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Éditions

de l’École
des
hautes
études en
sciences
sociales
Les formes de l’action collective  | Daniel Cefaï,  Danny
Trom
Cadres et
institution des
problèmes publics
Les cas du chômage et du paysage
Frames and the Shaping of Public Problems. A Case Study
on Employment and Landscape Destruction

Danny Trom y Bénédicte


Zimmermann
p. 281-315

Resumen
Le problème de la constitution de nouveaux problèmes publics, et de leur
mise en forme à travers des catégories d’action, est traité à partir de deux
études de cas : le chômage et le paysage en Allemagne. La recherche met
ici en œuvre l’analyse de cadres, et la prolonge par une approche
processuelle, nécessaire pour analyser le problème posé. Dans un même
mouvement sont ainsi examinés des processus de mobilisation, de
cadrage et de catégorisation qui interagissent les uns sur les autres. La
définition d’un problème et l’expression d’une revendication, le travail de
mise en équivalence de cas singuliers et de stabilisation catégorielle
relèvent d’une dynamique de destitution et de recomposition de
catégories. Cette dynamique s’inscrit à la fois dans la longue durée des
cadres préexistants et dans la courte durée d’activités de mobilisation qui
visent leur transformation.

The shaping of public problems and their translation into action-


oriented categories is illustrated by two case studies with a broad
historical perspective  : unemployment and landscape destruction. The
frame perspective on mobilization, combined with a processual
approach, is used to examine the dynamic of public problems.
Mobilization, framing processes and categorization interact
continuously  : the definition of problems, the expression of claims, the
work aiming to relate singular cases to compose general issues, belong to
the stabilization of social categories, their tranformation and
recomposition. These dynamics are embedded in long-temporal scales,
when available frames remain unchanged and in shorter sequences of
action when mobilization is oriented towards frame transformation.

Texto completo
1 L’analyse de cadre (frame perspective) a souligné combien
toute mobilisation collective suppose, de la part des
personnes engagées dans l’action, un travail cognitif et
normatif visant à définir la situation dans laquelle elles
agissent (Snow, supra). Cette approche, conçue pour saisir à
la fois un processus, l’activité de cadrage (framing) et le
produit de cette activité, le cadre (frame), appelle deux
commentaires. Premièrement, elle s’est essentiellement
attelée à identifier et à répertorier des cadres, sacrifiant le
plus souvent la dynamique de cadrage inhérente à toute
mobilisation. Le cadre y apparaît sous une forme statique et
se confond avec un assemblage solide, mais assez
rudimentaire, d’idées et de normes. Deuxièmement, cette
approche postule que les acteurs disposent de ressources
culturelles qu’ils vont activer et assembler en vue de
confectionner un cadre qui rencontrera, en cas de succès, les
attentes du public. Un interactionnisme par trop stratégique
conduit ainsi à envisager l’activité de définition et de
négociation de la réalité comme étant sans contrainte
(Cefaï ; Trom, supra).
2 Pour infléchir cette perspective, tout en maintenant les
exigences qu’elle s’était données à l’origine, nous nous
proposons de croiser les propositions théoriques de l’analyse
de cadre avec une approche en termes de problèmes publics1.
Ce croisement permettra de déplacer l’attention non
seulement vers les processus de mobilisation, mais
également vers les activités de formulation de plaintes, de
critique et de revendication qui y sont à l’œuvre. Il permettra
aussi de saisir la mobilisation de manière dynamique, dans
le contexte plus large et plus contraignant de la disponibilité
générale d’un faisceau de problèmes publics qui borne le
travail des acteurs en situation (Trom, supra).
3 La sociologie des problèmes publics a souvent été cantonnée
dans les limites d’un constructivisme nominaliste (Cefaï,
1996). Dans la perspective constructiviste, le caractère
construit des problèmes publics est référé à l’activité
collective de définition et de revendication de groupes
d’intérêts particuliers (Kitsuse & Spector, 1973), qui requiert
une aptitude cognitive et morale à la dénonciation de
conditions jugées anormales ou injustes (Gusfield, 1981  ;
Jasper, 1997). La prise en compte d’une telle activité
constitue un apport indéniable. Mais les problèmes publics
ne sont pas toujours, du moins pas à tous les stades de leur
énonciation, le fruit d’un travail délibéré et cohérent de
construction, pas plus qu’ils ne sont forcément imputables à
l’activité revendicative d’un groupe social particulier. Le
supposer revient à surestimer la rationalité de la
dénonciation2 et à sous-estimer les balbutiements, les
tâtonnements et les incertitudes inhérents à toute
mobilisation ainsi que les conditions sur lesquelles elle
s’appuie.
4 Toute mobilisation est, entre autres, contrainte par la
disponibilité de catégories et de problèmes légitimes sans
lesquels une situation problématique ne pourrait pas, dans
des circonstances ordinaires, être thématisée. Mais cette
disponibilité mérite une exploration. C’est dans le
mouvement même d’institution d’un problème que se
configure son caractère public, reconnaissable et identifiable
par tout un chacun. Un problème public doit être conçu
comme le produit historique d’une activité collective
complexe, engageant une série d’acteurs hétérogènes et
ancrée dans des contextes particuliers. Les problèmes
publics sont constitués dans des moments de mobilisation
collective marqués par l’indécision, le tâtonnement, le
désaccord. En se stabilisant, ils se muent en entités
consistantes et acquièrent cette naturalité qui caractérise un
rapport durable au monde. C’est à ce titre qu’ils pourront
être activés comme de véritables cadres dans des processus
ultérieurs de mobilisation, permettant de thématiser des
situations vécues comme problématiques, de passer d’un
«  trouble  » éprouvé à un «  problème  » constitué (Mills,
1954). Ils rendent ainsi possibles des mobilisations
ultérieures, déterminant en particulier la manière dont les
personnes comprendront, saisiront les situations qu’ils
jugeront problématiques et se donneront une prise sur elles.
Aussi la constitution d’un problème public n’est-elle pas
seulement, ni avant tout, une affaire d’activité créatrice
(Joas, 1999). Elle suppose l’activation de schèmes
préexistants sans lesquels le « trouble » n’accéderait pas à la
visibilité dans un espace public. Le lien entre les processus
de mobilisation collective et la structuration du champ des
problèmes légitimes est patent en matière de confection
d’une cause publique.
5 Toutefois, la disponibilité d’un problème n’assure jamais de
manière mécanique la félicité des activités de mobilisation.
Le passage au public (Quéré, 1990  ; Cardon, Heurtin &
Lemieux, 1995) constitue toujours une épreuve pour les
acteurs (Boltanski & Thévenot, 1991). En ce sens, les
catégories disponibles sont à chaque fois rejouées dans les
situations concrètes et il n’est pas exclu qu’il en résulte, dans
certains cas, une transformation du problème public
concerné. Toutefois le coût de cette transformation est
extrêmement élevé puisqu’elle suppose de défaire ce qui a
été solidement noué et de reconfigurer entièrement ou
partiellement ce qui fait problème. Ce sont de tels
déplacements dans le cadrage de problèmes publics déjà
institués, et les processus de reconfiguration des catégories
établies de l’action publique qu’ils impliquent, que nous
nous proposons d’explorer dans cet article.
6 Nous définissons un problème public comme une manière
partagée, plus ou moins stabilisée, de thématiser une
situation perçue comme problématique. Cette thématisation
passe par la création ou l’usage de catégories (de personnes,
d’actes, d’objets, de situations, d’événements). En
particulier, cette catégorisation définit des classes plus
moins extensives de choses ou de personnes affectées par un
problème et susceptibles de bénéficier d’un traitement
public en tant que membres de ces classes. Les cadres de la
mobilisation désignent les manières multiples et situées,
dont, dans l’action, un problème public et des catégories
sont confectionnés, ou dont ils sont soumis à des critiques, à
des modifications ou à des déplacements. Ils constituent
donc des objets dynamiques, puisqu’ils renvoient aussi bien
aux conditions préalables d’un processus de cadrage qu’à
son produit ; celui-ci va lui-même, à son tour, conditionner
les mobilisations ultérieures. Dans une telle optique, le
recours à des matériaux historiques permet de rendre
compte de moments d’innovation, où émergent des
catégories d’appréhension et d’intervention nouvelles qui
seront disponibles par la suite. Quant aux mobilisations
observées dans le présent de l’action, elles paraissent le plus
souvent définir une situation problématique en la rapportant
à un problème public préexistant et stabilisé. Elles peuvent
tenter de modifier, corriger, ou déplacer les manières
convenues de poser et de traiter le problème. Mais ces
modifications restent souvent marginales, écrasées par la
puissance d’imposition des cadres établis.
7 Ainsi l’analyse en termes de cadrage peut-elle être infléchie
pour qu’elle ne soit pas cantonnée à la saisie d’idées ou de
valeurs impulsant la mobilisation. Elle doit permettre de lier
des processus de mobilisation et la production historique
d’entités abstraites durables (tels un problème public, une
catégorie de personnes ou d’objets) qui structurent
l’appréhension des événements et des situations
problématiques. Un tel infléchissement suppose que la
dimension diachronique des cadres soit placée au centre de
l’analyse.
8 Deux exemples de problèmes publics, constitués au tournant
du xxe siècle, nous serviront à documenter ces propositions
théoriques. Le premier concerne une injustice faite aux
personnes, à savoir le non-travail  : nous examinerons la
mise en forme progressive de la catégorie de chômeur. Le
second concerne une injustice faite à la nature  : nous
analyserons l’émergence du paysage comme objet de
sollicitude. Une personne privée de travail dans un cas, un
espace altéré dans l’autre, sont saisis sous une catégorie,
thématisés en termes de situation problématique, constitués
en objets d’une « politique de la pitié » (Boltanski, 1994). La
coïncidence temporelle de la constitution de ces deux
problèmes publics, de même que les points d’ancrage
communs des catégorisations que celle-ci occasionne,
permettent d’alimenter, à partir du cas allemand, une
réflexion plus générale sur les processus de reconfiguration
des catégories de l’action publique. C’est une telle réflexion
qui justifie le rapprochement de ces deux cas, plutôt qu’une
visée de comparaison systématique.
9 Nous retracerons dans un premier temps l’émergence des
deux problèmes. Puis nous décrirons leur solidification
progressive à travers le travail concomitant de catégorisation
des personnes et des choses. Nous montrerons que ce
processus s’inscrit dans une conjoncture historique
particulière, marquée par une intense mobilisation. Enfin, à
partir de l’analyse proposée de l’articulation entre problèmes
publics, catégories et mobilisation, nous reformulerons le
statut des processus de cadrage dans les mouvements
sociaux.

Les balbutiements d’un processus


10 La fin du xixe  siècle est une période particulièrement riche
en reconfigurations des catégories d’appréhension du
monde. Les deux exemples retenus s’inscrivent, par-delà
leurs spécificités, dans un processus général de
réagencement des rapports entre l’individu et le collectif, le
local et le national, le singulier et le général. La
catégorisation vise à conjurer les bouleversements induits
par l’entrée à la fois du travail et de la terre dans la sphère du
marché, qui détache les personnes de leur ancrage local,
social et environnemental (Polanyi, 1983).
11 Dans les deux cas, la production catégorielle prend appui sur
la dénonciation d’un manque, stipulé en allemand par les
suffixes -los et -losigkeit. Mais cette dénonciation n’est elle-
même possible que parce que le manque est défini en
fonction d’un élément positif. Elle se déploie ainsi en
référence à des biens, nouveaux ou réévalués, qui se trouvent
dans un rapport de détermination mutuelle avec les
catégories qui expriment le manque, à savoir d’un côté le
travail (Arbeit), de l’autre le paysage (Landschaft). Ainsi
Arbeitslosigkeit/arbeitslos font figure sur le fond d’une
saisie nouvelle de la Arbeit (Zimmermann, 2001, chap. I),
Heimatlosigkeit/Landschaftzerstörung sur celui d’une
saisie nouvelle de la Landschaft (Trom, 1995)3.

Du « trouble » au problème public


12 «  Arbeitslosigkeit  », «  Heimatlosigkeit  »  : le référent
commun de la dépossession. Le concept d’Arbeitslosigkeit
n’existe pas avant la fin du xixe  siècle. Jusque-là, la
condition de sans-travail (arbeitslos) se confond avec les
autres expressions de la dépossession qui caractérise le
« démuni » (Eigentumsloser), figure centrale de la question
sociale dans les années  1840. Arbeitslos (sans travail)
équivaut à eigentumslos (sans bien), heimatlos (sans chez
soi), nahrungslos (affamé), brotlos (sans pain),
beschäftigungslos (sans occupation), erwerbslos (sans
activité professionnelle) – autant de qualificatifs
interchangeables dont un seul suffit à suggérer les autres et à
évoquer l’image du déraciné rural, sans pain, sans toit, ni
travail (Jankte & Hilger, 1965). La dépossession, forme
pathologique de l’«  individualisme possessif  » érigé à la fin
du xviiie siècle en valeur cardinale de la théorie économique
et politique (Macpherson, 1971), se trouve au cœur de ce
corpus. Alors que l’idéal de possession devient l’expression
dominante de la normalité économique et sociale, au point
que le travail lui-même est érigé en propriété, le suffixe
privatif -los devient le dénominateur commun de la question
sociale instituée en écart à cette norme. Suggérant une idée à
la fois de privation et de rupture, il confond le démuni et le
déraciné en une seule et même figure.
13 Le concept de Heimatlosigkeit désigne, dans la seconde
moitié du xixe siècle, un ensemble de processus diffus, objets
de plaintes et de récriminations. On retrouve le terme dans
la littérature savante, en particulier sous la plume de lettrés,
écrivains et Kulturkritiker divers qui amalgament sous un
même vocable des phénomènes aussi divers que
l’industrialisation et l’urbanisation, l’exode rural et la
croissance anarchique des métropoles, la mobilité et le règne
de la marchandise, la prolétarisation de fractions croissantes
de la population, leur acculturation, leur détérioration
physique et leur déchéance morale. Ce n’est qu’à la fin du
xixe  siècle que la thématique de la Heimatlosigkeit se
spécifie, au moment où elle pénètre le discours politique.
Cette spécialisation est concomitante à l’apparition de
nouveaux concepts, tel celui de Arbeitslosigkeit, expression
d’un travail de recatégorisation des problèmes sociaux en
vue d’un traitement politique différencié. La plainte de la
Heimatlosigkeit, sous la forme particulière de la destruction
du paysage, existait certes déjà avant ce processus de
différenciation. Elle était portée par des écrivains, poètes,
peintres et autres esthètes qui déploraient l’enlaidissement
du monde et la disparition des paysages, sources de leur
inspiration. Le paysage était alors mis en scène comme une
entité exceptionnelle, objet d’exaltation des artistes
romantiques et bientôt objet d’une consommation de masse.
Mais ce n’est qu’à partir de la fin du xixe  siècle que le
paysage est constitué en catégorie pertinente et générique
d’appréhension du monde extérieur ; il devient une catégorie
de description du territoire de l’État-nation et contribue à en
dessiner la physionomie. Dès lors, il n’est plus seulement
une catégorie de la pratique artistique et de la
consommation culturelle, mais désigne des entités existant
dans le monde colorié et charnel du territoire, de telle sorte
que la nation devient descriptible comme un réservoir
d’entités visuelles, peuplée de paysages considérés comme
des biens communs. Le destin du paysage devient ainsi
l’objet d’un souci politique, d’une prise en charge protectrice
et d’une mise en forme appropriée à des pratiques qui
n’avaient pas cours jusqu’alors.
14 Le terme de chômage (Arbeitslosigkeit), inexistant jusqu’aux
années  1880, se répand à la même époque. Son usage se
développe de manière concomitante à la revendication d’un
traitement social spécifique du non-travail pour raison
économique, alors que sa généralisation se confond avec la
délimitation tâtonnante d’une nouvelle catégorie de l’action
publique. Les années 1890 ouvrent ainsi quarante années de
spécification controversée de la définition du chômage, pour
déboucher en  1927 sur la promulgation d’une loi nationale
d’assurance contre le chômage4. La coïncidence entre la
diffusion des mots Arbeitslosigkeit et Landschaftzerstörung
et leur investissement dans la pratique politique invite à
envisager leur définition sous l’angle d’un processus
commun, mais aux facettes multiples. Ce processus se
conjugue avec l’affirmation, par des sciences sociales et des
institutions étatiques alors en pleine recomposition
(Wagner, 1990), de lignes spécifiques de démarcation du
privé et du public (Habermas, 1993), mais également des
sphères économiques, politiques et sociales. Loin d’être
tracées une fois pour toutes comme un préalable à l’action,
ces lignes se dessinent et se redessinent dans un mouvement
où les mises en forme discursives du social et les institutions
censées l’incarner se déterminent mutuellement.
15 Le travail et le paysage comme catégories renvoient à un état
stabilisé des personnes et des choses. La stabilité d’un état,
en tant que bien, va de pair avec la conscience d’une
plasticité de la société, d’une capacité d’agir sur elle-même,
d’infléchir des processus négatifs, à tout le moins, d’en
pallier les effets jugés les plus néfastes. Toutefois, la
constitution des couples catégoriels travail/chômage,
paysage/destruction du paysage, ne procède pas du seul
volontarisme, comme le suggèrent les approches strictement
constructivistes. Loin de se limiter à une dimension
langagière, d’être réductible à un acte d’étiquetage, ce
processus de cadrage draine un ensemble de représentations
et de pratiques indissociablement habilitantes et
contraignantes (Giddens, 1987)5. Pour ce qui concerne le
chômage, les institutions d’assistance de même que les
assurances bismarckiennes déterminent les cadres de
référence en matière de traitement du non-travail, par
rapport auxquels les différents protagonistes sont
inévitablement amenés à se positionner. C’est dans l’espace
ouvert par leur confrontation, entre la logique de la faute
individuelle et celle du risque collectivement assuré, que
s’inscrivent les définitions, puis les mises en forme
catégorielles du chômage et du chômeur, illustrant le poids
des cadres disponibles dans tout processus d’innovation.
Dans le cas du paysage, la logique patrimoniale, très
anciennement enracinée dans les pratiques de
gouvernement, forme le cadre contraignant hors duquel une
intervention publique n’est pas même pensable. Que ce soit
les fortes réticences des hobereaux au sein des parlements
régionaux ou les premières mesures réglementaires
destinées à établir les critères d’une nomenclature des objets
patrimonialisables, tout indique que la logique de protection
et de conservation des monuments (Denkmalpflege)
surdétermine la manière dont le paysage comme bien
commun pénètre la sphère des domaines susceptibles de
faire l’objet d’une prise en charge collective.
16 Forgées à la confluence des héritages du passé et des enjeux
propres au tournant du siècle, les catégories en question,
produits de moments de doute et d’innovation, relèvent donc
d’une histoire longue qui déborde celle de leur seule
énonciation. Joindre les apports de l’analyse de cadre et des
théories de la constitution des problèmes publics permet
ainsi de penser ensemble stabilité et innovation, et
d’envisager la production des nouvelles catégories de l’action
publique sur le mode de petits déplacements sur fond stable,
dans la rencontre entre un temps structurel long et des
conjonctures d’action plus courtes. Ces dernières dessinent
des moments de mobilisation décisifs dans le processus de
mise à disposition de catégories pour l’action. Par
conséquent référer la catégorie à un principe d’opérationalité
de l’action publique, comme nous le faisons ici, ne signifie
pas la réduire à une simple technique de classification.
L’entrée diachronique par le processus de catégorisation
permet plutôt de l’envisager comme le fruit d’activités
multiples, relevant de temporalités diversifiées et
conjuguant des dimensions à la fois cognitives, normatives
et pratiques. La pluralité de ces activités, résultant de
situations et de cadrages spécifiques (Goffman, 1991),
illustre la latitude d’interprétation et d’aménagement d’un
concept dans le cours d’une action, tout en révélant
l’exigence de stabilisation du sens et des équivalences sur le
long terme, requise par le caractère public de cette action.

Une différenciation des problèmes engagée par


leur dénonciation
17 Le non-travail involontaire pour raisons économiques, tout
comme la destruction des paysages, étaient confondus
jusqu’à la fin du xixe siècle avec les autres troubles recensés
sous le lot commun de l’indigence et de l’assistance, de
l’enlaidissement du monde et de la misère du déraciné. Ils
font dorénavant l’objet d’une spécification qui vise à les
instituer en problèmes publics inédits engageant une
responsabilité collective d’un type particulier. Dans les deux
cas, cette spécification a pour arrière-plan l’industrialisation
et les dommages qui lui sont associés. Ainsi le chômage est-il
unanimement envisagé par les observateurs de l’époque
comme «  une manifestation du nouvel ordre économique  »
(Sombart, 1912, p. 122). Le non-travail involontaire est tenu
pour l’expression de désordres produits par un marché du
travail industriel, pour une forme particulière de
dépossession qui tendrait à devenir dominante dans un
«  ordre économique où les moyens de subsistance
dépendent de la conclusion d’un contrat de travail  »
(Jastrow, 1920, p.  49). Au démuni (Eigentumsloser) de la
crise agraire des années  1840 répond, comme par écho, le
chômeur (Arbeitsloser) de la crise industrielle des
années  1890. C’est la situation de dépendance à la fois
économique et juridique à l’égard d’un employeur,
sanctionnée par le statut de salarié, qui distingue le démuni
du chômeur. Pour ce qui est du paysage, il est référé au
mouvement global d’industrialisation qui le voue à la
destruction, sans toutefois que cette question soit thématisée
de manière explicite. Ce n’est que ponctuellement, à
l’occasion de protestations visant à sauver un paysage
spécifique, que surgit une mise en cause de l’irresponsabilité
de propriétaires terriens ou d’industriels, accusés d’abuser
de la jouissance de leurs biens (Speitkamp, 1999). La
systématisation de cette critique par une multitude de ligues
de type civique qui fleurissent à cette époque va porter l’idée
d’une dissociation nécessaire entre la possession d’un bien et
son usage, entre la responsabilité économique du
propriétaire, qui assure la rentabilité de son patrimoine, et
une responsabilité collective qui assure la jouissance
collective d’un certain genre de bien.
18 Associé à l’industrialisation et à l’extension du salariat, le
chômage est aussi un trouble urbain. La destruction des
paysages en est en quelque sorte le revers  : il réfère à la
dépopulation des campagnes et à la marchandisation de la
terre. Sur fond d’exode rural, d’urbanisation galopante et de
saturation démographique, chômage et destruction des
paysages sont identifiés par les réformateurs sociaux à des
problèmes spécifiques appelant d’autres dispositifs de
traitement que l’assistance ou le sauvetage ponctuel,
toujours aléatoires. Les réformateurs municipaux et les
syndicalistes, relayés par les sociaux-démocrates sur les
scènes locales, sont les premiers à s’investir dans la
constitution du chômage comme problème public
(Zimmermann, 2001). Leurs efforts se rejoignent dans la
lutte en faveur de son inscription sur l’agenda politique
national, mais au nom de motifs divergents, voire
contradictoires. De la même manière, ce sont une multitude
de petites ligues locales, vouées à la protection du
patrimoine local (Heimatschutz), qui posent la question du
paysage en tant qu’objet digne de sauvetage, sans toutefois
disposer d’une catégorie stabilisée susceptible de conférer
une assise solide à leur revendication. Un travail de
stabilisation est certes engagé, mais il faudra que se
recomposent les manières de se rapporter visuellement au
monde pour que surgisse le paysage « en danger », pour que
celui-ci soit un objet de sollicitude à sauver du processus
général de destruction. Il faudra surtout que le paysage
devienne une entité, objective dans le monde social et stable
dans le monde matériel, pour qu’il puisse être identifié,
reconnu et distingué des espaces qui ne méritent pas cette
qualification. La consolidation de la question de la
destruction des paysages en problème public et l’érection
d’un ordre visuel en bien public sont des préalables à tout
traitement administratif.
19 De même, la catégorisation du chômage renvoie-t-elle à un
double processus de constitution  : sa constitution en
problème social, qui se heurte à la difficulté d’en faire un
risque social objectivement identifiable, dissocié de la
responsabilité individuelle  ; la constitution d’une arène
publique d’intervention sur le problème, qui pose la question
de la légitimité de l’action publique et des instances
compétentes. La reconnaissance du chômage ou de la
destruction des paysages comme risques collectifs va de pair
avec la désignation d’un collectif responsable susceptible
d’assumer ces risques et de les prévenir. Elle s’accompagne
aussi de la fixation de critères d’appartenance à ce collectif,
critères qui seront ensuite mobilisés dans l’identification des
chômeurs ou des paysages secourables. En d’autres termes,
lorsqu’il s’agit de faire du chômage et de la destruction des
paysages des catégories opératoires de l’action publique, ils
ne sont jamais définis in abstracto, mais toujours en
fonction d’un champ de solutions pensables dans un cadre
d’action donné. L’énonciation d’un problème ne peut pas
être dissociée de ses perspectives de résolution, sous peine
de créer la fiction d’un ordre séquentiel entre sa définition et
son traitement (Kitsuse & Spector, 1973 ; Quéré, 1990). C’est
ce rapport entre logiques de catégorisation et cadres d’action
que nous souhaiterions maintenant explorer.

Les prémisses de la production catégorielle


20 Les prémisses de la mise en forme catégorielle du paysage ou
du chômage se jouent sur des scènes infiniment dispersées à
la fin du xixe  siècle. Un langage unifié, des catégories
stabilisées, pour faire surgir ces problèmes comme objets de
revendication légitime, ne sont pas encore disponibles. Les
manières nouvelles de saisir le monde, les nouveaux
« cadrages » des situations socio-politiques ont leur origine
dans une multiplicité de pratiques préexistantes dont elles
dépendent largement6. C’est au sein de collectifs tels que les
municipalités et les syndicats pour l’un, les ligues et les
associations locales pour l’autre, chacun œuvrant dans un
espace local bien circonscrit, que le chômage et le paysage
vont surgir comme objets d’intervention publique et comme
catégories pertinentes d’appréhension du territoire et du
non-travail. La prise sur le monde « réel », la surveillance du
territoire, l’identification et le contrôle du chômeur ne
peuvent se faire que localement  ; ils supposent un
attachement, une relation de proximité. La fabrication d’une
catégorie d’intervention publique, en revanche, suppose un
ample travail de définition, de mise en équivalence de cas
singuliers (Desrosières & Thévenot, 1988  ; Boltanski &
Thévenot, 1991). Il en résulte une tension entre, d’une part,
le caractère singulier et situé du chômage ou du paysage,
d’autre part, l’exigence de généralité induite par la
production catégorielle. Les questions de la résidence et de
la mobilité, centrales pour chacun des cas étudiés, illustrent
cette tension  : l’identification du paysage ou du chômeur
doit être locale, mais le travail de catégorisation consiste
précisément à produire une définition standard susceptible
de transcender les spécificités de cet ancrage local.

Entreprises de catégorisation
21 Dans le cas du paysage, c’est l’activité d’une multitude
d’associations locales, guidées par le souci d’une prise en
charge de questions relatives à l’aménagement et à la
valorisation de l’espace proche, qui fournit les prémisses de
la catégorisation. Ces initiatives dispersées forment, au cours
de la dernière décennie du xixe  siècle, le terreau à partir
duquel un problème d’ampleur nationale sera identifié et
une revendication formulée. La prolifération des sociétés
d’embellissement (Verschönerungsvereine) est exemplaire
de ce processus. Ces comités de notables, soutenus ou
quelquefois impulsés par les municipalités, visent à
promouvoir l’embellissement du cadre de la vie quotidienne
par les habitants  : fleurir les monuments, orner la place du
village en y plantant par exemple des arbres, maintenir la
propreté des rues et des lieux publics. Cette appropriation
d’un espace public restreint par les résidents, dans un souci
de présentation, pour soi-même et pour les autres (les
visiteurs), d’un espace «  propre  » – dans les deux sens du
terme  : approprié et rendu propre, net et beau – redéfinit
progressivement les rapports entre espace intérieur et
espace extérieur  : par l’inculcation du civisme, elle fait
partager un espace commun qui devient digne d’une
attention similaire à celle portée habituellement à la
maisonnée.
22 D’autres associations, régionales, qui s’apparentent plutôt au
modèle des sociétés savantes, prospèrent à la même époque.
Elles se consacrent à la protection des monuments, de
l’architecture urbaine, du bâti rural, des sites
archéologiques. Composées d’historiens locaux, de
folkloristes, d’historiens de l’art, elles affranchissent le souci
patrimonial (Denkmalpflege) de son cadre monumental
pour l’étendre à la culture matérielle bourgeoise des villes et
à la culture populaire du monde rural. Elles forment une
nuée de ligues aux caractéristiques similaires7, de sorte que
les historiens ont cru pouvoir y déceler, après coup, en y
intégrant le courant littéraire régionaliste en vogue, un
mouvement relativement cohérent appelé Heimatbewegung
(Appelgate, 1991 ; Thiesse, 1994). Le terme Heimat désigne
le «  pays  », cet environnement de proximité, cet espace
vernaculaire, dessinant une «  forme de vie  » propre à une
localité (Spranger, 1923). À côté de ces ligues, une série de
sociétés savantes naturalistes, plus anciennes, souvent
composées de botanistes et de géologues, s’orientent de
manière plus appuyée vers la préservation des objets
remarquables qu’elles prennent traditionnellement en
charge. Ici également, les pratiques d’identification et de
classement des entités dites naturelles (formations
géologiques, spécimens végétaux) circonscrivent
étroitement, et selon des standards rigoureux, ce qui doit
être porté à l’attention d’un public qui dépasse la
communauté des scientifiques.
23 Bien qu’elle affleure ici et là comme une entité pertinente, la
catégorie du paysage reste cependant cantonnée dans des
descriptions littéraires. Elle n’est pas encore disponible
comme catégorie générale de revendication et d’intervention
publiques. Elle affleure à l’occasion de l’engagement des
associations en faveur de la sauvegarde des clochers des
villages, des coutumes locales, d’un centre historique, d’un
château en ruine ou d’une grotte, mais comme l’arrière-plan
sur lequel ces objets se dessinent. Le paysage est alors
thématisé comme un contexte vague autorisant des
descriptions évocatrices  ; mais il ne possède pas une
consistance propre.
24 Dans le cas du chômage, on relève le même foisonnement
d’initiatives locales, dans un premier temps indépendantes
les unes des autres, comme prémisses à l’entreprise de
catégorisation. Là également les municipalités se trouvent au
premier plan, aux côtés d’associations de défense d’intérêts
professionnels, essentiellement d’obédience sociale-
démocrate. Mais les motifs de la différenciation du non-
travail pour causes économiques des autres formes de
désœuvrement et, du coup, les modes de délimitation
catégorielle susceptibles d’en découler, sont, à la fin du
xixe siècle, fort variables d’une scène à l’autre. Les principes
de justification avancés se réfèrent toujours à une rationalité
de l’intérêt général, mais la construction de cet intérêt est
intimement liée à la manière dont se définit le collectif qui
soutient la revendication, de même qu’aux objectifs assignés
à la spécification catégorielle.
25 Alors que les municipalités, auxquelles incombe le devoir
d’assistance aux pauvres, cherchent à différencier le
chômeur de l’indigent afin d’élaborer des stratégies plus
fines de gestion du social, les syndicats produisent des
dispositifs d’indemnisation dont l’objectif est de renforcer
leurs atouts dans la lutte contre le patronat. Stabiliser les
effectifs en période de conjoncture économique défavorable
et réduire la pression sur les salaires exercée par les
chômeurs sans moyens de subsistance, telle est la double
vocation de l’indemnisation syndicale du chômage. Il en
découle une élasticité de la délimitation catégorielle, qui
s’opère de manière résiduelle par rapport aux autres
prestations existantes. Tout membre sans travail pour
d’autres raisons que la grève, la maladie, la vieillesse ou
l’invalidité, sera identifié comme chômeur. La distinction
entre chômage non fautif et fautif, au sens de faute
personnelle, n’y a pas cours. Procédant d’une double
rationalité individuelle et collective, cette identification du
chômeur se fonde sur la profession comme ressource
identitaire. Expression du lien qui attache l’individu au
groupe, la communauté de métier constitue le premier
critère de reconnaissance du chômeur. C’est dans l’espace
tissé par ce lien objectivé à travers le syndicat que sont
définies ensuite, selon des règles propres à chaque
organisation, des modalités plus précises d’identification.
Délimitant un espace de solidarité syndicale, les critères
d’appartenance au collectif et de reconnaissance par les pairs
conditionnent l’identification du chômeur secourable.
Loyauté à la profession organisée et logique de l’action
collective sont ainsi les traits communs aux différentes
variantes syndicales de la définition du chômage.
26 Sur les scènes municipales, les tentatives de constitution du
non-travail involontaire pour raison économique en nouvelle
catégorie de l’action publique sont liées, d’une part, à la
volonté de dégrever les fonds d’assistance de la prise en
charge des chômeurs, d’autre part, à l’action des sociaux-
démocrates au sein des assemblées locales. Il en découle des
critères spécifiques de détermination du chômage. Alors que
le syndicat reconnaît les chômeurs en vertu de leur manque
de travail dans la profession, la municipalité les identifie en
fonction des causes de leur désœuvrement – raisons
économiques ou inhérentes au marché du travail –, de leurs
moyens de subsistance et de leur lieu de résidence. La
résidence, ou plus exactement le domicile de secours,
subordonné à une durée minimale de résidence d’un an ou
deux selon les cas, détermine le groupe des bénéficiaires
potentiels des politiques municipales et tient lieu, en matière
de prestations sociales, de convention d’équivalence entre
les personnes8. De fait, la constitution du chômage en
catégorie de l’action publique s’appuie sur une double mise
en équivalence  : l’une porte sur le non-travail et le travail
salarié, l’autre sur l’appartenance civique à la collectivité
prestataire. Or ces équivalences sont objet de controverses à
tous les niveaux – entre syndicalistes et réformateurs
municipaux, mais également à l’intérieur des organisations
syndicales et des municipalités –, ce qui engendre une
pluralité d’entreprises concurrentes de catégorisation,
situées et singulières.
27 En référence à un problème général, encore peu spécifié
mais envahissant, appelé Heimatlosigkeit ou
Arbeitslosigkeit, se dessinent ainsi des genres d’intervention
particuliers sur l’environnement et le non-travail9. Une série
d’objets et de situations sont identifiés, décrits, classés. Dans
le cas du chômage, ce sont les diverses causes de la pauvreté
et les diverses situations des personnes sans travail qui sont
inventoriées. Dans le cas du paysage, la classification
s’accompagne d’un ample mouvement d’extension
patrimoniale  : églises rurales, maisons bourgeoises, fermes,
ponts, lavoirs, rochers remarquables sont désormais inclus
dans les choses qui non seulement méritent l’attention du
savant, mais appellent également la vigilance publique. Cette
extension s’adosse sur les pratiques spécifiques des
historiens et géographes locaux, folkloristes ou muséologues.
Elle repose sur un corpus de connaissances spécialisées, des
répertoires de classifications déjà éprouvées, des procédés
d’inventaire bien réglés. Le commun, le courant, le banal,
localement identifiables et saisissables en situation de
coprésence, deviennent ainsi objets d’attention en tant
qu’expressions uniques au regard d’un espace national dans
lequel ils s’inscrivent et qu’ils contribuent, par leur
spécificité, à définir.

Mobilité et instabilité catégorielle


28 Ces manières de saisir le territoire ou le non-travail
procèdent de la thématisation d’une tension entre, d’une
part, la localisation des personnes dans l’espace, leur
ancrage en un lieu fixe, d’autre part, la mobilité accrue
induite par un ensemble de processus concomitants. Dans
les deux cas, la montée en généralité nationale, activée
comme vecteur de coordination d’une multitude d’initiatives
locales, est explorée comme moyen de dépasser cette
tension. Dans le cas du chômage, les syndicalistes et les élus
sociaux-démocrates rejettent dès les années  1890 le critère
de résidence comme principe d’identification du chômeur
secourable. Parce qu’il élimine les ouvriers qui travaillent
dans la ville mais qui, en conséquence de loyers trop élevés
dans le périmètre urbain, sont obligés de loger dans les
communes voisines, ce critère leur paraît inadapté à
l’enregistrement du «  chômage réel  » sévissant dans une
ville. Mais pour les municipalités, le «  chômage réel  » se
limite à celui des ressortissants envers lesquels elles ont un
devoir d’assistance  ; c’est-à-dire aux individus identifiables
par le lien social institutionnellement validé auquel elles
réfèrent leur action. Nourrie par la mobilité géographique et
la concentration des activités dans les centres urbains en état
de saturation démographique, la différenciation croissante
entre lieux de travail et lieux de résidence pose la question
des équivalences à établir pour identifier les chômeurs. Dans
la mesure où les liens qui enracinent l’individu dans le
travail et ceux qui l’inscrivent dans un territoire ne
coïncident plus nécessairement, les politiques publiques de
lutte contre le chômage se heurtent à la désarticulation entre
le monde du travail, au sein duquel sont évalués la réalité du
chômage et son caractère non fautif, et l’échelon territorial
des communes, jusqu’alors compétentes en matière d’action
sociale.
29 Dans le cas du paysage, l’activité des ligues et des sociétés
locales d’embellissement repose sur un cadrage de
l’environnement immédiat comme espace domestique, celui
de la maisonnée, du chez-soi. Les sociétés savantes activent
quant à elles un corpus de connaissances relatives à des
entités patrimoniales, proportionnel à leur disparition
virtuelle. Les résidents sont appelés à prendre soin, par
civisme, des façades, de la rue, de la place publique, ainsi
qu’à réagir au délitement des solidarités locales, et à affirmer
la dignité du monde rural dans un contexte d’exode vers les
centres urbains. Les ligues prennent souvent en charge des
objets disparates, qui n’impliquent pas ipso facto une
extension spatiale, condition de la constitution de la
catégorie paysage. Toutefois, cette extension se pose
quelquefois de manière pressante et se trouve revendiquée
en tant que telle  : les entours d’un monument imposant
méritent ainsi une protection, car sa saisie visuelle embrasse
son environnement immédiat (Tittel, 1981)  ; plusieurs
demeures dans la même rue d’un centre urbain sont saisies
visuellement comme une unité, alors même que tous les
bâtiments ne supportent pas une valorisation de même
ampleur. Les sociétés savantes naturalistes, qui occuperont
ultérieurement une position centrale dans la prise en charge
administrative du paysage, sont soumises à une logique
similaire  : elles saisissent les «  monuments de la nature  »
comme des objets isolés, sans pouvoir procéder à des
extensions spatiales. Ni les ligues, ni les sociétés savantes ne
disposent donc encore de l’outillage conceptuel capable de
relier ces objets singuliers entre eux, de sorte à constituer
des étendues. Or ce sont précisément ces dernières, en tant
qu’elles permettent de relier, voire d’amalgamer, des objets
disparates, qui seront appelées quelque temps plus tard des
paysages. Mais pour l’instant il ne s’agit que d’entités
qualifiées de «  remarquables  »  : repérées en fonction de
nomenclatures spécialisées, elles sont progressivement
devenues des objets méritant la sollicitude du public des
gens « cultivés » (gebildet).
30 Les manifestations dispersées, mais récurrentes, de
l’attachement aux espaces locaux s’inscrivent dès lors dans
un horizon temporel marqué par une progression de
l’éducation esthétique du plus grand nombre. Dans ce
contexte, les soins apportés à l’environnement proche
constituent un point d’ancrage à partir duquel l’accès visuel
aux autres espaces est rendu possible. L’ancrage local que
suppose la reconnaissance des objets valorisables ouvre sur
une reconnaissance de l’attachement général aux espaces de
proximité et sur la constitution progressive d’un public
élargi. L’ensemble des pratiques liées à une mobilité en
pleine expansion soutient ce type d’expérience de la
réciprocité des attachements et des soins portés aux biens
publics locaux. D’une part, le développement du tourisme
culturel et de la randonnée décloisonne les espaces en les
rendant commensurables au travers d’une expérience en
situation de coprésence. D’autre part, la diffusion massive
d’almanachs, de revues et de guides vient renforcer un
processus de typification régionale en permettant la mise en
circulation de ce qui fait la spécificité des sites, associé à une
caractérologie régionale. L’émergence du paysage comme
enjeu de revendication suppose toutefois le passage d’une
attention portée aux objets à la volonté d’intervenir sur la
relation visuelle que l’on entretient avec un environnement.
Il faudra attendre la mise en réseau de compétences
descriptives diverses pour que cette possibilité émerge et que
le paysage soit thématisé comme une entité consistante,
objet d’un traitement public.
31 Ce processus va de pair avec une politisation du bien
commun qui fait surgir des collectifs de tailles variables,
entendus comme autant de communautés de réception dans
le cas du paysage, et de solidarité pour le chômage.
L’extension du souci du bien commun de la sphère privée –
la maisonnée, le non-travail – vers des objets situés dans
l’espace du dehors – le paysage, le chômage –, marque la
possibilité pour chacun de jouir de la «  beauté  » d’une
localité dans ce qu’elle a de spécifique, ou de référer sa
situation à un principe de «  justice sociale  », tout en
thématisant cette localité ou cette situation comme partie
d’un tout. Le sens de la justice et le sens esthétique se
composent ici dans un mouvement de nationalisation des
problèmes, incarné dans les nouvelles catégories de saisie du
monde socio-politique10.
32 L’apparition d’un objet d’intervention publique relève donc,
autant dans le cas du chômage que du paysage, d’un
processus d’émergence, ancré dans une multiplicité de
pratiques locales et relativement disparates. Seule la mise en
relation dynamique, dans une arène de négociation et de
controverse, de principes hétérogènes de qualification et de
classification, de manières de mettre en forme le monde
extérieur, permet de rendre compte de ces moments
d’innovation. En dépit des divergences, et parfois de
l’incompatibilité, des logiques situées de catégorisation, le
changement d’échelle dans la formulation du problème – le
passage du local au national  – crée un espace potentiel de
rencontre et de mobilisation collective. L’innovation procède
donc ici moins d’une inventivité propre à un groupe
d’acteurs que d’une conjoncture situationnelle favorisant,
par une infinité de petits déplacements, une composition à
partir d’éléments déjà disponibles.

Réseaux, mobilisations et travail


d’institution
33 À partir de multiples scènes dispersées, où ce qui fait
problème est progressivement identifié et qualifié, s’ouvre la
possibilité de saisir de manière inédite une catégorie de
personnes ou de choses affectées par ce problème. La mise
en rapport dynamique de ces scènes dessine un véritable
processus de mobilisation tendu vers la production
catégorielle. Cette mobilisation fait entrer dans un même
espace dialogique des acteurs disparates : groupes d’intérêt,
syndicats, associations ou ligues, secteurs de
l’administration, du monde économique et scientifique ou
artistique. L’Association de lutte contre le chômage
(Gesellschaft zur Bekämpfung der Arbeitslosigkeit)11 ainsi
que la Ligue de défense de la Heimat (Bund Heimatschutz),
offrent toutes deux un point d’appui commode pour l’étude
de cet espace de mobilisation qu’elles contribuent à
structurer et à rendre visible. L’intense activité, cognitive et
normative, à l’œuvre dans la mise en réseau d’acteurs
individuels et collectifs au sein de ces deux associations
suggère de les traiter comme des laboratoires, où émerge de
manière tâtonnante une manière relativement nouvelle et
durable de se rapporter au monde12. Établir une cartographie
des acteurs qui s’y trouvent impliqués signifie dès lors
dégager la série de compétences spécifiques qui, associées,
sont engagées dans l’action.
La constitution d’un réseau de compétences
34 Tendant à fédérer l’ensemble des défenseurs de la cause des
chômeurs, la Gesellschaft zur Bekämpfung der
Arbeitslosigkeit (GzBA) tisse à partir de  1911 un espace
d’échange et de circulation des idées entre personnel
politique et administratif, scientifiques, experts locaux et
nationaux. Par le biais de ses adhérents, elle est le point de
jonction entre une multiplicité de scènes – locales,
nationales et internationales – et le lieu de rencontre
d’acteurs aux compétences variées. Comme le précisent ses
statuts, l’association « ne vise pas à se placer sur un terrain
de réforme particulier, mais à encourager et à développer
toutes les formes de lutte contre le chômage  »13. Cet esprit
d’ouverture lui vaut de rassembler de manière relativement
large des hommes aux profils et aux projets fortement
contrastés, voire divergents. Constituée autour d’un jeu de
croisements multiples, la GzBA contribue ainsi à structurer
un véritable réseau réformateur. Dans un mouvement
similaire, le Bund Heimatschutz (BHS), fondé en  1904, a
pour vocation de fédérer un vaste ensemble d’acteurs
engagés dans la défense de la Heimat. En réunissant dans un
même espace, d’une part, des associations territoriales
traditionnellement calquées sur la structure du Reich,
d’autre part, des ligues ou des individus engagés dans des
sphères d’activité qui apparaissaient jusqu’alors comme
relevant de domaines séparés, sans véritables liens, le BHS
suscite en son sein une dynamique susceptible d’attester
progressivement de la réalité et de la consistance d’un type
de problème nouveau, objet jusqu’alors de débats dispersés,
formulés en termes vagues.
35 Sous cet angle, la GzBA et le BHS apparaissent comme des
vecteurs de la circulation des idées et des informations entre
différentes scènes. Vecteurs non seulement de la
nationalisation, mais également de la généralisation, d’un
débat à partir de la connexion qu’elles établissent entre les
divers lieux et modes de formalisation d’un problème, ces
associations constituent des milieux d’innovation
particulièrement intense. Les réseaux qu’elles contribuent à
tisser sont étendus. En 1913, on compte parmi les adhérents
à la GzBA, au titre des collectifs  : une soixantaine de
municipalités, les plus importantes organisations ouvrières
– syndicats chrétiens, sociaux-démocrates et libéraux –,
divers services de placement municipaux et caisses
d’assurance, l’Association allemande de placement et
l’Association des villes allemandes (Städtetag). À titre
individuel, on recense des personnalités savantes et
réformatrices de l’Association pour la politique sociale
(Verein für Socialpolitik), essentiellement spécialistes
d’économie politique et de statistique, des membres de
l’Office statistique du Reich et des praticiens locaux de la
réforme sociale, surtout statisticiens et professionnels du
placement14. Le réseau ainsi constitué s’appuie sur des
recoupements de personnes et des liens étroits avec la
plupart des associations qui se positionnent sur le terrain de
la réforme sociale. Il produit une synergie réformatrice entre
des personnes aux compétences diversifiées dont la
connexion marque une nouvelle étape de la mobilisation.
36 Le BHS fédère, de son côté, quelque soixante-cinq
associations locales ou régionales d’historiens, folkloristes,
géographes et naturalistes qui consacrent leurs activités au
recensement, à l’étude et à la valorisation du patrimoine
local15. Le réseau ne se résume toutefois pas à ce
regroupement, même s’il en constitue la partie la plus
visible. Le BHS est en effet fondé à l’initiative de Ernst
Rudorff, disciple de Wilhelm  H. Riehl, fondateur du
folklorisme allemand (Volkskunde), dont il prolonge la
perspective dans deux traités théoriques portant sur la
protection des paysages considérés comme des totalités, des
formes de vie hybrides entre nature et culture16. Autour de ce
projet, il réunit Paul Schultze-Naumburg, théoricien de
l’architecture vernaculaire  ; Hugo Conwentz, botaniste,
auteur du premier traité sur la nécessité de conserver les
monuments de la nature, et C.  J.  Fuchs, professeur
d’économie politique, réformateur social, animateur du
Verein für Socialpolitik. Figures marquantes du BHS, leur
association reflète le genre de préoccupations qui vont
confluer pour faire surgir la destruction du paysage comme
un problème public stabilisé et conférer à l’entité paysage la
puissance d’une catégorie, d’une classe d’objets individués,
possédant des qualités déterminées, objectivement
repérables dans le monde. La mise en réseau de spécialistes
du patrimoine architectural et ethnographique, de directeurs
de musées, d’économistes préoccupés par l’exode rural, de
naturalistes attachés à conserver la diversité végétale des
espaces naturels régionaux, dessine les grandes lignes de la
combinaison de compétences jusqu’alors confinées dans des
sphères de pertinence relativement étanches.
37 La forme du réseau telle qu’elle vient d’être esquissée est,
dans le cas du chômage comme du paysage, l’aboutissement
de mouvements antérieurs de mobilisation au sein de cercles
plus restreints. Avant la création de la GzBA et du BHS, la
mobilisation s’opérait au sein d’une multitude de petits
groupes non spécialisés dans la question du chômage ou du
paysage, mais qui étaient amenés à s’en saisir en raison de
son recoupement avec les problèmes qui les préoccupaient.
Dans le cas du chômage, de nombreuses organisations
syndicales, l’Association des statisticiens des villes, de même
que l’Association des bureaux de placement étaient ainsi
impliquées dans la définition du chômage au titre de leurs
activités locales ou sectorielles. Elles tentaient toutes de
nationaliser le problème, mais de manière ponctuelle, non
concertée  ; de telle sorte que le changement d’échelle
demeurait aléatoire, car tributaire de logiques internes à
chacun des groupes considérés.
38 Pour les statisticiens des villes par exemple, l’engagement en
faveur de la production d’une catégorie nationale de
chômage coïncide avec une quête de légitimité
professionnelle sur la scène nationale (Zimmermann, 1994).
Leur mobilisation se fait l’expression d’une tension entre,
d’une part, les impératifs pratiques de l’intervention
municipale et, d’autre part, les exigences cognitives de la
généralité statistique. Cette double inscription dans la
singularité d’une logique politique située et dans les visées
généralisatrices d’une logique scientifique en fait les artisans
d’une articulation croisée entre espaces scientifiques et
politiques, locaux et nationaux. La Conférence, puis le
Verband Deutscher Städtestatistiker (VDSS), au sein
desquels ils s’associent à partir de  1888, sont le lieu d’une
mise en forme collective de cette articulation. C’est à ce titre
qu’ils se mobiliseront sur la question du non-travail, rendant
son énonciation tributaire d’enjeux internes au groupe.
Cherchant à combiner les exigences de généralité du
statisticien et l’expérience de la pluralité de l’expert local, les
statisticiens des villes tentent de valoriser en atout auprès de
la communauté statistique nationale le caractère situé de
leur action, qu’ils identifient par ailleurs comme l’obstacle à
leurs prétentions à la généralité. À travers un changement
d’échelle, ils cherchent ainsi à convertir en ressource ce qui
sur le terrain municipal contraint leur action.
39 L’Association des bureaux de placement allemands (Verband
Deutscher Arbeitsnachweise, VDA), créée en 1898, peut être
analysée pareillement. Elle vise à fédérer l’ensemble des
bureaux de placement public du Reich, afin d’uniformiser
leurs pratiques à partir de la définition de normes
communes et de développer des réseaux inter-locaux à
même de dépasser l’exiguïté du cadre communal
d’ajustement de l’offre et de la demande de travail. Le
placement est, au même titre que la statistique, une
technique d’unification territoriale de la nation et un vecteur
d’inscription du non-travail dans un espace national de
généralité. Toutefois, les impératifs catégoriels du spécialiste
du placement ne se confondent pas nécessairement avec
ceux du statisticien. Les compétences qu’il est susceptible
d’apporter au réseau se situent davantage sur le plan des
techniques d’organisation du marché du travail et du
contrôle de la recherche effective d’emploi par les sans-
travail.
40 Dans le cas du paysage, le même genre de limites apparaît si
l’on considère isolément les éléments préexistant au réseau.
Il en va ainsi de la très populaire revue Der Kunstwart,
fondée en 1882, qui se consacre à l’éducation esthétique du
peuple, et de son émanation, le Dürebund, dont les
animateurs occupent une place prééminente au sein du BHS.
Dans ce forum de discussion déjà articulé, composé de
pédagogues, d’artistes et de gestionnaires du patrimoine
artistique, le paysage émerge comme une entité tributaire
des représentations picturales célèbres. Le bon goût, la
manière adéquate de se rapporter visuellement à l’espace
ordinaire y apparaissent comme une extension, peu
thématisée, de la capacité des personnes à apprécier les
œuvres d’art. Cette dialectique, par laquelle un espace
ordinaire se voit conféré une valeur par la médiation d’une
transfiguration artistique célèbre, permet de faire l’économie
de la mise en catégorie du paysage. La sélection d’exemples
fameux en fait office. Un paysage exemplaire est alors celui
qui permet à tout un chacun de s’y relier visuellement, pour
peu que son goût ait été formé par la fréquentation du
corpus des œuvres valorisées par la tradition.
41 Les diverses arènes où se regroupent architectes, urbanistes,
spécialistes du patrimoine urbain et rural, folkloristes
inquiets de l’impact de la modernisation des campagnes et
de l’exode rural sur le monde agraire, vont confluer au sein
du BHS pour y valoriser le savoir et le savoir-faire
vernaculaires des gens simples. Ce vaste mouvement aboutit,
par touches successives, à faire émerger le paysage comme
une entité qui permet de relier des éléments jusqu’alors
épars  : costumes, clochers, haies traditionnelles, granges
sont valorisés en tant qu’ils participent d’une forme de vie
qui se donne à saisir visuellement. Pris ensemble, ils
constituent un tout cohérent, singulier, propre à une région,
résultat non intentionnel d’une multiplicité d’activités
continues, informées par un savoir-faire d’autant plus sûr
qu’il demeure tacite, ancré dans une tradition. La
valorisation de ces objets et leur combinaison font
progressivement surgir le paysage comme un produit
impersonnel et collectif. L’artiste n’est ici que le traducteur
des manières partagées de se rapporter visuellement à un
espace. La contribution des conservateurs du patrimoine et
des directeurs de musées d’histoire naturelle à ce
mouvement est cruciale en ce sens qu’elle va permettre
d’articuler le passage de la collection muséale des objets à la
conservation in situ. Le bien commun suppose une mise en
exposition de ce qui est déjà public, inscrit sur la surface du
territoire, accessible au regard de tout un chacun. Les objets
ne sont donc plus reconfigurés par leur déplacement dans un
espace ad hoc, mais au travers de leur mise en relation dans
un cadre visuel qu’ils contribuent à délimiter et qui, en
retour, leur confère leurs déterminations singulières.
42 Ce projet de mise en ordre de l’espace s’accompagne de la
progressive cristallisation du paysage menacé en problème
public. La présence de réformateurs sociaux du Verein für
Socialpolitik, en particulier les partisans du protectionnisme,
soucieux des conséquences sociales de l’appauvrissement du
monde rural, oriente les débats vers les politiques
susceptibles de préserver les emplois dans le monde rural,
d’arrimer les paysans dans leur terroir. Par ailleurs,
l’implication forte des mouvances agrariennes dans le BHS,
notamment au travers d’écrivains du terroir à l’avant-garde
du mouvement artistique régionaliste
(Heimatkunstbewegung) ou d’animateurs des revues Archiv
für innere Kolonization et Das Land, proche de la
corporation paysanne du Bund der Landwirte, ancre
solidement le problème de la destruction du paysage dans la
question plus large de la désertification des campagnes et de
la défense concomitante d’un modèle de développement
économique et social respectueux de l’enracinement local
des populations. Le paysage y surgit comme un rempart
contre la misère de la prolétarisation, une garantie contre les
fléaux de la prostitution, des maladies vénériennes, de
l’alcoolisme, de la dégénérescence physique et morale d’une
nation condamnée à terme par une mercantilisation, une
urbanisation et une industrialisation croissantes.
43 Cette brève description des deux réseaux révèle la double
limite à laquelle se heurtent les instances qui les composent,
lorsqu’elles sont prises isolément. D’une part, leurs
perspectives demeurent confinées dans des sphères de
pertinence cloisonnées. Leurs tentatives pour consolider un
problème et constituer une catégorie de personnes ou de
choses victimes d’un processus achoppent sur les limites de
leur ancrage local et la diversité des logiques d’action
propres à chacune d’entre elles. D’autre part, la
nationalisation des problèmes, en faveur de laquelle milite
chacune de ces instances, butte sur leur dispersion et leur
positionnement sur des niveaux d’intervention différents. Ce
sera le propre de la GzBA et du BHS que d’assurer la
connexion entre ces diverses composantes du réseau, de
même que d’élargir la plate-forme de mobilisation par
l’intégration de nouveaux militants et de nouvelles
compétences. Toutefois, bien que la GzBA réunisse une large
palette de compétences autour de la promotion et de la
défense de la cause du chômage, les ressources politiques
permettant de couronner toute mobilisation de succès lui
font défaut jusqu’en  1914, limitant l’efficacité de son action
(Zimmermann, 2001). De la même manière, si le BHS
parvient à inscrire la question du paysage dans le débat
national, la catégorie du paysage ne s’imposera dans
l’administration étatique nationale qu’après 1914. La
catégorie de monument de la nature, calquée sur le cadre
préexistant des politiques patrimoniales, lui sera préférée,
limitant sévèrement dans cette première traduction
administrative le projet porté par le réseau (Trom, 1996).
Tant pour le chômage que pour le paysage, les dispositifs
catégoriels sont donc largement ébauchés dès avant 1918.
Mais les conditions de leur institutionnalisation ne seront
réunies qu’au prix d’une recomposition de l’État et du
système politique sous la République de Weimar.

Mises en équivalence et stabilisation catégorielle


44 Avant 1914, les dispositifs catégoriels sont donc opératoires,
mais non encore effectifs. Ils s’imposent en effet dans le
débat politique national, reconfigurant les termes du
possible en matière de politique publique. Mais ce n’est
qu’ultérieurement que le chômage et le paysage deviendront
des catégories d’intervention de portée nationale, lorsqu’une
instance politico-administrative se verra conférer la tâche de
traiter le problème public désormais largement consolidé.
Toutefois, ce qui importe ici n’est pas tant la construction
d’une politique publique que la stabilisation catégorielle qui
permet de dessiner les contours d’une politique du pensable
et, plus fondamentalement, de pénétrer progressivement le
savoir social commun de sorte à structurer en amont les
expériences des personnes dans leur vie quotidienne.
45 Cette stabilisation suppose une mise en forme des cas
singuliers, en référence à des principes de généralité
opératoires pour l’action politique et administrative
(Thévenot, 1985). Ainsi, de même que le chômage peut être
tenu pour une mise en forme particulière du non-travail, le
paysage s’offre en tant que mise en forme d’une nature
menacée. Mais ces mises en forme relèvent de logiques
spécifiques : une logique de réduction de la pluralité pour le
chômage, une logique de l’exemplarité pour le paysage. Il en
résulte des modes de solidification contrastés, s’appuyant
sur une «  politique du grand nombre  » (Desrosières, 1993)
dans le premier cas, sur une politique du remarquable dans
le second. Dans les deux cas, la diversité et son traitement en
vue de la constitution d’une catégorie nationale d’action se
trouvent au cœur du processus de mise en réseau de
compétences disparates. Mais cette diversité est thématisée
différemment : sur le mode de l’expression chiffrée selon un
nombre restreint de critères «  objectifs  » pour le chômage,
sur le mode de l’expression iconographique selon des
standards plus ou moins explicites pour le paysage.
46 Dans le cas du chômage, la statistique et le droit constituent,
en tant que techniques de mise en équivalence de cas
singuliers et de production de généralité (Desrosières, 1992),
les outils privilégiés de mise en forme du non-travail. Ils font
de l’imputation catégorielle une opération à la fois cognitive,
normative et pratique qui autorise le passage d’un ensemble
de significations abstraites et dispersées à une catégorie
opératoire de l’action. Le processus de catégorisation se
déploie dans cette rencontre entre des schèmes de
classification abstraits et des activités de classement fondées
sur le caractère singulier d’actions en situation, car c’est en
dernier ressort de leur adéquation à la pratique que les
catégories produites tirent leur pertinence (Goodman, 1992,
p.  164). La statistique contribue ainsi, à travers sa fonction
de dénombrement, à fabriquer des entités collectives à partir
d’enregistrements individuels, mais également à définir et à
qualifier les objets, sur la base de critères d’identification et
de regroupement qui varient selon la vocation pratique
assignée aux enregistrements. Les questionnaires,
essentiellement municipaux avant 1914, donc fort disparates,
se structurent cependant autour d’interrogations communes
qui autorisent le repérage d’une procédure type de
qualification du chômage. Cette procédure repose sur la
détermination de l’état civil du chômeur, de son lieu et de sa
durée de résidence, du nombre de personnes à charge, de sa
profession, de son dernier emploi, de la durée et de la cause
de la perte de travail, enfin de ses moyens de subsistance. Le
chômeur est statistiquement identifié au titre de ses qualités
biographiques présentes et passées, selon une procédure qui
active le salariat et la résidence comme principaux critères
de mise en équivalence. Pour être reconnue comme
chômeur, une personne doit témoigner de sa qualité
habituelle de salarié17, mais également du caractère
involontaire et non fautif de sa situation de non-travail. La
catégorie ainsi délimitée est celle des salariés, en possession
de toutes leurs capacités physiques et mentales, désireux de
travailler, mais qui ont perdu leur emploi sans en porter la
responsabilité et qui, en dépit de recherches actives, ne
trouvent pas de travail en rapport avec leurs qualifications
(Petrenz, 1911, p.  7). Le chômage est catégorisé comme une
atteinte à un bien, le travail salarié, dont la justice sociale
voudrait qu’il soit accessible à tous. Les politiques publiques
auxquelles il donnera lieu viseront à corriger ce préjudice.
47 Alors que le chômeur est identifié à partir de ses qualités
biographiques et du dommage causé à sa personne du fait
d’une privation involontaire de travail, qui a déjà eu lieu, le
paysage est saisi à l’horizon de son altération à venir, c’est-à-
dire sur la base d’une anticipation de son état futur. Les
interventions auxquelles il donnera lieu ne relèveront pas du
registre de la correction d’un préjudice avéré mais de la
protection contre une atteinte potentielle, son altération ou
sa destruction possible étant marquée du sceau de
l’irréversibilité. Toute politique du paysage suppose donc
que les espaces ayant valeur de paysage soient dénombrés et
inventoriés. Le territoire national est alors conçu comme
contenant un nombre limité d’espaces esthétiquement
valorisés, de sorte qu’une vigilance systématique relative à
leur intégrité puisse s’exercer convenablement. Tout le
travail préalablement réalisé dans le réseau tend à dégager
les critères requis afin de pouvoir assigner un cas singulier à
la classe des espaces secourables. Ces critères demeurent
toutefois multiples, enchevêtrés, quelquefois peu spécifiés.
La stabilisation catégorielle, progressive, demeure partielle.
L’objectivation des qualités requises, leur détachement d’un
jugement sensible, singulier, pour les inscrire dans la
matérialité du monde, est une opération incertaine. Le
paysage demeure en effet tributaire d’un engagement visuel
susceptible de le découper dans le continuum de l’espace. Le
réseau procède dès lors par tâtonnements et apprentissages,
à l’occasion de mobilisations pour le sauvetage d’urgence de
paysages jugés menacés, mais aussi à travers des techniques
de pédagogie visuelle qui supposent précisément la
formalisation de critères stables.
48 Vaut ainsi pour paysage un espace qui peut faire état d’une
transfiguration dans le corpus des œuvres picturales ou
littéraires. La grandeur de l’œuvre rejaillit sur son modèle et
la réputation de l’artiste sur l’espace. Vaut également pour
paysage un espace qui ne peut pas faire état d’un tel
transport de réputation mais est jugé digne d’une pareille
transfiguration artistique. Le pittoresque, qui signifie
«  digne d’être peint  », devient une qualité directement
inscrite dans l’espace, tandis que le jugement, dont les gens
de goût sont capables, fait l’économie de la médiation
artistique. La voie est alors ouverte à une esthétique
involontaire où le paysage est un espace qui procède d’une
activité durable et heureuse d’actants (l’agir du paysan guidé
par la tradition, l’agir de la nature au travers du climat). Le
réseau permet d’opérer ces glissements, de sorte que d’une
logique de l’exceptionnalité ou du remarquable on passe à
une logique de la typicité qui pointe plutôt vers une forme de
moyenne. Puisque la qualification en paysage et
l’identification d’une atteinte potentielle se confondent, l’un
supposant l’autre, un ensemble d’outils pédagogiques,
procédant par exemples typiques, est porté par le réseau,
systématisé et diffusé. Toutefois, l’imputation catégorielle ne
peut s’émanciper de l’épreuve visuelle, même si cette
dernière est transportable, grâce à la photographie.
49 On observe des glissements similaires dans la catégorisation
du chômage. Un partage des tâches semble s’opérer au
niveau du réseau entre les défricheurs qui, par la technique
statistique, tentent de délimiter la catégorie et les bâtisseurs
qui, par le biais de la technique juridique, contribuent à
solidifier une catégorie nationale d’intervention. Si le
langage objectivant des chiffres permet, à partir de codes et
de moyennes, de réduire la diversité du non-travail à un
nombre limité de qualités, il n’en résulte pas pour autant une
catégorie stabilisée. C’est à travers sa mise en œuvre par les
politiques publiques et sa codification juridique que la
catégorie du chômeur gagnera en stabilité. La loi d’assurance
chômage de  1927 reprendra du reste les principaux critères
d’identification avancés par la statistique, mais en les
précisant, les arrêtant et les dotant d’une valeur normative.
Est ainsi reconnue comme chômeur (Arbeitsloser) toute
personne affiliée à l’assurance-chômage, «  apte au travail,
désireuse de travailler, mais involontairement privée de
travail  »18. Or, seuls les salariés assujettis à l’assurance
maladie sont affiliés à l’assurance chômage obligatoire.
L’appartenance au cercle des assurés, et donc des éventuels
bénéficiaires, est ici déterminée par le critère de la
dépendance économique induite par la relation salariale,
sans qu’intervienne la présence physique des travailleurs
auprès de l’employeur. Seule la justification d’un contrat de
travail écrit est prise en compte. C’est donc une définition du
salariat (Arbeitnehmerschaft) autour d’une position sociale
dans les échanges économiques qui est mobilisée par la loi
d’assurance chômage et l’identification des chômeurs qui en
découle. Car désormais ne seront reconnues comme
chômeurs que les personnes enregistrées par les statistiques
des offices de placement et d’assurance chômage. Pour les
autres actifs à la recherche d’un travail, l’allemand utilisera
le terme Erwerbslose. Ainsi, une fois la loi d’assurance
chômage promulguée, la catégorie «  chômeurs  »
(Arbeitslose) se confond, de manière restrictive, avec les
bénéficiaires des nouvelles mesures, attestant le pouvoir de
stabilisation catégorielle des dispositifs institutionnels. Par
la médiation juridique, la catégorie renvoie dorénavant à un
espace social du chômage structuré par des pratiques et des
techniques d’identification institutionnellement validées ; un
espace qui, par-delà les garanties sociales qui le
caractérisent, génère des effets de positions individuelles. Si
le débat statistique s’efface alors derrière les controverses
juridiques, la logique du dénombrement ne disparaît pas
pour autant. Mais elle découle dorénavant de manière quasi
naturelle des prescriptions institutionnelles établies par la
règle de droit, selon une circularité du dénombrement et de
l’action.
50 De même, l’infinie diversité des espaces qui sont des
candidats potentiels à la qualification en paysage contient en
germe une inflation qui rend la catégorie peu opérationnelle.
Alors que pour le chômage le droit est érigé en rempart
contre une telle dérive, la catégorie de «  monument de la
nature  » (Naturdenkmal) est substituée à celle de paysage,
afin de contenir les risques d’extension de son empire. Le
processus juridico-administratif de (dé)limitation
catégorielle est particulièrement saillant dans le dispositif de
protection des monuments de la nature créé en  1906 en
Prusse (Staatliche Stelle für Naturdenkmalpflege in
Preußen), le premier du genre en Allemagne. La cooptation
au sein de l’administration étatique du groupe des
naturalistes qui participent au réseau dote la définition des
objets patrimonialisables de la stabilité tant recherchée. Les
naturalistes sont chargés d’inventorier, de sélectionner, de
classer ces objets naturels, en s’appuyant sur leurs
compétences spécialisées et routinisées. Plutôt qu’une
catégorie qui supposerait l’unification d’objets disparates par
le regard, c’est un objet à trois dimensions qui sert de point
d’appui (un arbre, une grotte, une falaise). Ce n’est dès lors
pas la relation à un environnement qui acquiert le statut
d’un bien commun, mais un objet calqué sur le patrimoine
bâti, en vertu de critères plus ou moins objectivés par les
naturalistes. Le monument de la nature est donc un objet
remarquable, dont la protection s’impose. Cette catégorie de
substitution, vantée par le botaniste Hugo Conwentz,
membre fondateur du BHS et premier directeur de la
nouvelle administration chargée de conserver ces objets
remarquables, permet d’éviter d’appliquer l’action
administrative à des étendues dont les contours demeurent
flous, de même qu’il prévient un empiétement sur le droit de
propriété. La catégorie mal stabilisée du paysage ne disparaît
pas pour autant de l’horizon politique : elle persistera dans le
débat national, porté par le réseau qui dénoncera le
caractère étriqué du dispositif administratif. Elle fonde les
pratiques multiformes du réseau, suivant des procédures
plus standardisées. Les débats et controverses incessants en
vue d’introduire la catégorie du paysage dans les dispositifs
administratifs locaux, puis dans une loi nationale de
protection de la nature, n’aboutiront que sous le régime nazi
avec le Reichsnaturschutzgesetz de  1935 et les arrêtés qui
ont suivi.

Mobilisations et cadrage des problèmes publics


51 Loin de se réduire à de simples inférences langagières, la
catégorisation du chômage et du paysage renvoie au début
du xxe  siècle à un ensemble d’activités sociales, souvent
concurrentielles, visant à produire de nouvelles équivalences
entre des personnes, des choses et des situations. Le
processus historique que nous avons esquissé tend à
montrer que le produit de ce travail collectif se distille
progressivement dans le corps social de sorte que les entités
qu’il fait exister viennent à peupler le monde des expériences
communes, terreau de toute mobilisation.
52 Les phénomènes contemporains de mobilisation, en
particulier lorsqu’ils sont envisagés sous l’angle de l’activité
de cadrage, relèvent largement de processus temporels
longs. Toutefois, les problèmes publics et les catégories dont
la constitution vient d’être retracée ne sont pas trivialement
des objets historiques (Hacking, 1999). Certes, les catégories
du chômeur et du paysage, les problèmes du chômage et de
la destruction des paysages font partie de notre monde pré-
arrangé. L’analyse historique montre combien ils ouvrent la
possibilité de phénomènes de mobilisation, qu’ils bornent
dans un même mouvement. Mais ces problèmes et ces
catégories sont aussi saisis réflexivement par les personnes
engagées dans l’action, qui peuvent les considérer comme
construits et donc contingents. À ce titre, ils sont
susceptibles de faire l’objet d’un examen critique, de
manipulations et donc de changements.
53 Ce constat entraîne une conséquence majeure pour la
sociologie des mobilisations. Les problèmes publics et les
catégories de l’action publique ne s’incarnent pas seulement
dans des dispositifs administratifs, instances qui retiennent
particulièrement l’attention des analystes des politiques
publiques, mais plus largement dans une série d’institutions,
comme des professions, des organisations ou des
associations, qui souvent revendiquent un monopole en ces
domaines (Gusfield, 1989). Ils s’enracinent dans une
multiplicité de sites, qu’il s’agisse d’organismes
administratifs, de supports textuels (de la presse à la fiction),
ou de conversations ordinaires, sous des formes
relativement standardisées (Rafter, 1992). Ils sont intégrés
dans notre langage courant, participent de notre grammaire
de la vie publique et constituent des ressources dans les
opérations ordinaires de qualification des personnes, des
choses et des situations. Ils règlent ce que certains appellent
une «  micro-politique du trouble  » (Emerson & Messinger,
1977) en assurant le passage d’un trouble privé à un enjeu
public (Mills, 1954), d’une insatisfaction, d’un malaise
ressentis à une mobilisation où un mécontentement
s’exprime publiquement. Leur insertion dans des sites ne
doit toutefois pas être envisagée sur le mode d’une
adéquation toujours déjà assurée des catégories aux
situations. La qualification d’une situation, la désignation
d’une victime et d’un persécuteur font l’objet d’ajustements
et de déplacements incessants. Procédant par tâtonnements
et apprentissages, cette activité est locale19 et consiste à
interpréter et aménager les catégories  ; elle aboutit
progressivement à une homogénéisation toujours provisoire
(Loseke, 1997). Les mobilisations constituent des cas
particuliers à l’intérieur de cette classe de phénomènes où
une situation singulière est traitée comme une occurrence
d’un problème public général, supposant donc une
évaluation du cas local à l’aune de critères abstraits (Smith,
1987). Elles ont toutefois une dimension plus dramatique en
ce qu’elles dessinent des moments de confrontation qui
supposent, au-delà de l’explicitation des critères
d’appartenance à la catégorie, leur critique et leur éventuelle
transformation (Snow, supra).
54 Les catégories disponibles vont ainsi fixer par avance ce que
peut signifier être affecté par le non-travail ou par
l’altération de son environnement familier, en fournissant
un langage institutionnel susceptible d’en rendre compte.
C’est à partir de cette matrice que la critique opère. Les
cadres de la mobilisation désignent dès lors des manières
stabilisées, relativement consensuelles, de se rapporter au
monde, et constituent les conditions de possibilité d’un
engagement dans une plainte ou une mobilisation. Ils se
structurent autour de «  catégories conditions  » disponibles
pour interpréter et juger des situations (Ibarra & Kitsuse,
1993). Ces catégories ne sont pas de simples labels accolés
aux situations  : elles portent la marque des opérations qui
les ont instituées. Dans les moments de mobilisation, elles
vont subir des tentatives d’inflexion. Ces dernières
supposent que les opérations constitutives des catégories,
qui demeurent dans des circonstances ordinaires plus ou
moins tacites, soient identifiées, pointées, interprétées, puis
critiquées. En ce sens, l’analyse de cadre surévalue le
caractère négocié des activités de cadrage (entre personnes
mobilisées, entre ces dernières et la série d’acteurs impliqués
par la mobilisation, voire le «  public  »), alors que la
sociologie des problèmes publics conçoit trop souvent la
situation comme un assemblage de perspectives
interprétatives d’individus ou de collectifs engagés
activement dans une revendication. Il semble plutôt que le
travail sur les catégories, effectué dans les moments de
mobilisation, engage des formes d’enquêtes d’ampleurs
variées à partir des catégories disponibles. Cette activité ne
s’objective pas exclusivement dans des rhétoriques comme le
laisse penser la perspective dramaturgique (Gusfield, 1981 ;
Best, 1990). Elle requiert bien plus la conduite d’opérations
de dévoilement et de démonstration, fortement
instrumentées, tendues vers le changement de l’outillage
conceptuel au travers duquel les expériences publiques se
structurent.
55 Cette perspective, qui demeure ici à l’état d’esquisse, ouvre
sur un ensemble d’investigations trop souvent négligées par
l’analyse de cadre. Ainsi toute mobilisation qui cadre une
situation en « atteinte au paysage » se doit-elle de fournir un
travail probatoire relatif à l’existence d’un paysage, quitte à
éventuellement remettre en question les critères
durablement déposés dans la catégorie, en vue de son
extension. Aussi, les militants procèdent-ils par tâtonnement
au travers de questionnements, afin d’asseoir
convenablement leur cause. La classe d’objets convenant
dans un espace, de sorte que sa qualification en paysage soit
légitime, est-elle close ou susceptible d’être étendue  ? La
qualification procède-t-elle de critères artistiques
saisissables par tout œil avisé ou peut-elle faire fond sur des
critères naturalistes relatifs au maintien de la biodiversité ?
Cette qualification est-elle réservée aux espaces
préalablement transfigurés par des œuvres artistiques, qu’il
s’agisse de peintures ou de photographies, ou vantés par des
guides touristiques, ou peut-elle s’étendre légitimement aux
environnements plus ordinaires dont la fréquentation
continue suscite des attachements de la part de résidants  ?
Plus radicalement, faut-il renoncer à la catégorie elle-même
s’il apparaît, au terme de l’enquête, qu’elle ne peut subsumer
sous son empire l’ensemble des espaces dont la
fréquentation suscite une expérience esthétique  ? Les
mobilisations pour la sauvegarde des paysages font donc
retour sur les opérations de mise en catégorie, ajustant par
touches successives la particularité du cas aux conditions
générales requises par l’accès à un espace public.
56 Ce type de remise en question est plus net encore dans le cas
du chômage. Alors que la catégorie a émergé il y a un siècle
comme produit d’une recomposition de la catégorie
générique de la pauvreté, elle est soumise aujourd’hui à
reconfiguration. Certes, en tant que catégorie d’action
publique, le chômage n’a jamais été complètement stabilisé ;
il a fait l’objet d’ajustements périodiques au gré des
fluctuations de la conjoncture et du baromètre social. Son
noyau demeurait néanmoins relativement stable. Or, la
diversification du travail et des statuts juridiques du
travailleur a conduit à un éclatement de la catégorie et à une
multiplication des situations de non-travail n’en relevant
pas. Les expressions «  nouveaux pauvres  » ou «  exclus  »
relèvent de ces manières de désigner des situations de non-
travail que les équivalences à la base du «  problème du
chômage  » ne permettent pas de couvrir. Ces nouvelles
expressions de la question sociale appellent des traitements
inédits ; elles supposent que soit revue la matrice disponible,
notamment en termes de responsabilités et de collectif
d’appartenance, mais également d’accès au travail. Elles
engagent une réévaluation de ce que travailler veut dire dans
ses différentes acceptions individuelles, juridiques,
économiques et sociales (Boltanski & Chiapello, 1999).
57 Les exemples historiques du chômage et du paysage ont
montré combien toute production catégorielle induit un
travail de décatégorisation des entités préexistantes. La
décatégorisation ne peut précisément être envisagée qu’en
référence aux différents éléments qui se sont historiquement
sédimentés dans la catégorie et qui se défont ensuite. Défaire
une catégorie ne signifie pas nécessairement en recomposer
une nouvelle  : les «  nouveaux pauvres  », les «  exclus  »
désignent les individus qui échappent aux catégories établies
de l’action publique, sans fonder pour autant de nouvelles
catégories d’intervention étayées par des principes de justice
et de mise en équivalence. L’approche processuelle proposée
ici permet alors de saisir ces moments de décatégorisation,
dans un contexte où les cadres anciens sont encore effectifs
mais remis en question, et que les lignes d’une
recomposition catégorielle, dans les dispositifs de prise en
charge publique de l’emploi ou de l’environnement, ne sont
pas encore fixées.

Conclusion
58 Le croisement des outils conceptuels de l’analyse de cadre et
de la sociologie des problèmes publics et la restitution de
l’épaisseur historique des dynamiques de mobilisation et de
production catégorielle permettent de dégager une
perspective sensible aux activités des personnes et des
collectifs, mais soucieuse de décrire le cadre, tout à la fois
contraignant et habilitant, qui s’impose à eux.
59 Le recours à l’histoire vise à montrer comment, à partir d’un
ensemble hétérogène d’éléments, une boîte noire (Latour,
1989) se ferme progressivement, effaçant dans le
mouvement même de sa clôture les ressorts de sa
constitution, s’imposant alors dans son unicité et sa
simplicité à tout un chacun. Il permet dès lors de mieux
sonder l’effort collectif requis pour se référer autrement au
monde, y faire émerger quelque chose qui jusqu’alors n’y
trouvait pas place, ne renvoyait à aucune réalité robuste, en
prenant appui sur des ressources déjà disponibles (Sewell,
1992). Toutefois, les personnes ne demeurent pas aveugles
aux éléments hétéroclites tissés par le réseau et donc aux
opérations de mises en catégories qui s’y déroulent, même si
ces dernières, une fois constituées, imposent leur naturalité.
L’apport principal de l’analyse de cadre à la sociologie de
l’action et des mouvements sociaux a été de souligner qu’une
mobilisation n’advient que si une situation problématique
est définie, une injustice dénoncée, et donc une plainte ou
une revendication articulée. En reliant ces activités de
cadrage au travail historique préalable qui les rend possibles,
on se donne les moyens de sonder les conditions de
possibilité de la thématisation de situations problématiques
dans la vie quotidienne et, surtout, d’évaluer la densité des
efforts que requiert toute redéfinition des catégories
publiques d’appréhension du monde.
60 Dans les moments de contestation, lorsqu’une situation est
jugée problématique ou anormale, ce sont ces choses
solidement nouées qui font l’objet de tentatives de
changement. Si ces tentatives sont récurrentes, proviennent
de sites divers qui entrent en composition, alors on suppute
que se tisse un réseau susceptible de transformer ces
catégories, voire de les délaisser au profit d’autres catégories
en voie de constitution, de sorte que l’on parlera de
«  tournant  » ou de «  révolution  » – événements que l’on
imputera éventuellement à un « mouvement social ». Ainsi,
le recours à l’histoire ne vise pas tant à saisir la genèse d’une
configuration qu’à identifier et décrire des moments
d’institution dans une temporalité plus longue20. Que les
catégories solidifiées s’offrent ultérieurement comme des
cadres préalables qui se déclinent dans des sites particuliers,
enracinés dans des pratiques singulières, nous conduit dès
lors à plaider pour une approche dynamique, continue,
processuelle des problèmes publics.

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Notas
1. Sur la fécondité d’un tel croisement, cf. Benford (1997), Williams &
Benford (2000), Benford & Hunt (supra).
2. Pour une approche critique de cette rationalité, voir Boltanski (1984).
3. Alors que Arbeitslosigkeit et Heimatlosigkeit désignent des processus
négatifs affectant les personnes et les choses, arbeitslos et
Landschaftzerstörung désignent la classe pertinente des personnes et
des choses affectées par ces processus.
4. Les discussions s’organisent autour de la définition proposée en 1895 :
«  non-travail involontaire des personnes valides et désireuses de
travailler. » (Adler, 1895).
5. Sur la définition de la catégorie comme habilitante et contraignante,
cf. aussi Laborier (1996).
6. L’enracinement de l’innovation conceptuelle dans des pratiques
préalables a été mis en évidence de manière exemplaire dans Sewell
(1983). Sur la nécessité d’enraciner l’analyse de cadre dans
l’appréhension de pratiques concrètes, cf. Haydu (1999).
7. Verein für Heimatschutz Lübeck, Niedersächsischer Vertretertag für
Heimatschutz, Heimatbund Mecklenburg, Rheinisches Verein für
Denkmalpflege und Heimatschutz, Minden-Ravenbergischer
Hauptverein für Heimatschutz und Denkmalpflege, Ausschuß zur Pflege
heimatlicher Natur, Kunst und Bauweise in Sachsen, Verein für
niedersächsisches Volkstum, Bayerisches Verein für Volkskunst und
Volkskunde, pour en citer quelques-unes.
8. Sur le domicile de secours (Unterstützungswohnsitz) et les lois
successives le réglementant, voir Tennstedt (1981, p. 92 sq.).
9. Dans le cas de l’environnement, le processus de destruction incriminé
est appelé Heimatzerstörung et l’intervention publique Heimatspflege.
Dans le cas du chômage, un tel vocabulaire spécialisé fait défaut.
10. Le terme «  nationalisation  » est utilisé ici au sens de doter d’une
dimension nationale, d’inscrire dans un espace national de résolution de
problèmes.
11. La GzBA est la section allemande de l’Association internationale de
lutte contre le chômage, fondée en 1910 à Paris par le Belge Louis Varlez
et le Français Max Lazard afin d’élaborer une plate-forme internationale
de lutte contre le chômage (Topalov, 1994, p. 59-115).
12. Nous utiliserons ici la notion de réseau à la fois pour décrire ce que
les gens font (la mise en réseau) et comme outil analytique (au sens de la
mise en réseau de compétences descriptives). Sur ces usages, voir
notamment Dujardin (1988).
13. StABerlin (Staatsarchiv Berlin), Rep 142/1, 5177: 1.
14. Les grands absents de cette longue liste sont les réformateurs du
Reichstag et les représentants du protestantisme social conservateur,
peu convaincus de la nécessité d’une intervention du Reich en matière de
chômage.
15. D’après le relevé effectué en 1908 : cf. Geschäftsstelle Berlin (1930).
16. Rudorff (1901).
17. Une question sur le dernier employeur est généralement censée la
constater.
18. «  Gesetz über Arbeitsvermittlung und Arbeitslosenversicherung.
Vom 16. Juli 1927 », Reichsgesetzblatt, vol. 1, 1927, p. 187-220, § 87. Elle
doit en outre avoir acquitté ses cotisations pendant une durée minimale
de vingt-six semaines au cours de l’année précédant son chômage (§ 95).
19. La littérature récente appelle cette activité « social problems work »
(Holstein & Miller, 1997).
20. Sur le croisement entre sociologie de l’action et histoire, on se
reportera aux contributions de Contamin, Laborier, Trom,
Zimmermann, in Laborier & Trom (2001).

Autores

Danny Trom

Politologue, Centre national de la


recherche scientifique.
Del mismo autor

Sociologie politique de Norbert


Elias, Éditions de l’École des
hautes études en sciences
sociales, 2022
Qu’est-ce qu’un collectif ?,
Éditions de l’École des hautes
études en sciences sociales,
2010
Les formes de l’action
collective, Éditions de l’École
des hautes études en sciences
sociales, 2001
Todos los textos
Bénédicte Zimmermann

Historienne, École des hautes


études en sciences sociales.
Del mismo autor

La constitution du chômage en
Allemagne, Éditions de la
Maison des sciences de
l’homme, 2001
Simmel, le parti-pris du tiers,
CNRS Éditions, 2017
La liberté au prisme des
capacités, Éditions de l’École
des hautes études en sciences
sociales, 2008
Todos los textos
© Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2001

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Referencia electrónica del capítulo


TROM, Danny ; ZIMMERMANN, Bénédicte. Cadres et institution des
problèmes publics: Les cas du chômage et du paysage In: Les formes de
l’action collective: Mobilisations dans des arènes publiques [en línea].
Paris: Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2001
(generado el 04 mai 2023). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/editionsehess/10909>. ISBN:
9782713230905. DOI:
https://doi.org/10.4000/books.editionsehess.10909.
Referencia electrónica del libro
CEFAÏ, Daniel (dir.) ; TROM, Danny (dir.). Les formes de l’action
collective: Mobilisations dans des arènes publiques. Nueva edición [en
línea]. Paris: Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales,
2001 (generado el 04 mai 2023). Disponible en Internet:
<http://books.openedition.org/editionsehess/10846>. ISBN:
9782713230905. DOI:
https://doi.org/10.4000/books.editionsehess.10846.
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