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DE L ORTHOGRAPHE
1001
N U M É R O E X C E P T I O N N E L
L’AFFAIRE
courir sur le haricot
EST
DANS
LE SAC
Être soupe
au lait
EXPRESSIONS
Décrocher
le cocotier
Poser
un lapin
TENIR LA
CHANDELLE
MENTIR
COMME UN
ARRACHEUR
DE DENT
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Un dessin vaut
1 000 mots
ÉditO
Vous l’attendiez avec impatience, voici un numéro XXL des Timbrés de l’orthographe ! Plus de 200 pages
dans lesquelles se dévoilent les 1 001 expressions préférées des Français. Sous la plume alerte et érudite
de Georges Planelles, vous allez enfin tout savoir des origines parfois surprenantes de nos expressions
populaires, celles qui au quotidien enjolivent cette langue française que nous aimons tant.
Des expressions tantôt grivoises, tantôt mythologiques, tantôt historiques. Des racines littéraires,
régionales, populaires. Des usages intenses ou dépassés, des expressions remises à la mode ou
désuètes : vous tenez entre les mains un trésor sans pareil !
Grâce à ce numéro double des Timbrés de l’orthographe, vous aurez toujours la réponse à la fameuse
question : Pourquoi dit-on ?
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1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
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respecter et, c’est ce qui nous in- rapidité », comme dans les locutions considéré comme le père du peuple
téresse ici, acquitter sa conscience, se foutre dans le pétrin, se foutre par britannique qui, chez Pline, s’appelait
c’est effectuer ce qu’on croit de- terre, où on peut souvent le rempla- les Albiones.
voir faire, selon ce que dicte sa cer par ficher, se ficher (également
conscience ; ce faisant, on la libère pour « se mettre » ou « se jeter ») Q Alea Jacta est/Le dé
du poids qui aurait pu peser dessus existant déjà en ancien français. en est jeté
si on n’avait pas fait le nécessaire. Même si l’aspect sexuel du mot
Le sort en est jeté – La
Si l’expression par acquit de conscience n’est plus présent (c’est au XVIIe siècle
décision est prise, l’action est
est apparue au milieu du XVIe siècle, elle qu’on commence à trouver des
lancée, advienne que pourra.
a été peu utilisée jusqu’au XIXe siècle, foutre neutres), on lui associe tou-
puisqu’on lui préférait la variante à/ jours un côté violent relié à l’image
pour l’acquit de sa conscience qui a agressive de la pénétration sexuelle
aujourd’hui disparu. non désirée.
Maintenant, pourquoi le fait de se
Q Chercher une aiguille foutre en l’air est-il synonyme de se
dans une botte/meule tuer ?
de foin L’explication est plutôt facile à trou-
ver : celui qui se fout à l’eau sera
Chercher une chose presque
certes mouillé, mais il est peu pro-
introuvable – Vouloir réaliser
bable qu’il y perde la vie, s’il sait na-
une chose extrêmement
ger ; en revanche, celui qui se fout
difficile.
(se jette) en l’air depuis le sommet
La date d’apparition de cette expres- de la tour Montparnasse a peu de
sion n’est pas connue. Mme de Sévi- chances de se retrouver au sol en-
gné l’emploie en 1652, mais il est core vivant. Taddeo Di Bartolo, César et Pompée, 1414.
probable qu’elle soit antérieure.
Quant au sens, l’expression contient Q La perfide Albion Ce jour-là, au début de l’an 49 avant
une image suffisamment limpide. J.-C., César a joué, a pris un double
L’Angleterre.
Quiconque a déjà tenté de retrou- risque, celui de transgresser une loi
ver une personne perdue dans une Si c’est juste après la Révolution (la loi romaine imposait en effet à
foule, de chercher une information française, en 1793, qu’elle est appa- tout général de se séparer de ses
pertinente sur Internet, de trouver rue, c’est surtout au XIXe siècle que troupes avant de passer la rivière
l’origine de l’expression chercher l’expression perfide Albion s’est ré- le Rubicon) et de perdre sa guerre
une aiguille dans une meule de pandue. contre Pompée qui dirigeait Rome :
foin pour l’ajouter à son ouvrage, Cette appellation provient de deux mais il a gagné puisque le consul
s’est vite rendu compte qu’il a en- sources. ayant d’abord fui Rome, puis ayant
trepris une tâche aussi difficile que La première est un rappel de ces fa- perdu la bataille décisive de Pharsale,
de tenter de retrouver une véritable laises blanches, caractéristiques de en Thessalie, il est arrivé au pouvoir
aiguille de couture tombée au milieu la côte sud de l’Angleterre. Or il se peu après.
d’une véritable botte de vrai foin. trouve que blanc, en latin, se dit al- César a pourtant dû ressentir le fris-
Notez qu’il est tout aussi difficile de bus d’où est issu Albion. son du joueur qui jette ses dés et qui,
trouver un brin de paille dans une La seconde vient du géant Albion : sur un seul coup, peut tout perdre.
botte d’aiguilles. dans la mythologie, ce personnage, D’où ces mots devenus célèbres qui
fils de Neptune, fut tué par Hercule viennent du fait qu’une fois que les
Q Se foutre en l’air auquel il chercha à s’opposer lorsque dés sont jetés (que l’action est lan-
ce dernier passa en Gaule. Le lien cée), il n’y a plus qu’à attendre qu’ils
Se tuer.
entre ce géant et l’Angleterre nous est tombent et s’arrêtent pour constater
Si foutre a généralement une conno- donné par le poète de la Renaissance ce que le sort aura bien voulu déci-
tation sexuelle, puisqu’il vient du la- Edmund Spenser qui a évoqué « le der. Ils marquent aussi une décision
tin futuere (« avoir des rapports avec puissant Albion, père du peuple prise irrévocablement, quelles qu’en
une femme »), ici, sous sa forme vaillant et guerrier qui occupe les îles soient les conséquences.
pronominale, il a le sens moderne de la Bretagne » où la Bretagne est Alea, en latin, signifiait « jeu de
(début du XXe siècle) de « se mettre » la Grande-Bretagne. Et, effective- dés » ou « dé » et, par extension, il a
ou « se jeter avec violence ou ment, dans la mythologie, Albion est désigné le sort ou le hasard.
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Q Vendre/Donner était une peine infamante qui se arbitre (dont il faisait partie), il évo-
son âme au diable traduisait entre autres par une pri- quait l’histoire de cet âne qui va finir
vation d’honneur (honorable = par mourir à la fois de faim et de
Promettre son âme au diable
relative à l’honneur) et était oppo- soif, car il n’aura jamais su décider
en échange d’avantages
sée à l’amende profitable, celle- s’il devait commencer par se rassa-
terrestres – Perdre sa dignité,
ci consistant en un paiement de sier ou se désaltérer.
sa liberté en cédant à des
sommes d’argent, la seule qui nous Ceci est la thèse classique sur l’ori-
tentations.
est restée. gine de cette expression.
C’est des croyances du Moyen Âge Cela dit, selon Furetière, cette
que nous vient cette expression avec Q Amis jusqu’aux autels/ expression n’est attestée qu’au
son premier sens, la version avec jusqu’à la bourse XVIIe siècle, soit trois siècles après la
vendre datant du XVIIe siècle, celle disparition de Buridan, et Aristote,
Très amis, tant qu’il n’y a rien
avec donner du XIXe. bien avant Buridan, évoquait déjà le
de contraire à la religion/qu’il
À cette époque où la religion jouait dilemme du chien en se demandant
n’est pas question de prêt
un rôle très important, les hommes comment un tel animal fait son choix
d’argent.
croyaient qu’il était possible de faire entre deux nourritures également
un pacte avec le diable et de lui Ces expressions anciennes sont peu attirantes.
abandonner son âme en échange utilisées de nos jours, mais elles
d’avantages terrestres divers. pourraient parfaitement être tou-
C’est ainsi qu’on accusait les sorciers jours d’actualité. Q Bon an, mal an
et sorcières d’avoir vendu leur âme Elles montrent simplement les limi-
Selon les années (ou
au diable en échange de leurs pou- tes que certains mettent à l’amitié,
d’autres périodes de
voirs surnaturels. lorsque des divergences d’opinions
temps, maintenant).
Au figuré, cette expression s’ap- religieuses existent ou lorsqu’un
En moyenne (avec une
plique maintenant à toute personne des deux amis est soudain dans le
notion de durée).
qui n’hésite pas à se renier, à perdre besoin.
sa dignité ou sa liberté d’action, de La version avec autel remonte à Employée au moins depuis le
réflexion ou de décision, en échange l’Antiquité à une époque où l’on XVIIe siècle, cette expression se com-
de choses qui, au moins temporaire- avait l’habitude de jurer la main prend aisément. Elle a d’abord été
ment, vont lui paraître extrêmement posée sur un autel. associée à des activités répétitives
désirables ou avantageuses. Plus tard, alors qu’Henri VIII avait sur une longue durée ; la « moyen-
demandé à François Ier de rompre ne » tient compte des bonnes et
Q Faire amende avec l’Église romaine, ce dernier lui des mauvaises années qui se suc-
honorable répondit : « Je suis votre ami, mais cèdent.
jusqu’aux autels. » Ainsi en est-il dans un vignoble, par
Reconnaître qu’on a tort.
Quant à la version avec bourse, elle exemple, de la production de vin
Demander publiquement
est souvent confirmée lorsque deux dont la qualité et le volume varient
pardon.
anciens amis se déchirent à partir du au fil des ans, mais qui, « bon an,
C’est au XVIe siècle que cette moment où il y a entre eux des pro- mal an », restent sans grandes sur-
expression apparaît, d’abord avec la blèmes d’argent. prises, les bonnes années compen-
seconde signification proposée, avec sant les mauvaises.
un sens bien plus fort qu’aujourd’hui Q Être comme l’âne Elle s’utilise maintenant beau-
puisqu’il est carrément question de de Buridan coup plus largement, même si
pénitence publique alors que, depuis la durée n’est plus un multiple
Hésiter indéfiniment – Ne pas
le XVIIIe, on l’utilise pour de simples d’années.
savoir quel parti prendre.
excuses. Il ne faut pas oublier que an
Le mot amende vient du verbe amen- Jean Buridan, né à la fin du XIIIe siècle, vient du latin annus qui désignait
der. Dès le XIIIe siècle, il désignait une était un philosophe. l’année, mais aussi la récolte.
peine, une punition correspondant à Si son œuvre écrite n’évoque pas La variabilité de la qualité et de
la réparation d’un tort, avant, bien cet âne devenu célèbre, on dit que, la quantité des récoltes dans le
plus tard, de se spécialiser dans la dans ses cours, pour discuter de cer- temps a un très probable lien avec
réparation pécuniaire. taines thèses philosophiques, et en la naissance de l’expression.
L’amende honorable, qui imposait particulier pour opposer les tenants
une demande de pardon en public, du déterminisme et ceux du libre
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ours, avoir ses ragnagnas, écraser À partir du milieu du XIVe siècle, pour désigner l’apparence, supposait
des tomates, être empêchée/gênée, le mot apothicaire désignait un une longue préparation en habille-
faire relâche, jouer à cache-tampon, commerçant qui vendait des produits ment, maquillage et autres bricoles
recevoir sa famille, repeindre sa grille médicamenteux, mais aussi des destinées à tenter de se faire plus
au minium, etc. produits rares. Il préparait, vendait beau que les autres invités.
et administrait des médications. Il
Q Il y a anguille devait donc avoir des connaissances Q Le libre arbitre
sous roche avancées aussi bien en médecine
La pleine liberté de décider,
qu’en ingrédients susceptibles d’entrer
Il y a quelque chose de caché, de faire selon sa volonté –
dans la composition des drogues qu’il
une perfidie qui se prépare – L’absence de contrainte.
fabriquait. Profitant de l’admiration
L’affaire n’est pas claire.
qu’il suscitait, il se permettait de vendre Il existe deux versions du mot arbitre,
L’anguille est un charognard qui vit ses remèdes par petites quantités et d’étymologies différentes.
surtout la nuit ; dans la journée, elle très cher, n’hésitant pas à gruger plus La personne qui a pour rôle de juger,
a donc plutôt tendance à se cacher et ou moins les petites gens (d’où le trancher ou régler un litige, ou de faire
de préférence sous des rochers. Notre premier sens) dont certains, devenus respecter des décisions ou des règles
expression correspond donc bien à méfiants, n’hésitaient pas à négocier le vient au XIIIe siècle du latin arbiter. Alors
une réalité. compte de l’apothicaire ou le calcul du que l’autre version est venue au même
Mais c’est aussi une métaphore qui prix à payer, avant de le régler. siècle du latin arbitrium et a eu le sens
s’explique par d’autres voies. de « volonté », ce dernier mot l’ayant
Selon Pierre Guiraud, lexicographe Q Dans le plus simple rapidement supplanté, permettant
du XXe siècle, dans Les Locutions appareil d’éviter une homonymie pénible.
françaises, le sens de « tromperie ca- C’est bien entendu dans ce dernier
Nu (ou très peu vêtu).
chée » viendrait du lien établi plus ou sens que le mot arbitre doit être
moins consciemment ou d’un jeu de Pour nous approcher du sens initial du compris dans notre locution, sachant
mots entre anguille et deux verbes mot « appareil », nous allons passer par qu’on a d’abord parlé de franc arbitre
guiller de l’ancien français. le verbe appareiller dont, de nos jours, au XIIIe siècle, puis de libéral arbitre au
Le premier avait le sens de « éviter le le sens évident pour presque tout le XVIe, avant que la forme libre arbitre
combat, se faufiler », un peu comme monde correspond au navire qui quitte répandue par Pascal au XVIIe ne de-
l’anguille qui tente de s’échapper. le port. Or, au XVIe siècle, l’appareillage vienne la formule usuelle.
Le second guiller vient du francique d’un navire, c’était sa préparation au
wigila (« ruse, astuce ») et signifiait départ, pas le départ lui-même. Q L’arbre qui cache
« tromper », d’où également la Bien sûr, appareiller et appareil ont la la forêt
dénomination de Guillaume pour même origine.
Le détail qui empêche de voir
suggérer la tromperie. Cela a commencé au XIe siècle avec
l’ensemble.
Enfin, l’anguille était souvent assimilée le verbe, venu du latin apparere qui
à un serpent, animal fourbe s’il en est. voulait dire « préparer ». Le mot qui Voilà une belle métaphore sylvestre
Cette expression est attestée chez en est dérivé avait, à la fin du XIIe, le dont l’apparition semble dater du
Rabelais en 1532, mais elle est proba- sens initial de « préparatif ». C’est XXe siècle.
blement plus ancienne. pourquoi, par extension, au XVIe siècle, Pour la comprendre, il vous suffit
il a également eu la signification de de vous livrer à une expérience très
Q Un compte « déroulement d’un cérémonial » ou simple : dans la forêt, mettez-vous
d’apothicaire de « magnificence », comme dans trop près d’un arbre quelconque (le
le mot apparat dérivé également du détail) et vous ne verrez plus les autres
Une facture exagérée –
latin apparere. arbres de la forêt (l’ensemble).
Un calcul compliqué dont les
Et qui dit « apparat » dit « costume Notre expression est donc une méta-
résultats n’ont aucun intérêt ou
d’apparat ». C’est ainsi que appareil phore qui rappelle que, dans la vie, il
sont difficilement vérifiables.
a désigné l’apparence, souvent fas- arrive parfois qu’un détail capte notre
Ce n’est qu’au début du XIXe siècle tueuse, des personnes se rendant « en attention et nous empêche de voir
que le terme pharmacien a remplacé grand appareil » à une cérémonie im- quelque chose de plus ample, de plus
apothicaire et, bizarrement, c’est au portante. global (ce détail ayant pu être volon-
moment où ce dernier a commencé Tout cela pour nous amener à com- tairement mis en avant par quelqu’un
à tomber en désuétude que notre prendre que notre expression est un ayant intérêt à ce qu’on n’en perçoive
expression est apparue. bel oxymore. Car qui disait appareil, pas plus).
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Alphonse Daudet qui la fait appa- Q D’arrache-pied
Q L’argent n’a pas raître dans un conte en 1866, lequel
Sans relâche, sans
d’odeur conte est mis en musique six ans plus
interruption – En fournissant
tard par Georges Bizet dans un opé-
L’argent malhonnêtement un effort intense.
ra où le personnage qui lui donne
gagné ne trahit pas son
son titre n’apparaît jamais sur scène. Voilà une expression, ou plutôt une
origine – Peu importe d’où
Dans cette histoire, un jeune homme, locution adverbiale, qui nous vient
provient l’argent, l’essentiel
Jan, veut épouser une jeune Arlé- de 1515 et qui a changé trois fois de
est d’en avoir.
sienne dont il est tombé amoureux sens depuis son apparition.
Cette expression s’emploie en après l’avoir rencontrée une seule À cette époque, elle signifiait « tout
général pour un bien mal acquis fois. Une grande fête pour les fian- de suite » et elle vient probablement
dont on préfère oublier l’origine çailles est même organisée, mais en du fait que la personne à qui on
douteuse. l’absence de la « fiancée ». demandait d’agir immédiatement
L’empereur Vespasien, qui régna C’est de cette personne attendue devait quitter son immobilité et très
sur Rome de 69 à 79 après J.-C., sans cesse et qui ne vient pas que, vite bouger et « arracher » ses pieds du
institua nombre de taxes diver- par extension, une arlésienne a fini sol, comme si la position immobile cor-
ses afin de renflouer le trésor de par désigner toute personne ou respondait à des pieds plantés en terre.
l’État. chose qu’on attend et qui ne se Ensuite (chez Rabelais, par exemple),
L’une d’entre elles marqua plus présente ou n’arrive jamais. elle a signifié « sans interruption »
particulièrement les esprits, celle ou « sans relâche », sans explication
sur les urines destinées à être col- Q Passer l’arme à gauche claire sur le glissement du sens.
lectées pour servir aux teinturiers La seconde signification proposée
Mourir.
(elles servaient à dégraisser les apparaît et vit parallèlement à la
peaux). Elle était payable tous les Cette expression du début du précédente à partir du XVIIIe siècle,
quatre ans par tous les chefs de XIXe siècle est d’origine militaire. probablement parce que celui qui
famille, en fonction du nombre Une explication lie son origine à la travaille sans relâche est tenu de
de personnes (et d’animaux) vi- pratique de l’escrime. fournir un effort intense.
vant sous leur toit. Une autre explication vient de la
Bien entendu, le peuple se mo- position du repos (par opposition à Q Signer son arrêt de mort
qua de cette taxe et Titus, le celle du garde-à-vous) qui est celle
Faire ou dire quelque chose,
fils de Vespasien, lui en fit la re- où le soldat pose son fusil au pied
commettre un acte qui va
marque. L’empereur lui mit alors gauche. Et du repos au repos éter-
conduire inéluctablement
une pièce de monnaie sous le nel, il n’y a parfois qu’un petit pas…
à la mort.
nez et lui dit, en lui demandant Une troisième explication vient des
de la sentir : « l’argent n’a pas soldats de l’époque napoléonienne Comprise de manière un peu sim-
d’odeur » (« pecunia non olet »), qui, lorsqu’ils devaient recharger pliste, cette expression peut laisser
sous-entendant ainsi que peu im- leur fusil, devaient déchirer une perplexe. En effet, si on signe de quoi
portait la provenance de l’argent cartouche, ce qui leur imposait « arrêter » sa mort, c’est qu’on va
tant qu’il remplissait les caisses. de placer leur arme à gauche et l’empêcher et donc ne pas mourir.
Les urinoirs publics installés à de se redresser en partie, les ren- Dans ce cas, le sens paraît complète-
Paris à partir de 1834 s’appelaient dant ainsi plus vulnérables aux tirs ment opposé à ce qu’il est réellement.
des vespasiennes, en mémoire de ennemis. Mais c’est oublier qu’un « arrêt »
Vespasien. La dernière proposée ici date du ou un « arrêté », c’est une décision
Moyen Âge où, après une union, prise par une autorité administrative
les écus des deux familles pouvaient ou judiciaire. Un « arrêt de mort »
Q Une arlésienne être accolés pour former un nouveau entraîne alors la peine capitale.
blason. Les armes (au sens de « ar- Signer son arrêt de mort, c’est donc
Une personne ou une action
moiries ») de l’époux étaient à droite, signer l’arrêt qui va nous être fatal,
qu’on attend et qui ne vient
ceux de l’épouse à gauche. En cas de celui qui décide qu’on va mourir.
jamais – Une chose dont on
mort de l’époux, ses armes étaient Autrement dit, au figuré, c’est faire
parle, mais qui n’arrive ou ne
transférées à gauche du blason. de son propre chef ce qu’il faut
se produit jamais.
Passer l’arme (ou les armes) à pour provoquer sa propre disparition
C’est d’une Arlésienne bien particu- gauche signifiait donc qu’on venait (comme prendre un bain dans une
lière qu’il est question. On la doit à de rendre l’âme. rivière infestée de crocodiles ou bien
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désigne le premier aviron d’une yole « la manière d’être assis » et, pour les
(canot de compétition contenant 2, 4 Q Un as de pique amoureux des équidés, la « position du
ou 8 rameurs). Dans les courses hip- cavalier sur sa monture ».
Une personne mal habillée
piques également et un peu plus tard, Cette association du mot à une po-
ou à l’apparence bizarre…
c’est le premier cavalier du peloton de sition a donné, au figuré et chez le
tête qui se voit affublé de cette appel- Au XVIIe siècle, l’expression était très même auteur, le sens de « état de
lation argotique. Dans les deux cas, péjorative : « On dit aussi par injure l’esprit » ou « façon d’être ».
c’est le premier qui est un « as ». à un homme stupide, que c’est un C’est cette dernière signification
Pendant la guerre de 14-18, les avia- bon as de pique » (Furetière), mais qu’on retrouve dans notre expression.
teurs, entre deux missions, jouaient sans qu’on sache vraiment pour- Certains esprits curieux se deman-
à la manille, jeu de cartes où ce n’est quoi, c’est l’as de pique qui a été deront pourquoi le mot assiette a
pas l’as qui est la plus forte carte, retenu pour cette désignation. ensuite désigné un plat individuel.
mais le dix. Et, du coup, lorsque le Au XIXe siècle, la ressemblance ap- À ceux-là, je répondrais que c’est
pilote approchait du dixième ennemi proximative entre le pique dessiné parce que, toujours en restant avec
abattu, il devenait un « as », par as- sur les cartes et le croupion de le sens de « position » et dès la
similation à son jeu préféré. poulet a provoqué la naissance de fin du XIVe siècle, le mot a désigné
C’est de ces utilisations que le terme l’argot as de pique pour désigner la situation d’un convive à une
as, servant à désigner des premiers ou l’anus. Quelqu’un qui se faisait table. Par extension, le service posé
très forts dans leur spécialité, s’est en- alors traiter d’as de pique était à chaque place a également été
suite répandu dans tous les domaines. donc simplement un « trou du appelé assiette avant que le mot ne
« L’as des as » est un champion cul » avec l’acception moderne. désigne finalement plus que le petit
d’exception dans son domaine. Aujourd’hui, on utilise cette ex- plat individuel.
pression surtout en rapport avec En tout cas, ce qu’on peut constater,
Q L’assiette au beurre l’habillement, pour quelqu’un qui c’est que lorsqu’on n’est pas dans
manque de goût… son assiette on s’intéresse générale-
Dans plusieurs métaphores nées
Littré donne aussi la signification ment peu à ce qu’il y a dedans.
à partir du XVe siècle, le beurre est
« mauvaise langue ».
un symbole de richesse, un emblème
de luxe.
Cela viendrait de la contraction Q Ne pas être sorti
On imagine bien alors, autour d’un
de as de pique en « aspic », ser- de l’auberge
pent qui est forcément une mau-
banquet ou d’une réception chez Ne pas en avoir fini avec les
vaise langue, mais apparemment,
les gens de la haute société, que les difficultés ou les ennuis.
d’après Alain Rey, sans qu’aucun
convives qui avaient les postes les plus
texte ne vienne réellement étayer Voilà une expression du XIXe siècle
enviables ou donnant le plus de pou-
cette interprétation. en apparence étrange, car il semble
voir, étaient choyés par la maîtresse
difficile d’associer les ennuis avec
de maison et qu’on mettait dans leur
une auberge, généralement destinée
assiette les plats les plus beurrés. qu’ils récoltaient, ces sommes par-
à être accueillante.
C’est de ces petites faveurs offertes tiellement détournées leur donnant
L’auberge de Peyrebeille, dite L’Au-
aux puissants qu’aurait pu naître la richesse nécessaire pour prétendre
berge rouge, mise à part, quand on
notre métaphore, le beurre étant le faire partie de la caste des consom-
décide de sortir d’un tel lieu, rien ne
symbole des diverses choses dont ils mateurs de beurre.
nous empêche de le faire, pour peu
peuvent profiter grâce à leur statut, Aujourd’hui, on utilise plutôt rare-
qu’on ait payé notre dû.
que ce soit sous la forme de cadeaux ment cette expression. Et lorsqu’elle
Il nous faut donc nous tourner vers
ou de profits obtenus de manière l’est, c’est souvent pour évoquer la
l’argot et plus précisément celui des
plus ou moins licite. corruption dans le monde politique.
voleurs pour comprendre le sens de
Mais on ne peut pour autant ignorer
cette expression.
l’influence possible d’un jeu de mots Q Ne pas être En effet, dans ce monde-là, le terme
sur une autre acception du mot as- dans son assiette auberge désigne la prison, ce lieu
siette, celle liée à l’impôt. Or, à partir
Ne pas être dans son état où le voleur trouve gîte et couvert,
du moment où la collecte de cette
normal, physiquement et/ou comme dans une auberge, une fois
taxe était confiée à des exécutants
moralement. qu’il a été capturé et condamné.
d’une probité pas toujours exem-
Autant dire qu’une fois qu’il y est
plaire, il était facile pour certains Le mot assiette a son origine liée au
enfermé, non seulement il est loin
d’entre eux de trafiquer les chiffres verbe asseoir. De ce fait, un des sens du
d’en avoir fini avec les ennuis de la
et de s’approprier une partie de ce mot est, depuis 1580 chez Montaigne,
QQQ
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captivité, promiscuité et sévices divers, bien augur qui désignait un devin
entre autres, mais il aura beaucoup de que augurium qui était un présage.
Q L’avocat du diable
mal à en sortir de son propre chef. Pour le premier sens, dans l’Anti- Celui qui défend une
Cette expression en a donné une com- quité, un augure était une sorte de personne ou une cause
plémentaire qui est sortir de l’auberge prêtre considéré comme l’interprète difficile à défendre – Celui
pour « se tirer d’un mauvais pas », de la volonté des dieux : il observait qui attaque volontairement
donc des ennuis dus à la situation des signes naturels comme l’évolu- les arguments d’un autre
pénible dans laquelle on se trouvait. tion du ciel, le tonnerre ou le vol des pour le forcer à les renforcer.
oiseaux pour deviner ce qui allait
De nos jours, et depuis le début du
Q Une auberge se passer.
XIXe siècle, celui qui se fait « l’avocat
espagnole Seul le second sens de « présage »
du diable » est celui qui défend
a survécu dans nos locutions d’au-
Un lieu/une situation où on une cause choquante ou perdue
jourd’hui. Et c’est ainsi que, pour
ne trouve que ce qu’on y d’avance.
certains, un chat noir qui passe
a apporté – Un endroit où De manière plus générale, un
devant eux sous une échelle et fait
on trouve de tout, où on « avocat du diable » est aussi
tomber et se casser un miroir est
rencontre n’importe qui. celui qui, volontairement, dénonce
considéré comme un signe très très
la thèse de celui avec lequel il dis-
Le premier sens indiqué est l’original. défavorable.
cute dans le but de lui faire renfor-
Il vient de la mauvaise réputation qui,
cer ses arguments pour, au final,
dès le XVIIIe siècle, était faite par les Q Mesurer à l’aune de… faire sienne cette thèse si elle a ré-
voyageurs étrangers aux auberges
Juger, estimer par sisté aux attaques ainsi formulées.
espagnoles où il était conseillé aux
comparaison avec… Mais cette locution nous vient à la
visiteurs, s’ils voulaient manger à
fois du milieu ecclésiastique et de
leur faim, d’apporter eux-mêmes de Ce dont on est sûr, c’est que l’aune
celui du XVIIIe siècle.
quoi se sustenter et se désaltérer. a été une unité de mesure jusqu’en
En effet, l’« advocatus diaboli »
Mais un nouveau sens de cette ex- 1834, date à laquelle elle a été abolie
était un religieux qui, au cours de
pression est apparu assez récem- en France.
l’étude préalable à la canonisation
ment, et on lui donne trois expli- Mais il n’y avait pas qu’une aune.
d’une personne, devait rechercher
cations possibles, éventuellement Si l’aune de Paris, comme chacun le
tout ce qui, dans le comportement
complémentaires : sait, avait une longueur de 3 pieds
de la personne, pouvait montrer
– une simple méconnaissance du vé- 7 pouces et 10 lignes et 5/6, soit très
l’influence du diable.
ritable sens ; exactement 1,188 m, l’aune pou-
Si ce religieux avait donc vis-à-vis du
– chacun apportant son repas, on vait mesurer de 0,513 m à 2,322 m,
possible futur saint un rôle d’accu-
trouvait forcément dans l’auberge selon le métier, la région ou le pays
sateur et s’il devait retrouver tous les
une grande variété de nourritures ; (en France, François Ier a tenté de
éléments permettant de s’opposer
– une faune très variée fréquentait généraliser une aune commune au
à la canonisation, il était bien le dé-
les auberges placées sur le chemin pays en 1540).
fenseur des éventuelles actions du
du pèlerinage à Saint-Jacques-de- Autant dire que la mesure d’un même
diable, en opposition avec le défen-
Compostelle, puisqu’on était sus- objet pouvait donner des nombres
seur du saint ou « avocat de Dieu ».
ceptible d’y croiser des gens venus d’unités très différents, selon l’aune
Ce rôle a été supprimé par le pape
de très nombreux pays différents. qu’on avait l’habitude d’utiliser.
Jean-Paul II en 1983.
Par extension, on désigne par au- C’est ainsi que, par extension, on a
berge espagnole toute idée ou si- vu apparaître l’expression cousine
tuation où chacun trouve ce qui de la nôtre, mesurer à son aune,
l’intéresse, ce qu’il comprend, en qui voulait dire « juger par rapport
Q Dans tous les azimuts –
fonction de ses goûts, de sa culture, à soi-même » (par rapport à l’aune
Tous azimuts
de ses convictions… qu’on connaît, qu’on a l’habitude Dans toutes les directions,
d’utiliser). de tous les côtés, par tous
Q De bon/mauvais augure Par extension toujours, notre locu- les moyens.
tion indique, plus généralement,
Qui annonce quelque chose Le mot azimut, attesté au XVe siècle,
que le jugement est fait d’après les
de positif/de négatif. vient de l’arabe az-samt qui signifie
éléments ou les informations dont
aussi bien « chemin » que « point
Le mot augure, attesté au XIIe siècle, on dispose.
de l’horizon », après être passé par
vient du latin où on trouvait aussi
l’espagnol acimut.
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 13
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
À l’origine terme d’astronomie, il
désigne, selon la famille Robert,
Q Une tour de Babel
l’« angle formé par le plan vertical Un lieu, une réunion où règne la confusion, où les gens ont des
d’un astre et le plan méridien du difficultés pour s’entendre, se comprendre.
point d’observation ».
Nous sommes aux environs de
Plus généralement, l’azimut est
l’an 2200 av. J.-C. Le Déluge
l’angle horizontal entre la direction
est terminé depuis une centaine
d’un objet et une direction de réfé-
d’années et toutes les terres sont à
rence.
nouveau accessibles.
Partant de cette définition, une
Les descendants des rescapés déci-
« arme tous azimuts » (terme em-
dent de bâtir une très haute tour
ployé dans le milieu militaire) est
ronde, en forme de ziggourat, cons-
une arme qui tire dans toutes les
tituée de briques et de bitume.
directions, et une « défense tous
Leurs raisons sont différemment
azimuts » peut intervenir contre les
Abel Grimmer, peintre flamand (1565-1630), interprétées : pour certains, ce
attaques venues de tous les côtés. La Tour de Babel.
serait pour se protéger d’un nou-
Par extension et au figuré, les azi-
veau déluge ; pour d’autres, ce serait par orgueil, dans le but d’atteindre le
muts désignent aussi les moyens
ciel ; enfin, pour d’autres encore, ce serait pour rester ensemble, une ville
dans des expressions comme « ré-
à plat les ayant conduits à s’éloigner progressivement les uns des autres.
pression tous azimuts » ou bien
Dieu, voyant cela, est agacé et décide donc, peut-être aussi avec l’idée de
« vendre tous azimuts ».
diviser pour mieux régner, de brouiller leurs langages, et ainsi de les empêcher
de se comprendre et de continuer ensemble leur ouvrage qu’ils abandonnent
Q Être/Rester baba finalement alors que Dieu les disperse progressivement sur toute la planète.
Être stupéfait. C’est de cette tour de Babel (qui signifie « confusion ») où plus personne ne
se comprend qu’est née notre expression.
Ce baba-là n’a rien à voir avec le
succulent gâteau, généralement im-
prégné de rhum, venu de Pologne. Il
n’est pas directement lié non plus à
Q L’avoir dans le baba Q Une vieille baderne
ce baba situé sous la ceinture qu’on Se faire avoir – Rater quelque Un militaire âgé et borné –
trouve dans l’expression l’avoir dans chose. Subir un échec. Un homme usé, gâteux.
le baba.
L’utilisation de cette expression se Dans la marine, au cours de la se-
Il vient du bas latin, latin médiéval,
fait souvent lorsqu’on y associe une conde moitié du XVIIIe siècle, ba-
issu lui-même du latin des environs
idée de déception et lorsque l’échec derne désignait une tresse épaisse
du Palatin, soit du côté de Rome. En
est dû à l’intervention maligne d’un fabriquée à l’aide de vieux cordages,
bas latin, donc, batare voulait dire
tiers. tresse qui était appliquée autour des
« ouvrir la bouche ». C’est ce mot
Deux autres formes nettement plus mâts, des vergues, du cabestan…,
qui a d’ailleurs donné nos verbes
triviales sont l’avoir dans le cul et pour les protéger de l’humidité et du
ébahir, bâiller ou béer, entre autres.
s’être fait mettre, généralement frottement avec d’autres objets.
Et c’est justement d’ébahir que vient
utilisées lorsqu’on s’est fait duper On s’en servait aussi comme paillasson
notre expression, baba étant d’abord
ou lorsqu’on a complètement raté sur le pont des navires transportant des
une onomatopée obtenue par redou-
quelque chose. animaux pour protéger le bois.
blement du radical ba- de ce verbe et
Notre baba ici est le sexe féminin. C’est à partir du milieu du XIXe siècle
créée à la fin du XVIIIe siècle (imaginez
La désignation de cet endroit in- que le mot, venu de l’argot des
quelqu’un de complètement stupéfait
time par le nom d’une friandise marins, a désigné péjorativement
qui ne saurait que dire d’un air
ou d’un gâteau est quelque chose un individu bon à rien ou hors d’état
forcément étonné « ba… ba… ! »).
d’ancien. Au XVIIIe siècle, dans les de faire quoi que ce soit (« hors
À cette époque, on l’utilisait aussi
vaudevilles, les allusions grivoises à d’usage », comme les cordages
comme un nom propre dans
cette pâtisserie particulière étaient servant à tresser une baderne).
l’expression rester comme Baba ou
courantes. D’abord utilisé chez les matelots
rester comme Baba, la bouche ou-
Mais c’est à la fin du XIXe qu’est pour désigner un vieux marin plus
verte. Ce n’est qu’un siècle plus tard
apparue l’expression avec ses sens capable de grand-chose, il s’est gé-
que notre version raccourcie a com-
actuels. néralisé dans toutes les armes, à l’in-
mencé à prendre le dessus.
tention de vieux militaires bornés.
14 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 15
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
aurait dit avant : « Va, fais ce que tu pouvant atteindre 30 mètres de Son sens initial s’est étendu au-delà
as à faire », mais, juste avant l’em- long, avec une bouche de taille de la simple parole, puisqu’elle peut
brassade, il lui aurait également dit : proportionnelle, et dont les fanons, aussi inciter à agir.
« Judas, c’est par un baiser que tu lorsque sa bouche est ouverte,
livres le Fils de l’homme ! » peuvent, avec un peu d’imagination, Q Ouvrir/Fermer le ban
La suite de l’histoire est connue : faire penser aux dents d’un homme
Produire un roulement de
Jésus est capturé, condamné et cru- visibles sur un grand sourire.
tambour ou une sonnerie
cifié. Pris de remords, Judas rapporte
de clairon qui marque le
l’argent à ses commanditaires qui le Q La balle est dans commencement ou la fin
refusent, le jette puis se pend. votre camp ! d’une proclamation, d’une
C’est depuis cette triste histoire
Pour faire avancer les choses, cérémonie… – Ouvrir ou clore
qu’un judas est un traître et qu’un
c’est à vous d’intervenir une manifestation comme
baiser de Judas est une traîtrise.
maintenant. un séminaire, un salon ou une
exposition – Être le premier
Q Rire/Rigoler/Se marrer Il y a longtemps que la balle est, au
à déclencher une série
comme une baleine figuré, un mot désignant la parole,
d’actions.
une action ou une occasion. En ef-
Rire très fort, sans retenue, à
fet, ce mot se retrouve avec cette À l’origine, ban (mot qui date du
gorge déployée.
acception dans plusieurs expressions XIIe siècle) désigne une proclamation
En l’absence de toute étude scien- comme renvoyer la balle ou rattra- ou une publication officielle ou
tifique avancée sur le rire de la ba- per la balle, par exemple. publique, comme dans les bans
leine, pourquoi cette expression qui Car dans beaucoup de jeux où on du mariage qu’il faut publier avant
date de la fin du XIXe siècle ? utilise une balle, le but est de l’en- de passer à l’acte. Par extension,
Quand quelqu’un rit comme une ba- voyer dans le camp de l’adversaire, à et surtout dans le milieu militaire,
leine, il le fait en ouvrant très grand charge pour lui de nous la renvoyer, ban désigne ce morceau musical
la bouche. tout comme dans un dialogue cha- au tambour ou au clairon qui
Or, à quelle bouche immense pour- cun prend la balle à son tour. marque le début et la fin d’une
rait faire penser celle de cette per- Notre expression est une autre proclamation ou d’une cérémonie.
sonne qui se marre comme un bos- forme, moderne et usuelle, de celle C’est ce même morceau musical
su ? Certainement pas à celle d’une du XVIIe siècle qui était à vous la balle, qui, dans les campagnes, et depuis
petite bestiole comme une mite, un avec le sens de « à vous de parler ». le Moyen Âge, était destiné à
termite ou un bernard-l’ermite. Non, On y retrouve bien le contexte du provoquer un attroupement autour
ceux qui ont imaginé cette expres- jeu où l’on vient d’envoyer la balle de celui qui allait faire une annonce
sion ont (logiquement ?) pensé à (on vient de parler) à l’interlocuteur publique.
la gueule béante du plus grand de et où il doit nous la renvoyer (nous Cette expression s’utilise aussi de
nos mammifères, la baleine, cétacé répondre). nos jours pour ce qui ouvre ou ferme
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16 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 17
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
comme s’il était férocement agrippé La première vient de la bassinoire qu’on
à nos baskets, quoi de plus naturel, chauffe et qui est comparée à l’esprit
Q Savoir où le bât blesse
quand on veut s’en débarrasser, que qui s’échauffe lorsqu’un importun Connaître les peines cachées,
de lui dire : « Lâche-moi les baskets ! » devient vraiment difficile à supporter. les ennuis secrets de
Maintenant, pourquoi lâche-t-on aus- Mais la plus réaliste vient du chari- quelqu’un.
si la « grappe » avec le même sens de vari traditionnellement fait sous les
Le bât, sur une bête de somme est,
l’expression ? fenêtres des jeunes mariés – bruit
selon le Grand Robert, un « disposi-
En y regardant de près, mais à condi- fortement dérangeant pour les per-
tif, généralement en bois, que l’on
tion d’avoir la vue un peu trouble, sonnes non concernées – et fait
place sur le dos des bêtes de somme
on peut facilement assimiler le ser- entre autres avec des récipients de
pour le transport de leur charge ».
vice trois-pièces, ce que l’homme a cuisine, dont la bassinoire.
Les gens du XVe siècle, ceux qui ont
entre les jambes, à un magnifique Ce lien est d’autant plus justifié qu’au
fait et vu naître cette expression,
cep sous lequel est accrochée une début du XVe siècle le verbe baciner
n’étaient pas plus des ânes bâtés
superbe grappe. voulait dire « frapper sur un bassin
que nous. Ils s’étaient bien rendu
C’est bien de ce grappe argotique de cuivre pour faire une annonce »
compte que le bât, s’il est mal placé
qu’il s’agit ici, avec un probable jeu (comme les roulements de tambour
ou si la charge est trop importante,
de mots sur grappin, évoquant cet des anciens gardes champêtres) et
laisse des blessures à l’animal, qui
objet qui fait que l’emmerdeur reste que ce verbe a finalement simple-
sont généralement cachées car elles
collé à vous, ne vous lâche plus. ment signifié « tambouriner ».
ne deviennent visibles qu’une fois
Ce serait ensuite une confusion
que le dispositif est enlevé, et qui
entre ce baciner et la bassinoire
Q Coller aux basques qui, au XIXe siècle, aurait donné
peuvent rendre la bête mélancolique
ou irritable, exactement comme
Suivre quelqu’un de très l’orthographe de notre expression.
l’est l’homme qui a des peines ou
près, ne pas le lâcher d’une
des ennuis secrets.
semelle. Q Cracher au bassinet Notre expression est donc une simple
Cette expression date du Payer, donner de l’argent métaphore sur les blessures de l’âme
XVIIIe siècle, époque où les basques (en général à contrecœur). d’un individu.
étaient des morceaux d’étoffe en
Ce n’est qu’au XIXe siècle que notre
partie basse d’un pourpoint et
expression est apparue. Mais elle a
Q En bataille
qui descendaient en dessous de
été précédée de cracher au bassin En désordre.
la taille.
dès le XVIe. À cette époque, et depuis
Bien entendu, la métaphore in- Le bicorne, couvre-chef ayant deux
le XIVe, le bassin était entre autres, au
dique bien que celui qui « collait extrémités ressemblant à des cornes,
cours des cérémonies religieuses, le
aux basques » de quelqu’un le pouvait se porter de deux manières :
récipient à aumône.
suivait de très près. les cornes vers l’avant et l’arrière,
Mais pourquoi cracher, me di-
Comme quoi une expression peut port qu’on disait en colonne, ou bien
rez-vous ?
survivre dans le langage bien les cornes au-dessus des épaules,
Au XIXe, Pierre-Marie Quitard a sup-
après la disparition des éléments port qu’on disait en bataille.
posé que ce n’était qu’une image
ayant provoqué sa naissance et Pourquoi cette seconde appellation,
liée au fait que celui qui « crache
son sens véritable ne plus être me direz-vous ? Eh bien, il semblerait
au bassinet » a autant de mal à sor-
compris par la majorité des gens. que ce soit par comparaison avec
tir l’argent de sa bourse que le ca-
le fait que les troupes se mettaient
tarrheux à expectorer ses mucosités.
en bataille lorsqu’elles se position-
Mais Alain Rey, pas d’accord, indique
Q Bassiner quelqu’un que, depuis le XVe siècle, les verbes
naient en largeur face à l’ennemi au
moment de se battre, alors qu’elles
Importuner quelqu’un. liés aux expectorations avaient
venaient de l’ordre en colonne
aussi le sens figuré de « parler » ou
Il y a longtemps que la bouillotte a (comme le bicorne) ou en carré.
« émettre ». Et il ajoute « or, par
remplacé l’ancienne bassinoire pour Tout cela est bel et bon, me
l’intermédiaire de la parole ou selon
réchauffer un lit glacial. direz-vous derechef, mais quel
une symbolique plus profonde, ce
C’est pourtant bien ce récipient qui a rapport avec le désordre de notre
qui sort du corps de l’homme est
donné naissance au milieu du XIXe siècle expression ?
assimilé à l’or, à la richesse. Cra-
à notre expression et ce, pour deux Eh bien, il semble que le fait que
cher serait donc métaphoriquement
raisons, selon Lorédan Larchey. le chapeau ne soit pas mis dans le
“émettre, donner de l’argent” ».
bon sens a fini par faire utiliser en
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18 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
bataille pour désigner tout chapeau déplacement puis à attendre le re- Depuis 1840, bave du crapaud est
placé « de travers » ou de manière tour du propriétaire de la chaise, une métaphore désignant des pro-
négligente sur la tête. de préférence dans les lieux de dé- pos médisants. Autrement dit, de
De là, le de travers, symbole de dé- bauche (tripots, bordels…) dans les- tels propos ne peuvent atteindre
sordre, a donné le sens actuel de quels ils transportaient leurs bâtons celui qui n’a rien à se reprocher (la
notre expression. avec eux pour ne pas se les faire colombe).
voler, la vie des bâtons étant alors Cela dit, de nos jours, il n’est pas
Q C’est bath ! assimilée à celle des porteurs. certain que ce proverbe soit toujours
vérifié. En effet, les rumeurs calom-
C’est beau (ou bon, joli, bien,
Q La bave du crapaud nieuses peuvent quand même faire
remarquable, agréable…) !
n’atteint pas la beaucoup de mal et tout de même
Cette expression date du XIXe siècle. blanche colombe ternir la réputation du plus pur des
Bath (ou bat) est un adjectif venu de individus, dans la mesure où il ne dis-
La calomnie la plus vile ne
l’argot, mais dont l’origine est dis- pose pas d’assez de preuves pour se
peut ternir une réputation
cutée. disculper aux yeux de tous ceux qui
sans tache.
Il viendrait soit de l’argot batif qui considèrent qu’il n’y a pas de fumée
voulait dire « joli » ou « neuf », et Ce proverbe s’emploie générale- sans feu.
utilisé par Vidocq, soit de la station ment par ironie pour rejeter une ca-
balnéaire britannique Bath, très pri- lomnie ou une insulte par le mépris. Q Jouer/Faire la belle
sée des gens de la haute société an- Comment voulez-vous que la
Jouer la manche
glaise au XVIIIe siècle. bave du crapaud, symbole du vice
supplémentaire qui permet de
Il n’y a encore pas si longtemps, on et de la laideur, puisse atteindre
désigner le vainqueur d’une
disait de quelqu’un qu’il (ou elle) la blanche colombe (même si
partie lorsqu’il y a égalité.
était bath au pieu ou bath au plu- toutes les colombes ne sont pas
mard lorsqu’on voulait désigner une blanches), symbole de la pureté Si, à l’issue d’une partie de pétanque
personne dont on dirait maintenant et de la beauté puisque, même s’il ou de belote, chaque camp a rem-
que c’est un bon coup. est capable de sauter, jamais l’hor- porté une manche, il faut donc jouer
rible animal ne pourra s’approcher une manche supplémentaire, la belle.
Q Mener une vie suffisamment de l’oiseau pour Mais pourquoi est-elle si belle ? Deux
de bâton de chaise l’atteindre de ses postillons verts réponses sont proposées.
et gluants ? QQQ
Avoir une vie désordonnée,
agitée, une vie de plaisirs
et de débauche.
Q Tailler une bavette
Il faut remonter dans le temps, à
Bavarder.
l’époque des chaises à porteurs
comportant deux grands bâtons la- Cette expression date de la seconde moitié du XVIIe siècle. Elle est issue d’un
téraux servant à porter la chaise et mélange entre deux choses.
son contenu humain. Aux XVe et XVIe siècles, le mot bave, d’où vient bavette, désigne d’abord le babil
Après, comme les avis divergent sur des petits enfants avant de s’étendre au bavardage des adultes. Ce n’est que
l’origine de l’expression, je vous pro- plus tard que l’autre sens, celui de « salive », pourtant également connu à
pose ici les deux plus usuelles. l’époque, viendra supplanter complètement celui de paroles, souvent futiles.
Alain Rey explique que les bâtons Cependant, les deux sens étaient bien liés, puisqu’il arrive fréquemment à celui
étaient constamment manipulés, qui parle d’asperger de gouttes de salive son heureux interlocuteur.
soulevés, posés, tirés pour dégager la Parallèlement, depuis le XIIIe siècle, on disait tailler bien la parole à quelqu’un pour
porte de la chaise, remis en place… dire « parler à quelqu’un avec éloquence », comme si une parole éloquente était
Ils avaient donc une existence très une parole « taillée », sculptée avec art.
peu reposante, ce qui serait à l’ori- C’est de ces deux choses qu’est née l’expression tailler des bavettes (notez le
gine de l’expression dans laquelle pluriel), expression plutôt péjorative, probablement avec une certaine ironie,
l’idée d’« activité excessive » a peu puisque cette fois, taille évoquait le débit des futilités, le « caquetage », activité
à peu fait place à l’idée de « vie dé- nécessitant certainement beaucoup moins de savoir-faire que la vraie « taille »
sordonnée ». d’une belle parole.
La seconde est liée à la vie que me- C’est ensuite au début du XIXe siècle que, du pluriel, on passe au singulier et
naient les porteurs, toujours en que, progressivement, le sens péjoratif s’atténue.
TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 19
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Pour la première, qui est probable- Q Se défendre bec qu’on appelait des becs de gaz,
ment la bonne, il faut se rattacher à et ongles terme qui venait du fait que l’éner-
l’expression avoir la partie belle qui gie qui leur permettait de produire
Se défendre de façon
est prononcée lorsque quelqu’un a eu de la lumière n’était pas l’électricité,
énergique, avec tous les
la tâche facilitée pour obtenir ce qu’il mais le gaz.
moyens à sa disposition.
voulait, ou lorsqu’il est dans une po- D’accord pour le gaz, me direz-vous,
sition lui permettant un succès facile. En latin, on disait unguibus et rostro, mais pourquoi le bec ? Nous allons
Si on décide de jouer la partie im- qui voulait dire « à griffes et bec » ou donc nous tourner vers le Diction-
paire qui permet d’assurer la victoire « par les griffes et le bec », locution naire de l’Académie française de
à l’un ou l’autre camp, celui qui qui sert d’ailleurs de devise à la ville 1835 qui nous donne la définition
gagne aura eu « la partie belle ». de Valence, dans la Drôme, et qu’on suivante pour bec de gaz :
L’expression en serait donc une el- trouve sur son blason. « Espèce de robinet en forme de bec
lipse. L’origine et la compréhension de lampe, par lequel on donne issue
La seconde explication nous fait de cette expression sont toutes au gaz distribué dans les conduits,
remonter aux tournois du Moyen simples : lorsqu’un oiseau doit se dé- lorsqu’on veut l’allumer pour qu’il
Âge, ou plutôt aux joutes qui suc- fendre, il le fait avec les moyens à sa éclaire. »
cèdent aux tournois violents et aux- disposition, son bec et ses griffes (ou Donc, par métonymie, le lampadaire
quelles participent les chevaliers de ongles). a pris le nom du robinet qui permettait
l’époque. Elle a d’abord été utilisée avec le son allumage ou son extinction.
Les femmes y occupent une place verbe avoir en signifiant « être de Il fut un temps également (et celui-là
importante puisque les chevaliers ar- taille à se défendre » ou égale- dure encore) où les lampadaires
borent les couleurs d’une dame sous ment « répondre vivement à une avaient la fâcheuse habitude de
la forme d’une manche délacée de attaque », mais cette forme a venir brutalement et de manière
sa robe. maintenant été oubliée, alors que plutôt inattendue à la rencontre des
Celui qui combat bravement em- l’actuelle reste très vivace. gens distraits ou des ivrognes.
porte la deuxième manche. C’est simplement de cette époque
À la victoire d’après, il gagne la gente Q Tomber sur un bec où des individus pouvaient malen-
dame (la belle) qui le récompense contreusement se cogner contre
Tomber sur une difficulté ou
d’un baiser. l’obstacle qu’était un bec de gaz que
un obstacle imprévu, sur une
C’est donc peut-être bien pour cela nous vient notre expression dont la
fin de non-recevoir.
qu’on joue maintenant une manche, version originale était tomber sur un
puis une deuxième manche, puis la Il fut un temps où l’éclairage munici- bec de gaz.
belle. pal était assuré par des lampadaires
20 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Car si, dans son sens initial, s’embé- Il est célèbre, entre autres, pour
Q Avoir le béguin
guiner, c’était se coiffer d’un béguin, avoir défini la Règle de saint Benoît,
Être amoureux. au figuré, il voulait aussi dire « deve- ensemble de règles de vie d’une
nir amoureux » avec la connotation communauté monastique, principes
L’histoire de cette expression com-
excessive ou ridicule que cela peut adoptés par de très nombreux mo-
mence au XIIe siècle, à Liège, dans
avoir dans certains cas. nastères en Occident.
le premier couvent de béguines,
Au XVIe siècle, également et selon Mais au fil des siècles, les bénédictins
sœurs de l’ordre de Saint-François,
Gaston Esnault, avoir le béguin à vont avoir plusieurs interprétations de
appelées ainsi, paraît-il, parce que
l’envers voulait dire « avoir la tête ces règles, ce qui conduira à la création
le fondateur du couvent s’appelait
troublée ». Ce qui se comprend de plusieurs ordres (Cîteaux, Cluny…),
Lambert le Bègue. Ces religieuses
bien, puisque celle qui mettait son chacun insistant sur telle ou telle activi-
portaient une coiffure faite d’une
béguin dans le mauvais sens devait té (travail manuel, liturgie…).
toile fine qui s’appelait béguin.
penser à tout autre chose. Parmi ces ordres, il y eut la congré-
De coiffe de bonne sœur, le béguin
gation de saint Maur, créée au
est devenu une coiffe de femme et
d’enfant. Parallèlement, être coiffé
Q Un travail XVIIe siècle, qui, elle, mettait en avant
TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 21
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Eh bien, il nous faut nous pencher
sur la Bible pour tout comprendre.
Q Vouloir le beurre Q Avoir la berlue
et l’argent du beurre
En effet, la Genèse nous apprend Avoir une vision déformée
que, dans le pays de Canaan, Jacob Tout vouloir, sans (de quelque chose).
a eu douze fils, dont le dernier se contrepartie – Vouloir gagner Avoir des illusions.
nommait Benjamin. Lorsque Jacob sur tous les plans.
L’étymologie du mot berlue est
apprend qu’il peut acheter du blé en
L’usage de cette expression nous discutée. Mais il est possible qu’il
Égypte, il y envoie ses fils, sauf Ben-
vient au moins de la fin du XIXe siècle. vienne, au XIIIe siècle, du verbe belluer
jamin, de crainte qu’il ne lui arrive
Le bon sens paysan veut qu’on ne qui voulait dire « éblouir », mais éga-
quelque malheur.
puisse pas, honnêtement, vendre le lement « tromper » ou « duper ».
beurre qu’on vient de fabriquer, en Son premier usage s’appliquait à un
Q La réponse du berger garder l’argent, mais garder aussi discours trompeur, une fable.
à la bergère le beurre, histoire de pouvoir le re- Tombé ensuite dans l’oubli, il réap-
La réponse qui clôt la vendre encore et encore. paraît au XVIe siècle pour désigner en
discussion, sans possibilité Vouloir toujours tout garder à soi, médecine un défaut de la vue qui
d’y revenir. Le dernier mot – vouloir tout gagner sans rien laisser fait percevoir des objets imaginaires
Une manière de rendre à aux autres, c’est vouloir le beurre et ou qui déforme la réalité.
quelqu’un la pareille. l’argent du beurre. C’est de cette acception, et du sens
Mais même si on réussit temporai- figuré « impression visuelle trom-
Cette expression, dans son pre-
rement et honnêtement à garder le peuse », qu’est assez logiquement ap-
mier sens, vient du XVIIe siècle et du
beurre et l’argent du beurre, il ne faut parue notre expression au XVIIe siècle,
suivant, une époque où les pastorales
jamais perdre de vue que le beurre, sans qu’on puisse en être éberlué.
étaient revenues à la mode : il y est
comme l’argent, peut fondre très fa-
fréquemment question de bergers
cilement et rapidement.
et de bergères qui, bien entendu,
De cette expression, il existe quelques « Le mot berlue désigne
ont autant d’histoires d’amour que
variantes où l’on trouve également en médecine un défaut de
de querelles.
citée la crémière supposée avoir fabri- la vue qui fait percevoir
Et c’est pour cela qu’à la même
qué le beurre. Parmi celles-ci on a la des objets imaginaires ou
époque les termes berger et ber-
triviale vouloir le beurre, l’argent du qui déforme la réalité. »
gère ont pris respectivement le sens
beurre et le cul de la crémière.
figuré de « amant » et « amante ».
C’est probablement des pastorales
d’Honorat de Bueil, marquis de
Racan, intitulées Les Bergeries, qu’est
Q Mettre du beurre dans les épinards
née l’expression. En effet, dans de Améliorer ses conditions de vie, gagner plus d’argent.
nombreux dialogues entre le berger
La métaphore contenue dans cette expression est parfaitement compréhen-
et la bergère, c’est le premier qui a le
sible : pour améliorer le goût de ses épinards (ses conditions de vie), mieux
dernier mot.
vaut y ajouter une bonne dose de beurre (d’argent).
Le second sens de cette expres-
Jean-Louis Flandrin a fouiné dans les recettes de cuisine publiées depuis le
sion est contemporain (XXe siècle).
Moyen Âge pour y découvrir des choses intéressantes sur l’usage du beurre
Il reprend l’expression originale,
au fil du temps.
un peu oubliée, et se base sur le
Au Moyen Âge, le beurre était bien plus utilisé par les pauvres que par les
sens propre des mots berger et
riches. Il était d’un usage plutôt rare dans les livres de cuisine des XIVe et
bergère. En effet, c’est le fait de
XVe siècles qui évoquent la cuisine des classes aisées ; mais la prédilection
faire le même métier, d’avoir les
pour le beurre augmente aux XVIIe et XVIIIe siècles, et il devient un symbole de
mêmes connaissances, qui fait que
distinction sociale aux XIXe et XXe siècles.
l’un est capable de faire à l’autre ou
Flandrin constate également que l’essor du beurre en France coïncide
pour l’autre ce qu’il lui a fait, de lui
avec le statut que lui accorde l’Église. Étant un produit d’origine animale,
rendre la monnaie de sa pièce.
jusqu’au XVe siècle le beurre était interdit au moment du carême. En raison
Mais le fait de rendre la pareille à
de la multiplication de dispenses dès la fin du XVe siècle, au cours du XVIe on
l’autre, c’est aussi parfois vouloir
commence à utiliser du beurre dans les plats de légumes et de poissons (qui
avoir le dernier mot, ce qui rejoint le
étaient autorisés en carême), alors qu’au Moyen Âge il était utilisé presque
premier sens.
exclusivement avec les œufs, les pâtes alimentaires et les pâtisseries.
22 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Le second vient de l’aspect indési- être un peu plus précis, on trouve une
Q Compter pour rable de ces petites bêtes qu’on peut phrase qui, traduite en bon français,
du beurre assimiler à des défauts à la recherche s’écrit généralement comme suit :
desquels on doit impérativement se « Adam connut Ève, sa femme ; elle
N’être pas pris en
lancer pour corriger la chose. conçut, et enfanta Caïn et elle dit :
considération, être méprisé.
La première attestation de cette J’ai formé un homme avec l’aide de
N’avoir aucune importance.
expression se trouve chez Barbey l’Éternel. »
Bizarrement, le beurre est sou- d’Aurevilly en 1874. Là, le doute n’est pas permis :
vent associé à une image d’abon- connaître est bien un euphémisme
dance ou de richesse : faire son Q Beurré pour « forniquer avec ».
beurre (pour « faire beaucoup (comme un p’tit Lu) Ce qui suffit à expliquer le sens de
d’argent ») ou encore mettre du notre expression. Et à confirmer que
(Complètement) soûl.
beurre dans les épinards. l’hésitation à appeler un chat un chat
Pourtant, il existait autrefois une L’adjectif beurré pour « ivre » est un existe depuis bien longtemps.
locution adjective de beurre qui mot d’argot qui est une simple dé-
caractérisait quelque chose sans formation de bourré liée à l’image du Q Se faire de la bile
valeur et qui est probablement à beurre, la personne soûle étant molle
Se faire du souci.
l’origine de cette expression. ou parlant « gras ».
Si l’on fait des recherches sur Mais pourquoi dit-on bourré pour La bile est ce liquide visqueux et amer
l’histoire du beurre, on s’aperçoit quelqu’un qui est soûl ? sécrété par le foie, qui participe à la
que, pendant longtemps, c’était La métaphore semble assez claire, digestion et s’écoule depuis la vésicule
une graisse destinée aux pauvres, puisqu’il suffit d’imaginer un conte- biliaire vers le duodénum par le canal
car facile à produire tout au long nant rempli à son maximum, « bour- cholédoque.
de l’année. ré » par son contenu, comme peut La théorie antique des quatre hu-
Ce n’est qu’à partir du XVIIe siècle l’être le bonhomme qui a absorbé des meurs, formalisée en grec par Hippo-
que le beurre devient un produit quantités de boissons. crate, nous apprend que la bile noire
de luxe et commence à être Si cette expression date du début du correspond à la mélancolie, la tris-
sérieusement utilisé dans les XXe siècle, on peut tout de même noter tesse, le souci, alors que la bile jaune
recettes de cuisine des gens de la que, dans l’argot des imprimeurs, était associée à la colère.
haute société. et dès le début du XIXe siècle, une C’est donc cette « bile noire », pré-
C’est probablement de la « pre- page « beurrée » était une page tendument sécrétée par la rate, qui
mière » vie du beurre, celle où il surchargée, imbibée d’encre noire, était supposée être la cause de nos
était mal considéré, que vient la tout comme celui qui est beurré est soucis.
connotation négative qu’on trouve imbibé d’alcool. Bien que la théorie des humeurs ait
dans notre expression. À moins que Reste à expliquer le p’tit Lu. finalement été abandonnée au cours
ce ne soit simplement pour son côté Certains connaissent bien les biscuits du XVIIIe siècle, il nous en est resté cette
très mou et fusible qui fait qu’on ne appelés des « petits-beurre » fabriqués expression et ce sens figuré de bile, à
peut pas en faire grand-chose de depuis le milieu du XIXe siècle par la rapprocher du mauvais sang.
très utile en dehors de la cuisine. société Lefèvre-Utile (« LU » en abrégé).
Ces biscuits sont fabriqués entre Q Passer sur le billard
autres avec du beurre, comme leur
Q Chercher la petite bête nom l’indique ; ils pouvaient donc être
Passer sur une table
d’opération, subir une
Ne se préoccuper que vus comme « bourrés » de beurre. De
intervention chirurgicale.
de détails insignifiants. là le rapprochement sous forme de
S’efforcer de trouver un plaisanterie avec le terme beurré issu À l’origine, dès la fin du XIVe, le billard
défaut quel qu’il soit pour de bourré. désignait le bâton qui servait à jouer
pouvoir critiquer. aux jeux de billes et de boules. Par
Q Connaître bibliquement métonymie, au XVIIe, le mot a désigné
Tout homme qui s’est déjà cherché
la table sur laquelle se pratiquaient
des morpions sait à quel point il faut Avoir des relations sexuelles.
certaines formes de ces jeux, table
être précis, méticuleux pour réussir à
Comment un verbe banal comme rectangulaire et plate qui, en argot,
localiser tous ces tout petits indési-
connaître peut-il produire un tel sens ? a fait ensuite désigner aussi par bil-
rables, ces « petites bêtes ».
Il se trouve que dans la Bible, dans le lard des terrains plats ou des routes
Le premier sens de l’expression est
livre de la Genèse au chapitre 4, pour bien planes.
aisément compréhensible.
QQQ
TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 23
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
C’est cette dernière acception qui a On peut aussi parfois dire tremper sa que le marin est arrivé au port, et
fait que, pendant la Première Guerre nouille. qu’il peut donc se permettre d’y
mondiale, selon Gaston Esnault, ripailler et aussi d’y boire à volonté.
monter sur le billard, voulait dire Q Bisque ! Bisque ! Ce lien est renforcé par la première
« sortir de sa tranchée » pour aller Rage ! signification métaphorique de biture.
sur le terrain (plat) du combat, ter- En effet, à l’origine, ce sens imagé
Formule enfantine destinée à
rain où l’on risquait tout autant la de biture désignait un repas copieux,
faire enrager un adversaire et
mort que sur cette table aussi rec- en 1825 (probablement très arrosé).
à s’en moquer.
tangulaire et plate qu’un billard sur Puis, un peu après 1850, il désignait
laquelle le soldat se faisait opérer. Si la bisque de homard est incon- une forte dose de spiritueux.
Voilà pour une première probable testablement une excellente prépa- Ce n’est qu’à partir de 1888 que le
origine. ration culinaire, elle n’a pas grand- mot est attesté dans la langue géné-
Mais Claude Duneton en propose chose à voir avec le bisque de notre rale comme synonyme de cuite.
une autre. En effet, billard a aussi dé- expression.
signé le lit sur lequel on fait l’amour, ce En effet, ce bisque est l’impératif du
qui est évident pour un esprit salace, verbe bisquer dont l’étymologie est
Q En donner son billet
puisque sur un billard il y a également controversée et qui signifie « éprou- Être absolument certain de
une queue et des boules. Et si on y fait ver de la colère ou du dépit ». Ne quelque chose et l’affirmer.
l’amour, le billard est donc un lieu où dit-on pas toujours faire bisquer
À l’origine, un billet (mot né au mi-
l’on jouit. Il n’en aurait pas fallu beau- quelqu’un lorsqu’on le titille jusqu’à
lieu du XIVe siècle) est un petit mes-
coup plus à des plaisantins spécialistes un possible énervement ?
sage écrit dans lequel « on peut se
de l’antiphrase pour désigner égale- Notre expression enfantine est
dispenser des formules de com-
ment par billard la table d’opération constituée de trois impératifs « or-
pliments usitées dans les lettres »
où, vu les techniques rudimentaires donnant » au destinataire de se
(Dictionnaire de l’Académie).
d’anesthésie de l’époque, la « jouis- mettre en colère, d’enrager, généra-
Au fil des décennies, tout en con-
sance » pouvait aussi être très intense. lement dans le but de s’en moquer.
servant son sens initial, il a égale-
Certains évoquent une origine ve-
ment eu plusieurs significations,
Q Tremper son biscuit nant du jeu de paume où la bisque
dont, aussi abracadabrantesque
était un point spécial dont le joueur
Faire une pénétration que cela puisse paraître, celle de
ne pouvait bénéficier qu’une seule
sexuelle. « formule magique ».
fois dans la partie. Mais cette origine
Le billet de banque, au début du
Cette expression apparue au milieu n’est pas considérée comme valide.
XVIIIe siècle, vient du billet vu comme
du XXe siècle est une évolution de
une promesse écrite, un engage-
l’ancienne expression tremper son Q Prendre une biture ment de payer une somme.
pain au pot (employée, entre autres,
S’enivrer. À la fin du XVIIe, un peu avant l’appa-
par Rabelais), image très parlante
rition de notre expression, Furetière
pour qui est un peu au fait de la ma- Voilà une expression qui nous vient de
enregistre billet avec pour défini-
nière de faire les bébés. la marine. Officiellement, la biture est
tion : « Se dit aussi de toute écri-
Le mot biscuit, dans son sens habituel la longueur de la chaîne de l’ancre qui
ture privée par laquelle on s’oblige à
de petite douceur qu’on s’accorde est disposée en zigzag sur le pont de
quelque payement, on fait la recon-
bien volontiers, est issu du latin mé- manière que, au moment du mouil-
noissance de quelque chose. » Et il
diéval biscoctus qui signifiait « cuit lage, l’ancre puisse filer le plus rapide-
ajoute en exemple : « Il ne me peut
deux fois » et qu’on retrouve en espa- ment et librement au fond.
pas nier que je ne luy aye donné ce
gnol bizcocho, en italien biscotto (qui Mais quel lien entre biture et le fait
depost, j’en ay son billet. »
a donné biscotte), en portugais biscu- de boire de l’alcool au point d’en
On peut donc comprendre je vous
to et en provençal bescueit. être complètement soûl ? Eh bien, il
en donne mon billet comme « je
Mais pour le sens qu’il a dans notre y a deux manières de relier les deux.
suis tellement sûr de ce que j’af-
expression, il est possible qu’il vienne La première, c’est par simple analogie
firme que je suis prêt à vous écrire
du vieux terme bistoquette (qu’on entre la disposition de la biture sur le
un billet qui l’attesterait ».
trouve encore actuellement sous la pont et la trajectoire pour le moins zig-
Dans cette expression, le verbe
forme bistouquette) qui désignait le zagante de celui qui titube sur le quai.
donner est assez souvent remplacé
pénis, instrument dont la forme est Pour la seconde, on peut supposer
par ses équivalents argotiques que
proche d’un boudoir, biscuit qui a pu que, lorsque la (véritable) biture a cor-
sont ficher ou foutre.
faciliter la naissance de l’image. rectement filé, c’est probablement
24 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 25
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Quoi qu’il en soit, c’est bien la te- seulement au jazz, s’appelle aussi émanations de corne brûlée se
nue bleue des nouvelles recrues de un « bœuf ». dispersent immédiatement.
l’époque qui est à l’origine de cette Il nous faut remonter vers 1925, à
appellation. Paris dans le 8e arrondissement pour Q Les bœuf-carottes
comprendre la naissance de cette
La police des polices
Q Faire un bœuf appellation. En effet, on y trouvait
(ou l’IGS, Inspection générale
un cabaret fréquenté entre autres
Jouer une improvisation des services).
par Jean Cocteau et où des chan-
musicale collective.
teurs comme Mouloudji ou Léo Fer- Il existe deux origines à cette expres-
Les amateurs de jazz savent parfaite- ré firent leurs premiers pas. sion argotique datant de la seconde
ment ce qu’est une « jam-session » Cet endroit fut également un des moitié du XXe siècle.
ou, en plus court, une « jam ». premiers lieux où le jazz américain fit La première, donnée par André La-
Venue du monde de ce style musi- son apparition en France ; les jams y rue (dans Les Flics en 1969) viendrait
cal, cette forme de concert réunit des étaient donc fréquentes. Ce cabaret du fait qu’une fois qu’un policier est
musiciens, qui n’ont pas forcément s’appelait « Le Bœuf sur le toit » ! passé à la moulinette de la police
l’habitude de jouer ensemble et qui Alors, autant dire qu’il n’a pas fallu des polices et a été mis à pied, voire
improvisent des morceaux divers pour longtemps aux musiciens qui se réu- « démissionné », il ne lui reste plus
le plus grand plaisir de leurs auditeurs. nissaient volontairement dans ce lieu que la possibilité d’avoir du bœuf
En France, ce genre d’exercice pour basculer de faire une jam au aux carottes à son menu, plat sup-
qui, maintenant, ne se limite plus Bœuf à faire un bœuf. posé peu cher donc au coût adapté
à son nouveau budget.
Q Un vent à décorner La seconde est proposée en 1984
Q Mettre en boîte les bœufs dans le film Les Ripoux de Claude
Zidi, selon lequel les agents de l’IGS
Se moquer de quelqu’un, Un vent très violent.
« cuisinent » leurs camarades présu-
de sa naïveté – Par
Lorsqu’ils sont parqués en stabula- més coupables et les laissent longue-
extension, l’énerver.
tion libre dans une étable, les bo- ment « mijoter », comme on le ferait
Ce que l’on sait grâce à Gaston vins sont susceptibles de se blesser d’un bon bœuf aux carottes.
Esnault, c’est qu’à la fin du XIXe siè- mutuellement avec leurs cornes et La gendarmerie dispose aussi de ses
cle, on disait emboîter pour « rail- d’être gênés pour accéder à leur bœuf-carottes, le BEC ou Bureau des
ler », « conspuer » ou « siffler » nourriture. Pour leur éviter ça, il faut enquêtes et contrôles.
quelqu’un (les acteurs de théâtre donc les écorner. En clair, chez eux, il ne fait pas bon
craignaient d’ailleurs beaucoup Mais cette opération, qui se pratique tomber sur un BEC.
« l’emboîtage »). Puis c’est en alors que les animaux sont en liberté
1910 et en argot, que notre ex- dans les champs, provoque des sai- Q Avoir quelqu’un
pression est apparue avant de se gnements qui attirent les mouches à la bonne
répandre vers 1930. et autres insectes en grandes quanti-
Se montrer indulgent
Mais pourquoi le fait de met- tés, ce qui n’est pas très recomman-
envers quelqu’un par
tre en boîte correspond-il à une dé pour les plaies.
sympathie pour lui.
moquerie ? C’est pourquoi les paysans futés
Peut-être cela vient-il d’une signi- pratiquent l’opération à ces mo- Si notre expression est datée du dé-
fication que donne Maurice Rat à ments-là, permettant ainsi à la plaie but du XIXe siècle, son origine n’est
cette expression : « Lui rendre im- de sécher et cicatriser bien plus pas réellement expliquée, même si
possible tout moyen de répliquer, facilement. l’usage de bon ou bonne est com-
de se tirer d’affaire. » Là, même si Comme il n’y a pas de totale certi- préhensible dans un tel usage (on
on s’éloigne du sens principal d’au- tude sur l’explication proposée, on ne peut que prendre en sympathie
jourd’hui, on comprend nettement peut aussi évoquer ce que m’a ra- une personne bonne ou agréable) ; à
mieux l’image de l’immobilisation et conté un paysan : principalement moins qu’il ne s’agisse d’une dérive
de l’enfermement dans une boîte. pour des raisons de sécurité du de « je lui ai fait bonne impression »,
Et pour finir, on imagine bien paysan lui-même, on écorne les bo- donc il m’a à la bonne.
que quelqu’un dont on se mo- vins très jeunes, en leur brûlant la Claude Duneton évoque, sans certitude,
que finisse par s’énerver, ce qui corne au fer rouge. Et si cette opé- une possible origine qui viendrait d’un
explique la signification étendue ration se pratique les jours de grand ancien jeu, le reversis dont Louis XIV
et récente de cette expression. vent, c’est surtout pour que les était paraît-il un grand pratiquant.
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26 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
À ce jeu, au cours duquel les mises en éliminer l’hypothèse du hasard ma- expression est née pour désigner des
argent étaient importantes, la bonne lencontreux, en souhaitant qu’on aptitudes très développées chez cer-
est, selon Littré, le nom de différents aura bel et bien de la chance, même tains individus.
paiements et à la bonne se dit lorsqu’on si ce n’est qu’un petit peu.
place le valet de cœur (la carte prin- Quant à la chance, parfois ajoutée à Q Rire/Rigoler/Se marrer
cipale) ou un as sur la dernière levée la suite, ce n’est que pour renforcer comme un bossu
afin de recevoir un double paiement. le souhait que le hasard n’aille pas
S’amuser beaucoup,
Mais si cela confirme bien un usage dans le mauvais sens.
rire franchement.
ancien de à la bonne, cela n’ex-
plique pas vraiment son sens dans Q Avoir la bosse de… La date d’apparition de cette
notre expression. expression n’est pas précise, mais
Avoir des dispositions,
elle semble remonter au XIXe siècle.
un don naturel pour…
Q Au petit bonheur Sa compréhension, très simple,
(la chance) La phrénologie est une théorie dé- est basée sur deux équations sans
crite par le médecin François-Joseph aucune inconnue :
Au hasard.
Gall (1758-1828). Elle prétend – de quelqu’un qui rit beaucoup, on
Le mot bonheur nous vient du qua- qu’il est possible de connaître les dit qu’il se tord de rire ;
lificatif bon, précédant le nom heur aptitudes, facultés et talents des – un bossu est vu comme quelqu’un
qui date du XIIe siècle, et qui désignait individus en tâtant les bosses du crâne, qui est quelque peu tordu.
le hasard et la chance, mais qui est et ce, en partant de trois principes : On en déduit donc aisément et
maintenant quelque peu désuet. – le cerveau est le siège de toutes concomitamment que quelqu’un qui
N’oubliez d’ailleurs pas qu’on a aus- les facultés fondamentales de rigole comme une baleine se marre
si le mal-heur, généralement beau- l’homme ; comme un bossu.
coup moins bien apprécié, et qu’on – les diverses fonctions cérébrales
dit aussi « par bonheur » pour dire correspondent à autant d’organes Q Proposer la botte
« par hasard (favorable) ». différents ; (à une femme)
D’après Littré, l’expression apparaît – le crâne épousant fidèlement la
Proposer (à une femme)
au XIXe siècle. forme du cerveau, on peut, en décou-
de faire l’amour.
Enlevez le qualificatif petit et vous vrant le relief crânien par palpation,
obtenez « au hasard » ou, autrement deviner les facultés des individus. On se rapprocherait ici de la botte
dit, « en laissant faire la chance ». C’est à partir de cette « science », de Nevers, cette botte secrète qui
Le petit sert à conjurer le sort, à et surtout par dérision, que cette permettait à Largardère (celui de
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1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
28 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Bien évidemment, lorsqu’on double
Q Un bouillon d’onze
les bouchées, on mange la même Q Pousser le bouchon heures
quantité en deux fois moins de un peu loin
temps. Alors par extension et parce Un breuvage empoisonné.
Exagérer, aller trop loin
qu’on n’a pas forcément besoin de
(dans une accusation, Au XVIIe siècle, donner le bouillon si-
n’accélérer que la mise en bouche,
une affirmation, des gnifiait « empoisonner ». Il était en
mettre les bouchées doubles est
exigences…). effet facile, sous prétexte d’apporter
devenu synonyme d’aller plus vite,
sa nourriture ou son bouillon du soir
d’accélérer le mouvement. Les lexicographes supposent,
à quelqu’un, de lui porter une mix-
sans aucune certitude, que l’ex-
ture qui allait le faire passer de vie
Q De la bouillie pression vient d’un des deux
à trépas.
pour les chats principaux jeux où on utilise un
Cela dit, le bouillon d’onze heures
bouchon : le jeu du bouchon, qui
Une chose qui ne servira n’était pas forcément administré par
date du début du XIXe siècle, où il
à rien – Un travail gâché, quelqu’un d’autre, puisque prendre
fallait abattre avec un palet des
mal fait ; un texte mal écrit, un bouillon d’onze heures a aussi si-
bouchons surmontés de pièces
incompréhensible. gnifié « se suicider ».
de monnaie, ou bien la pétanque
Mais pourquoi de onze heures (sous
Au XVIIIe siècle, notre expression a où le cochonnet s’appelle le
sa forme non élidée en usage à
d’abord eu le premier sens proposé. bouchon.
l’époque) ?
Deux explications en étaient Dans le second cas, on entend
Cela reste mystérieux, mais Claude
généralement données. d’ici le pagnolesque mais ronchon
Duneton en donne une explication
La première venait de ce que les César clamer « Oh, Escartefigue,
qui semble tenir la route : si on ad-
chats ne consomment pas de bouil- tu pousses le bouchon un peu
met qu’il s’agit de onze heures du
lie par crainte de se salir les mous- loin ! » à son compagnon qui,
soir, donc de la dernière heure de la
taches. Et la seconde du fait que les avec sa boule, vient de déplacer
journée (minuit marquant le début
chats ayant des crocs aptes à décou- le cochonnet un peu trop loin et,
de la journée suivante), on a affaire
per et mâcher des aliments durs, il par conséquent, de compliquer la
à un jeu de mots entre la dernière
était inutile de perdre du temps à suite du jeu.
heure du jour et la dernière heure de
leur préparer de la bouillie.
la personne condamnée.
Et comme, pour une chose dont on
sait parfaitement qu’elle ne servira nombril (comme bedaine ou bidon).
pas, il n’est pas vraiment utile de Et que boudin désignait aussi le sexe
Q Tirer à boulets rouges
s’appliquer, cette chose sera inévi- de l’homme au XVIe siècle. Attaquer (quelqu’un ou
tablement mal faite, ce qui pourrait Par conséquent, l’eau de boudin quelque chose) en termes
expliquer que le sens ait dérivé en- ne désignerait finalement que des violents. Faire tomber
suite vers celui d’aujourd’hui. excrétions liquides comme l’urine, (sur quelqu’un) une pluie
Mais Pierre Guiraud voit un jeu de symbolisant quelque chose de com- d’injures ou de reproches.
mots dans cette expression : pour lui, plètement raté.
Un boulet, c’est cette grosse boule
il faut penser au chas qui, à l’époque Selon certains auteurs du XIXe siècle,
de fonte qu’on chargeait autrefois
de la naissance de l’expression, au l’eau de boudin serait aussi cette eau
par la gueule d’un canon et qui, au
milieu du XVIIIe siècle, désignait de souillée, bonne à jeter aux égouts,
cours d’une guerre, lorsque le coup
la colle d’amidon, puis un infâme utilisée pour nettoyer les boyaux qui
était tiré, détruisait des murs, arra-
bouillon à la consistance de colle vont servir à fabriquer le boudin.
chait des jambes ou des têtes une
à tapisserie, avant, au figuré, de Mais cette explication est rejetée par
fois arrivée à la destination visée.
signifier « gâchis ». Claude Duneton et Alain Rey, pour
Mais certains chefs de guerre trou-
cause d’absence totale de preuves.
vèrent que la capacité de destruction
Q S’en aller/Tourner L’eau de boudin serait aussi tout
de ces boulets n’était pas suffisante.
en eau de boudin simplement l’eau de cuisson du
C’est pourquoi l’un d’entre eux ima-
boudin, dernier déchet jetable après
Partir en déconfiture. gina de chauffer les boulets au rouge
avoir extirpé du cochon tout ce qu’il
Aller à l’échec – Mal tourner. dans une forge avant de les tirer, ce qui
avait de mangeable, c’est-à-dire
avait l’avantage, en plus de la destruc-
On nous dit, version défendue par presque tout.
tion brute, de provoquer un incendie,
Alain Rey, que boudin vient de la ra-
bien utile pour occuper les assiégés et
cine bod- désignant le ventre ou le
limiter leur ardeur à défendre leur place.
QQQ
TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 29
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
L’expression existe donc depuis l’in- Alors comment, de ces fibres ou la pomme ou l’orange, certes, mais
vention de la chose, au sens propre, poils, est-on passé, au XIXe siècle, à bien plus que la banane !
mais son sens figuré actuel date de un sens argotique de concurrence ? Selon Alain Rey, cette « rondeur »
la fin du XVIIIe siècle. La métaphore On trouve deux explications à cette aurait été l’une des raisons du choix
suppose des attaques réitérées bizarrerie. de ce fruit.
(une salve d’artillerie) et violentes Gaston Esnault évoque les lutteurs de D’après Gaston Esnault en 1935, le
(le rouge de la fureur). foire qui, bien évidemment « se tirent coing aurait aussi été choisi par jeu
la bourre », mais dans un corps à corps de mots entre le fruit et le coin, la
Q Avoir le bourdon viril où ils se frottent les poils et s’en cale qu’on enfonce pour coincer ou
arrachent plusieurs, et en quantité suf- maintenir quelque chose.
Être triste, mélancolique.
fisante pour en faire de la bourre, pour
Ne pas avoir le moral,
ceux ou celles que ça intéresserait. Q Sans bourse délier
avoir des idées noires.
Mais selon Cellard et Rey, dans leur
Sans payer. Sans qu’il en
Pourquoi le mal-être est-il ici symbo- Dictionnaire du français non conven-
coûte rien.
lisé par un bourdon ? tionnel, cela viendrait de la chasse
Il existe au moins quatre sortes de à courre où les chiens s’acharnent En 1690, lorsque cette expression est
bourdons qui peuvent être associés sur l’animal rattrapé et « se tirent la apparue, les billets de banque n’exis-
à quelque chose de triste : bourre » en lui tirant la bourre, les taient pas encore en Europe, contrai-
– le gros insecte, qui est de la même touffes de poils qu’ils arrachent avec rement à la Chine. Seule la monnaie
famille que l’abeille et qui produit un leurs crocs. métallique était en circulation, et
son grave quand il vole ; l’objet dans lequel on transportait
– chez les musiciens, le bourdon est Q Bourré comme ses pièces était une bourse fermée
la basse continue produite par un un coing par un cordon coulissant et/ou noué.
instrument tel que la cornemuse ou Donc, pour payer quelque chose,
Complètement soûl.
la vielle : ce bourdon est aussi lanci- il fallait « délier » le cordon de sa
nant qu’un tourment obsédant ; Bourré, on sait ce que cela veut dire, bourse afin d’en sortir la monnaie
– en typographie, un bourdon, c’est mais pourquoi comme un coing ? nécessaire.
l’oubli d’un mot, d’un groupe de Quand on est bourré, en argot, on Il est alors aisé de comprendre que,
mots, voire d’une phrase entière est également rond (« comme une si on ne déliait pas sa bourse, c’est
dans un texte ; queue de pelle », éventuellement). qu’on ne payait rien, que ce soit parce
– un bourdon, c’est aussi une cloche, Or, il se trouve que le coing est un que l’objet convoité était gratuit ou,
mais pas n’importe laquelle, puisqu’il fruit relativement rond, moins que fréquemment à l’époque, volé.
s’agit d’un gros modèle qui produit
un son très grave et qui est en gé-
néral utilisé pour signaler des événe-
Q La bouteille à l’encre
ments nationaux graves, du genre Une situation embrouillée, peu claire. Un problème insoluble.
de ceux qui peuvent faire déprimer
À la fin du XVIIIe siècle, la forme initiale était claire comme la bouteille à
comme une défaite, par exemple.
l’encre.
C’est assez probablement d’un de
Ceux qui ont eu le plaisir (car c’était une tâche affectée aux plus méritants)
ces bourdons qu’est née notre ex-
de remplir les encriers placés sur les bureaux des écoliers d’autrefois savent
pression. Reste à savoir lequel…
qu’une bouteille d’encre, même vide, garde une opacité certaine, à cause du
dépôt qui se fait sur les parois.
Q Se tirer la bourre C’est tout simplement la comparaison de ce caractère opaque avec une
Se concurrencer, rivaliser avec situation manquant de clarté ou incompréhensible qui a provoqué la
vigueur – Disputer âprement naissance de cette expression.
une compétition, un match. Par extension, et par opposition à un problème limpide que l’on résout
aisément, l’opacité de la bouteille à l’encre est comparée à l’absence totale
Au XIIe siècle, la bourre désigne le
de clarté de la solution à un problème posé.
déchet des fibres, plus spécialement
On peut noter qu’au XVIIIe siècle, être dans la bouteille à l’encre, voulait dire
de laine d’abord, puis de soie un
« être dans le secret d’une affaire » (Dictionnaire critique de la langue française
peu plus tard. Par extension, le mot
de Jean-François Féraud). L’image est claire, si j’ose dire : le secret à l’intérieur
désigne ces amas de poils d’animaux
de la bouteille est bien caché par son opacité, mais si vous êtes dedans, vous
qui permettent de rembourrer des
êtes au courant de l’affaire.
objets ou de fabriquer du feutre.
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1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
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Q Battre le briquet avec la manière ancienne de battre finesse, personnes dont la politesse
le briquet, comme si les genoux ou n’a pas été assez « polie », comme
Heurter la pierre à briquet
les chevilles qui s’entrechoquent al- si elle sortait tout juste de la fonderie.
pour en tirer une étincelle –
laient provoquer une étincelle.
Faire la cour à une femme –
Q Couler un bronze
Avoir des relations sexuelles –
Q Brut de décoffrage/de
Se cogner les jambes en Déféquer.
fonderie
marchant.
Cette expression qui est attestée en
Tel quel, en l’état – À l’état de
Le premier sens de battre le bri- 1957 est une image extrapolée de la
projet, de brouillon.
quet est parfaitement naturel, il n’a métaphore coulé en bronze/dans le
rien de figuré, contrairement aux L’adjectif brut signifie ici « grossier » bronze qui voulait dire « rendu du-
trois autres significations. Avant les ou « rudimentaire ». rable ou immortel », comme l’est un
moyens modernes comme la piézo- Lorsqu’une coulée de métal a refroi- personnage célèbre grâce à la statue
électricité, le briquet ne pouvait di dans son moule et qu’on ôte le en bronze qui le représente.
qu’être équipé d’une pierre à bri- moule, la pièce obtenue est en gé- Mais cet emprunt n’est pas expliqué
quet, pierre qu’il fallait battre ou néral grossière et a le plus souvent car la durée de vie de la « chose »
gratter pour provoquer une étincelle besoin au minimum d’un polissage, ainsi produite est plutôt courte et
susceptible d’allumer un feu. mais plutôt d’un usinage pour deve- elle ne provoque généralement pas
Le second, qui date du XVIIIe siècle, nir un objet exploitable. Cette pièce autant d’intérêt que la statue d’un
est une métaphore qui découle du est dite brute de fonderie. héros….
premier sens, puisqu’un homme qui Lorsqu’on enlève le coffrage en S’il faut trouver un lien avec l’ex-
fait sa cour et déclare ses sentiments bois à l’intérieur duquel on a cou- pression d’origine, c’est probable-
ne peut qu’« enflammer » la jeune lé du béton, le mur ou le plancher ment entre la durabilité des objets
et naïve donzelle qui ne demande ainsi obtenu est brut de décoffrage, en bronze qu’elle exprime et le fait
qu’à le croire, aussi facilement c’est-à-dire qu’en général, avant de de produire une chose dont certains
que l’étincelle du briquet allume lui appliquer un enduit ou du plâtre, aimeraient peut-être plus ou moins
l’amadou. il lui faut encore quelques travaux consciemment qu’elle dur[ciss]e et
Et le troisième découle du second, de finition. passe à la postérité.
puisqu’une fois que la jouvencelle C’est de ces emplois techniques où Enfin, on ne peut passer sous si-
est tombée dans les rets du beau les objets initialement produits né- lence le fait qu’en argot, depuis
parleur, le couple passe au lit pour cessitent des finitions que, au figu- 1928, l’œil de bronze désigne l’anus
y accomplir l’inévitable (néanmoins ré, nos expressions ont pris le sens (comme l’œil tout court, d’ailleurs).
bien agréable) rituel d’accouple- indiqué au cours de la seconde moi- Il est donc facile d’imaginer que ce
ment. tié du XXe siècle. qui coule de cet orifice ne peut être
Enfin, le dernier vient de la com- Par extension, ces qualificatifs que du bronze.
paraison entre le cognement régu- peuvent aussi s’appliquer à des
lier des jambes pendant la marche personnes indélicates, sans tact ni
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Et c’est ce dernier qui est « le cadet du XXe siècle, ne sous-entend pas
Q Aux calendes de nos soucis ». du tout que toutes les personnes
grecques Pourquoi cadet ? nerveuses sont susceptibles de
Jamais ou dans très Dans toute famille à la progéniture lâcher un superbe étron un peu
longtemps. nombreuse, d’abord, il y a l’aîné, partout.
puis il y a les intermédiaires et, enfin, Il semble que l’image vienne de celle
Renvoyer aux calendes grecques,
le plus jeune, le plus petit, le cadet. du bébé qui, comme quelqu’un qui
c’est renvoyer à une date qui
Cette expression date de la fin du est très énervé, devient tout rouge
n’existe pas. Mais pourquoi cette
XVIIe siècle. Elle est une variante de lorsqu’il force pour faire sortir sa
date n’existe-t-elle donc pas ?
c’est le moindre de mes soucis qui crotte. Mais comme faire un caca
C’est sous Jules César, vers 45 av.
a un siècle de plus. Elle est une mé- n’impliquait pas forcément l’éner-
J.-C. que le calendrier romain est
taphore qui assimile les soucis avec vement associé à l’expression, le
réorganisé pour être en accord
les enfants d’une famille, le moins qualificatif nerveux y a été accolé de
avec les mouvements connus
important, le plus petit étant le cadet. manière à la rendre plus explicite.
des astres.
Elle indique qu’on porte tellement
L’année de 365 jours et les an-
nées bissextiles datent de cette
peu d’intérêt à la chose désignée, Q Le café du pauvre
qu’elle ne risque certainement pas de
époque. L’acte sexuel.
devenir un véritable souci un jour.
Les calendes désignaient le pre-
Au XIXe siècle, le café n’était pas
mier jour de chaque mois, jour
pendant lequel les débiteurs
Q C’est fort de café obligatoirement un simple café,
puisque prendre son café, c’était
devaient payer leurs dettes (ins- C’est exagéré, excessif,
aussi « prendre son plaisir ».
crites dans des livres de comptes insupportable.
Mais il n’est pas certain qu’il y ait
appelés calendaria).
Cette expression, qui est attestée à un lien entre cette ancienne expres-
Un peu plus loin vers l’est, les
la fin du XVIIIe siècle, est une variante sion tombée dans l’oubli et celle qui
Grecs, eux, n’en avaient cure,
de c’est (trop, un peu) fort ! qui date nous intéresse ici.
et continuaient à utiliser gaillar-
du XVIIe et qui signifie la même chose. En revanche, il est sûr qu’autrefois,
dement leur méthode de comp-
L’extension de café vient évidem- mais aussi pendant la dernière guerre,
tage du temps, sans calendes.
ment d’une plaisanterie autour du le café était une denrée rare et pré-
Rey et Chantreau expliquent
café, parfois trop fort. cieuse que seuls les riches pouvaient
que, selon le biographe Suétone,
En 1808, D’Hautel, dans son Dic- s’offrir, les pauvres ne pouvant que
ce serait Auguste, à une époque
tionnaire du bas-langage ou des se payer une partie (gratuite, elle) de
où la Saint-Glinglin et la semaine
manières de parler usitées parmi le jambes en l’air à la fin du repas.
des quatre jeudis n’existaient
peuple écrivait : Cette appellation, en des temps de
pas encore, qui aurait le premier
« C’est un peu fort de café. privation, a aussi désigné la chico-
introduit les inexistantes calen-
Calembour, jeu de mot populaire rée, plus abondante et disponible
des grecques pour parler de la
qui se dit pour exprimer que que le café.
plus qu’hypothétique date de
quelque chose passe les bornes de la
remboursement des débiteurs
insolvables.
bienséance, sort des règles sociales. » Q Yoyoter de la
Des variantes existent, citées éga- cafetière/la touffe
lement au XIXe siècle, où le café est
Être fou, déraisonner.
Q C’est le cadet de mes remplacé par la chicorée ou le moka
Divaguer, dire n’importe quoi.
soucis (« C’est fort de chicorée ! »). Et pour
rester dans les liquides forts, on a eu En argot, la cafetière désigne la tête
Cela ne m’importe pas,
aussi c’est fort d’eau-de-vie. depuis le milieu du XIXe siècle et peut
ne m’intéresse pas du tout,
être remplacée ici par d’autres versions
m’est égal.
Q Faire un caca nerveux argotiques comme touffe (de cheveux),
Dans les mauvaises périodes, il arrive toiture ou mansarde, par exemple.
S’énerver fortement, avoir un
qu’on ait plusieurs soucis simulta- Mais notre expression, elle, ne date
accès de mauvaise humeur
nément. Il se produit alors plus ou que du milieu du XXe.
(souvent sans réelle
moins consciemment un classement Yoyoter vient simplement de
justification).
de ces soucis, de celui qui est le plus yoyo, nom de ce jeu très ancien
embêtant à celui dont on se moque Faire un caca nerveux, expression que certains considèrent comme
un peu, comparativement aux autres. apparue pendant la seconde moitié complètement absurde, au point de
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36 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
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1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
La dernière signification est moins cette expression a tout de même été café, que le bourgeois donne à sa
intuitive. utiliséepardespersonnesrelativement femme ou à son enfant – s’ils ont été
Autrefois, on disait courir les champs : célèbres comme Antoine Blondin, bien sages. »
« son esprit court les champs » ou Michel Audiard ou le général de Depuis, même les femmes pas très
« il est fou à courir les champs ». Gaulle. sages, et Dieu sait si elles sont nom-
Alors si on admet qu’ici, c’est l’esprit Pendant les périodes électorales, breuses, peuvent avoir droit à leur
qui « vagabonde », qui n’enchaîne cette expression est brutalement canard, et bien plus souvent trempé
pas les pensées de manière logique oubliée par nos hommes politiques dans le verre d’alcool fort d’un voi-
ou sensée, qui se laisse entraîner de tous bords qui n’arrêtent pas de sin de table que dans du café.
d’un côté puis d’un autre, tout de- nous prendre pour des imbéciles.
vient tout de suite plus limpide. Q Boire un canon/un coup
Q Prendre/Sucer Boire un verre d’alcool.
Q Il ne faut pas prendre un canard
les enfants du bon Pour savoir d’où vient notre canon,
Prendre/sucer un morceau de
dieu pour des canards il nous faut remonter au XVIe siècle
sucre trempé dans une boisson.
sauvages ! où le « canon » qui, c’est bien
C’est par comparaison avec la vie connu, faisait 1/16 de pinte, était
Il ne faut pas prendre les
essentiellement aquatique du pal- une mesure de capacité utilisée pour
gens pour des imbéciles. Il ne
mipède qu’est venue, au XVIIIe siècle, le vin et les spiritueux.
faut pas se moquer des gens.
citée par Furetière en 1727, C’est au début du XIXe que ce ca-
Les enfants du bon Dieu, ce ne sont l’expression mouillé comme un ca- non-là désigne familièrement un
certainement pas des anges, puisque nard, parfaitement équivalente à simple verre de vin, même si la capa-
ce sont les hommes. C’est-à-dire trempé comme une soupe. cité du verre n’est plus exactement
vous, moi, etc. Dans l’expression, Si on ajoute à cette image le mou- celle d’un canon.
les enfants du bon Dieu, ce sont les vement fréquent du bec du volatile Mais il ne faut pas oublier aussi le
hommes dignes de ce nom, donc in- plongeant rapidement dans l’eau, coup qui, dès la fin du XIVe siècle,
telligents, honnêtes et respectueux on aboutit vite à la dénomination désignait aussi une quantité de liquide
de leur prochain, qui sont opposés de canard pour ce morceau de sucre (principalement, de boisson alcoolisée),
à ces pauvres canards, des volatiles brièvement trempé dans un liquide, celle que l’on boit en une seule fois,
supposés être de fieffés imbéciles. de manière à ce qu’il s’en imprègne d’un seul trait ou d’un seul « coup ».
Son origine exacte étant inconnue, le mais n’y fonde pas. C’est ce coup-là qui a donné boire
choix du canard sauvage au lieu du Dans son Dictionnaire de la langue un coup.
piaf, du macareux moine ou de l’al- verte paru en 1866, Alfred Delvau Par plaisanterie, boire un canon so-
batros à sourcils noirs reste inexpliqué. en donne la définition suivante : viétique, c’est boire un verre de vin
Mais si son histoire n’est pas connue, « Morceau de sucre trempé dans le rouge.
38 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Q Un capitaine d’industrie
Le patron d’une grande entreprise.
C’est à la fin du XIIIe siècle que capitaine débarque en français, venu du bas latin capitaneus qui signifiait « important »
ou « qui domine » (on y retrouve la racine caput qui signifiait « tête »).
D’abord spécialisé dans le domaine militaire où il désigne l’officier qui commande une compagnie, ce n’est qu’au
XVIe siècle qu’il s’applique à celui qui commande un navire, toujours militaire, avant de s’utiliser également dans la
marine commerciale au XVIIIe siècle.
Toujours est-il que le capitaine est bien celui qui commande, y compris maintenant dans une équipe sportive. Quant
à industrie, il nous vient aussi du latin, au XIVe siècle, où il désignait une « activité secrète » avant de s’appliquer à une
activité en général.
C’est à partir du XVIe siècle qu’il désigne toute activité qui produit quelque chose.
Or, il se trouve qu’à la tête de ces entreprises se trouvent des dirigeants dont le travail est de faire fonctionner correc-
tement la compagnie et, au-dessus d’eux, le responsable suprême qui oriente la stratégie de l’entreprise comme le
capitaine du bateau l’oriente dans la bonne direction.
C’est de cette analogie entre le commandant d’un navire et le dirigeant d’une (grande) entreprise qu’est née notre
expression qui, si elle n’est employée régulièrement que depuis la fin du XXe siècle, existait déjà au XIXe.
Q Aller à Canossa venait de se voir refuser l’envoi d’un revendications des pauvres et fut
ambassadeur allemand au Vatican. jeté de la Roche Tarpéienne.
Céder complètement devant
Bismarck voulait donc dire par là : Cette expression est donc une
quelqu’un – S’humilier devant
« Nous ne nous humilierons pas en image destinée à montrer que, des
quelqu’un.
cédant aux catholiques. » honneurs dont on pouvait être cou-
Le pape Grégoire VII, en 1077, alla vert au Capitole, il pouvait n’y avoir
séjourner à Canossa et y rencontra Q Il n’y a pas loin du que quelques pas pour arriver à la
l’empereur Henri IV d’Allemagne. Capitole à la Roche déchéance symbolisée par ce lieu de
Ce dernier avait en effet cru bon Tarpéienne mort qu’était la Roche Tarpéienne.
de proclamer la déchéance du pape
Après les honneurs ou la
après le conflit des Investitures. Le Q La caque sent toujours
célébrité, la déchéance, l’oubli
pontife décida alors de l’excommu- le hareng
peuvent venir rapidement.
nier. Du coup, les vassaux de l’em-
Lorsqu’on a de basses
pereur refusèrent de continuer à le Rome a été bâtie sur sept collines.
origines, on en conserve
suivre. Ce qui l’obligea finalement à C’est sur la plus petite d’entre elles,
toujours la vulgarité, malgré
aller rencontrer le pape pour le sup- le Capitole, qu’a été construit un
une éventuelle réussite.
plier de lui accorder son pardon. temple consacré à Jupiter, Junon
C’est au château de Canossa et Minerve, haut lieu de l’Antiquité Le hareng a une odeur très forte
qu’eut lieu cette rencontre où l’em- romaine et symbole de puissance et quand il est fumé. Du coup, quand
pereur fut humilié de devoir « se d’honneur. dans une caque on entasse des ha-
coucher » devant le pape qui ne Mais c’est sur un versant de cette rengs pendant un certain temps,
lui donna une réponse positive que même colline, donc à faible dis- elle en garde définitivement l’odeur.
trois jours plus tard, après l’avoir tance, que se trouvait la Roche Tar- Le mot caque est apparu sous cette
laissé ruminer en costume de péni- péienne, lieu d’où les condamnés à forme au XIVe siècle, probablement
tent et pieds nus dans le froid en mort étaient précipités dans le vide. dérivé de l’ancien nordique kaggi ou
plein mois de janvier. L’excommuni- Cette expression semble être une ré- kakki qui voulait dire « tonneau ». Il
cation fut alors levée. férence à l’aventure de Marcus Man- désigne une barrique destinée, avant
Bismarck, en 1872, utilisa l’expres- lius Capitolinus : il repoussa l’assaut qu’elle ait également et ultérieure-
sion devant le Reichstag. Il voulait des Gaulois de Brennus qui avaient ment d’autres usages, à contenir des
ainsi exprimer son désaccord avec pris la ville et assiégeaient la colline. harengs conservés dans du sel.
le Vatican qui soutenait le parti ca- Une fois le siège terminé, les soldats Cette caque a autrefois donné
tholique allemand, et son refus de du général romain Camille ayant l’expression serrés comme harengs
céder aux injonctions du pape, alors défait les Gaulois, Manlius fut cou- en caque aujourd’hui remplacée par
que Bismarck, qui avait des volontés vert d’honneurs. Mais peu de temps serrés comme des sardines.
trop laïques aux yeux du pape Pie IX, après il fut accusé de soutenir les QQQ
TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 39
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Cette expression est donc une méta- Mais par un malheureux hasard qui est à l’avant d’un ensemble qui
phore prétendant que celui qui vient Au secours des particuliers progresse ».
de « la France d’en bas » n’arrivera Nous arrivons toujours trop tard. » Quant au verbe caracoler qui nous
jamais à dissimuler complètement La réputation des carabiniers devait vient de l’escargot, il est d’abord
ses origines, même s’il arrive à se être très mauvaise pour qu’il y soit utilisé dans le monde équestre où,
hisser dans les hautes sphères de la fait allusion de manière aussi mar- au début du XVIIe siècle, il s’applique
société. quée dans le livret de cette œuvre. aux cavaliers et à leur monture qui
enchaînent des voltes et demi-voltes,
Q Parler à la cantonade la volte étant un tour complet que le
Q Rabattre/Rabaisser cavalier fait exécuter au cheval, sur
Au sein d’un groupe, parler
le caquet un cercle tangent à la piste ; et c’est
sans s’adresser à quelqu’un
parce les voltes ou caracoles qui se
en particulier. Faire taire quelqu’un.
suivent étaient assimilées à une
Forcer une personne
Au XVe siècle, le mot cantonade spirale qu’elles ont donné le verbe
à être moins insolente,
désigne un angle de maison (le mot caracoler.
la remettre à sa place.
est emprunté au provençal cantona- Des mouvements agiles de la cara-
da pour « angle »). Au commencement, au début du cole, le verbe a pris le sens élargi de
Au XVIIe siècle, il se spécialise dans XIVe siècle, était la caqueteresse ou « aller à cheval de manière vive »
le monde du théâtre où il désigne la « femme bavarde ». et même un autre sens encore plus
d’abord les côtés de la scène où, à Au milieu du XVe, le verbe caqueter éloigné applicable à un régime sans
l’époque, sont assis les spectateurs voulait dire « bavarder » et le dé- selle, puisqu’il signifie également
privilégiés. verbal caquet s’employait à la fois « courir en sautant, en gamba-
Puis, ces emplacements n’étant plus à propos d’un bavardage indiscret, dant ».
occupés par des spectateurs, il finit d’un importun humain et pour L’image du fringant cavalier qui fait
par désigner les coulisses. désigner le cri de certains animaux parader sa monture en tête d’un dé-
La locution à la cantonade apparaît (comme le gloussement de la poule filé ou celle du joyeux bonhomme
au milieu du XVIIIe siècle. Il s’agit alors qui vient de pondre son œuf). qui court en gambadant loin devant
d’un jeu scénique où l’acteur fait Au même moment apparaît sa troupe se retrouve dans notre
semblant de s’adresser à quelqu’un rabattre le caquet (de quelqu’un) métaphore où un gagnant « cara-
qui reste invisible, car placé dans les qui veut dire « faire cesser le ba- cole » largement en tête des autres
coulisses. vardage » dérangeant de cette membres de son groupe.
Le sens actuel est une métaphore ve- personne, donc la faire taire.
nue de cet emploi théâtral. Les cou- C’est au début du siècle suivant Q En carafe
lisses ont disparu, mais la personne qu’on utilisera aussi le verbe
Dans l’oubli, abandonné –
qui parle à la cantonade ne vise pas rabaisser, époque à laquelle on
En panne.
non plus un interlocuteur précis, et trouvera également les versions
ce d’autant moins que, souvent, au- avec les verbes abattre et abais- Cette expression est née à la fin du
cune réponse n’est attendue. ser, sans que ceux-ci aient survé- XIXe siècle.
cu jusqu’à notre époque. On peut penser que celui qui reste
Q Arriver comme les Souvent utilisée à propos de en carafe, abandonné, se retrouve
carabiniers personnes insolentes ou imbues comme une cruche, comme un im-
d’elles-mêmes qu’on veut faire bécile, le sens ayant alors glissé d’un
Arriver en retard, lorsque tout
taire, on a tendance à lui préfé- récipient ventru à un autre.
est terminé.
rer maintenant clouer le bec. Mais il faut aussi savoir qu’en argot,
Avant de devenir un gendarme ita- apparu un peu avant notre locution,
lien ou un douanier espagnol, le le mot carafe a désigné la bouche,
carabinier était en France un soldat
Q Caracoler en tête celle-ci étant un récipient également
à pied ou à cheval armé d’une cara- Être largement en tête. destiné à contenir – même si c’est très
bine, d’où son nom donné en 1634. temporairement – des liquides divers.
Être « en tête » d’un groupe, que
Cette expression est issue en 1869 Or, le premier sens de l’expression s’ap-
ce soit dans un défilé ou dans
de l’opéra-bouffe Les Brigands pliquait à l’orateur, qui ne trouvant plus
un classement, par exemple, cela
d’Offenbach, qui chantaient : ses mots, restait bouche bée.
signifie bien « être à l’avant du
« Nous sommes les carabiniers Et c’est ensuite, par extension, qu’on
groupe », tête ayant ici le sens da-
La sécurité des foyers serait passé de l’orateur qui reste en
tant du XVIe siècle de « place de ce
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40 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
plan à une personne quelconque logique muet comme un poisson
dans le même état, puis à celle qui (chez Rabelais, par exemple) ! Q Les carottes sont
est abandonnée, oubliée. Alain Rey évoque deux possibilités : cuites
Le sens de « panne » est apparu pa- la première viendrait de Furetière qui
Tout est perdu. Il n’y a plus
rallèlement à la première significa- a écrit, à propos de la carpe, qu’elle
aucun espoir.
tion. Serait-ce parce que le véhicule n’a pas de langue ; et comme qui
en panne est abandonné sur le bord n’a pas de langue ne peut parler… Remontons au XVIIe siècle.
de la route ? La seconde viendrait simplement À cette époque et encore longtemps
du fait que la carpe est un poisson après, la carotte est considérée
Q Le dernier carat qui sort fréquemment la tête hors comme un aliment pauvre. Mais,
de l’eau, la bouche ouverte et qui, du fait d’une forme similaire et
Le dernier moment,
par timidité sûrement, ne prononce d’une prononciation très proche
la dernière limite.
pourtant jamais un mot. (paronymie), elle est aussi associée
Dans le monde de la joaillerie, le ca- On peut toutefois noter que George à la « crotte ». On disait d’ailleurs de
rat est une unité de poids pour les Sand n’a pas hésité un seul instant à quelqu’un de constipé qu’il « chiait
diamants. Mais dans la manipulation utiliser la version muet comme une des carottes ».
de l’or, le nombre de carats indique tanche. Un peu plus tard, ne vivre que de
le degré de pureté du métal précieux, carottes signifiait « vivre très chi-
sachant qu’un or à 24 carats serait un Q Carpe diem chement ».
or parfaitement pur. Autrement dit, Cette valeur péjorative liée à la
Profite bien du moment/du
un or à 18 carats contient 18 parts carotte est restée et, à la fin du
jour présent.
d’or pur et 6 parts d’autres métaux. XIXe siècle, avoir ses carottes cuites
D’ailleurs, autrefois, jusqu’au La formule latine complète est se disait pour « être mourant »,
XVIIe siècle, le nombre de carats était Carpe diem quam minimum credu- mais sans qu’on sache exacte-
utilisé dans des expressions où on la postero qu’on peut traduire par ment le pourquoi de cette asso-
utiliserait plutôt aujourd’hui un « Cueille le jour [et sois] la moins cu- ciation du bientôt mort avec ces
pourcentage ou une fraction. rieuse [possible] de l’avenir ». C’est légumes cuits.
Ainsi, un « hérétique à 17 carats le poète latin Horace qui l’a écrite Toujours est-il que c’est cette no-
et demi » était aux trois quarts hé- dans le dernier vers d’un poème, où tion de carottes qui marquent un
rétique, par exemple. Le qualificatif il résume ce qui précède. Il veut y état sans espoir, où on ne peut plus
à vingt-quatre carats remplaçait un persuader Leuconoé, jeune fille qui rien, qui est arrivée jusqu’à nous.
« complètement » ou un « parfait » souhaite vivre longtemps, que c’est La phrase « les carottes sont
(« un calomniateur à vingt-quatre le présent qui est important et que, cuites, je répète, les carottes sont
carats ») et on en est même arrivé même s’il est très probable qu’il lui cuites » a servi, comme de nom-
à désigner des choses à trente-six reste encore de nombreuses années breuses autres, de code à la radio
carats, lorsqu’on allait au-delà du à vivre, elle doit pleinement profiter de Londres pour déclencher des
possible. du présent, mais en gardant une actions ou des opérations par la
Partant de ces considérations, on saine discipline de vie et en ne re- Résistance dans les territoires oc-
comprend bien que dernier ca- mettant pas au lendemain les choses cupés par l’Allemagne pendant la
rat (sous-entendu « le vingt-qua- à faire. Seconde Guerre mondiale.
trième ») puisse être devenu, au figu- Horace s’intéressait à l’épicurisme,
ré et au XIXe siècle, la limite maximum le vrai, pas celui auquel on pense
puisqu’on ne peut pas aller au-delà. aujourd’hui lorsqu’on parle d’un épi- Q Se comporter/S’aplatir
curien, une personne qui ne songe comme une carpette
Q Muet comme une carpe qu’au(x) plaisir(s) et sait pleinement
Avoir un comportement
en profiter. La vision du plaisir d’Épi-
Complètement silencieux. soumis, servile – Être
cure, plaisir d’ascète plus que d’épi-
bassement flatteur.
S’il n’est pas étonnant qu’un pois- curien moderne, n’était pas tout à
son soit utilisé dans une telle com- fait identique à celle qu’on croit en Au XIVe ou XVe siècle, carpette a
paraison, pourquoi est-ce la carpe général. d’abord désigné « un gros drap rayé
qui a eu l’insigne honneur de re- Aujourd’hui, le carpe diem est da- servant de tapis ou d’emballage ».
présenter le genre, et ce depuis vantage vu comme une incitation Ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle
1612 ? C’est d’autant plus étrange à jouir du moment présent sans qu’il a pris le sens moderne de
qu’on a d’abord utilisé la forme plus contraintes ni retenue. « petit tapis mobile ».
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 41
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Cet objet est une chose qui se trouve ou adversaires de s’approcher trop Et c’est parce qu’une personne bles-
posée au sol et dont le pitoyable des- près du lieu gardé. sée ou tuée à l’intérieur d’une habi-
tin est d’être piétinée sans vergogne. Une autre interprétation liée à ce tation gisait sur le carreau que notre
La comparaison d’une personne à carreau-là pourrait aussi être que expression est née.
une carpette, qui date du XXe siècle, tout assaillant avait intérêt à « se Actuellement, elle s’utilise aussi dans
est donc simplement une image très tenir à carreau » en restant hors de des situations moins extrêmes, sim-
méprisante vis-à-vis de la personne portée de tir des arbalétriers bien ca- plement lorsque quelqu’un est en
ainsi désignée, celle-ci étant si lâche, chés derrière leurs meurtrières. difficulté.
si servile, qu’elle n’est considérée que Il existe deux autres explications.
comme bonne à être foulée aux pieds. La première viendrait d’un jeu de Q Donner carte blanche
Et comme, en général, cette sorte cartes d’où est tiré le dicton qui se
Laisser la libre initiative.
de carpette est un flagorneur vis- garde à carreau n’est jamais capot.
Donner les pleins pouvoirs
à-vis de celui qui le soumet, on ob- Autrement dit, celui-ci qui « se garde
pour accomplir une tâche.
tient, par extension, le second sens à carreau », qui surveille bien son
indiqué. jeu, qui est sur ses gardes, ne perd Il faut voir cette carte blanche, attestée
On peut aussi « s’étaler comme une jamais. La seconde viendrait de l’ar- avec cette signification depuis 1451,
carpette », mais cette fois, l’image est got où, selon Jacques Arnal dans son comme une feuille sur laquelle toutes
celle de la personne qui, étant tom- Argot de police, carreau désigne le les consignes de la mission sont claire-
bée, se retrouve « aplatie » au sol. domicile, tout comme la carrée ou la ment écrites. Et comme elle est déses-
carre est la chambre. pérément blanche, c’est une indication
Q Se tenir à carreau qu’on peut faire ce que l’on veut, uti-
Q Sur le carreau liser tous les moyens, y compris, si le
Être sur ses gardes – Ne pas
contexte et l’humeur s’y prêtent, les
se manifester. S’efforcer de À terre, mort ou blessé –
plus cruels, retors ou illégaux.
passer inaperçu. Abandonné dans une
Dans un contexte de guerre, cette
situation difficile.
Autrefois il fallait impérativement carte blanche a aussi été utilisée dans
disposer de « carreaux » pour pou- Cette expression, qui existe depuis d’autres expressions. Ainsi, mander
voir utiliser une arbalète, carreau le tout début du XVIIe siècle, est en la carte blanche, c’était « se mettre
étant le nom de la flèche spécifique général précédée de verbes comme à la merci du vainqueur, se rendre
de cet engin de mort. Un garde être, rester, envoyer ou laisser. sans conditions », alors que donner
quelconque perché dans son échau- Depuis 1160, le carreau désigne un la carte blanche à quelqu’un, c’était
guette se devait de « se tenir à car- pavé plat de terre cuite servant à au XVIIe siècle, « lui laisser dicter ses
reau » lorsqu’il surveillait les alen- recouvrir un sol. Par métonymie, le conditions ». Dans les deux cas,
tours, prêt à enfiler le carreau sur terme sert aussi à désigner toute sur- on retrouve cette notion de pleins
son arme pour dissuader les curieux face couverte par des carreaux. pouvoirs laissés à l’autre.
Q Rouler carrosse
Être riche et le montrer.
Mener un grand train de vie.
Pour comprendre l’origine de cette expression, il
suffit de remonter peu de siècles auparavant, à
une époque où avoir un carrosse personnel était
autrement plus un signe de richesse que ne l’est
aujourd’hui le fait de posséder une voiture.
Et, se déplacer ostensiblement avec son carrosse
permettait de bien faire étalage de son aisance
financière.
Cette locution est née à la fin du XVIIe siècle sous la
forme avoir de quoi faire rouler un carrosse. C’est au
début du XVIIIe qu’elle a pris la forme actuelle d’une
expression qu’il faut comprendre comme « rouler
Gravure de Theodor Joseph Hubert Hoffbauer, 1883.
(avec son propre) carrosse ».
42 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 43
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Q Coiffer sainte sainte Catherine dans les églises de par extension, s’applique à toute
Catherine Paris, ce jour-là. situation, y compris non médicale,
où l’on pense qu’une mesure n’aura
Pour une femme, arriver à
l’âge de vingt-cinq ans sans
Q Un cautère/emplâtre strictement aucun effet.
être mariée.
sur une jambe de bois
Q Être sujet à caution
Une mesure complètement
Sainte Catherine (ou Catherine
inutile, inefficace. Être douteux. Ne mériter
d’Alexandrie), jeune femme pieuse,
qu’une confiance limitée.
très érudite et restée vierge, est morte Le mot cautère vient indirectement
en martyre au IVe siècle, décapitée de l’ancien grec kaiein qui signifiait Au début était le verbe latin cavere
après avoir été partiellement « brûler ». Il a d’abord servi à nom- qui voulait dire « prendre garde » ou
déchiquetée par des roues armées mer un fer brûlant, au XIIIe siècle ; « se méfier ». De ce verbe, toujours
de pointes et de rasoirs. par métonymie, il s’est ensuite en latin, a dérivé cautio (prudence)
Elle est la patronne des jeunes filles, appliqué, au XVIIe siècle, à la plaie qui a donné à la fois précaution,
mais aussi des étudiants, des meu- qui résultait de l’application d’un tel mais aussi, dans le domaine juri-
niers et des philosophes. fer sur la chair, avant de désigner le dique, caution comme synonyme de
Par sa virginité, sainte Catherine est cataplasme apposé sur la plaie pour « garantie » ; (d’où l’expression tou-
le symbole de la pureté (le nom vient la guérir. jours actuelle libéré sous caution).
d’ailleurs du grec katharos qui veut Le cautère est donc ici le remède qui On disait alors être caution que,
dire « pur », mot d’où vient aussi le sert à soigner une blessure. alors qu’on utiliserait plutôt mainte-
nom des fameux cathares). Quant à l’emplâtre, le Grand Robert nant répondre de.
Dès le Moyen Âge, il est d’usage le décrit ainsi : « Topique, onguent Et c’est bien le sens initial, celui du
de fêter la Sainte-Catherine pour glutineux se ramollissant légèrement verbe cavere, lié à la méfiance, qu’on
les jeunes filles non mariées à à la chaleur, ce qui le fait adhérer à trouve dans notre expression datant
25 ans, donc réputées encore vierges, la partie du corps sur laquelle on l’ap- du début du XVIIe siècle.
demoiselles qu’on appelle des cathe- plique ». Autrement dit, c’est, comme Mais on y retrouve aussi celle de ga-
rinettes. un cataplasme, une préparation rantie si l’on admet que la chose qui
Si elles respectent la tradition, le médicinale appliquée sur la peau. est sujette à caution ne sera finale-
25 novembre, ces célibataires Maintenant, nous avons tous les élé- ment crédible que si une forme de
doivent se mettre un couvre-chef ments pour juger de l’intérêt d’appli- garantie permet de la confirmer ou
comportant les couleurs jaune (sym- quer un cautère ou un emplâtre sur vérifier.
bole de la foi) et verte (symbole de une jambe de bois : il est complè-
la connaissance), en rappel de l’an- tement nul ; ce qui suffit largement Q Passer au caviar –
cienne tradition qui voulait que des à expliquer le sens de notre expres- Caviarder
jeunes filles coiffent les statues de sion, apparue au XVIIIe siècle, et qui,
Cacher ou supprimer.
Censurer.
Il faut savoir qu’en Russie, sous le
Q La cerise sur le gâteau tsar Nicolas Ier, la censure était fré-
Le petit détail final qui parfait une réalisation – L’avantage quente et que, dans les publications
supplémentaire – Le comble, le bouquet (ironiquement). et livres imprimés, il n’était pas rare
de trouver des taches noires, faites à
Nous avons simplement ici affaire à une métaphore pâtissière, par com-
l’encre, destinées à rendre indéchif-
paraison avec ce superbe gâteau sur lequel trône, au milieu, une belle cerise
frables les passages qu’on voulait
d’un rouge parfaitement naturel, petite touche de décoration finale qui
censurer.
rend la pâtisserie plus appétissante).
Or, il se trouve que le caviar, cet
Cette expression n’est qu’une traduction exacte de l’expression anglaise
aliment de luxe issu de l’esturgeon,
the cherry on the cake ou de sa variante the cherry on top (voulant dire « la
principalement originaire de Russie,
cerise sur le dessus », sous-entendu : du gâteau) dont la date d’apparition
est également noir.
n’est, semble-t-il, pas connue, mais dont l’origine ou le sens est on ne peut
C’est pourquoi, en raison du pays
plus limpide.
d’origine commun, la comparaison a
On peut noter que, dans les pays anglo-saxons, on utilise également avec
été très vite faite entre ce mets souvent
le même sens the icing on the cake, la métaphore portant cette fois sur le
servi dans les pince-fesses huppés et
glaçage sucré dont on recouvre certaines pâtisseries.
ces taches matérialisant la censure.
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44 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Utilisé en argot depuis le début du Du fait que son épouse, obligatoire-
Q Vouloir faire passer
XXe siècle dans le milieu journalistique, ment proche du pouvoir, était sus-
le « passage au caviar » a ensuite
un chameau par le pectée, il se devait donc de l’écarter,
donné le verbe caviarder.
chas d’une aiguille qu’elle soit réellement fautive ou
Tenter quelque chose pas.
Q Se serrer la ceinture d’impossible ou S’agissait-il d’une réelle rigueur de
d’extrêmement difficile. César ou bien d’une explication fu-
Se priver de nourriture –
meuse parce qu’il était désireux de
Se passer de quelque chose. Selon la Bible, il était un homme
changer d’épouse ?
riche qui respectait scrupuleuse-
La date d’apparition de cette ex-
ment tous les commandements,
pression ne semble pas vraiment
mais qui refusait de partager ses
Q Ni chair ni poisson
connue. Pourtant, le mot ceinture
biens avec les pauvres, montrant ain- Indéfinissable, indéterminé
existe depuis le XIIe siècle avec le
si que le renoncement à la richesse (pour quelque chose). Indécis
sens de « bande de matière souple
était difficile, voire impossible. ou difficile à cerner (pour
portée à la taille pour maintenir un
C’est à propos de ce riche que quelqu’un).
vêtement ou comme ornement ».
Jésus dit : « Je vous le dis, il est
Maintenant, comprendre l’origine Il y eut un temps très lointain où le
plus aisé pour un chameau d’en-
des sens métaphoriques de l’expres- jeûne du carême était scrupuleuse-
trer par le trou d’une aiguille,
sion est très simple : il ne fait aucun ment respecté : un seul repas de pain,
que pour un riche d’entrer dans
doute que le fait de se passer long- de légumes, de fruits secs et d’eau par
le royaume de Dieu. » (Évangile
temps de nourriture permet de ser- jour. Puis, quelques pontes de l’Église
selon saint Matthieu, XIX, 24.)
rer nettement plus sa ceinture. autorisèrent un certain relâchement
Mais d’autres interprétations de
De là est issu le premier sens propo- qui vit l’introduction du poisson, des
ce qu’a prononcé Jésus ont été
sé, même si ici, la privation n’est ab- œufs, des laitages et même du vin.
proposées.
solument pas volontaire, mais subie, Le poisson fut un immense sujet
En effet, là où, dans le texte de
que ce soit pour cause de pauvreté de discussion, les uns disant que le
l’Évangile, certains lisent kamelos
(en général) ou de situation dans poisson était de la chair (c’est un
(soit « chameau »), d’autres
laquelle aucune nourriture n’est animal, non ?), les autres disant qu’il
voient kamilos (soit « câble »).
accessible. n’en était rien (à une époque où les
On se rapproche donc déjà plus
C’est par simple extension du sens études animales n’étaient pas très
d’une tentative un peu moins
initial que l’expression couvre aussi poussées, ils croyaient que ces bes-
désespérée d’arriver au but
la privation ou le manque de n’im- tioles ne se nourrissaient que d’eau).
recherché, puisqu’un petit câble
porte quoi dont on aurait pourtant Le peuple ne retint que le côté pitto-
peut passer à travers le chas
envie ou besoin. resque de ces échanges peu amènes
d’une très grosse aiguille.
et inventa notre expression pour
L’autre interprétation indique qu’il
Q La femme de César aurait existé à Jérusalem une porte
désigner des choses dont la nature
ne doit pas être d’entrée appelée « le chas de
n’est pas bien définie, des gens dont
soupçonnée l’aiguille » beaucoup trop petite
l’opinion fluctue, ceux qui ont une
conduite louche, indéfinissable et,
Les personnalités officielles, pour qu’un chameau bâté puisse
plus généralement, toutes choses
les institutions doivent être à y passer. Alors, il se peut qu’une
indéterminées.
l’abri des accusations. traduction imparfaite du texte ait
De nos jours, on l’emploie aussi ré-
donné « chas de l’aiguille » au lieu
Il faut ici comprendre que les per- gulièrement à propos des hommes
de « trou de l’aiguille ». Et Jésus
sonnalités et institutions doivent politiques dont l’opinion varie en
aurait évoqué une comparaison
être intouchables même si elles fonction de la direction du vent ou
alors deve-nue acceptable et com-
sont accusées de quelque chose du résultat des derniers sondages.
préhensible.
(comme c’est le cas pour certains en
France), mais qu’elles doivent être « Le poisson fut un
tellement irréprochables qu’aucun Selon Plutarque, il s’agit en fait d’une immense sujet de
soupçon ne puisse les entacher. réponse que fit César lorsqu’il cher- discussion, les uns disant
Sinon, elles doivent être écartées chait à justifier d’avoir répudié sans que c’était de la chair, les
ou destituées, avant même de aucune preuve sa troisième épouse autres disant qu’il n’en
savoir si les soupçons sont justifiés Pompéia, soupçonnée de relations était rien. »
ou non. illicites avec Clodius.
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Enfin, bien qu’il ne soit plus en usage Présents dans la mythologie, Scyl- Bien sûr, acheter un chat caché dans
de nos jours il est intéressant de signaler la était présenté comme une créa- un sac sans y jeter un œil au préa-
que cette expression a aussi eu le sens ture monstrueuse à plusieurs têtes lable, ce n’est pas prendre le risque
de « faire l’amour », pour désigner le et Charybde comme un monstre de se faire refiler un éléphant ou une
« repos du paysan » qu’il s’accordait qui, trois fois par jour, aspirait dans musaraigne, la taille et le poids du
après une journée bien remplie. d’énormes tourbillons les eaux du sac pouvant immédiatement provo-
Bœufs désignaient alors les testicules détroit avec les bateaux qui y navi- quer quelques doutes dans l’esprit
et charrue, le pénis avec lequel le guaient, puis les recrachait. de quelqu’un de pas trop benêt ;
paysan labourait une terre bien par- Dans l’Odyssée, Ulysse, qui vient à mais c’est prendre le risque de ré-
ticulière. Et la charrue était obligatoi- peine d’échapper aux chants des si- cupérer un animal borgne, malade,
rement devant les bœufs, situation rènes, doit tenter de se glisser entre estropié ou, pire encore, une bes-
inverse de ce qu’elle était dans la ces deux grands dangers. Mais il y tiole d’un autre type mais de taille
journée aux champs. perdra six compagnons dévorés vi- et poids approchants (une belette,
vants par Scylla. par exemple).
Q Tomber de Charybde
en Scylla Q Acheter/vendre chat Q Appeler un chat un
en poche chat
Se retrouver dans une
situation pire, à peine sorti Conclure un marché sans voir/ Appeler les choses par leur
d’une situation difficile. montrer l’objet de la vente nom – Être franc et direct.
(avec le risque de se faire
Cette expression est employée de- Cette expression a son origine en des-
duper).
puis le XIVe siècle, mais elle remonte sous de la ceinture : en effet, ce que
à l’Antiquité. C’est au tout début du XVe siècle que l’on nomme aujourd’hui argotique-
À l’origine Charybde et Scylla cette expression est apparue. ment chatte, s’appelait autrefois chat
auraient été deux dangers du détroit Le nom poche désignant ici un sac, au XVIIIe siècle, en désignant d’abord la
de Messine, entre l’Italie et la Sicile, le sens de l’expression est facile toison pubienne au XVIIe, car il ne faut
le premier étant un tourbillon, le à comprendre. Vous viendrait-il à pas oublier que c’est un endroit qui,
second un écueil. l’idée d’acheter quelque chose sans comme le félin, est velu et se laisse vo-
Les marins qui cherchaient à éviter le voir et de faire une confiance lontiers caresser, sans négliger la très
le premier allaient périr en s’écrasant aveugle au vendeur, si vous ne le probable influence de l’homonyme
sur le second. connaissez pas ? chas, comme celui de l’aiguille, qui
désignait un trou ou une fente.
S’il a existé une vieille locution qui
Q Tenir la chandelle disait déjà il entend chat sans qu’on
dise minon (il comprend chat sans
Assister à des ébats amoureux, sans y participer –
qu’on dise minet), locution jouant
Être seul avec un couple trop occupé et se sentir de trop.
volontairement sur le sens équi-
Imaginez-vous au début du XIXe siècle, lorsque l’électricité et les lampes de chevet voque des deux désignations du
n’existaient pas : vous êtes pris d’une envie pressante de batifoler dans le lit petit félin, c’est Boileau qui a figé
conjugal, mais surtout pas dans le noir. Que vous reste-t-il à faire ? C’est très la forme actuelle dans un vers de sa
simple : vous appelez à la rescousse un de vos employés pour que, le dos tourné première Satire : « J’appelle un chat
bien sûr, il vous tienne un chandelier à proximité du lit pendant vos ébats. un chat et Rollet un fripon » (ce Rol-
Et c’est bien là l’origine de cette expression, d’autant plus que, comme il let était un procureur véreux).
s’agissait de relations amoureuses, il fallait y ajouter les sous-entendus éro-
tiques d’une chandelle bien verticale. Q Avoir d’autres chats
Notez que, dans certaines cultures ou certains milieux (royaux, par exemple) à fouetter
où la virginité féminine devait obligatoirement être conservée jusqu’au ma-
Avoir d’autres choses à faire
riage, le rôle du porteur de chandelier – une personne de confiance – n’était
ou d’autres préoccupations.
plus d’éclairer la scène (il attendait à l’extérieur), mais, après consommation,
de venir éclairer le drap pour s’assurer de la présence de la tache prouvant L’association du chat et de fouetter
que la mariée était bien une première main. est ancienne, puisqu’elle date au
Par extension, celui qui est présent avec un couple et qui se sent de trop moins du XVIIe siècle.
est, en étant exclu des relations entre les deux autres personnes, le porteur Alain Rey, grand spécialiste de notre
symbolique de la chandelle d’autrefois. langue, rappelle qu’on disait qu’une
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48 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 49
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Ensuite, en 1966, les Charlots ont autre, vous choisissez le chemin qui Rome est alors vue comme un point
enregistré la chanson Je dis n’im- vous semble le plus adapté et vous central vers lequel convergent de
porte quoi je fais tout ce qu’on me le suivez. nombreux chemins, tous menant
dit également intitulée Chauffe Mar- En aucun cas il ne vous viendrait immanquablement à ce même lieu
cel, chanson qui aurait contribué à l’idée de passer tour à tour par pour le pèlerin vraiment désireux d’y
rendre l’expression célèbre. quatre chemins différents. aller.
Mais si l’on se fie à ce que raconte Cette métaphore date du milieu du Notre expression, attestée au XIIe siècle
Marcel Azzola lui-même, dans la pre- XVIIe siècle. dans le Liber parabolarum d’Alain de
mière prise à l’enregistrement de sa L’idée qu’elle véhicule est très Lille, est donc une simple métaphore
chanson Vesoul, Brel aurait, de ma- simple : il n’y a qu’un seul chemin qui reprend le fait que si, pour le pè-
nière non préméditée, ajouté ces pa- pour aller efficacement d’un endroit lerin, il existe une multitude de ma-
roles qui feront alors définitivement à un autre ; en essayer d’autres ne nières d’aller à Rome, pour le péquin
partie de la chanson. serait que pure perte de temps. moyen, il existe souvent beaucoup
Le seul hic de cette histoire, c’est que Par extension, il faut faire de même de façons d’obtenir un certain résul-
l’enregistrement de Vesoul a eu lieu lorsqu’on agit : aller droit au but (au tat ou de faire quelque chose ; sans
en 1968 donc postérieurement au risque d’écraser tout sur son pas- oublier aussi la dimension spirituelle,
moins à la chanson des Charlots si sage ou de manquer cruellement de puisque le croyant peut considérer
jamais on doute de l’origine liée au tact) ! qu’il existe de nombreuses voies pour
sketch des Dupont et Pondu. parvenir à Dieu.
Quoi qu’il en soit, ce chauffe, Marcel Q Tous les chemins
est vite devenu, hors de la musique, mènent à Rome Q À cheval donné on ne
une invite à se lancer avec ardeur regarde pas la bride/la
On peut obtenir un même
dans une action. bouche/les dents
résultat de différentes
manières. Il faut toujours être content
Q Ne pas y aller par d’un cadeau reçu. On ne doit
quatre chemins Cette expression fait référence au
pas critiquer un cadeau, quand
pèlerinage chrétien vers Rome qui
Aller droit au but, sans user bien même aurait-il un défaut.
est un des trois principaux pèleri-
de moyens détournés. Agir
nages avec ceux de la Terre sainte et Si la date d’apparition de cette lo-
sans détour.
de Compostelle, la ville étant deve- cution proverbiale n’est pas connue
Quand vous voulez aller le plus ra- nue une destination importante peu avec précision, elle remonte à loin
pidement possible d’un point à un de siècles après Jésus-Christ. puisque, en latin médiéval, on disait
déjà la même chose sous la forme
« non oportet equi dentes inspicere
Q Trouver chaussure à son pied donati ».
À cette époque, le cheval, principal
Trouver ce dont on a besoin – Rencontrer la personne avec
moyen de locomotion, avait une
laquelle on va partager sa vie.
importance autrement plus grande
Cette locution apparaît au début du XVIIe siècle, mais avec un sens bien qu’aujourd’hui.
différent. Ainsi le premier dictionnaire de l’Académie française (1694) note : Celui qui se faisait offrir un cheval
« On dit fig. & prov. Il a trouvé chaussure à son pied, pour dire, Il a trouvé et qui avait du savoir-vivre devait en
qui luy tient teste, & qui luy sçait bien resister », le à signifiant « contre ». remercier chaleureusement le dona-
Son sens actuel est une métaphore basée sur quelque chose de parfaitement teur, sans se préoccuper de savoir
compréhensible : une chaussure de taille inadaptée peut très vite devenir ex- devant lui si la bride de l’animal était
trêmement désagréable et douloureuse ; pour se chausser, mieux vaut donc en mauvais état ou sa dentition lais-
trouver des souliers à la fois à la bonne taille et ayant une forme adaptée aux sait à désirer.
pieds qu’ils vont chausser. Aujourd’hui encore, il n’est pas vrai-
De là la généralisation au fait de trouver quelque chose dont on a besoin (et ment sympathique, vis-à-vis de celui
donc qui convient). qui vous offre un cadeau, d’en re-
Mais on ne peut pas faire l’impasse sur le singulier qui n’est pas si singulier garder les détails, d’en critiquer les
que ça quand on comprend les sous-entendus sexuels que véhicule cette ex- éventuels défauts ou de dire qu’il ne
pression, « le » pied et « la » chaussure étant bien deux choses situées sous vous plaît pas ; même si c’est hypo-
la ceinture et destinées à rentrer l’un dans l’autre. crite et même si l’hypocrisie est un
Il en reste d’ailleurs le sens de la rencontre de la personne qui convient. vilain défaut.
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Q Un cheval de Troie
Un piège permettant de s’introduire chez l’adversaire, celui à qui on
veut nuire.
Aujourd’hui, les habitués de la micro-informatique ont à peu près tous entendu
parler des chevaux de Troie, placés au même niveau que les virus. Et si ces logiciels
ont un tel nom, c’est bien dû à la légende du cheval de Troie qui permit aux Grecs
de s’emparer de la ville de Troie, qu’ils assiégeaient depuis dix ans. Cette histoire
est racontée par Homère dans l’Odyssée et par Virgile dans l’Énéide.
Les Grecs, sur une idée d’Ulysse, bâtissent un énorme cheval de bois dans le-
quel se glissent des soldats. Alors que la troupe grecque semble abandonner le
siège, ils amènent ce cheval près de Troie avec un soldat qui, se faisant passer
pour un traître, convainc les Troyens que le cheval est une offrande à Athéna et
que le fait de le faire entrer dans la ville la protègera définitivement des velléités
ennemies. Malgré l’avis de Laocoon, les Troyens y introduisent l’animal géant.
Dans la nuit, alors que les gens dorment, les soldats cachés dans le cheval en
sortent et s’emparent de la ville après en avoir ouvert les portes aux troupes
grecques revenues subrepticement. Jean-Baptiste Frédéric Desmarais
(1756-1813), Le Berger Pâris.
C’est de cette ruse ayant permis l’introduction de l’ennemi dans les murs à l’insu
des habitants que nous vient cette expression.
Q Manger avec les bois, qui date du XIVe, locutions qui second, il est loin d’avoir la première,
chevaux de bois servaient à désigner des choses artifi- d’où l’emploi ironique.
cielles ou fausses comme une jambe L’ancienne forme chevalier de l’in-
Ne rien avoir à manger, jeûner.
de bois ou bien un sabre de bois (as- dustrie vient des romans picaresques
Les gérants de manèges avec des che- sez logiquement, puisque ce maté- espagnols où le personnage princi-
vaux de bois ont un gros avantage riau était abondant, peu coûteux, et pal essaye en général de s’insérer
par rapport à ceux qui ont un manège permettait aisément de fabriquer des dans une société où il n’a normale-
dans un haras, c’est que leurs chevaux imitations d’autres choses). ment pas sa place, n’hésitant pas à
ne mangent rien, ce qui limite beau- C’est une de ces locutions qu’on employer la ruse ou le vol pour sub-
coup les frais de bouche. trouvait au figuré dans visage de bois sister et vivre aux dépens de ceux qui
Tout juste leur faut-il de temps en pour désigner la porte d’entrée res- ont la naïveté de le croire.
temps un peu de graisse dans les tant désespérément fermée chez une Mais le plus intéressant se rapporte
mécanismes qui leur permettent de personne qu’on était venu visiter, et à industrie.
monter et descendre lorsque le ma- qu’on retrouve aujourd’hui aussi dans Au XIVe siècle, le mot vient du latin
nège tourne. quelque chose d’également très utili- industria qui signifiait « activité se-
Il est donc aisé de comprendre sé par les faux culs : la langue de bois. crète » ou plus largement « activi-
l’image que comporte cette ex- Le chèque en bois désigne donc un té » en général.
pression, celui qui mange avec ces faux chèque, un chèque artificiel, car le Lorsqu’il apparaît, il a d’abord le sens
pauvres chevaux n’ayant pas plus à montant ne pourra jamais être touché, de « moyen ingénieux ».
manger qu’eux. le compte débiteur n’étant pas assez De l’habileté et de l’ingéniosité,
Dans certaines régions françaises, alimenté (ou « provisionné », d’où la on évoluera assez logiquement au
on utilisait aussi l’expression man- signification de chèque sans provision). milieu du XVe siècle vers le sens de
ger sur les chevaux de bois qui, sous « finesse » ou de « ruse », qu’on
cette forme, voulait dire « manger Q Un chevalier utilisera jusqu’au XIXe siècle et qui est
rapidement », en liaison avec l’in- d’industrie celui qui nous intéresse ici.
confort de la position. Le chevalier d’industrie est donc
Un affairiste, un escroc – Un
l’aigrefin, l’escroc, qui, habilement,
individu qui vit d’expédients.
Q Un chèque en bois par la ruse et le mensonge, va réus-
Le chevalier est normalement sir à s’introduire dans une famille ou
Un chèque sans provision.
quelqu’un supposé avoir une cer- une société et à y subsister en exploi-
Il faut remonter aux locutions de taine noblesse et de l’entregent. Or tant sans vergogne ceux qui croient
bois, qui date du XIIIe siècle, et en si le chevalier d’industrie a bien le ses mensonges.
TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 51
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
52 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Venons-en maintenant à la mousse. C’est donc une pièce maîtresse, Q Faire devenir chèvre
Si vous vous êtes déjà promené dans totalement indispensable au bon
Faire enrager.
les bois, vous avez pu constater, sur fonctionnement d’un ensemble
certaines pierres, un beau dépôt dans lequel elle œuvre (d’où le Savez-vous que la chèvre est un
vert, d’apparence frisée et touffue, terme ouvrière). bovidé ? De la sous-famille des ca-
quoique assez ras : de la mousse ; Apparemment, c’est Lesage qui, prins, certes, mais un bovidé tout
celle qu’on peut, avec beaucoup en 1715, utilise le premier la mé- de même, comme la vache.
d’imagination, assimiler à une touffe taphore que nous connaissons Cet animal a été très tôt apprivoisé
de cheveux posée sur le crâne poli aujourd’hui où cheville ouvrière (8000 av. J.-C.) car on pouvait en
du gros caillou. C’est simplement ce désigne en général une personne tirer du lait, de la viande, du cuir et
qu’ont fait ceux qui ont adapté se devenue indispensable à la bonne des outils en corne. Mais quel peut
faire des cheveux en se faire de la marche de son organisation. être son lien avec ce qui habite un
mousse. Il est important de préciser que, bonhomme en rage ?
dans la signification de l’expression, Au XVIIe siècle, devenir chèvre vou-
Q En cheville (avec l’entreprise est aussi bien une socié- lait dire « se mettre en colère »,
quelqu’un) té que, plus simplement, quelque l’expression succédant à prendre la
chose que l’on entreprend de faire. chèvre utilisée auparavant.
Complice d’une opération
Cette locution vient simplement
délictueuse – Associé
du comportement de l’animal qui
de manière étroite (avec
est à la fois entêté et réputé être
quelqu’un).
Q Vivre chichement brusque et avoir des accès de vio-
Si vous vous êtes déjà arraché les lence soudaine comme s’il était en
Vivre modestement (avec
cheveux en tentant de monter des colère, comme notre bonhomme
une notion d’avarice).
meubles achetés en kit, vous avez qu’on a fait devenir chèvre.
certainement utilisé beaucoup de Précisons d’abord que vivre chi- Aujourd’hui, cette expression est
ces courtes tiges de bois qui vous chement veut dire « vivre de ma- aussi utilisée pour dire « rendre
permettent de maintenir ensemble nière chiche ». Il nous faut donc fou ».
deux des pièces composant votre maintenant expliquer ce chiche.
meuble. Passons vite sur être chiche de Q Ménager la chèvre
Si chacune de ces tiges de bois s’ap- qui signifie « être capable de ». et le chou
pelle maintenant plutôt tourillon, on Évacuons également le chiche
Ménager des intérêts
l’appelait autrefois cheville, et c’est de accolé au pois qui, au XIIIe siècle,
contradictoires.
cette petite pièce indispensable à l’as- s’appelait « pois cice » parce que
semblage étroit de deux autres pièces issu d’une plante dicotylédone Le verbe ménager est ici pris dans
que vient, au figuré, le sens d’associa- du genre Cicer. le sens « traiter avec égards, ne pas
tion étroite que contient l’expression. Éliminons enfin sans faire de déplaire, prendre soin de », comme
La première signification date du chichis le chiche du kebab qui dans ménager la susceptibilité.
début du XXe siècle. Elle est née nous vient lui de l’arabe, via le Des esprits éveillés ou ceux qui vont
dans le monde des voyous et y turc, où šîš désignait une broche chercher la petite bête diront que,
restreint la notion d’association ou une brochette. dans les endroits plutôt secs où on
entre des personnes. Le sens s’est Il ne nous reste alors plus que élève des chèvres, il n’y a pas de
ensuite élargi à des associations ce chiche, peut-être issu du la- cultures de choux.
parfaitement honnêtes. tin ciccum pour « reste, chose C’est vrai, mais qu’importe ? Lors-
de rien », qui, dès le XIIe siècle, qu’une chèvre se trouve face à un
Q La cheville ouvrière désignait une personne qui chou, que fait-elle ? Eh bien, elle
répugnait à dépenser ou un le mange !
Le personnage principal,
avare. C’est de cette signification Si les deux sont ainsi opposés de-
l’agent essentiel autour
qu’est né l’adverbe chichement puis le XIIIe siècle (sous la forme sa-
duquel s’organise et
que l’on retrouve dans notre voir passer la chèvre et le chou),
fonctionne une entreprise.
expression qui s’applique à c’est simplement pour montrer la
À l’origine, la cheville ouvrière est, quelqu’un qui, volontairement, difficulté qu’il y a et l’habileté qu’il
dans un assemblage mécanique, la même s’il dispose de moyens faut à une tierce personne pour ob-
pièce qui travaille le plus tout en largement suffisants, dépense tenir que le chou reste intact et la
supportant l’effort principal. très peu pour vivre. chèvre peu revendicative ou, plus
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Si à tâtons dans le noir, vous mani- En ces temps lointains, les membres
Q (Ravi) au septième pulez un objet non familier, il vous du clergé étaient presque les seuls à
ciel faudra probablement l’amener à la savoir lire et écrire, ce qui, aux yeux
clarté du jour pour découvrir ce que du peuple, en faisait des savants.
Extrêmement ravi. Qui
c’est. Dans son Dictionnaire comique, sa-
éprouve un bonheur ou un
Vous avez donc là tout simplement tyrique, burlesque, libre et prover-
plaisir intense.
une métaphore qui reprend l’idée bial paru en 1735, Philibert-Joseph
Bien avant Copernic et Galilée, de quelque chose qui serait caché Le Roux indique que c’est un grand
nos anciens avaient expliqué ou dans le noir et qui serait amené clerc s’utilisait « en se moquant d’un
le fonctionnement de l’uni- « au clair » dans la lumière néces- homme qui fait le savant », proba-
vers d’une manière plutôt géo- saire pour comprendre de quoi il blement avec une connotation anti-
centrique. s’agit. cléricale.
Au centre, donc, se trouvait la On retrouve d’ailleurs le sens de clair La mauvaise opinion des clercs est
Terre. Ensuite, au niveau de cha- dans le verbe éclaircir qu’on peut d’ailleurs confirmée dans le Dic-
cun des corps célestes connus, parfaitement appliquer à cette af- tionnaire des proverbes français en
se trouvait une sphère de cristal faire qu’on élucide. 1749 où, à la même locution, c’est
complètement transparente por- On peut toutefois noter qu’autre- la définition « un sot, un niais, un
tant l’astre et tournant autour de fois, tirer au clair signifiait « clarifier homme qui s’en fait accroire » qui
la Terre. ou filtrer un liquide » et, plus préci- est associée.
Chaque sphère était un ciel. On sément, « décanter du vin ». De nos jours, on utilise cette locu-
trouvait ainsi la sphère de la Lune, tion plutôt sous une forme néga-
celle de Mercure et ainsi de suite Q Mettre la clé sous la tive : « il n’est pas grand clerc » ou,
jusqu’à celle de Saturne (la sep- porte surtout, « il ne faut pas être grand
tième) en passant par celle du clerc pour… », le clerc étant alors
Déménager, partir
Soleil. plus généralement celui qui est in-
discrètement (éventuellement
Une dernière sphère, le firma- telligent ou qui possède une vaste
sans payer le loyer) – Cesser
ment, portait les étoiles et nous culture.
son activité, faire faillite
séparait de Dieu.
(pour une entreprise).
Avant qu’on parle du septième, Q Prendre ses cliques
le plus éloigné à part celui des Cette expression est ancienne et ses claques
étoiles, on disait déjà plus modes- puisqu’elle date du XVe siècle. Son
Prendre toutes ses affaires et
tement être ravi au ciel lorsqu’on sens initial, le premier indiqué, n’est
partir précipitamment.
était transporté de joie, virtuelle- plus que rarement utilisé, le second
ment arraché du sol par un « ra- l’ayant quelque peu supplanté. Cette expression, citée dans des
visseur ». Elle a d’abord été utilisée pour dési- ouvrages du début du XIXe siècle, ne
Et comme le troisième ciel était ce- gner ceux qui, louant un logement, s’emploie en général que dans un
lui de Vénus, déesse de l’Amour, s’en allaient en catimini, sans payer contexte de départ précipité.
les transports amoureux pouvaient leur loyer. C’est par extension que Mais que sont réellement ces cliques
amener régulièrement au troisième l’expression a pris son second sens, et claques ? L’origine de ces mots
ciel ceux qui les vivaient, cette ver- d’abord pour les petits commerces, n’est pas vraiment certaine.
sion de l’expression étant utilisée leur faillite se faisant généralement On peut penser aux onomatopées
au XVe siècle. discrètement (ce n’est que quand clic et clac, à l’orthographe variable,
Puis c’est finalement le septième on cherche à s’y rendre à nouveau qui peuvent accompagner le bruit
ciel qui est devenu le symbole du qu’on constate leur fermeture défi- de pas rapide de quelqu’un qui s’en
ravissement suprême. nitive) et en laissant une ardoise à va.
leurs fournisseurs. Mais ce qu’on sait et qui semble
coller le mieux à l’expression, c’est
Q Mettre/Tirer au clair Q Être (un) grand clerc que dans certains dialectes, les cli-
Expliquer, élucider une affaire. ques désignaient les « jambes ». On
Être très savant.
sait aussi qu’on appelait claques des
Cette expression est attestée au
Le mot clerc est issu au XIe siècle du sortes de sandales qui servaient à
tout début du XIXe siècle, il n’y aura
latin clericus qui signifiait « membre recouvrir les chaussures des dames
pas vraiment besoin de la « tirer au
du clergé », puis également « let- pour éviter qu’elles se salissent.
clair » pour la comprendre.
tré ». À l’origine, l’expression aurait donc
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Ce nom vient de l’anglais coal (char- personnes pour être extraits du lieu d’âme, nous avons finalement là un
bon) et tar (goudron). devenu dangereux pour eux. ensemble d’ingrédients qui ont pu
Outre la couverture des routes, le provoquer la naissance de cette lo-
coaltar servait à enduire la coque Q Manquer/rater le coche cution à la fin du XVIIIe siècle.
des bateaux ou, en certains endroits,
Laisser passer une occasion
le bas du mur extérieur des maisons Q Haut les cœurs !
(généralement de faire une
pour empêcher la pénétration de
chose utile ou avantageuse). Ayons du courage ! Soyons
l’humidité.
braves ! – Lançons-nous avec
Quelqu’un à demi-inconscient a Le cocher était autrefois le conduc-
ardeur dans l’action !
autant de difficulté à se mouvoir teur d’un coche. Le nom coche, qui
qu’une personne qui serait plongée date du milieu du XVIe siècle, désigne Dans cette locution, la montée de
dans ce liquide collant et visqueux. une grande voiture de transport de l’organe symbolise une nausée,
Cette expression renforce être dans voyageurs tirée par des chevaux. même si c’est plutôt l’estomac qu’il
le cirage. Le coche désignait également un faudrait évoquer, et évacuer.
Elle viendrait de l’époque où cer- grand bateau de rivière, halé par des Alors que dans notre exaltation à
tains utilisateurs de ce produit dans chevaux, et qui servait aussi à trans- l’action, le cœur est lui un symbole
des lieux insuffisamment ventilés porter des individus. de courage et d’énergie. En effet,
devenaient hagards à force d’en res- Qui dit transport de voyageurs, cette acception, métaphorique au-
pirer les émanations toxiques et ne dit horaires de passage aux diffé- jourd’hui, vient de l’ancien français,
devaient compter que sur d’autres rents arrêts, plus ou moins précis au Moyen Âge, où cuer, devenu de-
à l’époque des coches. Et qui dit puis cœur, désignait à la fois le cou-
horaires, dit risque de manquer le rage et la vertu guerrière.
Q Être coiffé au/sur passage du coche. Dans notre expression, les cœurs
le poteau Manquer le coche, c’était donc au- (au pluriel) représentent également
trefois rater son moyen de transport les hommes, qui sont supposés tout
Être battu de justesse.
et la possibilité de se déplacer loin donner d’eux-mêmes.
C’est au début du XXe siècle qu’est en temps voulu, comme certains
apparu le verbe coiffer avec le aujourd’hui loupent leur train ou Q Aux quatre coins de…
sens de « dépasser un concur- manquent leur avion.
Dans tous les lieux possibles
rent juste d’une tête au moment Lorsque les coches terrestres ont été
(d’un espace considéré
de l’arrivée ». Cela s’explique ai- remplacés par les diligences et que
comme clos), partout –
sément, car on peut facilement ceux d’eau ont cessé leur activité, le
Sur toute l’étendue de…
faire l’amalgame entre la tête et mot a disparu de la langue courante,
la coiffe. mais l’expression est restée, géné- On peut légitimement se demander
C’est à la même époque, dans le ralisée à toute bonne occasion qui comment on peut employer l’expres-
monde des courses de chevaux, s’est présentée mais qu’on a laissée sion aux quatre coins de la planète,
que l’expression est d’abord ap- passer. par exemple, alors que nous avons
parue. En effet, la désignation du affaire à une boule où le nombre
gagnant se fait au passage d’une Q Avoir le cœur de coins est infiniment moindre que
ligne matérialisée par un poteau sur la main dans un cube ou un parallélépipède
placé sur le côté intérieur de la quelconque.
Être généreux.
piste. Et pourtant…, on n’hésite pas à
C’est lorsqu’un cheval gagnait Si vous avez le cœur « sur la main », utiliser cette expression depuis le
d’une courte tête qu’on disait c’est que vous êtes prêt à offrir XVIe siècle, que l’endroit cité ait zéro,
qu’il avait « coiffé » son adver- jusqu’à votre bien le plus précieux, deux (comme le canard), quatre ou
saire sur le poteau. Un peu plus et que votre générosité ne fait donc trente-six coins.
tard, en 1939, coiffer un concur- aucun doute. L’image nous vient simplement d’un
rent, c’était « le dépasser ». Lorsque vous avez le cœur « sur les lieu fermé rectangulaire (une pièce, par
Par extension, l’expression s’em- lèvres », c’est en paroles que vous exemple) dont on imagine que le fait
ploie dans n’importe quelle prouvez votre qualité morale. Si vous de pouvoir aller aux quatre coins per-
compétition, pas obligatoire- l’avez « sur la main », c’est à vos met d’en embrasser toute la surface.
ment sportive, lorsque quelqu’un actes qu’on vous juge. Elle est probablement aussi influen-
l’emporte de justesse, au dernier Et comme, métaphoriquement, cée par les quatre points cardinaux
moment, sur quelqu’un d’autre. le cœur représente aussi la force qui symbolisent toutes les directions.
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abondamment » (on y retrouve la no- Q Passer/Sauter du coq on disait déjà à cry et à cor. Elle
tion d’abondance) et duquel est née à l’âne nous vient de la vènerie (ou chasse
la signification « reproduire un écrit ». à courre) où l’on traque la bête en
Dans une discussion ou un
Pour en revenir à notre copie sco- jouant du cor et en poussant des cris
écrit, passer brutalement
laire, donc, qui s’appelle ainsi parce (dont le fameux « taïaut ! »), donc
d’un sujet à un autre, sans
qu’il s’agit d’une copie de ce qui a en faisant beaucoup de bruit.
transition ni liaison – Tenir
d’abord été fait sur brouillon, le pro- Cette pratique a vite donné nais-
des propos incohérents.
fesseur peut parfois nous demander sance à notre expression, métaphore
de « revoir notre copie », c’est-à-dire Ceux qui ont été confrontés à l’édu- qu’on a employée au XVIe siècle dans
de reprendre et améliorer notre tra- cation d’adolescents savent que des situations comme « mener un
vail, lorsque ce dernier est très loin ceux-ci sont prompts à (tenter de) procès à cor et à cri », voulant dire
d’être satisfaisant. passer d’un sujet qui les dérange à qu’il était mené avec beaucoup
Au sens propre, revoir sa copie existe un autre sans aucun lien, qui les inté- d’énergie et en attirant l’attention.
depuis le XIXe siècle, mais ce n’est resse ou ne les met pas en difficulté.
que depuis la seconde moitié du Le passage « du coq à l’âne », ils Q Un corbeau
XXe qu’on l’utilise avec sa signification savent parfaitement le pratiquer
Un dénonciateur anonyme.
figurée s’appliquant à toutes sortes quand cela les arrange.
Un auteur de lettres ou
de travaux. Malheureusement, aujourd’hui, le
d’appels téléphoniques
pourquoi de l’âne opposé au coq
anonymes.
s’est complètement perdu et il semble
Q Comme un coq en n’exister aucune explication réelle- Les corbeaux n’ont jamais eu bonne
pâte ment satisfaisante de la présence de presse. Ces oiseaux noirs et bruyants,
ces deux animaux dans l’expression. très peu appréciés, ont donné leur
Dans une existence
Tout ce qu’on sait, c’est qu’elle est nom à des hommes avides et sans
confortable et douillette.
très ancienne, puisqu’au XIVe siècle, scrupules, et même aux curés (à
Bien soigné, en ayant
on disait déjà saillir du coq en l’asne, cause de leur soutane noire et du
toutes ses aises.
puis au XVe, sauter du coq à l’asne. peu d’estime que leur portent les
Autrefois, on parlait de coq de Claude Duneton, sans pouvoir en anticléricaux).
panier ou coq de bagage par al- apporter de preuve, évoque une Mais si l’on désigne aujourd’hui par
lusion au coq qu’on transportait possible confusion entre asne et corbeau celui qui émet des messages
au marché avec beaucoup de ane (nom utilisé jusqu’à la fin du anonymes dénonciateurs ou pleins
précautions (d’où la notion de XIIIe siècle pour cane). Mais asne (le de fiel, et qui empoisonnent la vie
confort) pour lui conserver une baudet) se prononçant de la même des destinataires et de leur entou-
valeur marchande la plus élevée manière, puis se transformant en- rage, c’est en souvenir du film d’Hen-
possible. suite en âne, c’est lui qui serait resté ri-Georges Clouzot, Le Corbeau, sorti
La pâte est ajoutée au XVIIe siècle. dans les mémoires. sur les écrans en 1943 et qui relate
Imaginez que vous soyez destiné L’ancienne version de l’expression justement une histoire de ce genre,
à finir en pâté en croûte. Vous (avec saillir) aurait alors évoqué des où l’auteur des lettres signe ses mes-
apprécieriez, premièrement, le rapports bizarres entre un coq et sages par un dessin de corbeau.
fait que vous soyez choyé et en- une cane, mais sans qu’on puisse Si cette signature a été choisie par les
graissé afin d’être bien meilleur vraiment établir un lien avec la signi- scénaristes du film (Henri-Georges
à consommer, sans avoir pour fication qui nous en reste. Clouzot et Louis Chavance), ce serait
autant aucune idée du sort qui à cause d’une réelle affaire de cor-
vous attend et, deuxièmement, Q À cor et à cri beau, à Tulle, entre 1917 et 1922.
l’extrême confort de la pâte sur
À grand bruit, avec beaucoup
laquelle vous seriez étalé et la Q C’est dans mes cordes !
d’insistance.
« douce chaleur » qui vous enro-
C’est dans mes compétences !
berait ensuite pour vous cuire. Certains pensent que cette expres-
Même si le pâté de coq n’était pas sion s’écrit à corps et à cris. Mais L’édition de 1832 du Dictionnaire
vraiment répandu, il y a eu croise- c’est oublier la genèse de cette ex- de l’Académie française indique
ment entre l’ancienne expression pression qui n’est pas de toute pre- qu’à cette époque la corde désignait
et le terme en pâte vu ici comme mière jeunesse. aussi la note de musique ou le son,
quelque chose de douillet ou En effet, elle existe sous une forme par association avec la corde vocale,
confortable. différente depuis le XVe siècle où bien sûr.
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On disait, par exemple, « la voix de
Q Tenir la corde
ce chanteur est belle dans les cordes Q La corne
élevées » (Littré). d’abondance Être dans une position
De là, on comprend qu’un mor- avantageuse par rapport aux
Le symbole de l’abondance.
ceau musical puisse être « dans les autres concurrents.
Une source de richesses
cordes » d’un interprète, si sa voix lui
inépuisable. Cette expression, apparue au
permet de le chanter correctement ;
XIXe siècle, nous vient du monde des
autrement dit, si le chanteur est au
courses hippiques.
niveau technique nécessaire pour in-
Car à cette époque, le pourtour in-
terpréter le morceau.
térieur de la piste était délimité par
Il est ensuite facile d’imaginer que
une corde. Par conséquent, dans les
cette expression s’est métaphorisée
courbes, le cheval de tête qui était le
dans d’autres domaines que la mu-
plus proche de cette limite était celui
sique pour indiquer que quelqu’un a
qui avait a priori un avantage sur ses
les compétences pour exécuter une
concurrents, sa trajectoire étant plus
tâche.
Nicolas Poussin (1594-1665), La Nourriture
courte que celle de ses concurrents.
D’ailleurs, à l’origine, l’expression
Q La corde au cou
de Jupiter, huile sur toile datant de 1636-
1637 environ.
se disait de l’écuyer qui était le plus
Dans une situation de Voilà une nouvelle expression proche de la corde. C’est par exten-
totale soumission – Dans dont l’origine prête à discussion sion et au figuré qu’elle a pris le sens
une situation périlleuse ou puisqu’il en existe deux versions actuel au début du XXe siècle.
désespérée. et quelques variantes. Il y a toute- Il en est également resté prendre un
fois une chose dont on est sûr, virage à la corde, beaucoup utilisé
C’est par un long chemin que le
c’est qu’elle provient de la my- dans le monde des courses automo-
mot corde a fini par désigner ce
thologie grecque. biles, lorsque le coureur prend un
long objet en chanvre qui sert aussi
Dans l’une des versions, Zeus, virage très près du bord intérieur de
bien à attacher des objets ensemble,
alors qu’il n’était encore que la route.
qu’à faire passer de vie à trépas des
bambin, fut confié par sa mère
condamnés à mort ou qu’à gravir
des sommets, par exemple.
Rhéa à la chèvre Amalthée qui Q Tenir les cordons
En effet, le terme vient apparem-
l’éleva et le nourrit. du poêle
Et un jour, alors qu’il s’amusait, il
ment du très ancien mot hittite ka- Dans un enterrement,
arracha par inadvertance une des
rad, passé ensuite au grec khordê, les marcher à côté du cercueil ou
cornes de sa nourrice. Plus tard,
deux désignant les intestins, boyaux immédiatement derrière.
lorsqu’il devint grand chef de
qui ont servi à faire des cordes avant
l’Olympe, Zeus donna à la corne le Autrefois, tenir les cordons du poêle,
que le chanvre puis d’autres maté-
pouvoir de fournir à profusion des c’était tenir les cordons reliés au drap
riaux plus modernes viennent rem-
pierreries, des fleurs et des fruits. funéraire qui recouvrait le cercueil.
placer la tubulure digestive dans leur
Hercule est fortement impliqué Car poêle, entre autres significations,
confection.
dans l’autre version. désigne aussi le drap mortuaire ou la
Le premier sens de l’expression, qui
En effet, il eut à se battre contre le grande pièce de tissu noir ou blanc
date du début du XVe siècle, est une
fleuve-dieu Achéloüs qui, pour l’oc- dont on couvrait le cercueil pendant
métaphore qui vient des vaincus
casion, se transforma en taureau. les cérémonies funèbres. Il dispo-
qui se livrent. C’est de cette même
Au cours de la bagarre dont il sor- sait auparavant de cordons géné-
image d’asservissement, mais à son
tit bien évidemment vainqueur, ralement cousus aux coins et sur
épouse, cette fois, qu’on dit d’un
Hercule arracha une des cornes de les bords, cordons qui, alors que le
homme qui se marie qu’il se met la
l’animal qui fut ensuite remplie de cercueil était amené à l’autel pour
corde au cou.
fruits et de fleurs par les nymphes la cérémonie funèbre, étaient tenus
Quant au second sens, c’est égale-
et dont le contenu ne cessa plus par des proches ou membres de la
ment une métaphore qui vient bien
d’être délivré à la demande. famille, ou des personnes de haut
évidemment de l’usage funeste qui
Quelle que soit l’origine de la rang, selon le défunt.
peut être fait d’une corde, lorsque
corne, c’est de l’abondance de Aujourd’hui, même si on ne tient
le condamné à être pendu se trouve
bonnes choses qui en sortent que plus les cordons, on dit toujours de
sous la potence, le nœud coulant
nous vient l’expression. ceux qui marchent près du cercueil
déjà passé autour du cou.
qu’ils tiennent les cordons du poêle.
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d’ailleurs aucun doute puisqu’elle spécifiques d’une partie lointaine de et « ruiner », la seconde locution lais-
dit : « Un homme a fait quelque notre histoire, nous obtenons une sant supposer que le bateau naufragé
chose en son corps défendant, pour expression qui est encore utilisée de était la seule richesse de son posses-
dire, qu’il l’a faite contre son gré nos jours, alors qu’on n’utilise plus seur auquel il ne restait plus que ses
pour éviter un plus grand mal ». les deux adjectifs isolément ou dans yeux pour pleurer.
C’est cette connotation de l’action une autre locution. C’est ainsi que côte est devenu
faite à contrecœur qui, au figuré, a l’équivalent de « pauvreté » et qu’on
donné la signification actuelle. a vu également apparaître le frère
Q Avoir la cote de la côte qui désignait le « compa-
Q Ça se corse ! Être très estimé. gnon de misère ».
Ça se complique ! – Ça devient Le mot cote est une des nom-
Q Filer un mauvais coton
plus intéressant, plus intense, breuses preuves qu’en français un
plus piquant ! simple circonflexe peut changer Avoir la santé qui se dégrade –
complètement le sens d’un mot. Être dans une situation
C’est issu du nom corps que le
En effet, il n’est point ici question difficile.
verbe corser est apparu, attesté au
de la côte de porc ou de la course
XIIIe siècle, pour dire « prendre à bras- À la fin du XVIIe siècle, pour signifier
de côte, mais de cote au sens de
le-corps ». Puis, après avoir été un « se ruiner », on disait jeter un vilain
« appréciation », « note », « va-
peu oublié, ce verbe est revenu en coton par allusion aux étoffes qui, en
leur », comme on le trouve dans
usage au XIXe siècle, mais basé cette s’usant, perdaient des boules de fil
cote d’alerte, cote de popularité
fois sur un autre sens du mot corps, de coton jusqu’à leur détérioration
ou cote d’une action en bourse,
la consistance, qui au figuré, est de- complète ou la déchirure.
par exemple.
venu l’intensité ou la force, significa- Au XIXe siècle, alors que la même
Ici, c’est le sens d’appréciation
tion qui nous intéresse ici. expression signifie déjà « dépérir
qui est retenu, quelqu’un qui a la
Quelque chose qui est corsé, c’est par la maladie » (c’est cette fois la
cote étant quelqu’un de très ap-
quelque chose d’intense, de fort, de santé qu’on se ruine), vilain est pro-
précié car, bien que l’expression
piquant comme un vin ou un assai- gressivement remplacé par mauvais.
ne contienne aucun adjectif, la
sonnement. D’autre part, l’installation de nom-
cote est implicitement élevée.
C’est ainsi que lorsqu’on dit d’une breuses filatures où on file le coton
Une ancienne forme de l’expres-
chose qu’elle se corse, c’est qu’elle provoque le remplacement progres-
sion était être à la cote.
devient plus forte, plus intense et, sif de jeter pour aboutir à l’expres-
On peut aussi noter que cote
par extension, plus compliquée, là sion actuelle qui, par extension, sert
s’écrivait auparavant quote en
où la difficulté devient plus forte. à évoquer diverses choses qui se dé-
venant du latin médiéval quota,
gradent, au-delà de la simple santé.
mot toujours utilisé de nos jours,
Q (Taillable et) corvéable mais via un emprunt à l’anglais
à merci quota (pour « quote-part ») de
Q Un mauvais coucheur
Bon pour faire les corvées. même origine. Une personne désagréable,
peu sociable, de caractère
Il y a bien longtemps, au Moyen
difficile.
Âge, la taille était un impôt que le
serf devait à son seigneur. Le paysan Q À la côte Au XVIe siècle dans les auberges,
qui devait impérativement la payer foin d’intimité ! Il n’était pas ques-
Sans ressources, sans argent.
était donc qualifié de « taillable ». tion, sauf exception ou pour des
Mais ce même paysan devait égale- Cette expression, qui date du personnes de haut rang, de disposer
ment des journées de travail à son milieu du XIXe siècle dans son sens d’un lit ou d’une chambre pour soi.
maître, travail sans rémunération métaphorique indiqué, nous vient Les coucheurs étaient donc ceux qui
qu’on appelait la corvée. Le serf était directement du monde maritime au partageaient le même lit (en tout bien
donc aussi « corvéable ». XVIIe siècle. En effet, à cette époque, tout honneur). Le mot a quasiment
Comme ces corvées et le montant aller à la côte signifiait « faire nau- disparu du vocabulaire en même
de la taille dépendaient souvent frage », par allusion au bateau allant temps que l’abandon de la pratique.
du simple bon vouloir ou du bon se fracasser sur la côte. Et c’est vers cette époque qu’un
plaisir du seigneur, le serf était pu- Par extension, envoyer quelqu’un à la mauvais coucheur est, au sens
rement et simplement à sa merci. côte et mettre à la côte ont voulu dire propre, « un homme qui fait du
Et voilà comment avec trois éléments respectivement « s’en débarrasser » bruit dans la nuit, qui découvre son
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66 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 67
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
68 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Quant au mot coup, il faut le prendre pu constater que l’exercice n’est pas Ce joueur était donc « sous la
au sens d’une « action avec un ins- forcément facile à réussir. coupe » du précédent.
trument », comme dans un coup de Et pour peu que, ayant déjà un peu
volant ou un coup de pinceau. forcé sur la dive bouteille, vos gestes Q Tomber comme un
La date d’apparition de cette expres- deviennent nettement moins assu- couperet
sion n’est pas connue, mais, compte rés, il n’est pas certain que vous ar-
Arriver brusquement,
tenu de celle de l’invention du té- riviez à amener intact à vos lèvres le
souvent par surprise, et
léphone, on supposera, sans grand précieux liquide convoité.
avec des conséquences
risque de se tromper, qu’elle est pos- Voilà deux raisons qui ont proba-
à la fois désagréables et
térieure à la fin du XIXe siècle. blement fait naître cette ancienne
irrémédiables.
En argot, le téléphone s’appelle aus- métaphore dans laquelle la coupe
si un bigophone. représente le projet et les lèvres, le À l’origine, au XVIe siècle, un
but, le second n’étant pas forcément couperet est un couteau à large
Q Il y a loin de la coupe atteint malgré la proximité appa- lame servant à trancher ou hacher
aux lèvres rente du premier. la viande. Mais par extension, le
couperet a aussi désigné la lame de
Il peut y avoir un long
Q Être sous la coupe la charmante machine que monsieur
chemin entre un projet et son
(de quelqu’un) Joseph-Ignace Guillotin a fortement
aboutissement, entre un désir
contribué à remettre au goût du jour
et sa satisfaction, entre une Être sous la dépendance ou
(mais, aussi étrange que cela puisse
promesse et sa réalisation. l’influence de quelqu’un.
paraître, avec de bonnes intentions).
Ce n’est pas parce qu’un
Cette expression vient de la coupe aux Autant dire que pour celui qui a la
but semble proche qu’on va
jeux de cartes, cette opération banale tête coincée dans la guillotine, la
forcément l’atteindre.
qui consiste à couper le paquet en lame, lorsqu’elle est lâchée, arrive
Il est d’abord bon de rappeler que deux et qui va déterminer l’ordre dans brusquement sur son cou, par sur-
cette expression nous vient de la lequel les cartes vont être distribuées. prise, et produit des effets certes
Grèce antique, à une époque où D’après Furetière, au XVIIe siècle, désagréables, mais surtout irrémé-
l’on buvait dans des coupes larges certaines personnes étaient diables.
et peu profondes ; sans compter persuadées que d’autres avaient la Il n’en a pas fallu plus pour que la
que l’on mangeait à moitié couché coupe malheureuse. métaphore apparaisse dans des
et non assis à une table. Selon cette croyance, en effet, la situations autrement moins cri-
Je ne sais pas si vous avez déjà es- coupe aux cartes avait une valeur tiques, mais généralement mal
sayé, tout en étant couché sur le quasiment « magique » et le joueur vécues par ceux qui sont directement
côté, de prendre un verre plein, de immédiatement après le coupeur concernés.
l’amener à votre bouche et d’en pouvait se trouver sous son in-
boire le contenu sans en renverser fluence, bonne ou mauvaise.
une goutte. Si c’est le cas, vous avez
TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 69
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Q Faire la cour
(à quelqu’un) Q La cour des grands
Situation plus élevée que l’on souhaite atteindre – Ensemble des
Chercher à séduire
personnes jouant un rôle prépondérant dans un domaine.
une autre personne en vue
d’une relation amoureuse. Que voilà une jolie métaphore scolaire ! Quel est l’enfant qui, déambulant
dans sa cour de récréation, n’a jamais jeté des regards envieux vers les acti-
Avant d’être restreint à un usage ga-
vités des « grands », dans cette partie de la cour réservée aux « forts » qui
lant, faire la cour avait une utilisation
peuvent s’autoriser des choses inaccessibles aux petits ou qui font la loi ?
plus générale dès le XVIe siècle.
C’est en pensant à cette image que cour des grands a commencé méta-
En effet, il faut penser à ce
phoriquement à désigner un endroit, un classement, un groupe, un niveau
qu’étaient la cour, le domaine et
qu’on atteint avec plaisir et/ou fierté après en avoir longtemps rêvé.
l’entourage du roi, et les courtisans
Cette locution, apparue au cours de la seconde moitié du XXe siècle, est
de cette époque, ceux qui s’affai-
généralement précédée de jouer dans (toujours le rappel de l’origine sco-
raient autour du souverain à lui faire
laire) ou passer dans.
la cour pour s’attirer ses bonnes
grâces, être bien vus de lui et, autant
que possible, en obtenir diverses Enfin, avec la perte rapide du seconde expression qui est souvent
faveurs. complément usuel des affaires, la utilisée pour excuser un excès qui
Et, même si elle en était originaire, locution adverbiale s’est généralisée n’est pas dans les habitudes de la
cette expression ne s’utilisait pas au point que maintenant, on peut personne concernée ou, autrement
uniquement à la cour, mais partout être au courant de plein de choses dit, pour signifier qu’une personne
où une personne cherchait à se faire totalement diverses. n’est absolument pas « coutumière
bien voir d’une autre. du fait » qui lui est reproché.
Puis, lorsqu’elle a été limitée à Q Être coutumier du fait –
l’usage en galanterie et utilisée telle Une fois n’est Q Le (petit) doigt sur la
quelle depuis le milieu du XVIIe siècle, pas coutume couture du pantalon
son but est resté le même : se faire
Avoir l’habitude d’agir d’une En manifestant du respect ou
bien voir, obtenir des faveurs de la
certaine manière, de faire une de la soumission.
part de la personne « courtisée ».
certaine chose – Si l’on fait
Au garde-à-vous, le soldat se tient
une fois quelque chose, cela
Q Être au courant droit, chaque bras le long du corps,
n’en devient pas pour autant
et un doigt sur la couture latérale et
Être informé (de quelque une habitude.
néanmoins verticale du pantalon de
chose).
Le fait est ici « ce qui est fait » ou l’uniforme.
Le mot courant date du début du XIIIe « l’acte, l’action ». Cette position raide est celle dans
et vient d’un des sens du mot courir Quant à coutumier, adjectif qui date laquelle il manifeste du respect au
qui signifiait aussi « couler ». Cette du XIIe siècle et qui n’est maintenant supérieur qui est devant lui.
image d’un volume qui s’écoule a presque plus employé que dans Pourquoi ne dit-on pas les doigts
d’abord donné la locution le courant notre locution, il est bien sûr dérivé sur…, me direz-vous, car le soldat
des affaires pour désigner les affaires de coutume, mot qu’on comprend moyen a bien deux bras et deux
de tous les jours qui s’enchaînent aujourd’hui comme « une manière mains, ainsi que deux jambes recou-
banalement et en volume important. d’agir à laquelle une collectivité ou vertes par le pantalon ? Eh bien, c’est
Puis, par extension, la locution être une majorité se conforme » (selon parce que souvent seule une main
au courant des affaires a signifié le Grand Robert) ou, mieux encore, se trouve au contact du pantalon,
« connaître la manière de traiter les comme une « habitude collective l’autre étant au niveau de la tempe,
affaires de tous les jours (ou le cou- d’agir, consentie à l’origine par ceux occupée à saluer le supérieur.
rant des affaires). qui l’observent, et transmise de gé- Sortie du contexte militaire et de
Comme affaires pouvait aussi ne pas nération en génération » (idem), la position citée, l’expression s’uti-
désigner uniquement celles qu’on mais qui a d’abord désigné une ma- lise, parfois ironiquement, lorsque
avait à traiter, mais celles qui se nière ordinaire d’agir, signification quelqu’un manifeste de l’obéissance
produisaient à l’extérieur (« Quelle maintenant couverte par le mot ha- ou exécute plus ou moins respec-
histoire ! Quelle affaire ! »), on re- bitude. tueusement ou servilement une
joignait alors le sens de « être infor- C’est cette acception initiale qu’on tâche demandée par un autre.
mé » de ces événements. retrouve d’ailleurs dans notre
70 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
la rumeur assassine et de l’ambiance tirer son coup, on obtient notre
Q Vaincre/Battre à détestable. locution, née ainsi au cours de la
plate(s) couture(s) C’est par allusion à ce panier ou ce seconde moitié du XIXe siècle.
Vaincre/battre complètement, casier où les pêcheurs de crabes les Et, au vu des deux sens fort différents
de manière définitive. entassent et où les pinces mena- de l’expression, lorsque l’amant doit
çantes grouillent, donnant l’impres- brutalement quitter sa maîtresse en
L’expression existe depuis le
sion qu’ils cherchent à s’entredé- raison de l’arrivée inopinée du mari,
XVe siècle, sous la forme rompre à
vorer, que cette expression est née on peut alors dire qu’il tire sa crampe
plate couture. Les tailleurs avaient
au cours de la première moitié du après avoir tiré sa crampe.
pour habitude d’aplatir les coutures
XXe siècle.
épaisses pour les rendre un peu plus
souples, ce qui se disait rabattre les
Q Pendre la crémaillère
coutures. Q S’en jeter un Fêter avec des invités son
De cette opération est née au derrière la cravate installation dans un nouveau
XVIe siècle l’expression rabattre la cou- logement.
Boire un verre (d’alcool).
ture à quelqu’un pour « le rosser ».
De nos jours, si la fête associée à la
Mais s’il y a une relation certaine La cravate, qui part du cou et des-
« pendaison de crémaillère » existe
avec notre expression, cela n’ex- cend verticalement, « cache », à
bien toujours, il y a belle lurette que
plique pas son sens et, surtout, l’uti- l’intérieur du corps, un conduit
l’objet à l’origine de cette expression
lisation préalable d’un verbe comme fort utile pour le commun des
a disparu de nos foyers.
rompre au lieu de battre. mortels, un tuyau dont le rôle est
Au XVIe siècle, la cuisson des plats se
Selon Alain Rey, dans la métaphore d’amener les liquides ingurgités
faisait principalement dans l’âtre du
initiale, il fallait comprendre rompre jusqu’à l’estomac.
foyer, la marmite étant suspendue à
dans son sens figuré de « abattre, Et c’est le fait que la cravate se
une crémaillère permettant de régler la
démolir, enfoncer (une armée) » et fixe au cou qui a fait que, dans
hauteur du récipient au-dessus du feu.
plat comme issu du verbe aplatir au l’argot du XXe siècle, le terme
La construction de la maison était une
sens de « vaincre totalement, écra- désigne aussi le gosier, cet endroit
activité à laquelle la famille, les amis et
ser, battre ». qui est le point de passage obligé
les voisins participaient de bon cœur.
C’est du mélange de ces significa- de tout ce qu’on avale si on ne
Pour les en remercier et fêter leur en-
tions avec l’opération du tailleur que fait pas une fausse route.
trée dans leur nouveau foyer dans le-
l’expression serait autrefois née, le Du cou(p), même si on imagine
quel l’indispensable crémaillère venait
battre moderne étant ensuite logi- que l’expression devrait plutôt
juste d’être enfin installée, parmi les
quement issu du rabattre, son sens utiliser dans au lieu de derrière,
quelques autres travaux de finition,
collant parfaitement avec celui de la son sens devient aussi limpide
les heureux occupants ne manquaient
locution. qu’un verre de vodka, le derrière
pas d’organiser un repas ou une fête
pouvant en plus avoir une conno-
où leur toute nouvelle crémaillère
Q Un panier de crabes tation de discrétion, de consom-
pouvait enfin être étrennée.
mation en douce, mais avec
Groupe de personnes qui Et c’est depuis cette époque que
connivence entre les buveurs.
cherchent à se nuire. perdure notre expression, malgré la
disparition définitive de l’objet.
Normalement, dans une équipe
soudée, il y a ce qu’on appelle « un
esprit d’équipe », tous les membres
Q Tirer sa crampe Q Changer de crèmerie
travaillant main dans la main pour S’en aller, fuir – Faire l’amour, Quitter un lieu (magasin, bar,
construire ensemble leur projet. avoir un orgasme (pour un restaurant…) pour un autre –
Et puis il y a le panier de crabes, une homme). Changer d’employeur,
équipe où il n’y aucun esprit, sauf de collaborateur…
Le premier sens proposé n’est prati-
du mauvais esprit, celui de nuisance
quement plus utilisé. Au XIXe siècle, on a désigné par crè-
envers ses petits « camarades »,
La seconde signification est mieux merie un lieu de restauration pro-
souvent caché sous une façade de
cernée. posant bien autre chose que des
bonne entente, comme on en trouve
Au XVIIIe siècle, un sexe en érection produits laitiers, lieu où, parfois, la
dans certaines entreprises ou dans
était affublé, en argot, du doux nom débauche battait son plein, les es-
certains partis politiques.
de crampe d’amour. Si on mélange prits étant bien échauffés par l’alcool
Le panier de crabes est aussi le
cet organe turgescent à l’expression qui coulait à flots.
royaume de la peau de banane, de
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 71
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
D’ailleurs, dans le Grand dictionnaire
universel publié par Larousse en 1863,
Q La critique est aisée, Q La croix et la bannière
mais l’art est difficile
on trouve cette définition : « Depuis De grandes complications ou
quelques années, on a désigné sous Il est très facile de critiquer difficultés.
le nom de crèmeries certains établis- ce que font les autres,
Cette expression, issue de l’ita-
sements tenant le milieu entre le res- autrement plus difficile de
lien, est attestée dès le XVe siècle,
taurant et le café, et où l’on vend de réaliser quelque chose.
sous une forme un peu différente.
tout, excepté de la crème, espèce de
Cette locution proverbiale a été ima- À cette époque, la religion était
gargote d’un aspect particulier, où le
ginée en 1732 par Philippe Néricault, omniprésente.
riz au lait, le café à la crème, le choco-
auteur et comédien dont le nom de La croix, représentant celle du Christ,
lat, la côtelette et les œufs sur le plat
scène était Destouches. On a retenu de était donc obligatoirement brandie
règnent à peu près souverainement. »
lui, en plus de notre expression, « Les en tête de toutes les processions,
On imagine alors bien quelques joyeux
absents ont toujours tort » et « Chas- religieuses ou non.
lurons un peu éméchés, décidant, his-
sez le naturel, il revient au galop ». Dans ces différentes processions, on
toire de bien continuer la soirée, de
La version originale de l’expression portait aussi des étendards ou des
changer de crèmerie régulièrement.
était : « La critique est aisée et l’art bannières diverses, que ce soit celle
C’est par extension que le mot
est difficile. » de la Vierge, de la paroisse, d’une
crèmerie a fini par désigner un éta-
Le sens de l’expression est très simple confrérie, du notable en déplace-
blissement, puis un fournisseur ou
à comprendre, la critique étant ici le ju- ment ou de celui le recevant.
un collaborateur quelconque.
gement défavorable, tandis que l’art – Mais l’organisation de ces proces-
qui n’est pas seulement lié à la création sions n’était pas facile, paraît-il. Les
Q Au creux de la vague d’œuvres artistiques – désigne, d’une formalités, les règles à suivre, le
Dans une mauvaise situation manière générale, la façon de faire respect de l’importance des parti-
psychologique, économique... – quelque chose. Autrement dit, « vous cipants, qu’elle soit honorifique ou
Au bas de sa popularité avez beau jeu de critiquer négative- hiérarchique, transformaient parfois
(pour un artiste). ment ce qui a été fait, mais auriez-vous leur préparation en de véritables
été capable d’en faire de même ? ». casse-têtes.
La 8e édition du dictionnaire de
Et, à propos de la critique, Lamar- Ce qui explique le sens actuel de
l’Académie française indique que la
tine de rajouter : « La critique est la « grandes complications ».
vague est une « masse d’eau de la
puissance des impuissants », ce qui Notre forme actuelle c’est la croix et
mer, d’un lac, d’une rivière, qui est
rejoint Destouches en signifiant que la bannière pour… est attestée en
agitée ou soulevée par les vents ou
ceux qui ne peuvent pas faire ont la 1822.
par toute autre impulsion ».
critique facile.
Dans sa partie haute, elle comporte
une crête. Entre deux points hauts,
donc entre deux crêtes, il y a un Q Riche comme Crésus
point bas, le creux.
Extrêmement riche.
Nous avons donc là une belle méta-
phore marine qui, de plus, est assez Alors que Crésus a vécu au
récente puisqu’elle ne date que de la VIe siècle av. J.-C., ce n’est qu’au
seconde moitié du XXe siècle. XVe que crésus a désigné un
Il est intéressant de savoir qu’au homme riche et qu’au XVIIe que
XVIe siècle, si en Méditerranée, on notre expression est apparue.
parlait bien de vague, dans les Car Crésus a réellement existé !
océans, on parlait plutôt de oule Dans sa capitale de Sardes, L’histoire de Crésus et de Solon, Frans II Francken
(1581-1642).
(écrit aussi houle), mot imité de l’es- Crésus, dernier roi de Lydie, au
pagnol ola qui signifie « vague ». sud-ouest de l’Asie Mineure,
Pour en revenir à notre creux, c’est était un souverain extrêmement riche. Il devait sa fortune aux sables au-
métaphoriquement qu’il désigne rifères de la rivière Pactole qui charriait des paillettes d’or.
une perte totale de dynamisme, là Malgré sa fortune, Crésus subit des malheurs à la fin de sa vie : il perdit
où la crête est un symbole d’élan ou son fils Atys et fut vaincu à Thymbrée par Cyrus, roi de Perse, qui l’épargna
d’énergie ; dans le creux, la masse pourtant et en fit son conseiller et ami.
d’eau est aussi effondrée que le mo- C’est la richesse de Crésus que la postérité a retenue et qui est devenue le
ral de celui qui est dépressif. symbole d’une très grande fortune.
72 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 73
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
74 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Si, depuis le début, il a le sens de « sou- Q Crever/Avoir la dalle s’envolant à la chasse aux pilotes
ci », il a eu aussi d’autres acceptions allemands partaient « à la curée »
Avoir (très) faim.
comme « charge » ou « direction » (terme venu de la chasse à courre),
dans le monde des administrations ou Ce n’est qu’à partir du XVIe siècle que donc se ruaient sur eux. Or, comme
bien « soin » ou « traitement » dans le mot dalle prend le sens qu’on lui ils ne volaient que par beau temps,
le milieu médical. Il a aussi longtemps connaît aujourd’hui, à savoir une ce dernier était devenu synonyme de
désigné un « souci amoureux ». table ou une plaque de pierre. temps de curée, mais on ne trouve
Mais en dehors de sa spécialisa- Mais auparavant, au XIVe siècle, il cette forme dans aucun ouvrage
tion médicale encore en usage au- avait le sens de rigole, gouttière, datant de la première moitié du
jourd’hui, son sens initial de « sou- évier, auge ou bassin. Il est emprunté XXe siècle.
ci » ne survit plus que dans notre à l’ancien normand daela, de même
expression qui date également du sens. Et c’est à partir de cette ac- Q Au grand dam
XIe siècle, à une époque où la forme ception qu’au XVe siècle, le mot, (de quelqu’un)
positive avoir cure de… existait aussi. en version argotique, a désigné le
Au grand désavantage, au
gosier, cette « rigole » par laquelle
détriment (de quelqu’un) –
Q Virer sa cuti passent les boissons et les aliments,
Au grand regret ou désespoir
sens qui a donné aussi les expressions
Changer complètement de (de quelqu’un).
se rincer la dalle ou avoir la dalle en
comportement ou d’opinion –
pente (qu’il ne faut pas confondre Vous êtes très nombreux à prononcer
Basculer de l’hétérosexualité
avec notre avoir la dalle). dam comme dame, là où normale-
à l’homosexualité ou
Avoir la dalle date de 1960, semble- ment il faudrait plutôt le dire comme
inversement.
t-il (chez Auguste Le Breton). C’est dent, prononciation officielle, mais
Parce qu’il a été imposé en France une atténuation de crever la dalle, comme la première semble mainte-
chez les jeunes enfants et les ado- qui date de la même époque et qui nant admise…
lescents de 1949 à 2007 pour lutter est un mélange de crever de faim Dam, qui existe depuis l’an 842,
contre la tuberculose, le vaccin BCG avec cette fameuse dalle sur laquelle vient du latin damnum qui voulait
(vaccin Bilié de Calmette et Guérin) glissent les aliments. dire « dommage » ou « préjudice »
est connu de la plupart des lecteurs et était principalement utilisé dans
de ces pages. Q Il fait un temps un contexte juridique.
Et ces mêmes lecteurs connaissent de curé Tout en gardant le sens latin, dam
aussi très bien le rituel annuel de la est ensuite devenu damage vers
Il fait un temps superbe –
cuti (abréviation de cuti-réaction), 1080, puis domage et dommage
La mer est très calme.
cette injection locale de tubercu- vers 1160.
line qui est un moyen de vérifier, On trouve deux origines à cette ex- Dam s’est complètement effacé de-
quelques jours après l’injection, si pression, l’une venant de la mer, vant dommage au XVIe siècle pour
le sujet est immunisé ou non contre l’autre des airs. n’être plus utilisé que dans notre
le bacille de Koch, responsable de La première a été fournie par un curé expression.
la tuberculose ; la confirmation est d’Ouessant qui donne l’explication Une dérive récente fait que cette
faite lorsque la cuti « vire », c’est-à- suivante : « C’est une déformation expression est maintenant aussi em-
dire provoque une large rougeur. de “temps à curer”, celui-ci étant ployée avec le second sens proposé,
C’est ce changement d’état im- le temps convenable pour curer le peut-être parce qu’on a des regrets
portant de la cuti, son virage, fond du port, c’est-à-dire y passer de ce qu’on a perdu lorsqu’on a subi
passage d’une injection discrète la drague, opération qui ne peut un préjudice.
à une rougeur marquée, qui, dès être menée à bien que par temps
le milieu du XXe siècle, a donné calme ! » Voilà une explication qui Q Trouver son chemin
naissance à notre métaphore tient bien la route, et même la mer, de Damas
avec le premier sens proposé, surtout qu’elle est très calme.
Se convertir à une doctrine
d’abord appliqué à quelqu’un Mais pour les aviateurs, cette expres-
(après l’avoir combattue) –
qui changeait complètement de sion est incorrecte. Ils prétendent
Trouver sa voie.
convictions politiques. qu’il faudrait en réalité l’écrire un
Le second est plus récent. Et, tou- temps de curée. Car d’après eux, Saul, qui vivait à l’époque de Jésus,
jours dans le domaine sexuel, on elle viendrait de la Première Guerre avait pour passe-temps favori de per-
emploie aussi parfois l’expression à mondiale, aux balbutiements de sécuter les chrétiens avec beaucoup
la place de « perdre sa virginité ». l’aviation militaire, lorsque les pilotes d’ardeur. Alors que, peu d’années
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 75
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
après la crucifixion du Christ, il allait Q Le tonneau second est à comparer à la dénomi-
à Damas en mission pour faire prison- des Danaïdes nation de panier percé qu’on affecte
niers les chrétiens et les ramener à Jé- à une personne trop dépensière.
Une tâche sans fin, un travail
rusalem, il eut soudain la vision d’une
à recommencer sans cesse –
lumière venue du ciel ; il entendit une
Un compte en banque
Q Une épée de Damoclès
voix lui dire « Saül, Saül, pourquoi me
constamment vidé de son Un péril imminent et constant.
persécutes-tu ? » et demanda : « Qui
contenu par quelqu’un Un danger qui plane sur
es-tu seigneur ? » Et la voix répondit :
de très dépensier. quelqu’un.
« Je suis Jésus que tu persécutes. »
C’est là, sur le chemin de Damas, L’histoire à l’origine de l’expression À la fin du Ve siècle av. J.-C.,
que Saul, qui pendant trois jours renvoie à la mythologie grecque. Damoclès était un courtisan de
fut privé de la vue, de boisson et Deux frères, Égyptos et Danaos, ont Denys l’Ancien, tyran de Syracuse.
de nourriture, eut la révélation qui eu l’un cinquante garçons, le second Au cours d’un banquet, alors que
provoqua sa conversion et fit de lui cinquante filles. À la suite d’une que- Damoclès lui disait combien il enviait
un prêcheur convaincu que Jésus relle avec son frère, Danaos fuit avec sa son pouvoir et sa richesse, Denys
était bien le fils de Dieu. Tellement nombreuse progéniture en Argolide. chercha à le convaincre que la vie
convaincu, même, qu’il devint égale- Une fois arrivés, ils sont rejoints par d’un tyran n’était pas aussi agréable
ment un apôtre sous le nom de Paul. les fils d’Égyptos, qui demandent qu’il le croyait.
leurs cousines en mariage. Il fit alors asseoir Damoclès sur son
Q Que dalle Le père fait semblant d’accepter trône, prit son épée, arracha un crin
mais demande à chacune de ses de la queue de son cheval, y attacha
Rien du tout.
filles de tuer son époux lors de la l’épée et la suspendit, la pointe en
Cette expression est généralement nuit de noces. Toutes acceptent, bas au-dessus de la tête de son hôte
précédée de verbes comme valoir, sauf Hypermnestre mariée à Lyn- en lui disant : « Profite bien mainte-
ne trouver, ne comprendre… cée qui, plus tard, se chargera de nant de ce banquet et amuse-toi ! Tu
Le mot dalle est ici une déformation trucider son beau-père et ses qua- vas rester à ma place jusqu’à sa fin
du mot dail, attestée par l’ancienne rante-neuf cousines entre-temps et je te garantis que tu ne verras plus
version de l’expression donnée par remariées. Compte tenu de leur mé- les choses de la même manière. »
Gaston Esnault, que le dail, devenue fait, ces dames ne pouvaient qu’être Effectivement, Damoclès, dont la vie
ensuite que dal. Il ne nous reste donc envoyées en enfer. Et c’est dans ce ne tenait plus qu’à un crin, eut un
plus qu’à savoir quelle est l’origine charmant lieu de villégiature que, en peu de mal à bien profiter de la suite
de ce dail. Mais là, nos lexicographes guise de punition, on leur confia la du banquet.
distingués s’entredéchirent. mission de remplir sans fin un ton- C’est de cette histoire antique où
C’est pourquoi je retiendrais l’expli- neau au fond percé. Damoclès sentait continuellement
cation de Claude Duneton : selon Cette expression est apparue au un danger planer sur sa tête qu’est
lui, dail est tout simplement issu du XVIIIe siècle. née notre expression.
romani, langue tsigane, dans lequel Si son premier sens est évident,
ce mot veut dire « rien du tout ». compte tenu de la fin de l’histoire, le Q Entretenir une
danseuse
Entretenir une maîtresse
Q Se rincer la dalle – Avoir la dalle en pente coûteuse – Consacrer par
Boire – Boire souvent (de l’alcool). plaisir beaucoup d’argent à
quelque chose ou quelqu’un.
Au XIVe siècle, dalle est emprunté à l’ancien nordique daela qui signifie « évier
(de cuisine) », mais aussi « rigole » ou « gouttière ». Au XVIIIe siècle, les alentours des salles
Ce sont ces deux dernières significations qui, au XVe, ont donné naissance de spectacles étaient des endroits
au sens métaphorique de « gosier », ce dernier pouvant finalement n’être très fréquentés par les prostituées.
considéré que comme une rigole qui dirige le liquide vers l’estomac. Mais si la prostitution avait cours à
Malgré l’ancienneté de la métaphore, ces deux expressions ne sont nées l’extérieur, au XIXe siècle, elle s’exerçait
qu’au XIXe siècle. aussi à l’intérieur, les danseuses
À la même époque, boire se disait aussi se rincer le corridor. faisant commerce de leurs charmes
Notez que se rincer la dalle s’utilise pour n’importe quelle boisson, y compris (plus ou moins volontairement).
de l’eau la plus plate possible, et même en petite quantité, alors que avoir la Mais alors que beaucoup de dan-
dalle en pente s’applique aux grands buveurs de boissons alcoolisées. seuses se contentaient d’effectuer
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76 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
des passes, certaines des plus cotées Dauphin dont il était le gouverneur. Au XIVe, piper (qui, initialement, vou-
devenaient des maîtresses attitrées En effet, ces ouvrages destinés à être lait dire « pousser un petit cri » pour
de messieurs de la haute société lus par Louis de France au cours de une souris) signifiait, lorsqu’il était
qui s’affichaient volontiers avec leur son instruction avaient été adaptés utilisé à la chasse, « imiter le cri d’un
proie à laquelle ils offraient un lo- ou expurgés de leurs passages consi- oiseau que l’on veut attirer ».
gement et un train de vie générale- dérés comme incompatibles avec la Le sens de tromperie associé à pipe
ment plus que décents. bonne éducation qui sied à un jeune ou piper était donc déjà présent il y
Et c’est de ces dépenses d’entre- et futur monarque. a très longtemps et suffit à expliquer
tien de leur maîtresse danseuse que Mais outre l’usage premier, cette que l’adjectif pipé serve à désigner
vient notre expression dont le sens, locution, surtout au XIXe siècle, s’est un objet truqué dans le but de trom-
par extension, a évolué vers toutes aussi appliquée à des ouvrages per quelqu’un d’autre, comme le
les dépenses très, voire trop, impor- transformés pour travestir la vérité ou sont certains dés. Si cette expression
tantes consacrées à une passion. faire circuler des théories différentes s’applique bien au sens propre à des
de celles communément admises. dés, par extension, elle s’utilise aussi
Q Dare-dare Cette expression est généralement lorsqu’un protagoniste d’une affaire,
employée de manière ironique ou qu’elle soit légale ou non, sent ou
Sans le moindre délai,
péjorative. constate qu’il y a une entourloupe
tout de suite. Très vite.
quelque part, qu’un piège est tendu
Cette locution reste d’étymologie aussi ou que l’affaire est faussée à l’avance.
obscure que le mauvais côté de la farce. Q C’est de la daube !
Si elle semble apparaître au
C’est un objet ou un « L’adjectif pipé [ sert ]
XVIIe siècle, peut-être issue d’une
spectacle de mauvaise à désigner un objet
onomatopée, le Dictionnaire histo-
qualité, bon à jeter. truqué dans le but de
rique de la langue française propose tromper quelqu’un. »
l’origine possible suivante : il pour- Le daube dont il s’agit ici est
rait s’agir d’un redoublement, des- un mot d’argot utilisé à propos
tiné à en renforcer le sens, de dare d’une chose ou d’une personne Q Au débotté
tiré du verbe (se) darer voulant dire sans valeur. Il est attesté dès
Au moment où on arrive –
« s’élancer », variante dialectale de 1881 pour désigner d’abord une
À l’improviste.
(se) darder qui, au XVIe siècle, avait la « souillon de cuisine », mais sans
même signification, et qui était issu que rien ne semble indiquer l’ori- La botte est le nom de la chaussure
de dard, ancienne arme de jet. gine de ce substantif. montante qui est à l’origine de ce
Or, en général, celui qui s’élance a Mais pour que vous ne restiez pas débotté.
l’intention d’aller vite, ce qui expli- sur votre faim, on peut tout de Ce mot désigne principalement le
querait le sens de la locution. même préciser que, selon Gaston moment où le porteur de bottes les
Esnault dans son Dictionnaire ôte, où il se débotte. Donc, générale-
Q À l’usage du dauphin des argots, daube serait ici un ment, le moment où il arrive chez lui.
mot d’origine lyonnaise pour dire D’où le premier sens de l’expression
Se dit d’un texte : – expurgé
« gâté », appliqué à des fruits et qui (comme le second, d’ailleurs)
de ce qui pourrait choquer
des viandes, ce qui pourrait très date du tout début du XVIIIe siècle.
le public ; – adapté pour les
bien expliquer l’origine. Mais si en plus, quelqu’un s’ap-
besoins d’une cause.
proche de façon inattendue avant
Ici, le Dauphin est Louis de France, que le porteur de bottes ait fini de se
appelé le Grand Dauphin, lorsqu’il Q Les dés sont pipés débotter, donc pendant le débotté,
était encore l’héritier théorique on ajoute la notion de surprise que
Les dés sont truqués – Il y a
de la couronne alors que son père contient le second sens.
une tromperie quelque part.
Louis XIV régnait (Dauphin désigne Beaucoup d’ouvrages anciens uti-
le fils aîné du roi, celui qui doit Il faut savoir qu’au XIIIe siècle, une lisent aussi au débotté (du roi) non
normalement lui succéder). pipe (ou un pipet, devenu pipeau pas en tant qu’expression, mais sim-
Cette expression est la version fran- au milieu du XVIe) désignait une plement pour indiquer ce moment
çaise du latin ad usum delphini, petite flûte, mais aussi un appeau, privilégié (c’était un honneur de pou-
locution placée sur la collection d’ou- cet instrument destiné à tromper les voir y assister) où le roi quittait ses
vrages anciens latins et grecs que le oiseaux pour les attirer en imitant le chaussures ou ses bottes en présence
sévère duc de Montausier destinait au cri de leurs congénères. d’une partie de la cour.
TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 77
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
78 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Q À belles dents Mais c’est oublier l’aspect psycholo- difficile ou met plus longtemps à
gique de la chose : en effet, avoir des déclencher.
Avec un grand appétit –
dettes est un poids qu’on porte et Et c’est cette difficulté de déclenche-
Avec beaucoup d’ardeur.
qui mine partiellement le moral. Une ment qui, au figuré, a donné nais-
Cette expression date des alentours fois sa dette réglée, on s’est libéré sance à notre expression, la prise de
du XVe siècle. de ce poids et on peut alors vivre sa décision ou la compréhension de
Le qualificatif belle doit être ici com- vie avec un « enrichissement » pure- quelque chose étant comparée à un
pris comme « grand », comme on le ment moral. déclic, d’autant plus difficile à obte-
trouve, par exemple, dans une belle En réalité, ce proverbe est très mo- nir que la personne est indécise ou
somme, un beau poulet. raliste. Son existence était principa- mal-comprenante.
Elle est à rapprocher de la méta- lement là pour réguler l’économie et Dur à la détente, qui existe depuis
phore déchirer quelqu’un à belles convaincre les emprunteurs qu’ils ne le début du XIXe siècle, a supplanté
dents qui signifiait « dire des choses doivent pas oublier de rembourser dur à la desserre datant d’un siècle
très féroces sur quelqu’un ». leurs dettes. auparavant.
Le lien avec les crocs (ou les belles On en trouve la version précédente Et cette desserre, plus ancienne en-
dents) d’un animal féroce est qui s’acquitte s’enrichit dans l’édi- core dans d’autres locutions, est
évident, cet animal déchirant sa tion de 1694 du Dictionnaire de cette fois l’image de celui-ci qui serre
proie à grands coups de crocs avec l’Académie française. Autant dire précieusement son argent contre lui
beaucoup d’ardeur, comme s’il avait que cela fait longtemps qu’on es- ou de celui qui rechigne à desserrer
un grand appétit. saye de convaincre les débiteurs les cordons de sa bourse. Lors du
Et elle est à opposer à manger du qu’ils doivent impérativement rem- changement de mot, cette image
bout des dents, expression appliquée bourser leurs créanciers. d’avare est restée, malgré l’absence
à celui qui, au contraire, mange peu évidente de lien entre l’avarice et
ou peu volontiers. Q Dur/Long à la détente une arme.
Avare, qui accorde difficilement
Q Qui paye ses dettes Q Jeter son dévolu
quelque chose – Qui met du
s’enrichit temps à comprendre. Fixer son choix de façon très
Ce proverbe est une incitation déterminée.
Ceux qui sont férus d’armes savent
à ne pas laisser durer ses
que la détente est cette pièce métal- Le mot dévolu, issu du latin devol-
dettes.
lique sur laquelle l’index appuie pour vere, apparaît au XIVe siècle en tant
Voilà un bien étrange proverbe, sur- déclencher le mécanisme qui va en- qu’adjectif dans le langage juridique
tout si l’on s’arrête uniquement à voyer le chien frapper l’amorce de la avec le sens de « conféré par droit ».
l’aspect pécuniaire, car chacun sait munition. Alors, si jamais le ressort Un tout petit peu plus tard, en tant que
qu’enlever de l’argent de sa propre de ce mécanisme est trop ferme, la nom masculin, il est utilisé lorsque, à
bourse appauvrit plutôt. détente est dure et l’arme est plus cause de l’incapacité ou de l’indignité
de son possesseur, un bénéfice reli-
gieux échoit au pape qui le met alors
Q Mentir comme un arracheur de dents à disposition pour quelqu’un d’autre.
Par extension, le terme est rentré
Mentir effrontément.
dans le langage commun, avec le
Autrefois, aux débuts de la chirurgie dentaire, lorsque la seule anesthésie pos- sens de « revendication pour soi »
sible était le coup de massue, les dents cariées provoquant des douleurs insup- sans oublier le sous-entendu de spo-
portables existaient déjà. Alors pour convaincre les patients de se faire arracher liation éventuelle du possesseur ini-
leurs dents malades, les dentistes de l’époque ou « arracheurs de dents », qui tial, si la chose revendiquée n’était
exerçaient leur art sur les marchés, places publiques et foires, n’hésitaient pas à pas libre.
leur prétendre fermement que l’arrachage serait complètement indolore. D’ail- Ainsi, jeter son dévolu c’était comme
leurs, ils étaient généralement accompagnés d’un joueur de tambour qui, des jeter un filet pour attraper une proie :
roulements de son instrument, tentait de couvrir les hurlements du malheu- lorsqu’un homme jetait son dévolu
reux, histoire que les autres visiteurs alentour ne se rendent pas compte de la sur une femme, celle-ci n’était pas
torture qu’était l’arrachage. forcément libre, mais l’intention de
Ce serait donc des mensonges éhontés de ces praticiens que viendrait notre « posséder » était pourtant bien là.
expression qui, sous cette forme, date du XVIIe siècle. Mais le terme arracheur Aujourd’hui, et depuis la fin du
de dents désignait déjà un grand menteur dès la fin du siècle précédent. XVIIe siècle, jeter son dévolu, c’est
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 79
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
principalement arrêter un choix Claude Duneton, grâce aux travaux que de l’écarter (l’envoyer au diable)
définitif, parfois après de longues récents de Pierre Enckell, signale avant d’assouvir un besoin soudain
hésitations. qu’il y a longtemps, cette expression de craquer déraisonnablement pour
Mais le second sens proposé existe avait un autre sens. un achat un peu trop cher ou de
toujours, encore avec cette connota- Aux XVIe et XVIIe siècles, les textes faire une petite folie dispendieuse.
tion d’appropriation parfois abusive. où elle apparaît montrent qu’elle
signifiait « travailler humblement Q Au diable vauvert
Q Tirer le diable pour gagner raisonnablement sa
Très loin, dans un endroit
par la queue vie ». Mais en aucun cas, il n’y avait
perdu.
à ce moment-là de notion allant
Vivre avec des ressources
jusqu’à la misère ou les ressources Notre vauvert date du début du
insuffisantes. Avoir des
insuffisantes. XIXe siècle, mais son origine n’est pas
difficultés à subvenir
En revanche, dès 1690, Furetière claire.
à ses besoins.
donne notre signification actuelle Au départ, ce mot ne désigne qu’un
À cause du mystère entourant à l’expression, sens plus marqué « vert vallon » ou « val vert », le vau
l’origine de cette expression, où, cette fois, la personne n’arrive se retrouvant toujours actuellement
de nombreux lexicographes ont même plus à gagner sa vie. dans à vau-l’eau et dans par monts
tenté de l’expliquer par l’image de et par vaux.
l’homme qui, étant dans un grand Q Au diable l’avarice ! Dès le XVe siècle, faire le diable de Vau-
besoin, passe un coup de fil au vert signifiait « s’agiter beaucoup.
Formule généralement
diable pour le faire venir. Mais une Ce nom était aussi celui d’une abbaye
utilisée lorsqu’on décide
fois ce dernier présent, il décide de de Chartreux située au sud de Paris.
brutalement de faire une
repartir sans accorder d’aide. Le Elle aurait été le théâtre de manifesta-
dépense peu raisonnable.
pauvre cherche alors désespérément tions plus ou moins diaboliques.
à le retenir par ce qui lui tombe sous Cette formule s’utilise exactement Alors l’éloignement, plus les démons
la main, c’est-à-dire la queue. comme vous pourriez dire « au d’Enfer, cela suffit à créer un « diable
Une autre explication est donnée diable mes résolutions (de perdre vauvert ».
par Pierre-Marie Quitard supposant quelques kilos) ! » une fois qu’un Mais il existait également un château
« entre le diable et le pauvre homme individu pervers a déposé sous vos de Vauvert à Gentilly qui aurait servi
une lutte dans laquelle celui-ci, n’osant yeux un ballotin d’excellents choco- de repaire à des bandits redoutés, ce
attaquer de front son adversaire, lats, par exemple. qui en faisait donc un lieu malfaisant.
sans doute à cause des cornes et des En effet, l’avarice faisant partie des Il y avait aussi un Vauvert près de
griffes, le saisit par-derrière afin de sept péchés capitaux, c’est simple- Nîmes, où les protestants ont détruit
l’éloigner de son logis ». ment se donner bonne conscience un sanctuaire dédié à la Vierge.
Aujourd’hui, on emploie aussi l’ex-
pression au diable vert.
Q Faire son deuil de
Q Dieu reconnaîtra
Se résigner à la perte de quelque chose, de quelqu’un.
les siens !
Cette expression s’utilise aussi bien à propos de quelque chose ou de quelqu’un.
Formule employée chaque
Elle s’applique à la période pendant laquelle on finit par se résigner (rarement
fois que sont indifféremment
par accepter) à être privé de quelque chose ou quelqu’un de cher.
visés des coupables et des
Le mot deuil, qui dérive du latin dolus, déverbal de dolere (« souffrir »),
innocents – Formule censée
désigne, au Xe siècle, la douleur ou l’affliction que l’on éprouve lors de la
justifier une action violente
mort d’un proche.
menée de manière arbitraire.
Au XVe il désigne aussi le décès, la perte d’un être cher. Il aura également plus tard
divers sens plus ou moins figurés, tous liés à la mort ou à une grande tristesse. Cette expression, dont la forme
C’est dans la première moitié du XIXe siècle qu’apparaît notre expression qui complète est « Tuez-les tous, Dieu
ne s’applique d’abord qu’à une chose – qui peut disparaître, certes, mais qui reconnaîtra les siens ! », est généra-
ne meurt pas – avant, bien plus récemment, de s’utiliser aussi à propos d’une lement attribuée à Arnaud Amalric,
personne. abbé de Cîteaux et légat du pape
Elle marque bien la difficulté qu’il y a à accepter la perte d’une chose à la- Innocent III, et aurait été prononcée
quelle on tenait beaucoup ou d’un proche et, pour ce dernier, à se faire à le 22 juillet 1209 lors de la prise de
l’idée de ne plus jamais le voir. Béziers, dans l’Hérault.
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80 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Une fois la ville tombée, alors que de
nombreux cathares s’étaient réfugiés Q Mettre le doigt dans l’engrenage
parmi la population des véritables
Être entraîné dans un enchaînement de situations, généralement
chrétiens, lorsque la décision fut
désagréables, auquel on ne peut échapper. Se lancer
prise de tuer tous ces derniers, le ba-
imprudemment dans une action dont les conséquences seront
ron de Monfort demanda à Amalric
néfastes, sans pouvoir s’en sortir.
comment faire pour différencier les
hérétiques des bons catholiques. Et Un système d’engrenages de grande taille (dans un moulin, par exemple)
c’est là que ce dernier aurait répon- peut devenir mortel pour peu qu’une partie d’un bonhomme (un membre,
du cette phrase devenue célèbre : un vêtement) y soit happé, entraînant le reste du malheureux à se faire par-
« Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les tiellement broyer dans cette mécanique.
siens ! » C’est simplement de l’image de cet entraînement irrémédiable et non maî-
Même si elle est rattachée à un épi- trisable dans un enchaînement de situations désagréables que vient notre
sode peu glorieux de l’Histoire, la for- expression qui date du milieu du XIXe siècle.
mule à l’emporte-pièce eut un certain Le « doigt » y symbolise le début de ce qui a été entrepris à tort, sans penser
succès puisqu’on l’emploie toujours aux conséquences, à savoir que le bras et le reste du corps pouvaient être
aujourd’hui face à des actions vio- entraînés à la suite, sans échappatoire possible ; et l’« engrenage », ce méca-
lentes menées sans discernement. nisme sans âme qu’on ne peut plus arrêter, représente l’enchaînement non
maîtrisable des situations qu’il faut subir.
Q À Dieu ne plaise !
Se dit pour indiquer que l’on Il ne reste donc plus qu’à étayer un personne, complètement dépendant
ne souhaite pas que telle ou peu cette hypothèse hardie. de ce qu’elle voudra faire de nous.
telle chose se produise. Il faut savoir que le terme dinde, Mais, là encore, on suppose (ou on
depuis longtemps et au figuré, dé- espère) qu’elle aura suffisamment
La syntaxe et le sens de cette expres-
signe une jeune fille niaise par com- de discernement pour ne pas lâche-
sion peuvent paraître étranges à notre
paraison avec le caractère considéré ment profiter de la situation et dé-
époque. Mais comme elle nous vient,
comme stupide de l’animal. Or, une passer les bornes des limites.
sous une forme un peu différente, du
personne niaise se faisant aisément
XIe siècle, dans la chanson de Roland,
on ne s’en étonnera pas trop.
duper, il est logique qu’au passage Q Mon petit doigt m’a dit
au masculin, un homme niais, donc
On y trouvait en effet ne placet Deu Je l’ai appris ou entendu par
susceptible de se faire duper, soit af-
dont la traduction est à peu près une source que je ne veux
fublé du terme dindon.
« que [cela] ne plaise pas à Dieu » et pas dévoiler – Je soupçonne
Quant à farce, il suffit de confirmer
qu’il faut comprendre comme « que que tu veux me le cacher.
qu’à cette époque, on farcissait bien les
cela lui déplaise tellement qu’il ne le
dindons pour imaginer la plaisanterie. Il ne faut pas chercher bien loin pour
permette surtout pas ».
comprendre le pourquoi de cette ex-
C’est donc bien une formule que l’on
est susceptible de prononcer lors-
Q À discrétion/ pression ou plutôt, le pourquoi du
qu’on ne souhaite pas qu’une chose
À la discrétion choix du petit doigt utilisé pour in-
arrive, en espérant que, comme elle
(de quelqu’un) diquer qu’on ne veut pas désigner
sa source ou qu’on a des soupçons.
lui déplaira, Dieu fera le nécessaire Comme on le veut, autant
Si, en joignant le geste à la parole,
pour qu’elle ne se produise pas. qu’on le veut /À la disposition,
vous dites à votre enfant qu’un de vos
à la merci (de quelqu’un)
doigts vous a chuchoté à l’oreille qu’il
Q Le dindon de la farce a fait pipi dans le pot de fleurs (ou
Issu du latin discretio, le nom appa-
La victime d’une tromperie, raît au XIIe siècle, et a déjà plusieurs toute autre bêtise faite avec témoins
d’une moquerie, et qui fait acceptions. Et parmi elles, c’est rapporteurs), ce n’est naturellement
généralement la risée de tout celle de « discernement » qui nous pas le pouce que vous allez tenter de
le monde. intéresse ici. faire entrer au début de votre conduit
Dans la première expression, à auditif, mais le petit doigt.
Un dindon, ça se fait plumer, donc
discrétion, on observe la notion de En effet, par sa taille, ce doigt, très
au sens argotique, il se fait duper. Et
volonté et on imagine que la volonté justement nommé l’auriculaire, est
comme il se sert souvent farci, il aura
s’accompagne de discernement. celui qui est le plus adapté pour ser-
suffi d’un peu d’humour pour acco-
Dans la seconde, à la discrétion de vir de délateur imaginaire dans le
ler au volatile cette histoire de farce.
quelqu’un, on est sous la coupe de la creux de l’oreille.
TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 81
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Q Qui dort dîne un goût infâme et une tendance à utilise l’expression couler des jours
coller entre elles. heureux.
Le sommeil fait oublier la
Pour contrer ces désagréments, les Ainsi, une vie est bien du temps qui
faim. Le sommeil tient lieu de
pharmaciens de l’époque avaient passe, qui s’écoule. Or il se trouve
nourriture.
pour habitude d’utiliser une pratique que notre expression, apparue au
Voilà une expression intéressante décrite au XVIIe siècle : ils enrobaient XIXe siècle, est simplement une forme
pour les variantes sur son origine. ces choses d’une couche de sucre elliptique de couler une vie douce
D’un côté, nous avons une foulti- ou, pour certains, d’une fine pellicule (philosophie que nos amis italiens
tude au carré de sites Web qui af- d’argent, voire d’or. ont exprimé sous la forme dolce vita
firment qu’elle vient du Moyen Âge Il va de soi que, avec ce dernier type ou « vie douce »).
où le voyageur qui voulait dormir de revêtement, le prix du médica- Quant au qualificatif doux appliqué
dans une auberge était contraint ment montait alors en flèche. Mais à une vie vécue sans soucis et me-
également d’y dîner, sous peine de dans tous les cas, la pilule était alors née sans efforts, il vient bien sûr en
se voir refuser le gîte. autrement moins dure à avaler. opposition à la vie dure que mènent
D’un autre côté, nous avons Alain C’est ainsi que, par métaphore, do- des travailleurs qui triment pour sub-
Rey, éminent linguiste, qui passe rer la pilule est devenu une manière venir à leurs besoins et qui ont rare-
entièrement cette hypothèse sous de présenter sous un jour favorable ment l’occasion de mettre les doigts
silence et nous apprend que ce pro- une chose peu agréable. de pied en éventail comme ceux qui
verbe vient de l’ancienne pensée : Sous sa forme pronominale, se dorer se la coulent douce.
« Le sommeil nourrit celui qui n’a la pilule apparu au début du XXe siècle
pas de quoi manger », exprimée par voulait logiquement dire « se faire des Q Des mesures/lois
le Grec Ménandre. illusions », mais, depuis les années draconiennes
Notez que même si Ménandre a bien 80, cette expression est devenue
Des mesures/lois d’une
émis cette pensée, rien n’empêche synonyme de « se faire bronzer ».
extrême ou excessive sévérité.
que les aubergistes d’autrefois aient
pratiqué la vente forcée. Les deux Q Se la couler douce Savez-vous qui était Dracon ? Cet
explications ne sont donc pas forcé- Athénien vivait au VIIe siècle av. J.-C.
Vivre sans souci et sans
ment incompatibles. Son nom, drakôn en grec, signifie
efforts.
« dragon », sans lien avec son appa-
Q Dorer la pilule Si la bière coule parfois à flots et l’eau rence ou ses capacités…
s’écoule des montagnes, les verbes Ce législateur créa un code de lois
Présenter sous une apparence
couler et s’écouler ne s’appliquent extrêmement sévères où presque
trompeuse, trop favorable.
pas qu’aux liquides et autres flux ; ils tous les délits, même minimes,
Autrefois, les pilules étaient directe- ont aussi une acception temporelle, étaient punis de la peine de mort,
ment fabriquées par les apothicaires, puisque depuis le XVe siècle, on dit que quelle que soit la couche de la so-
mais elles avaient deux gros défauts : le temps s’écoule et depuis le XVIIe on ciété à laquelle le fautif appartenait.
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82 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
C’était de sa part une tentative pour La première fait simplement le rap- Q Péter une durite
éliminer la justice et les vengeances prochement avec un ancien jeu
Craquer, devenir fou, enrager
privées et les remplacer par une jus- d’enfants où ils devaient attraper
brutalement. Commettre
tice étatique, dont les lois étaient une friandise suspendue à un fil.
soudainement des actes
écrites, une autre avancée, car elles Celui qui tenait le fil et le soulevait
incompréhensibles.
pouvaient donc être portées à la selon son bon vouloir pour empê-
connaissance de tous. cher les marmots d’attraper trop fa- La durite est l’un de ces nombreux
Mais leur rigueur et leur excessive cilement le bonbon avait sur eux une tubes ou tuyaux en caoutchouc qu’on
sévérité, dont l’Histoire s’est souve- certaine forme de pouvoir. trouve sur un moteur, destiné à ache-
nue, a suffi, à la fin du XVIIIe siècle, La seconde vient aussi d’une friandise, miner un liquide (de refroidissement,
pour transformer le nom de leur mais destinée aux chevaux, cette fois. huile, essence…) d’un point à un
auteur en qualificatif pour désigner La dragée était une botte de four- autre du moteur. Si le phénomène
des choses, et pas seulement des rage vert, mélange de froment et est maintenant rare dans nos moteurs
mesures ou une loi, à la sévérité très de sarrasin, gourmandise dont raf- modernes où il n’est plus question de
importante, voire disproportionnée. folaient ces équidés mais dont ils ne plonger soi-même, ce genre de tube
devaient pas abuser. avait autrefois la fâcheuse manie de
Q À l’eau de rose Pour dresser le cheval et lui ap- pouvoir se déchirer ou bien de se dé-
prendre à maîtriser sa gloutonnerie, tacher à une extrémité. Dans ce cas,
Mièvre, fade, insipide,
ces dragées étaient placées haut il pouvait s’ensuivre des choses très
sentimental (en parlant
dans son râtelier, hors de sa portée. problématiques, comme un moteur
généralement d’un livre
Et on ne lui en distribuait ensuite qui rend ou qui prend feu.
ou d’un film).
qu’avec parcimonie. Autrement dit, les conséquences
Qui n’a pas lu un livre de la collection d’une durite qui lâche (qui pète, en
« Harlequin » ne sait pas forcément argot) pouvaient être graves.
ce qu’est un véritable roman « à
Q Dans de beaux draps Maintenant, si vous prenez un bon-
l’eau de rose », rempli de clichés, de Dans une mauvaise homme qui devient enragé ou fou,
situations sans réelle surprise ou de situation. la conséquence de ses actes peut
sentiments très conventionnels. aussi être très grave.
Au XVIIIe siècle, on disait dans de
L’eau de rose, d’abord nommée « eau C’est donc par simple comparaison
beaux draps blancs pour dire
rose » au XVe siècle, puis « eau de avec la gravité potentielle de la perte
« montré avec tous ses défauts ».
rose » au XVIe, s’obtient en distillant des complète de self-control de la part
Au Moyen Âge, les draps dési-
pétales de rose. d’un péquin lambda que cette ex-
gnaient les vêtements.
Alain Rey situe l’apparition probable pression est née au XXe siècle.
Et si le blanc est bien pour nous
de l’expression vers la fin du XIXe siècle,
un symbole de propreté, de pu-
mais on trouve plusieurs ouvrages qui
reté ou d’innocence, les habits
Q De joyeux drilles
l’emploient vers le début du même
blancs ont longtemps servi à vêtir De joyeux et sympathiques
siècle (en 1826 ou 1833, par exemple).
les gens qui avaient commis cer- compagnons.
Quant à savoir pourquoi l’eau de rose
taines fautes.
est devenue un symbole de mièvre- Le mot drille, dont l’étymologie est
Autrement dit, les gens qui de-
rie, on suppose que c’est simplement controversée, apparaît en 1628 dans
vaient se vêtir de blanc étaient en
parce que la couleur rose était asso- l’argot militaire. Il désigne d’abord
général dans une situation peu
ciée à la féminité, donc indirecte- un soldat vagabond, un soudard qui
enviable.
ment aux bons sentiments, avec une ne se prive pas de se fournir en bois-
Cet ancien usage du vêtement
connotation péjorative. son et nourriture, plus ou moins de
blanc et l’idée du linceul, sorte de
force, chez l’habitant.
drap blanc dans lequel on ne se
Q Tenir la dragée haute trouve que si on est dans une très
Probablement parce que ces
(à quelqu’un) fâcheuse situation, le tout mêlé
« drilles » étaient souvent des fê-
tards, qu’ils étaient entre eux de bons
Faire longtemps attendre à un brin d’ironie, peuvent expli-
compagnons qui se soutenaient aus-
quelqu’un avant d’accéder à quer à la fois l’usage du beau et la
si bien dans leurs mauvaises actions
sa demande pour lui signifier gravité de la situation qu’indique
que dans leurs beuveries et autres
le pouvoir que l’on a sur lui. maintenant l’expression.
orgies, il en est resté, malgré le côté
On dit aussi, mais c’est plus
Cette expression date du XVIIIe siècle. négatif initial de leur comportement,
logique pour nous, être dans de
Deux écoles s’affrontent quant à une image de camaraderie qui a per-
mauvais (ou sales) draps.
son origine. duré jusqu’à maintenant.
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 83
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
On a eu autrefois les bons drilles et ses passions comme la chaleur ex- Et si ces différents sens anciens se
les mauvais drilles, mais il ne nous cessive du vin est tempérée par le sont perdus depuis longtemps, les
reste plus maintenant que les joyeux meslange de l’eau » et Oudin, vingt locutions sont restées.
drilles, à peu près synonyme de ans plus tard, en disait « se modérer, La forme actuelle de l’expression date
joyeux lurons, et, plus rarement, les passer sa colère ». du XVIIe siècle. Mais au XVe, plutôt que
vieux drilles, syntagme plus spéciali- Alors que ce soit autrefois ou mainte- « il l’échappa belle », on disait « il
sé pour désigner des libertins. nant, dans cette expression il est tou- belle l’eschappa », belle ayant alors
jours question de modération, celle la signification de « bien » avec un
Q Dans les mêmes eaux – avec laquelle il est bon de boire de sous-entendu de soulagement dû à la
Dans ces eaux-là cette boisson alcoolisée issue du raisin. proximité du danger évité de justesse.
Le Grand Robert indique qu’au jeu de
(À peu près) de la même
paume, l’échapper belle voulait dire
valeur, quantité ou qualité – Q Nager entre deux « manquer une balle bien lancée ».
Approximativement, à peu eaux
près (au même niveau).
Manœuvrer entre deux Q Des économies de
Ces expressions sont des métaphores partis, sans se compromettre. bouts de chandelle
dans lesquelles le niveau de l’eau (ou Refuser de s’engager.
Des économies dérisoires,
des eaux) est assimilé à une valeur,
Bien sûr, à notre époque, on ima- sordides.
une quantité et même aussi à une
gine aussitôt la personne qui réus-
qualité ou un genre, selon le contexte Si on se réfère à l’expression le jeu
sit à nager à mi-profondeur sans
où elles sont utilisées. Dans leur usage n’en vaut pas la chandelle, on se
se laisser entraîner vers une direc-
habituel, l’approximation est généra- rappelle qu’il fut un temps où les
tion non souhaitée par le courant
lement moins grande dans le cas de chandelles qui éclairaient les endroits
de surface ou celui plus profond.
la première expression : on est nette- sombres avaient une valeur certaine.
Il suffit qu’elle descende un peu
ment plus proche d’une égalité entre C’est pourquoi, dans les maisons
plus profondément ou bien re-
les deux choses comparées. bourgeoises, le personnel de mai-
monte un peu pour se laisser en-
Ces eaux-là trouvent aussi d’autres son avait l’habitude de rassembler
traîner par l’un ou l’autre.
utilisations comme dans être dans les restes des chandelles, le suif non
Métaphoriquement, cette nage
les mêmes eaux qui signifie « par- brûlé, et de les revendre à un cirier
s’applique à la personne qui ne
tager les mêmes opinions (que pour qu’il en refasse de nouvelles.
veut pas s’engager et qui ne fait
quelqu’un) » ou bien dans les mêmes Vue par les riches, cette récupération
donc aucun choix.
eaux qui peut aussi vouloir dire « à semblait ridicule et l’économie cor-
Mais cette expression apparue
peu de distance, dans un même en- respondante insignifiante, ce qui suf-
au XIVe siècle vient en réalité de la
droit » ; mais là, nous avons une mé- fit à expliquer le sens de l’expression,
marine. En effet, à cette époque
taphore purement marine venue des mais aussi à comprendre pourquoi
(et depuis le XIIe siècle), nager vou-
mêmes eaux où se trouvent deux elle comporte la plupart du temps
lait dire « conduire un bateau ».
bateaux très proches l’un de l’autre. une connotation de mesquinerie.
Et l’équipage qui savait « nager
Cette expression nous vient du
entre deux eaux » était celui qui
Q Mettre de l’eau arrivait à garder le cap malgré les
XVIIIe siècle, à une époque où on
dans son vin courants (les eaux, à l’époque) qui
disait aussi d’un avare que c’était un
« ménager de bouts de chandelle ».
Modérer ses exigences ou ses pouvaient l’entraîner dans une
ambitions. mauvaise direction.
Q Un écorché vif
Cette atténuation des effets ou des
Une personne d’une
qualités du vin par l’eau se retrouve
sensibilité excessive,
dans le sens figuré de cette expres- Q L’échapper belle exacerbée.
sion qui est ancienne puisqu’on en
Échapper de peu à un danger.
trouve une forme dès le milieu du On sait que écorché est un adjectif
XVIe siècle. Alain Rey nous rappelle qu’au fil du qui désigne un être dépouillé de sa
Et son sens a aussi évolué car si, au- temps, beau a eu de nombreuses peau, comme un lapin avant qu’il
jourd’hui, elle s’applique principale- significations comme « opportun » ne soit consommé, par exemple.
ment aux exigences ou aux préten- dans un beau matin ou bien « qui Et pour peu que cet écorchage se
tions, en 1636, Fleury de Bellingen convient parfaitement » dans au fasse alors que l’être en question est
en donnait la signification « modérer beau milieu, par exemple. vivant, on obtient un écorché vif.
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84 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Alors maintenant, prenez un bon- Pareillement, un humain, après avoir rapidement qu’une seule envie, c’est
homme quelconque parfaitement vécu une expérience désagréable d’« en écraser » un maximum en
vivant et arrachez-lui la peau. dans un lieu précis ou à cause de sombrant dans un sommeil prélude
Ensuite, caressez-lui n’importe quelle quelque chose, aura une forte ten- à une belle gueule de bois.
partie du corps ainsi mise à nue, ou dance à se méfier du lieu ou de la
bien versez-y un peu de sel. Vous chose, la fois suivante. Q Mettre les écureuils
constaterez aisément que l’écorché vif Cette expression date du XIIIe siècle, à pied
hurle alors très facilement de douleur. sous la forme chat échaudé craint
Couper les arbres.
On en déduit facilement que l’écor- l’eau. Dans le Roman de Renart
ché vif est extrêmement sensible. Ce (XIIe et XIIIe siècles), on trouve aussi À première vue, lorsqu’on sait que
qui suffit, par une métaphore fina- l’échaudé craint l’eau, montrant l’expression mettre à pied veut dire
lement assez horrible, à expliquer qu’on savait déjà bien que le chat ne « congédier, licencier quelqu’un »,
qu’on dise de quelqu’un d’excessive- serait pas le seul à hésiter à affronter on est en droit de se demander où
ment sensible, qui réagit beaucoup de nouveau un supposé danger. on aurait déjà vu un écureuil subir un
trop à ce qu’il prend pour des agres- tel affront.
sions ou aux souffrances des autres, Q En écraser Toutefois, lorsqu’on connaît le sens
qu’il a une sensibilité d’écorché vif. exact de l’expression, tout s’éclaire.
Dormir profondément.
On sait bien que les écureuils sont de
Q Chat échaudé craint Bien que cette expression soit de l’ar- petits animaux qui batifolent princi-
l’eau froide got récent, du XXe siècle, son origine palement dans les arbres. Alors pour
reste très incertaine. les obliger à se mouvoir au sol « à
Se dit à propos de quelqu’un
Nous allons simplement évoquer pied », ne suffit-il pas d’abattre les
qui a subi un événement
quelques-unes des hypothèses ren- arbres où ils nichent et vivent ?
particulièrement douloureux
contrées. Voilà comment cette expression main-
et qui se méfie de tout
Selon Alain Rey, le verbe écraser tenant désuète est née au cours du
événement similaire, même
qui nous intéresse ici est peut-être XIXe siècle.
s’il n’y a pas de véritable
une évolution de l’argot écraser
raison de le craindre.
du XVIIIe siècle qui voulait dire Q Qui trop embrasse mal
L’image de cette expression est très « supprimer » (écraser un homme) : étreint
facile à comprendre. du coup, on peut dire qu’on
Qui entreprend trop de choses
Un chat qui se serait jeté dans un réci- « écrase » le sommeil en faisant un
à la fois court à l’échec.
pient d’eau brûlante sans connaître sa bon somme.
température et sans savoir l’effet très Larousse signale que écraser un On ne peut être à la fois au four
désagréable que ça lui ferait n’oserait grain voulait dire « boire du vin ». et au moulin : vouloir entamer une
même plus tremper une patte dans un Alors si jamais le en de notre expres- tâche par-ci, une autre par-là et une
récipient d’eau froide, pourtant bien sion sous-entendait « une grande troisième à côté, le tout en même
inoffensive, craignant à nouveau de quantité de grain », il va de soi que temps, risque de conduire à un
subir les mêmes désagréments. notre « écraseur de grains » n’aurait échec généralisé.
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 85
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Nos ancêtres du XVe siècle s’en Et quand les éloges arrivent en grande goulot, pour que le contact entre
étaient déjà rendu compte, puisque, quantité, unanimement prononcés les deux soit le plus parfait possible.
à la fin du XIVe, on écrivait déjà : qui par les individus présents autour de Une fois qu’on sait cela, on est un
trop embrasse, peu étreint, le peu soi, on peut les considérer comme un peu plus à même de comprendre la
ayant vite été remplacé par mal. flot de paroles très agréables dont on métaphore de notre expression.
Le verbe embrasser qui, au XIVe siècle, aimerait qu’il ne s’arrête pas. Quand, en argot, on dit de
voulait dire « serrer dans ses bras », Or, quand un flot arrête de s’écouler, quelqu’un qu’il est « bouché », c’est
a aussi un autre sens qui est « vouloir c’est que la source est tarie. non seulement pour dire que la na-
entreprendre quelque chose, s’engager Notre expression n’est donc qu’une ture ne l’a pas trop gâté sur le plan
dans, se lancer dans quelque chose » simple métaphore qui assimile les intellectuel, mais aussi pour signifier
(Il embrasse toutes les affaires qu’on éloges nombreux (et parfois mérités) qu’il est complètement hermétique,
lui propose) ; ce qui colle très bien à la à un flot qui ne tarit pas. au sens où aucune once d’intelli-
signification de notre expression. gence ne peut y entrer.
L’autre probable raison viendrait « Éloge vient du grec Hermétique ? Étanche ? Vous ve-
d’une allusion au jeune mâle en rut eulogia qui signifiait nez de comprendre ! Le « bouché à
qui, parce qu’il se disperse en s’atta- “louange” et dans lequel l’émeri » est comparable à ce réci-
quant à plusieurs cibles féminines à on retrouve eu, “bien, pient étanche duquel rien ne peut
la fois, finit par ne jamais rien accro- bon”, et logos “paroles”. » sortir, mais dans lequel, malheureu-
cher à son tableau de chasse. sement pour l’idiot, rien ne peut
rentrer non plus.
Q Ne pas tarir d’éloges Q Bouché à l’émeri
Q Une foire d’empoigne
Faire de très nombreux éloges. Idiot, obtus, borné. Incapable
de comprendre. Un affrontement public de
Éloge vient du grec eulogia qui signifiait
plusieurs personnes qui
« louange » et dans lequel on retrouve L’émeri est un matériau très dur qui
tentent d’obtenir un objet –
eu, « bien, bon », et logos « paroles ». sert d’abrasif depuis de nombreux
Un lieu de rivalités pour
Les éloges sont donc ces compliments siècles, mais qui n’est en aucun cas
obtenir un avantage.
que tout homme normalement un produit de bouchage.
constitué aime recevoir en quantité ; ces Autrefois, pour qu’un récipient soit Le verbe empoigner contient une
félicitations qu’on aime entendre après bouché de la manière la plus étanche déformation de poing et a d’abord
un acte de bravoure ou après avoir possible, on polissait à l’émeri l’ex- signifié « saisir fortement ». Il a en-
réussi un véritable défi par exemple. térieur du bouchon et l’intérieur du suite pris le sens familier de « retenir
(ou agripper) quelqu’un ».
C’est en 1773 qu’apparaît être de la
Q Nettoyer les écuries d’Augias foire d’empoigne avec un sens au-
Mettre en place des solutions radicales pour assainir un milieu jourd’hui inattendu, mais pas éton-
corrompu ou éradiquer des pratiques abusives. nant pour l’époque, puisqu’il voulait
dire « être porté aux attouchements
Dans la mythologie grecque, Augias, roi malhonnête et corrompu, possédait
grossiers à l’égard des femmes »
plusieurs milliers de bœufs parqués dans des étables qui n’avaient pas été net-
(in TLFi).
toyées depuis plus de trente ans.
Et, peut-être parce qu’une belle
Il ordonna à Héraclès (Hercule, dans la mythologie romaine), dont ce fut l’un des
femme attise les convoitises, cette
douze travaux, de les nettoyer en une journée et lui proposa un dixième de son
même expression a pris, au cours de
troupeau en paiement de son travail.
la seconde moitié du XIXe siècle, le
Héraclès détourna le cours de deux fleuves pour leur faire traverser les étables
sens de « lutter avec d’autres pour
et, ainsi, emporter en un instant la bouse et le fumier accumulés depuis si long-
s’emparer de quelque chose ».
temps.
C’est ainsi que la foire d’empoigne
Étonné, Augias refusa de payer Héraclès qui le trucida.
est d’abord devenue un lieu où l’on
Mais pourquoi parle-t-on des « écuries » d’Augias ? Probablement parce
s’arrache des objets avant, métapho-
que le mot se rapproche de curer, qui s’utilisait autrefois à la place de net-
riquement, de désigner une situa-
toyer pour des lieux comme des étables ou pour du bétail.
tion où plusieurs personnes tentent
Si l’appellation les écuries d’Augias seule désigne bien un lieu très sale, lors-
de s’arracher un avantage, typique
qu’on les nettoie, figurément, elles deviennent des pratiques abusives ou
de ce qu’on peut trouver chez les
des personnes critiquables qu’il faut remplacer coûte que coûte.
politiques, entre autres.
86 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 87
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
mal imaginées, le résultat peut être L’expression est généralement em-
catastrophique ou infernal (« l’en- Q Envers et contre ployée lorsque la promotion suit une
fer » de l’expression). tous/tout action (ou un ensemble d’actions)
Interprété autrement : gardez les brillamment réussie justifiant la ré-
En dépit de l’opposition
doigts de pieds en éventail, ne ten- compense.
générale, des nombreuses
tez surtout rien, même si vous en Ces accessoires ont, en liaison avec
résistances.
avez envie, car ça risquerait de vous la même époque, également donné
retomber dessus. Voilà un très bon Ici, envers n’est pas opposé à en- l’expression couper les éperons lors-
exemple pour les enfants ! droit. Lorsque le mot apparaît au qu’on excluait ou bannissait un che-
Ici, pavé est une métaphore an- Xe siècle, il a d’abord le sens de valier félon.
cienne pour signifier « recouvert « dans la direction de ».
complètement ». Un siècle plus tard, il signifie « à Q Ôter/Retirer une épine
Chez nous, cette expression n’est l’égard de (quelqu’un) », mais du pied
utilisée que depuis le XIXe siècle. également « contre », accep-
Délivrer d’une contrariété.
tion qu’il a conservée dans notre
Tirer d’embarras.
Q À l’envi expression qui est apparue au
XVe siècle sous la forme envers L’épine dans le pied peut en effet être
En rivalisant, avec émulation,
tous et encontre tous (on aura quelque chose de très désagréable,
à qui mieux mieux – Selon ce
aussi envers et encontre tous) alors, quand quelqu’un réussit à ex-
que chacun souhaite, désire.
qui renforce le sens de « contre traire la chose de la plante de votre
C’est au XIIe siècle que le mot envi tous » en le doublant. pied, c’est un sentiment immédiat
apparaît avec le sens de « défi au La forme actuelle date du de soulagement qui vous envahit.
jeu » ou de « provocation », en pro- XVIe siècle. C’est de cette réalité désagréable,
venance du verbe envier lui-même Celui qui agit envers et contre tous qu’au XVe siècle, l’épine au pied a pris
issu du latin invitare qui a également le fait en dépit des conseils qui lui le sens figuré de « difficulté », puis,
donné notre inviter. enjoignent de ne rien faire ou des plus tard, de « situation pénible » ou
On disait autrefois jouer à l’envi de oppositions, d’où qu’elles viennent. de « sujet d’inquiétude ».
quelqu’un lorsqu’on répondait à Ainsi, on peut défendre une opinion Lorsque l’expression apparaît sous sa
son invitation, à son défi. C’est d’ail- envers et contre tous ou bien proté- forme actuelle, au XVIe siècle, elle est un
leurs de cette participation à un défi ger quelqu’un envers et contre tous. peu plus forte qu’aujourd’hui, puisque,
qu’est née la notion de rivalité ou Le tous final désigne des hu- en 1640, Oudin écrit que il m’a tiré
d’émulation qu’on trouve dans le mains, les gens qui peuvent cher- une mauvaise épine du pied signifie
premier sens de notre locution. cher à empêcher l’acte, mais au plutôt « il m’a délivré d’une fâcheuse
Mais (presque) tout le monde ayant XXe siècle est apparue la forme affaire ou d’un grand danger ».
oublié l’origine du mot, et l’influence avec tout qui généralise l’opposi- On trouvera aussi la forme pronomi-
de l’homophone envie faisant dou- tion possible à n’importe quoi. nale se tirer une épine du pied pour
cement son œuvre, cette locution dire « surmonter une difficulté » ou
est souvent employée avec le second bien « se défaire d’un ennemi ».
sens proposé. Q Gagner ses éperons
Q Tirer/retirer son
Accéder à un statut social
Q S’envoyer en l’air épingle du jeu
supérieur. Obtenir une
Faire l’amour. situation plus élevée. Se dégager adroitement
Plus précisément, jouir. d’une situation délicate.
Si notre expression n’apparaît qu’au
Il y a belle lurette que l’extase sexuelle XIXe siècle, elle fait pourtant référence Cette expression date du XVIe siècle.
est associée à la métaphore de l’as- au Moyen Âge, lorsqu’un homme À cette époque, il existait quelques
cension vers le ciel. Est-ce qu’on ne devenait chevalier. jeux, d’enfants principalement, où
« plane » pas un peu au moment de En effet, généralement après une des épingles étaient utilisées. Mais
l’orgasme ? Et ne dit-on pas égale- action d’éclat qui le rendait digne de tirer, c’est aussi extraire, retirer,
ment monter au septième ciel ? son nouveau statut, on lui remettait, comme dans se tirer d’affaire, au
Cette forme argotique désignant le outre ses armes, une paire d’éperons, sens très proche de notre expres-
coït daterait du début du XXe siècle, symboles de sa montée en grade, élé- sion. Et le jeu n’est pas forcément
d’après Jean Lacassagne et Pierre vation à un plus haut niveau qu’on ludique : mettre quelqu’un en jeu,
Devaux dans leur Argot du milieu. retrouve dans notre métaphore. c’est le mêler à une affaire, à son
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88 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
insu ; et être en jeu, c’est être mis en de la déception de n’avoir pas dégai-
cause, être l’objet d’un débat.
Q Prendre la poudre né à temps la réplique qui tue et qui
Ce sont ces autres acceptions des
d’escampette met les rieurs de son côté, celle qui
mots qui composent l’expression S’enfuir. permet de briller en société.
qui permettent d’en comprendre ses Si Diderot a formalisé ainsi ce qu’il
Escampette est un diminutif de es-
sous-entendus lorsqu’elle n’est plus considérait comme un défaut, l’ex-
campe qui, au XVIe siècle, désignait la
seulement lue au premier degré. pression sous sa forme actuelle n’ap-
fuite, escampe étant lui-même issu du
Et puis, peut-on complètement élimi- paraît qu’au cours de la première
verbe escamper apparu au XIVe siècle
ner les connotations érotiques de cette moitié du XIXe siècle.
et synonyme vulgaire de fuir.
époque où épingle désignait le pénis ?
De nos jours, le mot escampette
Peut-être était-il important pour
n’est plus utilisé que dans cette locu-
Q Tomber/Rentrer dans
un homme en action de retirer son
tion qui date du XVIIe siècle.
l’escarcelle
épingle du jeu avant de prendre le
Quant à la poudre, on ne sait pas S’ajouter aux moyens
risque d’engrosser sa partenaire et
vraiment s’il s’agit de celle qui, en financiers (de quelqu’un).
de devoir en subir les conséquences,
explosant, provoque la fuite, ou plus
dont celles pécuniaires ? C’est chez les Italiens du XIIe siècle
probablement de la poussière du
qu’il faut partir pour trouver l’origine
chemin qu’était supposé soulever le
Q Jeter l’éponge fuyard en courant.
du mot escarcelle.
Au départ, il y a escars qui signifie
Abandonner, renoncer.
« avare », devenu ensuite scarso et
Q L’esprit de l’escalier
Les aficionados de la boxe savent parfai- d’où dérive scarsella qui désigne une
tement d’où nous vient cette expression. Le manque de repartie. bourse. Littéralement, la signification
En effet, dans ce sport, le manager de ce dernier est « petite avare » ; on
D’où vient donc cette appellation ?
du boxeur utilise une éponge (en comprend effectivement bien qu’un
Dans son ouvrage Paradoxe sur le
fait maintenant une serviette) pour, avare ait du mal à délier les cordons de
comédien écrit entre 1773 et 1778,
entre les rounds, essuyer son pou- sa bourse et que, par plaisanterie, cette
Diderot disait : « L’homme sensible
lain de la sueur et éventuellement du dernière, qu’on évite d’ouvrir à tort et à
comme moi, tout entier à ce qu’on
sang qu’il a sur le visage et le torse, travers, ait pris cette appellation.
lui objecte, perd la tête et ne se re-
et pour le rafraîchir. Et si jamais son Ensuite, au XIIIe siècle, on trouve le
trouve qu’au bas de l’escalier. »
protégé, au cours d’un round, se provençal escarcela et notre escarce-
Il voulait dire par là que si, au cours
fait massacrer sans demander grâce, le, d’abord écrite avec un seul l.
d’une conversation, on lui avait ob-
il jette sur le ring cette « éponge » Cette notion de bourse qui désigne un
jecté quelque chose, il en perdait
pour signifier l’abandon du combat. contenant d’argent s’est étendue plus
ses moyens et ce n’était qu’une fois
Cette expression est employée en tard au sens plus large de « moyens
sorti, arrivé en bas de l’escalier de
France hors du contexte de la boxe financiers » qu’on trouve dans notre
son hôte (donc trop tard), que la
depuis 1901, en traduction de l’an- expression.
réponse qu’il aurait dû faire lui venait
glais to throw up the sponge, utilisé
à l’esprit. L’escalier est ici le symbole
métaphoriquement depuis 1877. Q À bon escient
De manière appropriée. En étant
Q Passer l’éponge au courant de la situation.
Pardonner, ne plus évoquer des fautes commises. Les mots escient et sciemment sont
issus du verbe latin scire qui voulait
Nous voilà face à une belle métaphore ménagère dont la lointaine origine nous
dire « savoir ».
vient des fonds marins.
Autrement dit, tout ce qui tourne
En effet, l’éponge est d’abord un animal marin extrêmement primitif (sans
autour de ces termes indique que ce
organes). Sa capacité à absorber des liquides, tout en étant très souple, en a
que vous faites l’est en connaissance
fait un objet de pêche intensive depuis près de trois millénaires.
de cause.
L’éponge sert généralement à nettoyer quelque chose, le coup d’éponge
D’après le Dictionnaire historique
permettant d’effacer des traces plus ou moins indésirables.
de la langue française, au XIIe siècle,
Et c’est à partir de cette utilisation que, dès le début du XVIIe siècle, d’abord sous
à mon escient avait déjà le sens
la forme porter l’éponge, est née notre métaphore où l’usage virtuel d’une
de « en pleine connaissance de ce
éponge est une forme de pardon qui permet d’effacer ou d’oublier bien des
que je fais » et notre locution est
choses passées désagréables, des fautes commises ou des actes répréhensibles.
apparue au même moment avec
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TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 89
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Q Payer en espèces
Payer en argent liquide.
De nos jours, cette expression désigne le paiement en argent liquide par op-
position aux autres moyens modernes que sont les chèques, les virements ou
les cartes bancaires, par exemple.
Espèce vient du mot species qui, en latin classique, signifiait « vue, regard »,
mais aussi « apparence, aspect ». Au XVIIe siècle, espèces a un sens très large,
puisqu’il signifie simplement « choses » et payer en espèces, c’était payer
autrement qu’avec de l’argent (faire du troc ou payer en services). Pourtant,
bien avant, dès la fin du XVe, espèce au singulier avait déjà le sens de « pièce Le Changeur d’argent et sa femme, huile sur
panneau de M. van Reymerswale, 1539.
d’or ou d’argent ».
Ensuite, un mélange des deux sens a fait que payer en espèces est devenu synonyme de payer en argent, en pièces (les
billets n’étant pas considérés) puis, plus récemment, de payer avec de l’argent, quel que soit le support dudit argent.
90 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Q D’estoc et de taille
Q De derrière les fagots
De la pointe et du tranchant
de l’épée – De toutes les Précieusement conservé – Excellent, rare, exclusif, surprenant.
manières possibles – D’une qualité exceptionnelle.
À tort et à travers.
À l’origine, au XVIIIe siècle, cette expression s’appliquait au vin, celui qu’on
L’estoc était autrefois une épée remontait de la cave où il avait été soigneusement conservé, caché derrière
longue et pointue. Par métonymie, les fagots de bois stockés pour l’hiver.
du XVe au XVIIIe siècle, le mot a désigné Ce vin de qualité étant gardé pour les grandes occasions, la locution a fini
la pointe de l’épée. par se généraliser, dans un sens figuré, à tout ce qui est d’une très grande
Quant à la taille, c’est ce qui permet- qualité, ce qui est excellent, rare ou même surprenant.
tait de trancher, de tailler, c’est-à- Certains vignerons utilisent encore aujourd’hui des fagots de sarments
dire le tranchant de l’épée. de vigne qui sont placés devant les vannes d’écoulement, à l’intérieur des
Si férir d’estoc pour « frapper de la cuves de fermentation des vins rouges.
pointe de l’épée » existe depuis le Ces fagots permettent au jus de s’écouler tout en retenant les pépins de
IXe siècle, ce n’est qu’au XVe qu’ap- raisin et autres débris qui pourraient obstruer les pompes.
paraît notre expression, employée à Dans ce cas, c’est, au sens propre, du vin de derrière les fagots que l’on
propos d’individus qui se battent en obtient.
utilisant leur épée de toutes les ma-
nières possibles, en sous-entendant
la violence et l’acharnement mis
dans le combat.
Q Un étouffe-chrétien Q Sentir le fagot
Cette expression n’est plus employée Un mets d’une consistance Être mécréant, avoir des idées
dans le langage courant. Même si épaisse, étouffante, difficile trop libres en matière de
les deux autres sens métaphoriques à avaler. religion – Plus généralement,
proposés pourraient encore l’être, s’applique à toute personne,
Le « chrétien », ici, désigne simple-
leur usage a disparu. opinion ou œuvre générant
ment un être humain comme vous
On ne la trouve donc maintenant un scandale ou inspirant de
et moi, par opposition à l’animal.
que dans des récits évoquant des la méfiance, car susceptible
Il existe certains mets, des pâtisseries
périodes anciennes où le combat à d’être condamnable.
souvent, qui, pour être délectables,
l’épée était usuel.
n’en sont pas moins parfois un peu À une lointaine époque, en
difficiles à mâcher ou à avaler. l’absence de guillotine ou de chaise
Q Ne connaître ni d’Ève électrique, il fallait bien trouver un
ni d’Adam Q Ex professo moyen, extrêmement douloureux
N’avoir jamais entendu parler si possible, de trucider celui qui
En tant que spécialiste,
de quelque chose était condamné à mort. Des grands
personne maîtrisant le sujet.
ou de quelqu’un. feux étaient constitués de bûches
À l’origine, cette locution latine avait entourées de fagots de petit bois
Qui ne connaît Adam et Ève ? Le pre-
le sens de « ouvertement ». savamment entassés de manière à
mier homme et la première femme
Ici, ex a le sens de « selon » et pro- démarrer le feu et le propager aux
créés par Dieu, à l’origine de toute
fesso est issu de profiteri qui signifie bûches placées autour du poteau
l’humanité, donc de vous et de moi.
« déclarer ouvertement » (d’ailleurs, où, attaché, le condamné devait
Ne connaître quelqu’un ni d’Ève ni
je ne me gêne pas pour profiteri que vivre ses derniers instants.
d’Adam, c’est ne pas le connaître di-
j’aime les profiteroles !). De ce fait, les personnes ainsi traitées,
rectement, ni de réputation, ni par
Si la locution a la signification qu’on peu avant de passer de vie à trépas,
personnes interposées, même pas
lui connaît aujourd’hui, sans avoir sentaient inévitablement le fagot brûlé.
par les proches de la famille, aus-
besoin de posséder un doctorat C’est de cette pratique, très ap-
si loin qu’on puisse remonter dans
quelconque (en 1620, elle a com- pliquée aux hérétiques, que notre
cette famille, y compris en allant
mencé par vouloir dire « en expo- métaphore est née au XVIe siècle,
jusqu’à Ève et Adam, nos aïeuls les
sant doctoralement »), c’est pro- d’abord utilisée pour les personnes
plus anciens.
bablement en raison de l’influence de considérées comme mécréantes
Si la date d’apparition exacte n’en
la similitude apparente entre professo avant de s’étendre à tout ce qui
est pas connue, on trouve cette ex-
et professeur. est considéré comme subversif ou
pression dès 1700.
pouvant conduire devant la justice.
TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 91
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Si cette comparaison coule de Q S’inscrire en faux
Q Ne pas s’en faire source, il faut aussi y voir une cer-
(une miette) taine malice, puisqu’en argot le blé
Opposer un démenti, une
dénégation.
Ne pas s’inquiéter ou se faire désigne l’argent.
de soucis – Être insouciant. Et si la métaphore paraît évidente, Lorsque le verbe inscrire appa-
on peut tout de même noter qu’au raît au XIIIe siècle, il signifie « écrire
Notre locution est simplement une
XVIIe siècle, à une époque où les gens se quelque chose pour transmettre
ellipse familière de ne pas se faire de
promenaient encore avec des espèces l’information, en conserver le
soucis.
sonnantes et trébuchantes dans des souvenir » et, plus particulièrement,
Mais on trouve aussi parfois une
bourses pendues à la ceinture, le un siècle plus tard, « noter des noms
miette accolé à l’expression. Pour-
voleur « fauchait » lorsqu’il coupait la sur un registre ».
quoi ?
bourse et l’emportait. C’est de cette dernière acception
Si la miette est, depuis le XIIe siècle,
On retrouve là un lien avec deux des que s’inscrire s’emploie maintenant
le diminutif de mie pour désigner
sens argotiques de fauché puisque ce- non pas pour dire « écrire sur soi une
d’abord les tout petits bouts qui
lui à qui on a fauché (volé) sa bourse information quelconque » comme
tombent du pain quand on le rompt,
est sans le sou (il est donc fauché). on pourrait le croire d’après le sens
puis, au XVIe siècle, par extension,
initial, ce qui ne servirait pas à grand-
de petits morceaux de n’importe
chose, mais « faire le nécessaire
quoi, le mot a également eu le « Fauché est une simple pour que son nom soit noté dans
sens de « un tout petit peu », en métaphore qui assimile une liste ». Et c’est ainsi que, de nos
rapport avec la taille moyenne d’une l’état du portemonnaie jours, on s’inscrit en fac ou sur une
véritable miette. de la personne totale- liste électorale, par exemple.
Avec cet ajout l’expression est à com- ment démunie à celui du L’expression s’inscrire en faux, qui
prendre comme « ne pas se faire de champ complètement est citée dès le début du XVIIe siècle,
soucis, même pas un tout petit peu ». fauché . » voulait alors dire « Soustenir en
Justice qu’une piece que la partie
Q Embrasser/Faire Fanny adverse produit, est fausse » (Dic-
Perdre une partie sans Q Une faim de loup tionnaire de l’Académie française,
marquer de point. 1694). C’est un peu plus tard, au
Une très grande faim.
cours du même siècle, qu’une fois
D’abord utilisée uniquement à la fin
Le loup a une place très impor- suivie de contre quelque chose, elle
d’une partie de boules, cette expres-
tante dans les contes, légendes et a également pris le sens figuré de
sion qui date du début du XXe siècle
mythologies des pays européens. « opposer un démenti » qu’on lui
s’emploie aussi plus généralement à
L’origine de notre expression est connaît aujourd’hui.
la fin d’un jeu quelconque où on n’a
facile à comprendre : la faim qui
marqué aucun point.
Dans les pays rhônalpins, Fanny était
tenaille est « dévorante », autant Q Être un fayot
que le loup est réputé dévorer ses
un panneau de bois représentant une Faire du zèle. Chercher à
proies.
femme exhibant son « popotin » et se faire bien voir de son
Cette expression, sous sa forme
que les joueurs ayant perdu la partie supérieur/enseignant.
actuelle, n’est attestée que depuis
sans rien marquer devaient embrasser.
le XIXe siècle. Ce terme de fayot est apparu dans
Mais le symbole de voracité et l’argot de la marine militaire en
Q Fauché (comme les blés) méchanceté qu’est le loup depuis 1833 pour désigner le matelot qui se
Très pauvre, ruiné. très longtemps avait fait naître des rengage.
variantes bien avant puisqu’au À cette époque, le haricot (ou fayot)
Fauché, à l’origine participe passé
XVIIe siècle, par exemple, on disait était une légumineuse très souvent
du verbe faucher, est une simple
manger comme un loup. servie au repas à bord.
métaphore qui assimile l’état du
Plus généralement, loup a une Ensuite, le marin, ne sachant rien
portemonnaie de la personne tota-
valeur intensive qu’on retrouve faire d’autre ou bien aimant réelle-
lement démunie (il n’y reste rien) à
aussi dans un froid de loup, tout ment son métier et la discipline qui
celui du champ complètement fau-
aussi glacial que celui « de ca- s’y rattache, ne faisait en général
ché (il n’en reste rien).
nard » même si le volatile n’est que se rengager dès son contrat pré-
Selon Gaston Esnault, elle date de 1877.
pas connu pour agresser les bre- cédent terminé et une opportunité
Quant à son extension avec comme
bis et les petits chaperons rouges. d’embarquement ouverte.
les blés, elle serait apparue en 1899.
QQQ
92 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
On a donc, par plaisanterie, considé- la dépensant à acheter des quantités Elle permettait, lorsqu’elle était lan-
ré qu’il revenait à bord aussi souvent de choses sans intérêt ou inutiles. cée avec suffisamment de force,
que les fayots revenaient au menu. La version de 1762 du Dictionnaire de préparer d’un seul coup une
Ce qui explique ce surnom. de l’Académie française nous signale brochette de quelques combat-
Ensuite, ce terme s’est étendu à tout qu’on disait déjà à cette époque tants ennemis lorsque ceux-ci se
militaire se rengageant, en y ajou- « un homme ne jette rien, ne jette trouvaient juste les uns derrière les
tant un soupçon de mépris. point son bien par les fenêtres » autres.
À la fin du XIXe siècle ou au début du pour dire « il ne fait point de folles La lance est donc un objet péné-
XXe, selon les sources, l’origine réelle dépenses ». trant, comme est supposée l’être
étant un peu oubliée, le fayot est Cette expression date donc proba- « la partie avancée d’un dispositif
finalement devenu, d’une manière blement de la fin du XVIIe ou du début militaire », cette dernière devant pé-
générale et dans tous les milieux, ce- du XVIIIe siècle. nétrer les lignes ennemies soit pour y
lui qui fait un peu trop de zèle, qui faire quelques dégâts préparatoires,
cherche trop à plaire à ceux qui ont soit pour préparer le terrain au reste
le pouvoir en leur manifestant une Q Croire dur comme fer des troupes.
certaine servilité. La métaphore initiale, qui ne date
Croire très fermement, sans
pourtant que du début du XXe siècle,
pouvoir être détrompé.
Q Cherchez la femme ! soit bien après l’usage des lances
On peut facilement imaginer au combat, est donc tout à fait
Cherchez celle qui est la
qu’une expression du genre croire compréhensible.
cause d’un événement
mou comme fer n’aurait pas été
fâcheux.
comprise aussi intuitivement que Q Un fesse-mathieu
Tout homme qui a suffisamment celle qui nous importe cette fois-ci.
Un usurier ou un avare.
vécu sait que, lorsqu’il y a quelque En français, fer (venu du latin fer-
part des bisbilles dans un groupe rum) désigne d’abord une épée, Le terme fesse employé ici vient
d’individus, des empêchements avant, à la fin du XIe siècle, de du verbe fesser qui, au XVe siècle, a
agaçants ou même un crime, c’est désigner le métal lui-même. d’abord signifié « battre avec des
la plupart du temps parce qu’une C’est au cours du XIIIe siècle que, verges ». Ce n’est que plus tard que
femme est au milieu. au figuré, fer prend aussi la le verbe, par rapprochement avec la
C’est probablement parce qu’il connotation de « très robuste » fesse que nous connaissons, a pris
connaissait bien les femmes, puis « inébranlable ». son sens moderne.
qu’Alexandre Dumas père, dans Les C’est ce sens figuré qu’on re- Venons-en maintenant à Mathieu. Il
Mohicans de Paris, fait dire à un de trouve dans notre expression s’agit en fait de saint Mathieu, l’un
ses personnages, Joseph Fouch, po- (une croyance inébranlable) qui des douze apôtres et, accessoire-
licier de son état : « Il y a une femme date du milieu du XVIIIe siècle, ment, un des quatre évangélistes.
dans toutes les affaires ; aussitôt sens amené par la dureté du fer Et c’est parce qu’on dit qu’avant
qu’on me fait un rapport, je dis : trempé qui servait à fabriquer les de se convertir, il fut publicain (per-
“Cherchez la femme.” » armes blanches ou les armures. cepteur des impôts) mais aussi prê-
Si l’on n’est pas tout à fait certain teur, que les usuriers étaient appelés
qu’il soit l’inventeur de la formule, « confrères de saint Mathieu ».
il a incontestablement contribué à Q Le fer de lance Si c’est dès le milieu du XVIe siècle que
la populariser dans ce XIXe siècle où mathieu désigne d’abord un créancier,
Partie avancée et offensive
la misogynie était un petit peu plus fesser Mathieu signifiait « prester à
d’un dispositif militaire –
répandue qu’aujourd’hui. usure » au XVIIe (selon Antoine Oudin).
Par extension : Partie d’un
D’après Alain Rey, il faudrait alors
dispositif qui agit directement
Q Jeter l’argent par les comprendre que le fesse-mathieu,
et efficacement contre un
fenêtres celui qui fesse saint Mathieu, est l’in-
adversaire ; ce qui, dans
dividu qui, pratiquant indignement
Être extrêmement dépensier. un ensemble, est le plus
son premier métier, mettait à mal la
dynamique, le plus important.
L’image que véhicule cette expres- réputation de l’apôtre. Et comme la
sion se comprend très aisément : Une lance était une arme constituée mise à mal pouvait s’assimiler au fait
celui qui jetterait son argent par les d’une longue hampe à l’extrémité de battre (avec ou sans verges), cela
fenêtres de son logement gaspillerait de laquelle se trouvait une pointe en expliquerait l’utilisation du verbe fes-
aussi stupidement sa fortune qu’en métal. ser dans son acception initiale.
TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 93
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
94 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
partie bien, en partie mal ». Au XVIe,
Guillaume Postel évoque une troupe Q Un fil d’Ariane
de soldats moitié figue, moitié rai-
Un moyen de se diriger au
sin pour dire qu’elle est composée à
milieu des difficultés. Une
moitié de musulmans et à moitié de
voie à suivre pour arriver
chrétiens.
à un résultat difficile à
D’après le Dictionnaire de l’Acadé-
atteindre. Un guide entre
mie française, c’est au XVIIe siècle
deux points difficiles à relier.
qu’elle prend le sens utilisé encore
aujourd’hui en y ajoutant en Voilà une expression qui nous ren-
parallèle la signification « moitié de voie une fois de plus à la mytholo-
gré, moitié de force ». gie grecque. Il y a en Crète, dont
L’apparition du mi au lieu de moitié le roi est Minos, un labyrinthe au
est plus récente : on la trouve dans fond duquel le Minotaure, mons- Thésée et le Minotaure dans le labyrinthe,
des ouvrages du début du XIXe siècle. tre à corps d’homme et à tête de dessin crayon et encre de Edward
Burne-Jones (1833-1898).
taureau, dévore chaque année
Q Tuer un âne à coups de sept garçons et sept filles qu’Athènes livre en Crète pour prolonger la paix
figues (molles) avec Minos.
Afin de faire cesser l’envoi de ce fâcheux tribut, Thésée se propose d’aller
S’attaquer à quelque chose
tuer le Minotaure, le problème étant, si la mission réussit, d’arriver à retrou-
de très (trop) long ou
ver la sortie du labyrinthe.
d’impossible.
Heureusement, Ariane, la fille de Minos et demi-sœur du Minotaure, tombe
Voilà une expression dont l’expli- amoureuse de Thésée lorsqu’il arrive en Crète.
cation sera lapidaire puisqu’il y est Aidée par Dédale, le concepteur du labyrinthe (et accessoirement le père
question de lapidation. d’Icare), elle propose alors à Thésée de dérouler une bobine de fil dont l’ex-
Les figues étant des fruits du Sud, trémité est attachée à un des linteaux de l’entrée, fil dont il suffira de suivre
puisque le figuier est caractéristique les méandres au retour pour se retrouver à l’air libre.
du bassin méditerranéen, c’est du Et effectivement, une fois le Minotaure trucidé, Thésée ressort du labyrinthe
sud de la France que nous vient cette grâce au fil de la gentille Ariane.
expression à la fois amusante et ima-
gée dont l’origine est limpide : la
le nez au milieu de la figure, ce qui le fil est un symbole de la continuité
figue étant un fruit mou, prétendre
n’est généralement pas l’effet voulu (au fil de l’eau, au fil des ans…).
arriver à trucider un âne en l’en bom-
(sauf sur certains types de vêtements Et ce fil qui, lorsqu’on le suit, finit
bardant est évidemment une opéra-
comme les jeans, par exemple). toujours par mener à l’aiguille dans
tion qui va soit prendre beaucoup de
La métaphore est donc facile à com- le chas de laquelle il est passé, est,
temps, soit, et c’est plus probable,
prendre. Le fil blanc rejoint ici les par métaphore, comparé aux propos
être carrément impossible.
grosses ficelles qui, par rapport aux qui se suivent, lorsque l’un amène
On trouve aussi le temps de tuer un
procédés, ont la même signification. logiquement le suivant, lorsqu’il n’y
âne à coups de figues qui veut dire
Cette expression est attestée depuis a pas changement brutal de sujet,
« très longtemps » voire « infiniment
la fin du XVIe siècle. lorsqu’une certaine continuité est
longtemps ».
respectée.
Q De fil en aiguille Par extension, on utilise aussi cette
Q Cousu de fil blanc expression en l’appliquant à des évé-
En passant d’un propos
Très grossier et visible (pour nements qui se succèdent de ma-
à un autre, d’une chose
un procédé). Extrêmement nière logique, sans rupture.
à une autre qui lui fait suite.
prévisible (pour une histoire).
Cette expression n’est pas vraiment Q Des grosses ficelles
Cette expression vient du fait que
récente puisqu’elle est attestée dès
toute couturière qui se respecte sait Des procédés grossiers,
1280 dans Le Roman de la rose.
parfaitement que, pour qu’une cou- très visibles.
Le fil et l’aiguille étaient autrefois des
ture soit la plus discrète possible,
objets et occupations suffisamment Vous connaissez tous l’expression les
il faut qu’elle soit faite avec un fil
typiques de la gent féminine pour qu’ils ficelles du métier qui désigne des pro-
exactement de la même couleur que
soient très fréquemment évoqués. cédés, plus ou moins secrets, propres
le tissu ; sinon, elle se voit comme
Depuis très longtemps également, à la maîtrise du métier en question.
QQQ
TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 95
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Cette expression avait autrefois un l’atteindre, qu’ils soient répréhen- Mais un doute plane sur cette hypo-
sens péjoratif, ce qui n’est plus vrai- sibles ou non. Autrement dit, l’es- thèse.
ment le cas maintenant. On disait sentiel est d’arriver au but visé, peu Une autre explication viendrait du
d’ailleurs les ficelles d’un art pour importe les moyens utilisés. monde de la typographie où, depuis la
désigner les artifices grossiers qu’on Pour les uns, il faut attribuer cette fin du XIXe siècle, le flan est un morceau
y employait. phrase à Nicolas Machiavel (1469- de carton recouvert d’un enduit épais,
Ficelle comme fil est un mot qui, dans 1527) qui l’a appliquée principale- destiné à recevoir en creux l’empreinte
un emploi métaphorique, était ainsi ment à la politique. Cependant, il d’une composition et nécessaire pour
utilisé en liaison avec la tromperie. n’a jamais écrit la phrase sous cette fabriquer le cliché qui sert ensuite à la
Faire de la ficelle à quelqu’un si- forme, même si elle est un condensé reproduction du livre.
gnifiait « le tromper », vieille ficelle de l’interprétation de ses écrits. Mais rien n’explique vraiment pour-
signifiait « vieux malin » et tirer Pour les autres, l’auteur est Philippe quoi rond et pourquoi deux.
les ficelles s’emploie aujourd’hui van den Clyte (1445-1509), seigneur Une dernière hypothèse, un peu ca-
encore dans le sens de « manipu- de Commynes, l’homme qui trahit pillotractée, viendrait de la perte du
ler », en pensant, bien sûr, à celles Charles le Téméraire pour se mettre c de flanc : les deux ronds de flanc
qui permettent de faire bouger les au service de Louis XI. seraient une hyperbole pour dési-
marionnettes. gner les fesses. Celui qui serait ébahi
Les « ficelles du métier » se doivent Q Le fin du fin serait alors « sur le cul ».
d’être discrètes, mais si elles s’épais-
Ce qu’il y a de plus raffiné
sissent au point de devenir de
dans le genre. Tout ce qui
« grosses ficelles » bien visibles, c’est Q Tirer au flanc/au cul
peut en être tiré.
que les procédés sont grossiers, au
Éviter le travail, les
point de devenir cousus de fil blanc. Notre fin est un adjectif qui, depuis
corvées.
1080, s’applique à ce qui représente
Q En/À la file indienne la perfection (parce que la perfec- Cette expression nous viendrait
tion est le maximum de ce qui peut du milieu militaire, à la fin du
L’un derrière l’autre.
être atteint, le point extrême ou la XIXe siècle.
En se suivant un à un.
fin…). Dans une armée en ordre de
Parfaitement synonyme de à la On le retrouve dans les fines herbes, bataille, celui qui se trouvait au
queue leu leu, cette expression date la fine fleur ou, pour ceux qui aiment front et voulait se mettre à l’abri
du XIXe siècle. les huîtres, les fines de claire. se déportait vers le flanc : il était
Elle vient de l’engouement qui L’expression doit être comprise alors plutôt mal vu par ses petits
existait à cette époque pour les ré- comme « ce qui est le plus fin de ce camarades.
cits d’Indiens d’Amérique du Nord qui est déjà très fin » ; autrement dit, Par extension, celui qui se faufile
(comme Le Dernier des Mohicans ce qui se fait de mieux dans la per- en douce vers le côté pour éviter
de Fenimore Cooper), dans lequel fection, si tant est qu’il puisse y avoir quelque chose, le paresseux qui
ils étaient décrits comme se dépla- des niveaux dans la perfection. veut en faire le moins possible est
çant, dans certaines circonstances, devenu le tire-au-flanc, sens qui
les uns derrière les autres, « en file Q En rester comme deux s’est ensuite répandu très large-
indienne ». ronds de flan ment hors du monde militaire.
Tirer au cul (dans une version plus
Être stupéfait, ébahi.
Q La fin justifie les vulgaire), c’est aussi se dérober,
moyens Une première explication concernant mais vers l’arrière cette fois.
cette expression viendrait d’un mot Le verbe se tirer veut dire « s’éloi-
Vouloir atteindre un but
du XIVe siècle, flaon ou flan, un disque gner » ou bien « s’enfuir ».
précis autorise et justifie
de métal qui une fois frappé devenait Certains dictionnaires anciens
l’emploi de n’importe quel
une pièce de monnaie ou une mé- proposent une autre explication
moyen pour y arriver.
daille. Et tout comme on « frappe » pour le flanc en faisant un lien
Fin est ici à prendre dans son sens de une monnaie, on peut être frappé avec les animaux qui se couchent
« objectif » ou de « but qu’on veut de stupeur. On aurait donc ici un jeu sur le flanc pour se reposer. Cette
atteindre ». de mots utilisant le double sens de expression s’est rapidement subs-
Et ce proverbe, pour le moins im- frapper, les deux ronds de la mon- tantivée en tire-au-flanc pour dé-
moral, justifie que tous les moyens naie correspondant aux yeux grands signer celui qui tire au flanc.
possibles soient employés pour ouverts d’étonnement.
96 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 97
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
un traître en puissance, traître qu’on qui peut se payer des bottes à la place Aujourd’hui, le mot for ne s’emploie
appelait alors un foie blanc). de sabots est forcément plus aisé. plus que dans notre locution qui
Outre les foies blancs, on a aussi uti- Sans compter qu’une botte peut se limite à signifier « dans le secret
lisé avec le même sens avoir les foies être utilisée pour dissimuler des pe- de sa pensée », sans être obliga-
bleus ou avoir les foies verts (tout tits objets importants ou précieux toirement associé à une notion de
comme on peut être vert de peur), qui, accumulés, pouvaient constituer jugement.
couleurs opposées au rouge. un tas ou une « meule » à la valeur
importante. Q Les bonnes fortunes –
Q Mettre/Avoir du foin L’amalgame de toutes ces signifi- À la fortune du pot –
dans ses bottes cations a conduit au sens de cette Une fortune de mer
expression.
Accumuler/avoir beaucoup Les conquêtes féminines –
d’argent. Sans façon, à la bonne
Q En son for intérieur franquette – Un accident
Autrefois, les paysans avaient pour
Dans l’intimité de sa survenant à un navire.
habitude de mettre de la paille (ou
conscience.
du foin pour les plus riches) dans À l’origine, le mot fortune désignait
leurs sabots pour avoir moins froid Forum, en latin, désignait un lieu pu- « le sort ». Être en bonne fortune
aux pieds. blic, place ou marché, où se discu- voulait d’abord dire « avoir de la
Au XVIIe siècle, Furetière citait déjà taient aussi bien les affaires publiques chance » puis « avoir de la chance,
l’expression il a bien mis de la paille que privées, ce qui explique que le donc du succès auprès des femmes ».
dans ses souliers, employée à propos, mot ait aussi pris le sens de « tribu- Ainsi, au XVIIe siècle, les « bonnes
non d’un paysan, mais d’une personne nal », lieu où était rendue la justice. fortunes » étaient les faveurs que les
de l’administration qui s’en mettait Le for est issu de forum au début du femmes accordaient à leurs amants,
plein les poches souvent illégalement. XVIIe siècle, avec la dernière acception une fortune étant une rencontre ga-
Depuis très longtemps, on a cou- citée, en ne s’appliquant d’abord lante. Cette forme s’est spécialisée
tume de dire qu’on garde son qu’à la juridiction ecclésiastique. au XVIIIe, désignant les succès obte-
argent « au chaud » lorsqu’on veut Quant au for intérieur, il désignait à nus auprès des femmes prudes.
le mettre de côté. l’époque ce qu’on appelait « le tri- Au XVIIIe siècle, le pot suspendu
Il y a donc un lien entre la « cha- bunal intime de la conscience », cha- dans l’âtre contenait le plat du jour.
leur » procurée par le foin et l’argent cun jugeant en secret ses actes selon Un visiteur pouvait donc, selon sa
accumulé. ce que lui dictait sa conscience. « fortune », tomber sur un plat
Botte, de plus, est un mot à double C’est à partir du XVIIIe siècle que le succulent ou infâme, mais, ses
sens pour qui pense à la richesse : il for extérieur, locution maintenant hôtes n’ayant pu s’y préparer, il était
peut désigner une « meule » de foin, désuète, a qualifié la juridiction ci- invité à la bonne franquette. D’où
grande quantité dont dispose le pay- vile, le for intérieur gardant son sens l’expression à la fortune du pot qui,
san riche ; il rappelle aussi que celui précédent. de nos jours, toujours avec cette
idée, a aussi une connotation de bon
accueil et de chaleur humaine.
Q En bonne et due forme Enfin, si une fortune de mer a au-
jourd’hui un sens juridique très précis
Dans les règles.
(lié à un accident maritime « fortuit »),
La forme qui nous intéresse désignait d’abord les manières courtoises en au XIIIe siècle, fortune de mer s’em-
société, les convenances. ployait à propos de tout événement sur
Au XVIe, forme s’applique à la manière d’agir selon des règles convenues. l’eau, puis est devenu au XVIe synonyme
Sous l’influence de son sens « aspect », forme se spécialise en tant que de tempête ou naufrage.
terme juridique avec les sens de « aspect extérieur d’un acte juridique » qui Mais comme les malheurs d’un na-
n’est pas vraiment loin de « l’aspect qui respecte des règles ou des normes vire pouvaient aussi être des actes de
bien précises ». piraterie, au XIXe siècle, la fortune de
Nous avons donc toujours affaire à des règles, que ce soient celles du com- mer a, selon Bescherelle, eu égale-
portement en société ou celles à respecter dans un acte juridique. ment le sens de « prise faite par des
On trouve ensuite en bonne forme au XVIIe siècle, chez Molière, entre autres, pirates en temps de guerre ».
et c’est en 1700 qu’apparaît l’expression encore utilisée aujourd’hui.
Si le sens de bon ne laisse aucun doute, le due (bien issu du verbe devoir)
vient le renforcer en indiquant ce qui doit être, ce qui est nécessaire.
98 TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
TIMBRÉS DE L’ORTHOGRAPHE 99
1 001 EXPRESSIONS PRÉFÉRÉES DES FRANÇAIS
Dans certaines régions, l’expression C’est par une plaisanterie un tanti- Selon le Dictionnaire des expressions
s’emploie aussi pour dire « avoir net douteuse que ces mouvements et locutions figurées, dans cette
un pantalon trop court », peut-être ont été assimilés à celui du sucrage métaphore, frein représente ce qui
parce que pour marcher dans les des fraises pour donner naissance à bloque l’élan de celui qui aimerait
sous-bois humides, il vaut mieux re- notre expression. bien exprimer ses sentiments. Et
monter son pantalon si on ne veut Cette expression ne semble être at- ronger est associé à cette énergie
pas le tremper. testée qu’au tout début du XXe siècle, contenue qui devient corrosive et
mais date probablement de la fin du mine l’intérieur.
Q Ramener sa fraise siècle précédent.
Arriver (en parlant d’une Q Avoir la frite/la
Q À la bonne franquette
personne) – Se manifester de patate
manière importune – Montrer Sans façons, simplement.
Être en très bonne forme,
une attitude prétentieuse.
Cette expression est très souvent avoir du tonus.
Cette expression argotique date du associée à une invitation, lorsque
C’est à cause de sa forme plutôt
début du XXe siècle. l’hôte fait savoir à ses invités qu’il ne
ronde que, en argot du début
À l’origine, elle voulait dire mettra pas les petits plats dans les
du XXe siècle, la pomme de terre,
« rouspéter » ou bien « ronchonner, grands.
donc la patate, a été assimilée à la
puis son sens a évolué. Au milieu du XVIIe siècle, on disait à la
tête (comme la poire auparavant).
Dans tous les cas, la fraise qui nous franquette, la forme actuelle n’étant
Sans que ce soit certain, c’est pro-
intéresse ici n’est qu’une des très apparue qu’un siècle plus tard.
bablement parce que celui qui
nombreuses dénominations de la La signification initiale était « en
est en bonne forme a une bonne
tête avec cafetière, tronche… ou toute franchise », franquette étant
« patate » que, en passant par
bien, pour rester dans les fruits, un mot dérivé de franc venu des ré-
une forme comme il a une sacrée
poire, pomme… gions normandes et picardes. Cette
patate, on est arrivé à il a la patate
C’est pourquoi on comprend aisé- franchise s’est progressivement
qu’on peut comprendre comme
ment le premier sens proposé in- transformée en simplicité pour don-
« l’apparence de sa patate montre
diquant que lorsqu’une personne ner le sens actuel.
qu’il est en bonne forme ».
amène ou ramène sa fraise, c’est Claude Duneton ajoute que cette
Quant à la frite, elle en découle
qu’elle arrive ou revient. expression aurait pu apparaître en
assez logiquement, mais plus tard,
Par extension, celui qui intervient de opposition à celle du XVIe siècle, à
dans les années 70. C’est en effet
manière inopportune dans une dis- la française, qui voulait dire « avec
à partir de 1950 que frite, comme
cussion, par exemple, y arrive et y beaucoup d’obligeance et d’arran-
patate, devient synonyme de tête.
ramène donc aussi sa fraise. gement » et même « luxueuse-
Ensuite, l’influence de avoir la pa-
Si on y rajoute une connotation iro- ment ».
tate a fait le reste.
nique (« il ramène sa fraise, mais il
n’y connaît rien et il ferait mieux de Q Ronger son frein
se taire »), on rejoint l’attitude pré-
tentieuse.
Réprimer avec peine son Q Tout le saint-frusquin
impatience, son dépit, sa
Une ellipse de cette expression est Tout ce qu’on a d’affaires,
colère (faute de pouvoir
tout simplement la ramener. tout ce que l’on possède – Par
l’exprimer).
extension : tout le reste.
Q Sucrer les fraises Cette expression datant de la fin du
Si la locution est attestée en 1710,
XIVe siècle fait allusion à la plus belle
Être pris de tremblements, en d’abord sans trait d’union, le mot
conquête de l’homme : le cheval.
particulier aux mains – Être frusquin seul est signalé en 1628
En effet, le frein n’est ici rien d’autre
gâteux. où, en argot, il désigne des vête-
que le mors, cette pièce généra-
ments. Il en reste le mot frusques
Le geste qui consiste à secouer une lement métallique placée dans la
toujours employé avec le même
cuillère de sucre au-dessus des fraises bouche de l’animal et qui, reliée aux
sens, plutôt péjoratif, appliqué à des
rappelle malheureusement celui qui rênes, sert à le diriger.
mauvais habits, des hardes ; le mot
agite les membres de personnes, gé- Or, que fait un cheval qui s’impa-
frusquin n’est plus utilisé isolément
néralement âgées, atteintes d’une tiente en attendant le retour de son
et n’apparaît plus que dans notre
maladie dégénérative qui provoque maître ? Il « ronge son frein », faute
expression.
des tremblements incontrôlés. de choses plus intéressantes à faire.
QQQ
Q Sans crier gare Pour clope, il semble que l’origine soit C’est de cette réputation que l’ex-
Sans prévenir, sans avertir. encore plus obscure. Le mot, apparu au pression est née, ainsi que la lo-
Inopinément, à l’improviste. masculin au tout début du XXe siècle, a cution parler en gascon – qu’on
d’abord désigné un mégot, avant de pourrait aujourd’hui traduire par
Gare est une interjection qui date du
changer de sexe au milieu du siècle « raconter des craques » –, et le mot
XIIe siècle, autre forme de guar qui
pour désigner la cigarette entière. gasconnade que le regretté Maître
voulait dire « prends garde ».
La seule explication proposée pou- Capello aurait pu remplacer par un
Il ne faut en effet pas oublier que
vant tenir un peu la route vient fanfaronnade de bon aloi et placé à
lorsqu’on intime l’ordre à quelqu’un
d’Émile Chautard qui signale qu’à la bon escient.
de prendre garde (ou de « se ga-
fin du XIXe siècle existait l’argotique
rer »), c’est pour lui conseiller de
laisser passer quelqu’un ou quelque
cicloper qui voulait dire « étêter », Q Il y a de l’eau
chose, de se mettre sur le côté, de se
mais surtout « couper », sens qui dans le gaz
nous intéresse ici. En effet, le clope,
mettre à l’abri, de prendre garde à L’atmosphère est à la dispute.
issu du verbe, aurait alors désigné un
une éventualité fâcheuse. Des querelles se préparent.
morceau de ces cigarettes fraîche-
Autrement dit, celui qui crie
ment roulées que se partageaient La première origine de cette méta-
« gare ! » intime aux présents de
parfois les fumeurs en les découpant phore, du début du xxe siècle, est
faire attention à ce qu’il pourrait se
en deux ou plusieurs parties. La dé- pour ceux qui ont fait déborder une
produire et d’éviter d’avoir à en subir
nomination se serait ensuite réduite casserole d’eau posée sur une cuisi-
les éventuelles conséquences.
à la désignation du mégot avant de nière à gaz : de la vapeur d’eau se
Et celui qui surgit sans crier gare le
s’étendre à la cigarette entière. produit d’abord, puis, la flamme
fait sans prévenir, par surprise.
s’éteignant, le gaz qui s’échappe
Si la forme actuelle de l’expression
date du début du XIXe siècle, la forme
Q Une offre/promesse risque de provoquer une explosion.
sans dire gare existait auparavant
de Gascon Autrement dit, ça commence par
fumer, puis ça explose, exactement
depuis le début du XVIe. Une offre peu sérieuse/Une
comme lors d’une dispute !
promesse dont on sait qu’elle
La seconde, évoquée par Claude
Q Fumer une sèche/une ne sera pas tenue.
Duneton, vient du fait que le gaz
clope de houille, dans les habitations
Cette expression nous vient du
Fumer une cigarette. XVIe siècle, à une époque où, et autrefois, comportait un fort taux
depuis longtemps, les habitants de de vapeur d’eau. Dans certaines
Rigaud, dans son Dictionnaire du jar-
la Gascogne étaient réputés faire conditions, cette vapeur d’eau se
gon parisien publié en 1878, indique
d’excellents et courageux soldats. condensait et finissait par créer
que la sèche était la cigarette de ma-
C’est peut-être à cause de ces qua- des poches d’eau dans les canali-
nufacture, ce beau tuyau rempli de
lités reconnues, mais aussi trop sations, en les obstruant. Il y avait
tabac parfaitement cylindrique fabri-
souvent vantées et exagérées par donc à ce moment-là, et réellement,
qué en usine, par simple opposition
les Gascons eux-mêmes, que ceux- de l’eau dans le gaz, phénomène
à l’informe cigarette roulée dont le
ci étaient considérés comme des qui était annoncé par une flamme
papier, collé à la salive, était en par-
hâbleurs auxquels on ne pouvait pas orangée avant qu’elle ne s’éteigne
tie humide.
vraiment faire confiance. complètement.
Q Tomber comme
à Gravelotte Q De gré ou de force
Spontanément ou par la contrainte. Sans prendre en compte la
Pleuvoir très fort – Tomber
volonté de celui qui aura à faire ou à subir quelque chose – De
en grandes quantités ou de
toute façon.
manière très rapprochée.
Faire faire quelque chose à quelqu’un « de force », c’est le contraindre ; c’est
Au cours de la bataille qui eut lieu
donc « forcément » déplaisant pour lui, comme l’indique le second sens.
du 16 au 18 août 1870, opposant
Gré nous vient au Xe siècle du latin gratum désignant quelque chose qui plaît,
la France (le maréchal Bazaine) à la
qui est agréable (et justement, agréable a la même racine, ainsi que agréer).
Prusse (le maréchal von Moltke), les
Le mot a d’abord le sens de « consentement », puis, un siècle plus tard envi-
balles et les obus d’artillerie tom-
ron, de « reconnaissance » (je vous en sais gré apparaîtra au XIIe).
baient avec une telle densité que
S’il ne s’emploie plus isolément, gré fait partie de plusieurs locutions, dont
les participants à cette petite bou-
de gré, encore utilisées aujourd’hui, ne serait-ce que dans notre expression,
cherie en ont été très impression-
qui apparaît en 1080 pour dire « spontanément ».
nés, au point que, renforcée par le
nombre très important de pertes
(les hommes tombaient comme (ou « sodomiser » pour les oreilles Q Une grenouille
des mouches), notre métaphore en chastes). Ce mot est en fait issu de de bénitier
est née. l’occitan empapautar, légèrement
Une personne qui manifeste
Avec le temps, elle ne s’emploie pas plus raffiné car il veut normalement
une dévotion outrée.
que pour la pluie, mais aussi lorsque dire « rouler » ou « arnaquer ».
Un(e) bigot(e).
diverses choses (généralement non
souhaitées) se succèdent rapide- Q Le Grenelle de… Cette appellation est quelque peu
ment, comme des statistiques indé- péjorative. Elle désigne toutes ces
Un débat multipartite,
sirables, par exemple. personnes trop croyantes qui passent
normalement suivi d’un
Il est intéressant de préciser que la une bonne partie de leur existence
accord supposé résoudre des
bataille de Gravelotte s’appelle ainsi en dévotions et à l’église.
problèmes importants
du côté des Allemands, mais s’ap- Elle vient, bien entendu, de ces bé-
à l’échelle nationale.
pelle la bataille de Saint-Privat du nitiers placés à l’entrée des églises,
côté français, cela parce qu’il y a eu Les 25 et 26 mai 1968, au cours de normalement remplis d’eau bénite, et
deux fronts, un à proximité de cha- négociations qui eurent lieu au mi- dans lesquels les fidèles trempent le
cun des deux villages. nistère du Travail, rue de Grenelle, bout de leurs doigts avant de faire leur
à Paris, et auxquelles participèrent signe de croix en entrant dans le lieu.
Q Aller se faire des hauts fonctionnaires, il avait été On imagine bien alors que ceux qui
voir chez les Grecs convenu, entre autres, d’augmen- passent leur temps là, à proximité
ter le SMIG de 25 % et les autres du bénitier, y sont aussi confortable-
S’emploie à l’encontre de
salaires de 10 %, et de réduire le ment et durablement installés que
quelqu’un dont on souhaite
temps de travail. les grenouilles dans leur mare.
se débarrasser.
Ces accords, dits « accords de Gre- Mais on trouve aussi dans cette ex-
Les Grecs avaient autrefois une répu- nelle », furent conclus le 27 mai. pression une allusion aux bavardages
tation affirmée de pédérastie. Si, rejetés par la base, ils n’interrom- futiles et aux cancans qu’échangent
Alors quand on propose à quelqu’un pirent pas immédiatement la crise généralement ces grenouilles-là,
d’aller chez eux, c’est parce qu’on sociale, la décision du 30 mai de dis- tout comme celles qui coassent in-
veut rapidement s’en débarrasser et soudre l’Assemblée nationale, prise lassablement dans leur marigot.
qu’on lui souhaite « bien du plaisir » par de Gaulle mais suggérée par
une fois arrivé là-bas. Pompidou, finit par provoquer une Q Sur le gril
Des variantes de cette expression accalmie de l’agitation dans les jours
Anxieux ou impatient. Dans
existent avec des verbes nettement suivants.
une situation pénible ou
plus vulgaires à la place de voir, ce C’est donc du nom de la rue où se
embarrassante.
qui en accentue encore le côté dé- trouvaient les bâtiments du mini-
sagréable. stère du Travail, et par référence aux Ceux qui ont déjà eu l’occasion de po-
Parmi ceux-ci, il y a le très imagé accords de Grenelle de mai 1968, ser leurs fesses sur la grille d’un barbe-
empapaouter, qu’on comprend qu’est née cette appellation de cue savent à quel point cette situation
actuellement comme « enculer » « Grenelle de quelque chose ». est à la fois pénible et embarrassante.
QQQ
eu la mauvaise idée de s’y rendre. pour réussir à s’emparer par la ruse de la forteresse bâtie sur le rocher moné-
gasque, François Grimaldi et ses compagnons d’armes se sont déguisés en
Q En faire à sa guise moines franciscains.
Enfin, peut-être faut-il simplement voir une certaine ironie dans cette ex-
Agir selon son goût, sa
pression.
volonté.
En effet, lorsqu’elle est apparue, les moines de l’époque étaient bien loin
Guise est un mot apparu au XIe siècle, de suivre leurs préceptes. Ils avaient un comportement très éloigné de celui
avec le même sens que le mot que leur tenue aurait pu laisser supposer.
germanique wisa dont il est issu et qui Ainsi, un brigand désireux de détrousser un moine en le supposant faible
signifiait « manière » ou « façon ». pouvait finalement tomber sur bien plus fort et rusé que lui.
une période préhivernale avec du producteurs devaient payer non pas paraît-il, lorsqu’on coupe une patte
beau temps et des températures d’après leurs ventes, mais d’après d’un opilion, elle s’agite de saccades
douces. leur stock en cave (stock dont on régulières qui feraient penser aux
En France, on appelle aussi une telle faisait l’inventaire et sur lequel ils mouvements réguliers du faucheur.
période l’été de la Saint-Martin. payaient un droit). Une autre hypothèse indique que
les faucheux pulluleraient dans les
Q Un violon d’Ingres Q Faire le Jacques champs fraîchement fauchés.
Une activité à laquelle on Faire l’imbécile (avec une
aime se consacrer en dehors connotation positive, dans
Q Ça me fait une belle
de sa profession. Un hobby. le cas de plaisanteries et
jambe
drôleries, ou négative,
Jean Auguste Dominique Ingres était
dans le cas de bêtises). Cela ne m’est d’aucune
un peintre du XIXe siècle (né au XVIIIe),
utilité, cela ne m’avance
auteur entre autres de La Grande Cette expression apparaît vers 1880.
en rien.
Odalisque ou du Portrait de Mon- À cette époque, Jacques est un
sieur Bertin. des prénoms désignant un simple Il faut savoir qu’à partir du milieu
Il se trouve qu’Ingres avait… un vio- d’esprit, un naïf, un niais. du XIIe siècle, mais surtout à partir
lon d’Ingres : il avait une seconde Il faut dire que, dès le XIVe siècle, du XVe, l’homme s’est mis à porter
passion artistique et consacrait ses Jacques était un sobriquet utilisé des vêtements qui laissaient voir
moments libres à jouer du violon, pour désigner les paysans, donc ses jambes, habillées de chausses,
avec un certain talent, puisqu’il de- implicitement des gens sots (ce qui composées du haut-de-chausses,
vint même deuxième violon à l’or- donnera le terme jacquerie pour de la taille parfois jusqu’au ge-
chestre du Capitole de Toulouse. désigner une révolte de paysans nou, et du bas-de-chausses, cou-
C’est ainsi que, depuis le début du comme celle de 1358). vrant jusqu’aux pieds.
XXe siècle, avoir un violon d’Ingres Aujourd’hui, selon le type d’imbécil- Ces derniers, ancêtres du bas, col-
s’emploie à propos d’une personne lité, on dirait faire le pitre (ou l’an- laient au corps et laissaient donc
qui pratique une activité non profes- douille) ou bien faire l’imbécile (ou plus que deviner le galbe de la
sionnelle avec une certaine passion. le con). jambe.
Il n’est pas impossible que cette expres- Au XVIIe siècle, ce galbe a
Q Le droit d’inventaire sion ait un lien avec la version utilisée commencé à avoir une importance
outre-Manche, où la locution anglaise en société.
Le droit d’établir, à propos
to play the Jack, utilisée par Shakes- Et c’est de ces hommes coquets
d’une chose passée, la liste
peare, voulait dire « faire le farceur ou qui se pavanaient en montrant
de ce qui en a été positif et
le fourbe ». Qui a volé l’autre ? leurs si belles jambes qu’est née
de ce qui en a été négatif.
l’expression faire la belle jambe.
Cette formule, avec ce sens moderne, Q Des jambes de Ce n’est qu’au XIXe siècle qu’on
est très récente, puisqu’elle semble faucheur/faucheux trouvera d’abord un ça me fait
n’apparaître qu’à la fin du XXe siècle. bien la jambe avant que notre ex-
Des jambes très longues.
Un inventaire, c’est une opération pression avec sa forme actuelle,
qui consiste à dénombrer et énu- Dans la famille des arachnides, il utilisée ironiquement, ne prenne
mérer des éléments. Il peut donc existe, parmi d’autres, deux catégo- le dessus.
parfaitement être découpé en deux ries bien connues, celle des araignées
parties, l’une comportant des points et celle des opilions, ou faucheux ou
positifs et l’autre des points négatifs faucheurs. Tandis que les araignées Q Prendre ses jambes
à propos d’une chose passée. ont des pattes relativement courtes à son cou
S’accorder un « droit d’inventaire », (par rapport à la taille du corps), nos
Courir très vite, s’enfuir.
c’est s’autoriser à faire un tel constat faucheux, dont le corps est petit,
dans le but, en général, de le par- sont pourvus de huit très longues et Il suffit de remonter à la fin du
tager avec d’autres et, bien souvent, très fines pattes. XVIIe siècle pour trouver l’explication
d’être plutôt critique envers ce qu’on C’est donc tout simplement de ces de l’origine, à défaut de comprendre
juge. animaux-là que viendrait notre ex- le lien avec le sens actuel.
Mais autrefois, au tout début du pression. À cette époque, en effet, Furetière
XIXe siècle, le « droit d’inventaire » Quant à leur nom de faucheux, né écrivait qu’au début de son siècle, il
était une taxe sur les vins que les au XVIIe siècle, il viendrait du fait que, existait prendre ses jambes sur son
QQQ
Et tout Israël fut rapidement au cou- moins bien) des choses qui ne font pas
Q On ne peut à la fois rant de la sagesse de ce roi qui savait l’objet d’une connaissance immédiate
être juge et partie comment rendre une justice équitable. certaine, ni d’une démonstration
On ne peut pas juger avec C’est tout simplement de cette his- rigoureuse », faculté qu’on associe
équité ses propres fautes – toire, de ce jugement intelligent et généralement à l’intelligence ou à la
On ne peut avoir un pouvoir perspicace, que l’expression est née. capacité de raisonnement.
d’arbitre dans une affaire où Au point que quand on dit de
l’on a des intérêts personnels. Q Ne pas avoir (pour) quelqu’un qu’il n’a pas de jugeote,
deux sous de jugeote c’est plus souvent pour dire qu’il est
La formule juridique latine à l’ori-
un imbécile.
gine de notre expression Aliquis non Manquer sérieusement de
Alors, dire d’une personne qu’« elle
debet esse judex in propria causa, bon sens, de discernement.
n’a pas (pour) deux sous de ju-
quia non potest esse judex et pars Ne pas être très intelligent.
geote », c’est affirmer qu’elle en a
(« personne ne doit être juge de sa
On trouve le mot jugeote pour la tellement peu que, si on devait payer
propre cause, parce qu’on ne peut
première fois en 1871 dans la cor- pour l’obtenir, on n’en donnerait
être juge et partie »), qu’on trouve
respondance de Gustave Flaubert, même pas deux misérables sous.
aussi sous la forme réduite Nemo ju-
ce dernier étant parti du mot juge-
dex in causa sua (« Nul ne peut être
ment, dont il a remplacé la fin par le
à la fois juge et partie ») est pleine « Quand on dit de
suffixe diminutif -ote.
de sagesse : en effet, il ne saurait quelqu’un qu’il n’a pas de
Le jugement, c’est ici, comme nous
être question de désigner un fautif jugeote, c’est plus souvent
dit le Grand Robert : « la faculté de
probable comme juge de la faute pour dire qu’il est un
l’esprit permettant de juger (plus ou
commise. Quelqu’un peut-il avoir imbécile. »
suffisamment d’impartialité pour
être à la fois juge et partie pour juger
équitablement ses propres fautes ? Q Jeux de mains, jeux Q Le petit juif
Le second sens proposé est une de vilains Le nerf ulnaire.
extension du premier et sort du
Les jeux de mains finissent
cadre purement juridique. Il est sou- Le nerf ulnaire suit tout le membre
toujours mal.
vent employé dans le monde des supérieur, passe près de la pointe du
affaires où il indique qu’une entre- Cette expression est souvent em- coude où il provoque une très dé-
prise impliquée dans une situation ployée aujourd’hui lorsqu’il faut sagréable sensation « électrique »
de conflit ne devrait pas pouvoir faire cesser des enfants qui enta- lorsqu’on le compresse fortement ou
s’immiscer dans la prise de décision ment des jeux brutaux pouvant qu’on le cogne.
départageant les parties. rapidement mal tourner. Maintenant, pourquoi l’appelle-t-on
Datant probablement du petit juif ?
Q Un jugement XVIIe siècle, elle nous vient du Peut-être vous souvenez-vous avoir
de Salomon Moyen Âge, une époque où les vu, dans la vraie vie ou dans un film,
vilains étaient simplement des des gens mesurer des longueurs de
Un jugement d’une grande
paysans, des hommes de basse corde, tissu… en l’enroulant autour
sagesse et parfaitement juste.
condition. de l’avant-bras, de la main à l’arrière
La Bible nous raconte que deux Chez eux, les jeux de mains du coude, ce qui s’appelait « me-
mères se disputant un enfant furent étaient des jeux où l’on échan- surer à l’aune », mouvement au
amenées devant le roi Salomon pour geait des coups légers, par plai- cours duquel le coude pouvait être
qu’il tranche. Salomon ordonna de santerie, et qui pouvaient aisé- amené à cogner l’éventuelle surface
trancher le petit être en deux et d’en ment dégénérer. Mais également, au-dessus de laquelle la mesure se
donner une moitié à chaque femme. alors que les gens de la haute faisait.
Mais la véritable mère ne voulant évi- société réglaient leurs querelles à La dénomination petit juif viendrait
demment pas que son enfant soit dé- l’arme blanche, ces gens rustres, d’une époque où, dans le commerce
coupé, alors que l’autre était d’accord, eux, utilisaient surtout leurs mains des vêtements et tissus, les commer-
elle annonça préférer céder l’enfant. (et leurs poings) lorsqu’une alter- çants juifs étaient majoritaires.
En l’entendant, Salomon, qui n’es- cation démarrait. Et lorsqu’ils étaient amenés à mesurer
pérait que cela, sut qui était la vraie Les jeux de mains étaient donc des produits à l’aune, ils pouvaient fa-
mère et lui fit remettre le bébé. obligatoirement des activités cilement et régulièrement se cogner le
réservées aux vilains. nerf ulnaire sur leur comptoir.
Q Poser un lapin
Faire attendre quelqu’un en n’allant pas au rendez-vous qu’on lui a fixé.
Cette expression qui date de la fin du XIXe siècle a d’abord signifié « ne pas
rétribuer les faveurs d’une femme ».
Pour le sens actuel de l’expression, apparu également à la même période, il est
probable qu’il y ait eu un glissement d’une attente non comblée (celle du paie-
ment) vers une autre attente également non comblée (celle de la personne at-
tendue), puisque dans les deux cas, il s’agit d’un engagement qui n’est pas tenu.
Il est possible que ce sens ait été influencé par une des significations de lapin
au début du XVIIe siècle.
En effet, à cette période, lapin s’employait pour parler d’une histoire complète-
ment inventée, source de moqueries.
Alors on peut imaginer que ce lapin-là ait glissé ou bondi de l’histoire ou la
blague douteuse à la plaisanterie douteuse comme celle de donner un faux
rendez-vous. Gravure extraite de Die Gartenlaube, 1874.
Q Décrocher/Promettre/
Q Se jeter dans la gueule du loup Demander la lune
Aller imprudemment au-devant d’un danger connu. Obtenir/promettre/demander
l’impossible.
Voilà une expression courante dont l’origine n’est pas difficile à imaginer,
sans risque de se tromper. C’est à cause de cette « proximité
Qu’il représente le démon ou la mort, ou qu’on le trouve sous la forme d’un lointaine » que la lune est devenue
loup-garou ou chez mère-grand en tant que grand méchant loup, l’animal le symbole de l’impossible dans
n’a jamais eu bonne réputation. de nombreuses locutions depuis
Dans l’imaginaire d’autrefois, sa dangerosité est bien évidemment liée à sa le XVIe siècle. Ainsi, Rabelais disait
gueule et à ses crocs qu’il n’était pas vraiment souhaitable de voir plantés « prendre la lune avec les dents »
dans un de ses membres. pour « tenter l’impossible » et le
Se jeter en la gueule des loups, attesté au XVe siècle, était déjà une image qui prometteur de lune, celui qui promet
voulait dire que celui qui, volontairement, s’approchait suffisamment d’une l’impossible, existe depuis 1537.
meute au risque de se faire déchiqueter, était d’une imprudence folle, tout Selon la manière dont on l’emploie,
comme celui qui, d’une manière plus générale, s’expose volontairement à un décrocher la lune peut aussi vouloir
danger (dont il ne mesure pas forcément l’ampleur). dire « avoir une réussite inatten-
due (tellement elle semblait impos-
sible) ». Quant à promettre la lune,
ses hautes capacités intellectuelles. c’est une habitude des candidats po-
Q Un vieux loup de mer C’est par métonymie que cette lu- litiques en campagne (et le pire, c’est
Un vieux marin aguerri (et mière a fini aussi par désigner celui qu’ils sont crus, même s’ils font le
parfois sauvage et bourru). qui la possède, ce qui a ensuite don- coup à chaque fois) et demander la
né naissance à notre expression au lune, c’est nourrir l’espoir d’obtenir
C’est par comparaison avec ce qui
milieu du XXe siècle. une chose que l’on pense inacces-
était imaginé des loups solitaires,
sible ou bien avoir de trop grandes
que le marin rendu sauvage et peu
sociable par son métier, vivant vo-
Q Con comme la lune exigences. Ces deux dernières locu-
tions datent du milieu du XIXe siècle.
lontiers à l’écart des autres, a été Particulièrement stupide.
désigné par le syntagme de vieux
loup de mer au milieu du XVIIIe siècle
Cette expression est assez récente Q Une lune de miel
puisqu’elle semble n’être attestée
(le Dictionnaire de l’Académie fran- Les premiers temps du
qu’à partir du début du XXe siècle.
çaise de 1832-1835 donne d’ailleurs mariage – Le voyage de noces –
Depuis le XVIIe siècle, la lune est
comme définition : « Marin à qui un Une bonne entente entre deux
associée à la distraction ou à un
séjour constant sur mer a fait perdre parties.
léger dérangement mental (il est
tout usage du monde »).
dans la lune pour « il est distrait, il Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la lune de
Et puis, le marin qui, ayant réussi à
pense à autre chose » ou bien il a miel désigne les mois qui suivent
devenir vieux, était obligatoirement
la lune/il a un quartier de lune dans le mariage, période forcément
devenu expérimenté, son côté sau-
la tête pour désigner quelqu’un de heureuse lorsqu’il a été désiré par les
vage et bourru a été en partie mis
bizarre, d’un peu fou). deux parties, et est un symbole de
aux oubliettes, et la locution a fini
Mais les expressions crétin de la lune l’amour. Elle a donc le premier sens
par simplement désigner un marin
ou face de lune montrent aussi que proposé.
aguerri.
cet astre peut bien être lié à la bêtise. Selon certains, l’expression serait
La première explication vient de simplement une traduction litté-
Q Être une lumière l’assimilation de la pleine lune au vi- rale de l’anglais honeymoon. Se-
Être très intelligent. sage rond et sans aucune expression lon d’autres, elle aurait une origine
d’une personne abrutie, complète- païenne, quand autrefois à Baby-
Le sens métaphorique de lumière
ment stupide. lone, il était de coutume que le père
pour désigner l’intelligence date du
L’autre vient de l’argot, où lune de la mariée offre à son gendre, pen-
XVIIe siècle, à la même époque que
désigne le postérieur (par analogie dant tout le mois qui suit le mariage,
ces verbes liés que sont briller et
de forme), partie de l’anatomie autant de mead (bière à base de
éclairer, tous deux en lien avec des
généralement mal considérée, miel) qu’il pouvait en absorber.
personnes avisées ou intelligentes.
souvent opposée à la tête, siège de Et comme le calendrier était basé
On parlait à l’époque des « lu-
l’intelligence. sur le cycle lunaire, ce qui aurait dû
mières » de quelqu’un pour désigner
QQQ
Q Faire la manche
Q Faire un malheur
Faire la quête (pour des
Faire un scandale dont les conséquences pourraient
artistes de rue) – Mendier.
être graves – Avoir un grand impact, faire un grand effet,
avoir du succès. Au commencement était la manche
de vêtement, mot bien français. Or,
Voilà une expression qui a deux sens presque opposés, l’un négatif, comme
au Moyen Âge, au cours des tour-
on s’y attend lorsque le mot malheur est employé, et l’autre positif.
nois, les dames donnaient avant le
Le premier sens est limpide.
combat une de leurs manches au
Quand vous dites « retenez-moi, ou je vais faire un malheur ! », c’est que
chevalier qui se battait pour elles.
vous êtes prêt à provoquer un malheur. Il vaut donc mieux, pour éviter un
C’est en raison de cette pratique que
drame, que l’on soit empêché de laisser la colère s’exprimer complètement.
cette manche française a été reprise
Et il en est ainsi depuis le milieu du XIXe siècle.
en italien au XIIIe siècle dans le mot
Le second sens est nettement plus récent.
mancia qui a pris le sens de « don »
Un spectacle qui « fait un malheur » fait le bonheur aussi bien des specta-
ou de « gratification », avant de si-
teurs que de toutes les personnes impliquées dans sa réussite. Et c’est effec-
gnifier également « pourboire » ou
tivement dans le monde du spectacle qu’est d’abord apparue cette forme de
« aumône » au début du siècle sui-
l’expression, avant que son usage ne s’étende très largement.
vant.
Au milieu du XVIe siècle, le mot
Q Se faire la malle auparavant de branler au manche, réintègre le français en en
un peu plus logique, car si quelque reprenant cette nouvelle acception.
Partir, s’enfuir.
chose branle, c’est plutôt le manche L’expression elle-même n’apparaît
Cette expression semble apparaître dans l’outil que l’inverse. qu’à la fin du XVIIIe siècle.
vers 1935 pour parler d’un prison- Si, au sens propre, elle s’est d’abord Et si elle a d’abord servi pour les
nier qui s’évade. employée à propos d’objets peu so- artistes de rue qui quêtent une gra-
Construite sur le même modèle que lides, prêts à casser, à partir du XVIIIe, tification pour la prestation qu’ils
les expressions argotiques se faire la on a aussi commencé à l’utiliser au viennent d’effectuer, elle s’est en-
belle ou se faire la paire, elle marque figuré pour des personnes à la situa- suite étendue à la mendicité, autre
simplement le fait que l’évadé est, tion peu stable. forme de quête.
au figuré, « parti en voyage » et qu’il
a donc préparé et emporté sa malle ; Q Comme un manche Q Une autre paire
même si, dans la réalité, il est peu de manches
Maladroitement, stupidement.
probable qu’il se soit encombré de
Une tout autre affaire
ses effets avant de disparaître. Cette expression est issue du croise-
(souvent plus difficile
ment de trois faits :
ou compliquée).
Q Branler dans le – depuis le XVIIe siècle, le nom man-
manche chot s’emploie à propos d’un mala- Il n’existe malheureusement au-
droit. On comprend aisément pour- cune certitude quant à l’origine de
Être peu solide ou mal assuré –
quoi. Notre manche serait donc un cette expression qui est attestée au
Manquer de stabilité – Être dans
abrégé de manchot ; XVIe siècle.
une situation précaire.
– le manche fait inévitablement pen- La seule chose certaine, c’est qu’au
Ceux qui ont l’habitude de jardiner ser à un outil, avec lequel il est facile Moyen Âge, les manches des vête-
savent pertinemment que la partie d’être maladroit si on le maîtrise mal ; ments des gens de la haute société
utile et métallique de ces outils de – le terme insultant emmanché n’étaient pas cousues de manière
jardinage peut progressivement se désigne un imbécile ou un maladroit définitive et qu’on pouvait donc
désolidariser du manche en bois. depuis le XIXe siècle. Et on passe changer facilement et partiellement
Et avant de se séparer du manche, facilement de emmanché à manche de tenue en changeant simplement
cette partie commence d’abord par en supprimant quelques lettres et un sa paire de manches ; on sait aussi
branler autour du manche avant de accent. que, beaucoup plus tard, au mo-
finir par tomber si on ne prend pas Alain Rey évoque également le fait ment de l’apparition de l’expression,
garde de la refixer solidement. qu’en argot, manche s’emploie pour il a existé des demi-manches en lus-
C’est de cette constatation habi- pénis, et que les différents mots sy- trine servant à protéger les manches
tuelle que notre expression est née nonymes sont souvent utilisés avec elles-mêmes.
au XVIIe siècle, précédée un siècle une connotation péjorative. QQQ
Q De mèche
Q Entre le marteau et l’enclume (avec quelqu’un)
Entre deux camps adverses, exposé à recevoir des coups venus
De connivence
des deux côtés.
(avec quelqu’un).
Le marteau a pour destin de frapper durement l’enclume qui, elle, ne peut
Selon les lexicographes, cette mèche-
échapper aux coups donnés par l’outil contondant. Il est donc facile d’imagi-
là nous arrive du gascon ou du pro-
ner que celui qui aurait l’idée complètement saugrenue de se placer entre le
vençal mech qui veut dire « moitié »,
marteau et l’enclume ne pourrait que prendre de mauvais coups.
ou bien du mezzo italien qui signifie
Si les deux objets existent et se rencontrent brutalement depuis bien long-
aussi « moitié » ou « moyen ».
temps, ce ne serait qu’au XVIIIe siècle que la métaphore aurait été utilisée pour
Mais Wartburg compare, lui, l’idée
désigner celui qui ferait mieux de courir aux abris au lieu de rester bêtement
d’« arrangement conclu (donc préa-
exposé aux mauvais coups venus de toutes parts.
lablement préparé) », qu’on re-
Toutefois, si l’exemple cité est véridique et si Clément VII a bien écrit ce que
trouve dans l’expression, avec le sens
Voltaire indique, elle daterait du XVIe siècle.
de « matière préparée pour prendre
feu aisément ».
Malheureusement, aucun des moyenne de l’homme ne serait plus Toujours est-il que, à la fin du
ouvrages anciens numérisés ne que de cent vingt ans. XVIIIe siècle, lorsque cette expression
confirme l’existence de avoir son mar Toujours est-il que, ce bon vieux Ma- apparaît, de mèche a le sens de « de
ou avoir son maré. thusalem ayant vécu 969 ans, on com- moitié dans un coup, un partage ».
Alors qui a raison ? prend bien qu’il ait servi de référence Elle est précédée de peu, dans l’argot
dans une expression comme la nôtre. des typographes, par être à mèche
Q Faire le matamore d’affut (ou d’affur) pour « être de
Q Rouler des moitié dans une affaire ».
Faire étalage de sa bravoure,
mécaniques Et quand on est de moitié, donc
se vanter de prétendus
qu’on participe activement à une af-
exploits de manière ridicule. Rouler les épaules – Avoir une
faire avec quelqu’un, est-ce qu’il n’y
Faire le vantard, le fanfaron. attitude prétentieuse et/ou
a pas obligatoirement cette conni-
agressive.
Le mot matamore nous vient de l’es- vence, cette complicité qu’on trouve
pagnol matamoros qui signifie litté- Au début du XXe siècle, on disait « il dans le sens de l’expression ?
ralement « tueur de Maures ». en a dans les mécaniques » pour
Le personnage de Matamore appa- désigner quelqu’un de physiquement Q Vendre la mèche
raît en France dans des comédies solide.
Trahir un secret
dès le début du XVIIe siècle, mais c’est Bien sûr, les mécaniques sont ici le
(d’un complot). Révéler
principalement L’Illusion comique de squelette et ses articulations qui, s’ils
quelque chose qui devait
Corneille qui en fait un héros célèbre. sont bien constitués et résistants,
rester secret.
Comme le Capitan de la comédie permettent à son propriétaire d’être
italienne, c’est toujours un fabula- considéré comme un homme ro- La mèche qui nous occupe cette fois
teur qui se vante de prétendus ex- buste et costaud. est celle qui servait autrefois à faire
ploits, au point que son nom devien- Rouler des mécaniques désigne une un brin de lumière à l’aide d’une
dra un nom commun pour désigner exagération gestuelle, une outrance lampe à huile, celle qui permettait
un vantard souvent ridicule. de comportement destinée à tenter aux artificiers de faire exploser des
d’en imposer à ceux qui se laissent mines ou de faire partir des pièces
Q Vieux comme facilement impressionner. d’artillerie, ou bien celle qui sert en-
Mathusalem À tenter, seulement, ainsi que le core à allumer des pétards.
verbe rouler l’indique par les sens Pour comprendre l’origine de
Extrêmement vieux.
argotiques qu’il avait à la même cette expression, il faut remon-
Le livre de la Genèse nous apprend époque. En effet, rouler voulait aussi ter au XVIe siècle, lorsqu’on utilisait
que Mathusalem est mort à l’âge de dire « trop en faire » ou « exagérer » l’expression éventer ou découvrir la
969 ans. et un rouleur était un « bavard » et mèche.
Il était le grand-père de Noé qui fut même un « fanfaron », exactement Lorsqu’un artificier éventait (exposait
le dernier des patriarches d’avant le comme notre rouleur de méca- à l’air) ou découvrait la mèche d’une
Déluge à vivre très longtemps, Dieu niques. mine ou d’un engin explosif ennemi,
ayant alors décidé que la durée de vie il permettait d’en éviter les dégâts.
QQQ
une fibre naturelle très résistante, Q Être dans les bras prix » et la locution voulait dire « ac-
elle servait à fabriquer de la ficelle, de Morphée cepter l’offre faite par quelqu’un ».
du tissu et même des tapis. Et, dans Son sens a depuis évolué vers une
Dormir (profondément).
l’intimité de son chez-soi, il n’y a pas signification proche de « prendre
une bien grande différence entre fu- Dans la mythologie grecque, Mor- quelqu’un à ses propres paroles » où
mer le tapis et fumer la moquette. phée est le dieu des songes, enfant la personne qui fait une proposition
de la Nuit et d’Hypnos, le dieu du en l’air se fait piéger par l’accepta-
Q Manger le morceau – sommeil. tion de ses interlocuteurs.
Se mettre à table Morphée endort les mortels en les Autrement dit, on accepte son offre,
effleurant d’une feuille de pavot, tout en sachant pertinemment que
Avouer, dénoncer
les plongeant ainsi dans un sommeil ce n’en était pas réellement une ou
(pour un truand).
propice aux rêves. qu’elle n’avait pas été faite pour être
Ces expressions sont argotiques. L’enlacement des corps pour le som- prise au sérieux.
La première est apparue à la fin du meil est depuis longtemps une image Par extension, on l’emploie aussi
XVIIIe siècle, la seconde au milieu du XIXe. classique dans notre littérature. lorsque quelqu’un « gobe » une fausse
Leur origine est strictement iden- Mais pourquoi ce nom de Morphée information qu’il a lue ou entendue.
tique. ou, indirectement, de « forme » ? C’est alors celui qui prend au mot ce
Autrefois, quand les policiers vou- Parce que Morphée pouvait prendre qu’il lit ou entend qui se fait piéger.
laient faire avouer un truand capturé, pour chacun des formes différentes,
un des moyens utilisés était de le pri- chacun étant libre de choisir les bras Q Motus et bouche
ver d’alimentation. dans lesquels il souhaitait s’endormir. cousue
Lorsque le repris de justice finissait par
Pas un mot ! Formule
craquer, il avait alors le droit de man- Q En toucher un mot employée pour demander une
ger, au sens propre du terme. (à quelqu’un) discrétion verbale absolue.
C’est ainsi qu’en argot, celui qui
Parler brièvement de quelque
avait fini par manger (le morceau) On comprend aisément l’utilisation
chose (à quelqu’un).
ou qui s’était mis à table pour man- de la formule bouche cousue ! pour
ger est donc devenu celui qui avait Cette expression, où un peut aus- demander à quelqu’un de se taire,
avoué. si être remplacé par deux, date du Cette version initiale est attestée dès
milieu du XVIe siècle. Son origine est le XVe siècle.
plutôt facile à comprendre. Quant à motus, apparu en 1560, ce
Q Affirmer mordicus Quand vous parlez à quelqu’un, vous n’est pas du véritable latin, mais une
employez en général de nombreux simple transformation plaisante de mot
Affirmer avec obstination,
mots. Si vous n’en utilisez qu’un ou (peut-être par rapprochement avec
avec ténacité.
deux, c’est que vous êtes très bref. mutus qui veut dire « muet »). Car dès
L’adverbe mordicus vient, au Bien sûr, il ne faut pas prendre un 1480, ce trilitère s’emploie aussi seul
XVIIe siècle, du latin mordicus, lui- ou deux au mot. Il s’agit simplement sous la forme d’une exclamation avec
même dérivé de l’équivalent latin d’une exagération classique servant le sens de « pas un mot ! »
de mordre, et qui signifiait au à indiquer la brièveté de ce que vous Il est fréquemment utilisé en renfor-
sens propre « en mordant ». avez à dire. Mais pourquoi toucher ? cement de la locution initiale pour
Mais mordicus avait aussi, au fi- Eh bien, ici on doit lui comprendre donner notre expression.
guré, la signification de « sans le sens peu usuel de « effleurer » vu
en démordre », sachant que si le comme moins agressif que dire. Q Bourrer le mou
premier sens de démordre a bien
Raconter des mensonges.
été logiquement « lâcher prise Q Prendre au mot Chercher à tromper.
après avoir mordu », il a vite été
Accepter une proposition
employé à une forme négative Vous connaissez probablement l’ex-
faite par quelqu’un qui ne
pour marquer l’opiniâtreté, la té- pression argotique bourrer le crâne
parlait pas sérieusement.
nacité de celui qui ne veut pas en qui a exactement le même sens et
Croire à une bêtise.
démordre. dont l’image est celle de la personne
Donc, celui qui « affirme mordi- Voilà une expression qui date de la dont on remplit le crâne de fadaises,
cus », c’est tout simplement celui fin du XVe siècle. billevesées et autres balivernes qui
qui ne veut absolument pas dé- Le substantif mot y était compris y rentrent d’autant plus facilement
mordre de ce qu’il affirme. comme ayant le sens de « offre de que le contenu du crâne est mou.
QQQ
Q Être en odeur de
sainteté Q À l’œil
Sans payer, gratuitement.
Être en état de perfection
spirituelle – Être bien vu. Au cours de la première moitié du
XIXe siècle, cette locution voulait
Autrefois, on croyait que le corps
principalement dire « à crédit ».
d’une personne sainte émettait après
On comprend bien alors que le
sa mort une odeur particulière, suave,
sens de « crédit » ait pu évoluer Détail d’un portrait de l’empereur
qui permettait de le distinguer aisé-
vers celui de « gratuité », à force e
Sigismund de Bohème. XV siècle.
ment des autres personnes décédées.
d’avoir des débiteurs ne payant
C’est de là qu’au XVIIe siècle est
pas leurs dettes.
apparue notre expression avec son
Claude Duneton indique qu’à cette époque, le sens de « gratuité » a
premier sens indiqué, pour désigner
longtemps coexisté avec celui de « crédit ». Pour la notion de crédit, il
une personne ayant eu de son vivant
précise que les commerçants, pour comptabiliser la dette de leurs clients,
un comportement si admirable que
utilisaient des baguettes de bois dans lesquelles ils faisaient au couteau des
sa canonisation était envisageable.
entailles en fonction du montant dû. Les pauvres prenaient du pain « à la
Mais avant cela, au XVIe siècle,
coche » en attendant de pouvoir payer.
il existait déjà être en bonne/
Or, de telles marques en « v » faites au couteau sur la baguette peuvent ressem-
mauvaise odeur employé à propos
bler à des yeux. De là pourrait venir avoir quelque chose à l’œil donc à crédit.
de quelqu’un qui faisait bonne ou
mauvaise impression.
Ce sens n’a pas disparu et il est resté On retrouve aussi cette formule dans à la suite de cette expression, et se-
aujourd’hui dans notre expression, l’Ancien Testament : dans les livres lon l’ampleur de l’erreur, on ajoute
bonne odeur devenant odeur de de l’Exode et du Lévitique. parfois jusqu’au coude ou même
sainteté et employé, parce qu’il a De nos jours, la loi du talion n’est jusqu’à l’omoplate lorsqu’il s’agit
fait bonne impression, à propos de heureusement plus appliquée, mais d’amplifier l’importance de l’erreur.
quelqu’un qui est apprécié, bien vu. remplacée par des peines graduées,
Dans ce second sens, le moderne, la attribuées en fonction des dom- Q Tuer/Écraser/Étouffer
locution s’emploie plutôt à la forme mages subis par la victime. dans l’œuf
négative ne pas être en odeur de
Arrêter quelque chose,
sainteté pour parler d’une personne Q Se mettre le doigt étouffer une affaire dès le
mal vue par une autre. dans l’œil départ, dès le début.
Se tromper grossièrement.
Q Œil pour œil, dent pour Depuis très longtemps, l’œuf est le
dent – La loi du talion En argot, œil désigne aussi l’anus et, symbole métaphorique du germe,
dans le langage populaire, l’erreur du commencement, par analogie
Formule ou principe exprimant
est souvent exprimée par des termes avec l’état embryonnaire. N’est-ce
un esprit de vengeance ou
évoquant des choses placées sous la pas dans un œuf que naît la vie ?
un besoin de punition : le
ceinture. Il n’y a qu’à remonter à Horace, au
coupable doit subir le même
Ainsi, quand on se trompe, on peut Ier siècle av. J.-C., et à sa locution la-
dommage que celui qu’il a fait
dire « se foutre dedans » et quand tine ab ovo qui veut dire « à partir de
subir à sa victime.
on est trompé par quelqu’un, les al- l’œuf » pour en être convaincu.
Talion vient du latin talis qui signifie lusions à la sodomie deviennent fré- Toujours est-il que, métaphorique-
« tel » ou « pareil ». quentes. ment, tuer une affaire ou un pro-
Les toutes premières traces de la Quant au doigt, dans un contexte jet dans l’œuf, c’est l’arrêter avant
loi du talion ont été trouvées dans pareil, il est facile d’imaginer ce qu’il même qu’il ait la moindre chance de
le Code d’Hammourabi, recueil de représente. sortir de la coquille où il avait com-
lois du roi de Babylone qui a ré- De là, on comprend qu’on puisse mencé à germer.
gné entre 1792 et 1750 av. J.-C. : évoquer, sinon réellement pratiquer, Ce serait Victor Hugo qui, en 1830,
« Si quelqu’un a crevé l’œil d’un l’auto-sodomie en se mettant le aurait le premier utilisé la locution
homme libre, on lui crèvera l’œil ; doigt dans l’œil lorsqu’on est lour- écraser dans l’œuf, reprise seule-
si quelqu’un a cassé une dent d’un dement trompé par soi-même. ment à partir de 1932 par le Diction-
homme libre, on lui cassera une Doigt et œil n’étant généralement naire de l’Académie française.
dent… » compris que dans leur sens normal,
les ateliers de décors et les théâtres C’est, bien avant, à l’époque d’Aris- bon matin à embaucher des ouvriers
se situaient principalement à l’est de tote, déjà, qu’on trouve une croyance dans sa vigne au prix de un denier
Paris, alors que les acteurs habitaient qui dit que le petit de l’ours naît en par jour. Mais il continua à recruter
surtout à l’ouest. partie informe et qu’il est « finalisé » tout au long de la journée.
À la fin de son spectacle, l’acteur, par sa mère qui le lèche pour aboutir À la fin de la douzième et dernière
forcément très fatigué après avoir tout à un animal complètement formé. heure de travail, il paya les
donné, retournait chez lui, à l’ouest. C’est ainsi que d’une prétendue mal- derniers venus de un denier, avant,
formation physique on s’est déplacé finalement, de payer les premiers
vers une malformation éducative, la également de un denier.
Q Avoir ses ours personne « mal léchée » étant mal Le sens de cette parabole est assez
éduquée, donc grossière, pour don- clair : si le maître engage des ou-
Avoir ses règles.
ner le second sens de l’expression. vriers à la onzième heure, c’est qu’à
Mais que viennent faire nos ceux-là, aucun travail ne leur a été
braves plantigrades dans ces ma- Q Avoir des oursins dans proposé avant, il faut donc donner à
nifestations aussi régulières que la poche/le porte- chacun des chances égales.
naturelles ? monnaie Mais le message sous-jacent de Jésus
Deux explications sont proposées est qu’il est toujours temps de venir
Être avare.
pour cette expression qui daterait à lui et qu’aucune préférence ne sera
du début du XXe siècle. Avant d’aller plus loin, il est intéres- faite basée sur l’ordre de conversion.
On sait qu’un ours désigne un sant de savoir que le mot oursin, qui
homme bourru, à l’humeur par- date du milieu du XVIe siècle, est, selon Q Être paf
fois massacrante. La première ex- certains, une déformation de ourson,
Être ivre.
plication vient donc de l’humeur le petit de l’animal bien connu ; mais
ou de l’énervement que peuvent pour d’autres, il serait issu de l’appel- Ce paf est une abréviation du par-
avoir nos compagnes lorsqu’elles lation en occitan orsin de mar. ticipe passé paffé issu du verbe
sont menstruées. Quoi qu’il en soit, cet échinoderme, paffer ou empaffer qui, à la fin du
La seconde origine pourrait venir qu’on appelle aussi « hérisson de XVIIIe siècle, voulait dire « enivrer », et
d’une plaisanterie faite à partir mer » ou « châtaigne de mer », est qu’on trouve aussi sous les formes
de l’ancienne expression avoir ses entouré d’une multitude de piquants pronominales se paffer ou s’empaf-
jours, employée pour désigner qu’il vaut mieux éviter de se planter fer (également avec le sens de « se
ces jours où une femme préférait dans les doigts. gaver d’aliments et de vin »).
ne pas trop se montrer en société. On peut donc imaginer qu’une Mais l’origine de ces verbes est dis-
Mais une telle plaisanterie ne se personne qui aurait un ou des cutée.
comprend vraiment que lorsqu’on oursins dans sa poche ou dans Pour plusieurs lexicographes, ils sont
sait que, jusqu’à la fin du XIXe siècle, son porte-monnaie éviterait une déformation de se piffrer ou
ours se prononçait our, ce qui ex- intelligemment d’y fourrer la main s’empiffrer avec le même sens. Mais
plique la très forte similitude de pro- pour en retirer quelque argent. pour Lorédan Larchey, empaffer
nonciation entre avoir ses jours et Et cet empêchement constant d’ac- voulait dire « remplir de paf », le paf
avoir ses ours puis le remplacement céder à ses billets ne pourrait que la ayant été un terme générique pour
de la première par la dernière. faire passer pour avare à celui qui ne désigner une boisson alcoolisée au
serait pas informé de la présence de milieu du XVIIIe siècle.
ces petits animaux.
Q Ours mal léché Q La paille et la poutre
Q Un ouvrier de la
Personne qui fuit la société – Les défauts d’autrui qu’on
onzième/dernière
Personne bourrue. perçoit comme gênants, en
heure ignorant les siens propres.
On sait que l’ours est un animal
Celui qui se met à participer
principalement solitaire, même s’il La paille, ce fétu, et la poutre, cette
à un travail au moment où il
lui faut bien, de temps en temps, se grosse barre de bois, s’utilisent en gé-
va être fini – Celui qui se rallie
rapprocher d’un congénère du sexe néral sous une forme du genre « voir
tardivement à une cause.
opposé pour perpétuer l’espèce. une paille dans l’œil du prochain et
Si le premier sens de l’expression se On trouve la parabole suivante dans ne pas voir la poutre dans le sien ».
comprend donc aisément, le second l’Évangile selon saint Matthieu. Cette comparaison entre les défauts
est moins évident. Un maître de maison commença de qui nous crèvent les yeux et qu’on
QQQ
Q La boîte de Pandore
La source des ennuis. L’origine de malheurs, de catastrophes.
La boîte de Pandore nous vient de la mythologie gréco-romaine.
Deux Titans, Prométhée et Épiméthée, qui étaient frères, furent chargés
par Zeus de créer les hommes. Mais Prométhée, ému par la nudité de
ses créatures, vola le feu aux dieux, apprit aux hommes à s’en servir et
s’installa parmi eux.
Zeus jura de se venger de Prométhée. Il demanda alors à Héphaïstos
de créer une femme identique à une déesse et l’envoya chez les deux
Titans, munie d’un beau récipient qu’elle avait interdiction d’ouvrir, of-
fert par Zeus à destination de son futur époux et renfermant de nom-
Création de l’homme par Prométhée, bas-relief en
breux maux jusque-là tous inconnus des Hommes (vieillesse, maladie, e
marbre, Italie, III siècle ap. J.-C.
famine, etc.). Ce récipient contenait également l’espérance.
Épiméthée se laissa subjuguer et épousa Pandore qui, en raison de sa trop grande curiosité, profita un jour de
l’absence d’Épiméthée pour ouvrir la boîte dont tous les maux s’échappèrent et se répandirent sur l’humanité.
Au fond de la boîte, il ne restait plus que l’espérance qui finit aussi par sortir, et heureusement, car sans elle l’Homme
aurait eu bien du mal à supporter tout le reste.
Autrement dit, cet homme, toujours sa chaleur, sans doute à cause du tourner sur lui-même. On peut donc
par monts et par vaux, pratiquait sans volume d’eau qu’elle contient. considérer que les mouvements
vergogne des activités que sa femme, C’est donc une excellente raison tournoyants de la langue lors d’un
s’il en avait une, n’aurait pas aimé le pour que, lorsqu’on en prend une à baiser suffisent à expliquer la pré-
voir faire. la main, pour éviter de se brûler, on sence de ce verbe dans notre expres-
C’est de cette vie, supposée déré- la passe vite fait à son voisin. sion. Mais pourquoi le patin ?
glée et agitée, qu’est née notre ex- Si la métaphore nous vient sans sur- Pour certains lexicographes, c’est le
pression au milieu du XIXe siècle. prise de cette image, il faut savoir substantif tiré du verbe patiner qui,
que cette patate-là, comme l’origi- selon Cellard et Rey dans leur Dic-
Q Faire un pataquès – nale, nous vient des Amériques. tionnaire du français non conven-
En faire (tout) un En effet, dans ces contrées lointaines, tionnel, au début du XXe et en argot,
pataquès au milieu du XIXe siècle, la hot potato signifiait « caresser (une partie sen-
(traduisez « patate chaude ») désignait sible du corps du partenaire pour
Faire une liaison fautive, une
un problème qui était si sujet à contro- provoquer l’excitation sexuelle) ».
faute grossière de langage,
verse ou sensible qu’il était risqué de Quoi qu’il en soit, comme les patins
et, par extension, faire une
chercher à lui trouver une solution. à roulettes étaient également très en
grosse gaffe – Faire toute une
vogue, cela peut aussi, par plaisan-
histoire pour des choses sans
importance.
Q Patin couffin terie, justifier que l’expression soit
apparue et ait perduré.
Et cetera. Et patati, et patata.
À l’origine, ce mot pataquès désigne Quant à la galoche, en argot, elle
bien ces liaisons inadaptées que font Cette expression, qui était connue désigne une chaussure, le genre
certaines personnes en parlant. au moins en 1823, nous vient du sud d’objet qui est en contact très rap-
Et faire un pataquès signifie bien de la France. proché du patin destiné à protéger
commettre ce genre de bourde. Au début du XIXe siècle, le patin un plancher ciré. D’où la probable
L’origine, d’après le grammairien désignait une pantoufle, un vieux plaisanterie.
Domergue (XVIIIe siècle), découle de chiffon ou bien un véritable patin.
cette histoire où un jeune homme Quant au couffin, c’était la corbeille
se trouve au théâtre à côté de deux munie d’anses, qui servait égale-
femmes peu éduquées : ment de berceau.
Q Graisser la patte
« Le jeune homme trouve sous sa L’explication proposée ici nous vient Soudoyer (quelqu’un).
main un éventail.“Madame, dit-il à la de Philippe Blanchet, dans son Zou, Donner de l’argent
première, cet éventail est-il à vous ? Boulégan ! publié en 2000. (à quelqu’un) pour
– Il n’est point-z-à moi. – Est-il à vous, Elle repose sur la réputation de ba- en obtenir une faveur.
reprend-il en le présentant à l’autre ? vardages futiles que les hommes
Dans cette expression qui date
– Il n’est pas-t-à moi. – Il n’est point- font aux femmes, parce qu’elles ne
du XVIIe siècle, la patte n’est ja-
z-à vous, il n’est pas-t-à vous, dit le causeraient entre elles que de choses
mais que la version animale de
jeune homme, ma foi, je ne sais pas- aussi peu intéressantes que les pro-
la main qui va recevoir l’argent.
t-à qui est-ce !” » blèmes ménagers (d’où le patin) et
D’ailleurs, au XIVe, on disait oindre
Cette raillerie aurait donné nais- de ceux liés à leur progéniture (d’où
la paume.
sance au mot pataquiès, devenu en- le couffin).
Depuis longtemps, la notion de
suite pataquès. Le patin couffin ajouté à la suite
gras est associée à celle de pro-
Par extension, le pataquès est en- d’une phrase ou d’une énuméra-
fit. En effet, un bonhomme gras
suite devenu une faute grossière de tion indiquerait qu’il n’est pas utile
n’est-il pas un symbole de celui
langage, puis une gaffe grossière, de la compléter, parce que la suite
qui peut bien manger, donc celui
quel qu’en soit le domaine. présenterait autant d’intérêt qu’une
qui a de l’argent ?
conversation féminine.
Graisser est ici une métaphore
Q Refiler la patate chaude qui marque le profit mal acquis,
Q Rouler un patin/une
Se débarrasser sur quelqu’un comme dans l’ancienne expres-
galoche
d’autre d’une affaire sion, à la forme très proche de
embarrassante ou délicate. Faire un baiser profond la nôtre, engraisser les mains (à
avec la langue. quelqu’un) où la graisse symbolise
Vous avez probablement déjà remar-
également la corruption ou le
qué qu’une pomme de terre entière Transitivement parlant, rouler signi-
gain illicite.
qui vient d’être cuite garde longtemps fie « déplacer un objet » en le faisant
personne visée est souvent faux ou Le second sens, lui, est une exten- au Québec, puis en 1926 en France
très exagéré ; la médisance ou la ca- sion de la première signification. Il où on lui a rajouté un s sans qu’il y ait
lomnie ne sont jamais bien loin. vient d’une personne seule (journa- d’explications bien claires là-dessus.
liste ou auteur) qui, partant d’une
Q Remettre les pendules vérité jugée fausse par lui-même, Q Enfiler des perles
à l’heure expose sa vérité supposée dissiper
Perdre son temps à des
un malentendu, vérité qui servira de
Se mettre d’accord sur une occupations futiles, sans
point de départ à la suite de l’écrit.
base de discussion, en intérêt.
général pour pouvoir avancer,
Q Avoir du peps Autrefois et vu de l’œil des hommes,
aller plus loin – Rétablir la (ou
enfiler des perles était une activité
une) vérité. Avoir de l’entrain, du
peu valorisante, futile, dont le seul
dynamisme, de l’enthousiasme,
Lorsqu’un débat s’enlise et part à intérêt était d’occuper les gamins,
de la vigueur, de l’énergie.
la dérive, il peut être nécessaire de ainsi que les femmes. Ce qui ex-
« remettre les pendules à l’heure » Le mot peps est une variante de plique le sens figuré de l’expression.
pour que la discussion reparte sur pep qui vient de l’américain, forme Cette locution était souvent em-
des bases communes et saines. raccourcie de pepper, ou poivre en ployée sous une forme du genre :
Tout le monde a en mémoire ces français, épice dont les propriétés « Nous ne sommes pas ici pour enfi-
films de guerre ou d’espionnage où stimulantes des fonctions intesti- ler des perles. »
des personnes calent leurs montres nales sont bien connues. Elle apparaît au XVIe siècle chez
sur la même heure avant de se dis- Aux États-Unis, depuis le milieu du Rabelais dans Gargantua, où il
perser pour attaquer ou s’introduire XIXe siècle, le mot pepper était utilisé au évoque l’activité en elle-même, déjà
quelque part. figuré comme synonyme de énergie. avec un certain dédain.
Cette expression, dans son premier Son abréviation pep est apparue en On utilise aussi parfois l’expression
sens, est simplement une métaphore 1912, avec le sens de « vigueur, éner- enfiler des perles pour ceux qui
sur cette synchronisation de l’heure gie », puis en 1922 dans l’expression prient en faisant glisser entre leurs
entre des personnes devant agir en full of pep (« plein de pep »). doigts les grains d’un chapelet.
concordance. Le mot est ensuite attesté en 1923 Et, plus récemment, elle a également
pris le sens de « ne pas arrêter de
dire des stupidités », en liaison avec
Q Ce n’est pas le Pérou ! un des sens de perle pour « erreur
grossière ».
C’est une somme modeste –
Ça ne rapporte pas beaucoup –
Q Faire (quelque chose)
Ce n’est pas grand-chose.
en perruque – Faire de
L’Eldorado, le pays de l’or, a longue- la perruque
ment fait rêver les Européens, au
Faire, pendant les heures
XVIe siècle, lorsqu’ils ont mené de
de travail, une tâche
nombreuses expéditions en Améri-
personnelle avec le matériel
que du Sud, avec l’espoir d’y loca-
de l’entreprise. Travailler pour
liser ce pays.
son propre compte dans son
C’est en 1532 que Francisco Pizarro
entreprise.
défait les Incas au Pérou en captu-
rant leur roi Atahualpa. Ce dernier À quoi sert généralement une
fait alors livrer aux Espagnols de perruque ? N’est-ce pas à dissimuler
très grandes quantités d’or et d’ar- une calvitie ou bien ses cheveux
gent en échange d’une libération Ancienne carte des régions aurifères du Pérou. naturels ?
qu’il n’obtiendra jamais puisqu’il Gaston Esnault relève l’usage de
sera garrotté dans sa prison en 1533. cette expression à partir de 1856
Cet or sera ramené en Espagne par un des frères de Pizarro. chez les ouvriers des arsenaux, du
C’est ce symbole de richesse qu’était le Pérou qui, en 1661, a fait d’abord bâtiment et des arts à Angers.
apparaître le nom commun pérou comme synonyme de trésor ou de fortune. Même si ce n’est pas clairement dit,
Puis, c’est en 1790 que sont nées aussi bien la version positive de l’expres- on peut imaginer que cette per-
sion (c’est le Pérou !) que la négative, beaucoup plus utilisée aujourd’hui. ruque est devenue un symbole de
QQQ
signaler leur envie de faire crac-crac. des chevaux tiraient les wagons On trouve également la forme être à
Nous retrouvons donc bien là à la pleins de minerai : quand ils reve- pied qui signifie « être sans emploi,
fois les avances et la discrétion pré- naient à vide, ils le faisaient haut le sans revenus ».
sentes dans la signification de l’ex- pied, n’ayant plus d’effort à faire.
pression. C’est par référence à cela qu’un train Q Prendre son pied
Bien que l’expression soit récente, qui circule les wagons vides était, au
Avoir du plaisir ou un
il va de soi que la pratique remonte XIXe siècle, appelé un train haut le
orgasme, au cours de l’acte
à beaucoup plus loin. En fait, pro- pied, et qu’une locomotive qui roule
sexuel – Prendre un grand
bablement depuis qu’il existe des seule s’appelle toujours une locomo-
plaisir en pratiquant une
tables… tive haut le pied.
activité passion ou en
Par extension, au-delà des approches Le second sens proposé s’applique à
découvrant les joies d’une
à tendance sexuelle, l’expression un moyen de transport, ou une per-
nouvelle activité.
s’applique aussi aux avertissements sonne, emmené en secours, donc
discrets. temporairement sans affectation Pied vient ici de l’argot des voleurs au
réelle, pour servir de remplacement XIXe siècle. Il désignait une « part »,
Q Haut le pied en cas de défaillance du véhicule ou une « ration », un « compte » que
de la personne normalement affec- les voleurs réservaient sur leur butin
Avec facilité, sans effort,
tée à la tâche. pour leurs complices.
en courant (en parlant d’un
En 1878, j’en ai mon pied voulait dire
déplacement d’une personne
Q Mettre à pied « j’en ai mon compte, j’ai ma ration ».
ou d’une chose) – Sans
C’est ce sens de « ration », quelque
affectation – Circulant seul (en Renvoyer, congédier
peu déformé, qui a permis ensuite
parlant d’un véhicule ou, plus (un employé).
de dire d’une femme qui « prend
précisément, d’une locomotive).
Lorsqu’elle est apparue au XVe siècle, sa ration » qu’elle en a eu pour son
Autrefois, « s’en aller haut le pied », cette expression signifiait « priver de compte lorsqu’elle a fait l’amour en
c’était partir en courant ou s’enfuir. son cheval ou de ses chevaux ». ayant du plaisir.
Le Dictionnaire de l’Académie de 1762 Il en était ainsi du cavalier ou grenadier Si cette expression a longtemps été
indique qu’un haut-le-pied est « Un qui avait commis une faute et qu’on réservée à la gent féminine, elle s’est
homme qui ne tient à rien, qui n’a privait momentanément de sa mon- plus récemment étendue au genre
point d’établissement fixe, & qui peut ture ; il subissait alors une double hu- humain tout entier.
disparoître d’un moment à l’autre ». miliation puisqu’il revenait au niveau Par extension, et depuis les années
À la même époque, lorsqu’on de la piétaille et on lui affectait des 1970, l’expression peut aussi s’uti-
ramenait à l’écurie un cheval sans le tâches ingrates, indignes de son rang. liser pour toute activité qui procure
monter ou l’atteler, on le renvoyait Le sens figuré actuel apparaît au un plaisir intense.
haut le pied. Au temps des mines, XIXe siècle.
Q Un pied-noir
Un Français d’Algérie.
Q Mettre les pieds dans le plat
Ceci n’est pas vraiment une expres-
Aborder un sujet tabou de façon brutale ou inattendue –
sion, mais une appellation qui a fait
Commettre une bévue grossière, un grave impair, une indiscrétion
couler beaucoup d’encre quant à
impardonnable.
son origine.
Selon Pierre Guiraud dans Les Locutions françaises, cette expression qui date Une chose semble claire, c’est que
du début du XIXe siècle serait née d’un jeu de mots entre les termes franco- cette dénomination a d’abord dési-
provençaux gaffe pour « gué », gaffer pour « nager » ou « patauger » et gné les Algériens eux-mêmes.
plat pour « étendue d’eaux basses ». Secundo, pendant et autour de la
Celui qui met les pieds dans le plat et qui commet donc une belle gaffe serait Seconde Guerre mondiale, aus-
celui qui, à l’origine, aurait remué les pieds ou pataugé dans une eau peu si bien au Maroc qu’en Algérie, ce
profonde au point d’y mélanger de la boue ou de la vase, personne qu’on même terme a désigné les Blancs qui
comparerait à celui qui agiterait maladroitement une question à ne surtout débarquaient dans ces pays.
pas aborder. Donc, deux usages différents de ce
Selon Alain Rey, cette explication aurait aussi l’avantage d’expliquer le sens mot qui désignait soit des indigènes,
familier du mot gaffe dont l’origine serait peu claire, sinon, car bien loin de soit de nouveaux arrivants non indi-
la perche du batelier, acception initiale du mot. gènes.
QQQ
Comment en est-il venu à désigner Ce qui nous fait passer par une autre
principalement les Français établis
Q Pierre qui roule métaphore, qui date du XIIIe siècle,
en Algérie ?
n’amasse pas où la personne qui s’est fait plumer
Guy Pervillé fait remonter l’origine
mousse est celle qui a été dépouillée (comme
de l’affectation de cette appellation Une vie aventureuse ne l’oiseau a été dépouillé de ses
aux colons français en Afrique du permet pas d’amasser des plumes) ou, autrement dit, volée.
Nord au début des années 50, une biens (ou des richesses). Tout aussi déplumable que la huppe,
période agitée au Maroc. le pigeon est donc rapidement
Sur les cailloux (ou les pierres)
S’il a été vu comme péjoratif par les devenu un synonyme de dupe,
qui n’ont pas bougé depuis
Français de France, il était porté avec puis de sot.
longtemps, on trouve une belle
fierté par les colons d’Algérie pour
mousse verte.
lesquels il venait au bon moment
En revanche, sur les cailloux qui
Q Avoir pignon sur rue
remplacer Algérien – nom qu’ils se
bougent régulièrement, ceux Avoir une maison (ou un
donnaient auparavant – et marquer
déplacés par les torrents, par commerce) à soi – Avoir une
ainsi l’opposition aux Algériens indi-
exemple, point de mousse il n’y a, notoriété certaine (pour un
gènes, ceux d’origine arabe, et qui
car elle n’a pas l’occasion d’avoir commerce ou une entreprise).
commençaient à revendiquer pour
le temps de s’y déposer et s’y
eux le nom Algérien. Avoir pignon sur rue voulait tout
répandre.
Puis, au moment du rapatriement d’abord dire, au figuré : « posséder
Cet ancien proverbe du XVIIe siècle
des colons en France, ce mot a éga- une maison ou un commerce en ville ».
incite donc les gens à rester
lement permis de cataloguer ou dif- La façade sur la rue et son pignon
casaniers, à se fixer sur une
férencier nettement les Français de étant les parties les plus visibles de
activité bien précise, pour avoir
souche de ces Français d’ailleurs. la maison, les gens aisés ne se pri-
des chances de remplir leur
vaient pas de la décorer, en fonction
portefeuille.
Q Jeter la (première) de leurs moyens, pour afficher leur
Il paraît aussi que « les voyages
pierre (à quelqu’un) forment la jeunesse ».
niveau de richesse.
Au XVIe siècle, le sens de l’expression
Accuser, blâmer, critiquer Si on mêle ces deux proverbes,
a alors évolué pour s’employer à
(quelqu’un). cela voudrait donc dire que les
propos de personnes qui possédaient
jeunes qui voyagent ne peuvent
Sous cette forme, cette expres- des immeubles et des biens, ou à
s’enrichir autrement qu’intellec-
sion est attestée en 1672, mais au propos de riches commerçants.
tuellement.
XVe siècle, on disait déjà, avec le Si ces pignons-là ont peu à peu dis-
même sens, jeter des pierres dans le paru, l’expression est restée et son
courtil (le jardin) de quelqu’un. Q Se faire prendre pour sens a encore évolué pour désigner
L’origine de cette expression re- un pigeon toute personne, entreprise ou com-
monte à un épisode de la Bible, celui merce qui a une forte notoriété,
Se faire duper – Par
de la femme adultère condamnée à avec une connotation d’honnêteté
extension, passer pour sot.
la lapidation. ou de solvabilité.
Comme le Christ avait dit : « Que C’est depuis la fin du XVe siècle que
celui qui n’a jamais péché lui jette la le pigeon, par métaphore, désigne Q Jouer à pile ou face
première pierre » et qu’aucune des une dupe, un homme qu’on attire
Faire un pari sur le côté sur
personnes présentes ne pouvait dé- dans une affaire pour le dépouiller,
lequel tombera une pièce de
cemment prétendre être totalement le tromper.
monnaie lancée en l’air.
pure, elles renoncèrent toutes une à De ce mot est dérivé le verbe pi-
une à la lapidation. geonner. Si, de nos jours, on comprend gé-
C’est de cet épisode qu’est née Et c’est l’étymologie du mot dupe néralement pourquoi un côté d’une
l’idée de condamnation associée au qui nous explique cette métaphore. pièce s’appelle face, car on y trouve
fait de jeter une pierre à quelqu’un Dupe vient en effet de huppe, nom très souvent la représentation de la
(la première ou une autre), avec un d’un oiseau qui doit son nom à sa tête de quelqu’un, on peut légitime-
sens affaibli dans notre expression, huppe, sa crête. Dé-hupper (contrac- ment se demander pourquoi l’autre
puisqu’il n’est plus ici question de té en duper), c’est enlever la huppe de côté s’appelle pile.
pure condamnation, mais d’abord l’animal, donc le plumer. Autrement Pour le savoir, nous allons remonter
de simple accusation ou critique. dit, le dupé s’est fait « plumer ». au XIIe siècle.
QQQ
À cette époque on jouait déjà « à Q Un pince-sans-rire du XIXe siècle avec le premier sens
croix ou pile » car l’un des côtés de la indiqué. Et c’est au milieu du même
Personne qui pratique
pièce comportait une croix et l’autre siècle que l’usage pour parler d’une
l’humour, l’ironie tout en
était frappé de motifs divers à l’aide personne très en colère est apparu,
restant sérieuse.
d’un coin métallique qu’on appelait celle-ci ne devant évidemment être
une pile. On peut d’ailleurs noter Pince-sans-rire est un mot composé approchée, touchée, qu’avec un
qu’on disait autrefois de quelqu’un issu de pincer sans rire, expression maximum de précautions.
qu’il n’avait ni croix ni pile pour dire qui date du XVIe siècle, née à la même
qu’il n’avait aucun argent. époque que le jeu « pincer sans rire » Q Une bonne pioche
C’est plus tard que la face avec la ou « je te pince sans rire ».
Un choix judicieux – Une
croix a progressivement été rempla- Mais qu’était ce jeu aujourd’hui dis-
situation favorable.
cée par une face avec l’effigie ou la paru ?
face du souverain. Il se pratiquait en groupe. L’un des Aux dominos ou à certains jeux de
Ce n’est qu’à partir du milieu du participants se barbouillait les doigts cartes, entre autres, il existe au mi-
XIXe siècle que ce côté de la pièce a de suie et un autre se faisait légère- lieu du plateau de jeu un tas dans
pris le nom de face et que notre ex- ment pincer par lui en différents en- lequel il faut régulièrement « pio-
pression est apparue. droits du visage, provoquant un bar- cher » ou prendre de nouveaux
bouillage infâme. Si jamais une autre éléments de jeu. Ce tas s’appelle la
des personnes présentes en riait, elle pioche, depuis 1867.
Q Tomber pile – Au poil – devait alors se mettre à la place de Et il est bien connu qu’on consi-
Pile-poil la victime. dère qu’un joueur a tiré une bonne
Selon Oudin, au XVIIe siècle, pincer pioche si jamais ce qu’il a ramassé
Tomber ou arriver juste,
sans rire a signifié « offenser ouver- lui permet de faire une avancée dé-
exactement, comme il faut,
tement » et pincer en riant voulait cisive vers la victoire, voire de gagner
au bon moment – Parfait,
dire « offenser et faire semblant du la partie.
parfaitement.
contraire », déjà bien plus proche. Par extension, une bonne pioche
Notre pile est ici l’envers d’une C’est au XVIIIe que le mot pince-sans- désigne la situation favorable dans
pièce de monnaie ainsi nommé rire apparaît. Et qu’il s’agisse d’of- laquelle se trouve celui qui en
parce qu’on appelait pile la tour fenser, de railler ou simplement de profite.
qui, du XIe au XVIe siècle, ornait plaisanter (dans l’emploi contempo- Et même si on l’emploie un peu
le revers de nombreuses pièces, rain), c’est toujours fait avec sérieux. moins, une mauvaise pioche existe
l’avers portant la tête du roi. aussi.
Autrefois, quand quelqu’un Q N’être pas à prendre
« tombait pile », c’est qu’il tom- avec des pincettes Q Damer le pion
bait sur le dos, donc sur l’envers.
Être très sale, répugnant, Surpasser/L’emporter sur
Puis, lorsqu’une pièce « s’arrêtait
méprisable, ignoble – Être de (quelqu’un).
pile », c’est qu’elle tombait sur
très mauvaise humeur.
son envers de manière nette. Il se trouve que notre expression
Par extension, depuis le XIXe siècle, Lorsque le mot pincette est ap- vient des dames et des échecs.
cette netteté s’est transformée en paru il y a quelques siècles, il a En effet, dans ces deux jeux,
justesse ou exactitude dans notre désigné une petite pince à épiler lorsque vous avez réussi à me-
tomber pile d’aujourd’hui, qui est et un instrument de métal à deux ner un pion dans le camp adverse
à rapprocher de tomber à pic. branches permettant de déplacer sur la dernière rangée du damier
Avec au poil, la précision ou des bûches et tisons dans le feu, ou de l’échiquier, ce pion, au jeu
l’exactitude sont également bien sans se brûler. de dames, est transformé en une
présentes. La pincette utilisée dans la cheminée dame ou, aux échecs, en une pièce
Compte tenu de la taille d’un che- permettait donc, au sens large, de de votre choix, roi excepté, mais
veu ou d’un poil d’humain, faire ne pas saisir directement quelque c’est en général la reine (ou dame)
quelque chose « au poil près » chose, comme ce serait le cas de qui est choisie.
implique tout de même une quelqu’un qui serait répugnant pour Dans les deux cas, cette nouvelle
grande précision. cause d’hygiène déplorable. pièce, beaucoup plus forte que votre
Puis, le mélange amusant des deux C’est de cette image de quelque pion initial, vous donne un avantage
expressions (tomber) pile (au) poil a chose qu’on évite de toucher que conséquent sur l’adversaire et peut
donné la dernière variante proposée. l’expression est apparue au début favoriser votre victoire.
QQQ
Q Comme le Pont-Neuf portillon qui était bloqué par le poin- – le casuel, représentant les of-
çonneur au moment où la rame arri- frandes faites par les paroissiens ;
En bonne santé, vigoureux.
vait sur le quai. Ceux qui entendaient – la portion congrue, pension que le
Cette locution est en général précé- le bruit de la rame arrivant se précipi- noble de l’endroit versait au curé qui
dée de se porter ou être solide. taient pour ne pas la manquer, d’où officiait sur sa paroisse.
C’est à Paris, à la pointe de l’île de la les bousculades au portillon. Mais comme cette dernière était peu
Cité, qu’Henri III a lancé la construc- C’est de cette image du métropoli- importante et que l’ensemble était
tion du Pont-Neuf en 1578, ouvrage tain que nous vient le premier sens généralement à peine suffisant pour
qui a été terminé sous Henri IV, en de l’expression, utilisée partout où que le curé qui la recevait puisse en
1607. il y a une foule dense qui trépigne vivre correctement, elle est vite de-
Contrairement aux autres ponts de pour avoir accès à quelque chose. venue un symbole de revenus très
Paris, celui-ci était fait de pierres et Le second sens, beaucoup plus récent faibles.
son tablier restait nu, mais souvent et beaucoup moins ragoûtant, peut
occupé par des bateleurs, et autres être employé par ceux qui sont bru- Q Tirer le portrait
jongleurs qui transformaient le lieu talement contraints de régurgiter une
Photographier quelqu’un.
en une place appréciée de prome- partie de ce qu’ils ont avalé ou par
nade et d’amusement. ceux qui, au cours de la même soirée, Au Moyen Âge, les verbes traire et tirer
Malgré son nom d’origine, c’est le croyant avoir avalé des cachets d’aspi- ont plusieurs acceptions communes,
plus ancien pont de Paris resté intact rine, ont pris des dragées Fuca®. parmi lesquelles « s’acheminer vers »,
à notre époque. « lancer une arme de trait » ou bien
Cette résistance a fait qu’un siècle et Q La portion congrue « tracer un trait, dessiner ».
demi plus tard, la solidité physique Le second verbe supplantera le pre-
Des ressources minimes, tout
de quelqu’un qui se porte bien a été mier pour toutes les acceptions ci-
juste suffisantes – Une toute
si régulièrement comparée à celle de tées.
petite quantité.
ce pont indestructible que notre ex- Quant à portrait, il est issu du verbe
pression est devenue courante. Parmi les nombreuses taxes payées portraire (por traire signifiant donc
par les paysans autrefois (vers les XVIe « pour dessiner ») et c’est au mi-
Q Ça se bouscule au et XVIIe siècles), il y avait la dîme, taxe lieu du XVIe siècle qu’il désigne la
portillon qui était destinée au clergé. représentation picturale du buste ou
Les ecclésiastiques de haut rang n’en du visage d’une personne avant, à
Il y a une forte affluence – J’ai
redistribuaient qu’une très petite par- la fin du même siècle, de désigner
une envie urgente de vomir/
tie en guise de salaire au bas clergé. également la description verbale
déféquer…
Les curés, pour survivre, bénéfi- d’une personne.
Il y a quelques années encore, l’accès ciaient donc de deux revenus sup- Tirer le portrait, c’est donc d’abord
aux quais du métro se faisait par un plémentaires : dessiner ou tracer le portrait de
quelqu’un.
Puis, à partir du milieu du XIXe siècle,
avec l’avènement de la photographie
Q Enfoncer une porte ouverte et le remplacement progressif des
Se vanter d’avoir surmonté un obstacle qui n’existait pas – portraits peints par les photos, notre
Chercher à démontrer une évidence – Énoncer une banalité en la expression a vu son usage réduit à la
faisant passer pour une nouveauté ou pour quelque chose ayant représentation photographique du
de l’intérêt. buste ou du visage.
Au sens propre, enfoncer une porte, c’est l’ouvrir de force en y exerçant une
très forte pression ou en lui donnant des coups.
Q Avoir les portugaises
Celui qui y réussit a une certaine fierté à l’avoir fait et s’en vante. Mais peut-
ensablées
on en dire autant de celui qui « enfonce » une porte qui n’a aucun besoin Entendre mal ou pas bien du
de l’être car elle est grande ouverte ? Assurément non ! tout.
C’est ainsi que celui qui prétend avoir vaincu des difficultés inexistantes ou
Il suffit de remonter au milieu du
celui qui se lance dans la démonstration de choses évidentes peut aisément
XXe siècle, en 1950 exactement,
être assimilé à un enfonceur de portes ouvertes.
pour voir apparaître en argot la
Au XVIIe siècle, selon Oudin dans son Curiosités françaises, enfoncer une
dénomination portugaise pour dési-
porte ouverte voulait dire « coucher avec une nourrice et croire qu’elle était
gner l’oreille.
pucelle ». Où on évoquait donc une autre forme de porte à forcer…
QQQ
Pour qui a déjà vu de près la forme Dans ce cas, bien sûr, il faudrait seulement, donné le second sens,
de l’huître dite portugaise, l’analogie écrire le pot au rose et non le pot qui s’applique cette fois à quelqu’un
avec celle de l’oreille est assez frap- aux roses, communément admis. qui utilise des moyens détournés
pante. Une autre explication viendrait d’un pour s’exprimer, qui n’ose pas
Quant à l’ensablement, si on consi- mélange entre le couvercle du pot aborder franchement un sujet.
dère qu’une huître naît et grandit en qui une fois soulevé permettait d’en
bord de mer, on comprend qu’elle découvrir le contenu, et du complé- Q Dès potron-minet
puisse contenir du sable. ment aux roses pouvant évoquer
Dès l’aube, le petit matin, les
Transposé à l’oreille, si on consi- une préparation rare voire secrète.
premières lueurs du jour.
dère que du sable bien tassé dans
le conduit auditif, cela doit pas mal Q Tourner autour du pot À l’origine, dès le XVIIe siècle, cette
gêner pour bien entendre, on peut expression se disait dès poitron-jac-
Rechercher un avantage
comprendre l’image de notre ex- quet, le jacquet étant l’écureuil,
d’une manière détournée,
pression. petite bestiole sympathique ayant
insidieuse – Hésiter,
On notera avec intérêt qu’en argot, la particularité de commencer à
tergiverser, parler avec des
embouteiller les portugaises, cela s’activer très tôt le matin.
détours avant d’aborder
veut dire « casser les oreilles ». Quant au mot potron, il est une
franchement un sujet.
déformation de poitron qui vient
Q Le pot aux roses Ah, cette belle marmite dans la- du latin posterio qui veut dire
quelle le repas du soir est en train de « postérieur » ou « derrière ».
Ce qui était tenu secret
cuire à petit feu ! En clair, l’expression originale veut
(le plus souvent parce que
Et si je m’en approchais en douce, dire « dès que l’écureuil sort de
malhonnête).
comme si de rien n’était, avec le son sommeil et daigne montrer
Cette expression remonte au XIIIe siècle. secret espoir de chiper un bon mor- son popotin ». Donc très tôt le
Employée avec le verbe découvrir, ceau nageant en surface ? matin.
elle est utilisée avec la même signifi- Et voilà comment, à partir d’une Mais le genre humain urbanophile
cation que découvrir le pot au XIVe et marmite ou d’un pot, naît au perdant progressivement ses re-
découvrir le pot pourri au XVe. XVe siècle une métaphore qui, pères (et ses repaires) forestiers,
Son origine est très discutée. d’abord, s’applique à quelqu’un qui le petit écureuil a finalement été
Pour certains, cela viendrait du pot cherche par un moyen détourné à remplacé par le chat, animal beau-
contenant le rose dont les femmes obtenir un avantage généralement coup plus présent dans les villes et
se fardaient et dont la découverte indu. également très matinal.
levait le voile sur la tromperie que La manière indirecte de procéder
représentait leur teint si agréable. a, par extension et au XIXe siècle Q Laid/Moche comme
un pou
Très laid.
Q Le pot au noir
Même si, à la fin du XVIIIe siècle
Zone océanique peu appréciée des marins en raison des
(période où la locution est attestée
conditions météorologiques qui y règnent.
pour la première fois), le microscope
Le pot au noir est cette zone des océans située à proximité de l’équateur et existait déjà et permettait d’admirer
où convergent les alizés venus des tropiques. le pou dans ses moindres détails, il
Cet endroit, à la météo très instable, est caractérisé par une formation fré- y a bien d’autres insectes au moins
quente de cumulo-nimbus et sous lesquels les orages violents sévissent. aussi laids et bien plus faciles à
Il ne semble pas y avoir d’explication certaine sur l’origine de la dénomina- observer qui auraient pu lui prendre
tion de cette zone. sa place.
Mais à la fin du XVIIe siècle, dans un jeu apparenté au colin-maillard, lorsque C’est plus à cause des désagréments
celui qui avait les yeux bandés risquait de se cogner, on lui lançait un « gare qu’il cause en société (contamination
au pot au noir », car il risquait de se faire un noir signifiant « bosse » à de proche en proche, transmission
l’époque. de maladies…) et de la répulsion
C’est par extension que pot au noir aurait désigné, à la fin du XIXe siècle, une que pouvait provoquer le pouilleux
situation embrouillée, dangereuse. que cet insecte sert de modèle à la
Cette appellation a été également utilisée par les aviateurs vers 1930 pour laideur.
désigner une zone d’orages sans visibilité.
Q Manger sur le pouce Enfin, selon la dernière, la locution qui, inévitablement, venait dans les
viendrait de l’ancêtre des menottes, yeux des suivants.
Manger (très) rapidement.
les poucettes, dans lesquelles le pri- C’est ainsi qu’à l’origine l’expres-
Cette expression est attestée dès le sonnier devait placer ses pouces. sion signifiait « l’emporter sur
début du XIXe siècle. quelqu’un », sens aujourd’hui oublié.
D’abord, pensez aux ouvriers ou aux Q De la poudre Elle a comme sens, depuis le milieu du
paysans d’autrefois qui, ayant apporté de perlimpinpin XVIIe siècle, l’aveuglement assimilé à
leur repas dans leur gamelle, n’avaient l’éblouissement que peut provoquer
Un remède prétendument
que très peu de temps pour manger, sur quelqu’un une apparence très
extraordinaire, mais aux vertus
ou aux soldats en guerre qui, pendant flatteuse juste destinée à endormir
complètement imaginaires –
leurs déplacements ou dans l’attente sa méfiance, à le tromper.
Une solution présentée comme
d’être pilonnés ou attaqués, devaient
miraculeuse, mais qui ne sert
rapidement avaler leur repas.
Maintenant, imaginez une main
à rien. Q Mener les poules
tenant un bout de pain et l’autre
pisser – Aller traire
Perlimpinpin est un mot qui date de
tenant un couteau avec lequel le la première moitié du XVIIe siècle, mais
les poules
mangeur coupait un morceau de sa dont l’étymologie est inconnue. Il S’occuper de travaux
nourriture, le poussait sur le pouce s’est aussi écrit prelimpinpin. insignifiants ou fictifs.
qui, étant opposable aux autres Certains le comparent à une formule Être incapable de faire des
doigts, servait alors de cale, et l’y magique comme abracadabra. choses utiles.
maintenait tout en l’amenant à sa Est-ce parce que ceux qui, autrefois,
bouche. vendaient des poudres diverses en
Si votre imagination vous a permis de prétendant qu’elles étaient des re-
bien voir ce geste autrefois commun, mèdes extrêmement efficaces contre
alors vous venez de comprendre tout et n’importe quoi, les présen-
l’origine de cette expression, effec- taient comme des produits un peu
tivement associée à une consomma- magiques ?
tion rapide de la nourriture ! Toujours est-il que ces poudres se
David de Koninck (vers 1644-après 1701),
sont aussi, et à juste titre, appelées huile sur toile.
Q Mettre les pouces « poudre de charlatan ».
La première expression date du
Par extension, l’expression peut s’ap-
Cesser de résister, s’avouer XVIe siècle, la seconde est plus
pliquer à tout ce qui est censé appor-
vaincu, céder. récente puisqu’elle est attestée
ter une solution à quelque chose et
au XIXe siècle.
Cette expression date de la fin du qui s’avère complètement inefficace.
Les poules pouvant faire leurs be-
XVIIIe siècle, époque à laquelle on
soins librement autour du poulail-
disait aussi coucher les pouces. Dans Q Jeter de la poudre ler, il est évident qu’une telle oc-
les cours de récréation, elle est de- aux yeux cupation n’est pas vraiment utile.
venue un simple « Pouce ! » lorsque
Présenter des apparences Mais quand on sait en plus que
l’enfant signale qu’il veut arrêter ce
flatteuses, mais trompeuses. les poules ne pissent pas puisque
à quoi il participe.
urine et fiente se mélangent dans
Trois écoles s’affrontent sans pitié à Le mot poudre nous vient au
le cloaque, cela ne fait qu’accen-
propos de son origine. XIIe siècle du latin pulvis qui désignait
tuer l’inutilité de la chose.
La première suppose qu’elle provient « la poussière du sol ». C’est parce
Pour la seconde expression, les
des Romains où le pouce des specta- qu’il s’est spécialisé ensuite dans
poules n’ayant pas de pis ou de ma-
teurs servait au vainqueur d’un com- quelques autres usages que le terme
melles et ne produisant pas de lait, il
bat à savoir s’il devait gracier (pouces poussière a fini par le remplacer.
est donc totalement inepte de vou-
en l’air) ou achever (pouces tournés Dans notre expression, c’est bien la
loir les traire. Autant dire que celui
vers le sol) son adversaire vaincu. poussière du sol qu’il évoque.
qui prétend aller traire les poules a
La seconde dit que la locution vient En effet, selon Furetière, l’origine
un comportement identique à celui
du fait que le pouce ne peut se poser vient des jeux Olympiques. Lors
qui dit vouloir aller peigner la girafe.
ou reposer dans la main qu’à partir d’une course, ceux qui étaient de-
Ces deux expressions s’appli-
du moment où son propriétaire re- vant, donc qui étaient bien partis
quaient aussi aux benêts, aux
nonce à tenir une arme, acceptant pour l’emporter sur leurs adver-
simples d’esprit, incapables de
ainsi sa défaite. saires, soulevaient de la poussière
faire des choses plus utiles.
Q Faire ripaille C’est de cette constatation que les s’échangeaient à l’époque les têtes
voix de ce type ont été appelées couronnées.
Bien manger et bien boire (à
voix de rogomme à partir du début
une table copieusement garnie).
du XIXe siècle, version maintenant Q Travailler pour le roi
Le mot ripaille date du XVIe siècle et, tombée en désuétude, ou bien voix de Prusse
de nos jours, il ne s’emploie plus que de mélécasse un demi-siècle plus
Travailler pour rien, sans être
dans notre expression et vient de tard, forme qu’on peut encore en-
rémunéré.
l’ancien français riper qui voulait dire tendre ou lire de-ci de-là.
« gratter ». Apparue officiellement dans les
Faire ripaille s’utilisait alors pour les Q Le roi n’est pas son textes vers la moitié du XIXe siècle,
soldats avec probablement l’image cousin voilà encore une expression dont
des repas où les plats étaient raclés l’origine est incertaine, quatre
Il est plus heureux/plus fier
(grattés) jusqu’à ne rien laisser du explications circulant à son propos.
qu’un roi.
contenu. La première serait liée au fait que
Il existe une autre origine à cette Cette expression indique une no- les soldes payées aux mercenaires
expression, mais peut-être sujette à tion de plénitude, de satisfaction, du royaume de Prusse au début du
caution. pour avoir obtenu quelque chose XVIIIe siècle étaient dérisoires.
Nous sommes au XVe siècle. Le duc de que l’on a souhaité très fort et/ou Une deuxième dit que l’expression
Savoie, Amédée VIII, vient de perdre attendu très longtemps. viendrait d’une chanson de 1757 qui
son épouse et décide de se retirer Mais elle contient aussi parfois une se moquait de la défaite du Prince de
dans un prieuré pour mener une vie notion de fierté excessive, proche de Soubise à Rossbach et contenant la
de méditation et de chasteté. la prétention. phrase : « Il a travaillé pour le roi…
Mais n’ayant pas fait vœu de fruga- Elle s’emploie, par exemple, quand de Prusse. »
lité, l’endroit est le lieu de fréquents on parle d’un père lors de la nais- La troisième suppose qu’elle vien-
banquets. sance de son premier enfant, ou drait du roi Frédéric Guillaume Ier qui
Or, il se trouve que le prieuré était un lauréat d’un concours, les deux était d’une avarice sans limites et qui
celui de Ripaille. étant à la fois extrêmement heureux ne payait que très peu les gens qui
Ce serait donc le souvenir de ces et fiers. travaillaient pour lui.
banquets qui aurait donné naissance À la fin du XVIe siècle, on disait « le La quatrième est évoquée par
notre expression. roi n’est pas son ami », preuve que Charles Rozan dans ses Petites igno-
le terme de cousin utilisé ici n’est pas rances de la conversation, ouvrage
Q Une voix de rogomme/ lié aux liens sanguins des différentes paru en 1857. Il y indique que notre
de mélécasse familles royales européennes et à expression pourrait être de Voltaire,
l’appellation « mon cousin » que se plaignant d’« avoir travaillé pour
Une voix rauque ou éraillée,
QQQ
généralement due à une
consommation abusive et
répétée d’alcool. Q À tour de rôle
Si on est sûr que le mot rogomme À chacun son tour.
désigne une eau-de-vie depuis la fin
Nous allons remonter au milieu du XVe siècle, époque où à tour de rolle (ou
du XVIIe siècle, on ne sait pas grand-
rollet) apparaît avec le sens qu’on lui connaît encore, c’est-à-dire à chacun
chose de plus.
son tour, mais « dans l’ordre d’inscription au rôle ».
Quant à mélécasse (ou mêlécasse
Car le mot rôle, qui date du XIIe siècle, nous vient du latin médiéval rotulus
ou mêlé-casse), c’est, incontestable-
qui désignait un parchemin roulé. Et il se trouve que, si ces rouleaux de
ment cette fois, une abréviation de
parchemin conservaient des écrits de toutes sortes, ils servaient aussi à tenir
mélécassis, une boisson associant
des registres administratifs, des listes de personnes accompagnées d’infor-
ou mêlant de l’eau-de-vie et de la
mations variées, ou d’actes divers. Et même si les rouleaux ont peu à peu
liqueur de cassis.
laissé la place aux cahiers, carnets et répertoires, on les a appelés des rôles
Toujours est-il que, quel que soit l’al-
jusqu’à la fin du XVIIe siècle.
cool consommé sans modération,
Si, sur un navire, par exemple, vous prenez le registre ou « rôle » qui contient
rogomme, mélécassis, absinthe ou
le nom des marins et que vous faites l’appel, vous citez les noms l’un après
autre, on sait que cela peut avoir des
l’autre, dans l’ordre où ils se présentent sur le rôle, donc « à tour de rôle ».
effets néfastes sur la voix, la rendant
Et lorsque vous citez le dernier nom, vous êtes à la fin du rôle ou, autrement
souvent éraillée.
dit, si on se rappelle les rouleaux de parchemin, au bout du rouleau.
le roi de Prusse », alors que des pro- Au début du XIIe siècle, l’adjectif (où le train est l’arrière-train ou le
messes de récompenses n’avaient s’utilise pour désigner quelqu’un qui postérieur) ou bien se magner le cul,
pas été tenues. a mangé et bu à satiété. par exemple. En fait, tous les mots
Ce n’est qu’à la fin du même siècle désignant tout ou partie du posté-
Q Bon comme la romaine que son usage est restreint au sens rieur peuvent être utilisés ici (comme
de « ivre ». popotin, derche…).
Extrêmement bon ou gentil,
Quant à l’adjectif rond, il a aussi dé- À partir du XVIe siècle, se manier
d’une bienveillance extrême –
signé une personne ayant le ventre avait le sens de « se mouvoir »
Être voué à subir une
bien rebondi du fait d’avoir l’habi- ou « s’activer ». Se magner en est
situation désagréable.
tude de manger et boire plus qu’il une déformation populaire datant
C’est de la laitue romaine, dont il est ne faut. Donc une personne qu’on du milieu du XVIIIe siècle (d’ailleurs,
ici question, introduite en France au disait aussi soûle. l’expression existe aussi sous la
XVIe siècle par François Rabelais. C’est la similitude de signification qui a forme se manier la rondelle, mais
Mais malgré cela, cette expres- fait que rond est devenu synonyme de elle peut prêter à confusion avec le
sion semble récente puisqu’on soûl dès le XVe siècle et a accompagné sens actuel du verbe manier).
n’en trouve des attestations qu’au jusqu’à nos jours le glissement de ce
XXe siècle, sans que son origine soit mot vers le seul sens de « ivre ». Q Rôtir le balai
précise.
Vivre dans la pauvreté –
C’est parce que cette salade était Q Un rond-de-cuir Mener une vie de débauche.
considérée comme tellement bonne
Un employé de bureau.
(au goût) qu’à partir de vous êtes C’est grâce aux lexicographes qu’on
très bon (ou gentil), l’usage popu- Autrefois, lorsque les sièges comprend que le sens ancien de cette
laire y a ajouté par plaisanterie un étaient loin d’avoir le confort d’au- expression, celui en vigueur à partir
élément de comparaison qui est fi- jourd’hui, on utilisait souvent, pla- du XVIe siècle, signifie en réalité « être
nalement resté. cé entre le siège et les fesses, un tellement pauvre que, à défaut de
La bonté dont il est question ici com- coussin en cuir plus ou moins rem- bois, on en est réduit à brûler le balai ».
porte en général un sous-entendu bourré et généralement de forme Autrement dit, si on « rôtit » le balai,
de faiblesse. circulaire, un rond de cuir. ce n’est pas dans le but de le savou-
La seconde signification de l’expres- Puis en 1893, Georges Courte- rer, mais simplement dans celui de se
sion vient du mélange de la locution line, en se basant sur de nom- réchauffer avec le peu de combus-
initiale avec être bon au sens de breuses années de souvenirs tible qui reste disponible.
« être fait », « être piégé » ou « être personnels, a publié le roman C’est au XVIIIe siècle que le sens
très mal engagé (dans quelque Messieurs les ronds-de-cuir où change du tout au tout, chez
chose) ». il décrit la médiocrité des petits Rousseau.
Le lien avec la situation désagréable fonctionnaires appliquant avec Nombreux sont ceux qui supposent
à laquelle peut mener le fait d’être plus ou moins de délectation des qu’il y a une allusion aux sorcières qui,
trop gentil ou faible n’y est pas règlements stupides ou étant les chevauchant leur balai pour se rendre
étranger non plus. victimes de ces mêmes règlements. au sabbat, lieu propice à toutes les dé-
C’est très vite, grâce au succès de bauches, se rapprochent des flammes
Q Rond comme… ce roman, que le terme de rond- de l’enfer au contact desquelles leur
de-cuir a désigné de manière péjo- balai roussit quelque peu.
Complètement soûl.
rative un fonctionnaire peu motivé Cette relation aux sorcières pourrait
Dans cette expression, le comme ou inefficace ou un bureaucrate. aussi expliquer le fait que l’expres-
peut être suivi du nom de diverses sion s’appliquait surtout aux femmes
choses aux formes arrondies, va- débauchées.
riables selon les époques, comme Q Se magner la rondelle
balle, boule, pomme, barrique, bille, Q Au bout du rouleau
Se dépêcher.
queue de pelle…
Épuisé. Qui n’a plus
Mais pourquoi rond, en argot, est-il La rondelle dont il est question ici est
de ressources (physiques
synonyme de soûl ? un mot d’argot qui désigne l’anus
ou financières).
Le mot soûl ou saoul est issu du la- et qui date, avec cette signification,
tin satur qui voulait dire « rassasié », de la fin du XIXe siècle. Il est employé En moyen français, on disait être au
surtout de nourriture (pensez à sa- comme dans les autres expressions bout de son rollet. L’origine de l’ex-
turer). similaires que sont se magner le train pression remonte donc à très loin, si
QQQ
Q Le marchand de sable Lorsque le jouet tourne à pleine vi- déjà « avoir cent ruses au sac » avec
est passé tesse, il reste en apparence immobile le même sens.
et peut même produire un léger ron-
Il est l’heure de coucher les
enfants.
flement, selon la surface sur laquelle Q Hommes/Gens de sac
il tourne. et de corde
À la fin du XVIIIe siècle, on disait avoir C’est de cette « immobilité en ron-
Personnes condamnables
du sable dans les yeux pour dire flant » qu’on a dit « le sabot dort ».
(au sens propre du terme).
qu’on avait envie de dormir. Attestée chez François Villon au
Malfaiteurs, truands.
Et c’est même dès le XVIIe qu’un per- XVe siècle, si notre expression s’est
sonnage fabuleux qui vient jeter du perpétuée jusqu’à maintenant, c’est Cette expression va chercher son
sable dans les yeux des enfants est uniquement parce qu’on croit à tort origine dans l’Antiquité à Rome où,
utilisé pour représenter le sommeil. toujours savoir ce qu’est un sabot. lorsque les voleurs et autres assas-
Furetière, à la même période, écrit sins condamnés n’étaient pas en-
d’ailleurs : « Le petit homme leur a Q Avoir plus d’un tour core ou plus voués aux gémonies,
jeté du sable dans les yeux. » dans son sac une joyeuse coutume consistait à les
C’est en 1963 que, grâce à l’imagina- enfermer dans un sac, noué par une
Trouver toujours le moyen de
tion de Claude et Christine Laydu, le corde, avant de les jeter dans le Tibre
résoudre une difficulté.
marchand de sable apparaît pour la pour qu’ils s’y noient.
première fois sur les écrans de télévi- Le prestidigitateur, l’homme des Cette méthode fort sympathique
sion, accompagné sur son nuage blanc « tours » de magie, fait encore a été utilisée longtemps après, à di-
d’un gros Nounours qui va s’occuper, mieux que la femme qui transporte verses époques et dans divers pays.
pendant de nombreuses soirées, de tout un tas de choses dans son sac Ainsi, chez le sultan de Constanti-
coucher Nicolas et Pimprenelle. à main puisque, de son sac, il vous nople, les condamnés étaient noyés
sort aussi bien un lapin qu’une de cette manière dans le Bosphore.
Q Dormir comme femme équipée de son sac à main, En France aussi, sous Charles VI, entre
un sabot lui-même contenant… autres, avec noyade dans la Seine.
Et c’est de cet artiste et de son « sac Avec cette expression et une autre
Dormir profondément.
à malices » (dénomination officielle) acception du mot sac, on peut aus-
Si le nom sabot désignant une que nous vient cette expression, tou- si faire le lien avec les brigands qui
chaussure de bois apparaît à la fin jours par allusion à celui qui est ca- pillaient et saccageaient (hommes
du XVe siècle, le mot, d’abord sous la pable, grâce au contenu de son sac, de sac) et qui, une fois pris, étaient
forme çabot, apparaît bien avant, à la de parer à toute éventualité. condamnés à la pendaison (hommes
fin du XIe, et désigne une « sorte de Si ce n’est qu’en 1935 que la forme de corde).
toupie de forme conique en bas et actuelle de notre expression est ap-
cylindrique en haut, que font pirouet- parue, en 1851, on disait « avoir Q L’affaire est dans
ter les enfants en la frappant avec un bien des tours dans son sac » et Jean le sac
fouet ou une lanière » (Littré). de La Fontaine, en 1678, utilisait
L’affaire doit ou va réussir.
Aux alentours du XVIIe siècle, à une
Q Avoir les deux pieds dans le même sabot époque où, au cours des procès,
nombre de documents étaient
Être incapable d’agir – Rester inactif par manque d’initiative.
écrits sur les rouleaux de papier, les
Au cas où vous ne l’auriez pas déjà compris, vous êtes fait pour avancer en avocats et magistrats transportaient
déplaçant vos pieds l’un après l’autre, pas les deux en même temps, vos ces pièces dans des sacs.
pieds accolés vous rendant inapte à une action mobile. Une première explication de l’appa-
Il n’en a pas fallu beaucoup plus pour que soit imaginée un jour cette expres- rition de notre métaphore vient des
sion avec le sens indiqué. avocats.
Bizarrement, malgré l’ancienneté des sabots, on ne trouve les premières À la fin du procès, l’avocat certain
traces écrites de cette expression que vers la fin du XIXe siècle. d’avoir bien défendu son client
Le second sens proposé est une simple extension du premier, celui qui est rangeait ses documents dans son
incapable d’agir pouvant aussi, quand on ne connaît pas la cause de son sac en attendant le verdict, en
inaction, être pris pour quelqu’un de passif ou manquant d’initiative. pensant que l’affaire était dans le
Souvent employée sous une forme négative, l’expression désigne alors une sac, puisqu’il n’aurait plus besoin de
personne énergique, dynamique. les ressortir.
QQQ
Q Au temps/Autant pour les crosses, etc.). De ce sens […] complètement comme on aurait dû.
pour moi on a pu glisser à l’emploi figuré. On Or, il apparaît qu’on trouve, chez An-
dit au temps pour moi pour admettre toine Oudin en 1656, dans son Curio-
Se dit lorsqu’on admet avoir
son erreur […] la graphie autant pour sitez françoises pour supplément aux
commis une erreur.
moi est courante aujourd’hui, mais dictionnaires la locution autant pour
Cette expression a fait et continuera rien ne la justifie. » le brodeur signifiant « raillerie pour
certainement à faire couler beaucoup Mais on ne trouve pas vraiment, dans ne pas approuver ce que l’on dit ».
d’encre. la littérature ancienne, de trace écrite Mais après, comment expliquer pour-
Voici un extrait d’une page du site de de ce au temps… ! quoi on a du mal à trouver d’autres
l’Académie française, très affirmative Si l’on admet la graphie autant pour traces écrites de ce même autant
sur l’origine de cette expression : moi, on pourrait imaginer une sorte pour… avant le XXe siècle ?
« […] “au temps !” se dit pour de moquerie, accompagnée d’indul- Alors quelle graphie faut-il retenir ?
commander la reprise d’un gence, adressée à soi-même à propos Je vous laisse faire le choix en votre
mouvement depuis le début (au temps d’une chose qu’on n’aurait pas faite âme et conscience.
si petite qu’elle sera très vite résolue seconde par l’édition de 1935, mais
Q Une tempête ou contournée. Autrement dit, elle elle daterait de la fin du XVIIe siècle.
dans un verre d’eau importe peu, ce qui explique le pre-
Beaucoup de bruit ou mier sens indiqué. Q Être terre-à-terre
d’agitation pour pas grand- Cette forme impersonnelle est appa-
Avoir un esprit peu capable
chose. rue à la fin du XVIIe siècle. À son début,
de se détacher des choses
on disait plutôt : « À cela ne tienne ! »
Quelles sont la taille et la force des communes. Être prosaïque,
vagues qu’une tempête pourrait bien matériel, sans ambition.
provoquer dans un verre d’eau ?
Q Un tiens vaut mieux
Ce ne serait qu’une toute petite agi-
que deux tu l’auras – Cette locution existerait depuis le
tation dérisoire, sans aucun effet dé-
Mieux vaut tenir que XVIIe siècle.
Q À tombeau ouvert
Q Par tête de pipe Le seul point de convergence,
concernant le terme larigot, est qu’il À une vitesse très
Par personne.
a désigné une petite flûte. dangereuse. Trop vite.
Cette expression s’utilise familiè- Mais l’absence de certitude sur
Cette expression qui date de la fin du
rement lorsqu’on comptabilise des l’usage de ce mot ne permet pas
XVIIIe siècle s’utilise après des verbes
personnes : « il y aura 1/2 litre de vin non plus d’expliquer pourquoi c’est
indiquant le déplacement comme
par tête de pipe », par exemple, lors précisément larigot qui a été privilé-
galoper (à l’époque), rouler, aller…
d’un repas, ou bien « Levallois-Perret gié dans notre expression.
Ici, aucun second degré, puisque la
a une dette équivalente à 9 030 eu- Pierre-Marie Quitard, dans son Dic-
métaphore doit être comprise au
ros par tête de pipe ». tionnaire étymologique, historique
sens littéral des termes : celui qui
Au XIXe siècle, la locution tête de pipe et anecdotique des proverbes, ex-
roule « à tombeau ouvert » va si vite
seule était péjorative puisqu’elle plique que dans la cathédrale de
qu’il risque sa vie et va inexorable-
s’appliquait à un visage aux traits Rouen se trouvait une très lourde
ment et volontairement terminer sa
grossiers, par allusion aux têtes assez cloche nommée La Rigaud ou La Ri-
course directement dans le tombeau
grossières sculptées sur le fourneau gaude. En raison de ses dix tonnes,
qui l’attend grand ouvert.
de certaines pipes. elle était extrêmement difficile à
Puis au XXe siècle, c’est le croisement mettre en branle et à faire sonner.
de par tête, avec le même sens que Ses sonneurs étant très vite assoiffés
Q Tomber à l’eau/
notre expression, où la tête désigne par l’effort intense à fournir pour
dans le lac
simplement une personne, et de tirer sur les cordes, ils devaient vite Échouer, rester sans suite, ne
tête de pipe qui a enfanté notre lo- boire « à tire la Rigaud », qui se serait pas aboutir (en parlant d’un
cution. ensuite transformé en à tire-larigot. projet ou d’une entreprise).
Chronologiquement, vers le XVIIIe siècle,
Q À tire-larigot Q Un travail de titan on trouve d’abord l’expression tomber
En grande quantité, Un travail énorme, colossal, dans le lac dont on imagine très bien
énormément ou même gigantesque. qu’elle a pu se transformer en tomber
excessivement. dans l’eau au XIXe, avant de devenir
Selon la mythologie grecque, les Ti-
notre tomber à l’eau.
Cette expression semble apparaître tans sont des divinités qui ont pré-
Mais le lac est-il vraiment un lac ?
au début du XVIe siècle et n’était cédé les fameux dieux de l’Olympe.
Probablement pas !
associée à l’époque qu’au verbe L’un d’eux, Cronos, détrôna son
En effet, au XIIe siècle, un lacs
boire. père après l’avoir émasculé et, par
désignait un nœud coulant destiné
Tirer voudrait dire « faire sortir un peur d’être détrôné, avala tous ses
à capturer le gibier ou certains
liquide de son contenant » et à tire enfants au fur et à mesure de leur
animaux nuisibles (lacs et lacet
voudrait dire « sans arrêt, d’un seul naissance, sauf Zeus qui lui échappa.
ayant la même étymologie), et
coup ».
QQQ
tomber dans le lacs, c’était littéra- Et c’est bien celle en usage ici, la per- disait « tu brûles ! », brûler indi-
lement « tomber dans le piège », sonne passant d’un état « normal » quant la proximité.
puis figurément, mais beaucoup à un autre état où elle est enceinte, Le torchon brûle voudrait donc sim-
plus tard, « tomber dans l’embar- malade ou amoureuse, voire les trois plement dire « les coups sont très
ras/dans la misère ». en même temps, à la condition ex- proches ».
À cette époque, lacs se prononçait la. presse qu’il s’agisse d’une femme.
Ensuite, au XVIIIe, alors que l’usage du Q Y a pas à tortiller du
lacs se perdait, sa prononciation s’est Q Le torchon brûle cul (pour chier droit
transformée en lac, ce qui a entraîné dans une bouteille)
La discorde règne (le plus
la confusion avec le lac en même
souvent au sein d’un couple). On ne peut plus hésiter, il faut
temps que l’évolution du sens.
trancher, il faut prendre une
Le Dictionnaire historique de la
décision – C’est indéniable.
Q Tomber enceinte/ langue française indique que le
malade/amoureux… premier sens du mot torchon, C’est au XVIIe siècle qu’on trouve
au XIIe siècle, correspondait à un l’expression tortiller sa pensée pour
Passer à l’état de personne
coup que l’on donne. D’où le désigner des cheminements de pen-
enceinte/malade/amoureuse.
rapprochement avec la bagarre qui sée compliqués.
Ce qui étonne en général dans cette s’annonce lorsque le torchon brûle. Par opposition, on pouvait donc dire
expression, et qui en justifie la pré- Quant au Dictionnaire de l’Académie il ne faut pas tortiller sa pensée, as-
sence ici, c’est l’usage du verbe tom- française de 1798, il nous dit ceci : sez vite raccourci en un il ne faut pas
ber, généralement associé à quelque « Torchon, se disoit aussi au sens de tortiller attesté en 1756.
chose de brutal, que ce soit une Torche. De là le proverbe populaire, Mais avant, à la fin du XVIIe siècle, on
chute ou un choc, par exemple. Le torchon brûle entre eux, ou sim- trouvait déjà un tortiller du cul, ap-
Il faut donc simplement se rappeler plement, Le torchon brûle, pour dire, pliqué aux femmes qui marchent en
que, parmi les nombreuses accep- Il y a entre eux un sujet de discorde se déhanchant.
tions de ce verbe multi-usages (tom- allumé. » La combinaison des deux a donné,
ber la veste, tomber une femme, Pour Claude Duneton, l’expression à la fin du XVIIIe siècle, un il ne faut
tomber un adversaire, tomber sur serait un double jeu de mots. pas tortiller du cul avec le même
quelqu’un, tomber en désuétude, D’abord, torchon serait une plaisan- sens que notre expression. Au fil du
tomber de haut…), il en est une qui terie basée sur torcher ou se torcher temps, l’ensemble s’est raccourci en
signifie « devenir » ou « passer d’un au sens de « se battre ». y a pas à tortiller.
état à un autre » lorsque le verbe est Ensuite, vous vous rappelez certai- Quant à la version étendue, qui ne
suivi d’un attribut. nement ce jeu où, gamin, on vous contient pas toujours dans une bou-
teille, elle est citée en 1977 par Fran-
çois Caradec dans son Dictionnaire
Q Tonnerre de Brest ! du français argotique et populaire.
Juron de marin.
Q Être mis/Rester
Il existe deux explications sur l’ori- sur la touche –
gine de l’expression. Les deux Botter en touche
convergent sur le fait que ce ton-
Être mis/rester à l’écart –
nerre était un coup de canon et,
Éluder un problème en
selon certains le nom du canon lui-
déplaçant l’objet du débat.
même.
Les deux raisons d’entendre ce coup Ces expressions datent du début du
de tonnerre très particulier étaient XXe siècle.
les suivantes : Louis François Cassas (1756-1827), Brest, Dans les jeux de ballon, la « touche »
Penfeld harbour in 1777.
– les tirs (effectués à blanc) qui mar- est la zone où on n’a plus le droit de
quaient la vie de l’arsenal brestois, à chaque ouverture et fermeture des jouer.
portes ; Les bancs de touche sont ceux où
– les tirs qui signalaient les évasions du bagne de Brest. On peut d’ailleurs sont assis les joueurs exclus ou en
noter que les tirs effectués pour les évasions s’entendaient loin dans la rade attente de rentrer sur le terrain.
de Brest, entre autres jusqu’à Landerneau, et que, selon certains, ce serait là Être mis sur la touche, c’est donc
l’origine de l’expression cela va faire du bruit dans Landerneau. être exclu de la partie, qu’il s’agisse
QQQ
Q Être verni notre expression s’expliquerait alors doivent être prononcés et entendus
facilement : celui qui est protégé des que par des adultes.
Être chanceux.
mauvais coups ou de la malchance est Ce n’est que plus tard que cette ex-
Voilà une autre expression dont l’ori- incontestablement verni ! pression initiale a été transformée et
gine n’est pas connue avec certitude. qu’aux vertes ont été accolées des
Ce qui est sûr, c’est que verni en ar- Q Comme la vérole pas mûres pour créer ce qui paraît
got veut dire « chanceux », le nom sur le bas clergé être une répétition.
masculin verni signifiant « chance » (espagnol/breton) Précédée de en entendre ou en ra-
ou « bonheur », dès 1906. Mais conter, c’est le premier sens pro-
Brusquement, avec violence.
pourquoi ? posé pour l’expression qui est à
Une explication communément Du XIIe au XVe siècle, la vérole désignait considérer.
avancée dit que les ennuis glissent la variole. Au XVIIe c’était la varicelle Puis, par extension, des choses cho-
sur une surface vernie à peu près qu’on appelait la « vérole volante ». quantes ou incongrues, on est pas-
aussi bien qu’un pet sur une toile Mais, bien sûr, depuis le XVIe siècle, sé aux ennuis ou aux difficultés, et
cirée. Ils ne s’attardent donc pas et la vérole est en réalité la syphilis, l’expression est alors généralement
seule la chance reste. maladie vénérienne grave. précédée d’un en voir ou en subir.
Mais d’après Gaston Esnault, en L’expression, qui date probablement
1901 et en argot, verni a d’abord si- de l’Ancien Régime, semble avoir été Q Se mettre au vert
gnifié « protégé », sens qui se com- inventée par des gens peu amènes
Aller se reposer, se refaire
prend aisément, un meuble étant avec les hommes de Dieu, puisqu’elle
à la campagne – S’éloigner
protégé par son vernis. prétend qu’une épidémie de syphilis
d’une situation ou d’un
Le glissement rapide vers « chanceux » pourrait s’abattre brusquement sur
endroit stressant, dangereux,
ou « veinard » qu’on trouve dans les prêtres et se répandre très rapide-
désagréable.
ment, alors que nous savons parfai-
tement que ceux qui portent la robe Cette expression nous vient du
Q Avoir la main verte ont fait vœu de chasteté. XIXe siècle, mais c’est déjà dès le XVIe que
Savoir entretenir les La localisation géographique du bas vert désigne les prés, la campagne,
plantes, être en harmonie clergé ainsi visé n’est pas systémati- la nature qui, pour les citadins (mais
avec elles. quement précisée dans l’expression. certainement pas pour les paysans
Et rien ne semble indiquer pourquoi de l’époque) étaient un endroit où il
L’apparition de la locution avoir
l’espagnol ou le breton aurait plus faisait bon se reposer, s’éloigner des
la main employée à propos de
droit à son épidémie infamante que soucis de la vie de tous les jours…
quelqu’un qui est habile dans un
l’auvergnat, l’alsacien ou le proven- Par extension, le vert a aussi dési-
domaine particulier ou dans le ma-
çal. Sauf, peut-être, si la densité de gné un endroit lointain ou discret
niement de quelque chose est as-
prêtres était plus importante dans permettant de s’éloigner, pour
sez logique, la main se confondant
ces régions qu’ailleurs. quelque raison que ce soit, d’une
alors avec la capacité à bien l’utiliser.
situation désagréable ou dange-
D’ailleurs, ce quelqu’un aura
d’abord dû se faire la main pour
Q Des vertes et des pas reuse. C’est ainsi que, dans le mi-
acquérir son savoir-faire.
mûres lieu des truands, se mettre au vert
peut aussi signifier s’éloigner de
Et quand le domaine où l’habi- Des choses choquantes,
problèmes potentiels afin de se
leté s’exerce touche aux plantes grossières, incongrues… – Des
faire oublier, au moins un temps.
qui, vous l’aurez certainement ennuis, des difficultés…
remarqué, sont en majeure par-
tie vertes au printemps et en été,
C’est au début du XVe siècle qu’on Q Prendre des vessies
il était tout aussi normal qu’une
commence à dire en bailler de belles, pour des lanternes
des vertes et des mûres en voulant
personne habile dans le jardinage Se méprendre de façon
dire « raconter des histoires licen-
et l’entretien de ce qui pousse en absurde et naïve.
cieuses ». Car vert prend ici le sens
terre soit désignée par un « elle/il
argotique qu’on lui connaît encore Sous sa forme actuelle, cette ex-
a la main verte ».
aujourd’hui pour qualifier des pro- pression est attestée au XIXe siècle.
Il semble que cette expression ne
pos osés. Quant à mûr, c’est depuis Mais Rey et Chantreau donnent les
date que de la seconde moitié
le XIIe siècle qu’il est équivalent à formes plus anciennes : vendre ves-
du XXe siècle ; et on la trouve aussi
« adulte » comme on le trouve dans sie pour lanterne dès le XIIIe, puis faire
parfois sous les formes avoir les
l’âge mûr. Or, des propos osés ne de vessies lanternes.
doigts verts ou avoir les pouces verts.
QQQ
Index
Numéroter ses abattis 4 Coller aux basques 18 Battre le briquet 34 Avoir voix au chapitre 47 Aux quatre coins de… 59
L’abbaye de C’est bath ! 19 Brut de décoffrage/ Aller au charbon 47 Être coiffé au/sur
Monte-à-Regret 4 Mener une vie de fonderie 34 Mettre la charrue avant le poteau 59
Être aux abonnés absents 4 de bâton de chaise 19 Couler un bronze 34 les bœufs 47 S’en moquer comme
Accuser réception 4 La bave du crapaud Danser devant le buffet 35 Arrête ton char (Ben-Hur) ! 47 de colin-tampon 60
Par acquit de conscience 4 n’atteint Coincer la bulle 35 Tomber de Charybde Collet monté 60
Faire ses ablutions 4 pas la blanche colombe 19 Tu peux (toujours) en Scylla 48 Faites chauffer la colle ! 60
Chercher une aiguille Jouer/Faire la belle 19 te brosser 35 Acheter/vendre chat Dans le collimateur 60
dans une botte/meule Se défendre bec De but en blanc 35 en poche 48 Frappé/Marqué
de foin 5 et ongles 20 Avoir un cadavre dans Appeler un chat un chat 48 au coin du bon sens 60
Se foutre en l’air 5 Tomber sur un bec 20 le placard 35 Avoir d’autres chats Avoir le compas
La perfide Albion 5 Jeter le bébé avec C’est le cadet à fouetter 48 dans l’œil 61
Alea Jacta est/Le dé en l’eau du bain 20 de mes soucis 36 Tenir la chandelle 48 Régler son compte
est jeté 5 Avoir le béguin 21 C’est fort de café 36 Avoir un chat dans (à quelqu’un) 61
T’as le bonjour d’Alfred 6 Un travail de bénédictin 21 Faire un caca nerveux 36 la gorge 49 De concert/De conserve 61
Allô 6 Le benjamin (de la Le café du pauvre 36 Tenir les pieds Faire une conduite de
De bon/mauvais aloi 6 famille, Yoyoter de la chauds/au chaud 49 Grenoble 61
L’alpha et l’oméga 6 de l’équipe…) 21 cafetière/la touffe 36 Un chaud lapin 49 Le complexe d’Œdipe 61
Vendre/Donner son âme C’est la Bérézina 21 Aux calendes grecques 36 Chauffe, Marcel ! 49 On lui donnerait le bon
au diable 7 La réponse du berger Se cailler les miches/les Il n’y a pas un chat 49 Dieu sans confession 62
Faire amende honorable 7 à la bergère 22 meules 37 Ne pas y aller par quatre Donner de la confiture
Amis jusqu’aux autels/ Vouloir le beurre et Boire le calice chemins 50 à un cochon 62
jusqu’à la bourse 7 l’argent jusqu’à la lie 37 Tous les chemins mènent Revoir sa copie 62
Être comme l’âne de du beurre 22 Battre la campagne 37 à Rome 50 Passer/Sauter du coq
Buridan 7 Avoir la berlue 22 Fumer le calumet À cheval donné on ne à l’âne 63
Bon an, mal an 7 Chercher la petite bête 23 de la paix – Enterrer regarde pas la bride/la À cor et à cri 63
Pour un point, Beurré (comme un la hache de guerre. 37 bouche/les dents 50 Un corbeau 63
Martin perdit son âne 8 p’tit Lu) 23 Il ne faut pas prendre Trouver chaussure C’est dans mes cordes ! 63
Être aux anges 8 Connaître bibliquement 23 les enfants à son pied 50 Comme un coq en pâte 63
Les Anglais ont débarqué 8 Se faire de la bile 23 du bon dieu pour des Manger avec les La corde au cou 64
Un ange passe ! 8 Passer sur le billard 23 canards chevaux de bois 51 Tenir la corde 64
Il y a anguille sous roche 9 Compter pour du beurre 23 sauvages ! 38 Un chèque en bois 51 Tenir les cordons
Un compte d’apothicaire 9 Tremper son biscuit 24 Prendre/Sucer un canard 38 Un chevalier d’industrie 51 du poêle 64
Dans le plus simple Bisque ! Bisque ! Rage ! 24 Boire un canon/un coup 38 Un cheval de Troie 51 La corne d’abondance 64
appareil 9 Prendre une biture 24 Aller à Canossa 39 Être à cheval sur… 52 Porter/Planter
Le libre arbitre 9 En donner son billet 24 Il n’y a pas loin du Comme un cheveu des cornes 65
L’arbre qui cache la forêt 9 Se faire blackbouler 25 Capitole à la Roche sur/dans la soupe 52 Bayer/Bâiller
Une arlésienne 10 Une arme blanche 25 Tarpéienne 39 Couper les cheveux aux corneilles 65
Passer l’arme à gauche 10 Un bleu/bleu-bite 25 La caque sent toujours en quatre 52 Un choix cornélien 65
D’arrache-pied 10 Blanchir de l’argent 25 le hareng 39 Se faire des cheveux À son corps défendant 65
Signer son arrêt de mort 10 Faire un bœuf 26 Un capitaine d’industrie 39 (blancs)/de la mousse 52 Un cordon bleu 65
L’argent n’a pas d’odeur 10 Un vent à décorner Parler à la cantonade 40 Monter sur ses grands Ça se corse ! 66
Fier comme Artaban 11 les bœufs 26 Arriver comme les chevaux 52 (Taillable et) corvéable
Se faire appeler Arthur 11 Les bœuf-carottes 26 carabiniers 40 En cheville à merci 66
À l’article de la mort 11 Avoir quelqu’un Caracoler en tête 40 (avec quelqu’un) 53 À la côte 66
Être un as 11 à la bonne 26 En carafe 40 La cheville ouvrière 53 Filer un mauvais coton 66
Un homme de l’art Au petit bonheur Rabattre/Rabaisser Faire devenir chèvre 53 Un mauvais coucheur 66
– C’est du (la chance) 27 le caquet 40 Ménager la chèvre Avoir la cote 66
grand art Avoir la bosse de… 27 Le dernier carat 41 et le chou 53 Maigre comme un coucou 67
– L’enfance de l’art 11 Rire/Rigoler/Se marrer Muet comme une carpe 41 Vivre chichement 53 Avoir les coudées franches 67
L’assiette au beurre 12 comme un bossu 27 Carpe diem 41 C’est le chien de Jean Avoir des couilles 67
Ne pas être dans son Proposer la botte Se comporter/S’aplatir de Nivelle (il s’enfuit Avaler des couleuvres 67
assiette 12 (à une femme) 27 comme une carpette 41 quand on l’appelle) 54 Battre sa coulpe 68
Ne pas être sorti Jeter son bonnet Les carottes sont cuites 41 Le premier chien coiffé 54 En deux coups les gros 68
de l’auberge 12 par-dessus les moulins 27 Se tenir à carreau 42 Les chiens aboient Faire le coup du père
Un as de pique 12 Ça me botte ! 28 Sur le carreau 42 et la caravane passe 54 François 68
Une auberge espagnole 13 Avoir/Mettre l’eau Donner carte blanche 42 Les chiens ne font Sans coup férir 68
De bon/mauvais augure 13 à la bouche 28 Tourner casaque pas des chats 54 Un coup de fil 68
Mesurer à l’aune de… 13 Faire la fine bouche 28 – Retourner sa veste 43 Ne pas attacher son Tirer son coup 68
Dans tous les azimuts Mettre les bouchées Passer à la casserole 43 chien avec des saucisses 55 Il y a loin de la coupe
– Tous azimuts 13 doubles 28 Traîner une casserole 43 Un chien regarde bien aux lèvres 69
L’avocat du diable 13 Un bouc émissaire 28 En catimini 43 un évêque 55 Être sous la coupe
Être/Rester baba 14 De la bouillie pour Coiffer sainte Catherine 44 Un temps de chien 55 (de quelqu’un) 69
L’avoir dans le baba 14 les chats 29 Un cautère/emplâtre Une chiffe molle 55 Tomber comme
Une vieille baderne 14 S’en aller/Tourner sur une jambe de bois 44 Un chien de commissaire 55 un couperet 69
Une tour de Babel 14 en eau de boudin 29 Être sujet à caution 44 Se crêper le chignon 56 Une coupe sombre 69
La bailler belle/bonne 15 Un bouillon d’onze heures 29 Passer au caviar Avoir les yeux de Faire la cour (à quelqu’un) 70
À plein badin 15 Tirer à boulets rouges 29 – Caviarder 44 Chimène 56 Être au courant 70
Ça fait un bail ! 15 Pousser le bouchon La cerise sur le gâteau 44 Défrayer la chronique 56 Être coutumier du fait –
Un baiser de Judas 15 un peu loin 29 Se serrer la ceinture 45 Être chocolat 56 Une fois n’est pas coutume 70
Plier bagage 15 Avoir le bourdon 30 La femme de César ne doit Mettre/Tirer au clair 57 Le (petit) doigt sur la couture
Rire/Rigoler/Se marrer Se tirer la bourre 30 pas être soupçonnée 45 Mettre la clé sous du pantalon 70
comme une baleine 16 Bourré comme un coing 30 Ni chair ni poisson 45 la porte 57 La cour des grands 70
La balle est dans Sans bourse délier 30 Vouloir faire passer Être (un) grand clerc 57 Vaincre/Battre à plate(s)
votre camp ! 16 La bouteille à l’encre 30 un chameau par le chas Prendre ses cliques couture(s) 71
Ouvrir/Fermer le ban 16 Un boute-en-train 31 d’une aiguille 45 et ses claques 57 Un panier de crabes 71
Convoquer le ban La dive bouteille 31 Se réduire comme (Ravi) au septième ciel 57 Tirer sa crampe 71
et l’arrière-ban 16 Ruer dans les brancards 31 une peau de chagrin 46 Déménager à la cloche Pendre la crémaillère 71
Un baroud d’honneur 17 Scier la branche Appuyer sur le de bois 58 Changer de crèmerie 71
Avoir barre sur quelqu’un 17 sur laquelle on est assis 31 champignon – Sonner les cloches (à S’en jeter un derrière
Être mal barré 17 Mettre les bouts 32 Conduire le champignon quelqu’un) 58 la cravate 71
Lâcher les baskets/la À bras raccourcis 32 au plancher 46 River son clou Au creux de la vague 72
grappe 17 Avoir le bras long 32 Manger/Bouffer comme (à quelqu’un) 58 La critique est aisée,
Une république Coûter un bras 32 un chancre 46 Clouer le bec 58 mais l’art est difficile 72
bananière 17 Un branle-bas de combat 32 Le jeu n’en vaut pas Dans le coaltar/coltar 58 La croix et la bannière 72
Bassiner quelqu’un 18 Battre en brèche 33 la chandelle 46 Se taper la cloche 58 Riche comme Crésus 72
Cracher au bassinet 18 Une brève de comptoir 33 Devoir une fière Manquer/rater le coche 59 Tailler des croupières 73
Savoir où le bât blesse 18 À bride abattue 33 chandelle 46 Avoir le cœur sur la main 59 Tant va la cruche à l’eau
En bataille 18 À la mode de Bretagne 33 Sur les chapeaux de roues 47 Haut les cœurs ! 59 qu’à la fin elle se casse/brise 73
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