Courte- rer, mais simplement dans celui de se
sion vient du mélange de la locution line, en se basant sur de nom- réchauffer avec le peu de combus-
initiale avec être bon au sens de breuses années de souvenirs tible qui reste disponible.
« être fait », « être piégé » ou « être personnels, a publié le roman C’est au XVIIIe siècle que le sens
très mal engagé (dans quelque Messieurs les ronds-de-cuir où change du tout au tout, chez
chose) ». il décrit la médiocrité des petits Rousseau.
Le lien avec la situation désagréable fonctionnaires appliquant avec Nombreux sont ceux qui supposent
à laquelle peut mener le fait d’être plus ou moins de délectation des qu’il y a une allusion aux sorcières qui,
trop gentil ou faible n’y est pas règlements stupides ou étant les chevauchant leur balai pour se rendre
étranger non plus. victimes de ces mêmes règlements. au sabbat, lieu propice à toutes les dé-
C’est très vite, grâce au succès de bauches, se rapprochent des flammes
Q Rond comme… ce roman, que le terme de rond- de l’enfer au contact desquelles leur
de-cuir a désigné de manière péjo- balai roussit quelque peu.
Complètement soûl.
rative un fonctionnaire peu motivé Cette relation aux sorcières pourrait
Dans cette expression, le comme ou inefficace ou un bureaucrate. aussi expliquer le fait que l’expres-
peut être suivi du nom de diverses sion s’appliquait surtout aux femmes
choses aux formes arrondies, va- débauchées.
riables selon les époques, comme Q Se magner la rondelle
balle, boule, pomme, barrique, bille, Q Au bout du rouleau
Se dépêcher.
queue de pelle…
Épuisé. Qui n’a plus
Mais pourquoi rond, en argot, est-il La rondelle dont il est question ici est
de ressources (physiques
synonyme de soûl ? un mot d’argot qui désigne l’anus
ou financières).
Le mot soûl ou saoul est issu du la- et qui date, avec cette signification,
tin satur qui voulait dire « rassasié », de la fin du XIXe siècle. Il est employé En moyen français, on disait être au
surtout de nourriture (pensez à sa- comme dans les autres expressions bout de son rollet. L’origine de l’ex-
turer). similaires que sont se magner le train pression remonte donc à très loin, si
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 175


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
l’on en croit l’explication de Claude
Duneton.
Q De la roupie
de sansonnet
Autrefois, les livres étaient constitués de
feuilles collées bout à bout, écrites sur Une chose insignifiante,
une seule face, puis enroulées et en- une bagatelle, une quantité
tourées avec un parchemin autour du presque nulle.
rouleau ainsi obtenu, pour le conserver.
Depuis au moins le XIIIe siècle, la rou-
Ces rouleaux s’appelaient des rôles.
pie n’est rien d’autre que ces gouttes
Le texte des acteurs médiévaux
plus ou moins gluantes, issues des
d’une pièce de théâtre était écrit sur
fosses nasales, qui pendent au nez de
un rôle. Ce qui explique maintenant
certains.
qu’un acteur « joue un rôle ».
Il est donc normal que cette roupie-là
Puis le rollet a laissé la place au rouleau.
soit considérée comme quelque chose
Détachée de son origine théâtrale,
d’insignifiant, sans aucune valeur.
avec la signification de « à bout
Le plus difficile, c’est d’expliquer en John Gould (1804-1881), l’étourneau
de ressources », l’expression a été
quoi le sansonnet serait suffisam- sansonnet, Sturnus vulgaris.
conservée au XIXe siècle d’autant
ment morveux pour qu’on l’ait associé à la roupie.
plus facilement que les ressources
Il pourrait s’agir d’une déformation de sans sou (« sans valeur ») ou de sans
financières étaient alors aussi
son nez, désignant la roupie seule, isolée de sa chaîne de fabrication nasale.
matérialisées par les rouleaux qu’on
Pour désigner la même chose, certains préfèrent employer l’expression pine
faisait avec les pièces.
d’oie et d’autres couille de mite.
Être au bout de son rouleau, c’était ne
plus avoir de pièces, donc de ressources.
Q Payer rubis sur l’ongle Q Les petits ruisseaux
Q Franchir le Rubicon font les grandes
Payer comptant (et
rivières
Faire un pas décisif et totalement).
irréversible. Prendre une En amassant de petites
Cette expression vient du XVIIe siècle.
décision et en assumer toutes choses, on s’enrichit.
À cette époque, on disait plutôt faire
les conséquences.
rubis sur l’ongle. Prenez une tirelire et mettez-y sans
Vers 49 av. J.-C., Jules César, alors Dans son Dictionnaire comique publié faute chaque jour une toute petite
qu’il venait de mater les Gaulois, s’en en 1718, Philibert-Joseph Le Roux in- pièce de 5 centimes.
retournait à Rome dirigée par Pompée dique qu’au cours des beuveries, lors Si vous vous y tenez avec régularité,
afin d’y trouver un repos bien mérité. d’une tournée dédiée à un absent es- au bout de 500 ans, vous aurez la
Or Pompée avait ordonné que tout timé, il était coutumier de garder au confortable somme de 9 125 euros.
général d’armée se séparât de ses fond du verre une toute petite goutte, Autrement dit, avec de tout petits
troupes avant d’entrer dans Rome. de la verser sur l’ongle du pouce, puis ruisseaux (les pièces de 5 centimes),
C’est en arrivant au Rubicon, cours de la lécher pour marquer l’attache- vous avez fait une grande rivière (le
d’eau qui séparait la Gaule Cisalpine ment porté à la personne. pécule contenu dans le cochon).
et l’Empire romain, que César aurait Et si l’on buvait du vin, cette mi- Bien entendu, on comprend que la
dû dissoudre son armée et déposer ni-goutte pouvait facilement passer métaphore vient bien du monde réel
ses armes, mais il n’avait pas envie pour un rubis. où les eaux des petits ruisseaux et
d’obéir à un ordre qu’il considérait À la même époque, c’est aussi torrents se rejoignent pour former
comme inepte, envisageant de sur- devenu une métaphore pour dire une rivière qui, mélangeant ses eaux
croît de prendre le pouvoir. « payer jusqu’au dernier sou ». Mais avec celles d’autres rivières, alimente
Selon l’historien Suétone, c’est donc cette fois, c’étaient les poches qui un fleuve qui finira par se jeter dans
en prononçant son fameux « Alea étaient complètement vidées. la mer.
jacta est » (le sort en est jeté), qu’il fit Le « rubis » liquide ayant été pro- Cette expression proverbiale très
franchir l’endroit à ses troupes avec gressivement oublié, c’est le second populaire, qui s’applique le plus sou-
lesquelles il marcha vers Rome alors sens qui a d’abord été maintenu, le vent aux sommes d’argent, est citée
que Pompée s’enfuyait. verbe payer ayant pris le dessus sur par Furetière en 1690, mais elle est
En franchissant le Rubicon, César faire avant qu’on n’associe plus l’ex- attestée dès 1640.
avait pris une décision irréversible, pression qu’à un paiement comp-
mais il l’assumait parfaitement. tant et intégral.

176 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Le marchand de sable Lorsque le jouet tourne à pleine vi- déjà « avoir cent ruses au sac » avec
est passé tesse, il reste en apparence immobile le même sens.
et peut même produire un léger ron-
Il est l’heure de coucher les
enfants.
flement, selon la surface sur laquelle Q Hommes/Gens de sac
il tourne. et de corde
À la fin du XVIIIe siècle, on disait avoir C’est de cette « immobilité en ron-
Personnes condamnables
du sable dans les yeux pour dire flant » qu’on a dit « le sabot dort ».
(au sens propre du terme).
qu’on avait envie de dormir. Attestée chez François Villon au
Malfaiteurs, truands.
Et c’est même dès le XVIIe qu’un per- XVe siècle, si notre expression s’est
sonnage fabuleux qui vient jeter du perpétuée jusqu’à maintenant, c’est Cette expression va chercher son
sable dans les yeux des enfants est uniquement parce qu’on croit à tort origine dans l’Antiquité à Rome où,
utilisé pour représenter le sommeil. toujours savoir ce qu’est un sabot. lorsque les voleurs et autres assas-
Furetière, à la même période, écrit sins condamnés n’étaient pas en-
d’ailleurs : « Le petit homme leur a Q Avoir plus d’un tour core ou plus voués aux gémonies,
jeté du sable dans les yeux. » dans son sac une joyeuse coutume consistait à les
C’est en 1963 que, grâce à l’imagina- enfermer dans un sac, noué par une
Trouver toujours le moyen de
tion de Claude et Christine Laydu, le corde, avant de les jeter dans le Tibre
résoudre une difficulté.
marchand de sable apparaît pour la pour qu’ils s’y noient.
première fois sur les écrans de télévi- Le prestidigitateur, l’homme des Cette méthode fort sympathique
sion, accompagné sur son nuage blanc « tours » de magie, fait encore a été utilisée longtemps après, à di-
d’un gros Nounours qui va s’occuper, mieux que la femme qui transporte verses époques et dans divers pays.
pendant de nombreuses soirées, de tout un tas de choses dans son sac Ainsi, chez le sultan de Constanti-
coucher Nicolas et Pimprenelle. à main puisque, de son sac, il vous nople, les condamnés étaient noyés
sort aussi bien un lapin qu’une de cette manière dans le Bosphore.
Q Dormir comme femme équipée de son sac à main, En France aussi, sous Charles VI, entre
un sabot lui-même contenant… autres, avec noyade dans la Seine.
Et c’est de cet artiste et de son « sac Avec cette expression et une autre
Dormir profondément.
à malices » (dénomination officielle) acception du mot sac, on peut aus-
Si le nom sabot désignant une que nous vient cette expression, tou- si faire le lien avec les brigands qui
chaussure de bois apparaît à la fin jours par allusion à celui qui est ca- pillaient et saccageaient (hommes
du XVe siècle, le mot, d’abord sous la pable, grâce au contenu de son sac, de sac) et qui, une fois pris, étaient
forme çabot, apparaît bien avant, à la de parer à toute éventualité. condamnés à la pendaison (hommes
fin du XIe, et désigne une « sorte de Si ce n’est qu’en 1935 que la forme de corde).
toupie de forme conique en bas et actuelle de notre expression est ap-
cylindrique en haut, que font pirouet- parue, en 1851, on disait « avoir Q L’affaire est dans
ter les enfants en la frappant avec un bien des tours dans son sac » et Jean le sac
fouet ou une lanière » (Littré). de La Fontaine, en 1678, utilisait
L’affaire doit ou va réussir.
Aux alentours du XVIIe siècle, à une
Q Avoir les deux pieds dans le même sabot époque où, au cours des procès,
nombre de documents étaient
Être incapable d’agir – Rester inactif par manque d’initiative.
écrits sur les rouleaux de papier, les
Au cas où vous ne l’auriez pas déjà compris, vous êtes fait pour avancer en avocats et magistrats transportaient
déplaçant vos pieds l’un après l’autre, pas les deux en même temps, vos ces pièces dans des sacs.
pieds accolés vous rendant inapte à une action mobile. Une première explication de l’appa-
Il n’en a pas fallu beaucoup plus pour que soit imaginée un jour cette expres- rition de notre métaphore vient des
sion avec le sens indiqué. avocats.
Bizarrement, malgré l’ancienneté des sabots, on ne trouve les premières À la fin du procès, l’avocat certain
traces écrites de cette expression que vers la fin du XIXe siècle. d’avoir bien défendu son client
Le second sens proposé est une simple extension du premier, celui qui est rangeait ses documents dans son
incapable d’agir pouvant aussi, quand on ne connaît pas la cause de son sac en attendant le verdict, en
inaction, être pris pour quelqu’un de passif ou manquant d’initiative. pensant que l’affaire était dans le
Souvent employée sous une forme négative, l’expression désigne alors une sac, puisqu’il n’aurait plus besoin de
personne énergique, dynamique. les ressortir.
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 177


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
La seconde explication vient tout sauver. Ce qui nous permet de com-
Q Vider son sac
simplement de l’archivage : toutes prendre qu’« une planche de salut »,
les pièces du procès étaient égale- Dire tout ce qu’on pense, c’est en premier lieu une planche qui
ment rangées dans un ou plusieurs tout ce qu’on a sur le cœur permet à quelqu’un de rester en vie.
sacs pour être archivées. À partir de (quitte à blesser). Et c’est de l’image du naufragé que
ce moment, l’affaire (terminée) était nous vient la première expression,
Si l’apparition de cette expres-
« dans le sac ». au début du XIXe siècle. Mais au
sion est bien toujours située au
XVIe siècle, le mot planche tout seul
XVIIe siècle, nos deux principales
Q Mettre à sac sources s’affrontent sur son
avait déjà pris le même sens figuré
que cette expression.
Dévaster, piller origine.
Par extension, une planche de salut,
complètement. Alain Rey nous dit qu’autrefois
c’est plus généralement un moyen
elle signifiait « déféquer », le sac
En remontant au moyen allemand d’échapper à une catastrophe et de
représentant alors le ventre ou
avant le XIVe siècle, on trouve le mot rester en vie.
l’estomac.
sakman, littéralement « l’homme au Maintenant que l’origine des deux
Claude Duneton nous dit, lui, que
sac », qui désigne un brigand ou un expressions est limpide, revenons un
cette expression vient d’un terme
pillard, donc un homme qui met et court moment à notre autre accep-
de tribunal.
emporte son butin dans un sac. tion du mot salut.
En effet, il fut un temps où les do-
Récupéré par l’italien, ce mot alle- Vous ne le saviez peut-être pas, mais,
cuments officiels étaient conser-
mand devient saccomanno, avec la au vu de l’origine du mot, lorsque
vés sous forme de rouleaux.
même signification, et dont l’abré- vous saluez quelqu’un, vous lui sou-
L’avocat, pour transporter tout ce
viation sacco, utilisée entre autres haitez en fait de rester en vie ou de
dont il avait besoin pour plaider,
dans mettere a sacco (« mettre à garder une bonne santé.
n’avait alors d’autre moyen que
sac »), va donner notre sac, qui si- Mais ce sens initial étant générale-
de mettre ces rouleaux dans un
gnifie « pillage », au XVe siècle. ment oublié, le salut est simplement
sac. Et, devant les juges et jurés, il
On ne n’étonnera donc pas de l’ori- vu comme une marque de politesse,
« vidait son sac » au fur et à me-
gine identique du verbe saccager, de respect ou de déférence, telle
sure de ses besoins.
un presque synonyme de notre qu’on la retrouve dans le salut mi-
Cette expression aurait ensuite
mettre à sac, locution qui apparaît litaire.
quitté la salle du tribunal en em-
au XVIe siècle.
portant avec elle la coloration
d’agressivité qu’on y retrouve
Q Bon sang !
Q À bon entendeur, aujourd’hui.
Palsambleu !
salut ! Juron, interjection.
Que celui qui comprend bien
À l’origine, il y avait le juron par le
[ce que je veux dire ou ce que souffrance. Autrement dit, « ce-
sang (de) Dieu !, cité au XIVe siècle.
j’ai dit] en tire profit (ou fasse lui qui a bien compris trouvera son
Mais vous pensez bien qu’à cer-
attention) ! salut ».
taines périodes comme l’Ancien
Cette expression qui date du Régime (du XVe au XVIIIe siècle), par
Q Une planche de salut –
XVIIe siècle est souvent une menace, exemple, où la noblesse et le clergé
un avertissement plus ou moins
Trouver son salut étaient tout puissants, un tel juron
voilé. Un dernier moyen – Utiliser était blasphématoire.
Un entendeur, mot qui n’est plus un moyen qui permet Palsambleu serait donc une défor-
maintenant employé que dans cette d’échapper à un très grave mation « politiquement correcte »
expression, est quelqu’un qui en- ennui ou à une catastrophe. de ce juron dont on trouve déjà en
tend, mais le verbe entendre doit 1402 la version par le sanc bieu.
Le mot salut nous vient du latin sa-
être ici compris comme il était aus- Molière a utilisé par le sang bleu et
lutem, accusatif de salus, qui dési-
si employé autrefois pour signifier par la sangbleu.
gnait quelque chose en bon état, en
« comprendre », comme dans les Bon sang ! est de la même veine, si
bonne santé, entier. Il a aussi signifié
anciennes locutions entendre à de- j’ose dire.
« vie ».
mi-mot ou entendre la plaisanterie. En effet, bon sang de bon dieu est
Le salut correspond donc d’abord
Quant au salut, il ne s’agit pas du un équivalent plus récent (XIXe siècle)
à ce qui permet de conserver l’in-
tout d’une salutation, mais du fait de « par le sang de Dieu ». En
tégrité de quelque chose ou de
d’échapper à un danger ou à une version écourtée, il a donné une
quelqu’un, ou, indirectement, de le
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178 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
de nos expressions qui, elle-même Q Sentir le sapin sécrétions issues du bas-ventre, qu’il
rallongée, a donné les variantes soit masculin ou féminin.
N’avoir plus longtemps à
bon sang de bois ou bon sang de Il est donc assez logique qu’envoyer
vivre.
bonsoir. cette sauce désigne le fait d’éjaculer.
Cette expression date de la fin du Notez que dans ce cas, on dit aussi
Q Bon sang ne peut/ne XVIIe siècle. balancer la purée.
saurait mentir Le sapin ne rappelle pas uniquement Et comme en argot éjaculer se dit
les fêtes de fin d’année ou les forêts aussi décharger, il est tout aussi na-
Les enfants héritent des
toujours vertes ; si, de nos jours, on turel que, par analogie, et en liaison
qualités et des défauts de
utilise généralement des bois plus avec le symbole phallique que peut
leurs parents.
nobles, en raison de son abondance représenter un fusil, l’expression
Ce proverbe, qui est bien loin d’être et de son faible coût, il a longtemps ait pris le sens de « décharger son
toujours vérifié, date du XIVe siècle. servi à fabriquer des cercueils, au arme » ou « envoyer une rafale »
Dans son acception actuelle, il peut point qu’à la fin du XVIIIe siècle, ce vers le milieu du XXe siècle.
avoir un côté dangereux car il auto- macabre objet s’appelait aussi « une On utilise aussi mettre/envoyer la
rise implicitement le jugement d’une redingote de sapin ». sauce pour dire « lancer le moteur à
personne d’après ce que ses parents C’est donc assez naturellement, plein régime ». Cette forme date du
sont ou font. mais peu charitablement, qu’à la tout début du XXe siècle.
Mais le sens de ce proverbe a évolué fin du XVIIe siècle, on a dit de celui On a ici une image d’augmentation
avec le temps, avec des significations dont les jours étaient comptés qu’il de puissance.
aujourd’hui perdues. Ainsi Furetière commençait à sentir le sapin (avec le Enfin, en lien avec cette dernière
donne les sens suivants : sous-entendu de « entre les planches sorte de sauce, on trouve parfois
– « on fait toûjours parroistre ce duquel il va bientôt se retrouver »). balancer/envoyer la sauce avec des
qu’on est dans le fonds de l’ame », usages différents, mais où il y a
c’est-à-dire qu’on ne peut pas ca- Q Balancer/Envoyer toujours une notion de puissance
cher ce qu’on est réellement ; la sauce comme, par exemple, pour « don-
– « on a de la peine à faire des ac- ner un méchant coup » à quelqu’un
Éjaculer – Envoyer une
tions indignes de sa naissance » ; ou bien, pour un musicien dans un
rafale, décharger une arme –
– « on le dit aussi des enfans qu’on concert, « se donner à fond » ou
Augmenter la puissance (de
reconnoît par quelque mouvement bien « monter fortement le son ».
quelque chose).
de la nature. Ces deux frères étoient
brouillez, mais quand on en a at- Que, dans l’argot de la première Q Faire avancer
taqué un, l’autre l’a deffendu, bon moitié du XXe siècle, le nom sauce ait le schmilblick
sang ne peut mentir. » pu désigner le sperme n’a vraiment
Apporter des éléments
On notera que ces différentes signi- rien d’étonnant vu la consistance
permettant de progresser
fications sont un peu moins sujettes de la chose, d’autant que, dès le
dans la recherche d’une
à mauvaises interprétations que celle début du XVIIe siècle, on parlait déjà
solution.
de notre époque. de sauce d’amour pour désigner les
Souvent utilisée ironiquement sous
une forme négative à l’adresse de
Q Passer un savon celui qui propose des informations
considérées comme inutiles ou far-
Réprimander.
felues (ça ne fait pas avancer le
Autrefois, lorsque les femmes se retrouvaient autour du lavoir communal, schmilblick), cette expression est ré-
lieu d’échanges d’informations, de potins et de médisances diverses, elles y cente et nous vient de la télévision.
faisaient la lessive à l’aide de savon, certes, mais elles s’aidaient aussi souvent C’est en 1969 que Jacques Antoine
d’un battoir, large palette de bois destinée à battre le linge pour en extraire et Guy Lux ont créé un jeu télévisé
les impuretés. éponyme où la photo d’un détail
C’est d’une telle image qu’au XVIIe siècle est venue l’expression laver la tête (à d’un objet était présentée, et où les
quelqu’un) avec d’abord le sens de « battre, donner des coups » puis simple- participants devaient, en posant à
ment de « réprimander », action qui précède d’éventuels coups. tour de rôle une question, deviner
Puis dans le prolongement de l’idée, au début du XVIIIe siècle, le mot savon a quel était l’objet ainsi proposé.
désigné une réprimande, souvent sévère, et a été accompagné non seule- Lorsque la question semblait plus ou
ment du verbe passer, mais aussi de donner ou prendre, selon la situation. moins saugrenue au présentateur, il
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 179


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
demandait au participant pourquoi
il l’avait posée. Et très souvent la
Q Tout schuss
personne répondait que c’était sim- À toute vitesse. Directement,
plement pour faire avancer le schmil- tout droit.
blick, autrement dit pour essayer
Les expressions métaphoriques ve-
d’apporter une petite information
nues de la neige, et plus précisément
supplémentaire permettant d’avan-
des pistes de ski, sont peu nombreuses
cer vers la reconnaissance effective
et nous en tenons ici une belle.
de l’objet.
Tout germanophone nous dira que
Schuss désigne un tir ou un coup de
Q Séance tenante
feu, ce qui fera dire aux autres : mais
Immédiatement, sans délai. quel lien peut-il donc y avoir avec
Jeune femme sur des skis, dessin à la
le ski, si ce que prétend la phrase plume, avant 1890.
Seoir, apparu au XIe siècle, voulait dire
précédente est vrai ?
« être assis ». Par son étymologie (le
Eh bien, il se trouve qu’en allemand et à skis, Schussfahrt est un terme qui
latin sedere), il est lié au verbe (s’)
désigne une descente directe, en suivant la ligne de plus grande pente.
asseoir ainsi qu’à siège d’où vient le
Alors inévitablement, celui qui n’hésite pas à descendre les pistes « tout schuss »
verbe siéger. Or, une séance n’est-elle
(par apocope de Schussfahrt) va incontestablement à la fois tout droit et très
pas une réunion de personnes venues
vite, ce qui suffit amplement à justifier les sens de notre expression.
pour décider quelque chose, une
réunion de gens qui, sans surseoir,
« siègent » posés sur leur « séant » ?
en perdre un seul, donc la manière la Secouer les prunes est une autre
Quant à tenante, c’est simplement
plus rapide de la gagner. forme abrégée de l’expression dans
l’adjectif issu du participe présent du
Et cela permet aussi d’expliquer laquelle l’arbre est remplacé par ses
verbe tenir ; il veut donc dire « qui
pourquoi la forme en cinq secs fruits.
se tient ».
existe aussi. Elle est alors considérée Notez que se secouer les prunes
De fait, le sens normal mais ancien
comme une ellipse de en cinq coups peut aussi vouloir dire « sortir de sa
de séance tenante est « la séance
secs. léthargie, de son apathie pour s’ac-
qui est en train de se tenir » ou bien
C’est ce cinq sec qui s’est écarté tiver enfin à quelque chose ». Ou,
« au cours de la séance ». Cette
du jeu pour devenir une expression autrement dit, s’auto-secouer.
forme est apparue au tout début du
généralisée à tout ce qui se conclut
XIXe siècle.
C’est au milieu du même siècle
rapidement. Q Aller à la selle
qu’elle a pris le sens moderne, au Déféquer.
figuré. Car si la séance est tenante,
Q Secouer comme un
c’est qu’elle a lieu en ce moment
prunier – Secouer les Si l’expression date du XVe siècle, le
même.
prunes mot selle nous vient du XIIIe, issu du
latin sella qui désignait un siège, plus
Secouer fortement – Rabrouer
précisément le « siège des artisans
Q En cinq sec sévèrement, faire de vifs
qui travaillent assis » ou le « siège
reproches.
De façon expéditive. des professeurs », mais aussi, le
Si le sens de « secouer fortement » siège du cavalier ou, autrement dit,
Sec est ici un adverbe comme on
coule de source, celui de « rabrouer » la selle de cheval.
le trouvait dans payer sec (pour
est un peu moins évident. Mais il Lorsque le mot apparaît en français,
« comptant »), boire sec (« sans
s’agit simplement du sens au figuré, il sert aussi à nommer une chaise
couper le vin avec de l’eau ») ou
considérant qu’une personne qui a percée, qu’on appellera successive-
actuellement encore dans couper
eu droit à de sévères remontrances ment selle aisée, selle nécessaire puis
sec ou bien aussi sec.
en est toute retournée. Sans oublier selle percée.
Cette locution vient de l’écarté,
qu’au XVe siècle déjà, le verbe avait C’est de cette chaise, l’ancêtre de
un jeu de cartes très en vogue au
aussi le sens de « rudoyer ». notre cuvette de W-C, qu’à la fin du
XIXe siècle, où, bizarrement, l’as est
Mais pourquoi le prunier ? XIVe, par métonymie, selle (au singu-
situé entre le dix et le valet, et le roi
Cela vient probablement et tout lier) désigne les excréments. Et c’est
est la carte la plus forte.
simplement d’anciens emplois figu- de là, qu’un peu plus tard, naît notre
Jouer une partie de ce jeu en cinq
rés de prune qui, depuis le XIVe siècle, expression.
sec, c’est la jouer en cinq coups sans
désignait un coup ou une blessure.

180 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
notre train de sénateur, locution qui
Q Un coup de semonce a été popularisée par notre habituel
Q Faire semblant de –
Ne faire semblant
Un avertissement ou une fabuliste Jean de La Fontaine dans Le
de rien
mise en garde, souvent Lièvre et la Tortue.
accompagné d’une menace. Faire comme si, laisser
Q Nourri dans le/Faire paraître, feindre de – Faire
Semonce est un substantif issu du
participe passé du verbe somondre,
partie du sérail comme si de rien n’était, ne
manifester volontairement
au XIe siècle, devenu semondre au Se dit d’une personne qui
aucune réaction.
XIIe siècle, et qui à partir du XVIe siècle n’ignore rien, qui a une
équivaut à avertissement. longue expérience d’un Ces deux expressions sont très
Au début du XVIIIe, dans la marine, la certain milieu, d’un corps anciennes puisqu’elles datent de
semonce est un ordre donné à un constitué. la fin du XIIe siècle.
navire de montrer ses couleurs, au- Semblant est la forme substanti-
Le mot sérail date de la fin du
trement dit de hisser le drapeau qui vée du participe présent du verbe
XIVe siècle. Il est issu du turco-persan
permet d’en identifier l’origine. sembler lui-même issu du bas la-
serâï qui signifiait « palais » ou « hô-
Le « coup de semonce » est alors tin similare, « être semblable ».
tel ».
le premier coup de canon, tiré à Dès le XIe siècle, le verbe signifie
Il désignait aussi bien le palais d’un
blanc ou loin de la cible, qui intime de manière générale « présenter
sultan dans l’ancien Empire ottoman
l’ordre à un autre navire d’affaler les une apparence ».
qu’un harem.
voiles, de s’arrêter et de hisser des En ancien français, on disait mon-
L’image est simple à comprendre :
couleurs. Avec la menace implicite trer semblant pour « simuler ».
celui qui est né et a longtemps vécu
que si l’ordre n’est pas respecté, les Bizarrement au premier abord, si
dans un certain lieu ou milieu est
prochains coups de canon serviront on se rapporte à la simulation,
supposé le connaître parfaitement.
à couler le bateau. montrer bel semblant, voulait dire
Cette expression n’a réellement été
Et c’est depuis le début du XIXe siècle « faire bon accueil » ; mais si on
utilisée qu’à partir du XIXe siècle.
que notre coup de semonce est, hors prend sembler pour « paraître »,
On trouve aussi les formes né dans
du domaine maritime et de manière alors on comprend que bel sem-
le sérail ou bien être un enfant du
figurée, devenu un avertissement, blant puisse signifier quelque
sérail, parmi quelques autres.
souvent assorti d’une menace dans chose comme « bon accueil »,
le cas où la sommation ne serait pas l’hôte faisant tout pour paraître
respectée.
Q Chanter comme sympathique.
une seringue/une Même si les deux expressions pa-
casserole
Q Un train de sénateur raissent s’opposer, les personnes
Chanter faux. concernées adaptent leur attitude
Une démarche lente, grave et
de manière à faire croire quelque
majestueuse. Il semble qu’aucun lexicographe n’a
chose à leur entourage.
été capable de trouver une explica-
Le Sénat est une institution qui a été
tion au moins probable sur l’origine
créée dès la République romaine.
de cette locution qui date du début appréciait différemment selon les
On considère généralement le sé-
du XIXe siècle. Il n’y a que Walter capacités dudit berger.
nateur comme étant un vieux sage
Gottschalk qui signale l’analogie Quant à la casserole, seuls des gens
et le Sénat comme un conseil des
phonique avec sirène et serin et qui de très mauvaise foi pourraient pré-
anciens, un rassemblement de gens
sous-entend donc que, par plaisan- tendre qu’elle chante mieux qu’une
expérimentés.
terie, on aurait glissé vers la seringue. seringue.
Sénat vient d’ailleurs du latin senex,
Il n’est pas impossible aussi qu’il y
mot qui signifie « vieux » et qui nous
a aussi donné sénile ; mais duquel
ait un lien avec la seringue qui, en Q Avoir du sex-appeal
argot, désignait autrefois une per-
vient également le mot seigneur. Si le sens de sex ne laisse aucun
sonne très niaise. Peut-être considé-
Compte tenu de leur âge moyen, les doute, le mot appeal, lui, corres-
rait-on qu’une idiote ne pouvait que
sénateurs se déplacent à une allure pond à « attrait ». Autrement dit, le
chanter faux ?
lente, empreinte de la gravité que sex-appeal s’utilise en général à pro-
Enfin, signalons que seringue vient
leur confère leur sagesse. pos d’une personne (le plus souvent
du grec syrinx qui signifiait « tube »,
Et comme le mot allure est un sy- une femme) qui excite le désir (en
mais aussi « pipeau de berger ».
nonyme d’une des significations de 1927, le mot avait pour traduction
D’où, peut-être, un son que l’on
train, nous avons là l’explication de littérale « appel du sexe »).
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 181


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Cette appellation a un peu vieilli, au l’indignation ou la peur qu’on lui Q Le rocher de Sisyphe
bénéfice, si l’on peut dire, de qua- inflige.
Un travail difficile, toujours
lificatifs différents (« être sexy »)
recommencé, interminable.
ou nettement plus vulgaires (« être Q Ce n’est pas une
baisable »). Surtout, elle a souvent sinécure Alors que son heure était venue et
servi de remplacement à la version que Thanatos – la mort – venait le
Ce n’est pas une situation,
française plus douce et à la conno- chercher, Sisyphe réussit à l’enchaî-
un emploi, quelque chose de
tation sexuelle moins marquée avoir ner. Zeus envoya Arès délivrer le pri-
facile ou de tout repos. Ce
du chien. sonnier et emmener de force en en-
n’est pas une mince affaire.
fer son ravisseur. Imaginant une ruse,
Q Couper le sifflet Sinécure est un mot qui date du dé- Sisyphe dit à sa femme de ne surtout
but du XIXe siècle. pas lui organiser des funérailles. Une
Laisser coi.
Selon le Grand Robert, il vient du fois arrivé en enfer, il se plaignit de
Voilà une expression qui, lorsqu’elle latin sine cura, abréviation de bene- son épouse indigne, demanda et ob-
est apparue au XVIe siècle, avait un ficum sine cura qui signifiait « béné- tint la permission de retourner chez
sens autrement plus barbare. fice ecclésiastique sans souci, sans les mortels pour régler la chose. Mais
En effet, à cette époque, sifflet, au travail ». une fois sur place, il refusa de revenir
figuré, désignait le gosier, cet en- Il s’emploie à propos d’un travail où en enfer, ce qui obligea Thanatos à
droit où passe la trachée artère par on est bien payé sans avoir à fournir revenir le chercher.
laquelle on respire et qui peut siffler, beaucoup d’efforts ou plus géné- Les dieux étant très en colère contre
pendant certaines maladies. Alors ralement à propos d’une situation Sisyphe, ils le condamnèrent à rou-
couper le sifflet n’avait d’autre si- dans laquelle aucun effort n’est at- ler un gros rocher rond au sommet
gnification que « égorger », ce qui tendu. d’une montagne. Mais une fois en
était une excellente manière d’em- De nos jours, on peut fréquem- haut, en l’absence d’une zone plate
pêcher quelqu’un de s’exprimer. ment rencontrer le contresens où bloquer le rocher, celui-ci s’em-
Définitivement. « Quelle sinécure ! » pour indiquer pressait de redescendre en bas dans
On trouvait aussi serrer le sifflet pour une situation désagréable, quelque la plaine.
étrangler. chose de négatif. Peut-être utilisée Et Sisyphe de devoir recommencer sa
C’est au cours du XVIIIe siècle que d’abord comme antiphrase, cette tâche, encore et encore…
le sens s’est fortement atténué locution est maintenant un véritable
pour devenir celui d’aujourd’hui, contresens, la signification du mot Q Une solution
lorsqu’on empêche une personne de sinécure n’étant généralement pas de continuité
s’exprimer en raison de l’étonnement, connue.
Une interruption de la
continuité. Une séparation,
une rupture.
Q Vaincre le signe indien
On pourrait facilement penser
Vaincre la malchance – Briser le mauvais sort – Interrompre une
qu’une solution de continuité, c’est
série noire.
une solution pour rétablir la continui-
Le signe indien est ici une simple traduction de l’anglais indian sign, terme té de quelque chose qui s’est cassé.
qui nous vient de l’Amérique à la grande époque du Far West. Mais c’est bien de l’inverse qu’il
Dans certaines tribus amérindiennes, les shamans ou sorciers étaient sup- s’agit.
posés avoir le pouvoir de jeter une malédiction sur leurs ennemis en les Si je vous dis soluble, à quoi pen-
marquant mentalement au front d’un dessin représentant le fléau qu’ils sez-vous ? La plupart d’entre vous
souhaitaient voir s’abattre sur leurs victimes. Seuls ceux dont le cœur était penseront plutôt à quelque chose qui
pur et dont la bravoure était grande pouvaient espérer échapper aux sorts fond, qui se dissout dans un liquide.
de ces puissants sorciers. Autant dire qu’ils n’étaient pas nombreux, les Et c’est effectivement là qu’il faut
bougres ! creuser.
Ceux qui sont victimes d’une telle malédiction n’ont aucunement besoin de Car solution vient du latin classique
passer sous une échelle ou de briser un miroir pour que s’abattent sur eux solutio dont une des significations
les plus grandes calamités. était « dissolution » ou « désagréga-
Et parmi ces victimes, celles qui enchaînaient les avanies, les désillusions, tion ». Et si la continuité de quelque
les catastrophes diverses et qui, soudain, se mettent à vivre une vie calme, chose se désagrège, c’est bien qu’il y
reposante peuvent dire qu’elles ont vaincu le signe indien. a rupture de cette chose.
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182 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

C’est dès le début du XIVe siècle qu’on


a commencé à parler de solution de
Q Pas besoin de
continuité en médecine et chirurgie
sortir de Saint-Cyr/
(ou ce qui en tenait lieu) pour dési-
Polytechnique pour…
gner des plaies ou des fractures. Pas besoin d’être très
Puis, l’usage de cette expression intelligent pour…
s’est élargi à tout ce qui correspond
Cette expression précède en géné-
à une séparation ou une rupture.
ral une action quelconque à la por-
tée de tout un chacun.
Q Une bête de somme L’école militaire de Saint-Cyr est
Une personne effectuant fondée en 1802 par Napoléon
des travaux pénibles avec Bonaparte. D’abord installée à
beaucoup d’acharnement. Fontainebleau, elle émigre à Aix-
en-Provence en 1940 avant d’être
Depuis le XIIe siècle, la somme est la Napoléon Ier, empereur des Français,
fermée lorsque les Allemands oc-
charge que peut porter un cheval tableau d’Horace Vernet de 1814-1815.
cupent la zone libre. Elle est rou-
ou un mulet. C’est pourquoi, au
verte à Coëtquidan, dans le Morbihan, en 1945.
XVIe siècle, est apparue la locution bête
Elle forme les officiers de l’armée de terre. Polytechnique est une autre cé-
de somme pour désigner « une bête
lèbre école de haut niveau, fondée en 1794, au lendemain de la Révolution.
de charge qui porte des fardeaux ».
Les hommes qui sortent de ces deux écoles étant considérés comme des
C’est parce que la bête de somme
élites, ils sont supposés être d’une grande intelligence.
est lourdement chargée et éventuel-
L’expression indique que, pour comprendre ou faire certaines choses parais-
lement exploitée sans vergogne par
sant simples au commun des mortels, il n’est pas du tout utile de disposer de
son propriétaire, que la locution a, à
l’intelligence nécessaire pour sortir (par la grande porte) d’une de ces écoles.
partir du XVIIIe siècle, été utilisée au
figuré pour désigner une personne
effectuant des travaux pénibles, que des sorcières de Salem, à l’époque de souhaiter de mieux à un bébé que
ce soit volontairement ou sous la l’Amérique puritaine du XVIIe siècle. d’être béni par Dieu ?
contrainte. En 1692, à Salem Village, des jeunes Autre explication : l’éternuement au-
Au XVIe siècle, on disait aussi servir à filles accusèrent d’autres villageois rait aussi été le tout dernier acte d’un
sac et à somme pour dire « être sou- d’être des sorciers. Les accusations mourant, car Adam serait mort en
mis à des corvées ». furent prises pour argent comptant et éternuant. Mais même si l’éternue-
les accusés durent choisir entre avouer ment du mourant a disparu, l’habitu-
Q Une chasse aux ou être pendus. Cette farce tragique fit de de bénir celui qui va se présenter
sorcières tache d’huile et s’étendit rapidement à devant son Créateur est restée.
de nombreux villages et villes environ- Enfin, en Angleterre et en Écosse,
Persécution organisée et
nantes, touchant même Boston. les nourrices croyaient que, tant
généralement injuste (très
que l’enfant n’avait pas éternué, il
souvent par un gouvernement
Q À vos souhaits ! était habité par les fées et comme
contre ses opposants).
ensorcelé. Il fallait donc user de stra-
Formule traditionnelle
La métaphore qu’est notre expres- tagèmes pour que l’enfant éternue
adressée à une personne qui
sion date du milieu du XXe siècle et trois fois, seul moyen de le débarras-
éternue.
nous vient des États-Unis via une ser des mauvais esprits.
image utilisée par l’écrivain et dra- Mais d’où vient donc l’habitude
maturge Arthur Miller au moment de cette expression équivalente à Q Être dans ses petits
du maccarthysme après la Seconde « Dieu vous bénisse ! » ? souliers
Guerre mondiale. Théodore de Jolimont, au dé-
Éprouver une sensation
À cette époque, il y avait en but du XIXe siècle, explique pour sa
d’inconfort due à une
Amérique une volonté d’éliminer part que cela remonte à très loin.
situation embarrassante.
tous ceux qui de près ou même de Dans la mythologie, la première
Être mal à l’aise.
très loin pouvaient passer pour des réaction du tout premier homme
communistes ou sympathisants. Et aurait été d’éternuer et serait donc C’est à la fin du XIe siècle que le
c’est en 1952 qu’Arthur Miller fit « logiquement » devenu le premier mot soulier désigne une chaussure,
alors la comparaison avec l’épisode réflexe de tout nouveau-né. Or, que utilisé aussi bien pour des chaussures
QQQ

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 183


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
ouvertes (souliers à l’apostolique, Mais en réalité, autrefois, le mot Q En Suisse
pour des sandales) que pour celles soupe désignait la tranche de pain
Seul, sans partager avec
plus ou moins fermées (souliers de qu’on trempait dans le bouillon
d’autres.
bois, pour des sabots). et qui en ressortait forcément
Au début du XIXe siècle apparaît être « trempée comme une soupe ». En Suisse veut dire ici « comme un
mal dans ses petits souliers qui veut Ce n’est qu’avec le temps que, par Suisse ».
dire « être malade ». métonymie, le terme soupe a perdu Mais d’où vient cette assimilation
Cette métaphore liée au soulier qui son sens d’origine pour désigner le entre le Suisse et une forme de plai-
blesse parce qu’il est trop petit date bouillon initial. sir solitaire ?
du siècle précédent où l’on trouvait Une chose semble souvent admise
déjà quelques expressions comme Q Un sous-fifre par les lexicographes, c’est que notre
c’est là que le soulier me blesse Suisse vient du milieu militaire.
Employé subalterne.
ou bien chacun sait où le soulier le Selon Gaston Esnault, la locution
blesse pour « chacun connaît les En remontant dans le temps, on viendrait des gardes suisses de l’An-
failles de son caractère ». commence à trouver le sous-fifre cien Régime. D’après lui, le Suisse
L’image du soulier trop petit, donc au tout début du XXe siècle, avec le étant germanique, il ne sait pas ce
inconfortable, reste évidente dans sens de « novice » ou « apprenti ». qu’est la tournée française et, même
notre version de l’expression, qui est Notre signification actuelle en dé- s’il boit en compagnie, il paye son
attestée en 1830, métaphore qui peut coule directement. propre verre et donc, il boit « seul »,
s’utiliser dès que quelqu’un est très C’est vers les années 1880 que le n’invite pas ses collègues.
mal à l’aise, quelle qu’en soit la raison. fifre désigne entre autres un homme
maladroit, d’où le lien avec notre Q Le supplice de Tantale
Q Cracher dans la soupe sous-fifre, au sens assez méprisant.
La frustration d’une personne
Mais le fifre c’était aussi un liard,
Critiquer en mauvaise part ce qui voit ses désirs toujours
une monnaie de très faible valeur (le
dont on tire avantage. sur le point d’être réalisés,
quart d’un sou).
mais dont les espoirs sont
La soupe, c’est ce qui nourrit donc, On commençait à trouver ici un sens
chaque fois déçus.
plus largement et au figuré, ce qui de petitesse qui nous vient en fait de
permet de vivre. Elle symbolise aussi fiferlin ou fifrelin, dont dérive fifre, Dans la mythologie, Tantale était le
le profit (notion qu’on retrouve dans mot qui désignait une petite chose ou fils de Zeus et de la nymphe Plota.
par ici la bonne soupe ! qui veut dire de la monnaie de très faible valeur. Selon les sources, les torts de Tantale
quelque chose comme « à moi les C’est cette valeur ténue qui a déri- sont variables : pour les uns, il aurait
bénéfices/les avantages ! »). vé vers la petitesse en compétence dérobé du nectar et de l’ambroisie,
Alors cracher dessus ou dedans, avec ou en pouvoir qu’on retrouve au- les boissons des dieux, pour les faire
toute la connotation de mépris que jourd’hui dans notre sous-fifre. goûter aux mortels. Pour d’autres, il
cette action peut avoir, c’est montrer QQQ

vraiment peu de considération pour


cette « nourriture » pourtant indis-
Q Casser du sucre sur le dos (de quelqu’un)
pensable ou pour les avantages ou
bénéfices qu’on peut en tirer. Dire du mal (de quelqu’un) en son absence.
Cette métaphore est utilisée depuis
Autrefois, on disposait d’un bloc (un pain) de sucre qu’il fallait casser en petits
le début du XIXe siècle.
morceaux, au fur et à mesure des besoins. C’est donc dans une telle situation
qu’on « casse du sucre » !
Q Trempé comme une Au XIXe siècle, le verbe casser, parmi ses usages argotiques, signifiait aussi « mé-
soupe dire » ou, plus exactement, « révéler des choses désagréables sur quelqu’un ».
Complètement mouillé. Par ailleurs, et depuis bien plus longtemps, des paroles sucrées étaient des « pa-
roles flatteuses », en liaison avec la douceur du sucre. Alors, il n’est pas impos-
Cette expression nous vient du
sible que, par antiphrase, en mêlant cette signification du verbe casser, en lien
XVIIIe siècle.
avec ce pain de sucre qu’il faut briser, et le contraire de paroles flatteuses, on
Si on essaye de la comprendre au-
ait abouti à casser du sucre, apparu au cours de la seconde moitié du XIXe siècle.
jourd’hui, on pourrait croire qu’elle
C’est à la fin du même siècle que le complément sur le dos a été ajouté. On peut
veut dire « aussi mouillé qu’une
y voir le poids des médisances qu’on fait porter à l’absent sur son dos, mais aussi
soupe peut l’être », ce qui paraîtrait
le fait que ces méchancetés sont dites dans son dos, c’est-à-dire en son absence.
absurde.

184 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
aurait servi aux dieux son propre fils Par extension, le coup de tabac utilisé
Pélops en ragoût au cours d’un re-
Q Passer à tabac hors de la marine désigne parfois un
pas, après l’avoir égorgé. Rouer de coups. événement brutal susceptible d’avoir
Quoi qu’il en soit, Tantale avait forte- des conséquences importantes.
Si cette expression ne date que
ment fauté à l’encontre des divinités
du dernier quart du XIXe siècle, son
et il fut condamné pour toujours à
origine remonte au radical tabb-
Q Faire table rase
souffrir de soif et faim. Chaque fois
qui exprime l’idée de frapper et Considérer comme nulles
qu’il se penchait pour boire l’eau
qu’on trouve dès le XIIIe siècle dans et inexistantes des idées
qui l’entourait, celle-ci se dérobait
des dialectes du sud de la France de conduite adoptées
et lorsqu’il tendait les mains pour
en Provence et en Occitanie, ou précédemment, les rejeter en
cueillir les fruits qui garnissaient les
dès le XVe dans plusieurs verbes bloc – Reprendre de zéro une
branches à sa portée, ces dernières
dont tabuster qui voulait dire procédure de recherche de
s’éloignaient poussées par le vent.
« battre » ou « frapper ». quelque chose (explication,
Symbole même de la frustration per-
C’est avec ce radical qu’un tabas solution, criminel…).
manente, Tantale ne pouvait obtenir
argotique est apparu (il donne-
les choses pourtant à sa portée dont La notion de « table rase » nous
ra le verbe tabasser au début
il avait tant envie. vient du latin tabula rasa qui dési-
du XXe siècle), vite remplacé par
Malgré l’âge de l’histoire qui lui gnait une tablette de cire vierge,
l’homophone tabac, par croise-
sert de base, ce n’est qu’au milieu sans aucune inscription ; Aristote en
ment avec le nom de l’herbe à Ni-
du XIXe siècle que cette expression a fait une métaphore pour représen-
cot, mot qui au tout début du XIXe
apparaît. ter l’âme à sa naissance, vierge de
a désigné « une volée de coups ».
toute connaissance et de toute idée.
Ce qui suffit alors à expliquer
Q Faire un tabac l’usage de ce tabac-là avec pas-
On retrouvera cette image du support
vierge sur lequel rien n’est encore
Obtenir un franc succès. ser à au sens de « soumettre à
écrit au XVIIe siècle en philosophie.
l’action de », rôle qu’aurait eu du
L’origine de cette expression qui est L’expression faire table rase, elle, date
mal à remplir le tabac à rouler ou
attestée à partir de 1970 n’est pas bien du XIXe. Elle reprend l’idée de la
à chiquer.
certaine. virginité, mais volontairement provo-
Elle est à rapprocher de avoir le gros quée : on efface, on oublie tout ce qui
tabac qui, au début du XXe siècle, Q Un coup de tabac existe, ce qui a déjà servi et on repart
signifiait « être très applaudi », pour de zéro, sur de nouvelles bases.
Une tempête en mer,
un comédien de théâtre. On peut aisément imaginer la table de
soudaine et violente –
Le mot tabac a eu de nombreux travail encombrée des documents qui
Un événement brutal aux
sens depuis le début du XIXe siècle. ont inutilement servi à avancer dans
conséquences lourdes.
On en retrouve une partie dans les des directions sans réelle issue, table
locutions passer à tabac (« rouer de Dès le XIIIe siècle, on trouvait dans le que, d’un mouvement du bras, on
coups ») et un coup de tabac (un sud de la France des verbes comme débarrasse de tout ce qui la jonche
orage soudain qui malmène un ba- tabassar ou tabustar qui signifiaient (la table devient rase) pour tenter de
teau en mer). « donner une volée de coups » ou repartir avec de nouvelles hypothèses,
Si l’étymologie se trouve bien là, « secouer, molester ». dans de nouvelles directions.
alors c’est que le bruit du tonnerre Le mot tabac, qui aurait dû être tabas
qui roule (celui du coup de tabac) mais qui a vite été croisé avec tabac Q Rendre son tablier
a pu être comparé à la salve d’ap- (à chiquer ou fumer), est issu de
Refuser de poursuivre son
plaudissements que reçoit celui qui ces verbes pour désigner un ou des
service – Quitter son emploi,
fait un tabac. On peut aussi penser coups. D’ailleurs, au XVIIe siècle, don-
abandonner.
aux coups donnés avec le pied pour ner du tabac voulait dire « se battre ».
accompagner les applaudissements C’est au début du XIXe que notre ex- Il est fréquent pour un employé de
et faire un maximum de bruit pour pression apparaît chez les marins. maison, lorsqu’il en a assez d’être
montrer la haute appréciation qu’on L’association de coup et tabac est un exploité, de rendre son tablier.
a eue de la pièce. renforcement destiné à insister sur la Car lorsqu’un domestique porte un
Il existe aussi la version en faire tout violence de l’événement redouté. tablier, il est assez logique que, pour
un tabac qui signifie « en faire toute C’est vers la fin du même siècle manifester son intention de s’arrêter
une histoire ». Mais c’est une autre qu’apparaîtra, avec la même origine, de travailler, il l’enlève et le rende à
histoire… l’expression passer à tabac. son employeur.
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 185


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Il n’en a pas fallu plus pour que, Mais, sous sa forme actuelle, c’est
de son sens initial, notre expression
Q Être piqué une expression classée X puisque,
prenne la signification de « démis-
de la tarentule d’après Alfred Delvau dans son Dic-
sionner », même pour quelqu’un Être très agité – Éprouver tionnaire de la langue verte, elle
ne portant pas cette pièce vestimen- un grand engouement pour nous vient des élèves de l’école Po-
taire. quelque chose. lytechnique pour lesquels, à la fin du
Selon Lorédan Larchey, cette expres- XIXe siècle, elle signifiait « s’échapper
sion apparaît à la fin du XIXe siècle de l’école » (ou « faire le mur »).
(on disait quitter son tablier un siècle Chez les X, la tangente, c’est aussi
auparavant), à une époque où le l’épée de leur uniforme.
personnel de maison portait effecti-
vement plus facilement le tablier que Q Tant pis – Tant mieux
de nos jours.
C’est dommage, la chose est
regrettable – La chose est
Q Sans tambour ni très appréciable.
trompette
Ce pis-là date du XIIe siècle et vient
Discrètement, secrètement,
du latin pejus, neutre du comparatif
sans bruit.
pejor qui a donné pire, mot qui dans
Autrefois, les troupes militaires par- notre langue actuelle a supplanté pis
tant à l’assaut de l’adversaire étaient qui était aussi un comparatif de mal
Araenus diadematus, Ernst Haeckel.
accompagnées de musiciens, tam- et qu’on ne retrouve plus que dans
bours et trompettes principalement, Voilà une expression un peu quelques expressions.
chargés de donner du baume au désuète qui date du XVIIIe siècle Mieux est depuis bien longtemps
cœur à ceux qui partaient à l’abat- et qui s’emploie pour désigner également le comparatif de bien, at-
toir. une personne agitée, mais pas testé dès le début du XIIIe siècle.
En cas de mauvaise fortune, la re- dangereuse pour son entourage, Les deux locutions adverbiales, elles,
traite pouvait aussi être accompa- ou une personne passionnée. datent du XVIe ou du XVIIe siècle.
gnée par ce qui restait des musiciens. La tarentule (anciennement ta- Mais quelle est la signification de
Mais lorsque la troupe devait décam- rente, nom issu de la ville ita- tant ? Les lexicographes n’ont pas
per le plus discrètement possible, il lienne éponyme de Tarente où été très diserts sur ce sujet, mais
va de soi qu’il était hors de question elle était commune) est une selon certains, il faudrait y voir une
d’ajouter du bruit à celui des mouve- grosse araignée dont la mor- forme raccourcie de « la chose
ments. Dans ce cas, les soldats par- sure passait pour provoquer des est tellement bien qu’elle est très
taient sans tambour ni trompette. troubles nerveux et même la appréciable », la notion de quantité
Venue du monde militaire en 1650, mort. de tellement remplacée par le tant
mais précédée un peu avant par sans Les troubles se traduisaient entre (qui désigne aussi souvent une quan-
trompette et sans tambour, cette autres par une agitation extrême, tité) et, pour en accentuer la force, le
expression s’est généralisée à toute d’où la naissance de l’expression. bien remplacé par le mieux.
action effectuée discrètement ou se- Par extension, une excitation pou-
crètement. vant aussi être provoquée par une Q Être au taquet
passion pour quelque chose, la
Avoir atteint une limite
Q Prendre la tangente locution évoque aussi l’engoue-
maximum, infranchissable –
ment important pour cette chose.
S’échapper, se dérober – Se Être, se donner à fond.
tirer d’affaire adroitement.
Si on met de côté le sens argotique
On peut donc dire que le caillou
En géométrie, une droite est dite de « coup à la figure », un taquet,
« prend la tangente » lorsqu’il
tangente à un cercle lorsqu’elle ne le c’est, par exemple : un morceau de
s’échappe de l’emprise de son lan-
touche qu’en un seul point. bois servant à tenir une porte fermée
ceur, ce qui permet ainsi de donner
Pour l’utilisateur d’une fronde, une (XVe siècle) ; un coin de bois qui sert à
une origine liée à la physique des
telle droite matérialise la trajectoire caler un meuble (XIXe siècle), etc.
mouvements à notre métaphore.
de départ du projectile lorsqu’il est Dans tous ces cas, donc, et d’autres
Et c’est bien le cas pour sa forme
lâché après qu’il ait été accéléré sur encore, le taquet sert à bloquer
ancienne s’échapper par la tangente
une trajectoire circulaire. quelque chose.
qui date de la fin du XVIIIe siècle.
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186 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
On comprend donc que de Et c’est bien « sur le tas » qu’on Q Prendre le taureau
quelqu’un sur une mobylette trafi- apprend son métier. par les cornes
quée, la manette de gaz à donf, on Cette notion de tas vient de la ma-
Affronter un problème de
puisse dire qu’il est au taquet, la poi- çonnerie où tas a d’abord désigné
face et avec détermination,
gnée d’accélération étant en butée. l’endroit où étaient taillées les pierres
sans chercher à le contourner.
De même, dans un sens plus figuré, à bâtir avant qu’il qualifie l’endroit
on peut dire de quelqu’un qui est dé- même où les murs étaient construits Il existe des formes de combat
bordé de travail qu’il est au taquet. (être sur le tas était synonyme de ou de spectacle où des individus
En escalade, être taquet ou être à/au être à pied d’œuvre). s’amusent, en approchant un tel ani-
taquet, c’est être à la limite de la chute, mal par le côté, à lui saisir les cornes
par épuisement ou pour avoir pris Q Partir à Tataouine et, en s’y agrippant et en forçant sur
une voie supérieure à ses capacités. sa tête, à le faire se coucher à terre.
Partir très loin, au bout du
On a toujours la notion de limite, C’est une telle action que métaphorise
monde – Partir en enfer.
mais qu’on a peut-être un peu dé- notre expression, car il faut effective-
passée, cette fois. Au début du XXe siècle, lorsque les ment beaucoup de détermination pour
soldats déserteurs et les insoumis s’attaquer de front à un tel obstacle.
Q Sur le tas des « Bat d’Af’ », ainsi que les Les lexicographes modernes indiquent
condamnés de droit commun étaient que l’expression est apparue sous
Sur le lieu de travail.
envoyés au bagne de Tataouine, aux cette forme au milieu du XIXe siècle,
Officiellement, un tas est un amas, portes du désert du sud-est tunisien, avec à la fin du siècle précédent
une masse informe de substances ils en avaient pour un moment avant attaquer le taureau par les cornes.
généralement lourdes comme des d’arriver, avec le fort risque de ne plus
pierres, du sable, etc. posées au sol en repartir vu la rigueur du climat et Q Le téléphone arabe
sans volonté d’arrangement. le droit de vie ou de mort des chefs
La transmission très rapide
Le Robert nous indique que c’est du bagne sur leurs prisonniers.
d’une information par le
aussi : « Des matériaux de construc- Vous allez me dire que le bagne de
bouche à oreille.
tion rassemblés sur le lieu même où Cayenne était encore plus loin. Certes,
l’édifice va être bâti. » mais il faut croire que les conditions Cette expression est apparue au
Et c’est cette dernière signification de vie étaient nettement plus dures cours de la première moitié du
qui a un lien avec notre expression à Tataouine pour que ce soit ce lieu XXe siècle avec le mot téléphone,
qui date de la fin du XIXe siècle. En qui ait donné naissance à une telle parce que l’information circule si vite
effet, le lieu de la construction, c’est expression, avec une connotation non qu’elle peut donner l’impression que
aussi le lieu du travail. seulement d’éloignement très impor- les deux personnes placées aux ex-
Ainsi, une grève « sur le tas » est tant, mais aussi de lieu insupportable trémités de la chaîne de transmission
bien une grève sur le lieu de travail. (selon le second sens). ont utilisé un téléphone.
Et aussi, avec un peu d’ironie, pour
montrer que même sans moyens de
Q Une tarte à la crème communication évolués, une informa-
tion peut très rapidement se propager.
Un lieu commun. Une formule rebattue, vidée de son sens.
Et pourquoi arabe ?
En vogue à l’époque de Molière, le corbillon était un jeu où il fallait répondre Parce que l’expression est née par
à une question en citant le plus grand nombre d’objets se terminant par on, référence aux pays nord-africains
donc rimant avec corbillon. où, avant que les technologies mo-
Dans L’École des femmes de Molière, Arnolphe explique que la femme idéale dernes ne se répandent, les infor-
doit être d’une si grande ignorance, qu’au jeu du corbillon, elle doit ré- mations importantes circulaient déjà
pondre « tarte à la crème » à la question « qu’y met-on ? ». très rapidement par le bouche à
Puis dans La Critique de l’École des femmes, le même Molière, dans un court oreille, via des messagers ou directe-
dialogue, réussit à faire prononcer plus de dix fois « tarte à la crème ». Dans ment à travers la population.
cet effet comique de répétition, tarte à la crème est une locution dont les Cette appellation peut aussi avoir un
interlocuteurs se repaissent de façon stérile. C’est de ces répliques que vient côté péjoratif en raison des presque
le sens de formule creuse, de lieu commun qu’a notre expression. inévitables déformations successives
Mais pourquoi une tarte à la crème ? Probablement de l’habitude qu’avaient de l’information, pour obtenir à l’arri-
les spectateurs de l’époque de lancer des pommes cuites ou des tartes aux vée quelque chose qui peut ne rien à
pommes (et à la crème) sur les acteurs lorsqu’ils étaient mécontents. voir avec le message d’origine.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 187


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Au temps/Autant pour les crosses, etc.). De ce sens […] complètement comme on aurait dû.
pour moi on a pu glisser à l’emploi figuré. On Or, il apparaît qu’on trouve, chez An-
dit au temps pour moi pour admettre toine Oudin en 1656, dans son Curio-
Se dit lorsqu’on admet avoir
son erreur […] la graphie autant pour sitez françoises pour supplément aux
commis une erreur.
moi est courante aujourd’hui, mais dictionnaires la locution autant pour
Cette expression a fait et continuera rien ne la justifie. » le brodeur signifiant « raillerie pour
certainement à faire couler beaucoup Mais on ne trouve pas vraiment, dans ne pas approuver ce que l’on dit ».
d’encre. la littérature ancienne, de trace écrite Mais après, comment expliquer pour-
Voici un extrait d’une page du site de de ce au temps… ! quoi on a du mal à trouver d’autres
l’Académie française, très affirmative Si l’on admet la graphie autant pour traces écrites de ce même autant
sur l’origine de cette expression : moi, on pourrait imaginer une sorte pour… avant le XXe siècle ?
« […] “au temps !” se dit pour de moquerie, accompagnée d’indul- Alors quelle graphie faut-il retenir ?
commander la reprise d’un gence, adressée à soi-même à propos Je vous laisse faire le choix en votre
mouvement depuis le début (au temps d’une chose qu’on n’aurait pas faite âme et conscience.

si petite qu’elle sera très vite résolue seconde par l’édition de 1935, mais
Q Une tempête ou contournée. Autrement dit, elle elle daterait de la fin du XVIIe siècle.
dans un verre d’eau importe peu, ce qui explique le pre-
Beaucoup de bruit ou mier sens indiqué. Q Être terre-à-terre
d’agitation pour pas grand- Cette forme impersonnelle est appa-
Avoir un esprit peu capable
chose. rue à la fin du XVIIe siècle. À son début,
de se détacher des choses
on disait plutôt : « À cela ne tienne ! »
Quelles sont la taille et la force des communes. Être prosaïque,
vagues qu’une tempête pourrait bien matériel, sans ambition.
provoquer dans un verre d’eau ?
Q Un tiens vaut mieux
Ce ne serait qu’une toute petite agi-
que deux tu l’auras – Cette locution existerait depuis le
tation dérisoire, sans aucun effet dé-
Mieux vaut tenir que XVIIe siècle.

vastateur que ce soit aux limites ou


courir Elle a d’abord signifié « à ras du
sol », d’abord employée au sens
en dehors du verre. Une chose obtenue vaut
propre pour les chevaux lorsqu’ils
On peut donc considérer sans risque mieux que des choses
progressent par petits sauts ou les
de se tromper qu’un avis de tempête attendues ou promises –
danseurs qui exécutent leur pas
dans notre verre d’eau ne serait que Un avantage réel, même
sans sauter, donc dans les deux cas,
beaucoup de bruit pour pas grand- modique, vaut mieux qu’un
en restant toujours très près du sol
chose et ne risquerait pas de semer profit illusoire bien plus
(la « terre »), en ne s’élevant pas.
la panique. considérable.
À la fin du même siècle, elle a pris
La première attestation de cette
Ceux qui écrivent le premier pro- le sens toujours compris aujourd’hui
expression date de 1849.
verbe sans s à tiens comprennent d’une personne dont l’esprit n’est
l’expression comme « ce qui est déjà pas capable de s’élever ou de faire
Q Qu’à cela ne tienne ! à toi est préférable à ce qui pourrait un peu abstraction des contraintes
Peu importe ! Que cela ne soit l’être et qui ne le sera peut-être ja- quotidiennes.
pas un obstacle ! mais », ce qui n’est pas faux. Mais Pol Corvez, dans son Diction-
Mais la forme d’origine comporte naire marin des sentiments et des
C’est depuis le début du XIIIe siècle
le s, une conjugaison du verbe tenir comportements, nous propose une
que le verbe tenir est utilisé dans
qui fait comprendre que « ce que tu origine plus ancienne qui daterait de
la locution tenir à pour indiquer un
tiens déjà est préférable à ce que tu la fin du XIIe siècle où, aller terre-à-
rapport de dépendance, d’effet à
pourrais peut-être tenir plus tard ». terre signifiait « naviguer de port en
cause.
Le second proverbe, de la même fa- port ».
Dans notre expression, le cela
çon, indique qu’il vaut mieux tenir De ce faible éloignement systéma-
désigne une difficulté, un obstacle
quelque chose que courir inutile- tique de la terre serait apparu le sens
qui a été cité juste auparavant
ment après autre chose. figuré, par comparaison avec l’esprit
dans la conversation et qui est ici
La première de ces locutions prover- qui n’est pas capable de « s’éloi-
considéré comme une broutille.
biales est citée par le Dictionnaire gner » des choses communes.
Celui qui la prononce tient le raison-
de l’Académie française de 1835, la
nement selon lequel la difficulté est

188 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Une fois Zeus adulte, il réussit à faire


Q Décrocher la timbale/le coquetier/le cocotier régurgiter ses frères à son père et,
aidé par eux et les Cyclopes, il le
Obtenir une chose disputée, un résultat important – S’attirer des
combattit et prit sa place.
ennuis à force de maladresse.
Au cours de cette longue lutte féroce,
Le mât de cocagne est ce poteau, enduit de graisse ou de savon, les Titans voulurent atteindre le ciel
au sommet duquel on suspendait des objets divers et des victuailles. où Zeus était réfugié. Pour ce faire, ils
Le jeu consistait alors à grimper au mât et celui qui arrivait à décrocher une entassèrent l’une sur l’autre les trois
partie du butin pouvait se féliciter de la chose : il avait obtenu un sacré montagnes les plus hautes de Grèce,
résultat. l’Olympe, l’Ossa et le Pélion.
D’où le sens premier de l’expression. Même si c’étaient des géants extrê-
Parmi les objets pouvaient se trouver une timbale ou un coquetier, d’où mement forts, l’ampleur de la tâche
l’usage de ces mots dans les deux premières variantes de la locution, la troi- fut colossale (on peut aussi dire tita-
sième n’étant qu’une déformation amusante de la deuxième. nesque !).
Par antiphrase, l’expression a également pris le second sens proposé, C’est par comparaison avec cet
la personne concernée ayant réussi à « gagner » des ennuis grâce à sa énorme travail que l’expression est
constance dans la maladresse. née au milieu du XIXe siècle.

Q À tombeau ouvert
Q Par tête de pipe Le seul point de convergence,
concernant le terme larigot, est qu’il À une vitesse très
Par personne.
a désigné une petite flûte. dangereuse. Trop vite.
Cette expression s’utilise familiè- Mais l’absence de certitude sur
Cette expression qui date de la fin du
rement lorsqu’on comptabilise des l’usage de ce mot ne permet pas
XVIIIe siècle s’utilise après des verbes
personnes : « il y aura 1/2 litre de vin non plus d’expliquer pourquoi c’est
indiquant le déplacement comme
par tête de pipe », par exemple, lors précisément larigot qui a été privilé-
galoper (à l’époque), rouler, aller…
d’un repas, ou bien « Levallois-Perret gié dans notre expression.
Ici, aucun second degré, puisque la
a une dette équivalente à 9 030 eu- Pierre-Marie Quitard, dans son Dic-
métaphore doit être comprise au
ros par tête de pipe ». tionnaire étymologique, historique
sens littéral des termes : celui qui
Au XIXe siècle, la locution tête de pipe et anecdotique des proverbes, ex-
roule « à tombeau ouvert » va si vite
seule était péjorative puisqu’elle plique que dans la cathédrale de
qu’il risque sa vie et va inexorable-
s’appliquait à un visage aux traits Rouen se trouvait une très lourde
ment et volontairement terminer sa
grossiers, par allusion aux têtes assez cloche nommée La Rigaud ou La Ri-
course directement dans le tombeau
grossières sculptées sur le fourneau gaude. En raison de ses dix tonnes,
qui l’attend grand ouvert.
de certaines pipes. elle était extrêmement difficile à
Puis au XXe siècle, c’est le croisement mettre en branle et à faire sonner.
de par tête, avec le même sens que Ses sonneurs étant très vite assoiffés
Q Tomber à l’eau/
notre expression, où la tête désigne par l’effort intense à fournir pour
dans le lac
simplement une personne, et de tirer sur les cordes, ils devaient vite Échouer, rester sans suite, ne
tête de pipe qui a enfanté notre lo- boire « à tire la Rigaud », qui se serait pas aboutir (en parlant d’un
cution. ensuite transformé en à tire-larigot. projet ou d’une entreprise).
Chronologiquement, vers le XVIIIe siècle,
Q À tire-larigot Q Un travail de titan on trouve d’abord l’expression tomber
En grande quantité, Un travail énorme, colossal, dans le lac dont on imagine très bien
énormément ou même gigantesque. qu’elle a pu se transformer en tomber
excessivement. dans l’eau au XIXe, avant de devenir
Selon la mythologie grecque, les Ti-
notre tomber à l’eau.
Cette expression semble apparaître tans sont des divinités qui ont pré-
Mais le lac est-il vraiment un lac ?
au début du XVIe siècle et n’était cédé les fameux dieux de l’Olympe.
Probablement pas !
associée à l’époque qu’au verbe L’un d’eux, Cronos, détrôna son
En effet, au XIIe siècle, un lacs
boire. père après l’avoir émasculé et, par
désignait un nœud coulant destiné
Tirer voudrait dire « faire sortir un peur d’être détrôné, avala tous ses
à capturer le gibier ou certains
liquide de son contenant » et à tire enfants au fur et à mesure de leur
animaux nuisibles (lacs et lacet
voudrait dire « sans arrêt, d’un seul naissance, sauf Zeus qui lui échappa.
ayant la même étymologie), et
coup ».
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 189


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

tomber dans le lacs, c’était littéra- Et c’est bien celle en usage ici, la per- disait « tu brûles ! », brûler indi-
lement « tomber dans le piège », sonne passant d’un état « normal » quant la proximité.
puis figurément, mais beaucoup à un autre état où elle est enceinte, Le torchon brûle voudrait donc sim-
plus tard, « tomber dans l’embar- malade ou amoureuse, voire les trois plement dire « les coups sont très
ras/dans la misère ». en même temps, à la condition ex- proches ».
À cette époque, lacs se prononçait la. presse qu’il s’agisse d’une femme.
Ensuite, au XVIIIe, alors que l’usage du Q Y a pas à tortiller du
lacs se perdait, sa prononciation s’est Q Le torchon brûle cul (pour chier droit
transformée en lac, ce qui a entraîné dans une bouteille)
La discorde règne (le plus
la confusion avec le lac en même
souvent au sein d’un couple). On ne peut plus hésiter, il faut
temps que l’évolution du sens.
trancher, il faut prendre une
Le Dictionnaire historique de la
décision – C’est indéniable.
Q Tomber enceinte/ langue française indique que le
malade/amoureux… premier sens du mot torchon, C’est au XVIIe siècle qu’on trouve
au XIIe siècle, correspondait à un l’expression tortiller sa pensée pour
Passer à l’état de personne
coup que l’on donne. D’où le désigner des cheminements de pen-
enceinte/malade/amoureuse.
rapprochement avec la bagarre qui sée compliqués.
Ce qui étonne en général dans cette s’annonce lorsque le torchon brûle. Par opposition, on pouvait donc dire
expression, et qui en justifie la pré- Quant au Dictionnaire de l’Académie il ne faut pas tortiller sa pensée, as-
sence ici, c’est l’usage du verbe tom- française de 1798, il nous dit ceci : sez vite raccourci en un il ne faut pas
ber, généralement associé à quelque « Torchon, se disoit aussi au sens de tortiller attesté en 1756.
chose de brutal, que ce soit une Torche. De là le proverbe populaire, Mais avant, à la fin du XVIIe siècle, on
chute ou un choc, par exemple. Le torchon brûle entre eux, ou sim- trouvait déjà un tortiller du cul, ap-
Il faut donc simplement se rappeler plement, Le torchon brûle, pour dire, pliqué aux femmes qui marchent en
que, parmi les nombreuses accep- Il y a entre eux un sujet de discorde se déhanchant.
tions de ce verbe multi-usages (tom- allumé. » La combinaison des deux a donné,
ber la veste, tomber une femme, Pour Claude Duneton, l’expression à la fin du XVIIIe siècle, un il ne faut
tomber un adversaire, tomber sur serait un double jeu de mots. pas tortiller du cul avec le même
quelqu’un, tomber en désuétude, D’abord, torchon serait une plaisan- sens que notre expression. Au fil du
tomber de haut…), il en est une qui terie basée sur torcher ou se torcher temps, l’ensemble s’est raccourci en
signifie « devenir » ou « passer d’un au sens de « se battre ». y a pas à tortiller.
état à un autre » lorsque le verbe est Ensuite, vous vous rappelez certai- Quant à la version étendue, qui ne
suivi d’un attribut. nement ce jeu où, gamin, on vous contient pas toujours dans une bou-
teille, elle est citée en 1977 par Fran-
çois Caradec dans son Dictionnaire
Q Tonnerre de Brest ! du français argotique et populaire.
Juron de marin.
Q Être mis/Rester
Il existe deux explications sur l’ori- sur la touche –
gine de l’expression. Les deux Botter en touche
convergent sur le fait que ce ton-
Être mis/rester à l’écart –
nerre était un coup de canon et,
Éluder un problème en
selon certains le nom du canon lui-
déplaçant l’objet du débat.
même.
Les deux raisons d’entendre ce coup Ces expressions datent du début du
de tonnerre très particulier étaient XXe siècle.
les suivantes : Louis François Cassas (1756-1827), Brest, Dans les jeux de ballon, la « touche »
Penfeld harbour in 1777.
– les tirs (effectués à blanc) qui mar- est la zone où on n’a plus le droit de
quaient la vie de l’arsenal brestois, à chaque ouverture et fermeture des jouer.
portes ; Les bancs de touche sont ceux où
– les tirs qui signalaient les évasions du bagne de Brest. On peut d’ailleurs sont assis les joueurs exclus ou en
noter que les tirs effectués pour les évasions s’entendaient loin dans la rade attente de rentrer sur le terrain.
de Brest, entre autres jusqu’à Landerneau, et que, selon certains, ce serait là Être mis sur la touche, c’est donc
l’origine de l’expression cela va faire du bruit dans Landerneau. être exclu de la partie, qu’il s’agisse
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190 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
d’un jeu, de négociations, d’une
direction d’entreprise, etc.
Q La tournée des grands-ducs
Cette touche est aussi la zone où un Une sortie luxueuse, dispendieuse.
joueur peut envoyer le ballon, soit
À la fin du XIXe siècle, attirés par l’attrait de Paris, la ville Lumière qui venait
pour permettre à ses équipiers de
d’être « refigurée » par le baron Haussmann et rendue propre grâce à l’arrêté
se replacer sur le terrain, soit pour
du préfet Eugène Poubelle, les princes de la famille impériale russe – appelés
éloigner un danger de la part des
grands-ducs –, désœuvrés, mais riches et voyageurs, venaient régulièrement
adversaires.
en goguette dans la capitale où ils allaient de cabaret en cabaret, de spectacle
C’est de cette action de « botter en
en spectacle, de lieu de plaisir en lieu de plaisir, en dépensant sans compter.
touche » que la seconde expression
C’est tout simplement de ces longues virées nocturnes et coûteuses qu’est
a pris un sens figuré pour désigner
née notre expression.
celui qui réussit habilement à ame-
Cela dit, on ne peut s’empêcher de penser que le choix du terme grand-
ner une discussion, par exemple, sur
duc, au lieu de prince ou tsar, par exemple, a pu être influencé par l’oiseau
un autre terrain que celui initiale-
nocturne, en raison à la fois de son port altier et du fait que, pour trouver sa
ment évoqué.
pitance, le grand-duc peut faire de très longues virées.
Q Faire une touche
comme en sa tour d’ivoire, avant est pour eux une victoire, de notre
Obtenir un signe d’intérêt de
midi, rentrait. » côté de la Manche cette bataille na-
quelqu’un à qui l’on semble
Mais pourquoi cette image ? vale a été si désastreuse et de façon
plaire.
La tour est pour le poète le symbole si inattendue, qu’elle a donné nais-
Les pêcheurs connaissent parfaite- du lieu surélevé où il peut s’isoler du sance à notre expression.
ment l’origine de cette expression monde, au calme, loin de l’agitation
qui date du début du XXe siècle. des masses qu’il méprise, afin d’y Q Être en train de…
En effet, à la pêche, on a une touche ciseler tranquillement des vers, de
Être occupé à…
lorsque le poisson mord à l’hame- manière aussi fine et minutieuse que
çon, chose qu’on repère générale- l’artiste qui travaille l’ivoire. Voilà une locution adverbiale dont la
ment soit parce que la ligne se tend, Avec la tour d’un côté et le travail de forme nous vient du XVe siècle, mais
soit parce que le bouchon s’enfonce. l’ivoire de l’autre, vous tenez là votre dont le sens a évolué au fil du temps.
C’est par analogie avec le monde tour d’ivoire. À la fin du XVe, en train (sans le de)
de la pêche qu’est née notre expres- veut dire « en action », « en mouve-
sion : un individu, considéré comme Q Un coup de Trafalgar ment » ou encore « en cours d’exé-
un prédateur, « fait une touche », cution ». Il fallait donc un certain
Un accident désastreux
lorsqu’une autre personne, consi- entrain pour être « en train ».
et généralement inattendu.
dérée comme la proie, « mord » à Au milieu du XVIe, en train de marque
Un très mauvais coup.
l’hameçon virtuel qu’on lui tend et l’imminence d’une action ; au mi-
commence donc à se laisser prendre. Le 21 octobre 1805, dans l’océan lieu du XVIIe, elle indique cette fois
Atlantique, à proximité du cap de quelqu’un qui est « disposé à » ; et
Q Une tour d’ivoire Trafalgar, le borgne et manchot Nel- ce n’est qu’en 1731, chez Marivaux,
son (il a perdu un œil puis un bras qu’elle prend le sens actuel, avec une
Une situation dans laquelle
dans des batailles précédentes) uti- notion de durée, qui rejoint le sens
on se retranche pour s’isoler
lise une tactique inhabituelle pour initial car celui qui est en cours d’exé-
du reste du monde.
affronter son ennemi en isolant puis cution de quelque chose, n’est-il pas
À l’origine, l’expression vient du Can- capturant les quelques bateaux de occupé à exécuter cette chose ?
tique des Cantiques où collum tuum tête et de queue de la file que forme
sicut turris eburnea voulait dire « ton la flotte franco-espagnole. Q Doré sur tranche
cou, comme une tour d’ivoire » et Cette défaite majeure est la première
Très riche. Luxueux
comparait le long cou blanc d’une que subit Napoléon et la diminution
et ostentatoire.
femme à une tour faite d’ivoire. importante de sa flotte va ruiner
Mais c’est Sainte-Beuve qui, en 1830 ses projets d’envahir l’Angleterre et Les amoureux des beaux livres anciens
dans Les Consolations, en a complè- l’empêcher de protéger les colonies possèdent probablement des livres
tement détourné le sens alors que, françaises. dorés sur tranche, c’est-à-dire dont les
dans un poème, il parlait d’Alfred Et si les Anglais ont à Londres un Tra- tranches sont de couleur or au lieu de
de Vigny : « Et Vigny, plus secret, falgar Square qui leur rappelle ce qui la banale couleur du papier.
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 191


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Mais que sont les tranches ? Le livre voulait dire « fouler aux pieds » et,
est généralement composé d’une par extension, « mépriser ».
Q Une tunique
couverture avec un dos et, à l’in- Et comme on accorde peu de valeur
de Nessus
térieur, d’un bloc de pages qui ont à ce que l’on méprise, il est possible Un cadeau empoisonné –
été « tranchées » ou massicotées que ce soit à partir de ce verbe que le Une passion dévorante.
pour présenter des surfaces unies. substantif tripette ait été utilisé pour
Ce sont ces surfaces inférieure désigner des choses sans aucune va-
(tranche de pied), latérale (tranche leur, sens qui est resté jusqu’à nos
de côté ou de gouttière, oppo- jours dans notre expression.
sée au dos) et supérieure (tranche À moins, tout simplement, qu’une
de tête) qui sont les tranches du trop petite tripe ait été considérée
livre et qui pouvaient être dorées, comme inutile à mettre dans la
autrefois, sur les livres luxueux. marmite et donc sans valeur.
Depuis le XIXe siècle, cette notion de
luxe associée aux livres dorés sur Q Ne pas avoir les yeux
tranche s’est étendue, au figuré, aux en face des trous
choses luxueuses et aux personnes
Ne pas voir quelque chose de
capables de s’acheter ces choses,
bien visible. Ne pas être bien Hercule portant son fils Hyllus regarde le
donc très riches. Centaure Nessus qui s’apprête à transporter
réveillé. Déjanire de l’autre côté de la rivière.
Fresque de Pompéi, Ier siècle après J.-C.
Q À tue-tête À partir du moment où quelqu’un ne
voit pas bien, il est facile d’imaginer, Nessus, un centaure qui fait
Très fort, en parlant
sous une forme plaisante, qu’il « a le passeur entre les deux rives
de la voix.
les yeux de travers », comme on du fleuve Évenos, transporte
Le verbe tuer a eu autrefois plu- disait déjà au XVIIe siècle, ou bien que l’épouse d’Hercule, Déjanire, sur
sieurs significations, parfois en paral- ses yeux ne sont pas bien en place son dos. Mais alors qu’il essaye
lèle. Ainsi, vers 1150, si ce verbe dans leurs orbites, donc pas « en d’attenter à son honneur, il est
signifiait bien « occire quelqu’un », face des trous ». tué par Hercule d’une flèche em-
comme maintenant, soi tuer voulait Gaston Esnault indique qu’il faut poisonnée trempée dans le sang
simplement dire « s’évanouir ». comprendre « pas les yeux en face de l’Hydre de Lerne.
Au moment où cette expression est des trous du masque (que porte la Avant de mourir, Nessus confie à
apparue, tuer avait aussi le sens de personne) ». Déjanire que son sang désormais
« frapper », la plupart du temps à la Certes, cela ne facilite pas non plus contaminé lui permettra de ra-
tête ; et, par extension, il voulait aus- une vision claire, mais aucune source mener Hercule vers elle si jamais
si dire « fatiguer » ou « exténuer ». ne citant cette précision, faut-il la il devait la tromper ou s’intéresser
Et là, on comprend bien qu’une per- prendre pour argent comptant, sa- à une autre femme.
sonne qui chante trop fort à proxi- chant qu’elle n’apporte rien de plus Après cet épisode, étant un jour
mité fatigue. à une image déjà aisément compré- convaincue de l’infidélité de son
Malgré son côté archaïque, cette hensible attestée en 1925 ? mari, la malheureuse donne à
expression est restée vivace alors que Hercule la tunique de Nessus
d’autres comme à tue-chevaux pour Q Le bout du tunnel tachée de sang.
dire « très vite » ont disparu. À peine l’a-t-il passée que le héros
La fin d’une période, d’une
se consume de l’intérieur, que sa
situation difficile à vivre.
Q Ne pas valoir tripette peau brûle. Voyant cela, Déjanire se
Un tunnel sans lumière, c’est forcé- suicide tandis qu’Hercule demande
Ne rien valoir, n’avoir
ment très sombre, qualificatif qu’on à ce qu’on l’immole par le feu pour
strictement aucun intérêt.
applique aussi volontiers, au figuré, à mettre fin à ses souffrances.
Tripette désigne une petite tripe, ce une période ou une situation difficile Le second sens proposé est lié à
boyau animal qu’on prépare souvent à vivre. la fois au feu intérieur qui ronge
soit à la mode de Caen lorsqu’on en Alors le parallèle avec un véritable Hercule et au fait qu’il est impos-
a un paquet, soit en paquets lors- tunnel est facile à faire : on est sible de se débarrasser de cette
qu’on en a en Provence. toujours heureux lorsqu’on passe dernière, comme il est extrê-
Le Dictionnaire de Trévoux nous si- de l’obscurité à la lumière, que ce mement difficile de s’affranchir
gnale qu’au XVIIe siècle, le verbe triper soit au sens propre parce qu’on est d’une passion dévorante.
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192 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
effectivement à la sortie du tun-
nel ou bien au sens figuré parce
Q Les vaches maigres – les vaches grasses
qu’on arrive à la fin d’une période La pénurie – L’abondance.
difficile.
Il est facile de comprendre qu’en période de pénurie, les vaches sont
En 1897, on trouve sortir du tunnel,
maigres car elles mangent peu, alors qu’elles sont bien grasses en période
le bout du tunnel datant du début
d’abondance.
du XXe siècle.
L’image est donc très claire, mais pourquoi des vaches ?
Selon le chapitre 41 de la Genèse, c’est lors d’un rêve que Pharaon a vu
Q Fort comme un Turc
s’annoncer deux périodes successives, l’une de sept années d’abondance,
Très fort (physiquement), symbolisée par sept vaches grasses, puis une autre de sept années de disette,
vigoureux, robuste. représentée par sept vaches maigres.
Ce sont ces vaches qui sont restées les symboles qu’on retrouve aujourd’hui
Avant que la Turquie ne devienne
dans notre expression.
ce qu’elle est aujourd’hui, il y a eu
Quant au sept, il a un côté magique puisque les références à ce
l’Empire ottoman bâti par un peuple
chiffre sont légion : les sept péchés capitaux, les sept ciels entourant
de guerriers à coups de conquêtes
la Terre (voir Être au septième ciel), les sept merveilles du monde et de
en Europe, en Afrique et en Asie.
nombreuses autres.
Ces combattants turcs ou ottomans
impressionnaient par leur force, leur
courage et aussi leur brutalité, leur Voilà, vous venez de comprendre inceste, homosexualité et amours
cruauté. comment ce qui véhicule l’informa- avec le personnel, alors qu’ils se
C’est ainsi qu’aux XVIIe et XVIIIe siècles, tion est devenu, par métonymie, le prétendent hypocritement très
le Turc symbolisait l’incroyant, renseignement lui-même. vertueux.
l’ennemi brutal. On disait d’ailleurs Quant à la comparaison d’un tuyau
de quelqu’un de rude et de sans pitié crevé avec un renseignement erroné, Q Aller (à quelqu’un)
qu’il était « un vrai Turc » et traiter elle est aisément compréhensible : comme un tablier à
quelqu’un « à la turque », c’était le un véritable tuyau crevé ne sert à une vache/comme des
traiter sans ménagement. rien, pas plus que notre tuyau argo- guêtres à un lapin
L’expression est née au milieu du tique lorsqu’il est faux.
Lui aller très mal.
XVe siècle, un peu après la prise de
Constantinople (l’ancienne Byzance Q Une famille tuyau Sous sa forme actuelle, cette ex-
et l’Istanbul d’aujourd’hui) par de poêle pression nous vient du début du
les troupes du sultan Mehmet II XIXe siècle. Mais on peut lire, au milieu
Une famille qui pratique des
en 1453. du siècle précédent chez Dampierre
relations sexuelles entre ses
de La Salle : « convenir comme un
membres.
Q Donner un tuyau tablier à une vache espagnole ».
(crevé) Cette expression est très familière, Ce rapprochement d’une pièce
pour ne pas dire vulgaire. d’habillement et d’un animal est de-
Donner un renseignement
Mais l’image qu’elle véhicule est puis longtemps utilisé pour exprimer
plus ou moins confidentiel
parfaitement compréhensible pour non seulement le ridicule de celui
(faux ou dépassé).
qui a eu l’occasion, au moins une qui s’habille très mal (c’est l’image
Voilà une expression argotique qui fois dans sa vie, d’installer un poêle initiale), mais aussi, par extension,
date de la fin du XIXe siècle. à bois ou à charbon avec toute sa l’association de deux objets dont
Lorsque vous avez une information tuyauterie d’évacuation. Il a en effet celui qui prononce la phrase estime
confidentielle à donner à quelqu’un, pu constater que celle-ci est compo- qu’ils n’ont rien à faire l’un avec
comment procédez-vous habituel- sée de tronçons qui s’emmanchent l’autre.
lement ? Vous allez probablement les uns dans les autres. D’ailleurs, Charles Nisard, dans
approcher votre bouche de son Est-il vraiment nécessaire d’expliquer son ouvrage Curiosités de l’éty-
oreille et lui murmurer l’info qui va plus avant la métaphore ? mologie française paru en 1863,
« s’écouler » dans son conduit audi- Cette expression est le titre d’une cite « comme des pantoufles à un
tif vers l’oreille interne. pièce de théâtre écrite par Jacques chat », mais aussi « une chemise à
Or, ce conduit auditif où « coule » Prévert en 1933, dans laquelle des un cochon, un bonnet à une chèvre,
l’information n’est-il pas assimilable bourgeois, respectables en appa- une bride à un oison, à une mouche,
à un tuyau ? rence, pratiquent en réalité adultère, à un pou, des gants à un chien… ».

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 193


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Comme une vache était en général, désigner des policiers ou des gen-
Q Manger de la vache et est toujours, un terme intensif à darmes, puis, plus tard, des déla-
enragée connotation fortement négative. Et, teurs. Ce ne serait qu’en 1879 que
Vivre dans la misère. à la date d’apparition de l’expres- mort aux vaches ! serait apparu.
Mener une vie de dures sion, espagnol était également un
privations. qualificatif désagréable ; on disait Q Une peau de vache –
en effet payer à l’espagnole pour La vache !
Cette expression date du XVIIe siècle
quelqu’un qui « payait » en donnant
sous la forme manger la vache en- Une personne méchante,
des coups, ou on désignait une fan-
ragée. sévère, sans pitié –
faronnade d’« espagnolade ».
Les gens très pauvres n’étant pas Le méchant, sournois !
Alors la combinaison de ces deux
vraiment regardants sur la nourri-
termes aurait été un moyen de quali- Il arrive parfois à la vache de « don-
ture, ils pouvaient être amenés à
fier très négativement la manière de ner un coup de pied en vache »,
manger des animaux écartés de la
parler un mauvais français. c’est-à-dire de faire soudainement
consommation normale pour des
une ruade latérale d’une seule patte.
raisons d’hygiène ou de maladie.
Ce serait ensuite le mélange de me-
Q Un coup de pied C’est ce geste qui a aussi fait consi-
ner une vie enragée propre à ceux
en vache – Mort aux dérer l’animal comme sournois ou
qui doivent lutter pour arriver à sur-
vaches ! méchant.
Selon Gaston Esnault, ce sens de
vivre et manger de la vache malade Une action faite en traître ou
vache apparaît en 1880.
qui aurait donné naissance à notre hypocrite, procédé déloyal –
De là viennent nos deux expressions.
expression. Mort aux flics ! (insulte grave).
Dans la première, il y a un renfor-
Il arrive à la vache d’envoyer un coup cement par la valeur péjorative que
Q Parler français comme de sabot vers l’avant ou sur le côté, prend parfois le mot peau, comme
une vache espagnole quand on ne s’y attend pas, ce qui la dans une vieille peau.
Parler très mal le français. fait cataloguer comme sournoise et Aujourd’hui, à la place de la vache !,
qui a donné lieu à la naissance des on dirait plutôt l’enfoiré ! ou un
Il existe plusieurs hypothèses sur
expressions qui nous intéressent. autre terme encore plus vulgaire où
l’origine de cette expression qui est
Pour un coup de pied en vache, il est question de seaux d’eau.
attestée dès 1640.
l’origine est limpide et le sens figuré Par antiphrase, la vache ! peut aussi
La plus classique, mais pas forcément
« d’agir en traître » coule de source. être une exclamation d’admiration.
la bonne, vient d’une altération de
Dans la conversation, elle se réduit
basque (« parler français comme un
parfois en un coup vache. Q Brûler ses vaisseaux
Basque espagnol »), car vasces ou
Cette locution existe depuis le milieu
vasque, au XVIIe siècle, désignait un S’engager dans une
du XIXe siècle, mais à la fin du XVIIe, on
Gascon ou un Basque. entreprise, prendre une
disait déjà ruer en vache, avec exac-
Selon Alain Rey, la plus probable des ori- décision en s’interdisant
tement le même sens.
gines viendrait d’une combinaison de de revenir en arrière.
À partir de 1844, le terme de vache
choses péjoratives propres à l’époque.
a servi, dans l’argot des voleurs, à Lorsque Agathocle de Syracuse, ce
conquérant du IVe siècle av. J.-C.,
s’attaqua à Carthage en Afrique du
Q Pleuvoir comme vache qui pisse Nord, après y avoir débarqué ses
Pleuvoir en abondance, à verse. troupes, il fit brûler ses navires afin
de s’assurer qu’il n’y aurait pas de
En partant d’une petite pluie qui aurait été comparée à une miction hu-
retour possible en urgence (après
maine, on comprend très bien qu’une très grosse pluie ait pu donner lieu, de
une retraite ou une défaite).
la part d’un très fin observateur de la seconde moitié du XIXe siècle (période
Pour lui, les seules options possibles
d’apparition de l’expression), à une comparaison avec un tel déversement de
étaient la mort ou la victoire qui don-
liquide d’origine bovine.
nerait ensuite le temps de rebâtir
Quelques esprits chagrins diront que l’éléphant bat la vache à plate couture
tranquillement une flotte.
dans ce domaine.
Cette manière de procéder sera égale-
Certes ! Mais, à cette époque, il était tout de même nettement plus rare de
ment citée, entre autres, chez Hernán
rencontrer des éléphants en train de brouter, et, en général, on n’ose des
Cortés, le conquistador espagnol, lors-
comparaisons qu’avec ce qu’on connaît bien.
qu’il débarqua au Mexique en 1519.
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194 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
C’est au début du XIXe siècle que la choses et les promesses sans suite,
métaphore brûler ses vaisseaux ap- par allusion aux œuvres humaines
Q Aller à vau-l’eau
paraît, avec les sens figurés qu’on lui fragiles que le vent balaye en n’en Aller à sa perte.
connaît, par référence à ce compor- laissant aucune trace, les faisant
Dès le XIIe siècle, aller à val ou à vau
tement. tomber dans l’oubli (« … et le vent
voulait dire « en descendant le long,
les emporta sans qu’aucune trace
en suivant la pente de », le vau étant
Q Autant en emporte n’en fût trouvée » dans l’Ancien
une vallée (on retrouve d’ailleurs ce
le vent Testament).
terme dans l’expression par monts et
Elle pourrait être très utilisée par
Se dit à propos des par vaux indiquant un déplacement
ceux qui se promettent d’arrêter de
promesses que l’on se fait, un peu partout, figuré par un mou-
fumer, de maigrir un peu ou de se
mais qu’on n’exécute jamais. vement à travers monts et vallées).
mettre à une activité sportive, et ne
Au moins jusqu’au milieu du XVIe,
Cette expression était déjà employée le font jamais.
cette locution avait le sens très
au XIIIe siècle. On peut aussi l’associer aux hommes
concret de « suivre le fil de l’eau ».
C’est depuis le XVIe siècle qu’elle a un politiques, habitués des promesses
C’est à partir de cette période que
sens proche de celui d’aujourd’hui, qu’ils ne tiennent jamais, surtout
son sens abstrait commence à ap-
inspiré par la vanité, la fugacité des ceux qui deviennent présidents…
paraître. On emploie d’ailleurs à val
de route pour « en déroute » et être
à vau-l’eau pour parler d’une entre-
Q Adorer le veau d’or prise qui fonctionne mal. Et entre le
Aimer l’argent, les biens matériels. mauvais fonctionnement et la perte
ou la faillite, il n’y a qu’un petit pas
qui a vite été franchi.

Q Avoir une veine


de cocu/pendu
Avoir une chance incroyable.
Veine est issu du mot latin vena qui,
au sens figuré, signifiait aussi « ins-
piration poétique, artistique ». Et de
cette acception nous sont venues
deux autres significations, dont l’une
est « chance », qui date du milieu du
XIVe siècle dans des locutions comme
n’avoir aucune veine ou être tombé
sur une bonne veine.
Nos locutions, elles, sont plus récentes,
puisqu’elles datent du XIXe siècle.
François Perrier (1594-1649), Adoration du veau d’or.
Revenons maintenant à notre cocu
et à notre pendu.
En 1170, on parlait du veel d’or devenu le veau d’or à la fin du XVe siècle.
Pour le premier, l’idée part d’une tra-
Mais quel est donc ce veau d’or ? Il nous faut remonter à Moïse, alors que ce
dition qui suppose que le cocu, en
dernier était allé au sommet du mont Sinaï et ne revenait pas. Les Hébreux qui
guise de compensation, a le droit
s’ennuyaient, supposant que Moïse ne reviendrait plus, demandèrent à Aaron
d’avoir beaucoup de chance.
de leur fabriquer un dieu. Celui-ci coula un jeune taureau en or.
Quant au pendu, il était pour les
Lorsque Moïse revint enfin et constata le retour de l’idolâtrie chez son peuple,
autres non seulement une source de
il se fâcha et n’obtint le pardon de Dieu qu’en faisant massacrer trois mille des
bonheurs divers mais un apporteur
coupables.
de chance.
Le « veau d’or » est d’abord devenu le symbole de l’oisiveté. À la fin du
C’est pourquoi on trouvait aus-
XVIIe siècle, il désignait encore un « homme qui n’a pas d’autre mérite que
si l’expression avoir de la corde de
d’être riche » (Littré), sens oublié aujourd’hui.
pendu (dans sa poche) à propos de
C’est au même moment qu’est apparue notre expression, ne retenant plus
quelqu’un à qui tout réussit.
que la notion de richesse en lien avec or.

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 195


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Avoir du vent dans les


voiles Q Bon vent !
S’emploie pour souhaiter bon voyage à quelqu’un qui prend
Se sentir décidé, après avoir
le départ – S’emploie pour signifier que l’on est content que
bu – Être ivre, ne pas marcher
quelqu’un s’en aille.
droit.
Étrangement, cette expression a deux sens quasiment opposés selon le ton
Le second sens proposé est le plus
qu’on lui donne.
commun, un voilier dans le vent
À l’origine, cette locution nous vient de la marine à voile.
avançant penché à l’image d’une
C’est une formule parfaitement compréhensible lorsque les marins une fois
personne ivre dont la marche est
embarqués et prêts à lever l’ancre, les proches restés à quai leur souhaitent
très incertaine.
de trouver le « bon vent » nécessaire à une navigation facile et agréable.
Mais Gaston Esnault affirme que le
Par extension, elle s’est logiquement transformée en une formule d’au revoir.
second sens (qui daterait de 1883)
Et par ironie, lorsqu’elle est prononcée avec un ton plutôt agressif, c’est une
est abusif, alors que le premier, da-
antiphrase qui signale à un importun qu’il ferait mieux de s’en aller, donc de
tant de 1835, serait beaucoup plus
vite aller chercher le vent nécessaire à son éloignement rapide.
logique, la personne soudain très
décidée – et plus très apte à peser les
risques de ce qu’elle entreprend –,
étant aussi « gonflée », au sens ar- Mais tout bon marin sait persévérer L’expression apparaît en anglais le
gotique, que peut l’être une voile un et, malgré ces éléments contraires, 25 novembre 1942 sous la plume
jour de bon vent. naviguer quand même vers sa des- de Winston Churchill dans une note
tination. à son cabinet de guerre recomman-
Q Avoir le vent en poupe Cette expression qui date du début dant de frapper « le bas-ventre de
du XVIIe siècle est une métaphore l’Axe » (« the underbelly of the
Être favorisé par les
qui symbolise la lutte contre les Axis »), c’est-à-dire l’Italie et les Bal-
circonstances, aller droit vers
obstacles qui peuvent entraver un kans.
le succès.
projet ou l’obstination de celui qui En écrivant cela, Churchill ne fait
Au sens propre, les marins sont décide de mener une action à son que reprendre un terme de chasse,
contents d’« avoir le vent en poupe ». terme, malgré les problèmes qu’il puisque le bas-ventre est pour la
En effet, quand on sait que la poupe peut rencontrer. plupart des mammifères un point
est l’arrière du bateau, alors que la Du XVIe au XIXe siècle, avoir vent et vulnérable. Et en bon politicien, il ne
proue est l’avant, on se doute que, marée voulait dire au figuré « avoir se privera pas de répéter sa formule
pour avancer facilement, le marin toutes choses favorables pour réussir à laquelle il ajoutera le terme soft
préfère largement avoir le vent en dans ses desseins » (Littré). (« mou »).
poupe, soufflant depuis l’arrière vers On retrouve l’image du marin dont
l’avant du bateau, que face à lui. l’avancée est facilitée, cette fois, Q Sacrifier à Vénus
Donc, quand le vent est dans ce sens par un vent ou une marée favorable
Faire l’amour.
souhaité, notre homme de mer peut (on employait d’ailleurs l’expression
considérer être favorisé. au sens propre). Le lien entre Vénus, déesse de
C’est ainsi que, par simple exten- l’Amour, et le fait de faire l’amour
sion et au figuré, notre expression Q Le ventre mou paraît clair quand on connaît cette
a été utilisée, dès le XIVe siècle, pour attribution de la déesse, mais on
Le point vulnérable de
désigner ceux qui sont aidés par le peut se demander en quoi s’adon-
quelqu’un, d’une organisation,
sort, qui sont favorisés et qui, par ner au plaisir sexuel est un sacrifice.
de quelque chose.
conséquent, ont tendance à réussir En fait, sacrifier nous vient au XIIe siècle
ce qu’ils entreprennent. Depuis le milieu du XVe siècle, ventre du latin sacrificare qui voulait dire
désigne aussi le courage, l’énergie, « offrir en sacrifice à une divinité »,
Q Contre vents et marées la volonté (d’où les expressions avoir lui-même issu de sacrum facere pour
quelque chose dans le ventre et il n’a « faire une cérémonie sacrée ».
Malgré tous les obstacles.
rien dans le ventre). Mais ce n’est qu’au XVIIe siècle que,
Tout bon marin sait que les vents et Par extension, le mou de ce ventre, parmi ses emplois figurés, le verbe
les marées peuvent parfois contra- image de quelque chose de flasque, construit avec la préposition à
rier l’avancée du bateau dans la fait au contraire penser à une chose prend la signification de « faire la
direction ou vers le but souhaité. sans énergie, sans résistance. volonté de ». Et là, tout s’éclaire :
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196 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Il était maréchal de France lorsqu’en


Q Dire ses quatre vérités (à quelqu’un) 1525, alors qu’il participait en Italie
Dire (à quelqu’un) ce qu’on pense de lui, franchement et parfois au siège de Pavie en compagnie de
brutalement. Dire (à quelqu’un) des choses désobligeantes ou François Ier, il trouva la mort.
blessantes, sans ménagement. Afin qu’il soit enterré dans son pays,
son corps fut transporté en France
Au XVIe siècle, lorsque cette expression apparaît, d’abord sous la forme dire
et ceux de ses soldats qui avaient
ses vérités, les vérités sont des « choses vraies ».
une âme de poètes lui dédièrent
Ainsi lorsqu’on disait ses vérités à quelqu’un, on lui disait des choses vraies
une chanson dont des vers disaient :
ou justifiées sur lui, principalement négatives, sans hypocrisie, qu’il ait envie
« Un quart d’heure avant sa mort, il
ou non de les entendre.
faisait encore envie. »
Maintenant, pourquoi avoir greffé en plus ce quatre ?
Mais en l’absence de traces écrites et
Selon les lexicographes, malgré la faible valeur de ce nombre, il faut le voir
à cause des déformations liées aux
comme un intensif, mais sans qu’on ait une explication réelle sur ce choix.
nombreuses transmissions orales,
Quatre est toutefois utilisé dans de nombreuses autres expressions (couper
ces vers devinrent : « Un quart
les cheveux en quatre, ne pas y aller par quatre chemins, etc.) et ce choix est
d’heure avant sa mort, il était encore
probablement lié à des choses immuables comme les quatre membres de
en vie. »
l’homme, les quatre saisons…
Voilà comment monsieur de La Pa-
lice qui, sinon, aurait probablement
en effet, sacrifier à Vénus veut alors en les vers. Quant au nez, il serait là été oublié, passa malencontreuse-
dire « faire la volonté de Vénus ». par ellipse d’un « en le menant par ment à la postérité et comment na-
Cette expression, qui semble dater le bout du nez » ou, autrement dit, quit la toute première lapalissade,
du début du XIXe siècle, avec le sens « en le menant à sa guise, grâce une affirmation d’une évidence telle
indiqué est un peu tombée dans à la ruse et la persuasion, jusqu’à qu’elle fait au moins sourire.
l’oubli, contrairement à ce qu’elle l’aveu ».
signifie. Q Vérité en deçà
Q Tuer le ver des Pyrénées,
Q Tirer les vers du nez erreur au-delà
Boire à jeun un verre d’alcool.
Réussir adroitement à faire La notion de vérité est
Il semble qu’au moment de l’appari-
parler quelqu’un sur un sujet subjective. Ce qui est
tion de cette expression, en 1828, le
qu’il ne voulait pas aborder valable pour l’un ne l’est pas
verre d’alcool à jeun, fréquemment
ou à obtenir des informations forcément pour l’autre.
donné à son enfant au moment du
qu’il ne voulait pas divulguer.
départ à l’école, avait pour réputa- Ceci n’est pas vraiment une ex-
Les hypothèses sur l’origine de cette tion d’avoir de très bonnes proprié- pression, mais plus une simple ci-
expression qui est attestée depuis le tés vermifuges. tation de Blaise Pascal, l’auteur
XVe siècle sont multiples. Il n’en a pas fallu beaucoup plus ayant simplement voulu affirmer
Une explication qui semble sédui- pour que les adultes avides d’éclu- que la perception de certaines vé-
sante viendrait d’une déformation ser un petit ballon de blanc tôt le rités est dépendante de beaucoup
du latin verum, « le vrai ». On tirerait matin se servent du prétexte de se de facteurs : la localisation géo-
donc la vérité du nez. débarrasser d’hôtes indésirables graphique, la culture, la mentalité,
Mais pourquoi du nez ? Et pourquoi pour justifier l’ouverture de la bou- l’époque…
les vers au pluriel ? teille ou les retrouvailles avec les On peut noter qu’avant Pascal, Mon-
Alain Rey réfute cette hypothèse, compagnons de beuverie au tro- taigne avait déjà formalisé quelque
ajoutant que la version anglaise to quet du coin. chose de similaire : « Quelle vérité
worm a secret out of somebody que ces montagnes bornent, qui est
évoque bien un ver de terre et non Q Une vérité de La mensonge au monde qui se tient
la vérité. Palice – Une lapalissade au-delà. »
Alors, pour tenter de confirmer cette Et, toujours avec Montaigne, on
Une évidente vérité qui prête
origine, il existe une hypothèse qui peut même élargir le sujet de la
à rire.
évoque la langue romane où li veirs confrontation des cultures : « Cha-
signifiait « le vrai ». Il serait alors pro- Jacques de Chabanne, seigneur de cun appelle barbare ce qui n’est pas
bable que li veirs ait été transformé La Palice est né vers 1470. de son usage. »

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 197


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q Être verni notre expression s’expliquerait alors doivent être prononcés et entendus
facilement : celui qui est protégé des que par des adultes.
Être chanceux.
mauvais coups ou de la malchance est Ce n’est que plus tard que cette ex-
Voilà une autre expression dont l’ori- incontestablement verni ! pression initiale a été transformée et
gine n’est pas connue avec certitude. qu’aux vertes ont été accolées des
Ce qui est sûr, c’est que verni en ar- Q Comme la vérole pas mûres pour créer ce qui paraît
got veut dire « chanceux », le nom sur le bas clergé être une répétition.
masculin verni signifiant « chance » (espagnol/breton) Précédée de en entendre ou en ra-
ou « bonheur », dès 1906. Mais conter, c’est le premier sens pro-
Brusquement, avec violence.
pourquoi ? posé pour l’expression qui est à
Une explication communément Du XIIe au XVe siècle, la vérole désignait considérer.
avancée dit que les ennuis glissent la variole. Au XVIIe c’était la varicelle Puis, par extension, des choses cho-
sur une surface vernie à peu près qu’on appelait la « vérole volante ». quantes ou incongrues, on est pas-
aussi bien qu’un pet sur une toile Mais, bien sûr, depuis le XVIe siècle, sé aux ennuis ou aux difficultés, et
cirée. Ils ne s’attardent donc pas et la vérole est en réalité la syphilis, l’expression est alors généralement
seule la chance reste. maladie vénérienne grave. précédée d’un en voir ou en subir.
Mais d’après Gaston Esnault, en L’expression, qui date probablement
1901 et en argot, verni a d’abord si- de l’Ancien Régime, semble avoir été Q Se mettre au vert
gnifié « protégé », sens qui se com- inventée par des gens peu amènes
Aller se reposer, se refaire
prend aisément, un meuble étant avec les hommes de Dieu, puisqu’elle
à la campagne – S’éloigner
protégé par son vernis. prétend qu’une épidémie de syphilis
d’une situation ou d’un
Le glissement rapide vers « chanceux » pourrait s’abattre brusquement sur
endroit stressant, dangereux,
ou « veinard » qu’on trouve dans les prêtres et se répandre très rapide-
désagréable.
ment, alors que nous savons parfai-
tement que ceux qui portent la robe Cette expression nous vient du
Q Avoir la main verte ont fait vœu de chasteté. XIXe siècle, mais c’est déjà dès le XVIe que
Savoir entretenir les La localisation géographique du bas vert désigne les prés, la campagne,
plantes, être en harmonie clergé ainsi visé n’est pas systémati- la nature qui, pour les citadins (mais
avec elles. quement précisée dans l’expression. certainement pas pour les paysans
Et rien ne semble indiquer pourquoi de l’époque) étaient un endroit où il
L’apparition de la locution avoir
l’espagnol ou le breton aurait plus faisait bon se reposer, s’éloigner des
la main employée à propos de
droit à son épidémie infamante que soucis de la vie de tous les jours…
quelqu’un qui est habile dans un
l’auvergnat, l’alsacien ou le proven- Par extension, le vert a aussi dési-
domaine particulier ou dans le ma-
çal. Sauf, peut-être, si la densité de gné un endroit lointain ou discret
niement de quelque chose est as-
prêtres était plus importante dans permettant de s’éloigner, pour
sez logique, la main se confondant
ces régions qu’ailleurs. quelque raison que ce soit, d’une
alors avec la capacité à bien l’utiliser.
situation désagréable ou dange-
D’ailleurs, ce quelqu’un aura
d’abord dû se faire la main pour
Q Des vertes et des pas reuse. C’est ainsi que, dans le mi-
acquérir son savoir-faire.
mûres lieu des truands, se mettre au vert
peut aussi signifier s’éloigner de
Et quand le domaine où l’habi- Des choses choquantes,
problèmes potentiels afin de se
leté s’exerce touche aux plantes grossières, incongrues… – Des
faire oublier, au moins un temps.
qui, vous l’aurez certainement ennuis, des difficultés…
remarqué, sont en majeure par-
tie vertes au printemps et en été,
C’est au début du XVe siècle qu’on Q Prendre des vessies
il était tout aussi normal qu’une
commence à dire en bailler de belles, pour des lanternes
des vertes et des mûres en voulant
personne habile dans le jardinage Se méprendre de façon
dire « raconter des histoires licen-
et l’entretien de ce qui pousse en absurde et naïve.
cieuses ». Car vert prend ici le sens
terre soit désignée par un « elle/il
argotique qu’on lui connaît encore Sous sa forme actuelle, cette ex-
a la main verte ».
aujourd’hui pour qualifier des pro- pression est attestée au XIXe siècle.
Il semble que cette expression ne
pos osés. Quant à mûr, c’est depuis Mais Rey et Chantreau donnent les
date que de la seconde moitié
le XIIe siècle qu’il est équivalent à formes plus anciennes : vendre ves-
du XXe siècle ; et on la trouve aussi
« adulte » comme on le trouve dans sie pour lanterne dès le XIIIe, puis faire
parfois sous les formes avoir les
l’âge mûr. Or, des propos osés ne de vessies lanternes.
doigts verts ou avoir les pouces verts.
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198 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Et il existe au moins deux écoles faire quelqu’un capot). Ce mot qu’entraverait le vêtement et prêt à
quant à son origine. apparu avec ce sens au début du combattre celui qui lui cherche des
La première part de ces vessies de XVIIe siècle a logiquement évolué noises.
porc (comme de bœuf) qui étaient vers « humilié » (comme l’est celui Si le mot veste existe depuis le
parfois utilisées en lanternes de se- qui « est fait capot »). Récupéré XVIe siècle, ce n’est que depuis le début
cours, une fois une bougie allumée par l’allemand, il est devenu le bien du XIXe qu’il désigne le vêtement que
placée dedans. Du coup, il était facile connu kaputt. nous connaissons. L’expression elle-
de faire croire au nigaud de passage Mais en restant dans le jeu de cartes, même daterait de 1929.
qu’une telle vessie pendue au pla- la capote a désigné le coup par le-
fond était une lanterne, en raison de quel l’adversaire est fait capot. Q Un vieux de la vieille
leur similitude de forme. C’est au cours de la seconde moi-
Un vieux soldat (sous le
La seconde juxtapose le mot lan- tié du XIXe siècle que la capote du
Premier Empire) – Une
terne utilisé autrefois au pluriel jeu de cartes, symbole de l’échec,
personne très âgée ayant
dans le sens « fadaises, absurdités » s’est transformée en veste, un autre
acquis une sérieuse expérience
et vessie dans l’expression vendre vêtement.
dans un domaine précis.
vessie qui voulait dire « vendre du Et si les premières utilisations de
vent », en raison de l’air qui gonfle notre expression se sont d’abord Cette locution qui date du XIXe siècle
ladite vessie, enveloppe de très peu appliquées à celui qui perd des élec- est une version courte de un vieux
de valeur. tions, elle s’est assez vite répandue de la vieille garde, car c’est bien de
dans tous les domaines. soldats d’une garde qu’il est ques-
Q Prendre une veste tion ici.
Q Tomber la veste Il s’agit de la garde impériale créée
Subir un échec.
par Napoléon Ier en 1804. Composée
Enlever sa veste – Se préparer
Dans l’une de ses acceptions, d’environ 100 000 hommes, c’était
à se bagarrer.
le mot capot désigne quelque une troupe d’élite divisée en une
chose qui sert à protéger, dont, Tomber la veste, c’est simplement vieille, une moyenne et une jeune
anciennement, un manteau à l’enlever, l’ôter (et, éventuellement, garde.
capuchon, sens d’où nous vient la faire tomber par terre) afin d’être Vous souvenez-vous de Waterloo
l’appellation de ce manteau long libre de ses mouvements. et de son fameux « la garde meurt,
qu’on appelait capote, porté par L’utilisation du verbe tomber cor- mais ne se rend pas », attribué à
nos poilus pendant la Première respond bien à un usage particulier Cambronne ? C’était précisément à
Guerre mondiale. de l’expression où celui qui tombe propos de cette garde-là.
Mais dans une autre de ses accep- sa veste l’enlève très rapidement Une fois l’Empereur déchu, les an-
tions, capot s’utilise dans certains et, sans prendre le temps de cher- ciens qui racontaient leurs exploits
jeux de cartes pour désigner celui cher un endroit où la poser, la laisse aux plus jeunes étaient appelés
qui termine une partie sans avoir tomber par terre, car il doit être vite « les vieux de la vieille (garde) ».
fait aucune levée (il est capot, à la fois libre de ses mouvements Avec le temps, les vieux de la vieille
a fini par désigner des vétérans
ayant beaucoup d’expérience dans
Q Pisser dans un violon leur profession ou un domaine
Ne servir à rien. Faire quelque chose de complètement inutile, particulier.
inefficace.
Q Entrer dans le vif
Cette expression s’emploie très souvent dans des formes comme c’est
comme si on pissait dans un violon ou bien autant pisser dans un violon !
du sujet
pour indiquer l’inutilité totale de l’action ainsi qualifiée. Aborder le point le plus
Pisser vient du bas latin pissiare, « uriner ». important. Aller directement
Telle quelle, l’expression date du XIXe siècle, et rien ne l’explique vraiment. à l’essentiel.
Mais Alain Rey a émis l’hypothèse que le verbe pisser n’y est apparu, par
Notre sujet à nous, c’est celui d’une
plaisanterie, qu’en remplacement d’un verbe comme souffler ou siffler. La
discussion.
locution d’origine aurait alors été souffler dans un violon, action dont l’inuti-
Quant au vif (qui vient du latin vivus
lité est flagrante lorsqu’on sait que souffler dans une flûte ou une trompette
signifiant « vivant » ou « animé »),
permet effectivement de produire de la musique, mais qu’avec un violon, le
c’est tout simplement, par métaphore
résultat devient tout de suite nettement moins probant.
de la « chair vive » de l’être humain,
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 199


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Q En quatrième vitesse Q En voiture, Simone !


Allons-y ! Il est temps de
Très vite, le plus vite possible, précipitamment.
commencer une action !
Pour dire également très vite, on dit aussi « à toute vitesse » (attestée en
En 1929, Simone Louise de Pinet de
1888), une autre forme de à toute la vitesse qu’il est possible d’atteindre.
Borde des Forest, âgée de 19 ans,
Mais la vitesse, c’est aussi un cran de ces dispositifs mécaniques qui,
a passé son permis de conduire, ce
dans une voiture, permettent progressivement d’arriver à la vitesse
qui était déjà plutôt rare pour une
maximale.
femme, et s’est mise à participer
Au milieu du siècle dernier, les voitures, après avoir été généralement équi-
avec un certain succès à des courses
pées de boîtes à trois vitesses, ont commencé à recevoir des boîtes à quatre
automobiles et des rallyes jusqu’en
rapports, symboles de la vitesse très élevée (pour l’époque) à laquelle elles
1957, provoquant l’étonnement et
pouvaient rouler.
l’admiration de très nombreuses
En quatrième vitesse était alors une image indiquant bien quelque chose
personnes.
de très rapide, également parfois confondu avec de la précipitation (vers
Son nom et son prénom étaient
la tombe, pour certains, d’où l’expression à tombeau ouvert, toutefois plus
donc très connus et gravés dans de
ancienne, puisque employée même pour ceux qui utilisaient un cheval pour
nombreux esprits.
se déplacer).
Et voilà qu’en 1962, Guy Lux crée
pour l’ORTF la très fameuse émis-
le cœur, le fond ou encore la partie plus récemment, « v’là les keufs ». sion Intervilles® qu’il anime aux
essentielle du sujet. Elle est très utilisée pour signaler côtés de Léon Zitrone et de Simone
Et, si l’expression ne semble pas l’arrivée inopinée de la police. Garnier. Pour démarrer certaines
être datée avec précision, c’est au actions du jeu, Guy Lux n’a pu
moins depuis le XVe siècle que cette Q Une volée s’empêcher, par allusion à la cé-
métaphore existe. (de bois vert) lèbre pilote, de lancer le fameux cri
de guerre « En voiture, Simone ! »
Une sévère réprimande
Q Vingt-deux (22) ! qui, compte tenu du nombre de
ou correction – Des critiques
téléspectateurs qui suivaient l’émis-
Attention, danger de se faire violentes.
sion, est vite passé dans le langage
prendre en flagrant délit !
Si volée désigne d’abord au populaire.
Claude Duneton propose une ori- XIIesiècle le fait de s’élever en l’air,
gine à cette expression, issue du c’est un siècle plus tard que le mot Q Trier sur le volet
milieu des typographes pendant la prend aussi le sens de « mouvement
Choisir, sélectionner avec
seconde moitié du XIXe siècle. rapide et violent » par allusion à
soin.
Lorsque leur contremaître s’absen- la rapidité de l’envol des oiseaux
tait, le bavardage démarrait. Dès que effarouchés. Au Moyen Âge, un volet était un tis-
l’un d’entre eux le voyait revenir, il Il faudra attendre le XVIIe pour que, su si fin et léger qu’il pouvait « vo-
criait « 22 ! » pour avertir et faire avec la signification de « mouvement leter » au vent. Il était utilisé, entre
revenir le silence. vif », mais répété cette fois, appa- autres, pour fabriquer des tamis
Lorsque c’était le patron qui appa- raisse la locution une volée de coups servant à trier les graines, tamis qui,
raissait, le signal devenait « 44 ! ». qui, raccourcie, est simplement de- par extension, ont eux-mêmes été
En imprimerie, la taille des lettres, venue une volée. appelés volets.
qui s’appelle le corps, est désignée C’est à la fin du XVIIIe qu’on y ajoute Le mot a perduré et, au XVe siècle,
par des chiffres. Le corps 22, d’une parfois de bois vert, toujours au sens volet désignait l’assiette en bois dans
grande dimension, était donc tout propre, la volée de coups pouvant laquelle les femmes triaient les pois et
désigné pour signifier l’importance être assénée avec un bâton de bois les fèves. Un peu plus tard, Rabelais a
hiérarchique du chef d’atelier et vert, histoire de faire bien mal. d’ailleurs écrit : « Élus choisis et triés
pouvait s’utiliser sans trop éveil- Enfin, au XIXe siècle, une forte comme beaux pois sur le volet. »
ler l’attention, étant régulièrement réprimande ou des critiques Depuis, les beaux pois ont été
prononcé. violentes pouvant aussi faire mangés et le volet est resté, sans
Bien d’autres hypothèses ont été moralement très mal, l’expression a qu’on comprenne maintenant ce
émises, mais non vérifiées. Depuis pris le sens figuré qu’on lui connaît qu’il vient faire dans le tri, si on ne
la fin de ce XIXe, cette expression est aujourd’hui. connaît pas le fin mot de l’histoire.
souvent suivie de « v’là les flics » ou,

200 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS

Index
Numéroter ses abattis 4 Coller aux basques 18 Battre le briquet 34 Avoir voix au chapitre 47 Aux quatre coins de… 59
L’abbaye de C’est bath ! 19 Brut de décoffrage/ Aller au charbon 47 Être coiffé au/sur
Monte-à-Regret 4 Mener une vie de fonderie 34 Mettre la charrue avant le poteau 59
Être aux abonnés absents 4 de bâton de chaise 19 Couler un bronze 34 les bœufs 47 S’en moquer comme
Accuser réception 4 La bave du crapaud Danser devant le buffet 35 Arrête ton char (Ben-Hur) ! 47 de colin-tampon 60
Par acquit de conscience 4 n’atteint Coincer la bulle 35 Tomber de Charybde Collet monté 60
Faire ses ablutions 4 pas la blanche colombe 19 Tu peux (toujours) en Scylla 48 Faites chauffer la colle ! 60
Chercher une aiguille Jouer/Faire la belle 19 te brosser 35 Acheter/vendre chat Dans le collimateur 60
dans une botte/meule Se défendre bec De but en blanc 35 en poche 48 Frappé/Marqué
de foin 5 et ongles 20 Avoir un cadavre dans Appeler un chat un chat 48 au coin du bon sens 60
Se foutre en l’air 5 Tomber sur un bec 20 le placard 35 Avoir d’autres chats Avoir le compas
La perfide Albion 5 Jeter le bébé avec C’est le cadet à fouetter 48 dans l’œil 61
Alea Jacta est/Le dé en l’eau du bain 20 de mes soucis 36 Tenir la chandelle 48 Régler son compte
est jeté 5 Avoir le béguin 21 C’est fort de café 36 Avoir un chat dans (à quelqu’un) 61
T’as le bonjour d’Alfred 6 Un travail de bénédictin 21 Faire un caca nerveux 36 la gorge 49 De concert/De conserve 61
Allô 6 Le benjamin (de la Le café du pauvre 36 Tenir les pieds Faire une conduite de
De bon/mauvais aloi 6 famille, Yoyoter de la chauds/au chaud 49 Grenoble 61
L’alpha et l’oméga 6 de l’équipe…) 21 cafetière/la touffe 36 Un chaud lapin 49 Le complexe d’Œdipe 61
Vendre/Donner son âme C’est la Bérézina 21 Aux calendes grecques 36 Chauffe, Marcel ! 49 On lui donnerait le bon
au diable 7 La réponse du berger Se cailler les miches/les Il n’y a pas un chat 49 Dieu sans confession 62
Faire amende honorable 7 à la bergère 22 meules 37 Ne pas y aller par quatre Donner de la confiture
Amis jusqu’aux autels/ Vouloir le beurre et Boire le calice chemins 50 à un cochon 62
jusqu’à la bourse 7 l’argent jusqu’à la lie 37 Tous les chemins mènent Revoir sa copie 62
Être comme l’âne de du beurre 22 Battre la campagne 37 à Rome 50 Passer/Sauter du coq
Buridan 7 Avoir la berlue 22 Fumer le calumet À cheval donné on ne à l’âne 63
Bon an, mal an 7 Chercher la petite bête 23 de la paix – Enterrer regarde pas la bride/la À cor et à cri 63
Pour un point, Beurré (comme un la hache de guerre. 37 bouche/les dents 50 Un corbeau 63
Martin perdit son âne 8 p’tit Lu) 23 Il ne faut pas prendre Trouver chaussure C’est dans mes cordes ! 63
Être aux anges 8 Connaître bibliquement 23 les enfants à son pied 50 Comme un coq en pâte 63
Les Anglais ont débarqué 8 Se faire de la bile 23 du bon dieu pour des Manger avec les La corde au cou 64
Un ange passe ! 8 Passer sur le billard 23 canards chevaux de bois 51 Tenir la corde 64
Il y a anguille sous roche 9 Compter pour du beurre 23 sauvages ! 38 Un chèque en bois 51 Tenir les cordons
Un compte d’apothicaire 9 Tremper son biscuit 24 Prendre/Sucer un canard 38 Un chevalier d’industrie 51 du poêle 64
Dans le plus simple Bisque ! Bisque ! Rage ! 24 Boire un canon/un coup 38 Un cheval de Troie 51 La corne d’abondance 64
appareil 9 Prendre une biture 24 Aller à Canossa 39 Être à cheval sur… 52 Porter/Planter
Le libre arbitre 9 En donner son billet 24 Il n’y a pas loin du Comme un cheveu des cornes 65
L’arbre qui cache la forêt 9 Se faire blackbouler 25 Capitole à la Roche sur/dans la soupe 52 Bayer/Bâiller
Une arlésienne 10 Une arme blanche 25 Tarpéienne 39 Couper les cheveux aux corneilles 65
Passer l’arme à gauche 10 Un bleu/bleu-bite 25 La caque sent toujours en quatre 52 Un choix cornélien 65
D’arrache-pied 10 Blanchir de l’argent 25 le hareng 39 Se faire des cheveux À son corps défendant 65
Signer son arrêt de mort 10 Faire un bœuf 26 Un capitaine d’industrie 39 (blancs)/de la mousse 52 Un cordon bleu 65
L’argent n’a pas d’odeur 10 Un vent à décorner Parler à la cantonade 40 Monter sur ses grands Ça se corse ! 66
Fier comme Artaban 11 les bœufs 26 Arriver comme les chevaux 52 (Taillable et) corvéable
Se faire appeler Arthur 11 Les bœuf-carottes 26 carabiniers 40 En cheville à merci 66
À l’article de la mort 11 Avoir quelqu’un Caracoler en tête 40 (avec quelqu’un) 53 À la côte 66
Être un as 11 à la bonne 26 En carafe 40 La cheville ouvrière 53 Filer un mauvais coton 66
Un homme de l’art Au petit bonheur Rabattre/Rabaisser Faire devenir chèvre 53 Un mauvais coucheur 66
– C’est du (la chance) 27 le caquet 40 Ménager la chèvre Avoir la cote 66
grand art Avoir la bosse de… 27 Le dernier carat 41 et le chou 53 Maigre comme un coucou 67
– L’enfance de l’art 11 Rire/Rigoler/Se marrer Muet comme une carpe 41 Vivre chichement 53 Avoir les coudées franches 67
L’assiette au beurre 12 comme un bossu 27 Carpe diem 41 C’est le chien de Jean Avoir des couilles 67
Ne pas être dans son Proposer la botte Se comporter/S’aplatir de Nivelle (il s’enfuit Avaler des couleuvres 67
assiette 12 (à une femme) 27 comme une carpette 41 quand on l’appelle) 54 Battre sa coulpe 68
Ne pas être sorti Jeter son bonnet Les carottes sont cuites 41 Le premier chien coiffé 54 En deux coups les gros 68
de l’auberge 12 par-dessus les moulins 27 Se tenir à carreau 42 Les chiens aboient Faire le coup du père
Un as de pique 12 Ça me botte ! 28 Sur le carreau 42 et la caravane passe 54 François 68
Une auberge espagnole 13 Avoir/Mettre l’eau Donner carte blanche 42 Les chiens ne font Sans coup férir 68
De bon/mauvais augure 13 à la bouche 28 Tourner casaque pas des chats 54 Un coup de fil 68
Mesurer à l’aune de… 13 Faire la fine bouche 28 – Retourner sa veste 43 Ne pas attacher son Tirer son coup 68
Dans tous les azimuts Mettre les bouchées Passer à la casserole 43 chien avec des saucisses 55 Il y a loin de la coupe
– Tous azimuts 13 doubles 28 Traîner une casserole 43 Un chien regarde bien aux lèvres 69
L’avocat du diable 13 Un bouc émissaire 28 En catimini 43 un évêque 55 Être sous la coupe
Être/Rester baba 14 De la bouillie pour Coiffer sainte Catherine 44 Un temps de chien 55 (de quelqu’un) 69
L’avoir dans le baba 14 les chats 29 Un cautère/emplâtre Une chiffe molle 55 Tomber comme
Une vieille baderne 14 S’en aller/Tourner sur une jambe de bois 44 Un chien de commissaire 55 un couperet 69
Une tour de Babel 14 en eau de boudin 29 Être sujet à caution 44 Se crêper le chignon 56 Une coupe sombre 69
La bailler belle/bonne 15 Un bouillon d’onze heures 29 Passer au caviar Avoir les yeux de Faire la cour (à quelqu’un) 70
À plein badin 15 Tirer à boulets rouges 29 – Caviarder 44 Chimène 56 Être au courant 70
Ça fait un bail ! 15 Pousser le bouchon La cerise sur le gâteau 44 Défrayer la chronique 56 Être coutumier du fait –
Un baiser de Judas 15 un peu loin 29 Se serrer la ceinture 45 Être chocolat 56 Une fois n’est pas coutume 70
Plier bagage 15 Avoir le bourdon 30 La femme de César ne doit Mettre/Tirer au clair 57 Le (petit) doigt sur la couture
Rire/Rigoler/Se marrer Se tirer la bourre 30 pas être soupçonnée 45 Mettre la clé sous du pantalon 70
comme une baleine 16 Bourré comme un coing 30 Ni chair ni poisson 45 la porte 57 La cour des grands 70
La balle est dans Sans bourse délier 30 Vouloir faire passer Être (un) grand clerc 57 Vaincre/Battre à plate(s)
votre camp ! 16 La bouteille à l’encre 30 un chameau par le chas Prendre ses cliques couture(s) 71
Ouvrir/Fermer le ban 16 Un boute-en-train 31 d’une aiguille 45 et ses claques 57 Un panier de crabes 71
Convoquer le ban La dive bouteille 31 Se réduire comme (Ravi) au septième ciel 57 Tirer sa crampe 71
et l’arrière-ban 16 Ruer dans les brancards 31 une peau de chagrin 46 Déménager à la cloche Pendre la crémaillère 71
Un baroud d’honneur 17 Scier la branche Appuyer sur le de bois 58 Changer de crèmerie 71
Avoir barre sur quelqu’un 17 sur laquelle on est assis 31 champignon – Sonner les cloches (à S’en jeter un derrière
Être mal barré 17 Mettre les bouts 32 Conduire le champignon quelqu’un) 58 la cravate 71
Lâcher les baskets/la À bras raccourcis 32 au plancher 46 River son clou Au creux de la vague 72
grappe 17 Avoir le bras long 32 Manger/Bouffer comme (à quelqu’un) 58 La critique est aisée,
Une république Coûter un bras 32 un chancre 46 Clouer le bec 58 mais l’art est difficile 72
bananière 17 Un branle-bas de combat 32 Le jeu n’en vaut pas Dans le coaltar/coltar 58 La croix et la bannière 72
Bassiner quelqu’un 18 Battre en brèche 33 la chandelle 46 Se taper la cloche 58 Riche comme Crésus 72
Cracher au bassinet 18 Une brève de comptoir 33 Devoir une fière Manquer/rater le coche 59 Tailler des croupières 73
Savoir où le bât blesse 18 À bride abattue 33 chandelle 46 Avoir le cœur sur la main 59 Tant va la cruche à l’eau
En bataille 18 À la mode de Bretagne 33 Sur les chapeaux de roues 47 Haut les cœurs ! 59 qu’à la fin elle se casse/brise 73

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 201


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
En deux coups de cuillère L’enfer est pavé de bonnes Tout le saint-frusquin 100 Rire jaune 113 Manu militari 126
à pot 73 intentions 87 Avoir la frite/la patate 100 En jeter – Ça en jette ! 113 (Se) casser la margoulette 126
Né avec une cuillère Une éminence grise 87 Sans crier gare 101 Un coup de Jarnac 113 Croquer le marmot 126
d’argent dans la bouche 73 À l’envi 88 Fumer une sèche/ On ne peut à la fois être juge En avoir marre
Un croque-mort 73 S’envoyer en l’air 88 une clope 101 et partie 114 – C’est marre ! 126
Se croire sorti de la cuisse Gagner ses éperons 88 Une offre/promesse Un jugement de Salomon 114 Faire le mariole 126
de Jupiter 74 Ôter/Retirer une épine de Gascon 101 Ne pas avoir (pour) deux Faire le matamore 127
Avoir du cul/du pot/du bol 74 du pied 88 Il y a de l’eau dans le gaz 101 sous de jugeote 114 Vieux comme Mathusalem 127
Marquer à la culotte 74 Tirer/retirer son épingle Amuser/Épater la galerie 101 Le petit juif 114 Rouler des mécaniques 127
Porter la culotte 74 du jeu 88 Vouer aux gémonies 102 Jeux de mains, jeux de De mèche (avec quelqu’un) 127
N’en avoir cure 74 Envers et contre tous/tout 88 Les deux, mon général ! 102 vilains 114 Vendre la mèche 127
Avoir le cul bordé de Jeter l’éponge 89 Peigner la girafe 102 C’est kif-kif 115 Entre le marteau
nouilles 74 Prendre la poudre À la Saint-Glinglin 102 Un [quelque chose] et l’enclume 127
Virer sa cuti 75 d’escampette 89 À gogo 102 lambda 115 Le revers de la médaille 128
Crever/Avoir la dalle 75 L’esprit de l’escalier 89 Cousin germain/issu Une fine lame 115 Menteur comme un
Il fait un temps de curé 75 Tomber/Rentrer dans de germain 102 S’en mettre plein la lampe 115 soutien-gorge 128
Au grand dam l’escarcelle 89 Sortir de ses gonds 103 Sur l’air des lampions 115 A beau mentir qui vient
(de quelqu’un) 75 À bon escient 89 Être gonflé – Ne pas Se laisser manger/tondre de loin 128
Trouver son chemin Passer l’éponge 89 manquer d’air 103 la laine sur le dos 115 La mer à boire 128
de Damas 75 Par l’opération du Jeter sa gourme 103 Donner sa langue au chat 116 Demander merci – Être
Que dalle 76 Saint-Esprit 90 Des goûts et des Il faut tourner sept fois sa sans merci – Être à la merci
Le tonneau des Danaïdes 76 Des espèces sonnantes couleurs, on ne langue dans sa bouche (de quelqu’un) 128
Une épée de Damoclès 76 et trébuchantes 90 dispute/discute pas 103 avant de parler 116 Merde ! 129
Entretenir une danseuse 76 Avoir/Mettre le pied Faire partie du Gotha 103 La langue de bois 116 Laisser pisser le mérinos 129
Se rincer la dalle – Avoir la à l’étrier 90 Pour ta gouverne 104 Poser un lapin 116 Des yeux de merlan frit 129
dalle en pente 76 Payer en espèces 90 Séparer le bon grain Éclairer la lanterne Paris vaut bien une messe 129
Dare-dare 77 D’estoc et de taille 91 de l’ivraie 104 (de quelqu’un) 117 La huitième merveille du
À l’usage du dauphin 77 Ne connaître ni d’Ève Est-ce que je te demande Se demander si c’est monde 129
Les dés sont pipés 77 ni d’Adam 91 si ta grand-mère fait du lard ou du cochon 117 Une messe basse 130
Au débotté 77 Un étouffe-chrétien 91 du vélo ? 104 S’entendre comme Sauver les meubles 130
C’est de la daube ! 77 Ex professo 91 Mettre le grappin sur larrons en foire 117 Ça fait la rue Michel 130
Le démon de midi 78 Sentir le fagot 91 (quelque chose/quelqu’un) 104 Perdre son latin 117 Faire son miel (de quelque
Les délices de Capoue 78 De derrière les fagots 91 Veiller au grain 104 S’endormir/Se reposer chose) 130
Avoir une dent contre Ne pas s’en faire Tomber comme à sur ses lauriers 117 Outre mesure 130
quelqu’un 78 (une miette) 92 Gravelotte 105 Des larmes de crocodile 117 Je vous le donne en mille 131
Après moi le déluge ! 78 Embrasser/Faire Fanny 92 Aller se faire voir Pressé comme un Ne pas payer de mine 131
À belles dents 79 Fauché (comme les blés) 92 chez les Grecs 105 lavement 118 Une cour des Miracles 131
Qui paye ses dettes S’inscrire en faux 92 Le Grenelle de… 105 Ne pas lésiner sur les La substantifique moelle 131
s’enrichit 79 Être un fayot 92 Une grenouille de bénitier 105 moyens 118 Être monnaie courante 132
Dur/Long à la détente 79 Une faim de loup 92 Sur le gril 105 Au pied de la lettre La montagne accouche
Jeter son dévolu 79 Cherchez la femme ! 93 De gré ou de force 105 – À la lettre 118 d’une souris 132
Mentir comme un Jeter l’argent par En avoir gros sur le Y a pas de lézard ! 118 Le mont-de-piété
arracheur de dents 79 les fenêtres 93 cœur/l’estomac/la patate 106 Faire du lèche-vitrine 118 – Chez ma tante – Le clou 132
Tirer le diable par la queue 80 Le fer de lance 93 Faire le pied de grue 106 Entrer en lice 119 Un monte-en-l’air 132
Au diable l’avarice ! 80 Un fesse-mathieu 93 Pas folle, la guêpe ! 106 Lever un lièvre 119 Fumer la moquette 132
Au diable vauvert 80 Croire dur comme fer 93 Une guerre picrocholine 106 Se faire limoger 119 Promettre monts
Dieu reconnaîtra les siens ! 80 Avoir le feu au cul/au Faire du gringue 106 Laver son linge sale et merveilles 132
Faire son deuil de 80 derrière 94 Courir le guilledou 107 en famille 119 Manger le morceau
À Dieu ne plaise ! 81 Avoir le feu sacré En faire à sa guise 107 Une tête de linotte 119 – Se mettre à table 133
Le dindon de la farce 81 – Être tout feu tout flamme 94 Habiller (quelqu’un) pour Courir plusieurs lièvres Être dans les bras de
À discrétion/À la discrétion Griller/brûler un feu 94 l’hiver 107 à la fois 119 Morphée 133
(de quelqu’un) 81 Faire fi de… 94 Tomber des hallebardes/ Faire litière de 120 En toucher un mot (à
Mon petit doigt m’a dit 81 Mi-figue, mi-raisin 94 des cordes 107 Par le petit bout quelqu’un) 133
Mettre le doigt dans Il n’y a pas le feu au lac ! 94 L’habit ne fait pas le moine 107 de la lorgnette 120 Prendre au mot 133
l’engrenage 81 Tuer un âne à coups La fin des haricots 108 Avoir vu le loup 120 Motus et bouche cousue 133
Qui dort dîne 82 de figues (molles) 95 Blanchir sous le harnais 108 Être connu comme Bourrer le mou 133
Dorer la pilule 82 Cousu de fil blanc 95 Crier haro (sur le baudet) 108 le loup blanc 120 Affirmer mordicus 133
Se la couler douce 82 De fil en aiguille 95 C’est de l’hébreu/du La part du lion 120 Enculer les mouches 134
Des mesures/lois Des grosses ficelles 95 chinois/de l’iroquois 108 Un vieux loup de mer 121 La mouche du coche 134
draconiennes 82 Un fil d’Ariane 95 Courir/Taper sur le Être une lumière 121 Prendre la mouche 134
Le dos au feu et le ventre En/À la file indienne 96 système/le haricot 108 Con comme la lune 121 Être dans la mouise/la
à table 82 La fin justifie les moyens 96 Vieux comme Hérode 109 Décrocher/Promettre/ panade /la purée 134
À l’eau de rose 83 Le fin du fin 96 Une hirondelle ne fait Demander la lune 121 Un moulin à paroles 134
Tenir la dragée haute En rester comme deux pas le printemps 109 Une lune de miel 121 On n’attrape pas les
(à quelqu’un) 83 ronds de flan 96 Mettre le holà 109 Se jeter dans la gueule mouches avec du vinaigre 134
Péter une durite 83 Tirer au flanc/au cul 96 Un combat homérique 109 du loup 121 Se faire du mouron 135
De joyeux drilles 83 Faire flèche de tout bois 97 Couper l’herbe sous Bien/Mal luné 122 Se faire mousser 135
Dans de beaux draps 83 Des manœuvres florentines 97 le pied 109 Il y a/Depuis belle lurette 122 Se croire le premier
Dans les mêmes eaux Conter fleurette 97 Un homme averti en Depuis des lustres 122 moutardier du pape 135
– Dans ces eaux-là 84 De bonne/mauvaise foi 97 vaut deux 110 Ne pas mâcher ses mots 122 Charger la mule 135
Mettre de l’eau Avoir les foies 97 Honni soit qui mal y pense 110 Une madeleine de Proust 122 Voilà pourquoi votre fille
dans son vin 84 Avoir la foi du charbonnier 97 Tirer à hue et à dia 110 Avoir des yeux de lynx 122 est muette 135
L’échapper belle 84 Mettre/Avoir du foin dans Être une huile 110 Avoir maille à partir (avec Mettre/Être au pied
Des économies de bouts ses bottes 98 C’est l’hôpital qui se quelqu’un) 123 du mur 136
de chandelle 84 En son for intérieur 98 moque de la charité 110 En mains propres 123 Passez, muscade ! 136
Un écorché vif 84 Les bonnes fortunes L’huile de coude 111 En mettre sa main au feu 123 Mystère et boule
Nager entre deux eaux 84 – À la fortune du pot La partie cachée/immergée Faire main basse sur de gomme 136
Chat échaudé craint l’eau – Une fortune de mer 98 de l’iceberg 111 (quelque chose) 123 C’est du nanan 136
froide 85 En bonne et due forme 98 Incessamment sous peu 111 Ne pas y aller de main Chassez le naturel,
En écraser 85 S’attirer les foudres Mettre à l’index 111 morte 124 il revient au galop 137
Mettre les écureuils à pied 85 (de quelqu’un) 99 L’été indien 111 Se retrouver/Être une main Se casser la nénette 137
Qui trop embrasse De plein fouet 99 À huis clos 111 devant, une main derrière 124 À vue de nez – Au pif –
mal étreint 85 Avoir des fourmis Un violon d’Ingres 112 S’en laver les mains 124 Au pifomètre 137
Faire l’école buissonnière 85 (dans les membres) 99 Le droit d’inventaire 112 N’en pouvoir mais 124 Aller/Battre à Niort 137
Ne pas tarir d’éloges 86 Aller aux fraises 99 Faire le Jacques 112 Un coup de main 124 Sainte nitouche 137
Bouché à l’émeri 86 Ne pas pouvoir être Des jambes de faucheur/ Se faire la malle 125 Le nerf de la guerre 137
Une foire d’empoigne 86 (à la fois) au four faucheux 112 Branler dans le manche 125 Convoler en justes noces 138
Nettoyer les écuries et au moulin 99 Prendre ses jambes Comme un manche 125 Trancher le nœud gordien
d’Augias 86 Ramener sa fraise 100 à son cou 112 Faire la manche 125 138
À l’emporte-pièce 87 Sucrer les fraises 100 Ça me fait une belle jambe 112 Une autre paire Travailler au noir –
Mettre à l’encan 87 À la bonne franquette 100 Tenir la jambe de manches 125 Faire du marché noir 138
Un enfant de la balle 87 Ronger son frein 100 (à quelqu’un) 113 Faire un malheur 125 Chercher des noises 138

202 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE


1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Tête de nœud 138 Remettre les pendules Avoir les portugaises Hommes/Gens de sac Y a pas à tortiller du cul
Avoir un nom à coucher à l’heure 152 ensablées 164 et de corde 177 (pour chier droit dans
dehors 139 Avoir du peps 152 Enfoncer une porte L’affaire est dans le sac 177 une bouteille) 190
Noyer le poisson 139 Enfiler des perles 152 ouverte 164 Avoir les deux pieds dans Être mis/Rester sur
Se noyer dans un verre Faire (quelque chose) Le pot aux roses 165 le même sabot 177
Tourner autour du pot 165 Mettre à sac 178 la touche – Botter
d’eau 139 en perruque – Faire de la
Un (sacré) numéro ! 139 perruque 152 Dès potron-minet 165 À bon entendeur, salut ! 178 en touche 190
Une nuit blanche 139 Ce n’est pas le Pérou ! 152 Laid/Moche comme Une planche de salut Tonnerre de Brest ! 190
Être en odeur de sainteté 140 Valoir son pesant d’or 153 un pou 165 – Trouver son salut 178 Faire une touche 191
Œil pour œil, dent pour Avoir un pet de travers 153 Le pot au noir 165 Bon sang ! Palsambleu ! 178 Une tour d’ivoire 191
dent – La loi du talion 140 Comme un pet sur Manger sur le pouce 166 Vider son sac 178 Un coup de Trafalgar 191
Se mettre le doigt dans une toile cirée 153 Mettre les pouces 166 Bon sang ne peut/ne Être en train de… 191
l’œil 140 Un pétard mouillé 153 De la poudre saurait mentir 179 Doré sur tranche 191
Tuer/Écraser/Étouffer Dans le pétrin 153 de perlimpinpin 166 Sentir le sapin 179
Balancer/Envoyer la sauce 179 La tournée des
dans l’œuf 140 Ne pas valoir un pet Jeter de la poudre
de lapin 153 aux yeux 166 Faire avancer grands-ducs 191
À pied d’œuvre 141
En rang d’oignons 141 Excusez du peu ! 154 Mener les poules le schmilblick 179 À tue-tête 192
S’occuper de ses oignons 141 Peu ou prou 154 pisser – Aller traire Passer un savon 179 Ne pas valoir tripette 192
Un oiseau rare 141 Pédé comme un phoque 154 les poules 166 Séance tenante 180 Ne pas avoir les yeux
On ne fait pas d’omelette Ne tirez pas sur Quand les poules auront En cinq sec 180 en face des trous 192
sans casser des œufs 141 le pianiste ! 154 des dents 167 Secouer comme un Le bout du tunnel 192
OK 141 Y a pas photo 154 Écrire/Envoyer un poulet prunier – Secouer Une tunique de Nessus 192
Prendre le train onze/ Qui va piano va sano 155 (à quelqu’un) 167 les prunes 180
Aller à la selle 180 Fort comme un Turc 193
d’onze heures 142 (Ne pas) être aux pièces 155 Né dans la pourpre 167
Au pied levé 155 Mordre la poussière 167 Tout schuss 180 Donner un tuyau (crevé) 193
Rouler sur l’or 142 Une famille tuyau
Apporter des oranges Avoir bon pied bon œil 155 Cucul la praline 167 Un coup de semonce 181
(à quelqu’un) 142 Faire du pied 155 Tuer la poule aux Un train de sénateur 181 de poêle 193
Mordre/Manger l’oreiller 142 Avoir le pied marin 155 œufs d’or 167 Nourri dans le/Faire Aller (à quelqu’un)
Il y a de l’orage dans l’air 142 Haut le pied 156 Défendre son pré carré 168 partie du sérail 181 comme un tablier
Pousser des cris d’orfraie 143 Mettre à pied 156 Un procès d’intention 168 Chanter comme une à une vache/comme
Attendre sous l’orme 143 Prendre son pied 156 Un lit de Procuste 168 seringue/une casserole 181 des guêtres à un lapin 193
Faut pas pousser Un pied-noir 156 Lâcher la proie Avoir du sex-appeal 181
Faire semblant de – Les vaches maigres
grand-mère /mémé / Mettre les pieds pour l’ombre 168
dans le plat 156 Pour des prunes 168 Ne faire semblant de rien 181 – les vaches grasses 193
mémère dans les orties 143 Manger de la vache
Jeter la (première) pierre Nul n’est prophète Couper le sifflet 182
Être à l’ouest 143 enragée 194
(à quelqu’un) 157 en son pays 168 Ce n’est pas une sinécure 182
L’avoir dans l’os 143
Se faire prendre pour Tenir à quelque chose Le rocher de Sisyphe 182 Parler français comme une
Ours mal léché 144
un pigeon 157 comme à la prunelle Une solution de continuité 182 vache espagnole 194
Avoir des oursins dans la
Avoir pignon sur rue 157 de ses yeux 169 Vaincre le signe indien 182 Un coup de pied en vache
poche/le porte-monnaie 144
Jouer à pile ou face 157 La puce à l’oreille 169 Une bête de somme 183 – Mort aux vaches ! 194
Un ouvrier de la onzième/
Pierre qui roule Crier/Gueuler comme Une chasse aux sorcières 183
dernière heure 144 Une peau de vache –
n’amasse pas mousse 157 un putois 169 À vos souhaits ! 183
Être paf 144 Être dans ses petits souliers La vache ! 194
Un pince-sans-rire 158 En quarantaine 169
La paille et la poutre 144 183 Brûler ses vaisseaux 194
N’être pas à prendre Une victoire à la Pyrrhus 169
Avoir ses ours 144 S’en moquer comme Pas besoin de sortir de Pleuvoir comme vache
avec des pincettes 158
Sur la paille 145 de l’an quarante 170 Saint-Cyr/Polytechnique
Une bonne pioche 158 qui pisse 194
Un homme de paille 145 Des querelles intestines 170 pour… 183
Damer le pion 158 Autant en emporte
Manger son pain blanc Tomber pile – Au poil Une querelle d’Allemand 170 Cracher dans la soupe 184
en/le premier 145 le vent 195
– Pile-poil 158 À la queue leu leu 170 Trempé comme une soupe 184 Aller à vau-l’eau 195
Hors pair 145 Tailler une pipe 159 Tomber en quenouille 170 Un sous-fifre 184
Avoir du pain sur En Suisse 184 Avoir une veine de
Pas piqué des Sans queue ni tête 171
la planche 145 vers/hannetons 159 La quille 171 Le supplice de Tantale 184 cocu/pendu 195
Envoyer paître 146 Pisser dans sa culotte/ Allumer/Ouvrir Casser du sucre sur le Adorer le veau d’or 195
Se faire porter pâle 146 dans son froc 159 ses quinquets 171 dos (de quelqu’un) 184 Avoir du vent dans
Le dessus du panier 146 Laisser en plan –Planter là 159 Être sur le qui-vive 171 Faire un tabac 185 les voiles 196
Un panier percé 146 Un pique-nique 159 En rade 171 Un coup de tabac 185 Avoir le vent en poupe 196
La boîte de Pandore 146 Le plancher des vaches 160 Avoir la queue entre Faire table rase 185
En panne 147 Contre vents et marées 196
Être/Mettre à côté les jambes 171 Rendre son tablier 185 Le ventre mou 196
Tomber dans le panneau 147 de la plaque 160 Faire du ramdam 172 Passer à tabac 185
Être dans les petits papiers Sacrifier à Vénus 196
Une plâtrée/ventrée Demain, on rase gratis ! 172 Sans tambour
(de quelqu’un) 147 (de nourriture) 160 Manger à tous les râteliers 172 ni trompette 186 Bon vent ! 196
À Pâques ou à la Trinité 147 Battre son plein 160 Un remède Prendre la tangente 186 Tirer les vers du nez 197
Une parole d’Évangile 148 Savonner la planche de bonne femme 172 Tant pis – Tant mieux 186 Tuer le ver 197
La flèche du Parthe 148 – Glisser une peau Fait comme un rat 172 Être au taquet 186 Une vérité de La Palice
Raide comme de banane 160 Une réponse de Normand 173 Être piqué de la tarentule 186 – Une lapalissade 197
un passe-lacet 148 Péter les plombs Le repos du guerrier 173 Sur le tas 187 Vérité en deçà des
Mener une vie – Disjoncter 161 Avoir de beaux restes 173 Partir à Tataouine 187
de patachon 148 Pyrénées, erreur au-delà 197
Un soleil de plomb 161 Être de la revue 173 Prendre le taureau par les
Le parcours du combattant 148 Dire ses quatre vérités
Ça va durer trois plombes 161 Tirer sa révérence 173 cornes 187
Faire un pataquès – De bon/mauvais poil 161 Faire ripaille 174 (à quelqu’un) 197
Le téléphone arabe 187
En faire (tout) un pataquès 149 Se pointer (quelque part) 161 Une voix de rogomme/de Une tarte à la crème 187 Être verni 198
Refiler la patate chaude 149 Faire le point 161 mélécasse 174 Une tempête dans Comme la vérole sur
Patin couffin 149 Se chatouiller le poireau Le roi n’est pas son cousin 174 un verre d’eau 188 le bas clergé
Rouler un patin/une – Se polir/S’astiquer Travailler pour le roi Qu’à cela ne tienne ! 188 (espagnol/breton) 198
galoche 149 la colonne 162 de Prusse 174 Un tiens vaut mieux Des vertes et des
Graisser la patte 149 Avoir la poisse 162 À tour de rôle 174 que deux tu l’auras pas mûres 198
Montrer patte blanche 150 Comme un poisson Bon comme la romaine 175 – Mieux vaut tenir
Le haut du pavé 150 Se mettre au vert 198
dans l’eau 162 Rond comme… 175 que courir 188
Un pavé dans la mare 150 Engueuler comme Se magner la rondelle 175 Prendre des vessies
Être terre-à-terre 188
À fleur de peau 150 du poisson pourri 162 Rôtir le balai 175 Au temps/Autant pour pour des lanternes 198
Coûter la peau des Avaler des poires Au bout du rouleau 175 moi 188 Avoir la main verte 198
fesses/la peau du cul/la d’angoisse 162 Un rond-de-cuir 175 Par tête de pipe 189 Prendre une veste 199
peau des couilles/les yeux Un poisson d’avril 163 Franchir le Rubicon 176 à tire-larigot 189 Tomber la veste 199
de la tête 150 Avoir un coup de pompe 163 Payer rubis sur l’ongle 176 Un travail de titan 189 Un vieux de la vieille 199
Baisser pavillon En grande pompe 163 Les petits ruisseaux font À tombeau ouvert 189 Entrer dans le vif du sujet 199
– Mettre pavillon bas 150 Soûl comme un Polonais 163 les grandes rivières 176 Tomber à l’eau/dans Pisser dans un violon 199
Peau de balle 151 Pomme de discorde 163 De la roupie de sansonnet 176 le lac 189
Trois pelés et un tondu 151 Comme le Pont-Neuf 164 Le marchand de sable Vingt-deux (22) ! 200
Décrocher la timbale/le
Se peler le cul/le jonc 151 Ça se bouscule est passé 177 coquetier/le cocotier 189 Une volée (de bois vert) 200
Dire pis que pendre 151 au portillon 164 Dormir comme un sabot 177 Tomber enceinte/ En voiture, Simone ! 200
Ne pas nous en chier une La portion congrue 164 Avoir plus d’un tour malade/amoureux… 190 Trier sur le volet 200
pendule 151 Tirer le portrait 164 dans son sac 177 Le torchon brûle 190 En quatrième vitesse 200

TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 203


Ah, ces délicieuses
expressions !

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