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Du même auteur

Le Secret d’Arthur, une tragédie bretonne, Paris, Le Rocher, 2011.


Les Ducs et Duchesses de Bretagne (Xe-XVIe siècle), Paris, Perrin, 2009 ; Prix des
Ecrivains bretons 2010.
Les Rois de Bretagne, légende et réalité (IVe-Xe siècle), Paris, Perrin, 2005.
La Résistance bretonne du XVe siècle à nos jours, Paris, Perrin, 2002.
Saint Dominique face aux cathares, Paris, Perrin, 1999.
Initiation à l’histoire de l’Eglise, Paris, Perrin, 1996 ; Le Grand Livre du Mois,
1996 ; traduit en portugais.
Anne de Bretagne, Paris, Perrin, 1990 [2014] ; Le Grand Livre du Mois, 1994.
Les Angevins au temps des guerres de religion, Paris, Perrin, 1987.
Lyons-la-Forêt (coordination), Paris, Imprimerie nationale, 1976.
Les Lampes romaines en terre cuite de l’époque impériale, Actes du 97e congrès
national des Sociétés savantes, Paris, Imprimerie nationale, 1975.

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© Perrin, un département d’Édi8, 2014

12, avenue d’Italie


75013 Paris
Tél. : 01 44 16 09 00
Fax : 01 44 16 09 01

Crédit couverture : Le Couronnement de Marie de Médicis à la cathédrale Saint-Denis le 13 mai 1610.


Peinture de Pierre Paul Rubens, XVIIe siècle, Paris, musée du Louvre. © Photo Josse/Leemage.

ISBN : 978-2-262-04907-2

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Sommaire
Couverture

Titre

Du même auteur

Copyright
Introduction. Pourquoi ce livre ?

I. Blanche de Castille, première femme d’Etat du royaume de France (1188-1252)

Des intérêts royaux convergents


L’heureuse élue

La soif de pouvoir (1200-1223)

Enfin reine ! (1223-1226)


« Femme par le sexe mais mâle par le caractère » (1226-1248)
La seconde régence de Blanche : le pouvoir jusqu’à la mort (1248-1252)

« Tu n’es que poussière »

II. Isabeau de Bavière, la reine égarée (1370-1435)

De la joie aux larmes (1370-1401)

D’un pouvoir délégué à l’assassinat du favori de la reine (1402-1407)

Isabeau s’efforce d’être reine malgré tout (1408-1415)…


Réactions de désespoir (1415-1419)

Une reine contrainte au déshonneur (1420-1422)

La triste fin d’une reine déchue (1420-1435)

III. Catherine de Médicis dans le tourment des guerres de religion (1519-1589)


Un destin fortuit de reine
La volonté pacificatrice de Catherine de Médicis, un rêve ?

Le feu aux poudres : le massacre de la Saint-Barthélemy (août 1572)

De nouveaux troubles sous Henri III (1574-1584)


Les rapports d’Henri III et de Catherine de Médicis dans l’exercice du pouvoir
Vaincre ou périr (1584-1589)

IV. Marie de Médicis, la reine dupée (1573-1642)


Dans une enfance endeuillée, une amitié
Marie, l’un des plus beaux partis du monde

Une reine déshonorée mais prolifique


L’assassinat d’Henri IV et la régence de Marie de Médicis (1610-1617)

Marie ne renonce jamais (1617-1624)

Une satisfaction pour Marie : la reprise de la guerre contre les huguenots


Retour au pouvoir de Marie de Médicis ? (1624-1630)

Une reine sans couronne (1631-1642)

V. Anne d’Autriche, régente pour la gloire de Louis XIV (1601-1666)


Une princesse adulée, une reine négligée (1601-1643)

Près de la régente, un Premier ministre si sûr, si aimable… (1643-1648)

La Fronde : Anne d’Autriche et Louis XIV contraints de fuir Paris (1648-décembre 1650)
Sans Mazarin, Anne d’Autriche doit s’imposer aux Frondeurs (1651)
L’habileté de Mazarin met un terme à la Fronde (1652-1653)

Mazarin réalise les souhaits d’Anne : la paix et la grandeur de Louis XIV (1653-1666)

Conclusion. Les reines régnantes et l’attrait du pouvoir

Sources et bibliographie

Index
A Elle seule,
à elles toutes,
et, bien sûr, à eux.
INTRODUCTION

Pourquoi ce livre ?

En France, les rois détiennent le pouvoir souverain par hérédité, selon les
règles de la primogéniture masculine. Le fils aîné d’un monarque devient roi à
son tour au décès de son père. S’il n’y a pas de successeur légitime en ligne
directe, c’est le plus proche parent du défunt qui hérite de la couronne. Et, quel
que soit l’heureux élu, il gouverne au nom du droit divin, par la volonté de Dieu
exprimée par le sacre.
Rien de tel pour les reines. Après leur mariage royal, elles ont une mission
essentielle : assurer la survie de la dynastie en donnant un dauphin et des garçons
à leur époux. Elles ne peuvent devenir régentes que si deux conditions sont
réunies : le décès ou l’absence de leur mari, et la minorité de son héritier.
Parfois, elles se préparent à cette échéance et s’initient à leurs futures
responsabilités. Mais la mort échappe souvent aux diagnostics des médecins ou
aux dangers des champs de bataille… La future élue doit être prête à prendre la
tête du royaume à tout moment, même si elle est encore insuffisamment formée
à gouverner.
Et il lui faudra être forte, très forte. Car l’absence d’un maître puissant, la
faiblesse de l’enfant roi et celle, présumée, de sa mère provoquent l’agitation de
la haute noblesse qui n’aspire qu’à retrouver ses prérogatives d’antan et à revenir
à la direction des affaires publiques au détriment de l’intruse, toujours étrangère
de surcroît.
Du XIIIe au XVIIe siècle, cinq reines ont eu à affronter les dures responsabilités
de régences prolongées : Blanche de Castille, mère de Saint Louis, Isabeau de
Bavière, épouse du dément Charles VI, Catherine de Médicis, Marie de Médicis
et Anne d’Autriche, mère de Louis XIV.
Pour savoir si ces femmes étaient éprises de pouvoir et, dans tous les cas, si
elles l’ont correctement exercé, j’ai étudié leur enfance et leur éducation, la
façon dont elles ont cohabité avec leur époux pendant la minorité des dauphins,
leur manière d’affronter l’adversité pendant leur gouvernement et le résultat final
de leur action.
J’ai tenté de me livrer à une étude comparée des cinq règnes afin de dégager,
au-delà des personnalités, des caractères communs sur les femmes au pouvoir.
I
Blanche de Castille,
première femme d’Etat du royaume de France
(1188-1252)

Rien ne semblait prédestiner Blanche de Castille à être reine de France, et


encore moins à jouer dans son pays d’adoption un rôle de premier plan dans
l’Histoire. Elle a été longtemps ignorée ou mise sous le boisseau, tenue
résolument à l’écart du pouvoir. Cela n’a fait qu’accroître son ambition et la
pousser, dans le secret des intrigues de Cour, aux subtilités de l’art du
gouvernement, apprentissage délicat et douloureux mais obligé pour un règne de
gloire.

Des intérêts royaux convergents

En ce XIIe siècle finissant, Blanche est une jeune princesse promise à de


hautes destinées par sa famille et sa naissance. Sa mère, Aliénor, est la fille
d’Aliénor d’Aquitaine et de l’illustre Henri II Plantagenêt d’Angleterre, décédé
en 1189. Elle est donc la nièce de Richard Cœur de Lion, qui régit d’une main de
fer la grande île et les principaux fiefs de la moitié occidentale du royaume de
France, de la Normandie aux Pyrénées. Son père est le plus puissant des
souverains chrétiens de la péninsule Ibérique : Alphonse VIII, roi de Castille, est
l’ennemi le plus résolu des Arabes qui ont envahi l’Espagne au début du
VIIIe siècle. Fer de lance de la Reconquista, il subit malgré tout des revers dans
son entreprise de reconquête, comme lors de la récente bataille d’Alarcos en
1195. Cette défaite n’est pas son seul souci. Alors que l’entente semble devoir
régner entre les monarques catholiques du Nord, ceux de Navarre, de León ou
d’Aragon, soucieux d’étendre leurs territoires, s’opposent régulièrement à lui.
Maître chez lui mais menacé de tous côtés, Alphonse VIII s’emploie à ménager
l’avenir en négociant des appuis solides. Pour obtenir la paix et l’alliance du roi
de León, il lui donne en mariage sa fille aînée, l’infante Bérengère, en 1197.
Comme lui sont nées successivement deux autres filles, Urraque vers 1187 puis
Blanche au début de 1188, il compte bien négocier deux nouvelles unions
matrimoniales qui conforteront sa position.
Ses appels à l’appui international sont entendus avec beaucoup d’intérêt en
France et en Angleterre, des royaumes qui connaissent, de façon différente il est
vrai, des difficultés. A Paris, le roi Philippe Auguste a des relations tendues avec
le Saint-Siège, qui lui reproche son inconduite conjugale : après avoir répudié en
1193 son épouse Ingeburge de Danemark le lendemain même de sa nuit de noces
sans raisons avouées et l’avoir fait enfermer dans un couvent, il s’est remarié
trois ans plus tard avec sa favorite, une Bavaroise, Agnès de Méranie… Au
grand dam du pape Innocent III, ardent promoteur de la théocratie, c’est-à-dire
du règne de Dieu sur terre. En tant que vicaire du Christ, mandaté par lui pour
sauver l’humanité du péché, il ne peut supporter qu’un monarque chrétien porte
atteinte à la sacralité du mariage, la bafoue au point d’épouser une maîtresse. Un
roi qui rompt avec les pratiques religieuses et entraîne les siens sur le chemin de
l’enfer doit être sévèrement condamné. En octobre 1199, Innocent III demande
aux évêques du Domaine royal de jeter l’interdit sur les territoires que possède
Philippe Auguste. Devant les hésitations d’un certain nombre de prélats, il
prononce lui-même la sanction au mois de janvier suivant.
Voici donc les croyants privés des célébrations de la liturgie : plus de messes,
plus de mariages ni de sépultures avec des prêtres… Le royaume redevient un
désert païen à une époque où la foi et la pratique catholiques animent la quasi-
totalité des Français.
La décision de Rome affaiblit considérablement les positions de Philippe
Auguste à un moment où il traverse une période de négociations difficiles avec
les Plantagenêts d’Angleterre, ceux-là mêmes qui, installés dans leurs fiefs
importants de l’Ouest français, constituaient hier encore une menace militaire
pour ses propres possessions.
En 1199, soit avant la sentence pontificale, il avait engagé des pourparlers
avec son rival Richard Cœur de Lion qui, après un long combat avec lui,
semblait vouloir profiter lui aussi d’un répit, l’argent indispensable à la guerre
venant à lui manquer.
La mort de Richard en avril 1199 fait naître chez Philippe un espoir de paix
encore plus solide. Jean sans Terre, le nouveau souverain Plantagenêt n’est pas
un stratège. Il est mal accepté en Angleterre et, sur le continent, il connaît des
difficultés avec de puissants vassaux du Sud-Ouest et du Val de Loire. Péril chez
l’un ; danger chez l’autre : les deux rois rivaux semblent appelés à s’entendre, au
moins pour quelque temps… Et comme le Castillan Alphonse VIII a besoin
d’être secouru, n’y aurait-il pas quelque accord possible qui satisfasse chacun ?
Les négociations reprennent avec empressement. A l’issue de celles-ci, à la
fin de l’année, Jean et Philippe conviennent de parvenir à un accord
diplomatique avant le 1er juillet 1200. Une importante décision de principe est
arrêtée : puisque les deux monarques veulent faire la paix et qu’il est d’usage de
sceller celle-ci par une union matrimoniale entre les deux familles alliées, le
prince Louis, fils de Philippe Auguste et héritier de la couronne de France,
épousera une nièce de Jean sans Terre, toujours sans enfant, une fille de sa sœur
Aliénor, reine de Castille. Ainsi l’union sera-t-elle pleinement réalisée dans la
tradition féodale. Pour le reste, tant mieux pour lui si Alphonse VIII trouve dans
l’alliance avec la France l’appui si désiré… L’essentiel pour l’instant, c’est la
satisfaction des anciens protagonistes réconciliés.

L’heureuse élue

Il n’avait pas été précisé dans les négociations qui d’Urraque ou de Blanche
épouserait Louis, et il était hors de question de demander au principal intéressé
de choisir entre les deux partis, puisqu’il s’agissait d’une décision prise au plus
haut niveau.
Pour départager les deux prétendantes, Jean sans Terre fait appel à sa mère
chérie, Aliénor d’Aquitaine. Le roi de France n’intervient pas directement ; il se
contente d’envoyer au château de Palencia, lieu de résidence habituel de la
famille royale de Castille, des ambassadeurs avec consigne de ramener en France
l’heureuse élue. La reine Aliénor, presque octogénaire, accepte la mission qui lui
est confiée avec un zèle particulier. Elle veut retenir la jeune fille qui servira le
mieux les intérêts des Plantagenêts en France au détriment de ceux des
Capétiens, ses ennemis de toujours. Au cours de plusieurs entretiens, elle se rend
compte que Blanche présente de bonnes dispositions intellectuelles et semble
moins docile que son aînée. Personne de caractère, elle sera la mieux armée pour
s’imposer plus tard à Louis et, en digne héritière de sa grand-mère, défendre la
cause anglaise à la cour de France. Aliénor fait connaître son avis aux envoyés
de Philippe Auguste, qui l’acceptent sans discuter : ce sera Blanche qui épousera
Louis.
Sur celle-ci, sur son physique, les chroniqueurs – exception faite des
courtisans qui vantent sa grâce et sa beauté par des formules flatteuses – ne nous
ont laissé aucune description crédible. Pour eux, elle est essentiellement « la
Castillane », c’est-à-dire qu’elle devait avoir des cheveux bruns et la peau plutôt
mate.
Alphonse VIII, lui, ravi de pouvoir bénéficier à l’avenir du soutien du roi de
France, n’a que faire des considérations esthétiques. L’alliance française lui
paraissant assurée, il promet à présent de marier Urraque au prince Alphonse,
appelé à régner sur le Portugal. Dans le nord comme dans le sud, l’avenir
s’annonce très favorable pour lui.
Une fois passée la fin de l’hiver au château de Palencia, Aliénor d’Aquitaine
et Blanche de Castille franchissent les Pyrénées et gagnent Bordeaux le 9 avril
1200, jour de Pâques. Elles sont accueillies avec faste par l’archevêque du lieu,
Elie de Malemort, tout dévoué à la reine mère à laquelle il doit ses titres et
fonctions. Puis les trois personnalités, dûment escortées, se dirigent vers l’Anjou,
berceau des Plantagenêts. Comme Aliénor ne se sent pas bien après ce long
voyage, qu’elle sent sa fin prochaine, elle décide de s’arrêter à l’abbaye de
Fontevrault. Là, elle enjoint au prélat et à Blanche de continuer leur route sans
elle et de se rendre en Normandie, précisément à l’église de Portmort, dans la
vallée de la Seine, où l’archevêque célébrera le mariage de Louis et de Blanche.
Le choix d’une bourgade relevant d’un duché de Jean sans Terre peut
surprendre. Il s’explique aisément si l’on se souvient que Paris et le Domaine
royal sont frappés d’interdit et qu’il serait très risqué pour les futurs époux de s’y
donner leur consentement mutuel : ce serait pour eux encourir l’annulation de
leur union.
La veille de la cérémonie, le lundi 22 mai, Philippe Auguste et Jean sans
Terre signent le traité de paix dont ils étaient convenus l’année précédente. Les
dispositions de ce dernier sont arrêtées définitivement au Goulet, sur les bords de
la Seine, entre Gaillon et les Andelys. Elles ne modifient pas sensiblement les
rapports de force entre l’Anglais et le Français, malgré des concessions
mutuelles. En effet, Jean reconnaît la suzeraineté du Capétien sur ses fiefs
continentaux. De son côté Philippe considère le Plantagenêt comme l’héritier
légitime de Richard Cœur de Lion et doit renoncer à appuyer le duc Arthur de
Bretagne, adversaire du roi d’Angleterre. Désormais, Arthur devra jurer fidélité
à Jean et renoncer définitivement à l’Anjou, au Maine et à la Touraine que
Philippe Auguste lui avait promis. En compensation du préjudice diplomatique
subi, le souverain français reçoit de son nouvel allié les régions d’Evreux, de
Boulogne et du Ponthieu, dispositions de nature à renforcer sa stratégie de
défense au nord et au nord-ouest. Naturellement, pour sceller la paix retrouvée,
on convient, dans un bref article, du mariage de Louis et de Blanche, à qui Jean
concède en modeste dot le Berry occidental. Le couple n’est que le faire-valoir
d’une paix qui, à bien y réfléchir, ne peut pas durer longtemps puisqu’elle
instaure, en dépit de quelques dispositions, un équilibre précaire entre les deux
puissants royaumes.
C’est dans ces conditions qu’Elie de Malemort célèbre la cérémonie de
mariage, le 23 mai 1200. Beaucoup de dignitaires, de conseillers de Philippe
Auguste assistent à l’union du couple qui, dans quelque temps peut-être, dirigera
la France. Mais l’enthousiasme n’y est pas : contrairement à l’usage, la messe est
célébrée rapidement ; il n’y a aucune des réjouissances traditionnelles : ni
tournoi ni banquet. Bientôt les Français s’empressent de regagner Paris comme
s’ils étaient soulagés d’un poids. L’interdit pontifical a décidément
considérablement gêné la liberté de manœuvre du roi de France. Bien sûr, il a
obtenu la paix avec l’Angleterre, mais n’aurait-il pas pu obtenir davantage dans
d’autres circonstances ?
Et ces jeunes mariés-là… A douze ans chacun, à quoi pourront-ils lui servir ?
Ces noces d’enfants ne lui apporteront rien, si ce n’est l’arrivée d’une jeune
princesse qui, bientôt sans doute, poussera Louis à s’affranchir de la tutelle
paternelle…

La soif de pouvoir (1200-1223)

Une si longue attente…

L’arrivée du couple princier dans la capitale se passe presque dans


l’anonymat : pas de foule en liesse, ni même de sonneries de cloches en raison
des prescriptions pontificales. Et l’aspect de la nouvelle demeure de Blanche, le
palais royal de l’île de la Cité, austère et en mauvais état, lui fait amèrement
regretter son château natal de Palencia. Philippe Auguste pense bien faire édifier
une nouvelle résidence au Louvre, mais pour l’heure…
Le cœur de Blanche s’emplit de tristesse : ce mariage bâclé, ce pays
indifférent, ces lieux sombres si opposés à ceux de son enfance, baignés, eux, de
soleil, résonnant de mille accords de musique et de bruits de fête… Mis à part
son mari, qui la connaît si peu, elle n’a personne à qui confier sa peine, auprès de
qui retrouver un peu de chaleur humaine. Son père et sa mère, toute sa famille
sont si loin d’elle… Aucune demoiselle d’honneur castillane ne l’accompagne,
seulement quelques domestiques. Quant aux amies, il n’y faut pas songer :
inconnue ici, elle reste seule, isolée, dans un bonheur de façade.
Le prince Louis devine sa peine, s’empresse auprès d’elle mais elle reste
inconsolable : elle ne peut s’empêcher de pleurer devant lui. Dans l’espoir de
faire renaître un sourire sur son visage, Louis demande à Hugues, évêque de
Lincoln, de passage à Paris après le mariage de Portmort, de venir consoler son
épouse : c’est un prélat très pieux, très humain qui saura lui parler… Et, de fait,
au terme des entretiens, Blanche retrouve son équilibre.
Mais elle n’est encore que la jeune bru d’un monarque qui entend bien
garder pour lui, et lui seul, la totalité du pouvoir, même si celui-ci est en partie
dérobé à son propre fils. Louis avait en effet hérité de sa mère Isabelle de
Hainaut, première femme de Philippe Auguste, le comté d’Artois. Mais le
souverain avait décidé de le garder pour lui pour des raisons politiques et
financières. Blanche est dépitée : elle n’a reçu qu’une maigre dot et son beau-
père lui interdit de porter le titre de comtesse d’Artois. Lui en voudrait-il ? Ne la
négligerait-il pas plutôt ?
Il aurait tort : fille du roi Alphonse VIII, mariée à l’héritier du trône de
France, elle ne se laissera ni oublier ni humilier. Sa détresse morale, sa mise à
l’écart ne font que renforcer son ambition naissante. Un jour, elle existera
vraiment. Un jour seulement, car Philippe, bien que régnant depuis vingt ans
déjà, n’a encore que trente-cinq ans… Pourtant, un soir, dans le secret de son
cabinet, elle écrit à sa sœur aînée. Dans la missive un mot lui échappe, révélateur
de ses pensées cachées : elle se dit déjà « reine » !

Lueurs d’espoir

Reine, elle ne l’est pourtant pas, loin s’en faut ! Pour l’instant, le roi Philippe
se contente de lui faire donner, à elle et à son époux, une éducation soignée. Il
fait appel aux meilleurs maîtres parisiens dans les domaines de la théologie et de
la philosophie. Parmi eux, un professeur célèbre, Amaury de Bène, l’initie aux
savoirs fondamentaux, à une époque où la pensée connaît une phase de
bouillonnement intense qui remet en question les acquis intellectuels. Amaury
lui-même, qui paraissait se situer dans la plus pure orthodoxie, se laisse aller,
disent certains, à des déviances panthéistes…
Blanche ne peut se limiter au savoir qu’on lui inculque. Il lui faut bien
davantage : désireuse de fonder un centre de création littéraire semblable à ceux
du Midi, elle fait venir au palais de l’île de la Cité, avec l’appui de Louis, des
poètes réputés, comme le comte Thibaud IV de Champagne. Son but est de
s’introduire dans le mouvement de la littérature courtoise dont les thèmes
récurrents lui plaisent : l’homme de l’art déclare sa flamme à une dame de haute
naissance malgré une alliance impossible, la femme si désirée étant trop pure ou
déjà mariée. Ainsi s’ébauche une cour où les gens de talent s’inclinent avec
respect devant Blanche de Castille, lui rendant un hommage public.
L’admiration que portent les poètes à Blanche et à Louis est à l’origine de
difficultés pour le couple. Les conseillers du roi, dont le très influent frère
Guérin, le roi lui-même, pensent qu’il n’y a pas loin de la glorification de la
princesse et du prince à la propagande politique. Pour eux, le cercle littéraire sert
trop leur cause au détriment de la Couronne. Et si les jeunes mariés, qui
commencent à grandir et à s’enhardir, cherchaient à s’imposer aux gouvernants
de façon détournée ? On peut le craindre : les disciples d’Amaury de Bène, les
amauriciens, se répandent en déclarations inquiétantes. Louis, disent-ils, sera un
grand souverain dont la renommée sera beaucoup plus importante que celle de
Philippe Auguste. De plus, en 1206-1207, le peuple gronde contre le monarque
dont les représentants dans le royaume se livrent à des exactions et des
détournements de fonds. Les amauriciens s’éloignent encore plus de Philippe et
prennent le parti de Louis.
Celui-ci a-t-il voulu se servir des amauriciens pour se faire valoir et
s’imposer auprès de son père ? Probablement pas, car il n’existe aucune trace de
collusion entre lui et ses admirateurs. Il n’empêche : pour Guérin, qui se méfie
aussi des silences de Blanche, il peut faire figure de chef de l’opposition.
Alors, à défaut de pouvoir s’en prendre à l’héritier, le principal conseiller
frappe durement le clan des amauriciens. Il les fait accuser de répandre des
théories religieuses subversives – panthéisme et croyances proches parfois de
celles des cathares – et, après la mort d’Amaury de Bène, en 1206, en fait arrêter
un bon nombre trois ans plus tard. Le tribunal condamne neuf de ses disciples au
bûcher ; quatre autres sont emprisonnés à vie. Une telle violence de réaction
traduit bien la volonté de Philippe Auguste de rester seul maître à bord.
D’ailleurs, rompant avec la tradition royale, il n’associera jamais son fils à un
pouvoir qui, pour lui, ne se partage pas. Pas avec Louis ; encore moins avec son
épouse, dont l’attitude ambiguë ne cesse d’inquiéter.

La gloire enfin ?

Des années s’écoulent encore au palais de l’île de la Cité sans que rien ne
vienne perturber la quiétude du souverain. Pourtant, de 1213 à 1217, celui-ci est
aux prises avec quelques problèmes que lui posent tout ensemble la conjoncture
internationale et l’ambition du couple princier.
A la suite de graves différends avec la hiérarchie ecclésiastique anglaise, le
pape met l’île sous interdit et excommunie Jean sans Terre. Comme celui-ci
persiste dans son opposition aux prélats et au Saint-Siège, Innocent III, se
comportant en véritable maître du monde chrétien, demande en janvier 1213 que
Jean soit chassé du pouvoir et sollicite le roi de France pour lui trouver un
successeur de qualité.
Philippe hésite : à vingt-cinq ans, son fils et sa bru sont en pleine maturité et
ne demandent manifestement qu’à gouverner. Mais Guérin le met en garde : si
son maître accorde la couronne d’Angleterre à son héritier et que celui-ci
s’impose dans son pays d’adoption, il y aura grand danger : Louis se considérera
probablement comme l’alter ego de son père ou, pis encore, comme son rival en
Occident.
Il faut pourtant répondre favorablement à la demande pontificale et écarter la
menace Plantagenêt. On finit par trouver un compromis qui fera du futur
monarque un dirigeant redevable de son pouvoir à son père.
Philippe réunit à Soissons, le 8 avril 1213, une assemblée des grands où il
propose avec force que le prince Louis, devenu son obligé, conquière
l’Angleterre sur Jean sans Terre, ce qui est accepté.
Blanche de Castille est au comble du bonheur. Enfin, après treize années
d’attente dans la pénombre des palais, elle apparaîtra en pleine lumière. Reine,
elle sera reine d’Angleterre ! Enfin, elle régnera !
Rêve d’un moment… A la fin du mois d’avril, la flotte française est
rassemblée à Boulogne, prête à franchir la Manche. Mais une quinzaine de jours
plus tard, le 13 mai, le roi Jean, qui a bien compris le danger, se soumet au pape
et s’en déclare même le vassal. Satisfait d’avoir ramené l’ordre, Innocent III lève
l’interdit et l’excommunication, ce qui sauve in extremis le souverain
Plantagenêt. Désormais le pape est son protecteur qu’on ne saurait menacer sans
encourir ses foudres. Philippe Auguste ordonne donc à son fils d’arrêter les
opérations, ce qui du reste ne lui déplaît pas car il entend rester maître de la
situation. Comble de malheur pour Louis, les Anglais détruisent peu après une
partie de la flotte française. Non, cette année encore, Blanche ne verra pas la
réalisation de ses vœux.
Après une grande déception, une petite satisfaction pour elle : son époux est
sollicité par son père pour défendre le royaume à présent menacé. Redevenu
libre de ses mouvements, Jean sans Terre veut se venger de la décision prise par
le roi Philippe en 1202 de lui enlever tous ses fiefs continentaux. Depuis cette
année-là il lui a fallu se battre contre le Capétien et lui rétrocéder des territoires
importants : l’Anjou, le Maine, la Touraine et le Poitou. En cette année 1214,
Jean veut prendre sa revanche en envahissant la France : il l’attaquera par l’ouest
avant de se diriger vers Paris, tandis que de puissants alliés de l’Europe
occidentale écraseront les forces françaises dans le Nord. Philippe Auguste
charge Louis de faire échec au roi d’Angleterre. Celui-ci, débarqué à La
Rochelle, prend Ancenis, située dans les marches bretonnes, le 11 juin, Angers le
17. Désireux de s’emparer de La Roche-aux-Moines, située en couverture de
cette dernière ville, il est bientôt défié par le prince héritier. Le combat est à
peine engagé que les Poitevins battent en retraite et que Jean, apeuré, juge
prudent de s’enfuir et de se replier vers le Limousin. Cette victoire sans vraie
bataille auréole Louis d’un grand prestige : il l’a emporté sur le souverain
anglais ; sa seule présence a suffi à diviser ses adversaires et en dissuader
beaucoup de se battre. Pour Blanche, son mari a triomphé en ce 2 juillet 1214.
D’ailleurs, Philippe félicite chaleureusement son fils. Serait-ce, au terme d’une
longue attente, une promesse de renouveau et d’émergence politique pour lui,
pour elle ?
Malheureusement, le monarque français a d’autres soucis que l’avenir de ses
enfants. Dans le Nord, il doit affronter les alliés de Jean : l’empereur Otton IV, le
comte de Flandre, le comte de Boulogne, le duc de Brabant, d’autres encore de
moindre importance, comme les chefs des mercenaires anglais. A Bouvines, le
dimanche 27 juillet, le Capétien sort brillamment vainqueur d’un affrontement
de géants. Ayant mis un terme aux ambitions des plus grandes puissances
d’Europe occidentale, il est alors considéré comme le plus redoutable
gouvernant du moment. Pourquoi s’intéresserait-il à l’avenir du couple princier ?
Il n’a que quarante-neuf ans et se sent parfaitement bien dans l’exaltation de sa
victoire.
Alors, l’année suivante, Louis doit se contenter d’une expédition dans le
Midi albigeois, afin de soutenir le chef des croisés contre les cathares, Simon de
Montfort. Fait notable : il l’aide à s’emparer de Toulouse, pièce maîtresse du
Languedoc. Petit à petit, même s’il n’a pas de fonction de gouvernement, le
prince héritier montre ses capacités stratégiques. Son père à la Cour, son épouse
dans ses cercles littéraires l’ont éduqué l’un et l’autre mais, décidément, c’est
l’arme à la main qu’il est le meilleur et qu’il se réalise le mieux.
Il lui tarde de le prouver vraiment quand une occasion inespérée se présente
à lui. Les défaites de La Roche-aux-Moines et de Bouvines ont fini de ruiner la
triste réputation de Jean sans Terre, piètre stratège mais souverain redouté pour
ses accès d’autorité. En 1215, les barons anglais se révoltent contre lui et
demandent à leur tour au prince Louis de ceindre à sa place la couronne
d’Angleterre !
La proposition est moins surprenante qu’il y paraît : les rebelles tiennent à ce
que la couronne reste à la famille Plantagenêt, or Blanche de Castille est une
petite-fille du roi Henri II et de son épouse Aliénor. C’est donc tout
naturellement que l’on fait appel à son époux, guerrier accompli, lui, capable de
venir à bout de la résistance des hommes de Jean. On imagine aisément la joie de
la princesse, demain sans doute reine, et son empressement à persuader Louis
d’intervenir, s’il en était encore besoin.
Après avoir réglé les problèmes politiques et militaires, le prince quitte
Calais en mai 1216 à la tête d’une flotte puissante. Dès le 2 juin, les Londoniens
l’accueillent comme leur nouveau roi. Le lendemain, il reçoit l’hommage des
barons anglais dans l’abbaye de Westminster. Tout lui réussit : il est bientôt
maître de l’est de l’île.
La mort de Jean sans Terre le 19 octobre suivant aurait pu lui apporter la
consécration suprême. Mais le pape est inquiet d’une domination capétienne
redoutable qui s’étendrait à la France et à l’Angleterre. De plus il considère que
ce dernier royaume relève de son autorité depuis la soumission et l’hommage de
Jean sans Terre en 1213. Le Capétien n’est donc pour lui qu’un dangereux
usurpateur, un homme qui défie son autorité et menace ses droits, un homme
qu’il a même dû faire excommunier dans l’espoir de le ramener à la raison. Et
voilà qu’il s’acharne dans ses projets de conquête insensés, qu’il continue à le
provoquer !
Sous l’influence du légat pontifical, le jeune Henri, fils du roi défunt, est
couronné le 26 octobre 1216. Henri III n’a que neuf ans mais jouit de la
protection efficace de l’épiscopat anglais, qui se plaît à vanter sa légitimité
contre les prétentions de Louis, dont l’épouse Blanche occupe un rang
dynastique inférieur.
Le petit Henri III bénéficie alors des plus solides soutiens, dont ceux des
rebelles d’hier. Après avoir connu rapidement une période faste, Louis doit
déchanter : ses appuis se font rares, la tendance s’inverse nettement en faveur de
son rival. Comme il ne veut pas lâcher prise, il demande de l’aide et des renforts
à son père. Mais celui-ci reste de marbre : il ne veut pas encourir
l’excommunication lui aussi. Expérience faite, il sait qu’il est trop dangereux,
même pour un souverain puissant, de s’aliéner le Saint-Siège : il veut la paix
avec Rome. Il la veut aussi avec Louis : s’il lui envoyait des forces nouvelles,
celui-ci parviendrait peut-être à ses fins. Or il les sait, lui et son épouse,
orgueilleux, ambitieux. Peut-être même finiraient-ils par se retourner contre
lui…
Le refus catégorique d’envoyer des secours à son fils fait entrer Blanche de
Castille dans une violente colère. Elle a vingt-neuf ans et sa soumission à
Philippe Auguste n’a que trop duré depuis dix-sept ans. Elle se précipite chez
son beau-père, le supplie de répondre aux sollicitations de son mari. Comme elle
n’obtient pas satisfaction, elle l’avertit : elle mettra tous ses enfants en gage et
trouvera certainement des gens fortunés qui la paieront pour eux. Philippe
connaît sa belle-fille : s’il ne cède pas, elle mettra sa menace à exécution et
livrera à de grands féodaux les princes et princesses de la famille royale. Terrible
humiliation pour lui, doublée d’un danger certain pour la dynastie ! Vaincu, le
roi doit donner l’argent nécessaire. Une flotte de secours est envoyée en
Angleterre, mais elle est défaite dans un combat naval.
Les revers se succédant, les appuis militaires lui faisant défaut, Louis est
contraint par le traité de Lambeth, le 11 septembre 1217, de renoncer à la
conquête de la grande île et de revenir en France, où il subit les rebuffades de
son père.
Le couple princier se retrouve après une longue absence. Bien que dépité par
son échec, il ne peut que savourer une grande satisfaction morale : Blanche, pour
la première fois, a su tenir tête à Philippe Auguste et le faire plier.

Résignation apparente, à l’école du pouvoir


Mais elle a payé cher son coup d’éclat. Le roi, obligé de céder, n’a apporté à
Louis qu’un soutien financier. Il n’a pas déclenché de grandes opérations
diplomatiques ; il n’est pas intervenu par les armes pour sauver son fils. En fait,
en lui accordant le minimum, il l’a laissé s’enliser. Ce n’était pas une attitude
nouvelle de sa part : il avait toujours tenu l’héritier de la couronne à l’écart du
pouvoir, de son pouvoir.
L’échec de la conquête de l’Angleterre laisse des souvenirs amers qui
servent bientôt de leçons pour l’avenir. Louis et Blanche ne feront désormais
plus rien sans l’appui total du monarque. Inutile, la trentaine venue, de se lancer
dans des opérations d’importance. Ce serait vouloir se valoriser une nouvelle
fois et mécontenter le maître du royaume. Le plus raisonnable, à n’en pas douter,
c’est de faire profil bas pour effacer toute suspicion d’ambition auprès de
Philippe et le frère Guérin. Un jour, l’âge ou la maladie feront leur œuvre…
En attendant, il convient de continuer à s’initier aux affaires de l’Etat :
écouter les avis et bruissements de la Cour, suivre les évolutions et les
dénouements des intrigues, les retournements de tendance, souvent
imprévisibles…
Pour donner satisfaction à Philippe, Blanche renonce aux destinées
prometteuses qu’on lui offre. Son père Alphonse VIII, roi de Castille – et de
Tolède depuis la victoire de Las Navas de Tolosa sur les Arabes en 1212 –, est
décédé. Son fils Henri lui a succédé mais est mort peu après, en 1217, à l’âge de
neuf ans. Conformément au testament qu’Alphonse avait rédigé peu avant son
décès, les barons castillans font alors appel à Blanche pour diriger dorénavant les
destinées de leur royaume. On lui propose un trône… qu’elle refuse
énergiquement.
Son époux est également le serviteur zélé et fidèle de son père. Il le prouve
dans l’affaire du Languedoc. Le pays cathare avait été presque entièrement
conquis de 1208 à 1215 par les croisés du Nord sollicités par la papauté pour
venir à bout de l’hérésie. Mais le comte Raymond VI avait réussi en 1217 à
rentrer dans Toulouse, que le chef français Simon de Montfort n’avait pas pu lui
reprendre en 1218, lors d’un siège où il avait trouvé la mort, ce qui avait redonné
courage et force aux albigeois.
A la demande du pape, Philippe Auguste décide d’intervenir et d’envoyer
dans le Midi Louis avec le tout-puissant Guérin. Le but de cette seconde
expédition : tenter de sauver une partie des conquêtes de Simon de Montfort. Le
prince part vers le Sud au début de juillet 1219. Il prend Marmande puis se dirige
vers Toulouse avec l’intention de l’assiéger. Mais frère Guérin n’est pas
favorable aux expéditions lointaines ; il préfère intervenir dans le Domaine royal
et veiller à des extensions rapprochées. Aussi, quand les chevaliers qui ont suivi
Louis en tant que vassaux lui font savoir que les quarante jours d’ost, le service
armé qu’ils doivent à leur suzerain, prendront bientôt fin, c’est sans hésitation
que l’on décide, au début du mois d’août, de revenir à Paris.
Cette chevauchée reste sans effet notable. Mais sur la route du retour, Louis
peut s’avouer sans honte qu’il a bien servi le pouvoir… et sa propre cause.

Enfin reine ! (1223-1226)

Il doit encore attendre quatre longues années dans l’ombre du souverain pour
voir la réalisation de ses rêves. A la mort de son père, le 14 juillet 1223, il
devient enfin roi, à près de trente-six ans. Blanche de Castille, touchée par un
deuil plus apparent que réel, devient reine à l’âge déjà respectable de trente-cinq
ans, après vingt-trois années d’impatience mal dissimulée. Elle et son royal
époux goûtent avec délectation ces exquis moments de bonheur qui nourrissent
chez eux les rêves les plus fous.
Louis n’avait pas été sacré du vivant de Philippe Auguste, parce que celui-ci
voulait le tenir à l’écart des voies officielles, parce que aussi la dynastie
capétienne était alors solidement établie. On remédie vite à ce manque : dès le
6 août, l’archevêque de Reims, en présence d’une vaste assemblée de hauts
dignitaires, se charge de procéder à la cérémonie. Après la lecture de l’Evangile
au début de la messe solennelle, Louis VIII reçoit du prélat des onctions faites
avec le baume de la sainte ampoule qui, selon la tradition, avait été apportée par
la colombe du Saint-Esprit pour le baptême de Clovis. On le signe notamment à
la tête et aux épaules pour lui conférer l’intelligence et la force des grands
souverains. Devenu devant tous une personne sacrée tenant son pouvoir
directement de Dieu, il reçoit le sceptre et la couronne avant de gagner son trône.
L’archevêque se tourne alors vers la reine, qui doit partager la vie et la gloire du
roi. Il la sacre mais seulement avec de l’huile bénite ordinaire, la semi-
divinisation de Louis VIII ne pouvant être partagée. L’officiant procède à deux
séries d’onctions, dont une série sur la poitrine, qui doivent assurer
l’indispensable fertilité du mariage. Après avoir reçu un sceptre moins grand que
celui de son époux, on lui pose une couronne sur la tête. Unie à Louis dans la
sacralité et la célébrité, elle est pleinement reine !
Un banquet pour fêter l’heureux événement, puis Louis et Blanche regagnent
Paris. Mais le palais de l’île de la Cité, lieu officiel du pouvoir, est trop austère,
trop étranger à l’exaltation et à la fierté du couple royal. Comme celui-ci veut
que tout le monde partage sa joie, qu’une communion d’esprit se fasse entre les
populations, du comte au simple paysan, il décide d’aller au-devant de ses
administrés. Pendant près de cinq mois, de la fin août au mois de janvier suivant,
il entreprend des voyages qui célèbrent sa nouvelle puissance après une si longue
mise à l’écart. Il parcourt son domaine, situé pour l’essentiel dans le nord du
royaume, allant du Val de Loire et du Berry jusqu’à l’Artois et à la Flandre. Tout
un chacun peut saluer dans l’enthousiasme son nouveau roi et sa nouvelle reine.
Que de changement par rapport au vieux Philippe Auguste, décédé à cinquante-
huit ans, et à ses épouses et maîtresses si contestées, dont Ingeburge de
Danemark et Agnès de Méranie !

Blanche, épouse et mère

L’amour de Blanche et Louis est sans nuage, profond et réciproque depuis


leur mariage à douze ans. Ils sont toujours demeurés fidèles l’un à l’autre, unis
dans une tendre complicité, nous rapportent les chroniqueurs. Les dignitaires de
la Cour s’en étonnent, habitués qu’ils étaient à vivre en compagnie d’un
souverain fasciné par les femmes.
La parfaite entente du couple est fructueuse. De dix-sept à trente-huit ans,
soit de 1205 à 1226, Blanche de Castille donne naissance à douze enfants. Sept
sont encore vivants au décès de son mari : une fille et six garçons qui assurent
l’avenir de la dynastie. Ce sont, dans l’ordre chronologique : le prince héritier
Louis, né en 1214, ses cadets Robert, Jean, Alphonse et Philippe-Dagobert,
respectivement nés en 1216, 1219, 1220 et 1222 alors qu’elle n’était que
princesse, puis Isabelle, probablement née en 1223 après son couronnement, un
autre fils enfin, Charles, venu au monde vers la fin de 1226.
Cette épouse est aussi une mère très attentive à la bonne éducation de sa
progéniture. On connaît bien celle qu’elle a donnée à Louis parce que celui-ci,
après le décès de son aîné, Philippe, en 1218, est appelé à succéder à son père et
régnera effectivement sur le royaume de France sous le nom resté célèbre de
Saint Louis.
Son caractère ne semblait pas prédisposer l’héritier du trône à devenir un
monarque de premier plan et de surcroît un saint. Il aime plaisanter et parler sans
détour, à condition qu’on ne le contredise pas trop car, autoritaire comme sa
mère, il entre alors dans des colères mémorables. Comme elle, il aime le luxe et
le raffinement, ce qui lui vaut dans son jeune âge une réputation de légèreté
d’esprit. A l’instar des nobles, il affectionne la chasse mais Blanche, qui a décidé
de lui donner une éducation exemplaire, l’y fait accompagner de son précepteur.
Celui-ci peut l’instruire pendant son divertissement… mais aussi le punir en cas
de manquements à la discipline, en le frappant durement s’il le faut.
Cet enfant, par certains aspects semblable à beaucoup d’autres, l’épouse de
Louis VIII décide d’en faire un grand roi, qui soit tout à la fois soucieux d’un
bon gouvernement et respectueux de la loi divine. Pour le former à ses futures
responsabilités, elle le fait assister au Conseil dès l’âge de neuf ans. Rien n’est
plus formateur en politique que d’apprendre à voir et à écouter. Comme il devra
plus tard diriger les armées et remporter des victoires, elle le fait très tôt
participer à des chevauchées contre des seigneurs dissidents.
Cela ne suffit pas. La reine, très pieuse, veut que Louis serve plus tard la
cause de Dieu. A cette fin, elle développe chez lui une forte spiritualité
chrétienne. Elle l’initie à la prière et à la lecture de la Bible, le fait assister
chaque jour à la messe et communier le plus souvent possible. Ayant en horreur
d’offenser Dieu, elle déclare qu’elle préférerait voir son enfant mort plutôt que
de savoir qu’il a commis un seul péché mortel, c’est-à-dire probablement en ce
temps avoir des rapports sexuels avant le mariage.
A elle seule, elle ne peut suffire à la tâche. Elle appelle donc auprès de Louis
des moines mendiants, dominicains et franciscains. Ces religieux, d’un genre
nouveau au début du XIIIe siècle, lui révéleront mieux que quiconque la conduite
à tenir : ils mènent une vie évangélique dans la pauvreté ; théologiens de haut
niveau, ils savent aussi toucher simplement le cœur des croyants et enseigner les
voies du salut individuel et collectif.
Comme Blanche veut être le plus proche possible de Dieu, elle demandera à
Louis, devenu roi, de se procurer des reliques de la Passion. Ils recevront tous les
deux en 1239 la couronne d’épines du Christ, cédée contre argent par Baudouin
II, empereur de l’empire latin de Constantinople, puis, toujours par lui et de la
même façon, des fragments de la Vraie Croix. Pour leur servir de reliquaires,
Saint Louis fera construire la Sainte-Chapelle dans le palais de l’île de la Cité.
Le siège du pouvoir deviendra alors sacré.
Cette formation a marqué Saint Louis toute sa vie : en 1242, pénétré du
caractère divin de sa mission, il fera procéder à des autodafés du Talmud, déjà
condamné par le pape trois ans plus tôt. Le règne du Tout-Puissant sur la terre ne
saurait s’accommoder d’écrits pernicieux de juifs déicides !
Tant de volonté de perfection chez Louis ne doit pas faire croire à un
autoritarisme outrancier de sa mère. Le prince héritier accepte l’éducation
qu’elle lui propose car il a confiance en elle et croit à la destinée qu’elle lui offre.
Mais si l’on excepte « la crainte et l’amour de Dieu », principes dominants
qu’elle inculque à tous ses enfants, la reine sait tenir compte du caractère de
chacun. Elle, si impérieuse, si dominatrice dans les affaires du royaume, sait
parfois s’effacer devant les siens. Il en est ainsi pour son petit dernier, Charles,
remuant, capricieux et ambitieux, envers lequel elle fait preuve d’une insigne
faiblesse. Quant à sa fille unique Isabelle, qu’elle projette d’unir à un grand
personnage du moment pour répondre aux obligations politiques des Capétiens,
elle finit par la laisser entrer selon ses vœux les plus chers dans un monastère
cistercien.

Blanche de Castille dans l’ombre mais puissante

Envers son époux, le roi Louis VIII, Blanche se comporte de façon très
différente. Un moine bénédictin anglais, Mathieu Paris, nous le dit d’un trait :
« Louis fut si attaché à sa femme qu’il lui obéissait en tout », y compris
naturellement les affaires du royaume.
Les documents officiels semblent démentir cette affirmation catégorique : ils
ne mentionnent que fort peu Blanche de Castille, alors qu’ils évoquent, parfois
longuement, les décisions et les actions de son mari.
Au premier abord, cette seconde version paraît l’emporter. On exalte le
souverain qui détient l’autorité alors que la reine, elle, n’est officiellement que sa
femme, dont la vocation principale est de lui assurer une descendance. De plus,
Louis ne modifie guère la bonne orientation du gouvernement précédent : il
garde près de lui les mêmes conseillers que son père Philippe Auguste, Guérin et
Barthélemy de Roye, soucieux de continuer à diriger avec bonheur le pays.
En fait, des glissements peu perceptibles mais sensibles modifient
l’organisation du pouvoir. Frère Guérin est fait évêque de Senlis puis, à près de
quatre-vingts ans, chancelier, ce titre couronnant une brillante carrière d’homme
d’Etat. Mais les honneurs cachent sa mise à l’écart partielle au profit de Roye,
depuis longtemps son concurrent, aujourd’hui son rival, qui fait figure de favori
royal. Ce dernier est apprécié pour ses capacités et sa loyauté envers le
monarque ; ses origines sociales favorisent son ascension car, issu de la moyenne
noblesse, il exècre les barons, souvent remuants et infidèles à la Couronne.
La semi-retraite de Guérin qui avait tant bridé Louis et Blanche dans leur
jeunesse, la promotion de Roye sont l’œuvre du couple, et plus particulièrement
de la reine, qui, avec une habileté consommée, sait ménager le premier pour
éviter sa vengeance et pousser le second sans porter atteinte à l’autorité de Louis.
Non contente de ce premier succès, Blanche réussit à introduire dans le cercle
très étroit du pouvoir deux personnages qui l’estiment et la soutiennent : Jean de
Nesle, lui aussi issu de la moyenne noblesse, et le puissant envoyé du pape à
partir de 1206, le cardinal légat Romain de Saint-Ange.
Voilà les noms des tenants officiels du pouvoir sous la conduite du prince.
Mais, plus que tous ceux-ci, il y a une personne qui domine la pensée et l’action
du roi, son vrai conseiller – ou plutôt son unique conseillère – sur le fond :
Blanche de Castille elle-même. Et cela tout naturellement : dès l’âge de douze
ans, elle s’est unie à Louis et le couple s’est ardemment aimé dans une fidélité et
une complicité indéfectibles. La reine est la seule personne qui ait trébuché avec
Louis sur le chemin long et rocailleux qui mène à la puissance, la seule qui l’ait
inconditionnellement soutenu dans tous ses combats politiques infructueux.
Comment Louis VIII ne pourrait-il pas lui faire confiance à présent ? D’autant
que lui, si courageux, si intrépide sur les champs de bataille, au point d’être
surnommé plus tard le « Lion », n’a ni l’intelligence ni les aptitudes à gouverner
de son épouse, qualités amplifiées par sa folle envie de régner, de dominer, en
femme de tête qu’elle est. Dans l’intimité d’une chambre ou d’un cabinet,
Blanche prodigue des conseils qui ont souvent valeur d’ordres.
Elle se moque d’être ignorée des chroniqueurs de la Cour. Ils n’ont d’yeux
que pour leur souverain, c’est leur vocation. Elle, dans l’ombre, sait secrètement
que le vrai pouvoir est occulte.

Blanche de Castille, entre prudence et ambition

Le roi et la reine savent depuis longtemps l’orientation qu’ils donneront à


leur politique. Bien qu’ils aient été ignorés, ou plutôt rejetés par Philippe
Auguste, intraitable dès qu’il s’agissait de son autorité, ils s’inspireront des
mêmes principes que lui et ne changeront pas fondamentalement un système de
gouvernement qui a si bien réussi jusque-là. Ils continueront la lutte contre
l’Angleterre des Plantagenêts et rabaisseront la puissance des grands féodaux
pour renforcer la leur.
Mais le couple veut aussi donner une marque personnelle à son règne. Il
condamne la volonté de Guérin de ne pas intervenir militairement loin du
Domaine royal ; ce qu’il veut au contraire, c’est accroître le territoire royal dans
la moitié méridionale du royaume, plus particulièrement dans le Sud-Ouest et le
Languedoc.
A la fin du mois de juin 1224, Louis VIII réunit une grosse armée à Tours
pour chasser les Anglais de possessions qu’ils ont reprises dans le duché
d’Aquitaine malgré leur confiscation ordonnée par Philippe Auguste en 1202.
Après un siège de moins de trois semaines, La Rochelle est prise en août 1224.
Puis, en peu de temps, le souverain achève la conquête du reste de l’Aunis, de la
Saintonge et du Poitou, qui se trouvent définitivement annexés, tandis qu’il
assure aussi sa domination sur le Limousin et le Périgord. La superficie du
Domaine royal se trouve alors multipliée par trois par rapport à la fin du
XIIe siècle.

Ces succès engendrent un grand bonheur chez Blanche de Castille, qui se
tient informée de la gloire de son « Lion victorieux ». Bien plus : de Paris, où
elle est restée, elle participe à sa manière à ses combats. Elle ordonne des
séances de prières publiques pour la victoire de son époux, pour que la mort
l’épargne aussi. Il semble que le Ciel l’entende : le 2 août 1224, elle a ordonné
une procession solennelle à laquelle elle a participé avec la reine douairière
Ingeburge. La Rochelle se rendait le lendemain.
Quelque temps après, le couple a l’occasion d’intervenir dans le Midi
albigeois. Le pape Honorius III, désireux d’en finir avec l’hérésie cathare, fait
excommunier le 28 juin 1226 le nouveau comte Raymond VII de Toulouse par le
cardinal légat Romain de Saint-Ange. Ses objectifs : abattre l’hétérodoxie et
confier tout le Sud au roi de France, dont l’adhésion au catholicisme n’est plus à
prouver.
Dès le 30 janvier, Louis VIII répond à l’appel de la papauté et décide de
prendre la croix. Officiellement, il dirigera une croisade contre les cathares ; en
réalité, il étendra notablement les territoires de la Couronne. Ses projets sont
ardemment soutenus par Blanche de Castille, enthousiaste à l’idée de faire
triompher le christianisme tout en développant le pouvoir royal.
L’armée française doit partir de Bourges en mai. Blanche ne peut s’empêcher
d’accompagner son mari vers le Berry, mais doit le quitter bientôt à regret car
elle attend de lui son douzième enfant.
Inquiète, elle suit de loin le déroulement de l’expédition. A sa grande
satisfaction, « la croisade » contre les albigeois se déroule pour l’essentiel sans
difficulté majeure : les évêques et les abbés du Midi la soutiennent de toutes
leurs forces pour chasser Raymond VII. Quant aux nobles du bas Languedoc,
toujours méfiants et indisciplinés envers les comtes de Toulouse, ils
interviennent peu, à l’instar des bourgeois des villes, contre le souverain
français : ce dernier leur a bien fait comprendre qu’en cas de résistance de leur
part, il saisirait leurs terres.
La reine déchante lorsqu’elle apprend la résistance d’Avignon. Pour venir à
bout de cette place demeurée fidèle à Raymond VII, Louis doit l’assiéger
pendant trois mois jusqu’à sa reddition, le 9 septembre. Mais, par la suite, les
responsables des principales cités, gagnés par la peur, se soumettent. Il ne reste
plus guère qu’à s’emparer de Toulouse. Mais Louis décide de remettre le siège à
l’année suivante, son armée étant touchée par la dysenterie. Dès la fin d’octobre,
après cinq mois de « croisade » triomphale, il revient vers Paris. En peu de
temps, il a réussi à s’imposer à tout le Languedoc oriental.
Tout exaltée par les prouesses de son époux, Blanche reçoit une sinistre
nouvelle. Atteint par l’épidémie de dysenterie, Louis vient de mourir en
Auvergne, à Montpensier, près de Riom ! Il est décédé en bon chrétien et en mari
fidèle, lui assure-t-on : il a refusé de recevoir dans son lit une jeune fille vierge,
faveur que l’on accordait aux mourants dans l’espoir de les revigorer in extremis.
Il s’est éteint le 8 novembre, à trente-neuf ans.
Blanche ne peut en entendre davantage. Une immense douleur l’envahit ;
elle dit même qu’elle va se tuer, n’ayant plus de raison d’être. On doit la
raisonner pour l’en dissuader.
Elle se reprend, décide de faire célébrer des funérailles solennelles dans
l’abbatiale royale de Saint-Denis et d’inhumer Louis VIII près de Philippe
Auguste, ce monarque ingrat qui a préparé leur fortune à leur insu et qui leur a
permis de régner tous les deux dans la gloire.

« Femme par le sexe mais mâle par le caractère » (1226-1248)

La mort du roi pose des problèmes à Blanche : que deviendra-t-elle ? Qui


gouvernera désormais ? On la rassure très vite : son époux, moribond mais
lucide, et ses conseillers présents à Montpensier, dont surtout Jean de Nesle, ont
décidé de la nommer « baillistre », c’est-à-dire de lui donner la garde et la tutelle
des enfants royaux et du royaume. Ils l’ont choisie parce qu’ils l’ont tous jugée
la plus apte à gouverner la France. En la désignant en fait comme régente –
terme encore inemployé au XIIIe siècle –, ils ont voulu garantir l’avenir, mettre
aussi un terme aux prétentions de son beau-frère Philippe Hurepel, bâtard
légitimé de Philippe Auguste et d’Agnès de Méranie, aussi ambitieux que fat.
Elle a été princesse, elle est devenue reine, elle va diriger la France… et seule,
directement, sans partage !
Ce pouvoir qu’elle détient à présent, elle est fermement décidée à le saisir et
à le garder autant que faire se pourra. Son fils aîné Louis – le futur Saint Louis −
est âgé de douze ans à présent. Elle ne lui conférera la majorité, reconnue
d’ordinaire à treize ans, que le plus tard possible. Elle veut d’abord faire ses
preuves et parfaire l’éducation politique du nouveau souverain. Et pourquoi ne
continuerait-elle pas plus longtemps son œuvre aux côtés du jeune roi comme
elle l’a déjà fait auprès de Louis VIII ? Ses rêves vont se réaliser : en vingt-six
ans, la reine douairière assumera deux fois la régence du royaume : la première
fois pendant huit ans, la seconde durant quatre années. Et, au cours des quatorze
années restantes, elle continuera à conseiller avec autorité et compétence Saint
Louis, pour le plus grand bien du pays.
Le chroniqueur Mathieu Paris, pourtant hostile à Blanche de Castille, l’a
affirmé : pendant tout ce temps, elle a dirigé selon les vertus attribuées alors aux
femmes, c’est-à-dire avec habileté et souplesse, tout en faisant preuve de qualités
masculines, autorité et volonté de puissance.
Le premier soin de la baillistre est d’assurer l’avenir immédiat de son fils en
le faisant officiellement reconnaître comme le nouveau maître du pays. A cette
fin, dès le 29 novembre 1226, elle fait célébrer le sacre et le couronnement de
Louis IX dans la cathédrale de Reims. Beaucoup de monde assiste à la
cérémonie qui doit faire reconnaître le jeune dirigeant comme le protégé de
Dieu. Il y a là le cardinal légat Romain de Saint-Ange, des prélats et abbés qui
assurent le nouvel élu de l’appui de l’Eglise, des nobles et des bourgeois aussi.
Mais de grands feudataires brillent par leur absence : le duc de Bretagne Pierre
de Dreux, Thibaud, comte de Champagne, Hugues de Lusignan, comte de la
Marche… Il se dit qu’ils n’aiment pas être commandés par des femmes, surtout
lorsqu’elles sont d’origine étrangère, donc inconnues et suspectes. Après
l’euphorie d’un moment, une inquiétude…

Intelligence et fermeté de Blanche de Castille


contre les insoumis et les révoltés

En effet l’horizon politique s’assombrit rapidement. Quelques mois après ces


événements, la régente doit faire face à une sourde opposition, fondée sur des
rumeurs hostiles, qu’elle peut difficilement maîtriser. La haute noblesse est
mécontente de se voir éloigner du gouvernement ; elle remplacerait volontiers
Blanche de Castille par un baillistre issu de ses rangs et beaucoup plus ouvert à
ses ambitions. Peu après la mort, en avril 1227, de l’évêque-chancelier Guérin,
qui était considéré, malgré sa perte relative de pouvoir, comme le pilier de la
monarchie capétienne, les seigneurs les plus puissants du royaume organisent
une campagne de dénigrement contre la reine régnante. Avec des étudiants
parisiens, des écrivains et des ménestrels, ils l’accusent, par des libelles et par
des chansons, d’avoir des amants. Pas n’importe lesquels : le comte Thibaud IV
de Champagne et le cardinal de Saint-Ange, l’envoyé spécial du pape ! Le
scandale est sur la régente qui doit démissionner ! D’autant que sa liaison avec
Thibaud est particulièrement accablante : le comte a vingt-six ans, elle en a
trente-neuf et elle est veuve. Cet « amant » a eu l’occasion de bien la connaître
depuis que sa mère avait décidé de confier son éducation au roi de France dans
le palais de l’île de la Cité, alors qu’il n’avait que huit ans. Très doué pour la
poésie, Thibaud avait été admis dans le cercle littéraire que Blanche avait créé à
la Cour quand elle était princesse. C’était, c’est toujours, l’époque de l’amour
courtois. Mais, le temps passant, la passion avait envahi le cœur de Thibaud,
séduit par les charmes d’une femme belle et raffinée. De l’amour courtois, il était
passé à l’amour tout court et, à ce qui se disait, de façon très active.
Le penchant du comte pour la baillistre est bien réel ; mais il n’est pas du
tout certain qu’il y ait eu réciprocité de sentiments. La régente a à cœur, au
moment où les barons du royaume commencent à s’agiter dangereusement,
d’affecter de répondre aux sollicitations du comte-poète pour se l’attacher
politiquement et l’empêcher de se joindre aux révoltés. Elle y parviendra souvent
mais pas toujours : comme elle ne lui cède rien de sa personne, l’amoureux
transi et dépité, traité parfois avec dureté par celle qui lui refuse ses charmes,
aura tendance à rejoindre le camp de la rébellion… Avant de revenir vers l’être
aimé, penaud, en bon chevalier éconduit et repenti de la poésie courtoise. Ici
Blanche de Castille fait preuve d’une grande habileté politique : elle se sert de sa
séduction calculée pour éviter le pire autant qu’elle le peut.
Le comble de l’indignation populaire est atteint lorsque le peuple des
croyants apprend sa liaison avec le cardinal légat. La reine mère apparaît alors
comme habitée par la puissance diabolique du sexe.
Des chansons rapportent bientôt qu’elle est enceinte de Saint-Ange ! N’y
tenant plus, soucieuse de faire cesser toutes les calomnies, elle accourt, monte
sur une table devant une assemblée de dignitaires, se dénude, se tourne et se
retourne de tous les côtés pour bien montrer à tous qu’elle n’est pas grosse.
Barons et évêques, se rendant à l’évidence, la supplient de se rhabiller. Cette
anecdote a sans doute été inventée par un ménestrel épris d’histoire quelque peu
graveleuse, mais elle témoigne de l’ambiance lourde qui régnait à la Cour en ce
début de règne de Saint Louis et de la volonté extrême de réduire à rien la
« Castillane ».
L’opposition à Blanche n’est pas fondée que sur des rumeurs. Si redoutables
qu’elles soient, elles ne suffisent pas à elles seules à venir à bout d’une femme
volontaire et décidée. Les barons qui ne peuvent supporter ni l’importance et
l’autorité de la veuve de Louis VIII ni la mise à l’écart de Philippe Hurepel,
oncle de Louis IX, décident d’entrer en rébellion contre la régente. En huit ans,
de 1227 à 1234 inclus, quatre révoltes la menacent, elle et le royaume qu’elle
dirige. Elles ont toutes un chef commun, Pierre de Dreux, dit Pierre Mauclerc en
raison de ses mauvaises relations avec l’Eglise, duc, ou plus exactement
baillistre de Bretagne. Ses motivations sont simples : faire lâcher prise à Blanche
de Castille bien sûr, mais surtout agrandir son duché en annexant de nouveaux
territoires situés à l’est de celui-ci, notamment l’Anjou, le Maine, la Touraine,
bref, devenir un prince territorial de grande importance avec lequel il faudra
compter demain.
Au début de 1227, il réussit à entraîner dans l’opposition à Hugues de
Lusignan, comte de la Marche, le comte de Bar… et Thibaud de Champagne,
mécontent d’être repoussé et humilié par celle pour laquelle il se consume
d’amour. Pour faire bonne mesure, Pierre de Dreux s’assure l’alliance du roi
Henri III d’Angleterre, qui rêve toujours de récupérer les duchés et comtés que
son père Jean sans Terre a perdus sur le continent. La régente riposte en
envoyant une forte armée dans la vallée de la Loire. Plutôt que de combattre
dans une bataille à l’issue incertaine, les coalisés préfèrent négocier. Mais les
alliés de la veille ne peuvent s’entendre sur une stratégie commune. Pis : pour
sauver leur vie et échapper à la fureur des Anglais mécontents d’eux, les comtes
de Champagne et de Bar doivent se réfugier à la cour de France et implorer le
pardon de Louis et de Blanche ! Thibaud retrouve l’objet de son amour. Comme
la ligue a perdu de sa force, Pierre de Dreux et le comte de la Marche offrent leur
soumission, qui leur est accordée en mars, à des conditions très avantageuses
pour eux par le pouvoir capétien : on fait miroiter beaucoup d’argent à Hugues
de Lusignan ; quant à Pierre, particulièrement ménagé en raison de son
importance, il reçoit la promesse que sa fille Yolande épousera, l’âge venu, le
frère du roi Louis IX, Jean. On lui accorde en outre trois villes fortes en Anjou
dont la capitale, Angers. Sont-ce là des signes de faiblesse du pouvoir royal ?
Tout au contraire : le pire ayant été évité sans même qu’ait été livré bataille, il
s’agit de réduire l’opposition en accordant à ses meneurs des compensations
honorifiques et matérielles.
Cependant les troubles durent encore, au point que même la sécurité
personnelle du souverain n’est plus assurée. Les barons sont désormais prêts à
tout pour séparer la mère régnante du roi mineur et placer celui-ci sous leur
tutelle. A la fin de 1227 ou au début de 1228 des nobles fomentent un complot :
alors que le jeune Saint Louis est dans les environs d’Orléans, ils veulent se
saisir de sa personne. Informé de ce danger, le fils de Blanche parvient à se
réfugier à Montlhéry et à faire appel à sa mère. Ne pouvant pas compter sur la
haute noblesse, la régente demande aux bourgeois et aux habitants de Paris et
des villes environnantes de sauver leur maître, ce qu’ils font bientôt : ils
prennent les armes en masse et permettent à celui-ci d’opérer un retour triomphal
à Paris. Il est aisé d’expliquer l’intervention spontanée des gens du tiers état :
satisfaits de la période d’expansion économique qu’ils connaissent depuis des
années et des libertés communales accordées par la Couronne depuis longtemps,
ils ne veulent à aucun prix retomber dans l’ancienne dépendance, trop rude pour
eux, des seigneurs. Grâce à Blanche de Castille se réalise dans l’adversité un
rapprochement supplémentaire entre le Capétien et son peuple.
Cependant, obstiné plus que jamais, le duc de Bretagne reprend, seul cette
fois, le combat. En vain : les troupes françaises viennent à bout des forces
bretonnes et le baillistre doit, pour la deuxième fois, s’avouer battu, désormais
sans obtenir aucun avantage du pouvoir parisien : la royauté, qui s’est montrée
compréhensive une première fois envers lui, se fait respecter en ne cédant rien.
Parmi les révoltés, le comte de Toulouse, Raymond VII, est un cas
particulier et atypique auquel la reine mère réserve un traitement adapté, fait tout
à la fois de rigueur et de diplomatie. La fermeté est de mise, car son époux
défunt Louis VIII a annexé en 1226 une grande partie du Languedoc que le
comte dominait : il faut donc lui imposer sa loi avec force pour concrétiser
définitivement les avantages acquis. D’un autre côté, la souplesse s’impose aussi
car Raymond VII est un grand seigneur qui a d’importantes possessions et des
appuis solides dans le Sud. Plutôt que de l’affronter, Blanche préfère le ménager
et le contourner habilement, d’autant qu’on s’agite contre elle dans le Nord. Elle
demande au cardinal Romain de Saint-Ange de négocier fermement avec le
comte de Toulouse, considéré comme la figure de proue de l’hérésie cathare. Le
légat fait merveille puisque Raymond VII accepte de se soumettre à lui, à
Meaux, le 11 avril 1229. Les conventions arrêtées sont confirmées dès le
lendemain à Paris. Les dispositions essentielles découlent directement de la
campagne menée victorieusement par Louis VIII : le comte renonce à tout le
Languedoc oriental, qui se trouve intégré au Domaine royal. Pour le diriger,
deux sénéchaussées importantes seront créées : celles de Beaucaire et de
Carcassonne, qui recouvriront aussi les circonscriptions de Nîmes et de Béziers.
La régente laisse à Raymond VII le comté de Toulouse avec ses
dépendances, soit le Quercy, le Rouergue et l’Agenais. Est-ce compassion ou
faiblesse de sa part ? Pas du tout : dans le traité de Meaux-Paris elle fait aussi
décider le mariage de son fils Alphonse, frère cadet de Saint Louis, alors âgé de
neuf ans, avec Jeanne de Saint-Gilles, fille et héritière du comte de Toulouse.
Ainsi ménage-t-elle la susceptibilité du rebelle soumis durant son existence tout
en s’assurant que, plus tard, à sa mort, tous ses territoires appartiendront à la
famille royale. En fait, avec beaucoup de finesse et de cynisme politiques, elle
devient réellement maîtresse du Midi si convoité par feu son époux.
De son côté, Pierre de Dreux ne renonce toujours pas à ses ambitieux projets.
En 1230, il prend la tête des mécontents : il rallie facilement à sa cause Philippe
Hurepel, qui n’aspire qu’à se venger et à gouverner, le duc de Bourgogne et le
comte de Bar. Pour garantir le plein succès de sa révolte, il s’allie de nouveau à
Henri III d’Angleterre. Blanche de Castille et Louis se mettent à la tête de
troupes loyalistes et, dès janvier 1230, se rendent maîtres de l’Anjou. Le
souverain Plantagenêt, après s’être fait quelque peu attendre, intervient pour
faire reculer les forces de la régente. Mais l’argent, si précieux pour la guerre et
le paiement des mercenaires, lui manque. De plus une épidémie gagne les siens.
Après s’être installé à Nantes et avoir fait sans grand succès quelques
expéditions dans le Sud-Ouest, Philippe Hurepel regagne l’Angleterre à la fin du
mois d’octobre. Il a bien réalisé que, cette fois encore, la partie était perdue. Sans
attendre le départ d’Henri, il cesse les hostilités dès septembre, avec d’autant
plus de facilité que la reine mère achète son ralliement à bon prix. Connaissant
l’effet apaisant de l’argent sur l’esprit guerrier des politiques, elle verse aussi,
avec le même succès, de fortes sommes à la plupart des révoltés.
Un seul résiste encore et toujours, Pierre de Dreux. Il doit pourtant renoncer
à attaquer lorsque Louis IX arrive à la tête d’une armée trop forte pour lui en juin
1231. Mais il n’abandonne pas définitivement la partie : le 4 juillet, il signe avec
le roi une trêve de trois ans seulement, jusqu’au 24 juin 1234 exactement, jour de
la Saint-Jean, le temps pour lui de lever une armée plus nombreuse… Blanche,
revenue entre-temps à Paris, n’assiste pas aux négociations menées par son fils.
Mais, de la Cour, elle continue à régner et à faire connaître ses décisions.
En 1234, Pierre Mauclerc perd deux appuis d’importance : Philippe Hurepel
décède en janvier et Henri III, instruit par l’expérience, lui refuse
catégoriquement tout nouveau secours. Cela n’empêche pas le duc de Bretagne
de reprendre le combat contre Blanche et son fils à l’issue de la trêve. Mais ces
derniers réalisent une nouvelle mobilisation militaire d’importance, lançant trois
armées contre le rebelle. L’effet espéré se produit : le duc, apeuré, se soumet en
novembre, et cette fois-ci définitivement, à la régente et à Saint Louis, qui lui
imposent fidélité et renoncement à ses ambitions sur l’Anjou et sur le Maine.
Autre bonne nouvelle pour la royauté en 1235 : les trublions qui agitent le
royaume depuis si longtemps décident de partir prochainement en Orient pour y
combattre l’Infidèle. Pierre abandonnera le pouvoir et le laissera à son fils
Jean Ier le Roux, d’humeur beaucoup plus pacifique. Il quitte la France quatre ans
plus tard avec le duc de Bourgogne et le comte de Bar. Après des révoltes
infructueuses, ils assouviront leurs instincts guerriers en servant une noble cause,
l’idéal chrétien !
Dès 1234, au terme de huit années de luttes, l’essentiel est acquis pour la
reine : les grands féodaux sont matés. De promptes et fortes interventions
militaires ont fait reculer ses adversaires, les ont forcés à composer et contraints
à se diviser, chacun voulant défendre ses ambitions propres. L’achat des
consciences a fait le reste. La force et l’habileté de la régente ont fini par mettre
un terme à des insurrections qui menaçaient toute la politique d’unité et
d’autorité menée par Philippe Auguste et Louis VIII.
Les princes territoriaux ne sont pas les seuls à perturber les premières années
de la régence de Blanche de Castille. Les intellectuels de la jeune université de
Paris, dont les statuts ont été accordés en 1215 par le légat Romain de Saint-
Ange en tant que représentant du pape, s’en prennent à la reine mère. Au début,
en 1229, maîtres et étudiants cherchent à se libérer de la tutelle du Saint-Siège et
à proclamer leur indépendance d’esprit. Des échauffourées violentes, parfois
meurtrières, les opposent aux hommes du cardinal et de la prévôté, sans
qu’aucun compromis ne puisse être trouvé. Les universitaires déclarent alors
qu’ils vont déserter Paris pour s’installer dans des facultés de province, ce qu’ils
font. Le souverain pontife, qui tient à l’institution parisienne, intervient alors
personnellement et écrit au roi Saint Louis et à sa mère. Mais celle-ci adopte une
position très ferme et convainc son fils de laisser sans réponse la missive
envoyée par le Saint-Siège.
Le temps passe et rien n’est réglé, ni avec Rome ni avec les intellectuels.
Ceux-ci se déchaînent au contraire en pamphlets et en persiflages sur l’union
scandaleuse de Blanche et de Romain, du gouvernement et de l’Eglise. Devant le
pourrissement de la situation, le pape réitère ses appels : il écrit au roi de France
en 1230 et 1231 ; au roi seul, car il a compris la position irréductible de la
régente. On finit par sortir de cette situation critique en avril 1231, après plus de
deux ans d’opposition violente, principalement grâce aux interventions papales
et à celles des évêques. L’université, fondée par l’Eglise, est sauvée par elle.
La réaction très dure de Blanche de Castille est révélatrice de son caractère
et de son comportement dans la conduite des affaires, mais d’une manière
inconnue de nous jusqu’ici. Bien sûr elle combat les révoltés et perpétue en cela
la tradition capétienne d’autorité. Mais surtout elle ne comprend pas l’émergence
d’un monde nouveau, agité et inquiet, celui des penseurs contestataires qui ne
sont pour elle que des insoumis et des meurtriers, même s’ils sont soutenus par
la papauté, ce qui pour elle est inadmissible. Cette femme d’ordre et de tradition,
cette femme de pouvoir ne peut pas supporter la naissance de l’esprit critique.
La fermeté anime son action jusqu’au bout, même après la majorité de Saint
Louis en 1234. Dans le second semestre de 1241, bien renseignée par un espion,
elle sait que le haut baronnage du Midi se dresse de nouveau contre elle pour
briser sa tutelle et mettre un terme à la soumission forcée du traité de Meaux-
Paris de 1229 : il y a, autour de Raymond de Toulouse, les comtes de Foix,
d’Armagnac et de Rodez, celui de la Marche, les vicomtes de Béziers et de
Narbonne, les seigneurs du Poitou… La rébellion est jugulée en quelques mois.
En avril 1242, l’armée royale est victorieuse. Henri III, toujours aussi soucieux
de récupérer les terres perdues par son père, intervient alors en mai. Mais pas
plus que Jean sans Terre il n’a le sens de la stratégie ni du devoir. Quand les
deux armées française et anglaise se trouvent face à face le 21 juillet devant
Taillebourg, en Saintonge, le Plantagenêt est pris de panique et s’enfuit. Les
forces de la régente remportent logiquement une grande victoire le lendemain
près de Saintes. Une fois encore la division des coalisés, le versement de fortes
sommes d’argent à tel ou tel insoumis ont produit des effets salvateurs pour la
couronne capétienne, bien défendue par Saint Louis et par Blanche de Castille
unis dans le même combat. Lors de la soumission des grands feudataires du Midi
et de la paix de janvier 1243, la reine mère, présente aux côtés de son fils, lui
rappelle de n’être pas trop dur envers les révoltés et surtout envers Raymond
VII, puisque ses terres reviendront plus tard à Alphonse. Il faut sévir tout en
ménageant l’héritage…
Après ce dernier soubresaut qui agite le royaume en 1242, les barons,
vaincus au terme de tant de séditions avortées, resteront calmes pendant tout le
reste du règne de Saint Louis, soit jusqu’en 1270. Le roi de France sera
redevable à sa mère de sa lutte sans merci et de sa victoire sans appel sur les
féodaux rebelles. Il pourra grâce à elle établir sa souveraineté sur un royaume
agrandi et pacifié.
La reine Blanche ne s’est pas imposée que par la guerre et la diplomatie. Elle
a confié les pays récemment acquis, donc les moins sûrs, à ses fils pour qu’ils en
fassent leur profit personnel tout en les assimilant progressivement, sous couvert
d’une apparente autonomie.
En juin 1225, avec son consentement, son époux Louis VIII avait rédigé un
testament. Il y stipulait qu’après sa mort son aîné, le roi Louis IX maintenant,
aurait la responsabilité du royaume ainsi qu’une autorité directe sur la
Normandie. Ses autres fils puînés seraient à la tête d’apanages, autrement dit de
territoires prélevés sur le Domaine royal et placés sous l’autorité d’un prince du
sang en principe indépendant de la Couronne pour la gestion de son nouveau
patrimoine. Ainsi le rattachement à la France se ferait-il de façon moins
douloureuse pour les populations, et on calmerait les possibles ardeurs
belliqueuses des frères du souverain écartés du pouvoir. Ces dispositions
prennent effet après la mort de Louis VIII, et pour la plupart après la fin de la
régence officielle de la reine mère en 1234, celle-ci gardant toutefois la main
avec Saint Louis sur la gestion des affaires.
Le deuxième fils survivant de Blanche, Robert, prend possession de l’Artois
à vingt et un ans, en 1237. Son quatrième fils, Alphonse, est investi du Poitou et
de l’Auvergne en 1241, à vingt ans, puis de toutes les possessions de Raymond
VII, comte de Toulouse, à la mort de celui-ci, en 1249, ce qui fera de lui le
prince apanagé le plus puissant du royaume. Rien n’avait été prévu pour Charles,
le dernier-né, puisqu’il s’agissait d’un fils posthume de Louis VIII. Mais en
1227, après le décès prématuré de Jean, troisième enfant du couple royal, son
frère Charles se voit confier son apanage, qui comprend l’Anjou et le Maine. La
cession des territoires de l’un à l’autre fils se fait cette fois-ci très rapidement,
dès le berceau. Favoritisme de la part d’une mère éprise de son nouveau-né…

La cosouveraineté de Blanche de Castille et de Saint Louis

Outre cette habile politique intérieure qui aboutit à l’apaisement de tout le


royaume, deux données importantes doivent être dégagées sur la régence de
Blanche de Castille.
En premier lieu, elle dure longtemps, bien plus qu’on ne pouvait le prévoir à
ses débuts. La baillistre aime le pouvoir et peine à y renoncer. Normalement, elle
aurait dû le faire plus tôt. Mais elle ne peut se résoudre à reconnaître Saint Louis
comme majeur qu’à l’âge avancé de vingt ans, en 1234. Encore n’abandonne-t-
elle pas à cette date le gouvernement du pays, comme on aurait pu s’y attendre.
Au contraire, elle décide de diriger le royaume en compagnie de son fils, ou
plutôt sous sa responsabilité officielle. Renouvelant la conduite qu’elle aurait
adoptée sous Louis VIII, elle choisit de gérer la France dans l’ombre plutôt
qu’en pleine lumière et de laisser la souveraineté apparente à Saint Louis. Ses
contemporains ne s’y trompent pas : elle est avec le roi l’âme agissante de toutes
les décisions importantes. Les actes officiels mentionnent bien comme unis à la
tête de l’Etat « le roi Louis et la reine Blanche ». Ils établissent même que celle-
ci préside parfois des séances de la « Curia regis », institution suprême de la
royauté.
Il n’y a pas de rivalité entre la mère et le fils. Louis s’inspire des avis de
Blanche car il la sait très compétente. Il en fait sa conseillère intime et
privilégiée car, intelligente et instruite par l’expérience, elle ne l’a jamais déçu.
Le retrait d’une régente n’entraîne pas forcément celui d’une reine mère aux
mérites incontestables. Et puis, depuis sa plus tendre enfance, Louis s’est pris
d’une profonde affection pour celle qui lui a donné le jour : elle l’a instruit,
éduqué pour être le roi parfait qu’il doit être maintenant, dans le souci partagé du
bien du royaume. L’harmonie entre le souverain et sa mère est telle que l’on peut
les considérer comme formant un véritable couple royal de gouvernement, uni
jusqu’à la mort.
Dans ces conditions, ils n’ont plus besoin de conseillers puissants et
influents comme le défunt Guérin, évêque de Senlis. Après le décès du grand
chambrier Barthélemy de Roye, soutien inconditionnel de Blanche, mort
octogénaire en 1237, les gouvernants peuvent toujours s’appuyer sur une équipe
resserrée de fidèles mais qui ne disposent pas, comme leurs aînés, de qualités
exceptionnelles : Jean de Nesle, le chambellan Ours, des prélats comme Gautier
Cornut, archevêque de Sens, décédé en 1241, ou Guillaume d’Auvergne, évêque
de Paris. Et comme tous, aujourd’hui comme hier, sont opposés les uns aux
autres, à la recherche qu’ils sont des faveurs royales, l’arbitrage et la décision de
Blanche s’imposent naturellement…
La reine mère n’a pas que des satisfactions : l’année même de la majorité de
Louis, elle doit accepter de le marier avec Marguerite de Provence, fille aînée du
comte Raymond Bérenger. Ce mariage lui déplaît parce que, pour une fois, il lui
a été imposé. Le pape Grégoire IX l’a pressée de consentir à cette union pour
protéger la Provence des prétentions du comte hérétique de Toulouse. Elle n’a
pas pu refuser sa proposition car son refus aurait sans doute entraîné le
rapprochement d’Henri III et de Bérenger, ce qui aurait posé problème. Dès le
début, elle n’est pas encline à beaucoup de tendresse envers sa future belle-fille.
Le 27 mai 1234, le mariage est célébré à Sens par l’archevêque Gautier
Cornut lors d’une cérémonie somptueuse et dans l’enthousiasme populaire. Le
public est ravi de voir son roi de vingt ans au bras d’une jeune beauté de treize
ans. Pas Blanche, qui, à quarante-six ans, fait, elle, figure de vieille femme…
A la jalousie s’ajoute bientôt et durablement une lutte d’intérêts : la reine
mère prétend continuer à gouverner avec son fils et sans partage. La jeune reine,
fort éprise de son mari, entend le garder pour elle seule et partager avec lui les
préoccupations liées à ses fonctions. Le conflit est inévitable…
C’est Blanche qui déclenche les hostilités. Comme elle ne peut pas supporter
cette bru et que celle-ci tarde à donner un héritier à la Couronne, elle suggère à
son fils de la répudier, bien qu’elle soit encore adolescente. Saint Louis, qui ne
veut pas contrarier sa mère mais qui tient à son épouse, temporise.
Heureusement, en 1240, Marguerite donne naissance à un enfant, une fille,
bientôt prénommée Blanche, sans doute pour calmer les ardeurs belliqueuses de
la belle-mère.
Précaution inutile : poursuivie par l’idée qu’on veut lui prendre son fils,
Blanche de Castille fait tout ce qu’elle peut pour l’éloigner le plus possible de
Marguerite. Mère possessive, femme de pouvoir exclusive, elle agit contre sa
belle-fille avec une réelle méchanceté.
Le jeune couple prend l’habitude de séjourner au château de Pontoise : il y a
là beaucoup moins de monde qu’au palais de l’île de la Cité à Paris et ce lieu se
prête plus au calme et à l’intimité. Mais la reine veuve redoute les trop longs
moments qu’y partagent Louis et Marguerite. Elle ne peut supporter de les savoir
ensemble dans la journée. Afin de s’imposer et de surveiller autant qu’elle le
peut les époux, elle cherche à les séparer. Comme la chambre de Louis se trouve
au-dessus de celle de Marguerite et que les deux pièces sont reliées par un
escalier à vis, le couple se rencontre fréquemment à son insu. Pour empêcher
cela, Blanche court dans les couloirs pour veiller à ce que chacun reste bien chez
soi. Mais lorsqu’ils la voient apparaître, les huissiers qui gardent les
appartements royaux tapent avec leur long bâton contre les portes de leurs
maîtres qui se précipitent chacun dans leur cabinet. Blanche, dupée, ne peut que
constater les sages occupations de chacun, l’esprit empli de doutes malgré tout.
En 1242, la jeune reine met au monde un second enfant, une fille
prénommée Isabelle. L’accouchement s’est mal passé et Marguerite est
moribonde. Alors que son mari vient près d’elle pour lui manifester son amour,
la reine mère éloigne son fils de son épouse d’un geste brusque et lui demande
de la suivre et de se retirer. Marguerite ne peut s’empêcher de murmurer :
« Hélas ! Vous ne me laisserez donc pas voir mon seigneur, que je sois morte ou
vive. » La mourante finit par recouvrer la santé, profondément marquée par la
haine de Blanche à son égard.
Cette femme si dure, si dominatrice envers sa bru, a-t-elle fini par faire
preuve de la même autorité envers Saint Louis en profitant de la coroyauté qui
les unit étroitement ? Envers lui, elle n’a jamais changé d’attitude : elle a
toujours fait en sorte de lui laisser la primauté qui lui était due.
On peut le constater principalement dans le domaine du droit régalien de
justice, qui relève éminemment du souverain. Blanche reconnaît formellement à
Louis la faculté d’arbitrer sans appel possible les conflits entre des personnes ou
des institutions. Qu’il soit adossé à son célèbre chêne de la forêt de Vincennes ou
installé sur un tapis dans le palais de l’île de la Cité, le roi tranche entre les
plaignants qui viennent implorer une décision favorable.
Devant l’afflux des recours déposés contre les jugements contestables des
baillis, représentants locaux du monarque, la justice royale s’organise et prend
corps petit à petit. A partir de 1239, une partie de la cour du roi se réunit en
section spécialisée, ou « parlement » (curia regis in parlamento), pour rendre des
sentences équitables, sous la présidence de Saint Louis. Progressivement, et avec
la complicité de sa mère, celui-ci devient un « roi de justice » au-dessus de tous,
y compris d’elle-même.
Même si Blanche de Castille joue officiellement les seconds rôles derrière
son fils, elle mène un train de vie royal. A titre personnel, elle dispose d’une
belle fortune que lui procurent les revenus de son douaire, de ses châtellenies,
seigneuries et demeures, le tout abondé par les libéralités consenties par le
souverain. Riche mais dépensière, elle mène une existence de grande dame, la
première du royaume, et réalise pour elle-même tout ce dont une femme peut
rêver. La Maison, ou l’Hôtel de la reine, est peuplée des personnes dont elle peut
avoir besoin dans la vie ordinaire comme pour les réceptions qu’elle donne : il y
a là pour la distraire des dames et demoiselles d’honneur, des artistes, car elle
raffole de poésie, de chants et de musique, des clercs qui se chargent de rédiger
et de transmettre ses ordres, des chapelains dont, très pieuse, elle ne saurait se
passer, des serviteurs aussi pour accomplir les besognes de la vie quotidienne,
simple ou fastueuse. Ajoutons à tous ceux-là des nobles, chevaliers et écuyers,
qui ont pour mission d’escorter la reine mère et d’assurer sa sécurité.
Dans ses résidences, Blanche témoigne d’un goût marqué pour le luxe. Bien
qu’on ait peu de documents sur ses divers achats, on sait qu’elle possède de
nombreux et magnifiques bijoux, fruit de la créativité des orfèvres parisiens les
plus réputés, qu’elle adore les toilettes somptueuses et les fourrures les plus
rares. L’âge ne change rien à ses goûts : elle veut, elle se doit d’être élégante… et
toute sa famille aussi. Elle veille à ce que ses enfants soient vêtus selon leur
rang. Saint Louis est habillé sur ses ordres comme un prince puis comme un roi.
Il porte des vêtements de soie brodés d’or pour que sa dignité apparaisse
clairement aux yeux de tous. Le souverain reviendra sur ces dispositions après la
mort de sa mère, à son retour de croisade qui précédera sa vie de saint au sens
plein du terme.
Ce luxe royal ne choque pas les contemporains, dont les conditions de vie,
évidemment infiniment plus modestes et contrastées, se sont sensiblement
améliorées depuis plusieurs décennies. Une forte croissance démographique a
rendu possible un accroissement de l’espace agricole par des défrichements et
des assèchements de terres humides. La production s’en est trouvée nettement
améliorée, à la grande satisfaction des paysans et des marchands. Tout en haut de
la pyramide sociale, le genre de vie de la famille régnante apparaît non pas
comme une provocation mais comme le reflet de la réussite exceptionnelle du
« beau XIIIe siècle ».

La seconde régence de Blanche : le pouvoir jusqu’à la mort


(1248-1252)

Le luxe affiché par Blanche de Castille et par les siens en une période de
prospérité n’est pas seulement extérieur et démonstratif. Il est aussi le reflet du
plein succès d’une politique menée de main de maître depuis la mort de Philippe
Auguste.
Blanche, avec Louis VIII puis Saint Louis, y a grandement contribué,
indirectement ou directement, sans que les années aient altéré son discernement
ni ses capacités. En apparence du moins…
Les affaires de l’Etat, elle devra les régler seule à présent. A la suite de la
guérison d’une dysenterie qui a failli envoyer Saint Louis dans l’autre monde,
celui-ci fait vœu, à la fin décembre 1244, de partir en croisade pour délivrer la
Terre sainte des infidèles. Il reste encore quelques années avec sa mère puis
décide de partir outre-mer en 1248. En juin de cette année-là, il confie le
gouvernement du royaume, en son absence, à Blanche de Castille, avec pleins
pouvoirs. Ce faisant, il écarte son épouse, la reine Marguerite de Provence, de la
direction des affaires. Non pas parce qu’il se méfie d’elle ou qu’il ne l’aime pas
mais simplement parce que, en souverain pleinement responsable, il veut que la
France soit dirigée par une personnalité compétente et expérimentée, capable de
continuer l’œuvre remarquable accomplie jusqu’alors. Or Marguerite n’a guère
fait ses preuves que comme épouse fidèle…
Pendant plus de quatre années de cette seconde régence, Blanche s’entoure
de conseillers qui se situent dans la tradition gouvernementale de l’époque. Les
prélats de qualité ont toujours sa préférence : Guillaume d’Auvergne, évêque de
Paris, Henri Cornut, archevêque de Sens depuis la mort de son frère Gautier en
1241, sont ses favoris aux côtés de quelques seigneurs issus de la moyenne
noblesse. En l’absence du maître, le pouvoir appartient toujours à la même
maîtresse, selon les mêmes principes.

La croisade des pastoureaux

Mais Blanche vieillit et doit se ménager davantage. En 1248, au début de sa


seconde régence, elle a soixante ans et ressent d’autant plus le poids des ans
qu’elle est malade du cœur.
Aux environs de Pâques 1251, un prédicateur venu d’on ne sait où s’adresse
aux pastoureaux, c’est-à-dire aux pâtres et, d’une façon générale, aux pauvres de
Picardie. Il leur dit qu’eux seuls peuvent aider le roi à délivrer les lieux saints car
ils sont bénis de Dieu, et non les nobles qui l’accompagnent, aussi incapables
qu’attirés par l’appât du gain. Cet étrange personnage se présente comme le
Maître de Hongrie. Comme il rencontre un beau succès auprès des petites gens,
il va plus au nord, où sévit une grave crise économique, et rallie à sa cause tous
les déshérités et affamés des pays traversés. Puis il redescend vers Paris et la
vallée de la Loire. Les « croisés » du Maître sont alors plusieurs dizaines de
milliers, emplis bientôt de motivations très éloignées de l’esprit de croisade. Si
l’on parle toujours d’aider Saint Louis dans son œuvre pieuse, on s’en prend de
plus en plus à tous les responsables de son échec : aux nobles comme toujours
mais aussi au clergé, du simple prêtre jusqu’au pape qui ne cesse de s’enrichir
sur le dos des indigents. Le Maître de Hongrie et ses pastoureaux, « croyants »
maudits de la terre, vagabonds et misérables, ivrognes et prostituées, s’en
prennent violemment à présent à toutes les élites sociales, qu’ils tentent parfois
d’éliminer par la menace ou le meurtre.
Avant ces exactions, au début du mouvement, la régente avait cru aux
déclarations du Maître. Voyant en lui un homme susceptible d’aider son cher fils,
elle l’avait reçu dignement à Paris. Ce faisant, elle avait dissuadé ses
représentants locaux d’intervenir contre lui et avait surtout renforcé sa position
dans le royaume. Manque de discernement de sa part ? C’est certain, mais c’est
la seule bévue notable de son règne, d’ailleurs rapidement réparée. S’apercevant
qu’elle a été dupée, elle commande de livrer un combat sans merci aux rebelles,
bientôt éliminés à leur tour par le glaive.

Rigueur envers les seigneurs ecclésiastiques


et tendresse familiale

Blanche de Castille, revenue à elle-même peu après la fin de la croisade des


pastoureaux, fait encore preuve de lucidité dans un conflit localisé qui se
déclenche à la fin du mois d’août 1251. Les paysans qui relèvent du chapitre de
la cathédrale Notre-Dame de Paris se révoltent contre les chanoines, arguant du
fait que leurs taxes sont trop lourdes. Les dignitaires du chapitre réagissent : ils
font arrêter et emprisonner les meneurs. Informée du différend qui risque de mal
tourner, la régente fait libérer les plaignants et confisquer les terres des
chanoines. Ainsi se place-t-elle dans la tradition capétienne de protection des
populations contre les abus de seigneurs, laïques ou ecclésiastiques, tradition qui
avait emporté l’adhésion des peuples des villes et des campagnes à la royauté
juste et bienfaisante.
L’année suivante, alors qu’elle va fort mal, elle ne peut s’empêcher
d’accorder à son cher petit dernier, Charles d’Anjou, aussi ambitieux que
capricieux, la promesse du comté de Hainaut, contre les intérêts de la Couronne,
car elle craint une rébellion du prince dans l’hypothèse où elle viendrait à
décéder en l’absence du roi. Faiblesse due à l’âge et à la maladie, mais aussi aux
sentiments généreux de Blanche envers les membres de sa famille. Même
fatiguée, même instruite par une longue carrière politique qui a renforcé son
autoritarisme et sa dureté, la régente reste pour les siens une femme de cœur.
Blanche respectueuse des volontés du roi Saint Louis

Aimante envers ses enfants, la reine mère accorde une importance


particulière à Louis, qui sollicite ses avis et ses conseils jusqu’à son départ en
croisade. Ce couple royal agit généralement de concert, dans une entente
parfaite. Mais il arrive que les opinions divergent sur les grandes décisions ; dans
ce cas, après d’âpres discussions, Blanche de Castille laisse son fils agir comme
il l’entend. Deux oppositions traduisent bien cet antagonisme occasionnel, qui se
termine par la victoire de Saint Louis.
Quand le souverain s’apprête à quitter le royaume à l’été 1248,
conformément au vœu formulé quatre ans plus tôt, sa mère essaie de le dissuader
de partir. Elle a déjà soixante ans, ne se sent pas très bien : reverra-t-elle un jour
son cher enfant avant de mourir ? Elle est surtout inquiète pour lui : il est d’une
santé fragile. Pourra-t-il résister à de longs et périlleux voyages ? Et puis, il y a
les dangers de la guerre : il peut être blessé gravement ; pis encore, tué par les
infidèles. Angoissée par tant de périls, elle le supplie de rester. Saint Louis la
rassure mais s’obstine dans ses projets : pour le salut de son âme, pour celui de
la chrétienté aussi, il se doit d’aller délivrer la Terre sainte. Dernière supplication
de Blanche de Castille ; en vain. Elle s’évanouit par deux fois en voyant son fils
s’éloigner.
Mais elle ne renonce pas. En 1250, informée des difficultés qu’il rencontre
outre-mer, elle le supplie de revenir, sans être écoutée de lui, qui ne rentrera en
France qu’en 1254.
Autre différend, toujours pour un problème majeur : la conception même de
la finalité du pouvoir royal. Pour Blanche, celui-ci doit avant tout faire régner
l’ordre et imposer la puissance capétienne dans le royaume. Juste avant de partir
en croisade, Saint Louis, qui se sent plus que jamais lié à Dieu depuis sa
guérison pour lui quasiment miraculeuse, manifeste clairement d’autres vues : il
doit être le messager du Ciel, un roi sacré dont la mission essentielle est
d’assurer le Paradis à ses administrés après leur mort et, d’ici là, les amener à
vivre selon les préceptes du Christ.
Conscient que beaucoup d’officiers royaux ne remplissent pas correctement
leurs fonctions et mènent une vie peu chrétienne, entachée de corruption,
d’extorsions de fonds et d’immoralité notoire, il décide en 1247 d’envoyer des
hommes sûrs pour enquêter sur eux. Sa mère n’ignore pas les vices et les abus de
ces administrateurs douteux mais ne souhaite pas d’investigations publiques
pour ne pas provoquer de scandales qui puissent nuire à l’autorité et à la gestion
des Capétiens. Plus ancrée dans la tradition que son fils, elle est naturellement
plus tournée vers le pouvoir que vers son mode d’administration. Elle proteste,
mais ce que roi veut…
Le souverain missionne donc des contrôleurs auprès des populations pour
dresser une liste des plaintes contre ses représentants locaux, baillis ou
sénéchaux chargés de faire exécuter ses ordres, de rendre justice, de réunir les
troupes, de régir les finances, hommes tout-puissants donc, ainsi que sur leurs
auxiliaires judiciaires en première instance, les prévôts.
Ses envoyés, tels les missi dominici de Charlemagne, s’en vont le plus
souvent deux par deux parcourir villes et campagnes pour rédiger des registres
de critiques contre ces responsables. L’absence du monarque ne lui permettra de
prendre de décisions dans ce domaine qu’à son retour d’Orient… Un temps de
répit pour Blanche, contrainte de céder.

« Tu n’es que poussière »

Mort de Blanche

Cependant le mal qui ronge la régente ne cesse d’empirer et le travail lui est
de plus en plus pénible, même dans les périodes où, sans être contrariée par qui
que ce soit, elle se trouve seule à décider. En janvier 1251, elle est frappée d’une
violente attaque cardiaque qui la laisse dans un état inquiétant.
Elle sait qu’elle va mourir et se prépare à la mort. A la fin de novembre
1252, alors qu’elle est au plus mal, elle demande à être revêtue de l’habit des
moniales cisterciennes et déclare vouloir finir sa vie comme religieuse même si
elle échappe au trépas. Peu après, elle reçoit les derniers sacrements et se fait
déposer par esprit d’humilité sur un lit de paille. Elle rend son âme à Dieu le
27 novembre, à l’âge de soixante-quatre ans. Elle a régné avec Louis VIII
pendant trois années et dirigé le royaume pendant vingt-six autres, dont douze
comme baillistre ou régente en titre.
Comme il s’agit d’une reine défunte, elle est transportée à l’abbatiale Saint-
Denis pour une veillée de prières suivie d’une messe des morts. Selon son vœu,
sa dépouille est transportée à l’abbaye de Maubuisson où elle avait fini ses jours.
Quand, au printemps 1253, Saint Louis, alors en Terre sainte, apprend la
nouvelle du décès de sa mère, il est saisi d’une grande douleur qui l’empêche de
s’entretenir avec ses conseillers pendant deux jours. Son épouse, qui est à ses
côtés, ne parvient pas à le consoler. Alors, devant son affliction et sa détresse,
elle tombe en pleurs, non pour la mort de sa belle-mère, mais par amour et
compassion envers son mari. On a ici l’illustration des liens affectifs qui unissent
les deux couples royaux : le souverain est indiscutablement très attaché, de deux
façons différentes, à la reine Blanche, sa mère, et à la reine Marguerite, qui lui
manifeste spontanément un attachement passionné.
Malgré son autoritarisme naturel et la détestation de sa bru, Blanche de
Castille a mené une vie très pieuse, pétrie de religion au point que l’Eglise a
envisagé pendant un temps sa béatification. La vérité est surtout qu’elle a su
faire de son fils un grand roi de paix et de justice, qualités qui apparaîtront
nettement après son retour de croisade. Non seulement elle a formé un monarque
qui restera une référence en Occident pendant toute la fin du Moyen Age et
même bien au-delà, mais elle a su développer en lui un esprit très vertueux. De
sorte que Louis IX est apparu comme un roi saint et exemplaire, au service tout à
la fois de Dieu et de son peuple, unis dans une cause commune.
Décidément, dans des domaines fondamentaux, Blanche de Castille a joué
sur le long terme un rôle déterminant. Comme son œuvre la plus remarquable
pour la postérité reste l’éducation de Saint Louis, il convient de souligner qu’elle
ne s’est pas attachée qu’à la personne de son fils. Elle a partagé avec lui son
intense besoin de spiritualité dont elle a gravé des témoignages dans la pierre.
Admiratrice fervente de l’ordre de Cîteaux, elle a fait commencer en 1236 les
travaux de la future abbaye cistercienne de Notre-Dame-la-Royale, appelée alors
abbaye de Maubuisson et située à Aulnay-sous-Bois, près du « palais » royal de
Pontoise. Plus tard, elle a donné la vie, d’accord avec Louis IX, à l’abbaye
Notre-Dame-du-Lys, située à l’est de Paris, près de Melun.
Communion dans le gouvernement, communion dans la religion… Mais
différences dans le rapport au temps. Saint Louis prend une part active au succès
de l’art gothique, rayonnant en ce XIIIe siècle. Il surveille, il conseille les maîtres
d’œuvre comme celui de la Sainte-Chapelle, édifiée de 1243 à 1248 pour servir
d’écrin aux reliques de la Passion du Christ. Blanche de Castille, elle, s’en remet
complètement à leur talent, sans chercher à les influencer. Louis s’inscrit déjà
dans un nouveau siècle, celui de l’innovation, artistique aussi bien que politique.
Sa mère, elle, méfiante envers les nouveautés naissantes, veille à sauvegarder les
méthodes qui ont fait le succès de la France depuis son beau-père Philippe
Auguste. Une fracture entre la mère et le fils ? Non, une évolution dans la
continuité.
*

Dotée d’un tempérament fort et d’une remarquable intelligence politique,


Blanche de Castille a indiscutablement été une femme de tête qui a beaucoup
contribué, malgré les embûches initiales, à l’essor du royaume de France en
Europe. Elle a dominé son temps au point d’être considérée, aujourd’hui encore,
comme l’une des personnalités marquantes de notre Histoire, la première à avoir
disposé des qualités d’un chef d’Etat au féminin.
De caractère contrasté, la mère de Saint Louis, très autoritaire dans sa façon
de gouverner, peut devenir en privé un être sensible, notamment envers son
époux Louis VIII ou ses nombreux enfants, éduqués dans des principes chrétiens
stricts pour leur salut éternel. Mais quand son pouvoir est menacé, elle est
capable d’une extrême violence. Sa bru, la reine Marguerite de Provence, en a
fait la douloureuse expérience. D’une autre façon, les humbles pastoureaux
aussi, et, à un niveau supérieur, les grands seigneurs révoltés qu’elle a
définitivement soumis à l’autorité royale.
Cependant la régente n’a pas su anticiper son temps. Aux alentours de la
moitié du XIIIe siècle se profilent d’autres idéaux, partagés par Saint Louis : le
souci du bien commun l’emporte progressivement sur l’intérêt monarchique
stricto sensu, plus exactement la première donnée devient l’objectif de la
seconde : le souverain doit régner pour la satisfaction morale et matérielle de son
peuple. Conservatrice de nature, prise dans l’action et atteinte par l’âge, Blanche
ne partage pas ces préoccupations. Pénétrée des mérites et des succès de la
royauté depuis Philippe Auguste, fondés essentiellement sur des rapports de
force et sur la guerre, elle ne peut pas imaginer un monde de paix et de justice.
Ce monde, son fils Saint Louis le fera surgir de 1254 à 1270, après la mort
de la régente et son retour d’une croisade qui a bouleversé sa vision du monde et
approfondi sa vocation de roi salvateur. Mais il est resté toute sa vie la créature
religieuse et politique de sa mère Blanche de Castille.
II
Isabeau de Bavière,
la reine égarée
(1370-1435)

Les reines de France qui ont exercé le pouvoir au Moyen Age n’ont pas
toujours laissé d’elles une image édifiante. Isabeau de Bavière, épouse de
Charles VI au tournant des XIVe et XVe siècles, est accusée vertement par Sade
d’avoir été une maîtresse éperdue, de s’être rendue coupable d’infanticide et
d’avoir commandité des meurtres. Plus tard, Michelet ne réservera pas un
meilleur sort à l’« infâme Isabeau de Bavière », l’accusant d’avoir par cupidité
renié son fils et vendu sa fille au pire ennemi du royaume de France.
Ces dernières condamnations méritent d’être reconsidérées à la lumière d’un
réexamen des textes anciens et de l’historiographie contemporaine. Isabeau,
plongée pendant longtemps dans les ténèbres d’une légende noire, devient alors
plus humaine, presque émouvante, éprouvée par la solitude et la détresse d’une
puissance politique qui lui échappe sans cesse.

De la joie aux larmes (1370-1401)

La jeunesse de la Bavaroise se passe probablement comme celle de la


plupart des autres princesses : dans des principes et une éducation savamment
entretenus, dans l’espoir d’une union flatteuse pour ses parents et sa famille.
Nous en sommes réduits aux hypothèses car nous ne disposons d’aucun
document sur son enfance à la cour de Munich, sa date de naissance restant
même approximative. Sa vie connue débute lors de son mariage avec le roi de
France Charles VI, mariage qui sert de prélude, au terme de sept années de vie
commune, à de grands malheurs. La reine en restera très affectée jusqu’à la fin
de ses jours et sera empêchée pendant longtemps de s’approcher du pouvoir.
Elisabeth, née sans doute au début de 1370, est issue d’une famille réputée
d’Europe centrale, celle des Wittelsbach de Bavière. Son arrière-grand-père,
Louis IV, avait été dans la première moitié du XIVe siècle empereur du Saint
Empire romain germanique. Si son père, Etienne III, avait dû se contenter du
titre de duc, il avait eu la joie d’épouser Thadée, fille de Bernabo Visconti,
seigneur de Milan et maître de la riche Lombardie, soit l’un des meilleurs partis
de l’époque. La très haute noblesse s’étant alliée à l’une des plus grandes
puissances financières, Elisabeth – ainsi ses parents l’avaient-ils prénommée –
est très convoitée par un certain nombre de têtes couronnées. Dans l’immédiat
elle profite de la vie familiale avec son frère aîné Louis, appelé à succéder à son
père comme duc de Bavière à la mort de celui-ci.

La jeunesse insouciante de la reine (1385-1392)

La vie publique d’Elisabeth commence de la meilleure des façons. Un


ambassadeur de la cour de France vient demander sa main à Etienne III au nom
du jeune Charles VI. Le souverain français a fait ce choix pour tenir en échec les
Anglais, engagés contre lui dans la guerre de Cent Ans : l’appui d’une puissance
allemande, voire de l’ensemble de l’empire germanique, pourra lui être d’un
précieux secours dans le conflit qui l’oppose à l’Angleterre. Il a été influencé
dans son choix par l’un de ses oncles, le puissant duc de Bourgogne Philippe le
Hardi, qui tient d’une main ferme le gouvernement et qui suit de façon très
intéressée l’évolution des États d’outre-Rhin. Ainsi se croisent en faveur
d’Elisabeth les intérêts de l’Etat français et de ses dirigeants. L’approbation du
duc de Bavière ayant été obtenue sans difficulté, sa fille se met en route vers
l’ouest, très précisément vers Amiens, où doit avoir lieu sa présentation à
Charles VI, âgé de seize ans. Elle y arrive le jeudi 13 juillet 1385, le même jour
que son futur époux, mais ne le rencontre pas. L’idée d’un mariage avec une
jeune fille de quinze ans qu’on lui a présentée comme fort jolie fait passer une
nuit agitée au prétendant royal.
Le lendemain voit la réalisation de ses vœux : le roi découvre sa fiancée dans
la grande salle de l’évêché d’Amiens. Il la voit s’avancer vers lui,
resplendissante de beauté et magnifiquement vêtue. Comme elle fléchit le genou
devant lui, il la relève rapidement, la regarde attentivement, « de grande
manière », rapporte Froissart. Séduit, il exige que l’union soit célébrée dès que
possible. On lui répond qu’elle aura lieu un peu plus tard à Arras, après le
traditionnel examen gynécologique destiné à évaluer les capacités de la future
reine à procréer et à lui assurer une descendance. Charles coupe court aux
discussions : la cérémonie se déroulera ici même, dans la cathédrale d’Amiens,
le lundi 17 juillet, aussitôt après les préparatifs indispensables. Ainsi est-il fait,
l’évêque de la cité recevant les consentements du couple. Après une nuit de
noces ardente, Charles reste encore trois jours avec son épouse puis doit la
quitter pour aller combattre en Flandre.
Elisabeth de Bavière, qu’en France on appelle Isabelle, et bientôt, plus
couramment, Isabeau, a tout lieu d’être satisfaite de cette union, purement
politique au début. Charles, bien qu’un peu nerveux, est un époux attentionné :
roi à la mort de son père Charles V, en 1380, alors qu’encore mineur il n’avait
pas douze ans, sacré à Reims peu de temps après, il est pénétré de la grandeur de
sa charge tout en gardant dans l’intimité une simplicité et une gentillesse qui la
touchent.
Les sept premières années de vie commune sont fructueuses pour eux,
malgré les incartades d’un souverain très courtisé. Isabeau donne naissance à
cinq enfants : deux fils, des dauphins tous deux prénommés Charles, le premier
et l’aîné de tous ne survivant que quelques mois en 1386, et trois filles, Jeanne,
qui ne franchit pas le cap de ses deux ans, puis Isabelle, et encore une autre
Jeanne.
Pendant tout ce temps, la reine réside ordinairement à l’hôtel Saint-Pol,
édifié dans le Marais entre 1360 et 1365, le palais de la Cité, ancienne demeure
royale, ne répondant plus aux nécessités de la vie de cour. Là, tout au contraire,
il y a de vastes salles pour de grandes réceptions et une place suffisante pour la
Maison de Charles VI et celle de son épouse, toutes deux séparées pour répondre
aux exigences d’une monarchie à l’étiquette maintenant bien définie.
Isabeau ne reste pas seule dans sa demeure : elle a fait venir auprès d’elle des
dames et demoiselles d’honneur allemandes avec lesquelles elle peut se divertir
et converser dans la langue de son pays d’origine. Pourtant le roi s’efforce de la
faire vivre en harmonie avec les usages du royaume : il lui fait donner des cours
de français et l’invite à s’habiller à la mode de Paris, les vêtements bavarois lui
paraissant trop frustes pour une Cour somptueuse. Ainsi Isabeau peut-elle
paraître dignement devant les princes du sang et la haute noblesse à l’hôtel
Saint-Pol.
Mais il ne suffit pas d’être l’épouse du roi ; il faut qu’elle soit reconnue
pleinement comme reine de France. A cette fin, Charles VI fait procéder au
couronnement et au sacre de la souveraine en août 1389. Celle-ci se voit offrir
pour l’occasion une magnifique robe de velours brodée d’or, un or qui s’accorde
bien à celui de la couronne qu’on lui pose sur la tête. Pour donner de l’éclat à la
cérémonie, le monarque ordonne cinq jours de fêtes et de réjouissances avec des
joutes et des tournois qui se terminent par des banquets.
Comme il faut que la Cour vive, il organise quelques mois plus tard d’autres
festivités dans l’abbaye de Saint-Denis avec les mêmes combats qui se terminent
cette fois par des soirées dansantes au cours desquelles des invités se laissent
aller à des débordements sexuels. Le lieu saint devient alors un endroit de
débauche, même pour Charles, qui a un goût marqué pour les plaisirs débridés.
Cela ne l’empêche pas de partager une tendre intimité avec sa femme :
joignant les nécessités liées à ses obligations à l’agrément d’une existence à
deux, il l’emmène avec lui dans ses voyages, n’oubliant jamais de lui faire
goûter quelques festivités joyeuses.
Durant ces sept années, le rôle du roi évolue beaucoup. Mineur, il doit laisser
la responsabilité de l’Etat à ses oncles, tous ducs : les frères de son père
Charles V, Jean de Berry et surtout Philippe de Bourgogne, qui assume la réalité
du pouvoir au nom du prince ; le frère de sa mère, Louis de Bourbon aussi. Bien
que Philippe s’impose nettement, il doit sans cesse lutter contre Jean et Louis,
toujours soucieux de récupérer, à la faveur d’une défaillance, une parcelle
d’autorité. C’est donc un gouvernement collégial qui s’impose à Charles VI,
avec tous les inconvénients que présente la collégialité lorsque le souverain n’a
pas les moyens d’imposer ses choix. D’ailleurs, outre ses trois oncles, Charles
doit compter avec son frère cadet, Louis, qui, né seulement trois ans après lui,
commence à manifester certaines ambitions pour l’avenir. Il aura sans doute
aussi à se méfier de son cousin Louis d’Anjou ; mais pour l’heure, celui-ci, trop
jeune encore, ne peut guère manifester que des velléités d’indépendance.
A l’approche de ses vingt ans, en novembre 1388, le roi décide de gouverner
personnellement : il chasse ses oncles et prend comme principaux conseillers
ceux qui avaient avec succès épaulé son père, les « Marmousets », appelés ainsi
par dérision puisque ce mot désignait à l’époque une figurine grotesque dont on
ornait les heurtoirs des portes. Avec eux, il dirige le royaume pendant près de
quatre ans, avec un certain succès d’ailleurs puisque les Marmousets sont
favorables à la centralisation royale exécrée par les ducs.
Et Isabeau dans tout cela ? Les textes ne parlent d’elle que comme épouse du
roi ou comme mère de ses cinq enfants. Pourtant, en 1392, elle a vingt-deux ans
et a eu pendant sept ans l’occasion de s’initier à la politique. Mais dans les
affaires de l’Etat, elle n’apparaît jamais, comme si elle ne comptait pas, ce qui
est probable. Pourtant, à l’été 1392, un événement imprévisible va faire basculer
sa douce vie dans l’angoisse jusqu’à la fin de son existence.

L’épouse attentionnée mais sans pouvoir d’un roi fou (1392-1401)

Cette année-là, le duc Jean IV de Bretagne, depuis longtemps en conflit avec


son vassal Olivier de Clisson, décide d’en finir avec lui en le faisant assassiner à
Paris par des sbires de l’un de ses familiers. Le coup est manqué mais Clisson,
également connétable de France, porte plainte auprès du roi et de son entourage,
certain que ses amis Marmousets soutiendront sa cause. De fait, ceux-ci
interviennent auprès de Charles VI pour venger l’affront fait à la Couronne à
travers cette tentative de meurtre. Le souverain est d’autant plus attentif à la
requête de ses collaborateurs qu’il rêve, comme ses prédécesseurs, de conquérir
la Bretagne, toujours indépendante. Il fait lever une grosse armée et se dirige
vers Nantes, bien décidé à en finir avec un Jean IV dans l’incapacité de lui
résister militairement.
Dans la forêt du Mans, à hauteur de Sablé, Charles chemine tranquillement à
la tête de ses troupes par une chaleur torride en ce 5 août. Tout à coup, il brandit
son épée en hurlant et attaque sa propre escorte, dont il tue quatre soldats. On a
du mal à le neutraliser. Pour la première fois, le roi est frappé d’une crise de
folie.
L’expédition est interrompue. On ramène le dément en Ile-de-France pour le
soigner, ignorant la nature de son mal subit. Au bout de quelques jours, il se
calme et retrouve ses esprits mais en 1393, une nouvelle attaque se produit qui
dure plusieurs mois. Les médecins accourent à son chevet, se laissent aller à de
grandes réflexions. Leur conclusion finale : le monarque est atteint d’un « excès
de jeunesse ». Pour tenter de le guérir, rapporte Bernard Guenée, une solution
s’impose : purger son corps en laissant libre cours à ses instincts libidineux. En
dépit de cette « érothérapie », le mal revient de façon récurrente. Isabeau est
affligée de l’état de son époux. Loin de le rejeter, elle fait tout ce qu’elle peut
pour le guérir. Ecoutant d’influents prélats, elle est persuadée que Charles
souffre par la volonté divine, pour racheter par ses souffrances les péchés
commis dans le royaume, en quelque sorte comme le Christ lors de sa Passion.
Sa douleur participe du rachat spirituel de ses sujets dans une espèce de sacrifice
christique. Il n’en est que plus digne, malgré les apparences, et il faut implorer le
Ciel pour mettre un terme à son épouvantable état. La reine fait donc dire des
messes, organise des processions et des neuvaines. Rien n’y fait.
En désespoir de cause, elle fait appel à des sortes de sorciers qui prodiguent
des soins douteux, du moins inefficaces, au grand malade, en réalité
schizophrène. C’est qu’Isabeau, très croyante, a, comme beaucoup de ses
contemporains, une religion imprégnée de superstition. Quand Dieu reste sourd à
ses supplications, elle recourt à des méthodes ancestrales. Et tant pis si l’Eglise
les réprouve !
Les médecins ont recommandé des distractions pour leur royal malade.
Comme Charles paraît avoir retrouvé son équilibre, après sa première crise de
1392, son épouse donne un grand bal à la Cour, le 28 janvier 1393, pour le
remariage de l’une de ses dames d’honneur avec un seigneur allemand. Pour
donner du piquant à la fête, le roi et cinq nobles de son entourage décident de se
déguiser en sauvages et d’agir comme tels. Ils revêtent des habits de lin
recouverts d’étoupes collées avec de la poix, se cachant la tête sous des masques.
Et les voilà tous hurlant et dansant de façon érotique, dans une sarabande
infernale qui enchante ces dames. Mais quelqu’un approche sa torche trop près,
met le feu aux vêtements des fêtards. Au vu des flammes, Isabeau est effrayée :
elle croit son mari perdu, comme plusieurs de ses compagnons. Après un
moment d’émotion forte – si forte qu’elle s’évanouit –, elle le voit réapparaître,
indemne, sauvé par la duchesse de Berry, qui l’avait enroulé dans sa longue
traîne. Le bal des Ardents et la pâmoison de la reine sont des preuves de son
amour pour Charles après son premier accès de folie.
Il y a d’autres témoignages de ses sentiments envers le roi : ses rapports
conjugaux sont réguliers, malgré certains accès de violence de Charles. Elle lui
donne cinq nouveaux enfants de 1393 à 1401, deux filles, dont l’une, Marie,
deviendra religieuse de sa propre volonté, puis deux garçons : en 1397 Louis,
dauphin à la mort de son frère aîné Charles, en 1401, et Jean, qui deviendra
dauphin à son tour en 1415, et une fille encore, Catherine, future reine
d’Angleterre.
Le mal qui frappe le souverain est tenace mais lui laisse chaque année des
mois ou des semaines de lucidité pendant lesquels il entend gouverner. Le roi
n’est donc pas « mort » intellectuellement ; il est, selon l’expression utilisée
« absent » ou « empêché » pendant quelque temps. Toute régence étant exclue et
l’autorité royale ne pouvant s’exercer que par intermittence, le pouvoir revient
de fait à son entourage immédiat. Après l’échec de l’expédition en Bretagne, les
Marmousets, désormais sans réelle protection royale, sont écartés sous la menace
de la direction des affaires. Les oncles de Charles VI, qui n’avaient pas pu
s’imposer de 1388 à 1392, reviennent sur le devant de la scène, où ils entendent
bien de nouveau jouer les premiers rôles, particulièrement, comme autrefois, le
riche et puissant duc de Bourgogne, Philippe le Hardi. Mais le frère du roi, le
duc Louis d’Orléans, aujourd’hui adulte, lui dispute cette suprématie et entend
bien lui aussi dominer la vie politique. La rivalité de ces deux hommes entraîne
la monarchie vers la déliquescence.
Isabeau pourrait mettre un terme à ces divisions meurtrières pour le
royaume. Après tout, n’est-elle pas la reine ? N’a-t-elle pas l’âge requis ? L’âge,
oui, mais pas l’expérience. Au lieu de s’imposer aux ducs fratricides, elle va de
l’un à l’autre car elle est profondément indécise sur la ligne de conduite à
adopter. Dans un premier temps, elle appuie Philippe de Bourgogne, sans doute
parce qu’il est le plus fort. Puis, peut-être par peur d’être trop soumise, elle se
rapproche de Louis, dont elle partage les goûts. A tel point que les courtisans,
toujours avides de ragots, en font sa maîtresse. Sur sa liaison avec le frère du roi,
nous ne disposons d’aucune preuve tangible. Mais la rumeur s’amplifie dans le
pays, ce qui discrédite encore davantage celle que l’on considère surtout comme
la « Bavaroise ». La trentaine passée, la reine n’a encore aucun pouvoir réel,
même pas sur son époux, aussi absent que contraignant.

D’un pouvoir délégué à l’assassinat du favori de la reine (1402-


1407)

Tout change en peu de temps. Isabeau, qui semblait devoir rester éloignée
des affaires publiques jusqu’à la fin de ses jours, apparaît bientôt au premier
plan, chargée de responsabilités importantes au sein de l’Etat.

Le pouvoir pour Isabeau ?

Sa venue en politique est due à une conjonction de facteurs de nature très


différente mais qui concourent tous à un véritable avènement de la reine.
La démence du roi à intervalles réguliers finit par poser de sérieux
problèmes à la monarchie, même si celui-ci recouvre à chaque fois la santé et si
les princes durant ses périodes d’absence, peuvent prétendre le supplanter. De
1392 à 1401, Charles VI est frappé d’accès de schizophrénie une douzaine de
fois, pendant des périodes qui peuvent excéder six mois. L’autorité royale part à
la dérive, sans grand espoir d’amélioration. Les médecins ne se trompent pas
dans leur diagnostic d’incurabilité puisqu’ils devront traiter dans l’impuissance
une cinquantaine de crises de folie en trente ans, de 1392 à la mort de leur
célèbre patient en 1422.
Les ducs chargés du gouvernement pendant les périodes d’« empêchement »
du souverain pensent plus à s’emparer de l’autorité pour eux-mêmes qu’à œuvrer
pour le bien commun du royaume. Divisés et opposés les uns aux autres depuis
longtemps, ils s’affrontent maintenant tant au Conseil que dans la vie
quotidienne. Si Philippe de Bourgogne l’emporte dans ces combats, il n’obtient
aucun avantage décisif, son principal rival, Louis d’Orléans, lui disputant la
suprématie avec un certain succès. A tel point que, en 1401, la France est au bord
de la guerre civile.
La reine et les princes modérés, les ducs de Berry, de Bourbon et d’Anjou,
unissent leurs efforts pour empêcher ce terrible conflit. Sous leur pression
conjuguée, mais aussi parce que ni Bourgogne ni Orléans ne sont certains de
pouvoir s’imposer, les deux antagonistes promettent en janvier 1402 de faire la
paix. Si un problème surgit de nouveau entre eux, ils demanderont l’arbitrage de
la reine et des dignitaires de la famille régnante.
A trente-deux ans, Isabeau triomphe enfin. Elle peut se vanter d’avoir évité
le pire à la France et d’être garante du salut pour son avenir. Elle ne règne pas
mais s’impose comme le seul recours possible pour imposer la pacification.
Et elle réussit ! Pendant plusieurs mois le calme revient après des années
d’affrontements. Le roi, qui a retrouvé sa lucidité depuis quelque temps, est ravi
des résultats positifs obtenus par son épouse et par les membres pacifistes de sa
famille. Il décide d’officialiser les rôles jusqu’alors officieux d’Isabeau et de ses
soutiens par une ordonnance qu’il signe en mars et dont le contenu est le
suivant : dans le cas où il serait « absent » ou « empêché », la reine, assistée de
princes de son obédience qui refusent la guerre ainsi que de conseillers du
souverain dont elle fixera elle-même le nombre, arbitrera les différends pour
« mettre fin aux divisions » et faire « justice comme le roi pourrait la faire ».
Décider, juger comme Charles VI ! Isabeau, très effacée jusqu’alors, devient
maîtresse du pouvoir en l’absence du monarque.
Cette belle perspective doit être relativisée : la loi nouvelle a été prise dans
l’urgence pour pallier les risques d’un danger qui, malgré une tranquillité
apparente, couvait toujours, Bourgogne et Orléans restant dans le fond
d’irréductibles adversaires dont les ambitions se trouvent seulement
momentanément contenues. L’avenir demeure incertain, en tout cas semé
d’embûches imprévisibles.

Un pouvoir sous condition pour Isabeau

Le système gouvernemental établi en mars 1402 suppose que la reine, pivot


de celui-ci, soit apte à assumer l’avenir du pays en période difficile. Or Isabeau
n’a aucune formation politique, ni l’autorité et la souplesse suffisantes pour la
compenser. Femme et mère, elle n’a pas de compétences dans le domaine des
affaires publiques. Ses récents succès sont plus dus à l’incapacité des princes à
en découdre entre eux qu’à un authentique charisme de sa part.
Philippe de Bourgogne le sait bien. Comme il renonce moins que jamais à
s’emparer du pouvoir au nom du souverain défaillant, il décide de contre-
attaquer et de faire prendre au roi de nouvelles dispositions, en apparence peu
éloignées de celles de 1402, pour éviter une trop forte opposition. Alors que
Charles est de nouveau « absent » au mois d’avril 1403, il entretient la reine et
son entourage gouvernemental de mesures qui leur paraissent acceptables,
chacun étant appelé à détenir un pouvoir individuel au sein d’une institution de
direction collégiale.
Comme l’état mental du monarque s’améliore et qu’il semble recouvrer
progressivement ses esprits à la fin du mois, Isabeau fait envoyer dans la nuit du
23 des messagers aux ducs de Berry, de Bourgogne et d’Orléans, qui résident
alors en Ile-de-France. Ainsi pourra-t-elle valablement réunir le Conseil royal
pour une affaire de la plus haute importance. Le 26 avril, alors que Charles VI va
mieux, une nouvelle ordonnance est prise en son nom. Les dispositions de celle-
ci sont les suivantes : en cas de nouvelle absence ou d’empêchement du roi, la
reine, assistée des ducs de Berry, de Bourgogne, d’Orléans et de Bourbon, ainsi
que du connétable Charles d’Albret, du chancelier et des membres du Conseil,
gérera les destinées du royaume, à la pluralité des voix.
En poussant ainsi à l’établissement d’un nouveau gouvernement, Philippe le
Hardi espère manipuler une Isabeau très influençable et la monter contre Louis
d’Orléans, d’autant plus facilement écarté des responsabilités qu’il est
minoritaire au Conseil.
Mais quelles raisons ont donc poussé Charles VI à accepter un tel plan qui
limite en réalité le pouvoir de la reine ? L’esprit conscient et avisé en dehors de
ses crises, il sait que, dans l’immédiat du moins, il n’arrivera pas à mettre un
terme aux rivalités de Bourgogne et d’Orléans. Pour garantir l’avenir, il
reconnaît, comme l’année précédente, la prééminence de son épouse, non pas
sans doute pour les qualités personnelles de celle-ci, mais parce que son titre et
sa fonction lui confèrent – il a déjà pu le constater – une légitimité incontestable,
qui vient en quelque sorte en suppléance à la sienne. En élargissant le cercle
étroit des membres du Conseil à de grands officiers de la Couronne, le
connétable, le chancelier, dont les rôles sont d’abord de servir la monarchie, il
compte renforcer la position de la reine, et donc la sienne, contre les prétentions
personnelles.
Ainsi Charles, Isabeau et Philippe le Hardi trouvent-ils dans l’ordonnance du
26 avril 1403 des motifs de satisfaction pour des raisons opposées.
Le jour de la prise de décision, Orléans est absent. Pourtant convié au
Conseil, il a pris soin de ne pas s’y rendre, trop conscient du piège que
Bourgogne veut lui tendre. En revanche, peu après la publication de
l’ordonnance, il se rend auprès du roi pour le faire renoncer à celle-ci : malgré la
bonne volonté du souverain et d’Isabeau, son ennemi finira par l’emporter. Pris
de doute, craignant une rébellion de son interlocuteur en cas de refus, Charles VI
fait annuler la loi. Mais Bourgogne, voyant sa victoire lui échapper, s’agite à son
tour. Ne voulant pas trancher entre les deux ennemis, Charles VI décide
finalement le 17 mai de maintenir l’ordonnance. Il n’y a pas de raison
qu’Isabeau, bien conseillée en 1402, ne le soit pas à l’avenir… Il doit lui faire
confiance : ce sera elle ou la crise. De toute façon, il pourra toujours, à la faveur
d’une rémission de sa maladie, reprendre les rênes du pouvoir, revenir si
nécessaire sur les décisions prises et imposer sa volonté à chacun dans l’intérêt
de tous. L’essentiel paraît acquis.

La reine incapable d’arrêter une ligne de conduite (1404)

On en est à ces spéculations quand Philippe le Hardi décède, le 27 avril


1404. Son fils Jean sans Peur lui succède à la tête du duché de Bourgogne, à
presque trente-quatre ans. C’est lui aussi un homme ambitieux et puissant, plus
encore que son père car il doit hériter par sa mère des comtés de Flandre et
d’Artois qui viendront s’ajouter à son riche patrimoine. Se plaçant dans la
tradition familiale, soucieux de défendre ses intérêts, il devient rapidement le
rival de Louis d’Orléans. Lui aussi veut manipuler la reine et le Conseil pour
devenir le vrai chef du gouvernement.
Isabeau, effrayée par les velléités de domination de Jean, se rapproche
encore de Louis, qui, comme frère de Charles VI, fait figure de chef de la famille
royale et occupe officiellement la première place dans l’Etat après le souverain.
Elle trouve en lui l’appui dont elle a besoin, que renforcent des goûts et des
défauts communs. Cupide comme lui, elle n’hésite pas à détourner avec son aide
une partie de la lourde fiscalité récente, tailles et aides, pour donner des fêtes
somptueuses, s’offrir, elle si féminine, des toilettes magnifiques. La réputation
d’Isabeau s’en trouve encore altérée, d’autant que les anciennes rumeurs de
concubinage avec son duc favori se répandent comme une traînée de poudre,
semant le scandale et l’opprobre sur sa personne, même si leur liaison
amoureuse n’est toujours pas prouvée.
L’entente de la reine avec Louis ne repose pas que sur une réciprocité
d’intérêts. A défaut d’avoir une stratégie et une ligne de conduite politiques bien
arrêtées, elle se fie à celui qui lui paraît le plus fort pour le moment, le plus
capable de l’éclairer et de la soutenir. Ce faisant, elle va à contre-courant de la
volonté royale exprimée par l’ordonnance de 1403, qui lui donne la présidence
du Conseil et donc l’initiative et l’autorité des grandes décisions. En s’abritant
derrière Louis, elle tombe sous sa dépendance et renonce à jouer le rôle qui lui a
été confié. Elle n’est plus la reine gouvernante espérée disposant d’une totale
légitimité pour agir dans l’intérêt supérieur de la monarchie contre les partis et
les intérêts particuliers. En ce sens, elle rompt avec la tradition de souveraineté
initiée par Philippe Auguste, Louis VIII, Blanche de Castille et Saint Louis,
Philippe le Bel et les premiers Valois. Elle ajoute la crise à la crise et laisse déjà
percevoir ses limites.

L’échec de la politique d’Isabeau (1405-1407)

Les années suivantes ne lui sont guère favorables. Pour régler des affaires
délicates et affermir son autorité, Charles convoque les princes du sang à Paris à
l’été 1405. Tous répondent à son appel mais Jean sans Peur, lui, arrive avec une
armée dans la capitale. Le duc d’Orléans et Isabeau prennent peur et s’enfuient
précipitamment le 17 août vers la province, la reine oubliant dans l’affolement
d’emmener ses enfants, dont le dauphin. Son frère, Louis de Bavière,
régulièrement à la cour de Paris pour seconder sa sœur, répare vite cette erreur.
Mais Bourgogne, qui s’est aperçu de l’absence des enfants royaux, réussit à
rejoindre Louis de Bavière et à les enlever. Revenu à Paris, il a alors sous son
contrôle le roi et le dauphin appelé à lui succéder. Disposant d’un avantage
certain, il peut espérer avoir enfin le pouvoir pour lui seul, le monarque étant de
nouveau atteint d’une crise de démence.
Isabeau et Orléans ont réussi à se réfugier à Melun. La première peut mettre
en avant l’autorité qui lui a été conférée par l’ordonnance de 1403 ; le second
espère retrouver grâce à elle la puissance gouvernementale momentanément
perdue. L’ambition des ducs ennemis, leur lutte effrénée pour la prééminence ne
peuvent que conduire à la guerre civile.
Après de nombreuses passes d’armes et le retour d’Isabeau à Paris, un
terrible coup du sort brise tous ses espoirs, met un terme à la politique
imprudente qu’elle avait menée depuis plusieurs années en faisant de Louis
d’Orléans son favori. En ce 23 novembre 1407, alors qu’en son hôtel Barbette
elle se remet difficilement de l’accouchement de son douzième et dernier enfant,
mort à peine né, elle reçoit en fin d’après-midi la visite de Louis, venu s’enquérir
de sa santé. Dans la soirée, un valet de la Maison du roi se présente et dit au duc
que le souverain le réclame. Sans se méfier, Louis obtempère, sort de l’hôtel
Barbette et se dirige vers l’hôtel Saint-Pol, dans les rues sombres de Paris à huit
heures du soir, accompagné seulement d’une petite escorte portant des torches
allumées. Soudain, vingt à trente hommes de main se ruent sur le petit groupe,
en particulier sur Louis, qui se défend énergiquement mais succombe bientôt
sous le nombre, la main coupée, le crâne fracassé, cervelle et dents restant sur le
pavé de Paris. Le duc d’Orléans n’est plus.
Informée de cette catastrophe, Isabeau, paniquée, craignant pour sa vie,
quitte sa demeure et gagne l’hôtel royal où elle se sent plus en sécurité. Elle se
doute déjà du nom de celui qui a commandité cet abominable assassinat.
On le lui confirme peu après, car Jean sans Peur s’empresse d’en
revendiquer avec fierté toute la responsabilité. Oui, il a fait exécuter son cousin
germain mais pour une cause noble : Louis n’était qu’un tyran accablant
d’impôts le pauvre peuple, souhaitant vivement la reprise de la guerre avec
l’Angleterre. Il s’est donc conduit, lui, Bourgogne, en libérateur d’un royaume
tombé depuis trop longtemps sous la coupe d’un despote. Maintenant, on pourra
parler grâce à lui de paix et de diminution de la pression fiscale. Pratiquant la
démagogie d’autant plus facilement qu’Orléans était détesté, il espère bien, la
voie étant dégagée après la suppression de son ennemi, jouer les premiers rôles
auprès du roi, c’est-à-dire le plus souvent de la reine.
Mais Isabeau a été profondément affectée par le meurtre de son favori.
Aussi, sans plus se poser de questions, prend-elle bientôt fait et cause pour le
parti orléanais contre celui de Jean sans Peur. Ce manque de lucidité va
l’entraîner vers de nouveaux déboires.

Des circonstances atténuantes :


l’enfer sur terre pour Isabeau

Le manque de clairvoyance de la souveraine dans la conduite des affaires du


royaume n’est pas uniquement imputable à sa médiocrité politique. La
schizophrénie d’un roi qu’elle a longtemps aimé, ses « empêchements » répétés
et le déchaînement des appétits personnels que ceux-ci ont provoqués expliquent
pour une part les errements d’une femme en aucune façon préparée à gouverner,
surtout en période de crise prolongée. Isabeau apparaît principalement comme
une victime du malheur.
Malgré tous les bruits qu’on fait courir sur son inconduite, elle demeure, à
plus de trente ans maintenant, soumise à Charles VI, fou mais intransigeant
quant à ses exigences dynastiques. Au début du XVe siècle, il tient à assurer sa
descendance royale ; deux dauphins sont décédés en 1386 et 1401, un autre
semble prêt à assumer l’héritage, Louis, mais on le dit de santé précaire, de
même que son frère cadet, Jean, susceptible, en cas de décès de son aîné, de
devenir à son tour l’héritier de la Couronne. Par prudence, pour asseoir son
pouvoir présent très chancelant et parer à toute adversité à l’avenir, il lui faut
encore d’autres fils. En février 1403, la reine donne fort opportunément
naissance à un enfant mâle qu’elle prénomme Charles, comme son père. Conçu
en pleine crise de démence royale, il régnera sous le nom de Charles VII. En
1407, le monarque procrée, en toute sérénité cette fois, un dernier enfant,
Philippe, mort au berceau. Ses maternités nombreuses, ses rapports souvent
obligés ne contribuent évidemment pas à donner à Isabeau un dynamisme et une
lucidité qui lui manquent déjà naturellement.
D’autant qu’à partir de 1405 surtout, la santé mentale de Charles VI se
dégrade dangereusement : non seulement, il lui arrive de ne pas reconnaître son
épouse, mais aussi de se montrer violent envers elle et de la frapper. Cette année-
là, il reste de longues semaines, parfois de longs mois, sans vouloir manger et
dormir normalement… ni même se laver, personne ne pouvant l’approcher en
raison de sa fureur. Le puissant roi de France, jadis redouté, devient donc un roi
crasseux et suant, couvert de vermine, de poux et d’immondices. Plusieurs de ses
compagnons, le corps revêtu d’une armure pour se protéger de ses coups
redoutables, doivent se dévouer pour le laver, le raser, changer ses vêtements et
ses draps.
A ce moment s’opère un bouleversement dans l’esprit d’Isabeau. Ce
monarque autrefois aimé devient un objet de dégoût, un être repoussant. Elle ne
le hait pas, car elle connaît la gravité de son mal, mais elle ne peut s’empêcher
de s’éloigner progressivement de lui. En réalité, elle n’en peut plus.
Aussi, quand, à la fin de l’année, on lui présente pour satisfaire Charles VI
une jeune femme « belle, gracieuse et charmante », ne peut-elle s’empêcher de
donner son consentement à ce qu’elle devienne la concubine de son époux. La
favorite, Odette de Champdivers, n’est pas n’importe qui : elle est issue d’une
famille noble depuis au moins un siècle et un certain nombre de ses parents sont
connus depuis longtemps à l’hôtel Saint-Pol comme collaborateurs ou serviteurs
des souverains, qu’ils en aient été les secrétaires ou les maîtres d’hôtel. C’est
pourquoi l’opinion publique la surnommera bientôt la « petite reine ». Celle-ci
engendrera une fille, Marguerite, et restera fidèle au monarque, dans un
dévouement suprême, jusqu’à la mort de celui-ci en 1422. La vraie reine, elle, se
voit couvrir d’opprobre pour son immoralité notoire envers un roi très aimé de la
population pour sa bonne gestion passée et présente, quand Dieu lui laisse la
capacité de gouverner.

Dans l’adversité, le défoulement

Aussi bien dans les périodes difficiles que dans des temps plus heureux,
Isabeau vit somptueusement ; c’est pour elle une façon de compenser l’échec de
sa destinée, de rendre son existence plus supportable que de s’étourdir dans le
faste et la grandeur.
Elle ne séjourne pas toujours dans la demeure royale. Dès qu’elle le peut,
elle préfère aller dans son château de la forêt de Vincennes ou à l’hôtel Barbette.
Là, avec son frère Louis de Bavière qui lui sert de confident, ses enfants, ses
conseillers pour la conduite des affaires du royaume, avec aussi une vingtaine de
dames et demoiselles d’honneur, pour la plupart allemandes, elle dirige la
France, tout en goûtant, détendue, aux plaisirs de la Cour. Elle donne des fêtes
splendides qui éblouissent ses invités et son entourage. En ces occasions, la reine
s’habille de vêtements luxueux, taillés le plus souvent dans des draps d’or et de
soie et, pour briller davantage, porte des bijoux magnifiques et s’embaume des
parfums les plus enivrants.
Se nourrir d’apparat ne lui suffit pas. Elle est friande de mets délicats,
qu’elle consomme en abondance ; du poisson surtout, qu’elle préfère à la viande,
des fromages, des fruits et du vin, dont elle raffole. A force de faire bonne chère,
Isabeau, déjà touchée par de nombreuses maternités, prend de l’embonpoint ;
tellement, qu’elle deviendra, à quarante-cinq ans, obèse et goutteuse et devra se
déplacer parfois chez elle en chaise roulante, et, sur les chemins, en litière. Son
état physique doit-il être mis en corrélation avec la préférence du roi pour Odette
de Champdivers dès 1405 ? C’est probable, car, comparée à elle, jeune et jolie, la
reine, déjà…
Toute cette débauche de luxe, à laquelle s’ajoute un goût marqué pour
l’argent versé par les contribuables, éloigne de plus en plus les populations de
celle qui devrait les sauver. Le train de vie de la Bavaroise provoque un rejet de
celle-ci par ses sujets français à un moment où ces derniers traversent une
période de grande misère. La magnificence est perçue par eux comme une
insulte et une provocation d’autant moins acceptable qu’Isabeau était censée les
conduire vers la paix et la prospérité.

Isabeau s’efforce d’être reine malgré tout (1408-1415)…

… contre Jean sans Peur (1408-1412)

Ignorant les vrais problèmes d’Isabeau, les raisons profondes de son désarroi
et de ses excès, le peuple retient seulement d’elle les apparences d’une vie
dépensière et dissolue et fête l’assassinat de son soutien, le duc Louis d’Orléans,
comme celui d’un oppresseur du peuple. Il espère que Jean sans Peur, qui a
commandité le crime, s’imposera rapidement à la reine et au gouvernement. Car
il est opposé à une fiscalité trop pesante et c’est un réformateur, lui !
L’entrée de Bourgogne dans la capitale avec des troupes sûres le 28 février
1408 donne beaucoup d’espoir aux Parisiens. D’autant que, peu après, Isabeau,
qui craint pour sa vie en raison de ses liens d’amitié avec le duc disparu, s’enfuit
de Paris. La peur la fait agir ainsi, mais aussi sa rancœur envers celui qui la ruine
politiquement. Pour plusieurs années, une lutte à mort s’engage entre la
présidente officielle du Conseil du roi et l’homme fort du moment qui tient la
réalité du pouvoir.
Pour l’instant, les deux ennemis s’observent, chacun essayant de renforcer
son parti pour pouvoir l’emporter plus facilement. Mais le 5 juillet, Jean sans
Peur doit partir en Flandre pour mettre fin à une rébellion. Profitant de cette
opportunité, Isabeau, qui s’était réfugiée à Melun, revient à l’hôtel Saint-Pol à la
fin du mois d’août. Décidée à en finir avec le duc de Bourgogne, elle préside en
l’absence du roi un tribunal qui prône la condamnation de Jean pour son
abominable crime et l’assigne à comparaître. Ce coup de force judiciaire déplaît
aux Parisiens, conquis par les idées généreuses de l’accusé et prêts à le défendre.
Il ne leur est pas nécessaire de manifester davantage : Jean, qui a rétabli l’ordre
dans le Nord, revient vers la capitale. Le retour de cet adversaire redoutable
provoque les mêmes effets que précédemment. Contenant son besoin impérieux
de justice vengeresse, la reine s’enfuit de Paris avec le dauphin au début de
novembre… et Bourgogne peut y rentrer en triomphateur le 28 du même mois.
Dès lors, Jean sans Peur et les siens, les « Bourguignons », peuvent
gouverner sans trop de difficulté pendant trois ans, de 1409 à 1412. Isabeau,
impuissante, est condamnée à l’inaction et à l’acceptation de sa défaite : on ne
prend plus l’avis du conseil qu’elle est censée présider depuis l’ordonnance de
1403.
Dans le même temps, l’opposition orléanaise s’organise. Puisqu’il n’est plus
possible de compter sur la reine, il lui faut prendre sa destinée en main. Le parti
des « Armagnacs », créé officiellement par la ligue de Gien le 15 avril 1410,
entend bien chasser le meurtrier du frère du roi et prendre sa place à la tête de
l’Etat. Comme le fils de Louis d’Orléans, Charles, est trop jeune pour venger son
père, son beau-père, le comte Bernard d’Armagnac, est choisi pour accomplir
cette mission expiatoire. Un véritable parti se constitue autour de sa personne : il
comprend le nouveau duc d’Orléans bien sûr, mais aussi ceux de Berry, de
Bourbon, de Bretagne, associés à un certain nombre de comtes d’importance.
Comme la mise en place d’une telle force demande du temps pour donner toute
sa mesure, Jean sans Peur n’est pas vraiment menacé. Toutefois, en 1412, il y a
des engagements militaires entre Armagnacs et Bourguignons, qui ne se soldent
par aucun succès probant. Toutes les négociations, les intrigues, les décisions
échappent à la reine. Complètement dépassée, elle ne règne plus que sur elle-
même.

… et les alliés de Jean sans Peur (1413)

Les malheurs d’Isabeau ne sont pourtant pas terminés. Charles VI décide de


convoquer les Etats, qui se réunissent le 30 janvier 1413 ; son but : demander à
l’assemblée de voter une nouvelle taille, encore un nouvel impôt. Dans
l’ambiance délétère du moment, cette initiative est perçue comme une
provocation qui achève de mettre le feu aux poudres. Les Parisiens, bien
conditionnés par Jean sans Peur et un clan bourguignon officiellement toujours
hostile à une fiscalité lourde, s’agitent et préparent une contre-attaque. A la fin
du mois d’avril, ils suivent les ordres d’émeute que leur prodiguent les bouchers
et les écorcheurs, gens de métier alors très écoutés et influents. L’écorcheur
Caboche se met à leur tête et décide de régler définitivement son compte au
gouvernement officiel représenté par Isabeau. De nouvelles manifestations ont
lieu au début du mois de mai, sous l’œil ravi d’un duc de Bourgogne, plus que
jamais sûr de lui.
Mais l’agitation s’amplifie et devient incontrôlable, pour lui comme pour le
souverain. Le 22 mai, une foule se précipite à l’hôtel Saint-Pol et se présente,
menaçante, devant le roi, son épouse et le dauphin. Les revendications sont
doubles : pour le bien du royaume, il faut en écarter les personnages qui lui
nuisent, dont le duc Louis de Bavière et des dames d’honneur de la reine, et
promulguer une ordonnance de réforme.
Isabeau est horrifiée : elle comprend bien qu’à défaut de s’en prendre à sa
personne, on s’attaque indirectement à elle en lui ôtant ses soutiens. Les
Cabochiens lui infligent une cinglante humiliation. Quant à l’ordonnance, il
faudra bien la prendre si l’on veut calmer les esprits…
Jean sans Peur n’aime pas la tournure que prennent les événements. Non
parce que l’affront infligé à Isabeau lui déplaît, il conforte au contraire sa
position, mais parce que l’apprenti sorcier n’a plus la maîtrise de son œuvre : si
les Cabochiens l’emportent et poursuivent leur action, jusqu’où iront-ils ? Sera-t-
il encore capable de les apaiser et de les diriger demain ? Il tente donc de
s’interposer pour calmer les émeutiers, protéger, au moins symboliquement,
l’honneur de la reine en tentant de retarder les arrestations. En vain : Louis de
Bavière doit se livrer et les révoltés arrêtent les coupables présumés du malheur
de la France. Isabeau, profondément choquée par des outrages que même son
adversaire n’arrive pas à éviter, tombe gravement malade.
Les 26 et 27 mai, au cours d’une séance solennelle du parlement de Paris,
lecture est donnée de l’ordonnance cabochienne. Celle-ci ne présente pas de
caractère révolutionnaire ; préparée depuis longtemps par une commission de
notables, elle préconise de faire des économies ainsi que des réformes
administratives pour lutter notamment contre les excès de centralisation.

… et avec les Armagnacs (1413-1415)


Ces événements ont affecté la souveraine mais aussi son rival Jean sans
Peur. Complètement dépassé par ses alliés cabochiens, obligé d’intervenir à
nouveau en Flandre, celui-ci quitte Paris en août. Les Armagnacs en profitent
peu après : ils entrent dans la capitale à la suite du duc Charles d’Orléans, font
annuler l’ordonnance prise sous la contrainte et déclenchent jusqu’à l’été 1414
une lutte entre les Bourguignons, qui doivent s’enfuir, et contre les Cabochiens,
qu’ils condamnent à l’exil. Dès lors, ils disposent à leur tour du gouvernement.
Bourgogne ne veut pas renoncer à l’important avantage acquis après
l’assassinat de 1407, qui lui avait permis de s’imposer pendant plusieurs années.
Mais les Armagnacs, partisans d’Isabeau, interviennent contre lui. En janvier
1414, ils lui rappellent solennellement que pendant les périodes d’absence ou
d’empêchement du roi, seule la reine peut diriger les affaires publiques comme
présidente du Conseil. Cette mise en garde n’est pas de nature à calmer les
ardeurs de Jean, qui entreprend au contraire de marcher sur Paris à la tête d’une
grosse armée. Les Armagnacs répondent à la menace par la menace : en plein
accord avec la souveraine, ils déclarent en mars que toute intervention militaire
contre le duc de Bourgogne est autorisée, et même encouragée par les autorités
royales, puisqu’il est juste de châtier le meurtrier d’un prince du sang.
Le rapport des forces paraissant incertain, les deux parties jugent préférable
de négocier. La situation s’équilibre alors mais les Armagnacs font bientôt figure
de vainqueurs. Ils gèrent même en 1415 un pouvoir dictatorial à Paris et en Ile-
de-France. Soutenue par eux, Isabeau, hier humiliée, presque destituée, jubile.
Officiellement, c’est elle qui est à l’origine de toutes les grandes décisions.
Serait-elle donc pleinement redevenue reine ?

Réactions de désespoir (1415-1419)

Le désastre d’Azincourt (1415)

A peine a-t-elle touché le pouvoir du bout des doigts que celui-ci lui échappe
de nouveau. Non par sa faute cette fois mais en raison d’un important événement
qui va changer assez durablement le cours des choses.
Le roi d’Angleterre Henri IV est décédé en mars 1413, laissant la place à son
fils Henri V, très différent de lui dans ses motivations et dans la conduite des
affaires. De son vivant, Henri IV s’était à plusieurs reprises laissé approcher par
les Armagnacs et les Bourguignons qui, tour à tour, l’avaient pressé d’intervenir
en France en leur faveur. Mais, n’étant pas d’humeur guerrière et se trouvant le
plus souvent à court d’argent, il ne s’était pas engagé activement dans la guerre
de Cent Ans.
Henri V, lui, rêve tout au contraire de reconquérir l’héritage français des
Plantagenêts, perdu depuis Jean sans Terre au début du XIIIe siècle. Animé par un
fort esprit de revanche, il n’aspire qu’à s’imposer, de toutes ses forces, à
Charles VI. Ce dernier est si fragile et depuis si longtemps… Comme il lui faut
un allié sur le continent, que Jean sans Peur est isolé à présent et à la recherche
de nouveaux soutiens, il décide de s’allier à lui en mai 1414 pour venir à bout de
leurs ennemis communs.
Une armée anglaise débarque sur les côtes françaises en août de l’année
suivante, provoquant la panique. Le 25 octobre 1415, la cavalerie française est
étrillée à Azincourt, en Picardie, entre Amiens et Calais. Forts de leur victoire,
les Anglais entreprennent à présent la conquête de la Normandie, dont ils
s’empareront bientôt, en 1417. Si Jean sans Peur a aidé Henri V à se rendre
maître de ce riche et beau duché, il n’est pas intervenu à Azincourt à ses côtés
pour une raison simple : son objectif à lui, immédiat et exclusif, c’est de
reprendre Paris, d’où l’on gouverne la France…

Ultimes et vaines négociations

La terrible défaite française hypothèque à court terme toute chance de


redressement militaire chez les dirigeants du pays vaincu. Isabeau et ses
conseillers cherchent malgré tout des solutions susceptibles, si ce n’est de
compenser l’échec, du moins d’en atténuer les effets. Pour la reine, faute de
mieux, l’idéal serait de réunir dans la même cause, celle de l’indépendance
française, tous les dignitaires du royaume, aujourd’hui divisés et rivaux pour des
motifs d’intérêt personnel. En faisant valoir le bien commun et l’intérêt supérieur
de la nation, on devrait pouvoir trouver une base commune d’entente pour
chasser l’envahisseur. Après, on donnerait satisfaction aux principaux
protagonistes pour leur soutien, du moins en partie…
Tâche ardue à accomplir dans une situation critique… Comme il faut un
négociateur habile qui traite au nom du gouvernement, la reine choisit le duc
Jean V de Bretagne, auquel elle donne les pleins pouvoirs. La désignation de ce
personnage est bien calculée cette fois-ci : Jean est tout à la fois beau-fils de feu
Henri IV d’Angleterre et gendre de Charles VI. Sa position familiale doit lui
permettre de parler en toute indépendance d’esprit. D’autant que le duc, placé à
la tête d’un véritable Etat breton, pratique une politique neutraliste, évitant de
prendre parti entre les belligérants et que ses inclinations personnelles pour
l’ordre sont connues de tous. Pour ces raisons, l’ambassadeur d’Isabeau, influent
et respecté dans tout le royaume, saura – c’est sûr – convaincre et ramener à la
raison les princes rivaux.
Jean V répond aux sollicitations qui lui sont faites. En 1416, il rencontre
Jean sans Peur et le dauphin, sans succès, chacun campant sur ses positions. Cela
ne l’empêche pas de renouveler ses tentatives deux ans plus tard, sans davantage
de réussite. Les deux camps sont trop opposés pour prétendre les réunir, même
provisoirement, pour la défense du royaume. D’ailleurs, Jean sans Peur n’est-il
pas l’allié d’Henri V ? En vérité, Jean V est l’impossible arbitre d’une situation
désespérée.

Dans l’espoir de régner enfin, la reine s’allie à son ancien ennemi


(1417-1418)

Le désastre d’Azincourt, l’échec des premières négociations du duc de


Bretagne provoquent la ruine de la réputation d’Isabeau. Accusée de tout,
complètement isolée à présent, elle doit se réfugier à Blois puis à Tours de mai à
novembre 1417. Traitée en proscrite, il lui faut impérativement un soutien pour
retrouver un peu de puissance, et si possible davantage, pour finir tant bien que
mal par s’imposer dans une France défaite et divisée. Il suffirait d’une décision
opportune, d’un coup d’éclat…
Elle n’a guère le choix : la cote des Armagnacs a chuté en même temps que
la sienne. Une seule personnalité garde sa renommée et sa puissance intactes,
Jean sans Peur. Et ce n’est pas parce que, dans le passé, leurs relations ont été
très tendues qu’elle ne pourrait pas, sous la pression des événements, tenter un
renversement d’alliance en sa faveur. Le duc de Bourgogne, personnage
puissant, est bien le seul à pouvoir lui permettre de redorer son blason. Encore
une fois et comme toujours, Isabeau, ignorant toute stratégie de longue durée,
agit au gré des circonstances et se tourne vers celui qui fait figure de vainqueur.
Pas de stabilité politique, uniquement des oscillations guidées par l’intérêt du
moment.
Contacté pour lui venir en aide, Jean sans Peur a vite fait d’évaluer l’intérêt
d’une entente avec Isabeau. Indiscutablement, et malgré la défaite d’Azincourt,
elle est l’être qui incarne le mieux l’autorité et la légitimité du pouvoir. Elle est
pleinement reine en l’absence du roi, dispose, depuis l’ordonnance du 26 avril
1403, de la présidence du Conseil, c’est-à-dire du gouvernement, même si celui-
ci est très affaibli. Elle a le droit, il a la force, l’avenir leur appartiendra.
Bourgogne fait enlever Isabeau peu après la Toussaint de 1417 afin de la
soustraire à la vindicte de ses alliés Armagnacs. L’un et l’autre sont à Chartres
d’abord, du 8 novembre au 2 décembre, puis gagnent Troyes, où la souveraine
séjourne du 23 décembre 1417 au 8 juillet 1418, demeurant avec Jean jusqu’au
5 avril. Sûre d’elle à présent, elle franchit le Rubicon et se porte à la direction
des affaires de l’Etat. Les actes qu’elle fait rédiger portent clairement la
mention : « Ysabel, par la grâce de Dieu, reine de France, ayant pour
l’occupation de Monseigneur le roi, le gouvernement et l’administration du
royaume ». Agissant en véritable maîtresse du royaume, elle nomme, à Troyes,
un chancelier, des responsables des finances et de la justice, des ambassadeurs,
des généraux à son propre conseil… Elle crée aussi des institutions d’Etat : après
avoir révoqué le Parlement et la Cour des comptes de Paris, elle installe des
cours semblables à Troyes et les peuple d’hommes dévoués à sa cause. Jean sans
Peur, âme agissante de tout cela, n’omet pas de se faire reconnaître comme
gouverneur général du royaume, ce qui lui confère la direction des opérations.
Dans ces conditions, les Bourguignons peuvent faire leur entrée à Paris, en
lieu et place des Armagnacs, le 29 mai 1418. La reine quitte alors Troyes et fait,
ravie, une entrée triomphale dans la capitale aux côtés de Jean le 14 juillet
suivant. Son fils, le dauphin Charles, s’enfuit. Arguant de la folie de son père et
du délaissement dans lequel sa mère le tient, il prend le titre de régent le
26 décembre et installe son gouvernement à Bourges et à Poitiers. Il n’a que
quinze ans, il est esseulé ; il ne compte pas.
La récente ascension d’Isabeau est due au duc de Bourgogne, qui impose sa
loi à tout le monde. Mais cette récente allégresse gouvernementale indispose le
dauphin, qui en est exclu, éloigné qu’il est en province de la Cour et des cercles
du pouvoir. Désireux de se faire valoir et de s’imposer à sa mère comme Jean
sans Peur a su le faire, il convie celui-ci sur le pont de Montereau1 afin de
convenir, dit-il, d’une entente éventuelle. En ce 10 septembre 1419, Jean
s’approche sans méfiance de l’héritier du trône qui se met à l’accabler de
reproches et à le maudire. Dès lors, tout va très vite : des hommes de main de
Charles se précipitent sur le duc et l’assassinent promptement. Le meurtrier de
Louis d’Orléans gît à terre à son tour.
Isabeau est atterrée : son fils s’est rendu coupable du plus abominable des
crimes qui lui ôte le soutien si précieux de Jean. Que deviendra-t-elle demain ?
Une reine contrainte au déshonneur (1420-1422)

Dépourvue de protecteur à présent, exposée aux représailles des Armagnacs


qui lui reprochent ses anciennes alliances avec leur pire ennemi, Isabeau s’enfuit
à Troyes avec le roi. Comme cette ville est mal défendue, elle demande des
secours au nouveau duc de Bourgogne, Philippe le Bon, fils de Jean. L’épouse de
Charles VI, déconsidérée et inapte au gouvernement, a besoin plus que jamais du
soutien de la principale puissance féodale. Philippe s’empresse de lui envoyer
des troupes car le crime de Charles n’a pas vraiment altéré les relations de la
reine et des Bourguignons. Si l’assassinat de son père par l’héritier de la
couronne de France l’amène naturellement à se rapprocher davantage des
Anglais, il n’a aucune raison pour le moment de refuser de menus services à une
dirigeante qui a été et reste favorable à sa principauté.

Le « honteux traité de Troyes » (1420)

Il n’empêche : depuis 1415, le risque de délitement du pouvoir royal est très


grand. Le roi d’Angleterre, dont les armées ne cessent de progresser dans le
royaume, fait connaître ses prétentions sur la couronne de France, dont il sait,
après l’assassinat de Jean sans Peur et l’isolement progressif d’Isabeau, qu’elle
n’a plus de défenseur capable de lui résister. Henri V, arrivé au terme de son
action militaire, demande donc l’ouverture de négociations diplomatiques pour
parvenir à ses fins. Mais Isabeau, qui ne veut pas de l’annexion de la France par
l’Anglais, refuse de participer aux tractations et de désigner des ambassadeurs.
Elle tient, elle veut absolument continuer à diriger son Etat. Mais compte tenu de
la situation quasiment désespérée dans laquelle elle se trouve, en dépit de l’aide
précaire de Philippe le Bon, sa décision relève de l’inconscience : en ne
participant pas aux pourparlers de paix, elle laisse le champ libre à Henri V, qui
n’aura aucun mal à imposer ses vues au duc de Bourgogne, son allié.
Cependant l’importance des enjeux – l’annexion de la France – et
l’entêtement de la reine font traîner en longueur les pourparlers d’octobre 1419 à
avril 1420. Les préalables sont pourtant réglés assez rapidement : dès la fin du
mois de décembre, Philippe le Bon accepte les conditions d’Henri V et s’engage
à les faire accepter par Charles VI et Isabeau. Mais celle-ci, déterminée, décline
les propositions inacceptables pour elle et son royaume. Pour la convaincre,
Philippe doit lui donner une belle somme d’argent en janvier 1420. Les
chroniqueurs et historiens posthumes ont dénoncé le chantage de la reine et sa
corruption… Avec un peu trop d’empressement car Isabeau, à cette époque, se
trouvait dans le plus grand besoin : elle ne pouvait même pas honorer les
dépenses de son hôtel, ne disposant, elle, des revenus d’aucune belle province.
Pressée par la nécessité, la reine a accepté l’inacceptable. Mais elle ne
renonce pas définitivement. Elle diffère la date de signature de la paix, obtient
des trêves… Pressé d’en finir, Henri V se fait menaçant. Isabeau ne peut plus
reculer : elle se soumet aux conditions de son ennemi, qu’elle rencontrera dans la
cathédrale de Troyes le 21 mai 1420.
A la date fixée, sur le maître-autel du sanctuaire, le roi d’Angleterre et la
reine de France jurent le traité de paix. Charles VI, malade une nouvelle fois,
n’est pas présent mais a donné les pleins pouvoirs à son épouse pour s’engager
en son nom. La mort dans l’âme, celle-ci est obligée d’accepter des conditions
qu’elle désapprouve totalement et que certains historiens ont retenu sous
l’appellation tristement célèbre de « honteux traité de Troyes ».
Les clauses du dispositif de paix sont effectivement peu glorieuses pour la
France. Charles VI et Isabeau garderont à vie le titre de roi et de reine de France
mais Henri V gouvernera le pays, car il est considéré par le couple royal comme
son « fils » en raison du mariage qui doit l’unir à Catherine, dixième enfant du
souverain français et de son épouse.
A la mort d’Henri V, son successeur aura l’Angleterre et la France, les deux
royaumes étant réunis entre les mains d’un seul roi sans qu’il y ait dépendance
de l’un envers l’autre, chacun gardant ses droits propres. Le principe de double
monarchie exclura donc toute annexion de l’Angleterre par la France, le seul
bénéficiaire de l’ensemble restant le roi anglais.
Ces dispositions sont destinées à perdurer car le dauphin Charles, jusqu’alors
appelé à succéder à Charles VI, est déshérité de ses droits à la Couronne par ses
parents et devient le « soi-disant dauphin » qui ne régnera jamais sur la France.
Cette clause voulue par Henri V pour servir ses intérêts et ceux de sa
descendance, a été ultérieurement interprétée comme l’aveu de la bâtardise de
Charles, fils naturel d’Isabeau, non procréé par son père. Il en va très
différemment dans la réalité : Charles, par l’assassinat de Jean sans Peur, a
commis un crime qui le rend juridiquement indigne de diriger une seigneurie, et
donc un royaume. Le sang versé a ruiné sa vocation royale.
On voit combien sont infondées les affirmations de Michelet qui prétendait,
comme à sa suite beaucoup d’autres, qu’Isabeau avait renié son fils et vendu sa
fille contre de l’argent versé par Henri V. En réalité, elle a été contrainte de
céder par dénuement financier mais surtout sous la pression d’événements
contraires qu’elle n’a pas pu – ni su – maîtriser.

L’application du traité en 1422

Les années qui suivent le traité sont frappées de tristesse. Comme si un


malheur national ne suffisait pas, la misère s’abat de plus en plus violemment sur
le peuple. Surtout pendant l’hiver 1420-1421, durant lequel l’imposition
augmente, et le coût de la vie devient accablant pour les plus pauvres, qui
essaient de survivre au froid et aux privations de toutes sortes.
La vieille reine, démise de toutes fonctions, s’efforce de surmonter son
infortune et d’oublier les malheurs du temps en séjournant dans les demeures
luxueuses qu’elle affectionne : l’hôtel Saint-Pol bien sûr mais aussi les châteaux
de Vincennes et du Louvre.
En 1422, les événements se précipitent, qui concrétisent le traité de Troyes.
Henri V meurt le 31 août, Charles VI peu après, le 21 octobre. Le fils aîné du
souverain anglais défunt, Henri VI, devient de plein droit roi de France et
d’Angleterre. Mais, comme il n’a que neuf mois, son oncle, le duc de Bedford,
un homme fort intelligent, est chargé de la régence du royaume. Le dauphin
déshérité Charles, passant outre les accords passés, prend à son tour, à dix-neuf
ans, le titre de roi au décès de son père. De sorte qu’il y a deux souverains en
même temps en France en 1422. Mais le rapport de force est favorable au
premier car le second, qui gouverne avec difficulté la moitié du sud de la France
à partir de Bourges et de Poitiers, n’est vraiment encore que le petit « roi de
Bourges ».
Isabeau de Bavière est abattue. Elle voit se réaliser l’effondrement de son
royaume qu’elle a en partie engendré par son incurie.

La triste fin d’une reine déchue (1420-1435)

La mort de Charles VI engendre la complète disparition politique d’Isabeau.


Désormais, elle vit dans l’oubli et la solitude à l’hôtel Saint-Pol, menant une
existence très modeste, elle qui aimait tant le faste !
Elle a tout de même quelques satisfactions fugaces. Le 5 novembre 1422,
après le décès de son époux, elle reçoit la visite de Bedford, soucieux de
ménager la veuve. Au mois d’août de l’année suivante, le duc anglais revient la
voir avec Philippe de Bourgogne pour lui signifier aimablement – comme si elle
l’avait déjà oublié ! – que les deux alliés sont bien les maîtres de la France.
Plusieurs années plus tard, en 1431, Henri VI fait son entrée à Paris. Passant
devant l’hôtel Saint-Pol il aperçoit Isabeau à sa fenêtre et la salue. La vieille
reine lui répond d’un geste, puis détourne la tête, les yeux emplis de larmes. Ce
jeune homme, là, c’est son petit-fils par sa fille Catherine, celui qui, sans le
savoir ni le pouvoir, l’a vaincue autrefois, lui a pris son autorité et sa puissance.
Et, loin de la renier, il lui manifeste sa sympathie, vient même peu après parler
avec elle dans son palais d’exilée. Ces gestes d’amitié lui réchauffent un instant
le cœur, mais la plongent après son départ dans le plus amer désarroi : elle, la
reine, elle a échoué.
Complètement ? Peut-être pas. Il reste toujours son fils Charles, qu’elle a été
contrainte de renier à Troyes. Or, en 1429, de bonnes nouvelles lui arrivent à son
sujet : le 8 mai, Jeanne d’Arc a fait lever le siège de Chinon, assurant au
souverain déchu de ses droits la possession d’une place forte de grande
importance. Et peu après, le 17 juillet, elle a fait sacrer Charles VII à Reims, lui
conférant la légitimité dont lui-même doutait. A défaut d’avoir reconquis son
royaume, Charles, pour tous, est pleinement roi à présent.
Mais ces nouvelles, joies d’un moment, ne changent rien en profondeur :
Isabeau est toujours rejetée, la France, occupée. Une dernière satisfaction
toutefois : en 1435, Charles VII se réconcilie par le traité d’Arras avec Philippe
le Bon et s’allie à lui. Les ennemis d’hier sont enfin réunis pour faire bloc contre
les Anglais ! Isabeau est tellement heureuse de cette alliance après tant d’amères
déceptions qu’elle en tombe gravement malade.
Peu après, en cette même année, Isabeau décède, à soixante-cinq ans, à
l’hôtel Saint-Pol, à une date qu’on ne peut fixer car aucun document ne la
mentionne. La reine de France n’existe doublement plus, comme si la mort
effaçait sa mémoire. Cependant le protocole la sauve de l’oubli : souveraine, elle
doit avoir des obsèques royales. On expose son corps pendant trois jours ; une
cérémonie funèbre est célébrée pour elle à Notre-Dame de Paris, puis, le
15 octobre, elle est inhumée avec pompe en l’abbatiale Saint-Denis aux côtés de
son mari le roi Charles VI. Honneurs solennels dans le trépas malgré un
gouvernement de rien.
Isabeau a certainement pris conscience de ses insuffisances politiques et de
son impopularité. Contrairement à la tradition, elle ne lègue rien par testament
aux pauvres et aux œuvres de charité : la grande révolte cabochienne lui a
montré qu’à l’évidence elle n’aurait jamais les faveurs du peuple. La fin de sa
vie venant, elle ne s’obstine pas à vouloir séduire. Au contraire, furieuse d’avoir
été détestée par les Français pendant son règne, elle punit ses détracteurs.
Croyante, elle veut implorer son salut auprès de Dieu pour l’au-delà. Ses
dernières volontés sont explicites : elle donne tout ce qu’elle possède à des
institutions ecclésiales pour que leurs membres intercèdent pour elle auprès du
Tout-Puissant. Ainsi sa survie paradisiaque effacera-t-elle la douloureuse
expérience de sa vie terrestre.

Quand on veut porter une appréciation sur le rôle politique d’Isabeau de


Bavière, on ne doit jamais oublier de rappeler les conditions qui ont déterminé
son exercice. Il est certain que les crises de folie récurrentes du roi ont été des
obstacles majeurs au bon fonctionnement du couple royal d’abord, du pouvoir
monarchique ensuite. L’autorité confiée à la reine pendant les « absences » du
souverain était naturellement restreinte dans son organisation et sa durée puisque
le monarque pouvait à tout moment recouvrer la raison et annuler les décisions
prises. Isabeau a dû gouverner sans jamais assumer pleinement la régence, ce qui
était une gageure pendant les périodes de démence de Charles VI et le retour de
la guerre de Cent Ans.
Il n’empêche : l’épouse du roi fou a toujours été dans l’incapacité de définir
une politique réaliste, comme Blanche de Castille l’avait fait avant elle. A défaut
d’inspiration, elle s’est ralliée sans cesse au chef de parti le plus fort dans
l’espoir de l’emporter avec lui et de finir par s’imposer. Ce faisant, elle s’est
placée, elle déjà institutionnellement si fragile, dans une position de dépendance,
sous la tutelle de chefs rivaux, tels Louis d’Orléans puis Jean sans Peur,
inspirateurs d’actions gouvernementales opposées. Il n’est pas étonnant qu’elle
ait fini par être placée sous la coupe du roi d’Angleterre Henri V, déterminé et
expéditif.
Pendant tout son règne, elle a omis de suivre les sacro-saints principes des
monarques capétiens et valoisiens : assurer l’avenir du royaume en asseyant
d’abord la lignée et la dynastie royales. Sans être pour autant une mère
dénaturée, elle s’est peu préoccupée du dauphin Charles qui devait succéder à
son époux Charles VI. En naviguant à l’estime, en négligeant l’avenir du pouvoir
sur la longue durée, elle a exposé la France à subir, non pas son immoralité ni sa
perversion comme l’ont dit les romantiques, mais, pis encore, sa propre
médiocrité.



1. En Seine-et-Marne.
III
Catherine de Médicis
dans le tourment des guerres de religion
(1519-1589)

La personnalité de Catherine de Médicis a été longtemps jugée avec sévérité.


Chroniqueurs et historiens lui ont reproché sa dureté et son autoritarisme mis au
service d’un terrible machiavélisme. Ils ont fait de cette reine, perpétuellement
en deuil après la perte de son mari, une redoutable « veuve noire ».
En fait, ses détracteurs ont été très influencés par la dramatique conjoncture
politique traversée par la France dans la seconde moitié du XVIe siècle, à partir de
1559. Les violents affrontements religieux et guerres civiles qui se sont succédé
à un rythme soutenu ont trouvé des responsables naturels dans les
gouvernements en place, tous dominés par la personnalité marquante de
Catherine de Médicis. Rejet classique de la crise sur son responsable présumé…
Mais approche abusive et erronée d’une reine qui a consacré les trente ans de sa
vie publique à sauver l’unité de la nation et à assurer l’avenir de la dynastie des
Valois.

Un destin fortuit de reine

De la richesse florentine au mariage princier (1519-1533)


Catherine, née le 15 avril 1519, est issue d’une famille glorieuse et fortunée.
Depuis le début du XVe siècle, ses ancêtres, initialement simples médecins
(medici), se sont enrichis par le commerce et l’immobilier au point de devenir de
richissimes banquiers. Parmi eux, Côme l’Ancien s’est illustré dans les affaires
et dans le mécénat au point de diriger la cité-Etat de Florence avec l’assentiment
populaire jusqu’à sa mort, en 1464. Son petit-fils Laurent, justement nommé « le
Magnifique » en raison de sa culture et de ses libéralités envers les arts, perpétue
la tradition familiale avec éclat, de 1469 à 1492. Cette prospérité s’interrompt
pendant une période assez longue, de 1494 à 1512, en raison des succès du roi de
France Charles VIII lors de la première guerre d’Italie ; de la volonté aussi du
dominicain Savonarole d’arracher le peuple florentin à l’argent et au stupre pour
le ramener à la simplicité et à la pureté des temps évangéliques. Son entreprise
osée suscite bientôt la révolte de la population convertie de force.
Après l’exécution de Savonarole, les Médicis, encouragés par le pape
Jules II, avant tout soucieux d’asseoir sa prépondérance sur l’Italie, peuvent
reprendre leur domination sur la République. Ils renforcent même leurs
prérogatives politiques lorsque l’un des leurs accède au souverain pontificat sous
le nom de Léon X. Ce dernier tient à renforcer son pouvoir personnel à travers
les siens : il donne Florence à son neveu Laurent II de Médicis, petit-fils de
Laurent le Magnifique, et le fait duc d’Urbino en 1516. Pour protéger le
patrimoine familial des tentatives d’annexion autrichiennes, pour se concilier
aussi François Ier, toujours engagé dans les guerres d’Italie, il se rapproche de ce
dernier et conclut avec lui le mariage de Laurent avec une princesse française
descendante de Saint Louis, de surcroît très riche, Madeleine de la Tour
d’Auvergne. Les noces sont célébrées au château d’Amboise en avril 1518.
Lorsqu’une année plus tard naît la petite Catherine, celle-ci ne paraît pas,
malgré le passé glorieux des Médicis, promise à un destin de reine : la noblesse
de sa famille est trop récente. Sa mère et son père étant morts moins de deux
mois après sa venue au monde, la petite orpheline apparaît comme une innocente
duchesse, dont le duché est déjà en proie aux ambitions des uns et des autres. Au
XVIe siècle, les rois répugnent à unir leur descendance à des anoblis de fraîche
date, même issus d’une dynastie de banquiers.
Il n’empêche : pour François Ier, absorbé par ses rêves de conquêtes
italiennes, cette enfant nouveau-née est une aubaine diplomatique : la promettre
en mariage à l’un de ses enfants, c’est s’assurer l’indispensable appui de son
oncle Léon X. Le pape devrait souscrire au projet d’union : il a besoin lui aussi
d’appui et de soutien dans la Péninsule. Les négociations entre Paris et Rome
progressent favorablement dans le sens désiré. Mais Léon X meurt en 1521, ce
qui met provisoirement un terme à toute politique commune. D’autant plus que
la population de Florence se soulève en 1527 contre les Médicis. Le pape
Clément VII, élu en 1523, se trouve être un oncle de Catherine de Médicis. Il ne
peut se désintéresser de son patrimoine ni de sa nièce, porteuse de promesses
pour l’avenir. Les Florentins, qui ne pensent, eux, qu’à la chute des Médicis,
élaborent le projet de mettre Catherine dans une maison de plaisir. Ainsi
prostituée, la nièce du souverain pontife sera refusée par tous les partis royaux et
princiers d’Europe. Clément VII, bien décidé à reprendre la main, entreprend le
siège de la ville en 1529. Pour le faire céder, ses ennemis envisagent d’exposer
Catherine, alors âgée de dix ans, nue sur les remparts de la cité pour exposer son
corps et sa vie à la vue et aux boulets de canons des assaillants.
En 1530, le chef de l’Eglise réussit à s’emparer de Florence. Par mesure de
sécurité, il emmène Catherine à Rome où elle passe deux années merveilleuses,
qui tranchent étonnamment avec les perturbations de son premier âge. Elle
découvre dans la Ville éternelle les splendeurs de l’Antiquité romaine, celles de
la Renaissance, du Vatican… En même temps le Saint-Père fait donner à sa
protégée une instruction de haut niveau. S’il veut en faire une princesse…
Pourtant, à treize ans maintenant, la jeune fille n’a rien d’une beauté : elle est
plutôt petite, avec un visage aux traits grossiers gâté par des yeux globuleux,
héritage des Médicis.
Mais François Ier n’a pas changé d’avis depuis Léon X : se voulant
conquérant de la riche Italie, il a besoin de l’appui diplomatique et militaire du
pape. Ce dernier aussi, pour contrer toute prétention de Charles Quint, empereur
germanique depuis 1519 et, d’une façon générale, pour faire face à toute
nouvelle rébellion. Les deux hommes étant condamnés à s’entendre dans
l’immédiat, la vie future de Catherine s’oriente de nouveau vers la cour de Paris.
François Ier propose de l’unir à son second fils, Henri, duc d’Orléans. L’affaire
étant conclue, le traité d’union est signé par le roi de France le 24 avril 1531.
Clément VII arrondit la grosse fortune que sa nièce détenait alors : il lui
donne 130 000 écus d’or et pour près de 30 000 écus de joyaux. Il lui offre aussi
le duché d’Urbino, dont elle est par son père la légitime propriétaire mais qui a
été saisi par un usurpateur. Pour que ce dernier cadeau ne paraisse pas trop
virtuel, il s’engage à le conquérir pour Catherine, ainsi que Milan, avec le
concours des Français ; les objectifs des deux parties contractantes seront alors
protégés.
La messe de mariage a lieu à Marseille le 28 octobre 1533, en présence du
roi et du pape, chacun allant à la rencontre de l’autre dans un souci d’équilibre
protocolaire et politique. Clément VII reçoit lui-même le consentement des
époux, âgés l’un et l’autre de quatorze ans.
Mais le zèle pontifical tiédit. Le temps passant, le souverain pontife n’est
plus aussi pressé de guerroyer pour satisfaire le monarque français qui, pourtant,
le presse d’agir. Il s’apprête sans doute à mettre ses engagements à exécution
quand il meurt, le 25 septembre 1534. Son successeur, Paul III, a d’autres vues
que lui et ne se sent tenu par aucune obligation familiale. Les projets d’annexion
en restent là. François Ier, dépité par cet échec italien, aurait dit au sujet de sa
bru : « J’ai eu la fille toute nue. »

Apprentissage de la vie de cour et du pouvoir (1533-1547)

Installée à la cour de France, Catherine de Médicis découvre un monde


nouveau. Parfois cruel, fait de tromperies. Tout jeune encore, son époux Henri
tombe platoniquement amoureux d’une femme aussi séduisante qu’intelligente,
Diane de Poitiers, veuve du comte Louis de Brézé, décédé en 1531 à soixante-
douze ans. La comtesse le fascine tant qu’il en devient l’amant quatre ans plus
tard, à dix-huit ans. L’objet de son amour en a trente-sept, mais son éclat et sa
séduction font oublier au jeune homme la différence d’âge et l’emportent dans
des élans éperdus.
Très éprise d’Henri, Catherine est malheureuse de ces écarts amoureux, qui
s’accompagnent d’autres encore. Plutôt que de montrer sa douleur et de se
perdre en sempiternelles récriminations, elle s’efforce de faire contre mauvaise
fortune bon cœur et continue le plus souvent à témoigner de l’affection. Mieux
encore, plutôt que d’affronter sa rivale, elle développe une entente tacite avec
elle aux moments opportuns, dans un étonnant ménage à trois. Ainsi, quand la
jeune et pulpeuse Louise de Lorraine, fille du duc Claude de Guise, entre dans le
lit conjugal, elle l’en chasse habilement avec la complicité de Diane. Leurs
intérêts sont communs : Diane redoute une possible éviction, Catherine une mise
à l’écart qui pourrait devenir définitive car elle n’a toujours pas d’enfant.
L’épouse et la favorite finissent par venir à bout de la passion du duc d’Orléans,
qui doit éloigner l’intruse.
Plus généralement, Diane renonce à certains de ses privilèges amoureux avec
Henri et le persuade de partager régulièrement la couche de son épouse. Pas par
bonté d’âme, mais par simple calcul : elle tourne le duc vers sa conjointe,
l’oblige à remplir son devoir conjugal, pour mieux le retrouver dans une passion
éperdue… et lui dicter ses volontés.
Catherine ne vit pas que dans la contrariété et l’angoisse. Elle découvre à
Paris et dans sa région des plaisirs inconnus d’elle jusqu’alors : François Ier
organise des fêtes somptueuses qui l’émerveillent. Elle accompagne souvent le
roi dans ses chasses au cerf ou au sanglier car, cavalière accomplie, elle a le goût
du risque et de la lutte.
Elle apprend du souverain la manière de gouverner. Comme la France est
menacée par les possessions de Charles Quint, aussi bien au nord qu’à l’est et au
sud, il est nécessaire de trouver des alliances étrangères susceptibles de la
protéger contre toute invasion. Le « roi très chrétien », catholique convaincu,
passe de surprenants accords avec les luthériens allemands et – sujet de scandale
pour beaucoup – avec le sultan Soliman le Magnifique. Plutôt que de s’en
étonner, Catherine recueille pieusement ces leçons de réalisme politique. Peu
importent les moyens, l’essentiel est de garantir l’intégrité du territoire français.
Mais, pour l’heure, la jeune duchesse est surtout soucieuse de parfaire sa
formation intellectuelle, déjà bien développée au Vatican. Avide de
connaissances, elle étudie les lettres, enrichit son latin et son grec, approfondit
son savoir historique et géographique et, ce qui est plus rare au XVIe siècle chez
les princesses, s’adonne aux mathématiques, aux sciences physiques et à
l’astronomie. Cette dernière discipline la fascine car, pour elle, les astres,
création divine, décident entre eux du présent et de l’avenir de l’humanité, donc
du sien propre et de celui de sa famille. Nous reviendrons sur ce point
d’apparence secondaire.
Sa culture, que renforce une vive intelligence, sa bonne santé, sa gaieté, son
exubérance aussi malgré ses chagrins amoureux attirent sur elle l’estime de
François Ier, qui a plaisir à s’entretenir avec elle. Toute jeune, elle entre déjà dans
l’intimité d’un roi.
A dix-sept ans, sa destinée prend une tournure décisive. Le 10 août 1536, le
dauphin François meurt. Son frère cadet Henri devient donc l’héritier de la
Couronne et Catherine de Médicis la future reine de France ! Cette nouvelle
donne est d’importance pour le couple mais sa vie n’en est pas changée dans
l’immédiat. Car si la dauphine s’entend à merveille avec le souverain, il n’en va
pas de même pour Henri, bientôt tenu à l’écart des affaires par son père ; selon
les volontés de sa favorite, Anne de Pisseleu. Avenir prometteur donc, mais il
faudra attendre…
Comme si leur subite promotion delphinale avait conféré des responsabilités
dynastiques nouvelles à Henri et à Catherine, celle-ci, qui, durant dix années de
mariage, était restée stérile, donne à vingt-quatre ans naissance à un fils,
François – le futur François II, en janvier 1544. Suivront neuf autres enfants en
onze ans, dont trois autres mâles survivants. En 1550, Charles-Maximilien, qui
deviendra Charles IX, en 1551, Edouard-Alexandre, le futur Henri III ; enfin, en
1554, Hercule, qui passera à la postérité sous le nom de François d’Anjou. A
noter la venue au monde de deux filles qui compteront aussi dans l’Histoire :
Elisabeth, née en 1545, et Marguerite, née en 1553, plus connue sous le
diminutif de Margot. Bref, après une longue attente qui a failli provoquer sa
répudiation, Catherine engendre une progéniture qui semble assurer à tout jamais
la pérennité des Valois à la tête du royaume. Et cela lui vaut la reconnaissance et
l’estime de son époux, désormais partagé entre deux amours de nature différente.
Le dauphin et la dauphine attendent tranquillement que s’accomplisse leur
destin. Le 31 mars 1547, François Ier décède au château de Rambouillet à
cinquante-deux ans. Son fils Henri devient roi sous le nom d’Henri II et
Catherine de Médicis reine de France ! A près de vingt-huit ans, elle mesure le
chemin accompli depuis les humiliations subies à Florence. Désormais, elle fera
en sorte, pour autant que son royal époux le veuille bien, de continuer à mettre
en œuvre les principes de François Ier : assurer à tout prix la grandeur et l’unité
du royaume.

La reine outragée mais respectée (1547-1559)

Pourtant, dès le début du règne d’Henri II, les affaires publiques semblent lui
échapper en partie. Le roi, toujours aussi épris de Diane de Poitiers, la laisse
gouverner avec la complicité de ses amis, le connétable Anne de Montmorency,
le duc François de Guise et son frère Charles, archevêque de Reims et bientôt
cardinal de Lorraine, le maréchal de Saint-André, depuis longtemps fidèle
d’ailleurs du nouveau souverain. C’est évidemment le monarque qui prend
officiellement les décisions mais celles-ci sont grandement influencées par sa
favorite.
D’ailleurs le pouvoir de Diane brille au grand jour : Henri lui donne le
château de Chenonceau dès juin 1547 ; peu après, le 8 octobre 1548, il la
promeut duchesse de Valentinois. Et lorsqu’il rentre dans les bonnes villes de
son royaume, il est heureux de voir, sur les tentures placées à l’entrée des cités,
« H » et « D » en lettres d’or entrelacées, signe manifeste de leur amour
réciproque. Même dans les châteaux que les amants fréquentent, tel
Fontainebleau, les courtisans peuvent lire sur les manteaux des cheminées ou sur
les encadrements des portes leurs deux initiales qui semblent reléguer à jamais
Catherine de Médicis au royaume des ombres.
Deux ans après son avènement, le 10 juin 1549, Henri II fait procéder au
sacre de Catherine à Saint-Denis. Ce faisant, il cède à un usage déjà ancien selon
lequel la reine, en tant que femme du roi et future génitrice de ses héritiers, doit
aussi recevoir la bénédiction de Dieu et de l’Eglise. Mais les vraies héroïnes du
jour sont Diane et ses filles, qui jouent un rôle important pendant toute la
cérémonie aux côtés de la reine.
Meurtrie, Catherine de Médicis continue le plus souvent à garder le silence
pour cacher sa déception et son désarroi. Quand les offenses sont trop fortes, une
altercation survient de temps en temps, qui ne change rien à la vie du couple
royal. Catherine aime son mari, qui l’aime bien du reste, elle et ses enfants, mais
lui préfère son ensorcelante rivale. Alors l’épouse s’efface derrière la favorite
pour ne pas perdre l’affection, même ténue, de l’être aimé. Ainsi se perpétue le
ménage à trois, Diane ordonnant toujours à Henri de faire chambre commune
avec sa femme pour renforcer encore son pouvoir sur lui en lui permettant
d’assurer sa descendance.
Cependant, le souverain ne s’y trompe pas : il connaît les réelles capacités de
sa conjointe. Lorsqu’il doit quitter pour quelque temps ses fonctions
gouvernementales, absorbé qu’il est par sa rivalité avec Charles Quint et par les
guerres d’Italie, c’est à Catherine de Médicis qu’il confie la gestion des affaires,
et à personne d’autre. Ayant confiance en elle, il lui donne la direction du
royaume en 1548, 1552, 1553 et 1554. Entourée il est vrai des membres du
Conseil, elle s’acquitte à merveille de sa tâche, à la grande satisfaction du
monarque. Même peu aimée de lui, elle lui est indispensable. Et cela crée des
liens forts entre eux, même s’ils ne sont pas sentimentaux.
Le traité du Cateau-Cambrésis met fin en avril 1559 aux guerres d’Italie,
dans des conditions peu avantageuses pour la France puisque, malgré des
expéditions militaires répétées depuis Charles VIII, sous Louis XII et
François Ier, Henri II est obligé de renoncer définitivement à toute prétention sur
la Péninsule.
Pour sceller la réconciliation entre les deux familles régnantes rivales, il est
aussi convenu que Philippe II, roi d’Espagne et héritier d’une bonne partie des
domaines de Charles Quint, épousera Elisabeth, fille aînée d’Henri et de
Catherine. Cette dernière est flattée de cette union, mais furieuse des dispositions
territoriales du traité de paix. Elle ne se prive pas de le faire savoir vertement à
Diane de Poitiers, qu’elle rend responsable d’avoir mal conseillé le roi pendant
trop d’années. Cette violente accusation, en grande partie fondée, la libère d’un
coup du poids des avanies subies.
Quand, en juin 1559, a lieu la cérémonie de mariage annoncé unissant un roi
de trente-deux ans à une princesse de quatorze ans, Paris se noie dans la fête.
Henri II se livre à des tournois. Le dernier, que lui avait déconseillé Catherine,
lui est fatal. La lance de son partenaire Montgomery lui ayant traversé un œil, il
décède peu après, le 10 juillet, à l’hôtel des Tournelles.
Bien qu’effondrée, la reine veuve se reprend vite : elle va sans doute devoir
gouverner. Dans la douleur, à la Cour et aux affaires elle a appris, à quarante ans
à présent, à diriger et à assumer des responsabilités. Elle aura besoin de tout son
savoir-faire car, après les guerres extérieures, des conflits internes menacent
dangereusement l’unité du royaume.

La volonté pacificatrice de Catherine de Médicis,


un rêve ?

Une France divisée religieusement et politiquement

Le XVIe siècle est assombri, en France surtout, par des luttes religieuses qui
mettent aux prises catholiques et protestants. Les souverains français tentent
d’empêcher ces affrontements préjudiciables à l’intégrité du pays et à l’autorité
royale.
François Ier doit faire face le premier au protestantisme. Après une politique
modérée, il juge bon de sévir durement contre les réformés quand ceux-ci
menacent son pouvoir. Quand, au mois d’octobre 1534, a lieu l’« affaire des
Placards » qui sont affichés un peu partout en France et jusqu’au château
d’Amboise où il réside, il ordonne une répression terrible. Certes, ce sont surtout
le pape, le clergé, le sacrement de l’eucharistie et le culte des saints qui sont
violemment critiqués mais tout cela participe de la religion catholique dont il est,
en principe au moins, le fervent protecteur. A travers l’Eglise, c’est lui qui est
visé par ce nouveau mouvement de contestation, et cela, il ne peut le tolérer. Le
roi ordonne donc arrestations et exécutions ; une quarantaine de personnes
périssent sur le bûcher. Après avoir rapidement sévi, il adopte en juillet de
l’année suivante une politique plus conciliante, de façon à redevenir pour tous le
maître incontesté du royaume. En 1536, le Picard Jean Calvin publie à Bâle
L’Institution de la religion chrétienne, qu’il fait précéder d’une préface adressée
à François Ier, datée du 31 août 1535, dans l’espoir de convertir à sa doctrine un
souverain français dont il perçoit bien les hésitations. Mais le monarque ne
modifie pas sa position et continue à voir dans le calvinisme qu’il poursuit un
ennemi de l’ordre royal.
En 1547, son fils et successeur Henri II reprend le flambeau de la répression,
de façon beaucoup plus radicale. Dès le début de son règne, il institue au
parlement de Paris une « Chambre ardente » contre les hérétiques. Cette
chambre devra se prononcer sur les peines à appliquer contre ceux qui auront été
reconnus comme protestants par les tribunaux religieux. Elle prononce des
confiscations de biens, des bannissements, le bûcher pour certains. En 1557,
soucieux d’en finir, il ordonne par l’édit de Compiègne une seule peine contre
les hérétiques : la mort.
Ces persécutions n’empêchent pas la religion proscrite de prospérer, bien au
contraire : en mai 1559, les pasteurs des soixante-douze églises de France
jusque-là isolées, peuvent se réunir à Paris, rédiger une confession commune en
quarante articles et se donner une hiérarchie « démocratique » de consistoires
appelés à décider des affaires communes, en principe une fois par an. C’en est
trop pour Henri II : le 2 juin suivant, il réitère avec insistance ses ordres de
condamnation systématique des trublions politico-religieux. Le trépas met un
terme à sa vindicte meurtrière.
A la mort de son époux, Catherine de Médicis hérite donc d’une situation
difficile ; d’autant plus que les réformés représentent près de deux millions de
personnes, environ 10 % de la population française, et que certains occupent des
fonctions publiques importantes, jusqu’à la Cour. A l’inverse de François Ier et
d’Henri II, ce qu’elle veut – et qu’elle voudra jusqu’à la fin de ses jours –, c’est
renforcer le pouvoir du souverain par la paix, établir l’entente et l’unité de foi
par un dialogue interreligieux.
Vaste programme, qu’elle est dans l’incapacité de réaliser en 1559. Le
nouveau roi, son fils aîné François II, âgé de quinze ans et demi, est majeur ; il
peut donc gouverner comme il l’entend. En principe, car, marié l’année
précédente à Marie Stuart, de deux ans son aînée, faible de corps comme
d’esprit, il laisse à son épouse l’initiative du pouvoir. Légère et inconséquente,
celle-ci s’en remet entièrement à ses oncles par sa mère, née Marie de Lorraine-
Guise, le duc François de Guise, excellent stratège, et son frère le cardinal
Charles de Lorraine, aussi habile politique que mécène très fortuné. L’un et
l’autre sont des catholiques intransigeants qui ne pensent qu’à extirper l’hérésie.
Pour en venir à bout, ils veulent renforcer la violence voulue par Henri II. La
reine mère est dans l’incapacité de calmer leur ardeur répressive : elle ne peut
affronter impunément les favoris du couple royal, aveuglé par eux et prompt à
les défendre. Comme de surcroît les nouveaux gouvernants sont à la tête d’un
parti très influent en France, elle doit se contenter dans un premier temps de
chasser Diane de Poitiers du Conseil, de lui prendre le château de Chenonceau et
de lui concéder celui de Chaumont, plus éloigné de la Cour.
Les Guises se rendent rapidement odieux aux protestants, dont le chef est le
prince Louis de Condé. Aussi, dès le mois d’octobre, sans doute avec la
complicité du prince, un complot est-il échafaudé contre eux : on soustraira
François II à leur influence pour lui inspirer une meilleure conduite. Jean de la
Renaudie se charge d’organiser le coup de main. Mais les Guises, informés du
danger, vont chercher abri avec le roi et sa famille derrière les solides murailles
du château d’Amboise. Les séditieux attaquent le refuge royal le 17 mars
1560 mais sont repoussés. Plus de soixante d’entre eux sont pendus pour
l’exemple aux créneaux de la forteresse, ou encore noyés dans la Loire. La
Renaudie, capturé deux jours plus tard, est exécuté sur la place publique où ses
complices sont décapités.
Cette violence provoque la colère des protestants qui menacent de s’agiter un
peu partout en France. Alors, Catherine de Médicis, contrainte au silence ou à
l’approbation jusqu’alors, peut commencer à accomplir, malgré les Guises, son
œuvre de pacification.
Dès le mois de mai, par l’édit de Romorantin, pris à son initiative, elle offre
une certaine liberté de conscience aux réformés s’ils consentent à ne pas se
rebeller. Le mois suivant, elle réussit à faire entrer au gouvernement l’un des
siens, Michel de l’Hôpital. Promu chancelier de France, il gouvernera avec
Catherine jusqu’en 1567. L’un et l’autre sont persuadés que seul un pouvoir
royal puissant pourra ramener la tolérance et le calme chez les « guerriers de
Dieu ».
Mais la nouvelle politique tourne court : le 5 décembre 1560, François II
meurt à Orléans. Qui donc imposera sa loi demain ?
Le frère cadet du roi défunt, Charles-Maximilien, lui succède sous le nom de
Charles IX. Comme il n’a que dix ans, qu’il n’a pas atteint l’âge de la majorité,
fixée à treize ans pour les rois, une régence s’impose. Logiquement elle devrait
revenir au premier prince du sang, Antoine de Bourbon, déjà roi de Navarre par
son mariage avec Jeanne d’Albret, mais Catherine de Médicis fait valoir ses
prétentions. Comme mère du nouveau souverain, elle partage d’abord le
gouvernement avec son rival. Puis, avec une habileté consommée, elle l’écarte
de la direction des affaires. Comme Antoine de Bourbon ne s’entend pas avec le
duc de Guise, qui n’accepte pas de devoir renoncer à ses responsabilités, qu’une
violente dispute entre les deux hommes fait craindre une guerre civile, elle
confie à Navarre la haute autorité sur les armées en le nommant lieutenant
général du royaume ; en échange, elle se fait reconnaître par lui comme
« gouvernante de France », fonction qu’elle exerce dès février 1561. De la sorte,
sans en porter le titre, elle devient régente et domine tout à la fois Navarre et
François de Guise, chef militaire et conseiller tout-puissant sous le règne
précédent. Elle fait d’une pierre deux coups et elle s’impose à la tête d’un
royaume qu’elle dirigera pendant près de trente ans, quasiment jusqu’à sa mort.
Pour l’heure, à quarante et un ans, elle semble avoir toutes les qualités
requises pour s’imposer à la tête de l’Etat. Elle est déterminée ; elle sait ce
qu’elle veut mais elle est prête à composer avec ses adversaires pour écarter le
danger, avant de revenir au moment opportun sur ses propres positions. D’où des
doubles jeux, des louvoiements, des ruses qui ont fait croire à un profond
machiavélisme. En fait, obligée de se battre contre les meneurs de terribles
guerres, elle n’a fait que jouer une faction contre une autre pour éviter le pire.
Car Catherine a gouverné pendant l’une des périodes les plus troublées de
l’histoire de France. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, « papistes » et
protestants luttent les uns contre les autres dans une guerre sans merci, guidée
par la haute noblesse armée, aussi puissante à la Cour que dans les provinces.
Elle a des convictions religieuses, bien que certains l’aient prétendue
indifférente dans ce domaine. Elle est catholique, à n’en pas douter, mais ses
croyances sont teintées de superstitions : elle porte des talismans pour se
protéger du mauvais sort, boit des philtres, consulte alchimistes et astrologues.
Elle reçoit la visite de Michel de Nostre-Dame, célèbre sous le nom de
Nostradamus, à plusieurs reprises et jusqu’en 1566, quand meurt ce médecin
devenu devin réputé dans toute l’Europe. Le goût de Catherine pour l’astrologie
est partagé par de nombreux croyants de son époque. Tous sont persuadés que
les astres, créés par Dieu, ont reçu mission d’observer la conduite et la moralité
des humains. Soleil, Lune, étoiles sont attentifs à ce qui se passe sur terre, en
bien comme en mal. Si le péché vient à l’emporter au point d’être insupportable
et de provoquer la colère de Dieu, ils répandent sur la Terre les maux les plus
terribles : peste, épidémies, famine. Si le bien triomphe, le courroux divin
s’apaise et les astres répandent leurs bienfaits sur l’humanité devenue bénie. La
religion revêt donc en ces temps, aussi bien dans le peuple que parmi les princes,
un caractère singulier, plus syncrétique qu’orthodoxe.
Ce christianisme se prête peu aux recherches théologiques et à
l’approfondissement des dogmes. Et Catherine, bien que croyante sincère, n’a
qu’une connaissance limitée des données fondamentales du catholicisme et,
encore plus, du protestantisme. Elle peut observer facilement les désaccords
apparents, visibles, des deux religions : les calvinistes ne respectent pas ou
souillent des hosties consacrées, méprisent, voire brisent les statues de la Vierge
et des saints vénérés par les catholiques. Mais pour elle, ce ne sont là que des
problèmes reposant sur des divergences de vues et de pratiques qu’un débat de
fond entre les autorités des deux Églises pourra aplanir avant de trouver un
terrain d’entente religieuse.
Le manque de maîtrise dogmatique de Catherine, notamment dans le
domaine sacramentel, place dès le début la « gouvernante de la France », en
charge des problèmes religieux qui bouleversent son époque, devant une
difficulté redoutable : mettre d’accord des catholiques et des calvinistes que tout
oppose, sur la forme bien sûr, mais surtout sur le fond par deux approches très
différentes du christianisme. La Parole et l’autorité de l’Eglise pour les
premiers ; la Bible revisitée par les réformateurs Luther et Calvin pour les
seconds. Concilier l’inconciliable, telle est sa lourde tâche, dont elle n’a pas
vraiment conscience, à l’été 1561.
Bien décidée à rétablir la concorde par un heureux compromis, avec
l’arrière-pensée de rétablir à terme l’unité religieuse, la reine mère prend
l’initiative de réunir un colloque où catholiques et protestants pourront débattre
librement et s’accorder sur l’essentiel. Ce colloque se réunit dans le couvent des
dominicaines de Poissy le 9 septembre 1561. La délégation calviniste comprend
douze membres, nombre évocateur de celui des apôtres, et un porte-parole
talentueux, Théodore de Bèze, bras droit de Calvin à Genève. On compte parmi
les prélats des ecclésiastiques intransigeants comme le cardinal de Lorraine,
mais aussi des dignitaires de l’Eglise prêts à des concessions, comme les
cardinaux de Bourbon et de Châtillon, ce dernier ayant rallié le parti de la
Réforme. Comme il faut donner une réelle importance à cette réunion et exercer
une pression psychologique sur les théologiens appelés à débattre, il y a là le roi
Charles IX, Catherine de Médicis, le chancelier de France Michel de l’Hôpital et
les princes du sang. Alors que les catholiques modérés veulent commencer les
débats par des aspects secondaires du différend, les autorités, dont Catherine,
proposent aux protestants de se prononcer d’abord sur le problème de
l’eucharistie, c’est-à-dire d’aller au cœur de la polémique. On croit habile de leur
soumettre une formulation déjà adoptée par les luthériens allemands en 1530 et
acceptée par l’empereur Charles Quint en 1555. Pour l’essentiel, il y a présence
réelle du Christ mais les espèces sont tout à la fois pain, vin, corps et sang du
Sauveur (consubstantiation). Cette proposition a au moins l’avantage de
reconnaître la présence divine lors de la célébration religieuse, même si elle
diffère un peu de la version catholique qui, elle, prône la transformation totale
des espèces en corps et sang du Christ (transsubstantiation).
Mais les calvinistes ont des vues différentes de celles des luthériens. Et
Théodore de Bèze le fait savoir dès le 9 septembre avec beaucoup de fermeté :
dans la Cène, il n’y a pas de présence réelle du Christ dans les espèces, mais
seulement une présence spirituelle qui permet au croyant de communier en esprit
avec le Christ vivant. Sur l’essentiel, il n’y a aucun accord possible puisque lui,
Théodore de Bèze, détient la seule vérité que les Evangiles lui ont révélée.
Catherine de Médicis, désolée, entreprend encore de réunir une commission
mixte de dix membres, toujours sur le même sujet, avec les responsables
catholiques les plus ouverts au compromis. Rien n’y fait : cette fois-ci, ce sont
les prélats qui rejettent la nouvelle formulation, trop « protestante » pour eux.
Après ce dernier échec, il ne reste plus à la reine mère qu’à clore des débats
pourtant porteurs d’espoir pour elle, ce qu’elle fait vers la mi-octobre.
Avant de mettre un terme à ces échanges doctrinaux, elle fit preuve
d’autorité et d’habileté politique. Comme la dette de l’Etat ne cessait de se
creuser, qu’elle atteignait quarante millions de livres, elle obligea le clergé de
France, ordre privilégié et immensément riche, à payer une partie du déficit par
le contrat de Poissy, adopté le 21 septembre. Ce faisant, elle résorbait un peu le
déficit public. Surtout, elle espérait donner un sujet de satisfaction aux réformés,
ennemis jurés de l’Eglise traditionnelle : ils se montreraient plus compréhensifs,
plus ouverts au compromis… Hélas, malgré tout cela, les partisans des deux
religions demeuraient inflexibles.

Les premiers conflits (1561-1563)

L’échec du colloque de Poissy et des derniers entretiens durcit les positions


des uns et des autres, qui ont à présent la certitude qu’ils ne peuvent pas
s’entendre, ce qui rend inévitable un affrontement. De fait, les chefs catholiques,
qui ont constitué en avril 1561 un triumvirat comprenant le duc François de
Guise, le connétable Anne de Montmorency et le maréchal de Saint-André,
établissent un plan de guerre contre les protestants qui se préparent eux aussi au
combat. Des troubles éclatent bientôt un peu partout en France, cinglant désaveu
de la politique de pacification voulue par la reine mère.
Pour éviter la guerre civile qui s’annonce, Catherine de Médicis n’a plus
d’autre solution que d’imposer à tous la paix par la loi. Dans son esprit, il s’agit
là d’une disposition temporaire destinée à éviter le pire en attendant que, les
esprits s’apaisant de part et d’autre, le mouvement d’unité de foi puisse enfin
reprendre son chemin. Cette position est la sienne en 1562 et le restera jusqu’à la
fin de ses jours. Idéal impossible à réaliser ? Sans doute, mais elle veut s’en
nourrir, tant l’opposition des deux partis est irréductible et menace le royaume
d’implosion. Si le recours à la paix par le droit devient sa seule arme efficace,
son projet de réunification religieuse n’est qu’une chimère, elle pourra le
constater amèrement au fil des années.
Pour l’heure, par l’édit du 17 janvier 1562, dit édit de Saint-Germain, elle
instaure la tolérance civile : les calvinistes pourront librement exercer leur culte ;
pas dans les villes où des tensions religieuses sont trop vives, mais hors des
remparts de celles-ci. Pensant avoir trouvé un compromis acceptable pour les
deux parties, elle réunit peu après, du 28 janvier au 11 février, une nouvelle
conférence théologique ; elle évite soigneusement d’entamer un nouveau débat
sur la présence réelle dans les espèces pour ne pas provoquer un nouveau tollé et
demande de débattre d’autres sujets apparemment moins sensibles, comme le
culte des images, la vocation des pasteurs ou le baptême. Malgré l’édit
fraîchement pris, la discorde s’installe de nouveau entre les participants, la
laissant impuissante. A partir de ce moment elle acquiert la certitude que les
responsables catholiques et protestants sont décidés à ne pas s’entendre, si ce
n’est contre elle : les premiers l’accusent de faire la partie belle à l’hérésie ; les
seconds, contents d’une loi nouvelle qui les reconnaît enfin, sont plus mesurés à
son égard mais demeurent réservés sur ses véritables intentions et sur la politique
à venir.
Ils n’attendent pas longtemps : le dimanche 1er mars, le duc de Guise, qui
revient de sa résidence habituelle de Joinville, se dirige avec des hommes
d’armes vers Paris pour se concerter avec les deux autres triumvirs et les
appuyer. Passant par Wassy, petite ville champenoise de trois mille âmes, il
constate que les réformés célèbrent leur culte dans une grange située près de
l’église, dans la cité même, en infraction au récent édit de janvier. Ses soldats se
livrent à une véritable tuerie, qui fait plus 70 victimes. Lui reste serein : il n’a
fait qu’appliquer la loi nouvelle et punir ceux qui ne l’ont pas respectée.
Le clan catholique est satisfait, tandis que les protestants laissent éclater leur
colère. Leur chef, Louis de Condé, donne le signal de la révolte et prend le
2 avril la ville stratégique d’Orléans. C’est le début de la première guerre de
religion qui ensanglante la France. « Huguenots » et « papistes » font assaut de
prouesses dans l’horreur. Le maréchal de Saint-André est tué en décembre 1562,
son ami Guise en février 1563. Comme les pertes sont lourdes des deux côtés,
que dans l’un et l’autre camp des stratèges importants ont perdu la vie, Catherine
de Médicis intervient opportunément. Elle rétablit la paix le 19 mars 1563 par
l’édit d’Amboise. Celui-ci restreint les libertés accordées en janvier 1562 :
désormais les protestants ne pourront plus célébrer leur culte que chez des
grands seigneurs et dans une seule ville par bailliage, toujours au-delà des
fortifications.
Le calme revenant dans le pays à la faveur de la loi, Catherine semble avoir
réussi à réaliser son programme de paix. Quand Charles IX est proclamé majeur,
le 17 août 1563, le chancelier Michel de l’Hôpital, parlant en son nom, déclare
que le souverain laissera sa mère diriger les affaires publiques comme
auparavant. Et de fait, le règne de Charles IX sera surtout celui de Catherine de
Médicis. L’ambassadeur de Venise note d’ailleurs à propos de cette dernière :
« [Elle] gouverne avec un plein et absolu pouvoir comme si elle était le roi. »
Ayant triomphé de l’agitation et de la subversion, satisfaite d’elle-même, elle se
délecte du goût du pouvoir dans ces heures de gloire.

De nouvelles tentatives de paix (1564-1566)

Pour asseoir définitivement l’autorité de son fils, Catherine décide


d’entreprendre avec lui un grand tour de France. De cette façon, la population du
royaume pourra le connaître et le reconnaître, tout en obéissant à la volonté de
pacification ordonnée par l’édit d’Amboise, c’est-à-dire par la reine mère. Celle-
ci en sortira grandie, le roi aussi : la concorde si recherchée pourra enfin se
réaliser.
Pour ce voyage prévu pour durer longtemps, de longs préparatifs sont
ordonnés. Le 24 janvier 1564, un immense cortège de dix à quinze mille
personnes part de la région parisienne. A la suite de la famille royale, il y a là les
membres du Conseil qui aideront au gouvernement en tout lieu, les courtisans et
toute une foule de gens de métier indispensables à la bonne réalisation de
l’expédition : des artisans, des commerçants et tout un personnel d’intendance.
Pour la sécurité des personnalités, une petite armée emboîte le pas à tout ce
monde.
Catherine de Médicis veut donner de l’éclat à sa pérégrination. Nobles et
bourgeois, soucieux de ménager la famille royale, aussi. Chaque entrée dans les
villes importantes est triomphale : on dresse des arcs de triomphe ornés de fleurs,
on accueille le prince avec des discours de soumission et d’enthousiasme. C’est
un honneur insigne que de recevoir le jeune souverain ! La reine mère n’hésite
pas à donner des fêtes somptueuses dans nombre de cités : il faut que sa venue et
celle de Charles soient accompagnées de réjouissances populaires pour qu’un
lien affectif se tisse entre le détenteur de la Couronne et l’ensemble de ses sujets,
catholiques ou non.
Déterminée à faire l’union autour d’elle, non par la force mais par la loi et
l’adhésion des populations, Catherine parcourt la France. Elle se dirige avec les
siens tout d’abord vers la Champagne, séjourne à Troyes puis va vers la
Lorraine, passe à Bar-le-Duc et redescend vers la Bourgogne, où Dijonnais et
Mâconnais l’accueillent chaleureusement. De Bourgogne, elle se rend à Lyon et
en Provence, à Avignon, Aix et Marseille. Elle n’hésite pas à gagner le
Languedoc, fortement marqué par l’hérésie, s’arrête à Carcassonne puis à
Toulouse. Elle traverse ensuite la Guyenne, pousse jusqu’à Bordeaux et
chevauche vers la frontière espagnole jusqu’à Bayonne et Saint-Jean-de-Luz.
Elle sait que le Sud-Ouest est un bastion du protestantisme et décide de s’y
rendre. De là, elle entame une remontée vers le nord, traverse la Garonne et la
Dordogne, pénètre en Saintonge et s’attarde à Cognac et Saint-Jean-d’Angély.
L’Aunis et La Rochelle sont peu sûrs ? Elle y va. Pour terminer son périple, elle
regagne le Val de Loire puis se dirige vers la Bretagne, pénètre à Nantes, s’arrête
un long moment à Châteaubriant avant de regagner la Touraine par Angers,
Plessis-lès-Tours, Chenonceau et Blois. Elle ne se contente pas d’avoir été
reconnue dans l’Est, le Sud et l’Ouest. Le Centre ne peut être laissé de côté. De
Blois, elle descend donc jusqu’en Auvergne, reste quelque temps à Clermont,
s’arrête à Moulins où elle passe de longues journées. Là, elle décide de mettre un
terme à son tour de France et regagne la région parisienne par Sens.
Dans toutes les villes où se rend la famille royale, elle est accueillie par les
maires et les officiers de justice qui déclarent se soumettre à sa politique de
pacification. Mais il s’agit surtout là de rites de soumission envers le souverain.
En vérité, l’adhésion de la bourgeoisie et l’enthousiasme populaire sont moins
nets qu’il n’y paraît au premier abord. Charles IX intervient souvent dans les
élections des corps de villes, surtout quand les candidats lui paraissent trop peu
soumis à ses volontés. Il espère ainsi se rendre maître des cités et faire mieux
passer l’esprit d’Amboise. Mais, ni lui ni sa mère ne voulant se rendre
impopulaires en sévissant, la conciliation, les interventions souterraines, les
festivités sont de mise. Pourtant, parfois, Charles et Catherine doivent imposer
leur autorité quand ils jugent qu’il y a abus. C’est le cas à Aix, où le parlement a
poursuivi avec trop de zèle, un zèle qui n’est plus de saison, les protestants.
C’est le cas aussi, mais dans l’autre sens, à La Rochelle, où huit calvinistes
intransigeants, jugés trop subversifs, sont exilés. Chaque excès est puni d’au
moins un avertissement solennel : le gouverneur de Bretagne en fait l’expérience
quand il se voit reprocher durement d’être trop violent envers les huguenots.
C’est pour lui, et pour l’instant, un avertissement sans frais…
Ce long voyage a aussi des fins diplomatiques. Lors de son séjour dans
l’extrême Sud-Ouest, à Bayonne, Catherine de Médicis souhaite rencontrer le roi
Philippe II d’Espagne. Celui-ci ne se déplace pas personnellement mais envoie
son épouse, la reine Elisabeth, fille de Catherine de Médicis, négocier avec sa
mère, en compagnie du duc d’Albe, les bases d’une politique religieuse
commune. Au nom de son maître, le duc prône la lutte à mort contre les
protestants pour éliminer l’hérésie et faire triompher le catholicisme. Après bien
des entretiens, il rencontre toujours la ferme opposition de la reine mère qui s’en
tient à ses prises de position traditionnelles : par la tolérance civile et la paix
seulement, on pourra parvenir à ce résultat. Le débat est vif entre les
responsables des deux camps, du 15 juin au 2 juillet 1565. Mais, personne ne
voulant céder, ils se quittent à Bayonne, persuadés chacun de leur bon choix
stratégique.
Lorsque le roi et sa mère se retrouvent à leur point de départ au château de
Saint-Maur, ils sont apaisés. Le grand tour a duré longtemps, deux ans et trois
mois, du 24 janvier 1564 au 1er mai 1566 exactement, mais il a produit dans
l’ensemble des effets bénéfiques. Il n’y a pas eu d’incidents majeurs, seulement
des difficultés à régler. Il en reste encore – Catherine de Médicis en est
persuadée –, mais cette longue expédition est globalement un succès pour le roi,
pour elle et pour la paix.

La guerre l’emporte malgré tout… En apparence

Les protestants, impressionnés et contenus par la démonstration de force de


la reine et de son fils pendant leur longue inspection du royaume, savent que la
menace du pouvoir royal, aujourd’hui réinstallé à Paris, s’est éloignée d’eux.
Débarrassés d’une présence contraignante, ils retrouvent leur liberté d’antan ; la
possibilité aussi de s’opposer à la Cour pour défendre leur religion et lui conférer
non seulement une tolérance limitée mais une totale indépendance.
Deux éléments contribuent à renforcer l’opposition des huguenots, tous deux
liés à des événements internationaux. La rumeur se répand que, lors des
entretiens de Bayonne de 1565, le duc d’Albe et Catherine ont conclu un pacte
d’alliance visant à exterminer les protestants pour sauver l’orthodoxie
catholique. A cette nouvelle infondée mais terrifiante s’en ajoute une autre, bien
réelle : en 1566 les nobles réformés des Pays-Bas, appelés les « Gueux » par
dérision, se sont soulevés contre leur souverain, le très catholique Philippe II
d’Espagne. Celui-ci a fait réprimer la révolte dans le sang, mais il subsiste
encore bon nombre de Gueux prêts à reprendre le combat pour s’affranchir du
joug espagnol et libérer du même coup leurs coreligionnaires français.
La trahison présumée de la reine mère s’ajoutant à l’opportunité d’une union
militaire avec les insoumis des Pays-Bas, les calvinistes français, hier
apparemment calmes, n’hésitent plus : ils doivent eux aussi intervenir
militairement pour faire valoir leurs droits. En ces années 1567-1568, peu de
temps après le retour de la paix, s’opère une radicalisation de la politique des
huguenots inconnue jusqu’alors. Ce sera la guerre dans tous les domaines et sur
tous les fronts jusqu’à la victoire totale. Et de fait, deux nouveaux conflits
endeuillent la France en deux ans et demi, que Catherine de Médicis s’emploie
comme d’habitude à résoudre dès qu’elle le peut par des négociations.
En septembre 1567, le prince Louis de Condé entre en rébellion avec les
autres chefs calvinistes et connaît bientôt de nombreux succès. Son parti réussit
même à menacer Paris. Pour desserrer la menace protestante sur la capitale, les
catholiques livrent le 10 novembre la bataille de Saint-Denis. Les royaux sont
vainqueurs mais le connétable Anne de Montmorency, blessé, décède deux jours
après. Rien n’est définitivement réglé pour autant : après la victoire, les deux
partis se livrent aux pires excès, pillant et massacrant à tout-va. Ces troubles
inquiétants obligent la reine à signer la paix de Longjumeau le 23 mars 1568 :
soucieuse comme toujours de préserver la paix, elle en revient pratiquement à
l’édit de 1563 mais supprime les restrictions que celui-ci contenait. Les papistes
se sentent spoliés de leur victoire, voient une nouvelle avancée de la reine mère
vers les huguenots. Comme ils ne veulent toujours pas, au nom de Dieu,
cohabiter avec des hérétiques, ils sont furieux et bien déterminés à ne pas en
rester là. Quant à leurs ennemis, ils ne veulent pas se contenter de concessions
momentanées : leur religion doit être reconnue définitivement, au prix d’un
conflit généralisé s’il le faut. Signe des temps, le chancelier Michel de l’Hôpital,
artisan avec Catherine de la conciliation, conscient de son échec, s’apprête à
offrir sa démission à Charles IX.
Désemparée, impuissante à enrayer le mouvement de haine religieuse qui
secoue tout le pays, Catherine se décide à agir par la force contre les protestants.
Cette fois-ci, c’est elle qui intervient militairement contre eux dans l’espoir de
pouvoir mieux leur imposer la paix. La troisième guerre qui se déroule d’août
1568 à août 1570 prend une dimension internationale. Avec les royaux
combattent les Espagnols de Philippe II et les troupes du pape Pie V, les deux
souverains étant ravis que la gouvernante française adhère enfin à leur cause ;
aux côtés des huguenots français, commandés par l’amiral de Coligny et le jeune
Henri de Navarre – le futur Henri IV –, les Gueux de Hollande et les Allemands
réformés. L’épisode central de ce conflit est la victoire de Jarnac le 13 mars
1569, remportée sur le principal chef protestant, le prince de Condé, tué après la
bataille d’un coup de pistolet par un noble catholique alors qu’il s’était déjà
rendu. On fait jeter son cadavre sur une ânesse et on laisse l’animal ainsi chargé
errer librement, exposant l’illustre stratège déchu à la risée de ses ennemis.
Après deux années d’affrontements, il n’y a aucun succès probant de part et
d’autre. Catherine se décide donc à conclure la paix par l’édit de Saint-Germain,
pris le 8 août 1570. N’étant pas parvenue à ses fins, la destruction de la faction
huguenote, constatant que les deux clans ennemis ont chacun des forces
importantes et même renforcées, elle décide de les ménager l’un et l’autre,
comme d’habitude, mais en adoptant une formule plus originale : le culte
calviniste pourra toujours être pratiqué chez les seigneurs importants et
seulement aussi dans les faubourgs de deux villes par gouvernement. En clair les
protestants auront moins de liberté de culte que selon l’édit d’Amboise de 1563.
Par contre, pour garantir leur liberté, la reine leur cède pour deux ans quatre
places de sûreté, dont celles, très importantes, de La Rochelle, Cognac et
Montauban. Elle obtient en fait une paix boiteuse car les protestants ne sont pas
satisfaits des concessions importantes qui leur ont été faites ; quant aux
catholiques, ils s’estiment trahis. La reine sait tout cela : elle vient de décider
l’essentiel, l’arrêt des combats. Elle doit maintenant mettre toute son énergie,
toute son habileté au service de la pacification des esprits.

Deux années d’apaisement (1570-1572)


Pour tenter de mettre un terme aux dissensions religieuses après l’édit de
Saint-Germain, la reine mère s’emploie à donner du lustre à la monarchie tout en
apaisant les tensions qui opposent les deux partis. Afin de les rapprocher, elle
décide de créer des événements susceptibles d’apporter prestige et gloire à la
famille royale qui, bénéficiant de la ferveur populaire, pourra retrouver, au moins
pour quelque temps, le calme et la sérénité nécessaires.
Le 26 novembre 1570 sont célébrées les noces de Charles IX et d’Elisabeth
d’Autriche, fille de l’empereur germanique Maximilien II. La jeune reine est
sacrée le 25 mars suivant. Comme les calvinistes n’apprécient pas cette union
qui donne surtout satisfaction aux papistes, Catherine veut leur donner des gages
de sympathie. Elle négocie le mariage de son fils Alexandre-Edouard, devenu
par souci de perpétuation dynastique « Henri », lors de sa confirmation, avec la
très réformatrice reine d’Angleterre Elisabeth. La souveraine anglaise répond
favorablement à ses propositions ; elle envoie même en février 1571 un
ambassadeur à la cour de France pour régler les modalités de l’union. Mais
Henri d’Anjou, malgré les supplications de sa mère, préfère suivre ses
sentiments plutôt que d’obéir aux impératifs politiques du moment. Non, il
n’épousera pas Elisabeth : il a dix-neuf ans, elle en a trente-neuf, et malgré son
âge, elle est encore vierge !
Catherine de Médicis, navrée de ne pas avoir réussi à unir dans sa propre
famille un catholique à une protestante, ne renonce pas : elle envisage cette fois
le mariage de sa fille Marguerite avec le huguenot Henri de Navarre, fils de feu
Antoine de Bourbon et de Jeanne d’Albret, respectivement roi et reine de
Navarre. Cette fois, elle compte fermement activer la tolérance dans le royaume
par une union exemplaire pour les deux religions.
Pour parvenir à ses fins, elle a dû veiller au préalable à mettre un terme aux
amours précoces de la future mariée, que l’Histoire retiendra souvent sous le
nom de Margot. Malgré sa jeunesse, cette dernière menait une vie débridée qui
commençait à faire scandale. En particulier elle entretenait, à dix-sept ans, des
relations suivies avec le jeune Henri de Guise, fils aîné du défunt duc François
de Guise. Pour faire cesser les rumeurs et rendre possible l’union projetée avec
Navarre, la reine mère renvoya l’importun et veilla à le marier rapidement avec
Catherine de Clèves. Ainsi pouvait-elle prétendre à la réalisation de ses rêves
d’irénisme.
Ces projets d’entente par unions matrimoniales s’accompagnent de
changements importants dans le gouvernement, qui traduisent bien une volonté
de tolérance civile. Le 12 septembre 1571, l’amiral de Coligny, un réformé
autrefois proscrit, revient au Conseil du roi et y joue un rôle important auprès de
Charles IX, rôle que Catherine de Médicis, toujours jalouse de son autorité,
trouvera bientôt excessif. Cette victoire du clan calviniste s’accompagne d’un
retour en faveur des chefs catholiques : les Guises, que l’on avait dû écarter deux
ans plus tôt, reviennent eux aussi à la Cour en 1572, bien décidés également à
imposer leurs vues. Le retour à une politique de partage du pouvoir doit garantir
l’équilibre des forces en présence et les amener à se respecter mutuellement.
Non seulement chacun sera amené à s’entendre avec son rival, mais il devra
respecter la souveraineté d’origine divine du prince et admirer la magnificence
qui en découle. La puissance engendrant l’éclat, Catherine de Médicis crée en
novembre 1570 l’Académie de poésie et de musique, la première académie des
Valois. Sous la direction de Jean-Antoine de Baïf, hommes de lettres et
musiciens honoreront les arts de leur talent et, à travers eux, leur inspiratrice et
leur muse, Catherine de Médicis, agissant elle-même pour le compte du roi son
fils. Bientôt les dames et demoiselles d’honneur qui entourent la reine mère,
aussi jolies que talentueuses, deviennent les égéries des écrivains les plus
célèbres comme Pierre de Ronsard. En ces temps de paix, Catherine et ces
jeunes femmes deviennent l’« ornement » de la France.
Ces compliments de cour reflètent-ils les sentiments des princes et des sujets
du royaume ? On peut en douter car, à Paris aussi bien que dans les profondeurs
du pays, l’édit de Saint-Germain n’est qu’une ruse pour tromper la vigilance des
protestants, un vrai scandale pour les catholiques.

Le feu aux poudres : le massacre de la Saint-Barthélemy (août


1572)

Les profonds ressentiments des adeptes des deux religions ennemies peuvent
faire craindre une nouvelle guerre civile. Pourtant c’est un événement imprévu,
d’une effroyable violence, qui officialise la rupture définitive entre papistes et
huguenots : le massacre de la Saint-Barthélemy.
Ce drame national est bien connu du public pour ses atrocités mais les
historiens, faute de sources décisives, indiscutables, sont encore partagés sur
l’interprétation qu’il convient d’en faire. Janine Garrisson, Denis Crouzet, Jean-
Louis Bourgeon, Arlette Jouanna notamment donnent des versions parfois
discordantes mais toutes acceptables, à défaut de documentation irréfutable.
Force est de se contenter d’une approche plausible de ce qui reste encore en
partie une énigme.
On a quand même des certitudes sur les raisons de la tuerie. Cela fait
longtemps que les deux partis chrétiens s’affrontent dans des guerres civiles
meurtrières sans que le pouvoir royal puisse mettre un terme à leurs luttes
fratricides. Il serait heureux qu’après plus de dix ans d’affrontements divers la
royauté puisse enfin régler un différend religieux qui menace dangereusement
l’équilibre du royaume et l’autorité du roi.
Dans cette grisaille ambiante, une lueur d’espoir : Catherine de Médicis a
réussi à négocier le mariage de sa fille Marguerite avec le roi Henri de Navarre.
A présent c’en est fini des combats, voici enfin l’heure de la concorde
puisqu’une princesse catholique va épouser l’un des chefs huguenots les plus
réputés ! En ce 18 août 1572, les époux échangent leur consentement sur une
estrade dressée sur le parvis de Notre-Dame. Les voilà unis, même si Henri et les
siens refusent ensuite d’assister à la messe dans la cathédrale, laissant ce soin à
la seule jeune mariée, accompagnée de son frère Henri d’Anjou et de la Cour.
Les catholiques de Paris ne sont pas contents : cette comédie de mariage est une
insulte à Dieu ! Purement politique, il ne constitue pour eux qu’une provocation
supplémentaire. Mais la reine mère, devançant leur colère, ordonne quatre jours
de fêtes. La haine s’estompe avec les joutes, tournois et réjouissances populaires,
qui ont lieu du 18 au 21 août.

La tentative d’assassinat de Coligny

Le 22, un drame met un terme à l’euphorie d’un moment. Alors que l’amiral
de Coligny sort, vers 11 heures, du Louvre, où il a participé à un conseil
important, et qu’il s’achemine vers sa résidence, l’hôtel de Béthizy, un spadassin,
Louviers de Maurevert, tire sur lui avec son arquebuse et le blesse grièvement à
la main et au coude. Le roi se précipite au domicile de la victime et ordonne une
enquête, qui aboutit à la mise en accusation des Guises ; Catherine de Médicis,
un moment suspectée, assure son fils de son innocence. Dérobade de sa part ?
Probablement pas. Il est vrai qu’elle détestait Coligny, non pour son calvinisme
mais parce qu’il avait pris trop d’importance auprès de Charles IX et parce qu’il
voulait secourir les Pays-Bas révoltés contre les Espagnols depuis 1566. Or la
reine mère, parfaitement consciente des difficultés intérieures et de la supériorité
militaire de Philippe II, tenait absolument à maintenir la paix avec lui. Jalouse de
son pouvoir, elle supportait mal depuis quelque temps la place que l’amiral
prenait dans l’esprit du souverain. Mais entre détester et tuer… Même si l’idée
d’un meurtre lui a parcouru l’esprit, elle l’a rapidement chassée pour une raison
majeure : elle venait de rétablir une entente fragile par le mariage de sa fille et
elle ne voulait pas tout gâcher en faisant exécuter un chef huguenot. Plus que la
rancœur, la paix avant tout. Elle n’est donc pour rien dans la tentative de
Maurevert. Pour les responsabilités, il faut plutôt regarder du côté des Guises et
des Espagnols, catholiques intransigeants partageant des intérêts communs. Au
début de l’après-midi du 23 août, Catherine, rassérénée, est persuadée que,
l’épisode tragique terminé, tout va rentrer dans l’ordre à son profit.

Le massacre de la Saint-Barthélemy

Mais, ce même jour, la nouvelle de la tentative d’assassinat de l’amiral


inquiète et bouleverse les nombreux chefs protestants venus à Paris pour la
célébration des noces d’Henri de Navarre et de Marguerite de Valois. Comme un
malheur n’arrive jamais seul, des responsables politiques répandent la rumeur
que les huguenots préparent une sédition pour venger Coligny et prendre le
pouvoir. Le roi prend les devants et réunit au moins un conseil dans l’après-midi
et un autre dans la nuit. Au cours de ces diverses réunions ou lors de la dernière
seulement, on ne sait, Charles IX, après avis du Conseil et l’accord de sa mère,
décide d’éliminer un nombre restreint de chefs huguenots – dont Coligny – pour
faire régner l’ordre politique. Le revirement rapide de Catherine de Médicis peut
surprendre ; il se comprend pourtant aisément : après tant de tentatives
pacifiques et militaires infructueuses, elle a maintenant une occasion inespérée
de mettre un terme à l’agitation du parti calviniste par la suppression de ses
dirigeants. Elle n’est pas intervenue pour faire assassiner Coligny afin de
sauvegarder la paix internationale. Peu après, sous la pression de nouvelles qui
lui font craindre pour la paix intérieure, elle saisit une opportunité de règlement
définitif du conflit. L’ordre de tuer porte sur un nombre limité de personnes.
Jean-Louis Bourgeon et Denis Crouzet démentent formellement ces propos
qu’aurait tenus le roi, à l’instigation de Catherine de Médicis : « Tuez-les tous,
Dieu reconnaîtra les siens. »
Dans la nuit du 23 au 24 août – jour de la fête de la Saint-Barthélemy –, à
partir de trois heures du matin, les Guises forment des équipes de tueurs qui se
répandent dans la capitale et exécutent non pas les chefs protestants mais
beaucoup de leurs coreligionnaires, dont l’amiral de Coligny. Le jeune marié
Henri de Navarre et Henri de Condé sont contraints de se convertir pour
échapper à une issue fatale. Rescapés du massacre, ces deux-là sont étroitement
surveillés par Catherine de Médicis. Malgré l’ordre du souverain, dès le 24 août,
d’arrêter les massacres, ceux-ci durent à Paris jusqu’au 29, faisant entre deux et
quatre mille victimes. Entre-temps, le 26, Charles IX s’est rendu au Parlement
pour dénoncer le complot des huguenots et justifier leur élimination.
L’exemple parisien est suivi un peu partout en France, ce qui n’était pas
prévu non plus. Les provinciaux se laissent aller à leur tour à la haine et à la
vengeance pendant l’été et l’automne, tuant à tout-va environ dix mille
personnes. Pour échapper à leur funeste destin, certains protestants préfèrent
abjurer ou s’enfuir.
La nouvelle des massacres a été accueillie dans la joie par les souverains
catholiques. Le pape Grégoire XIII, qui vient de succéder à Pie V, fait célébrer
un Te deum à Rome pour l’« acte salutaire » accompli par le roi de France ;
Philippe II, ravi, pressent que sous son impulsion la France va se libérer de
l’hérésie pour s’adonner au catholicisme. Même la réformatrice Elisabeth
d’Angleterre est satisfaite que Charles IX ait enfin consenti à venir à bout des
insoumis !

L’exaspération des protestants

La reine mère est persuadée que, privé de ses principaux chefs, le parti
huguenot décapité se tiendra tranquille et qu’elle pourra enfin entreprendre une
œuvre de pacification. Mais les tueries ont provoqué l’indignation et la fureur
des protestants qui, sous l’impulsion de leurs pasteurs et des nobles rescapés de
la tragédie, veulent plus que jamais faire respecter et reconnaître leur religion.
Bientôt, surtout dans le midi de la France, ils se révoltent contre le pouvoir
central, déclenchant d’octobre 1572 à juillet 1573 une quatrième guerre civile.
Catherine de Médicis, décontenancée par cette réaction imprévue, veut réagir
par une intervention militaire pour mater la rébellion. Mais elle est dans
l’impossibilité de mener une opération d’envergure : la guerre coûte cher,
environ 16 à 18 millions de livres par an, quand les recettes ne rapportent au
Trésor que 13 millions, et le montant de la dette publique est abyssal. Ne
pouvant conduire que des opérations limitées dans le Sud, elle décide de
concentrer ses principaux efforts sur la cité de La Rochelle, cœur de la
dissidence, où résident quelque vingt mille habitants défendus par une petite
mais vaillante armée de mille cinq cent hommes. Elle fait mettre le siège devant
la ville en novembre et le place, à partir de février 1573, sous la direction de son
fils Henri d’Anjou. Après un blocus par terre et par mer de huit mois, les
Rochelais, pourtant affamés, tiennent toujours bon et sont prêts à résister plus
longtemps quand, en juillet, Henri décide de quitter les lieux.
Sa décision ne résulte ni d’une lassitude ni d’une défaite mais d’une nouvelle
importante qui le touche personnellement : il a appris en juin que les nobles de la
Diète générale de Pologne l’ont élu le 11 mai roi de leur pays pour succéder au
dernier des souverains de la dynastie des Jagellons. Cette élévation à la dignité
royale n’est pas due au hasard. Pour compenser la médiocrité de la progression
des Français dans le Sud, Catherine a demandé à l’évêque de Valence, Jean de
Monluc, de se rendre en Pologne pour influencer les électeurs de la Diète en
faveur de son fils, au besoin contre argent sonnant, et lui faire obtenir là-bas le
pouvoir suprême.
Henri ne peut mener tout à la fois un combat en France et régner dans l’est
de l’Europe. Il négocie donc le 24 juin avec les Rochelais, ravis d’avoir tenu tête
aux troupes royales et de mettre un terme à leurs souffrances, et lève le camp le
6 juillet suivant.
L’accession du duc d’Anjou au trône de Pologne réjouit ses frères.
Charles IX est heureux de voir s’éloigner de lui un homme qu’il n’aime pas et
qui, par son intelligence et sa prestance, lui fait de l’ombre. Comme Charles est
tuberculeux et qu’il crache du sang, le dernier et le plus jeune des fils de
Catherine, François d’Alençon, ambitieux sans scrupules, caresse l’espoir de lui
succéder à la tête du royaume puisque son aîné doit prendre les rênes du
gouvernement polonais. La reine mère, inquiète pour la santé et la vie du
souverain, tient à protéger Henri, son enfant favori, contre les prétentions de
François. Aussi fait-elle prendre par Charles IX le 22 août une déclaration
établissant qu’au cas où ce dernier décéderait sans descendant mâle légitime, la
couronne de France reviendrait de droit à Henri, disposition d’ailleurs tout à fait
conforme aux règles traditionnelles de succession depuis les Capétiens.
Avant la signature de cet acte, la guerre s’enlisant, Catherine a jugé bon
d’établir la paix avec les huguenots et de régler leur sort le 11 juillet par l’édit de
Boulogne. La nouvelle loi restreint encore davantage la liberté de culte pour les
protestants puisque ce dernier est autorisé seulement dans quatre villes : La
Rochelle, Nîmes, Montauban puis, peu après, Sancerre. Elle provoque la colère
des protestants. Le 25 août, des représentants des réformés du Midi, excédés,
exigent la réhabilitation de l’amiral de Coligny et le libre exercice du culte
partout ; ils sollicitent même l’alliance des puissances protestantes voisines.
Catherine, très contrariée et inquiète, constate que la Saint-Barthélemy, non
seulement n’a pas permis d’atteindre les objectifs recherchés mais n’a fait
qu’exaspérer les rancœurs et accroître dangereusement les revendications.

De nouveaux troubles sous Henri III (1574-1584)

Au début de 1574, il règne un climat malsain en France Les huguenots sont


furieux du nouveau dispositif législatif qu’on leur a imposé l’année précédente à
la suite de la Saint-Barthélemy mais ils ont du mal à manifester par les armes
leur mécontentement, faute de chefs militaires. Henri de Navarre et Henri de
Condé sont toujours étroitement surveillés à la Cour par Catherine de Médicis et
les autres responsables calvinistes, de moindre envergure, ne peuvent pas se
révolter avec de vraies chances de succès, comme l’a montré la quatrième guerre
civile, limitée pour l’essentiel pour eux au siège de La Rochelle.

Encore des tensions…

Pour compenser leur faiblesse relative, les protestants s’allient à des princes
et des grands seigneurs partisans d’un catholicisme modéré et adeptes de la
tolérance religieuse. Ils rencontrent l’adhésion de cette haute noblesse car elle
tient à retrouver son rang au gouvernement dont son principal dirigeant, le duc
François d’Alençon, est soigneusement tenu à l’écart par la reine mère depuis
qu’elle l’a obligé à renoncer à la succession au trône. Voulant retrouver ses
prérogatives et ne pouvant pas y parvenir seuls, ces mécontents ou
« Malcontents » sont tout prêts, tant par nécessité que par conviction, à tendre la
main aux adversaires du pouvoir en place. Ainsi s’opère un rapprochement entre
Malcontents et huguenots dangereux pour la monarchie… à condition de libérer
les principaux responsables, Alençon et Navarre, de la tutelle de Charles IX et de
sa mère. On organise à cette fin des complots à la Cour en février et en avril
1574 mais ceux-ci échouent lamentablement. Le roi décide d’accorder son
pardon aux deux princes tout en les gardant près de lui mais d’envoyer à
l’échafaud leurs complices La Mole et Coconat, tous deux catholiques et
partisans d’une entente subversive avec les protestants. Ils sont décapités le
30 avril. Deux autres personnages de la même tendance, le duc François de
Montmorency et le maréchal de Cossé, suspects d’avoir participé au coup de
force, sont emprisonnés.
Catherine ayant rétabli le calme par la fermeté, tout danger semble écarté. Il
était temps : Charles IX, si malade depuis quelque temps, meurt à vingt-trois ans,
le 30 mai. Le souverain qui lui succède est, ainsi que cela a déjà été établi, son
frère cadet Henri III, jusqu’alors roi de Pologne. Mais Cracovie est loin de Paris
et la nouvelle de son élévation à la royauté ne lui parvient là-bas que le 15 juin.
Soucieux d’échapper aux dignitaires polonais avec lesquels il ne s’entend pas, il
quitte bientôt son ancienne capitale dans la nuit du 18 au 19 juin. Puis, sans plus
se presser, il séjourne en Autriche et en Italie où il est accueilli triomphalement.
Il sait que Catherine de Médicis, régente une nouvelle fois, dirige
convenablement le royaume de France. Mais, justement, elle lui demande de se
hâter : les tensions avec l’opposition sont de plus en plus vives et il y a danger
d’un nouveau soulèvement.
Henri III arrive à Lyon le 6 septembre et a l’occasion de s’entretenir avec la
reine des affaires publiques. Comme il y a risque de guerre, le plus urgent est de
constituer un gouvernement de combat efficace. Réduit à un petit nombre, le
Conseil du roi comprend désormais des hommes de confiance de Catherine et de
lui-même, aussi bien à la Chancellerie qu’à la surintendance des Finances ou aux
secrétariats d’Etat. Le monarque s’entoure aussi de compagnons qui ont su
gagner sa confiance en Pologne, comme le maréchal de Bellegarde ou Louis de
Gonzague, duc de Nevers. A vingt-trois ans, bien entouré de personnalités
compétentes et fidèles, il est décidé à s’imposer à tous.
Mais les Malcontents ne l’entendent pas ainsi. Bien que François d’Alençon
et Henri de Navarre soient toujours retenus à la Cour, que le maréchal de Cossé
et François de Montmorency soient embastillés, ils reprennent les hostilités à
l’initiative de l’un des leurs, Henri de Montmorency-Damville, gouverneur du
Languedoc. Catholiques modérés et huguenots déclenchent une nouvelle guerre
civile, la cinquième, espérant bien libérer le Sud des ambitions dominatrices du
nouveau roi, qui décide de répondre militairement à la rébellion dirigée par
Damville depuis novembre. Aucun des deux clans, royal et insoumis, ne parvient
à l’emporter de façon décisive mais les ennemis du pouvoir, soucieux de ne pas
perdre la partie, affirment haut et fort leurs intentions : le 10 janvier 1575, ils
proclament depuis Nîmes leur volonté de créer une république du Languedoc.
L’autorité d’Henri III étant gravement menacée par ces volontés
indépendantistes de nature révolutionnaire, Catherine de Médicis conseille à son
fils de cesser provisoirement les opérations, le temps de refaire ses forces et de
négocier quelque arrangement.
Mais le temps n’est ni à la pause ni au compromis. François d’Alençon
réussit à s’échapper de la Cour le 15 septembre et prend la direction des
opérations avec le concours d’Henri de Condé, qui s’est libéré lui aussi et a
réussi à réunir une armée de reîtres allemands et suisses. Pour parer à cette
situation inquiétante, Henri III demande au duc de Guise de réagir et de
s’imposer. Celui-ci réussit à donner satisfaction à son souverain en battant les
reîtres à Dormans, sur la Marne, le 10 octobre. Sa bravoure lui occasionnant des
blessures à la tête, ses amis l’appelleront désormais « le Balafré ».
La victoire est éphémère car Alençon, bien décidé à parvenir à ses fins,
reprend le combat en février 1576 et Navarre, qui s’est échappé lui aussi de sa
prison dorée et est revenu au calvinisme, épaule son allié dans le Béarn et le
Sud-Ouest. Avec l’arrivée de ces stratèges qui obtiennent des succès probants, la
situation du monarque est compromise. Aussi sa mère lui conseille-t-elle de
composer avec l’ennemi pendant qu’il en est encore temps, en lui faisant des
concessions importantes. Pour calmer les ardeurs guerrières des vainqueurs du
moment, Catherine de Médicis laisse opérer sur eux les charmes de ses
demoiselles d’honneur, son « escadron volant » qui fait merveille puisque l’on
parle bientôt d’une entente retrouvée sous condition.
Effectivement, le 6 mai est pris l’édit de Beaulieu, qui établit la « paix de
Monsieur », frère du roi. Elle est très favorable aux Malcontents catholiques et à
leurs alliés protestants. François d’Alençon reçoit en apanage l’Anjou, la
Touraine et le Berry, ce qui lui permet de prendre à présent le titre de duc
d’Anjou. Henri de Navarre reçoit, lui, le gouvernement de Guyenne et une forte
indemnité de guerre. Les vainqueurs ne se contentent pas de ces avantages :
Henri III doit condamner la Saint-Barthélemy dont il est tenu pour responsable et
réhabiliter la mémoire de l’amiral de Coligny. Quant aux huguenots, ils reçoivent
huit places de sûreté et l’assurance de pouvoir exercer leur culte librement dans
les villes qu’ils détiennent déjà et dans deux autres par gouvernement. Pour
parfaire le tout, des états généraux seront réunis sous six mois afin de définir les
orientations d’une nouvelle politique. Catherine est à l’origine de ce vaste
programme de sacrifices jamais consentis jusque-là. Pour elle, l’édit de Beaulieu
n’est qu’un recul provisoire et obligé avant la reprise de sa marche en avant vers
la paix et le rétablissement de l’autorité royale, aujourd’hui très compromis.
Mais les catholiques sont fort mécontents d’une paix qui les dessert. Dès le
mois de juin 1576, sous l’impulsion des Guises, une ligue est créée à Péronne, en
Picardie, qui doit mobiliser non seulement les énergies des nobles et des villes de
cette province contre les Malcontents et les calvinistes mais celles de tous les
« bons chrétiens » du royaume. Le roi s’en proclame le chef pour bien marquer
sa détermination contre les Malcontents de toutes sortes et leur signifier
clairement qu’il n’entend pas en rester là ni respecter un édit arraché sous la
contrainte. Le nouveau duc d’Anjou comprend le message et, ayant obtenu tout
ce qu’il désirait, se réconcilie avec son frère dans les mois qui suivent.
Ce rapprochement donne l’occasion au souverain, toujours conseillé par sa
mère, de déclencher une nouvelle guerre contre ceux qui l’ont humilié hier. Le
sixième conflit dure peu de temps. Il est dominé cette fois-ci par le succès des
armées royales. La conjoncture s’étant retournée contre eux, Malcontents
catholiques et protestants, pour ne pas perdre davantage, acceptent la paix à
Bergerac le 14 septembre 1577, paix confirmée par l’édit de Poitiers trois jours
plus tard. Le traité est signé par le roi d’un côté et par Henri de Navarre et Henri
de Montmorency de l’autre. Cette fois-ci la « paix de Monsieur » cède le pas à la
« paix du roi » : la liberté du culte réformé régresse fortement par rapport à
l’année précédente. La reine mère, inspiratrice de ces décisions, reste fidèle à ses
principes : dès qu’elle le peut, elle limite la force du parti calviniste dans l’espoir
de ramener la paix et la concorde religieuses sous l’autorité du monarque.
Les succès militaires et diplomatiques remportés par le pouvoir sont
amoindris sur le plan politique par les états généraux prévus par la paix de
Monsieur. Ceux-ci se tiennent à Blois dans le temps de la sixième guerre, de
décembre 1576 à septembre 1577. Bien que les députés qui y siègent soient en
majorité favorables à la Ligue et à la lutte contre les protestants, ils contestent
eux aussi la puissance royale car celle-ci, selon eux, limite trop la liberté des
nobles, toujours soucieux d’indépendance. Cette opposition se traduit par le
refus du plus grand nombre d’augmenter les impôts. Voulant combler le déficit
de l’Etat qui risquait de conduire celui-ci à la banqueroute, Henri III avait en
effet demandé une majoration substantielle de ses ressources financières. Mais,
aussi bien pour exprimer leur mécontentement envers Henri III que pour éviter
l’impopularité qui leur aurait valu une réprobation populaire, les Etats, refusant
les propositions budgétaires du souverain, lui conseillent plutôt de réduire le
train de vie de la Cour et de limiter les dépenses engendrées par l’entretien de
l’armée alors au combat. Ce revers oblige Catherine de Médicis et son fils à faire
cesser rapidement la guerre et affaiblit la position du gouvernement au moment
où il s’apprête à négocier une « paix du roi » pourtant tout à son profit aux
dépens des huguenots.
Dans cette ambiance contrastée, faite d’échecs et de succès incertains,
s’épanouit un mouvement qui vient providentiellement au secours d’Henri III.
Contre les Malcontents et les protestants se dresse à présent un nouveau parti,
celui des Politiques, qui se met en devoir de soutenir inconditionnellement le roi.
En 1576 le juriste angevin Jean Bodin publie un ouvrage à grand succès, Les Six
Livres de la République. Ses adeptes peuvent y découvrir de nouvelles
conceptions de l’Etat. Pour mettre enfin un terme aux affrontements, pour
ramener une indispensable entente, il faut renforcer le pouvoir royal, lui conférer
même une dimension absolue. Seule l’obéissance inconditionnelle au prince
pourra mettre un terme à des hostilités fratricides et ramener le calme dans le
royaume. Bodin déclare même préférer la tyrannie aux désordres qui endeuillent
la France depuis trop longtemps. Une doctrine de la souveraineté pleine et
entière s’élabore en faveur d’Henri III. Il en tirera profit en s’entourant de
conseillers « politiques », à la Cour aussi bien que dans les provinces. Et il sera
favorablement entendu par tous ceux, de plus en plus nombreux, qui aspirent à
un retour à l’harmonie et à un renoncement définitif au fracas des armes.
Ces conceptions sont bien évidemment soutenues par Catherine de Médicis
mais indisposent les protestants intransigeants, adversaires déterminés des
tenants de la Couronne depuis la Saint-Barthélemy. Pour eux, il n’est pas
question d’affermir l’autorité du prince. Au contraire il faut la dissoudre car les
progrès de l’absolutisme ne font que concourir au malheur des populations. Il
convient de revenir aux temps lointains où la souveraineté appartenait au peuple
représenté par des états généraux qui avaient l’initiative des lois, des impôts, de
la guerre et de la paix. Ils fixaient la ligne générale de la conduite à adopter pour
gouverner, le roi ne faisant qu’exécuter les ordres reçus, tel le pilote sur un
navire commandé par ses vrais responsables. Et si le roi venait à déroger à ces
principes, il fallait le faire déposer, voire exécuter par l’élite du royaume, les
nobles, seuls dignes d’accomplir cette mission sacrée. Il y a en ces années une
radicalisation de la position des protestants les plus déterminés, qui veulent
combattre énergiquement le monarque et la monarchie, d’où le nom de
« monarchomaques » donnés aux auteurs de cette théorie nouvelle dont les
principaux sont François Hotman, Théodore de Bèze et Philippe Duplessis-
Mornay.
Dans cette période trouble et perturbée d’après la Saint-Barthélemy,
Henri III et Catherine de Médicis, entraînés dans deux nouvelles guerres civiles
qui leur ont été tantôt favorables, tantôt défavorables, doivent à présent
composer avec des chefs et une opinion publique plus que jamais violemment
partagés. Ils ont contre eux les Malcontents catholiques, les huguenots en
général et leurs représentants les plus exaltés, les monarchomaques ; pour eux, le
parti des Politiques qui, à peine né, est pour le pouvoir une source d’espoir. Mais
la porte qui conduit au succès est étroite : il y a encore trop de haine entre les
deux religions ennemies, trop de personnalités bien décidées à empêcher la
marche en avant d’une royauté qui se voudrait absolue. Même les ligueurs, dont
Henri III est en principe le chef, sont menaçants car les Guises sont là, qui
attendent leur heure en se cachant derrière un catholicisme intransigeant dont ni
Henri ni Catherine ne veulent.

Catherine de Médicis doit intervenir dans le Sud


(août 1578-novembre 1579)

Dans cette conjoncture de discorde générale, les sentiments religieux


s’exaspèrent. La minorité protestante, très influente, mécontente du dernier édit
de Poitiers qui lui a ôté beaucoup d’avantages, recommence à s’agiter dans son
bastion du Midi. Pour éviter de nouveaux affrontements, Catherine, fidèle à ses
principes, veut négocier avec les opposants. Comme ceux-ci ne veulent pas
entreprendre de nouveaux pourparlers, la reine mère est contrainte de se déplacer
pour aller les rencontrer et les dissuader de se laisser aller au pire. A près de
soixante ans, elle reprend la croisade pacifique qu’elle avait déjà entreprise
quelque vingt ans plus tôt en compagnie de Charles IX. Elle se rend d’abord en
Guyenne, dont son gendre Henri de Navarre est gouverneur, discute âprement
avec lui et finit par le convaincre de reprendre auprès de lui sa fille Marguerite,
peu encline à vivre avec son mari. De guerre lasse, les époux finissent par se
rendre aux arguments de Catherine et acceptent de mener vie commune à Nérac.
A l’occasion, on signe dans ce lieu un traité le 28 février 1579 : la confirmation
de l’union d’un protestant avec une catholique est prometteuse de pacification
pour l’avenir. Pour la garantir, si le nouveau traité maintient pour l’essentiel les
dispositions arrêtées à Poitiers, il accorde aux huguenots un plus grand nombre
de places de sûreté – quatorze – en Guyenne et en Languedoc, mais pour six
mois seulement. Quelques concessions importantes mais pas d’abandons, qui
auraient été trop risqués.
Après ce compromis prometteur, Catherine juge indispensable de se rendre
en Languedoc, en Provence et en Dauphiné gagnés par des troubles entre
papistes et calvinistes. Elle obtient partout les trêves souhaitées. Si aucun
problème de fond n’est réglé, des guerres sont évitées grâce à elle, à un moment
où la monarchie, mal affirmée, cherche encore des appuis et des ressources
financières. Et puis, son voyage en Provence lui permet – comble de joie – de
rencontrer à Salon-de-Provence Nostradamus dont les prophéties, bien
qu’équivoques, la rassurent.
Cette nouvelle expédition dure quinze mois. Quinze mois pendant lesquels la
reine mère, négligeant son âge avancé et les maladies qui vont avec,
rhumatismes et sciatique, se fait conduire en litière quand elle souffre trop mais
chevauche sur un mulet quand elle se sent un peu mieux. La misère physique ne
compte pas ; l’essentiel est d’apaiser les tensions et d’acheminer les esprits sur la
voie de l’entente. Pour cela rien n’est trop pénible : malgré son état, elle accepte
de passer des nuits dans des gîtes de fortune, voire sous une tente. L’esprit tendu
vers de nobles objectifs, la reine mère se soucie peu de son confort et de sa santé.

La septième guerre civile


(novembre 1579-novembre 1580)

L’habileté de Catherine a conduit à de fructueuses négociations. Mais ces


dernières, compte tenu du désaccord profond qui existe entre les deux religions,
désaccord qui ne fait que s’exacerber avec le temps, ne peuvent qu’être des
acceptations momentanées et sans grands lendemains. On en a la preuve
manifeste peu après la fin du long voyage de Catherine. Dès le mois de
novembre 1579, les huguenots se soulèvent de nouveau sous la conduite d’Henri
de Navarre et d’Henri de Condé. Cette septième guerre n’apporte pas de réelle
satisfaction militaire aux révoltés : les combats sont incertains dans le
Languedoc ; ils aboutissent à des échecs en Guyenne et Dauphiné, pays hier
« pacifiés » par la reine mère. Un seul succès probant pour eux : le siège et la
prise de Cahors par Navarre à la fin de mai et au début de juin 1580.
Comme la mission salvatrice de Catherine a finalement échoué, c’est
François d’Anjou qui traite au nom du roi. Un dispositif est signé à Fleix le
26 novembre 1580. Pour l’essentiel, il reprend les dispositions du traité de Nérac
mais accorde des avantages supplémentaires aux protestants : les places de
sûreté qu’on leur a déjà cédées leur sont accordées, non plus pour six mois mais
pour six ans. Cette concession ne les contente pas mais amplifie encore la
défiance des catholiques intransigeants, qui voient là un renforcement du parti
des hérétiques, préjudiciable à leur foi et à leurs intérêts.

Les rapports d’Henri III et de Catherine de Médicis


dans l’exercice du pouvoir
Pendant toute cette période troublée, la gestion des affaires de l’Etat connaît
des changements. La reine mère, qui s’était réellement imposée pendant le règne
de Charles IX, voit sa puissance amoindrie par son fils chéri Henri III, très
jaloux de son autorité et de ses prérogatives. Elle continue cependant à jouer un
rôle important dans le gouvernement du royaume, plutôt comme conseillère que
comme gouvernante du pays.

Difficultés secondaires sur la politique internationale


et familiale

Elle est contrariée par le mariage d’Henri, contraire à ses vues. Dans des
temps de guerre civile, elle aurait voulu pour lui une alliance matrimoniale qui
aurait renforcé la position délicate de la famille royale en France. Or, sans tenir
compte de ses avis, le souverain s’est laissé dominer par ses sentiments. Après
son sacre à Reims, le 13 février 1575, il épouse le 15 Louise de Lorraine, une
cousine des Guises qui l’avait charmé avant son départ en Pologne. Or la
nouvelle reine, sans royaume ni fortune, ne peut être d’aucune utilité pour la
défense de la cause de son époux. Catherine cache son mécontentement mais elle
est furieuse.
Cette première désillusion est suivie d’une autre peu après. Toujours à la
recherche d’appuis internationaux, Catherine souhaite unir François d’Anjou à la
reine Elisabeth d’Angleterre. Ce serait pour elle l’occasion de calmer l’agitation
protestante par un mariage mixte sur le plan religieux, une sorte de retour aux
sources depuis le temps où, en 1570, elle avait tenté – en vain – de mettre Henri,
alors seulement frère du roi Charles IX, dans les bras de l’Anglaise. De son côté,
Elisabeth est favorable au projet car le rapprochement avec la famille de France
lui permettrait de mieux contrer une Espagne décidément trop prépondérante en
Europe. Sur les conseils de sa mère, François d’Anjou se rend outre-Manche en
1579 et 1581. Même s’il n’est pas séduit par une femme qui est de vingt et un
ans son aînée – il a vingt-cinq ans quand il rencontre la prétendante, âgée elle, de
quarante-six ans –, il accepte la transaction, source pour lui d’honneurs et de
fortune. La souveraine affecte de son côté d’être profondément éprise, n’hésite
pas à annoncer son prochain mariage avec le duc d’Anjou et organise déjà de
grandes réjouissances. Mais Henri III intervient personnellement : il ne veut pas
de l’alliance anglaise, pas plus hier qu’aujourd’hui. Catherine de Médicis, dont
les plans s’effondrent, se sent de nouveau écartée des affaires politiques qui
concernent pourtant sa descendance directe.
Catherine de Médicis doit compter avec des rivaux
au gouvernement

Depuis son avènement, Henri est entouré de collaborateurs qui forment son
état-major habituel, les mignons, c’est-à-dire les favoris du roi. Celui-ci les a
choisis pour leur compétence, leur dévouement à sa personne et à sa cause, leur
haine des grands seigneurs qui, depuis une quinzaine d’années, mettent le
royaume à feu et à sang. Il y a près de lui notamment François d’O, Jean-Louis
de La Vallette, le comte de Quélus, Anne d’Arques… Ces gentilshommes jouent
auprès du monarque le rôle que Catherine détenait auparavant. A contrecœur, la
reine mère doit accepter de jouer les seconds rôles.
Surtout quand, en 1581, deux archimignons, dépassant tous les autres,
reçoivent toute la confiance du roi : ce sont Anne d’Arques, fait cette année-là
duc de Joyeuse et La Valette, promu duc d’Epernon. On a attribué l’influence de
ces deux-là, comme du reste celle de tous les mignons, à leur homosexualité. Sur
ce point, rien ne peut être prouvé. Leur toilette régulière, leur raffinement
vestimentaire, leurs parfums, leurs bijoux et leurs boucles d’oreille ont contribué
à accréditer cette version. Mais le souverain tenait beaucoup à ce que ses favoris,
de modeste noblesse, se distinguent physiquement des autres courtisans de haute
naissance. Lui-même exigeait des apparences luxueuses pour souligner la qualité
et l’éminence de ses collaborateurs et mieux manifester sa propre puissance.
Catherine, pour continuer à exister politiquement, doit s’entendre avec les
archimignons et les mignons. Par contre, les grands seigneurs ne les supportent
pas car ils détiennent auprès du monarque leurs pouvoirs perdus.

Conceptions différentes du métier de roi

La reine mère, toujours influente auprès de son fils malgré tout, a des
différends avec lui sur la pratique du métier de roi. Elle regrette qu’il soit
absorbé par des préoccupations culturelles et religieuses qui le détournent des
affaires publiques. Henri III, très intelligent et cultivé, s’intéresse un peu trop à
son goût au monde des lettres et des arts. Il s’entoure de savants et d’érudits
comme Jean Bodin, l’auteur de De la République, ou Michel de Montaigne, qui
lui offre en 1580 un exemplaire des Essais. Le roi s’adonne aux plaisirs
intellectuels des discussions philosophiques et de la lecture au point d’en oublier
parfois les priorités gouvernementales.
Henri, s’inspirant de l’Académie de poésie et de musique fondée par sa
mère, patronne aussi, de 1576 à 1579, une nouvelle institution, l’Académie du
Palais, qui réunit les esprits les plus brillants dans tous les domaines du savoir et
de la pensée, des médecins, des peintres, des poètes comme Pierre de Ronsard ou
Jean-Antoine de Baïf.
Henri est aussi de plus en plus absorbé par la religion catholique, étroitement
mêlée à cette époque à la politique. Pour veiller au rayonnement du
christianisme, pour se concilier les grands seigneurs irrités par les mignons et les
rassembler dans une même foi en Dieu et en sa personne, il crée le 31 décembre
1578 l’ordre du Saint-Esprit. Les plus hauts dignitaires, dont bientôt les Guises,
participent à cette fondation.
Catherine de Médicis ne voit pas cela d’un bon œil : elle se sent de moins en
moins indispensable à un fils qui s’éloigne selon elle de son vrai rôle. Et c’est
bien la vérité. A partir de 1581-1582, le gouvernement du royaume devient
secondaire pour Henri III. Sa passion, son obsession à présent : la religion. Parce
qu’il n’a toujours pas d’héritier direct et que seul le Ciel pourra lui en offrir un ;
parce que la France en guerre a besoin d’un sauveur pour retrouver la paix ;
parce que tous les désordres du royaume viennent des péchés commis par ses
sujets et par lui-même qui a reçu mission, par les serments et les onctions divines
du sacre de sauver son peuple et de le mener vers le salut. Il faut avant tout, en
ces temps de malheur, apaiser la colère du Tout-Puissant. Alors l’ordre régnera
de nouveau en France.
La dévotion du roi devient semblable à celle d’un moine. Sa piété devient
exemplaire et souvent démonstrative. Non seulement il prie et se mortifie, mais
il effectue de nombreuses retraites dans les monastères, participe à des
pèlerinages et à des processions de confréries de pénitents. Celle du 25 mars
1583 est restée célèbre. Ce jour-là, le souverain et les grands seigneurs
parcourent les rues de Paris vêtus de sacs en toile blanche et de cagoules avec un
fouet à la ceinture devant un public médusé. La reine mère, elle, craint des
lendemains douloureux et tente de raisonner son fils pour qu’il revienne au
pouvoir et lui redonne toute sa confiance.

Goûts communs et entente de fond

Malgré certaines divergences de vues entre Henri III et sa mère, en dépit


aussi de l’influence des mignons, Catherine continue à jouer un rôle important
auprès de celui-ci car elle, et elle seule, a une longue expérience des affaires,
indispensable à une conduite éclairée du pays.
Comme son fils, elle a un goût marqué pour les fastes de la Cour. Par
penchant naturel sans doute, mais surtout pour affirmer la grandeur et la majesté
royales au milieu de la tourmente. En accord avec Henri, elle organise des fêtes
somptueuses, des bals prestigieux, des comédies et des concerts qui laissent les
courtisans admiratifs. Leur plus grande réussite est Le Ballet comique de la
Reine, donné en octobre 1581. Malgré les cinq heures de spectacle, environ dix
mille personnes, issues de la noblesse aussi bien que du peuple, se pressent dans
la salle de représentation et devant les portes ouvertes de celle-ci.
La famille royale se plaît aussi à vivre dans le majestueux logis du Louvre,
qu’Henri II avait commencé à faire édifier et dont elle poursuit la construction
jusqu’en 1574. Mais cela ne suffit pas à sa gloire. Avec l’accord de ses enfants,
Charles IX puis Henri III, Catherine décide le début des travaux d’une autre
riche demeure, les Tuileries, à proximité du Louvre. Eprise d’art et de grandeur,
elle engage aussi des travaux aux châteaux de Saint-Maur et de Chenonceau et
fait appel aux meilleurs artistes. Le roi trouve tout cela fort bon : la monarchie
s’illustre dans le temps présent comme dans l’avenir.
La richesse esthétique, source de respect et d’admiration, n’est pas la seule
préoccupation de la famille royale. Dans le domaine de la politique
internationale, Catherine et Henri s’accordent souvent parfaitement.
On se souvient de l’agitation des Pays-Bas contre la domination des
Espagnols de Philippe II. La situation évolue bientôt au détriment du roi
d’Espagne. En novembre 1576, les dix provinces catholiques du Sud et les sept
provinces protestantes du Nord s’accordent contre lui malgré leur différend
religieux. Comme il faut un chef aux révoltés, que le duc François d’Anjou a une
réputation de tolérance, on négocie avec lui. Le frère cadet du roi, toujours aussi
ambitieux, accepte la proposition en 1577 sans en référer au souverain et se
décide à intervenir militairement l’année suivante. Henri III est furieux de cette
initiative car il craint que l’intervention française aux Pays-Bas n’engendre la
guerre avec Philippe II, à un moment où le royaume de France est très affaibli.
Mais Catherine de Médicis lui suggère de laisser faire le duc d’Anjou : tant qu’il
sera occupé dans le nord de l’Europe, ce trublion ne contribuera pas à
déstabiliser les gouvernants français. D’un commun accord, son départ est
accepté avec soulagement.
Mais les Espagnols réussissent à faire rentrer dans le rang les pays
catholiques. Seules les sept provinces calvinistes relevant de l’« Union
d’Utrecht » résistent encore et proposent à François d’Anjou de devenir prince
des Pays-Bas, ce qu’il accepte en septembre 1580. L’offre faite au frère du roi
n’est pas due qu’à sa bienveillance en matière de religion. Ce qu’espèrent les
protestants du Nord, c’est faire intervenir la France et l’Angleterre contre
Philippe II, ce qui constituerait pour eux une garantie d’indépendance durable.
Catherine et Henri, mis devant le fait accompli, ne peuvent qu’approuver la
décision du duc d’Anjou… mais prennent soin de manifester leur sympathie au
roi d’Espagne. S’ils avaient malgré tout des craintes pour l’avenir, celles-ci sont
vite dissipées. François, autoritaire et cassant, se rend rapidement impopulaire
aux habitants du pays dont il est devenu le prince le temps d’un rêve : au pouvoir
en 1582, il en est chassé par ses sujets en janvier 1583, laissant la place libre aux
Espagnols. La clairvoyance et l’habileté de Catherine ont ramené le calme en
France et dans la famille régnante.
Pour le gouvernement, il y a une organisation des responsabilités qui s’étoffe
et se complexifie, tout en laissant la part belle à Catherine de Médicis. En 1578,
le Conseil du roi devient le Conseil d’Etat, qui comprend des sections
spécialisées pour le règlement des problèmes judiciaires et financiers. Mais les
résolutions importantes sont prises par le souverain au sein d’une petite
formation regroupant des personnalités compétentes et dévouées, le Conseil
étroit, ou des affaires. Deux hommes y jouent un rôle capital : le secrétaire d’Etat
Nicolas de Villeroy et Pomponne de Bellièvre, surintendant des Finances. Ce ne
sont pas des ennemis de la reine mère, puisque celle-ci a pris part à leur choix.
De plus, Henri III se rend tous les jours chez l’ancienne régente, après le
déjeuner et après le dîner, pour s’entretenir avec elle des principales décisions à
prendre.
Dans les moments difficiles, une sorte de partage informel du pouvoir
s’organise. A partir de 1582, Henri, de plus en plus absorbé par la piété et ses
dévotions, confie à sa mère le soin de résoudre les problèmes ordinaires du pays
avec les secrétaires d’Etat, dont Villeroy, tandis que les archimignons Joyeuse et
Epernon continuent, malgré une certaine aigreur de la part de Catherine, d’avoir
la haute main sur les décisions capitales.
Il arrive pourtant que le souverain laisse la direction du royaume à sa mère.
C’est le cas à partir du 10 juin 1584, date de la mort de son frère François
d’Anjou. Le roi, peiné par ce décès, terrorisé par le châtiment que Dieu inflige à
sa famille, se laisse absorber entièrement par ses multiples oraisons. Il demande
alors à Catherine de reprendre en main le pouvoir. Elle redevient pour quelque
temps la gouvernante de la France, au grand désespoir de Joyeuse et Epernon,
hier prépondérants, aujourd’hui collaborateurs très influents mais obligés de la
nouvelle souveraine.

Vaincre ou périr (1584-1589)

D’un accident dynastique à l’exaspération de la Ligue (juin 1584-


juillet 1585)

Malgré son renouveau de puissance, Catherine est elle aussi plongée, en


dépit de sa force de caractère, dans une profonde angoisse. Non pas parce que la
disparition de François représente pour elle une perte douloureuse mais parce
que celui-ci est le dernier héritier des Valois. Faute d’autres enfants mâles dans
la famille régnante, c’est lui, le dernier-né, qui aurait dû succéder à son frère
Henri III après les morts prématurées de ses aînés François II et Charles IX. Le
roi est certes bien vivant mais la perspective de son trépas dans un avenir plus ou
moins lointain, la réalité consternante du décès de François, emporté comme
Charles IX par la tuberculose, aboutissent à un constat terrible : aucun des
descendants d’Henri II et de Catherine de Médicis n’ayant de postérité mâle, la
Couronne devra revenir au plus proche héritier du trône, Henri de Navarre. Or
celui-ci, depuis son adhésion forcée au catholicisme lors de la Saint-Barthélemy,
est relaps puisqu’il est revenu à sa foi initiale. Un hérétique sur le trône de
France ! Il a beau descendre de Saint Louis, être l’héritier légitime de la
Couronne, l’idée de son arrivée au pouvoir est inadmissible pour les catholiques
car ce serait pour eux la fin de la vraie religion, la porte ouverte à l’hétérodoxie
dans tout le pays et l’angoisse d’un Paradis désormais inaccessible. Pour calmer
les esprits et éviter une nouvelle guerre civile encore plus effroyable que les
autres, Henri et Catherine s’interposent : ils favoriseront l’avènement d’Henri de
Navarre si celui-ci, conscient des problèmes à venir, accepte d’abjurer comme en
1572 le calvinisme et de revenir une nouvelle fois au catholicisme. Si Navarre
accepte ces propositions, tout rentrera dans l’ordre : il sera un souverain
doublement légitime puisque l’ordre de succession et la tradition religieuse, qui
fait l’objet d’un serment lors du sacre, seront respectés.
Mais le Béarnais passe outre à ces recommandations. Protestant il est,
protestant il restera. Alors le parti catholique réagit comme il l’avait déjà fait
après l’édit de Beaulieu de 1576, trop favorable à leurs ennemis. Le duc Henri de
Guise crée une ligue nobiliaire dès septembre 1584. Il fait établir qu’à la mort
d’Henri III prendra sa place à la tête de l’Etat le cardinal Charles de Bourbon,
frère cadet d’Antoine de Bourbon, père d’Henri de Navarre, et donc oncle de ce
dernier. La disposition ne manque pas d’habileté : à défaut de respecter la
tradition successorale, elle installerait sur le trône le dernier prince du sang
catholique, de surcroît sexagénaire. Il ne vivrait sans doute plus bien longtemps
et Henri de Guise pourrait profiter de ce répit pour faire lui aussi valoir ses droits
à la monarchie…
Pour asseoir sa puissance, Guise s’allie avec la puissante Espagne de
Philippe II au terme de négociations secrètes, le 31 décembre 1584. Une
redoutable « Sainte Ligue » est ainsi formée, qui pourra dicter ses conditions le
moment venu et obliger dans l’immédiat Henri III à faire respecter le
catholicisme.
Le mouvement de contestation ne concerne pas que les rois et les princes. Le
peuple est aussi concerné, particulièrement celui de Paris, véritable bastion de
l’orthodoxie. En novembre-décembre 1584, une forte ligue parisienne est
constituée, animée par le conseil des Seize, composé d’un délégué de chacun des
seize quartiers de la capitale et dirigé par un comité restreint. Elle se donne le
nom de « Sainte Union » et s’allie à la ligue des Guises. Les « guerriers de
Dieu », radicaux dans leur foi, le sont aussi dans leur détermination et leur
organisation.
Ils constituent bientôt une menace pour Henri III, jugé trop tiède dans ses
prises de position : le 30 mars 1585, les ligueurs promulguent une déclaration
signée du cardinal de Bourbon dans laquelle ils demandent la suppression de
tous les impôts créés depuis Charles IX, la réduction significative des pouvoirs
exercés par les mignons du souverain et la réunion d’Etats généraux tous les
trois ans pour définir les grands axes de la politique à suivre. Il est proclamé
aussi qu’à l’arrivée du cardinal à la royauté, l’unité de croyance religieuse sera
rétablie au seul profit de la vraie religion.
Le duc de Guise ne se contente pas de programmes. Il se donne les moyens
de les réaliser. Il lève des troupes de mercenaires en Allemagne et en Suisse. Fort
de son alliance avec Philippe II, de ses soutiens parisiens et de sa puissance
militaire, il s’apprête à intervenir par les armes.
Catherine de Médicis, qui résidait loin de la Cour dans ses demeures de
Blois et de Chenonceau, n’a évidemment pas été tenue au courant des tractations
avec l’Espagne et ignorait la gravité de la situation. Informée, ne serait-ce que
par les pamphlets qu’on distribue généreusement contre elle, elle s’alarme et
réagit. Soucieuse d’empêcher un conflit qui risque d’être fatal au dernier Valois,
elle veut, comme toujours, négocier. Cette constante, durant tout son règne, de
tenter de ramener la concorde par des négociations pose maintenant problème.
Jamais elle n’a eu affaire à une si forte coalition, si homogène et décidée.
L’heure n’est plus aux pourparlers, qui d’ailleurs, par le passé, ont toujours
débouché sur des trêves équivoques ne satisfaisant aucun des partis en présence,
ramenant tôt ou tard un début d’hostilités. Mais dans la conjoncture présente
d’une guerre civile qui prend l’allure d’une libération nationale, face au péril
militaire qui menace un royaume sans grande défense, que pourrait-elle faire
d’autre que de composer encore ?
Bien que malade, elle se fait transporter à Epernay, et demande à rencontrer
le duc de Guise. Celui-ci consent à la voir le 30 avril. A l’issue d’entretiens
musclés, elle parvient à obtenir du chef de la Ligue que la guerre soit retardée
d’une quinzaine de jours. C’est peu mais comme elle espère davantage, elle
promet de faire prendre un édit obligeant les huguenots à se convertir au
catholicisme ou à quitter le royaume. Refusant la main tendue, soucieux de
réaliser son plan de domination du pays, Guise lance le 10 juin un ultimatum à
Henri III : le roi devra faire la guerre aux protestants avec lui, dans l’intérêt
général.
Catherine, dépitée, dépourvue d’armée et d’argent, ne peut cette fois que
reconnaître son échec et capituler. Le 7 juillet, elle doit signer au nom du roi le
traité de Nemours avec Guise et le cardinal de Bourbon, traité dont les
conditions doivent aboutir à la fin du protestantisme en France : le souverain
prendra un édit perpétuel, c’est-à-dire, à l’inverse des précédents, définitif ; il y
sera établi que Navarre ne sera jamais roi de France, que les réformés n’auront
plus aucune ville de sûreté, à l’inverse des chefs de la Ligue. Pour éradiquer
l’hérésie, les libertés de conscience et de culte seront supprimées ; les protestants
devront se convertir sous six mois ou s’exiler ; ceux qui renonceraient à l’une ou
à l’autre possibilité seraient poursuivis et condamnés.
Catherine et son fils sont pieds et poings liés. Sans capacité de résistance, ils
devront se soumettre aux prescriptions d’Henri de Guise. En clair, subir sa loi.

Un rapport de force incertain


(juillet 1585-novembre 1587)

… Surtout que le parlement de Paris enregistre l’édit annoncé par le traité de


Nemours contre les huguenots dès le 18 juillet. S’il n’y a plus officiellement de
culte réformé en France, la reine mère sait bien que les calvinistes ne pourront le
supporter et se rebelleront une nouvelle fois dans des conditions difficiles pour
elle puisque la loi nouvelle est en principe irrévocable et ne tient aucun compte
de la situation religieuse du royaume. Il lui sera donc théoriquement impossible
de trouver l’un de ces compromis dont elle a le secret. D’autant que pour
parachever l’œuvre de la Ligue, le pape Sixte Quint, qui a succédé à
Grégoire XIII en avril, déclare par bulle qu’Henri de Navarre est déchu de ses
droits à la couronne de France comme « hérétique et relaps ». Le souverain
pontife empêche toute transaction avec Navarre et justifie indirectement les
prétentions du cardinal de Bourbon et donc de Guise.
Dans ces conditions, Catherine ne peut résister. Elle est contrainte d’unir les
troupes royales à l’armée des ligueurs pour lutter contre le protestantisme. Si elle
et le roi sont dans une mauvaise passe, les huguenots français ont alerté leurs
coreligionnaires européens pour éviter un écrasement militaire de leur parti qui
leur serait fatal. S’ils n’ont pas réussi à obtenir le soutien des révoltés des Pays-
Bas toujours aux prises avec les Espagnols, ils sont quand même parvenus à des
résultats satisfaisants : Elisabeth d’Angleterre a promis de leur envoyer dix
mille reîtres allemands et vingt mille suisses, soit un secours plein de promesses.
De plus, le catholique rebelle Henri de Montmorency, gouverneur du Languedoc,
accepte de s’engager à fond sur le champ de bataille aux côtés de Navarre.
La « guerre des trois Henri », opposant Henri III, Henri de Guise et Henri de
Navarre est une huitième guerre civile. Commencée en décembre 1585, elle
n’apporte aucun succès probant : dans le Midi français Charles de Lorraine, duc
de Mayenne et frère du chef de la Ligue, ne parvient pas à venir à bout des
forces du Béarnais, qui lui opposent une résistance efficace. Poussé par le duc de
Guise, Henri III se voit obligé d’annoncer à l’été 1586 des expéditions en
Saintonge, Languedoc et Provence.
Catherine se met en devoir de rencontrer Navarre, ce qu’elle fait au château
de Saint-Brice en Saintonge au mois de décembre. Son but, toujours le même en
pareil cas, est simple mais difficile à réaliser : unir par le mariage le chef
protestant à sa famille catholique pour renouer le dialogue par des alliances
matrimoniales. Comme Henri ne s’entend toujours pas avec la volage Marguerite
de Valois, elle lui propose de la quitter et de se remarier avec l’une de ses
petites-filles, Christine de Lorraine. Mais Marguerite, que son époux avait fait
enfermer au château d’Usson, s’en était évadée et avait repris sa vie de femme
libre ; il n’était donc pas possible de s’entendre avec elle. Les pourparlers ne
débouchant sur aucune entente, on clôt les débats en mars 1587 sur un constat
d’échec. Ce sera donc la guerre. Le 20 octobre, Navarre l’emporte à Coutras sur
les troupes d’Anne de Joyeuse, l’un des deux archimignons, qui est tué dans la
bataille. C’est un signe prometteur pour lui car c’est la première fois que les
forces protestantes s’imposent face aux catholiques dans une bataille rangée.
Mais le 26 du même mois, Guise est vainqueur à Vimory, situé à l’est de
Blois, en battant les Suisses envoyés par Elisabeth d’Angleterre. Moins d’un
mois plus tard, le 24 novembre, il triomphe des autres envoyés de la reine, les
reîtres allemands, à Auneau, près de Chartres.
Ces succès font oublier l’échec de Coutras. Le duc Henri de Guise,
doublement victorieux des forces les plus redoutées, devient le grand homme du
moment, tout auréolé de gloire.

Le triomphe d’Henri de Guise (1588)

Celui-ci et son parti profitent de leur situation dominante pour discréditer le


roi. Des pamphlets généreusement distribués, des sermons enflammés de
prédicateurs ligueurs diminuent encore davantage la notoriété d’un Henri III
accueilli par des cris hostiles à son retour à Paris en décembre 1587. Désorienté,
le souverain se désintéresse de plus en plus des affaires de l’Etat, dirigé
aujourd’hui plus que jamais par Catherine de Médicis avec l’aide des secrétaires
d’Etat. Un seul homme résiste encore à la reine mère après la mort de Joyeuse :
Epernon, qui, prétextant la défense du monarque, se plaît dès qu’il le peut à
contrer ses décisions avec la complicité des mignons.
Ses victoires accroissent les prétentions de Guise. Sachant le roi malade,
constatant la stérilité du couple royal, misant sur la mort prochaine du cardinal
de Bourbon, il affiche clairement son ambition de s’emparer de la couronne de
France. D’ailleurs la conjoncture internationale lui est favorable : Philippe II
s’apprête à soumettre l’Angleterre de la reine Elisabeth en lançant contre elle
une « Armada » espagnole réputée invincible. La situation économique et sociale
contribue aussi à l’aider : les finances publiques sont au plus bas ; la montée des
impôts exacerbe la colère populaire à une époque où, à la suite d’intempéries et
d’exactions répétées des gens de guerre sur les populations et les récoltes, la
misère et la détresse des gens des villes et des campagnes ne cessent de croître.
L’exaspération des ligueurs et même des modérés doit lui permettre de réaliser
ses ambitions.
Empli d’espoir pour lui-même, Guise, malgré l’interdiction formelle
d’Henri III, entre à Paris, tout acquis à sa cause, le 9 mai 1588. Pour parer un
coup de force de sa part, le roi appelle des troupes dans la capitale. Le 12, elles
sont accueillies avec violence par les Parisiens qui les repoussent et les chassent
lors de la « journée des Barricades », la première de ce genre en France. Au
point que, prisonnier au Louvre et craignant pour sa vie, Henri doit s’enfuir à
Chartres. Il ne maîtrise plus rien et ne peut même plus compter sur le secours de
sa mère, placée sous étroite surveillance à la Cour.
Le duc de Guise en profite pour accroître sa pression sur le souverain. Le
15 juillet, il lui fait signer à Rouen un édit d’union, par lequel le monarque
renouvelle sa détermination à combattre le protestantisme jusqu’à la victoire
totale du catholicisme. En fait, cette nouvelle loi place Henri sous la tutelle du
duc, dont il est contraint d’épouser la cause sans pouvoir se rapprocher d’Henri
de Navarre. Il doit même renvoyer son favori Epernon qui l’avait tant soutenu
jusque-là et proclamer Henri de Guise lieutenant général du royaume. C’est une
consécration officielle pour le duc qui, promu à la tête des armées royales,
devient en fait le second personnage du royaume.
Se sentant perdu, le roi réagit : ce même 15 juillet, il décide de réunir les
états généraux à Blois. Il espère bénéficier du secours des députés, tant sur le
plan politique que financier, le gouffre de la dette publique l’empêchant d’agir, et
notamment de lever des mercenaires. Une bonne nouvelle lui parvient cependant
à la fin du mois d’août : l’« Invincible Armada » espagnole a été défaite par les
Anglais. Philippe II ne viendra pas de sitôt secourir son allié le duc de Guise.
Arrivé à Blois, il décide de prendre le gouvernement en main et de chasser
les partisans d’une entente avec les ligueurs ou les huguenots. Le 8 septembre,
soucieux de s’imposer comme roi à tous, il congédie tous les anciens dirigeants :
le chancelier Cheverny, le surintendant des finances Bellièvre, ainsi que les
secrétaires d’Etat Villeroy, Pinart et Brulart, qui avaient tous été de précieux
collaborateurs de Catherine de Médicis. Après quelque trente années de pouvoir,
la reine mère quitte le devant de la scène. Avec sa disparition politique, l’espoir
d’un compromis s’évanouit. Désormais, de par la volonté du roi dominé par son
ennemi, ce sera une lutte sans merci entre deux hommes que tout oppose. Place
est laissée à l’affrontement et à la violence.
L’ouverture des états généraux à Blois a lieu le 16 octobre. Bien circonvenue
par Guise, la grande majorité des représentants du clergé et du tiers état est pour
la Ligue, les premiers parce qu’ils sont de farouches adversaires d’une hérésie
qui n’en finit pas, les seconds parce que, en des temps difficiles, ils ne veulent
pas, par de nouveaux impôts roturiers, combler le déficit de l’Etat alors que le
populaire duc leur promet des lendemains enchanteurs. Quant à la noblesse, plus
divisée sur le parti à prendre, elle finit par se rallier aux deux autres ordres pour
retrouver son éclat perdu. Ainsi la solution salvatrice préconisée par le roi se
retourne-t-elle contre lui. Les Etats, qui devaient le sauver, sont à présent maîtres
de sa destinée contre ses volontés. On le voit clairement quand, le 18 octobre, les
trois ordres unanimes exigent d’Henri III qu’il fasse le serment, devant eux et
tous les hauts dignitaires du royaume, d’observer scrupuleusement et à jamais
l’édit d’union qui prend alors qualité de loi fondamentale du royaume. Catherine
de Médicis, qui n’a pourtant plus officiellement de responsabilités, a conseillé à
son fils de se livrer à cette suprême humiliation pour ne pas mécontenter le parti
ligueur triomphant et gagner du temps dans l’attente de jours meilleurs. Il
n’empêche : les trois ordres ont obligé le roi à s’engager pour toujours sur un
projet qu’il désapprouve secrètement et, surtout, ils l’ont contraint à faire entrer
dans les fondations légales du royaume un édit irréversible pour l’avenir de la
monarchie. Pour la première fois en France, les Etats généraux ont joué le rôle
d’assemblée constituante. Le duc de Guise triomphe.

La triste fin d’un héros

… Et le roi est fou de rage. Ainsi diminué, il ne peut plus exercer vraiment
ses responsabilités. Une solution s’impose à lui : éliminer son rival pour se
préserver personnellement de tout malheur et abattre la Ligue qui le nargue et
l’humilie.
Dans le plus grand secret, Henri III réunit autour de lui quelques conseillers
les 18 et 19 décembre 1588. Décision est prise d’assassiner le duc et son frère le
cardinal Louis de Lorraine, meneurs de l’opposition radicale. Pour plus de
sûreté, les exécutions seront le fait de la garde personnelle du souverain, les
Quarante-Cinq, dont le responsable, Honorat de Montpezat, conduira les
opérations.
La rumeur d’un complot arrive jusqu’à Henri de Guise. Mais celui-ci, sûr de
son fait, croyant avoir partie gagnée, n’en tient aucun compte. Aussi est-ce sans
souci qu’il se rend à la réunion du Conseil, le 23 décembre vers 8 heures du
matin, réunion à laquelle Henri III l’a convoqué la veille. Dans les appartements
royaux du château de Blois, Montpezat met le dispositif nécessaire en place : lui-
même reste dans la chambre du roi avec huit hommes, d’autres sont mis, tout
près de là, dans le cabinet vieux, tandis qu’un groupe armé défend l’accès à
l’étage. En entrant dans la chambre, le duc voit des gardes du corps, ne se méfie
pas immédiatement puis comprend soudain le piège qui lui est tendu. C’est alors
la curée : au terme d’une vigoureuse résistance, Guise, blessé à mort, gît sur le
sol. Le lendemain, 24 décembre, son frère cadet, le cardinal, est exécuté à son
tour.
Henri III n’en reste pas là : en pleine séance des états généraux, il fait arrêter
le comte de Brissac, président de la noblesse avec sept autres délégués ligueurs
du Tiers. Satisfait de son « coup de majesté », le roi ordonne la clôture et le
renvoi des Etats les 15 et 16 janvier 1589.

La volonté pacificatrice de Catherine jusqu’à la mort (décembre


1588-janvier 1589)

En France l’indignation est à son comble : Henri III a fait tuer un duc vénéré,
et, qui plus est, un cardinal ! Les catholiques intransigeants, au lieu de courber
l’échine comme prévu, s’apprêtent à se révolter contre un souverain indigne et
assassin.
Catherine de Médicis redoute le pire. Atteinte de congestion pulmonaire, non
consultée par son fils sur ses projets de meurtres, elle a appris l’élimination des
deux hommes de la bouche même d’Henri III, nouvelle qui l’a frappée de
stupeur. Connaissant la puissante organisation de la Ligue en dépit de la
disparition de ses deux meneurs, elle craint qu’on ne tue son fils et que le
royaume ne soit livré à la guerre et à l’anarchie. Dans l’espoir d’obtenir une
ultime conciliation, elle se rend malgré son état chez le vieux cardinal de
Bourbon, légitime héritier du trône pour les ligueurs, qu’Henri III a fait enfermer
au moment de la mise à mort des Guises. Mais le cardinal la reçoit avec froideur
et décline toute proposition de médiation. Désespérée, Catherine revient dans ses
appartements de Blois. Son état s’aggrave à tel point qu’elle veut faire son
testament. Comme elle a des difficultés à parler, c’est Henri III qui, connaissant
ses intentions, se charge de dicter ses dernières volontés. Mourante, elle reçoit
les derniers sacrements puis rend son âme à Dieu vers une heure et demie de
l’après-midi, le 5 janvier 1589.
Après embaumement de son corps, les obsèques de l’ancienne régente,
éloignée du gouvernement à la veille de sa mort par son fils préféré, sont
célébrées le 4 février dans l’église Saint-Sauveur de Blois. Renaud de Beaune,
archevêque de Bourges, prononce une oraison funèbre en forme de panégyrique,
dans laquelle il fait l’éloge des grands mérites de l’ancienne gouvernante du
royaume, défenseure déterminée de la religion catholique et du pouvoir royal.
Comme les autres reines de France, elle aurait dû être inhumée dans la
basilique Saint-Denis. Mais comme les ligueurs parisiens sont tournés contre le
« tyran » Henri III et sa famille, force est de l’ensevelir sur place. Quand les
guerres civiles se seront terminées et que le royaume aura retrouvé son calme
pour quelque temps, en 1610, la dépouille mortelle de Catherine de Médicis
pourra être transférée à sa vraie place dans la célèbre nécropole, près d’Henri II
qu’elle avait tant aimé, au point de lui donner – et Dieu sait au milieu de quels
tracas ! – trois fils rois.

Après l’exécution des Guises se crée spontanément un gouvernement
insurrectionnel dans la capitale. Peu après, le 7 janvier, la faculté de théologie de
Paris, dénonçant l’atteinte portée aux états généraux par le souverain et la
violation par celui-ci de l’édit d’Union auquel elle tenait tant, délie tous les
Français de l’obligation d’obéissance envers Henri III. On peut désormais
s’armer et lutter contre lui puisqu’il a trahi la cause catholique. Ces décisions ont
valeur de lois puisque le décret est enregistré par le parlement de Paris le
14 janvier.
On n’en reste pas là. Légitimant la thèse du tyrannicide, des théoriciens vont
jusqu’à affirmer que, désormais, le roi doit être élu par l’ensemble de la
population catholique pour rendre possible le règne de Dieu sur terre et dans
l’au-delà. Thèses « démocratiques » avant l’heure engendrées par la nécessité
d’empêcher la venue d’Henri de Navarre sur le trône de France.
Menacé, Henri III s’allie au chef des huguenots, qui est pour lui son
successeur légitime, le 3 avril. Le traité d’alliance est confirmé le 30, lorsque le
monarque rencontre Navarre au château de Plessis-lès-Tours. Cette union fait
scandale et renforce la colère et la détermination des ligueurs : il y a collusion
entre le roi de France et l’hérétique ! Exaspéré lui aussi, le souverain pontife
menace en mai Henri III d’excommunication.
Le monarque réagit par la force : avec son nouvel allié, il met le siège devant
Paris, disposant de trente mille hommes pour reconquérir sa capitale. Mais le
clan ligueur lui oppose une violence meurtrière : le 1er août, le moine jacobin
Jacques Clément le poignarde au ventre. Mortellement atteint, le dernier des fils
de Catherine de Médicis et dernier Valois régnant décède le lendemain, après
avoir désigné Henri de Navarre, du lignage des Bourbons, pour lui succéder.
Celui-ci prend le nom d’Henri IV.
Terribles guerres de religion ! Elles perdront de leur intensité seulement à
partir de 1593, quand le nouveau roi, abjurant le protestantisme, reviendra au
catholicisme et quand le pape l’aura absous deux ans plus tard, ce qui lui
permettra de mettre un terme à près de quarante ans d’âpres luttes intestines par
l’édit de Nantes en 1598.

Catherine de Médicis a tenté d’accomplir une mission difficile en pleines


guerres de religion, en des temps où les problèmes politiques sont étroitement
mêlés à des questions de foi. Si les rébellions peuvent être matées par la fermeté
et l’habileté, rien n’est plus compliqué que d’y mettre un terme quand elles sont
fondées sur des croyances religieuses solidement ancrées dans les têtes et dans
les cœurs des peuples.
Faute d’une solide formation théologique, la souveraine n’a pas bien
compris, surtout au début de son règne, les fondements dogmatiques de la
rivalité profonde des catholiques et des protestants. Quand elle a vraiment eu
conscience de leur opposition radicale, la rupture était déjà consommée entre les
deux communautés. Saisissant pleinement par la suite toute la complexité des
données, elle a cru bon – et avec raison – de recourir à des négociations et à des
compromis. Mais ce qui est réalisable dans le domaine des affaires publiques
l’est beaucoup plus difficilement sur le plan doctrinal au XVIe siècle. C’est
pourquoi les nombreux traités passés dans l’espoir d’une union ultérieure n’ont
jamais satisfait qu’un parti et indisposé l’autre, au point de déclencher sans cesse
de nouveaux conflits.
Catherine de Médicis a déployé toute son énergie à convaincre pour
rassembler, toujours à la recherche de la concorde religieuse. Mais elle a été
naturellement dépassée par l’ampleur de la tâche à réaliser qui, à son époque,
relevait de l’impossible.
La pacification des esprits n’a pu s’accomplir que près de dix ans après sa
mort. Parce que Henri IV a pu remporter les victoires nécessaires ; parce que,
surtout, catholiques et protestants n’aspiraient plus qu’à la paix après de longues
années de troubles de toutes sortes, notamment les exactions des gens de guerre
qui, dans des conditions climatiques hostiles, les laissaient dans le désarroi, la
misère et la mort ; parce que enfin l’incapacité de l’un des deux clans ennemis à
dominer l’autre sur le long terme a permis à Henri IV de racheter, parfois à prix
d’or, les consciences des chefs rivaux. Alors seulement, le roi a pu signer avec
succès la paix en 1598.
Catherine de Médicis a ouvert la voie au premier des Bourbons. Sur le fond,
l’édit de Nantes se situe dans la droite ligne de l’édit de janvier 1562 que la
rivalité radicale des deux partis l’a obligée à restreindre et renier par la suite.
Il reste que la reine mère a réussi – œuvre capitale – à éviter un embrasement
généralisé du royaume, la chute du roi et – tant qu’elle le put – de la dynastie,
qu’elle a fait échouer toutes les tentatives de subversion, ce qui a –
paradoxalement en cette période de grands troubles – contribué grandement à
renforcer le pouvoir royal et l’Etat.
IV
Marie de Médicis,
la reine dupée
(1573-1642)

Marie de Médicis assure la régence du royaume de France au début du


e
XVII siècle, quelque cinquante ans après sa lointaine cousine Catherine de
Médicis. Si les deux souveraines se ressemblent fort peu, elles sont placées
devant les mêmes difficultés : gouverner pendant la minorité du roi leur fils,
c’est-à-dire à un moment où l’autorité monarchique se rétracte et s’abaisse et où
les grands seigneurs, saisissant une opportunité providentielle pour eux, tentent
de reprendre les prérogatives perdues pendant le règne précédent, contraire à
leurs intérêts.
Après l’assassinat d’Henri III, son successeur Henri IV, protestant converti
au catholicisme par devoir d’Etat, a réussi à mettre un terme à près de quarante
ans de guerre de religion par l’édit de Nantes signé en 1598. Avec beaucoup
d’habileté, ménageant catholiques et calvinistes, les entraînant dans une unité
parfois contrainte, il est parvenu à ramener l’ordre et surtout à faire régner la
paix malgré d’inévitables difficultés. Aussi, après douze ans de pacification, les
Français connaissent-ils de nouveau les bienfaits d’une économie saine, d’une
vie sociale aussi harmonieuse qu’elle peut l’être. Mais quand, en 1610, le
poignard de Ravaillac met brutalement un terme à cette heureuse conjoncture,
l’angoissante question d’un avenir incertain se pose de nouveau : la reine Marie
de Médicis, l’épouse du roi défunt, saura-t-elle continuer son œuvre bénéfique
en guidant sur des chemins sûrs le petit Louis XIII ? Ne reviendra-t-elle pas
plutôt aux errements traditionnels ? La vraie réponse se trouve surtout en Marie
de Médicis : est-elle capable de diriger la France avec intelligence et fermeté ?

Dans une enfance endeuillée, une amitié

Lorsque la petite Marie voit le jour, le 26 avril 1573, sa ville natale,


Florence, est en joie car elle peut s’honorer d’avoir une nouvelle princesse au
destin sans doute prometteur. Si la cité continue à profiter des bienfaits
artistiques et économiques de la Renaissance, il n’en va pas de même pour la
nouvelle venue, qui connaît une enfance triste et désolée.
A cinq ans, elle perd sa mère chérie, l’archiduchesse Jeanne d’Autriche,
benjamine de l’empereur Ferdinand Ier, frère de Charles Quint. De cette
séparation cruelle, elle gardera ancré en elle un amour profond pour la disparue
et pour toute sa famille, les Habsbourg qui dominent l’Europe. Ainsi restera-t-
elle la digne fille de celle qui a guidé ses premiers pas.
Son père François Ier, grand-duc de Toscane, décide alors d’épouser sa
maîtresse, Bianca Capello, et, pour plus d’intimité, de quitter sa résidence du
palais Pitti pour aller vivre avec elle dans une demeure plus discrète. Marie ne
l’accompagne pas car, considérant cette nouvelle union comme une tromperie
envers sa mère, elle hait sa marâtre plus que tout.
Restée avec ses trois frère et sœurs, elle peut se consoler en menant une vie
de famille presque normale mais les joies de la petite enfance ne durent pas
longtemps. A dix ans, elle doit endurer le trépas de son frère chéri Philippe ; à
onze, celui de l’aînée de la famille, Anne. Elle ne peut pas profiter non plus de la
présence de sa dernière sœur car celle-ci part quelques mois plus tard se marier
avec le duc de Mantoue. Et, pour comble de malheur son père, qui a été si absent
pendant de trop longues années, vient lui aussi à mourir trois ans plus tard, en
1587.
A quatorze ans, elle est orpheline… mais pas seule. De son vivant, le grand-
duc a autorisé Marie à accepter la compagnie d’une jeune chambrière devenue
bientôt son amie et sa confidente, Leonora Galigaï, de cinq ans son aînée.
Comme celle-ci est de condition modeste, fille de charpentier ou de menuisier, sa
promotion à la cour grand-ducale peut surprendre. Moins si l’on pense que,
comme cela est fort probable, l’élue appartient à la famille de l’ancienne
nourrice de Marie. Les deux enfants se seraient connues toutes petites puis,
s’estimant, auraient décidé de ne plus se quitter. Leonora a de quoi s’attirer les
sympathies de Marie : bien que laide, elle est intelligente et fort gaie. De quoi
oublier des temps d’infortune… en attendant de rencontrer le premier amour, ou
plutôt le grand amour.
Au palais Pitti, la jeune duchesse fait la connaissance de Virginio Orsini,
dont elle s’éprend fortement. Les rumeurs les plus invraisemblables ont couru
sur les premiers émois de Marie et sur sa conduite envers son soupirant. Il est
peu probable que les sentiments aient dépassé le niveau platonique. D’une part
parce que la princesse avait été élevée dans des principes rigoureux de vertu et
de piété ; d’autre part parce que les enfants princiers étaient étroitement
surveillés pour pouvoir négocier plus tard un mariage flatteur pour leur famille.
Il faut penser à l’avenir de Marie. Elle est jeune encore, mais les mariages
des grands de ce monde se décident parfois dès leur petite enfance. A la mort de
son père, c’est son oncle qui devient grand-duc de Toscane. Ferdinand Ier de
Médicis est très attentionné envers sa nièce, qui retrouve parfois les moments
suaves d’un amour paternel trop rare et disparu. Ayant pleinement conscience
des obligations de sa charge, il veut entreprendre de trouver dès qu’il en aura la
possibilité un parti avantageux pour la Toscane, pour lui, pour sa nièce. Alors
peut-être cette dernière pourra-t-elle vivre pleinement… Quitter les fastes et les
splendeurs illusoires du palais Pitti, apparaître en pleine lumière à la faveur d’un
amour royal, tels sont d’ailleurs les désirs secrets de la jeune fille.

Marie, l’un des plus beaux partis du monde

La famille florentine régnante peut prétendre offrir un bel avenir à Marie.


N’est-elle pas à la tête d’une immense fortune qui fait d’elle la banquière des
têtes couronnées d’Europe, empereurs ou rois ? Les souverains les plus réputés
doivent en effet solliciter d’elle des prêts importants pour pouvoir renforcer leur
politique intérieure, étoffer leur puissance internationale. Sans l’or des Médicis,
les monarques les plus ambitieux sont condamnés à vivre dans la modestie ou
dans le reniement. Ferdinand n’aura pas de difficulté à trouver un prince
compréhensif qui jurera, contre argent sonnant, de faire le bonheur de Marie et
renforcera de façon prestigieuse par le sang l’importance des Médicis dans
quelque grande cour du continent.
D’autant que si la jeune fille ne descend pas d’un lignage nobiliaire ancien,
elle est issue depuis deux générations d’authentiques grands-ducs de Toscane.
Par son grand-père Cosme Ier, décédé en 1574, puis son père François Ier, disparu
récemment, elle relève officiellement du milieu des grands de ce monde. Quand
la qualité de la naissance s’unit à la puissance de la finance…

Marie de Médicis au plus offrant

Les candidats à la main de la Florentine se manifestent rapidement. Les


Espagnols se déclarent les premiers, en 1587 et 1589, mais leurs rêves
mirobolants de dot font reculer Ferdinand Ier. Puis, après l’éviction d’un prince
lorrain décidément trop prétentieux au regard de ses petites possibilités, c’est
Rodolphe II, l’empereur germanique, qui propose le mariage pour lui-même ou
pour son frère et héritier l’archiduc Mathias, sans donner davantage de
précisions. Tandis que Ferdinand hésite à se déterminer, Leonora Galigaï pousse
son amie et maîtresse Marie à refuser cette offre, considérée par elle comme peu
sérieuse : l’empereur a déjà présenté sa candidature quelque temps plus tôt mais
a refusé de révéler l’identité de l’heureux élu, la sienne ou celle de Mathias. En
vérité, il n’a aucune intention, ni lui ni son frère, de se rendre jusqu’à l’autel ; il
veut contrôler de près le choix du futur mari pour se ménager, à travers lui et son
épouse, d’excellentes relations durables avec le grand-duché. La jeune princesse,
qui a atteint ses dix-huit ans, invite son oncle à se tourner vers d’autres horizons.
Il y a bien sûr le roi de France, Henri IV, mais il est déjà marié, et hérétique
de surcroît, clauses rédhibitoires. En apparence seulement, car les ambassadeurs
parisiens assurent au grand-duc qu’après vingt ans d’union avec Marguerite de
Valois, il vit séparé d’elle et compte même rompre officiellement avec elle dès
qu’il le pourra. Effectivement, dès 1593, le monarque demande l’annulation de
son mariage au pape, ce qui comble d’aise Ferdinand Ier. Ce dernier est tout à fait
rassuré par la nouvelle, en cette même année 1593, de l’abjuration d’Henri et de
sa conversion au catholicisme, acceptée sans réserve deux ans plus tard par le
souverain pontife, qui accorde son pardon au roi. Cette fois, plus rien ne semble
pouvoir empêcher le mariage…
Mais Henri IV doit encore défendre et pacifier son royaume. Pour écarter
toute menace extérieure, il déclare la guerre à l’Espagne en 1595 ; pour faire
régner l’ordre à l’intérieur, il lutte contre les dernières révoltes des princes. En
1598, ces problèmes réglés, Henri IV peut établir la paix et songer sérieusement
à un mariage qui lui apporterait enfin un héritier légitime, l’union avec
Marguerite étant restée stérile. Dès la fin de l’année suivante, il obtient une bulle
pontificale de Clément VIII annulant son alliance matrimoniale avec sa première
épouse. Il est libre !
Son intention de se remarier avec Marie de Médicis est toujours bien ancrée
en lui ; cependant il hésite encore. Sa favorite en titre, la belle Gabrielle
d’Estrées, bien que de petite naissance, aspire à être reine et, fort épris d’elle, il
ne saurait rien lui refuser. L’embarras du roi est de courte durée : le 10 avril
1599, alors qu’elle pense atteindre bientôt son objectif, Gabrielle quitte ce
monde, probablement empoisonnée… et est bientôt remplacée dans le lit royal
par une autre prétendante au titre suprême, Henriette d’Entragues. Mais les
prétentions de celle-ci sont incertaines car Henri a décidé dès le mois de janvier
de poursuivre les négociations de mariage avec Florence. Cela ne l’empêche pas,
emporté par la passion, d’accepter de signer le 1er octobre une lettre au père
d’Henriette, par laquelle il s’engage à épouser celle-ci si, enceinte dans les six
mois, elle donne naissance à un garçon. La jeune femme accouche d’un enfant
mort-né, ce qui finit de libérer définitivement le roi de toute contrainte.
Ferdinand Ier, impatient de réaliser un projet mis en œuvre depuis de longues
années, envoie des négociateurs à Paris pour régler l’épineux problème du
contrat de mariage. Henri IV, qui a emprunté des sommes considérables aux
Médicis pour obtenir la paix intérieure et extérieure, demande une dot égale au
montant de la dette, soit plus d’un million d’écus, dans l’espoir d’annuler sa
créance. Le duc-banquier, effaré par cette proposition, soucieux d’avoir un droit
de regard sur les affaires françaises à l’avenir, accepte de concéder six cent
mille écus, trois cent cinquante mille versés comptant et deux cent cinquante
mille pour liquider une partie de la dette de manière échelonnée. Ainsi satisfera-
t-il le monarque français et se gardera-t-il la possibilité de faire valoir ses droits
de créancier, éventuellement par des pressions politiques.
L’essentiel étant arrêté, le souverain doit encore mener une guerre éclair
contre la Savoie pour annexer de nouveaux territoires à partir du mois d’août
1600. Pris par ce conflit, il ne peut se déplacer personnellement pour s’unir à
Marie. Il demande à Ferdinand Ier de se marier en son nom par procuration, ce
qui est accepté. Les noces peuvent avoir lieu le 5 octobre en la cathédrale de
Florence, dans la liesse générale.
Son avenir étant assuré, la nouvelle reine de France rejoint peu après Lyon
pour la célébration solennelle de son mariage avec Henri IV. Elle réside, avec
Leonora Galigaï, à l’archevêché, où elle attend son mari qui, après avoir réglé
avec succès le conflit avec la Savoie, peut enfin la rencontrer.
Quand Henri se présente à elle, Marie va au-devant de lui et veut se mettre à
genoux. Mais le roi la relève, l’embrasse à plusieurs reprises et lui suggère de
passer la nuit avec lui, à la veille de la cérémonie du mariage. La future reine,
saisie d’effroi, devient glacée au point d’en éprouver des malaises. Ses dames
d’honneur s’affairent pour la réchauffer. Rien n’y fait. Mais la nuit prénuptiale se
passe à merveille et le dimanche 17 décembre 1600, Henri et Marie deviennent
mari et femme devant Dieu.
A vingt-sept ans, la reine a tout ce qu’il faut pour plaire à son époux : elle est
plutôt grande, blonde, les yeux noirs, le teint pâle et présente des charmes
opulents qui enchantent les hommes de son époque : une poitrine magnifique, un
certain embonpoint, un double menton, signes de sensualité et de vitalité. Au
demeurant, elle a de l’allure et elle est d’un abord aimable et gai. A quarante-sept
ans, le jeune marié a fait un bon choix…
D’autant que l’heureuse élue a reçu l’éducation d’une princesse de la
Renaissance. Si elle n’a pas une formation culturelle approfondie, elle a des
connaissances en histoire et surtout dans les matières scientifiques, telles les
mathématiques, la physique ou la chimie, ce qui est assez rare pour une femme
de son époque. Digne fille des Médicis, elle a également un goût marqué pour
les arts, qu’il s’agisse de peinture, de sculpture, de gravure ou de musique.
Habituée très jeune à mener une vie de princesse, elle affectionne le grand luxe,
pour son habillement, pour ses parures – diamants et perles – aussi bien que pour
les réceptions, disposant de cristaux, de vaisselle d’or et d’argent en grande
quantité.
Ses habitudes de grandeur, sa longue attente d’un mariage royal ont exaspéré
ses penchants pour les honneurs et le pouvoir.

Une reine déshonorée mais prolifique

Les dix années du mariage de Marie avec Henri IV sont marquées par des
désillusions et d’amères déceptions. Son royal époux la comble de cadeaux, mais
le cœur de celui-ci est partagé. Dès les premières semaines qui suivent son retour
à Paris, il ne peut s’empêcher de continuer à fréquenter assidûment Henriette
d’Entragues, marquise de Verneuil, dont la jeunesse, les charmes naturels et la
vive intelligence ne cessent de l’émerveiller. La reine n’a ni les atouts physiques
ni les capacités intellectuelles pour lutter à armes égales. Contrainte d’accepter
une rivale dangereuse qui la déteste et la traite de « grosse banquière », elle ne
fait pas profil bas comme Catherine de Médicis envers son mari Henri II à
propos de Diane de Poitiers. Tout au contraire, elle demande des explications à
Henri IV, le somme de mettre un terme à une relation humiliante pour elle. Ces
agressions verbales ne débouchent sur rien ; elles ne font que troubler
profondément la vie du couple, sans pour autant le rompre car le Vert-Galant
continue à honorer régulièrement sa femme, qu’au fond il aime bien, et dont il
souhaite vivement une descendance masculine. Mais il ne renonce pas pour
autant à passer d’agréables soirées avec sa maîtresse en titre. Et les scènes de
ménage continuent, pour le plus grand amusement des dignitaires de la Cour.
La passion pour Henriette d’Entragues s’affadissant avec le temps, Marie
peut espérer des lendemains plus sereins qui lui permettraient de s’affirmer
comme vraie souveraine auprès du roi. Si celui-ci finit effectivement par se
détacher de sa favorite, il est séduit par des prétendantes qui l’entraînent vers de
nouvelles amours illicites. Les plus connues – les plus séduisantes aussi – sont
Jacqueline de Bueil, comtesse de Moret, et Charlotte des Essarts. Mais
l’aventure sentimentale la plus extravagante d’Henri repose probablement sur
son ardent désir de faire sienne la ravissante Charlotte de Montmorency. En
1609, elle a quinze ans ; il en a cinquante-cinq et est prématurément vieilli. Il
réussit à convaincre son ami le maréchal de Bassompierre, à qui la jeune fille
était promise, de renoncer au mariage et de la lui céder. Mais, soucieux d’éviter
un scandale, il cherche un mari complaisant pour l’être aimé afin de sauver les
apparences. Son choix se porte sur son cousin Henri de Bourbon, prince de
Condé, plus intéressé par la chasse que par les femmes. Il impose donc Charlotte
à Condé, qui accepte cette union avec l’une des familles les plus illustres et les
plus riches de France.
La cérémonie nuptiale si désirée a lieu le 17 mai 1609, en présence d’un
monarque impatient de saisir enfin sa proie. Mais, contre toute attente, le prince
s’échappe du sanctuaire avec la mariée après l’échange des consentements : il
veut garder son épouse et son honneur. Après un temps de surprise, le roi décide
de se lancer à la poursuite de la jeune femme qu’on lui a fâcheusement dérobée.
Prenant de multiples déguisements jusqu’à en être ridicule, sans escorte, il suit
de loin le couple, prêt à intervenir à la première occasion. Mais Condé se réfugie
avec Charlotte aux Pays-Bas espagnols, là où le souverain français ne pourrait
pénétrer sans y laisser sa vie. Celui-ci, fou de rage, ne peut que renoncer à son
projet et s’obliger, pour un temps, à retomber dans la fidélité conjugale.
Tous ces écarts irritent au plus haut point Marie de Médicis, impuissante à
ramener à la raison son époux. Pourtant, pendant tout ce temps, celui-ci fait
preuve de bienveillance envers elle. Soucieux de la ménager, il lui demande de
venir régulièrement siéger au Conseil pour prendre part aux affaires
gouvernementales. Mais, se sachant bafouée, elle ne s’y rend que rarement : on
ne l’écouterait pas ; tout comme Henri lui préfère ses maîtresses, il n’écouterait
que ses intimes et ce serait pour elle une nouvelle humiliation. Quand elle
accepte de se déplacer aux réunions, elle prend un air détaché, presque absent, ce
qui a fait dire à un ambassadeur vénitien qu’elle était incompétente dans les
affaires de l’Etat. En réalité, la reine est profondément déçue : elle qui espérait
régner avec le roi, la voilà réduite à la condition de femme trompée.
Au moins accomplit-elle la tâche pour laquelle on l’avait choisie : elle assure
l’avenir de la lignée des Bourbons, en donnant en neuf ans à Henri IV six
enfants, trois fils et trois filles. A Fontainebleau, quelque neuf mois après ses
noces, le 27 septembre 1601, elle donne naissance à un garçon, Louis, qui
devient le dauphin, le futur Louis XIII. Sa joie est de courte durée car un mois
jour pour jour après elle, sa rivale Henriette d’Entragues met au monde elle aussi
un fils, Gaston-Henri. Lorsque lui vient en décembre 1602 Elisabeth, Henriette
donne le jour deux mois plus tard à une fille également, Gabrielle-Angélique.
Mais alors que la favorite arrête là ses « dons » à son royal amant, Marie
continue son chemin d’épouse et mère avec quatre nouveaux enfants :
Chrétienne, ou Christine, en 1606, Nicolas, en 1607, Gaston Jean-Baptiste en
1608 et Henriette-Marie de France en 1609. Le souverain lui est reconnaissant
d’avoir établi sa dynastie, ce qui procure à Marie satisfaction et orgueil à défaut
de mieux.

Une revanche personnelle : s’imposer au dauphin

L’infortune politique de la reine la fait se tourner contre tous ceux qui, de


près ou de loin, jouissent ou jouiront de l’autorité et du pouvoir. Il en est ainsi du
dauphin Louis, qui est appelé à régner à l’inverse d’elle, simple souveraine sans
couronne. Marie, très égocentrique et soucieuse de puissance, ne peut supporter
que son enfant premier-né lui usurpe plus tard l’autorité à laquelle elle aspire.
Entre la mère et le fils naît un conflit d’intérêt qu’elle ne peut maîtriser. D’autant
que son aîné paraît avoir un caractère de chef, ce qui ne fait qu’accroître son
aigreur. Il est en effet orgueilleux, autoritaire, rebelle aux ordres qu’il reçoit de
ses éducateurs, entêté et vif. Marie entreprend de s’imposer à Louis en tentant de
le soumettre à ses volontés, de le mater et même de briser sa volonté. Dans son
malheur une satisfaction naturelle, une revanche sur sa propre condition…
Elle demande à sa gouvernante, Mme de Montglat, de lui donner une
éducation sévère et même, à la moindre inconduite, de le fouetter dès l’âge de
deux ans. Comme elle le fait élever dans une piété contraignante qui le plonge
dans la terreur du péché, pris entre des maîtres intraitables et un Dieu sans pitié,
le caractère du prince s’altère : lui, si spontané, devient méfiant et introverti,
pénétré aussi de la dureté qu’on lui a inculquée et qu’il gardera jusqu’à la fin de
sa vie. Sans s’en rendre compte, la reine façonne un gouvernant impitoyable, ce
qu’elle finira par regretter, sa vengeance se retournant plus tard contre elle.
Heureusement pour lui, son père adore le jeune héritier. Ravi d’avoir un
successeur de son sang, il lui témoigne beaucoup d’affection, ce qui, le temps
d’une visite, fait oublier à Louis l’ingratitude de sa condition. Dès qu’il le peut,
Henri IV partage ses jeux, se baigne tout nu avec lui dans la Seine, en toute
simplicité, loin de tout protocole. Une intimité complice unit le roi et le dauphin.
Moments de bonheur intense pour l’un et pour l’autre, malheureusement trop
rares.
Si Marie veut rabaisser le futur monarque, Henri IV, lui, veut le faire grandir.
Pour l’initier aux affaires de l’Etat, il l’invite au Conseil et, pour lui donner de
l’assurance et de l’importance, il le prend sur ses genoux ou entre ses jambes.
Même s’il ne comprend pas tout, le petit prince peut assister aux débats
politiques qu’il devra animer demain, quand il sera adulte. Et les dirigeants
s’habituent inconsciemment à voir en lui non pas un petit dauphin mais un futur
souverain.
Mais une fois la séance terminée, l’enfant doit retourner au château de Saint-
Germain, où il est élevé avec ses frères et sœurs mais aussi les fils et filles
naturels que le Vert-Galant a eus de ses principales maîtresses, et qu’il a fait
légitimer. Parmi ces derniers, cinq, surtout, partagent ses jeux. Trois sont issus de
l’union d’Henri avec Gabrielle d’Estrées : César, né en 1594, Catherine-
Henriette, qui a vu le jour en 1596 et Alexandre, mis au monde en 1598. Louis
ne supporte pas ces trois-là, remuants et odieux. Il dit d’eux qu’ils sont issus
d’une « race de chiens ». Beaucoup plus aimables sont les deux descendants
d’Henriette d’Entragues : Gaston-Henri, de son âge, et Gabrielle-Angélique, qui
n’a qu’un an et demi de moins que lui. Les autres bâtards royaux ne partagent
pas ses loisirs, le fils de Jacqueline de Bueil et les deux enfants de Charlotte des
Essarts étant encore des bébés, ou peu s’en faut.
Comme chacun, Louis apprend ce qu’on lui enseigne, sans faire preuve
d’une débordante soif de savoir. Ce qu’il aime surtout, ce sont les exercices
physiques, l’équitation, l’apprentissage des armes et des combats. Ainsi devient-
il peu à peu, tout jeune encore, le « roi de guerre » que sa mère avait voulu
détruire, ce chef suprême qu’elle redoutait tant.
Après bien des contrariétés, Marie de Médicis a la grande satisfaction de se
voir accorder par Henri IV une reconnaissance officielle qu’elle attendait en vain
depuis des années : le jeudi 13 mai 1610, devant les plus hautes personnalités du
royaume et une foule immense, elle est sacrée et couronnée en la basilique Saint-
Denis. Serait-ce pour elle l’annonce de jours meilleurs ?

L’assassinat d’Henri IV et la régence


de Marie de Médicis (1610-1617)

Le lendemain 14 mai, vers 16 heures, le catholique fanatique Ravaillac


poignarde Henri IV alors que celui-ci est dans son carrosse avec plusieurs
conseillers. Ramené à la hâte au Louvre, le souverain décède en chemin, à
cinquante-six ans. A la vue du corps ensanglanté de son époux, Marie défaille.

Enfin régente !

Mais elle reprend vite ses esprits : le roi disparu laisse le titre et la place au
dauphin Louis, nouveau monarque sous le nom de Louis XIII mais, âgé de huit
ans et demi seulement, celui-ci ne peut régner seul. Une régence est nécessaire,
la sienne évidemment. A trente-sept ans, après trop d’humiliations et d’avanies,
elle doit s’imposer et gouverner au nom de son fils mal aimé, aujourd’hui à la
tête du royaume ! Ce serait une grande joie pour elle, mais Henri IV n’a donné
aucune instruction pour lui laisser les rênes du pouvoir dans un pareil cas. Elle
doit faire vite : des concurrents peuvent se déclarer à tout moment, dont Condé,
premier prince du sang.
Aussi, dans l’heure qui suit le trépas royal, le duc d’Epernon se rend-il au
parlement de Paris. Rudoyant les magistrats, il leur demande de déclarer régente
Marie de Médicis. Impressionnés, flattés aussi de l’honneur qu’on leur consent,
ils suivent l’avis de leur président et rédigent en faveur de la reine un arrêt lui
remettant « toute puissance et autorité ».
Cela ne suffit pas : il faut que les parlementaires reconnaissent les nouvelles
prérogatives accordées dans une cérémonie solennelle, de façon à éviter toute
ambiguïté. Dès le lendemain 15 mai est organisé un lit de justice. Le petit
Louis XIII est présent mais se tait. C’est sa mère qui exprime ses volontés la
première : le nouveau roi doit être respecté comme Henri IV l’a été. Puis le
chancelier Sillery demande de confier la régence à Marie de Médicis, mère du
nouveau monarque. Il laisse chacun exprimer son avis et, les avis étant
favorables à Marie, il demande que l’arrêt pris la veille soit enregistré afin de
prendre ses pleins effets auprès des responsables et des populations, ce qui est
fait. Enfin la reine va pouvoir régner ! Elle n’oublie pas son fils, auquel elle doit
sa nouvelle puissance : le 17 octobre suivant, elle le fait sacrer et couronner à
Reims. Son pouvoir pourra dorénavant s’exprimer au nom d’un prince oint et
béni par Dieu !

Dans une apparente continuité politique,


la marque de Marie de Médicis

Pour faire reconnaître son autorité, la nouvelle promue décide de poursuivre


dans un premier temps la politique de paix que son époux avait réussi à imposer
et qui lui avait si bien réussi. Elle confirme l’édit de Nantes, affectant d’accepter
la religion protestante, et autorise même une réunion de l’Assemblée générale
des députés réformés selon les dispositions prévues par cet édit. Mais les
huguenots, inquiets de la disparition d’Henri IV et craignant une inflexion plus
catholique des orientations gouvernementales, s’agitent, en 1611 et 1612. Marie
ne sévit pas : elle leur offre une amnistie générale en décembre 1612.
Un observateur peu attentif ne relèverait aucun changement de fond. Marie
garde près d’elle au Conseil les « barbons » d’âge vénérable qui avaient soutenu
son mari : Villeroy, qui avait débuté sa carrière quarante ans plus tôt sous
Charles IX et qui faisait merveille dans la diplomatie, Pierre Jeannin, président
au parlement de Dijon, Sully, fait duc et pair de France en 1606, Sillery enfin,
vieux serviteur de la monarchie promu chancelier de France en 1607. Ces quatre
personnalités forment l’ossature apparente du gouvernement dans les premiers
temps. Toutefois, des fêlures apparaissent rapidement : Sully, surintendant des
Finances depuis une douzaine d’années, est accusé de détournement de fonds, à
l’origine, dit-on, de son énorme fortune. Couvert d’opprobre, il juge prudent
d’abandonner ses fonctions dès le 26 janvier 1611. Son espoir, bien vain : qu’on
le rappelle un jour pour continuer à jouer le rôle bienfaisant qu’il a eu pour la
prospérité de l’Etat.
A y regarder de plus près, les données fondamentales changent. Des
membres de la haute noblesse sont appelés au Conseil par la régente. A force
d’habileté et de patience, Henri IV avait réussi à réduire le rôle des grands
féodaux et à les remplacer par des serviteurs fidèles et compétents. Marie garde
bien, autant qu’elle le peut, ces derniers mais juge bon, pour ménager la paix
civile, d’accorder aux puissants, aussi riches qu’influents avec leurs redoutables
clientèles, le droit de parole et de commandement à ses côtés. Ainsi peuvent
parler haut et exiger des princes comme Condé ou Conti, des ducs comme Guise,
Mayenne, Nevers, Epernon, Bouillon ou Nemours. Pour faire bonne mesure, les
chefs de l’armée ont aussi leur place : le connétable de Montmorency, des
maréchaux de France trouvent dans ce Conseil élargi la tribune idéale pour faire
connaître leurs volontés personnelles. Pour donner satisfaction au plus grand
nombre, des seigneurs de moins haut rang, mais remuants, complètent la
structure centrale.
Dans ces conditions, on comprend qu’il soit difficile d’établir un programme
de gouvernement. Des clans s’organisent, des rivalités et des intérêts
contradictoires se manifestent au grand jour lorsque les questions de politique
générale sont abordées. Les « barbons », jadis piliers de la monarchie, méprisés
et moqués par les nobles de haut rang, voient leurs fonctions et rôles apparents
s’amenuiser au sein de ce Conseil pléthorique. Marie a beau s’interposer, tenter
d’arbitrer, d’imposer une opinion, ses paroles sont emportées dans le désordre de
la cohue nobiliaire.
Les choses ne pouvant durer ainsi, elle réunit un Conseil parallèle et
« secret » pour prendre les décisions les plus importantes. Cet organisme est
marqué par la présence d’un personnage qui en devient rapidement le leader :
Concino Concini. Marié en 1601 à Leonora Galigaï, autre pivot de cette
institution, celui-ci est florentin, comme son épouse et comme la régente. Issu
d’une noble famille de diplomates, ancien étudiant de l’université de Pise, il a
belle allure mais n’a pas un sou vaillant à son arrivée en France. La reine, à
laquelle il plaît beaucoup car il a de belles façons et beaucoup d’esprit, s’occupe
de sa carrière et de sa fortune, poussée en cela par Leonora. Dès août 1610, elle
lui fait donner l’argent nécessaire pour qu’il puisse acheter les terres du
marquisat d’Ancre, situé en Picardie. Le mois suivant, grâce à ses libéralités, il
acquiert la charge de Premier Gentilhomme de la Chambre du roi. Comme cela
ne suffit pas, il obtient de la même façon le 9 février 1611 la charge de lieutenant
général en Picardie, puis celle de gouverneur d’Amiens et de Péronne. Parti de
rien, il devient alors par faveurs spéciales l’un des principaux dignitaires du
royaume, quasiment l’égal des princes. Ce sera chose faite quand il sera nommé,
en novembre 1613, maréchal de France. Il sera alors vraiment, sans en porter le
titre, un véritable Premier ministre.
Le « seigneur Concine » est naturellement l’homme le plus influent du
Conseil secret. Il l’anime, avec son épouse et la régente, les trois ministres
négligés par les Grands, Villeroy, Sillery et Jeannin, indispensables car bons
connaisseurs des affaires publiques, le nonce apostolique et l’ambassadeur
d’Espagne. En fin de compte, le conseil de la France est dirigé par un trio
florentin, avec le soutien d’autres étrangers placés là pour répondre aux grandes
préoccupations de Marie : assurer le succès du catholicisme dans le royaume et
la paix en Europe grâce à des alliances avec la maison de Habsbourg.

Les Grands à l’assaut du pouvoir

Ces projets ne satisfont en rien princes et ducs qui ont, eux, d’autres
ambitions : recouvrer leur puissance d’autrefois, celle dont ils jouissaient avant
le règne pacificateur d’Henri IV.
Comme leur présence au Conseil élargi du roi ne leur est d’aucun secours, ils
quittent ostensiblement le Louvre pour bien manifester leur réprobation. Leur
objectif déclaré : s’imposer à la régente. Pour cela, ils envisagent d’organiser une
révolte, ou plutôt des révoltes, qui rappelleront à la dirigeante le malheur des
guerres civiles endurées par sa lointaine cousine Catherine de Médicis : en
s’ameutant, en effrayant par le fracas des armes une reine régente bien incapable
de réunir des troupes pour s’opposer aux insoumis, ils obligent celle-ci à
s’incliner et à leur céder.
Dès 1610, Condé ne cesse de se faire menaçant et exigeant. En décembre, il
se rebelle. Quelques jours après, une entente se fait entre les deux parties : le
prince reçoit la somme considérable de six cent mille livres.
Il serait fastidieux de mentionner toutes les séditions intéressées qui ont lieu
jusqu’en 1613. Pour les rebelles, c’est simple : il suffit de gronder et de s’agiter
pour obtenir charges, gouvernements de provinces ou de grandes villes. Le
Trésor patiemment reconstitué par Sully pendant les années de paix se révèle fort
précieux : pour la seule année 1611, Marie de Médicis doit verser quatre millions
de livres à la haute noblesse, soit sacrifier le cinquième du budget de l’Etat.
S’il est vrai que la monarchie n’a pas les moyens de s’opposer aux révoltés
en combattant avec quelque chance de succès, il est aussi vrai que les princes et
ducs, qui interviennent chacun pour leur propre compte, ne forment pas un
mouvement uni contre le gouvernement. Comme au temps de Catherine de
Médicis et, plus encore, d’Henri IV, les gouvernants pourraient jouer habilement
un clan contre l’autre pour diviser leurs ennemis et se créer un réseau de
clientèle intéressée, mais cela ne se fait pas et le pouvoir, désespérément seul
dans sa formation réduite, doit faire face à la déferlante des ambitions des
princes, le dos au mur. En espérant que le Trésor pourra répondre toujours à la
demande…
Marie de Médicis tente de compenser ses déboires intérieurs par des
alliances extérieures qui renforceront sa position et celle de sa famille. Comme, à
l’inverse de son époux défunt, elle aspire au succès du catholicisme et à
l’extinction du protestantisme, elle veut des liens étroits avec l’Espagne, dont
l’orthodoxie fait l’admiration du Saint-Siège.
Du vivant même d’Henri IV, dès 1602, alors que le dauphin Louis n’était
encore qu’un bébé, elle s’était rapprochée de Madrid pour le marier, l’âge venu,
à la fille de Philippe III, la petite infante Anne d’Autriche – on confond alors
dans la même appellation les Habsbourg d’Espagne et d’Autriche –, encore au
berceau elle aussi. Les pourparlers furent interrompus peu après car le roi avait
des vues différentes et voulait absolument préserver en France les intérêts
calvinistes.
Sa mort en 1610 libère son épouse de toute contrainte et autorise celle-ci à
reprendre les démarches interrompues. Pendant deux années, de 1610 à 1612,
des négociations serrées ont lieu entre les responsables parisiens et le duc de
Feria, ministre de Philippe III. Finalement, on convient d’une double union,
annoncée dans les deux capitales concernées en janvier 1612 : Louis XIII
épousera Anne d’Autriche, comme prévu initialement, sa sœur cadette Elisabeth,
le prince Philippe, héritier du trône d’Espagne, le futur Philippe IV.
Cette victoire diplomatique, les grands seigneurs ne peuvent la supporter car
elle peut déboucher sur un rapprochement militaire des deux Etats. Le prince de
Condé réagit en publiant un manifeste contre le gouvernement. Il demande la
réunion d’états généraux pour remédier à la mauvaise gestion de la régente et
exige l’annulation des deux mariages envisagés. En ce début de 1614, le premier
prince du sang, déterminé semble-t-il à aller jusqu’au bout, se prépare au combat
contre les troupes royales, soutenu par bon nombre de princes et de ducs, pour le
cas où Marie ne céderait pas à ses exigences. La reine, soucieuse d’éviter le pire,
négocie avec lui. On aboutit à des accords à Sainte-Ménehould le 15 mai : il y
aura bien réunion des Etats, comme souhaité, mais, au moins jusqu’à leur tenue,
les deux mariages espagnols sont maintenus. Pour achever de convaincre Condé
et le détourner de poursuivre dans son opposition, la régente lui fait remettre
quatre cent mille livres.
C’est un succès pour Marie de Médicis, qui a réussi à sauver la paix civile et
à maintenir les dispositions qui lui tenaient le plus à cœur. Pour la date de
réunion de l’Assemblée, on avisera plus tard… Le pouvoir a pu mater la sédition
de la haute noblesse sans livrer bataille. L’avenir n’en est pas plus radieux pour
autant : après cinq années de versement de pensions, les caisses de l’Etat sont
vides.

Quand la volonté de puissance de Marie pallie


son absence de politique gouvernementale

Si le traité de Sainte-Ménehould est venu à bout de la résistance de presque


tous les grands seigneurs, l’un d’eux veut encore se rebeller contre l’autorité
royale. César de Vendôme, demi-frère du roi et gouverneur de Bretagne, refuse
de se soumettre. La régente décide de le ramener à la raison avec une armée de
vingt mille hommes ; elle n’a plus d’argent mais il cédera devant la force.
Comme l’insoumis est isolé, et donc peu dangereux, Marie décide de
transformer une partie de cette expédition en voyage d’agrément et de montrer –
un peu comme l’avait fait avant elle Catherine de Médicis pour Charles IX – le
jeune Louis XIII aux populations des Pays de la Loire, de l’Ouest et du Sud-
Ouest. Cela accroîtra sa popularité ainsi que celle du souverain…
On quitte donc Paris avec la Cour et les troupes d’intervention au début du
mois de juillet 1614. L’immense cortège se dirige d’abord vers le sud, fait étape
à Orléans, Blois et Tours puis va vers le sud-ouest, s’arrêtant à Châtellerault et
Poitiers, remonte vers la Loire jusqu’à Saumur, d’où il gagne Angers et Anceni,
située à quelque huit lieux de Nantes. La capitale bretonne ouvre ses portes sans
difficulté au monarque le 12 août et, dans un élan calculé, César de Vendôme se
soumet à lui. Cela donne lieu à de fastueuses réjouissances sous le regard de
Louis XIII, qui a élu résidence au château. Cette fois, c’est sûr, pour tous, le roi
est bien le roi, et cela sans bourse délier ni combat. Il peut rentrer au Louvre
auréolé de gloire grâce à sa mère le 16 septembre.
Tout n’est pas réglé pour autant : Marie doit encore honorer sa promesse de
réunir les Etats et réaliser son rêve du double mariage de deux de ses enfants
avec ceux du monarque espagnol. Ce dernier point lui tient particulièrement à
cœur : comme elle n’a pas de vrai projet de gouvernement, que sa volonté est
surtout d’assurer le rayonnement du catholicisme partout en France à une époque
où fleurit la restauration de cette religion sous l’impulsion du parti dévot, elle
veut resserrer les liens avec les rois très-catholiques de Madrid. Ainsi
accomplira-t-elle une mission sacrée ; ainsi, par cette double union flatteuse pour
elle avec la famille royale de l’Etat le plus puissant du moment, affirmera-t-elle
sa puissance. Quant à l’assemblée prévue des trois ordres, elle fera en sorte de la
réduire à rien. La vraie reine, ce sera elle !
Pour que son pouvoir et ses projets soient durables et acceptés par tous, elle
organise un lit de justice au Parlement le 2 octobre. Comme Louis vient
d’atteindre ses treize ans, qu’il est majeur et en âge de régner, elle lui remet
devant tous sa régence mais, au terme d’une cérémonie bien réglée par elle,
Louis XIII la nomme chef du Conseil royal. De la sorte, elle continuera à
gouverner comme auparavant, en dominant et en éclipsant son fils.
Le 27, le souverain peut ouvrir les Etats en présence de la reine. Mais pour
éviter toute difficulté, les trois ordres doivent se réunir et délibérer séparément,
des « ambassadeurs » étant chargés d’assurer la coordination d’ensemble, ce qui
ne présente aucun risque réel d’opposition.
Dans ces conditions, pas de grands projets ni de grands débats sur l’état du
royaume, sur les réformes à apporter ; seulement des discussions et
revendications liées à chaque état. Ainsi la noblesse peut-elle s’emporter contre
le monopole des offices accordés de façon héréditaire à la bourgeoisie par la
Paulette instituée en 1602 par Sully, réclamer la suppression de celle-ci et le libre
accès des nobles aux charges de justice que ceux-ci rendent depuis longtemps
déjà à travers leurs tribunaux seigneuriaux.
Les députés du Tiers ne sont pas en reste : ils dénoncent avec force
l’attribution aux gentilshommes de haut rang de somptueuses pensions qui
obèrent les finances publiques et font monter le prix des impôts. Quant au clergé,
il s’en prend à la bourgeoisie lorsqu’elle affirme que le roi ne dépend de
personne, et surtout pas du pape ; ce qu’il veut, lui, c’est que l’on reçoive en
France les décisions prises par le concile de Trente et validées par le souverain
pontife. Il n’est pas suivi par une Marie de Médicis soucieuse avant tout, malgré
ses convictions, de ne pas ranimer les guerres civiles et de pacifier le royaume.
Cette cacophonie de réclamations fait le bonheur de la reine : plus de danger
militaire, plus d’opposition politique ! Et c’est avec une infinie délectation
qu’elle écoute un certain Armand-Jean du Plessis de Richelieu, évêque de
Luçon, faire son apologie lors de la harangue qu’il prononce au nom du clergé au
moment de la clôture des Etats le 23 février 1615. Devant près de deux mille
personnes, elle est ravie de l’entendre la féliciter pour sa compétence et les
bienfaits de son gouvernement. Elle est, dit M. de Luçon, non seulement la mère
du roi mais la « mère du royaume » ! Incontestablement, ce Richelieu mérite
mieux que son « évêché crotté » !
Malgré Condé, malgré les huguenots, tous les problèmes paraissant réglés, la
voie est libre pour réaliser enfin le double mariage prévu. Les deux unions
matrimoniales sont célébrées d’abord par procuration le même jour, le
18 octobre. A Burgos, l’infante Anne d’Autriche est mariée à Louis XIII,
représenté par le duc de Lerma ; à Bordeaux, le prince héritier Philippe des
Asturies, représenté par le duc de Guise, est marié à Elisabeth de France. Ces
formalités officielles accomplies, on procède le 9 novembre à l’échange des
deux jeunes mariées au milieu de la Bidassoa, près d’Hendaye et de la frontière
franco-espagnole.
Enfin, le 25 novembre suivant, est célébré dans la cathédrale de Bordeaux, le
mariage religieux de Louis XIII et d’Anne d’Autriche par l’évêque de Saintes.
De grandes festivités célèbrent l’événement avant que le jeune couple royal ne
quitte Bordeaux pour Paris le 17 décembre. Dans la capitale française, une foule
en liesse accueille son roi et sa nouvelle reine. Les jeunes époux annoncent
renouveau et espérance…

L’apparence d’une régence plutôt réussie

Marie de Médicis triomphe… à tort, car tout n’est pas fini. Condé, fou de
rage de l’échec des états généraux et de la réussite du double mariage espagnol,
entre de nouveau en rébellion avec des grands seigneurs de son obédience et
même des huguenots du Midi. Fidèle à son habitude, la reine mère négocie avec
lui et les siens et obtient de nouveau la paix par le traité de Loudun le 3 mai
1616, au prix de sacrifices financiers considérables. Cette fois, le prince ne se
contente pas des libéralités royales. Il obtient de siéger de nouveau au Conseil du
roi et compte bien y jouer un rôle important au détriment de Concini. Plus
puissant et déterminé que jamais, il revient le 29 juillet à Paris.
A ne considérer que les huit familles de révoltés les mieux rémunérées par la
Couronne pour obtenir le calme dans le royaume de 1610 à 1616, on constate
que plus de douze millions de livres leur ont été versés pour tenter d’enrayer leur
insoumission, soit plus de la moitié du budget annuel de l’Etat. Le prince de
Condé a reçu plus de trois millions six cent mille livres, somme considérable ;
les ducs de Mayenne, père et fils, deux millions de livres, le comte de Soissons
et les siens, environ un million et demi de livres, le prince et la princesse de
Conti, une somme à peu près équivalente ; le duc de Longueville, un million
deux cent mille livres ; le duc de Bouillon, près d’un million de livres. Font
figure de pauvres par rapport à ces spécialistes de la rébellion hautement
lucrative les ducs d’Epernon et de Vendôme, avec respectivement sept cent mille
et six cent mille livres.
Non seulement cette haute noblesse obère gravement les finances publiques
et sème le trouble dans le royaume, mais elle veut s’emparer du pouvoir pour
conduire l’Etat à son profit. A peine est-il revenu au Louvre que Condé ourdit un
nouveau complot dans ce sens : il veut, avec notamment les ducs de Bouillon, de
Vendôme et du Maine, faire assassiner Concini, maître du pouvoir, et évincer
Marie de Médicis qui le soutient. L’affaire est éventée et la reine mère fait arrêter
Condé le 1er septembre, tandis que les conjurés s’enfuient.
Dans l’espoir de ne plus connaître semblable mésaventure et de faire cesser
l’agitation princière, Marie se décide enfin à sévir contre le chef de l’opposition :
elle le fait emprisonner et garder étroitement. Condé ne retrouvera sa liberté que
trois ans plus tard, en octobre 1619.
Concini et sa protectrice paraissent plus forts que jamais ; ils peuvent
réorganiser en partie le gouvernement. Richelieu, qui s’était distingué lors de la
tenue des Etats l’année précédente et qui avait réussi à s’immiscer dans
l’entourage de Marie de Médicis, est chargé par Concini, le 25 novembre 1616,
de diriger les affaires étrangères et militaires.
Il se distingue rapidement quand éclate, en janvier 1617, une nouvelle
rébellion de grands seigneurs. Plutôt que de céder et de payer une nouvelle fois
les révoltés, il se déclare partisan de la fermeté. Il réussit à lever trois armées qui
ne reculent pas, elles, devant l’ennemi mais au contraire le mettent en fuite et
découragent dans l’immédiat toute tentative de subversion.
La reine mère reprend évidemment ce succès à son compte. Après avoir
neutralisé Condé, elle a maté ses partisans. Pour elle, pour Concini, le ciel
s’éclaircit vraiment et l’avenir s’annonce enfin prometteur après plus de six
années de troubles qu’elle a réussi à endiguer malgré tout, à grand renfort
d’argent.

Marie ne renonce jamais (1617-1624)

A un moment où Marie semble l’emporter et être en mesure de s’imposer


sans grande opposition, son fils, le jeune roi, décide de sortir de l’ombre où on le
tient pour prendre la tête de l’Etat. A l’agitation nobiliaire succèdent de violents
conflits de famille, les armes à la main. Après plusieurs années d’affrontements,
l’ancienne régente trouve avec le souverain un heureux compromis qui lui
permettra, du moins l’espère-t-elle, de retrouver ses prérogatives un moment
perdues.

Le « coup de majesté » de Louis XIII


et la mise à l’écart de Marie

Jusque-là, la reine mère a tenu soigneusement Louis à l’écart des affaires


publiques. Elle ne lui a laissé la présidence du Conseil, qui lui revenait de droit
après tout, que rarement, plus soucieuse d’affermir son autorité que de la céder,
même en partie, à un jeune homme qu’elle a toujours considéré comme un rival
potentiel. Un jour que le roi se présente pour diriger le Conseil, sa mère le
pousse hors de la pièce en le priant comme un gamin de « s’aller ébattre
ailleurs ». Le favori Concini se montre aussi peu déférent envers Louis XIII, fait
même preuve de désinvolture et de mépris à son égard, imité en cela par la
plupart des ministres.
Le roi n’est donc qu’un roi virtuel, et cela, lui si autoritaire ne peut le
supporter. Cependant, isolé et moqué par tous, il ne peut réagir et est contraint
depuis quelques années de faire contre mauvaise fortune bon cœur : faute de
mieux, il dissimule son aigreur, au risque de perdre la face chaque jour
davantage.
Il n’a guère d’autre ami qu’un modeste gentilhomme provençal, Charles
d’Albert de Luynes, de vingt-trois ans son aîné, le seul adulte sur lequel il puisse
compter, son unique confident qu’il a promu au rang de Grand Fauconnier de
France, responsable de l’entretien de ses oiseaux de proie. A seize ans, Louis se
confie à Luynes et lui exprime sa douleur et sa rage. Cette fois, il n’en peut plus
d’attendre dans l’humiliation. Son favori lui conseille de frapper dur et fort. Le
24 avril 1617, le souverain ordonne à Vitry, capitaine des gardes, d’arrêter
Concini à son arrivée dans la cour du Louvre et, s’il résiste, de l’exécuter. Vitry
obtempère mais le maréchal, d’un geste instinctif, veut résister. Des coups de feu
éclatent, laissant ce dernier mort. Louis peut enfin s’écrier : « Je suis roi
maintenant ! » A la nouvelle de l’assassinat de l’impopulaire Florentin, les
Parisiens laissent éclater leur joie. Puis, le lendemain, emportés par une furie
vengeresse, ils déterrent le corps, le traînent dans les rues, l’émasculent, le
découpent en morceaux et le brûlent, se livrant à des actes sacrificiels
libératoires.
Mais il reste son épouse et complice, Leonora Galigaï, qui doit être
condamnée elle aussi puisqu’elle a agi de concert avec son mari. Comme la
population la croit sorcière – elle a, pense-t-on, envoûté la reine mère –, le
parlement de Paris engage contre elle un procès en sorcellerie, rondement mené.
Condamnée à mort malgré l’absence de preuves, elle est décapitée le 8 juillet
1617. En août, Louis XIII reconnaissant donnera une partie de son immense
fortune, soit 15 millions de livres, à son ami et sauveur Luynes, qu’il fera duc et
pair de France en 1619.
Son « coup de majesté » réussi, il continue son œuvre pour disposer de tous
les rouages de direction de l’Etat et le gouverner enfin selon son bon vouloir.
Après avoir éliminé son rival, il veut neutraliser sa protectrice. Aussi le
souverain ordonne-t-il à sa mère de se cantonner dans ses appartements. Ecartée
du pouvoir, elle reçoit bientôt un ordre d’exil au château de Blois, où elle sera
placée sous étroite surveillance, ainsi que son conseiller et compagnon
d’infortune Richelieu. Son fils refuse de la voir, lui manifestant ainsi sa
déchéance politique. Il la rencontre seulement pour lui faire ses adieux. Marie de
Médicis fond en larmes mais l’entretien, bref, est glacial. Destinées royales,
contrariées par des ambitions opposées et des rancœurs assouvies…
Louis XIII remplit avec ferveur les obligations de ses nouvelles fonctions. Il
préside tous les jours le Conseil secret ou des affaires pour faire respecter ses
décisions avec un soin jaloux. Pour gouverner le royaume, il fait appel à des
hommes expérimentés : il rappelle les vieux ministres de son père Henri IV, les
« barbons », Sillery, en qui il a particulièrement confiance, Villeroy, Jeannin. A
trente-neuf ans seulement, Luynes fait bien sûr partie de l’équipe dirigeante.
Mais ce vieil ami, cet indispensable complice, est un médiocre conseiller pour la
gestion des choses de l’Etat. Louis l’écoute mais, pour les questions délicates,
préfère s’en remettre aux avis de ses collaborateurs chevronnés.

La première guerre de la mère et du fils (1619)

Pendant que le roi assume enfin ses responsabilités, Marie se morfond au


château de Blois et enrage d’être réduite à l’impuissance. Elle a bien Richelieu à
ses côtés, qui, la connaissant, tente de la consoler en lui promettant des jours
meilleurs, mais cela ne suffit pas à calmer son impatience et sa colère. Surtout
qu’au mois de juin, quelques semaines après son arrivée, redoutant un nouveau
complot, Louis demande à l’évêque de Luçon de se séparer d’elle et de rejoindre
son évêché du bas Poitou. Il lui reste alors la compagnie de quelques fidèles,
mais ceux-ci n’ont ni la compétence ni le savoir-faire de son favori qui, du reste,
pour encore plus de sûreté, sera bientôt sommé de séjourner en Avignon, encore
plus loin d’elle…
Et le temps s’écoule, démesurément long, dans le splendide château
transformé en prison. En février 1619, alors qu’elle est en exil depuis près de
deux ans, Marie de Médicis n’y tient plus : elle doit s’échapper pour faire valoir
ses droits et retrouver sa gloire perdue. Avec la complicité du duc d’Epernon,
ancien ministre d’Henri III, elle échafaude un projet d’évasion qu’elle décide de
réaliser. Le 22 février, alors qu’il fait encore nuit noire, elle franchit la fenêtre de
sa chambre avec ses précieuses cassettes de bijoux et entreprend de descendre
jusqu’aux douves à l’aide d’une échelle de corde. Ses quarante-six ans, son
embonpoint et son fardeau la gênant, elle manque de tomber et perd l’un de ses
coffrets. Il faut les envelopper, elle et ses diamants, dans des manteaux bien
ficelés et les laisser glisser jusqu’à terre. La liberté retrouvée, Marie se rend à la
forteresse de Loches, où Epernon l’attend.
Le duc n’est pas seulement un notable : c’est un noble influent et puissant : il
est notamment gouverneur de l’Aunis et de la Saintonge et peut donc rassembler
autour de lui et de Marie de Médicis un bon nombre de grands en mal de
rébellion. Conscient de la menace, Louis XIII est tout disposé à trouver un
compromis avec sa mère mais celle-ci n’en veut pas. Ce qu’elle exige, elle, c’est
sa réintégration dans le Conseil avec les pouvoirs dont elle disposait hier, cela
nécessitant évidemment le départ de Luynes.
Pour éviter le pire, il faut traiter dans des conditions honorables pour les
deux parties. A cette fin, le roi rappelle Richelieu d’Avignon en mars. Celui-ci,
créature de la reine mère, jouit de son entière confiance ; il sera un interlocuteur
crédible pour le roi. Et, de fait, le 12 mai, à Angoulême, un accord est trouvé, qui
satisfait dans l’immédiat les deux principaux intéressés. Marie accepte le
gouvernement de l’Anjou et se fait reconnaître la pleine propriété de tous ses
biens et titres pour éviter d’en être privée. Son fils lui propose même de revenir à
la Cour, proposition qu’elle rejette car Louis XIII tient à maintenir Luynes
auprès de lui, ce qui signifie pour elle son exclusion du Conseil, dont elle
convoite toujours la direction effective. La paix et la réconciliation sont donc
imparfaites : la reine mère tient à garder ses distances envers la Couronne, ce qui
ne l’empêche pas d’accepter de rencontrer pour la première fois depuis
longtemps son fils au château de Couzières, le 5 septembre. L’entrevue se passe
apparemment bien.
La seconde guerre de la mère et du fils (1619-1620)

Une fois accomplie la cérémonie des retrouvailles familiales, Marie


entreprend une remontée du Sud-Ouest vers le nord et arrive à Angers le
16 octobre 1619, où elle est accueillie triomphalement, les Angevins étant tout
enorgueillis de recevoir dans leur ville la mère du souverain.
Leur joie est de courte durée : Marie, qui a dû se plier aux désirs de Louis
pour recouvrer sa liberté, ne compte pas se satisfaire de celle-ci. Son idée fixe :
reprendre le pouvoir dans toute sa plénitude en écartant Luynes. Richelieu
l’encourage dans ce projet, certain qu’il secondera sa protectrice dans les affaires
publiques à la place du favori du roi. Il organise avec elle une nouvelle révolte
dans laquelle se retrouvent bientôt les personnages les plus importants. Puisque
l’ancienne régente décide de se soulever contre son fils en déclenchant elle-
même une guerre civile dans le royaume, il n’y a plus aucun scrupule à avoir,
que l’espoir, en cas de victoire, d’obtenir des charges encore plus importantes.
Parmi les rebelles, il y a Soissons et Longueville, qui tient la Normandie,
Vendôme, tout-puissant en Bretagne, le duc de La Trémoïlle en Poitou, le duc
d’Epernon en Aunis et Saintonge ; Mayenne très influent en Guyenne,
Montmorency en Languedoc… et évidemment, à la tête de tous, Marie de
Médicis, gouverneur de l’Anjou. Toute la moitié occidentale du royaume ainsi
qu’une partie du Midi se trouvent dressées contre le monarque, ce qui représente
un réel danger pour lui.
Louis XIII ne négocie plus. A la guerre, il répond par la guerre. Il mobilise
une armée deux fois plus nombreuse que celle des factieux, se rend en
Normandie où il l’emporte sans grande difficulté sur les forces de Longueville,
puis décide de se rendre à Angers, centre de la subversion.
Une bataille décisive a lieu près de cette ville, aux Ponts-de-Cé, seul lieu de
passage de la Loire entre Nantes et Amboise, le 7 août 1620. Le combat dure
moins de trois heures, les troupes royales dispersant facilement leurs ennemis
dont les chefs se disputent le commandement pendant l’engagement. Se sentant
débordés, certains tentent de s’enfuir par la Loire et s’y noient. La victoire est
acquise si rapidement et de façon si ridicule qu’on la retiendra sous le nom de
« Drôlerie des Ponts-de-Cé ».
Il faut traiter. Pour cette besogne humiliante et délicate, Marie désigne
l’habile Richelieu. Les conditions de la paix sont clémentes car le roi tient à se
réconcilier avec sa mère et les Grands pour éviter de nouvelles mésaventures. Le
10 août, à Angers, il est convenu que les insoumis seront amnistiés, et en
premier lieu Marie de Médicis, qui reçoit en outre une belle somme d’argent.
Richelieu, lui, réussit à obtenir du souverain la promesse qu’il interviendra
auprès du pape pour l’élever à la dignité de cardinal. Si sa protectrice n’a rien
obtenu de ce qu’elle voulait, ne dirigeant que l’Anjou, le protégé, lui, espère
jouir demain d’avantages substantiels qui l’aideront dans sa conquête du
pouvoir, auquel il aspire avec autant de force que Marie.
Un traité a ramené la paix, mais pas dans les esprits. Lorsque la mère et le
fils se rencontrent à Brissac pour sceller leur réconciliation, l’atmosphère est
glaciale car Louis XIII est resté le maître.

Une satisfaction pour Marie : la reprise de la guerre contre les


huguenots

Toutefois, pendant les quatre années suivantes, la reine mère connaît des
sujets de satisfaction qui ramènent progressivement en elle l’espoir d’un retour
en grâce auprès du roi.

Rétablissement du catholicisme en Béarn et en Navarre

En octobre 1620, après le rétablissement de la paix dans la famille royale,


Louis XIII, qui n’aime pas les protestants, à la différence de son père, entreprend
avec Luynes de ramener à l’orthodoxie les territoires du Sud-Ouest que détenait
Henri IV. Ce dernier s’était en effet engagé à rétablir le catholicisme en Navarre
et en Béarn mais s’était bien gardé, en tant qu’ancien protestant, de faire
respecter sa promesse. Pour Louis XIII et son favori, il est plus que temps
d’honorer la parole donnée : dès le 25 juin 1617, ils déclarent d’un commun
accord que le culte catholique doit être restauré dans le royaume de Navarre et la
vicomté de Béarn. De plus, les responsables locaux seront tenus de rendre aux
ecclésiastiques les terres et biens confisqués pendant les guerres de religion.
Mécontents de ces décisions, les calvinistes manifestent leur opposition unanime
lors de l’assemblée qu’ils tiennent à Loudun en septembre 1619.
Les difficultés que Louis rencontre alors avec sa mère l’empêchent
d’intervenir. Mais après leur réconciliation il a les mains libres pour faire
exécuter ses ordres. Une fois signée la paix d’Angers, il se garde bien de
regagner Paris et se dirige avec son armée vers le Béarn et la Navarre, qu’il
occupe et incorpore au Domaine royal. En cet automne 1620, c’est son premier
succès militaire et politique notable. Si elle regrette la victoire de Luynes, qui
l’éloigne encore davantage de son fils, la dévote Marie de Médicis ne peut que
se réjouir du succès de la « bonne religion » dans le Sud dû à l’intervention du
souverain.

L’embrasement du Midi et le retour en grâce


de Marie de Médicis

Ce n’est pas le cas des réformés, furieux, eux, de l’atteinte portée au


protestantisme. Réunis le 25 décembre à La Rochelle, ils décident de recourir
aux armes. Leurs députés se prononcent pour le découpage du royaume en huit
circonscriptions militaires, la levée de nouvelles troupes et, pour y parvenir
jusqu’au succès final, la confiscation des impôts royaux. Le duc de Rohan,
gendre de Sully, se place à la tête des armées, secondé par son frère Soubise,
mais ne réussit guère à mobiliser que les huguenots du Midi – et encore pas
tous –, ceux du Nord refusant de participer à une rébellion qui, cette fois encore,
ne leur rapportera aucun avantage substantiel.
Louis XIII réagit à cette nouvelle révolte. Dans l’espoir d’assurer le plein
succès de son expédition militaire, il nomme Luynes, déjà chargé de titres et
d’honneurs, connétable le 3 avril 1621. Il traverse la Touraine pour se rendre en
Poitou, puis en Saintonge. Au début du mois de juin, il met le siège devant Saint-
Jean-d’Angély, qui se rend après trois semaines de résistance. Pour fêter sa
victoire et effrayer tous ceux qui seraient tentés de s’opposer à lui, il ordonne la
destruction de toutes les fortifications de la ville, dès lors sans moyen de
résistance possible et de facto soumise au souverain. Après avoir pris Nérac, il
demande à Luynes d’assiéger Montauban à l’été. Mais le nouveau connétable,
s’il est ami du roi, est aussi médiocre stratège qu’il est faible politique. Il dirige
mal les opérations et, au bout de trois mois, doit constater son échec, ce dont
Louis XIII est fort mécontent. Seule sa mort, le 15 décembre, à quarante-trois
ans, lui évite l’humiliation d’une disgrâce.
Le 7 juin 1622, le monarque, devenu seul maître de l’armée, met le siège
devant Négrepelisse et la prend trois jours plus tard. Les habitants sont tous
passés au fil de l’épée, les femmes après avoir été « forcées » par la soldatesque.
Pour parfaire le tout, la cité est pillée et brûlée. Le massacre et les excès sont
accomplis sans que Louis ne cherche à les empêcher. Son but est toujours le
même : terrifier les populations pour les amener à reddition. Ces méthodes
brutales s’accompagnent d’actions plus pacifiques mais tout aussi efficaces : on
achète les soumissions de beaucoup de seigneurs réformés en leur distribuant
argent et honneurs.
La peur et l’appât du gain facilitent la progression du roi dans le Sud. Le
27 juin, celui-ci entre à Toulouse, ville catholique qui lui est en partie acquise,
puis à Narbonne et Béziers. Mais Henri de Rohan est décidé à résister. Lorsque
l’armée royale assiège Montpellier, le 31 août, le duc calviniste harcèle les
assiégeants, leur livre même une rude bataille non loin des murs d’enceinte de la
cité. Comme la situation militaire traîne en longueur, que le siège piétine, le
souverain décide de traiter avec les huguenots le 19 octobre, mettant fin ainsi à
dix-huit mois de guerres dans le Midi.
Le contenu du traité de paix tient compte tout à la fois des nombreux succès
de Louis XIII et de son demi-échec final. Pour l’essentiel, il reprend le contenu
de l’édit de Nantes, mais restreint considérablement le nombre des places de
sûreté laissées aux protestants. Désormais, seules deux villes, La Rochelle et
Montauban, restent aux mains des réformés et les assemblées subversives sont
interdites. Les garanties accordées pour le maintien de la liberté religieuse se
trouvent donc singulièrement diminuées, pour briser l’opposition des réformés.
Mais, afin d’apaiser les esprits, une amnistie générale exonère les révoltés de
toute poursuite et, dans l’espoir de calmer les ardeurs belliqueuses de Rohan, le
Trésor lui verse une grosse somme, deux cent mille écus. Marie de Médicis
trouve tout cela bel et bon. L’action entreprise contre les protestants la rapproche
de plus en plus d’un fils qui, au fond, partage ses convictions. De plus, la mort
de Luynes, son ennemi juré qui a usurpé sa place près du roi, provoque des
changements qui finiront bien, du moins l’espère-t-elle, par lui être favorables…

Un certain Richelieu…

En effet, le décès du connétable est à l’origine de modifications importantes :


souverain, Louis XIII entend l’être pleinement, en n’acceptant plus de favoris
près de lui. Mais il ne peut à lui seul résoudre tous les problèmes et doit
s’appuyer sur des personnes expérimentées. Chacun prétendant être le candidat
idéal, on se bat pour assister le monarque dans son gouvernement. La reine mère
également : puisque Luynes ne peut plus lui nuire, elle peut aider le roi par son
savoir-faire. Avant sa disgrâce et les fâcheries avec son fils, n’a-t-elle pas été
régente dans des conditions plutôt satisfaisantes malgré de grands périls ?
Depuis la réconciliation par le traité d’Angers, plus rien ne s’oppose, semble-t-il,
à ce qu’elle revienne aux affaires publiques… Après quelques hésitations dues à
un passé douloureux, Louis se laisse convaincre car il a besoin d’elle, mais pas
totalement, pas comme elle le souhaite. Le 31 janvier 1622, à l’issue de près de
cinq années de dures épreuves dans la famille royale, il l’autorise à participer à
plusieurs séances de son Conseil. Pour Marie, c’est enfin le retour en grâce.
Dans une certaine mesure seulement car, l’année même à partir d’octobre
1622, les Brulart, le père, Nicolas, marquis de Sillery, et son fils, Pierre, marquis
de Puisieux, dominent le Conseil avec le soutien de Condé, libéré le 17 octobre
1619. Les Brulart, soucieux d’étendre leur influence, font nommer à la
surintendance des Finances, à la fin de 1623, un ami qui leur paraît sûr, le
marquis de La Vieuville. Mais le compagnon de la veille a d’autres ambitions
que de jouer les seconds rôles. Comme Sillery et Puisieux se servent sans
vergogne dans les caisses de l’Etat, il avertit le roi de leur inconduite. Celui-ci, le
1er janvier 1624, décide de limoger ses principaux ministres… et de les
remplacer par La Vieuville, qu’il croit intègre et compétent.
Pendant tout ce temps, la situation personnelle de Marie auprès du roi ne
s’est guère améliorée. Puisque chacun décide de jouer sa partie en faisant
nommer des amis au Conseil, pourquoi s’en priverait-elle ? Elle a près d’elle,
depuis de longues années déjà, un homme dévoué et d’une grande intelligence
politique, Richelieu, qui est sa créature, son pion maître. Pourquoi ce complice
avisé ne la rejoindrait-il pas au gouvernement pour appuyer sa cause ? Il a des
états de service à faire valoir : il a été secrétaire d’Etat avec bonheur ; il a
négocié par deux fois la réconciliation de la mère et de son royal fils. De plus, en
exécution des décisions prises lors du traité d’Angers, il est cardinal depuis
septembre 1622.
Marie de Médicis s’emploie à convaincre Louis de la nécessité d’appeler
Richelieu près de lui. Mais le souverain hésite : il y a le passé, l’homme de
Concini, celui qui l’a trahi avec sa mère… De plus, il le trouve « altier et
dominateur ». A force de persévérance, sa mère finit par le convaincre : le
29 avril 1624 Louis XIII appelle le cardinal de Richelieu au Conseil. Son titre lui
donne la préséance sur les autres conseillers, sauf naturellement sur son égal, le
cardinal de La Rochefoucauld. Mais le roi veut le confiner dans un rôle de
simple membre du Conseil étroit.
Telles ne sont pas les vues de Marie et de son protégé. Celui-ci, aussi
assoiffé de pouvoir que sa bienfaitrice, fait dénoncer par des polémistes à sa
solde les malversations importantes du marquis de La Vieuville, arrêté sur ordre
du roi le 13 août 1624. Marie de Médicis et Richelieu ont la voie libre
désormais : l’avenir est à eux après l’élimination de leurs rivaux. Pour la reine
mère, c’est un retour triomphal aux origines ; pour le cardinal, c’est l’entrée dans
les allées du pouvoir.
Encore devront-ils se méfier l’un et l’autre : en un peu plus de dix-huit mois
d’intrigues sur fond de corruption, trois personnalités se sont succédé à la tête du
gouvernement, certaines poussées par des amis qu’ils se sont empressés
d’éliminer du jeu politique. Mais pour Marie de Médicis de semblables
problèmes ne se posent pas : elle contribuera à la progression de Richelieu qui,
lui devant tout, la servira docilement et la rétablira complètement dans ses
anciennes fonctions.

Retour au pouvoir de Marie de Médicis ? (1624-1630)

La reine mère évalue mal les volontés du cardinal. Si ce dernier a vraiment


besoin d’elle depuis 1616 et encore récemment en 1624, il a d’autres ambitions
que d’être le faire-valoir, l’exécuteur de ses volontés. Il a déjà eu l’occasion de
se rendre indispensable au roi lors des négociations qu’il a menées pour le
réconcilier avec sa mère. Il a à présent des objectifs secrets précis : lever les
doutes et hésitations que Louis a encore envers lui, se rapprocher du roi en lui
proposant un programme de gouvernement qui l’enthousiasmera et qu’il sera
chargé d’exécuter comme Premier ministre. Quant à Marie de Médicis,
Richelieu compte la ménager tant qu’il aura besoin d’elle. Mais si d’aventure ses
options politiques l’en éloignaient, qu’il devenait l’homme de confiance du
souverain, il n’hésiterait pas à couper le cordon ombilical qui le relie à
l’ancienne régente et agirait selon son bon vouloir. Pour satisfaire son ambition
bien sûr, mais aussi dans l’intérêt du roi et du royaume.
L’entente de Marie et de Richelieu repose donc, dès l’entrée de celui-ci au
Conseil étroit, sur un malentendu. Si les deux personnalités sont bien décidées à
se servir l’une de l’autre, la Florentine est dupe des véritables intentions de son
protégé : elle compte l’utiliser comme un second, quand celui-ci n’aspire qu’à
profiter d’elle pour mieux se saisir du pouvoir dont le monarque est le seul
maître.
Heureusement pour lui, le cardinal partage un certain nombre d’idées avec
Marie de Médicis. Comme elle, il veut la ruine du parti protestant, source de
désordres, et l’abaissement des grands seigneurs qui ont, jusqu’à un passé récent,
entravé la progression de l’autorité royale. Pour l’un comme pour l’autre, l’ordre
s’impose. Mais Richelieu n’a pas exactement les mêmes vues que Marie sur les
huguenots : il veut simplement les empêcher de nuire en détruisant leur
puissance. La reine mère, très influencée par le parti dévot, animé par Pierre de
Bérulle, fondateur de la congrégation de l’Oratoire en 1611, veut beaucoup plus :
la conversion des parpaillots et le retour à l’unité religieuse prônée par le concile
de Trente et le mouvement de la Contre-Réforme. Le cardinal a des objectifs
politiques, la reine mère des visées religieuses radicales. En apparence, une
attitude commune contre les réformés ; dans le fond, des différences sensibles
dans l’approche des problèmes.
En 1624, même hostilité partagée envers les princes et la haute noblesse.
Mais tandis que Marie de Médicis souhaite continuer à les contenir par de l’or et
des faveurs, Richelieu ne veut rien leur céder et préfère les affronter jusqu’à
reddition. Dans un cas, la paix achetée au détriment de la puissance de l’Etat,
dans l’autre la rigueur triomphante pour imposer un authentique souverain,
maître de tous.
Dans le domaine de la politique étrangère, la différence est encore plus nette.
Marie veut l’alliance avec les Habsbourg catholiques ; par principes religieux,
parce qu’elle compte sur eux pour appuyer la France dans sa lutte contre
l’hérésie protestante. N’a-t-elle pas voulu préméditer le mariage de Louis XIII
avec Anne d’Autriche, l’Espagne étant pour elle la meilleure garante d’une
victoire totale de l’orthodoxie ? Le cardinal est viscéralement opposé à une telle
entente. Non parce qu’il se soucie peu de la réforme, mais par lucidité
gouvernementale. Le royaume de France, enserré comme dans un étau entre les
possessions de la maison de Vienne et de Madrid, se doit, pour assurer sa survie
et son indépendance, de lutter contre ses puissants voisins, que les seules raisons
religieuses ne détourneront pas – c’est certain – d’annexions partielles dans le
sud, l’est ou le nord du royaume de France. Les impératifs d’expansion et de
domination feront taire les objections de conscience du roi d’Espagne. Aussi est-
ce surtout de celui-ci que se méfie le plus le cardinal jusque vers 1630.
On le voit : dès 1624, l’union politique de Marie et de Richelieu repose sur
un malentendu bien exploité par le cardinal. Mais comme ce dernier est loin
d’avoir conquis le cœur et l’esprit de Louis XIII, il doit faire valoir à Marie de
Médicis ce qui les rapproche, gardant pour lui, dans un absolu secret, les
sentiments qui l’animent vraiment et qui n’apparaîtront qu’à partir de 1627. Et la
reine mère, confiante, se sentant soutenue par son favori, ne voit rien, ne se
doute de rien, jusqu’à ce que Richelieu, abattant ses cartes, lui révèle sa
crédulité, son invraisemblable méprise. Elle se croyait servie ; il ne servait en
fait que la gloire du roi !
Innocente la Florentine ? Pas vraiment. Elle s’est laissé circonvenir par les
serments de fidélité de son protégé. La grande intelligence, la duplicité et les
louvoiements de celui-ci ont fait le reste jusqu’à son triomphe final… Pour
comprendre la façon dont Marie a été abusée, il suffit de se pencher sur
l’évolution de la politique française jusqu’en 1630.

Des sujets de contentement pour Marie de Médicis…

La reine mère est au comble de la félicité quand son fils, après bien des
réticences justifiées par la peur d’être dominé par autrui et de perdre son autorité,
fait enfin, en 1627, de Richelieu son « principal ministre ». Elle croit avoir
atteint ses objectifs : le cardinal, exécuteur de ses volontés auprès de Louis XIII,
pourra enfin lui redonner au gouvernement toute l’importance qu’elle avait avant
l’assassinat de Concini ! L’avenir la détrompera cruellement mais pour l’heure,
elle pense retrouver le rôle qui était le sien dix ans plus tôt.
D’ailleurs, en homme dévoué à sa cause, Richelieu s’évertue, par d’autres
méthodes que les siennes il est vrai, à lutter contre les prétentions des grands
seigneurs. Elle avait acheté leur ralliement de 1610 à 1617, avant de déclencher
avec eux de vastes séditions contre son fils, mais à l’époque c’était pour elle le
seul moyen de se faire entendre du souverain. En fait elle désapprouvait ces
agités qui menaçaient la paix et l’unité du royaume. Si les princes ne se révoltent
plus massivement à présent, c’est qu’ils ont fait la douloureuse expérience de
leur échec et que Richelieu est prêt à leur imposer sa loi par les armes. La
rébellion organisée n’est plus de mise, surtout depuis que Marie a rallié son fils.
Ce qu’il faut maintenant, c’est viser le sommet de l’Etat, l’atteindre au cœur en
éliminant la personnalité la plus influente auprès du roi.
En 1626, Gaston d’Orléans, frère cadet du monarque et héritier présomptif
de la Couronne en l’absence de dauphin, ourdit un complot pour éliminer
physiquement Richelieu. Il utilise les charmes de la ravissante duchesse de
Chevreuse pour convaincre le comte de Chalais de participer à l’assassinat,
lequel, tout énamouré, se laisse convaincre. Mais l’affaire est découverte et
Gaston, pour éviter tout ennui personnel, dénonce ses complices. Chalais est
condamné à mort puis décapité le 19 août. Son exécution dissuade d’autres
opposants d’élaborer de nouveaux complots. L’ordre règne et le cardinal, sain et
sauf, s’est imposé avec maestria.
Mais la haute noblesse veut continuer à vivre comme elle l’a fait jusqu’à
présent, sans renoncer à ses prérogatives ancestrales de domination et de
prééminence auxquelles elle tient beaucoup. Cela ne peut que contrarier l’ordre
que veut imposer le cardinal. Aussi celui-ci a-t-il fait prendre par le roi en février
1626 un édit interdisant les duels dans le royaume afin que tous les problèmes
entre particuliers se règlent devant la justice royale. Mais l’un des plus hauts
dignitaires refuse d’obéir à une loi qu’il considère comme injuste et
antinobiliaire. François de Montmorency-Boutteville a déjà enfreint
l’interdiction à de nombreuses reprises mais il veut braver l’édit pour afficher sa
réprobation d’une loi qui bafoue des pratiques anciennes. En 1627, il se livre à
un duel en plein Paris, sur la place Royale. La provocation appelle une terrible
sanction : la mort et la décapitation en juin. Les grands seigneurs catholiques se
tiendront tranquilles pendant plusieurs années.
Par contre les chefs huguenots, dont le pouvoir tend à s’affaiblir depuis le
traité de Montpellier, ne veulent pas plier et se soumettre aux volontés du roi, de
Richelieu et de Marie de Médicis. Le point fort de leur résistance est la ville de
La Rochelle, bien défendue et soutenue depuis longtemps par l’Angleterre. En
janvier 1625, Benjamin de Soubise, frère du duc de Rohan, prend les îles de Ré
et d’Oléron, qui protègent les abords de la grande cité. Mais en septembre la
flotte royale défait les forces de Soubise et Richelieu peut imposer la paix aux
insoumis en février 1626.
Ce succès n’est qu’apparent car, voulant reprendre le terrain perdu, les
protestants du Midi se soulèvent contre le gouvernement du cardinal en juin
1627, bientôt imités par ceux de La Rochelle, avec lesquels ils passent une
alliance offensive. Les guerres de religion reprennent dans le royaume.
Louis XIII et Richelieu ne veulent pas se battre sur deux fronts comme leurs
ennemis le souhaiteraient. Ils interviendront d’abord à La Rochelle et se
retourneront ensuite contre les calvinistes du Sud. Du reste, s’ils avaient eu
encore quelque hésitation, leur choix stratégique leur aurait été dicté par les
Anglais. Le 25 juillet, la flotte anglaise de Buckingham prend l’île de Ré. La
réaction du cardinal est rapide et efficace : dès le mois de novembre il chasse ses
ennemis de Ré.
Entre-temps, sur le continent, les évènements se sont précipités : le
10 septembre, les Rochelais ont fait donner le canon contre les troupes françaises
réunies devant les fortifications de la cité. Les hostilités sont engagées.
Pour s’imposer, le cardinal décide d’employer les grands moyens ; il
organise un siège en règle de la capitale de l’Aunis. Après l’avoir entrepris du
côté terrestre, il ordonne d’isoler la cité du côté maritime par une grande digue
d’un kilomètre et demi de long. A cette fin, il fait couler des bateaux remplis de
blocs de pierre, qu’il relie entre eux par des chaînes, ne laissant qu’un étroit
goulet au milieu pour laisser passer les marées. Sur le rempart ainsi créé, il fait
disposer des batteries de canons pour empêcher toute flotte étrangère
d’approcher. Et lorsque par deux fois, à la mi-mai et à l’automne 1628, les
Anglais tentent de secourir de nouveau La Rochelle, ils doivent renoncer à leur
entreprise et, impuissants, regagner leur île, laissant leurs alliés livrés à eux-
mêmes.
Dans ces conditions, après une héroïque résistance de plus d’un an, les
Rochelais doivent proposer la paix à Richelieu à la fin du mois d’octobre. Celui-
ci exige une capitulation sans condition, ne voulant pas traiter avec des rebelles.
Ses exigences sont dures : les fortifications de la ville seront démantelées, sauf
du côté de la mer où subsisteront trois tours, et la liberté de culte sera rétablie,
autrement dit le catholicisme. Il a soin d’éviter l’emprisonnement ou le massacre
de la population pour ne pas provoquer une indignation générale. Vainqueur
magnanime, il épargne les survivants et, le 1er novembre, le roi Louis XIII peut
faire une entrée triomphale dans la grande cité vaincue.
Le cardinal ayant dirigé l’essentiel des opérations, son succès militaire
connaît un grand retentissement, tant en France qu’à l’étranger. Au comble de la
joie, Marie de Médicis complimente son protégé qui a assuré de façon
remarquable la victoire du parti dévot…
Pendant que le souverain et son principal ministre s’affairaient autour de La
Rochelle, Condé, lui, tentait de pacifier les calvinistes du Sud, qui faisaient cause
commune avec les révoltés du Sud-Ouest, ravageant notamment le haut Vivarais
et le haut Languedoc, mais il n’obtenait pas de résultats probants. En 1629,
libéré du problème rochelais, le roi intervient à son tour, bien décidé à en finir
avec l’insoumission des huguenots. En mai, il fait capituler Privas et prend Alès
le mois suivant. Ses succès, la lassitude de ses ennemis amènent leur chef, le duc
de Rohan, à demander la paix. Le 28 juin 1629, Louis signe l’édit de grâce
d’Alès. Sur le fond, ce dernier ressemble à celui de Nantes de 1598 puisque les
réformés gardent leur liberté de conscience et de culte, mais cette fois-ci la force
politique et militaire des protestants est brisée : pour eux, plus d’assemblées de
députés, plus aucune place de sûreté dans le royaume. Cette paix marque la fin
des guerres de religion commencées au XVIe siècle. Elle marque surtout la
suprématie du monarque sur tous les Français : celui-ci est désormais à la tête
d’un seul peuple que différencient seulement les convictions et les pratiques
religieuses. Marie de Médicis se prend à rêver à la conversion de tous les
réformés…
… et des motifs de mécontentement

Cependant, de 1624 à 1627, Marie connaît une alternance de sujets


d’insatisfaction et de contentement qui, tour à tour, l’indisposent ou la
réconfortent. Malgré des irritations passagères, elle continue à soutenir le
cardinal.
Lorsque, en juin 1624, celui-ci pousse Louis XIII à signer le traité de
Compiègne, par lequel Paris noue des liens avec les calvinistes des Provinces-
Unies contre l’Espagne, la colère la gagne. Mais cette dernière retombe vite :
l’année suivante, elle souscrit volontiers au mariage de sa fille, la princesse
Henriette-Marie, avec le roi Charles Ier d’Angleterre. Cette union en terre
anglicane ne l’indispose pas, bien au contraire, car la future mariée partira outre-
Manche entourée de nombreux religieux catholiques, pour veiller là-bas au
retour à l’orthodoxie romaine. En terre de mission en quelque sorte, elle
ramènera les Anglais au catholicisme. L’ingénuité de la reine mère facilite la
tâche de Richelieu, qui trouve en elle un appui inespéré et un retour d’affection
qui servent ses projets.
Cela lui permet de préparer une expédition française en Italie du Nord contre
les Espagnols. La Valteline, haute vallée des Alpes située à l’est de la Suisse, est
un lieu stratégique majeur pour les Habsbourg. Elle permet de passer aisément
du Milanais espagnol au Tyrol autrichien et donc, en cas de guerre, d’effectuer
une intervention militaire groupée et rapide. Mais, justement parce que ce pays
est d’un intérêt capital pour lui, le souverain espagnol a forcé, dans un passé
récent, la Valteline à se soustraire de la suzeraineté de l’actuel canton suisse des
Grisons pour accepter la sienne, et donc son autorité. Pour que la présence des
Habsbourg dans ces pays soit complète, les Autrichiens se sont peu après rendus
maîtres des Grisons, de sorte que, par dépendance et annexion, ces régions
étaient devenues propriétés habsbourgeoises.
Devant le danger, Richelieu réagit. Après les avoir incitées à se révolter
contre l’occupant, il passe le 25 novembre 1624 un traité d’alliance avec les
Grisons et leur accorde son soutien, tant financier que militaire. Les opérations
sont promptement menées et avec succès, de sorte que dès le mois de février
1625 les Grisons sont libérés et les Espagnols chassés de la Valteline.
Le cardinal vainqueur de l’Espagne, cela ne plaît pas à Marie de Médicis qui,
à défaut d’avoir un programme politique bien établi, veut absolument le maintien
de l’entente avec les Espagnols pour que règne la paix avec les puissances
catholiques et assurer la victoire de la Contre-Réforme en Europe. Elle accable
de reproches son protégé qui lui explique comme il le peut la nécessité qu’il y
avait d’intervenir, tant la progression des Habsbourg de Madrid et de Vienne
dans le Sud-Est représentait un réel danger pour la survie du royaume de France,
survie à laquelle elle tient autant que lui…
Une fois la colère passée, la reine mère peut se réjouir d’être sur le fond bien
servie par le cardinal. Elle en a la preuve quand, le 20 avril 1627, celui-ci fait
signer à Louis XIII un traité d’alliance avec l’Espagne. Comme le parti dévot,
elle est satisfaite de cette sage décision et manifeste son contentement. En
réalité, le principal ministre l’a comblée à moindres frais : la cour de Madrid
n’avait fait que demander l’appui des Français contre les Anglais qui pirataient
ses navires dans son commerce avec l’Amérique latine. Une fois encore,
Richelieu s’est joué de Marie qui, reconnaissante, ne cesse de le pousser chaque
jour davantage vers son fils pour mieux contrôler ce dernier et régner à travers
lui.

Marie de Médicis se retourne contre Richelieu (1629-1630)

Cependant, à force de compétences, de travail et de diplomatie, le cardinal


finit par se rendre indispensable à Louis XIII, au point qu’il devient beaucoup
plus le second de celui-ci que le porte-parole de Marie. Cela lui confère plus
d’indépendance et de force politiques. A tel point que, renonçant de plus en plus
à ménager sa protectrice, il est bientôt tenté de dévoiler son véritable plan
d’action et de gouvernement, qui rencontre l’assentiment royal et le rapproche
seul du trône.
On le constate bientôt clairement. A la fin de l’année 1627 le duc de
Mantoue meurt sans descendance mâle. Son plus proche héritier est l’un de ses
parents, un Français, Charles, duc de Nevers, qui fait son entrée à Mantoue en
janvier 1628. En vérité, son héritage comprend le duché de Mantoue et le
marquisat de Montferrat, situés respectivement à l’est et à l’ouest du Milanais
espagnol. Ce sont donc des voies de passage stratégiques entre les possessions
italiennes de l’Espagne et l’Autriche. Ne pouvant accepter en ces lieux la
présence d’un ennemi potentiel des Habsbourg, l’empereur refuse de conférer
son investiture à son nouveau vassal le duc de Nevers, ce qui rend caduque sa
nomination. Cette décision réveille les appétits des deux puissances voisines, le
duché de Savoie, qui aspire à s’emparer du Montferrat tout proche, et l’Espagne,
qui rêve de prendre Mantoue et son duché, également à portée de canon.
Devant cette nouvelle avancée des Espagnols vers la frontière française,
Richelieu, soucieux de l’indépendance du royaume, réagit pour la première fois
avec vigueur : le 13 janvier 1629, dans un de ses fameux « avis au roi » qu’il
rédige pour orienter le souverain dans ses décisions, il propose d’entrer en guerre
contre l’Espagne pour arrêter sa progression. Marie de Médicis est furieuse et le
manifeste bruyamment dans son premier vrai affrontement avec le cardinal.
Elle n’est pas écoutée. Son fils décide de déclencher les hostilités contre un
dangereux ennemi. Commencée en mars, l’offensive militaire française
enregistre des succès notables : le 6, l’armée du « roi-soldat » occupe le pas de
Suse. Satisfait des services que son conseiller lui a rendus depuis longtemps, et
encore cette fois, le souverain décide le 21 novembre de le nommer « principal
ministre d’Etat », c’est-à-dire Premier ministre. Cette fois, le cardinal est
l’homme du roi ; il échappe à la tutelle de la reine mère, qui en conçoit un amer
dépit : si elle ne peut pas reprendre en main son favori, elle se vengera.
Mais Louis XIII continue d’honorer de sa confiance l’homme qui le sert si
bien. Lorsqu’il reprend la guerre en Italie du Nord en novembre 1629, restant,
lui, à Paris, il nomme Richelieu « lieutenant général du roi en Italie » et lui
confie ainsi la direction de l’armée et des négociations. Le « principal ministre
d’Etat » fait merveille dans le domaine militaire : le 22 mars 1630, il s’empare
de Pignerol, dont le rôle stratégique est capital. Et la guerre se prolonge jusqu’en
octobre, le plus souvent à l’avantage de Richelieu et de ses troupes.
On peut donc ouvrir des négociations de paix dans de bonnes conditions. A
l’issue de celles-ci, Charles de Nevers reçoit l’investiture du duché de Mantoue,
ce qui met fin aux prétentions et à l’avancée des Espagnols et de la Savoie. Non
seulement on revient à un avantageux statu quo ante, puisqu’un Français tient
désormais Mantoue et est l’allié de Louis XIII, mais la France reçoit la promesse
secrète de garder Pignerol, promesse qui deviendra réalité deux ans plus tard.
Ces avantages sont importants : l’avancée ibérique est enrayée dans les Alpes, et
la France se voit attribuer la principale porte de l’Italie du Nord, ce qui, à
Madrid, provoque la colère de Philippe IV, colère partagée à Paris par Marie de
Médicis.

La journée des Dupes, ou le grand orage


(11 novembre 1630)

Excédée de ne pas avoir été écoutée, furieuse de sa perte de pouvoir, la mère


du roi retire le 10 novembre 1630 à Richelieu toutes les charges qu’il détenait
dans sa Maison, celles de surintendant, de grand aumônier, de chef de son
Conseil. Par ces renvois et cette disgrâce, elle veut inciter le roi à l’imiter et à se
libérer de son ministre, devenu pour elle un ennemi.
Louis XIII ne veut pas rompre son entente avec Marie mais espère trouver
avec elle un modus vivendi qui l’amènerait à accepter le maintien en faveur du
cardinal. Dans ce but, le 10 au soir, il demande aux deux antagonistes de venir
s’expliquer devant lui. Le lundi 11 au matin, Richelieu se rend au palais du
Luxembourg, résidence habituelle de Marie de Médicis. Mais des gardes lui
interdisent l’entrée de la chambre de la reine. Celle-ci aurait-elle décidé de régler
son avenir seule avec son fils malgré les ordres de celui-ci ? Pour éviter le pire,
le Premier ministre réussit à gagner la chapelle privée de son ancienne
protectrice et, de là, sa chambre, où elle s’entretient avec le roi. Il s’avance vers
Marie, commence à bredouiller quelques mots, mais la reine mère lui coupe la
parole, l’accable de reproches et d’injures et lui dit qu’elle ne veut plus le revoir,
qu’elle n’assistera pas au Conseil s’il veut y revenir. Richelieu, décontenancé, ne
sachant que faire, se jette en larmes à ses pieds, baise le bas de sa robe, implore
frénétiquement son pardon. Marie le prie de mettre un terme à cette comédie
grotesque et de quitter les lieux, ce qu’il fait immédiatement.
Terrorisé, il décide d’attendre le souverain au bas de l’escalier principal du
palais : quand il paraîtra, il pourra lui parler, s’excuser, s’expliquer… Quand
Louis XIII arrive et passe près de lui, il ne lui adresse pas un regard, ne lui dit
pas un mot. Pour les courtisans qui assistent à la scène, c’est sûr : le cardinal est
frappé de disgrâce. Richelieu comprend lui aussi le message et se prépare à fuir
en exil à partir du Havre.
Mais un envoyé du roi vient lui dire que celui-ci l’attendra dans la soirée en
son pavillon de chasse de Versailles. Dominant ses appréhensions, Richelieu se
rend à la convocation royale. Après un long entretien entre les deux hommes, le
souverain demande à son principal collaborateur de rester à ses côtés pour l’aider
dans la conduite des affaires de l’Etat.
Sur ordre de Louis XIII, le principal ministre réunit un conseil à Versailles
dans la nuit du 11 novembre. Les amis de Marie de Médicis n’y sont pas
convoqués, ce qui signifie la disgrâce du parti de la reine mère. Le garde des
Sceaux, Michel de Marillac, est écarté du pouvoir et son frère, Louis de
Marillac, maréchal de France depuis juin 1629, bientôt arrêté et emprisonné. Il
sera décapité le 10 mai 1632. Raison d’Etat…
Tôt le matin du 12 novembre, la nouvelle du succès du cardinal se répand
dans la capitale. Marie, qui était radieuse le 10 novembre, est en rage.
Puisqu’elle a été désavouée et est isolée à présent, elle ne se rendra plus au
Conseil…
Réaction de colère bien inutile après cette journée des Dupes où ceux qui
croyaient gagner ont perdu. Car si ses collaborateurs ont été éloignés des affaires
publiques c’est elle qu’on veut tenir à l’écart du gouvernement, et cette fois-ci
définitivement, car elle est devenue indésirable.
Ebranlée mais pas abattue pour autant, la reine mère séjourne au château de
Compiègne en février 1631. Puis, comme elle est encore trop près de Paris et de
la Cour, on lui propose un exil honorable en France. Mais elle ne saurait accepter
de fuir ; ce qu’elle veut, c’est, malgré tout, revenir dans les allées du pouvoir,
conseiller, diriger. Si seulement, ce maudit Richelieu pouvait être éliminé… Pour
arriver à ses fins, elle conspire contre l’homme fort du moment avec Gaston
d’Orléans, son fils préféré, et constitue avec lui, éternel conspirateur, une « ligue
des gendres », redoutable sur le papier puisqu’elle réunit le roi d’Espagne, le roi
d’Angleterre et le duc de Savoie. En fait ces chefs d’Etat ont d’autres
préoccupations. S’ils assurent leur belle-mère de leur soutien, ils se gardent bien
d’intervenir, d’autant que l’opération projetée – le renvoi du cardinal et le rappel
de Marie de Médicis – est mal conçue, et encore moins bien coordonnée. Qu’à
cela ne tienne ! Pour Marie, un jour, c’est sûr, elle reviendra…

Une reine sans couronne (1631-1642)

La rébellion jusque dans l’exil

Dans l’immédiat, elle n’en peut plus de se sentir assignée à résidence à


Compiègne. Nourrissant l’espoir d’une meilleure fortune, elle quitte sa demeure
obligée dans la nuit du 18 au 19 juillet 1631 et, bien résolue à reprendre sa place,
gagne Bruxelles.
Mais personne ne la supplie de revenir en France. Bien décidée à s’imposer
malgré tout, elle projette d’effectuer un minitour d’Europe pour gagner à sa
cause tel ou tel gouvernement qui acceptera d’intervenir en sa faveur auprès de
Louis XIII. Des Pays-Bas espagnols, elle se rend aux Provinces-Unies puis en
Angleterre, pourtant toutes deux terres protestantes.
Son fils l’ayant dépossédée de tous ses biens, elle se trouve démunie
financièrement et décide de recourir aux pires extrémités : des complots tous
orientés officiellement contre Richelieu. Pour les organiser, elle a encore recours
à Gaston d’Orléans, qui décide de négocier pour elle… et pour lui. Dès 1631,
elle accepte de se commettre avec le duc de Bouillon, comploteur impénitent,
calviniste de surcroît. Quand l’ambition l’emporte sur les convictions… Comme
l’opération échoue, elle tente l’année suivante de convaincre les Impériaux de
faire la guerre contre la France. Nouvel échec… et nouvelles tentatives… En
1633, elle entreprend de faire assassiner le cardinal. Comme décidément rien ne
lui réussit, elle revient en 1634 à ses premières idées : Gaston négocie un traité
d’alliance avec l’Espagne. Puisque Philippe IV a hâte d’en découdre avec la
France… Toutes ces initiatives ont pour seul effet de la faire accuser de trahison
et de braquer encore davantage son fils contre sa personne.
Non seulement Marie échoue lamentablement dans ses tentatives de
reconquête du pouvoir, mais sa politique, celle qu’elle n’a cessé de défendre
jusqu’à la journée des Dupes, est mise à mal, détruite. Alors qu’elle avait réussi
à contenir en partie Richelieu dans sa volonté de lutter contre la Maison
d’Autriche, celui-ci étant contraint, pour ne pas trop la choquer, de conduire une
guerre « couverte », larvée, contre ses ennemis, le cardinal décide en 1635, avec
l’appui de son souverain, d’engager une guerre ouverte et d’intervenir
directement dans la guerre de Trente Ans contre les Habsbourg de Vienne et de
Madrid.
Et comme pour lui ôter ses dernières illusions, sa belle-fille Anne d’Autriche
donne naissance trois ans plus tard à un fils, Louis Dieudonné. C’en est fini des
prétentions de Gaston d’Orléans et des siennes propres puisque son petit-fils est
appelé à régner sous le nom de Louis XIV.
Fin de vie dans la vengeance, la solitude et le dénuement. A 69 ans, le
3 juillet 1642, Marie de Médicis meurt à Cologne, avec la seule assistance de
trois dignitaires ecclésiastiques. Elle disparaît sans même une dernière
satisfaction terrestre puisque son ennemi mortel, Richelieu, lui survit de
plusieurs mois encore.
Louis XIII, qui pendant tout l’exil de sa mère n’a jamais tenté de la revoir ni
de renouer avec elle, rapatrie son corps longtemps après son décès et la fait
inhumer dans la crypte de la basilique Saint-Denis le 4 mars 1643.

Une reine marquante pour la postérité ?

Marie de Médicis laisse d’elle un souvenir contrasté de 1610 à 1630.


Réussite contre les Grands, monnayée à prix d’or, parcours sinueux pour revenir
au pouvoir, un pouvoir que Richelieu lui offre en apparence tout en le
conquérant patiemment pour lui-même auprès du roi. Après 1630, par contre…
Il reste qu’elle a été reine, mère de roi et belle-mère des souverains
d’Espagne, d’Angleterre et du duc de Savoie par ses filles Elisabeth, Henriette-
Marie et Christine.
Ce qui est certain, c’est qu’imbue d’elle-même et dévorée d’ambition, elle a
voulu laisser d’elle le souvenir d’une grande reine. Elle a fait construire le
magnifique palais du Luxembourg (aujourd’hui le Sénat) à partir de 1615. De
quoi montrer sa puissance… Surtout, elle a commandé à un grand peintre de
l’époque, Rubens, l’« Histoire de Marie de Médicis », composée de novembre
1622 à février 1625, une série de créations picturales magnifiques à son éloge.
Nul ne pouvait ignorer sa grandeur puisque les tableaux monumentaux se
trouvaient dans la galerie menant à ses appartements du Luxembourg. Tout hôte
de marque devait être pénétré de la majesté royale avant de rencontrer la reine.
Naturellement l’illustre artiste, soumis aux volontés de Marie, avait quelque peu
idéalisé sa vraie vie… Et cela faisait enrager Louis XIII et sourire Richelieu…

Il n’en reste pas moins que la régence de Marie de Médicis a permis de


sauvegarder, à grand-peine il est vrai, l’intégrité du royaume et les intérêts
fondamentaux de la Couronne de France.
La puissance monarchique, si désirée par Marie, a fini par lui échapper à
force d’intransigeance et d’aveuglement. Elle reviendra à Louis XIV, après un
dernier grand soubresaut des forces de contre-pouvoir, haute noblesse et
parlements réunis.
V
Anne d’Autriche,
régente pour la gloire de Louis XIV
(1601-1666)

Fait unique dans l’histoire de France : dans la première moitié du


e
XVII siècle, deux régentes se succèdent à la tête du royaume, la première à la
suite de l’assassinat d’Henri IV en 1610, la seconde de la mort prématurée de
Louis XIII en 1643. Elles sont toutes deux de la même famille, puisque Anne
d’Autriche est la belle-fille de Marie de Médicis.
Un seul lien, bien ténu, les unit : comme ni l’une ni l’autre n’ont les
capacités politiques d’arriver à leurs fins dans des périodes troubles, elles
s’appuient chacune sur un ministre compétent, Richelieu, puis Mazarin, qui sont
censés réaliser leurs vœux les plus chers.
Mais en réalité, rarement deux femmes ont été aussi dissemblables. La
Florentine – on vient de le voir – était dévorée d’ambition et éprise de pouvoir
au point de se dresser contre son royal fils. Anne au contraire, malgré une
certaine volonté de puissance, a voulu de toutes ses forces faire du dauphin un
roi de gloire et lui a pratiquement tout sacrifié. Le rang et l’importance
dynastique les opposent également : Anne d’Autriche, issue des plus grandes
familles régnantes d’Europe, éclipse dès le début par sa naissance sa belle-mère
Marie de Médicis, issue d’un père fortuné mais d’une noblesse récente, celle que
procure seulement l’argent.
Une princesse adulée, une reine négligée (1601-1643)

Après une enfance de rêve, Anne n’a pas bien vécu son mariage avec
Louis XIII ; elle l’a enduré. Cette jolie femme, emplie de bonnes intentions mais
cruellement déçue par son union matrimoniale, s’est laissée aller, livrée à elle-
même, à une conduite parfois équivoque sur le plan sentimental et répréhensible
sur le plan politique, tant son Espagne natale lui manquait. L’humeur du roi son
mari s’en est trouvée aigrie au point de rendre insupportable la vie du couple.
Destins royaux…

Prestigieuse ascendance et jeunesse dorée

Lorsque à Valladolid, en ce jour béni du 22 septembre 1601, la petite Anne


vient au monde, la cour d’Espagne est radieuse, car l’enfant est la première-née
du souverain Philippe III et de Marguerite d’Autriche.
L’enfant est d’illustre naissance : ses deux arrière-grands-pères, Charles
Quint et son frère Ferdinand Ier, ont été tous les deux empereurs germaniques au
XVIe siècle. Son père règne sur l’Espagne, comme son grand-père l’avait fait
avant lui. Du côté paternel comme maternel, on avait veillé à des unions dans la
même famille, de façon à maintenir l’unité et la solidarité des Habsbourg de
Madrid et de Vienne pour continuer à dominer en commun l’Europe.
Anne et ses frères et sœurs sont élevés moins par des gouverneurs et des
précepteurs, comme le voudrait la tradition, que par leurs parents eux-mêmes :
Philippe III, peu préoccupé de politique, laisse une partie de la direction du
gouvernement au duc de Lerma, ce qui lui donne du temps libre pour s’occuper
de sa descendance. Quant à Marguerite, très étroitement unie à son mari, très
maternelle aussi, elle se consacre à l’éducation de sa progéniture avec une
attention toute particulière : elle l’instruit, elle l’éduque en lui inculquant, elle si
pieuse, de solides principes religieux et moraux.
Cela n’empêche pas le roi et la reine d’entretenir une cour tout à la fois
joyeuse et raffinée : ils ont un goût marqué pour le théâtre et les beaux-arts, mais
aussi pour la chasse et les fêtes fastueuses. Sous leur impulsion, leur entourage
se distrait et se cultive, jusqu’au jour de malheur où Marguerite d’Autriche vient
à mourir des suites de couches, après avoir donné naissance à huit enfants en
moins de douze ans.
En 1611, à dix ans, Anne est orpheline de mère. Cette disparition la marque
profondément. Mais son chagrin est vite calmé par l’affection que son père lui
prodigue plus que jamais. Après les larmes, la jeune infante retrouve bientôt
grâce à lui la douceur et la joie de vivre.
Dès les premières années de sa régence, Marie de Médicis avait décidé de
renforcer les liens avec la branche espagnole de la Maison de Habsbourg. Aussi
s’était-elle rapprochée de Philippe III avec un objectif simple : marier dès leur
nubilité le roi Louis XIII encore enfant avec Anne d’Autriche et la sœur de
Louis, Elisabeth, avec Philippe, prince des Asturies, héritier de la Couronne
d’Espagne. Le souverain ami avait favorablement accueilli ses propositions.
Au terme des négociations traditionnelles, le contrat de mariage de Louis
avec Anne est signé le 22 août 1612 à Madrid. Il ne reste plus qu’à réaliser les
unions projetées. C’est chose faite le 18 octobre 1615, quand les deux princesses
épousent par procuration leur futur mari, Anne à Burgos, Elisabeth à Bordeaux,
chacune dans leur pays natal. Quand vient le temps des célébrations
sacramentelles des noces, elles se croisent le 9 novembre sur la Bidassoa pour
rejoindre l’une et l’autre leur mari, l’une en Espagne, l’autre en France. C’est
ainsi que, le 25 du même mois, Louis s’unit à Anne devant Dieu dans la
cathédrale Saint-André de Bordeaux. Les conjoints ont tous les deux quatorze
ans, le roi étant de cinq jours l’aîné de la reine. Le lendemain, Marie de Médicis
peut proclamer fièrement que le mariage a été consommé.
Dans les jours, les mois et les années qui suivent, Louis XIII montre fort peu
d’empressement à donner un dauphin à la France. Il néglige sa femme.
Pourquoi ? Parce que, tout jeune encore, il a été dégoûté de la première nuit
passée avec Anne, innocente comme lui. Parce qu’il a peur des femmes,
préférant la compagnie des hommes. Certains insistent sur son homosexualité, ce
qui est peu probable, au moins pour le passage à l’acte, car on ne lui connaît
aucune aventure avec Luynes, qui est pourtant depuis longtemps son ami et son
soutien. D’autres parlent d’impuissance, version plus qu’improbable puisqu’il a
fini par donner deux fils à la reine. Que s’est-il passé alors ? Louis XIII n’était ni
un séducteur ni un homme très viril ; par contre, il avait ses pudeurs et aussi une
angoisse viscérale du péché de chair, péché mortel pour lui, même dans le
mariage.
Les relations charnelles s’espaçant de plus en plus, Luynes doit l’obliger à
partager la couche d’Anne d’Autriche en janvier 1619. C’est un nouveau départ
pour une vie commune qui ne dure pas longtemps car la reine ne lui donne pas
de dauphin. Alors les nuits d’Anne se passent dans l’attente d’un retour
d’affection auquel elle aspire de toutes ses forces, ne négligeant ni messes, ni
sacrements, ni oraisons. Rien n’y fait : les premières années du mariage, comme
d’ailleurs beaucoup d’autres après, sont marquées par un vide amoureux. Le
couple royal n’existe la plupart du temps que devant la Cour et à la face du
monde. Notons quand même qu’à partir de 1622, le roi est parfois très malade,
tourmenté par des intestins très douloureux. Mais en fin de compte, pour la jeune
épouse, qu’il est loin le bonheur de sa prime jeunesse !
Anne ne peut rester sur un pénible échec sentimental. Aussi se laisse-t-elle
courtiser par des hommes de haute noblesse, qui convoitent sa beauté et ses
charmes. Mais ses amours restent dans la limite de la bienséance, se manifestant
toujours devant des membres de la Cour. Les soupirants dépités ne peuvent se
réclamer de ses faveurs et doivent se contenter d’être ses compagnons de cœur.
Jusqu’au jour où le roi Charles Ier, qui vient de succéder en 1625 à son père
Jacques Ier sur le trône d’Angleterre, entreprend des démarches nécessaires pour
épouser Henriette-Marie de France, sœur cadette de Louis XIII. Les négociations
entre Londres et Paris étant rondement menées, Henriette-Marie épouse par
procuration en France le souverain anglais le 11 mai. Charles Ier demande alors à
son favori, l’influent duc de Buckingham, de faire une escorte d’honneur à son
épouse jusqu’à sa terre d’adoption.
Or, à trente-trois ans, cet émissaire royal a toutes les qualités d’un
séducteur : il est beau et fort, intelligent, puissant et riche. Cela n’échappe pas à
la duchesse de Chevreuse, épouse en premières noces du connétable de Luynes
et amie d’Anne. Pour éloigner celle-ci de sa tristesse et de son infortune
grandissante, elle met tout en œuvre pour faciliter un rapprochement de sa
maîtresse avec Buckingham, rapprochement qui pour elle doit dépasser le simple
amour courtois. Son plan est simple : le duc arrivant à Paris le 24 mai,
« Bouquinquan », comme disent les Français toujours un peu fâchés avec la
langue anglaise, sera l’amant de la reine !
Dès la première entrevue, c’est le coup de foudre de part et d’autre. Le
trouble d’Anne est visible de tous, même si elle s’applique à n’avoir d’entretiens
avec son prétendant qu’en public, devant les dignitaires de la Cour, dont
l’imagination commence à vagabonder…
Comme prévu, « Milord Bouquinquan » accompagne la nouvelle reine
d’Angleterre dans sa remontée vers le nord jusqu’au port d’embarquement. Une
partie de la Cour les suit, formant cortège. Après avoir cheminé un certain
temps, on décide de faire étape à Amiens dans un confortable logis. Et là, à la
nuit tombante, ce que chacun attendait se produit. La duchesse de Chevreuse
invite Anne d’Autriche à une promenade dans le vaste jardin qui descend jusqu’à
la Somme. Buckingham emboîte le pas à la reine et se dirige avec elle vers des
bosquets. Madame de Chevreuse se retire, laissant les amoureux à leurs désirs.
Tout à coup, alors qu’ils sont seuls, un cri. On accourt. La reine est troublée et
dolente ; Buckingham s’est enfui. Chacun imagine le pire ou le meilleur en
voyant la souveraine revenir vers la demeure. Les langues se délient : c’est fait ;
enfin un scandale ! Et le bouche-à-oreille fonctionne si vite et si bien que le roi,
trompé pour beaucoup de gens, est mis au courant d’une grave mésaventure
conjugale. Et non seulement Louis XIII mais tout son entourage, les provinces
françaises puis, comme une traînée de poudre, toutes les cours européennes.
Pour rien… ou presque. Car on sait maintenant que si Anne a été tentée, elle
n’a pas cédé à « Milord Bouquinquan », le condamnant à son premier échec
amoureux et à sa première humiliation en la matière. Mais l’affaire n’était pas de
nature à rapprocher un couple vacillant depuis dix ans… et encore moins celle
qui eut lieu l’année suivante. Marie de Médicis veut procéder en 1626 au
mariage de Gaston, son fils préféré, avec Marie de Montpensier, issue de l’une
des plus illustres et des plus fortunées familles de France. Informée de ce projet,
Anne d’Autriche fait tout pour empêcher sa réalisation. Si son beau-frère s’unit à
Marie et qu’il lui donne un fils, sa situation personnelle, tant auprès du roi qu’à
la Cour, deviendra insupportable et ruinera sa réputation car elle n’a toujours pas
d’enfant. Son amie la duchesse de Chevreuse partage son avis et constitue un
parti de « l’aversion au mariage » auquel le premier intéressé, Gaston, adhère
sans hésiter car il ne veut pas, à dix-huit ans seulement, s’enchaîner pour la vie à
la riche héritière. Le comte de Chalais, amoureux éperdu de la duchesse, se
laisse entraîner dans un complot qui ne vise à rien de moins qu’à tuer Richelieu,
alors très en faveur auprès de Marie de Médicis. Car le ministre est considéré
comme l’inspirateur du projet de mariage et jugé trop autoritaire par la haute
noblesse. Les jours passant et l’union préparée semblant en mauvaise voie,
Anne, toujours circonvenue par son amie, échafaude un autre plan, qui lui
semble très avantageux pour elle : comme le souverain se porte de moins en
moins bien, que ses maux intestinaux sont de plus en plus graves et rapprochés,
sa vie paraît condamnée à court terme. Pourquoi donc n’épouserait-elle pas
Gaston ? Elle serait reine de nouveau, comme jadis Anne de Bretagne, et
pourrait donner à son beau-frère devenu son mari un héritier, assurant ainsi la
survie des Bourbons et sa propre notoriété.
Mais le complot est découvert. Gaston avoue tout, y compris les noms de ses
complices, à l’exception de celui de sa belle-sœur, Anne, qui doit être ménagée.
Malgré cette précaution, Louis XIII a connaissance des menées de son épouse. Il
ne lui fait pas de scène mais contient difficilement sa colère contre sa femme qui,
le voyant déjà mort, était prête à trahir sa cause.
L’affaire ayant échoué, la vie reprend apparemment son cours normal. En
août, Gaston convole en justes noces avec Marie de Montpensier et quelques
jours plus tard, le 19, Chalais, accusé de tentative d’assassinat, périt sur
l’échafaud, Louis XIII et Richelieu voulant montrer par la violence une autorité
sans faille. Dans quelle mesure le roi n’a-t-il pas libéré ainsi la fureur provoquée
par l’attitude de sa femme ?
Désabusé par celle-ci, à laquelle il ne rend guère visite que pour les besoins
dynastiques, le vague à l’âme et la solitude amoureuse s’emparent de lui.
Jusqu’au jour où, à l’été 1630, il s’éprend passionnément de Marie de Hautefort,
une jeune beauté de quatorze ans, lui qui en a vingt-neuf ! Sa vie s’en trouve
bouleversée. Non parce qu’il passe avec elle de grands moments d’intimité
sexuelle, mais parce que, comme envoûté par elle et toujours aussi embarrassé
devant les femmes, il l’entretient longuement de ses goût personnels pour les
chiens, les oiseaux, la chasse… Se libérant de sa douleur, il lui parle toujours et
encore de cela, certain de la ravir. La belle l’écoute, admirative, mais ne voit rien
venir : ni le lit royal ni les titres et avantages financiers qui vont avec. Lasse d’un
verbiage qui ne mène à rien, elle s’impatiente… et finit par se rapprocher de la
reine, aussi dépitée qu’elle.
Au printemps 1635, Louis XIII est certain d’avoir enfin trouvé l’élue de son
cœur. A dix-sept ans, Marie-Louise de La Fayette est une jolie jeune femme qui
a tout pour inspirer l’amour. Le souverain en profite : il lui tient les mêmes
propos qu’à Marie de Hautefort, mais cette fois, la merveilleuse jeune fille
s’éprend de ses histoires et ne se lasse pas de l’écouter. En échange, elle
demande à Louis de faire la paix en Europe, de sauver la religion. Mais
Richelieu intervient : la France vient d’entrer dans la guerre de Trente Ans
contre les Habsbourg de Vienne et de Madrid et il n’entend pas renoncer à ses
ambitieux projets pour les caprices d’une donzelle ! Comme Marie-Louise est
fort dévote, son confesseur, dûment chapitré, l’invite à entrer au couvent, ce
qu’elle fait.
Indiscutablement, Louis XIII est beaucoup plus adepte de l’amour
platonique que son père le Vert-Galant ! Il n’empêche : à force de s’évertuer
autant qu’il le peut à avoir une descendance, il finit par donner à Anne
d’Autriche deux enfants, deux fils, assurant ainsi la pérennité de la dynastie des
Bourbons. Le 5 septembre 1638, alors que le couple est marié depuis près de
vingt-trois ans et que son épouse a presque trente-sept ans, une naissance a lieu à
Saint-Germain. Elle est si providentielle que le nouveau-né est appelé Louis
Dieudonné. La reine, si malheureuse jusque-là, trouve enfin le vrai bonheur et
une raison de vivre. Elle est si proche de son bébé qu’elle veut s’en occuper et
l’éduquer elle-même, repoussant d’avance les propositions de son époux de le
faire élever, selon la coutume, par un personnel spécialisé. Cet enfant, il est à
elle, à elle seule !
Un miracle en appelle un autre : deux ans plus tard, le 21 septembre 1640,
elle met au monde Philippe, bientôt fait duc d’Anjou. Elle le chérit aussi, mais
ses préférences vont à Louis Dieudonné : c’est son aîné, le futur roi de France !
Les aigreurs du monarque envers la reine se calment un peu. Malgré sa
maladie, malgré tous les ragots, chacun doit reconnaître à présent sa virilité et sa
capacité à procréer.
Cependant ces naissances ne suffisent pas, le temps passant, à réconcilier
Louis et Anne et à provoquer un vrai rapprochement de l’un et de l’autre que
tout oppose depuis longtemps, et parfois gravement.
Depuis les premières années de son mariage, Anne écrit des lettres à sa
proche famille espagnole, ennemie déclarée de la France. Elle correspond avec
son cher père, Philippe III, jusqu’à sa mort en 1621, puis avec son frère,
Philippe IV, qui tient le pouvoir à Madrid depuis cette date. Prise d’ennui, elle a
besoin de compréhension et de soutien, ce qui bientôt se traduit par une
sympathie déclarée pour la Couronne d’Espagne, pourtant en guerre avec
Louis XIII depuis 1635. Le cardinal de Richelieu se méfie : la souveraine
trahirait-elle son pays d’adoption ? Il ordonne en 1637 une enquête sur ses
échanges épistolaires, qui ne révèle rien de bien inquiétant. Cependant le
Premier ministre poursuit ses investigations et la pousse à lui avouer qu’elle livre
à l’Espagne des renseignements susceptibles de contrecarrer l’action politique et
militaire de la France. Voulant sévir sans menacer la reine, il lui fait signer un
texte dans lequel elle avoue ses malheureuses révélations et promet de ne plus
s’éloigner du droit chemin à l’avenir. Louis XIII prend connaissance du
document, entre dans une violente colère, envisage même de répudier son
épouse – cette fois, c’en est trop ! – mais, sur les conseils du cardinal, prend le
parti de lui pardonner. Officiellement, il ne s’est rien passé ; en réalité, le couple
traverse la période la plus sombre qu’il ait vécue depuis le mariage de 1615.
Anne est au bord du désespoir.
Quelques années après la naissance de ses fils, elle participe à un autre
complot qui vise aussi à faire assassiner Richelieu, son ennemi juré qui l’éloigne
sans cesse d’un mari qu’il tient en son pouvoir.
Il faut dire qu’auparavant elle avait été indisposée par le retour à la Cour, sur
ordre du roi de Marie de Hautefort, de juin 1637 à novembre 1639. Pour évincer
une favorite qui contrecarrait ses plans et diminuait son autorité, le cardinal a eu
l’idée de présenter à son souverain souffreteux le jeune et beau marquis de Cinq-
Mars, dont Louis est tombé amoureux, toujours platoniquement. Marie de
Hautefort étant disgraciée définitivement et Anne d’Autriche hors d’état de lui
nuire, Richelieu veut alors reprendre sa place auprès du monarque… ce que lui
conteste avec force Cinq-Mars, qui, pris d’une folle ambition de gouverner,
projette de tuer le Premier ministre. Et pour cela il cherche des alliances, des
appuis : le duc de Bouillon, son ami François de Thou, l’inévitable comploteur
Gaston d’Orléans… qui réussit à convaincre Anne d’Autriche de se joindre aux
conjurés !
Mais au début de l’année 1642, Louis XIII est de plus en plus malade et ses
jours paraissent comptés ! A quoi servirait de tuer son plus proche collaborateur,
de surcroît très souffrant lui aussi, si d’aventure le roi était emporté par la mort,
laissant nécessairement Richelieu au bord du chemin ? Gaston d’Orléans et le
duc de Bouillon renoncent au projet de complot, bientôt découvert par le
cardinal. Au terme d’un procès rondement mené, François de Thou et Cinq-Mars
sont exécutés en septembre.
La reine est terrorisée. Craignant pour sa vie, elle réussit à convaincre
Gaston et les futurs condamnés de ne rien révéler qui puisse lui nuire. Ce succès
est probablement dû à l’intervention de Richelieu : bien que n’aimant pas Anne,
il veut la ménager pour demain, car demain le souverain ne sera plus de ce
monde, laissant un héritier de moins de cinq ans sur lequel il faudra veiller. Il ne
faut pas compter sur Gaston ni sur Condé. Qui d’autre que sa mère pourra mieux
s’en occuper ?
Et puis, avant de rendre son âme à Dieu, le 4 décembre, le Premier ministre
comprend clairement les motivations qui ont poussé Anne d’Autriche à agir
contre lui et contre la France. Privée d’une vie conjugale normale, abandonnée
de tous et entourée d’ennemis, cette femme de bien n’a pas pu s’empêcher de se
laisser aller à des gestes irréfléchis de désespoir.
Richelieu disparu, un autre cardinal poussé par lui joue désormais un rôle
influent à la Cour et dans l’esprit du roi très malade : Jules Mazarin. Compte
tenu de l’état inquiétant du monarque, ce dernier lui conseille habilement de
rédiger un testament pour préparer sa succession. Etant donné l’âge du petit
dauphin, il y aura certainement régence. Mais à qui la donner ? A qui se fier pour
la mener à bien ? A Gaston d’Orléans ? Il n’y faut pas songer car ce n’est pas un
homme sûr. Au prince de Condé ? Ce serait risqué. A la reine Anne d’Autriche
alors ? Louis XIII ne l’aime guère et la juge incompétente pour assumer le
pouvoir. Au terme de discussions passionnées, Mazarin présente au moribond un
projet qui lui agrée parce qu’il a l’avantage de ménager toutes les susceptibilités
et d’éviter pour l’avenir toute contestation. Certain d’avoir trouvé une solution
satisfaisante, le souverain convoque le 20 avril 1643 dans sa chambre du château
de Saint-Germain tous les hauts dignitaires de son entourage concernés soit, pour
l’essentiel, la reine, ses deux fils, Gaston, Condé, le cardinal Mazarin, les ducs et
pairs de France, le chancelier Séguier et les principaux ministres, le surintendant
des Finances Claude Bouthillier et le secrétaire d’Etat Chavigny. Un autre
secrétaire d’Etat, La Vrillière, donne lecture des dernières volontés politiques
exprimées par Louis XIII sous forme de déclaration. Tant que le futur roi sera
mineur, Anne d’Autriche aura « l’administration et le gouvernement du
royaume ». Mais comme cette tâche est difficile et ingrate, elle présidera un
Conseil de régence de sept membres, chaque décision importante devant être
prise à la pluralité, c’est-à-dire à la majorité des voix. Ce conseil comprendra la
reine, Gaston, le prince de Condé, Mazarin, le chancelier Séguier, MM. de
Bouthillier et de Chavigny.
Ces dispositions subtiles sont le résultat de compromis susceptibles de
contenter la plupart des personnalités : Gaston et Condé auront leur mot à dire
dans la conduite des affaires, d’autant plus que le premier est nommé de surcroît
lieutenant général du royaume et le second président du Conseil par défaut.
Quant à Anne, elle est reconnue régente du royaume, mais dépendante d’une
instance délibérative.
Elle est fort mécontente de porter un titre sans disposer du commandement.
Mazarin a beau lui dire qu’il s’agit seulement de dispositions testamentaires qui
ne sauraient, selon la coutume française, contraindre le futur roi, que de toute
façon, la majorité de la nouvelle institution lui sera acquise puisqu’elle sera sûre
d’obtenir la majorité absolue au Conseil grâce à l’appui des quatre ministres qui
la soutiendront contre la volonté des Grands, elle ne peut se résoudre à la
condition de régente sous dépendance conçue par son époux. Secrètement, elle
rédige une lettre de protestation qu’elle fait remettre à un notaire parisien.
Toujours sur les conseils de Mazarin, dès le lendemain de la séance, le
21 avril, le parlement de Paris enregistre la déclaration royale avec l’assentiment
de son premier président, Mathieu Molé. Ce faisant, l’Assemblée se soumet aux
ordres donnés mais dans un but intéressé : malmenée par Richelieu pendant de
longues années, elle entend opérer un retour officiel sur le devant de la scène.
Dans l’après-midi qui suit l’enregistrement et selon la volonté de Louis XIII,
satisfait, il est procédé au baptême du dauphin Louis, âgé de quatre ans et demi,
dans la chapelle du Château Vieux de Saint-Germain. Jusque-là l’héritier de la
Couronne n’avait été qu’ondoyé à sa naissance. Le roi choisit lui-même Mazarin
comme parrain parce que, parmi beaucoup d’autres, il compte sur lui pour mener
à bien l’œuvre de redressement national et international qu’il avait entamée avec
le soutien de Richelieu.
Ces dispositions essentielles étant prises, le souverain s’éteint le 14 mai
suivant, à quarante et un ans, au terme d’une terrible et longue agonie, les vers
lui dévorant le corps.

Près de la régente, un Premier ministre si sûr, si aimable…


(1643-1648)

Un homme nouveau, récemment apparu à la cour de France, ne tarde pas à


conforter Anne d’Autriche dans ses prérogatives gouvernementales et à lui
apporter l’appui et le réconfort qu’elle attendait depuis longtemps, au point de
faire bientôt jaser les courtisans sur la nature réelle de ses relations avec la reine.

Mazarin, un fin diplomate

Cet homme sur lequel se fixent rapidement tous les regards, c’est Giulio
Mazarini, un Italien né le 14 juillet 1602 dans les Abruzzes mais qui a passé
toute son enfance et son adolescence à Rome. Après y avoir fait de brillantes
études chez les jésuites et obtenu une thèse de doctorat, il est allé étudier en
Espagne dans les universités d’Alcala et de Madrid. Entré comme capitaine
d’infanterie dans un régiment pontifical pour lequel il semble avoir manifesté
peu d’intérêt, il s’oriente résolument vers la diplomatie, qui ne tardera pas à
devenir sa spécialité. Lors de rencontres à Lyon en 1630 avec Richelieu, il se fait
remarquer de celui-ci par son intelligence et son brio, à tel point que le cardinal
contribue à le faire nommer à la nonciature de Paris de 1634 à 1636 et à lui
demander en 1640 de cesser de travailler pour le Saint-Siège et de se mettre au
service de la France. Il existe des liens très forts entre les deux hommes, qui
partagent des vues communes sur la politique étrangère et la façon de la mener.
Si bien que Richelieu, après lui avoir délivré des « lettres de naturalité », qui
feront désormais connaître son ami sous le nom francisé de Jules Mazarin,
demande pour lui, dès le début de leur collaboration, le chapeau de cardinal.
Mazarin l’obtient, sans être prêtre, dès le mois de décembre 1641. Désormais, sa
voie est tracée… Avant de mourir, Richelieu le recommande à Louis XIII, qui
tient compte de ses avis, notamment pour préparer sa succession.
A la mort de celui-ci, Mazarin fait partie des conseillers qui comptent pour
Anne d’Autriche car si celle-ci ne fait pas preuve d’un goût marqué pour le
pouvoir, elle entend bien être obéie et respectée et a besoin de collaborateurs
éclairés pour soutenir la maigre régence qui lui a été confiée et dont elle ne
saurait se contenter.
Pour revenir sur le testament politique de Louis XIII, Mazarin lui est d’un
précieux secours. Il faut séduire le parlement de Paris pour l’amener à renoncer à
l’enregistrement qui en a été fait sous forme de lettres patentes. A cette fin, un lit
de justice a lieu le lundi 18 mai 1643. Le petit roi prononce quelques mots appris
par cœur pour annoncer que le chancelier parlera en son nom, selon la coutume.
Puis la reine intervient. Elle ne commande ni n’exige rien ; elle sollicite
seulement des avis et conseils pour son avenir et celui de son fils Louis. Les
magistrats exultent : la régente en difficulté leur demande de contribuer à
résoudre ses problèmes pour elle, le jeune Louis XIV et le royaume. Alors
Gaston d’Orléans et le prince de Condé demandent que lui soit accordée une
régence sans limites, ce que le premier n’hésite pas à faire après la piteuse affaire
Cinq-Mars et que le second, converti à la fidélité monarchique après une
jeunesse agitée, approuve sincèrement. Pour convaincre les éventuels
récalcitrants, le chancelier Séguier prononce un discours fervent qui vante les
mérites de la reine.
Satisfaits, séduits, les magistrats confient à Anne d’Autriche
« l’administration libre, pleine et entière des affaires du royaume ». En clair, elle
devient régente de plein exercice, sans l’assistance d’un conseil pour diriger les
affaires de l’Etat. C’est un avantage certain pour elle, qui apparaît désormais, à
quarante-deux ans, sur le devant de la scène politique. Un avantage non décisif
pour l’avenir malgré tout car elle doit en partie sa place au Parlement qui l’a en
quelque sorte intronisée.
Révélation manifeste des rôles secrets joués par les uns et les autres dans
cette journée du 18 mai : le soir même, et contre toute attente, Jules Mazarin est
nommé par la reine chef du Conseil, en clair Premier ministre.
Cette promotion n’est pas due qu’aux services récents que le cardinal a
rendus à la souveraine. Elle est liée aussi aux capacités de celui-ci, à son aptitude
à diriger la France. En pleine guerre de Trente Ans contre les Habsbourg, il
s’avérera d’un secours précieux car c’est un excellent diplomate, parfait
connaisseur des problèmes européens. Or on commence à parler de traités de
paix avec l’empereur germanique en Westphalie. De plus c’est un Italien, un
étranger à Paris, qui n’appartient à aucune coterie. Libre de toute pression, il
pourra, à la différence d’autres ministres, conduire les affaires de l’Etat comme
bon lui semble, sans avoir à composer avec quiconque, si ce n’est avec la reine
régente. Et comme il vient de nulle part, qu’il doit sa carrière à Anne d’Autriche,
celle-ci pourra compter sur sa fidélité envers elle. Oui, cet homme-là, capable et
fidèle, est bien le dirigeant qui s’impose pour le royaume !
Du reste, Anne ne reste pas insensible à l’attention et à la bienveillance que
lui porte Mazarin. Elle, si peu respectée jusque-là par Louis XIII et Richelieu,
devient l’objet de mille témoignages de considération et d’amitié de la part de
son ministre : il lui rend hommage, il lui offre fréquemment de petits cadeaux,
parfums et eaux de toilette, qui la ravissent. Et puis, alors que Richelieu la
rudoyait en lui donnant des ordres, elle a affaire à présent à un nouveau cardinal
qui l’écoute longuement, lui répond avec souplesse, plus soucieux de l’instruire
des problèmes gouvernementaux que de la réprimander. Avec lui, elle a
l’impression de tout comprendre et d’avoir quelqu’un sur qui se reposer.
D’ailleurs, la quarantaine passée, son principal collaborateur est plutôt
séduisant…
En homme habile et conscient de l’estime que la reine lui porte, il veut s’en
faire désirer encore davantage. Pour cela, il lui demande de ne pas le considérer
définitivement comme Premier ministre mais de le prendre d’abord à l’essai
dans ses fonctions pendant trois mois. S’il donne satisfaction, il consentira à
rester ; sans quoi il repartira à Rome et laissera la place à plus compétent que
lui… La période probatoire se passe bien : Mazarin laisse la reine mère goûter à
l’exercice enivrant du pouvoir en prélevant sur le Trésor ce dont elle a besoin
pour elle et ses amis. Plaisir partagé des libéralités…
Cependant, Anne et le cardinal sont en désaccord sur un point capital :
l’ancienne infante veut faire la paix avec l’Espagne, son pays d’origine. Par
solidarité certainement, mais surtout parce que, comme jadis Marie de Médicis,
elle veut, en bonne croyante, établir une relation amicale et durable entre deux
pays catholiques. Bien que revêtu de la pourpre cardinalice, son ministre ne
partage guère ce zèle apostolique : ce qui lui importe, c’est de mettre un terme à
la prépondérance espagnole et d’assurer pour demain celle de la France. Il est
conforté dans ses opinions belliqueuses par l’importante victoire que le duc
d’Enghien vient de remporter le 19 mai, cinq jours après l’avènement de
Louis XIV, sur les Espagnols à Rocroi, près de la frontière du nord.
Ce succès n’ébranle pas les convictions de la régente, plus que jamais
persuadée des bienfaits d’un traité bien négocié. Soucieux d’éviter
l’affrontement avec elle sur un thème de cette importance, Mazarin abandonne
les subtiles discussions de stratégie et de politique générale et aborde un sujet
facilement compréhensible pour la mère du jeune souverain. Si la France se
laisse dépecer par l’Espagne, son fils Louis ne sera que le subalterne du
monarque espagnol, peut-être même ne sera-t-il plus rien du tout. Si par contre
elle s’impose à son ennemie, la vainc définitivement et la force à cesser le conflit
dans des conditions avantageuses, alors, demain, Louis XIV régnera pleinement
et sera un grand roi respecté dans toute l’Europe.
L’argument porte : dès le 27 mai la reine prend elle-même l’initiative de la
poursuite des hostilités en ordonnant de mettre le siège devant Thionville, dans
l’Est.

Après une première rébellion, cinq ans de bonheur


dans une complicité partagée

La faveur de Mazarin, sa situation gouvernementale dominante indisposent


un certain nombre de dignitaires qui, pour l’écarter du pouvoir, projettent de
l’assassiner, agissant ainsi dans la tradition de la grande noblesse française de la
première moitié du XVIIe siècle. Le duc César de Vendôme, bâtard légitimé
d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées et son fils, surtout, le duc François de
Beaufort, répondent aux sollicitations de la duchesse de Chevreuse : le Premier
ministre doit périr, comme autrefois Richelieu, pour que les grands retrouvent
leurs prérogatives d’autrefois. Tous les révoltés, dominateurs et arrogants, sont
bientôt appelés les « Importants » en raison de leurs grands airs prétentieux ; leur
complot restera d’ailleurs dans l’Histoire sous l’appellation de « cabale des
Importants ». L’affaire est découverte et le projet échoue. Dès l’automne 1643,
les principaux responsables doivent s’enfuir à l’étranger pour échapper aux
foudres des gouvernants. Beaufort, lui, est arrêté et emprisonné.
L’alerte passée, la vie politique reprend son cours. Après une vie d’épouse
malheureuse et délaissée, Anne d’Autriche peut enfin mener pendant plusieurs
années une existence normale, celle dont elle avait rêvé vingt-huit ans plus tôt
quand elle s’était unie à Louis XIII.
A quarante ans passés, elle est restée une belle femme, pleine de charme et
d’élégance. Bien sûr, elle a passablement grossi, mais à son époque ce serait
plutôt un avantage car les hommes ont alors un goût marqué pour les rondeurs de
la gent féminine. Signe du temps qui passe : elle a changé de coiffure. Plus de
chevelure courte et frisée, mais des cheveux longs et lisses que sépare une raie et
qui se prolongent à l’arrière de la tête par un chignon haut placé, de fines
bouclettes retombant sur les joues.
Son goût pour les parfums et pour les bijoux, perles et diamants n’ont guère
changé, pas plus que son habitude de prendre régulièrement des bains, malgré les
avis médicaux qui les jugent malsains pour la santé. Elle développe aussi une
brillante vie de cour, négligée jusque-là par son défunt époux. Maintenant que
Louis XIII ne peut plus entraver ses projets, elle peut faire vivre son entourage
selon son bon vouloir et réaliser enfin ses vœux les plus chers. Que l’on s’amuse,
et dans le raffinement ! La danse redevient très à la mode : les courtisans se
laissent aller au plaisir des bals, et les artistes leur offrent de merveilleux ballets.
Surtout, comme son père lui a appris en Espagne l’amour du théâtre, que
Mazarin affectionne aussi, elle fait jouer des comédies agrémentées de musique,
préfiguration des opéras dont la mode viendra d’Italie.
Mais que le vieux Louvre est lugubre pour de semblables spectacles ! S’y
sentant mal à l’aise, la régente le délaisse et va s’installer dans l’ancien Palais-
Cardinal de Richelieu que celui-ci avait légué à Louis XIII, et qui devient dès
lors le Palais-Royal. Cette nouvelle résidence, beaucoup plus agréable, est à son
goût, mais elle veut l’embellir encore davantage. Elle lui fait donner une
décoration somptueuse, achevée en 1646.
Anne n’en oublie pas pour autant les devoirs de sa charge. Elle se plie sans
regimber, et selon les avis de Mazarin, aux obligations d’une reine régnante :
présidence du Conseil et décisions gouvernementales, réceptions de grands
personnages et d’ambassadeurs, tout le travail ordinaire d’un chef d’Etat.
Chaque soir, pour préparer la journée du lendemain, elle s’entretient en
particulier avec son ministre. Afin de dissiper tout éventuel malentendu, les
portes de son cabinet restent ouvertes…
Tout cela ne la détourne pas de sa vie de famille, essentielle pour elle. Elle
tient à s’occuper personnellement dès qu’elle le peut de ses deux fils, le petit roi
Louis XIV et son frère Philippe, qu’elle garde près d’elle au Palais-Royal. Les
entourant d’affection, elle veille à leur éducation morale et religieuse afin qu’ils
mènent plus tard une vie digne et pieuse. Dès que son emploi du temps le lui
permet, la régente si soucieuse de prestige se transforme en mère attentionnée :
elle prend ses repas avec ses enfants dans son petit cabinet, préférant l’intimité
familiale aux dîners officiels de la Cour.
Comme Anne ne peut suffire à tout, elle nomme Mazarin surintendant de
l’éducation de ses garçons. Son principal ministre laisse aux maîtres ordinaires le
soin de les éveiller intellectuellement mais se réserve la formation de Louis, qui,
adulte, devra devenir un véritable souverain. Pour l’initier au métier de roi, il lui
donne ses avis sur les problèmes quotidiens, de la façon la plus simple. Il le fait
participer aux séances du Conseil, aux réceptions officielles, à la vie de cour
pour lui en montrer les avantages et les dangers. Louis doit tout apprendre, tout
assimiler progressivement.
Le cardinal tient aussi à être le plus proche possible de la reine. Par
commodité pour régler les affaires publiques. Parce qu’il se sent aussi lié à elle
et entend le rester à l’avenir pour éviter toute disgrâce. Mais d’autres raisons,
plus sentimentales, le poussent à rester dans son intimité. Uni à la souveraine par
la pratique et les nécessités du pouvoir, il l’est aussi sur le plan psychologique, à
tel point qu’aux yeux des courtisans, tous les deux forment un couple dans la vie
comme au gouvernement.
On a parlé à leur sujet de mariage secret ou de liaison amoureuse concrétisée
par une vie commune. Plus tard, les Frondeurs se répandront en pamphlets sur
les rapports scandaleux de la régente et de son Premier ministre.
On sait aujourd’hui que ces rumeurs ne reposaient que sur des affabulations
malveillantes. Anne, fille et épouse de roi, n’aurait pas pu se laisser aller à des
aventures matrimoniales ou sexuelles avec un roturier, même cardinal et chef de
son Conseil. De plus, comme elle est extrêmement pieuse et pénétrée de la
gravité du péché mortel de chair, sa vertu, obligée ou spontanée, la contraint à
une certaine retenue. On a déjà pu le constater à propos de l’affaire Buckingham.
Séduite par celui-ci, elle ne lui a pas cédé.
On pourra toujours rétorquer que la plus fidèle des femmes peut, sans trop le
vouloir, se laisser aller à des aventures sans lendemain. Ce serait faire peu de cas
de la rude éducation, toujours vivace chez elle, qu’Anne d’Autriche a reçue à
Madrid. Ce serait surtout prendre Mazarin pour un sot, ce qu’il n’est pas, loin
s’en faut ! Il n’a aucun intérêt à avoir des rapports intimes avec la souveraine.
Celle-ci, lassée de lui ou prise d’une crise d’autorité, pourrait fort bien le
congédier ou l’exiler selon son bon vouloir. Non, mieux vaut entretenir avec elle
une amitié proche de l’amour, car celui-ci, toujours désiré, jamais atteint,
grandira de jour en jour dans l’esprit de l’aimée au point de l’attacher
indéfectiblement à lui. En l’occurrence, la réserve est un gage de longévité
politique pour Mazarin.
Les calculs de l’un, la retenue de l’autre ne sont pas des raisons suffisantes
pour expliquer la durée des liens profonds qui unissent ces deux êtres. A n’en
pas douter, il existe entre eux beaucoup plus qu’une complicité : une véritable
liaison de cœur se cache sous le voile de la pudeur.
C’est sans doute pourquoi le cardinal achète un vaste hôtel particulier à
proximité immédiate du Palais-Royal – aujourd’hui une partie de la Bibliothèque
nationale de France. Seuls des jardins le séparent du logis de la reine mais à leur
extrémité une porte donne discrètement accès à la résidence royale.
Proximité au gouvernement, proximité des sentiments, mais sans effusion ni
fusion.

La Fronde : Anne d’Autriche et Louis XIV contraints


de fuir Paris (1648-décembre 1650)

La quiétude du couple dirigeant ne dure pas longtemps. S’il peut se satisfaire


des succès que rencontrent ses troupes contre les Habsbourg, il doit bientôt faire
face à de violentes oppositions internes venues du parlement de Paris, de la haute
noblesse et du peuple parisien. La Fronde, ce dangereux jeu d’enfants, devient
un redoutable mouvement d’opposition qui met en péril non seulement
l’absolutisme monarchique mais ceux qui le défendent ou l’incarnent.

Une année 1648 apparemment bonne

L’année 1648 porte haut la renommée des armées françaises. Le 20 août,


Condé – l’ancien duc d’Enghien devenu prince à son tour à la mort de son père
en 1646 – remporte une victoire éclatante sur les Espagnols à Lens. A peu près
dans le même temps, le vicomte de Turenne, fils du duc de Bouillon et maréchal
de France, envahit la Bavière et oblige l’empereur germanique à accepter la paix
par le traité de Westphalie, le 24 octobre. Au terme d’une lutte de treize ans, les
dispositions arrêtées sont favorables à la Couronne de France puisque celle-ci se
voit reconnaître la pleine souveraineté de Pignerol en Italie, ainsi que celle des
Trois-Evêchés lorrains – Metz, Toul et Verdun – occupés par les Français depuis
1552. Surtout, les diplomates français se font accorder la domination d’un bon
nombre de places fortes en Alsace. La frontière orientale du royaume avec le
Saint Empire romain germanique est enfin sécurisée.

En fait, naissance d’une dangereuse opposition parlementaire

Vue de l’intérieur du pays, la situation est nettement moins brillante. Car si


l’on a mis fin à la guerre avec les Habsbourg de Vienne, il reste encore à venir à
bout de ceux de Madrid, ce qui, malgré certains succès, est loin d’être évident.
Le conflit sera probablement de longue durée, comme cela a déjà été le cas avec
l’Allemagne. Et pour mener la lutte avec quelques chances de succès, il faudra
de l’argent, beaucoup d’argent, comme hier pour le combat contre l’empereur.
Les dépenses s’additionnent aux dépenses sur le long terme et, malgré une
pression fiscale croissante, les finances de l’Etat sont au plus bas. Pour répondre
aux obligations militaires, pour combler le déficit public, il faudra toujours plus
d’impôts ; le peuple, accablé de tant de charges, commence à manifester son
mécontentement.
Il rencontre le soutien du parlement de Paris. Celui-ci, se posant en
défenseur des populations opprimées, renâcle à obéir aux injonctions d’Anne
d’Autriche et de Mazarin et, dès janvier 1648, refuse d’enregistrer de nouveaux
édits fiscaux. Cela le rend très populaire et lui permet d’envisager une véritable
réorganisation administrative et financière du royaume. Il n’oublie pas qu’il a
« fait » Anne régente en 1643 et que ce précédent lui permet d’avoir un droit de
regard sur le pouvoir. Ses membres ne sont pourtant pas des députés de la nation,
comme en Angleterre, mais seulement de hauts magistrats propriétaires de leurs
charges par hérédité ou vénalité. Cependant, ils détiennent un droit de
« vérification », d’enregistrement et de remontrance sur les lois, ce qui leur
donne de fait un contrôle sur l’exercice de l’autorité royale.
Pour eux qui ont dû supporter Richelieu et qui doivent maintenant se
soumettre à un autre cardinal, le contrôle de l’impôt nouveau ne doit être qu’un
moyen pour obtenir l’appui des foules et imposer un nouvel ordre politique
consistant à revenir à une monarchie modérée, sans l’étroite tutelle de l’Italien
qu’il convient d’éloigner au plus vite de la reine régnante et du gouvernement.
A cet effet, les gens de robe prennent, le 13 mai 1648, un « arrêt d’union »
établissant, malgré l’interdiction royale, les réunions communes des Cours
souveraines, Parlement, Chambre des comptes, Cour des aides, pour décider de
la réforme de l’Etat, et notamment diminuer l’imposition. Aux mois de juin et
juillet suivants, les Cours cessent leurs fonctions de justice, annulent des édits
fiscaux et rédigent une déclaration en vingt-sept articles, sorte de charte qui doit
limiter l’absolutisme royal, par exemple par la suppression des intendants dans
les provinces. La lutte contre le pouvoir royal est engagée.
Anne d’Autriche et Mazarin ne sont pas d’accord sur les dispositions à
prendre pour venir à bout de cette opposition. En politique averti, le ministre
juge la situation très dangereuse et pencherait pour la souplesse envers le
Parlement afin de l’amener à composition : on céderait dans l’immédiat, ce qui
n’empêcherait pas le roi, une fois la régence terminée, de revenir sur des accords
arrachés sous la contrainte et de dicter, le calme revenu, ses volontés, dans
l’intérêt supérieur de l’Etat. La reine, beaucoup plus spontanée, est irritée par ces
Frondeurs qui menacent la force du royaume. Elle ne veut pas de négociations
avec les révoltés ; elle exige de se faire respecter et de s’imposer à eux.
Lorsqu’on célèbre le 26 août la victoire de Lens par un Te deum d’action de
grâce, la régente donne un ordre discret mais précis à la fin de la cérémonie
religieuse : il faut arrêter trois conseillers considérés comme les meneurs de
l’agitation parlementaire, dont Pierre Broussel, vénéré des Parisiens pour son
opposition radicale aux impôts. L’arrestation a lieu immédiatement, et dans les
heures qui suivent la population se laisse aller à l’émeute. Dans la nuit, la
capitale se couvre de barricades. Se sentant menacée au Palais-Royal, Anne est
obligée d’abandonner ses projets. A la demande de Mathieu Molé, elle ordonne
dès le 28 août la remise en liberté de Broussel mais, pour ne pas perdre la face,
assortit sa décision d’une réserve. Les robins devront cesser toute opposition au
gouvernement jusqu’au 11 novembre. Vœu pieux… Mais dans l’immédiat, les
parlementaires l’ont emporté et le peuple en est ravi.

Paris, un enjeu capital pour la régente

Aux difficultés intérieures s’ajoutent des contrariétés nées des négociations


de paix en Westphalie. Les Provinces-Unies, alliés protestants de la France au
nord, reçoivent l’assurance de la reconnaissance formelle et définitive de leur
indépendance. Désormais, les Espagnols n’auront plus à les combattre et seront
libres de se retourner contre la France à partir des Pays-Bas qu’ils occupent. Il y
a danger. Mais pour l’heure, le plus urgent est d’échapper aux pressions des
Frondeurs, de gagner un lieu sûr où l’on pourra en toute quiétude concocter des
plans de reconquête et de rétablissement du pouvoir. Le 13 septembre, Mazarin
et le roi réussissent à s’échapper de Paris, rejoints quelques heures plus tard par
Anne d’Autriche.
Certains de ne pas être repérés ni malmenés, la régente et son ministre
établissent des projets pour venir à bout de l’insoumission des Parisiens. Il faut
faire appel à un stratège qui saura s’imposer manu militari aux rebelles. Gaston
d’Orléans, lieutenant général du royaume, c’est-à-dire chef des armées, retient
un moment l’attention, mais finit par être écarté : partisan d’un régime modéré
comme les magistrats du Parlement, il pourrait faire cause commune avec eux
malgré son attachement à la reine. Quant au glorieux prince Louis de Condé, ses
victoires récentes plaident pour lui, de même que sa volonté d’en découdre avec
les parlementaires pour rétablir l’ordre. Mais il ne veut pas jouer les seconds
rôles et devenir l’homme de main de Mazarin, dont il servirait la cause alors
qu’il brigue sa place, comme d’ailleurs son rival, le duc d’Orléans.
A défaut d’avoir trouvé une solution satisfaisante, Anne et son entourage
reviennent dans la capitale le 30 octobre. Comme la situation ne s’est pas
améliorée pour eux, la régente, qui a toujours en tête de dominer Paris, use de sa
séduction et de son habileté pour convaincre malgré tout Condé de remplir la
mission militaire qu’elle attend de lui. Elle lui dit avec assurance qu’elle est lasse
de l’incapacité de Mazarin à résoudre la crise, qu’elle a besoin désormais d’un
homme fort pour y mettre un terme. Condé, heureux de ce qu’il prend pour la
disgrâce du cardinal, flatté d’être le sauveur de l’Etat pour la souveraine, lui
répond favorablement : il attaquera Paris !
Comme l’affrontement risque d’être rude, que la famille royale, mal
protégée dans l’hôtel du Palais-Royal, peut être menacée, la reine décide de
quitter une nouvelle fois la capitale, mais dans le plus grand secret afin de ne pas
exacerber la fureur des Frondeurs. Depuis longtemps, l’Epiphanie lui paraît être
la fête idéale pour fuir sans éveiller les soupçons. Ce jour-là, le 5 janvier 1649,
tout un chacun commémore l’adoration des rois mages, mange et boit. C’est un
jour où se relâchent la surveillance de la Cour et les humeurs belliqueuses. Pour
ne pas éveiller les soupçons, Anne tire les rois le soir avec ses enfants puis les
fait mettre au lit sans rien dire de ses projets à son entourage.
Alors que chacun dort, elle fait précipitamment lever Louis et Philippe vers
trois heures du matin et les fait habiller par quelques servantes dévouées ; la
famille s’enfuit dans la nuit pour le château de Saint-Germain. Vers la même
heure, Condé et Orléans s’échappent eux aussi.
Mazarin a idéalement préparé la demeure : comme un lieu abandonné,
inhabitable, dans lequel personne ne voudrait résider. Nombre de fenêtres sont
sans vitres et l’on ne peut y faire en plein hiver qu’un chauffage compté. Les
pièces ont été démeublées : la plupart des exilés volontaires doivent dormir sur
de la paille, à l’exception de quatre personnes : le roi, alors âgé de dix ans, la
régente, son autre fils, Philippe, et Mazarin qui disposent, eux – luxe suprême –
de quatre petits lits mis là sur ordre du cardinal.
On échafaude bientôt un plan d’attaque : au lieu de tenter un assaut risqué
contre la capitale, on l’assiégera pour affamer les Parisiens, les boulangeries se
trouvant presque toutes en banlieue. La reddition de la ville rebelle ne prendra
que quelques semaines.
Les parlementaires ont évidemment appris la fuite des principaux dirigeants.
Ils savent qu’ils sont dans une situation délicate. Pour faire face à l’adversité, ils
se rapprochent des grands seigneurs, soucieux eux aussi de résister aux troupes
royales afin d’obtenir de nouvelles prérogatives et de nouveaux avantages
financiers. Le propre frère de Condé, le prince de Conti, prend la tête de cette
coalition hétéroclite. A l’inverse de son aîné, c’est un médiocre stratège.
A partir de ce moment, la Cour reçoit de bonnes et de mauvaises nouvelles.
Au nombre de ces dernières, elle doit faire front dans l’humiliation aux
« mazarinades », pamphlets visant Anne d’Autriche et Mazarin avec des
allusions grivoises et perverses à leur vie commune présumée. L’honneur de la
reine régente est bafoué. Sous le poids de l’infamie, on espère la démission de
son collaborateur.
Le 8 février est un jour heureux pour Anne, qui lui fait oublier un moment
les affronts populaires : Condé bat les forces parisiennes à Charenton, et le bruit
se répand que la disette commence à sévir à Paris.
Mais des provinces, emmenées par une haute noblesse soucieuse de faire
oublier une défaite et de s’imposer, commencent à s’agiter. Le mouvement
d’opposition gagne la Normandie, la Guyenne, la Provence.
Comble de malheur : à la mi-mars, une armée espagnole venue des Pays-Bas
se rue sur la Picardie mais finit quand même par être vaincue. Pris entre les
révoltes intérieures et le projet d’annexion de l’ennemi, le gouvernement a eu
très peur.
C’est pourquoi, abandonnant provisoirement son vaste programme de
reconquête du royaume, la régente préfère signer une paix avec les révoltés à
Rueil. A la fin du mois, par celle-ci, il est mis fin au siège de Paris et les textes
parlementaires de 1648 limitant le pouvoir royal sont maintenus. Avantage
certain pour les assiégés, limité toutefois : l’essentiel de leur action avait pour
but le renvoi de Mazarin, l’Italien redouté et impopulaire. Celui-ci, selon la
volonté d’Anne d’Autriche, est maintenu dans ses fonctions. En somme, au
terme d’une année de troubles, rien n’a changé sur le fond, chacun campant sur
des positions antinomiques.
Mais la paix appelle, au moins en apparence, une réconciliation générale. Le
roi peut donc rentrer dans sa capitale avec sa mère, le cardinal et Condé le
18 août. On lui réserve un accueil triomphal.

Garder au moins la province…

Parmi les personnalités qui ont fait leur grand retour à Paris, il en est une qui
piaffe d’impatience de se voir accorder la direction des affaires publiques,
Condé. N’est-il pas d’illustre naissance ? N’a-t-il pas triomphé à Rocroi et à
Lens ? N’a-t-il pas fait preuve de dévouement envers la reine en entreprenant un
siège difficile ? Et puis, celle-ci ne lui avait-elle pas fait comprendre qu’il
pourrait avantageusement diriger l’Etat ?
L’orgueil comme les prétentions du prince sont sans limites. Voulant écarter
Mazarin de son rôle de principal ministre, il lui déclare avec force en septembre
que, désormais, il n’aura pas de pire ennemi que lui. Le rapport de force est
évidemment à son avantage. Mais la régente ne veut pas de ce dangereux
trublion, qui aurait tôt fait de la commander, voire de l’écarter du pouvoir. Elle
bénéficie heureusement du soutien de son amie la duchesse de Chevreuse. Cette
intrigante avisée lui promet qu’elle fera tout pour ramener à elle les opposants du
début de la Fronde : ceux-ci ne supportent pas Condé, trop autoritaire, trop
violent. N’est-ce pas l’homme qui a mis le siège devant Paris pour les affamer ?
Elle lui conseille aussi de se rapprocher de Jean-François-Paul de Gondi,
coadjuteur de l’archevêque de Paris et influent auprès des parlementaires et de la
population. Pour l’attacher à sa cause, il suffira de lui proposer le cardinalat,
auquel il aspire fortement… De la sorte, la capitale, hier perdue, lui sera acquise
et les menées de Condé seront réduites à rien…
Mais le prince, qui dispose de clientèles influentes et d’une grande notoriété
dans l’armée, ne s’avoue pas vaincu. Tout au contraire, il montre de l’arrogance
et du mépris envers la reine. Le 18 janvier 1650, celle-ci décide de mettre un
terme à ce cauchemar : elle fait arrêter son rival, qui n’est pourtant coupable
d’aucune faute grave, si ce n’est de l’avoir indisposée et provoquée. Mazarin
respire. Le peuple manifeste sa joie : bien qu’il ne l’aime pas, il le préfère encore
à Condé.
Cependant l’arrestation du prince met le feu aux poudres et provoque une
rébellion des grands, qui refusent que l’on mette un terme à leurs ambitions et
revendications. La sœur aînée de Condé, la duchesse de Longueville, organise la
résistance et la Fronde des princes en province. Bientôt, sous son impulsion, la
noblesse de Normandie, de Guyenne et de Bourgogne s’agite, les armes à la
main. Deux personnages de haut rang, le duc de Bouillon et son fils Turenne,
font alliance avec l’Espagne en avril. Et Gondi, qui malgré les promesses n’a
toujours pas reçu son chapeau de cardinal, se venge en entraînant le Parlement
dans la révolte.
La vie de cour devient intenable à Paris et il y a urgence à ramener le calme
dans le royaume. Aussi Anne et Mazarin décident-ils de partir mater les révoltés
là où ils sévissent. Pendant la plus grande partie de l’année 1650, l’armée royale
intervient dans le nord-ouest, le sud-est et l’est de la France. On profite de ces
expéditions punitives pour mener une campagne de propagande en faveur du
jeune roi, le faire respecter et aimer de son peuple, comme jadis Catherine et
Marie de Médicis l’avaient fait pour Charles IX et pour Louis XIII. L’année se
termine par une victoire pour la régente : le 15 décembre, ses troupes
l’emportent à Rethel, au nord-est de Reims, sur celles de Turenne et des
Espagnols. C’est un échec pour le parti de Condé, dont on espère qu’il sera
définitif et qu’il permettra un retour à l’ordre royal.

Sans Mazarin, Anne d’Autriche doit s’imposer


aux Frondeurs (1651)

L’année 1651 est celle de tous les dangers : les ennemis du cardinal
parviennent à faire cause commune en dépit de leurs différences et Anne
d’Autriche, restée seule au gouvernement, doit déployer toute son énergie pour
résister aux pressions qui s’exercent sur elle.
Cette femme non formée au pouvoir fait preuve d’une grande habileté et
d’un grand sens politique dans cette période cruciale.

Alliance des grands et du Parlement contre Mazarin

Condé est toujours en prison mais ses partisans ne désarment pas. Pour se
donner davantage de chances de réussite, ils entament des négociations secrètes
avec Gaston d’Orléans, négociations qui aboutissent à un traité en bonne et due
forme le 30 janvier 1651. Son contenu est simple : obtenir la libération du
prince, le renvoi de Mazarin et son remplacement par le duc d’Orléans à la tête
du Conseil.
En unissant leurs forces politiques et militaires, les rebelles espèrent parvenir
à leurs fins et être portés à la conduite des affaires. L’essentiel étant acquis, les
deux chefs de la sédition pourront se partager le gouvernement, à moins bien sûr
que l’un d’eux ne réussisse à se saisir seul de la direction de l’Etat, la régente,
placée de force sous influence, étant contrainte d’obtempérer aux ordres du
vainqueur.
Et Gaston s’emploie à ressusciter et à dynamiser l’opposition du Parlement
qui, lui faisant confiance, le suit et se déclare prêt à passer à l’action : uni
formellement aux grands seigneurs dans une redoutable Fronde à deux têtes, il
espère l’emporter.
Le ministre comprend que la situation est grave, que, démuni de toute
alliance efficace, il ne pourra pas résister à la pression des forces vives
d’opposition dans le pays. Il doit céder… Mais sans attendre d’y être contraint
par les princes et les parlementaires, car, alors, il serait perdu et le combat qu’il
mène avec la reine pour l’avenir de la monarchie se transformerait en déroute,
sans aucune possibilité de retour en arrière.
Soucieux de son avenir et de celui du royaume, il décide le 6 février 1651 de
s’enfuir à Saint-Germain, très discrètement et en prenant mille précautions pour
ne pas être reconnu ni arrêté. La reine lui a donné son accord pour ce départ
précipité. Sur les conseils du cardinal, elle reste à Paris pour tenter de convaincre
Gaston d’Orléans de la folie de son action, de l’amener progressivement à
renoncer à déclencher une rébellion dangereuse pour l’Etat. Ce ne serait pas la
première fois que ce comploteur impénitent reconnaîtrait sa faute pour se faire
pardonner… Mais cette fois-ci, Gaston reste inébranlable dans ses résolutions : il
déteste Mazarin et veut sa place.
Anne d’Autriche fait connaître à son ministre l’échec de sa mission et la
difficulté dans laquelle elle se trouve. N’ayant pas réussi dans son projet de
ramener Gaston et, avec lui, le Parlement, sur la voie de l’obéissance, elle ne
peut rejoindre Mazarin comme prévu à Saint-Germain et doit laisser la capitale
aux mains de ses ennemis.
Il ne reste plus à Mazarin qu’à jouer sa dernière carte : celle de l’apparente
soumission aux princes, jusque-là détenus au Havre. Il se rend donc en
Normandie, tente de flatter Condé en lui disant que dorénavant il le servira et
obéira à ses ordres. L’intéressé part d’un grand éclat de rire et, enfin libre, se sent
bien le maître de la situation : il n’a que faire d’un cardinal qu’il déteste
puisqu’il a recouvré toute sa force à présent.

Exil de Mazarin ; retour des princes

Cette fois, Mazarin n’a plus le choix. Après avoir tenté des ralliements et
n’avoir obtenu en retour que d’être haï toujours plus, il doit partir, pour lui, pour
la régente. Il opte pour l’exil, qui doit faire cesser la colère des uns et des autres
contre lui, principal sujet de mécontentement. Quand la tension aura baissé, que
la paix sera revenue dans les esprits par son absence, il pourra tenter de revenir,
car il est persuadé que les chefs des deux Frondes, qui ont les mêmes ambitions,
finiront par s’exclure l’un l’autre du pouvoir. Dans cet espoir, il fait route vers
l’Allemagne et s’installe au château de Brühl que l’électeur de Cologne a bien
voulu lui prêter pour quelques temps. De là, il entreprend une correspondance
suivie avec Anne d’Autriche. Pour être au courant de l’évolution de la situation
en France, pour donner à la reine ses avis et instructions afin qu’elle ne faillisse
pas et garde ce qui lui reste d’autorité. En fin de compte, de son refuge, il ne
renonce pas à gouverner mais le fait secrètement cette fois-ci.
Les Frondeurs, qui ignorent tout de cela, triomphent puisque Mazarin a dû
fuir. Le 16 février, les princes libérés entrent glorieusement à Paris, qui les
accueille avec les honneurs qui leur sont dus. Demain, ces hauts dignitaires, unis
à ceux du Parlement, ramèneront une paix juste, avec un pouvoir et une fiscalité
tempérés.

Habileté d’Anne dans l’adversité

Pendant ce temps, les intrigues continuent à la Cour. La duchesse de


Chevreuse s’est mis en tête de faire naître une relation amoureuse entre la
régente et Gondi pour aider celle-ci à mieux supporter sa solitude et tenter de la
rapprocher du coadjuteur, qui servirait ses projets. Mais la femme convoitée ne
cède pas et rappelle sèchement l’homme d’Eglise à ses obligations pastorales.
Les préoccupations de la souveraine sont d’une autre nature. Comme le lui
conseille Mazarin, elle veut mettre un terme à l’union des deux chefs rebelles, si
préjudiciable aux intérêts de la Couronne.
A cette fin, et malgré sa répugnance envers lui, elle effectue le 3 avril un
remaniement gouvernemental qui profite à Condé, lequel devient alors le
successeur de Mazarin. Gaston d’Orléans et Gondi, écartés de la conduite des
affaires, sont fous de rage et se retournent naturellement contre le prince, qui
d’allié devient l’ennemi des deux hommes.
Condé, lui, est rayonnant. Puisqu’il domine maintenant, il dirigera tout en
maître authentique, y compris la reine. Il demande à celle-ci de réunir des états
généraux pour modifier les dispositions légales sur la régence. De là à imaginer
sa volonté de s’emparer du pouvoir à la place d’Anne pour dicter ses volontés au
roi…
La reine lui répond habilement : elle veut bien convoquer les Etats mais la
réunion de ceux-ci ne pourra avoir lieu que quelques jours après la majorité de
Louis XIV. Ce faisant, elle n’affronte pas directement son rival mais lui ôte toute
ambition politique puisque le souverain, devenu majeur, n’aura officiellement
plus besoin de régente ni de régent… tout en continuant en fait, n’ayant que
treize ans, à suivre les recommandations de sa mère.
Conscient d’avoir perdu la partie sur un point essentiel, Condé, toujours
aussi impétueux, décide de se venger : il se tourne vers l’Espagne, en guerre
avec la France, et s’en déclare l’allié. Si l’on ne donne pas suite à ses
sollicitations, il s’imposera par les armes et de façon radicale… En attendant, il
se conduit avec hauteur et mépris envers Anne et le roi, preuve manifeste de sa
grande ambition.
Mais la régente ne lâche pas prise. Soucieuse d’en finir avec la redoutable
alliance des deux Frondes, elle reçoit un soir d’été dans l’intimité de son petit
cabinet l’impénitent séducteur Paul de Gondi. Alors que celui-ci croit enfin son
heure venue, elle lui demande s’il accepterait de chasser Condé dans les huit
jours, en exerçant notamment sur lui une de ces pressions parlementaires dont le
coadjuteur a le secret. Avant de donner sa réponse, ce dernier, conscient de
l’importance du service souhaité, prie la reine de lui dire sa récompense en cas
de succès. La réponse fuse : il sera cardinal, ce qui lui donnera la préséance sur
les ministres du Conseil… Gondi restera célèbre dans l’Histoire sous le nom de
cardinal de Retz.
Au contact de dures épreuves, Anne d’Autriche semble métamorphosée.
Hier perpétuellement dans l’ombre du Premier ministre, elle est maintenant, sans
sa présence mais conseillée par lui, celle qui prend les bonnes décisions pour
sortir de l’ornière le pays dont elle a la charge, comme si le danger la réveillait et
la révélait à elle-même.
Le 7 septembre, elle proclame solennellement la majorité de Louis XIV, qui
a atteint ses treize ans le 5. Le jour même, pour se concilier la remuante haute
noblesse, elle reconnaît l’innocence de Condé et déclare de nouveau le
bannissement définitif de Mazarin. Cette dernière disposition ne correspond pas
dans son esprit au rejet de celui qui reste pour elle son principal soutien mais à sa
volonté de s’attacher l’opinion publique, qui se croit maintenant délivrée à tout
jamais de l’Italien. Et puis, dans le fond, ce ne sont là que les dires d’une régente
finissante. Demain, le roi, libéré de toute tutelle et contrainte, pourra s’il le veut
revenir sur ses propos et probablement les annuler… Duplicité d’Anne
d’Autriche dans les grandes occasions…
La majorité du roi ne signifie pas pour autant l’abdication de la reine de ses
responsabilités car son fils est encore très jeune et la menace de la Fronde
toujours présente. C’est pourquoi, au terme d’une cérémonie bien réglée, la
régente remet sa démission au souverain adolescent qui la nomme
immédiatement chef de son Conseil. Il lui dit clairement : « Je désire qu’après
moi, vous soyez le chef de mon Conseil. » Outre son jeune âge, Louis XIV, bien
que formé par Mazarin et instruit par la dure expérience des troubles, n’est pas
encore capable de gouverner seul.

L’habileté de Mazarin met un terme à la Fronde (1652-1653)

La guerre civile dure depuis plus de trois ans et rien ne laisse présager la fin
prochaine de celle-ci, si ce n’est la lassitude des populations qui aspirent à
retrouver la paix. La fuite du ministre a ramené un peu de calme dans les esprits,
mais chacun des principaux chefs de parti d’opposition aspire toujours à le
remplacer, sans parvenir pour autant à un accord de gouvernement. Les
désordres continuent jusqu’à ce que Mazarin trouve, avec le consentement
d’Anne et par des dispositions appropriées, le moyen de faire régner l’ordre de
nouveau.

La guerre en Guyenne

A l’approche de la majorité de Louis XIV, Condé se rend compte qu’on ne


fera pas appel à lui pour gouverner la France, la reine entendant, de toute
évidence, remplir son rôle. Comme de surcroît les Parisiens supportent de plus
en plus mal son autoritarisme, il réalise, fou de rage, qu’il lui faut mener une
autre politique, d’oppression et de chantage, pour réapparaître sur le devant de la
scène. Le 6 septembre 1651, dès le lendemain des treize ans du souverain, il
quitte la capitale avec fracas, dans l’intention de poursuivre le combat jusqu’à la
victoire à partir de la province. Il se rend sur ses terres de Guyenne, certain d’y
trouver les renforts militaires qui lui font défaut. Il doit déchanter assez
rapidement : peu de grands seigneurs, probablement par crainte d’être dominés
par un prince plus impérieux que le jeune Louis XIV, répondent favorablement à
son appel. Il ne peut compter que sur ses propres forces et sur lui-même.
Il n’en demeure pas moins dangereux. Pour le contrer, pour se soustraire
aussi aux Frondeurs toujours agités, l’ancienne régente restée chef du
gouvernement quitte le Palais-Royal le 27 septembre avec la Cour et va
s’installer à Poitiers. Mazarin voit bien que les données ont changé : le boutefeu
de la Fronde est en difficulté ; Anne d’Autriche, confirmée dans ses fonctions de
gouvernante du royaume, avance sur l’échiquier politique. Comme il ne supporte
plus son exil et son inactivité à Brühl, qu’il veut plus que jamais être près
d’Anne pour la conseiller, il se déclare prêt à revenir en France en octobre. Si
prêt que, pour se rendre indispensable, il mobilise à la frontière une armée de
sept mille hommes. Mais il ne se précipite pas. Plutôt que de s’imposer de lui-
même, il attend qu’on le rappelle : désiré, il ne sera que plus influent. C’est
chose faite le 12 décembre 1651, à la demande officielle du roi lui-même. Dès le
mois de janvier suivant, Mazarin est à Poitiers, près de la famille royale.
Comme le soulèvement de la Guyenne et des provinces révoltées ne donne
rien, que le retour du cardinal provoque une nouvelle flambée de troubles contre
celui-ci, Condé croit son heure enfin arrivée. Délaissant le Sud-Ouest, il remonte
vers Paris, bien décidé à imposer sa loi. Mais les forces loyalistes, commandées
par Turenne, l’empêchent d’entrer dans la capitale. Le 2 juillet 1652, Condé et
les siens sont pris en étau entre les Parisiens qui l’obligent à se maintenir à
l’extérieur des murs de la ville et les troupes de Turenne, qui sont sur le point de
l’emporter. Une jeune femme de vingt-cinq ans, fille de Gaston d’Orléans
devenue duchesse de Montpensier et plus connue sous le nom de Grande
Mademoiselle, pour sauver le prince d’une situation désespérée, fait donner du
canon sur ses assaillants depuis le château fort de la Bastille. En même temps,
elle fait ouvrir les portes du faubourg Saint-Antoine. Condé, sauvé in extremis
par cette intervention, peut rentrer avec ses troupes dans la grande cité.
A peine revenu, il veut reprendre l’initiative des opérations, en écartant
définitivement Mazarin. Mais les Frondeurs refusent tout net de suivre
aveuglément un chef décidément trop impérieux et violent qui fait bientôt régner
une véritable terreur. Les excès du prince ne font qu’inciter encore davantage les
Parisiens à vouloir le retour de la paix après des années de lutte qui ne leur ont
finalement apporté que des malheurs. Profitant de l’affaiblissement de la position
de Condé et du retournement de l’opinion publique contre lui, le roi – traduisons
la reine et son principal ministre – ordonne l’exil du Parlement à Pontoise et
condamne comme hors-la-loi plus de la moitié des rebelles. A la faveur de la
division de ceux-ci, c’est un acte d’autorité pour imposer la loi du souverain.

L’exil diplomatique de Mazarin à l’origine


du rétablissement du pouvoir royal

Cependant, la présence et l’influence du cardinal constituent toujours des


motifs d’opposition au gouvernement. Comme son départ à Brühl avait
singulièrement contribué à la diminution des tensions, il propose à Anne
d’Autriche de s’exiler une nouvelle fois en Allemagne pour lui permettre de
gouverner plus librement, sans subir régulièrement les assauts de la rue. Comme
la première fois, ils s’écriront pour se tenir au courant de l’évolution de la
situation et afin que soient prises, sur la suggestion du ministre, les mesures qui
s’imposent. Lui parti, le calme reviendra et la reine pourra ramener, au nom de
son fils, la paix civile si désirée.
La fuite politique de Mazarin le 19 août trouble Condé. Désormais sans
ennemi déclaré à combattre, privé de l’appui parlementaire et populaire, son
obstination dans l’opposition met encore plus en évidence son ambition
personnelle. Esseulé, écœuré, il quitte Paris le 14 octobre et va chercher refuge
aux Pays-Bas espagnols, où il s’intègre au haut commandement de Philippe IV
pour plusieurs années.
Son départ, qui fait suite à celui, volontaire, du cardinal, libère la reine d’un
grand poids puisque le chef militaire de la Fronde est passé à l’ennemi, qu’il est
tout à fait discrédité dans l’opinion à présent. Il reste encore des poches de
résistance, mais il n’y a plus de péril dans l’immédiat. C’est pourquoi, le
21 octobre, elle peut faire une entrée triomphale avec le jeune Louis XIV dans
Paris en liesse. Par mesure de précaution, elle se rend au Louvre, mieux défendu
que le Palais-Royal.
Sûre d’elle-même à présent, elle prend les dispositions nécessaires à la fin de
la Fronde et au retour au calme. Le 22, lendemain de son retour, elle ordonne un
lit de justice à cette fin : les rebelles sont amnistiés pour faire cesser les combats,
à l’exception des chefs condéens responsables des désordres et, comme tels, fort
impopulaires. Les autres fauteurs de troubles, Gaston d’Orléans et la Grande
Mademoiselle, sont condamnés au bannissement. Quant au Parlement, à
l’origine de la révolte en 1648, il voit ses pouvoirs limités strictement à ses
attributions habituelles, ce qui exclut à l’avance toute menée politique. Pour
parachever son œuvre de reprise en main du pouvoir, la reine régnante décide le
19 décembre l’arrestation du cardinal de Retz et son emprisonnement au donjon
de Vincennes. Rejeté à tout jamais des affaires publiques, celui-ci pourra se
consacrer à la rédaction de ses célèbres Mémoires entre 1662 et 1677.
Tous les chefs de la Fronde sont chassés ou domestiqués en cette fin de
1652. La paix royale règne de nouveau. Grâce à Anne et à son fils, mais surtout
à la décision de Mazarin de disparaître complètement du gouvernement pour
arrêter les révoltes et laisser les rebelles s’entredévorer dans un désordre
salvateur pour l’Etat.
Le calme étant rétabli, le cardinal peut faire une entrée triomphale à Paris le
3 février 1653. Un grand banquet est donné en son honneur à l’hôtel de ville.
L’habileté et l’obstination d’un homme soutenu par la reine sont venues à bout
des ambitions multiples et particulières.
La Fronde finie – Condé sera définitivement battu en Guyenne en juillet
1653 –, la sérénité revient après quatre années de guerre civile. Anne d’Autriche
et Louis XIV ont connu là les plus grandes épreuves, qui les ont forcés à se
transcender moralement.

Mazarin réalise les souhaits d’Anne :


la paix et la grandeur de Louis XIV (1653-1666)

Après les troubles revient le temps de la paix. Au terme de huit années au


cours desquelles Mazarin peut parfaire l’éducation politique du jeune souverain,
celui-ci prend seul, en 1661, les rênes du pouvoir et mène le royaume vers ses
plus hautes destinées, parachevant l’œuvre commencée par Louis XIII et
Richelieu.

Louis XIV, roi sacré

La victoire de la reine régnante et de son principal ministre sur les Frondeurs


donne popularité et prestige à ces deux personnalités. Sensible aux honneurs qui
lui sont rendus, Anne ne veut pourtant pas les garder pour elle seule ; le plus
important est à présent la reconnaissance officielle et publique de son fils,
aujourd’hui âgé de quinze ans. C’est lui qui, demain, devra diriger l’Etat et le
conduire vers la prospérité.
A cette fin, elle organise le sacre et le couronnement de Louis XIV à Reims
le 7 juin 1654. Celui-ci étant devenu l’oint de Dieu, son lieutenant sur terre, elle
se retire progressivement de la gestion des affaires publiques, laissant de plus en
plus à Mazarin le soin de les gérer avec Louis. Elle abandonne ses prérogatives
sans grand regret car elle n’a pas – elle n’a jamais eu – une vraie passion pour un
pouvoir exercé jusqu’alors par devoir et par nécessité. Mais, en mère attentive,
elle se réserve l’éducation morale et religieuse d’un roi encore adolescent.

La joie de la paix retrouvée

La reine a toujours aimé la vie de cour, mais les sombres dernières années
l’en ont détournée. A la faveur d’une concorde intérieure retrouvée, elle peut se
préoccuper de lui redonner son faste et son éclat dans une ambiance de gaieté.
Le Louvre revit, dans un tourbillon de bals et de ballets qu’interrompent de
temps à autre concerts et comédies.
L’attitude de Louis perturbe ces moments de joie. Déniaisé selon l’usage par
quelque servante, il ne peut s’empêcher de libérer sa libido avec des domestiques
de son entourage, et même de convoiter telle ou telle demoiselle d’honneur, ce
qui est beaucoup plus grave pour Anne, soucieuse de préserver la vertu de ses
protégées. Pour empêcher son fils de répandre le scandale et de s’adonner au
péché, Anne d’Autriche veut le marier, dans l’espoir d’une union réussie et
durable. Elle pense trouver pour lui un bon parti, une jeune femme dévote, à la
moralité inébranlable, sa nièce, l’infante Marie-Thérèse d’Autriche, doublement
cousine germaine de Louis puisqu’elle est la fille de Philippe IV d’Espagne, son
frère, et d’Elisabeth, sœur de Louis XIII, décédée en 1644. L’union projetée n’a
pas qu’une vocation de moralité familiale. L’ancienne régente veut surtout
qu’après la paix intérieure vienne le temps de la paix avec les Habsbourg, pour
que le royaume retrouve enfin le calme et que s’épanouisse sous son fils un
règne de bonheur.
Le projet de mariage est fortement contrarié par la stratégie politique et
militaire de Mazarin. Depuis de longues années, les Couronnes de France et
d’Espagne se livrent une guerre sans merci et, si la première tend à l’emporter
sur la seconde sur les champs de bataille, aucune victoire probante, décisive, n’a
pu y mettre un terme. Le cardinal n’est pas opposé à la fin des hostilités mais il
veut que celle-ci se conclue à l’avantage de Louis XIV. Il n’est pas question pour
lui de négocier quoi que ce soit dans des conditions qui ne lui seraient pas
entièrement favorables. En cela, il poursuit l’œuvre de Louis XIII et de
Richelieu, qui visait déjà au rayonnement international du royaume.
Soucieux d’en finir avec un conflit qui n’a que trop duré, le ministre s’allie
en 1657 à Cromwell, qui lui offre six mille soldats. L’année suivante, Turenne
remporte près de Dunkerque la victoire des Dunes sur les Espagnols et Condé. A
bout de ressources financières et militaires, Philippe IV se déclare prêt à traiter et
à accepter la paix et le mariage projeté.
Les négociations ont lieu dans la petite île des Faisans, sur la Bidassoa, à la
frontière des deux pays. Compte tenu de l’importance des enjeux, elles sont
menées du côté français par Mazarin, aidé d’Hugues de Lionne, secrétaire
d’Etat. Elles connaissent un heureux aboutissement le 7 novembre 1659. Ce
qu’on appelle bientôt la paix des Pyrénées est avantageux pour Louis XIV.
D’importantes concessions territoriales sont accordées à la France, qui reçoit le
Roussillon et la Cerdagne au sud, l’Artois et des places fortes de Flandre et du
Luxembourg au nord. Pour ce qui concerne l’union de Louis et de Marie-
Thérèse, celle-ci apportera une dot de cinq cent mille écus d’or et promet de
renoncer à tout droit sur la Couronne d’Espagne sous condition que cette somme
considérable soit effectivement versée. Mazarin savait fort bien que Madrid, en
grande difficulté matérielle, ne pourrait honorer sa dette. Il comptait user des
dispositions arrêtées pour faire valoir les droits français sur le pays ennemi
contraint à résipiscence, ce qui ne manquera pas d’être plus tard…
Le traité signé, il faut évidemment en respecter les clauses. Mais Louis XIV,
tombé amoureux de Marie Mancini, nièce du cardinal, entend l’épouser, ce qui
remettrait fâcheusement en cause le dispositif arrêté. La reine et Mazarin
trouvent la parade : ils exilent Marie à La Rochelle puis à Brouage… avant de la
marier au prince Colonna, grand connétable de Naples.
Le roi s’unit donc pour la vie à Marie-Thérèse le 9 juin 1660 dans l’église de
Saint-Jean-de-Luz, accomplissant malgré lui son devoir d’Etat.

Le retrait volontaire d’Anne

Anne d’Autriche apparaît de moins en moins au Conseil et dans les instances


de décision. Ce retrait politique provoque un certain agacement chez le cardinal.
L’ancienne régente, cette femme adulée et respectée hier encore, se désintéresse
des problèmes de l’Etat ! Et pourquoi ? Pour s’adonner chaque jour davantage à
la prière et aux dévotions ! Et comme elle se sent toujours responsable de la
formation religieuse du souverain, elle tente de lui imposer ses principes et ses
vues pacifiques sur la France et sur le monde ! Comme si le roi ne devait pas
s’occuper exclusivement de régner, au besoin par la force et sans bigoterie ! Le
temps passant, le vieux couple des temps difficiles devient dans la facilité moins
uni, plus partagé, même si les sentiments de l’un envers l’autre restent solides…
jusqu’au jour où il est contraint de se séparer. Le 8 mars 1661, le cardinal
décède, après une longue agonie. La reine mère pleure son amour perdu à
jamais.

Le règne personnel de Louis XIV

Louis XIV a attendu la mort de son parrain et principal ministre pour prendre
le pouvoir, à vingt-deux ans. Il n’a pas voulu s’en emparer plus tôt par respect
pour lui, pour profiter le plus longtemps possible de ses précieux avis. Mais il est
prêt à gouverner : le lendemain même de la disparition de Mazarin, le 9 mars, il
préside un conseil demeuré célèbre. « La face du théâtre change », dit-il. Il
prendra désormais personnellement en charge la direction des affaires du
royaume avec un nombre limité de ministres compétents et dévoués à sa cause.
Anne d’Autriche ne fait pas partie du cercle restreint des élus mais elle
continue à s’occuper de la santé morale de ses enfants, qu’ils soient monarque ou
prince du sang. Son plus jeune fils, Philippe, duc d’Anjou devenu à la mort de
Gaston, en 1660, duc d’Orléans, mène une existence qui déplaît à la reine : jeune
et très beau, il est surtout attiré par les hommes et ne cache pas son
homosexualité. Ses frasques provoquent l’indignation de sa mère et commencent
à faire jaser à la Cour. Pour mettre un terme à ce qu’elle considère comme une
conduite impie et contre nature, elle prend des dispositions et décide de le marier
avec faste le 31 mars 1661 avec sa cousine Henriette-Anne d’Angleterre, fille du
défunt Charles Ier, exécuté en janvier 1649, et d’Henriette-Marie, sœur cadette de
Louis XIII. Ainsi, du moins l’espère-t-elle, Philippe retrouvera le droit chemin et
le scandale cessera.
Elle reste vigilante aussi sur la conduite du souverain. Elle a fort à faire car
de belles et jeunes femmes se pressent autour de lui, toutes disposées à offrir
leurs charmes au prince charmant. Et Louis est tout prêt à leur céder, à la
différence de son père, l’austère et ombrageux Louis XIII, tout comme jadis son
grand-père, le Vert-Galant, séducteur s’il en fût jamais. D’autant plus que son
épouse Marie-Thérèse n’a guère d’atouts physiques pour inspirer l’amour,
qu’elle est plus attirée par les prières et la charité que par les plaisirs charnels. Le
fiasco sentimental du couple finit de décider le roi à se laisser aller à de tendres
aventures. La première maîtresse royale connue est Louise de La Vallière, qui lui
inspire une telle fougue amoureuse que celle-ci tombe bientôt enceinte de ses
œuvres… au grand dam d’Anne d’Autriche qui constate, effrayée, elle si
croyante, si prude, que son enfant préféré sombre dans la luxure. Bien que Louis
règne maintenant, elle lui reproche son inconduite et demande à Bossuet,
prédicateur célèbre, de veiller au salut de son âme par des entretiens particuliers,
par des sermons qui sonnent comme des appels de Dieu à la chasteté. Peine
perdue… Mais la reine mère continue malgré tout son combat pour tenter de
sauver l’âme de son fils.
La perspective de la mort ne la détourne pas de ce projet. En 1663, elle
tombe malade, atteinte d’un mal terrible : un cancer du sein. Deux ans plus tard,
comme les médecins ne sont pas parvenus à enrayer l’évolution de la maladie,
que la gangrène gagne, ils tentent de la guérir en lui coupant matin et soir les
chairs nécrosées à l’aide d’une sorte de lame de rasoir. Pour prévenir quelque
évanouissement et atténuer la douleur, ils lui font absorber au préalable du jus de
pavot.
Louis XIV et sa famille assistent à ces terribles opérations, qui ne pourront
plus durer éternellement. En janvier 1666, Anne d’Autriche rédige son
testament, reçoit l’extrême-onction, assistée de ses deux fils. Puis elle appelle
auprès d’elle le roi de France, le presse une dernière fois d’abandonner sa vie de
débauche et de rester fidèle à son épouse. Louis l’écoute, des larmes dans les
yeux.
Ce dernier devoir sacré accompli, elle meurt, le 20 janvier 1666, et est
inhumée dans la crypte de Saint-Denis.
Recommandations répétées et ultimes supplications sans effet ? Anne
n’aurait donc vécu que pour sauver son aîné de la guerre civile et l’imposer
comme authentique souverain ? Ce serait déjà beaucoup. Mais, sur le long terme,
elle a aussi réussi à le sauver, selon ses vœux, de l’inconduite et du péché de
chair. Plus tard, quand la fougue de la jeunesse se sera libérée, que la sagesse de
la pleine maturité sera venue, Louis XIV se rangera aux principes de moralité
inculqués à grand-peine par sa mère. Délaissant favorites et maîtresses, il restera
uni à Madame de Maintenon, pour le meilleur et pour le pire.

*
Anne d’Autriche a traversé des années douloureuses pendant son mariage
avec Louis XIII. Délaissée, abandonnée par lui, elle a reporté toute son affection
sur le futur Louis XIV, encore enfant à son avènement. Devenue régente, elle a
repris espoir grâce à une vie de cour éclatante, bien vite interrompue par la
tempête de la Fronde. Alors, menacée dans ses fondements, la monarchie a failli
sombrer sous les coups du Parlement, des princes et du peuple manipulé par eux.
Pendant quatre années de péril quasiment permanent, la reine, pourtant peu
fascinée par le pouvoir, a su faire front et imposer à tous, contre vents et marées,
le cardinal Mazarin, seul homme jugé capable par elle – et avec raison – de venir
à bout des désordres par sa détermination, son habileté et son indéfectible amitié
à son égard.
Le calme revenu, elle laisse son ministre gouverner librement et former
Louis XIV à ses futures responsabilités, manifestant simplement une attention
particulière envers l’enfant roi.
Cette conduite apparemment simple des affaires de l’Etat avec le cardinal,
cette volonté constante d’efficacité ont favorisé l’éclosion d’un grand règne.
Au fond, en moins de quinze ans, le royaume de France est passé de
l’agitation baroque et débridée de la Fronde au classicisme rigoureux et à
l’absolutisme royal de Louis XIV. Anne d’Autriche a joué un rôle important dans
cette spectaculaire mutation monarchique.
CONCLUSION

Les reines régnantes et l’attrait du pouvoir

Toutes les régentes ont eu, à des degrés divers il est vrai, le goût du pouvoir.
Filles de roi, de prince du sang ou de l’argent, elles ont été habituées dès leur
plus jeune âge à occuper une position sociale dominante axée sur le vie de cour
pour préparer un possible mariage royal.
Reines par raison d’Etat au terme d’âpres négociations diplomatiques, elles
n’ont pas été heureuses en couple pour la plupart, l’esprit des souverains étant
plus attiré par des maîtresses qui s’accordaient mieux avec eux. Seule Blanche
de Castille a filé un parfait amour avec Louis VIII. Quant à Anne d’Autriche, si
elle n’a pas été trompée, c’est surtout parce que Louis XIII paraissait indifférent
à toute vie sexuelle.

Unies à un roi, les voici donc reines… Sans que leur époux ne se soucie –
sauf exception – de leur formation politique. Le pouvoir doit rester puissant,
c’est-à-dire masculin et viril. Dans ces conditions, on comprend que la mort du
souverain ou, dans le cas de Charles VI, sa démence récurrente soit perçue par sa
femme comme un temps fort libérateur de son infériorité obligée et d’ambitions
pendant trop longtemps contenues. Toutes les régentes ont vécu avec satisfaction
leur promotion politique, issue d’un deuil rarement cruel. Toutes ont été avides
de « régner », avec un enthousiasme inégal selon les personnalités et les
circonstances. Compensation de frustration ou accomplissement de vœux
secrets ?
Devant les réalités d’un monde hostile, il leur a fallu déchanter. Elles étaient
toutes d’origine étrangère, et cela était mal perçu dans le royaume de France
autrefois. De plus, il leur a fallu faire face aux ambitions de la haute noblesse,
soucieuse de recouvrer ses anciennes prérogatives à la faveur de la minorité des
rois et de la faiblesse présumée des régentes. Surtout, certaines reines mères ont
eu à diriger le pays pendant des heures tragiques de notre histoire : Isabeau de
Bavière a dû faire face à la guerre de Cent Ans, Catherine de Médicis aux
guerres de religion, Anne d’Autriche à la Fronde…

Malgré tout, les régentes ont-elles réussi sur le long terme à s’imposer
comme d’authentiques gouvernantes et à triompher de l’adversité ? Les réponses
doivent être nuancées, car elles tiennent compte surtout des capacités et des
personnalités des unes et des autres.

La première en date, Blanche de Castille, a parfaitement rempli sa mission.
A force d’habileté et de diplomatie mais aussi de démonstrations de force, elle a
réussi à vaincre les oppositions, à asseoir son autorité et à rendre possible le
règne célèbre de Saint Louis.

Comparée à elle, Isabeau de Bavière fait pâle figure. Soucieuse d’être obéie,
elle n’a ni l’intelligence ni la force de caractère pour ramener un peu d’ordre
dans une France divisée. Elle a besoin en permanence d’un prince puissant pour
la guider et lui dicter sa conduite. Mais les circonstances l’amènent à changer
d’appuis et de caps, ce qui ajoute à la confusion ambiante et diminue encore
davantage sa crédibilité. Après s’être inspirée des avis de Philippe de
Bourgogne, elle suit les leçons du pire ennemi de celui-ci, Louis d’Orléans,
avant de retomber sous l’influence bourguignonne avec Jean sans Peur. On
comprend mieux comment, perdue et égarée, elle a pu donner le royaume de
France au roi d’Angleterre son rival, au grand désespoir de son fils et héritier
Charles VII. Voilà une reine velléitaire emportée par la tourmente de son
temps…

Dans le second XVIe siècle, Catherine de Médicis est une régente avertie et
intelligente qui pratique à merveille un jeu de bascule entre catholiques et
protestants, jeu qui tient compte de ses succès ou insuccès militaires. Cependant,
sa connaissance trop peu approfondie des deux religions opposées l’a amenée,
notamment au début de son gouvernement, par exemple lors du colloque de
Poissy en 1561, à traiter l’antagonisme des « papistes » et des calvinistes comme
une lutte entre deux partis rivaux, sans prendre suffisamment en compte les
oppositions fondamentales sur le plan doctrinal, inconciliables à l’époque. Cela
l’a conduite, au terme d’édits de compromis, à mécontenter les deux clans,
chacun des deux étant tour à tour persuadé d’avoir perdu des positions
avantageuses. Malgré tout, dans une époque de grands troubles, Catherine de
Médicis a su préserver l’essentiel : l’autorité royale, qui s’est développée sous
Henri III, l’intégrité du royaume pourtant sans cesse menacé d’implosion. Eprise
de pouvoir, elle a bien rempli une mission difficile dans une conjoncture hostile.

Toute la vie de Marie de Médicis n’a été qu’une immense ambition. Au point
que, jalouse et agacée d’avoir près d’elle le jeune Louis XIII appelé, lui, à régner
un jour, elle a tout fait pour le rendre dépendant d’elle. Après l’avoir mis sous le
boisseau et avoir tenté de briser son caractère dominateur dans son enfance, elle
n’a pas hésité à faire la guerre contre lui pour qu’il la rappelle au gouvernement
et, après la réconciliation officielle avec lui, à faire de Richelieu, qu’elle pensait
tout acquis à sa cause, le conseiller préféré du souverain. Peu intelligente, elle
n’a pas compris que le cardinal travaillait surtout pour lui auprès de Louis XIII.
L’ayant enfin réalisé, elle n’a pas hésité à organiser complots et guerres contre la
France pour tenter de s’imposer in fine par la force. Elle n’a jamais supporté de
n’être que reine régnante pour un temps. Sa vraie vocation était d’être roi au sens
plein du terme. C’est sans doute la raison de son échec final.

Anne d’Autriche est en tout opposée à Marie de Médicis. Mariée au jeune
Louis XIII, autoritaire, irascible et rêvant de gloire malgré les humiliations
infligées par sa mère, elle n’a eu qu’une grande préoccupation en tant que
régente : le dauphin Louis, le futur Louis XIV. Parce qu’elle l’aimait, parce
qu’elle voulait qu’il devienne grâce à elle un grand roi. Se réaliser à travers son
fils, tel était son but suprême. Pour lui, pour son futur royaume, elle s’est
appuyée inconditionnellement sur Mazarin pour diriger, même dans la dure et
longue épreuve de la Fronde, de 1648 à 1652. Sa confiance absolue en ce
Premier ministre lui a permis de vaincre l’adversité car celui-ci était aussi habile
que déterminé et efficace. Après tant d’autres rois et reines depuis Blanche de
Castille, Anne d’Autriche, tentée par une certaine forme d’autorité, a permis
l’avènement du Roi-Soleil.

Toutes les régentes ont été attirées, voire fascinées par le pouvoir. Cela est-il
vrai pour les rois, les gouvernants et même les gouvernés ? Si on réussissait à en
fournir la preuve – et il semble a priori que cela soit possible –, on pourrait
affirmer que l’attrait du pouvoir, et donc de la puissance, est une donnée
anthropologique de l’Histoire.
Sources et bibliographie

La documentation sur les cinq souveraines, ainsi que sur les différentes époques auxquelles elles ont vécu,
est d’inégale importance suivant les règnes mais globalement abondante. On ne trouvera ci-dessous que des
indications générales susceptibles de compléter les connaissances du lecteur ou de lui permettre
d’entreprendre des recherches complémentaires.

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Index

Albret, Charles d’, connétable : 1.


Alençon, François, duc d’, puis duc d’Anjou : 1, 2.
Alphonse VIII, roi de Castille : 1, 2, 3, 4.
Amboise, édit d’ : 1, 2.
Anjou, Charles d’ : 1.
Anjou, François, duc d’ : 1, 2, 3, 4, 5.
Anjou, Louis d’, cousin de Charles VI : 1.
Anjou, Philippe, duc d’ : 1, 2.
Aquitaine, Aliénor d’ : 1, 2, 3.
Armagnac, Bernard, comte d’ : 1.
Arques, Anne, duc de Joyeuse : 1.
Arthur de Bretagne : 1.
Autriche, Anne d’ : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26,
27, 28, 29, 30.
Autriche, Marguerite d’, mère d’Anne d’Autriche : 1, 2.
Autriche, Marie-Thérèse d’ : 1, 2.
Azincourt : 1, 2.
Bavière, Isabeau de : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18.
Bavière, Louis de, frère d’Isabeau de Bavière : 1, 2, 3.
Beaufort, François, duc de : 1.
Beaulieu, édit de : 1, 2, 3.
Bedford, duc de : 1.
Bellièvre, Pomponne de : 1, 2.
Bène, Amaury de : 1.
Berry, Jean de, oncle de Charles VI : 1.
Bérulle, Pierre de : 1.
Bèze, Théodore de : 1, 2.
Bodin, Jean : 1, 2.
Bossuet : 1.
Bouillon, duc de : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Bourbon, Antoine de : 1, 2, 3.
Bourbon, Charles, cardinal de : 1, 2.
Bourbon, Henri, prince de Condé : 1, 2, 3, 4, 5.
Bourbon, Louis de, oncle de Charles VI : 1.
Bourgogne, Philippe de, oncle de Charles VI : 1, 2, 3, 4.
Broussel, Pierre : 1.
Buckingham, duc de : 1, 2, 3, 4.
Caboche : 1.
Calvin, Jean : 1, 2.
Castille, Blanche de : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26.
Cateau-Cambrésis, traité du : 1.
Chalais, comte de : 1, 2, 3.
Champagne, Thibaud de : 1, 2.
Champdivers, Odette de : 1.
Charles Ier, roi d’Angleterre : 1, 2, 3.
Charles V, père de Charles VI : 1.
Charles VI, roi de France : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15.
Charles VII, roi de France : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.
Charles VIII, roi de France : 1, 2.
Charles IX, roi de France : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21.
Charles Quint, empereur germanique : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Chevreuse, duchesse de : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Cinq-Mars, marquis de : 1, 2.
Clément VII, pape : 1.
Clément VIII, pape : 1.
Clément, Jacques : 1.
Clisson, Olivier de : 1.
Coligny, amiral de : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Concini, Concino, maréchal d’Ancre : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Condé, Henri, prince de : 1, 2, 3, 4.
Condé, Louis, prince de : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.
Conti, prince de : 1.
Cornut, Gauthier, archevêque de Sens : 1, 2, 3.
Cornut, Henri, archevêque de Sens : 1.
Cossé, maréchal de : 1.
Diane de Poitiers, favorite d’Henri II : 1, 2, 3, 4, 5.
Dreux, Pierre de, duc de Bretagne : 1, 2, 3.
Duplessis-Mornay, Philippe : 1.
Elisabeth, épouse de Philippe II, roi d’Espagne : 1.
Elisabeth, reine d’Angleterre : 1, 2, 3.
Enghien, duc d’ : 1, 2.
Epernon, duc d’ : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Estrées, Gabrielle d’ : 1, 2, 3.
Etienne III, père d’Isabeau de Bavière : 1.
Feria, duc de : 1.
François Ier, père de Marie de Médicis : 1.
François Ier, roi de France : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.
François II, roi de France : 1, 2, 3, 4.
Froissart, Jean : 1.
Galigaï, Leonora : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Gondi, cardinal de Retz : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Grégoire IX, pape : 1.
Grégoire XIII, pape : 1, 2.
Guérin, frère, conseiller de Philippe Auguste : 1, 2, 3, 4.
Guillaume d’Auvergne : 1, 2.
Guise, Charles de, cardinal de Lorraine : 1, 2, 3.
Guise, François, duc de : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Guise, Henri, duc de : 1, 2, 3, 4, 5.
Hainaut, Isabelle de : 1.
Hautefort, Marie de : 1, 2.
Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre : 1.
Henri II, roi de France : 1, 2, 3, 4, 5.
Henri III, roi d’Angleterre : 1, 2, 3.
Henri III, roi de France : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18.
Henri IV, roi d’Angleterre : 1.
Henri IV, roi de France : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20.
Henri V, roi d’Angleterre : 1, 2, 3, 4.
Henri VI, roi d’Angleterre : 1.
Henriette-Marie, sœur de Louis XIII : 1, 2, 3, 4, 5.
Honorius III, pape : 1.
Hotman, François : 1.
Hurepel, Philippe : 1, 2, 3.
Ingeburge de Danemark : 1, 2.
Innocent III, pape : 1, 2.
Jacques Ier, roi d’Angleterre : 1.
Jean Ier dit le Roux, duc de Bretagne : 1.
Jean IV, duc de Bretagne : 1.
Jeanne d’Arc : 1.
Jeanne de Saint-Gilles : 1.
Jean sans Peur, duc de Bourgogne, fils de Philippe le Hardi : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.
Jean sans Terre, roi d’Angleterre : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Jean V, duc de Bretagne : 1.
Jules II, pape : 1.
La Fayette, Marie-Louise de : 1.
La Tour d’Auvergne, Madeleine de, mère de Catherine de Médicis : 1.
La Vallière, Louise de : 1.
La Vieuville, marquis de : 1.
Léon X, pape : 1, 2.
L’Hôpital, Michel de, chancelier : 1, 2, 3, 4.
Lionne, Hugues de : 1.
Longueville, duchesse de : 1.
Lorraine, Louise de, épouse d’Henri III : 1, 2.
Louis, frère de Charles VI : 1.
Louis VIII, roi de France : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15.
Louis IX (Saint Louis), roi de France : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17.
Louis XIII, roi de France : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24,
25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36.
Louis XIV, roi de France : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22.
Lusignan, Hugues de : 1, 2.
Luynes, duc de : 1, 2, 3, 4, 5.
Maître de Hongrie, le : 1.
Mancini, Marie : 1.
Marguerite (Margot), épouse d’Henri IV : 1, 2, 3, 4.
Marillac, Louis de : 1.
Marillac, Michel de : 1.
Mathieu Paris : 1, 2.
Maurevert, Louviers de : 1.
Mazarin, Jules, cardinal : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19.
Médicis, Catherine de : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25,
26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42.
Médicis, Cosme Ier : 1.
Médicis, Ferdinand Ier, duc de Toscane : 1, 2.
Médicis, Laurent II de, duc d’Urbino : 1.
Médicis, Marie de : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26,
27, 28, 29, 30, 31, 32.
Méranie, Agnès de : 1, 2.
Michelet, Jules : 1, 2.
Molé, Mathieu : 1, 2.
Montaigne, Michel de : 1.
Montfort, Simon de : 1, 2.
Montmorency-Boutteville, François de : 1.
Montmorency, Charlotte de : 1.
Montmorency, François, duc de : 1.
Montmorency, Henri de : 1, 2, 3.
Montpensier, dite la Grande Mademoiselle, duchesse de : 1, 2, 3.
Montpezat, Honorat de : 1.
Nantes, édit de : 1, 2, 3, 4.
Nesle, Jean de : 1, 2, 3.
Nevers, Charles, duc de : 1.
Nostre-Dame, Michel de, dit Nostradamus : 1, 2.
Orléans, Charles, duc d’ : 1, 2.
Orléans, Gaston d’, frère de Louis XIII : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13.
Orléans, Louis, duc d’, frère de Charles VI : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.
Paul III, pape : 1.
Philippe II, roi d’Espagne : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10.
Philippe III, roi d’Espagne : 1, 2, 3, 4.
Philippe IV, roi d’Espagne : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Philippe Auguste, roi de France : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15.
Philippe dit le Hardi, duc de Bourgogne : 1, 2, 3, 4.
Philippe le Bon, duc de Bourgogne, fils de Jean sans Peur : 1, 2.
Pie V, pape : 1.
Poissy, colloque de : 1, 2.
Provence, Marguerite de, épouse de saint Louis : 1, 2, 3, 4, 5.
Ravaillac : 1, 2.
Raymond VI : 1.
Raymond VII, comte de Toulouse : 1, 2, 3, 4.
Renaudie, Jean de la : 1.
Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre : 1, 2, 3.
Richelieu, cardinal de : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25,
26, 27, 28, 29.
Rohan, duc de : 1, 2.
Romorantin, édit de : 1.
Roye, Barthélemy de : 1, 2.
Saint-Ange, Romain de, cardinal légat : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Saint-Germain, édit de : 1, 2, 3, 4.
Savonarole, dominicain : 1.
Séguier, chancelier : 1, 2.
Sixte Quint, pape : 1.
Soubise, Benjamin de : 1, 2.
Stuart, Marie, épouse de François II : 1.
Thadée : 1.
Thibaud IV, comte de Champagne : 1, 2, 3.
Thou, François de : 1.
Turenne, vicomte de : 1, 2.
Urraque : 1, 2.
Vendôme, César de : 1, 2, 3, 4, 5.
Villeroy, Nicolas de : 1, 2, 3, 4, 5, 6.
Wittelsbach de Bavière : 1.
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