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Est-ce bien pour lui, cette belle dame qui parle, qui explique, qui
interroge avec politesse,qui dit « vous » à tout le monde ? A-t-il
enfin la mine d’un camarade pour tous ces garçons bien vêtus,
bien élevés, à l’air si intelligent ? Il lui semble être un intrus dans
cette nouvelle société qui l’éblouit. Azir, qui n’est pas loin de lui se
tourne de temps en temps pour l’encourager d’un sourire. Son
cœur déborde de reconnaissance.
À la récréation, il commence à se rassurer. Les élèves sont
généralement aimables le premier jour. Si ceux des autres classes
ne le remarquent même pas, ses nouveaux camarades par contre
–quelques-uns d’entre eux tout au moins – mettent une certaine
coquetterie à attirer son attention : l’un fait de l’esprit pour le
faire rire, un autre explique avec fougue un théorème que tout le
monde a compris aussi bien que lui, un troisième déclame
comiquement les imprécations de Camille. Menrad est prêt à
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À L’ÉCOLE
A l’école, nous gagnions nos places, filles et garçons mêlés,
réconciliés et, sitôt assis, nous étions tout oreille, tout immobilité,
si bien que le maître donnait ses leçons dans un silence
impressionnant. Et il eût fait beau voir que nous eussions bougé !
Notre maître était comme du vif-argent : il ne demeurait jamais
en place ; il était ici, il était là, il était partout à la fois ; et sa
volubilité eût étourdi des élèves moins attentifs que nous. Mais
nous étions extraordinairement attentifs et nous l’étions sans
nous forcer : pour tous, quelque jeunes que nous fussions,
l’étude était chose sérieuse, passionnante ; nous n’apprenions
rien que ne fût étrange, inattendu et comme venu d’une autre
planète ; et nous ne nous lassions jamais d’écouter… L'idée de
dissipation ne nous effleurait même pas ; et c’est ainsi que nous
cherchions à attirer le moins possible l’attention du maître : nous
vivions dans la crainte perpétuelle d’être envoyé au tableau.
L’ONCLE
Quand je me rendais à Tindican, c’était le plus jeune de mes
oncles qui venait me chercher. Il était le cadet de ma mère et à
peine sorti de l’adolescence ; aussi me semblait-il très proche
encore de moi. Il était naturellement gentil, et il n’était pas
nécessaire que ma mère lui recommandât de veiller sur moi : il le
faisait spontanément. Il me prenait par la main, et je marchais à
ses côtés ; lui, tenant compte de ma jeunesse, rapetissait ses pas,
si bien qu’au lieu de mettre deux heures pour atteindre Tindican,
nous en mettions facilement quatre, mais je ne m’apercevais
guère de la longueur du parcours, car toutes sortes de merveilles
la coupaient.
À mesure que nous avancions sur la route, nous délogions ici un
lièvre, là un sanglier, et des oiseaux partaient dans un grand
bruit d’ailes ; parfois aussi nous rencontrions une troupe de
singes ; et chaque fois je sentais un petit pincement au cœur,
comme plus surpris que le gibier même que notre approche
alertait brusquement. Voyant mon plaisir, mon oncle ramassait
des cailloux, les jetait loin devant lui, ou battait les hautes herbes
avec une branche morte pour mieux déloger le gibier. Je l’imitais,
mais jamais très longtemps : le soleil, dans l’après-midi luit
férocement sur la savane ; et je revenais glisser ma main dans
celle de mon oncle. De nouveau nous marchions paisiblement.
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SOUVENIRS D’ENFANT
J’étais enfant et je jouais près de la case de mon père. Quel âge
avais-je en ce temps-là ? Je ne me rappelle pas exactement. Je
devais être très jeune encore : cinq ans, six ans peut-être. Ma
mère était dans l’atelier, près de mon père, et leurs voix me
parvenaient, rassurantes, tranquilles, mêlées à celles des clients
de la forge et au bruit de l’enclume.
Brusquement j’avais interrompu de jouer, l’attention, toute mon
attention, captée par un serpent qui rampait autour de la case,
qui vraiment paraissait se promener autour de la case ; et je
m’étais bientôt approché. J’avais ramassé un roseau qui traînait
dans la cour — il en traînait toujours, qui se détachaient de la
palissade de roseaux tressés dont notre concession — et, à
présent, j’enfonçais ce roseau dans la gueule de la bête. Le
serpent ne se dérobait pas : il prenait goût au jeu ; il avalait
lentement le roseau, il l’avalait comme une proie, avec la même
volupté, me semblait-il, les yeux brillants de bonheur, et sa tête,
petit à petit, se rapprochait de ma main. Il vint un moment où le
roseau se trouva à peu près englouti, et où la gueule du serpent
se trouva terriblement proche de mes doigts.
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LA MAISON
La vie, hélas ! ne lui1 fut pas toujours légère.
Comme les paysans que le grand âge tord,
La maison a souffert, ennuis, deuils et misères,
Tant et tant que, peut-être, elle pense à la mort !
Kalumbi le bavard
Kalumbi écoute le bruit qu’il fait en parlant, il parle pour le plaisir
de parler, il parle comme on respire, sans fatigue, et le sujet
importe peu, car Kalumbi est intarissable et universel. Il arrête à
peine de parler pour reprendre haleine, puis il repart de plus
belle.
S’il n’y a pas d’interlocuteur , Kalumbi se parle et se fait passer le
temps. Il est heureux qu’il existe des gens qui parlent beaucoup,
car connaissez-vous châtiment plus pénible que celui de vivre en
compagnie de gens taciturnes ?
Kalumbi n’est pas de ces pauvres mendiants qui ne devraient
jamais parler. Un homme de rien traité sa langue comme il traité
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Soleils couchants
J’aime les soirs sereins et beaux, j’aime les soirs,
Soit qu’ils dorent le front des antiques manoirs
Ensevelis dans les feuillages ;
Soit que la brume au loin s’allonge en bancs de feu ;
Soit que mille rayons brisent dans un ciel bleu
À des archipels de nuages.
Oh ! regardez le ciel ! cent nuages mouvants,
Amoncelés là-haut sous le souffle des vents,
Groupent leurs formes inconnues ;
Sous leurs flots par moments flamboie un pâle éclair,
Comme si tout à coup quelque géant de l’air
Tirait son glaive dans les nues.
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